1 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Erreurs sur l’Allemagne (1er mai 1940)
1 s revues et les livres nous apportent chaque jour des jugements plus massifs sur l’hitlérisme et sur ses causes. On voudrai
2 que de sérieux, et traduit quelque étourderie. 1. Des hommes aussi divers et aussi respectables que MM. Massis, Henry Borde
3 nne seulement, mais qu’il a triomphé d’abord dans une Russie tout orthodoxe, et dans une Italie toute catholique. Ce qui n’
4 é d’abord dans une Russie tout orthodoxe, et dans une Italie toute catholique. Ce qui n’est pas sans compliquer l’affaire…
5 s qu’on ne dise pas : Luther mène à Hitler. C’est une sottise et une mauvaise action, si l’on songe que le pasteur Niemölle
6 pas : Luther mène à Hitler. C’est une sottise et une mauvaise action, si l’on songe que le pasteur Niemöller, vrai descend
7 allemand : la masse a été trompée par ses chefs. Un séjour d’une année en Allemagne, de 1935 à 1936, m’a conduit à des co
8 la masse a été trompée par ses chefs. Un séjour d’ une année en Allemagne, de 1935 à 1936, m’a conduit à des conclusions for
9 année en Allemagne, de 1935 à 1936, m’a conduit à des conclusions fort différentes. J’ai pu constater que les bourgeois all
10 t des socialistes le toléraient fort bien ; et qu’ un très grand nombre d’anciens chefs communistes avaient revêtu quelque
11 IIe Internationale. Le second article, paru dans une feuille communisante de Bruxelles, m’accusait froidement d’être vendu
12 vendu au régime hitlérien, pour avoir soutenu que des communistes approuvaient Hitler. L’auteur de cette diatribe était Mme
13 relever, et qui consiste à voir dans l’hitlérisme une tyrannie « de droite », détestée par les masses. « Le totalitarisme,
14 nt encore. Mais que penser alors de l’aveuglement des bourgeois qui s’obstinèrent jusqu’en septembre 1939 à voir dans l’hit
15 usqu’en septembre 1939 à voir dans l’hitlérisme «  un rempart contre le marxisme » ! (Certains, que je connais, n’en ont pa
16 que d’avoir partagé l’erreur fatale et prolongée des bourgeois de divers pays. Si nous prétendons défendre le christianism
17 es. À quoi s’oppose, selon lui, l’énergique génie des Gaulois celtes. Or les vieux poèmes allemands, pour autant qu’ils ne
18 ductions de chants islandais ou scandinaves, sont des imitations de légendes languedociennes et bretonnes, donc celtiques.
19 t français, n’écrit-il pas que dans la mythologie des Celtes, « l’idée de la mort domine tout, et tout la découvre »? On vo
20 couvre »? On voit le danger d’aller chercher dans un passé que l’on connaît mal les causes d’une révolution dont les effet
21 r dans un passé que l’on connaît mal les causes d’ une révolution dont les effets ne sont que trop connus. Le seul avantage
22 et littéraire, c’est qu’il dispense de mentionner des causes prochaines, beaucoup plus claires, solides et convaincantes. C
23 , parce que dans tout cela se trouvent impliquées des nations que l’on aime et de chères croyances… Mais quoi, la guerre pr
24 le au sérieux. Et ce n’est pas ma faute, ni celle des protestants, si l’axe Berlin-Rome passe justement par Rome, qui n’est
2 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « À cette heure où Paris… » (17 juin 1940)
25 À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’ un nuage, et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous senton
26 si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’être un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte. D
27 peuvent rafler dans le monde entier les servants des Panzerdivisionen. Quelque chose d’indéfinissable et que nous appelion
28 , en pierraille lépreuse. N’importe quel badaud d’ un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant
29 juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’ un couchant sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foul
30 traces pacifiées. N’importe quel badaud, mais pas un conquérant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette Vil
31 e pour faire comprendre au monde entier qu’il est des victoires impossibles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de
32 s victoires impossibles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’il
33 ont qu’aucun triomphe ne vaut pour eux la moindre des réalités humaines qu’ils ont tuées. « …car ils ne savent ce qu’ils fo
3 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). New York alpestre (14 février 1941)
34 941)c Personne ne m’avait dit que New York est une île en forme d’un gratte-ciel couché. C’est la ville la plus simple d
35 e m’avait dit que New York est une île en forme d’ un gratte-ciel couché. C’est la ville la plus simple du monde. Douze ave
36 arallèles, dans le sens de la longueur, qui est d’ une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kilomè
37 res coupant les avenues à angle droit. Au milieu, un parc de dix kilomètres carrés. C’est tout, c’est la cité de Manhattan
38 u bras de mer qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien plus vastes, îles et plaines reliées par un immense rése
39 ces bien plus vastes, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Pers
40 rsonne ne m’avait dit, non plus, que New York est une ville alpestre. Je l’ai senti le premier soir, quand le soleil coucha
41 r, quand le soleil couchant flambait les hauteurs des gratte-ciel, de cette couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes
42 te couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes des parois rocheuses alors que la vallée s’emplit d’une ombre froide, et
43 s parois rocheuses alors que la vallée s’emplit d’ une ombre froide, et j’étais si bien au fond d’une gorge, dans cette rue
44 d’une ombre froide, et j’étais si bien au fond d’ une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre e
45 , dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. I
46 et la lumière éclatant très haut dans le ciel sur des parois violemment découpées, c’est un climat que je connais. Mais il
47 e ciel sur des parois violemment découpées, c’est un climat que je connais. Mais il y a plus. Il y a le sol qui est alpest
48 la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit ét
49 aient capables de supporter le formidable poids d’ un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranc
50 té plaqués sur les façades et dans les vestibules des plus riches buildings, reliques scellées d’une antiquité souterraine.
51 es des plus riches buildings, reliques scellées d’ une antiquité souterraine. Bien des aspects physiques et moraux de la cit
52 liques scellées d’une antiquité souterraine. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par
53 le demeure hanté par on ne sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné d’une
54 e lieu d’extrême densité humaine demeure baigné d’ une atmosphère irrévocablement désertique. Les Américains des plaines de
55 sphère irrévocablement désertique. Les Américains des plaines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de
56 ains. Ils pensent, dans leur ignorance, que c’est une ville trop « européenne »… Mais moi, je m’y sens contemporain de la p
4 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La route américaine (18 février 1941)
57 pourquoi je prendrai les routes d’Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l
58 volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère des pionniers, l’ère des défricheurs de savanes qui firent reculer la fro
59 onde. On croyait close l’ère des pionniers, l’ère des défricheurs de savanes qui firent reculer la frontière de décade en d
60 e, pour peu que la pression baisse à Wall Street. Un grand malaise étreignait l’âme américaine, prise de nausée dès qu’ell
61 prise de nausée dès qu’elle ressent l’approche d’ une limite infranchissable. Où s’élancer encore ? Comment sortir de cet e
62 e richesses matérielles ? Il restait à construire des routes. Depuis dix ans, les autostrades américaines allongent sans ré
63 épit leur ruban de béton, semblables à la trace d’ un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des terr
64 s à la trace d’un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantes
65 d’un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursu
66 repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursuit en silence à
67 réaliser. Les autostrades américaines ne sont pas une réclame politique, ni même un expédient pour lutter contre le chômage
68 caines ne sont pas une réclame politique, ni même un expédient pour lutter contre le chômage. Elles sont le produit du rêv
69 e produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’ un peuple libre, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un specta
70 re, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un spectacle émouvant qui n’effraye pas, mais au contraire atteste une f
71 vant qui n’effraye pas, mais au contraire atteste une force paisible et utile. Trois pistes parallèles dans chaque sens, sé
72 pistes parallèles dans chaque sens, séparées par une large bande gazonnée où l’on s’est ingénié à conserver, ici ou là, un
73 née où l’on s’est ingénié à conserver, ici ou là, un grand arbre isolé, témoin de la Prairie. Trois pistes blanches délimi
74 la Prairie. Trois pistes blanches délimitées par des lignes jaunes et noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de
75 , de gauche à droite, entre 100 et 130 à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle aisance dans la vitesse, l’abs
76 t 130 à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle aisance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’obstacles,
77 la vous donne après quelques minutes l’illusion d’ une puissance immobile qui vaincrait la distance par le charme, attirant
78 es à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’ une curiosité rêveuse. Mais soudain le regard est pris par un panneau rut
79 sité rêveuse. Mais soudain le regard est pris par un panneau rutilant sur la droite, puis mitraillé à bout portant par cen
80 es phrases fragmentées s’échelonnent tout au long des superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie !… Gardez votre
81 elonnent tout au long des superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie !… Gardez votre droite… Dépassez à gauche… A
82 des superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie !… Gardez votre droite… Dépassez à gauche… Avez-vous pensé à l’an
83 nsé à l’anniversaire de votre femme ?… Donnez-lui un aspirateur Smith… Des bonbons Johnson… Ici, trois tués par jour… Lise
84 de votre femme ?… Donnez-lui un aspirateur Smith… Des bonbons Johnson… Ici, trois tués par jour… Lisez la Bible… Cabines de
85 00 yards… Ferry-boat du Delaware en grève… Faites un détour par Philadelphie… Et arrêtez-vous à l’Hôtel Franklin… Ralentis
86 on de daims… Les partis se réconcilient… autour d’ un verre de Champagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’huile 
87 itesse à cinquante miles… 500 dollars d’amende ou un an de prison… ou les deux ensemble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je fer
88 Je ferme les yeux et j’écoute le grondement sourd des pneus qui mordent le béton. En cinq heures, nous aurons couvert les 4
89 icain ; les routes de la vitesse lui créent enfin des cadres. Quand cette surface sera suffisamment organisée, vers quoi se
90 ses elles-mêmes comprendront-elles qu’il n’est qu’ un seul infini véritable : celui que chacun porte en soi, celui de l’âme
5 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Souvenir de la paix française (15 mars 1941)
91 mars 1941)e Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’un côté, les maisons dominaien
92 om-là ? Un long village en bordure de la route. D’ un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient
93 re de la route. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des
94 ne vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’ un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du plateau
95 re elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du plateau de la Brie. Je monta
96 peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par un
97 u plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par un sentier fort raide entre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers
98 tre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient dans la grand-r
99 t les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir ro
100 et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les
101 ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’ une ferme au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’apparaît
102 acifique et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur du ciel, retrai
103 séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur du ciel, retrait des âmes d
104 maines, humilité sous la douceur du ciel, retrait des âmes dans leur destin. Je longeais cette rue silencieuse, imaginant d
105 ngeais cette rue silencieuse, imaginant d’y vivre un jour, dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au ras de la
106 ue silencieuse, imaginant d’y vivre un jour, dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au ras de la plaine. Un peu
107 volets pâles, sans adresse, au ras de la plaine. Un peu avant la sortie du village, la route bifurque : l’une des routes
108 t la sortie du village, la route bifurque : l’une des routes prend à droite, vers la plaine, escortée de quelques maisons ;
109 je vis à mes pieds, tracé à la craie sur le sol, un grand cercle entourant une inscription en lettres capitales bien arro
110 à la craie sur le sol, un grand cercle entourant une inscription en lettres capitales bien arrondies : martine je suis
111 je suis aux champs Paix du village, silence des rues vides, ouvertes sur le ciel et sur les blés. J’étais là fasciné
112 lés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’ un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets c
113 . Secret de ce village aux volets clos. Imaginant une idylle muette. Celui qui revient au pays après une longue absence et
114 ne idylle muette. Celui qui revient au pays après une longue absence et des déboires : il entre, il ne trouve personne. Mai
115 i qui revient au pays après une longue absence et des déboires : il entre, il ne trouve personne. Mais ses outils sont là,
116 ra bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffit. Je suis redescendu ve
117 scendu vers la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron
118 vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route se
119 ute sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. J’ai su, plus tard, que ce j
6 1946, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)
120 vous amène ? J’avais besoin de me retrouver dans une atmosphère française ; la production littéraire demande qu’on ne séjo
121 éfiniment dans le climat étranger. En outre, j’ai des éditeurs à voir à Paris et en Suisse. Et je serais rentré il y a un a
122 à Paris et en Suisse. Et je serais rentré il y a un an déjà si les circonstances s’y étaient prêtées. Êtes-vous venu en S
123 tes-vous venu en Suisse directement ? Oui, à part un arrêt de quelques jours à Paris. Votre impression de la capitale fran
124 e qui la peuple et que je ne reconnaissais plus : des visages sans gaieté, des corps petits, comme affaissés… Un vrai cauch
125 ne reconnaissais plus : des visages sans gaieté, des corps petits, comme affaissés… Un vrai cauchemar… N’était-ce pas le c
126 s sans gaieté, des corps petits, comme affaissés… Un vrai cauchemar… N’était-ce pas le contraste avec ces grands diables d
127 lors regagner la Suisse, quand l’entrée en guerre des États-Unis me bloqua sur place. J’avais constaté que les conférences
128 ’avais constaté que les conférences n’étaient pas un très bon moyen de propagande. Les Américains en écoutent énormément,
129 nt, et les oublient le lendemain. J’ai donc écrit un livre sur la Suisse, en collaboration avec Mme Maurice Muret, qui s’i
130 , qui s’intitule Le Cœur de l’Europe et qui eut un grand succès. C’est le seul ouvrage que les Américains peuvent consul
131 ur — et le suis encore en titre — à l’École libre des hautes études, université française en exil dirigée à ses débuts par
132 Suisse ? En effet. Qu’y enseigniez-vous ? J’avais une chaire de philosophie-sociologie. Mes collègues, de Strasbourg, Rouen
133 t fondées pendant la guerre. J’ajoute que l’École des hautes études a lancé une revue, Renaissance. De là, j’ai passé au mi
134 e. J’ajoute que l’École des hautes études a lancé une revue, Renaissance. De là, j’ai passé au ministère américain de l’inf
135 me fallait faire chaque jour 20 à 30 pages, soit un quart d’heure de nouvelles et autant de commentaires, dans un bruit t
136 eure de nouvelles et autant de commentaires, dans un bruit trépidant et en s’inspirant des directives des chefs locaux de
137 taires, dans un bruit trépidant et en s’inspirant des directives des chefs locaux de Londres et des Américains. C’était ext
138 bruit trépidant et en s’inspirant des directives des chefs locaux de Londres et des Américains. C’était extrêmement fatiga
139 ant des directives des chefs locaux de Londres et des Américains. C’était extrêmement fatigant et j’ai abandonné au bout de
140 nt terminés et vont être publiés à Paris. Ce sont des essais sur les mythes grecs : Doctrine fabuleuse  ; un recueil d’art
141 ais sur les mythes grecs : Doctrine fabuleuse  ; un recueil d’articles intitulé Vues sur l’Amérique  ; et 18 Lettres su
142 nglais, en danois, en hollandais, en espagnol), d’ un style du genre voltairien, dans lesquelles je montre que les armées d
143 tiles et que la guerre militaire est morte, et qu’ un gouvernement mondial est devenu possible, mais doit émaner des peuple
144 ent mondial est devenu possible, mais doit émaner des peuples et non des États. Vos derniers ouvrages ont-ils été traduits
145 enu possible, mais doit émaner des peuples et non des États. Vos derniers ouvrages ont-ils été traduits à l’usage des Améri
146 derniers ouvrages ont-ils été traduits à l’usage des Américains ? J’ai un contrat avec une maison américaine qui a commenc
147 -ils été traduits à l’usage des Américains ? J’ai un contrat avec une maison américaine qui a commencé par éditer en angla
148 s à l’usage des Américains ? J’ai un contrat avec une maison américaine qui a commencé par éditer en anglais La Part du di
149 et L’Amour et l’Occident . Vous allez donc faire une rentrée massive sur le marché du livre ? Oui, peut-être même un peu t
150 sive sur le marché du livre ? Oui, peut-être même un peu trop : tout compte fait, j’aurai 18 publications cette année ! C’
151 n, et nul ne le sait, je crois, en Amérique. Mais une polémique ardente, sur l’opportunité de le livrer, alimente encore qu
152 uit par l’Amérique ? Je l’aime énormément ; c’est une autre civilisation que la nôtre, mais qui a ses valeurs à elle. Peut-
153 lle. Peut-on employer ce mot de civilisation pour un peuple si neuf ? Disons que leur conception de la vie est différente.
154 e leur conception de la vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture p
155 s n’ont pas de culture proprement dite, mais bien une civilisation scientifique, non exempte d’un certain pédantisme. Des a
156 bien une civilisation scientifique, non exempte d’ un certain pédantisme. Des armées de savants étudient par exemple la mei
157 cientifique, non exempte d’un certain pédantisme. Des armées de savants étudient par exemple la meilleure façon de s’alimen
158 la font enseigner aux écoliers. C’est d’ailleurs une très belle race qui est en train de se former, et de gens extrêmement
159 extrêmement gentils. Y a-t-il bien, à votre avis, une puérilité américaine ? Et quel jugement porter sur les histoires d’un
160 ine ? Et quel jugement porter sur les histoires d’ un pittoresque extravagant qui nous viennent de là-bas ? Puérils, ils le
161 manie de nous battre). À côté d’eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont évidemment très simplistes dans ce qu’ils
162 royons pas qu’ils les prennent au sérieux : c’est un genre d’humour qui leur plaît, et ils ne font que s’en amuser. Si on
163 eaucoup plus « sérieux ». L’Amérique est du reste un pays si vaste, si mélangé et si divers, que tout y est toujours vrai
164 que tout y est toujours vrai quelque part. C’est un résumé de la planète. On se sent à New York, en particulier, si cosmo
165 mme pas grand-chose à nous apprendre, et c’est là une de leurs grandes ressemblances (il y en a beaucoup) avec les Suisses.
166 ée qui me paraît très dangereuse. De la pensée et des jugements moraux : par la synchronisation de la presse ; par le prest
167 os tirages que pour les ouvrages médiocres. Quand un livre a du succès, on le refait cent fois. À part une ou deux excepti
168 livre a du succès, on le refait cent fois. À part une ou deux exceptions, les bons auteurs américains sont beaucoup plus co
169 entaire de l’Europe. Cela permettrait entre elles une entente fructueuse et solide. Et, à ce propos, on a tort en Europe de
170 pour l’Europe…1 1. L’entretien se termine par un commentaire conclusif de l’interviewer : « Nous devons arrêter là cet
171 ont précédés de l’introduction suivante : « Après une absence de quelque six années M. Denis de Rougemont est revenu au pay
172 mont est revenu au pays de Neuchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n’est d’ailleurs que provisoire, l’écrivain ay
173 est revenu au pays de Neuchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n’est d’ailleurs que provisoire, l’écrivain ayant
174 tomne. Il a bien voulu nous accorder la primeur d’ une interview, ce dont nous le remercions ici très vivement. »
7 1947, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (5 décembre 1947)
175 Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (5 décembre 1947)h i Voici le raisonnement qu’a tenu
176 Me Duperrier : — Rougemont s’est mis au service d’ une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a parlé à la radio, comme
177 non plus. C’est que ce raisonnement n’en est pas un , mais combine deux absurdités. 1. Si l’on admet avec cet avocat que j
178 lors Oltramare l’est aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire, et l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut a
179 idoirie devient un réquisitoire, et l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramare, mais alors il n
180 dio, hors de Suisse, sur la politique. Soit. Mais un avocat qui veut s’en tenir à la seule ressemblance des mots tombe dan
181 vocat qui veut s’en tenir à la seule ressemblance des mots tombe dans le calembour juridique. Car il est vrai que les deux
182 ce procédé l’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Duperrier —
183 n pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’ un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Duperrier — celui qui a p
184 bien gardé de la formuler, c’est celle du contenu des émissions. Oltramare a parlé en faveur des nazis, ennemis jurés de to
185 ent pas la différence, essayons de l’éclairer par une fable. Supposons que j’aie tant et si bien parlé à la radio américain
186 ! On m’y ramène sous bonne escorte. Le Gauleiter, un nommé Oltramare, me fait emprisonner, puis juger sommairement, et Me
187 pas fusillé Oltramare, on s’est borné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pour avoir combattu l’h
188 tlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exactement inverse. Je garde le droit de répondre, et même d
189 es, vaut mieux que leur « ordre » où nous serions des morts, ou je ne sais quels esclaves honteux de vivre. h. Rougemont
190 gemont Denis de, « Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu », Gazette de Lausanne, Lausanne, 5 décembre 1947, p. 3.
8 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les écrivains romands et Paris (10 septembre 1949)
191 ut ce qu’il faut, en Suisse romande, pour nourrir une littérature. Nous avons peut-être un peu plus que bien d’autres provi
192 our nourrir une littérature. Nous avons peut-être un peu plus que bien d’autres provinces françaises : milieu intellectuel
193 ns rien de ce qu’il faut pour assurer le succès d’ une œuvre : publicité, mouvement autour d’un livre ou d’un auteur, appuis
194 uccès d’une œuvre : publicité, mouvement autour d’ un livre ou d’un auteur, appuis sociaux, politiques ou financiers. Je ne
195 vre : publicité, mouvement autour d’un livre ou d’ un auteur, appuis sociaux, politiques ou financiers. Je ne sais trop s’i
196 plaindre. Tout cela se crée naturellement autour des « grands », et ils sont à Paris. Nous faisons partie de la littératur
197 ure française. Or, il se trouve que la France est un pays centralisé, dans sa vie littéraire aussi. Pourquoi s’insurger, n
198 Chateaubriand se demandant s’il existe pour lui «  une possibilité de salut » comme écrivain, « un public, des appuis », etc
199 ui « une possibilité de salut » comme écrivain, «  un public, des appuis », etc., dans sa chère Bretagne natale ? Peut-être
200 ssibilité de salut » comme écrivain, « un public, des appuis », etc., dans sa chère Bretagne natale ? Peut-être avez-vous r
201 -être avez-vous raison de considérer la situation des écrivains romands comme un cas tout à fait singulier. Je suis prêt à
202 nsidérer la situation des écrivains romands comme un cas tout à fait singulier. Je suis prêt à le croire. Mais enfin, cela
203 t je trouve en revanche tant d’exemples éclatants des bienfaits littéraires de l’exil, — d’Ovide à Rilke ou à T. S. Eliot,
204 spiration. j. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Les écrivains romands et Paris », Gazette de Lausanne, Lausa
205 s nos colonnes les trois questions suivantes : 1. Un écrivain (nous entendons par là aussi bien un romancier qu’un dramatu
206 1. Un écrivain (nous entendons par là aussi bien un romancier qu’un dramaturge) a-t-il à sa disposition dans la réalité r
207 (nous entendons par là aussi bien un romancier qu’ un dramaturge) a-t-il à sa disposition dans la réalité romande ou même h
208 sition dans la réalité romande ou même helvétique des éléments d’appréciation suffisants pour alimenter une littérature qui
209 éléments d’appréciation suffisants pour alimenter une littérature qui ne soit pas uniquement et strictement « locale » ? 2.
210 uniquement et strictement « locale » ? 2. A-t-il des chances d’être compris par ses compatriotes ? Trouvera-t-il un public
211 être compris par ses compatriotes ? Trouvera-t-il un public ? Des appuis ? Un milieu ? 3. Le départ vers Paris n’est-il pa
212 par ses compatriotes ? Trouvera-t-il un public ? Des appuis ? Un milieu ? 3. Le départ vers Paris n’est-il pas, en même te
213 atriotes ? Trouvera-t-il un public ? Des appuis ? Un milieu ? 3. Le départ vers Paris n’est-il pas, en même temps qu’une t
214 départ vers Paris n’est-il pas, en même temps qu’ une tentative de retrouver ailleurs ce que l’on ne trouve pas dans son pa
215 ailleurs ce que l’on ne trouve pas dans son pays, une fuite, loin de ce que Ramuz appelle “le train-train d’une vie moyenne
216 e, loin de ce que Ramuz appelle “le train-train d’ une vie moyenne où l’exception, n’a point de part” ? Après les réponses d
217 ys manque de ce qui est indispensable au succès d’ une œuvre littéraire, il ne se répand point en lamentations. Au contraire
218 oint en lamentations. Au contraire : il préconise des remèdes énergiques. »
9 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)
219 L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)l m Votre lettre est la meilleure preuve d
220 notre congrès. Elle dit tout haut ce que pensent des millions. Et elle le dit sans précautions, avec la calme outrance de
221 i parlent comme vous, et ceux qui nous reprochent une hâte « imprudente », la différence n’est pas de jugement politique, m
222 france. Vous avez trop souffert la longue horreur des camps pour croire au sursaut de l’humain qui pourrait seul sauver l’E
223 tion. Je voudrais vous montrer que ce presque est une réalité, et qui change tout. Mon argument sera simple, le voici : Si
224 vous ne pourriez plus même le dire, et cela pour des raisons que vous avez bien connues… Or non seulement vous le dites, v
225 ttre est « ouverte ». C’est qu’il y a donc encore un peu d’Europe vivante. L’Europe existe encore, là où le cri des hommes
226 ope vivante. L’Europe existe encore, là où le cri des hommes n’est pas étouffé dans leur bouche, ou dans les sources mêmes
227 leur révolte. Vous allez me dire : « Ce n’est qu’ une survivance. En réalité, les jeux sont faits. Le droit de parler nous
228 e la « dernière illusion de l’Europe ». J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’une manière émouvante. C’est l’il
229 J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’ une manière émouvante. C’est l’illusion causée par la désillusion. Elle e
230 imagine. Cette illusion d’optique consiste à voir une toute petite Europe ruinée entre deux colosses agressifs. Secouons-no
231 me d’angoisse, et calculons. Le tableau change en un clin d’œil. À l’ouest du rideau de fer, nous sommes 300 millions : c’
232 -vingt-dix pour cent qui ne sont pas communistes. Une Europe en partie ruinée ? Mais elle relève déjà ses industries ; et l
233 été traitée mieux qu’elle, qu’on s’en souvienne. Une Europe entre deux colosses ? Mais gardons-nous des fausses symétries.
234 ne Europe entre deux colosses ? Mais gardons-nous des fausses symétries. La symétrie est une loi de la paresse, autant qu’u
235 rdons-nous des fausses symétries. La symétrie est une loi de la paresse, autant qu’un procédé de construction. Dans toutes
236 La symétrie est une loi de la paresse, autant qu’ un procédé de construction. Dans toutes les choses humaines, elle est un
237 uction. Dans toutes les choses humaines, elle est une illusion. Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’Europe. Ce
238 e l’Amérique, en retour ; nous n’avons pas besoin des Russes. Les Américains seront forcés de nous forcer à l’union ou de n
239 vous adhériez à ma doctrine du pessimisme actif. Un dernier mot sur les hommes politiques. Ils ont eu leur congrès ailleu
240 se que vous avez tort de proposer qu’on choisisse un Grand Homme. Vous n’y croyez sans doute pas plus que moi. Et vous dit
241 doute pas plus que moi. Et vous dites : « Ou bien un enfant… » Nous voici dans le temps de l’Avent, dans les nuits les plu
242 t illusion. Elle les conduisait dans la nuit vers un Enfant qui a sauvé le monde. l. Rougemont Denis de, « L’Europe est
243 . l. Rougemont Denis de, « L’Europe est encore un espoir », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8 décembre 1949, p. 1. m. R
244 8 décembre 1949, p. 1. m. Rougemont répond ici à une lettre ouverte de Virgil Gheorghiu parue dans le même numéro, à l’occ
10 1953, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)
245 hommes de bonne volonté, répétant avec M. Romains une grave erreur de traduction. Car l’Évangile dans le texte original dit
246 envers les hommes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans to
247 de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiam
248 condition. n. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Ce qu’ils pensent de Noël… », Gazette de Lausanne (supplémen
11 1954, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)
249 t (20 septembre 1954)o Le rejet de la CED par un seul pays vient de jeter tous les autres dans une crise très dangereu
250 un seul pays vient de jeter tous les autres dans une crise très dangereuse, démontrant ainsi, une fois de plus, que les na
251 Dans la confusion générale qui a suivi la journée des dupes du 30 août, les fédéralistes européens gardent une ferme orient
252 es du 30 août, les fédéralistes européens gardent une ferme orientation. L’échec de la CED n’est pas celui de l’idée fédéra
253 n’est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’ une diplomatie qui tentait de « faire l’Europe » à la sauvette, sans pose
12 1957, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)
254 Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)p Monsieur le réd
255 Pentagone : Duncan Sandys » ( Gazette de Lausanne des 2-3 février 1957) n’est pas celle du ministre britannique de la Défen
256 nistre britannique de la Défense. Elle représente un homme anxieux, aux traits tendus par la fatigue et presque lugubre. I
257 « piqué » par le photographe non point au terme d’ une mission brillamment réussie, mais plutôt pendant le cours d’un épuisa
258 illamment réussie, mais plutôt pendant le cours d’ un épuisant congrès, comme fut le Congrès européen de la culture, qui se
259 iments bien cordiaux. p. Rougemont Denis de, «  Une lettre de Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne (supplément litté
13 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Fédéralisme et culture (3-4 mars 1962)
260 econnaître que cela n’est pas possible, en plus d’ un cas, il pousse à préférer des solutions médiocres, mais « bien de che
261 possible, en plus d’un cas, il pousse à préférer des solutions médiocres, mais « bien de chez nous », aux avantages que po
262 chez nous », aux avantages que pourrait procurer une coopération sans réserve avec d’autres cantons ou pays. Votre congrès
263 ique, inutile d’insister sur ce point. Mais c’est une autre erreur, inverse de la première, qui ne cessera de vous tenter :
264 os villes sont trop petites pour se payer chacune un laboratoire de recherches nucléaires, pour ne prendre que cet exemple
265 nt trop petites pour que s’y développent à foison des écoles de peintres, des galeries d’exposition, des troupes d’acteurs,
266 s’y développent à foison des écoles de peintres, des galeries d’exposition, des troupes d’acteurs, des groupes d’écrivains
267 es écoles de peintres, des galeries d’exposition, des troupes d’acteurs, des groupes d’écrivains, voire des petites revues
268 des galeries d’exposition, des troupes d’acteurs, des groupes d’écrivains, voire des petites revues qui expriment ces group
269 troupes d’acteurs, des groupes d’écrivains, voire des petites revues qui expriment ces groupes avec l’intransigeance nécess
270 andes actuelles. Elles sont tout de même devenues des foyers rayonnants de créations du premier ordre. Et cela, je crois, p
271 ns suivantes : premièrement, la passion créatrice un peu folle de jeunes gens qui se groupaient en écoles, autour d’un maî
272 jeunes gens qui se groupaient en écoles, autour d’ un maître du métier ; secondement le sens de la dépense magnifique, le g
273 dier. Les comités ne peuvent faire, au mieux, que des choses raisonnables, mais la culture est faite par des passions indiv
274 hoses raisonnables, mais la culture est faite par des passions individuelles et par des petits groupes qui ne craignent pas
275 e est faite par des passions individuelles et par des petits groupes qui ne craignent pas de passer pour extravagants ou ex
276 vit d’imprudence, et prospère dans le gaspillage des forces et des sommes. Je crains que nous soyons encore, en Suisse rom
277 nce, et prospère dans le gaspillage des forces et des sommes. Je crains que nous soyons encore, en Suisse romande, aux anti
278 he trop de médiocrité pour peu qu’elles aient été un jour inscrites à quelque budget d’État, et sous prétexte de répartiti
279 équitable — ce qui n’est, soit dit en passant, qu’ une parodie du vrai fédéralisme — c’est tout cela qui mérite aujourd’hui
280 en mendiante, de refuser de la faire participer à une prospérité économique sans précédent. Nos raisons d’être et de rester
281 s raisons d’être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédéralisme, j’ai tenté de vous le montrer un
282 ai tenté de vous le montrer une fois de plus, vit des mêmes réalités spirituelles et morales, et prend ses sources dans les
283 bligeance de M. Denis de Rougemont, nous publions un extrait de l’important exposé qu’il présentera aujourd’hui au congrès
284 posé qu’il présentera aujourd’hui au congrès pour une collaboration culturelle romande, à Lausanne. »
14 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rectification (9 mars 1962)
285 rès peu parlé, ou le matérialisme, mentionné dans une seule phrase, mais bien à insister sur la nécessité de sauvegarder à
286 fois et en pratique les droits de l’union et ceux des autonomies locales, les droits de l’organisation et ceux de la créati
287 ’organisation et ceux de la création. La moitié d’ une vérité n’est qu’une sottise, surtout lorsqu’il s’agit de fédéralisme 
288 x de la création. La moitié d’une vérité n’est qu’ une sottise, surtout lorsqu’il s’agit de fédéralisme ! Me faire dire que
289 en restant… anarchique, c’est donc me faire dire une sottise, dont je suis heureux de ne pas être l’auteur. Voici mon text
15 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)
290 L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)t À suivre les débats qui se multiplient sur
291 , on croirait que l’union de l’Europe se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’intérêts commerciaux. J’estime don
292 sur ses aspects culturels et mondiaux. Je pars d’ un raisonnement assez simple, en trois points : 1. L’union entre des peu
293 assez simple, en trois points : 1. L’union entre des peuples ne saurait se faire en général que sur la base de quelque uni
294 ope que l’on tente aujourd’hui d’unir est d’abord une entité culturelle ; 3. Il en résulte que l’on ne doit et que l’on ne
295 us porte en pleine actualité, et qu’elle entraîne une politique bien définie. ⁂ La première proposition n’entraîne pas de l
296 îne pas de longs commentaires. Il est évident que des peuples, ne songent à s’unir que s’ils ont en commun certains traits
297 ion consiste donc à restaurer ou à consolider par des institutions communes leur unité de base, lorsque celle-ci se trouve
298 é de base, lorsque celle-ci se trouve menacée par des forces de division, internes ou externes. La seconde proposition n’es
299 l’établir. Quand je dis que l’Europe est d’abord une entité culturelle, ou que son unité la moins contestable réside dans
300 je songe à deux faits majeurs que chacun connaît. Un fait de nature : l’Europe est le plus petit de tous les continents (4
301 ope est le plus petit de tous les continents (4 % des terres du globe), et le plus pauvre en matières premières. Et un fait
302 obe), et le plus pauvre en matières premières. Et un fait d’histoire : cette minuscule Europe a dominé successivement sur
303 ilà qui ne saurait s’expliquer que par la culture des Européens, entendant par culture, au sens le plus large du terme, ce
304 la nature. L’Europe, c’est très peu de chose plus une culture. Quand on s’imagine que l’Europe, dont discutent aujourd’hui
305 resse et tous les parlements, est essentiellement une réalité économique, on oublie que notre économie n’est pas tombée du
306 et son empire, englobant avec les Méditerranéens des Germains, des Celtes et des Slaves. De cette culture commune, mais de
307 , englobant avec les Méditerranéens des Germains, des Celtes et des Slaves. De cette culture commune, mais de ses sources v
308 ec les Méditerranéens des Germains, des Celtes et des Slaves. De cette culture commune, mais de ses sources variées, voire
309 extraordinaires diversités qu’ils juxtaposent sur un très petit territoire. Quand ces diversités tournent en divisions, l’
310 s forces de division qui ont miné l’Europe depuis un siècle, et qui ont risqué de la faire périr à deux reprises en 1914 e
311 té tant que celle-ci ne se manifeste qu’au niveau des idéologies, même meurtrières. On va répétant que le nationalisme — gé
312 auvinisme ? C’est tout simplement le nationalisme des autres. Quand le nationalisme des autres s’oppose aux intérêts économ
313 le nationalisme des autres. Quand le nationalisme des autres s’oppose aux intérêts économiques de ma nation, que je sois in
314 net et Robert Schuman, puis avec le Marché commun des Six, provoquant en écho la Zone de libre-échange des Sept, la candida
315 Six, provoquant en écho la Zone de libre-échange des Sept, la candidature britannique, et l’intérêt subitement anxieux des
316 ture britannique, et l’intérêt subitement anxieux des Américains. Ce début concret de la construction européenne étant ains
317 ntègrent dans le Marché commun, c’est-à-dire dans un plan technique et économique, dont les auteurs ne sont d’ailleurs pas
318 encore fécondes, et enfin qu’elle se subordonne à une grande politique commune, laquelle ne peut se développer qu’à l’échel
319 eur. L’union économique implique, par conséquent, une politique culturelle de grande envergure : éducation civique, démocra
320 de envergure : éducation civique, démocratisation des études, insistance sur la culture générale en sont les trois maximes
321 unique dont les Européens ont fait preuve depuis des siècles, résulte de nos diversités locales, régionales, idéologiques.
322 ions qui en naissent. D’autant plus nous sommes d’ un canton, d’un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’autant plu
323 aissent. D’autant plus nous sommes d’un canton, d’ un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’autant plus nous pouvon
324 autant plus nous sommes d’un canton, d’un pays, d’ un climat religieux ou idéologique, d’autant plus nous pouvons devenir d
325 le seul possible, de ce qu’on a nommé « l’Europe des patries ». (Par malheur, l’auteur de ce mot d’ordre, M. Debré, ne pen
326 e mot d’ordre, M. Debré, ne pensait qu’à l’Europe des États, qui est tout à fait autre chose.) Les modes d’emploi Enfi
327 Enfin, l’Europe unie ne saurait être conçue comme un but en soi, comme un nationalisme agrandi et transposé aux limites gé
328 ne saurait être conçue comme un but en soi, comme un nationalisme agrandi et transposé aux limites géographiques et toutes
329 . L’Europe a découvert la Terre entière, assumant une fonction d’animation des échanges de tous ordres. Elle a transmis au
330 Terre entière, assumant une fonction d’animation des échanges de tous ordres. Elle a transmis au monde entier les procédés
331 xpériences durement acquises. Elle a inventé bien des maux, mais aussi leurs remèdes, bien des méthodes dangereuses, mais a
332 nté bien des maux, mais aussi leurs remèdes, bien des méthodes dangereuses, mais aussi les moyens de les composer, de les é
333 oit au monde de présenter l’exemple convaincant d’ un dépassement du nationalisme et d’une adaptation harmonieuse de la tec
334 convaincant d’un dépassement du nationalisme et d’ une adaptation harmonieuse de la technique à l’homme. C’est dire que l’un
335 ’homme. C’est dire que l’union économique appelle une union politique, qu’on ne peut souhaiter que fédérale. L’intégration
336 te détruirait les bases mêmes de notre dynamisme. Une simple alliance d’États souverains ne répondrait nullement aux exigen
337 pondrait nullement aux exigences du siècle. Seule une fédération, selon la formule suisse, assurerait le degré d’union néce
338 lème européen étant ainsi posé ou reposé à partir des réalités de notre culture une et diverse, les conclusions suivantes m
339 ou reposé à partir des réalités de notre culture une et diverse, les conclusions suivantes me paraissent en découler : 1.
340 isation économique ne saurait fournir les bases d’ une organisation politique, mais seulement les moyens nécessaires d’une p
341 olitique, mais seulement les moyens nécessaires d’ une politique qu’il reste encore à définir et à réaliser. 3. Cette politi
342 ir et à réaliser. 3. Cette politique, appuyée sur une organisation fédérative de nos pays, aura pour mission essentielle d’
343 s immenses et tout nouveaux que posent le contact des cultures, la technique, l’expansion démographique, la diffusion mondi
344 que tout autre pour faire valoir les avantages d’ une union de type fédéral, conforme à son essence, comme à celle de l’Eur
345 perpétuelle, la Suisse se trouve défendre en fait une politique très légitime, mais liée au passé du continent, aux rivalit
346 e Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’ un avenir authentiquement européen. Si elle s’y refuse, qui va plaider s
347 en. Si elle s’y refuse, qui va plaider sa cause ? Une union faite sans nous ne sera pas faite pour nous, c’est l’évidence.
348 t. Rougemont Denis de, « L’Europe est d’abord une culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 30
16 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Universités américaines (12-13 janvier 1963)
349 et nul n’a compris ce pays s’il n’a pas découvert un jour qu’un souffle immense de lyrisme nomade est le secret le mieux c
350 compris ce pays s’il n’a pas découvert un jour qu’ un souffle immense de lyrisme nomade est le secret le mieux couvé dans l
351 e est le secret le mieux couvé dans l’inconscient des hommes de toute race dont les pères ont conquis la Prairie. Hors des
352 race dont les pères ont conquis la Prairie. Hors des hauts murs en falaises de brique ocrée de Manhattan, au-delà des faub
353 en falaises de brique ocrée de Manhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de cam
354 nsparentes, surmontés de clochers d’or pâle, puis des rideaux d’arbres chevelus cachent les rives, et la piste d’ardoise au
355 s et denses aux couleurs de l’été indien, pendant des heures. Le « station-vagon » roule à 100, comme font toutes les autre
356 à 100, comme font toutes les autres voitures, pas un problème de dépassement, pas une injure, le ciel est bleu, les voies
357 res voitures, pas un problème de dépassement, pas une injure, le ciel est bleu, les voies sont larges, et la radio du bord
358 en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’ une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Amérique. Liberté Invit
359 ur me promener dans les États-Unis sans l’ombre d’ une obligation — je verrai qui je veux ou personne s’il me plaît, ce que
360 n, pendant deux mois — je me suis gardé d’établir un programme et d’arranger des conférences. Je m’en remets au dieu du Ha
361 e suis gardé d’établir un programme et d’arranger des conférences. Je m’en remets au dieu du Hasard, dont l’autre face est
362 tte à corriger le sort par quelques téléphones et un carnet d’adresses d’amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront-ils
363 avec Paul Tillich. Je ne l’avais pas revu depuis un soir de 1941, à New York, chez notre ami commun Reinhold Niebuhr. Cet
364 le plus influent de l’Amérique. C’est qu’il prône une théologie qu’on pourrait nommer culturelle, et qui tient compte des a
365 n pourrait nommer culturelle, et qui tient compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons b
366 ommer culturelle, et qui tient compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons beaucoup parl
367 ans tous les séminaires presbytériens la notion d’ une orthodoxie traditionnelle mais offensive et politiquement « progressi
368 Cola, twist et voitures géantes, sont en retard d’ une génération intellectuelle. (Note de 1962 : Paul Tillich vient de rece
369 Mohawk trail La route américaine, de nouveau, une ancienne piste indienne devenue autoroute, à travers un pays montagne
370 ienne piste indienne devenue autoroute, à travers un pays montagneux, presque désert pendant des heures. Ciel de craie ble
371 ravers un pays montagneux, presque désert pendant des heures. Ciel de craie bleu rosé sur les forêts sauvages, mouchetées d
372 ges, mouchetées d’arbres rouges et rose pourpre d’ une intensité de couleur que je n’ai jamais vue ailleurs. Arrêt dans une
373 uleur que je n’ai jamais vue ailleurs. Arrêt dans une auberge faite d’un vieux wagon d’aluminium déposé au bord de la route
374 mais vue ailleurs. Arrêt dans une auberge faite d’ un vieux wagon d’aluminium déposé au bord de la route, dans une clairièr
375 agon d’aluminium déposé au bord de la route, dans une clairière et l’on est ami du patron et de la fille superbe qui nous s
376 ues échanges de phrases banales. Vivre ici serait une belle aventure intérieure. Air des hauteurs, plateaux boisés aux ondu
377 vre ici serait une belle aventure intérieure. Air des hauteurs, plateaux boisés aux ondulations infinies, dernier pays du m
378 nent encore l’espace, la distance et la solitude. Un VIP2 de New York me disait l’autre jour : « Toutes les personnes de m
379 es personnes de mon espèce s’arrangent pour avoir des maisons, cabanes, pavillons, ce que vous voulez, à deux heures de New
380 nys, les Appalaches, le Vermont, sur la mer, dans des lieux déserts où nous allons passer le week-end, du vendredi après-mi
381 -end, du vendredi après-midi au lundi matin. J’ai une cabane en poutres (log cabin) près de la frontière du Canada, sans él
382 du Canada, sans électricité ni aucun confort. Pas une maison à 20 km à la ronde. La paix totale. Je coupe du bois, je lis,
383 t qu’il exagérait, qu’il y avait encore en Europe des refuges à peu près comparables. Mais j’ai dû dire : encore. D’ici vin
384 ans… New England Williamstown est le site d’ un célèbre collège de jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordée
385 élèbre collège de jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordée d’arbres immenses aux petites feuilles jaune vif et de
386 e vif et de larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’un ou deux étages, régulièrement espacées et
387 gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’ un ou deux étages, régulièrement espacées et spacieuses. Au fond, l’égli
388 ise au clocher fin, toute blanche elle aussi, sur un tertre. Et subitement voici tomber de toutes parts, sans une brise, u
389 Et subitement voici tomber de toutes parts, sans une brise, un ruissellement de feuilles rondes, comme des pièces d’or. Je
390 ent voici tomber de toutes parts, sans une brise, un ruissellement de feuilles rondes, comme des pièces d’or. Je ne sais r
391 brise, un ruissellement de feuilles rondes, comme des pièces d’or. Je ne sais rien qui égale en Europe la splendeur de l’in
392 an summer aux villages de Nouvelle-Angleterre. Un collège de jeunes filles dans le Vermont Longue avenue sinueuse da
393 es dans le Vermont Longue avenue sinueuse dans un parc aux prairies nues, en pente douce vers un bâtiment rouge. Parkin
394 ns un parc aux prairies nues, en pente douce vers un bâtiment rouge. Parking sous de grands arbres aux branches horizontal
395 es aux branches horizontales. On nous conduit par des sentiers dallés vers une maison de brique dominant le campus : vaste
396 les. On nous conduit par des sentiers dallés vers une maison de brique dominant le campus : vaste pelouse entourée d’une do
397 que dominant le campus : vaste pelouse entourée d’ une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises. D
398 ourée d’une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une
399 ’ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et rouge sur un fo
400 e mètres de haut, long paraphe blanc et rouge sur un fond noir, signée Georges Mathieu. Tout en haut, notre appartement po
401 t en haut, notre appartement pour quelques jours. Une musique bien rythmée remplit l’étage. Je pousse des portes et me trou
402 e musique bien rythmée remplit l’étage. Je pousse des portes et me trouve dans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupe
403 t l’étage. Je pousse des portes et me trouve dans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeunes filles assises su
404 quet, vêtues de collants. Sur la scène, on répète un ballet assez acrobatique et symbolique. Cocktails dans le cottage d’u
405 atique et symbolique. Cocktails dans le cottage d’ un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart auteu
406 Cocktails dans le cottage d’un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart auteurs connus, poètes, rom
407 poètes, romanciers, critiques et sociologues, et un vieil ami suisse, Paul Boepple, chef du département de musique. (Il a
408 is Nicolas de Flüe pendant la guerre à New York.) Une proportion considérable des écrivains et des artistes américains, plu
409 a guerre à New York.) Une proportion considérable des écrivains et des artistes américains, plus des deux tiers sans doute
410 rk.) Une proportion considérable des écrivains et des artistes américains, plus des deux tiers sans doute (de Faulkner aux
411 le des écrivains et des artistes américains, plus des deux tiers sans doute (de Faulkner aux plus jeunes compositeurs) vit
412 nt en général la substance même, ou la technique, des œuvres qu’ils sont en train d’écrire. Combien d’écrivains véritables,
413 vec la jeunesse ? Le lendemain matin, j’assiste à une classe de creative writing. Salle meublée comme un salon. Le professe
414 e classe de creative writing. Salle meublée comme un salon. Le professeur (qui est un poète) s’assied sur un canapé, les é
415 le meublée comme un salon. Le professeur (qui est un poète) s’assied sur un canapé, les étudiantes sur un long divan, dans
416 on. Le professeur (qui est un poète) s’assied sur un canapé, les étudiantes sur un long divan, dans des fauteuils en demi-
417 poète) s’assied sur un canapé, les étudiantes sur un long divan, dans des fauteuils en demi-cercle, sur des chaises, ou su
418 un canapé, les étudiantes sur un long divan, dans des fauteuils en demi-cercle, sur des chaises, ou sur la moquette. La plu
419 ong divan, dans des fauteuils en demi-cercle, sur des chaises, ou sur la moquette. La plupart sont en pantalon et blouses d
420 dis, comme cela se fait dans ce pays, la veille d’ une fête ou le samedi. Elles s’installent longuement, disposant autour d’
421 , blouses, cahiers et livres, et leurs jambes sur des poufs ou le bras d’un fauteuil. Le professeur annonce que la leçon se
422 ivres, et leurs jambes sur des poufs ou le bras d’ un fauteuil. Le professeur annonce que la leçon sera consacrée à l’exame
423 annonce que la leçon sera consacrée à l’examen d’ un court poème écrit par l’une d’entre elles, dont il taira le nom. Il l
424 le nom. Il lit la pièce, puis la relit lentement. Une vingtaine de vers brefs, irréguliers. À la seconde lecture, je compre
425 je comprends qu’il s’agit de deux vieillards dans une cuisine regardant par la fenêtre une fin d’automne. Mais le réalisme
426 illards dans une cuisine regardant par la fenêtre une fin d’automne. Mais le réalisme du sujet — apparemment imposé — dispa
427 anifestent leur intention de s’exprimer en levant un doigt discret ou un très long fume-cigarette. Elles parlent posément
428 ntion de s’exprimer en levant un doigt discret ou un très long fume-cigarette. Elles parlent posément avec un sérieux et u
429 long fume-cigarette. Elles parlent posément avec un sérieux et une assurance imperturbables : je pense, je trouve, à mon
430 arette. Elles parlent posément avec un sérieux et une assurance imperturbables : je pense, je trouve, à mon avis, I feel… L
431 loi « stratégique » de certains mots leur donnant une efficacité particulière, semble son thème favori. Ici comme ailleurs,
432 préoccupation dominante, et presque la réalité d’ une activité humaine quelconque, en l’occurrence l’expression littéraire.
433 ec et gris que l’automne abstraitement évoqué par une ramure sèche et fragile devant la fenêtre contemplée par le vieux cou
434 parleront désormais de poésie avec l’assurance d’ un expert diplômé par l’un des collèges les plus « avancés » de l’Amériq
435 sie avec l’assurance d’un expert diplômé par l’un des collèges les plus « avancés » de l’Amérique. Pendant quatre ans, elle
436 domineront la société américaine de demain, avec une infaillible compétence. Berkeley À une heure de San Francisco,
437 avec une infaillible compétence. Berkeley À une heure de San Francisco, l’une de plus grandes universités du monde :
438 ey, ils sont plus de 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine de professeurs, en tête-à-tête ou en groupe, déjeuner
439 on premier rendez-vous. Labyrinthe d’allées entre des bâtiments de style mal défini, allant du gothique xixe siècle au fon
440 nel 1950 en passant par le rococo américain 1910. Des centaines d’étudiants déambulent, se groupent au soleil ou sur des ba
441 tudiants déambulent, se groupent au soleil ou sur des bancs, jonchent les marches des divers halls. Beaucoup sont de couleu
442 au soleil ou sur des bancs, jonchent les marches des divers halls. Beaucoup sont de couleur, toute nuance. Tous portent le
443 Hall, je m’annonce au concierge et j’attends dans un corridor en lisant les panneaux d’annonces. Soudain, mon nom en très
444 ces. Soudain, mon nom en très grosses lettres sur une affiche. « À 3 heures, dans la Salle de Bal, D. de R., président du C
445 ure, et auteur de L’Amour et l’Occident donnera une conférence sur La guerre totale et les valeurs occidentales. Sous les
446 le et les valeurs occidentales. Sous les auspices des Americans for Democratic Action, ADA. » On m’avait parlé, très vaguem
447 ction, ADA. » On m’avait parlé, très vaguement, d’ une éventuelle discussion avec un groupe de professeurs, portant sur un d
448 très vaguement, d’une éventuelle discussion avec un groupe de professeurs, portant sur un débat récent organisé à Berkele
449 ussion avec un groupe de professeurs, portant sur un débat récent organisé à Berkeley entre Sidney Hook, C. P. Snow et Han
450 Morgenthau, et qui semble avoir fait du bruit, d’ une côte à l’autre, mais c’est vraiment tout ce que j’en sais. La série d
451 conduit sur l’estrade. Fragments d’interventions des trois célèbres philosophes et sociologues, transmis d’après une bande
452 bres philosophes et sociologues, transmis d’après une bande magnétique, et bien sûr je comprends assez mal. Better red than
453 t de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des valeurs occidentales. Je vois donc ce qui me reste à faire. Improvisa
454 ois donc ce qui me reste à faire. Improvisation d’ une demi-heure. Sachant que mon auditoire est composé d’étudiants « très
455 e leur rappelle aussi que le communisme russe est une création de l’Europe. (Marx, juif rhénan dont le père s’était fait, p
456 ’était fait, protestant, écrit au British Museum, des articles que publie le New York Herald Tribune : on ne fait pas plus
457 nt les successeurs de l’Occident ? Je ne vois que des imitateurs. Le but des Soviétiques, à les en croire, est de rattraper
458 ’Occident ? Je ne vois que des imitateurs. Le but des Soviétiques, à les en croire, est de rattraper l’Amérique, qui est un
459 s en croire, est de rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’Europe. Croyons à nos valeurs et prouvons-le, c’est ce
460 n’est plus caractéristique de l’opinion actuelle des jeunes Américains. J’en recopie quelques exemples : « Le plus grand h
461 urs. Mais comment peut-on faire cela, compte tenu des tensions politiques actuelles ? » « Comment la nécessité de l’action
462 telle manière qu’elle ne soit pas méprisée comme un simple sermon ? » « La décision n’appartient-elle pas aux Soviets ? C
463 te façon. » « Admettez-vous que l’État-nation est une conception archaïque, et que la tendance à créer des marchés communs
464 conception archaïque, et que la tendance à créer des marchés communs peut conduire à la formation de communautés internati
465 sarmement nucléaire ? » « À votre sens, serait-ce une bonne idée que tous les Américains intelligents se mettent à aimer (p
466 on pour aimer les Russes ! » (la salle croule.) Un couvent laïque. — Près de Stanford, autre université voisine de San F
467 de San Francisco, 9000 étudiants seulement, mais un très haut niveau intellectuel, la Fondation Ford a créé un Centre d’é
468 aut niveau intellectuel, la Fondation Ford a créé un Centre d’études avancées pour les sciences du comportement. Un club-h
469 tudes avancées pour les sciences du comportement. Un club-house domine la colline : restaurant, salles de réunions, piscin
470 mpêtre ultramoderne. Tout autour, sur les pentes, des rangées de cabanes d’une seule pièce dénommée cubicles sont réservées
471 autour, sur les pentes, des rangées de cabanes d’ une seule pièce dénommée cubicles sont réservées aux moines laïques qui v
472 éservées aux moines laïques qui viennent y passer une année d’études personnelles et de conversations approfondies avec les
473 ée. J’ai déjeuné avec plusieurs d’entre eux, puis une vingtaine sont venus discuter le plan d’une conférence sur l’Europe e
474 puis une vingtaine sont venus discuter le plan d’ une conférence sur l’Europe et le monde que je leur ai brièvement exposé.
475 ai brièvement exposé. Critiques et suggestions d’ une pertinence parfaite. Je visite la colline avec Abe Lerner, économiste
476 ine avec Abe Lerner, économiste barbu qui compose des « mobiles » à temps perdu et en décore son cubicle, et Sidney Hook, l
477 ttes internes du régime soviétique, ou le pouvoir des dictateurs. Les économistes appliquent les dernières théories mathéma
478 l’analyse conjoncturelle. Les philosophes suivent un cours quotidien sur les matrices algébriques. Bref, c’est notre latin
479 trouve en Europe rien qui ressemble à ce concours des meilleurs esprits d’avant-garde. D’un instrument pareil nous ferions
480 e concours des meilleurs esprits d’avant-garde. D’ un instrument pareil nous ferions sans nul doute un usage assez différen
481 ’un instrument pareil nous ferions sans nul doute un usage assez différent, plus philosophique au sens large. Mais encore
482 ont Denis de, « Universités américaines : notes d’ un journal de voyage », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lau
483 nvier 1963, p. 13 et 19. v. Sous-titré « Notes d’ un journal de voyage », ce texte est introduit par le chapeau suivant :
484 ’écrivain de questions sur Marx et l’Europe, dans des universités très différentes des nôtres. Elles ressemblent à des couv
485 t l’Europe, dans des universités très différentes des nôtres. Elles ressemblent à des couvents laïques, à des campus, à des
486 très différentes des nôtres. Elles ressemblent à des couvents laïques, à des campus, à des cottages anglais… Professeurs e
487 tres. Elles ressemblent à des couvents laïques, à des campus, à des cottages anglais… Professeurs et étudiants y mènent une
488 ssemblent à des couvents laïques, à des campus, à des cottages anglais… Professeurs et étudiants y mènent une vie fraternel
489 ttages anglais… Professeurs et étudiants y mènent une vie fraternelle, et l’on y découvre des institutions dont l’Europe fe
490 y mènent une vie fraternelle, et l’on y découvre des institutions dont l’Europe ferait bien de s’inspirer. »
17 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… (2-3 février 1963)
491 oque beaucoup d’esprits dans nos cantons romands. Un seul en a tiré une œuvre forte, c’est Ramuz. Mais il ne croyait pas à
492 prits dans nos cantons romands. Un seul en a tiré une œuvre forte, c’est Ramuz. Mais il ne croyait pas à l’Helvetia et à l’
493  Entre nous, nous sommes racistes », me disait-il un jour — provocateur ! Il aurait sans nul doute échoué dans son « proje
494 rojet » s’il avait emprunté ses « instruments » à une philosophie, même existentialiste. Il s’est fait un langage de peintr
495 philosophie, même existentialiste. Il s’est fait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’une « rationalité adéquate
496 ait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’ une « rationalité adéquate », le jeune Suisse romand qui veut écrire n’au
497 lisme néo-bourgeois, réaliste et moralisant, et à une maladresse verbale cultivée par l’école primaire et secondaire. Tout
498 es particulières du Suisse romand ? Bénéficiant d’ une structure sociale, politique et religieuse, exemplairement fédéralist
499 t pluraliste, qui lui permet de participer à tout un jeu de dimensions spirituelles et physiques, les unes très vastes et
500 ta pensée maîtresse, et non que tu t’es échappé d’ un joug. » w. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] L’éloge,
501 un joug. » w. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert à ceux qui s’ouvre
502 ausanne, 2–3 février 1963, p. 20. x. Il s’agit d’ une réponse à l’enquête « Homo helveticus : existe-t-il en Suisse romande
18 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller [Entretien] (9-10 février 1963)
503 nis de Rougemont était en Amérique, il lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’entendre à l’autre bout du fil
504 on téléphone, et d’entendre à l’autre bout du fil une voix annoncer : “Ici Albert Einstein”. Il se souviendra toujours du c
505 ert Einstein”. Il se souviendra toujours du choc. Un mythe avait pris corps… “J’ai lu votre bouquin sur la bombe atomique”
506 elle. « Voulez-vous passer la soirée chez moi ? » Un feu pétillait dans le salon de Ferney, Denis de Rougemont me racontai
507 acontait l’histoire, et à mon tour j’enregistrais une voix, un visage, une stature qui revendiquaient la légitime propriété
508 ’histoire, et à mon tour j’enregistrais une voix, un visage, une stature qui revendiquaient la légitime propriété du nom.
509 et à mon tour j’enregistrais une voix, un visage, une stature qui revendiquaient la légitime propriété du nom. Un œil clair
510 qui revendiquaient la légitime propriété du nom. Un œil clair, un menton lourd (les photographies connues soulignent touj
511 aient la légitime propriété du nom. Un œil clair, un menton lourd (les photographies connues soulignent toujours ce regard
512 aphies connues soulignent toujours ce regard vif, un peu ironique, au détriment de cette mâchoire carrée), les doigts coup
513 bles chasseurs de mythes qui écrivent aujourd’hui des livres, un de ceux qui a fait, avec simplicité, les prises les plus s
514 rs de mythes qui écrivent aujourd’hui des livres, un de ceux qui a fait, avec simplicité, les prises les plus sensationnel
515 pas porté au romantisme, donc à l’amour-passion, un coup mortel ? Pas mortel. Mais dur. J’ai provisoirement modifié ma pe
516 lectuelle de nouveaux langages… Ce qui nous donne une impression de sécheresse, d’épuisement. Ne croyez-vous pas que l’Euro
517 conditionné par les autres, que nous parvenons à un choix : régler, réglementer minutieusement chaque détail de notre vie
518 re vie, de nos comportements ; ou bien déclencher des catastrophes. Tout de même, rappelez-vous les prévisions des démograp
519 ophes. Tout de même, rappelez-vous les prévisions des démographes. Si l’humanité se développe au même rythme, en 2260 il y
520 260 il y aura 700 milliards d’hommes, ce qui fera un homme tous les dix mètres. En 2400, nous aurons un mètre carré chacun
521 n homme tous les dix mètres. En 2400, nous aurons un mètre carré chacun. Dans moins de 440 ans ! Bien sûr, la statistique
522 ne ne pourrait s’asseoir sans écraser les pieds d’ un autre), mais comment ne pas voir le problème ? Aujourd’hui déjà, notr
523 s ne l’avaient pas inventé. Ils lui avaient donné une forme nouvelle. Cette forme lui a permis de prendre un envol extraord
524 rme nouvelle. Cette forme lui a permis de prendre un envol extraordinaire. Croyez-vous que l’étude systématique du xie et
525 matique du xie et du xiie siècle nous donnerait des éléments d’appréciation pour le xxie  ? On peut tracer des perspectiv
526 nts d’appréciation pour le xxie  ? On peut tracer des perspectives. On ne peut pas prophétiser. Il y a un auteur d’anticip
527 perspectives. On ne peut pas prophétiser. Il y a un auteur d’anticipation qui a longuement parlé, lui aussi, du surpeuple
528 précisément la femme a dans son œuvre la place d’ un symbole et d’une inspiratrice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par e
529 femme a dans son œuvre la place d’un symbole et d’ une inspiratrice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par exemple un texte i
530 ice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par exemple un texte inédit de Teilhard. Il faudra que j’en parle à Lausanne. Voyez
531 assage : le Père (qui d’ailleurs a eu dans sa vie un grand amour) parle de la Chasteté comme d’un moyen de parvenir à la v
532 vie un grand amour) parle de la Chasteté comme d’ un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans des termes extrêmement
533 un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans des termes extrêmement proches du xiie siècle. La Chasteté n’est pas le
534 mour, la négation de la Femme. C’est au contraire une approche de la Femme. Une sublimation. Vous pensez donc que le mythe,
535 mme. C’est au contraire une approche de la Femme. Une sublimation. Vous pensez donc que le mythe, après s’être longuement a
536 Les modernes — écrivait-il — croient qu’il existe une sorte de nature normale, à laquelle la culture et la religion seraien
537 sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais tout à fait mortes,
538 capable de nous dire savamment, certes, mais avec une fougue et une simplicité devenues rares, de quelle manière, à son avi
539 s dire savamment, certes, mais avec une fougue et une simplicité devenues rares, de quelle manière, à son avis, nous devons
19 1964, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)
540 Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)aa Le mythe de la tour d
541 aa Le mythe de la tour de Babel me paraît l’un des plus vivants, des plus actuels, et aussi des plus angoissants de ceux
542 la tour de Babel me paraît l’un des plus vivants, des plus actuels, et aussi des plus angoissants de ceux que nous a légués
543 l’un des plus vivants, des plus actuels, et aussi des plus angoissants de ceux que nous a légués l’Antiquité proche-orienta
544 Naturant, qui est Dieu, et il entreprit d’édifier une tour à Sennaar, qui fut ensuite appelée Babel, ce qui veut dire confu
545 genre humain collabora à cette œuvre d’iniquité. Une partie d’entre eux commandait, une partie dressait les plans d’archit
546 re d’iniquité. Une partie d’entre eux commandait, une partie dressait les plans d’architecture, une partie construisait les
547 it, une partie dressait les plans d’architecture, une partie construisait les murs ; les uns travaillaient du cordeau et de
548 er ou par terre ; et chaque groupe s’appliquait à une tâche particulière. Jusqu’à ce qu’ils fussent frappés par le Ciel et
549 qu’ils fussent frappés par le Ciel et jetés dans une confusion telle que tous ceux qui étaient venus à l’œuvre parlant une
550 que tous ceux qui étaient venus à l’œuvre parlant une seule et même langue, dussent la quitter parlant des langues diverses
551 seule et même langue, dussent la quitter parlant des langues diverses, et incapables de plus jamais s’entendre pour accomp
552 dre pour accomplir leur dessein. En effet, chacun des groupes exerçant une même activité parlait la même langue, p. ex. les
553 ur dessein. En effet, chacun des groupes exerçant une même activité parlait la même langue, p. ex. les architectes entre eu
554 tenus à l’écart, couvrant d’imprécations la folie des travailleurs et les tournant en dérision. Ainsi donc, l’origine de l
555 dérision. Ainsi donc, l’origine de la diversité des langues ne serait autre que la spécialisation des métiers et par suit
556 des langues ne serait autre que la spécialisation des métiers et par suite des jargons de métier — spécialisation exigée pa
557 re que la spécialisation des métiers et par suite des jargons de métier — spécialisation exigée par les dimensions mêmes d’
558 spécialisation exigée par les dimensions mêmes d’ un projet qui consistait à dépasser la mesure naturelle par l’artifice h
559 Paul Valéry dans sa célèbre Lettre sur la société des esprits, publiée vers 1920 : « Les Européens se sont jetés dans une a
560 ée vers 1920 : « Les Européens se sont jetés dans une aventure prodigieuse qui consiste à modifier les données initiales « 
561 faisait il y a quelques siècles) pour répondre à des besoins certains et à des nécessités limitées de cette même vie — mai
562 iècles) pour répondre à des besoins certains et à des nécessités limitées de cette même vie — mais comme inspirés de créer
563 de cette même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’existence tout artificielle… » Au-delà de cette Europe décrit
564 viens de vous lire sur l’origine de la pluralité des langues, Dante a posé implicitement le problème beaucoup plus général
565 général de ce qui divise les hommes depuis l’aube des temps : les langues certes, mais aussi les distances, les races, les
566 rs différents, c’est-à-dire l’ignorance du savoir des autres, et enfin, et surtout, l’oubli de l’unité, l’étrange oubli des
567 , et surtout, l’oubli de l’unité, l’étrange oubli des buts finaux de l’existence dans lequel nous voyons s’enfoncer, inexor
568 es distances sont presque annulées par la vitesse des communications. Les nations tendent à se regrouper et à s’organiser e
569 ope. Les races qui s’ignoraient jadis au point qu’ un homme de couleur différente ne semblait pas vraiment humain, se recon
570 ode. Demain ce sera le métissage universel, après un certain nombre de conflits peut-être atroces, mais dont l’issue n’est
571 s douteuse. Les cultures entrent en dialogue, sur un pied théorique d’égalité, au lendemain de l’ère coloniale. Pour le mo
572 demain de l’ère coloniale. Pour le moment et pour des décennies encore, c’est la culture occidentale qui domine tout, unifi
573 . Les langues elles-mêmes, ce plus ancien symbole des divisions de l’humanité, s’interpénètrent, et certaines s’universalis
574 es. On n’a jamais autant traduit et déchiffré. Et des machines électroniques vont faire le reste. Convergences Contig
575 rès combien de siècles — de l’esclavage. Le droit des gens valable pour toute race est une création de l’Europe, durant l’é
576 ge. Le droit des gens valable pour toute race est une création de l’Europe, durant l’époque colonialiste et tout d’abord en
577 ions, de créations et de formes de vie — disons d’ un mot : par sa culture, qui a fait littéralement le tour du monde. Mais
578 lture qui fut l’agent de la convergence mondiale, un mouvement radicalement contraire de divergence. Ce mouvement de disso
579 de quoi je veux parler : nous assistons en fait à une double explosion au sein des institutions d’enseignement supérieur :
580 assistons en fait à une double explosion au sein des institutions d’enseignement supérieur : explosion du savoir, qui se t
581 périeur : explosion du savoir, qui se traduit par un accroissement continuel à la fois du nombre et de l’exclusivité des s
582 continuel à la fois du nombre et de l’exclusivité des spécialisations dans le cadre distendu des facultés ; et en même temp
583 sivité des spécialisations dans le cadre distendu des facultés ; et en même temps, explosion des effectifs estudiantins, ré
584 stendu des facultés ; et en même temps, explosion des effectifs estudiantins, résultant à la fois de l’accroissement des po
585 udiantins, résultant à la fois de l’accroissement des populations et la démocratisation des études. L’explosion du savoi
586 croissement des populations et la démocratisation des études. L’explosion du savoir Ainsi les dimensions physiques et
587 s mais entre les spécialités qui prolifèrent dans une même faculté tendent à devenir infranchissables. Dans l’univers du sa
588 t spécialité sont en train de s’éloigner les unes des autres avec une vitesse croissante, comme autant de galaxies dans le
589 t en train de s’éloigner les unes des autres avec une vitesse croissante, comme autant de galaxies dans le cosmos en expans
590 ion rapide de toute langue commune, remplacée par une multiplicité de langages spéciaux de moins en moins traduisibles, et
591 sement progressif de la conscience du but commun, des fins dernières de l’entreprise, qui se perdent dans les nuées de l’in
592 ées du savoir, c’est dire que la commune mesure d’ une civilisation est en train de s’évanouir — j’entends par là, sa concep
593 la pensée, le sentiment et l’action non seulement des esprits créateurs et de la jeunesse européenne, mais aussi des hommes
594 réateurs et de la jeunesse européenne, mais aussi des hommes d’outre-mer qui viennent chez nous en pèlerinage aux sources v
595 Nos universités ne sont plus guère, en fait, que des agglomérats ou juxtapositions souvent fortuites d’écoles professionne
596 ches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux d’ une administration en outre accablée de soucis matériels et qui a d’autre
597 s chats à fouetter que de méditer sur la synthèse des facultés de l’esprit humain. La juxtaposition de facultés étanches ne
598 xtaposition de facultés étanches ne fait pas plus une université qu’une addition d’organes ne fait un corps vivant. Regardo
599 ultés étanches ne fait pas plus une université qu’ une addition d’organes ne fait un corps vivant. Regardons cela d’un peu p
600 une université qu’une addition d’organes ne fait un corps vivant. Regardons cela d’un peu plus près. Sur l’explosion des
601 organes ne fait un corps vivant. Regardons cela d’ un peu plus près. Sur l’explosion des effectifs, nous disposons d’une gr
602 egardons cela d’un peu plus près. Sur l’explosion des effectifs, nous disposons d’une grande richesse de statistiques. Un s
603 . Sur l’explosion des effectifs, nous disposons d’ une grande richesse de statistiques. Un seul exemple peut suffire ici : l
604 disposons d’une grande richesse de statistiques. Un seul exemple peut suffire ici : le nombre des étudiants en France éta
605 ues. Un seul exemple peut suffire ici : le nombre des étudiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’environ 280 000
606 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans une dizaine d’années. (Seules n’auront pu varier les dimensions des salle
607 années. (Seules n’auront pu varier les dimensions des salles de la Sorbonne, où déjà les étudiants s’écrasent une heure ava
608 de la Sorbonne, où déjà les étudiants s’écrasent une heure avant les grands cours.) L’explosion du savoir est plus diffici
609 autres savants américains nous affirment que 85 % des scientifiques ayant vécu depuis l’aube de l’histoire, sont vivants au
610 nt vivants aujourd’hui. Et Louis Armand me disait un jour : si vous et moi, dans nos années d’études, il y a 30 à 35 ans,
611 sont probablement vraies en gros dans le domaine des sciences exactes (mathématiques, physique, chimie) et des sciences na
612 nces exactes (mathématiques, physique, chimie) et des sciences naturelles (biologie, génétique) et peut-être en psychologie
613 e j’ai dite conduit inévitablement à la confusion des langages, dissous en terminologies incomparables. L’université, que l
614 L’université, que l’on pourrait considérer comme un grand appareil distributeur d’informations, au sens cybernétique du t
615 re les branches du savoir, ou entre les rameaux d’ une même branche. Les jugements d’ensemble, rapportés à quelque unité glo
616 soit finale, ne peuvent dès lors plus s’exercer. Un exemple précis illustrera ce point : Supposons que la théologie ait g
617 oirs régulateurs de l’ensemble de nos croyances : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œuvre d’un physicien, ne serait pl
618 s : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œuvre d’ un physicien, ne serait plus en mesure de le juger comme l’Église jugea
619 Ainsi chacun va de son côté, et les représentants des disciplines diverses n’ont souvent plus guère en commun que des plati
620 s diverses n’ont souvent plus guère en commun que des platitudes quotidiennes ou des préjugés mutuels hérités de conflits d
621 uère en commun que des platitudes quotidiennes ou des préjugés mutuels hérités de conflits dès longtemps périmés3. Mais il
622 iate suffisent à justifier l’existence prospère d’ une entreprise de cet ordre, et refoulent les questions anxieuses dont je
623 administrent les rites… En fait, et aux yeux d’ un observateur non prévenu, jugeant seulement sur ce qu’il nous voit fai
624 faire, il semblerait que la très grande majorité des Européens trouve que cela peut fort bien continuer ainsi, sans nul da
625 que jamais : loin d’être abandonnée, elle attire une foule croissante de travailleurs et de curieux. L’industrie et l’État
626 e, selon la loi de Parkinson. L’incommunicabilité des savoirs est ressentie par notre esprit comme une frustration, comme u
627 des savoirs est ressentie par notre esprit comme une frustration, comme une blessure intime, et comme une permanente inséc
628 tie par notre esprit comme une frustration, comme une blessure intime, et comme une permanente insécurité. L’intellectuel e
629 frustration, comme une blessure intime, et comme une permanente insécurité. L’intellectuel européen d’aujourd’hui se sent
630 espèce de résignation intellectuelle correspond à une forme schizoïde de la pensée, et conduit à un scepticisme croissant q
631 à une forme schizoïde de la pensée, et conduit à un scepticisme croissant quant aux fins dernières de la recherche et qua
632 e crains bien que si l’on tentait de le déduire d’ une observation attentive de nos universités, l’on ne trouve qu’une sorte
633 n attentive de nos universités, l’on ne trouve qu’ une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les v
634 i, il est devenu presque impossible de répondre à une telle question, et c’est pourquoi sans doute on la pose si rarement.
635 i rarement. Notre enseignement vise-t-il à former des personnes réelles et complètes, ou seulement de futurs professionnels
636 omplètes, ou seulement de futurs professionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de créer en harmonie, ou seulemen
637 ser, d’agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs plus efficaces, c’est-à-dire bien spécialisés ? Ou enfin
638 eux-mêmes ces questions, et nous les posent avec une insistance gênante — car nous voici de moins en moins armés pour y ré
639 stoire de l’humanité, l’Europe a osé l’aventure d’ un développement autonome de la science et des arts, d’une séparation, v
640 ture d’un développement autonome de la science et des arts, d’une séparation, voire d’une opposition entre le sacré et le p
641 veloppement autonome de la science et des arts, d’ une séparation, voire d’une opposition entre le sacré et le profane, entr
642 la science et des arts, d’une séparation, voire d’ une opposition entre le sacré et le profane, entre la cohérence globale d
643 l’image du monde communément admise. La pluralité des sciences et la multiplicité des disciplines spécialisées provient che
644 ise. La pluralité des sciences et la multiplicité des disciplines spécialisées provient chez nous de la sécularisation de l
645 e réagisse contre lui avec le thomisme, ce serait un beau sujet d’études.) Pourquoi travaillez-vous autant ? Or rien
646 s ? Bien peu d’entre nous sont capables de donner une réponse satisfaisante. Le spécialiste se récuse méthodiquement et met
647 corps, où Dieu se manifeste) et le développement des sciences physiques et naturelles dans l’Occident christianisé — alors
648 ’Occident christianisé — alors qu’il est clair qu’ une Asie qui tenait la matière et le corps pour essentiellement illusoire
649 cadémiques, à surmonter leur ignorance méthodique des domaines qui ne sont pas de leur département. Je reprends ici mon exe
650 du Temps, aux discussions qui durent déjà depuis un siècle sur le principe de Carnot et Clausius sur la dégradation de l’
651 du temps » et l’entropie, notions de base qui ont une portée métaphysique indiscutable. Et il faudrait que les physiciens q
652 a constitution, est étrangement homologue à celle des grandes querelles théologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther
653 raiter par allusions rapides, peut-être obscures, un sujet qui demanderait de gros ouvrages pour être exposé sérieusement.
654 la pluralité de ses recherches sans références à un langage commun. Un savoir en progression géométrique Le grand p
655 echerches sans références à un langage commun. Un savoir en progression géométrique Le grand problème que l’Europe s
656 ers également réels et valables, dont le problème des relations entre savoirs spécialisés et synthèse de nos connaissances
657 s et synthèse de nos connaissances n’est guère qu’ un cas particulier. Le paradoxe européen par excellence de l’union dans
658 remière, souvent proposée, consisterait à imposer des cours de culture générale, un studium generale, aux étudiants de tout
659 isterait à imposer des cours de culture générale, un studium generale, aux étudiants de toutes les facultés et instituts s
660 pécialisés. Je n’y crois pas. La presque totalité des expériences tentées dans cette intention si louable ont échoué, et le
661 aissent assez évidentes. La généralité n’est pas une matière enseignable. Elle ne peut vraiment consister que dans une att
662 ignable. Elle ne peut vraiment consister que dans une attention en éveil permanent aux implications générales, aux ramifica
663 e, même prolongée comme on nous le promet jusqu’à une moyenne de 90 ans, pour que l’espoir de maîtriser l’ensemble du savoi
664 ujourd’hui, se verrait contraint de choisir entre une carrière de brillant vulgarisateur scientifique et une spécialisation
665 arrière de brillant vulgarisateur scientifique et une spécialisation qui lui vaudrait sans doute le prix Nobel, mais au pri
666 la spécialisation du savoir, loin de représenter un progrès, n’est littéralement qu’une monstruosité : le développement e
667 de représenter un progrès, n’est littéralement qu’ une monstruosité : le développement excessif d’un organe aux dépens de l’
668 qu’une monstruosité : le développement excessif d’ un organe aux dépens de l’équilibre du corps. On peut l’évaluer à son pr
669 exorbitant : perdre de vue l’ensemble humain est une perte absolue, essentielle, que tous les gains partiels, additionnés,
670 ai dite : toujours plus de matières à enseigner à un nombre toujours plus grand d’étudiants et de futurs enseignants. Puis
671 r jusqu’à ce point où l’étude la plus exigeante d’ une discipline particulière va déboucher sur des problèmes qui relèvent d
672 te d’une discipline particulière va déboucher sur des problèmes qui relèvent d’autres disciplines, parfois connexes mais so
673 es, ou plus vastes et plus englobantes. Dans bien des cas célèbres, c’est l’avant-garde de la recherche la plus hautement s
674 ités internes de son cheminement, à déboucher sur des domaines que la vertueuse méthode, naguère, interdisait rigoureusemen
675 use méthode, naguère, interdisait rigoureusement. Un neurologue, poussant sa recherche au-delà des certitudes admises, déb
676 ent. Un neurologue, poussant sa recherche au-delà des certitudes admises, débouche sur le domaine du rêve et des symboles e
677 tudes admises, débouche sur le domaine du rêve et des symboles et fonde la psychanalyse. Un ethnologue, spécialisé dans l’é
678 du rêve et des symboles et fonde la psychanalyse. Un ethnologue, spécialisé dans l’étude de la « pensée sauvage » découvre
679 stique générale de Ferdinand de Saussure, science des systèmes de signes, l’explication qui lui manquait de la prohibition
680 it de la prohibition de l’inceste ; cependant que des biologistes et des électroniciens puisent dans la même théorie saussu
681 n de l’inceste ; cependant que des biologistes et des électroniciens puisent dans la même théorie saussurienne les schèmes
682 ire par les chromosomes, aux autres de construire des machines à traduire. Un physicien étudiant le principe de l’irréversi
683 aux autres de construire des machines à traduire. Un physicien étudiant le principe de l’irréversibilité du temps est amen
684 ’irréversibilité du temps est amené à écrire « qu’ une vue physicienne stricto sensu du cosmos est trop étriquée » ; et que
685 demain risque de se trouver obligée d’entrer dans un dialogue actif avec, disons, la psychologie au sens large, pour jeter
686 psychologie au sens large, pour jeter les bases d’ une science beaucoup plus compréhensive. Et chacun sait que c’est en pous
687 y rencontrent semblent les confronter désormais à des options métaphysiques. Je ne l’imagine pas : je les écoute, et plusie
688 ntre eux l’ont écrit. Carrefours de vérités Une phrase de Spinoza s’est fixée dans mon souvenir dès l’adolescence : «
689 lus sûrement au général ou tout au moins au seuil des synthèses nécessaires. c) Mais ces synthèses ne tomberont pas du Ciel
690 as objectivement et comme spontanément au terme d’ une comparaison systématique des résultats en soi acquis par les spéciali
691 ntanément au terme d’une comparaison systématique des résultats en soi acquis par les spécialistes. Toute synthèse est un a
692 i acquis par les spécialistes. Toute synthèse est un acte créateur, intervenant au carrefour de plusieurs vérités hétérogè
693 e nos universités, devrait d’abord être confiée à des groupes de chercheurs représentant des disciplines diverses. Par leur
694 confiée à des groupes de chercheurs représentant des disciplines diverses. Par leur réunion physique en séminaires restrei
695 de synthèse pourrait s’exercer. Le nombre optimum des participants de tels groupes me paraît être, à l’expérience de nombre
696 à l’expérience de nombreux colloques portant sur des sujets interdisciplinaires, d’une douzaine de personnes seulement. Ce
697 ues portant sur des sujets interdisciplinaires, d’ une douzaine de personnes seulement. Ce module permet en effet la convers
698 ntané de questions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’intervention monologante sous forme de discours.
699 tance. Car ce qui importe au bout du compte, dans une entreprise de ce genre, c’est la qualité personnelle des hommes qui s
700 reprise de ce genre, c’est la qualité personnelle des hommes qui s’y livrent : sinon une bonne machine électronique, conven
701 té personnelle des hommes qui s’y livrent : sinon une bonne machine électronique, convenablement informée, ferait beaucoup
702 que la synthèse s’opère dans le vide, ou au ciel des Idées, — car là sans doute toutes les synthèses imaginables existent
703 ve devant nous, sur quelque carte perforée, comme un résultat objectif ; ce qui importe, c’est que la synthèse s’actualise
704 a synthèse s’actualise, qu’elle s’opère donc dans un esprit, dans une personne, car là seulement elle peut trouver ses sig
705 ualise, qu’elle s’opère donc dans un esprit, dans une personne, car là seulement elle peut trouver ses significations humai
706 u’il nous faut enfin, ce qui nous manque, ce sont des hommes de synthèse, un type nouveau d’hommes de pensée en qui s’incar
707 qui nous manque, ce sont des hommes de synthèse, un type nouveau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscie
708 type nouveau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscience conjoncturelle de l’évolution de nos recherches,
709 conjoncturelle de l’évolution de nos recherches, un sens constamment alerté de leurs corrélations virtuelles et de la féc
710 de leurs interférences. Ces hommes seront d’abord des spécialistes, et qui prouveront leur excellence en tant que tels par
711 e qu’ils ne peuvent se contenter d’être seulement des spécialistes. Favoriser ou fomenter ce type humain, lui offrir les mo
712 Ces prix Nobel Sur le problème de l’explosion des effectifs universitaires, je n’aurais guère à proposer qu’une solutio
713 s universitaires, je n’aurais guère à proposer qu’ une solution de bon sens presque simpliste : il me semble que le seul moy
714 me semble que le seul moyen de sauver la qualité des universités existantes et leur efficacité pédagogique, menacées l’une
715 cacité pédagogique, menacées l’une et l’autre par des facteurs quantitatifs irréversibles, serait de multiplier sans plus t
716 , serait de multiplier sans plus tarder le nombre des établissements d’enseignement supérieur. D’une part, les universités
717 de leur engorgement, d’autre part les dimensions des universités nouvelles pourraient librement s’accorder aux optima que
718 est rien d’autre que la mesure humaine, le module des relations personnelles, condition de toute existence communautaire et
719 cation de petites universités à la multiplication des facultés, des chaires et des postes d’assistants dans les déjà trop g
720 tes universités à la multiplication des facultés, des chaires et des postes d’assistants dans les déjà trop grandes univers
721 à la multiplication des facultés, des chaires et des postes d’assistants dans les déjà trop grandes universités. L’adjecti
722 ité — mais aussi au maximum du pouvoir créateur d’ un milieu donné, cité, pays ou université. Ce n’est pas du tout par hasa
723 prix Nobel de sciences par million d’habitants d’ un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Europe qui occup
724 onguement entretenu, il me tarde de vous proposer des conclusions plus personnelles et plus précises, qui vous apparaîtront
725 s précises, qui vous apparaîtront peut-être comme un rêve, mais rien ne devient jamais réel qui n’ait été d’abord rêvé. La
726 éel qui n’ait été d’abord rêvé. La multiplication des universités, maintenues dans les petites dimensions qu’exige leur ren
727 anationale. J’en imagine le prototype, qui serait une tour d’anti-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’un lac, o
728 prototype, qui serait une tour d’anti-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’un lac, ou d’une large rivière, en p
729 i-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’ un lac, ou d’une large rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin d
730 un grand parc, près de la mer, ou d’un lac, ou d’ une large rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin d’une ville de
731 rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin d’ une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une
732 grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons familiales dispersées, et un centre de t
733 ux-centaines de maisons familiales dispersées, et un centre de type villageois : hôtels, auberges, marché, boutiques, chap
734 lusieurs terrasses de café. Dans le centre aussi, un groupe de bâtiments contient la bibliothèque et les salles de colloqu
735 es. La commune, gouvernée par le recteur, jouit d’ un statut spécial d’exterritorialité : c’est une sorte de district fédér
736 it d’un statut spécial d’exterritorialité : c’est une sorte de district fédéral de l’Europe intellectuelle. Là vivent ces «
737 ofesseurs déjà gradués, d’une part ; responsables des domaines les plus variés de la vie publique, économique et sociale, d
738 le d’admission : avoir prouvé son excellence dans une branche au moins du savoir, ou de la vie professionnelle, et démontre
739 oir, ou de la vie professionnelle, et démontrer d’ une manière convaincante qu’on éprouve l’impérieux désir d’intégrer l’exp
740 érieux désir d’intégrer l’expérience acquise dans un ensemble plus compréhensif. Les activités intellectuelles de cette co
741 forme : point de cours magistraux, mais seulement des colloques restreints, groupant au maximum 20 personnes, à l’optimum u
742 ts, groupant au maximum 20 personnes, à l’optimum une douzaine. Si quelqu’un désire absolument donner une conférence, le so
743 e douzaine. Si quelqu’un désire absolument donner une conférence, le soir, c’est à ses risques et périls : toute déclaratio
744 déclaration publique est obligatoirement suivie d’ une discussion réglée. Ici l’on n’impose pas une image du monde : on la c
745 ie d’une discussion réglée. Ici l’on n’impose pas une image du monde : on la cherche en commun, librement. Au sein des coll
746 nde : on la cherche en commun, librement. Au sein des colloques, règne une liberté spontanément disciplinée par la critique
747 n commun, librement. Au sein des colloques, règne une liberté spontanément disciplinée par la critique mutuelle. Deux meneu
748 re de nos facultés classiques. Voici quelques-uns des sujets que, pour ma part, je serais heureux de pouvoir étudier et dis
749 vités de la commune. 1. Les options fondamentales des grandes cultures, notamment de la culture européenne, et la logique o
750 ée de l’unité culturelle en question. Le problème des possibles convergences entre l’Orient et l’Occident, c’est-à-dire ent
751 e la sagesse et la puissance créatrice, formerait un centre particulier d’attention. 2. Le rôle créateur de l’interaction
752 d’attention. 2. Le rôle créateur de l’interaction des disciplines dans l’histoire ancienne et récente de l’Europe. Dans que
753 ns les inventions ou découvertes de la science et des arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des
754 apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires, de l’imagination débridée, de la foi, du doute, de
755 n débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des contingences dans les progrès de la connaissance en Occident. 3. Au-d
756 de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouches qu’imposent à la majorité de nos contemporains
757 de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’ un langage universel, fondé sur la cybernétique et sur la sémiologie de
758 re. Recherche générale de procédés de translation des méthodes, démarches spécifiques et résultats des diverses branches du
759 des méthodes, démarches spécifiques et résultats des diverses branches du savoir. Limites d’un tel langage, et comment y s
760 ultats des diverses branches du savoir. Limites d’ un tel langage, et comment y suppléer par les arts. 5. Européologie. Il
761 existe dans la plupart de nos grandes universités des départements d’indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’études des
762 indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’études des civilisations tropicales, africaines, indaméricaines, indonésiennes,
763 s précisément d’européologie. Certes, l’on étudie un peu partout le Marché commun, le mécanisme des organisations européen
764 die un peu partout le Marché commun, le mécanisme des organisations européennes, leur histoire récente, leur jurisprudence,
765 ues économiques. Ce qui nous manque encore, c’est une étude quasi ethnographique des caractères spécifiques de notre civili
766 nque encore, c’est une étude quasi ethnographique des caractères spécifiques de notre civilisation, à l’heure où elle se ré
767 notre civilisation, à l’heure où elle se répand d’ une manière anarchique sur tous les continents de la planète, à l’heure o
768 ète, à l’heure où le tiers-monde l’interroge avec une anxiété mêlée d’arrogance, à l’heure où elle s’interroge elle-même pl
769 r au gré de vos désirs. Quant aux relations entre un tel Centre de synthèse et les universités existantes, on les imaginer
770 tion si désirable dans nos mœurs universitaires d’ une année sabbatique de type américain, permettrait d’envoyer beaucoup de
771 ce que nous attendons tous de nos vacances. Après un an, les professeurs détachés reviendraient à leur enseignement, porte
772 hés reviendraient à leur enseignement, porteurs d’ une sorte de radioactivité, — les uns mûris, les autres rajeunis… Comment
773 e ; ou d’hommes qui méditaient sur la nécessité d’ un langage commun aux sciences exactes, aux arts et à la théologie, ains
774 ut de synthèse serait idéalement ce dont on parle un peu partout, plus ou moins bien, depuis 1957, date du traité de Rome
775 57, date du traité de Rome instituant l’Euratom : une Université européenne. Vraie université, puisqu’elle traiterait spéci
776 ment du général, en vue d’entretenir ou de former une image cohérente du Tout. Vraiment européenne, puisqu’elle aurait pour
777 possible. L’Europe, c’est très peu de chose plus une culture. Quatre pour cent des terres du globe multipliées par une cul
778 s peu de chose plus une culture. Quatre pour cent des terres du globe multipliées par une culture qui a fait le Monde, et q
779 tre pour cent des terres du globe multipliées par une culture qui a fait le Monde, et qui doit aujourd’hui, plus que jamais
780 , et qui doit aujourd’hui, plus que jamais, faire des hommes. 3. Je n’ignore pas les tentatives qui se dessinent, aux Ét
781 ats-Unis notamment, pour faire de la mathématique un substitut moderne au latin de jadis, la nouvelle langue de communicat
782 inaire, propre à permettre de nouveau le commerce des esprits supérieurs des disciplines les plus diverses à un très haut n
783 tre de nouveau le commerce des esprits supérieurs des disciplines les plus diverses à un très haut niveau de précision. Mai
784 ts supérieurs des disciplines les plus diverses à un très haut niveau de précision. Mais on peut craindre que le langage m
785 os vies. aa. Rougemont Denis de, « Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), L
20 1965, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)
786 Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)ab Qu’il n’y ait pas une patrie s
787 n suisse (20-21 mars 1965)ab Qu’il n’y ait pas une patrie suisse mais deux douzaines, point de grands centres ni de marc
788 ient en commun, semble interdire la possibilité d’ un écrivain qui mériterait d’être appelé suisse, comme Hölderlin fut san
789 nt que l’Allemagne ou l’Italie n’aient réuni dans une de ces super-provinces qu’on nomme nations toutes leurs cités, tous l
790 Pourtant je vois cette possibilité s’illustrer d’ une manière exemplaire dans l’œuvre et la carrière de Carl Burckhardt. C’
791 et se composent, précisément, de cette pluralité des données culturelles qui, moins forts, moins doués, les eût neutralisé
792 oriens scrupuleux mais sûrs artistes, héritiers d’ une longue tradition humaniste où se mêlent intimement germanisme et lati
793 . Tantôt écrivain libre ou professeur ; historien des grandes têtes politiques du passé, ou mêlé à l’histoire vivante comme
794 ion, ni la passion de la lucidité. Son expérience des hommes et de l’irrationnel qui conduit leurs affaires au pire a certe
795 sé de le ramener aux grands postes publics, quand un appel pressant du pays l’y engageait. Jeter des ponts, relier l’actio
796 nd un appel pressant du pays l’y engageait. Jeter des ponts, relier l’action à la pensée, concilier les cultures ou les gra
797 e d’esprit, peut-on dire que ces traits composent une personnalité typiquement suisse ? Je constate qu’on les trouve réunis
798 onstate qu’on les trouve réunis chez quelques-uns des hommes les mieux liés par toutes leurs fibres aux traditions civiques
799 urs fibres aux traditions civiques et culturelles des Suisses. Voilà qui suffira peut-être à justifier l’existence autonome
800 à justifier l’existence autonome de ce pays, dans une époque où l’homme complet devient un phénomène tellement plus importa
801 pays, dans une époque où l’homme complet devient un phénomène tellement plus important, tellement plus rare, tellement pl
802 l’homme dont la stature est imposante, est aussi un conteur fascinant, un humoriste redoutable, et un grand chasseur de c
803 re est imposante, est aussi un conteur fascinant, un humoriste redoutable, et un grand chasseur de chamois.) ab. Rouge
804 un conteur fascinant, un humoriste redoutable, et un grand chasseur de chamois.) ab. Rougemont Denis de, « Un écrivain
805 asseur de chamois.) ab. Rougemont Denis de, «  Un écrivain suisse : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (supplément
21 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Stampa, vieux village… (15-16 janvier 1966)
806 mme dit la Bible. C’est là que je l’avais surpris un jour en plein travail — on ne devrait jamais faire ça — pour découvri
807 entre deux hommes. Mais ce jour-là, il triturait une mince colonne de terre et se plaignait — « c’est l’enfer ! », disait-
808 ffilait et refusait de remplir le volume normal d’ un corps, d’une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée irré
809 efusait de remplir le volume normal d’un corps, d’ une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée irrésistible de b
810 ps, d’une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée irrésistible de bas en haut, rien à faire, c’est plus fort qu
811 ien à faire, c’est plus fort que moi… » Là-dessus des théories bien saugrenues, et nous sommes allés prendre un verre sur l
812 ies bien saugrenues, et nous sommes allés prendre un verre sur la terrasse du Café de la Poste, au grand soleil. J’écrivai
813 la Poste, au grand soleil. J’écrivais à ce moment un livre sur la Suisse, c’était la raison de mon passage, et nous avons
814 t nous avons parlé de notre pays, fraternisé dans un éloge immodéré de ses aspects variés et insolites, de l’Appenzell où
815 enzell où Alberto avait fait son service et gagné un galon de bon tireur — moi aussi, je l’ai eu ! m’écriai-je — jusqu’à S
816 igu de l’église ; de maigres peupliers noueux sur des pentes bosselées et semées de rochers, et tout en haut les futs très
817 t tout en haut les futs très effilés du Piz Duan, des pics de la Sciora. Volcaniques ? Oui, bien sûr, et le père d’Alberto
818 onduire sur ces pentes désertes, au pied démesuré des roches surgissantes qu’une force irrésistible allongeait vers le haut
819 rtes, au pied démesuré des roches surgissantes qu’ une force irrésistible allongeait vers le haut. Émotion de pressentir der
820 nt du génie humain, et ces accidents telluriques, une même poussée profonde, une même loi de violence formatrice… ac. Ro
821 accidents telluriques, une même poussée profonde, une même loi de violence formatrice… ac. Rougemont Denis de, « Stampa,
22 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). André Breton à New York (8-9 octobre 1966)
822 fallu tout cela pour que celui qui avait été l’un des « phares » baudelairiens de notre adolescence loin de Paris, puis un
823 lairiens de notre adolescence loin de Paris, puis un symbole (refusé mais sacré) de la révolte inefficace, aux yeux sévère
824 sacré) de la révolte inefficace, aux yeux sévères des jeunes mouvements personnalistes où je militais, cessât tout d’un cou
825 ents personnalistes où je militais, cessât tout d’ un coup d’être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dîne
826 stes où je militais, cessât tout d’un coup d’être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dîner tête-à-tête d
827 un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dîner tête-à-tête dans un petit restaurant du Village, à New York. (2
828 ême coup mon ami, après un dîner tête-à-tête dans un petit restaurant du Village, à New York. (20 juin 1942, selon le jour
829 ffice of War Information, où je venais de prendre un poste. J’écrivais deux longs textes par jour : « La Voix de l’Amériqu
830 tre Ozenfant (qui vient de mourir), Lévi-Strauss, un des fils Pitoëff, et Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner just
831 Ozenfant (qui vient de mourir), Lévi-Strauss, un des fils Pitoëff, et Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de
832 s en assurer l’occasion quotidienne. Le culte d’ une pierre bleue Dès notre première vraie rencontre, j’avais découvert
833 s visibles et officielles du christianisme, était un être religieux par excellence. C’est même sans doute parce qu’il juge
834 gieux qu’il le dénigrait sans relâche. Il voulait un rituel, des mystères, une adoration fascinée, une rébellion furieuse
835 le dénigrait sans relâche. Il voulait un rituel, des mystères, une adoration fascinée, une rébellion furieuse et permanent
836 sans relâche. Il voulait un rituel, des mystères, une adoration fascinée, une rébellion furieuse et permanente mais selon s
837 un rituel, des mystères, une adoration fascinée, une rébellion furieuse et permanente mais selon sa règle à lui, bien ente
838 rmanente mais selon sa règle à lui, bien entendu, une rigueur folle dans le défi qui rejoignait l’Inquisition… Il me dit ce
839 r-là qu’il avait découvert au fond de l’échoppe d’ un cordonnier dans le Morvan, les deux portraits se faisant face de la m
840 isme dans la vénération de l’artisan lui semblait des plus exaltants. Or, il n’est rien de commun aux deux doctrines hors l
841 le grand ton de rigueur fanatique qui était l’un des aspects de la poésie selon Breton, autrement dit, de sa « religion ».
842 , autrement dit, de sa « religion ». Il en tirait une morale ombrageuse, celle qui réglait absolument sa vie, et des décret
843 brageuse, celle qui réglait absolument sa vie, et des décrets d’excommunication peu prévisibles, à grands éclats de voix so
844 jusqu’à l’âme. D’autres fois, il se contentait d’ un ou deux coups d’épingle très courtois, ou d’une épithète gouailleuse,
845 d’un ou deux coups d’épingle très courtois, ou d’ une épithète gouailleuse, et le disciple flatté hier encore au-delà de se
846 les avait pas admis et célébrés !) J’ai vu plus d’ une scène de ce genre aux réunions du groupe, d’ailleurs variable et quel
847 ues peintres qui allaient changer là-bas le cours des arts, Max Ernst, Matta, Tanguy, parfois Masson et toujours « l’artist
848 ans plus tard. On y voyait aussi quelques poètes, des ethnographes, et quelques jeunes femmes assez fantasques qu’on eût di
849 jeunes femmes assez fantasques qu’on eût dit nées des comédies de Shakespeare. On se rencontrait chez l’un ou l’autre, faut
850 chez l’un ou l’autre, faute de terrasses de café, une ou deux soirées par semaine, et l’on se livrait avec beaucoup de séri
851 ne, et l’on se livrait avec beaucoup de sérieux à des jeux d’écriture ou de télépathie. Parfois, on arrangeait une fête (co
852 écriture ou de télépathie. Parfois, on arrangeait une fête (comme celle qui fut dédiée au Nombre 21) ou une exposition, ou
853 fête (comme celle qui fut dédiée au Nombre 21) ou une exposition, ou une vitrine (Breton, Seligmann et Duchamp signèrent ce
854 ui fut dédiée au Nombre 21) ou une exposition, ou une vitrine (Breton, Seligmann et Duchamp signèrent celle qui annonçait m
855 J’allais chez lui, il me lisait de la poésie sur un ton d’emphase contenue, en marchant à grands pas dans son studio : « 
856 amant Zone. Ce pape-là ne le gênait pas : c’était un vers d’Apollinaire. (Mais tout de même, la litanie du Christ aviateur
857 ur, dans le même poème…) C’est ainsi qu’il me lut un jour l’Ode à Charles Fourier qu’il venait de recopier d’une belle écr
858 ’Ode à Charles Fourier qu’il venait de recopier d’ une belle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourie
859 nouvel intercesseur : il insistait pour m’en lire des chapitres décrivant le travail et les plaisirs « réglés » des ouvrier
860 s décrivant le travail et les plaisirs « réglés » des ouvriers, de l’utopie phalanstérienne. On eût dit qu’il était le prem
861 Flora Tristan, ombre délicieuse du Père Enfantin… une grande réparation vous est due », écrira-t-il dans Arcane 17, deux an
862 fait saint Augustin, qu’il tenait pour l’ancêtre des jansénistes. Nous lui dîmes qu’il y avait là-dessus des bibliothèques
863 nsénistes. Nous lui dîmes qu’il y avait là-dessus des bibliothèques ; il n’en crut rien, visiblement, et avec raison : son
864 avec celui qu’avait canonisé « l’Obscurantisme ». Un dimanche matin à New York, au bas de Madison Avenue déserte, vingt ét
865 nder, et pourquoi ne pas la fonder sur le culte d’ une pierre bleue ? » Changer la vie La grande contradiction qui a t
866 ie La grande contradiction qui a tendu l’arc d’ une existence poétique si hautement exemplaire à tant d’égards, c’est qu’
867 t qu’il voulait tout à la fois changer la vie par une sédition passionnelle (« la beauté sera convulsive ou ne sera pas »)
868 l’extrême rigueur il n’a jamais cessé d’inventer un chemin qui ne pouvait exister que pour lui seul. De personne je ne su
869 devinés — ce qu’il faut bien que j’appelle ici d’ un terme signifiant pour moi la relation d’un homme au transcendant, sa
870 ici d’un terme signifiant pour moi la relation d’ un homme au transcendant, sa vocation. ad. Rougemont Denis de, « And
23 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jacques Chenevière ou la précision des sentiments (22-23 octobre 1966)
871 Jacques Chenevière ou la précision des sentiments (22-23 octobre 1966)ae La mémoire a ses caprices ; l’o
872 ; l’oubli même peut devenir, non sans mélancolie, une sagesse à peine voulue… Furtifs retours : un visage, les parfums d’un
873 ie, une sagesse à peine voulue… Furtifs retours : un visage, les parfums d’une maison rustique ; une rue de Paris où l’on
874 oulue… Furtifs retours : un visage, les parfums d’ une maison rustique ; une rue de Paris où l’on se hâte vers l’école ; le
875  : un visage, les parfums d’une maison rustique ; une rue de Paris où l’on se hâte vers l’école ; le travail, et au fil des
876 l’on se hâte vers l’école ; le travail, et au fil des années, sa longue amitié souvent difficile. Des rires. Des jours auss
877 l des années, sa longue amitié souvent difficile. Des rires. Des jours aussi qui touchent à l’histoire. Et des adieux… Seul
878 s, sa longue amitié souvent difficile. Des rires. Des jours aussi qui touchent à l’histoire. Et des adieux… Seules donc m’o
879 es. Des jours aussi qui touchent à l’histoire. Et des adieux… Seules donc m’ont guidé — ou égaré — les subtiles connivences
880 t du souvenir. Je cite ces phrases choisies dans un bref liminaire pour leur cadence, leurs articulations déliées mais fo
881 , d’événements et de justifications, comme ceux d’ un homme public, mais d’images curieusement fixées et restituées après u
882 d’images curieusement fixées et restituées après un long développement intérieur (non sans certains repentirs ici ou là,
883 vélateurs peut-être, obéissant à la seule logique des sentiments. D’où le pouvoir émouvant de tant de ces pages. À vrai dir
884 i voudrait s’en plaindre ? (C’eût été bien mal vu des professeurs dans ma jeunesse, ils croyaient dur comme fer à « l’unité
885 l’unité à tout prix, fût-ce au prix de l’ennui — un peu comme dans le Nouveau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes
886 oins — Jacques Chenevière n’est pas « seulement » un écrivain. Une seconde vocation le requiert, dès le seuil de l’âge d’h
887 s Chenevière n’est pas « seulement » un écrivain. Une seconde vocation le requiert, dès le seuil de l’âge d’homme ; elle me
888 son art d’écrire « pour le plaisir ». Je pense à des récits comme Valets, Reines, Rois, Daphné, ou la Jeune Fille de Neige
889 aléry Larbaud, et c’est tout dire.) Cette suite d’ une quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui me
890 dans sa jeunesse, et jamais sans humour), tantôt des personnages de l’histoire politique et littéraire d’un passé proche,
891 rsonnages de l’histoire politique et littéraire d’ un passé proche, nous font passer et repasser sans transition de la pros
892 passer sans transition de la prose à la poésie, d’ un salon de la Belle Époque éprise d’Art aux bureaux dramatiquement impr
893 dramatiquement improvisés de la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’une adolescence parisienne
894 ce des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’ une adolescence parisienne à celle d’une inénarrable incorporation comme
895 ’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’ une inénarrable incorporation comme volontaire cycliste en culotte Saumur
896 1914. Sans transition, mais non sans art : après une scène nocturne d’un comique insidieux et digne du modèle, où l’on voi
897 n, mais non sans art : après une scène nocturne d’ un comique insidieux et digne du modèle, où l’on voit Proust lunaire, di
898 istrait et intense à la fois, paraître au seuil d’ un salon déserté, passé minuit, combien j’aime cet éclat, d’allégresse s
899 d’emporter même le soleil ! » Mais après le monde des enfances, entre le monde des lettres et celui de l’action — et l’on d
900 Mais après le monde des enfances, entre le monde des lettres et celui de l’action — et l’on dirait ici qu’un nouveau livre
901 tres et celui de l’action — et l’on dirait ici qu’ un nouveau livre se propose — quelques événements silencieux exigent leu
902 ieux exigent leur durée, leur chapitre : auprès d’ une jeune fille inconnue, dans une maison de campagne à vendre ; à traver
903 hapitre : auprès d’une jeune fille inconnue, dans une maison de campagne à vendre ; à travers un paysage où « l’orage de ma
904 dans une maison de campagne à vendre ; à travers un paysage où « l’orage de mai, proche et grondant de foudres mauves, la
905 et grondant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût de silex » ; seul dans la nuit avec soi-même ; ou devant l’épreu
906 vainement d’ailleurs, sont admirables. L’agence des prisonniers Descriptions d’une mémoire ; et ce qu’elle a gardé, et
907 les. L’agence des prisonniers Descriptions d’ une mémoire ; et ce qu’elle a gardé, et qui revit en ce recueil, va deven
908 ui revit en ce recueil, va devenir par la grâce d’ un art très sûr un peu de la mémoire de chaque lecteur. Je sais bien les
909 cilement, faites d’atmosphère, de sentiment, et d’ un regard imaginant. Presque rien n’eût été enregistré par l’objectif (s
910 dentifier historiquement. La création de l’Agence des prisonniers de guerre, dès l’automne de 1914. Notre cycliste volontai
911 « avec petite rose jaune au revers laissant voir un admirable gilet blanc ») se trouve chargé de deux corbeilles de courr
912 deux corbeilles de courrier affluant vers Genève des familles de soldats disparus. « À Genève, pour trouver mon fils » por
913 sparus. « À Genève, pour trouver mon fils » porte une enveloppe, en guise d’adresse. Et une autre : « À Gustave Adoré, Genè
914 ils » porte une enveloppe, en guise d’adresse. Et une autre : « À Gustave Adoré, Genève. » La marée monte de semaine en sem
915 !) Plus de mille volontaires travaillent bientôt. Un jour on annonce à Chenevière et l’on pilote vers lui entre les fichie
916 evière et l’on pilote vers lui entre les fichiers un monsieur « frêle et comme frileux malgré un gros pardessus… Finesse d
917 hiers un monsieur « frêle et comme frileux malgré un gros pardessus… Finesse d’un visage presque sans couleur, posé sur un
918 comme frileux malgré un gros pardessus… Finesse d’ un visage presque sans couleur, posé sur un col haut, tout droit, empesé
919 inesse d’un visage presque sans couleur, posé sur un col haut, tout droit, empesé. Le regard ne me quittait pas. — Quel tr
920 e et vivait à Villeneuve, réaliste utopique, « en une sorte de sérénité meurtrie ». Mussolini et les raisins Plus tar
921 rd, c’est à la veille de l’autre guerre mondiale, une délégation du CICR se rend à Rome pour essayer de sauver les blessés
922 ains au bord de la table — où je remarque soudain une coupe emplie de beaux raisins pâles. Il tient le menton haut… L’œil e
923 table officielle. Plus du tout cambré, il piquait des raisins avec une surprenante prestesse. » Plusieurs chapitres ici ou
924 Plus du tout cambré, il piquait des raisins avec une surprenante prestesse. » Plusieurs chapitres ici ou là, et qui se mul
925 rayons du souvenir) rappellent les amis disparus, un beau groupe d’écrivains de sa génération : Guy de Pourtalès parmi les
926 vière fut codirecteur), Pierre Girard blotti dans un bar ou poussant du pied les feuilles mortes du Molard, Jean-Louis Vau
927 nève et à Paris, sont décrites dans le registre d’ un comique assez vif, mais l’amitié ou l’émotion président seules aux év
928 alcroze, pour lequel Chenevière a écrit le livret des Premiers Souvenirs. Et le passage à Lausanne de Liane de Pougy — deve
929 — devenue mondiale et vraie princesse — est l’un des épisodes les plus proustiens du livre. Mais voici beaucoup mieux enco
930 is voici beaucoup mieux encore dans cette veine : un des rares longs chapitres du livre raconte avec une légèreté miracule
931 voici beaucoup mieux encore dans cette veine : un des rares longs chapitres du livre raconte avec une légèreté miraculeuse
932 n des rares longs chapitres du livre raconte avec une légèreté miraculeuse le séjour d’un jeune homme amusé dans un château
933 raconte avec une légèreté miraculeuse le séjour d’ un jeune homme amusé dans un château près de Strasbourg où l’accueillent
934 miraculeuse le séjour d’un jeune homme amusé dans un château près de Strasbourg où l’accueillent gentiment Mélanie et Paul
935 ouleur de beau temps », l’autre fumant sans cesse des petits cigares « qu’elle plantait juste au milieu de sa bouche grande
936 rnue et bien peinte », même s’il s’agit seulement des robes que leur composait Worth trente ans plus tôt pour un bal de la
937 que leur composait Worth trente ans plus tôt pour un bal de la Cour (« Avouez que nous étions un peu rivales… »), s’élève
938 pour un bal de la Cour (« Avouez que nous étions un peu rivales… »), s’élève jusqu’au sublime dans la frivolité et touche
939 me dans la frivolité et touche aux ravissements d’ une poésie pure. Quels sont les secrets de l’écriture qui anime ainsi tan
940 chaleur drôle du Méridional et la retenue parfois un peu rêveuse du Genevois, voilà de quoi se fait un style, unique dans
941 un peu rêveuse du Genevois, voilà de quoi se fait un style, unique dans nos lettres romandes. Entre le Paul Morand des des
942 e dans nos lettres romandes. Entre le Paul Morand des descriptions de la Belle Époque, rapide, aigu, documenté jusqu’au der
943 usqu’au dernier bouton de guêtre, et les ellipses un peu nippones des plus récents recueils de Jacques Chardonne, voici un
944 bouton de guêtre, et les ellipses un peu nippones des plus récents recueils de Jacques Chardonne, voici un art qui exprime
945 plus récents recueils de Jacques Chardonne, voici un art qui exprime son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’h
946 t jeunes filles d’aujourd’hui, j’aimerais dire qu’ un tel livre transmet quelque chose qui n’a pas de prix : les secrets de
947 se qui n’a pas de prix : les secrets de l’usage d’ une civilisation. Je l’intitule par-devers moi la précision des sentiment
948 sation. Je l’intitule par-devers moi la précision des sentiments. Si vous croyez qu’un sentiment, c’est vague, lisez Jacque
949 oi la précision des sentiments. Si vous croyez qu’ un sentiment, c’est vague, lisez Jacques Chenevière, vous y découvrirez
950 nt Denis de, « Jacques Chenevière ou la précision des sentiments », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne,
24 1967, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). J. Robert Oppenheimer (25 février 1967)
951 me qui avait su mettre en œuvre avec vigueur dans un désert de rochers rouges, brûlé d’implacables soleils, les puissances
952 n, marquant ainsi l’histoire du Nouveau Monde par un éclat « plus clair que mille soleils », cet homme était d’Europe par
953 n, fondateur dans cet autre désert d’El-Amarna, d’ une cité du Soleil absolu : il en avait la sensitivité, l’ossature délica
954 sens mystique étranger à toute espèce de religion des prêtres. « Nous devons être absolument séculiers » insistait-il. Mais
955 it-il. Mais une fois je l’entendis murmurer, avec un demi-sourire : « Peut-être suis-je plus chrétien que quiconque… Il fa
956 tout François Villon. Jeune homme, il avait rêvé un sonnet en français : il l’écrivit au réveil et le publia dans la peti
957 couter comme personne, tout en vous enveloppant d’ un regard bleu qui allait interroger au-delà de vous-même. Il avait une
958 allait interroger au-delà de vous-même. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu douloureux qu’il portait avec
959 là de vous-même. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu douloureux qu’il portait avec juste assez de gaucheri
960 ême. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu douloureux qu’il portait avec juste assez de gaucherie pour une i
961 qu’il portait avec juste assez de gaucherie pour une impeccable élégance… af. Rougemont Denis de, « J. Robert Oppenheim
25 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Entretien avec Denis de Rougemont (6-7 avril 1968)
962 avril 1968)ag ah La publication de Journal d’ une époque de Denis de Rougemont constitue, actuellement, l’un des événe
963 Denis de Rougemont constitue, actuellement, l’un des événements les plus importants de la vie littéraire. Pour l’élaborati
964 eil, qui groupe Le Paysan du Danube , Journal d’ un intellectuel en chômage , Journal des deux mondes , l’auteur a entam
965 Journal d’un intellectuel en chômage , Journal des deux mondes , l’auteur a entamé une manière de dialogue avec son œuvr
966 ge , Journal des deux mondes , l’auteur a entamé une manière de dialogue avec son œuvre, ajoutant aux textes déjà publiés
967 avec son œuvre, ajoutant aux textes déjà publiés un bon quart d’inédits. J’ai rencontré Denis de Rougemont dans sa maison
968 pe, de la personne, du langage, de notre univers, des avions passant dans le ciel apportaient comme un écho de la planète.
969 des avions passant dans le ciel apportaient comme un écho de la planète. Le principal morceau inédit, précise Denis de Rou
970 1932 , qui joint Paysan du Danube et Journal d’ un intellectuel en chômage . Ce texte reflète un point-charnière dans ma
971 l d’un intellectuel en chômage . Ce texte reflète un point-charnière dans ma vie et mes préoccupations. C’est à ce moment-
972 ’ai découvert la crise où se trouvait la société. Des mouvements comme Esprit, L’Ordre nouveau témoignèrent de cette prise
973 cette prise de conscience. Nous ne partions pas d’ une insatisfaction de notre sort. Nous pensions que la société où nous vi
974 iété où nous vivions était fichue, qu’on allait à des catastrophes, notamment à la guerre : faire la révolution, pour nous,
975 aire la révolution, pour nous, signifiait refaire un ordre, là où menaçait la guerre, qui résume toutes les injustices. No
976 es injustices. Nous étions frappés par l’anarchie des pays dits démocratiques et par les réactions massives des pays totali
977 dits démocratiques et par les réactions massives des pays totalitaires. Nous décelions également, chez la bourgeoisie capi
978 roupement l’Ordre nouveau, nous nous attachions à une doctrine très rigoureuse de la personne qui débouchait sur l’idée de
979 de la fédération de l’Europe, liée à la notion d’ une fédération des régions, concept actuellement repris d’ailleurs, même
980 on de l’Europe, liée à la notion d’une fédération des régions, concept actuellement repris d’ailleurs, même par le général
981 ’opposition du fascisme et de la démocratie, pour des jeunes gens qui voulaient faire la révolution, n’était pas nette. Nou
982 ient Hitler et Mussolini. Quels furent, au niveau des faits, les éléments importants de cet automne 1932 ? Beaucoup de chos
983 vue Esprit , le premier numéro de Hic et Nunc , une revue de pensée existentielle que je dirigeais, en collaboration avec
984 n. Quant à Esprit, son premier numéro manifestait une tendance plutôt péguyste, à dominante catholique. Quand le premier de
985 c et Nunc parut, Mounier a trouvé que j’y allais un peu fort. Nous avons échangé quelques lettres assez vives. Pour ma pa
986 s mouvements, n’ayant jamais voulu être l’homme d’ une seule secte. Peut-être adoptais-je, sans m’en douter une attitude sui
987 le secte. Peut-être adoptais-je, sans m’en douter une attitude suisse, par ma volonté de ménager des intermédiaires entre l
988 er une attitude suisse, par ma volonté de ménager des intermédiaires entre les cultures, en faisant connaître, par exemple,
989 sant connaître, par exemple, Barth et Heidegger à un public français qui ne les connaissait pas. Pour marquer une différen
990 français qui ne les connaissait pas. Pour marquer une différence, je dirai que l’on trouvait, chez Esprit plus de méfiance
991 Nous étions également en relation avec Réaction, un mouvement d’extrême droite où se trouvait Thierry Maulnier. En décemb
992 2, la Nouvelle Revue française faisait paraître un Cahier de revendications , où s’exprimaient tous les mouvements part
993 où s’exprimaient tous les mouvements partisans d’ une révolution. En reprenant une vue d’ensemble sur votre œuvre, avez-vou
994 uvements partisans d’une révolution. En reprenant une vue d’ensemble sur votre œuvre, avez-vous relevé une évolution quant
995 vue d’ensemble sur votre œuvre, avez-vous relevé une évolution quant à votre conception de l’Europe ? Je dirai que dans ce
996 ? Je dirai que dans ces journaux, qui ne sont pas des mémoires et se tiennent à égale distance de la chronique et du journa
997 que et du journal intime, s’exprime l’évolution d’ une sensibilité européenne, beaucoup plus que des positions idéologiques.
998 n d’une sensibilité européenne, beaucoup plus que des positions idéologiques. Cette sensibilité est assez fréquente en Suis
999 st assez fréquente en Suisse, située à la croisée des chemins. C’est ainsi que, Suisse français, je me suis nourri de Goeth
1000 ne connaissaient pas. On peut d’ailleurs repérer un filon hölderlinien à travers plusieurs écrivains suisses romands ; pe
1001 s romands ; pensez à Roud et Jaccottet. Il existe un filon de romantisme allemand qui nous est très proche et, chose curie
1002 he et, chose curieuse, la langue ne constitue pas un barrage. J’ai d’ailleurs toujours, dans ma conception de la liberté,
1003 de la liberté, défendu la théorie de la pluralité des allégeances, de même que le droit de faire partie de plusieurs clubs.
1004 cela n’a les mêmes frontières et il se produit là un jeu complexe d’exclusions et d’inclusions, qui s’oppose d’une manière
1005 lexe d’exclusions et d’inclusions, qui s’oppose d’ une manière systématique à toute idée de nationalisme. Il faut multiplier
1006 les. Cette indépendance par rapport au territoire des communautés humaines me paraît l’une des grandes nouveautés du xxe s
1007 rritoire des communautés humaines me paraît l’une des grandes nouveautés du xxe siècle. Je vois l’homme à la fois cosmopol
1008 né. Je n’ai jamais senti la moindre gêne à être d’ un pays où j’ai des racines et à me sentir européen. La seule chose inad
1009 is senti la moindre gêne à être d’un pays où j’ai des racines et à me sentir européen. La seule chose inadmissible est d’êt
1010 missible est d’être enfermé dans les frontières d’ un État-nation. « L’orgueil national, a écrit Simone Weil, est loin de l
1011 nne. » Je suis très sensible aux particularités d’ un pays, d’une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la Franc
1012 uis très sensible aux particularités d’un pays, d’ une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la France. Mainten
1013 ou bien l’on se projette en lui sous le masque d’ une relation toujours prête à fournir ses preuves d’objectivité. Ou écrir
1014 re vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui se retrouve à tous les niveaux. Je pense qu’il faut mai
1015 s les niveaux. Je pense qu’il faut maintenir dans un individu l’exigence spécifique, singulière, d’une vocation et l’exige
1016 un individu l’exigence spécifique, singulière, d’ une vocation et l’exigence communautaire. Dès 1932, je définissais la per
1017 ni confusion. Dans cette perspective, j’envisage une théorie générale du fédéralisme qui irait de la personne à la fédérat
1018 les mains » ou, comme je l’écris dans Journal d’ un intellectuel en chômage  : « La pensée doit conduire l’action : mais
1019 as vraie pensée. » ⁂ Quittant Ferney-Voltaire, où des êtres humains, semblables à des millions d’autres, terminent calmemen
1020 rney-Voltaire, où des êtres humains, semblables à des millions d’autres, terminent calmement leur journée sous le soleil, j
1021 é de la sagesse, à la fois moderne et profonde, d’ un maître authentique. Mais la réalité reprend vite ses droits : avant d
1022 senter ma carte d’identité au douanier ! L’Europe des politiciens n’est pas encore celle des intellectuels, mais une œuvre
1023 ! L’Europe des politiciens n’est pas encore celle des intellectuels, mais une œuvre comme celle de Denis de Rougemont est l
1024 ns n’est pas encore celle des intellectuels, mais une œuvre comme celle de Denis de Rougemont est là pour nous aider à ne p
1025 . Rougemont Denis de, « [Entretien] Le Journal d’ une époque  », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 6–7
1026 Henri-Charles Tauxe. ai. Il s’agit sans doute d’ une erreur de transcription : Rougemont se réfère ici à L’Ordre nouveau,
26 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut réinventer l’Université (29 juin 1968)
1027 paraître « nouveaux », et ne correspondent pas à un poste du budget courant. Ce « réalisme » conduit au marasme ou à la r
1028 marasme ou à la révolution, selon le tempérament des peuples. Mais subitement, après les nuits de mai du Quartier latin, c
1029 ie devient nécessité, ce que l’on qualifiait avec un sourire indulgent de Zukunftsmusik devient urgence (peut-être même es
1030 ur faire court, je condenserai en quelques thèses des réflexions parfois anciennes5 sur le plus actuel des sujets. 1. Qu’es
1031 réflexions parfois anciennes5 sur le plus actuel des sujets. 1. Qu’est-ce que l’Université ? À sa naissance, aux xiie et
1032 sa naissance, aux xiie et xiiie siècles, c’est une commune autonome, qui assure sa propre police et s’administre elle-mê
1033 me. Elle est formée par la totalité (universitas) des maîtres et des élèves, et en même temps elle représente la totalité d
1034 rmée par la totalité (universitas) des maîtres et des élèves, et en même temps elle représente la totalité des savoirs acqu
1035 ves, et en même temps elle représente la totalité des savoirs acquis et des recherches en cours (universitas scientiarum).
1036 elle représente la totalité des savoirs acquis et des recherches en cours (universitas scientiarum). Au sein de cette commu
1037 on la méthode scolastique du sic et non (le débat des pour et des contre) mise à la mode par le maître à penser des jeunes
1038 e scolastique du sic et non (le débat des pour et des contre) mise à la mode par le maître à penser des jeunes gens de l’ép
1039 des contre) mise à la mode par le maître à penser des jeunes gens de l’époque, Abélard. La substance de cette Université es
1040 s, et réussissent à tout savoir.) En fonction d’ un certain sens de la vie 2. Au sens du mot que je viens de définir,
1041 à décorer de ce nom n’est que la juxtaposition d’ une quantité variable d’écoles professionnelles, dites facultés, destinée
1042 fessionnelles, dites facultés, destinées à former des avocats, des dentistes, des ingénieurs, des financiers, des professeu
1043 , dites facultés, destinées à former des avocats, des dentistes, des ingénieurs, des financiers, des professeurs ou des pas
1044 s, destinées à former des avocats, des dentistes, des ingénieurs, des financiers, des professeurs ou des pasteurs. Ces écol
1045 ormer des avocats, des dentistes, des ingénieurs, des financiers, des professeurs ou des pasteurs. Ces écoles n’ont plus en
1046 s, des dentistes, des ingénieurs, des financiers, des professeurs ou des pasteurs. Ces écoles n’ont plus en commun que leur
1047 es ingénieurs, des financiers, des professeurs ou des pasteurs. Ces écoles n’ont plus en commun que leur location dans une
1048 coles n’ont plus en commun que leur location dans une même ville, leurs services administratifs et leur dépendance financiè
1049 es administratifs et leur dépendance financière d’ un même État. À part cela, elles n’ont plus rien à se dire, ni au fond r
1050 me et les écoles professionnelles ou facultés ont des finalités différentes, presque contradictoires. Les écoles préparent
1051 , presque contradictoires. Les écoles préparent à des métiers : elles servent la Production. L’Université devrait préparer
1052 rcherait plutôt les moyens d’adapter la société à un certain Sens… 5. Une école doit normalement déboucher sur un job. Ell
1053 moyens d’adapter la société à un certain Sens… 5. Une école doit normalement déboucher sur un job. Elle doit donc, comme le
1054 Sens… 5. Une école doit normalement déboucher sur un job. Elle doit donc, comme le dit un de nos magistrats, « favoriser u
1055 éboucher sur un job. Elle doit donc, comme le dit un de nos magistrats, « favoriser une meilleure connaissance des débouch
1056 c, comme le dit un de nos magistrats, « favoriser une meilleure connaissance des débouchés ». Mais le rôle d’une Université
1057 agistrats, « favoriser une meilleure connaissance des débouchés ». Mais le rôle d’une Université digne du nom serait plutôt
1058 eure connaissance des débouchés ». Mais le rôle d’ une Université digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs débou
1059 sur la connaissance. 6. Celui qui veut apprendre un métier pour en vivre n’a que faire de la contestation. Et celui qui e
1060 i qui entend contester la société n’a que faire d’ une « étude des débouchés ». Cependant, avant de contester la société, il
1061 contester la société n’a que faire d’une « étude des débouchés ». Cependant, avant de contester la société, il serait bon
1062 r l’Université, et l’une ne peut se désintéresser des problèmes de l’autre. 7. Je propose que l’on traite ces problèmes pa
1063 e du fédéralisme : « La rencontre de l’oreille et des bruits. » Définition courante en Suisse mais fausse : le micronationa
1064 nalisme cantonal. Définition juste : l’adaptation des moyens aux fins, c’est-à-dire des niveaux de décision aux finalités d
1065  : l’adaptation des moyens aux fins, c’est-à-dire des niveaux de décision aux finalités des différentes tâches qu’on se pro
1066 ’est-à-dire des niveaux de décision aux finalités des différentes tâches qu’on se propose. 9. Le fédéralisme, au contraire
1067 ensions aux étages communautaires correspondants. Une école de médecine peut être trop grande pour tel canton, une école po
1068 e médecine peut être trop grande pour tel canton, une école polytechnique pour tel autre : elles exigent la coopération de
1069 a dimension continentale, etc. Tous les problèmes des écoles professionnelles ou facultés devraient être revus à l’aide de
1070 droit de se réclamer du fédéralisme. 10. Pourquoi des universités ? Question universitaire par excellence, et qui définit m
1071 nit même la fonction spécifique de l’Université : une école, en effet, ne saurait se la poser. Il faut l’Université parce q
1072 aurait se la poser. Il faut l’Université parce qu’ un centre de contestation est indispensable à toute société de type euro
1073 u-delà de l’usage prévisible et sans tenir compte des « besoins de l’économie »), d’autre part pour orienter la société, c’
1074 chaque discipline ; dans l’autre, on se livrera à une perpétuelle mise en question de chaque discipline par les autres (et
1075 terdisciplinaire). 12. Les dimensions optimales d’ un groupe de recherche sont restées celles d’un studium médiéval : dix à
1076 es d’un groupe de recherche sont restées celles d’ un studium médiéval : dix à quinze étudiants pour un maître. Ces groupes
1077 un studium médiéval : dix à quinze étudiants pour un maître. Ces groupes pouvant se combiner librement et de manières vari
1078 ières variables, en départements, selon la nature des recherches. 13. Les cours ex cathedra doivent être conservés : ainsi
1079 nd il s’agit d’exposer les recherches inédites qu’ un maître est en train de faire et qui peuvent intéresser beaucoup d’étu
1080 . Une fois la recherche terminée et « enseignée » une ou deux fois, on remplacera le cours par des groupes de discussion su
1081 ée » une ou deux fois, on remplacera le cours par des groupes de discussion sur le texte polycopié et plus tard, publié. 14
1082 sur le texte polycopié et plus tard, publié. 14. Un professeur ne devrait pas être et avoir été seulement professeur. Il
1083 sur sa valeur comme praticien, s’il enseigne dans une école, et comme créateur intellectuel, s’il enseigne dans une Univers
1084 t comme créateur intellectuel, s’il enseigne dans une Université. 15. Les recherches spécialisées en physique, chimie, astr
1085 , chimie, astronomie, etc., sont trop chères pour une ville, un canton : la concentration des moyens au niveau national (vo
1086 stronomie, etc., sont trop chères pour une ville, un canton : la concentration des moyens au niveau national (voire intern
1087 ères pour une ville, un canton : la concentration des moyens au niveau national (voire international) et dans un seul lieu,
1088 au niveau national (voire international) et dans un seul lieu, s’impose donc. Au contraire, les recherches interdisciplin
1089 ent s’organiser n’importe où, à la campagne, dans un village ou dans une ville. Cependant les unes ont besoin des autres :
1090 mporte où, à la campagne, dans un village ou dans une ville. Cependant les unes ont besoin des autres : une certaine mobili
1091 ou dans une ville. Cependant les unes ont besoin des autres : une certaine mobilité des chercheurs, enseignants et étudian
1092 ville. Cependant les unes ont besoin des autres : une certaine mobilité des chercheurs, enseignants et étudiants est donc i
1093 nes ont besoin des autres : une certaine mobilité des chercheurs, enseignants et étudiants est donc indispensable à la vie
1094 ts et étudiants est donc indispensable à la vie d’ une Université digne du nom. 16. Il ne faut pas redouter qu’une tension
1095 ité digne du nom. 16. Il ne faut pas redouter qu’ une tension s’institue entre écoles professionnelles et Université. Ce qu
1096 de la société et notamment de son industrie. Car une société, de même qu’une science ou une technique, dont les principes
1097 ent de son industrie. Car une société, de même qu’ une science ou une technique, dont les principes ne seraient pas remis en
1098 strie. Car une société, de même qu’une science ou une technique, dont les principes ne seraient pas remis en question et « 
1099 iversité, dépérirait ou serait balayée. Tandis qu’ une Université subordonnée à la société, donc privée de liberté dans la c
1100 dans l’imagination, cesserait du même coup d’être une Université, et n’aurait plus qu’à disparaître. 17. Une Université dig
1101 niversité, et n’aurait plus qu’à disparaître. 17. Une Université digne du nom, dont le rôle serait d’orienter les options f
1102 ons fondamentales de notre société, en fonction d’ un certain Sens de la vie (à découvrir, assumer, critiquer et rénover sa
1103 énover sans relâche), redeviendrait immédiatement un pôle de création et de rayonnement culturel. Ce que ne peuvent être,
1104 (ou facultés) que l’on s’obstine encore à nommer des universités. 18. Il ne faut pas détruire ce qui existe — les écoles p
1105 aginer). Par-dessus tout cela, il faut réinventer une Université digne du nom. Car sans elle, les écoles professionnelles,
27 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’écrivain et l’événement (7-8 septembre 1968)
1106 ion. Mon premier livre paru à Paris s’ouvrait par un chapitre sur « l’engagement du clerc », sa nécessité et sa vanité, vo
1107 r dans l’esprit du public : on croit bonnement qu’ un auteur engagé est celui qui s’en est remis une fois pour toutes à la
1108 n est remis une fois pour toutes à la politique d’ un parti, quand il s’agit de prendre une position publique. L’engagement
1109 politique d’un parti, quand il s’agit de prendre une position publique. L’engagement supposait à mon sens tout le contrair
1110 e mais aimante et, à l’extrême, sacrificielle — d’ une personne et de sa pensée en corps à corps avec l’époque. « Présence a
1111 disais-je en 1932. Mais on a glissé depuis lors à un sens partisan ou militaire du terme. Mon sens était plutôt poétique,
1112 t religieux. De l’intime à l’ultime, il supposait un passage obligé par le « proxime », la proximité, le prochain, c’est-à
1113 ité ? ⁂ Responsable est celui qui peut dire, dans une situation donnée : j’en réponds ! Mais de quoi l’écrivain comme tel p
1114 on occasionnelle face à l’événement historique qu’ un écrivain est engagé — ou non. Dans le fait, dans le concret vécu, il
1115 , dans le concret vécu, il n’y a pas l’écrivain d’ un côté et l’événement de l’autre, deux objets qu’on pourrait isoler, sé
1116 lui-même événement, et dont l’œuvre ne constitue une partie de la réalité qu’il croit décrire quand il l’écrit… ⁂ On ne pe
1117 symbolisée par le nom de Françoise Sagan, ludion des moods à la mode, et la limite supérieure par le nom de Franz Kafka, r
1118 tel qu’il se constituait alors dans l’inconscient des peuples. Entre ces deux extrêmes, des chroniqueurs du temps comme Fit
1119 inconscient des peuples. Entre ces deux extrêmes, des chroniqueurs du temps comme Fitzgerald, Morand, Moravia, Proust, et l
1120 ité offensée, activités et attitudes dominées par une volonté viscérale de refus et de négation d’un certain type de sociét
1121 r une volonté viscérale de refus et de négation d’ un certain type de société, ou de toute société humaine. On peut contest
1122 e, indifférent, mais par le contenu idéologique d’ un discours dont l’efficacité immédiate suffira. 3. Quant au prophète, q
1123 r) mais s’il la juge et la refuse, c’est au nom d’ une vision meilleure — qu’il annonce, illustre, anticipe… Bien entendu —
1124 e reconnaître au fait qu’il participe peu ou prou des deux autres : reprenez mes exemples. Instaurer ou restaurer une com
1125 : reprenez mes exemples. Instaurer ou restaurer une communauté Finalement, ce que la société peut attendre de l’écriva
1126 à sa crise et à l’événement, c’est la donation d’ une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de modes
1127 et l’expression de modes de sentir qui donnent «  un sens plus pur aux mots de la tribu », et instaurent ou restaurent une
1128 x mots de la tribu », et instaurent ou restaurent une communauté. Cela comporte bien autre chose que de signer ou même d’éc
1129 e bien autre chose que de signer ou même d’écrire des manifestes en faveur des victimes d’un régime et au nom d’un autre ré
1130 d’écrire des manifestes en faveur des victimes d’ un régime et au nom d’un autre régime qui ferait pire s’il le pouvait. C
1131 es en faveur des victimes d’un régime et au nom d’ un autre régime qui ferait pire s’il le pouvait. Cela comporte : donner
1132 porte aussi l’éloge et le chant, l’illustration d’ une communauté et d’une autorité heureuse : « Sur trois grandes saisons m
1133 et le chant, l’illustration d’une communauté et d’ une autorité heureuse : « Sur trois grandes saisons m’établissant avec ho
1134 t homme qui se veut tel, et l’annonce admirable d’ un monde équilibré. ak. Rougemont Denis de, « L’écrivain et l’événem
28 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Vers l’Europe des régions [Entretien]
1135 Vers l’Europe des régions [Entretien]al am Rentrant d’Amérique après la guerre, j’av
1136 En août 1947 on est venu me demander de parler à un congrès de fédéralistes européens à Montreux où j’ai prononcé un disc
1137 édéralistes européens à Montreux où j’ai prononcé un discours inaugural : j’étais engagé. Puis j’ai accepté de m’occuper d
1138 e suis beaucoup penché sur ce problème de l’union des Européens sur la base d’une unité déjà existante. Je fais une distinc
1139 e problème de l’union des Européens sur la base d’ une unité déjà existante. Je fais une distinction entre unité et union. L
1140 s sur la base d’une unité déjà existante. Je fais une distinction entre unité et union. L’unité existe ou n’existe pas. L’u
1141 pas. L’union est ce que l’on peut bâtir. Non pas une uniformité mais un certain mode de contacts organisés. Cette base com
1142 que l’on peut bâtir. Non pas une uniformité mais un certain mode de contacts organisés. Cette base commune de culture et
1143 t de civilisation est la condition sine qua non d’ une union économique et politique. J’ai donc créé le Centre européen de l
1144 tous les mouvements qui se dessinent en faveur d’ une coopération au niveau culturel. Nous avons réuni pour la première foi
1145 six pays avec le concours de l’Unesco pour créer un laboratoire européen de recherches nucléaires. Le CERN a été la réali
1146 ière initiative de notre centre. Nous avons fondé une Association des festivals de musique européens que je préside tout à
1147 de notre centre. Nous avons fondé une Association des festivals de musique européens que je préside tout à fait par hasard.
1148 érentes universités. Nous avons pris contact avec des historiens, des professeurs d’enseignement secondaire, des éditeurs.
1149 tés. Nous avons pris contact avec des historiens, des professeurs d’enseignement secondaire, des éditeurs. Nous avons d’aut
1150 riens, des professeurs d’enseignement secondaire, des éditeurs. Nous avons d’autre part lancé une Campagne européenne d’édu
1151 aire, des éditeurs. Nous avons d’autre part lancé une Campagne européenne d’éducation civique qui cherche à introduire l’an
1152 e repartir toute l’affaire européenne sur la base des régions, puisque vingt ans de tentatives de rapprochement n’ont about
1153 obstacle à toute espèce d’union. On ne peut bâtir une union de l’Europe sur les obstacles à toute union ! Notre espoir rési
1154 bstacles à toute union ! Notre espoir réside dans une politique des régions. Par exemple l’Italie est déjà divisée en dix r
1155 te union ! Notre espoir réside dans une politique des régions. Par exemple l’Italie est déjà divisée en dix régions par sa
1156 en 11 Länder ; et maintenant se dessine en France un grand mouvement qui vient d’être appuyé par de Gaulle pour diviser le
1157 être appuyé par de Gaulle pour diviser le pays en un certain nombre de régions. Je pense qu’on finira par se mettre d’acco
1158 se mettre d’accord assez vite pour la France sur une dizaine de régions, plus Paris. Notre idée de fédéralistes européens
1159 s serons colonisés par le dollar et peut-être par une certaine idéologie marxiste — quoique cela soit moins sûr. Mais le fa
1160 maîtres de notre destinée économique entraînerait une quantité de conséquences sur le plan culturel. Cela entraînerait une
1161 séquences sur le plan culturel. Cela entraînerait une chute de potentiel européen considérable, dont finalement le monde en
1162 it les conséquences. L’unification par le système des régions paraissait encore parfaitement utopique il y a un an ou deux,
1163 ns paraissait encore parfaitement utopique il y a un an ou deux, voire jusqu’au moment où de Gaulle a annoncé sa décision
1164 ision de dissoudre le Sénat pour le remplacer par une assemblée élue par les régions. Il y a à ce sujet une importante litt
1165 assemblée élue par les régions. Il y a à ce sujet une importante littérature en France qui est le pays le plus concerné par
1166 union mondiale ne sera concevable que s’il existe une solide fédération européenne. Ce sera le point d’accrochage d’une org
1167 ation européenne. Ce sera le point d’accrochage d’ une organisation mondiale. Sans doute d’ici à dix ou quinze ans serons-no
1168 à dix ou quinze ans serons-nous parvenus à créer des régions sur une base économique, historique, ethnique — tout cela mêl
1169 ans serons-nous parvenus à créer des régions sur une base économique, historique, ethnique — tout cela mêlé à doses variab
1170 et de la vie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natures. Elles constitueront de proche en proche un t
1171 natures. Elles constitueront de proche en proche un tissu plus solide que leurs liens avec les États-nations ; ceux-ci pe
1172 ondiaux dépendent en grande partie de la solution des problèmes européens, c’est que l’unité du genre humain est une invent
1173 européens, c’est que l’unité du genre humain est une invention des Européens. C’est l’Europe chrétienne qui a imaginé l’en
1174 est que l’unité du genre humain est une invention des Européens. C’est l’Europe chrétienne qui a imaginé l’ensemble du genr
1175 es plans économique et politique les conséquences des options philosophiques et religieuses que l’on croit justes. al. R
1176 Rougemont Denis de, « [Entretien] Vers l’Europe des régions », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 5–6
1177 ux-Petel. Cet entretien, qui prend ici la forme d’ un long propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses, e
1178 end ici la forme d’un long propos rapporté, non d’ un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau sui
1179 pourparlers franco-allemands ont montré l’urgence des problèmes européens. À cette occasion nous présentons l’activité de D
1180 ce domaine, et son point de vue recueilli lors d’ une interview. Denis de Rougemont sera l’un des conférenciers qui parlero
1181 ors d’une interview. Denis de Rougemont sera l’un des conférenciers qui parleront cet hiver à Lausanne, invités par la Gaze
29 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jean Paulhan (19-20 octobre 1968)
1182 Jean Paulhan (19-20 octobre 1968)an Un jour que je montai chez Jean Paulhan, ce devait être en 1937, 1938, j
1183 ait encore publié que deux ou trois petits livres un peu trop parfaits par l’écriture et la logique, et son autorité se fo
1184 récrivait pas nos textes, mais le style de chacun des auteurs de la revue n’eût pas été tout à fait le même sans sa présenc
1185 rise de nos lettres. Il était tout le contraire : un maître socratique, indemne de toute secrète volonté de puissance, att
1186 eusement, quitte à les provoquer ou débusquer par des questions à l’improviste d’une mystifiante naïveté — comme il lui arr
1187 r ou débusquer par des questions à l’improviste d’ une mystifiante naïveté — comme il lui arrivait de s’en poser à lui-même,
1188 ’en poser à lui-même, et parfois d’y répondre par un opuscule. « Ah ! je suis bien déçu, me disait-il un jour. Je me suis
1189 opuscule. « Ah ! je suis bien déçu, me disait-il un jour. Je me suis appliqué à relire Cicéron dans l’espoir de le trouve
1190 nuyeux… » (Son humour bref était sans doute aussi une façon de couper court aux confidences, plaintes et intrigues qui assi
1191 plaintes et intrigues qui assiègent en permanence un directeur.) Chaque jour, d’un large bec de plume, il écrivait sur des
1192 ègent en permanence un directeur.) Chaque jour, d’ un large bec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier ve
1193 ue jour, d’un large bec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier vert frappées du monogramme fameux des diz
1194 lles de papier vert frappées du monogramme fameux des dizaines de billets de quelques lignes aux collaborateurs de la revue
1195 et pressant, et tout à trac ; comme la reprise d’ un entretien interrompu par un coup de téléphone. Il dictait à sa femme
1196  ; comme la reprise d’un entretien interrompu par un coup de téléphone. Il dictait à sa femme les lettres moins intimes. G
1197 s ! J’allais être reçu ! L’on m’invita à la table des dieux. Valéry, Gide, Claudel et Saint-John Perse ! Étourdi de bonheur
1198 e rectangulaire aux très grands yeux6. Mais c’est une voix étrangement légère et gaie, réchauffée par une pointe d’assent q
1199 e voix étrangement légère et gaie, réchauffée par une pointe d’assent qui me lance, à peine passé la porte : « Mais il me s
1200 e passé la porte : « Mais il me semble que depuis des années je vous supplie de nous donner des textes ! » Me voici mis à l
1201 depuis des années je vous supplie de nous donner des textes ! » Me voici mis à l’aise, et mal à l’aise aussi. Un peu plus
1202 ! » Me voici mis à l’aise, et mal à l’aise aussi. Un peu plus tard, il me confie, rêveur : « Comme il est difficile, n’est
1203 il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’ une manière que je suis seul à connaître. Je m’arrangerai pour y faire fi
1204 es Lettres sur la bombe atomique , que j’écris «  un œil sur l’Éternel et l’autre sur Jean Paulhan ». Ce qui m’engage à ra
1205 Qu’on me permette au moins de recopier cette page des Fleurs de Tarbes où je retrouve l’étonnante liberté de jugement, mais
1206 de l’œuvre entière : Victor Hugo se prenait pour un pape, Lamartine pour un homme d’État et Barrès pour un général. Paul
1207 ctor Hugo se prenait pour un pape, Lamartine pour un homme d’État et Barrès pour un général. Paul Valéry attend des Lettre
1208 pe, Lamartine pour un homme d’État et Barrès pour un général. Paul Valéry attend des Lettres ce qu’un philosophe n’ose pas
1209 tat et Barrès pour un général. Paul Valéry attend des Lettres ce qu’un philosophe n’ose pas toujours espérer de la philosop
1210 un général. Paul Valéry attend des Lettres ce qu’ un philosophe n’ose pas toujours espérer de la philosophie : il veut con
1211 suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’ une société laïque le monde sacral, tel que l’a connu le Moyen Âge. Breto
1212 e Moyen Âge. Breton cependant exige le triomphe d’ une éthique nouvelle, qui se fonde sur le crime et la merveille. « La poé
1213 ue l’écrivain maintienne au-dessus de l’eau toute une civilisation qui sombre. Je ne dis rien d’Alerte : la poésie lui semb
1214 nt du moins.) Les plus modestes de nous attendent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas
1215 Les plus modestes de nous attendent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l
1216 , et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que les Lettres ne leur doivent. Et qui pourrait tol
1217 leur doivent. Et qui pourrait tolérer, se demande un jeune homme, de n’être pas écrivain ? Cet état « singulier » de notr
30 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Témoignage sur Bernard Barbey (7-8 février 1970)
1218 au double sens du mot, par la gloire naissante d’ un jeune aîné qui venait de mon pays ou presque. Un peu plus tard, j’écr
1219 ’un jeune aîné qui venait de mon pays ou presque. Un peu plus tard, j’écrivais du second roman de Bernard Barbey : Il règ
1220 an de Bernard Barbey : Il règne dans La Maladère une étrange harmonie entre le climat des sentiments et celui des campagne
1221 La Maladère une étrange harmonie entre le climat des sentiments et celui des campagnes désolées où il se développe. Paysag
1222 harmonie entre le climat des sentiments et celui des campagnes désolées où il se développe. Paysages tristes et sans viole
1223 t d’autant plus cruelle qu’elle est contenue sous des dehors trop polis. Une fois fermé le livre, on oublie son intrigue et
1224 la justesse de l’analyse pour ne plus évoquer que des visions où se condense le sentiment du récit. Dans Le Cœur gros un pa
1225 condense le sentiment du récit. Dans Le Cœur gros un parc avant l’orage, le rose sombre d’une joue brûlante et fraîche dan
1226 Cœur gros un parc avant l’orage, le rose sombre d’ une joue brûlante et fraîche dans le vent. Dans La Maladère un arbre coup
1227 rûlante et fraîche dans le vent. Dans La Maladère un arbre coupé découvrant le manoir perdu, des fumées sur un paysage d’h
1228 ladère un arbre coupé découvrant le manoir perdu, des fumées sur un paysage d’hiver, et soudain, sous la lueur d’un incendi
1229 coupé découvrant le manoir perdu, des fumées sur un paysage d’hiver, et soudain, sous la lueur d’un incendie, deux visage
1230 r un paysage d’hiver, et soudain, sous la lueur d’ un incendie, deux visages tordus de passion. Cette fureur admirable, don
1231 brutalité si longtemps désirée délivre le héros d’ un passé obsédant, d’une trop plaisante jeunesse.7 On devrait bien rep
1232 s désirée délivre le héros d’un passé obsédant, d’ une trop plaisante jeunesse.7 On devrait bien republier ces deux romans
1233 , ni commander ensuite l’état-major particulier d’ un général en chef. Et, tôt après, sans transition, « promouvoir » la pr
1234 n pays, aux dépens de son œuvre personnelle, avec une discrétion souriante et merveilleusement attentive. Que pouvait-on re
1235 e », tel serait le résumé proprement helvétique d’ une carrière qui eût été, en changeant de passeport, celle d’un ambassade
1236 e qui eût été, en changeant de passeport, celle d’ un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus
1237 de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’ un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’éta
1238 n ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’était pas son souci ! Et il
1239 e secret, du talent et de l’efficacité. C’est par des hommes de cette qualité que vaut la Suisse. 7. « Bernard Barbey :
1240 lvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d’ un peuple heureux (1965)
31 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La cité européenne (18-19 avril 1970)
1241 s pour cette raison littéralement fondamentale qu’ une unité de base existe, sur laquelle fonder cette union. Il s’agit de l
1242 quelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’ une culture, de laquelle participent tous les Européens, qu’ils soient d’
1243 e. Unité non pas homogène et qui ne résulte pas d’ un processus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce
1244 au contraire englobe, et compose largement, dans une communauté de plus en plus complexe au cours des siècles, des valeurs
1245 une communauté de plus en plus complexe au cours des siècles, des valeurs bien souvent antinomiques, provenant d’origines
1246 té de plus en plus complexe au cours des siècles, des valeurs bien souvent antinomiques, provenant d’origines multiples, do
1247 les contrastes et les combinaisons entretiennent des tensions renouvelées sans répit. Et de là vient l’irrépressible dynam
1248 , nos efforts pour les surmonter par le recours à des instances universelles, et toutes les créations qui ne cessent de jai
1249 éenne : « Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des contraires procède la plus belle harmonie. » ⁂ De ce temps jusqu’au n
1250 nité dans la diversité, et la coexistence féconde des contraires. La Grèce invente la cité et la fonde sur le paradoxe des
1251 Grèce invente la cité et la fonde sur le paradoxe des citoyens à la fois libres et responsables, mais elle invente aussi l’
1252 ue l’Incarnation porte à l’extrême la coexistence des contraires, l’impensable définition de la personne de Jésus-Christ co
1253 lles agissent toutes, sans exception, dans la vie des hommes d’aujourd’hui. Un seul exemple : le dogme de la Trinité, hors
1254 exception, dans la vie des hommes d’aujourd’hui. Un seul exemple : le dogme de la Trinité, hors de la tradition ecclésias
1255 rêve et le grand thème de la quête aventureuse d’ un Lancelot et d’un Perceval, symbole mystique. Faut-il enfin rappeler l
1256 thème de la quête aventureuse d’un Lancelot et d’ un Perceval, symbole mystique. Faut-il enfin rappeler l’apport arabe, qu
1257 , qui ne se limite pas au zéro précédant la suite des nombres, mais qui est l’une des sources principales de la poésie amou
1258 récédant la suite des nombres, mais qui est l’une des sources principales de la poésie amoureuse, donc de l’amour tel qu’on
1259 i cher aux Européens qu’il les porte à exagérer d’ une manière tout à fait extravagante l’importance de ce qui les distingue
1260 t, du fait qu’ils n’ont en somme rien de commun ! Un jour, tandis que je présidais une table ronde du Conseil de l’Europe,
1261 rien de commun ! Un jour, tandis que je présidais une table ronde du Conseil de l’Europe, irrité par ce genre d’objections
1262 ar ce genre d’objections à l’union, j’écrivis sur une page de bloc-notes « à faire circuler » autour du tapis vert l’essai
1263 end au contraire s’identifier soit avec l’homme d’ une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’il fait partie,
1264 n dans la diversité, et cette forme d’union porte un nom bien connu dans l’histoire des régimes politiques, c’est de toute
1265 e d’union porte un nom bien connu dans l’histoire des régimes politiques, c’est de toute évidence : fédéralisme.as aq.
32 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)
1266 union qui réponde à la double exigence du respect des diversités et de l’instauration d’une force suffisante pour garantir
1267 du respect des diversités et de l’instauration d’ une force suffisante pour garantir leur concurrence féconde, dans la paix
1268 tés, pour préserver nos vraies diversités — créer un pouvoir fédéral pour la sauvegarde de nos autonomies. Car ces autonom
1269 nos autonomies. Car ces autonomies seront perdues une à une, si nous refusons l’union qui ferait leur force ; mais en retou
1270 tonomies. Car ces autonomies seront perdues une à une , si nous refusons l’union qui ferait leur force ; mais en retour, cet
1271 tour, cette union ne saurait être acquise au prix des libertés qu’elle est censée servir. Rien de plus limpide que la déduc
1272 hèse : étant donné que la base de notre unité est une culture pluraliste, on ne peut fonder sur elle qu’une union fédérale.
1273 culture pluraliste, on ne peut fonder sur elle qu’ une union fédérale. Ce qui paraît beaucoup plus difficile à expliquer, c’
1274 s son fameux discours de Zurich — qu’il n’y a pas une minute à perdre ! Quel est l’obstacle apparemment insurmontable à cet
1275 nisé à cet égard… Qu’est-ce en somme qu’instituer un État-nation ? C’est soumettre toute une nation aux pouvoirs absolus d
1276 ’instituer un État-nation ? C’est soumettre toute une nation aux pouvoirs absolus de l’État. C’est vouloir faire coïncider
1277 olus de l’État. C’est vouloir faire coïncider sur un même territoire, défini par le sort des guerres et aussitôt baptisé «
1278 ncider sur un même territoire, défini par le sort des guerres et aussitôt baptisé « sol sacré de la patrie », des réalités
1279 s et aussitôt baptisé « sol sacré de la patrie », des réalités absolument hétérogènes, qui n’ont aucune raison d’avoir les
1280 logies et les religions, sommées de s’arrêter sur une ligne de barbelés électrifiés. C’est livrer sans recours toute l’exis
1281 ne aux seules décisions de bureaux installés dans une seule capitale, et interdire toute allégeance des citoyens à des enti
1282 une seule capitale, et interdire toute allégeance des citoyens à des entités plus petites (comme les régions) ou plus vaste
1283 ale, et interdire toute allégeance des citoyens à des entités plus petites (comme les régions) ou plus vastes (comme une fé
1284 petites (comme les régions) ou plus vastes (comme une fédération continentale). À l’intérieur de ses frontières, qu’il décl
1285 . À l’extérieur, il refuse toute union, alléguant une indépendance et une souveraineté absolues aussi peu défendables en dr
1286 refuse toute union, alléguant une indépendance et une souveraineté absolues aussi peu défendables en droit qu’elles devienn
1287 à l’échelle mondiale ; trop grand pour permettre une participation civique réelle ; et sans correspondance autre qu’accide
1288 avec aucun espace économique défini par la nature des choses ou par un projet rationnel. Or voici l’ironie tragique de notr
1289 économique défini par la nature des choses ou par un projet rationnel. Or voici l’ironie tragique de notre histoire : c’es
1290 samment, je crois, pourquoi l’on n’a pas avancé d’ un centimètre en direction de notre union politique. Entre l’union de l’
1291 e l’Europe et les États-nations sacralisés, entre une nécessité humaine des plus concrètes et le culte prolongé d’un mythe,
1292 s-nations sacralisés, entre une nécessité humaine des plus concrètes et le culte prolongé d’un mythe, il faut choisir. Pour
1293 humaine des plus concrètes et le culte prolongé d’ un mythe, il faut choisir. Pour la première fois dans son histoire, l’ho
1294 éellement, principalement, et contraints de tirer des plans en conséquence. Voulons-nous par exemple à tout prix notre nive
1295 quantitatif — ou plutôt voulons-nous sauvegarder un certain mode de vie, qualitatif ? Voulons-nous contribuer à tout prix
1296 u PNB (produit national brut) — ou plutôt recréer un habitat décent, une communauté vivante ? Et quel prix sommes-nous prê
1297 onal brut) — ou plutôt recréer un habitat décent, une communauté vivante ? Et quel prix sommes-nous prêts à payer pour cela
1298 ela ? Le prix de certaines libertés, ou le prix d’ un confort toujours accru ? Ces dilemmes se posent aujourd’hui à tous le
1299 et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficiles, voire angoissantes sur le sens même de la vie…
1300 voire angoissantes sur le sens même de la vie… D’ une façon plus précise, en Europe, il nous faut décider si notre union au
1301 ra pour but la puissance collective ou la liberté des personnes. Il nous faut le décider, en toute conscience, et vite, car
1302 car le choix de la fin implique évidemment celui des moyens adéquats ; mais à l’inverse, si vous vous trompez de moyens, i
1303 la puissance industrielle et militaire massive d’ une sorte de troisième Grand préoccupé principalement de tenir tête aux d
1304 e tenir tête aux deux autres, alors il faut créer un super-État-nation continental, uniformisé, centralisé et agressif, co
1305 autant de départements. Il faut tout unifier par des lois inflexibles, sans égard aux diversités ethniques et régionales,
1306 lle du PNB — cette tour de Babel du xxe siècle ! Une politique européenne de ce type, simple transposition de la formule d
1307 tinentale, serait capable sans nul doute de créer une Europe très forte, mais qui serait très peu européenne. Sans compter
1308 s qui serait très peu européenne. Sans compter qu’ un super-État-nation ne pourrait être imposé à tous nos peuples qu’à la
1309 t être imposé à tous nos peuples qu’à la faveur d’ une guerre générale — selon la loi de l’État-nation dès ses débuts. Il s’
1310 de l’État-nation dès ses débuts. Il s’agit donc d’ une utopie catastrophique, mais dont la réalisation ne saurait être exclu
1311 re les plus grandes possibilités d’épanouissement des personnes, de participation des citoyens et d’autonomie des communaut
1312 d’épanouissement des personnes, de participation des citoyens et d’autonomie des communautés (la production industrielle n
1313 nes, de participation des citoyens et d’autonomie des communautés (la production industrielle n’étant qu’un des moyens de c
1314 ommunautés (la production industrielle n’étant qu’ un des moyens de ces libertés), alors il faut reconnaître que l’État-nat
1315 unautés (la production industrielle n’étant qu’un des moyens de ces libertés), alors il faut reconnaître que l’État-nation
1316 reconnaître que l’État-nation n’est pas seulement un modèle périmé, mais qu’il est en fait aujourd’hui radicalement incomp
1317 méthodes les plus propres à réduire l’obstruction des stato-nationalismes, et se consacrer sérieusement à la tâche de const
1318 e consacrer sérieusement à la tâche de construire des modèles neufs pour une cité rendue à l’usage de l’homme. Il faut mett
1319 t à la tâche de construire des modèles neufs pour une cité rendue à l’usage de l’homme. Il faut mettre en commun à l’échell
1320 mais rien de plus. Il faut admettre la pluralité des allégeances, civiques, politiques, culturelles, idéologiques et relig
1321 le régional, le fédéral — indiqués par la nature des tâches, leurs dimensions et celles de la communauté la plus apte à le
1322 la communauté la plus apte à les administrer. En un mot, il faut appliquer la méthode du fédéralisme. Puissance ou libert
1323 ptatio démagogique. Mais je vois aussi que seuls, des Européens, rares mais exemplaires, ont osé proclamer, d’Aristote à Ro
1324 ités de l’union. Mais je ne crois pas qu’il y ait un tiers parti tenable. Je ne crois pas à cette « imposante confédératio
1325 eraineté absolue. Je ne crois pas à cette amicale des misanthropes. Je crois à la nécessité de défaire nos États-nations. O
1326 fier leur sacré, de percer leurs frontières comme des écumoires, de narguer ces frontières sur terre, sous terre et dans le
1327 sous terre et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont e
1328 vements de personnes, la concertation rationnelle des productions industrielles et agricoles. Mais elles ne servent absolum
1329 mpêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propagande et les gr
1330 mplement de bien traiter ces problèmes. Ce statut des frontières, doublement déficient, est caractéristique de tout ce qui
1331 , se trouvent vraiment former, comme par miracle, des entités économiques intelligibles. Je ne sais si les problèmes profon
1332 s », en dépit des manuels scolaires, il n’y a que des divisions tout arbitraires opérées dans l’ensemble vivant de la cultu
1333  majesté de l’État ». Mais non ! L’État n’est pas un dieu, ce n’est qu’un appareil plus ou moins efficace, qui doit être m
1334 Mais non ! L’État n’est pas un dieu, ce n’est qu’ un appareil plus ou moins efficace, qui doit être mis au service des cit
1335 s ou moins efficace, qui doit être mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Cessez donc, Messieurs
1336 i vous osiez marcher. Je propose la convocation d’ une conférence du désarmement étatique des nations. À l’aspect négatif de
1337 vocation d’une conférence du désarmement étatique des nations. À l’aspect négatif de ses travaux, elle ajouterait l’étude o
1338 ’étude on ne peut plus positive de la renaissance des régions. Il faut défaire et dépasser l’État-nation. En instaurant les
1339 différents niveaux de décision où il peut servir une entité vivante, civique, économique ou culturelle, et être contrôlé p
1340 pements de régions jusqu’au niveau européen ; là, des agences fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, seront char
1341 de Bruxelles, seront chargées de la concertation des grandes tâches d’intérêt public, tâches politiques au sens originel d
1342 pas de relations ou d’affaires étrangères : c’est un mot qu’il nous faut bannir du vocabulaire politique dans une Europe f
1343 il nous faut bannir du vocabulaire politique dans une Europe fédérale, au seuil de l’ère du monde uni. Voilà donc le modèle
1344 fédéraliste de la Cité européenne : la complexité des régions rendra justice à ses fécondes diversités, et l’ampleur de la
1345 t, bien sûr : on ne fera pas l’Europe sans casser des œufs, nous le voyons depuis vingt-cinq ans. Mais il l’est moins parce
1346 on dépasse les États-nations que parce qu’il pose une hiérarchie nouvelle des finalités politiques. Donner comme but de la
1347 ions que parce qu’il pose une hiérarchie nouvelle des finalités politiques. Donner comme but de la Cité européenne la liber
1348 e la Cité européenne la liberté non la puissance, un mode de vie qualitatif, non pas un « niveau de vie » déterminé en ter
1349 la puissance, un mode de vie qualitatif, non pas un « niveau de vie » déterminé en termes de profit et de PNB, c’est pass
1350 la mise en question du sens même de nos vies, et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. Si sérieu
1351 lait, du blé ou du vin, il est clair que l’Europe des marchandages entre économies étatiques ne peut pas entraîner d’adhési
1352 s gens d’aujourd’hui ne seront pas convaincus par des avantages matériels : ils sont presque comblés à cet égard. Ce qui le
1353 égard. Ce qui leur manque le plus durement, c’est un but transcendant, c’est un sens de la vie, maintenant que la guerre n
1354 e plus durement, c’est un but transcendant, c’est un sens de la vie, maintenant que la guerre n’est plus leur exutoire, l’
1355 t que la guerre n’est plus leur exutoire, l’alibi des raisons de vivre inexistantes. La réponse à la contestation de la jeu
1356 ir le modèle. Si l’on me dit maintenant que c’est une utopie que de vouloir dépasser l’État-nation, je réponds que c’est au
1357 rande tâche politique de notre temps. Précisons : des vingt ans qui viennent. Car à ce prix seulement nous ferons l’Europe,
1358 ons pour toute l’humanité, nous lui devons cela ! Une Europe qui ne sera pas nécessairement la plus puissante ou la plus ri
1359 is de, « Le discours de l’Université de Bonn II — Un programme révolutionnaire : donner un sens à la vie », Gazette de Lau
1360 e Bonn II — Un programme révolutionnaire : donner un sens à la vie », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausann
33 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie (2 juin 1970)
1361 Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie (2 juin
1362 Les Suisses sont sans doute les moins xénophobes des Européens, et les étrangers sont venus chez eux depuis des siècles en
1363 éens, et les étrangers sont venus chez eux depuis des siècles en plus grand nombre relatif que partout ailleurs, touristes,
1364 roblème actuel se trouve posé par la soudaineté d’ un afflux qui prend l’allure d’un raz de marée, et par le motif principa
1365 ar la soudaineté d’un afflux qui prend l’allure d’ un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pas
1366 flux, qui n’est pas d’admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « fric ». Or ce motif est le même des de
1367 ais de faire du « fric ». Or ce motif est le même des deux côtés : pour eux, gagner vite et rentrer, pour nous, produire pl
1368 tions que vous avez bien voulu me poser : — Dans une Europe fédérée telle que vous la concevez, chaque État peut-il conser
1369 ituelle et culturelle malgré la libre circulation des travailleurs intellectuels et manuels ? — La notion d’« helvéticité »
1370  helvéticité » est-elle menacée par la présence d’ une nombreuse main-d’œuvre étrangère en Suisse ? Permettez-moi de confes
1371 s celui du oui ou du non, que celui de la qualité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites qu’entraîneront
1372 ité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites qu’entraîneront les attitudes réelles de ceux qui les invoquen
1373 uent. C’est dans cet esprit que je vais esquisser une réponse. Le beurre et l’argent du beurre I. L’argument européen
1374 initiative Schwarzenbach risque fort de recouvrir un sophisme chez la plupart de ceux qui viennent de le découvrir. Ils no
1375 ères économiques et intégrer nos entreprises dans une économie concertée à l’échelle continentale (comme peuvent le faire l
1376 ntale (comme peuvent le faire les cinquante États des USA), alors, l’argument de la concurrence étrangère à laquelle « l’éc
1377  » ne pourrait « résister » que grâce à l’appoint des travailleurs étrangers, cet argument se détruit lui-même : car dans u
1378 gers, cet argument se détruit lui-même : car dans une Europe intégrée, il n’y a plus « d’économie suisse », il y a seulemen
1379 ’y a plus « d’économie suisse », il y a seulement une économie européenne. Mais si « s’ouvrir à l’Europe » signifie seuleme
1380 , cela revient, paradoxalement, à s’enfermer dans un concept d’économie « nationale », par définition non intégrée. On ne
1381 États-nations ne peuvent pas avoir en même temps une balance commerciale positive !) De fait, l’ouverture du Marché commun
1382 uverture du Marché commun n’a nullement déclenché un raz de marée de main-d’œuvre italienne en France, par exemple, en dép
1383 s’ils sont en quelque sorte recrutés, à l’instar des soldats du service étranger de jadis. La conception du monde selon la
1384 lon laquelle les hommes obéiraient spontanément à un « argyrotropisme », c’est-à-dire suivraient avant tout les routes du
1385 . Quant au danger que la présence sur notre sol d’ un étranger contre cinq ou six Suisses représenterait pour notre mode de
1386 s sérieux. L’argument ne vaut rien, mais en cache un meilleur. À part beaucoup d’irritations, quelques bagarres et quelque
1387 és et dans nos mœurs. Je n’en dirais pas autant d’ une industrie dont l’essor défigure nos paysages, détruit nos forêts et n
1388 forêts et nos champs, pollue nos lacs et déverse un flot de ciment, d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de
1389 e la patrie ». Les soldats gardent aux frontières un « sol sacré » que les usines et les traxs derrière leur dos profanent
1390 épasse très largement tout ce qui peut résulter d’ un refus ou d’une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain stormin
1391 rgement tout ce qui peut résulter d’un refus ou d’ une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain storming collectif qu’
1392 collectif qu’a déclenché le député zurichois sera des plus utiles aux Suisses s’il les amène à se poser — bien au-delà du 7
1393 antes : — La croissance indéfinie du PNB est-elle une obligation sacrée, donc indiscutable, ou faut-il la subordonner à d’a
1394 rsaires de l’initiative (« on ne peut pas chasser des frères humains ») serait-elle encore invoquée si la présence des trav
1395 ins ») serait-elle encore invoquée si la présence des travailleurs étrangers nous coûtait plus qu’elle ne rapporte ? — La p
1396 nom de valeurs bien plus matérialistes que celles des marxistes redoutés ou des Américains enviés ? av. Rougemont Denis
1397 atérialistes que celles des marxistes redoutés ou des Américains enviés ? av. Rougemont Denis de, « Une réflexion sur l
1398 Américains enviés ? av. Rougemont Denis de, «  Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie », Gazet
1399 juin 1970, p. 16. aw. L’article prend place dans un numéro spécial annexé à cette édition, sur « Les travailleurs étrange
1400 grité de l’État dans l’Europe fédérée et notion d’ une “helvéticité” menacée ? — Denis de Rougemont nous suggère ses réflexi
34 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)
1401 Charles de Gaulle aura été le dernier monarque d’ une France qui n’a rien préféré à l’amour de son roi, sinon le plaisir de
1402 n exil. Mais j’ai tort de dire France : il s’agit des Français, et de Gaulle a toujours distingué. Toute ma vie, je me sui
1403 oujours distingué. Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… vouée à une destinée éminente et exceptio
1404 suis fait une certaine idée de la France… vouée à une destinée éminente et exceptionnelle… S’il advient que la médiocrité m
1405 ses faits et gestes, [c’est] imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Phrase de passionné et non de d
1406 la France, et il est près de le dire dans plus d’ une page de ses Mémoires, et pas seulement dans ces célèbres premières ph
1407 es phrases où il l’a peinte « telles la princesse des contes ou la madone des fresques… créée pour des succès achevés ou de
1408 nte « telles la princesse des contes ou la madone des fresques… créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires »
1409 des contes ou la madone des fresques… créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires ». Il l’a longtemps aimée
1410 ne des fresques… créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires ». Il l’a longtemps aimée de loin, dans son exil
1411 et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrigue des « barons félons » (son premier départ volontaire, en 1946). Certes, i
1412 plus fort que le roi Marc —, n’a-t-il pas déposé une épée symbolique ? » J’écrivais cela en 1961, annonçant un second retr
1413 ut le prétexte allégué : l’instauration en France des régions, qu’il proposa solennellement, et à quoi il choisit de lier s
1414 nellement, et à quoi il choisit de lier son sort. Un suicide politique, dirent les observateurs. Mais ici le personnage pr
1415 age prend ses vraies dimensions qui sont celles d’ une glorieuse ambiguïté et d’un tragique malentendu entre « de Gaulle »,
1416 ns qui sont celles d’une glorieuse ambiguïté et d’ un tragique malentendu entre « de Gaulle », comme il disait, et cette Eu
1417 i juré de l’Europe « intégrée », était en réalité un fédéraliste ! (Mais le mot ne peut passer le gosier d’un Français hér
1418 raliste ! (Mais le mot ne peut passer le gosier d’ un Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’éc
1419 er le gosier d’un Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’écrivait en 1962 à propos de mes Ving
1420 texte tous ces écrits à travers lesquels, au long des siècles, s’est manifestée l’idée d’Europe, ce sont les cheminements d
1421 si parce que nos efforts actuels, en vue de bâtir une union des peuples européens, qui respecte le caractère original de ch
1422 ue nos efforts actuels, en vue de bâtir une union des peuples européens, qui respecte le caractère original de chacun et le
1423 e mythe et l’avenir : ce dernier paladin de l’ère des Nations a choisi délibérément de se faire écarter du pouvoir en liant
1424 e Marché commun. Ce hasard marquera-t-il la fin d’ une certaine Europe, le début d’une autre ? Nous avons demandé à Denis de
1425 era-t-il la fin d’une certaine Europe, le début d’ une autre ? Nous avons demandé à Denis de Rougemont ce qu’il pensait de l
35 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Pourquoi j’écris (30-31 janvier 1971)
1426 rs contemporains, c’était vers 1925, sur le ton d’ un gangster qui demande la clé de la caisse. Nulle part peut-être mieux
1427 ivations. Les écrivains ont développé contre elle une série de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationalisati
1428 trente-six raisons d’écrire. Ils ont milité pour des causes. Ils ont même inventé la notion de l’engagement, dans les anné
1429 ucoup plus tard, essayant de répondre à l’attente des interviewers, on met au point quelques demi-mensonges, l’important es
1430 ocence de mes débuts dans l’écriture. Écrire est une démangeaison que l’on calme en grattant du papier. C’est à peu près a
1431 e l’élan du désir, ou de la prière, et cela tient des deux, probablement. C’est aussi un effet du besoin d’imiter ce qui, d
1432 et cela tient des deux, probablement. C’est aussi un effet du besoin d’imiter ce qui, dans un poème ou une pensée, vient d
1433 st aussi un effet du besoin d’imiter ce qui, dans un poème ou une pensée, vient d’éveiller en vous une émotion : pour la p
1434 effet du besoin d’imiter ce qui, dans un poème ou une pensée, vient d’éveiller en vous une émotion : pour la prolonger, la
1435 un poème ou une pensée, vient d’éveiller en vous une émotion : pour la prolonger, la faire vôtre, et rejoindre l’auteur qu
1436 a révélée — pour devenir aussi admirable aux yeux des autres qu’il est admiré par vous-même, vous essayez d’écrire comme lu
1437 ré par vous-même, vous essayez d’écrire comme lui des vers, un récit, des pensées, une confession. Au début, je trouve donc
1438 s-même, vous essayez d’écrire comme lui des vers, un récit, des pensées, une confession. Au début, je trouve donc cette sé
1439 us essayez d’écrire comme lui des vers, un récit, des pensées, une confession. Au début, je trouve donc cette série : émoti
1440 écrire comme lui des vers, un récit, des pensées, une confession. Au début, je trouve donc cette série : émotion, allergie
1441 pour dire quelque chose à quelqu’un, au public d’ une revue littéraire ou à toute une nation par la TV. C’est le pour quoi
1442 u’un, au public d’une revue littéraire ou à toute une nation par la TV. C’est le pour quoi qui devient alors le vrai pourqu
1443 d’abord sans cause, je ne saurais pas écrire pour une cause. Si l’on n’a pas d’abord écrit pour rien, pour le plaisir, à ca
1444 cause de la démangeaison, on ne deviendra jamais un écrivain en écrivant pour tel usage bien défini, pour tel objet tout
1445 la pensée en train de se former par écrit : vote des femmes ou guerre du Vietnam, par exemple, mais pas l’Europe, puisque
1446 exemple, mais pas l’Europe, puisque l’Europe est une création continue de la pensée proprement poétique, l’horizon qui se
1447 rapport à notre progrès. ⁂ Ce n’est qu’au début d’ une carrière que l’on écrit par pure envie d’écrire. Et je ne dis pas que
1448 lus seul discernable, tout mêlé qu’il se trouve à des courants violents chargés de matériaux littérairement impurs. Une imm
1449 lents chargés de matériaux littérairement impurs. Une immédiate nécessité motive la main à la plume : j’écris désormais sur
1450 ur commande non seulement de mes émotions, mais d’ un discours, d’un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fixe
1451 seulement de mes émotions, mais d’un discours, d’ un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout c
1452 e mes émotions, mais d’un discours, d’un livre, d’ un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il faut
1453 manière d’enregistrer la poésie dans l’existence. Un paysage me met en quête d’une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’
1454 ie dans l’existence. Un paysage me met en quête d’ une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un événeme
1455 ence. Un paysage me met en quête d’une mélodie, d’ un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un événement me dicte un
1456 uête d’une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’ une couleur tonale. Un événement me dicte une page qui change ma vie — ce
1457 d’un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un événement me dicte une page qui change ma vie — cette page et non pas
1458 ts ou d’une couleur tonale. Un événement me dicte une page qui change ma vie — cette page et non pas l’événement. Je cherch
1459 e — cette page et non pas l’événement. Je cherche un sens. J’écris pour chercher le sens au bout du compte. Un sens qui ne
1460 J’écris pour chercher le sens au bout du compte. Un sens qui ne peut être défini que par le tout — que pas un scientifiqu
1461 qui ne peut être défini que par le tout — que pas un scientifique n’appréhende et par suite ne saurait nier, et qui est au
1462 crie, et je lui crie d’abord qu’elle devrait être une autre pour que je n’y sois plus seulement un moi contre elle, mais qu
1463 tre une autre pour que je n’y sois plus seulement un moi contre elle, mais que [je] m’y perde et m’y donne. Quand je saura
1464 j’aurai rejoint ma fin, qui est de me former sur une pensée vécue dans l’écriture. Au terme de mes livres, où figure le mo
36 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)
1465 se (31 juillet-1er août 1971)ba Nous souffrons des clichés ridicules qui composent l’image de la Suisse à l’étranger, pe
1466 pendules à coucou, trous dans le gruyère, secret des banques, et les arts réduits, paraît-il, à celui de ne pas se mouille
1467 capables de le dire ? Alors on court interviewer des étrangers : quelle est à leurs yeux notre image ? Ils nous renvoient
1468 répondait : « Le fédéralisme est pour votre pays une bonne solution. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit généralisable. »
1469 vise que le fédéralisme n’a jamais été ni pu être une « solution » aux problèmes de la Suisse, pour la simple raison qu’il
1470 ’est rien hors du fédéralisme. Elle n’est rien qu’ un régime d’union. Dans leur très grande majorité — 98 % exactement — le
1471 ses d’aujourd’hui ne descendent en aucune manière des trois Waldstätten primitifs. Et pas un seul des autres cantons n’a ja
1472 e manière des trois Waldstätten primitifs. Et pas un seul des autres cantons n’a jamais adhéré au Pacte dit du Grütli, qui
1473 e des trois Waldstätten primitifs. Et pas un seul des autres cantons n’a jamais adhéré au Pacte dit du Grütli, qui ne porte
1474 tique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire d’ une dynastie — les Zähringen et les Kibourg sont éteints depuis des siècl
1475 les Zähringen et les Kibourg sont éteints depuis des siècles, les Habsbourg émigrés — ni l’anniversaire de la fondation d’
1476 urg émigrés — ni l’anniversaire de la fondation d’ un État ou de la signature d’une Constitution, car ces deux choses ne da
1477 re de la fondation d’un État ou de la signature d’ une Constitution, car ces deux choses ne datent chez nous que de 1848. Ce
1478 que de 1848. Ce que nous célébrons, c’est en fait une idée, qui est l’essence de la Suisse et qui a déterminé son existence
1479 ait censée devoir naître de l’alliance impossible des quelque vingt-cinq États nationaux du continent, tous plus souverains
1480 souverains les uns que les autres. La Suisse est une authentique fédération dans la mesure où elle s’est formée par la lib
1481 omie ; et à cette fin, décidant la mise en commun des tâches publiques trop lourdes pour chacun mais réalisables par tous —
1482 ches communes, le Conseil fédéral n’est nullement une émanation des cantons, mais le collège de chefs des Agences fédérales
1483 le Conseil fédéral n’est nullement une émanation des cantons, mais le collège de chefs des Agences fédérales spécialisées
1484 e émanation des cantons, mais le collège de chefs des Agences fédérales spécialisées par leur fonction : finances, économie
1485 protestant, de langue française, au même titre qu’ un Schwyzois catholique de dialecte allemand, qu’un yodleur des Rhodes-I
1486 ’un Schwyzois catholique de dialecte allemand, qu’ un yodleur des Rhodes-Intérieures, qu’un Tessinois ou qu’un Grison roman
1487 is catholique de dialecte allemand, qu’un yodleur des Rhodes-Intérieures, qu’un Tessinois ou qu’un Grison romantsch, avec l
1488 llemand, qu’un yodleur des Rhodes-Intérieures, qu’ un Tessinois ou qu’un Grison romantsch, avec lesquels je puis très bien
1489 eur des Rhodes-Intérieures, qu’un Tessinois ou qu’ un Grison romantsch, avec lesquels je puis très bien n’avoir rien en com
1490 même. Telle étant la réalité proprement suisse : une idée, une formule d’union qui fut au xiiie siècle celle de trois com
1491 le étant la réalité proprement suisse : une idée, une formule d’union qui fut au xiiie siècle celle de trois communes du G
1492 cicatrices de l’histoire », bornées par le hasard des armes. Mais alors, me dit-on, si la fédération s’étend de proche en p
1493 erdre ? — C’est oublier ce qu’est la Suisse. Dans une Europe unie, loin de se perdre, elle se retrouverait agrandie, prolon
1494 là de ce qu’elle fut au Grütli, berceau mythique. Une idée se perd-elle en se généralisant, et une formule d’union en fécon
1495 que. Une idée se perd-elle en se généralisant, et une formule d’union en fécondant des unions toujours plus nombreuses ? Ce
1496 généralisant, et une formule d’union en fécondant des unions toujours plus nombreuses ? Ceux qui ont peur que la Suisse se
1497 s ? Ceux qui ont peur que la Suisse se perde dans une Europe fédéraliste montrent par là qu’ils ne savent pas ce qu’est la
1498 e savent pas ce qu’est la Suisse. Écoutons plutôt un grand Zurichois du siècle passé, le juriste J.-C. Bluntschli, qui écr
1499 i écrivait en 1875 : La Suisse a émis et réalisé des idées et des principes qui seront un jour destinés à assurer la paix
1500 1875 : La Suisse a émis et réalisé des idées et des principes qui seront un jour destinés à assurer la paix en Europe… Si
1501 et réalisé des idées et des principes qui seront un jour destinés à assurer la paix en Europe… Si cet idéal de l’avenir s
1502 re. S’évanouir dans le succès de notre idée et d’ une formule d’union qui est notre raison d’être, ne serait-ce pas le sort
1503 ions souhaiter en tant que Suisse ? Dans l’Europe des régions que j’appelle et prépare, dans l’Europe des foyers rayonnants
1504 s régions que j’appelle et prépare, dans l’Europe des foyers rayonnants sans frontières, rien ne nous empêchera, Suisses de
1505 tons, de rester ensemble et de continuer à former une communauté : celle des gardiens de l’idée mère. Si nous le désirons v
1506 e et de continuer à former une communauté : celle des gardiens de l’idée mère. Si nous le désirons vraiment, si nous le vou
1507 alors les vrais Suisses. « Et s’il n’en reste qu’ un … », disait Victor Hugo, reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’ag
1508 ’en reste qu’un… », disait Victor Hugo, reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’agit d’une interview de M. Raymond Aron
1509 reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’agit d’ une interview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne des
1510 Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne des 3-4 juillet. (Réd.) ba. Rougemont Denis de, « Au défi de l’Europe,
37 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une dimension nouvelle (11-12 septembre 1971)
1511 Une dimension nouvelle (11-12 septembre 1971)bb À plus d’une reprise,
1512 ion nouvelle (11-12 septembre 1971)bb À plus d’ une reprise, l’occasion d’exprimer mon admiration pour « C. J. B. » me fu
1513 nnaissance. Mais je gardais pour cet anniversaire un éloge dont tout me faisait craindre qu’il fût de nature — si plus tôt
1514 à desservir la bonne réputation de notre ami dans un pays égalitaire. Aujourd’hui je ne reculerai plus, les jeux sont fait
1515 dimension princière. bb. Rougemont Denis de, «  Une dimension nouvelle : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (suppléme
38 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut dénationaliser l’enseignement [Entretien] (8 décembre 1972)
1516 )bc bd Certains pédagogues, pour ne pas parler des autorités scolaires, n’ont apprécié qu’à demi la réédition des Méfait
1517 scolaires, n’ont apprécié qu’à demi la réédition des Méfaits, soit qu’ils se sentent attaqués dans leur conscience profess
1518 s maîtres, et ils ont toute mon amitié. J’ai reçu une lettre, récemment, où une dame me reproche mon mépris à l’égard des i
1519 e mon amitié. J’ai reçu une lettre, récemment, où une dame me reproche mon mépris à l’égard des instituteurs. Or rien n’est
1520 ez. » Vos critiques semblent s’adresser surtout à un système scolaire très centralisé, comme le système français. Convienn
1521 suisse, où l’instruction publique est du ressort des cantons ? Mais en 1929 je parlais de mon expérience. Elle était tout
1522 me en Suisse. Et même pire. Vous donnez à l’école un poids déterminant, presque totalitaire, dans la formation des hommes…
1523 terminant, presque totalitaire, dans la formation des hommes… L’école publique a été jusqu’à présent le moyen de formation
1524 oyen de formation le plus fort. Elle a prétendu à un monopole de l’éducation, contre l’Église et contre la famille. Cet ét
1525 naliser l’enseignement. Quel sens peut avoir pour un enfant l’histoire suisse, s’il ignore celle de sa région ? À Couvet,
1526 de l’histoire de ma propre vallée… La nation est un concept artificiel qui ne repose sur aucune réalité fondamentale. Il
1527 y a la région, réalité tangible, cadre de la vie des élèves ; il y a l’Europe — l’ancienne christianitas — réalité culture
1528 ie, l’écologie, l’économie — l’économie doit être une des branches principales des programmes — dans ces dimensions-là. Pas
1529 l’écologie, l’économie — l’économie doit être une des branches principales des programmes — dans ces dimensions-là. Passer
1530 l’économie doit être une des branches principales des programmes — dans ces dimensions-là. Passer de la région à l’Europe e
1531 r à la frontière sur les croquis de géographie. Une bourde du général de Gaulle Pourquoi l’économie et l’écologie ? On
1532 proposées au peuple suisse, huit au moins posent des problèmes économiques auxquels les citoyens n’ont pas été préparés. E
1533 rontières. Idem pour l’écologie, où la perception des enfants, déjà très jeunes, est immédiate : les frontières n’ont rien
1534 que toute leur manière de penser est prisonnière des schémas nationaux. Souvenez-vous que le général de Gaulle aimait à ré
1535 tonné. Pourquoi donc à l’Oural ? C’est tout, sauf une séparation : une petite chaîne de collines, traversée par un affluent
1536 onc à l’Oural ? C’est tout, sauf une séparation : une petite chaîne de collines, traversée par un affluent de la Volga, et
1537 on : une petite chaîne de collines, traversée par un affluent de la Volga, et qui est maintenant le cœur du bassin de l’in
1538 rouvé que les manuels d’histoire et de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Charles de Gaulle —
1539 Europe, incapables de saisir ce que pourrait être une fédération. Or c’est la seule formule possible. En France, les rares
1540 plutôt aux partis de gauche. Rocard, Mitterrand. Des exceptions. Mais comment pourrait-il en aller autrement ? Prenez le P
1541 ttré, qui est encore le dictionnaire de référence des Français cultivés, et cherchez sous « fédéralisme » : vous trouverez
1542 z sous « fédéralisme » : vous trouverez que c’est un système de sauvages, ou bien une utopie attribuée aux girondins — c’e
1543 ouverez que c’est un système de sauvages, ou bien une utopie attribuée aux girondins — c’est-à-dire un instrument de trahis
1544 une utopie attribuée aux girondins — c’est-à-dire un instrument de trahison. Vous écrivez, dans la Suite des Méfaits : « O
1545 strument de trahison. Vous écrivez, dans la Suite des Méfaits : « On ne changera pas l’école sans changer l’État. » Est-ce
1546 at crée l’école qui lui convient, l’école produit des citoyens à la mesure de l’État. C’est un cercle vicieux : chercher l’
1547 produit des citoyens à la mesure de l’État. C’est un cercle vicieux : chercher l’origine nous ramène au problème de la pou
1548 r aux deux niveaux à la fois. Que faire au niveau des États ? Dans toutes les discussions que j’ai avec les officiels, on m
1549 ouvelles « matières » du programme, la création d’ un nouveau bâtiment, l’attribution de nouveaux subsides, ce n’est pas co
1550 tion de nouveaux subsides, ce n’est pas concevoir une politique, c’est administrer. Quand l’homme en place invoque les « ré
1551 ouvoir tout reconsidérer. Pour en sortir, il faut une véritable révolution. L’impossible révolution Qu’entendez-vous
1552 Mais… ce qu’on entend généralement par ce terme : une mutation, un changement brusque et radical, qui permette de repartir
1553 entend généralement par ce terme : une mutation, un changement brusque et radical, qui permette de repartir sur des bases
1554 brusque et radical, qui permette de repartir sur des bases entièrement nouvelles… ce qui est pratiquement impossible dans
1555 ible dans notre culture. Il faudrait, au minimum, une volonté générale de sortir du cercle vicieux dont nous parlions tout
1556 cercle vicieux dont nous parlions tout à l’heure. Une école nouvelle pourrait exploiter des possibilités d’apprentissage to
1557 à l’heure. Une école nouvelle pourrait exploiter des possibilités d’apprentissage totalement négligées aujourd’hui. L’ense
1558 es aujourd’hui. L’enseignement fortuit, au hasard des occasions… Aucune place ne lui est faite — et pour cause — dans nos p
1559 de l’école napoléonienne, par quoi on a fabriqué des peuples militarisés, et qui nous a déjà valu deux guerres mondiales.
1560 Illich appelle en termes marxistes « aliénation » des élèves, je préfère l’appeler « alignement ». On aligne les esprits à
1561 terme de votre « alternative »… qui n’en est pas une . Car le second terme est également nécessaire. Je ne vois pas d’oppos
1562 individualisé et le travail collectif, mais bien une complémentarité. Je ne crois pas que des élèves doués puissent avoir
1563 ais bien une complémentarité. Je ne crois pas que des élèves doués puissent avoir à souffrir de travailler avec des camarad
1564 oués puissent avoir à souffrir de travailler avec des camarades plus faibles. Au contraire : en les aidant, ils apprendraie
1565 même à l’Université : je ne creuse jamais si bien un problème que quand je dois le présenter à mes étudiants. « Illich
1566 est trop rousseauiste » Seriez-vous partisan d’ une école comme celle des amish, dont vous parlez dans les Méfaits 10, et
1567 » Seriez-vous partisan d’une école comme celle des amish, dont vous parlez dans les Méfaits 10, et dont vous dites qu’el
1568 dites qu’elle ressemble à ce que demande Illich ? Une école comme celle des amish, oui. Quant à Illich, bien que je partage
1569 e à ce que demande Illich ? Une école comme celle des amish, oui. Quant à Illich, bien que je partage largement ses idées,
1570 p rousseauiste : il suppose chez tous les enfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’ho
1571 s diffusées par les mass médias, ou sous la coupe des chefs de gangs… J’en ai vu des exemples très proches : aux États-Unis
1572 , ou sous la coupe des chefs de gangs… J’en ai vu des exemples très proches : aux États-Unis. Plus d’autorité du maître Il
1573 lus d’autorité du maître Il se forme spontanément des groupes, autour d’un chef, fanatiquement obéi, et qui peut ordonner a
1574 re Il se forme spontanément des groupes, autour d’ un chef, fanatiquement obéi, et qui peut ordonner aux membres de son gro
1575 torité défaillante du maître se substitue celle d’ un camarade. Vous ne croyez pas à la « socialisation par le groupe » ?…
1576 oupe » ?… Je crains la loi de la jungle, le règne des forts en gueule, voire des sadiques. Revenons à l’évolution de l’écol
1577 de la jungle, le règne des forts en gueule, voire des sadiques. Revenons à l’évolution de l’école, et aux deux pôles dont n
1578 La droite et la gauche ont tort de ne tolérer qu’ un des deux termes. Car il faut que l’un existe pour que l’autre vive, e
1579 droite et la gauche ont tort de ne tolérer qu’un des deux termes. Car il faut que l’un existe pour que l’autre vive, et vi
1580 , et vice versa. L’éducation sera la résultante d’ une tension dynamique entre les deux. On ne peut nier que l’homme a besoi
1581 ace à lui-même. Lui imposer la société permanente des autres ou le réduire à une totale solitude sont deux tortures équival
1582 la société permanente des autres ou le réduire à une totale solitude sont deux tortures équivalentes. Toute la vie est fon
1583 ortures équivalentes. Toute la vie est fondée sur une série de couples antinomiques : communication-solitude, action-repos,
1584 , même en Suisse. Il s’agit de mettre en relation des éléments — dans le cas européen, des régions — qui aient chacun leur
1585 en relation des éléments — dans le cas européen, des régions — qui aient chacun leur autonomie, leurs caractéristiques pro
1586 pres, différentes ou opposées, dont résulteraient des tensions fécondes conduisant à la fois à l’union et à la diversificat
1587 diversification. C’est parfaitement compatible : un réseau routier unifié n’entame en rien l’originalité des génies locau
1588 eau routier unifié n’entame en rien l’originalité des génies locaux. Le fédéralisme doit commencer à la base. Prenez le cou
1589 r soi et pour l’autre, sans qu’il y ait confusion des deux, ni subordination de l’un à l’autre. Ils sont à la fois semblabl
1590 s. Vous retrouvez cela à tous les échelons. C’est une réalité biologique : au niveau des cellules, des molécules, des atome
1591 chelons. C’est une réalité biologique : au niveau des cellules, des molécules, des atomes, toute vie résulte d’une tension
1592 une réalité biologique : au niveau des cellules, des molécules, des atomes, toute vie résulte d’une tension permanente ent
1593 ologique : au niveau des cellules, des molécules, des atomes, toute vie résulte d’une tension permanente entre des forces d
1594 s, des molécules, des atomes, toute vie résulte d’ une tension permanente entre des forces d’attraction et de répulsion. Là
1595 toute vie résulte d’une tension permanente entre des forces d’attraction et de répulsion. Là encore, supposez qu’un équili
1596 ttraction et de répulsion. Là encore, supposez qu’ un équilibre statique s’installe : c’est la mort. Tout ce système est co
1597 ducation civique européenne que je préside depuis une dizaine d’années, nous essayons de toucher le plus grand nombre possi
1598 1. Mais il est clair que, seule, la bonne volonté des maîtres ne suffira pas. Il faut modifier les structures. Les structur
1599 . Les structures nouvelles étant censées sécréter une nouvelle pédagogie, de nouveaux maîtres ? Elles n’entraîneront pas au
1600 aîtres ? Elles n’entraîneront pas automatiquement une meilleure pédagogie mais pourront permettre à des talents paralysés p
1601 une meilleure pédagogie mais pourront permettre à des talents paralysés par les structures actuelles de s’exprimer. On ne p
1602 re bons ou intelligents, mais on peut leur offrir un cadre où leur bonté et leur intelligence aient au moins la possibilit
1603 oins la possibilité de s’exercer. La modification des structures ne suffit pas, les efforts individuels ne suffisent pas. M
1604 e et compagnie, rigueur et fantaisie, etc. Il y a une phrase d’Héraclite qu’on comprend généralement mal, parce qu’elle est
1605 Cahier Rouge, raconte que son premier précepteur, un Allemand, avait eu « une idée assez ingénieuse, celle de me faire inv
1606 e son premier précepteur, un Allemand, avait eu «  une idée assez ingénieuse, celle de me faire inventer le grec pour l’appr
1607 pprendre. Il me proposa de nous faire à nous deux une langue qui ne serait connue que de nous ; je me passionnai pour cette
1608 passionnai pour cette idée. Nous formâmes d’abord un alphabet, où il introduisait les lettres grecques. Puis nous commençâ
1609 isait les lettres grecques. Puis nous commençâmes un dictionnaire dans lequel chaque mot français était traduit d’un mot g
1610 e dans lequel chaque mot français était traduit d’ un mot grec. Tout cela se gravait merveilleusement dans ma tête, parce q
1611 parce que je m’en croyais l’inventeur… » 10. « … une classe unique, les aînés aidant les plus jeunes à apprendre à lire, à
1612 ’hygiène et à connaître l’Évangile. La communauté des amish produit tout ce dont elle a besoin et refuse le tracteur et l’a
1613 t, en 1929, à l’âge de 22 ans. Dans ce pamphlet d’ une soixantaine de pages, l’auteur se livrait à un éreintement impitoyabl
1614 d’une soixantaine de pages, l’auteur se livrait à un éreintement impitoyable du système scolaire, “vaste distillerie d’enn
1615 que, disait-il, était de conditionner les esprits des futurs citoyens dans le sens voulu par l’État, en inculquant le confo
1616 ntre l’école. Preuve en soit la récente réédition des Méfaits, « aggravés » d’une Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a
1617 la récente réédition des Méfaits, « aggravés » d’ une Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de dé
1618 e réédition des Méfaits, « aggravés » d’une Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de détail, et f
1619 Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de détail, et fort peu. Quant à l’“aggravation”, de 1972, e
1620 avation”, de 1972, elle commence ainsi : “Écrit d’ un jeune homme en colère, aussi injuste qu’un pamphlet doit l’être, j’ai
1621 crit d’un jeune homme en colère, aussi injuste qu’ un pamphlet doit l’être, j’ai le triste plaisir de constater que mon tex
1622 le n’a pas changé.” Et l’auteur de retrouver dans une série d’écrits tout récents l’essentiel de ses critiques quadragénair
1623 es critiques quadragénaires. Il cite Ivan Illich, un professeur français, un ministre de l’Éducation nationale, un poète,
1624 res. Il cite Ivan Illich, un professeur français, un ministre de l’Éducation nationale, un poète, Pierre Emmanuel, et même
1625 r français, un ministre de l’Éducation nationale, un poète, Pierre Emmanuel, et même un collégien lausannois, bien connu c
1626 ion nationale, un poète, Pierre Emmanuel, et même un collégien lausannois, bien connu chez nous pour avoir prononcé un dis
1627 sannois, bien connu chez nous pour avoir prononcé un discours inconvenant lors d’une cérémonie de promotions. Le principal
1628 our avoir prononcé un discours inconvenant lors d’ une cérémonie de promotions. Le principal grief de Denis de Rougemont con
1629 de Rougemont contre l’école reste le même : c’est un crime contre l’homme, estime-t-il, que d’aligner les esprits pour la
1630 t-il, que d’aligner les esprits pour la commodité des pouvoirs établis. »
39 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Merveilleux Lavaux (23-24-25 décembre 1972)
1631 jamais existé dans ce lieu. Tout ce qui touche à un centre et tout ce qui respire dans la grâce de son rayonnement revêt
1632 ui respire dans la grâce de son rayonnement revêt une importance rapidement fabuleuse, et passionnelle. Il est difficile d’
1633 r), de la haine la plus injuste — ou l’adhésion d’ une ferveur déconcertante. Je voudrais essayer, pour ma part, d’énumérer
1634 e : elle m’empêche de m’abandonner à l’euphorie d’ un lyrisme contemplatif, ou de céder à cette espèce de conscience que do
1635 eur de notre civilisation. Grâce à elles, l’homme des villes a retrouvé le contact avec la nature, et ce contact pour lui v
1636 révélé mortel pour la nature. C’est l’histoire d’ un amour fatal : dès qu’un touriste découvre un endroit solitaire, la fo
1637 ature. C’est l’histoire d’un amour fatal : dès qu’ un touriste découvre un endroit solitaire, la foule s’y jette et le supp
1638 re d’un amour fatal : dès qu’un touriste découvre un endroit solitaire, la foule s’y jette et le supprime. L’homme a besoi
1639 s amours qu’ils partagent. Ce paysage sublime est un pays réel, peuplé de vignerons et d’artisans, de petits commerçants e
1640 ns, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a besoin de communications, routes, autobus et téléphone, et de
1641 s conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lumière divine — une lumière neutre comme les dieux, qui ne sont de g
1642 uantitatives. Sur quoi règne une lumière divine — une lumière neutre comme les dieux, qui ne sont de gauche ni de droite, m
1643 i voudraient que Lavaux, à jamais, demeure tel qu’ un beau jour ils l’ont aimé. Or, ses habitants l’aiment aussi, mais ils
1644 centres du monde où les problèmes de la survie d’ un lieu sublime se posent en des termes semblables. Ainsi, qu’est-ce que
1645 lèmes de la survie d’un lieu sublime se posent en des termes semblables. Ainsi, qu’est-ce que sauver Venise ? Non pas offri
1646 nsi, qu’est-ce que sauver Venise ? Non pas offrir des étages de palais sur le Grand Canal à des riches. Il faut d’abord que
1647 offrir des étages de palais sur le Grand Canal à des riches. Il faut d’abord que Venise soit peuplée, animée, habitée par
1648 bord que Venise soit peuplée, animée, habitée par des gens du pays. Et qu’ils y trouvent un intérêt vital, et non pas arché
1649 abitée par des gens du pays. Et qu’ils y trouvent un intérêt vital, et non pas archéologique. Pour sauver Venise, il faudr
1650 se rien de moins que la prédominance accordée par un peuple à la saveur de vivre sur le niveau de vie. Gens de Lavaux, vou
1651 ur le niveau de vie. Gens de Lavaux, vous habitez un pays ravissant et radieux. Mais vous ne le sauverez pas sans héroïsme
1652 ques fous associant leur foi poétique aux calculs des vrais réalistes — lesquels ne sont nullement ceux qui pensent court e
1653 cher, auteur de Dixence Cathédrale, que l’on doit un ouvrage qui vient à point nommé : Merveillleux Lavaux. Sauver cette u
1654 uver cette unique contrée n’est pas le postulat d’ un seul homme. Les artisans du livre, auteurs des textes, qu’ils s’appel
1655 t d’un seul homme. Les artisans du livre, auteurs des textes, qu’ils s’appellent Paul Chaudet, Claude Massy, Jean Villars-G
1656 Michèle Duperrex, qui donne peut-être le reflet d’ un Lavaux épuré, prouve néanmoins qu’un tel coin de pays doit être sauve
1657 le reflet d’un Lavaux épuré, prouve néanmoins qu’ un tel coin de pays doit être sauvegardé au prix de l’intelligence et de
40 1984, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)
1658 Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)bg Dans votre numéro du 13 juin, M. Ph
1659 in, M. Ph. Barraud rend compte, très largement, d’ une assemblée générale de la Compagnie vaudoise d’électricité, au cours d
1660 son directeur, aurait affirmé que les promoteurs des initiatives antinucléaires, c’est-à-dire selon lui « les amis de Deni
1661 ste dans notre pays » et préconisent en réalité «  une société policière … centralisée, exploitée de façon quasi militaire »
1662 bains. » Je n’ai pas à entrer en discussion avec un directeur qui n’a dit que ce qu’il devait dire pour défendre les inté
1663 omme vous le dites — date à laquelle l’expérience des centrales nucléaires et de leurs problèmes majeurs (comme celui des d
1664 éaires et de leurs problèmes majeurs (comme celui des déchets) était pratiquement nulle en Suisse. J’ai fait cette mise au
1665 les « Rencontres internationales d’urbanisme »12, une conférence dont voici le début : Dans cette même salle, à cette même
1666 tte même place, au mois de juin 1958, il y a donc un peu plus de vingt ans, devant le premier congrès de l’Union internati
1667 vant le premier congrès de l’Union internationale des producteurs et distributeurs d’électricité, un conférencier prononçai
1668 e des producteurs et distributeurs d’électricité, un conférencier prononçait les phrases suivantes : « Les réserves en pét
1669 ses suivantes : « Les réserves en pétrole… seront un jour épuisées. Les experts varient sur la date, non sur la vraisembla
1670 une fois de plus, et vraiment au dernier moment, une nouvelle source d’énergie. L’énergie nucléaire est la réponse, invent
1671 notre génie, par nos savants européens, au défi d’ une humanité dont notre science, notre hygiène, et nos techniques étaient
1672 uelques-uns de ceux qui sont ici ce matin, et non des moindres, partageaient à l’époque mes illusions, et je les retrouve a
1673 le nucléaire ou sur le solaire, nous aurons soit une société centralisée, exploitée de façon quasi militaire, soit une féd
1674 ralisée, exploitée de façon quasi militaire, soit une fédération de petites communes autonomes. Cette seconde citation est
1675 e démontrer que je me contredis sans vergogne. («  Une philosophie à géométrie variable » titre votre rédacteur.) Or il est
1676 e les intentions que M. Desmeules nous attribue d’ une manière arbitraire et calomnieuse. Il embrouille tout, décidément, et
1677 ormule l’exigence « essentielle » du grand patron des centrales nucléaires en France ! J’en donne ici la preuve irréfutable
1678 tion qu’elles soient exploitées et contrôlées par des équipes organisées de manière rigoureuse… Pour moi, il est essentiel
1679 ombreuses, donc de grande taille, implantées dans des sites ad hoc et exploitées de façon quasi militaire 14. M. Desmeules
1680 épéter à longueur de colonnes. Est-il pensable qu’ une cause défendue par de tels procédés soit une bonne cause ? 12. Text
1681 e qu’une cause défendue par de tels procédés soit une bonne cause ? 12. Texte complet dans le volume FACT 79, Lausanne 19
1682 nt Denis de, « Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point par Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne