1 1933, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Parole de Dieu et parole humaine, par Karl Barth (30 décembre 1933)
1 e nécessité, annoncer aux hommes une vérité qui n’ est pas justiciable de leurs mesures puisqu’elle est le jugement de tous
2 ’est pas justiciable de leurs mesures puisqu’elle est le jugement de tous nos jugements et la « crise » de tous nos problèm
3 r, le rendre littéralement insupportable ? Telles étaient les questions que se posait, vers la fin de la guerre, dans le presby
4 imisme culturel sur lequel, trop souvent, elles s’ étaient appuyées, la guerre et la révolution le bouleversaient brutalement, m
5 it l’effet — ne me le font-elles pas encore ? — d’ être Charybde et Scylla. Si c’est cela l’origine et le but de la prédicati
6 ienne, me disais-je, qui donc doit, qui donc peut être pasteur et prêcher ? » Tourmenté par cette question à laquelle il ne
7 une réponse. Une réponse plus soucieuse de ce qui est vrai que de ce qui rassure, une réponse qui ne veut s’adresser qu’à c
8 e, une puissance. Le défi de Marx et de Nietzsche était relevé. Le tirage du Römerbrief alla au vingtième mille. Barth, nommé
9 la pensée protestante dans le monde entier. Quel est donc le contenu de cette œuvre, où est le secret de son incomparable
10 tier. Quel est donc le contenu de cette œuvre, où est le secret de son incomparable virulence ? Les essais que viennent de
11 tiaux, de sa « problématique » particulière. Il n’ est pas facile de résumer sans la trahir une pensée à ce point hostile à
12 es religieux, prêtres et pharisiens, ont toujours été les premiers à refuser, sous de très pieux prétextes, les ordres de l
13 aujourd’hui encore, la polémique de la “religion” est dirigée contre le monde qui vit sans Dieu, la polémique de la Bible a
14 ible au contraire, vise le monde religieux, qu’il soit placé sous le signe de Baal ou de Yaveh. » La Bible nous parle-t-elle
15 édifiantes ? « Dans l’expérience biblique, rien n’ est moins important que le mode de l’expérience. Elle est charge et missi
16 moins important que le mode de l’expérience. Elle est charge et mission, et non pas but et accomplissement et donc, en tant
17 et donc, en tant que réalité psychologique, elle est élémentaire, à peine consciente d’elle-même. » Les prophètes n’ont pa
18 christianisme : une impossible entreprise. Telle est bien la constatation cruciale que Barth, après Kierkegaard, remet au
19 elui que la Bible nomme l’Éternel, alors que nous sommes tout entiers temporels. De celui qui transcende toutes nos idées de l
20 totaliter aliter. Si donc la tâche du théologien est de parler de Dieu, il s’avère qu’en tant qu’homme il ne le peut : « C
21 o peccator non capax verbi Dei, l’homme pécheur n’ est pas « capable » de la Parole de Dieu. Ainsi Barth rejoint Calvin, Lut
22 que nous avons à peu près oublié : que l’homme n’ est pas capable par lui-même de faire le bien, que la foi seule lui donne
23 e lui donne la promesse du salut, que cette foi n’ est pas le couronnement de sa « vie religieuse », mais le don gratuit que
24 ’on n’aille pas croire cependant que le barthisme est un « retour » à quelque orthodoxie, ou par exemple une sorte de penda
25 e sorte de pendant protestant au néo-thomisme. Il est avant tout un rappel violent à la nouveauté éternelle de l’Évangile ;
26 bonheur terrestre ou céleste. Car cette rencontre est mortelle à l’homme. Et c’est par là même qu’elle lui apporte, de l’ex
27 xtérieur, le gage de la résurrection. (La grâce n’ est pas accordée aux « justes », mais bien aux condamnés à mort.) L’homme
28 ofondément « dialectique » de Thérèse d’Avila. Qu’ est -ce donc en définitive que le point de vue barthien ? Une prise au sér
29 en ? Une prise au sérieux du fait de Dieu. Dieu n’ est pas un problème, n’est pas l’objet de nos recherches, mais le Sujet d
30 ux du fait de Dieu. Dieu n’est pas un problème, n’ est pas l’objet de nos recherches, mais le Sujet de toute existence et de
31 ujet de toute existence et de toute recherche. Il est la présupposition de toute vie, la synthèse qui précède éternellement
32 ogie de la crise, une théologie dialectique. Elle est surtout et avant tout cela une théologie de la parole de Dieu. Insuff
33 spiritualisme, de l’historicisme, de tout ce qui est œuvre de l’homme, pour atteindre l’œuvre du Dieu « tout autre ». Dist
34 entiellement profane de la vérité biblique — tels sont les thèmes autour desquels s’organisent ces essais. Est-ce là de la t
35 s thèmes autour desquels s’organisent ces essais. Est -ce là de la théologie ? C’est plutôt une réflexion puissante et intré
36 me qui désigne le Christ en croix. La théologie n’ est pas la parole. Elle ne peut que l’indiquer au-delà d’elle-même. Nous
37 s traducteurs ont fort bien rendue, et la tâche n’ était pas facile) ; de son réalisme agressif, de cette obstination à recher
38 u sérieux des situations humaines telles qu’elles sont , qui seule permet un humour souvent rude ; de cette puissance critiqu
39 état de crise toutes nos sécurités morales. (Ce n’ est qu’à certains degrés de tension que la réalité de nos réalités quotid
40 que la réalité de nos réalités quotidiennes peut être démasquée, éprouvée.) Une prise ferme sur le concret, mais en même te
41 humaines, et qui interroge virilement. Personne n’ est plus loin de « l’inquiétude » ou de l’emballement. Barth est l’un des
42 in de « l’inquiétude » ou de l’emballement. Barth est l’un des hommes les plus solides de notre temps. C’est pour cela qu’i
43 il peut poser les questions les plus gênantes qui soient . ⁂ On l’a bien vu récemment, lors du conflit dramatique qui l’a oppos
44 t la clause aryenne et trahissait sa foi, Barth s’ est dressé dans une protestation retentissante, que personne n’a osé fair
45 que personne n’a osé faire taire. Son manifeste n’ est pas seulement un témoignage courageux et authentiquement chrétien : i
46 ignage courageux et authentiquement chrétien : il est le seul espoir que nous puissions garder dans la restauration spiritu
47 tuelle d’une Allemagne profondément paganisée. Il est aussi la plus éclatante réponse à tous ceux qui accusaient la pensée
48 à tous ceux qui accusaient la pensée barthienne d’ être purement négative et désespérée. « Ici le paradoxe joue à plein — écr
2 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). D’un humour romand (24 février 1934)
49 our romand (24 février 1934)c Le Suisse romand est -il sérieux ? Je crains que mes raisons d’en douter n’ébranlent guère
50 estime des personnes de sens. Mais après tout, ne serait -il pas étrange d’apporter des preuves sérieuses de la fantaisie de ce
51 en vingt-deux langues ». La satire de Toepffer n’ est pas méchante, elle n’est pas même « spirituelle » ; c’est plutôt, dan
52 La satire de Toepffer n’est pas méchante, elle n’ est pas même « spirituelle » ; c’est plutôt, dans l’espièglerie la plus f
53 oyé. Si Toepffer s’attendrit sur ses bonhommes, n’ est -ce pas une manière de dégonfler les sentencieux ? Une impeccable dign
54 ins même de leur faire du tort en écrivant qu’ils sont drôles. (Des gens viennent vous dire : tenez, voilà qui vous fera rir
55 u’ils sont drôles. (Des gens viennent vous dire : tenez , voilà qui vous fera rire. En général on est plutôt déçu.) Pour compr
56  : tenez, voilà qui vous fera rire. En général on est plutôt déçu.) Pour comprendre l’humour de Pierre Girard, il faut avoi
57 la Ville et du Cirque. Les héros de Pierre Girard sont de doux ahuris, qui partent dans la vie avec une conscience pure et d
58 femme qui leur fait perdre toute mesure. Le monde est plein de malins, de gens qui ont l’air d’avoir compris de quoi il s’a
59 dérive mélancolique dont la source pourrait bien être chez les conteurs romantiques allemands, aussi peut-être dans la musi
60 ment. Tâchez de ne pas rire ; si vous réussissez, soyez tranquilles : vous ne pleurerez pas non plus aux chapitres suivants.
61 aux chapitres suivants. L’humour de Pierre Girard est bien plus romand que la pompeuse drôlerie de Cingria, lequel n’est Su
62 and que la pompeuse drôlerie de Cingria, lequel n’ est Suisse que par accident, j’ose à peine dire par l’état civil. « Je n’
63 s de passeport ; je n’en ai jamais eu ; s’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’aie f
64 être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’aie fabriqués moi-même. » Ainsi s’exprime Bruno Pomposo
65 le incomparable de précision et de verve, Cingria est un phénomène dont Claudel, Max Jacob et Ramuz ont su voir et dire l’i
66 pendant la guerre. (C’est par cela surtout qu’il est Suisse, au mépris de tous les racismes.) On avait, dans ce groupe, un
3 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). L’Humanité de Jésus d’après Calvin, par Max Dominicé (24 mars 1934)
67 d’ailleurs de plus significatif dans le livre, ce sont les motifs qui ont poussé M. Dominicé à l’écrire, et qu’il expose en
68 , M. Dominicé, qui n’ignore pas ces influences, s’ est limité dans son étude au calvinisme le plus strict. Par là même, il s
69 e, mais exclusive de toute dogmatique. « La foi n’ est pas une adhésion intellectuelle à des doctrines, mais la communion av
70 répétaient les théologiens libéraux. La question était ainsi nettement posée : pour devenir chrétien, il fallait « rencontre
71 ttacher au seul caractère de Jésus. Mais alors, n’ était -ce pas un abus de langage que de prétendre voir une personne morale d
72 écusait par avance les actes caractéristiques ? N’ était -ce point là selon le mot de Théodore Flournoy, tenter de « faire une
73 mme (du Christ-Jésus) hors duquel toute communion est impossible. Mystère dont l’Évangile répète plusieurs fois : « Heureux
74 On peut dire dans ce sens que l’exégèse de Calvin est toute didactique : elle veut sans cesse transformer nos questions en
75 s mêmes principes exégétiques. Certes, l’auteur n’ est pas de ceux qui conçoivent le commentaire comme une effervescence lyr
76 es aussi respectueux des objections possibles. Il est vrai que ce livre est une thèse. Mais il n’est pas moins vrai que Cal
77 es objections possibles. Il est vrai que ce livre est une thèse. Mais il n’est pas moins vrai que Calvin sut parler un lang
78 Il est vrai que ce livre est une thèse. Mais il n’ est pas moins vrai que Calvin sut parler un langage d’une verdeur assez p
79 ne verdeur assez peu sorbonnique. Max Dominicé ne sera pas le dernier à souhaiter avec nous que le retour des doctrines du x
4 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Quelques œuvres et une biographie de Kierkegaard (26 mai 1934)
80 osophiques et littéraires ! Probablement, il s’en fût amusé : tout ce qui touchait à l’opinion publique était pour lui bien
81 amusé : tout ce qui touchait à l’opinion publique était pour lui bien proche de la mystification. Il eut peut-être ri de se v
82 inquiétude » littéraire. Kierkegaard, avant tout, est un chrétien ; un chrétien peu rassurant, certes, et d’une trempe exce
83 eut y lire ceci, en matière d’introduction : « Je suis et j’ai toujours été un auteur religieux ; toute ma carrière littérai
84 tière d’introduction : « Je suis et j’ai toujours été un auteur religieux ; toute ma carrière littéraire se rapporte au chr
85 asard, il faut l’avouer, le Traité du désespoir 3 est de beaucoup la plus centrale, la plus révélatrice, mais aussi la plus
86 ons obscurs. Au fond du désespoir, et quelles que soient les formes qu’il revête, du spleen banal jusqu’au péché contre l’espr
87 jusqu’au péché contre l’esprit, jusqu’au refus d’ être sauvé, il y a toujours une révolte de l’homme contre sa condition tel
88 doxe de l’Amour. L’universalité du désespoir, qui est la thèse maîtresse de cette œuvre, conduirait l’homme au nihilisme ab
89 irait l’homme au nihilisme absolu : mais ce péril est tout imaginaire. Car seule la connaissance du salut promis par le Chr
90 ul, connaît toute la misère de l’homme : elle lui est révélée par l’Évangile qui sauve. ⁂ La lecture du Traité n’est pas de
91 ar l’Évangile qui sauve. ⁂ La lecture du Traité n’ est pas des plus aisées. Les termes hégéliens qui abondent dans les premi
92 ient, avec la réponse terrible faite à Job. Et ce sont alors d’étranges et magnifiques lettres sur la détresse humaine devan
93 rt, lui qui dispose du tonnerre. Mais le tonnerre est une réponse, une explication certaine, digne de foi, de première sour
94 une réponse de Dieu, qui, même si elle foudroie, est plus magnifique que les commérages et les potins sur la justice de la
95 veritas 5. Non point que cet ouvrage ne mérite d’ être lu par tous les amateurs de grand lyrisme intellectuel (le style admi
96 e intellectuel (le style admirable de ces pages a été rendu aussi bien qu’il était possible par le traducteur). Mais il ne
97 mirable de ces pages a été rendu aussi bien qu’il était possible par le traducteur). Mais il ne s’agit là que du premier vole
98 érer l’ensemble des écrits de Kierkegaard, et qui est celle du Point de vue explicatif. Le livre de Carl Koch est la démons
99 du Point de vue explicatif. Le livre de Carl Koch est la démonstration de l’emprise que peut exercer Kierkegaard sur un chr
100 n’a pas la tête philosophique. Cette monographie est à la fois la plus objective et la plus sympathique qu’un « honnête ho
101 ’exposé judicieux, parfois même bonhomique : ce n’ est pas le moindre piquant du livre. Fallait-il souhaiter à Kierkegaard u
102 us systématique ? Je ne le pense pas. Kierkegaard est un événement. Voici un homme qui vient nous dire, en toute simplicité
103 e simplicité, qu’il a vu l’événement, et qu’il en est encore tout remué. On le croira sans peine : il n’a pas l’air d’avoir
104 il raconte. Cela donne envie d’aller voir. Or, je tiens qu’il n’y a rien de plus urgent pour nous que d’aller voir ce qui se
105 angoisse moderne. Koch n’a pas simplifié ce qui n’ est pas simple chez Kierkegaard. Mais il a su le décrire clairement et fi
5 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le mouvement des groupes — Kagawa (4 août 1934)
106 « Mouvement des Groupes », ou Mouvement d’Oxford, est un des faits spirituels qui serviront à fixer la signification de not
107 u Mouvement et cherche à décrire son esprit. Ce n’ est pas le meilleur livre qu’on ait écrit sur les Groupes. Mais enfin, c’
108 ersonnelles que nous en propose l’auteur. (Begbie est un de ces « informateurs » brillants et cordiaux, un peu trop sourian
109 x sur l’Armée du salut.) Le Mouvement des Groupes est né après la guerre, de l’activité purement individuelle d’un jeune pa
110 bstraitement. » Dès le début sa pensée directrice est essentiellement personnaliste. La rénovation de l’homme ne se fera ja
111 La seule question qu’il y ait donc lieu de poser est celle-ci : comment atteindre les hommes dans le concret de leur exist
112 sharing) des grâces reçues, il sait qu’on ne peut être chrétien que totalement, personnellement, activement. N’allons pas cr
113 forme de pragmatisme américain. Dire que la foi n’ est réelle que là où elle se réalise ne signifie pas qu’il faille agir à
114 il faille agir à tout prix. L’activiste moderne n’ est souvent qu’un agité. Le philanthrope et le puritain rigide ne sont so
115 n agité. Le philanthrope et le puritain rigide ne sont souvent que des acteurs. Seule la foi peut nous rendre actifs lorsqu’
116 n. D’où les confessions privées ou publiques, qui sont l’un des traits marquants de l’activité des Groupes. Qu’il y ait là u
117 de comités, ils ne publient pas de revues, ils ne sont pas une secte ni une nouvelle Église. Ils travaillent par petites équ
118 raison que la certitude qui leur vient de pouvoir être utiles à tel endroit où Dieu leur dit d’aller. La chronique des renco
119 iques qu’implique l’attitude de Buchman. Car ce n’ est pas assez que de se refuser à parler de théologie sous prétexte que c
120 imagine. Peut-être la plus sûre leçon des Groupes est -elle dans leur vision concrète de l’homme et de l’action de Dieu sur
121 bouteillage de doctrines et de programmes où nous sommes pris, le seul message utile est celui qui nous révèle une tâche proch
122 rammes où nous sommes pris, le seul message utile est celui qui nous révèle une tâche proche, des hommes pour lesquels nous
123 e proche, des hommes pour lesquels nous puissions être le prochain. Et quand ce livre n’aurait pas d’autre valeur, il a cell
124 devenir des hommes réels. ⁂ Il se peut que Kagawa soit l’homme le plus réel d’aujourd’hui. Je dirais qu’il est le plus grand
125 homme le plus réel d’aujourd’hui. Je dirais qu’il est le plus grand, si la mesure de la grandeur, dans sa vision, n’était p
126 d, si la mesure de la grandeur, dans sa vision, n’ était pas exclusivement dans la réalité qu’un homme incarne. Qui le connaît
127 ents décisifs de l’histoire contemporaine. Kagawa est le chef du Jeune Japon, l’écrivain le plus fécond et le plus populair
128 x misérables sans-abris. Ses trois premiers hôtes sont un galeux, un alcoolique qu’il nomme la « statue de cuivre » à cause
129 ité presque totale, et un assassin dont les nuits sont hantées par les apparitions de sa victime. Ils dorment côte à côte. D
130 dockers et rédige leur manifeste. « Les ouvriers sont des êtres humains et non pas des articles dont on trafique suivant un
131 et rédige leur manifeste. « Les ouvriers sont des êtres humains et non pas des articles dont on trafique suivant une échelle
132 re la guerre de Chine. « La société contemporaine est une invalide, mentalement dégénérée, écrit-il. Les banques, l’armée,
133 cabarets, les magasins de tabac, les journaux, ne sont -ils pas autant de symptômes d’aliénation mentale ? La société de nos
134 e nos jours manifeste une tendance au crime. Elle est devenue folle par sa faute, Dieu seul peut la guérir. » Les marxistes
135 Les marxistes n’aiment pas ce radicalisme, qui n’ est pas conforme à leur doctrine. Ils l’attaquent violemment : « Enterrez
136 e. » Ainsi criait-on contre les prophètes. Kagawa est aussi un grand mystique, c’est-à-dire un grand poète. Le livre d’Axli
137 l’ont fait comparer à Gorki, ses poèmes en prose sont d’un franciscain. Il y a en lui un amour des objets, un sens de la na
138 cension dans Foi et Vie en septembre 1931. Kagawa sera également évoqué par Rougemont dans un article du Semeur paru en mai
6 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Au sujet d’un roman : Sara Alelia (3 novembre 1934)
139 Je détiendrais volontiers celui-ci : que le roman est un genre protestant. — Et Balzac ? dites-vous, car vous êtes Français
140 re protestant. — Et Balzac ? dites-vous, car vous êtes Français. Eh bien, Balzac n’est pas tout le roman. Il n’est même pas
141 s-vous, car vous êtes Français. Eh bien, Balzac n’ est pas tout le roman. Il n’est même pas tout le roman français. Balzac,
142 is. Eh bien, Balzac n’est pas tout le roman. Il n’ est même pas tout le roman français. Balzac, c’est le roman social. Balza
143 roman social. Balzac — et Stendhal, bien sûr — ce sera l’honorable, la géniale exception. Il me reste à vous démontrer, ce q
144 exception. Il me reste à vous démontrer, ce qui n’ est pas trop difficile, que Dostoïevski et Tolstoï sont plus protestants
145 st pas trop difficile, que Dostoïevski et Tolstoï sont plus protestants qu’on ne croit. Le reste est évident. — Quel reste ?
146 oï sont plus protestants qu’on ne croit. Le reste est évident. — Quel reste ? — Les Anglais, les Allemands, les Scandinaves
147 Galsworthy, Hardy… — Lawrence, pendant que vous y êtes  ! — Lawrence, parfaitement. Voyez-vous, je ne dis pas qu’ils furent t
148 e, parfaitement. Voyez-vous, je ne dis pas qu’ils furent tous des chrétiens. Plusieurs ont même écrit des romans furieusement
149 dans les vies les plus dépourvues d’apparences. N’ est -ce point-là l’image habituelle que l’on se fait de nos climats ? Et v
150 nez la proportion si l’édit de Nantes n’avait pas été révoqué ! — Je vous accorde volontiers ce quart. Quel avantage y voye
151 l’origine, et quelques tics de psychologues. Ils sont , comme l’on dit « sortis du protestantisme » ; « sortis » est bien le
152 ’on dit « sortis du protestantisme » ; « sortis » est bien le mot ! C’est-à-dire qu’ils n’ont pas de foi, et qu’est-ce qu’u
153 mot ! C’est-à-dire qu’ils n’ont pas de foi, et qu’ est -ce qu’un protestant sans foi ? Dans toutes leurs œuvres, vous cherche
154 xelius. On vient de le traduire du suédois9. ⁂ Qu’ est -ce qu’un roman chrétien ? Une histoire où tout le monde « se conduit
155 roman. Une histoire dont le personnage principal est « la main du Seigneur », ou encore « l’insondable Providence » mise e
156 se donne l’air de l’avoir bel et bien sondée ? Ce serait un conte bleu, ou un volume de la Bibliothèque Rose. Est-ce une histo
157 conte bleu, ou un volume de la Bibliothèque Rose. Est -ce une histoire qui finit bien, comme le croyaient les écrivains angl
158 e christianisme se passe dans cette vie ou bien n’ est pas le christianisme. Et l’on serait en droit de prétendre qu’un roma
159 e vie ou bien n’est pas le christianisme. Et l’on serait en droit de prétendre qu’un roman pessimiste à la Thomas Hardy a plus
160 pessimiste à la Thomas Hardy a plus de chances d’ être chrétien qu’un quelconque happy end soi-disant édifiant s’il est cert
161 ’un quelconque happy end soi-disant édifiant s’il est certain que l’Évangile et ses promesses de salut sont seuls capables
162 certain que l’Évangile et ses promesses de salut sont seuls capables de donner à l’homme une vision réaliste de son sort te
163 e d’avouer sa dégradation. Un vrai roman chrétien est d’abord réaliste. Car il faut bien connaître la nature et ses abîmes,
164 n connaître la nature et ses abîmes, si l’on veut être à même d’y voir les marques du surnaturel. La grâce n’intervient pas
165 laisant à lui-même, car l’aveu même qu’on en fait est la preuve qu’on l’a traversé, et qu’on a saisi l’espérance qui le tra
166 rations vivantes du fameux paradoxe luthérien qui est au centre de la Réforme : simul peccator et justus. Kierkegaard nous
167 les hommes, il faut d’abord les trouver là où ils sont . Ainsi ce livre est consolant, parce qu’il ne cache rien ; parce qu’i
168 ’abord les trouver là où ils sont. Ainsi ce livre est consolant, parce qu’il ne cache rien ; parce qu’il vient nous prendre
169 che rien ; parce qu’il vient nous prendre où nous sommes . C’est le charme profond de Selma Lagerlöf qui revit dans ces peintur
170 ignés d’une longue lumière boréale. Cette femme n’ est pas un ange ni une sainte. Elle a péché gravement, elle a touché le f
171 a voulu nous faire croire que la vie quotidienne était le contraire de la poésie, et qu’être réaliste c’était ne rien voir d
172 uotidienne était le contraire de la poésie, et qu’ être réaliste c’était ne rien voir d’autre que le sexe et l’argent dans l’
173 l’existence humaine. Cette espèce de naturalisme est le fruit d’un ressentiment que les excès idéalistes expliquent sans l
174 déalistes expliquent sans le légitimer. L’homme n’ est pas un ange, c’est entendu, mais ne dites pas qu’il n’est qu’une bête
175 un ange, c’est entendu, mais ne dites pas qu’il n’ est qu’une bête. À la fois ange et bête, voilà sa vérité totale, c’est-à-
176 profondes folies, l’originalité bouleversante des êtres , qu’il s’agisse d’un grand évêque ou de cette fille de ferme « au min
177 ’autres, il sait aimer. Et sur ce monde tel qu’il est , sur ces vies douloureuses, banales ou touchantes, mal engagées ou me
178 une miséricorde lumineuse, dont on dirait qu’elle est le vrai sujet de ce grand livre. Le silence à peu près général de la
7 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Une histoire de la Réforme en France (15 décembre 1934)
179 foi. Mais de cette force et de cette grandeur il est permis de rechercher les témoignages dans l’ordre de la civilisation,
180 émoignages dans l’ordre de la civilisation, et il est légitime d’en restaurer la mémoire, pourvu que l’on n’y cherche pas d
181 bien passé, et dont il resterait à prouver qu’on est digne. Le meilleur moyen d’éviter ce danger serait sans doute d’envis
182 n est digne. Le meilleur moyen d’éviter ce danger serait sans doute d’envisager l’histoire d’une religion dans la perspective
183 ait l’histoire du sentiment religieux, et il nous sera permis de souhaiter que cette lacune suscite un Bremond protestant, n
184 ue cette lacune suscite un Bremond protestant, ne fût -ce que pour corriger les souriantes injustices du catholique à l’endr
185 s aussi, la substance historique qu’il nous offre est de celles qui n’ont pas besoin de condiments pour produire leur brûla
186 nt, le lecteur se voit incité à imaginer ce qu’il fut advenu de la France si l’édit avait été observé, s’il n’avait pas été
187 ce qu’il fut advenu de la France si l’édit avait été observé, s’il n’avait pas été révoqué, si Sully avait été écouté, si
188 nce si l’édit avait été observé, s’il n’avait pas été révoqué, si Sully avait été écouté, si les jésuites n’étaient pas rev
189 rvé, s’il n’avait pas été révoqué, si Sully avait été écouté, si les jésuites n’étaient pas revenus, s’ils n’avaient pas ar
190 qué, si Sully avait été écouté, si les jésuites n’ étaient pas revenus, s’ils n’avaient pas armé, après quinze autres meurtriers
191 itique romaine. La persécution des protestants ne fut pas l’œuvre du parti catholique français, mais bien des conseillers é
192 oute cette guerre faite à la foi évangélique, ait été celle des Espagnols et des Romains. Les catholiques patriotes savaien
193 et à l’ordre de l’État. D’autre part, tout ce qui fut entrepris de bon, sous Henri IV, dans le domaine de la politique euro
194 i IV, dans le domaine de la politique européenne, fut l’œuvre personnelle des réformés. Le « grand dessein » qu’avait conçu
195 ît plus que comme un épisode, le plus marquant il est vrai, de toute l’évolution politique de la royauté absolue vers « l’É
196 s actuels. Chez Louis XIV comme chez Hitler, ce n’ est pas un souci d’unité religieuse qui domine : la religion leur est sim
197 d’unité religieuse qui domine : la religion leur est simple prétexte ; mais il s’agit d’établir à tout prix un cadre natio
198 sein, il s’agit d’établir un droit nouveau qui ne soit plus fondé que sur la seule volonté du dictateur. Déjà ce mot de Maza
199 et, il n’en faudrait point porter, parce que ce n’ est point tant la chose défendue que la défense qui fait le crime. En fa
200 es) : Ceux que vous déterrez, dit la requête, ne sont point étrangers. Ce sont François, vrais François de nature comme vou
201 rrez, dit la requête, ne sont point étrangers. Ce sont François, vrais François de nature comme vous, mieux que vous d’affec
202 ture comme vous, mieux que vous d’affection, s’il est vrai que l’humanité est la propre affection des François… Bon Dieu !
203 ue vous d’affection, s’il est vrai que l’humanité est la propre affection des François… Bon Dieu ! parmi quels tigres vivon
204 Ce recours à un droit universellement humain, n’ est -il pas significatif de la nature du danger qu’on courait ? La conclus
205 a conclusion de cette requête mérite d’ailleurs d’ être citée aussi, pour sa seule beauté : Lequel nous vaudra donc mieux, q
206 à ceux qui nous oppressent, et relâche à nous qui sommes oppressés. (Qui donc, sauf Léon Bloy, fait écho à ce style, en notre
207 siècle ?) Mais Casaubon, bien moins vindicatif, n’ est pas moins grand lorsque, après avoir décrit l’enterrement nocturne et
208 coreligionnaires, il conclut par ces mots : Nous sommes chassés de la ville et jetés comme des ordures dans un coin. C’est bi
209 s dans un coin. C’est bien d’ailleurs. Notre part est en Dieu. Nous sommes citoyens des cieux. Louange à Dieu aux siècles d
210 est bien d’ailleurs. Notre part est en Dieu. Nous sommes citoyens des cieux. Louange à Dieu aux siècles des siècles. Le livre
211 lecture plus édifié encore que révolté. Mais ce n’ est pas peu dire. 10. Histoire de la Réforme française, tome II : De l
8 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Kierkegaard, Dostoïevski, Barth (23 février 1935)
212 , la position de cette question plutôt gênante qu’ est son œuvre en plein cœur de nos ratiocinations de clercs retraités de
213 de la vie ? Mais le plus curieux de l’affaire, n’ est -ce pas que Kierkegaard nous soit présenté aujourd’hui par des philoso
214 x de l’affaire, n’est-ce pas que Kierkegaard nous soit présenté aujourd’hui par des philosophes laïques tout à fait libérés
215 œuvre, c’est celle de la foi, dans l’absolu. Ce n’ est pas encore la question que Kierkegaard adressera plus tard à la chrét
216 a plus tard à la chrétienté de son temps : la foi étant ce que j’ai dit – le paradoxe le plus inouï – avez-vous cette foi, êt
217 le paradoxe le plus inouï – avez-vous cette foi, êtes -vous vraiment chrétiens ? Servez-vous Dieu, ou bien vous servez-vous
218 se débat encore avec lui-même. A-t-il la foi ? Qu’ est -ce que la foi ? Hegel, dont la philosophie obsède à ce moment l’espri
219 ’on l’appellera le père des croyants ? L’individu serait -il au-dessus du général ? Serait-il affranchi de l’éthique ? Mais alo
220 nts ? L’individu serait-il au-dessus du général ? Serait -il affranchi de l’éthique ? Mais alors, comment donc comprendrait-il
221 oup dire, et peu de chose ; et cependant la chose est aussi vite passée que dite. On enfourche Pégase, en un clin d’œil on
222 ue dite. On enfourche Pégase, en un clin d’œil on est à Morija, on voit aussitôt le bélier ; on oublie qu’Abraham fit le ch
223 et revint avec lui dans la vie comme si rien ne s’ était passé. Voilà le paradoxe des paradoxes : vivre comme tout le monde, m
224 ue que Kierkegaard enchaîne à l’exemple d’Abraham est admirablement analysée dans l’introduction de Jean Wahl qui réussit c
225 pensée protestante saura mesurer la valeur. ⁂ Qu’ est -ce que la foi ? demandait Kierkegaard dans Crainte et Tremblement. Qu
226 ndait Kierkegaard dans Crainte et Tremblement. Qu’ est -ce que la vie chrétienne ? demande Karl Barth dans Culte raisonnable
227 les autres. Il n’a pas à devenir, dès ici-bas, un être un peu divin, un peu divinisé, échappant en quelque manière aux lois
228 en sacrifice saint et agréable » à Dieu. Point n’ est nécessaire qu’il vous pousse des ailes ni que vous soyez transformés
229 écessaire qu’il vous pousse des ailes ni que vous soyez transformés en quelque essence radieuse et esthétique. La vie chrétie
230 sence radieuse et esthétique. La vie chrétienne n’ est pas une construction qui s’élève au-dessus du reste de la vie. C’est
231 l’incroyant ? En rien d’autre qu’en ceci : qu’il est appelé à rendre témoignage « d’une part contre la forme du siècle pré
232 ons l’idée centrale de Crainte et Tremblement. Qu’ est -ce, en effet, que le « chevalier de la foi », sinon celui qui vit ple
233 remment il ne diffère des autres en rien. Mais il est orienté autrement — converti. Il vit dans les mêmes servitudes, mais
234 e façon de considérer l’homme à la fois tel qu’il est devant Dieu, hic et nunc, et tel qu’il est revendiqué par Dieu à la l
235 qu’il est devant Dieu, hic et nunc, et tel qu’il est revendiqué par Dieu à la limite de ses possibilités, là où paraît la
236 l’homme sans cesse mis en question par l’Autre, n’ est -ce point encore la vision de Dostoïevski ? Ses héros ne viennent-ils
237 s à nous comme de grands questionneurs, comme des êtres orientés vers autre chose qu’eux-mêmes ? « Quand ils posent des quest
238 uand ils posent des questions, c’est qu’eux-mêmes sont mis en question. Quand ils cherchent, c’est qu’eux-mêmes sont cherché
239 question. Quand ils cherchent, c’est qu’eux-mêmes sont cherchés et trouvés ». Ainsi parle Édouard Thurneysen dans son essai
240 u’a remporté ce petit livre en Allemagne mérite d’ être confirmé par notre public littéraire. En quelques chapitres très simp
241 stoïevski, c’est la réponse à cette question : qu’ est -ce qu’un homme ? Et cette réponse, il nous l’a donnée en nous découvr
242 nous l’a donnée en nous découvrant que l’homme n’ est lui-même qu’une seule et grande question, la question de l’origine de
9 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Trois traités de Jean Calvin (20 juillet 1935)
243 e que vouldras » des Renaissants. Les protestants sont -ils trop maigres ou trop gras ? Grave question pour ceux qui jugent d
244 e poids de leurs représentants ! Or, cette espèce est plus nombreuse qu’on ne pense. Que sait-on de Calvin dans notre grand
245 es, une barbiche pointue et un profil coupant ? N’ est -ce pas assez pour juger son système ? Ne sait-on pas que les gros hom
246 son système ? Ne sait-on pas que les gros hommes sont toujours les plus populaires ? Comment se dire calviniste ? L’exposit
247 naissance à la belle floraison néo-thomiste. Il n’ est pas inutile de marquer les raisons qui, du point de vue protestant, r
248 ecevable. Les grands théologiens de la Réforme ne sont pas à nos yeux des chefs d’école ; ni des docteurs dont la pensée fai
249 fait loi, une fois sanctionnée par l’Église. Ils sont avant tout des témoins. On ne saurait trop insister sur cette distinc
250 on fondamentale pour toute la pensée réformée. Qu’ est -ce qu’un témoin ? C’est un homme qui n’est pas l’inventeur de son mes
251 ée. Qu’est-ce qu’un témoin ? C’est un homme qui n’ est pas l’inventeur de son message, mais qui renvoie sans trêve au-delà d
252 e juge et nous sauve. Faire retour à Calvin, ce n’ est pas faire retour à certaines formules dogmatiques ; mais c’est, au-de
253 emonter à cette origine permanente de l’Église qu’ est la révélation évangélique. Le calvinisme ou le luthérisme, ce sont bi
254 n évangélique. Le calvinisme ou le luthérisme, ce sont bien moins des normes de pensée que des chemins vers l’Évangile. L’Év
255 par l’Esprit, reste la norme de toute théologie, fût -elle la plus orthodoxe. Barth, on le sait, ne se lasse pas de compare
256 ean Calvin reçut de réformer l’Église. Tout ceci est fort bien exposé par M. Albert-Marie Schmidt dans son introduction au
257 des scandales. Ce troisième traité n’avait jamais été réimprimé depuis sa parution en 1550. « Originale mixture de passion
258 de passion contenue et de raison déchaînée », il sera pour beaucoup l’occasion d’une véritable découverte de Calvin. Il nou
259 nuire à l’Évangile et le diffamer comment que ce soit  ». Il y a ceux pour lesquels les dogmes sont autant d’occasions de ch
260 e ce soit ». Il y a ceux pour lesquels les dogmes sont autant d’occasions de chopper : Quant à ce que la Prédestination est
261 ns de chopper : Quant à ce que la Prédestination est comme une mer de scandales, d’où vient cela sinon de la folle curiosi
262 mes ou de leur outrecuidance débordée ? Calvin n’ est guère partisan, on le voit, de ce fameux libre examen dont on persist
263 icable. Mais les pires adversaires de l’Église ne sont pas toujours au-dehors. Voici ceux qui préfèrent la paix selon le mon
264 Calvin rappellera que notre condition chrétienne est celle du conflit dialectique : L’Église est ordonnée à cette conditi
265 enne est celle du conflit dialectique : L’Église est ordonnée à cette condition de batailler continuellement sous la croix
266 res armes. Au sujet de ce style, dont l’exemple n’ est pas l’un des plus négligeables que comportent les Trois traités, M. S
267 moins à toucher son antagoniste ; l’art de Calvin est fait de soumission absolue à l’objet proposé : tout en portant la mar
268 arque d’une des plus puissantes personnalités qui fut jamais, il se recrée toujours lui-même. Soumission du langage à l’ob
269 langage à l’objet spirituellement dominé : telle serait la formule du classicisme de Calvin. D’une vivacité presque baroque d
270 Il m’apparaît que le style d’un Calvin peut nous être un puissant roboratif. Et ceci pour deux bonnes raisons. D’abord Calv
271 Et ceci pour deux bonnes raisons. D’abord Calvin était chef de parti ; qui plus est, fondateur d’Église ; donc doublement co
272 ns. D’abord Calvin était chef de parti ; qui plus est , fondateur d’Église ; donc doublement conscient de la responsabilité
273 e à soutenir avec l’époque. Notre culture périt d’ être par trop « irresponsable ». Peut-être nous faut-il revenir vers les c
274 s de Calvin — c’est le cas de ces Trois traités — furent traduits par lui-même du latin. D’où la jeunesse de cette langue et s
275 briété monumentale. Là encore, la leçon de Calvin serait celle d’un retour aux origines. Voilà la seule révolution qui compte
10 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les mystiques allemands du xiiie au xixe siècle, par Jean Chuzeville (2 novembre 1935)
276 occidental n’a jamais eu d’unité harmonieuse : il est toujours tension entre deux pôles, qui d’ailleurs se déplacent sans c
277 t sans cesse et parfois aussi changent de nom. On est tenté de résumer toutes ces tensions en une seule et unique oppositio
278 ant le fait chrétien fondamental : la foi. La foi est acte humain d’obéissance en même temps qu’elle est don de Dieu ; elle
279 st acte humain d’obéissance en même temps qu’elle est don de Dieu ; elle s’oppose donc à toute mystique qui ne serait qu’un
280 Dieu ; elle s’oppose donc à toute mystique qui ne serait qu’une fuite hors du monde, comme à toute action en révolte contre l’
281 renforcer un préjugé dont le bénéfice ne saurait être pour la foi. La mystique, nous dit-il, en effet, c’est « la recherche
282 bien, répondrait un marxiste, si le christianisme est cela, nous lui laisserons ses rêveries et nous nous chargerons de l’h
283 les ». C’est aussi ce que dit l’Évangile, où il n’ est pas question de mysticisme. Ceci marqué, qui est plus qu’une réserve,
284 ’est pas question de mysticisme. Ceci marqué, qui est plus qu’une réserve, il convient de remercier M. Chuzeville de nous a
285 upart des mystiques que M. Chuzeville nous révèle sont inconnus du public français, Novalis et Ruysbroeck mis à part ; et be
286 s, Novalis et Ruysbroeck mis à part ; et beaucoup sont de grands poètes, des philosophes terriblement concrets : Suso, Taule
287 gurer dans un choix de « mystiques », alors qu’il est le premier défenseur de l’expérience. Mais la beauté des textes cités
288 tisme allemand, encore si mal connu chez nous. Il est grand temps que nous rendions hommage à ce ver sacrum de l’esprit ger
289 ommage à ce ver sacrum de l’esprit germanique. Il est grand temps que nous relevions ces titres de noblesse spirituelle mom
11 1936, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le Problème du bien (12 septembre 1936)
290 es dimensions que par son style. M. Wilfred Monod est actuellement le représentant le plus marquant d’une famille dont les
291 Il semble que l’auteur du Problème du Bien 13 se soit fait un glorieux devoir, et peut-être un malin plaisir, de soutenir l
292 x grands mouvements de pensée et d’action dont il fut l’un des principaux initiateurs : le christianisme social, et l’union
293 araître sous un titre dont l’apparence paradoxale est typique de l’esprit de M. Monod, figure sans aucun doute le document
294 me de la problématique particulière à une école — est -ce trop dire — qui va de Schleiermacher à Harnack, en passant par Cha
295 sse pas aux spécialistes, ni à l’Église, comme ce serait le devoir d’un traité dogmatique. Je m’adresse aux chrétiens, mais p
296 chrétiens, mais plus encore aux autres. Mon cœur est tourné vers les agnostiques, les sceptiques, les incrédules, les athé
297 édules, les athées, les désespérés (termes qui ne sont pas synonymes) et je leur propose de méditer le problème du Bien. Si
298 Barth, tout au contraire, le rôle de la théologie sera purement et simplement de critiquer, au sein de l’Église, la prédicat
299 sions de philosophies passagères quelles qu’elles soient . Pour Barth, c’est Dieu qui met l’homme en question. M. Monod part au
300 enier. Cette convergence paradoxale et imprévue n’ est -elle pas comme un signe, une promesse émouvante de l’unité future des
301 non ce Dieu omnipotent du dogme. En effet, Dieu n’ est pas dans la Nature, il n’en est ni le maître ni l’auteur : voilà la t
302 En effet, Dieu n’est pas dans la Nature, il n’en est ni le maître ni l’auteur : voilà la thèse capitale du livre. Ce que n
303 hommes périssent par accident, la terre tremble : est -ce là l’œuvre du Dieu d’amour dont parle l’Évangile ? « La fourmi pér
304 dition chrétienne pour avoir affirmé que le monde est l’œuvre d’un esprit mauvais, d’un démiourgos que le Christ, fils de D
305 ais, d’un démiourgos que le Christ, fils de Dieu, est venu pour combattre et pour vaincre ? M. Monod le pense. Jésus, dit-i
306 r vaincre ? M. Monod le pense. Jésus, dit-il, « n’ est pas venu nous enseigner que l’univers a un créateur. Il a, au contrai
307 il » une réaffirmation du dogme trinitaire : Dieu est un X qui ne se révèle à l’homme comme le Père que par son incarnation
308 sérieux proprement théologique du raisonnement ne soit parfois diminué par certains calembours trop plaisants. Je dirai, pas
309 llectuelle. Et je redoute que certains fidèles ne soient gênés, comme je le suis, par l’affirmation répétée que l’auteur « écr
310 que certains fidèles ne soient gênés, comme je le suis , par l’affirmation répétée que l’auteur « écrit à genoux ». Au sous-t
311 connaissons pas forcément les nôtres — et s’il ne tenait , par ailleurs, à l’étayer par une philosophie qui ne saurait plus êtr
312 l’étayer par une philosophie qui ne saurait plus être la nôtre : j’entends le criticisme à peine critiqué. Le contenu de la
313  : « Emmanuel ! » qui signifie : Dieu avec nous ! Est -il vraiment indispensable, est-il même permis au chrétien, de fonder
314 : Dieu avec nous ! Est-il vraiment indispensable, est -il même permis au chrétien, de fonder cette Révélation sur le système
12 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Luther contre Érasme (19 juin 1937)
315 ? Et pour quelles fins ? Si l’on ne veut pas s’en tenir à des appréciations du genre « moine qui voulait se marier », il sera
316 ions du genre « moine qui voulait se marier », il serait sage de parcourir au moins les œuvres capitales du grand réformateur.
317 croyable, que, depuis quatre siècles qu’elles ont été écrites, on n’en a pas traduit une seule en France ! Quelques pages c
318 à la doctrine religieuse : voilà tout ce qui nous est accessible d’une œuvre dont on sait pourtant qu’elle a changé plus qu
319 rme luthérienne, le Traité du serf arbitre 14. Ne fût -ce que sur le plan de la culture générale, une telle publication est
320 lan de la culture générale, une telle publication est appelée à rendre des services inappréciables. Elle nous place au cœur
321 du procès : l’acte d’accusation du clerc actif qu’ était Luther, contre le clerc « désintéressé » que croyait pouvoir être Éra
322 tre le clerc « désintéressé » que croyait pouvoir être Érasme. Elle nous permet de connaître l’une des origines historiques
323 int de vue du « clerc pur », celui d’Érasme, nous est suffisamment connu. Qu’on se reporte en particulier à la brillante bi
324 écente du parfait disciple d’Érasme que se trouve être M. Benda. Érasme dit le vrai, puis se lave les mains, et refuse d’end
325 mmis tant de crimes au nom de la vérité ! On s’en est plus servi qu’on ne l’a servie… L’intervention de Luther en personne
326 a problématique chrétienne, dans cet ouvrage, qui est avant tout celui d’un grand théologien ? Une verdeur de polémique qui
327 un point de vue purement esthétique, ces qualités sont assez rares, et chez Luther assez flagrantes, pour qu’un lecteur qui
328 use l’essentiel — c’est-à-dire la foi de Luther — soit tout de même attiré et subjugué par le style, par le ton de l’ouvrage
329 utes les affirmations fondamentales de la Réforme sont ici reposées par Luther : justification par la foi, qui est don gratu
330 posées par Luther : justification par la foi, qui est don gratuit et œuvre de Dieu seul en nous ; opposition de la justice
331 ’homme entre les mains de Dieu. À cet égard, il n’ est nullement exagéré de voir dans le Traité du serf arbitre une sorte de
332 de la Réforme. Quant à la thèse particulière, qui est la négation du libre arbitre religieux, c’est-à-dire du pouvoir qu’au
333 le salut par ses propres efforts de volonté, ce n’ est pas ici le lieu de l’examiner. Notons seulement, pour écarter le pire
334 le, ne désire vraiment que le péché. La liberté n’ est pas dans l’homme, mais dans l’acte par lequel Dieu le choisit, substi
335 ordre. Fatalité et liberté : le problème ne peut être écarté comme relevant de la seule théologie. Il est au cœur de la pen
336 e écarté comme relevant de la seule théologie. Il est au cœur de la pensée humaine. Tout homme qui veut penser son existenc
337 oxe tout semblable à celui de Luther : la liberté est à ses yeux dans la connaissance virile d’une nécessité immuable, acce
338 etour éternel de toutes choses. Pour Luther, elle est au contraire la Providence, la personne même de Dieu, éternellement a
339 et qui nous aime. Il faut choisir. Mais le choix est -il libre ? On retombe au débat de Luther et d’Érasme. Le trop prudent
13 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Selma Lagerlöf, conteur de légende (3 juillet 1937)
340 on » et l’on essaie d’en tirer de la vie. Mais ne serait -ce pas que l’on ne sait plus créer de la vie ? On s’efforce de la déc
341 ement dépourvu de ce pouvoir « fabulateur » qu’il était censé détenir. (Déjà M. Weidlé, dans ses Abeilles d’Aristée, constate
342 thode consistant trop souvent, il faut le dire, à tenir pour vrai ce que l’on juge le plus bas. Ainsi l’on en vient peu à peu
343 nt peu à peu, par désir de se montrer original, à tenir pour acquis que les « vertus » sont de ces illusions qui ne résistent
344 original, à tenir pour acquis que les « vertus » sont de ces illusions qui ne résistent pas à l’analyse, et qu’un auteur si
345 la naïveté moderne se figure qu’une légende doit être crue, comme on croit les journaux, par exemple, et s’en indigne, et r
346 s. L’on prie de croire, d’ailleurs, que ces héros sont bien assez complexes pour notre goût moderne ! Et que l’« analyse des
347 re goût moderne ! Et que l’« analyse des motifs » est ici d’une fort malicieuse lucidité. Mais elle s’opère par le seul jeu
348 l’imagination dont nous pensions que le secret s’ était perdu avec l’enfance. Comme on sent que l’auteur s’amuse de sa maîtri
349 seulement que le sens profond de l’œuvre entière est formulé : « Celui qui veut être un disciple du Christ sans avoir l’am
350 de l’œuvre entière est formulé : « Celui qui veut être un disciple du Christ sans avoir l’amour des hommes est condamné à al
351 disciple du Christ sans avoir l’amour des hommes est condamné à aller à sa perte et à y conduire les autres ». À ce moment
352 alité de la légende a bel et bien dominé tous ces êtres , malgré leur scepticisme ou leurs bravades, dans la mesure où les rel
353 re qu’il croisera en allant au village, si elle n’ est pas mariée, deviendra sa compagne. Il sort. Il s’en faut de peu qu’il
354 lle des environs, mais cela ne compte pas, car il est entendu que la femme désignée par Dieu doit venir à sa rencontre. Un
355 is-ci, la plus pauvre orpheline du village ; elle est défigurée par une énorme tache de vin. Faudra-t-il accepter ce martyr
356 uvage. » Il s’arrête. « Tu me regardes comme si j’ étais une bête curieuse, dit-elle. On croirait que tu as rencontré un ours 
357 l’art de Selma Lagerlöf. L’invention romanesque n’ est ici que la « mise en pratique » d’une attitude spirituelle extrême. L
358 purifier l’émotion. Mais pour qu’une telle phrase soit dite, il faut des âmes fortement tendues. Et pour que cette même phra
359 fortement tendues. Et pour que cette même phrase soit aussitôt mise en pratique par le héros, sans nulle invraisemblance, i
360 sans nulle invraisemblance, il faut que ce héros soit un croyant d’une certaine trempe. Derrière Karl-Artur, en effet, il y
361 sé pour que se nouent les drames complexes dont s’ est nourri depuis cent ans le grand roman occidental : vies intérieures p
14 1939, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Non, Tristan et Iseut ne s’aiment pas, nous dit Denis de Rougemont (12 février 1939)
362 d’Amiel, a déjà derrière lui une œuvre solide. Il est l’un des principaux collaborateurs de la revue Esprit , écrit dans p
363 , écrit dans plusieurs revues des articles qui ne sont jamais indifférents. Il a tenu, dans notre journal, la rubrique de la
364 es articles qui ne sont jamais indifférents. Il a tenu , dans notre journal, la rubrique de la vie protestante. Ayant fait de
365 nal d’Allemagne , qui, paru au printemps dernier, est un des témoignages les plus valables sur le national-socialisme. Étra
366 échanges qui stimulent tant d’écrivains, et leur tiennent souvent lieu de vie intérieure. Il me reçoit dans la maison de M. Cha
367 et Colinet, son petit garçon. Denis de Rougemont est grand, souple, il a la réserve affable des Suisses, et ce sourire des
368 ’à l’heure où la mort le défigure déjà… tout cela est rempli de bizarreries, de contradictions, pressenties au siècle derni
369 fléchi avant d’arriver à cette conviction, que je suis prêt à défendre : ce que Tristan et Iseut aiment, c’est le fait d’aim
370 onception chrétienne du mariage. L’amour courtois est chaste, il accorde à la femme une prééminence dont l’Église a bien se
371 ittérature ? Beaucoup d’historiens, d’érudits, se sont posé la question sans pouvoir la résoudre. Pour moi, l’explication n’
372 ns pouvoir la résoudre. Pour moi, l’explication n’ est pas douteuse. L’amour courtois est directement issu du catharisme. Vo
373 ’explication n’est pas douteuse. L’amour courtois est directement issu du catharisme. Vous savez que l’hérésie cathare, que
374 sant le catharisme, le néophyte s’engageait, s’il était marié, à s’abstenir de tout contact avec sa femme. Les cathares admet
375 des grands mystiques. Ainsi tous les troubadours étaient des cathares ? J’en suis persuadé, dit Denis de Rougemont, qui s’anim
376 tous les troubadours étaient des cathares ? J’en suis persuadé, dit Denis de Rougemont, qui s’anime en exposant une théorie
377 hé­résie avec d’autant plus d’enthousiasme qu’ils étaient souvent jaloux de l’autorité temporelle exercée par le clergé. Donc l
378 relle exercée par le clergé. Donc l’amour-passion serait une hérésie chrétienne ? … Dont nous avons perdu la clef, et qui a po
379 ameux triangle, le mari, la femme et l’amant, qui est le sujet essentiel de toute la littérature occidentale, n’a surgi dan
380 nent à l’emploi des méthodes freudiennes. Or j’ai été frappé par le goût de la mort que l’on retrouve à la fois dans le cat
381 t Iseut et chez les lyriques courtois, goût qui n’ est autre que l’instinct de la mort tel que Freud l’a analysé. À une époq
382 s de Rougemont réfléchit : Non, je crois que nous sommes à une époque de transition, que ce mythe risque de disparaître. Mais
383 cela ? C’est très simple. Nous souffrons d’avoir été élevés dans une double contradiction. Romans, poèmes, musique, l’art
384 roxysme désirable, comme un état d’exception où l’ être se dépasse lui-même. Nous aspirons donc à connaître cet état que, com
385 n et peut-être inconsciemment, nous préférons à l’ être aimé. D’autre part, on nous montre le mariage comme le fondement esse
386 un acte raisonnable, il faut le montrer tel qu’il est en réalité : l’aventure la plus difficile. Si vous ne fondez pas le m
387 a personnalité. Mais pour moi cette fidélité doit être observée en vertu de l’absurde. Elle est aussi absurde que la passion
388 té doit être observée en vertu de l’absurde. Elle est aussi absurde que la passion, mais s’en distingue par un refus consta
389 du ma­riage, suppose chez les femmes, qui doivent être sans cesse capables de se renouveler, un ensemble de vertus solides e
390 bles assez difficiles à concilier. Je le sais, je suis très exigeant. Pour moi, le mariage devrait être une institution qui
391 suis très exigeant. Pour moi, le mariage devrait être une institution qui main­tient la passion non par la morale, mais par
392 vie extraordinaire. D’abord soldat valeureux, il fut ensuite, pendant dix-sept ans, juge et conseiller à Sachseln, où il e
393 son ermitage et y mourut. C’est un beau sujet. N’ est -ce pas ? Ce drame, avec musique d’Honegger, sera représenté dans un t
394 N’est-ce pas ? Ce drame, avec musique d’Honegger, sera représenté dans un théâtre en plein air, devant cinq ou six-mille spe
395 mment ils pourraient se rapprocher. Si j’aide des êtres troublés à vivre à deux sans trop se blesser, ce sera ma plus belle r
396 troublés à vivre à deux sans trop se blesser, ce sera ma plus belle récompense. Le véritable esprit chrétien, la véritable
397 ble esprit chrétien, la véritable intelligence, n’ est -ce pas de voir les limites d’où l’on ne peut s’échapper ? u. Rouge
15 1963, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Mais qui est donc Denis de Rougemont (7 novembre 1963)
398 Mais qui est donc Denis de Rougemont (7 novembre 1963)w x Pour beaucoup, Denis
399 bre 1963)w x Pour beaucoup, Denis de Rougemont est l’auteur d’une thèse retentissante, intitulée L’Amour et l’Occident
400 athare. Pour les disciples d’Emmanuel Mounier, il est surtout le philosophe de Politique de la personne . Pour quelques au
401 litique de la personne . Pour quelques autres, il est l’écrivain qui a le mieux analysé la résistible ascension d’Adolf Hit
402 s deux mondes notamment). Pour les mélomanes, il est le poète de Nicolas de Flue , dont Honegger tira un oratorio. Pour t
403 nt Honegger tira un oratorio. Pour tous enfin, il est , depuis la semaine dernière, le lauréat du Grand Prix littéraire de M
404 réat du Grand Prix littéraire de Monaco. Mais qui est en réalité Denis de Rougemont ? On a dit beaucoup de bêtises — lui-mê
405 revue. Né en 1906 à Neuchâtel, Denis de Rougemont est un écrivain suisse d’expression française… Je déteste cette formule !
406 ançais plutôt qu’en miaulant ou en barrissant. Je suis un écrivain français, un point c’est tout. Il est l’auteur d’un certa
407 uis un écrivain français, un point c’est tout. Il est l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages qui, tenant à la fois du jour
408 ut absolument coller une étiquette, disons que je suis un essayiste, espèce d’écrivain de plus en plus répandue de nos jours
409 n plus répandue de nos jours. Montesquieu, Pascal étaient des essayistes. Ce n’est pas que je veuille me comparer à eux, mais l
410 Montesquieu, Pascal étaient des essayistes. Ce n’ est pas que je veuille me comparer à eux, mais la forme est la même : un
411 s que je veuille me comparer à eux, mais la forme est la même : un mélange d’idées pures, de poésie, de descriptions et d’a
412 ique de la personne . Politique de la personne était un manifeste qui déclencha une polémique à laquelle prirent part Berd
413 er et Gabriel Marcel. Pour moi, la « personne » n’ est ni un individu refermé sur lui-même ni la minuscule partie d’une mass
414 mme que je place le point d’insertion de Dieu. Je suis tout à fait opposé aux doctrines providentialistes qui font de Dieu u
415 Jéhovah jugeant et agissant de l’extérieur. Dieu est en l’homme. En 1935, il est nommé lecteur à l’Université de Francfort
416 de l’extérieur. Dieu est en l’homme. En 1935, il est nommé lecteur à l’Université de Francfort et séjournera un an en Alle
417 tler dans Paris. Les Allemands demandèrent que je sois puni et j’ai reçu quinze jours de prison militaire sous le prétexte q
418 f d’État étranger ! De Suisse, Denis de Rougemont est envoyé en Amérique où il passera six ans, écrira La Part du diable
419 ec plusieurs écrivains français. On décida que je serais moins gênant en Amérique qu’en Europe. À New York, je rédigeais les é
420 lète entre mon action politique et mes livres. Je suis passé tout naturellement et sans rupture de ma définition de la « per
421 héorie fédéraliste. L’homme, vous ai-je dit, doit être à la fois libre et responsable ; de même pour chaque nation dans l’Eu
422 n dans l’Europe fédérée que je préconise et qui n’ est que la transposition à une échelle géante de la Confédération helvéti
423 les unes des autres devant le danger commun. Nous serions ainsi 350 millions d’Européens solidaires, ce qui représente presque
424 téraire de Monaco. Selon la formule consacrée, je suis ravi d’avoir reçu ce prix, malgré une petite ombre au tableau. Je vie
425 tableau. Je viens en effet d’apprendre que je me suis trouvé opposé à Eugène Ionesco qui est un ami très cher et un grand é
426 que je me suis trouvé opposé à Eugène Ionesco qui est un ami très cher et un grand écrivain. À ce propos, savez-vous où Ion
427 w. Rougemont Denis de, « [Entretien] Mais qui est donc Denis de Rougemont ? », Les Nouvelles littéraires, Paris, 7 nove
428 Rougemont s’engagea en parallèle, mais dont il ne fut « que » le président du comité exécutif, de 1951 à 1966.
16 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les prophètes de la décadence (24 septembre 1970)
429 xxe siècle a vu la civilisation — qui ne saurait être que la nôtre, quand on en parle au singulier — étendre à toute la ter
430 les prophètes de la décadence européenne : et ils sont tous, ou presque tous, Européens. Loin de s’émerveiller du fait que l
431 es civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Et il ajoutait : Elam, Ninive, Babylone étaient de beau
432 elles. Et il ajoutait : Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi pe
433 istence même. Mais France, Angleterre, Russie, ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons
434 ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’Histoire est
435 nous voyons maintenant que l’abîme de l’Histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la
436 de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux. L’écho de
437 nandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux. L’écho de cette page fut immense et je sais peu d
438 les sont dans les journaux. L’écho de cette page fut immense et je sais peu de phrases plus fréquemment citées que celle q
439 qui annonce en somme que toutes les civilisations étant mortelles, la nôtre aussi pourrait périr, va donc probablement périr.
440 a donc probablement périr. Pour émouvante qu’elle soit , elle exprime, à mon sens, l’une des erreurs les plus célèbres de l’é
441 pour illustrer le même argument que Valéry : Que sont devenues tant de brillantes créations de la main de l’homme ? Où sont
442 e brillantes créations de la main de l’homme ? Où sont -ils, ces remparts de Ninive, ces murs de Babylone, ces palais de Pers
443 de Persépolis ?… Hélas, j’ai visité les lieux qui furent le théâtre de tant de splendeur, et je n’ai vu qu’abandon et que soli
444 tard, Hegel introduisait l’idée que chaque peuple est « un individu dans la marche de l’histoire » et qu’il obéit donc, com
445 débuts du xxe siècle, Spengler va plus loin ; il est convaincu que toute culture est un organisme et correspond morphologi
446 va plus loin ; il est convaincu que toute culture est un organisme et correspond morphologiquement à un individu, animal ou
447 l. Il en résulte inexorablement que toute culture est mortelle, et l’on rejoint la phrase de Valéry. Enfin, dans un effort
448 dence historique. Primo, l’hégémonie politique n’ est pas toujours et nécessairement liée à la vitalité d’une civilisation.
449 tion. L’une peut exister sans l’autre. L’une peut être perdue sans que l’autre soit ruinée du même coup. Tchingis-Khan eut l
450 l’autre. L’une peut être perdue sans que l’autre soit ruinée du même coup. Tchingis-Khan eut l’hégémonie sans la civilisati
451 t une civilisation sans hégémonie. Secundo, il n’ est pas du tout certain que les précédents historiques soient applicables
452 as du tout certain que les précédents historiques soient applicables dans notre situation, ni que la courbe croissance-grandeu
453 n, ni que la courbe croissance-grandeur-décadence soit la même pour toutes les cultures dans tous les temps. Les prophètes d
454 nnu des Européens, celui de la chute de Rome, qui est censée avoir entraîné la disparition de la civilisation gréco-romaine
455 dans la partie occidentale de l’Empire. L’exemple est -il valable pour l’Europe ? La civilisation européenne est-elle une ci
456 alable pour l’Europe ? La civilisation européenne est -elle une civilisation comme les autres ? Son destin peut-il être préd
457 ivilisation comme les autres ? Son destin peut-il être prédit par extrapolation des exemples antiques ? Il se pourrait, bien
458 totalitaires d’aujourd’hui, URSS ou Chine de Mao, tiennent leur unité d’une doctrine uniforme, imposée à tous par l’État. Compar
459 ’elle en a héritées, la civilisation européenne s’ est trouvée fondée sur une culture de dialogue et de contestation. Elle n
460 rite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas
461 que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins violents que ceux que nous vivons. L’unité de notre culture
462 a civilisation créée par cette culture n’a jamais été autre chose qu’une unité paradoxale consistant dans la seule volonté
463 onté commune à tous de refuser l’uniformité. Où sont les candidats à la relève ? Aux prophètes de la décadence européen
464 ope. Première raison : La civilisation européenne est la seule qui soit effectivement devenue universelle. Bien d’autres a
465 son : La civilisation européenne est la seule qui soit effectivement devenue universelle. Bien d’autres avaient cru cela d’
466 se trompaient, mais cette erreur ne saurait plus être commise, à présent que la terre entière est explorée dans ses dernier
467 plus être commise, à présent que la terre entière est explorée dans ses derniers recoins. Alexandre le Grand et les empereu
468 mouvement d’imitation s’opère à sens unique et n’ est plus réversible. Mais comment expliquer ce phénomène sans précédent d
469 monolithiques et homogènes. Voilà pourquoi elle s’ est trouvé la seule qui fût assez complexe et multiforme pour pouvoir, si
470 es. Voilà pourquoi elle s’est trouvé la seule qui fût assez complexe et multiforme pour pouvoir, sinon satisfaire, du moins
471 hniques que de livres et de missionnaires. Elle s’ est laïcisée, ou sécularisée, et détachée du christianisme qui contribua
472 dition de son « succès » le plus visible — elle s’ est rendue plus transportable, plus acceptable et imitable qu’aucune autr
473 aleur égale de tout homme devant Dieu, quelle que soit sa nation, sa couleur ou sa race. L’Égypte ancienne ne croyait rien d
474 e ancienne ne croyait rien de tel. Le mot homme y était synonyme d’habitant de la vallée et du delta du Nil, il y avait un mo
475 e style, Bismarck définit le Bavarois comme « cet être intermédiaire entre l’Autrichien et l’homme ».) Pour les Grecs et les
476 les barbares, c’est-à-dire tous les autres, qui n’ étaient pas vraiment et complètement humains. Ces très hautes civilisations d
477 s ni hommes libres, ni hommes ni femmes, car vous êtes tous fils de Dieu, vous êtes tous un en Jésus-Christ. »), cette conce
478 ni femmes, car vous êtes tous fils de Dieu, vous êtes tous un en Jésus-Christ. »), cette conception devait seule permettre
479 de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux ». Depuis l
480 nandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux ». Depuis lors, on a retrouvé — et même joué — plus
481 nregistrées sur bandes et sur microsillons, elles sont en mesure de résister au temps beaucoup mieux que les fresques de Las
482 t la romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont -elles vraiment mortes ? Leurs conquêtes ont été préservées par le mus
483 sont-elles vraiment mortes ? Leurs conquêtes ont été préservées par le musée et le laboratoire européens, pour être diffus
484 es par le musée et le laboratoire européens, pour être diffusées de nos jours sur toute la terre. Il s’en faut de beaucoup q
485 plus raffinées, aient connu pareille fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon et de Solon, venues de la Crète et de l’
486 la Crète et de l’Égypte ancienne par la Grèce, ce sont le Décalogue et les Béatitudes, c’est enfin le code de Justinien, d’o
487 ne mourrons jamais entièrement et que nos cendres sont fécondes. Le temps est passé où les civilisations étaient mortelles. 
488 rement et que nos cendres sont fécondes. Le temps est passé où les civilisations étaient mortelles. » J’ajouterai cette sim
489 fécondes. Le temps est passé où les civilisations étaient mortelles. » J’ajouterai cette simple remarque : si tant de civilisat
490 si tant de civilisations qu’on croyait endormies sont tirées de l’oubli au xxe siècle, si tant d’écoles antiques de sagess
491 rminée. Et les autres n’en savaient rien. Mais ce fut plus souvent l’agression d’une civilisation rivale, plus primitive et
492  barbares » mal connus. Les candidats à la relève étaient nombreux. En est-il un seul aujourd’hui qui réclame l’oblitération ou
493 s. Les candidats à la relève étaient nombreux. En est -il un seul aujourd’hui qui réclame l’oblitération ou simplement la re
494 de succès ? Les États-Unis ? dira-t-on. Mais ils sont nés de la substance même de l’Europe, et je les vois s’européaniser p
495 ain. L’URSS ? Mais qu’apporte-t-elle de nouveau ? Est -elle une autre civilisation ? Lénine disait de sa Révolution : « C’es
496 marxisme plus l’électricité. » Or, le marxisme n’ est pas un apport soviétique, ce n’est pas Popov qui l’a inventé, mais bi
497 le marxisme n’est pas un apport soviétique, ce n’ est pas Popov qui l’a inventé, mais bien un Juif allemand, dont le père é
498 inventé, mais bien un Juif allemand, dont le père était devenu protestant, et qui rédigeait au British Muséum, pour le Herald
499 et qui forment une partie du Kapital. Le marxisme est né en Europe et de l’Europe, au carrefour d’un débat séculaire entre
500 anisé la Russie. Et c’est l’URSS à son tour qui s’ est chargée d’aider la Chine à liquider la civilisation des mandarins, c’
501 Le fameux « bon en avant » de la Chine n’a guère été qu’un bond vers l’industrie et vers le socialisme, inventés par l’Eur
502 a Russie, laquelle veut rejoindre l’Amérique, qui est une invention de l’Europe… z. Rougemont Denis de, « Les prophètes
503 es, Paris, 24 septembre 1970, p. 3. aa. Le texte est précédé du chapeau suivant : « On sait quel Européen convaincu et mil
504 t : « On sait quel Européen convaincu et militant est Denis de Rougemont. L’auteur de L’Amour et l’Occident , Penser avec
17 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Denis de Rougemont : l’amour et l’Europe en expert (24 décembre 1970)
505 ougemont, les deux grands thèmes de votre vie ont été l’Amour et l’Europe. Quel était le Denis de Rougemont de ses 17 ans ?
506 es de votre vie ont été l’Amour et l’Europe. Quel était le Denis de Rougemont de ses 17 ans ? Si vous me disiez 17 ans et dem
507 , je vous dirai : l’âge de mon premier article. J’ étais au gymnase de ma ville natale, Neuchâtel. Le trait caractéristique de
508 el. Le trait caractéristique de cet endroit où je suis né est d’être un carrefour, une petite principauté placée entre les i
509 rait caractéristique de cet endroit où je suis né est d’être un carrefour, une petite principauté placée entre les influenc
510 aractéristique de cet endroit où je suis né est d’ être un carrefour, une petite principauté placée entre les influences fran
511 e les influences françaises et allemandes, ce qui est très suisse, par définition. 17 ans, c’est le moment où j’ai pris con
512 ns, c’est le moment où j’ai pris conscience que j’ étais un littéraire. À cette époque je n’écrivais que des poèmes, persuadé
513 es, persuadé que toute autre forme de littérature était inférieure et méprisable. En même temps je jouais au football. J’étai
514 éprisable. En même temps je jouais au football. J’ étais gardien de but. C’était pour moi le poste idéal car le gardien de but
515 ris que Montherlant et Albert Camus avaient aussi été gardiens de but. Comment avez-vous découvert l’Europe ? C’est entre 1
516 fois une idée assez exacte des influences qui se sont exercées sur notre petit coin de Suisse romande. Vous avez consacré d
517 e nombreuses et passionnantes pages à l’amour. Qu’ est -ce que l’amour pour vous ? L’amour c’est tout. Pour moi c’est plus sp
518 de l’amour-passion que j’ai décrit dans mon livre fut quelque chose de très important dans ma vie. L’opposition entre l’amo
519 L’opposition entre l’amour-passion et le mariage est au fond le sujet même de ce livre. J’ai été entraîné à écrire cet ouv
520 riage est au fond le sujet même de ce livre. J’ai été entraîné à écrire cet ouvrage par toute une suite de circonstances. L
521 oute une suite de circonstances. La plus ancienne était un numéro de la revue Esprit consacré à la femme et l’amour aujourd
522 ourd’hui, et qui portait comme titre : « La femme est aussi une personne ». Cela se passait en 1936 et Mounier s’était mont
523 personne ». Cela se passait en 1936 et Mounier s’ était montré un précurseur. Il m’avait demandé une étude sur l’opposition q
524 intitulé La France et son armée, et dont l’auteur est un jeune lieutenant-colonel qui s’appelle Charles de Gaulle. » Ayant
525 e Charles de Gaulle. » Ayant cédé mon tour, je me suis mis instantanément à mon livre, et j’ai terminé les 450 pages en troi
526 demandé trois mois de travail et toute la vie. J’ étais devenu, hélas ! aux yeux de beaucoup de gens dans beaucoup de pays un
527 gens qui m’avaient fait des confidences et je me suis aperçu que généralement ils étaient près de divorcer avant de m’avoir
528 idences et je me suis aperçu que généralement ils étaient près de divorcer avant de m’avoir lu puis qu’ils avaient décidé de ne
529 qu’ils avaient décidé de ne pas divorcer, de s’en tenir à la dernière partie de mon livre. Mais voilà que, en les suivant un
530 divorcer, c’est-à-dire que l’action de mon livre était généralement de retarder les divorces de quelques années, ce qui prov
531 de conscience fort utiles. Mon premier mariage s’ est terminé par un divorce après mes années d’Amérique. C’est pourquoi da
532 euxième livre sur ce thème, Comme toi-même , qui est édité en livre de poche sous le titre Les Mythes de l’amour, donne à
533 mythe. Cela n’aurait pas de sens de dire que l’on est contre la passion qui est l’une des choses glorieuses qui peut arrive
534 e sens de dire que l’on est contre la passion qui est l’une des choses glorieuses qui peut arriver à un homme. Aujourd’hui,
535 uses qui peut arriver à un homme. Aujourd’hui, je suis parvenu à ce point qu’il y a deux morales, l’une qu’il faut enseigner
536 faitement que quand il commence une œuvre, que ce soit un tableau, une sculpture ou un livre, cela lui imposera des discipli
537 e. Si je fais un plaidoyer pour la fidélité, ce n’ est pas au nom d’une morale puritaine, comme certains l’ont cru, mais au
538 u, mais au nom d’une morale d’artiste. Tout homme est amené à être créateur d’une œuvre, ne fût-ce que de soi-même et surto
539 om d’une morale d’artiste. Tout homme est amené à être créateur d’une œuvre, ne fût-ce que de soi-même et surtout de son cou
540 t homme est amené à être créateur d’une œuvre, ne fût -ce que de soi-même et surtout de son couple. Je pense que c’est l’œuv
541 n, je ne l’exclus pas, mais je pense qu’elle doit être réservée à de très rares personnes qui seront probablement le sel de
542 doit être réservée à de très rares personnes qui seront probablement le sel de la terre ou qui seront quelquefois des crimine
543 qui seront probablement le sel de la terre ou qui seront quelquefois des criminels. Revenons à l’Europe. Vous vivez à Ferney-V
544 « Ah ! ça, c’est l’Europe !… passez… » Le fait d’ être obligé de passer une et souvent plusieurs fois par jour la frontière
545 e et souvent plusieurs fois par jour la frontière est bien fait pour entretenir l’indignation continuelle que j’ai contre l
546 j’ai contre les frontières. Cette frontière avait été à peu près supprimée par des traités qui repoussaient le cordon douan
547 en a résulté que dans la région que j’habite, qui est prétendument zone franche, nous sommes entre deux cordons douaniers.
548 j’habite, qui est prétendument zone franche, nous sommes entre deux cordons douaniers. Cette situation particulièrement scanda
549 frontières, à travers les frontières. Mon slogan est celui-ci : « Les frontières sont faites pour être transformées en écu
550 ières. Mon slogan est celui-ci : « Les frontières sont faites pour être transformées en écumoires. » Denis de Rougemont, que
551 est celui-ci : « Les frontières sont faites pour être transformées en écumoires. » Denis de Rougemont, quelle est votre déf
552 ormées en écumoires. » Denis de Rougemont, quelle est votre définition de la gloire ? C’est le salut. C’est ce qui vient ap
553 . Cela n’a rien à voir avec la publicité. Ça peut être secret. Je crois beaucoup à une notion secrète de la gloire. La gloi
554 up à une notion secrète de la gloire. La gloire n’ est pas donnée par la foule, elle n’est pas donnée par le succès. C’est u
555 . La gloire n’est pas donnée par la foule, elle n’ est pas donnée par le succès. C’est un sentiment d’épanouissement suprême
556 gie, si vous voulez. Je pense que l’immortalité n’ est pas quelque chose qui commence quand on est mort, ni que l’âme sort p
557 ité n’est pas quelque chose qui commence quand on est mort, ni que l’âme sort par la bouche et va voleter on ne sait pas tr
558 temps, qui le pénètre complètement et que nous y sommes déjà maintenant. Plutôt que de me demander ce que c’est que la mort,
559 e que c’est que la mort, je m’interroge sur ce qu’ est la vie. Là, je peux dire quelque chose : c’est un certain laps de tem
560 s le détail, car il n’y a là que la précision qui est intéressante ; en évitant tout ce qui peut avoir l’air de faire croir
561 faire croire aux gens que pour moi croire en Dieu est bien, ne pas y croire est mal, et vice versa. Pour être complètement
562 pour moi croire en Dieu est bien, ne pas y croire est mal, et vice versa. Pour être complètement sincère, j’éprouve autant
563 ien, ne pas y croire est mal, et vice versa. Pour être complètement sincère, j’éprouve autant de difficultés à ne pas croire
564 és à ne pas croire en Dieu qu’à y croire, et ce n’ est pas peu dire. Cela veut peut-être dire que le problème est mal posé d
565 eu dire. Cela veut peut-être dire que le problème est mal posé dans ma tête, ou dans mon existence. À quoi j’en reviens tou
566 ns. Certains savants aujourd’hui disent qu’ils ne tiennent pas du tout à ce que le monde ait un sens, à ce que notre vie ait un
567 rale scientifique. On pourrait leur demander : Qu’ est -ce que cela veut dire pour vous, la vie, s’il n’y a aucun sens à rien
568 he ? Au nom de quoi venez-vous me dire qu’il faut être socialiste ou qu’il faut être de gauche ? Nous entrons dans l’arbitra
569 me dire qu’il faut être socialiste ou qu’il faut être de gauche ? Nous entrons dans l’arbitraire total. Si, au contraire, j
570 e à un avant. Si vous voulez, je pense que Dieu n’ est pas une cause au début de tout mais qu’il est une cause finale de l’h
571 u n’est pas une cause au début de tout mais qu’il est une cause finale de l’humanité, qu’il appelle le développement de l’h
572 cuter sur l’existence ou la non-existence de Dieu étant donné que nous savons la place infime que nous tenons dans l’univers.
573 nt donné que nous savons la place infime que nous tenons dans l’univers. Je fais quelquefois cette comparaison un peu élémenta
574 chapeau suivant : « On sait quel ardent Européen est Denis de Rougemont. Dans son dernier livre, publié chez Albin Michel,
575 par l’idée d’union fédérale. Denis de Rougemont s’ est fait l’apôtre de cette croisade ; il n’est donc pas étonnant qu’on en
576 mont s’est fait l’apôtre de cette croisade ; il n’ est donc pas étonnant qu’on en réentende l’écho dans sa conversation avec
577 rence, intitulé « La passion contre le mariage », est paru en septembre 1938, et non en 1936. ae. La deuxième édition de L
18 1972, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). De l’unité de culture à l’union politique (17-23 avril 1972)
578 militaire par les Russes — je songe aux pays de l’ Est européen — d’autre part à la colonisation de notre économie et de nos
579 liste, seule pratiquement possible pour l’Europe, est en même temps la seule qui corresponde aux réalités de la culture eur
580 e bloque tout. Cet obstacle politique, en retour, est fomenté par la culture. Car ce sont bien des faits de culture : l’éco
581 ue, en retour, est fomenté par la culture. Car ce sont bien des faits de culture : l’école, aux trois degrés, la presse, les
582 ’État national centralisé et absolument souverain est l’aboutissement nécessaire, inévitable et naturel de toute l’évolutio
583 ontre toute évidence historique — que leur nation est immortelle, ce qui suggère qu’elle aurait existé de toute éternité ;
584 çais existe réellement depuis Philippe le Bel, il est absolument certain que l’Italie comme État n’a que cent-dix ans, l’Al
585 ntières naturelles. Et nous l’avons cru ! Or tout est faux dans cet enseignement. Il n’y a pas de cultures nationales
586 de cultures nationales La culture européenne n’ est pas la somme de vingt-cinq cultures nationales, puisqu’elle existait
587 nne Gilson — pas un seul des grands professeurs n’ était français : ils étaient napolitain comme Thomas d’Aquin, pisan comme B
588 eul des grands professeurs n’était français : ils étaient napolitain comme Thomas d’Aquin, pisan comme Bonaventure, allemand co
589 , ceux qui parlaient même langue ? Oui, mais il n’ était pas question de les enfermer pour autant dans les frontières d’un mêm
590 s les frontières d’un même État. D’ailleurs, il n’ est pas vrai que nos États-nations modernes correspondent à l’aire de dif
591 tuelles ; breton et flamand au nord, allemand à l’ est , basque, occitan, catalan et italien au sud, et naturellement le fran
592 de la Volga. On m’objecte souvent que nos langues sont trop différentes pour que nous puissions nous entendre entre Stockhol
593 r que toutes (sauf le basque et le finno-ougrien) sont étroitement apparentées. Alors qu’en Chine on parle quatorze langues
594 œurs. Vue de loin, l’unité culturelle de l’Europe est un fait que personne ne conteste. Enfin, il y a l’affaire des frontiè
595 spagne et les Allemagnes au-delà du Rhin ; elle a été mise en forme par la Révolution française, et elle a triomphé dans l’
596 rénées séparent l’Espagne de la France, voilà qui est clair, à condition qu’un esprit fort (ou un naïf) ne vienne pas remar
597 naïf) ne vienne pas remarquer que l’on trouve à l’ est de cette chaîne les mêmes Catalans sur les deux versants, et les même
598 l’allemand, toujours des deux côtés. Et la Suisse est née du Gothard, au cœur des Alpes. L’unité et les vraies diversité
599 cachait, c’est que la culture de tous nos peuples est une, quoique tissée de contradictions dans sa genèse même, qu’elle s’
600 de contradictions dans sa genèse même, qu’elle s’ est formée à partir d’influences indo-européennes, gréco-latines, celtes
601 on du réel, que nous le sachions ou non, que nous soyons « cultivés » ou non. Toutes les grandes écoles d’art, d’architecture,
602 ure et de doctrine sociologique ou politique, ont été paneuropéennes, et non pas nationales. Les grands courants européens,
603 ’est l’unité de notre culture commune. Mais qu’en est -il de nos diversités tant vantées, et à juste titre ? Est-il vrai, co
604 e nos diversités tant vantées, et à juste titre ? Est -il vrai, comme le disent trop souvent d’éloquents ministres à Bruxell
605 u à Strasbourg, que ces « précieuses diversités » sont celles de nos nations ? Je propose là-dessus deux observations facile
606 er. Non, les frontières de nos États n’ont jamais été « naturelles ». Elles sont accidentelles et arbitraires comme les con
607 nos États n’ont jamais été « naturelles ». Elles sont accidentelles et arbitraires comme les conflits armés dont elles figu
608 lles figurent sur nos atlas les cicatrices. Elles sont encore, disait un historien français, le résultat des « viols répétés
609 es conformistes de leur propre nation, etc. Ce ne sont pas nos appartenances nationales qui nous diversifient vraiment, mais
610 ien l’Europe. 2° La création culturelle en Europe est d’autant plus riche et plus intense qu’elle est moins centralisée et
611 e est d’autant plus riche et plus intense qu’elle est moins centralisée et que ses foyers sont plus nombreux. Au Moyen Âge,
612 e qu’elle est moins centralisée et que ses foyers sont plus nombreux. Au Moyen Âge, ces foyers de création sont les universi
613 us nombreux. Au Moyen Âge, ces foyers de création sont les universités, à la Renaissance les cités du Nord de l’Italie, des
614 vitalité inégalée de notre culture européenne, il est dans cette interaction perpétuelle des grands courants continentaux,
615 diversité, l’échelon national ne joue aucun rôle, est simplement omis, inexistant. Si maintenant je transpose en termes pol
616 evue de l’article paru sous le titre : « L’Europe est d’abord une unité de culture », Intégration : Vierteljahreshefte zur