1 1933, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Parole de Dieu et parole humaine, par Karl Barth (30 décembre 1933)
1 parole humaine, par Karl Barth (30 décembre 1933) a b La théologie chrétienne a-t-elle pour tâche de rendre acceptable
2 (30 décembre 1933)a b La théologie chrétienne a-t -elle pour tâche de rendre acceptable le message de l’Évangile, d’en a
3 Souvent ces deux grandeurs, la vie et la Bible, m’ ont fait l’effet — ne me le font-elles pas encore ? — d’être Charybde et
4 u sérieux quand la détresse de leur existence les a conduits à nous, je le répète, si nous ne les prenons pas davantage a
5 e au sérieux qu’ils ne le font eux-mêmes, comment aurions -nous le droit de nous étonner que, pour la plupart, ils prennent peu
6 euls avec ces bien-disposés et ces timorés dont j’ ai parlé. » Ce ton ne pouvait pas tromper. Il y avait là un homme, une p
7 » à tous les systèmes existants. Barth lui-même l’ a nommée, avec une sobriété peu rassurante, une théologie du correctif.
8 que les hommes religieux, prêtres et pharisiens, ont toujours été les premiers à refuser, sous de très pieux prétextes, le
9 à peine consciente d’elle-même. » Les prophètes n’ ont pas de biographie : « L’homme biblique se lève et tombe avec sa missi
10 e dans sa tragique ironie, que le théologien doit avoir conscience, s’il veut parler valablement. Mais de quoi va-t-il encore
11 ter ces quatre mots, mais en les répétant, nous n’ avons pas dit la parole de Dieu, dans laquelle cette idée devient une réali
12 er, et au-delà, jusqu’à saint Paul, tous ceux qui ont su et connu ce que nous avons à peu près oublié : que l’homme n’est p
13 t Paul, tous ceux qui ont su et connu ce que nous avons à peu près oublié : que l’homme n’est pas capable par lui-même de fai
14 s le don gratuit que Dieu fait à tout homme qui n’ a plus d’autre attente. Qu’on n’aille pas croire cependant que le barth
15 la parole que Dieu lui adresse et qui le meut. On a coutume de nommer la pensée de Barth une théologie de la crise, une t
16 e peut que l’indiquer au-delà d’elle-même. Nous n’ avons rien dit des qualités humaines de ce livre, de son éloquence martelan
17 de son éloquence martelante (que les traducteurs ont fort bien rendue, et la tâche n’était pas facile) ; de son réalisme a
18 es questions les plus gênantes qui soient. ⁂ On l’ a bien vu récemment, lors du conflit dramatique qui l’a opposé, seul ou
19 en vu récemment, lors du conflit dramatique qui l’ a opposé, seul ou à peu près, au puissant parti des Chrétiens allemands
20 ns une protestation retentissante, que personne n’ a osé faire taire. Son manifeste n’est pas seulement un témoignage cour
21 mande », Revue d’Allemagne du 15 septembre 1933. a . Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Karl Barth, Parole de Dieu et
2 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). D’un humour romand (24 février 1934)
22 t guère la solide réputation de gravité qu’on lui a faite, et qui lui vaut l’estime des personnes de sens. Mais après tou
23 des femmes, de Girard, et de Cingria, ce que vous aurez la chance d’en trouver, une note ici ou là, quelques petits livres à
24 our comprendre l’humour de Pierre Girard, il faut avoir aimé Charlot, celui des Lumières de la Ville et du Cirque. Les héros
25 onde est plein de malins, de gens qui ont l’air d’ avoir compris de quoi il s’agit. Il n’y a plus qu’à perpétrer une horrible
26 t l’air d’avoir compris de quoi il s’agit. Il n’y a plus qu’à perpétrer une horrible inconvenance, un de ces scandales hé
27 dans tout ce qui sourd de cette Weltschmerz qui n’ a pas de nom dans notre langue, et c’est pourquoi sans doute elle ne s’
28 rginie présidé par son oncle âgé de 102 ans (« Il avait arpenté tous les camps de la guerre de Sécession, mais il n’en parla
29 dent, j’ose à peine dire par l’état civil. « Je n’ ai pas de passeport ; je n’en ai jamais eu ; s’il doit être que j’en doi
30 ’état civil. « Je n’ai pas de passeport ; je n’en ai jamais eu ; s’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il
31 l. « Je n’ai pas de passeport ; je n’en ai jamais eu  ; s’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de
32 n ai jamais eu ; s’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’aie fabriqués moi-même. » Ain
33 un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’ aie fabriqués moi-même. » Ainsi s’exprime Bruno Pomposo, dont Cingria, na
34 est un phénomène dont Claudel, Max Jacob et Ramuz ont su voir et dire l’importance, et dont je me contenterai de signaler i
35 l est Suisse, au mépris de tous les racismes.) On avait , dans ce groupe, une espèce de mystique des objets, du détail authent
36 es nobles » et de trivialités qualifiées, et vous aurez une idée du comique de Cingria. Un humour romand… Trois auteurs seule
37 lle dans l’atmosphère de ce pays de pédagogues. J’ ai oublié, exprès, de dire que c’est aussi le pays d’origine de Michel S
3 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). L’Humanité de Jésus d’après Calvin, par Max Dominicé (24 mars 1934)
38 ignificatif dans le livre, ce sont les motifs qui ont poussé M. Dominicé à l’écrire, et qu’il expose en une vingtaine de pa
39 historiens négateurs du surnaturel, M. Dominicé n’ a pas de peine à montrer qu’il devenait « foncièrement irréel et sans i
40 op fameux « libre examen » dont les rationalistes ont voulu faire l’apanage du protestantisme. L’ouvrage de M. Dominicé s’i
4 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Quelques œuvres et une biographie de Kierkegaard (26 mai 1934)
41 ntation d’un esprit de l’envergure de Kierkegaard eut légitimé, à elle seule, la création de cet Office et ses soins les pl
42 et ses soins les plus diligents. Que d’impairs n’ a-t -on pas commis à l’endroit de ce revenant du xixe siècle, depuis quel
43 tait pour lui bien proche de la mystification. Il eut peut-être ri de se voir présenté tantôt comme anarchiste et pourfende
44 marade Nizan l’honneur de la trouvaille.) Mais il eût certainement protesté contre une erreur qui ne relève pas de l’interp
45 ire d’un esthète. Comme Nietzsche, avec lequel il a pas mal de traits communs, Kierkegaard nous laisse un ouvrage d’autoc
46 ceci, en matière d’introduction : « Je suis et j’ ai toujours été un auteur religieux ; toute ma carrière littéraire se ra
47 pre à créer du malentendu. Le titre même, que lui a donné le traducteur, prête à certaines confusions : l’œuvre, en danoi
48 e de l’homme contre sa condition telle que Dieu l’ a voulue, une négation du paradoxe de l’Amour. L’universalité du désesp
49 ète. Le génie familier et ironique de Kierkegaard a créé dans cette œuvre une abondance d’illustrations inoubliables. Par
50 sse à « son muet confident », l’auteur. Peut-être avons -nous ici les pages les plus éloquentes et les plus irréfutables d’un
51 sme intellectuel (le style admirable de ces pages a été rendu aussi bien qu’il était possible par le traducteur). Mais il
52 introductions que les différents traducteurs nous ont prodiguées jusqu’ici avec autant de science que de conscience, mais q
53 ce pour les subtilités du « Séducteur », et qui n’ a pas la tête philosophique. Cette monographie est à la fois la plus ob
54 e qui vient nous dire, en toute simplicité, qu’il a vu l’événement, et qu’il en est encore tout remué. On le croira sans
55 mué. On le croira sans peine : il n’a pas l’air d’ avoir pu inventer ce qu’il raconte. Cela donne envie d’aller voir. Or, je t
56 donne envie d’aller voir. Or, je tiens qu’il n’y a rien de plus urgent pour nous que d’aller voir ce qui se passe dans l
57 étique, ressuscité par l’angoisse moderne. Koch n’ a pas simplifié ce qui n’est pas simple chez Kierkegaard. Mais il a su
58 ce qui n’est pas simple chez Kierkegaard. Mais il a su le décrire clairement et fidèlement, sans pédantisme et sans litté
5 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le mouvement des groupes — Kagawa (4 août 1934)
59 s, hommes d’affaires, prolétaires et bourgeois. J’ ai assisté cet hiver, à Paris, à l’une des rencontres du Mouvement : il
60 ni excès d’aucune sorte. À plus d’une reprise, j’ eus l’impression, qu’on a rarement de nos jours, d’entendre des gens dire
61 . À plus d’une reprise, j’eus l’impression, qu’on a rarement de nos jours, d’entendre des gens dire la vérité sur eux-mêm
62 ncontres prévues. Ce que je savais du Mouvement m’ avait fait espérer, secrètement, autre chose, peut-être des confessions sen
63 ose, peut-être des confessions sensationnelles. J’ avais tort, et l’on s’en convaincra en lisant le petit livre d’Harold Begbi
64 son esprit. Ce n’est pas le meilleur livre qu’on ait écrit sur les Groupes. Mais enfin, c’est le seul qui existe en frança
65 e d’un jeune pasteur américain, Frank Buchman. On a écrit de lui : « Ce qui frappe chez Buchman, c’est son incapacité pro
66 l. Pour entrer en contact avec les hommes, il n’y a qu’un moyen : c’est de leur ouvrir sa maison. D’où les confessions pr
67 de Buchmann, — il refuserait cette expression — n’ ont pas constitué d’organisation. Ils n’ont pas de registre des membres,
68 ssion — n’ont pas constitué d’organisation. Ils n’ ont pas de registre des membres, ils ne nomment pas de comités, ils ne pu
69 . La chronique des rencontres miraculeuses qu’ils ont ainsi vécues remplirait des volumes, et nourrit leurs entretiens. À l
70 s. À lire certains récits du meilleur livre qu’on ait fait sur le Mouvement, For Sinners only (Pour les pécheurs seulement)
71 conformisme et la psychologie modernes semblaient avoir abolies dans le monde. C’est l’irruption de Dostoïevski dans la bourg
72 fication par les œuvres. Karl Barth et ses amis n’ ont pas manqué de critiquer vivement certaines des suppositions théologiq
73 s puissions être le prochain. Et quand ce livre n’ aurait pas d’autre valeur, il a celle-là, qui compte, de nous montrer commen
74 Et quand ce livre n’aurait pas d’autre valeur, il a celle-là, qui compte, de nous montrer comment les hommes de ce temps
75 France ? Claudel, quelques revues protestantes en ont parlé. C’est tout. Nos grands journaux ignorent quelques-uns des évén
76 récit autobiographique et romancé de sa jeunesse a paru en français, il y a deux ansg. Aujourd’hui, l’un de ses collabor
77 s’enfonce dans les slums de Kobé, décide qu’il n’ aura pas d’habitation plus vaste que celle du plus pauvre habitant du quar
78 ngélise. Il devient le « fou du Christ ». À peine a-t -il réussi à faire reconnaître légalement le syndicalisme qu’il a créé
79 aire reconnaître légalement le syndicalisme qu’il a créé, le voilà qui lance une campagne pour la christianisation du Jap
80 ons de ses Méditations. Si les romans de Kagawa l’ ont fait comparer à Gorki, ses poèmes en prose sont d’un franciscain. Il
81 tiennent au génie japonais tel que Claudel nous l’ a décrit, mais auquel le génie chrétien ajoute une dimension humaine pa
6 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Au sujet d’un roman : Sara Alelia (3 novembre 1934)
82 s pas qu’ils furent tous des chrétiens. Plusieurs ont même écrit des romans furieusement antichrétiens — des romans justeme
83 fois plus que vous n’en attendiez, puisqu’il n’y a qu’un million de réformés en France. Imaginez la proportion si l’édit
84 nce. Imaginez la proportion si l’édit de Nantes n’ avait pas été révoqué ! — Je vous accorde volontiers ce quart. Quel avantag
85 es romanciers dont j’allais vous citer les noms n’ ont guère de protestant que l’origine, et quelques tics de psychologues.
86  sortis » est bien le mot ! C’est-à-dire qu’ils n’ ont pas de foi, et qu’est-ce qu’un protestant sans foi ? Dans toutes leur
87 ire où tout le monde « se conduit bien » ? Il n’y aurait pas de roman. Une histoire dont le personnage principal est « la main
88 ion au gré d’un moraliste qui se donne l’air de l’ avoir bel et bien sondée ? Ce serait un conte bleu, ou un volume de la Bibl
89 rétendre qu’un roman pessimiste à la Thomas Hardy a plus de chances d’être chrétien qu’un quelconque happy end soi-disant
90 r l’aveu même qu’on en fait est la preuve qu’on l’ a traversé, et qu’on a saisi l’espérance qui le transcende et qui le ju
91 n fait est la preuve qu’on l’a traversé, et qu’on a saisi l’espérance qui le transcende et qui le juge. On a dit de Sara
92 l’espérance qui le transcende et qui le juge. On a dit de Sara Alelia que c’est un roman de la grâce : oui, mais c’est a
93 Cette femme n’est pas un ange ni une sainte. Elle a péché gravement, elle a touché le fond de la détresse humaine. C’est
94 ange ni une sainte. Elle a péché gravement, elle a touché le fond de la détresse humaine. C’est un vieux pasteur un peu
95 prits encore marqués de préjugés naturalistes. On a voulu nous faire croire que la vie quotidienne était le contraire de
96 e cœur. Le regard « réaliste » de Hildur Dixetius a su voir dans la vie quotidienne des drames singuliers, de bizarres et
97 a Alelia trouvera son public ; c’est un livre qui a le temps pour lui. 9. Hildur Dixelius von Aster : Sara Alelia, trad
98 i. Une note de lecture plus courte du même roman a également paru dans le Journal de Genève du 25 mai 1934.
7 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Une histoire de la Réforme en France (15 décembre 1934)
99 tre grand historien protestant, Camille Jullian — avait adopté un parti tout différent, et c’est peut-être le seul reproche s
100 qui vient de paraître10 témoigne de la volonté qu’ avait l’auteur de ne décrire que les effets sociaux, politiques et culturel
101 John Viénot, pasteur et professeur de théologie, a réussi le tour de force de parler de la Réforme d’une manière si obje
102 ère en quoi son Histoire se distingue de celle qu’ eût pu écrire un savant laïque épris de tolérance, teinté de renanisme, e
103 e historique qu’il nous offre est de celles qui n’ ont pas besoin de condiments pour produire leur brûlante saveur. Rien de
104 aginer ce qu’il fut advenu de la France si l’édit avait été observé, s’il n’avait pas été révoqué, si Sully avait été écouté,
105 de la France si l’édit avait été observé, s’il n’ avait pas été révoqué, si Sully avait été écouté, si les jésuites n’étaient
106 é observé, s’il n’avait pas été révoqué, si Sully avait été écouté, si les jésuites n’étaient pas revenus, s’ils n’avaient pa
107 é, si les jésuites n’étaient pas revenus, s’ils n’ avaient pas armé, après quinze autres meurtriers, un Ravaillac… Le bel irénis
108 fier considérablement l’opinion que nous pouvions avoir du « grand siècle » tel que nous l’ont décrit les fervents de Louis X
109 pouvions avoir du « grand siècle » tel que nous l’ ont décrit les fervents de Louis XIV et certains défenseurs de la politiq
110 ns toute cette guerre faite à la foi évangélique, ait été celle des Espagnols et des Romains. Les catholiques patriotes sav
111 personnelle des réformés. Le « grand dessein » qu’ avait conçu Béthune pouvait faire de la France la première organisatrice d’
112 ut, de dresser une protestation dont les termes n’ ont , hélas ! pas vieilli. Viénot cite, à ce propos, un texte assez frappa
113 vindicatif, n’est pas moins grand lorsque, après avoir décrit l’enterrement nocturne et secret d’une de ses coreligionnaires
8 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Kierkegaard, Dostoïevski, Barth (23 février 1935)
114 a chrétienté de son temps : la foi étant ce que j’ ai dit – le paradoxe le plus inouï – avez-vous cette foi, êtes-vous vrai
115 ant ce que j’ai dit – le paradoxe le plus inouï – avez -vous cette foi, êtes-vous vraiment chrétiens ? Servez-vous Dieu, ou b
116 e Hamlet — autre Danois ! — il tombera, certain d’ avoir accompli sa mission. Dans Crainte et Tremblement, Kierkegaard se déba
117 ement, Kierkegaard se débat encore avec lui-même. A-t -il la foi ? Qu’est-ce que la foi ? Hegel, dont la philosophie obsède
118 aham, le « père des croyants », c’est l’homme qui a osé l’absurde. Dieu lui a donné un fils, à l’âge de 70 ans. Il n’a pa
119 ts », c’est l’homme qui a osé l’absurde. Dieu lui a donné un fils, à l’âge de 70 ans. Il n’a pas ri — comme Sarah, sa fem
120 Dieu lui a donné un fils, à l’âge de 70 ans. Il n’ a pas ri — comme Sarah, sa femme — de ce miracle. Et maintenant Dieu lu
121 il échoue devant ce paradoxe monstrueux. Il n’y a donc personne de la taille d’Abraham, personne qui puisse le comprend
122 uisse le comprendre ? Si, pourtant. Les pasteurs ont coutume de l’offrir en exemple. Car enfin il n’a pas tué : Dieu l’arr
123 nt coutume de l’offrir en exemple. Car enfin il n’ a pas tué : Dieu l’arrête au dernier moment et lui montre un bélier prê
124 ur le sacrifice… On célèbre la grâce de Dieu qui a donné Isaac pour la seconde fois ; on ne voit, dans toute l’histoire,
125 fit le chemin lentement, au pas de son âne, qu’il eut trois jours de voyage et qu’il lui fallut un peu de temps pour fendre
126 ort du chrétien véritable. Mais qui peut dire : j’ ai cette foi-là ? La réflexion philosophique que Kierkegaard enchaîne à
127 alectique « abyssale » de cette œuvre. Personne n’ a fait plus que Jean Wahl pour faire connaître à l’élite française la p
128 me chrétien reste un homme comme les autres. Il n’ a pas à devenir, dès ici-bas, un être un peu divin, un peu divinisé, éc
129 ski ou les confins de l’homme. Le grand succès qu’ a remporté ce petit livre en Allemagne mérite d’être confirmé par notre
130 ns L’Esprit de Dostoïevski, le professeur de Bâle a su l’envisager dans une perspective chrétienne, hors de laquelle cett
131 ns, ou seulement chaotique, morbide. Ce que nous avons cherché dans Dostoïevski, c’est la réponse à cette question : qu’est-
132 ’est-ce qu’un homme ? Et cette réponse, il nous l’ a donnée en nous découvrant que l’homme n’est lui-même qu’une seule et
133 une passion convaincante. De divers côtés l’on m’ a demandé de préciser, à propos d’une de mes récentes chroniques, ce qu
9 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Trois traités de Jean Calvin (20 juillet 1935)
134 on de Calvin dans notre grand public, sinon qu’il avait les joues creuses, une barbiche pointue et un profil coupant ? N’est-
135 ition Calvin à la Bibliothèque nationale, si elle a permis à beaucoup de réviser quelque peu leurs notions sur l’importan
136 tance intellectuelle et littéraire du calvinisme, a donné lieu par contre à une véritable débauche de considérations très
137 un essor tout nouveau de la pensée chrétienne. On aurait tort d’assimiler cette renaissance à la belle floraison néo-thomiste.
138 n. Il faut bien avouer que les commentateurs nous avaient donné jusqu’ici une image assez étriquée de cette Weltanschauung à la
139 st le Traité des scandales. Ce troisième traité n’ avait jamais été réimprimé depuis sa parution en 1550. « Originale mixture
140 iller continuellement sous la croix, tant qu’elle aura à cheminer en ce monde. Voici enfin les « libertins », ceux que nous
141 ses de style que produisit ce siècle bouillonnant ont passé dans l’attaque de Calvin : il a su prendre à l’adversaire ses m
142 illonnant ont passé dans l’attaque de Calvin : il a su prendre à l’adversaire ses meilleures armes. Au sujet de ce style,
143 un romantisme tour à tour alangui ou excité nous a fait perdre le secret. Notre langage moderne relève à peine de deux m
10 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les mystiques allemands du xiiie au xixe siècle, par Jean Chuzeville (2 novembre 1935)
144 lle (2 novembre 1935)m n L’esprit occidental n’ a jamais eu d’unité harmonieuse : il est toujours tension entre deux pô
145 vembre 1935)m n L’esprit occidental n’a jamais eu d’unité harmonieuse : il est toujours tension entre deux pôles, qui d
146 e, il convient de remercier M. Chuzeville de nous avoir ouvert par son anthologie tout un monde spirituel et poétique plein d
147 ééditer des calomnies usées sur un Luther qu’on n’ a jamais lu ; l’introduction de cette anthologie contient, à cet égard,
148 p. 5. n. Une note de lecture sur le même livre a également paru dans la Nouvelle Revue française d’octobre 1935.
11 1936, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le Problème du bien (12 septembre 1936)
149 s, sauf erreur — M. le pasteur Wilfred Monod nous a donné une œuvre aussi exceptionnelle par ses dimensions que par son s
150 ment le plus complet que le modernisme protestant aura livré sur son époque. Mais il marque en même temps son dépassement. C
151 ai de théodicée et journal d’un pasteur ». Nous n’ avons pas affaire ici à une construction doctrinale. L’auteur prend soin de
152  » — encore que l’auteur s’en défende, l’adjectif ayant pris peu à peu une signification ecclésiastique plus précise et restr
153 court au fait de son expérience intérieure. Après avoir montré que cette expérience diffère de tout processus psychique, il p
154 e condamné par toute la tradition chrétienne pour avoir affirmé que le monde est l’œuvre d’un esprit mauvais, d’un démiourgos
155 il, « n’est pas venu nous enseigner que l’univers a un créateur. Il a, au contraire, déboulonné l’idole effroyable du Tou
156 nu nous enseigner que l’univers a un créateur. Il a , au contraire, déboulonné l’idole effroyable du Tout-Puissant ; il a
157 boulonné l’idole effroyable du Tout-Puissant ; il a enseigné que le vrai Dieu s’incarnait dans un crucifié vaincu ». Par
158 vaincu ». Par une espèce de paradoxe — personne n’ a chéri davantage le paradoxe depuis Kierkegaard — M. Monod déduit de c
159 yle de pensée, sa démarche insolite et dramatique ont bien de quoi retenir le lecteur même incroyant ou ignorant de ces déb
160 ’ennui inhérent aux gros livres. C’est une somme, ai -je dit, une étrange et vivante compilation de notes, de journaux, de
12 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Luther contre Érasme (19 juin 1937)
161 e incroyable, que, depuis quatre siècles qu’elles ont été écrites, on n’en a pas traduit une seule en France ! Quelques pag
162 quatre siècles qu’elles ont été écrites, on n’en a pas traduit une seule en France ! Quelques pages choisies, en appendi
163 essible d’une œuvre dont on sait pourtant qu’elle a changé plus qu’aucune autre les destinées de l’Occident. (Je ne fais
164 grande tension spirituelle dans laquelle l’Europe a puisé son dynamisme créateur : l’opposition du témoin responsable et
165 nces de sa vérité : il souhaite même qu’il n’y en ait pas. Et tous les prudents d’applaudir, non sans apparences de raison 
166 s d’applaudir, non sans apparences de raison : on a commis tant de crimes au nom de la vérité ! On s’en est plus servi qu
167 de la vérité ! On s’en est plus servi qu’on ne l’ a servie… L’intervention de Luther en personne va-t-elle changer une fo
168 et le faire puissamment rebondir. Car personne n’ a mieux incarné la volonté de pensée militante que ce petit moine qui,
169 bre arbitre religieux, c’est-à-dire du pouvoir qu’ aurait l’homme de gagner le salut par ses propres efforts de volonté, ce n’e
170 de Luther et d’Érasme. Le trop prudent humaniste eût -il saisi dans son sérieux dernier la réalité d’un dilemme qui sacrifi
13 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Selma Lagerlöf, conteur de légende (3 juillet 1937)
171 court. Dans la littérature du xxe siècle, il n’y a plus de grands mythes, il y a des analyses. On part de « faits d’obse
172 ici, c’est le parti romanesque que Selma Lagerlöf a su tirer du mythe. Et c’est aussi la profusion géniale des inventions
173 « Celui qui veut être un disciple du Christ sans avoir l’amour des hommes est condamné à aller à sa perte et à y conduire le
174 si, l’on s’aperçoit que la fatalité de la légende a bel et bien dominé tous ces êtres, malgré leur scepticisme ou leurs b
175 ure où les religions obscures dominent ceux qui n’ ont pas la foi. Seule une prière désespérée, de pur amour, rompt le charm
176 cée, Charlotte Löwensköld. En la quittant, il lui a crié qu’il n’épouserait qu’une femme que Dieu lui aurait désignée. La
177 crié qu’il n’épouserait qu’une femme que Dieu lui aurait désignée. La première qu’il croisera en allant au village, si elle n’
178 end chanter : c’est la fille de l’aubergiste, qui a fort mauvaise réputation. Mais elle ne s’engage pas sur la route, ell
179 s une bête curieuse, dit-elle. On croirait que tu as rencontré un ours ! » C’est Anna Svärd, la femme que Dieu lui envoie,
180 d. Il faut avouer que le milieu où Selma Lagerlöf a grandi paraît favoriser plus qu’aucun autre le déploiement des pouvoi
14 1939, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Non, Tristan et Iseut ne s’aiment pas, nous dit Denis de Rougemont (12 février 1939)
181 à la lucidité sensible d’un compatriote d’Amiel, a déjà derrière lui une œuvre solide. Il est l’un des principaux collab
182 des articles qui ne sont jamais indifférents. Il a tenu, dans notre journal, la rubrique de la vie protestante. Ayant fa
183 notre journal, la rubrique de la vie protestante. Ayant fait de solides études à Vienne et en Allemagne, il a enseigné dans u
184 it de solides études à Vienne et en Allemagne, il a enseigné dans une ville universitaire où il rédigea, en 1936, ce Jou
185 ieux que beaucoup de Français notre province : il a séjourné de longs mois en Vendée et dans le Midi. Son Journal d’un i
186 s. Denis de Rougemont n’aime pas les villes, il n’ a pas besoin pour écrire de ces conversations, de ces échanges qui stim
187 garçon. Denis de Rougemont est grand, souple, il a la réserve affable des Suisses, et ce sourire des lèvres qui semble e
188 héros de la passion, ne s’aimaient pas ? Quand j’ ai commencé à écrire mon livre, je voulais simplement étudier ce mythe e
189 ant leur première rencontre, ne s’aiment qu’après avoir bu le philtre, ne peuvent plus se supporter au bout de trois ans de v
190 ans de vie commune dans la forêt et qui, Tristan ayant épousé Iseut aux blanches mains, l’autre Iseut, ne reconnaissent plus
191 essenties au siècle dernier, mais dont personne n’ a osé proposer une explication. J’ai beaucoup réfléchi avant d’arriver
192 dont personne n’a osé proposer une explication. J’ ai beaucoup réfléchi avant d’arriver à cette conviction, que je suis prê
193 accorde à la femme une prééminence dont l’Église a bien senti le danger, puisqu’elle a développé le culte de Notre-Dame
194 dont l’Église a bien senti le danger, puisqu’elle a développé le culte de Notre-Dame pour répondre au culte de la « Dame 
195 de l’homme et les directives de l’Église. Comment a-t -il pu, en moins de vingt ans, dominer ainsi toute la littérature ? Be
196 ade contre les albigeois réprima sans l’anéantir, eut des millions de partisans. Venue de Macédoine, elle gagna la France p
197 ssion serait une hérésie chrétienne ? … Dont nous avons perdu la clef, et qui a pourtant inspiré toute notre littérature, rep
198 étienne ? … Dont nous avons perdu la clef, et qui a pourtant inspiré toute notre littérature, reprend Denis de Rougemont.
199 essentiel de toute la littérature occidentale, n’ a surgi dans la littérature orientale que tout dernièrement, à la suite
200 cante. Mais comment cette interprétation du mythe a-t -elle pu échapper jusqu’ici aux spécialistes du Moyen Âge ? Denis de R
201 de Rougemont sourit avec malice : Les philologues ont un respect de la lettre qui leur cache parfois le sens profond des te
202 pugnent à l’emploi des méthodes freudiennes. Or j’ ai été frappé par le goût de la mort que l’on retrouve à la fois dans le
203 t autre que l’instinct de la mort tel que Freud l’ a analysé. À une époque où le statut du mariage se modifie profondément
204 omment cela ? C’est très simple. Nous souffrons d’ avoir été élevés dans une double contradiction. Romans, poèmes, musique, l’
205 inition, reste extérieure au mariage, puisqu’elle a besoin d’obstacles, et ne résiste pas à la facilité, à l’habitude. Ex
206 Pour moi, répond Denis de Rougemont, il ne peut y avoir qu’une solution : le mariage chrétien, mais présenté d’une manière no
207 lle Vertu, illustre bien votre pensée ? Oui, je l’ ai écrit presque en même temps que L’Amour et l’Occident . Mais je ne l
208 Mais je ne le ferai pas paraître tout de suite. J’ ai aussi terminé deux livres d’essais : Doctrine fabuleuse et Les Per
209 m e. Et en ce moment, à quoi travaillez-vous ? J’ ai en chantier un livre sur La Réforme comme Révolution. Mais je l’ai un
210 livre sur La Réforme comme Révolution. Mais je l’ ai un peu délaissé au profit d’un drame que j’écris pour l’Exposition de
211 héros suisse, le bienheureux Nicolas de Flue, qui eut une vie extraordinaire. D’abord soldat valeureux, il fut ensuite, pen
212 ix-sept ans, juge et conseiller à Sachseln, où il eut dix enfants. Puis il se retira dans un ermitage, où pendant vingt ans
213 r, devant cinq ou six-mille spectateurs. La scène aura trente mètres de large, et trois étages, qu’il faut ne jamais laisser
214 e, c’est que mon livre, paru il y a huit jours, m’ a déjà valu de nombreuses lettres d’hommes et de femmes qui se trouvaie
15 1963, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Mais qui est donc Denis de Rougemont (7 novembre 1963)
215 nne . Pour quelques autres, il est l’écrivain qui a le mieux analysé la résistible ascension d’Adolf Hitler (dans Journa
216 . Mais qui est en réalité Denis de Rougemont ? On a dit beaucoup de bêtises — lui-même le déclare — sur l’homme et sur so
217 œuvre dont tout le monde parle et que peu de gens ont lue. Pas plus savant qu’un autre mais beaucoup plus prudent, j’ai dem
218 savant qu’un autre mais beaucoup plus prudent, j’ ai demandé à Denis de Rougemont de commenter librement et, au besoin, de
219 que je me proposais d’écrire sur lui. Voici ce qu’ a donné cette entrevue. Né en 1906 à Neuchâtel, Denis de Rougemont est
220 maniste… Humaniste ? Je n’aime guère ce terme. On a tendance à opposer humanisme et christianisme, et je me sens plutôt d
221 ant exactement ce que je pensais du nazisme. J’en ai effectivement pensé et dit beaucoup de mal dans mon Journal d’Allema
222 l dans mon Journal d’Allemagne , paru en 1938. J’ eus d’ailleurs d’autres démêlés avec les autorités allemandes, quand j’éc
223 . Les Allemands demandèrent que je sois puni et j’ ai reçu quinze jours de prison militaire sous le prétexte qu’un officier
224 ilitaire sous le prétexte qu’un officier neutre n’ a pas le droit d’outrager un chef d’État étranger ! De Suisse, Denis de
225 sions en français de « La Voix de l’Amérique ». J’ avais plusieurs équipes de speakers, dont faisaient partie André Breton, Ma
226 e fédéralisme de l’autre. Je vous arrête : il n’y a pas, il n’y a jamais eu chez moi (contrairement à Saint-John Perse ou
227 de l’autre. Je vous arrête : il n’y a pas, il n’y a jamais eu chez moi (contrairement à Saint-John Perse ou Georges Séfér
228 e. Je vous arrête : il n’y a pas, il n’y a jamais eu chez moi (contrairement à Saint-John Perse ou Georges Séféris par exe
229 ersonne » à la théorie fédéraliste. L’homme, vous ai -je dit, doit être à la fois libre et responsable ; de même pour chaqu
230 un. Enfin, le 28 octobre 1963, Denis de Rougemont a reçu des mains du Prince Rainier le Grand Prix littéraire de Monaco.
231 onaco. Selon la formule consacrée, je suis ravi d’ avoir reçu ce prix, malgré une petite ombre au tableau. Je viens en effet d
232 rand écrivain. À ce propos, savez-vous où Ionesco a trouvé le sujet de son Rhinocéros ? Dans mon Journal d’Allemagne , c
233 on Journal d’Allemagne , c’est lui-même qui me l’ a dit. w. Rougemont Denis de, « [Entretien] Mais qui est donc Denis
16 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les prophètes de la décadence (24 septembre 1970)
234 cadence (24 septembre 1970)z aa Le xxe siècle a vu la civilisation — qui ne saurait être que la nôtre, quand on en pa
235 es vulgarités. Mais en même temps, le xxe siècle a vu se multiplier les prophètes de la décadence européenne : et ils so
236 aux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais Fr
237 r tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les œ
238 de Babylone, ces palais de Persépolis ?… Hélas, j’ ai visité les lieux qui furent le théâtre de tant de splendeur, et je n’
239 i furent le théâtre de tant de splendeur, et je n’ ai vu qu’abandon et que solitude… Qui sait si sur les rivages de la Sein
240 men comparatif des vingt et une civilisations qui auraient existé jusqu’ici, les lois complexes, mais constantes, de leur genèse
241 iens et philosophes, armés d’une vaste érudition, ont d’autant moins de peine à nous convaincre que, d’une part, ils rejoig
242 rt, les plus grands esprits du siècle précédent n’ ont cessé d’annoncer les catastrophes qui ont fondu de nos jours sur l’Eu
243 édent n’ont cessé d’annoncer les catastrophes qui ont fondu de nos jours sur l’Europe : de Kierkegaard à Nietzsche et à Dos
244 ckhardt et de Donoso Cortès à Georges Sorel, tous ont décrit depuis cent ans les motifs de craindre le pire pour notre civi
245 matérielles… Que faudrait-il de plus, pour qu’on ait le droit de parler d’une éclipse ou d’une mort prévisible de notre ci
246 e l’autre soit ruinée du même coup. Tchingis-Khan eut l’hégémonie sans la civilisation, tandis que l’Europe du Moyen Âge eu
247 la civilisation, tandis que l’Europe du Moyen Âge eut une civilisation sans hégémonie. Secundo, il n’est pas du tout certa
248 opéens, celui de la chute de Rome, qui est censée avoir entraîné la disparition de la civilisation gréco-romaine dans la part
249 uvent contradictoires ou incompatibles qu’elle en a héritées, la civilisation européenne s’est trouvée fondée sur une cul
250 ne culture de dialogue et de contestation. Elle n’ a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voulu, se laisser ordonner à u
251 testation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’ a jamais voulu, se laisser ordonner à une seule doctrine qui eût régi à
252 ulu, se laisser ordonner à une seule doctrine qui eût régi à la fois ses instructions, sa religion, sa philosophie, sa mora
253 losophie, sa morale, son économie et ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unité des esprits e
254 nie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’ a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que
255 e et de la civilisation créée par cette culture n’ a jamais été autre chose qu’une unité paradoxale consistant dans la seu
256 effectivement devenue universelle. Bien d’autres avaient cru cela d’elles-mêmes, avant la nôtre. Elles se trompaient, mais cet
257 omène sans précédent dans toute l’Histoire ? Nous avons vu que la civilisation européenne, née de la confluence des sources l
258 du moins séduire tous les peuples du monde. Nous avons vu aussi que l’Europe envoie dans le monde plus de machines et d’assi
259 Mais il faut voir enfin que cette civilisation n’ a pu devenir universelle qu’en vertu de quelque chose de très fondament
260 tion chrétienne exprimée par saint Paul (« Il n’y a plus ni Juifs ni Grecs, ni esclaves ni hommes libres, ni hommes ni fe
261 re ? Deuxième raison : La civilisation européenne a créé les conditions techniques de sa conservation et de sa transmissi
262 : elles sont dans les journaux ». Depuis lors, on a retrouvé — et même joué — plusieurs comédies de Ménandre. Quant aux œ
263 us apparaît donc très variable. Certes, plusieurs ont disparu sans nous laisser d’autre héritage actif que celui de leurs œ
264 tre, sont-elles vraiment mortes ? Leurs conquêtes ont été préservées par le musée et le laboratoire européens, pour être di
265 urs rivales asiatiques, qu’on dit plus raffinées, aient connu pareille fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon et de So
266 retter, mais on doit le constater. Roger Caillois a écrit non sans drôlerie à propos de la fameuse phrase de Valéry : « S
267 l propose de corriger comme suit le passage que j’ ai cité : « Nous autres civilisations, nous avons depuis peu la certitud
268 que j’ai cité : « Nous autres civilisations, nous avons depuis peu la certitude que nous ne mourrons jamais entièrement et qu
269 les circonstances de la chute de celles qui nous ont précédées : c’était parfois une catastrophe naturelle, comme la derni
270 chement du Sahara, affectant la région entière où avait fleuri une civilisation déterminée. Et les autres n’en savaient rien.
271 as un apport soviétique, ce n’est pas Popov qui l’ a inventé, mais bien un Juif allemand, dont le père était devenu protes
272 alisation. En électrifiant le pays, le communisme a renouvelé l’entreprise de Pierre le Grand : il a pour la seconde fois
273 a renouvelé l’entreprise de Pierre le Grand : il a pour la seconde fois européanisé la Russie. Et c’est l’URSS à son tou
274 r la civilisation des mandarins, c’est l’URSS qui a introduit dans l’Empire emmuré ce nouveau cheval de Troie occidental 
275 nation. Le fameux « bon en avant » de la Chine n’ a guère été qu’un bond vers l’industrie et vers le socialisme, inventés
17 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Denis de Rougemont : l’amour et l’Europe en expert (24 décembre 1970)
276 de Rougemont, les deux grands thèmes de votre vie ont été l’Amour et l’Europe. Quel était le Denis de Rougemont de ses 17 a
277 sse, par définition. 17 ans, c’est le moment où j’ ai pris conscience que j’étais un littéraire. À cette époque je n’écriva
278 ts de crises, au sommet de l’effort. Plus tard, j’ ai appris que Montherlant et Albert Camus avaient aussi été gardiens de
279 tard, j’ai appris que Montherlant et Albert Camus avaient aussi été gardiens de but. Comment avez-vous découvert l’Europe ? C’e
280 Camus avaient aussi été gardiens de but. Comment avez -vous découvert l’Europe ? C’est entre 17 et 25 ans que j’ai découvert
281 couvert l’Europe ? C’est entre 17 et 25 ans que j’ ai découvert un peu l’Europe. Quand j’allais dans le Midi des troubadour
282 ns bretons je me sentais curieusement chez moi. J’ ai fini par comprendre que ce sentiment venait de ce que j’avais des anc
283 ar comprendre que ce sentiment venait de ce que j’ avais des ancêtres dans tous ces pays-là. Si je regarde l’ascendance de mon
284 on père, je m’aperçois qu’à la génération où nous avons 64 ancêtres, la sixième, il y a 28 Suisses neuchâtelois et 36 ancêtre
285 cées sur notre petit coin de Suisse romande. Vous avez consacré de nombreuses et passionnantes pages à l’amour. Qu’est-ce qu
286 cident . L’amour au sens de l’amour-passion que j’ ai décrit dans mon livre fut quelque chose de très important dans ma vie
287 mariage est au fond le sujet même de ce livre. J’ ai été entraîné à écrire cet ouvrage par toute une suite de circonstance
288 936 et Mounier s’était montré un précurseur. Il m’ avait demandé une étude sur l’opposition qui paraissait éclatante entre l’a
289 qui dirigeait la collection Présence, chez Plon, ayant lu mon article me demanda si je ne voulais pas faire pour lui un peti
290 he de Tristan et l’amour dans le mariage. Et nous avons pris date. Je devais lui donner mon livre en février 1938. Le mois de
291 n février 1938. Le mois de février arriva et je n’ avais pas écrit une ligne. Je reçus une lettre recommandée de Daniel-Rops,
292 tenant-colonel qui s’appelle Charles de Gaulle. » Ayant cédé mon tour, je me suis mis instantanément à mon livre, et j’ai ter
293 , je me suis mis instantanément à mon livre, et j’ ai terminé les 450 pages en trois mois. Comme je l’ai écrit dans la préf
294 i terminé les 450 pages en trois mois. Comme je l’ ai écrit dans la préface, c’est un livre qui m’a demandé trois mois de t
295 l’ai écrit dans la préface, c’est un livre qui m’ a demandé trois mois de travail et toute la vie. J’étais devenu, hélas 
296 de L’Amour et l’Occident  ? Je croyais que vous aviez une grande barbe blanche. » C’était la première réaction. Voici l’aut
297 i l’autre réaction : « Savez-vous que votre livre a transformé ma vie ! »… Cette idée d’avoir transformé tant de vies m’a
298 votre livre a transformé ma vie ! »… Cette idée d’ avoir transformé tant de vies m’a beaucoup impressionné. J’ai tâché de suiv
299 ! »… Cette idée d’avoir transformé tant de vies m’ a beaucoup impressionné. J’ai tâché de suivre un peu ce qui se passait
300 nsformé tant de vies m’a beaucoup impressionné. J’ ai tâché de suivre un peu ce qui se passait dans la vie de ces gens qui
301 u ce qui se passait dans la vie de ces gens qui m’ avaient fait des confidences et je me suis aperçu que généralement ils étaien
302 éralement ils étaient près de divorcer avant de m’ avoir lu puis qu’ils avaient décidé de ne pas divorcer, de s’en tenir à la
303 près de divorcer avant de m’avoir lu puis qu’ils avaient décidé de ne pas divorcer, de s’en tenir à la dernière partie de mon
304 ique. C’est pourquoi dans la nouvelle édition qui a paru en 1954ae j’ai ajouté un long chapitre sur le divorce. Depuis lo
305 i dans la nouvelle édition qui a paru en 1954ae j’ ai ajouté un long chapitre sur le divorce. Depuis lors je n’ai cas cessé
306 un long chapitre sur le divorce. Depuis lors je n’ ai cas cessé de récrire ce livre. Mon deuxième livre sur ce thème, Comm
307 t l’Occident , et non pas contre le mythe. Cela n’ aurait pas de sens de dire que l’on est contre la passion qui est l’une des
308 s au nom d’une morale puritaine, comme certains l’ ont cru, mais au nom d’une morale d’artiste. Tout homme est amené à être
309 Ferney-Voltaire entouré de frontières… Un jour j’ ai passé la frontière avec Robert Schuman en voiture et avec le photogra
310 ture à Genève. Arrivé à la frontière, le douanier a eu ce mot admirable : « Ah ! ça, c’est l’Europe !… passez… » Le fait
311 re à Genève. Arrivé à la frontière, le douanier a eu ce mot admirable : « Ah ! ça, c’est l’Europe !… passez… » Le fait d’ê
312 t pour entretenir l’indignation continuelle que j’ ai contre les frontières. Cette frontière avait été à peu près supprimée
313 e que j’ai contre les frontières. Cette frontière avait été à peu près supprimée par des traités qui repoussaient le cordon d
314 ouveau une région naturelle comme la géographie l’ avait dessinée. Mais en 1923, Poincaré, par une espèce de coup d’État, a dé
315 en 1923, Poincaré, par une espèce de coup d’État, a décidé de porter à la frontière politique sa ligne de douaniers et il
316 rontière politique sa ligne de douaniers et il en a résulté que dans la région que j’habite, qui est prétendument zone fr
317 s. Cette situation particulièrement scandaleuse n’ a pas peu fait pour me convaincre qu’on n’arrivera vraiment à faire l’E
318 , c’est quelque chose que probablement tout homme a senti dans le fond de soi-même comme l’achèvement. Cela n’a rien à vo
319 ns le fond de soi-même comme l’achèvement. Cela n’ a rien à voir avec la publicité. Ça peut être secret. Je crois beaucou
320 ssence quelque chose dont on ne peut rien dire. J’ ai des idées folles, comme beaucoup d’hommes, sur la mort, sur la chrono
321 éalise plus ou moins bien, elle peut dire qu’elle a réussi sa vie et après cela on ne peut rien lui demander de plus. Et
322 us. Et Dieu ? Je publierai peut-être un livre qui aura comme titre « Dieu », entre guillemets, ces guillemets voulant dire q
323 quer que nous nous trouvons devant un problème. J’ ai écrit des centaines de pages de notes sur ce que ce mot Dieu peut évo
324 plus grande précision dans le détail, car il n’y a là que la précision qui est intéressante ; en évitant tout ce qui peu
325 ent, c’est à ceci : Dieu, c’est le sens. S’il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de sens. Certains savants aujourd’hui disen
326 eu, c’est le sens. S’il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de sens. Certains savants aujourd’hui disent qu’ils ne tiennent p
327 qu’ils ne tiennent pas du tout à ce que le monde ait un sens, à ce que notre vie ait un sens, à ce que l’humanité ait un s
328 à ce que le monde ait un sens, à ce que notre vie ait un sens, à ce que l’humanité ait un sens, puis ils finissent par vous
329 ce que notre vie ait un sens, à ce que l’humanité ait un sens, puis ils finissent par vous faire un petit couplet de morale
330 ce que cela veut dire pour vous, la vie, s’il n’y a aucun sens à rien ? Pourquoi ne me comporterais-je pas comme le surho
331 ourrait croire à l’existence de ce corps ? Elle n’ a aucun moyen d’en prendre connaissance. Elle peut savoir à peu près qu
332 e l’idéal de toute sa vie ; les hommes qui demain auront la charge du monde pourront y puiser tout un programme politique insp
18 1972, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). De l’unité de culture à l’union politique (17-23 avril 1972)
333 ns, chacune trop petite pour se défendre seule, n’ a pas la moindre chance de résister d’une part à la colonisation idéolo
334 s. Une Europe unifiée et uniformisée, deux hommes ont essayé de la faire : Napoléon et Hitler. Dans les deux cas, l’expérie
335 ire ou millénaire qu’ils prétendaient inaugurer n’ a duré que dix à douze ans. Or il se trouve que la formule fédéraliste,
336 eur nation est immortelle, ce qui suggère qu’elle aurait existé de toute éternité ; alors qu’en vérité, pour la plupart, en ta
337 art, en tant qu’État et en moyenne, nos nations n’ ont même pas cent ans d’âge. Seules la France, l’Angleterre et l’Espagne
338 est absolument certain que l’Italie comme État n’ a que cent-dix ans, l’Allemagne cent ans, la Norvège soixante-six, la T
339 e Islande vingt-sept, et Malte, dix. L’école nous a raconté que chacun de nos États-nations correspond à une langue, à un
340 e défini par des frontières naturelles. Et nous l’ avons cru ! Or tout est faux dans cet enseignement. Il n’y a pas de cultu
341 Or tout est faux dans cet enseignement. Il n’y a pas de cultures nationales La culture européenne n’est pas la somm
342 ’Espagne et les Allemagnes au-delà du Rhin ; elle a été mise en forme par la Révolution française, et elle a triomphé dan
343 ise en forme par la Révolution française, et elle a triomphé dans l’enseignement de la géographie au xixe , là encore con
344 ce dévot de l’État-nation. C’est ainsi qu’on nous a inculqué que le Rhin sépare les peuples de ses rives, mais que le Rhô
345 lement contestataire de son génie — mais qui nous ont tous affectés à doses variables, et qui ont éduqué notre vision du ré
346 nous ont tous affectés à doses variables, et qui ont éduqué notre vision du réel, que nous le sachions ou non, que nous so
347 érature et de doctrine sociologique ou politique, ont été paneuropéennes, et non pas nationales. Les grands courants europé
348 es à vérifier. Non, les frontières de nos États n’ ont jamais été « naturelles ». Elles sont accidentelles et arbitraires co
349 la souveraineté stato-nationale, qui ne peut plus avoir d’effets que négatifs ! En nous présentant l’Europe comme un puzzle d
350 s, fauteurs de deux guerres mondiales où l’Europe a failli périr, mais encore ils faussaient notre vision de l’histoire e
351 même de la vie de l’esprit. 1° Chacun de nos pays a un nord et un midi : dans chacun vous trouverez des croyants et des i
352 isant à Paris tous les esprits distingués qu’il n’ a pas bannis. Le grand secret de la vitalité inégalée de notre culture