1 1933, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Parole de Dieu et parole humaine, par Karl Barth (30 décembre 1933)
1 décembre 1933)a b La théologie chrétienne a-t- elle pour tâche de rendre acceptable le message de l’Évangile, d’en atténu
2 atibles avec nos plus récentes lumières ? Ou bien doit -elle, tout au contraire, assumer le scandale, montrer sa permanente e
3 es avec nos plus récentes lumières ? Ou bien doit- elle , tout au contraire, assumer le scandale, montrer sa permanente et sal
4 qui n’est pas justiciable de leurs mesures puisqu’ elle est le jugement de tous nos jugements et la « crise » de tous nos pro
5 des apaisements ou des directions positives. Faut- il encore ajouter à son trouble, l’aggraver, le rendre littéralement ins
6 et d’optimisme culturel sur lequel, trop souvent, elles s’étaient appuyées, la guerre et la révolution le bouleversaient brut
7 raies raisons, les vrais problèmes. « Pasteur, je devais parler à des hommes aux prises avec les contradictions inouïes de la
8 e et la Bible, m’ont fait l’effet — ne me le font- elles pas encore ? — d’être Charybde et Scylla. Si c’est cela l’origine et
9 la prédication chrétienne, me disais-je, qui donc doit , qui donc peut être pasteur et prêcher ? » Tourmenté par cette questi
10 êcher ? » Tourmenté par cette question à laquelle il ne peut ni ne veut se soustraire, Karl Barth se met à relire l’Épître
11 quiétante sans doute, pour notre esprit critique. Il résulte de cette étude un gros livre que trois éditeurs refusent mais
12 tendent de nous que nous les comprenions mieux qu’ ils ne se comprennent eux-mêmes… Si nous ne prenons pas les hommes au sér
13 i nous ne les prenons pas davantage au sérieux qu’ ils ne le font eux-mêmes, comment aurions-nous le droit de nous étonner q
14 us le droit de nous étonner que, pour la plupart, ils prennent peu à peu l’habitude de délaisser l’Église et de nous abando
15 s initiaux, de sa « problématique » particulière. Il n’est pas facile de résumer sans la trahir une pensée à ce point host
16 ctif. Disons tout de suite que les corrections qu’ elle apporte constituent une sérieuse attaque contre toute religiosité. El
17 nt une sérieuse attaque contre toute religiosité. Elles consistent tout d’abord en une série de points d’interrogation que Ba
18 , piété, expérience religieuse, problème de Dieu. Il n’en faut pas plus pour que se lèvent de toutes parts de troublants p
19 ts de troublants paradoxes. La Bible nous parle-t- elle de religion ? Ne nous montre-t-elle pas plutôt, avec une insistance s
20 nous parle-t-elle de religion ? Ne nous montre-t- elle pas plutôt, avec une insistance significative, que les hommes religie
21 a Bible au contraire, vise le monde religieux, qu’ il soit placé sous le signe de Baal ou de Yaveh. » La Bible nous parle-t
22 igne de Baal ou de Yaveh. » La Bible nous parle-t- elle de ces « expériences religieuses » sur lesquelles les modernes exerce
23 ’est moins important que le mode de l’expérience. Elle est charge et mission, et non pas but et accomplissement et donc, en
24 ement et donc, en tant que réalité psychologique, elle est élémentaire, à peine consciente d’elle-même. » Les prophètes n’on
25 ssumée dans sa tragique ironie, que le théologien doit avoir conscience, s’il veut parler valablement. Mais de quoi va-t-il
26 ronie, que le théologien doit avoir conscience, s’ il veut parler valablement. Mais de quoi va-t-il encore pouvoir parler ?
27 , s’il veut parler valablement. Mais de quoi va-t- il encore pouvoir parler ? Ici le paradoxe devient plus aigu. Le théolog
28 Ici le paradoxe devient plus aigu. Le théologien doit parler de Dieu, son nom l’indique. De quel Dieu ? De celui que la Bib
29 onc la tâche du théologien est de parler de Dieu, il s’avère qu’en tant qu’homme il ne le peut : « Car parler de Dieu voud
30 de parler de Dieu, il s’avère qu’en tant qu’homme il ne le peut : « Car parler de Dieu voudrait dire, pour toute conscienc
31 une sorte de pendant protestant au néo-thomisme. Il est avant tout un rappel violent à la nouveauté éternelle de l’Évangi
32 existence devant Dieu. À la suite de Kierkegaard il nous fait voir que le christianisme, c’est l’immédiat, l’instant éter
33 e est mortelle à l’homme. Et c’est par là même qu’ elle lui apporte, de l’extérieur, le gage de la résurrection. (La grâce n’
34 se refuse à cette mort, se refuse aussi à la vie. Il meurt de ne pas mourir, selon la parole profondément « dialectique »
35 e Sujet de toute existence et de toute recherche. Il est la présupposition de toute vie, la synthèse qui précède éternelle
36 théologie de la crise, une théologie dialectique. Elle est surtout et avant tout cela une théologie de la parole de Dieu. In
37 hrist en croix. La théologie n’est pas la parole. Elle ne peut que l’indiquer au-delà d’elle-même. Nous n’avons rien dit des
38 rise au sérieux des situations humaines telles qu’ elles sont, qui seule permet un humour souvent rude ; de cette puissance cr
39 s plus solides de notre temps. C’est pour cela qu’ il peut poser les questions les plus gênantes qui soient. ⁂ On l’a bien
40 émoignage courageux et authentiquement chrétien : il est le seul espoir que nous puissions garder dans la restauration spi
41 irituelle d’une Allemagne profondément paganisée. Il est aussi la plus éclatante réponse à tous ceux qui accusaient la pen
2 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). D’un humour romand (24 février 1934)
42 romand (24 février 1934)c Le Suisse romand est- il sérieux ? Je crains que mes raisons d’en douter n’ébranlent guère la
43 des personnes de sens. Mais après tout, ne serait- il pas étrange d’apporter des preuves sérieuses de la fantaisie de ce pe
44 e, cet excellent Toepffer dont on peut espérer qu’ il les faire rire tous les deux ? Je ne songe pas tant aux traditionnell
45 nnelles farces de père de famille en liberté dont il assaisonnait ses Voyages en zigzag pour amuser son pensionnat, mais p
46 stus, toujours si digne dans l’adversité, bien qu’ il lui arrive parfois de pousser « un immense cri en vingt-deux langues 
47 gues ». La satire de Toepffer n’est pas méchante, elle n’est pas même « spirituelle » ; c’est plutôt, dans l’espièglerie la
48 romand rentre sous terre, pour éviter Amiel. Faut- il désespérer de le revoir jamais ? Mais non, il faut lire d’abord Pierr
49 aut-il désespérer de le revoir jamais ? Mais non, il faut lire d’abord Pierre Girard et Charles-Albert Cingria : La Rose d
50 its livres à tirage limité. N’allez pas croire qu’ il s’agisse d’auteurs comiques : il s’agit d’abord de poètes. Je crains
51 ez pas croire qu’il s’agisse d’auteurs comiques : il s’agit d’abord de poètes. Je crains même de leur faire du tort en écr
52 crains même de leur faire du tort en écrivant qu’ ils sont drôles. (Des gens viennent vous dire : tenez, voilà qui vous fer
53 déçu.) Pour comprendre l’humour de Pierre Girard, il faut avoir aimé Charlot, celui des Lumières de la Ville et du Cirque.
54 ec une conscience pure et des gants beurre-frais. Ils ne tardent pas à rencontrer une jeune femme qui leur fait perdre tout
55 ns, de gens qui ont l’air d’avoir compris de quoi il s’agit. Il n’y a plus qu’à perpétrer une horrible inconvenance, un de
56 qui ont l’air d’avoir compris de quoi il s’agit. Il n’y a plus qu’à perpétrer une horrible inconvenance, un de ces scanda
57 m dans notre langue, et c’est pourquoi sans doute elle ne s’y manifeste que par ces « ratés » émouvants, dont nous rions fau
58 Virginie présidé par son oncle âgé de 102 ans («  Il avait arpenté tous les camps de la guerre de Sécession, mais il n’en
59 té tous les camps de la guerre de Sécession, mais il n’en parla pas »), et servi par un garçon triste qui perd le vol-au-v
60 n’ai pas de passeport ; je n’en ai jamais eu ; s’ il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux q
61 ai pas de passeport ; je n’en ai jamais eu ; s’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’
62  ; je n’en ai jamais eu ; s’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’aie fabriqués moi-mê
63 doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’ il ne soit de ceux que j’aie fabriqués moi-même. » Ainsi s’exprime Bruno
64 muz pendant la guerre. (C’est par cela surtout qu’ il est Suisse, au mépris de tous les racismes.) On avait, dans ce groupe
3 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). L’Humanité de Jésus d’après Calvin, par Max Dominicé (24 mars 1934)
65 tifs qui ont poussé M. Dominicé à l’écrire, et qu’ il expose en une vingtaine de pages précises, mesurées, et convaincantes
66 ne de pages précises, mesurées, et convaincantes. Il me semble que cette préface caractérise d’une façon remarquable l’évo
67 étude au calvinisme le plus strict. Par là même, il se rend plus directement accessible au lecteur français. Essayons de
68 it ainsi nettement posée : pour devenir chrétien, il fallait « rencontrer personnellement le Christ ». Mais comment cette
69 le Christ ». Mais comment cette rencontre pouvait- elle avoir lieu ? Deux voies s’offraient : celle de l’histoire et celle de
70 aturel, M. Dominicé n’a pas de peine à montrer qu’ il devenait « foncièrement irréel et sans intérêt ». À mesure qu’elle hu
71 oncièrement irréel et sans intérêt ». À mesure qu’ elle humanisait le Christ sous prétexte de nous rapprocher de lui, l’histo
72 e jeune théologien interroge Calvin. Que trouve-t- il  ? Des arguments, une solution ? Non point : un renversement du problè
73 se sur notre amour pour Jésus-Christ — amour dont il nous sait tout incapables par nous-mêmes — mais sur l’amour de Dieu p
74 ns que l’exégèse de Calvin est toute didactique : elle veut sans cesse transformer nos questions en questions que le texte s
75 et ne pratique qu’une « exégèse d’obéissance » — il se laisse juger par le texte. On ne saurait imaginer rien de plus opp
76 lleurs s’y prête peu. Mais on regrette parfois qu’ il suive à pas si prudents son modèle, et que l’admiration que lui inspi
77 ermes aussi respectueux des objections possibles. Il est vrai que ce livre est une thèse. Mais il n’est pas moins vrai que
78 les. Il est vrai que ce livre est une thèse. Mais il n’est pas moins vrai que Calvin sut parler un langage d’une verdeur a
4 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Quelques œuvres et une biographie de Kierkegaard (26 mai 1934)
79 rit de l’envergure de Kierkegaard eut légitimé, à elle seule, la création de cet Office et ses soins les plus diligents. Que
80 ues philosophiques et littéraires ! Probablement, il s’en fût amusé : tout ce qui touchait à l’opinion publique était pour
81 e était pour lui bien proche de la mystification. Il eut peut-être ri de se voir présenté tantôt comme anarchiste et pourf
82 camarade Nizan l’honneur de la trouvaille.) Mais il eût certainement protesté contre une erreur qui ne relève pas de l’in
83 traire d’un esthète. Comme Nietzsche, avec lequel il a pas mal de traits communs, Kierkegaard nous laisse un ouvrage d’aut
84 kegaard nous laisse un ouvrage d’autocritique2 où il dégage le sens général de son œuvre. On peut y lire ceci, en matière
85 ues œuvres traduites jusqu’ici, un peu au hasard, il faut l’avouer, le Traité du désespoir 3 est de beaucoup la plus centr
86 spoir, considéré comme une maladie universelle ne doit pas nous tromper sur le dessein du livre. Nul romantisme dans cette a
87 du désespoir, et quelles que soient les formes qu’ il revête, du spleen banal jusqu’au péché contre l’esprit, jusqu’au refu
88 étien, seul, connaît toute la misère de l’homme : elle lui est révélée par l’Évangile qui sauve. ⁂ La lecture du Traité n’es
89 phétique : Plains-toi, l’Éternel ne craint rien, il peut bien se défendre ; mais comment le pourrait-il quand personne n’
90 peut bien se défendre ; mais comment le pourrait- il quand personne n’ose se plaindre comme il sied à un homme ? Parle, él
91 ourrait-il quand personne n’ose se plaindre comme il sied à un homme ? Parle, élève la voix, parle fort, Dieu peut bien pa
92 remière source, une réponse de Dieu, qui, même si elle foudroie, est plus magnifique que les commérages et les potins sur la
93 admirable de ces pages a été rendu aussi bien qu’ il était possible par le traducteur). Mais il ne s’agit là que du premie
94 ien qu’il était possible par le traducteur). Mais il ne s’agit là que du premier volet d’un triptyque dont il nous faut at
95 ’agit là que du premier volet d’un triptyque dont il nous faut attendre les deux autres parties pour saisir la pleine sign
96 saurait trop insister sur l’utilité de ce livre. Il rendra vaines, désormais, les introductions que les différents traduc
97 mais qui se répétaient fastidieusement. Surtout, il situera, définitivement je l’espère, la perspective dans laquelle il
98 ivement je l’espère, la perspective dans laquelle il faut considérer l’ensemble des écrits de Kierkegaard, et qui est cell
99 ce n’est pas le moindre piquant du livre. Fallait- il souhaiter à Kierkegaard une introduction plus systématique ? Je ne le
100 omme qui vient nous dire, en toute simplicité, qu’ il a vu l’événement, et qu’il en est encore tout remué. On le croira san
101 n toute simplicité, qu’il a vu l’événement, et qu’ il en est encore tout remué. On le croira sans peine : il n’a pas l’air
102 est encore tout remué. On le croira sans peine : il n’a pas l’air d’avoir pu inventer ce qu’il raconte. Cela donne envie
103 eine : il n’a pas l’air d’avoir pu inventer ce qu’ il raconte. Cela donne envie d’aller voir. Or, je tiens qu’il n’y a rien
104 e. Cela donne envie d’aller voir. Or, je tiens qu’ il n’y a rien de plus urgent pour nous que d’aller voir ce qui se passe
105 ié ce qui n’est pas simple chez Kierkegaard. Mais il a su le décrire clairement et fidèlement, sans pédantisme et sans lit
5 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le mouvement des groupes — Kagawa (4 août 1934)
106 en Suisse, à Paris même. Né dans les universités, il paraît destiné à répondre d’abord aux préoccupations des intellectuel
107 ’abord aux préoccupations des intellectuels, mais il y répond de telle sorte qu’il abolit rapidement les barrières convenu
108 intellectuels, mais il y répond de telle sorte qu’ il abolit rapidement les barrières convenues entre intellectuels, hommes
109 ce discrète n’étonna personne. De quoi s’agissait- il  ? Ni de théologie, ni de problèmes sociaux, ni de morale ; ni même d’
110 sociaux, ni de morale ; ni même d’évangélisation. Il s’agissait de mettre en commun des difficultés intimes, d’entrer dans
111 s enfin, c’est le seul qui existe en français, et il contient un certain nombre de faits assez bouleversants pour qu’on pa
112 e on en trouve dans les pays anglo-saxons. On lui doit , entre autres, un ouvrage fameux sur l’Armée du salut.) Le Mouvement
113 es, pragmatistes, optimistes, scientifiques, etc. Il voit la réalité fondamentale du christianisme primitif dans le contac
114 és et le « partage » (sharing) des grâces reçues, il sait qu’on ne peut être chrétien que totalement, personnellement, act
115 rsonnellement, activement. N’allons pas croire qu’ il s’agisse là d’une nouvelle forme de pragmatisme américain. Dire que l
116 américain. Dire que la foi n’est réelle que là où elle se réalise ne signifie pas qu’il faille agir à tout prix. L’activiste
117 elle que là où elle se réalise ne signifie pas qu’ il faille agir à tout prix. L’activiste moderne n’est souvent qu’un agit
118 eurs. Seule la foi peut nous rendre actifs lorsqu’ elle nous engage dans une relation concrète avec le prochain. Mais comment
119  ? L’erreur des chrétiens, trop souvent, c’est qu’ ils s’efforcent d’endoctriner ceux qu’ils rencontrent. Le « partage » pré
120 t, c’est qu’ils s’efforcent d’endoctriner ceux qu’ ils rencontrent. Le « partage » préconisé par Buchman ne ressemble pas à
121 le moral. Pour entrer en contact avec les hommes, il n’y a qu’un moyen : c’est de leur ouvrir sa maison. D’où les confessi
122 es récits de Begbie. Les disciples de Buchmann, —  il refuserait cette expression — n’ont pas constitué d’organisation. Ils
123 expression — n’ont pas constitué d’organisation. Ils n’ont pas de registre des membres, ils ne nomment pas de comités, ils
124 anisation. Ils n’ont pas de registre des membres, ils ne nomment pas de comités, ils ne publient pas de revues, ils ne sont
125 istre des membres, ils ne nomment pas de comités, ils ne publient pas de revues, ils ne sont pas une secte ni une nouvelle
126 nt pas de comités, ils ne publient pas de revues, ils ne sont pas une secte ni une nouvelle Église. Ils travaillent par pet
127 ils ne sont pas une secte ni une nouvelle Église. Ils travaillent par petites équipes. Ils voyagent beaucoup et vont où l’E
128 elle Église. Ils travaillent par petites équipes. Ils voyagent beaucoup et vont où l’Esprit les appelle. Ils partent bien s
129 oyagent beaucoup et vont où l’Esprit les appelle. Ils partent bien souvent sans autre raison que la certitude qui leur vien
130 ller. La chronique des rencontres miraculeuses qu’ ils ont ainsi vécues remplirait des volumes, et nourrit leurs entretiens.
131 ous prétexte que c’est abstrait : encore faudrait- il se garder de vivre une théologie équivoque. À quoi les membres du Mou
132 ine. Peut-être la plus sûre leçon des Groupes est- elle dans leur vision concrète de l’homme et de l’action de Dieu sur l’hom
133 n. Et quand ce livre n’aurait pas d’autre valeur, il a celle-là, qui compte, de nous montrer comment les hommes de ce temp
134 s de ce temps peuvent devenir des hommes réels. ⁂ Il se peut que Kagawa soit l’homme le plus réel d’aujourd’hui. Je dirais
135 l’homme le plus réel d’aujourd’hui. Je dirais qu’ il est le plus grand, si la mesure de la grandeur, dans sa vision, n’éta
136 le le destitue de ses privilèges aristocratiques. Il embrasse la pauvreté, s’enfonce dans les slums de Kobé, décide qu’il
137 reté, s’enfonce dans les slums de Kobé, décide qu’ il n’aura pas d’habitation plus vaste que celle du plus pauvre habitant
138 s premiers hôtes sont un galeux, un alcoolique qu’ il nomme la « statue de cuivre » à cause de son immobilité presque total
139 s sont hantées par les apparitions de sa victime. Ils dorment côte à côte. D’autres viennent : il faut écarter les parois d
140 ime. Ils dorment côte à côte. D’autres viennent : il faut écarter les parois de la pièce pour permettre à chacun de se cou
141 cher. Kagawa les nourrit de son travail. Parfois, ils se révoltent contre sa bonté souriante, fracassent sa vaisselle, lui
142 ante, fracassent sa vaisselle, lui tirent dessus. Il s’échappe et revient le lendemain. Il prêche dans le quartier des pro
143 ent dessus. Il s’échappe et revient le lendemain. Il prêche dans le quartier des prostituées, souvent lapidé. Épuisé par l
144 puisé par la tuberculose et une maladie des yeux, il arrive qu’il s’effondre pendant ses discours. Il écrit une Psychologi
145 tuberculose et une maladie des yeux, il arrive qu’ il s’effondre pendant ses discours. Il écrit une Psychologie de la pauvr
146 il arrive qu’il s’effondre pendant ses discours. Il écrit une Psychologie de la pauvreté et un roman dont le tirage attei
147 du travail et prend la tête du mouvement ouvrier. Il conduit une première grève de 30 000 dockers et rédige leur manifeste
148 asés sur l’état du marché. » On le met en prison. Il y écrit en treize jours un roman : L’Archer tirant contre le soleil.
149 illi à sa sortie de prison par une foule en fête, il entraîne une centaine d’enfants au bord de la mer pour célébrer la li
150 élébrer la liberté. Sa ligne de bataille s’étend. Il crée l’Union des paysans. Il évangélise. Il devient le « fou du Chris
151 de bataille s’étend. Il crée l’Union des paysans. Il évangélise. Il devient le « fou du Christ ». À peine a-t-il réussi à
152 tend. Il crée l’Union des paysans. Il évangélise. Il devient le « fou du Christ ». À peine a-t-il réussi à faire reconnaît
153 ise. Il devient le « fou du Christ ». À peine a-t- il réussi à faire reconnaître légalement le syndicalisme qu’il a créé, l
154 à faire reconnaître légalement le syndicalisme qu’ il a créé, le voilà qui lance une campagne pour la christianisation du J
155 ne est une invalide, mentalement dégénérée, écrit- il . Les banques, l’armée, les maisons de prostitution, les cabarets, les
156 ets, les magasins de tabac, les journaux, ne sont- ils pas autant de symptômes d’aliénation mentale ? La société de nos jour
157 été de nos jours manifeste une tendance au crime. Elle est devenue folle par sa faute, Dieu seul peut la guérir. » Les marxi
158 icalisme, qui n’est pas conforme à leur doctrine. Ils l’attaquent violemment : « Enterrez-le ! Enterrez Kagawa ! », proclam
159 ne ligue réactionnaire fait poser des affiches où elle reprend des termes semblables : « Brûlez-le, brûlez Kagawa ! C’est un
160 , 4 août 1934, p. 3. g. Comme l’indique la note, il s’agit d’Avant l’aube (Éditions « Je sers ») dont Rougemont donne une
6 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Au sujet d’un roman : Sara Alelia (3 novembre 1934)
161 rançais. Eh bien, Balzac n’est pas tout le roman. Il n’est même pas tout le roman français. Balzac, c’est le roman social.
162 sûr — ce sera l’honorable, la géniale exception. Il me reste à vous démontrer, ce qui n’est pas trop difficile, que Dosto
163 rence, parfaitement. Voyez-vous, je ne dis pas qu’ ils furent tous des chrétiens. Plusieurs ont même écrit des romans furieu
164 endez romanciers de climats protestants. Que faut- il pour faire un roman ? Des caractères, de la vie intérieure, une moral
165 ire dix fois plus que vous n’en attendiez, puisqu’ il n’y a qu’un million de réformés en France. Imaginez la proportion si
166 que l’origine, et quelques tics de psychologues. Ils sont, comme l’on dit « sortis du protestantisme » ; « sortis » est bi
167  » ; « sortis » est bien le mot ! C’est-à-dire qu’ ils n’ont pas de foi, et qu’est-ce qu’un protestant sans foi ? Dans toute
168 ns l’Adam et Ève de Ramuz, mais Ramuz accepterait- il une étiquette aussi compromettante ? À parler franc, je ne connais qu
169 e histoire où tout le monde « se conduit bien » ? Il n’y aurait pas de roman. Une histoire dont le personnage principal es
170 es « païens », d’un Thomas Hardy, par exemple, se devaient de finir aussi mal que possible ? Non, car le christianisme se passe
171 qu’un quelconque happy end soi-disant édifiant s’ il est certain que l’Évangile et ses promesses de salut sont seuls capab
172 Un vrai roman chrétien est d’abord réaliste. Car il faut bien connaître la nature et ses abîmes, si l’on veut être à même
173 rkegaard nous rappelle que pour aider les hommes, il faut d’abord les trouver là où ils sont. Ainsi ce livre est consolant
174 der les hommes, il faut d’abord les trouver là où ils sont. Ainsi ce livre est consolant, parce qu’il ne cache rien ; parce
175 ils sont. Ainsi ce livre est consolant, parce qu’ il ne cache rien ; parce qu’il vient nous prendre où nous sommes. C’est
176 t consolant, parce qu’il ne cache rien ; parce qu’ il vient nous prendre où nous sommes. C’est le charme profond de Selma L
177 ale. Cette femme n’est pas un ange ni une sainte. Elle a péché gravement, elle a touché le fond de la détresse humaine. C’es
178 as un ange ni une sainte. Elle a péché gravement, elle a touché le fond de la détresse humaine. C’est un vieux pasteur un pe
179 liable création, ce Norenius ! — qui prend soin d’ elle au temps de son malheur. Puis une grâce vient dans sa vie, et désorma
180 pas un ange, c’est entendu, mais ne dites pas qu’ il n’est qu’une bête. À la fois ange et bête, voilà sa vérité totale, c’
181 st Andersen, en plus grave. À chacun sa réalité : elle dépend du regard qu’on porte sur le monde. Le regard « objectif » de
182 listes appauvrit tout, faute de vouloir imaginer. Ils croient voir l’existence réelle alors qu’ils décrivent simplement l’i
183 ner. Ils croient voir l’existence réelle alors qu’ ils décrivent simplement l’impuissance de leur propre cœur. Le regard « r
184 folies, l’originalité bouleversante des êtres, qu’ il s’agisse d’un grand évêque ou de cette fille de ferme « au mince visa
185 lui qui sait voir, parce que, mieux que d’autres, il sait aimer. Et sur ce monde tel qu’il est, sur ces vies douloureuses,
186 e d’autres, il sait aimer. Et sur ce monde tel qu’ il est, sur ces vies douloureuses, banales ou touchantes, mal engagées o
187 le d’une miséricorde lumineuse, dont on dirait qu’ elle est le vrai sujet de ce grand livre. Le silence à peu près général de
7 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Une histoire de la Réforme en France (15 décembre 1934)
188 sa foi. Mais de cette force et de cette grandeur il est permis de rechercher les témoignages dans l’ordre de la civilisat
189 s témoignages dans l’ordre de la civilisation, et il est légitime d’en restaurer la mémoire, pourvu que l’on n’y cherche p
190 tes à se glorifier d’un passé bien passé, et dont il resterait à prouver qu’on est digne. Le meilleur moyen d’éviter ce da
191 nd appelait l’histoire du sentiment religieux, et il nous sera permis de souhaiter que cette lacune suscite un Bremond pro
192 scrupules historiques de Viénot. La réserve dont il fait preuve dans tous ses jugements, l’atténuation volontaire des con
193 ts, l’atténuation volontaire des condamnations qu’ il ne peut s’empêcher de porter parfois, tout cet effort d’impartialité
194 os volume. Mais aussi, la substance historique qu’ il nous offre est de celles qui n’ont pas besoin de condiments pour prod
195 s, non seulement à cause des plongées directes qu’ elle permet d’opérer dans la vie publique et privée du xviie siècle, mais
196 oment, le lecteur se voit incité à imaginer ce qu’ il fut advenu de la France si l’édit avait été observé, s’il n’avait pas
197 dvenu de la France si l’édit avait été observé, s’ il n’avait pas été révoqué, si Sully avait été écouté, si les jésuites n
198 écouté, si les jésuites n’étaient pas revenus, s’ ils n’avaient pas armé, après quinze autres meurtriers, un Ravaillac… Le
199 vaillac… Le bel irénisme de Viénot, la réserve qu’ il observe avec constance dans son récit ne peuvent en somme que donner
200 conseillers étrangers des rois et du haut clergé. Il semble bien que la pensée dominante, dans toute cette guerre faite à
201 araît plus que comme un épisode, le plus marquant il est vrai, de toute l’évolution politique de la royauté absolue vers «
202 e la royauté absolue vers « l’État totalitaire ». Il faut ici risquer un mot sans doute anachronique, mais que tout le liv
203 ine : la religion leur est simple prétexte ; mais il s’agit d’établir à tout prix un cadre national centralisé, géométriqu
204 sé par la violence. Pour soutenir un tel dessein, il s’agit d’établir un droit nouveau qui ne soit plus fondé que sur la s
205 anticipée du droit « nazi » : Si le roi, disait- il , ne voulait point qu’on portât des glands à son collet, il n’en faudr
206 ulait point qu’on portât des glands à son collet, il n’en faudrait point porter, parce que ce n’est point tant la chose dé
207 iénot cite, à ce propos, un texte assez frappant. Il s’agit de la requête adressée au roi par des protestants auxquels on
208 nature comme vous, mieux que vous d’affection, s’ il est vrai que l’humanité est la propre affection des François… Bon Die
209 recours à un droit universellement humain, n’est- il pas significatif de la nature du danger qu’on courait ? La conclusion
210 nocturne et secret d’une de ses coreligionnaires, il conclut par ces mots : Nous sommes chassés de la ville et jetés comm
8 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Kierkegaard, Dostoïevski, Barth (23 février 1935)
211 rs et si profondément semblables nous permettra-t- il aujourd’hui de préciser la direction et la nature de ce courant. L’Es
212 n et la nature de ce courant. L’Esprit souffle où il veut. Les prévisions des historiens de la pensée ne semblent pas pese
213 velle constellation monte au zénith de notre âge. Il s’agit maintenant d’interpréter son signe. ⁂ Crainte et Tremblement,
214 te, semblable au prince Hamlet — autre Danois ! —  il tombera, certain d’avoir accompli sa mission. Dans Crainte et Tremble
215 t, Kierkegaard se débat encore avec lui-même. A-t- il la foi ? Qu’est-ce que la foi ? Hegel, dont la philosophie obsède à c
216 l esquive la question, la supprime implicitement. Il réduit tout au général. Mais la Bible, que nous dit-elle ? Elle ne fa
217 duit tout au général. Mais la Bible, que nous dit- elle  ? Elle ne fait pas une théorie, elle répond par l’exemple d’Abraham.
218 ut au général. Mais la Bible, que nous dit-elle ? Elle ne fait pas une théorie, elle répond par l’exemple d’Abraham. Et c’es
219 que nous dit-elle ? Elle ne fait pas une théorie, elle répond par l’exemple d’Abraham. Et c’est à la méditation de cet exemp
220 rde. Dieu lui a donné un fils, à l’âge de 70 ans. Il n’a pas ri — comme Sarah, sa femme — de ce miracle. Et maintenant Die
221 r Isaac en sacrifice ! Abraham ne se révolte pas. Il croit en Dieu, non point en sa raison humaine. Il selle son âne et s’
222 Il croit en Dieu, non point en sa raison humaine. Il selle son âne et s’en va vers les monts de Morija, pour sacrifier son
223 monts de Morija, pour sacrifier son fils unique. Il le fait « en vertu de l’absurde », c’est-à-dire en vertu de la foi, c
224 contre toute morale et toute règle « générale ». Il va commettre un meurtre, et c’est parce qu’il l’accepte qu’on l’appel
225  ». Il va commettre un meurtre, et c’est parce qu’ il l’accepte qu’on l’appellera le père des croyants ? L’individu serait-
226 ppellera le père des croyants ? L’individu serait- il au-dessus du général ? Serait-il affranchi de l’éthique ? Mais alors,
227 ’individu serait-il au-dessus du général ? Serait- il affranchi de l’éthique ? Mais alors, comment donc comprendrait-il son
228 t par les biais les plus différents et vingt fois il échoue devant ce paradoxe monstrueux. Il n’y a donc personne de la t
229 gt fois il échoue devant ce paradoxe monstrueux. Il n’y a donc personne de la taille d’Abraham, personne qui puisse le co
230 urs ont coutume de l’offrir en exemple. Car enfin il n’a pas tué : Dieu l’arrête au dernier moment et lui montre un bélier
231 am fit le chemin lentement, au pas de son âne, qu’ il eut trois jours de voyage et qu’il lui fallut un peu de temps pour fe
232 de son âne, qu’il eut trois jours de voyage et qu’ il lui fallut un peu de temps pour fendre le bois, lier Isaac et aiguise
233 a signification démesurée et impensable, c’est qu’ il reçut Isaac en récompense d’un acte « fou » et revint avec lui dans l
234 posent sérieusement la question : en quoi ma foi doit -elle transformer ma vie ? Or, toute l’insistance du grand théologien
235 nt sérieusement la question : en quoi ma foi doit- elle transformer ma vie ? Or, toute l’insistance du grand théologien se po
236 l’homme chrétien reste un homme comme les autres. Il n’a pas à devenir, dès ici-bas, un être un peu divin, un peu divinisé
237 aux lois de ce monde perdu. Sa sanctification ne doit pas le conduire à je ne sais quelle « spiritualisation » tout illusoi
238 e « spiritualisation » tout illusoire ou évasive. Elle consiste d’abord en ce que le chrétien se reconnaît de plus en plus p
239 et agréable » à Dieu. Point n’est nécessaire qu’ il vous pousse des ailes ni que vous soyez transformés en quelque essenc
240 C’est toute profane et banale, la vie que chacun doit vivre à sa place, et dans sa situation. Mais en quoi le chrétien se
241 ation. Mais en quoi le chrétien se distinguera-t- il donc de l’incroyant ? En rien d’autre qu’en ceci : qu’il est appelé à
242 de l’incroyant ? En rien d’autre qu’en ceci : qu’ il est appelé à rendre témoignage « d’une part contre la forme du siècle
243 t ; de l’autre, pour la forme du monde à venir ». Il reste dans le monde et soumis à ses lois, sachant pourtant qu’il n’ap
244 e monde et soumis à ses lois, sachant pourtant qu’ il n’appartient plus à sa forme, mais à sa transformation. Et voici que
245 a transformation promise de ce monde. Apparemment il ne diffère des autres en rien. Mais il est orienté autrement — conver
246 pparemment il ne diffère des autres en rien. Mais il est orienté autrement — converti. Il vit dans les mêmes servitudes, m
247 n rien. Mais il est orienté autrement — converti. Il vit dans les mêmes servitudes, mais il s’attend à Dieu, non à lui-mêm
248 converti. Il vit dans les mêmes servitudes, mais il s’attend à Dieu, non à lui-même ni au monde. Ainsi, chez Barth et Kie
249 même façon de considérer l’homme à la fois tel qu’ il est devant Dieu, hic et nunc, et tel qu’il est revendiqué par Dieu à
250 tel qu’il est devant Dieu, hic et nunc, et tel qu’ il est revendiqué par Dieu à la limite de ses possibilités, là où paraît
251 la vision de Dostoïevski ? Ses héros ne viennent- ils pas à nous comme de grands questionneurs, comme des êtres orientés ve
252 orientés vers autre chose qu’eux-mêmes ? « Quand ils posent des questions, c’est qu’eux-mêmes sont mis en question. Quand
253 s, c’est qu’eux-mêmes sont mis en question. Quand ils cherchent, c’est qu’eux-mêmes sont cherchés et trouvés ». Ainsi parle
254 stion : qu’est-ce qu’un homme ? Et cette réponse, il nous l’a donnée en nous découvrant que l’homme n’est lui-même qu’une
255 nte le problème de leur existence, ce problème qu’ ils ne peuvent résoudre jusqu’à ce que, dans leur maladie justement, perc
256 adie justement, percevant leur question dernière, ils découvrent leur véritable guérison. Ces phrases résument fort bien l
257 à propos d’une de mes récentes chroniques, ce qu’ il fallait entendre par le protestantisme de Dostoïevski. Je ne saurais
9 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Trois traités de Jean Calvin (20 juillet 1935)
258 vouldras » des Renaissants. Les protestants sont- ils trop maigres ou trop gras ? Grave question pour ceux qui jugent des v
259 it-on de Calvin dans notre grand public, sinon qu’ il avait les joues creuses, une barbiche pointue et un profil coupant ?
260 exposition Calvin à la Bibliothèque nationale, si elle a permis à beaucoup de réviser quelque peu leurs notions sur l’import
261 te renaissance à la belle floraison néo-thomiste. Il n’est pas inutile de marquer les raisons qui, du point de vue protest
262 nsée fait loi, une fois sanctionnée par l’Église. Ils sont avant tout des témoins. On ne saurait trop insister sur cette di
263 au-delà de ces formules et dans l’orientation où elles nous placent, remonter à cette origine permanente de l’Église qu’est
264 l’Esprit, reste la norme de toute théologie, fût- elle la plus orthodoxe. Barth, on le sait, ne se lasse pas de comparer le
265 sur le ciel noir désigne le Sauveur en croix : «  Il faut qu’il croisse et que je diminue. » C’est donc sous l’angle de le
266 l noir désigne le Sauveur en croix : « Il faut qu’ il croisse et que je diminue. » C’est donc sous l’angle de leur vocation
267 vocation particulière, et sous cet angle seul, qu’ il nous devient loisible de parler de ces hommes sans tomber dans l’extr
268 . Le grand mérite de cette introduction, c’est qu’ elle nous ouvre, en une quinzaine de pages, les principales perspectives d
269 ncipales perspectives de « l’univers » calvinien. Il faut bien avouer que les commentateurs nous avaient donné jusqu’ici u
270 ure de passion contenue et de raison déchaînée », il sera pour beaucoup l’occasion d’une véritable découverte de Calvin. I
271 l’occasion d’une véritable découverte de Calvin. Il nous donne un puissant raccourci de toute la polémique de la Réforme
272 ndalisent à grand bruit, « non tant pour haine qu’ ils portent aux scandales que pour nuire à l’Évangile et le diffamer comm
273 batailler continuellement sous la croix, tant qu’ elle aura à cheminer en ce monde. Voici enfin les « libertins », ceux que
274 bouillonnant ont passé dans l’attaque de Calvin : il a su prendre à l’adversaire ses meilleures armes. Au sujet de ce styl
275 ns son essence, le génie littéraire de Calvin, ne doit jamais omettre que celui-ci se considérait comme ministre du Verbe di
276 ant toujours avec les plus divers interlocuteurs, il ne se range jamais, comme un littérateur de second ordre, aux lois d’
277 ordre, aux lois d’une esthétique préconçue, mais il adopte toujours la forme de discours la plus propre, sinon à charmer
278 des plus puissantes personnalités qui fut jamais, il se recrée toujours lui-même. Soumission du langage à l’objet spiritu
279 du xviie et la dissolution voluptueuse du xixe . Il m’apparaît que le style d’un Calvin peut nous être un puissant robora
280 e par trop « irresponsable ». Peut-être nous faut- il revenir vers les chefs pour apprendre à nouveau ce que parler veut di
281 ilà la seule révolution qui compte pour l’esprit. Elle doit commander toutes les autres. 12. Trois traités de Jean Calvin
282 a seule révolution qui compte pour l’esprit. Elle doit commander toutes les autres. 12. Trois traités de Jean Calvin. Pré
10 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les mystiques allemands du xiiie au xixe siècle, par Jean Chuzeville (2 novembre 1935)
283 it occidental n’a jamais eu d’unité harmonieuse : il est toujours tension entre deux pôles, qui d’ailleurs se déplacent sa
284 foi est acte humain d’obéissance en même temps qu’ elle est don de Dieu ; elle s’oppose donc à toute mystique qui ne serait q
285 béissance en même temps qu’elle est don de Dieu ; elle s’oppose donc à toute mystique qui ne serait qu’une fuite hors du mon
286 e saurait être pour la foi. La mystique, nous dit- il , en effet, c’est « la recherche des moyens par lesquels l’âme arrive
287 porelles ». C’est aussi ce que dit l’Évangile, où il n’est pas question de mysticisme. Ceci marqué, qui est plus qu’une ré
288 icisme. Ceci marqué, qui est plus qu’une réserve, il convient de remercier M. Chuzeville de nous avoir ouvert par son anth
289 figurer dans un choix de « mystiques », alors qu’ il est le premier défenseur de l’expérience. Mais la beauté des textes c
290 paraissent surtout intéressants dans la mesure où ils annoncent le lyrisme et la philosophie d’une des plus hautes périodes
291 mantisme allemand, encore si mal connu chez nous. Il est grand temps que nous rendions hommage à ce ver sacrum de l’esprit
292 s hommage à ce ver sacrum de l’esprit germanique. Il est grand temps que nous relevions ces titres de noblesse spirituelle
11 1936, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le Problème du bien (12 septembre 1936)
293 ceux du protestantisme français. Maurras, lorsqu’ il voulut s’en prendre aux réformés, ne trouva rien de mieux que d’écrir
294 ions, l’esprit et l’idéologie de cette « tribu ». Il semble que l’auteur du Problème du Bien 13 se soit fait un glorieux d
295 r du Problème du Bien 13 se soit fait un glorieux devoir , et peut-être un malin plaisir, de soutenir les causes les plus vilip
296 plus vilipendées par ce furieux censeur païen. Qu’ il suffise de rappeler que le nom de Wilfred Monod évoque immédiatement,
297 deux grands mouvements de pensée et d’action dont il fut l’un des principaux initiateurs : le christianisme social, et l’u
298 e. À ces deux causes illustrées par notre auteur, il faut en ajouter une troisième, qui les commande directement : celle d
299 rnisme protestant aura livré sur son époque. Mais il marque en même temps son dépassement. Ces 3000 pages contiennent la s
300 enseur et le ministère du pasteur. Par ailleurs, il ne s’adresse pas aux spécialistes, ni à l’Église, comme ce serait le
301 x spécialistes, ni à l’Église, comme ce serait le devoir d’un traité dogmatique. Je m’adresse aux chrétiens, mais plus encore
302 que pas la Beauté, la Joie, l’Amour, la Sainteté. Il se brise contre le problème du Bien. D’autre part, l’orthodoxie chrét
303 éral ». (Calvin disait : « libertin spirituel ».) Il s’agit de confondre les philosophes incroyants au moyen de leurs prop
304 intrusions de philosophies passagères quelles qu’ elles soient. Pour Barth, c’est Dieu qui met l’homme en question. M. Monod
305 r. Cette convergence paradoxale et imprévue n’est- elle pas comme un signe, une promesse émouvante de l’unité future des chré
306 e expérience diffère de tout processus psychique, il précise : l’expérience religieuse ne devient proprement chrétienne qu
307 se ne devient proprement chrétienne qu’en tant qu’ elle reconnaît que son objet, c’est Dieu le Père, révélé par le Fils, et n
308 u dogme. En effet, Dieu n’est pas dans la Nature, il n’en est ni le maître ni l’auteur : voilà la thèse capitale du livre.
309 . Monod le problème central de ce livre. Faudra-t- il donc revenir à Marcion, hérétique condamné par toute la tradition chr
310 e et pour vaincre ? M. Monod le pense. Jésus, dit- il , « n’est pas venu nous enseigner que l’univers a un créateur. Il a, a
311 venu nous enseigner que l’univers a un créateur. Il a, au contraire, déboulonné l’idole effroyable du Tout-Puissant ; il
312 déboulonné l’idole effroyable du Tout-Puissant ; il a enseigné que le vrai Dieu s’incarnait dans un crucifié vaincu ». Pa
313 ois pas d’inconvénient à priori, mais à coup sûr, il s’agit là de littérature, bien que l’auteur s’en défende dans sa préf
314 tal de cette vision totalitaire du réel, c’est qu’ elle replace l’homme dans la perspective cosmique dont un maigre intellect
315 ne reconnaissons pas forcément les nôtres — et s’ il ne tenait, par ailleurs, à l’étayer par une philosophie qui ne saurai
316 de la Révélation, malgré toutes les philosophies, doit rester pour tous les croyants : « Emmanuel ! » qui signifie : Dieu av
317  Emmanuel ! » qui signifie : Dieu avec nous ! Est- il vraiment indispensable, est-il même permis au chrétien, de fonder cet
318 eu avec nous ! Est-il vraiment indispensable, est- il même permis au chrétien, de fonder cette Révélation sur le système d’
12 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Luther contre Érasme (19 juin 1937)
319 1937)q r Que sait-on de Luther en France ? Qu’ il rompu l’unité de l’Église. Mais dans quelles circonstances ? Poussé p
320 iations du genre « moine qui voulait se marier », il serait sage de parcourir au moins les œuvres capitales du grand réfor
321 ns les œuvres capitales du grand réformateur. Or, il se trouve, et c’est presque incroyable, que, depuis quatre siècles qu
322 presque incroyable, que, depuis quatre siècles qu’ elles ont été écrites, on n’en a pas traduit une seule en France ! Quelques
323 t accessible d’une œuvre dont on sait pourtant qu’ elle a changé plus qu’aucune autre les destinées de l’Occident. (Je ne fai
324 est appelée à rendre des services inappréciables. Elle nous place au cœur même du grand débat occidental, celui de la pensée
325 e la pensée « pure » et de la pensée « engagée ». Elle met entre nos mains la pièce capitale du procès : l’acte d’accusation
326 « désintéressé » que croyait pouvoir être Érasme. Elle nous permet de connaître l’une des origines historiques de cette oppo
327 refuse d’endosser les conséquences de sa vérité : il souhaite même qu’il n’y en ait pas. Et tous les prudents d’applaudir,
328 s conséquences de sa vérité : il souhaite même qu’ il n’y en ait pas. Et tous les prudents d’applaudir, non sans apparences
329 servie… L’intervention de Luther en personne va-t- elle changer une fois de plus la face des choses ? À tout le moins doit-el
330 fois de plus la face des choses ? À tout le moins doit -elle passionner le débat, et le faire puissamment rebondir. Car perso
331 de plus la face des choses ? À tout le moins doit- elle passionner le débat, et le faire puissamment rebondir. Car personne n
332 de l’homme entre les mains de Dieu. À cet égard, il n’est nullement exagéré de voir dans le Traité du serf arbitre une so
333 r ne nie pas du tout la réalité de notre volonté. Il nie seulement que cette volonté puisse s’appliquer librement aux chos
334 uer librement aux choses qui concernent le salut. Elle fait partie de notre nature, et comme telle, ne désire vraiment que l
335 être écarté comme relevant de la seule théologie. Il est au cœur de la pensée humaine. Tout homme qui veut penser son exis
336 du Retour éternel de toutes choses. Pour Luther, elle est au contraire la Providence, la personne même de Dieu, éternelleme
337 de Dieu, éternellement active, et qui nous aime. Il faut choisir. Mais le choix est-il libre ? On retombe au débat de Lut
338 qui nous aime. Il faut choisir. Mais le choix est- il libre ? On retombe au débat de Luther et d’Érasme. Le trop prudent hu
339 Luther et d’Érasme. Le trop prudent humaniste eût- il saisi dans son sérieux dernier la réalité d’un dilemme qui sacrifie l
340 elles littéraires, Paris, 19 juin 1937, p. 5. r. Il s’agit d’une recension de Traité du aerf arbitre de Martin Luther, tr
13 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Selma Lagerlöf, conteur de légende (3 juillet 1937)
341 t tout court. Dans la littérature du xxe siècle, il n’y a plus de grands mythes, il y a des analyses. On part de « faits
342 angement dépourvu de ce pouvoir « fabulateur » qu’ il était censé détenir. (Déjà M. Weidlé, dans ses Abeilles d’Aristée, co
343 d’une action. La méthode consistant trop souvent, il faut le dire, à tenir pour vrai ce que l’on juge le plus bas. Ainsi l
344 stent pas à l’analyse, et qu’un auteur sincère se doit de démasquer. Tout se ramènerait à la physiologie, ou à l’argent. Il
345 ut se ramènerait à la physiologie, ou à l’argent. Il ne fallait pas moins que le génie plein de malices d’une Lagerlöf pou
346 s Löwensköld, et porte sur lui de grandes ombres. Il y puise sa vie secrète, il en reçoit des dimensions nouvelles : mystè
347 lui de grandes ombres. Il y puise sa vie secrète, il en reçoit des dimensions nouvelles : mystère, fatalité, présence d’un
348 eule, la naïveté moderne se figure qu’une légende doit être crue, comme on croit les journaux, par exemple, et s’en indigne,
349 fs » est ici d’une fort malicieuse lucidité. Mais elle s’opère par le seul jeu des faits, jamais en marge de l’action, sous
350 rame de l’absolu chrétien qui détruit tout dès qu’ il agit sans charité (thème fréquent dans la littérature nordique). C’es
351 le fiancée, Charlotte Löwensköld. En la quittant, il lui a crié qu’il n’épouserait qu’une femme que Dieu lui aurait désign
352 otte Löwensköld. En la quittant, il lui a crié qu’ il n’épouserait qu’une femme que Dieu lui aurait désignée. La première q
353 emme que Dieu lui aurait désignée. La première qu’ il croisera en allant au village, si elle n’est pas mariée, deviendra sa
354 première qu’il croisera en allant au village, si elle n’est pas mariée, deviendra sa compagne. Il sort. Il s’en faut de peu
355 si elle n’est pas mariée, deviendra sa compagne. Il sort. Il s’en faut de peu qu’il ne rencontre dès les premiers pas une
356 n’est pas mariée, deviendra sa compagne. Il sort. Il s’en faut de peu qu’il ne rencontre dès les premiers pas une vieille
357 ndra sa compagne. Il sort. Il s’en faut de peu qu’ il ne rencontre dès les premiers pas une vieille mendiante sourde. Une v
358 fille des environs, mais cela ne compte pas, car il est entendu que la femme désignée par Dieu doit venir à sa rencontre.
359 car il est entendu que la femme désignée par Dieu doit venir à sa rencontre. Un peu plus loin, il entend chanter : c’est la
360 Dieu doit venir à sa rencontre. Un peu plus loin, il entend chanter : c’est la fille de l’aubergiste, qui a fort mauvaise
361 ’aubergiste, qui a fort mauvaise réputation. Mais elle ne s’engage pas sur la route, elle s’arrête dans un pré voisin. Karl-
362 putation. Mais elle ne s’engage pas sur la route, elle s’arrête dans un pré voisin. Karl-Artur doute, tremble, et marche tou
363 te fois-ci, la plus pauvre orpheline du village ; elle est défigurée par une énorme tache de vin. Faudra-t-il accepter ce ma
364 t défigurée par une énorme tache de vin. Faudra-t- il accepter ce martyre ? Déjà, le jeune homme s’y résigne… À quelques pa
365 e jeune homme s’y résigne… À quelques pas de lui, elle tourne à droite. Il poursuit son chemin dans une exaltation croissant
366 gne… À quelques pas de lui, elle tourne à droite. Il poursuit son chemin dans une exaltation croissante, priant et reprena
367 ienne, dans son costume de marchande ambulante. «  Elle brillait comme une rose sauvage. » Il s’arrête. « Tu me regardes comm
368 ulante. « Elle brillait comme une rose sauvage. » Il s’arrête. « Tu me regardes comme si j’étais une bête curieuse, dit-el
369 regardes comme si j’étais une bête curieuse, dit- elle . On croirait que tu as rencontré un ours ! » C’est Anna Svärd, la fem
370 ’est Anna Svärd, la femme que Dieu lui envoie, qu’ il épousera envers et contre tous. Elle ne sait ni lire ni écrire. On pe
371 lui envoie, qu’il épousera envers et contre tous. Elle ne sait ni lire ni écrire. On peut surprendre, dans cette scène étonn
372 rituelle extrême. La phrase de Karl-Artur lâchée, il suffit de la prendre au mot : elle commande tout naturellement une su
373 rl-Artur lâchée, il suffit de la prendre au mot : elle commande tout naturellement une suite d’incidents pittoresques ou dra
374 émotion. Mais pour qu’une telle phrase soit dite, il faut des âmes fortement tendues. Et pour que cette même phrase soit a
375 ratique par le héros, sans nulle invraisemblance, il faut que ce héros soit un croyant d’une certaine trempe. Derrière Kar
376 de la foi dans la réalité totale d’un peuple, qu’ elle trouble, assemble, juge et sauve. ⁂ Rien de plus passionnant, pour qu
377 s et coutumes, que les romans mettront en œuvre : il n’y manque rien que le rythme, c’est-à-dire la part libre du génie, d
378 arme, d’ailleurs, suffirait bien à nous retenir : ils nous permettent de mesurer d’un seul coup d’œil l’apport proprement a
379 du mot, de l’auteur du triptyque des Löwensköld. Il faut avouer que le milieu où Selma Lagerlöf a grandi paraît favoriser
14 1939, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Non, Tristan et Iseut ne s’aiment pas, nous dit Denis de Rougemont (12 février 1939)
380 te d’Amiel, a déjà derrière lui une œuvre solide. Il est l’un des principaux collaborateurs de la revue Esprit , écrit da
381 ues des articles qui ne sont jamais indifférents. Il a tenu, dans notre journal, la rubrique de la vie protestante. Ayant
382 fait de solides études à Vienne et en Allemagne, il a enseigné dans une ville universitaire où il rédigea, en 1936, ce J
383 ne, il a enseigné dans une ville universitaire où il rédigea, en 1936, ce Journal d’Allemagne , qui, paru au printemps de
384 t mieux que beaucoup de Français notre province : il a séjourné de longs mois en Vendée et dans le Midi. Son Journal d’un
385 uriosité, et aussi de la discrétion avec laquelle il s’efforce de dégager l’âme secrète de nos campagnes. Denis de Rougemo
386 pagnes. Denis de Rougemont n’aime pas les villes, il n’a pas besoin pour écrire de ces conversations, de ces échanges qui
387 et leur tiennent souvent lieu de vie intérieure. Il me reçoit dans la maison de M. Charles Du Bos, à La Celle-Saint-Cloud
388 mple, sans austérité, tout de suite familière, où il passe l’hiver avec sa femme et Colinet, son petit garçon. Denis de Ro
389 tit garçon. Denis de Rougemont est grand, souple, il a la réserve affable des Suisses, et ce sourire des lèvres qui semble
390 s lèvres qui semble excuser le sérieux du regard. Il rit malicieusement quand je lui parle du petit scandale que risque de
391 ue de provoquer son dernier livre : n’y affirme-t- il pas, avec preuves à l’appui, que Tristan et Iseut, les amants légenda
392 le fait d’aimer. Jamais Tristan ne dit à Iseut qu’ il l’aime, il se borne à répéter : « Amor par force me demeisne ». C’est
393 imer. Jamais Tristan ne dit à Iseut qu’il l’aime, il se borne à répéter : « Amor par force me demeisne ». C’est la passion
394 ns la mort, et inspirera tout le romantisme. Mais elle inspire d’abord la littérature courtoise… Littérature dont le succès
395 érature dont le succès rapide s’explique mal, car elle implique une subtilité, des raffinements, une absence de sensualité q
396 rétienne du mariage. L’amour courtois est chaste, il accorde à la femme une prééminence dont l’Église a bien senti le dang
397 ence dont l’Église a bien senti le danger, puisqu’ elle a développé le culte de Notre-Dame pour répondre au culte de la « Dam
398 s, exclut toute idée de progéniture, de famille ; il va contre les appétits de l’homme et les directives de l’Église. Comm
399 ’homme et les directives de l’Église. Comment a-t- il pu, en moins de vingt ans, dominer ainsi toute la littérature ? Beauc
400 ut des millions de partisans. Venue de Macédoine, elle gagna la France par le Piémont. Les cathares rejettent le dogme de l’
401 erprétation purement spiritualiste des évangiles. Ils font du Saint-Esprit la Mère de Dieu, le principe féminin de l’amour.
402 rassant le catharisme, le néophyte s’engageait, s’ il était marié, à s’abstenir de tout contact avec sa femme. Les cathares
403 tte hé­résie avec d’autant plus d’enthousiasme qu’ ils étaient souvent jaloux de l’autorité temporelle exercée par le clergé
404 e. Mais comment cette interprétation du mythe a-t- elle pu échapper jusqu’ici aux spécialistes du Moyen Âge ? Denis de Rougem
405 ui leur cache parfois le sens profond des textes… Ils répugnent à l’emploi des méthodes freudiennes. Or j’ai été frappé par
406 r définition, reste extérieure au mariage, puisqu’ elle a besoin d’obstacles, et ne résiste pas à la facilité, à l’habitude.
407 n nouvelle ? Pour moi, répond Denis de Rougemont, il ne peut y avoir qu’une solution : le mariage chrétien, mais présenté
408 à-dire qu’au lieu d’en faire un acte raisonnable, il faut le montrer tel qu’il est en réalité : l’aventure la plus diffici
409 re un acte raisonnable, il faut le montrer tel qu’ il est en réalité : l’aventure la plus difficile. Si vous ne fondez pas
410 de la personnalité. Mais pour moi cette fidélité doit être observée en vertu de l’absurde. Elle est aussi absurde que la pa
411 idélité doit être observée en vertu de l’absurde. Elle est aussi absurde que la passion, mais s’en distingue par un refus co
412 r ses rêves, par une constante prise sur le réel. Elle reste une folie, mais la plus sobre et la plus quotidienne. Votre réh
413 étienne du ma­riage, suppose chez les femmes, qui doivent être sans cesse capables de se renouveler, un ensemble de vertus soli
414 sais, je suis très exigeant. Pour moi, le mariage devrait être une institution qui main­tient la passion non par la morale, mai
415 ite bien certains efforts et certains sacrifices, il me semble. Ne devez-vous pas publier un roman, dont le titre, La Foll
416 efforts et certains sacrifices, il me semble. Ne devez -vous pas publier un roman, dont le titre, La Folle Vertu, illustre bi
417 une vie extraordinaire. D’abord soldat valeureux, il fut ensuite, pendant dix-sept ans, juge et conseiller à Sachseln, où
418 t dix-sept ans, juge et conseiller à Sachseln, où il eut dix enfants. Puis il se retira dans un ermitage, où pendant vingt
419 onseiller à Sachseln, où il eut dix enfants. Puis il se retira dans un ermitage, où pendant vingt ans il se mortifia, jeûn
420 se retira dans un ermitage, où pendant vingt ans il se mortifia, jeûnant complètement. Mais, apprenant que la guerre civi
421 t. Mais, apprenant que la guerre civile menaçait, il quitta sa grotte, et rétablit la paix par le covenant de 1481. Puis i
422 et rétablit la paix par le covenant de 1481. Puis il se retourna dans son ermitage et y mourut. C’est un beau sujet. N’est
423 aura trente mètres de large, et trois étages, qu’ il faut ne jamais laisser vides. J’écris des phrases très courtes, un pe
424 t de quitter Denis de Rougemont, je lui demande s’ il n’attend pas avec une certaine curiosité les réactions que vont susci
425 ertaines de ses théories un peu révolutionnaires. Il sourit avant de répondre, puis son visage devient plus grave : Je n’a
426 hommes et de femmes qui se trouvaient mal mariés. Ils me disent que mon livre les aide à comprendre la cause de leur désarr
427 s aide à comprendre la cause de leur désarroi, qu’ ils savent mieux maintenant comment ils pourraient se rapprocher. Si j’ai
428 désarroi, qu’ils savent mieux maintenant comment ils pourraient se rapprocher. Si j’aide des êtres troublés à vivre à deux
15 1963, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Mais qui est donc Denis de Rougemont (7 novembre 1963)
429 ntitulée L’Amour et l’Occident et dans laquelle il démontrait que l’idée de passion amoureuse trouvait ses origines dans
430 e cathare. Pour les disciples d’Emmanuel Mounier, il est surtout le philosophe de Politique de la personne . Pour quelque
431 Politique de la personne . Pour quelques autres, il est l’écrivain qui a le mieux analysé la résistible ascension d’Adolf
432 des deux mondes notamment). Pour les mélomanes, il est le poète de Nicolas de Flue , dont Honegger tira un oratorio. Po
433 dont Honegger tira un oratorio. Pour tous enfin, il est, depuis la semaine dernière, le lauréat du Grand Prix littéraire
434 ’expression française… Je déteste cette formule ! Elle me fait penser à une sorte d’animal, qui penserait dans un idiome biz
435 bizarre et incompréhensible, et choisirait, quand il ouvre la bouche, de s’exprimer en français plutôt qu’en miaulant ou e
436 e suis un écrivain français, un point c’est tout. Il est l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages qui, tenant à la fois du
437 auteur difficile à cataloguer. Mais pourquoi faut- il cataloguer, définir à tout prix ? C’est une idée un peu scolaire. Com
438 ’Ordre nouveau et Esprit. C’est à cette époque qu’ il élabore une doctrine humaniste… Humaniste ? Je n’aime guère ce terme.
439 distingue l’homme et le relie à la communauté où il l’exerce. C’est d’ailleurs dans cette notion de l’homme que je place
440 ant de l’extérieur. Dieu est en l’homme. En 1935, il est nommé lecteur à l’Université de Francfort et séjournera un an en
441 ellectuel en chômage , quand je rencontrai Abetz. Il m’offrit de passer un an en Allemagne en me disant : « Vous qui pense
442 sse, Denis de Rougemont est envoyé en Amérique où il passera six ans, écrira La Part du diable et se liera avec plusieur
443 part, le fédéralisme de l’autre. Je vous arrête : il n’y a pas, il n’y a jamais eu chez moi (contrairement à Saint-John Pe
444 alisme de l’autre. Je vous arrête : il n’y a pas, il n’y a jamais eu chez moi (contrairement à Saint-John Perse ou Georges
445 la théorie fédéraliste. L’homme, vous ai-je dit, doit être à la fois libre et responsable ; de même pour chaque nation dans
446 equel Rougemont s’engagea en parallèle, mais dont il ne fut « que » le président du comité exécutif, de 1951 à 1966.
16 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les prophètes de la décadence (24 septembre 1970)
447 ier les prophètes de la décadence européenne : et ils sont tous, ou presque tous, Européens. Loin de s’émerveiller du fait
448 ue le génie européen rayonne sur le monde entier, ils préfèrent nous parler de notre éclipse. Au lendemain de la Première G
449 savons maintenant que nous sommes mortelles. Et il ajoutait : Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et
450 de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux. L’écho de cette page fut immense et je sais
451 ir, va donc probablement périr. Pour émouvante qu’ elle soit, elle exprime, à mon sens, l’une des erreurs les plus célèbres d
452 probablement périr. Pour émouvante qu’elle soit, elle exprime, à mon sens, l’une des erreurs les plus célèbres de l’époque.
453 expliquer son succès ? Observons tout d’abord qu’ elle résume et condense une assez longue tradition de pessimisme européen.
454 llantes créations de la main de l’homme ? Où sont- ils , ces remparts de Ninive, ces murs de Babylone, ces palais de Persépol
455  un individu dans la marche de l’histoire » et qu’ il obéit donc, comme tout individu, à une loi de croissance, d’épanouiss
456 ivilisations, on en venait à penser que chacune d’ elles devait fatalement décliner et mourir après une période d’apogée — la
457 ations, on en venait à penser que chacune d’elles devait fatalement décliner et mourir après une période d’apogée — la nôtre a
458 ux débuts du xxe siècle, Spengler va plus loin ; il est convaincu que toute culture est un organisme et correspond morpho
459 rphologiquement à un individu, animal ou végétal. Il en résulte inexorablement que toute culture est mortelle, et l’on rej
460 moins de peine à nous convaincre que, d’une part, ils rejoignent, par leurs conclusions, notre angoisse quant à l’état prés
461 tre ses conquêtes coloniales et ses protectorats. Elle ne voit pas encore, mais elle pressent déjà la perte de sa longue roy
462 t ses protectorats. Elle ne voit pas encore, mais elle pressent déjà la perte de sa longue royauté mondiale. Déjà le communi
463 sociales et morales que matérielles… Que faudrait- il de plus, pour qu’on ait le droit de parler d’une éclipse ou d’une mor
464 ge eut une civilisation sans hégémonie. Secundo, il n’est pas du tout certain que les précédents historiques soient appli
465 la partie occidentale de l’Empire. L’exemple est- il valable pour l’Europe ? La civilisation européenne est-elle une civil
466 le pour l’Europe ? La civilisation européenne est- elle une civilisation comme les autres ? Son destin peut-il être prédit pa
467 e civilisation comme les autres ? Son destin peut- il être prédit par extrapolation des exemples antiques ? Il se pourrait,
468 prédit par extrapolation des exemples antiques ? Il se pourrait, bien au contraire, que notre culture présente des caract
469 leurs souvent contradictoires ou incompatibles qu’ elle en a héritées, la civilisation européenne s’est trouvée fondée sur un
470 e sur une culture de dialogue et de contestation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voulu, se laisser ordonner
471 de contestation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voulu, se laisser ordonner à une seule doctrine qui eût ré
472 l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’ il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne fu
473 s avaient cru cela d’elles-mêmes, avant la nôtre. Elles se trompaient, mais cette erreur ne saurait plus être commise, à prés
474 e Grand et les empereurs chinois s’imaginèrent qu’ ils dominaient le monde entier ; c’était moins orgueilleux que naïf, car
475 utres, monolithiques et homogènes. Voilà pourquoi elle s’est trouvé la seule qui fût assez complexe et multiforme pour pouvo
476 nts techniques que de livres et de missionnaires. Elle s’est laïcisée, ou sécularisée, et détachée du christianisme qui cont
477 la condition de son « succès » le plus visible — elle s’est rendue plus transportable, plus acceptable et imitable qu’aucun
478 plus acceptable et imitable qu’aucune autre. Mais il faut voir enfin que cette civilisation n’a pu devenir universelle qu’
479 omme ».) Pour les Grecs et les Chinois également, il existait deux espèces différentes de bipèdes verticaux ; les Grecs ou
480 mplètement humains. Ces très hautes civilisations devaient donc nécessairement demeurer régionales et décliner dans les limites
481 conception chrétienne exprimée par saint Paul («  Il n’y a plus ni Juifs ni Grecs, ni esclaves ni hommes libres, ni hommes
482 tes tous un en Jésus-Christ. »), cette conception devait seule permettre à ceux qu’elle formerait intimement de considérer tou
483 cette conception devait seule permettre à ceux qu’ elle formerait intimement de considérer tous les hommes comme dignes et ca
484 sa transmission aux âges futurs, en même temps qu’ elle redécouvrait et faisait revivre des cultures disparues ou en voie d’e
485 de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux ». Depuis lors, on a retrouvé — et même joué —
486 ier, enregistrées sur bandes et sur microsillons, elles sont en mesure de résister au temps beaucoup mieux que les fresques d
487 romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont- elles vraiment mortes ? Leurs conquêtes ont été préservées par le musée et
488 r être diffusées de nos jours sur toute la terre. Il s’en faut de beaucoup que leurs rivales asiatiques, qu’on dit plus ra
489 nat, ni le Bushido. On peut le regretter, mais on doit le constater. Roger Caillois a écrit non sans drôlerie à propos de la
490 tout à fait, Valéry ne pourrait pas le dire, car il n’en saurait rien. » Et il propose de corriger comme suit le passage
491 rrait pas le dire, car il n’en saurait rien. » Et il propose de corriger comme suit le passage que j’ai cité : « Nous autr
492 d’Espagnols s’emparant de l’empire des Aztèques. Il s’agissait dans tous ces cas de civilisations locales, entourées de «
493 es candidats à la relève étaient nombreux. En est- il un seul aujourd’hui qui réclame l’oblitération ou simplement la repri
494 nces de succès ? Les États-Unis ? dira-t-on. Mais ils sont nés de la substance même de l’Europe, et je les vois s’européani
495 me et le décor urbain. L’URSS ? Mais qu’apporte-t- elle de nouveau ? Est-elle une autre civilisation ? Lénine disait de sa Ré
496 L’URSS ? Mais qu’apporte-t-elle de nouveau ? Est- elle une autre civilisation ? Lénine disait de sa Révolution : « C’est le
497 péen. Quant à l’électricité, dont parlait Lénine, elle symbolise l’industrialisation. En électrifiant le pays, le communisme
498 sme a renouvelé l’entreprise de Pierre le Grand : il a pour la seconde fois européanisé la Russie. Et c’est l’URSS à son t
499 de Troie occidental : la technique, et tout ce qu’ elle entraîne dans les mœurs et les modes de penser d’une nation. Le fameu
500 e une nouvelle fois pour le Vieux Continent, dont il ne croit pas le destin achevé, en publiant chez Albin Michel une Let
501 che et tout ce qui divise les États de l’Europe ; il fixe également un programme pour les vingt ans à venir et nous met en
17 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Denis de Rougemont : l’amour et l’Europe en expert (24 décembre 1970)
502 en 1936 et Mounier s’était montré un précurseur. Il m’avait demandé une étude sur l’opposition qui paraissait éclatante e
503 mour dans le mariage. Et nous avons pris date. Je devais lui donner mon livre en février 1938. Le mois de février arriva et je
504 Daniel-Rops, que j’ouvris avec un peu d’anxiété. Il me disait : « Voudriez-vous me rendre un grand service ? Accepteriez-
505 uscrit, que j’attends d’un jour à l’autre, car je dois publier le plus tôt possible le manuscrit d’un essai d’une grande act
506 hoses de l’amour. Quand les gens me rencontraient ils me disaient : « C’est vous l’auteur de L’Amour et l’Occident  ? Je c
507 confidences et je me suis aperçu que généralement ils étaient près de divorcer avant de m’avoir lu puis qu’ils avaient déci
508 ient près de divorcer avant de m’avoir lu puis qu’ ils avaient décidé de ne pas divorcer, de s’en tenir à la dernière partie
509 es suivant un peu plus longtemps, je m’aperçus qu’ ils finissaient quand même par divorcer, c’est-à-dire que l’action de mon
510 pensez-vous aujourd’hui ? Je continue à penser qu’ il faudrait élever les gens dans une méfiance profonde de ce que représe
511 rvenu à ce point qu’il y a deux morales, l’une qu’ il faut enseigner aux enfants, par tous les moyens possibles et qui mène
512 rifices. Tout artiste sait parfaitement que quand il commence une œuvre, que ce soit un tableau, une sculpture ou un livre
513 La passion, je ne l’exclus pas, mais je pense qu’ elle doit être réservée à de très rares personnes qui seront probablement
514 assion, je ne l’exclus pas, mais je pense qu’elle doit être réservée à de très rares personnes qui seront probablement le se
515 à la frontière politique sa ligne de douaniers et il en a résulté que dans la région que j’habite, qui est prétendument zo
516 gloire. La gloire n’est pas donnée par la foule, elle n’est pas donnée par le succès. C’est un sentiment d’épanouissement s
517 Si un homme pouvait penser complètement la mort, il mourrait à cet instant-là. La mort c’est par essence l’inconcevable,
518 stituer pour essayer de découvrir sa vocation. Si elle découvre sa vocation, si elle la réalise plus ou moins bien, elle peu
519 rir sa vocation. Si elle découvre sa vocation, si elle la réalise plus ou moins bien, elle peut dire qu’elle a réussi sa vie
520 vocation, si elle la réalise plus ou moins bien, elle peut dire qu’elle a réussi sa vie et après cela on ne peut rien lui d
521 la réalise plus ou moins bien, elle peut dire qu’ elle a réussi sa vie et après cela on ne peut rien lui demander de plus. E
522 Dieu comme quelque chose dont chacun sait de quoi il s’agit, mais que j’insiste pour indiquer que nous nous trouvons devan
523 avec la plus grande précision dans le détail, car il n’y a là que la précision qui est intéressante ; en évitant tout ce q
524 finalement, c’est à ceci : Dieu, c’est le sens. S’ il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de sens. Certains savants aujourd’hui
525 ci : Dieu, c’est le sens. S’il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de sens. Certains savants aujourd’hui disent qu’ils ne tien
526 s de sens. Certains savants aujourd’hui disent qu’ ils ne tiennent pas du tout à ce que le monde ait un sens, à ce que notre
527 it un sens, à ce que l’humanité ait un sens, puis ils finissent par vous faire un petit couplet de morale scientifique. On
528 Qu’est-ce que cela veut dire pour vous, la vie, s’ il n’y a aucun sens à rien ? Pourquoi ne me comporterais-je pas comme le
529 Nietzsche ? Au nom de quoi venez-vous me dire qu’ il faut être socialiste ou qu’il faut être de gauche ? Nous entrons dans
530 nez-vous me dire qu’il faut être socialiste ou qu’ il faut être de gauche ? Nous entrons dans l’arbitraire total. Si, au co
531 Dieu n’est pas une cause au début de tout mais qu’ il est une cause finale de l’humanité, qu’il appelle le développement de
532 mais qu’il est une cause finale de l’humanité, qu’ il appelle le développement de l’homme. D’autre part, je crois qu’il y a
533 aison un peu élémentaire, mais qui dit bien ce qu’ elle veut dire : comment une cellule de notre corps pourrait croire à l’ex
534 corps pourrait croire à l’existence de ce corps ? Elle n’a aucun moyen d’en prendre connaissance. Elle peut savoir à peu prè
535 ? Elle n’a aucun moyen d’en prendre connaissance. Elle peut savoir à peu près qu’elle fait partie d’un organe, mais elle ne
536 ndre connaissance. Elle peut savoir à peu près qu’ elle fait partie d’un organe, mais elle ne peut pas savoir que cet organe
537 à peu près qu’elle fait partie d’un organe, mais elle ne peut pas savoir que cet organe fait partie d’un corps. Elle peut d
538 pas savoir que cet organe fait partie d’un corps. Elle peut donc parfaitement nier l’existence du corps. ab. Rougemont De
539 Rougemont s’est fait l’apôtre de cette croisade ; il n’est donc pas étonnant qu’on en réentende l’écho dans sa conversatio
18 1972, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). De l’unité de culture à l’union politique (17-23 avril 1972)
540 ivra le cheminement des esprits. Robert Schuman Il nous faut faire l’Europe afin de rester nous-mêmes, disons pour aller
541 deux cas, l’expérience séculaire ou millénaire qu’ ils prétendaient inaugurer n’a duré que dix à douze ans. Or il se trouve
542 daient inaugurer n’a duré que dix à douze ans. Or il se trouve que la formule fédéraliste, seule pratiquement possible pou
543 nte mais en fait toujours plus illusoire, sauf qu’ elle bloque tout. Cet obstacle politique, en retour, est fomenté par la cu
544 que leur nation est immortelle, ce qui suggère qu’ elle aurait existé de toute éternité ; alors qu’en vérité, pour la plupart
545 rançais existe réellement depuis Philippe le Bel, il est absolument certain que l’Italie comme État n’a que cent-dix ans,
546 s cru ! Or tout est faux dans cet enseignement. Il n’y a pas de cultures nationales La culture européenne n’est pas l
547 a somme de vingt-cinq cultures nationales, puisqu’ elle existait bien avant la formation, récente nous venons de le voir, de
548 un seul des grands professeurs n’était français : ils étaient napolitain comme Thomas d’Aquin, pisan comme Bonaventure, all
549 temps, ceux qui parlaient même langue ? Oui, mais il n’était pas question de les enfermer pour autant dans les frontières
550 t dans les frontières d’un même État. D’ailleurs, il n’est pas vrai que nos États-nations modernes correspondent à l’aire
551 et le Val d’Aoste au nom de l’unité linguistique, elle devrait s’amputer, pour le même motif, de près de la moitié de ses te
552 Val d’Aoste au nom de l’unité linguistique, elle devrait s’amputer, pour le même motif, de près de la moitié de ses territoire
553 ritoires actuels. Prenez la langue allemande : si elle devait coïncider avec un État-nation, il faudrait annexer à la Républ
554 res actuels. Prenez la langue allemande : si elle devait coïncider avec un État-nation, il faudrait annexer à la République fé
555 e : si elle devait coïncider avec un État-nation, il faudrait annexer à la République fédérale outre l’Allemagne de l’Est,
556 vescovo, obispo, bispe, biskop, bishop, bischof… Il en va de même des termes militaires comme « canon », et de tous les t
557 tre l’Espagne et les Allemagnes au-delà du Rhin ; elle a été mise en forme par la Révolution française, et elle a triomphé d
558 été mise en forme par la Révolution française, et elle a triomphé dans l’enseignement de la géographie au xixe , là encore c
559 tissée de contradictions dans sa genèse même, qu’ elle s’est formée à partir d’influences indo-européennes, gréco-latines, c
560 es, arabes et slaves, souvent incompatibles entre elles — de là le caractère essentiellement contestataire de son génie — mai
561 l’unité de notre culture commune. Mais qu’en est- il de nos diversités tant vantées, et à juste titre ? Est-il vrai, comme
562 s diversités tant vantées, et à juste titre ? Est- il vrai, comme le disent trop souvent d’éloquents ministres à Bruxelles
563 res de nos États n’ont jamais été « naturelles ». Elles sont accidentelles et arbitraires comme les conflits armés dont elles
564 lles et arbitraires comme les conflits armés dont elles figurent sur nos atlas les cicatrices. Elles sont encore, disait un h
565 dont elles figurent sur nos atlas les cicatrices. Elles sont encore, disait un historien français, le résultat des « viols ré
566 n, ne protège contre rien, n’arrête rien de ce qu’ il faudrait arrêter — tempêtes, épidémies, pollution de l’air et de l’ea
567 de l’air et de l’eau — mais gêne les échanges qu’ il faudrait promouvoir et vexe tout le monde ; beau symbole de la souver
568 mondiales où l’Europe a failli périr, mais encore ils faussaient notre vision de l’histoire et le sens même de la vie de l’
569 lent davantage et s’entendront mieux entre eux qu’ ils ne s’entendent avec les fanatiques de leur propre nation ; que les hi
570 Europe est d’autant plus riche et plus intense qu’ elle est moins centralisée et que ses foyers sont plus nombreux. Au Moyen
571 mobilisant à Paris tous les esprits distingués qu’ il n’a pas bannis. Le grand secret de la vitalité inégalée de notre cult
572 la vitalité inégalée de notre culture européenne, il est dans cette interaction perpétuelle des grands courants continenta