1 1933, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Parole de Dieu et parole humaine, par Karl Barth (30 décembre 1933)
1 ment insupportable ? Telles étaient les questions que se posait, vers la fin de la guerre, dans le presbytère d’un village
2 artes de pain, des menaces de violences sociales. Que devenaient, dans tout cela, les belles synthèses de la théologie libé
3 critique. Il résulte de cette étude un gros livre que trois éditeurs refusent mais qui paraît finalement en librairie après
4 en librairie après la guerre. Aventure étonnante que celle de ce commentaire né de la détresse quotidienne d’un obscur pas
5 se. Une réponse plus soucieuse de ce qui est vrai que de ce qui rassure, une réponse qui ne veut s’adresser qu’à ces « ques
6 e qui rassure, une réponse qui ne veut s’adresser qu’ à ces « questions dernières » de notre vie, celle devant lesquelles no
7 tre inquiétude. « Nos auditeurs attendent de nous que nous les comprenions mieux qu’ils ne se comprennent eux-mêmes… Si nou
8 attendent de nous que nous les comprenions mieux qu’ ils ne se comprennent eux-mêmes… Si nous ne prenons pas les hommes au
9 , si nous ne les prenons pas davantage au sérieux qu’ ils ne le font eux-mêmes, comment aurions-nous le droit de nous étonne
10 es, comment aurions-nous le droit de nous étonner que , pour la plupart, ils prennent peu à peu l’habitude de délaisser l’Ég
11 sité de Bonn, exerce depuis dix ans une influence qu’ on peut qualifier de révolutionnaire sur la pensée protestante dans le
12 secret de son incomparable virulence ? Les essais que viennent de traduire MM. Pierre Maury et A. Lavanchy sous le titre Pa
13 une théologie du correctif. Disons tout de suite que les corrections qu’elle apporte constituent une sérieuse attaque cont
14 rrectif. Disons tout de suite que les corrections qu’ elle apporte constituent une sérieuse attaque contre toute religiosité
15 ut d’abord en une série de points d’interrogation que Barth place derrière des mots comme religion, piété, expérience relig
16 le pas plutôt, avec une insistance significative, que les hommes religieux, prêtres et pharisiens, ont toujours été les pre
17 e la Bible au contraire, vise le monde religieux, qu’ il soit placé sous le signe de Baal ou de Yaveh. » La Bible nous parle
18 l’expérience biblique, rien n’est moins important que le mode de l’expérience. Elle est charge et mission, et non pas but e
19 treprise. Telle est bien la constatation cruciale que Barth, après Kierkegaard, remet au premier plan de la pensée théologi
20 ment paradoxale, assumée dans sa tragique ironie, que le théologien doit avoir conscience, s’il veut parler valablement. Ma
21 Dieu, son nom l’indique. De quel Dieu ? De celui que la Bible nomme l’Éternel, alors que nous sommes tout entiers temporel
22 e du théologien est de parler de Dieu, il s’avère qu’ en tant qu’homme il ne le peut : « Car parler de Dieu voudrait dire, p
23 qu’à saint Paul, tous ceux qui ont su et connu ce que nous avons à peu près oublié : que l’homme n’est pas capable par lui-
24 su et connu ce que nous avons à peu près oublié : que l’homme n’est pas capable par lui-même de faire le bien, que la foi s
25 n’est pas capable par lui-même de faire le bien, que la foi seule lui donne la promesse du salut, que cette foi n’est pas
26 que la foi seule lui donne la promesse du salut, que cette foi n’est pas le couronnement de sa « vie religieuse », mais le
27 ent de sa « vie religieuse », mais le don gratuit que Dieu fait à tout homme qui n’a plus d’autre attente. Qu’on n’aille pa
28 u fait à tout homme qui n’a plus d’autre attente. Qu’ on n’aille pas croire cependant que le barthisme est un « retour » à q
29 Dieu. À la suite de Kierkegaard il nous fait voir que le christianisme, c’est l’immédiat, l’instant éternel de la foi, et n
30 ntre est mortelle à l’homme. Et c’est par là même qu’ elle lui apporte, de l’extérieur, le gage de la résurrection. (La grâc
31 profondément « dialectique » de Thérèse d’Avila. Qu’ est-ce donc en définitive que le point de vue barthien ? Une prise au
32 de Thérèse d’Avila. Qu’est-ce donc en définitive que le point de vue barthien ? Une prise au sérieux du fait de Dieu. Dieu
33 s et nos antithèses, tous les oui et tous les non que nous pouvons dire au monde. L’homme ne reçoit son existence véritable
34 monde. L’homme ne reçoit son existence véritable que dans la parole que Dieu lui adresse et qui le meut. On a coutume de n
35 reçoit son existence véritable que dans la parole que Dieu lui adresse et qui le meut. On a coutume de nommer la pensée de
36 ersalité du rapport établi entre Dieu et l’homme, que l’homme le sache ou non, l’accepte ou non ; et par là même caractère
37 x. La théologie n’est pas la parole. Elle ne peut que l’indiquer au-delà d’elle-même. Nous n’avons rien dit des qualités hu
38 umaines de ce livre, de son éloquence martelante ( que les traducteurs ont fort bien rendue, et la tâche n’était pas facile)
39 nation à rechercher le sens réel des mots d’ordre que l’on va répétant, de cette puissance de sérieux, de prise au sérieux
40 e prise au sérieux des situations humaines telles qu’ elles sont, qui seule permet un humour souvent rude ; de cette puissan
41 de crise toutes nos sécurités morales. (Ce n’est qu’ à certains degrés de tension que la réalité de nos réalités quotidienn
42 orales. (Ce n’est qu’à certains degrés de tension que la réalité de nos réalités quotidiennes peut être démasquée, éprouvée
43 les plus solides de notre temps. C’est pour cela qu’ il peut poser les questions les plus gênantes qui soient. ⁂ On l’a bie
44 s’est dressé dans une protestation retentissante, que personne n’a osé faire taire. Son manifeste n’est pas seulement un té
45 authentiquement chrétien : il est le seul espoir que nous puissions garder dans la restauration spirituelle d’une Allemagn
2 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). D’un humour romand (24 février 1934)
46 )c Le Suisse romand est-il sérieux ? Je crains que mes raisons d’en douter n’ébranlent guère la solide réputation de gra
47 n’ébranlent guère la solide réputation de gravité qu’ on lui a faite, et qui lui vaut l’estime des personnes de sens. Mais a
48 mple, cet excellent Toepffer dont on peut espérer qu’ il les faire rire tous les deux ? Je ne songe pas tant aux traditionne
49 le cœur des femmes, de Girard, et de Cingria, ce que vous aurez la chance d’en trouver, une note ici ou là, quelques petit
50 petits livres à tirage limité. N’allez pas croire qu’ il s’agisse d’auteurs comiques : il s’agit d’abord de poètes. Je crain
51 Je crains même de leur faire du tort en écrivant qu’ ils sont drôles. (Des gens viennent vous dire : tenez, voilà qui vous
52 d’avoir compris de quoi il s’agit. Il n’y a plus qu’ à perpétrer une horrible inconvenance, un de ces scandales héroïques q
53 t c’est pourquoi sans doute elle ne s’y manifeste que par ces « ratés » émouvants, dont nous rions faute de réflexe appris.
54 s. L’humour de Pierre Girard est bien plus romand que la pompeuse drôlerie de Cingria, lequel n’est Suisse que par accident
55 pompeuse drôlerie de Cingria, lequel n’est Suisse que par accident, j’ose à peine dire par l’état civil. « Je n’ai pas de p
56 passeport ; je n’en ai jamais eu ; s’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’aie fabri
57 ’il doit être que j’en doive un avoir un, je veux qu’ il ne soit de ceux que j’aie fabriqués moi-même. » Ainsi s’exprime Bru
58 doive un avoir un, je veux qu’il ne soit de ceux que j’aie fabriqués moi-même. » Ainsi s’exprime Bruno Pomposo, dont Cingr
59 Ramuz pendant la guerre. (C’est par cela surtout qu’ il est Suisse, au mépris de tous les racismes.) On avait, dans ce grou
60 es mots. Imaginez, dans cette vision du monde, ce que donnerait l’usage d’un style savant et poli, coupé de « véhémences no
61 pays de pédagogues. J’ai oublié, exprès, de dire que c’est aussi le pays d’origine de Michel Simon et de Grock. C’étaient
3 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). L’Humanité de Jésus d’après Calvin, par Max Dominicé (24 mars 1934)
62 allons pas commenter à notre tour cette glose. Ce qu’ il y a d’ailleurs de plus significatif dans le livre, ce sont les moti
63 motifs qui ont poussé M. Dominicé à l’écrire, et qu’ il expose en une vingtaine de pages précises, mesurées, et convaincant
64 récises, mesurées, et convaincantes. Il me semble que cette préface caractérise d’une façon remarquable l’évolution accompl
65 abord chercher à s’approcher de l’homme Jésus tel que le décrivent les évangiles. Mais, dit M. Dominicé, deux obstacles trè
66 us. Mais alors, n’était-ce pas un abus de langage que de prétendre voir une personne morale dont on récusait par avance les
67 urnaturel, M. Dominicé n’a pas de peine à montrer qu’ il devenait « foncièrement irréel et sans intérêt ». À mesure qu’elle
68 « foncièrement irréel et sans intérêt ». À mesure qu’ elle humanisait le Christ sous prétexte de nous rapprocher de lui, l’h
69 difficulté, le jeune théologien interroge Calvin. Que trouve-t-il ? Des arguments, une solution ? Non point : un renverseme
70 appants du Calvin commentateur des évangiles, tel que nous le restitue M. Dominicé, que cette insistance à mettre en lumièr
71 évangiles, tel que nous le restitue M. Dominicé, que cette insistance à mettre en lumière le « scandale de Jésus » à seule
72 nseigner à révérence ». On peut dire dans ce sens que l’exégèse de Calvin est toute didactique : elle veut sans cesse trans
73 sans cesse transformer nos questions en questions que le texte sacré nous adresse. Tout au contraire du critique moderne, q
74 e en juge du texte, Calvin n’admet et ne pratique qu’ une « exégèse d’obéissance » — il se laisse juger par le texte. On ne
75 ’ailleurs s’y prête peu. Mais on regrette parfois qu’ il suive à pas si prudents son modèle, et que l’admiration que lui ins
76 fois qu’il suive à pas si prudents son modèle, et que l’admiration que lui inspire Calvin s’exprime en termes aussi respect
77 à pas si prudents son modèle, et que l’admiration que lui inspire Calvin s’exprime en termes aussi respectueux des objectio
78 respectueux des objections possibles. Il est vrai que ce livre est une thèse. Mais il n’est pas moins vrai que Calvin sut p
79 livre est une thèse. Mais il n’est pas moins vrai que Calvin sut parler un langage d’une verdeur assez peu sorbonnique. Max
80 nicé ne sera pas le dernier à souhaiter avec nous que le retour des doctrines du xvie siècle renouvelle jusque dans le sty
4 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Quelques œuvres et une biographie de Kierkegaard (26 mai 1934)
81 on de cet Office et ses soins les plus diligents. Que d’impairs n’a-t-on pas commis à l’endroit de ce revenant du xixe siè
82 revenant du xixe siècle, depuis quelques années qu’ on nous parle de lui dans les revues philosophiques et littéraires ! P
83 plus propre à créer du malentendu. Le titre même, que lui a donné le traducteur, prête à certaines confusions : l’œuvre, en
84 e maladie, c’est le péché. L’impitoyable maîtrise que Kierkegaard apporte dans l’analyse psychologique du désespoir, consid
85 démons obscurs. Au fond du désespoir, et quelles que soient les formes qu’il revête, du spleen banal jusqu’au péché contre
86 nd du désespoir, et quelles que soient les formes qu’ il revête, du spleen banal jusqu’au péché contre l’esprit, jusqu’au re
87 une révolte de l’homme contre sa condition telle que Dieu l’a voulue, une négation du paradoxe de l’Amour. L’universalité
88 singulièrement avec le réalisme brutal du sujet. Que le lecteur, pourtant, ne se laisse point arrêter par des définitions
89 conduisent à des impasses tragiques ; mais voici que Dieu intervient, avec la réponse terrible faite à Job. Et ce sont alo
90 ques lettres sur la détresse humaine devant Dieu, que le héros adresse à « son muet confident », l’auteur. Peut-être avons-
91 , qui, même si elle foudroie, est plus magnifique que les commérages et les potins sur la justice de la Providence inventés
92 s eunuques ! Nous voici plus près de Shakespeare que du piétisme sentimental et de l’unctio spiritualis des dévots… Mais p
93 Je me borne à citer In vino veritas 5. Non point que cet ouvrage ne mérite d’être lu par tous les amateurs de grand lyrism
94 possible par le traducteur). Mais il ne s’agit là que du premier volet d’un triptyque dont il nous faut attendre les deux a
95 e. Il rendra vaines, désormais, les introductions que les différents traducteurs nous ont prodiguées jusqu’ici avec autant
96 s ont prodiguées jusqu’ici avec autant de science que de conscience, mais qui se répétaient fastidieusement. Surtout, il si
97 re de Carl Koch est la démonstration de l’emprise que peut exercer Kierkegaard sur un chrétien sincère, peu suspect de comp
98 la fois la plus objective et la plus sympathique qu’ un « honnête homme » peut espérer. Du mélange d’humour et d’angoisse i
99 n homme qui vient nous dire, en toute simplicité, qu’ il a vu l’événement, et qu’il en est encore tout remué. On le croira s
100 , en toute simplicité, qu’il a vu l’événement, et qu’ il en est encore tout remué. On le croira sans peine : il n’a pas l’ai
101 s peine : il n’a pas l’air d’avoir pu inventer ce qu’ il raconte. Cela donne envie d’aller voir. Or, je tiens qu’il n’y a ri
102 onte. Cela donne envie d’aller voir. Or, je tiens qu’ il n’y a rien de plus urgent pour nous que d’aller voir ce qui se pass
103 e tiens qu’il n’y a rien de plus urgent pour nous que d’aller voir ce qui se passe dans l’œuvre du danois prophétique, ress
5 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le mouvement des groupes — Kagawa (4 août 1934)
104 es intellectuels, mais il y répond de telle sorte qu’ il abolit rapidement les barrières convenues entre intellectuels, homm
105 sorte. À plus d’une reprise, j’eus l’impression, qu’ on a rarement de nos jours, d’entendre des gens dire la vérité sur eux
106 t en général de toutes les rencontres prévues. Ce que je savais du Mouvement m’avait fait espérer, secrètement, autre chose
107 écrire son esprit. Ce n’est pas le meilleur livre qu’ on ait écrit sur les Groupes. Mais enfin, c’est le seul qui existe en
108 qu’on passe sur les interprétations personnelles que nous en propose l’auteur. (Begbie est un de ces « informateurs » bril
109 le cercle concret de leur vie. La seule question qu’ il y ait donc lieu de poser est celle-ci : comment atteindre les homme
110 « partage » (sharing) des grâces reçues, il sait qu’ on ne peut être chrétien que totalement, personnellement, activement.
111 râces reçues, il sait qu’on ne peut être chrétien que totalement, personnellement, activement. N’allons pas croire qu’il s’
112 personnellement, activement. N’allons pas croire qu’ il s’agisse là d’une nouvelle forme de pragmatisme américain. Dire que
113 une nouvelle forme de pragmatisme américain. Dire que la foi n’est réelle que là où elle se réalise ne signifie pas qu’il f
114 agmatisme américain. Dire que la foi n’est réelle que là où elle se réalise ne signifie pas qu’il faille agir à tout prix.
115 réelle que là où elle se réalise ne signifie pas qu’ il faille agir à tout prix. L’activiste moderne n’est souvent qu’un ag
116 ir à tout prix. L’activiste moderne n’est souvent qu’ un agité. Le philanthrope et le puritain rigide ne sont souvent que de
117 hilanthrope et le puritain rigide ne sont souvent que des acteurs. Seule la foi peut nous rendre actifs lorsqu’elle nous en
118 ion ? L’erreur des chrétiens, trop souvent, c’est qu’ ils s’efforcent d’endoctriner ceux qu’ils rencontrent. Le « partage »
119 vent, c’est qu’ils s’efforcent d’endoctriner ceux qu’ ils rencontrent. Le « partage » préconisé par Buchman ne ressemble pas
120 Pour entrer en contact avec les hommes, il n’y a qu’ un moyen : c’est de leur ouvrir sa maison. D’où les confessions privée
121 n des traits marquants de l’activité des Groupes. Qu’ il y ait là un danger réel d’exhibitionnisme, les membres des Groupes
122 es membres des Groupes ne sauraient le nier. Mais qu’ il y ait là aussi le moyen de faire tomber les barrières morales qui s
123 pelle. Ils partent bien souvent sans autre raison que la certitude qui leur vient de pouvoir être utiles à tel endroit où D
124 d’aller. La chronique des rencontres miraculeuses qu’ ils ont ainsi vécues remplirait des volumes, et nourrit leurs entretie
125 retiens. À lire certains récits du meilleur livre qu’ on ait fait sur le Mouvement, For Sinners only (Pour les pécheurs seul
126 J. Russell, on découvre des possibilités humaines que le conformisme et la psychologie modernes semblaient avoir abolies da
127 ante. Le pittoresque, le pathétique de l’aventure que vivent quotidiennement les membres des Groupes pourraient devenir pou
128 vivement certaines des suppositions théologiques qu’ implique l’attitude de Buchman. Car ce n’est pas assez que de se refus
129 que l’attitude de Buchman. Car ce n’est pas assez que de se refuser à parler de théologie sous prétexte que c’est abstrait 
130 de se refuser à parler de théologie sous prétexte que c’est abstrait : encore faudrait-il se garder de vivre une théologie
131 membres du Mouvement des Groupes peuvent répondre que leur œuvre se développe dans une atmosphère de franchise, d’autocriti
132 irituelle qui la préserve de la plupart des excès qu’ on imagine. Peut-être la plus sûre leçon des Groupes est-elle dans leu
133 ps peuvent devenir des hommes réels. ⁂ Il se peut que Kagawa soit l’homme le plus réel d’aujourd’hui. Je dirais qu’il est l
134 oit l’homme le plus réel d’aujourd’hui. Je dirais qu’ il est le plus grand, si la mesure de la grandeur, dans sa vision, n’é
135 vision, n’était pas exclusivement dans la réalité qu’ un homme incarne. Qui le connaît en France ? Claudel, quelques revues
136 auvreté, s’enfonce dans les slums de Kobé, décide qu’ il n’aura pas d’habitation plus vaste que celle du plus pauvre habitan
137 , décide qu’il n’aura pas d’habitation plus vaste que celle du plus pauvre habitant du quartier, et non content d’y vivre d
138 rois premiers hôtes sont un galeux, un alcoolique qu’ il nomme la « statue de cuivre » à cause de son immobilité presque tot
139 la tuberculose et une maladie des yeux, il arrive qu’ il s’effondre pendant ses discours. Il écrit une Psychologie de la pau
140 si à faire reconnaître légalement le syndicalisme qu’ il a créé, le voilà qui lance une campagne pour la christianisation du
141 symboles qui appartiennent au génie japonais tel que Claudel nous l’a décrit, mais auquel le génie chrétien ajoute une dim
6 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Au sujet d’un roman : Sara Alelia (3 novembre 1934)
142 Littéraire ? Je détiendrais volontiers celui-ci : que le roman est un genre protestant. — Et Balzac ? dites-vous, car vous
143 vous démontrer, ce qui n’est pas trop difficile, que Dostoïevski et Tolstoï sont plus protestants qu’on ne croit. Le reste
144 que Dostoïevski et Tolstoï sont plus protestants qu’ on ne croit. Le reste est évident. — Quel reste ? — Les Anglais, les A
145 Constant. Quand on parle du roman, vous ne voyez que Balzac et Zola. Je vois aussi le pasteur Sterne, le Goethe des Affini
146 Lawrence, parfaitement. Voyez-vous, je ne dis pas qu’ ils furent tous des chrétiens. Plusieurs ont même écrit des romans fur
147 — des romans justement comme ne peuvent en écrire que des protestants, malgré eux. Quand je dis romanciers protestants, ent
148 ants, entendez romanciers de climats protestants. Que faut-il pour faire un roman ? Des caractères, de la vie intérieure, u
149 ’apparences. N’est-ce point-là l’image habituelle que l’on se fait de nos climats ? Et voici un dernier argument. Prenez un
150 quart de protestants, c’est-à-dire dix fois plus que vous n’en attendiez, puisqu’il n’y a qu’un million de réformés en Fra
151 ois plus que vous n’en attendiez, puisqu’il n’y a qu’ un million de réformés en France. Imaginez la proportion si l’édit de
152 s là le paradoxe. Vous n’ignorez pas plus que moi que la plupart des romanciers dont j’allais vous citer les noms n’ont guè
153 ais vous citer les noms n’ont guère de protestant que l’origine, et quelques tics de psychologues. Ils sont, comme l’on dit
154 sme » ; « sortis » est bien le mot ! C’est-à-dire qu’ ils n’ont pas de foi, et qu’est-ce qu’un protestant sans foi ? Dans to
155 le mot ! C’est-à-dire qu’ils n’ont pas de foi, et qu’ est-ce qu’un protestant sans foi ? Dans toutes leurs œuvres, vous cher
156 ’est-à-dire qu’ils n’ont pas de foi, et qu’est-ce qu’ un protestant sans foi ? Dans toutes leurs œuvres, vous chercheriez en
157 lement chrétien. La Porte étroite ne décrit guère qu’ une aberration janséniste. Et je ne retrouve le calvinisme véritable q
158 éniste. Et je ne retrouve le calvinisme véritable que dans l’Adam et Ève de Ramuz, mais Ramuz accepterait-il une étiquette
159 si compromettante ? À parler franc, je ne connais qu’ un seul roman moderne authentiquement « réformé ». Un grand roman, je
160 Dixelius. On vient de le traduire du suédois9. ⁂ Qu’ est-ce qu’un roman chrétien ? Une histoire où tout le monde « se condu
161 On vient de le traduire du suédois9. ⁂ Qu’est-ce qu’ un roman chrétien ? Une histoire où tout le monde « se conduit bien » 
162 ardy, par exemple, se devaient de finir aussi mal que possible ? Non, car le christianisme se passe dans cette vie ou bien
163 ristianisme. Et l’on serait en droit de prétendre qu’ un roman pessimiste à la Thomas Hardy a plus de chances d’être chrétie
164 la Thomas Hardy a plus de chances d’être chrétien qu’ un quelconque happy end soi-disant édifiant s’il est certain que l’Éva
165 ue happy end soi-disant édifiant s’il est certain que l’Évangile et ses promesses de salut sont seuls capables de donner à
166 du surnaturel. La grâce n’intervient pas ailleurs que dans l’« abîme ». On la pressent d’abord dans l’œuvre d’art à certain
167 ir jamais complaisant à lui-même, car l’aveu même qu’ on en fait est la preuve qu’on l’a traversé, et qu’on a saisi l’espéra
168 même, car l’aveu même qu’on en fait est la preuve qu’ on l’a traversé, et qu’on a saisi l’espérance qui le transcende et qui
169 u’on en fait est la preuve qu’on l’a traversé, et qu’ on a saisi l’espérance qui le transcende et qui le juge. On a dit de S
170 ranscende et qui le juge. On a dit de Sara Alelia que c’est un roman de la grâce : oui, mais c’est aussi, et d’abord, un ro
171 mul peccator et justus. Kierkegaard nous rappelle que pour aider les hommes, il faut d’abord les trouver là où ils sont. Ai
172 peut-être, je veux dire moins d’apparent lyrisme que chez l’auteur de Gösta Berling ; mais une sobriété qui vous saisit le
173 est un des grands pouvoirs des romanciers du Nord que d’introduire la durée d’une vie comme protagoniste du drame.) Des fra
174 éalisme, pessimisme. Je vois bien les malentendus que font naître ces expressions dans nos esprits encore marqués de préjug
175 éjugés naturalistes. On a voulu nous faire croire que la vie quotidienne était le contraire de la poésie, et qu’être réalis
176 e quotidienne était le contraire de la poésie, et qu’ être réaliste c’était ne rien voir d’autre que le sexe et l’argent dan
177 et qu’être réaliste c’était ne rien voir d’autre que le sexe et l’argent dans l’existence humaine. Cette espèce de natural
178 èce de naturalisme est le fruit d’un ressentiment que les excès idéalistes expliquent sans le légitimer. L’homme n’est pas
179 est pas un ange, c’est entendu, mais ne dites pas qu’ il n’est qu’une bête. À la fois ange et bête, voilà sa vérité totale,
180 nge, c’est entendu, mais ne dites pas qu’il n’est qu’ une bête. À la fois ange et bête, voilà sa vérité totale, c’est-à-dire
181 rave. À chacun sa réalité : elle dépend du regard qu’ on porte sur le monde. Le regard « objectif » de nos naturalistes appa
182 es folies, l’originalité bouleversante des êtres, qu’ il s’agisse d’un grand évêque ou de cette fille de ferme « au mince vi
183 les Écritures ; peut-être aussi des saints, mais qu’ on ignore et qui s’ignorent. Partout et jusque dans les choses, un mys
184 aux yeux de celui qui sait voir, parce que, mieux que d’autres, il sait aimer. Et sur ce monde tel qu’il est, sur ces vies
185 que d’autres, il sait aimer. Et sur ce monde tel qu’ il est, sur ces vies douloureuses, banales ou touchantes, mal engagées
186 mbole d’une miséricorde lumineuse, dont on dirait qu’ elle est le vrai sujet de ce grand livre. Le silence à peu près généra
7 1934, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Une histoire de la Réforme en France (15 décembre 1934)
187 il est légitime d’en restaurer la mémoire, pourvu que l’on n’y cherche pas de vains prétextes à se glorifier d’un passé bie
188 passé bien passé, et dont il resterait à prouver qu’ on est digne. Le meilleur moyen d’éviter ce danger serait sans doute d
189 rent, et c’est peut-être le seul reproche sérieux que je me sente le droit de formuler devant sa monumentale Histoire de la
190 ale Histoire de la Réforme française. Plus encore que le premier tome de cet ouvrage (des origines à l’édit de Nantes), le
191 me qui vient de paraître10 témoigne de la volonté qu’ avait l’auteur de ne décrire que les effets sociaux, politiques et cul
192 gne de la volonté qu’avait l’auteur de ne décrire que les effets sociaux, politiques et culturels de la Réforme, sans les r
193 , John Viénot laisse délibérément de côté tout ce que l’abbé Bremond appelait l’histoire du sentiment religieux, et il nous
194 nt religieux, et il nous sera permis de souhaiter que cette lacune suscite un Bremond protestant, ne fût-ce que pour corrig
195 e lacune suscite un Bremond protestant, ne fût-ce que pour corriger les souriantes injustices du catholique à l’endroit de
196 i impartiale, si spectaculaire, pourrait-on dire, qu’ on ne voit guère en quoi son Histoire se distingue de celle qu’eût pu
197 guère en quoi son Histoire se distingue de celle qu’ eût pu écrire un savant laïque épris de tolérance, teinté de renanisme
198 es de la liberté de conscience en général, plutôt que de la foi. Ceci dit, l’on ne saurait assez louer la science et les sc
199 ments, l’atténuation volontaire des condamnations qu’ il ne peut s’empêcher de porter parfois, tout cet effort d’impartialit
200 gros volume. Mais aussi, la substance historique qu’ il nous offre est de celles qui n’ont pas besoin de condiments pour pr
201 lante saveur. Rien de plus excitant pour l’esprit que cette lecture, passionnante non seulement à cause du pittoresque viol
202 aits, non seulement à cause des plongées directes qu’ elle permet d’opérer dans la vie publique et privée du xviie siècle,
203 t moment, le lecteur se voit incité à imaginer ce qu’ il fut advenu de la France si l’édit avait été observé, s’il n’avait p
204 Ravaillac… Le bel irénisme de Viénot, la réserve qu’ il observe avec constance dans son récit ne peuvent en somme que donne
205 avec constance dans son récit ne peuvent en somme que donner plus de vigueur au langage des faits, cités ici en très grand
206 et propres à modifier considérablement l’opinion que nous pouvions avoir du « grand siècle » tel que nous l’ont décrit les
207 n que nous pouvions avoir du « grand siècle » tel que nous l’ont décrit les fervents de Louis XIV et certains défenseurs de
208 Romains. Les catholiques patriotes savaient bien que la présence à la cour d’un Sully ou d’un Duplessis-Mornay, représenta
209 re personnelle des réformés. Le « grand dessein » qu’ avait conçu Béthune pouvait faire de la France la première organisatri
210 nisatrice d’une Europe fédéralisée. Mais le virus qu’ un Mazarin, un Concini ou un Ubaldini (nonce papal) introduisent en Fr
211 ntes. Mais alors cette révocation n’apparaît plus que comme un épisode, le plus marquant il est vrai, de toute l’évolution
212 ici risquer un mot sans doute anachronique, mais que tout le livre de Viénot nous autorise à prononcer ; c’est le mot de f
213 oncer ; c’est le mot de fascisme. Le parallélisme qu’ on peut facilement établir entre la « révocation » et les mesures de «
214 d’établir un droit nouveau qui ne soit plus fondé que sur la seule volonté du dictateur. Déjà ce mot de Mazarin paraît donn
215  nazi » : Si le roi, disait-il, ne voulait point qu’ on portât des glands à son collet, il n’en faudrait point porter, parc
216 , parce que ce n’est point tant la chose défendue que la défense qui fait le crime. En face de ces prétentions toutes nouv
217 violer les sépultures des religionnaires) : Ceux que vous déterrez, dit la requête, ne sont point étrangers. Ce sont Franç
218 nçois, vrais François de nature comme vous, mieux que vous d’affection, s’il est vrai que l’humanité est la propre affectio
219 e vous, mieux que vous d’affection, s’il est vrai que l’humanité est la propre affection des François… Bon Dieu ! parmi que
220 nçois… Bon Dieu ! parmi quels tigres vivons-nous… qu’ une cour de Parlement se licencie ainsi contre le droit naturel, contr
221 n’est-il pas significatif de la nature du danger qu’ on courait ? La conclusion de cette requête mérite d’ailleurs d’être c
222 sa seule beauté : Lequel nous vaudra donc mieux, qu’ un loup dévore notre charogne ou que des citoyens en repaissent leurs
223 a donc mieux, qu’un loup dévore notre charogne ou que des citoyens en repaissent leurs yeux et contentent leur rage ? Certe
224 eur rage ? Certes, ni l’un ni l’autre n’empêchera qu’ en ces mêmes os, en cette même chair, nous ne voyions notre Rédempteur
225 l’on ressort de cette lecture plus édifié encore que révolté. Mais ce n’est pas peu dire. 10. Histoire de la Réforme fr
8 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Kierkegaard, Dostoïevski, Barth (23 février 1935)
226 ble, la position de cette question plutôt gênante qu’ est son œuvre en plein cœur de nos ratiocinations de clercs retraités
227 ? Mais le plus curieux de l’affaire, n’est-ce pas que Kierkegaard nous soit présenté aujourd’hui par des philosophes laïque
228 fait revivre notre pensée évangélique ? Et voici que cette conjonction du poète philosophe et du théologien projette une v
229 ériode de la pensée kierkegaardienne. La question que pose cette œuvre, c’est celle de la foi, dans l’absolu. Ce n’est pas
230 i, dans l’absolu. Ce n’est pas encore la question que Kierkegaard adressera plus tard à la chrétienté de son temps : la foi
231 rd à la chrétienté de son temps : la foi étant ce que j’ai dit – le paradoxe le plus inouï – avez-vous cette foi, êtes-vous
232 rd se débat encore avec lui-même. A-t-il la foi ? Qu’ est-ce que la foi ? Hegel, dont la philosophie obsède à ce moment l’es
233 t encore avec lui-même. A-t-il la foi ? Qu’est-ce que la foi ? Hegel, dont la philosophie obsède à ce moment l’esprit de Ki
234 tement. Il réduit tout au général. Mais la Bible, que nous dit-elle ? Elle ne fait pas une théorie, elle répond par l’exemp
235 ’Abraham. Et c’est à la méditation de cet exemple que Kierkegaard va consacrer son livre. Abraham, le « père des croyants »
236 mettre un meurtre, et c’est parce qu’il l’accepte qu’ on l’appellera le père des croyants ? L’individu serait-il au-dessus d
237 seconde fois ; on ne voit, dans toute l’histoire, qu’ une épreuve. Une épreuve : c’est beaucoup dire, et peu de chose ; et c
238 ose ; et cependant la chose est aussi vite passée que dite. On enfourche Pégase, en un clin d’œil on est à Morija, on voit
239 à Morija, on voit aussitôt le bélier ; on oublie qu’ Abraham fit le chemin lentement, au pas de son âne, qu’il eut trois jo
240 raham fit le chemin lentement, au pas de son âne, qu’ il eut trois jours de voyage et qu’il lui fallut un peu de temps pour
241 as de son âne, qu’il eut trois jours de voyage et qu’ il lui fallut un peu de temps pour fendre le bois, lier Isaac et aigui
242  un personnage insignifiant » et le comique c’est qu’ on persiste à l’offrir en exemple aux chrétiens ! Mais la grandeur d’A
243 , sa signification démesurée et impensable, c’est qu’ il reçut Isaac en récompense d’un acte « fou » et revint avec lui dans
244  : j’ai cette foi-là ? La réflexion philosophique que Kierkegaard enchaîne à l’exemple d’Abraham est admirablement analysée
245 abyssale » de cette œuvre. Personne n’a fait plus que Jean Wahl pour faire connaître à l’élite française la pensée de Søren
246 la pensée protestante saura mesurer la valeur. ⁂ Qu’ est-ce que la foi ? demandait Kierkegaard dans Crainte et Tremblement.
247 protestante saura mesurer la valeur. ⁂ Qu’est-ce que la foi ? demandait Kierkegaard dans Crainte et Tremblement. Qu’est-ce
248 emandait Kierkegaard dans Crainte et Tremblement. Qu’ est-ce que la vie chrétienne ? demande Karl Barth dans Culte raisonnab
249 ierkegaard dans Crainte et Tremblement. Qu’est-ce que la vie chrétienne ? demande Karl Barth dans Culte raisonnable dont le
250 illusoire ou évasive. Elle consiste d’abord en ce que le chrétien se reconnaît de plus en plus pécheur, de plus en plus liv
251 int et agréable » à Dieu. Point n’est nécessaire qu’ il vous pousse des ailes ni que vous soyez transformés en quelque esse
252 t n’est nécessaire qu’il vous pousse des ailes ni que vous soyez transformés en quelque essence radieuse et esthétique. La
253 de la vie. C’est toute profane et banale, la vie que chacun doit vivre à sa place, et dans sa situation. Mais en quoi le
254 nguera-t-il donc de l’incroyant ? En rien d’autre qu’ en ceci : qu’il est appelé à rendre témoignage « d’une part contre la
255 onc de l’incroyant ? En rien d’autre qu’en ceci : qu’ il est appelé à rendre témoignage « d’une part contre la forme du sièc
256 s le monde et soumis à ses lois, sachant pourtant qu’ il n’appartient plus à sa forme, mais à sa transformation. Et voici qu
257 us à sa forme, mais à sa transformation. Et voici que nous rejoignons l’idée centrale de Crainte et Tremblement. Qu’est-ce,
258 ignons l’idée centrale de Crainte et Tremblement. Qu’ est-ce, en effet, que le « chevalier de la foi », sinon celui qui vit
259 e de Crainte et Tremblement. Qu’est-ce, en effet, que le « chevalier de la foi », sinon celui qui vit pleinement cette vie,
260 La même façon de considérer l’homme à la fois tel qu’ il est devant Dieu, hic et nunc, et tel qu’il est revendiqué par Dieu
261 is tel qu’il est devant Dieu, hic et nunc, et tel qu’ il est revendiqué par Dieu à la limite de ses possibilités, là où para
262 s. Car c’est à chaque instant de la vie de la foi que se posent les questions dernières. Mais cette vision de l’homme sans
263 nneurs, comme des êtres orientés vers autre chose qu’ eux-mêmes ? « Quand ils posent des questions, c’est qu’eux-mêmes sont
264 x-mêmes ? « Quand ils posent des questions, c’est qu’ eux-mêmes sont mis en question. Quand ils cherchent, c’est qu’eux-même
265 sont mis en question. Quand ils cherchent, c’est qu’ eux-mêmes sont cherchés et trouvés ». Ainsi parle Édouard Thurneysen d
266 ïevski ou les confins de l’homme. Le grand succès qu’ a remporté ce petit livre en Allemagne mérite d’être confirmé par notr
267 au cœur d’une œuvre entre toutes complexe. C’est que , plus nettement encore que Berdiaev dans L’Esprit de Dostoïevski, le
268 toutes complexe. C’est que, plus nettement encore que Berdiaev dans L’Esprit de Dostoïevski, le professeur de Bâle a su l’e
269 vée de sens, ou seulement chaotique, morbide. Ce que nous avons cherché dans Dostoïevski, c’est la réponse à cette questio
270 Dostoïevski, c’est la réponse à cette question : qu’ est-ce qu’un homme ? Et cette réponse, il nous l’a donnée en nous déco
271 ki, c’est la réponse à cette question : qu’est-ce qu’ un homme ? Et cette réponse, il nous l’a donnée en nous découvrant que
272 te réponse, il nous l’a donnée en nous découvrant que l’homme n’est lui-même qu’une seule et grande question, la question d
273 née en nous découvrant que l’homme n’est lui-même qu’ une seule et grande question, la question de l’origine de sa vie, la q
274 béante le problème de leur existence, ce problème qu’ ils ne peuvent résoudre jusqu’à ce que, dans leur maladie justement, p
275 ce problème qu’ils ne peuvent résoudre jusqu’à ce que , dans leur maladie justement, percevant leur question dernière, ils d
276 uérison. Ces phrases résument fort bien la thèse que Thurneysen soutient avec une passion convaincante. De divers côtés l’
277 er, à propos d’une de mes récentes chroniques, ce qu’ il fallait entendre par le protestantisme de Dostoïevski. Je ne saurai
278 isme de Dostoïevski. Je ne saurais mieux répondre qu’ en renvoyant au livre de M. Thurneysen. La conception « dialectique »
9 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Trois traités de Jean Calvin (20 juillet 1935)
279 mique : la Réforme se voit assimilée au « fays ce que vouldras » des Renaissants. Les protestants sont-ils trop maigres ou
280 présentants ! Or, cette espèce est plus nombreuse qu’ on ne pense. Que sait-on de Calvin dans notre grand public, sinon qu’i
281 , cette espèce est plus nombreuse qu’on ne pense. Que sait-on de Calvin dans notre grand public, sinon qu’il avait les joue
282 sait-on de Calvin dans notre grand public, sinon qu’ il avait les joues creuses, une barbiche pointue et un profil coupant 
283 pas assez pour juger son système ? Ne sait-on pas que les gros hommes sont toujours les plus populaires ? Comment se dire c
284 ction fondamentale pour toute la pensée réformée. Qu’ est-ce qu’un témoin ? C’est un homme qui n’est pas l’inventeur de son
285 amentale pour toute la pensée réformée. Qu’est-ce qu’ un témoin ? C’est un homme qui n’est pas l’inventeur de son message, m
286 , remonter à cette origine permanente de l’Église qu’ est la révélation évangélique. Le calvinisme ou le luthérisme, ce sont
287 thérisme, ce sont bien moins des normes de pensée que des chemins vers l’Évangile. L’Évangile seul, éclairé par l’Esprit, r
288 ciel noir désigne le Sauveur en croix : « Il faut qu’ il croisse et que je diminue. » C’est donc sous l’angle de leur vocati
289 le Sauveur en croix : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » C’est donc sous l’angle de leur vocation particulière,
290 ur vocation particulière, et sous cet angle seul, qu’ il nous devient loisible de parler de ces hommes sans tomber dans l’ex
291 umaines et littéraires ; mais ce qui importe plus que tout, c’est d’indiquer d’abord la « clé » qui donne leur exacte valeu
292 ons sur ce thème. Et cette clé, c’est la vocation que Jean Calvin reçut de réformer l’Église. Tout ceci est fort bien expo
293 e Schmidt dans son introduction aux Trois traités que l’on vient de rééditer12. Le grand mérite de cette introduction, c’es
294 r12. Le grand mérite de cette introduction, c’est qu’ elle nous ouvre, en une quinzaine de pages, les principales perspectiv
295 s de « l’univers » calvinien. Il faut bien avouer que les commentateurs nous avaient donné jusqu’ici une image assez étriqu
296 scandalisent à grand bruit, « non tant pour haine qu’ ils portent aux scandales que pour nuire à l’Évangile et le diffamer c
297  non tant pour haine qu’ils portent aux scandales que pour nuire à l’Évangile et le diffamer comment que ce soit ». Il y a
298 ue pour nuire à l’Évangile et le diffamer comment que ce soit ». Il y a ceux pour lesquels les dogmes sont autant d’occasio
299 sont autant d’occasions de chopper : Quant à ce que la Prédestination est comme une mer de scandales, d’où vient cela sin
300 e royaume mondain ». À ceux-là, Calvin rappellera que notre condition chrétienne est celle du conflit dialectique : L’Égli
301 de batailler continuellement sous la croix, tant qu’ elle aura à cheminer en ce monde. Voici enfin les « libertins », ceux
302 en ce monde. Voici enfin les « libertins », ceux que nous appelons libéraux qui « gazouillent » à tort et à travers et se
303 e Renaissance. Mais toutes les richesses de style que produisit ce siècle bouillonnant ont passé dans l’attaque de Calvin :
304 nt l’exemple n’est pas l’un des plus négligeables que comportent les Trois traités, M. Schmidt nous propose quelques défini
305 énie littéraire de Calvin, ne doit jamais omettre que celui-ci se considérait comme ministre du Verbe divin. Prêcher l’Évan
306 a dissolution voluptueuse du xixe . Il m’apparaît que le style d’un Calvin peut nous être un puissant roboratif. Et ceci po
307 n ne confère au langage une aussi poignante vertu que cette conscience d’une mission à remplir et d’un dialogue à soutenir
308 evenir vers les chefs pour apprendre à nouveau ce que parler veut dire. Ensuite, n’oublions pas que la plupart des écrits f
309 ce que parler veut dire. Ensuite, n’oublions pas que la plupart des écrits français de Calvin — c’est le cas de ces Trois
10 1935, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les mystiques allemands du xiiie au xixe siècle, par Jean Chuzeville (2 novembre 1935)
310 elle s’oppose donc à toute mystique qui ne serait qu’ une fuite hors du monde, comme à toute action en révolte contre l’ordr
311 mites charnelles et temporelles ». C’est aussi ce que dit l’Évangile, où il n’est pas question de mysticisme. Ceci marqué,
312 question de mysticisme. Ceci marqué, qui est plus qu’ une réserve, il convient de remercier M. Chuzeville de nous avoir ouve
313 ction ferme et coulante. La plupart des mystiques que M. Chuzeville nous révèle sont inconnus du public français, Novalis e
314 encore si mal connu chez nous. Il est grand temps que nous rendions hommage à ce ver sacrum de l’esprit germanique. Il est
315 sacrum de l’esprit germanique. Il est grand temps que nous relevions ces titres de noblesse spirituelle momentanément mépri
316 iers directs. Et cela vaudrait mieux, à coup sûr, que de rééditer des calomnies usées sur un Luther qu’on n’a jamais lu ; l
317 que de rééditer des calomnies usées sur un Luther qu’ on n’a jamais lu ; l’introduction de cette anthologie contient, à cet
11 1936, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Le Problème du bien (12 septembre 1936)
318 une œuvre aussi exceptionnelle par ses dimensions que par son style. M. Wilfred Monod est actuellement le représentant le p
319 ’en prendre aux réformés, ne trouva rien de mieux que d’écrire un pamphlet contre la race des Monod, les traditions, l’espr
320 prit et l’idéologie de cette « tribu ». Il semble que l’auteur du Problème du Bien 13 se soit fait un glorieux devoir, et p
321 es plus vilipendées par ce furieux censeur païen. Qu’ il suffise de rappeler que le nom de Wilfred Monod évoque immédiatemen
322 furieux censeur païen. Qu’il suffise de rappeler que le nom de Wilfred Monod évoque immédiatement, dans l’esprit de tout p
323 gure sans aucun doute le document le plus complet que le modernisme protestant aura livré sur son époque. Mais il marque en
324 s peuvent douter de leur croyance à cause du mal, que des incroyants apprennent à douter de leur incroyance, à cause du Bie
325 eux, se brise contre le problème du Mal ». Notons que cette position du problème, ce double front contre l’athéisme et cont
326 es par le recours à une piété plus libre. On sait que pour l’école de Barth, tout au contraire, le rôle de la théologie ser
327 des intrusions de philosophies passagères quelles qu’ elles soient. Pour Barth, c’est Dieu qui met l’homme en question. M. M
328 pparaît absolue. Mais l’une des grandes surprises que nous réserve le Problème du Bien, c’est qu’au moyen d’une méthode « l
329 rises que nous réserve le Problème du Bien, c’est qu’ au moyen d’une méthode « libérale » et partant d’un point de vue « lib
330 et partant d’un point de vue « libéral » — encore que l’auteur s’en défende, l’adjectif ayant pris peu à peu une significat
331 ication ecclésiastique plus précise et restreinte que celle que je lui donne ici — M. Monod rejoint souvent des conclusions
332 clésiastique plus précise et restreinte que celle que je lui donne ici — M. Monod rejoint souvent des conclusions théologiq
333 onod rejoint souvent des conclusions théologiques que Barth ne saurait renier. Cette convergence paradoxale et imprévue n’e
334 de son expérience intérieure. Après avoir montré que cette expérience diffère de tout processus psychique, il précise : l’
335 ience religieuse ne devient proprement chrétienne qu’ en tant qu’elle reconnaît que son objet, c’est Dieu le Père, révélé pa
336 roprement chrétienne qu’en tant qu’elle reconnaît que son objet, c’est Dieu le Père, révélé par le Fils, et non ce Dieu omn
337 i l’auteur : voilà la thèse capitale du livre. Ce que nous montre la Nature, c’est bien plutôt l’action d’un « démiurge » s
338 toute la tradition chrétienne pour avoir affirmé que le monde est l’œuvre d’un esprit mauvais, d’un démiourgos que le Chri
339 est l’œuvre d’un esprit mauvais, d’un démiourgos que le Christ, fils de Dieu, est venu pour combattre et pour vaincre ? M.
340 e. Jésus, dit-il, « n’est pas venu nous enseigner que l’univers a un créateur. Il a, au contraire, déboulonné l’idole effro
341 idole effroyable du Tout-Puissant ; il a enseigné que le vrai Dieu s’incarnait dans un crucifié vaincu ». Par une espèce de
342 est un X qui ne se révèle à l’homme comme le Père que par son incarnation dans le Fils, reconnue grâce au Saint-Esprit. Lai
343 apital de cette vision totalitaire du réel, c’est qu’ elle replace l’homme dans la perspective cosmique dont un maigre intel
344 l’émouvant souci. À cet égard, on peut bien dire que M. Monod revient de loin. Les Soliloques dans la nuit, fragments d’un
345 s bien que la jeunesse d’aujourd’hui ne voie plus qu’ une fièvre morbide. Mais la forme excessivement libre de cet ouvrage l
346 n souvent, on y apprend beaucoup. On craint aussi qu’ à la faveur de tant de richesses disparates, le sérieux proprement thé
347 rs trop plaisants. Je dirai, pastichant M. Monod, que ces ébauches suggestives ne vont pas sans quelque débauche intellectu
348 ns quelque débauche intellectuelle. Et je redoute que certains fidèles ne soient gênés, comme je le suis, par l’affirmation
349 ênés, comme je le suis, par l’affirmation répétée que l’auteur « écrit à genoux ». Au sous-titre du Problème du Bien, j’app
350 sa thèse théologique, je me contente de suggérer qu’ on l’admettrait plus aisément si l’auteur ne cherchait à l’imposer par
12 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Luther contre Érasme (19 juin 1937)
351 Luther contre Érasme (19 juin 1937)q r Que sait-on de Luther en France ? Qu’il rompu l’unité de l’Église. Mais d
352 uin 1937)q r Que sait-on de Luther en France ? Qu’ il rompu l’unité de l’Église. Mais dans quelles circonstances ? Poussé
353 r. Or, il se trouve, et c’est presque incroyable, que , depuis quatre siècles qu’elles ont été écrites, on n’en a pas tradui
354 st presque incroyable, que, depuis quatre siècles qu’ elles ont été écrites, on n’en a pas traduit une seule en France ! Que
355 est accessible d’une œuvre dont on sait pourtant qu’ elle a changé plus qu’aucune autre les destinées de l’Occident. (Je ne
356 œuvre dont on sait pourtant qu’elle a changé plus qu’ aucune autre les destinées de l’Occident. (Je ne fais là, bien entendu
357 nées de l’Occident. (Je ne fais là, bien entendu, qu’ une constatation historique.) Remercions donc le courageux éditeur qui
358 hérienne, le Traité du serf arbitre 14. Ne fût-ce que sur le plan de la culture générale, une telle publication est appelée
359 le du procès : l’acte d’accusation du clerc actif qu’ était Luther, contre le clerc « désintéressé » que croyait pouvoir êtr
360 qu’était Luther, contre le clerc « désintéressé » que croyait pouvoir être Érasme. Elle nous permet de connaître l’une des
361 r », celui d’Érasme, nous est suffisamment connu. Qu’ on se reporte en particulier à la brillante biographie de Stefan Zweig
362 oute l’œuvre récente du parfait disciple d’Érasme que se trouve être M. Benda. Érasme dit le vrai, puis se lave les mains,
363 les conséquences de sa vérité : il souhaite même qu’ il n’y en ait pas. Et tous les prudents d’applaudir, non sans apparenc
364 imes au nom de la vérité ! On s’en est plus servi qu’ on ne l’a servie… L’intervention de Luther en personne va-t-elle chang
365 n’a mieux incarné la volonté de pensée militante que ce petit moine qui, à Worms, osa dresser contre l’opportunisme impéri
366 xible, l’urgente exigence de la vérité en action. Que trouvera le lecteur profane, et peu au fait de la problématique chrét
367 libre arbitre religieux, c’est-à-dire du pouvoir qu’ aurait l’homme de gagner le salut par ses propres efforts de volonté,
368 otons seulement, pour écarter le pire malentendu, que Luther ne nie pas du tout la réalité de notre volonté. Il nie seuleme
369 out la réalité de notre volonté. Il nie seulement que cette volonté puisse s’appliquer librement aux choses qui concernent
370 notre nature, et comme telle, ne désire vraiment que le péché. La liberté n’est pas dans l’homme, mais dans l’acte par leq
371 ation simultanée de ses deux termes. Et l’on sait que Nietzsche lui-même aboutit à un paradoxe tout semblable à celui de Lu
13 1937, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Selma Lagerlöf, conteur de légende (3 juillet 1937)
372 ssaie d’en tirer de la vie. Mais ne serait-ce pas que l’on ne sait plus créer de la vie ? On s’efforce de la décrire, ou pi
373 étrangement dépourvu de ce pouvoir « fabulateur » qu’ il était censé détenir. (Déjà M. Weidlé, dans ses Abeilles d’Aristée,
374 op souvent, il faut le dire, à tenir pour vrai ce que l’on juge le plus bas. Ainsi l’on en vient peu à peu, par désir de se
375 désir de se montrer original, à tenir pour acquis que les « vertus » sont de ces illusions qui ne résistent pas à l’analyse
376 es illusions qui ne résistent pas à l’analyse, et qu’ un auteur sincère se doit de démasquer. Tout se ramènerait à la physio
377 ysiologie, ou à l’argent. Il ne fallait pas moins que le génie plein de malices d’une Lagerlöf pour renverser d’un coup cet
378 nciers du xxe siècle. Selma Lagerlöf sait encore que l’origine de tout l’art du récit, c’est la légende. Une atmosphère d’
379 la légende. Une atmosphère d’enfance retrouvée — qu’ on lise les souvenirs qui composent Morbacka 16 — voilà le milieu-mère
380 ignes. (Mais, seule, la naïveté moderne se figure qu’ une légende doit être crue, comme on croit les journaux, par exemple,
381 vrai « miracle », ici, c’est le parti romanesque que Selma Lagerlöf a su tirer du mythe. Et c’est aussi la profusion génia
382 crète des héros. L’on prie de croire, d’ailleurs, que ces héros sont bien assez complexes pour notre goût moderne ! Et que
383 bien assez complexes pour notre goût moderne ! Et que l’« analyse des motifs » est ici d’une fort malicieuse lucidité. Mais
384 aire et de l’imagerie sentimentale et romanesque, qu’ on croyait épuisées depuis les Victoriens, retrouvent ici leur grâce e
385 une euphorie de l’imagination dont nous pensions que le secret s’était perdu avec l’enfance. Comme on sent que l’auteur s’
386 ecret s’était perdu avec l’enfance. Comme on sent que l’auteur s’amuse de sa maîtrise : Lagerlöf, ou la gloire de conter !
387 ordique). C’est à l’avant-dernière page seulement que le sens profond de l’œuvre entière est formulé : « Celui qui veut êtr
388 les autres ». À ce moment aussi, l’on s’aperçoit que la fatalité de la légende a bel et bien dominé tous ces êtres, malgré
389 imerais citer ici une seule de ces « situations » que Lagerlöf noue et dénoue dans chaque chapitre avec une prodigalité vra
390 arlotte Löwensköld. En la quittant, il lui a crié qu’ il n’épouserait qu’une femme que Dieu lui aurait désignée. La première
391 En la quittant, il lui a crié qu’il n’épouserait qu’ une femme que Dieu lui aurait désignée. La première qu’il croisera en
392 nt, il lui a crié qu’il n’épouserait qu’une femme que Dieu lui aurait désignée. La première qu’il croisera en allant au vil
393 e femme que Dieu lui aurait désignée. La première qu’ il croisera en allant au village, si elle n’est pas mariée, deviendra
394 viendra sa compagne. Il sort. Il s’en faut de peu qu’ il ne rencontre dès les premiers pas une vieille mendiante sourde. Une
395 rons, mais cela ne compte pas, car il est entendu que la femme désignée par Dieu doit venir à sa rencontre. Un peu plus loi
396 j’étais une bête curieuse, dit-elle. On croirait que tu as rencontré un ours ! » C’est Anna Svärd, la femme que Dieu lui e
397 rencontré un ours ! » C’est Anna Svärd, la femme que Dieu lui envoie, qu’il épousera envers et contre tous. Elle ne sait n
398 » C’est Anna Svärd, la femme que Dieu lui envoie, qu’ il épousera envers et contre tous. Elle ne sait ni lire ni écrire. On
399 Selma Lagerlöf. L’invention romanesque n’est ici que la « mise en pratique » d’une attitude spirituelle extrême. La phrase
400 par le héros, sans nulle invraisemblance, il faut que ce héros soit un croyant d’une certaine trempe. Derrière Karl-Artur,
401 e de la poésie ! Et le spectacle le plus émouvant que nous donne cette œuvre admirable, c’est celui du travail de la foi da
402 ail de la foi dans la réalité totale d’un peuple, qu’ elle trouble, assemble, juge et sauve. ⁂ Rien de plus passionnant, pou
403 ssionnant, pour qui vient de lire les Löwensköld, que de retrouver dans les souvenirs publiés sous le titre de Morbacka les
404 nts historiques, décors, personnages et coutumes, que les romans mettront en œuvre : il n’y manque rien que le rythme, c’es
405 les romans mettront en œuvre : il n’y manque rien que le rythme, c’est-à-dire la part libre du génie, de l’imagination fabu
406 génie, de l’imagination fabulatrice. Et c’est là que je vois le très grand intérêt de ces souvenirs — dont le charme, d’ai
407 uteur du triptyque des Löwensköld. Il faut avouer que le milieu où Selma Lagerlöf a grandi paraît favoriser plus qu’aucun a
408 où Selma Lagerlöf a grandi paraît favoriser plus qu’ aucun autre le déploiement des pouvoirs de la fable. Ces presbytères c
409 uvoirs de la fable. Ces presbytères campagnards — que de pasteurs dans la famille des romanciers du Nord ! — environnés de
14 1939, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Non, Tristan et Iseut ne s’aiment pas, nous dit Denis de Rougemont (12 février 1939)
410 me. Étranger, M. Denis de Rougemont connaît mieux que beaucoup de Français notre province : il a séjourné de longs mois en
411 licieusement quand je lui parle du petit scandale que risque de provoquer son dernier livre : n’y affirme-t-il pas, avec pr
412 e : n’y affirme-t-il pas, avec preuves à l’appui, que Tristan et Iseut, les amants légendaires, les héros de la passion, ne
413 ents pendant leur première rencontre, ne s’aiment qu’ après avoir bu le philtre, ne peuvent plus se supporter au bout de tro
414 , l’autre Iseut, ne reconnaissent plus leur amour qu’ à l’heure où la mort le défigure déjà… tout cela est rempli de bizarre
415 coup réfléchi avant d’arriver à cette conviction, que je suis prêt à défendre : ce que Tristan et Iseut aiment, c’est le fa
416 ette conviction, que je suis prêt à défendre : ce que Tristan et Iseut aiment, c’est le fait d’aimer. Jamais Tristan ne dit
417 st le fait d’aimer. Jamais Tristan ne dit à Iseut qu’ il l’aime, il se borne à répéter : « Amor par force me demeisne ». C’e
418 t la passion-catastrophe, qui ne peut se résoudre que dans la mort, et inspirera tout le romantisme. Mais elle inspire d’ab
419  » des troubadours. Cet amour courtois ne fleurit que parmi les obstacles, exclut toute idée de progéniture, de famille ; i
420 is est directement issu du catharisme. Vous savez que l’hérésie cathare, que la croisade contre les albigeois réprima sans
421 du catharisme. Vous savez que l’hérésie cathare, que la croisade contre les albigeois réprima sans l’anéantir, eut des mil
422 , chasteté et mépris de la chair, goût de la mort que l’on préfère aux biens de ce monde, profusion de symboles… Nous retro
423 boles… Nous retrouvons la religion cathare, telle que les procès de l’Inquisition permettent de la connaître, tous les thèm
424 une théorie aussi originale. D’ailleurs, on sait que les troubadours n’allaient que chez les seigneurs cathares, fort nomb
425 ’ailleurs, on sait que les troubadours n’allaient que chez les seigneurs cathares, fort nombreux, et qui adoptaient cette h
426 cette hé­résie avec d’autant plus d’enthousiasme qu’ ils étaient souvent jaloux de l’autorité temporelle exercée par le cle
427 identale, n’a surgi dans la littérature orientale que tout dernièrement, à la suite du christianisme. J’avoue que votre dém
428 ernièrement, à la suite du christianisme. J’avoue que votre démonstration me paraît convaincante. Mais comment cette interp
429 iennes. Or j’ai été frappé par le goût de la mort que l’on retrouve à la fois dans le catharisme, dans Tristan et Iseut et
430 chez les lyriques courtois, goût qui n’est autre que l’instinct de la mort tel que Freud l’a analysé. À une époque où le s
431 oût qui n’est autre que l’instinct de la mort tel que Freud l’a analysé. À une époque où le statut du mariage se modifie pr
432 t du mariage se modifie profondément, croyez-vous que ce fameux triangle, qui suppose en définitive le mariage, puisse enco
433 re ? Denis de Rougemont réfléchit : Non, je crois que nous sommes à une époque de transition, que ce mythe risque de dispar
434 crois que nous sommes à une époque de transition, que ce mythe risque de disparaître. Mais c’est encore lui qui pèse sur to
435 lui-même. Nous aspirons donc à connaître cet état que , comme Tristan et peut-être inconsciemment, nous préférons à l’être a
436 leur apparaît comme la seule évasion. Croyez-vous que cela puisse embellir, faciliter la vie commune ? Certes, non. Mais au
437 iquent encore le problème du mariage. Croyez-vous que les problèmes de la vie sentimentale et sexuelle puissent trouver une
438 oi, répond Denis de Rougemont, il ne peut y avoir qu’ une solution : le mariage chrétien, mais présenté d’une manière nouvel
439 ais présenté d’une manière nouvelle. C’est-à-dire qu’ au lieu d’en faire un acte raisonnable, il faut le montrer tel qu’il e
440 faire un acte raisonnable, il faut le montrer tel qu’ il est en réalité : l’aventure la plus difficile. Si vous ne fondez pa
441 vée en vertu de l’absurde. Elle est aussi absurde que la passion, mais s’en distingue par un refus constant de subir ses rê
442 Mais je l’ai un peu délaissé au profit d’un drame que j’écris pour l’Exposition de Zurich. Je veux mettre en scène un héros
443 e mortifia, jeûnant complètement. Mais, apprenant que la guerre civile menaçait, il quitta sa grotte, et rétablit la paix p
444 ène aura trente mètres de large, et trois étages, qu’ il faut ne jamais laisser vides. J’écris des phrases très courtes, un
445 end pas avec une certaine curiosité les réactions que vont susciter certaines de ses théories un peu révolutionnaires. Il s
446 n’attache pas une grande importance aux querelles que pourraient me chercher les savants. Ce qui me touche, c’est que mon l
447 me chercher les savants. Ce qui me touche, c’est que mon livre, paru il y a huit jours, m’a déjà valu de nombreuses lettre
448 emmes qui se trouvaient mal mariés. Ils me disent que mon livre les aide à comprendre la cause de leur désarroi, qu’ils sav
449 les aide à comprendre la cause de leur désarroi, qu’ ils savent mieux maintenant comment ils pourraient se rapprocher. Si j
15 1963, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Mais qui est donc Denis de Rougemont (7 novembre 1963)
450 our et l’Occident et dans laquelle il démontrait que l’idée de passion amoureuse trouvait ses origines dans la poésie cath
451 on œuvre, cette œuvre dont tout le monde parle et que peu de gens ont lue. Pas plus savant qu’un autre mais beaucoup plus p
452 parle et que peu de gens ont lue. Pas plus savant qu’ un autre mais beaucoup plus prudent, j’ai demandé à Denis de Rougemont
453 ommenter librement et, au besoin, de rectifier ce que je me proposais d’écrire sur lui. Voici ce qu’a donné cette entrevue.
454 ce que je me proposais d’écrire sur lui. Voici ce qu’ a donné cette entrevue. Né en 1906 à Neuchâtel, Denis de Rougemont est
455 ouvre la bouche, de s’exprimer en français plutôt qu’ en miaulant ou en barrissant. Je suis un écrivain français, un point c
456 l’on veut absolument coller une étiquette, disons que je suis un essayiste, espèce d’écrivain de plus en plus répandue de n
457 uieu, Pascal étaient des essayistes. Ce n’est pas que je veuille me comparer à eux, mais la forme est la même : un mélange
458 : L’Ordre nouveau et Esprit. C’est à cette époque qu’ il élabore une doctrine humaniste… Humaniste ? Je n’aime guère ce term
459 ce. C’est d’ailleurs dans cette notion de l’homme que je place le point d’insertion de Dieu. Je suis tout à fait opposé aux
460 en Allemagne en me disant : « Vous qui pensez pis que pendre de notre régime, allez donc l’observer de plus près. » J’accep
461 ndition, celle d’écrire en rentrant exactement ce que je pensais du nazisme. J’en ai effectivement pensé et dit beaucoup de
462 e de Hitler dans Paris. Les Allemands demandèrent que je sois puni et j’ai reçu quinze jours de prison militaire sous le pr
463 quinze jours de prison militaire sous le prétexte qu’ un officier neutre n’a pas le droit d’outrager un chef d’État étranger
464 iera avec plusieurs écrivains français. On décida que je serais moins gênant en Amérique qu’en Europe. À New York, je rédig
465 On décida que je serais moins gênant en Amérique qu’ en Europe. À New York, je rédigeais les émissions en français de « La
466 de même pour chaque nation dans l’Europe fédérée que je préconise et qui n’est que la transposition à une échelle géante d
467 ns l’Europe fédérée que je préconise et qui n’est que la transposition à une échelle géante de la Confédération helvétique.
468 éens solidaires, ce qui représente presque autant que les populations des États-Unis et de l’URSS réunies. Comprenez-moi do
469 e ombre au tableau. Je viens en effet d’apprendre que je me suis trouvé opposé à Eugène Ionesco qui est un ami très cher et
470 , en confondant le Centre européen de la culture, que Rougemont fonda et dirigea à Genève à partir de 1950, et le Congrès p
471 ont s’engagea en parallèle, mais dont il ne fut «  que  » le président du comité exécutif, de 1951 à 1966.
16 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Les prophètes de la décadence (24 septembre 1970)
472 siècle a vu la civilisation — qui ne saurait être que la nôtre, quand on en parle au singulier — étendre à toute la terre s
473 ue tous, Européens. Loin de s’émerveiller du fait que le génie européen rayonne sur le monde entier, ils préfèrent nous par
474 Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Et il ajoutait : Elam, Ninive, Babylone éta
475 mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie, ce seraient aus
476 aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’Histoire est assez grand pour tout le monde. Nous senton
477 est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’ une civilisation a la même fragilité qu’une vie. Les circonstances qui
478 s sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’ une vie. Les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et cell
479 et je sais peu de phrases plus fréquemment citées que celle qui annonce en somme que toutes les civilisations étant mortell
480 fréquemment citées que celle qui annonce en somme que toutes les civilisations étant mortelles, la nôtre aussi pourrait pér
481 périr, va donc probablement périr. Pour émouvante qu’ elle soit, elle exprime, à mon sens, l’une des erreurs les plus célèbr
482 ent expliquer son succès ? Observons tout d’abord qu’ elle résume et condense une assez longue tradition de pessimisme europ
483 ès les mêmes noms pour illustrer le même argument que Valéry : Que sont devenues tant de brillantes créations de la main d
484 oms pour illustrer le même argument que Valéry : Que sont devenues tant de brillantes créations de la main de l’homme ? Où
485 nt le théâtre de tant de splendeur, et je n’ai vu qu’ abandon et que solitude… Qui sait si sur les rivages de la Seine, de l
486 de tant de splendeur, et je n’ai vu qu’abandon et que solitude… Qui sait si sur les rivages de la Seine, de la Tamise ou du
487 ine d’armées plus tard, Hegel introduisait l’idée que chaque peuple est « un individu dans la marche de l’histoire » et qu’
488 t « un individu dans la marche de l’histoire » et qu’ il obéit donc, comme tout individu, à une loi de croissance, d’épanoui
489 ment et de déclin fatal. Hegel pensait d’ailleurs que la civilisation européenne marquait l’aboutissement suprême de l’Hist
490 lectique aux civilisations, on en venait à penser que chacune d’elles devait fatalement décliner et mourir après une périod
491 siècle, Spengler va plus loin ; il est convaincu que toute culture est un organisme et correspond morphologiquement à un i
492 , animal ou végétal. Il en résulte inexorablement que toute culture est mortelle, et l’on rejoint la phrase de Valéry. Enfi
493 on, ont d’autant moins de peine à nous convaincre que , d’une part, ils rejoignent, par leurs conclusions, notre angoisse qu
494 nt à l’état présent de l’Europe dans le monde, et que , d’autre part, les plus grands esprits du siècle précédent n’ont cess
495 raindre le pire pour notre civilisation. Or voici que leurs prédictions semblent confirmées par les faits. Au cours des ann
496 nous nos propres armes, tant sociales et morales que matérielles… Que faudrait-il de plus, pour qu’on ait le droit de parl
497 armes, tant sociales et morales que matérielles… Que faudrait-il de plus, pour qu’on ait le droit de parler d’une éclipse
498 hégémonie. Secundo, il n’est pas du tout certain que les précédents historiques soient applicables dans notre situation, n
499 iques soient applicables dans notre situation, ni que la courbe croissance-grandeur-décadence soit la même pour toutes les
500 les antiques ? Il se pourrait, bien au contraire, que notre culture présente des caractères nouveaux, qui déterminent un de
501 valeurs souvent contradictoires ou incompatibles qu’ elle en a héritées, la civilisation européenne s’est trouvée fondée su
502 ode bénie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et
503 que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’ il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne
504 : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins violent
505 irèrent le Moyen Âge ne furent pas moins violents que ceux que nous vivons. L’unité de notre culture et de la civilisation
506 e Moyen Âge ne furent pas moins violents que ceux que nous vivons. L’unité de notre culture et de la civilisation créée par
507 réée par cette culture n’a jamais été autre chose qu’ une unité paradoxale consistant dans la seule volonté commune à tous d
508 te erreur ne saurait plus être commise, à présent que la terre entière est explorée dans ses derniers recoins. Alexandre le
509 e le Grand et les empereurs chinois s’imaginèrent qu’ ils dominaient le monde entier ; c’était moins orgueilleux que naïf, c
510 aient le monde entier ; c’était moins orgueilleux que naïf, car chacun ignorait que l’autre existât. L’agence Cook suffirai
511 t moins orgueilleux que naïf, car chacun ignorait que l’autre existât. L’agence Cook suffirait aujourd’hui pour les mettre
512 s, les Européens du xxe siècle, nous savons bien que nous ne dominons plus politiquement, mais nous savons aussi que toute
513 minons plus politiquement, mais nous savons aussi que toutes les villes nouvelles en Asie et en Afrique imitent nos villes
514 e leurs embarras de circulation. Nous savons bien que tous les pays neufs imitent nos parlements, partis et syndicats, et m
515 s, et même parfois nos dictatures. Et nous savons que ce mouvement d’imitation s’opère à sens unique et n’est plus réversib
516 s précédent dans toute l’Histoire ? Nous avons vu que la civilisation européenne, née de la confluence des sources les plus
517 re tous les peuples du monde. Nous avons vu aussi que l’Europe envoie dans le monde plus de machines et d’assistants techni
518 monde plus de machines et d’assistants techniques que de livres et de missionnaires. Elle s’est laïcisée, ou sécularisée, e
519 e plus transportable, plus acceptable et imitable qu’ aucune autre. Mais il faut voir enfin que cette civilisation n’a pu de
520 imitable qu’aucune autre. Mais il faut voir enfin que cette civilisation n’a pu devenir universelle qu’en vertu de quelque
521 que cette civilisation n’a pu devenir universelle qu’ en vertu de quelque chose de très fondamental qui l’y prédisposait dès
522 la valeur égale de tout homme devant Dieu, quelle que soit sa nation, sa couleur ou sa race. L’Égypte ancienne ne croyait r
523 ), cette conception devait seule permettre à ceux qu’ elle formerait intimement de considérer tous les hommes comme dignes e
524 er pleinement à l’effort civilisateur. Maintenant que c’est fait ou en train de se faire, et que voilà franchi le « seuil m
525 tenant que c’est fait ou en train de se faire, et que voilà franchi le « seuil mondial », comment imaginer que la civilisat
526 là franchi le « seuil mondial », comment imaginer que la civilisation diffusée par l’Europe à tous les peuples puisse s’écl
527 arues ou en voie d’extinction. Valéry nous disait que « les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de
528 ont en mesure de résister au temps beaucoup mieux que les fresques de Lascaux, les statues grecques et les temples des Phar
529 disparu sans nous laisser d’autre héritage actif que celui de leurs œuvres d’art : ainsi celle des Aurignaciens, ou plus p
530 ours sur toute la terre. Il s’en faut de beaucoup que leurs rivales asiatiques, qu’on dit plus raffinées, aient connu parei
531 en faut de beaucoup que leurs rivales asiatiques, qu’ on dit plus raffinées, aient connu pareille fortune. Ce sont les lois
532 our tous les peuples du tiers-monde à peine moins que pour ceux de l’OTAN, la dignité de la personne humaine et les fondeme
533 » Et il propose de corriger comme suit le passage que j’ai cité : « Nous autres civilisations, nous avons depuis peu la cer
534 civilisations, nous avons depuis peu la certitude que nous ne mourrons jamais entièrement et que nos cendres sont fécondes.
535 titude que nous ne mourrons jamais entièrement et que nos cendres sont fécondes. Le temps est passé où les civilisations ét
536 cette simple remarque : si tant de civilisations qu’ on croyait endormies sont tirées de l’oubli au xxe siècle, si tant d’
537 s s’européaniser par la culture plus profondément que l’Europe ne s’américanise par le costume et le décor urbain. L’URSS ?
538 par le costume et le décor urbain. L’URSS ? Mais qu’ apporte-t-elle de nouveau ? Est-elle une autre civilisation ? Lénine d
539 al de Troie occidental : la technique, et tout ce qu’ elle entraîne dans les mœurs et les modes de penser d’une nation. Le f
540 fameux « bon en avant » de la Chine n’a guère été qu’ un bond vers l’industrie et vers le socialisme, inventés par l’Europe
541 culture. Quant à l’Afrique, observons simplement que son émancipation actuelle ne consiste nullement dans l’avènement d’un
17 1970, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). Denis de Rougemont : l’amour et l’Europe en expert (24 décembre 1970)
542 . 17 ans, c’est le moment où j’ai pris conscience que j’étais un littéraire. À cette époque je n’écrivais que des poèmes, p
543 étais un littéraire. À cette époque je n’écrivais que des poèmes, persuadé que toute autre forme de littérature était infér
544 tte époque je n’écrivais que des poèmes, persuadé que toute autre forme de littérature était inférieure et méprisable. En m
545 le poste idéal car le gardien de but n’intervient qu’ aux moments de crises, au sommet de l’effort. Plus tard, j’ai appris q
546 es, au sommet de l’effort. Plus tard, j’ai appris que Montherlant et Albert Camus avaient aussi été gardiens de but. Commen
547 ous découvert l’Europe ? C’est entre 17 et 25 ans que j’ai découvert un peu l’Europe. Quand j’allais dans le Midi des troub
548 s curieusement chez moi. J’ai fini par comprendre que ce sentiment venait de ce que j’avais des ancêtres dans tous ces pays
549 fini par comprendre que ce sentiment venait de ce que j’avais des ancêtres dans tous ces pays-là. Si je regarde l’ascendanc
550 e regarde l’ascendance de mon père, je m’aperçois qu’ à la génération où nous avons 64 ancêtres, la sixième, il y a 28 Suiss
551 é de nombreuses et passionnantes pages à l’amour. Qu’ est-ce que l’amour pour vous ? L’amour c’est tout. Pour moi c’est plus
552 euses et passionnantes pages à l’amour. Qu’est-ce que l’amour pour vous ? L’amour c’est tout. Pour moi c’est plus spécialem
553 t l’Occident . L’amour au sens de l’amour-passion que j’ai décrit dans mon livre fut quelque chose de très important dans m
554 . Je reçus une lettre recommandée de Daniel-Rops, que j’ouvris avec un peu d’anxiété. Il me disait : « Voudriez-vous me ren
555 de céder le tour de parution de votre manuscrit, que j’attends d’un jour à l’autre, car je dois publier le plus tôt possib
556 l’auteur de L’Amour et l’Occident  ? Je croyais que vous aviez une grande barbe blanche. » C’était la première réaction.
557 e réaction. Voici l’autre réaction : « Savez-vous que votre livre a transformé ma vie ! »… Cette idée d’avoir transformé ta
558 avaient fait des confidences et je me suis aperçu que généralement ils étaient près de divorcer avant de m’avoir lu puis qu
559 étaient près de divorcer avant de m’avoir lu puis qu’ ils avaient décidé de ne pas divorcer, de s’en tenir à la dernière par
560 nir à la dernière partie de mon livre. Mais voilà que , en les suivant un peu plus longtemps, je m’aperçus qu’ils finissaien
561 n les suivant un peu plus longtemps, je m’aperçus qu’ ils finissaient quand même par divorcer, c’est-à-dire que l’action de
562 finissaient quand même par divorcer, c’est-à-dire que l’action de mon livre était généralement de retarder les divorces de
563 hes de l’amour, donne à la passion plus de droits que je ne lui en laissais dans mon premier livre. Que pensez-vous aujourd
564 que je ne lui en laissais dans mon premier livre. Que pensez-vous aujourd’hui ? Je continue à penser qu’il faudrait élever
565 ue pensez-vous aujourd’hui ? Je continue à penser qu’ il faudrait élever les gens dans une méfiance profonde de ce que repré
566 élever les gens dans une méfiance profonde de ce que représente la passion. C’est au fond contre la vulgarisation du mythe
567 fond contre la vulgarisation du mythe de Tristan que je m’élevais, surtout dans L’Amour et l’Occident , et non pas contre
568 ontre le mythe. Cela n’aurait pas de sens de dire que l’on est contre la passion qui est l’une des choses glorieuses qui pe
569 un homme. Aujourd’hui, je suis parvenu à ce point qu’ il y a deux morales, l’une qu’il faut enseigner aux enfants, par tous
570 parvenu à ce point qu’il y a deux morales, l’une qu’ il faut enseigner aux enfants, par tous les moyens possibles et qui mè
571 rtains sacrifices. Tout artiste sait parfaitement que quand il commence une œuvre, que ce soit un tableau, une sculpture ou
572 ait parfaitement que quand il commence une œuvre, que ce soit un tableau, une sculpture ou un livre, cela lui imposera des
573 s joyeusement et consciemment parce que l’on sait que c’est la condition de réussite de quelque chose de durable. Si je fai
574 est amené à être créateur d’une œuvre, ne fût-ce que de soi-même et surtout de son couple. Je pense que c’est l’œuvre la p
575 ue de soi-même et surtout de son couple. Je pense que c’est l’œuvre la plus belle. Et la passion ? La passion, je ne l’excl
576 n ? La passion, je ne l’exclus pas, mais je pense qu’ elle doit être réservée à de très rares personnes qui seront probablem
577 en fait pour entretenir l’indignation continuelle que j’ai contre les frontières. Cette frontière avait été à peu près supp
578 olitique sa ligne de douaniers et il en a résulté que dans la région que j’habite, qui est prétendument zone franche, nous
579 e douaniers et il en a résulté que dans la région que j’habite, qui est prétendument zone franche, nous sommes entre deux c
580 t scandaleuse n’a pas peu fait pour me convaincre qu’ on n’arrivera vraiment à faire l’Europe que sur la base des régions, r
581 aincre qu’on n’arrivera vraiment à faire l’Europe que sur la base des régions, régions recréées en dépit des frontières, pa
582 à la fin de la IXe Symphonie, c’est quelque chose que probablement tout homme a senti dans le fond de soi-même comme l’achè
583 ort, sur la chronologie, si vous voulez. Je pense que l’immortalité n’est pas quelque chose qui commence quand on est mort,
584 quelque chose qui commence quand on est mort, ni que l’âme sort par la bouche et va voleter on ne sait pas très bien où. J
585 va voleter on ne sait pas très bien où. Je me dis que l’éternité, l’immortalité, c’est quelque chose qui englobe le temps,
586 englobe le temps, qui le pénètre complètement et que nous y sommes déjà maintenant. Plutôt que de me demander ce que c’est
587 ment et que nous y sommes déjà maintenant. Plutôt que de me demander ce que c’est que la mort, je m’interroge sur ce qu’est
588 mes déjà maintenant. Plutôt que de me demander ce que c’est que la mort, je m’interroge sur ce qu’est la vie. Là, je peux d
589 aintenant. Plutôt que de me demander ce que c’est que la mort, je m’interroge sur ce qu’est la vie. Là, je peux dire quelqu
590 r ce que c’est que la mort, je m’interroge sur ce qu’ est la vie. Là, je peux dire quelque chose : c’est un certain laps de
591 lle la réalise plus ou moins bien, elle peut dire qu’ elle a réussi sa vie et après cela on ne peut rien lui demander de plu
592  », entre guillemets, ces guillemets voulant dire que je ne donne pas Dieu comme quelque chose dont chacun sait de quoi il
593 ue chose dont chacun sait de quoi il s’agit, mais que j’insiste pour indiquer que nous nous trouvons devant un problème. J’
594 quoi il s’agit, mais que j’insiste pour indiquer que nous nous trouvons devant un problème. J’ai écrit des centaines de pa
595 J’ai écrit des centaines de pages de notes sur ce que ce mot Dieu peut évoquer pour l’esprit d’un homme du xxe siècle, moi
596 grande précision dans le détail, car il n’y a là que la précision qui est intéressante ; en évitant tout ce qui peut avoir
597 ce qui peut avoir l’air de faire croire aux gens que pour moi croire en Dieu est bien, ne pas y croire est mal, et vice ve
598 uve autant de difficultés à ne pas croire en Dieu qu’ à y croire, et ce n’est pas peu dire. Cela veut peut-être dire que le
599 t ce n’est pas peu dire. Cela veut peut-être dire que le problème est mal posé dans ma tête, ou dans mon existence. À quoi
600 pas de sens. Certains savants aujourd’hui disent qu’ ils ne tiennent pas du tout à ce que le monde ait un sens, à ce que no
601 rd’hui disent qu’ils ne tiennent pas du tout à ce que le monde ait un sens, à ce que notre vie ait un sens, à ce que l’huma
602 t pas du tout à ce que le monde ait un sens, à ce que notre vie ait un sens, à ce que l’humanité ait un sens, puis ils fini
603 ait un sens, à ce que notre vie ait un sens, à ce que l’humanité ait un sens, puis ils finissent par vous faire un petit co
604 morale scientifique. On pourrait leur demander : Qu’ est-ce que cela veut dire pour vous, la vie, s’il n’y a aucun sens à r
605 ientifique. On pourrait leur demander : Qu’est-ce que cela veut dire pour vous, la vie, s’il n’y a aucun sens à rien ? Pour
606 de Nietzsche ? Au nom de quoi venez-vous me dire qu’ il faut être socialiste ou qu’il faut être de gauche ? Nous entrons da
607 venez-vous me dire qu’il faut être socialiste ou qu’ il faut être de gauche ? Nous entrons dans l’arbitraire total. Si, au
608 d’un arrière à un avant. Si vous voulez, je pense que Dieu n’est pas une cause au début de tout mais qu’il est une cause fi
609 ue Dieu n’est pas une cause au début de tout mais qu’ il est une cause finale de l’humanité, qu’il appelle le développement
610 ut mais qu’il est une cause finale de l’humanité, qu’ il appelle le développement de l’homme. D’autre part, je crois qu’il y
611 développement de l’homme. D’autre part, je crois qu’ il y a une grande naïveté à discuter sur l’existence ou la non-existen
612 existence ou la non-existence de Dieu étant donné que nous savons la place infime que nous tenons dans l’univers. Je fais q
613 Dieu étant donné que nous savons la place infime que nous tenons dans l’univers. Je fais quelquefois cette comparaison un
614 paraison un peu élémentaire, mais qui dit bien ce qu’ elle veut dire : comment une cellule de notre corps pourrait croire à
615 prendre connaissance. Elle peut savoir à peu près qu’ elle fait partie d’un organe, mais elle ne peut pas savoir que cet org
616 partie d’un organe, mais elle ne peut pas savoir que cet organe fait partie d’un corps. Elle peut donc parfaitement nier l
617 re de cette croisade ; il n’est donc pas étonnant qu’ on en réentende l’écho dans sa conversation avec Pierre Lhoste. » ad.
18 1972, Les Nouvelles littéraires, articles (1933–1972). De l’unité de culture à l’union politique (17-23 avril 1972)
618 éricains. Mais l’Europe ne pourra jamais se faire que selon la formule fédéraliste, respectueuse des diversités de tous ord
619 es deux cas, l’expérience séculaire ou millénaire qu’ ils prétendaient inaugurer n’a duré que dix à douze ans. Or il se trou
620 millénaire qu’ils prétendaient inaugurer n’a duré que dix à douze ans. Or il se trouve que la formule fédéraliste, seule pr
621 rer n’a duré que dix à douze ans. Or il se trouve que la formule fédéraliste, seule pratiquement possible pour l’Europe, es
622 conditions de sa vitalité. Mais l’obstacle majeur que l’on dresse sans relâche contre toute union fédérale, c’est l’État na
623 sainte mais en fait toujours plus illusoire, sauf qu’ elle bloque tout. Cet obstacle politique, en retour, est fomenté par l
624 ons élèves et de maîtres eux-mêmes trop crédules, que l’État national centralisé et absolument souverain est l’aboutissemen
625 divers pays — contre toute évidence historique — que leur nation est immortelle, ce qui suggère qu’elle aurait existé de t
626 — que leur nation est immortelle, ce qui suggère qu’ elle aurait existé de toute éternité ; alors qu’en vérité, pour la plu
627 ent plusieurs siècles. Même si l’on peut admettre qu’ un État français existe réellement depuis Philippe le Bel, il est abso
628 depuis Philippe le Bel, il est absolument certain que l’Italie comme État n’a que cent-dix ans, l’Allemagne cent ans, la No
629 st absolument certain que l’Italie comme État n’a que cent-dix ans, l’Allemagne cent ans, la Norvège soixante-six, la Tchéc
630 vingt-sept, et Malte, dix. L’école nous a raconté que chacun de nos États-nations correspond à une langue, à une ethnie, à
631 rsitaire. Mais à l’Université même, on ne parlait qu’ en latin. C’est ainsi qu’à la Sorbonne, vers 1270 — comme me le faisai
632 sité même, on ne parlait qu’en latin. C’est ainsi qu’ à la Sorbonne, vers 1270 — comme me le faisait observer un jour Étienn
633 res d’un même État. D’ailleurs, il n’est pas vrai que nos États-nations modernes correspondent à l’aire de diffusion d’une
634 pays baltes et de la Volga. On m’objecte souvent que nos langues sont trop différentes pour que nous puissions nous entend
635 bourg et Sofia, Varsovie et Madrid. C’est oublier que toutes (sauf le basque et le finno-ougrien) sont étroitement apparent
636 nces différentes ne peuvent communiquer entre eux qu’ au moyen d’idéogrammes dessinés dans la paume de leur main, les Europé
637 mune origine indo-européenne, mais encore tout ce que leur histoire y ajouta au cours des âges : notions philosophiques gre
638 loin, l’unité culturelle de l’Europe est un fait que personne ne conteste. Enfin, il y a l’affaire des frontières naturell
639 is au service dévot de l’État-nation. C’est ainsi qu’ on nous a inculqué que le Rhin sépare les peuples de ses rives, mais q
640 l’État-nation. C’est ainsi qu’on nous a inculqué que le Rhin sépare les peuples de ses rives, mais que le Rhône les unit,
641 que le Rhin sépare les peuples de ses rives, mais que le Rhône les unit, allez savoir pourquoi ! De même, les Pyrénées sépa
642 ne de la France, voilà qui est clair, à condition qu’ un esprit fort (ou un naïf) ne vienne pas remarquer que l’on trouve à
643 esprit fort (ou un naïf) ne vienne pas remarquer que l’on trouve à l’est de cette chaîne les mêmes Catalans sur les deux v
644 à l’ouest. Quant aux Alpes, chacun peut vérifier qu’ on y parle italien des deux côtés au sud, français des deux côtés à la
645 L’unité et les vraies diversités La vérité qu’ on nous cachait, c’est que la culture de tous nos peuples est une, quo
646 diversités La vérité qu’on nous cachait, c’est que la culture de tous nos peuples est une, quoique tissée de contradicti
647 que tissée de contradictions dans sa genèse même, qu’ elle s’est formée à partir d’influences indo-européennes, gréco-latine
648 ariables, et qui ont éduqué notre vision du réel, que nous le sachions ou non, que nous soyons « cultivés » ou non. Toutes
649 otre vision du réel, que nous le sachions ou non, que nous soyons « cultivés » ou non. Toutes les grandes écoles d’art, d’a
650 ée : c’est l’unité de notre culture commune. Mais qu’ en est-il de nos diversités tant vantées, et à juste titre ? Est-il vr
651 ’éloquents ministres à Bruxelles ou à Strasbourg, que ces « précieuses diversités » sont celles de nos nations ? Je propose
652 rien, ne protège contre rien, n’arrête rien de ce qu’ il faudrait arrêter — tempêtes, épidémies, pollution de l’air et de l’
653 ion de l’air et de l’eau — mais gêne les échanges qu’ il faudrait promouvoir et vexe tout le monde ; beau symbole de la souv
654 stato-nationale, qui ne peut plus avoir d’effets que négatifs ! En nous présentant l’Europe comme un puzzle de nations en
655 ssistes et des conservateurs. Or, je mets en fait que dans la plupart des cas, les libéraux de pays différents se ressemble
656 emblent davantage et s’entendront mieux entre eux qu’ ils ne s’entendent avec les fanatiques de leur propre nation ; que les
657 ndent avec les fanatiques de leur propre nation ; que les hippies d’un pays s’accorderont mieux avec ceux de n’importe où q
658 ays s’accorderont mieux avec ceux de n’importe où qu’ avec les conformistes de leur propre nation, etc. Ce ne sont pas nos a
659 en Europe est d’autant plus riche et plus intense qu’ elle est moins centralisée et que ses foyers sont plus nombreux. Au Mo
660 et plus intense qu’elle est moins centralisée et que ses foyers sont plus nombreux. Au Moyen Âge, ces foyers de création s
661 en mobilisant à Paris tous les esprits distingués qu’ il n’a pas bannis. Le grand secret de la vitalité inégalée de notre cu
662 ale. Voici donc le modèle fédéraliste de l’Europe que je préconise : la complexité des régions rendra justice à ses féconde