1 1931, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Les Éléments de la grandeur humaine, par Rudolf Kassner (octobre 1931)
1 ez de violence pour nous déchirer jusqu’au salut, et dont la composante réelle tend vers zéro, c’est d’une philosophie de
2 kegaard nous en propose le type le plus efficace. Et c’est ainsi par une nécessité organique — nous sommes nécessiteux — q
3 ensée d’un Karl Barth, génial disciple du Danois, et dont il est grand temps qu’on nous traduise quelques essais théologiq
4 sner, de moindre envergure — à cause de sa rareté et de son aristocratisme essentiel — mais non de moindre profondeur, man
5 elle aussi l’emprise de l’« Existenzphilosophie » et son extrême conséquence. Dans la mesure même où Kassner se montre dis
6 sont guère définis que par leurs rapports mutuels et tirent de cette interdépendance leur valeur originale. Kassner repren
7 préromantisme allemand, l’opposition de l’antique et du moderne, non du point de vue littéraire comme on le fit en France,
8 mme qui doit être surpassé, vit dans la démesure, et lorsqu’il « veut prendre mesure de lui-même, il se sent aussitôt inco
9 mesure de lui-même, il se sent aussitôt incomplet et coupable. Il est donc possible de dire que le péché est la mesure du
10 e de dire que le péché est la mesure du démesuré, et que pour le chrétien il n’est pas d’autre grandeur ». Ainsi le chréti
11 e en tant que le péché crée une tension entre lui et Dieu. Mais le péché ne devient réalité que pour le converti ; c’est d
12 e, ni grandeur, ni forme, mais seulement chimères et incohérence. Que l’on considère en effet l’homme moderne, l’homme san
13 e naturelle : s’il ne retrouve pas de loi interne et de tension par le péché, il n’est plus qu’un être sans destinée, un «
14 indiscret ». « Sa substance interne est crevassée et divisée. Son œuvre souvent pleine de charme mais sans forme et sans b
15 on œuvre souvent pleine de charme mais sans forme et sans but, peut bien nous stimuler, mais ne nous détermine jamais. Cet
16 termine jamais. Cet homme indiscret est distrait, et sa distraction vient de l’intérieur. Il ne peut jamais sortir de son
17 Il ne peut jamais sortir de son moi sans trahison et chaque manifestation de son essence intime ressemble par quelque côté
18 à une impudeur. » À l’opposition du Beau objectif et de l’Intéressant sentimental qui pour Schiller et surtout pour Schleg
19 et de l’Intéressant sentimental qui pour Schiller et surtout pour Schlegel symbolisait celle de l’antique et du moderne, K
20 tout pour Schlegel symbolisait celle de l’antique et du moderne, Kassner répondrait aujourd’hui par l’opposition de la gra
21 jourd’hui par l’opposition de la grandeur mesurée et de l’indiscrétion journalistique. La férocité réfléchie qui préside à
22 enser n’est pas non plus s’ingénier sur des idées et des combinaisons d’idées mais créer de tout son être spirituel des fa
23 éer de tout son être spirituel des faits nouveaux et vrais, dans un certain style. Car il n’est point de vérité sans forme
24 int de vérité sans forme. Quelques pages étranges et puissantes sur les chimères de Notre-Dame illustrent ce réalisme de l
25 la forme, hors de quoi il n’est qu’indiscrétion, et qui livre la clef de la pensée de Kassner, comme aussi de son apparen
26 es créées ne soient concevables qu’en elles-mêmes et comme à l’état sauvage, non par une explication qui les réduise et qu
27 sauvage, non par une explication qui les réduise et qui les domestique. Une pensée neuve ne saurait être comprise à moins
28 ironie à l’intérieur des choses, qui les fouille et les purifie, une ironie née de la rigueur et non du scepticisme2. Le
29 ille et les purifie, une ironie née de la rigueur et non du scepticisme2. Le dialogue de Laurence Sterne et du recteur Kro
30 n du scepticisme2. Le dialogue de Laurence Sterne et du recteur Krooks sur Judas et la Parole est à cet égard d’une saveur
31 de Laurence Sterne et du recteur Krooks sur Judas et la Parole est à cet égard d’une saveur particulièrement riche et comp
32 t à cet égard d’une saveur particulièrement riche et complexe. (« … les bavards ne tirent pas d’eux-mêmes toutes les parol
33 lus encore que leur conception de l’« existence » et que leur ironie, ce qui rapproche Kassner et son maître c’est leur vi
34 ce » et que leur ironie, ce qui rapproche Kassner et son maître c’est leur vision tragique du péché. Le Lépreux, journal a
35 se Kierkegaard. L’on y trouvera moins de paradoxe et plus de délectation peut-être, une acuité lente de la réflexion, un a
36 exion, un alliage précieux de hauteur, de rigueur et de pitié humaine, une retenue presque solennelle mais qui sans cesse
37 ue solennelle mais qui sans cesse frôle l’humour, et parfois tourne en sournoise malice. On ne peut dire précisément de Ka
38 s adversaires — Freud en particulier, dans Christ et l’âme du monde — mais bien plutôt qu’à force d’approfondir leur domai
39 ce d’approfondir leur domaine propre, il les mine et les ruine intérieurement ; ou encore les dissout dans une réalité plu
40 bien que la conclusion ne peut être qu’implicite et fonction d’une hiérarchie de valeurs, non de la seule exactitude des
41 d tout par des biais qui nous sont peu familiers. Et puis enfin, voilà une philosophie qui postule la vision, c’est-à-dire
2 1931, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Sarah, par Jean Cassou (novembre 1931)
42 ans paradoxe ce recueil de « motifs » romantiques et de frissons anarchiques. Le thème commun, c’est sans doute l’atrocité
43 onde l’amour dont il aurait besoin, qu’il imagine et dont il meurt. Car la vie est une espèce de marâtre et n’a que faire
44 nt il meurt. Car la vie est une espèce de marâtre et n’a que faire de nos tendresses. Les sujets de Jean Cassou sont très
45 age de pareils faits lorsque l’esprit s’y attache et que l’amour ou la pitié essaient sur eux leurs forces. Le monde est h
46 es-uns des plus significatifs de ces récits (Dieu et le sommeil, Les Fins dernières) l’on assiste à un réveil, explosion d
47 s tout à fait rare dans la littérature française, et qui comporte en soi quelque chose de déconcertant. Il semble bien que
48 an Cassou trouve ici sa forme la plus personnelle et persuasive. Son espagnolisme et son germanisme révèlent ici d’heureus
49 plus personnelle et persuasive. Son espagnolisme et son germanisme révèlent ici d’heureuses complicités sentimentales. Ce
50 priver par là de cette autorité mystique, absolue et naïve où gît leur profonde raison d’être. C’est pourquoi les meilleur
51 atteignent à une qualité d’émotion vraiment pure et insistante. Mais le mérite original et important d’un tel livre me pa
52 iment pure et insistante. Mais le mérite original et important d’un tel livre me paraît résider avant tout dans l’ordre de
53 dépit de tout, tandis que l’esprit demeure évasif et lucide devant les conditions que le monde lui propose. b. Rougemon
3 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Les Signes parmi nous, par C. F. Ramuz (janvier 1932)
54 qui se trouve être le dilemme urgent de l’heure. Et je m’inquiète ; non pas de ces questions ni de la prise de parti (ant
55 lire tant de brillants essais sur le monde actuel et futur ? Est-ce le fait d’une disposition trop romantique que d’avoir
56 s, des questions que n’importe qui pourrait poser et qui ne peuvent tirer de nous rien d’exquis ni d’original, mais au con
57 u presque, il reprend le dialogue avec son public et l’époque, de ce ton viril et simple qui est à lui, nullement irrité (
58 ogue avec son public et l’époque, de ce ton viril et simple qui est à lui, nullement irrité (comme un Bloy), nullement mor
59 une bourgeoisie à laquelle il échappe entièrement et de toute façon, n’étant pas même révolutionnaire, parce que trop radi
60 élaborant son œuvre à un niveau d’où bourgeoisie et révolution apparaissent comme des localisations de surfaces et tempor
61 apparaissent comme des localisations de surfaces et temporaires. (Les animaux et les arbres ne sont pas révolutionnaires.
62 isations de surfaces et temporaires. (Les animaux et les arbres ne sont pas révolutionnaires.) Et ce n’est pas qu’il ait j
63 maux et les arbres ne sont pas révolutionnaires.) Et ce n’est pas qu’il ait jamais craint de tirer sur ces racines, fortem
64 nt bon, qu’elles tenaient trop de terre embrassée et par elle tout un pays et son peuple ; car « c’est ici le pays de la s
65 trop de terre embrassée et par elle tout un pays et son peuple ; car « c’est ici le pays de la solidité, parce que c’est
66 eut dans je ne sais quelle lourdeur « originale » et unanime, en communion avec les éléments, avec l’effroi du monde. On a
67 nullement collectiviste d’ailleurs, mais originel et spirituel. (La révolution russe en tournant au marxisme, a provisoire
68 elui qu’établissent la mort, la peur, la maladie. Et la joie, ce point commun, « ce point qui est au-delà de la vie ». Le
69 ie ». Le communisme qui règne au jugement dernier et qui régnait aux Origines, car la Fin et le Commencement « sont en res
70 t dernier et qui régnait aux Origines, car la Fin et le Commencement « sont en ressemblance et voisinage ». Ce regard raje
71 la Fin et le Commencement « sont en ressemblance et voisinage ». Ce regard rajeuni, ces gestes rudimentaires, cette odeur
72 tend beaucoup du peuple russe, de « cette immense et secrète réserve d’innocence » d’où peut-être un jour sortira le peupl
73 niste que traverse l’URSS, au-delà de l’insolence et de la révolte ; et ce trait profond de son art m’en convainc : le sen
74 l’URSS, au-delà de l’insolence et de la révolte ; et ce trait profond de son art m’en convainc : le sens de la vénération,
75 que, qui s’avance dès le matin à travers le pays, et offre à tous la Parole, « ayant l’aspect d’une brochure à couverture
76 e, les maladies, la famine, la révolte, la guerre et la mortalité. Caille s’avance dans la journée, et l’angoisse autour d
77 et la mortalité. Caille s’avance dans la journée, et l’angoisse autour de lui grandit. De partout l’orage s’amasse. Vers l
78 iquement. Est-ce la fin ? Grande heure de terreur et de prière. Puis, « la page du ciel a été tournée », ils se relèvent :
79 as morts ! » Le monde renaît dans une soirée pure et le baiser d’un couple heureux. Rarement la forme authentique de Ramuz
80 at naissant, rugueux, décapé de toute rhétorique5 et de toute explication intellectuelle, atteignant par la une unité de s
81 it quelle puissance naturelle, dans sa fascinante et grandiose monotonie. Art dont la mesure ne doit pas être cherchée dan
82 est qu’une page de Ramuz — même pas très réussie, et il y en a qui ont un air raté, un air pastiche de Ramuz —, c’est qu’u
83 u’elle impose, nous replace dans la vision grande et efficace des choses les plus simples. Mais il faut dire maintenant l’
84 eux, perpétuels — sujets d’étonnement perpétuel — et la Fin du Monde est l’un d’eux. Un vrai mythe, c’est-à-dire un événem
85 la vie comme un moule reçoit la matière en fusion et la réalise soudain — la fait chose — en lui donnant une forme ; l’act
86 e — la fait acte — en l’arrêtant dans cette forme et lui donnant une date. Les périodes qui « marquent » dans l’Histoire s
87 celles où la forme d’un mythe affleure, s’incarne et devient visible. Ce sont les périodes de crise. Or toute crise est un
88 ur tous les plans, financier, commercial, éthique et spirituel. Que les échanges se ralentissent ou cessent : aussitôt per
89 e par les machines ? Où tendent nos métaphysiques et nos philosophies mal embrayées ?… Nous voici ramenés aux questions si
90 yées ?… Nous voici ramenés aux questions simples, et réputées grossières. Peut-être voit-on mieux maintenant dans quel esp
91 mieux maintenant dans quel esprit Ramuz les pose, et que précisément c’est l’esprit de ces Signes. Aussi serait-il bien in
92 uffisant de dire d’une telle œuvre, datée de 1919 et reparue en un temps de crise, qu’elle en revêt une actualité accident
93 vrai ; c’est notre temps qui revêt une actualité7 et une réalité véritables du fait de la crise. Mais cet affleurement mys
94 dans son œuvre, comme le mystique dans sa prière. Et c’est pourquoi le poète, Ramuz, l’homme qui vit concrètement les gran
95 z, l’homme qui vit concrètement les grands mythes et les réalise dans sa vision, cet homme sera toujours en puissance d’au
96 ’est le ton de la musique de Stravinsky, du Sacre et des Noces. Le ton de la création du monde. 6. S’il est vrai, comme l
97 est en quelque sorte le mettre en état de crise ; et il n’y a de réalité que par et dans la crise… 7. On pourrait souteni
98 en état de crise ; et il n’y a de réalité que par et dans la crise… 7. On pourrait soutenir que l’époque 1900-1910 fut « 
4 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Le silence de Goethe (mars 1932)
99 ars 1932)d « L’homme, dit Goethe, ne reconnaît et n’apprécie que ce qu’il est lui-même en état de faire. » Telle est la
100 e est surtout une défense contre le Démon révolté et la Magie latente ; et s’ils ne le voient pas, c’est que précisément c
101 nse contre le Démon révolté et la Magie latente ; et s’ils ne le voient pas, c’est que précisément cette défense a réussi.
102 bien voir la révolte chez ceux-là qui la crient, et la magie chez ceux qui vaticinent, ayant été moins loin que Goethe da
103 ls de Rimbaud. Peut-être la confrontation du Sage et du Fou — d’un fou qui reste notre intime tentation — permettra-t-elle
104 e du paradoxe, une prise de conscience plus juste et plus efficace des puissances goethéennes. ⁂ Rimbaud enfant écrit des
105 des poèmes « magiques » puis renonce à la magie, et se tait. Goethe, initié dans sa jeunesse, commence d’écrire vers ce t
106 ut jamais un écrivain, ni ne se soucia de l’être. Et Goethe ne fut qu’entre autres choses un écrivain, et se soucia de l’ê
107 Goethe ne fut qu’entre autres choses un écrivain, et se soucia de l’être dans la mesure seulement où il portait en tous le
108 maines de son activité une application volontaire et soutenue. Ce n’est donc pas l’aspect littéraire de leur expérience qu
109 rit dont procèdent à la fois le refus de la magie et le goût passionné de l’effort immédiat. Qu’un fait de cet ordre puiss
110 evant son destin m’autorise à cette confrontation et me persuade de son intérêt humain. Et si tout cela reste absurde aux
111 nfrontation et me persuade de son intérêt humain. Et si tout cela reste absurde aux yeux de ceux pour qui seule compte cer
112 Goethe ait pratiqué « le devis des choses grandes et secrètes » comme parle Jérôme Cardan, l’on en trouve dans toutes ses
113 rappelé l’amitié du jeune bourgeois de Francfort et de la sage et très fervente Mlle de Klettenberg. Mais bien plus que d
114 tié du jeune bourgeois de Francfort et de la sage et très fervente Mlle de Klettenberg. Mais bien plus que dans une spirit
115 t dans une méditation, renouvelée des rose-croix, et qui le porta même à quelques essais d’alchimie. Coquetteries, a-t-on
116 mps. « Goethe vit sur un perpétuel pied de guerre et de révolte psychique ». Et lui-même gémit, avec une sombre joie : « S
117 rpétuel pied de guerre et de révolte psychique ». Et lui-même gémit, avec une sombre joie : « Sort misérable, qui ne me pe
118 enborg, lectures de son adolescence, figurent bel et bien dans son évolution une de ces crises où l’être spirituel découvr
119 où l’être spirituel découvre sa forme véritable. Et si, comme chez Goethe, c’est une forme mystique, celle du terrible « 
120 est une forme mystique, celle du terrible « Meurs et deviens ! », et s’il l’assume en connaissance de cause, — c’est un év
121 stique, celle du terrible « Meurs et deviens ! », et s’il l’assume en connaissance de cause, — c’est un événement qui ne p
122 aurait exagérer l’importance à la fois historique et symbolique : les premiers contacts de Goethe avec le mysticisme précé
123 ur lui, dès l’abord, en termes matériels, urgents et contraignants. De là le sérieux avec lequel il accepte les conditions
124 equel il accepte les conditions de l’initiation : et d’abord la plus difficile, le silence. Ainsi, les premières séduction
125 le ramène à l’aspect concret de notre condition. Et c’est seulement en passant par une application matérielle que la magi
126 drame dialectique de sa vie. Mais cette maladie, et la convalescence, ont éveillé dans son esprit les premières tentation
127 rcice, une activité organique à objectifs limités et concrètement conditionnée, nullement spéculative. Un instrument et un
128 onditionnée, nullement spéculative. Un instrument et un style. Dès ce moment le choix de Goethe a trouvé sa forme. Il lui
129 e renouveler perpétuellement durant toute sa vie. Et comprendre, éprouver jusqu’à la souffrance — qui est la « substance »
130 en fait, qu’un accomplissement, le plus difficile et le seul humainement fécond. Car un tel silence n’est pas absence de m
131 ts. C’est encore chez Goethe une activité réelle, et même à double effet. Qu’y a-t-il de plus agissant, dans une œuvre mar
132 it d’une âme qui se refuse encore à la souffrance et la crie sur la place. Un peu plus de souffrance, plus intimement ancr
133 n peu plus de souffrance, plus intimement ancrée, et voici l’autre danger : la délectation ascétique, l’obscurité glaciale
134 ité, c’est-à-dire le réel désir d’être « utile », et c’est le juste point : les Affinités. D’ailleurs, l’alternance des tr
135 ouve que la question se pose sans cesse à nouveau et que sous l’apparence de plus en plus sereine, la tentation revient, l
136 ouvelles. Le silence mûrit à la faveur du secret, et dans la profondeur, des conceptions s’opèrent. C’est ainsi que la mag
137 par où l’homme pénètre dans la réalité mystique. Et cet acte ne peut se produire que dans le plus profond silence de l’es
138 est-ce point ce tréfonds dont parle Jacob Boehme, et qui « contient l’élément pur, mais aussi l’être sombre dans le mystèr
139 œuvre longue comme sa vie de créateur exactement, et à tel point autobiographique qu’il put songer à incorporer le plan de
140 r à incorporer le plan de certains actes à Vérité et Poésie. Le drame s’ouvre sur un réveil : l’exercice sans frein des ar
141 nsais en créant pouvoir jouir de la vie des dieux et m’y égaler… combien je dois expier tout cela ! » Faust se reprend au
142 t réel : la possession bienheureuse de l’instant. Et lorsque, épuisé mais pacifié, il va quitter son corps aveugle pour d’
143 e cette agonie symbolique de toute son existence, et c’est leur chœur qui chante une dernière fois la loi, au moment où il
144 n rejoint dans la pleine possession de ses forces et l’assurance du regard. L’âme, purifiée de sa « vieille dépouille » pa
145 aveuglant de la vie, pénètre dans le Nouveau Jour et contemple l’Indescriptible. Si Faust est le drame d’une formidable pa
146 Saison en enfer est le drame d’une pureté avide, et son destin se joue d’un coup. La grandeur de Goethe est d’avoir su vi
147 ialectique faustienne dans la vie d’un être jeune et libre encore de toute contrainte sociale, culturelle, voire physiolog
148 e vitalité plutôt qu’une souffrance matérielle, —  et va d’un mouvement rigoureusement logique jusqu’au système de sa folie
149 vante ses pouvoirs avec une étrange exagération ? Et voici que l’hallucination le gagne et le submerge. « Je devins un opé
150 agération ? Et voici que l’hallucination le gagne et le submerge. « Je devins un opéra fabuleux. » Il a brûlé les étapes d
151  ». C’est la vision du travail humain, inexorable et dégoûtant, mais comment échapper ? L’hallucination est tombée, faisan
152 , je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre. » C’est le cri même de Faust. « Il f
153 i cette vie est bien d’un seul tenant ; une seule et unique expérience la remplit : l’envahissement de la magie aboutissan
154 ahissement de la magie aboutissant au renoncement et à l’action. Le second Rimbaud est vraiment le même que le premier, da
155 cela, de même qu’il est peu fait pour la grandeur et la pureté, et pour des paroles comme « Si ton œil te fait tomber dans
156 qu’il est peu fait pour la grandeur et la pureté, et pour des paroles comme « Si ton œil te fait tomber dans le péché, arr
157 ton œil te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette-le loin de toi ». Mais Rimbaud est d’une autre trempe : il a dé
158 ée, acceptant comme Goethe les conditions réelles et données de son effort particulier. Ce renoncement à un Orient de myth
159 est le refus de la magie qui fonde notre éthique, et ce dilemme est peut-être le plus important qui se pose à l’esprit occ
160 onscience occidentale. Supprimez l’un des termes, et la vie se détend, le tragique s’évanouit. Que ce mythe dialectique so
161 ofondément constitutif de notre être, l’extension et la diversité de ses aspects le prouvent. C’est l’opposition du savoir
162 aspects le prouvent. C’est l’opposition du savoir et du pouvoir, de la connaissance et de la souffrance, de la spéculation
163 ition du savoir et du pouvoir, de la connaissance et de la souffrance, de la spéculation et de l’existence, de l’au-delà m
164 nnaissance et de la souffrance, de la spéculation et de l’existence, de l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et qu
165 culation et de l’existence, de l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et quels sont les plus grands Occidentaux ? Ce
166 , de l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et quels sont les plus grands Occidentaux ? Ceux qui ont incarné le choi
167 rreur. Goethe n’a pas connu de tels déchirements. Et c’est lui qui méritera la phrase de la Saison : « Pas de partis de sa
168 monde spirituel, il s’est mis en état de défense et de lenteur. Il avance ainsi pas à pas, l’âme tendue dans une puissant
169 invisible à tout autre, l’accompagne sans trêve, et c’est d’elle qu’il tire ses forces, toujours renouvelées. Mais il y f
170 uvelées. Mais il y faut une prudence peu commune, et même tellement soutenue qu’elle informe peu à peu une sorte d’instinc
171 er : les mots n’atteignent plus son rêve profond. Et le cérémonieux silence du ministre renouvelle le vieux mythe germaniq
172 de de forme dans le cours de la magie chez Goethe et chez Rimbaud, et d’autre part le contraste absolu des rythmes, vont s
173 le cours de la magie chez Goethe et chez Rimbaud, et d’autre part le contraste absolu des rythmes, vont se traduire dans l
174 duire dans la similitude des conclusions éthiques et dans la divergence des réalisations littéraires. « Bon esprit, prends
175 e des années ascétiques, à Weimar avant l’Italie. Et le passage fameux de la Saison : « moi qui me suis dit mage ou ange… 
176 n de son silence intérieur. Période de repliement et de refus, si douloureuse que le signe en devient visible sur ses trai
177 dont Klauer modela l’effigie passionnément triste et dominatrice. Large bouche aux lèvres serrées, l’inférieure creusée co
178 , l’inférieure creusée comme d’un sanglot retenu, et relâchée aux commissures, — tristesse et volupté. Mais le front d’une
179 retenu, et relâchée aux commissures, — tristesse et volupté. Mais le front d’une plénitude royale s’avance fortement cont
180 tude royale s’avance fortement contre la lumière, et les yeux, entre cette bouche et ce front, disent d’un sobre et médita
181 ontre la lumière, et les yeux, entre cette bouche et ce front, disent d’un sobre et méditant regard le mot suprême de la S
182 entre cette bouche et ce front, disent d’un sobre et méditant regard le mot suprême de la Saison, ce cri sourd du plus luc
183 Saison, ce cri sourd du plus lucide héroïsme : «  Et allons ! » Goethe seul est allé jusqu’à la délivrance consciente. Il
184 désespoir à la fois l’angoisse de la catastrophe et la secrète, l’inavouable joie de la libération. Impossible d’isoler c
185 he, c’est la longueur du temps qui les dénoncera. Et cette fameuse sérénité de sa vieillesse, ce n’est rien d’autre, peut-
186  qui toujours s’est efforcé » a purifié le corps, et l’âme est prête à recevoir « l’amour d’en haut ». Car telle est le yo
187 hoix, l’écriture, — cela n’a rien que de logique, et résulte de la définition même d’un tel yoga. Tout savoir doit être co
188 voir doit être confirmé par un faire, qui le tait et l’exprime à la fois. Le « faire » de Rimbaud ne peut être la littérat
189 « J’ai toujours considéré mon activité extérieure et ma production comme purement symboliques, et, au fond, il m’est assez
190 eure et ma production comme purement symboliques, et , au fond, il m’est assez indifférent d’avoir fait des pots ou des ass
191 ntation la plus aiguë de jouer avec les mystères, et par là même l’occasion de réaliser sans cesse à nouveau l’exigence de
192 a vie ordinaire, de garder ces choses-là pour soi et de n’en découvrir que juste ce qu’il faut pour qu’elles puissent être
193 s, mais bien pour rechercher où tend ce problème, et ensuite se maintenir entre les limites de l’intelligible »12. L’on dé
194 oursuivit Goethe, cela convient aux gens du monde et surtout aux belles dames qui n’ont rien à faire. Mais un homme supéri
195 i a déjà conscience d’être quelque chose ici-bas, et qui par conséquent doit tous les jours travailler, combattre, agir, l
196 r, combattre, agir, laisse en paix le monde futur et se contente d’être actif et utile en celui-ci »13. À quoi nous sauron
197 n paix le monde futur et se contente d’être actif et utile en celui-ci »13. À quoi nous saurons opposer cette confession m
198 ’un soleil caché14. » Écrire, tout en se taisant. Et ceux-là seuls entendront ce silence, qui auront su percevoir l’accent
199 ence, qui auront su percevoir l’accent dominateur et tendu des pages les plus égales et sereines du Faust. Mais, qu’à ce t
200 ent dominateur et tendu des pages les plus égales et sereines du Faust. Mais, qu’à ce tempérament démoniaque l’on enlève l
201 enlève la force plus grande encore du caractère, et voici la confession éruptive : les Illuminations naissent d’une telle
202 périence spirituelle, où il se livre tout entier. Et c’est là sa pureté, mais c’est aussi ce qui l’accule en fin de compte
203 est romantique, comme tous ceux que leur violence et leur faiblesse précipitent vers des portes de sortie souvent illusoir
204 ne fine, sed nunc stans). Elle veut cette vie-ci. Et tout le reste, qu’elle soit marxiste ou nietzschéenne, elle l’appelle
205 nietzschéenne, elle l’appelle « l’arrière-monde » et le rejette, en ceci plus chrétienne, plus tragique que l’époque roman
206 est la pureté démesurée de Rimbaud qui nous juge, et la grandeur humaine de Goethe. Et qui voudrait les opposer ? Que sign
207 qui nous juge, et la grandeur humaine de Goethe. Et qui voudrait les opposer ? Que signifierait un choix dont l’opération
208 ix dont l’opération resterait purement imaginaire et vaniteuse pour nous, tant que cette pureté et cette grandeur ne tente
209 ire et vaniteuse pour nous, tant que cette pureté et cette grandeur ne tenteront pas nos âmes jusqu’à la mort ? L’homme ne
210 s faiblesses pour des erreurs, non pour le péché, et d’autre part un orgueil assumé, puis renié avec la même violence, — c
211 rier 1932, dans ce Francfort en proie au Carnaval et à l’angoisse, ce n’est pas moi qui pose la question : elle m’assiège.
212 la réalité hors des cadres d’une logique statique et cartésienne nous porte en des régions nouvelles de l’esprit où l’acti
213 i sait l’entendre, que l’imprécation de Rimbaud : et tous deux nous contraignent aux tâches immédiates, c’est-à-dire : à l
214 février 1824. 14. Ibid., 15 octobre 1825. 15. Et non plus symbolique. d. Rougemont Denis de, « Le silence de Goethe 
5 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Querelles de famille, par Georges Duhamel (mai 1932)
215 lteraient en s’opposant franchement, tirent à hue et à dia et engendrent une grande confusion. En ce sens, le dernier livr
216 en s’opposant franchement, tirent à hue et à dia et engendrent une grande confusion. En ce sens, le dernier livre de M. D
217 mel, consacré à la critique des aspects orduriers et bassement mécaniques de la vie moderne, illustre avec un talent qu’il
218 time que le désir d’être entendu du grand public, et c’est pourquoi l’on ne voudrait pas reprocher à M. Duhamel d’avoir ad
219 il me pardonne l’image technique — n’embraye pas, et paraît forcée. Ses laborieuses exagérations (Message aux Princes des
220 es Prêtres) sont dépourvues du minimum de cynisme et de fantaisie qui enflammerait notre indignation. C’est que l’expressi
221 ression traduit d’ailleurs une équivoque foncière et qui porte sur le thème général du livre. Il est inquiétant de voir un
222 st inquiétant de voir un esprit de cette qualité, et qui certes veut être honnête, se complaire expressément dans une harg
223 hargne tempérée de badinage. C’est à la fois trop et trop peu. Car, ou bien M. Duhamel critique l’abus des mécaniques, ce
224 tion d’une conception du monde à la fois libérale et inconsciemment matérialiste qui permet et favorise tout ce dont il s’
225 ibérale et inconsciemment matérialiste qui permet et favorise tout ce dont il s’indigne, conception à laquelle, par ailleu
226 esure, par l’affirmation de prévisions horribles, et cependant conformes à la nature des choses. e. Rougemont Denis de,
6 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Ce chien, ton serviteur, par Rudyard Kipling (juillet 1932)
227 (juillet 1932)f Traduit du chien par Kipling, et adapté, voire recréé par Jacques Valette dans une langue insolite et
228 créé par Jacques Valette dans une langue insolite et touchante, ni petit nègre, ni bêtifiante, d’une grande force d’expres
229 it chien Botte raconte ses journées, « des choses et des choses comme des rats qui courent ». — « On est des pauvres tout
230 s tout petits chiens qu’on habite tout par dehors et que personne s’occupe ». Dès la seconde page, c’est à pousser des cri
7 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Éloge de l’imprudence, par Marcel Jouhandeau (septembre 1932)
231 re temps il est question de bien, de mal, de vice et de vertu, de péché même, parfois, quels sont les écrivains capables d
232 apables de déclarer leurs références, leurs poids et leurs mesures, enfin leur choix ? L’Occident cultive l’anarchie nomin
233 la plus grave : il ne sait ou n’ose plus définir et assumer son bien ni son mal, — et sans cesse il en parle, car la Soci
234 se plus définir et assumer son bien ni son mal, —  et sans cesse il en parle, car la Société vit sous le règne des jugement
235 Bien ? Ceci pour indiquer à la fois l’importance et les limites du petit livre si justement paradoxal de Jouhandeau, — de
236 cette espèce de « dialectique » formelle du bien et du mal qu’il publie en marge de son œuvre romanesque. Un Kierkegaard
237 orales, en donne la référence : ce Dieu terrible. Et sa vertu est choix. L’absolu d’un Nietzsche, c’est le Grand Midi ; et
238 x. L’absolu d’un Nietzsche, c’est le Grand Midi ; et sa vertu : dépassement. Jouhandeau à son tour se place dans ces march
239 n tour se place dans ces marches extrêmes du bien et du mal où l’apologie de l’un équivaut presque à celle de l’autre. C’e
240 hoix préalable à la tentation, un choix universel et abstrait, mais des choix qui s’imposent avec une violence égale à cel
241 ais que dans chaque instant de l’existence le mal et le bien conservent toutes leurs chances d’être préférés, et toutes le
242 conservent toutes leurs chances d’être préférés, et toutes leurs tentations. En sorte que l’apologie de l’un évoque la gr
243 l’apologie de l’un évoque la grandeur de l’autre, et peut-être le secret désir de l’éveiller à la conscience. Le but de ce
244 ent de Jouhandeau, c’est de transcender la morale et ses canons donnés d’avance. L’audace du « choix » ou du « dépassement
245 », Jouhandeau l’appelle imprudence ou générosité. Et ces mots ne désignent pas autre chose qu’une intensité ou une pureté
246  Je mettrais volontiers dans le même sac honnêtes et malhonnêtes gens, mais non pas le généreux avec le pleutre, une âme t
247 en le leitmotiv de l’œuvre entière de Jouhandeau. Et soudain il nous apparaît que cette œuvre est une illustration, non dé
248 ent. C’est qu’ils supposent l’existence d’un bien et d’un mal concrets dont les Binche ou M. Godeau ou plus récemment les
249 s les complexités. Il s’agit, on le sait, du bien et du mal selon l’Église. Mais l’émouvante et ironique dialectique de Jo
250 u bien et du mal selon l’Église. Mais l’émouvante et ironique dialectique de Jouhandeau est-elle très catholique, ou même
251 nne ? La dialectique paulinienne postule que bien et mal appartiennent au règne de la loi (de la morale). Et c’est la foi
252 appartiennent au règne de la loi (de la morale). Et c’est la foi qui en libère, non pas cette « générosité » malgré tout
253 foi révèle une réalité essentiellement différente et qui enveloppe tout ensemble les catégories du bien et du mal : le péc
254 ui enveloppe tout ensemble les catégories du bien et du mal : le péché. Le contraire d’un péché, c’est-à-dire ce qui le su
255 le pardon. La vertu comme le vice naît de la loi et s’y réfère. Mais le péché naît où meurt la foi, et meurt là où vit la
256 t s’y réfère. Mais le péché naît où meurt la foi, et meurt là où vit la foi. Au bien vulgaire des moralistes, Jouhandeau o
257 mal ; à celui-ci le Bien ; d’où naissent le désir et la nécessité du Mal absolu ; sur quoi il reste béant. Mais la réalité
258 e donnée immédiate ; puis le bien ; puis le péché et le pardon. Et la grâce est déjà dans l’œil qui sait voir le péché au
259 iate ; puis le bien ; puis le péché et le pardon. Et la grâce est déjà dans l’œil qui sait voir le péché au sein du mal et
260 dans l’œil qui sait voir le péché au sein du mal et du bien à la fois. « Mal » ou « péché » — le débat se ramène sur cett
8 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Alexandre, par Klaus Mann (septembre 1932)
261 a raconté cette histoire avec beaucoup de grâces et des pointes d’ironie anachroniques. Cela frise Salammbô plus que Lafo
262 isables, du profil de plâtre, des boules de neige et du « dialecte du cœur ». h. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] K
9 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Cahier de revendications [Présentation] (décembre 1932)
263 re d’une époque où tout ce qu’un homme peut aimer et vouloir se trouve coupé de son origine vivante, flétri, dénaturé, inv
264 Réaction, par leur volonté proclamée de rupture, et plus encore par leurs revendications constructives, révèlent peut-êtr
265 eut qu’il y trouve quelques appuis occasionnels ; et certains de leurs objectifs respectifs sont communs… Déjà s’affirme d
266 du siècle, assez nouveau parmi les intellectuels, et si violemment accentué qu’il peut paraître suffisant pour définir un
10 1932, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). À prendre ou à tuer (décembre 1932)
267 ait pour autre chose, dans une société organisée ( et mal) contre les « risques-vie », livrée aux basses rigueurs d’un cadr
268 nous voulons rendre inconfortable, inadmissible, et dans toute l’urgence du terme : actuelle. Il y va de la qualité même
269 nération comblée. Comblée de chances de grandeur, et comblée de risques mortels. Pour la jeunesse de 1932, le conflit de v
270 tter hic et nunc, mais pour que les hommes vivent et demeurent des hommes. Il y a deux camps : ceux qui veulent en sortir
271 Il y a deux camps : ceux qui veulent en sortir, —  et ceux qui voudraient bien continuer, ayant certains intérêts dans l’af
272 re depuis si longtemps. Masse de sourds, de muets et d’aveugles, mais pas si sourds qu’ils ne s’irritent de nos cris. Il e
273 , par goût des atmosphères tragiques. Littérature et mauvais caractère. Il y avait de quoi vous fâcher, braves gens, vous
274 s, vous n’aviez après tout rien de mieux à faire. Et vous pensiez que la révolution, c’était une bande de méchants garçons
275 vous avez pensé que c’étaient des gens dangereux et avides. Et maintenant, c’est vous qui glissez dans l’angoisse. Vous e
276 pensé que c’étaient des gens dangereux et avides. Et maintenant, c’est vous qui glissez dans l’angoisse. Vous et vos maîtr
277 ant, c’est vous qui glissez dans l’angoisse. Vous et vos maîtres. Bientôt vous chercherez des équipes de sauvetage.   Ici
278 pouvant accepter de nous battre pour un « ordre » et des « idéaux » criminels. Il y a la guerre proche. La ferons-nous ? p
279 est une nécessité au sens le plus banal du terme, et aussi à son sens de « misère qui appelle ». Nous ne sommes pas des « 
280 mais des hommes menacés, qui dévisagent la menace et contre-attaquent. Et alors, toute une jeunesse va se dresser ? Va pre
281 és, qui dévisagent la menace et contre-attaquent. Et alors, toute une jeunesse va se dresser ? Va prendre parti, et agir ?
282 te une jeunesse va se dresser ? Va prendre parti, et agir ?… — Paralysie. — Le salut qu’on lui offre, il faudrait qu’elle
283 ime bourgeois odieux, raté, dont nous mourrons, —  et d’autre part une espérance, une utopie, qu’il nous est impossible d’a
284 n’y voyons qu’une réalisation épurée, tyrannique et privée de toute résistance interne, de cela justement que dans le dés
285 rable d’une action — entre une bourgeoisie déchue et un marxisme faux ? Il reste à faire la révolution. Ni à gauche, ni à
286 qu’entre un capitalisme plus ou moins fascistisé, et le communisme (plus ou moins fordisé). Les marxistes détiennent l’ava
287 nvaincre par une réussite matérielle, temporaire, et d’ailleurs discutable ? C’est l’homme qui se révolte en nous contre l
288 en nous contre le marxiste. Vous n’y ferez rien. Et nous ne trahirons pas l’homme tel qu’il est, sous prétexte qu’il faut
289 tel qu’il est, sous prétexte qu’il faut se hâter, et qu’en Russie c’est en train de marcher. Nous jouerons tout sur une ré
290 italistes. Il en est une moins coûteuse à risquer et qui consisterait à se laisser convaincre… Tout les y pousse, et l’on
291 erait à se laisser convaincre… Tout les y pousse, et l’on se demande en vain quelle idéologie les empêcherait encore de ré
292 e marque Th. Maulnier, qu’un conflit d’intérêts ? Et d’intérêts qui ne sont pas les nôtres, qui ne sont pas les intérêts r
293 erserons notre sang. Il y a une vérité qui domine et condamne tout cela. Entre le communisme et la révolution personnalist
294 domine et condamne tout cela. Entre le communisme et la révolution personnaliste, l’opposition doctrinale peut se définir
295 e, toute solution mécanique du conflit nécessaire et vital. Il n’y a pas de troisième terme, — ou c’est la mort19. Mais la
296 ort19. Mais la coefficience de deux termes vrais, et assumés comme tels, c’est la personne. L’opposition de Proudhon et de
297 tels, c’est la personne. L’opposition de Proudhon et de Marx, sur le terrain économique, traduit exactement l’opposition d
298 e, traduit exactement l’opposition de Kierkegaard et de Hegel dans le domaine religieux. Elle traduira demain l’opposition
299 ra demain l’opposition des nations collectivistes et des patries personnalistes. Mais où sont les motifs de notre choix ?
300 s la notion de personne ! — aux forces politiques et historiques qui selon eux déterminent entièrement le devenir révoluti
301 », sinon suffisant, du processus révolutionnaire, et que nier cette valeur « décisive » de la personne, c’est désarmer la
302 éorie qui ôte à l’acte toute efficacité créatrice et par là même doit être dénoncée comme antirévolutionnaire20. Le matéri
303 e capable d’édifier un monde culturel, économique et social qu’anime un risque permanent, essentiel. L’état marxiste idéal
304 ne laisse subsister que les risques accidentels. Et comme le marquait récemment T. S. Eliot, dans un article21 où s’expri
305 Proposition antirévolutionnaire, il faut le dire, et niée par les faits dont elle se réclame implicitement, Lénine réussit
306 ns d’ouvriers sur une population de 160 millions, et où la bourgeoisie existe à peine en tant que classe, d’ailleurs brimé
307 a révolte de 89, dans ce qu’elle garde de valable et de dynamique ; c’est dès à présent le ressort de la nouvelle Révoluti
308 ela commence à se savoir. Ils promettent du pain, et croient ainsi triompher à la fois des bourgeois, et de la vérité huma
309 croient ainsi triompher à la fois des bourgeois, et de la vérité humaine de nos doctrines antibourgeoises. Mais ils ne do
310 ntre le capitalisme, le fascisme, leurs mystiques et leurs créations politiques (nationalisme, SDN, etc.), condamnation de
311 e l’humanité, mais entre l’homme, entre tel homme et la Réalité qui seule peut garantir son être. — Encore faut-il que les
312 es conditions matérielles permettent à ce suprême et quotidien débat d’avoir un sens, un point d’application : la personne
313 égitimer un système d’idées en elles-mêmes justes et opportunes (comme celles, je le crois, de L’Ordre nouveau, de Combat
314 essaires ; une substance, une exigence impossible et qui est la seule chose que les hommes éprouvent dans le fond de leur
315 ne pesante contrainte de foi, une pureté terrible et humble. Loin de moi la pensée que par des arguments nous pourrons tri
316 l, Présence), en Espagne, en Hollande, en Irlande et dans les pays latins de l’Amérique, cette « troisième force », antica
317 rique, cette « troisième force », anticapitaliste et non marxiste surgit, s’affirme. 19. Toute solution systématique du v
318 sité-liberté dans la mesure où elle existe en sol et dans sa durée propre, comme un 3e terme, en réalité, supprime l’un de
11 1933, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Pétrarque, par Charles-Albert Cingria (avril 1933)
319 voir faire une part au Moyen Âge (qui les excite) et admirer en même temps le restaurateur du cicéronianisme dans tout ce
320 fend une thèse : « Je m’appliquerai à désassocier et à mettre en face de lui-même le poète lyrique — rattaché encore à une
321 yrienne puisque le plain-chant est roman-syrien — et le poète fabriqué à coups de platras à la manière antique ». Vous ave
322 e idéologique qui s’exprime en notes, digressions et plaisanteries jamais dépourvues d’ailleurs d’une certaine onction épi
323 use qui est la forme particulière de son ironie24 et vous aurez ce petit volume de deux-cents pages qui, délayé en six-cen
324 udition » de Cingria reste si constamment précise et malicieuse qu’elle atteint à coup sûr le particulier de tout ce qu’el
325 eut en pleine poésie. D’où sa valeur « actuelle » et multiple, ses incidences fréquentes dans les problèmes du temps et de
326 incidences fréquentes dans les problèmes du temps et de tous les temps : la musique occidentale, les méfaits de Cicéron, l
327 e, le romantisme, le nationalisme, l’européanisme et la révolution. (Sur la confusion moderne entre le patriotisme « chose
328 sion moderne entre le patriotisme « chose motivée et avantageuse », et le nationalisme artificiel mais régnant qui fait de
329 le patriotisme « chose motivée et avantageuse », et le nationalisme artificiel mais régnant qui fait de la chose publique
330 hose désavantageuse 25, quelques pages brillantes et fortes qui rejoignent curieusement les doctrines de L’Ordre nouveau).
331 jette l’esprit du lecteur dans le vif d’un sujet, et loin d’exploiter l’avantage de cette surprise, place aussitôt une cit
332 ace aussitôt une citation, oublie d’avoir raison, et nous laisse admirer cette prose de la Renaissance où palpite, sous un
333 La qualité des traductions du latin, du bas latin et de l’italien dont ce livre est abondamment orné permettra de goûter d
334 plus significatif dans un écrit « signé ». 24. Et qui d’ailleurs n’exclut pas de petites férocités soudaines, raffinées
335 « Mais cela (les patriotismes de l’Europe diverse et une) était homogène et souple, vivant, sans faux arrêt, sans cet arrê
336 tismes de l’Europe diverse et une) était homogène et souple, vivant, sans faux arrêt, sans cet arrêt d’illusoire devenu ré
337 mmuniquer, empêche de vivre, empêche de respirer, et qu’alors, reniant sa fin, elle ne sert plus que d’aliment à un dogmat
338 que d’aliment à un dogmatisme populaire farouche, et se définit comme désavantageuse ». k. Rougemont Denis de, « [Compte
12 1933, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Une main, par C. F. Ramuz (juin 1933)
339 aine presse. Si l’on ne voit dans l’auteur d’Adam et Ève qu’une sorte de folkloriste, il faudra considérer l’auteur de Phè
340 mbre, comment sa pensée marche, insiste, souffre. Et cela ne se passe plus dans le canton de Vaud, mais dans le domaine pr
341 La guérison naîtra d’une résistance retrouvée26. Et Ramuz, apaisé, regarde tomber la neige : les choses ont de nouveau le
342 sens. Ramuz parle de lui, c’est la première fois. Et c’est à peine de lui. Dix petites pages émouvantes, d’une confidence
343 oses. Là réside la cause de la peur, qu’il avoue, et qui n’est sans doute que la méditation d’un esprit dépourvu de prises
344 moderne, le monde des hommes sans responsabilité et sans résistance propre, le monde des hommes qui ne sont plus présents
345 ins. 26. « J’aime que les choses vous résistent et vous contredisent, comme par exemple une maison trop grande, un feu d
13 1933, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Saint-Évremond ou L’humaniste impur, par Albert-Marie Schmidt (octobre 1933)
346 ut : Albert-Marie Schmidt domine trop constamment et trop aisément son sujet. Non point qu’il le maintienne arbitrairement
347 u’il est, ce petit volume nous offre un jeu serré et subtil, et dont le spectacle n’est pas vain. M. Schmidt ne s’en laiss
348 e petit volume nous offre un jeu serré et subtil, et dont le spectacle n’est pas vain. M. Schmidt ne s’en laisse point imp
349  ». Il place Saint-Évremond, théoricien spirituel et serein de la sagesse du grand siècle, sous le coup de la question cap
350 e mieux que le demi-sourire d’une raison éclairée et mondaine. La nouveauté de l’essai d’Albert-Marie Schmidt est d’avoir
351 ngoissants problèmes, à force de les éclaircir », et l’impureté d’un humanisme que l’on croyait tempéré et limpide, mais q
352 ’impureté d’un humanisme que l’on croyait tempéré et limpide, mais que l’on voit « s’échauffer, se brouiller » aux premièr
353 ller » aux premières instances d’un choix radical et véritablement ordonnateur. Le chapitre le plus remarquable de cette b
354 r. Le chapitre le plus remarquable de cette brève et dense biographie intellectuelle, le plus juste aussi pour Saint-Évrem
355 unique remède. C’est comme la genèse individuelle et religieuse de ce fait trop actuel, qu’Albert-Marie Schmidt nous resti
14 1933, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Le Deuxième Jour de la Création, par Ilya Ehrenbourg (décembre 1933)
356 osphère salubre, la naïveté puissante de ce film, et le même parti pris de bonne humeur héroïque. Tout ce qu’il faut pour
357 er l’adolescence avide de servir une grande cause et de se sacrifier pour le bonheur collectif. Chanson de Roland, fair-pl
358 stoïevski, petites « personnalités », rouspéteurs et autres surréalistes, empêcheurs de danser en rond. Voici l’histoire e
359 ions d’éclat. Il devient brigadier de choc. Grave et rieur, chaste, ignorant, avide de « culture ». Volodia, lui, est fils
360 cette région de la Sibérie. Entre eux, une jeune et touchante Irina, qui choisira bien entendu Kolka dès qu’elle aura com
361 n Russie, ne sont rien sans la mystique. La force et le charme de ce roman sont ceux mêmes d’une jeunesse fruste, innocent
362 n doute, mais quelque chose qui veut une réponse, et qui est d’autant plus tragique qu’ils ne savent plus le formuler. À n
363 savent plus le formuler. À nous de les y aider ; et de comprendre que seule cette question-là rétablit la communion humai
15 1934, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Taille de l’homme, par C. F. Ramuz (avril 1934)
364 ion réticente, d’une discrétion presque farouche, et dans la même lignée que Le Grand Printemps et Raison d’Être, voici en
365 he, et dans la même lignée que Le Grand Printemps et Raison d’Être, voici encore un essai de Ramuz, mais de tous le moins
366 le moins ramuzien : il s’agit cette fois d’idées, et même d’idées générales, ce qui est assez paradoxal dans une telle œuv
367 en effet l’opposition cosmique du monde marxiste et du monde chrétien. Ramuz fait au communisme certains reproches que d’
368 d’autres ont déjà formulés, avec plus de mordant et plus de précision, et qui d’ailleurs n’ébranleront pas, dans leur foi
369 mulés, avec plus de mordant et plus de précision, et qui d’ailleurs n’ébranleront pas, dans leur foi, les marxistes. Mais
370 and on possède, comme lui, le sens de la solitude et le sens de la communauté — indissolubles —, on est une objection viva
371 d on est à ce point possédé par la vie des choses et des êtres, on n’a pas besoin d’arguments pour faire sentir l’absurdit
372 ctuels, figurent la réalité. Une œuvre comme Adam et Ève nous le fait voir tout aussi bien que cet essai : Ramuz est prése
373 uand il parle d’elle qu’il est grand, qu’il donne et manifeste sa mesure, qu’il apparaît véritablement qualifié. La mode e
374 t véritablement qualifié. La mode est au marxisme et au mépris de la Nature ? Mode bourgeoise, tyrannie décadente, tout oc
375 ois. Il peut attendre : son attente est présence, et porte en soi sa justification. À ceux qui croient aux fatalités de l’
376 re simplement qu’elles sont vraies pour eux-mêmes et pour tous ceux de leur espèce. On ne calcule pas avec la vie, mais av
377 par un ukase condamnant à la fois les mécanistes et les dialecticiens. On parle encore du « diamat »29, mais ce n’est plu
378 ialiste, c’est Ramuz. Parce qu’il aime les choses et déteste les mécaniques interposées entre l’homme et les choses. Aussi
379 déteste les mécaniques interposées entre l’homme et les choses. Aussi bien n’éprouve-t-il pas le besoin de s’affirmer mat
380 eu de son choix. Mais Berdiaev parle en chrétien, et Ramuz ne veut encore parler qu’en homme. Est-ce possible ? Et peut-il
381 veut encore parler qu’en homme. Est-ce possible ? Et peut-il y croire ? Il a bien vu le choix, mais l’a-t-il fait ? Il veu
382 une foi, dans « quelque chose qui dépasse l’homme et le suppose en même temps », écrit-il. C’est lorsqu’il définit ainsi l
383 définit ainsi la foi qu’on hésite à le suivre, —  et que peut-être il sert mal sa pensée. Car cette définition ne vaut, pr
384 homme ? N’est-elle pas bien plutôt ce qui le juge et en même temps le sauve dans ses limites, ici et maintenant ? C’est là
385 e et en même temps le sauve dans ses limites, ici et maintenant ? C’est là le sens de l’Incarnation, en même temps que de
386 xe de bourgeois plutôt que d’homme. « Précédence, et non pas primauté du matériel ! », disait l’un d’eux. Qu’est-ce que le
16 1934, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Le Procès, par Franz Kafka (mai 1934)
387 qu’il est inculpé, mais ils ne savent pas de quoi et n’ont pas qualité pour le savoir. Puis, on le rend à la liberté. Tout
388 tice insaisissable, infiniment pédante, corrompue et capricieuse, dont les bureaux sont installés dans des faubourgs ignob
389 ès. Constatation de la réalité telle qu’elle est, et en même temps, au moment où la révolte point, constatation de la vani
390 amais, ces avocats qui parlent comme des prêtres, et qui sont de mèche avec la justice, ces prévenus en liberté, cette com
391 r à l’« arrêt » ; mais c’est aussi par cette foi, et parce qu’elle nous permet de faire un pas et « d’en sortir » que nous
392 foi, et parce qu’elle nous permet de faire un pas et « d’en sortir » que nous connaissons notre état, que nous mesurons le
393 onnaissons notre état, que nous mesurons le réel, et que nous pouvons l’avouer. p. Rougemont Denis de, « [Compte rendu]
17 1935, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Ni gauche ni droite (août 1935)
394 ses troupes au cri de « Vive la Nation ! » nation et peuple se confondaient alors dans la mystique de la révolution. Aujou
395 de choisir entre un front qui se dit « national » et un front qui se dit « populaire ». Faudrait-il en déduire que le peup
396 populaire ». Faudrait-il en déduire que le peuple et la nation s’opposent ? Les mots l’indiqueraient, non les faits : voil
397 server que l’opposition n’est pas entre le peuple et la nation — entre les noms — mais entre « national » et « populaire »
398 nation — entre les noms — mais entre « national » et « populaire », c’est-à-dire entre les adjectifs. Je traduis : l’oppos
399 es du réel ? Je vois à gauche la peur de Chiappe, et à droite, la peur de la gauche. Je vois à droite une tentation fascis
400 « antifasciste ». Tout cela se joue sur des mots, et ces mots ne traduisent que des religions vagues, nées de la peur, et
401 uisent que des religions vagues, nées de la peur, et comme telles meurtrières. Les faits, ce sont M. de Wendel derrière la
402 s faits, ce sont M. de Wendel derrière la droite, et M. Litvinoff derrière la gauche. Je leur devine quelques intérêts con
403 s tort ? — Certes, il a tort disent les gauches ; et c’est à cause de la mystique. Et Staline, disent les droites, a tort 
404 nt les gauches ; et c’est à cause de la mystique. Et Staline, disent les droites, a tort : car nous voulons une armée fort
405 a qu’une seule manière de tirer à la mitrailleuse et de se faire casser la figure. On peut regretter que le Congrès pour l
406 e de mots adultérés qui encombre la vie politique et qui empêche, à gauche comme à droite, de nommer les vrais adversaires
407 contre les menaces réelles, — qui sont la guerre et l’étatisme totalitaire. C’est très simple. Trop simple, sans doute ?
18 1935, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Paracelse, par Frédéric Gundolf (septembre 1935)
408 e secrets qu’il voulait rendre manifestes à tous, et qu’il exprimait, comme Luther, dans un allemand populaire et grossier
409 primait, comme Luther, dans un allemand populaire et grossier30. Il faut se méfier de la gloire qu’on lui a faite. On nous
410 te. On nous rapporte par exemple que « déjà vieux et ne voulant pas mourir, il s’adressa au diable qui lui conseilla de se
411 pé en petits morceaux, dans du crottin de cheval, et de faire subir à son corps toute la gamme des combinaisons alchimique
412 n beau jeune homme. Il se fit tailler en morceaux et enterrer par son fidèle serviteur. Mais celui-ci, impatient, ouvrit l
413 it repoussé. Un peu d’air pénétra dans le cerveau et Paracelse dut mourir avant d’avoir ressuscité ». Rajeunir son corps e
414 ir avant d’avoir ressuscité ». Rajeunir son corps et son âme par l’ordure, c’est un des thèmes favoris de notre temps. Mai
415 es qui doivent donner le ton à toutes les autres, et qui sont, comme nul ne l’ignore ou ne pourra l’ignorer longtemps, l’a
416 re ou ne pourra l’ignorer longtemps, l’astrologie et la théologie. Un grand souci paraît dans toute son œuvre : il veut êt
417 paraît dans toute son œuvre : il veut être clair, et utile. Clair ne signifie pas rationaliste, comme le veut le langage c
418 t il n’a que faire, avec son goût de l’expérience et de l’application concrète. Mais justement cette fringale d’expérience
419 le d’expérience qu’il promena par toute l’Europe, et peut-être même chez les Turcs, le rendit attentif à tant de phénomène
420 t avec son latin de cuisine, son grec allégorique et son allemand mal accordé pour fabriquer ce petit nègre médical et phi
421 mal accordé pour fabriquer ce petit nègre médical et philosophique dont la saveur ne saurait satisfaire les esprits plus c
422 Les historiens font la grimace, mais les lettrés et les médecins de la jeune école seront comblés. Gundolf décrit l’œuvre
423 scientifique. Il s’en tire au moyen d’allégories, et transforme sa maladresse en instrument de découvertes. Alors que notr
424 mal, où se trouve aussi le remède. Pour connaître et guérir une maladie, il ne suffit pas de voir l’homme seul ; il faut c
425 pathie moderne, du traitement par la vaccination, et même de la psychanalyse. Paracelse s’était formé de l’homme une conce
426 était formé de l’homme une conception spirituelle et organique (théologique-astrologique) à laquelle notre science est en
427 ain de revenir, après une sombre époque cérébrale et matérialiste. Il s’opposait32 aux médecins galénistes qui voyaient l’
428 issection dont descend toute la science du xixe , et qui nous ont conduits à considérer notre corps comme une espèce de mo
429 ourts, de la mythologie féroce des ismes, de Marx et des capitalistes, des adorateurs de la mort, triomphe des chiffres et
430 des adorateurs de la mort, triomphe des chiffres et des laboratoires. Peut-être allons-nous revenir non pas à l’humanisme
431 entier. Certes, elle n’est pas seulement cruelle et folle, l’époque qui nous offre de si grandes chances. Et c’est une èr
432 e, l’époque qui nous offre de si grandes chances. Et c’est une ère favorable qui s’ouvre, celle où l’esprit se remet à che
433 ù l’esprit se remet à chercher ce qu’est l’homme, et quelle est sa mesure dans l’univers qu’il a cru concevoir ! 30. « L
434 des choses, il étudia aussi les effets des métaux et des vapeurs sur les ouvriers, observa la démarche, le genre de vie et
435 es ouvriers, observa la démarche, le genre de vie et l’aspect des mineurs et conçut ainsi, le premier, l’importance de l’h
436 démarche, le genre de vie et l’aspect des mineurs et conçut ainsi, le premier, l’importance de l’hygiène professionnelle »
437 isme résumant des chapitres entiers d’effroyables et puériles injures. « Votre Esculape, votre Avicenne et votre Galien et
438 uériles injures. « Votre Esculape, votre Avicenne et votre Galien et tous vos scribouillards (Scribenten) je les dissoudra
439 « Votre Esculape, votre Avicenne et votre Galien et tous vos scribouillards (Scribenten) je les dissoudrai dans de l’Alka
440 es brûler au four, de les baptiser d’ordures, eux et leur parenté, de les jeter dans le lac de Schwyz, etc., « et ce sera
441 enté, de les jeter dans le lac de Schwyz, etc., «  et ce sera pour la vertu, quarte colonne de la médecine, un grand specta
19 1935, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Recherches philosophiques (septembre 1935)
442 essionnelle, professorale, la tractation correcte et à mon sens parfaitement vaine de problèmes qui n’empêchent personne d
443 s simplificatrices. Philosopher signifie chercher et non ratiociner. On ne saurait assez louer les directeurs des Recherch
444 d’avoir pris au sérieux le risque philosophique. Et je ne pense pas trahir leur tendance en insistant ici exclusivement s
445 ée. La belle étude de Karl Löwith sur Hegel, Marx et Kierkegaard fournit à l’orientation actuelle des Recherches une sorte
446 ble de cette vie temporelle », Löwith oppose Marx et Kierkegaard qui pensent « à la banalité soucieuse, extérieure et inté
447 qui pensent « à la banalité soucieuse, extérieure et intérieure, de l’homme ». Et je ne dis pas que le parallèle Marx-Kier
448 oucieuse, extérieure et intérieure, de l’homme ». Et je ne dis pas que le parallèle Marx-Kierkegaard n’ait entraîné l’aute
449 né l’auteur à déshumaniser à l’excès Kierkegaard, et à forcer l’opposition de Marx à la doctrine hégélienne de la médiatio
450 ription : elle va devenir action transformatrice, et productrice. L’esprit pur s’évanouit. L’âge qui s’ouvre sera celui du
451 ens fort, de l’apport des poètes à la philosophie et à l’éthique. Les études de E. Weil sur l’histoire, de M. Souriau sur
452 — est-ce un reproche ? — de G. Marcel sur l’acte et la personne, mériteraient beaucoup plus qu’une simple mention. J’aura
453 où Jean Wahl résume tout le vertige ontologique, et l’article de G. Stern sur l’a posteriori, bien caractéristique d’un c
20 1935, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Lawrence et Brett par Dorothy Brett ; Matinées mexicaines suivi de Pansies (poèmes), par D. H. Lawrence (octobre 1935)
454 Lawrence et Brett par Dorothy Brett ; Matinées mexicaines suivi de Pansies (poème
455 ts à cause de cette Américaine qu’on y voit trop, et passionnants à cause du sujet, même maltraité. Miss Brett raconte la
456 ême maltraité. Miss Brett raconte la même période et n’irrite pas, ne passionne pas non plus, mais nous intéresse longueme
457 onne pas non plus, mais nous intéresse longuement et gagne en somme notre complicité. Elle a l’humour discret, sensible, q
458 a confession d’un sentiment ni partagé ni rebuté, et résigné dès le début à cet état. Le plaisir le plus vif que réserve c
459 de nos contemporains ? Nous avons des reportages et des biographies, c’est-à-dire des moyennes et des exceptions, de la s
460 ges et des biographies, c’est-à-dire des moyennes et des exceptions, de la statistique et du pittoresque. Mais où trouver
461 des moyennes et des exceptions, de la statistique et du pittoresque. Mais où trouver la description des journées, des occu
462 nsiles, une scie, un cheval ; avec les sentiments et les idées des autres, et leurs histoires ; avec le train banal des em
463 al ; avec les sentiments et les idées des autres, et leurs histoires ; avec le train banal des embêtements et des petites
464 s histoires ; avec le train banal des embêtements et des petites chances ? — Voici alors, entre cent autres, cette descrip
465 ues seaux. Puis vous partez écrire dans les bois, et moi taper à la machine. À déjeuner, vous me dites que Clarence avait
466 ion de « détruire » Mabel, ce qui bouleverse Tony et vous bouleverse au-delà de toute expression. Vous êtes très peiné, et
467 u-delà de toute expression. Vous êtes très peiné, et je dis, moi, qu’on ne devrait pas raconter de pareilles histoires à T
468 eilles histoires à Tony. Vous répondez avec force et chaleur : « Oui, c’est vrai, on ne devrait pas les lui dire » et vous
469 Oui, c’est vrai, on ne devrait pas les lui dire » et vous soupirez profondément. Vous ne vous sentez pas bien, aussi après
470 vous brossez tout ce qui vous tombe sous la main et vous lavez des choses toute la journée. À cinq heures nous allons che
471 s. Puis Poppy se cabre au-dessus du dos de Bessie et nous la perdons presque. Enfin nos montures sont sellées et nous part
472 perdons presque. Enfin nos montures sont sellées et nous partons chercher le lait, mais vous êtes blême et fatigué. Un t
473 us partons chercher le lait, mais vous êtes blême et fatigué. Un trait qui manque par hasard dans cette page, et qu’on re
474 Un trait qui manque par hasard dans cette page, et qu’on retrouve dans toutes les autres, c’est la mauvaise humeur des L
475 es confirment d’ailleurs ce que nous disent Brett et les autres de cet état d’irritation perpétuelle où vivait Lawrence :
476 s d’aujourd’hui : c’est qu’ils croient au bonheur et à l’argent, les deux choses les plus irritantes du monde. (Un sous-pr
477 es les plus irritantes du monde. (Un sous-produit et un moyen pris pour fins.) Mais justement Lawrence ne croyait ni à l’u
478 ysique. Mais non moins de son obstination absurde et touchante à vouloir « les gens » plus vivants, plus naturels, plus ra
479 donner. « Soyez ! Ah ! Soyez un soleil pour moi — Et non une lassante et exigeante personnalité. » L’homme moderne, dit Ke
480  ! Soyez un soleil pour moi — Et non une lassante et exigeante personnalité. » L’homme moderne, dit Keyserling, n’a pas de
481 ue, c’est justement celui qui « exige » de l’aide et auquel on vient en aide. Autrement, il serait deux fois insupportable
482 nsupportable : comme voisin toujours insuffisant, et comme reproche qu’on ne veut pas entendre. Pauvre Lawrence à la reche
483 es, il est plein d’une espèce de charité patiente et ingénieuse. D’où son amour des travaux manuels. Comme tout cela est r
484 out cela est rafraîchissant, satisfaisant, fidèle et pur. Notez aussi cette petite phrase du récit de Brett : « Puis vous
485 sa chemise bleue, ses culottes de velours blanc, et son grand chapeau de paille pointu, en train d’écrire sur ses genoux.
486 s font une carrière dans le « monde des lettres » et se composent un prestige !) Il invente ses histoires, secrètement ani
487 hait furieusement, il les approche avec méfiance et tout d’un coup les pousse par-derrière, et rit. C’est un long enfant
488 fiance et tout d’un coup les pousse par-derrière, et rit. C’est un long enfant maigre au regard narquois et inquiet, et qu
489 t. C’est un long enfant maigre au regard narquois et inquiet, et qui s’est mis une barbe rousse pour avoir l’air d’un faun
490 long enfant maigre au regard narquois et inquiet, et qui s’est mis une barbe rousse pour avoir l’air d’un faune. 33. Mêm
491 le « problème des gens », qui est moins grandiose et beaucoup plus encombrant… t. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] D
492 enis de, « [Compte rendu] Dorothy Brett, Lawrence et Brett ; D. H. Lawrence, Matinées mexicaines suivi de Pansies  », La N
21 1935, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Les Mystiques allemands du xiiie au xixe siècle, par Jean Chuzeville (octobre 1935)
493 i était lié chez les mystiques : la vision de foi et les symboles concrets qui essaient de l’envelopper pour la transmettr
494 ent pas nécessairement l’intellection du contenu, et encore moins de sa vérité. Il y a donc de l’équivoque dans notre admi
495 ns ? Tout dépend de ce que l’on attend de l’homme et de son esprit : la puissance de tromper (art inclus) pour jouir, ou l
496 ’âme arrive à transgresser ses limites charnelles et temporelles, à s’oublier en Dieu, son principe ». La question est alo
497 mystique qui ne soit pas cette « transgression » et cet oubli de nos limites, contre lesquels s’élèvent sans cesse les Pr
498 ontre lesquels s’élèvent sans cesse les Prophètes et les Apôtres. Il faut reconnaître que les pages les plus « belles » —
499 ouvert par son anthologie tout un monde spirituel et poétique plein de dangereuses merveilles. Le choix des textes me para
500 s me paraît des plus heureux, la traduction ferme et coulante. La plupart des mystiques que M. Chuzeville nous présente so
501 résente sont inconnus du public français, Novalis et Ruysbroeck mis à part ; et beaucoup sont de grands poètes, des philos
502 blic français, Novalis et Ruysbroeck mis à part ; et beaucoup sont de grands poètes, des philosophes terriblement concrets
503 t concrets : Maître Eckhart, Suso, Tauler, Franck et Weigel, et surtout Boehme le gnostique. Pour Paracelse, on s’étonnera
504 : Maître Eckhart, Suso, Tauler, Franck et Weigel, et surtout Boehme le gnostique. Pour Paracelse, on s’étonnera sans doute
505 ement remplacé la visionnaire Catherine Emmerich, et qui mérite au moins autant que Novalis de figurer parmi les grands my
506 Luther responsable d’une scission dans la culture et la spiritualité allemandes, scission aboutissant par une série d’acti
507 des, scission aboutissant par une série d’actions et de réactions dialectiques « au romantisme, au révolutionnarisme et à
508 ialectiques « au romantisme, au révolutionnarisme et à l’anarchie » (selon M. Truc), à quoi M. Chuzeville ajoute pour sa p
509 nalisme, « l’individualisme effréné », le racisme et le marxisme. Voilà pourquoi le peuple allemand est un peuple empoison
510 dialectique de Boehme à la philosophie de Fichte et de Hegel, d’où sont effectivement sortis un certain nationalisme et l
511 sont effectivement sortis un certain nationalisme et la doctrine du jeune Marx, on ne voit pas du tout le passage de Luthe
512 seur du libre arbitre persécuté par les pasteurs. Et d’autre part, on sait quels liens unissent Luther à Maître Eckhart, e
513 ait quels liens unissent Luther à Maître Eckhart, et surtout à son cher Tauler, dont il cite constamment les sermons. M. C
514 pait certaines indications fécondes de sa préface et nous donnait une bonne étude sur le lyrisme romantique considéré comm
515 eât sans équivoque la confrontation des mystiques et de la mentalité moderne. 35. Ce que je pardonne moins à M. Chuzevil
516 crire que Paracelse « était de nature comédienne, et savait à l’occasion dissimuler, comme l’indique le choix même d’un ps
517 s ; de même que les études de A. Koyré sur Franck et Weigel. Quant à Luther, il le juge d’après un résumé, confectionné pa
22 1935, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). « Le plus beau pays du monde » (octobre 1935)
518 ur en accorder bien davantage qu’ils n’en gardent et que ceux qui les prononcent n’en conçoivent. Pour vous le prouver, vo
519 ecteur passait par là. Il lit le devoir. Tonnerre et foudres de ce pacifiste, qui n’hésite pas à dénoncer « l’impérialisme
520 re, c’est le journaliste allemand qui la raconte, et qui ne manque pas de féliciter la Chambre des communes. (Gazette de F
521 te un lien obscur, informulé, un fait sentimental et tellurique, un ensemble de goûts et d’habitudes qui ne comporte ni or
522 t sentimental et tellurique, un ensemble de goûts et d’habitudes qui ne comporte ni orgueil ni modestie, ni aucune espèce
523 : il y a dans ce pays plus de beauté que dans tel et tel autre. C’est tout au contraire exprimer un refus pur et simple de
524 re. C’est tout au contraire exprimer un refus pur et simple de comparer. C’est affirmer une préférence inconditionnelle. C
525 ne préférence inconditionnelle. C’est reconnaître et accepter le fait concret d’un attachement qui ne comporte pas de choi
526 heur, l’enseignement s’empare du fait patriotique et tente de le rationaliser : il en fait un objet de discours. Par là mê
527 dit raison ; qui dit raison suppose comparaison, et rien n’est plus absurde que de comparer un pays à un autre, un amour
528 e, car où est l’étalon, où est la mesure commune, et qui connaît le modèle idéal ? Le malfaisant nationalisme n’est rien d
23 1936, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Sur l’esprit incarné (février 1936)
529 rter l’empreinte de certains intérêts terrestres, et le méprise en tant qu’il cherche à s’affranchir de ce genre de pressi
530 ’il m’est permis de faire ici un peu de théologie et un peu de logique, je demanderai à M. Benda : 1° si les « docteurs »
531 té l’empreinte de certains intérêts terrestres », et conséquemment, si l’on a le droit d’opposer esprit pur à esprit incar
532 écisément pour un chrétien l’opposition de Pilate et des docteurs nationalistes juifs qui criaient avec la populace : Cruc
533 juifs qui criaient avec la populace : Crucifie ! et relâche Barabbas — opposition qui se résout pratiquement en unanimité
534 aire le jeu des clercs qui crient avec les loups, et de trahir de la sorte doublement, étant admis toutefois que la missio
535 le transformer en vérité. Mission que l’Évangile et la théologie résument par le seul mot de Rédemption, et que certains
536 théologie résument par le seul mot de Rédemption, et que certains antichrétiens, plus pénétrés de christianisme qu’ils ne
537 évolution. Ces questions me paraissent capitales. Et je ne vois pas comment il serait possible d’y échapper. Depuis huit a
24 1936, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Dictature de la liberté, par Robert Aron (mars 1936)
538 out à fait révélatrice du mouvement de sa pensée, et à certains égards, du contenu de la doctrine qu’il défend. Dictature
539 du contenu de la doctrine qu’il défend. Dictature et liberté, le monde moderne se débat tragiquement entre ces deux nécess
540 t la première exprime notre condition matérielle, et la seconde notre mission spirituelle. La dictature tue la liberté pou
541 La dictature tue la liberté pour assurer l’ordre et le pain du corps (c’est le principe !). La liberté condamne la dictat
542 seule y parvient — mais au profit de la liberté, et à seule fin de la laisser s’épanouir. Il faut soumettre la dictature
543 ait le plus beau « titre » du siècle. Ceci admis, et comment ne point l’admettre — mais c’est admettre la révolution — se
544 es » ; celles qui passionnent les hommes d’action et qu’ils estiment purement techniques parce qu’ils en ignorent les fins
545 sé, c’est-à-dire en organisant l’État, l’économie et les rapports sociaux selon les nécessités de l’heure, à leurs yeux « 
546 té soumises dès le début à une volonté perspicace et fanatique de libération, ne tardent pas à se retourner contre les hom
547 ne tardent pas à se retourner contre les hommes, et à brimer nécessairement leurs vocations, leurs libertés réelles, leur
548 l pratique, on ne la retrouvera jamais au terme ; et la rigueur même du calcul s’opposera à son intrusion. Comme le prouve
549 i est celle des révolutions étranglées par l’État et sa police. Telles sont les bases — algébrisées — des recherches de L’
550 ouveau. Robert Aron les a décrites avec une sobre et nerveuse précision37 qui tranche sur le verbiage technico-humanitaire
551 onsidère l’ampleur du dessein de L’Ordre nouveau, et la difficulté de le résumer à l’usage d’un public qu’il faut sans ces
552 endus, l’on jugera mieux de la qualité de tension et de décision spirituelle que supposait un tel ouvrage. M. Thibaudet ré
553 que la France se doit de résoudre pour l’Europe, et de les poser sous la forme concrète d’une série de tensions qu’il s’a
554 e d’une série de tensions qu’il s’agit d’orienter et de rendre fécondes : solutions nécessaires et solutions d’urgence ; c
555 ter et de rendre fécondes : solutions nécessaires et solutions d’urgence ; coutume et loi abstraite ; création et automati
556 ions nécessaires et solutions d’urgence ; coutume et loi abstraite ; création et automatisme ; libéralisme et discipline ;
557 s d’urgence ; coutume et loi abstraite ; création et automatisme ; libéralisme et discipline ; fédéralisme et étatisme ; e
558 abstraite ; création et automatisme ; libéralisme et discipline ; fédéralisme et étatisme ; enfin, personne et individu. C
559 matisme ; libéralisme et discipline ; fédéralisme et étatisme ; enfin, personne et individu. Cette dernière « tension », à
560 pline ; fédéralisme et étatisme ; enfin, personne et individu. Cette dernière « tension », à laquelle se ramènent toutes l
561 conclusions pratiques dans le domaine du travail. Et sa première expérience de service civil, organisée l’été dernier, a f
562 s activités automatiques, ou « indifférenciées », et non pas au sens purement politique de tyrannie exercée par un seul ho
25 1936, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Kierkegaard en France (juin 1936)
563 a fallu surtout le double truchement de Heidegger et de Karl Barth pour imposer à l’attention de quelques-uns l’œuvre d’un
564 un écrivain dont, cependant, la puissance de choc et d’interrogation ne saurait être comparée qu’à celle de Pascal, de Dos
565 tre comparée qu’à celle de Pascal, de Dostoïevski et de Nietzsche. Aujourd’hui Kierkegaard est cité par tout le monde. On
566 ieux valu montrer plus de prudence à le répandre. Et pourtant il fallait qu’il fût traduit : c’était une des nécessités de
567 ier de sa production ; de là ses nombreux masques et pseudonymes, de là aussi l’impétuosité sans scrupules de ses dernière
568 chrétienté établie ». Toute une carrière de poète et de philosophe « à orientation religieuse » avait en effet préparé le
569 ion religieuse » avait en effet préparé le climat et la juste portée de ces attaques, avec une patience ironique, mais aus
570 une patience ironique, mais aussi dans la crainte et le tremblement d’une foi sans cesse combattue, d’une vraie foi. Publi
571 rme, cela revient littéralement à priver l’œuvre, et ces fragments qu’on nous en donne, de toute espèce de sens réel, — pa
572 tas, fragment des Stades sur le chemin de la vie, et cela, sans déclarer avec toute l’instance que requérait une opération
573 tre les églises établies, les évêques de la cour, et la religion bourgeoise qui veut prendre le christianisme « à bon marc
574 il a voulu poser honnêtement la question tragique et réelle du doute inséparable de la foi ; parce que, « comme un oiseau
575 ains pensent qu’au fond, il n’a jamais pu croire. Et pourtant, la définition même de la foi dans l’Évangile n’est-elle pas
576 apprends d’abord à bien connaître ta génération, et surtout ses erreurs, ses plaisirs, ses fièvres, ce qu’elle voudrait r
577 l’air, avec l’enthousiasme d’une éloquence chaude et entraînante. Pour cela, il te faut de la force et du talent. Qu’arriv
578 et entraînante. Pour cela, il te faut de la force et du talent. Qu’arrive-t-il ? Tout simplement ceci : l’époque s’engoue
579 mplement ceci : l’époque s’engoue de tes discours et tu deviens son favori. Tu es alors au début de ton supplice. Il s’agi
580 ; alors tu verras tes contemporains se passionner et bientôt s’enflammer contre toi.38 Tel fut le sort que choisit Kierke
581 préparèrent sa mort, il « changea de direction » et révéla le sens dernier de toute son œuvre. Il est juste que ce destin
582 e que ce destin se répète aujourd’hui parmi nous. Et la publication des écrits religieux entreprise par M. Paul Tisseau y
583 s quatre petits volumes de « discours édifiants » et d’essais religieux : La Pureté du cœur, Le Droit de mourir pour la vé
584 le vague, le sentiment incontrôlé, le romantisme et l’anarchie, etc. La subjectivité, c’est le fait de devenir le sujet d
585 , c’est le fait de devenir le sujet de la vérité, et non pas seulement son admirateur enthousiaste. On dirait, dans le lan
586 ’on connaît ; ou encore, de la prendre au sérieux et de la vouloir uniquement. Mais on ne peut vouloir d’une manière total
587 ent. Mais on ne peut vouloir d’une manière totale et unique que ce qui est vrai. Car tout ce qui n’est pas vrai comporte e
588 e qui n’est pas vrai comporte en soi une division et divise la volonté qu’on met à le réaliser. Tel est le sujet de la Pur
589 ent religieux de Kierkegaard développent ce thème et l’illustrent de la façon la plus familière et directe, tandis que ses
590 ème et l’illustrent de la façon la plus familière et directe, tandis que ses écrits littéraires ou philosophiques ont pour
591 qui ne se fondent pas dans cette vision centrale et unitive. Il me semble que les neuf discours traduits par M. Paul Tiss
592 rkegaard consiste alors à déconsidérer le sérieux et le pathétique purement humains, en les poussant à la limite où se rév
593 ’y eut jamais de sérieux absolu39 que dans la vie et dans la mort du Christ, homme et Dieu, car lui seul eut vraiment « le
594 que dans la vie et dans la mort du Christ, homme et Dieu, car lui seul eut vraiment « le droit de mourir pour la vérité »
595 saisit dans ce temps l’éternel paradoxe de la vie et de la mort du Christ, jette sur tous nos sérieux, poses et amusettes,
596 mort du Christ, jette sur tous nos sérieux, poses et amusettes, une ironie, ou ce qui est pire, un soupçon d’insondable ir
597 usion, un mythe, ou encore un saut dans le vide ? Et alors il n’y aurait nulle part de vrai sérieux ? Peut-être aussi cet
598 aussi cet acte existe-t-il, peut-être que l’illic et tuc de cette Mort et de cette Résurrection peut devenir quelque part,
599 -t-il, peut-être que l’illic et tuc de cette Mort et de cette Résurrection peut devenir quelque part, dans une vie, le hic
600 désespoir qui s’ignore en certitude combattante — et combattue. Le sérieux de l’ironie, l’ironie du sérieux, voilà les pô
601 ette mêlée shakespearienne de logique impitoyable et de bon sens populaire, d’anecdotes, de boutades et d’échappées romant
602 t de bon sens populaire, d’anecdotes, de boutades et d’échappées romantiques (sur le silence de la femme, par exemple, à l
603 es en France par Jean Wahl, par Mme R. Bespaloff, et par moi-même. Je ne trouve pas cette violence déplacée, ni l’injustic
604 rité que ne serait l’affectation d’impartialité ; et je suis loin de trouver vaine la question que pose Fondane : « Ils su
605 opre démarche ? » Oui, cette question est gênante et sérieuse, et c’est pourquoi il fallait la poser. Et c’est aussi pourq
606  ? » Oui, cette question est gênante et sérieuse, et c’est pourquoi il fallait la poser. Et c’est aussi pourquoi je la ret
607 sérieuse, et c’est pourquoi il fallait la poser. Et c’est aussi pourquoi je la retourne à son auteur. Mais peut-on y répo
608 ure kierkegaardienne » évidemment, « admiration » et non « imitation ». Mais peut-on publier autre chose que ce reste ?
26 1936, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). L’Art poétique ou Qu’il faut penser avec les mains (décembre 1936)
609 d’abord deux mots : « poétique » dans le titre ; et « connaissance », qui s’inscrit à chaque page. La rumeur quotidienne
610 déplore l’antipathie tragique de la connaissance et de la Vie. Ceci tuerait cela. Et de cette dialectique, on a tiré quel
611 la connaissance et de la Vie. Ceci tuerait cela. Et de cette dialectique, on a tiré quelques rayons d’in-octavos. Mais Cl
612 e naître avec soi »… Il ne s’agit évidemment, ici et là, ni de la même poésie ni de la même connaissance. Claudel choisit,
613 n parti pris, qui est de s’en tenir aux origines, et à cette origine, entre plusieurs probables, qui lui paraît la plus co
614 crète, la plus active, la plus proche de la chose et du geste. Poésie, de poiein, ce sera : faire. Connaître, de cognoscer
615 nsées de circuler. Claudel se donne un règlement, et il observe les signaux. Les autres (voyez leurs journaux) se sont jet
616 it où il va risque encore d’augmenter l’embarras, et de se faire copieusement houspiller. Et pourtant, c’est lui seul qui
617 embarras, et de se faire copieusement houspiller. Et pourtant, c’est lui seul qui détient la méthode efficace pour en sort
618 l’usage, l’usure des mots aggravés par la presse et par la politique, ont peu à peu fait passer pour communes des signifi
619 pour communes des significations qui à vrai dire, et dans le fait, ruinent les bases de la communauté. On convient de s’en
620 aîtres-mots : esprit, nation, révolution, salut…) Et , comme pour protéger ces conventions précaires, on les rend aussi vag
621 s conventions précaires, on les rend aussi vagues et abstraites qu’on le peut. Opération inverse de celle du poète : on s’
622 — rompant ainsi le contact immédiat entre le nom et la chose qu’il exprime, entre le verbe et l’acte qu’il commande43, en
623 le nom et la chose qu’il exprime, entre le verbe et l’acte qu’il commande43, entre le parler et le faire, — entre la pens
624 verbe et l’acte qu’il commande43, entre le parler et le faire, — entre la pensée et la main. Cependant que l’effort d’un C
625 3, entre le parler et le faire, — entre la pensée et la main. Cependant que l’effort d’un Claudel, restituant à chaque mot
626 ent « poétiser », collaborer à l’ouvrage de Dieu, et recréer la catholicité. Mais c’est aussi, dans le monde d’aujourd’hui
627 dans l’Art poétique ? De cet ouvrage très sévère, et sublime en tant de passages, combien accepteraient l’inquisition ? Qu
628 formes. C’est un monde en recréation perpétuelle, et tout s’y tient parce que chaque être y agit pour tout ce qu’il n’est
629 proprement cohérent, puisqu’il ne tire ses règles et sa nécessité que de la fin totale qu’il glorifie. Ce n’est pas notre
630 qu’il est sauvé, relié solidement par la Promesse et remis en marche vers elle, — le monde de la poésie. Diviser, séparer,
631 aire scission, ce n’est pas seulement cartésien ; et Descartes n’a fait que constater les effets antipoétiques d’un relâch
632 fin qu’il fait sienne, c’est-à-dire qu’il s’isole et s’abstrait du mouvement de la Création. « Et c’est pourquoi une fin l
633 sole et s’abstrait du mouvement de la Création. «  Et c’est pourquoi une fin lui fut en effet donnée » — qui est sa mort. M
634 raie fin tout ce qu’une durée mauvaise a disjoint et altéré. « Car l’attente ardente de la création attend la révélation d
635 é » (Rom. 8, 19-20). Ne fût-ce que par son style, et l’intention, partout, qu’il manifeste avec puissance, Claudel répond
636 e qu’il re-présente tout d’abord, rendre un corps et refaire des racines matérielles aux dérivés les plus exsangues, c’est
637 , en dehors du temps, en dehors des circonstances et causes secondes, il formule l’ensemble des conditions permanentes don
638 l’esprit, par lequel il la conçoit dans son cœur, et répète l’ordre qui l’a créée, s’appelle la parole. » Nous voici donc
639 trice, une étymologie vivante de tout ce qui est. Et maintenant, pour se connaître, il lui suffit d’agir sa vocation. Dans
640 englobe, il n’y a plus de distinction du matériel et du spirituel. L’homme « se connaît donc à son pas et à l’extension de
641 du spirituel. L’homme « se connaît donc à son pas et à l’extension de ses mains, à la facilité plus ou moindre grande qu’i
642 servir des instruments dont il a la propriété ». Et son corps lui est comme « un document où il suit les œuvres de l’espr
643 z curieusement, d’abord : « Singes de l’Éternel » et aussitôt… « Ministres de l’esprit ». Ô singerie géniale et ministère
644 ôt… « Ministres de l’esprit ». Ô singerie géniale et ministère manifeste ! Art poétique, art de refaire le monde — tel que
645 tes : faut-il attendre que les flics s’en mêlent, et viennent « mettre au pas » le langage — ou saurons-nous à temps nous
646 angage — ou saurons-nous à temps nous débrouiller et nous entendre librement ? 42. Tout le monde parle d’esprit sans null
647 inition, sans déclarer ce que le mot sous-entend, et qui se révélerait le plus souvent absurdement contradictoire. 43. C
648 oi seul » tout porte à conséquence, tout appelle, et d’abord la parole ! Mais l’usure des mots les édente, notre langage e
27 1937, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Une idée de Law (janvier 1937)
649 pas plus de cinq ans de guerre chaque vingt ans, et cette guerre, en outre, nous met en arrière de 1 milliard au moins. V
650 s. Au lieu de cet attirail dispendieux, incommode et dangereux, d’une armée permanente, ne vaudrait-il pas mieux en épargn
651 e, ne vaudrait-il pas mieux en épargner les frais et acheter l’armée ennemie, lorsque l’occasion s’en présenterait. Un Ang
652 livres sterling. C’est la plus forte évaluation, et ils ne sont pas tous aussi chers, comme on sait mais enfin, il y aura
653 in, il y aurait encore moitié à gagner en finance et tout en population, car, pour son argent, on aurait un homme nouveau,
654 levé d’universelles protestations. L’échec de Law et l’échec de Rickett ne comportent pas de morale : je veux le croire po
655 onneur seul — ou du moins ce qu’il nous en reste, et ce n’est qu’une caricature — retient les gouvernants de suivre jusqu’
656 retient les gouvernants de suivre jusqu’au bout, et sans scrupules, la logique du capitalisme. Or, ce système étant de ce
657 , c’est bien l’honneur — le budget de l’honneur — et non pas je ne sais quels scandales… ab. Rougemont Denis de, « Une
28 1937, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). De la propriété capitaliste à la propriété humaine et Manifeste au service du personnalisme, par Emmanuel Mounier (février 1937)
658 e la propriété capitaliste à la propriété humaine et Manifeste au service du personnalisme, par Emmanuel Mounier (février
659 iété est sans doute le mieux venu, le plus précis et situé. On aimera la mobilité, le glissement varié de ce style, l’agil
660 lus solides à cet égard, celles de Thomas d’Aquin et de Cajetan. On ne nous propose pas un « retour » de plus à quelque mé
661 iévisme d’utopie, mais au contraire on actualise, et enfin l’on prend au sérieux les admirables précisions thomistes que l
662 stes que les siècles jésuites avaient obnubilées, et que la grande majorité des catholiques d’aujourd’hui ignore avec pers
663 dire, nul mieux que l’Aquinate ne pouvait servir et autoriser le dessein de Mounier : défendre la propriété contre les ma
664 distinctions que formule la Somme — usage commun et gestion personnelle des biens, nécessaire vital et nécessaire personn
665 t gestion personnelle des biens, nécessaire vital et nécessaire personnel, entre autres — apparaissent d’une utilité et d’
666 sonnel, entre autres — apparaissent d’une utilité et d’une efficacité éclatantes dans l’embrouillamini politico-sentimenta
667 ico-sentimental où nous ont plongés les doctrines et les ressentiments secrétés par le capitalisme. Mounier part d’une phé
668 ns un exposé synthétique des doctrines thomistes, et rejoint avec un naturel qui est succès de ce livre, les positions con
669 e ce livre, les positions constructives d’Esprit, et même de L’Ordre nouveau (lequel était parti bien plutôt de Proudhon)4
670 s’agit de passer d’un mode de propriété abstrait et anonyme à un mode personnel et responsable, ou encore, d’un mode maté
671 propriété abstrait et anonyme à un mode personnel et responsable, ou encore, d’un mode matérialiste et tyrannique à un mod
672 et responsable, ou encore, d’un mode matérialiste et tyrannique à un mode spirituel, donc humain. Je sais gré à Mounier d’
673 verser l’argument des propriétaires, trop souvent et hypocritement opposé à certain communisme — celui que redoutent les b
674 line… Mais si vigoureuse que soit cette analyse — et si utile sa lecture pour tous les possédants chrétiens — elle ne revê
675 mettra de prendre une mesure rapide des progrès — et aussi des lacunes provisoires45 — de ce mouvement. Le lecteur qui se
676 e, que nous jetions alors dans le débat politique et culturel, et qu’on nous reprochait non sans aigreur, quand il ne fais
677 etions alors dans le débat politique et culturel, et qu’on nous reprochait non sans aigreur, quand il ne faisait pas souri
678 aisait pas sourire les réalistes, le voilà repris et galvaudé depuis deux ans par toutes les ligues et partis, de La Rocqu
679 et galvaudé depuis deux ans par toutes les ligues et partis, de La Rocque à Vaillant-Couturier ! (Je ne sais pourquoi, d’a
680 personnalistes » — que les problèmes de l’homme, et de l’esprit, ne se poseraient plus durant le prochain demi-siècle. Pa
681 n demi-siècle. Parler de la primauté du spirituel et de l’humain, c’était fasciste ! Mais voici que quatre ans plus tard,
682 urs-programme intitulé Au service de l’Esprit 46. Et l’on y lit que les fascistes sont les pires adversaires « de la perso
683 rsonne humaine, cette grande force spirituelle ». Et aussi « qu’au-dessus de tout, les communistes placent l’homme ». Et e
684 essus de tout, les communistes placent l’homme ». Et enfin que « c’est à l’Esprit que le parti communiste français fait co
685 résoudre les problèmes de la paix, de la liberté et du pain des hommes »ad. À vrai dire, nous n’espérions pas un triomphe
686 a que cela de sérieux dans la politique moderne. Et le Manifeste de Mounier peut y contribuer largement. Faut-il dire que
687 toléré dans l’Église que pour servir le pauvre ». Et selon saint Thomas, « n’importe qui peut donner l’aumône au nécessite
688 ontré que l’usure n’est qu’un facteur secondaire, et très peu décisif, du capitalisme. 45. Le Précis publié par L’Ordre n
689 e la propriété capitaliste à la propriété humaine  et Manifeste au service du personnalisme  », La Nouvelle Revue française
29 1937, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). N’habitez pas les villes (Extrait d’un Journal) (juillet 1937)
690 es derniers jours passés à Paris non sans fièvre, et cette arrivée au soleil dans une liberté naïve et nue, pauvre et joye
691 et cette arrivée au soleil dans une liberté naïve et nue, pauvre et joyeuse. Mais je vois bien qu’il me faut expliquer pou
692 e au soleil dans une liberté naïve et nue, pauvre et joyeuse. Mais je vois bien qu’il me faut expliquer pourquoi nous veni
693 rûlé par l’insomnie les flots de l’océan maussade et les pauvres rivages du détroit, c’est fort apparemment que je n’avais
694 se sans argent, est la ville des gérants ignobles et des concierges, des lieux-sombres-et-populeux où il faut pénétrer l’â
695 mbres-et-populeux où il faut pénétrer l’âme basse et la petite enveloppe à la main. Tant d’autres disent : allons-nous-en,
696 à la main. Tant d’autres disent : allons-nous-en, et restent faute d’imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour p
697 : allons-nous-en, et restent faute d’imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour partir : la France a des milliers
698 s. Dites autour de vous que vous en cherchez une, et vous en trouverez pour rien, ou pas grand-chose. Encore faut-il savoi
699 ède légalement que des valises, de quoi me vêtir, et quelques livres. Mais aussi, je ne puis vivre nulle part sans me crée
700 ute chose que je sais mettre en œuvre à ma façon, et peu capable de comprendre que l’on veuille « avoir » autrement. Possé
701 ser en fait de cette chose-là. C’est donc un acte et pas du tout un droit. Et ce n’est pas une sécurité, ni rien qui dure
702 e-là. C’est donc un acte et pas du tout un droit. Et ce n’est pas une sécurité, ni rien qui dure au-delà du temps qu’on en
703 emps qu’on en jouit. Cette maisonnette, ce jardin et cette île, seront miens selon la puissance avec laquelle j’en saurai
704 faire usage, pour une fin qui leur est étrangère, et qui me commandera de les quitter le jour qu’ils y mettront obstacle.
705 ssion ! Une chose n’est mienne que pour un temps, et si je change, elle me devient impropre. Je n’hérite pas même de moi !
706 est cela dont on ne peut pas se délivrer à temps, et devrait être défini franchement comme ce qui est incommode ou impropr
707 anchement comme ce qui est incommode ou impropre, et dont il faut tâcher de se délivrer coûte que coûte.) Mon domaine, c’e
708 abriquée : j’ai trouvé dans le chai deux tréteaux et deux planches bien rabotées ; j’ai dressé cela devant la fenêtre ouve
709 e le ciel au-delà, un ciel lavé, tissé d’oiseaux, et parfois traversé par un nuage rapide. La maison compte deux chambres
710 de la cuisine, deux autres chambres assez vastes et presque vides, auxquelles le toit sert de plafond. Très peu de meuble
711 de bleu clair, des planchers rudes. Décor candide et gai, oui vraiment plus gai qu’ascétique. Dans le chai, à la porte un
712 ts ici ou là, c’est une sorte de contrôle amusant et utile — pour plus tard — et c’est une bonne discipline de l’esprit qu
713 e de contrôle amusant et utile — pour plus tard — et c’est une bonne discipline de l’esprit que la description objective.
714 s dans une expérience forcée de vie pauvre, libre et solitaire — trois grands mots ! et pourtant c’est bien cela — tout au
715 pauvre, libre et solitaire — trois grands mots ! et pourtant c’est bien cela — tout au bout d’un pays dénué de ressources
716 os calculs sont justes : 900 francs, un bon toit, et le temps de voir venir.   Du 10 au 17 novembre Pour parer au plus pre
717 0 au 17 novembre Pour parer au plus pressé, écrit et envoyé six articles à des revues, hebdomadaires et journaux. Grande f
718 t envoyé six articles à des revues, hebdomadaires et journaux. Grande facilité de travail dans le silence à peu près absol
719 la littérature ou les idées. C’est cela qui paie, et qui m’ennuie. Après quoi, je pourrai travailler. Aujourd’hui c’est le
720 ux volumes sur l’histoire de l’île, ses coutumes, et son dialecte. L’un est l’œuvre d’un archiviste du continent. Il affec
721 énements qui se déroulèrent dans ce coin du pays, et surtout pour les légendes, locales, qui ont fortement exagéré et embe
722 les légendes, locales, qui ont fortement exagéré et embelli tout cela… La science réclame de petits faits vrais. Elle ten
723 st l’œuvre d’un vieux médecin tout plein de verve et de gaillarde érudition, comme il s’en trouve un peu partout pour sauv
724 ns, les flottes anglaises des guerres de religion et les expéditions de saumoniers. Une période héroïque sous Richelieu. D
725 villages se dépeuplent, les traditions se perdent et les champs tombent en friche. La Révolution seule a ranimé l’ardeur d
726 i-même ou tout au moins à son instigation. Enfin, et cela nous sera des plus utiles, une minutieuse description de la faun
727 us utiles, une minutieuse description de la faune et de la flore de l’île, du régime des marées, des courants et des vents
728 lore de l’île, du régime des marées, des courants et des vents. Merveilleux livre en vérité ! Et la merveilleuse bibliothè
729 rants et des vents. Merveilleux livre en vérité ! Et la merveilleuse bibliothèque que celle qui rassemblerait tous les ouv
730 expérience, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit
731 caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher se font une g
732 de praticien et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher se font une guerre acharnée dans ces pages et ils
733 locher se font une guerre acharnée dans ces pages et ils l’emportent tour à tour, jusqu’à la synthèse finale d’une envolée
734 envolée tout à la fois patriotique, républicaine, et tolérante. La droite, la gauche, et une certaine espèce d’intelligenc
735 républicaine, et tolérante. La droite, la gauche, et une certaine espèce d’intelligence, ou d’ironie… Pour de tels hommes,
736 plutôt elles se mêlent dans un combat indivisible et nécessaire au cœur de chacun d’eux. Voilà l’espèce d’hommes français
737 toute blanche qui contourne la panse de l’église et aboutit à la place principale. Au milieu de cette place, qui est un v
738 trie architecturale. Il domine toutes les maisons et le clocher. Il est seul au-dessus du pays. Je voudrais le dessiner da
739 r dans le style romantique, avec tous ses détails et toute son opulence, frisé comme une perruque du grand siècle. De troi
740 alignent en ordre modeste, peintes en tons clairs et simples, blanc, jaune ou vert. La couleur des volets s’harmonise avec
741 armonise avec chaque façade d’une manière subtile et précise qui en dit long sur l’âme de ce peuple discret. C’est l’impre
742 le village où l’on va vivre. Celle-ci est énorme et goutteuse. Elle a des douleurs dans les jambes, et m’en parle d’abord
743 t goutteuse. Elle a des douleurs dans les jambes, et m’en parle d’abord, pour me mettre en confiance. Je sens bien qu’elle
744 eur, des enveloppes jaunes, du peloton de ficelle et du kilo de riz. Mes vêtements, citadins mais râpés, ne la renseignent
745 ins mais râpés, ne la renseignent pas clairement. Et que penser d’un « Parisien » qui manifeste l’intention de rester ici
746 à écrire… Elle n’ose pas m’en demander davantage. Et moi, je recule devant l’entreprise de lui expliquer la nature de mon
747 uère autre chose que de la mercerie, des lainages et des épices. Alors il faut aller de l’autre côté de la place, chez Mél
748 embre Le bureau de poste. Trois mètres sur trois, et une grille épaisse au milieu. Derrière la grille, le long visage de P
749 son tarif, fait son calcul sur un bout de papier, et conclut que j’ai à payer 72 francs pour un envoi, ce jour-là, d’une c
750 apaisement qui ménage toutes les susceptibilités, et finalement ne rien payer de plus. Je cause un peu, pour me faire pard
751 it des lessives. En été ils pêchent des palourdes et les vendent aux baigneurs. Bien entendu, je n’arrive pas à savoir com
752 enses du premier mois dans l’île : ménage, manger et boire, 480 francs ; (en général tout est plus cher qu’à Paris). Recet
753 nt de bonnes ou de mauvaises volontés lointaines, et du hasard, éveille par résonnance un sentiment de liberté, de gratuit
754 : libération. Il faut qu’il arrive quelque chose. Et s’il n’arrive rien ? « On ne meurt pas de faim dans nos pays », dit-o
755  On ne meurt pas de faim dans nos pays », dit-on, et je crois bien que je l’ai dit quelquefois. Mais il y a aussi des exce
756 y a aussi des exceptions, des cas sans précédent, et des raisons toutes personnelles de ne pas appeler au secours. Pourtan
757 bonheur de notre vie. Trouver son rythme naturel, et les moyens de s’y réduire, voilà le but de toute morale car le « bien
758 r une île ? Est-ce que l’insularité (géographique et morale) n’est pas une espèce de vice ? Est-ce que ce n’est pas la rac
759 des îles ? Quand nous sortons pour une promenade et que nous mesurons toute l’étroitesse de notre domaine, la mer partout
760 se de notre domaine, la mer partout à dix minutes et ces marécages hostiles, nous souffrons de ne pouvoir prolonger en pen
761 liberté négative. Elle nous met à l’abri du monde et nous ramène tous physiquement à nos limites. Mais l’homme est ainsi f
762 e sans cesse se risquer au-delà de ce qu’il peut, et franchir au moins en pensée les bornes de ses possessions pour aller
763 vec les hommes de ce village ce qui est essentiel et solide dans ma vie. Le simple fait que je ne puis pas les persuader q
764 ière sentimentale, une gêne constamment sensible. Et je n’ai nulle envie d’en prendre mon parti. Dans ce qu’ils ont pu ent
765 raire. Ils m’expliquent en détail ce qu’ils font, et je puis le comprendre et l’admirer. Ils ont ainsi sur moi une sorte d
766 n détail ce qu’ils font, et je puis le comprendre et l’admirer. Ils ont ainsi sur moi une sorte de supériorité concrète do
767 es petites gravures anciennes, encadrées de noir, et joliment disposées, une photo de bateau, et un vieil arbre généalogiq
768 noir, et joliment disposées, une photo de bateau, et un vieil arbre généalogique aux couleurs pâlies. Cet ordre gai, cette
769 décembre Ils me parlent de ce qui les intéresse, et je m’y intéresse avec eux. Mais je ne puis ou ne sais pas encore leur
770 curieux. De quoi donc me parlent-ils ? Du temps, et j’aime cela comme tout le monde ; de leur travail aux champs ou à la
771 monde ; de leur travail aux champs ou à la côte, et je les écoute avec toute l’attention d’un apprenti ; de leurs souveni
772 bsolument nouveau, mais nouvellement intéressant. Et quand nous sommes en confiance, si j’essaie d’amener l’entretien sur
773 ment qu’un écrivain peut faire sa « spécialité ». Et rien ne les étonnerait davantage que d’apprendre un beau jour que je
774 « idées », à leur situation, à leurs problèmes, —  et que j’en fais parfois la matière même de mon travail. J’ai quelque pe
775 en moi. Sentiment qu’il y a là quelque absurdité, et si énorme que personne ne pense à la dire… Peut-être, dans un siècle
776 ui est absurde ? Essayer de confronter la culture et la réalité, c’est peut-être prouver qu’on ignore l’une et l’autre ? O
777 alité, c’est peut-être prouver qu’on ignore l’une et l’autre ? Ou témoigner d’une naïveté impardonnable ? — Pourtant, je n
778 ments d’institutrices. Ils ont déjà deux garçons, et ils ont trouvé le moyen de recueillir encore une vieille Bretonne san
779 nne sans ressources, qui aide un peu à la cuisine et casse beaucoup d’assiettes. Dans cette île, qui fut presque entièreme
780 ) En été, la petite ville se remplit de baigneurs et l’auditoire du temple est décuplé : cela suffit pour qu’on maintienne
781 nte, celle que lui crée l’indifférence tranquille et obstinée de ceux auprès desquels il devrait exercer sa mission. Ils n
782 er sa mission. Ils ne veulent pas même l’écouter, et toute sa raison d’être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’au
783 dant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il ne peut pas le faire. Et de plus, il est seul à croire qu’il doit
784 rien d’autre à faire, et il ne peut pas le faire. Et de plus, il est seul à croire qu’il doit le faire. Il m’a décrit son
785 atholique, il s’est converti à l’âge de vingt ans et depuis lors il n’a jamais songé qu’il pût faire autre chose qu’annonc
786 e faire jusqu’ici qu’une seule expérience précise et utile : celle du loisir. Je m’aperçois que je ne savais plus, ou ne p
787 nne conscience de l’employé qui a fait sa journée et qui pense maintenant à autre chose. Une sorte d’impatience me tarabus
788 ations. Ce n’était pas cette vacance où les idées et sentiments changent de climat. Le loisir n’est pas simplement la cess
789 Un chômeur intellectuel peut encore travailler — et c’est cela qui le différencie profondément d’un chômeur industriel, p
790 ur une bonne raison de désespérer, pour une bonne et impérieuse raison d’abandonner cette partie mal engagée, ma vie, et d
791 on d’abandonner cette partie mal engagée, ma vie, et de se retrouver neuf, enfantin, ou tout simplement jeune devant un pr
792 lors nous sauver de cette tentation du désespoir, et c’est l’humilité. Si je ne suis pas important, le monde s’agrandit. J
793 le, ce que signifient les méthodes productivistes et la démesure collective d’un plan quinquennal. Le silence de la lande
794 ive d’un plan quinquennal. Le silence de la lande et des marais, la rumeur de la côte, les petits chocs irréguliers des pi
795 la côte, les petits chocs irréguliers des pioches et des bouelles, tout ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de
796 nd soleil… Au nom de quelle « vérité » brutaliser et bouleverser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les ryt
797 utaliser et bouleverser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ?   3 av
798 et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ?   3 avril La solitude est une jeunesse. Elle nous appre
799 ssée dans nos lombes ; cette chose toujours neuve et nouvelle qu’est l’attente d’on ne sait quoi. Condition véritable de l
800 dent ! Ses actions les plus pures sont des appels et des incantations : leur sens est toujours au-delà. Elles ne sont que
801 sais bien. Toute notre attente imagine l’avenir — et l’imagine nécessairement sur fond de mort. (La jeunesse qui est l’âge
802 er avec la mort.) Ainsi nos gestes se prolongent, et leur grandeur est dans l’attente qu’ils trahissent. Si le travail mod
803 nt, c’est qu’on a limité ses gestes à l’immédiat, et borné son attente au salaire. Or toute vie est absurde et violemment
804 son attente au salaire. Or toute vie est absurde et violemment inacceptable, qui ne s’ouvre pas sur l’attente d’une révél
805 ouvre pas sur l’attente d’une révélation à venir, et d’une « consolation » finale. (Consolation signifiant selon l’étymolo
806 ns une pile de notes. La page est restée blanche. Et toute réflexion faite, c’est bien ainsi, et très complet.)   10 avril
807 nche. Et toute réflexion faite, c’est bien ainsi, et très complet.)   10 avril Je n’ai pas encore parlé de la poule, la tr
808 l Je n’ai pas encore parlé de la poule, la triste et digne poule noire qui habite seule au bout du jardin. Elle y est pour
809 Elle paraissait inguérissablement neurasthénique. Et voilà qu’hier, elle a pondu. Et ce matin de nouveau. De très gros œuf
810 t neurasthénique. Et voilà qu’hier, elle a pondu. Et ce matin de nouveau. De très gros œufs, me semble-t-il. (Où va se log
811 ù va se loger la vanité !)   14 avril La culture et les gens. Souvent, quand je me tire du livre que j’écris — sur la cri
812 se : quel rapport entre cet homme à qui je parle, et le mot « homme » dans ce que j’écris ? Non seulement ceux d’ici ne co
813 ux d’ici ne comprendraient rien à ce que je fais, et ce serait assez normal : il y a l’obstacle du vocabulaire, d’une cert
814 quoi il s’agit quand je parle d’eux précisément, et des problèmes qui intéressent leur existence. J’aurais beau leur expl
815 gine rationaliste de la scission entre la culture et le peuple », cela ne peut accrocher à rien dans cet être que j’ai dev
816 tre que j’ai devant moi, avec ses rides, sa barbe et sa casquette, et qui continue à me parler de la pêche, de son filet q
817 nt moi, avec ses rides, sa barbe et sa casquette, et qui continue à me parler de la pêche, de son filet qui a été emporté
818 voir de parler de la « scission » entre cet homme et la culture ? N’y a-t-il pas là deux mondes qui n’ont jamais eu de con
819 un ridicule angoissant avec la réalité des choses et des êtres dont elles utilisent le concept… Eh bien, voilà le résultat
820 sé quelques termes trop vagues, barré cinq lignes et mis une note au bas de la page. Il me semble vraiment que cela se tie
821 que c’est concret. Je me dis que cette impression et celle de tout à l’heure s’excluent en fait. Mais je n’arrive plus du
822 roid. La culture m’a repris. Je suis dans le faux et tout y est correct : je dis que la thèse que je défends est vraie !…
823 onstant effort entre nos belles séries de pensées et la diversité désordonnée des êtres et des choses, où nous vivons ? « 
824 de pensées et la diversité désordonnée des êtres et des choses, où nous vivons ? « Je pense, donc j’en suis ». Et je ne s
825 s, où nous vivons ? « Je pense, donc j’en suis ». Et je ne suis guère, si je n’en suis pas. Et je ne pense bien, valableme
826 suis ». Et je ne suis guère, si je n’en suis pas. Et je ne pense bien, valablement, en vérité, que si je me sens et me con
827 e bien, valablement, en vérité, que si je me sens et me connais participant de ce monde « mal compassé ».   16 avril La po
828 lon tiré à la ficelle. Plaisir d’avoir les doigts et les ongles terreux ; toujours ce goût d’enfance… Je ne me sens plus «
829 oigné de Paris », mais au centre de mon domaine ; et c’est Paris qui est loin maintenant, peu vraisemblable ; et non plus
830 aris qui est loin maintenant, peu vraisemblable ; et non plus moi. Premières roses au soleil, le long des murs du chai. No
831 açade de la maison, plus claire que le ciel vide, et illumine la goutte rose d’une fourmi ailée qui danse au-dessus de mon
832 n ne peut guère que se tremper quelques instants, et se coucher ensuite sur la dune, au vent doux. Villages blancs au-dess
833 Une odeur forte de varech séché vient des champs et des vignes sablonneuses.   21 mai Pendant les jours de grande marée,
834 ux, d’immenses plateaux rocheux, pourpres, jaunes et noirs se révèlent au-delà de la plage, nouveau pays tout grouillant d
835 out grouillant de merveilles, d’eaux ruisselantes et de vies monstrueuses, soudain porté à la lumière de midi. Armés de tr
836 ombres dont le crépitement sous nos pas fait fuir et choir de tous côtés de petits crabes. Des ruisseaux, des rivières imp
837 ids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de laines. À quelques mètres de la mer qui affleure le tranchant du p
838 rgit en bassins clairs aux profondeurs rougeâtres et doucement mouvantes. C’est là que nous commençons la pêche. Il faut s
839 la pêche. Il faut se planter au centre du bassin, et fouiller et racler sous les bords, dans le sable et les paquets d’alg
840 faut se planter au centre du bassin, et fouiller et racler sous les bords, dans le sable et les paquets d’algues, avec le
841 fouiller et racler sous les bords, dans le sable et les paquets d’algues, avec le cercle rigide du filet, puis retirer vi
842 rigide du filet, puis retirer vivement la treille et l’égoutter. On ramène un paquet de varech, un ou deux crabes tout ter
843 paquet de varech, un ou deux crabes tout terreux, et parfois en se penchant sur la treille, on voit bondir d’un bord à l’a
844 de verdâtre, qu’il faut attraper comme une mouche et qui vous saute encore dans la main et vous gratte la paume de ses ant
845 une mouche et qui vous saute encore dans la main et vous gratte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses patte
846 gratte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses pattes. On fourre cela dans le sachet que l’on porte attaché à
847 ns le sachet que l’on porte attaché à la ceinture et qui se remplit de tressaillements. Nous ne gardons que les plus belle
848 t, se durcissent. Je ne puis voir cela sans honte et sans révolte. Sensiblerie évidemment, mais qu’est-ce que cela veut di
849 on vers la révélation des « enfants de lumière », et la restauration de l’ordre originel. Et voilà pratiquement la réponse
850 umière », et la restauration de l’ordre originel. Et voilà pratiquement la réponse de l’homme : pillage, ruses, destructio
851 , mais il faut que je vous mange. Dure nécessité, et croyez que cela me fend le cœur ! » Voilà la dernière trace de la con
852 ous, de la conscience de notre royauté nécessaire et réparatrice. Il est probable que le tigre en train de déchiqueter une
853 t pas tant d’histoires, ne fait pas de sentiment. Et pourtant, ma sensiblerie n’est hypocrite que parce qu’elle reste prat
854 e pratiquement insuffisante. Elle est plus juste, et plus digne de l’homme que ces vertus de carnassiers que nous partageo
855 tageons, d’ailleurs maladroitement, avec le tigre et le requin. J’allais conclure : nos rapports avec la nature ne sont gu
856 . Comme une prière muette en moi, toute machinale et tout obscure.   24 mai On dirait que l’homme n’est pas fait pour dure
857 rer : la vie étale nous ennuie, c’est ce qui naît et ce qui meurt qui nous émeut. Cette nuit, avant d’aller me coucher, j’
858 x œufs sous son aile, fait sortir une coque vide, et reprend, l’œil fixe, son travail invisible de mère. C’est beau. C’est
859 de mère. C’est beau. C’est fascinant. C’est grave et mystérieux, pacifiant comme la démonstration d’une absolue sagesse à
860 mangeons les premiers légumes du jardin : salades et radis. Pour les carottes, il faut encore attendre, et les choux n’ont
861 adis. Pour les carottes, il faut encore attendre, et les choux n’ont que quelques feuilles. Mais avec le produit de nos pê
862 rateur. Je suis allé à A. acheter des cigarettes. Et nous allions nous mettre à table pour manger le canard des grandes oc
863 é. Ensuite, il faut comprendre : c’est une lettre et un chèque. C’est un prix. Un prix dont je connaissais tout juste le n
864 . Que je n’aurais jamais eu l’idée de solliciter. Et qui m’est octroyé pour un petit livre paru sans bruit il y a plus de
865 plus frappé c’est que je m’étais fâché hier soir, et que la Providence, évidemment, se payait ma tête. Ensuite j’ai calcul
866 de ressources, ne bougeais plus ni pied ni patte et n’écrivais plus à personne. Je crois à la valeur d’appel de l’absence
867 vant la porte où il est écrit : Caisse. Je frappe et entre. Un homme penché vers le guichet parle au gérant. Le gérant me
868 chet parle au gérant. Le gérant me fait un signe, et comme je ne comprends pas, il passe sa portette et vient me prier à v
869 t comme je ne comprends pas, il passe sa portette et vient me prier à voix basse d’aller attendre dans la pièce voisine. J
870 tte audience privée ? Enfin j’entends qu’on sort, et le gérant vient me chercher. Notre affaire réglée, il croit devoir s’
871 J’ai pris mon parti de cet équilibre indifférent et cordial qui a fini par s’établir entre nous : et il ne reste que l’en
872 et cordial qui a fini par s’établir entre nous : et il ne reste que l’ennui de nos conversations toujours pareilles. Gran
873 s toujours pareilles. Grande différence entre eux et moi : ils sont adaptés à leur conduite et à leur milieu, comme les an
874 tre eux et moi : ils sont adaptés à leur conduite et à leur milieu, comme les animaux. Ils ne se posent pas de questions g
875 la plus forte : malgré nos arrosages, les salades et les choux sont brûlés, la terre se craquèle, ou devient poussiéreuse.
876 a plus que quelques roses aux pétales fatigués. — Et nous, nous n’avons plus la même patience, depuis qu’il y a de l’argen
877 t fixé au 10. Il va falloir vendre la poule noire et les poulets encore trop jeunes pour être mangés. Régler vingt petites
878 départ, pour faire un peu de sentiment sur l’île, et le bilan de l’année écoulée. Bilan. S’installer dans la pauvreté com
879 e dans un champ d’activité nouveau, avec l’ardeur et les curiosités naïves du débutant, cela suppose beaucoup moins de cou
880  : ceux qui voudraient « partir », se « libérer » et qui reculent pourtant devant le saut. Peut-être leur suffirait-il, po
881 r, d’une vision précise de cet état qu’ils rêvent et craignent. J’ai pensé plus d’une fois qu’il pourrait être utile de dé
882 s « carrières » sans sortir de la vie véritable ; et qu’on peut vivre de très peu sans cesser de vivre son plein. Voici un
883 an que je dors bien, que je travaille sans fièvre et que je flâne sans vague à l’âme. C’est quelque chose. Je ne dis pas q
884 Je suis devenu tout doucement amoureux de ma vie, et je crois bien que c’est un penchant qu’elle agrée. Non point qu’elle
885 is. Je crois que le réel est à portée de la main, et n’est que là. Alors il s’agit seulement d’assurer la prise de cette m
886 re d’une patience, ou d’une impatience dominée, —  et sans doute qu’une certaine pauvreté pouvait seule m’y forcer utilemen
30 1937, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Gösta Berling, par Selma Lagerlöf (novembre 1937)
887 cette communauté de sans-foyers, d’âmes sauvages et musiciennes, les douze « Cavaliers » d’Ekeby, qui régnèrent d’un Noël
888 es histoires inventées, impossibles, caracolantes et gracieuses, réalistes et romanesques, pleines de malices et de profon
889 mpossibles, caracolantes et gracieuses, réalistes et romanesques, pleines de malices et de profondes audaces. Des histoire
890 ses, réalistes et romanesques, pleines de malices et de profondes audaces. Des histoires que l’on croit intégralement parc
891 érente. Elle n’aime que celui qui se moque d’elle et qui n’en fait qu’à ses façons. Elle aime les grands rhétoriciens de l
892 jeunir tour à tour : une au moins par chapitre48, et à chaque fois le coup est bon. Vous partez en pleine convention roman
893 le cadre, envahit tout à grands bonds émouvants, et l’auteur s’esquive prestement avec une bonne espièglerie, pour vous l
894 se de « glorieux » — au sens baroque, impertinent et emphatique du mot — dans la virtuosité et les malices de ce génie de
895 rtinent et emphatique du mot — dans la virtuosité et les malices de ce génie de la fable nordique. Lagerlöf ou la gloire d
896 les grands rythmes naturels, libérant les vertus et les vices des entraves du respect humain, nous jette dans le grand je
897 ect humain, nous jette dans le grand jeu du péché et de la grâce, et se confond avec la Charité. Imaginer, à ce degré, c’e
898 jette dans le grand jeu du péché et de la grâce, et se confond avec la Charité. Imaginer, à ce degré, c’est déjà presque
899 ue son œuvre a libéré les hommes de leur bonheur, et la vie de l’obsession de vivre. Cette année folle, inaugurée par un t
900 rne que cette légende, malgré toutes ses romances et ses idylles d’une pureté dramatique. Les forges, les charrois de mine
901 joue pas un moindre rôle que la nature, les ours et les trolls des forêts, dans les exploits des Cavaliers. Ce n’est pas
902 c’est la réalité sociale plus toutes les autres. Et l’amour d’une femme pour son peuple, au lieu de ces vantardises en se
903 de recréer un pays tout entier, avec ses classes et ses institutions, ses armes, ses charrues et ses machines, ses légend
904 sses et ses institutions, ses armes, ses charrues et ses machines, ses légendes, son histoire, sa morale et sa foi. On peu
905 s machines, ses légendes, son histoire, sa morale et sa foi. On peut penser que l’inscription qu’on lit au Pavillon de la
906 s est son propre maître. Tous les Suédois, hommes et femmes, jouissent des mêmes droits politiques. » 47. On n’en connai
907 me détestable qu’appuient nos préjugés classiques et les problématiques nécessités du commerce le plus mal compris. 48. D
908 soutenues, coïncidences, catastrophes naturelles, et tous les emplois de la fable suédoise : trolls, sorcières, belles jeu
31 1937, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Au dossier d’une vieille querelle (novembre 1937)
909 e qu’ils n’ont pas à se mêler aux luttes sociales et politiques où leur raison a tout à perdre mais que s’ils s’y trouvent
910 bien de s’y comporter selon les usages du forum, et de crier avec les loups. « Préservant » ainsi la raison, autant que l
911 uand on ne le peut éviter qu’en offensant Dieu ». Et au sujet du second : « qu’il n’est pas avantageux de contenter les ho
912 e ou dans l’esprit) c’est que la raison s’est bel et bien risquée et se risque encore dans le chaos, et qu’elle a su y pré
913 it) c’est que la raison s’est bel et bien risquée et se risque encore dans le chaos, et qu’elle a su y prévaloir sur quelq
914 t bien risquée et se risque encore dans le chaos, et qu’elle a su y prévaloir sur quelques points. On ne voit pas bien pou
915 ne voit pas bien pourquoi il faudrait s’arrêter. Et même, à faire le petit rentier du rationnel, on court le risque le pl
916 laisser perdre le peu qui fut gagné par d’autres, et dont on vit. ah. Rougemont Denis de, « Au dossier d’une vieille qu
32 1938, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Le Monastère noir, par Aladár Kuncz (janvier 1938)
917 puisables d’imprévu, du patriotisme de l’arrière. Et voici le journal de cet intellectuel jeté dans un cul de bassefosse p
918 us autant en lisant ce livre, en le faisant lire. Et vous ferez quelque chose contre la guerre, ne fût-ce que de la connaî
919 lus générale encore, qui concerne chacun de nous, et dont l’internement de guerre n’est qu’une conséquence entre mille, d’
920 actuel par ce phénomène multiforme, insaisissable et saisissant : qu’un innocent, ou qui se croit tel, se voie privé de sa
921 vé de sa liberté pour des « raisons » collectives et obscures. Il me paraît que le livre de Kuncz tire son tragique le plu
922 le plus secret du fait qu’il symbolise, illustre et concrétise une condition qui n’est pas seulement celle du prisonnier
923 st quelque chose qui se passe très loin, partout, et qui doit être réel puisqu’on en souffre, mais dont on ne sait rien de
924 de se trouve secrètement impliqué dans une atroce et lente fatalité universelle. Comment ne point songer au Procès de Kafk
925 anonymes qui se multiplient dans notre siècle49, et tendent à faire du moindre d’entre nous un prévenu. C’est le cauchema
926 pporte un document bien assez émouvant comme tel. Et la preuve, une fois de plus, que l’homme moderne ne se connaît jamais
927 n, oppositions pourchassées, casernes, discipline et épuration au sein des partis, arrestations en masse de suspects, proc
33 1938, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Victoire à Waterloo, par Robert Aron (février 1938)
928 in joyeux il dit : Grouchy ! — C’était Grouchy. » Et Waterloo fut une victoire. Mais Napoléon abdiqua et termina ses jours
929 Waterloo fut une victoire. Mais Napoléon abdiqua et termina ses jours à Sainte-Hélène. Tel est le sujet. En somme, mettan
930 signe moins, l’auteur annule le facteur Waterloo, et nous démontre que l’équation Napoléon n’en doit pas moins avoir pour
931 gine de cet ouvrage d’une passionnante ambiguïté, et qui se donne l’air d’une « fantaisie ». Prenons ce mot au sens allema
932 est que pour transformer une défaite en victoire et une abdication forcée en abdication volontaire, il ait fallu si peu c
933 bdication volontaire, il ait fallu si peu changer et si peu imaginer. Il faut vraiment que dans l’histoire des hommes les
934 ue d’autres facteurs prédominent, facteurs moraux et psychiques. » C’est donc devant sa destinée, et non pas devant Blüche
935 x et psychiques. » C’est donc devant sa destinée, et non pas devant Blücher, ce hasard, que l’empereur devait succomber. M
936 e, Napoléon a découvert la vie concrète d’un pays et des êtres dont c’est la patrie. Il a conçu les premiers doutes humain
937 a réalité de son empire, sur son pouvoir abstrait et sa démesure géométrique. Et revenant à ses origines, au moment où le
938 son pouvoir abstrait et sa démesure géométrique. Et revenant à ses origines, au moment où le sort de la bataille vacille,
939 e, Messieurs, que depuis vingt années nous vivons et nous gouvernons en pleine idéologie. Nous avons fait un empire géant
940 ne société qu’il faut bâtir « à hauteur d’homme » et non pas à hauteur d’idéologies. Peut-être ai-je trop insisté sur l’ac
941 une histoire, un des meilleurs romans de l’année, et qui se fait lire avec le plus constant plaisir, d’autant que l’on pou
942 l’ingéniosité dans ce livre : un sens de l’homme et des limites de sa grandeur, un sens de l’humour du destin, une vraie
943 stin, une vraie poésie de l’Histoire, libératrice et excitante pour l’esprit. À peine l’a-t-on fini qu’on se jette sur Sor
944 a-t-on fini qu’on se jette sur Sorel, sur Madelin et sur Aubry, pour leur arracher des aveux à l’appui de la thèse d’Aron.
945 vous, car alors je dois vous créer moi-même vous et vos idées. » ak. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Robert Aron,
34 1938, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Une révolution refoulée (juillet 1938)
946 actuelle. (Au moins dans celle qui se manifeste.) Et les réformes obtenues apparaissent comme les résultantes de deux lâch
947 à-dire quand chacun veut avoir plus qu’il ne peut et ne sait faire, seule une révolution est capable de faire aboutir des
948 sonne ne la prépare. M. Staline a d’autres plans, et Ce soir a d’autres vertus. S’il se fait une révolution, elle sera don
949 Tout le monde le sent, tout le monde le craint — et le désire sans se l’avouer. Voilà pourquoi personne ne bouge. C’est e
950 devant le péril. La dictature fascine les masses, et les élites. Sous prétexte de lui résister, les voilà qui d’elles-même
951 etée dans la gueule du dragon, après avoir trompé et désarmé la résistance prolétarienne. On a refoulé dès sa naissance la
952 te pas une révolution lorsqu’elle est nécessaire, et c’est le cas. Mais il arrive qu’on la dénature en la refoulant trop l
953 rop longtemps. Elle cherche alors d’autres voies, et les trouve. Encore un peu de mystique Front populaire, encore quelque
954 gouvernementales, la livre à 600, le chômage ; —  et le premier dictateur venu tirera les conclusions logiques. Sera-t-il
35 1938, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Alice au pays des merveilles, par Lewis Carroll (août 1938)
955 nge que le conte est par essence un récit cocasse et en quelque manière libérateur, on conçoit que les meilleurs sujets de
956 reint de données qu’elle considère dans l’absolu, et elle en tire des déductions exactes, qui se trouvent par là même cont
957 rouvent par là même contredire l’expérience vécue et les règles sociales. D’où le cocasse et le sentiment de libération. E
958 nce vécue et les règles sociales. D’où le cocasse et le sentiment de libération. En outre, quoi de plus important pour un
959 la comparaison des grandeurs — « plus grand que » et « plus petit que » —, qui est aussi le fondement de toute mathématiqu
960 de Lewis Carroll — qui était un mathématicien —, et d’Alice en particulier. On dit à l’enfant : mange ta soupe et tu devi
961 n particulier. On dit à l’enfant : mange ta soupe et tu deviendras grand. Donc il peut exister des aliments qui produiraie
962 r des aliments qui produiraient l’effet inverse ? Et l’imagination peut aisément accélérer ces deux effets. Qu’en résulter
963 tions sur le thème de la relativité dans l’espace et le temps. Tantôt géante et tantôt naine, Alice expérimente chaque foi
964 lativité dans l’espace et le temps. Tantôt géante et tantôt naine, Alice expérimente chaque fois un monde nouveau, et chaq
965 , Alice expérimente chaque fois un monde nouveau, et chaque fois elle se sent plus forte ou plus faible que les règles soc
966 paraissent absurdes quand Alice est plus grande, et vexatoires quand elle est plus petite. Dans les deux cas, elles lui d
967 tyrannique à l’excès. Ce Lièvre de Mars, ce Loir et ce Chapelier fou, on croirait une préfiguration des logiciens de l’éc
968 préfiguration des logiciens de l’école de Vienne. Et la discussion sur le temps, au cours du « Thé loufoque » où il est to
969 ures, annonce une psychologie post-einsteinienne, et fait songer au Temps vécu de Minkowski. « Cette façon d’ergoter qu’il
970 er un chat dont la tête seule est visible, etc.). Et pourtant, ce n’est que d’un jeu qu’il s’agit. Alice en garde la consc
971 arde la conscience secrète — comme dans le rêve — et peut s’en libérer dès que l’absurdité devient intolérable ou menaçant
972 la plupart des « gags » dont se compose le récit. Et parfois les pièges logiques ont une double détente par calembour. Tou
973 sont l’Ambition, la Distraction, la Laidification et la Dérision. Mais ici se poserait le problème de la version française
36 1938, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Page d’histoire (novembre 1938)
974 aties (centralisation rigide, confusion de l’État et de la Nation) s’opposait dans le fait à toute application honnête des
975 ncipes que les démocraties prétendaient défendre, et sur le système qu’elles pratiquaient en fait. C’est ainsi que l’Allem
976 re par le « bon droit » des exigences allemandes. Et c’est pourquoi, lorsqu’en septembre 1938, l’Allemagne appuya sa reven
977 de Godesberg), Hitler démasqua l’aspect original ( et non plus jacobin) de la dictature totalitaire : l’impérialisme religi
978 religieux, ou sacral. Il exigea d’entrer en armes et sur le champ dans les territoires sudètes. Une cession purement diplo
979 n’y avait guère de différence entre Berchtesgaden et Godesberg. Les autres pensaient que l’exigence d’entrer en armes étai
980 ésolu. Seul, le Premier ministre anglais sut voir et dire qu’il y avait là un fait nouveau, le signe d’une volonté d’hégém
981 ait su exprimer l’une des tendances fondamentales et instinctives de l’Occident : la résistance à toute hégémonie, au nom
982 ations qui l’avaient remportée comme malgré elles et en dépit de leurs intérêts nationalistes. En proie à des luttes intes
983 me de calculs qu’on appelait alors « réalistes », et qui se bornaient à faire état des pertes matérielles subies. Le bénéf
984 us devant eux que des États demeurés centralistes et maladroitement autarchiques, auxquels ils empruntaient leurs vieux sy
985 ührer l’idéal qui avait fait jusqu’alors la force et l’équilibre dynamique de l’Occident : l’utopie agissante d’une fédéra
986 e, état de guerre non déclarée), pour surprenants et monstrueux qu’ils soient apparus en leur temps, trouvent leur explica
37 1939, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Propos sur la religion, par Alain (avril 1939)
987 la débarrassant de ses « croyances fantastiques » et de sa « méthode arriérée », qui est celle de l’autorité (p. 72). La «
988 hez l’instituteur laïque. Cette déclaration ouvre et ferme le recueil (p. 23 et 286). Elle le situe dans les cadres de la
989 ette déclaration ouvre et ferme le recueil (p. 23 et 286). Elle le situe dans les cadres de la République radicale. Ainsi
990 d positif, toute religion finit par être vraie », et même « l’obligation de croire ne digère pas beaucoup du devoir de pen
991 isme : le péché, le salut, le drame de la révolte et de l’amour. Mais elle spécule volontiers sur les avantages et inconvé
992 r. Mais elle spécule volontiers sur les avantages et inconvénients des « preuves » ou de l’absence de preuves en matière d
993 essément à la religion en général, avec ses rites et ses croyances dont Alain respecte la forme et laïcise le contenu. « L
994 tes et ses croyances dont Alain respecte la forme et laïcise le contenu. « La vraie religion est le culte des morts », dit
995 ors éclate le conflit véritable entre l’humanisme et la foi, le scandale au sens paulinien, tout ce que le sage jugera tou
996 eligieux », non des chrétiens vivant selon la foi et capables de lui faire pressentir que ses observations toujours ingéni
997 sur les résidus ou les empreintes psychologiques et historiques du catholicisme français, en tant que, vidé de la foi, il
998 r raison comme Napoléon, qui faisait les demandes et les réponses. 51. On me dira que mon point de vue est partiel, dogm
38 1939, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Don Juan (juillet 1939)
999 juillet 1939)ap Lorsqu’il paraît brillant d’or et de soie, dressé sur ses ergots de grand ténor, l’on est tenté de ne v
1000 rel du désir, — une espèce d’animalité véhémente, et comme innocente… Mais jamais la Nature n’a rien produit de pareil. Vo
1001 s, une sorte de polémique anxieuse, de méchanceté et de défi : la main tendue au Commandeur, dans le dernier acte de Mozar
1002 ozart. Non, ce n’est pas l’animal, mais l’homme ; et non d’avant, mais d’après la morale. Point de Don Juan ni chez les « 
1003 ole d’abord moralement pour s’imposer à l’animal, et aussitôt prises les rejette, comme si c’était le fait du crime et non
1004 es les rejette, comme si c’était le fait du crime et non le plaisir qu’il cherchait. Polémiste perpétuel, il se trouve ent
1005 el, il se trouve entièrement déterminé par le bon et le juste — contre eux. Si les lois de la morale n’existaient pas, il
1006 istaient pas, il les inventerait pour les violer. Et c’est cela qui nous fait pressentir la nature spirituelle de son secr
1007 ne anxiété secrète déjà voisine de l’impuissance. Et il est vrai que celui qui cède à cet attrait superficiel que presque
1008 furie insolente, dans cette jactance batailleuse et joyeuse, comment ne voir que faiblesse et défaut ? Ira-t-on peut-être
1009 illeuse et joyeuse, comment ne voir que faiblesse et défaut ? Ira-t-on peut-être plus loin, à des critères spirituels ? Do
1010 peut-il désirer que la nouveauté dans la femme ? Et pourquoi désire-t-on du nouveau, du nouveau à tout prix, quel qu’il s
1011 ’il n’est pas ? Celui qui a, vit de sa possession et ne l’abandonne pas pour l’incertain, — entendez : s’il possède vraime
1012 pas aimer, parce qu’aimer c’est d’abord choisir, et pour choisir il faudrait être, et il n’est pas. Mais le contraire n’e
1013 ’abord choisir, et pour choisir il faudrait être, et il n’est pas. Mais le contraire n’est pas moins vraisemblable : Don J
1014 oujours déçu par la réalité dès qu’il l’approche, et déjà s’élançant vers d’autres apparences, de plus en plus angoissé et
1015 ers d’autres apparences, de plus en plus angoissé et cruel… S’il le trouvait, ce « type » de femme rêvé ! J’imagine cette
1016 la tête, s’assombrir, comme saisi d’une timidité, et fasciné pour la première fois par la révélation d’amour, se muer en l
1017 ce à se déprendre d’une image à lui-même secrète. Et de là vient sa puissance apparente, sa furia, son rythme dionysiaque.
1018 Or si le don juanisme est une passion de l’esprit et non pas comme nous aimions le croire, une exultation de l’instinct, t
1019 ue cette passion n’est pas toujours liée au sexe. Et même il faut se demander si la sensualité, précisément, ne serait pas
1020 bon ou mauvais.) C’est que le désir de nouveauté et de changement perpétuel, dès que l’esprit insatiable l’excite, devien
1021 se improductive. Certes Don Juan est un tricheur, et même il ne vit que de cela. (La banque de pharaon était la source uni
1022 sses subites d’un honnête homme. On est en garde, et l’on connaît le système, entièrement relatif aux règles du jeu. Imagi
1023 la tricherie » cesse d’être une habileté vulgaire et profitable. Elle peut devenir l’acte héroïque d’une loyauté sans scru
1024 rigueur. ⁂ Nietzsche s’est dressé face au siècle. Et l’adversaire qu’il s’est choisi, c’est l’esprit de lourdeur, notre po
1025 tzsche se trouve entièrement déterminé par le bon et le juste — contre eux. Il va de défi en défi, excité puis exaspéré pa
1026 se scientifique. Il n’y a plus de foi qui affirme et qui maintienne en vertu de l’absurde. Ah ! comme on se lasse de gagne
1027 ne vertu dont on ne sait plus quelle est la fin ? Et toutes ces vérités qu’ils respectaient, voyez comme elles ont vite cé
1028 nt vite cédé ! Il faudra donc s’en prendre à Dieu et à son Fils. Déjà « le Dieu moral est réfuté ». Que va dire l’Autre ?
1029 aque valeur, Nietzsche a voulu violer le secret ; et leur défaite rapide les rend toutes méprisables après la première pos
1030 dégoût ce que l’on désirait de toute sa fougue ; et se rire des suiveurs, des successeurs, de ces disciples enhardis par
1031 iples enhardis par le triomphe ardent d’un autre, et qui déjà croient pouvoir abuser de ses victimes. Mille et trois vérit
1032 éjà croient pouvoir abuser de ses victimes. Mille et trois vérités se sont rendues, et pas une seule n’a su le retenir. Qu
1033 victimes. Mille et trois vérités se sont rendues, et pas une seule n’a su le retenir. Qu’importent les « contradictions » 
1034 t pas pour bâtir un système qu’il réfute, dénonce et détruit, c’est pour la joie du viol intellectuel. Comme Don Juan l’im
1035 e de la Mère, Nietzsche poursuit l’image obscure, et à lui-même infiniment secrète, d’une Vérité qui ne se rendrait point,
1036 ce qui passe, tout ce qui cède, toute l’impudeur et la lourdeur du monde. C’est au point de fureur dionysiaque où la joie
1037 onysiaque où la joie de détruire devient douleur, et dans l’angoisse d’une puissance anéantie par son succès, que Nietzsch
1038 oit interrompre sa course, changer de contenance, et pour la première fois baisser la tête et adorer. Tout reviendra étern
1039 tenance, et pour la première fois baisser la tête et adorer. Tout reviendra éternellement à cette minute, à cet instant !
1040 instant ! L’Éternité, c’est le retour des temps ; et non pas la victoire sur le temps… Mais dans le temps, disait-il, Dieu
1041 anciennes, mais qui ne valent que par ces règles et dans la mesure où l’on sent qu’elles les violent. Pour peu qu’il les
1042 qui les mesurait n’existe plus. Par-delà le bien et le mal, par-delà toutes les règles du jeu, il faut qu’une passion se
1043 paraisse (car Don Juan ne gagnait qu’en trichant, et s’il n’y a plus de règles, on ne peut plus tricher). Voici peut-être
1044 u bien nous recevrons notre grâce. Mais Nietzsche et Don Juan doutent de leur grâce. Les voici donc contraints de gagner d
39 1939, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). La Poésie scientifique en France au xvie siècle, par Albert-Marie Schmidt (septembre 1939)
1045 e du Nombre Un, Du Chesne, calviniste paracelsien et physiologue pansexualiste, Béroalde de Verville, Christofle de Gamon,
1046 tiques : tels sont les animaux étranges, bariolés et quasi monstrueux que nous ramène du fond du xvie siècle le coup de f
1047 nos lectures. Les voici avec toutes leurs barbes et verrues, incongrus et antédiluviens, marée grouillante d’une Renaissa
1048 ci avec toutes leurs barbes et verrues, incongrus et antédiluviens, marée grouillante d’une Renaissance pré-baroque. C’éta
1049 issance pré-baroque. C’était le temps où la magie et la raison illuminée collaboraient dans un pédant délire, la première
1050 lle datant du Moyen Âge, un tas d’objets inutiles et bizarres, chargés de significations magiques. Ensuite, au xviiie , il
1051 rice bien différente des qualités requises du pur et simple philologue. C’est une vision du monde, et des rapports du mond
1052 et simple philologue. C’est une vision du monde, et des rapports du monde à l’homme, qu’il s’agit de concevoir à nouveau,
1053 t entrer dans ces rythmes, goûter ce vocabulaire, et dégager le pittoresque enfoui sous des amas d’abstruse érudition. Il
1054 tentions52, tant de correspondances théologiques, et finalement pour en extraire un matériel encore utilisable. Il me semb
1055 une poésie pure, pourrait trouver dans les thèmes et les formes qui foisonnèrent au xvie siècle des incitations très féco
1056 illaume du Bartas, d’un Peletier, d’un La Boderie et de tant d’autres, cet inventaire de la Création embrassant tous les a
1057 nventaire de la Création embrassant tous les arts et les métiers humains, de la magie cérémonielle à l’anatomie, de la géo
1058 olonté de « singer Dieu », de recenser les objets et les formes, les rythmes et les lois cosmiques, afin de les parfaire p
1059 de recenser les objets et les formes, les rythmes et les lois cosmiques, afin de les parfaire par le Verbe et, finalement,
1060 lois cosmiques, afin de les parfaire par le Verbe et , finalement, de s’en rendre maîtres. Tous sont soutenus par une doubl
1061 uble croyance dans le pouvoir magique du langage, et dans la liberté infinie de l’homme, capable de refaire avec ses mains
1062 apable de refaire avec ses mains le Paradis perdu et les « gestes de Dieu ». Le poète a reçu la vocation de restituer le c
1063 les traces du péché, de retrouver les noms réels et les « signatures » primitives dans le jeu des symboles et des corresp
1064  signatures » primitives dans le jeu des symboles et des correspondances. C’est l’ambition que refoulera trop aisément not
1065 que refoulera trop aisément notre âge classique, et que ressusciteront les romantiques allemands, à partir de Hamann et d
1066 ont les romantiques allemands, à partir de Hamann et de Herder. La création entière, disait Hamann, est « un discours adre
1067 rse tous les climats, jusqu’aux confins du monde, et l’on perçoit sa voix dans chaque dialecte ». Nous l’avons perçue de n
1068 Mais notre monde est-il encore formulable en noms et en rythmes ? La science moderne ne tend-elle point à nous le rendre p
1069 ent inimaginable ? N’a-t-elle pas dissocié Nombre et Verbe au point de rendre puérile à nos yeux l’ambition d’un lyrisme c
1070 uy de la Boderie, Ronsard, Psellos, M. Laumonier, et les philosophes mystiques de la Renaissance qui « considéraient l’huî
40 1940, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Au sujet du Journal d’André Gide (janvier 1940)
1071 e (janvier 1940)ar Il ne serait guère honnête, et moins encore adroit, de ne point avouer l’incertitude où pareil livre
1072 t un homme qui récuse sans cesse tout parti pris, et d’abord, quant à soi ? On renonce aisément à le fixer dans l’une ou l
1073 t plus que certains détails, certaines allusions, et beaucoup de silence, font pressentir un drame secret, un nœud vital o
1074 mais bien le paysage vital, avec ses temps voilés et ses soleils, ses parcs, ses friches et ses habitations. Le phénomène-
1075 mps voilés et ses soleils, ses parcs, ses friches et ses habitations. Le phénomène-Goethe, dans l’espace et le temps, voil
1076 s habitations. Le phénomène-Goethe, dans l’espace et le temps, voilà qui donnerait une idée de l’espèce d’intérêt que l’on
1077 iscrétion moderne va chercher derrière les formes et au-dessous d’elles, dans le tout venant de confidences fragmentaires,
1078 mme œuvre d’art, que limité au récit d’une crise, et soumis par lui-même à une sorte d’unité qui fait nécessairement défau
1079 é les pages plus élaborées que Gide a groupées ça et là sous des titres particuliers (Feuillets, Numquid et tu, La Marche
1080 sous des titres particuliers (Feuillets, Numquid et tu, La Marche turque, etc.), malgré la perfection constante de l’écri
1081 .), malgré la perfection constante de l’écriture, et toutes ces aquarelles et ces tableaux de genre où s’amuse et s’attard
1082 constante de l’écriture, et toutes ces aquarelles et ces tableaux de genre où s’amuse et s’attarde la maîtrise, on peut pr
1083 es aquarelles et ces tableaux de genre où s’amuse et s’attarde la maîtrise, on peut prévoir que la valeur d’un tel ouvrage
1084 ssion où j’avais besoin de lui pour me ressaisir, et où je me montre dolent, geignant, pitoyable. » « Si plus tard on publ
1085 e mon journal… » Voilà qu’il y pourvoit lui-même. Et cependant, « donner de soi une idée fausse », c’est bien ce que devai
1086 échapper aux trompeuses stylisations des morales et jugements tout faits n’est plus seulement émouvant : il revêt la vale
1087 ciale sur les limites de la sincérité en général, et du journal intime en particulier. La passion d’être complètement vrai
1088 tations (Byron, Stendhal). D’autres fois, l’œuvre et le journal sont simplement des manières différentes de poursuivre une
1089 s le journal, mais dans leur mutuelle réfraction. Et par exemple, les choses tues dans ce recueil — Gide a marqué qu’une g
1090 les soient dites dans Les Cahiers d’André Walter, et surtout dans La Porte étroite, ce roman janséniste et « cathare »… ⁂
1091 urtout dans La Porte étroite, ce roman janséniste et « cathare »… ⁂ D’autres causes d’erreur interviennent, faussant les p
1092 qui est bizarre, ce qui fait exception justement. Et comment ne céderait-on pas à l’invite d’une formule, d’une épigramme
1093 action de se paraître à soi-même plus perspicace, et l’on a grande tendance, par contre, à négliger, de peur de se surfair
1094 important, c’est-à-dire ce qui frappe ce jour-là, et l’on se fait trop pittoresque. En somme, le journal exigerait une dis
1095 de l’œuvre : il faudrait s’imposer un rythme égal et sans lacunes, une relation automatique et monotone des petits faits,
1096 me égal et sans lacunes, une relation automatique et monotone des petits faits, situant exactement l’apparition de telle p
1097 crivains sont vrais, mais d’une vérité indirecte, et parfois même négative. C’est moins la vie vécue qui s’y traduit, que
1098 vec toutes ses curiosités, son admirable modestie et ses malices, son sens rythmique de la langue toujours si fermement ar
1099 des lectures à haute voix), ses sautes d’humeur, et ce besoin de donner raison à l’adversaire…54 On l’y retrouve naturali
1100 l’y retrouve naturaliste à la manière goethéenne, et musicien comme Goethe encore se voulait peintre (mais Gide est, je cr
1101 est, je crois, plus doué). On l’y découvre enfin, et cela me paraît nouveau, constamment occupé de problèmes religieux. Ma
1102 lui, le problème proprement religieux s’est posé, et se pose encore, dans des termes qui échappent, presque nécessairement
1103 Calvin considère comme hérétiques : libre examen et moralisme. Du libre examen, Gide conserve son exigence de vérité et d
1104 ibre examen, Gide conserve son exigence de vérité et de véracité « advienne que pourra ». Du moralisme, il a gardé sans do
1105 référer à la lettre du dogme l’esprit qui inspire et qualifie nos actions quotidiennes, fussent-elles non conformistes. Ma
1106 le a bientôt fait de se muer à son tour en dogme, et la morale protestante succombe à ce danger plus qu’aucune autre dans
1107 de naissance » détachés de la vie de leur église, et subissant seulement la coutume d’un milieu. Tout à fait justifiée en
1108 nd souvent, me semble-t-il, avec l’image courante et fausse d’un Calvin inhumain, presque manichéen.) L’évangélisme, hérit
1109 entes, du christianisme : le mépris de la nature, et d’autre part, le recours à l’orthodoxie comme à une assurance prise s
1110 nes — trop humaines » du moralisme néo-protestant et du dogmatisme romain. D’où son horreur congénitale des tours de passe
1111 pure de la foi, dont il ne s’estimait pas digne, et qu’il confessait par là même. Gide paraît surtout attentif à sa natur
1112 Gide paraît surtout attentif à sa nature complexe et réticente. Or toute nature, irrémédiablement, s’éprouve complexe et r
1113 oute nature, irrémédiablement, s’éprouve complexe et réticente. Et l’acte de foi consistera toujours à passer outre au dou
1114 rrémédiablement, s’éprouve complexe et réticente. Et l’acte de foi consistera toujours à passer outre au doute naturel, à
1115 moi aucun sens. Je ne reconnais point d’autorité, et si j’en reconnaissais une, ce serait celle de l’Église » (donc de Rom
1116 lais ou un Scandinave le dilemme entre l’anarchie et l’étatisme totalitaire. Assimiler l’autorité au romanisme est d’aille
1117 une erreur des plus courantes, en France surtout, et même chez certains protestants. Tout ce que je me sens le droit de di
1118 lité à l’autorité de l’Évangile, fondement unique et suffisant de la seule orthodoxie libératrice. ⁂ Si, malgré son génie
1119 éfiance d’artiste à l’égard des « idées » en soi, et de l’information méthodique. C’est par là que je sens le mieux la dis
1120 e posent à nous, nous n’avons pas pu les choisir, et encore moins les circonscrire dans un domaine privilégié. Ils nous co
1121 langue, plus que l’immoraliste, qui nous importe, et qui nous intéresse au double sens du mot. Conclusion provisoire, para
1122 andonner point les positions auxquelles on tient, et qui ne sont pas exactement les siennes… ar. Rougemont Denis de, « [
41 1940, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Hommage à C. F. Ramuz (mai 1940)
1123 étrangers de marque : Thomas Mann, Zweig, Valéry. Et les quatre langues suisses — n’oubliez pas le ladin des Grisons — vie
1124 russe, d’avant-garde ascétique, d’humour vaudois et de cosmopolitisme non pas à la manière de Genève mais à celle des tro
1125 iiie siècle, Coppet, Bâle au temps de Burckhardt et de Nietzsche… Mais le centre vaudois s’est distingué par sa méfiance
1126 le Petit Ramusianum harmonique de Ch.-A. Cingria et Stravinsky : l’humour de l’authentique, si caractéristique du cercle
1127 ercle ramuzien, s’y traduit en mirlitons acidulés et en mélodies savamment bêtifiantes de compliment d’anniversaire. Quant
1128 deux portraits photographiques de Germaine Martin et de H. L. Mermod. Ce visage puissamment travaillé et simplifié, cet œi
1129 de H. L. Mermod. Ce visage puissamment travaillé et simplifié, cet œil halluciné par le réel, c’est tout l’art de Ramuz e
1130 amuz exposé. Ici, tout le mystère se mue en forme et en physionomie lisible. Enfin, l’on est au-delà de la psychologie. « 
42 1951, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). Un complot de protestants (novembre 1951)
1131 ’arrête, il paraît attendre. Je pose le récepteur et nous sortons. Nous voici sur un banc du boulevard Saint-Germain. Les
1132 a maison de Charles Du Bos qui rentre d’Amérique, et je viens d’apprendre au téléphone que « cela ne va plus » pour un app
1133 e qu’il me faut. » Il a l’air étonné, puis amusé. Et , soudain, en se levant : « Eh bien ! si c’est ainsi, allons le voir d
1134 matin, très tôt, nous arrivons chez lui, ma femme et moi. Le studio est vaste et plaisant, agrémenté d’un escalier conduis
1135 ns chez lui, ma femme et moi. Le studio est vaste et plaisant, agrémenté d’un escalier conduisant à une large galerie. Par
1136 t en robe de chambre grise, le corps un peu tassé et de large carrure, sa belle tête de moine tibétain barrée d’un sourire
1137 tête de moine tibétain barrée d’un sourire mince et pourtant amical. Il fait très chaud. De ses poches, il tire deux bout
1138 . De ses poches, il tire deux bouteilles de bière et nous les offre. Au milieu du studio pend un trapèze. Gide s’y appuie
1139 ue vous habitez ici, qu’est-ce qu’on va dire ?… » Et il répète, à travers ses dents serrées : « Qu’est-ce qu’on va dire ?…
1140 , en s’annonçant par un profond « Allô ! Allô ! » et me demandera de passer chez lui pour quelques instants. Et, chaque fo
1141 andera de passer chez lui pour quelques instants. Et , chaque fois, il orientera la conversation vers des sujets religieux
1142 it l’hospitalité. Saint Paul reste sa bête noire. Et l’idée même d’orthodoxie. Il nie vivement que le terme d’orthodoxie p
1143 g ». Marquant ainsi bien franchement ses limites, et les moyens particuliers de sa recherche. Sur un seul de ces entretien
1144 l’aveu, qu’il me disait ce qu’il ne pouvait dire, et n’a peut-être jamais répété. La conversation s’engage sur L’Amour et
1145 ais répété. La conversation s’engage sur L’Amour et l’Occident , qu’il est en train de lire, et dont il me déclare, à ma
1146 Amour et l’Occident , qu’il est en train de lire, et dont il me déclare, à ma profonde surprise, qu’il y trouve une explic
1147 urs de sa vie de jeune homme ». En phrases lentes et difficultueuses, coupées de silences et de reniflements, il se met à
1148 es lentes et difficultueuses, coupées de silences et de reniflements, il se met à parler sur « le drame de sa vie ». Jeune
1149 ler sur « le drame de sa vie ». Jeune homme épris et puritain, il a voulu disjoindre l’amour et le plaisir. Il croyait que
1150 épris et puritain, il a voulu disjoindre l’amour et le plaisir. Il croyait que « l’amour hétérosexuel » était d’autant pl
1151 élas, je ne voyais pas clair. On se trompe ainsi, et les conséquences. J’ai été assez bête pour croire cela ! Il ne faut j
1152 nous disent. » Il a pris une expression angoissée et crispée. « Je vous parle très sincèrement, je vous parle de choses qu
1153 ssion, par le ton « c’était mal » de ses propos.) Et , subitement, après un silence : « C’est ainsi que j’ai commis, à cett
1154 lage ! » Puis il tousse, se plaint de fumer trop, et de n’arriver point à se contraindre. Les jours suivants, il me donne
1155 es épreuves de son Journal en cours d’impression, et sur lequel je vais écrire un article pour la NRF. Il insiste comme il
1156 ier. J’ai lu les premières lignes, pour vérifier, et j’ai vite refermé la couverture. Pudeur, ou répugnance à donner dans
1157 l’ai-je revu après la guerre ? Souvent, en somme, et dans les lieux les plus divers, « Au Vaneau », près de Lausanne, à Ne
1158 ous parlions style, tournures de phrases, Littré. Et quelquefois, littérature. (Mais il s’en détachait visiblement, n’admi
1159 it avec insistance de mon opinion sur Strindberg, et je lui fis une réponse assez vague, m’étonnant surtout de la question
1160 pour observer que le jeu devenait bien personnel, et proposa des bouts-rimés. Il y excellait. ⁂ Peu d’hommes m’ont donné l
1161 roblème permanent. Écarté, refoulé chez les uns ; et chez les autres résolu, croient-ils. Je ne dis pas qu’il torturait Gi
1162 i, problème. Gide avait peu d’instinct religieux, et moins encore de goût pour la métaphysique. Il préférait ce qu’il juge
1163 ontaigne. (Je ne nie pas un instant son lyrisme.) Et c’est ainsi qu’il réussit à remplacer le tragique par la perplexité.
1164 eut éclairer son attitude envers le christianisme et son mystère. Peu d’instinct religieux chez cet homme, alors que le ch
1165 z cet homme, alors que le christianisme, l’Église et l’Évangile, furent ses constants sujets d’irritation, de nostalgie ou
1166 sa formation chrétienne ; ses lectures prolongées et sans cesse renouvelées de l’Écriture ; son amour pour le style bibliq
1167 ue chez les jeunes bourgeois entre tabous sexuels et spiritualité, d’où sa polémique inlassable contre l’orthodoxie telle
1168 sable contre l’orthodoxie telle qu’il l’imaginait et dans laquelle il voyait (par erreur) la sanction d’une certaine éthiq
1169 é, c’est l’éthique, non le religieux ; la justice et non le salut ; ce que l’on vit et comment on juge, non la connaissanc
1170 ux ; la justice et non le salut ; ce que l’on vit et comment on juge, non la connaissance pure, ni le mystère. Réduisait-i
1171 ôt que la morale était le lieu de son vrai drame, et qu’il ne pouvait approcher la religion que dans ce drame. Ainsi, deve
1172  » qui mesure parfois la distance entre l’éthique et la mystique, mais qui souvent n’est qu’un concept bâtard, engendré pa
1173 ns, nous ont montré pareil amour pour l’Évangile, et cela jusque dans les années où il doutait de l’existence de Dieu. Mai
1174 ce de Dieu. Mais il croyait à l’homme individuel, et cette croyance est née de la synthèse du christianisme. Elle n’existe
1175 du christianisme. Elle n’existe pas hors de lui, et n’est pas explicable sans lui. (Je ne dis pas qu’elle soit chrétienne
1176 ndividualiste. Savons-nous encore mesurer le sens et la portée de cette banalité, en vérité bizarre et unique dans l’Histo
1177 et la portée de cette banalité, en vérité bizarre et unique dans l’Histoire, une civilisation sur vingt et une connues l’a
1178 nique dans l’Histoire, une civilisation sur vingt et une connues l’ayant rendue possible et acceptable. « Hérétique entre
1179 sur vingt et une connues l’ayant rendue possible et acceptable. « Hérétique entre les hérétiques », toujours soucieux de
1180 ons traditionnelles, au sens du mythe, des astres et de l’ordre cosmique, ou bien encore au sens de lois fatales et collec
1181 cosmique, ou bien encore au sens de lois fatales et collectives interprétées par un Parti. C’est pourquoi le problème rel
1182 ligieux, tel qu’il se pose au monde christianisé, et à lui seul, libéré de l’empire des mythes, n’a cessé d’occuper sa pen
1183 empire des mythes, n’a cessé d’occuper sa pensée. Et j’ignore si c’est mal ou bien : je constate simplement le phénomène.
1184 nce de foi pour une preuve de courage. Des vertus et des vices, dans un milieu donné, tout le monde reste en droit de juge
1185 t personnel n’ont rien à voir avec la bienséance, et ne sont pas de l’ordre des mérites. Et c’est pourquoi il est écrit :
1186 ienséance, et ne sont pas de l’ordre des mérites. Et c’est pourquoi il est écrit : « Ne jugez pas ! » J’avoue que je compr
1187 la croyance ou non d’un homme connu, multipliées et prolongées après sa mort, dans notre siècle. Elles ne sont ni chrétie
1188 laissant aux incroyants le droit de mieux savoir. Et qu’est-ce que cela peut bien nous faire ? Sinon nous servir d’argumen
1189 ut bien nous faire ? Sinon nous servir d’argument et nous rassurer curieusement dans notre foi ou dans notre incroyance, —
1190  parce qu’un de plus vient renforcer notre parti, et qu’il n’est pas le premier venu. C’est usurper la place du Juge, ou m
1191 C’est usurper la place du Juge, ou mêler vanités et salut. Si Gide a refusé totalement quelque chose, c’est justement le
1192 qui est l’esprit de parti logiquement développé. Et d’abord dans la religion. Le vrai croyant demain, ne sera-t-il pas ce
1193 ai doute, plus qu’il n’est de lumière sans ombre. Et je n’entends pas dire que Gide fut un croyant, mais il reste un doute
43 1957, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). La découverte du temps ou l’aventure occidentale (mars 1957)
1194 lle créé les sciences physiques, conçu l’Histoire et découvert la Terre ? D’autres cultures et civilisations ont trouvé mi
1195 istoire et découvert la Terre ? D’autres cultures et civilisations ont trouvé mieux peut-être, mais pas cela. Est-il possi
1196 ues de l’Occident (le concept de personne humaine et le développement de la technique, par exemple) une origine ou une vis
1197 u xixe siècle. L’Europe est une longue aventure, et l’esprit d’aventure y paraît plus sensible que l’objet de la quête n’
1198 me de l’Incarnation, formulé au concile de Nicée, et vous ôtez la condition des sciences physiques et naturelles, qui est
1199 et vous ôtez la condition des sciences physiques et naturelles, qui est la reconnaissance du corps, de la matière, et de
1200 ui est la reconnaissance du corps, de la matière, et de la forme du monde en tant que réalités. (L’Orient les tient pour i
1201 onne, déduite des grandes définitions trinitaires et christologiques, vous avez quelque chose comme l’Inde et non l’Europe
1202 stologiques, vous avez quelque chose comme l’Inde et non l’Europe. De cette recherche d’un principe de cohérence révélé p
1203 urs d’Oxford tenaient pour le 23 mars, même heure et même année. Buffon écrit un peu plus tard : « Depuis la fin des ouvra
1204 que Schelling suit encore en plein xixe siècle, et que les catéchismes ne cesseront d’enseigner à des générations dont n
1205 nnées solaires. Or la vie d’un Brahma est de cent et huit « années », dont chaque jour et chaque nuit représentent un Kalp
1206 est de cent et huit « années », dont chaque jour et chaque nuit représentent un Kalpa. Après deux-cent-quarante-neuf-mill
1207 , puis un autre Brahma inaugure une ère nouvelle, et ainsi de suite à l’infini. Quant au temps de notre humanité : chaque
1208 uatre-millions-trois-cent-vingt-mille ans chacun, et chaque éon se subdivise en quatre âges de durées décroissantes. Nous
1209 à minuit précise, le 18 février 3102 avant J.-C., et doit se terminer dans 426 941 ans par la destruction du monde et sa r
1210 iner dans 426 941 ans par la destruction du monde et sa reconstruction, qui sera l’œuvre de Kalki, dernier avatar de Vishn
1211 , attribués par les grandes religions de l’Orient et de l’Occident au temps cosmique comme au temps des humains, plaçons m
1212 de l’Histoire est caractéristique de l’Occident, et il y tourne même à l’obsession si l’on en juge par notre siècle, tand
1213 ture occidentale se doit d’affronter ce contraste et d’essayer de l’interpréter. Et, en particulier, toute théorie de l’Hi
1214 onter ce contraste et d’essayer de l’interpréter. Et , en particulier, toute théorie de l’Histoire qui négligerait d’en ren
1215 de ce chapitre. 2. Co-naissance de l’Histoire et de la Personne Un fait quelconque n’est historique au sens exact q
1216 e sans fin. Combien d’individus sont-ils donc nés et morts depuis qu’il y a des hommes sur cette planète ? Si un démograph
1217 sens de la personne ? Presque toutes les cultures et civilisations que nous avons exhumées du passé de la Terre ou qui sur
1218 notre siècle ont enseigné des théories du temps, et presque toutes décrivent un temps cyclique. Elles croient aussi à la
1219 s croient aussi à la métempsycose, à l’astrologie et aux castes. Tout cela se tient et se relie, tout cela est « religion 
1220 à l’astrologie et aux castes. Tout cela se tient et se relie, tout cela est « religion » au sens premier du terme56 — et
1221 ela est « religion » au sens premier du terme56 — et ne laisse aucune place à l’Histoire, ni davantage à la personne. Seul
1222 ps, mais d’une intention personnelle, inscrutable et pourtant manifestée par une suite d’événements révélateurs. L’incarna
1223 complir cette vocation unique du peuple d’Israël. Et , certes, l’Évangile ignore absolument toute espèce de doctrine de l’H
1224 nt découvert le temps irréversible de l’Histoire, et qu’ils ont osé l’accepter. La prédication paulinienne, avec son insis
1225 ur l’unicité absolue de l’Incarnation salvatrice, et cet « une fois pour toutes » qui sert de leitmotiv à l’Épître « aux H
1226 emps de l’attente active, de l’espérance patiente et de la foi dans un retour unique du Christ glorieux. Et, dans ce temps
1227 la foi dans un retour unique du Christ glorieux. Et , dans ce temps nouveau, le rôle de chaque personne devient unique et
1228 ouveau, le rôle de chaque personne devient unique et décisif, comme l’était sous l’Ancienne Alliance le rôle collectif d’I
1229 gue de Personne à personne entre Dieu qui appelle et l’âme qui répond libère celle-ci des décrets uniformes de la morale e
1230 ibère celle-ci des décrets uniformes de la morale et de la tradition sacrée, comme aussi des caprices du hasard insensé, c
1231 u hasard insensé, comme enfin de la roue du karma et du vertige de la métempsycose, qui réduisaient toute vie dans le temp
1232 mpsycose, qui réduisaient toute vie dans le temps et la chair à l’insignifiance anonyme d’un passage éphémère dans l’Illus
1233 e de la même rupture des grands rythmes cosmiques et des fatalités astrologiques, et de la même victoire sur les étoiles e
1234 rythmes cosmiques et des fatalités astrologiques, et de la même victoire sur les étoiles et sur la mort, qui libère et sus
1235 ologiques, et de la même victoire sur les étoiles et sur la mort, qui libère et suscite la personne. Ce n’est pas un hasar
1236 ctoire sur les étoiles et sur la mort, qui libère et suscite la personne. Ce n’est pas un hasard si le premier auteur d’un
1237 alors le courage exceptionnel d’accepter le temps et l’Histoire. Si toutes les religions traditionnelles ont développé des
1238 nelles ont développé des mythes du temps cyclique et de l’éternel retour, c’est parce que l’homme a peur du temps. Voilà l
1239 — Eden, âge d’or, enfance — vécus ou imaginaires. Et il est lié à la menace toujours instante des catastrophes imprévisibl
1240 toujours instante des catastrophes imprévisibles et arbitraires, des désastres privés et publics et de leur injustice d’a
1241 mprévisibles et arbitraires, des désastres privés et publics et de leur injustice d’autant plus scandaleuse qu’elle appara
1242 s et arbitraires, des désastres privés et publics et de leur injustice d’autant plus scandaleuse qu’elle apparaît « sans p
1243 e apparaît « sans précédent », vraiment nouvelle, et donc dénuée de sens. Contre le malheur et son absurdité, l’homme n’a
1244 uvelle, et donc dénuée de sens. Contre le malheur et son absurdité, l’homme n’a d’autre recours que d’attribuer un sens à
1245 s l’avoir « mérité ». Au scandale des souffrances et de la mort, il ne répondra point par une révolte vaine, pure démence
1246 transformant le réel insensé en un poème de morts et de résurrections dominées par des rythmes et par des archétypes qui s
1247 orts et de résurrections dominées par des rythmes et par des archétypes qui s’accordent à ceux de l’âme. Ainsi le rêve uni
1248 l’âme. Ainsi le rêve universel du temps cyclique et du retour sans fin de toutes les situations dévalorise le temps vécu
1249 solu, la nouveauté totale, proprement impensable. Et c’est bien dans ces termes que saint Paul la présente. Que Dieu se so
1250 e par la chair (étant au monde mais non du monde) et qu’un terme est promis à l’Histoire, encore que nul n’en sache « le j
1251 as la preuve d’une existence qui échappe au temps et à la mort. « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine e
1252 Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine et vous êtes encore dans vos péchés. » Mais cette preuve n’est valable q
1253 te preuve n’est valable que pour la foi parfaite, et ce recours au Transcendant, non plus au Mythe, contre la dictature du
1254 rit Kierkegaard. Or la foi n’est jamais parfaite, et dans l’homme converti persiste « le vieil homme ». Son mouvement natu
1255 me ». Son mouvement naturel sera donc de chercher et d’inventer contre le temps d’autres défenses. Il essaiera d’abord de
1256 s. Plus tard, au Moyen Âge, la théorie des cycles et des rythmes cosmiques de l’Histoire sera reprise — contre l’esprit de
1257 bert le Grand, Thomas d’Aquin, Dante, Roger Bacon et tous les astrologues, qui vont devenir avec Kepler les astronomes. La
1258 r les astronomes. La conception linéaire du temps et du progrès continu de l’Histoire n’est guère soutenue que par un Joac
1259 es paysannes, l’idée d’une évolution imprévisible et progressive est généralement éliminée par des représentations archéty
1260 nt éliminée par des représentations archétypiques et mythiques du cours des choses humaines ressenti comme semblable à cel
1261 lui des saisons, de la végétation ou des étoiles. Et peut-être faut-il rattacher à cette même tendance naturelle la propen
1262 e à substituer la tradition, l’allégorie mystique et la légende aux faits dont seules les Écritures, fort peu lues en ce t
1263 trouver les moyens de l’accepter progressivement et d’y adapter ses conceptions. Pour les premiers chrétiens, ce qui rend
1264 end supportable l’idée d’un temps vidé de rythmes et de mythes, c’est la croyance à la Fin imminente : encore « un peu de
1265 e à la Fin imminente : encore « un peu de temps » et le Christ reviendra. Mais Rome s’écroule, l’Église s’installe, et les
1266 iendra. Mais Rome s’écroule, l’Église s’installe, et les Barbares se convertissent. Il va falloir trouver les moyens de pe
1267 ualisme à peine voilé : il y a l’Histoire de Dieu et celle des hommes, et si la première intervient dans la seconde par de
1268  : il y a l’Histoire de Dieu et celle des hommes, et si la première intervient dans la seconde par des actes libres, elle
1269 s dans celui des normes. C’est une vision réduite et limitée de l’Histoire qui lui permet de rendre un rythme à sa durée.
1270 ra symbolique jusqu’aux abords de la Renaissance. Et dès lors elle ira se précisant, mais dans le même cadre indiscuté (d’
1271 ant l’intermède médiéval, l’état civil des hommes et des actions humaines n’a cessé de se préciser, tandis que la Fin et l
1272 aines n’a cessé de se préciser, tandis que la Fin et le Commencement des temps ne cessaient de s’éloigner dans le vague de
1273 er, « car nous ne savons ni le jour ni l’heure ». Et c’est pourquoi le progrès de la vision historique, loin de sécularise
1274 provoque une crise profonde de la relation intime et proprement congénitale entre l’Histoire et la personne humaine. Ceci
1275 intime et proprement congénitale entre l’Histoire et la personne humaine. Ceci pose un problème encore neuf. 4. Être ou
1276 six-mille ans, mais probablement six-cent-mille. Et que la Terre, avec ses quelque trois ou quatre milliards d’années, au
1277 ants nous parlent déjà d’un mouvement de diastole et de systole de l’Univers, qui se répéterait à l’infini : nous serions
1278 es collectivités, des civilisations, des périodes et des ères, grandit d’autant qu’à cette échelle multipliée, elles demeu
1279 helle multipliée, elles demeurent seules visibles et concevables. L’individu, en revanche, disparaît et s’annule. La même
1280 t concevables. L’individu, en revanche, disparaît et s’annule. La même raison veut que les « lois de l’Histoire », nécessa
1281 embles étendus, négligent l’action de la personne et nous inclinent à douter de sa réalité. Le « réel historique », ainsi
1282 l’homme concret que Brahma d’un paria sans voie. Et l’Histoire, dans l’esprit de nos contemporains, prend la place de la
1283 déjà d’une Histoire « maîtresse de la vie humaine et de la politique ». Il s’agit de préparer le Dauphin, son élève, à sa
1284 che de roi. Cette Histoire pourvoyeuse d’exemples et de leçons n’a d’autre autorité que celle d’un précepteur. Ses « lois 
1285 « lois » ne sont encore que celles de la morale, et sa réalité celle d’un discours. Mais l’Histoire aujourd’hui n’est plu
1286 ù ce qu’il y a de plus réel, c’est le cours même. Et comme ce mouvement pur « doit » être dépourvu d’origine et de but con
1287 ce mouvement pur « doit » être dépourvu d’origine et de but connaissable, on ne peut savoir son sens, mais seulement l’épo
1288 e peut savoir son sens, mais seulement l’épouser, et l’on ne peut le penser qu’en s’y abandonnant. Ce qui se place dans le
1289 ns est « mystification » aux yeux des théoriciens et polémistes, « sabotage » aux yeux des pouvoirs. En présence d’une doc
1290 chose : non de mémoire mais d’attitude actuelle, et non d’une discipline de l’intellect mais bien d’une conception de l’E
1291 sistible entraînant à la fois ceux qui lui cèdent et ceux qui lui résistent — peut-on la distinguer encore du temps lui-mê
1292 de le penser qui le ferme à toute transcendance, et qui du même coup nous enferme et nous interdit tout recours ? « Au mo
1293 e transcendance, et qui du même coup nous enferme et nous interdit tout recours ? « Au monde comme n’étant pas du monde »,
1294 ne se fonde dans ce qui juge le temps, le détruit et le renouvelle. Et, si l’on rêve un monde coupé du transcendant, on év
1295 e qui juge le temps, le détruit et le renouvelle. Et , si l’on rêve un monde coupé du transcendant, on évacue du même mouve
1296 ette Histoire, se découvre impuissant devant elle et en elle : rien n’est plus répandu que ce sentiment anxieux dans l’int
1297 l’intelligentsia comme dans les masses modernes, et c’est sur lui que les dictatures totalitaires fondent leur pouvoir. L
1298 u contraire, le « sens » appartient à l’Histoire, et l’Histoire au César du moment, la police politique du César détient s
1299 Cette description rapide d’une attitude nouvelle et d’un état de conscience profondément typique de l’Occident au xxe si
1300 ire nous conduit au fatalisme. Comment l’Histoire et la personne ont-elles pu devenir exclusives l’une de l’autre, alors q
1301 evenir tout-puissant soit le développement normal et la suite obligée de l’attitude chrétienne devant le temps ? Notre épo
1302 rand public : Toynbee est best-seller, les revues et la presse nous parlent de Sumer, du paléolithique, des Mayas ou du va
1303 émoires font fureur, les biographies s’arrachent, et beaucoup n’attendent pas la cinquantaine pour se mettre au passé dans
1304 acceptation d’un temps radicalement imprévisible. Et sa fin seule était certaine et serait bonne. Mais encore fallait-il c
1305 ment imprévisible. Et sa fin seule était certaine et serait bonne. Mais encore fallait-il croire à l’Apocalypse. D’ici là,
1306 e résiste par un retour aux conceptions cycliques et par une nette limitation des dimensions du passé et de l’avenir : cet
1307 par une nette limitation des dimensions du passé et de l’avenir : cette espèce de congélation du temps a pour effet d’éli
1308 effet d’éliminer le devenir. Mais la Renaissance et les siècles suivants découvrent l’infini et le réintroduisent dans l’
1309 sance et les siècles suivants découvrent l’infini et le réintroduisent dans l’imagination et la spéculation, puis dans le
1310 l’infini et le réintroduisent dans l’imagination et la spéculation, puis dans le calcul mathématique. On ne peut plus lim
1311 ue. On ne peut plus limiter l’espace ni le temps, et , lorsque au xxe siècle ils se dilatent soudain au-delà de tout ce qu
1312 se figurer, l’idée d’évolution balaie nos repères et nous emporte sans espoir à l’aventure. Devant le risque béant, soudai
1313 ère dont il décide d’identifier au devenir l’être et la vérité elle-même. Solution masochiste, pour un Occidental. L’indiv
1314 s-lumière, dans cette durée qui va vers l’infini, et dans une société où la technique, les « lois économiques », la puissa
1315 mouvements de masse, etc., échappent à ses prises et l’enserrent — « il ne se retrouve plus » et démissionne. Que l’Histoi
1316 rises et l’enserrent — « il ne se retrouve plus » et démissionne. Que l’Histoire décide à ma place, de toute façon je n’y
1317 ne suis plus responsable, mais c’est l’Évolution, et je n’ai plus d’autre choix que de m’en dire l’agent. Cet abandon de l
1318 t qu’un fléchissement réel du sens de la personne et de la liberté. Ce n’est pas qu’on n’aime plus être soi librement, ni
1319 tres, qui cimente l’édifice de l’Usine soviétique et donne la preuve démente de la réalité des utopies au nom desquelles o
1320 de désespérer auxquelles je tiens contre le monde et contre Dieu — la négation de moi-même et du sens de ma vie. Anticiper
1321 le monde et contre Dieu — la négation de moi-même et du sens de ma vie. Anticiper l’avenir, c’est le dernier refus de l’av
1322 es : ce sont les mêmes, mais ils s’en félicitent. Et les unes comme les autres, redoutées ou voulues, ne se confondent pas
1323 d’un avenir donné pour fatal, mais dans une seule et même démission de la personne, qui désespère de ses pouvoirs d’innova
1324 sonne, qui désespère de ses pouvoirs d’innovation et de toute espèce de recours au transcendant libérateur. Engendrer l’ut
1325 emiers chrétiens, mais elle en reste tributaire — et c’est pourquoi l’Orient ne produit pas d’utopies. Concevoir une utopi
1326 nt ne produit pas d’utopies. Concevoir une utopie et agir d’après elle, massacrer pour hâter sa venue bienfaisante, c’est
1327 e l’Histoire ? Ou, surmontant le vertige cosmique et temporel où l’a plongé sa science par une mutation brusque, saura-t-i
1328 ite si j’essayais d’anticiper sur nos lendemains, et ceux-ci ne seront point marqués par nos hypothèses même exactes, mais
1329 fication aux surprises du temps qui vient à nous. Et ces options n’agiront point par la violence de prises de position cal
1330 William Jones : la Société asiatique du Bengale. Et ce n’est guère que depuis la fin du xixe siècle qu’une science histo
1331 vaincre, on s’empresse d’en appeler à la coutume, et l’on prétend « renouveler la tradition ». Il suffit qu’une charte, un
1332 , que le succès temporel prenne la place du salut et qu’il tienne lieu de but suprême. Succès individuel ou collectif d’ai
44 1961, La Nouvelle Revue française, articles (1931–1961). La personne, l’ange et l’absolu, ou le dialogue Occident-Orient (avril 1961)
1333 La personne, l’ange et l’absolu, ou le dialogue Occident-Orient (avril 1961)av Un dialo
1334 s problèmes qui lui sont imposés par la technique et par l’hygiène occidentales, et cherche à les résoudre à l’aide d’un s
1335 s par la technique et par l’hygiène occidentales, et cherche à les résoudre à l’aide d’un socialisme qui ne doit rien à Sh
1336 ident découvre Zoroastre à la suite de Nietzsche, et publie les grands textes des mystiques soufis, mais l’Iran et l’Arabi
1337 s grands textes des mystiques soufis, mais l’Iran et l’Arabie sont en pleine crise d’adaptation à l’habitus capitaliste. L
1338 tion à l’habitus capitaliste. L’Occident découvre et publie le Hi-King, tandis que la Chine s’industrialise, s’impose notr
1339 la Chine s’industrialise, s’impose notre marxisme et oblitère son mandarinat. Enfin, l’Occident n’a pas plus tôt découvert
1340 te dans le nationalisme, les jeux parlementaires, et l’exploitation par elle-même de ses ressources matérielles. Ce que no
1341 nos formes sociales, nos procédés de gouvernement et nos techniques, mais non pas les tensions spirituelles qui en étaient
1342 ait pour nous résultantes d’innombrables poussées et résistances, malaisément équilibrées mais lentement accoutumées, devi
1343 peuvent, dans une telle situation, intellectuels et spirituels ? Presque rien, sinon dire l’essentiel, qui n’agira guère
1344 feront demain. L’essentiel du dialogue nécessaire et désormais inévitable, pour si mal engagé qu’il soit, porte sur l’homm
1345 pour si mal engagé qu’il soit, porte sur l’homme et sa définition. S’il est vrai que l’Orient nie le moi, qui est une val
1346 e vrai ? Quel est le moi qui s’affirme d’une part et quel est le moi qu’on nie de l’autre ? Est-ce bien le même ? La Pe
1347 carnation, personnes divines à la fois distinctes et reliées. D’où la définition de la personne humaine ou du vrai moi, re
1348 on de la personne humaine ou du vrai moi, reprise et précisée par toutes les grandes époques de la théologie et de la phil
1349 ée par toutes les grandes époques de la théologie et de la philosophie, et toujours opposée à l’homme naturel, animal plus
1350 des époques de la théologie et de la philosophie, et toujours opposée à l’homme naturel, animal plus ou moins raisonnable
1351 l’homme naturel, animal plus ou moins raisonnable et simple exemplaire de l’espèce. Pour saint Paul, le vrai moi est l’hom
1352 ar un Dieu personnel, donc créé par une vocation, et il ne tombe pas sous le sens comme le « vieil homme », puisque sa vie
1353 e sa vie « nouvelle » est à la fois dans le monde et hors du monde, à la fois manifestée par son amour (Agapè) et « cachée
1354 monde, à la fois manifestée par son amour (Agapè) et « cachée avec le Christ en Dieu ». (Colossiens, 3, 3.) Dès les Pères
1355 n Dieu ». (Colossiens, 3, 3.) Dès les Pères grecs et le latin Boèce, à travers Jean Scot Érigène, jusqu’à Richard de Saint
1356 e thomisme, on peut suivre l’évolution du concept et du terme de personne, forgé par la doctrine trinitaire ; il s’appliqu
1357 lectuelle, dont « la nature n’est que de penser » et qui reste entièrement distincte du corps. Avec Kant, le vrai moi, nou
1358 e vrai moi, nouménal, s’oppose au moi phénoménal, et reprend le nom de personne. Chez Renouvier, la personne apparaît comm
1359 individu, simple objet du déterminisme universel. Et quant à la science d’aujourd’hui, dont on a pu penser « qu’elle n’abo
1360 biologique (l’hérédité, l’équilibre endocrinien), et nous le montre d’autant plus distinct, dans sa fonction centrale, tot
1361 recherches psychologiques du xxe siècle nomment et dénoncent les forces qui tendent à le dissocier, les névroses qui l’a
1362 er, les névroses qui l’assiègent de toutes parts, et retrouvent par le détour de leurs descriptions « objectives » l’oppos
1363 « deux hommes en moi » : le naturel tyrannisant ( et tyrannisé par la Loi) et le spirituel libérateur. S’il est vrai que l
1364 le naturel tyrannisant (et tyrannisé par la Loi) et le spirituel libérateur. S’il est vrai que le langage courant confond
1365 nt confond sans l’ombre d’un scrupule la personne et tout ce qu’elle n’est pas — l’individu, la persona, la « forte indivi
1366 té », l’âme sensitive, l’intellect, l’élémentaire et souvent si trompeuse conscience de soi — reste que la croyance au moi
1367 ce de soi — reste que la croyance au moi distinct et le recours à la « valeur absolue de la personne » sont à peu près uni
1368 tant de notions considérées comme allant de soi — et tant de réalités « bien vues » à l’Ouest, mais que l’Est se devait d’
1369 , le record, la gloire personnelle, la biographie et le portrait, la prière pour un tel vivant ou pour les morts… Comme l’
1370 ité, la dénonciation de l’on par nos philosophes, et les diatribes marxistes contre l’aliénation. Et comme l’atteste enfin
1371 , et les diatribes marxistes contre l’aliénation. Et comme l’atteste enfin notre notion de l’amour, — à quoi j’entends ven
1372 iée », « revêtue de lumière », d’incorruptibilité et d’immortalité ; dès maintenant donc « ressuscitée avec le Christ », b
1373 répond l’Iran des spirituels, l’Iran du mazdéisme et des mystiques soufis, proche de l’Inde mais enté sur le tronc abraham
1374 amique, d’où sont issus les juifs, les chrétiens, et l’islam. Que serait l’Ange pour nos psychologues ? Une projection du
1375 ers cette âme ou ce groupe d’âmes une sollicitude et tendresse spéciales ; c’est lui qui les initie à la connaissance, les
1376 , les défend, les réconforte, les fait triompher, et c’est cet être qu’ils appelaient Nature parfaite. » C’est le vrai moi
1377 ue, le Nom divin, investi en lui.61 » Ainsi donc, et selon les admirables commentaires qu’Henry Corbin nous donne de la my
1378 chée en Dieu selon le christianisme, mais encore, et d’une manière plus précise dans l’homologie, ces entités célestes, fé
1379 choisi de combattre pour venir en aide à Ohrmazd) et qui sont à la fois les archétypes célestes des êtres et leurs anges t
1380 sont à la fois les archétypes célestes des êtres et leurs anges tutélaires. Il y a plus : selon le mazdéisme « chaque ent
1381 umineux a lui-même la sienne63. La Terre physique et tous les êtres qui l’habitent apparaissent ainsi comme la contreparti
1382 de la Lumière-de-Gloire restituant toutes choses et tous les êtres dans leur pureté paradisiaque, « dans un décor de mont
1383 céleste, jeune femme d’une beauté resplendissante et qui lui dit : — Je suis toi-même ! Mais si l’homme sur la Terre a mal
1384 de la Fravarti, c’est une apparition monstrueuse et défigurée qui reflète son état déchu. La « rencontre aurorale » avec
1385 s âmes. Le mazdéisme, comme plus tard les soufis, et comme le christianisme véritable, ne demande pas d’abord ce qu’est l’
1386 ait donc malentendu fondamental entre les peuples et leurs sages, entre la religion des uns et la métaphysique des autres 
1387 peuples et leurs sages, entre la religion des uns et la métaphysique des autres ? En fait, on ne voit pas les Sages de l’A
1388 e vrai malentendu se serait-il instauré entre eux et nous ? Entre cela qu’ils pensent que nous croyons lorsque nous affirm
1389 nous croyons lorsque nous affirmons le moi réel, et cela que nous pensons qu’ils croient en le niant ? Nous avancerons pe
1390 re l’homme naturel, exemplaire animal transitoire et « aveugle », enveloppe obscurcissante d’une âme divine. Ainsi parlent
1391 ne âme divine. Ainsi parlent tous les upanishads, et les premiers écrits canoniques du bouddhisme : il faut éteindre le dé
1392 ir individuel, cause de l’erreur, des souffrances et de la mort, dissiper cet écran de matière entre l’âme et la Réalité.
1393 a mort, dissiper cet écran de matière entre l’âme et la Réalité. On peut penser qu’il s’agit bien ici de la même « mort au
1394 qu’il s’agit bien ici de la même « mort au monde et à soi-même » que le Christ exige de ses disciples, et qui est la cond
1395 soi-même » que le Christ exige de ses disciples, et qui est la condition de leur accession à leur vrai moi spirituel, cel
1396 citer en corps glorieux. Védantistes, vishnouites et shivaïtes, en Inde, admettent une âme individuelle mais « obscurcie »
1397 me ? Un ensemble transitoire d’agrégats matériels et de formations mentales en proie au désir égoïste, qui naît de l’ignor
1398 n proie au désir égoïste, qui naît de l’ignorance et qui entraîne fatalement les attachements à l’illusoire ; d’où l’actio
1399 l’illusoire ; d’où l’action, le devenir, la mort, et la roue des retours sans fin. « Inconnaissable est le commencement de
1400 ommencement des êtres enveloppés par l’ignorance, et que le désir conduit à de criminelles renaissances.65 » Le but est do
1401 sme tibétain66. À l’autre extrémité géographique ( et parfois spirituelle) du continent, un interprète du zen fait écho : «
1402 ces du vrai moi, qui est notre répondant céleste. Et faut-il qu’il existe et qu’il soit fort, ce moi qu’on répute illusoir
1403 notre répondant céleste. Et faut-il qu’il existe et qu’il soit fort, ce moi qu’on répute illusoire, pour qu’un des buts m
1404 nt les advaïtins : c’est Brahma ou ce n’est rien. Et tu n’es rien. Et de leur côté les bouddhistes (mais le tao chinois et
1405 : c’est Brahma ou ce n’est rien. Et tu n’es rien. Et de leur côté les bouddhistes (mais le tao chinois et le shinto nippon
1406 de leur côté les bouddhistes (mais le tao chinois et le shinto nippon disent à peu près les mêmes phrases) : « Nagasena, e
1407 olu du Soi : le grand sommeil, lentement atteint, et qu’on peut appeler l’enstase. Et les mystiques chrétiens cherchent l’
1408 ntement atteint, et qu’on peut appeler l’enstase. Et les mystiques chrétiens cherchent l’extase. Quant aux bouddhistes zen
1409 n, on dirait qu’ils s’en tiennent à la stase pure et simple : faire face au fait, signe du Tout, et donc du Vide. Leur sat
1410 re et simple : faire face au fait, signe du Tout, et donc du Vide. Leur satori est le contraire du samadhi : c’est un évei
1411 la vision-en-soi, du Cela qui n’est pas personnel et se joue à travers notre moi. Ainsi tout l’Orient des doctrines, — et
1412 s notre moi. Ainsi tout l’Orient des doctrines, —  et en même temps l’Orient des peuples et sa croyance en la transmigratio
1413 octrines, — et en même temps l’Orient des peuples et sa croyance en la transmigration… Mais voici le moment d’ajuster la v
1414 absolue négation, pour dire qu’il faut se méfier, et immortalité pour dire longévité. Notre hygiène, augmentant de cinquan
1415 vie, serait alors une « recette d’immortalité ». Et même la seule qui ait réussi. Apprenons donc à lire dans leur optique
1416 ersonne. Parfois, j’arrache en même temps l’objet et la personne. Parfois, je n’arrache ni l’objet ni la personne. Le mêm
1417 onne. Le même commente : « Supprimer la personne et sauver l’objet signifie éliminer le questionneur, non sa question. Et
1418 gnifie éliminer le questionneur, non sa question. Et les trois autres distinctions s’expliquent de la même manière. » Puis
1419 hristianisme — à partir d’un certain bouddhisme — et certainement le mazdéisme et les soufis : il s’agit d’une seule quête
1420 certain bouddhisme — et certainement le mazdéisme et les soufis : il s’agit d’une seule quête de l’esprit, dont le Graal,
1421 onnue peut être vérifiée par l’expérience intime, et promet au dialogue des spirituels un élargissement de la conscience q
1422 sfonctionnelles » qui menacent l’intégrité du moi et qui nient ou détruisent la personne… Mais l’Oriental sourit et nous l
1423 ou détruisent la personne… Mais l’Oriental sourit et nous laisse « nos » problèmes. Trois écoles de l’amour Si l’amo
1424 ui configure l’idée du moi que nous nous faisons, et cette idée du moi révèle l’amour, comme la structure de l’atome tradu
1425 ais », dit Swedenborg dans La Nouvelle Jérusalem. Et dans De Coelo, il ajoute : « Le corps de chaque esprit et de chaque a
1426 De Coelo, il ajoute : « Le corps de chaque esprit et de chaque ange est la forme de son amour.73 » Les trois notions de l’
1427 comme autant d’effets de son action configurante et composante. Et nous les voyons différer d’une manière subtile mais pr
1428 ’effets de son action configurante et composante. Et nous les voyons différer d’une manière subtile mais précise par la fo
1429 rapports qu’elles imaginent entre le moi naturel et le vrai moi, c’est-à-dire selon les langages, entre les phénomènes et
1430 t-à-dire selon les langages, entre les phénomènes et le noumène, l’individu et la personne, l’âme et l’ange, l’ego et le S
1431 s, entre les phénomènes et le noumène, l’individu et la personne, l’âme et l’ange, l’ego et le Soi. Observons que les troi
1432 s et le noumène, l’individu et la personne, l’âme et l’ange, l’ego et le Soi. Observons que les trois partent d’une dualit
1433 l’individu et la personne, l’âme et l’ange, l’ego et le Soi. Observons que les trois partent d’une dualité sans laquelle n
1434 trop facilement nommé manichéen, opposant le Bien et le Mal comme deux principes préexistants ; ni tout à fait des « deux
1435 larité, d’une tension permanente entre l’individu et le « vrai moi ». (L’individu n’est pas le mal en soi : il ne devient
1436 eferme sur soi, c’est-à-dire se refuse à l’amour. Et de même le « vrai moi » n’est pas le bien en soi, car il peut devenir
1437 r, il faut être deux, dit la sagesse des nations. Et cela vaut d’abord pour l’amour de soi-même, sans lequel point d’amour
1438 ’égoïsme, qui est l’impérialisme de l’ego naturel et sa fermeture autarcique. Mais les motifs de cette condamnation ne son
1439 ur de soi est le rapport positif entre l’individu et le vrai moi. Le second commandement qui résume toute la Loi et les Pr
1440 i. Le second commandement qui résume toute la Loi et les Prophètes : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », suppose é
1441 ’amour s’instaure d’une manière telle que s’aimer et aimer le prochain soit un même acte : sinon le comme n’aurait pas son
1442 naturel s’ouvre à l’action du vrai moi spirituel et se laisse transformer, réorienter par lui. C’est le vrai moi qui aime
1443 ularité, sa vocation, même virtuelle, la soutenir et l’aider à naître. Ainsi l’amour dans sa réalité totale, intégrant l’a
1444 onnaissance détachée mais le sacrifice personnel, et si le sacrifice diffère du suicide — la nature de l’amour véritable l
1445 à soi-même » transfigurante. Ce modèle de l’amour et du vrai moi instaure le normal, le sublime, et la problématique de l’
1446 ur et du vrai moi instaure le normal, le sublime, et la problématique de l’Occident chrétien. Il conditionne aussi les dév
1447 n. Il conditionne aussi les déviations de l’amour et les formes particulières que prennent en Occident certaines tendances
1448  : n’ayant pu l’entraîner avec elle vers son bien et l’animer de son amour, l’âme l’accuse de volonté mauvaise. Mais elle
1449 aise. Mais elle sait bien qu’ils ont partie liée, et qu’elle mourra si elle le tue. Elle se contente alors de le maudire,
1450 e le maudire, de le traiter en « corps de mort », et leurs relations s’empoisonnent. La plupart des névroses dites « sexue
1451 e refus que l’âme oppose au corps, vu comme signe et symbole de la « prison » du moi. Et c’est que l’âme avait rêvé d’une
1452 u comme signe et symbole de la « prison » du moi. Et c’est que l’âme avait rêvé d’une métamorphose angélique, quand l’espr
1453 andait seulement d’ordonner tout le moi terrestre et temporel à la vocation de l’amour. Mais celui qui se hait de cette ma
1454 voir en lui que son semblable — un corps « vil » et une âme qui se veut ange —, non le vrai moi dans son autonomie. Si le
1455 i-même, car nous serons les victimes de sa colère et de sa vengeance. Ayons donc soin de l’induire à l’amour de lui-même.7
1456 kegaard. Tout amour véritable procède du vrai moi et se dirige vers le vrai moi de l’autre. Mais il peut arriver qu’il s’a
1457 ui est la puissance impersonnelle par excellence, et s’épuise à s’en libérer par le changement de l’excitation, par le déf
1458 e certaines conventions, protégeant chez la brute et l’innocent les premières chances de l’esprit, — ou mettant à l’abri d
1459 tion qui s’inspire du mazdéisme de Zarathoustra ; et nulle ne s’inspira jamais de la mystique des soufis, et pour cause. S
1460 le ne s’inspira jamais de la mystique des soufis, et pour cause. Si je les fais intervenir ici, c’est à titre d’évocation
1461 vocation d’une dimension virtuelle, intemporelle, et donc permanente de l’esprit : le mazdéisme et les soufis ont proposé
1462 le, et donc permanente de l’esprit : le mazdéisme et les soufis ont proposé des notions de l’homme et de l’amour homologue
1463 et les soufis ont proposé des notions de l’homme et de l’amour homologues aux notions chrétiennes, mais comme transposées
1464 la dualité ego-vrai moi y devient celle de l’âme et de son ange. Pour situer dans son vrai climat spirituel le personnali
1465 usicale : « Chaque être connaît le mode de prière et de glorification qui lui est propre. » Toute personne s’origine en Di
1466 en Dieu, qui l’a créée afin d’être connu par elle et de « devenir en elle l’objet de sa propre connaissance.75 » C’est don
1467 out amour peut reconnaître la personne de l’autre et l’aimer « comme soi-même », — comme étant née du même amour qui m’a c
1468 urs : l’amour divin du Créateur pour sa créature, et d’elle pour Lui ; l’amour spirituel « dont le siège est en la créatur
1469 ses désirs sans souci de l’agrément de l’Aimé. «  Et telle est hélas ! dit Ibn Arabi, la manière dont la plupart des gens
1470 ement) avec l’amour spirituel ? Qui aime en nous, et pour qui ? « Ibn Arabi observe que les plus parfaits amants mystiques
1471 ceux qui aiment Dieu simultanément pour lui-même et pour eux-mêmes, parce que cette capacité révèle chez eux l’unificatio
1472 chirements). » Telle est donc la personne unifiée et tel est son amour de soi-même. Quant à l’amour-passion (ici, non roma
1473 que l’amant « imagine » (dont il devine l’Image) et qu’il tend à faire exister dans l’être aimé, par l’efficace de son am
1474 ’on a désigné historiquement comme amour courtois et amour mystique. Car l’amour tend à la transfiguration de la figure ai
1475 u Seigneur, le Seigneur est, dans le sens suprême et au degré le plus éminent, le Prochain ; c’est donc d’après lui que s’
1476 nt identique… C’est l’amour qui fait le prochain, et chacun est le prochain selon la qualité de son amour.80 En dépit de
1477 se) du latin de l’ingénieur-philosophe Swedenborg et la poésie dense de l’Arabe, l’homologie des énoncés est indéniable. S
1478 s à la fois dans le surnaturel (ou monde céleste) et dans le sensible terrestre, la structure des relations entre Dieu, le
1479 a structure des relations entre Dieu, le vrai moi et le prochain, reste exactement comparable, comme le sont les trois for
1480 fait voir combien plus vivement l’unité première et finale de tout amour ! Peut-être aussi nous fera-t-elle entrevoir com
1481 hauer — participe du climat spirituel « iranien » et trouve en lui ses origines archétypales. La passion du héros, que l’o
1482 l’on peut interpréter (dans la légende primitive et l’opéra) comme un amour dédié à sa propre âme81, dont Iseut ne serait
1483 e81, dont Iseut ne serait que l’image sensible, —  et c’est pourquoi j’ai osé dire que Tristan n’aimait pas Iseut — cette p
1484 s angéliques du vrai moi dans le mysticisme soufi et même la « rencontre aurorale » de l’âme et de sa Dâenâ au pont Chinva
1485 soufi et même la « rencontre aurorale » de l’âme et de sa Dâenâ au pont Chinvat ? Et n’est-ce pas pour avoir désiré l’amo
1486 orale » de l’âme et de sa Dâenâ au pont Chinvat ? Et n’est-ce pas pour avoir désiré l’amour de l’Ange que les amants de la
1487 le mode de la transposition du « ciel » en Terre, et de l’Ange en la femme, que l’on pourrait en pressentir l’ultime secre
1488 e orientale La plupart des doctrines hindoues, et l’unanimité des écoles bouddhistes, comme on l’a vu, nient la personn
1489 volent, ne connaissent que l’ego tout transitoire et le Soi tout impersonnel : « Il n’est qu’un Soi pour tous les êtres.82
1490 la, mais qui est l’Immensité, disent les hindous, et qui est le Vide, disent les bouddhistes. Du même coup se trouvent éva
1491 vent évacués les problèmes de l’amour de soi-même et de l’amour de Dieu et du prochain : faute de protagonistes bien réels
1492 èmes de l’amour de soi-même et de l’amour de Dieu et du prochain : faute de protagonistes bien réels, ces problèmes ne sau
1493 sur des milliards d’agrégats éphémères, combinés et défaits selon le cours des astres et le Karma. Il ne peut être, pour
1494 es, combinés et défaits selon le cours des astres et le Karma. Il ne peut être, pour l’esprit, qu’indifférent. (Quoique la
1495 prochain ! ajoutent les spirituels du védantisme et du bouddhisme. S’il est vrai que « la notion de Moi n’a d’accès que d
1496 achement inné ou acquis, pour ses semblables…84 » Et le Bouddha lui-même : « Qui a cent sortes d’amours a cent sortes de d
1497 pas l’amour, — j’entends l’amour de Dieu, de soi et du prochain, l’amour-passion, et même l’amour matrimonial. Mais on me
1498 de Dieu, de soi et du prochain, l’amour-passion, et même l’amour matrimonial. Mais on me dira que l’Asie n’est pas toute
1499 n me dira que l’Asie n’est pas toute spirituelle, et que la vie ne s’en tient pas aux textes. On ajoutera peut-être qu’on
1500 ble des réalités humaines : sociales, économiques et politiques, ou même morales. D’une part (en tant que religions), elle
1501 ), elles expriment ces réalités, elles les fixent et elles les consacrent (par les idoles et les yantras — signes magiques
1502 es fixent et elles les consacrent (par les idoles et les yantras — signes magiques et invariables —, par les rites quotidi
1503 (par les idoles et les yantras — signes magiques et invariables —, par les rites quotidiens omniprésents, par le régime d
1504 quotidiens omniprésents, par le régime des castes et la condamnation de toute curiosité du monde) ; d’autre part, en tant
1505 eligions abrahamiques, au contraire, monothéistes et communautaires, attaquent l’ensemble des relations humaines et prenne
1506 ires, attaquent l’ensemble des relations humaines et prennent à partie, un à un, tout individu tel qu’il est, décidées à l
1507 souffrance du désir est pour un instant apaisée… et l’homme perçoit dans le plaisir sa propre nature essentielle, qui est
1508 ’est pas le plaisir mais le désir qui lie l’homme et qui est un obstacle à son progrès spirituel87 ». Et encore : « Celui
1509 qui est un obstacle à son progrès spirituel87 ». Et encore : « Celui qui cherche l’amour dans l’espoir d’une jouissance e
1510 Dieu, révélée du Ciel » contre les « impudiques » et les « infâmes », contre tous ceux « qui se sont livrés à l’impureté,
1511 s, aux traités des Pères de l’Église sur l’ascèse et sur la chasteté, et nous comprendrons à quel point Kierkegaard voyait
1512 ères de l’Église sur l’ascèse et sur la chasteté, et nous comprendrons à quel point Kierkegaard voyait juste quand il disa
1513 alité au nom de l’esprit, l’a posée comme réalité et catégorie spirituelle. Dans les littératures de l’Asie, on trouvera p
1514 s point — de ce que nous baptisons amour-passion, et l’on sait à quel point cette forme de l’amour est liée à ses expressi
1515 de l’amour est liée à ses expressions. La passion et l’amour mystique, l’érotisme et l’amour du prochain, sont des problèm
1516 sions. La passion et l’amour mystique, l’érotisme et l’amour du prochain, sont des problèmes occidentaux, posés à tous par
1517 és à tous par les rigueurs mal tolérées de dogmes et de doctrines impératives, cependant que les voies de sagesse asiatiqu
1518 s que nos coutumes viennent d’un vieux fond païen et que notre hygiène moderne se veut « scientifique ». À cause de la nat
1519 ntifique ». À cause de la nature du christianisme et de la nature de l’hindouisme ou du bouddhisme, la vie réelle de l’Occ
1520 lle de l’Asie est en symbiose avec ses religions. Et si la symétrie de ces formules inquiète, revenons au quotidien banal,
1521 ours en Orient que dans certains milieux d’Europe et d’Amérique sérieusement éperdus de sagesse asiatique, me paraît appel
1522 deux remarques, à vrai dire d’inégale importance, et qu’on voudrait déconcertantes. 1. Précaution de méthode dialectique.
1523 méthode dialectique. — Au défi de dogmes sublimes et qui prétendent transfigurer la vie concrète, l’Occident répond par de
1524 es mythes symbolisant ses résistances naturelles, et qui font l’intérêt de sa vie amoureuse. Mais l’Orient se contente de
1525 daignent. Pas de drame, encore moins de tragique, et surtout pas de tout ou rien, mais d’innombrables variétés dans l’appr
1526 ’être absente de la Bhagavad-Gita : Sois détaché et accomplis l’action qui est ton devoir, car en accomplissant l’action
1527 harma d’un autre est plein de dangers. (III, 35) Et dans les upanishads : La vie n’a servi de rien à celui qui quitte ce
1528 d-âranyaka Up.) La notion de l’amour du prochain, et l’injonction évangélique d’aimer aussi son ennemi ne sont pas absente
1529 i ne sont pas absentes du bouddhisme car l’ennemi et toi-même ne diffèrent que par les attachements du moi phénoménal, tan
1530 ceux qui me calomnient, me nuisent, me raillent, et tous les autres, obtiennent l’illumination spirituelle », dit Shantid
1531 ent l’illumination spirituelle », dit Shantideva. Et Suzuki, qui enseigna le zen à toutes les Amériques dégoûtées de l’Occ
1532 n à toutes les Amériques dégoûtées de l’Occident, et de plus en plus à l’Europe, va jusqu’à dire que la méthode bouddhiste
1533 rouve d’abord ceci : le sentiment d’une immédiate et vive reconnaissance. Car toute vérité sur l’amour est immédiatement r
1534 si c’était celui que je suis en train d’écrire ? Et qui, précisément, ici, touche à sa fin ?) Je disais que l’amour vrai,
1535 bord en soi-même — le vrai moi, sujet de l’amour, et l’aider à prendre conscience de ce qu’il est ou peut devenir. N’est-c
1536 e l’amour créateur ? Non, ce serait là trop dire, et pas assez. Aimer, c’est aider l’autre à se situer de telle manière qu
1537 i moi de l’amant s’y découvre, autrement éclairé, et par là subtilement changé, un peu plus lui-même qu’avant : amour mutu
1538 e actualisante est Prakriti) finalement dissociée et fondue dans le Soi : « Tu es Cela ». Le drame individuel est noyé dan
1539 us les risques d’erreur sont liés à notre amour ; et plus l’amour est passionné, exigeant, singulier, plus grand le risque
1540 notre ange ? Ce que nous avons cru voir en elle, et que nous déifions peut-être à ses dépens, est-ce notre anima projetée
1541 i à travers elle, si tu as compris l’impermanence et t’exerces aux « vues justes » comme disait le Bouddha, — qui était l’
1542 ôtres, un Indien — si tu vois bien ce que tu vois et portes ton amour à l’immuable seul, toutes ces erreurs que tu craigna
1543 lusoires. Comme le moi. — La vue juste distingue et juge, mais ne peut pas nier le trouble. Dans ce moi peu ou point diff
1544 dablement plus ancien que notre individu naturel, et qui lui survivra dans le cours des siècles, sans surprises et mille f
1545 urvivra dans le cours des siècles, sans surprises et mille fois réincarné — la vue juste imagine — au sens fort — la perso
1546 s visible que vient animer un mouvement singulier et fascinant de l’être… « Aimer ce que jamais on ne verra deux fois ! »
1547 doration dont la femme a besoin pour s’accomplir, et par ce culte que nous lui rendons, nous arrivons à connaître le monde
1548 s lui rendons, nous arrivons à connaître le monde et à l’anéantir en l’absorbant. Mais que nous devenions Shiva, la femme
1549 s que nous devenions Shiva, la femme est dissoute et le monde avec elle. Car le monde ne doit pas être refusé mais dissous
1550 t unique. J’aime en elle à la fois ce que je vois et ce qui fait que je la vois unique : ce vrai moi pressenti par l’amour
1551 unique : ce vrai moi pressenti par l’amour seul, et qui est elle-même. Tu dis le Soi, ce n’est personne. — Il n’y a perso
1552 ne ne peut aimer, sauf l’égoïste. Il y a l’amour, et nous pouvons seulement devenir amour. Et tu sais bien que tu ne dois
1553 l’amour, et nous pouvons seulement devenir amour. Et tu sais bien que tu ne dois aimer que ton « Dieu » dans ses créatures
1554 st amour. — Mais Dieu pour nous est une Personne, et nous crée comme personnes bien distinctes. Tu ne vois pas la femme qu
1555 le, je ne serai plus moi, elle ne sera plus elle, et les dieux mêmes me serviront. Tout et tous L’Orient voudrait ex
1556 us elle, et les dieux mêmes me serviront. Tout et tous L’Orient voudrait exténuer, « émacier le réel tangible »93, p
1557 al. Quand ses dieux mêmes auront fait leur office et fait leur temps, il y aura le Soi seul en tout. À la consommation des
1558 pas varié dans leur croyance à la dualité de l’Un et du Multiple, dualité finalement illusoire puisqu’un jour — dont ils s
1559 our — dont ils savent la date — la vie, le cosmos et les dieux seront résorbés dans l’Un seul, sans laisser aucune trace,
1560 ’ayant pas eu lieu. Le triomphe de ces spirituels et de leur eschatologie se confondra ce jour-là avec l’aboutissement d’u
1561 nstater que leurs doctrines sur la Lumière finale et sur le Vide n’auront été, dans leur ensemble, qu’une immense transpos
1562 ’une immense transposition sur les plans poétique et religieux du Second principe de la thermodynamique. L’autre moitié de
1563 elles, qu’elle s’évertue en conséquence à scruter et à modifier. Elle parie sur la vie et contre l’entropie94. Elle ne sai
1564 ce à scruter et à modifier. Elle parie sur la vie et contre l’entropie94. Elle ne sait plus d’où lui vient cette passion q
1565 ui vient cette passion qui a produit la technique et les sciences, mais aussi nos structures sociales et politiques, les d
1566 les sciences, mais aussi nos structures sociales et politiques, les droits de l’homme et une extraordinaire avidité. Le s
1567 res sociales et politiques, les droits de l’homme et une extraordinaire avidité. Le sens réel de l’aventure échappe à la m
1568 e échappe à la majorité de ceux qu’elle entraîne. Et il est vrai qu’on ne saurait guère le concevoir sans une vision de sa
1569 urant décrit cette fin. Dès lors, au duel de l’Un et du Multiple est substitué le drame de l’Un et des Uniques : — à l’ané
1570 ’Un et du Multiple est substitué le drame de l’Un et des Uniques : — à l’anéantissement final dans l’unisson, l’harmonie d
1571 e extinction des différences éphémères, leur mort et transfiguration ; — à l’individuel aboli par une longue aspiration de
1572 ue nous choisirons, en vérité vécue de conscience et d’action. Les résultats actuels et historiques sont ambigus à l’infin
1573 de conscience et d’action. Les résultats actuels et historiques sont ambigus à l’infini, pour nos mesures. Les peuples so
1574 es sont dans l’ignorance malheureuse des origines et des fins de ce qu’ils croient, bien qu’ils en vivent plus ou moins bi
1575 roient, bien qu’ils en vivent plus ou moins bien, et même qu’ils meurent parfois pour leurs croyances. Nous voyons ce que
1576 Nous voyons ce que l’Orient est resté jusqu’ici, et que ces doctrines d’extinction n’ont pas tué l’illusion du moi ; au c
1577 ieurs centaines de millions de bouches à nourrir, et demain de cerveaux à diriger. Nous pressentons dans la terreur et l’e
1578 veaux à diriger. Nous pressentons dans la terreur et l’espérance ce que l’Occident peut devenir : soit s’engloutir dans l’
1579 : soit s’engloutir dans l’Illusion de la matière ( et l’Orient aurait eu raison), soit accomplir sa vocation aventureuse, d
1580 aventureuse, déchiffrer l’Être dans le singulier et les structures de l’énergie universelle. Car c’est au secret des pers
1581 nd la révélation des fils de Dieu ». (Romains 8). Et saint Justin, l’œcuménique du iie siècle, ose parler d’un salut de l
1582 mains, de la mesurer par la vue, de la dissoudre et de la recomposer, de l’épier dans sa vie secrète, comme l’alchimiste,
1583 bout ! Pour lui la Réalité est dans l’individuel, et l’Être dans les raisons d’être des uniques. Or ce choix est celui de
1584  maladies du moi », elle le confirme comme entité et le renforce, loin de l’éliminer. 61. Henry Corbin, L’Imagination cré
1585 éatrice dans le soufisme d’Ibn Arabi, 1958, p. 28 et 50. 62. Ibid., p. 131. 63. Henry Corbin, Terre céleste et corps de
1586 Ibid., p. 131. 63. Henry Corbin, Terre céleste et corps de résurrection, 1960, p. 31. 64. Sur les solutions proposées
1587 s proposées à ce problème par l’Inde, le taoïsme, et le bouddhisme tibétain, voir Alexandra David-Neel, Immortalité et Réi
1588 tibétain, voir Alexandra David-Neel, Immortalité et Réincarnation, 1961. 65. Parole attribuée au Bouddha, dans la tradit
1589 préconise une action ; ses collègues l’approuvent et il est décidé qu’il sera fait suivant ce qu’il a proposé. D’autres fo
1590 lèvent ensemble, proposent des choses différentes et chacun d’eux appuie ses propositions sur des raisons particulières. O
1591 s ; d’autres sont graduellement poussés au-dehors et d’autres, encore, sont expulsés de force par leurs collègues. Pendant
1592 endre. Au contraire, d’autres qui étaient débiles et timides se fortifient et s’enhardissent, et finissent par s’instituer
1593 tres qui étaient débiles et timides se fortifient et s’enhardissent, et finissent par s’instituer dictateurs. Les membres
1594 biles et timides se fortifient et s’enhardissent, et finissent par s’instituer dictateurs. Les membres de cette assemblée,
1595 e cette assemblée, ce sont les éléments physiques et mentaux qui constituent la “personne” ; ce sont nos instincts, nos te
1596 par les causes qui l’ont engendré, le descendant et l’héritier de multiples lignes de causes, de multiples séries de phén
1597 séries de phénomènes remontant loin dans le passé et dont les traces se perdent dans les profondeurs de l’éternité. » Nous
1598 en lui. J’ai en moi une foule d’âmes turbulentes. Et tout se passe comme dans une république. » À regarder ainsi le moi, o
1599  » À regarder ainsi le moi, on le perd assurément et par méthode. Car il est forme dominante et gouvernante. Si on tentait
1600 rément et par méthode. Car il est forme dominante et gouvernante. Si on tentait de l’observer à l’aide d’un microscope, l’
1601 71. Kitaro Nishida, Die intelligible Welt, p. 116 et 119. 72. Alexandra David-Neel, op. cit., p. 304-305. 73. Ces deux p
1602 aradis du gnostique fidèle, c’est son corps même, et l’enfer de l’homme sans foi ni connaissance c’est également son corps
1603 . 80. Emmanuel Swedenborg, La Nouvelle Jérusalem et sa doctrine céleste, § 86 à 89. 81. C’est à peu près ce que Freud no
1604 st à peu près ce que Freud nomme « narcissisme », et qui n’est tel qu’aux yeux de celui qui nie l’âme ; mais alors, d’où v
1605 ntendu, au moins autant que pour le christianisme et le judaïsme. « Dans l’Arabe, tout est colère », écrit Henri Michaux.
1606 ttara-tapîni upanishad. 89. Raja Rao, Le Serpent et la Corde, 1959, p. 28. Je ne saurais trop inciter mes lecteurs à lire
1607 littérature qui confronte avec plus de tendresse et de rigueur l’Est et l’Ouest. Lire aussi, mais c’est beaucoup moins te
1608 fronte avec plus de tendresse et de rigueur l’Est et l’Ouest. Lire aussi, mais c’est beaucoup moins tendre pour les deux,
1609 f Kassner, Le Livre de ma Vie. Puis aller en Inde et sentir l’innombrable, le « corps magique ». 90. D. T. Suzuki, Mysti
1610 nne ici à la rencontre des catégories de L’Amour et l’Occident un peu plus qu’il ne serait souhaitable, de son propre po
1611 s des dialogues entre l’illustre sage Yajnavalkya et son épouse Maitreyi, qui l’interroge sur l’immortalité. 92. Phrases
1612 ieurs autres ici au roman de Raja Rao, Le Serpent et la Corde. 93. Pierre Teilhard de Chardin, La Route de l’Ouest (inédi
1613 t lumineuse) en termes de métaphysique orientale, et le principe d’exclusion de Pauli (individuation des électrons, condit
1614 . av. Rougemont Denis de, « La personne, l’ange et l’absolu, ou le dialogue Occident-Orient », La Nouvelle Revue françai