1 1932, Présence, articles (1932–1946). Penser avec les mains (fragments) (janvier 1932)
1 été donnés au monde moderne. « Depuis Descartes, ils ont tous cru, dit Kierkegaard, que si longtemps qu’ils pussent douter
2 nt tous cru, dit Kierkegaard, que si longtemps qu’ ils pussent douter, si longtemps qu’ils fussent privés du droit d’affirme
3 longtemps qu’ils pussent douter, si longtemps qu’ ils fussent privés du droit d’affirmer rien de certain dans l’ordre de la
4 ertain dans l’ordre de la connaissance, cependant ils seraient en droit d’agir, car on s’y peut contenter de vraisemblance.
5 semblance. La monstrueuse contradiction ! Comme s’ il n’était pas bien pire de commettre un acte qui vous laisse dans le do
6 re passer pour le bon sens même. L’industriel est- il « en droit d’affirmer rien de certain » touchant les fins dernières d
7 ouchant les fins dernières du progrès mécanique ? Il ne s’est même pas posé la question. La coutume du temps est de s’enri
8 La coutume du temps est de s’enrichir : modeste, il s’y conforme. « … Et l’on s’attire pourtant une responsabilité. » Il
9 … Et l’on s’attire pourtant une responsabilité. » Il faut bien constater que plusieurs générations2 cultivèrent ce défaut
10 blait si doucement la débilité morale du siècle ! Elle en figura tout ensemble le « bon goût », la mesure, et la suprême ast
11 nt manifesté avec quelque insistance depuis 1914, il apparaît que la question peut être reprise sans trop de mauvais goût
12 endant que ce monde condamné tient encore debout, il serait bon d’examiner rapidement les principes qui lui permirent de d
13 par un renversement soudain : « Cela ne viendrait- il pas de ce que l’Éthique possède en soi une certitude ? Il existerait
14 e ce que l’Éthique possède en soi une certitude ? Il existerait alors une chose au moins que le doute ne pourrait atteindr
15 « L’Éthique ne commence pas dans une ignorance qu’ il faudrait muer en savoir, mais dans un savoir qui exige sa réalisation
16 est dans nos mains. On nous a menés à ce point — il n’est question de s’en réjouir ni de le déplorer — où le choix n’est
17 t plus qu’à notre situation géographique que nous devons de pouvoir trancher le débat sans risquer le poteau. L’on s’en rend c
18 a classification avec les idées des autres, quand ils étaient intelligents ; et autrement, du journalisme. On compare ensui
19 penser. Celui-ci ayant la même origine que peser, il est loisible de jouer avec le mot de la façon suivante : le Français
20 de l’esprit. Et Dostoïevski, dont on peut dire qu’ il pensait par péchés et remords. Ainsi pensèrent tous ceux dont l’œuvre
21 alisation. On veut faire voir par ces exemples qu’ il ne s’agit nullement d’« applications », comme le voudrait le vocabula
22 i je m’en vais l’appliquer. Comment le pourraient- ils  ? Car il faut qu’un idéal ait « pris corps » pour qu’il devienne « ap
23 vais l’appliquer. Comment le pourraient-ils ? Car il faut qu’un idéal ait « pris corps » pour qu’il devienne « applicable 
24 ar il faut qu’un idéal ait « pris corps » pour qu’ il devienne « applicable ». On ne crée rien de vivant avec ce qu’on a, m
25 mais seulement avec ce qu’on est. C’est pourquoi il n’y a de création possible que par les individus. Et de là vient que
26 ait imaginer de « réalisation » que sociale : car il faut bien qu’on s’y mette à plusieurs, — rassurante perspective, puis
27 eurs, — rassurante perspective, puisqu’on sait qu’ il n’existe pas d’héroïsme collectif. Le héros est toujours seul. Par dé
28 isation » personnelle d’une pensée. Par contre, s’ il est actif, il se piquera de favoriser sa mise en circulation. Jeter u
29 onnelle d’une pensée. Par contre, s’il est actif, il se piquera de favoriser sa mise en circulation. Jeter une idée « nouv
30 ntations, d’oublis feints et de brusques retours. Il faut tout cela, et les mille petites souffrances de la souffrance, po
31 dire — mais ce n’est pas si simple que cela — qu’ il faut avaler les idées7, et qu’une idée qui ne peut être mastiquée, pu
32 tant d’autres pensers, d’un désir ou d’un idéal : ils ne s’incarnent qu’à ce prix. Combien d’étreintes, de blessures, combi
33 isé s’abandonne comme on oublie, à tel vouloir qu’ il concevait, mais redoutait, et qui devient alors notre sang et nos son
34 et d’un isolement. Telle est la loi du monde, et il est admirable de l’aimer. Et la pensée n’est point soustraite à cette
35 pensée même de Dieu n’y est point soustraite. Car elle s’incarne dans le Fils pour agoniser sur la Croix, qui est le Signe d
36 sme et doctrine de l’État souverain, par exemple. Elles préparent la jeunesse au communisme, en généralisant le principe de l
37 que de l’histoire, d’où Marx, Engels et Feuerbach devaient tirer le matérialisme historique, manifestent la seule opposition rée
2 1932, Présence, articles (1932–1946). Cause commune (avril-juin 1932)
38 ses discours-programmes, cela se sent toujours : il y manque cette espèce de rhétorique prudente à quoi l’on reconnaît l’
39 ce serait trahir. Si l’on veut agir sur l’époque, il faut d’abord avoir l’époque dans la peau ; c’est aujourd’hui en disan
40 en même temps la définition de notre humanisme, s’ il est bien cette volonté de vivre « humainement » que dans le monde ent
41 celui du xixe , resté celui de nos bons maîtres. Il ne s’agit non plus d’un humanisme qui dresserait l’homme contre Dieu,
42 e la vie impliquant cette identité et fondant sur elle ses valeurs les plus hautes et les plus quotidiennes à la fois. Car s
43 hautes et les plus quotidiennes à la fois. Car s’ il faut une morale simple, nous ne saurions admettre que celle qui dirai
44 pensez ce que vous n’oserez jamais faire. » Faut- il , pour d’autres, préciser que le manque d’originalité de telles remarq
45 yeux leur intérêt humain ? Dans leur simplicité, elles suffiront longtemps encore à provoquer l’indignation révélatrice de t
46 tous les amateurs d’inextricable ; d’autre part, elles définissent suffisamment la cause commune de la jeunesse européenne.
47 la jeunesse européenne. L’humanisme n’est rien s’ il n’est commun comme le péril qui nous menace ; s’il ne considère avant
48 l n’est commun comme le péril qui nous menace ; s’ il ne considère avant tout la commune condition humaine et sa défense co
49 lvante s’étend à toute la terre. Mais dès lors qu’ il devient cette défense de l’homme, il recouvre exactement le concept e
50 dès lors qu’il devient cette défense de l’homme, il recouvre exactement le concept et les méthodes de la Révolution naiss
51 cher, jusqu’à la fin de leurs loisirs fiévreux, s’ il faut faire quelque chose, et comment et pourquoi. Ce que nous devons
52 uelque chose, et comment et pourquoi. Ce que nous devons faire est toujours assez simple, est toujours évident dès que nous po
53 ce et la présence. Nous connaissons la vérité. Qu’ elle soit tombée du ciel ou qu’elle éclate dans les choses, on nous demand
54 sons la vérité. Qu’elle soit tombée du ciel ou qu’ elle éclate dans les choses, on nous demande seulement l’acte de la saisir
55 Révolution ne nous conduira pas au Paradis ; mais elle reste le seul effort effectif que l’homme d’aujourd’hui peut produire
56 rd’hui peut produire pour se tirer de l’Enfer, où il s’est mis. 11. Entendons par ce terme si vague l’activité créatrice
3 1934, Présence, articles (1932–1946). L’œuvre et la mort d’Arnaud Dandieu (1934)
57 out entière dans une doctrine de l’acte créateur. Il a écrit quelques ouvrages d’une audace précise. Ils ont paru dans une
58 l a écrit quelques ouvrages d’une audace précise. Ils ont paru dans une espèce de silence. Il a vu qu’une jeunesse avait co
59 précise. Ils ont paru dans une espèce de silence. Il a vu qu’une jeunesse avait compris, venait à lui comme il savait qu’e
60 qu’une jeunesse avait compris, venait à lui comme il savait qu’elle y viendrait. Quelque temps, il a pu éprouver la solidi
61 se avait compris, venait à lui comme il savait qu’ elle y viendrait. Quelque temps, il a pu éprouver la solidité de sa prise,
62 mme il savait qu’elle y viendrait. Quelque temps, il a pu éprouver la solidité de sa prise, la qualité du dynamisme qu’il
63 solidité de sa prise, la qualité du dynamisme qu’ il suscitait, et il est mort l’été dernier, dans cet élan qui va s’épano
64 rise, la qualité du dynamisme qu’il suscitait, et il est mort l’été dernier, dans cet élan qui va s’épanouir. Ce révolutio
65 la tension d’un esprit créateur n’est pas, comme il arrive chez les inadaptés, une tension entre l’individu et le milieu
66 on entre l’individu et le milieu qui lui résiste. Elle est à l’intérieur de la personne. Elle est la personne même. Elle ne
67 i résiste. Elle est à l’intérieur de la personne. Elle est la personne même. Elle ne se résout pas dans une indignation ni d
68 érieur de la personne. Elle est la personne même. Elle ne se résout pas dans une indignation ni dans une compréhension résig
69 la main, la puissance de bouleversement concret. Il semblait que Dandieu incarnait cette image du « spirituel » tel qu’il
70 ieu incarnait cette image du « spirituel » tel qu’ il l’a défini. Il avait le profil nettement dessiné, mais une rudesse pu
71 ette image du « spirituel » tel qu’il l’a défini. Il avait le profil nettement dessiné, mais une rudesse puissante sur le
72 raison d’être d’un homme, sinon cette tension qu’ il incarne et qui est aussi le ressort de sa puissance d’imagination con
73 omme le symbole impérieux de cet Ordre nouveau qu’ il annonçait. « L’intelligence est une épée », écrivait-il. Avec ce nom
74 onçait. « L’intelligence est une épée », écrivait- il . Avec ce nom de chevalier ! Son œuvre déconcerte les catégories de l
75 es catégories de la critique : c’est peut-être qu’ elle en institue une nouvelle. Le livre qu’il publiait, à Oxford, en 1927,
76 tre qu’elle en institue une nouvelle. Le livre qu’ il publiait, à Oxford, en 1927, sur Marcel Proust et sa Révélation psych
77 ’un chantier, et non point d’un salon littéraire. Il est tout animé de la joie de construire et d’abattre. Grande allure i
78 llure intellectuelle. — Comment ce Proust passa-t- il presque inaperçu en France ? Il renversait trop de théories à la mode
79 ce Proust passa-t-il presque inaperçu en France ? Il renversait trop de théories à la mode, avec trop de dédain peut-être…
80 prolongement nécessaire du Proust, et c’est là qu’ il faudra chercher leur origine spirituelle. Décadence de la nation fran
81 que plus constructive que celle de Marx, parce qu’ elle ne se fonde pas sur une pseudo-science, sur une métaphysique idéalist
82 Cartésien par l’audace méthodique de son analyse, il refusait pourtant la distinction rationaliste et libérale entre la pe
83 ale entre la pensée pure et l’acte qui l’atteste. Il professait que « l’écrivain ne saurait sans se diminuer refuser d’end
84 èrement, jusqu’au bout, les conséquences de ce qu’ il écrit ». Voilà pourquoi, parti de recherches d’ordre poétique sur la
85 que sur la métaphore chez Proust, Blake et Keats, il devait aboutir à une éthique politique. Cette trajectoire très singul
86 sur la métaphore chez Proust, Blake et Keats, il devait aboutir à une éthique politique. Cette trajectoire très singulière pa
87 phes contemporains, mais aussi dans les études qu’ il publiait en revue sur la phénoménologie du savant, sur la psychologie
88 s tyrannies abstraites, étatistes ou financières, il faudra reconnaître dans le personnalisme la seule éthique actuellemen
89 ce. Peu de jours avant l’accident chirurgical qui devait entraîner sa mort, à 36 ans, il avait ajouté de sa main, sur les épre
90 irurgical qui devait entraîner sa mort, à 36 ans, il avait ajouté de sa main, sur les épreuves de son dernier ouvrage, une
91  » qui montent à l’assaut d’une Europe décadente, il ajoutait ces quelques phrases d’une sobre grandeur : En dépit d’un p
92 aute si, pour sauver l’Occident et l’Europe, nous devons d’abord, aujourd’hui, nous appuyer sur la France. Il ne s’agit pas de
93 d’abord, aujourd’hui, nous appuyer sur la France. Il ne s’agit pas de défendre une idée ou une cité. Il ne s’agit pas de d
94 l ne s’agit pas de défendre une idée ou une cité. Il ne s’agit pas de défense. Mais de choix, d’affirmation, de création,
95 té du serviteur d’une grande cause, [ne] semble-t- il pas qu’il se transforme en une espèce d’interrogation angoissée ? « A
96 iteur d’une grande cause, [ne] semble-t-il pas qu’ il se transforme en une espèce d’interrogation angoissée ? « Allons-y »
97 louie — pascalienne. « Euphorie absolue », disait- il en ces derniers moments, tandis qu’il se battait encore, jugeait, voy
98 e », disait-il en ces derniers moments, tandis qu’ il se battait encore, jugeait, voyait enfin… Il savait aussi que son œuv
99 s qu’il se battait encore, jugeait, voyait enfin… Il savait aussi que son œuvre se poursuivrait par d’autres mains, sur ce
4 1935, Présence, articles (1932–1946). Contre Nietzsche (avril-mai 1935)
100 ute possession, est exclusive ; et c’est pourquoi il faut lutter contre celui qui attaque, parce que sa nature même veut q
101 lui qui attaque, parce que sa nature même veut qu’ il ne puisse être possédé que d’une manière exclusive et belliqueuse… Un
102 iption de l’anarchie spirituelle du xixe siècle. Il en a souffert si vivement qu’il n’est presque pas un aspect de la men
103 du xixe siècle. Il en a souffert si vivement qu’ il n’est presque pas un aspect de la mentalité du siècle athée auquel sa
104 corché n’ait réagi par une diamétrale opposition. Il coupe toutes les erreurs du temps à 180 degrés, juste. Son œuvre nous
105 là même, presque toujours tonique et enseignante, elle nous excite à des affirmations qui la condamnent. La forme aphoristiq
106 leur ensemble à l’unité suprême, celle de la foi. Elles appartiennent à sa vision du monde, elles en expriment la tension cré
107 la foi. Elles appartiennent à sa vision du monde, elles en expriment la tension créatrice, — toute création naissant d’une te
108 é d’une part, sa réalisation concrète de l’autre. Il est de la nature même de la foi — telle que la conçoit Kierkegaard —
109 négatif du dogmatisme mort de ses contemporains. Il attaque à droite et à gauche, utilisant tantôt la droite contre la ga
110 ouvelles, inconnues de la gauche et de la droite. Il ne quitte pas le plan des erreurs qu’il attaque. Il ne fait guère qu’
111 a droite. Il ne quitte pas le plan des erreurs qu’ il attaque. Il ne fait guère qu’y introduire une intensité délirante. C’
112 ne quitte pas le plan des erreurs qu’il attaque. Il ne fait guère qu’y introduire une intensité délirante. C’est là son j
113 tre « Femmes » dans les Œuvres posthumes : tantôt il attaque ceux qui idéalisent la femme, tantôt ceux qui l’animalisent.
114 éalisent la femme, tantôt ceux qui l’animalisent. Il formule contre le mariage des revendications antisociales — « géniale
115 evendications antisociales — « géniales » —, puis il édicte des lois eugéniques, d’intention manifestement sociale, mais,
116 — ce qui n’est certes pas à priori un mal —, mais elle perd aussi toute valeur soit actuelle, soit historique, soit même esc
117 e de foi originel (synthèse), et qu’alors même qu’ il nie toute possibilité de thèse provisoire (ce que n’avait pas fait l’
118 re Paul, autorisant en fin de compte le mariage), il renvoie à cette synthèse dont tout chrétien attend, dès maintenant, l
119 par haine de ce qui est, non par amour de ce qui doit être « cru », renvoie finalement au néant, annule lui-même sa réactio
120 s nietzschéennes portant sur les valeurs morales. Il attaque l’altruisme, et démasque dans cette « vertu » les effets du «
121 iment » le plus bassement égoïste. Mais ailleurs, il exalte l’égoïsme contre la soi-disant morale du Christ, et au nom d’u
122 Christ, et au nom d’une espèce de « virtu » dont il laisse entendre souvent qu’elle n’est encore que le désespoir de celu
123 e de « virtu » dont il laisse entendre souvent qu’ elle n’est encore que le désespoir de celui qui ne peut aimer : hommage dé
124 etc.) Nietzsche a horreur de toute dogmatique13 : il est par là le type le plus parfait du clerc déraciné, du clerc sans m
125 mains, ou aux mains folles, du désorienté excité. Il apparaît alors comme le héros du monde bourgeois. Il incarne à la pui
126 apparaît alors comme le héros du monde bourgeois. Il incarne à la puissance infinie le goût du néant — le refus de la voca
127 sition si frénétique à la bêtise de sa classe, si elle suffit à le rendre complice, en fin de compte, des erreurs qu’il flag
128 rendre complice, en fin de compte, des erreurs qu’ il flagelle, ne suffit pas à établir entre sa pensée et son temps un con
129 un lien concret de responsabilité. C’est aussi qu’ il n’existe qu’un unique agent de contact réel et vital14, et c’est l’éc
130 en fait, consciemment, obéissante : sachant à Qui elle obéit ; envers Qui elle est responsable. Si l’homme vient en aide à s
131 béissante : sachant à Qui elle obéit ; envers Qui elle est responsable. Si l’homme vient en aide à son voisin par son action
132 ela pour des motifs d’ordre uniquement humain, on doit être certain qu’il ne s’agit encore que d’égoïsme bien compris. L’hom
133 ’ordre uniquement humain, on doit être certain qu’ il ne s’agit encore que d’égoïsme bien compris. L’homme se sert en serva
134 n compris. L’homme se sert en servant son voisin, il n’échappe point à la loi, et la loi n’établit jamais ni le contact vi
135 Mais Nietzsche a beau se colleter avec son temps, il a beau, par dépit de l’impuissant amour « moral », renverser les donn
136 nnées terrestres, tenter le contact par la haine, il n’aboutit jamais à saisir son prochain, à concrétiser sa pensée, à la
137 souveraine et parfaitement pénétrante de l’amour. Il ne parvient à rendre responsables du prochain ni son amour, ni sa hai
138 ni sa joie, ni ses derniers défis. C’est ainsi qu’ il exprime dans un style vraiment noble et tragique, parfois aussi d’une
139 de la mort que son siècle ait pu concevoir, et qu’ il fut seul sans doute, dans ce siècle, à oser mesurer sans tricherie. I
140 e, dans ce siècle, à oser mesurer sans tricherie. Il s’effondre d’ailleurs dès qu’il comprend son œuvre. Et c’est d’une in
141 r sans tricherie. Il s’effondre d’ailleurs dès qu’ il comprend son œuvre. Et c’est d’une infernale panique que ses derniers
142 ute position rongée et corrodée par le réactif qu’ elle secrète, toutes ces évaluations rageusement neutralisées, il nous res
143 toutes ces évaluations rageusement neutralisées, il nous reste de Nietzsche sa rage, son style souverain de pensée. Qu’il
144 tzsche sa rage, son style souverain de pensée. Qu’ il ne reste d’une œuvre qu’un style, n’est-ce pas là le dernier caractèr
5 1935, Présence, articles (1932–1946). Autour de Nietzsche : petite note sur l’injustice (novembre 1935)
145 mbre 1935)i Plus une personne est grande, plus il est téméraire de se donner pour juste devant elle. Imaginez une perso
146 s il est téméraire de se donner pour juste devant elle . Imaginez une personne absolument grande, — c’est-à-dire une personne
147 sure de l’homme : qui pourra se dire juste devant elle  ? La loyauté prononcera : Je suis injuste, je me rebelle, je ne puis
148 trement que de me rebeller. Beaucoup de chrétiens devraient envier à Nietzsche cette loyauté désespérée, qui se croient trop vite
149 is, en la jugeant, que lui faire tort. Mais alors il ne s’agit plus, on le voit, de la même injustice. Par exemple, il se
150 s, on le voit, de la même injustice. Par exemple, il se peut que l’injustice vis-à-vis d’une œuvre humaine, injustice néce
151 tice nécessaire, inévitable, mais toute relative, elle aussi, témoigne en faveur d’une vérité décisive. Il se peut que cette
152 aussi, témoigne en faveur d’une vérité décisive. Il se peut que cette « injustice », qui fait tort à la vérité fragmentai
153 ette œuvre a voulu nier. Descendons jusqu’à nous. Il se peut que mon « injustice » déclarée, vis-à-vis de Nietzsche, rende
154 ue Nietzsche a refusé d’être ; et que, dans ce qu’ il a refusé d’être, réside justement l’essentiel au regard de la vérité.
155 ’essentiel au regard de la vérité. Or c’est là qu’ il est important de prendre position, et non ailleurs. Ne vivons-nous pa
156 de nous la confession et la déclaration de ce qu’ il tient pour plus vrai que sa vie, et à quoi tout le reste s’ordonne, y
157  » — à peu près tout — à cet acte de foi décisif. Il est un temps pour nuancer et balancer, et un temps pour trancher : po
158 n, rémission des péchés et de la peine de mort qu’ ils entraînent, c’est-à-dire, en un mot : Jésus-Christ15. Dogmatique : je
159 n des jugements entrecroisés ! Peut-être convient- il de leur adjoindre encore celui-ci : que nous ne sommes pas juges les
6 1946, Présence, articles (1932–1946). Le Nœud gordien renoué (avril 1946)
160 n exigeait l’innocence de l’âme. Quant au peuple, il vaquait à ses travaux. Un jour, un paysan nommé Gordius vient à cette
161 san nommé Gordius vient à cette ville de Phrygie. Il déclare qu’il voudrait visiter les curiosités de l’endroit. On lui in
162 ius vient à cette ville de Phrygie. Il déclare qu’ il voudrait visiter les curiosités de l’endroit. On lui indique le templ
163 lui indique le temple et la mairie. Sans hésiter, il entre au temple sur son char, et les prêtres s’écrient en chœur : C’e
164 le rester par astucieuse appropriation d’artisan. Il saute à terre, bien décidé à montrer aux gens de la ville ce qu’il sa
165 bien décidé à montrer aux gens de la ville ce qu’ il sait faire. Entre les cornes de l’autel et le timon du char, le voilà
166 le voilà qui se met à nouer le plus beau nœud qu’ il ait jamais rêvé. Il y passe des heures indicibles d’intensité et de c
167 à nouer le plus beau nœud qu’il ait jamais rêvé. Il y passe des heures indicibles d’intensité et de concentration. C’est
168 pour dénouer ce chef-d’œuvre brut, par Jupiter ! il n’est pas encore né ! On ne sait rien du règne de Gordius. Mais le nœ
169 ne sait rien du règne de Gordius. Mais le nœud qu’ il noua devint célèbre. Un oracle nouveau ne tarda pas à le consacrer ch
170 igne aussi de fécondité. Qu’une intrigue se noue, elle gouverne aussitôt les personnages qui la vivent. Un mariage se noue,
171 amitié se noue. Quand on peut dire d’un fruit qu’ il a noué, il devient graine. Celui qui sait comment se fait un nœud, sa
172 noue. Quand on peut dire d’un fruit qu’il a noué, il devient graine. Celui qui sait comment se fait un nœud, sait aussi co
173 d, sait aussi comment le défaire, et le refaire : il détient le secret du pouvoir. ⁂ De tous les pays de la Grèce, les rêv
174 rêveurs de couronnes vinrent contempler l’objet. Ils venaient s’asseoir devant lui, pour l’étudier avec passion, pendant d
175 n lui-même et qui se faisait analyser à Delphes : il venait entre deux séances subrepticement s’accroupir parmi nous, reno
176 faisant le nœud d’après nature, l’aimant parce qu’ il était dans sa nature… Celui qui prévoyait la science de nos jours, et
177 évoyait la science de nos jours, et me disait : — Il n’est de science que des phénomènes que l’on peut reproduire à volont
178 r, faute de pouvoir le répéter selon la recette ? Il n’existe donc point, à ses yeux. Elle n’en veut pas. Et si personne n
179 la recette ? Il n’existe donc point, à ses yeux. Elle n’en veut pas. Et si personne n’en veut, il est à moi ! Je le prends 
180 ux. Elle n’en veut pas. Et si personne n’en veut, il est à moi ! Je le prends : il est ma liberté… Celui qui murmurait par
181 personne n’en veut, il est à moi ! Je le prends : il est ma liberté… Celui qui murmurait parfois : — C’est consolant ! (pa
182 dévotions. Devant le nœud, après un long regard, elle dit : — Ce n’est pas si ressemblant que cela ! (Elle croyait que son
183 e dit : — Ce n’est pas si ressemblant que cela ! ( Elle croyait que son mari ne s’occupait que d’elle.) Et tant d’autres qui
184  ! (Elle croyait que son mari ne s’occupait que d’ elle .) Et tant d’autres qui vinrent, et qui restaient longtemps. Et nul ne
185 s, je vais criant : Renouez-le ! Renouez-le ! Car il y va de tout, du sens même de nos vies ! Car vous mourez, nous mouron
186 rons tous à la vie spirituelle, la vie précieuse. Elle n’existe que prise au complexe d’une âme, dans les détours du plus pr
187 , et qui sait bien que pour nouer un lien solide, il faut tous ces retours et ces tours illogiques, cette intrication sans
188 et tout espoir perdu, on sollicitait son conseil. Il prit la corde qui servait de ceinture à sa pauvre robe. Il en fit une
189 a corde qui servait de ceinture à sa pauvre robe. Il en fit une boucle simple et la tendit au messager : — Va leur donner
190 endit au messager : — Va leur donner ce nœud, dit- il , afin qu’ils le dénouent. — Un faible enfant pourrait le dénouer ! —
191 sager : — Va leur donner ce nœud, dit-il, afin qu’ ils le dénouent. — Un faible enfant pourrait le dénouer ! — L’homme le pl
192 homme le plus fort ne pourrait pas le dénouer, et il faudrait alors l’épée pour le trancher, si chacun tire par un bout, d