1 1932, Présence, articles (1932–1946). Penser avec les mains (fragments) (janvier 1932)
1 été donnés au monde moderne. « Depuis Descartes, ils ont tous cru, dit Kierkegaard, que si longtemps qu’ils pussent douter
2 nt tous cru, dit Kierkegaard, que si longtemps qu’ ils pussent douter, si longtemps qu’ils fussent privés du droit d’affirme
3 longtemps qu’ils pussent douter, si longtemps qu’ ils fussent privés du droit d’affirmer rien de certain dans l’ordre de la
4 ertain dans l’ordre de la connaissance, cependant ils seraient en droit d’agir, car on s’y peut contenter de vraisemblance.
5 semblance. La monstrueuse contradiction ! Comme s’ il n’était pas bien pire de commettre un acte qui vous laisse dans le do
6 re passer pour le bon sens même. L’industriel est- il « en droit d’affirmer rien de certain » touchant les fins dernières d
7 ouchant les fins dernières du progrès mécanique ? Il ne s’est même pas posé la question. La coutume du temps est de s’enri
8 La coutume du temps est de s’enrichir : modeste, il s’y conforme. « … Et l’on s’attire pourtant une responsabilité. » Il
9 … Et l’on s’attire pourtant une responsabilité. » Il faut bien constater que plusieurs générations2 cultivèrent ce défaut
10 blait si doucement la débilité morale du siècle ! Elle en figura tout ensemble le « bon goût », la mesure, et la suprême ast
11 nt manifesté avec quelque insistance depuis 1914, il apparaît que la question peut être reprise sans trop de mauvais goût
12 endant que ce monde condamné tient encore debout, il serait bon d’examiner rapidement les principes qui lui permirent de d
13 par un renversement soudain : « Cela ne viendrait- il pas de ce que l’Éthique possède en soi une certitude ? Il existerait
14 e ce que l’Éthique possède en soi une certitude ? Il existerait alors une chose au moins que le doute ne pourrait atteindr
15 « L’Éthique ne commence pas dans une ignorance qu’ il faudrait muer en savoir, mais dans un savoir qui exige sa réalisation
16 est dans nos mains. On nous a menés à ce point — il n’est question de s’en réjouir ni de le déplorer — où le choix n’est
17 a classification avec les idées des autres, quand ils étaient intelligents ; et autrement, du journalisme. On compare ensui
18 penser. Celui-ci ayant la même origine que peser, il est loisible de jouer avec le mot de la façon suivante : le Français
19 de l’esprit. Et Dostoïevski, dont on peut dire qu’ il pensait par péchés et remords. Ainsi pensèrent tous ceux dont l’œuvre
20 alisation. On veut faire voir par ces exemples qu’ il ne s’agit nullement d’« applications », comme le voudrait le vocabula
21 i je m’en vais l’appliquer. Comment le pourraient- ils  ? Car il faut qu’un idéal ait « pris corps » pour qu’il devienne « ap
22 vais l’appliquer. Comment le pourraient-ils ? Car il faut qu’un idéal ait « pris corps » pour qu’il devienne « applicable 
23 ar il faut qu’un idéal ait « pris corps » pour qu’ il devienne « applicable ». On ne crée rien de vivant avec ce qu’on a, m
24 mais seulement avec ce qu’on est. C’est pourquoi il n’y a de création possible que par les individus. Et de là vient que
25 ait imaginer de « réalisation » que sociale : car il faut bien qu’on s’y mette à plusieurs, — rassurante perspective, puis
26 eurs, — rassurante perspective, puisqu’on sait qu’ il n’existe pas d’héroïsme collectif. Le héros est toujours seul. Par dé
27 isation » personnelle d’une pensée. Par contre, s’ il est actif, il se piquera de favoriser sa mise en circulation. Jeter u
28 onnelle d’une pensée. Par contre, s’il est actif, il se piquera de favoriser sa mise en circulation. Jeter une idée « nouv
29 ntations, d’oublis feints et de brusques retours. Il faut tout cela, et les mille petites souffrances de la souffrance, po
30 dire — mais ce n’est pas si simple que cela — qu’ il faut avaler les idées7, et qu’une idée qui ne peut être mastiquée, pu
31 tant d’autres pensers, d’un désir ou d’un idéal : ils ne s’incarnent qu’à ce prix. Combien d’étreintes, de blessures, combi
32 isé s’abandonne comme on oublie, à tel vouloir qu’ il concevait, mais redoutait, et qui devient alors notre sang et nos son
33 et d’un isolement. Telle est la loi du monde, et il est admirable de l’aimer. Et la pensée n’est point soustraite à cette
34 pensée même de Dieu n’y est point soustraite. Car elle s’incarne dans le Fils pour agoniser sur la Croix, qui est le Signe d
35 sme et doctrine de l’État souverain, par exemple. Elles préparent la jeunesse au communisme, en généralisant le principe de l
2 1932, Présence, articles (1932–1946). Cause commune (avril-juin 1932)
36 ses discours-programmes, cela se sent toujours : il y manque cette espèce de rhétorique prudente à quoi l’on reconnaît l’
37 ce serait trahir. Si l’on veut agir sur l’époque, il faut d’abord avoir l’époque dans la peau ; c’est aujourd’hui en disan
38 en même temps la définition de notre humanisme, s’ il est bien cette volonté de vivre « humainement » que dans le monde ent
39 celui du xixe , resté celui de nos bons maîtres. Il ne s’agit non plus d’un humanisme qui dresserait l’homme contre Dieu,
40 e la vie impliquant cette identité et fondant sur elle ses valeurs les plus hautes et les plus quotidiennes à la fois. Car s
41 hautes et les plus quotidiennes à la fois. Car s’ il faut une morale simple, nous ne saurions admettre que celle qui dirai
42 pensez ce que vous n’oserez jamais faire. » Faut- il , pour d’autres, préciser que le manque d’originalité de telles remarq
43 yeux leur intérêt humain ? Dans leur simplicité, elles suffiront longtemps encore à provoquer l’indignation révélatrice de t
44 tous les amateurs d’inextricable ; d’autre part, elles définissent suffisamment la cause commune de la jeunesse européenne.
45 la jeunesse européenne. L’humanisme n’est rien s’ il n’est commun comme le péril qui nous menace ; s’il ne considère avant
46 l n’est commun comme le péril qui nous menace ; s’ il ne considère avant tout la commune condition humaine et sa défense co
47 lvante s’étend à toute la terre. Mais dès lors qu’ il devient cette défense de l’homme, il recouvre exactement le concept e
48 dès lors qu’il devient cette défense de l’homme, il recouvre exactement le concept et les méthodes de la Révolution naiss
49 cher, jusqu’à la fin de leurs loisirs fiévreux, s’ il faut faire quelque chose, et comment et pourquoi. Ce que nous devons
50 ce et la présence. Nous connaissons la vérité. Qu’ elle soit tombée du ciel ou qu’elle éclate dans les choses, on nous demand
51 sons la vérité. Qu’elle soit tombée du ciel ou qu’ elle éclate dans les choses, on nous demande seulement l’acte de la saisir
52 Révolution ne nous conduira pas au Paradis ; mais elle reste le seul effort effectif que l’homme d’aujourd’hui peut produire
53 rd’hui peut produire pour se tirer de l’Enfer, où il s’est mis. 11. Entendons par ce terme si vague l’activité créatrice
3 1934, Présence, articles (1932–1946). L’œuvre et la mort d’Arnaud Dandieu (1934)
54 out entière dans une doctrine de l’acte créateur. Il a écrit quelques ouvrages d’une audace précise. Ils ont paru dans une
55 l a écrit quelques ouvrages d’une audace précise. Ils ont paru dans une espèce de silence. Il a vu qu’une jeunesse avait co
56 précise. Ils ont paru dans une espèce de silence. Il a vu qu’une jeunesse avait compris, venait à lui comme il savait qu’e
57 qu’une jeunesse avait compris, venait à lui comme il savait qu’elle y viendrait. Quelque temps, il a pu éprouver la solidi
58 se avait compris, venait à lui comme il savait qu’ elle y viendrait. Quelque temps, il a pu éprouver la solidité de sa prise,
59 mme il savait qu’elle y viendrait. Quelque temps, il a pu éprouver la solidité de sa prise, la qualité du dynamisme qu’il
60 solidité de sa prise, la qualité du dynamisme qu’ il suscitait, et il est mort l’été dernier, dans cet élan qui va s’épano
61 rise, la qualité du dynamisme qu’il suscitait, et il est mort l’été dernier, dans cet élan qui va s’épanouir. Ce révolutio
62 la tension d’un esprit créateur n’est pas, comme il arrive chez les inadaptés, une tension entre l’individu et le milieu
63 on entre l’individu et le milieu qui lui résiste. Elle est à l’intérieur de la personne. Elle est la personne même. Elle ne
64 i résiste. Elle est à l’intérieur de la personne. Elle est la personne même. Elle ne se résout pas dans une indignation ni d
65 érieur de la personne. Elle est la personne même. Elle ne se résout pas dans une indignation ni dans une compréhension résig
66 la main, la puissance de bouleversement concret. Il semblait que Dandieu incarnait cette image du « spirituel » tel qu’il
67 ieu incarnait cette image du « spirituel » tel qu’ il l’a défini. Il avait le profil nettement dessiné, mais une rudesse pu
68 ette image du « spirituel » tel qu’il l’a défini. Il avait le profil nettement dessiné, mais une rudesse puissante sur le
69 raison d’être d’un homme, sinon cette tension qu’ il incarne et qui est aussi le ressort de sa puissance d’imagination con
70 omme le symbole impérieux de cet Ordre nouveau qu’ il annonçait. « L’intelligence est une épée », écrivait-il. Avec ce nom
71 onçait. « L’intelligence est une épée », écrivait- il . Avec ce nom de chevalier ! Son œuvre déconcerte les catégories de l
72 es catégories de la critique : c’est peut-être qu’ elle en institue une nouvelle. Le livre qu’il publiait, à Oxford, en 1927,
73 tre qu’elle en institue une nouvelle. Le livre qu’ il publiait, à Oxford, en 1927, sur Marcel Proust et sa Révélation psych
74 ’un chantier, et non point d’un salon littéraire. Il est tout animé de la joie de construire et d’abattre. Grande allure i
75 llure intellectuelle. — Comment ce Proust passa-t- il presque inaperçu en France ? Il renversait trop de théories à la mode
76 ce Proust passa-t-il presque inaperçu en France ? Il renversait trop de théories à la mode, avec trop de dédain peut-être…
77 prolongement nécessaire du Proust, et c’est là qu’ il faudra chercher leur origine spirituelle. Décadence de la nation fran
78 que plus constructive que celle de Marx, parce qu’ elle ne se fonde pas sur une pseudo-science, sur une métaphysique idéalist
79 Cartésien par l’audace méthodique de son analyse, il refusait pourtant la distinction rationaliste et libérale entre la pe
80 ale entre la pensée pure et l’acte qui l’atteste. Il professait que « l’écrivain ne saurait sans se diminuer refuser d’end
81 èrement, jusqu’au bout, les conséquences de ce qu’ il écrit ». Voilà pourquoi, parti de recherches d’ordre poétique sur la
82 que sur la métaphore chez Proust, Blake et Keats, il devait aboutir à une éthique politique. Cette trajectoire très singul
83 phes contemporains, mais aussi dans les études qu’ il publiait en revue sur la phénoménologie du savant, sur la psychologie
84 s tyrannies abstraites, étatistes ou financières, il faudra reconnaître dans le personnalisme la seule éthique actuellemen
85 irurgical qui devait entraîner sa mort, à 36 ans, il avait ajouté de sa main, sur les épreuves de son dernier ouvrage, une
86  » qui montent à l’assaut d’une Europe décadente, il ajoutait ces quelques phrases d’une sobre grandeur : En dépit d’un p
87 d’abord, aujourd’hui, nous appuyer sur la France. Il ne s’agit pas de défendre une idée ou une cité. Il ne s’agit pas de d
88 l ne s’agit pas de défendre une idée ou une cité. Il ne s’agit pas de défense. Mais de choix, d’affirmation, de création,
89 té du serviteur d’une grande cause, [ne] semble-t- il pas qu’il se transforme en une espèce d’interrogation angoissée ? « A
90 iteur d’une grande cause, [ne] semble-t-il pas qu’ il se transforme en une espèce d’interrogation angoissée ? « Allons-y »
91 louie — pascalienne. « Euphorie absolue », disait- il en ces derniers moments, tandis qu’il se battait encore, jugeait, voy
92 e », disait-il en ces derniers moments, tandis qu’ il se battait encore, jugeait, voyait enfin… Il savait aussi que son œuv
93 s qu’il se battait encore, jugeait, voyait enfin… Il savait aussi que son œuvre se poursuivrait par d’autres mains, sur ce
4 1935, Présence, articles (1932–1946). Contre Nietzsche (avril-mai 1935)
94 ute possession, est exclusive ; et c’est pourquoi il faut lutter contre celui qui attaque, parce que sa nature même veut q
95 lui qui attaque, parce que sa nature même veut qu’ il ne puisse être possédé que d’une manière exclusive et belliqueuse… Un
96 iption de l’anarchie spirituelle du xixe siècle. Il en a souffert si vivement qu’il n’est presque pas un aspect de la men
97 du xixe siècle. Il en a souffert si vivement qu’ il n’est presque pas un aspect de la mentalité du siècle athée auquel sa
98 corché n’ait réagi par une diamétrale opposition. Il coupe toutes les erreurs du temps à 180 degrés, juste. Son œuvre nous
99 là même, presque toujours tonique et enseignante, elle nous excite à des affirmations qui la condamnent. La forme aphoristiq
100 leur ensemble à l’unité suprême, celle de la foi. Elles appartiennent à sa vision du monde, elles en expriment la tension cré
101 la foi. Elles appartiennent à sa vision du monde, elles en expriment la tension créatrice, — toute création naissant d’une te
102 é d’une part, sa réalisation concrète de l’autre. Il est de la nature même de la foi — telle que la conçoit Kierkegaard —
103 négatif du dogmatisme mort de ses contemporains. Il attaque à droite et à gauche, utilisant tantôt la droite contre la ga
104 ouvelles, inconnues de la gauche et de la droite. Il ne quitte pas le plan des erreurs qu’il attaque. Il ne fait guère qu’
105 a droite. Il ne quitte pas le plan des erreurs qu’ il attaque. Il ne fait guère qu’y introduire une intensité délirante. C’
106 ne quitte pas le plan des erreurs qu’il attaque. Il ne fait guère qu’y introduire une intensité délirante. C’est là son j
107 tre « Femmes » dans les Œuvres posthumes : tantôt il attaque ceux qui idéalisent la femme, tantôt ceux qui l’animalisent.
108 éalisent la femme, tantôt ceux qui l’animalisent. Il formule contre le mariage des revendications antisociales — « géniale
109 evendications antisociales — « géniales » —, puis il édicte des lois eugéniques, d’intention manifestement sociale, mais,
110 — ce qui n’est certes pas à priori un mal —, mais elle perd aussi toute valeur soit actuelle, soit historique, soit même esc
111 e de foi originel (synthèse), et qu’alors même qu’ il nie toute possibilité de thèse provisoire (ce que n’avait pas fait l’
112 re Paul, autorisant en fin de compte le mariage), il renvoie à cette synthèse dont tout chrétien attend, dès maintenant, l
113 s nietzschéennes portant sur les valeurs morales. Il attaque l’altruisme, et démasque dans cette « vertu » les effets du «
114 iment » le plus bassement égoïste. Mais ailleurs, il exalte l’égoïsme contre la soi-disant morale du Christ, et au nom d’u
115 Christ, et au nom d’une espèce de « virtu » dont il laisse entendre souvent qu’elle n’est encore que le désespoir de celu
116 e de « virtu » dont il laisse entendre souvent qu’ elle n’est encore que le désespoir de celui qui ne peut aimer : hommage dé
117 etc.) Nietzsche a horreur de toute dogmatique13 : il est par là le type le plus parfait du clerc déraciné, du clerc sans m
118 mains, ou aux mains folles, du désorienté excité. Il apparaît alors comme le héros du monde bourgeois. Il incarne à la pui
119 apparaît alors comme le héros du monde bourgeois. Il incarne à la puissance infinie le goût du néant — le refus de la voca
120 sition si frénétique à la bêtise de sa classe, si elle suffit à le rendre complice, en fin de compte, des erreurs qu’il flag
121 rendre complice, en fin de compte, des erreurs qu’ il flagelle, ne suffit pas à établir entre sa pensée et son temps un con
122 un lien concret de responsabilité. C’est aussi qu’ il n’existe qu’un unique agent de contact réel et vital14, et c’est l’éc
123 en fait, consciemment, obéissante : sachant à Qui elle obéit ; envers Qui elle est responsable. Si l’homme vient en aide à s
124 béissante : sachant à Qui elle obéit ; envers Qui elle est responsable. Si l’homme vient en aide à son voisin par son action
125 ’ordre uniquement humain, on doit être certain qu’ il ne s’agit encore que d’égoïsme bien compris. L’homme se sert en serva
126 n compris. L’homme se sert en servant son voisin, il n’échappe point à la loi, et la loi n’établit jamais ni le contact vi
127 Mais Nietzsche a beau se colleter avec son temps, il a beau, par dépit de l’impuissant amour « moral », renverser les donn
128 nnées terrestres, tenter le contact par la haine, il n’aboutit jamais à saisir son prochain, à concrétiser sa pensée, à la
129 souveraine et parfaitement pénétrante de l’amour. Il ne parvient à rendre responsables du prochain ni son amour, ni sa hai
130 ni sa joie, ni ses derniers défis. C’est ainsi qu’ il exprime dans un style vraiment noble et tragique, parfois aussi d’une
131 de la mort que son siècle ait pu concevoir, et qu’ il fut seul sans doute, dans ce siècle, à oser mesurer sans tricherie. I
132 e, dans ce siècle, à oser mesurer sans tricherie. Il s’effondre d’ailleurs dès qu’il comprend son œuvre. Et c’est d’une in
133 r sans tricherie. Il s’effondre d’ailleurs dès qu’ il comprend son œuvre. Et c’est d’une infernale panique que ses derniers
134 ute position rongée et corrodée par le réactif qu’ elle secrète, toutes ces évaluations rageusement neutralisées, il nous res
135 toutes ces évaluations rageusement neutralisées, il nous reste de Nietzsche sa rage, son style souverain de pensée. Qu’il
136 tzsche sa rage, son style souverain de pensée. Qu’ il ne reste d’une œuvre qu’un style, n’est-ce pas là le dernier caractèr
5 1935, Présence, articles (1932–1946). Autour de Nietzsche : petite note sur l’injustice (novembre 1935)
137 mbre 1935)i Plus une personne est grande, plus il est téméraire de se donner pour juste devant elle. Imaginez une perso
138 s il est téméraire de se donner pour juste devant elle . Imaginez une personne absolument grande, — c’est-à-dire une personne
139 sure de l’homme : qui pourra se dire juste devant elle  ? La loyauté prononcera : Je suis injuste, je me rebelle, je ne puis
140 is, en la jugeant, que lui faire tort. Mais alors il ne s’agit plus, on le voit, de la même injustice. Par exemple, il se
141 s, on le voit, de la même injustice. Par exemple, il se peut que l’injustice vis-à-vis d’une œuvre humaine, injustice néce
142 tice nécessaire, inévitable, mais toute relative, elle aussi, témoigne en faveur d’une vérité décisive. Il se peut que cette
143 aussi, témoigne en faveur d’une vérité décisive. Il se peut que cette « injustice », qui fait tort à la vérité fragmentai
144 ette œuvre a voulu nier. Descendons jusqu’à nous. Il se peut que mon « injustice » déclarée, vis-à-vis de Nietzsche, rende
145 ue Nietzsche a refusé d’être ; et que, dans ce qu’ il a refusé d’être, réside justement l’essentiel au regard de la vérité.
146 ’essentiel au regard de la vérité. Or c’est là qu’ il est important de prendre position, et non ailleurs. Ne vivons-nous pa
147 de nous la confession et la déclaration de ce qu’ il tient pour plus vrai que sa vie, et à quoi tout le reste s’ordonne, y
148  » — à peu près tout — à cet acte de foi décisif. Il est un temps pour nuancer et balancer, et un temps pour trancher : po
149 n, rémission des péchés et de la peine de mort qu’ ils entraînent, c’est-à-dire, en un mot : Jésus-Christ15. Dogmatique : je
150 n des jugements entrecroisés ! Peut-être convient- il de leur adjoindre encore celui-ci : que nous ne sommes pas juges les
6 1946, Présence, articles (1932–1946). Le Nœud gordien renoué (avril 1946)
151 n exigeait l’innocence de l’âme. Quant au peuple, il vaquait à ses travaux. Un jour, un paysan nommé Gordius vient à cette
152 san nommé Gordius vient à cette ville de Phrygie. Il déclare qu’il voudrait visiter les curiosités de l’endroit. On lui in
153 ius vient à cette ville de Phrygie. Il déclare qu’ il voudrait visiter les curiosités de l’endroit. On lui indique le templ
154 lui indique le temple et la mairie. Sans hésiter, il entre au temple sur son char, et les prêtres s’écrient en chœur : C’e
155 le rester par astucieuse appropriation d’artisan. Il saute à terre, bien décidé à montrer aux gens de la ville ce qu’il sa
156 bien décidé à montrer aux gens de la ville ce qu’ il sait faire. Entre les cornes de l’autel et le timon du char, le voilà
157 le voilà qui se met à nouer le plus beau nœud qu’ il ait jamais rêvé. Il y passe des heures indicibles d’intensité et de c
158 à nouer le plus beau nœud qu’il ait jamais rêvé. Il y passe des heures indicibles d’intensité et de concentration. C’est
159 pour dénouer ce chef-d’œuvre brut, par Jupiter ! il n’est pas encore né ! On ne sait rien du règne de Gordius. Mais le nœ
160 ne sait rien du règne de Gordius. Mais le nœud qu’ il noua devint célèbre. Un oracle nouveau ne tarda pas à le consacrer ch
161 igne aussi de fécondité. Qu’une intrigue se noue, elle gouverne aussitôt les personnages qui la vivent. Un mariage se noue,
162 amitié se noue. Quand on peut dire d’un fruit qu’ il a noué, il devient graine. Celui qui sait comment se fait un nœud, sa
163 noue. Quand on peut dire d’un fruit qu’il a noué, il devient graine. Celui qui sait comment se fait un nœud, sait aussi co
164 d, sait aussi comment le défaire, et le refaire : il détient le secret du pouvoir. ⁂ De tous les pays de la Grèce, les rêv
165 rêveurs de couronnes vinrent contempler l’objet. Ils venaient s’asseoir devant lui, pour l’étudier avec passion, pendant d
166 n lui-même et qui se faisait analyser à Delphes : il venait entre deux séances subrepticement s’accroupir parmi nous, reno
167 faisant le nœud d’après nature, l’aimant parce qu’ il était dans sa nature… Celui qui prévoyait la science de nos jours, et
168 évoyait la science de nos jours, et me disait : — Il n’est de science que des phénomènes que l’on peut reproduire à volont
169 r, faute de pouvoir le répéter selon la recette ? Il n’existe donc point, à ses yeux. Elle n’en veut pas. Et si personne n
170 la recette ? Il n’existe donc point, à ses yeux. Elle n’en veut pas. Et si personne n’en veut, il est à moi ! Je le prends 
171 ux. Elle n’en veut pas. Et si personne n’en veut, il est à moi ! Je le prends : il est ma liberté… Celui qui murmurait par
172 personne n’en veut, il est à moi ! Je le prends : il est ma liberté… Celui qui murmurait parfois : — C’est consolant ! (pa
173 dévotions. Devant le nœud, après un long regard, elle dit : — Ce n’est pas si ressemblant que cela ! (Elle croyait que son
174 e dit : — Ce n’est pas si ressemblant que cela ! ( Elle croyait que son mari ne s’occupait que d’elle.) Et tant d’autres qui
175  ! (Elle croyait que son mari ne s’occupait que d’ elle .) Et tant d’autres qui vinrent, et qui restaient longtemps. Et nul ne
176 s, je vais criant : Renouez-le ! Renouez-le ! Car il y va de tout, du sens même de nos vies ! Car vous mourez, nous mouron
177 rons tous à la vie spirituelle, la vie précieuse. Elle n’existe que prise au complexe d’une âme, dans les détours du plus pr
178 , et qui sait bien que pour nouer un lien solide, il faut tous ces retours et ces tours illogiques, cette intrication sans
179 et tout espoir perdu, on sollicitait son conseil. Il prit la corde qui servait de ceinture à sa pauvre robe. Il en fit une
180 a corde qui servait de ceinture à sa pauvre robe. Il en fit une boucle simple et la tendit au messager : — Va leur donner
181 endit au messager : — Va leur donner ce nœud, dit- il , afin qu’ils le dénouent. — Un faible enfant pourrait le dénouer ! —
182 sager : — Va leur donner ce nœud, dit-il, afin qu’ ils le dénouent. — Un faible enfant pourrait le dénouer ! — L’homme le pl
183 homme le plus fort ne pourrait pas le dénouer, et il faudrait alors l’épée pour le trancher, si chacun tire par un bout, d