1 1951, Preuves, articles (1951–1968). Mesurons nos forces (avril 1951)
1 Mesurons nos forces (avril 1951)a b Nous sommes plutôt faibles devant la propagande totalitaire. Beaucoup, angoissés
2 s n’avons rien à opposer à ces « mystiques », qui sont au vrai des mystifications. Laissons les « mystiques » synthétiques a
3 mesurées, nous verrons que l’avenir et le progrès sont de notre côté. Et alors, nous voudrons sauver notre présent ! Nos for
4 oudrons sauver notre présent ! Nos forces réelles sont immenses. La première, c’est le trésor vivant des droits de toute nat
5 e, et de tourner le bouton si l’on s’ennuie, sans être dénoncé par les voisins ; le droit d’aimer et de haïr, le droit d’épo
6 de haïr, le droit d’épouser qui l’on veut… Il n’ est pas un seul de ces droits que les dictatures n’aient attaqué ou suppr
7 , n’aient déclaré antisocial ou criminel. Il n’en est pas un seul que n’ait conquis l’immense majorité des peuples libres q
8 s que l’Amérique. Tous ces droits bien vivants ne sont pas un passé, mais un présent ; bien plus, ils sont le gage d’un gran
9 nt pas un passé, mais un présent ; bien plus, ils sont le gage d’un grand avenir. Voilà l’espoir des hommes. Il est chez nou
10 d’un grand avenir. Voilà l’espoir des hommes. Il est chez nous. La seconde force dont nous disposons, et l’une des plus ty
11 sons, et l’une des plus typiques de l’Occident, n’ est autre que l’esprit critique. On nous dit qu’il se perd et l’on en don
12 elle ne « marche » plus pour aucune idéologie, je serais tenté plutôt de l’en féliciter. Si cette jeunesse, qui a vu les camps
13 l apporter à l’inquiétude du monde moderne ? » Je serais tenté de lui dire : l’esprit critique. Car cet esprit nous renvoie so
14 sfont point de réponses collectives. L’Occident n’ est pas une église, n’est pas une doctrine du salut, comme les partis tot
15 s collectives. L’Occident n’est pas une église, n’ est pas une doctrine du salut, comme les partis totalitaires voudraient l
16 es voudraient le devenir à bon marché. L’Occident est une somme immense de réalités, de réponses, de questions, de contradi
17 e prodigieuse diversité peut angoisser. Mais elle est d’autre part la condition de nos libertés, et de l’esprit créateur. C
18 , qui juge et qui sent par lui-même. Et cet homme est le but du progrès, le but de toute communauté digne du nom. J’en vien
19 tion majeure de l’Occident. L’idée de la personne est certainement la plus originale, la plus profonde aussi qu’ait élaboré
20 la communauté. Avec l’idée de personne, l’Europe est née ; avec elle, elle mourrait. J’indique tout de suite que le mal sp
21 n siècle ou deux. Mais combien cette maladie même est -elle plus proche de l’idéal humain que le collectivisme sibérien, ou
22 modernes tyrannies. On ne peut forcer personne à être libre, alors qu’il faut forcer les masses à être masses. Et c’est pou
23 être libre, alors qu’il faut forcer les masses à être masses. Et c’est pourquoi Personne égale Liberté, tandis que masse ég
24 mes, et encore bien moins à l’État, parce qu’elle est « immédiate à Dieu ». Telle est bien la passion de l’homme européen.
25 at, parce qu’elle est « immédiate à Dieu ». Telle est bien la passion de l’homme européen. Elle le met à la pointe du genre
26 mune dignité et notre risque le plus cher. Telles sont nos maladies. Telles sont nos forces. S’il est une chose au monde pou
27 ue le plus cher. Telles sont nos maladies. Telles sont nos forces. S’il est une chose au monde pour laquelle on ne peut fair
28 s sont nos maladies. Telles sont nos forces. S’il est une chose au monde pour laquelle on ne peut faire de propagande sens
29 est justement la liberté, puisqu’elle cesserait d’ être la liberté si l’on tentait de l’imposer. Mais on peut et l’on doit pr
30 d’une part le début de la guérison, quand le mal est d’ordre psychique ; c’est d’autre part une source de confiance en soi
31 ce de confiance en soi, quand les faits objectifs sont meilleurs que notre lassitude ne le pensait. Rendus conscients des fo
32 ces véritables de l’Europe et de l’Occident, nous serons en mesure, aussitôt, de renverser l’absurde situation volontairement
33 coup repris l’initiative. C’est l’autre camp qui sera forcé de se mettre sur la défensive, contre le rayonnement de nos vra
34 t un plus grand passé. Si vous demandez : quelles sont nos chances ? Je dirai qu’elles dépendent de chacun de nous, — beauco
35 l 1951, p. 1-3. b. Une note précise : « Ce texte est extrait d’une brochure de Denis de Rougemont, intitulée Les Libertés
2 1951, Preuves, articles (1951–1968). Neutralité et neutralisme (mai 1951)
36 Neutralité et neutralisme (mai 1951)c d Nous sommes contre toute espèce de totalitarisme, pour une raison très simple, d’
37 cience pratique. D’autre part, dès que la culture est subordonnée à la politique, elle cesse d’être une méthode de libérati
38 ture est subordonnée à la politique, elle cesse d’ être une méthode de libération humaine pour devenir une préparation mental
39 otalitaire contre la liberté de la pensée ne doit être plus redoutée que pour l’âme même de ce pays de très vieille et profo
40 , le totalitarisme le plus dangereux de nos jours est le stalinisme, variété la plus puissante d’une maladie unique, qui pe
41 ngisme, ou ce qu’on voudra ; mais dont les effets sont les mêmes puisqu’elle aboutit toujours à soumettre la pensée à la pol
42 rce même de notre liberté. Et voilà pourquoi nous sommes antistaliniens. …On a dit que nous sommes ici au service des Américai
43 oi nous sommes antistaliniens. …On a dit que nous sommes ici au service des Américains. Soyons bien clairs : nous ne serons ja
44 it que nous sommes ici au service des Américains. Soyons bien clairs : nous ne serons jamais « pour l’Amérique » de la même ma
45 vice des Américains. Soyons bien clairs : nous ne serons jamais « pour l’Amérique » de la même manière que les staliniens sont
46 ’Amérique » de la même manière que les staliniens sont « pour la Russie ». Pour le stalinien, les seuls critères de jugement
47 critères de jugement intellectuels et artistiques sont ceux qu’impose l’intérêt du Parti, intérêt confondu une fois pour tou
48 ien ni avec le vrai. Même si l’Amérique se trouve être actuellement le défenseur le plus efficace de nos libertés, nous ne s
49 fenseur le plus efficace de nos libertés, nous ne sommes pas prêts à souscrire sans condition, une fois pour toutes, à tout ce
50 tes la liberté avec les intérêts américains. Nous sommes amis des Américains, mais plus encore amis de la vérité. …On a préten
51 encore amis de la vérité. …On a prétendu que nous étions réunis à Bombay pour condamner la neutralité en général, et celle de
52 re la neutralité et le neutralisme. La neutralité est une mesure politique qui peut être très bonne, très utile, et même tr
53 . La neutralité est une mesure politique qui peut être très bonne, très utile, et même très nécessaire dans certaines situat
54 . …Mais si je rentre dans mon domaine propre, qui est celui de la culture, je constate que la neutralité simplement n’y exi
55 t une politique défendable. Mais alors, ce qui ne serait pas défendable, ce qui serait une tricherie évidente, ce serait que l
56 is alors, ce qui ne serait pas défendable, ce qui serait une tricherie évidente, ce serait que l’agneau prétende justifier sa
57 endable, ce qui serait une tricherie évidente, ce serait que l’agneau prétende justifier sa politique par des raisons morales
58 ales, et qu’il dise par exemple : — « Après tout, soyons objectif ! Voyons les deux côtés de la question. Ce loup ne pense pas
59 al, il a grand-faim, il a beaucoup lu Marx, et il est “partisan de la paix” ; d’autre part, ce berger n’est pas un homme pa
60 “partisan de la paix” ; d’autre part, ce berger n’ est pas un homme parfait, il boit souvent trop, et il ne lit que le Reade
61 est. Je refuse donc l’un et l’autre également, je suis neutre. » C’est contre ce mensonge-là que nous devons lutter, je veux
62 Preuves, Paris, mai 1951, p. 20-21. d. Le texte est précédé du chapeau suivant : « Nous avons rendu compte, dans notre pr
63 ongrès indien pour la liberté de la culture qui s’ est tenu à Bombay, du 28 au 31 mars. Au cours de cette conférence, Denis
3 1951, Preuves, articles (1951–1968). Culture et famine (novembre 1951)
64 s. J’ai vu cela ce printemps à Bombay, et ne m’en suis pas trop étonné. Mais pour peu que l’on y réfléchisse… Pourquoi ne pa
65 es hommes, et qui n’en pensent pas moins. Culture est un mot plus récent, mais ce qu’il désigne est très vieux. Si les anci
66 ure est un mot plus récent, mais ce qu’il désigne est très vieux. Si les anciens Hindous, les Sumériens, les Égyptiens et l
67 ation. S’il n’y avait point de civilisation, nous serions sans moyens techniques de remédier à la famine. Ce n’est pas un démag
68 s moyens techniques de remédier à la famine. Ce n’ est pas un démagogue, ni même un philanthrope, c’est un savant indien nom
69 idence » ? Il me semble pourtant que le contraire est vrai, que ce sont les repus qui n’écoutent pas, que la disette fut mè
70 semble pourtant que le contraire est vrai, que ce sont les repus qui n’écoutent pas, que la disette fut mère des civilisatio
71 sont les repus qui n’écoutent pas, que la disette fut mère des civilisations, comme l’angoisse l’est de la pensée. Quant à
72 te fut mère des civilisations, comme l’angoisse l’ est de la pensée. Quant à l’erreur courante sur la culture, elle consiste
73 ette conseillait à un peuple sans pain. Culture n’ est pas consommation, mais production. C’est ce que l’époque bourgeoise s
74 prolétariat hérite de cette erreur. Si la culture est tout d’abord prise de conscience de l’homme en tant que créateur, ell
75 conscience de l’homme en tant que créateur, elle est moyen de libération dans tous les ordres, du plus intellectuel au plu
4 1952, Preuves, articles (1951–1968). « L’Œuvre du xxe siècle » : une réponse, ou une question ? (mai 1952)
76 f Plus nombreux qu’ils ne voudraient le croire sont ceux qui nous répètent, depuis vingt ans, que l’état de nos arts est
77 épètent, depuis vingt ans, que l’état de nos arts est la preuve d’une décadence de l’Occident. Cette mystification date des
78 t l’appuie cette fois-ci sur une doctrine. Le mal serait entré dans la peinture, dit-elle, avec les pommes de Cézanne, pommes
79 conduire à Picasso, lequel, tout communiste qu’il soit , sert Wall Street et ses sombres desseins1. Quant à l’avenir, il sera
80 et et ses sombres desseins1. Quant à l’avenir, il serait représenté par les tableaux de genre militaire du réalisme socialiste
81 nte ans : ils parlent d’eux-mêmes et leur langage sera plus convaincant que tous les arguments. Mais la riposte, ici, transc
82 le le réduit au rôle épisodique qui, précisément, fut toujours celui des pouvoirs politiques, de leurs goûts et de leurs ce
83 ose bien d’autres problèmes. Le premier me paraît être celui de la prise de conscience d’une époque non par ses héritiers, m
84 dont la fonction, selon l’oracle sibyllin, devait être de restaurer ou de maintenir la cité dans sa gloire. Une telle concen
85 pénétrant les structures de l’Inconscient. Qu’il soit peintre, poète ou conteur, plus il s’avance dans ce domaine, plus il
86 t la notion nouvelle d’optimum ? Faut-il se faire soit monstre, soit vedette ou bien tenter de se faire classique ? Autre pa
87 uvelle d’optimum ? Faut-il se faire soit monstre, soit vedette ou bien tenter de se faire classique ? Autre paralogisme de c
88 e compensations, ou bien l’un des deux phénomènes serait -il la rançon de l’autre ? Sommes-nous dans une situation globale de d
89 deux phénomènes serait-il la rançon de l’autre ? Sommes -nous dans une situation globale de disjonctions irrémédiables, de div
90 emble exposées dans Paris. Le choix de la ville n’ est pas sans signification. Paris fut, pendant ce demi-siècle, le lieu gé
91 x de la ville n’est pas sans signification. Paris fut , pendant ce demi-siècle, le lieu géométrique de l’aventure moderne :
92 époque : la réponse qu’elle apporte, d’une part, est , de l’autre, une remise en question. 1. « Picasso ne crée pas ses œ
93 enov, Les Deux Cultures, Moscou, 1947. Ce Kemenov était à l’époque président de la VOKS, c’est-à-dire chef des relations cult
94 ulturelles de l’URSS avec l’étranger. Sa brochure est un texte officiel, répandu à des millions d’exemplaires en URSS. f.
5 1952, Preuves, articles (1951–1968). Le sens de nos vies, ou l’Europe (juin 1952)
95 s latines, comme en anglais, vient d’educere, qui est « conduire au-dehors ». Donc libérer, non plus forcer dans le moule c
96 ental (je pense aux Hindous plus qu’aux Chinois), est d’une caste, d’un ordre, d’un Karma, dont personne n’est jamais sorti
97 ne caste, d’un ordre, d’un Karma, dont personne n’ est jamais sorti que par la mort (ou par la sainteté, une fois sur des mi
98 ’un pays totalitaire, le parti sait pour lui quel est son bien, et lui prouve au besoin qu’il le sait mieux que lui. L’idée
99 dée de varier, de différer ou d’innover, l’idée d’ être soi-même « à son idée », voilà qui pour l’Oriental suggère une inconv
100 ures, tandis que le Soviétique, dès cette vie-ci, sera « rééduqué » pour l’avenir collectif. Nous voyons au contraire l’homm
101 fèrent (ou du moins il s’en flatte) de celles qui sont censées régner, ses talents qu’il expérimente, enfin sa vocation s’il
102 ressent, mais au monde ou à la société, voilà qui est proprement occidental. Cela donne le révolté, l’objecteur de conscien
103 a compté dans la vie de l’Europe, tout ce qui s’y est fait un nom et un visage distinct. Soulignons maintenant que ce drame
104 ocial, entre la personne libre et la fatalité, ne serait pas concevable hors d’un monde qui date ses années de la Crucifixion,
105 humaine. Pour beaucoup d’entre nous l’expression est passée au rang de cliché. Mais l’historien jugera différemment. Car à
106 amentale, cette conquête majeure de l’Occident, n’ est rien de moins que la résultante de trois grandes civilisations : cell
107 lier, la Judée. Toute l’histoire de l’Europe peut être interprétée à partir de la vaste synthèse de ces trois courants, culm
108 e nos activités. Ôtez le moi distinct, le droit d’ être une personne, et du même coup nos vies n’auraient plus sel ni sens :
109 rope, disons plus : sur l’espoir humain. Ma thèse est simple. Elle consiste à rappeler que la plupart de nos valeurs et idé
110 à la fois libre et responsable, libre parce qu’il est chargé d’une vocation qui le distingue de la masse, lui donne une dir
111 engagé dans une aventure bien réelle, mais qu’il est seul à pouvoir courir. Cette valeur unique de tout homme, voilà la gr
112 dérivent, en tout cas, d’une manière démontrable, fût -ce par une suite de laïcisations ou même de dégradations, parfois aus
113 ve au plan collectif. Ces valeurs, ces activités, seraient proprement inconcevables sans cette notion originelle de la personne.
114 rner complètement. On peut dire que la révolution est , pour une collectivité, l’équivalent exact d’une conversion. Or la co
115 , radicale, changeant tout — le Chemin de Damas — est un phénomène caractéristique du christianisme. De même, nous constato
116 tique, par exemple, ne peut la concevoir. Elle ne serait à ses yeux qu’indécence, blessure à l’ordre du cosmos, crime absurde.
117 s seuls hommes touchés par l’idéologie communiste étaient ceux que l’Occident avait contaminés : jeunes intellectuels éduqués e
118 ose une croyance innée dans la valeur unique de l’ être aimé, irremplaçable, infiniment distinct de tous les autres. Or cette
119 romanesque. Il estime à bon droit que la passion est une force antisociale, qui ne pourrait que gêner le rendement du stak
120 passion, donc, qui nous paraît si « naturelle », est en réalité exceptionnelle dans le monde. On peut la qualifier d’extra
121 ntaine — dans la révolution chrétienne et qu’elle est inconcevable hors d’un monde où Pascal peut placer dans la bouche mêm
122 les temps, mon amour personnel. Ces deux exemples sont extrêmes. Nous ne sommes pas tous des révolutionnaires, ni les héros
123 rsonnel. Ces deux exemples sont extrêmes. Nous ne sommes pas tous des révolutionnaires, ni les héros d’une grande passion mort
124 assion mortelle, mais la révolution et la passion sont pour nous tous des repères décisifs. Nos vies sont orientées par rapp
125 ont pour nous tous des repères décisifs. Nos vies sont orientées par rapport à ces pôles. Voici, plus près de nos vies quoti
126 niveau de culture, en Europe, le non-conformiste est bien vu, tandis que la banalité disqualifie. Tout l’effort de l’artis
127 e aztèque, ou le grand sorcier nègre, le problème est non pas de différer, mais au contraire d’appliquer les recettes, de t
128 a variation, l’innovation individuelle ne peuvent être à leurs yeux que des erreurs. Elles risqueraient de faire rater l’opé
129 ste et le révolté, l’Europe connaît d’ailleurs un être intermédiaire : celui qui a le sens de l’humour. L’Occident a créé l’
130 d’hui dans le pouvoir anonyme de l’État. L’humour est la combustion lente de la révolte des individus. C’est pourquoi vous
131 rendre distance par rapport à ce que l’on se voit être . Dans l’humour, c’est donc la personne qui juge son propre individu…
132 ple, le Progrès, et notre attitude envers lui. Il est de mode aujourd’hui de douter du Progrès. Les plus grands esprits de
133 volutions à l’État totalitaire ; que le Progrès n’ est donc nullement fatal ; qu’il n’est plus même un idéal européen, mais
134 e le Progrès n’est donc nullement fatal ; qu’il n’ est plus même un idéal européen, mais bien russe et américain, et tout ce
135 tout cela semble en bonne partie vrai. Mais il n’ est pas moins vrai que l’horizon d’un progrès possible reste vital pour l
136 lus vaste et plus libre reste ouvert. De plus, il serait faux de penser que notre idée européenne du progrès ait vraiment émig
137 ui fait, à nos yeux, tout son prix : elle cesse d’ être liée à l’idée de liberté, c’est-à-dire à la perspective d’une vie plu
138 lle se lie à l’idée de contrainte collective, qui est la négation même de son mouvement originel. D’où nous vient, en effet
139 ous vient, en effet, le concept du Progrès ? Il n’ est apparu comme concept social qu’au xviiie siècle. Mais ses origines s
140 pt social qu’au xviiie siècle. Mais ses origines sont beaucoup plus anciennes et remontent incontestablement — encore une f
141 outes les religions antiques et celles de l’Asie, étaient des religions an-historiques, en ce sens qu’elles croyaient et enseig
142 lois du Retour éternel. Pour ces religions, il n’ était point de nouveauté, de véritable création possible. Leur nostalgie n’
143 de véritable création possible. Leur nostalgie n’ était pas dans l’avenir, mais dans le temps mythique des origines ; le Para
144 novations imprévues, que les petits-fils puissent être plus heureux que leurs ancêtres, était donc étrangère aux Anciens, co
145 ls puissent être plus heureux que leurs ancêtres, était donc étrangère aux Anciens, comme elle le reste à la plupart des Orie
146 ire devient possible. L’évolution de l’humanité n’ est plus une suite indéfinie de cycles et de répétitions dont l’homme ne
147 s dont l’homme ne saurait se libérer et dont il n’ est pas responsable ; elle devient une longue aventure, où tout reste imp
148 de nos jours, notre foi dans le Progrès a cessé d’ être une foi naïve. Nous nous posons à son sujet des questions parfois ang
149 rès ? La question paraît insoluble. Nos créations sont toujours équivoques, chacun le sait au xxe siècle. L’essor de l’indu
150 re un pur et simple acte de foi, devant lequel il est permis de rester sceptique… En vérité, l’idée de Progrès ne peut repr
151 té ne peut avoir de sens que pour l’individu (que serait une liberté en masse ?). Je définirai donc le Progrès véritable comme
152 ntation continuelle des possibilités de choix qui sont offertes, tant matérielles que culturelles, à un nombre sans cesse cr
153 nt d’individus. Et la mesure de ce Progrès, ce ne sera pas seulement l’augmentation de notre sécurité, de notre confort, mai
154 et des moyens de nous décider nous-mêmes, donc d’ être libres. Car la seule liberté qui compte pour moi — dira tout véritabl
155 es-uns de ses traits les plus typiques — l’Europe est la patrie du moi distinct, des individus, des personnes, de ceux qui
156 oilà pourquoi je disais en débutant, que l’Europe est aussi la conscience du monde. J’illustrerai cette seconde thèse par t
157 et de Christophe Colomb au capitaine Cook. Ce ne sont pas les Aztèques ni les Bantous, ni même les Hindous qui nous ont déc
158 ous qui nous ont découverts. C’est nous qui avons été y voir. Mais il y a plus. Nous avons en Europe des sinologues, des hi
159 ssus de nos nations. Deuxième remarque : l’Europe est le Musée du monde. Et je ne pense pas seulement en disant cela, au Lo
160 ts-Unis… (Il y en avait un seul, à Leningrad : il est fermé depuis bien des années, les Soviets ayant décidé, en plein acco
161 idé, en plein accord avec Goebbels, que notre art était décadent.) Nous avons fait bien plus que de collectionner, bien plus
162 Iran, qui savent bien mieux que les natifs, quels furent les grands moments de la recherche et de l’essor spirituel dans ces p
163 uation paraît tragiquement claire, encore qu’elle soit paradoxale. D’une part, on peut la comparer aux heures d’angoisse de
164 répandu dans nos élites — le pire danger, tant il est vrai que nous résigner à croire notre déclin fatal, le rendrait en ef
165 autre conférence pour démontrer que notre culture fut bel et bien, dans le passé, la vraie raison de notre puissance, même
166 choses, les turbines, c’est sérieux, la culture n’ est qu’un luxe, et que l’important, c’était de lutter d’abord contre le c
167 sa puissance de la turbine, mais après tout ce n’ est pas lui qui l’inventa. Qui donc ? J’ouvris une encyclopédie, et trouv
168 le pays. Quand on me demande maintenant : quelle est donc cette Europe que vous voulez unir pour la sauver ? Je réponds qu
169 voulez unir pour la sauver ? Je réponds que ce n’ est pas celle des turbines, mais celle de l’inventeur de la turbine ; non
6 1952, Preuves, articles (1951–1968). Le dialogue Europe-Amérique (août-septembre 1952)
170 aspect de tentation intellectuelle, le stalinisme est en recul marqué dans nos pays. À Paris et à Rome, où il avait conquis
171 icacité. Or ce reflux — dont rien n’indique qu’il soit simplement temporaire — découvre une situation nouvelle. Dès l’instan
172 ’Œuvre du xxe siècle », à Paris, André Malraux s’ est écrié : « L’Amérique n’est qu’une partie de l’Europe ! » L’Amérique n
173 Paris, André Malraux s’est écrié : « L’Amérique n’ est qu’une partie de l’Europe ! » L’Amérique n’est-elle pas plutôt la fil
174 n’est qu’une partie de l’Europe ! » L’Amérique n’ est -elle pas plutôt la fille de l’Europe ? Ou mieux encore : la fille d’E
175 ins », et d’une vaste contrée vierge. Une fille n’ est pas une partie de son père. Elle peut tenir de lui mais agir autremen
176 par rapport au monde. En fait, l’Amérique du Nord est en train de développer une civilisation certes proche parente de la n
177 tonome ; la plus grande différence entre les deux étant que l’Amérique tend consciemment vers les standards de culture, tandi
178 ntradictoires : la peur et l’attrait combinés. Il est clair qu’une partie sans cesse croissante de l’intelligentsia europée
179 ontre les Russes. (Mais l’attitude antiaméricaine est plus ancienne que ces griefs, et très souvent ne leur doit rien.) Qua
180 e leur doit rien.) Quant aux motifs d’attrait, ce sont parfois les mêmes, plus chez beaucoup l’idée que là-bas, la démocrati
181 que là-bas, la démocratie marche mieux, l’avenir est plus ouvert, et les rapports humains plus francs et plus cordiaux que
182 c vos dollars, mais si vous exigez que votre aide soit efficace, nous crierons à l’impérialisme ; puis décampez, go home, la
183 à l’isolationnisme. Quant à la culture, la cause est entendue, vous n’êtes que des barbares : digests, Collier’s, Coca-Col
184 Quant à la culture, la cause est entendue, vous n’ êtes que des barbares : digests, Collier’s, Coca-Cola, Hollywood, comics e
185 ier’s, Coca-Cola, Hollywood, comics et whisky. Il est vrai que nous copions vos romans et vos danses. Mais vous n’avez même
186 impérialistes, ou deviennent isolationnistes, ce sera bien notre faute dans les deux cas. Car il faut faire l’Europe, ou il
187 s. Car il faut faire l’Europe, ou il faudra subir soit leur intervention, soit leur retrait. Et si la « civilisation du dige
188 urope, ou il faudra subir soit leur intervention, soit leur retrait. Et si la « civilisation du digest » prévaut chez nous,
189 « civilisation du digest » prévaut chez nous, ce sera notre faute encore, autant que celle des USA. Les digests, que nous l
190 SA. Les digests, que nous lisons par millions, ne sont tout de même pas distribués par M. Acheson, ni leur lecture imposée p
191 ultipliées chez nous. Notre élite s’en plaint, il est vrai. Mais l’élite des USA aussi. Personne encore n’a proposé de remè
192 t des lectures faciles. (Le réalisme socialiste s’ est borné à les rendre obligatoires.) Prenons un exemple précis. Dès qu’i
193 restige suspect, d’autre part se voit accusé de n’ être rien qu’un « instrument de la guerre froide ». Devant l’ambiguïté d’u
194 , tout en gardant un contrôle raisonnable. Puis s’ étant assuré d’une documentation dont l’ampleur bien souvent dépasse son ob
195 croit vraiment… (J’écris on à dessein : car ce ne sont pas les mêmes qui, en Europe, font la culture et ont l’argent. Mais g
196 orte qui de se prononcer sur n’importe quoi qui n’ est pas dans la situation concrète de l’Europe, mais dans le programme d’
197 entendus ? La bonne volonté n’y suffit pas ; elle est là, très souvent, elle n’a rien empêché. Depuis un certain temps, le
198 t l’Amérique. Pour qu’un dialogue de cette nature soit juste, et pour qu’il puisse créer une atmosphère plus saine, quelques
199 ont paru requises : a) La première rencontre doit être restreinte et non spectaculaire ; il ne s’agit pas d’un congrès, mais
200 entants de l’Amérique et ceux de l’Europe doivent être choisis au même niveau de culture et de responsabilité : cessons de c
201 e. c) Nos griefs et critiques réciproques doivent être considérés comme justifiés, dès le départ, et la question ne sera pas
202 comme justifiés, dès le départ, et la question ne sera pas d’échanger de mauvaises notes, mais de trouver, après une analyse
203 ais en actes, — voilà des objectifs concrets. Ils sont vitaux. Car si l’Europe et l’Amérique n’arrivent pas à s’entendre eff
7 1953, Preuves, articles (1951–1968). Deux princes danois : Kierkegaard et Hamlet (février 1953)
204 rier 1953)j La carrière de Søren Kierkegaard s’ est déroulée en une douzaine d’années comme un drame unique, intense, ine
205 e 42 ans. Le seul événement extérieur de ce drame fut la rupture de ses fiançailles avec Régine Olsen, crise initiale qui l
206 t mourir, certain d’avoir accompli sa mission, ce fut son attaque contre le christianisme moderne au nom du Christ de l’Éva
207 s d’un drame dont lui seul détenait la clé. Ce ne fut qu’à la fin de sa vie qu’il s’offrit sans masque à la lutte, au cours
208 le mener à la mort. Ainsi le drame de Kierkegaard fut typiquement celui d’une vocation. Toute son intrigue consiste dans le
209 biographie de Kierkegaard ? Il reste à voir s’il est possible de pousser ce parallèle beaucoup plus loin dans le détail. C
210 e parallèle beaucoup plus loin dans le détail. Ce serait peut-être un bon moyen d’illustrer à la fois la pensée et la vie de K
211 ctif et l’autre réel. Hamlet, jeune prince royal, est un intellectuel. Il n’a d’autre désir que de retourner à l’Université
212 intenant dans quels termes Kierkegaard lui-même s’ est décrit. Lui aussi se sent un prince. « Il y a quelque chose de royal
213 prince. « Il y a quelque chose de royal dans mon être  », fait-il dire à l’un de ses pseudonymes. Lui aussi voudrait « retou
214 sous des apparences de gaieté. » Ou encore : « J’ étais armé d’une foi presque téméraire en ma capacité de pouvoir toutes cho
215 es choses, sauf une : devenir un oiseau libre, ne fût -ce qu’un seul jour, rompre les chaînes de la mélancolie, où une autre
216 rage, L’Alternative : deux princes vraiment, deux êtres d’exception, pleins de hardiesse et de fierté, mais inaptes à la vie
217 ci que ces deux individus, pour qui la vie en soi est déjà un problème, reçoivent en outre une mission redoutable et qui le
218 core que leur nature psychologique, à devenir des êtres d’exception. Hamlet reçoit sa mission de son père, qui lui apparaît s
219 ctre. Assassiné, dit-il, par le roi actuel, qui n’ est donc qu’un usurpateur, le père ordonne au fils de le venger. Hamlet r
220 ué la nature. Nous savons cependant que le secret était lié à la mémoire de son père. Il qualifie cette révélation de « grand
221  : le soi-disant christianisme des temps modernes est une tromperie, une immense illusion. Il ne ressemble pas davantage à
222 itimité. Et Kierkegaard pressent sa vocation, qui sera de dénoncer l’usurpation religieuse, afin de rétablir dans sa pureté
223 voyons les deux héros gémir sous le faix qui leur est imposé : « L’époque est détraquée, hélas ! pourquoi faut-il que je so
224 mir sous le faix qui leur est imposé : « L’époque est détraquée, hélas ! pourquoi faut-il que je sois né pour la rajuster !
225 ue est détraquée, hélas ! pourquoi faut-il que je sois né pour la rajuster ! », s’écrie Hamlet. Et Kierkegaard ne cesse de r
226 se de répéter sur tous les tons la même idée : il est né pour forcer notre époque détraquée à reconnaître l’absolu chrétien
227 dans le Royaume de Danemark » et que leur destin sera de dénoncer cette situation, advienne que pourra… Les caractères étan
228 te situation, advienne que pourra… Les caractères étant donnés, la mission définie dès le début du drame, voyons maintenant l
229 mes. Le message chrétien, qui lui importe seul, y sera toujours présent, mais soigneusement dissimulé. De la sorte, il attir
230 et l’usurpation. « Cette représentation, dit-il, est le moyen par lequel je surprendrai la conscience du roi. » Tous les d
231  » malgré eux. (Mundus vult decipi, le monde veut être trompé, constate Kierkegaard à plusieurs reprises.) Mais à ce jeu ils
232 te reste le même dans les deux cas. Kierkegaard s’ est expliqué sur la rupture de ses fiançailles avec Régine. Il s’est expl
233 r la rupture de ses fiançailles avec Régine. Il s’ est expliqué, peut-on dire, dans toute son œuvre, et non pas seulement da
234 des ouvrages tels que Coupable-Non coupable, qui sont en réalité le récit à peine déguisé de ses fiançailles et l’analyse i
235 aard aime Régine, jeune fille de 17 ans, et il en est aimé. Mais il a son secret ambigu, le secret de sa vocation et celui
236 mélancolie. Or il comprend bientôt que le secret serait trop lourd pour la jeune fille. Naïve et spontanée, elle tenterait si
237 étrange vocation. Peut-on se marier si l’on veut être un témoin de la vérité ? Un soldat à la frontière devrait-il être mar
238 e la vérité ? Un soldat à la frontière devrait-il être marié ? se demande Kierkegaard. Et lui, qui se bat aux avant-postes,
239 évéler et faire mourir l’aimée ? » S’il choisit d’ être la victime, une seule issue lui reste ouverte : rompre avec la jeune
240  : Oui, dans dix ans, quand le feu de la jeunesse sera passé : il me faudra une demoiselle au sang frais pour me rajeunir. »
241 toute la nuit. « Mais le lendemain, écrit-il, je fus comme d’ordinaire, et même plus pétillant d’esprit que jamais : c’éta
242 la conduite d’Hamlet devant cette autre enfant qu’ est Ophélia. Hamlet a compris lui aussi que l’amour spontané et naïf d’Op
243 es, s’écrier ensuite : « Comment ferait-on pour n’ être pas gai ! » Cependant qu’il avoue en aparté : « Je dois paraître crue
244 parté : « Je dois paraître cruel, mais c’est pour être tendre… » Il convient de marquer ici, en toute justice, une différenc
245 ssaut de fleuret. Seulement, le fleuret de Laerte est empoisonné : le duel sportif tourne au duel à mort. Blessé, Hamlet ne
246 Hamlet ne peut plus hésiter. Il tue le roi. Quel fut , chez Kierkegaard, l’équivalent de ce sommet du drame, ou de cette « 
247 n « vrai témoin de la vérité ». Dans cette phrase était le poison, pour Kierkegaard. Car toute son œuvre, toute sa carrière d
248 pratiquement de martyr. Or l’évêque Mynster avait été un grand prélat, chargé de titres et d’honneurs, un fin lettré, un hu
249 publier, il attendit que le professeur Martensen fût devenu évêque à son tour, succédant à Mynster. Puis il publia l’artic
250 Mynster. Puis il publia l’article. Et cet article fut son acte, l’attaque directe, décisive et mortelle, aussi « exagérée »
251 cisive et mortelle, aussi « exagérée » que peut l’ être l’élan d’un combattant qui joue sa vie sur un seul coup. Voici un ext
252 n témoin de la vérité, c’est un homme dont la vie est , du commencement à la fin, familière avec toute espèce de souffrance
253 té, insulté, outragé, bafoué ; c’est un homme qui est flagellé, torturé, traîné de prison en prison, et puis enfin — car c’
254 jeté par le bourreau dans un endroit écarté, sans être enterré. Voilà un témoin de la vérité, sa vie et son existence, sa mo
255 et l’évêque Mynster, dit le professeur Martensen, fut un des vrais témoins de la vérité. En vérité, il y a quelque chose de
256 s et de jouer ensuite au jeu que l’évêque Mynster était un témoin de la vérité. Une polémique furieuse s’éleva de toutes par
257 de toutes parts. L’opinion danoise et scandinave fut secouée d’une vertueuse indignation. Kierkegaard luttait seul contre
258 ait osé l’acte ; il avait réussi : l’usurpation s’ était vue dénoncée, et il avait forcé le grand public à devenir attentif à
259 stant. Depuis longtemps, la pensée de Kierkegaard était comme fascinée par les deux concepts d’instant et de saut. L’instant,
260 aute de l’oser, on n’a rien3.   Plongé comme je l’ étais , en écrivant les lignes qui précèdent, dans la lecture alternée de Ki
261 de Kierkegaard et de Shakespeare, j’avoue qu’il m’ est arrivé plus d’une fois de ne plus bien savoir lequel des deux parlait
262 des deux parlait et de m’imaginer qu’Hamlet avait été écrit par Kierkegaard, voire qu’à l’inverse la biographie de Kierkega
263 qu’à l’inverse la biographie de Kierkegaard avait été mise à la scène deux siècles et demi avant d’être vécue. Le style éli
264 été mise à la scène deux siècles et demi avant d’ être vécue. Le style élisabéthain de Kierkegaard, son lyrisme énergique, m
265 érences. Chose curieuse, cette note de deux pages est publiée en appendice au livre dans lequel Kierkegaard raconte le dram
266 l semble donc que le parallèle que j’ai risqué se soit offert à l’esprit de Kierkegaard, et qu’il ait tenu à le corriger lui
267 rame religieux. Car, si les scrupules d’Hamlet ne sont pas d’ordre religieux, le héros cesse d’être vraiment tragique. Il fr
268 t ne sont pas d’ordre religieux, le héros cesse d’ être vraiment tragique. Il frise le comique. Si, au contraire, ses tergive
269 effet, « dans l’ordre esthétique, l’obstacle doit être hors du héros, non pas en lui ». Si l’obstacle à son acte est en lui,
270 héros, non pas en lui ». Si l’obstacle à son acte est en lui, il s’agit d’un scrupule religieux. Dans ce cas, le héros n’es
271 d’un scrupule religieux. Dans ce cas, le héros n’ est grand que par sa souffrance, non par son triomphe. Il n’y a plus de j
272 l… Traduisons cela en d’autres termes : si Hamlet était religieux, il n’y aurait pas l’Hamlet de Shakespeare, mais on rejoind
273 e de Kierkegaard. Le drame de Kierkegaard n’a pas été fictif. Il n’a pas été joué et ne saurait l’être. Il a été vécu et so
274 ame de Kierkegaard n’a pas été fictif. Il n’a pas été joué et ne saurait l’être. Il a été vécu et souffert consciemment (av
275 s été fictif. Il n’a pas été joué et ne saurait l’ être . Il a été vécu et souffert consciemment (avec une conscience folle, p
276 f. Il n’a pas été joué et ne saurait l’être. Il a été vécu et souffert consciemment (avec une conscience folle, pourrait-on
277 ’ordre de parler aux nations, il répond : « Je ne suis qu’un enfant, voici, je ne sais point parler. » Nous dirions qu’il n’
278 la vocation. Précisément, il la reçoit. Elle lui est adressée en dépit de ce qu’il est. « Et l’Éternel me dit : Ne dis pas
279 eçoit. Elle lui est adressée en dépit de ce qu’il est . « Et l’Éternel me dit : Ne dis pas : Je ne suis qu’un enfant. Car tu
280 l est. « Et l’Éternel me dit : Ne dis pas : Je ne suis qu’un enfant. Car tu iras vers tous ceux auprès de qui je t’enverrai,
281 » Voici, je mets mes paroles dans ta bouche. » Il est rarement possible d’isoler dans le vif ces deux mouvements contradict
282 met à part une seconde fois, pour des raisons qui sont celles de l’esprit — bien que, dans ce cas particulier, la nature et
283 opposées. On pourra toujours dire de Kierkegaard soit qu’il fut un neurasthénique, et que son cas relève de la psychanalyse
284 On pourra toujours dire de Kierkegaard soit qu’il fut un neurasthénique, et que son cas relève de la psychanalyse, soit qu’
285 énique, et que son cas relève de la psychanalyse, soit qu’il fut un prophète, né pour être poète et philosophe, mais contrai
286 que son cas relève de la psychanalyse, soit qu’il fut un prophète, né pour être poète et philosophe, mais contraint, par l’
287 psychanalyse, soit qu’il fut un prophète, né pour être poète et philosophe, mais contraint, par l’appel transcendant, à deve
288 biguïté dans notre idée courante de la vocation n’ est pas celle qui retient Kierkegaard. Il en a distingué une autre, plus
289 ’appel qu’il a cru entendre. Et son incertitude n’ est pas le fait d’un manque d’information, d’une conscience vague ou d’un
290 tude objective, telle que la définit Kierkegaard, est donc une périphrase philosophique pour désigner la foi et sa nécessit
291 croit » avoir reçue soi-même. Ainsi l’incertitude est objective dans la mesure où l’objet de la conviction qu’on entretient
292 re où l’objet de la conviction qu’on entretient n’ est pas démontrable ; dans la mesure, aussi, où l’enjeu de la vocation re
293 aussi, où l’enjeu de la vocation reste passible d’ être mis en doute, ou même nié ; dans la mesure où cet enjeu risque, après
294 dans la mesure où cet enjeu risque, après tout, d’ être purement imaginaire. À cela, nous ajouterons l’incertitude subjective
295 uvent pousser l’individu à faire ceci ou cela : «  Est -ce ma nature secrète ou l’esprit qui a parlé ? » En fait, l’homme de
296 ble incertitude et dans un risque permanent. Il n’ est pas de méthode éprouvée ni de raisonnement qui puisse l’aider. L’homm
297 nnaître, enfin, que la mission reçue par Hamlet n’ est pas une véritable vocation, en ce sens qu’elle ne présente pas le car
298 er l’usurpateur, venger le roi assassiné. Son but est donc sans équivoque, son rôle clairement tracé dans l’action générale
299 ni l’ensemble — et cependant il faut jouer, nous sommes au monde, nous sommes embarqués, nous sommes en scène malgré nous… Te
300 pendant il faut jouer, nous sommes au monde, nous sommes embarqués, nous sommes en scène malgré nous… Telle est l’angoisse de
301 nous sommes au monde, nous sommes embarqués, nous sommes en scène malgré nous… Telle est l’angoisse de la vocation. Je disais
302 mbarqués, nous sommes en scène malgré nous… Telle est l’angoisse de la vocation. Je disais tout à l’heure que Kierkegaard,
303 ue Kierkegaard, dès ses premières publications, s’ était tracé un plan d’action comportant toute une stratégie de pseudonymes
304 t, il avait vu clairement l’acte historique qu’il était chargé d’accomplir. Mais les choses de la vie ne sont pas aussi simpl
305 chargé d’accomplir. Mais les choses de la vie ne sont pas aussi simples. C’est après coup, le plus souvent, que nos actions
306 es, agissait dès le départ obscurément, mais ce n’ est qu’en marchant qu’on l’a sentie à l’œuvre. Kierkegaard l’a bien su et
307 fléchit dans le processus de ma production. Ainsi sont infirmées dans une certaine mesure les vues que j’ai précédemment exp
308 sées, à savoir que toute ma production esthétique est une fraude ; car cette formule concède un peu trop à la conscience. M
309 concède un peu trop à la conscience. Mais elle n’ est pas tout à fait fausse non plus, car j’ai eu conscience de moi au cou
310 but. … Dès le premier moment, l’élément religieux est donné de façon décisive ; il a sans contredit la suprématie, mais il
311 es du livre, il ajoute ceci : « Toute mon œuvre a été en même temps mon propre développement ; c’est en elle que j’ai pris
312 où Dieu m’a fait sentir son secours. Une chose m’ est bien souvent arrivée que je ne puis m’expliquer : quand je faisais ce
313 puis m’expliquer : quand je faisais ce dont il m’ était impossible de donner la raison, ne songeant pas même à la chercher, q
314 hoses que j’ai faites à titre privé se trouvaient être justement celles que je devais faire comme auteur. Je n’arrivais pas
315 pas au loin une voie tracée d’avance : non, elle est « à mes pieds » seulement, elle ne peut révéler que le premier pas à
316 uelle on puisse en appeler par analogie me paraît être l’expérience poétique. Car le poète, lui non plus, ne sait et ne saur
317 c’est pratiquement vivre dans l’improbable, c’est être toujours prêt à affronter l’invraisemblable. Si l’incertitude objecti
318 ter l’invraisemblable. Si l’incertitude objective est le premier caractère d’une vocation réelle, l’acceptation de l’invrai
319 ion réelle, l’acceptation de l’invraisemblable en est la conséquence nécessaire. Kierkegaard ne se lasse pas d’insister sur
320 aham n’avait pas accepté l’invraisemblable, il ne serait jamais parti pour un pays dont il ne savait rien. Mais accepter l’inv
321 squ’il écrit cette phrase lourde de sens : « Ce n’ est pas le chemin qui est difficile, mais c’est le difficile qui est le c
322 ase lourde de sens : « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, mais c’est le difficile qui est le chemin. » On voit ici q
323 in qui est difficile, mais c’est le difficile qui est le chemin. » On voit ici que la notion de vocation, chez Kierkegaard,
8 1953, Preuves, articles (1951–1968). À propos de la crise de l’Unesco (mars 1953)
324 er la pudeur dans ce domaine. Disons que la crise est grave, que le départ de M. Jaime Torres Bodet n’a rien eu de diplomat
325 Et peut-être facile à trouver. Car, en somme, qu’ est -ce que l’Unesco ? Un organisme qualifié de « culturel », mis sur pied
326 et contrôlé par eux, et dont le programme général est voté par leurs délégués. Inutile de chercher plus loin. Il est clair
327 leurs délégués. Inutile de chercher plus loin. Il est clair qu’entre l’activité d’un peintre, d’un savant, d’un écrivain, e
328 les intérêts d’un ministre, les rapports, s’il en est , ne sont qu’accidentels. Il s’agit d’ordres différents, dirait Pascal
329 rêts d’un ministre, les rapports, s’il en est, ne sont qu’accidentels. Il s’agit d’ordres différents, dirait Pascal. Mais ce
330 ou de science, et leur diffusion dans les masses, serait vraiment une aide à la culture. Quel est le gouvernement qui peut aid
331 sses, serait vraiment une aide à la culture. Quel est le gouvernement qui peut aider ainsi ? Servitudes de la culture or
332 Comment un ministère pourrait-il donc (quels que soient les désirs de ses hauts fonctionnaires) obtenir un crédit pour la bea
333 nalement certains partis. Admettons que le projet soit retenu. La délégation nationale votera pour lui à l’Assemblée de l’Un
334 forme humaine et valeur proprement culturelle, ce sera bien grâce aux tours de force de quelques fonctionnaires chargés de l
335 r aussi à ses tâches. Les activités culturelles n’ étant aux yeux de nos gouvernements — et c’est normal — qu’une espèce de ma
336 de la défense, et de la politique générale, — il est bien clair qu’on leur donnera toujours le moins possible. Aux yeux du
337 euf millions de dollars, comme celui de l’Unesco, est gigantesque. Au regard des tâches mondiales que l’Unesco s’assigne, i
338 d des tâches mondiales que l’Unesco s’assigne, il est simplement ridicule ; pire encore si l’on ose le comparer aux dépense
339 nerait cent fois ou mille fois plus. Mais le fait est qu’on n’y croit guère dans ces milieux, et tel étant l’état de l’opin
340 st qu’on n’y croit guère dans ces milieux, et tel étant l’état de l’opinion moyenne, 9 000 000 de dollars font tout de même u
341 o. Le système souffre de trois vices majeurs : il est trop vaste, il est centralisé, et il laisse aux gouvernements l’initi
342 re de trois vices majeurs : il est trop vaste, il est centralisé, et il laisse aux gouvernements l’initiative autant que le
343 spond pas aux réalités de la culture : celle-ci s’ est toujours faite par un jeu de libre-échange qui ne tenait aucun compte
344 aux interférences politiques. Le travail culturel est par nature fédéraliste, donc décentralisé. Il se développe par des mé
345 yers de création. Ces liaisons peuvent et doivent être favorisées quand elles ne s’établissent pas spontanément. Mais on ne
346 e saurait les « planifier » sur une échelle qui n’ est plus celle du rayonnement normal et sensible des foyers de base. 3. I
347 ts groupes, à de petits exécutifs spécialisés. Il serait donc naturel de calquer les organisations d’aide culturelle sur cette
348 à l’organisation constituée par les gouvernements soit à l’échelle des Nations unies, soit comme nous le pensons préférable,
349 gouvernements soit à l’échelle des Nations unies, soit comme nous le pensons préférable, à celle du Conseil de l’Europe ? Le
350  : 1. En matière de culture, les intéressés seuls sont juges de leurs besoins. Qu’on leur laisse donc l’initiative, le contr
351 re, les directeurs de festivals). Cette méthode s’ est montrée la plus économique, la plus rapide et la plus efficace aussi
352 mentales se révèle là encore le plus pratique, ne fût -ce qu’en évitant les retards et les frais des grandes machines bureau
9 1953, Preuves, articles (1951–1968). « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (juillet 1953)
353 « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (juillet 1953)l « Ils ont tiré ! Ils tirent s
354 es européennes, le cri de douleur des faubourgs s’ est propagé dans les avenues lugubres de Berlin, entre leurs façades sur
355 assembler, sans armes, pour proclamer : « Nous ne sommes pas des esclaves ! » Ainsi les Soviétiques viennent de renouveler ce
356 la foule qui marchait vers le Palais d’Hiver. Ce sont les descendants des ouvriers d’alors, ce sont leurs petits-fils en un
357 Ce sont les descendants des ouvriers d’alors, ce sont leurs petits-fils en uniformes, passés aux ordres du Kremlin, qui ont
358 ront dans leurs livres d’histoire. Cette phrase a été dite, une fois pour toutes. Elle n’est pas mensongère, elle est gagée
359 e phrase a été dite, une fois pour toutes. Elle n’ est pas mensongère, elle est gagée sur des centaines de morts et de bless
360 fois pour toutes. Elle n’est pas mensongère, elle est gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cet
361 t gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour les besoins d’une po
362 que l’on n’éteindra plus : le système totalitaire est un crime contre l’homme et ses jours désormais sont comptés. L’insurr
363 st un crime contre l’homme et ses jours désormais sont comptés. L’insurrection de toutes les villes de la zone Est, bien qu’
364 s. L’insurrection de toutes les villes de la zone Est , bien qu’écrasée dans le sang, marque la fin d’une ère : celle du myt
365 le parti communiste a forcément raison, puisqu’il est le parti des travailleurs ! On savait qu’il était le parti qui avait
366 l est le parti des travailleurs ! On savait qu’il était le parti qui avait supprimé le droit de grève, sous l’impudent prétex
367 l’occasion de s’en servir… On savait aussi qu’il était le parti du travail forcé, celui qui venait de « réaliser », par les
368 . C’était ignoble, mais nous voyons bien pire. Il était réservé au régime communiste de faire ce métier-là au nom des ouvrier
369 ter l’imposture au crime. C’est en quoi Grotewohl est pire que M. Thiers. Il était réservé au régime communiste d’aggraver
370 ’est en quoi Grotewohl est pire que M. Thiers. Il était réservé au régime communiste d’aggraver d’un contrôle policier la con
371 choses pires que la pire injustice : la première serait d’excuser le péché des bourgeois par celui des Soviets ; mais la seco
372 t les provocateurs. Qui ne voit aujourd’hui quels furent à Berlin-Est ces « provocateurs étrangers » que dénonce rageusement G
373 que dénonce rageusement Grotewohl ? Pouvaient-ils être « en uniforme américain » au milieu du secteur soviétique, comme l’on
374 ue les communistes ? Pouvaient-ils pratiquement n’ être pas Russes ou à la solde de Moscou ? On demande aux ouvriers de les d
375 avec éclat le dix-sept juin ! En criant « nous ne sommes pas des esclaves ! », les ouvriers de Berlin ont rétabli d’un coup la
376 firmée, en ouvrant le feu. L’imposture communiste est devenue manifeste. Il ne reste à ses partisans, dans nos démocraties,
377 de Brandebourg, le vieux chant révolutionnaire s’ est fait entendre pour la première fois depuis vingt ans de silence, ving
378 mble vers la liberté. » Mais rien de tout cela ne sera effacé. Rien ne peut plus faire que les héros de Berlin soient morts
379 . Rien ne peut plus faire que les héros de Berlin soient morts en vain. Aux jours les plus découragés de l’Occident, ils ont f
380 à Berlin, surgissant d’un peuple écrasé. Et ce n’ est pas l’Europe des marchandages entre nations qui entendent chacune rec
381 urope qui crée son avenir et justifie sa raison d’ être par des hommes qui se sacrifient au service de la liberté. l. Roug
382 la liberté. l. Rougemont Denis de, « “Nous ne sommes pas des esclaves !” », Preuves, Paris, juillet 1953, p. 3-4.
10 1953, Preuves, articles (1951–1968). Les raisons d’être du Congrès (septembre 1953)
383 Les raisons d’ être du Congrès (septembre 1953)m n Notre tâche est une action mondiale
384 tre du Congrès (septembre 1953)m n Notre tâche est une action mondiale pour la liberté de la culture, c’est-à-dire : pou
385 e, c’est-à-dire : pour la liberté dont la culture est une des principales conditions ; et pour la culture, dont la liberté
386 conditions ; et pour la culture, dont la liberté est le résultat principal. Je rappellerai tout d’abord les quelques grand
387 erlin, au début de la guerre de Corée, nous avons été dire un seul mot : Liberté ! et le sens de ce mot, ce sens que les pl
388 ser, devint soudain très clair du seul fait qu’il était prononcé à portée de voix des tyrans. À la suite du meeting mémorable
389 a suite du meeting mémorable de Berlin, nous nous sommes organisés. Nous avons créé des secrétariats en Allemagne, en France,
390 endre confiance dans une culture, que ceux qui en sont indignes, et qui le prouvent par là même, ont voulu qualifier de déca
391 s a-t-on dit de tous côtés, qu’en faites-vous ? N’ est -elle pas une partie décisive de la culture au sens moderne ? Certes,
392 rtie, dès le début, de notre programme. Nous nous sommes tournés vers la science. Nous l’avons fait pour deux grandes raisons,
393 e les Arts par les régimes de tyrannie d’État. Il est facile de s’en convaincre. En Asie, dans l’Antiquité, chez les Aztèqu
394 mais parfois à cause d’elles. Et aujourd’hui cela est possible encore. Certes, la peinture et la littérature sont tombées a
395 ble encore. Certes, la peinture et la littérature sont tombées au plus bas en Russie soviétique ; mais le sort d’une balleri
396 mais le sort d’une ballerine de l’Opéra de Moscou est certainement plus enviable que celui d’un savant qui doit apprendre e
397 ns tuer en lui l’élan intime de la recherche, qui est par essence une aventure dans l’inconnu. Notre deuxième raison de nou
398 e deuxième raison de nous tourner vers la science est encore plus évidente, et la voici : La civilisation occidentale est
399 dente, et la voici : La civilisation occidentale est de plus en plus dominée, sinon par la science pure, du moins par l’id
400 igion et aux morales en dérivant. Cette situation est toute nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Elle pose des problèmes
401 pour notre vie sociale. Tout d’abord, la science est devenue aux yeux de l’homme moyen du xxe siècle une réalité étrangem
402 ne seconde plus de cent-vingt-mille Japonais ? Il est inévitable que cet aspect essentiellement imprévisible, voire anarchi
403 ajoute le fait que les inventions techniques, qui sont les sous-produits de la science, aboutissent de nos jours à des appli
404 a spiritualité et le bonheur des masses ? Ou bien sommes -nous prêts à courir les risques de la liberté ? Ces questions sont pa
405 courir les risques de la liberté ? Ces questions sont parmi les plus graves qui se posent à l’esprit moderne. Par une chanc
406 nt à l’esprit moderne. Par une chance rare, elles sont aussi celles qui passionnent le grand public. On comprend que le Cong
407 e de convoquer l’assemblée d’aujourd’hui. Son but est clair : montrer que la science ne peut servir la liberté qu’en demeur
408 s du monde, bref cet esprit de la Renaissance qui fut aussi celui de l’essor scientifique. C’était votre cité libre et hans
409 arge de l’administrer, ce grand Bürgermeister qui est aussi un grand Weltbürger. Voilà pourquoi nous sommes ici. Merci !
410 st aussi un grand Weltbürger. Voilà pourquoi nous sommes ici. Merci ! m. Rougemont Denis de, « Allocution inaugurale du Con
411 is, août–septembre 1953, p. 140-142. n. Le texte est précédé du chapeau suivant : « “Ce Congrès est un parlement des intel
412 te est précédé du chapeau suivant : « “Ce Congrès est un parlement des intellectuels de nombreux peuples qui ont reconnu le
413 ix-neuf pays. La grande salle de l’hôtel de ville était bondée ; la tribune était encadrée par les drapeaux de toutes les nat
414 lle de l’hôtel de ville était bondée ; la tribune était encadrée par les drapeaux de toutes les nations participantes. Représ
415 r tous les autres lorsque notre patrimoine commun est en jeu, lorsque la science libre est menacée.” Le célèbre physicien n
416 moine commun est en jeu, lorsque la science libre est menacée.” Le célèbre physicien nucléaire James Franck, prix Nobel, qu
417 ysicien nucléaire James Franck, prix Nobel, qui a été l’un des premiers à appliquer en physique les théorèmes d’Einstein, d
418 ibles : “Aucun système de gouvernement, dit-il, n’ est exempt de vices. Cette critique que nous autres, chercheurs, appliquo
419 rcheurs, appliquons à des mesures administratives est une manifestation de cet esprit de libre examen qui fait partie du me
420 et les relations entre les savants et la société furent présentés et discutés par les représentants qualifiés des disciplines
11 1954, Preuves, articles (1951–1968). La table ronde de l’Europe (janvier 1954)
421 le ronde de l’Europe (janvier 1954)o Le texte est précédé de l’extrait d’un communiqué du Conseil de l’Europe : «  En 1
422 vains, de publicistes et de journalistes éminents soit consacrée à la discussion d’un programme de diffusion de l’idée europ
423 enne en Europe et dans le monde. Cette initiative fut approuvée par les délégués des ministres. Au cours d’une session ulté
424 mes contemporains ». Chacune de ces personnalités serait invitée à traiter un aspect différent de ce problème. En même temps,
425 dre part à la discussion, leur tâche particulière étant d’exprimer leurs vues sur la manière de réaliser l’unité de l’Europe
426 aussi sur le plan culturel et spirituel. Il avait été décidé finalement que cette table ronde se réunirait à Rome le 13 oct
427 res de Gauguin s’intitule : D’où venons-nous ? Où sommes -nous ? Où allons-nous ? Je n’imagine pas de meilleure devise pour la
428 entreprise, partons de la deuxième question : où sommes -nous, Européens, en ce milieu du xxe siècle ? Une phrase déjà fameus
429 arité de 155 millions. » La raison de ce paradoxe est des plus simples. Nous ne nous sentons pas, en réalité, 325 millions
430 e l’Europe, dans la réalité vivante, ce qu’elle n’ est aujourd’hui que dans l’arithmétique. Que manque-t-il à l’Europe pour
431 t la conscience aussi des ressources immenses qui sont là, dont elle peut disposer, à la seule condition de les mettre en co
432 isés. Comment réduire ces résistances là où elles sont , dans les esprits et dans les cœurs, selon la formule consacrée, pour
433 ’information. La tâche de méditer sur nos destins fut confiée à un petit groupe de six Sages, dont la composition me paraît
434 on et de l’expérience, quinze publicistes réputés furent conviés à rechercher ensemble les moyens de faire connaître et d’illu
435 urelle à la communauté politique Mon dessein n’ est pas de résumer les péripéties des débats qui se déroulèrent pendant s
436 ien que menée par des esprits aussi divers que le sont nos peuples et les familles intellectuelles qui les composent. Mis au
437 que, d’autre avenir possible que dans l’union. Ce fut le dernier mot du rapport de Toynbee : « Unissons l’Europe maintenant
438 acun peut voir que nous perdons du temps. Quelles sont donc les causes intérieures qui paralysent nos efforts vers l’union ?
439 se spirituelle et par suite culturelle et civique fut introduit avec ampleur par M. Eugen Kogon. Il conclut à la nécessité
440 pranationale. Le diagnostic ainsi posé, nous nous sommes tournés vers l’avenir : où allons-nous ? Et c’est M. Robert Schuman,
441 buts communs susceptibles de nous unir. Car ce ne sont pas seulement leurs origines, mais les buts qu’ils regardent ensemble
442 les, permettant de mettre en commun ce qui doit l’ être normalement, afin de garantir et de faire vivre mieux ce qui doit nor
443 ste du monde. Un seul exemple : le nationalisme a été notre invention collective. Nous l’avons communiqué, « donné » au mon
444 e entier, et cette liqueur tout d’abord enivrante est bientôt devenue poison. C’est à nous qu’il appartient donc d’inventer
445 u’à son auteur. « Rien de plus difficile que de n’ être pas soi-même ou que de ne l’être que jusqu’où l’on veut », remarque V
446 fficile que de n’être pas soi-même ou que de ne l’ être que jusqu’où l’on veut », remarque Valéry. Je dirai maintenant les ré
447 ance à un nationalisme européen encore imaginaire est très généralement le fait de nationalistes tout court, j’entends de p
448 la fédération qu’ils craignent, incapables qu’ils sont de l’imaginer comme autre chose qu’une nation monstrueuse ; et ils s’
449 s sanglantes de l’Histoire, etc. » Réponse : Ce n’ est pas l’Europe, ce sont plusieurs de nos nations comme telles, c’est le
450 toire, etc. » Réponse : Ce n’est pas l’Europe, ce sont plusieurs de nos nations comme telles, c’est le délire nationaliste q
451 iées, de sa technique et de ses formes politiques est typique de l’Européen, héritier des Grecs, des Romains, de l’Église c
452 lubs jacobins. Cette croyance, en fait illusoire, est la racine des pires impérialismes : ceux qui se déguisent en entrepri
453 colonialisme, comme aujourd’hui le communisme. Il est vrai que l’universalisme reste une prétention honorable, dans le doma
454 norable, dans le domaine des idées pures (s’il en est , et qui restent telles). Mais il couvre trop d’équivoques. Ce qu’il a
455 ulture bien particulière, dont les principes nous sont communs depuis des siècles. Cette culture est le cœur d’une civilisat
456 us sont communs depuis des siècles. Cette culture est le cœur d’une civilisation qui, elle, est devenue vraiment universell
457 culture est le cœur d’une civilisation qui, elle, est devenue vraiment universelle, pour le meilleur et pour le pire. Afin
458 rmettre le luxe de la division ; aujourd’hui ce n’ est plus possible » (Toynbee).   Recouvrer la souveraineté. — Est-il vra
459 ible » (Toynbee).   Recouvrer la souveraineté. — Est -il vrai que nos souverainetés doivent être abandonnées, si l’on veut
460 neté. — Est-il vrai que nos souverainetés doivent être abandonnées, si l’on veut faire l’Europe ? Est-il vrai qu’il y ait là
461 t être abandonnées, si l’on veut faire l’Europe ? Est -il vrai qu’il y ait là un obstacle à l’union ? Ces souverainetés ont-
462  ? Voyons le concret. La souveraineté nationale n’ est exercée en fait que par l’État. M. van Kleffens l’a définie comme « l
463 d’agir à sa guise à l’extérieur, c’est-à-dire qui soit capable de déclarer la guerre ou de conclure la paix comme il l’enten
464 clos. Ces limites décisives à la souveraineté ne sont plus posées par le droit, mais par d’implacables circonstances techni
465 des forces réelles et des pouvoirs concrets, elle est devenue le réceptacle où se recueillent pêle-mêle nostalgies de gloir
466 un complexe. D’où la difficulté, pour ceux qui en sont victimes, de s’adapter aux réalités changeantes du siècle, et même de
467 erroir nourricier du nationalisme. Car l’Europe n’ est pas l’addition de vingt-quatre « histoires nationales ». C’est au con
468 s de nature et de durée très variables, et qui ne sont devenus mortels qu’à partir du moment où l’on a prétendu les absoluti
469 urope, à tous les degrés de l’enseignement, qu’il est besoin. Sans elle, nos chroniques régionales nous seront à jamais ini
470 besoin. Sans elle, nos chroniques régionales nous seront à jamais inintelligibles, et nourriront les plus fatales erreurs : ce
471 r nos peuples. Deux arguments m’ont frappé, comme étant propres à éduquer le sens européen de notre opinion publique. Le prem
472 ns européen de notre opinion publique. Le premier fut apporté par M. Ernst Friedländer, publiciste allemand : « Il faut dir
473 e informe d’une Europe unie ». Le second argument est dû à M. Cotsaridas, publiciste grec : « Dans les domaines militaire,
474 en fait la souveraineté du peuple, car le peuple sera associé à leur gestion. Il importe d’expliquer cela aux masses, car a
475 Il importe d’expliquer cela aux masses, car ainsi sera dissipée la crainte que suscite la perte de la souveraineté nationale
476 la souveraineté nationale. » Je me résume : il n’ est pas exact que nos nations, en vue de s’unir, doivent sacrifier ce qui
477 on pourrait appeler l’instinct fédéraliste. Qu’en est -il de la connaissance du fédéralisme lui-même ? La plupart semblent i
478 emblent ignorer le véritable sens du mot. Et ce n’ est pas dans le dictionnaire qu’ils le trouveront ! Littré le définit ain
479 raux ».) Le même Littré ajoute que le fédéralisme fut aussi un « projet attribué aux girondins de rompre l’unité nationale 
480 nçais croyaient naguère encore que le fédéralisme était une méthode pour affaiblir l’Allemagne ! Par une erreur inverse, d’au
481 ats sur la fédération de l’Europe. Le fédéralisme est beaucoup moins une doctrine qu’une pratique. Il suppose un instinct p
482 uer l’alliance de ces deux mots. Le fédéralisme n’ est rien d’autre qu’une manière de saisir à la fois l’Un et le Divers en
483 ique ; de comprendre à la fois que les diversités sont légitimes, que l’union est nécessaire, que les premières ne peuvent s
484 is que les diversités sont légitimes, que l’union est nécessaire, que les premières ne peuvent subsister sans la seconde, q
485 peuvent subsister sans la seconde, que la seconde serait mortelle sans les premières, qu’il s’agit donc de les composer, ou mi
486 tension. La résultante se nomme la paix. L’Europe étant une et diverse, composée de vingt-quatre nations qu’englobe et vivifi
487 e de la penser, en vue de résoudre ses problèmes, est la manière fédéraliste. Tant que l’on persistera à concevoir l’union
488 à desserrer les liens étroits que les nations ont été contraintes d’imposer à leurs différentes régions, ce qui mène à un c
489 re. M. Schuman déclare que ce dernier point peut être illustré par l’examen de la Communauté charbon-acier, où la Lorraine,
490 rront constituer une zone unique dont l’autonomie sera presque complète, encore qu’elle doive connaître certaines limites. L
491 Un conflit de loyalismes n’a pas plus de raison d’ être dans l’Europe d’aujourd’hui qu’il n’en avait à Rome. Les nations euro
492 ue dans le cadre de l’Europe, et l’Europe ne peut être florissante que si les nations qui la composent conservent leur ident
493 ee sur les loyalismes multiples — « allégeances » serait peut-être un terme plus juste — et il insiste pour que cette notion t
494 pourquoi nous nous bornons à certains pays. Il n’ est pas honnête de nous reprocher d’exclure le reste de l’humanité. Quand
495 on de notre vocabulaire, relevée par Eugen Kogon, est l’un des signes les plus graves de la crise spirituelle de l’Occident
496 le, Boèce et Thomas d’Aquin, Calvin et Kant, tout est jeté par-dessus bord, dans l’inconscience générale, par ces confusion
497 unistes l’individu vidé, égoïste, impuissant, qui est justement la cause, autant que la victime, des réactions collectivist
498 uelle Europe nous défendrons. Celle dont je parle est une notion de l’homme, et non pas une somme d’intérêts dont le reste
499 es mots mon discours de clôture au Capitole : Il est clair que certains sacrifices doivent être consentis par les uns et l
500 e : Il est clair que certains sacrifices doivent être consentis par les uns et les autres. Certains risques doivent être co
501 r les uns et les autres. Certains risques doivent être courus. Les refuser pourtant serait tout perdre, à coup sûr et à bref
502 risques doivent être courus. Les refuser pourtant serait tout perdre, à coup sûr et à bref délai. On compare volontiers notre
503 sanctuaire. Chute immense, dont la cause directe fut le refus d’un sacrifice minime. Les croisés, débarqués devant Constan
504 refusant de faire le pool patriotique des faibles sommes qui devaient assurer leur salut. L’assaut fut décidé après des mois d
505 sommes qui devaient assurer leur salut. L’assaut fut décidé après des mois d’attente. Byzance fut mise à sac. Les produits
506 saut fut décidé après des mois d’attente. Byzance fut mise à sac. Les produits du pillage s’élevèrent après trois jours à p
507 richesses de Byzance, enfin « mises en commun », furent emportées par l’occupant. Il dépend de vous, Messieurs de la Table ro
508 Conseil de l’Europe à présider les débats, je me suis trouvé en présence de personnalités déjà nommées par les gouvernement
509 es par les gouvernements des États membres, et ne suis donc responsable que du choix des thèmes et de leur répartition aux r
510 créé par le hasard des désignations officielles s’ est révélé heureux. 5. Cf. les articles 1, 3 et 5 de la Constitution hel
511 de, encore que, dans bien des cas, les rédacteurs soient les seuls responsables de confusions que les orateurs avaient soigneu
12 1954, Preuves, articles (1951–1968). Tragédie de l’Europe à Genève (juin 1954)
512 l’Histoire qui peuvent provoquer, selon les cas, soit une confusion générale, soit une prise de conscience, subite et drama
513 quer, selon les cas, soit une confusion générale, soit une prise de conscience, subite et dramatique. Sur la confusion génér
514 ences, celle de Berlin et celle de Genève. Berlin fut un échec sur les principaux points à son ordre du jour — l’unificatio
515 ne et la libération de l’Autriche. Mais cet échec était prévu. La vraie question n’était pas là. Elle était de mesurer la pui
516 . Mais cet échec était prévu. La vraie question n’ était pas là. Elle était de mesurer la puissance de deux volontés affrontée
517 ait prévu. La vraie question n’était pas là. Elle était de mesurer la puissance de deux volontés affrontées sur le problème e
518 , il suffit de se demander lequel des adversaires est parvenu à imposer son angle de vision. Rappelons ici l’extravagante i
519 de Français et quarante-huit-millions d’Allemands seraient rassurés à l’idée d’un bloc de deux-cents-millions de Russes rétablis
520 n voisinage avec l’alliée naturelle des steppes ? Était -il trompé par Le Monde , où l’on estime que si la masse des USA désé
521 ient pour une fois quelque chose à défendre qui n’ était pas seulement le statu quo, mais l’avenir commun de leurs peuples. De
522 ommun de leurs peuples. Deux mois plus tard, tout est déjà changé. L’Occident s’est laissé glisser dans une « Conférence as
523 ois plus tard, tout est déjà changé. L’Occident s’ est laissé glisser dans une « Conférence asiatique » qui s’ouvre à Genève
524 e » qui s’ouvre à Genève, à l’heure choisie par l’ Est . Dès le premier jour, la désunion profonde des nations libres est pro
525 ier jour, la désunion profonde des nations libres est proclamée par toute la presse. Et le second jour atteste l’un des ren
526 substance : « Bas les pattes en Asie ! Notre tour est venu de nous immiscer dans vos affaires. L’Indochine, la Corée ne vou
527 roblème allemand nous intéresse beaucoup. » Que s’ est -il donc passé depuis Berlin ? — Rien, pas un « fait » visible pour la
528 des forces ; pas un seul événement politique qui soit de nature à expliquer la grande débâcle occidentale. Il s’est passé s
529 e à expliquer la grande débâcle occidentale. Il s’ est passé seulement que la Conférence a lieu, qu’elle installe au cœur de
530 par Molotov. Du côté russe, l’idée de la manœuvre est claire. Dès les derniers jours, à Berlin, Molotov a bien vu que l’Eur
531 ce plan ; qu’elle ne s’en apercevrait pas ; qu’il était donc aisé de créer une diversion, et que la meilleure possible était
532 créer une diversion, et que la meilleure possible était l’Asie. Il suffisait de viser le point crucial, qui se trouvait être
533 fisait de viser le point crucial, qui se trouvait être le plus vulnérable : c’était la France, dont le sang coulait en Indoc
534 , dont Molotov paraît savoir mieux que nous qu’il est l’union de l’Europe, condition de notre force. La conférence de Genèv
535 condition de notre force. La conférence de Genève est acceptée : première victoire du Kremlin. Pendant des mois toute l’att
536 le vrai but de Genève, dans l’esprit de Molotov, est de saboter l’Europe, je citerai la Radio de Moscou qui proclamait dan
537 hérer à l’alliance agressive baptisée CED. Elle y serait noyée et sans force. » Ce sophisme insultant va servir de slogan à la
538 mprise. Annexer l’Indochine à l’empire communiste serait un moyen de rétablir la « paix » dans le Sud-Est de l’Asie, puisque c
539 t l’Allemagne par le moyen de leur fédération, ce serait agir en « bellicistes », puisque ce serait fermer l’Europe aux armées
540 on, ce serait agir en « bellicistes », puisque ce serait fermer l’Europe aux armées rouges. Au lendemain de Diên Biên Phu et d
541 ge de Vienne par les Turcs ? C’est à quoi nous en sommes , et c’est pire. Car une absurde conjoncture veut que les décisions vi
542 tout cela peut en sortir demain. La seule riposte est dans l’union européenne capable d’opposer aux Russes une puissance qu
543 lan irrésistible vers l’indépendance nationale ne sera plus arrêté par l’Europe, mais qu’au contraire une Europe forte, rest
544 si l’on a vu la situation mondiale — et si l’on n’ est pas communiste. Seule une profonde révolte de l’Europe rendue conscie
545 Diên Biên Phu diplomatique. Un tel sursaut vital est -il inconcevable ? Mais, plutôt, est-il concevable que vingt nations e
546 sursaut vital est-il inconcevable ? Mais, plutôt, est -il concevable que vingt nations européennes se laissent entraîner dan
13 1954, Preuves, articles (1951–1968). Il n’y a pas de « musique moderne » (juillet 1954)
547 n’existe pas. La « musique moderne », en effet, n’ est guère plus qu’une manière de parler. C’est l’invention de ceux qui on
548 d’entendre et d’essayer de comprendre tout ce qui fut composé dans notre siècle. Bref, la « musique moderne » est celle que
549 é dans notre siècle. Bref, la « musique moderne » est celle que l’on n’aime pas. (Parce qu’elle ne ressemble pas à celle qu
550 e siècle. Il y eut le groupe des Six, mais il ne fut qu’une amitié : je ne vois rien d’autre qui rapproche un Honegger et
551 tant de refus de prendre la suite de quoi que ce soit , de ressembler à qui que ce soit, finissent tout de même par laisser
552 e de quoi que ce soit, de ressembler à qui que ce soit , finissent tout de même par laisser transparaître quelque profonde pa
553 e, malgré tous les efforts de leurs auteurs, ce n’ est pas cette génération qui le verra. Car le style d’une époque est très
554 énération qui le verra. Car le style d’une époque est très rarement sensible aux gens qui vivent cette époque, et ceci pour
555 les mêmes raisons qui veulent qu’un psychanalyste soit incapable de s’analyser lui-même. Le style surgit de l’inconscient. I
556 apisserie dont le dessin reste inconnu, — s’il en est un. Ne parlons plus de « musique moderne ». Parlons seulement d’œuvre
557 es. ⁂ Il faut pousser plus loin le paradoxe. S’il est tout de même un caractère commun aux compositeurs d’aujourd’hui, c’es
558 mmun aux compositeurs d’aujourd’hui, c’est qu’ils sont justement moins « modernes » et moins naïvement de leur temps, que ne
559 nes » et moins naïvement de leur temps, que ne le furent un Rameau, un Haydn ou un Mozart. Pourquoi cela ? Parce qu’ils écrive
560  : « Après X ou Y on ne sait plus que faire. Nous sommes dans une impasse… » Cette impasse est purement « historique », créée
561 re. Nous sommes dans une impasse… » Cette impasse est purement « historique », créée par l’esprit historique. Ne plus savoi
562 s la pression de ce qu’ils avaient à dire, et qui était un peu différent. Aujourd’hui, l’on voudrait commencer par le stade d
563 ns l’Histoire. Il semble que leur principal souci soit de s’intégrer dans une évolution qu’ils déclarent « nécessaire » ; da
564 prouver que l’auto produite par une petite usine est invendable, pour des raisons précises de prix de revient, et ne corre
565 ités de l’époque » et de nos grands marchés, il n’ est nullement prouvé que l’œuvre d’un compositeur non dodécaphonique « es
566 que l’œuvre d’un compositeur non dodécaphonique «  est inutile… et se place en deçà des nécessités de son époque »7. Les « n
567 s nouvelles de la musique », que l’on invoque, ne sont telles que pour l’oreille et l’intelligence d’un très petit groupe d’
568 ts, formé par sa discothèque, a cessé lui aussi d’ être « moderne », pour s’habituer à vivre dans l’histoire. Il faut enfin l
569 ut enfin l’avouer : toutes les autres époques ont été « modernes », sauf la nôtre ! Notre grand public se nourrit de musiqu
570 avant cette chose vague et pourtant puissante qu’ est l’accord spontané du novateur et du plaisir des auditeurs. Cette chos
571 e goût. ⁂ Comment remédier à cette situation, qui est aussi celle de la peinture et de la poésie au xxe siècle ? Il me sem
572 nnent la clé de ce problème vital pour la culture sont bien moins les compositeurs que ceux qui font les programmes des conc
573 et le public se créent l’un l’autre, le résultat est une « époque ». Je ne sais pas si nous en vivons une… Mais peut-être
574 ne sais pas si nous en vivons une… Mais peut-être sommes -nous sur le seuil. Au mois de mai 1952, L’Œuvre du xxe siècle a donn
575 osée avant l’an 1900 : tous les soirs, les salles étaient pleines. Il y a là, semble-t-il, un bel encouragement pour ceux des f
576 au », c’est-à-dire de rejoindre le siècle. Mais n’ est -il pas étrange que de vivre en son temps soit devenu de nos jours une
577 is n’est-il pas étrange que de vivre en son temps soit devenu de nos jours une exception notable, une aventure, un risque fi
578 ves, Paris, juillet 1954, p. 75-77. s. Le texte est précédé d’une introduction de Fred Goldbeck : « Le musicien d’aujourd
579 ’hui, lorsqu’il apprécie comme lorsqu’il compose, est , sauf trompeuses exceptions, économe d’accords parfaits. Plaisir d’au
580 ugemont ? Il habite Ferney ; le génie du lieu n’y est donc pour rien. (Ce n’est pas pour des raisons musicales que Voltaire
581  ; le génie du lieu n’y est donc pour rien. (Ce n’ est pas pour des raisons musicales que Voltaire ne prisait pas Rousseau.)
582 diable, qui depuis Faust “disait toujours non”, s’ est fatigué de cette attitude ennuyeuse et a découvert qu’il était plus s
583 de cette attitude ennuyeuse et a découvert qu’il était plus stimulant de se faire musicien moderne, de toujours dissoner (fû
584 se faire musicien moderne, de toujours dissoner ( fût -ce avec des accords de do majeur) et d’essayer sur nos contemporains
585 ains “cette chose vague et pourtant puissante” qu’ est la séduction de cette dissonance au goût de révolte, de soufre et d’œ
14 1954, Preuves, articles (1951–1968). De Gasperi l’Européen (octobre 1954)
586 trie. Mais il savait qu’aucun de nos pays ne peut être vraiment ranimé et rétabli dans son intégrité, s’il ne s’intègre à la
587 s’il ne s’intègre à la communauté plus vaste qui est son espace vital de civilisation. Ayant redressé l’Italie, il voulait
588 semble frappée au cœur, et se dérobe. De Gasperi est mort de la sentir mourante. Il s’est détourné du spectacle que prépar
589 . De Gasperi est mort de la sentir mourante. Il s’ est détourné du spectacle que préparaient dans une ombre fiévreuse ceux q
590 talie nouvelle renaissant des ruines du fascisme, était né aux confins disputés de son pays, en la terre « irredente » du Tre
591 esprit de ressentiment. Et c’est pourquoi ils ne sont pas tentés de faire subir aux autres le sort qu’ils ont subi, bien au
592 de rancune et d’unification forcée. Ce contraste est bien moins celui de deux régimes — dictature et démocratie — que celu
593 l’Italie croyante et libérale, et qui ne peuvent être résolus qu’au-delà du tête-à-tête de frères ennemis. Accusé de cléric
594 a Chambre, au lendemain du meurtre de Matteotti — était en réalité un « tory de gauche », selon le mot de M. Eden, un catholi
595 ur que sa mort m’éprouve comme celle d’un ami. Ce fut à l’occasion de la table ronde convoquée l’an dernier à Rome par le C
596 questions et réponses sur des bouts de papier qui sont l’agrément des congrès, mais qui permettent surtout de vérifier rapid
597 d’accord spontané de deux esprits, si différents soient -ils, sur les problèmes fondamentaux mis en question. Je le voyais écr
598 ant des meetings informes et sans lendemain. Il n’ était pas « grand orateur », et s’en plaignait parfois avec humour. Mais po
599 our. Mais pourquoi faudrait-il qu’un homme d’État fût d’abord un brillant rhéteur ? Le jugement politique et l’art du trémo
600 rt du trémolo ne devraient-ils pas, au contraire, être tenus pour foncièrement incompatibles ? Les parlements latins sont le
601 oncièrement incompatibles ? Les parlements latins sont les plus éloquents et font en conséquence la pire des politiques. Qui
602 austère et bon. L’art de simplifier les problèmes était le gage de son autorité, un certain humour très direct, celui de son
603 s direct, celui de son honnêteté. (Les dictateurs sont sans humour, et ne connaissent que le sarcasme.) Je me souviens d’un
604 pourquoi nous nous bornons à certains pays. Il n’ est pas honnête de nous reprocher d’exclure le reste de l’humanité. Quand
605 parler de la « grandeur » de l’Italie, mais il s’ est contenté de restaurer sa patrie dans sa dignité — pour l’Europe. À la
606 e tout faire pour sauver la CED. Il savait ce qui était en jeu : non seulement le sentiment ombrageux de certains Français ma
607 ière. L’échec déjà plus que probable de Bruxelles fut la cause directe d’une attaque dont il devait mourir le surlendemain.
15 1954, Preuves, articles (1951–1968). Politique de la peur proclamée (novembre 1954)
608 , au surplus gouvernée par un ami de la France, n’ est « pas moins redoutable » que l’Allemagne arrogante, surarmée et intac
609 Allemagne – Adenauer ou P + 100 = P – 125. Ce qui est faux, manifestement, sauf dans le seul cas où l’on attribuerait à « P
610 que l’on fait, en réalité. La peur de l’Allemagne étant infinie — ou absolue — c’est-à-dire indépendante de quoi que ce soit
611 bsolue — c’est-à-dire indépendante de quoi que ce soit que l’Allemagne réelle fasse ou non, soit ou non, cette peur ne pourr
612 que ce soit que l’Allemagne réelle fasse ou non, soit ou non, cette peur ne pourrait donc être supprimée que si l’Allemagne
613 ou non, soit ou non, cette peur ne pourrait donc être supprimée que si l’Allemagne disparaissait totalement et à tout jamai
614 ⁂ L’argument de la peur qu’inspire l’Allemagne a été l’arme principale des anticédistes. N’est-il pas très nouveau qu’un g
615 magne a été l’arme principale des anticédistes. N’ est -il pas très nouveau qu’un grand pays proclame sa peur dans l’instant
616 rait crâner. C’était bien vu. L’aveu de la peur n’ était permis qu’à l’esprit qui la maîtrisait : « Tu trembles, carcasse ! »
617 r ou contenir le danger communiste. En France, on est plus nuancé. Car il est évident pour tout cartésien progressiste, que
618 communiste. En France, on est plus nuancé. Car il est évident pour tout cartésien progressiste, que deux-cents divisions ru
619 siste, que deux-cents divisions russes existantes sont moins dangereuses que douze divisions allemandes virtuelles, et que l
620 pposant la Russie au reste du monde qui ne puisse être résolu par voie de négociations. » Relisez ces deux phrases et ne rie
621 s deux phrases et ne riez pas. Leur juxtaposition est un simple accident. L’allusion au sens de l’humour malenkovien est sa
622 ident. L’allusion au sens de l’humour malenkovien est sans relation aucune, dans l’esprit de M. Bevan, avec la citation de
623 esprit de M. Bevan, avec la citation de Hitler qu’ est la seconde phrase. L’URSS a d’ailleurs cessé d’être redoutable, puisq
624 st la seconde phrase. L’URSS a d’ailleurs cessé d’ être redoutable, puisque, après la mort de Staline, elle a cessé d’être un
625 puisque, après la mort de Staline, elle a cessé d’ être une vraie dictature. Ce fait est établi par les conversations qu’a eu
626 elle a cessé d’être une vraie dictature. Ce fait est établi par les conversations qu’a eues M. Bevan avec les dirigeants s
627 Bevan avec les dirigeants soviétiques. La Russie est gouvernée aujourd’hui par un pouvoir collégial. Il est normal d’admet
628 ouvernée aujourd’hui par un pouvoir collégial. Il est normal d’admettre que les institutions politiques de la Russie doiven
629 les institutions politiques de la Russie doivent être adaptées, comme celles des autres nations, à l’évolution économique e
630 , à l’évolution économique et sociale du pays. Il est donc normal d’admettre que l’évolution économique de l’URSS commandai
631 sité organique. L’évolution économique et sociale est en Russie — « comme dans les autres nations » — le vrai Pouvoir. Voil
632 hrouchtchev ». Et de se demander : « Khrouchtchev est -il un autre Staline ? » Et de répondre : « Très évidemment non. C’est
633 evan écrivait dans son journal intime : « Staline est -il un autre Lénine ? Très évidemment non. » Et il avait raison. Hitle
634 s évidemment non. » Et il avait raison. Hitler ne fut pas non plus un autre Bismarck. Généralement, les gens ne sont pas un
635 plus un autre Bismarck. Généralement, les gens ne sont pas un autre, sauf s’ils sont Allemands, comme vient de le montrer M.
636 lement, les gens ne sont pas un autre, sauf s’ils sont Allemands, comme vient de le montrer M. Mauriac. ⁂ Ne craignons pas l
637 Français le second. La collaboration européenne n’ est pas un vain mot. Elle joue à plein contre l’Europe. ⁂ Mais si 43 mill
638 llions d’Allemands de l’Ouest, quelle ne doit pas être la terreur de Mao Tsé-toung devant ses propres Chinois ? Car voici la
639 ar an. » Or « le communisme, en Chine, n’a jamais été un mouvement de masse », déclare M. Bevan. « Notre tâche, m’a dit un
640 van. « Notre tâche, m’a dit un dirigeant chinois, est maintenant d’atteindre le peuple. » Seule, une « petite fraction de l
641 e, une « petite fraction de la société chinoise » est communiste. u. Rougemont Denis de, « Politique de la peur proclamé
16 1955, Preuves, articles (1951–1968). De gauche à droite (mars 1955)
642 gauche à droite (mars 1955)v « Parce que nous sommes soucieux de la logique de notre action, il convient de nous demander
643 tre action, il convient de nous demander ce qui a été ainsi (par le rejet de la CED) gagné ou perdu, et comment nous situer
644 il arrive maintenant […] un premier bénéfice nous est acquis pour l’histoire : soumis à une formidable pression politique,
645 t qui marque son point « pour l’histoire ? » Ce n’ est qu’Esprit, revue française, autrefois « internationale ». Esprit ayan
646 de constater que « le ciel du Pentagone » ne lui est pas tombé sur la tête. « Tout ce qu’avaient raconté à l’opinion franç
647 opinion française les gens du MRP et de la droite était donc faux : leur menace d’un retrait des crédits américains, leur fam
648 au contrecoup nationaliste allemand. » Tout cela serait faux ? Rien de tout cela ne se serait produit ? Il se trouve que la s
649 » Tout cela serait faux ? Rien de tout cela ne se serait produit ? Il se trouve que la suite de l’article contredit point par
650 dres l’autorisent. Les « raisons de redouter » ne sont pas « au moins égales ». Le rejet de la CED a bel et bien entraîné la
651 au contrecoup nationaliste allemand : « Le climat est lourd en Allemagne occidentale. (Fuite d’Otto John.) Nous avons reçu
652 » (p. 665). On sait que les socialistes allemands sont nationalistes, ne fût-ce que du seul fait qu’Adenauer ne l’est pas. D
653 les socialistes allemands sont nationalistes, ne fût -ce que du seul fait qu’Adenauer ne l’est pas. D’ailleurs : les extrém
654 stes, ne fût-ce que du seul fait qu’Adenauer ne l’ est pas. D’ailleurs : les extrémistes de droite aussi sont renforcés. Tro
655 pas. D’ailleurs : les extrémistes de droite aussi sont renforcés. Trois fois sur trois, les gens du MRP, etc., avaient vu ju
656 » ( ?), « la création d’une force équivalente à l’ Est  ». Le schéma logique de cet article révèle une rigueur proprement mas
657 issant une Wehrmacht, et la Wehrmacht (de demain) étant destinée à provoquer la « création » d’une armée russe (que l’on croy
658 ngtemps glorieuse) — si cela mène à la guerre, ce sera la faute d’ Esprit . Esprit fut jadis la revue du personnalisme. Dep
659 à la guerre, ce sera la faute d’ Esprit . Esprit fut jadis la revue du personnalisme. Depuis quelques années, ses nombreux
660 tenté de rejoindre la ligne communiste. S’ils ne sont jamais arrivés à la trouver, c’est qu’ils la cherchaient vers la gauc
17 1955, Preuves, articles (1951–1968). Le Château aventureux : passion, révolution, nation (mai 1955)
661 t la grotte de Circé dans l’Odyssée). Et pour qui serait tenté de mettre en doute leur valeur religieuse et sacrée, je lui sug
662 es symptômes cliniques, comme l’obsession qu’elle est  ; ou parler de la Révolution sans la prêcher ni la maudire, mais en é
663 mme d’une formule qui a fait son temps, voilà qui sera ressenti comme sacrilège par l’intelligentsia occidentale, d’autant p
664 tsia occidentale, d’autant plus fortement qu’elle sera moins chrétienne. Il y a donc un sacré moderne. Et ces trois noms rév
665 sie et la morale courtoises, dont le thème unique est l’amour. Peu après (à Lyon, en 1143), les chanoines instituent le cul
666 transmission des thèmes, sujets et procédés peut être suivie pas à pas : nos plus grands érudits l’ont décrite. Mais le rom
667 rudits l’ont décrite. Mais le roman de Tristan ne fut pas imité par les seuls écrivains depuis près de huit siècles : toute
668 tige le plus efficace, l’héroïsme divinisant. Tel fut l’essor de la passion, du xiie siècle méridional au romantisme, et n
669 e quel fidèle endimanché aux martyrs dont le sang fut la semence de l’Église. Le contenu du mythe ne peut être décrit qu’en
670 semence de l’Église. Le contenu du mythe ne peut être décrit qu’en opposant des termes eux-mêmes ambivalents : il est exalt
671 en opposant des termes eux-mêmes ambivalents : il est exaltation de la vie vers la mort (mais la vie et la mort changent de
672 s le langage des passionnés et des mystiques), il est impérialisme et abandon du moi (avec la même sincérité, dans le même
673 (avec la même sincérité, dans le même geste) ; il est intensité mais déprimante, ascèse mais luxurieuse, défi mais masochis
674 ascèse mais luxurieuse, défi mais masochiste ; il est discours sans fin sur l’indicible. (Le Tristan de Wagner illustre bie
675 Au regard de la société, le mythe de la passion n’ est que révolte et fuite. Il ne peut fomenter que l’individu égoïste et p
676 et profanateur, au sein même du monde féodal, qui est le monde des « fidélités ». Tristan, pris de passion, viole tous les
677 ’il suppose l’union au sein de la distinction, il est normal que toutes les hérésies du xiie siècle le condamnent. Elles a
678 la Voie mystique, et l’abandon total à la passion est décrit comme une conversion : Alors la vraie Minne, la fougueuse dée
679 e vie. Il entra dans une vie nouvelle où tout son être fut changé. Il devint un autre homme…10 Cette « vie nouvelle » — da
680 . Il entra dans une vie nouvelle où tout son être fut changé. Il devint un autre homme…10 Cette « vie nouvelle » — dans l
681 Cette « vie nouvelle » — dans le monde comme n’ étant pas du monde — n’est pas donnée à l’homme pour son plaisir : elle le
682  » — dans le monde comme n’étant pas du monde — n’ est pas donnée à l’homme pour son plaisir : elle le saisit comme une grâc
683 idélité jusqu’à la mort divinisante, mais un seul être a pris la place de tous, et du monde, et de Dieu lui-même. Tout ici r
684 bien qu’en un reflet inversé. Cet amour déifié n’ est pas le Dieu d’Amour. Il n’élit pas un homme pour le sauver, mais pour
685 pris à croire à la valeur irremplaçable d’un seul être . « Je pensais à toi dans mon agonie. J’ai versé telles gouttes de san
686 pparaître que dans le monde où cette croyance à l’ être unique faisait partie de la religion de tous. Son élan fou, qui mime
687 e Bach. La « Joie suprême » d’Isolde agonisante n’ est qu’un dernier défi au Soleil disparu derrière l’horizon jaune de la m
688 chair que pour sombrer. Mais alors la passion ne serait -elle pas l’échec de l’Aventure occidentale, échec fatal dès que l’âme
689 c demeure spécifiquement occidental, encore qu’il soit causé par un refus des options principales de l’Occident. Il ne ramèn
690 ue celui de la métempsycose. « Notre engagement n’ était pas pris pour cette vie », dit Novalis parlant de sa fiancée perdue.
691 nt magique de l’Occident tragique, et cet abîme n’ est autre que le vertige de l’âme en proie au refus manichéen de l’Incarn
692 ’idée et la réalité de ce phénomène, je l’ai dit, sont inconnues dans tout l’Orient, qu’il s’agisse des empires aryens ou dr
693 les premiers touchés par l’idéologie marxiste ont été les intellectuels éduqués en Angleterre et les populations très ancie
694 abar. Prenons la Chine : le père de sa révolution fut le converti Sun-Yat-Sen, protestant fanatique à ses débuts… Tout port
695 violence d’une catharsis : « Les choses vieilles sont passées, dit saint Paul ; voici, toutes choses sont devenues nouvelle
696 nt passées, dit saint Paul ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. » Et les chefs de nos révolutions promettent des
697 ’exigence de la liberté pour tout homme, quel que soit son rang ; le conflit de ces deux exigences, qui est la source à la f
698 son rang ; le conflit de ces deux exigences, qui est la source à la fois de l’instabilité de nos régimes politiques et soc
699 s la continuité vivante de ses passés, dont nul n’ est aboli ni privé de ses temples. Elle évoque l’idée d’une Europe où viv
700 paraît même douteux que les premiers chrétiens se soient conduits en « révolutionnaires » au sens moderne de l’expression. Cer
701 l’Empire défaillant. Mais les premiers chrétiens sont restés « conformistes » à l’égard des pouvoirs établis. On ne les voi
702 tution de l’esclavage, par exemple11, lesquels ne seront pas abolis pour des raisons théologiques, mais militaires dans le pre
703 remonter à notre dialectique de la personne. Ce n’ est pas la personne qui se détache d’abord du corps magique de la tribu,
704 peut naître la révolution. Deux formules d’ordre sont en effet concevables à ce moment. Il y a l’Église et sa fraternité fo
705 e13 dans la lutte contre l’ordre établi. L’Église est obéissance au Libérateur éternel, mort pour nous mais présent dans la
706 choses qu’on ne voit pas ». Le Parti au contraire est aux ordres d’un chef dont la présence visible et matérielle est confi
707 d’un chef dont la présence visible et matérielle est confirmée sur tous les murs ; il réclame lui aussi la foi des militan
708 ts dans un monde idéal et futur, mais cette foi n’ est gagée que sur le sacrifice et la mort de ses adversaires. On entre da
709 s adversaires. On entre dans l’Église parce qu’on est converti, donc changé ; mais on entre dans le Parti pour changer le m
710 du révolutionnaire, d’une conversion non pas de l’ être mais du faire ; et, de plus, déléguée à l’action collective. L’indivi
711 au lieu de se retrouver une personne engagée, il est devenu le soldat politique embrigadé. Que le Parti révolutionnaire so
712 politique embrigadé. Que le Parti révolutionnaire soit une exacte parodie (consciente ou non) de l’Église chrétienne, voilà
713 jusqu’aux derniers replis du cervelet. Saint-Just était un enfant de chœur, comparé à ces Philanthropes, sinon par l’intentio
714 t les purges communistes, et son « cléricalisme » fut sans tache. Toutefois, les églises politiques ne copient de l’Église
715 Aucun des traits communs qu’on vient d’énumérer n’ est proprement évangélique. C’est l’ambition théocratique, non l’Agapè, q
716 s juges. D’où la Terreur inévitable qu’il exerce, étant lui-même terrorisé. D’où le fait nécessaire et non accidentel — en dé
717 partisans — que la Révolution, mythe libertaire, est une réalité close et lugubre, une psychose de persécution, la paranoï
718 éon, Hitler, Mussolini, Staline. Ces tyrans n’ont été abattus que par la guerre ou par la mort. Et la plupart furent les bé
719 s que par la guerre ou par la mort. Et la plupart furent les bénéficiaires, non les victimes, de nos révolutions « libératrice
720 lles des disciplines d’État qui leur ont succédé, fut maintes fois baptisée « douceur de vivre » non seulement par ses surv
721 asochistes. L’éloquence crispée d’un Saint-Just15 était leur idée de la « pureté », les sentences brutales d’un Lénine leur i
722 temps tenu lieu de spiritualité, et ses prestiges sont loin d’être épuisés. La guillotine et les camps soviétiques font part
723 ieu de spiritualité, et ses prestiges sont loin d’ être épuisés. La guillotine et les camps soviétiques font partie de la bon
724 ous estimons froidement ses résultats, force nous est de constater que les révolutions européennes, sans aucune exception n
725 ption notable, ont abouti à renforcer la tyrannie soit d’un homme, soit d’une classe, et toujours de l’État. Adoptant les va
726 t abouti à renforcer la tyrannie soit d’un homme, soit d’une classe, et toujours de l’État. Adoptant les valeurs de la Passi
727 la mort ! », s’écriaient les jacobins, et la mort était là, celle des autres d’abord, mais la Liberté se voilait — laissant e
728 Vive la Russie ! Il proclame un nouveau mythe. Il est comme une invocation à un dieu nouveau, une sorte de Gott mit uns aus
729 sitôt exaucé, puisque par ce seul cri la bataille sera gagnée. La nation à l’état naissant, comme nous la trouvons à Valmy,
730 venir et de volonté. Toutefois, cette idéologie n’ est pas le fait du peuple entier, mais d’un parti ; et ce parti agit par
731 l’intérieur du pays, la première tâche de l’État sera d’écraser les opposants, car la nation est religion et les religions,
732 ’État sera d’écraser les opposants, car la nation est religion et les religions, en Occident, ne transigent pas, du moins d
733 la France napoléonienne. L’idéologie de la nation est par essence conquérante : elle veut apporter la Liberté aux autres pe
734 ilosophie du nationalisme va se constituer. Hegel est la contrepartie réflexive de Napoléon. Hegel se représente la nation
735 la nation comme une croisade pour l’idée. « Ce ne sont pas les déterminations naturelles de la nation qui lui donnent son ca
736 lui comme esprit et nature.) Cet esprit national est « un individu dans la marche de l’Histoire ». Il se fait par sa propr
737 us haut concept de l’Esprit ». Pour la France, ce seront les « immortels principes ». Pour la Prusse, l’idée de l’État. Pour l
738 is longtemps, afin de mieux prouver leur raison d’ être . Nationalisme de reflet, d’imitation, parfois plus proche du vrai pat
739 nations », et de « droit international », mais il est clair que ces États-nations-Individus rendent tout ordre internationa
740 es occasions décisives. Certes, l’esprit national est un dieu bien réel, et que l’on croit vraiment, puisqu’il peut exiger
741 ans les écoles sous le nom de « patriotisme ». Il est admis que tout orgueil, toute vanité, et jusqu’aux vantardises les pl
742 nce tout entière de l’homme. « L’orgueil national est loin de la vie quotidienne », remarque Simone Weil. La nation est un
743 ie quotidienne », remarque Simone Weil. La nation est un dieu lointain, qui demande beaucoup plus qu’il ne donne, infinimen
744 d’amour, la nation revendique des absolus dont il est manifeste qu’elle est spirituellement indigne et matériellement incap
745 endique des absolus dont il est manifeste qu’elle est spirituellement indigne et matériellement incapable : celui de la sou
746 de la souveraineté sans limites, par exemple, qui est un des attributs de Dieu ; ou celui de l’éternité, au mépris de toute
747 « France éternelle », « l’Allemagne immortelle » sont des expressions courantes en temps de guerre. Cette rhétorique émeut
748 rénésie pseudo-religieuse du nationalisme pouvait être mortelle à l’Occident, et je vois deux raisons considérables pour le
749 ci n’ont pas souhaité cette responsabilité, et ne sont pas équipés pour l’exercer : c’est par là qu’ils diffèrent profondéme
750 mande pourquoi, je répondrai par cette phrase qui est la parabole biologique d’une vérité fondamentale de l’esprit : « Tout
751 ma seconde raison : c’est que l’Asie tout entière est menacée de « prendre » notre fièvre nationaliste. Certains pays en fo
752 pour les Polynésiens. Le nationalisme en Europe s’ est trouvé partiellement neutralisé par la durable résistance des groupes
753 volution, Nation : ces trois maladies spécifiques sont les « signes particuliers » de la fiche de l’Europe au dossier de l’H
754 de l’Europe au dossier de l’Histoire. Mais ce ne sont pas seulement des maladies fiévreuses, ce sont aussi des hérésies : v
755 ne sont pas seulement des maladies fiévreuses, ce sont aussi des hérésies : vérités dévoyées, isolées de l’ensemble où elles
756 la résolution toujours fuyante. Toutes les trois sont le résultat d’une transposition abusive de réalités spirituelles soit
757 ne transposition abusive de réalités spirituelles soit sur l’individu, soit sur la société. Toutes les trois sont mortelles
758 ive de réalités spirituelles soit sur l’individu, soit sur la société. Toutes les trois sont mortelles et liées à la mort pa
759 l’individu, soit sur la société. Toutes les trois sont mortelles et liées à la mort par une complicité originelle. Nous le s
760 Couper ces fièvres aurait un effet dévastant : ne serait -ce pas nous vider d’une affectivité qui est devenue la saveur et le s
761 ne serait-ce pas nous vider d’une affectivité qui est devenue la saveur et le sens même de la vie pour des millions de nos
762 oire ; à la genèse de toute notre Aventure. Elles sont les longues erreurs inséparables de la périlleuse odyssée dans laquel
763 ables de la périlleuse odyssée dans laquelle nous sommes nés embarqués. Un dernier trait commun à toutes les trois achèvera de
764 le But dernier de l’Aventure, qui ne peut jamais être saisi que par la foi. Le christianisme se distingue de la plupart des
765 râce subvienne à sa débilité et qu’ainsi le salut soit donné par Dieu seul, il se jette vers des buts plus prochains et sens
766 truction et sa mort ». Sacraliser des buts qui ne sont pas le But, c’est la formule de la révolte occidentale. Révolte contr
767 évolte contre l’Amour de Dieu et du prochain, qui était le commandement remplaçant toute la Loi, et l’on voudrait mais on ne
768 onner sans réserve, d’aimer dans la totalité de l’ être , jusqu’au sacrifice éperdu. Alors je ferai d’Iseut l’absolu du désir,
769 rs je ferai d’Iseut l’absolu du désir, et elle le sera tant qu’un obstacle réel ou non entre elle et moi, même embrassés, em
770 ppel intime. Il pense alors : c’est Dieu qui doit être trop faible pour me contraindre à l’obéissance et à l’amour. La révol
771 pouvoir qu’on tient pour affaibli, toute exigence est ressentie comme un « abus ». Ainsi toutes nos révoltes imitent, même
772 on de l’Occident ». On voit maintenant qu’il n’en est rien. L’Occident comme ensemble historique n’a jamais été converti, e
773 . L’Occident comme ensemble historique n’a jamais été converti, et il ne saurait l’être, en vérité, du seul fait qu’il n’es
774 rique n’a jamais été converti, et il ne saurait l’ être , en vérité, du seul fait qu’il n’est pas une personne. Mais le fermen
775 e saurait l’être, en vérité, du seul fait qu’il n’ est pas une personne. Mais le ferment du christianisme originel, son exig
776  christianisée » dans ses structures qu’elle ne l’ était avant le xiie siècle. D’où l’on ne saurait conclure en poussant à l’
777 e en poussant à l’absurde que l’incroyant moderne est plus « chrétien » que ne pouvait l’être un paroissien naïf du Moyen Â
778 nt moderne est plus « chrétien » que ne pouvait l’ être un paroissien naïf du Moyen Âge, mais seulement que la dialectique fo
779 lement que la dialectique formelle de la personne est plus profondément active qu’on ne le pensait naguère dans l’âme de no
780 n pourrait même soutenir que le christianisme n’a été subversif qu’en dépit des prétentions de l’Église à imposer un ordre
781 s le souligne avec raison : « L’Empire de Byzance était un État plus ou moins théocratique. En Occident, il en allait tout au
782 evé les mêmes prétentions. Mais comme celles-ci n’ étaient pas admises, elle devint militante, et tout en se développant sur le
783 out en se développant sur le plan spirituel, elle fut un facteur de liberté contre les abus du pouvoir temporel. Ainsi le c
784 u pouvoir temporel. Ainsi le christianisme a-t-il été jusqu’à encourager les aspirations libérales des adversaires de l’Égl
785 ne et sens de l’Histoire, p. 79.) 13. Tout homme est mon frère, quoi qu’il fasse ou pense, si je suis chrétien. Tout camar
786 e est mon frère, quoi qu’il fasse ou pense, si je suis chrétien. Tout camarade peut à chaque instant cesser de l’être, si je
787 . Tout camarade peut à chaque instant cesser de l’ être , si je suis communiste. 14. Les chefs soviétiques font récrire Marx
788 ade peut à chaque instant cesser de l’être, si je suis communiste. 14. Les chefs soviétiques font récrire Marx lui-même, cr
789 r subsister quelque instance supérieure au Parti, fût -elle humaine. 15. Ce personnage s’égale aux plus grands, dans leur c
790 le, même s’ils n’y croient plus. « Ne mêlons pas, fût -ce une seconde, la personne grandiose de Saint-Just, au triste Marat…
18 1955, Preuves, articles (1951–1968). L’aventure occidentale de l’homme : L’exploration de la matière (août 1955)
791 olence, de la gauche et de la droite de la nef où sont massés plusieurs centaines d’évêques et de docteurs, tandis que les l
792 » Des rédactions improvisées à la dernière minute sont mises aux voix. Le vote est emporté, mais des négociations de couloir
793 à la dernière minute sont mises aux voix. Le vote est emporté, mais des négociations de couloirs le remettent en question l
794 éputations. On a signé des listes de présence qui seront plus tard contestées : sont-elles complètes, sont-elles exactes ? N’a
795 tes de présence qui seront plus tard contestées : sont -elles complètes, sont-elles exactes ? N’a-t-on pas ajouté des noms d’
796 ront plus tard contestées : sont-elles complètes, sont -elles exactes ? N’a-t-on pas ajouté des noms d’absents ? Il faut main
797 meurt sous les coups de bâton. Au soir, le dogme est proclamé, l’erreur de Nestorius vient d’être condamnée, et la populat
798 dogme est proclamé, l’erreur de Nestorius vient d’ être condamnée, et la population de la ville éclate en transports d’allégr
799 es et dans l’encens des cassolettes à parfum. Tel est donc le spectacle offert par les premières assises du christianisme,
800 feste, proteste, exile, accuse de blasphème ou en est accusé, organise des guets-apens ou y tombe, mélange indiscernablemen
801 tout obscures pour le peuple chrétien. Tout cela serait absurde si ce n’était sublime, si ce n’était finalement bien plus int
802 peuple chrétien. Tout cela serait absurde si ce n’ était sublime, si ce n’était finalement bien plus intelligent, bien plus sa
803 ela serait absurde si ce n’était sublime, si ce n’ était finalement bien plus intelligent, bien plus sage et bien plus réalist
804 l’Histoire. Voilà donc l’atmosphère dans laquelle fut nouée la notion dont descendent nos conceptions de l’homme. En appare
805 t, vrai Dieu et vrai homme à la fois. Le problème était le suivant : comment nommer les relations intradivines et les relatio
806 l’homme révélées par la venue du Christ, Dieu qui est le Père en tant que Créateur, le Fils en tant que Rédempteur, le Sain
807 ilier. L’hellénisme avait dégagé les notions de l’ être distinct, c’est-à-dire de l’Individu, et de la permanence de cet être
808 -à-dire de l’Individu, et de la permanence de cet être à travers ses modalités : essence, substance et hypostase. De leur cô
809 é de droits dans la cité : le citoyen. Tout homme est un individu, du simple fait qu’il est un corps distinct, mais il ne d
810 Tout homme est un individu, du simple fait qu’il est un corps distinct, mais il ne devient une « personne » qu’en vertu de
811 ertu des relations civiques ou juridiques dont il est porteur dans l’État ; d’où cet adage du droit romain : persona est su
812 l’État ; d’où cet adage du droit romain : persona est sui juris, servus non est persona (la personne étant définie par sa v
813 droit romain : persona est sui juris, servus non est persona (la personne étant définie par sa valeur juridique, l’esclave
814 st sui juris, servus non est persona (la personne étant définie par sa valeur juridique, l’esclave n’est pas une personne). A
815 tant définie par sa valeur juridique, l’esclave n’ est pas une personne). Ainsi l’individu n’était qu’atome, et la persona q
816 clave n’est pas une personne). Ainsi l’individu n’ était qu’atome, et la persona que valence ; l’un existait par soi, l’autre
817 t-on rendre compte du fait certain que la Science est liée à l’Occident, si l’on partait encore du vieux conflit entre la s
818 n même temps que la liberté sujet de conflits ? N’ est -elle pas englobée par ce qu’elle veut nier ? La seule question sérieu
819 os vies, procède des options de Nicée. Le rapport est -il positif, dialectique, ou purement négatif ? Les aspects négatifs d
820 aspects négatifs du rapport religion-science ont été soulignés à l’envi par deux siècles de polémiques aujourd’hui périmée
821 e polémiques aujourd’hui périmées et stériles. Il est temps de renouveler la question et de rappeler les aspects positifs :
822 ion et de rappeler les aspects positifs : ceux-ci sont à la fois plus « nouveaux » (voire choquants) pour les esprits encore
823 de pensée en tension, ou mieux par tensions, qui sera jusqu’à nous la marque et le ressort de l’esprit de recherche occiden
824 La pensée par tensions. — Le dogme du Dieu-homme fut le problème crucial de la spéculation des Pères et de leurs conciles.
825 la spéculation des Pères et de leurs conciles. Il fut aussi le modèle suprême de la polarité impensable mais vraie, qui exi
826 e nos catégories intellectuelles. Si Jésus-Christ est à la fois « vrai Dieu » et « vrai homme » en une seule et même Person
827 et même Personne, et si cette Personne à son tour est à la fois vraiment distincte et vraiment reliée au sein de la Trinité
828 e, le « scandale » des réalités contradictoires s’ est propagé ou transposé : dès l’instant qu’il était accepté au sommet, i
829 s’est propagé ou transposé : dès l’instant qu’il était accepté au sommet, il devenait difficile de le refuser en droit dans
830 bordonnés. Mais la transposition n’a pas toujours été légitime : il s’en faut de beaucoup. Au couple d’opposés vrai Dieu-vr
831 enfin la foi et la religion naturelle. Mais qu’en est -il des autres couples d’opposés qui se sont multipliés dans notre his
832 qu’en est-il des autres couples d’opposés qui se sont multipliés dans notre histoire ? La plupart mettent en jeu des réalit
833 près ni de loin, aux deux termes originaux. S’il est vrai que l’opposition entre l’Église et l’Empire (guelfes et gibelins
834 même type de tension nécessaire (les deux termes sont vrais, contradictoires, mais essentiels) que la théologie avait élabo
835 commune origine, dont le grand modèle historique fut montré comme objet de la foi par les Pères du concile de Nicée, mais
836 ue ce passage de la christologie à la psychologie soit légitime — ni les théologiens ni les savants ne devraient l’accepter
837 t renaît sans fin ni cesse de cette tension. S’il est vrai que le secret de la synthèse est de « comprendre » les incompati
838 nsion. S’il est vrai que le secret de la synthèse est de « comprendre » les incompatibles, cela ne peut se produire que dan
839 . Aussi longtemps que les aspects contradictoires sont vus séparément par des esprits divers, il n’y a, dans l’ensemble d’un
840 s, monismes séquestrés, scepticismes stériles. Ce fut le cas de l’Antiquité. Ou bien l’on pose, comme les sagesses d’Orient
841 rient, l’identité des contraires apparents : tout est dans tout, bien sûr, mais la science n’a pas lieu. Or, la physique ac
842 la science n’a pas lieu. Or, la physique actuelle est caractérisée par la reconnaissance de ses incompatibles : le problème
843 incompatibles : le problème onde et corpuscule en est l’exemple le plus pur20. Certes, il s’agit de phénomènes de même natu
844 es d’analyse employées. Mais la forme du problème est typique ; elle évoque une analogie dont les savants, sans doute, ont
845 dans lesquels on pourrait retrouver — et ce jeu n’ est peut-être pas vain — l’équivalent des hérésies les plus connues, dual
846 ophysites, arianistes ou docétistes, l’orthodoxie étant alors représentée par MM. Einstein et de Broglie, non moins acharnés
847 ’esquisser en partant de la christologie pourrait être faite à partir de la doctrine trinitaire. De Nicée à S. Augustin, pui
848 es qui, finalement détaché de son objet primitif, est devenu une forme de notre esprit21.   b) La valorisation du monde ma
849 u lui-même a choisi de se manifester en elle ? Il est bien vrai que le but dernier de l’homme est de connaître Dieu, mais D
850  ? Il est bien vrai que le but dernier de l’homme est de connaître Dieu, mais Dieu lui-même s’est rendu connaissable dans l
851 homme est de connaître Dieu, mais Dieu lui-même s’ est rendu connaissable dans la chair. Et il est vrai aussi que « l’Esprit
852 ême s’est rendu connaissable dans la chair. Et il est vrai aussi que « l’Esprit seul vivifie, la chair ne sert de rien », m
853 ir ; c’est « ici-bas », sans évasion possible, qu’ est le lieu de son obéissance. Et il est vrai enfin que « la chair n’héri
854 possible, qu’est le lieu de son obéissance. Et il est vrai enfin que « la chair n’héritera pas du Royaume des cieux », et q
855 n’héritera pas du Royaume des cieux », et qu’elle est aujourd’hui sous le règne de la Loi, donc du péché et de la mort, mai
856 des fils de Dieu… avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la lib
857 par elle pour affronter un monde dont la réalité est attestée par Dieu, et qui attend son salut de l’homme sauvé. Il est t
858 ieu, et qui attend son salut de l’homme sauvé. Il est très important que Kepler ait écrit : « Les œuvres de Dieu sont digne
859 rtant que Kepler ait écrit : « Les œuvres de Dieu sont dignes d’être contemplées. » Ne voir là qu’une phrase « édifiante » i
860 er ait écrit : « Les œuvres de Dieu sont dignes d’ être contemplées. » Ne voir là qu’une phrase « édifiante » interdirait de
861 faire de physique. Certes, beaucoup d’athées ont été physiciens, mais le mouvement créateur de la science — comme il est a
862 is le mouvement créateur de la science — comme il est avéré par l’histoire des génies — procède d’une confiance intuitive d
863 ésurrection. Dès lors le témoignage de nos sens n’ est pas vain : il est certes affecté d’erreur par le péché, mais il peut
864 ors le témoignage de nos sens n’est pas vain : il est certes affecté d’erreur par le péché, mais il peut être corrigé par l
865 ertes affecté d’erreur par le péché, mais il peut être corrigé par l’expérience, corrigeant à son tour les rêveries de la ra
866 e notre œil et la lumière, quoique mystérieuse, n’ est plus illusion ; et le cosmos n’est pas une fantasmagorie privée de co
867 mystérieuse, n’est plus illusion ; et le cosmos n’ est pas une fantasmagorie privée de cohérence, d’ordre et de sens, mais i
868 s, dans une profonde complicité de l’espérance, d’ être à son tour interprété et révélé… Celui qui estime vraiment que le mon
869 et révélé… Celui qui estime vraiment que le monde est absurde, on sent qu’il peut en faire de la littérature, mais non de l
870 Einstein confirmera l’intuition de Descartes, qui fut aussi celle de Newton et de Kepler.   c) Les vertus scientifiques. —
871 tre idée, implique une intention, trahit un sens, est intéressante et valable : « Dieu est aussi présent dans l’intestin d’
872 hit un sens, est intéressante et valable : « Dieu est aussi présent dans l’intestin d’un pou », déclare Luther — inaugurant
873 ires leur ont manqué. Au contraire, le chrétien a été capable de faire avancer cette science, grâce à son christianisme et
874 ralysant ainsi la science. Entièrement différente est l’impulsion moderne, qui veut que l’on reste ouvert sans réserve au t
875 ichie, et poursuivre ce processus à l’infini sans être comblée jamais. La science moderne est née d’une rationalité qui, loi
876 fini sans être comblée jamais. La science moderne est née d’une rationalité qui, loin de se refermer sur elle-même, reste o
877 vient le courage qu’elle suppose ? De la foi, qui est confiance en Dieu. Car « si Dieu est le créateur du monde, il est dés
878 la foi, qui est confiance en Dieu. Car « si Dieu est le créateur du monde, il est désormais responsable de ce qu’est le mo
879 Dieu. Car « si Dieu est le créateur du monde, il est désormais responsable de ce qu’est le monde et de ce qui s’y passe ».
880 r du monde, il est désormais responsable de ce qu’ est le monde et de ce qui s’y passe ». Il y a donc un sens, et il vaut la
881 sance du réel, qui pourtant vient de Dieu… Dieu n’ est pas l’objet d’une foi véritable s’il ne peut pas supporter d’être mis
882 d’une foi véritable s’il ne peut pas supporter d’ être mis en question par les faits ; et toute quête de Dieu se rend en mêm
883 de la vérité. Car la vérité, pour la foi, ne peut être que celle de Dieu, même quand elle semble nuire au groupe, à la tribu
884 religions de l’Orient, le christianisme pourrait être qualifié de matérialisme, en tant que son dogme central postule la ré
885 On vient de voir, au surplus, comment la science est liée à l’attitude et à la dialectique fondamentales du christianisme.
886 le matérialisme devenu système général de pensée, sera décrété doctrine d’État par l’URSS. Mais tandis que dans ce pays, l’h
887 en Église, le déclin de son prestige en Occident est précisément amorcé par la défection des savants. Il est remarquable q
888 écisément amorcé par la défection des savants. Il est remarquable que le christianisme ait été menacé d’abord par une hérés
889 ants. Il est remarquable que le christianisme ait été menacé d’abord par une hérésie toute contraire : je veux parler du do
890 plupart des grandes hérésies des premiers siècles sont très nettement spiritualistes, ce qui indique bien que l’orthodoxie c
891 , ce qui indique bien que l’orthodoxie chrétienne était ressentie comme trop matérialiste, dans un monde encore tout pénétré
892 a donné libre cours à l’extrémisme occidental que fut le matérialisme sous ses formes diverses : mécaniste, moniste, ou « d
893 vant dont le spiritualisme, puis le matérialisme, sont deux manières de s’évader, l’une par en haut et l’autre par en bas. M
894 ses prétentions à l’objectivité, le matérialisme est demeuré, du moins chez ses théoriciens, un point de vue typiquement p
895 dément marqué au signe de la croix, il ne pouvait être senti que sous la forme d’un manichéisme inversé, comme on le voit pa
896 credo, il semble bien que l’élément polémique ait été moins déterminant que l’espèce de fascination qu’exerçaient les progr
897 ence du spirituel, pour que le fond de la matière fût percé et qu’une nouvelle lumière encore diffuse apparût de l’autre cô
898 ntre la matière et quelque autre chose. » Et ce n’ est pas seulement entre la matière et « autre chose », ou entre l’énergie
899 ’on ne sait quoi, que la frontière intelligible s’ est évanouie, mais c’est aussi entre le vivant et l’inerte, entre le soma
900 lité dans tous les cas et dans tous les domaines, est fournie par les seules expériences qu’on peut reproduire à volonté, t
901 es qu’on peut reproduire à volonté, toutes choses étant d’ailleurs matériellement égales26. L’expression de « preuve matériel
902 solue, mettant fin à toute discussion. La science était censée garantir ce point de vue, au nom duquel on pouvait écarter tou
903 mais dont la forme et la complexité structurelle sont si clairement définies par les lois des ondes, que beaucoup de choses
904 que beaucoup de choses se passent comme si elles étaient des êtres substantiels et durables »27. Voilà ce qui reste de la mati
905 p de choses se passent comme si elles étaient des êtres substantiels et durables »27. Voilà ce qui reste de la matière aux ye
906 science d’aujourd’hui. Si la base du matérialisme était moins la matière classique que la négation de l’Esprit, il n’en reste
907 este pas moins que ses arguments scientifiques se sont évanouis avec les caractères classiques de la matière ; car celle-ci
908 ent les attributs que les matérialistes pensaient être ceux de l’Esprit : l’ubiquité, l’invisibilité, une certaine indétermi
909 que le matérialisme vulgarisé, survivant à ce qui fut sa base, n’est plus guère qu’une superstition. Il entretient religieu
910 isme vulgarisé, survivant à ce qui fut sa base, n’ est plus guère qu’une superstition. Il entretient religieusement des atti
911 esprit paraît fort compromise. Si le matérialisme est à bon droit gêné par le fait que la science subtilise sa matière, que
912 ait de la liberté jusque dans la matière : mais n’ était -ce pas admettre du même coup qu’il y aurait aussi de la détermination
913 rgie, puis entre l’énergie et quelque chose qui n’ est plus exprimable qu’en formules mathématiques, et qui semble apparteni
914 rmais, peut fonder son jugement sur des faits qui sont « démontrés par la Science », au lieu que le médiéval se voyait oblig
915 fondées dans l’erreur. Mais comme cet homme moyen serait fort incapable de vérifier les faits affirmés par la science, cela re
916 matière, au lieu de celle de l’esprit. Ce choix n’ est donc pas scientifique, mais proprement théologique : c’est l’hérésie
917 logique : c’est l’hérésie que j’ai décrite. Qu’en est -il du choix des savants ? Beaucoup d’entre eux, et non des moindres,
918 Beaucoup d’entre eux, et non des moindres, ayant été conduits par leurs travaux bien au-delà de la superstition matérialis
919 qu’ils qualifient de panthéiste. Car si le cosmos est vraiment infini à la fois dans le temps et dans l’espace — comme l’on
920 i plusieurs astronomes de renom — ou si le cosmos est pratiquement fini, mais cependant illimité, comme le pense curieuseme
921 divin prend alors les noms les plus bizarres : il est tantôt la forme archétypique organisant les ondes créatrices de la ma
922 , le choix théologique reste aussi apparent qu’il est inévitable. Et il opère en général sur d’assez grossières confusions 
923 e la transcendance, dès l’instant que la première est conçue comme le système total des lois d’un Univers par ailleurs inim
924 résent de l’Aventure occidentale, dont la science est la pointe extrême en notre siècle, notre image du monde s’évanouit. E
925 déjà échappé à nos sens. Dépassée la matière, qui était pourtant devenue l’objet principal de la science, nous butons contre
926 d’ondes animant le vide30. Le monde phénoménal n’ est plus qu’une apparence flottant sur l’océan sans rivages et sans fond
927 galaxie. Mais dans quoi tout cela se meut-il ? Il est vrai que la question n’a pas de sens : rien « au monde » ne peut y ré
928 ode einsteinienne revient à constater que la Maya est tout, et qu’il est fou de penser à n’importe quoi d’autre, c’est qu’a
929 evient à constater que la Maya est tout, et qu’il est fou de penser à n’importe quoi d’autre, c’est qu’alors il est faux de
930 enser à n’importe quoi d’autre, c’est qu’alors il est faux de penser « Dieu », mais aussi de penser « Liberté ». Le refus q
931 ppose à ma question dernière dissimule un refus d’ être mis en question par autre chose que « le monde » et la mathématique.
932 uestion : elle nous juge et pose nos limites, qui sont celles du savoir humain, mais elle pose en même temps l’existence de
933 au Cosmos. Mais le Dieu que prient les chrétiens est celui qui s’est fait connaître par cela justement que la science ne c
934 le Dieu que prient les chrétiens est celui qui s’ est fait connaître par cela justement que la science ne connaît pas, et n
935 donnée par sa révélation en Jésus-Christ : « Dieu est Amour. » (Dans le contexte ardu que l’on vient d’explorer, le mot pre
936 nciles : comment ne pas songer aux épurations qui seront pratiquées 1500 ans plus tard dans une Russie dont l’esprit « byzanti
937 nt » du christianisme. L’orthodoxie catholique ne sera définitivement assise qu’en 680, par le VIe concile de Constantinople
938 s. Certains incompatibles aujourd’hui reconnus ne sont peut-être qu’apparents : ainsi le fait que la masse combinée des neut
939 utrons et des protons composant le noyau atomique est toujours inférieure à la masse totale de ce noyau (le défaut de masse
940 à la masse totale de ce noyau (le défaut de masse étant représenté, croit-on, par l’énergie de liaison des particules). D’aut
941 ces produits extrêmes de la philosophie idéaliste seraient demeurés impensables sur tout autre arrière-plan que celui de la dogm
942 tente et l’exigence dans l’homme naturel. 22. Il est certain que « la chair » selon S. Paul n’est pas seulement le corps p
943 . Il est certain que « la chair » selon S. Paul n’ est pas seulement le corps physique, mais l’homme naturel tout entier, le
944 llect-âme volitive et affective. L’erreur moderne est générale à ce sujet : elle en vient souvent à l’excès d’identifier la
945 et poussée jusqu’à l’absolu. Une doctrine ne peut être qualifiée d’hérétique que si elle a pris son point de départ dans le
946 point de départ dans le complexe orthodoxe, et s’ est développée contre lui. 25. L’homme de science moyen du xixe siècle
947 ui. 25. L’homme de science moyen du xixe siècle est moins hostile qu’indifférent au christianisme, dont il est loin de so
948 hostile qu’indifférent au christianisme, dont il est loin de soupçonner que sa propre situation puisse encore être tributa
949 soupçonner que sa propre situation puisse encore être tributaire. Est-ce bien sa faute ? Et la théologie du temps — je pens
950 a propre situation puisse encore être tributaire. Est -ce bien sa faute ? Et la théologie du temps — je pense surtout à cell
951 t-elle grand-chose à lui offrir ? Elle n’a jamais été plus éloignée des grandes affirmations de Nicée. Elle fait de l’histo
952 jectif, le motif personnel, le but dernier, etc., étaient considérés, au mieux, comme facteurs nuls. 27. Erwin Schrödinger, « 
953 te. 28. En un sens, la superstition scientifique est plus aveugle que celle qu’on reprochait au Moyen Âge. Car les vérités
954 u Moyen Âge. Car les vérités théologiques d’alors étaient plus à la portée du croyant moyen que les théories de la mécanique on
955 e ondulatoire ou de la physique des quantas ne le sont du moderne qui ne croit qu’à la science. 29. Cf. O. L. Reiser, « The
956 à partir de l’hydrogène. Le noyau de l’hydrogène est un proton. Cet ultime substrat de l’Univers physique est un « nœud d’
957 proton. Cet ultime substrat de l’Univers physique est un « nœud d’énergie » qui se produit dans un « champ » au sein duquel
19 1955, Preuves, articles (1951–1968). L’aventure technique (octobre 1955)
958 nos caractères nationaux. La question qui se pose est alors de savoir si l’Occident qui pense n’a pas pris l’habitude, depu
959 . On dénonce la dépersonnalisation de l’homme qui serait liée à la production en série. On prédit le règne des robots. On va j
960 de la chaise électrique, mais n’importe, la cause est noble et l’angoisse qu’on traduit, réelle et populaire. Derrière cett
961 « L’envahissement de nos vies par les machines » est freiné par le prix des appareils, non par la plainte des écrivains. I
962 oncé à briser les machines, et les bourgeois s’en sont toujours gardé. Et quant à ceux qui ont décidé de sortir du monde et
963 se remettre à tisser leurs vêtements, etc., il n’ est rien sorti de durable de leurs petites communautés de retraites. Cepe
964 bue de la sorte à entretenir cette « crise », qui est le thème préféré de nos meilleurs esprits. Et pourtant, bien qu’elle
965 sse devant l’ère des machines et de la Bombe n’en est pas moins révélatrice de notre condition occidentale. Il s’agit, une
966 se distingue de l’Occident. Les jonques chinoises sont supérieures aux caravelles de Colomb. L’architecture hindoue ne le cè
967 s de sa pensée. D’autres prétendent que l’homme n’ était poussé que par l’envie d’améliorer son sort ou d’amasser plus de nour
968 — a-t-il vraiment rêvé de dominer la Nature ? Il est baigné par elle et il y participe. Comment pourrait-elle menacer « le
969 le le tue, mais c’est d’elle qu’il vit. Tout cela est accepté comme allant de soi, comme « naturel » précisément. Quand l’e
970 ent. Quand l’esprit de l’homme entre en jeu, ce n’ est pas pour attaquer cette Nature animée d’intentions qui sont loin d’êt
971 our attaquer cette Nature animée d’intentions qui sont loin d’être toutes malveillantes : c’est pour négocier avec elle, pou
972 cette Nature animée d’intentions qui sont loin d’ être toutes malveillantes : c’est pour négocier avec elle, pour traiter av
973 tion » de la cuisson des aliments ?) Dès lors, il est lié, pour avoir partagé un même repas rituel avec les hommes. Bien pl
974 es. Bien plus qu’une « volonté de puissance » qui serait une relation de force à sens unique, inimaginable à ce stade, sentons
975 le besoin de jouer, mais au sens fort du mot, qui est un sens religieux. La civilisation apparaît en même temps que les out
976 ême, le plus souvent, n’en rend pas compte : tout est magie à l’origine, tout est dialogue avec les forces naturelles qu’il
977 end pas compte : tout est magie à l’origine, tout est dialogue avec les forces naturelles qu’il faut séduire tout en leur o
978 les peuples anciens. L’histoire des inventions n’ est pas celle de besoins qui auraient existé avant elles. Sa logique n’es
979 ins qui auraient existé avant elles. Sa logique n’ est pas celle de l’utile, mais du jeu33. Or qui dit jeu dit règles fixes.
980 rées entre l’homme et les forces naturelles. Ce n’ est donc pas des lois de la Nature qu’on a peur, mais au contraire de l’i
981 ou ses rêves éveillés. C’est du rêve de voler qu’ est né l’avion ; et du rêve de partir au hasard sur les routes qu’est née
982 et du rêve de partir au hasard sur les routes qu’ est née l’auto. Voir l’autobiographie de Henry Ford. On sait que ce rêveu
983 t à construire une « locomotive routière » qui ne fût pas astreinte à suivre la loi rigide des voies ferrées et ses horaire
984 roue que pour faire des jouets ? Et pourquoi l’or fut -il pur ornement chez tant de peuples ? À cause de leur magie, de leur
985 y voit que ses songes, et que les âmes des choses sont les reflets de son âme. Plongé dans la Nature, il la sent la plus for
986 stance entre la Nature et sa vie — cette distance est le « milieu » dans lequel il existe —, l’esprit conçoit un Bien disti
987 mourir… Ce qui s’oppose et résiste à ce Bien, ce sont alors les servitudes de la Nature, la nécessité animale de tuer pour
988 concevront Dieu comme semblable à leur Bien : il sera bon, juste, parfait et immortel, sa toute-puissance n’étant mise en é
989 juste, parfait et immortel, sa toute-puissance n’ étant mise en échec que par le principe démoniaque, assimilé dès lors à la
990 ilé dès lors à la Nature. Le Dieu du Bien ne peut être auteur du Mal. La Nature est donc l’œuvre d’un Autre. On a reconnu ce
991 ieu du Bien ne peut être auteur du Mal. La Nature est donc l’œuvre d’un Autre. On a reconnu cette attitude manichéenne qui
992  », c’est-à-dire en fait un dualisme. Car l’homme est conçu désormais comme une âme enfermée dans un corps. Il ne sera jama
993 rmais comme une âme enfermée dans un corps. Il ne sera jamais libre et vraiment bon que s’il parvient à s’évader de la chair
994 . Toute magie expulsée de la Nature, la technique est en train de la domestiquer pour la première fois dans l’histoire. Déj
995 ransports rapides, télécommunications). L’homme n’ est pas encore, il s’en faut, au terme de cette entreprise, mais il a déj
996 grands fauves, la vermine et beaucoup d’insectes sont vaincus.) D’autre part, nous nous découvrons les tout premiers contem
997 s que pendant le premier tiers de ce siècle. Tels sont bien les faits, dans l’ensemble. Mais il serait faux de penser que le
998 els sont bien les faits, dans l’ensemble. Mais il serait faux de penser que les peuples d’Occident aient jamais cherché et vou
999 ance à l’industrie de l’auto qu’on oublie qu’elle est née d’un fantasme (au sens précis de la psychanalyse). D’où vient don
1000 chanalyse). D’où vient donc la technique, si ce n’ est pas de nos besoins matériels et utilitaires, qui n’entrent en jeu qu’
1001 à tel moment donné de l’Aventure occidentale. Il serait vain de chercher le pourquoi de la passion d’inventer, qui est d’ordr
1002 hercher le pourquoi de la passion d’inventer, qui est d’ordre poétique (au sens premier du terme) et qui est de l’homme en
1003 ’ordre poétique (au sens premier du terme) et qui est de l’homme en général. Mais quelque chose d’unique s’est produit en E
1004 l’homme en général. Mais quelque chose d’unique s’ est produit en Europe aux débuts de notre ère technique : la rencontre de
1005 ion et de l’Empire. Trois forces, donc, dont deux sont créatrices, et la troisième instrumentale. Pour la science, la chose
1006 chose va de soi : mathématiques, physique, chimie sont à l’origine immédiate des inventions majeures de la technique. Mais e
1007 savons aujourd’hui que le rêve des alchimistes n’ était pas de faire de l’or pour s’enrichir, mais bien d’opérer le grand œuv
1008 ies modernes. Léonard Euler, piétiste de Bâle, ne fut pas seulement le plus grand mathématicien de son siècle, mais l’inven
1009 grand mythe de l’ère moderne : le Faust de Goethe est d’abord alchimiste, mais il termine son aventure humaine (conditionné
1010 moderne que l’on devait dénommer capitalisme, se soit emparée de ces données, le contraire eût été surprenant. Mais le capi
1011 se soit emparée de ces données, le contraire eût été surprenant. Mais le capitalisme n’a rien créé : il a financé le « Pro
1012 xe de l’ère technique naît du fait que ses dons n’ étaient pas attendus. Prise de court par un phénomène qui l’étonnait merveill
1013 ochaine, la société occidentale du xixe siècle s’ est doublement trompée sur les fins de la technique et la manière de s’en
1014 iels. Ce manque de prévision, ce faux départ, ont été lourdement payés — et le sont encore — par le prolétariat industriel,
1015 ce faux départ, ont été lourdement payés — et le sont encore — par le prolétariat industriel, qui a subi tous les « frais h
1016 idèrent avec un croissant pessimisme. Ce décalage est significatif. En 1835, Andrew Ure, dans sa Philosophy of Manufactures
1017 , de vouloir, tandis que l’homme, faible et pâle, est l’humble serviteur de ces géants d’acier… J’admirais tristement ; il
1018 ces géants d’acier… J’admirais tristement ; il m’ était impossible de ne pas voir en même temps ces pitoyables visages d’homm
1019 ux de rééducation. Au xxe siècle, la situation s’ est retournée. Les ouvriers américains et scandinaves ont à domicile les
1020 le « mouvement irrésistible de l’Histoire » leur est de plus en plus favorable. Cependant que les bourgeois cultivés, atte
1021 core que les valeurs se trouvent inversées : ce n’ est plus la Nature qui représente le Mal, mais c’est l’œuvre de l’homme,
1022 pirituelle. C’est battre la table à laquelle on s’ est heurté. Mais c’est aussi cacher ses doutes intimes derrière une oppor
1023 derrière une opportune « fatalité ». Les machines sont plus fortes que nous, c’est entendu (le marteau est plus dur que la m
1024 t plus fortes que nous, c’est entendu (le marteau est plus dur que la main, les murs de la maison plus résistants que nos c
1025 que nos corps). Mais si vous ne priez plus, ce n’ est tout de même pas leur faute. Retour à l’axe Au contraire du bou
1026 é de la Nature. La doctrine de l’Incarnation, qui est son fondement toujours actuel, le lui interdirait à elle seule. La Na
1027 , le lui interdirait à elle seule. La Nature doit être sauvée par le moyen de l’homme sauvé, ayant été soumise à la corrupti
1028 être sauvée par le moyen de l’homme sauvé, ayant été soumise à la corruption non de son gré, mais à cause du péché38. Il s
1029 e l’homme pour la soumettre aux volontés humaines sera bon, s’il fait partie de l’effort divin dans l’homme, très mauvais s’
1030 s mauvais s’il procède de notre orgueil. Le mal n’ est pas dans les choses, mais dans l’homme. Il est lié à notre liberté. I
1031 n’est pas dans les choses, mais dans l’homme. Il est lié à notre liberté. Il tient à notre condition, comme l’avers tient
1032 tre condition, comme l’avers tient à l’envers. Il est dans notre esprit, n’existe pas ailleurs, et c’est en nous qu’il faut
1033 ers le salut. Cessons donc de projeter le mal qui est en nous sur les choses, machines ou Nature, douées d’intentions auton
1034 te de distinguer. 1° L’idée chrétienne que le mal est dans l’homme, et que la Nature est innocente, leur fait craindre que
1035 nne que le mal est dans l’homme, et que la Nature est innocente, leur fait craindre que la technique augmente la capacité h
1036 te, l’un et l’autre unilatéraux. 2° L’idée du Mal est projetée à nouveau non plus sur la Nature mais bien sur la Technique
1037 ’écrivais au lendemain d’Hiroshima : « La Bombe n’ est pas dangereuse du tout. C’est un objet. Ce qui est horriblement dange
1038 st pas dangereuse du tout. C’est un objet. Ce qui est horriblement dangereux, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la Bombe
1039 se prépare à l’employer. Le contrôle de la Bombe est une absurdité. On nomme des Comités pour la retenir ! C’est comme si
1040 Erreur sur le téléphone. L’esclavage du téléphone est un des clichés de l’époque. Mais le téléphone, simple appareil, n’a j
1041 que chose que vous ne désirez pas manquer. Vous n’ êtes donc esclave que de vous-même. Erreur sur la belle voiture. Cet homm
1042 Erreur sur la belle voiture. Cet homme, dit-on, est l’esclave de sa voiture. Voyez les soins dont il l’entoure ! Il voyag
1043 e sans âme », mais dans le fait que des hommes ne sont plus que les « compléments vivants d’un mécanisme mort ». Or, ce n’es
1044 mpléments vivants d’un mécanisme mort ». Or, ce n’ est pas ce mécanisme mort qui peut en être responsable. Ce n’est pas la m
1045 ». Or, ce n’est pas ce mécanisme mort qui peut en être responsable. Ce n’est pas la machine qui rend un homme esclave : ce s
1046 mécanisme mort qui peut en être responsable. Ce n’ est pas la machine qui rend un homme esclave : ce sont certains comportem
1047 est pas la machine qui rend un homme esclave : ce sont certains comportements que d’autres hommes imposent à l’ouvrier, moin
1048 ent calculé. C’est alors du rendement que l’homme est esclave, quel que soit le régime qui l’exige, capitaliste ou communis
1049 rs du rendement que l’homme est esclave, quel que soit le régime qui l’exige, capitaliste ou communiste. Taylor a conçu l’ou
1050 semer de la neige sur les villes accablées par l’ été  : l’avion bombarde nos cités. Les découvertes géniales d’Einstein abo
1051  ? Imagine-t-on quelque invention qui ne pourrait être utilisée que pour le bien ? Je dis que ce serait une invention du dia
1052 it être utilisée que pour le bien ? Je dis que ce serait une invention du diable : elle priverait l’homme de sa liberté, voulu
1053 de plainte du xxe siècle contre la technique eût été justifiée, cent ans plus tôt ; contre l’usine ignoble et insalubre l’
1054 es Polynésiens de Gauguin. C’est le Moyen Âge qui était loin de la Nature : il la craignait40. L’âge classique la jugeait mal
1055 ent. Le goût de s’étaler au soleil sur les plages est contemporain de l’auto. La technique naissante a créé le prolétariat
1056 ndition et du décor hideux de son existence. Ce n’ est pas la scolastique qui a supprimé l’institution de l’esclavage en Eur
1057 ge des chevaux au moyen d’un licol rigide). Ce ne sont pas nos protestations contre le travail à la chaîne qui libéreront le
1058 robots. L’usine sans ouvriers, réalité prochaine, sera la solution du problème de « l’ouvrier esclave de la machine ».   Mai
1059 ue devient un danger véritable ; non pas elle, il est vrai, mais l’homme qui parle ainsi. Ernst Jünger a bien vu que la tec
1060 e tend alors vers une morale nihiliste, sa maxime étant celle d’une action « sans pourquoi ni vers quoi », sans cause ni but.
1061 atigue mentale ; et cet oubli des buts derniers n’ est qu’un immense lapsus révélateur : il trahit une angoisse devant les p
1062 e, désormais, pour régler le phénomène technique, sera donc la morale sociale, définie par les grands États. L’oubli des but
1063 ture humaine conduit alors à la Technocratie, qui est le gouvernement des moyens sur les fins. (Les « exigences de la techn
1064 été, et l’État seul représentant la Société, il n’ est plus de recours contre ses décisions.) L’évolution vers des sociétés
1065 es en dividendes, le technocrate ne cessera pas d’ être le maître des moyens, mais son prestige s’évanouira dans la mesure mê
1066 « sérieux » changera de camp. Celui dont le rôle sera d’administrer l’immense usine sans ouvriers régnera souverainement su
1067 rison du mal technique par la technique elle-même est -elle une utopie ? Voyons d’abord dans quelle mesure elle est déjà réa
1068 e utopie ? Voyons d’abord dans quelle mesure elle est déjà réalisée. Le niveau de vie moyen en Europe est passé de 1 à 15,
1069 t déjà réalisée. Le niveau de vie moyen en Europe est passé de 1 à 15, nous dit-on, de 1800 à 1950. (On précise qu’il est d
1070 5, nous dit-on, de 1800 à 1950. (On précise qu’il est dix fois plus élevé en 1954 qu’en 1880.) Ces chiffres, je l’avoue, me
1071 u : la notion même d’un « niveau de vie moyen » n’ est pas bien claire, et le devient encore moins quand on la multiplie. (Q
1072 890 à 1954, la semaine de travail dans le textile est passée de 65 heures à 40 heures, et l’année de travail pour les chemi
1073 us-produit de la technique, dont le but principal est encore de fournir plus d’objets et plus de bénéfices. Pourtant, ce « 
1074 lus de bénéfices. Pourtant, ce « sous-produit » n’ était -il pas d’abord l’une des arrière-pensées de l’invention technique ? E
1075 certain point de saturation des besoins naturels soit atteint. La technique a multiplié les hommes dont elle augmentait les
1076 ers pendant ce laps de temps. Un deuxième but qui est d’assurer la subsistance d’une humanité qui s’augmente de 70 000 âmes
1077 objectifs proprement humains de la technique. Ce sont maintenant les moyens à trouver qui devront s’adapter à cette fin rec
1078 semaine, pour que tous nos besoins « matériels » soient satisfaits (et bien mieux qu’aujourd’hui) : alimentation et transport
1079 que peut tout compromettre dans l’œuf. Mais l’œuf est là, portant son germe et notre avenir, cet avenir qu’il nous faut acc
1080 es refouler parce qu’ils donnent le vertige. Nous sommes au seuil des temps où la culture va devenir le sérieux de la vie. (El
1081 devenir le sérieux de la vie. (Elle l’a toujours été , mais cela se verra). Jusqu’ici, c’était le travail qui occupait l’es
1082 diennes. La question « Que faire de ma vie ? » ne sera plus réprimée par cette réponse, plusieurs fois millénaire : « La gag
1083 plusieurs fois millénaire : « La gagner ! » Elle sera subitement mise à nu. Je n’entends pas peindre ici quelque utopie qui
1084 évoir, qu’en vertu de nos libres décisions. (Ce n’ est pas l’invention de la roue qui compte en soi, mais bien l’usage qu’un
1085 t, jouets et ornements chez les Aztèques.) Ce qui est certain, c’est que le progrès technique va faire un saut sans précéde
1086 ns se manifesteront d’une manière transparente et seront suivis d’effets presque immédiats. Ce sont ces vœux et ces orientatio
1087 e et seront suivis d’effets presque immédiats. Ce sont ces vœux et ces orientations que l’on peut essayer d’induire de notre
1088 la suite. Une expérience un peu plus longue nous est donnée par les populations du cercle arctique (Suède et Norvège), con
1089 os pays démocratiques ; et l’instruction publique est heureusement doublée par des centaines d’ouvrages de vulgarisation qu
1090 us mène vers une ère religieuse. Car la culture n’ est en fin de compte qu’un prisme diffracteur du sentiment religieux dans
1091 ment, en Occident comme en Orient. (En fait, elle est surtout — et devrait être — accession à la vérité, et peu importent l
1092 n Orient. (En fait, elle est surtout — et devrait être — accession à la vérité, et peu importent les moyens.) On voit donc m
1093 ère technique conduirait aux religions. L’ascèse était , en fait, une résistance à la technique sous ses formes primitives, c
1094 que sous ses formes primitives, comme la mystique était un mouvement de dépassement (ou de retrait en deçà) du dogme formulé 
1095 u dogme et de la liturgie dans la culture dont il est imprégné. Voilà pourquoi la connaissance des dogmes et des options fo
1096 mes et des options fondamentales de nos religions sera demain la première condition des hérésies et gnoses qui vont paraître
1097 ballon qui ne demande qu’à « s’élever » dès qu’il est délivré des soucis quotidiens. La preuve qu’il n’en est rien, c’est q
1098 livré des soucis quotidiens. La preuve qu’il n’en est rien, c’est que nos plus grands mystiques ont vécu dans les pires con
1099 religieuses deviendront plus sérieuses que ne le sont aujourd’hui les questions matérielles, les « lois » économiques, les
1100 e sens et la nature finale du Progrès. Celui-ci n’ est -il pas simplement l’augmentation du risque de l’homme en tant que per
1101 on du risque de l’homme en tant que personne, qui est le risque de la liberté ? 32. L’examen des circonstances qui ont p
1102 jours, prouve que l’appât du gain ou du confort n’ est presque jamais leur motif. (Cf. D. Brinkmann, Mensch und Technik, 193
1103 industries. 33. Les automates du xviiie siècle sont pur jeu. Ils sont pourtant les ancêtres de nos robots d’usine, indisp
1104 Les automates du xviiie siècle sont pur jeu. Ils sont pourtant les ancêtres de nos robots d’usine, indispensables pour mani
1105 c. 34. En 1833, Thiers déclare que la locomotive est une « simple construction d’amusette scientifique ». 35. Sur l’entre
1106 s plus ou moins « délirants », dont le mysticisme fut décisif en ce qui concerne la plupart de nos progrès techniques. Noto
1107 ux grands mystiques de cette époque se trouvaient être des ingénieurs des mines : Swedenborg et Novalis. 36. Le modèle qui
1108 ervit à Goethe pour écrire la fin du second Faust fut l’ingénieur anglais W. A. Madocks, constructeur de digues sur la côte
1109 e prolétaires, appliqué aux ouvriers d’industrie, fut introduit par Sismondi dès 1819. Trente ans plus tard, Marx pouvait d
1110 nture médiévales concernent les vergers. Le reste était terreur. 41. L’Encyclopédie de 1765 définit le loisir comme « le te
1111 e temps vuide ». Elle suppose donc que le travail est le vrai temps, le temps plein. Cette hiérarchie des valeurs a dominé
1112 a le devenir dès que les bénéfices de l’industrie seront distribués aux ouvriers, notamment sous la forme d’une diminution du
1113 ris affiché pour les questions religieuses n’aura été qu’un phénomène transitoire de notre civilisation occidentale. L’inte
1114 e de la parisienne se crurent, au xxe siècle, et furent dans une large mesure antireligieuses ou a-religieuses. Le surréalism
1115 gieuses ou a-religieuses. Le surréalisme français fut le signal d’une première révolte contre la conception « rationaliste 
1116 les d’une éthique protestante-libérale — quel que soit , par ailleurs, son athéisme. Le retour aux problèmes religieux dans l
1117 lèmes religieux dans la littérature occidentale s’ est amorcé dès 1919, et n’a pas cessé de s’amplifier. 43. Nos sectes ori
20 1956, Preuves, articles (1951–1968). Les joyeux butors du Kremlin (août 1956)
1118 encé dès la mort de Staline44 ou par elle. Ce qui est indiscutable, c’est l’importance psychologique du phénomène ; mais so
1119 nt des liens entre Moscou et les PC européens… Ne serait -ce pas qu’une logique interne, ou qu’un plan savamment préconçu, déte
1120 s privés de la figure de Staline ? Enfin, quelles sont les « contradictions » majeures qui menacent d’éclatement l’univers c
1121 nte… Je ne prétends pas que la courbe descendante soit plus vraie que l’ascendante, ou l’inverse, car elles sont illusoires
1122 s vraie que l’ascendante, ou l’inverse, car elles sont illusoires toutes les deux. Mais l’illusion d’un retour à la démocrat
1123 .   1. Les circonstances de la mort de Staline ne sont pas encore éclaircies. K. n’ignore pas les bruits qui circulent à ce
1124 K. limite ses attaques contre Staline à ce qui s’ est passé depuis 1934, et seulement aux dépens des « bons communistes ».
1125 ection le style d’un Vychinski, stalinien s’il en fût jamais. Elle n’en marque pas moins la naissance du nouveau régime col
1126 lectiquement » leur servilité spontanée. Celle-ci étant acquise, K. ne risque plus grand-chose à exiger « l’autonomie » d’esc
1127 ussi rigoureusement conditionnés. 10. Enfin, tout étant dit, K. reste en place, omettant de tirer les conclusions concrètes d
1128 les, il suffit de poser deux questions : ce culte était -il vraiment si dangereux ? est-il réellement condamné ? Les réponses
1129 tions : ce culte était-il vraiment si dangereux ? est -il réellement condamné ? Les réponses vont de soi. Le culte, en tant
1130 ement les photos. Lénine, substitué à Staline, ne serait -il pas une « personnalité » ? Et son mausolée de la Place Rouge, le l
1131 ouge, le lieu d’un culte ? Thorez et Togliatti se seraient -ils éclipsés ? De qui se moque-t-on ? De la presse occidentale, qui a
1132 dans le panneau, comme toujours ? Mais l’heure n’ est pas aux plaisanteries faciles. La condamnation spectaculaire, mais un
1133 prix. Sacrifier post mortem le seul Staline, ce n’ est rien sacrifier du tout, mais c’est détourner l’attention du fait même
1134 ute au seul Staline. Or la direction collégiale n’ est que la continuation par d’autres moyens (ou les mêmes) de la dictatur
1135 paranoïaque à celle de ses favoris. Au vrai, ce n’ est pas tel ou tel trait de folie d’un dictateur qui doit retenir l’atten
1136 r l’attention, mais le fait de la dictature. Ce n’ est point par accident qu’un dictateur est fou, car il faut être fou pour
1137 ture. Ce n’est point par accident qu’un dictateur est fou, car il faut être fou pour se faire dictateur, la dictature étant
1138 par accident qu’un dictateur est fou, car il faut être fou pour se faire dictateur, la dictature étant la forme politique de
1139 ut être fou pour se faire dictateur, la dictature étant la forme politique de la démence paranoïaque. « Toute collectivité ré
1140 te collectivité régie par un chef souverain qui n’ est comptable à personne se trouve entre les mains d’un malade », écrivai
1141 de », écrivait Simone Weil au temps d’Hitler, qui était aussi le temps de Staline. Et que la dictature se dise collégiale ou
1142 uveaux chefs se sente comptable envers qui que ce soit . Parler de « direction collégiale » dans un régime monolithique, c’es
1143 Staline lui-même47. « Dictature du Prolétariat » est une autre figure de langage. Mais comment fait-on cela ? Qui fait cel
1144 mes ». Un peu de morale Lorsque Mussolini, s’ étant emparé des Baléares à la faveur de la guerre civile, offrit de les re
1145 e : l’immoralité phénoménale du procédé n’a guère été notée par notre opinion libre, tandis que les « progressistes » la po
1146 (Seul le Politburo peut la sonder.) L’hypocrisie était jadis l’hommage que le vice rendait à la vertu. Elle est devenue la v
1147 is l’hommage que le vice rendait à la vertu. Elle est devenue la vertu même, pour ceux qui jugent au nom du « mouvement de
1148 ns qu’on ne l’a cru. Mais ce départ sans gloire n’ était pas le seul possible. Il y a beaucoup de places vides dans les camps
1149 l à tous ces fonctionnaires dont les réflexes ont été conditionnés pendant trente ans par un paranoïaque. S’offrir pour une
1150 durent condamner sur ordre, nous disent-ils — ne serait -ce pas un beau geste « dialectique » ? Ne serait-ce pas un moyen, que
1151 serait-ce pas un beau geste « dialectique » ? Ne serait -ce pas un moyen, que dis-je, le seul moyen, de sauver cette méthode é
1152 oyen de Cantorbéry. « Le crime seul doit placer l’ être qui l’a commis hors de la considération sociale, et le châtiment doit
1153 — seul existant, hélas ! au-dessus des despotes — est de ceux qui dégradent non seulement un régime et les idéaux qu’il pro
1154 et à mettre en lumière ce qu’il tend à cacher. Il est clair que Staline est renié. Mais il est non moins clair que les méth
1155 ce qu’il tend à cacher. Il est clair que Staline est renié. Mais il est non moins clair que les méthodes et les procédés c
1156 cher. Il est clair que Staline est renié. Mais il est non moins clair que les méthodes et les procédés communistes — baptis
1157 « staliniens » quand ils deviennent gênants — qui furent en vigueur sous son règne, ne se voient dénoncés que des lèvres, et à
1158 uant au sens général du phénomène, j’ai dit qu’il est encore conjectural. On ignore, on effet, son vrai point de départ. K.
1159 ignore, on effet, son vrai point de départ. K. s’ est tu sur la mort de Staline. Or, selon qu’il s’agit d’un meurtre concer
1160 ’au contraire, le dépassement du « stalinisme » s’ est bien réellement opéré par les soins du mouvement de l’Histoire, entra
1161 ouvait avoir fait son temps. La seconde hypothèse est celle d’Isaac Deutscher, reprise et approuvée presque dans les mêmes
1162 vant de Staline ; mais faut-il en conclure que ce sont d’enragés staliniens qui se léninisent sous la menace ? La vérité, c’
1163 la menace ? La vérité, c’est que le stalinisme s’ est supprimé lui-même en créant, par l’industrialisation de l’URSS et par
1164 d’une politique nouvelle. Les dirigeants actuels sont les hommes de cette politique : ils la font, et ils sont faits par el
1165 s hommes de cette politique : ils la font, et ils sont faits par elle. » Notons d’abord que Sartre « reconnaît » que K. et l
1166 postes et des charges du vivant de Staline ». (Il serait difficile de le nier.) Ils étaient donc les hommes du stalinisme. Cel
1167 Staline ». (Il serait difficile de le nier.) Ils étaient donc les hommes du stalinisme. Celui-ci s’étant « supprimé lui-même »
1168 étaient donc les hommes du stalinisme. Celui-ci s’ étant « supprimé lui-même », on pourrait se demander ce qu’ils font encore
1169 posons une question plus gênante : le stalinisme est -il un système différent — si peu que ce soit — du bolchévisme en géné
1170 nisme est-il un système différent — si peu que ce soit — du bolchévisme en général ? Il le faut bien, puisque, selon Sartre,
1171 fin du communisme. Reste alors à le définir. S’il était , par exemple, la réponse « historique » du marxisme ou du communisme
1172 rs 1953 — comme on le déduit du texte précité — n’ était -il pas anachronique pour l’Occident ? Pourtant, le PC de France se di
1173 en général (« Ses positions, dans l’ensemble, ont été justes »). Il approuvait donc, pour la France, et sous le même nom de
1174 isme, autre chose que ce qu’il dit que le système était « nécessairement », ou « historiquement », pour l’URSS ? D’autre part
1175 e et l’Histoire en pouvaient approuver, puisqu’il est aujourd’hui condamné — et non pas simplement dépassé — par ceux-là mê
1176 l’Histoire qui les mène. (« … ils la font, et ils sont faits par elle. ») Quelle était donc cette autre chose qui est condam
1177 ls la font, et ils sont faits par elle. ») Quelle était donc cette autre chose qui est condamnée, et que Sartre n’approuvait
1178 elle. ») Quelle était donc cette autre chose qui est condamnée, et que Sartre n’approuvait pas ? L’action personnelle de S
1179 tant que distincte du stalinisme nécessaire ? Ne serait -il pas plus simple de le dire ? Non, car tout se compliquerait aussit
1180 liquerait aussitôt. Si Staline et le stalinisme n’ étaient pas une seule et même chose, l’un pouvait donc survivre à l’autre ? O
1181 se, l’un pouvait donc survivre à l’autre ? Or ils sont morts, si j’en crois Sartre, au même instant, par une extraordinaire
1182 rogression savante… dès la mort de Staline »). Il est hors de question que Staline se soit « supprimé lui-même ». A-t-il do
1183 taline »). Il est hors de question que Staline se soit « supprimé lui-même ». A-t-il donc été tué par le mouvement de l’Hist
1184 taline se soit « supprimé lui-même ». A-t-il donc été tué par le mouvement de l’Histoire ? Ah ! qu’il est encombrant, ce ca
1185 é tué par le mouvement de l’Histoire ? Ah ! qu’il est encombrant, ce cadavre ! Et comme l’existence vient se moquer des sys
1186 mythe de l’infaillibilité historique du PC, etc. Soyons sérieux : la seule vérité bien certaine, c’est que Staline est mort e
1187 la seule vérité bien certaine, c’est que Staline est mort et que, trois ans plus tard, ses successeurs ont jugé nécessaire
1188 ses crimes, mais non son héritage. Tout le reste est conjectures, affirmations sans preuves, alibis transparents, wishful
1189 line ; rien ne prouve que l’action de Staline ait été une phase « nécessaire » (voulue par le mouvement de l’Histoire) du b
1190 s le faire. Je pense, au contraire, que Staline a été brutalement liquidé par l’action beaucoup moins calculée que panique
1191 aucune de ses méthodes fondamentales, lesquelles étaient et restent celles de la dictature ; que le « stalinisme », si on en d
1192 e le « stalinisme », si on en défalque Staline, n’ était rien d’autre que le bolchévisme, lequel dure, comme on le voit, sous
1193 par la mort du despote et son reniement proclamé est un changement psychologique : le rapport de K. le reflète, l’accentue
1194 ligentsia occidentale, bien que les communistes y soient très peu et assez mal représentés. « Verser dans l’anticommunisme »,
1195 de la faire dans les termes les plus simples. Qu’ est -ce qu’un anticommuniste militant ? C’est un homme qui s’oppose à tout
1196 me qui s’oppose à toutes les tyrannies quel qu’en soit le prétexte allégué. Cette attitude le rend suspect aux yeux des adve
1197 dversaires de toutes les tyrannies sauf une. S’il est aussi contre celle-là, disent-ils, c’est qu’il est pour les autres, «
1198 st aussi contre celle-là, disent-ils, c’est qu’il est pour les autres, « objectivement » parlant. Pour peu que l’anticommun
1199 stématique. C’est mon cas et je m’en explique. Je fus aussi, et au même titre, un antinazi systématique. Communisme et nazi
1200 systématique. Communisme et nazisme, en effet, ne sont pas seulement des systèmes, mais des systèmes totalitaires. Il n’y a
1201 ème totalitaire, par définition tout se tient. Il est parfaitement stupide, ou d’une insigne mauvaise foi, ou les deux, de
1202 lent à plein pour nos régimes démocratiques, mais sont exclus par le principe actif du communisme soviétique49. À proprement
1203 anticommuniste qui se veut « non systématique » n’ est finalement qu’un anticommuniste inconséquent ou, pour mieux dire, inc
1204 ntique, donc systématique. On lui reproche de « n’ être qu’un anti » ; et comme, en fait et en logique, on ne connaît pas d’o
1205 aine position, on s’en tire en disant : celui qui est toujours contre, il faut bien qu’il soit payé pour…50 L’anticommunis
1206 celui qui est toujours contre, il faut bien qu’il soit payé pour…50 L’anticommuniste, en revanche, n’est pas tenu de croire
1207 it payé pour…50 L’anticommuniste, en revanche, n’ est pas tenu de croire que les hommes qui l’attaquent sont payés par Mosc
1208 pas tenu de croire que les hommes qui l’attaquent sont payés par Moscou, pour si peu. N’étant pas marxiste-léniniste, l’anti
1209 l’attaquent sont payés par Moscou, pour si peu. N’ étant pas marxiste-léniniste, l’anticommuniste systématique estime qu’un ho
1210 tématique estime qu’un homme peut se tromper sans être à cela matériellement déterminé par l’argent de la classe ou du parti
1211 e ou du parti dont il attaque les adversaires. Je suis certain que Sartre, par exemple, tire honnêtement ses revenus de la c
1212 communisme, qu’il défend sans y adhérer. Mais il est temps d’en venir au contenu concret de l’attitude anticommuniste. Que
1213 ritique des faits connus de tous : 1. que Staline était un fou cruel et rusé (le « Caligula du Kremlin », écrivaient Preuves
1214 emagne ayant permis de la déclencher) n’avait pas été gagnée grâce à Staline, au contraire, ni même grâce au marxisme-lénin
1215 tant que responsable du mouvement de l’Histoire, était en réalité un faussaire de l’Histoire, qu’il faisait récrire à sa gui
1216 illions de koulaks par Staline au nom du progrès, était aussi monstrueuse que celle de millions de juifs par Hitler au nom du
1217 ses agents, prouvaient que les États communistes étaient gouvernés depuis trente ans soit (s’il fallait en croire Staline) par
1218 s communistes étaient gouvernés depuis trente ans soit (s’il fallait en croire Staline) par une majorité de traîtres et d’es
1219 traîtres et d’espions au service du capitalisme, soit (comme nous le pensions, et K. le confirme) par une minorité de scélé
1220 s, Staline en tête, dont la plupart des créatures sont encore au pouvoir en URSS ; 6. que les camps de travail forcé non seu
1221 non seulement existaient bel et bien, mais qu’ils étaient peuplés de millions d’innocents, condamnés comme « ennemis du peuple 
1222 ys communistes, restait très inférieur à ce qu’il était dans les pays capitalistes et socialistes, dont pourtant les régimes
1223 il, réglés chez nous par conventions bilatérales, étaient réglés à l’Est par les canons des tanks ; 9. que les intellectuels co
1224 s par conventions bilatérales, étaient réglés à l’ Est par les canons des tanks ; 9. que les intellectuels communistes d’Occ
1225 trente ans ; la contre-épreuve d’un tel jugement étant fournie par les procommunistes eux-mêmes, qui justifiaient tout cela
1226 doctrine et à leur discipline terroriste. Mais il était plus surprenant de voir les simples AAC et PPC (les anti-anticommunis
1227 mmunisme — stalinien durant toute cette période — étaient de « mauvaise foi », inventées, mensongères, calculées pour provoquer
1228 oyaient pas. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Quel est le « profond changement » introduit dans la situation par le rapport
1229 Pierre Hervé. Non seulement toutes ces choses ne sont plus niées (les camps, la folie de Staline, son incapacité militaire,
1230 ivains staliniens), mais encore toutes ces choses sont dénoncées par les chefs mêmes du communisme, comme autant de scandale
1231 spoir, et ramenées à ce que nous disions qu’elles étaient en réalité : de pures et simples mystifications, au sens marxiste de
1232 vrières et dans la Résistance intellectuelle de l’ Est .   Que vont dire, dans ces conditions, nos AAC ? Et que vont faire no
1233 argument : Puisque tout ce que vous condamniez a été « supprimé » avec le stalinisme, vous n’avez plus de raisons de vous
1234 isons de vous méfier de l’URSS. Réponse : Tout n’ est pas condamné, loin de là, et ce n’est point par hasard que ces « crim
1235 se : Tout n’est pas condamné, loin de là, et ce n’ est point par hasard que ces « crimes » furent commis : ils étaient la pr
1236 , et ce n’est point par hasard que ces « crimes » furent commis : ils étaient la praxis d’un système cohérent, comme le délire
1237 par hasard que ces « crimes » furent commis : ils étaient la praxis d’un système cohérent, comme le délire paranoïaque sait l’ê
1238 tème cohérent, comme le délire paranoïaque sait l’ être . Rien ne prouve que les motifs justifiant toutes ces choses dans l’es
1239 ans les mêmes termes, avec les mêmes sanctions, n’ est pas sortir du stalinisme. Dénoncer la dictature d’un seul homme, au n
1240 omme, au nom de la dictature d’un seul collège, n’ est pas renier la dictature. Mitrailler dans les rues de Poznań les ouvri
1241 rs qui souffrent de cette dictature, bien qu’elle soit en principe la leur, n’est pas revenir à la démocratie, même si l’on
1242 ctature, bien qu’elle soit en principe la leur, n’ est pas revenir à la démocratie, même si l’on tire au nom du bien de ceux
1243 qu’on tue. Et, pour tout dire, recevoir l’ordre d’ être libre, de telle manière prescrite et limitée, n’est pas encore se lib
1244 e libre, de telle manière prescrite et limitée, n’ est pas encore se libérer en obéissant. Cela peut être aussi bien asservi
1245 est pas encore se libérer en obéissant. Cela peut être aussi bien asservir davantage. Je reviendrai tout à l’heure sur ce po
1246 », j’essaie de mesurer mon « épreuve bien dure ». Est -il vrai que l’antistalinisme tardivement proclamé par K. détruise la
1247 dait, en lui apportant une éclatante infirmation. Est -il vrai que le rapport de K. me rejette à la condition d’intellectuel
1248 re ma conscience pour moi… Mais, à supposer qu’il soit vrai que l’existence du stalinisme soit la condition de mes revenus,
1249 ser qu’il soit vrai que l’existence du stalinisme soit la condition de mes revenus, j’ai dit plus haut les bonnes et solides
1250 l ne me visait pas, qu’il s’étonne même que je me sois cru visé. On lui demandera des précisions, des noms. Visait-il donc K
1251 ous n’y pensez pas. Les anticommunistes vulgaires seraient -ils donc ceux qui n’ont pas de nom ? Il faut pourtant bien qu’ils exi
1252 nom ? Il faut pourtant bien qu’ils existent : où serait , sans eux, la bonne conscience des anticommunistes « distingués » ? J
1253 iniens et leurs alliés, AAC, PPC et consorts. Que sont -ils, en effet, et quelle tête peuvent-ils faire, au lendemain du XXe
1254 ent-ils faire, au lendemain du XXe congrès, s’ils sont honnêtes ?   Ils invoquaient le bien de la classe ouvrière. C’est au
1255 on erronée : les moyens employés par Staline, qui fut pendant tout le temps de notre débat l’incarnation incontestée du com
1256 débat l’incarnation incontestée du communisme, n’ étaient pas ceux de la fin que Staline alléguait, ni dans le fait (comme nous
1257 même dans l’intention (comme K. l’affirme) ; ils étaient les moyens généraux de tout système totalitaire, ou les moyens partic
1258 t régulièrement toute injustice, pour peu qu’elle fût commise au nom de l’URSS. Ils croyaient servir « le libre développeme
1259 é, ou niaient leur existence, ou les deux, cela s’ est vu. Leurs mandarins disaient : « Taisons-nous sur les camps : nous fe
1260 va les vider, et de les dire mauvais, puisqu’ils étaient en URSS…) Lorsqu’eut lieu le procès de Rajk, nous ne disions pas que
1261 procès de Rajk, nous ne disions pas que cet homme était un innocent : il avait les mains rouges d’un agent de la Terreur. Mai
1262 par la « justice » au nom du « peuple » hongrois étaient proprement scandaleux, et visiblement fabriqués. Benda déclarait, au
1263 ait, au contraire : « Le malheur pour cette thèse est que les faits relevés contre les inculpés sont établis, bien autremen
1264 èse est que les faits relevés contre les inculpés sont établis, bien autrement que par leurs aveux, par les témoignages les
1265 vain sur ce visage une trace d’humanité53. » Rajk étant réhabilité par les porteurs actuels du « mouvement de l’Histoire », o
1266 victions « abstraites » ou personnelles. Courtade était donc de bonne foi en ne trouvant pas une trace d’humanité sur le visa
1267 trace d’humanité sur le visage de Rajk vivant. Il est encore et toujours de bonne foi en retrouvant cette trace sur le cada
1268 du PC, on conçoit le malaise qu’ils endurent. Il serait puéril et vain, malgré tant d’apparences, de leur dire aujourd’hui :
1269 , la liberté, et de ne tenir pour vrai que ce qui était dit « de gauche » ; bref, dans tous ces exemples choisis à la volée,
1270 eur faire dire chaque fois le contraire de ce qui est , donc de mentir. On se tromperait en croyant que j’instruis un procès
1271 ent, dans laquelle ils vivent, qu’ils existent, n’ est pas de celles dont on peut se tirer par un raisonnement plus correct,
1272 e, intime — suffirait à les en libérer. III. «  Soyez libres ! » En dissolvant le Kominform, au mois d’avril dernier, l’
1273 n’en demandaient pas tant. L’ordre de Moscou : «  Soyez libres ! », les a jetés dans un désarroi que le rapport de K. porte à
1274 ’émotion légitime » qu’ils évoquent à ce propos n’ est qu’un bien pâle reflet de la difficulté où les met l’injonction du no
1275 attribuer du jour au lendemain tout le mal qui s’ est fait sous Staline à un « culte de l’homme » qu’on se bornait à nier,
1276 oscou… (Togliatti a saisi l’occasion, mais Thorez est encore perplexe.) Où les choses se gâtent pour de bon, c’est quand on
1277 de bon, c’est quand on reçoit, en plus, l’ordre d’ être autonome ! car tout change aussitôt, du seul fait que la question n’e
1278 t change aussitôt, du seul fait que la question n’ est plus simplement d’obéir, mais de savoir comment obéir ! Logiquement,
1279 e savoir comment obéir ! Logiquement, le problème est insoluble. Soit qu’on accepte l’ordre ou qu’on le refuse, on ne peut
1280 t obéir ! Logiquement, le problème est insoluble. Soit qu’on accepte l’ordre ou qu’on le refuse, on ne peut pas devenir libr
1281 ’est perdu d’avance : la liberté que l’on feint n’ est qu’une minable comédie, illustrant d’une manière touchante ou hypocri
1282 piègle pour une fois, veut que nos deux grands PC soient contraints d’illustrer chacun l’une de ces deux hypothèses. Togliatti
1283 ent de K. (Ce dernier s’en déclare enchanté : « J’ étais sûr de mon vieux Togliatti »)55. Mais Thorez, Fils du Peuple, s’accro
1284 e aux yeux de certains un air d’indépendance : ne serait -ce pas le seul moyen « concret » d’obtempérer à l’ordre humoristique
1285 u. On ne sort pas d’un tel embarras. Le décrire n’ est déjà pas facile… Mais une fable simplette va nous y aider peut-être.
1286 is une fable simplette va nous y aider peut-être. Soit un chef absolu qui ordonne à ses sujets de se peindre le visage en ro
1287 êmes sujets : « À partir de demain, je l’ordonne, soyez libres ! Peignez-vous comme il vous plaira et cessez d’obéir comme de
1288 ident de quitter le pays. La question qui se pose est celle-ci : les sujets n’ont-ils fait qu’obéir une fois de plus — ou s
1289 ets n’ont-ils fait qu’obéir une fois de plus — ou sont -ils enfin devenus libres ? Réponse : Il faut se laver, si l’on veut ê
1290 libres ? Réponse : Il faut se laver, si l’on veut être libre. Refuser toute espèce de couleur. Telle est la seule révolution
1291 tre libre. Refuser toute espèce de couleur. Telle est la seule révolution qui compte, la seule qui ne conduise pas, inévita
1292 t, à plus de tyrannie qu’avant. Comprenez qu’il n’ est pas d’autre voie, et que vous ne serez jamais libres à moindre prix.
1293 enez qu’il n’est pas d’autre voie, et que vous ne serez jamais libres à moindre prix.   D’autres difficultés créées ou révélé
1294 étique et mondial par la Turbulence que l’on sait seront ici brièvement indiquées : elles présentent le même caractère de soph
1295 a vérité dans le monde communiste ? — Le problème est nettement posé par le rapport K. et ses suites. Jusqu’à la veille du
1296 la veille du rapport, en effet, dire que Staline était le génial Père des peuples était « vrai » au nom de l’Histoire, s’exp
1297 dire que Staline était le génial Père des peuples était « vrai » au nom de l’Histoire, s’exprimant par la bouche du Parti. Ma
1298 par la bouche du Parti. Mais dire que le despote était fou, en se fondant sur l’observation, c’était « faux » parce que cela
1299 le Parti. K. nous dit aujourd’hui que le despote était fou. Il dit vrai (selon l’observation), mais au nom de ce qui sert le
1300 e actuellement avec le vrai tout court, voilà qui est loin de prouver que K. et les PC aient rejoint le parti de la vérité.
1301 ils persistent dans leur erreur fondamentale, qui est de croire que la vérité doit être dictée, non cherchée, et dépend de
1302 ondamentale, qui est de croire que la vérité doit être dictée, non cherchée, et dépend de l’intérêt du Parti, non de l’exame
1303 ous disions par conviction, c’est la même et ce n’ est pas la même. Ils la disent comme ils la niaient : parce qu’ils croien
1304 orale formelle n’a pas d’importance politique. Il est vrai, mais nous sommes dans une ère scientifique. Ou, plus exactement
1305 as d’importance politique. Il est vrai, mais nous sommes dans une ère scientifique. Ou, plus exactement, technique. Le mensong
1306 ique. Le mensonge y devient erreur, et l’erreur y est frappée de sanctions immédiates, qui ne sont point morales, mais phys
1307 eur y est frappée de sanctions immédiates, qui ne sont point morales, mais physiques. On ne fait pas de découvertes à coups
1308 monde tel qu’on ne peut plus y dire la vérité, n’ est pas seulement répréhensible et rétrograde, mais inapte à durer dans n
1309 nal ») a toujours et nécessairement raison, qu’il soit incarné par Staline comme hier, ou par K. et son groupe comme aujourd
1310 où se place l’infaillibilité ? Qui, désormais, en sera le vrai porteur ? Faudra-t-il dissocier les chefs et le Parti, sacrif
1311 l’erreur a bien dû se glisser quelque part ; elle est là et on l’a reconnue ; et pourtant, il s’agit de limiter les dégâts…
1312 lamait vitale. Insoluble problème, et les risques sont graves. Car ou bien tout se défait ; ou les « crimes de Staline » app
1313 tier. Une analyse marxiste des crimes de Staline est -elle possible ? — Répudier, comme le font nos PC, les « actes d’arbit
1314 « actes d’arbitraire reprochés à Staline », ce n’ est pas encore expliquer ni pourquoi ni comment il a pu les commettre. K.
1315 e puissance en tenant lieu) cette trahison aurait été commise. Omission stupéfiante de la part d’un marxiste pour qui toute
1316 ute déviation, opposition ou trahison, ne saurait être motivée que par les intérêts d’une classe bien définie. Ce n’est pour
1317 par les intérêts d’une classe bien définie. Ce n’ est pourtant pas l’individu, on le sait, qui fait l’Histoire. En voici un
1318 lle classe des bureaucrates ? Mais K. et ses amis sont aujourd’hui ses chefs. Au surplus, chacun sait que les classes ont ét
1319 hefs. Au surplus, chacun sait que les classes ont été abolies en URSS. Lorsque le PC français réclame imprudemment « une an
1320 analyse, si elle reste orthodoxe, devrait montrer soit que Staline n’a jamais rien fait par lui-même — ce qui aurait pour ef
1321 réhabiliter, mais d’incriminer tout le système — soit que la méthode elle-même ne vaut rien dans ce cas ; mais alors à quel
1322 lières dont on vient de relever quelques exemples sont sans précédent, semble-t-il, dans l’histoire des mouvements politique
1323 elles montrent aussi que « l’univers communiste » est le lieu des contradictions insurmontables, non seulement en logique (
1324 a vu), mais peut-être aussi en pratique. La crise est telle, au moment où j’écris (fin juin 1956), qu’on ne saurait plus re
1325 e condamner, et, s’il l’a condamné, c’est qu’il y était forcé. La dialectique, encore un coup, arrangerait cela au besoin. Ma
1326 encore un coup, arrangerait cela au besoin. Mais est -il sûr que le Kremlin souhaite vraiment retenir ses PC étrangers ? To
1327 onnivence active avec la Terreur même régnant à l’ Est , et dont on sait que la fascination leur a valu tant d’adhésions à l’
1328 t d’adhésions à l’Ouest. Pour l’URSS, la perte ne serait pas moins grave, car l’URSS sans ses partis ne serait plus que la Rus
1329 it pas moins grave, car l’URSS sans ses partis ne serait plus que la Russie. Aussitôt, son impérialisme, dépouillé de ses prét
1330 t son vrai visage nationaliste et stalinien. Mais est -il sûr, ici encore, que l’équipe du Kremlin ne désire pas justement l
1331 ayant fait son plein vers l’Europe, tandis qu’il est barré par la Chine en Asie ? Supposez, au surplus, qu’elle se soit av
1332 Chine en Asie ? Supposez, au surplus, qu’elle se soit avisée que la condition prolétarienne en Occident ne sera pas supprim
1333 sée que la condition prolétarienne en Occident ne sera pas supprimée par des complots marxistes, mais plutôt par l’automatio
1334 vénèrent… À supposer que l’arrière-pensée d’un K. soit quelque chose qui ressemble à ce qu’on pourrait appeler « le dépassem
1335 e, ou bon Russe. Ce jour-là, le mythe bolcheviste sera vraiment « dépassé par l’Histoire », — comme le sont dès maintenant c
1336 a vraiment « dépassé par l’Histoire », — comme le sont dès maintenant ceux qui s’accrochent encore à l’utopie marxiste, plus
1337 dédain des experts unanimes des deux camps. Je m’ étais un peu moqué de leur propension à anticiper l’avenir… Ceterum censeo
1338 ciper l’avenir… Ceterum censeo… Une seule chose est certaine : les échanges de personnes, d’idées, d’informations et de p
1339 ujourd’hui, croient de moins en moins à ce qu’ils sont  ? Les premiers quêtant les secrets d’une liberté que les seconds reni
1340 que lui-même quitte ? Voilà le danger. Mais il n’ est pas fatal que l’Occident libre y succombe. À de libres échanges, qu’a
1341 ux Soviétiques le sens du doute, sans lequel il n’ est point de foi digne de ce nom. Nous pouvons les convaincre aussi que l
1342 les convaincre aussi que l’amour de la liberté n’ est pas un cliché de banquet, une philosophie de requin, mais le secret d
1343 le secret de toute création. Au total, le gagnant serait la paix, pour l’ensemble d’un Occident auquel l’URSS, par là même, se
1344 deux démissions. Le dialogue désormais engagé ne sera fécond et profitable à tous les deux que si l’un au moins des partena
1345 enaires détient le secret de la générosité, qui n’ est rien d’autre que la force, la vraie force, celle qui naît de la confi
1346 nner, pour mieux vivre et pour rayonner. Que cela soit attendu par les meilleurs à l’Est, nous le savons désormais, voilà qu
1347 nner. Que cela soit attendu par les meilleurs à l’ Est , nous le savons désormais, voilà qui oblige. On nous met au défi de d
1348 rtre, Les Temps modernes, n° 123, p. 1524. 45. N’ est -ce pas l’avis de Sartre, qui écrit : « Le culte de la personne… coûta
1349 (Les Temps modernes, n° 123, p. 1515). La phrase est étonnante. Qu’est-ce que la « justesse » de positions politiques qui
1350 es, n° 123, p. 1515). La phrase est étonnante. Qu’ est -ce que la « justesse » de positions politiques qui exigent des hécato
1351 tes ouvrières que l’on sait ? Mais, en fait, ce n’ est pas le « culte de la personnalité » qui a motivé le génocide des koul
1352 té, mais le mépris de la personne. 46. « Plus on est de fous, moins ça se voit », pourrait au mieux me répondre K. 47. « 
1353 Les Temps modernes, n° 123, p. 1524. 49. Ce qui est injustifiable, c’est l’anticapitalisme systématique des communistes,
1354 me systématique des communistes, le capitalisme n’ étant pas un système cohérent, encore moins un régime totalitaire. Ou l’ant
1355 Le capitalisme au xxe siècle et les États-Unis, sont des amas de réalités, non des systèmes logiques ou organiques. L’espr
1356 endait les accepter ou rejeter en bloc. L’inverse est vrai dans le cas du bolchévisme russe, qui se veut essentiellement « 
1357 ngements survenus en URSS. On sait que le procédé est courant dans Esprit. Quant à Sartre, il écrit dans ses Temps modernes
1358 er un homme pour qui j’ai eu de l’amitié, et ce n’ est pas ma faute s’il suffit de le citer pour faire mesurer les ravages,
1359 matériau des Soviétiques, alors que le contraire serait vrai s’il s’agissait de l’orthodoxie religieuse des Russes. z. Roug
21 1956, Preuves, articles (1951–1968). Sur Suez et ses environs historiques (octobre 1956)
1360 Un dialogue A. Aidez-moi, bon monsieur, je suis sous-développé. B. Intéressant ami, que vous faut-il ? A. Si vous ne
1361 conditions politiques ? Sachez, monsieur, que je suis souverain. Je vous refuse le droit de vous mêler de mes affaires B. J
1362 s parlé. J’allais dire justement que mes capitaux seraient administrés par vous. Cependant, j’eusse aimé suggérer certaines gara
1363 sophismes et de provocations impérialistes ! Vous êtes riche, je suis pauvre, vous devez donc me donner de quoi devenir rich
1364 provocations impérialistes ! Vous êtes riche, je suis pauvre, vous devez donc me donner de quoi devenir riche à mon tour. B
1365 ns les moyens d’assouvir votre haine. Nasser n’ est pas Hitler Toujours en retard d’une dictature, l’opinion occidenta
1366 paroles et déficientes en actes. L’affaire Hitler était locale, politiquement : elle ne concernait que les rapports des États
1367 États-nations de l’Europe. Son importance réelle était plutôt religieuse, « idéologique » comme on dit. L’affaire Nasser est
1368 e, « idéologique » comme on dit. L’affaire Nasser est au contraire mondiale, elle compromet l’ensemble des rapports entre l
1369 s millénaires l’immense espace ouvert qui va de l’ Est européen jusqu’aux confins de la Sibérie et jusqu’au désert de Gobi.
1370 ractéristique des peuples occidentaux, a toujours été celle du mouvement libérateur, de la découverte et des échanges. L’un
1371 mmercial. L’une centralise, l’autre fédère. L’une est conservatrice et l’autre progressiste. En travers de la politique mar
1372 des siècles. Réactions de l’Europe : essor vers l’ est d’abord, par les chevaliers teutoniques, puis exploration de l’Océan
1373 treprise « colonialiste ». Mais, en fait, l’islam est tourné. Aussitôt, Venise réagit : elle convoque la Commission des Épi
1374 (Voltaire, Essai sur les mœurs.) L’idée du canal sera reprise par les Français : projets de Girardin en 1685, de Savary en
1375 des volontaires pour travailler au canal. « Suez est le centre de notre vie de travail. Là, nous ferons l’acte que le mond
1376 ’acte que le monde attend pour confesser que nous sommes mâles », écrit le Père Enfantin, au moment où il débarque avec un gro
1377 pions de la politique moderne des océans. L’islam est au plus bas de sa longue décadence. L’Occident maritime domine le mon
1378 z se voit de nouveau menacé d’ensablement. Telles sont les données millénaires d’un conflit qui dépasse largement les intérê
1379 te le grand symbole. Mais ses intérêts politiques sont du côté de l’islam réactionnaire : barrer Suez, c’est peut-être livre
1380 ant le nouveau défi Certes, le « monde arabe » est encore faible, s’il crie fort. Mais il peut couper les pipe-lines : i
1381 ir comme fit l’Europe de la Renaissance ? Quelles seront nos grandes découvertes ? La réponse ne fait pas de doute : notre « A
1382 réponse ne fait pas de doute : notre « Amérique » sera cette fois-ci le Nouveau Monde de l’énergie nucléaire et solaire. La
1383 . La vraie question que pose le geste de Nasser n’ est pas celle de la souveraineté de son pays, mais bien celle de l’indépe
1384 dépendance de toute l’Europe. La vraie réponse ne sera donc pas de forcer militairement le passage du canal, mais de suscite
22 1956, Preuves, articles (1951–1968). Sur l’Europe à faire (novembre 1956)
1385 Trois échanges A. Votre Europe, au fond, qu’ est -ce que c’est ? Êtes-vous sûr qu’elle existe ? Où commence-t-elle dans
1386 A. Votre Europe, au fond, qu’est-ce que c’est ? Êtes -vous sûr qu’elle existe ? Où commence-t-elle dans le temps ? Et où fi
1387 ? B. Ceux qui l’attaquent savent assez ce qu’elle est . A. L’Albanie musulmane en ferait-elle partie ? Et la Russie ? Très g
1388 kraine ou à l’Oural, ou pas du tout ? B. Hannibal est aux portes, l’union nous sauverait tous, et vous demandez une bonne d
1389 e définition ! Je vous vois venir. A. J’y viens ! Serait -elle de gauche ou de droite ? Dominée par l’Allemagne ou la France ?
1390 ous parlez. B. De celle qu’il nous faut faire, ne fût -ce que pour sauver l’objet de notre dialogue — et tout dialogue, peut
1391 e — et tout dialogue, peut-être. De celle où vous êtes né comme moi, si je ne me trompe, et qui meurt de vos doutes, plus qu
1392 se tomber ! B. Comment l’aurait-elle pu si elle n’ était pas née ? Et c’est vous qui en avez décidé, vous les Anglais en sabot
1393 tort de vous plaindre. C et D. N’empêche que nous sommes seuls à relever un défi qui s’adresse à tout l’Occident. B. Vous êtes
1394 un défi qui s’adresse à tout l’Occident. B. Vous êtes seuls — et l’on sait pourquoi — à proclamer que vous faites ainsi, ma
1395 este impuissante en fait contre l’Égypte. Si vous êtes souverains, tirez donc ! Et n’allez pas demander partout des permissi
1396 et toute la presse a récité que l’idée européenne était bien morte. Voilà qui ne changeait rien aux données de fait, qui ne c
1397 si peu de réclamer l’union. Désormais la Relance est à la mode. C’est plutôt une Relève socialiste. Spaak en Belgique, ave
1398 c’est intéressant ! B. Plus ou moins. S. Mais qu’ est -ce qu’il vous faut ? B. L’Europe est une cause trop sérieuse pour qu’
1399 . S. Mais qu’est-ce qu’il vous faut ? B. L’Europe est une cause trop sérieuse pour qu’on la laisse aux mains des seuls poli
1400 bateaux, disait-il, appuyant le délégué du Caire, serait attenter à la souveraineté nationale de l’Égypte. La cause étant ains
1401 à la souveraineté nationale de l’Égypte. La cause étant ainsi jugée, l’on ne fera rien. Je sais bien que quelques étudiants n
1402 ent du côté du cœur. Ce demi-million d’esclaves n’ est rien au regard d’une Respectueuse… D’ailleurs, l’URSS a donné à ce co
1403 compromis. L’esclavage devient donc tabou : ce n’ est pas un scandale utilisable. Contre-épreuve : seuls, quelques écrivain
1404 steur-député ont parlé de l’affaire en France. Il est vrai qu’Émile Roche les a suivis dans Le Monde , mais cela n’arrange
1405 cela n’arrange rien : le Kremlin a parlé ; Nasser est un dictateur de gauche ; la souveraineté nationale est un principe pr
1406 n dictateur de gauche ; la souveraineté nationale est un principe progressiste ; et la France a tort, quoi qu’elle fasse. V
1407 ine de celle d’esclavagisme… Que l’URSS, en fait, soit la patrie des camps, de l’interdiction des grèves, de la police parto
1408 xige l’exploitation et l’esclavage d’innombrables êtres humains maintenus à cette fin dans l’obscurantisme ». La question n’e
1409 à cette fin dans l’obscurantisme ». La question n’ est donc pas de savoir ce qu’on fait, ni même ce qu’on représente en fait
1410 moyennant le changement de signe dialectique qui est le réflexe normal de tout bon communiste. « Je vous assure, docteu
1411 intellectuels des appels, des invites qui parfois sont insultantes : « Libérez-vous ! dit-on aux intellectuels communistes.
1412 veut-on que nous nous libérions ? Jamais je ne me suis senti si libre ! » Ainsi parle Joliot-Curie, au congrès du PC françai
1413 e, au congrès du PC français. Cela prouve qu’il n’ est pas africain, et qu’il n’habite pas en Égypte. Car, en effet… Non-
1414 tère démocratique ou non du gouvernement égyptien est l’affaire des Égyptiens eux-mêmes », déclare l’organe officiel du PC.
1415 ù Moscou l’approuve, de déclarer que sa dictature est « populaire » ou qu’elle n’est rien qu’une dictature.) Cette phrase e
1416 r que sa dictature est « populaire » ou qu’elle n’ est rien qu’une dictature.) Cette phrase est capitale, parce qu’elle pous
1417 u’elle n’est rien qu’une dictature.) Cette phrase est capitale, parce qu’elle pousse à l’absurdité la logique jacobine d’un
1418 mot, c’est le fascisme essentiel. Le polythéisme est défendable : c’est une théologie de la coexistence. Le monothéisme es
1419 t une théologie de la coexistence. Le monothéisme est vrai. Mais la pluralité des monothéismes n’est pas seulement contradi
1420 me est vrai. Mais la pluralité des monothéismes n’ est pas seulement contradictoire, elle rend l’existence impossible. Su
1421 ossible. Sur la dignité de l’artiste Bartók est mort aux États-Unis dans une situation matérielle qu’on me dit voisin
1422 ois, de l’importance de l’œuvre et du génie qu’il est . C’en est trop ! Tous crient au scandale, le grand public à cause de
1423 importance de l’œuvre et du génie qu’il est. C’en est trop ! Tous crient au scandale, le grand public à cause de l’œuvre, l
1424 explique » ? Mais expliquer un phénomène social n’ est pas encore le justifier. ab. Rougemont Denis de, « Sur l’Europe à
23 1956, Preuves, articles (1951–1968). Sur le rêve des sciences (décembre 1956)
1425 olomb n’a pas découvert l’Amérique, et lui-même n’ était pas celui que l’on croit, mais un juif espagnol converti, qui avait c
1426 la Lune et la navigation vers les planètes, qui n’ est qu’un rêve encore pour cette génération, se réalise au xxe siècle, q
1427 s étions partis à cause de cela ! Nos descendants seront dans l’erreur, cette petite note en soit témoin : à la date où je l’é
1428 ndants seront dans l’erreur, cette petite note en soit témoin : à la date où je l’écris, nous ne savons rien de ce qui peut
1429 iques. Sur la pluralité des satellites Il n’ est point d’action créatrice sans quelque rêve qui la dirige, et qu’elle
1430 œufs, rêve de bœufs », dit le proverbe. L’inverse est aussi vrai, naturellement. Celui qui rêve de satellites en crée, quit
1431 lte. Il se peut qu’il en crée d’autant plus qu’il est moins sûr de leur fidélité, ou de la sienne. (Ainsi Don Juan multipli
1432 le siècle, on ira la chercher dans un temps qui n’ est plus celui de l’Histoire : il est question que l’URSS et les États-Un
1433 un temps qui n’est plus celui de l’Histoire : il est question que l’URSS et les États-Unis lancent en commun des lunes art
1434 je l’espère, et beaucoup de Jaunes, les Rouges n’ étant plus qu’un souvenir. L’action fille du rêve Nos rêves ne précèd
1435 vais d’abord imaginé ? Parce que tu m’as rêvé, je suis . Voilà qui est moins idéaliste que le cogito cartésien : il suffit de
1436 giné ? Parce que tu m’as rêvé, je suis. Voilà qui est moins idéaliste que le cogito cartésien : il suffit de poser comme ax
1437 odes, ou simplement aux lieux de son bonheur, qui sont presque toujours lointains ? En février 1946, vivant à New York et sé
1438 ar, en effet, la plupart de nos rêves millénaires sont déjà des réalités : parler au loin, voler dans la hauteur, transmuter
1439 après-demain nous rajeunirons, et l’immortalité n’ est plus une utopie : on l’obtient in vitro pour d’importants organes.
1440 bien ainsi, à chaque instant depuis que le monde est monde, c’est-à-dire monde de formes et de matière, mais on ne l’a vér
1441 vieilles cosmogonies religieuses : le monde ne s’ est manifesté dans ses apparences matérielles qu’à la faveur de son refle
1442 création sans un double. Or on sait que le Double est l’un des archétypes les plus anciens de la psyché humaine. Tous les f
1443 ski, et autres névrosés professionnels, le Double est synonyme de reflet dans le miroir, d’image du vrai moi, d’ombre, d’éc
1444 ne conclusion : les grands problèmes de demain ne seront plus politiques, mais consisteront à faire face aux solutions massive
1445 . La suppression de la condition prolétarienne ne sera pas le résultat du marxisme, comme l’imaginent encore nos derniers ma
1446 lles sources d’énergie. Le vrai problème nouveau sera de répondre au défi de nos grands rêves réalisés, — au défi de l’inva
24 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la honte et l’espoir de l’Europe (janvier 1957)
1447 Budapest : on nous répète sans fin que la révolte est écrasée. Honte à nous tous Européens ! Et pas seulement à ceux qui se
1448 re — et pourquoi cesseraient-ils ? — la révolte n’ est pas écrasée. Ne voit-on ces choses-là qu’en rêve ? Ces triomphes du j
1449 triomphes du juste et du vrai ? Pourtant Hitler s’ est suicidé dans la débâcle, Mussolini a été fusillé, Staline et Beria li
1450 Hitler s’est suicidé dans la débâcle, Mussolini a été fusillé, Staline et Beria liquidés, Perón chassé — et les autres chan
1451 prison militaire m’avaient au moins prouvé qu’il est des mots qui portent. Mais les Russes sont si loin, et c’est pire.)
1452 é qu’il est des mots qui portent. Mais les Russes sont si loin, et c’est pire.) Nuit du 5 au 6 novembre 1956, à Paris
1453 béissent à des paroles. Et cette révolution, ce n’ est pas le mouvement de l’Histoire qui a déclenché sa marche à jamais bou
1454 lenché sa marche à jamais bouleversante, et ce ne sont pas des hommes de main qui l’ont conduite, mais des hommes de parole 
1455 répondre à leur appel ? Savoir ce qu’il faut dire est notre action. J’écrivais hier : Jurons de faire l’Europe. C’est la se
1456 encore chez ceux qui approuvent ce crime. Quelle est l’arme des hommes qui n’en ont point ? La grève. Déclarons donc la gr
1457 fernale logique du régime qu’ils approuvent. Ce n’ est certes pas plus « rationnel » qu’un traitement de choc, ou que la grè
1458 ement. Refuser de serrer la main d’un homme, ce n’ est pas tirer sur lui, ce n’est pas le gifler. Mais ce geste peut l’oblig
1459 main d’un homme, ce n’est pas tirer sur lui, ce n’ est pas le gifler. Mais ce geste peut l’obliger à sentir qu’une limite es
1460 is ce geste peut l’obliger à sentir qu’une limite est atteinte, à se demander, fût-ce un instant, s’il ne l’aurait pas dépa
1461 sentir qu’une limite est atteinte, à se demander, fût -ce un instant, s’il ne l’aurait pas dépassée. (Traduit l’appel des éc
1462 écédent qui répond à l’appel de Budapest. Qu’elle soit presque unanime suffit presque à lui ôter cet aspect cruellement déri
1463 l’affaire du Guatemala et la tragédie de Budapest est tellement criante que l’effet d’humour noir paraît délibéré : je croi
1464 ir paraît délibéré : je crois pourtant qu’il ne l’ est pas. C’est leur mauvaise conscience qui a trouvé cette astuce dont on
1465 a trouvé cette astuce dont on se demande si elle est plus indécente que pitoyable. A-t-on jamais « le droit » de s’indigne
1466 e ? Oui, disent-ils, à la seule condition d’avoir été complice de tout ce qui le préparait. Jeudi 8 novembre 1956, à Fer
1467 ’à la place où les couleurs suisses et hongroises furent hissées, sous les projecteurs, pendant une minute de silence. Quatre-
1468 un cri, sans un mot, et peu n’ont pas pleuré. Il est frappant que la presse n’ait guère parlé, ce matin, que des incidents
1469 e seule, car l’Amérique du Nord n’a pas bougé — n’ est pas encore définissable. Soulèvement émotif sans précédent. Quand la
1470 t toujours le même cri : « Que peut-on faire ? Je suis prêt à le faire avec vous. » « Agissez ! Agissez ! Agissez ! » — dern
1471 ope ! Pour qu’il y ait quelqu’un qui réponde, qui soit capable de réponse, ou responsable, lorsque d’autres appels viendront
1472 ala ? Et l’Algérie ? Vous ne protestez pas ? Vous êtes donc pour ? (Mais ceux-là ne me disent pas : et Berlin ? Et Poznań ?
1473 tiques ne feront rien. Le sacrifice de la Hongrie est sans mesure : elle a gagné. Nos gouvernants calculent et perdent à to
25 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur Voltaire (février 1957)
1474 il m’arrive, à Paris, d’appeler mon domicile, qui est à Ferney-Voltaire, dans l’Ain : « Veuillez épeler », dit la téléphoni
1475 comme Branca et Voltaire comme un fauteuil. — J’y suis . Dans quel département ? — L’Ain. Elle comprend « hein ? » et redeman
1476 emps, et cela se répète depuis neuf ans que je me suis arrêté dans cette ferme, au pied du Jura, face aux Alpes, à 8 kilomèt
1477 tue, grandeur nature, dans mon village. Mais ce n’ est pas ce petit corps maigre et ce rire édenté de vieillard polisson qui
1478 un pays. Et certes personne ne l’aidait, mais il était fort riche et souvent généreux, pourvu d’une plume qui valait une arm
1479 r que vingt arbres, c’est toujours un bien qui ne sera pas perdu. » Les cèdres du Caucase, envoyés par la Grande Catherine,
1480 vieux père de famille. C’est ici que la publicité fut inventée. Voltaire n’écrivait plus une lettre aux princes intellectue
1481 ucoup mieux qu’à Genève… Donnez vos ordres : vous serez servis… Vous aurez de très belles montres et de très mauvais vers qua
1482 ce. Les garçons défilent à cheval, en uniforme. «  Sont -ce vos soldats ? » demande le prince de Hesse. « Non, mes amis ! », d
1483 r un ami commun de ce que j’habitais à Ferney : «  Est -ce que Voltaire ne vient pas lui chatouiller la plante des pieds pend
1484 d’un coup leur grondement. Vous voyez que ce pays est le centre du monde. C’est ce que l’on pense toujours d’un lieu qu’on
1485 aime. Sur la tolérance Le Traité sur la tolérance est un joyeux fatras. On y trouve un récit de l’affaire Calas, des consid
1486 able escrime contre les jésuites fanatiques. Tout est démodé dans ce pamphlet, si l’on s’en tient à son prétexte et à sa le
1487 partis, enfin la Compagnie par le PC. Le problème est de savoir si la vraie tolérance permet que l’on tolère le Parti. Un M
1488 uite et aux deux missionnaires protestants qui se sont disputés devant lui : « Si vous voulez qu’on tolère ici votre doctrin
1489 qu’on tolère ici votre doctrine, commencez par n’ être pas intolérants ni intolérables. » Ailleurs : « Il faut donc que les
1490  : « Il faut donc que les hommes commencent par n’ être pas fanatiques pour mériter la tolérance. » Ailleurs encore, Voltaire
1491 our avoir chassé les jésuites car, dit-il, « ce n’ était pas parce qu’il était intolérant, c’était au contraire parce que les
1492 ésuites car, dit-il, « ce n’était pas parce qu’il était intolérant, c’était au contraire parce que les jésuites l’étaient ».
1493 nt, c’était au contraire parce que les jésuites l’ étaient  ». Ces arguments sont simples, et ils valent aujourd’hui comme en 176
1494 parce que les jésuites l’étaient ». Ces arguments sont simples, et ils valent aujourd’hui comme en 1763, mais non plus contr
1495 sur les méfaits du parti unique : « Les Japonais étaient les plus tolérants de tous les hommes ; douze religions paisibles éta
1496 ts de tous les hommes ; douze religions paisibles étaient établies dans leur empire ; les jésuites vinrent faire la treizième ;
1497 Il n’y a pas longtemps que l’Immaculée Conception est établie : les Dominicains n’y croient pas encore. Dans quel temps les
1498 des ouvriers : « Vous répondez que la différence est grande, que toutes les religions (lisez les partis) sont les ouvrages
1499 ande, que toutes les religions (lisez les partis) sont les ouvrages des hommes, et que l’Église romaine est seule l’ouvrage
1500 les ouvrages des hommes, et que l’Église romaine est seule l’ouvrage de Dieu. (Lisez : que le PC est seul dans le sens de
1501 e est seule l’ouvrage de Dieu. (Lisez : que le PC est seul dans le sens de l’Histoire.) Mais en bonne foi, parce que notre
1502 ire.) Mais en bonne foi, parce que notre religion est divine (lisez parce que notre Parti est socialiste), doit-elle régner
1503 religion est divine (lisez parce que notre Parti est socialiste), doit-elle régner par la haine, par les fureurs, par les
1504 dissolution nécessaire du PC. « Si leur institut est contraire aux lois du Royaume, on ne peut s’empêcher de dissoudre leu
1505 uites pour en faire des citoyens : ce qui au fond est un mal imaginaire, et un bien réel pour eux ; car où est le mal… d’êt
1506 mal imaginaire, et un bien réel pour eux ; car où est le mal… d’être libre au lieu d’être esclave ? » Là-dessus, l’on disc
1507 , et un bien réel pour eux ; car où est le mal… d’ être libre au lieu d’être esclave ? » Là-dessus, l’on discutera sur l’opp
1508 r eux ; car où est le mal… d’être libre au lieu d’ être esclave ? » Là-dessus, l’on discutera sur l’opportunité — qui varie
1509 e mesure que le droit justifie sans nul doute. Il est très bon qu’on en discute ouvertement, et que l’on recherche, en tous
1510 t réellement de l’interdiction prononcée — ce qui est loin d’être toujours sûr — mais encore si la classe ouvrière (que le
1511 t de l’interdiction prononcée — ce qui est loin d’ être toujours sûr — mais encore si la classe ouvrière (que le PC prétend d
1512 me dit un jour, en riant beaucoup, que sa famille était apparentée à Voltaire. ae. Rougemont Denis de, « Sur Voltaire (Le p
26 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la neutralité européenne (mars 1957)
1513 7)af Pourquoi l’on en parle La neutralité est une idée neuve en Europe. Elle semblait jusqu’ici réservée à la Suiss
1514 passe-t-il donc ? Dans la confusion générale, qui est celle où s’élaborent habituellement les notions vagues et puissantes,
1515 t d’intérêts, de phobies et de raisonnements, qui sont peut-être à l’origine du courant que je crois sentir vers la neutrali
1516 NU. La conjonction USA-URSS, si brève qu’elle ait été , et comme accidentelle, a suffi pour nous faire entrevoir un péril ju
1517 utralisme, provoquée par le drame de Budapest. Qu’ est -ce, en somme, que le neutralisme ? Le contraire, à peu près, de ce qu
1518 lisme ? Le contraire, à peu près, de ce qu’il dit être . Une certaine manière de choisir entre l’URSS et les USA, comme si l’
1519 donc à choisir la politique de l’URSS. Celle-ci s’ étant déshonorée, sans que les États-Unis s’honorent d’autant, une vraie ne
1520 té de la Hongrie, l’indication d’une attitude qui serait commune aux actuels États satellites dès l’instant de leur libération
1521 leur libération. Ces arguments ne manquent pas d’ être invoqués par ceux qui trouvent dans la neutralité un alibi décent de
1522 itantes, l’abandon de l’alliance atlantique… Tels sont , sans doute, les faits récents, et les réactions à ces faits, qui exp
1523 neutralité de l’Europe. Mais ceux qui en parlent sont les mêmes qui me disaient hier encore : « Qu’est-ce que l’Europe ? »
1524 sont les mêmes qui me disaient hier encore : « Qu’ est -ce que l’Europe ? » À mon tour de leur demander ce qu’ils entendent p
1525 ité J’ai dit plus haut pourquoi le neutralisme est littéralement un mensonge. (Ses partisans, d’ailleurs, le savent auss
1526 es d’Asie, Nehru dit oui, mais à la condition que fussent également condamnées les menées des anticommunistes — responsables sa
1527 t le diagnostic ! Cette espèce-là de neutralité s’ est traduite par les abstentions du délégué de l’Inde lors des votes de l
1528 r le retrait des tanks de Budapest. Krishna Menon est resté neutre entre les criminels et les cris de leurs victimes. On a
1529 opposant des voisins immédiats comme les Suisses sont français, allemands ou italiens par leur langue, leur culture et leur
1530 culture et leurs affinités, la guerre des autres serait leur guerre civile. Qu’en est-il aujourd’hui ? Tout est changé. La no
1531 uerre des autres serait leur guerre civile. Qu’en est -il aujourd’hui ? Tout est changé. La notion d’équilibre européen a vé
1532 ur guerre civile. Qu’en est-il aujourd’hui ? Tout est changé. La notion d’équilibre européen a vécu. Les conflits qui menac
1533 la Suisse, mais l’Europe tout entière à ce qui n’ est pas l’Europe. Si la Suisse, prétextant de sa neutralité, refusait de
1534 Suisse se dirait neutre entre l’Europe, dont elle est une partie centrale, et les ennemis de l’Europe entière ; neutre entr
1535 i militairement (l’union fédérale de la Suisse se serait disloquée en 1914, par exemple, les Romands tenant pour la France, le
1536 a renoncé à tout esprit de conquête, parce qu’il est satisfait de son sort. Dans ce dernier cas, il se refuse à toute alli
1537 tort d’y mêler de la morale. Car la neutralité n’ est défendable qu’en tant que mesure politique, donc contingente et limit
1538 ne sais qui a pu écrire que « seul un État neutre est vraiment indépendant »61. Il est clair que l’inverse est vrai : seul
1539 l un État neutre est vraiment indépendant »61. Il est clair que l’inverse est vrai : seul un État vraiment indépendant pour
1540 iment indépendant »61. Il est clair que l’inverse est vrai : seul un État vraiment indépendant pourrait être absolument neu
1541 vrai : seul un État vraiment indépendant pourrait être absolument neutre. Je n’en vois guère que deux qui soient dans ce cas
1542 bsolument neutre. Je n’en vois guère que deux qui soient dans ce cas. Quasiment autarciques, plus puissamment armés que l’ense
1543 t de se conduire comme tels. Mais, au fait, ne le sont -il pas ? Ils le sont, non par libre choix, mais parce qu’ils possèden
1544 e tels. Mais, au fait, ne le sont-il pas ? Ils le sont , non par libre choix, mais parce qu’ils possèdent la Bombe H. Chacun
1545 tous deux perdants, faute de pouvoir jouer62. Ce serait fort bien s’ils étaient seuls, s’il n’y avait plus sur l’échiquier qu
1546 ute de pouvoir jouer62. Ce serait fort bien s’ils étaient seuls, s’il n’y avait plus sur l’échiquier que les deux rois, dès lor
1547 ns plus servir au jeu des Grands, disent-ils, ils sont capables de nous laisser prendre par simple peur de s’affronter. Il f
27 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la neutralité européenne (II) (avril 1957)
1548 e de neutralité morale, ou « neutralisme », comme étant insensée ou de mauvaise foi, voyons si les motifs d’une vraie neutral
1549 limitée et contingente, comme celle des Suisses) sont réalisés en Europe, pour l’ensemble de nos nations soi-disant souvera
1550 pas l’intégrité du groupe d’États considéré. Ce n’ est pas le cas de l’Europe, qui ne serait pas intégrale sans les pays de
1551 onsidéré. Ce n’est pas le cas de l’Europe, qui ne serait pas intégrale sans les pays de l’Est colonisés par l’URSS. 2. Une pri
1552 e, qui ne serait pas intégrale sans les pays de l’ Est colonisés par l’URSS. 2. Une prise de parti militaire dans les confli
1553 s alliés, sa défense. Ces conditions ne sauraient être réunies que dans le cas d’une Europe vraiment unie, par où j’entends
1554 tends une Europe intégrale incluant les pays de l’ Est , dotée d’un pouvoir fédéral, d’un Parlement et d’une armée. Une neutr
1555 se » n’aurait donc aucun sens avant l’union. Elle serait pratiquement impossible sans un Pouvoir qui la déclare et qui l’assum
1556 déclare et qui l’assume, et elle ne saurait donc être considérée comme un objectif souhaitable que par ceux qu’animerait en
1557 diversion Il y a deux ou trois ans que l’idée fut émise de faire un peu de vide entre les blocs. Neutralisons les États
1558 ngageons » les forces armées des blocs et le tour sera joué. Ce fut d’abord l’idée d’Eden. Un peu étroite. Elle revenait en
1559 forces armées des blocs et le tour sera joué. Ce fut d’abord l’idée d’Eden. Un peu étroite. Elle revenait en somme à créer
1560 la spéculation politique et journalistique, elle est brillante. Elle fait appel à l’empirisme toujours-un-peu-boiteux-mais
1561 s sur l’échiquier américain, livrer les pays de l’ Est aux entreprises des Russes (ces pays « pourront d’ailleurs rester com
1562 tes de l’Ouest ? L’Amérique, cela va de soi, elle est là pour payer — et l’on sait que les bombes H coûtent plus cher que n
1563 cher que nos divisions réunies — mais alors c’en sera fait de l’espoir d’une indépendance reconquise. Et qui se laissera co
1564 es, enchantés de nous voir jouer leur jeu, ils ne seront pas si bêtes que de nous décourager : tout ce qui peut faire obstacle
1565 re union les sert. Mais on ne peut espérer qu’ils seront assez fous pour laisser nos pays de l’Est rejeter le communisme détes
1566 ’ils seront assez fous pour laisser nos pays de l’ Est rejeter le communisme détesté. Or ce n’est pas seulement leur présenc
1567 s de l’Est rejeter le communisme détesté. Or ce n’ est pas seulement leur présence militaire qui assure les régimes « popula
1568 e. Ce qui maintient le système dans les pays de l’ Est , c’est la simple menace d’une intervention russe. Les troupes russes
1569 dapest, de Bucarest et de Leipzig, comme elles se sont déjà retirées de Prague, sûres qu’elles sont de pouvoir y rentrer sit
1570 s se sont déjà retirées de Prague, sûres qu’elles sont de pouvoir y rentrer sitôt que les régimes communistes s’y trouveraie
1571 Il n’y aurait que les bombes H américaines. Or il est clair que ces bombes H ne seront jamais utilisées si les Russes inter
1572 américaines. Or il est clair que ces bombes H ne seront jamais utilisées si les Russes interviennent chez les « neutres » de
1573 es Russes interviennent chez les « neutres » de l’ Est . Quant aux « neutres » de l’Ouest, la question ne se pose pas. Imagin
1574 ance, une Italie passant au communisme ? Le jeu n’ est pas égal et les dés sont pipés. L’Europe neutralisée, sans union préa
1575 au communisme ? Le jeu n’est pas égal et les dés sont pipés. L’Europe neutralisée, sans union préalable, serait donnée par
1576 ipés. L’Europe neutralisée, sans union préalable, serait donnée par Bevan aux Russes. De plus, elle serait condamnée au perman
1577 serait donnée par Bevan aux Russes. De plus, elle serait condamnée au permanent désordre économique entretenu par ses division
1578 ne » (la CECA, le Marché commun, l’UEO et l’OECE) serait immédiatement sacrifié si l’Europe était découpée en zone « désengagé
1579 l’OECE) serait immédiatement sacrifié si l’Europe était découpée en zone « désengagée » et en zone « atlantique ». Sans l’All
1580 zone « atlantique ». Sans l’Allemagne, les Six ne sont rien ; sans les Six, l’union ne se fera pas. Le vrai problème S
1581 ose, on s’aperçoit que la seule question concrète est l’indépendance de l’Europe. Car il faut être indépendant pour rester
1582 crète est l’indépendance de l’Europe. Car il faut être indépendant pour rester neutre ou pouvoir se déclarer tel. Mais nous
1583 r neutre ou pouvoir se déclarer tel. Mais nous ne serons jamais indépendants si nous refusons de nous fédérer. Ici, deux grand
1584 ns se posent : 1° L’union faite, cette neutralité serait -elle « dans les vrais intérêts » de l’humanité entière et de l’Europe
1585 eutres de l’Europe ; adhérer à une fédération qui serait neutre aussitôt que faite, n’entraînerait plus pour eux nul changemen
1586 e ennemis d’hier, pour que les deux « dernières » soient vraiment les dernières, aurait de quoi les émouvoir. Et prenons enfin
1587 nte que le service militaire national. (Même s’il est vrai que les jeunes sont facilement dupés, pourra-t-on leur cacher lo
1588 aire national. (Même s’il est vrai que les jeunes sont facilement dupés, pourra-t-on leur cacher longtemps que nos armées na
1589 raie condition d’une neutralité générale. Quelles seront alors les chances de l’Europe et de la paix ? Unie, neutre, et armée,
28 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la neutralité européenne (fin) (mai 1957)
1590 it son union, ce qui implique : que les pays de l’ Est l’aient librement rejointe, qu’elle soit capable de défendre et d’aff
1591 pays de l’Est l’aient librement rejointe, qu’elle soit capable de défendre et d’affirmer son indépendance politique à l’éche
1592 taire, seule valable aujourd’hui, — bref, qu’elle soit devenue le Troisième Roi sur l’échiquier du monde occidental. Chemin
1593 ent acceptable — se devrait et devrait au monde d’ être doublement limitée dans sa nature et ses motivations. Elle serait str
1594 t limitée dans sa nature et ses motivations. Elle serait strictement militaire, non pas morale, ni même économique. Elle signi
1595 signifierait strictement le refus des Européens d’ être utilisés ou « donnés » comme des pions ou des pièces secondaires, dan
1596 , et à se disposer en conséquence. 2. Si la trêve est rompue entre les deux blocs, l’Europe n’est pas entraînée automatique
1597 trêve est rompue entre les deux blocs, l’Europe n’ est pas entraînée automatiquement dans le conflit. Cette certitude diminu
1598 sibles, aujourd’hui, il y a d’abord les pays de l’ Est européen. Devant une Europe désunie et l’implicite neutralité américa
1599 omme l’écrasement de la Hongrie. Mais, une fois l’ Est inclus dans l’Union neutre, toute intervention russe chez un ex-satel
1600 otifs, l’Europe restant neutre, — ou bien les USA sont rapidement vainqueurs, et alors l’Europe est là pour aider une nouvel
1601 USA sont rapidement vainqueurs, et alors l’Europe est là pour aider une nouvelle Russie à réintégrer la communauté occident
1602 s à l’Ouest, mais gagne en force relativement à l’ Est , du seul fait qu’elle demeure intacte. 5. Si l’on entend prévenir l’é
1603 t se range automatiquement aux côtés de celui qui est attaqué. Ceci produit l’arrêt du jeu entre les Trois (paix occidental
1604 éâtres, la faculté de manœuvre de l’Europe ? Elle est évidemment restreinte par la volonté de ne rien faire qui puisse caus
1605 ses antieuropéennes au Moyen-Orient ou en Afrique sont refrénées elles aussi par la puissance nouvelle de l’Europe unie et p
1606 res, et l’on voit que mes premiers résultats n’en sont pas moins d’une assez grande complexité. Je suis fort loin d’être arr
1607 sont pas moins d’une assez grande complexité. Je suis fort loin d’être arrivé à la conclusion univoque dont j’avais quelque
1608 ’une assez grande complexité. Je suis fort loin d’ être arrivé à la conclusion univoque dont j’avais quelque idée qu’elle pou
1609 sa neutralité en cas de conflit américano-russe, serait un facteur de stabilisation, parce qu’elle contribuerait à prévenir l
1610 rtant la guerre éclatait, l’Europe neutre et unie serait en meilleure posture pour se défendre contre l’URSS. b) Le véritable
1611 ns du mot neutralité, appliqué à l’Europe unie, n’ est rien d’autre qu’indépendance. c) Mais cette indépendance n’existerai
1612 refus de se laisser manœuvrer par ces puissances, soit en marge de leur jeu bloqué, soit dans ce jeu s’il devait repartir. d
1613 ces puissances, soit en marge de leur jeu bloqué, soit dans ce jeu s’il devait repartir. d) L’Europe neutre et unie devrait
1614 tion typique de maxima contradictoires. L’optimum serait en vue s’il était reconnu que cette limitation de l’esprit d’aventure
1615 ima contradictoires. L’optimum serait en vue s’il était reconnu que cette limitation de l’esprit d’aventure correspond à un m
1616 ’abord son union fédérale, incluant les pays de l’ Est , et garantie par les deux blocs. Le meilleur argument qui subsiste en
1617 es voies de cette union en ralliant les pays de l’ Est . 64. Voir ma chronique de mars et d’avril. ah. Rougemont Denis
29 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur deux écrivains politiques (juin 1957)
1618 s pour démontrer que la politique des communistes était juste, M. Sartre publie dans la même revue 119 pages pour démontrer q
1619 evue 119 pages pour démontrer que cette politique était fausse. Motif du revirement : l’intervention russe à Budapest. « Pers
1620 à Budapest. « Personne n’a vu que l’intervention était l’expression d’une politique », écrit Sartre. Admettons que personne
1621 es dans leur succession : la politique soviétique est juste, Budapest est l’expression de cette politique, et je suis le se
1622 ion : la politique soviétique est juste, Budapest est l’expression de cette politique, et je suis le seul à le voir, mais B
1623 dapest est l’expression de cette politique, et je suis le seul à le voir, mais Budapest est une faute grave, donc cette poli
1624 ique, et je suis le seul à le voir, mais Budapest est une faute grave, donc cette politique était fausse, et j’ai seul le d
1625 udapest est une faute grave, donc cette politique était fausse, et j’ai seul le droit de le dire, l’ayant soutenue jusqu’au d
1626 ’exprimer normalement par Budapest — comme elle s’ était « exprimée » par Berlin et Poznań — ils ne sont pas dans le sens de l
1627 ’était « exprimée » par Berlin et Poznań — ils ne sont pas dans le sens de l’Histoire ; ce qui leur ôte le droit de faire re
1628 Sartre depuis quelques années devaient s’attendre soit à ce qu’il justifiât Budapest, soit à ce qu’il fit précéder d’un mea
1629 nt s’attendre soit à ce qu’il justifiât Budapest, soit à ce qu’il fit précéder d’un mea culpa sa condamnation du crime. Mais
1630 es à ceux qui osent condamner le crime sans avoir été les complices de la politique qu’il exprime. Si M. Sartre n’a pu « d
1631 a pu « digérer » Budapest, comme il l’écrit, ce n’ est point qu’il ait cédé à un réflexe irrépressible d’écœurement, et ce n
1632 à un réflexe irrépressible d’écœurement, et ce n’ est surtout pas au nom de quelque « morale » qui dénoncerait le crime com
1633 au nom de laquelle l’affaire de Budapest pourrait être jugée par quiconque. Et seul Sartre, parlant au nom du Socialisme, a
1634 qu’on le veuille ou non, l’édification socialiste est privilégiée en ceci qu’on doit, pour la comprendre, épouser son mouve
1635 euvent et doivent juger ceux qui participent, à l’ Est et à l’Ouest, au mouvement du Socialisme ». Traduisons : le privilège
1636 e du Socialisme, consiste en ceci, qu’il « doit » être le seul à bénéficier des conditions normales de la compréhension, tan
1637 pprécier toutes les autres entreprises ». Mais qu’ est -ce que le Socialisme ? Toutes ses formes existantes sont condamnées s
1638 que le Socialisme ? Toutes ses formes existantes sont condamnées sans exception par Sartre : communisme, trotskisme, social
1639 l point de vue transcendant qu’il accepte, et qui est « le Socialisme lui-même ». Mais qui incarne cette essence ? Sartre s
1640 is qui incarne cette essence ? Sartre seul, qui s’ est mis en situation de n’être reconnu comme camarade valable par aucun d
1641 ce ? Sartre seul, qui s’est mis en situation de n’ être reconnu comme camarade valable par aucun des partis, groupements ou g
1642 ù Sartre épuise une « vaine passion » morigénante sera-t -elle donc l’existentialisme ? Deux confusions et deux Suisses L
1643 sses Le même Sartre écrivait naguère que je me suis tu sur Suez mais « abondamment expliqué sur Budapest ». Or c’est lui
1644 s articles qui font douze pages en tout. Si c’est être abondant, il n’y a pas de mot pour Sartre qui a donné trois-cents pag
1645 jeures de notre temps. » De plus fins que moi s’y sont laissé prendre, il est vrai. Mais mes deux censeurs se rejoignent dan
1646 De plus fins que moi s’y sont laissé prendre, il est vrai. Mais mes deux censeurs se rejoignent dans une inquiétante décou
1647 on côté, Aspects de la France croit savoir que je suis Suisse, trouve que j’ai bien de la chance, mais que cela m’ôte le dro
1648 ées sur le vu d’un passeport ? Mon point de vue n’ est pas national, comme le suggère le titre même de cette chronique. Au f
1649 ère le titre même de cette chronique. Au fait, ne serait -ce pas là l’explication ? Ferney rappelle un écrivain connu qui signa
1650 ait un manifeste. Signer : le Suisse Rougemont ne serait qu’un pléonasme. On se contentera du nom d’Européen. Tolérer l’int
1651 ur but l’abolition du parlementarisme. Il ne peut être question de l’utilisation des institutions gouvernementales bourgeois
1652 adversaire annonce expressément que son intention est de tricher, d’abolir les règles, et de liquider l’arbitre, faut-il co
1653 ut-il continuer la partie ? Le Parti communiste s’ est toujours réclamé du socialisme, doctrine soucieuse de la défense des
1654 En fait, chacun peut voir que le Parti communiste est celui des privilégiés dans tous les pays où il détient le pouvoir. En
1655 es pays où il détient le pouvoir. En France, il n’ est encore que le parti privilégié, le seul auquel on laisse le droit de
1656 . Mais, dans nos pays socialistes ou libéraux, ne serait -il pas temps de faire respecter les règles et de mettre fin au privil
1657 cheurs avérés, invétérés et systématiques ? Telle est la proposition centrale du dernier livre de Suzanne Labin, Les Entret
1658 à son égard : il demande, au contraire, que le PC soit remis sous l’empire des lois communes, et qu’on cesse de le laisser j
1659 preuve de l’efficacité probable de telles clauses est fournie par les cris d’indignation qui s’élèvent de la presse communi
1660 a presse communiste, au seul énoncé du projet. Il serait plus habile de feindre que ces mesures n’ont rien de gênant pour le P
1661 our le Parti, mais un point trop sensible vient d’ être touché, les réflexes sont plus forts que tout, le cri part, et l’on s
1662 t trop sensible vient d’être touché, les réflexes sont plus forts que tout, le cri part, et l’on s’est trahi… Fort brillamme
1663 sont plus forts que tout, le cri part, et l’on s’ est trahi… Fort brillamment écrit d’un bout à l’autre, ce livre accroche
1664 que j’aie lu ces dernières années, mais peut-être est -il trop complet, trop insistant : Voltaire pensait ainsi, mais le dis
1665 à l’esprit d’un libéral, et je crois bien qu’il n’ est pas une de celles qu’on lui opposera, que Suzanne Labin n’ait déjà pl
1666 l’opportunité et de la stratégie politique, je ne suis nullement partisan d’une interdiction du PC, encore qu’il soit normal
1667 t partisan d’une interdiction du PC, encore qu’il soit normal d’en discuter : le projet de Code civique, vraie nouveauté du
1668 projet de Code civique, vraie nouveauté du livre, serait à tous égards plus efficace. On objecte que les lois existantes suffi
1669 e que les lois existantes suffisent bien, mais il est visible que non ; et d’ailleurs, on ne se souciera de les appliquer q
1670 À ceux-ci l’on peut faire observer : 1° que c’est être antilibéral que de tolérer l’inapplication des quelques lois existant
1671 ibertés politiques ; 2° que la menace totalitaire étant nouvelle, il convient d’innover pour la prévenir. ai. Rougemont D
30 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur le pouvoir des intellectuels (juillet 1957)
1672 les politiques, dès la fin du xviiie siècle, ont été idéologiques, pour avoir été initiées par des intellectuels prétendan
1673 xviiie siècle, ont été idéologiques, pour avoir été initiées par des intellectuels prétendant à ce nom, des encyclopédist
1674 tant que tel, que pour ceux qui le formulent. Il est donc impossible, par définition, qu’il détienne plus ou moins de « ne
1675 s de « netteté » intrinsèque dans une réalité qui serait indépendante soit des idéologues, soit des savants qui l’ont posé et
1676 rinsèque dans une réalité qui serait indépendante soit des idéologues, soit des savants qui l’ont posé et qui en débattent.
1677 lité qui serait indépendante soit des idéologues, soit des savants qui l’ont posé et qui en débattent. Il est vain de recule
1678 es savants qui l’ont posé et qui en débattent. Il est vain de reculer devant ces deux évidences : les conflits idéologiques
1679 nt ces deux évidences : les conflits idéologiques sont le fait des intellectuels, et ils dominent la politique concrète de n
1680 On entend suggérer par là que l’union de l’Europe est une chimère, un faux problème. Quel problème ne serait faux, à ce com
1681 t une chimère, un faux problème. Quel problème ne serait faux, à ce compte ? Attribuer celui-ci aux seuls intellectuels (les m
1682 oudre. On se retourne alors vers les réalités qui sont censées intéresser les masses, mais c’est encore pour essayer de mont
1683 e pour essayer de montrer que l’union de l’Europe est une idée suspecte, dès qu’elle cesse d’être inefficace. On nous rappe
1684 Europe est une idée suspecte, dès qu’elle cesse d’ être inefficace. On nous rappelle qu’Hitler a voulu faire l’Europe, et Nap
1685 ents de résistance de tous nos pays envahis que s’ est nouée l’idée d’une fédération libre, mettant fin tout d’abord aux ave
1686 ellectuels — pas trop nombreux d’ailleurs — aient été les premiers à vouloir notre union prouve en faveur de leur lucidité 
1687 e qui a marqué, pour le meilleur et pour le pire, est sorti de petits groupes d’idéologues. À supposer que je sois contre l
1688 de petits groupes d’idéologues. À supposer que je sois contre l’union de l’Europe, si l’on me disait que c’est une affaire d
1689 disait que c’est une affaire d’intellectuels, je serais inquiet. Sur une hypocrisie des pseudo-libéraux Refuser l’usage
1690 force contre ceux qui ont juré d’en abuser, ce n’ est pas laisser des chances égales à tous, comme le prétend la théorie. C
1691 l’ennemi qui le supprime. Et, par la suite, ce ne sont jamais les libéraux qui rétablissent la liberté, mais la force brutal
1692 n ne croit pas au reproche qu’on lui fait. Car il est clair qu’un vrai parti totalitaire a tous les droits, en régime libér
1693 ples ». Mais il le fait à coups de clichés, et ce sont ces clichés qu’il « promeut », plus qu’une vraie connaissance mutuell
1694 us qu’une vraie connaissance mutuelle. La méthode est sûrement réaliste. Elle traite les idées préconçues. Or ce sont ces i
1695 réaliste. Elle traite les idées préconçues. Or ce sont ces idées qui mettent les gens en route, et non pas la soif d’inconnu
1696 ine de pays. Et je doute, une fois de plus, qu’il soit bon de se connaître, que les échanges entre les peuples aident les ho
1697 d’eux invitait tel des autres à sa table, ce qui est à peine imaginable, ils n’auraient pas grand-chose à se dire, à suppo
1698 pas la fédération suisse de tourner rond : elle n’ est pas une affaire de sentiment, ni même de connaissance mutuelle, mais
1699 n de fédérer l’Europe, si nous y parvenons, ce ne sera qu’en surmontant les irritations évidentes qu’il nous arrive de nous
1700 vues « superficielles », non sans raison, car ce sont celles qu’on lui attribue. Mais on admet pourtant « qu’il paraît tomb
1701 véritable de son livre… Ce faux, bien entendu, n’ est pas signé. Mœurs courantes, me dit-on, on ne répond pas à cela. Je pe
31 1957, Preuves, articles (1951–1968). L’échéance de septembre (septembre 1957)
1702 septembre 1957)al Les joyeux Butors du Kremlin sont quatre de moins, est-ce un gain ? Une seule chose me paraît certaine 
1703 es joyeux Butors du Kremlin sont quatre de moins, est -ce un gain ? Une seule chose me paraît certaine : ce ne sont pas les
1704 gain ? Une seule chose me paraît certaine : ce ne sont pas les plus gais qui s’en vont. Mais chercher si ce sont les plus du
1705 les plus gais qui s’en vont. Mais chercher si ce sont les plus durs, les plus mous, les plus souples ou les plus staliniens
1706 lus mous, les plus souples ou les plus staliniens est un jeu dont Boris Souvarine a montré toute la vanité. Que le régime s
1707 montré toute la vanité. Que le régime soviétique soit en crise, on le savait. Toute dictature est un régime de crise, un mo
1708 ique soit en crise, on le savait. Toute dictature est un régime de crise, un moyen de gouverner sans résoudre la crise et m
1709 a crise et même en s’appuyant sur elle. Mais ce n’ est pas du devenir soviétique que dépend le sort de l’Europe, la menace d
1710 monte ou non sa crise congénitale, elle a cessé d’ être l’espoir du monde depuis qu’elle n’en est plus la peur. Qu’elle réuss
1711 essé d’être l’espoir du monde depuis qu’elle n’en est plus la peur. Qu’elle réussisse ou non à se démocratiser par les moye
1712 s slogans, et ses déficits par des purges, elle s’ est mise étrangement en marge du grand jeu. Ou disons plutôt que le vrai
1713 elles qui se trouvent sans défense contre lui. Ce sont peut-être toutes les sociétés humaines, à l’exception, partielle seul
1714 e, depuis un siècle et demi, tant bien que mal il est vrai, contre ses propres inventions, et les assimiler, non sans dégât
1715 préfèrent qualifier d’adaptation sociale. Ils se sont mis hors d’état de sentir ou même d’identifier les éléments du drame
1716 nt pas mordu sur la réalité. Mais nos démocraties étant ce qu’elles sont, il fallait en passer par là pour préparer les prise
1717 a réalité. Mais nos démocraties étant ce qu’elles sont , il fallait en passer par là pour préparer les prises de conscience n
1718 rer les prises de conscience nécessaires. Rien ne serait plus injuste que de dire aux Français qu’ils ont mis beaucoup de temp
1719 à comprendre la gravité de la situation : ils ont été somme toute les premiers à le faire, et les seuls jusqu’ici, autant q
1720 au point — au point tragique. La France, dit-on, est un procès perpétuel intenté par tous à chacun et par chacun à tous. N
1721 un seul point : la condamnation de la France. Il est temps que les Français se regroupent, face à la convergence de ces at
1722 catégories. Il dépasse également la France. Ce n’ est point parce que la France aurait été plus « colonialiste » que d’autr
1723 rance. Ce n’est point parce que la France aurait été plus « colonialiste » que d’autres que le drame algérien s’est noué.
1724 lonialiste » que d’autres que le drame algérien s’ est noué. Ce n’est pas une politique de gauche ou de droite ou de nouvell
1725 e d’autres que le drame algérien s’est noué. Ce n’ est pas une politique de gauche ou de droite ou de nouvelle gauche ou de
1726 aurait pu modifier les données de ce drame. Ce n’ est pas la France comme entité nationale et politique qui peut être ici m
1727 ance comme entité nationale et politique qui peut être ici mise en cause, mais bien la civilisation européenne tout entière,
1728 nies, dont le seul dénominateur commun ne saurait être que l’ignorance de la nature et du nom même des réalités en présence.
1729 s’agit de reconnaître que l’affaire algérienne n’ est plus (si elle le fut jamais) une affaire nationale, ni même internati
1730 e que l’affaire algérienne n’est plus (si elle le fut jamais) une affaire nationale, ni même internationale, parce qu’elle
1731 de civilisation et non d’un tribunal quelconque, fût -il de « l’opinion mondiale ». Qui pourrait se charger d’élaborer cett
1732 emande un débat sur le fond, dont les politiciens sont incapables, seuls. Elle exige la convocation d’un grand concile œcumé
1733 Mais voici l’échéance de septembre. Et tout peut être compromis. Il se trouve que la France, une fois de plus dans l’histoi
1734 que la France, une fois de plus dans l’histoire, est aux prises avec un problème intéressant l’humanité entière, et qu’ell
1735 dre que le drame algérien l’intéresse vitalement, étant celui de l’aventure occidentale tout entière ? Et les autres pays de
1736 tres pays de l’Europe verront-ils que la France n’ est ici que leur avant-garde exposée ? L’échéance de septembre sera celle
1737 eur avant-garde exposée ? L’échéance de septembre sera celle de l’Europe, au-delà de la France déchirée. Et de l’Occident pe
32 1957, Preuves, articles (1951–1968). Pourquoi je suis Européen (octobre 1957)
1738 Pourquoi je suis Européen (octobre 1957)ak L’Europe se fait. La petite Europe des S
1739 disent les autres, si l’on ne s’arrête pas là. Il est clair que l’Europe des Six n’est qu’un moyen. La fin, c’est l’union f
1740 rrête pas là. Il est clair que l’Europe des Six n’ est qu’un moyen. La fin, c’est l’union fédérale de tous les peuples qui s
1741 ur les frontières à venir de cette union : nul ne sera contraint d’entrer, et nul exclu. Tout dépendra des libres décisions
1742 hommes de formation et de nations différentes en sont venus à reconnaître que l’Europe existe pour eux, que la nécessité de
1743 Suisses suivront. Quant aux jeunes des pays de l’ Est , il est possible qu’ils nous apportent les témoignages les plus arden
1744 n union. ak. Rougemont Denis de, « Pourquoi je suis Européen », Preuves, Paris, octobre 1957, p. 2.
33 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur le crépuscule d’un régime (octobre 1957)
1745 nt pas l’artificiel n’ont qu’à brouter. A. — Vous êtes bien dur et bien maussade. R. — C’est qu’il y a de quoi ! Venise n’a
1746 rtificiel qu’une villa de banlieue, mais la Place est sublime. Il faut en interdire l’accès à ceux qui pensent et qui parle
1747 Ce que vous dites-là, ce permis de voyager, ce n’ est pas très… démocratique ? R. — Ce ne l’est pas le moins du monde, et a
1748 r, ce n’est pas très… démocratique ? R. — Ce ne l’ est pas le moins du monde, et après ? Vous croyez à la Démocratie ? A. — 
1749 que les canaux sentent mauvais et que la Place n’ est pas bien régulière. Voyez-vous, c’est l’immense Problème des Loisirs
1750 u subtils, prouvant au moins leur innocence. Ce n’ est pas une affaire de classe, notez-le bien. Presque toutes les mondaine
1751 est entendu. Mais sous le nom de démocratie, ce n’ est qu’une démocratie mal éduquée, insuffisamment éduquée, que vous sembl
1752 le qui m’a fait voir le mieux que la Démocratie n’ est pas le dernier mot de la sagesse politique. Éduquer, c’est conduire h
1753 pprendre au jeune homme qu’il doit faire ce qu’il est seul au monde à juger bon pour lui (même s’il se trompe) et cela cont
1754 ompe) et cela contre l’avis de la majorité ; elle est incompétente dans son cas, s’il est vraiment quelqu’un et s’il veut l
1755 jorité ; elle est incompétente dans son cas, s’il est vraiment quelqu’un et s’il veut le prouver. Éduquer, c’est apprendre
1756 émocratique. A. — Vous faites du paradoxe, vous n’ êtes pas « bien sérieux ». R. — Je suis aussi sérieux que l’étymologie. Dé
1757 radoxe, vous n’êtes pas « bien sérieux ». R. — Je suis aussi sérieux que l’étymologie. Démocratie veut dire pouvoir du peupl
1758 ur insister clairement. La démocratie populaire n’ est en fait que la suppression de certains procédés qu’on dit démocratiqu
1759 re de la dictature et de l’arbitraire du Pouvoir. Seriez -vous devenu fasciste ? R. — C’est ce qu’on lance à la tête de quiconq
1760 émet le moindre doute sur la Démocratie. Le terme est devenu tabou. La raison en est évidente : Hitler et Mussolini ayant r
1761 mocratie. Le terme est devenu tabou. La raison en est évidente : Hitler et Mussolini ayant raillé la Démocratie, tous ceux
1762 t réalisé tout cela bien mieux que nous, car nous sommes restés à mi-chemin, en marchant dans la même direction. A. — Il faut
1763 trouvera bien un jour, et je n’ose espérer qu’il soit exact. Ce sera peut-être encore Démocratie, qui sait ? car ce genre d
1764 un jour, et je n’ose espérer qu’il soit exact. Ce sera peut-être encore Démocratie, qui sait ? car ce genre de mot sert à to
1765 arce que vous les croyez démocratiques, quand ils sont aristocratiques. A. — Comme par exemple ? R. — L’éducation ouverte à
1766 ser la promotion au pouvoir des meilleurs, ce qui est contraire à l’égalitarisme, au moins autant qu’aux privilèges hérédit
1767 oir l’étymologie — avec ce régime du bon sens que serait l’Aristocratie66. Tout le pouvoir aux élites véritables ! Mais il s’a
1768 er que l’élection libre par le suffrage universel est le meilleur moyen de garantir les libertés fondamentales en renouvela
1769 R. — Puis-je vous faire observer que l’élection n’ est pas un procédé démocratique, si la démocratie repose sur le principe
1770 cratie repose sur le principe que tous les hommes sont égaux ? Mais vous n’y croyez pas, à ce principe de base. La preuve en
1771 y croyez pas, à ce principe de base. La preuve en est que vous approuvez les élections. A. — Je ne vous suis plus. R. — C’e
1772 que vous approuvez les élections. A. — Je ne vous suis plus. R. — C’est pourtant simple. Si les démocraties égalitaires croy
1773 r C, jusqu’à Z et retour. Ou bien tous les hommes sont égaux, alors prenez n’importe qui, ou bien certains semblent meilleur
1774 e procédé antidémocratique ? R. — Cette raison ne serait pas suffisante. Voyons plutôt le mérite du procédé. Il me paraît fort
1775 qui les passionne ou que l’on peut vérifier, il n’ est plus question de voter. Personne ne veut élire au suffrage universel
1776 nteur, un poète, un pilote de canal. Le procédé n’ est bon que pour les députés. A. — Vous oubliez le président américain. R
1777 rincipes, l’efficacité et le bon sens. Les hommes étant ce qu’ils sont, Truman gouvernait bien. Cela réussit une fois sur deu
1778 cacité et le bon sens. Les hommes étant ce qu’ils sont , Truman gouvernait bien. Cela réussit une fois sur deux, proportion j
1779 viendraient alors les libertés humaines ? R. — Il est douteux que l’homme soit libre. Luther le nie énergiquement, et la cy
1780 bertés humaines ? R. — Il est douteux que l’homme soit libre. Luther le nie énergiquement, et la cybernétique lui donne rais
1781 lui donne raison. Seules les libertés politiques sont des réalités incontestables. Ce sont elles que nous défendons sous le
1782 s politiques sont des réalités incontestables. Ce sont elles que nous défendons sous le nom de démocratie, qui est une fauss
1783 que nous défendons sous le nom de démocratie, qui est une fausse étiquette, sans nul doute. Le malheur veut qu’elles abouti
1784 A. (chuchotant). — Et après ? R. — Nos ministères seront remplacés par des cerveaux électroniques, seuls capables de digérer l
1785 sur lesquelles ces cerveaux ne fonctionnent pas, soient dictées par un petit groupe de savants, d’esthètes et de saints. A. —
1786 vieux système… Il a bien peu de chances… R. — Ce sont les chances de l’homme. La nuit est là. Les dômes dorés de la Basili
1787 es… R. — Ce sont les chances de l’homme. La nuit est là. Les dômes dorés de la Basilique sont éteints. Les pigeons dorment
1788 La nuit est là. Les dômes dorés de la Basilique sont éteints. Les pigeons dorment aux façades. Tout au fond de la Place dé
1789 . Aristocratie : de aristo, excellent, et krateo, être fort : domination des meilleurs. am. Rougemont Denis de, « Sur le c
34 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur un certain cynisme (septembre 1957)
1790 re 1957)an Un Américain. — Pourquoi la France est -elle tellement cynique ? Je viens de passer quelques mois à Paris. To
1791 la même impression générale — comme si le cynisme était la seule issue d’une perpétuelle irritation contre le train du monde,
1792 le train du monde, qu’on ne peut plus changer. Je suis ami de la France. Je me sens déprimé. R. — Vous ne l’avez pas volé, e
1793 s, le commerce. Sachez que la politique en France est conçue comme une crise permanente entretenue par ses spécialistes, un
1794 cès auprès des jeunes et du public bourgeois, qui est seul grand public. Tous détestent les conventions. Ils n’approuvent q
1795 us les auteurs de toute l’Europe depuis un siècle sont d’accord pour trouver que notre café fout le camp, et ne sont pris au
1796 d pour trouver que notre café fout le camp, et ne sont pris au sérieux qu’à ce prix. C’est le pont aux ânes de l’avant-garde
1797 i de la politique française. Mais les deux choses sont sans rapports entre elles et sans rapports non plus avec ce qui est a
1798 entre elles et sans rapports non plus avec ce qui est actif dans la réalité française. Prenez le théâtre « expérimental »,
1799 nd-chose à signaler au-dessous, Françoise Sagan n’ étant jusqu’ici qu’un succès. A. — Mais justement, votre Sagan est un succè
1800 ci qu’un succès. A. — Mais justement, votre Sagan est un succès parce qu’elle met le cynisme à la portée de toutes les bour
1801 s recettes de bonheur digéré qui nous déplaisent, soit à cause des recettes, soit à cause du bonheur. Nous vous rendons « Bo
1802 é qui nous déplaisent, soit à cause des recettes, soit à cause du bonheur. Nous vous rendons « Bonjour tristesse » qui vous
1803 s « Bonjour tristesse » qui vous ravit. Mais ce n’ est pas cela qui compte en France. A. Oui, je sais, c’est toujours autre
1804 ’autres. Vous me disiez que « mon » avant-garde n’ est guère française, mais les pièces d’Anouilh et d’Aymé, qui ne sont pas
1805 aise, mais les pièces d’Anouilh et d’Aymé, qui ne sont pas d’avant-garde et que tout le monde a vues, je ne les trouve pas d
1806 an Genet, dont Sartre essaya de faire un saint, n’ est -ce pas français, n’est-ce pas cynique, et n’est-ce pas déprimant, pou
1807 ssaya de faire un saint, n’est-ce pas français, n’ est -ce pas cynique, et n’est-ce pas déprimant, pour les amis de la France
1808 n’est-ce pas français, n’est-ce pas cynique, et n’ est -ce pas déprimant, pour les amis de la France ? R. — Je vous les laiss
1809 ésente » aux visiteurs. La vraie vie de la pensée est ailleurs. Je vous propose mon « Programme de lectures pour étrangers
1810 ces auteurs. Je ne leur vois rien de commun. Deux sont morts et pas un n’est un « jeune »… R. — Mais pas un seul n’est un cy
1811 vois rien de commun. Deux sont morts et pas un n’ est un « jeune »… R. — Mais pas un seul n’est un cynique, notez-le bien,
1812 as un n’est un « jeune »… R. — Mais pas un seul n’ est un cynique, notez-le bien, et ce sont eux qui représentent le mieux u
1813 as un seul n’est un cynique, notez-le bien, et ce sont eux qui représentent le mieux une France de volonté, de rigueur, d’al
1814 ges. Ma liste exprime un parti pris très net, qui est l’inverse de celui qui vous déprime. Or je crois qu’elle recouvre à p
1815 liste des meilleurs auteurs de ce pays. A. — Elle est très incomplète, à cet égard. Que faites-vous de Céline le Cynique ?
1816 ue ? R. — Que voulez-vous que j’en fasse ? Céline est le modèle de votre Henry Miller, qui ne le vaut pas toujours, sauf da
1817 t-ils à Paris ? R. — Quelques-uns, mais comme n’y étant pas. Les autres en province ou à l’étranger, à Manosque, à Vevey, à W
1818 e. Que la haute couture me pardonne ! A. — Quelle est la moyenne d’âge de vos auteurs ? R. — 64 ans et demi, et saluez, je
1819 64 ans et demi, et saluez, je vous prie, car ce n’ est pas seulement le pouvoir d’invention, mais le pouvoir de renouvelleme
1820 qui vaut que l’on s’étonne. Voyez Paulhan, rien n’ est plus jeune que sa manière de provoquer les lieux communs, fût-ce d’av
1821 ne que sa manière de provoquer les lieux communs, fût -ce d’avant-garde, quitte à les rendre une fois sur deux à leur vrai s
1822 e, tout frémissant de juvéniles indignations, qui sont le contraire du cynisme. Voyez Morand, voyez Giono, qui s’étaient ill
1823 aire du cynisme. Voyez Morand, voyez Giono, qui s’ étaient illustrés en créant leur manière, la quitter subitement pour rénover
1824 autant que de vitalité. Chez vous, les floraisons sont plus rapides et les succès aussi, mais moins profonds, puis c’est l’o
1825 ou la répétition. La faculté de renouvellement n’ est -elle pas aussi remarquable que celle d’innovation ou d’invention ? La
35 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur l’Europe à faire (novembre 1957)
1826 ur une série de conférences. L’Europe et le monde fut cette année le sujet jeté dans la lice pour y être « traité » en dix
1827 fut cette année le sujet jeté dans la lice pour y être « traité » en dix jours par une centaine d’intellectuels, armés pour
1828 on terrain. Mais à quoi bon ? Leurs objections ne sont fondées que sur un refus de principe, qu’ils se gardent bien d’exprim
1829 n lui répond très sobrement que cette opération n’ est pas un crime, mais une nécessité reconnue de longue date, et qu’elle
1830 à « aller au fond des choses », tandis que Spaak serait resté « superficiel ». La jobardise est-elle seulement le fait des je
1831 Spaak serait resté « superficiel ». La jobardise est -elle seulement le fait des jeunes ou du public bourgeois en général ?
1832 ’Europe ne se fasse que « par en haut », ce qui n’ est pas démocratique. — C’est vous qui avez tout fait pour empêcher les m
1833 uvoir. Et Kadar, donc ! Mais les interruptions ne sont pas admises, car « on ne fait pas de politique dans cette enceinte ».
1834 chacun sait qu’aucun de nos pays ne la veut. — Je suis heureux de vous l’entendre dire ! interrompt le communiste Pierre Abr
1835 un Spaak et d’un André Philip, hommes politiques, est d’autant plus frappante que ceux qui les attaquent sont des clercs pa
1836 ’autant plus frappante que ceux qui les attaquent sont des clercs patentés dont on pourrait penser que la première maxime es
1837 és dont on pourrait penser que la première maxime est le respect du vrai. Or un professeur en Sorbonne vient déclarer sarca
1838 uement que « la petite Europe qu’on nous fabrique est si petite, si minuscule, qu’elle n’a même pas su faire une place à la
1839 merci. Mais la passion de ne pas sauver l’Europe est aveuglante. Ce masochisme appelle une étude scientifique. Beau sujet
1840 j’aurais eu trois questions à poser : 1° L’Europe est -elle, oui ou non, menacée dans son ensemble et dans ses positions mon
1841 sez les mesures concrètes que les « Européistes » sont en train de réaliser, quelle solution meilleure proposez-vous ? 3° Qu
1842 taques contre les partisans de son union —, et qu’ êtes -vous disposés à faire ? En résumé : vous n’aimez pas notre Europe, ce
1843 ans. Mais quelle autre Europe voulez-vous ? Et qu’ êtes -vous prêts à faire pour elle ? N’êtes-vous pas des Européens ? Si vou
1844 ous ? Et qu’êtes-vous prêts à faire pour elle ? N’ êtes -vous pas des Européens ? Si vous souhaitez une Europe soviétique, dit
1845 En marge d’une enquête I. — « Pourquoi je ne suis pas Européen » Je me disais, en suivant les Rencontres genevoises,
1846 sais, en suivant les Rencontres genevoises, qu’il serait amusant de dresser le catalogue des bonnes et des mauvaises raisons d
1847 . Les maladies aussi existent bel et bien et ce n’ est pas une raison pour refuser les remèdes. Quelle nation de l’Europe pe
1848 eut-elle subsister seule ? 2. — Non, car l’Europe est bien finie, l’avenir est aux USA, à l’URSS, à la Chine, à la Lune. — 
1849 ? 2. — Non, car l’Europe est bien finie, l’avenir est aux USA, à l’URSS, à la Chine, à la Lune. — Qu’attendez-vous donc pou
1850 our y aller ? Et qu’offrent-elles de mieux qui ne soit né chez nous ? 3. — Non, car l’Europe unie n’intéresse pas les autres
1851 ccepteront jamais d’entrer dans une Europe qui ne serait pas déjà faite, quitte à se plaindre, alors, qu’on les en a exclus. 5
1852 rs, qu’on les en a exclus. 5. — Non, car l’Europe est coupable : elle a détruit les autres civilisations, c’est donc son to
1853 s autres civilisations, c’est donc son tour. Elle est colonialiste, qu’elle soit colonisée ! Elle est matérialiste, vive le
1854 est donc son tour. Elle est colonialiste, qu’elle soit colonisée ! Elle est matérialiste, vive le yoga ! Elle est chrétienne
1855 e est colonialiste, qu’elle soit colonisée ! Elle est matérialiste, vive le yoga ! Elle est chrétienne, vive le matérialism
1856 isée ! Elle est matérialiste, vive le yoga ! Elle est chrétienne, vive le matérialisme ! — Facteur commun : le masochisme o
1857 isme occidental. 6. — Non, car l’Europe à faire n’ est pas celle qu’on nous fait. Car on fait une Europe vaticane, dit la ga
1858 ur raison de refuser leur concours, comme s’ils n’ étaient pas embarqués… II. — « Pourquoi je suis Européen » C’est la phy
1859 s n’étaient pas embarqués… II. — « Pourquoi je suis Européen » C’est la phylogénie de l’européisme que je voudrais ind
1860 es motifs et des méthodes pour faire l’Europe qui furent préconisés depuis six ans. Tous les européistes ont passé par ces st
1861 ropéistes ont passé par ces stades et beaucoup se sont arrêtés à l’un ou à l’autre. D’où trois ou quatre écoles, dont voici
1862 les dirigeants des mouvements de résistance. Elle fut le ressort intime du plan Schuman. Grâce aux institutions qu’elle a f
1863 fait naître, le problème qu’elle voulait résoudre est dépassé. Le charbon et l’acier étant mis en commun, sans parler de l’
1864 ulait résoudre est dépassé. Le charbon et l’acier étant mis en commun, sans parler de l’énergie atomique, si les Français et
1865 coups de bâton. D’autres raisons d’unir l’Europe sont apparues, hors d’Europe, à l’échelle mondiale. Et trois tendances maî
1866 chelle mondiale. Et trois tendances maîtresses se sont diversifiées au cours de ces dernières années. 2. Il faut des institu
1867 ments les votent bien vite, sans trop voir ce qui est engagé. — Oui, mais la France a rejeté la CED, et depuis lors les rés
1868 e a rejeté la CED, et depuis lors les résistances sont alertées. Comment les vaincre ? Le Marché commun demande douze ans. L
1869 urs, éduquer, former, informer. Car les obstacles sont dans les esprits, ou dans les préjugés sentimentaux inculqués par l’É
1870 par les intellectuels. L’Europe que nous aimons n’ est -elle pas avant tout un grand fait de culture, une civilisation ? C’es
1871 r. C’est cela qui la sauvera… — Oui, mais l’œuvre est de longue haleine et le temps presse. Rien ne se fera sans l’esprit,
1872 temps presse. Rien ne se fera sans l’esprit, mais sera-t -il assez prompt dans son effort pour éveiller les masses ? 4. Il faut
1873 . Car la raison, la persuasion et la technique ne sont rien sans la force, qui n’est pas rationnelle. Les parlements peuvent
1874 et la technique ne sont rien sans la force, qui n’ est pas rationnelle. Les parlements peuvent tout, y compris décréter que
1875 qui les élisent. Et les institutions européennes seront bloquées par les parlements si ceux-ci ne subissent pas une pression
1876 erait un pouvoir supérieur aux États. — Voilà qui est sûr encore, mais suffit-il vraiment d’avoir bien vu l’urgence pour al
36 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la pluralité des satellites (II) (décembre 1957)
1877 Spoutnik ou l’art de compenser. — Si vous avez été surpris, ce n’est pas ma faute : j’en parlais ici même il y a tout ju
1878 rt de compenser. — Si vous avez été surpris, ce n’ est pas ma faute : j’en parlais ici même il y a tout juste un an68. C’est
1879 t plus vous empêcher de penser que les Soviets ne sont pas si mal, puisqu’ils ont lancé leur Spoutnik. Si les États-Unis l’a
1880 s n’en auriez nullement conclu que le capitalisme est bon. Et vous auriez eu bien raison, mais cette lucidité à sens unique
1881 eu bien raison, mais cette lucidité à sens unique est une des marques de la confusion générale. La bêtise a toujours été un
1882 es de la confusion générale. La bêtise a toujours été un facteur important de l’histoire, mais quand elle s’appuie sur « la
1883 au silence de la mort l’un de ses satellites de l’ Est européen. L’élimination de Joukov devait être à son tour compensée pa
1884 de l’Est européen. L’élimination de Joukov devait être à son tour compensée par le lancement d’un second projectile (dont on
1885 politique en Occident. — Ces effets de propagande sont infaillibles. Il suffit de tenir compte de l’opinion et d’estimer cor
1886 ion et d’estimer correctement son âge mental, qui est celui des garçons jouant aux billes, justement. L’Amérique peut lance
1887 comme reporters : elle ne rattrapera rien, le mal est fait. J’ai parlé de bêtise. Entendons-nous. J’appelle ainsi le comple
1888 méritée pour le spoutnik, de même que celui-ci s’ est séparé des éléments de sa fusée de lancement. Il eût fallu multiplier
1889 ée proprement scientifique de l’expérience : elle est très grande, mais différente de ce que l’on croit ; b) révélations su
1890 premiers spoutniks : on attendait la Lune, on en est encore loin. Les problèmes de la Terre restent au premier plan. Au su
1891 stent au premier plan. Au surplus, l’Amérique eût été alertée en temps utile. Et l’Europe eût mieux vu que ses divisions st
1892 ides la mettent seules hors de coup, bien qu’elle soit la patrie des inventions que d’autres ont pu réaliser. Plan machiavél
1893 tre besoin de sensations. Or ce besoin ne pouvant être avoué comme tel, on dira que mon plan n’eût visé qu’à frustrer les So
1894 -ils, que l’anticommunisme a trompé le monde et s’ est trompé lui-même, en répétant que le régime soviétique stérilisait la
1895 ait la recherche scientifique. Les deux spoutniks sont là pour prouver le contraire. Ils tournent glorieusement, nous regard
1896 l’anticommunisme prétendait que la science russe est en retard, il était bien mal informé : le congrès des savants atomist
1897 prétendait que la science russe est en retard, il était bien mal informé : le congrès des savants atomistes (à Genève, 1955)
1898  »… Chacun récolte donc ce qu’il a semé, et qui n’ était pas ce qu’il disait. (C’était même le contraire, dans ce cas.) La nat
1899 le contraire, dans ce cas.) La nature des régimes est certes en cause, mais on savait depuis longtemps que l’Amérique « idé
1900 ombe d’Hiroshima, il me dit tranquillement : « Qu’ est -ce que cela prouve ? On avait tout arrangé pour ça. »   Sur l’avenir
1901 ion individuelle et idéologique, dont le vrai nom sera dans l’histoire : liquidation du communisme. On élimine d’abord le Pè
1902 n quinquennal, symbole même du régime soviétique, est enterré sans oraison (25 décembre 1956). Notre presse ayant épuisé sa
1903 s. Le Kremlin se rattrape au ciel : ses spoutniks sont les seuls satellites qui ne menacent pas de se révolter. « Pie in the
1904 communisme soviétique par ses dirigeants mêmes n’ est pas de nature à endormir la vigilance des partisans de la liberté. Le
1905 rté. Le système n’en devient pas moins faux, pour être trahi par les siens. Mais presque toutes les trahisons qu’on vient de
1906 liminé nous laissera sur les bras la Russie. Ce n’ est pas la guerre des blocs qui me paraît fatale, mais le retour de l’Est
1907 s blocs qui me paraît fatale, mais le retour de l’ Est à l’Europe rénovée par l’élimination de ses nationalismes. C’est dans
37 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur la fabrication des nouvelles et des faits (février 1958)
1908 es nouvelles et des faits (février 1958)aq Qu’ est -ce qu’une nouvelle ? — Admettons-le avec l’homme de la rue et le dern
1909 discours bénisseurs remplaçant les nouvelles. Il est clair que dans cette optique, les nouvelles sont les événements, ceux
1910 l est clair que dans cette optique, les nouvelles sont les événements, ceux-ci n’ayant pas d’existence hors de celles-là. Un
1911 s d’existence hors de celles-là. Une nouvelle, ce serait donc ce qu’une agence rédige à l’occasion d’un fait réel ou fabriqué,
1912  réalité » à laquelle nous croyons chaque matin n’ est faite que par la presse et la radio, et n’est souvent faite que pour
1913 n n’est faite que par la presse et la radio, et n’ est souvent faite que pour elles. Les agences seraient donc nos vrais maî
1914 t n’est souvent faite que pour elles. Les agences seraient donc nos vrais maîtres ? C’est trop dire. Car elles sont irresponsabl
1915 nc nos vrais maîtres ? C’est trop dire. Car elles sont irresponsables.   Trois exemples. — On dit un peu partout — livres,
1916 films — que le mouvement pour l’union de l’Europe est né le 1er septembre 1946 d’un discours de Churchill, à Zurich. En vér
1917 rs de Churchill, à Zurich. En vérité, Churchill s’ était borné à conseiller l’union de la France et de l’Allemagne, l’Angleter
1918 on de la France et de l’Allemagne, l’Angleterre n’ étant pas nommée ni impliquée. Sensation dans la presse, mais aucune suite
1919 manchettes à Staline, questionné sur la paix — il est pour — par quelque journaliste américain. Cette interview datait de p
1920 nt le lancement réussi de leur satellite. Le fait est là. On lui donne toute sa place, qui pour une fois n’est pas volée. L
1921 On lui donne toute sa place, qui pour une fois n’ est pas volée. La presse américaine réplique sans hésiter : elle « constr
1922 d’un échec. Les conclusions que le monde en tire sont fausses, car l’échec du petit pamplemousse est moins celui des USA qu
1923 e sont fausses, car l’échec du petit pamplemousse est moins celui des USA que celui de leur presse excitée. (Quand les Russ
1924 elle-même, sans nulle enquête sérieuse, de ce qui sera vendable ou non. Elle ne se trompe qu’une fois sur deux. À ce taux, e
1925 ngtemps en France, dans une revue spécialisée. Il est exclu d’accélérer des particules « à la vitesse de la lumière ». Et l
1926 r rang — a fait deux fois mieux que la Russie, ce serait rassurer le lecteur. Mais les journaux se vendent mieux en temps de c
1927 crise.   Apprendre à lire. — Les correspondants sont honnêtes : ils disent en général ce qu’ils ont entendu. C’est leur ag
1928 otes des députés et les cotes de la Bourse. Telle est la base de la plupart de nos convictions politiques, dans la mesure —
1929 rivales : ce procédé qui obsède encore les foules est périmé. Ce n’est plus l’exactitude des nouvelles publiées qui est en
1930 édé qui obsède encore les foules est périmé. Ce n’ est plus l’exactitude des nouvelles publiées qui est en question, mais le
1931 ’est plus l’exactitude des nouvelles publiées qui est en question, mais leur choix, leur présentation, et ce que l’on a con
1932 à tout instant, seuls des cerveaux électroniques seraient capables de dégager certaines résultantes plus valables. Mais qui don
1933 rver dans le choix fabricateur des « faits » ? Ce serait précisément une politique. Si l’on y parvenait, d’ailleurs, l’informa
1934 , l’information devenant une science exacte, c’en serait fait des dernières libertés qui nous restent — celle de ne pas croire
1935 stance critique des esprits exposés à la presse n’ est pas seulement possible mais indispensable. Je demande qu’on institue
1936 ard du jour : combien coûte la guerre d’Algérie ? Est -il vrai que cette dépense explique la crise actuelle, qu’on prétend s
1937 fféremment — et qui peut me dire d’abord lesquels sont vrais, ensuite ce qu’il serait juste d’en conclure quant au déficit b
1938 ire d’abord lesquels sont vrais, ensuite ce qu’il serait juste d’en conclure quant au déficit budgétaire, à la politique algér
1939 commentateur qui osera se taire jusqu’à ce qu’il soit certain de savoir ce qu’il en est. Mais je les vois presque tous juge
1940 squ’à ce qu’il soit certain de savoir ce qu’il en est . Mais je les vois presque tous juger selon leurs « croyances », comme
1941 les faits ne comptaient pas, ou pire : comme s’il était suspect de s’en soucier. — Quoi ? nous parler de chiffres quand il s’
1942 scandales qui déchirent notre France et que nous sommes là pour dénoncer. On peut aussi considérer que la politique requiert
1943 amais rien construit. Ces vertus, par malheur, ne sont pas éloquentes. Et ceux qui les cultivent se voient bientôt conduits
1944 t bientôt conduits dans un ordre d’action où ce n’ est plus la dent dure mais la vision lucide et la main ferme qui assurent
38 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur un patriotisme de la terre (mars 1958)
1945 yons de soleil, et les bords des plaques rivetées sont devenus sang clair, rubis vivant, liquide, d’une telle beauté soudain
1946 mensions insensées du cosmos. Ah ! la vraie vie n’ est que sur notre Terre ! Et ce qui est « ailleurs » n’a pas encore de se
1947 a vraie vie n’est que sur notre Terre ! Et ce qui est « ailleurs » n’a pas encore de sens, mais rend déjà le sens de l’ici-
1948 Notre émotion devant les paysages de la Terre, qu’ est -ce que cela peut encore signifier ? C’était l’intime accord de l’espr
1949 nnulent dans ce recoin perdu de l’univers. Tout s’ est tu dans notre cabine. Si l’avion continuait vers l’espace infini ? Tr
1950 illes de l’âge cosmique. Plusieurs expéditions se sont rendues sur Mars et sur Vénus. Les voyages dans la Lune sont devenus
1951 s sur Mars et sur Vénus. Les voyages dans la Lune sont devenus simple routine. De luxueux hôtels y ont été construits, desse
1952 t devenus simple routine. De luxueux hôtels y ont été construits, desservis par plusieurs compagnies nationales de voyages
1953 interplanétaires. Tous ces lieux de villégiature sont équipés d’immenses dômes de verre permettant d’admirer le magnifique
1954 ttant d’admirer le magnifique panorama. Les plans sont faits pour la mise en place d’un réseau de transports réguliers entre
1955 Terre et les planètes les plus proches. La Terre sera entourée de toute une famille de satellites artificiels, de toutes ta
1956 La terre unie De même que l’unité de l’Europe est en train d’être faite par l’URSS, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afriqu
1957 De même que l’unité de l’Europe est en train d’ être faite par l’URSS, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique, l’union de no
1958 Moyen-Orient et l’Afrique, l’union de notre Terre sera faite par Mars et par Vénus : je le prévoyais il y a douze ans69. Al
1959 rope dans le Monde d’aujourd’hui. Cette prévision est la plus optimiste. On me dira qu’elle se fonde sur du wishful thinkin
1960 se fonde sur du wishful thinking. Mais si nous ne sommes pas « découverts » par des êtres pensants d’autres planètes avant que
1961 Mais si nous ne sommes pas « découverts » par des êtres pensants d’autres planètes avant que nous les ayons visités sur leur
1962 mportance. Oui, mais la découverte du Cosmos n’en sera pas moins son fait, au bout de compte, tout comme le fut la découvert
1963 moins son fait, au bout de compte, tout comme le fut la découverte de la Terre et pour les mêmes raisons profondes. Ce son
1964 la Terre et pour les mêmes raisons profondes. Ce sont ses rêves que toute l’humanité rejoint par sa technique et grâce à so
1965 rejoint par sa technique et grâce à son génie. Il est vrai que la science-fiction prospère surtout en URSS et aux États-Uni
1966 « avance technique » incontestée. Mais la science est d’Europe — Nietzsche l’avait fort bien vu — comme tout ce qui la supp
1967 s Vénusiens des hommes presque réduits à ce qui n’ est pas l’Homme. Utopies, science-fiction, prévisions de savants La
1968 La faiblesse générale des utopies, c’est qu’elles sont moins riches d’avenir que le présent. On peut même dire que l’Utopie
1969 r. Car ainsi que l’a bien vu Toynbee, les utopies sont en réalité « des programmes d’action déguisés en descriptions sociolo
1970 , Campanella, Rabelais et H. G. Wells. La plupart sont Anglais, il faudrait voir pourquoi. Les Français inaugurent un genre
1971 Quant aux habitants de Mercure, « il faut qu’ils soient tous fous à force de vivacité et n’aient pas plus de mémoire que la p
1972 re que la plupart des nègres ». Mais déjà nous ne sommes plus en Utopie : la prévision se veut scientifique, comme elle le ser
1973 la prévision se veut scientifique, comme elle le sera chez un Jules Verne, si la psychologie reste à la mode du temps et ne
1974 titue, dans la terreur et la pitié. L’humanisme n’ est plus cette chose molle qu’on obtient en évaporant l’essence chrétienn
1975 étienne de l’Occident, mais bien le simple fait d’ être homme, mis au défi et dépassé. Ce n’est plus drôle du tout. Il faut f
1976 e fait d’être homme, mis au défi et dépassé. Ce n’ est plus drôle du tout. Il faut faire attention. Car la science a déjà de
1977 vec les tranquillisants… Les méthodes d’éducation seront radicalement différentes. Elles se fonderont beaucoup moins sur la co
1978 savoir accumulé dans les “banques électroniques” sera peut-être transmis directement au système nerveux par des messages él
1979 rêt, tout pouvoir d’émotion et toute utilité ? Il est trop facile de répondre que les modifications introduites par la tech
1980 de soi, des autres et de l’univers : de cela nous sommes certains, mais de cela seul, si par définition nous ne pouvons pas pr
1981 livres démodés à coup sûr avant la fin du siècle seront nos ouvrages de science-fiction, et ceux qui se fondent sur nos doctr
1982 enne, touchante, qui prévoyait le pire… Mais s’il est arrivé, c’est toujours autrement. 69. Lettres sur la bombe atomi
39 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur la prétendue décadence de l’Occident (avril 1958)
1983 ’où vient l’idée ? Une décadence réelle peut n’ être pas sentie ni repérée par le groupe ou l’individu qui la subit. Mais
1984 oupe ou l’individu qui la subit. Mais l’inverse n’ est pas moins vrai : l’idée de décadence peut être cultivée avec une somb
1985 e n’est pas moins vrai : l’idée de décadence peut être cultivée avec une sombre complaisance à l’intérieur d’un groupe ou d’
1986 toutes chances de se manifester chez ceux qui en sont réduits à commenter leur temps sans y être engagés par un risque immé
1987 qui en sont réduits à commenter leur temps sans y être engagés par un risque immédiat ou par une volonté d’action visant à m
1988 Elle naît aussi, probablement, chez celui qui, s’ étant risqué, a perdu ou ne croit plus à l’enjeu pour lequel il luttait en
1989 ator inaugure ce nouveau romantisme.) Le principe est toujours le même : c’est d’étendre à l’ensemble l’échec d’une seule p
1990 décrit des âges d’or nostalgiques. Le xxe siècle étant celui d’une accélération sans précédent depuis Tubal-Caïn et Prométhé
1991 t n’en a plus pour longtemps, ses vieilles vertus sont épuisées, les barbares vont le submerger… et vous l’aurez bien mérité
1992 aurez bien mérité. Ces déplorations polémiques ne sont cependant pas le fait d’une société vraiment acculée à la ruine et pe
1993 s inébranlées, quelques vérités dominantes, qu’il est bon de mettre en doute, voire en crise, pour mieux les sentir en soi-
1994 plus, mais qu’on n’oserait pas attaquer si elles étaient mortellement menacées. Ainsi parle le Duc dans Mesure pour mesure : «
1995 igme que roule la sagesse du monde. Ces nouvelles sont d’assez ancienne date, cependant ce sont des nouvelles de tous les jo
1996 ouvelles sont d’assez ancienne date, cependant ce sont des nouvelles de tous les jours. » La crise de l’Occident est déjà da
1997 elles de tous les jours. » La crise de l’Occident est déjà dans Virgile, le déclin de la foi dans les Pères de l’Église, la
1998 qui fondent son prestige. Et combien de passions sont nées à l’instant précis où l’on a cru perdu ce que l’on découvre aime
1999 décadente ? Rien de certain tant qu’elle n’a pas été réduite au silence définitif, recouverte par une « barbarie » durable
2000 périodes dites par certains de décadence peuvent être nommées par l’histoire périodes de mue, de crise, de maladie des chie
2001 , de maladie des chiens. La seule vraie décadence est celle qui se termine par une chute sans remontée possible. Qui peut d
2002 ut-être aux USA, en URSS plus brutalement ; et ce fut le cas en Europe durant la basse époque bourgeoise du matérialisme sc
2003 se du matérialisme scientiste. Mais la tendance s’ est renversée dès le second tiers de ce siècle, en Europe, puis en Amériq
2004 rope, puis en Amérique. La renaissance religieuse est combien plus puissante dans nos diverses confessions que les modes li
2005 inquiétude pour l’avenir prochain. Déjà le remède est trouvé, c’est l’union fédérale de l’Europe. Mais les résistances obst
2006 ésistances obstinées que provoque son application sont le signe d’un mal plus profond. Le grand délire nationaliste qui a pr
2007 plexus solaire de l’Occident. Mais nos valeurs sont -elles universelles ? Nous exportons avec succès dans le monde enti
2008 haos, bouleversent les métabolismes culturels, et sont capables de détruire en une année des équilibres séculaires que le co
2009 . Voilà bien le problème du siècle planétaire. Il est plus immédiat et mieux déterminé que les spéculations sur notre décad
2010 oser. On se demandera si les valeurs occidentales sont réellement universelles, ce qui veut dire : — peuvent-elles être adop
2011 universelles, ce qui veut dire : — peuvent-elles être adoptées par tous les peuples, et marquer un progrès pour tout homme
2012 l’univers son système de valeurs, sans mériter d’ être taxé d’impérialisme ou d’orgueil provincial. Le Droit. — Car l’Occid
2013 d’orgueil provincial. Le Droit. — Car l’Occident est la seule civilisation connue qui se soit posé la question critique de
2014 ’Occident est la seule civilisation connue qui se soit posé la question critique de sa fonction universelle, appuyant du mêm
2015 toutes jusqu’ici — prouverait par là qu’elle ne l’ est pas et qu’elle a très peu de chances de le devenir jamais, puisqu’ell
2016 horreur d’un Sacré hiératique ou cyclique. Quelle est l’autre culture ou civilisation qui propose aujourd’hui plus et mieux
2017 ujourd’hui plus et mieux, avec quelques chances d’ être crue ? Certes, le communisme offre au monde de Bandung une version gr
2018 précède, mais c’est encore de l’Occident, dont il est né, qu’il tire ses prétentions universelles. L’indigence absolue de s
40 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur un centre qui doit être partout (mai 1958)
2019 Sur un centre qui doit être partout (mai 1958)at Capitale de l’Europe Voilà qui accroche.
2020 pitale de l’Europe Voilà qui accroche. Si ce n’ est de vedettes, de princesses, de jeunesse, parlons d’une capitale, le g
2021 hacun démontre à l’envi que la ville de son choix est un carrefour des peuples, un lieu prédestiné auquel la géographie, la
2022 dis sans la moindre ironie, persuadé que l’Europe est un être d’esprit dont le centre est partout et la frontière nulle par
2023 s la moindre ironie, persuadé que l’Europe est un être d’esprit dont le centre est partout et la frontière nulle part. Ou si
2024 que l’Europe est un être d’esprit dont le centre est partout et la frontière nulle part. Ou si l’on veut parler de sa circ
2025 ire du rayonnement de sa culture) mettons qu’elle est égale à celle de la planète : littéralement tout englobante. Cependan
2026 englobante. Cependant, les raisons qu’on invoque sont toutes plus ou moins raisonnables, et voilà leur faiblesse commune. C
2027 lesse commune. Car si l’on veut que l’Europe unie soit dotée d’une capitale, c’est justement pour des raisons « sacrées », c
2028 nation à l’échelle d’une Europe continentale qui serait moins unie qu’unifiée. Or c’est précisément l’analogie entre l’Europe
2029 rons pas de ce sacré‑là. D’ailleurs, le phénomène est à peu près unique. Ni l’Allemagne, ni l’Italie, ni la Hollande, ni la
2030 prend alors l’analogie américaine : Washington n’ est en somme qu’un complexe de bureaux, ville de nulle part, sans prétent
2031 ais centres de la vie créatrice de leur pays : ce seraient pour l’Europe Luxembourg ou Strasbourg. Mais tout cela sent un peu so
2032 éral ne dépendrait d’aucun État. Désavantage : il serait pour tous « à l’étranger » et l’idée de capitale centralisante aurait
2033 rs à y loger. La création de Washington, D.C., ne fut décidée qu’en 1790, trois ans après que la Constitution ait fondé les
2034 ration d’un État fédéral dont l’aire et le régime sont encore inconnus ? Faut‑il croire qu’on désire seulement les apparence
2035 à discuter la reliure de cette Constitution, qui est seule urgente, mais dont le premier mot n’est pas encore écrit ? S
2036 qui est seule urgente, mais dont le premier mot n’ est pas encore écrit ? Sur la fondation d’une ville Mais montrer un
2037 fondation d’une ville Mais montrer une erreur est sans profit si l’on n’en montre aussi les causes ou la « raison ». Le
2038 ». Le débat sur la Capitale paraît frivole ; il l’ est sans doute au regard des faits. Cependant, il révèle certains besoins
2039 es visibles certaines formes sacrées dont l’image est en lui. Les belles analyses de Mircea Eliade, dans son Traité d’histo
2040 ries d’exigences contradictoires, chacune pouvant être illustrée par une abondance de symboles, de mythes et de rites tradit
2041 es, de mythes et de rites traditionnels : il doit être accessible à tous ceux qui le désirent, mais entouré d’obstacles et d
2042 ouble fonction de rassurer et de bluffer. Il doit être ouvert et fermé. Étrange et familier. Attirant et redoutable. En un m
2043 ue de l’humanité Dans le domaine du sacré tout est sens, mais dans la vie publique de notre temps, on n’ose guère invoqu
2044 hères que l’on peut tracer sur notre globe, il en est un qui se trouve contenir 90 % des terres libres de glace, 94 % de la
2045 lle du monde. C’est l’hémisphère dont le « pôle » serait choisi légèrement au sud‑est de Nantes. La région de Nantes figure ai
2046 dont le « pôle » serait choisi légèrement au sud‑ est de Nantes. La région de Nantes figure ainsi le centre géométrique de
2047 stime que le centre de « l’hémisphère principal » serait plus voisin de Berlin, voire, en trichant un peu, de Londres ou de Pa
2048 e, en trichant un peu, de Londres ou de Paris. Il est clair, en tout cas, que le centre du monde tombe quelque part en plei
2049 du Centre de l’hémisphère principal. Mais au sud‑ est de Nantes, on ne voit rien, et autour de Berlin, des Russes. On cherc
2050 , j’avance alors un candidat : le pays de Gex, où est Ferney. Morceau de France détaché vers la Suisse au‑delà de la barriè
2051 se au‑delà de la barrière du Jura, le pays de Gex est caractérisé par un étrange complexe de signes mémorables à l’intersec
2052 tunnel du Mont-Blanc, sous le sommet de l’Europe, sera percé d’ici peu, mettant le bassin de Genève à trois heures d’auto de
2053 sin de Genève à trois heures d’auto de Turin. À l’ est , Divonne, avec son casino où l’on sacrifie à la Chance. À l’ouest, l’
2054 été des nations souterraine. Paris, Zurich, Milan sont à une heure d’avion ; Londres, Bruxelles, La Haye, Bonn, Barcelone et
2055 tion plusieurs fois séculaire des troupes suisses fut de défendre les institutions et les symboles d’intérêt général europé
2056 our aboutir dans les bureaux ! C’est normal, ce n’ est pas enchanteur. 70. Voir Paris et le désert français, livre fameux
2057 at. Rougemont Denis de, « Sur un centre qui doit être partout (Le point de vue de Ferney) », Preuves, Paris, mai 1958, p. 4
41 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur le régime fédéraliste (I) (août 1958)
2058 débat qui s’instaure sur la nouvelle Constitution est peut-être le mot le plus mal entendu par la plupart des hommes de not
2059 le Constitution la formule de leur solution. Deux sont purement internes : le régime des partis et la stabilité de l’exécuti
2060 ritoires d’outre-mer et de la métropole : il peut être considéré soit comme interne, soit comme externe. Le quatrième est pl
2061 e-mer et de la métropole : il peut être considéré soit comme interne, soit comme externe. Le quatrième est plus nettement ex
2062 pole : il peut être considéré soit comme interne, soit comme externe. Le quatrième est plus nettement externe : c’est celui
2063 t comme interne, soit comme externe. Le quatrième est plus nettement externe : c’est celui de la fonction que l’ensemble fr
2064 r dans une union européenne. Si différents qu’ils soient en apparence, les quatre grands problèmes ont en commun ceci : qu’ils
2065 que cela se sent avant de s’expliquer, mais qu’il est bien typique qu’on ne le sente pas, dans un pays de traditions louis-
2066 i l’on peut deviner que le chef du gouvernement n’ est pas sans en avoir conscience, on doute que les auteurs de la Constitu
2067 ence, on doute que les auteurs de la Constitution soient animés par un esprit fédéraliste. Le seraient-ils, ils courraient le
2068 ution soient animés par un esprit fédéraliste. Le seraient -ils, ils courraient le risque de provoquer lors du référendum de cet
2069 de ce qui la tue, après l’avoir fait naître. Ce n’ est pas en quelques semaines qu’on peut espérer modifier dans une mesure
2070 tat d’esprit. Si la Constitution que l’on prépare est tant soit peu fédéraliste, c’est-à-dire adaptée aux réalités du siècl
2071 rit. Si la Constitution que l’on prépare est tant soit peu fédéraliste, c’est-à-dire adaptée aux réalités du siècle, et si e
2072 ptée aux réalités du siècle, et si elle passe, ce sera que l’électeur n’y aura rien vu, dans l’ignorance où il est des premi
2073 électeur n’y aura rien vu, dans l’ignorance où il est des premiers rudiments de l’attitude et de la pratique fédéralistes.
2074 n temps et hors de temps, dans le secret espoir d’ être saisi par quelques-uns, qui en feront un jour quelque chose. Fédér
2075 ent que la seule différence entre les deux termes est une syllabe. Littré définit la confédération comme « l’union entre pl
2076 même réalité correspondant aux deux mots, ceux-ci sont équivalents — deux quantités égales à une troisième l’étant entre ell
2077 valents — deux quantités égales à une troisième l’ étant entre elles — encore que la définition de fédération soit inexacte, p
2078 re elles — encore que la définition de fédération soit inexacte, puisqu’elle ne mentionne que l’union et ne dit rien de l’au
2079 mie des parties constituantes n’aurait pas lieu d’ être appelée fédération. Ce serait simplement une union. Si l’on répète qu
2080 s n’aurait pas lieu d’être appelée fédération. Ce serait simplement une union. Si l’on répète qu’en dépit du Littré, il faut c
2081 é, il faut choisir entre les deux systèmes — l’un étant paraît-il moins fédéral que l’autre et représentant par suite un moin
2082 uisse ou de son nom ? La Confédération helvétique est le type même d’une authentique fédération, et tous les organes commun
2083 ingt-cinq États (dont la souveraineté, notons-le, est garantie par la Constitution) sont appelés fédéraux. À vrai dire, ceu
2084 eté, notons-le, est garantie par la Constitution) sont appelés fédéraux. À vrai dire, ceux qui insistent pour préférer à la
2085 e utopie ») une confédération (« plus réaliste ») seraient bien en peine de dire en quoi ce qu’ils veulent diffère d’une simple
2086 octrine du gouvernement fédératif. Le fédéralisme était une des formes politiques les plus communes employées par les sauvage
2087 exemple les Suisses et les Américains, quand ce n’ est pas un complot contre la République une et indivisible de Saint-Just,
2088 vaste communauté d’intérêts qui ne sauraient plus être assurés par les seules entités nationales, la volonté de tenir compte
2089 ste d’union continentale. Ici, la contradiction n’ est pas seulement dans les mots. Il s’agit de deux attitudes d’esprit inc
2090 la France à l’Europe. Car cela supposerait qu’on est tantôt nationaliste, tantôt fédéraliste. Qu’on vit tantôt dans le xix
2091 ont 4 ou 22 selon les jours. Que la schizophrénie est une sagesse. Et que les colonels sont des économistes. Je déplore d’a
2092 chizophrénie est une sagesse. Et que les colonels sont des économistes. Je déplore d’avoir l’air de jongler avec les mots et
2093 s, mais il paraît clair que la seule solution qui soit commune aux deux problèmes, celui de l’Algérie et celui de l’Europe,
2094 lèmes, celui de l’Algérie et celui de l’Europe, n’ est autre que la solution du fédéralisme intégral. Cette expression dési
2095 e unitaire à l’intérieur des frontières d’un État est incompatible avec l’attitude fédéraliste à l’extérieur. Elle observe
2096 rne, supranational. Si nos deux sous de raison ne sont pas finis, c’est de cela qu’il nous faut parler et disputer, car ce q
2097 , car ce que le monde entier attend de nous, ce n’ est pas une résolution de la fraction radicale valoisienne « réunie en Co
2098 e le monde entier. La doctrine officielle d’Alger est la cause même des troubles qu’elle prétend arrêter. Je n’ai pas encor
2099 u régime fédéraliste et du régime totalitaire. Ce sera pour le mois prochain. au. Rougemont Denis de, « Sur le régime fé
42 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur le régime fédéraliste (II) (septembre 1958)
2100 Tous uniques Le régime du Parti unique n’ est pas vraiment le contraire du régime des partis : il en est plutôt l’o
2101 raiment le contraire du régime des partis : il en est plutôt l’origine, et il en demeure la nostalgie secrète. Car l’un et
2102 demeure la nostalgie secrète. Car l’un et l’autre sont issus des jacobins, qui fournirent à l’histoire occidentale le type m
2103 républicain » qu’on invoque en périodes de crise est un réflexe conditionné procédant de ce traumatisme que fut la Terreur
2104 flexe conditionné procédant de ce traumatisme que fut la Terreur jacobine. Je parle évidemment des partis d’opinion ou d’id
2105 en effet de déployer toutes ses virtualités, qui sont totalitaires. Chaque parti, s’il est né d’une idéologie, non d’une ré
2106 alités, qui sont totalitaires. Chaque parti, s’il est né d’une idéologie, non d’une réalité bien définie et d’intérêts bien
2107 réalité bien définie et d’intérêts bien déclarés, est candidat à la fonction de parti unique, parce qu’il prétend détenir l
2108 les religions, ni les doctrines et idéologies qui sont leurs substituts dans notre monde laïque. Au niveau de l’intérêt, la
2109 ité. Qu’il faille composer avec les circonstances est une cruelle et scandaleuse nécessité, à laquelle les partis ne se pli
2110 ire qu’ils ont horreur de la vraie politique, qui est l’art des compromis heureux. Il en résulte que la différence entre un
2111 ur impuissance. Cette « garantie des libertés » n’ est pas durable, outre qu’elle manque de dignité. Souvenirs de la Quat
2112 us admettez avec moi ceci ou cela, c’est que vous êtes un homme de droite. » Phrases insensées. Car en supposant que l’idéol
2113 en supposant que l’idéologie de tel ou tel parti fût un peu cohérente, le simple fait d’appliquer cette idéologie à toute
2114 étudiés. Ce que l’on appelait alors la politique était donc le contraire de ce que le mot signifie. C’était une sorte d’acti
2115 le nom de « complot » si elles semblaient devoir être efficaces, et à qualifier de « trahison » toute tentative d’arrangeme
2116 eux ; ou si parfois elle insistait durement, elle était ressentie comme une gêne irritante, troublant « le jeu normal » du Pa
2117 te d’aberration. L’extrême insoutenable du régime fut atteint le jour où l’assemblée prise de panique fit sa plus grande ma
2118 contre toute décision proprement politique. Elle fut donc elle-même renversée, en vertu d’une des lois les plus simples de
2119 me modérée que l’on subit de l’extérieur : ce cas est illustré de manière exemplaire par le petit récit de Thomas Mann inti
2120 Les partis dans une fédération Tout cela n’ est pas imaginable dans un régime fédéraliste, qui est politique et non p
2121 st pas imaginable dans un régime fédéraliste, qui est politique et non politicien. Le Parlement, dans une fédération, tient
2122 ire concilier des réalités fort diverses et qu’il est obligé de respecter, puisque le refus de l’uniformité au sein de l’un
2123 isque le refus de l’uniformité au sein de l’union est l’essence même du régime. Les partis dans une fédération étant bien m
2124 ce même du régime. Les partis dans une fédération étant bien moins des partis pris universels que des parties constituantes,
2125 biologique de s’adapter au bien du corps dont il est membre. La nation centraliste, « une et indivisible », ouvre une vast
2126 nifia. La tolérance mutuelle entre de tels partis est donc contraire à leur définition : elle est subie parce qu’il le faut
2127 artis est donc contraire à leur définition : elle est subie parce qu’il le faut, provisoirement, en attendant le jour où l’
2128 de rédiger une constitution pour l’Europe. — Nous sommes arrêtés, me dit-il, par le problème de la stabilité de l’exécutif. —
2129 lui rappelai que ce collège de sept membres, qui est à la fois le chef de l’État et le cabinet, prépare des lois et les so
2130 ministres ne peuvent imposer leurs décrets. Force est donc de s’entendre sur quelque compromis. — Mais alors, il n’y a plus
2131 nfédération. Il semble bien que les nationalistes soient aujourd’hui pour la première formule contre la seconde, quand il s’ag
2132 u complexes. Mais l’électeur comprendra-t-il ? Je suis bien sûr que non, et cela n’importe guère. La plupart des constitutio
2133 n’importe guère. La plupart des constitutions ont été rédigées et adoptées dans la confusion générale, mais ne préjugeaient
2134 ou qu’un chef définit. La question du fédéralisme est désormais posée devant le peuple français : que l’on soit pour ou con
2135 ormais posée devant le peuple français : que l’on soit pour ou contre importe beaucoup moins que le seul fait qu’elle soit p
2136 e importe beaucoup moins que le seul fait qu’elle soit posée. av. Rougemont Denis de, « Sur le régime fédéraliste (II) (
43 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur le vocabulaire politique des Français (novembre 1958)
2137 ais (novembre 1958)aw Quand les « masses » ne sont plus la masse. — Les chiffres du référendum me paraissent commander u
2138 mettre que la démocratie, gouvernement du peuple, est en fait le régime choisi par la majorité des électeurs. En revanche,
2139 ecteurs. En revanche, les résultats du référendum étant donnés, si on les déclare contraires à la démocratie, il faut admettr
2140 mettre alors que ni le peuple ni la démocratie ne sont ce que l’on croyait, que le « vrai » peuple n’est pas valablement rep
2141 ont ce que l’on croyait, que le « vrai » peuple n’ est pas valablement représenté par la majorité des électeurs, et que la «
2142 cteurs, et que la « vraie » démocratie ne saurait être définie que par les vœux de la minorité et les éditoriaux de L’Expres
2143 a minorité et les éditoriaux de L’Express. Ce qui est peut-être moins absurde en fait que ne le font croire les étymologies
2144 l au peuple, procédé démocratique par définition, était donc l’appel au grand nombre. Mais aujourd’hui, quatre Français sur c
2145 ondement, le peuple a dit Oui. C’est donc qu’il n’ était pas le véritable Peuple, celui qui aura toujours raison, et qui ne pe
2146 e, celui qui aura toujours raison, et qui ne peut être défini par une trompeuse majorité71. Car le vrai Peuple vote à gauche
2147 ple vote à gauche de Guy Mollet, c’est-à-dire à l’ est de la gauche. Un paysan, un artisan, un camionneur, un petit commerça
2148 t athée ou catholique, un ouvrier même syndiqué n’ est pas le Peuple, dès l’instant qu’il vote pour de Gaulle : c’est un éle
2149 ui qui gronde — et que les vraies « masses », qui sont une part de ce 20 % dont on ne veut à aucun prix être coupé, sont les
2150 une part de ce 20 % dont on ne veut à aucun prix être coupé, sont les électeurs communistes, soutenus dans le cas présent p
2151 ce 20 % dont on ne veut à aucun prix être coupé, sont les électeurs communistes, soutenus dans le cas présent par quelques
2152 ques groupes d’intellectuels bourgeois. Comme ils sont une minorité, il faut bien en conclure qu’une vraie démocratie, celle
2153 raie démocratie, celle du vrai Peuple, ne saurait être gouvernée que par une élite éclairée, sachant mieux que la grande mas
2154 e ce que celle-ci doit vouloir pour son bien : ce serait une aristocratie, au sens littéral de ce terme. Pourquoi pas ? Mais i
2155 ocrate et que seul l’adversaire (ou l’autre) ne l’ est pas, cependant que nulle définition claire et distincte ne peut tenir
2156 bonne foi de trancher le débat. Si la démocratie est ce qu’en dit le Littré, un régime où le peuple exerce la souveraineté
2157 le peuple exerce la souveraineté, elle n’a jamais été réalisée et ne saurait l’être. On a donc tacitement convenu d’appeler
2158 eté, elle n’a jamais été réalisée et ne saurait l’ être . On a donc tacitement convenu d’appeler démocraties les régimes où le
2159 t déclarer sans rire que le référendum français n’ est pas plus populaire qu’il est démocratique. On parle de plébiscite (du
2160 éférendum français n’est pas plus populaire qu’il est démocratique. On parle de plébiscite (du latin plebs, populace ou pro
2161 comme volonté du plus grand nombre, le plébiscite est généralement considéré par les Français comme antidémocratique. On ap
2162 réactionnaire) un régime où les droits politiques sont garantis par le libre jeu des partis et de l’opposition ; et démocrat
2163 les caractères d’une telle « démocratie réelle », est généralement défini comme le contraire de la démocratie. Ceux qui dem
2164 ire de la démocratie. Ceux qui demandent pourquoi sont traités de fascistes. Si un peuple décide à une très forte majorité d
2165 e cas, ou bien que la dictature ainsi plébiscitée est démocratique, ou bien que la vraie démocratie n’est pas le régime élu
2166 t démocratique, ou bien que la vraie démocratie n’ est pas le régime élu par la majorité, mais au contraire celui que précon
2167 rée. Si cette minorité prenait le pouvoir, quelle serait alors la différence formelle entre les deux régimes ? L’un serait une
2168 différence formelle entre les deux régimes ? L’un serait une dictature librement choisie par la majorité, l’autre une dictatur
2169 ne, la liberté et l’efficacité. Les grands débats seraient entre partisans du confort ou du sens de la vie… On parlerait, en som
2170 n somme, des mêmes choses qu’aujourd’hui, mais ce serait plus clair et moins bête. Simplifiez par « démocratie » les polémique
2171 polémiques contemporaines, vous verrez comme tout est plus net !   Sur une phrase insensée. — Jean-Paul Sartre est une bel
2172  !   Sur une phrase insensée. — Jean-Paul Sartre est une belle intelligence. Quand il écrit la phrase suivante : « Il y a
2173 vante : « Il y a cent-cinquante ans que la France est adulte, qu’a-t-elle besoin d’un père ? » on se demande sérieusement c
2174 ait-il qu’une nation « adulte » n’a plus besoin d’ être gouvernée ? On peut l’imaginer, mais non pas le vérifier. La France r
2175 e. La phrase citée n’a aucun sens, mais elle n’en est pas moins révélatrice. Politiquement absurde, elle donne la clef d’un
2176 ychologique intéressante.   L’image du père. — N’ est -il pas remarquable que Sartre, introduisant une longue diatribe contr
2177 s’en prenne d’abord à la croyance en Dieu ? « Il est normal, écrit-il, qu’un certain nombre de personnes, maltraitées par
2178 eur ressentiment à l’espèce entière : tout ce qui est humain leur fait horreur, elles aiment les chiens et les surhommes. »
2179 échange de son aide et protection ». Et si Sartre est contre de Gaulle, c’est qu’il est d’abord contre Dieu : de Gaulle et
2180 ». Et si Sartre est contre de Gaulle, c’est qu’il est d’abord contre Dieu : de Gaulle et Dieu se confondent avec l’image du
2181 nfondent avec l’image du Père. Voilà l’ennemi. Je suis adulte, ou quoi ? À chacun ses complexes et ses débats intimes. Je n’
2182 ie. Elle n’arrive pas à la notion de respect, qui est une attitude réfléchie, librement consentie, tout bien pesé… « Je ne
2183 tendant actuel, je voterais plutôt pour Dieu : il est plus modeste. » Cette phrase bizarre esquisse une distinction — rhéto
2184 sus de lui qui le juge et limite son pouvoir : il sera donc dictateur absolu. Tout pouvoir, dans un monde sans Dieu, devient
2185 eu, devient fatalement abusif. En fait, de Gaulle étant chrétien, ne saurait être un dictateur à la Staline, seul porteur du
2186 if. En fait, de Gaulle étant chrétien, ne saurait être un dictateur à la Staline, seul porteur du Sens de l’Histoire, maître
2187 oi — tandis que dans le monde où Dieu existe, qui est celui du général de Gaulle, la tyrannie totalitaire est impensable. J
2188 lui du général de Gaulle, la tyrannie totalitaire est impensable. J’entends qu’elle serait condamnée par la Vérité même que
2189 nie totalitaire est impensable. J’entends qu’elle serait condamnée par la Vérité même que le chef veut servir. Les crimes d’Hi
2190 ef veut servir. Les crimes d’Hitler et de Staline étaient légitimés, bien au contraire, par la doctrine que proclamaient ces ho
2191 e. — Personne ne peut douter que la Ve République soit une forme de monarchie très voisine de l’américaine. Comme cette dern
2192 cette dernière, elle demeure élective, mais elle est encore plus laïque : point de prières publiques ni de serment sur la
2193 hies sacrées, fondées sur le rite catholique, ont été renversées dans toute l’Europe par un anticléricalisme intransigeant.
2194 rchie paraît s’accommoder d’un sens civique qu’on est en droit de dire « adulte » cette fois-ci, et d’un socialisme concret
2195 ssé que partout ailleurs. (La Suisse républicaine est bien moins progressiste à cet égard.) C’est que la royauté, dans ces
2196 égard.) C’est que la royauté, dans ces nations, n’ est plus sacrée mais respectable et respectée. Elle ne peut exciter ces f
2197 grand problème qui se pose au général de Gaulle n’ est -il pas celui d’instaurer dans une France anticléricale et catholique
2198 ues ? 71. Les oui ne signifient rien, dit-on, n’ étant pas homogènes quant aux motifs. Mais a-t-on bien vu que les non ne po
2199 s. Mais a-t-on bien vu que les non ne pouvaient l’ être davantage ? Isorni, Mendès et Duclos n’ont pas les mêmes idées sur la
2200 les mêmes buts. La majorité des non contre la CED était -elle donc plus homogène et plus valable ? Elle comptait ceux qui, hie
2201 non, plus les gaullistes. L’anti-Europe de 1954 s’ est regroupée contre le Général, qui l’appuyait alors, mais que fera-t-il
44 1959, Preuves, articles (1951–1968). Nouvelles métamorphoses de Tristan (février 1959)
2202 phoses de Tristan (février 1959)ax La passion est cette forme de l’amour qui refuse l’immédiat, fuit le prochain, veut
2203 i j’entends non point les meilleures œuvres qu’on est convenu de ranger dans ce genre littéraire, mais, indépendamment de l
2204 passion naît de la distance, ou l’inverse. Ce qui est certain, c’est que le roman occidental n’a jamais décrit, jusqu’ici,
2205 lateur produit par Marx et Freud), la passion qui est toujours antisociale reçoit cependant de la société même — et d’elle
2206 evable ou déclarée en fait, dans un monde où tout est permis. Car la passion suppose toujours, entre le sujet et l’objet, u
2207 roi Marc qui sépare Tristan d’Iseut — l’obstacle étant généralement social (moral ou coutumier, voire politique) à tel point
2208 la limite avec la Société elle-même, encore qu’il soit le plus souvent symbolisé par une dramatis persona, pour les besoins
2209 nnable, enfin l’amour-passion et le mariage. N’en sommes -nous pas au point de notre évolution où, tout étant réduit, « ramené
2210 mes-nous pas au point de notre évolution où, tout étant réduit, « ramené à » comme on dit, profané, décapé des illusions reli
2211 à la santé et à la productivité ? (Tout le reste étant , d’ailleurs, de mieux en mieux prescrit.) J’entrevoyais, il y a vingt
2212 rait plus de place à l’amour passionné, tel qu’il fut inventé au xiie siècle par les troubadours du Languedoc et romancé p
2213 un demi-siècle. D’autres tabous subsistent, ou se sont reformés, sur lesquels la passion se jette pour y trouver de nouveaux
2214 œuvres où transparaît l’archétype de Tristan nous sont données vers ce milieu du siècle par l’Europe, l’Amérique et la Russi
2215 ne d’elles on a pu dire, non sans raison, qu’elle était « en réalité » une description sociale, morale ou politique de l’Autr
2216 s suites en URSS. Mais chacune d’elles aussi a pu être décrite comme le dernier roman d’amour-passion de la littérature occi
2217 cidentale. Le Docteur Jivago de Boris Pasternak n’ est pas un acte politique, selon Camus, mais au contraire « un grand livr
2218 rises d’elle-même et de son frère : « Nous aurons été les derniers romantiques de l’amour… Au fond, c’est la dernière histo
2219 la dernière histoire d’amour possible… Sans doute serons -nous une sorte de Derniers Mohicans de l’amour. » Je ne fais pas ici
2220 llustrer un thème dont on verra bientôt que je ne suis pas le dernier à subir les prestiges et le charme fatal. Est-il besoi
2221 dernier à subir les prestiges et le charme fatal. Est -il besoin de souligner que ce grand thème est l’unique justification
2222 al. Est-il besoin de souligner que ce grand thème est l’unique justification de mon essai ? Mythe passionnel à part, tout d
2223 nt plus différents à tous égards, sauf à un seul, seront les trois ouvrages examinés, d’autant plus significative l’action du
2224 ficative l’action du mythe qui s’y trahit, et qui est leur seule commune mesure. Je ne m’attacherai donc, dans ces trois œu
2225 — Aux yeux du « vieil Européen » que je me trouve être de naissance, l’Amérique est patrie d’accueil, plus que d’exil. Le le
2226  » que je me trouve être de naissance, l’Amérique est patrie d’accueil, plus que d’exil. Le lecteur devinera que je l’aime,
2227 m’irrite en elle, et en dépit de ce qu’elle veut être et croit qu’elle est. Son immaturité perverse me fascine. Le scandale
2228 en dépit de ce qu’elle veut être et croit qu’elle est . Son immaturité perverse me fascine. Le scandaleux héros (par antiphr
2229 que pour l’amour fou de sa fille. Mais cet amour est impossible, car Lolita n’a pas 13 ans. Cependant, mon héros l’enlève
2230 comme lui-même, dans sa patrie. Mais ce prochain est « interdit » par la morale. Aimant sa sœur, Ulrich veut toucher l’int
2231 oucher l’interdit et posséder l’inaccessible, qui est le plus vrai, puisqu’il ouvre l’accès à la vie d’extase, mais qui le
2232 ient moralement un exilé de l’intérieur, comme je suis devenu un exilé tout court.72 Boris Pasternak. — J’aime passionnéme
2233  J’aime passionnément ma Russie et je voudrais en être aimé, comme le docteur Jivago aime Lara et en est aimé. Mais, comme L
2234 tre aimé, comme le docteur Jivago aime Lara et en est aimé. Mais, comme Lara, la Russie a dû suivre un Maître cynique et br
2235 me repousse et qu’il menace de m’exiler. Mais tel est mon amour que je saurai mentir : je demanderai pardon au tyran, le su
2236 és d’une Iseut « interdite » par un roi Marc, qui est la Morale commune, la Société ou le Régime — ces trois romans trahiss
2237 e lecture et, non, c’était vraiment une femme… Qu’ est -ce que l’auteur a voulu dire ? Tout ce que nous voyons là, sans doute
2238 cette ambiguïté, qu’il nous propose malgré lui, n’ est pas du tout accidentelle. Elle ne résulte pas, j’y insiste, de quelqu
2239 qu’elles, révèlent leur vraie nature, laquelle n’ est pas humaine mais nymphique (entendons : démoniaque) ; et, pour ces cr
2240 s une occasion de le souligner et de l’accentuer, soit en accablant son héros dans une préface d’ailleurs attribuée à un psy
2241 e d’ailleurs attribuée à un psychiatre américain, soit , d’une manière plus convaincante, par la cynique désinvolture du styl
2242 res de Humbert Humbert. Si l’amour des nymphets n’ était pas, de nos jours, l’un des derniers tabous sexuels qui tiennent enco
2243 . Qu’on ne s’y trompe pas : le roman de Tristan n’ était pas moins choquant au xiie siècle que ne l’est aujourd’hui Lolita. C
2244 était pas moins choquant au xiie siècle que ne l’ est aujourd’hui Lolita. Ce que l’habitude et l’illusion anachronique, aid
2245 nd d’hérésie bien plus dangereuse alors que ne le sont aujourd’hui les frénésies qui affectent une partie de la jeunesse, mo
2246 nial Lewis Carroll : Alice au pays des merveilles est née de l’amour des « nymphets », refoulé par la conscience pure du cl
2247 des petites nymphes et l’inceste. Ces deux amours seraient -ils contraires à la nature ? On les voit largement pratiqués dans le
2248 constituant l’exception la plus remarquable. Ils sont bien moins contre nature que contre-civilisation. Nabokov fait dire à
2249 ion. Nabokov fait dire à son héros : « Mon sort a été de grandir dans une civilisation qui autorise un homme de 25 ans à co
2250 e cet adulte, par ailleurs sexuellement normal, s’ est trouvé fixé sur la femme-enfant, rendue doublement inaccessible par l
2251 lita avec plus d’amusement pervers que d’émotion, seront en droit de douter de la légitimité d’une interprétation si solennell
2252 s plus typiques de la légende de Tristan. Mais il est curieux de noter qu’à chaque fois un point d’ironie frappe l’allusion
2253 écisément à le désenchanter. L’épisode du philtre est présent, mais ridiculisé par son échec : il ne s’agit que d’un somnif
2254 illeurs trop faible, le médecin qui l’a procuré s’ étant trompé d’étiquette ou ayant trompé son client. (Inversion point par p
2255 r « fatale » de Brangien.) Comme dans Tristan, il est vrai, la polémique contre le mariage au nom de l’amour-passion anime
2256 cit. Comme dans Tristan, l’on sent que l’auteur n’ est pas intéressé par le côté sexuel de son histoire, mais uniquement par
2257 de temps l’un de l’autre, séparés. Mais leur mort est aussi sordide que fut grandiose, dans les versions du xiie siècle et
2258 re, séparés. Mais leur mort est aussi sordide que fut grandiose, dans les versions du xiie siècle et dans Wagner, la Mort
2259 Si Lolita avait aimé le narrateur, si elle avait été son Iseut, le roman réaliste eût fait place au poème et la satire soc
2260 atire sociale au lyrisme intérieur. L’hypothèse n’ est pas arbitraire, car c’est précisément ainsi que les choses se passent
2261 syntaxe et son vocabulaire, on rit souvent, on n’ est jamais ému. Tel qu’il est, cet ouvrage parfait reste, aussi, un Trist
2262 e, on rit souvent, on n’est jamais ému. Tel qu’il est , cet ouvrage parfait reste, aussi, un Tristan manqué. Et cela tient à
2263 int de passion… Peut-être le livre, après tout, n’ est -il vraiment vicieux que par ce cercle. III. Robert Musil et le « r
2264 qu’il cherchait une vérité à vivre, Robert Musil est mort à peu près ignoré, tout près de ce lieu où j’écris, — j’étais al
2265 près ignoré, tout près de ce lieu où j’écris, — j’ étais alors en Amérique — et son œuvre, en partie posthume, ne cessera de m
2266 dame, mais sans trace d’affectation puérile… Elle était merveilleusement belle : brune, des lèvres pleines, de forts sourcils
2267 impression que tout le monde m’avait fui. Puis je suis descendu derrière la fillette, et je l’ai perdue dans la foule… — Com
2268 ria Ulrich en riant. On voit que l’amour-passion est seul en jeu, et que le seul exemple qu’en trouve le héros est celui d
2269 jeu, et que le seul exemple qu’en trouve le héros est celui de l’attrait « mortel » pour une nymphet. Une autre fois, parla
2270 poème d’amour écrit en secret, dont les allusions sont chargées d’un bonheur encore inconnu… — N’est-il pas contre nature de
2271 ns sont chargées d’un bonheur encore inconnu… — N’ est -il pas contre nature de rapporter de telles émotions à une enfant ? d
2272 the. — Seule une convoitise grossièrement directe serait contre nature, répondit Ulrich. L’homme qui en serait capable engager
2273 it contre nature, répondit Ulrich. L’homme qui en serait capable engagerait la créature désarmée et inachevée encore, dans des
2274 hevée encore, dans des histoires pour quoi elle n’ est pas faite. Il devrait faire abstraction de l’immaturité de ce corps e
2275  : Si j’ai raconté cette histoire, c’est qu’elle est une préface à l’amour fraternel ! Je renonce à souligner les mots ré
2276 nt : — Celui dont les excitations les plus fortes sont liées à des expériences qui sont toutes d’une manière ou d’une autre
2277 les plus fortes sont liées à des expériences qui sont toutes d’une manière ou d’une autre impossibles, refuse les expérienc
2278 ériences possibles ! Il se peut que l’imagination soit une fuite devant la vie, un refuge pour la lâcheté et une caverne de
2279 seul et non sans insolence, le mot de sœur avait été chargé pour lui d’une nostalgie vague, bien qu’il n’eût jamais songé
2280 ante… Incontestablement, des phénomènes analogues sont fréquents. Dans plus d’une existence, la sœur imaginaire n’est que la
2281 . Dans plus d’une existence, la sœur imaginaire n’ est que la forme juvénile, insaisissable, d’un besoin d’amour qui, plus t
2282 ttéraire de cette forme d’amour interdit, dont il serait curieux de chercher pourquoi l’époque où se passe le roman de Musil —
2283 conscience, puis du choix de cet amour, par deux êtres en tous points normaux, supérieurement intelligents, intégrés dans la
2284 inégalée dans la littérature contemporaine. Ce n’ est pas René et ce n’est pas Byron, ce n’est pas décadent ni scandaleux.
2285 térature contemporaine. Ce n’est pas René et ce n’ est pas Byron, ce n’est pas décadent ni scandaleux. S’agirait-il moins d’
2286 ne. Ce n’est pas René et ce n’est pas Byron, ce n’ est pas décadent ni scandaleux. S’agirait-il moins d’un inceste que des r
2287 fondamental de la psyché européenne. L’inceste n’ est ici que la condition même de la « dernière histoire d’amour possible 
2288 , ajoute : L’homme qui tend à Dieu, selon Adler, est celui qui est privé de sens communautaire — selon Schleiermacher, cel
2289 homme qui tend à Dieu, selon Adler, est celui qui est privé de sens communautaire — selon Schleiermacher, celui qui est ind
2290 s communautaire — selon Schleiermacher, celui qui est indifférent à la morale… Je dois t’aimer (pense Agathe) parce que je
2291 a notion de passion amoureuse, parce que celle-ci est plus religieuse que sexuelle, juge puéril de se préoccuper encore d’a
2292 naturel avec une méticuleuse vigueur. Déjà alors étaient parus nombre de ces livres qui parlent, avec la candeur loyale d’un m
2293 la vie sexuelle », et veulent aider les hommes à être mariés, et néanmoins contents. L’homme et la femme n’y sont plus que
2294 s, et néanmoins contents. L’homme et la femme n’y sont plus que « porteurs de germe mâle ou femelle » ou encore « partenaire
2295 le besoin de passion, rencontrant l’interdit, qui est l’antisocial par excellence, projette immédiatement sur lui sa nostal
2296 entre eux qu’une seule certitude : c’est que tout était décidé et que tous les interdits, maintenant, leur étaient indifféren
2297 écidé et que tous les interdits, maintenant, leur étaient indifférents… Chacune de leurs respirations leur publiait leur conniv
2298 nt de douceur que les images de l’accomplissement étaient bien près de se détacher d’eux et les unissaient déjà dans leur imagi
2299 lus forte encore leur commandait le calme, et ils furent incapables de se toucher de nouveau. L’équivoque essentielle entre l
2300 à « l’amour de loin » des troubadours. Mais quel est ce désir ? Est-il désir de l’autre, ou seulement Désir en soi ? Les h
2301 loin » des troubadours. Mais quel est ce désir ? Est -il désir de l’autre, ou seulement Désir en soi ? Les héros de Musil e
2302 voquée par la passion, cette idole barbare, qui n’ est pas la même ! — À t’entendre, dit Agathe, il faudrait croire qu’on n’
2303 u’on aime réellement une personne irréelle ? — Là est le nœud de l’affaire : dans tous les rapports extérieurs, la personne
2304 voquer le mythe platonicien des deux moitiés de l’ être qui se cherchent : Ce désir d’un double de l’autre sexe qui nous res
2305 ’autre sexe qui nous ressemble absolument tout en étant un autre, d’une créature magique qui soit nous tout en possédant l’av
2306 out en étant un autre, d’une créature magique qui soit nous tout en possédant l’avantage, sur toutes nos imaginations, d’une
2307 Les grandes, les implacables passions amoureuses sont toutes liées au fait qu’un être s’imagine voir son moi le plus secret
2308 ssions amoureuses sont toutes liées au fait qu’un être s’imagine voir son moi le plus secret l’épier derrière le rideau des
2309 toutes les contradictions, et sur son cœur, il n’ est plus de parole vraie ou fausse, chacune étant, hors de l’obscur, l’in
2310 il n’est plus de parole vraie ou fausse, chacune étant , hors de l’obscur, l’incomparable naissance de l’esprit, celle que l’
2311 C’est notre destin : peut-être aimons-nous ce qui est interdit. Mais nous ne nous tuerons pas avant d’avoir fait une tentat
2312 vant d’avoir fait une tentative extrême. Le monde est fugace, fluide : fais ce que veux… Un homme ne va jamais si loin que
2313 s si loin que lorsqu’il ne sait pas où il va… Ils étaient debout maintenant sur un haut balcon, entrelacés et enlacés à l’indic
2314 i c’était de la tristesse ; seule la conviction d’ être élus pour vivre l’exceptionnel retint leurs larmes… Avec les formes l
2315 etint leurs larmes… Avec les formes limitatives s’ étaient perdues toutes les limites et, comme ils ne percevaient plus aucune s
2316 dans les choses, ils ne formaient plus qu’un seul être . Mais cet accomplissement dans l’Île, symbolique de l’abolition du s
2317 ’échec fondamental de toute passion : Entre deux êtres isolés, il n’y a pas d’amour possible, reconnaît Ulrich. Un amour peu
2318 Ulrich. Un amour peut naître par défi, il ne peut être fait de défi. Il faut qu’il soit inséré dans une société. Il n’est pa
2319 défi, il ne peut être fait de défi. Il faut qu’il soit inséré dans une société. Il n’est pas un contenu de vie, mais une nég
2320 Il faut qu’il soit inséré dans une société. Il n’ est pas un contenu de vie, mais une négation, une exception faite à tous
2321 r il faut à une exception quelque chose dont elle soit l’exception. On ne peut vivre d’une négation pure. Sous une forme in
2322 n garder pour soi, au sommet, cesser simplement d’ être . » Cette attitude, qui rejoint le détachement bouddhique, mais qui po
2323 ter la rédemption de la passion par l’amour vrai, est décrite au somptueux chapitre intitulé Souffles d’un jour d’été. Il n
2324 somptueux chapitre intitulé Souffles d’un jour d’ été . Il ne s’y passe rien qu’une longue conversation entre le frère et la
2325 sa mort, Musil travaillait à ce chapitre, qui eût été , selon certains, le couronnement de l’œuvre. Ainsi le Jardin clos de
2326 le. Et le Voyage au Paradis de l’ancienne ébauche fût devenu le « Voyage vers Dieu » auquel font allusion plusieurs notes p
2327 nesque où tous les thèmes constants de la passion sont apparus et ont grandi l’un après l’autre, pour s’évanouir ensuite com
2328 ensuite comme des îles dépassées, ce Jardin clos serait l’Ithaque d’une moderne odyssée spirituelle. Mais cette présence heur
2329 rdit fascinant de l’amour sororal n’aurait-il pas été le travesti — tout à fait inconscient, j’en suis sûr — d’un amour tro
2330 s été le travesti — tout à fait inconscient, j’en suis sûr — d’un amour trop réel pour oser dire son nom dans un roman ? L’a
2331 ion littéraire, condamnant le mariage accompli, n’ est -elle pas un tabou bien autrement redoutable, aux yeux de l’écrivain e
2332 ste ou de passion maudite ? L’érotique du mariage est une terre inconnue pour la littérature occidentale. Il se peut que Mu
2333 américain et confirmant sa morale optimiste. Tels étant les goûts du public, telles seraient donc, selon l’enquête, les condi
2334 optimiste. Tels étant les goûts du public, telles seraient donc, selon l’enquête, les conditions requises pour un succès de vent
2335 ne subite (réduisant à néant les dires d’experts) soit le seul trait commun aux deux ouvrages : elle m’en paraît d’autant pl
2336 c’est vrai, ce dont je doute. Pourquoi l’enquête est -elle muette sur ce qui fait depuis des siècles (depuis le xiie siècl
2337 s (depuis le xiie siècle exactement) qu’un roman soit vraiment un roman, et nous passionne ? Les préférences qu’avoue le pu
2338 du « réalisme socialiste », d’où l’amour-passion est exclu. Or je vois triompher dans ce même public deux romans de l’amou
2339 réjugés du magazine qui a fait l’enquête ? Ce qui est sûr, c’est que l’amour-passion demeure mal vu, mais n’en fascine que
2340 ois de plus, pour des raisons, d’ailleurs, qui ne sont pas dans ce livre, plus d’un lecteur sera sincèrement choqué de m’en
2341 qui ne sont pas dans ce livre, plus d’un lecteur sera sincèrement choqué de m’en voir parler comme d’un roman d’amour. À vr
2342 écrit un énorme roman (dont une partie seulement sera publiée) décrivant les prodromes de la révolution russe, puis les lut
2343 vertus des Rouges contre les vices des Blancs. Il est normal que le régime, étant ce qu’il est, condamne ce livre. Il est n
2344 es vices des Blancs. Il est normal que le régime, étant ce qu’il est, condamne ce livre. Il est normal que le roman condamné
2345 ancs. Il est normal que le régime, étant ce qu’il est , condamne ce livre. Il est normal que le roman condamné ne puisse par
2346 régime, étant ce qu’il est, condamne ce livre. Il est normal que le roman condamné ne puisse paraître qu’en Europe. Il est
2347 oman condamné ne puisse paraître qu’en Europe. Il est normal que le jury du prix Nobel le couronne parce que c’est un beau
2348 e que c’est un beau livre et parce que son auteur est resté un homme libre. Il est normal que l’URSS, au lieu de l’interpré
2349 parce que son auteur est resté un homme libre. Il est normal que l’URSS, au lieu de l’interpréter comme un hommage rendu à
2350 t lettres de cosaques zaporogues au Kremlin, tout est scandaleusement normal, jusque-là. Mais voici l’insolite : les autori
2351 littérature soviétique et que je puis encore lui être utile. » Il a refusé le prix, il est prêt à renier ce qui déplaît au
2352 encore lui être utile. » Il a refusé le prix, il est prêt à renier ce qui déplaît au régime dans son livre, pourvu qu’on l
2353 prouve afin de rentrer dans la faveur publique, n’ est -ce pas lui qui trahit le peuple ? Ce serait le cas, en effet, si Le D
2354 lique, n’est-ce pas lui qui trahit le peuple ? Ce serait le cas, en effet, si Le Docteur Jivago était un acte politique, comme
2355 Ce serait le cas, en effet, si Le Docteur Jivago était un acte politique, comme on a voulu le croire de part et d’autre. Sen
2356 je me disais : — Tout se passe comme si cet homme était retenu dans son pays par une passion secrète et sans doute interdite 
2357 silence humilié et sans espoir. Mais quelle peut être la nature de cette « Iseut » inaccessible, dont il semble être le Tri
2358 e de cette « Iseut » inaccessible, dont il semble être le Tristan ? Et quel est le roi Marc qui l’en sépare ? Je me mis à li
2359 essible, dont il semble être le Tristan ? Et quel est le roi Marc qui l’en sépare ? Je me mis à lire plus avant. Une jeune
2360 . Leur amour se déclare. Liaison clandestine. Ils sont de nouveau séparés par les péripéties de la guerre civile. Finalement
2361 tin de sortir de Russie : Jivago refuse. Lara lui est enlevée par un puissant politicien qui l’avait séduite quand elle éta
2362 uissant politicien qui l’avait séduite quand elle était encore « une gamine ». Le docteur réussit à rejoindre Moscou, où il v
2363 e heure, Lara vient pleurer sur son cadavre. Elle est arrêtée peu après, et va mourir en Sibérie. Ainsi, tous les moments d
2364 et pacifique comme le nom de l’océan d’Asie. Ce n’ est pas un hasard si tu es là, au terme de ma vie, mon ange secret, mon a
2365 m de l’océan d’Asie. Ce n’est pas un hasard si tu es là, au terme de ma vie, mon ange secret, mon ange interdit, sous un c
2366 ma vie, sous le ciel paisible de mon enfance, tu es apparue de la même manière… Souvent, plus tard, au cours de ma vie, j
2367 urcissait, à cette musique qui s’estompait, qui s’ est fondue avec mon existence même, qui est devenue la clé de toutes les
2368 it, qui s’est fondue avec mon existence même, qui est devenue la clé de toutes les portes du monde, grâce à toi. Une fois
2369 se posait sur leur existence condamnée… Mais qui est Lara ? En la perdant, dit Jivago, « il perdrait sa raison de vivre et
2370 enfance, il aimait la forêt lorsque le soir elle est transpercée par le feu du couchant », et les scènes décisives de ce r
2371 t », et les scènes décisives de ce roman de poète sont toujours éclairées par le même soleil rouge sortant au bas des nuages
2372 se fond dans une identité lyrique : Au fait, qu’ était -elle donc pour lui ? Oh ! à cette question, il avait toujours une rép
2373 ponse prête. C’est une soirée de printemps. L’air est tout piqué de sons. Les voix des enfants qui jouent sont éparpillées
2374 ut piqué de sons. Les voix des enfants qui jouent sont éparpillées un peu partout comme pour montrer que l’espace est palpit
2375 es un peu partout comme pour montrer que l’espace est palpitant de vie. Et ce lointain, c’est la Russie, cette mère glorieu
2376 s, à jamais sublimes et tragiques ! Oh ! comme il est doux d’exister. Comme il est doux de vivre sur la terre et d’aimer la
2377 ques ! Oh ! comme il est doux d’exister. Comme il est doux de vivre sur la terre et d’aimer la vie ! Oh ! comme l’on voudra
2378 iquer par la parole avec ces forces cachées, Lara est leur représentante, leur symbole. Elle est à la fois l’ouïe et la par
2379 , Lara est leur représentante, leur symbole. Elle est à la fois l’ouïe et la parole offertes en don aux principes muets de
2380 aveu, dès que l’identité de Lara et de la Russie est expressément déclarée, tout s’éclaire de ce qui vient de se passer da
2381 otiver son refus : « De mon départ, il ne saurait être question. » Mais il ajoute un peu plus tard : Tout est déjà entre vo
2382 estion. » Mais il ajoute un peu plus tard : Tout est déjà entre vos mains. Il est probable qu’un jour, à bout de forces, j
2383 eu plus tard : Tout est déjà entre vos mains. Il est probable qu’un jour, à bout de forces, je devrai étouffer mon orgueil
2384 La nouvelle que vous m’annoncez m’abasourdit. Je suis écrasé par une souffrance qui m’enlève la capacité de juger… La seule
2385 nt ; en d’autres termes, l’hostilité du passionné est dirigée contre le social en soi, et non point provoquée par la nature
2386 e au pouvoir. Ainsi Tristan, modèle du chevalier, est contraint de violer le sacré féodal, devient traître et félon et se v
2387 n manquait pas au xiie siècle — mais parce qu’il est devenu la proie d’un pouvoir beaucoup plus absolu : l’état de passion
2388 e son objet idéal avant de l’identifier à quelque être réel par une erreur essentiellement inévitable, qu’on attribue donc a
2389 connu, tout en sachant que l’on ne peut y vivre, est décrit par eux tous comme indicible. Tantôt, il plonge ceux qui le su
2390 la plus commune, parce que la mieux communicable, soit celle qui fait écrire des romans, celle dont la contagion rarement mo
2391 désir sexuel et l’état d’âme ou mieux : l’état d’ être amoureux. La passion amoureuse est, de toutes, celle qui se prête le
2392 ux : l’état d’être amoureux. La passion amoureuse est , de toutes, celle qui se prête le mieux au récit. La sexualité pure e
2393 écit. La sexualité pure et l’amour du prochain ne sont vrais qu’en acte, et leur description ennuie vite. La passion de l’Ér
2394 eur description ennuie vite. La passion de l’Éros est vraie d’abord en rêve, et n’existe peut-être jamais mieux que dans l’
2395 et d’essence, l’amour-passion, nous l’avons vu, n’ est guère moins dépendant de cette société qu’il récuse : c’est elle qui
2396 ables. Sur ce point, deux observations encore. Il est remarquable que la passion n’utilise interdits et tabous qu’au moment
2397 nt où ceux-ci commencent à faiblir, où les violer est encore scandaleux mais n’entraîne pas la mise à mort instantanée, phy
2398 qu’au lendemain du « dégel » soviétique : rien n’ est encore gagné, mais quelques-uns déjà peuvent avouer quelque chose sou
2399 vouer quelque chose sous le couvert du mythe. Tel est le « terrain » biologique où le roman trouve les meilleures chances à
2400 même d’un roman. Le Docteur Jivago, par exemple, est de beaucoup le plus traditionnel des trois romans qu’on vient de cons
2401 et l’intrigue aventure spirituelle… Ce processus est -il irréversible ? Fait-il prévoir la fin d’un genre, qui serait aussi
2402 versible ? Fait-il prévoir la fin d’un genre, qui serait aussi la fin de cette forme de passion dont la littérature entretenai
2403 e des mœurs dans les démocraties de l’Occident ne sont plus défendus sans scrupules par les élites des deux partis. Je ne vo
2404 par l’État. La passion qui voudrait les violer ne serait plus condamnée, mais simplement soignée, aux frais de la Sécurité soc
2405 aux. J’y ai fait allusion à propos de Musil. S’il est vrai que la passion cherche l’inaccessible, et s’il est vrai que l’Au
2406 ai que la passion cherche l’inaccessible, et s’il est vrai que l’Autre en tant que tel reste aux yeux d’un amour exigeant l
2407 le au sein même du mariage accepté ? Tout Autre n’ est -il pas l’inaccessible, et toute femme aimée une Iseut, même si nul in
2408 e excitant, celui qui ne dépendra jamais que de l’ être même : l’autonomie de la personne aimée, son étrangeté fascinante ?
2409 n étrangeté fascinante ? 72. On sait que Musil est mort à Genève, dans la misère, en 1942. 73. Toute cette partie « géo
2410 e Strasbourg, dont s’inspira Wagner. 75. « Je ne suis nullement intéressé par ce qu’on appelle “sex” (en Amérique). N’impor
45 1959, Preuves, articles (1951–1968). Sur une phrase du « Bloc-notes » (mars 1959)
2411 s, en déduit dans l’Express que les « Européens » sont insondablement naïfs, ou hypocrites. Oh ! cher François Mauriac, comm
2412 vant cette page, erreur sur l’époque… Le compte y est -il ? En tous cas, c’en est trop. Ce qu’on vous a raconté n’est simple
2413 l’époque… Le compte y est-il ? En tous cas, c’en est trop. Ce qu’on vous a raconté n’est simplement pas vrai. 56 % des All
2414 ous cas, c’en est trop. Ce qu’on vous a raconté n’ est simplement pas vrai. 56 % des Allemands d’aujourd’hui souhaitent avoi
2415 érie, où il avait aussi vu des croix gammées) qui fut Goering : elle ne connaissait pas ce nom-là. Plus fort : un bachelier
2416 r m’apprend que de Gaulle « à ce qu’il paraît » s’ est bien conduit pendant la Résistance, quoi qu’il ne fût pas communiste.
2417 bien conduit pendant la Résistance, quoi qu’il ne fût pas communiste. Il en déduit que de Gaulle n’est pas un dictateur et
2418 fût pas communiste. Il en déduit que de Gaulle n’ est pas un dictateur et je l’encourage dans cette idée, tout en le poussa
2419 ps de bâtons et de pages de rhétorique. Déroulède est bien mort, Aragon ne suffit pas. Jean Monnet fait tout de même plus s
2420 mes où vous le faites encore. Ce premier objectif est atteint. Un tout autre problème a surgi : celui du rôle et de la fonc
2421 érialisme soviétique, la tutelle américaine : tel est le cadre mondial dans lequel les « Européens » ont la naïveté de situ
2422 ective vous fait trembler. Où prenez-vous qu’elle soit le souci majeur, la manie caractéristique de ceux que, sous le nom d’
2423 uelles, d’une ampleur telle qu’aucun de nos pays, fût -il la France plus l’Algérie plus un bon tiers de l’Afrique, ne saurai
2424 e des dernières révélations de l’humour américain est Jules Feiffer, jeune dessinateur irrité. Il nous montre un bourgeois
2425 ibunal siégeant en plein air et de nuit. La scène est éclairée par des phares de camions. Des milliers de spectateurs hurle
2426 s. On sait que la bonne conscience du journaliste est dans les chiffres : en voici quelques-uns. Trois bulldozers ont ouver
2427 condamnés, préalablement confessés par 6 prêtres, sont conduits deux par deux devant la fosse et fusillés. Ici je cite : « L
2428 police Enrique Despaigne, accusé de 53 meurtres, fut gratifié d’un sursis de trois heures, à la demande des opérateurs de
2429 n de la pleine lumière de l’aube. » Le résultat n’ est pas mauvais, si l’on en juge par les photos extraites du film et que
2430 que l’on nomme les exigences de l’actualité, qui sont celles des studios d’abord, mais aussi de l’opinion publique qui a le
2431 mais aussi de l’opinion publique qui a le droit d’ être informée de tout. Admettons que ces exigences expliquent que l’on en
2432 érieuse comme la mort. Ce qui devait rester sacré est profané par cette mise en scène, ce qui devait rester profane est sac
2433 cette mise en scène, ce qui devait rester profane est sacralisé par l’horreur. Tout est faux, insondablement faux, perd son
2434 rester profane est sacralisé par l’horreur. Tout est faux, insondablement faux, perd son sens et tourne au cauchemar, par
2435 se touchant. Fidel Castro ni l’honneur de Cuba ne sont en cause. Mais bien les auditeurs, spectateurs et lecteurs qui tolère
46 1959, Preuves, articles (1951–1968). Rudolf Kassner et la grandeur (juin 1959)
2436 Ces cinq noms que l’Autriche a donnés à l’Europe sont parmi les plus grands des Lettres de ce temps. Ils illustrent, au mêm
2437 ne du nom ; et l’on ne s’étonnera pas que Kassner soit resté, jusqu’ici, le moins connu d’entre eux, si l’on songe à ce dont
2438 l’esprit : autorité. Avant d’avoir compris ce qui était dit — j’entends compris à la manière intellectuelle et discursive, ra
2439 , limite, sacrifice, chance, drame et tension, ne sont guère définis que par leurs rapports mutuels et tirent de cette inter
2440 i : « Famille, dieux, nature, tout lui commande d’ être grand. Grand pour la loi, grand pour le Tout. » Il ne se recherche pa
2441 . L’homme chrétien au contraire, l’homme qui doit être surpassé, vit dans la démesure, et lorsqu’il « veut prendre mesure de
2442 me, il se sent aussitôt incomplet et coupable. Il est donc possible de dire que le péché est la mesure du démesuré, et que
2443 upable. Il est donc possible de dire que le péché est la mesure du démesuré, et que pour le chrétien il n’est pas d’autre g
2444 mesure du démesuré, et que pour le chrétien il n’ est pas d’autre grandeur ». Ainsi le chrétien existe en tant que le péché
2445 acte par excellence du chrétien, hors duquel il n’ est pour lui ni mesure, ni grandeur, ni forme, mais seulement chimères et
2446 s de loi interne et de tension par le péché, il n’ est plus qu’un être sans destinée, un Indiscret. « Sa substance interne e
2447 e et de tension par le péché, il n’est plus qu’un être sans destinée, un Indiscret. « Sa substance interne est crevassée et
2448 ns destinée, un Indiscret. « Sa substance interne est crevassée et divisée. Son œuvre souvent pleine de charme mais sans fo
2449 ais ne nous détermine jamais… Cet homme indiscret est distrait, et sa distraction vient de l’intérieur… Il ne peut jamais s
2450 rte aucune atteinte à la perspicacité parce qu’il est vraiment souverain. Peut-être faut-il reconnaître à ce seul philosoph
2451 ée autoritaire. Entendons que, pour lui, penser n’ est pas se débattre dans ses contradictions personnelles, parlementarisme
2452 ant que la réalité humaine, non sa pensée privée, est tourmentée.) Penser n’est pas non plus s’ingénier sur des idées et de
2453 , non sa pensée privée, est tourmentée.) Penser n’ est pas non plus s’ingénier sur des idées et des combinaisons d’idées : m
2454 des combinaisons d’idées : mais créer de tout son être spirituel des faits nouveaux et vrais, dans un certain style. Car il
2455 ouveaux et vrais, dans un certain style. Car il n’ est point de vérité sans forme. Quelques pages étranges et puissantes sur
2456 strent ce réalisme de la forme, hors de quoi il n’ est qu’indiscrétion, et qui livre la clé de la pensée de Kassner, comme a
2457 chologiques. Il prend tout par des biais qui nous sont peu familiers. Et puis enfin, voilà une philosophie qui postule la vi
2458 t-à-dire l’appréhension poétique du monde. Rien n’ est plus étranger au nominalisme qui envahit la critique sous l’influence
2459 tique sous l’influence du journal. Il faut savoir être secret pour penser avec autorité. Il faut savoir taire ce qui permett
2460 s « réaliser ». Il faut que les pensées créées ne soient concevables qu’en elles-mêmes, et comme à l’état sauvage, non par une
2461 t qui les domestique. Une pensée neuve ne saurait être comprise à moins d’être recréée dans sa forme — ce dont certaine clar
2462 e pensée neuve ne saurait être comprise à moins d’ être recréée dans sa forme — ce dont certaine clarté dispense le lecteur.
2463 e lecteur. On pourrait dire aussi que l’indiscret est celui qui se préoccupe de défendre plutôt que d’illustrer. Ainsi, sel
2464 i s’avisa de défendre la religion mériterait-il d’ être appelé Judas numéro deux. Car il ne s’agit pas de professer une chose
2465 ar il ne s’agit pas de professer une chose mais d’ être la chose. Le rare, c’est que chez Kassner, comme chez Kierkegaard, ce
2466 ésence s’accommode d’une ironie qui chez d’autres serait plutôt le fait du détachement. Une ironie à l’intérieur des choses, q
2467 terne et du recteur Krooks sur Judas et la Parole est à cet égard d’une saveur particulièrement riche et complexe : « Les b
2468 es ; s’il n’y avait pas de prophètes, les bavards seraient peut-être des créatures très silencieuses, comme les belettes ou les
2469 pocryphe de l’empereur Alexandre Ier de Russie, n’ est qu’une suite de méditations sur le thème du tout-ou-rien moral qui ca
2470 les dissout dans une réalité plus absolue. Telle est la forme des dialogues où culmine son art. De ces dialogues, où chaqu
2471 de sa vérité — si bien que la conclusion ne peut être qu’implicite et fonction d’une hiérarchie de valeurs, non de la seule
2472 nnaissons le modèle immortel, le Livre de Job. Il serait curieux d’en suivre la filiation, jusqu’au Soulier de satin, de Claud
2473 ation, jusqu’au Soulier de satin, de Claudel : ce serait une sorte de généalogie du réalisme poétique.   Telle fut ma premièr
2474 orte de généalogie du réalisme poétique.   Telle fut ma première impression. Je la vois aujourd’hui confirmée par un comme
2475 cessé de me séduire et inciter. Je suppose qu’il est devenu banal de déplorer l’obscurité des essais et dialogues de Kassn
2476 bscurité des essais et dialogues de Kassner. Elle est pourtant la garantie de leur pouvoir, et ne saurait traduire, à mon a
2477 pathétique, de l’adjectif. L’ellipse de pensée n’ est nullement, chez Kassner, un procédé de rhétorique, une manière de sau
2478 les évidences ou platitudes intermédiaires. Elle est un acte de vision. Nous montrant d’un seul coup, sans transition, plu
2479 s ou confondues, son auteur. (Cet angle de vision étant son vrai message.) Elle propose donc à l’imagination un exercice spir
2480 générateur de l’Occident. Problème ambigu s’il en fut , et qui échappe par définition à la pensée systématique et discursive
2481 isons. De quels autres moyens disposons-nous, qui soient ordonnés à cette fin ? Ce sont moyens de poésie, c’est-à-dire d’âme,
2482 posons-nous, qui soient ordonnés à cette fin ? Ce sont moyens de poésie, c’est-à-dire d’âme, inadéquats sans doute, s’agissa
2483 ant de l’Esprit… « La faculté principale de l’âme est de comparer », remarque Montesquieu, et il ajoute : Ce qui fait ordi
2484 cepts ; sans conclusion. Mais l’angle de vision s’ est imposé. Et l’imagination, irrésistiblement, s’oriente vers le mystère
2485 des quatre coins de l’Europe. Pourquoi n’y ai-je été que si rarement ? Sans doute à cause de la réserve qu’inspirent les p
2486 Mais peut-être aussi, et surtout, parce que je m’ étais fait de Kassner l’image d’un maître spirituel, d’un guru comme disent
2487 sse cum grano salis, longue in the cheek — quelle serait donc l’expression française ? — amusé de retrouver en moi cette persi
2488 rière une relation de maître à disciple qui avait été réelle dans mon esprit seulement et qui ne pouvait ni ne devait l’êtr
2489 esprit seulement et qui ne pouvait ni ne devait l’ être autrement, je le voyais bien, je jouais encore avec l’idée que cette
2490 ou d’un subit changement de sujet. Après tout, n’ était -ce pas ce que j’attendais ? Il parlait à bâtons rompus sur le dos des
2491 ’illusion banale qui veut que l’auteur et l’œuvre soient pareils, alors qu’ils sont toujours en tension dialectique — du moins
2492 l’auteur et l’œuvre soient pareils, alors qu’ils sont toujours en tension dialectique — du moins s’ils comptent ? Nos trop
2493 sée pour tous ceux que l’on pouvait connaître, ne fût -ce que de réputation, qu’il avait bien connus lui-même ou rencontrés
2494 fortement appuyé — et l’on devinait alors qu’ils étaient les modèles des personnages de ses Dialogues et récits physiognomoniq
2495 réter : « Le Witz (la boutade, le trait d’esprit) est la forme logique et naturelle que revêt la sociabilité chez le solita
2496 istances… » Finalement, je crois bien que Kassner est à peu près le seul homme que j’aie connu dont je ne puisse imaginer q
2497 depuis Dante. Le monde de Kassner, au contraire, est le monde du Fils, de la Parole qui tranche et institue le drame, le m
2498 un titre curieux : Rilke, le zen et moi 85 et il est curieusement décousu. À propos de l’influence qu’on lui attribue sur
2499 ucoup plus tard, il entendit parler du zen, qui n’ est resté qu’un nom pour lui. Mais dans le recueil d’hommages publié pour
2500 nt alerté… jusqu’à ce que, peu de temps après, je fusse informé de l’existence d’une école du zen dont les maîtres parviendra
2501 le zen signifiait et dans quel rapport il pouvait être avec mon œuvre, qui comptait à ce moment-là plus d’un demi-siècle. At
2502 oir le but en lui-même ?… Le zen, le tir aveugle, est acte, mais cet acte est en outre notre pensée la plus profonde, l’ult
2503 … Le zen, le tir aveugle, est acte, mais cet acte est en outre notre pensée la plus profonde, l’ultime, et le dirai-je, la
2504 ir qu’atteint la flèche du tireur aux yeux bandés est le point zéro de la cible, le Néant qui est en même temps le Tout… Qu
2505 andés est le point zéro de la cible, le Néant qui est en même temps le Tout… Que signifie encore le zen, sinon l’éliminatio
2506 iver qui ne sépare plus l’acte de l’ascèse. Ceci est absolument hindou, ajoute Kassner, appartient à l’Asie, et n’eût été
2507 ou, ajoute Kassner, appartient à l’Asie, et n’eût été compris que par peu de Grecs, par les éléates, et par aucun Romain. I
2508 ’existence de l’Infini, dès que la parole cesse d’ être une simple coque ; et il s’agit aussi de l’union ultime du But et du
2509 cevable, en vertu de l’Imagination créatrice, qui est pour lui la seule forme possible de la foi. Et certes, il m’est souv
2510 seule forme possible de la foi. Et certes, il m’ est souvent venu à l’esprit que cette Einbildungskraft 87, qui joue dans
2511 mental que la libido chez un Freud, pourrait bien être pour Kassner d’abord la seule forme possible de la foi — ce qui est p
2512 ’abord la seule forme possible de la foi — ce qui est plus gnostique qu’orthodoxe… Ne tire-t-il pas le zen de son côté ? Il
2513 , peut-être, pour les hommes auxquels la Langue a été donnée. C’est cette question que le 23e des Sonnets à Orphée pose, ou
2514 uéril Qu’enfin, submergé par son gain Celui qui s’ est approché des lointains Sera ce que son vol solitaire a conquis. « V
2515 ce que son vol solitaire a conquis. « Voilà qui est zen, conclut Kassner, ou solution d’un problème zen par le poète, par
2516 rême dépassement des concepts, au nom du Sens qui est le But à l’infini. Le But, la Flèche et l’Homme Kassner avait s
2517 le style même, et sinon le son de sa voix, qu’on est seul à ne pas reconnaître, du moins le mouvement de pensée de ses Dia
2518 s d’un maître zen sur le tir à l’arc : Celui qui est capable de tirer avec l’écaille du lièvre et le poil de la tortue, c’
2519 s arc (écaille) et sans flèche (poil), ce dernier est Maître, dans l’acception la plus élevée du terme, Maître de l’art san
2520 vée du terme, Maître de l’art sans art, mieux, il est l’art sans art, à la fois ainsi Maître et non-Maître. Par ce revireme
2521 le plus remarquable. Il semble que Kassner ne se soit pas souvenu d’avoir écrit lui-même dans ses Proverbes du yogi 89 les
2522 Quand je décoche une flèche, le but que je vise est toujours dans le fini. Le point où tombe la flèche, c’est le fini (sa
2523 s maintenant Herrigel, ce philosophe allemand qui est allé au Japon pour s’initier au zen en s’entraînant au tir à l’arc.
2524 ez pas assez loin. Comportez-vous comme si le but était l’infini… Un bon archer tire plus loin avec un arc de moyenne puissan
2525 anière technique, et si elle lui donne un nom, ce sera  : Bouddha. Enfin ceci, qui devait combler chez Kassner le penseur ex
2526 u maître : Je crains de ne plus rien comprendre… Est -ce moi qui touche le but ou bien le but qui m’atteint ? Ce que vous a
2527 que vous appelez le « quelque chose » (qui tire) est -il de nature spirituelle aux yeux du corps, ou corporelle aux yeux de
2528 rc, flèche, moi, s’amalgament tellement que je ne suis plus capable de les séparer… Le Maître m’interrompit alors et dit : V
2529 de lui, et dans laquelle il semble bien qu’il se soit finalement reconnu. J’ai dit que l’image d’un maître zen m’était venu
2530 t reconnu. J’ai dit que l’image d’un maître zen m’ était venue en écoutant parler Kassner. Et voici ce qu’il dit lui-même de l
2531 rsation telle qu’il l’entend et la pratique : Je suis toujours chargé (comme un fusil) quand je suis réellement alerté, éve
2532 Je suis toujours chargé (comme un fusil) quand je suis réellement alerté, éveillé. Le dialogue, la dialectique sont alors le
2533 ment alerté, éveillé. Le dialogue, la dialectique sont alors les moyens convenables pour provoquer l’étincelle, la détente,
2534 le noir. De là mon « Tireur zen », mon zen… L’arc est toujours tendu. Et oui, bien sûr, pourquoi ne pas penser ici au bios
2535 la mort ? Mais il ajoute aussitôt que le silence est pour lui une véritable volupté — pendant des heures, chaque soir — et
2536 nse. Je lui aurais dit sans doute : le but du zen est de nous libérer du moi conscient, mais le sens dernier de votre œuvre
2537 oi conscient, mais le sens dernier de votre œuvre est de libérer ce moi conscient (qui est la personne) du moi factice, du
2538 votre œuvre est de libérer ce moi conscient (qui est la personne) du moi factice, du personnage et de son masque, laissant
2539 . Entre les deux « abîmes » du monde magique, qui est le monde sans mesure d’avant le drame, d’avant l’idée et la Parole —
2540 l’idée et la Parole — et du monde collectif, qui est sa contrepartie plate et abstraite, et que vous nommez souvent « magi
2541 le passage vers l’esprit et vers la liberté, qui est souffrance et vision, tension et sacrifice, incarnation de la Parole
2542 . Maintenant, comment passer de cette réalité qui est liberté de la personne, à celle du zen qui est négation du personnel 
2543 ui est liberté de la personne, à celle du zen qui est négation du personnel ? Ou plutôt, saurez-vous nous faire voir l’unit
2544 autre mieux que vous, vous seul sans doute… Il n’ est plus là. Mais j’imagine que ses Propos, que l’on commence à publier,
2545 cherait rien de lui en partant de généralités. Il est par excellence l’auteur incomparable. Et de même, son œuvre défie tou
2546 tons éveillaient dans l’esprit de l’oncle Hammond étaient absolument originales et ne tarissaient pas. L’oncle Hammond pouvait,
2547 éoccupé d’une immortalité tout à fait impossible, est indiscret, l’autre ne fait que son devoir. » 82. Je viens de lire de
2548 rive et s’en aille à l’improviste, que les récits soient brefs — surtout pas d’analyses ! — les propos vifs, spontanés, sautan
2549 ffre considérable. À défaut d’une autre gloire, n’ est -ce pas, je garderai peut-être celle d’avoir été le plus grand promene
2550 n’est-ce pas, je garderai peut-être celle d’avoir été le plus grand promeneur de la littérature universelle, malgré mes can
2551 re, mais beaucoup pour moi… Ma vision, ma pensée, sont liées à la marche, au chemin. Inséparables !… » (A. Cl. Kensik : « En
2552 eistige Welten, Ullstein, 1958. 86. Ce parallèle est déjà indiqué dans les Propos recueillis par Kensik (Gedenkbuch, 1954)
2553 lancolie et de son angoisse : « De même qu’Hamlet est une géniale conception de Shakespeare, on pourrait appeler Kierkegaar
2554 Preuves et Der Monat peu de mois avant. 87. Il serait absolument insuffisant de traduire Einbildungskraft par imagination :
2555 , Zurich, 1949. Une bonne partie de ces proverbes étaient écrits avant la guerre de 1914 et avaient paru en revue. Je rappelle
47 1959, Preuves, articles (1951–1968). Sur un chassé-croisé d’idéaux et de faits (novembre 1959)
2556 ême comment on pourrait faire mieux qu’elle, ce n’ est pas en apprenti mais bien en chef d’État qu’il s’en va discourir deva
2557 e. Ce tsar qui se fait ouvrier, cet ouvrier qui s’ est fait tsar poursuivent la même politique russe, par des moyens qu’il e
2558 ent la même politique russe, par des moyens qu’il est facile de comparer. Chez l’un et l’autre, et malgré toutes les différ
2559 t souhaitait le dépasser dans son sens. Voilà qui est clair et naturel. Khrouchtchev, au contraire, professe que l’Occident
2560 rouchtchev, au contraire, professe que l’Occident est promis à la décadence. Que veut-il donc rejoindre et dépasser de cet
2561 mis de tels résultats que l’Union soviétique, qui est dans le sens de l’Histoire, doive aujourd’hui se donner pour but de l
2562 ec les bases mêmes du marxisme. Le « communisme » est mentionné cent fois dans cet article, son triomphe est donné pour fat
2563 entionné cent fois dans cet article, son triomphe est donné pour fatal, mais on chercherait en vain une phrase ou un exempl
2564 ns l’intérêt du peuple. » À ce niveau d’idéal, il est clair qu’aucune contradiction ne saurait plus exister entre les buts
2565 uisque l’économie soviétique, qui n’a que 42 ans, est déjà capable de défier l’économie capitaliste américaine, âgée selon
2566 lement de cette compétition, peut donc juger quel est le meilleur des deux systèmes. » Ce que K. continue d’appeler la « lu
2567 ntinue d’appeler la « lutte idéologique » entre l’ Est et l’Ouest n’est donc plus à ses yeux qu’une lutte de vitesse, et le
2568 la « lutte idéologique » entre l’Est et l’Ouest n’ est donc plus à ses yeux qu’une lutte de vitesse, et le « meilleur systèm
2569 ’une lutte de vitesse, et le « meilleur système » est simplement celui qui va mener le plus vite au même but ! Avouez qu’il
2570 re États. » On a bien lu : l’idéologie communiste est une chose, la politique concrète en est une autre, il faut cesser de
2571 ommuniste est une chose, la politique concrète en est une autre, il faut cesser de « confondre » cette théorie et cette pra
2572 méricain — non pas celui du State Department, qui est politique, mais celui de l’opinion réfléchie et anxieuse — je le croi
2573 la plus grave de notre société, c’est que nous ne sommes unis dans la poursuite d’aucun objectif fondamental… Nous parlons de
2574 rs un but et dans laquelle l’énergie des citoyens est dirigée vers la réalisation de ce but. La seule façon de répondre à M
2575 venir enfin le peuple confiant et résolu que nous sommes en réalité. Je ne vois guère moins de sophisme dans cet argument que
2576 n’avons plus de grande idée, eux en ont une. Nous sommes riches, heureux, arrivés, donc faibles ; ils sont en marche, pauvres,
2577 mmes riches, heureux, arrivés, donc faibles ; ils sont en marche, pauvres, insatisfaits, donc forts. Que reste-t-il aux rich
2578 proposera M. Lippmann pour réveiller vos énergies sera-t -elle de « faire mieux que la Russie » ? Imitez-vous les uns les autre
2579 que la Russie » ? Imitez-vous les uns les autres serait -il le sommaire de la Loi qui régira l’ennui futur et fera s’endormir
2580 sagesse, de sens de la vie. Comme si la richesse était tout. Comme si le vrai but était le bonheur tout fait né de l’abondan
2581 e si la richesse était tout. Comme si le vrai but était le bonheur tout fait né de l’abondance des biens produits. On ne voit
2582 éologique ».   Le dictateur et l’homme. — Telles étant donc les attitudes affichées ou confessées de part et d’autre à la ve
2583 , on pouvait et l’on devait s’attendre à ce qui s’ est passé en effet : la rencontre de deux groupes de complexes qui d’abor
2584 lé de soulagement et d’anxiété nouvelle : nous ne sommes pas si différents, mais alors ? Où sont nos certitudes, nos refus bie
2585 nous ne sommes pas si différents, mais alors ? Où sont nos certitudes, nos refus bien tranchés, nos raisons de nous haïr et
2586 rouchtchev réitère que ses positions idéologiques sont irréductibles, on dirait qu’il essaie de rassurer sa foi. Quand les i
2587 quoi c’était tout à l’heure impensable… Que K. se soit assez bien entendu avec les grands capitalistes, mais au plus mal ave
2588 aconte en se tapant sur la cuisse comment « ils » sont là-bas, étonnants et risibles… Si l’on songe au Führer, au Duce, à St
2589 e, à Staline, il devient évident que Khrouchtchev est une créature intermédiaire entre le dictateur et l’homme. Plus près d
2590 alement en faveur de la paix, et que les intérêts sont de même nature, bien que provisoirement en concurrence. Il se peut qu
2591 x nécessités de leur construction économique ; il est probable que les Américains ne sont pas loin de réaliser les buts con
2592 conomique ; il est probable que les Américains ne sont pas loin de réaliser les buts concrets du socialisme, sous l’étiquett
2593 rrespond au capitalisme des années 1880 ; mais il est certain que ces deux peuples sont destinés à se ressembler de plus en
2594 s 1880 ; mais il est certain que ces deux peuples sont destinés à se ressembler de plus en plus, dans toute la mesure où ils
2595 images concrètes de la Russie et de l’Amérique se sont rapprochées, plus puissantes et plus efficaces que les oppositions id
2596 es grandes masses qui font l’histoire du siècle s’ est précisée. Amérique du Nord, Russie, Chine, sans cesse nommées, numéro
2597 s et comparées dans les discours de Khrouchtchev, sont apparues comme les seules réalités politiques importantes. Cet angle
2598 oie l’Europe, qu’on y pense même ! Mais nous, qui sommes d’Europe, nous allons y penser. Le mois dernier, François Bondy posai
48 1960, Preuves, articles (1951–1968). Sur la détente et les intellectuels (mars 1960)
2599 tente et les intellectuels (mars 1960)bb Il me sera d’autant plus facile d’en parler d’une manière détendue que ma seule
2600 due que ma seule intention, dans cette chronique, est d’essayer de comprendre un problème très confus dont je ne suis même
2601 de comprendre un problème très confus dont je ne suis même pas sûr qu’il y ait lieu de le poser, mais qui paraît troubler c
2602 ce des rapports entre les hommes ». Les problèmes sont posés désormais, « en des termes qui dépassent tous les conflits anté
2603  Cette revue essaie de prouver que la coexistence est impossible et que la guerre froide ne cessera de voisiner avec la gue
2604 et simple entre le communisme et l’anticommunisme est dépassé. De nouvelles réalités sont là, dont il faut tenir compte. »
2605 anticommunisme est dépassé. De nouvelles réalités sont là, dont il faut tenir compte. » Conséquence : « La littérature expér
2606 ce : « La littérature expérimentale d’avant-garde est une séquelle de la guerre froide » et ne saurait survivre à la détent
2607 la guerre dans la littérature ». Ehrenbourg, lui, est pour la paix dans la littérature aussi : « Je tiens à affirmer ma pro
2608 ’ont jamais exprimé l’idéologie bourgeoise, et il serait absurde de prétendre que Hemingway, Faulkner, Graham Greene ou Saroya
2609 ajoute sèchement : « Exiger une trêve idéologique est parfaitement irréaliste, et une telle demande ne peut être faite que
2610 aitement irréaliste, et une telle demande ne peut être faite que par ceux qui n’ont rien compris au processus historique. »
2611 ent de la lutte idéologique… On nous a dit : tout est changé, tout doit changer, les vieux problèmes sont dépassés. Mais je
2612 st changé, tout doit changer, les vieux problèmes sont dépassés. Mais je ne vois encore qu’une vaste confusion. Admettons qu
2613 aut, de définir en termes clairs et simples ce qu’ étaient ces données auparavant, dans l’espoir de mieux distinguer ce qu’elles
2614 espoir de mieux distinguer ce qu’elles pourraient être désormais.   Position des communistes, avant la détente. — Ils servai
2615 bjectivement », que l’opposition politique : ce n’ était pas quelque chose qu’on discute, mais seulement quelque chose qu’on a
2616 mais seulement quelque chose qu’on avoue quand on est pris et démasqué. Ils nous jugeaient donc à leur aune. Ils avaient dé
2617 tait notre unique obsession, notre seule raison d’ être , et notre profession. Tout était donc permis pour nous disqualifier,
2618 re seule raison d’être, et notre profession. Tout était donc permis pour nous disqualifier, et même obligatoire. Aragon me tr
2619 avais « publié tous mes livres sous Vichy », et j’ étais « payé par les Américains », comme Sartre et Camus, d’ailleurs. Quelq
2620 le dire et c’est tout. Or, si nous nous trouvions être « anticommunistes », c’est-à-dire définis comme tels non par nous mai
2621 la vocation de l’écrivain dans la cité ne pouvait être interprétée un seul instant dans leur langage et leurs catégories. Po
2622 munion des masses autour d’une politique. Ce rôle est exactement le contraire de celui qu’un écrivain doit revendiquer. Le
2623 écrivain doit revendiquer. Le rôle de l’écrivain est de montrer par son œuvre que l’organisation ne constitue pas la total
2624 constitue pas la totalité. Le rôle de l’écrivain est de penser à autre chose et de faire penser à autre chose. » C’est dan
2625 pour le douteux profit de n’importe quel système, fût -il celui de nos États, c’est dans cette mesure-là que nous étions des
2626 de nos États, c’est dans cette mesure-là que nous étions des « antis ». Au reste, nous pensions surtout à « d’autres choses ».
2627 xplicablement perverse et révoltante. Le dialogue était impossible. Puis il y eut le « dégel » et les « révélations » du XXe
2628 ur système suffisait bien, et que le dialogue eût été temps perdu avec des officieux qui ne pouvaient pas nous écouter et n
2629 ricatures. (C’est irritant de redire tout cela, n’ est -ce pas ? Ceux de ma génération en ont assez. Les plus jeunes ne conna
2630 K. joue la détente ? Une seule chose, notable il est vrai, dans le camp russe : cette phrase de l’article de K. publié par
2631 t la lutte idéologique. Si la lutte idéologique n’ est plus la guerre, si celui qui s’oppose n’est plus un belliciste, la pr
2632 que n’est plus la guerre, si celui qui s’oppose n’ est plus un belliciste, la première donnée du dialogue est restituée : ne
2633 lus un belliciste, la première donnée du dialogue est restituée : ne pas considérer comme criminel celui qui est d’un avis
2634 tuée : ne pas considérer comme criminel celui qui est d’un avis différent. Mais la seconde donnée manque encore, et c’est l
2635 a lutte idéologique des Soviets contre l’Occident serait compatible avec la coexistence pacifique, mais toute riposte du côté
2636 pacifique, mais toute riposte du côté occidental serait encore un acte de guerre froide. Nous reprochions à l’URSS de ne pas
2637 ique et la guerre dans le domaine des idées. Nous sommes d’accord : c’était notre attitude. Et l’URSS précisément la condamnai
2638 ’opposer à la paix dans la mesure où elle cesse d’ être une lutte. Ehrenbourg est pour les échanges, comme il se doit. Mais a
2639 mesure où elle cesse d’être une lutte. Ehrenbourg est pour les échanges, comme il se doit. Mais au lieu de traduire Pastern
2640 munistes ! En revanche, Silone et Spender doivent être bannis du dialogue et ce n’est pas, bien au contraire, qu’ils soient
2641 t Spender doivent être bannis du dialogue et ce n’ est pas, bien au contraire, qu’ils soient de faux Occidentaux… Cette faib
2642 alogue et ce n’est pas, bien au contraire, qu’ils soient de faux Occidentaux… Cette faiblesse congénitale dans l’attitude des
2643 intellectuels des deux camps. Mais tous les camps sont provisoires. Demain, la jeunesse russe fera valoir sa nostalgie de li
2644 selon les sociologues. Mais notre mère à tous, n’ est -ce pas l’Europe ? 93. Allocution à la Salle Gaveau pendant une réun
49 1960, Preuves, articles (1951–1968). Les incidences du progrès sur les libertés (août 1960)
2645 rès et les idéaux qui l’inspirent. Le plus simple sera de reprendre les trois termes formant notre titre : Congrès, Liberté,
2646 es s’appellent et s’impliquent mutuellement. Nous sommes donc d’abord un Congrès — un congrès permanent, il est vrai, puisqu’i
2647 onc d’abord un Congrès — un congrès permanent, il est vrai, puisqu’il a tenu des réunions successivement dans plus de vingt
2648 ts — mais voici le point important : ce Congrès n’ est pas un parti, n’est pas un front discipliné mais un simple rassemblem
2649 oint important : ce Congrès n’est pas un parti, n’ est pas un front discipliné mais un simple rassemblement d’hommes de cult
2650 service des libertés de l’esprit partout où elles sont attaquées, une certaine force de frappe, de protestation efficace. Ma
2651 te génération, le progrès dans la liberté. Car il est clair que ce problème numéro 1 de notre siècle déborde toute capacité
2652 nts de vue, et à l’échelle mondiale. Le Congrès s’ est donc adressé aux intellectuels du monde entier et il leur a dit : Vou
2653 parti pris de la liberté ! Sur ce mot Liberté, je serai très bref, bien qu’il soit le mot capital. Car la liberté, voyez-vous
2654 ur ce mot Liberté, je serai très bref, bien qu’il soit le mot capital. Car la liberté, voyez-vous, ce n’est pas quelque chos
2655 le mot capital. Car la liberté, voyez-vous, ce n’ est pas quelque chose dont nous devons parler, mais quelque chose que nou
2656 ement non développés) des centaines de millions d’ êtres humains qui souffrent avant tout de ne pas trouver un sens à leur vie
2657 es définitions, que là aussi vous me permettrez d’ être assez bref, et de me borner à quelques traits définissant la concepti
2658 dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’ est que la moitié de l’affaire : l’aventure personnelle, la nouveauté, l’
2659 la nouveauté, l’inquiétude, une certaine révolte sont aussi des besoins vitaux. Et alors se révèle l’autre aspect de la cul
2660 ors se révèle l’autre aspect de la culture, qui n’ est plus seulement transmission mais critique et rupture s’il le faut ; q
2661 ion mais critique et rupture s’il le faut ; qui n’ est plus seulement initiation mais invention. Ces deux aspects de la cult
2662 éduis que la fonction de notre Congrès, tel qu’il est devenu depuis dix ans, s’élargissant progressivement aux dimensions d
2663 t progressivement aux dimensions du monde entier, est désormais d’organiser un ample effort de réflexions entre intellectue
2664 mériques ; mais ceci dans la perspective qui nous est propre : celle des incidences du progrès sur les vraies libertés huma
2665 umaines. On nous demande souvent, de tous côtés : Êtes -vous un mouvement politique ? Il me semble que le commentaire que je
2666 wers insistent : tous veulent absolument que nous soyons politiques, que nous soyons d’abord anti-ceci ou cela… J’insisterai d
2667 t absolument que nous soyons politiques, que nous soyons d’abord anti-ceci ou cela… J’insisterai donc à mon tour. En situant l
2668 ne. La politique, nous n’y échapperons pas, et il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle nous cern
2669 otre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté serait -elle du nombre de ces fins dernières, serait-elle à son tour un absol
2670 erté serait-elle du nombre de ces fins dernières, serait -elle à son tour un absolu ? Non, certes, mais elle seule nous conduit
2671 loisir, et tant d’action que de méditation. Ce n’ est point par des statistiques, portant sur les résultats d’un régime ou
2672 e et d’affronter le mystère de sa personne. Telle est la fin dernière de toute communauté, et la seule mesure qui permette
50 1961, Preuves, articles (1951–1968). Dialectique des mythes : Le carrefour fabuleux (I) (avril 1961)
2673 (avril 1961)bd Dans la forêt de Gribskov, il est un lieu nommé « le Coin des Huit Chemins ». Seul le trouve celui qui
2674 esse, car aucune carte ne l’indique. Son nom même est une contradiction, car comment le croisement de huit chemins publics
2675 la trivialité, combien plus triviale encore doit être la rencontre de huit routes ! Pourtant il en est bien ainsi : huit ro
2676 être la rencontre de huit routes ! Pourtant il en est bien ainsi : huit routes et quelle solitude ! … Tout près de là, un b
2677 ’« Enclos fatal »… L’animation des huit chemins n’ est qu’une pure possibilité, — possibilité pour l’esprit. Car personne ne
2678 couvre son Isolde. Pour l’un et l’autre la pensée est une passion, et l’expression totale de la passion ne peut être que mu
2679 ion, et l’expression totale de la passion ne peut être que musicale. « Par la musique, les passions jouissent d’elles-mêmes.
2680 n’a pu que rêver, que sa personne refuse, et qui est son Ombre. J’ai cherché bien longtemps le point de perspective d’où l
2681 ne étape significative, — et « l’enclos fatal » n’ est pas loin, mais en même temps s’ouvrent des avenues… Ces carrefours « 
2682 ues… Ces carrefours « qu’aucune carte n’indique » sont les lieux les plus émouvants, pour celui qui chevauche à l’aventure a
2683 des grands bois du Nord de la Seeland, un soir d’ été , que les convives du Banquet se réunissent devant le seuil d’un pavil
2684 ier de mon bonheur ! Car en vérité, cette pièce s’ est emparée de moi d’une façon si diabolique que je ne pourrai plus jamai
2685 ité existentielle. La vie réelle de Kierkegaard s’ est qualifiée par son refus du mythe de Don Juan, tentation permanente et
2686 . En voici l’argument condensé. Le christianisme, étant esprit, a posé dans le monde la sensualité. Parce qu’il l’excluait en
2687 tanéité. La musique seule va s’y prêter. Car elle est un langage des sens, mais le sens de l’ouïe plus que tout autre est «
2688 sens, mais le sens de l’ouïe plus que tout autre est « déterminé par l’esprit ». La musique, au surplus, est, après la par
2689 déterminé par l’esprit ». La musique, au surplus, est , après la parole, le médium le moins matériel de l’idée : elle n’exis
2690 l son « objet absolu » car « l’état d’âme sensuel est trop lourd et trop dense pour être porté par la parole ; seule la mus
2691 t d’âme sensuel est trop lourd et trop dense pour être porté par la parole ; seule la musique peut l’exprimer ». Si Don Juan
2692 ble et démoniaque, « déterminé par l’esprit comme étant ce que l’esprit exclut », l’expression de Don Juan ne peut être que m
2693 esprit exclut », l’expression de Don Juan ne peut être que musicale. Et c’est pourquoi le seul Don Juan conforme au mythe95,
2694 Voici son signalement selon Kierkegaard. Don Juan est une puissance, et non pas une personne : Quand Don Juan est conçu mu
2695 ssance, et non pas une personne : Quand Don Juan est conçu musicalement, j’entends en lui tout l’infini, mais aussi la pui
2696 e triomphe absolu de ce désir, triomphe auquel il serait vain de s’opposer. Si d’aventure la pensée s’attarde à l’obstacle, ce
2697 que de s’y opposer réellement ; la jouissance en est accrue, la victoire est certaine et l’obstacle n’est qu’un stimulant.
2698 lement ; la jouissance en est accrue, la victoire est certaine et l’obstacle n’est qu’un stimulant. Je trouve en Don Juan u
2699 accrue, la victoire est certaine et l’obstacle n’ est qu’un stimulant. Je trouve en Don Juan une vie ainsi animée d’un démo
2700 t et irrésistible, à la façon d’un élément. Telle est son idéalité dont je puis me réjouir tranquillement, parce que la mus
2701 e ou individu, mais comme puissance.96 Don Juan est un mouvement, une tension pure, ou n’est plus rien. Lancé comme une p
2702 Don Juan est un mouvement, une tension pure, ou n’ est plus rien. Lancé comme une pierre qui ricoche à la surface de l’eau,
2703 n préparatif, d’aucun plan, d’aucun temps, car il est toujours prêt, l’énergie est constamment présente en lui et le désir
2704 ’aucun temps, car il est toujours prêt, l’énergie est constamment présente en lui et le désir aussi. Il n’étourdit pas Zer
2705 ne rêverait pas de devenir malheureuse pour avoir été une fois heureuse avec Don Juan serait une pauvre fille. Don Juan es
2706 se pour avoir été une fois heureuse avec Don Juan serait une pauvre fille. Don Juan est convaincu que « l’expression véritabl
2707 avec Don Juan serait une pauvre fille. Don Juan est convaincu que « l’expression véritable de la femme consiste en sa vol
2708 on véritable de la femme consiste en sa volonté d’ être séduite… C’est pourquoi elle ne se fâche jamais contre son séducteur,
2709 otisme de Don Juan s’oppose à l’Éros antique, qui était psychique et non sensuel, « et c’est ce qui inspire cette pudeur qui
2710 tois, essentiellement fidèle. « L’amour psychique est existence dans le temps, l’amour sensuel disparition dans le temps »9
2711 tion dans le temps »99, d’où vient que la musique est son parfait médium. Pour Don Juan, « la féminité tout à fait abstrait
2712 our Don Juan, « la féminité tout à fait abstraite est l’essentiel », l’individualité n’existe pas : il n’y aura jamais à se
2713 is seulement répétition et multiplicité. Sa vie n’ étant ainsi qu’« une somme de moments distincts…, une addition d’instants »
2714 raphie : le doter d’une enfance et d’une jeunesse fut l’erreur fatale de Byron. Il est le génie de l’instant. Ses conquêtes
2715 t d’une jeunesse fut l’erreur fatale de Byron. Il est le génie de l’instant. Ses conquêtes sont sans histoire, « car le tem
2716 yron. Il est le génie de l’instant. Ses conquêtes sont sans histoire, « car le temps lui manque ». « La voir et l’aimer sont
2717 « car le temps lui manque ». « La voir et l’aimer sont une seule chose… et aussitôt tout est fini, puis cela se répète à l’i
2718 et l’aimer sont une seule chose… et aussitôt tout est fini, puis cela se répète à l’infini. » Sans passé, sans mémoire (il
2719 tatue de pierre du Commandeur. Mais le Commandeur est un esprit ! C’est même un revenant, donc un retour du passé. Il repré
2720 on spirituelle du génie spontané de l’instant. Il est donc seul capable de dompter Don Juan, nulle puissance du monde n’en
2721 son. Cette description du mythe par Kierkegaard n’ est pas seulement inspirée de Mozart : elle a pour but de démontrer que l
2722 lle a pour but de démontrer que l’opéra de Mozart est le mythe pur, intégralement manifesté en chaque détail comme dans le
2723 e Faust suppose une telle maturité d’esprit qu’il est naturel qu’il y en ait plusieurs conceptions », chacune pouvant être
2724 y en ait plusieurs conceptions », chacune pouvant être « parfaite » pour une génération ; tandis que le Don Juan de Mozart,
2725 lui-même (dont la pénétration proprement musicale est stupéfiante, Kierkegaard se disant lui-même un « amateur » sans aucun
2726 en mouvement. Elle résonne partout. » Don Juan n’ étant pas caractère, mais puissance et vie, donc « absolument musical », le
2727 olument musical », les autres personnages, qui ne sont que passions déterminées par Don Juan, sont dans cette mesure même mu
2728 ui ne sont que passions déterminées par Don Juan, sont dans cette mesure même musicaux. « On peut arriver pendant la représe
2729 . « On peut arriver pendant la représentation, on est immédiatement au centre, parce que ce centre, qui est la vitalité de
2730 immédiatement au centre, parce que ce centre, qui est la vitalité de Don Juan, se trouve partout. » Le seul personnage qui
2731 . » Le seul personnage qui semble faire exception est naturellement le Commandeur, mais d’une certaine manière (que précise
2732 e (que précise l’analyse des thèmes musicaux), il est « placé en dehors de la pièce, ou il la circonscrit ». Comme le temps
2733 la pièce, ou il la circonscrit ». Comme le temps est circonscrit par l’éternité. Kierkegaard et Tristan Kierkegaard
2734 ternité. Kierkegaard et Tristan Kierkegaard fut pourtant le contraire d’un Don Juan. Dans ses rapports avec son œuvre
2735 e, son action publique, et sa vocation finale, il fut Hamlet. Mais dans sa vie individuelle, dans son amour unique et longu
2736 r unique et longuement malheureux pour Régine, il fut Tristan. Cependant, je n’ai trouvé dans toute son œuvre que de rares
2737 n, voire ce mutisme, et cette luxuriance verbale, est de ceux qui expriment à coup sûr les données essentielles d’une perso
2738 p sûr les données essentielles d’une personne. Qu’ est -ce que Don Juan pour ce célibataire parfaitement libre de mener sa vi
2739 e d’écrivain et sa vocation religieuse ? Don Juan est de toute évidence la figure de lui-même qui le tente le plus : c’est
2740 e raison qui reste son secret dernier. Le mariage étant écarté, s’il choisit d’être anachorète, le séducteur devient son myth
2741 dernier. Le mariage étant écarté, s’il choisit d’ être anachorète, le séducteur devient son mythe. Don Juan devient son ombr
2742 il doit exalter et condamner sans cesse, car elle est lui autant que lui, mais elle est ce qu’il refuse en lui. Elle est ce
2743 cesse, car elle est lui autant que lui, mais elle est ce qu’il refuse en lui. Elle est ce qu’il saurait être, exemplairemen
2744 e lui, mais elle est ce qu’il refuse en lui. Elle est ce qu’il saurait être, exemplairement, s’il n’était pas ce qu’il subi
2745 ce qu’il refuse en lui. Elle est ce qu’il saurait être , exemplairement, s’il n’était pas ce qu’il subit et souffre, et s’eff
2746 est ce qu’il saurait être, exemplairement, s’il n’ était pas ce qu’il subit et souffre, et s’efforce de dépasser vers l’absolu
2747 vers ce qu’il veut devenir selon l’esprit. Si tel est bien son mythe, son Éros virtuel, quelle est alors la forme actuelle,
2748 tel est bien son mythe, son Éros virtuel, quelle est alors la forme actuelle, historiquement vécue, de son Éros ? C’est la
2749 lue, dans le fait qu’il n’y a au monde qu’un seul être bien-aimé, et que cette « seule fois » de l’amour est l’amour, et que
2750 bien-aimé, et que cette « seule fois » de l’amour est l’amour, et que la « seconde fois » n’est rien… Une fois est le tout
2751 l’amour est l’amour, et que la « seconde fois » n’ est rien… Une fois est le tout absolu, et la seconde fois la ruine absolu
2752 , et que la « seconde fois » n’est rien… Une fois est le tout absolu, et la seconde fois la ruine absolue de tout.103 Cer
2753 comique de ce choix sans appel de la passion, qui est d’une importance capitale et qu’on ne peut faire « qu’à l’aveuglette 
2754 L’amoureux passionné, dans son choix exclusif, n’ est -il pas « un pantin dont quelque chose d’inexplicable tire les ficelle
2755 « la résolution, la résolution de la convoitise, est la pointe de l’existence ». Il faut choisir pour exister. Le Séducteu
2756 e, et dans chaque femme réelle, c’est ce qui veut être séduit et qui ne peut l’être qu’une fois. Au contraire, le Mari qui p
2757 e, c’est ce qui veut être séduit et qui ne peut l’ être qu’une fois. Au contraire, le Mari qui prendra la parole dans la seco
2758 r une seule femme et de l’épouser, car le mariage est cette décision qui « traduit l’exaltation en réalité ». Loin d’appauv
2759 nce de la vie, elle peut seule y introduire. Elle est la décision par excellence, qui rend l’existence concrète. Par elle,
2760 trée de jeu : L’amour et l’inclination amoureuse sont tout à fait spontanés, le mariage est une décision ; vouloir se marie
2761 amoureuse sont tout à fait spontanés, le mariage est une décision ; vouloir se marier, cela veut dire que ce qu’il y a de
2762 veut dire que ce qu’il y a de plus spontané doit être en même temps la décision la plus libre… En outre l’une de ces choses
2763 guments philosophiques que la décision ne saurait être fondée dans l’argumentation. Rien d’étonnant si cet ouvrage ne convai
2764 nt si cet ouvrage ne convainc guère : Kierkegaard est derrière les pseudonymes exaltant un Don Juan qu’il refuse, mais qui
2765 il refuse, mais qui demeure sa possibilité ; il n’ est pas derrière le Mari. Car celui-ci représente et défend l’impossibili
2766 le reste de son œuvre. Admettons que l’amour vrai soit la passion unique et partagée. Pour être heureux, dans un mariage par
2767 our vrai soit la passion unique et partagée. Pour être heureux, dans un mariage par exemple, cet amour devrait opérer le mir
2768 u, un amour essentiellement malheureux. Cet amour serait même impossible hors du paradoxe de la foi, laquelle est un mouvement
2769 e impossible hors du paradoxe de la foi, laquelle est un mouvement de passion, un saut. Toute communication directe de Dieu
2770 rd « explique » sa conduite amoureuse, ou si ce n’ est pas plutôt l’inverse, — ne correspond à rien dans notre perspective,
2771 et son œuvre indissociables ; et je vois qu’elle est disposée de telle manière que « l’esthétique » et le « religieux » y
2772 anière que « l’esthétique » et le « religieux » y sont constamment homologues, tous les deux irrigués d’énergie passionnelle
2773 l’éthique temporelle et autonome : La décision n’ est pas la force de l’homme, ni son courage, ni son habileté… mais elle e
2774 homme, ni son courage, ni son habileté… mais elle est un point de départ religieux ; si elle n’est pas cela, celui qui déci
2775 elle est un point de départ religieux ; si elle n’ est pas cela, celui qui décide n’a été rendu fini que dans sa réflexion,
2776 ux ; si elle n’est pas cela, celui qui décide n’a été rendu fini que dans sa réflexion, il n’a pas pris de vitesse l’inclin
2777 pas pris de vitesse l’inclination amoureuse, mais est resté en cours de route, et une telle décision est trop misérable pou
2778 st resté en cours de route, et une telle décision est trop misérable pour que l’inclination amoureuse ne la méprise et ne p
2779 e ne reconnaît qu’une seule spontanéité comme lui étant ebenbürtig, c’est la spontanéité religieuse.105 Ainsi, comme Kierke
2780 ion. Je vois enfin que la personne de Kierkegaard est ce système qui se définit par la mise en tension et l’interdépendance
2781  ; — enfin sa vocation exceptionnelle. Le mariage est interdit à celui qui doit être l’Exception : Au soldat qui monte la
2782 onnelle. Le mariage est interdit à celui qui doit être l’Exception : Au soldat qui monte la garde aux frontières, est-il pe
2783 n : Au soldat qui monte la garde aux frontières, est -il permis de se marier ? Un tel soldat ose-t-il — ceci soit dit dans
2784 rmis de se marier ? Un tel soldat ose-t-il — ceci soit dit dans un sens spirituel — se marier, s’il doit jour et nuit se bat
2785 igands d’une mélancolie innée ?106 L’amour n’en est pas moins l’agent privilégié du progrès spirituel de « l’homme supéri
2786  l’homme supérieur » — toutefois à condition de n’ être pas « heureux » : Grâce à une jeune fille, bien des hommes sont deve
2787 eux » : Grâce à une jeune fille, bien des hommes sont devenus des génies, beaucoup des héros, beaucoup des poètes, beaucoup
2788 des poètes, beaucoup des saints — mais pas un ne fut un génie par la jeune fille qu’il posséda, car par elle il ne devint
2789 le il ne devint que conseiller d’État ; pas un ne fut un héros par la jeune fille qu’il posséda, car par elle il ne devint
2790 car par elle il ne devint que général ; pas un ne fut poète par la jeune fille qu’il posséda, car par elle il ne devint que
2791 car par elle il ne devint que père ; et pas un ne fut un saint par la jeune fille qu’il posséda, car il n’en posséda aucune
2792 « entraîne » et transfigure dans la mesure où il est par essence malheureux, ce n’est pas l’Éternel féminin mystique du Se
2793 la mesure où il est par essence malheureux, ce n’ est pas l’Éternel féminin mystique du Second Faust. C’est la passion dans
2794 ui reparaît enfin ! On sait assez que le paradoxe est la catégorie fondamentale de la pensée de Kierkegaard. Or, voici ce q
2795 ion de la pensée, et les penseurs qui en manquent sont comme des amants sans passion, c’est-à-dire de piètres partenaires. M
2796 s partenaires. Mais le paroxysme de toute passion est toujours de vouloir sa propre perte… C’est là le paradoxe suprême de
2797 e rende qu’imparfaitement la situation. L’égoïsme est à l’origine du sentiment pour autrui, mais quand sa passion paradoxal
2798 dans la passion de l’instant, et cette puissance est justement l’amour. Cette forme de pensée est tristanienne. Elle est
2799 nce est justement l’amour. Cette forme de pensée est tristanienne. Elle est d’abord une forme d’existence. Elle s’illustre
2800 ur. Cette forme de pensée est tristanienne. Elle est d’abord une forme d’existence. Elle s’illustre dans les relations mal
2801 écrit pour s’excuser d’un rendez-vous manqué : il est allé tout seul à la campagne, ce jour-là, « à Fredensborg où souvenir
2802 ude de son cœur, « c’est alors seulement que nous sommes unis ».) Régine s’est mariée ailleurs. Le dernier appel qu’il ait ten
2803 alors seulement que nous sommes unis ».) Régine s’ est mariée ailleurs. Le dernier appel qu’il ait tenté de lui adresser — p
2804 — ne l’a pas atteinte. Une dernière fois, ils se sont rencontrés, mais par hasard, dans la rue. Elle l’a salué, et il a rép
2805 Il mourut le 11 novembre de la même année. Régine était au-delà des mers, dans une autre île. Que cette forme d’amour nostalg
2806 pensée proprement religieuse de Kierkegaard, ce n’ est pas ici le lieu de l’expliciter. J’en donnerai tout de même un exempl
2807 mour-passion (ou amour poétique) qui élit un seul être bien-aimé, et l’amour du prochain (amour chrétien), dont le commandem
2808 u prochain (amour chrétien), dont le commandement est d’aimer tous les hommes, sans distinction, non par sympathie élective
2809 urrait confondre avec un sens social humanitaire, serait -il vraiment « chrétien » selon la conception kierkegaardienne ? Le dé
2810 ntielle. Le sujet du « Tu dois aimer » ne saurait être , en effet, que « l’Individu ». Or on sait que cette catégorie kierkeg
2811 me isolé par l’esprit, — isolé de la foule, « qui est mensonge ». Et l’objet, le prochain — celui qu’il faut aider, selon l
2812 aider, selon la parabole évangélique — ne saurait être à son tour que l’expression de l’esprit en tout homme. Seul donc celu
2813 de l’esprit en tout homme. Seul donc celui qui s’ est connu et accepté en tant qu’esprit, celui qui de la sorte se trouve s
2814 en l’autre, l’esprit qui crée « l’Individu ». Tel est le paradoxe proprement kierkegaardien. L’amour ne va pas de n’importe
2815 ngué par l’esprit, à chacun de ceux, quels qu’ils soient , également existants par l’esprit. Mais ici, comment ne pas rappeler
2816 versalise (paradoxalement !) et s’approfondit. Il est la signature de l’homme spirituel, distingué dans la foule anonyme, s
2817 onguement écrit que Kierkegaard, mais son œuvre n’ est pas moins riche en jugements brefs, d’ailleurs effrontément contradic
2818 ntément contradictoires, sur ces trois thèmes. Il est remarquable que les contradictions de Nietzsche offrent un raccourci
2819 opiniâtrement la croyance que l’amour, bien qu’il soit une passion, est cependant susceptible de durer en tant que passion e
2820 royance que l’amour, bien qu’il soit une passion, est cependant susceptible de durer en tant que passion et que l’amour à v
2821 rer en tant que passion et que l’amour à vie peut être considéré comme la règle. Par cette ténacité d’une noble croyance, ma
2822 nue malgré des réfutations si fréquentes qu’elles sont presque la règle, et qui en font par conséquent une pia fraus, l’inst
2823 que, et même un risque plus qu’humain, le mariage est ici aux yeux de Nietzsche « une conception surhumaine qui élève l’hom
2824 s l’optimum. Parmi les grands philosophes, lequel était marié ? Héraclite, Platon, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant, Schopen
2825 Spinoza, Leibniz, Kant, Schopenhauer — ils ne le furent point ; bien plus, on ne pourrait même se les imaginer mariés. Un phi
2826 hilosophe marié a sa place dans la comédie, telle est ma thèse : et Socrate, seule exception, le malicieux Socrate, s’est s
2827 Socrate, seule exception, le malicieux Socrate, s’ est semble-t-il marié par ironie, précisément pour démontrer la vérité de
2828 Kierkegaard : Toutes les grandes choses qui ont été faites par l’humanité antique tiraient leur force du fait que l’homme
2829 qu’aucune femme ne pouvait élever la prétention d’ être pour l’homme l’objet de l’amour le plus proche et le plus haut, ou mê
2830 ’Agapè maîtrise l’Éros, etc.112 L’Agapè dont il est ici question n’est encore pour les Grecs que l’amour désintéressé ; m
2831 ros, etc.112 L’Agapè dont il est ici question n’ est encore pour les Grecs que l’amour désintéressé ; mais dans l’esprit d
2832 que passion — notre spécialité européenne — doit être nécessairement d’origine noble. On sait que son invention doit être a
2833 t d’origine noble. On sait que son invention doit être attribuée aux chevaliers poètes provençaux, ces hommes magnifiques et
2834 nifiques et ingénieux du gai saber à qui l’Europe est redevable de tant de choses et presque d’elle-même.113 Plus tard, a
2835 la volonté de combattre la violence d’un instinct est en dehors de notre puissance ». Dans le procès de maîtrise d’un insti
2836 procès de maîtrise d’un instinct, « l’intellect n’ est que l’instrument aveugle d’un autre instinct, qui est le rival de cel
2837 que l’instrument aveugle d’un autre instinct, qui est le rival de celui dont la violence nous tourmente, que ce soit le bes
2838 de celui dont la violence nous tourmente, que ce soit le besoin de repos, ou la crainte de la honte et d’autres suites néfa
2839 tés peu avant —, ni l’amour qu’on invoque ici, ne sont à parler proprement, des instincts. L’érotisme commence précisément a
2840 etzsche suggère comme un possible instinct rival, est la passion de l’âme par excellence. La lutte entre les deux « instinc
2841 cellence. La lutte entre les deux « instincts » n’ est donc pas autre chose que la lutte entre les deux puissances de l’Éros
2842 sique, les passions jouissent d’elles-mêmes ». Il est curieux de relever que Nietzsche, comme Kierkegaard, commence sa carr
2843 he en général « le but réel de la science », s’il est vrai que « la cause finale de la science est de rendre l’existence co
2844 s’il est vrai que « la cause finale de la science est de rendre l’existence concevable ». Le mythe est une « image du monde
2845 est de rendre l’existence concevable ». Le mythe est une « image du monde en raccourci » et, sans le mythe, « toute cultur
2846 en raccourci » et, sans le mythe, « toute culture est dépossédée de sa force naturelle, saine et créatrice ; seul un horizo
2847 tés de l’imagination… Les images du mythe doivent être les esprits tutélaires invisibles et omniprésents, propices au dévelo
2848 uscite chez celui-là l’illusion que la musique ne soit qu’un admirable procédé, un inégalable moyen de donner la vie au mond
2849 iberté auquel, en tant que musique en soi, il lui serait interdit d’oser se livrer avec une telle licence, sans la sauvegarde
2850 sans cet auxiliaire unique, la parole et l’image fussent demeurées à jamais impuissantes à l’atteindre. Et c’est tout spéciale
2851 et de la musique que le spectateur de la Tragédie est envahi de ce sûr pressentiment d’une joie suprême, à laquelle aboutit
2852 s afin de pouvoir vivre avec nous-mêmes ! » Que s’ est -il passé entre-temps ? Sur la scène tout au moins — et l’on veut dire
2853 e que Nietzsche exprime consciemment —, Tristan s’ est évanoui et Don Juan domine tout. Wagner n’est plus « mon noble compag
2854 n s’est évanoui et Don Juan domine tout. Wagner n’ est plus « mon noble compagnon d’armes » mais « l’asphyxie par le rabâcha
2855 loin de Bayreuth surtout — où l’auteur de Tristan est l’époux comblé de Cosima… — loin du Nord désormais détesté, Nietzsche
2856 rit Aurore. « Presque chaque phrase de ce livre a été pensée et comme capturée dans les mille recoins de ce chaos de rocher
2857 lleur, violent — ainsi nous veut la sagesse. Elle est femme… » Que dit Aurore ? « Il n’y a encore d’efficace contre l’amour
2858 que, de candide, de cruel… L’amour dont la guerre est le moyen, dont la haine mortelle des sexes est la base »119. Cet amou
2859 re est le moyen, dont la haine mortelle des sexes est la base »119. Cet amour dont Benjamin Constant a bien dit qu’il est d
2860 Cet amour dont Benjamin Constant a bien dit qu’il est de tous les sentiments le plus égoïste, — l’amour « naturel » à la Do
2861 Don Juan. Il y a plus. Le donjuanisme érotique n’ est guère pour Nietzsche qu’une image, voire un argument polémique, mais
2862 venir réclameront le titre de « séducteurs ». Ils seront « curieux jusqu’au vice, chercheurs jusqu’à la cruauté, avec des doig
2863 ts ! » et leur morale, au-delà du bien et du mal, sera « la danse dans l’esprit. »120 Voici sans doute le texte capital :
2864 nfin il ne lui reste plus rien à chasser, si ce n’ est ce qu’il y a d’absolument douloureux dans la connaissance, comme l’iv
2865 on Juan de la connaissance s’interroge, et cela n’ est pas dans le droit fil du personnage. Ou bien veut-il aller plus outre
2866 s-nous la possibilité d’un retour à la barbarie ? Serait -ce peut-être parce que la barbarie rendrait les hommes plus malheureu
2867 rendrait les hommes plus malheureux qu’ils ne le sont  ? Hélas, non ! Les barbares de tous les temps avaient plus de bonheur
2868 . — Mais c’est notre instinct de connaissance qui est trop développé pour que nous puissions encore apprécier le bonheur sa
2869 ination a pris pour nous autant de charme et nous est devenue tout aussi indispensable que ne l’est, pour l’amoureux, l’amo
2870 ous est devenue tout aussi indispensable que ne l’ est , pour l’amoureux, l’amour malheureux : à aucun prix il n’aimerait l’a
2871 ner pour l’état d’indifférence ; — oui, peut-être sommes -nous, nous aussi, des amants malheureux. La connaissance s’est transf
2872 s aussi, des amants malheureux. La connaissance s’ est transformée chez nous en passion qui ne s’effraie d’aucun sacrifice e
2873 Qu’à cela ne tienne ! « Cette pensée, elle aussi, est sans puissance sur nous. Le christianisme s’est-il donc effrayé d’idé
2874 , est sans puissance sur nous. Le christianisme s’ est -il donc effrayé d’idées semblables ? La passion et la mort ne sont-el
2875 ayé d’idées semblables ? La passion et la mort ne sont -elles pas sœurs ? »122 Au comble du défi, Don Juan vient de surprend
2876 dormi — Du fond d’un songe je m’éveille : Profond est le monde Et plus profond que le jour ne l’a vu. Profonde est sa doule
2877 e Et plus profond que le jour ne l’a vu. Profonde est sa douleur — Mais la joie plus profonde encore que la peine : La doul
2878  ! — dans un suprême défi, et pour sombrer. Et ce sera bientôt l’aveu presque posthume, le dernier appel à Isolde, ce billet
2879 t’aime ! signé : Dionysos. » Le Cas Wagner — qui est un dernier Anti-Tristan — venait d’être envoyé à l’impression. Dans A
2880 gner — qui est un dernier Anti-Tristan — venait d’ être envoyé à l’impression. Dans Aurore, je relis : « Que celui qui veut t
2881 i qui veut tuer son adversaire considère si ce ne serait pas là une façon de l’éterniser en soi-même. »   Le « cas Nietzsche »
2882 ser en soi-même. »   Le « cas Nietzsche » n’a pas été tranché par la folie. Et personne n’en a mieux formulé les données qu
2883 — ou bien Don Juan, ou bien le Tristan de la Foi. Était -ce vraiment la destinée de Nietzsche « d’échouer devant l’infini » ?
2884 ue les Don Juan de Molière, de Heiberg, de Byron, sont à cet égard loin de compte. 96. Ou bien… ou bien : « Les stades de
2885 as », discours de Johannes le Séducteur. Casanova serait beaucoup plus conforme au type donjuanesque selon Kierkegaard — sinon
2886 que du personnage de Casanova. Certes, Casanova n’ est pas impie, n’est pas démon, ne provoque ni Dieu ni les hommes. Il n’e
2887 de Casanova. Certes, Casanova n’est pas impie, n’ est pas démon, ne provoque ni Dieu ni les hommes. Il n’est pas révolution
2888 as démon, ne provoque ni Dieu ni les hommes. Il n’ est pas révolutionnaire, et n’est pas non plus grand seigneur. Il est tri
2889 ni les hommes. Il n’est pas révolutionnaire, et n’ est pas non plus grand seigneur. Il est tricheur, vulgaire, catholique à
2890 onnaire, et n’est pas non plus grand seigneur. Il est tricheur, vulgaire, catholique à bon compte mais pas athée, occultist
2891 ntiel. Mais quoi ! Don Juan n’a jamais existé, il est un mythe ; et la plus grande différence entre Casanova et le mythe, c
2892 eule lacune, presque incroyable : Kierkegaard n’y est pas même nommé), je trouve ces formules adroitement balancées : « Don
2893 mules adroitement balancées : « Don Juan et Faust sont des gémeaux mythiques… moitiés complémentaires d’un être double… Don
2894 s gémeaux mythiques… moitiés complémentaires d’un être double… Don Juan est intelligent, épris de clair savoir, il a une têt
2895 oitiés complémentaires d’un être double… Don Juan est intelligent, épris de clair savoir, il a une tête faustienne ; Faust
2896 de clair savoir, il a une tête faustienne ; Faust est voluptueux, désireux d’amour, il a des sens et un cœur donjuanesques…
2897 ur, il a des sens et un cœur donjuanesques… Faust est l’intelligence de Don Juan ; Don Juan est l’érotisme de Faust… Le rom
2898 … Faust est l’intelligence de Don Juan ; Don Juan est l’érotisme de Faust… Le romantisme conciliera que Don Juan et Faust c
2899 e, n° 503. 111. Généalogie de la morale, « Quel est le sens de tout idéal ascétique ? », 7. 112. La Naissance de la phi
51 1961, Preuves, articles (1951–1968). Dialectique des mythes : Le carrefour fabuleux (II) (mai 1961)
2900 ristan, telle que je l’ai formulée ailleurs, doit être ici rappelée en quelques phrases : Considérons le Don Juan du théâtr
2901 comme le reflet inversé de Tristan. Le contraste est d’abord dans l’allure extérieure des personnages, dans leur rythme. O
2902 e une seule femme. Mais c’est la multiplicité qui est pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se conce
2903 a multiplicité qui est pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se concentre le monde entier. Tristan n’
2904 nfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan est le démon de l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde,
2905 s en plus décevante et méprisable — quand Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravi
2906 taire au sens de la physique actuelle. Don Juan n’ est pas concevable sans Tristan, et sans lui n’eût pas vu le jour. Mais c
2907 i l’un des deux prétend faire valoir sa vertu, ce soit au prix de l’exclusion d’autant plus radicale de l’autre. (Pire qu’un
2908 ’autre. (Pire qu’un Don Juan, pire qu’un Tristan, seraient un Don Juan marié ou un Tristan coureur.) Enfin, pour la Psychologie,
2909 te, la pensée et l’affectivité d’un même individu sont dissociées, Don Juan peut régir telle d’entre elles, Tristan telle au
2910 uan ne remonte guère qu’à la Renaissance, et ne s’ est vraiment constituée qu’à la faveur du refoulement temporaire de la « 
2911 apparaître l’antithèse de Tristan. Si Don Juan n’ est pas, historiquement, une invention du xviiie , du moins ce siècle a-t
2912 la passion mortelle vers le milieu du xixe , s’il est d’abord le fait du romantisme, ne coïncide point par hasard avec l’es
2913 sard avec l’essor de la passion nationaliste, qui est sa transposition au niveau politique125. Mais le nomadisme de Don Jua
2914 eau politique125. Mais le nomadisme de Don Juan n’ est pas seulement cosmopolite et donc moderne. Les succès du héros, comme
2915 . Les succès du héros, comme ceux de Casanova, ne sont pas seulement le fait d’un charme individuel. Des coutumes ancestrale
2916 outumes ancestrales, oubliées depuis des siècles, sont subitement réactivées par sa qualité d’Étranger. À la question d’une
2917 femme qu’il veut séduire : « Ah ciel ! Homme, qui es -tu ? » le Don Juan de Tirso de Molina répond : « Qui je suis ? Un hom
2918 le Don Juan de Tirso de Molina répond : « Qui je suis  ? Un homme sans nom. » Cet homme sans nom, sans passé ni lendemain, c
2919 les religions antiques et primitives : celui qui est assez saint ou assez fort pour oser assumer les périls supposés de l’
2920 âme, perte de la mana. Ainsi le jus primae noctis serait plutôt une sorte de devoir littéralement « religieux » du seigneur. D
2921 e paysan Mazetto semble savoir un peu ce qu’il en est . En ce sens, uniquement, Don Juan procède d’un état de civilisation b
2922 me paraît encore plus évidente. L’amour-passion n’ est ressenti dans sa pureté animique que par la prime adolescence. Il est
2923 pureté animique que par la prime adolescence. Il est alors sentiment pur, douleur-joie pure, et ne sera plus jamais aussi
2924 est alors sentiment pur, douleur-joie pure, et ne sera plus jamais aussi nettement distinct de tout autre douleur ou joie. L
2925 u joie. Le sentiment qu’expriment les troubadours est typiquement adolescent, et comme indépendant du sexe. S’il réussit à
2926 dant du sexe. S’il réussit à se fixer sur un seul être , sans obstacles insurmontables, il conduit normalement au mariage, c’
2927 tique des plus complexes, dont les termes de base sont le sexuel, le social et le sentimental. Supposons que la synthèse des
2928 nt, et que la résultante de ce système d’échanges soit positive pour l’une et l’autre des personnes composant le couple. Une
2929 eut devenir plus ou moins stable, mais ne saurait être en aucun cas statique, au sens où la supposent la morale sociale et s
2930 iale et ses lois laïques ou religieuses. Car elle sera bientôt soumise à l’épreuve imprévue de la durée, qui modifie nécessa
2931 ive de chacun des trois termes, et cela chez deux êtres différents. (Calculez le nombre des combinaisons et des permutations
2932 combinaisons et des permutations possibles : ce n’ est pas ici mon sujet, mais celui d’un traité du mariage.) Si au contrair
2933 ire le sentiment, dans son essor vers le mariage, est arrêté par des obstacles insurmontables, qui sont généralement de nat
2934 est arrêté par des obstacles insurmontables, qui sont généralement de nature sociale : ou bien il s’exalte et les nie — ou
2935 s’emparent de lui. Dans les deux cas, le mariage est condamné : puisqu’il est la durée sociale, l’un des deux mythes pouss
2936 les deux cas, le mariage est condamné : puisqu’il est la durée sociale, l’un des deux mythes pousse à le dépasser, l’autre
2937 rencontres érotiques. De ce point de vue, Tristan serait un mari manqué pour avoir manqué le social et surcompensé cet échec p
2938 sé cet échec par la passion ; tandis que Don Juan serait un Tristan manqué, pour avoir reculé à la fois devant le social et le
2939 t le social et le sentimental126. Mais comme il n’ est guère de mariage qui parvienne à maintenir sans crise une synthèse da
2940 l’excès ou l’échec, la plupart des couples réels sont soumis dans leurs crises à l’action de l’un des deux. La morale et la
2941 isent au divorce ou à l’électrochoc, il demande à être écouté : non comme médecin psychiatre, non comme prêtre, et non comme
2942 ordonnatrice et dynamique qui pourrait aussi bien être la leur, exige une prise de conscience objective de leur véritable na
2943 ontogenèse —, c’est l’alternance des mythes qui est manifeste — leur interdépendance génétique et leur coexistence dialec
2944 me d’une alternative que le drame s’impose, qu’il est vécu, et que la morale formule ses exigences. Or, on ne saurait tranc
2945 s découvre essentiellement complémentaires. Ce ne serait plus alors d’un dilemme à trancher qu’il s’agirait, mais d’une tensio
2946 e vital… Sens final des deux mythes Quelles sont les fins de nos vies au-delà de survivre, travailler et gagner de l’a
2947 urvivre, travailler et gagner de l’argent, qui ne sont au vrai que des moyens ? Limitons-nous aux quatre que voici : la duré
2948 cherchera le drame et l’autre la surprise. Que ce soit par dépit devant leur impuissance à intégrer l’amour dans l’existence
2949 n, l’autre Don Juan. Don Juan nous chante qu’il n’ est heureux que dans l’instant, la nouveauté et le changement, et qu’il n
2950 de ses apologistes127, qui ajoute aussitôt : « Il est heureux jusque dans les échecs de sa chasse, puisque son plaisir est
2951 dans les échecs de sa chasse, puisque son plaisir est dans la chasse plus que dans la prise. » L’excitation de la chasse lu
2952 la chasse lui suffit donc, et l’on insiste : elle est même pour lui « l’essentiel ». Cet instinct « naturel au mâle » serai
2953 « l’essentiel ». Cet instinct « naturel au mâle » serait aussi un « instinct raisonnable ». (Saluons au passage cette nouveaut
2954 e plus raisonnable que de la cueillir aussi. » Il est vrai que Don Juan « raisonne » ainsi, en chacun de nous à ses heures.
2955 s à ses heures. C’est qu’il oublie qu’une femme n’ est pas une pomme. Et qu’elle en voudra mortellement à celui qui ne l’aur
2956 rtellement à celui qui ne l’aura pas « prise », s’ étant contenté de la « goûter ». Dona Anna poursuit Don Juan de sa haine, p
2957 part, le « divin » ramené à l’humain, et l’âme n’ étant plus confondue avec l’esprit ou la personne, le sens est clair : le r
2958 s confondue avec l’esprit ou la personne, le sens est clair : le refus de la durée, chez Don Juan, équivaut au refus de la
2959 t au moins, et l’on n’en finit pas si vite ! Il n’ est que juste d’observer d’ailleurs que le Don Juan mangeur de pommes qu’
2960 peu court. Il n’accédera jamais à l’érotisme, qui est dépassement de l’instinct et des faims animales. Il n’intéresse pas p
2961 r l’esprit. Il nous rappelle aussi que la durée n’ est pas seulement la réalité du couple, mais celle de l’objet désiré. La
2962 l veut échapper à la souffrance, et la souffrance est liée au temps et à l’espace, qui modifient, distinguent et séparent —
2963 ut l’éternité, veut la profonde éternité ». Telle est la forme de son évasion, de son refus de la durée incarnée. Il veut p
2964 sure de répondre. Si notre incarnation présente n’ est que souffrance et illusion — souffrance à cause de l’illusion, dit le
2965 st Tristan qui a raison contre le mariage. S’il n’ est pas d’autre vie ni d’autre réalité qu’historique, matérielle et biolo
2966 ’historique, matérielle et biologique, le mariage est un devoir civique, et Don Juan serait alors la liberté, un reflet inv
2967 ue, le mariage est un devoir civique, et Don Juan serait alors la liberté, un reflet inversé de l’esprit que l’on nie. On peut
2968 que l’on nie. On peut aussi penser que le mariage est « la plénitude du temps » comme le dit le Mari de Kierkegaard, la syn
2969 rnité. Celui qui a résolu ce problème dans sa vie est seul en mesure de condamner Don Juan et Tristan à la fois ; mais il n
2970 sion : l’argument du bonheur sert à tous. Et ce n’ est pas une raison pour qu’il soit faux. Il n’en fait pas moins ricaner c
2971 ert à tous. Et ce n’est pas une raison pour qu’il soit faux. Il n’en fait pas moins ricaner ceux que l’ennui, la satiété, la
2972 ou la vulgarité d’esprit et d’âme — ces deux cas sont les plus généraux — empêchent de jouer un rôle « heureux » dans le ma
2973 éussi, d’éprouver à l’endroit des deux autres : j’ étais né pour ceci ou pour cela (le contraire de ce que je suis en train de
2974 pour ceci ou pour cela (le contraire de ce que je suis en train de vivre), j’ai toujours rêvé de…, si je pouvais refaire ma
2975 pouvais refaire ma vie… Mais rêver d’autre chose est normal. Une certaine dualité est normale, dans la mesure où elle ne f
2976 er d’autre chose est normal. Une certaine dualité est normale, dans la mesure où elle ne fait que traduire la formule même
2977 ue, biologique et physique. En effet, nulle vie n’ est concevable hors de la tension permanente, voire de la lutte (latente
2978 is également à l’œuvre dans le cytoplasme, où ils sont les agents d’induction de la synthèse des protéines. Tant que les deu
2979 n de la synthèse des protéines. Tant que les deux sont à l’œuvre, la cellule fonctionne bien, son régime d’échanges et de sy
2980 ionne bien, son régime d’échanges et de synthèses est créateur : on pourrait dire qu’elle est « heureuse ». Mais voici qu’u
2981 synthèses est créateur : on pourrait dire qu’elle est « heureuse ». Mais voici qu’un virus y pénètre : elle le digère, le d
2982 le le digère, le désintègre et l’assimile, — il n’ est plus là, matériellement. Et puis, quelques minutes ou quelques heures
2983 dans le programme d’activité dont ses chromosomes sont porteurs) qui se met à fabriquer le virus disparu — jusqu’à ce qu’ell
2984 la contagion dans un organe. Mais après tout, qu’ est -ce qu’un virus ? Voilà le point. Un virus est un composé de substance
2985 qu’est-ce qu’un virus ? Voilà le point. Un virus est un composé de substances analogues à celles de la cellule, sauf en ce
2986 n couple, cette « cellule sociale » : son bonheur sera conditionné par la présence des deux tendances antagonistes, et sa du
2987 ence des deux tendances antagonistes, et sa durée sera le produit des synthèses qu’elles induisent en permanence. Qu’un seul
2988 nt du couple. Si au contraire l’âme résiste, elle sera désormais immunisée. Ou bien encore, l’effet nocif du mythe est simpl
2989 immunisée. Ou bien encore, l’effet nocif du mythe est simplement mis en latence, mais demeure susceptible de ressusciter so
2990 n s’en doute, la nature en soi de nos mythes, qui sont phénomènes de l’âme. Mais elle nous aide à mieux imaginer le processu
2991 ô éternité ! ») Une certaine dialectique formelle étant commune à tous les phénomènes qui relèvent de la vie en général, pour
2992 ssi d’une manière formellement analogue, quel que soit le niveau de la « vie » considéré ? Je ne citerai — et en passant — q
2993 lectique à la « vie » politique. Le totalitarisme est caractérisé par sa prétention unitaire et son refus de composer avec
2994 i le distingue de tout autre régime — quelles que soient ses ressemblances avec plusieurs d’entre eux — c’est, d’une manière p
2995 isse vous paraître, je crois que le totalitarisme est un virus, et si vous l’attrapez, vous n’y pourrez plus rien. » Je ne
2996 ’orchestre multiplie les appels au plaisir. (Nous sommes maintenant dans le palais.) Brusquement tout s’arrête à l’entrée du T
2997 ette liberté seule nous intéresse ; les autres ne sont guère que revendications déterminées dans l’homme par son « emploi »
2998 c pas de liberté ? Ou bien la seule vraie liberté serait -elle dans le défi du Libertin à tout ce que le commun des hommes tien
2999 mbole, le principe essentiel dont la connaissance était réservée aux esprits supérieurs, seuls dépositaires de cet ultime sec
3000 seuls dépositaires de cet ultime secret : Rien n’ est vrai, tout est permis. C’était là de la vraie liberté d’esprit, une p
3001 ires de cet ultime secret : Rien n’est vrai, tout est permis. C’était là de la vraie liberté d’esprit, une parole qui metta
3002 loin, on ne peut aller plus haut — mais peut-être est -ce aller trop haut — dans la défense et dans l’illustration du libert
3003 rit, contre la liberté chrétienne d’une part, qui est obéissance au Révélé, et d’autre part contre l’ascèse scientifique, q
3004 et d’autre part contre l’ascèse scientifique, qui est elle aussi, à sa manière, une foi dans le vrai objectif, une obéissan
3005 a liberté que Nietzsche veut aimer cessera vite d’ être désirable quand il aura tué la vérité elle-même : pas de « vraie » li
3006 e « petit faitalisme » scientifique — le « Rien n’ est vrai, tout est permis » est une connaissance réservée, un savoir reli
3007 lisme » scientifique — le « Rien n’est vrai, tout est permis » est une connaissance réservée, un savoir religieux et un sym
3008 tifique — le « Rien n’est vrai, tout est permis » est une connaissance réservée, un savoir religieux et un symbole mystique
3009 n savoir religieux et un symbole mystique. « Tout est permis », déclare saint Paul. « Aime et fais ce que tu veux », dit Au
3010 de l’islam après eux. Cette connaissance ne peut être obtenue par un défi à la morale courante, ni même par une révolte con
3011 ntre la Loi, à laquelle tous les vrais spirituels sont « morts… de sorte qu’ils servent dans un esprit nouveau, non selon la
3012 ttre. »131. Cette liberté seule « vraie » ne peut être le terme d’aucune espèce de revendication, nécessairement tournée ver
3013 , vers les vérités constituées : car celles-ci ne sont pas « vraies » (si elles sont souvent utiles), et leur renversement n
3014  : car celles-ci ne sont pas « vraies » (si elles sont souvent utiles), et leur renversement ne suffirait pas à révéler la V
3015 liberté suppose donc une libération. Libération est la voie de Tristan. Sa passion veut aimer sans limites, au-delà des f
3016 el où l’amant et l’aimée se confondent en un seul être , dans le règne sans fin de l’Amour sans réveil. Là, rien n’est plus n
3017 règne sans fin de l’Amour sans réveil. Là, rien n’ est plus ni vrai ni faux, ni tien ni mien, ni séparé ni interdit, dans l’
3018 Inconscient — Joie suprême !132 Mais si le moi est dépassé, qui est libre ? Et qui peut encore aimer qui ? C’est dans l’
3019 e suprême !132 Mais si le moi est dépassé, qui est libre ? Et qui peut encore aimer qui ? C’est dans l’énigme jamais rés
3020 de ce nirvana romantique (où le Souffle du Monde est encore une « tourmente » !) que nous laissent les dernières mesures d
3021 an, si le dernier obstacle qui nourrit sa passion est dans le moi distinct, et si ce moi doit s’abîmer dans l’inconscient t
3022 chain. Don Juan et Tristan, symboles de l’âme, ne sont en fait que deux manières d’aimer sans aimer le prochain. N’étant pas
3023 e deux manières d’aimer sans aimer le prochain. N’ étant pas des personnes, mais des puissances, ils ne sauraient s’aimer eux-
3024 ances, ils ne sauraient s’aimer eux-mêmes, ce qui est la condition de l’amour d’un autre, et donc de tout amour réel : car
3025 ne sait plus où se prendre. Tout amour véritable est relation réciproque. Cette relation s’établit tout d’abord à l’intéri
3026 térieur de chaque personne, entre l’individu, qui est l’objet naturel, et la vocation qu’il reçoit, sujet nouveau, — et tel
3027 la vocation qu’il reçoit, sujet nouveau, — et tel est l’amour de soi-même. Elle s’établit ensuite à l’intérieur du couple,
3028 n entre le couple et la communauté humaine. Telle est la plénitude de l’amour — et sa rareté merveilleuse ! Mais nos arts d
3029 aucune carte n’indique, une conclusion que l’on n’ était pas sans pressentir dévoile enfin son visage ambigu. Les deux mythes
3030 prestigieux de l’amour que l’on rêve en Occident sont en réalité deux négations de l’amour vrai dans le mariage, bien qu’il
3031 s de l’amour vrai dans le mariage, bien qu’ils en soient inséparables : ils sont nés de lui, contre lui, et ne pourraient se p
3032 mariage, bien qu’ils en soient inséparables : ils sont nés de lui, contre lui, et ne pourraient se perpétuer sans lui. Mais
3033 le, ou devenue telle dans notre évolution. Ils ne sont pas seulement nos tentations majeures, mais des signes chargés de sen
3034 pagner dans l’ombre, et nous savons que le moment est venu de virer de cap, ou bien d’affronter la tempête et les orages dé
3035 l’amour, sitôt qu’il se ramène en soi, cessant d’ être un échange vivant. Enfin tous les deux ont raison contre nos morales
3036 ion, personne, et la vie même. Mais sans eux, que seraient nos amours ? 123. L’Amour et l’Occident . 124. L’Amour et l’O
3037 e du type donjuanesque. Mais le général de Gaulle est tristanien dans son nationalisme altier. Son Iseut, c’est la France —
3038 ionalisme altier. Son Iseut, c’est la France — il est bien près de le dire en plus d’une page de ses Mémoires, et pas seule
3039 ée à une destinée éminente et exceptionnelle », —  fût -ce à « des malheurs exemplaires ». Il l’a longtemps aimée de loin, da
3040 œuré par l’intrigue des barons félons. Certes, il est revenu à son appel. Mais la vraie passion tristanienne se nourrit de
3041 nt faire défaut. Entre la France et lui, quand il était le plus fort — Tristan plus fort que le roi Marc —, n’a-t-il pas dépo
3042 vit de façon plus frivole, plus insolente, que l’ être sans idéal », observe Nietzsche. (Par-delà… n° 133.) 127. Henry de M
3043 a Anna, si elle déclare sa haine pour Don Juan, n’ est pas pressée d’épouser Don Ottavio… 129. Mon Journal d’Allemagne n
3044 les derniers vers du livret de Tristan, tel qu’il est chanté : Nietzsche, dans l’Origine de la tragédie, citait le texte du
52 1961, Preuves, articles (1951–1968). Pour Berlin (septembre 1961)
3045 de paix avec le régime de Pankow, qui n’a jamais été en guerre avec les Russes et qui n’existe que par eux. Les motifs pol
3046 fs politiques qui animent M. Khrouchtchev doivent être à ses yeux bien puissants pour justifier le risque qu’il encourt en e
3047 aisons, ni celles que lui oppose l’Occident. Nous sommes en présence d’un fait qui dépasse les calculs politiques et met en je
3048 aix qu’il exige permettrait d’étouffer Berlin. Il est juste d’ajouter que Berlin recevrait le titre de « ville libre » en é
3049 e redevenir des citoyens. Nous demandons que leur soient reconnus les droits que définit l’article 13 de la Déclaration des dr
3050 omme proclamée par les Nations unies, dont l’URSS est membre : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris
3051 t, qu’il y a un problème de Berlin et que la paix est ébranlée. Nous demandons à M. Khrouchtchev d’appliquer les principes
3052 s libre. Priver un peuple entier de tout espoir n’ est pas « consolider la paix ». Nous demandons à M. Khrouchtchev de ne pa
3053 e du peuple allemand, à laquelle ses voisins de l’ Est sont vitalement intéressés. Ce serait la fin de la peur mutuelle qui
3054 peuple allemand, à laquelle ses voisins de l’Est sont vitalement intéressés. Ce serait la fin de la peur mutuelle qui nourr
3055 s voisins de l’Est sont vitalement intéressés. Ce serait la fin de la peur mutuelle qui nourrit la guerre froide, dans les deu
53 1963, Preuves, articles (1951–1968). Le mur de Berlin vu par Esprit (février 1963)
3056 t (février 1963)bg On ne sait pas toujours qui sont ceux que l’on lit dans les revues françaises, qui, très généralement,
3057 , on ne rencontrait que des personnes qui avaient été « présentées », et que tout le monde était censé connaître. Les coutu
3058 avaient été « présentées », et que tout le monde était censé connaître. Les coutumes de Versailles ont laissé bien des trace
3059 re de Paris.) Pourquoi ne pas dire au lecteur qui sont les gens que l’on publie ? Quelques lignes en fin de numéro, comme ce
3060 curieux esprit ? À l’en croire, le mur de Berlin est l’œuvre des Allemands de l’Ouest, qui l’ont bâti pour abriter leur bo
3061 ant, il le bâtissait déjà. » Cependant, « s’il en fut l’un des plus infatigables édificateurs, il ne fut pas seul : des mil
3062 ut l’un des plus infatigables édificateurs, il ne fut pas seul : des milliers d’Allemands (de l’Ouest) arborèrent son insig
3063 e nationale ». L’Allemagne de l’Est, jusqu’ici, n’ est donc pas pour une brique dans ce mur. Mais quels furent les motifs de
3064 donc pas pour une brique dans ce mur. Mais quels furent les motifs de l’Ouest ? « On avait besoin de ne pas connaître l’autre
3065 nds de l’Ouest contre les réalités tentantes de l’ Est qu’Axel Springer a créé son mur à coups d’insignes. S’il est vrai que
3066 Springer a créé son mur à coups d’insignes. S’il est vrai que ce mur, aujourd’hui, « est gardé d’un côté par des sentinell
3067 nsignes. S’il est vrai que ce mur, aujourd’hui, «  est gardé d’un côté par des sentinelles est-allemandes armées et casquées
3068 ntinelles est-allemandes armées et casquées, il l’ est avec non moins de vigilance par la bonne conscience de toute une soci
3069 u théâtre révolutionnaire en Allemagne ». (Rien n’ est plus faux : la République fédérale joue Brecht autant qu’on le joue à
3070 le joue Brecht autant qu’on le joue à Paris, ce n’ est pas peu dire.) Donc, premier point du raisonnement : ce n’est pas l’E
3071 dire.) Donc, premier point du raisonnement : ce n’ est pas l’Est qui a fait le mur, c’est l’Ouest — pour empêcher qu’on joue
3072 c, premier point du raisonnement : ce n’est pas l’ Est qui a fait le mur, c’est l’Ouest — pour empêcher qu’on joue du Brecht
3073 st — pour empêcher qu’on joue du Brecht. 2°) Si l’ Est a fait le mur, il avait bien raison. C’était pour lui « une nécessité
3074 ncre ». (Convaincre de quoi ? On l’ignore.) « À l’ Est , la curiosité et la hardiesse étaient plus grandes, surtout parmi les
3075 ’ignore.) « À l’Est, la curiosité et la hardiesse étaient plus grandes, surtout parmi les jeunes… » Ainsi, victimes de leurs ve
3076 portion » de ces hardis fugitifs retournaient à l’ Est , ayant pris conscience d’« une profonde solidarité avec le régime qu’
3077 ime qu’ils avaient fui ». (Mais si c’est vrai, où est la « nécessité vitale » du mur ?) 3°) L’Est doit être indemnisé pour
3078 i, où est la « nécessité vitale » du mur ?) 3°) L’ Est doit être indemnisé pour avoir construit le mur. En effet, l’Ouest, e
3079 la « nécessité vitale » du mur ?) 3°) L’Est doit être indemnisé pour avoir construit le mur. En effet, l’Ouest, en prometta
3080 struction publique ». L’auteur en conclut qu’« il est évident que l’Ouest doit à la RDA un dédommagement ». (Combien l’URSS
3081 a source, si le proverbe : is fecit cui prodest n’ était trop souvent démenti par la sottise de ceux qui croient servir une ca
3082 e : « Ils ont construit un mur à Berlin, ce mur n’ est rien. Seul compte celui qui se trouve dans le cœur des Allemands de l
3083 a écrit Les Réprouvés et Le Questionnaire, et il fut l’un des assassins de Rathenau, le grand Allemand d’après la Première
3084 des Prussiens que les défauts… L’Allemagne sans l’ Est n’est pas l’Allemagne. » C’est en effet une Allemagne sans Prusse. Et
3085 ussiens que les défauts… L’Allemagne sans l’Est n’ est pas l’Allemagne. » C’est en effet une Allemagne sans Prusse. Et une p
3086 sans Prusse. Et une partie de la Prusse ancienne est devenue polonaise, comme on sait. Ainsi, MM. Dehem et von Salomon son
3087 e, comme on sait. Ainsi, MM. Dehem et von Salomon sont d’accord pour juger que le mur, en tant qu’il leur semble néfaste, es
3088 er que le mur, en tant qu’il leur semble néfaste, est le fait des Allemands de l’Ouest. Le procédé n’est pas nouveau. Il co
3089 st le fait des Allemands de l’Ouest. Le procédé n’ est pas nouveau. Il consiste à poser en principe et d’une manière systéma
3090 nière systématique que toute erreur ou crime de l’ Est incrimine l’Ouest, et lui seul. Mauvaise foi ou masochisme ? L’un por
54 1963, Preuves, articles (1951–1968). Une journée des dupes et un nouveau départ (mars 1963)
3091 demain du 29 janvier, les réactions suivantes ont été enregistrées. Tous les Anglais ont honni la France parce qu’elle leur
3092 de sacrifier les buts proprement politiques, qui étaient la cause finale du Marché commun dans l’esprit de ses promoteurs. Tou
3093 ’esprit de ses promoteurs. Tous les gaullistes se sont posés en défenseurs du traité de Rome, qui exclut leur « Europe des p
3094 te la presse, et par cette opinion publique qui n’ est rien d’autre que ce qu’en dit la presse sans tenir compte des sondage
3095 t à Bruxelles. L’une voulait que le Marché commun soit l’amorce d’une union politique, condition d’une autonomie de l’Europe
3096 publique occidentale, s’imaginait que la première était celle de M. Spaak et des Communautés ; et que la seconde était celle
3097 e M. Spaak et des Communautés ; et que la seconde était celle des adversaires de l’Europe des Six, des mondialistes et des ne
3098 en intention, à sacrifier le traité de Rome (qui fut son œuvre) en tant que proprement européen. Les raisons subjectives,
3099 e de conjectures, les choix concrets et objectifs sont évidents. C’est là-dessus qu’il faut insister. La victoire des Anglai
3100 t de le voir, l’abandon de l’union politique, qui est supranationale ou n’est rien. Le veto brutal de la France implique au
3101 de l’union politique, qui est supranationale ou n’ est rien. Le veto brutal de la France implique au contraire une relance d
3102 Spaak, personne n’a proposé un plan d’union tant soit peu imaginatif, voire sérieux. Ni Monnet, ni Churchill, ni Erhard, ni
3103 t de Gaulle qui devrait jouer maintenant. Mais il serait excessif de dire qu’il a bien disposé les esprits, hors de France, à
3104 mon foyer, non que je le quitte… Pour ma part, je suis déjà fédéré. » Il serait fou de douter un seul instant que l’Angleter
3105 e quitte… Pour ma part, je suis déjà fédéré. » Il serait fou de douter un seul instant que l’Angleterre humaine, sensible, int
3106 e, la Pologne, l’Espagne, ou la Suisse. Mais nous sommes tous aux prises avec la politique de nos États, de leurs pouvoirs. Da
3107 g-Hall écrit en toute candeur : « Malgré tout, je suis favorable à l’entrée dans le Marché commun, pour des raisons économiq
3108 ire plus clairement que l’intérêt de l’Angleterre serait d’exciter toute mésentente possible entre les Six. De Gaulle aura rai
3109 pposants en novembre 1962. 134. Cette expression est de Michel Debré, lequel m’écrivait en 1953 que les Six ne seraient —
3110 l Debré, lequel m’écrivait en 1953 que les Six ne seraient — s’ils existaient jamais, ce dont il doutait — qu’une trahison de la
55 1964, Preuves, articles (1951–1968). Un district fédéral pour l’Europe (août 1964)
3111 peuples. Parler de monde uni, d’humanité, que ce soit pour ou contre l’Occident d’ailleurs, c’est parler un langage europée
3112 re, et les plus grandes — en termes d’autrefois — sont petites au regard des empires neufs. Toute la question se ramène alor
3113 n les Européens vont choisir. Trois formules leur sont proposées, et sont en principe concevables. a) L’Europe des États (fa
3114 t choisir. Trois formules leur sont proposées, et sont en principe concevables. a) L’Europe des États (faussement dite des p
3115 sé, c’est en retard sur les réalités (car les Six sont déjà bien au-delà), et c’est absolument inadéquat aux exigences recon
3116 des nations dites « souveraines », mais qui ne le sont plus qu’au niveau des discours, cette Europe minima ne saurait être q
3117 veau des discours, cette Europe minima ne saurait être qu’une forme de transition tactique vers une union plus sérieuse et c
3118 les diversités de l’Europe, voilà qui ne saurait être réalisé que par l’union de type fédéraliste. L’exemple de la Suisse d
3119 ouhaite. Et personne en Europe ne la propose : il est trop clair que cette formule totalitaire mais sans doctrine millénari
3120 ble. Unir dix-neuf États à l’Ouest (plus sept à l’ Est un jour ou l’autre) en un corps politique assez puissant pour sauvega
3121 cantons souverains. La différence des superficies était certes importante au temps des diligences. Tout a changé avec l’avion
3122 ale, alors qu’un député de Stockholm ou d’Athènes est à quelques heures de Strasbourg, et encore plus près de Bruxelles. Pr
3123 e Bruxelles. Pratiquement, l’Europe d’aujourd’hui est plus petite que n’était la Suisse à l’époque où elle s’est fédérée. E
3124 ent, l’Europe d’aujourd’hui est plus petite que n’ était la Suisse à l’époque où elle s’est fédérée. Et les disparités de cout
3125 petite que n’était la Suisse à l’époque où elle s’ est fédérée. Et les disparités de coutumes ou de richesse, de langue, de
3126 se, de langue, de confession, voire de régime, ne sont guère plus marquées ou plus frappantes entre les États de l’Europe qu
3127 ppantes entre les États de l’Europe qu’elles ne l’ étaient entre les cantons suisses avant 1848 ; à tout le moins ne sont-elles
3128 s cantons suisses avant 1848 ; à tout le moins ne sont -elles pas d’une autre essence. Si l’on admet que l’anarchie des souve
3129 qu’en revanche les diversités réelles ne peuvent être nivelées par décrets, on cherche en vain quelle solution a la moindre
3130 e la Suisse… On s’écrie aussitôt qu’il ne saurait être question d’imiter ce modèle, ridiculement réduit, à l’échelle des glo
3131 riels, mais elle nous perdrait tous tant que nous sommes dans l’espace d’une génération. Une Europe unitaire, c’est finis helv
3132 devant le projet d’union de l’Europe La Suisse est née de l’Europe et en détient le secret. Formée du xive au xvie siè
3133 ’Empire d’Occident, l’union sans unification, qui est l’idée fédéraliste. Entre-temps, les nations se constituent, se multi
3134 leur souveraineté par de glorieux massacres, qui sont le principal de l’histoire qu’elles enseignent à partir du xixe sièc
3135 ue136. L’Europe unie qu’il appelle de ses vœux ne serait nullement unifiée par un despote ou par une idéologie : elle devrait
3136 ar un despote ou par une idéologie : elle devrait être une Europe des cités, formée de très petits États « où tous les citoy
3137 préconise, et son modèle, en dernière analyse, n’ est rien d’autre que la cité de Genève ! Un peu plus tard, le Schaffhouso
3138 urs divisions persistent, l’avenir appartiendra «  soit à la Russie, soit à l’Amérique ». Germaine de Staël est Suisse dans l
3139 istent, l’avenir appartiendra « soit à la Russie, soit à l’Amérique ». Germaine de Staël est Suisse dans la mesure où elle o
3140 la Russie, soit à l’Amérique ». Germaine de Staël est Suisse dans la mesure où elle ouvre des perspectives européennes, soi
3141 esure où elle ouvre des perspectives européennes, soit par son action personnelle à Coppet, où les meilleurs esprits de nos
3142 sprits de nos diverses nations se lient d’amitié, soit par des livres comme De l’Allemagne, qui rétablissent la circulation
3143 acobins et le Premier Empire. Benjamin Constant n’ est pas seulement l’auteur de L’Esprit de conquête, pamphlet classique co
3144 e fédération européenne137 que signe — hélas ! il est trop tard ! — Napoléon. Et son fédéralisme préfigure le régime qui va
3145 mpériale de l’union dans la diversité. Proudhon s’ est peut-être souvenu de son passage à Neuchâtel (où il fut un temps typo
3146 ut-être souvenu de son passage à Neuchâtel (où il fut un temps typographe) en écrivant son grand livre, Du principe fédérat
3147 son grand livre, Du principe fédératif ; mais il est bien certain qu’un de ses contemporains J. C. Bluntschli, célèbre pro
3148 C. Bluntschli, célèbre professeur à Heidelberg, s’ est inspiré directement de l’expérience suisse en rédigeant son projet d’
3149 s la création du Conseil de l’Europe. L’impulsion est donnée, l’opinion se réveille, les hommes d’État le sentent, et le re
3150 s d’outre-mer, etc. La première chaire européenne est créée en 1957 par l’Université de Lausanne. Une nouvelle conférence e
3151 idéale, réputée « microcosme de l’Europe », et ce sont quelques Suisses entreprenants qui l’ont permis. Qu’a fait, pendant c
3152 reconnaître que nos autorités et notre presse ont été dans l’ensemble pour le moins réservées, et que notre peuple l’est sa
3153 le pour le moins réservées, et que notre peuple l’ est sans doute plus encore, s’agissant du projet européen. Le scepticisme
3154 n appelait à l’époque la CECA : 1°) que ce pool n’ était pas réalisable ; 2°) qu’il serait néfaste pour la Suisse, à cause de
3155 °) que ce pool n’était pas réalisable ; 2°) qu’il serait néfaste pour la Suisse, à cause de ses incidences sur nos transports.
3156 yeux du reste de l’Europe. Notre entrée à l’OECE fut accueillie avec méfiance par la presse moyenne de la Suisse allemande
3157 arrivée tardive au Conseil de l’Europe n’a jamais été justifiée — comme disaient mes instituteurs. Qu’en est-il de la secon
3158 ustifiée — comme disaient mes instituteurs. Qu’en est -il de la seconde objection que je citais : « Si cela se fait par impo
3159 je citais : « Si cela se fait par impossible, ce sera néfaste pour la Suisse » ? Quatre groupes d’arguments sont invoqués p
3160 ste pour la Suisse » ? Quatre groupes d’arguments sont invoqués par les partisans de l’abstention. Je vais les résumer et y
3161 Confédération139 ». Adhérer à l’union européenne serait contraire à cette neutralité. La Suisse recevrait des ordres d’un pou
3162 evrait des ordres d’un pouvoir extérieur, et c’en serait fait du rôle particulier qu’elle se réserve d’invoquer plus souvent e
3163 d’Algérie, permettant les accords d’Évian). Il n’ est donc pas question que la Suisse prenne la moindre initiative visant à
3164 u monde actuel. Réponse : La neutralité suisse a été garantie « dans les intérêts de l’Europe entière ». Or c’est l’union
3165 érêts de l’Europe entière ». Or c’est l’union qui est aujourd’hui dans l’intérêt de tous les peuples de l’Europe. Si la neu
3166 de l’accès du Saint-Gothard, sous prétexte qu’ils étaient chargés de le garder. La neutralité suisse n’est pas un dogme. Elle n
3167 ient chargés de le garder. La neutralité suisse n’ est pas un dogme. Elle n’a jamais été qu’un moyen politique mis au servic
3168 ralité suisse n’est pas un dogme. Elle n’a jamais été qu’un moyen politique mis au service de notre indépendance ; elle n’e
3169 que mis au service de notre indépendance ; elle n’ est pas affirmée par la Constitution ; « elle ne fait pas partie de l’ess
3170 t politique » — pour rester neutres à tout prix — serait « illusoire140 ». « La situation internationale actuelle, économique,
3171 réalité de notre neutralité141. » Cette dernière est devenue en partie factice. La Suisse doit donc tendre à participer « 
3172 ndre. À quoi l’on pourrait ajouter : 1°) que s’il est vrai que notre neutralité a permis les interventions de la Croix-Roug
3173 a guerre d’Algérie, l’existence d’une Europe unie serait peut-être capable de prévenir ces crises, et à coup sûr diminuerait t
3174 en s’absolutisant jusqu’à devenir tabou — traître est celui qui ose la discuter — a changé de nature et de finalité. Sortie
3175 é. Sortie de l’Histoire, en quelque sorte, elle n’ est plus du tout celle que les puissances garantirent en 1815, elle a per
3176 t rester neutre entre l’Europe et ses ennemis, ce serait vouloir rester neutre entre nos ennemis et nous-mêmes. Neutres entre
3177 uelles considérations philanthropiques pourraient être opposées sincèrement à cette thèse de simple bon sens. Arguments con
3178 it à une union supranationale, le pouvoir fédéral serait amené à promulguer des décisions qui sont actuellement du ressort des
3179 déral serait amené à promulguer des décisions qui sont actuellement du ressort des cantons. Le droit d’établissement, la lég
3180 fiscal, pour ne citer que ces exemples, devraient être uniformisés selon des directives européennes. Ce serait contraire à l
3181 uniformisés selon des directives européennes. Ce serait contraire à la Constitution, et ce serait même la fin de notre fédéra
3182 nes. Ce serait contraire à la Constitution, et ce serait même la fin de notre fédéralisme, n’hésitent pas à déclarer de nombre
3183 vantages, bancaires notamment, et son agriculture serait gravement menacée. L’adhésion au Marché commun ne serait donc pas pay
3184 gravement menacée. L’adhésion au Marché commun ne serait donc pas payante. Réponse : La Suisse est située au cœur du Marché c
3185 ne serait donc pas payante. Réponse : La Suisse est située au cœur du Marché commun. Ce n’est évidemment pas avec le rest
3186 Suisse est située au cœur du Marché commun. Ce n’ est évidemment pas avec le reste du monde (sans cesse invoqué par les abs
3187 le plus, mais avec les Six. Les chiffres globaux sont connus. En mai 1963, par exemple, nos importations proviennent pour 6
3188 exportations, les deux tiers vont à l’Europe. Il est vrai que notre balance commerciale reste déficitaire avec l’Europe (d
3189 e avec l’Europe (de 447 millions), tandis qu’elle est bénéficiaire (de 51 millions) avec l’outre-mer. Mais il faut avouer q
3190 ’ailleurs notre participation à l’AELE. La Suisse est si peu indépendante de l’Europe que l’immigration de main-d’œuvre eur
3191 se farà da se et saura bien se défendre ? Nous ne sommes plus au défilé de Morgarten. Ce n’est pas avec des longues piques, de
3192 Nous ne sommes plus au défilé de Morgarten. Ce n’ est pas avec des longues piques, des crampons de fer aux pieds et une rés
3193 strie et le commerce (dite Vorort). Réponse : Il est clair qu’une Europe « une et indivisible » serait une catastrophe pou
3194 Il est clair qu’une Europe « une et indivisible » serait une catastrophe pour la Suisse. Mais personne ne la préconise en réal
3195 sse. Mais personne ne la préconise en réalité. Il est clair en revanche qu’une Europe fédérée, respectueuse de ses diversit
3196 tendre en conserver les bénéfices pour nous seuls serait le plus sûr moyen de les perdre. Il n’est pas vrai, d’ailleurs, que l
3197 euls serait le plus sûr moyen de les perdre. Il n’ est pas vrai, d’ailleurs, que l’union de l’Europe menace d’effacer nos ca
3198 pas effacé nos caractéristiques cantonales. Et il est pour le moins bizarre qu’un porte-parole des industriels suisses accu
3199 iens, Allemands, Espagnols, Grecs et Turcs). Ce n’ est pas le Marché commun qui les amène. C’est l’expansion de l’industrie
3200 uelle l’auteur de la déclaration que j’ai citée n’ est pas tout à fait étranger. S’il croit vraiment que le mélange des peup
3201 r. S’il croit vraiment que le mélange des peuples est un danger majeur pour son pays, il n’a pas le droit d’en conclure qu’
3202 se, cause directe du « mal » en question, si c’en est un. Mais il y a plus. Les traits typiques de ce pays ont changé avec
3203 out par l’effet de la technique, laquelle n’a pas été créée par le mouvement d’union européenne. De nos jours encore, à l’é
3204 En fait, cette « caractéristique nationale » n’en est plus une depuis longtemps. Vers 1900 déjà, les Suisses vivant de l’ag
3205 fficile pour les habitants de nos grandes villes, soit définitivement interrompu pour ceux de la Mégalopolis qui menace de c
3206 etour à la misère naturelle du pays ?) Bref, ce n’ est pas la Suisse de Morgarten, de Marignan ou du xviiie siècle, ni même
3207 e prétexte d’une indépendance dont notre peuple n’ est pas disposé plus qu’un autre à payer le prix exorbitant. Autofrein
3208 xorbitant. Autofreinage du fédéralisme Tels étant les termes du débat que l’idée européenne suscite en Suisse, il faut
3209 ls savent qu’ils n’ont aucune espèce de chances d’ être écoutés s’ils proposent de renoncer à la neutralité : c’est devenu, d
3210 ieux ainsi. Mais notre peuple comprend mal ce qui est en jeu. Je ne suis d’accord, pour ma part, ni avec ceux qui refusent
3211 otre peuple comprend mal ce qui est en jeu. Je ne suis d’accord, pour ma part, ni avec ceux qui refusent l’Europe en prétext
3212 e neutralité. Mon idéal très clair — mon utopie — est que la Suisse adhère un jour à une union européenne de type expressém
3213 , et non pas seulement à sauver ; ce que l’Europe est en droit d’attendre d’une Suisse qui fait partie de sa communauté et
3214 Suisse qui fait partie de sa communauté et qui en est largement bénéficiaire, et pas seulement ce que nous redoutons de l’a
3215 la préconise pas, qui le fera ? Notre fédéralisme est peu connu, ou très mal connu hors de Suisse ; notre neutralité n’y es
3216 s mal connu hors de Suisse ; notre neutralité n’y est que trop connue. Pourquoi parler toujours de cette vertu qui ennuie,
3217 mondiale ? Pourquoi cette timidité ? L’histoire n’ est pas faite par des gens qui défendent leur position, mais bien par ceu
3218 que les Européens peuvent attendre de nous, ce n’ est pas l’exposé lassant des raisons de notre réserve devant tout ce que
3219 ération se refuse avec vigilance, non parce qu’il est mauvais, mais au contraire parce qu’il s’en tient scrupuleusement à l
3220 s débats sur la politique générale risqueraient d’ être stériles… Le gouvernement demande à être jugé sur ses actes, non sur
3221 raient d’être stériles… Le gouvernement demande à être jugé sur ses actes, non sur ses intentions. » (Ce qui revient à justi
3222 ur l’année ou les années à venir. Cette procédure serait de nature à affaiblir la situation du gouvernement aux yeux du parlem
3223 ovidentia dei Helvetia regitur 143. » Cet exemple est révélateur d’une situation étrangement contradictoire. Notre système
3224 tuation étrangement contradictoire. Notre système est foncièrement hostile à ce que l’on nomme ailleurs la politique. Mais
3225 politique. Mais cette vertu fédéraliste se trouve être aujourd’hui le frein automatique à toute initiative capable de sauver
3226 es régimes totalitaires, tendant vers l’uniforme, sont dans cette mesure régressifs. En revanche, pour la complexité, la Sui
3227 l’avenir de ses formules. 1°) Le monde de demain sera de plus en plus réduit quant aux distances, et tissé de réseaux de re
3228 ux. Information audiovisuelle planétaire, pouvant être captée par tout individu muni d’un récepteur de poche. Bi ou trilingu
3229 tés culturelles de plus en plus, car elles seules sont perçues comme signes distinctifs. Ou encore : le poids brut de l’ense
3230 tinctifs. Ou encore : le poids brut de l’ensemble sera moins important que le poids spécifique d’un peuple. Les frontières d
3231 t les communautés à très forte densité culturelle seront alors les réalités les mieux définies et caractérisées, les plus prop
3232 nt. L’identité d’un peuple ou d’une communauté ne sera plus définie par des arpenteurs, des cordons douaniers et des décrets
3233 t civiques du petit pays sur la grande nation ont été formulés, depuis Rousseau, par tous les penseurs politiques suisses,
3234 ère imposant qui manque à celle des empires. Elle est davantage l’histoire de la liberté ». Le grand juriste Max Huber écr
3235 d’un empire, il s’alimente à l’univers. Ainsi lui est -il rendu plus facile d’admettre ce qui ne lui ressemble pas. Dans le
3236 ase de toute fédération, ont de grandes chances d’ être confirmées — et sans doute de s’étendre du plan moral, civique et pol
3237 efficace dans un milieu où les relais d’exécution sont nombreux et organiquement distribués. Aux stades encore primitifs de
3238 . L’un des thèmes favoris des sociologues actuels est l’étude des ensembles régionaux et des « métropoles » constituant les
3239 ’évaluer l’optimum de population d’une région qui serait capable de fonctionner d’une manière autonome, et l’on propose en Fra
3240 lui de notre population. Question : la Suisse ne sera-t -elle pas, d’ici vingt ans, trop grande pour ses institutions ? Je pen
3241 nature trop vastes pour l’unité de base, doivent être construits en commun avec d’autres régions voisines. Seuls ces réseau
3242 x adaptée aux conditions du monde de demain, elle serait donc désignée plus que tout autre pour jouer le rôle d’initiatrice de
3243 jet, compatible par définition avec les raisons d’ être de l’État suisse (quitte à prévoir certains aménagements internes), s
3244 quitte à prévoir certains aménagements internes), serait ensuite présenté aux dix-neuf États de l’Europe de l’Ouest145. Il ser
3245 aux dix-neuf États de l’Europe de l’Ouest145. Il serait présenté au nom de notre idéal et de notre usage du fédéralisme, mais
3246 s les intérêts de l’Europe entière. » Même s’il n’ était pas accepté en fin de compte, il aurait pour effets inévitables : — d
3247 s que cette même situation pourrait à juste titre être invoquée comme faisant au pays qui en bénéficie une particulière obli
3248 venir en faveur du bien commun de l’Europe. Telle serait à mes yeux la mission positive de la Suisse. Mais j’ai montré pour qu
3249 en temps utile — avant que les jeux européens ne soient faits — elle choisira de se réserver. 2°) Ce dernier terme évoque irr
3250 qu’elle symbolise un idéal presque trop beau pour être vrai aux yeux de l’immense majorité des masses modernes, en Europe et
3251 tés ont déjà dépassé cette fiction helvétique. Il est trop tard pour la reconstituer, à supposer qu’elle ait jamais été con
3252 ur la reconstituer, à supposer qu’elle ait jamais été conforme à autre chose qu’au rêve des Suisses, à la littérature roman
3253 deux visions d’un comportement suisse, dont l’une serait , dit-on, prématurée, tandis que l’autre est sûrement périmée, le « ma
3254 ne serait, dit-on, prématurée, tandis que l’autre est sûrement périmée, le « malaise suisse » demeure le seul avenir certai
3255 suisse » demeure le seul avenir certain. Mais il est de la nature d’un malaise de se terminer plus ou moins vite par un re
3256 arée, ou la mort. Je n’oublie pas que le discours est d’une logique plus exigeante que l’histoire réelle des hommes et des
3257 e réelle des hommes et des nations : ses dilemmes sont plus clairs, mais rarement résolus. Il n’en arrive pas moins que les
3258 venir ni son passé, que peut-on conseiller qui ne soit à la fois prématuré et périmé, ou simplement trompeur comme un tranqu
3259 simplement trompeur comme un tranquillisant ? Il est certain que l’Europe « se fera » un jour ou l’autre. Il est probable
3260 n que l’Europe « se fera » un jour ou l’autre. Il est probable qu’elle sera faite d’ici 1980. Et l’on n’imagine pas qu’elle
3261 era » un jour ou l’autre. Il est probable qu’elle sera faite d’ici 1980. Et l’on n’imagine pas qu’elle puisse se faire sur d
3262 l’Europe à La Haye, et le temps où l’Europe unie sera sans doute un fait accompli, je propose mon dessein raisonnable d’un
3263 Les mêmes raisons qui veulent qu’une fédération soit gouvernée par un collège, et non par un seul homme, veulent que son c
3264 non par un seul homme, veulent que son centre ne soit pas une capitale, mais bien un District fédéral. La fédération europé
3265 n un District fédéral. La fédération européenne n’ étant pas une création sur table rase, mais l’aboutissement d’un très long
3266 tés que l’on sait, le District fédéral ne saurait être , lui non plus, une création synthétique édifiée sur un terrain vague
3267 , dans l’Europe de 1980. Le District fédéral doit être situé au centre du continent. Il doit être facile à fermer et à défen
3268 l doit être situé au centre du continent. Il doit être facile à fermer et à défendre en temps de troubles, mais d’accès faci
3269 mais d’accès facile en temps de paix. Il ne peut être qu’un petit pays, cependant très diversifié et si possible de traditi
3270 nt le siège du gouvernement suisse. Ces autorités sont placées sous la protection de l’armée suisse : un million de mobilisa
3271 et son indépendance de toute influence étrangère sont reconnues solennellement, pour des motifs nouveaux plus forts que les
3272 motifs nouveaux plus forts que les anciens, comme étant « dans les vrais intérêts de l’Europe entière ». Premières réactions
3273 dépendance et ses caractéristiques nationales. Ce serait vouloir soumettre toute l’Europe à la Suisse. Allez donc en parler à
3274 e à la Suisse. Allez donc en parler à Berne, vous serez bien reçu ! Etc. Je ne vois rien de consistant ni de raisonnable dans
3275 eurs deux à deux. Mon dessein, ne l’oublions pas, est à mi-chemin entre une initiative prise par la Suisse et une absence t
3276 tale de projet qui ferait de ce pays un musée. Il est modeste, sans excès. Je vois en revanche beaucoup de motifs d’angoiss
3277 « utopie » que c’est bien joli, mais que nous ne sommes pas faits pour le rôle, et que le reste de l’Europe va peut-être sour
3278 este de l’Europe va peut-être sourire… Le sourire est inévitable. Et puis viendra la réflexion, la décision. Je me mets dan
3279 nir les citoyens d’une capitale de l’Europe. « Il était temps que ces petits Suisses nous offrent autre chose que leurs leçon
3280 vont peut-être un peu fort. Ils ne voulaient rien être dans l’union, les voilà qui se proposent comme pays-capitale ! Leurs
3281 des vaches… Mais après tout, si notre capitale n’ est pas retenue, au bout du compte, plutôt que d’en choisir une autre, va
3282 On passe au vote : la Suisse sort bonne première, étant seconde sur chaque bulletin. Je ne m’attends pas à voir mon dessein r
3283 éserver », à Berne. Il se peut que cette attitude soit la seule qui convienne à un petit pays, pluraliste, et neutre au surp
3284 voisins. Les risques de guerre qui subsistent ne sont plus nationaux, mais mondiaux : rêver de s’y soustraire ne serait ni
3285 onaux, mais mondiaux : rêver de s’y soustraire ne serait ni réaliste ni défendable moralement. Et maintenant, en tant que cito
3286 s ? Ma première impression, c’est que la Suisse n’ est plus à l’écart de l’Europe et qu’elle participe sans arrière-pensées
3287 sent sans fusion ni mélange, les longueurs d’onde étant nettement distinctes. Et s’il y a contamination, ce n’est pas dans le
3288 ement distinctes. Et s’il y a contamination, ce n’ est pas dans le sens qu’un vieux Genevois pouvait redouter. « Molotov, co
3289 d’une grande conférence. Notre climat passe pour être apaisant. Dans une Suisse devenue terre d’Europe, comme elle fut jadi
3290 ans une Suisse devenue terre d’Europe, comme elle fut jadis terre d’Empire, je ne vois pas de motifs de craindre qu’il y ai
3291 ’ailleurs, ces « étrangers » cessent bientôt de l’ être à mesure qu’ils découvrent, en quittant l’autoroute, le vrai pays — c
3292 e Soglio. La rade de Genève illuminée aux soirs d’ été . Les petits déjeuners sur un balcon d’hôtel, à Montreux, devant les A
3293 de bouillon Maggi et de cigares de Brissago, qui étaient ce que Joyce préférait en Suisse. Et cette façon de vous dire merci q
3294 entillesse qui étonne même les Américains, et qui est la preuve exquise d’une civilisation. Et puis au-delà des apparences
3295 s du monde dont je préfère me plaindre. La Suisse est le pays dont je souhaite le plus qu’il communique sa grâce très secrè
3296 Car la Suisse détient un mystère, ou plutôt elle est ce mystère. Il m’a fallu longtemps, beaucoup d’étude, d’éloignement,
3297 fondrait alors en elle sa destinée, fidèle à son être profond, des origines à ses plus hautes fins. Ce rêve peut devenir vr
3298 s. Ce rêve peut devenir vrai demain, et il doit l’ être , mais le sera-t-il jamais si nous restons muets ? Malgré tout ce qui
3299 t devenir vrai demain, et il doit l’être, mais le sera-t -il jamais si nous restons muets ? Malgré tout ce qui nous retient, ma
3300 Suisse du 13 avril 1964. 144. L’exemple du CERN est le plus évident. Aucun des treize pays qui ont financé sa constructio
3301 , bien au contraire : sans le CERN, leurs savants seraient frustrés d’une possibilité d’employer leurs talents ; et leur dépenda
3302 u l’autre des grandes puissances « atomiques » en serait accrue d’une manière irrémédiable. 145. Seuls accessibles pour le mo
56 1966, Preuves, articles (1951–1968). André Breton (novembre 1966)
3303 mide, presque orageux, et la présence de Breton m’ est advenue sous les grands chênes, comme si j’étais sorti ce soir à sa r
3304 m’est advenue sous les grands chênes, comme si j’ étais sorti ce soir à sa rencontre. Je n’ai pas connu d’autre écrivain fran
3305 i, brique enfumée, verre et ciment, que nous nous sommes rencontrés. Mais au long des années de notre amitié, j’ai souvent obs
3306 très finement réceptif mais puissant émetteur, il était le centre dynamique d’un événement constamment renouvelé, qu’il avait
3307 enouvelé, qu’il avait baptisé surréalisme, et qui était son idée de la poésie et de « l’intelligence poétique de l’univers ».
3308 ce, il a fallu tout cela pour que celui qui avait été l’un des « phares » baudelairiens de notre adolescence loin de Paris,
3309 nnalistes où je militais, cessât tout d’un coup d’ être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dîner tête-à-têt
3310 n’ayons pu, ou cru pouvoir, nous rencontrer. « Ce sont de ces conneries ! Et que l’on expie ! » (Beaucoup de lui dans ces qu
3311 mpu sans retour. Ce soir-là, au Village, mon rêve est devenu vrai : nous parlons certes de ce qui peut nous rapprocher, l’a
3312 dans une atmosphère orageuse ! Mais l’Amérique n’ est pas son fort. Il y tient le succès à distance, laissant à Salvador Da
3313 de bureaux, de la censure à la polycopie, avant d’ être remis aux speakers, nous trouvons un moment pour causer. Et souvent n
3314 amènerait une personne inconnue des autres, tous étant costumés et masqués, les propos échangés dans un style rigoureusement
3315 e compensation, si l’on voit dans quel cadre nous sommes en train de causer. Trente machines à écrire dans cette salle, en con
3316 tations visibles et officielles du christianisme, était un être religieux par excellence. C’est même sans doute parce qu’il j
3317 isibles et officielles du christianisme, était un être religieux par excellence. C’est même sans doute parce qu’il jugeait l
3318 ’artisan lui semblait des plus exaltants. Or il n’ est rien de commun aux deux doctrines hors le grand ton de rigueur fanati
3319 trines hors le grand ton de rigueur fanatique qui était l’un des aspects de la poésie selon Breton, autrement dit, de sa reli
3320 Parfois, on arrangeait une fête (comme celle qui fut dédiée au Nombre 21) ou une exposition, ou une vitrine (Breton, Selig
3321 t d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel Intercesseur : il insistait pour m’en lire des chapi
3322 ers de l’utopie phalanstérienne. On eût dit qu’il était le premier à découvrir ce jeune auteur d’avant-garde ! « Ombre frénét
3323 euse du Père Enfantin… une grande réparation vous est due », écrira-t-il dans Arcane 17, deux ans plus tard, et il poursuit
3324 fice de l’extrême fraîcheur. » Jamais Breton ne s’ est mieux défini. Je pense au soir où il déclara qu’il était temps d’alle
3325 ieux défini. Je pense au soir où il déclara qu’il était temps d’aller regarder de plus près qu’on ne l’avait fait saint Augus
3326 visiblement, et avec raison : son Augustin à lui était sans nul rapport avec celui qu’avait canonisé « l’Obscurantisme ».  
3327 it canonisé « l’Obscurantisme ».   Je crois avoir été , de ses amis, le seul qui s’avouât et se voulût « chrétien ». Cette i
3328 t lu quelques chapitres, il avait vu que le livre était « dangereux ». Comme je feignais de ne pas comprendre, il précisa qu’
3329 . Et lorsqu’il vit que je ne me défendais pas, je suis certain que l’idée le traversa de me faire passer devant le tribunal
3330 nal du Groupe. Mais après tout, je n’avais jamais été surréaliste d’observance, comment m’exclure ? Et il n’avait aucune en
3331 trouva une espèce d’échappatoire : Marcel Duchamp serait pris pour arbitre. Rendez-vous fut fixé dans un petit bar français po
3332 cel Duchamp serait pris pour arbitre. Rendez-vous fut fixé dans un petit bar français pour le dîner du lendemain. J’y vais
3333 le dîner du lendemain. J’y vais à l’heure, Marcel est déjà là, plus que ponctuel et parfaitement serein. Je ne sais s’il a
3334 ’ambiguïté du mot croire dans cette phrase). « Qu’ est -ce que cela peut faire à Breton ? À chacun sa mythologie. Il fait une
3335 retard, comme prévu, et comprend vite que tout s’ est arrangé. Puisque Marcel, infaillible à ses yeux, semble m’absoudre, i
3336 la vie par une sédition passionnelle (« La beauté sera convulsive ou ne sera pas ») et la régler jusqu’au moindre soupir. Au
3337 n passionnelle (« La beauté sera convulsive ou ne sera pas ») et la régler jusqu’au moindre soupir. Autoritaire et libertair
3338 vait exister que pour lui seul. De personne je ne suis à ce point sûr qu’il a toujours suivi — avec autant d’audace que d’ex
57 1968, Preuves, articles (1951–1968). Marcel Duchamp mine de rien (février 1968)
3339 . » Il va donc rester quelques jours. Nos voisins sont venus en fin d’après-midi, gentils et trop gentils, prônant l’éducati
3340 é, n’a pris qu’un doigt de vermouth. — Les masses sont inéducables, dit-il après le départ de nos hôtes. Elles nous détesten
3341 s nous détestent et nous tueraient volontiers. Ce sont les imbéciles qui, en se liguant contre les individus libres et inven
3342 s prétendues lois. Mais tout l’effort de l’avenir sera d’inventer, par réaction à ce qui se passe maintenant, le silence, la
3343 agit de bien voir et surtout d’accepter. Le reste est beaucoup plus facile. À nous de choisir nos fées, puisque nous le pou
3344 silence ? Mais notre ami le Dr M. V., qui passe l’ été près d’ici avec deux jeunes amies nous écrase d’un souriant dédain. «
3345 ause. Indémontrable, évidemment… D’ailleurs, ce n’ est pas cela. Je crois que Dieu est fou selon nos normes rationnelles, in
3346 D’ailleurs, ce n’est pas cela. Je crois que Dieu est fou selon nos normes rationnelles, infiniment plus fou que tout ce qu
3347 je ne comprends pas du tout, c’est mouvement. Qu’ est -ce qu’il appelle mouvement, votre type ? S’il le définit par oppositi
3348 par opposition au repos, ça ne marche pas, rien n’ est en repos dans l’univers. Alors ? Son mouvement n’est qu’un mythe. En
3349 en repos dans l’univers. Alors ? Son mouvement n’ est qu’un mythe. En fait, dit-il au déjeuner sur la galerie, tout se pass
3350 rait s’en passer. Si l’on supprimait l’argent, je suis sûr que tout irait aussi bien, et beaucoup plus facilement. Le boulan
3351 r jour, on ne peut pas en manger davantage, et il serait inutile d’accumuler des miches puisqu’on ne pourrait pas les vendre.
3352 pe où cela marche très bien : c’est la famille… N’ est -ce pas ? Les enfants prennent à table ou à la cuisine ce dont ils ont
3353 arrange, il y en a pour tout le monde… La famille est le modèle d’une société entièrement anarchique. Il a l’air content d’
3354 tant dans la vie de Marcel. — Depuis que mon père est mort, je me sens privé de repères. Pères et repères… Je n’arrive plus
3355 cs. Celui dont Duchamp se sert pour ses problèmes est trop petit pour jouer à deux : c’est un « jeu de voyage » de sa confe
3356 échec de l’art, art des échecs, échec à l’art… Il est persuadé que c’est moins la réflexion rigoureuse que la transmission
3357 la plupart de nos aliments, surtout la viande, n’ étant pas assimilés et ne servant qu’à nous bourrer l’estomac d’une sorte d
3358 onses écrites simultanément. Ma première question était  : Qu’est-ce que le génie ? Marcel lit sa réponse : L’impossibilité du
3359 es simultanément. Ma première question était : Qu’ est -ce que le génie ? Marcel lit sa réponse : L’impossibilité du fer. Et
3360 uverte, je vois une partie de sa chambre. Duchamp est allongé sur son lit, son petit échiquier dans une main, sa pipe dans
3361 la conversation de la veille, je lui demande s’il est vrai qu’il a décidé un beau jour d’abandonner définitivement la peint
3362 me copier, comme tous les autres. Vous comprenez, être peintre, c’est copier et multiplier les quelques idées qu’on a eues i
3363 is la création d’un marché de la peinture, tout a été radicalement changé dans le domaine de l’art. Regardez comme ils prod
3364 tchouc. Le chèque de quatre-cent-cinquante francs est à l’ordre d’un dentiste de Paris. Tout est parfaitement imité. Seules
3365 francs est à l’ordre d’un dentiste de Paris. Tout est parfaitement imité. Seules les dimensions sont inusitées. — Et votre
3366 out est parfaitement imité. Seules les dimensions sont inusitées. — Et votre dentiste a accepté ce paiement ? — Comment donc
3367 iste a accepté ce paiement ? — Comment donc, ce n’ est pas un faux chèque, puisqu’il est entièrement fait par moi ! Et signé
3368 ment donc, ce n’est pas un faux chèque, puisqu’il est entièrement fait par moi ! Et signé ! Rien de plus authentique ! Et a
3369 l’œuvre complète de Marcel Duchamp, ainsi prête à être emportée par la postérité sous forme de mallette en cuir, à poignée s
3370 allette en cuir, à poignée solide. — Marcel, vous êtes sans doute le premier artiste qui ait su se mettre en boîte lui-même.
3371 7 août. Avant le déjeuner, sur la galerie : — Qu’ est -ce que cette catégorie de l’infra-mince dont vous parlez dans le numé
3372 ientifiques. J’ai pris à dessein le mot mince qui est un mot humain, affectif, et non pas une mesure précise de laboratoire
3373 ainsi votre tableau ? — Moi ? Non. Pourquoi ? Je suis l’auteur. Pour en revenir à l’infra-mince, c’est une catégorie qui m’
3374 ni vous goûter goûtant, et ainsi de suite ? Nous sommes en train de déjeuner sur la galerie, au-dessus de l’eau. Entre les tr
3375 ombien cette vue m’apaise et me satisfait. — Vous êtes sans cloute presbyte ? Tenez, je vous donne celle-là toute fraîche, u
3376 e-minute qui me vient à l’instant : les presbytes sont malheureux dans les villes, parce que le regard y bute constamment co
3377 ant-hier sur Hiroshima. Et la face de la terre en est changée, mais combien de temps nous faudra-t-il pour le comprendre ?
3378 aconter l’entrée de la Chose dans nos esprits. Ce sera le début de la première de mes Lettres. Hier, j’ai ramené le journal
3379 vos yeux par des jours de chaleur. Tout le monde est accouru sur la galerie, à la nouvelle, et j’ai dû raconter l’histoire
3380 e comme si je revenais d’Hiroshima, comme si j’en étais responsable. À minuit, nous en parlions encore. Le choc nous avait je
3381 de explosion la hantait depuis son enfance. (Elle est née dans un tremblement de terre.) « C’est sacrilège, ce qu’on vient
3382 bombe confirmait son point de vue : la science n’ est qu’une mythologie, ses lois et sa matière elle-même sont de purs myth
3383 ’une mythologie, ses lois et sa matière elle-même sont de purs mythes, et n’ont ni plus ni moins de réalité que les conventi
3384 r parler d’homéopathie, un de mes dadas. Ma thèse est simple : Qu’est-ce que l’homéopathie ? L’action d’un remède matériell
3385 pathie, un de mes dadas. Ma thèse est simple : Qu’ est -ce que l’homéopathie ? L’action d’un remède matériellement absent. Qu
3386  ? L’action d’un remède matériellement absent. Qu’ est -ce que la bombe atomique ? L’action d’un point de matière subitement
3387 la plus grande explosion de l’Histoire n’ait pas été provoquée tout bêtement par la plus grande masse d’explosif jamais ré
3388 té, et l’une des grandes dates de la terre : ce n’ est qu’un rien qui s’est défait.   « L’impossibilité du faire », j’y revi
3389 des dates de la terre : ce n’est qu’un rien qui s’ est défait.   « L’impossibilité du faire », j’y reviens. Marcel confesse
3390 son temps simplement. Ce Jules Verne des arts ne serait -il pas plus proche de Léonard que n’en sont les essais de Valéry ? Ma
3391 ne serait-il pas plus proche de Léonard que n’en sont les essais de Valéry ? Mais ce serait un Léonard homéopathe, l’autre
3392 nard que n’en sont les essais de Valéry ? Mais ce serait un Léonard homéopathe, l’autre étant du côté des allopathes : grandes
3393 y ? Mais ce serait un Léonard homéopathe, l’autre étant du côté des allopathes : grandes dimensions des œuvres, côté pratique
3394 esque un siècle. Beaucoup des œuvres du Vinci ont été détruites, ou abîmées. De même, La Mariée mise à nu par ses célibatai
3395 La Mariée mise à nu par ses célibataires, même a été brisée, puis à demi réparée, selon les lignes prévues par les « stopp
3396 venteur d’une espèce de judo intellectuel dont il est la seule ceinture noire parmi nos artistes et penseurs. J’admire l’éc
58 1968, Preuves, articles (1951–1968). Vingt ans après, ou la campagne des congrès (1947-1949) (octobre 1968)
3397 années, je me sens enclin à croire que, oui, tout est sorti du congrès de La Haye en mai 1948 : les premières institutions
3398 l’élan populaire, dont on sentait alors qu’il eût été possible de le déclencher. Je voudrais fixer quelques points dont l’h
3399 que le mouvement personnaliste des années 1930 s’ est continué dans la pensée et dans l’action d’un grand nombre de résista
3400 48, la révolution européenne, cent ans plus tard, est sortie d’une campagne de congrès échelonnés de 1947 à 1949. Ils ont à
3401 l’imagination de nombreux économistes, et d’avoir été acceptées par l’opinion, donc par les parlements et les gouvernements
3402 tous ces congrès n’ont rien fait, et en effet, il est normal que des congrès ne fassent rien, ce n’est pas ce que l’on atte
3403 est normal que des congrès ne fassent rien, ce n’ est pas ce que l’on attend d’eux, en général. Les gens d’une même profess
3404 n très singulière, qui n’existe plus aujourd’hui, était le seul mobile qui rassemblait les militants européens, et elle leur
3405 rmine en décembre 1949 à Lausanne. Son histoire n’ est pas encore écrite, et il faut craindre qu’elle ne puisse l’être que d
3406 e écrite, et il faut craindre qu’elle ne puisse l’ être que d’une manière insuffisante ou fausse, si l’on ne s’y met sans ret
3407 its ou polycopiés, déjà plus « vrais », n’ont pas été systématiquement réunis et ne se conserveront pas longtemps (mauvais
3408 amadier, anciens ministres ; Joseph Retinger, qui fut l’éminence grise du congrès ; le sénateur hollandais Kerstens, qui pr
3409 it la séance ; et l’un des trois rapporteurs, qui est aujourd’hui le seul survivant du groupe et qui est en train d’écrire
3410 st aujourd’hui le seul survivant du groupe et qui est en train d’écrire ces pages. Ce ne seront pas des pages d’histoire, m
3411 upe et qui est en train d’écrire ces pages. Ce ne seront pas des pages d’histoire, mais un essai de restituer l’atmosphère de
3412 oseph Retinger peut-être, ne prit part à tous. Je serai donc forcément incomplet et délibérément subjectif dans l’approche de
3413 s à l’aide de notes de journal intime (mais elles sont rares précisément dans les périodes où l’on agit) ou à les confronter
3414 si les calculs d’une prudence « réaliste » ne s’y étaient mis comme le ver dans le fruit. Oui, c’est la naïveté de quelques féd
3415 es choses au niveau du « possible », où l’on peut être sûr qu’il n’y aura pas de miracle. Le congrès de Montreux Je ven
3416 Union européenne des fédéralistes, dont le siège était à Genève et qui allait tenir un congrès à Montreux. Au nom de notre a
3417 ’est la doctrine qu’attendent nos militants. Nous serons une trentaine autour d’une table, on discutera, vous aurez l’occasion
3418 Nouveau départ ? Le fait qu’A. M. et R. S. aient été mes premiers visiteurs donne peut-être son vrai sens à ma venue dans
3419 peut encore insérer son effort dans le cadre qui serait seul adéquat, d’une Europe fédérée, fédéraliste… Je n’ai plus qu’à m’
3420 n hall du Montreux-Palace, et m’a dit. “Tout cela est bel et bon, mais maintenant il nous faut travailler.” C’est un Polona
3421 ur retrouver à Sion des amis venus de Paris. Je n’ étais pas encore engagé dans l’affaire. Tout se passait comme si j’avais ju
3422 s jugé que le fait de prononcer un keynote speech était une suffisante prestation. Notes du 28 août, soir : « Hier, dans les
3423 iers, tennis, saules pleureurs dans l’eau sombre… Été ce matin à la commission économique, en curieux. Le président Hopkins
3424 laquelle ni l’économie ni la défense ne sauraient être concertées valablement. Le désaccord est si flagrant que le meneur de
3425 uraient être concertées valablement. Le désaccord est si flagrant que le meneur de jeu interrompt l’enregistrement, pour no
3426 cours des trois années suivantes notre mouvement étaient en germe dans ce premier affrontement entre l’élan des fédéralistes e
3427 es voies qui peuvent y mener. » Il se peut que ce soit au fait d’avoir été jeté à brûle-pourpoint et publiquement dans ce dé
3428 y mener. » Il se peut que ce soit au fait d’avoir été jeté à brûle-pourpoint et publiquement dans ce débat que je puisse at
3429 ces précises qu’on en déduit. La supranationalité est préconisée avec insistance, comme condition de toute organisation eur
3430 on internationale du travail, sans que ces termes soient traduits et exemplifiés par des propositions plus détaillées d’instit
3431 ns finales. Le cadre de toute l’action ultérieure est posé, le but ultime bien indiqué : « L’Europe unie dans un monde uni 
3432 é de réunir tous les peuples européens, ceux de l’ Est compris, est affirmée comme seul moyen de prévenir le péril de la col
3433 ous les peuples européens, ceux de l’Est compris, est affirmée comme seul moyen de prévenir le péril de la colonisation par
3434 s, le mythe des souverainetés nationales absolues sont dénoncés et vidés de leur contenu terroriste, de même que les fausses
3435 économique du continent : l’union douanière doit être l’expression finale d’une union économique, c’est-à-dire d’un plan co
3436 uction ; la franchise totale des échanges devrait être obtenue par des abaissements de droits échelonnés sur dix à quinze an
3437 r dix à quinze ans ; « un plan Monnet153 européen est nécessaire », non seulement pour l’équilibre des productions français
3438 urope » étudié sous l’angle d’une union régionale sera « sans cesse confronté avec le devenir de l’économie mondiale ». Avou
3439 etrouvée et d’une grande aventure où s’engager, j’ étais loin de mesurer l’importance objective de ce qui venait de se passer
3440 ois composantes principales de l’affaire. Elles s’ étaient déclarées un an auparavant, par une curieuse coïncidence à la fois da
3441 is dans le temps et dans l’espace : à la fin de l’ été et en Suisse toutes les trois. Il y avait eu d’abord, fin août, à He
3442 d’Allemagne, d’Autriche et de plusieurs pays de l’ Est . De ce colloque allait sortir l’Union européenne des fédéralistes, qu
3443 ropea). Cette composante personnaliste-résistante était représentée à Montreux par des hommes comme Robert Aron et Alexandre
3444 comme Robert Aron et Alexandre Marc (qui avaient été , comme moi, de L’Ordre nouveau et d’Esprit), par Eugen Kogon, et par
3445 . R. de Salis, Stephen Spender, et moi-même, nous étions attachés à définir en neuf conférences suivies de débats publics la c
3446 urope. La cheville ouvrière de cette action avait été le Dr Retinger155, bras droit du général Sikorski, chef du gouverneme
3447 chef du gouvernement polonais. À 56 ans, il avait été parachuté en Pologne occupée, et il en gardait une bizarre claudicati
3448 de coopération économique, au nom de laquelle il était venu à Montreux. Je devais découvrir tout cela, par bribes, au cours
3449 sme neuf. En cet automne d’il y a vingt ans, je n’ étais guère préoccupé de connaître les origines si complexes d’une organisa
3450 rigines si complexes d’une organisation dont je n’ étais pas encore membre et d’un mouvement aux contours assez vagues mais au
3451 ons de séance au Montreux-Palace que l’idée avait été lancée, et tout de suite discutée avec passion, de convoquer dès le p
3452 comptes nationalistes de 1871 et de 1919, devait être racheté en quelque sorte par l’avènement de l’Europe fédérale. Mais t
3453 és financières. Très probablement notre action en serait vite paralysée dans l’immédiat et c’est l’immédiat qui compte, non se
3454 connaît un renouveau inespéré, les communistes se sont isolés volontairement, et la “troisième force” classique ou bien se r
3455 t, mais nous ne réussirons pas non plus, et on se sera paralysé mutuellement. » Brugmans propose donc de ratifier l’accord p
3456 novembre, à condition toutefois que les pays de l’ Est soient invités, que des organismes permanents naissent de La Haye, et
3457 mbre, à condition toutefois que les pays de l’Est soient invités, que des organismes permanents naissent de La Haye, et que le
3458 rmanents naissent de La Haye, et que les délégués soient choisis par des Comités nationaux, sans droit de veto du Comité de li
3459 enir une secte », comme l’a dit Brugmans. (Mais n’ est -ce pas pour avoir accepté ce risque-là que Lénine a gagné finalement 
3460 chill, au lieu de convoquer les états généraux, n’ est -ce pas risquer de perdre à la fois le bénéfice du nombre (l’UEF group
3461 és de leur droit de parler au nom de l’avenir… Il serait intéressant d’analyser dans ce procès-verbal les facteurs politiques
3462 e. Il se peut que le sort de l’Europe fédérale se soit joué à ce moment-là pour trois ou quatre décennies. On peut très bien
3463 hypothèse, les chances des états généraux eussent été les plus grandes dans le plus court délai : l’effet de surprise, je l
3464 court délai : l’effet de surprise, je le répète, était une condition décisive de succès. Certes, on pourrait aussi imaginer
3465 Certes, on pourrait aussi imaginer l’inverse, qui était ce que redoutaient en cas de rupture les fédéralistes hollandais et a
3466 ongrès de La Haye et l’on ne peut juger que c’eût été le cas si l’UEF avait rompu avec Sandys, Retinger et Courtin. Mais ga
3467 c’est-à-dire de ceux pour qui l’union de l’Europe était le souci primordial ou unique. (Les autres s’appelaient « unionistes 
3468 artis politiques et leurs chefs admettraient ? Ce serait avouer que les fédéralistes avaient renoncé du même coup à créer du p
3469 renoncé du même coup à créer du possible, ce qui est l’acte essentiel de toute révolution politique ou spirituelle. Je pen
3470 rès projeté : 1° La commission culturelle, loin d’ être une simple adjonction ornementale aux commissions « sérieuses » (la p
3471 e son contenu, élaboré par la section culturelle, fût discuté avant le congrès par les animateurs des sections politique et
3472 eine valeur, telle que je l’avais souhaitée. « Je suis d’avis que cette déclaration doit fournir le point de départ de notre
3473 gne)157. » Lors du comité du 8 avril, à Paris, il fut décidé subitement que le texte appelé jusqu’à ce jour préambule « con
3474 uropéens à faire approuver par acclamations » et serait donc lu à la séance de clôture. Des représentants des trois sections
3475 je tenais surtout. Ce point marqué et qui pouvait être important, restait à obtenir l’imprimatur du comité pour le rapport c
3476 port culturel, le rapport politique et économique étant déjà sous presse. On était à dix jours du Congrès. À Londres, le 26 a
3477 olitique et économique étant déjà sous presse. On était à dix jours du Congrès. À Londres, le 26 avril, dans une petite salle
3478 de ces deux autres. On me répondit que mon projet était trop long, qu’il parlait de fédéralisme et qu’on « ne pouvait pas me
3479 y. Mon rapport culturel, à l’encre encore humide, fut remis aux délégués le deuxième jour du Congrès. On me dit qu’un des a
3480 enant au cours d’un dîner à Londres que mon texte était sous presse, non le sien, avait pleuré. Nous étions tous assez nerveu
3481 tait sous presse, non le sien, avait pleuré. Nous étions tous assez nerveux, en cette veillée d’armes. Le congrès de La Hay
3482 es plis d’un lourd rideau de velours pourpre. Qui sont ces gens autour de moi, dont les visages s’illuminent dans le faiscea
3483 t dans le faisceau des projecteurs de cinéma ? Je suis assis sur la tribune, derrière deux rangs de dos et de nuques fascina
3484 n noir qui porte une longue chaîne en sautoir… Où suis -je ? À quelle époque ? Dans un rêve ? Que se passe-t-il ? « Churchill
3485 nous, dans cette grande salle des Chevaliers, qui est celle d’un très vieux Parlement, mille personnes, mille Européens. Je
3486 u chapelier fou d’Alice in Wonderland (ce ne peut être que Bertrand Russell), le crâne poli de Prieto, les boucles blanches
3487 ec eux-mêmes, c’est le lieu où aucune certitude n’ est acceptée comme vérité si elle n’est continuellement découverte. D’aut
3488 e certitude n’est acceptée comme vérité si elle n’ est continuellement découverte. D’autres continents se vantent de leur ef
3489 use, magnifique et tragique — et, par là, digne d’ être vécue.” (C’est mon ami Brugmans, travailliste hollandais, qui parle a
3490 je me dis qu’en effet, malgré tout, notre congrès est doublement non conformiste, puisqu’il a su rallier pour une œuvre com
3491 taliennes.) Ou bien le mariage de l’Ouest et de l’ Est  ? Non, pas cela : les quelque trente Roumains, Polonais, Tchèques, Ho
3492 Tchèques, Hongrois et Yougoslaves ici présents ne sont encore, hélas ! que des “observateurs”. « Attendons : le congrès comm
3493 eth Lindsay pense au contraire que « notre devoir est de constituer nous-mêmes un comité compétent pour continuer l’œuvre d
3494 les rapports introductifs des trois sections, on est frappé par la similitude de leur manière de poser le problème europée
3495 peuples ; et enfin de considérer que cette union sera le premier pas vers une fédération mondiale. L’influence des idées fé
3496 tion mondiale. L’influence des idées fédéralistes est également sensible dans des expressions clés telles que « transférer
3497 un », ou « créer une citoyenneté commune sans que soit perdue pour autant la nationalité d’origine ». La controverse entre f
3498 ncil of Europe », dont on ne savait pas bien s’il était plus et mieux qu’une alliance de souverainetés nationales absolues. L
3499 e aux Européens revendiquait « une assemblée… où soient représentées les forces vives de toutes nos nations », thèse des fédé
3500 La Haye. Le Message aux Européens , après avoir été discuté pendant deux mois, et mis au point par le comité de liaison à
3501 ité de liaison à la veille même du congrès, avait été imprimé en haut d’un long rouleau de fort papier parcheminé : il étai
3502 d’un long rouleau de fort papier parcheminé : il était entendu qu’à la fin de la séance de clôture où je lirais ce texte, to
3503 ommune”. » Sandys ajouta : « Cette phrase n’a pas été discutée par le Congrès. Désolé, mais il faut renoncer au Message ».
3504 ! Lors du prochain Congrès européen, Staline, qui est plus fort que vous, enverra cinquante délégués ! Et l’Europe ne se fe
3505 ’envoyai quérir Retinger et Paul van Zeeland, qui étaient à la tribune. Dans une petite salle près de l’entrée, nous nous assîm
3506 mprimé, puisque la petite phrase y figurait161. J’ étais encore très pâle, paraît-il, quand van Zeeland me donna la parole pou
3507 a qu’« une Autorité européenne permanente devrait être instituée, à laquelle les gouvernements conviendraient de confier cer
3508 , fer et acier », une Autorité européenne devrait être créée en vue de supprimer les droits de douane, définir la politique
3509 Haye. Elle vota vingt et une résolutions, dont il est frappant de constater que dix-neuf sont aujourd’hui réalisées, parmi
3510 s, dont il est frappant de constater que dix-neuf sont aujourd’hui réalisées, parmi lesquelles le Centre européen de la cult
3511 ela, freiner « l’hémorragie de matière grise » qu’ étaient alors en train de subir toutes nos nations, trop pauvres pour s’offri
3512 t rien obtenu de concret, car leur but spécifique était , précisément, de lier toutes les activités européennes en une vivante
3513 ue les fédéralistes, c’est certain, et leur tâche était plus facile, puisqu’ils misaient sur les routines de la politique des
3514 ée qui indigne l’opinion. Mais les fédéralistes s’ étaient montrés incapables de concevoir et surtout d’imposer une vision vraim
3515 Sforza163, harangués par Pie XII en son palais d’ été , ils essayèrent en vain de reprendre l’initiative saisie par Sandys e
3516 treux, accusée d’avoir trop cédé « aux Anglais », fut injustement désavouée, après des polémiques acerbes. Henri Frenay et
3517 délégué général de l’Union. Les thèses « dures » furent acclamées : c’était trop tard. Cette victoire à la Pyrrhus des radica
3518 allait proposer le même projet en 1958.) Reynaud fut le seul tempérament révolutionnaire qui se manifesta à La Haye. À Mac
3519 mblée, mais ils la voudraient constituante. Or il est clair qu’une Assemblée ne saurait innover, imaginer ni vraiment créer
3520 t innover, imaginer ni vraiment créer quoi que ce soit . Un tel projet ne serait-il pas une manière d’esquiver la vraie tâche
3521 vraiment créer quoi que ce soit. Un tel projet ne serait -il pas une manière d’esquiver la vraie tâche de l’aile marchante du M
3522 ouvement personnaliste des années 1930. Mais ceci est une autre histoire. Ce sera celle des vingt ans qui viennent. Et cert
3523 années 1930. Mais ceci est une autre histoire. Ce sera celle des vingt ans qui viennent. Et certains, que je connais, la pré
3524 ement, définie par les personnalistes dès 1932, a été attribuée vers 1945 à Sartre, par une erreur journalistique manifeste
3525 que manifeste, dont je n’ai pas souvenir qu’il se soit jamais plaint. 149. J’amorce ainsi la suite du Journal d’une époque
3526 suite du Journal d’une époque (1926-1946) : ce sera le Journal d’un Européen (1946-1966). 150. Rapports et recueils de R
3527 50, et mon Europe en jeu , 1948. Quelques thèses sont en cours de rédaction ou de publication. 151. Dans Mission ou démis
3528 délégués mandatés des Résistances de neuf pays s’ étaient réunis clandestinement à trois reprises dans une villa de Genève, au
3529 embre 1947. 157. Cette lettre, dont l’importance est évidente, est publiée ici pour la première fois. L’original anglais f
3530 57. Cette lettre, dont l’importance est évidente, est publiée ici pour la première fois. L’original anglais figure dans les
3531 158. « La tâche qui nous attend dans ce congrès n’ est pas seulement de faire entendre la voix de l’Europe comme celle d’une
3532 unie. Nous devons, ici et maintenant, décider que soit constituée une Assemblée européenne… » 159. Cette intervention en fa
3533 ention en faveur du Centre européen de la culture fut décisive. 160. La résolution politique (§ 9 à 13) aborde en termes t
59 1970, Preuves, articles (1951–1968). Dépasser l’État-nation (1970)
3534 Dépasser l’État-nation (1970)bn bo Quel est l’obstacle apparemment insurmontable à cette union que tout indique,
3535 rsonne ne fait ? Eh bien ! chacun le sait, rien n’ est moins mystérieux : l’obstacle à toute union possible de l’Europe (don
3536 sible de l’Europe (donc à toute union fédérale) n’ est autre que l’État-nation, tel que Napoléon en a posé le modèle, intégr
3537 ar le tiers-monde, mal décolonisé à cet égard… Qu’ est -ce en somme qu’instituer un État-nation ? C’est soumettre toute une n
3538 donc, de plus hostile à toute espèce d’union tant soit peu sérieuse ou sincère, que cet État-nation qui, par ailleurs, se ré
3539 aux exigences concrètes de notre temps, puisqu’il est à la fois trop petit pour agir à l’échelle mondiale ; trop grand pour
3540 ttre pour survivre. Aujourd’hui que le nécessaire est assuré, on se bat pour le contrôle de zones d’influence plus idéologi
3541 le Vietnam) et l’on travaille pour le profit, qui est en somme du superflu. Mais dès lors que ce choix de notre avenir est
3542 erflu. Mais dès lors que ce choix de notre avenir est libre, nous voici contraints de le faire, à nos risques et périls ! N
3543 tat décent, une communauté vivante ? Et quel prix sommes -nous prêts à payer pour cela ? Le prix de certaines libertés, ou le p
3544 a formule d’État-nation à l’échelle continentale, serait capable sans nul doute de créer une Europe très forte mais qui serait
3545 nul doute de créer une Europe très forte mais qui serait très peu européenne. Sans compter qu’un super État-nation ne pourrait
3546 Sans compter qu’un super État-nation ne pourrait être imposé à tous nos peuples qu’à la faveur d’une guerre générale — selo
3547 tastrophique, mais dont la réalisation ne saurait être exclue pour autant. Un modèle périmé Au contraire, si nous donn
3548 mie des communautés (la production industrielle n’ étant qu’un des moyens de ces libertés), alors il faut reconnaître que l’Ét
3549 s), alors il faut reconnaître que l’État-nation n’ est pas seulement un modèle périmé, mais qu’il est en fait aujourd’hui ra
3550 n’est pas seulement un modèle périmé, mais qu’il est en fait aujourd’hui radicalement incompatible avec les fins de l’Euro
3551 un à l’échelle fédérale continentale, tout ce qui est nécessaire pour garantir les autonomies de tous ordres, régionales, c
3552 ue ; le reste — la justice, la paix, la liberté — étant manières de parler plus ou moins nobles, ou pure et simple captatio d
3553 mieux que la puissance collective. L’Europe unie sera seule capable de réaliser leur vision. On me dira peut-être aussi que
3554 ration » qu’évoquait le général de Gaulle, et qui serait formée d’États-nations conservant jalousement leurs prétentions à la
3555 dre une occasion de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’
3556 aire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’il faudrait aider : l
3557 es sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’il faudrait aider : les échanges culturels, le
3558 t absolument à rien pour arrêter ce qui devrait l’ être  : les tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves
3559 . Ce statut des frontières, doublement déficient, est caractéristique de tout ce qui touche à l’État-nation : néfaste dans
3560 he à l’État-nation : néfaste dans la mesure où il est encore réel, inexistant quand on voudrait compter sur lui. Je ne sais
3561 quand on voudrait compter sur lui. Je ne sais, n’ étant pas économiste, si nos États-nations délimités pour la plupart au xix
3562 ose leur balance commerciale (laquelle ne saurait être positive, me semble-t-il, dans tous les pays à la fois…) ne sont pas
3563 me semble-t-il, dans tous les pays à la fois…) ne sont pas le type même de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’é
3564 e. Et les diversités que nous devons respecter ne sont pas celles de ces États-nations nés d’hier : elles les traversent et
3565 ant la « majesté de l’État ». Mais non ! l’État n’ est pas un dieu, ce n’est qu’un appareil plus ou moins efficace, qui doit
3566 État ». Mais non ! l’État n’est pas un dieu, ce n’ est qu’un appareil plus ou moins efficace, qui doit être mis au service d
3567 t qu’un appareil plus ou moins efficace, qui doit être mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Ces
3568 té vivante, civique, économique ou culturelle, et être contrôlé par l’usager ; distribuer et répartir l’État, de la commune
3569 fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des grandes tâches d’intérêt public, tâch
3570 lénaire de sa culture. Dira-t-on que ce programme est révolutionnaire ? Il l’est, bien sûr : on ne fera pas l’Europe sans c
3571 -t-on que ce programme est révolutionnaire ? Il l’ est , bien sûr : on ne fera pas l’Europe sans casser des œufs, nous le voy
3572 , nous le voyons depuis vingt-cinq ans. Mais il l’ est moins parce qu’il demande qu’on dépasse les États-nations que parce q
3573 és communautaires et personnelles. Si sérieux que soient les problèmes de prix du lait, du blé ou même du vin, il est clair qu
3574 blèmes de prix du lait, du blé ou même du vin, il est clair que l’Europe des marchandages entre économies étatiques ne peut
3575 s enthousiastes. Les jeunes gens d’aujourd’hui ne seront pas convaincus par des avantages matériels : ils sont presque comblés
3576 pas convaincus par des avantages matériels : ils sont presque comblés à cet égard. Ce qui leur manque le plus durement, c’e
3577 est un sens de la vie, maintenant que la guerre n’ est plus leur exutoire, l’alibi des raisons de vivre inexistantes. La rép
3578 umanité, nous lui devons cela ! Une Europe qui ne sera pas nécessairement la plus puissante ou la plus riche, mais bien ce c
3579 e plus de sens à la vie. 164. Les Basques de l’ Est et de l’Ouest, les Catalans de Perpignan et de Barcelone, ne sont pas
3580 st, les Catalans de Perpignan et de Barcelone, ne sont pas séparés par les Pyrénées mais par les décrets de Paris et de Madr
3581 ves, Paris, automne 1970, p. 54-59. bo. Le texte est introduit par le chapeau suivant : Le directeur du Centre européen de