1 1951, Preuves, articles (1951–1968). Mesurons nos forces (avril 1951)
1 e, les dictatures, les troupes de choc militaires et politiques, ou simplement l’anonymat collectiviste. D’autres, habitué
2 conquises par notre religion, par nos révolutions et par nos sciences, décorent du nom de « mystiques puissantes » de simp
3 imples propagandes qui nous promettent le paradis et la grandeur, la justice et la vraie liberté ; et ils vont répétant qu
4 promettent le paradis et la grandeur, la justice et la vraie liberté ; et ils vont répétant que nous n’avons rien à oppos
5 et la grandeur, la justice et la vraie liberté ; et ils vont répétant que nous n’avons rien à opposer à ces « mystiques »
6 and besoin, parce qu’ils n’ont pas nos réalités — et leurs chefs doivent masquer cette absence par des slogans. Nous n’avo
7 te » que les leurs. Car les faits nous suffisent, et quant aux libertés, nous en avons plus que nous méritons. Quand nous
8 us les aurons mesurées, nous verrons que l’avenir et le progrès sont de notre côté. Et alors, nous voudrons sauver notre p
9 ns que l’avenir et le progrès sont de notre côté. Et alors, nous voudrons sauver notre présent ! Nos forces réelles sont i
10 droits de toute nature conquis par notre Histoire et par toutes nos histoires nationales. Tous les peuples du monde, sans
11 ns tous les droits que nous mentionnons plus haut et des douzaines d’autres en plus : droit de circuler, de travailler, de
12 profession ; droit d’exprimer toutes les sagesses et toutes les folies concevables ; droit à la religion de notre choix, e
13 concevables ; droit à la religion de notre choix, et droit de n’en choisir aucune ; droit d’élire ceux que nous voulons et
14 isir aucune ; droit d’élire ceux que nous voulons et de les traiter ensuite de scélérats ; droit de protester, d’écrire au
15 lle locale, de faire campagne pour n’importe quoi et le contraire ; droit d’exiger que les douaniers mettent des gants bla
16 porte quels magasin, marché, café, ou restaurant, et de composer le menu de votre choix ; droit d’élever nos enfants selon
17 droit d’élever nos enfants selon nos principes — et tous les droits non codifiés, non formulables, les plus précieux sans
18 ts, de prendre à la radio le poste qu’on préfère, et de tourner le bouton si l’on s’ennuie, sans être dénoncé par les vois
19 s être dénoncé par les voisins ; le droit d’aimer et de haïr, le droit d’épouser qui l’on veut… Il n’est pas un seul de c
20 dont la masse représente bien plus que la Russie et deux fois plus que l’Amérique. Tous ces droits bien vivants ne sont p
21 chez nous. La seconde force dont nous disposons, et l’une des plus typiques de l’Occident, n’est autre que l’esprit criti
22 que l’esprit critique. On nous dit qu’il se perd et l’on en donne pour preuve le succès des publicités, propagandes et my
23 pour preuve le succès des publicités, propagandes et mystiques politiques. Mais il me semble au contraire qu’il renaît dan
24 veut dire par là qu’elle ne croit plus aux idéaux et aux grands mots, qu’elle trouve la vie absurde, et qu’elle ne « march
25 t aux grands mots, qu’elle trouve la vie absurde, et qu’elle ne « marche » plus pour aucune idéologie, je serais tenté plu
26 qui a vu les camps comme résultat des idéologies, et qui a vu les pires tyrannies comme traduction des mystiques libertair
27 raire qu’elle réagit avec un réalisme impitoyable et sain. La foi chrétienne elle-même doit aujourd’hui se réjouir d’un te
28 le est d’autre part la condition de nos libertés, et de l’esprit créateur. C’est à cause d’elle que l’Occident demeure l’e
29 t demeure l’espoir de l’homme qui pense, qui juge et qui sent par lui-même. Et cet homme est le but du progrès, le but de
30 mme qui pense, qui juge et qui sent par lui-même. Et cet homme est le but du progrès, le but de toute communauté digne du
31 onne s’enracine toute liberté concrète, créatrice et vécue. Au contraire, c’est de la masse homogène, uniforme, que naisse
32 alors qu’il faut forcer les masses à être masses. Et c’est pourquoi Personne égale Liberté, tandis que masse égale contrai
33 is de liberté réelle que dans le besoin, le droit et la passion de différer de son voisin, de courir sa propre aventure, d
34 ture, de créer par sa vie ce qu’on n’a jamais vu, et d’accomplir ainsi, en secret bien souvent, une vocation qui n’a pas d
35 ation qui n’a pas de comptes à rendre aux hommes, et encore bien moins à l’État, parce qu’elle est « immédiate à Dieu ». T
36 s tous, nous les Européens, notre commune dignité et notre risque le plus cher. Telles sont nos maladies. Telles sont nos
37 iberté si l’on tentait de l’imposer. Mais on peut et l’on doit prendre conscience de ses conditions, de ses risques. Je cr
38 ndus conscients des forces véritables de l’Europe et de l’Occident, nous serons en mesure, aussitôt, de renverser l’absurd
39 cidant de les répandre. Si nous voyons les faits, et savons les faire voir, nous aurons du même coup repris l’initiative.
40 sser du plan des faits à celui de nos consciences et de nos volontés ; c’est d’appeler toutes nos forces éparses à se fédé
41 g ou ailleurs, nous dotant d’instruments modernes et puissants (politiques, scientifiques, économiques, sociaux) au servic
2 1951, Preuves, articles (1951–1968). Neutralité et neutralisme (mai 1951)
42 Neutralité et neutralisme (mai 1951)c d Nous sommes contre toute espèce de total
43 pour une raison très simple, d’ordre intellectuel et moral : parce que nous refusons de subordonner la culture à la politi
44 e. La culture s’occupe des fins de la vie humaine et de son sens, la politique doit s’occuper des moyens pratiques de réal
45 ée que pour l’âme même de ce pays de très vieille et profonde culture. Maintenant, il se trouve qu’en fait, le totalitaris
46 donc à corrompre la source même de notre liberté. Et voilà pourquoi nous sommes antistaliniens. …On a dit que nous sommes
47 ien, les seuls critères de jugement intellectuels et artistiques sont ceux qu’impose l’intérêt du Parti, intérêt confondu
48 à Bombay pour condamner la neutralité en général, et celle de l’Inde en particulier. Personnellement, je tiens à prendre i
49 établir une distinction nette entre la neutralité et le neutralisme. La neutralité est une mesure politique qui peut être
50 e politique qui peut être très bonne, très utile, et même très nécessaire dans certaines situations bien définies. C’est a
51 t opérer des choix perpétuellement, entre le vrai et le faux, le beau et le laid, le remède et la maladie. Il n’existe, il
52 erpétuellement, entre le vrai et le faux, le beau et le laid, le remède et la maladie. Il n’existe, il ne peut pas exister
53 le vrai et le faux, le beau et le laid, le remède et la maladie. Il n’existe, il ne peut pas exister de neutralité intelle
54 ar une petite fable. Imaginez un loup, un agneau, et un berger. L’agneau décide de rester neutre entre le loup qui menace
55 décide de rester neutre entre le loup qui menace et le berger qui le protège. Je le comprends fort bien. Il espère ainsi
56 politique par des raisons morales ou doctrinales, et qu’il dise par exemple : — « Après tout, soyons objectif ! Voyons les
57 as à mal, il a grand-faim, il a beaucoup lu Marx, et il est “partisan de la paix” ; d’autre part, ce berger n’est pas un h
58 n’est pas un homme parfait, il boit souvent trop, et il ne lit que le Reader’s Digest. Je refuse donc l’un et l’autre égal
59 e lit que le Reader’s Digest. Je refuse donc l’un et l’autre également, je suis neutre. » C’est contre ce mensonge-là que
60 ique, de n’importe quelle politique, même neutre, et même démocratique ; car dès l’instant où la culture se subordonne à u
61 nexorable. c. Rougemont Denis de, « Neutralité et neutralisme. Le discours de Denis de Rougemont au congrès de Bombay »
3 1951, Preuves, articles (1951–1968). Culture et famine (novembre 1951)
62 Culture et famine (novembre 1951)e Allez dans un pays comme l’Inde, où, dans
63 aim. Montez à la tribune d’un congrès d’écrivains et proclamez « qu’il y a de l’indécence à parler de culture quand la fam
64 d la famine sévit » : tonnerre d’applaudissements et toute la presse pour vous. J’ai vu cela ce printemps à Bombay, et ne
65 se pour vous. J’ai vu cela ce printemps à Bombay, et ne m’en suis pas trop étonné. Mais pour peu que l’on y réfléchisse… P
66 e, mais c’est bien cela qu’on dit, objectivement, et logiquement aussi. La famine, en effet, a régné sur la Terre depuis q
67 a régné sur la Terre depuis qu’il y a des hommes, et qui n’en pensent pas moins. Culture est un mot plus récent, mais ce q
68 les anciens Hindous, les Sumériens, les Égyptiens et les Romains, si nos ancêtres européens eux-mêmes avaient déclaré en l
69 lture tant qu’il subsiste parmi nous de la misère et de la famine », il n’y aurait point de civilisation. S’il n’y avait p
70 ce genre qu’il y eut de créations, dans les arts et les sciences, provoquées par la nécessité et seules capables de la su
71 arts et les sciences, provoquées par la nécessité et seules capables de la surmonter. À l’appui d’une déclaration de mauva
72 culturelle, comme celle que je citais plus haut — et dans l’esprit de ceux qui l’applaudirent — il n’y a pas l’ombre d’une
73 y a deux circonstances atténuantes : un proverbe et un préjugé, qui relèvent à la fois de la sagesse des peuples et d’une
74 qui relèvent à la fois de la sagesse des peuples et d’une erreur courante sur la culture. Ventre affamé n’a point d’oreil
75 t ce que l’époque bourgeoise semble avoir oublié, et le prolétariat hérite de cette erreur. Si la culture est tout d’abord
76 n pays comme l’Inde, sans cesse menacé de famine. Et cela vaut aussi, bien entendu, pour les pays qui ont surtout faim de
77 m de liberté. e. Rougemont Denis de, « Culture et famine », Preuves, Paris, novembre 1951, p. 3.
4 1952, Preuves, articles (1951–1968). « L’Œuvre du xxe siècle » : une réponse, ou une question ? (mai 1952)
78 it à leur empire, qu’ils fondaient pour mille ans et qui mourut en douze. Mais, aussitôt, une autre dictature relève l’acc
79 ussitôt, une autre dictature relève l’accusation, et l’appuie cette fois-ci sur une doctrine. Le mal serait entré dans la
80 uel, tout communiste qu’il soit, sert Wall Street et ses sombres desseins1. Quant à l’avenir, il serait représenté par les
81 u xxe siècle a pris les devants, pour la défense et pour l’illustration de l’Occident. À la campagne de dénigrement condu
82 nduite par les tenants du pompiérisme, du racisme et du stalinisme, nous avons choisi d’opposer des chefs-d’œuvre de l’art
83 avons choisi d’opposer des chefs-d’œuvre de l’art et de la pensée libre apparus depuis cinquante ans : ils parlent d’eux-m
84 us depuis cinquante ans : ils parlent d’eux-mêmes et leur langage sera plus convaincant que tous les arguments. Mais la ri
85 urs celui des pouvoirs politiques, de leurs goûts et de leurs censures, dans le développement de nos arts. L’Œuvre du xxe
86 rester sans effets sur les créateurs, le public, et leur manière de sentir notre temps. Comme l’acte d’observer dans la m
87 jet, c’est peut-être la modernité — voulue, créée et ressentie comme telle. Une passion d’expérimenter à tous risques peut
88 à tous risques peut la définir. Combien de seuils et de limites n’avons-nous pas forcés dans notre siècle — seuil de l’ato
89 l’atome ou seuil de l’inconscient, sens de la vue et de l’ouïe exercés au-delà de leur portée naturelle, conquête du ciel,
90 plus il s’avance dans ce domaine, plus il s’isole et perd le contact du public ; cependant que l’invention technique, dans
91 ses. Mais ces deux maxima, celui de la découverte et celui de l’audience accessible, se révèlent pratiquement contradictoi
92 amais on n’avait vu pareille liberté de recherche et de formulation, jamais moins de scrupules d’expression, dans les scie
93 rupules d’expression, dans les sciences, les arts et les lettres ; et jamais non plus de conformismes plus pesants, plus a
94 ion, dans les sciences, les arts et les lettres ; et jamais non plus de conformismes plus pesants, plus acharnés à contrôl
95 s irrémédiables, de divorce, allant vers le chaos et vers la décadence ? Ou bien dans un système de tensions créatrices sa
96 vif, d’une commune mesure élargie ? Ces problèmes et bien d’autres se trouvent posés, par le seul fait de leurs illustrati
97 Paris, groupe des Six, surréalisme, Proust, Gide et Valéry, et leurs commentateurs, et leurs adversaires de tout bord, et
98 upe des Six, surréalisme, Proust, Gide et Valéry, et leurs commentateurs, et leurs adversaires de tout bord, et le foyer m
99 , Proust, Gide et Valéry, et leurs commentateurs, et leurs adversaires de tout bord, et le foyer mondial de leur marché co
100 commentateurs, et leurs adversaires de tout bord, et le foyer mondial de leur marché comme de leur gloire. Cette aventure
101 n. 1. « Picasso ne crée pas ses œuvres morbides et repoussantes dans le but de critiquer les contradictions de la réalit
102 but de critiquer les contradictions de la réalité et de réveiller la haine des spectateurs pour les forces de la réaction,
5 1952, Preuves, articles (1951–1968). Le sens de nos vies, ou l’Europe (juin 1952)
103 ngue le bien du mal, définit les raisons de vivre et de mourir, et dresse chaque homme, dès son enfance à s’y adapter et c
104 u mal, définit les raisons de vivre et de mourir, et dresse chaque homme, dès son enfance à s’y adapter et conformer. La c
105 resse chaque homme, dès son enfance à s’y adapter et conformer. La civilisation européenne, elle aussi, donne des normes g
106 ques, les Égyptiens, les Sumériens, les Congolais et les Mongols, élever l’enfant ou le jeune homme consistait à le rendre
107 stait à le rendre conforme aux modèles collectifs et sacrés, fixés par les dieux implacables de la fécondité et de la mort
108 , fixés par les dieux implacables de la fécondité et de la mort. Dans notre Europe moderne, éduquer signifie au contraire
109 plus forcer dans le moule commun : voilà l’Europe et sa révolution. L’Oriental (je pense aux Hindous plus qu’aux Chinois),
110 itaire, le parti sait pour lui quel est son bien, et lui prouve au besoin qu’il le sait mieux que lui. L’idée de varier, d
111 tion de sabotage. S’ils tombent dans cette erreur et s’ils y persévèrent, l’Oriental l’expiera dans ses vies ultérieures,
112 ontraire l’homme d’Europe chercher l’originalité, et presque tout l’approuve en cet effort : l’éducation au sens que je vi
113 lui vante, les héros, les champions, les saints — et les nécessités de la concurrence. Nous le voyons chercher sa voie sel
114 l expérimente, enfin sa vocation s’il en sent une et s’il y croit. Lorsqu’il entre en conflit avec les lois, les tradition
115 leux. Cette manière d’opposer l’individu au tout, et d’attribuer l’absurdité non pas au moi qui la ressent, mais au monde
116 s cela donne aussi le chercheur dans les sciences et l’innovateur dans les arts. Cela donne tout ce qui a compté dans la v
117 vie de l’Europe, tout ce qui s’y est fait un nom et un visage distinct. Soulignons maintenant que ce drame permanent entr
118 ns maintenant que ce drame permanent entre le moi et le destin social, entre la personne libre et la fatalité, ne serait p
119 moi et le destin social, entre la personne libre et la fatalité, ne serait pas concevable hors d’un monde qui date ses an
120 ens particulier de chaque vie dans la vie, dénote et marque l’Occident, et plus spécifiquement l’Europe. On peut donc défi
121 que vie dans la vie, dénote et marque l’Occident, et plus spécifiquement l’Europe. On peut donc définir l’Europe comme cet
122 e où l’homme, sans relâche, se remet en question, et veut changer le monde de telle manière que sa vie personnelle y prenn
123 s. L’étrange exception Ainsi donc, comparée et contrastée avec les civilisations sacrées de l’Antiquité, les civilis
124 l’Antiquité, les civilisations magiques de l’Asie et les modernes entreprises totalitaires, l’Europe nous apparaît comme u
125 ces qui oppriment ou qui nient le moi responsable et distinct. Lutte contre le destin natal, pour se forger une destinée ;
126 , pour se forger une destinée ; contre les astres et les dieux écrasants ; contre la masse informe qui annule les personne
127 ule les personnes, mais aussi contre l’arbitraire et l’anarchie, qui vident de sens l’effort de toute une vie ; lutte enfi
128 es intimes du moi, afin de dominer ses mécanismes et d’en tirer une liberté plus haute. Or le fondement de cette révolutio
129 Or le fondement de cette révolution, son ressort et sa cause finale, c’est la notion, chrétienne à l’origine, de la valeu
130 permit la découverte philosophique de l’individu et de l’atome, la Grèce ; celle qui conçut les droits du citoyen, Rome ;
131 courants, culminant dans les notions de personne et de vocation, synthèse qui s’opéra durant les premiers siècles de notr
132 de notre ère, qui s’épanouit avec la Renaissance, et dont la dialectique interne aboutit, de nos jours, au conflit du coll
133 boutit, de nos jours, au conflit du collectivisme et de la liberté démocratique. Je tenterai de faire voir, maintenant, co
134 du moi distinct, de la personne — à la fois mère et fille de l’Europe — forme nos vies, permet qu’elles aient un sens, et
135 — forme nos vies, permet qu’elles aient un sens, et donne leur intérêt même affectif à la plupart de nos activités. Ôtez
136 ez le moi distinct, le droit d’être une personne, et du même coup nos vies n’auraient plus sel ni sens : voilà bien dans s
137 consiste à rappeler que la plupart de nos valeurs et idéaux, à nous autres Européens, et la plupart de nos activités coura
138 e nos valeurs et idéaux, à nous autres Européens, et la plupart de nos activités courantes, sérieuses ou non, dérivent de
139 courant, de membre d’une Église, de l’homme pieux et moral. Je parle d’une manière plus générale du type d’homme (croyant
140 que seul le christianisme a permis de concevoir, et que je nomme la personne. C’est un homme à la fois libre et responsab
141 nomme la personne. C’est un homme à la fois libre et responsable, libre parce qu’il est chargé d’une vocation qui le disti
142 le distingue de la masse, lui donne une direction et un visage ; mais aussi responsable de cette vocation vis-à-vis de ses
143 able de cette vocation vis-à-vis de ses prochains et de la société ; c’est donc un homme engagé dans une aventure bien rée
144 n de révolution a la même extension dans l’espace et le temps que le monde christianisé. L’Asiatique, par exemple, ne peut
145 istianisés. Pour admettre l’idée de la révolution et de sa fécondité possible, il faut avoir sucé avec le lait (celui d’un
146 ue, du renouvellement possible de toutes choses ; et aussi, de la liberté, de la justice, de la mission reçue, et de leur
147 e la liberté, de la justice, de la mission reçue, et de leur valeur transcendante par rapport à l’ordre établi — toutes ch
148 se former que dans un monde qui tient la liberté et la vocation prophétique pour plus vraies que l’Ordre du Monde et l’ob
149 prophétique pour plus vraies que l’Ordre du Monde et l’obéissance aux lois sacrées. Prenons maintenant le phénomène de la
150 de toute raison, mais au-delà de l’instinct même et du plaisir. C’est ce qui jette Tristan et Iseut dans la mort, souhait
151 ct même et du plaisir. C’est ce qui jette Tristan et Iseut dans la mort, souhaitée comme un suprême accomplissement. La pa
152 res depuis des siècles — depuis les troubadours — et grâce à la littérature, elle obsède nos rêves, elle met un « tourment
153 s à vrai dire dégradées, de plus en plus anodines et banales, c’est elle — bien plus que le sex-appeal — qui inspire le ci
154 — qui inspire le cinéma, les magazines féminins, et leurs courriers du cœur. Je constaterai maintenant que cette passion
155 démocratie qui dit qu’un homme en vaut un autre, et donc qu’une femme en vaut une autre. Disposition peu favorable, il fa
156 ur officielle l’idée non scientifique, bourgeoise et individualiste de l’amour romanesque. Il estime à bon droit que la pa
157 n peut la qualifier d’extravagante ou d’immorale, et l’Église peut la condamner. Il n’en reste pas moins qu’elle a sa sour
158 quoique lointaine — dans la révolution chrétienne et qu’elle est inconcevable hors d’un monde où Pascal peut placer dans l
159 gique d’un acte sacrificiel les rythmes du Cosmos et les lois de la fécondité — on dirait aujourd’hui : pour favoriser le
160 d’une grande passion mortelle, mais la révolution et la passion sont pour nous tous des repères décisifs. Nos vies sont or
161 nnes, d’autres exemples : le besoin d’originalité et l’humour. Il y a dans notre goût de l’originalité, deux composantes :
162 alité, deux composantes : l’esprit de concurrence et le besoin d’exprimer son « vrai moi », comme on dit. À partir d’un ce
163 de traduire en symboles convenus l’ordre cosmique et les grands gestes rituels. La variation, l’innovation individuelle ne
164 l, qui tend à s’affirmer comme individu créateur, et l’Oriental, qui tend à s’ordonner au monde des dieux, nous ayons à ch
165 u’ils se donnent des buts tout à fait différents. Et je ne nie pas non plus que dans tous nos pays, il existe une majorité
166 ormistes, qui redoutent l’épithète « d’original » et préfèrent imiter les voisins. Je dis seulement que les modèles dont i
167 èles dont ils disposent pour leur conduite morale et dans les arts, demeurent en dernière analyse des créations individuel
168 en dernière analyse des créations individuelles, et non des conventions sacrées. Ils imitent moins des rites millénaires
169 ions d’hier ou d’avant-hier. Entre le conformiste et le révolté, l’Europe connaît d’ailleurs un être intermédiaire : celui
170 manières. Non seulement par la rébellion ouverte et armée mais par des attitudes et des conduites qui affirment la libert
171 rébellion ouverte et armée mais par des attitudes et des conduites qui affirment la liberté de jugement des individus. Ain
172 tre la tyrannie rationaliste, contre les préjugés et les routines et contre le droit du plus fort, toutes choses qui se ré
173 rationaliste, contre les préjugés et les routines et contre le droit du plus fort, toutes choses qui se résument aujourd’h
174 uoi vous le chercherez en vain dans toute l’Asie. Et vous n’en jouerez pas impunément dans les États totalitaires, où il s
175 l se voit réduit à la plus stricte clandestinité. Et c’est pourquoi, enfin, les créateurs de la démocratie moderne, les An
176 l s’agit d’exister comme une personne consciente, et de prendre distance par rapport à ce que l’on se voit être. Dans l’hu
177 idu… J’en viens à un dernier exemple, le Progrès, et notre attitude envers lui. Il est de mode aujourd’hui de douter du Pr
178 ry, un Eliot, un Toynbee, un Bergson l’ont fait ; et la majorité de nos élites les a suivis. Certes, nous pouvons railler
179 vons railler les illusions du siècle des Lumières et du siècle bourgeois-capitaliste ; nous pouvons répéter que notre indu
180 ’est plus même un idéal européen, mais bien russe et américain, et tout cela semble en bonne partie vrai. Mais il n’est pa
181 un idéal européen, mais bien russe et américain, et tout cela semble en bonne partie vrai. Mais il n’est pas moins vrai q
182 grès possible reste vital pour l’homme européen ; et que nos vies perdraient leur sens, si vraiment nous cessions de croir
183 ous cessions de croire qu’un lendemain plus vaste et plus libre reste ouvert. De plus, il serait faux de penser que notre
184 e. Mais ses origines sont beaucoup plus anciennes et remontent incontestablement — encore une fois — au christianisme prim
185 stianisme primitif. Toutes les religions antiques et celles de l’Asie, étaient des religions an-historiques, en ce sens qu
186 ons an-historiques, en ce sens qu’elles croyaient et enseignaient que le monde évolue d’une manière cyclique, comme une ro
187 e cyclique, comme une roue qui tourne sur son axe et n’avance pas, la destruction succédant fatalement à la construction e
188 estruction succédant fatalement à la construction et le déclin à l’ascension, selon les lois du Retour éternel. Pour ces r
189 humanité n’est plus une suite indéfinie de cycles et de répétitions dont l’homme ne saurait se libérer et dont il n’est pa
190 de répétitions dont l’homme ne saurait se libérer et dont il n’est pas responsable ; elle devient une longue aventure, où
191 re que nous créons nous-mêmes, dans l’incertitude et l’espoir. Les catastrophes restent toujours possibles, mais le progrè
192 l traduit notre volonté d’échapper aux fatalités. Et nous l’imaginons comme le produit de toutes les créations accumulées
193 r les grands hommes, héros, savants, législateurs et saints. Nous pensons que tout cela rendra la vie meilleure. Nous nous
194 us nous trompons peut-être, mais nous le pensons, et cela depuis près de deux-mille ans. Cependant, de nos jours, notre fo
195 t point, qu’il n’ait aucune direction vérifiable, et que la somme des modifications qu’il nous apporte, en bien et en mal,
196 mme des modifications qu’il nous apporte, en bien et en mal, s’annule. La croyance au Progrès collectif demeure un pur et
197 . La croyance au Progrès collectif demeure un pur et simple acte de foi, devant lequel il est permis de rester sceptique…
198 le Progrès à l’origine signifiait une libération, et de nos jours encore la liberté ne peut avoir de sens que pour l’indiv
199 es, à un nombre sans cesse croissant d’individus. Et la mesure de ce Progrès, ce ne sera pas seulement l’augmentation de n
200 n de notre sécurité, de notre confort, mais aussi et peut-être surtout, celle de nos risques personnels, des occasions et
201 t, celle de nos risques personnels, des occasions et des moyens de nous décider nous-mêmes, donc d’être libres. Car la seu
202 st celle de me réaliser ; de chercher, de trouver et de vivre ma vérité, non celle des autres, et non celle que l’État ou
203 uver et de vivre ma vérité, non celle des autres, et non celle que l’État ou le Parti a décidé de m’imposer toute faite. S
204 endre compte de leur vie pour leur propre compte, et qui ont là-dessus leurs idées bien à eux — donc en définitive des hom
205 terres du globe, a découvert le reste du monde — et non l’inverse. Je ne parle pas seulement des grands voyages qui ont p
206 qui ont permis de relever la carte des continents et de dénombrer toutes nos races de Marco Polo à Vasco de Gama, et de Ch
207 r toutes nos races de Marco Polo à Vasco de Gama, et de Christophe Colomb au capitaine Cook. Ce ne sont pas les Aztèques n
208 des sinologues, des hindouistes, des arabisants, et même des spécialistes du monde soviétique. En revanche, je ne connais
209 jouterai que j’en connais trop peu dans nos pays, et que c’est précisément pour remédier à cette carence que nous avons fo
210 uxième remarque : l’Europe est le Musée du monde. Et je ne pense pas seulement en disant cela, au Louvre, au British Museu
211 u British Museum, à tant de collections publiques et privées d’art oriental, précolombien ou nègre — alors que c’est en va
212 ctionner, bien plus que d’enregistrer sur disques et pellicules les chants, les danses, les rites, les voix et les visages
213 cules les chants, les danses, les rites, les voix et les visages de l’innombrable humanité. Nous avons médité sur les myst
214 utes les civilisations qui précédèrent les nôtres et sur celles qui subsistent au xxe siècle. Nous avons déchiffré leurs
215 s avons déchiffré leurs hiéroglyphes, reconstitué et revécu leurs ambitions, et nous avons philosophé sur leurs problèmes
216 roglyphes, reconstitué et revécu leurs ambitions, et nous avons philosophé sur leurs problèmes avec autant de passion, sou
217 monde aujourd’hui, nous imitent — pour leur bien et leur mal à la fois — mais nous, bien au contraire, au lieu de les imi
218 contraire, au lieu de les imiter, nous cherchons et nous parvenons à les comprendre. Cette attitude, absolument particuli
219 aractérise l’Europe comme volonté de conscience — et j’opposerai cette expression à celle de volonté de puissance. Troisiè
220 s bien des cas retrouve leurs traditions perdues, et favorise leur réveil. Je connais tel chargé de mission culturelle en
221 ssionnaire-ethnographe en Afrique, tel philosophe et théologien en Iran, qui savent bien mieux que les natifs, quels furen
222 , quels furent les grands moments de la recherche et de l’essor spirituel dans ces pays, et qui vont découvrir au fond de
223 recherche et de l’essor spirituel dans ces pays, et qui vont découvrir au fond de leur retraite les derniers représentant
224 c’est-à-dire pratiquement les sauver de l’oubli, et peut-être initier leur renaissance. Au-delà de la peur Voilà do
225 rer aux heures d’angoisse de Nicopolis, de Mohacs et du siège de Vienne par les Turcs ; mieux encore, à ces temps du xiiie
226 nomiques qui entraîneraient une tutelle étrangère et ses conséquences culturelles. Il y a surtout la menace du défaitisme
227 enace du défaitisme à la fois politique, civique, et même psychique, si répandu dans nos élites — le pire danger, tant il
228 nférence pour démontrer que notre culture fut bel et bien, dans le passé, la vraie raison de notre puissance, même matérie
229 vraie raison de notre puissance, même matérielle, et qu’elle peut, et qu’elle doit le redevenir demain. Je vous conterai p
230 otre puissance, même matérielle, et qu’elle peut, et qu’elle doit le redevenir demain. Je vous conterai plutôt une petite
231 ines, c’est sérieux, la culture n’est qu’un luxe, et que l’important, c’était de lutter d’abord contre le communisme, qu’i
232 l’inventa. Qui donc ? J’ouvris une encyclopédie, et trouvai ceci : — Il y avait au xviiie siècle un très grand mathémati
233 grand mathématicien. Il s’appelait Léonard Euler, et il vivait à Bâle, entre France et Allemagne, dans une atmosphère très
234 Léonard Euler, et il vivait à Bâle, entre France et Allemagne, dans une atmosphère très savante mais pénétrée de spiritua
235 râce au génie d’Euler, au milieu culturel de Bâle et au piétisme, des milliers d’ouvriers et d’ingénieurs gagnent leur vie
236 l de Bâle et au piétisme, des milliers d’ouvriers et d’ingénieurs gagnent leur vie, des paquebots traversent l’Océan, d’én
237 dépasse, l’armée russe peut encore nous écraser, et notre union s’avère bien difficile. Mais l’esprit créateur reste notr
238 otre apanage, l’esprit qui voit au-delà des faits et peut les transformer puisqu’il les a produits, l’esprit qui sans relâ
239 sprit qui sans relâche vient remettre en question et modifier les résultats acquis. Et c’est l’esprit des hommes qui ont t
240 tre en question et modifier les résultats acquis. Et c’est l’esprit des hommes qui ont toujours préféré le droit de poser
241 iberté qui peut encore sauver d’un même mouvement et l’Europe et le sens de nos vies. g. Rougemont Denis de, « Le sens
242 eut encore sauver d’un même mouvement et l’Europe et le sens de nos vies. g. Rougemont Denis de, « Le sens de nos vies
6 1952, Preuves, articles (1951–1968). Le dialogue Europe-Amérique (août-septembre 1952)
243 inisme est en recul marqué dans nos pays. À Paris et à Rome, où il avait conquis au lendemain de la guerre d’importantes p
244 positions stratégiques dans les lettres, les arts et les sciences, le dernier carré de ses adhérents lutte en retraite, mé
245 u mieux encore : la fille d’Européens aventuriers et puritains, les « Pères pèlerins », et d’une vaste contrée vierge. Une
246 aventuriers et puritains, les « Pères pèlerins », et d’une vaste contrée vierge. Une fille n’est pas une partie de son pèr
247 deux motifs apparemment contradictoires : la peur et l’attrait combinés. Il est clair qu’une partie sans cesse croissante
248 gne de la culture de masse, rapports humains durs et purement utilitaires. Tout cela corsé de griefs politiques, tels que
249 iques, tels que « l’impérialisme de Wall Street » et le danger d’une guerre menée sur notre sol contre les Russes. (Mais l
250 antiaméricaine est plus ancienne que ces griefs, et très souvent ne leur doit rien.) Quant aux motifs d’attrait, ce sont
251 émocratie marche mieux, l’avenir est plus ouvert, et les rapports humains plus francs et plus cordiaux que chez nous. Poli
252 plus ouvert, et les rapports humains plus francs et plus cordiaux que chez nous. Politiquement, on sait ce que donne cett
253 mpez, go home, laissez-nous à nos combats de coqs et nous crierons à l’isolationnisme. Quant à la culture, la cause est en
254 digests, Collier’s, Coca-Cola, Hollywood, comics et whisky. Il est vrai que nous copions vos romans et vos danses. Mais v
255 t whisky. Il est vrai que nous copions vos romans et vos danses. Mais vous n’avez même pas le sens de la lutte des classes
256 ficaces, bons cuisiniers, affreusement compliqués et susceptibles, esquivant les réponses à nos questions directes, occupé
257 subir soit leur intervention, soit leur retrait. Et si la « civilisation du digest » prévaut chez nous, ce sera notre fau
258 en, qui, librement, propage ces succès américains et leurs contrefaçons multipliées chez nous. Notre élite s’en plaint, il
259 ille situation, l’Américain se met sur ses gardes et commet des fautes méthodiques. Il multiplie les enquêtes minutieuses
260 s enquêtes minutieuses pour savoir qui fait quoi, et où, et comment aider tel ou tel sans avoir l’air de faire pression, t
261 tes minutieuses pour savoir qui fait quoi, et où, et comment aider tel ou tel sans avoir l’air de faire pression, tout en
262 en souvent dépasse son objet, il fait ses comptes et son rapport au comité, qui se décide objectivement, et qui se trompe
263 n rapport au comité, qui se décide objectivement, et qui se trompe une fois sur deux. Il en résulte un gaspillage d’effort
264 s sur deux. Il en résulte un gaspillage d’efforts et de capitaux qui d’une part compromet l’efficacité de l’aide américain
265 part compromet l’efficacité de l’aide américaine, et d’autre part donne à certains Européens des habitudes de parasites. O
266 On veut bien faire état d’une culture supérieure et de ses antiques traditions, mais on refuse d’en payer les frais coura
267 ont pas les mêmes qui, en Europe, font la culture et ont l’argent. Mais globalement, la situation se présente ainsi aux ye
268 voir des chances d’intéresser l’argent américain, et renoncer à ceux qui intéresseraient l’Europe et les vrais moyens de l
269 , et renoncer à ceux qui intéresseraient l’Europe et les vrais moyens de l’unir. Inversement, les donateurs virtuels propo
270 liticiens d’inspirer des entreprises d’éducation, et d’une manière générale à n’importe qui de se prononcer sur n’importe
271 ncipal d’éclaircir les malentendus entre l’Europe et l’Amérique. Pour qu’un dialogue de cette nature soit juste, et pour q
272 . Pour qu’un dialogue de cette nature soit juste, et pour qu’il puisse créer une atmosphère plus saine, quelques condition
273 s : a) La première rencontre doit être restreinte et non spectaculaire ; il ne s’agit pas d’un congrès, mais d’un séminair
274 de recherches. b) Les représentants de l’Amérique et ceux de l’Europe doivent être choisis au même niveau de culture et de
275 pe doivent être choisis au même niveau de culture et de responsabilité : cessons de comparer, comme on le fait couramment,
276 d’un côté à ce qu’il y a de meilleur de l’autre, et Pascal aux digests ou les gratte-ciel à nos pittoresques taudis ; par
277 voués aux perpétuelles révolutions de la pensée, et les meilleurs Américains, techniciens idéalistes de l’évolution perma
278 aura vraiment rencontre créatrice. c) Nos griefs et critiques réciproques doivent être considérés comme justifiés, dès le
279 t être considérés comme justifiés, dès le départ, et la question ne sera pas d’échanger de mauvaises notes, mais de trouve
280 ver, après une analyse des erreurs, les principes et les modes d’une collaboration meilleure. Diminuer la méfiance, augmen
281 ement de l’aide américaine, réduire les préjugés, et sauvegarder l’autonomie européenne non seulement en paroles mais en a
282 ectifs concrets. Ils sont vitaux. Car si l’Europe et l’Amérique n’arrivent pas à s’entendre effectivement, comment rêver u
283 ricaine qui attaque à leurs racines l’originalité et la cohésion mentale et morale des peuples européens. » (Esprit, juin
284 eurs racines l’originalité et la cohésion mentale et morale des peuples européens. » (Esprit, juin 52.) h. Rougemont Den
7 1953, Preuves, articles (1951–1968). Deux princes danois : Kierkegaard et Hamlet (février 1953)
285 Deux princes danois : Kierkegaard et Hamlet (février 1953)j La carrière de Søren Kierkegaard s’est déro
286 ative, parut en 1843, lorsqu’il avait trente ans, et connut un immense succès. Mais, à mesure qu’il se fit mieux comprendr
287 omprendre, dans la suite de ses ouvrages composés et publiés au rythme accéléré de trois ou quatre volumes par an, le publ
288 atre volumes par an, le public s’écarta, effrayé. Et , lorsqu’en 1854 il attaqua de front le christianisme officiel et les
289 854 il attaqua de front le christianisme officiel et les évêques, qui avaient loué ses premières œuvres, il se vit abandon
290 rist de l’Évangile. Tous ses ouvrages esthétiques et philosophiques parurent sous divers pseudonymes symboliques. Il quali
291 t ces ouvrages de « communications indirectes » ; et ces pseudonymes figuraient les personnes d’un drame dont lui seul dét
292 e consiste dans le dévoilement progressif du sens et de la fin de cette vocation, secrètement orientée, dès le début, vers
293 nt orientée, dès le début, vers une action unique et éclatante, à laquelle le héros se prépare longuement, devant laquelle
294 se prépare longuement, devant laquelle il hésite et recule, jusqu’à ce qu’un incident secondaire en apparence provoque le
295 pièce célèbre dont il nous apparaît que la forme et le progrès même présentent avec la biographie de Kierkegaard les plus
296 coïncidence qui fait d’Hamlet un prince danois — et l’on peut rêver là-dessus — rappelons d’abord les traits les plus sai
297 uent à première vue le drame vécu par Kierkegaard et nous suggèrent un parallèle possible. L’histoire d’Hamlet peut se rés
298 rompre ses fiançailles avec la très jeune Ophélia et le fait passer pour un dangereux exalté. Finalement, il se voit contr
299 e devant lequel il balançait. Il tue l’usurpateur et périt dans ce combat. Mélancolie, secret qu’il faut garder tout en es
300 être un bon moyen d’illustrer à la fois la pensée et la vie de Kierkegaard et, d’une manière générale, ce que l’on pourrai
301 trer à la fois la pensée et la vie de Kierkegaard et , d’une manière générale, ce que l’on pourrait nommer les lois ou la p
302 d’abord le caractère des deux héros, l’un fictif et l’autre réel. Hamlet, jeune prince royal, est un intellectuel. Il n’a
303 tion humaine. Une incurable mélancolie le possède et lui fait trouver les biens de ce monde « fastidieux, usés et vulgaire
304 trouver les biens de ce monde « fastidieux, usés et vulgaires ». Le suicide le tente. Mais il réussit à masquer cette mél
305 castique, d’un esprit pétulant, prompt à l’ironie et aux métaphores baroques. Voyons maintenant dans quels termes Kierkega
306 ner à son génie dialectique, aux projets de poète et de philosophe qu’il avait conçus pendant son séjour à l’Académie de B
307 théologie, par obéissance aux désirs de son père. Et surtout, lui aussi se sait la victime d’une sorte de neurasthénie : «
308 ent les premières scènes du drame de Shakespeare, et Kierkegaard tel qu’il se montre dans son premier ouvrage, L’Alternati
309 ment, deux êtres d’exception, pleins de hardiesse et de fierté, mais inaptes à la vie commune, à cause d’une mystérieuse m
310 colie qu’ils dissimulent sous un masque ironique. Et voici que ces deux individus, pour qui la vie en soi est déjà un prob
311 oblème, reçoivent en outre une mission redoutable et qui les condamnera, bien plus encore que leur nature psychologique, à
312 s compagnons, qui assistaient de loin à la scène, et leur fait jurer par trois fois de garder le secret sur cette révélati
313 qu’Hamlet pourrait parler de la scène du spectre. Et , d’autre part, c’est l’influence de son père (auquel il dédiera tous
314 erkegaard sur l’absolu du christianisme véritable et lui permit de découvrir cette vérité terrible : le soi-disant christi
315 n marché, au lieu de nous en reconnaître indignes et d’avouer que nous refusons d’en payer le prix. C’est là, dit Kierkega
316 ristianisme. Hamlet connaît maintenant sa mission et son acte : tuer l’usurpateur, afin de rétablir la légitimité. Et Kier
317 uer l’usurpateur, afin de rétablir la légitimité. Et Kierkegaard pressent sa vocation, qui sera de dénoncer l’usurpation r
318 olue de l’Évangile. La tâche apparaît surhumaine. Et nous voyons les deux héros gémir sous le faix qui leur est imposé : «
319 je sois né pour la rajuster ! », s’écrie Hamlet. Et Kierkegaard ne cesse de répéter sur tous les tons la même idée : il e
320 époque détraquée à reconnaître l’absolu chrétien et , sinon à lui obéir, tout au moins à cesser de se dire chrétienne « à
321 que chose de pourri dans le Royaume de Danemark » et que leur destin sera de dénoncer cette situation, advienne que pourra
322 ues, brillants, paradoxaux, apparemment cyniques, et tous signés de divers pseudonymes. Le message chrétien, qui lui impor
323 ent dissimulé. De la sorte, il attirera le public et l’amènera à son insu au point le plus favorable pour l’attaque décisi
324 e pantomime représentant l’assassinat de son père et l’usurpation. « Cette représentation, dit-il, est le moyen par lequel
325 ros. Ils risquent de créer les pires malentendus. Et ils risquent aussi leur bonheur. Ici, le parallèle semble parfait. Le
326 ion humaine, c’est à leurs yeux la femme, l’amour et le mariage. Or tous les deux se voient contraints d’y renoncer, à cau
327 à cause de leur nature profondément mélancolique, et sur ce dernier point le doute reste le même dans les deux cas. Kierke
328 est expliqué, peut-on dire, dans toute son œuvre, et non pas seulement dans des ouvrages tels que Coupable-Non coupable, q
329 alité le récit à peine déguisé de ses fiançailles et l’analyse interminable des motifs de la rupture. Shakespeare, au cont
330 . Kierkegaard aime Régine, jeune fille de 17 ans, et il en est aimé. Mais il a son secret ambigu, le secret de sa vocation
331 il a son secret ambigu, le secret de sa vocation et celui de sa mélancolie. Or il comprend bientôt que le secret serait t
332 cret serait trop lourd pour la jeune fille. Naïve et spontanée, elle tenterait simplement, s’il le lui révélait, de ramene
333 n fiancé à une vue plus bourgeoise de l’existence et de la religion. Elle minerait son courage, déprimerait sa résolution
334 e minerait son courage, déprimerait sa résolution et deviendrait le pire obstacle intime à l’exercice de son étrange vocat
335 e devrait-il être marié ? se demande Kierkegaard. Et lui, qui se bat aux avant-postes, aux frontières de l’esprit ? D’autr
336 contradiction de la douleur : ne point se révéler et faire mourir l’amour ; se révéler et faire mourir l’aimée ? » S’il ch
337 t se révéler et faire mourir l’amour ; se révéler et faire mourir l’aimée ? » S’il choisit d’être la victime, une seule is
338 onner un instant la nature de son double secret ; et pour cela faire croire à sa fiancée qu’il ne l’aime plus. On sait la
339 i a peut-être de graves méfaits sur la conscience et qui renonce au mariage pour mieux jouir de sa vie de garçon. Il a des
340 une demoiselle au sang frais pour me rajeunir. » Et Kierkegaard ajoute, en commentant ce récit : « Cruauté nécessaire ! »
341 avec une froideur affectée, puis court au théâtre et , rentré chez lui, pleure toute la nuit. « Mais le lendemain, écrit-il
342 le lendemain, écrit-il, je fus comme d’ordinaire, et même plus pétillant d’esprit que jamais : c’était nécessaire… » Il me
343 . Hamlet a compris lui aussi que l’amour spontané et naïf d’Ophélia ferait obstacle à ses desseins secrets. C’est à lui qu
344 Sur sa perte passe ma route vers un grand but. » Et nous voyons Hamlet, comme Kierkegaard, se noircir aux yeux de la jeun
345 ustice, une différence profonde entre Kierkegaard et Hamlet : c’est que le premier a tout fait pour que Régine ne souffre
346 re pas, il a voulu prendre sur lui tout le drame, et il y a réussi, puisqu’il peut écrire, non sans amertume : « Elle a ch
347 eur », tandis qu’Hamlet pousse Ophélia au suicide et semble indifférent à ce désastre… Mais venons-en au dénouement du dra
348 tragique ? Un incident minime, une simple phrase, et qui pouvait passer pour un cliché dans un discours très officiel. L’é
349 er, primat de l’Église danoise, venait de mourir. Et le professeur Martensen, prononçant son éloge funèbre, crut devoir sa
350 nster avait été un grand prélat, chargé de titres et d’honneurs, un fin lettré, un humaniste, un homme comblé des biens de
351 tait se moquer de l’Évangile, c’était reconnaître et sanctionner l’usurpation. Kierkegaard se sentit provoqué. Et, là enco
352 ner l’usurpation. Kierkegaard se sentit provoqué. Et , là encore, ce qui aurait pu rester un simple assaut de fleuret, une
353 r, succédant à Mynster. Puis il publia l’article. Et cet article fut son acte, l’attaque directe, décisive et mortelle, au
354 article fut son acte, l’attaque directe, décisive et mortelle, aussi « exagérée » que peut l’être l’élan d’un combattant q
355 ce — avec les luttes intérieures, avec la crainte et le tremblement, les frémissements, les scrupules, les angoisses de l’
356 les angoisses de l’âme, les tourments de l’esprit et , de plus, toutes les souffrances dont on parle généralement dans le m
357 le dénuement, dans la misère, dans l’abaissement et l’humiliation, homme méconnu, haï, détesté, insulté, outragé, bafoué 
358 st flagellé, torturé, traîné de prison en prison, et puis enfin — car c’est bien d’un véritable témoin de la vérité que no
359 a vérité que nous parle le professeur Martensen — et puis enfin crucifié, décapité, brûlé ou rôti sur un gril, jeté par le
360 tre enterré. Voilà un témoin de la vérité, sa vie et son existence, sa mort et son enterrement — et l’évêque Mynster, dit
361 in de la vérité, sa vie et son existence, sa mort et son enterrement — et l’évêque Mynster, dit le professeur Martensen, f
362 ie et son existence, sa mort et son enterrement — et l’évêque Mynster, dit le professeur Martensen, fut un des vrais témoi
363 mporte quelle hérésie ou n’importe quel schisme — et c’est de jouer au christianisme, d’en écarter les dangers et de jouer
364 jouer au christianisme, d’en écarter les dangers et de jouer ensuite au jeu que l’évêque Mynster était un témoin de la vé
365 rieuse s’éleva de toutes parts. L’opinion danoise et scandinave fut secouée d’une vertueuse indignation. Kierkegaard lutta
366 hlet périodique, intitulé L’Instant, pour élargir et pour intensifier son offensive. Après un an de bataille, il succomba.
367 avait réussi : l’usurpation s’était vue dénoncée, et il avait forcé le grand public à devenir attentif à son message. Mais
368 it comme fascinée par les deux concepts d’instant et de saut. L’instant, c’était pour lui le temps de la foi, le contact d
369 pour lui le temps de la foi, le contact du temps et de l’éternité ou, comme il le disait : « la plénitude du temps, quand
370 récèdent, dans la lecture alternée de Kierkegaard et de Shakespeare, j’avoue qu’il m’est arrivé plus d’une fois de ne plus
371 is de ne plus bien savoir lequel des deux parlait et de m’imaginer qu’Hamlet avait été écrit par Kierkegaard, voire qu’à l
372 ierkegaard avait été mise à la scène deux siècles et demi avant d’être vécue. Le style élisabéthain de Kierkegaard, son ly
373 risqué se soit offert à l’esprit de Kierkegaard, et qu’il ait tenu à le corriger lui-même. Voici en bref le contenu de la
374 rs il n’y aurait plus de drame, au sens technique et esthétique du terme. En effet, « dans l’ordre esthétique, l’obstacle
375 mlet de Shakespeare, mais on rejoindrait purement et simplement la biographie de Kierkegaard. Le drame de Kierkegaard n’a
376 erkegaard n’a pas été fictif. Il n’a pas été joué et ne saurait l’être. Il a été vécu et souffert consciemment (avec une c
377 pas été joué et ne saurait l’être. Il a été vécu et souffert consciemment (avec une conscience folle, pourrait-on dire),
378 ainsi dire, de toute « communication indirecte ». Et maintenant, par fidélité à la méthode de Kierkegaard, passons sans tr
379 ’un musicien. Il ne s’agit ici que du don naturel et des dispositions natives. Mais il existe un sens bien différent du te
380 Elle lui est adressée en dépit de ce qu’il est. «  Et l’Éternel me dit : Ne dis pas : Je ne suis qu’un enfant. Car tu iras
381 iras vers tous ceux auprès de qui je t’enverrai, et tu diras tout ce que je t’ordonnerai… » Voici, je mets mes paroles da
382 vements contradictoires : la poussée de la nature et l’appel de l’esprit. Chez Kierkegaard, l’ambiguïté subsiste. Nous avo
383 u que sa mélancolie profonde le sépare des autres et , dès l’enfance, fait de lui une nature d’exception. Mais l’appel reli
384 t l’atteindre au début de sa carrière d’écrivain, et qui le charge d’une mission unique, le rend une exception au second d
385 it — bien que, dans ce cas particulier, la nature et l’appel reçu semblent pousser et tirer dans le même sens. On pourra d
386 ulier, la nature et l’appel reçu semblent pousser et tirer dans le même sens. On pourra donc interpréter cette vocation de
387 de Kierkegaard soit qu’il fut un neurasthénique, et que son cas relève de la psychanalyse, soit qu’il fut un prophète, né
388 e, soit qu’il fut un prophète, né pour être poète et philosophe, mais contraint, par l’appel transcendant, à devenir un té
389 tude inévitable par l’appel qu’il a cru entendre. Et son incertitude n’est pas le fait d’un manque d’information, d’une co
390 mmé Jésus, le fils d’un charpentier de Nazareth » et l’autre confessera : « C’est le Christ, le Fils de Dieu, la Deuxième
391 une périphrase philosophique pour désigner la foi et sa nécessité. On ne peut que « croire » en Dieu, et l’on ne peut que
392 sa nécessité. On ne peut que « croire » en Dieu, et l’on ne peut que « croire » une vocation, celle d’un autre, mais auss
393 oire » une vocation, celle d’un autre, mais aussi et d’abord celle que l’on « croit » avoir reçue soi-même. Ainsi l’incert
394 tion se trouve plongé dans une double incertitude et dans un risque permanent. Il n’est pas de méthode éprouvée ni de rais
395 ent qui puisse l’aider. L’homme engage son action et parie tout sur quelque chose qui lui demeure mystérieux, dans lui-mêm
396 ecte dans Hamlet que les moyens à mettre en œuvre et , par suite, le succès final. Chez Kierkegaard, chez le chrétien en gé
397 nt nul ne peut connaître la trame ni l’ensemble — et cependant il faut jouer, nous sommes au monde, nous sommes embarqués,
398 ion comportant toute une stratégie de pseudonymes et de « tromperies » — comme il tient à le répéter. Ceci nous porterait
399 ’on l’a sentie à l’œuvre. Kierkegaard l’a bien su et l’a dit dans sa brochure intitulée Point de vue sur mon activité d’au
400 r qu’au début je l’ai saisie avec cette netteté : et pourtant c’est bien moi qui ai accompli cette œuvre et l’ai menée à c
401 urtant c’est bien moi qui ai accompli cette œuvre et l’ai menée à chef, pas à pas, avec ma réflexion. … S’il me fallait ex
402 … S’il me fallait exprimer avec toute la rigueur et toute la précision possibles la part de la Providence dans mon œuvre
403 eu conscience de moi au cours de cette éducation et dès le début. … Dès le premier moment, l’élément religieux est donné
404 au hasard, révélait une signification tout autre et purement idéale lorsque ensuite cela paraissait dans mon œuvre ; bien
405 onstances en apparence toutes fortuites de ma vie et qui, mon imagination aidant, prenaient d’immenses proportions, me met
406 ne comprenais pas, je tombais dans la mélancolie et , chose curieuse, il en résultait précisément et à point nommé la disp
407 e et, chose curieuse, il en résultait précisément et à point nommé la disposition nécessaire au travail dont je m’occupais
408 imprimé. Ainsi la vocation organise les hasards et fait flèche de tout bois, souvent à notre insu. Mais ce qu’illustre a
409 elle ne peut révéler que le premier pas à faire, et le sentier se crée sous les pas qui le foulent. Ici, la seule expérie
410 nce poétique. Car le poète, lui non plus, ne sait et ne saura jamais s’il ne fait qu’épouser un rythme errant, ou s’il le
411 cès, mais à toute justification devant l’opinion, et même, dans certains cas, à la morale. C’est courir un risque absolu.
412 opose la souffrance non pas seulement comme signe et garantie de la vraie voie, mais, plus radicalement, comme la voie mêm
413 l’action, monte sur une sorte de tribune élevée, et , de là, d’un saut prodigieux, se jette dans le vide, l’épée brandie,
414 erkegaard. j. Rougemont Denis de, « Kierkegaard et Hamlet : deux princes danois », Preuves, Paris, février 1953, p. 3-11
8 1953, Preuves, articles (1951–1968). À propos de la crise de l’Unesco (mars 1953)
415 a rien eu de diplomatique, que ce poète, ministre et grand éducateur est parti en claquant la porte, non sans avoir déclar
416 xiste un malaise général à l’endroit de l’Unesco, et cela non seulement dans l’opinion, probablement superficielle dans se
417 y avoir un vice constitutif dans toute l’affaire. Et peut-être facile à trouver. Car, en somme, qu’est-ce que l’Unesco ? U
418 onctionnaires nommés par eux, entièrement financé et contrôlé par eux, et dont le programme général est voté par leurs dél
419 par eux, entièrement financé et contrôlé par eux, et dont le programme général est voté par leurs délégués. Inutile de che
420 ctivité d’un peintre, d’un savant, d’un écrivain, et les intérêts d’un ministre, les rapports, s’il en est, ne sont qu’acc
421 re de la culture. L’Unesco veut aider la culture, et plus encore aider les peuples à se cultiver, non point d’ailleurs pou
422 é des œuvres d’art, de littérature ou de science, et leur diffusion dans les masses, serait vraiment une aide à la culture
423 a culture organisée Il y eut jadis des princes et dictateurs mécènes. Il y eut Laurent le Magnifique. Temps bien passés
424 autre ministère (celui des finances, par exemple) et contrôlé par la majorité d’un parlement. Comment un ministère pourrai
425 es) obtenir un crédit pour la beauté d’une œuvre, et sur la seule démonstration de son excellence ? Il n’en obtient parfoi
426 es nationaux, certains groupes d’intérêts privés, et finalement certains partis. Admettons que le projet soit retenu. La d
427 a là le Yémen, le Liban, les Latins, les Hindous et les Américains, chacun dûment pourvu d’instructions de son État, donc
428 merge de leurs débats a par miracle forme humaine et valeur proprement culturelle, ce sera bien grâce aux tours de force d
429 on du budget. Il faut faire vivre l’Organisation, et songer aussi à ses tâches. Les activités culturelles n’étant aux yeux
430 lturelles n’étant aux yeux de nos gouvernements — et c’est normal — qu’une espèce de mal nécessaire, un de ces irritants p
431 a lutte des partis, de l’économie, de la défense, et de la politique générale, — il est bien clair qu’on leur donnera touj
432 fait est qu’on n’y croit guère dans ces milieux, et tel étant l’état de l’opinion moyenne, 9 000 000 de dollars font tout
433 u décerner 3000 grands prix de littérature, d’art et de science ; ou réunir 4000 séminaires de discussions et de recherche
434 cience ; ou réunir 4000 séminaires de discussions et de recherches ; ou distribuer 5 à 6000 bourses d’études pour professe
435 es, étudiants ; ou publier 25 millions de volumes et les distribuer gratuitement ; ou encore 80 millions de grandes reprod
436 ais tout cela, comme cent autres choses possibles et imaginables, supposerait que l’on traite la culture comme but en soi,
437 mme but en soi, non comme annexe d’une politique. Et nous venons de voir pourquoi c’est impossible : non point à cause d’u
438 ion C’est le système qu’il faut donc réformer, et c’est encore trop peu dire : il s’agit de refaire à l’inverse, de fon
439 agit de refaire à l’inverse, de fond en comble, —  et non de comble en fond — ce qu’ont imaginé il y a sept ans les créateu
440 s majeurs : il est trop vaste, il est centralisé, et il laisse aux gouvernements l’initiative autant que le contrôle. Repr
441 e peut se donner qu’un but très vague, mal défini et presque vide de contenu proprement culturel. (En fait, on se borne à
442 compte de nos récentes divisions administratives et douanières. Le champ d’action optimum d’une œuvre de coopération cult
443 es organismes régionaux (comme on dit à l’Unesco) et non point mondiaux. 2. Centralisé. La réalité de la culture ne se tro
444 onales, mais bien dans les communautés organiques et dans les foyers de création. Nous entendons par là : les écoles de pe
445 ion. Nous entendons par là : les écoles de pensée et d’art ; les revues et les groupes d’études ; les festivals de musique
446 r là : les écoles de pensée et d’art ; les revues et les groupes d’études ; les festivals de musique ou de théâtre ; les i
447 sique ou de théâtre ; les instituts de recherches et d’enseignement ; les laboratoires, etc. C’est là que se forme le lang
448 que se forme le langage des créateurs individuels et que leurs œuvres apparaissent. C’est donc de là qu’il faut partir, de
449 d’une organisation abstraite parce que mondiale, et condamnée par ses dimensions mêmes à la bureaucratie comme aux interf
450 eloppe par des méthodes de coordination pratique, et non pas à coups de directives émises par un office lointain, soumis l
451 es entre foyers de création. Ces liaisons peuvent et doivent être favorisées quand elles ne s’établissent pas spontanément
452 chelle qui n’est plus celle du rayonnement normal et sensible des foyers de base. 3. Initiative et contrôle gouvernementau
453 mal et sensible des foyers de base. 3. Initiative et contrôle gouvernementaux. Ce qui précède suffit à établir que l’initi
454 Partir d’en bas, non pas d’un centre trop élevé, et trop abstrait des conditions concrètes de la culture dans son état na
455 s concrètes de la culture dans son état naissant. Et ce qui vaut pour les initiatives devrait valoir aussi pour le contrôl
456 ubvention (après examen des propositions étudiées et soumises par les intéressés directs) et parfois d’arbitrage (en cas d
457 étudiées et soumises par les intéressés directs) et parfois d’arbitrage (en cas de conflit entre certaines activités cult
458 de conflit entre certaines activités culturelles et le bien commun des peuples ou du groupe de nations considéré). S’il f
459 Qu’on leur laisse donc l’initiative, le contrôle et l’exécution ! Qu’ils s’associent directement entre eux, quand ils le
460 s’est montrée la plus économique, la plus rapide et la plus efficace aussi pour préserver les entreprises de culture de t
461 rage entre les intérêts spécifiques de la culture et les intérêts généraux des populations. Un régime de consultations dir
462 s petits exécutifs spécialisés dont nous parlions et les instances gouvernementales se révèle là encore le plus pratique,
463 lus pratique, ne fût-ce qu’en évitant les retards et les frais des grandes machines bureaucratiques. k. Rougemont Deni
9 1953, Preuves, articles (1951–1968). « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (juillet 1953)
464 ongère, elle est gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour le
465 des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour les besoins d’une polémique,
466 de Marx, ou de Lénine, ou de Staline, mais dite, et sans retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures
467 Lénine, ou de Staline, mais dite, et sans retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres
468 ns retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres des ouvriers de Berlin-Est, cette phras
469 cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres des ouvriers de Berlin-Est, cette phrase crie sur la ter
470 e système totalitaire est un crime contre l’homme et ses jours désormais sont comptés. L’insurrection de toutes les villes
471 ns, domina la conscience prolétarienne (de France et d’Italie surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’un
472 nce prolétarienne (de France et d’Italie surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’un mythe, mais aussi d’
473 hes qui vantiez la violence ouvrière, « substance et force du PC », allez redire aux Berlinois que « la classe ouvrière se
474 émasqué comme le parti de la répression sanglante et de la déportation massive des travailleurs. C’est ici le lieu et le t
475 ation massive des travailleurs. C’est ici le lieu et le temps de le répéter, ou jamais : d’autres que les Soviets ont tiré
476 ire, depuis le xviiie siècle. Au nom de l’ordre, et de la loi, au nom des droits sacrés de la propriété, au nom des intér
477 urs qui, eux, se révoltaient au nom de la liberté et de leur dignité d’hommes. C’était ignoble, mais nous voyons bien pire
478 uvrier d’usine, de l’appeler dès lors « liberté » et d’exiger que les prolétaires, « spontanément », réclament, au lieu d’
479 uvrant ces intérêts ; jamais au nom de la justice et des libertés populaires. J’imagine deux choses pires que la pire inju
480 er de la cause ouvrière, à se parer de sa justice et de son nom, pour l’écraser ensuite, une fois qu’on a le pouvoir, en r
481 élioration de la vie, de haine contre le fascisme et les provocateurs. Qui ne voit aujourd’hui quels furent à Berlin-Est c
482 aut pour tous leurs camarades des pays satellites et de l’URSS ; et les tyrans l’ont confirmée, en ouvrant le feu. L’impos
483 eurs camarades des pays satellites et de l’URSS ; et les tyrans l’ont confirmée, en ouvrant le feu. L’imposture communiste
484 e sentir à Berlin, surgissant d’un peuple écrasé. Et ce n’est pas l’Europe des marchandages entre nations qui entendent ch
485 re nations qui entendent chacune recevoir le plus et croiraient trahir en donnant. C’est l’Europe qui crée son avenir et j
486 ir en donnant. C’est l’Europe qui crée son avenir et justifie sa raison d’être par des hommes qui se sacrifient au service
10 1953, Preuves, articles (1951–1968). Les raisons d’être du Congrès (septembre 1953)
487 t la culture est une des principales conditions ; et pour la culture, dont la liberté est le résultat principal. Je rappel
488 orée, nous avons été dire un seul mot : Liberté ! et le sens de ce mot, ce sens que les plus grands philosophes n’ont pas
489 ande-Bretagne, dans les deux Amériques, aux Indes et au Japon. Et le travail en profondeur a commencé. À Paris, l’an derni
490 , dans les deux Amériques, aux Indes et au Japon. Et le travail en profondeur a commencé. À Paris, l’an dernier, notre fes
491 uire la liberté ! », disait en somme ce festival, et « voilà nos raisons de reprendre confiance dans une culture, que ceux
492 dans une culture, que ceux qui en sont indignes, et qui le prouvent par là même, ont voulu qualifier de décadente ». L’an
493 nds compositeurs modernes, avec leurs interprètes et leurs critiques, poursuivra cet effort dans le domaine des Arts. Mais
494 Certes, la question des rapports entre la science et la liberté a fait partie, dès le début, de notre programme. Nous nous
495 nçais, on a vu la peinture, la poésie, la musique et la danse prospérer sous toutes sortes de tyrannies, souvent en dépit
496 t en dépit d’elles, mais parfois à cause d’elles. Et aujourd’hui cela est possible encore. Certes, la peinture et la litté
497 hui cela est possible encore. Certes, la peinture et la littérature sont tombées au plus bas en Russie soviétique ; mais l
498 enviable que celui d’un savant qui doit apprendre et professer la génétique selon Lyssenko, la linguistique selon Staline,
499 , des raisons financières par exemple, mais aussi et surtout, parce que personne ne peut dire au savant : « Tu penseras, t
500 penseras, tu chercheras, tu découvriras jusqu’ici et pas plus loin ! » Personne ne peut lui dire cela sans tuer en lui l’é
501 tourner vers la science est encore plus évidente, et la voici : La civilisation occidentale est de plus en plus dominée,
502 science pure, du moins par l’idée que les peuples et leurs éducateurs se font de la science. De plus en plus, l’on accorde
503 étée, toute l’autorité qu’on retire à la religion et aux morales en dérivant. Cette situation est toute nouvelle dans l’hi
504 ois systématique dans ses interprétations du réel et pourtant jamais achevée ; absolument contraignante pour l’esprit et p
505 achevée ; absolument contraignante pour l’esprit et pourtant créatrice de manières de penser nouvelles : typiquement euro
506 nouvelles : typiquement européenne dans sa source et pourtant universelle dans ses conclusions ; modèle de certitude dans
507 usions ; modèle de certitude dans ses déductions, et pourtant née à chaque instant du doute le plus délibéré. Aventure sup
508 e suprême de l’esprit critique pour ses créateurs et cependant cause de superstition nouvelle pour les masses, la science
509 nouvelle pour les masses, la science « qui guérit et qui tue » joue-t-elle dans le monde présent en faveur de la liberté,
510 s de la recherche scientifique fasse l’inquiétude et même l’angoisse du monde moderne. À cela s’ajoute le fait que les inv
511 a fallu attendre pour cela l’instruction publique et la grande presse. Mais prenez, de nos jours, une petite invention com
512 enace de ruiner l’importante industrie du cinéma, et qu’elle bouleverse les conditions d’une campagne présidentielle aux É
513 plus inquiète l’État, réagit sur le jeu politique et tend à dominer la société. Mais alors la question se pose, inévitable
514 lie entre la science, la liberté, la spiritualité et le bonheur des masses ? Ou bien sommes-nous prêts à courir les risque
515 deux mots, pourquoi cette conférence se tient ici et non ailleurs. La liberté dans la recherche et l’acceptation de ses ri
516 ici et non ailleurs. La liberté dans la recherche et l’acceptation de ses risques supposent une belle confiance dans les p
517 une belle confiance dans les pouvoirs de l’homme et dans l’issue de l’aventure humaine. Nous cherchions un lieu propice à
518 ons un lieu propice à cette atmosphère souhaitée. Et nous avons trouvé, dans cette Europe inquiète, une grande cité qui of
519 de l’essor scientifique. C’était votre cité libre et hanséatique, dont le génie nous semblait incarné par celui qui a la c
520 s de, « Allocution inaugurale du Congrès “Science et Liberté” (Hambourg, juillet 1953) », Preuves, Paris, août–septembre 1
521 e, elle aussi, dans un certain contexte politique et aucun savant ne peut plus l’ignorer. L’asservissement de la science d
522 du 23 juillet, le congrès international “Science et Liberté”. Cette rencontre organisée par le Congrès pour la liberté de
523 mmunauté des savants pouvait estimer injustifiées et nuisibles : “Aucun système de gouvernement, dit-il, n’est exempt de v
524 en qui fait partie du meilleur héritage américain et qui manquait, pour son malheur, à l’Allemagne, au temps où j’y fis me
525 ingt rapports concernant la liberté de la science et les relations entre les savants et la société furent présentés et dis
526 de la science et les relations entre les savants et la société furent présentés et discutés par les représentants qualifi
527 entre les savants et la société furent présentés et discutés par les représentants qualifiés des disciplines les plus var
11 1954, Preuves, articles (1951–1968). La table ronde de l’Europe (janvier 1954)
528 ne réunion restreinte d’écrivains, de publicistes et de journalistes éminents soit consacrée à la discussion d’un programm
529 ramme de diffusion de l’idée européenne en Europe et dans le monde. Cette initiative fut approuvée par les délégués des mi
530 à instituer un débat sur « le problème spirituel et culturel de l’Europe considérée dans son unité historique et les moye
531 de l’Europe considérée dans son unité historique et les moyens d’exprimer cette unité en termes contemporains ». Chacune
532 l’Europe non seulement au point de vue politique et économique, mais aussi sur le plan culturel et spirituel. Il avait ét
533 ue et économique, mais aussi sur le plan culturel et spirituel. Il avait été décidé finalement que cette table ronde se ré
534 tte table ronde se réunirait à Rome le 13 octobre et siégerait pendant quatre jours, que M. Denis de Rougemont, directeur
535 en de la culture à Genève, dirigerait les débats, et enfin que le gouvernement italien, qui avait accepté de patronner la
536 position de la table ronde la villa Aldobrandini, et prendrait toutes les dispositions matérielles pour favoriser la renco
537 ien ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas et ancien ambassadeur à Washington, actuellement ministre à Lisbonne ; l
538 professeur Kogon, directeur des Frankfurter Hefte et président d’Europa-Union ; le professeur Löfstedt, recteur de l’Unive
539 s au « Royal Institute of International Affairs » et professeur d’histoire internationale à l’Université de Londres ; et M
540 stoire internationale à l’Université de Londres ; et M. de Rougemont, directeur des débats. Publicistes : MM. Hommel (Belg
541 res, du Comité des experts culturels, de l’Unesco et de l’Organisation du traité de Bruxelles assistaient à la réunion. C’
542 e Menthon, président de l’Assemblée consultative, et en présence de M. Pella, président du Conseil italien, ainsi que du c
543 epuis la dernière guerre, dans la peur des Russes et de la charité des Américains. » Je traduis maintenant les mots en chi
544 ns. » Je traduis maintenant les mots en chiffres, et cela donne le curieux résultat que voici : « À l’ouest du rideau de f
545 ions d’hommes vivent dans la peur de 190 millions et de la charité de 155 millions. » La raison de ce paradoxe est des plu
546 de Belges, 3 millions de Norvégiens… Nous pensons et sentons par nations cloisonnées, dans l’ère des grands empires contin
547 grands empires continentaux, des grands marchés, et de la stratégie mondiale. Nous nous sentons, en conséquence, trop pet
548 tons, en conséquence, trop petits pour le siècle, et condamnés à perdre, après nos dernières positions dans le monde, notr
549 e monde, notre indépendance politique, économique et peut-être morale. Et certes, nous perdrons tout cela, tout ce qui fai
550 ndance politique, économique et peut-être morale. Et certes, nous perdrons tout cela, tout ce qui fait le sens même de nos
551 ur se sauver, pour rejoindre un salut tout proche et comme à portée de la main ? Il ne lui manque peut-être qu’une seule c
552 le encourt, que tous nos pays courent ensemble, —  et la conscience aussi des ressources immenses qui sont là, dont elle pe
553 nc la condition première de toute action concrète et raisonnable en faveur de l’union, notre salut prochain. C’est ainsi,
554 ais lentement : économique, politique, militaire. Et les résistances croissaient à la mesure des gains déjà réalisés. Comm
555 es résistances là où elles sont, dans les esprits et dans les cœurs, selon la formule consacrée, pour une fois juste ? Com
556 eiller l’opinion ? Les slogans s’usent très vite, et la jeunesse actuelle, très sensible aux tribuns littéraires, accueill
557 r rang, mais rompus aux disciplines de l’esprit ; et des hommes de pensée dans la rigueur du terme, mais riches d’une expé
558 de ce mariage très significatif de la méditation et de l’expérience, quinze publicistes réputés furent conviés à recherch
559 rechercher ensemble les moyens de faire connaître et d’illustrer, chacun dans sa sphère d’influence, les résultats de la r
560 tous sauf à moi-même, je n’en pensais guère moins et notais au passage des points de départ d’interventions virtuelles… Je
561 des esprits aussi divers que le sont nos peuples et les familles intellectuelles qui les composent. Mis aux prises avec u
562 ue les graves divisions nationales, linguistiques et idéologiques qui nous fascinent aujourd’hui, apparaissent transitoire
563 fascinent aujourd’hui, apparaissent transitoires et relatives. À cette fin, j’avais introduit, dans les six thèmes propos
564 e, défini par leur unité incontestable d’origines et par le fait qu’ils succomberont demain aux mêmes périls, s’ils ne tro
565 e, nous l’avons faite sous la conduite magistrale et souriante d’un des plus grands historiens de notre temps, M. Toynbee,
566 u confluent des courants issus d’Athènes, de Rome et du Proche-Orient ; son expansion dans le monde entier ; l’exportation
567 déaux religieux, de nos formes politiques, aussi, et enfin des secrets techniques de notre puissance chez tous les peuples
568 tre puissance chez tous les peuples de la terre ; et puis soudain, au xxe siècle, le renversement subit et complet de not
569 is soudain, au xxe siècle, le renversement subit et complet de notre position dans le monde ; la montée des empires unifi
570 nde massive des dictatures ; les moyens matériels et intellectuels de notre domination retournés contre nous. Nous avons v
571 ers l’union ? L’examen de notre crise spirituelle et par suite culturelle et civique fut introduit avec ampleur par M. Eug
572 e notre crise spirituelle et par suite culturelle et civique fut introduit avec ampleur par M. Eugen Kogon. Il conclut à l
573 te restauration des cadres d’une culture nouvelle et des bases d’un langage commun. Puis M. van Kleffens, en juriste rompu
574 la souveraineté nationale (ou ce qu’il en reste) et la future communauté supranationale. Le diagnostic ainsi posé, nous n
575 s sommes tournés vers l’avenir : où allons-nous ? Et c’est M. Robert Schuman, en plein accord avec les thèses très énergiq
576 ni de recettes miraculeuses pour supprimer le mal et assurer le bien dans un délai garanti. Mais elle a déterminé claireme
577 ’Européens devant le monde que nous avons changé, et elle a formulé les buts communs susceptibles de nous unir. Car ce ne
578 me en apparence irréductible de la foi religieuse et des certitudes relatives fondées sur la science, la table ronde a aff
579 n question réciproque dans la tolérance mutuelle, et d’une morale civique européenne, commune aux deux familles d’esprits.
580 ction apparente entre l’exigence d’unir nos pays, et celle de sauvegarder les diversités qui ont fait la richesse de l’Eur
581 ce qui doit l’être normalement, afin de garantir et de faire vivre mieux ce qui doit normalement demeurer autonome, disti
582 u régime colonial à l’association dans l’égalité, et celui de compenser la perte de nos positions économiques dans le mond
583 cal dans nos rapports avec le monde extraeuropéen et dans nos rapports mutuels » (Toynbee), c’est-à-dire de regagner en pr
584 moral ce que nous perdons en puissance politique, et de regagner par l’exploitation en commun de nos propres richesses ce
585 isation modèle. Mais elle a déclaré que le devoir et le salut des Européens consistaient aujourd’hui à édifier des modèles
586 us l’avons communiqué, « donné » au monde entier, et cette liqueur tout d’abord enivrante est bientôt devenue poison. C’es
587 partient donc d’inventer l’antidote de ce toxique et de créer un type nouveau de Communauté fédérale. III. Éléments d’u
588 ner comme autre chose qu’une nation monstrueuse ; et ils s’empressent de projeter sur elle les péchés d’égoïsme, d’orgueil
589 projeter sur elle les péchés d’égoïsme, d’orgueil et d’étroitesse inhérents au nationalisme qu’ils n’ont pas encore su dép
590 ù le bât les blesse. D’autres parlent d’humilité, et battent la coulpe de l’Europe colonialiste sur la poitrine des fédéra
591 il n’y a pas de quoi ! Elle a réduit en servitude et parfois massacré des peuples entiers, en Amérique, en Asie, en Afriqu
592 frique. Elle a produit Hitler, les chambres à gaz et le racisme. Elle a provoqué les guerres les plus sanglantes de l’Hist
593 ’est le délire nationaliste qui a fait tout cela. Et voyez : c’est au nom du même nationalisme — appuyé par les communiste
594 indifférente, mais le sens des tensions fécondes et de l’union dans la diversité. Or ce génie fédéraliste n’exclut rien,
595 ismes. D’autres enfin nient les concepts d’Europe et d’unité culturelle de l’Europe au nom d’un idéal d’universalité. Ils
596 a raison, de ses morales variées, de sa technique et de ses formes politiques est typique de l’Européen, héritier des Grec
597 r des Grecs, des Romains, de l’Église catholique, et des clubs jacobins. Cette croyance, en fait illusoire, est la racine
598 le, dans le domaine des idées pures (s’il en est, et qui restent telles). Mais il couvre trop d’équivoques. Ce qu’il a de
599 l a de bon, le désir d’ouverture de la conscience et de la connaissance, c’est l’attitude fédéraliste qui peut le sauver,
600 st devenue vraiment universelle, pour le meilleur et pour le pire. Afin de sauver cette culture menacée par les chocs en r
601 xportée sans nul discernement, à cette fin seule, et non pour quelque impérialisme trop évidemment inconcevable, il faut m
602 au-dessus de leurs nations mortelles. La première et la principale raison d’unir l’Europe, je la vois moins dans nos quere
603 ns le jeu des forces mondiales qui nous pressent. Et certes, il faudra bien liquider nos querelles : mais c’est la seule v
604 ion ? Ces souverainetés ont-elles quelque réalité et consistance, en dehors des débats où elles figurent comme prétexte à
605 implacables circonstances techniques, économiques et politiques. Il en résulte que la souveraineté nationale n’a plus guèr
606 retraite. Refoulée du domaine des forces réelles et des pouvoirs concrets, elle est devenue le réceptacle où se recueille
607 gies de gloires passées, orgueils déçus, rancunes et préjugés hérités d’une Histoire faussée par l’école, agressivité frus
608 stoire faussée par l’école, agressivité frustrée, et surtout angoisse de perdre son identité. Elle a donc pris les caractè
609 de s’adapter aux réalités changeantes du siècle, et même de les apercevoir. D’où la prise qu’ils offrent aux manœuvres le
610 lousie d’Othello. D’où enfin, l’extrême confusion et les éclats de passion saugrenus qui caractérisent les débats sur la s
611 sherbé les manuels de toutes leurs dépêches d’Ems et de tous leurs jugements désobligeants sur les pays voisins, on n’aura
612 une des Européens que se détachent, apparaissent, et disparaissent, les nations et leurs États, phénomènes de nature et de
613 hent, apparaissent, et disparaissent, les nations et leurs États, phénomènes de nature et de durée très variables, et qui
614 les nations et leurs États, phénomènes de nature et de durée très variables, et qui ne sont devenus mortels qu’à partir d
615 phénomènes de nature et de durée très variables, et qui ne sont devenus mortels qu’à partir du moment où l’on a prétendu
616 régionales nous seront à jamais inintelligibles, et nourriront les plus fatales erreurs : celles qui permettent l’accepta
617 grec : « Dans les domaines militaire, économique et politique, les organisations internationales existantes (telles que l
618 ) prennent aujourd’hui les décisions principales, et le peuple n’a sur elles aucun contrôle. Au contraire, les organisatio
619 sentiel de cette souveraineté, elles l’ont perdu, et sans retour. À la question : pourquoi l’Europe unie ? il nous faut do
620 lisme. — Plus j’écoute ce qu’on dit sur l’Europe, et plus me frappe l’absence, chez nos intellectuels, de ce qu’on pourrai
621 lupart semblent ignorer le véritable sens du mot. Et ce n’est pas dans le dictionnaire qu’ils le trouveront ! Littré le dé
622 e. Système, doctrine du gouvernement fédératif », et le décrit, d’après Chateaubriand, comme « une des formes politiques l
623 ès avoir précisé, au mot fédéral, que « la Suisse et les États-Unis ont des gouvernements fédéraux ».) Le même Littré ajou
624 s se proposent de créer un vaste État centralisé. Et combien savent que la Constitution suisse de 1848, pourtant exemplair
625 n instinct politique opposé à l’esprit de système et au rationalisme rhétorique. Il doit rester incompréhensible à ceux qu
626 sérieuse entre une contradiction dans les termes et une tension féconde dans les réalités, veulent supprimer la seconde p
627 nts, qui renvoie dos à dos jacobins rationalistes et dialecticiens marxistes, et que les hommes d’État de mon pays ont pra
628 acobins rationalistes et dialecticiens marxistes, et que les hommes d’État de mon pays ont pratiquée sans le savoir depuis
629 es, avec un paisible succès. Il m’apparaît urgent et vital que ceux qui s’occupent de l’Europe fassent l’effort de s’assim
630 n d’autre qu’une manière de saisir à la fois l’Un et le Divers en politique ; de comprendre à la fois que les diversités s
631 a résultante se nomme la paix. L’Europe étant une et diverse, composée de vingt-quatre nations qu’englobe et vivifie une c
632 erse, composée de vingt-quatre nations qu’englobe et vivifie une culture millénaire, on tuerait cette Europe en l’unifiant
633 es régions, ce qui mène à un centralisme excessif et à une limitation anormale de l’autonomie locale et de la vie régional
634 t à une limitation anormale de l’autonomie locale et de la vie régionale. Le supranationalisme offre donc des perspectives
635 ssibilités d’expansion aux manifestations locales et régionales de la culture. M. Schuman déclare que ce dernier point pe
636 ommunauté charbon-acier, où la Lorraine, la Sarre et le Luxembourg pourront constituer une zone unique dont l’autonomie se
637 iculté son loyalisme envers l’État mondial romain et envers Arpino, Paul son loyalisme envers Rome et Tarse. Un conflit de
638 et envers Arpino, Paul son loyalisme envers Rome et Tarse. Un conflit de loyalismes n’a pas plus de raison d’être dans l’
639 e peuvent survivre que dans le cadre de l’Europe, et l’Europe ne peut être florissante que si les nations qui la composent
640 égeances » serait peut-être un terme plus juste — et il insiste pour que cette notion trouve sa place dans les conclusions
641 e le reste de l’humanité. Quand on aime une femme et qu’on l’épouse, stipule-t-on par là une déclaration de haine à toutes
642 utes les autres femmes ?   Distinguer l’individu et la personne. — La confusion de notre vocabulaire, relevée par Eugen K
643 rmes d’individu, d’individualité, de personnalité et de personne6. Ceci dénote un abaissement catastrophique de la culture
644 r ne rien dire de la philosophie, de l’étymologie et de la sémantique. Des siècles de disputes savantes et passionnées, le
645 e la sémantique. Des siècles de disputes savantes et passionnées, les travaux des conciles fondateurs de notre conception
646 eption occidentale de l’homme, Athanase, Grégoire et Basile, Boèce et Thomas d’Aquin, Calvin et Kant, tout est jeté par-de
647 e de l’homme, Athanase, Grégoire et Basile, Boèce et Thomas d’Aquin, Calvin et Kant, tout est jeté par-dessus bord, dans l
648 égoire et Basile, Boèce et Thomas d’Aquin, Calvin et Kant, tout est jeté par-dessus bord, dans l’inconscience générale, pa
649 es confusions de langage. Comment penser l’Europe et son apport vital à la conception de l’humain, si l’on persiste à tout
650 ption de l’humain, si l’on persiste à tout mêler, et à confondre les mots-clés qui déterminent notre existence concrète ?
651 nt que fasciste de l’atomisation de nos sociétés, et comment réfuter l’éthique collectiviste si l’on se met hors d’état d’
652 x désordres de la démocratie, la démocratie saine et non la dictature ; à l’anarchie individualiste, le sens communautaire
653 l’anarchie individualiste, le sens communautaire et non le collectivisme ; bref, à la peste, l’hygiène et non le choléra 
654 on le collectivisme ; bref, à la peste, l’hygiène et non le choléra ? Comment défendre contre les communistes l’individu v
655 s. Celle dont je parle est une notion de l’homme, et non pas une somme d’intérêts dont le reste du monde pourrait se passe
656 nt d’attaquer de front les préjugés nationalistes et de mentionner les sacrifices indispensables, j’ai cru bon de finir su
657 ins sacrifices doivent être consentis par les uns et les autres. Certains risques doivent être courus. Les refuser pourtan
658 s refuser pourtant serait tout perdre, à coup sûr et à bref délai. On compare volontiers notre Europe à Byzance. Cet empir
659 an 1204, où l’armée des croisés pilla sa capitale et viola son sanctuaire. Chute immense, dont la cause directe fut le ref
660 Les riches ne l’aidèrent point, se disant ruinés, et refusant de faire le pool patriotique des faibles sommes qui devaient
661 ns compter le trésor inestimable des œuvres d’art et des objets sacrés, dilapidés ou « réquisitionnés ». Les richesses de
662 nommées par les gouvernements des États membres, et ne suis donc responsable que du choix des thèmes et de leur répartiti
663 ne suis donc responsable que du choix des thèmes et de leur répartition aux rapporteurs. On pouvait certes imaginer bien
664 s s’est révélé heureux. 5. Cf. les articles 1, 3 et 5 de la Constitution helvétique. 6. On en trouvera de nombreux exemp
12 1954, Preuves, articles (1951–1968). Tragédie de l’Europe à Genève (juin 1954)
665 on générale, soit une prise de conscience, subite et dramatique. Sur la confusion générale, n’insistons pas. Mais la prise
666 n’insistons pas. Mais la prise de conscience peut et devrait surgir du seul contraste entre deux conférences, celle de Ber
667 contraste entre deux conférences, celle de Berlin et celle de Genève. Berlin fut un échec sur les principaux points à son
668 son ordre du jour — l’unification de l’Allemagne et la libération de l’Autriche. Mais cet échec était prévu. La vraie que
669 l’Europe des Six. Pensait-il que nos neutralistes et leurs alliés nationalistes en France, qui dénoncent à grands cris la
670 forces entre quarante-trois-millions de Français et quarante-huit-millions d’Allemands seraient rassurés à l’idée d’un bl
671 nations libres est proclamée par toute la presse. Et le second jour atteste l’un des renversements les plus stupéfiants de
672 un « fait » visible pour la presse, pas une crise et pas une bataille modifiant le rapport des forces ; pas un seul événem
673 stalle au cœur de l’Europe les délégués de l’Asie et leurs problèmes, et nous impose ainsi, sans coup férir, un angle de v
674 Europe les délégués de l’Asie et leurs problèmes, et nous impose ainsi, sans coup férir, un angle de vision choisi par Mol
675 s ; qu’il était donc aisé de créer une diversion, et que la meilleure possible était l’Asie. Il suffisait de viser le poin
676 ait la France, dont le sang coulait en Indochine, et qui allait décider du sort de toute l’Europe en ratifiant ou non la C
677 nt. Le monde entier verra nos défaites militaires et l’insolence des envoyés de l’Asie rouge. Et voici la deuxième victoir
678 aires et l’insolence des envoyés de l’Asie rouge. Et voici la deuxième victoire : pendant des mois, l’Europe ne fera plus
679 iance agressive baptisée CED. Elle y serait noyée et sans force. » Ce sophisme insultant va servir de slogan à la campagne
680 Il baptise « paix » cette conquête par la force, et « provocation belliciste » toute tentative de résistance à son empris
681 e celle-ci se verrait ouverte à l’expansion russe et chinoise. Mais assurer la paix définitive entre la France et l’Allema
682 . Mais assurer la paix définitive entre la France et l’Allemagne par le moyen de leur fédération, ce serait agir en « bell
683 aux armées rouges. Au lendemain de Diên Biên Phu et des humiliations de Genève, l’Europe saura-t-elle se souvenir de Nico
684 saura-t-elle se souvenir de Nicopolis, de Mohacs, et du siège de Vienne par les Turcs ? C’est à quoi nous en sommes, et c’
685 enne par les Turcs ? C’est à quoi nous en sommes, et c’est pire. Car une absurde conjoncture veut que les décisions vitale
686 t. Sous la double poussée de la révolte asiatique et du colonialisme soviétique, une Europe persistant à rester désunie do
687 misme créateur déprimé, repliement sur une misère et des rancunes croissantes, décomposition des résistances à la propagan
688 tion des résistances à la propagande totalitaire, et démission finale entre les mains d’un petit groupe « d’apaiseurs » fo
689 Russes une puissance qui les tienne en respect. ( Et tout le Sud-Est de l’Asie devrait comprendre que son élan irrésistibl
690 s utile si le parlement français repousse la CED, et avec elle ses suites et ses implications, la Communauté politique et
691 français repousse la CED, et avec elle ses suites et ses implications, la Communauté politique et son élargissement rapide
692 ites et ses implications, la Communauté politique et son élargissement rapide à toute l’Europe. Ainsi le sort de 330 milli
693 Europe. Ainsi le sort de 330 millions d’Européens et , au-delà d’eux, de toute la civilisation occidentale, se trouve dépen
694 r. Toute discussion d’alinéas, de « préalables », et autres « garanties » réclamées par tel groupe ou demi-groupe d’un Par
695 ent démente, si l’on a vu la situation mondiale — et si l’on n’est pas communiste. Seule une profonde révolte de l’Europe
13 1954, Preuves, articles (1951–1968). Il n’y a pas de « musique moderne » (juillet 1954)
696 issable, sinon celle d’un refus global d’entendre et d’essayer de comprendre tout ce qui fut composé dans notre siècle. Br
697 je ne vois rien d’autre qui rapproche un Honegger et un Poulenc. Il y eut les dodécaphonistes, mais justement ils n’ont ri
698 piccinistes aux gluckistes paraît bien innocente et amicale au regard des exclusives catégoriques que prononcent les disc
699 e celles qui séparent nos « modernes », Hindemith et Berg, par exemple, ou Bartók et Britten, ou le Stravinsky d’Œdipus Re
700 rnes », Hindemith et Berg, par exemple, ou Bartók et Britten, ou le Stravinsky d’Œdipus Rex et le Schönberg d’Erwartung. A
701 Bartók et Britten, ou le Stravinsky d’Œdipus Rex et le Schönberg d’Erwartung. Aucune époque peut-être n’a connu moins d’u
702 te apparence d’unité, non seulement dans le style et dans les procédés, mais plus encore dans les croyances inspiratrices.
703 les croyances inspiratrices. Si tant de négations et de ruptures, tant de refus de prendre la suite de quoi que ce soit, d
704 rement sensible aux gens qui vivent cette époque, et ceci pour les mêmes raisons qui veulent qu’un psychanalyste soit inca
705 e que les conventions, artifices, règles de l’art et doctrines ont d’abord refoulé dans l’inconscient. Et c’est ainsi que
706 doctrines ont d’abord refoulé dans l’inconscient. Et c’est ainsi que le choix des règles détermine le contenu de nos rêves
707 x des règles détermine le contenu de nos rêves, —  et notre style : négativement. La seule unité que confère aux œuvres des
708 i, c’est qu’ils sont justement moins « modernes » et moins naïvement de leur temps, que ne le furent un Rameau, un Haydn o
709 e l’artiste acceptant les lieux communs du temps, et c’est pourquoi nous les voyons chercher la naïveté comme une vertu de
710 ment le dire autrement que le dernier qui a parlé et que ceux qui l’ont précédé. Mais les grands ont tous commencé par par
711 ent sous la pression de ce qu’ils avaient à dire, et qui était un peu différent. Aujourd’hui, l’on voudrait commencer par
712 oudrait commencer par le stade de maîtrise de soi et de ses moyens personnels, difficilement atteint par les devanciers —
713 nnels, difficilement atteint par les devanciers — et courir tout de suite au-delà, sans avoir mérité cette liberté… De là
714 ent même de mauvaise foi. C’est qu’ils se placent et se regardent dans l’Histoire. Il semble que leur principal souci soit
715 e l’époque » empruntant au vocabulaire économique et politique. Or si l’on peut prouver que l’auto produite par une petite
716 le, pour des raisons précises de prix de revient, et ne correspond donc plus aux « nécessités de l’époque » et de nos gran
717 rrespond donc plus aux « nécessités de l’époque » et de nos grands marchés, il n’est nullement prouvé que l’œuvre d’un com
718 ’un compositeur non dodécaphonique « est inutile… et se place en deçà des nécessités de son époque »7. Les « nécessités no
719 e l’on invoque, ne sont telles que pour l’oreille et l’intelligence d’un très petit groupe d’hommes connaissant toute l’hi
720 évolues. Quand il ne se contente pas de Beethoven et de Brahms, il ne découvre pas les talents d’aujourd’hui, mais Purcell
721 positeurs, séparés d’un public devenu trop vaste, et privés de la chaleur des réactions directes, une tendance générale à
722 une tendance générale à faire passer la technique et la théorie avant cette chose vague et pourtant puissante qu’est l’acc
723 a technique et la théorie avant cette chose vague et pourtant puissante qu’est l’accord spontané du novateur et du plaisir
724 nt puissante qu’est l’accord spontané du novateur et du plaisir des auditeurs. Cette chose qu’on nomme tout simplement le
725 tte situation, qui est aussi celle de la peinture et de la poésie au xxe siècle ? Il me semble que ceux qui tiennent la c
726 urs que ceux qui font les programmes des concerts et qui décident du choix des enregistrements. Plus on jouera de musique
727 uvelle, plus le public en deviendra contemporain, et plus ceux qui composent se rapprocheront de la sensibilité mieux éduq
728 uquée d’une élite sans cesse élargie. Quand l’art et le public se créent l’un l’autre, le résultat est une « époque ». Je
729 Paris plus de cent symphonies, concertos, opéras et ballets, durant trente jours, sans que s’y glisse une mesure de musiq
730  : « J’aime la musique moderne de tous les temps, et même du nôtre — la plus rare. » 7. Pierre Boulez, « Éventuellement…
731 cale d’avril 1952 — étude par ailleurs importante et fort intelligente. r. Rougemont Denis de, « Il n’y a pas de “musiqu
732 ionnel Denis de Rougemont. Quelques paragraphes — et voici l’inédit, le complexe et le paradoxal de notre situation “rédui
733 ques paragraphes — et voici l’inédit, le complexe et le paradoxal de notre situation “réduits à leur principe”, comme on d
734 eur principe”, comme on disait au xviiie siècle, et mis, comme on dit en anglais, dans une coque de noix. Nos compositeur
735 ues, à l’approcher de leur oreille comme cornet ; et même nos managers y pourraient bercer la clef de leur coffre. Mais d’
736 eux-je dire, a eu un vif commerce avec le diable. Et que le diable, qui depuis Faust “disait toujours non”, s’est fatigué
737 s non”, s’est fatigué de cette attitude ennuyeuse et a découvert qu’il était plus stimulant de se faire musicien moderne,
738 s dissoner (fût-ce avec des accords de do majeur) et d’essayer sur nos contemporains “cette chose vague et pourtant puissa
739 ’essayer sur nos contemporains “cette chose vague et pourtant puissante” qu’est la séduction de cette dissonance au goût d
740 de cette dissonance au goût de révolte, de soufre et d’œillet vert. Cette chose que Denis de Rougemont a la diablerie de n
14 1954, Preuves, articles (1951–1968). De Gasperi l’Européen (octobre 1954)
741 d’un parti qu’il avait su conduire à la victoire, et à la tête duquel il avait gouverné toute l’Italie pendant huit ans —
742 qu’aucun de nos pays ne peut être vraiment ranimé et rétabli dans son intégrité, s’il ne s’intègre à la communauté plus va
743 t la conduire à l’Europe, à la fois fille de Rome et mère de nos nations. Et voilà que l’Europe soudain chancelle, hésite,
744 , à la fois fille de Rome et mère de nos nations. Et voilà que l’Europe soudain chancelle, hésite, semble frappée au cœur,
745 oudain chancelle, hésite, semble frappée au cœur, et se dérobe. De Gasperi est mort de la sentir mourante. Il s’est détour
746 res conquêtes épuisantes. Surenchère inconsciente et sadomasochiste. Mais les hommes nés dans des régions séparées pour un
747 , c’est par amour non par esprit de ressentiment. Et c’est pourquoi ils ne sont pas tentés de faire subir aux autres le so
748 de compréhension, d’union vivante, non de rancune et d’unification forcée. Ce contraste est bien moins celui de deux régim
749 est bien moins celui de deux régimes — dictature et démocratie — que celui plus profond de deux qualités d’âme. Napoléon,
750 gage d’une paix féconde entre la foi, la liberté, et le civisme militant. « Universel » en tant que catholique, c’est-à-di
751 éclairé parce qu’il avait connu d’autres peuples et d’autres coutumes — dans la fédération austro-hongroise — il attendai
752 nflits douloureux qui déchirent l’Italie croyante et libérale, et qui ne peuvent être résolus qu’au-delà du tête-à-tête de
753 reux qui déchirent l’Italie croyante et libérale, et qui ne peuvent être résolus qu’au-delà du tête-à-tête de frères ennem
754 oite, dénoncé par un Togliatti comme « assassin » et par quelques faussaires à gages comme ayant demandé aux Alliés de bom
755  », selon le mot de M. Eden, un catholique laïque et démocrate, et bien sûr un homme de parti, mais par esprit de dévoueme
756 ot de M. Eden, un catholique laïque et démocrate, et bien sûr un homme de parti, mais par esprit de dévouement, non par fa
757 vec lui ces remarques à voix basse, ces questions et réponses sur des bouts de papier qui sont l’agrément des congrès, mai
758 ines déclarations, formulant son propre jugement. Et lors de la séance finale au Capitole, il se leva pour lire un magistr
759 à peine retouchées. Cette efficacité silencieuse et modeste, cette extrême attention portée à nos débats par un homme d’É
760 ique dans tout cela, mais du « problème spirituel et culturel de l’Europe ». De Gasperi savait que le réalisme veut que no
761 nds éclats de voix secouant des meetings informes et sans lendemain. Il n’était pas « grand orateur », et s’en plaignait p
762 sans lendemain. Il n’était pas « grand orateur », et s’en plaignait parfois avec humour. Mais pourquoi faudrait-il qu’un h
763 abord un brillant rhéteur ? Le jugement politique et l’art du trémolo ne devraient-ils pas, au contraire, être tenus pour
764 s ? Les parlements latins sont les plus éloquents et font en conséquence la pire des politiques. Qui dira le mal fait à l’
765 s vulgaires. De Gasperi parlait d’une voix sévère et fraternelle, avec une force peu commune. C’était la voix d’un homme,
766 peu commune. C’était la voix d’un homme, austère et bon. L’art de simplifier les problèmes était le gage de son autorité,
767 son honnêteté. (Les dictateurs sont sans humour, et ne connaissent que le sarcasme.) Je me souviens d’un mot qu’il eut da
768 e le reste de l’humanité. Quand on aime une femme et qu’on l’épouse, stipule-t-on par là une déclaration de haine à toutes
769 œuvre entreprise par un Adenauer, par un Schuman, et par lui-même, se voyait subitement compromise. Bien plus qu’à sa retr
770 ique, c’est à cette trahison soudaine de la cause et des réalités européennes qu’il faut attribuer sa mort prématurée. Nou
771 dre sa lutte en faveur d’une Europe « des esprits et des cœurs », formule dont les sentimentaux ont abusé, et dont se couv
772 cœurs », formule dont les sentimentaux ont abusé, et dont se couvrent les sceptiques pour mieux refuser toute action posit
15 1954, Preuves, articles (1951–1968). Politique de la peur proclamée (novembre 1954)
773 mée, occupée, amputée d’un quart de sa population et d’un tiers de son territoire, au surplus gouvernée par un ami de la F
774 redoutable » que l’Allemagne arrogante, surarmée et intacte sur laquelle régnait Guillaume II. Ce qui peut s’écrire : Pe
775 rimée que si l’Allemagne disparaissait totalement et à tout jamais. Car s’il n’en restait qu’un, je craindrais celui-là, d
776 reuses que douze divisions allemandes virtuelles, et que la présence en Europe de quatre divisions anglaises rétablirait l
777 par l’égalité proposée des armements de la France et de l’Allemagne. Encore une fois, seule la Peur, affectée du signe ∞,
778 assuré. « Il a l’esprit vif, beaucoup de finesse, et les difficultés de la traduction ne l’ont pas empêché de manifester u
779 voie de négociations. » Relisez ces deux phrases et ne riez pas. Leur juxtaposition est un simple accident. L’allusion au
780 lles des autres nations, à l’évolution économique et sociale du pays. Il est donc normal d’admettre que l’évolution économ
781 d’une nécessité organique. L’évolution économique et sociale est en Russie — « comme dans les autres nations » — le vrai P
782 ressant d’examiner la position de Khrouchtchev ». Et de se demander : « Khrouchtchev est-il un autre Staline ? » Et de rép
783 nder : « Khrouchtchev est-il un autre Staline ? » Et de répondre : « Très évidemment non. C’est un personnage agressif, dy
784 ent non. C’est un personnage agressif, dynamique, et tout à fait extraverti. » Tout le contraire de Staline, comme on voit
785 e est-il un autre Lénine ? Très évidemment non. » Et il avait raison. Hitler ne fut pas non plus un autre Bismarck. Généra
16 1955, Preuves, articles (1951–1968). De gauche à droite (mars 1955)
786 té ainsi (par le rejet de la CED) gagné ou perdu, et comment nous situer maintenant. Examiner si nous avons eu tort ou rai
787 aux facilités de la capitulation son raisonnement et son instinct. » Qui parle ainsi ? Au nom de quelle puissante « action
788  action » qui a « contribué à l’échec de la CED » et qui marque son point « pour l’histoire ? » Ce n’est qu’Esprit, revue
789 ent raconté à l’opinion française les gens du MRP et de la droite était donc faux : leur menace d’un retrait des crédits a
790 pas « au moins égales ». Le rejet de la CED a bel et bien entraîné la recréation d’une Wehrmacht, comme le disaient les ge
791 de Londres ; ceux-ci rétablissant une Wehrmacht, et la Wehrmacht (de demain) étant destinée à provoquer la « création » d
792 cherchaient depuis le début : c’était à droite. ( Et même un peu plus loin.) v. Rougemont Denis de, « De gauche à droit
17 1955, Preuves, articles (1951–1968). Le Château aventureux : passion, révolution, nation (mai 1955)
793 , tout chargés de prestige aux yeux de l’Européen et d’un pathos qui ne saurait tromper, ils représentent dans notre Quête
794 tureux (c’est la grotte de Circé dans l’Odyssée). Et pour qui serait tenté de mettre en doute leur valeur religieuse et sa
795 t tenté de mettre en doute leur valeur religieuse et sacrée, je lui suggère d’en prendre pour mesure sa propre réaction à
796 la nation non point comme d’une idole sanguinaire et bornée, mais simplement comme d’une formule qui a fait son temps, voi
797 a moins chrétienne. Il y a donc un sacré moderne. Et ces trois noms révèlent ses puissances d’envoûtement. Ennemi de la pe
798 s puissances d’envoûtement. Ennemi de la personne et de sa liberté, si j’en juge par ses vrais effets, il n’en demeure pas
799 re pas moins inconcevable hors d’un monde investi et structuré par la réalité de la personne et de ses « notes » les plus
800 nvesti et structuré par la réalité de la personne et de ses « notes » les plus certaines : la vocation, la conversion et l
801 » les plus certaines : la vocation, la conversion et le sentiment d’unicité sans précédent. La passion ou la conversion
802 e constituent dans le Midi de la France la poésie et la morale courtoises, dont le thème unique est l’amour. Peu après (à
803 , les chanoines instituent le culte de la Vierge. Et Notre-Dame répond à la Dame des pensées, comme à la cortezia des trou
804 la mystique de l’amour divin d’un saint Bernard, et comme à l’histoire exemplaire vécue par Héloïse et Abélard, le mythe
805 t comme à l’histoire exemplaire vécue par Héloïse et Abélard, le mythe de la passion mortelle mis en vers et en prose dès
806 lard, le mythe de la passion mortelle mis en vers et en prose dès la fin du même siècle : le Roman de Tristan et Iseut. Du
807 e dès la fin du même siècle : le Roman de Tristan et Iseut. Du Midi des troubadours, inventeurs de notre lyrisme, au Nord
808 pe littéraire, la transmission des thèmes, sujets et procédés peut être suivie pas à pas : nos plus grands érudits l’ont d
809 assion y a trouvé, jusqu’à nos jours, son langage et ses types de conduite, c’est-à-dire les moyens de s’avouer, de s’entr
810 jusqu’à l’exaltation, de mettre au défi la morale et finalement de lui dérober son prestige le plus efficace, l’héroïsme d
811 assion, du xiie siècle méridional au romantisme, et nous vivons encore dans la tiédeur des cendres d’un interminable ince
812 a tiédeur des cendres d’un interminable incendie. Et je sais bien que de la passion mortelle à la romance plus ou moins ex
813 sion mortelle à la romance plus ou moins exciting et de la mystique d’Amour au love interest des films de Hollywood, on ne
814 s’agit du même mythe. Par le moyen de la culture et des modèles qu’elle offre au sentiment, ce mythe a pénétré nos vies,
815 offre au sentiment, ce mythe a pénétré nos vies, et même si nos actions échappent à son emprise, il ne cesse de régner su
816 son emprise, il ne cesse de régner sur nos rêves et d’éveiller nos nostalgies. Et c’est ainsi qu’il a conditionné depuis
817 égner sur nos rêves et d’éveiller nos nostalgies. Et c’est ainsi qu’il a conditionné depuis des siècles les relations des
818 st exaltation de la vie vers la mort (mais la vie et la mort changent de signe dans le langage des passionnés et des mysti
819 changent de signe dans le langage des passionnés et des mystiques), il est impérialisme et abandon du moi (avec la même s
820 passionnés et des mystiques), il est impérialisme et abandon du moi (avec la même sincérité, dans le même geste) ; il est
821 s c’est la forme du mythe qui provoque ce contenu et qui l’amène au jour de l’existence, comme les règles d’un jeu suffise
822 s, même quand nous ignorons les origines du mythe et ne soupçonnons rien de sa finalité. Au regard de la société, le mythe
823 société, le mythe de la passion n’est que révolte et fuite. Il ne peut fomenter que l’individu égoïste et profanateur, au
824 fuite. Il ne peut fomenter que l’individu égoïste et profanateur, au sein même du monde féodal, qui est le monde des « fid
825 passion, viole tous les interdits moraux, sociaux et religieux ; Iseut trahit tous ses serments sacrés, et dans la scène d
826 eligieux ; Iseut trahit tous ses serments sacrés, et dans la scène de l’ordalie par le fer rouge, en arrive à duper Dieu l
827 aux sons mélancoliques du luth inventé par Manès. Et cette musique de gnose n’a cessé d’inquiéter le cœur sauvage de l’hom
828 ec l’orthodoxie. Quant au mariage lui-même, civil et religieux, forme personnaliste des rapports des deux sexes, puisqu’il
829 sion. Ici paraît la forme religieuse du phénomène et de son mythe. On voit l’homme et la femme entrer dans la passion comm
830 use du phénomène et de son mythe. On voit l’homme et la femme entrer dans la passion comme ils entreraient en religion. Le
831 me ils entreraient en religion. Le premier regard et le premier aveu correspondent aux « touches » de l’Esprit, l’étreinte
832 rit, l’étreinte des corps ouvre la Voie mystique, et l’abandon total à la passion est décrit comme une conversion : Alors
833 , la fougueuse déesse, le pénétra de ses ardeurs. Et son cœur brûlant lui révéla la source des peines dont il souffrait. A
834 aisir : elle le saisit comme une grâce exigeante, et le revêt d’une vocation. L’individu arraché du commun par un souverai
835 -la chanter par la voix déchaînée de sa prêtresse et magicienne Isolde : « Élu par moi, perdu par moi ! » Vocation de souf
836 par moi, perdu par moi ! » Vocation de souffrance et de fidélité jusqu’à la mort divinisante, mais un seul être a pris la
837 sante, mais un seul être a pris la place de tous, et du monde, et de Dieu lui-même. Tout ici rappelle la personne, imite s
838 n seul être a pris la place de tous, et du monde, et de Dieu lui-même. Tout ici rappelle la personne, imite sa forme et re
839 me. Tout ici rappelle la personne, imite sa forme et reproduit son paradoxe, bien qu’en un reflet inversé. Cet amour déifi
840 ascination mortelle. Cependant il l’élit, l’isole et le relie, le transporte au-delà de toute morale profane et lui dit à
841 ie, le transporte au-delà de toute morale profane et lui dit à son tour comme Augustin à celui que sa foi délivre de la lo
842 gustin à celui que sa foi délivre de la loi : ama et fac quod vis ! La passion de Tristan ne pouvait se déclarer dans sa g
843 ne pouvait se déclarer dans sa grandeur tragique et obsédante qu’au sein d’un monde qui avait appris à croire à la valeur
844 e l’âme « exilée », qui ne s’arrache à la matière et à la chair que pour sombrer. Mais alors la passion ne serait-elle pas
845 irréversible, engageant sans retour la personne. Et pourtant, la passion réinvente un des profonds secrets de l’évasion s
846 rets de l’évasion spirituelle imaginée par l’Inde et le bouddhisme. Dans son refus de la chair fragile et provisoire, et d
847 le bouddhisme. Dans son refus de la chair fragile et provisoire, et du temps décisif de cette vie dans la chair, dans son
848 Dans son refus de la chair fragile et provisoire, et du temps décisif de cette vie dans la chair, dans son angélisme essen
849 ant de sa fiancée perdue. Sur la tombe de Tristan et d’Iseut, deux plantes en une nuit s’élèvent et s’enlacent. Et ce symb
850 an et d’Iseut, deux plantes en une nuit s’élèvent et s’enlacent. Et ce symbole discret de la transmigration noue ses racin
851 deux plantes en une nuit s’élèvent et s’enlacent. Et ce symbole discret de la transmigration noue ses racines aux profonde
852 i sépare l’Orient magique de l’Occident tragique, et cet abîme n’est autre que le vertige de l’âme en proie au refus manic
853 rps social, il prend le nom de Révolution. L’idée et la réalité de ce phénomène, je l’ai dit, sont inconnues dans tout l’O
854 ntal a connu les grands bouleversements d’empires et les révoltes. Pourtant, que le Grand Khan balaye la Chine des Song, p
855 , qu’un Mahmud envahisse les royaumes des Rajputs et que ceux-ci se soulèvent contre lui, il ne s’agit en aucun cas de rév
856 n renouvellement par l’intérieur de toutes choses et de l’Ordre lui-même, cette notion a la même extension dans l’espace e
857 e, cette notion a la même extension dans l’espace et le temps que le « monde christianisé ». S’il n’y a pas de socialisme
858 e ont été les intellectuels éduqués en Angleterre et les populations très anciennement christianisées de la côte du Malaba
859 sme nous offre le type même du changement brusque et radical, mais survenant de l’intérieur : la conversion, l’éblouisseme
860 ù Saul de Tarse devient l’apôtre Paul. Révolution et conversion ont le même sens : c’est se retourner complètement. Dans l
861 . Dans les deux cas, se produit une crise brusque et rapide, un processus de mort et renaissance, qui revêt la violence d’
862 une crise brusque et rapide, un processus de mort et renaissance, qui revêt la violence d’une catharsis : « Les choses vie
863 ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. » Et les chefs de nos révolutions promettent des « choses nouvelles » par
864 t la Foi l’engage dans l’obéissance de l’Église — et c’est le moment instituant, communautaire. L’irruption de la foi dans
865 dications) : l’exigence d’une justice universelle et non plus relative à la caste ou à la classe ; l’exigence de la libert
866 a fois de l’instabilité de nos régimes politiques et sociaux et d’une recherche perpétuelle du vrai civisme, inconnue dans
867 ’instabilité de nos régimes politiques et sociaux et d’une recherche perpétuelle du vrai civisme, inconnue dans les sociét
868 u vrai civisme, inconnue dans les sociétés closes et sacrées ; enfin, l’idée de la mission reçue ou vocation, transcendant
869 on, transcendante par rapport à la morale commune et aux « intérêts de l’État ». Ainsi, le type du révolutionnaire europée
870 étache sur le fond d’une foi qui tient la liberté et l’action prophétique pour plus vraies que l’Ordre du Monde et l’obéis
871 prophétique pour plus vraies que l’Ordre du Monde et l’obéissance aux lois sacrées. Enfin, l’apparition du Christ et le tr
872 e aux lois sacrées. Enfin, l’apparition du Christ et le triomphe de l’Église en Occident ont provoqué dans l’évolution occ
873 n traumatisme exemplaire : on dit « avant J.-C. » et c’est l’Antiquité, « après J.-C. » et c’est une ère nouvelle, comptée
874 ant J.-C. » et c’est l’Antiquité, « après J.-C. » et c’est une ère nouvelle, comptée à neuf. Toutes nos révolutions s’en s
875 ù vivraient encore sous nos yeux, dans nos villes et dans nos campagnes, avec leurs rites et leurs idoles et leurs fidèles
876 os villes et dans nos campagnes, avec leurs rites et leurs idoles et leurs fidèles, Zeus, Aphrodite et Diane, les mystères
877 s nos campagnes, avec leurs rites et leurs idoles et leurs fidèles, Zeus, Aphrodite et Diane, les mystères d’Éleusis, la G
878 et leurs idoles et leurs fidèles, Zeus, Aphrodite et Diane, les mystères d’Éleusis, la Grande Déesse, les cultes initiatiq
879 , les cultes initiatiques, l’Odin des Scandinaves et le Dispater des Celtes, les courants de pensée judaïques et arabes, i
880 ater des Celtes, les courants de pensée judaïques et arabes, iraniens et manichéens, et vingt écoles métaphysiques simulta
881 courants de pensée judaïques et arabes, iraniens et manichéens, et vingt écoles métaphysiques simultanées, sans primauté,
882 nsée judaïques et arabes, iraniens et manichéens, et vingt écoles métaphysiques simultanées, sans primauté, ni succession,
883 sifs. Mais leur constatation n’explique pas tout. Et par exemple : le passage de la conversion à la révolution, c’est-à-di
884 à-dire du modèle spirituel au phénomène politique et social, ne semble pas aller de soi. Il paraît même douteux que les pr
885 la « révolution chrétienne » des premiers siècles et les autres révolutions qui ont versé dans son ombre « un sang impur »
886 a société, mais d’unir en un corps les convertis. Et c’est accessoirement qu’elle a pu contribuer à modifier certaines str
887 veut rendre compte à la fois de ces coïncidences et de ces contradictions, il faut remonter à notre dialectique de la per
888 . Celui-ci fonde une cité dont il édicte les lois et les contrats. Mais lorsque la tricherie civique et politique en vient
889 t les contrats. Mais lorsque la tricherie civique et politique en vient à dominer dans la cité, et que l’individu ne se se
890 que et politique en vient à dominer dans la cité, et que l’individu ne se sent plus encadré ni relié, le vide social appel
891 en effet concevables à ce moment. Il y a l’Église et sa fraternité fondamentale dans l’amour du prochain et du même Père.
892 fraternité fondamentale dans l’amour du prochain et du même Père. Il y a le Parti (mouvement, club, ou faction) et sa cam
893 re. Il y a le Parti (mouvement, club, ou faction) et sa camaraderie conditionnelle13 dans la lutte contre l’ordre établi.
894 est aux ordres d’un chef dont la présence visible et matérielle est confirmée sur tous les murs ; il réclame lui aussi la
895 ui aussi la foi des militants dans un monde idéal et futur, mais cette foi n’est gagée que sur le sacrifice et la mort de
896 , mais cette foi n’est gagée que sur le sacrifice et la mort de ses adversaires. On entre dans l’Église parce qu’on est co
897 entre dans le Parti pour changer le monde d’abord et non d’abord soi-même. Il s’agit donc, dans le cas du révolutionnaire,
898 ’une conversion non pas de l’être mais du faire ; et , de plus, déléguée à l’action collective. L’individu imite le saut de
899 notre temps ne peut plus mettre en doute. Nazisme et stalinisme ont eu leur pape et leur infaillibilité, leurs hiérarchies
900 en doute. Nazisme et stalinisme ont eu leur pape et leur infaillibilité, leurs hiérarchies, leurs ordres, leurs cultes et
901 té, leurs hiérarchies, leurs ordres, leurs cultes et leurs dogmes, et leur Inquisition, plus efficace que l’autre dans l’é
902 hies, leurs ordres, leurs cultes et leurs dogmes, et leur Inquisition, plus efficace que l’autre dans l’épuration de l’hér
903 uccès. Il n’a pas disposé des mêmes télécommandes et ses missi dominici n’allaient qu’à cheval. Mais sa Terreur valait les
904 l. Mais sa Terreur valait les purges communistes, et son « cléricalisme » fut sans tache. Toutefois, les églises politique
905 apè, qui hante les doctrinaires de la révolution, et les conduit au césaropapisme. Ambition bridée dans l’Église par sa vo
906 ridée dans l’Église par sa vocation transcendante et par le recours direct de l’âme à Dieu. Mais qui peut en appeler des a
907 s de lui14. Il n’y a pas de Juge pour ses crimes. Et dès lors qu’il se sait illégitime dans sa prétention à régner au nom
908 e la liberté », appelant ainsi ceux qui diffèrent et pourraient donc devenir ses juges. D’où la Terreur inévitable qu’il e
909 étant lui-même terrorisé. D’où le fait nécessaire et non accidentel — en dépit de l’hypocrisie des historiographes partisa
910 volution, mythe libertaire, est une réalité close et lugubre, une psychose de persécution, la paranoïa de l’Occident. Qui
911 Au contraire, elles en ont établi, de très grands et de très sanglants : Napoléon, Hitler, Mussolini, Staline. Ces tyrans
912 ont été abattus que par la guerre ou par la mort. Et la plupart furent les bénéficiaires, non les victimes, de nos révolut
913 Celles-ci n’ont triomphé que de régimes séniles, et dont la « tyrannie », si on la compare à celles des disciplines d’Éta
914 n dictaient les formules dans les termes sadiques et hautains qui ont toujours exalté les masochistes. L’éloquence crispée
915 raire leur a longtemps tenu lieu de spiritualité, et ses prestiges sont loin d’être épuisés. La guillotine et les camps so
916 prestiges sont loin d’être épuisés. La guillotine et les camps soviétiques font partie de la bonne conscience des sectateu
917 tèques, en arracher le cœur encore tout palpitant et l’offrir au dieu — pour qu’il pleuve. En vérité, le sacré n’a cure de
918 preuve dans le sang. Mais si, profanant le mythe et ses tabous, nous estimons froidement ses résultats, force nous est de
919 r la tyrannie soit d’un homme, soit d’une classe, et toujours de l’État. Adoptant les valeurs de la Passion — « La liberté
920 liberté ou la mort ! », s’écriaient les jacobins, et la mort était là, celle des autres d’abord, mais la Liberté se voilai
921 rope ont fomenté le nationalisme, cette troisième et peut-être mortelle frénésie religieuse de l’Occident. La nation ou
922 uvelle communauté non de naissance, mais d’avenir et de volonté. Toutefois, cette idéologie n’est pas le fait du peuple en
923 t pas le fait du peuple entier, mais d’un parti ; et ce parti agit par le moyen de l’État. À l’intérieur du pays, la premi
924 écraser les opposants, car la nation est religion et les religions, en Occident, ne transigent pas, du moins depuis l’appa
925 ice, de centraliser tous les éléments du pouvoir, et de transformer la justice en instrument de l’idéologie, le tout au no
926 re les mains de l’État un instrument d’oppression et de guerre civile larvée, à l’extérieur elle va devenir un instrument
927 uite, parce que la collusion de l’État centralisé et de la nation missionnaire produit comme résultante fatale l’impériali
928 produit comme résultante fatale l’impérialisme : et voici la France napoléonienne. L’idéologie de la nation est par essen
929 par les soldats « libérateurs » de la Révolution et de l’Empire, loin de faire triompher dans toute l’Europe l’idéologie
930 s jacobins, va susciter des nationalismes rivaux. Et c’est dans le pays qui aura subi le plus durement l’agression napoléo
931 c’est son esprit national. » (On voit que nation et Patrie diffèrent pour lui comme esprit et nature.) Cet esprit nationa
932 nation et Patrie diffèrent pour lui comme esprit et nature.) Cet esprit national est « un individu dans la marche de l’Hi
933 ant (donc par la guerre), puis fatalement décline et meurt. « Chaque peuple mûrit un fruit ; son activité consiste à accom
934 teinte, il n’a plus rien à faire dans le monde. » Et encore : « À chaque époque domine le peuple qui incarne le plus haut
935 x, de « végéter », précise Hegel, dans le bonheur et sans histoire. Nous assistons au transfert décisif de l’idée de vocat
936 ns notre siècle la Norvège, la Turquie, l’Irlande et Israël restaurer artificiellement une « langue nationale » parfaiteme
937 roche du vrai patriotisme, mais tout aussi jaloux et même hargneux que celui des grands voisins. Aucun de ces « concepts d
938 . On parlera beaucoup de « concert des nations », et de « droit international », mais il est clair que ces États-nations-I
939 tout ordre international impossible en principe, et par définition, puisqu’ils n’acceptent aucune instance supérieure à l
940 ent aucune instance supérieure à leurs « droits » et limitant leur « absolue souveraineté ». Pendant cent ans, l’Europe qu
941 absurdité a-t-elle pu triompher pendant un siècle et plus ? En singeant la religion et son enseignement, en devenant elle-
942 ndant un siècle et plus ? En singeant la religion et son enseignement, en devenant elle-même une source de sacré. L’Aigle,
943 une source de sacré. L’Aigle, les Trois Couleurs et le Petit Chapeau jouent au début le rôle du labarum, du crucifix et d
944 u jouent au début le rôle du labarum, du crucifix et de la mitre. Les cérémonies viendront plus tard, avec les monuments a
945 viendront plus tard, avec les monuments aux Morts et le culte du Soldat inconnu. Pour la piété et la morale nouvelle, les
946 orts et le culte du Soldat inconnu. Pour la piété et la morale nouvelle, les poètes populaires et l’instruction publique o
947 iété et la morale nouvelle, les poètes populaires et l’instruction publique obligatoire se chargeront d’en rédiger les hym
948 obligatoire se chargeront d’en rédiger les hymnes et le catéchisme. Cette religion nationale, que l’on a comparée très jus
949 Certes, l’esprit national est un dieu bien réel, et que l’on croit vraiment, puisqu’il peut exiger le sacrifice de la vie
950 change de nos vies ? Une certaine communion vague et puissante, qui permet à l’individu de dépasser son horizon restreint,
951 e ». Il est admis que tout orgueil, toute vanité, et jusqu’aux vantardises les plus stupides deviennent licites et honorab
952 vantardises les plus stupides deviennent licites et honorables, dès qu’on les met au compte de la nation où l’on a pris l
953 est manifeste qu’elle est spirituellement indigne et matériellement incapable : celui de la souveraineté sans limites, par
954 nationalisme pouvait être mortelle à l’Occident, et je vois deux raisons considérables pour le craindre. La première, c’e
955 ctions essentielles entre la souveraineté absolue et la paix, entre l’État-nation et la liberté, entre le sacré national e
956 veraineté absolue et la paix, entre l’État-nation et la liberté, entre le sacré national et la foi chrétienne, etc., contr
957 tat-nation et la liberté, entre le sacré national et la foi chrétienne, etc., contradictions qui ont éclaté dès 1914, affa
958 , en effet, déséquilibre le groupement atlantique et menace de livrer la moitié du monde à l’hégémonie des États-Unis. Ceu
959 Ceux-ci n’ont pas souhaité cette responsabilité, et ne sont pas équipés pour l’exercer : c’est par là qu’ils diffèrent pr
960 t le sens profond de son Aventure. Chacun le sent et le redoute obscurément. Si l’on me demande pourquoi, je répondrai par
961 e plante qui souffre a tendance à produire fleurs et fruits. »16 (Un peu plus de souffrance et elle se dessécherait ; plus
962 fleurs et fruits. »16 (Un peu plus de souffrance et elle se dessécherait ; plus du tout, son feuillage et sa tige embelli
963 lle se dessécherait ; plus du tout, son feuillage et sa tige embelliraient, mais aux dépens de la saveur des fruits.) À ce
964 ce d’un vrai dialogue illuminant entre l’Occident et l’Orient. Or, voici justement ma seconde raison : c’est que l’Asie to
965 lisé par la durable résistance des groupes locaux et des diverses internationales politiques et professionnelles. Ces réfl
966 locaux et des diverses internationales politiques et professionnelles. Ces réflexes de défense du corps social ne s’exerça
967 commence d’entrevoir l’étendue de sa propre folie et d’en chercher la cure qu’il peut seul inventer. La révolte contre
968 t sur la société. Toutes les trois sont mortelles et liées à la mort par une complicité originelle. Nous le savons, ou du
969 vider d’une affectivité qui est devenue la saveur et le sens même de la vie pour des millions de nos contemporains, et des
970 de la vie pour des millions de nos contemporains, et des meilleurs ? Elles menacent notre paix, et plus encore : l’existen
971 ns, et des meilleurs ? Elles menacent notre paix, et plus encore : l’existence même de l’Occident. Et pourtant l’Occident
972 et plus encore : l’existence même de l’Occident. Et pourtant l’Occident sans elles apparaît presque inconcevable. C’est q
973 étoile. Elles illustrent trois formes d’une seule et même révolte contre le But dernier de l’Aventure, qui ne peut jamais
974 xigences. Voilà ce qui a mis en marche l’Occident et allumé sa soif inextinguible. Mais quand l’homme en vient à sentir qu
975 n même temps que la Grâce subvienne à sa débilité et qu’ainsi le salut soit donné par Dieu seul, il se jette vers des buts
976 eu seul, il se jette vers des buts plus prochains et sensibles. Mouvement essentiellement intempestif — niant le temps, l’
977 niant le temps, l’attente, les conditions données et substituant impatiemment à l’objet de son espérance celui d’une imméd
978 roche : il le touche de ses mains, il l’embrasse, et il croit embrasser l’Absolu, parce que sa soif n’attendait rien de mo
979 ant qui annule le Temps, il a « bu sa destruction et sa mort ». Sacraliser des buts qui ne sont pas le But, c’est la formu
980 e, qui avait offert le type d’une société d’amour et de fraternité, mais n’a pas pu l’actualiser — c’est le Scandale. Il e
981 ne vraie communauté qui déclenche les révolutions et qui entretient le culte de l’idole nationale. Révolte contre l’Amour
982 l’idole nationale. Révolte contre l’Amour de Dieu et du prochain, qui était le commandement remplaçant toute la Loi, et l’
983 ui était le commandement remplaçant toute la Loi, et l’on voudrait mais on ne peut pas s’y conformer ; pourtant le besoin
984 éperdu. Alors je ferai d’Iseut l’absolu du désir, et elle le sera tant qu’un obstacle réel ou non entre elle et moi, même
985 e sera tant qu’un obstacle réel ou non entre elle et moi, même embrassés, empêchera l’Absolu d’échouer dans la durée. Deva
986 ’est trop pour moi, mais je ne saurais plus vivre et ressentir ma vie sans cet appel intime. Il pense alors : c’est Dieu q
987 re trop faible pour me contraindre à l’obéissance et à l’amour. La révolte ne se lève jamais contre la force à son zénith.
988 me se révolte alors contre cette liberté radicale et vertigineuse, au nom d’une liberté qu’il rêve à sa mesure ; et ce rêv
989 se, au nom d’une liberté qu’il rêve à sa mesure ; et ce rêve incarné devient une tyrannie. Passion, révolution, nation : c
990 omme ensemble historique n’a jamais été converti, et il ne saurait l’être, en vérité, du seul fait qu’il n’est pas une per
991 temps qui nous fuit, dans cette chair impérieuse et débile, n’a pas cessé de travailler les âmes depuis vingt siècles. No
992 Quête, en ce sens qu’elles procèdent de son élan et le propagent en des régions nouvelles de l’âme, même lorsqu’elles en
993 l’âme, même lorsqu’elles en oublient le vrai but et l’enjeu. Ainsi, les hérésies jaillissent de la vraie foi et s’en écar
994 . Ainsi, les hérésies jaillissent de la vraie foi et s’en écartent, mais disséminent dans des millions d’esprits inatteint
995 xpérience spirituelle que la foi seule a pu créer et qui l’attendront désormais de toute la force d’une inconsciente nosta
996 s de toute la force d’une inconsciente nostalgie. Et c’est pourquoi notre Psyché occidentale, ayant subi durant des siècle
997 jours plus pénétrantes de la passion individuelle et collective, pourrait bien se révéler à l’analyse intime comme plus et
998 ait bien se révéler à l’analyse intime comme plus et mieux « christianisée » dans ses structures qu’elle ne l’était avant
999 dans l’âme de nos contemporains même incroyants, et ne cesse de s’étendre à des régions nouvelles de notre existence prof
1000 es de notre existence profane. 9. Cf. L’Amour et l’Occident , 1939. Une version révisée de cet ouvrage doit paraître à
1001 fried de Strasbourg. 11. Bien qu’ils vident l’un et l’autre de leur contenu sacré en refusant de rendre un culte à César
1002 tenu sacré en refusant de rendre un culte à César et en épousant des esclaves. 12. On pourrait même soutenir que le chris
1003 -ci n’étaient pas admises, elle devint militante, et tout en se développant sur le plan spirituel, elle fut un facteur de
1004 libérales des adversaires de l’Église. » (Origine et sens de l’Histoire, p. 79.) 13. Tout homme est mon frère, quoi qu’il
1005 hanalyse ! Les auteurs qu’ils admirent le savent, et se gardent bien de toucher à l’idole, même s’ils n’y croient plus. « 
18 1955, Preuves, articles (1951–1968). L’aventure occidentale de l’homme : L’exploration de la matière (août 1955)
1006 Grégoire de Nazianze, les chroniques de l’époque et les textes votés nous permettent de nous faire une image vivante de c
1007 re bien moins de savantes réunions de professeurs et d’érudits que des séances houleuses de parlements modernes, ou même d
1008 Proche-Orient, d’Afrique, de Macédoine, d’Égypte et d’Ibérie. Les chefs de grands partis, entourés de leurs tenants, les
1009 tourés de leurs tenants, les légats de l’empereur et du pape, font dans la ville choisie des entrées solennelles : la disc
1010 ssion commence par ces démonstrations de la force et du prestige des partis en présence. Des troupes de moines fanatiques
1011 ques parcourent les rues. Parfois, comme à Éphèse et Chalcédoine, tout un monde de laïques ambitieux, de soldats, de matel
1012 ques ambitieux, de soldats, de matelots égyptiens et d’hommes de main, rôde autour de l’église où siège le concile, attend
1013 essaim de frelons », note Grégoire. On s’exclame et l’on s’interpelle avec violence, de la gauche et de la droite de la n
1014 et l’on s’interpelle avec violence, de la gauche et de la droite de la nef où sont massés plusieurs centaines d’évêques e
1015 nef où sont massés plusieurs centaines d’évêques et de docteurs, tandis que les légats du pape (toujours absent) et les f
1016 , tandis que les légats du pape (toujours absent) et les fonctionnaires de l’Empire ont pris place à la balustrade de l’au
1017 la balustrade de l’autel. Des tumultes s’élèvent et les Pères crient : « C’est la vraie Foi ! C’est la Foi des Apôtres ! 
1018 de Rome, déposer ou non le patriarche de Byzance, et soudain la tourbe des moines et des nervis fait irruption, Hilaire ne
1019 arche de Byzance, et soudain la tourbe des moines et des nervis fait irruption, Hilaire ne doit son salut qu’à la fuite, F
1020 mé, l’erreur de Nestorius vient d’être condamnée, et la population de la ville éclate en transports d’allégresse, acclame
1021 uit les évêques en cortège à la lueur des torches et dans l’encens des cassolettes à parfum. Tel est donc le spectacle off
1022 e douze ans seulement après l’édit de Constantin, et beaucoup d’évêques qui dominent le concile portent les traces de la p
1023 t le concile portent les traces de la persécution et des tortures qu’ils ont subies.) Spectacle à vrai dire confondant. To
1024 rai dire confondant. Tout cela grouille, discourt et manifeste, proteste, exile, accuse de blasphème ou en est accusé, org
1025 rnablement la politique d’Église ou même d’Empire et la métaphysique la plus subtile, pour n’aboutir enfin qu’à des défini
1026 s autres, d’ailleurs, peu compréhensibles en soi, et souvent tout obscures pour le peuple chrétien. Tout cela serait absur
1027 finalement bien plus intelligent, bien plus sage et bien plus réaliste qu’un Athanase lui-même n’a pu le concevoir, faute
1028 n de la personne, à partir des Personnes divines, et particulièrement de celle du Christ, vrai Dieu et vrai homme à la foi
1029 et particulièrement de celle du Christ, vrai Dieu et vrai homme à la fois. Le problème était le suivant : comment nommer l
1030 ivant : comment nommer les relations intradivines et les relations de Dieu à l’homme révélées par la venue du Christ, Dieu
1031 ur ? Comment sauvegarder à la fois la distinction et la liaison de ces aspects ? Comment éviter à la fois un monothéisme i
1032 encié, évacuant le fait central de l’Incarnation, et un trithéisme mythologique ou rationalisé ? Pour résoudre en doctrine
1033 laire19, sous la pression croissante des hérésies et de la Gnose en pleine effervescence, les Pères grecs et latins ne dis
1034 la Gnose en pleine effervescence, les Pères grecs et latins ne disposaient en fait que de notions et de mots inadéquats, a
1035 s et latins ne disposaient en fait que de notions et de mots inadéquats, au surplus difficiles à concilier. L’hellénisme a
1036 s de l’être distinct, c’est-à-dire de l’Individu, et de la permanence de cet être à travers ses modalités : essence, subst
1037 être à travers ses modalités : essence, substance et hypostase. De leur côté, les Romains avaient défini le terme de perso
1038 masque de l’acteur, puis l’acteur, puis son rôle, et de là, l’homme lui-même en tant que doté de droits dans la cité : le
1039 une personne). Ainsi l’individu n’était qu’atome, et la persona que valence ; l’un existait par soi, l’autre dans ses rela
1040 opérer la transmutation périlleuse d’un mot latin et de contenus helléniques en un dogme exprimant la nature triple et une
1041 elléniques en un dogme exprimant la nature triple et une de la Divinité révélée en Jésus. Ainsi naquit l’idée de Personne,
1042 apparaître, après coup, comme le fait spécifique et capital de l’anthropologie occidentale. De Nicée à la bombe atomiq
1043 urope christianisée, voilà qui paraît indéniable, et c’est le contraire qui aurait de quoi surprendre. Comment pourrait-on
1044 partait encore du vieux conflit entre la science et la religion, tel qu’il a dominé le xixe siècle ? Cette opposition mê
1045 d’une civilisation qui a su valoriser la matière et le corps, objets de la science, en même temps que la liberté sujet de
1046 r deux siècles de polémiques aujourd’hui périmées et stériles. Il est temps de renouveler la question et de rappeler les a
1047 stériles. Il est temps de renouveler la question et de rappeler les aspects positifs : ceux-ci sont à la fois plus « nouv
1048 core mal nettoyés des routines d’un passé récent, et plus féconds pour introduire une discussion des aspects dialectiques
1049 nation, précisée à l’extrême par les Pères grecs, et maintenue par des soins jaloux au plus haut point du paradoxe, a créé
1050 eux par tensions, qui sera jusqu’à nous la marque et le ressort de l’esprit de recherche occidental, en contraste avec le
1051 itement, confère au monde manifesté de la matière et de la chair, — c’est-à-dire aux futurs objets de nos sciences physiqu
1052 -dire aux futurs objets de nos sciences physiques et naturelles — une dignité et une réalité que l’Orient leur dénie par p
1053 os sciences physiques et naturelles — une dignité et une réalité que l’Orient leur dénie par principe. Enfin, nous avons v
1054 de science aux sociétés antiques. Ces structures et ces attitudes spécifiques de la pensée chrétienne ne pouvaient pas ma
1055 nditionner une certaine approche du réel. Formées et formulées par la théologie d’où procèdent nos philosophies, elles ont
1056 t le problème crucial de la spéculation des Pères et de leurs conciles. Il fut aussi le modèle suprême de la polarité impe
1057 lles. Si Jésus-Christ est à la fois « vrai Dieu » et « vrai homme » en une seule et même Personne, et si cette Personne à
1058 fois « vrai Dieu » et « vrai homme » en une seule et même Personne, et si cette Personne à son tour est à la fois vraiment
1059 et « vrai homme » en une seule et même Personne, et si cette Personne à son tour est à la fois vraiment distincte et vrai
1060 sonne à son tour est à la fois vraiment distincte et vraiment reliée au sein de la Trinité, il en résulte pour l’esprit cr
1061 tole, qui dissocierait la personne. Il s’agit bel et bien de vivre leur tension. Et c’est ainsi qu’à tous les degrés, de p
1062 nne. Il s’agit bel et bien de vivre leur tension. Et c’est ainsi qu’à tous les degrés, de proche en proche, sur tous les p
1063 anière immédiate, terme à terme, la transcendance et l’immanence dans le langage des philosophes, la vocation et l’individ
1064 ence dans le langage des philosophes, la vocation et l’individu dans l’anthropologie chrétienne, enfin la foi et la religi
1065 idu dans l’anthropologie chrétienne, enfin la foi et la religion naturelle. Mais qu’en est-il des autres couples d’opposés
1066 ux. S’il est vrai que l’opposition entre l’Église et l’Empire (guelfes et gibelins) reflète encore celle du divin et de l’
1067 l’opposition entre l’Église et l’Empire (guelfes et gibelins) reflète encore celle du divin et de l’humain (au prix des é
1068 uelfes et gibelins) reflète encore celle du divin et de l’humain (au prix des équivoques et des abus que l’on sait) il n’e
1069 e du divin et de l’humain (au prix des équivoques et des abus que l’on sait) il n’en va plus de même des couples gauche et
1070 sait) il n’en va plus de même des couples gauche et droite, liberté et autorité, ordre et mouvement, révolution et stabil
1071 lus de même des couples gauche et droite, liberté et autorité, ordre et mouvement, révolution et stabilité, individu et so
1072 ples gauche et droite, liberté et autorité, ordre et mouvement, révolution et stabilité, individu et société, etc., dans l
1073 berté et autorité, ordre et mouvement, révolution et stabilité, individu et société, etc., dans le domaine politique et so
1074 e et mouvement, révolution et stabilité, individu et société, etc., dans le domaine politique et social. Et pourtant, ces
1075 ividu et société, etc., dans le domaine politique et social. Et pourtant, ces polarités reproduisent le même type de tensi
1076 ciété, etc., dans le domaine politique et social. Et pourtant, ces polarités reproduisent le même type de tension nécessai
1077 mme tel — mais je constate primo qu’il a eu lieu, et secundo qu’il appartient de fait à la définition de l’Occident. Or ce
1078 omies du réel : le conflit qui opposa les éléates et les tenants de Pythagore remonte au ve siècle avant notre ère. Mais
1079 ve siècle avant notre ère. Mais entre Parménide et Pythagore, c’est-à-dire entre l’un et le multiple, ou entre Démocrite
1080 e Parménide et Pythagore, c’est-à-dire entre l’un et le multiple, ou entre Démocrite et Aristote — l’atomisme et le contin
1081 ire entre l’un et le multiple, ou entre Démocrite et Aristote — l’atomisme et le continu — la tension à vrai dire « n’exis
1082 iple, ou entre Démocrite et Aristote — l’atomisme et le continu — la tension à vrai dire « n’existe » pas. Il s’agit simpl
1083 implement de l’antagonisme de deux écoles isolées et hostiles, totalement exclusives l’une de l’autre. Seule l’Europe — et
1084 ent exclusives l’une de l’autre. Seule l’Europe — et de plus en plus à mesure qu’on se rapproche du xxe siècle — a osé ce
1085 passion de la synthèse, ressort de nos recherches et de tout l’effort scientifique, naît et renaît sans fin ni cesse de ce
1086 recherches et de tout l’effort scientifique, naît et renaît sans fin ni cesse de cette tension. S’il est vrai que le secre
1087 a, dans l’ensemble d’une culture, qu’oscillations et alternances sans progrès, monismes séquestrés, scepticismes stériles.
1088 naissance de ses incompatibles : le problème onde et corpuscule en est l’exemple le plus pur20. Certes, il s’agit de phéno
1089 . Certes, il s’agit de phénomènes de même nature, et dont l’opposition ne résulte peut-être que des méthodes d’analyse emp
1090 umière qui consiste à la fois en « vraies ondes » et « vrais corpuscules », n’a-t-elle pas donné lieu à d’infinis débats d
1091 inis débats dans lesquels on pourrait retrouver — et ce jeu n’est peut-être pas vain — l’équivalent des hérésies les plus
1092 thodoxie étant alors représentée par MM. Einstein et de Broglie, non moins acharnés qu’Athanase à trouver une synthèse « c
1093 Flore, pour aboutir à Hegel, dont procèdent Marx et ses disciples, jusqu’à nous, la doctrine trinitaire n’a cessé de prop
1094 de pensée, mais elle a prédéterminé, circonscrit et valorisé le champ même des recherches à venir. Comment nier la réali
1095 s à venir. Comment nier la réalité de la matière et de notre chair, quand Dieu lui-même a choisi de se manifester en elle
1096 lui-même s’est rendu connaissable dans la chair. Et il est vrai aussi que « l’Esprit seul vivifie, la chair ne sert de ri
1097 asion possible, qu’est le lieu de son obéissance. Et il est vrai enfin que « la chair n’héritera pas du Royaume des cieux 
1098 « la chair n’héritera pas du Royaume des cieux », et qu’elle est aujourd’hui sous le règne de la Loi, donc du péché et de
1099 ujourd’hui sous le règne de la Loi, donc du péché et de la mort, mais le Credo n’en affirme pas moins sa délivrance finale
1100 Credo n’en affirme pas moins sa délivrance finale et sa résurrection. Cette dialectique violente et tourmentée, cette insi
1101 le et sa résurrection. Cette dialectique violente et tourmentée, cette insistance des évangiles et des épîtres sur la réal
1102 nte et tourmentée, cette insistance des évangiles et des épîtres sur la réalité mortelle de la chair, et sur toutes ses co
1103 des épîtres sur la réalité mortelle de la chair, et sur toutes ses contradictions, ce terme même d’In-carnation et le mou
1104 ses contradictions, ce terme même d’In-carnation et le mouvement descendant qu’il évoque, tout contribue à concentrer l’a
1105 aul révèle que « la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement » et qu’elle attend « dans un a
1106 oupire et souffre les douleurs de l’enfantement » et qu’elle attend « dans un ardent désir la révélation des fils de Dieu…
1107 de de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu ». Voici donc l’homme chargé d’une mi
1108 r un monde dont la réalité est attestée par Dieu, et qui attend son salut de l’homme sauvé. Il est très important que Kepl
1109 le motif primordial de notre science occidentale, et la raison pourquoi Descartes estime qu’un athée ne pourrait pas faire
1110 ’une confiance intuitive dans l’accord de l’homme et du monde — accord réalisé une fois en Jésus-Christ, et promis au croy
1111 monde — accord réalisé une fois en Jésus-Christ, et promis au croyant par la Résurrection. Dès lors le témoignage de nos
1112 êveries de la raison ; la parenté entre notre œil et la lumière, quoique mystérieuse, n’est plus illusion ; et le cosmos n
1113 mière, quoique mystérieuse, n’est plus illusion ; et le cosmos n’est pas une fantasmagorie privée de cohérence, d’ordre et
1114 as une fantasmagorie privée de cohérence, d’ordre et de sens, mais il attend de nous, dans une profonde complicité de l’es
1115 cité de l’espérance, d’être à son tour interprété et révélé… Celui qui estime vraiment que le monde est absurde, on sent q
1116 ition de Descartes, qui fut aussi celle de Newton et de Kepler.   c) Les vertus scientifiques. — La non-absurdité et la r
1117 c) Les vertus scientifiques. — La non-absurdité et la réalité du monde manifesté ne suffiraient pas encore pour permettr
1118 e une intention, trahit un sens, est intéressante et valable : « Dieu est aussi présent dans l’intestin d’un pou », déclar
1119 proprement dite, c’est que les mobiles spirituels et les impulsions morales nécessaires leur ont manqué. Au contraire, le
1120 avancer cette science, grâce à son christianisme et ensuite contre son christianisme — du moins contre chacune des formes
1121 arence logique de la totalité posée par l’esprit… Et il ne s’agit pas là seulement d’Aristote et de Démocrite ; Thomas aus
1122 prit… Et il ne s’agit pas là seulement d’Aristote et de Démocrite ; Thomas aussi, et même Descartes cèdent à cette impulsi
1123 lement d’Aristote et de Démocrite ; Thomas aussi, et même Descartes cèdent à cette impulsion grecque qui veut à tout prix
1124 le réel, ce qui ne cadre pas avec les ordonnances et les lois établies précédemment. La pensée logique elle-même éprouve l
1125 aire pour se retrouver ensuite élargie, enrichie, et poursuivre ce processus à l’infini sans être comblée jamais. La scien
1126 rmer sur elle-même, reste ouverte à l’irrationnel et réussit même à y pénétrer en s’y subordonnant. D’où vient cette exig
1127 gence proprement insatiable, « à la fois inquiète et sûre d’elle-même », et d’où vient le courage qu’elle suppose ? De la
1128 able, « à la fois inquiète et sûre d’elle-même », et d’où vient le courage qu’elle suppose ? De la foi, qui est confiance
1129 l est désormais responsable de ce qu’est le monde et de ce qui s’y passe ». Il y a donc un sens, et il vaut la peine de le
1130 de et de ce qui s’y passe ». Il y a donc un sens, et il vaut la peine de le chercher — advienne que pourra ! Voilà pour la
1131 — advienne que pourra ! Voilà pour la confiance. Et quant à l’exigence : Ce problème de la théodicée, de la justificatio
1132 l rejette les théologiens qui tentent de consoler et de réconforter Job par des pensées spécieuses. Il exige de l’homme un
1133 . La passion de la science, à la fois universelle et incorruptible, naît de cette tension, de cette lutte avec l’idée de D
1134 supporter d’être mis en question par les faits ; et toute quête de Dieu se rend en même temps la tâche plus ardue en refu
1135 r suspecte toute pensée qui d’avance le satisfait et le convainc. Ainsi, c’est dans la mesure où le christianisme a signi
1136 le christianisme a signifié la fin des religions et des magies, nées de la peur, qu’il a permis le développement de la Sc
1137 semble nuire au groupe, à la tribu, à leurs lois et coutumes sacrées, que l’on prend pour l’Ordre et le Bien. L’eppur de
1138 et coutumes sacrées, que l’on prend pour l’Ordre et le Bien. L’eppur de Galilée me paraît plus « chrétien » que l’indigna
1139 que son dogme central postule la réalité du corps et de la matière. On vient de voir, au surplus, comment la science est l
1140 surplus, comment la science est liée à l’attitude et à la dialectique fondamentales du christianisme. C’est pourtant le ma
1141 faire éclater en Europe le conflit de la science et de la religion. Ponctuée d’éclats sporadiques, la lutte couvait depui
1142 temps ; avec les encyclopédistes elle se déclare, et jusqu’aux débuts de notre siècle, la majorité des savants tiendra pou
1143 ait le corps du Christ pour une simple apparence, et l’Esprit pour la seule et vraie réalité. La plupart des grandes hérés
1144 r une simple apparence, et l’Esprit pour la seule et vraie réalité. La plupart des grandes hérésies des premiers siècles s
1145 cet « Orient »-là, consécutive à la Renaissance, et consommée dès l’aube de l’ère technique, qui a donné libre cours à l’
1146 sont deux manières de s’évader, l’une par en haut et l’autre par en bas. Malgré ses prétentions à l’objectivité, le matéri
1147 l’Esprit même qui avait permis de valoriser chair et matière. Il se voulait moniste, mais né d’un Occident profondément ma
1148 ’autant plus libres de s’enfoncer dans la matière et son étude, qu’ils se posaient moins de questions quant aux motifs et
1149 s se posaient moins de questions quant aux motifs et aux effets de leurs recherches. Peut-être fallut-il, en ce moment de
1150 . Peut-être fallut-il, en ce moment de l’histoire et de l’Aventure occidentale, cette grande poussée aveugle, cet enfoncem
1151 dans une galerie où le Soleil ne parvient plus — et l’on finit par l’oublier ou le nier — peut-être fallut-il ce dernier
1152 irituel, pour que le fond de la matière fût percé et qu’une nouvelle lumière encore diffuse apparût de l’autre côté, comme
1153 s établir une distinction sensée entre la matière et quelque autre chose. » Et ce n’est pas seulement entre la matière et
1154 sensée entre la matière et quelque autre chose. » Et ce n’est pas seulement entre la matière et « autre chose », ou entre
1155 ose. » Et ce n’est pas seulement entre la matière et « autre chose », ou entre l’énergie et quelque « ondulation » d’on ne
1156 la matière et « autre chose », ou entre l’énergie et quelque « ondulation » d’on ne sait quoi, que la frontière intelligib
1157 s’est évanouie, mais c’est aussi entre le vivant et l’inerte, entre le soma et la psyché, peut-être enfin entre les mythe
1158 aussi entre le vivant et l’inerte, entre le soma et la psyché, peut-être enfin entre les mythes de l’âme et les cosmogoni
1159 psyché, peut-être enfin entre les mythes de l’âme et les cosmogonies que nous croyons « observer » ou calculer… Nous verro
1160 e en rien la dialectique transcendance-immanence, et n’apporte aucun argument « en faveur » du Credo de Nicée… Mais il fau
1161 e fixe que la preuve de réalité dans tous les cas et dans tous les domaines, est fournie par les seules expériences qu’on
1162 atière : le plein, la consistance, l’immutabilité et l’impénétrabilité. Fondement premier et refuge ultime de l’idée de ma
1163 utabilité et l’impénétrabilité. Fondement premier et refuge ultime de l’idée de matérialité, l’atome se résolvait en une s
1164 érieur d’un champ ondulatoire, mais dont la forme et la complexité structurelle sont si clairement définies par les lois d
1165 ent comme si elles étaient des êtres substantiels et durables »27. Voilà ce qui reste de la matière aux yeux de la science
1166 prit ? Que la frontière s’efface entre la matière et l’énergie, puis entre l’énergie et quelque chose qui n’est plus expri
1167 tre la matière et l’énergie, puis entre l’énergie et quelque chose qui n’est plus exprimable qu’en formules mathématiques,
1168 est plus exprimable qu’en formules mathématiques, et qui semble appartenir, par suite, à la pensée et à ses lois, voilà qu
1169 et qui semble appartenir, par suite, à la pensée et à ses lois, voilà qui tendrait à prouver l’existence d’une continuité
1170 existence d’une continuité entre la matière brute et la pensée la plus abstraite. Il faudrait alors dissocier bien plus ra
1171 nt qu’on ne le fait d’ordinaire la pensée humaine et l’Esprit (mind and Spirit). Et ceci ramènerait la pensée sous le règn
1172 la pensée humaine et l’Esprit (mind and Spirit). Et ceci ramènerait la pensée sous le règne de la Loi, c’est-à-dire dans
1173 la « chair », telle que la définissent saint Paul et l’Évangile. De la science à la théologie La question se ramène
1174 gie La question se ramène à savoir qui décide, et qui détient la preuve de la réalité. L’Occidental moyen se figure qu’
1175 héologie, dont, depuis la Renaissance, la science et la raison ont une fois pour toutes pris la place. Ce changement repré
1176 nt » ce que lui imposaient des autorités usurpées et d’ailleurs fondées dans l’erreur. Mais comme cet homme moyen serait f
1177 t-il du choix des savants ? Beaucoup d’entre eux, et non des moindres, ayant été conduits par leurs travaux bien au-delà d
1178 tières s’effacent entre le « fond » de la matière et la pensée. Ils en déduisent tout un système du monde qu’ils qualifien
1179 osmos est vraiment infini à la fois dans le temps et dans l’espace — comme l’ont cru les atomistes grecs, puis Nicolas de
1180 ont cru les atomistes grecs, puis Nicolas de Cuse et Giordano Bruno, et comme l’affirment aujourd’hui plusieurs astronomes
1181 es grecs, puis Nicolas de Cuse et Giordano Bruno, et comme l’affirment aujourd’hui plusieurs astronomes de renom — ou si l
1182 ogique reste aussi apparent qu’il est inévitable. Et il opère en général sur d’assez grossières confusions : celle du temp
1183 sez grossières confusions : celle du temps infini et de l’Éternité, celle enfin de l’immanence et de la transcendance, dès
1184 fini et de l’Éternité, celle enfin de l’immanence et de la transcendance, dès l’instant que la première est conçue comme l
1185 u’une apparence flottant sur l’océan sans rivages et sans fond de l’immatérielle Énergie. Voici donc retrouvée la Maya des
1186 d’Einstein (illimité-fini), vous iriez aussi loin et longtemps que vous voulez, droit devant vous, pour revenir au même po
1187 ur revenir au même point. Essayez de penser cela, et vous verrez bientôt que la question d’un au-delà ne se pose plus. Dan
1188 s. Dans l’univers en expansion de l’abbé Lemaître et de Gamow, né d’une explosion primitive, et qui reviendra peut-être à
1189 maître et de Gamow, né d’une explosion primitive, et qui reviendra peut-être à son point initial, vous n’irez pas plus loi
1190 inienne revient à constater que la Maya est tout, et qu’il est fou de penser à n’importe quoi d’autre, c’est qu’alors il e
1191 mis en question par autre chose que « le monde » et la mathématique. Tout s’explique et s’implique dans le cosmos des sci
1192 « le monde » et la mathématique. Tout s’explique et s’implique dans le cosmos des sciences, et l’invisibilité même s’y co
1193 plique et s’implique dans le cosmos des sciences, et l’invisibilité même s’y convertit sans cesse en matière composée d’én
1194 a Question. Nulle réponse, nul refus de répondre, et nulle interdiction d’interroger, n’auront jamais raison de cette Ques
1195 jamais raison de cette Question : elle nous juge et pose nos limites, qui sont celles du savoir humain, mais elle pose en
1196 idée d’un Ailleurs absolu, d’un totaliter aliter. Et rien ne peut faire qu’une telle idée provienne d’un monde suffisant e
1197 qu’une telle idée provienne d’un monde suffisant et fermé sur soi. Cette « voie négative » de la science nous conduit à l
1198 e nom de l’absence de Dieu pour l’homme. L’infini et l’omniprésence, l’ordre et son principe immuable, la prescience et la
1199 pour l’homme. L’infini et l’omniprésence, l’ordre et son principe immuable, la prescience et la totalité, ces attributs ma
1200 , l’ordre et son principe immuable, la prescience et la totalité, ces attributs majeurs que les grandes religions avaient
1201 nt conçus comme ceux du Dieu suprême, la physique et la mathématique peuvent les transférer au Cosmos. Mais le Dieu que pr
1202 par cela justement que la science ne connaît pas, et ne pourra jamais ni intégrer, ni réfuter comme illusoire. Et c’est la
1203 a jamais ni intégrer, ni réfuter comme illusoire. Et c’est la seule définition de Dieu donnée par sa révélation en Jésus-C
1204 s’en trouver purifié de ses associations pieuses et sentimentales.) 17. Hécatombes d’évêques déposés à la suite de cer
1205 p plus qu’on ne le croit les conduites politiques et les façons de penser. 18. Le débat du concile de Nicée porte en effe
1206 oousios (de même substance) défendu par Athanase, et homoiousios (de substance semblable) défendu par Eusèbe et les tenant
1207 usios (de substance semblable) défendu par Eusèbe et les tenants d’Arius. 19. Le concile de Nicée se tint en 325. Les gra
1208 au milieu du iie siècle, entre Grecs philosophes et juifs fanatiquement monothéistes, puis se poursuivent entre Grecs et
1209 ent monothéistes, puis se poursuivent entre Grecs et Latins d’une part, gnostiques, montanistes, ariens, donatistes, sabel
1210 ve siècle, renaîtra la querelle du monophysisme, et c’est alors que se définiront « l’Orient » et « l’Occident » du chris
1211 me, et c’est alors que se définiront « l’Orient » et « l’Occident » du christianisme. L’orthodoxie catholique ne sera défi
1212 ainsi le fait que la masse combinée des neutrons et des protons composant le noyau atomique est toujours inférieure à la
1213 nos mesures : ainsi le fait que l’âge de la Terre et du Soleil (3-4 milliards d’années) apparaît supérieur à l’âge de l’Un
1214 triade de Schelling : Sujet, Objet, Sujet-Objet, et celle de Hegel : l’en-soi de l’esprit subjectif (thèse), le pour-soi
1215 e), le pour-soi de l’esprit objectif (antithèse), et l’en-soi et pour soi (An und Für sich) de l’esprit absolu (synthèse).
1216 soi de l’esprit objectif (antithèse), et l’en-soi et pour soi (An und Für sich) de l’esprit absolu (synthèse). On peut aff
1217 a synthèse dont la christologie éveille l’attente et l’exigence dans l’homme naturel. 22. Il est certain que « la chair »
1218 mplexe indissociable corps-intellect-âme volitive et affective. L’erreur moderne est générale à ce sujet : elle en vient s
1219 lusif d’une opinion isolée de ses complémentaires et poussée jusqu’à l’absolu. Une doctrine ne peut être qualifiée d’hérét
1220 s son point de départ dans le complexe orthodoxe, et s’est développée contre lui. 25. L’homme de science moyen du xixe s
1221 se encore être tributaire. Est-ce bien sa faute ? Et la théologie du temps — je pense surtout à celle des pays protestants
1222 es affirmations de Nicée. Elle fait de l’histoire et court après la science… 26. Ce qui équivaut à dire que l’état spirit
1223 99 % de la matière cosmique consiste en hydrogène et en hélium produit à partir de l’hydrogène. Le noyau de l’hydrogène es
1224 essein sur un succès total de la science actuelle et de son orientation. Cette dernière peut changer : elle changera donc
19 1955, Preuves, articles (1951–1968). L’aventure technique (octobre 1955)
1225 nsion souveraine de leurs pouvoirs sur la matière et la Nature. Elle passa presque inaperçue. Qu’a-t-elle changé aux habit
1226 ’a-t-elle changé aux habitudes de vie des peuples et des individus ? Si peu que rien. On voit très bien que l’introduction
1227 isation, peut-être empêché leur exode au Yucatan, et révolutionné tout leur régime social. Mais on ne voit pas que nos con
1228 ersé aussi radicalement notre habitat, nos mœurs, et la continuité de nos caractères nationaux. La question qui se pose es
1229 xagérer sans mesure ni vérifications l’importance et le danger de la technique, et ses effets sur la personne humaine. Ces
1230 ations l’importance et le danger de la technique, et ses effets sur la personne humaine. Ces diatribes cent fois répétées
1231 r, l’ont modulé l’un après l’autre après Tolstoï, et toutes les revues et toute la presse du monde entier l’ont amplifié,
1232 après l’autre après Tolstoï, et toutes les revues et toute la presse du monde entier l’ont amplifié, grâce aux machines do
1233 se électrique, mais n’importe, la cause est noble et l’angoisse qu’on traduit, réelle et populaire. Derrière cette campagn
1234 use est noble et l’angoisse qu’on traduit, réelle et populaire. Derrière cette campagne unanime, distinguons deux espèces
1235 ontre les forces impersonnelles qui nient l’homme et sa dignité, et qui menacent de stériliser ses facultés les plus humai
1236 s impersonnelles qui nient l’homme et sa dignité, et qui menacent de stériliser ses facultés les plus humaines : jugement,
1237 sérénité, loisir, maîtrise de soi, individualité et liberté… On proteste au nom de la Nature, de ses rythmes majestueux,
1238 e au nom de la Nature, de ses rythmes majestueux, et du contact avec la terre, contre un monde qui devient artificiel et l
1239 la terre, contre un monde qui devient artificiel et laid, uniforme et abstrait, haletant et minuté, coupé des cycles natu
1240 un monde qui devient artificiel et laid, uniforme et abstrait, haletant et minuté, coupé des cycles naturels et de la poés
1241 rtificiel et laid, uniforme et abstrait, haletant et minuté, coupé des cycles naturels et de la poésie des Géorgiques. Ou
1242 it, haletant et minuté, coupé des cycles naturels et de la poésie des Géorgiques. Ou bien encore on puise aux deux sources
1243 eux sources à la fois, réconciliant spiritualisme et naturisme dans une alliance imprévue, mais lyrique. Avant d’analyser
1244 nérale s’impose : quoique unanime parmi nos sages et leur public, cette réaction reste impuissante. Elle a parfois privé l
1245 e les ouvriers ont renoncé à briser les machines, et les bourgeois s’en sont toujours gardé. Et quant à ceux qui ont décid
1246 hines, et les bourgeois s’en sont toujours gardé. Et quant à ceux qui ont décidé de sortir du monde et de se remettre à ti
1247 Et quant à ceux qui ont décidé de sortir du monde et de se remettre à tisser leurs vêtements, etc., il n’est rien sorti de
1248 e ceux qui le jugent : elle augmente l’insécurité et le pessimisme des masses ; elle contribue de la sorte à entretenir ce
1249 ui est le thème préféré de nos meilleurs esprits. Et pourtant, bien qu’elle reste impuissante, et bien qu’elle se contente
1250 its. Et pourtant, bien qu’elle reste impuissante, et bien qu’elle se contente en général d’arguments pathétiques mais peu
1251 eu sûrs, cette angoisse devant l’ère des machines et de la Bombe n’en est pas moins révélatrice de notre condition occiden
1252 uère qu’avec le siècle des machines, de la chimie et de l’électricité, pour s’épanouir au siècle de l’électronique et de l
1253 cité, pour s’épanouir au siècle de l’électronique et de l’énergie nucléaire et solaire. Jusqu’alors et à cet égard, c’est
1254 iècle de l’électronique et de l’énergie nucléaire et solaire. Jusqu’alors et à cet égard, c’est à peine si l’Orient se dis
1255 et de l’énergie nucléaire et solaire. Jusqu’alors et à cet égard, c’est à peine si l’Orient se distingue de l’Occident. Le
1256 Les industries artisanales du textile, du papier et de l’imprimerie, d’abord en retard chez nous jusqu’à la Renaissance,
1257 bjets plus durs prolongeant l’action de ses mains et les décisions de sa pensée. D’autres prétendent que l’homme n’était p
1258 méliorer son sort ou d’amasser plus de nourriture et de richesses : cette théorie « économique » ou utilitaire suppose un
1259 me qui précisément rédigea nos manuels scolaires, et qui n’a jamais rien inventé32. Finalement, de Nietzsche à Spengler, e
1260 , de Nietzsche à Spengler, en passant par Scheler et Schubert, on nous a représenté une espèce d’homme de proie qui se jet
1261 êvé de dominer la Nature ? Il est baigné par elle et il y participe. Comment pourrait-elle menacer « le libre développemen
1262 apparaît sur deux points de la planète au Caucase et en Chine, semble-t-il — c’est d’abord communier avec lui pour l’apais
1263 — c’est d’abord communier avec lui pour l’apaiser et le concilier : on lui offre un quartier de la même viande dont on man
1264 apparaît en même temps que les outils, les armes et les pots, les vêtements et les maisons, toutes choses un peu plus for
1265 les outils, les armes et les pots, les vêtements et les maisons, toutes choses un peu plus fortes ou plus solides que l’h
1266 s un peu plus fortes ou plus solides que l’homme, et qui le mettent en mesure de jouer sa partie en compensant les faibles
1267 jets n’épuise nullement l’intention qui les crée, et même, le plus souvent, n’en rend pas compte : tout est magie à l’orig
1268 le système des conventions sacrées entre l’homme et les forces naturelles. Ce n’est donc pas des lois de la Nature qu’on
1269 s lois, on espère bien que les saisons, le soleil et la pluie, les puissances fécondantes, vont continuer à « jouer le jeu
1270 magie, de mythe, de liturgie, l’idéal alchimique et le panthéisme actif de la Renaissance, d’une manière générale les mot
1271 tilité ou de puissance pour expliquer le pourquoi et le but réel de l’énorme majorité des inventions, jusqu’à notre ère. L
1272 eu ou la pierre, dans l’eau courante ou l’animal, et plus tard dans ses songes ou ses rêves éveillés. C’est du rêve de vol
1273 illés. C’est du rêve de voler qu’est né l’avion ; et du rêve de partir au hasard sur les routes qu’est née l’auto. Voir l’
1274 streinte à suivre la loi rigide des voies ferrées et ses horaires, mais pût aller à l’aventure : rêve typique de l’adolesc
1275 ilisèrent-ils la roue que pour faire des jouets ? Et pourquoi l’or fut-il pur ornement chez tant de peuples ? À cause de l
1276 À cause de leur magie, de leurs rêves différents, et des règles particulières de leur jeu avec la Nature.   Jusqu’ici, la
1277 Nature demeure l’Objet de l’homme, son vis-à-vis et son miroir. Il ne sait pas encore qu’il n’y voit que ses songes, et q
1278 ne sait pas encore qu’il n’y voit que ses songes, et que les âmes des choses sont les reflets de son âme. Plongé dans la N
1279 Plongé dans la Nature, il la sent la plus forte ; et parce qu’il y projette les angoisses de son cœur, il finira par voir
1280 e de mettre une sorte de distance entre la Nature et sa vie — cette distance est le « milieu » dans lequel il existe —, l’
1281 , l’esprit conçoit un Bien distinct de la Nature, et qu’elle seule semble rendre inaccessible. Il conçoit la vertu et la s
1282 e semble rendre inaccessible. Il conçoit la vertu et la santé parfaites, la puissance, l’abondance assurée, la liberté de
1283 iner son corps, de ne pas mourir… Ce qui s’oppose et résiste à ce Bien, ce sont alors les servitudes de la Nature, la néce
1284 mblable à leur Bien : il sera bon, juste, parfait et immortel, sa toute-puissance n’étant mise en échec que par le princip
1285 ulièrement l’ascension des religions du Dieu bon, et qui leur oppose en sourdine un « spiritualisme épuré », c’est-à-dire
1286 e enfermée dans un corps. Il ne sera jamais libre et vraiment bon que s’il parvient à s’évader de la chair, de la matière
1287 il parvient à s’évader de la chair, de la matière et de la vie naturelle, règne et création du Démiurge. D’où l’ascétisme,
1288 hair, de la matière et de la vie naturelle, règne et création du Démiurge. D’où l’ascétisme, le monachisme, l’angélisme, q
1289 chisme, l’angélisme, qui méprisant matière, chair et Nature, ne peuvent conduire qu’à la condamnation et à l’abandon de to
1290 Nature, ne peuvent conduire qu’à la condamnation et à l’abandon de toute espèce d’effort technique. Devant cette même Nat
1291 s pourront se donner licence d’exercer leurs arts et leurs ruses. Ils se serviront d’elle comme d’un objet sans âme, dont
1292 erne, en ôtant beaucoup de scrupules à ses agents et usagers. Histoire Redescendons maintenant au présent de notre s
1293 des déserts, pluie artificielle) ; les épidémies et un très grand nombre de maladies (antibiotiques, vaccinations, asepsi
1294 hygiène préventive, psychothérapie) ; la distance et les délais temporels (transports rapides, télécommunications). L’homm
1295 libres ; mais les plus grands fauves, la vermine et beaucoup d’insectes sont vaincus.) D’autre part, nous nous découvrons
1296 temps, d’emprunter le chemin de fer, par exemple, et tous les trains de 1830 à 1900 ont sans doute transporté moins de voy
1297 nos avions en une année. L’auto, le tank, l’avion et le métro, les machines agricoles et ménagères, l’électricité domestiq
1298 tank, l’avion et le métro, les machines agricoles et ménagères, l’électricité domestique, le téléphone et la radio, n’ont
1299 ménagères, l’électricité domestique, le téléphone et la radio, n’ont fait leur entrée dans nos vies que pendant le premier
1300 r que les peuples d’Occident aient jamais cherché et voulu ce qu’ils reçoivent aujourd’hui comme leur dû. Que veulent en g
1301 , cultiver librement tel petit délire personnel… ( Et non pas « dominer la Nature ! ») À la rencontre de ces vœux modestes,
1302 modestes, voici les dons inouïs de la technique. Et certains comblent nos désirs secrets, mais beaucoup ne répondent à ri
1303 a technique qui les donne doit les faire accepter et créer leur besoin dans la masse. Sur la base de ces jouets pour grand
1304 ets pour grandes personnes34, l’économie sérieuse et scientifique échafaude par la suite le système de ses « lois ». Elle
1305 ’innombrables usines, marques, salons, dividendes et records, donne une telle consistance à l’industrie de l’auto qu’on ou
1306 chnique, si ce n’est pas de nos besoins matériels et utilitaires, qui n’entrent en jeu qu’après coup ? Le problème revient
1307 après coup ? Le problème revient à savoir comment et pourquoi la technique a pris un brusque essor à tel moment donné de l
1308 i est d’ordre poétique (au sens premier du terme) et qui est de l’homme en général. Mais quelque chose d’unique s’est prod
1309 science, enfin constituée sur des bases autonomes et précises, et du rêve alchimique chassé par la chimie du domaine de la
1310 n constituée sur des bases autonomes et précises, et du rêve alchimique chassé par la chimie du domaine de la recherche pu
1311 sé par la chimie du domaine de la recherche pure, et se tournant alors vers les applications. Et cela, dans un climat soci
1312 pure, et se tournant alors vers les applications. Et cela, dans un climat social et politique devenu très favorable aux en
1313 les applications. Et cela, dans un climat social et politique devenu très favorable aux entreprises brutales de ceux que
1314 ceux que l’on baptise « capitaines d’industrie » et qui s’inspirent et s’autorisent des précédents de la Révolution et de
1315 ise « capitaines d’industrie » et qui s’inspirent et s’autorisent des précédents de la Révolution et de l’Empire. Trois fo
1316 t et s’autorisent des précédents de la Révolution et de l’Empire. Trois forces, donc, dont deux sont créatrices, et la tro
1317 e. Trois forces, donc, dont deux sont créatrices, et la troisième instrumentale. Pour la science, la chose va de soi : mat
1318 allait d’autres hommes que les meilleurs savants, et surtout une autre visée que celle qui orientait leurs travaux. Nous s
1319 ue celle des alchimistes aux piétistes allemands, et de ces derniers aux fondateurs de nombreuses industries modernes. Léo
1320 transformante (par la transmutation de la matière et des âmes) : ces deux sources de l’essor technique confluent dans le g
1321 s trois dominantes du savoir pur, de la puissance et du salut) dans le rôle d’un ingénieur créant un pays neuf36. Que l’av
1322 cé le « Progrès », sans bénéfice pour ses auteurs et au détriment de ses ouvriers. C’est ainsi que les applications de la
1323 mystique qui tendait au salut conjoint du cosmos et de l’âme humaine, brusquement changent de signe et tournent au fléau
1324 t de l’âme humaine, brusquement changent de signe et tournent au fléau en créant le prolétariat, lorsque l’ambition déchaî
1325 par un phénomène qui l’étonnait merveilleusement, et dont elle ne pouvait mesurer l’ampleur prochaine, la société occident
1326 t doublement trompée sur les fins de la technique et la manière de s’en servir. Elle n’a pas su prévoir l’effroyable ranço
1327 ique du machinisme : l’appât de bénéfices énormes et rapides, et la tentation de la puissance (non sur la Nature mais sur
1328 inisme : l’appât de bénéfices énormes et rapides, et la tentation de la puissance (non sur la Nature mais sur l’homme) l’o
1329 ais sur l’homme) l’ont aveuglée quant aux moyens. Et quant aux fins : la technique devait contribuer à libérer l’homme du
1330 eine à seule fin d’augmenter ses besoins naturels et de leur en ajouter d’artificiels. Ce manque de prévision, ce faux dép
1331 ision, ce faux départ, ont été lourdement payés — et le sont encore — par le prolétariat industriel, qui a subi tous les «
1332 matériel, ils l’ont payé d’un prix moins visible et tangible car on ne mesure pas les valeurs spirituelles, ni ce que l’h
1333 , le paradoxe éclate si l’on compare les réalités et les états d’esprit correspondants, au xixe siècle et au xxe siècle.
1334 es états d’esprit correspondants, au xixe siècle et au xxe siècle. Au xixe siècle, l’essor technique crée dans le peupl
1335 rse : les masses ont accepté le progrès technique et en font un article de foi, tandis que les élites le considèrent avec
1336 « qui surpassent en nombre, en valeur, en utilité et en noblesse architecturale les célèbres monuments des despotismes asi
1337 res monuments des despotismes asiatique, égyptien et romain ». Mais dès 1846, Michelet annonce la réaction pessimiste : « 
1338 erre quand on parcourt ces maisons fées où le fer et le cuivre, éblouissants, polis, semblent aller d’eux-mêmes, ont l’air
1339 de penser, de vouloir, tandis que l’homme, faible et pâle, est l’humble serviteur de ces géants d’acier… J’admirais triste
1340 mes, ces jeunes filles fanées, ces enfants tordus et bouffis. » La bourgeoisie européenne ignorait cela, au xixe siècle,
1341 des camps nazis, sinon celui des morts de Kolyma et autres lieux de rééducation. Au xxe siècle, la situation s’est retou
1342 ituation s’est retournée. Les ouvriers américains et scandinaves ont à domicile les produits de leur travail : autos, radi
1343 uits de leur travail : autos, radios, frigidaires et conserves ; et le cinéma au coin de la rue. Ils ont retrouvé la Natur
1344 avail : autos, radios, frigidaires et conserves ; et le cinéma au coin de la rue. Ils ont retrouvé la Nature, pendant le w
1345 uencés par la lecture de leurs meilleurs penseurs et de mille chroniqueurs, épouvantés enfin par la Bombe H, prennent du «
1346 de l’homme, l’implacable Technique, personnifiée et mythifiée, qui nous domine et nous « déshumanise ». Cette projection
1347 nique, personnifiée et mythifiée, qui nous domine et nous « déshumanise ». Cette projection du Mal sur la machine trahit u
1348 . Retour à l’axe Au contraire du bouddhisme et du manichéisme, l’orthodoxie chrétienne ne condamne pas le monde mani
1349 Il est dans notre esprit, n’existe pas ailleurs, et c’est en nous qu’il faut le combattre. Comment imaginer, dès lors, qu
1350 e indépendante ? Son mal provient de notre faute, et son bien fait partie de l’effort vers le salut. Cessons donc de proje
1351 1° L’idée chrétienne que le mal est dans l’homme, et que la Nature est innocente, leur fait craindre que la technique augm
1352 us leur seul aspect régulateur. Pessimisme humain et optimisme naturaliste, l’un et l’autre unilatéraux. 2° L’idée du Mal
1353 Pessimisme humain et optimisme naturaliste, l’un et l’autre unilatéraux. 2° L’idée du Mal est projetée à nouveau non plus
1354 la Nature mais bien sur la Technique personnifiée et sur ses produits, comme la Bombe, dès lors douée d’une sorte d’intrin
1355 eux, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la Bombe et qui se prépare à l’employer. Le contrôle de la Bombe est une absurdit
1356 mple appareil, n’a jamais rien fait par lui-même, et c’est toujours quelqu’un qui vous appelle par le moyen de ce porte-vo
1357 ’à gauche que le travail à la chaîne déshumanise, et que nous vivons dans le monde sans âme de l’uniformité et de la série
1358 ous vivons dans le monde sans âme de l’uniformité et de la série. Il faut bien voir que cela concerne en fait les ouvriers
1359 ifiée, cent ans plus tôt ; contre l’usine ignoble et insalubre l’ouvrier pouvait dire par la bouche d’un poète de l’époque
1360  : L’air de nos ateliers nous ronge les poumons, Et nous mourons les yeux tournés vers les campagnes39. Aujourd’hui, le
1361 technique rend la campagne aux citadins, ouvriers et bourgeois mêlés. La technique a plus fait pour rapprocher les hommes
1362 est elle seule qui peut le sauver de sa condition et du décor hideux de son existence. Ce n’est pas la scolastique qui a s
1363 la machine ».   Mais les faux problèmes écartés — et la classe ouvrière libérée, non par les communistes mais bien par la
1364 ir. La technocratie. L’homme qui cesse de sentir et de vouloir les buts derniers de son existence se met fatalement à par
1365 ement même, qui définit la politique des jacobins et des totalitaires de toute couleur. Il s’agit pratiquement de se maint
1366 plus se laisser guider par la finalité incertaine et suspecte des souhaits humains. Ce vertige de l’action naît d’une fati
1367 vertige de l’action naît d’une fatigue mentale ; et cet oubli des buts derniers n’est qu’un immense lapsus révélateur : i
1368 du loisir, qui poseraient d’une manière immédiate et concrète la grande question des fins de l’existence ici-bas. Répudian
1369 aux seuls motifs prochains du profit, du confort et de la force militaire. Privée d’objectifs à long terme, elle ne peut
1370 statistique (niveau de vie moyen d’une nation) ; et les « nécessités de la défense nationale » déterminent la science mêm
1371 tamment invoquées, tranchent en dernier ressort.) Et la morale, déterminée par les États, conduit aux dictatures totalitai
1372 ures totalitaires. (On remplace Dieu par Société, et l’État seul représentant la Société, il n’est plus de recours contre
1373 hnique ne peut produire qu’un peu plus d’étatisme et d’autant moins de liberté. Et, de fait, on ne peut pas arrêter l’état
1374 peu plus d’étatisme et d’autant moins de liberté. Et , de fait, on ne peut pas arrêter l’étatisme, mais on peut pousser la
1375 ge s’évanouira dans la mesure même où les loisirs et leur contenu deviendront le problème vital et passionnant. Alors le «
1376 irs et leur contenu deviendront le problème vital et passionnant. Alors le « sérieux » changera de camp. Celui dont le rôl
1377 à offrir aux humains libérés pour d’autres rêves et d’autres jeux, c’est-à-dire pour des formes nouvelles de travail et d
1378 c’est-à-dire pour des formes nouvelles de travail et de création ? La tâche présente me paraît donc bien moins de mettre u
1379 un « niveau de vie moyen » n’est pas bien claire, et le devient encore moins quand on la multiplie. (Que signifie le mot v
1380 s le textile est passée de 65 heures à 40 heures, et l’année de travail pour les cheminots de 3900 heures à 2000 heures, t
1381 but principal est encore de fournir plus d’objets et plus de bénéfices. Pourtant, ce « sous-produit » n’était-il pas d’abo
1382 carotte après laquelle il court depuis un siècle et demi ? On vient de voir qu’en réalité la distance entre les moyens de
1383 lité la distance entre les moyens de la technique et l’un de ses buts possibles, le loisir, a diminué d’un tiers pendant c
1384 ndes masses asiatiques, à la fois sous-alimentées et en croissance incontrôlable. Mais le seul fait de cette prise de cons
1385 tous nos besoins « matériels » soient satisfaits ( et bien mieux qu’aujourd’hui) : alimentation et transports, habitation,
1386 its (et bien mieux qu’aujourd’hui) : alimentation et transports, habitation, hygiène, et distractions. Je vois bien l’aspe
1387 alimentation et transports, habitation, hygiène, et distractions. Je vois bien l’aspect théorique de ces calculs ; qu’ils
1388 s offrira de nouvelles « occasions de travail » ; et qu’enfin la guerre atomique peut tout compromettre dans l’œuf. Mais l
1389 dans l’œuf. Mais l’œuf est là, portant son germe et notre avenir, cet avenir qu’il nous faut accepter de dévisager hardim
1390 le travail qui occupait l’essentiel de nos jours, et dont dépendait notre sort : salaire, nourriture et logement. Si la te
1391 t dont dépendait notre sort : salaire, nourriture et logement. Si la technique, demain — comme elle le peut — permet à la
1392 r nos descendants. Tout peut changer radicalement et d’ici peu, bien moins par suite de facteurs matériels que j’aurais ou
1393 l’usage qu’un peuple a décidé d’en faire : chars et wagons en Occident, jouets et ornements chez les Aztèques.) Ce qui es
1394 d’en faire : chars et wagons en Occident, jouets et ornements chez les Aztèques.) Ce qui est certain, c’est que le progrè
1395 tions se manifesteront d’une manière transparente et seront suivis d’effets presque immédiats. Ce sont ces vœux et ces ori
1396 ivis d’effets presque immédiats. Ce sont ces vœux et ces orientations que l’on peut essayer d’induire de notre état d’espr
1397 mmédiatement vers les voyages, le sport, les jeux et l’érotisme. L’expérience des vacances payées nous l’a fait voir à une
1398 née par les populations du cercle arctique (Suède et Norvège), condamnées au loisir pendant six mois d’hiver : elles se to
1399 plé ou centuplé pendant ce siècle les instruments et moyens de culture. On y publie plus de livres que jamais et à vil pri
1400 de culture. On y publie plus de livres que jamais et à vil prix : les bibliothèques et les foyers de culture locaux se gén
1401 vres que jamais et à vil prix : les bibliothèques et les foyers de culture locaux se généralisent ; toute la peinture mond
1402 ute la musique nous vient à domicile par la radio et par le disque ; des conférences, causeries et discussions publiques s
1403 dio et par le disque ; des conférences, causeries et discussions publiques se tiennent par dizaines de milliers dans nos p
1404 izaines de milliers dans nos pays démocratiques ; et l’instruction publique est heureusement doublée par des centaines d’o
1405 ment de l’histoire, découverte du monde, sciences et techniques, politique, religions. C’est dire que nous multiplions déj
1406 je dis seulement que tout y mène pour le meilleur et pour le pire. C’est dire que tout nous mène vers une ère religieuse.
1407 créatrices, des mathématiques pures à la poterie, et de la métaphysique à la sculpture des meubles. C’est ainsi que la tec
1408 ce, nous ramènera demain aux options religieuses. Et je n’imagine pas de drogue assez puissante pour en détourner le genre
1409 ieuse la plus intense a signifié longtemps ascèse et renoncement, en Occident comme en Orient. (En fait, elle est surtout
1410 ent comme en Orient. (En fait, elle est surtout — et devrait être — accession à la vérité, et peu importent les moyens.) O
1411 urtout — et devrait être — accession à la vérité, et peu importent les moyens.) On voit donc mal, à première vue, comment
1412 de retrait en deçà) du dogme formulé ; mais l’une et l’autre s’appuyaient sur l’objet de leur renoncement et en dépendaien
1413 utre s’appuyaient sur l’objet de leur renoncement et en dépendaient étroitement. L’ascèse de demain pourra difficilement p
1414 nt qui nous permet ce retour en créant du loisir. Et quant à la mystique, elle suppose avant tout la connaissance précise
1415 d — vit simplement sur les reflets épars du dogme et de la liturgie dans la culture dont il est imprégné. Voilà pourquoi l
1416 prégné. Voilà pourquoi la connaissance des dogmes et des options fondamentales de nos religions sera demain la première co
1417 ns sera demain la première condition des hérésies et gnoses qui vont paraître : elles ne feraient autrement que répéter de
1418 trines dont le style créateur a fait son temps43. Et je ne dis pas qu’elles s’en priveront. Mais je vois aussi que la cult
1419 lévision, la radio apportent le monde à domicile, et les spectacles solennels organisés par l’art ou par le sport préparen
1420 és par l’art ou par le sport préparent les masses et les individus à des liturgies imprévues. Les religions de « divertiss
1421 otalitaires — en bénéficieront très certainement. Et l’on sait, d’autre part, que la passion pour l’occulte ne cesse de gr
1422 au, voilà qui nous conduit à reconsidérer le sens et la nature finale du Progrès. Celui-ci n’est-il pas simplement l’augme
1423 . Brinkmann, Mensch und Technik, 1936, p. 85 à 92 et passim.) Cela changera au xxe siècle, avec l’institution des laborat
1424 rêves alchimiques » sur les inventeurs du xviiie et du xixe siècles. Leur lignée remonte à Paracelse, par Jérôme Cardan,
1425 vaient être des ingénieurs des mines : Swedenborg et Novalis. 36. Le modèle qui servit à Goethe pour écrire la fin du sec
1426 arbier, Iambes, cité par P. M. Schuhl, Machinisme et Philosophie, 1938. 40. Les seules descriptions « riantes » de la Nat
1427 criptions « riantes » de la Nature dans la poésie et la peinture médiévales concernent les vergers. Le reste était terreur
1428 . L’intelligentsia berlinoise, puis new-yorkaise, et une partie de la parisienne se crurent, au xxe siècle, et furent dan
1429 rtie de la parisienne se crurent, au xxe siècle, et furent dans une large mesure antireligieuses ou a-religieuses. Le sur
1430 cessé de chercher une vision religieuse du monde et de la vie, bien plus « païen », par cela même, qu’un J.-P. Sartre, qu
1431 la littérature occidentale s’est amorcé dès 1919, et n’a pas cessé de s’amplifier. 43. Nos sectes orientalistes font parf
20 1956, Preuves, articles (1951–1968). Les joyeux butors du Kremlin (août 1956)
1432 thé à Windsor, relâchement des liens entre Moscou et les PC européens… Ne serait-ce pas qu’une logique interne, ou qu’un p
1433 emblent céder à la manie d’historiser le présent, et de n’en vouloir juger — si l’on peut dire encore — qu’au nom de ce qu
1434 e passe-t-il en réalité ? Que deviennent les anti et les pro-communistes privés de la figure de Staline ? Enfin, quelles s
1435 ants semblent se situer sur une courbe ascendante et continue, allant de la tyrannie démente vers une sorte de démocratie,
1436 frappants (puisqu’il s’agit d’omissions calculées et non plus de déclarations) — faits tout de même, qui, reliés à leur to
1437 contre Staline à ce qui s’est passé depuis 1934, et seulement aux dépens des « bons communistes ». Que penserait-on d’un
1438 ocès staliniens comme des machinations délirantes et stupides, mais il omet d’en proposer la révision. Il reprend au contr
1439 les risques qu’il courait. C’est justifier Vichy et , du même coup, condamner toute espèce de Résistance : à bon entendeur
1440 e espèce de Résistance : à bon entendeur, salut ! Et c’est aussi contraindre les PC étrangers, pour lesquels l’excuse ne v
1441 ire. Au sujet du culte de la personnalité dont K. et tous les PC (obéissant spontanément à ses ordres) nous rebattent les
1442 Staline, ne serait-il pas une « personnalité » ? Et son mausolée de la Place Rouge, le lieu d’un culte ? Thorez et Toglia
1443 ée de la Place Rouge, le lieu d’un culte ? Thorez et Togliatti se seraient-ils éclipsés ? De qui se moque-t-on ? De la pre
1444 ention du fait même de la dictature, cause réelle et vraie condition des crimes que l’on impute au seul Staline. Or la dir
1445 ps d’Hitler, qui était aussi le temps de Staline. Et que la dictature se dise collégiale ou s’avoue personnelle n’y change
1446 6. K. dénonçant Staline au nom de ses créatures — et des seules que Staline ait épargnées — ne donne aucune indication que
1447 épargnées — ne donne aucune indication quelconque et moins encore de preuves que le groupe des nouveaux chefs se sente com
1448 ’immédiat. C’est trop gros, trop invraisemblable, et parce qu’on n’ose y croire, on n’a rien vu. Voilà bien son calcul mép
1449 euple, personne ne songe à contester à ces joyeux et francs butors l’usage enfin « démocratique » et « pacifique » des pro
1450 x et francs butors l’usage enfin « démocratique » et « pacifique » des produits de trente ans de « crimes ». Un peu de m
1451 leur propriété ou du moins leur droit d’usufruit, et leur vaudra, de plus, l’estime des libéraux, l’amour des progressiste
1452 l’estime des libéraux, l’amour des progressistes, et un prestige accru. Honte aux hommes de ce temps, le calcul semble jus
1453 diront : vous parlez au nom de la morale, mais K. et ses amis ont bien d’autres problèmes. Au lendemain de la mort de Stal
1454 ce qu’ils ont fait ? — Bien des choses, en somme, et d’abord s’en aller. Si trente ans de pouvoir total sur les esprits, e
1455 . Si trente ans de pouvoir total sur les esprits, et d’entraînement systématique des cadres, n’ont pas formé les trois dou
1456 les, à nier les évidences, à fuir les châtiments, et à mettre les crimes dans le sens de l’Histoire, pour les rendre accep
1457 écisément en URSS) l’auraient sans doute comprise et approuvée plus facilement que le Doyen de Cantorbéry. « Le crime seul
1458 qui l’a commis hors de la considération sociale, et le châtiment doit l’y réintégrer. » (Simone Weil.) Voilà qui eût just
1459 u moins, les fameux camps de rééducation. Mais K. et ses collègues, en se refusant en corps au châtiment prévu par leur pr
1460 re régime pour les fauteurs de « crimes sociaux » et leurs complices, et les familles et les amis de ces complices, ruinen
1461 auteurs de « crimes sociaux » et leurs complices, et les familles et les amis de ces complices, ruinent à jamais, par un e
1462 mes sociaux » et leurs complices, et les familles et les amis de ces complices, ruinent à jamais, par un exemple décisif,
1463 morale qu’il faut ici parler, de morale politique et sociale, on l’entend, la seule qui non seulement nous donne le droit
1464 est de ceux qui dégradent non seulement un régime et les idéaux qu’il proclame, mais toutes les relations humaines dans un
1465 ant avec succès, sans nulle opposition, l’honneur et le sens le plus commun de la justice, sous l’œil intéressé des masses
1466 e faits que le mot ne suffit pas à caractériser ; et à mettre en lumière ce qu’il tend à cacher. Il est clair que Staline
1467 nié. Mais il est non moins clair que les méthodes et les procédés communistes — baptisés « staliniens » quand ils devienne
1468 son règne, ne se voient dénoncés que des lèvres, et à seule fin d’exonérer le groupe qui entend bien rester libre de les
1469 és), les perspectives se modifient radicalement ; et l’on jugera que le « stalinisme » peut encore se porter aussi bien qu
1470 de hypothèse est celle d’Isaac Deutscher, reprise et approuvée presque dans les mêmes termes par Jean-Paul Sartre dans Les
1471 nt en URSS, je reconnais qu’ils ont eu des postes et des charges du vivant de Staline ; mais faut-il en conclure que ce so
1472 même en créant, par l’industrialisation de l’URSS et par l’élévation continue du niveau matériel et culturel des Soviétiqu
1473 SS et par l’élévation continue du niveau matériel et culturel des Soviétiques, les conditions d’une politique nouvelle. Le
1474 sont les hommes de cette politique : ils la font, et ils sont faits par elle. » Notons d’abord que Sartre « reconnaît » qu
1475  » Notons d’abord que Sartre « reconnaît » que K. et les siens eurent « des postes et des charges du vivant de Staline ».
1476 connaît » que K. et les siens eurent « des postes et des charges du vivant de Staline ». (Il serait difficile de le nier.)
1477 étamorphose — la dialectique en a fait d’autres — et posons une question plus gênante : le stalinisme est-il un système di
1478  ? Pourtant, le PC de France se disait stalinien, et Sartre l’approuvait en général (« Ses positions, dans l’ensemble, ont
1479 té justes »). Il approuvait donc, pour la France, et sous le même nom de stalinisme, autre chose que ce qu’il dit que le s
1480 talinisme contenait autre chose que ce que Sartre et l’Histoire en pouvaient approuver, puisqu’il est aujourd’hui condamné
1481 t approuver, puisqu’il est aujourd’hui condamné — et non pas simplement dépassé — par ceux-là mêmes en qui Sartre veut voi
1482 ent de l’Histoire qui les mène. (« … ils la font, et ils sont faits par elle. ») Quelle était donc cette autre chose qui e
1483 e était donc cette autre chose qui est condamnée, et que Sartre n’approuvait pas ? L’action personnelle de Staline, en tan
1484 n, car tout se compliquerait aussitôt. Si Staline et le stalinisme n’étaient pas une seule et même chose, l’un pouvait don
1485 Staline et le stalinisme n’étaient pas une seule et même chose, l’un pouvait donc survivre à l’autre ? Or ils sont morts,
1486 istoire ? Ah ! qu’il est encombrant, ce cadavre ! Et comme l’existence vient se moquer des systèmes et de leur dialectique
1487 Et comme l’existence vient se moquer des systèmes et de leur dialectique ! Si l’on déduit du « stalinisme » selon Sartre,
1488 e part ce qu’il en approuvait en dehors de l’URSS et de ses conditions, d’autre part ce que K. et les siens viennent d’en
1489 URSS et de ses conditions, d’autre part ce que K. et les siens viennent d’en condamner en URSS même, on voit mal ce qu’il
1490 vérité bien certaine, c’est que Staline est mort et que, trois ans plus tard, ses successeurs ont jugé nécessaire de déno
1491 nécessairement nouvelle du communisme soviétique et mondial. Au total, je ne pense pas que le phénomène relève d’une dial
1492 nte de l’Histoire (ainsi que le veulent Deutscher et Sartre), dialectique dont la « nécessité » aurait le grand avantage d
1493 e espèce de jugement moral, actuel ou rétroactif, et de ridiculiser d’avance toute demande de comptes s’adressant non seul
1494 ts acteurs quand ils faisaient le jeu de Staline, et les approuvent encore quand ils disent ne plus le faire. Je pense, au
1495 de ses méthodes fondamentales, lesquelles étaient et restent celles de la dictature ; que le « stalinisme », si on en défa
1496 ’administration des hommes que Staline a formés ; et qu’enfin le seul grand changement produit par la mort du despote et s
1497 l grand changement produit par la mort du despote et son reniement proclamé est un changement psychologique : le rapport d
1498 logique : le rapport de K. le reflète, l’accentue et le rend irréversible. J’examinerai maintenant les conséquences qui pe
1499 ntale, bien que les communistes y soient très peu et assez mal représentés. « Verser dans l’anticommunisme », aux yeux d’u
1500 ntretient un climat de confusions intellectuelles et morales dont les seuls staliniens ont pu se réjouir. Leur crise prése
1501 nom d’anticommuniste systématique. C’est mon cas et je m’en explique. Je fus aussi, et au même titre, un antinazi systéma
1502 C’est mon cas et je m’en explique. Je fus aussi, et au même titre, un antinazi systématique. Communisme et nazisme, en ef
1503 même titre, un antinazi systématique. Communisme et nazisme, en effet, ne sont pas seulement des systèmes, mais des systè
1504 otalitaires. Il n’y a donc pas, en eux, à prendre et à laisser. (Je prends le Plan, je laisse les camps ; je prends K. et
1505 rends le Plan, je laisse les camps ; je prends K. et son groupe, je laisse Staline ; je prends les idéaux, je laisse les f
1506 .) Ce que prétendent laisser nos libéraux jobards et nos soi-disant neutralistes, c’est la condition même de ce qu’ils ent
1507 u prolétariat non consulté) suppose la dictature, et K. suppose Staline, qui l’a fait. Dans un système totalitaire, par dé
1508 endants de la ligne fixée par le régime lui-même. Et parmi les hommes que j’ai dit libéraux, neutralistes ou progressistes
1509 tion de Staline en tant que seul juge de la Ligne et porteur du mouvement de l’Histoire ! D’où l’on voit qu’un anticommuni
1510 tique. On lui reproche de « n’être qu’un anti » ; et comme, en fait et en logique, on ne connaît pas d’opposition qui n’im
1511 oche de « n’être qu’un anti » ; et comme, en fait et en logique, on ne connaît pas d’opposition qui n’implique une certain
1512 us de la classe bourgeoise, qui achète ses livres et applaudit ses pièces bien qu’il n’ait pas cessé de l’attaquer, et qu’
1513 pièces bien qu’il n’ait pas cessé de l’attaquer, et qu’il n’a nul besoin de l’argent du communisme, qu’il défend sans y a
1514 onnus de tous : 1. que Staline était un fou cruel et rusé (le « Caligula du Kremlin », écrivaient Preuves et le BEIPI), un
1515 é (le « Caligula du Kremlin », écrivaient Preuves et le BEIPI), un mégalomane en proie au délire de persécution, comme la
1516 isme-léninisme ; 3. que Staline glorifié, en gros et en détail, par tous les communistes du monde entier, en tant que resp
1517 e millions de juifs par Hitler au nom du racisme, et compromettait au surplus un idéal universel, ce que n’avait pas su fa
1518 , Slanski, etc., menés au nom des mêmes doctrines et par les mêmes procédés délirants que ceux de Boukharine, Zinoviev et
1519 océdés délirants que ceux de Boukharine, Zinoviev et consorts, et que celui de Beria et de ses agents, prouvaient que les
1520 nts que ceux de Boukharine, Zinoviev et consorts, et que celui de Beria et de ses agents, prouvaient que les États communi
1521 rine, Zinoviev et consorts, et que celui de Beria et de ses agents, prouvaient que les États communistes étaient gouvernés
1522 t en croire Staline) par une majorité de traîtres et d’espions au service du capitalisme, soit (comme nous le pensions, et
1523 ice du capitalisme, soit (comme nous le pensions, et K. le confirme) par une minorité de scélérats, Staline en tête, dont
1524 mps de travail forcé non seulement existaient bel et bien, mais qu’ils étaient peuplés de millions d’innocents, condamnés
1525 es, dites « locales », empêchait tout désarmement et retardait ainsi le progrès économique ; 8. que le niveau de vie des t
1526 rieur à ce qu’il était dans les pays capitalistes et socialistes, dont pourtant les régimes ne se justifiaient pas au seul
1527 pas au seul nom de l’émancipation prolétarienne ; et que les conflits du travail, réglés chez nous par conventions bilatér
1528 dent, simples valets de plume du PC, calomniaient et louaient sur ordre, stakhanovistes de la servilité ; 10. qu’enfin tou
1529 e fascisme, etc. C’était conforme à leur doctrine et à leur discipline terroriste. Mais il était plus surprenant de voir l
1530 il était plus surprenant de voir les simples AAC et PPC (les anti-anticommunistes et les pro-parti communiste) nous resse
1531 les simples AAC et PPC (les anti-anticommunistes et les pro-parti communiste) nous resservir les mêmes insultes, sous l’e
1532 t » introduit dans la situation par le rapport K. et ses suites ? Sur les points 1 à 8 de ma liste d’exemples, K. et les s
1533 ? Sur les points 1 à 8 de ma liste d’exemples, K. et les siens, pour l’essentiel, donnent raison aux anticommunistes. Sur
1534 , le niveau de vie inférieur des ouvriers russes, et la servilité des écrivains staliniens), mais encore toutes ces choses
1535 alayées d’un seul coup, ridiculisées sans espoir, et ramenées à ce que nous disions qu’elles étaient en réalité : de pures
1536 us disions qu’elles étaient en réalité : de pures et simples mystifications, au sens marxiste de l’expression. Quant au po
1537 t, sa vérité résulte des points qui le précèdent, et sa confirmation héroïque et sanglante s’inscrit dans les émeutes ouvr
1538 nts qui le précèdent, et sa confirmation héroïque et sanglante s’inscrit dans les émeutes ouvrières et dans la Résistance
1539 et sanglante s’inscrit dans les émeutes ouvrières et dans la Résistance intellectuelle de l’Est.   Que vont dire, dans ces
1540 .   Que vont dire, dans ces conditions, nos AAC ? Et que vont faire nos PPC ? Proclamer que nous avions raison ? S’excuser
1541 . Réponse : Tout n’est pas condamné, loin de là, et ce n’est point par hasard que ces « crimes » furent commis : ils étai
1542 toutes ces choses dans l’esprit des chefs russes et le vôtre aient changé. Répéter contre Staline et Beria ce qu’ils disa
1543 et le vôtre aient changé. Répéter contre Staline et Beria ce qu’ils disaient contre Trotski, Kamenev ou Toukhatchevski, d
1544 me si l’on tire au nom du bien de ceux qu’on tue. Et , pour tout dire, recevoir l’ordre d’être libre, de telle manière pres
1545 l’ordre d’être libre, de telle manière prescrite et limitée, n’est pas encore se libérer en obéissant. Cela peut être aus
1546 fet, elle supprime « la base de leurs convictions et souvent aussi de leurs revenus »51. Réponse : En ma qualité d’antico
1547 aucoup moins distingué, sans doute, que M. Fejtö, et beaucoup moins subtil que ses amis d’Esprit, donc carrément « vulgair
1548 ion de mes revenus, j’ai dit plus haut les bonnes et solides raisons que j’aurais, dans ce cas, de rester optimiste. M. Fe
1549 s, naïvement, que le rapport K. devait, en somme, et en quelque manière, gêner plutôt les staliniens et leurs alliés, AAC,
1550 t en quelque manière, gêner plutôt les staliniens et leurs alliés, AAC, PPC et consorts. Que sont-ils, en effet, et quelle
1551 r plutôt les staliniens et leurs alliés, AAC, PPC et consorts. Que sont-ils, en effet, et quelle tête peuvent-ils faire, a
1552 és, AAC, PPC et consorts. Que sont-ils, en effet, et quelle tête peuvent-ils faire, au lendemain du XXe congrès, s’ils son
1553 r un paranoïaque. Ils croyaient servir la justice et approuvaient régulièrement toute injustice, pour peu qu’elle fût comm
1554 oyaient servir « le libre développement de tous » et justifiaient les camps de travail forcé, ou niaient leur existence, o
1555 s camps. C’était faire le jeu de Staline, fauteur et pourvoyeur des camps. (Mais il n’y avait pas de camps !, criait Würms
1556 : de les dire bien réels, puisqu’on va les vider, et de les dire mauvais, puisqu’ils étaient en URSS…) Lorsqu’eut lieu le
1557  peuple » hongrois étaient proprement scandaleux, et visiblement fabriqués. Benda déclarait, au contraire : « Le malheur p
1558 aveux, par les témoignages les plus formels52. » Et Courtade, témoin du procès, osait écrire : « On cherche en vain sur c
1559 e exclut toute distinction morale entre la vérité et le mensonge. La bonne foi, c’est la foi du Parti. La mauvaise foi con
1560 anité sur le visage de Rajk vivant. Il est encore et toujours de bonne foi en retrouvant cette trace sur le cadavre du mêm
1561 foi telle qu’un Sartre pouvait jadis la définir, et la discipline du PC, on conçoit le malaise qu’ils endurent. Il serait
1562 çoit le malaise qu’ils endurent. Il serait puéril et vain, malgré tant d’apparences, de leur dire aujourd’hui : « Reconnai
1563 vos torts. » Ils vivaient sur des mythes verbaux et littéraires d’une indéniable consistance psychologique. Ça ne se guér
1564 pas en un jour. Tous leurs mots, groupes de mots, et tabous : révolution, contre-révolution, capitalisme, réaction, gauche
1565 contre-révolution, capitalisme, réaction, gauche et droite, stalinisme et fascisme, dictature, liberté formelle, mauvaise
1566 pitalisme, réaction, gauche et droite, stalinisme et fascisme, dictature, liberté formelle, mauvaise foi, volonté des mass
1567 mythologie, mais ne collaient plus à rien de réel et de vérifiable : « névrose constituée » du langage. Ils jugeaient honn
1568 r le contraste entre les étiquettes « de gauche » et les contenus. Elle commandait ainsi de se taire sur les camps, ou de
1569 ir dans Jaspers un nazi, dans Staline un penseur, et dans Stil quelque chose ; enfin de situer « à gauche » le despotisme
1570 droite » l’esprit critique, le doute, la liberté, et de ne tenir pour vrai que ce qui était dit « de gauche » ; bref, dans
1571 este sans prise sur des troubles de cette nature. Et , plutôt que de leur retourner tant d’insultes outrées dont on voit la
1572 lus correct, ni par un supplément d’information ; et qu’elle exclut tout geste de fair-play à l’adresse d’adversaires inte
1573 ne « erreur » si longuement constituée, cohérente et conditionnée, que seul un acte comparable à la conversion religieuse,
1574 que un règlement de comptes entre le tyran défunt et ses successeurs ; attribuer du jour au lendemain tout le mal qui s’es
1575 ar suite à justifier Tito, mais non Trotski, Rajk et Kostov, mais pas encore Slansky, cela fait partie des exercices coura
1576 bat sa coulpe sur les joues de Thorez, de Duclos et de Togliatti. Le bon vieux drill fait place à la brimade directe, mai
1577 ’esclavage qui transcende l’obéissance technique, et ne peut récuser qu’un seul ordre : celui de ne plus obéir. Le mouveme
1578 de ces deux hypothèses. Togliatti décide d’obéir et , pour bien nous montrer qu’il a compris les ordres, risque une critiq
1579 soyez libres ! Peignez-vous comme il vous plaira et cessez d’obéir comme des brutes ! » Aussitôt la panique se répand dan
1580 n violet ou en rose. Quelques-uns restent rouges, et l’on peut se demander s’ils n’ont rien trouvé de mieux, ou s’ils tent
1581 endant, deux ou trois se débarbouillent la figure et décident de quitter le pays. La question qui se pose est celle-ci : l
1582 qu’avant. Comprenez qu’il n’est pas d’autre voie, et que vous ne serez jamais libres à moindre prix.   D’autres difficulté
1583 révélées dans l’univers du communisme soviétique et mondial par la Turbulence que l’on sait seront ici brièvement indiqué
1584  Le problème est nettement posé par le rapport K. et ses suites. Jusqu’à la veille du rapport, en effet, dire que Staline
1585 tout court, voilà qui est loin de prouver que K. et les PC aient rejoint le parti de la vérité. Cela prouve au contraire
1586 ire que la vérité doit être dictée, non cherchée, et dépend de l’intérêt du Parti, non de l’examen libre des faits. Cette
1587 Cette vérité qu’ils disent maintenant par ordre, et que nous disions par conviction, c’est la même et ce n’est pas la mêm
1588 et que nous disions par conviction, c’est la même et ce n’est pas la même. Ils la disent comme ils la niaient : parce qu’i
1589 e dire le vrai comme on ment, avec le même accent et pour les mêmes motifs. Que dis-je ! les Thorez, les Duclos, rédigeant
1590 ctement, technique. Le mensonge y devient erreur, et l’erreur y est frappée de sanctions immédiates, qui ne sont point mor
1591 oups de mensonges, mais à force de calculs exacts et de vérifications critiques. (La dialectique marxiste, en sciences, n’
1592 arxiste, en sciences, n’a produit que des pannes, et Lyssenko). Un monde tel qu’on ne peut plus y dire la vérité, n’est pa
1593 dire la vérité, n’est pas seulement répréhensible et rétrograde, mais inapte à durer dans notre âge. L’infaillibilité du
1594 ques avec le Parti, du Parti avec le Prolétariat, et de celui-ci avec le mouvement de l’Histoire, qui, par définition, ne
1595 le mouvement ouvrier international ») a toujours et nécessairement raison, qu’il soit incarné par Staline comme hier, ou
1596 il soit incarné par Staline comme hier, ou par K. et son groupe comme aujourd’hui, sauf qu’on reconnaît « spontanément » q
1597 le vrai porteur ? Faudra-t-il dissocier les chefs et le Parti, sacrifier les premiers pour garder pur le second ? Ou disso
1598 pour garder pur le second ? Ou dissocier le Parti et le Prolétariat ? (On recule encore devant le troisième blasphème…). C
1599 r a bien dû se glisser quelque part ; elle est là et on l’a reconnue ; et pourtant, il s’agit de limiter les dégâts… Mais
1600 r quelque part ; elle est là et on l’a reconnue ; et pourtant, il s’agit de limiter les dégâts… Mais que devient alors la
1601 que devient alors la fameuse cohérence léniniste et monolithique de tous les échelons du système ? K., hier encore, la pr
1602 encore, la proclamait vitale. Insoluble problème, et les risques sont graves. Car ou bien tout se défait ; ou les « crimes
1603 ple la nouvelle classe des bureaucrates ? Mais K. et ses amis sont aujourd’hui ses chefs. Au surplus, chacun sait que les
1604 utre parti totalitaire, limité à une seule nation et privé de doctrine universelle ; mais elles montrent aussi que « l’uni
1605 te d’une rapide reprise en main, se détachent bel et bien du Kremlin, nolens volens, un jour ou l’autre, après bien des à-
1606 dans le style que le Kremlin vient de condamner, et , s’il l’a condamné, c’est qu’il y était forcé. La dialectique, encore
1607 rti au pouvoir, de leur appartenance bien visible et tangible à une Église monolithique, enfin de leur connivence active a
1608 ence active avec la Terreur même régnant à l’Est, et dont on sait que la fascination leur a valu tant d’adhésions à l’Oues
1609 iques), démasquerait son vrai visage nationaliste et stalinien. Mais est-il sûr, ici encore, que l’équipe du Kremlin ne dé
1610 élever son niveau de vie, de rattraper l’Amérique et de faire du commerce comme les autres. Un tel État tendrait à se déba
1611 endrait à se débarrasser des entraves dogmatiques et de ceux qui les vénèrent… À supposer que l’arrière-pensée d’un K. soi
1612 es échanges de personnes, d’idées, d’informations et de produits se multiplient déjà et ne s’arrêteront plus. Qu’adviendra
1613 d’informations et de produits se multiplient déjà et ne s’arrêteront plus. Qu’adviendra-t-il de ces échanges d’idées, si l
1614 l’humour consistait à tout prendre à la lettre. A et B, tous deux hommes politiques, se rencontrent au club pour un échang
1615 ix qui ne résulte pas du contact de deux apathies et de l’échange de deux démissions. Le dialogue désormais engagé ne sera
1616 ions. Le dialogue désormais engagé ne sera fécond et profitable à tous les deux que si l’un au moins des partenaires détie
1617 rendre assez forts pour donner, pour mieux vivre et pour rayonner. Que cela soit attendu par les meilleurs à l’Est, nous
1618 lte de la personne… coûtait cher en vies humaines et en biens matériels, mais il ne nuisait pas nécessairement à la justes
1619 ques qui exigent des hécatombes de vies humaines, et s’accommodent d’un niveau d’existence matérielle si bas, qu’il provoq
1620 le grandit pas à pas. Prenez notre Comité central et notre Commission de contrôle. Ils forment ensemble un centre dirigean
1621 eant. C’est un des centres les plus démocratiques et agissant collégialement que notre Parti ait jamais eus… » Discours de
1622 ntalité prélogique. Le capitalisme au xxe siècle et les États-Unis, sont des amas de réalités, non des systèmes logiques
1623 ritique peut opérer dans ces amas le choix du bon et du mauvais, mais se renierait s’il prétendait les accepter ou rejeter
1624 K. ne cesse de le répéter, à la suite de Staline et de Lénine. 50. Exemples récents : dans Preuves, n° 64, F. Fejtö esti
1625 e ce qui « constitue la base de leurs convictions et souvent aussi de leurs revenus ». Et il poursuit : « C’est sans doute
1626 convictions et souvent aussi de leurs revenus ». Et il poursuit : « C’est sans doute pour cette raison » que lesdits anti
1627 des procédés dont use à son égard L’Observateur, et qu’il juge trop personnels : « J’ai retrouvé avec stupeur les procédé
1628 i retrouvé avec stupeur les procédés de la droite et je sais que j’aurai droit, le mois prochain, à un autre article, auss
1629 tout de même moins pâteux, dans Preuves. » (Ce «  et je sais » que j’ai souligné, paraît obscur.) Je n’ai pas la moindre e
1630 calomnier un homme pour qui j’ai eu de l’amitié, et ce n’est pas ma faute s’il suffit de le citer pour faire mesurer les
1631 , 19 septembre 1949. 54. « Les ennemis du peuple et leurs divers agents feignent de railler ce qu’ils appellent le “culte
1632 peu plus tard, K. juge utile de tancer Togliatti et d’approuver Thorez : ces sautes d’humeur semblent déterminées par le
21 1956, Preuves, articles (1951–1968). Sur Suez et ses environs historiques (octobre 1956)
1633 Sur Suez et ses environs historiques (octobre 1956)aa Un dialogue A. Aide
1634 achez-le, je me jetterai dans les bras de Moscou, et c’est vous qui m’y aurez poussé ! J’ai besoin d’un barrage. B. Entend
1635 s’agissait d’un barrage, que c’était une affaire, et votre affaire d’abord, et que vous me demandiez de m’en mêler. A. Vou
1636 ue c’était une affaire, et votre affaire d’abord, et que vous me demandiez de m’en mêler. A. Vous me jetez dans les bras d
1637 ervenir dans vos affaires ? A. Assez de sophismes et de provocations impérialistes ! Vous êtes riche, je suis pauvre, vous
1638 is sans condition ? A. Parce que Moscou vous emm… et que ça me plaît. B. Si je vous donnais les capitaux, Moscou ne change
1639 ur si peu. Je vous rendrais plus fort contre moi, et vous ne m’aimeriez pas davantage. Vous n’aimez pas vos intérêts, pour
1640 entiques dans les deux cas, excessives en paroles et déficientes en actes. L’affaire Hitler était locale, politiquement :
1641 ompromet l’ensemble des rapports entre l’Occident et l’Asie, elle met en cause l’une des deux politiques fondamentales pra
1642 de l’Est européen jusqu’aux confins de la Sibérie et jusqu’au désert de Gobi. Essentiellement réactionnaire, elle a pour p
1643 e, elle a pour principes permanents le despotisme et l’immobilité, parfois coupée d’accès de nomadisme stériles ou destruc
1644 é celle du mouvement libérateur, de la découverte et des échanges. L’une tend à la formation de blocs fermés, l’autre à l’
1645 tivités autonomes, foyers de rayonnement culturel et commercial. L’une centralise, l’autre fédère. L’une est conservatrice
1646 ntralise, l’autre fédère. L’une est conservatrice et l’autre progressiste. En travers de la politique maritime des Occiden
1647 L’histoire du canal de Suez illustre ce dialogue et cette évolution. Le verrou de l’islam Les Pharaons, ancêtres de
1648 attribuera ces pertes en vies humaines à Lesseps et à l’Occident.) Trajan fait rouvrir le canal, temporairement ensablé.
1649 canal permettant aux Infidèles l’accès de Médine et de La Mecque, villes saintes, l’Abbasside El Mansour le fait boucher
1650 utoniques, puis exploration de l’Océan par Colomb et Vasco de Gama. Le premier trouvera l’Amérique. Le second, découvrant
1651 s’étonnera de rencontrer à Calicut les Égyptiens et les Chinois « unis comme des compères »57. Préfiguration de Bandung,
1652 n Égypte. Ces plans, cette idéologie progressiste et humanitaire, étudiés et repris par Lesseps, violemment combattus par
1653 te idéologie progressiste et humanitaire, étudiés et repris par Lesseps, violemment combattus par les Anglais, mollement s
1654 me domine le monde. Mais que l’Occident se divise et que l’islam relève la tête, aussitôt le canal de Suez se voit de nouv
1655 argement les intérêts d’une compagnie capitaliste et d’un dictateur acculé. L’URSS entre deux politiques Quand la Ru
1656 vient à sa politique traditionnelle, continentale et asiatique, Moscou reprend son rôle central. La crise de Suez trouve d
1657 e fois-ci le Nouveau Monde de l’énergie nucléaire et solaire. La vraie question que pose le geste de Nasser n’est pas cell
1658 ndes, p. 68. aa. Rougemont Denis de, « Sur Suez et ses environs historiques (Le point de vue de Ferney) », Preuves, Pari
22 1956, Preuves, articles (1951–1968). Sur l’Europe à faire (novembre 1956)
1659 ’elle existe ? Où commence-t-elle dans le temps ? Et où finit-elle dans l’espace ? B. Ceux qui l’attaquent savent assez ce
1660 t. A. L’Albanie musulmane en ferait-elle partie ? Et la Russie ? Très grosse question ! Jusqu’à l’Ukraine ou à l’Oural, ou
1661 ibal est aux portes, l’union nous sauverait tous, et vous demandez une bonne définition ! Je vous vois venir. A. J’y viens
1662 ût-ce que pour sauver l’objet de notre dialogue — et tout dialogue, peut-être. De celle où vous êtes né comme moi, si je n
1663 le où vous êtes né comme moi, si je ne me trompe, et qui meurt de vos doutes, plus que de la foi des autres.   C et D (ens
1664 de vos doutes, plus que de la foi des autres.   C et D (ensemble). Laissez-moi ricaner, monsieur ! Votre Europe, elle nous
1665 omment l’aurait-elle pu si elle n’était pas née ? Et c’est vous qui en avez décidé, vous les Anglais en sabotant Strasbour
1666 CED. Vous l’appelez quand elle peut vous servir, et la mettez en doute quand il faut qu’on la serve. C’est naturel, on vo
1667 s bien. Mais vous auriez tort de vous plaindre. C et D. N’empêche que nous sommes seuls à relever un défi qui s’adresse à
1668 s’adresse à tout l’Occident. B. Vous êtes seuls — et l’on sait pourquoi — à proclamer que vous faites ainsi, mais rien ne
1669 r que vous faites ainsi, mais rien ne se passe. C et D. C’est qu’il y a tous les autres ! Il fallait bien, Monsieur, que n
1670 e l’Égypte. Si vous êtes souverains, tirez donc ! Et n’allez pas demander partout des permissions. Mais si vous ne pouvez
1671 ope, cet automne ? B. Et vous ? merci. Tout germe et tout bourgeonne. On se croirait au printemps ! Voici les faits. Adena
1672 t l’essentiel : que l’Europe peut se faire demain et qu’elle le doit, non point pour éviter certains désagréments d’un pas
1673 pour éviter certains désagréments d’un passé mort et enterré, mais pour tenir sa place dans le monde de demain, entre les
1674 sitôt accusée de dirigisme. Puis on a tué la CED, et toute la presse a récité que l’idée européenne était bien morte. Voil
1675 mun, Guy Mollet au pouvoir en France, Jean Monnet et son Euratom ralliant enfin l’opposition allemande, et l’affaire Nenni
1676 on Euratom ralliant enfin l’opposition allemande, et l’affaire Nenni-Saragat… S. C’est donc sérieux ? Les grands partis s’
1677 ’y a plus une minute à perdre. Sur l’esclavage et la souveraineté nationale Une conférence internationale qui a pass
1678 nt comme esclaves dans les pays arabes. La France et l’Angleterre ont proposé un contrôle des bateaux qui emmènent ces mal
1679 ui emmènent ces malheureux à travers la mer Rouge et le golfe Persique. Le délégué de l’URSS en a profité pour dénoncer l’
1680 a donné à ce commerce une approbation objective, et l’Inde a proposé des mesures de compromis. L’esclavage devient donc t
1681 uelques écrivains catholiques, comme Daniel-Rops, et un pasteur-député ont parlé de l’affaire en France. Il est vrai qu’Ém
1682 eraineté nationale est un principe progressiste ; et la France a tort, quoi qu’elle fasse. Voilà bien des raisons. La prem
1683 rtout, du massacre massif des Koulaks, des Kasaks et autres Cosaques, voilà qui n’empêche pas qu’elle « représente » l’adv
1684 ui, selon M. Joliot-Curie, « exige l’exploitation et l’esclavage d’innombrables êtres humains maintenus à cette fin dans l
1685 C français. Cela prouve qu’il n’est pas africain, et qu’il n’habite pas en Égypte. Car, en effet… Non-ingérence En j
1686 nité n’en a pas moins loué « le caractère positif et progressiste » de la saisie du canal de Suez. Qu’importe le fascisme,
1687 asions de tricher, de mentir, de fermer les yeux, et de parler de progrès en vous faisant les poches. La fameuse souverain
1688 gens, l’avènement du code imbécile des gangsters et des dictateurs. En un mot, c’est le fascisme essentiel. Le polythéism
1689 ski vient d’écrire sur commande une œuvre austère et dure, qui ne concède rien ni à l’attente du public ni à celle des cri
1690 ante-quinze ans. Il vit en Amérique. Il a demandé et obtenu un cachet « digne », pour une fois, de l’importance de l’œuvre
1691 igne », pour une fois, de l’importance de l’œuvre et du génie qu’il est. C’en est trop ! Tous crient au scandale, le grand
1692 l’œuvre, les milieux musicaux à cause du cachet, et les critiques à cause des deux. La sottise et la jalousie s’allient a
1693 et, et les critiques à cause des deux. La sottise et la jalousie s’allient avec le masochisme, maladie spécifique des élit
1694 Bartók ne gagne pas de quoi se payer la clinique et il en meurt, mais les virtuoses qui jouent ses concertos en vivent tr
1695 n vivent très bien : 3000 dollars pour une soirée et trente soirées dans une saison, tandis qu’un adroit pousseur de ballo
1696 er de maillot (Stravinski restant loin derrière). Et je ne parle même pas du monde du cinéma, où la minute de pellicule mu
23 1956, Preuves, articles (1951–1968). Sur le rêve des sciences (décembre 1956)
1697 urd’hui que l’Europe ait découvert les Amériques, et toute la Terre, dans le seul dessein de satisfaire les viles passions
1698 ialistes de Colomb, animées par l’esprit de lucre et l’hypocrisie missionnaire, ont détruit les « splendides » cultures de
1699 « splendides » cultures des Indiens, des Aztèques et des Incas, et nos deux-cents familles ont reçu leur lot d’esclaves po
1700 cultures des Indiens, des Aztèques et des Incas, et nos deux-cents familles ont reçu leur lot d’esclaves pour avoir finan
1701 . Christophe Colomb n’a pas découvert l’Amérique, et lui-même n’était pas celui que l’on croit, mais un juif espagnol conv
1702 r conquérir Jérusalem. Ce demi-fou sublime, pieux et mégalomane, n’a rien fait de ce qu’il croyait faire, ni de ce qu’on l
1703 Il rêvait d’un Grand Khan adversaire de l’islam, et nous avons M. Dulles. Il comptait rapporter la subvention spéciale qu
1704 dernière Croisade, mais nous avons le dollar gap et le Conseil de Sécurité. Il partit comme Abraham, « sans savoir où il
1705 savoir où il allait », mû par des songes insensés et se trompant dans ses calculs de la largeur d’un océan, mais nos moral
1706 l Street. À supposer que la découverte de la Lune et la navigation vers les planètes, qui n’est qu’un rêve encore pour cet
1707 action créatrice sans quelque rêve qui la dirige, et qu’elle trahit. « Celui qui vend des bœufs, rêve de bœufs », dit le p
1708 d’Or, a toujours préféré la formule, plus brutale et subtile à la fois, des satellites. Elle projette aujourd’hui vers l’e
1709 au point la formule des satellites astronomiques. Et quant à la coexistence, qui se révèle malaisée dans le siècle, on ira
1710 celui de l’Histoire : il est question que l’URSS et les États-Unis lancent en commun des lunes artificielles. Un rocket n
1711 lème du communisme. Quelques Blancs, je l’espère, et beaucoup de Jaunes, les Rouges n’étant plus qu’un souvenir. L’acti
1712 Nos rêves ne précèdent pas seulement nos actions et nos découvertes, mais les recherches qu’elles supposent, et qu’ils or
1713 ouvertes, mais les recherches qu’elles supposent, et qu’ils orientent. Les archétypes du rêve nous préparent aux surprises
1714 s, dit l’objet, si tu ne m’avais d’abord cherché, et comment m’aurais-tu cherché si tu ne m’avais d’abord imaginé ? Parce
1715 e poser comme axiome l’accord fondamental du rêve et du réel. Qui n’a rêvé de se transporter en un clin d’œil aux antipode
1716 rs lointains ? En février 1946, vivant à New York et séparé de l’Europe depuis de longues années, je notais : « Transmissi
1717 distance par radio. Une particule de chair coupée et aussitôt recollée continue à vivre. On pourrait donc envoyer un corps
1718 une fraction de seconde, à l’autre bout du monde et l’y recomposer… Accidents à prévoir : arrêt du mécanisme en cours de
1719 ons du corps après plusieurs voyages (« bougé »). Et si l’âme reste en route ? — Réfléchir sur la destruction de la catégo
1720 ir trouvé le moyen de désintégrer un corps humain et de le réintégrer à grande distance. On attend la suite. Elle viendra.
1721 rons dans la Lune, après-demain nous rajeunirons, et l’immortalité n’est plus une utopie : on l’obtient in vitro pour d’im
1722 in vitro pour d’importants organes. La matière et son double La découverte de l’antineutron va plus loin que toutes
1723 le monde est monde, c’est-à-dire monde de formes et de matière, mais on ne l’a vérifié jusqu’ici que dans l’infinitésimal
1724 vatron de Berkeley rejoint enfin par l’expérience et le calcul l’intuition des plus vieilles cosmogonies religieuses : le
1725 umaine. Tous les folklores l’illustrent à l’envi, et presque tous les romantiques allemands ont subi l’obsession de ce thè
1726 es Indiens Algonquins, les Abipons, les Bassoutos et autres bons sauvages, comme pour Musset et Maupassant, Edgar Poe et D
1727 soutos et autres bons sauvages, comme pour Musset et Maupassant, Edgar Poe et Dostoïevski, et autres névrosés professionne
1728 vages, comme pour Musset et Maupassant, Edgar Poe et Dostoïevski, et autres névrosés professionnels, le Double est synonym
1729 r Musset et Maupassant, Edgar Poe et Dostoïevski, et autres névrosés professionnels, le Double est synonyme de reflet dans
1730 le miroir, d’image du vrai moi, d’ombre, d’écho, et d’âme. Et chacun dans sa langue nous enseigne que voir son Double, c’
1731 , d’image du vrai moi, d’ombre, d’écho, et d’âme. Et chacun dans sa langue nous enseigne que voir son Double, c’est mourir
1732 es, comme l’imaginent encore tous nos politiciens et plusieurs généraux en retraite, mais bien dans les laboratoires où s’
1733 ; au défi des besoins de l’âme, laissés en friche et libérés par la technique… Nous sortirons enfin des « temps modernes »
1734 « temps modernes », c’est-à-dire du xixe siècle et de sa morne dialectique des classes : il a vu son Double effrayant da
1735 a vu son Double effrayant dans les rues de Poznań et de Budapest. 58. Salvador de Madariaga, Christophe Colomb, Paris,
24 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la honte et l’espoir de l’Europe (janvier 1957)
1736 Sur la honte et l’espoir de l’Europe (janvier 1957)ad Mardi 30 octobre 1956, à F
1737 évolte est écrasée. Honte à nous tous Européens ! Et pas seulement à ceux qui se trompaient et voulaient à tout prix nous
1738 péens ! Et pas seulement à ceux qui se trompaient et voulaient à tout prix nous tromper depuis dix ans : il fallait « essa
1739 honte, rentrant de là-bas, les peuples satellites et leurs chefs « adorés ». (M. Pierre Cot parlait ainsi de Rákosi, confi
1740 ême « justice » qui animait les brutes au pouvoir et leurs victimes ! Honte aux politiciens européistes qui ont accepté de
1741 ne rien faire, trop de reculs pour mieux sauter, et nous voilà… Mais en même temps quel soulèvement d’espoir, au-delà de
1742 quel soulèvement d’espoir, au-delà de nous-mêmes et de nos fautes ! S’ils mentent encore — et pourquoi cesseraient-ils ?
1743 s-mêmes et de nos fautes ! S’ils mentent encore — et pourquoi cesseraient-ils ? — la révolte n’est pas écrasée. Ne voit-on
1744 ces choses-là qu’en rêve ? Ces triomphes du juste et du vrai ? Pourtant Hitler s’est suicidé dans la débâcle, Mussolini a
1745 dans la débâcle, Mussolini a été fusillé, Staline et Beria liquidés, Perón chassé — et les autres chancellent. Toutes les
1746 usillé, Staline et Beria liquidés, Perón chassé — et les autres chancellent. Toutes les dictatures finissent mal. Avions-n
1747 4 novembre 1956, soir La radio, à sept heures et quart, transmettait le dernier message : « Nous mourons pour la liber
1748 : « Nous mourons pour la liberté, pour la Hongrie et pour l’Europe. » Cette Europe qui aurait pu, en s’unissant plus tôt,
1749 de l’Occident, hurlant : « L’Europe à l’aide ! » et mourant sans réponse. (Écrit pour le Journal de Genève un bref articl
1750 s mots qui portent. Mais les Russes sont si loin, et c’est pire.) Nuit du 5 au 6 novembre 1956, à Paris De tous côté
1751 ent pas d’eux-mêmes, ils obéissent à des paroles. Et cette révolution, ce n’est pas le mouvement de l’Histoire qui a décle
1752 qui a déclenché sa marche à jamais bouleversante, et ce ne sont pas des hommes de main qui l’ont conduite, mais des hommes
1753 e faire l’Europe. C’est la seule réponse positive et finalement active dans l’Histoire. Mais en même temps, il faut agir s
1754 Déclarons donc la grève des relations culturelles et des relations humaines élémentaires, contre ceux qui chez nous, libre
1755 nous, librement, approuvent le crime de Budapest, et contre les complices « objectifs » de ce crime, les intellectuels sov
1756 prendre conscience de ce qui vient de se passer, et de l’infernale logique du régime qu’ils approuvent. Ce n’est certes p
1757 dépassée. (Traduit l’appel des écrivains hongrois et tenté de marquer, sans autre commentaire, la solidarité qui nous cont
1758 s approuvé l’URSS, disent-ils, c’est leur affaire et non la nôtre de la désapprouver si elle va trop loin. Leur silence à
1759 ntée avec un fait brutal. La disproportion morale et objective entre l’affaire du Guatemala et la tragédie de Budapest est
1760 morale et objective entre l’affaire du Guatemala et la tragédie de Budapest est tellement criante que l’effet d’humour no
1761 nève, à temps pour me joindre au cortège de deuil et de muette protestation annoncé pour six heures du soir. Des dizaines
1762 ns les rues totalement silencieuses (plus un tram et plus une auto), jusqu’à la place où les couleurs suisses et hongroise
1763 e auto), jusqu’à la place où les couleurs suisses et hongroises furent hissées, sous les projecteurs, pendant une minute d
1764 e la largeur de la rue, sans un cri, sans un mot, et peu n’ont pas pleuré. Il est frappant que la presse n’ait guère parlé
1765 vi (chahuts devant un journal du parti communiste et devant un hôtel où des diplomates russes célébraient leur Octobre à e
1766 nt de se produire dans la conscience européenne — et dans elle seule, car l’Amérique du Nord n’a pas bougé — n’est pas enc
1767 urer le péril à la grandeur de notre humiliation, et peut-être saisir une arme : l’unité. Dimanche 11 novembre 1956
1768 ’Europe se tait… Honte à cette Europe silencieuse Et qui n’a pas conquis sa liberté ! Lâches, les peuples t’ont abandonné
1769 el que diffuse le Congrès : « Pour que leur cause et leur combat survivent. » C’est toujours le même cri : « Que peut-on f
1770 opinion libre. Mais l’ONU ne trouve quelque force et n’accepte d’en faire usage qu’aux dépens des démocraties. Sa machiner
1771 parlant au nom d’une force en tous temps alertée, et d’une force indépendante. Pour qu’il y ait une Europe qui puisse vole
1772 abord à New York une permission refusée d’avance, et sans consulter autre chose que sa vocation de liberté. C’est la seule
1773 . Mardi 21 novembre 1956 Coupures de presse et nouvelles lettres. Plusieurs me disent : Et Suez ? Et les Malgaches ?
1774 resse et nouvelles lettres. Plusieurs me disent : Et Suez ? Et les Malgaches ? Et le Guatemala ? Et l’Algérie ? Vous ne pr
1775 ouvelles lettres. Plusieurs me disent : Et Suez ? Et les Malgaches ? Et le Guatemala ? Et l’Algérie ? Vous ne protestez pa
1776 lusieurs me disent : Et Suez ? Et les Malgaches ? Et le Guatemala ? Et l’Algérie ? Vous ne protestez pas ? Vous êtes donc
1777  : Et Suez ? Et les Malgaches ? Et le Guatemala ? Et l’Algérie ? Vous ne protestez pas ? Vous êtes donc pour ? (Mais ceux-
1778 êtes donc pour ? (Mais ceux-là ne me disent pas : et Berlin ? Et Poznań ? Et le peuple, après tout, de la Sainte Russie co
1779 ur ? (Mais ceux-là ne me disent pas : et Berlin ? Et Poznań ? Et le peuple, après tout, de la Sainte Russie colonisée par
1780 eux-là ne me disent pas : et Berlin ? Et Poznań ? Et le peuple, après tout, de la Sainte Russie colonisée par un parti imp
1781 lice, puisqu’aucun de mes principes ne m’y oblige et nulle discipline de parti. Faut-il donc vous faire un dessin ? Que je
1782 rien dit cette fois de Perón, de Franco, de Katyn et de la Corée, du siège de Varsovie, des Koulaks, du Cachemire, du Naga
1783 s de l’Aramco aux fellaghas, de l’affaire Dreyfus et du bûcher de Servet, ni même de la Saint-Barthélemy, non, cela ne veu
1784 mesure : elle a gagné. Nos gouvernants calculent et perdent à tout coup. Que l’énergie magyare passe dans notre sang ! J’
1785 agir. ad. Rougemont Denis de, « Sur la honte et l’espoir de l’Europe (Le point de vue de Ferney) », Preuves, Paris, j
25 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur Voltaire (février 1957)
1786 . C’est trop long. Donnez-moi Ferney comme Branca et Voltaire comme un fauteuil. — J’y suis. Dans quel département ? — L’A
1787 l département ? — L’Ain. Elle comprend « hein ? » et redemande : « Dans quel département ? », etc. Cela prend du temps, et
1788 s quel département ? », etc. Cela prend du temps, et cela se répète depuis neuf ans que je me suis arrêté dans cette ferme
1789 ève, sur un sol longtemps disputé entre la France et les Confédérés, finalement demeuré français. « L’un des plus beaux as
1790 onnais peu de paysages aussi complets : la plaine et ses intimités cloisonnées de rideaux de peupliers, les montagnes loin
1791 ntagnes lointaines ou proches figurant le sublime et le familier, le grand couloir des vents européens, et ces prairies en
1792 e familier, le grand couloir des vents européens, et ces prairies entre deux bois de très vieux chênes, où persiste un tap
1793 es heures d’heureux ennui, méditant sur la gloire et les jeux de Ferney. Le souvenir de Voltaire anime toute la région ; i
1794 rais, voilà l’œuvre du Patriarche au pays de Gex, et son monument le plus vrai. Il a bien sa statue, grandeur nature, dans
1795 village. Mais ce n’est pas ce petit corps maigre et ce rire édenté de vieillard polisson qui le rendent présent parmi nou
1796 essécher les marais du pays Il établit des foires et des marchés Il nourrit les habitants pendant la disette de 1771.   F
1797 ngagé ! Il ignorait le mot, mais faisait un pays. Et certes personne ne l’aidait, mais il était fort riche et souvent géné
1798 es personne ne l’aidait, mais il était fort riche et souvent généreux, pourvu d’une plume qui valait une armée, et d’un ma
1799 énéreux, pourvu d’une plume qui valait une armée, et d’un mauvais esprit qui valait cent vertus. « Marchez toujours en ric
1800 réalistes, il édifiait, il réformait, il initiait et , malgré son grand âge, il plantait. « Quand je n’aurais défriché qu’u
1801 lantait. « Quand je n’aurais défriché qu’un champ et quand je n’aurais fait réussir que vingt arbres, c’est toujours un bi
1802 s. Il y faisait ses Pâques, non sans ostentation, et ne se privait pas de haranguer le bon peuple à la sortie de la messe,
1803 crivait plus une lettre aux princes intellectuels et temporels de l’Europe sans y ajouter un prospectus vantant la qualité
1804 t : « Daignez les mettre, Madame, une seule fois, et montrez ensuite vos jambes à qui vous voudrez. » À ses amis de Paris 
1805 s serez servis… Vous aurez de très belles montres et de très mauvais vers quand il vous plaira. » En vingt ans, le village
1806 Enfin, Voltaire libère ses vassaux de la gabelle et même du servage. Sur quoi le peuple vient lui rendre hommage à la Sai
1807 e Hesse. « Non, mes amis ! », dit le grand homme. Et tous de pleurer à l’envi. Paul Claudel, informé par un ami commun de
1808 raînent, dans ce pays de « marches », entre Alpes et jura, entre le xviiie et notre siècle, entre ces jardins de Candide
1809  marches », entre Alpes et jura, entre le xviiie et notre siècle, entre ces jardins de Candide et cette Bourse des valeur
1810 ie et notre siècle, entre ces jardins de Candide et cette Bourse des valeurs de toute l’Europe qui fait sa rumeur à Genèv
1811 olérance chez les Grecs, les Hébreux, les Romains et les premiers chrétiens, des digressions sur la magie, la morale et la
1812 hrétiens, des digressions sur la magie, la morale et la philologie, et partout une allègre érudition mise au service d’une
1813 essions sur la magie, la morale et la philologie, et partout une allègre érudition mise au service d’une inlassable escrim
1814 ns ce pamphlet, si l’on s’en tient à son prétexte et à sa lettre. Tout redevient actuel si l’on remplace les jésuites par
1815 l’on tolère le Parti. Un Mandarin dit au jésuite et aux deux missionnaires protestants qui se sont disputés devant lui :
1816 taire approuve l’empereur Yont-Chin, le plus sage et le plus magnanime qu’ait eu la Chine, pour avoir chassé les jésuites
1817 jésuites l’étaient ». Ces arguments sont simples, et ils valent aujourd’hui comme en 1763, mais non plus contre les jésuit
1818 menceront-ils à mériter des peines dans ce monde, et dans l’autre ? » (Lisez : dans quel temps les titistes — par exemple
1819 mple — commenceront-ils à redevenir des fascistes et se verront-ils exclus du mouvement de l’Histoire ?) Voici enfin sur l
1820 (lisez les partis) sont les ouvrages des hommes, et que l’Église romaine est seule l’ouvrage de Dieu. (Lisez : que le PC
1821 s biens, les prisons, les tortures, les meurtres, et par les actions de grâce rendues à Dieu (lisez : au Kremlin) pour ces
1822 n ne peut s’empêcher de dissoudre leur Compagnie, et d’abolir les jésuites pour en faire des citoyens : ce qui au fond est
1823 citoyens : ce qui au fond est un mal imaginaire, et un bien réel pour eux ; car où est le mal… d’être libre au lieu d’êtr
1824 te. Il est très bon qu’on en discute ouvertement, et que l’on recherche, en tous les cas divers qui se présentent, non seu
1825 quand elle demande du pain, la paix, la liberté, et si possible un peu de vérité. 60. On sait assez que les jésuites, d
26 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la neutralité européenne (mars 1957)
1826 pe. Elle semblait jusqu’ici réservée à la Suisse. Et voici qu’on en parle même en France. Que se passe-t-il donc ? Dans la
1827 où s’élaborent habituellement les notions vagues et puissantes, comme « neutralité » ou « Europe », essayons de repérer,
1828 de motifs clairs, quelques complexes de passions et d’intérêts, de phobies et de raisonnements, qui sont peut-être à l’or
1829 s complexes de passions et d’intérêts, de phobies et de raisonnements, qui sont peut-être à l’origine du courant que je cr
1830 ment de notre impuissance, né de la crise de Suez et des votes à l’ONU. La conjonction USA-URSS, si brève qu’elle ait été,
1831 a conjonction USA-URSS, si brève qu’elle ait été, et comme accidentelle, a suffi pour nous faire entrevoir un péril jusqu’
1832 s, au prix de nos libertés, de notre indépendance et de notre rôle dans l’histoire. L’idée de neutralité résulte ici de la
1833 e notre faiblesse, du désir de rester nous-mêmes, et d’un obscur besoin de revanche : — Vous nous avez laissés tomber ? Bi
1834 tre. Une certaine manière de choisir entre l’URSS et les USA, comme si l’Europe n’existait pas. (Ou ne devait pas exister.
1835 t, refuser de choisir entre un ennemi de l’Europe et un allié de l’Europe, mais refuser en même temps de faire l’Europe pa
1836 aire l’Europe par crainte de déplaire aux Soviets et de plaire aux Américains, voilà qui revient en fait à supprimer l’Eur
1837 avec les provinces occupées. Beaucoup de Suisses et de Suédois s’imaginent que leur neutralité les protégerait encore con
1838 ntique… Tels sont, sans doute, les faits récents, et les réactions à ces faits, qui expliquent pourquoi l’idée se répand d
1839 sons donc ces mystères de la mauvaise conscience, et voyons le cas illustre d’une « conscience », le Premier ministre Nehr
1840 ntre un parti mondial soutenu par un énorme État, et la poignée d’intellectuels indiens qui avaient le courage de dénoncer
1841 e dénoncer ce parti ; donc neutre entre une armée et un point de vue ; que dis-je, entre la maladie et le diagnostic ! Cet
1842 et un point de vue ; que dis-je, entre la maladie et le diagnostic ! Cette espèce-là de neutralité s’est traduite par les
1843 rishna Menon est resté neutre entre les criminels et les cris de leurs victimes. On a vu ce jour-là que cette neutralité s
1844 s le cas des Partisans de la Paix. Le neutralisme et la neutralité à la Menon abusent du mot, non de la chose, dont ils se
1845 rt le risque d’abuser d’une neutralité justifiée, et scrupuleusement pratiquée. Il en abuse lorsqu’il oublie les condition
1846 abuse lorsqu’il oublie les conditions historiques et concrètes de son statut de neutralité, et tend à faire de cette devis
1847 oriques et concrètes de son statut de neutralité, et tend à faire de cette devise d’État tout autre chose que n’avaient pr
1848 ralité suisse date de 1815. Les traités de Vienne et de Paris la reconnaissent, « dans les vrais intérêts de l’Europe enti
1849 lemands ou italiens par leur langue, leur culture et leurs affinités, la guerre des autres serait leur guerre civile. Qu’e
1850 ans le cadre européen de son statut, mais partout et en toute circonstance, d’une manière absolue, sans révision possible,
1851 ntre l’Europe, dont elle est une partie centrale, et les ennemis de l’Europe entière ; neutre entre elle-même et ses ennem
1852 emis de l’Europe entière ; neutre entre elle-même et ses ennemis ! Refusant de servir les intérêts, elle violerait son sta
1853 vir les intérêts, elle violerait son statut légal et l’esprit même de ses institutions. Au surplus, elle se suiciderait, d
1854 a neutralité Mais l’abus n’enlève pas l’usage, et le même exemple suisse peut illustrer les conditions concrètes d’une
1855 gociations secrètes menées en Suisse en 1916-1917 et dès 1942) 4°) enfin, s’il a renoncé à tout esprit de conquête, parce
1856 militaire, combinant les motifs d’intérêt propre et de solidarité humaine, et compensant le renoncement définitif à toute
1857 motifs d’intérêt propre et de solidarité humaine, et compensant le renoncement définitif à toute agression par la volonté
1858 appe, en cas de succès, aux destructions humaines et matérielles de la guerre, mais on dépense en temps de paix 40 % de so
1859 ut cela, peu d’idéal, beaucoup de raison pratique et de prudents calculs. On aurait le plus grand tort d’y mêler de la mor
1860 qu’en tant que mesure politique, donc contingente et limitée. En tant qu’attitude générale, elle se situerait à peu près e
1861 e se situerait à peu près entre l’égoïsme cynique et l’indifférence de l’autruche. Indépendance et neutralité L’idée
1862 et l’indifférence de l’autruche. Indépendance et neutralité L’idée d’étendre à toute l’Europe une neutralité « à la
1863 du désir défaitiste de tirer son épingle du jeu, et d’un besoin plus fier d’indépendance. Je ne sais qui a pu écrire que
1864 t armés que l’ensemble des autres peuples, l’URSS et les USA pourraient se payer le luxe de se déclarer neutres et de se c
1865 ourraient se payer le luxe de se déclarer neutres et de se conduire comme tels. Mais, au fait, ne le sont-il pas ? Ils le
1866 s joueurs n’ayant que son roi qu’il puisse jouer, et ne l’ayant pas en échec, ne peut le jouer sans se mettre en prise ».
1867 n à l’autre. Mais en fait il y a d’autres pièces, et quelques pions, moyennes ou petites nations de l’Europe ou de l’Orien
1868 s rois impossibles, paralysés par leur puissance. Et voilà Suez et Budapest. Et voilà, dans ce jeu carrollien, la révolte
1869 bles, paralysés par leur puissance. Et voilà Suez et Budapest. Et voilà, dans ce jeu carrollien, la révolte grondant chez
1870 és par leur puissance. Et voilà Suez et Budapest. Et voilà, dans ce jeu carrollien, la révolte grondant chez les pions et
1871 eu carrollien, la révolte grondant chez les pions et chez les fous. Nous ne voulons plus servir au jeu des Grands, disent-
1872 sur la neutralité suisse », Présence , Lausanne et Genève, n° 3, 1956. 62. J’imagine qu’une situation de double pat ne
27 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la neutralité européenne (II) (avril 1957)
1873 i les motifs d’une vraie neutralité (donc limitée et contingente, comme celle des Suisses) sont réalisés en Europe, pour l
1874 l’ensemble de nos nations soi-disant souveraines, et fragilement alliées plutôt qu’unies. J’avais énuméré quatre de ces mo
1875 t qu’unies. J’avais énuméré quatre de ces motifs, et les rappelle. 1. La cause ou l’enjeu des conflits à prévoir n’intéres
1876 renonce à toute idée de conquête ou d’extension, et prétend assurer seul, et sans alliés, sa défense. Ces conditions ne s
1877 conquête ou d’extension, et prétend assurer seul, et sans alliés, sa défense. Ces conditions ne sauraient être réunies que
1878 l’Est, dotée d’un pouvoir fédéral, d’un Parlement et d’une armée. Une neutralité « à la suisse » n’aurait donc aucun sens
1879 quement impossible sans un Pouvoir qui la déclare et qui l’assume, et elle ne saurait donc être considérée comme un object
1880 e sans un Pouvoir qui la déclare et qui l’assume, et elle ne saurait donc être considérée comme un objectif souhaitable qu
1881 ntre les blocs. Neutralisons les États satellites et l’Allemagne (réunifiée), séparons par une zone d’un millier de kilomè
1882 act, « désengageons » les forces armées des blocs et le tour sera joué. Ce fut d’abord l’idée d’Eden. Un peu étroite. Elle
1883 de ligne Maginot. Burnham l’élargit aujourd’hui, et Bevan le rejoint dans L’Express. Tout arrive. Du point de vue militai
1884 idée. Du point de vue de la spéculation politique et journalistique, elle est brillante. Elle fait appel à l’empirisme tou
1885 l’Europe en tranches pour plaire aux Soviétiques et rassurer peut-être les Américains (tout en gagnant des voix aux élect
1886 van63. Par chance, on ne l’a pas attendu. La CECA et le Marché commun se contentent fort bien d’exister, même si Bevan per
1887 Que propose ce politicien ? D’abandonner l’Europe et de la diviser selon les craintes et les calculs des autres. Faire de
1888 nner l’Europe et de la diviser selon les craintes et les calculs des autres. Faire de la Grande-Bretagne et de la France i
1889 s calculs des autres. Faire de la Grande-Bretagne et de la France isolées des pions sur l’échiquier américain, livrer les
1890 le plan du héros de la nouvelle gauche française et de l’arrière-garde antieuropéenne. Qui défendra l’Europe, réduite aux
1891 mérique, cela va de soi, elle est là pour payer — et l’on sait que les bombes H coûtent plus cher que nos divisions réunie
1892 a fait de l’espoir d’une indépendance reconquise. Et qui se laissera convaincre de « désengager » les États satellites et
1893 convaincre de « désengager » les États satellites et l’Allemagne de l’Est ? Nos « progressistes » par antiphrase, sans auc
1894 se retirer de Varsovie, de Budapest, de Bucarest et de Leipzig, comme elles se sont déjà retirées de Prague, sûres qu’ell
1895 lie passant au communisme ? Le jeu n’est pas égal et les dés sont pipés. L’Europe neutralisée, sans union préalable, serai
1896 ée européenne » (la CECA, le Marché commun, l’UEO et l’OECE) serait immédiatement sacrifié si l’Europe était découpée en z
1897 si l’Europe était découpée en zone « désengagée » et en zone « atlantique ». Sans l’Allemagne, les Six ne sont rien ; sans
1898 « dans les vrais intérêts » de l’humanité entière et de l’Europe conjointement ? Une foule de motifs très divers concouren
1899 l’adhésion de la Suisse (plus neutre que la Suède et que l’Autriche), disparaîtrait d’un coup sans discussion possible. Pr
1900 tellites (qui n’aiment pas qu’on les nomme ainsi, et c’est bon signe !) : la neutralité de l’Europe entre l’URSS et les US
1901 signe !) : la neutralité de l’Europe entre l’URSS et les USA faciliterait l’évolution qu’ils désirent tous vers des formes
1902 des formes occidentales de démocratie socialiste, et priverait les Soviets d’un de leurs meilleurs prétextes à stopper bru
1903 s intellectuels antiaméricains de Paris, d’Italie et parfois d’Angleterre : une Europe neutre entre le Coca-Cola et les ca
1904 Angleterre : une Europe neutre entre le Coca-Cola et les camps de travail forcé leur paraîtrait enfin équilibrée. Prenons
1905 iment les dernières, aurait de quoi les émouvoir. Et prenons enfin les jeunes gens : l’idée de servir une Europe capable d
1906 ale. Quelles seront alors les chances de l’Europe et de la paix ? Unie, neutre, et armée, l’Europe indépendante deviendrai
1907 chances de l’Europe et de la paix ? Unie, neutre, et armée, l’Europe indépendante deviendrait le plus grand des Grands occ
1908 e compterait en effet plus d’habitants que l’URSS et les USA additionnés.) Nous voici ramenés aux problèmes d’une partie d
1909 ntenant d’en prévoir les principales combinaisons et ouvertures. (À suivre.) 63. Voir son interview dans L’Express du 2
28 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la neutralité européenne (fin) (mai 1957)
1910 rement rejointe, qu’elle soit capable de défendre et d’affirmer son indépendance politique à l’échelle planétaire, seule v
1911 ute neutralité moralement acceptable — se devrait et devrait au monde d’être doublement limitée dans sa nature et ses moti
1912 au monde d’être doublement limitée dans sa nature et ses motivations. Elle serait strictement militaire, non pas morale, n
1913 elques coups à prévoir Supposons l’union faite et la neutralité non seulement déclarée mais garantie, essayons maintena
1914 ux figures de ses problèmes. 1. Si les États-Unis et l’URSS restent en position de double pat, mutuellement neutralisés co
1915 qui pourraient survenir dans d’autres continents, et à se disposer en conséquence. 2. Si la trêve est rompue entre les deu
1916 pays de l’Est européen. Devant une Europe désunie et l’implicite neutralité américaine à l’égard de la « zone de Yalta »,
1917 l’Europe, dont l’OTAN n’englobait qu’une moitié. Et l’URSS y regarde à deux fois… 4. Si la guerre téléguidée éclate entre
1918 re, — ou bien les USA sont rapidement vainqueurs, et alors l’Europe est là pour aider une nouvelle Russie à réintégrer la
1919 gagne, non sans avoir reçu des coups très rudes, et alors l’Europe perd la face en même temps que ses appuis à l’Ouest, m
1920 Trois Rois garantit la neutralité des deux autres et se range automatiquement aux côtés de celui qui est attaqué. Ceci pro
1921 eu ne s’en poursuit pas moins en Asie, en Afrique et dans le Moyen-Orient. Que devient alors, sur ces théâtres, la faculté
1922 aussi par la puissance nouvelle de l’Europe unie et par la prudence accrue des Russes et des Américains, liés par la gara
1923 ’Europe unie et par la prudence accrue des Russes et des Américains, liés par la garantie triangulaire. 7. La neutralité e
1924 sation des rapports entre la dictature soviétique et les démocraties occidentales, tend également à immobiliser les divers
1925 ésie jouent une autre partie, non moins complexe, et dont il resterait à supputer dans quelle mesure elle peut demeurer in
1926 la prévision de ces quelques coups élémentaires, et l’on voit que mes premiers résultats n’en sont pas moins d’une assez
1927 ne fois tirées au clair certaines données de fait et de vocabulaire courant. Je n’aurais pas mené en vain cette recherche
1928 vent en jeu neutralisme, neutralité, indépendance et interdépendance… Essayant de repérer pour ma part les résultantes iss
1929 outis à peu près à ceci : a) Une Europe intégrale et fédérée, proclamant sa neutralité en cas de conflit américano-russe,
1930 ; si pourtant la guerre éclatait, l’Europe neutre et unie serait en meilleure posture pour se défendre contre l’URSS. b) L
1931 ce n’existerait vraiment que par rapport à l’URSS et aux États-Unis. Elle signifierait un refus de se laisser manœuvrer pa
1932 s ce jeu s’il devait repartir. d) L’Europe neutre et unie devrait payer le prix d’une sécurité garantie : elle perdrait en
1933 s on n’a supposé qu’un nombre limité d’hypothèses et de combinaisons. Tel facteur oublié peut devenir décisif, telle hypot
1934 d son union fédérale, incluant les pays de l’Est, et garantie par les deux blocs. Le meilleur argument qui subsiste en fav
1935 s pays de l’Est. 64. Voir ma chronique de mars et d’avril. ah. Rougemont Denis de, « Sur la neutralité européenne (f
29 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur deux écrivains politiques (juin 1957)
1936 te, Budapest est l’expression de cette politique, et je suis le seul à le voir, mais Budapest est une faute grave, donc ce
1937 e faute grave, donc cette politique était fausse, et j’ai seul le droit de le dire, l’ayant soutenue jusqu’au dernier mome
1938 ue à laquelle Sartre avait pourtant donné raison. Et les anticommunistes ont doublement tort, car bien que l’histoire leur
1939 pest — comme elle s’était « exprimée » par Berlin et Poznań — ils ne sont pas dans le sens de l’Histoire ; ce qui leur ôte
1940 ait cédé à un réflexe irrépressible d’écœurement, et ce n’est surtout pas au nom de quelque « morale » qui dénoncerait le
1941 re de Budapest pourrait être jugée par quiconque. Et seul Sartre, parlant au nom du Socialisme, a le droit de protester co
1942 n doit, pour la comprendre, épouser son mouvement et adopter ses objectifs ; en un mot, on juge de ce qu’elle fait au nom
1943 ivilège en explique ( !) un autre : seuls peuvent et doivent juger ceux qui participent, à l’Est et à l’Ouest, au mouvemen
1944 nt et doivent juger ceux qui participent, à l’Est et à l’Ouest, au mouvement du Socialisme ». Traduisons : le privilège du
1945 munisme, trotskisme, social-démocratie germanique et latine, travaillisme anglais et scandinave, nouvelle gauche parisienn
1946 cratie germanique et latine, travaillisme anglais et scandinave, nouvelle gauche parisienne, dissidences philosophiques, e
1947 du seul point de vue transcendant qu’il accepte, et qui est « le Socialisme lui-même ». Mais qui incarne cette essence ?
1948 -elle donc l’existentialisme ? Deux confusions et deux Suisses Le même Sartre écrivait naguère que je me suis tu sur
1949 iqué sur Budapest ». Or c’est lui qui a fait cela et non pas moi. On m’a lu sur Suez ici même, et je n’ai publié sur Budap
1950 cela et non pas moi. On m’a lu sur Suez ici même, et je n’ai publié sur Budapest que trois petits articles qui font douze
1951 a France de parler indifféremment du nationalisme et de son idéologie : « Il devient lassant à la longue de toujours répét
1952 confusion de deux nationalismes, le traditionnel et le jacobin — le nationalisme confondu avec le nationalisme — constitu
1953 t, écrit Sartre, c’est un homme doux, bien élevé, et par-dessus le marché un Suisse : le prestige militaire de la France n
1954 on intention est de tricher, d’abolir les règles, et de liquider l’arbitre, faut-il continuer la partie ? Le Parti communi
1955 serait-il pas temps de faire respecter les règles et de mettre fin au privilège exorbitant des tricheurs avérés, invétérés
1956 vilège exorbitant des tricheurs avérés, invétérés et systématiques ? Telle est la proposition centrale du dernier livre de
1957 le PC soit remis sous l’empire des lois communes, et qu’on cesse de le laisser jouir d’un régime d’exception dont il abuse
1958 à tous les partis y compris le Parti communiste, et comportant entre autres : une clause de répudiation du totalitarisme,
1959 e, une clause garantissant la liberté de critique et d’opposition interne, et une clause fixant un plafond aux dépenses de
1960 t la liberté de critique et d’opposition interne, et une clause fixant un plafond aux dépenses des partis. La meilleure pr
1961 s réflexes sont plus forts que tout, le cri part, et l’on s’est trahi… Fort brillamment écrit d’un bout à l’autre, ce livr
1962 ment écrit d’un bout à l’autre, ce livre accroche et convainc dès le début, plus qu’aucun ouvrage politique que j’aie lu c
1963 ore que plus d’une page de notre auteur l’évoque, et rappelle le ton vif et percutant des polémistes du xviiie siècle. La
1964 de notre auteur l’évoque, et rappelle le ton vif et percutant des polémistes du xviiie siècle. La forme dialoguée permet
1965 relles qui se présentent à l’esprit d’un libéral, et je crois bien qu’il n’est pas une de celles qu’on lui opposera, que S
1966 ne cause gagnée. Du point de vue de l’opportunité et de la stratégie politique, je ne suis nullement partisan d’une interd
1967 tes suffisent bien, mais il est visible que non ; et d’ailleurs, on ne se souciera de les appliquer que si l’idée d’un Cod
30 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur le pouvoir des intellectuels (juillet 1957)
1968 ent, des plus fréquentes en France dans la presse et les revues. L’homme de la rue ne l’emploie jamais, et cela pour la ra
1969 es revues. L’homme de la rue ne l’emploie jamais, et cela pour la raison bien simple qu’il ne saurait imaginer un seul ins
1970 ctuels pour ridiculiser leurs ennemis politiques, et cela sans nul souci du ridicule qu’ils se trouvent jeter du même coup
1971 ropre corporation. Ils ont bien tort, d’ailleurs, et se trompent sur leur pouvoir au moins autant que l’homme de la rue. E
1972 u la netteté que lui prêtent les intellectuels. » Et je sens aussitôt que l’intellectuel qui écrit cela défend une certain
1973 uel qui écrit cela défend une certaine politique, et en attaque une autre qu’il dénigre à l’avance en lui donnant pour déf
1974 ntifique du conflit (entre la théorie ondulatoire et la théorie corpusculaire) n’a peut-être pas la netteté que lui prêten
1975 t des idéologues, soit des savants qui l’ont posé et qui en débattent. Il est vain de reculer devant ces deux évidences :
1976 lits idéologiques sont le fait des intellectuels, et ils dominent la politique concrète de notre temps. L’Europe, Napol
1977 ue concrète de notre temps. L’Europe, Napoléon et les intellectuels Dans une autre revue, je lis ceci : « L’Europe u
1978 blème qui intéresse avant tout les intellectuels, et laisse les masses indifférentes. » On entend suggérer par là que l’un
1979 tes) ne suffit pas, hélas ! à changer ses données et ne contribue guère à le résoudre. On se retourne alors vers les réali
1980 n nous rappelle qu’Hitler a voulu faire l’Europe, et Napoléon avant lui. Où prend-on cela ? Ces dictateurs rêvaient sans d
1981 érialiste d’un État s’imposant à tous les autres, et la volonté fédérale surgie spontanément parmi les hommes les plus lib
1982 is d’Europe, il l’aurait dit avant Sainte-Hélène. Et , s’il l’avait dit, il aurait eu tort car de son temps rien ne menaçai
1983 e siècle. Tout ce qui a marqué, pour le meilleur et pour le pire, est sorti de petits groupes d’idéologues. À supposer qu
1984 ment, il joue le jeu de l’ennemi qui le supprime. Et , par la suite, ce ne sont jamais les libéraux qui rétablissent la lib
1985 s, les vignettes surtout, montrent des constables et des horse guards, des paysans en sabots sur un fond de moulins, des s
1986 es peuples ». Mais il le fait à coups de clichés, et ce sont ces clichés qu’il « promeut », plus qu’une vraie connaissance
1987 ce sont ces idées qui mettent les gens en route, et non pas la soif d’inconnu. Le touriste moyen ne veut pas découvrir, m
1988 pas découvrir, mais seulement rejoindre une image et vérifier qu’elle ne le trompait pas. Rien dans tout cela qui rapproch
1989 . Ils représentent peut-être une dizaine de pays. Et je doute, une fois de plus, qu’il soit bon de se connaître, que les é
1990 x comprendre, que la compréhension crée l’amitié, et que l’amitié prépare l’union. Je survole en une heure la Suisse, peti
1991 e la Suisse, petite unité politique bien compacte et modèle de civisme. On passe en cinq minutes d’un canton à un autre. L
1992 tuelle, mais d’allégeance aux mêmes institutions. Et nous, Européens de diverses nations qui allons, une fois de plus, nou
1993 que d’un livre. On commence par citer (guillemets et italique) une phrase que l’auteur n’a pas écrite : « De Nicée à la bo
31 1957, Preuves, articles (1951–1968). L’échéance de septembre (septembre 1957)
1994 ise, un moyen de gouverner sans résoudre la crise et même en s’appuyant sur elle. Mais ce n’est pas du devenir soviétique
1995 es par des massacres, ses crimes par des slogans, et ses déficits par des purges, elle s’est mise étrangement en marge du
1996 xxe siècle englobe celui de la Russie soviétique et le dépasse très largement. C’est le drame qui surgit de l’affrontemen
1997 tal du monde occidental, fauteur de la technique, et des sociétés « primitives » par rapport à ce mode de vie, celles qui
1998 . Car l’Europe a su se défendre, depuis un siècle et demi, tant bien que mal il est vrai, contre ses propres inventions, e
1999 e mal il est vrai, contre ses propres inventions, et les assimiler, non sans dégâts sociaux, en restant à peu près elle-mê
2000 e dans l’ensemble. Mais l’Asie le pourra-t-elle ? Et l’Afrique ? L’URSS écrase les défenses instinctives de ses peuples et
2001 S écrase les défenses instinctives de ses peuples et leur inflige le Plan par la police. Les USA vivent dans le bonheur sa
2002 es reproches mutuels, les scandales trop certains et leur exploitation par les factions, les campagnes de presse, les accè
2003 de répression, les examens de conscience de part et d’autre, les livres, les pamphlets et les articles, plus intelligents
2004 nce de part et d’autre, les livres, les pamphlets et les articles, plus intelligents qu’informés, plus informés que judici
2005 ieux que sensibles, ou plus sensibles que sensés, et moins réalistes que tout cela, enfin les slogans à la craie, trop fac
2006 en Algérie », c’est autant dire la Lune pour tous et pour tout de suite — n’ont certainement pas contribué à la solution d
2007 ils ont été somme toute les premiers à le faire, et les seuls jusqu’ici, autant que je sache. Le livre de Germaine Tillio
2008 tant que je sache. Le livre de Germaine Tillion65 et l’accueil qu’on lui fait de tous côtés m’en donne la preuve. Il débla
2009 us les Français de bonne foi. Réfutant à la fois, et sans le chercher du tout, les points de vue partisans de la gauche et
2010 du tout, les points de vue partisans de la gauche et de la droite, les ignorances américaines et les astuces tactiques fas
2011 auche et de la droite, les ignorances américaines et les astuces tactiques fascistes et communistes, ce petit ouvrage met
2012 es américaines et les astuces tactiques fascistes et communistes, ce petit ouvrage met tout au point — au point tragique.
2013 est un procès perpétuel intenté par tous à chacun et par chacun à tous. Nous l’avons bien vu depuis deux ans à propos du d
2014 les esprits, tout en se détériorant dans les rues et les douars, et dans l’opinion vague qu’on dit mondiale. Voici le deux
2015 ut en se détériorant dans les rues et les douars, et dans l’opinion vague qu’on dit mondiale. Voici le deuxième acte annon
2016 ès intenté par les Nations unies. Bandung, Moscou et Washington vont se trouver enfin d’accord sur un seul point : la cond
2017 egroupent, face à la convergence de ces attaques, et qu’ils cessent de fournir contre la France des arguments qu’Américain
2018 rnir contre la France des arguments qu’Américains et Russes vont emprunter aux polémiques françaises, mais qui ne touchent
2019 me. Ce n’est pas la France comme entité nationale et politique qui peut être ici mise en cause, mais bien la civilisation
2020 éenne tout entière, dans ses rapports inévitables et imprévus avec les peuples non préparés à l’absorber. Le cessez-le-fe
2021 mmun ne saurait être que l’ignorance de la nature et du nom même des réalités en présence. Il ne s’agit donc pas d’interna
2022 e décision qui condamnerait la France injustement et vainement. Mais il s’agit de reconnaître que l’affaire algérienne n’e
2023 ce qu’elle relève d’une politique de civilisation et non d’un tribunal quelconque, fût-il de « l’opinion mondiale ». Qui p
2024 cle. Elle demande des années d’études, d’enquêtes et de consultations mutuelles. D’une manière immédiate et préalable, ell
2025 consultations mutuelles. D’une manière immédiate et préalable, elle exige que les représentants de l’Europe tout entière,
2026 eprésentants de l’Europe tout entière, culturelle et technique, et de l’Afrique du Nord, politique et religieuse, se réuni
2027 e l’Europe tout entière, culturelle et technique, et de l’Afrique du Nord, politique et religieuse, se réunissent pour déf
2028 et technique, et de l’Afrique du Nord, politique et religieuse, se réunissent pour définir et confronter leurs buts de pa
2029 litique et religieuse, se réunissent pour définir et confronter leurs buts de paix, leurs possibilités de survivre à court
2030 à long terme. Mais voici l’échéance de septembre. Et tout peut être compromis. Il se trouve que la France, une fois de plu
2031 avec un problème intéressant l’humanité entière, et qu’elle ne peut résoudre seule, mais qu’elle seule, tant à cause de s
2032 s défauts traditionnels, pouvait laisser se poser et comme s’exemplifier dans toutes ses vraies complexités humaines. L’Am
2033 nt celui de l’aventure occidentale tout entière ? Et les autres pays de l’Europe verront-ils que la France n’est ici que l
2034 celle de l’Europe, au-delà de la France déchirée. Et de l’Occident peut-être, au-delà de l’Europe. 65. L’Algérie en 195
32 1957, Preuves, articles (1951–1968). Pourquoi je suis Européen (octobre 1957)
2035 tenter sa première expérience d’union progressive et prudente. Trop petite ! vont répétant ceux qui en ont déjà peur. Bon
2036 de cette union : nul ne sera contraint d’entrer, et nul exclu. Tout dépendra des libres décisions que leur peuple seul im
2037 ondial) doit inspirer dès le début les structures et surtout les méthodes propres à fomenter l’union. Les traités ne feron
2038 ter l’union. Les traités ne feront rien sans nous et les fonctionnaires gâteront tout si l’idée fédérale ne devient pas vi
2039 de l’Europe fédérée, c’est donc dans les esprits et les cœurs de nos nouvelles générations que nous pourrons les supputer
2040 es. Elle vise à confronter des expériences vécues et à faire voir par quels chemins variés, imprévus et parfois scabreux,
2041 t à faire voir par quels chemins variés, imprévus et parfois scabreux, des hommes de formation et de nations différentes e
2042 évus et parfois scabreux, des hommes de formation et de nations différentes en sont venus à reconnaître que l’Europe exist
2043 pour eux, que la nécessité de s’unir les concerne et que l’avenir de cette union s’inscrit dans les données de leur dessei
2044 ux Français parleront aujourd’hui ; des Espagnols et des Italiens, des Allemands et des Scandinaves, des Anglais et des Su
2045 ui ; des Espagnols et des Italiens, des Allemands et des Scandinaves, des Anglais et des Suisses suivront. Quant aux jeune
2046 ns, des Allemands et des Scandinaves, des Anglais et des Suisses suivront. Quant aux jeunes des pays de l’Est, il est poss
2047 s nous apportent les témoignages les plus ardents et les plus sérieusement motivés de leur volonté de rejoindre une Europe
33 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur le crépuscule d’un régime (octobre 1957)
2048 d’après-midi pâle sur les dômes de Saint-Marc. A. et R. boivent un negroni en regardant passer par bancs les touristes en
2049 iciel n’ont qu’à brouter. A. — Vous êtes bien dur et bien maussade. R. — C’est qu’il y a de quoi ! Venise n’a rien de plus
2050 . Il faut en interdire l’accès à ceux qui pensent et qui parlent comme cette dame. Ces hordes de barbares aux mollets nus
2051 qui se promènent sur Saint-Marc un regard ébaubi et des jugements réprobateurs devraient se voir retirer leur permis de v
2052 ratique ? R. — Ce ne l’est pas le moins du monde, et après ? Vous croyez à la Démocratie ? A. — Je crois à l’éducation pro
2053 — Je crois à l’éducation progressive des masses, et je crois qu’une démocratie saine ne peut fonctionner qu’à cette condi
2054 e ces clichés. Je n’entends ici, dans les ruelles et aux terrasses, que des jugements triviaux ou malveillants : il paraît
2055 llants : il paraît que les canaux sentent mauvais et que la Place n’est pas bien régulière. Voyez-vous, c’est l’immense Pr
2056 . Je demande qu’on institue le permis de voyager, et qu’on ne le donne qu’à ceux qui auront passé une série d’examens un p
2057 ai que c’est l’examen de l’Éducation précisément, et de ses conditions au xxe siècle qui m’a fait voir le mieux que la Dé
2058 ective, du grégarisme naturel, vers son autonomie et vers sa vocation. Éduquer, c’est donner au jeune homme les moyens de
2059 es moyens de se libérer du conformisme, du nombre et de ses lois, de l’égalitarisme et de l’imitation, des slogans et de l
2060 isme, du nombre et de ses lois, de l’égalitarisme et de l’imitation, des slogans et de la peur de différer. C’est apprendr
2061 de l’égalitarisme et de l’imitation, des slogans et de la peur de différer. C’est apprendre au jeune homme qu’il doit fai
2062 monde à juger bon pour lui (même s’il se trompe) et cela contre l’avis de la majorité ; elle est incompétente dans son ca
2063 pétente dans son cas, s’il est vraiment quelqu’un et s’il veut le prouver. Éduquer, c’est apprendre à distinguer. C’est ap
2064 dites inférieures, — le contraire de la dictature et de l’arbitraire du Pouvoir. Seriez-vous devenu fasciste ? R. — C’est
2065 devenu tabou. La raison en est évidente : Hitler et Mussolini ayant raillé la Démocratie, tous ceux que leur système révo
2066 sistait à porter cette erreur au pire. Or, Hitler et Staline n’ont fait en réalité que pousser l’utopie démocratique à ses
2067 uple unanime, monolithique comme on dit à Moscou, et ils l’ont eu, l’épuration éliminant l’opposition, selon le procédé ja
2068 ictatures. A. — Je ne vois pas à quoi vous tendez et quelle sorte de régime vous paraît bon. R. — J’avoue que j’ignore son
2069 ue j’ignore son nom, on le trouvera bien un jour, et je n’ose espérer qu’il soit exact. Ce sera peut-être encore Démocrati
2070 atie, qui sait ? car ce genre de mot sert à tout, et cela peut rassurer les vieux routiers de la gauche, comme cette parti
2071 commence par A, puis par B, puis par C, jusqu’à Z et retour. Ou bien tous les hommes sont égaux, alors prenez n’importe qu
2072 la former, la laisser se dégager, la reconnaître et puis la respecter. En revanche, l’élite seule peut élire, avec des ch
2073 , vous marquez un point. Ce mélange de plébiscite et de rugby, cette compétition plus sportive que proprement politique et
2074 ompétition plus sportive que proprement politique et qui finit par des échanges de courtoisie, c’est le seul cas, peut-êtr
2075 re, sans tricher avec ses principes, l’efficacité et le bon sens. Les hommes étant ce qu’ils sont, Truman gouvernait bien.
2076 l’homme soit libre. Luther le nie énergiquement, et la cybernétique lui donne raison. Seules les libertés politiques sont
2077 e restera dans l’Histoire le rêve du xixe siècle et le cauchemar du xxe siècle. L’Occident n’y croit plus. Il la revend
2078 dont nous avons su l’entourer. A. (chuchotant). —  Et après ? R. — Nos ministères seront remplacés par des cerveaux électro
2079 uel donnera l’image exacte de l’opinion publique, et de ses résultantes réelles. A. — Les machines en tiendront-elles comp
2080 ’est que les « informations » fournies sur bande, et sur lesquelles ces cerveaux ne fonctionnent pas, soient dictées par u
2081 ictées par un petit groupe de savants, d’esthètes et de saints. A. — Le Vrai, le Beau, le Bien, en somme, un vieux système
2082 ini. Les rois déchus s’attablent chez « Quadri », et les régimes de tous les temps promènent sous les galeries leurs parti
2083 umain. 66. Aristocratie : de aristo, excellent, et krateo, être fort : domination des meilleurs. am. Rougemont Denis d
34 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur un certain cynisme (septembre 1957)
2084 sser quelques mois à Paris. Tout ce que j’entends et tout ce que je lis, politique et littérature, donne la même impressio
2085 ce que j’entends et tout ce que je lis, politique et littérature, donne la même impression générale — comme si le cynisme
2086 Je me sens déprimé. R. — Vous ne l’avez pas volé, et cela vous apprendra à croire tout ce qu’on vous dit et tout ce que vo
2087 la vous apprendra à croire tout ce qu’on vous dit et tout ce que vous lisez ! A. — Mais que croire, si tout ce qu’on me ra
2088 A. — Mais que croire, si tout ce qu’on me raconte et tout ce qu’on me donne à lire m’égare ? R. — Regardez ce que l’on fai
2089 que cela ne change rien à la réalité des choses, et ne l’exprime presque jamais. Et tâchez de lire d’autres livres. A. — 
2090 alité des choses, et ne l’exprime presque jamais. Et tâchez de lire d’autres livres. A. — Justement, j’allais vous demande
2091 ’allais vous demander. J’ai lu votre avant-garde, et j’ai vu les pièces « noires » desquelles l’élite française fait ses d
2092 ux en tirent beaucoup de succès auprès des jeunes et du public bourgeois, qui est seul grand public. Tous détestent les co
2093 s. Ils n’approuvent que le pessimisme, l’amertume et le ricanement. R. — C’est en effet la convention commune à l’extrême
2094 en effet la convention commune à l’extrême droite et à la gauche. À l’exception du seul Kipling peut-être, tous les auteur
2095 ’accord pour trouver que notre café fout le camp, et ne sont pris au sérieux qu’à ce prix. C’est le pont aux ânes de l’ava
2096 Osborne. Vous me parliez du théâtre d’avant-garde et vous mettiez en parallèle son cynisme et celui de la politique frança
2097 nt-garde et vous mettiez en parallèle son cynisme et celui de la politique française. Mais les deux choses sont sans rappo
2098 is les deux choses sont sans rapports entre elles et sans rapports non plus avec ce qui est actif dans la réalité français
2099 isme, du tragique sans issue, du délire entretenu et de l’insulte à la vie comme elle va, c’est Ionesco, Adamov et Beckett
2100 lte à la vie comme elle va, c’est Ionesco, Adamov et Beckett, un Roumain, un Arménien et un Irlandais. Aucun rapport avec
2101 nesco, Adamov et Beckett, un Roumain, un Arménien et un Irlandais. Aucun rapport avec Mollet, Bourgès, Duchet ou Mitterran
2102 nquante ans en moyenne — voilà votre avant-garde. Et je ne vois pas grand-chose à signaler au-dessous, Françoise Sagan n’é
2103 nce. A. Oui, je sais, c’est toujours autre chose, et chacun pense ainsi de soi-même vu par d’autres. Vous me disiez que « 
2104 n’est guère française, mais les pièces d’Anouilh et d’Aymé, qui ne sont pas d’avant-garde et que tout le monde a vues, je
2105 ’Anouilh et d’Aymé, qui ne sont pas d’avant-garde et que tout le monde a vues, je ne les trouve pas du tout moins cyniques
2106 rouve pas du tout moins cyniques dans leur genre. Et Monsieur Ouine, c’est pire que Bardamu. Et Jean Genet, dont Sartre es
2107 genre. Et Monsieur Ouine, c’est pire que Bardamu. Et Jean Genet, dont Sartre essaya de faire un saint, n’est-ce pas frança
2108 int, n’est-ce pas français, n’est-ce pas cynique, et n’est-ce pas déprimant, pour les amis de la France ? R. — Je vous les
2109 ais je vous conseille de laisser cela qui se voit et se discute à Paris, et que l’on y « présente » aux visiteurs. La vrai
2110 e laisser cela qui se voit et se discute à Paris, et que l’on y « présente » aux visiteurs. La vraie vie de la pensée est
2111 ré Breton, Paul Morand, Jean Giono, André Malraux et le jeune chroniqueur François Mauriac… » Eh bien ? J’avoue que je ne
2112 . Je ne leur vois rien de commun. Deux sont morts et pas un n’est un « jeune »… R. — Mais pas un seul n’est un cynique, no
2113 Mais pas un seul n’est un cynique, notez-le bien, et ce sont eux qui représentent le mieux une France de volonté, de rigue
2114 é, de rigueur, d’allure vive, d’esprit aventureux et de vues larges. Ma liste exprime un parti pris très net, qui est l’in
2115 e, en ôtant les « idées ». Simplifions par Céline et Miller, voulez-vous ? Je n’ai pas cité bien d’autres écrivains fameux
2116 décrivent une France tout dans la critique morale et l’invention lyrique, la chronique incisive et les vastes systèmes, et
2117 ale et l’invention lyrique, la chronique incisive et les vastes systèmes, et qui a le sens de la grandeur réelle, parce qu
2118 ue, la chronique incisive et les vastes systèmes, et qui a le sens de la grandeur réelle, parce qu’elle prend une mesure a
2119 temps. Une France intellectuelle partout présente et vive au plus brûlant du débat de l’époque, « invisible et fréquente a
2120 au plus brûlant du débat de l’époque, « invisible et fréquente ainsi qu’un feu d’épines dans le vent »67. A. — Vos auteurs
2121 réservent aux romanciers, aux auteurs de théâtre et aux poètes la qualité de créateurs. R. — Toute l’histoire littéraire
2122 est la moyenne d’âge de vos auteurs ? R. — 64 ans et demi, et saluez, je vous prie, car ce n’est pas seulement le pouvoir
2123 yenne d’âge de vos auteurs ? R. — 64 ans et demi, et saluez, je vous prie, car ce n’est pas seulement le pouvoir d’inventi
2124 reton qui ne se lassera jamais de découvrir mages et mystiques de tous les temps mis au futur. Voyez Mauriac entrer dans l
2125 du tragique militant à la métaphysique de l’art. Et Saint-John Perse, poète des conquêtes impériales, devenir le poète de
2126 lité. Chez vous, les floraisons sont plus rapides et les succès aussi, mais moins profonds, puis c’est l’oubli ou la répét
2127 e européen de la France, rôle mondial de l’Europe et rôle cosmique de l’homme. A. — Faut-il jouer la « Marseillaise » ? R.
35 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur l’Europe à faire (novembre 1957)
2128 ts centrés sur une série de conférences. L’Europe et le monde fut cette année le sujet jeté dans la lice pour y être « tra
2129 entions » très sévèrement réglées des gladiateurs et je devais avoir l’air de souffrir en silence, si j’en crois les regar
2130 cipe, qu’ils se gardent bien d’exprimer. Théâtral et crispé, un communiste français annonce que le Marché commun vient d’a
2131 rime, mais une nécessité reconnue de longue date, et qu’elle ne dépend pas du Marché à créer, si elle peut faciliter son e
2132 er qu’on me rappelle la date des libres élections et du mouvement « d’en bas » qui ont porté Lénine au pouvoir. Et Kadar,
2133 ent « d’en bas » qui ont porté Lénine au pouvoir. Et Kadar, donc ! Mais les interruptions ne sont pas admises, car « on ne
2134 n fait à laisser tous les droits aux antilibéraux et à eux seuls, même s’ils défendent les libertés. (Car il peut arriver
2135 dit avec chaleur : — Je ne crois pas à la guerre et chacun sait qu’aucun de nos pays ne la veut. — Je suis heureux de vou
2136 e dire ! interrompt le communiste Pierre Abraham. Et cela signifie : Je ne croyais pas cela de vous, connaissant votre goû
2137 carnages massifs. Néanmoins, vous voilà compromis et condamné d’avance aux yeux de l’opinion si jamais votre Europe fait m
2138 ux libérateurs sibériens. La bonne foi d’un Spaak et d’un André Philip, hommes politiques, est d’autant plus frappante que
2139 e est-elle, oui ou non, menacée dans son ensemble et dans ses positions mondiales par l’expansion normale des grands empir
2140 de Bandung, par son déficit en matières premières et en énergie, et par ses propres armes en général, idéologiques et tech
2141 son déficit en matières premières et en énergie, et par ses propres armes en général, idéologiques et techniques, retourn
2142 et par ses propres armes en général, idéologiques et techniques, retournées depuis peu contre elle ? Y a-t-il, oui ou non,
2143 urope, posé par le grand jeu des forces mondiales et que nos divisions nous empêchent de résoudre ? 2° S’il y a problème,
2144 ous empêchent de résoudre ? 2° S’il y a problème, et si vous refusez les mesures concrètes que les « Européistes » sont en
2145 vos attaques contre les partisans de son union —, et qu’êtes-vous disposés à faire ? En résumé : vous n’aimez pas notre Eu
2146 s dix ans. Mais quelle autre Europe voulez-vous ? Et qu’êtes-vous prêts à faire pour elle ? N’êtes-vous pas des Européens 
2147 serait amusant de dresser le catalogue des bonnes et des mauvaises raisons de dire non à l’union nécessaire. Ainsi, à la q
2148  ? La moitié de ces nations ont moins de cent ans et toutes se proclament éternelles. C’est peu croyable. Les maladies aus
2149 est peu croyable. Les maladies aussi existent bel et bien et ce n’est pas une raison pour refuser les remèdes. Quelle nati
2150 croyable. Les maladies aussi existent bel et bien et ce n’est pas une raison pour refuser les remèdes. Quelle nation de l’
2151 à la Lune. — Qu’attendez-vous donc pour y aller ? Et qu’offrent-elles de mieux qui ne soit né chez nous ? 3. — Non, car l’
2152 acteur commun : lâcheté devant l’opinion publique et refus hypocrite de la former, ou d’abord de la consulter. 4. — Non, c
2153 on ne fait pas l’Europe, disent les fédéralistes. Et chacun se renfrogne, et le problème subsiste, mais tous ont leur rais
2154 disent les fédéralistes. Et chacun se renfrogne, et le problème subsiste, mais tous ont leur raison de refuser leur conco
2155 ste. Elle recouvre à peu près la liste des motifs et des méthodes pour faire l’Europe qui furent préconisés depuis six ans
2156 s. Tous les européistes ont passé par ces stades et beaucoup se sont arrêtés à l’un ou à l’autre. D’où trois ou quatre éc
2157 qu’elle voulait résoudre est dépassé. Le charbon et l’acier étant mis en commun, sans parler de l’énergie atomique, si le
2158 ans parler de l’énergie atomique, si les Français et les Allemands décidaient de se battre demain, ils ne pourraient plus
2159 nt apparues, hors d’Europe, à l’échelle mondiale. Et trois tendances maîtresses se sont diversifiées au cours de ces derni
2160 anismes irréversibles : la CECA, le Marché commun et l’Euratom ; et que les parlements les votent bien vite, sans trop voi
2161 sibles : la CECA, le Marché commun et l’Euratom ; et que les parlements les votent bien vite, sans trop voir ce qui est en
2162 st engagé. — Oui, mais la France a rejeté la CED, et depuis lors les résistances sont alertées. Comment les vaincre ? Le M
2163 urope assiégée ? 3. Il faut persuader les esprits et les cœurs, éduquer, former, informer. Car les obstacles sont dans les
2164 ux inculqués par l’École, confirmés par la Presse et cultivés par les intellectuels. L’Europe que nous aimons n’est-elle p
2165 auvera… — Oui, mais l’œuvre est de longue haleine et le temps presse. Rien ne se fera sans l’esprit, mais sera-t-il assez
2166 une force politique. Car la raison, la persuasion et la technique ne sont rien sans la force, qui n’est pas rationnelle. L
2167 pas sans une pression des masses qui les élisent. Et les institutions européennes seront bloquées par les parlements si ce
2168 aiment d’avoir bien vu l’urgence pour aller vite, et pour en trouver les moyens intellectuels et matériels ? La vérité, c’
2169 vite, et pour en trouver les moyens intellectuels et matériels ? La vérité, c’est que les méthodes technique, éducative et
2170 rité, c’est que les méthodes technique, éducative et politique ne mèneront à rien l’une sans l’autre. Le grand public pens
36 1957, Preuves, articles (1951–1968). Sur la pluralité des satellites (II) (décembre 1957)
2171 un an68. C’est votre inattention qui m’a surpris, et l’ampleur de l’ébahissement : l’un des plus grands du siècle qui se v
2172 s mois n’a d’importance qu’aux yeux des ignorants et des enfants : c’est vrai, mais l’ignorance et la puérilité font la fo
2173 nts et des enfants : c’est vrai, mais l’ignorance et la puérilité font la force principale de l’opinion publique. Rien au
2174 riez nullement conclu que le capitalisme est bon. Et vous auriez eu bien raison, mais cette lucidité à sens unique est une
2175 Science », elle devient proprement irrépressible et balaye tout. Les Soviets avaient bien calculé le raz de marée de symp
2176 aillibles. Il suffit de tenir compte de l’opinion et d’estimer correctement son âge mental, qui est celui des garçons joua
2177 ns un an des spoutniks beaucoup plus sophistiqués et confortables, emportant le catalogue de Sears Robuck, la Déclaration
2178 k, la Déclaration d’indépendance, Walter Winchell et Billy Graham comme reporters : elle ne rattrapera rien, le mal est fa
2179 es foules, leur intoxication par le sensationnel, et les fausses déductions qu’elles tirent à coup sûr de chaque sensation
2180 sant au plan suivant : a) commentaires compétents et ardus sur la portée proprement scientifique de l’expérience : elle es
2181 ut militaires des programmes de fusées américains et russes, qui peuvent permettre accessoirement de lancer quelques satel
2182 e avec des questions scientifiques assez ingrates et des réalités militaires nettement sinistres ; c) appréciation plus mo
2183 rplus, l’Amérique eût été alertée en temps utile. Et l’Europe eût mieux vu que ses divisions stupides la mettent seules ho
2184 eurs illusions. Au lieu de quoi, la grande presse et la radio des pays libres mais irresponsables ont tout fait pour nous
2185 ’un coup en plein délire de masochisme occidental et d’admiration éperdue pour un régime par ailleurs condamné. Le Kremlin
2186 garantir leur succès financier. Eux aussi jouent et gagnent à tout coup sur l’ignorance et la puérilité d’une opinion qu’
2187 ssi jouent et gagnent à tout coup sur l’ignorance et la puérilité d’une opinion qu’ils ne savent pas et ne veulent pas for
2188 t la puérilité d’une opinion qu’ils ne savent pas et ne veulent pas former.   Eppur, se muove  ! — Des amis me retiennen
2189 isent-ils, que l’anticommunisme a trompé le monde et s’est trompé lui-même, en répétant que le régime soviétique stérilisa
2190 tournent glorieusement, nous regardent d’en haut, et nous disent bip-bip et oua-oua. C’est prodigieux. Ce qu’il y a de plu
2191 nous regardent d’en haut, et nous disent bip-bip et oua-oua. C’est prodigieux. Ce qu’il y a de plus beau, sans doute, dan
2192 55) avait largement démontré l’égalité des Russes et des Américains. Depuis lors, l’Amérique a choisi d’élever le niveau d
2193 seulement »… Chacun récolte donc ce qu’il a semé, et qui n’était pas ce qu’il disait. (C’était même le contraire, dans ce
2194 « idéaliste » tient surtout au bien-être général, et que la Russie « matérialiste » veut surtout gouverner les esprits. On
2195 a crise, le régime soviétique accumule les échecs et multiplie les signes avant-coureurs d’une désintégration fatale. Aprè
2196 uré le nouveau cours : à la liquidation sanglante et collective nommée construction socialiste, succède l’élimination indi
2197 on socialiste, succède l’élimination individuelle et idéologique, dont le vrai nom sera dans l’histoire : liquidation du c
2198 lice secrète. On élimine l’agent de sa Diplomatie et celui de son Économie, puis le héros numéro un de son Armée. À la fav
2199 ntralisation d’ailleurs non moins bureaucratique, et finalement le plan quinquennal, symbole même du régime soviétique, es
2200 lites mis au pillage se révoltent. Leurs ouvriers et leurs paysans se dressent contre Moscou au nom du socialisme. Leurs é
2201 and bye », voilà ce que le régime promet encore : et c’est littéralement ce qu’il reprochait, au nom d’un réalisme sarcast
2202 ns d’un rapprochement futur entre le peuple russe et l’Occident. Le spoutnik lui-même, dans la mesure où il manifeste un s
37 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur la fabrication des nouvelles et des faits (février 1958)
2203 Sur la fabrication des nouvelles et des faits (février 1958)aq Qu’est-ce qu’une nouvelle ? — Admetton
2204 nouvelle ? — Admettons-le avec l’homme de la rue et le dernier speaker de la Radio française avant la grève qui a doublé,
2205 se jamais rien dans le monde entre le 24 décembre et le 2 janvier, les discours bénisseurs remplaçant les nouvelles. Il es
2206 devenant tel que par la nouvelle qui le baptise, et ne revêtant que l’importance exacte que la nouvelle, littéralement, l
2207 agences, il n’y aurait pas non plus de nouvelles, et qu’aux yeux de l’homme de la rue, il ne se passerait plus rien dans l
2208 sins, un peu plus généraux, on pourrait affirmer, et on l’a fait, que sans historiens plus d’Histoire. Le sophisme paraît
2209 ur toute la Terre un nombre immense de naissances et de morts, de projets et d’échecs, d’actes et d’inventions, de discour
2210 bre immense de naissances et de morts, de projets et d’échecs, d’actes et d’inventions, de discours et de prises de consci
2211 nces et de morts, de projets et d’échecs, d’actes et d’inventions, de discours et de prises de conscience, de décisions et
2212 et d’échecs, d’actes et d’inventions, de discours et de prises de conscience, de décisions et d’accidents, mais leur valeu
2213 discours et de prises de conscience, de décisions et d’accidents, mais leur valeur de « faits » dépend, pour le public, de
2214 tit nombre de thèmes, les manipule, les dramatise et les impose (en vertu d’une entente tacite) à l’attention des peuples
2215 u d’une entente tacite) à l’attention des peuples et de leurs dirigeants. Et non seulement elle nous fabrique les faits (a
2216 à l’attention des peuples et de leurs dirigeants. Et non seulement elle nous fabrique les faits (au point qu’il n’y en a p
2217 croit devoir dire à tel moment pour que la presse et la radio en tirent telle conclusion probable et opportune, qui peut a
2218 e et la radio en tirent telle conclusion probable et opportune, qui peut agir sur l’électeur américain ou réagir à la dern
2219 me l’opinion, c’est-à-dire pratiquement la presse et la radio, à quoi tout se réduit au bout du compte. Car c’est bien com
2220 olitique de nos États ; que votent les parlements et même parfois les peuples ; et que l’Histoire s’écrira demain. L’irréa
2221 tent les parlements et même parfois les peuples ; et que l’Histoire s’écrira demain. L’irréalité de ce siècle provient de
2222 royons chaque matin n’est faite que par la presse et la radio, et n’est souvent faite que pour elles. Les agences seraient
2223 matin n’est faite que par la presse et la radio, et n’est souvent faite que pour elles. Les agences seraient donc nos vra
2224 mples. — On dit un peu partout — livres, articles et films — que le mouvement pour l’union de l’Europe est né le 1er septe
2225 l s’était borné à conseiller l’union de la France et de l’Allemagne, l’Angleterre n’étant pas nommée ni impliquée. Sensati
2226 dant à l’appel de groupes de résistants de droite et de gauche non communistes. Ils arrêtent une doctrine et un programme
2227 gauche non communistes. Ils arrêtent une doctrine et un programme précis, d’où devait résulter toute l’action ultérieure p
2228 e. Seize Premiers ministres, deux-cents ministres et parlementaires, huit-cents délégués, quatre-cents journalistes : il y
2229 er des particules « à la vitesse de la lumière ». Et le synchrocyclotron de Genève a 200 mètres de diamètre. Mais le journ
2230 rnal en question (pourtant bourgeois, capitaliste et nationaliste français), l’URSS fait prime, elle fait peur, elle fait
2231 dacteur en chef, le metteur en pages d’un journal et celui qui choisit les nouvelles à passer, les « corps », les emplacem
2232 sser, les « corps », les emplacements, les photos et les titres. Ceux-là vraiment feront les faits qui vont gouverner nos
2233 vont gouverner nos humeurs, les votes des députés et les cotes de la Bourse. Telle est la base de la plupart de nos convic
2234 e parle pas ici des fausses nouvelles, très rares et trop vite démenties par les agences rivales : ce procédé qui obsède e
2235 en question, mais leur choix, leur présentation, et ce que l’on a convenu de taire. La nouvelle vraie devient fausse par
2236 mise en page, par les omissions qu’elle suppose, et par le fait qu’on ne l’a choisie qu’en vue de la vente. Mais qui peut
2237 u’en vue de la vente. Mais qui peut actuellement, et qui pourrait demain, imposer à la presse une méthode scientifique de
2238 ser à la presse une méthode scientifique de choix et de présentation, qui permettrait de donner une image plus conforme de
2239 e voudrait plutôt qu’ils suspendent leur jugement et nous conseillent d’en faire autant. Un exemple au hasard du jour : co
2240 te desquels il estime qu’on ne peut pas gouverner et encore moins juger de la situation. Il cite Mendès-France qui aurait
2241 la guerre d’Algérie coûte 700 milliards par an ; et Gaillard qui aurait répondu : 350 seulement. J’ouvre une autre public
2242 e 362 milliards cité par M. Monteil à la Chambre, et affirme au surplus que « la rébellion algérienne n’a aucune répercuss
2243 différents — à tout le moins cités différemment — et qui peut me dire d’abord lesquels sont vrais, ensuite ce qu’il serait
2244 rd’hui : les scandales qui déchirent notre France et que nous sommes là pour dénoncer. On peut aussi considérer que la pol
2245 Ces vertus, par malheur, ne sont pas éloquentes. Et ceux qui les cultivent se voient bientôt conduits dans un ordre d’act
2246 ce n’est plus la dent dure mais la vision lucide et la main ferme qui assurent parfois quelque succès. aq. Rougemont D
2247 mont Denis de, « Sur la fabrication des nouvelles et des faits (Le point de vue de Ferney) », Preuves, Paris, février 1958
38 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur un patriotisme de la terre (mars 1958)
2248 ns au-dessus de régions incertaines entre Moselle et Rhénanie, au crépuscule. Le moteur extérieur à droite, son nez rose à
2249 nation rose orangé des derniers rayons de soleil, et les bords des plaques rivetées sont devenus sang clair, rubis vivant,
2250 pourrait en pleurer. Au-dessous, la Terre, proche et amie ; mais tout près de nos têtes, les grands espaces noirs ouvrent
2251 os. Ah ! la vraie vie n’est que sur notre Terre ! Et ce qui est « ailleurs » n’a pas encore de sens, mais rend déjà le sen
2252 e signifier ? C’était l’intime accord de l’esprit et des formes, des souvenirs et des horizons, du désir et de ses chemins
2253 e accord de l’esprit et des formes, des souvenirs et des horizons, du désir et de ses chemins. Survolant en quelques minut
2254 s formes, des souvenirs et des horizons, du désir et de ses chemins. Survolant en quelques minutes tant de destinées minut
2255 ’autres points éphémères qui s’animent un instant et s’annulent dans ce recoin perdu de l’univers. Tout s’est tu dans notr
2256 e. Plusieurs expéditions se sont rendues sur Mars et sur Vénus. Les voyages dans la Lune sont devenus simple routine. De l
2257 ’un réseau de transports réguliers entre la Terre et les planètes les plus proches. La Terre sera entourée de toute une fa
2258 tificiels, de toutes tailles, de toutes altitudes et de toutes nationalités, répondant à des besoins différents. Il y aura
2259 d’être faite par l’URSS, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique, l’union de notre Terre sera faite par Mars et par Vénus :
2260 rique, l’union de notre Terre sera faite par Mars et par Vénus : je le prévoyais il y a douze ans69. Alors la Terre jouer
2261 n va dominer le siècle à venir. On le sent naître et balbutier déjà dans les romans de science-fiction, où la Terre, vue d
2262 , comme une communauté qui donne seule une saveur et un sens à l’existence de ses individus. Comme une patrie. Ce sentimen
2263 s’écarte de son groupe natal, ou le voit attaqué et spolié. Comme la conscience, il naît d’une perte, subie ou seulement
2264 r une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe souillé partout ? Il
2265 mpte, tout comme le fut la découverte de la Terre et pour les mêmes raisons profondes. Ce sont ses rêves que toute l’human
2266 ves que toute l’humanité rejoint par sa technique et grâce à son génie. Il est vrai que la science-fiction prospère surtou
2267 i que la science-fiction prospère surtout en URSS et aux États-Unis, et que ces deux pays nous précéderont sans doute dans
2268 ction prospère surtout en URSS et aux États-Unis, et que ces deux pays nous précéderont sans doute dans la Lune, puis sur
2269 récéderont sans doute dans la Lune, puis sur Mars et Vénus : ils ont moins de pudeur à rompre certains liens, et cela se c
2270 ils ont moins de pudeur à rompre certains liens, et cela se comprend. D’où leur « avance technique » incontestée. Mais la
2271 emière classe appartiennent Swift, Butler, Huxley et Orwell. À la seconde, Thomas More et Bacon, Campanella, Rabelais et H
2272 tler, Huxley et Orwell. À la seconde, Thomas More et Bacon, Campanella, Rabelais et H. G. Wells. La plupart sont Anglais,
2273 conde, Thomas More et Bacon, Campanella, Rabelais et H. G. Wells. La plupart sont Anglais, il faudrait voir pourquoi. Les
2274 ique ou imaginatif, pataphysique ou scientifique, et généralement optimiste. (C. G. Jung expliquerait aisément ces contrad
2275 ntradictions apparentes entre le rêve d’un peuple et son comportement.) Fontenelle écrit en 1686 : « L’art de voler ne fai
2276 fait encore que de naître ; il se perfectionnera, et quelque jour on ira jusqu’à la Lune. » Il prévoit aussi les microbes,
2277 les microbes, quelques sens inconnus de l’homme, et Vénus habitée « par une autre famille, dont les visages ont un autre
2278 faut qu’ils soient tous fous à force de vivacité et n’aient pas plus de mémoire que la plupart des nègres ». Mais déjà no
2279 Verne, si la psychologie reste à la mode du temps et ne semble pas prévoir un changement de l’homme même. Avec la science-
2280 e métapsychologie qui s’institue, dans la terreur et la pitié. L’humanisme n’est plus cette chose molle qu’on obtient en é
2281 ais bien le simple fait d’être homme, mis au défi et dépassé. Ce n’est plus drôle du tout. Il faut faire attention. Car la
2282 xxie siècle, quel sens auront encore nos écrits et nos livres ? Perdront-ils toute espèce d’intérêt, tout pouvoir d’émot
2283 ls toute espèce d’intérêt, tout pouvoir d’émotion et toute utilité ? Il est trop facile de répondre que les modifications
2284 de nos existences n’empêchent nullement la Bible et l’Odyssée, la Divine Comédie, Shakespeare et Baudelaire d’agir sur no
2285 ible et l’Odyssée, la Divine Comédie, Shakespeare et Baudelaire d’agir sur nous. Que le héros affronte son destin à pied,
2286 t son destin qui nous fascine, c’est sa personne, et le drame qui les met aux prises. Mais si le siècle qui vient retire à
2287 es s’évanouira. Nos descendants « tranquillisés » et modifiés, ou devenus cent fois plus intelligents, verront-ils autre c
2288 maniaques, des fixations bizarres, des sentiments et raisonnements d’insectes ? La plasticité accrue des tissus nerveux ch
2289 d’appréhension de l’existence, de soi, des autres et de l’univers : de cela nous sommes certains, mais de cela seul, si pa
2290 du siècle seront nos ouvrages de science-fiction, et ceux qui se fondent sur nos doctrines sociologiques ; puis les écrits
39 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur la prétendue décadence de l’Occident (avril 1958)
2291 ntiques. Beauté de Paestum enlisée dans les roses et la malaria. Préservons ces réduits pervers. Tous les siècles de notre
2292 tre histoire ont déploré la décadence universelle et décrit des âges d’or nostalgiques. Le xxe siècle étant celui d’une a
2293 une accélération sans précédent depuis Tubal-Caïn et Prométhée des conquêtes culturelles de l’Occident, il ne pouvait manq
2294 ives prochaines. Sorel, Bergson, Spengler, Valéry et Toynbee et plusieurs centaines d’autres à leur suite nous l’ont répét
2295 ines. Sorel, Bergson, Spengler, Valéry et Toynbee et plusieurs centaines d’autres à leur suite nous l’ont répété sans relâ
2296 us sont épuisées, les barbares vont le submerger… et vous l’aurez bien mérité. Ces déplorations polémiques ne sont cependa
2297 le fait d’une société vraiment acculée à la ruine et penchant au bord du chaos. Elles supposent, par leur succès même et d
2298 d du chaos. Elles supposent, par leur succès même et du seul fait qu’on les publie, quelques croyances fondamentales inébr
2299 oire en crise, pour mieux les sentir en soi-même, et pour faire la leçon à ceux qui n’y croient plus, mais qu’on n’oserait
2300 valerie dans les romans qui fondent son prestige. Et combien de passions sont nées à l’instant précis où l’on a cru perdu
2301 er ; la perte du contact vivant avec les origines et avec les principes générateurs des lois, des mœurs, des arts et des c
2302 incipes générateurs des lois, des mœurs, des arts et des croyances ; enfin, la faiblesse du support matériel (militaire, é
2303 l’Occident. Il ne cesse de renouveler ses styles et les hypothèses de ses sciences, tout en conservant son passé, et le l
2304 es de ses sciences, tout en conservant son passé, et le laboratoire du xxe siècle (par quoi j’entends l’ensemble de nos c
2305 s formes de gouvernement, ses arts, ses sciences, et ses manies les plus grotesques. En revanche, voit-on les masses occid
2306 a magie des nègres ? L’adoption de notre alphabet et du birth control par la Chine a tout de même une autre importance que
2307 s ? Peut-être aux USA, en URSS plus brutalement ; et ce fut le cas en Europe durant la basse époque bourgeoise du matérial
2308 aires qui occupent tant notre presse. Les auteurs et les peintres que l’on cite à l’appui de la « désintégration de nos va
2309 xerceront jamais une action comparable en étendue et profondeur à l’influence restauratrice d’un Maritain ou d’un Karl Bar
2310 Barth, répercutée dans la pensée, les hiérarchies et les croyances d’Églises qui groupent dans le monde entier des centain
2311 nos positions de puissance politique ; il déprime et combat sournoisement notre volonté de guérir, dans le temps même qu’i
2312 , tous ses effets tendent à ruiner l’Europe, cœur et cerveau, plexus solaire de l’Occident. Mais nos valeurs sont-elles
2313 de entier nos machines, nos structures politiques et sociales, notre hygiène scientifique et nos virus ; mais nous ometton
2314 olitiques et sociales, notre hygiène scientifique et nos virus ; mais nous omettons trop souvent d’y joindre un mode d’emp
2315 uvent d’y joindre un mode d’emploi circonstancié, et des indications de régime ou de cure. Or nos produits sans nos valeur
2316 u chaos, bouleversent les métabolismes culturels, et sont capables de détruire en une année des équilibres séculaires que
2317 oblème du siècle planétaire. Il est plus immédiat et mieux déterminé que les spéculations sur notre décadence ; il nous en
2318 spéculations sur notre décadence ; il nous engage et nous provoque, quand celles-ci ne tendaient qu’à nous convaincre de l
2319 peuvent-elles être adoptées par tous les peuples, et marquer un progrès pour tout homme d’où qu’il vienne qui les prend po
2320 onde du xxe siècle, possède le droit, la volonté et les moyens d’étendre à l’univers son système de valeurs, sans mériter
2321 usqu’ici — prouverait par là qu’elle ne l’est pas et qu’elle a très peu de chances de le devenir jamais, puisqu’elle ignor
2322 nir jamais, puisqu’elle ignore le bien des autres et ne se prépare donc point à l’intégrer. La Volonté. — D’une part, le
2323 tianisme dès sa naissance se veut salut pour tous et pour chacun. Son idée de la personne en puissance dans tout homme, so
2324 e de l’amour du prochain, son antiracisme foncier et son refus du système des castes en font une religion missionnaire par
2325 ence née de l’Europe se veut exacte en tous lieux et tous temps et fonde mieux que la raison classique cette ambition œcum
2326 Europe se veut exacte en tous lieux et tous temps et fonde mieux que la raison classique cette ambition œcuménique. Les M
2327 Moyens. — L’appareil d’exploration, d’information et de comparaison élaboré depuis des siècles par l’Europe se révèle aujo
2328 virtuellement, de digérer, d’intégrer, d’adapter et de réinterpréter dans une synthèse ouverte tout ce que l’homme d’autr
2329 nthèse ouverte tout ce que l’homme d’autres temps et d’autres lieux a pu concevoir et créer. La Vocation. — Une remarque
2330 e d’autres temps et d’autres lieux a pu concevoir et créer. La Vocation. — Une remarque suffira : même les valeurs « révé
2331 èrent les Occidentaux les renvoient à l’universel et les ouvrent à l’aventure, au lieu de les enfermer dans l’apaisante ho
2332 ture ou civilisation qui propose aujourd’hui plus et mieux, avec quelques chances d’être crue ? Certes, le communisme offr
40 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur un centre qui doit être partout (mai 1958)
2333 de garder la CECA. L’élite niçoise parle de Nice, et tous les Belges veulent Bruxelles. Et chacun démontre à l’envi que la
2334 le de Nice, et tous les Belges veulent Bruxelles. Et chacun démontre à l’envi que la ville de son choix est un carrefour d
2335 e est un être d’esprit dont le centre est partout et la frontière nulle part. Ou si l’on veut parler de sa circonférence (
2336 n invoque sont toutes plus ou moins raisonnables, et voilà leur faiblesse commune. Car si l’on veut que l’Europe unie soit
2337 e. Or c’est précisément l’analogie entre l’Europe et la nation qu’il nous faut refuser d’entrée de jeu. Nous voulons une E
2338 e. Le sacré national, ce culte jacobin dont Hegel et Fichte dirent le dogme après coup, fait de la Capitale un centre univ
2339 une capitale comparable à Paris pour le prestige et la nocivité. La pratique des foyers multiples triomphe partout ailleu
2340 ésavantage : il serait pour tous « à l’étranger » et l’idée de capitale centralisante aurait tôt fait de la dénaturer. On
2341 . On voudrait y mettre à la fois le Marché commun et l’Université européenne, les députés et les physiciens nucléaires, le
2342 hé commun et l’Université européenne, les députés et les physiciens nucléaires, les bureaucrates et la culture, la cour de
2343 és et les physiciens nucléaires, les bureaucrates et la culture, la cour de justice et la mode. Or si l’on ne veut penser
2344 es bureaucrates et la culture, la cour de justice et la mode. Or si l’on ne veut penser qu’un « Paris » transposé, qu’on a
2345 district fédéral à la mesure de l’Europe entière et de son demi‑milliard d’habitants, qu’on prenne la Suisse, tout équipé
2346 asse l’Europe d’abord, j’entends l’Europe entière et qu’on ne lui cherche pas un centre vide tant qu’on n’a pas de vrais p
2347 ès que la Constitution ait fondé les États‑Unis ; et le gouvernement ne s’y transporta qu’en 1800. Pourquoi veut‑on que le
2348 cède l’instauration d’un État fédéral dont l’aire et le régime sont encore inconnus ? Faut‑il croire qu’on désire seulemen
2349 tient au trésor des archétypes de toute humanité, et l’homme moderne autant qu’un autre tend à « réaliser les archétypes »
2350 e », intersection d’axes cosmiques, lieu « vivant et réel au suprême degré » en vertu de quelque événement qui le consacre
2351 n, par le paradoxe de la consécration de l’espace et par le rite de construction, se voit transformée en un centre. De sor
2352 alais, les cités — se trouvent situées en un seul et même point commun, le Centre de l’univers. Il s’agit là, on s’en rend
2353 ’espace profane, compatible avec une multiplicité et même avec une infinité de centres. » Comme tout ce qui tient au sacr
2354 llustrée par une abondance de symboles, de mythes et de rites traditionnels : il doit être accessible à tous ceux qui le d
2355 us ceux qui le désirent, mais entouré d’obstacles et d’épreuves redoutables. Au niveau de la psychologie et du vocabulaire
2356 épreuves redoutables. Au niveau de la psychologie et du vocabulaire les plus courants, disons que le Centre a pour double
2357 que le Centre a pour double fonction de rassurer et de bluffer. Il doit être ouvert et fermé. Étrange et familier. Attira
2358 on de rassurer et de bluffer. Il doit être ouvert et fermé. Étrange et familier. Attirant et redoutable. En un mot qui dit
2359 de bluffer. Il doit être ouvert et fermé. Étrange et familier. Attirant et redoutable. En un mot qui dit tout : prestigieu
2360 re ouvert et fermé. Étrange et familier. Attirant et redoutable. En un mot qui dit tout : prestigieux. Sur le centre gé
2361 archétypes régissent en réalité nos imaginations et nos désirs ; mais nous voulons trouver dans des faits mesurables les
2362 faits mesurables les justifications de nos actes et conduites, et quand nous les trouvons par chance, et qu’elles se tien
2363 les les justifications de nos actes et conduites, et quand nous les trouvons par chance, et qu’elles se tiennent, elles jo
2364 conduites, et quand nous les trouvons par chance, et qu’elles se tiennent, elles jouent alors dans notre âge scientifique
2365 scientifique le rôle que jouaient les « signes » et les hasards pleins de sens dans les époques mieux averties des choses
2366 ller bâtir une ville là où il trouverait la pluie et le beau temps, il rencontra en Italie une courtisane qui pleurait et,
2367 l rencontra en Italie une courtisane qui pleurait et , en ce lieu, bâtit la ville de Crotone. Calcul. Parmi l’infinité des
2368 des terres libres de glace, 94 % de la population et 98 % de l’activité industrielle du monde. C’est l’hémisphère dont le
2369 onné par le calcul ! Heureuse coïncidence du sens et de l’arpentage ! Mon candidat J’ai dit pourquoi l’Europe doit é
2370 doit écarter l’idée d’une capitale centralisante, et pourquoi je ne sens pas l’urgence de créer un district fédéral tant q
2371 ipal. Mais au sud‑est de Nantes, on ne voit rien, et autour de Berlin, des Russes. On cherche donc, plus près du cœur du c
2372 près du cœur du continent, une région plus axiale et plus dense… Combinant les motifs géodésiques et la dialectique du sac
2373 e et plus dense… Combinant les motifs géodésiques et la dialectique du sacré avec mon point de vue personnel, j’avance alo
2374 ables à l’intersection des grands axes spirituels et physiques de l’Europe. Défendu de tous les côtés par des obstacles na
2375 côtés par des obstacles naturels, montagnes, cols et routes semés d’embûches, et par les spectres ricanants ou trop bavard
2376 rels, montagnes, cols et routes semés d’embûches, et par les spectres ricanants ou trop bavards de grands ancêtres europée
2377 qui se trouve les disqualifier aux yeux des sages et des stratèges. En revanche, et comme il se doit, le pays de Gex prése
2378 aux yeux des sages et des stratèges. En revanche, et comme il se doit, le pays de Gex présente des avantages uniques aux y
2379 s uniques aux yeux du géographe de l’ère nouvelle et de l’historien des mythes de l’âme européenne. Au nord, la plus haute
2380 aîne du Jura, traversée par le col de la Faucille et la Route Blanche qui va vers l’Italie. Le tunnel du Mont-Blanc, sous
2381 nce. À l’ouest, l’auberge de Thoiry où Stresemann et Briand fraternisèrent dans une première ferveur européenne. Au sud‑ou
2382 ointrin, croisement des lignes intercontinentales et régionales ; et tout près de là, le Centre européen de la recherche n
2383 ent des lignes intercontinentales et régionales ; et tout près de là, le Centre européen de la recherche nucléaire, haut l
2384 ieu de la science. Au sud, les châteaux de Ferney et de Coppet gardent les traces radioactives des plus brillantes constel
2385 t notre horoscope occidental. Enfin, le lac Léman et la cité internationale de l’Europe. Calvin, Rousseau, Voltaire, Mme d
2386 Europe. Calvin, Rousseau, Voltaire, Mme de Staël, et la pédagogie nouvelle ont rayonné de là sur toute l’Europe moderne. E
2387 lle ont rayonné de là sur toute l’Europe moderne. Et la proximité des principales institutions mondiales, qui effraie cert
2388 es Ligures, des Celtes, des Germains, des Romains et des Burgondes : société des nations souterraine. Paris, Zurich, Milan
2389 on ; Londres, Bruxelles, La Haye, Bonn, Barcelone et Rome à deux ou trois heures, aujourd’hui. Et s’il faut une armée pour
2390 lone et Rome à deux ou trois heures, aujourd’hui. Et s’il faut une armée pour veiller sur la sécurité du district fédéral,
2391 troupes suisses fut de défendre les institutions et les symboles d’intérêt général européen : l’idée de fédération, dès l
2392 ométrie, mais d’une science des mythes, des rites et des sites. C’est affaire de pendule autant que de compas, et de poète
2393 s. C’est affaire de pendule autant que de compas, et de poètes autant que d’ingénieurs. J’ai pris l’exemple du pays que j’
2394 u’on n’y vienne pas trop vite avec des bulldozers et des palais préfabriqués. Tant d’aventures humaines sont parties d’un
2395 ormal, ce n’est pas enchanteur. 70. Voir Paris et le désert français, livre fameux de Jean-François Gravier. at. Roug
41 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur le régime fédéraliste (I) (août 1958)
2396 entendu par la plupart des hommes de notre temps, et particulièrement en France : fédéralisme. Quatre problèmes urgents de
2397 eux sont purement internes : le régime des partis et la stabilité de l’exécutif. Le troisième porte sur le mode d’articula
2398 tion ou d’intégration des territoires d’outre-mer et de la métropole : il peut être considéré soit comme interne, soit com
2399 ient trouver de solutions tout à la fois durables et compatibles entre elles que dans un système fédéral. On me demandera
2400 dans un système fédéral. On me demandera pourquoi et je répondrai d’abord que cela se sent avant de s’expliquer, mais qu’i
2401 s, dans un pays de traditions louis-quatorziennes et de réflexes jacobins. Voilà le drame français. Et si l’on peut devine
2402 et de réflexes jacobins. Voilà le drame français. Et si l’on peut deviner que le chef du gouvernement n’est pas sans en av
2403 rejoignant le fanatisme de l’intégration. Gauche et droite s’uniraient pour rejeter au nom de leurs traditions sacrées to
2404 ste, c’est-à-dire adaptée aux réalités du siècle, et si elle passe, ce sera que l’électeur n’y aura rien vu, dans l’ignora
2405 ce où il est des premiers rudiments de l’attitude et de la pratique fédéralistes. Tout ceci me conduirait à douter de l’op
2406 douter de l’opportunité de définir cette attitude et cette pratique. Si je m’y essaie toutefois, et une fois de plus, c’es
2407 de et cette pratique. Si je m’y essaie toutefois, et une fois de plus, c’est que le plaisir d’un écrivain qui ne brigue ri
2408 i ne brigue rien consiste à dire le vrai en temps et hors de temps, dans le secret espoir d’être saisi par quelques-uns, q
2409 ui ont coutume de poser cette question préalable, et qu’ils croient insidieuse, on peut dire tranquillement que la seule d
2410 seul État à l’égard des puissances étrangères ». Et il donne pour exemple « la confédération des États-Unis ». Il définit
2411 la fédération comme « union politique d’États », et il donne pour exemple « la fédération américaine ». D’où l’on conclut
2412 tion américaine ». D’où l’on conclut qu’une seule et même réalité correspondant aux deux mots, ceux-ci sont équivalents —
2413 it inexacte, puisqu’elle ne mentionne que l’union et ne dit rien de l’autonomie. Une union qui ne respecterait pas l’auton
2414 — l’un étant paraît-il moins fédéral que l’autre et représentant par suite un moindre mal — qu’on me dise alors ce que l’
2415 ue est le type même d’une authentique fédération, et tous les organes communs à ses vingt-cinq États (dont la souveraineté
2416 ique. La préférence pour ce préfixe malencontreux et superflu trahit l’antifédéraliste et le nationaliste invétéré qui ess
2417 alencontreux et superflu trahit l’antifédéraliste et le nationaliste invétéré qui essaie de se mettre à la page. Un sys
2418 ttribué aux girondins de rompre l’unité nationale et de transformer la France en une fédération de petits États. » Aux yeu
2419 n de petits États. » Aux yeux du Français cultivé et qui tient à savoir ce que parler veut dire, le fédéralisme se réduit
2420 rt bon pour les sauvages, par exemple les Suisses et les Américains, quand ce n’est pas un complot contre la République un
2421 ce n’est pas un complot contre la République une et indivisible de Saint-Just, c’est-à-dire contre la patrie, l’honneur,
2422 dire contre la patrie, l’honneur, la civilisation et la décence élémentaire. Allez vous étonner de l’irréalité des querell
2423 représente un effort vers l’union de nos peuples, et que c’est le nationalisme qui a pour projet de rompre l’unité contine
2424 qui a pour projet de rompre l’unité continentale et de transformer l’Europe, jadis reine de la Terre, en une poussière de
2425 par la conjoncture mondiale au sous-développement et à la colonisation. Ambiguïté de l’intégration Laissons Littré,
2426 aissons Littré, qui sur ce mot n’a rien d’actuel, et voyons ce que l’époque entend ou malentend par le terme d’intégration
2427 lgérie, l’intégration signifie l’unification pure et simple, l’assimilation totale, légale et décrétée, de l’Algérie à la
2428 ion pure et simple, l’assimilation totale, légale et décrétée, de l’Algérie à la métropole, c’est-à-dire le refus de tenir
2429 a croyance à la vertu suffisante de la nation une et indivisible. Au plan européen, l’intégration signifie le contraire ex
2430 aits qui commandent à la fois l’union de nos pays et le respect de leurs différences, donc l’adhésion de la France à une f
2431 s. On ne peut vouloir à la fois l’absolu national et la fédération supranationale. On ne peut vouloir à la fois l’intégrat
2432 à la fois l’intégration de l’Algérie à la France et l’intégration de la France à l’Europe. Car cela supposerait qu’on est
2433 dans le xixe siècle, tantôt dans le xxe . Que 2 et 2 font 4 ou 22 selon les jours. Que la schizophrénie est une sagesse.
2434 les jours. Que la schizophrénie est une sagesse. Et que les colonels sont des économistes. Je déplore d’avoir l’air de jo
2435 Je déplore d’avoir l’air de jongler avec les mots et les concepts, quand je cherche au contraire à mieux fixer leur sens,
2436 it commune aux deux problèmes, celui de l’Algérie et celui de l’Europe, n’est autre que la solution du fédéralisme intégra
2437 mal avec les autres : qu’une nation-bloc, rigide et intégriste, s’intègre mal dans un ensemble fédéral conditionné par sa
2438 t pas finis, c’est de cela qu’il nous faut parler et disputer, car ce que le monde entier attend de nous, ce n’est pas une
2439 Comité Cadillac » — ô les grands jours de la IIIe et de la IVe République ! — mais l’antidote que l’Europe peut trouver au
2440 r au virus du nationalisme, cause de sa décadence et cause de la révolte qui dresse contre elle le monde entier. La doctri
2441 statut des partis, de la stabilité de l’exécutif et de leur rapport intime avec l’antinomie fondamentale de notre siècle 
2442 ale de notre siècle : celle du régime fédéraliste et du régime totalitaire. Ce sera pour le mois prochain. au. Rougemo
42 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur le régime fédéraliste (II) (septembre 1958)
2443 u régime des partis : il en est plutôt l’origine, et il en demeure la nostalgie secrète. Car l’un et l’autre sont issus de
2444 , et il en demeure la nostalgie secrète. Car l’un et l’autre sont issus des jacobins, qui fournirent à l’histoire occident
2445 jacobins que la France numérote ses républiques, et le « réflexe républicain » qu’on invoque en périodes de crise est un
2446 s anglais ou américains, dont l’origine, les buts et la fonction n’ont rien en commun, sauf le nom, avec les formations qu
2447 é d’une idéologie, non d’une réalité bien définie et d’intérêts bien déclarés, est candidat à la fonction de parti unique,
2448 ansigent mais non les religions, ni les doctrines et idéologies qui sont leurs substituts dans notre monde laïque. Au nive
2449 l’intérêt, la lutte qui s’institue entre l’offre et la demande, par exemple, finit toujours par se résoudre dans le compr
2450 e composer avec les circonstances est une cruelle et scandaleuse nécessité, à laquelle les partis ne se plieront qu’à la d
2451 lte que la différence entre un régime totalitaire et un régime de partis multiples ne tient pas au libéralisme de ces part
2452 liquer cette idéologie à toute situation nouvelle et imprévue impliquait une erreur systématique, ou pour le moins multipl
2453 s chances d’erreur. C’était un refus systématique et proclamé de tenir compte des réalités dans leur nouveauté intrinsèque
2454 mpte des réalités dans leur nouveauté intrinsèque et par rapport à certains intérêts bien étudiés. Ce que l’on appelait al
2455 plot » si elles semblaient devoir être efficaces, et à qualifier de « trahison » toute tentative d’arrangement praticable,
2456 our ce faire d’une analyse sérieuse des objectifs et des méthodes des autres : il suffisait de recourir à un jeu de précéd
2457 ce langage codé permettant de démasquer l’ennemi et ses viles intentions, en vertu d’une règle sacrée sans nul rapport au
2458 ique se manifestait parfois d’une manière extrême et quasi délirante, lorsqu’on voyait deux ou trois partis naître par sci
2459 iscours, non de l’action ; au niveau des réflexes et des tempéraments, des loyautés idéologiques ou des inimitiés personne
2460 autés idéologiques ou des inimitiés personnelles, et non pas au niveau des données objectives de l’événement ou de l’évolu
2461 par le petit récit de Thomas Mann intitulé Mario et le Magicien. Les partis dans une fédération Tout cela n’est pa
2462 ble dans un régime fédéraliste, qui est politique et non politicien. Le Parlement, dans une fédération, tient toute son ex
2463 tion, tient toute son existence des États membres et de quelques partis représentant des intérêts bien définis. Il n’a don
2464 au contraire concilier des réalités fort diverses et qu’il est obligé de respecter, puisque le refus de l’uniformité au se
2465 dont il est membre. La nation centraliste, « une et indivisible », ouvre une vaste carrière aux idéologies. Elle appelle
2466 e une vaste carrière aux idéologies. Elle appelle et suscite des partis à l’image de celui qui d’abord l’unifia. La toléra
2467 lui dis-je, c’est le modèle même de la stabilité. Et , comme il semblait un peu vague, je lui rappelai que ce collège de se
2468 sept membres, qui est à la fois le chef de l’État et le cabinet, prépare des lois et les soumet au Parlement mais si ce de
2469 le chef de l’État et le cabinet, prépare des lois et les soumet au Parlement mais si ce dernier les refuse, le Conseil ne
2470 que que l’on se fait trop généralement en France. Et en effet : le grand moment de la vie politique française sous la Troi
2471 t de la vie politique française sous la Troisième et sous la Quatrième, c’était le moment de chute du ministère. Cette con
2472 C’est qu’ils oubliaient l’origine, l’acte initial et fondateur de la première des Républiques françaises : la mise à mort
2473 t du roi, ce symbole du Pouvoir. Acte sacrificiel et bouleversant, dont les parlementaires modernes, héritiers des convent
2474 c’est chaque fois moins excitant, moins efficace, et comme on ne peut forcer la dose de cette drogue sans cesse édulcorée,
2475 dans l’inconscient — qui l’envoie d’un ton ferme et gentil se détendre les nerfs et se taire pour un temps. Post-scrip
2476 ie d’un ton ferme et gentil se détendre les nerfs et se taire pour un temps. Post-scriptum À l’heure où j’écris, ce
2477 cteur comprendra-t-il ? Je suis bien sûr que non, et cela n’importe guère. La plupart des constitutions ont été rédigées e
2478 re. La plupart des constitutions ont été rédigées et adoptées dans la confusion générale, mais ne préjugeaient pas de l’av
2479 la vie politique n’a jamais dépendu des articles et paragraphes. Elle dépend de l’angle de vision qu’une élite responsabl
43 1958, Preuves, articles (1951–1968). Sur le vocabulaire politique des Français (novembre 1958)
2480 ar exemple, on peut accorder le sens traditionnel et un peu vague des mots peuple et démocratie avec les résultats du réfé
2481 sens traditionnel et un peu vague des mots peuple et démocratie avec les résultats du référendum : il suffit pour cela d’a
2482 blement représenté par la majorité des électeurs, et que la « vraie » démocratie ne saurait être définie que par les vœux
2483 rait être définie que par les vœux de la minorité et les éditoriaux de L’Express. Ce qui est peut-être moins absurde en fa
2484 is seulement signaler des difficultés sémantiques et suggérer leur solution. Il y a longtemps que la Logique de Port-Royal
2485 e résultat n’exprime pas l’opinion du vrai peuple et sonne le glas de la vraie démocratie, c’est qu’on a changé le sens de
2486 , mais non pas d’une manière univoque, invariable et clairement déclarée. Sartre, décrivant la manifestation du 4 septembr
2487 le chœur des élus ; puis, derrière les barricades et le cordon des flics, très loin, le grondement du peuple qui dit Non. 
2488 véritable Peuple, celui qui aura toujours raison, et qui ne peut être défini par une trompeuse majorité71. Car le vrai Peu
2489 ’il vote pour de Gaulle : c’est un électeur égaré et même, on le précise, « terrorisé ». Il s’ensuit que le vrai Peuple —
2490 s’ensuit que le vrai Peuple — celui qui gronde — et que les vraies « masses », qui sont une part de ce 20 % dont on ne ve
2491 outenus dans le cas présent par quelques radicaux et quelques groupes d’intellectuels bourgeois. Comme ils sont une minori
2492 faut en avertir. On préfère mélanger les clichés et les faits, et l’on invoque Michelet pour faire passer Lénine. Sur un
2493 ir. On préfère mélanger les clichés et les faits, et l’on invoque Michelet pour faire passer Lénine. Sur un terme inutile
2494 t pour faire passer Lénine. Sur un terme inutile et incertain. — L’usage du mot démocratie dans nos discussions politique
2495 ien dès l’instant que chacun se déclare démocrate et que seul l’adversaire (ou l’autre) ne l’est pas, cependant que nulle
2496 l’est pas, cependant que nulle définition claire et distincte ne peut tenir lieu d’étalon et permettre en bonne foi de tr
2497 n claire et distincte ne peut tenir lieu d’étalon et permettre en bonne foi de trancher le débat. Si la démocratie est ce
2498 rce la souveraineté, elle n’a jamais été réalisée et ne saurait l’être. On a donc tacitement convenu d’appeler démocraties
2499 itiques sont garantis par le libre jeu des partis et de l’opposition ; et démocratie réelle (ou progressiste) un régime de
2500 par le libre jeu des partis et de l’opposition ; et démocratie réelle (ou progressiste) un régime de parti unique, si tou
2501 ti unique, si toutefois ce parti se dit de gauche et réussit à liquider l’opposition. Cependant, le fascisme, qui a tous l
2502 t contraint de définir les oppositions véritables et de remplacer la discussion des mythes hérités du xixe siècle par cel
2503 cadre national ou continental, autonomies locales et plans de production, etc. Les grands critères deviendraient, j’imagin
2504 nds critères deviendraient, j’imagine, la liberté et l’efficacité. Les grands débats seraient entre partisans du confort o
2505 choses qu’aujourd’hui, mais ce serait plus clair et moins bête. Simplifiez par « démocratie » les polémiques contemporain
2506 sse des pères se prolongeant dans celle des fils, et le plébiscite de 1852 dans celui de 1958 ? Sûrement non. Penserait-il
2507 s : celle de Napoléon en 1808, de la Restauration et de la Charte, de Gavroche sur les barricades, du prince-président, du
2508 ire, de Vichy, des 26 ministères de la Quatrième, et j’en passe, n’apparaît guère dans son ensemble plus « adulte » que la
2509 aitées par la vie, aient besoin de croire en Dieu et surtout en Son Incarnation. Combien de femmes solitaires et trahies o
2510 en Son Incarnation. Combien de femmes solitaires et trahies ont étendu leur ressentiment à l’espèce entière : tout ce qui
2511 humain leur fait horreur, elles aiment les chiens et les surhommes. » Si donc les Français veulent un roi, c’est qu’ils cè
2512 it du « Gentil Seigneur » auquel on offre « amour et foi en échange de son aide et protection ». Et si Sartre est contre d
2513 el on offre « amour et foi en échange de son aide et protection ». Et si Sartre est contre de Gaulle, c’est qu’il est d’ab
2514 ur et foi en échange de son aide et protection ». Et si Sartre est contre de Gaulle, c’est qu’il est d’abord contre Dieu :
2515 , c’est qu’il est d’abord contre Dieu : de Gaulle et Dieu se confondent avec l’image du Père. Voilà l’ennemi. Je suis adul
2516 Je suis adulte, ou quoi ? À chacun ses complexes et ses débats intimes. Je n’entends parler ici que des projections publi
2517 i dans ce plébiscite je devrais choisir entre Lui et le prétendant actuel, je voterais plutôt pour Dieu : il est plus mode
2518 — rhétorique ou sincère, je ne sais — entre Dieu et le Général ; mais elle échoue dans un sophisme. En effet, si Sartre p
2519 le monarque n’a rien au-dessus de lui qui le juge et limite son pouvoir : il sera donc dictateur absolu. Tout pouvoir, dan
2520 ul porteur du Sens de l’Histoire, maître des âmes et des réflexes. En d’autres termes : dans le monde sans Dieu d’un Sartr
2521 même que le chef veut servir. Les crimes d’Hitler et de Staline étaient légitimés, bien au contraire, par la doctrine que
2522 ire, par la doctrine que proclamaient ces hommes, et que beaucoup de ceux qui ont voté non, aux deux extrêmes, approuvent
2523 r leurs fréquentes majorités de gauche. Anglicane et presbytérienne en Grande-Bretagne, calviniste en Hollande, luthérienn
2524 on est en droit de dire « adulte » cette fois-ci, et d’un socialisme concret, plus poussé que partout ailleurs. (La Suisse
2525 s ces nations, n’est plus sacrée mais respectable et respectée. Elle ne peut exciter ces fureurs œdipiennes que réveille a
2526 l apparent de tant de Pères distants, orgueilleux et frivoles. Le grand problème qui se pose au général de Gaulle n’est-il
2527 s celui d’instaurer dans une France anticléricale et catholique un type de monarchie qui, jusqu’ici, n’a fait ses preuves
2528 on ne pouvaient l’être davantage ? Isorni, Mendès et Duclos n’ont pas les mêmes idées sur la démocratie et ne poursuivent
2529 uclos n’ont pas les mêmes idées sur la démocratie et ne poursuivent pas les mêmes buts. La majorité des non contre la CED
2530 s non contre la CED était-elle donc plus homogène et plus valable ? Elle comptait ceux qui, hier, ont voté non, plus les g
44 1959, Preuves, articles (1951–1968). Nouvelles métamorphoses de Tristan (février 1959)
2531 se l’immédiat, fuit le prochain, veut la distance et l’invente au besoin, pour mieux se ressentir et s’exalter. Cette défi
2532 e et l’invente au besoin, pour mieux se ressentir et s’exalter. Cette définition rend compte de la plupart des vrais roman
2533 me pour un objet tout proche, aisément accessible et moralement permis, ou généralement toléré. Comme la nature et le nomb
2534 t permis, ou généralement toléré. Comme la nature et le nombre de ces tolérances et des interdits qui subsistent varient s
2535 é. Comme la nature et le nombre de ces tolérances et des interdits qui subsistent varient selon les sociétés (qu’on a pu c
2536 isie du xixe s’interdisant de parler de l’argent et du sexe, d’où le choc révélateur produit par Marx et Freud), la passi
2537 du sexe, d’où le choc révélateur produit par Marx et Freud), la passion qui est toujours antisociale reçoit cependant de l
2538 antisociale reçoit cependant de la société même — et d’elle seule, par un assez beau paradoxe — ses objets, différents sel
2539 . Car la passion suppose toujours, entre le sujet et l’objet, un tiers qui fait obstacle à leur étreinte, — un roi Marc qu
2540 ramatis persona, pour les besoins de la narration et de la rhétorique du récit. Dans une société comme la nôtre, l’amour-p
2541 l encore trouver des interdits assez redoutables, et par suite assez fascinants, pour que son délire se déclare ? J’entend
2542 la société occidentale, c’est-à-dire de l’Europe et de ses prolongements en Amérique et en Russie ; société travaillée et
2543 e de l’Europe et de ses prolongements en Amérique et en Russie ; société travaillée et formée par une polémique millénaire
2544 nts en Amérique et en Russie ; société travaillée et formée par une polémique millénaire entre le sacré, créateur des tabo
2545 e millénaire entre le sacré, créateur des tabous, et le profane, qui naît de leur violation, mais aussi entre la sagesse e
2546 ît de leur violation, mais aussi entre la sagesse et la politique, la grâce et le mérite, la mystique et la morale, la cro
2547 aussi entre la sagesse et la politique, la grâce et le mérite, la mystique et la morale, la croyance et la science, l’abs
2548 la politique, la grâce et le mérite, la mystique et la morale, la croyance et la science, l’absolu et le raisonnable, enf
2549 le mérite, la mystique et la morale, la croyance et la science, l’absolu et le raisonnable, enfin l’amour-passion et le m
2550 et la morale, la croyance et la science, l’absolu et le raisonnable, enfin l’amour-passion et le mariage. N’en sommes-nous
2551 l’absolu et le raisonnable, enfin l’amour-passion et le mariage. N’en sommes-nous pas au point de notre évolution où, tout
2552 usions religieuses, névrotiques ou sentimentales, et soumis par l’intermédiaire d’analyses toujours plus indiscrètes aux r
2553 toujours plus indiscrètes aux règles de l’hygiène et de la sociologie — tout nous semble permis de ce qui ne nuirait pas à
2554 semble permis de ce qui ne nuirait pas à la santé et à la productivité ? (Tout le reste étant, d’ailleurs, de mieux en mie
2555 yais, il y a vingt ans, quand j’écrivais L’Amour et l’Occident , qu’une culture trop consciente de ses fins et moyens, c’
2556 dent , qu’une culture trop consciente de ses fins et moyens, c’est-à-dire trop sociologique, ne laisserait plus de place à
2557 au xiie siècle par les troubadours du Languedoc et romancé par les Bretons. C’était faire trop d’honneur aux seuls tabou
2558 r aux seuls tabous moraux de l’époque victorienne et bourgeoise, et aux succès des analystes et des marxistes, qui vivent
2559 ous moraux de l’époque victorienne et bourgeoise, et aux succès des analystes et des marxistes, qui vivent à leurs dépens
2560 rienne et bourgeoise, et aux succès des analystes et des marxistes, qui vivent à leurs dépens depuis un demi-siècle. D’aut
2561 morale du Jour au nom de la mystique de la Nuit, et la vie d’action raisonnable au nom de l’extase et de la mort enthousi
2562 et la vie d’action raisonnable au nom de l’extase et de la mort enthousiasmante. I. Trois vrais romans d’amour-passion,
2563 vers ce milieu du siècle par l’Europe, l’Amérique et la Russie. De chacune d’elles on a pu dire, non sans raison, qu’elle
2564 impériale, ou des États-Unis, ou de la Révolution et de ses suites en URSS. Mais chacune d’elles aussi a pu être décrite c
2565 ladimir Nabokov, s’intitule « Le dernier amant ». Et l’héroïne de L’Homme sans qualités de Robert Musil, dit à plusieurs r
2566 obert Musil, dit à plusieurs reprises d’elle-même et de son frère : « Nous aurons été les derniers romantiques de l’amour…
2567 e je ne suis pas le dernier à subir les prestiges et le charme fatal. Est-il besoin de souligner que ce grand thème est l’
2568 les trois œuvres que je considère dans ces pages. Et l’on ne sent que trop les bonnes et graves raisons que j’ai de redout
2569 ns ces pages. Et l’on ne sent que trop les bonnes et graves raisons que j’ai de redouter que leur simple rapprochement cho
2570 approchement choque le sens esthétique du lecteur et révolte son sens moral… Mais il se peut aussi que l’incongruité d’une
2571 s significative l’action du mythe qui s’y trahit, et qui est leur seule commune mesure. Je ne m’attacherai donc, dans ces
2572 e je l’aime, malgré tout ce qui m’irrite en elle, et en dépit de ce qu’elle veut être et croit qu’elle est. Son immaturité
2573 rite en elle, et en dépit de ce qu’elle veut être et croit qu’elle est. Son immaturité perverse me fascine. Le scandaleux
2574 ita n’a pas 13 ans. Cependant, mon héros l’enlève et il fuit avec elle, de motel en hôtel, à travers tout le continent amé
2575 ravers tout le continent américain qu’il découvre et décrit ainsi mieux que personne, dans le même temps qu’il se voit rej
2576 ’il se voit rejeté par le milieu social, ses lois et ses coutumes. Abandonné par sa nymphet, il commet un crime de dément
2577 onné par sa nymphet, il commet un crime de dément et meurt ivre d’amour, dans sa prison, après avoir écrit ce livre posthu
2578 obert Musil. — J’ai aimé mon Autriche « impériale et royale » d’un amour exigeant, lucide et ironique. Mais elle appartena
2579 impériale et royale » d’un amour exigeant, lucide et ironique. Mais elle appartenait à un milieu social, à un clan politiq
2580 partenait à un milieu social, à un clan politique et culturel à la fois décadent et conventionnel, qui devait la livrer à
2581 un clan politique et culturel à la fois décadent et conventionnel, qui devait la livrer à la guerre, puis à pire. Je l’ai
2582 e. Aimant sa sœur, Ulrich veut toucher l’interdit et posséder l’inaccessible, qui est le plus vrai, puisqu’il ouvre l’accè
2583 Boris Pasternak. — J’aime passionnément ma Russie et je voudrais en être aimé, comme le docteur Jivago aime Lara et en est
2584 s en être aimé, comme le docteur Jivago aime Lara et en est aimé. Mais, comme Lara, la Russie a dû suivre un Maître cyniqu
2585 mme Lara, la Russie a dû suivre un Maître cynique et brutal, qui l’a séduite et humiliée. Il m’interdit de lui parler. Je
2586 ivre un Maître cynique et brutal, qui l’a séduite et humiliée. Il m’interdit de lui parler. Je lui dis pourtant mon amour
2587 mour sous le couvert d’un roman plein d’allusions et de symboles qu’elle comprendra. Et voici que l’on fait un triomphe à
2588 in d’allusions et de symboles qu’elle comprendra. Et voici que l’on fait un triomphe à ma déclaration d’amour ! Le Maître
2589 ’est au nom de celle que j’aime qu’il me repousse et qu’il menace de m’exiler. Mais tel est mon amour que je saurai mentir
2590 ans : vous regardez longuement ce visage de femme et , peu à peu, c’est un paysage, c’est un pays, c’est une société tout e
2591 ciété tout entière qui transparaît, se recompose, et envahit tout le tableau. Vous reprenez votre lecture et, non, c’était
2592 ahit tout le tableau. Vous reprenez votre lecture et , non, c’était vraiment une femme… Qu’est-ce que l’auteur a voulu dire
2593 lu dire ? Tout ce que nous voyons là, sans doute, et plus encore. S’il avait pu le dire autrement, il l’aurait fait (et no
2594 ’il avait pu le dire autrement, il l’aurait fait ( et nous ne le lirions pas). Mais la réponse de l’écrivain ne suffit pas,
2595 ires, ou deux sphères d’imagination. Elle exprime et traduit irrésistiblement l’ambiguïté fondamentale de la passion, anti
2596 ge permanent hors duquel elle n’existerait point, et dont ce milieu même circonscrit l’occasion, dicte l’objet ou fournit
2597 s de l’analyse mythologique proposée par L’Amour et l’Occident . II. « Lolita » ou le scandale « Entre les limites
2598 ou le scandale « Entre les limites d’âge de 9 et 14 ans apparaissent des fillettes qui, aux yeux de certains voyageurs
2599 humaine mais nymphique (entendons : démoniaque) ; et , pour ces créatures choisies, je propose le nom de nymphets. » Lolita
2600 , je propose le nom de nymphets. » Lolita, 12 ans et 7 mois, a le charme inquiétant, l’impudeur innocente et la pointe de
2601 ois, a le charme inquiétant, l’impudeur innocente et la pointe de vulgarité qui caractérisent la nymphet. Humbert Humbert,
2602 le séduit ! Commence la longue fuite du beau-père et de la fille, traqués par leur secrète culpabilité, d’un bout à l’autr
2603 tuera. À 17 ans, mariée depuis peu avec un jeune et brave technicien, elle meurt en couches, quelques semaines après Humb
2604 e scandaleux du roman, car il apparaît essentiel, et l’auteur ne manque pas une occasion de le souligner et de l’accentuer
2605 auteur ne manque pas une occasion de le souligner et de l’accentuer, soit en accablant son héros dans une préface d’ailleu
2606 s sens, se métamorphose en passion. C’est d’abord et surtout le scandale évident, le caractère profanateur de l’amour de H
2607 ences profondes qui séparent ce roman sarcastique et pétulant de la sombre épopée, simple et drue, d’un Béroul. Qu’on ne s
2608 rcastique et pétulant de la sombre épopée, simple et drue, d’un Béroul. Qu’on ne s’y trompe pas : le roman de Tristan n’ét
2609 ue ne l’est aujourd’hui Lolita. Ce que l’habitude et l’illusion anachronique, aidées par la version moderne de Bédier, nou
2610 r la touchante histoire d’un amour presque chaste et conçu fortuitement hors du mariage, recélait à vrai dire, pour les le
2611 rdalie truquée, violation répétée des allégeances et de la foi jurée, profanation du sacré féodal et des sacrements cathol
2612 s et de la foi jurée, profanation du sacré féodal et des sacrements catholiques, faux serments, sorcellerie, magie noire.
2613 e de la jeunesse, modes passagères dont l’édition et le cinéma me paraissent profiter davantage que la société n’en pâtit.
2614 ans, un Edgar Poe qui épouse une fille de 14 ans, et le génial Lewis Carroll : Alice au pays des merveilles est née de l’a
2615 clergyman, mais avoué par certains de ses poèmes et trahi par les plaisanteries souvent féroces de ses lettres à des peti
2616 jour l’élan mortel, secret de l’amour tristanien. Et l’absence de sacré exténue les passions, que la conscience d’une prof
2617 ygiène scientifique : l’amour des petites nymphes et l’inceste. Ces deux amours seraient-ils contraires à la nature ? On l
2618 les voit largement pratiqués dans le monde animal et dans la grande majorité des sociétés humaines connues, les classes bo
2619 une petite fille de 9 ans qui s’appelait Annabel, et qui mourut bientôt — rappel de Poe. Ainsi, l’Éros de cet adulte, par
2620 e doublement inaccessible par la différence d’âge et par l’idée de la mort. C’est ainsi que la « nymphet » peut devenir le
2621 du désir infini qui échappe aux rythmes naturels et joue le rôle d’un absolu préférable à la vie elle-même. La possession
2622 ’un amour interdit qui les exile de la communauté et les consume sans les unir vraiment, on aura reconnu les grands moment
2623 man le donnent à croire, allusions aux péripéties et situations les plus typiques de la légende de Tristan. Mais il est cu
2624 e rappelle le ton lugubre de destin, la « vieille et grave mélodie » qui marque la mort de la mère dans Tristan !) Le nom
2625 mnifère que H. H. fait prendre par ruse à Lolita, et qui se révèle d’ailleurs trop faible, le médecin qui l’a procuré s’ét
2626 nt trompé son client. (Inversion point par point, et que l’on peut croire délibérée, du récit de l’erreur « fatale » de Br
2627 histoire, mais uniquement par la magie de l’Éros, et il le dit75. Comme dans Tristan, « les amants fuient le monde et lui,
2628 Comme dans Tristan, « les amants fuient le monde et lui, eux ». Enfin, comme dans Tristan, ils meurent à peu de temps l’u
2629 fut grandiose, dans les versions du xiie siècle et dans Wagner, la Mort des Amants légendaires. C’est qu’en réalité, H.
2630 es Amants légendaires. C’est qu’en réalité, H. H. et Lolita n’ont jamais connu ce que j’appelle « l’amour réciproque malhe
2631  ». Lolita n’a jamais répondu à la passion tendre et sauvage de son aîné. De là l’échec du Mythe et par compensation le to
2632 re et sauvage de son aîné. De là l’échec du Mythe et par compensation le ton « férocement facétieux » du roman, son réalis
2633 nt facétieux » du roman, son réalisme impitoyable et ses plaisanteries un peu folles, sauvées (de justesse parfois) de la
2634 Iseut, le roman réaliste eût fait place au poème et la satire sociale au lyrisme intérieur. L’hypothèse n’est pas arbitra
2635 es irritations de l’auteur, on acclame sa syntaxe et son vocabulaire, on rit souvent, on n’est jamais ému. Tel qu’il est,
2636 ouvrage parfait reste, aussi, un Tristan manqué. Et cela tient à l’immaturité de l’objet même de la passion décrite ; mai
2637 te ; mais sans cette immaturité, point d’obstacle et donc point de passion… Peut-être le livre, après tout, n’est-il vraim
2638 t vicieux que par ce cercle. III. Robert Musil et le « règne millénaire » Ingénieur, officier, philosophe, écrivain,
2639 ce lieu où j’écris, — j’étais alors en Amérique — et son œuvre, en partie posthume, ne cessera de monter à l’horizon mondi
2640 ines, des rôles sociaux, des problèmes de l’amour et des buts de la vie confèrent aux deux-mille pages de son dernier gran
2641 epuis l’œuvre de Proust, mieux achevée sans doute et d’accès combien plus facile, mais d’une moindre vertu spirituelle. J’
2642 J’aurais aimé parler de Musil, mais de lui seul… Et j’ai quelque scrupule à le faire figurer dans un contexte qu’il dépas
2643 respondances avec celui de mes analyses du Mythe, et d’une précision si constante qu’elle me permettra, bien souvent, de s
2644 de l’amour interdit qui unira ses héros : Ulrich et Agathe, frère et sœur. Admirable coïncidence, qu’il faut bien attribu
2645 dit qui unira ses héros : Ulrich et Agathe, frère et sœur. Admirable coïncidence, qu’il faut bien attribuer à la logique d
2646 de deux œuvres à ce point inégales par le climat et l’ambition. Ulrich von X. converse avec sa sœur Agathe, dont il sent
2647 ur Agathe, dont il sent qu’il commence à l’aimer, et lui raconte, sans trop savoir pourquoi, ce souvenir : C’était dans u
2648 fui. Puis je suis descendu derrière la fillette, et je l’ai perdue dans la foule… — Comment accordes-tu cela, dit Agathe,
2649 n’existe plus, que seules demeurent la sexualité et la camaraderie ? — Cela ne s’accorde pas du tout ! s’écria Ulrich en
2650 nt. On voit que l’amour-passion est seul en jeu, et que le seul exemple qu’en trouve le héros est celui de l’attrait « mo
2651 t d’ailleurs traduire « des relations déficientes et tendues avec le monde », Ulrich conte à nouveau l’histoire de « la fe
2652 en serait capable engagerait la créature désarmée et inachevée encore, dans des histoires pour quoi elle n’est pas faite.
2653 ait faire abstraction de l’immaturité de ce corps et de cet esprit en formation, jouer sa passion avec un partenaire muet
2654 rmation, jouer sa passion avec un partenaire muet et caché…77 C’est une tout autre attitude, avec de tout autres suites !
2655 out autre attitude, avec de tout autres suites ! Et , comme il sent encore une sorte de réprobation, jalouse peut-être, ch
2656 ne fuite devant la vie, un refuge pour la lâcheté et une caverne de vices, comme beaucoup le prétendent. Je crois que l’hi
2657 dent. Je crois que l’histoire de la petite fille, et tous les autres exemples dont nous avons parlé, loin de relever de la
2658 e profane, une insubordination, un désir démesuré et démesurément passionné d’amour ! L’expérience impossible dans laquel
2659 d’un besoin d’amour « délivré des contre-courants et des aversions sociales et sexuelles » : Il rêvait d’une femme absolu
2660 vré des contre-courants et des aversions sociales et sexuelles » : Il rêvait d’une femme absolument inaccessible. Elle fl
2661 a sœur Agathe, retrouvée après de longues années, et qui, fuyant son mari, vient habiter le petit hôtel rococo qu’il possè
2662 s les années où Ulrich avait cherché sa voie seul et non sans insolence, le mot de sœur avait été chargé pour lui d’une no
2663 amais songé alors qu’il possédait une sœur réelle et vivante… Incontestablement, des phénomènes analogues sont fréquents.
2664 animal quelconque, ou se tournera vers l’humanité et le prochain. De Chateaubriand à d’Annunzio et à Thomas Mann, en pass
2665 té et le prochain. De Chateaubriand à d’Annunzio et à Thomas Mann, en passant par le romantisme allemand, français et ang
2666 , en passant par le romantisme allemand, français et anglais, on sait assez la fortune littéraire de cette forme d’amour i
2667 connut peut-être les derniers prestiges. La lente et fascinante histoire de la prise de conscience, puis du choix de cet a
2668 impitoyable des réflexions échangées par le frère et la sœur, la qualité de leurs exigences morales et de leurs nostalgies
2669 et la sœur, la qualité de leurs exigences morales et de leurs nostalgies spirituelles composent un philtre d’une efficacit
2670 s la littérature contemporaine. Ce n’est pas René et ce n’est pas Byron, ce n’est pas décadent ni scandaleux. S’agirait-il
2671 moins d’un inceste que des relations entre Animus et Anima, comme l’avancent des commentateurs ? Il ne s’agit, pour moi, q
2672 ême de la « dernière histoire d’amour possible », et d’une admirable analyse du spectre spirituel de l’Occident. Voici la
2673 rituel de l’Occident. Voici la dialectique d’Éros et d’Agapè, la lutte entre l’élan qui porte l’homme vers l’ange, et le d
2674 lutte entre l’élan qui porte l’homme vers l’ange, et le devoir d’aimer le prochain, fondement de toute société. Avec une
2675 lative, il s’avoua que les relations entre Agathe et lui avaient comporté dès le début une bonne dose d’aversion pour la s
2676 début une bonne dose d’aversion pour la société… Et Musil, dans une note pour l’un des chapitres non terminés, ajoute :
2677 athe) parce que je ne puis aimer les autres. Dieu et l’antisocial. Dès le début, son amour pour Ulrich a mobilisé son host
2678 à l’égard du monde. Le moment négateur du monde et du social, inhérent à toute vraie passion, n’apparaît cependant, aux
2679 mme un contrecoup accidentel. Ils veulent brûler. Et ils croient découvrir, aux époques les plus différentes, que c’est l’
2680 at présent de la société qui condamne la passion, et rabat au mariage. Notre temps, qui a probablement perdu la notion de
2681 nastique, des « révolutions de la vie sexuelle », et veulent aider les hommes à être mariés, et néanmoins contents. L’homm
2682 lle », et veulent aider les hommes à être mariés, et néanmoins contents. L’homme et la femme n’y sont plus que « porteurs
2683 mes à être mariés, et néanmoins contents. L’homme et la femme n’y sont plus que « porteurs de germe mâle ou femelle » ou e
2684 le ou femelle » ou encore « partenaires sexuels » et l’on baptise « problème sexuel » l’ennui qu’il s’agit de bannir de le
2685 rend son essor : thèmes du regard, de la tempête, et de l’épée de chasteté entre les corps : Lorsque leurs regards se cro
2686 une seule certitude : c’est que tout était décidé et que tous les interdits, maintenant, leur étaient indifférents… Chacun
2687 plissement étaient bien près de se détacher d’eux et les unissaient déjà dans leur imagination, comme la tempête, devant l
2688 gence plus forte encore leur commandait le calme, et ils furent incapables de se toucher de nouveau. L’équivoque essentie
2689 que essentielle entre l’amour projeté sur l’autre et le refus de la possession qui mettrait un terme au désir, explique le
2690 er toi, cette personne qui a provoqué la passion, et qu’on peut prendre dans ses bras, alors que ce qu’on aime réellement
2691 re qu’on n’aime pas réellement la personne réelle et qu’on aime réellement une personne irréelle ? — Là est le nœud de l’a
2692 ersonne réelle doit représenter la personne rêvée et même ne faire qu’un avec elle. D’où les innombrables confusions qui d
2693 ut travesti, comme dans l’importance de l’unisson et de la répétition de soi dans l’autre… Les grandes, les implacables pa
2694 en ses bras maternels toutes les contradictions, et sur son cœur, il n’est plus de parole vraie ou fausse, chacune étant,
2695 ssés, inconciliables. Première version : le frère et la sœur cèdent à leur amour, réfugiés sans passeports dans une île de
2696 debout maintenant sur un haut balcon, entrelacés et enlacés à l’indicible comme deux amants qui, l’instant d’après, se pr
2697 précipiteront dans le vide. Ils se précipitèrent. Et le vide les porta. L’instant demeura immobile, sans monter ni descend
2698 emeura immobile, sans monter ni descendre. Agathe et Ulrich ressentirent un bonheur dont ils ne savaient pas si c’était de
2699 limitatives s’étaient perdues toutes les limites et , comme ils ne percevaient plus aucune séparation, ni en eux ni dans l
2700 is ans, ils découvrent que le monde existe encore et les appelle… « Deh ! dit Tristan, quelle départie ! » Mais il y a plu
2701 de Musil s’attaque ici à la formule même du Roman et la détruit. Si la passion ne conduit pas à la mort, si le Jour peut r
2702 ience de l’amour interdit échoue dans la réalité, et le Roman dans l’analyse psychologique la plus banale et déprimante. C
2703 Roman dans l’analyse psychologique la plus banale et déprimante. C’est pourquoi Musil semble bien avoir écarté cette fin-l
2704 se rien qu’une longue conversation entre le frère et la sœur qui s’aiment, dans leur jardin où choit sans fin du haut des
2705 ût pris la place de l’Île de la passion mortelle. Et le Voyage au Paradis de l’ancienne ébauche fût devenu le « Voyage ver
2706 s les thèmes constants de la passion sont apparus et ont grandi l’un après l’autre, pour s’évanouir ensuite comme des îles
2707 e, chacun sait cela depuis qu’on écrit des romans et qui passionnent. Mais cette convention littéraire, condamnant le mari
2708 bien autrement redoutable, aux yeux de l’écrivain et du lecteur, que toute espèce d’inceste ou de passion maudite ? L’érot
2709 bre vont aux romans écrits à la première personne et par une femme, décrivant des situations quotidiennes et des sentiment
2710 une femme, décrivant des situations quotidiennes et des sentiments normaux que « chacun a vécus ou pourrait vivre », évit
2711 itant l’exotisme, louant le way of life américain et confirmant sa morale optimiste. Tels étant les goûts du public, telle
2712 tuations révolutionnaires, l’autre des sentiments et obsessions que bien peu d’hommes et moins encore de femmes ont pu viv
2713 es sentiments et obsessions que bien peu d’hommes et moins encore de femmes ont pu vivre aux États-Unis ; l’un raillant cr
2714 ; tous les deux s’achevant sur un échec tragique, et condamnant implicitement la société qui écrase le personnage central.
2715 n qu’on peut l’attribuer à des motifs accidentels et différents, scandale moral dans le cas de Lolita, manifestation polit
2716 e exactement) qu’un roman soit vraiment un roman, et nous passionne ? Les préférences qu’avoue le public interrogé devraie
2717 meure mal vu, mais n’en fascine que mieux l’homme et la femme du xxe siècle américain, nonobstant les progrès de l’éducat
2718 n, nonobstant les progrès de l’éducation sexuelle et la préparation rationnelle au mariage dès les bancs de l’école primai
2719 Jivago l’objet d’une polémique mondiale où l’URSS et l’Ouest s’affrontent une fois de plus, pour des raisons, d’ailleurs,
2720 ’entends le drame entre l’auteur, le peuple russe et le régime, drame préfiguré dans le roman lui-même, que j’interprète c
2721 x Nobel le couronne parce que c’est un beau livre et parce que son auteur est resté un homme libre. Il est normal que l’UR
2722 icat des écrivains déguise en loyauté sa jalousie et rejette le glorieux confrère en le couvrant d’insultes officielles. D
2723 s’ensuit, hommages en Occident, outrages en URSS et lettres de cosaques zaporogues au Kremlin, tout est scandaleusement n
2724 res de ma patrie équivaudrait pour moi à la mort, et c’est pourquoi je vous supplie de ne pas prendre à mon égard cette me
2725 r, que j’ai contribué à la littérature soviétique et que je puis encore lui être utile. » Il a refusé le prix, il est prêt
2726 cte politique, comme on a voulu le croire de part et d’autre. Sensible à la présence cachée d’une logique totalement diffé
2727 elle qui dicte normalement les prises de position et gestes politiques, mais n’ayant encore lu, lorsqu’éclata la crise, qu
2728 tait retenu dans son pays par une passion secrète et sans doute interdite ; comme s’il préférait tout, y compris le reniem
2729 ût-il vivre auprès de lui dans un silence humilié et sans espoir. Mais quelle peut être la nature de cette « Iseut » inacc
2730  » inaccessible, dont il semble être le Tristan ? Et quel est le roi Marc qui l’en sépare ? Je me mis à lire plus avant. U
2731 s un hôpital, mais elle épouse un révolutionnaire et disparaît. Jivago la retrouve beaucoup plus tard. Leur amour se décla
2732 r réussit à rejoindre Moscou, où il vit misérable et caché. Il épouse sans amour une jeune fille qui s’occupait de son mén
2733 ille qui s’occupait de son ménage, puis la quitte et meurt dans la foule. Inexplicablement reparue à cette heure, Lara vie
2734 urer sur son cadavre. Elle est arrêtée peu après, et va mourir en Sibérie. Ainsi, tous les moments de la Légende transpara
2735 i, tous les moments de la Légende transparaissent et se recomposent l’un après l’autre, avec une mystérieuse précision. Is
2736 emps depuis Tristan, depuis l’épiphanie grandiose et décisive de l’archétype de la passion, au xiie siècle. Écoutez-la, c
2737 ion, au xiie siècle. Écoutez-la, cette « vieille et grave mélodie » renouvelée du Tristan de Wagner. Jivago s’adresse à L
2738 à l’autre nos paroles secrètes de la nuit, grande et pacifique comme le nom de l’océan d’Asie. Ce n’est pas un hasard si t
2739 ecret, mon ange interdit, sous un ciel de guerres et d’insurrections ; il y a bien longtemps, au commencement de ma vie, s
2740 fois de plus, la passion sépare du monde : Jivago et Lara détestent « les principes d’un culte menteur de la société, tran
2741 ant, dit Jivago, « il perdrait sa raison de vivre et peut-être même la vie ». Exagération romantique ? Non, c’est la vérit
2742 ir elle est transpercée par le feu du couchant », et les scènes décisives de ce roman de poète sont toujours éclairées par
2743 ar le même soleil rouge sortant au bas des nuages et rasant la forêt de ses derniers rayons. C’est cette image qui lui fai
2744 ant, dans tout le monde visible le visage immense et innocent d’une petite fille ». Mais voici l’aveu décisif ; et cette a
2745 d’une petite fille ». Mais voici l’aveu décisif ; et cette ambiguïté qui m’arrêtait (parlent-ils donc, ces romanciers, d’u
2746 e pour montrer que l’espace est palpitant de vie. Et ce lointain, c’est la Russie, cette mère glorieuse, incomparable, don
2747 éclats toujours imprévisibles, à jamais sublimes et tragiques ! Oh ! comme il est doux d’exister. Comme il est doux de vi
2748 ’exister. Comme il est doux de vivre sur la terre et d’aimer la vie ! Oh ! comme l’on voudrait dire merci à la vie même, à
2749 e même, à l’existence même, le leur dire à elles, et en face. Oui, Lara, c’est tout cela. Puisqu’on ne peut communiquer pa
2750 sentante, leur symbole. Elle est à la fois l’ouïe et la parole offertes en don aux principes muets de l’existence. Dès ce
2751 instant, dès cet aveu, dès que l’identité de Lara et de la Russie est expressément déclarée, tout s’éclaire de ce qui vien
2752 urner à son profit le Pouvoir né de la révolution et qui va confisquer Lara) offre l’exil à Jivago. Ce dernier lui répond,
2753 à bout de forces, je devrai étouffer mon orgueil et mon amour-propre, et me traîner humblement à vos pieds pour recevoir
2754 devrai étouffer mon orgueil et mon amour-propre, et me traîner humblement à vos pieds pour recevoir de vos mains Lara, la
2755 maintenant, c’est de vous approuver machinalement et de m’en remettre à vous aveuglément. Ainsi, pour le bien de Lara, je
2756 de Lara, je vais jouer la comédie… V. Passion et Société Toute passion se nourrit de négation, parce qu’elle assume
2757 sion se nourrit de négation, parce qu’elle assume et souffre l’exception, au sens kierkegaardien du terme. Elle exile celu
2758 dans nos trois romans tristaniens, de la Société et de ses conventions ; d’où la critique mordante à laquelle les soumet
2759 du passionné est dirigée contre le social en soi, et non point provoquée par la nature particulière du régime politique au
2760 traint de violer le sacré féodal, devient traître et félon et se voit exilé de la communauté des preux, non point parce qu
2761 violer le sacré féodal, devient traître et félon et se voit exilé de la communauté des preux, non point parce qu’il appro
2762 lu : l’état de passion. J’ai montré dans L’Amour et l’Occident comment cet état préexiste à tout objet déterminé, commen
2763 t dans lequel les vrais amants, poètes, mystiques et créateurs, voudraient se maintenir une fois qu’ils l’ont connu, tout
2764 tarissable — lettres d’amour, traités mystiques — et procédant généralement par antithèses et paradoxes. Car on n’aura jam
2765 tiques — et procédant généralement par antithèses et paradoxes. Car on n’aura jamais assez de mots et de métaphores, et de
2766 et paradoxes. Car on n’aura jamais assez de mots et de métaphores, et de clichés réinventés, et de symboles entrecroisés
2767 on n’aura jamais assez de mots et de métaphores, et de clichés réinventés, et de symboles entrecroisés pour tenter de cer
2768 mots et de métaphores, et de clichés réinventés, et de symboles entrecroisés pour tenter de cerner cet indicible qu’on vo
2769 r ou l’autre, la différence entre un désir sexuel et l’état d’âme ou mieux : l’état d’être amoureux. La passion amoureuse
2770 qui se prête le mieux au récit. La sexualité pure et l’amour du prochain ne sont vrais qu’en acte, et leur description enn
2771 et l’amour du prochain ne sont vrais qu’en acte, et leur description ennuie vite. La passion de l’Éros est vraie d’abord
2772 . La passion de l’Éros est vraie d’abord en rêve, et n’existe peut-être jamais mieux que dans l’élan lyrique de son récit.
2773 tre à la littérature par une complicité d’origine et d’essence, l’amour-passion, nous l’avons vu, n’est guère moins dépend
2774 st remarquable que la passion n’utilise interdits et tabous qu’au moment où ceux-ci commencent à faiblir, où les violer es
2775 l’histoire qu’au temps où la réforme grégorienne et les abus qu’elle combattait venaient de dresser contre les lois matri
2776 e les meilleures chances à la fois de se déclarer et de propager sa contagion. Il y a plus. La nature des interdits sociau
2777 terdits sociaux détermine le niveau psychologique et le style même d’un roman. Le Docteur Jivago, par exemple, est de beau
2778 ploie tant de raffinements formels, intellectuels et même mystiques, qu’il échappe à la fin au romanesque et nous fait ent
2779 e mystiques, qu’il échappe à la fin au romanesque et nous fait entrevoir un genre nouveau, qui pourrait intégrer dans la l
2780 r dans la littérature les démarches de la science et de la psychologie les plus récentes. C’est que la nature des obstacle
2781 cles diffère du tout dans les deux cas. Politique et sociale en URSS, donc extérieure, plus primitive en quelque sorte, el
2782 le s’intériorise, l’action devient introspection, et l’intrigue aventure spirituelle… Ce processus est-il irréversible ? F
2783 e provoquer les épiphanies romanesques de Tristan et de l’amour-passion ? Le totalitarisme soviétique et le conformisme de
2784 de l’amour-passion ? Le totalitarisme soviétique et le conformisme des mœurs dans les démocraties de l’Occident ne sont p
2785 e l’homme du xxe siècle, que ceux que la Science et l’Hygiène pourraient faire prononcer par l’État. La passion qui voudr
2786 ’imagine parfois d’autres obstacles, plus subtils et tenaces que les tabous sociaux. J’y ai fait allusion à propos de Musi
2787 l est vrai que la passion cherche l’inaccessible, et s’il est vrai que l’Autre en tant que tel reste aux yeux d’un amour e
2788 mour exigeant le mystère le mieux défendu, — Éros et Agapè ne pourraient-ils nouer une alliance paradoxale au sein même du
2789 accepté ? Tout Autre n’est-il pas l’inaccessible, et toute femme aimée une Iseut, même si nul interdit moral ou nul tabou
2790 ne vient symboliser, pour les besoins de la fable et la commodité du romancier, l’essence même de l’obstacle excitant, cel
2791 74. D’une manière implicite ou voilée dans Béroul et Thomas, explicite et agressive dans Gottfried de Strasbourg, dont s’i
2792 licite ou voilée dans Béroul et Thomas, explicite et agressive dans Gottfried de Strasbourg, dont s’inspira Wagner. 75. «
45 1959, Preuves, articles (1951–1968). Sur une phrase du « Bloc-notes » (mars 1959)
2793 que le drapeau à croix gammée flotte sur Hambourg et que la jeunesse allemande a oublié les Camps, en déduit dans l’Expres
2794 lations actuelles, erreur sur la jeunesse de l’un et de l’autre pays et sur leurs « nostalgies secrètes », erreur sur le m
2795 erreur sur la jeunesse de l’un et de l’autre pays et sur leurs « nostalgies secrètes », erreur sur le militarisme éternel
2796 eur sur le militarisme éternel du peuple allemand et sur le pacifisme actuel de certains colonels français, erreur sur l’E
2797 e certains colonels français, erreur sur l’Europe et sa situation dans le monde présent, erreur sur les motifs des « Europ
2798 Il en déduit que de Gaulle n’est pas un dictateur et je l’encourage dans cette idée, tout en le poussant à étudier la biog
2799 celui que vous remerciez d’avoir sauvé la France et réconforté le peuple allemand en le coupant en deux tronçons. J’euss
2800 el bonheur de pouvoir vous rappeler que la France et l’Allemagne ayant mis en commun non seulement leur charbon et leur ac
2801 ne ayant mis en commun non seulement leur charbon et leur acier, mais encore leurs wagons et leurs avions, si elles décida
2802 r charbon et leur acier, mais encore leurs wagons et leurs avions, si elles décidaient de se battre, elles ne pourraient p
2803 ne pourraient plus le faire qu’à coups de bâtons et de pages de rhétorique. Déroulède est bien mort, Aragon ne suffit pas
2804 me plus sérieux : je ne le crois pas du tout naïf et vous ne l’accuserez pas d’hypocrisie. Mais alors de qui parlez-vous ?
2805 Cette union de l’Europe que réclamaient Churchill et les fédéralistes issus de la Résistance, dès les congrès de Montreux
2806 sus de la Résistance, dès les congrès de Montreux et de La Haye, elle avait pour premier objectif d’empêcher que la France
2807 it pour premier objectif d’empêcher que la France et l’Allemagne reposent leur « problème éternel » dans les termes où vou
2808 t. Un tout autre problème a surgi : celui du rôle et de la fonction de l’Europe dans le monde du xxe siècle, à l’échelle
2809 opéens » ont la naïveté de situer leur continent, et l’hypocrisie d’évaluer ses problèmes. Vous me direz que vous ne pensi
2810 réunion s’opère un jour, en dépit de vos craintes et de celles de Khrouchtchev, comment la rendre inoffensive ou bénéfique
2811 solution ? Le vrai danger, c’est notre désunion. Et non seulement devant une grande Allemagne hypothétique, que nos méfia
2812 mais devant des coalitions non moins redoutables et beaucoup plus réelles ; et surtout devant des tâches économiques, édu
2813 non moins redoutables et beaucoup plus réelles ; et surtout devant des tâches économiques, éducatives et spirituelles, d’
2814 surtout devant des tâches économiques, éducatives et spirituelles, d’une ampleur telle qu’aucun de nos pays, fût-il la Fra
2815 i m’inquiète, cette attaque en passant, gratuite… Et qu’elle vienne après tant de silence, après tant de phrases que vous
2816 tant de phrases que vous n’aurez jamais écrites — et dont je vous rends l’hommage de vous tenir comptable — en faveur de l
2817 le — en faveur de l’union de notre Europe menacée et des ouvriers de sa cause. Vous pouvez plus que d’autres. Vos omission
2818 a, condamné par un tribunal siégeant en plein air et de nuit. La scène est éclairée par des phares de camions. Des millier
2819 ert une tranchée de 40 pieds de long, 10 de large et 10 de profondeur ; 70 condamnés, préalablement confessés par 6 prêtre
2820 tres, sont conduits deux par deux devant la fosse et fusillés. Ici je cite : « Le lieutenant de police Enrique Despaigne,
2821 si l’on en juge par les photos extraites du film et que le magazine donne en regard du texte. Deux enchaînements de faits
2822 un peuple pour la dignité, la justice, la liberté et la prospérité. Admettons que cette cause excuse ce massacre. Il y a d
2823 deux séries, tout devient d’un seul coup absurde et révoltant, tout sens humain éclate comme une ampoule de flash. L’exéc
2824 . (Imaginez l’attente du condamné passé vedette.) Et la photo devient ignoble parce que sérieuse comme la mort. Ce qui dev
2825 Tout est faux, insondablement faux, perd son sens et tourne au cauchemar, par la coïncidence absurde de deux « sens » qui
2826 nt en cause. Mais bien les auditeurs, spectateurs et lecteurs qui tolèrent qu’on les traite ainsi, qui paient pour ces div
2827 traite ainsi, qui paient pour ces divertissements et qui en redemandent. Ceux d’Amérique comme naguère ceux d’Europe (souv
46 1959, Preuves, articles (1951–1968). Rudolf Kassner et la grandeur (juin 1959)
2828 Rudolf Kassner et la grandeur (juin 1959)az Rudolf Kassner vient de mourir à l’âge d
2829 difficulté. (Il a traduit aussi Platon, Pouchkine et Gogol, Laurence Sterne et Newman, le Philoctète de Gide et les Éloges
2830 aussi Platon, Pouchkine et Gogol, Laurence Sterne et Newman, le Philoctète de Gide et les Éloges de Saint-John Perse.) Int
2831 Laurence Sterne et Newman, le Philoctète de Gide et les Éloges de Saint-John Perse.) Intimement lié avec Rilke et avec Ho
2832 s de Saint-John Perse.) Intimement lié avec Rilke et avec Hofmannsthal, il procède à la fois, par un étrange paradoxe, de
2833 alectique kierkegaardienne comme son cadet Kafka, et de la société autrichienne d’avant 1914 comme Robert Musil. Ces cinq
2834 s de Kassner, la seule littérature digne du nom ; et l’on ne s’étonnera pas que Kassner soit resté, jusqu’ici, le moins co
2835 es de Kassner, lus en français dans une précieuse et simple traduction79, lorsque j’essaie de me remémorer l’espèce de cho
2836 t — j’entends compris à la manière intellectuelle et discursive, ramenant à des catégories, à des clichés —, j’avais recon
2837 n « rassemblée », n’admettant que des gestes nets et maîtrisés, puis de la briser soudain par une cascade d’ellipses saisi
2838 je te dévore ! Une constante énergie de l’énoncé. Et une grande force d’exclusion. Seuls les mondains, pensais-je, savent
2839 l’égard du doute faible, de l’adjectif incertain, et en général des complaisances « artistes » ou des clichés philosophiqu
2840 en vertu d’une réflexion passionnément originale. Et je tentais de décrire — dans le premier article, je crois bien, publi
2841 lexion, l’alliage précieux de hauteur, de rigueur et de pitié humaine, la retenue presque solennelle mais qui sans cesse f
2842 ue solennelle mais qui sans cesse frôle l’humour, et parfois tourne en sournoise malice » qui composaient, au sens magique
2843 u sens magique du mot, les charmes de cette prose et son autorité. J’écrivais : Dans la mesure même où Kassner se montre
2844 orphose, miroir, limite, sacrifice, chance, drame et tension, ne sont guère définis que par leurs rapports mutuels et tire
2845 sont guère définis que par leurs rapports mutuels et tirent de cette interdépendance leur valeur originale. Kassner repren
2846 préromantisme allemand, l’opposition de l’antique et du moderne, non du point de vue littéraire comme on le fit en France,
2847 mme qui doit être surpassé, vit dans la démesure, et lorsqu’il « veut prendre mesure de lui-même, il se sent aussitôt inco
2848 mesure de lui-même, il se sent aussitôt incomplet et coupable. Il est donc possible de dire que le péché est la mesure du
2849 e de dire que le péché est la mesure du démesuré, et que pour le chrétien il n’est pas d’autre grandeur ». Ainsi le chréti
2850 e en tant que le péché crée une tension entre lui et Dieu. Mais le péché ne devient réalité que pour le converti ; c’est d
2851 e, ni grandeur, ni forme, mais seulement chimères et incohérence. Que l’on considère en effet l’homme moderne, l’homme san
2852 e naturelle : s’il ne retrouve pas de loi interne et de tension par le péché, il n’est plus qu’un être sans destinée, un I
2853 n Indiscret. « Sa substance interne est crevassée et divisée. Son œuvre souvent pleine de charme mais sans forme et sans b
2854 on œuvre souvent pleine de charme mais sans forme et sans but, peut bien nous stimuler, mais ne nous détermine jamais… Cet
2855 termine jamais… Cet homme indiscret est distrait, et sa distraction vient de l’intérieur… Il ne peut jamais sortir de son
2856 Il ne peut jamais sortir de son moi sans trahison et chaque manifestation de son essence intime ressemble par quelque côté
2857 à une impudeur. » À l’opposition du Beau objectif et de l’intéressant sentimental qui pour Schiller et surtout pour Schleg
2858 et de l’intéressant sentimental qui pour Schiller et surtout pour Schlegel symbolisait celle de l’antique et du moderne, K
2859 tout pour Schlegel symbolisait celle de l’antique et du moderne, Kassner répondrait aujourd’hui par l’opposition de la gra
2860 jourd’hui par l’opposition de la grandeur mesurée et de l’indiscrétion journalistique81. La férocité réfléchie qui préside
2861 enser n’est pas non plus s’ingénier sur des idées et des combinaisons d’idées : mais créer de tout son être spirituel des
2862 éer de tout son être spirituel des faits nouveaux et vrais, dans un certain style. Car il n’est point de vérité sans forme
2863 int de vérité sans forme. Quelques pages étranges et puissantes sur les chimères de Notre-Dame illustrent ce réalisme de l
2864 la forme, hors de quoi il n’est qu’indiscrétion, et qui livre la clé de la pensée de Kassner, comme aussi de son apparent
2865 d tout par des biais qui nous sont peu familiers. Et puis enfin, voilà une philosophie qui postule la vision, c’est-à-dire
2866 s créées ne soient concevables qu’en elles-mêmes, et comme à l’état sauvage, non par une explication qui les réduise et qu
2867 sauvage, non par une explication qui les réduise et qui les domestique. Une pensée neuve ne saurait être comprise à moins
2868 ironie à l’intérieur des choses, qui les fouille et les purifie, une ironie née de la rigueur et non du scepticisme. Le d
2869 ille et les purifie, une ironie née de la rigueur et non du scepticisme. Le dialogue de Laurence Sterne et du recteur Kroo
2870 on du scepticisme. Le dialogue de Laurence Sterne et du recteur Krooks sur Judas et la Parole est à cet égard d’une saveur
2871 de Laurence Sterne et du recteur Krooks sur Judas et la Parole est à cet égard d’une saveur particulièrement riche et comp
2872 t à cet égard d’une saveur particulièrement riche et complexe : « Les bavards ne tirent pas d’eux-mêmes toutes les paroles
2873 lus encore que leur conception de l’« existence » et que leur ironie, ce qui rapproche Kassner et son maître, c’est leur v
2874 ce » et que leur ironie, ce qui rapproche Kassner et son maître, c’est leur vision tragique du péché. Le Lépreux, journal
2875 s adversaires — Freud en particulier, dans Christ et l’Âme du monde — mais bien plutôt qu’à force d’approfondir leur domai
2876 ce d’approfondir leur domaine propre, il les mine et les ruine intérieurement ; ou encore les dissout dans une réalité plu
2877 bien que la conclusion ne peut être qu’implicite et fonction d’une hiérarchie de valeurs, non de la seule exactitude des
2878 ficulté, précisément, n’a pas cessé de me séduire et inciter. Je suppose qu’il est devenu banal de déplorer l’obscurité de
2879 t devenu banal de déplorer l’obscurité des essais et dialogues de Kassner. Elle est pourtant la garantie de leur pouvoir,
2880 r. Elle est pourtant la garantie de leur pouvoir, et ne saurait traduire, à mon avis, qu’une intention profondément délibé
2881 arlais tout à l’heure d’ellipses « saisissantes » et c’était au sens littéral, non pathétique, de l’adjectif. L’ellipse de
2882 ateur de l’Occident. Problème ambigu s’il en fut, et qui échappe par définition à la pensée systématique et discursive : p
2883 i échappe par définition à la pensée systématique et discursive : point de réponse rationnelle au cur deus homo de saint A
2884 de l’âme est de comparer », remarque Montesquieu, et il ajoute : Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c’est lorsq
2885 chose qui en fait voir un grand nombre d’autres, et qu’on nous fait découvrir tout d’un coup ce que nous ne pouvions espé
2886 er qu’après une grande lecture. Ainsi s’opposent et se comparent, dans ses dialogues, mesure antique et démesure moderne,
2887 se comparent, dans ses dialogues, mesure antique et démesure moderne, ou les grandes intuitions tautologiques de l’Inde e
2888 ou les grandes intuitions tautologiques de l’Inde et les conséquences « dramatiques » de l’incarnation de la Parole : par
2889 conclusion. Mais l’angle de vision s’est imposé. Et l’imagination, irrésistiblement, s’oriente vers le mystère crucial. S
2890 ne idée finalement plus favorable au Livre de Job et aux proverbes zen qu’à Lamartine ou même à Rilke, reconnaîtront dans
2891 ou même à Rilke, reconnaîtront dans les dialogues et les paraboles de Kassner son irréfutable présence. Bâtons rompus
2892 plus profondes admirations. Mais peut-être aussi, et surtout, parce que je m’étais fait de Kassner l’image d’un maître spi
2893 le qui avait été réelle dans mon esprit seulement et qui ne pouvait ni ne devait l’être autrement, je le voyais bien, je j
2894 que cette relation devait exclure tout bavardage et comporter quelque cérémonial : seul devant lui, se taire longtemps ap
2895 ait-on dans les couvents bouddhistes du Japon.)82 Et justement Kassner serrait deux cannes dans ses énormes mains d’infirm
2896 âtons rompus sur le dos des fervents indiscrets ! Et n’avais-je pas cédé à l’illusion banale qui veut que l’auteur et l’œu
2897 as cédé à l’illusion banale qui veut que l’auteur et l’œuvre soient pareils, alors qu’ils sont toujours en tension dialect
2898 disciplinée de dominer son grand malheur physique et de refuser que ce malheur l’isole dans la seule profondeur de sa visi
2899 rofondeur de sa vision83. D’où sa curiosité avide et amusée pour tous ceux que l’on pouvait connaître, ne fût-ce que de ré
2900 rope, en Russie, en Inde. Il ne cessait de mettre et de remettre à jour son tableau d’une certaine société finissante, com
2901 nte, composée certes des meilleurs esprits (morts et vivants) et des plus authentiques Grandes Dames, mais aussi d’une fou
2902 e certes des meilleurs esprits (morts et vivants) et des plus authentiques Grandes Dames, mais aussi d’une foule de figure
2903 sait à évoquer d’un seul trait fortement appuyé — et l’on devinait alors qu’ils étaient les modèles des personnages de ses
2904 ient les modèles des personnages de ses Dialogues et récits physiognomoniques, officiers, acteurs ou artistes, grands mani
2905 boutade, le trait d’esprit) est la forme logique et naturelle que revêt la sociabilité chez le solitaire qui garde ses di
2906 rappellent son ton de voix), tout en lui, l’œuvre et l’homme, évoquait la présence d’une maîtrise achevée, comme infaillib
2907 rencontre, de cet archer qui tire les yeux fermés et atteint à chaque coup le centre de la cible. D’où mes allusions répét
2908 voudrais maintenant expliciter. Kassner, Rilke et le zen Une amitié des plus complexes, pour ne pas dire ambivalente
2909 dire ambivalente, a lié longtemps Rudolf Kassner et Rainer Maria Rilke. Elle remonte aux années qui précédèrent la guerre
2910 nte aux années qui précédèrent la guerre de 1914, et plusieurs témoignages importants nous en demeurent : lettres de Rilke
2911 ilke à leur amie commune, la princesse de la Tour et Taxis, dédicace à Kassner de la Huitième Élégie de Duino, fin des Cah
2912 les traces visibles de l’influence kassnérienne ; et les sept essais successifs consacrés par Kassner à Rilke, de 1926, au
2913 Poète au plus haut comme pur lyrique sans faille et sans clichés, prend ses distances : Rilke, écrit-il, a toujours refus
2914 au monde du Père, « monde des enfants, des femmes et des vieillards », monde passif, féminin, sans conflits et sans drame,
2915 ieillards », monde passif, féminin, sans conflits et sans drame, sans négation ni dialectique, monde « phallique » aussi,
2916 si, « mélange très singulier de candeur enfantine et de perversion », monde spatial, an-historique, désincarné, lunaire, m
2917 n-historique, désincarné, lunaire, monde de l’âme et non de l’esprit, profondément antipaulinien, et qui permet seul de co
2918 e et non de l’esprit, profondément antipaulinien, et qui permet seul de comprendre chez Rilke « son hostilité au Christ, q
2919 e, est le monde du Fils, de la Parole qui tranche et institue le drame, le monde ouvert par la tragédie grecque, par l’Éva
2920 édie grecque, par l’Évangile, monde du Dieu-Homme et du paradoxe, du sacrifice et du Retour (Umkehr), de la Personne et de
2921 monde du Dieu-Homme et du paradoxe, du sacrifice et du Retour (Umkehr), de la Personne et de la Liberté. Monde viril où n
2922 u sacrifice et du Retour (Umkehr), de la Personne et de la Liberté. Monde viril où ne peut régner que « cette prose qui ex
2923 exclut les vers : Blaise Pascal, Laurence Sterne et Søren Kierkegaard. En tous trois je reconnais et vénère mes grands aï
2924 et Søren Kierkegaard. En tous trois je reconnais et vénère mes grands aïeux »84. Une dernière fois, en 1956, Kassner revi
2925 1956, Kassner revient sur ce débat inépuisable — et sans doute trouvera-t-on dans ses papiers posthumes bien d’autres not
2926 t. L’essai porte un titre curieux : Rilke, le zen et moi 85 et il est curieusement décousu. À propos de l’influence qu’on
2927 porte un titre curieux : Rilke, le zen et moi 85 et il est curieusement décousu. À propos de l’influence qu’on lui attrib
2928 ns une lettre qu’il la sentait « écrite pour lui, et contre lui ». Il suggère en passant un parallèle entre Kierkegaard et
2929 suggère en passant un parallèle entre Kierkegaard et Hamlet « qui tous les deux luttèrent pour la grandeur, non point à pa
2930 r désespoir »86. Suit une digression sur la Duse, et subitement, Kassner en vient à l’aspect « asiatique » du monde rilkée
2931 vient à l’aspect « asiatique » du monde rilkéen, et au bouddhisme. Il a toujours aimé le Bouddha, dit-il. Il a suivi ses
2932 ), le rapprochement que je suggérais entre le zen et sa propre pensée l’a frappé : Cela resta fixé dans ma mémoire, écrit
2933 e pressentais maintenant ce que le zen signifiait et dans quel rapport il pouvait être avec mon œuvre, qui comptait à ce m
2934 en outre notre pensée la plus profonde, l’ultime, et le dirai-je, la pensée sans limites… Le zen suppose la dissolution,
2935 ns antique, c’est-à-dire de la chance, du hasard, et celui-là seul peut y arriver qui ne sépare plus l’acte de l’ascèse.
2936 ment hindou, ajoute Kassner, appartient à l’Asie, et n’eût été compris que par peu de Grecs, par les éléates, et par aucun
2937 té compris que par peu de Grecs, par les éléates, et par aucun Romain. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus : sur la flèc
2938 flèche du vieux Zénon, qui n’atteint pas le but, et sur le tireur aveugle qui l’atteint, qui, sans le voir, l’atteint. Da
2939 ans les deux cas, il s’agit du concept, de l’idée et de l’existence de l’Infini, dès que la parole cesse d’être une simple
2940 dès que la parole cesse d’être une simple coque ; et il s’agit aussi de l’union ultime du But et du Sens. Si je m’en tiens
2941 que ; et il s’agit aussi de l’union ultime du But et du Sens. Si je m’en tiens à cette interprétation du zen, Denis de Rou
2942 rs moi dans mon grand âge, sous un aspect nouveau et rajeuni. Kassner rappelle alors sa conception de la musique comme ab
2943 orme, où il voit un équivalent de l’unité du Tout et du Rien, maintenus ensemble et assumés par la seule force de l’Imagin
2944 de l’unité du Tout et du Rien, maintenus ensemble et assumés par la seule force de l’Imagination. Et il poursuit : Le zen
2945 e et assumés par la seule force de l’Imagination. Et il poursuit : Le zen nie le Dieu personnel, il ne le nie pas au nom
2946 est pour lui la seule forme possible de la foi. Et certes, il m’est souvent venu à l’esprit que cette Einbildungskraft 8
2947 -il jeté un pont, une arche par-dessus continents et millénaires, reliant ainsi les représentations de l’ancienne Asie à c
2948 sa propre pensée physiognomonique, c’est que l’un et l’autre se soucient davantage de limites que de causes. Et cette noti
2949 e se soucient davantage de limites que de causes. Et cette notion de limite, si importante pour lui, le ramène à Rilke, do
2950 théâtre… Il s’agit de limites, d’abîme, de centre et d’absence de centre. Il s’agit également de la limite entre existence
2951 Il s’agit également de la limite entre existence et poésie, ou de la poésie comme existence, ce qui donne une parfaite qu
2952 es derniers temps de sa vie a pu relier son monde et celui de Rilke. Par un suprême dépassement des concepts, au nom du Se
2953 s qui est le But à l’infini. Le But, la Flèche et l’Homme Kassner avait sans doute pris connaissance du zen par le p
2954 x ans, deviens bambou toi-même, puis, oublie tout et peins. » (Problème de la limite entre existence et art, ou de l’art c
2955 t peins. » (Problème de la limite entre existence et art, ou de l’art comme existence.) D’autres correspondances ont pu le
2956 u le frapper. N’a-t-il pas reconnu le style même, et sinon le son de sa voix, qu’on est seul à ne pas reconnaître, du moin
2957 du moins le mouvement de pensée de ses Dialogues et Paraboles dans ces paroles d’un maître zen sur le tir à l’arc : Celu
2958 qui est capable de tirer avec l’écaille du lièvre et le poil de la tortue, c’est-à-dire d’atteindre le centre de la cible
2959 tteindre le centre de la cible sans arc (écaille) et sans flèche (poil), ce dernier est Maître, dans l’acception la plus é
2960 ux, il est l’art sans art, à la fois ainsi Maître et non-Maître. Par ce revirement, en tant que mouvement immobile, danse
2961 rc mais de la « présence d’esprit », du dynamisme et de la faculté d’éveil avec laquelle vous tirez. Ou encore : La Gran
2962 but, qui ne s’atteint d’aucune manière technique, et si elle lui donne un nom, ce sera : Bouddha. Enfin ceci, qui devait
2963 ble de les séparer… Le Maître m’interrompit alors et dit : Voilà justement la corde de l’arc qui vient de vous traverser !
2964 tres du zen, au risque de confondre leurs énigmes et leurs réponses non moins énigmatiques parce qu’elles renvoient toujou
2965 Kassner) du satori (disent les bouddhistes) l’Un et le Tout, l’individu et le sens final91. J’en reviens donc à l’homme q
2966 sent les bouddhistes) l’Un et le Tout, l’individu et le sens final91. J’en reviens donc à l’homme que j’essaie de décrire
2967 biais d’une vision particulière que j’eus de lui, et dans laquelle il semble bien qu’il se soit finalement reconnu. J’ai d
2968 tre zen m’était venue en écoutant parler Kassner. Et voici ce qu’il dit lui-même de la conversation telle qu’il l’entend e
2969 lui-même de la conversation telle qu’il l’entend et la pratique : Je suis toujours chargé (comme un fusil) quand je suis
2970 réflexion, sans scrupule douloureux, cela jaillit et puis, parfois, cela touche le noir. De là mon « Tireur zen », mon zen
2971  Tireur zen », mon zen… L’arc est toujours tendu. Et oui, bien sûr, pourquoi ne pas penser ici au bios d’Héraclite, qui si
2972 penser ici au bios d’Héraclite, qui signifie Vie et Arc, vie qui appelle et produit, et arc qui donne la mort ? Mais il
2973 raclite, qui signifie Vie et Arc, vie qui appelle et produit, et arc qui donne la mort ? Mais il ajoute aussitôt que le s
2974 signifie Vie et Arc, vie qui appelle et produit, et arc qui donne la mort ? Mais il ajoute aussitôt que le silence est p
2975 table volupté — pendant des heures, chaque soir — et que c’est bien cette volupté qu’on pourrait qualifier de bouddhiste…
2976 iver dernier, venant de lire son essai sur le zen et Rilke, je lui aurais posé des questions qu’il laisse à jamais sans ré
2977 ui est la personne) du moi factice, du personnage et de son masque, laissant alors paraître le visage. Entre les deux « ab
2978 onde sans mesure d’avant le drame, d’avant l’idée et la Parole — et du monde collectif, qui est sa contrepartie plate et a
2979 e d’avant le drame, d’avant l’idée et la Parole — et du monde collectif, qui est sa contrepartie plate et abstraite, et qu
2980 du monde collectif, qui est sa contrepartie plate et abstraite, et que vous nommez souvent « magie à rebours », vous nous
2981 ctif, qui est sa contrepartie plate et abstraite, et que vous nommez souvent « magie à rebours », vous nous avez montré la
2982 la voie de la personne, le passage vers l’esprit et vers la liberté, qui est souffrance et vision, tension et sacrifice,
2983 s l’esprit et vers la liberté, qui est souffrance et vision, tension et sacrifice, incarnation de la Parole dans l’histoir
2984 la liberté, qui est souffrance et vision, tension et sacrifice, incarnation de la Parole dans l’histoire. Maintenant, comm
2985 a transmutation créatrice des valeurs de l’Orient et de l’Occident.   Je ne pouvais présenter Kassner à des lecteurs dont
2986 tés. Il est par excellence l’auteur incomparable. Et de même, son œuvre défie toute espèce de catégorie. Ni philosophe pro
2987 au xxe siècle. En abordant cette œuvre difficile et mal connue (surtout en France) par l’un de ses aspects les plus parti
2988 us éloigné d’elle, j’ai tenté d’épouser son style et son mouvement, essentiellement paradoxaux, dans l’espoir d’alerter qu
2989 Hammond Sterne, de Bath, qui haïssait les boutons et n’admettait au monde que les boucles : Mon oncle s’agitait tout part
2990 cles : Mon oncle s’agitait tout particulièrement et s’abandonnait à de sombres pensées lorsqu’il lui arrivait de parler d
2991 de l’oncle Hammond étaient absolument originales et ne tarissaient pas. L’oncle Hammond pouvait, à partir de ces boutons,
2992  ; Le Livre du souvenir, Stock, 1942 ; Évocations et paraboles, Plon, 1956. 79. Les Éléments de la grandeur humaine, tra
2993 is due aux soins conjugués de Bernard Groethuysen et de Jean Paulhan. 80. En 1931. 81. « Je ne songe pas ici — écrit Kas
2994 ciel, pas de cérémonies ! » Il aime qu’on arrive et s’en aille à l’improviste, que les récits soient brefs — surtout pas
2995 , sautant d’un objet ou d’un paradoxe à un autre, et qu’on prenne congé sans étreintes, excuses, retours et mains palpées…
2996 ’on prenne congé sans étreintes, excuses, retours et mains palpées… Mais un cérémonial, tel que je l’entends, devrait perm
2997 « cérémonies » ; de saluer, de parler, d’écouter, et de s’en aller sans bavures. 83. Kassner s’obligeait à marcher sur se
2998 ard, de son père, de sa fiancée, de sa mélancolie et de son angoisse : « De même qu’Hamlet est une géniale conception de S
2999 is cette même idée dans mon essai sur Kierkegaard et Hamlet, deux princes danois, paru dans Preuves et Der Monat peu de m
3000 t Hamlet, deux princes danois, paru dans Preuves et Der Monat peu de mois avant. 87. Il serait absolument insuffisant de
3001 r du monde magico-mythique à celui de la personne et de la liberté. 88. C’est là qu’on trouvera la scène du Maître qui ti
3002 emière. Il dit ensuite : « “Quelque chose” a tiré et touché le but. Inclinons-nous devant le but comme devant Bouddha. »
3003 proverbes étaient écrits avant la guerre de 1914 et avaient paru en revue. Je rappelle que Kassner n’a découvert le zen q
3004 française par Geneviève Bianquis dans Évocations et paraboles, Plon, Paris, 1956. 91. Kassner joue à plusieurs reprises
3005 l’homme spirituel, de l’Individu kierkegaardien) et All-Einheit (unité tout-embrassante). 92. « La chimère », dans Les É
3006 maine. az. Rougemont Denis de, « Rudolf Kassner et la grandeur », Preuves, Paris, juin 1959, p. 63-71.
47 1959, Preuves, articles (1951–1968). Sur un chassé-croisé d’idéaux et de faits (novembre 1959)
3007 Sur un chassé-croisé d’idéaux et de faits (novembre 1959)ba Le tsar et l’ouvrier. — Quand le tsar
3008 ’idéaux et de faits (novembre 1959)ba Le tsar et l’ouvrier. — Quand le tsar Pierre Ier décida que son empire devait « 
3009 x que l’Occident », il voulut étudier nos secrets et s’engagea comme ouvrier aux chantiers maritimes de Saardam. Aujourd’h
3010 es moyens qu’il est facile de comparer. Chez l’un et l’autre, et malgré toutes les différences imaginables, on retrouve la
3011 ’il est facile de comparer. Chez l’un et l’autre, et malgré toutes les différences imaginables, on retrouve la même convic
3012 e génie occidental dominera fatalement l’Occident et le monde : « Troisième Rome » ou ultime révolution.   « Mieux faire 
3013 ent. En voulant l’imiter, il se haussait vers lui et souhaitait le dépasser dans son sens. Voilà qui est clair et naturel.
3014 it le dépasser dans son sens. Voilà qui est clair et naturel. Khrouchtchev, au contraire, professe que l’Occident est prom
3015 promis à la décadence. Que veut-il donc rejoindre et dépasser de cet Occident condamné ? Vouloir faire mieux que l’Amériqu
3016 Mais c’est une création européenne que l’Amérique et la Russie développent sur table rase beaucoup plus vite que nous, à p
3017 que simultané de la course aux fusées, aux bombes et aux satellites. Reste « le degré de prospérité et de bonheur des peup
3018 et aux satellites. Reste « le degré de prospérité et de bonheur des peuples, et l’amélioration de leur vie matérielle et s
3019 le degré de prospérité et de bonheur des peuples, et l’amélioration de leur vie matérielle et spirituelle » — pour reprend
3020 peuples, et l’amélioration de leur vie matérielle et spirituelle » — pour reprendre les termes mêmes utilisés par le « che
3021 rait faire, en bonne doctrine marxiste-léniniste, et n’a fait en pratique, selon K ? Voyons ce que disent là-dessus Améric
3022 lon K ? Voyons ce que disent là-dessus Américains et Russes.   Deux articles. — Dans le numéro d’octobre de Foreign Affai
3023 ts suivants : « amélioration de la vie matérielle et spirituelle…, épanouissement de la science et de la culture, réalisat
3024 lle et spirituelle…, épanouissement de la science et de la culture, réalisation du rêve humain d’une vie heureuse, d’une v
3025 rerait des réalisations du socialisme britannique et scandinave, ou de l’american way of life. K. se borne à proclamer que
3026 ue d’appeler la « lutte idéologique » entre l’Est et l’Ouest n’est donc plus à ses yeux qu’une lutte de vitesse, et le « m
3027 est donc plus à ses yeux qu’une lutte de vitesse, et le « meilleur système » est simplement celui qui va mener le plus vit
3028 de coexistence (ou de « compétition pacifique ») et les déclarations prophétisant le triomphe rapide du communisme, K. ré
3029 re, il faut cesser de « confondre » cette théorie et cette praxis. Mais cela revient à dire, en somme, qu’il faut cesser d
3030 ange de slogans d’ailleurs peu différents de part et d’autre, renoncer à toute interférence dans les affaires intérieures
3031 isme du xixe siècle, c’est ce que Marx attaquait et méprisait le plus. Quant au point de vue américain — non pas celui du
3032 est politique, mais celui de l’opinion réfléchie et anxieuse — je le crois fidèlement exprimé par ces lignes d’un éditori
3033 mme d’une société achevée, qui a atteint ses buts et qui n’a plus de grands problèmes à résoudre. La force du régime sovié
3034 titue avant tout une société orientée vers un but et dans laquelle l’énergie des citoyens est dirigée vers la réalisation
3035 us demander avec inquiétude s’il va nous séduire… et de redevenir enfin le peuple confiant et résolu que nous sommes en ré
3036 séduire… et de redevenir enfin le peuple confiant et résolu que nous sommes en réalité. Je ne vois guère moins de sophism
3037 se de confiance dont il n’indique pas les motifs) et nous laisse sur l’idée que les Russes doivent gagner. Mais gagner quo
3038 se réduit aujourd’hui à « faire mieux » que vous et à vous dépasser dans votre sens ? Puisque leur grande idée, c’était h
3039 s vous l’avez réalisée ! Quand ils auront rejoint et dépassé la prospérité matérielle dont jouissent les grandes masses de
3040 il le sommaire de la Loi qui régira l’ennui futur et fera s’endormir l’Histoire ? Ni Khrouchtchev ni Lippmann n’ont parlé
3041 ibilité de « lutte idéologique ».   Le dictateur et l’homme. — Telles étant donc les attitudes affichées ou confessées de
3042 onc les attitudes affichées ou confessées de part et d’autre à la veille du voyage de K. en Amérique, on pouvait et l’on d
3043 la veille du voyage de K. en Amérique, on pouvait et l’on devait s’attendre à ce qui s’est passé en effet : la rencontre d
3044 omplexes qui d’abord se repoussent, se provoquent et se cherchent, puis s’accrochent brutalement à deux ou trois reprises,
3045 indre une espèce de sentiment mêlé de soulagement et d’anxiété nouvelle : nous ne sommes pas si différents, mais alors ? O
3046 nos refus bien tranchés, nos raisons de nous haïr et de nous craindre ? Quand Khrouchtchev réitère que ses positions idéol
3047 s, mais au plus mal avec les chefs syndicalistes, et que les vulgarités de Hollywood, conformes aux recettes infaillibles,
3048 s aveux non calculés, l’émotion réelle au départ, et ce récit du voyage fait au bon peuple de Moscou sur le ton du paysan
3049 scou sur le ton du paysan qui revient de la ville et raconte en se tapant sur la cuisse comment « ils » sont là-bas, étonn
3050 la cuisse comment « ils » sont là-bas, étonnants et risibles… Si l’on songe au Führer, au Duce, à Staline, il devient évi
3051 est une créature intermédiaire entre le dictateur et l’homme. Plus près de l’homme qu’on ne le croyait.   Le grand chassé
3052 acifiste, K. la volonté d’efficacité matérialiste et machiavélique. Inversement, aux yeux des communistes russes, K. repré
3053 s communistes russes, K. représentait l’Idéologie et le sens de l’Histoire, Ike les intérêts immédiats du capitalisme aux
3054 ge de K. les peuples vont sentir — très lentement et d’abord inconsciemment — que ces deux contradictions flagrantes et po
3055 ciemment — que ces deux contradictions flagrantes et polaires peuvent se ramener à deux égalités, par une sorte de court-c
3056 tés, par une sorte de court-circuit ; que l’Idéal et l’Idéologie jouent également en faveur de la paix, et que les intérêt
3057 ’Idéologie jouent également en faveur de la paix, et que les intérêts sont de même nature, bien que provisoirement en conc
3058 age à conformer leur politique à leurs principes, et que les Russes acceptent plus facilement de subordonner leur doctrine
3059 u monde entier, les images concrètes de la Russie et de l’Amérique se sont rapprochées, plus puissantes et plus efficaces
3060 e l’Amérique se sont rapprochées, plus puissantes et plus efficaces que les oppositions idéologiques, figées et pâlies à l
3061 fficaces que les oppositions idéologiques, figées et pâlies à l’arrière-plan. Aux yeux des peuples du monde entier, la car
3062 rd, Russie, Chine, sans cesse nommées, numérotées et comparées dans les discours de Khrouchtchev, sont apparues comme les
3063 u monde, dans une position d’arbitrage décisive — et d’empêcher accessoirement qu’on voie l’Europe, qu’on y pense même ! M
3064 ence de l’Europe aux lieux où se discute son sort et le sort d’un monde né de ses œuvres. J’enchaînerai là-dessus dans mes
3065 ugemont Denis de, « Sur un chassé-croisé d’idéaux et de faits (Le point de vue de Ferney) », Preuves, Paris, novembre 1959
48 1960, Preuves, articles (1951–1968). Sur la détente et les intellectuels (mars 1960)
3066 Sur la détente et les intellectuels (mars 1960)bb Il me sera d’autant plus facile d’
3067 r, mais qui paraît troubler certains de nos amis, et qu’une masse d’étourdis tranchent de la sorte : maintenant que nous a
3068 saie de prouver que la coexistence est impossible et que la guerre froide ne cessera de voisiner avec la guerre chaude, et
3069 ide ne cessera de voisiner avec la guerre chaude, et que c’est là l’ordre naturel des choses dans lequel l’humanité doit v
3070 el l’humanité doit vivre. Anachronisme monstrueux et stupide, etc. » Dans une interview accordée au journal communisant Pe
3071 e froide cesse à l’intérieur du pays… Le choc pur et simple entre le communisme et l’anticommunisme est dépassé. De nouvel
3072 u pays… Le choc pur et simple entre le communisme et l’anticommunisme est dépassé. De nouvelles réalités sont là, dont il
3073 vant-garde est une séquelle de la guerre froide » et ne saurait survivre à la détente. À l’inverse, Alberto Moravia, dans
3074 re parisien, souhaite « la paix entre les peuples et la guerre dans la littérature ». Ehrenbourg, lui, est pour la paix da
3075 tc., n’ont jamais exprimé l’idéologie bourgeoise, et il serait absurde de prétendre que Hemingway, Faulkner, Graham Greene
3076 ages de caractère « idéologique », ceux de Silone et de Spender par exemple. (Literaturnaya Gazeta, novembre 1959). Or le
3077 étition pacifique suppose un débat idéologique ». Et il ajoute sèchement : « Exiger une trêve idéologique est parfaitement
3078 ne trêve idéologique est parfaitement irréaliste, et une telle demande ne peut être faite que par ceux qui n’ont rien comp
3079 u’une vaste confusion. Admettons que je voie mal, et que les conditions, les données mêmes du dialogue aient changé. J’ess
3080 samment s’il le faut, de définir en termes clairs et simples ce qu’étaient ces données auparavant, dans l’espoir de mieux
3081 ement quelque chose qu’on avoue quand on est pris et démasqué. Ils nous jugeaient donc à leur aune. Ils avaient démasqué n
3082 e. Ils avaient démasqué notre « anticommunisme », et nous réduisaient à cela. C’était notre unique obsession, notre seule
3083 otre unique obsession, notre seule raison d’être, et notre profession. Tout était donc permis pour nous disqualifier, et m
3084 n. Tout était donc permis pour nous disqualifier, et même obligatoire. Aragon me traitait publiquement d’aliéné dans une c
3085 S, j’avais « publié tous mes livres sous Vichy », et j’étais « payé par les Américains », comme Sartre et Camus, d’ailleur
3086 j’étais « payé par les Américains », comme Sartre et Camus, d’ailleurs. Quelques années plus tard, la consigne changeait.
3087 emander s’ils y croyaient : ils avaient à le dire et c’est tout. Or, si nous nous trouvions être « anticommunistes », c’es
3088 tre interprétée un seul instant dans leur langage et leurs catégories. Pour eux, s’écriait alors Guido Piovene93, « l’homm
3089 Le rôle de l’écrivain est de penser à autre chose et de faire penser à autre chose. » C’est dans la seule mesure où nous r
3090 ue leur image inversée, inexplicablement perverse et révoltante. Le dialogue était impossible. Puis il y eut le « dégel »
3091 ogue était impossible. Puis il y eut le « dégel » et les « révélations » du XXe Congrès sur Staline (réglant le compte de
3092 danov en passant). Il y eut l’Octobre de Pologne. Et Budapest. Plus près de nous, les autocritiques d’intellectuels quitta
3093 « systématique » de leur système suffisait bien, et que le dialogue eût été temps perdu avec des officieux qui ne pouvaie
3094 c des officieux qui ne pouvaient pas nous écouter et n’insultaient que nos caricatures. (C’est irritant de redire tout cel
3095 que Lunik III. Mais si l’on veut aller plus loin, et il le faut, un peu de clarté crue sur les données de l’affaire paraît
3096 ret (anathème à l’appui) la compétition pacifique et la lutte idéologique. Si la lutte idéologique n’est plus la guerre, s
3097 différent. Mais la seconde donnée manque encore, et c’est la réciprocité. Son absence annule la première. Si j’en crois e
3098 j’en crois en effet ce que publient le Kommunist et Novy Mir, cités plus haut, la lutte idéologique des Soviets contre l’
3099 stinguer entre les intérêts d’un parti au pouvoir et la recherche de la vérité. Aujourd’hui l’URSS accepte de séparer la p
3100 pte de séparer la paix dans la pratique politique et la guerre dans le domaine des idées. Nous sommes d’accord : c’était n
3101 s. Nous sommes d’accord : c’était notre attitude. Et l’URSS précisément la condamnait. Elle l’adopte aujourd’hui, mais par
3102 Elle l’adopte aujourd’hui, mais par opportunisme, et feint de croire que nous la refusons. Elle nous reproche à tort ce do
3103 aduise de vrais communistes ! En revanche, Silone et Spender doivent être bannis du dialogue et ce n’est pas, bien au cont
3104 Silone et Spender doivent être bannis du dialogue et ce n’est pas, bien au contraire, qu’ils soient de faux Occidentaux… C
3105 s les lois de la lutte des fils contre les pères. Et l’oncle subversif, du côté maternel, a toutes chances de prestige, se
3106 1953. bb. Rougemont Denis de, « Sur la détente et les intellectuels (Le point de vue de Ferney) », Preuves, Paris, mars
49 1960, Preuves, articles (1951–1968). Les incidences du progrès sur les libertés (août 1960)
3107 onsidérer la nature, la fonction de notre Congrès et les idéaux qui l’inspirent. Le plus simple sera de reprendre les troi
3108 verrez à quel point ces trois termes s’appellent et s’impliquent mutuellement. Nous sommes donc d’abord un Congrès — un c
3109 hommes de culture qui se veulent à la fois libres et responsables devant eux-mêmes et devant la société. Peu de mois après
3110 à la fois libres et responsables devant eux-mêmes et devant la société. Peu de mois après leur première conférence à Berli
3111 se grouper afin de créer ainsi, en cas d’urgence et au service des libertés de l’esprit partout où elles sont attaquées,
3112 prouvèrent le besoin de se grouper pour dialoguer et réfléchir ensemble sur les immenses problèmes que pose, à cette génér
3113 notre siècle déborde toute capacité individuelle et qu’il exige un vaste effort d’équipes confrontant leurs points de vue
3114 effort d’équipes confrontant leurs points de vue, et à l’échelle mondiale. Le Congrès s’est donc adressé aux intellectuels
3115 st donc adressé aux intellectuels du monde entier et il leur a dit : Vous, écrivains, philosophes, sociologues, physiciens
3116 philosophes, sociologues, physiciens, biologistes et artistes, hommes de l’esprit, de l’âme et de l’intellect, sel de la t
3117 ogistes et artistes, hommes de l’esprit, de l’âme et de l’intellect, sel de la terre, et, bien plus que vous ne souhaiteri
3118 rit, de l’âme et de l’intellect, sel de la terre, et , bien plus que vous ne souhaiteriez le croire : responsables d’un ave
3119 roire : responsables d’un avenir qui vous dépasse et vous appelle, et qui a besoin de vous, tant pis pour vous ! Unissez v
3120 les d’un avenir qui vous dépasse et vous appelle, et qui a besoin de vous, tant pis pour vous ! Unissez vos intelligences,
3121 tions d’un meilleur monde, d’un monde plus libre. Et qu’un seul et unique parti pris vous anime : le parti pris de la libe
3122 lleur monde, d’un monde plus libre. Et qu’un seul et unique parti pris vous anime : le parti pris de la liberté ! Sur ce m
3123 que chose que nous devons reconquérir chaque jour et sans relâche, sur nous-mêmes tout d’abord, et pour les autres. Mais c
3124 our et sans relâche, sur nous-mêmes tout d’abord, et pour les autres. Mais comment fait-on cela ? Revendiquer la liberté,
3125 r contre des dictatures extérieures, bien connues et localisées, contre les idéologies qu’elles voulaient imposer, et cont
3126 contre les idéologies qu’elles voulaient imposer, et contre le défaitisme fataliste qui préparait leur lit dans nos démocr
3127 rir les persécutés accusés de liberté d’esprit, —  et nous l’avons fait. Mais nous voyons bien, aujourd’hui, que les menace
3128 gimes que vous savez. Elles viennent de la misère et de la faim pour une large partie de l’humanité. Elles viennent aussi
3129 cidentale propage aveuglément sur toute la terre, et qui, sous les meilleurs prétextes, comme celui de nourrir les corps e
3130 leurs prétextes, comme celui de nourrir les corps et de réduire les misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de
3131 de réduire les misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de cultures traditionnelles mal préparées à les assimi
3132 uine le plus insidieusement la dignité d’un homme et sa passion de lutter pour la liberté. Chaque fois qu’un homme ou une
3133 e sens, la liberté perd un de ses points d’appui, et la dictature s’avance aussitôt pour l’occuper. C’est ici qu’intervien
3134 ervient la Culture, ou, en tout cas, qu’elle doit et peut intervenir. Vous avez lu et entendu depuis longtemps tant de ban
3135 as, qu’elle doit et peut intervenir. Vous avez lu et entendu depuis longtemps tant de banalités, souvent exactes d’ailleur
3136 lités, souvent exactes d’ailleurs, sur la culture et ses définitions, que là aussi vous me permettrez d’être assez bref, e
3137 ue là aussi vous me permettrez d’être assez bref, et de me borner à quelques traits définissant la conception de la cultur
3138 ransmettre des recettes de vie, des connaissances et des significations, relier les sentiments, les idées et les actes, ma
3139 significations, relier les sentiments, les idées et les actes, maintenir une tradition où l’on se sente chez soi. C’est d
3140 à l’homme de se situer à sa place dans le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais l
3141 ce dans le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que la moitié d
3142 e certaine révolte sont aussi des besoins vitaux. Et alors se révèle l’autre aspect de la culture, qui n’est plus seulemen
3143 i n’est plus seulement transmission mais critique et rupture s’il le faut ; qui n’est plus seulement initiation mais inven
3144 peuvent devenir également dangereux pour l’homme et pour sa liberté réelle, s’ils restent séparés, isolés l’un de l’autre
3145 isolés l’un de l’autre. En revanche, équilibrées et combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture v
3146 En revanche, équilibrées et combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture vivante, celle qui peut r
3147 e. Or il se trouve que la plupart des conférences et groupes d’études organisés par le Congrès portent précisément ce titr
3148 e titre général : Tradition and Change, tradition et progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il
3149 dition and Change, tradition et progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture
3150 os activités humaines que nous avons spécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail
3151 pécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure e
3152 absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pe
3153 , le travail et la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de
3154 tion pure et les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de se ridiculiser mutuellement, comme c’es
3155 lement, comme c’est le cas dans trop de nos vies, et retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’O
3156 t retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’Occident surtout. Mais désormais, c’est à l’échelle
3157 es diverses facultés de l’homme peuvent retrouver et rassembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellec
3158 sembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellect (d’où la technique) dont s’occupe surtout l’Occident ;
3159 e part entre représentants des arts, des sciences et de la sociologie, contacts d’autre part entre les représentants des c
3160 èmes que pose le même progrès technique, éducatif et culturel, dans les conditions différentes de l’Europe, de l’Afrique,
3161 Europe, de l’Afrique, de l’Asie, du Proche-Orient et des deux Amériques ; mais ceci dans la perspective qui nous est propr
3162 tte question. Mais on insiste, la presse insiste, et les interviewers insistent : tous veulent absolument que nous soyons
3163 prement dite, mais au niveau de ce qui la prépare et la pré-forme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix ve
3164 pré-forme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lu
3165 rs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lui donnent son vrai sens, son sens humain, pour chaque pe
3166 personne. La politique, nous n’y échapperons pas, et il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle no
3167 tanks, symboles écrasants de la politique totale et absolutisée. La politique doit rester pour nous un moyen dominé par d
3168 s fins que l’esprit seul peut entrevoir, imaginer et proposer à nos désirs et à notre raison, à notre volonté et à notre f
3169 peut entrevoir, imaginer et proposer à nos désirs et à notre raison, à notre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté
3170 r à nos désirs et à notre raison, à notre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté serait-elle du nombre de ces fins d
3171 t à notre raison, à notre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté serait-elle du nombre de ces fins dernières, serait
3172 un sens à sa vie, tant de travail que de loisir, et tant d’action que de méditation. Ce n’est point par des statistiques,
3173 telle ou telle société. Mais c’est par la nature et par la qualité des chances ménagées à chacun de courir sa propre aven
3174 es ménagées à chacun de courir sa propre aventure et d’affronter le mystère de sa personne. Telle est la fin dernière de t
3175 e. Telle est la fin dernière de toute communauté, et la seule mesure qui permette de juger qu’une forme de vie ou un systè
50 1961, Preuves, articles (1951–1968). Dialectique des mythes : Le carrefour fabuleux (I) (avril 1961)
3176 rouve celui qui le cherche avec beaucoup de soins et de finesse, car aucune carte ne l’indique. Son nom même est une contr
3177 mins publics peut-il former un « coin » solitaire et dérobé ? Si la rencontre de trois routes suffit à donner son nom à to
3178 tes ! Pourtant il en est bien ainsi : huit routes et quelle solitude ! … Tout près de là, un bosquet fermé de haies, porte
3179 e de Don Juan. Nietzsche a vécu plus seul encore, et guère moins chaste, mais toute son œuvre mène le train d’enfer d’un «
3180 ité en laquelle il découvre son Isolde. Pour l’un et l’autre la pensée est une passion, et l’expression totale de la passi
3181 . Pour l’un et l’autre la pensée est une passion, et l’expression totale de la passion ne peut être que musicale. « Par la
3182 ions jouissent d’elles-mêmes. »94 L’un par Mozart et l’autre par Wagner accède au cœur du mythe qu’il n’a pu que rêver, qu
3183 e qu’il n’a pu que rêver, que sa personne refuse, et qui est son Ombre. J’ai cherché bien longtemps le point de perspectiv
3184 puisse embrasser à la fois ces deux vies dénuées et ces deux œuvres d’une richesse inépuisable ; ces deux mythes majeurs
3185 inépuisable ; ces deux mythes majeurs de l’amour et leurs épiphanies les plus parfaites dans le lyrisme occidental. À la
3186 te, ou peut-être seulement d’une qualité heureuse et pénétrante du regard, situant en vérité celui qui voit, il arrive qu’
3187 n pressente l’invite d’une étape significative, —  et « l’enclos fatal » n’est pas loin, mais en même temps s’ouvrent des a
3188 ’âme occidentale. Arrêtons-nous ici pour méditer. Et nous suivrons tantôt cette allée de lumière frayée dans les hautes fu
3189 es de l’après-midi, tantôt cette allée assombrie, et qui s’anime au gré d’un vent soudain, dont on ne sait ni d’où il vien
3190 sait ni d’où il vient ni où il va. Kierkegaard et Don Juan C’est au cœur des grands bois du Nord de la Seeland, un s
3191 ant à flots, la séduction fascinante des parfums, et le goût impeccable du service saisirent les convives qui entraient, e
3192 du service saisirent les convives qui entraient, et tandis que l’orchestre attaquait la musique du ballet de Don Juan, il
3193 allet de Don Juan, ils se sentirent transfigurés, et comme frappés de respect pour un esprit invisible, ils s’arrêtèrent u
3194 semblables à celui que l’enthousiasme a réveillé et qui ressuscite en plein enthousiasme. Cette page introduisant les di
3195 refus du mythe de Don Juan, tentation permanente et toujours refoulée. C’est pourquoi personne d’autre n’a mieux jugé ce
3196 cohérence inoubliable, une interprétation triple et unique de l’opéra, du mythe, et de l’essence de la musique occidental
3197 rprétation triple et unique de l’opéra, du mythe, et de l’essence de la musique occidentale. En voici l’argument condensé.
3198 excluait en principe, il l’a posée comme principe et comme catégorie spirituelle. L’érotisme, « synthèse psycho-sensible »
3199 ituelle. L’érotisme, « synthèse psycho-sensible » et déterminée par l’esprit, exige désormais un langage capable de tradui
3200 on pas dans la parole mais bien dans la musique ; et de même la musique trouvera dans le génie sensuel son « objet absolu 
3201 bsolu » car « l’état d’âme sensuel est trop lourd et trop dense pour être porté par la parole ; seule la musique peut l’ex
3202 ente le désir pur, dans sa génialité irrésistible et démoniaque, « déterminé par l’esprit comme étant ce que l’esprit excl
3203 expression de Don Juan ne peut être que musicale. Et c’est pourquoi le seul Don Juan conforme au mythe95, c’est le Don Gio
3204 nt selon Kierkegaard. Don Juan est une puissance, et non pas une personne : Quand Don Juan est conçu musicalement, j’ente
3205 ouissance en est accrue, la victoire est certaine et l’obstacle n’est qu’un stimulant. Je trouve en Don Juan une vie ainsi
3206 uan une vie ainsi animée d’un démoniaque puissant et irrésistible, à la façon d’un élément. Telle est son idéalité dont je
3207 me quelqu’un qui forme ses projets sournoisement, et calcule avec ruse ses intrigues… La réflexion lui fait défaut… Il n’a
3208 s prêt, l’énergie est constamment présente en lui et le désir aussi. Il n’étourdit pas Zerline de belles paroles, il l’in
3209 fait un geste. « Il ne séduit pas mais il désire, et ce désir a un effet séducteur. » Non seulement il a du succès auprès
3210 s des femmes, mais encore il les rend heureuses — et malheureuses ; chose étrange, c’est là ce qu’elles veulent, et celle
3211 es ; chose étrange, c’est là ce qu’elles veulent, et celle qui ne rêverait pas de devenir malheureuse pour avoir été une f
3212 an s’oppose à l’Éros antique, qui était psychique et non sensuel, « et c’est ce qui inspire cette pudeur qui caractérise t
3213 os antique, qui était psychique et non sensuel, «  et c’est ce qui inspire cette pudeur qui caractérise tout amour grec »98
3214 nfidélité ni tromperie, mais seulement répétition et multiplicité. Sa vie n’étant ainsi qu’« une somme de moments distinct
3215 rait avoir de biographie : le doter d’une enfance et d’une jeunesse fut l’erreur fatale de Byron. Il est le génie de l’ins
3216 histoire, « car le temps lui manque ». « La voir et l’aimer sont une seule chose… et aussitôt tout est fini, puis cela se
3217 que ». « La voir et l’aimer sont une seule chose… et aussitôt tout est fini, puis cela se répète à l’infini. » Sans passé,
3218 oire (il lui faut le Catalogue !), sans lendemain et sans nostalgie, il court, vole et se réjouit, jusqu’à ce qu’il butte
3219 sans lendemain et sans nostalgie, il court, vole et se réjouit, jusqu’à ce qu’il butte contre « la pierre d’achoppement »
3220 nt manifesté en chaque détail comme dans le style et la structure de l’ensemble. On a pu varier les interprétations de la
3221 e que Mozart en ait découvert à la fois le médium et l’idée », d’où « la valeur classique absolue » de son opéra. On pourr
3222 caractère abstrait de l’idée, vivra éternellement et dans tous les temps ». En récrire un après Mozart équivaudrait à prod
3223  » Don Juan n’étant pas caractère, mais puissance et vie, donc « absolument musical », les autres personnages, qui ne sont
3224 ps est circonscrit par l’éternité. Kierkegaard et Tristan Kierkegaard fut pourtant le contraire d’un Don Juan. Dans
3225 ses rapports avec son œuvre, son action publique, et sa vocation finale, il fut Hamlet. Mais dans sa vie individuelle, dan
3226 s dans sa vie individuelle, dans son amour unique et longuement malheureux pour Régine, il fut Tristan. Cependant, je n’ai
3227 que de rares allusions à l’Hamlet de Shakespeare, et pas une mention de Tristan — pour des centaines de pages enthousiaste
3228 istan — pour des centaines de pages enthousiastes et lyriques sur le Don Juan de la légende et de Mozart. Le contraste ent
3229 siastes et lyriques sur le Don Juan de la légende et de Mozart. Le contraste entre cette discrétion, voire ce mutisme, et
3230 ntraste entre cette discrétion, voire ce mutisme, et cette luxuriance verbale, est de ceux qui expriment à coup sûr les do
3231 t libre de mener sa vie comme il lui plaît, riche et oisif, brillant esprit, curieux de tout, mais en même temps de comple
3232 me donne un corps ! », gémit-il dans son Journal) et qui pressent son génie d’écrivain et sa vocation religieuse ? Don Jua
3233 son Journal) et qui pressent son génie d’écrivain et sa vocation religieuse ? Don Juan est de toute évidence la figure de
3234 otentiel, prestigieux, désiré, mais qu’il ne peut et qu’il ne veut actualiser. En l’écartant de soi, en le refusant, il le
3235 En l’écartant de soi, en le refusant, il le voit et le définit mieux que personne ; du même coup il se définit, contre lu
3236 oit que deux manières de vivre dignes de l’absolu et possibles pour lui : ou bien le séducteur, ou bien l’anachorète102. L
3237 bien le séducteur, ou bien l’anachorète102. L’une et l’autre excluent le mariage, « suprême expression de l’amour », à laq
3238 n devient son ombre, plus brillante que lui-même, et qu’il doit exalter et condamner sans cesse, car elle est lui autant q
3239 lus brillante que lui-même, et qu’il doit exalter et condamner sans cesse, car elle est lui autant que lui, mais elle est
3240 , exemplairement, s’il n’était pas ce qu’il subit et souffre, et s’efforce de dépasser vers l’absolu, vers ce qu’il veut d
3241 ment, s’il n’était pas ce qu’il subit et souffre, et s’efforce de dépasser vers l’absolu, vers ce qu’il veut devenir selon
3242 e, de son Éros ? C’est la passion unique, totale, et malheureuse ; et par ce malheur même, salvatrice. L’amour humain rep
3243 C’est la passion unique, totale, et malheureuse ; et par ce malheur même, salvatrice. L’amour humain repose sur un instin
3244 nclination, trouve son expression suprême, unique et absolue, poétiquement absolue, dans le fait qu’il n’y a au monde qu’u
3245 t qu’il n’y a au monde qu’un seul être bien-aimé, et que cette « seule fois » de l’amour est l’amour, et que la « seconde
3246 que cette « seule fois » de l’amour est l’amour, et que la « seconde fois » n’est rien… Une fois est le tout absolu, et l
3247 e fois » n’est rien… Une fois est le tout absolu, et la seconde fois la ruine absolue de tout.103 Certes, le Jeune Homme
3248 de la passion, qui est d’une importance capitale et qu’on ne peut faire « qu’à l’aveuglette ». Comment expliquer « un act
3249 t qu’il le pourra, car c’est la femme qu’il aime, et dans chaque femme réelle, c’est ce qui veut être séduit et qui ne peu
3250 haque femme réelle, c’est ce qui veut être séduit et qui ne peut l’être qu’une fois. Au contraire, le Mari qui prendra la
3251 partie des Étapes choisit d’aimer une seule femme et de l’épouser, car le mariage est cette décision qui « traduit l’exalt
3252 pas éluder la difficulté fondamentale du mariage, et même il la formule d’entrée de jeu : L’amour et l’inclination amoure
3253 et même il la formule d’entrée de jeu : L’amour et l’inclination amoureuse sont tout à fait spontanés, le mariage est un
3254 est pas derrière le Mari. Car celui-ci représente et défend l’impossibilité que Kierkegaard subit, et qu’il va tenter d’ex
3255 et défend l’impossibilité que Kierkegaard subit, et qu’il va tenter d’expliquer, de justifier, dans tout le reste de son
3256 Admettons que l’amour vrai soit la passion unique et partagée. Pour être heureux, dans un mariage par exemple, cet amour d
3257 ur « la différence qualitative infinie entre Dieu et l’homme », qui fait, des relations entre l’homme et Dieu, un amour es
3258 l’homme », qui fait, des relations entre l’homme et Dieu, un amour essentiellement malheureux. Cet amour serait même impo
3259 ait en lui son pouvoir d’appropriation subjective et libre de la vérité. C’est donc l’amour divin lui-même qui exige la co
3260 ignant l’homme là où il existe, dans sa finitude, et lui parlant la langue qu’il entend. Mais alors le message devient éni
3261 re perceptible… Ce qui se passe entre Kierkegaard et sa fiancée semble relever d’une structure analogue du possible et de
3262 mble relever d’une structure analogue du possible et de l’impossible dans la communication. Il l’aime, elle l’aime, mais l
3263 resser à elle sous le couvert de ses pseudonymes, et de lui dédier toutes ses œuvres, comme autant de justifications de la
3264 res, comme autant de justifications de la rupture et d’assurances de sa fidélité. « Qui comprendra cette contradiction de
3265 ontradiction de la douleur : ne point se révéler, et faire mourir l’amour ; se révéler, et faire mourir l’aimée ? »104 Te
3266 se révéler, et faire mourir l’amour ; se révéler, et faire mourir l’aimée ? »104 Tenter d’établir, en ce point, si l’atti
3267 e, — ne correspond à rien dans notre perspective, et n’aiderait à déceler aucun sens vérifiable. En effet, tout homme pens
3268 e définit son individualité. Or je ne regarde ici et n’essaie de saisir qu’une certaine structure dynamique : Kierkegaard
3269 ine structure dynamique : Kierkegaard dans sa vie et son œuvre indissociables ; et je vois qu’elle est disposée de telle m
3270 kegaard dans sa vie et son œuvre indissociables ; et je vois qu’elle est disposée de telle manière que « l’esthétique » et
3271 st disposée de telle manière que « l’esthétique » et le « religieux » y sont constamment homologues, tous les deux irrigué
3272 stade intermédiaire, paraît exsangue, schématique et peu structuré. Un seul exemple : la décision fondant le mariage symbo
3273 on échappe à l’homme, donc à l’éthique temporelle et autonome : La décision n’est pas la force de l’homme, ni son courage
3274 tion amoureuse, mais est resté en cours de route, et une telle décision est trop misérable pour que l’inclination amoureus
3275 le pour que l’inclination amoureuse ne la méprise et ne préfère se fier à elle-même plutôt que de se livrer aux directives
3276 ce système qui se définit par la mise en tension et l’interdépendance de trois réalités hétérogènes : — sa croyance en l’
3277 ènes : — sa croyance en l’altérité totale de Dieu et en l’unicité de l’amour humain ; — la « mélancolie » qui l’accable et
3278 ’amour humain ; — la « mélancolie » qui l’accable et lui rend ce mariage impossible ; — enfin sa vocation exceptionnelle.
3279 ans un sens spirituel — se marier, s’il doit jour et nuit se battre non pas contre les Tartares et les Scythes, mais contr
3280 our et nuit se battre non pas contre les Tartares et les Scythes, mais contre les hordes de brigands d’une mélancolie inné
3281 ’il posséda, car par elle il ne devint que père ; et pas un ne fut un saint par la jeune fille qu’il posséda, car il n’en
3282 fille qu’il posséda, car il n’en posséda aucune, et ne voulut en posséder qu’une seule, qu’il n’obtint pas, de même que t
3283 aîne vers la hauteur. Cet amour qui « entraîne » et transfigure dans la mesure où il est par essence malheureux, ce n’est
3284 d Faust. C’est la passion dans son intransigeance et dans sa ruse avec l’Éros, avec la vie. Et c’est le mythe de Tristan q
3285 igeance et dans sa ruse avec l’Éros, avec la vie. Et c’est le mythe de Tristan qui reparaît enfin ! On sait assez que le p
3286 r de mal du paradoxe, cette passion de la pensée, et les penseurs qui en manquent sont comme des amants sans passion, c’es
3287 rir quelque chose qu’elle-même ne puisse penser. Et plus loin : Regardons ce qui se passe dans l’amour, quoiqu’il ne ren
3288 ssances s’entendent dans la passion de l’instant, et cette puissance est justement l’amour. Cette forme de pensée est tri
3289 is spirituellement créatrices — entre Kierkegaard et Régine. Il n’a pu l’aimer que de loin, dans la perte, choisie par lui
3290 ar lui, de toute présence autre que nostalgique. ( Et déjà, durant les fiançailles, il lui écrit pour s’excuser d’un rendez
3291 campagne, ce jour-là, « à Fredensborg où souvenir et nostalgie s’embrassent. C’est ce moment que j’aime tant ». Et il ajou
3292 s’embrassent. C’est ce moment que j’aime tant ». Et il ajoute que lorsqu’il peut la dire « sienne » dans la solitude de s
3293 és, mais par hasard, dans la rue. Elle l’a salué, et il a répondu à son salut, mais ils n’ont pas pu se parler. C’était le
3294 ne autre île. Que cette forme d’amour nostalgique et de possession par la perte transparaisse également dans la dialectiqu
3295 aisse également dans la dialectique existentielle et dans la pensée proprement religieuse de Kierkegaard, ce n’est pas ici
3296 amour poétique) qui élit un seul être bien-aimé, et l’amour du prochain (amour chrétien), dont le commandement est d’aime
3297 tion, non par sympathie élective toujours égoïste et « charnelle », mais dans l’égalité de tous devant Dieu. On s’étonne :
3298 eu. On s’étonne : cet amour général, impersonnel, et qu’on pourrait confondre avec un sens social humanitaire, serait-il v
3299 sprit, — isolé de la foule, « qui est mensonge ». Et l’objet, le prochain — celui qu’il faut aider, selon la parabole évan
3300 it en tout homme. Seul donc celui qui s’est connu et accepté en tant qu’esprit, celui qui de la sorte se trouve séparé de
3301 3, sous cette forme : « À l’Individu qu’avec joie et reconnaissance, j’appelle mon lecteur. » C’était là le prochain par e
3302 lecteur. » C’était là le prochain par excellence, et — nous le savons par le Journal — c’était Régine ! Plus tard, le conc
3303 cept d’individu s’universalise (paradoxalement !) et s’approfondit. Il est la signature de l’homme spirituel, distingué da
3304 é par elle à la communauté nouvelle des esprits — et c’est lui que j’appelle la personne. Finalement, cet Individu s’exemp
3305 que pour l’intériorité de la Vérité. Nietzsche et son ombre Deux vies dénuées. Deux célibataires maladifs, chastes s
3306 des fiançailles, l’attaque finale contre l’Église et la mort à 42 ans. Pour l’autre, moins encore : quelques années de pro
3307 longue solitude errante, la folie à 44 ans. L’un et l’autre ont produit en une quinzaine d’années leur œuvre difficile et
3308 it en une quinzaine d’années leur œuvre difficile et foisonnante, et n’ont forcé qu’in extremis, par le scandale, l’attent
3309 ine d’années leur œuvre difficile et foisonnante, et n’ont forcé qu’in extremis, par le scandale, l’attention de quelques-
3310 urs ses lents mouvements d’approche, d’émergences et d’éclipses alternées. Ces deux chastes ont beaucoup médité sur l’amou
3311 tes ont beaucoup médité sur l’amour, sur la femme et sur le mariage. Nietzsche en a certes moins longuement écrit que Kier
3312 qui rappelle à la fois la « difficulté » initiale et la réponse du Mari des Étapes 108 : L’institution du mariage maintie
3313 ependant susceptible de durer en tant que passion et que l’amour à vie peut être considéré comme la règle. Par cette ténac
3314 ons si fréquentes qu’elles sont presque la règle, et qui en font par conséquent une pia fraus, l’institution a conféré à l
3315 une passion la croyance en la durée de celle-ci, et la responsabilité de la durée, malgré l’essence même de la passion, l
3316 qui voulait voir dans la synthèse d’une décision et d’une inclination le plus haut risque, et même un risque plus qu’huma
3317 écision et d’une inclination le plus haut risque, et même un risque plus qu’humain, le mariage est ici aux yeux de Nietzsc
3318 erkegaardienne, tant par l’esprit que par le ton, et par l’évocation de Socrate — cette attaque frontale : Le philosophe
3319 e frontale : Le philosophe a horreur du mariage, et de tout ce qui pourrait l’y conduire, — du mariage en tant qu’obstacl
3320 a sa place dans la comédie, telle est ma thèse : et Socrate, seule exception, le malicieux Socrate, s’est semble-t-il mar
3321 sait saint Paul, parlant en tant que Spirituel, —  et c’est le point de vue qu’adopteront personnellement Kierkegaard en ta
3322 personnellement Kierkegaard en tant qu’Exception et Nietzsche en tant que philosophe. Nietzsche paraît plus naturellement
3323 du fait que l’homme se trouvait à côté de l’homme et qu’aucune femme ne pouvait élever la prétention d’être pour l’homme l
3324 re pour l’homme l’objet de l’amour le plus proche et le plus haut, ou même l’objet unique — comme l’enseigne la passion.11
3325 épouse pas. Dans ses moments d’« équilibre doré » et d’évaluation créatrice de la morale et de la civilisation, Nietzsche
3326 bre doré » et d’évaluation créatrice de la morale et de la civilisation, Nietzsche met tout l’accent non sur l’ascèse mais
3327 nce, l’art maîtrise l’instinct créateur de formes et l’extase, l’Agapè maîtrise l’Éros, etc.112 L’Agapè dont il est ici
3328 e a fait porter au premier rang les valeurs d’art et l’enthousiasme dans la vénération, plutôt que la revendication d’une
3329 valiers poètes provençaux, ces hommes magnifiques et ingénieux du gai saber à qui l’Europe est redevable de tant de choses
3330 er à qui l’Europe est redevable de tant de choses et presque d’elle-même.113 Plus tard, ayant énuméré six moyens de brid
3331 inct une idée martyrisante ou de honte, dissocier et disperser ses forces, enfin s’affaiblir et se déprimer physiquement e
3332 socier et disperser ses forces, enfin s’affaiblir et se déprimer physiquement et psychiquement !) Nietzsche en vient à déc
3333 es, enfin s’affaiblir et se déprimer physiquement et psychiquement !) Nietzsche en vient à découvrir qu’en réalité « la vo
3334 oit le besoin de repos, ou la crainte de la honte et d’autres suites néfastes, ou bien encore l’amour. Donc, tandis que no
3335 puissances rivales en l’homme : l’érotisme sexuel et l’amour. Or, ni la passion érotique d’un Byron ou d’un Napoléon — cit
3336 j’entends l’usage non nécessaire biologiquement). Et l’amour, que Nietzsche suggère comme un possible instinct rival, est
3337 s animique que symbolisent les mythes de Don Juan et de Tristan. Suivons maintenant les phases de leur grande polémique da
3338 les phases de leur grande polémique dans l’œuvre et dans la vie de Nietzsche.   « Par la musique, les passions jouissent
3339 ar un ouvrage sur la musique, la tragédie lyrique et le mythe : c’est L’Origine de la tragédie, qu’il publie à 28 ans. Au
3340 Au même âge, Kierkegaard écrit Ou bien… ou bien. Et tandis que l’un trouve dans le Don Giovanni de Mozart l’expression pa
3341 s le Don Giovanni de Mozart l’expression parfaite et unique de la spontanéité passionnée, l’autre ne veut prendre à témoin
3342 n de Wagner, comme expression exemplaire du mythe et de la musique dionysiaque. L’un et l’autre tiennent le langage pour i
3343 laire du mythe et de la musique dionysiaque. L’un et l’autre tiennent le langage pour impuissant à traduire l’essence de l
3344 un voit l’expression de la spontanéité sensuelle, et l’autre l’expression de « l’esprit dionysien », de la spontanéité org
3345 ysien », de la spontanéité orgiastique. Pour l’un et l’autre, « seule, la musique » peut dire d’une manière immédiate, le
3346 dire d’une manière immédiate, le secret de l’Éros et de ses mythes. Mais seule aussi, elle peut régénérer la tragédie. « U
3347 « Une harmonie préétablie règne entre la musique et le drame parfait. » Nietzsche voit dans le mythe en général « le but
3348 Le mythe est une « image du monde en raccourci » et , sans le mythe, « toute culture est dépossédée de sa force naturelle,
3349 lture est dépossédée de sa force naturelle, saine et créatrice ; seul un horizon constellé de mythes parachève l’unité d’u
3350 he doivent être les esprits tutélaires invisibles et omniprésents, propices au développement de l’âme adolescente, et dont
3351 , propices au développement de l’âme adolescente, et dont les signes annoncent et expliquent à l’homme fait sa vie et ses
3352 e l’âme adolescente, et dont les signes annoncent et expliquent à l’homme fait sa vie et ses combats. »115 Et voici les r
3353 nes annoncent et expliquent à l’homme fait sa vie et ses combats. »115 Et voici les relations entre le mythe tragique et
3354 quent à l’homme fait sa vie et ses combats. »115 Et voici les relations entre le mythe tragique et la musique : La tragé
3355 5 Et voici les relations entre le mythe tragique et la musique : La tragédie absorbe en elle le délire orgiastique de la
3356 s, mais elle y ajoute aussitôt le mythe tragique, et le héros tragique qui, pareil à un formidable Titan, prend sur ses ép
3357 end sur ses épaules le fardeau du monde dionysien et nous en délivre. … Entre la portée universelle de sa musique et l’aud
3358 ivre. … Entre la portée universelle de sa musique et l’auditeur soumis à l’influence dionysiaque, la tragédie introduit un
3359 tragédie introduit un symbole sublime, le mythe ; et elle suscite chez celui-là l’illusion que la musique ne soit qu’un ad
3360 llusion. Le mythe nous protège contre la musique, et lui seul, d’autre part, donne à celle-ci la suprême liberté. La musiq
3361 he tragique une portée métaphysique si pénétrante et si décisive que, sans cet auxiliaire unique, la parole et l’image fus
3362 cisive que, sans cet auxiliaire unique, la parole et l’image fussent demeurées à jamais impuissantes à l’atteindre. Et c’e
3363 nt demeurées à jamais impuissantes à l’atteindre. Et c’est tout spécialement par l’effet de la musique que le spectateur d
3364 ie suprême, à laquelle aboutit ce chemin de ruine et de déception, de sorte qu’il croit entendre la voix la plus secrète d
3365 ui parle intelligiblement.116 Sans les paroles et l’image scénique, Nietzsche imagine qu’il ne pourrait supporter l’aud
3366 jeunesse marque l’apogée de l’amitié avec Wagner et de l’admiration pour Schopenhauer, leur maître commun. « J’aime en Wa
3367 passé entre-temps ? Sur la scène tout au moins —  et l’on veut dire : dans ce que Nietzsche exprime consciemment —, Trista
3368 che exprime consciemment —, Tristan s’est évanoui et Don Juan domine tout. Wagner n’est plus « mon noble compagnon d’armes
3369 par le rabâchage de toutes les absurdités morales et religieuses ». Loin de Bâle, loin de Triebschen, loin de Bayreuth sur
3370 du Nord désormais détesté, Nietzsche vit à Gênes, et il écrit Aurore. « Presque chaque phrase de ce livre a été pensée et
3371 « Presque chaque phrase de ce livre a été pensée et comme capturée dans les mille recoins de ce chaos de rochers près de
3372 r. »117 Il vit aussi à Sils-Maria, dans l’air sec et la limpidezza des hauteurs, et il y termine la première partie de Zar
3373 ia, dans l’air sec et la limpidezza des hauteurs, et il y termine la première partie de Zarathoustra, à « l’heure sainte »
3374 à Venise118. Que dit Zarathoustra ? « Insouciant et railleur, violent — ainsi nous veut la sagesse. Elle est femme… » Que
3375 e ce vieux remède radical : l’amour en retour ! » Et que peut enseigner cette Carmen de Bizet, que Nietzsche opposera « co
3376 la chasteté douteuse, à la religiosité décadente et aux « Sursum ! Bouboum ! » de Wagner ? Elle enseigne l’amour « remis
3377 t de la « Sagesse » qui se croit devenu Don Juan, et qui se définit comme tel ! Les philosophes de l’avenir réclameront le
3378 ous le manteau de la lumière… des conquérants ! » et leur morale, au-delà du bien et du mal, sera « la danse dans l’esprit
3379 s conquérants ! » et leur morale, au-delà du bien et du mal, sera « la danse dans l’esprit. »120 Voici sans doute le text
3380 des choses qu’il découvre, mais il a de l’esprit et de la volupté et il jouit des chasses et des intrigues de la connaiss
3381 découvre, mais il a de l’esprit et de la volupté et il jouit des chasses et des intrigues de la connaissance — qu’il pour
3382 l’esprit et de la volupté et il jouit des chasses et des intrigues de la connaissance — qu’il poursuit jusqu’aux étoiles l
3383 qu’il poursuit jusqu’aux étoiles les plus hautes et les plus lointaines ! — jusqu’à ce qu’enfin il ne lui reste plus rien
3384 comme l’ivrogne qui finit par boire de l’absinthe et de l’eau-forte. C’est pourquoi il finit par désirer l’enfer, — c’est
3385 rêter pour toute l’éternité, cloué à la déception et devenu lui-même l’hôte de pierre, et il éprouvera le désir d’un repas
3386 la déception et devenu lui-même l’hôte de pierre, et il éprouvera le désir d’un repas du soir de la connaissance, qui jama
3387 ablé, le presto de Don Juan, son humeur insolente et gaie, la désinvolture de grand seigneur avec laquelle on « laisse tom
3388 d’aphorismes, d’Humain, trop humain au Gai savoir et à La Généalogie de la morale. Mais déjà dans Aurore, il arrive que le
3389 e que le Don Juan de la connaissance s’interroge, et cela n’est pas dans le droit fil du personnage. Ou bien veut-il aller
3390 son sens, emporté par sa frénésie de découvertes et de négations triomphantes ? La dernière peut le jeter dans cela même
3391 fus : La nouvelle passion. — Pourquoi craignons et haïssons-nous la possibilité d’un retour à la barbarie ? Serait-ce pe
3392 issance, ou bien le bonheur d’une illusion solide et vigoureuse ; nous souffrons rien qu’à nous représenter un pareil état
3393 il état de choses ! L’inquiétude de la découverte et de la divination a pris pour nous autant de charme et nous est devenu
3394 e la divination a pris pour nous autant de charme et nous est devenue tout aussi indispensable que ne l’est, pour l’amoure
3395 ous en passion qui ne s’effraie d’aucun sacrifice et n’a, au fond, qu’une seule crainte, celle de s’éteindre elle-même… M
3396 t-il donc effrayé d’idées semblables ? La passion et la mort ne sont-elles pas sœurs ? »122 Au comble du défi, Don Juan v
3397 l’Invocation à la Nuit, de la Délivrance du Temps et de l’Extase. Subitement, ce qui parle, c’est l’Ombre, c’est son ombre
3398 nd d’un songe je m’éveille : Profond est le monde Et plus profond que le jour ne l’a vu. Profonde est sa douleur — Mais la
3399 onde encore que la peine : La douleur dit : Passe et finis ! Mais toute joie veut l’éternité, Veut la profonde, profonde é
3400 e retour du mythe mortel de l’Amour qui transfixe et transfigure. C’est le Chant de Minuit saluant l’Éternité, quand Don J
3401 nt l’Éternité, quand Don Juan meurt avec le temps et la succession des moments. C’est la vision du Retour éternel qui subi
3402 ernel Revenant, au Père ! — dans un suprême défi, et pour sombrer. Et ce sera bientôt l’aveu presque posthume, le dernier
3403 u Père ! — dans un suprême défi, et pour sombrer. Et ce sera bientôt l’aveu presque posthume, le dernier appel à Isolde, c
3404 cas Nietzsche » n’a pas été tranché par la folie. Et personne n’en a mieux formulé les données que Nietzsche lui-même. Le
3405 t où jusqu’à présent tous les soleils déclinèrent et s’éteignirent ? Dira-t-on peut-être un jour de nous que, nous aussi,
3406 avait pour titre Ou bien… ou bien (Enten – Eller) et qu’on peut résumer dans cette alternative : — ou bien Don Juan, ou bi
3407 de inconnue ? 94. Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, n° 106. 95. Kierkegaard dit en termes hégéliens : conforme à
3408 rkegaard — sinon selon Mozart ! — que les Valmont et autres séducteurs machiavéliques du xviiie siècle, qui ne laissent d
3409 e, qui ne laissent derrière eux que colère, honte et mépris. Casanova aime les femmes, Valmont ne cherche qu’à gagner des
3410 Dieu ni les hommes. Il n’est pas révolutionnaire, et n’est pas non plus grand seigneur. Il est tricheur, vulgaire, catholi
3411 i ! Don Juan n’a jamais existé, il est un mythe ; et la plus grande différence entre Casanova et le mythe, c’est que les M
3412 the ; et la plus grande différence entre Casanova et le mythe, c’est que les Mémoires existent bel et bien. Quant aux poin
3413 et le mythe, c’est que les Mémoires existent bel et bien. Quant aux points de contact historiques entre le Vénitien et Do
3414 x points de contact historiques entre le Vénitien et Don Giovanni, qu’il suffise de rappeler l’amitié qui liait Da Ponte e
3415 l suffise de rappeler l’amitié qui liait Da Ponte et Casanova au moment où l’abbé écrivit son livret, la visite que les de
3416 l’âme qui enveloppe le corps. » (Par-delà le bien et le mal, 142.) 99. Ou bien… ou bien, ibid. 100. Kierkegaard voit tr
3417 ard voit très bien la parenté des mythes de Faust et de Don Juan. (Cf. notamment le développement sur Marguerite, dans Ou
3418  Tracés d’ombre »). Dans l’ouvrage si intelligent et si bien informé de Mlle Micheline Sauvage : Le Cas Don Juan (une seul
3419 e ces formules adroitement balancées : « Don Juan et Faust sont des gémeaux mythiques… moitiés complémentaires d’un être d
3420 t est voluptueux, désireux d’amour, il a des sens et un cœur donjuanesques… Faust est l’intelligence de Don Juan ; Don Jua
3421 e de Faust… Le romantisme conciliera que Don Juan et Faust cherchent tous deux l’absolu, et que le héros unique s’appelle
3422 e Don Juan et Faust cherchent tous deux l’absolu, et que le héros unique s’appelle Faust quand il demande cet absolu à la
3423 ses de Kierkegaard. À coup de citations musicales et dans le langage de son art, Breydert illustre abondamment l’intuition
3424 04. Riens philosophiques, « Le Dieu comme maître et sauveur », 1844. 105. Étapes, « Problèmes du mariage ». 106. Étap
3425 e métaphysique) ». 108. Cf. supra, « Kierkegaard et Tristan ». 109. Aurore, n° 27. 110. Aurore, n° 503. 111. Généal
3426 die grecque, chapitre II. 113. Par-delà le bien et le mal, n° 260, fin. 114. Aurore, n° 109. 115. L’Origine de la tr
3427 uscule des idoles (1888). 120. Par-delà le bien et le mal, passim. 121. Aurore, n° 327. 122. Aurore, n° 429. bd. R
51 1961, Preuves, articles (1951–1968). Dialectique des mythes : Le carrefour fabuleux (II) (mai 1961)
3428 ura jamais épuisé la richesse. L’un posséda mille et trois femmes, l’autre une seule femme. Mais c’est la multiplicité qui
3429 té qui est pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se concentre le monde entier. Tristan n’a plus bes
3430 é, ne peut pas aimer en retour. D’où son angoisse et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte d’amour la volupté d’un
3431 inisante. La tactique de Don Juan, c’est le viol, et aussitôt remportée la victoire, il abandonne le terrain, et s’enfuit.
3432 t remportée la victoire, il abandonne le terrain, et s’enfuit. Or la règle de l’amour courtois faisait du viol précisément
3433 le crime des crimes, la félonie sans rémission ; et de l’hommage un engagement jusqu’à la mort. Don Juan se rend donc tri
3434 lui, se voit libéré du jeu des règles, des péchés et des vertus, par la grâce d’une vertu qui transcende le monde de la Lo
3435 martyr de la sensation de plus en plus décevante et méprisable — quand Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et
3436 nd Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mue en joie pure à la m
3437 oré un véritable chevalier. Tristan, mélancolique et courageux, n’abdique au contraire son orgueil qu’à l’approche de la m
3438 elle. Don Juan n’est pas concevable sans Tristan, et sans lui n’eût pas vu le jour. Mais ce lien de genèse réciproque ne s
3439 tate la filiation des mythes, puis leurs retours, et enfin leur coexistence statistique dans l’ensemble d’une société auss
3440 surplus, dans la mesure où la conduite, la pensée et l’affectivité d’un même individu sont dissociées, Don Juan peut régir
3441 de Don Juan ne remonte guère qu’à la Renaissance, et ne s’est vraiment constituée qu’à la faveur du refoulement temporaire
3442 lui qui a donné sa figure au Burlador de Molina, et qui lui a imprimé pour toujours ces deux traits si typiques de l’époq
3443 deux traits si typiques de l’époque : la noirceur et la scélératesse. Antithèse vraiment parfaite des deux vertus de l’amo
3444 deux vertus de l’amour chevaleresque : la candeur et la courtoisie.124 Observons aussi que Don Juan succède normalement
3445 ue du rationaliste éclairé aux coutumes, préjugés et principes du groupe natif, de la tribu ou de la nation. C’est pourquo
3446 disme de Don Juan n’est pas seulement cosmopolite et donc moderne. Les succès du héros, comme ceux de Casanova, ne sont pa
3447 vélaient le plaisir dans l’acuité de l’épouvante, et fuyaient au galop vers leur désert. Et c’est aussi le prêtre ou le hé
3448 épouvante, et fuyaient au galop vers leur désert. Et c’est aussi le prêtre ou le héros divin dans les religions antiques e
3449 tre ou le héros divin dans les religions antiques et primitives : celui qui est assez saint ou assez fort pour oser assume
3450 omme un ange, passe, étreint, dit le mot, révèle, et disparaît. Don Ottavio s’indigne au nom de la morale, mais le paysan
3451 de civilisation bien antérieur au christianisme, et plus encore à la chevalerie courtoise. Du point de vue de la psycholo
3452 e. Il est alors sentiment pur, douleur-joie pure, et ne sera plus jamais aussi nettement distinct de tout autre douleur ou
3453 iment les troubadours est typiquement adolescent, et comme indépendant du sexe. S’il réussit à se fixer sur un seul être,
3454 dont les termes de base sont le sexuel, le social et le sentimental. Supposons que la synthèse des trois termes s’opère, e
3455 pposons que la synthèse des trois termes s’opère, et qu’il en résulte un vrai couple. Cela signifie qu’au sein de cette en
3456 ient trouvé leur régime d’équilibre en mouvement, et que la résultante de ce système d’échanges soit positive pour l’une e
3457 de ce système d’échanges soit positive pour l’une et l’autre des personnes composant le couple. Une telle synthèse peut de
3458 atique, au sens où la supposent la morale sociale et ses lois laïques ou religieuses. Car elle sera bientôt soumise à l’ép
3459 l’importance relative de chacun des trois termes, et cela chez deux êtres différents. (Calculez le nombre des combinaisons
3460 différents. (Calculez le nombre des combinaisons et des permutations possibles : ce n’est pas ici mon sujet, mais celui d
3461 éralement de nature sociale : ou bien il s’exalte et les nie — ou bien il renonce et les hait. Bientôt aimanté par le sexe
3462 bien il s’exalte et les nie — ou bien il renonce et les hait. Bientôt aimanté par le sexe, il y prend une nouvelle énergi
3463 serait un mari manqué pour avoir manqué le social et surcompensé cet échec par la passion ; tandis que Don Juan serait un
3464 qué, pour avoir reculé à la fois devant le social et le sentimental126. Mais comme il n’est guère de mariage qui parvienne
3465 urs crises à l’action de l’un des deux. La morale et la société prononcent alors leurs décrets. S’ils suffisent à mainteni
3466 : non comme médecin psychiatre, non comme prêtre, et non comme avocat, et encore moins comme juge, mais simplement parce q
3467 sychiatre, non comme prêtre, et non comme avocat, et encore moins comme juge, mais simplement parce qu’il connaît le signa
3468 identale. La fonction civilisatrice, ordonnatrice et dynamique qui pourrait aussi bien être la leur, exige une prise de co
3469 de conscience objective de leur véritable nature, et des fins vers lesquelles nous conduisent leurs structures. Du point d
3470 t leurs structures. Du point de vue de l’histoire et de la psychologie — phylogenèse, ontogenèse —, c’est l’alternance de
3471 ui est manifeste — leur interdépendance génétique et leur coexistence dialectique —, l’un agissant dans l’ombre quand l’au
3472 lternative que le drame s’impose, qu’il est vécu, et que la morale formule ses exigences. Or, on ne saurait trancher l’alt
3473 es fins auxquelles chacun de ses termes s’ordonne et nous incline, selon sa loi. Mais il se peut aussi qu’une fois ces fin
3474 fins de nos vies au-delà de survivre, travailler et gagner de l’argent, qui ne sont au vrai que des moyens ? Limitons-nou
3475 tation toujours nouvelle. L’un cherchera le drame et l’autre la surprise. Que ce soit par dépit devant leur impuissance à
3476 il n’est heureux que dans l’instant, la nouveauté et le changement, et qu’il n’a jamais souhaité mieux. « Le croire malheu
3477 ue dans l’instant, la nouveauté et le changement, et qu’il n’a jamais souhaité mieux. « Le croire malheureux parce qu’il v
3478 ise. » L’excitation de la chasse lui suffit donc, et l’on insiste : elle est même pour lui « l’essentiel ». Cet instinct «
3479 st qu’il oublie qu’une femme n’est pas une pomme. Et qu’elle en voudra mortellement à celui qui ne l’aura pas « prise », s
3480 elle mise à part, le « divin » ramené à l’humain, et l’âme n’étant plus confondue avec l’esprit ou la personne, le sens es
3481 efus de la vraie possession, qui implique échange et don, entre humains tout au moins, et l’on n’en finit pas si vite ! Il
3482 ique échange et don, entre humains tout au moins, et l’on n’en finit pas si vite ! Il n’est que juste d’observer d’ailleur
3483 s à l’érotisme, qui est dépassement de l’instinct et des faims animales. Il n’intéresse pas plus que les pariades des autr
3484 n’intéresse pas plus que les pariades des autres, et n’a pas de prestige pour l’imagination. Mozart n’en eût rien fait, ni
3485 e, même dans ses manifestations les plus altières et les plus fascinantes pour l’esprit. Il nous rappelle aussi que la dur
3486 ation que l’objet humain vit encore, dure encore, et demeure lui-même avec tout ce que cela peut comporter de gênant ou d’
3487 e, après l’accomplissement du phantasme excitant. Et c’est pourquoi l’impératrice Théodora faisait tuer avant l’aube ses a
3488 l’éternité, car il veut échapper à la souffrance, et la souffrance est liée au temps et à l’espace, qui modifient, disting
3489 la souffrance, et la souffrance est liée au temps et à l’espace, qui modifient, distinguent et séparent — « mais toute joi
3490 u temps et à l’espace, qui modifient, distinguent et séparent — « mais toute joie veut l’éternité, veut la profonde éterni
3491 de son refus de la durée incarnée. Il veut plus, et non moins que le mariage ; plus, et non moins que la possession de la
3492 Il veut plus, et non moins que le mariage ; plus, et non moins que la possession de la vérité « dans une âme et un corps »
3493 ins que la possession de la vérité « dans une âme et un corps », comme dit Rimbaud. L’excitation de la nouveauté, il la tr
3494 ation bien assurée de notre vie dans ce monde-ci, et de son sens ou de son absurdité, nous mettrait en mesure de répondre.
3495 i notre incarnation présente n’est que souffrance et illusion — souffrance à cause de l’illusion, dit le bouddhisme — c’es
3496 vie ni d’autre réalité qu’historique, matérielle et biologique, le mariage est un devoir civique, et Don Juan serait alor
3497 et biologique, le mariage est un devoir civique, et Don Juan serait alors la liberté, un reflet inversé de l’esprit que l
3498 rd, la synthèse vivante de l’instant, de la durée et de l’éternité. Celui qui a résolu ce problème dans sa vie est seul en
3499 s sa vie est seul en mesure de condamner Don Juan et Tristan à la fois ; mais il n’a plus de raison de le faire…   Le bon
3500 e la passion : l’argument du bonheur sert à tous. Et ce n’est pas une raison pour qu’il soit faux. Il n’en fait pas moins
3501 de l’abandon, l’angoisse ou la vulgarité d’esprit et d’âme — ces deux cas sont les plus généraux — empêchent de jouer un r
3502 tous les plans : spirituel, animique, biologique et physique. En effet, nulle vie n’est concevable hors de la tension per
3503 s antagonistes. Prenons ici l’exemple élémentaire et primordial, celui de la vie d’une cellule. On sait aujourd’hui que ce
3504 la cellule fonctionne bien, son régime d’échanges et de synthèses est créateur : on pourrait dire qu’elle est « heureuse »
3505 n virus y pénètre : elle le digère, le désintègre et l’assimile, — il n’est plus là, matériellement. Et puis, quelques min
3506 t l’assimile, — il n’est plus là, matériellement. Et puis, quelques minutes ou quelques heures plus tard, c’est la cellule
3507 é. (Notons aussi que le virus ne peut se propager et se reproduire qu’aux dépens de cellules vivantes : sans elles, il ne
3508 par la présence des deux tendances antagonistes, et sa durée sera le produit des synthèses qu’elles induisent en permanen
3509 anence. Qu’un seul des mythes vienne à convaincre et modifier le cœur secret, le « noyau » de cette âme, et voici la névro
3510 difier le cœur secret, le « noyau » de cette âme, et voici la névrose déclarée, le drame et l’éclatement du couple. Si au
3511 cette âme, et voici la névrose déclarée, le drame et l’éclatement du couple. Si au contraire l’âme résiste, elle sera déso
3512 tion ; peut-être aussi leurs éclipses apparentes, et leurs soudaines récurrences dans une vie. (Je songe par exemple au ch
3513 niveau de la « vie » considéré ? Je ne citerai — et en passant — qu’un seul exemple d’application de cette même dialectiq
3514 arisme est caractérisé par sa prétention unitaire et son refus de composer avec aucune espèce d’opposition. Ce qui le dist
3515 deux tendances antagonistes : l’autorité centrale et l’autonomie des régions, l’unité et la diversité. Le fédéralisme figu
3516 rité centrale et l’autonomie des régions, l’unité et la diversité. Le fédéralisme figure la santé du corps politique, ou s
3517 ître, je crois que le totalitarisme est un virus, et si vous l’attrapez, vous n’y pourrez plus rien. » Je ne croyais pas s
3518 is Masques vengeurs s’avancent en pleine lumière, et Don Juan les invite, provoquant le destin. (Nul doute qu’il les ait r
3519 comme on croise l’épée, toutes forces en alerte, et Don Juan s’écrie d’une voix forte : « Que ce lieu s’ouvre à tous ! Vi
3520  Que ce lieu s’ouvre à tous ! Vive la liberté ! » Et voici l’étonnant : toutes les voix relèvent ce défi, et chacune le re
3521 ci l’étonnant : toutes les voix relèvent ce défi, et chacune le reprend dans son registre ! Les trois Masques, Zerline et
3522 nd dans son registre ! Les trois Masques, Zerline et son fiancé se joignent à Don Juan et à Leporello. Viva la libertà écl
3523 ues, Zerline et son fiancé se joignent à Don Juan et à Leporello. Viva la libertà éclate à douze reprises, clamé par des v
3524 les Masques, c’est de tuer le traître séducteur, et de se faire les exécutants d’un destin qui les terrifie ; pour le val
3525 t, c’est de servir son maître tant qu’il le paye, et de le trahir si les choses tournent mal ; pour Mazetto, c’est d’empêc
3526 du seigneur ; pour Zerline, c’est de succomber ; et pour Don Juan de conquérir. Ici donc la morale des principes, la mora
3527 c la morale des principes, la morale des esclaves et la morale des maîtres réclament ensemble et revendiquent leur liberté
3528 laves et la morale des maîtres réclament ensemble et revendiquent leur liberté, et toutes ces libertés se contredisent, et
3529 réclament ensemble et revendiquent leur liberté, et toutes ces libertés se contredisent, et toutes, à des degrés divers,
3530 liberté, et toutes ces libertés se contredisent, et toutes, à des degrés divers, ne font que servir l’ordre assigné à cha
3531 le commun des hommes tient pour vrai, nécessaire et sacré ? Lorsque les croisés se heurtèrent en Orient à l’invincible o
3532 eut-être est-ce aller trop haut — dans la défense et dans l’illustration du libertinage de l’esprit, contre la liberté chr
3533 étienne d’une part, qui est obéissance au Révélé, et d’autre part contre l’ascèse scientifique, qui est elle aussi, à sa m
3534 lorsqu’il attaque l’esprit chrétien, métaphysique et ascétique et le « petit faitalisme » scientifique — le « Rien n’est v
3535 aque l’esprit chrétien, métaphysique et ascétique et le « petit faitalisme » scientifique — le « Rien n’est vrai, tout est
3536 st une connaissance réservée, un savoir religieux et un symbole mystique. « Tout est permis », déclare saint Paul. « Aime
3537 . « Tout est permis », déclare saint Paul. « Aime et fais ce que tu veux », dit Augustin. L’Orient hindouiste et bouddhist
3538 que tu veux », dit Augustin. L’Orient hindouiste et bouddhiste n’a pas dit autre chose avant eux, ni les mystiques de l’i
3539 nt pas « vraies » (si elles sont souvent utiles), et leur renversement ne suffirait pas à révéler la Vérité, moins encore
3540 — instantané comme dans la conversion chrétienne et l’illumination bouddhiste, ou lentement acquis par le yoga. Atteindre
3541 ssion veut aimer sans limites, au-delà des formes et du temps, au-delà du moi distinct et désirant, au-delà de tous les at
3542 à des formes et du temps, au-delà du moi distinct et désirant, au-delà de tous les attachements terrestres, — elle veut ce
3543 ements terrestres, — elle veut ce ciel où l’amant et l’aimée se confondent en un seul être, dans le règne sans fin de l’Am
3544 32 Mais si le moi est dépassé, qui est libre ? Et qui peut encore aimer qui ? C’est dans l’énigme jamais résolue de ce
3545 e enfin ce que l’on croyait son origine concrète, et qui lui échappe. Point d’amour pour Don Juan, le désir seul ; ni de p
3546 qui nourrit sa passion est dans le moi distinct, et si ce moi doit s’abîmer dans l’inconscient tout englobant, il n’y a p
3547 r expression mythique, l’extraversion de Don Juan et l’introversion de Tristan anéantissent, chacune à sa manière, la réal
3548 ne à sa manière, la réalité du prochain. Don Juan et Tristan, symboles de l’âme, ne sont en fait que deux manières d’aimer
3549 s, ce qui est la condition de l’amour d’un autre, et donc de tout amour réel : car sans prochain, l’amour ne sait plus où
3550 sonne, entre l’individu, qui est l’objet naturel, et la vocation qu’il reçoit, sujet nouveau, — et tel est l’amour de soi-
3551 el, et la vocation qu’il reçoit, sujet nouveau, —  et tel est l’amour de soi-même. Elle s’établit ensuite à l’intérieur du
3552 nes mariées. Elle s’établit enfin entre le couple et la communauté humaine. Telle est la plénitude de l’amour — et sa rare
3553 auté humaine. Telle est la plénitude de l’amour — et sa rareté merveilleuse ! Mais nos arts devant elle ont toujours recul
3554  ! Mais nos arts devant elle ont toujours reculé. Et nos littératures, impuissantes à créer le mythe du mariage idéal, ont
3555 t inséparables : ils sont nés de lui, contre lui, et ne pourraient se perpétuer sans lui. Mais ici se révèle en même temps
3556 nuits, au lieu de nous accompagner dans l’ombre, et nous savons que le moment est venu de virer de cap, ou bien d’affront
3557 u de virer de cap, ou bien d’affronter la tempête et les orages désirés. Tous les deux ont raison contre la vie, dès qu’el
3558 tre nos morales de série, hygiéniques, étatiques, et sans style ni virtù. Dès qu’un déséquilibre se trahit en nous, ou pro
3559 rovoque une crise dans le couple, ils s’y jettent et l’aggravent à plaisir. Que l’un des deux gagne à la main, il aura tôt
3560 tôt fait de ruiner mariage, modération, personne, et la vie même. Mais sans eux, que seraient nos amours ? 123. L’Amo
3561 eux, que seraient nos amours ? 123. L’Amour et l’Occident . 124. L’Amour et l’Occident . 125. L’homme politique
3562 123. L’Amour et l’Occident . 124. L’Amour et l’Occident . 125. L’homme politique opportuniste et joueur relève du
3563 l’Occident . 125. L’homme politique opportuniste et joueur relève du type donjuanesque. Mais le général de Gaulle est tri
3564 ès de le dire en plus d’une page de ses Mémoires, et pas seulement aux premières phrases où il compare la France à la « pr
3565 incesse des contes… vouée à une destinée éminente et exceptionnelle », — fût-ce à « des malheurs exemplaires ». Il l’a lon
3566 utte en terrassant le géant qui la tenait captive et qui exigeait son tribut de jeunes gens. (Minotaure-Morholt-Hitler.) P
3567 vraie passion tristanienne se nourrit de retraits et d’obstacles, quitte à les susciter s’ils semblent faire défaut. Entre
3568 iter s’ils semblent faire défaut. Entre la France et lui, quand il était le plus fort — Tristan plus fort que le roi Marc
3569 rahi » de la sorte. Il a mieux aimé ses conquêtes et elles l’ont mieux conquis : on se sépare heureux, dans les Mémoires.
52 1961, Preuves, articles (1951–1968). Pour Berlin (septembre 1961)
3570 kow, qui n’a jamais été en guerre avec les Russes et qui n’existe que par eux. Les motifs politiques qui animent M. Khrouc
3571 ence d’un fait qui dépasse les calculs politiques et met en jeu les droits de l’homme. Le problème de Berlin se ramène à c
3572 peuple de le fuir. À travers Berlin, chaque jour et depuis une dizaine d’années, des centaines d’Allemands de l’Est passa
3573 ix : « Pourquoi tuer deux-cents-millions d’hommes et détruire en passant l’Acropole, à seule fin d’empêcher que M. Walter
3574 économique de tout État ne regarde que son peuple et personne d’autre ». Cette déclaration solennelle, tous les peuples du
3575 l’Est le droit élémentaire de choisir leur régime et d’aller vivre où ils le veulent, et comme ils veulent, qu’il y a un p
3576 r leur régime et d’aller vivre où ils le veulent, et comme ils veulent, qu’il y a un problème de Berlin et que la paix est
3577 omme ils veulent, qu’il y a un problème de Berlin et que la paix est ébranlée. Nous demandons à M. Khrouchtchev d’applique
3578 istoire mènera sans guerre au triomphe de Moscou, et que la seule comparaison de la puissance soviétique et de l’Occident
3579 e la seule comparaison de la puissance soviétique et de l’Occident « pourri » déterminera le choix des masses mondiales. Q
3580 asses mondiales. Qu’il prouve donc qu’il y croit, et laisse Berlin tranquille ! Ces deux millions et demi d’hommes et de f
3581 , et laisse Berlin tranquille ! Ces deux millions et demi d’hommes et de femmes sans armes ne menacent pas la paix du peup
3582 n tranquille ! Ces deux millions et demi d’hommes et de femmes sans armes ne menacent pas la paix du peuple russe. Nous de
3583 massacre universel pour sauver un régime décrié. Et nous lui proposons de faire confiance à l’Histoire, conformément à sa
3584 Allemands cesseraient aussitôt de fuir à l’Ouest et se mettraient au travail, dans l’espoir. Ceux qui retrouvent l’espoir
3585 retrouvent l’espoir ne veulent plus que la paix, et cette volonté populaire, mieux que tous les traités indispensables, g
3586 fournira l’aveu public que le sort des dictatures et de l’empire communiste ne tient qu’aux barbelés de la porte de Brande
53 1963, Preuves, articles (1951–1968). Le mur de Berlin vu par Esprit (février 1963)
3587 i, très généralement, donnent les noms d’auteurs, et c’est tout. (À la Cour, on ne rencontrait que des personnes qui avaie
3588 que des personnes qui avaient été « présentées », et que tout le monde était censé connaître. Les coutumes de Versailles o
3589 qui l’ont bâti pour abriter leur bonne conscience et pour effacer leurs péchés. Voici comment : 1°) En 1958, l’éditeur ham
3590 un côté par des sentinelles est-allemandes armées et casquées, il l’est avec non moins de vigilance par la bonne conscienc
3591 société qui chérissait ce mur avant qu’il existât et qui lui voue à présent un culte confinant à l’idolâtrie ». En effet,
3592 ile terrain d’action aux profiteurs de tout poil, et à la presse la source inépuisable d’alléchantes manchettes ». Il fait
3593 es ». Il fait oublier les crimes nazis, « Oradour et Auschwitz », que l’auteur semble donc attribuer aux seuls Allemands d
3594 attribuer aux seuls Allemands de l’Ouest. Enfin, et c’est sans doute l’argument le plus bouleversant si l’on écrit pour l
3595 ’Ouest a pu « bannir Brecht des scènes allemandes et empêcher une information objective sur le monde communiste. Grâce au
3596 atientée par « une propagande officielle monotone et stupide », celle d’Ulbricht, qui rend « malaisée la tâche de convainc
3597 e de quoi ? On l’ignore.) « À l’Est, la curiosité et la hardiesse étaient plus grandes, surtout parmi les jeunes… » Ainsi,
3598 t. » Ce dernier argument explique enfin l’article et permettrait d’en deviner la source, si le proverbe : is fecit cui pro
3599 , on présente l’auteur : il a écrit Les Réprouvés et Le Questionnaire, et il fut l’un des assassins de Rathenau, le grand
3600 r : il a écrit Les Réprouvés et Le Questionnaire, et il fut l’un des assassins de Rathenau, le grand Allemand d’après la P
3601 agne. » C’est en effet une Allemagne sans Prusse. Et une partie de la Prusse ancienne est devenue polonaise, comme on sait
3602 evenue polonaise, comme on sait. Ainsi, MM. Dehem et von Salomon sont d’accord pour juger que le mur, en tant qu’il leur s
3603 ’est pas nouveau. Il consiste à poser en principe et d’une manière systématique que toute erreur ou crime de l’Est incrimi
3604 toute erreur ou crime de l’Est incrimine l’Ouest, et lui seul. Mauvaise foi ou masochisme ? L’un porte l’autre. Dans l’un
54 1963, Preuves, articles (1951–1968). Une journée des dupes et un nouveau départ (mars 1963)
3605 Une journée des dupes et un nouveau départ (mars 1963)bh Au lendemain du 29 janvier, les ré
3606 é de Rome, qui exclut leur « Europe des patries » et prépare une supra-nation. Tous les adversaires de l’union européenne
3607 pres fondateurs, longtemps raillés par son parti, et à plus d’une reprise par lui-même… Qui a perdu, qui a gagné dans cett
3608 posée en termes de personnes par toute la presse, et par cette opinion publique qui n’est rien d’autre que ce qu’en dit la
3609 a presse sans tenir compte des sondages d’opinion et du suffrage universel. Abstraction faite des noms, des intentions cac
3610 noms, des intentions cachées, des motifs présumés et des sincérités, et quoi qu’on pense des procédés gaulliens, que tous
3611 s cachées, des motifs présumés et des sincérités, et quoi qu’on pense des procédés gaulliens, que tous décrient, deux poli
3612 imaginait que la première était celle de M. Spaak et des Communautés ; et que la seconde était celle des adversaires de l’
3613 ière était celle de M. Spaak et des Communautés ; et que la seconde était celle des adversaires de l’Europe des Six, des m
3614 adversaires de l’Europe des Six, des mondialistes et des neutres, ces trois groupes se trouvant renforcés par l’opposition
3615 ux politiques a gagné le 29 janvier, contre Spaak et grâce à de Gaulle, et peut-être en dépit ou à l’encontre des sentimen
3616 le 29 janvier, contre Spaak et grâce à de Gaulle, et peut-être en dépit ou à l’encontre des sentiments de l’un et de l’aut
3617 e en dépit ou à l’encontre des sentiments de l’un et de l’autre, mais je m’en tiens aux décisions intervenues. Ce chassé-c
3618 éral de Gaulle répète qu’il veut une Europe forte et autonome, donc unie. Il n’a jamais parlé d’une « Europe des patries »
3619 s »134, pas plus que d’une « Algérie française ». Et c’est lui qui invoque maintenant le traité de Rome, qu’il se bornait
3620 . Les raisons subjectives, motifs encore secrets, et prévisions tactiques de l’un et de l’autre restant affaire de conject
3621 s encore secrets, et prévisions tactiques de l’un et de l’autre restant affaire de conjectures, les choix concrets et obje
3622 estant affaire de conjectures, les choix concrets et objectifs sont évidents. C’est là-dessus qu’il faut insister. La vict
3623 ssus qu’il faut insister. La victoire des Anglais et des Cinq, le 29 janvier, risquait fort d’impliquer, on vient de le vo
3624 nt à une Europe fédérée. La logique de ses règles et méthodes, admirablement adaptées aux conditions de l’économie moderne
3625 démontré — appelle sans doute une union politique et la suppose, mais ne la préfigure pas du tout. Prolongée sur le plan p
3626 ice, elle conduirait plutôt à une Europe uniforme et centralisée dont nul ne veut. À l’inverse, l’Europe des patries ne te
3627 ils élaborent un plan, en déduisent une tactique, et qu’ils dressent devant nous et devant les hommes d’État une image con
3628 sent une tactique, et qu’ils dressent devant nous et devant les hommes d’État une image convaincante de l’avenir, capable
3629 eoples are my peoples. » (Je renonce à traduire.) Et il ajoute : « Quand je traverse la Manche, il me semble que je rentre
3630 s le Marché commun, pour des raisons économiques, et aussi politiques. Je garde quelque espoir que, lorsque des forces div
3631 nesse, mais d’une part importante de votre peuple et , par suite de ses gouvernants. Contre cela, luttons en commun pour un
3632 bh. Rougemont Denis de, « Une journée de dupes et un nouveau départ », Preuves, Paris, mars 1963, p. 60-61.
55 1964, Preuves, articles (1951–1968). Un district fédéral pour l’Europe (août 1964)
3633 en mutation. C’est l’Europe qui a tout déclenché, et son rôle reste décisif. C’est elle qui a créé la notion de genre huma
3634 main — ignorée ou niée en Orient — par saint Paul et les Pères de l’Église ; et la notion de droit des gens par Vitoria, S
3635 rient — par saint Paul et les Pères de l’Église ; et la notion de droit des gens par Vitoria, Suárez, Grotius, Vattel et K
3636 oit des gens par Vitoria, Suárez, Grotius, Vattel et Kant. Et c’est elle qui a fourni les instruments techniques de commun
3637 ens par Vitoria, Suárez, Grotius, Vattel et Kant. Et c’est elle qui a fourni les instruments techniques de communication e
3638 ne seule de ses petites nations n’y peut suffire, et les plus grandes — en termes d’autrefois — sont petites au regard des
3639 vont choisir. Trois formules leur sont proposées, et sont en principe concevables. a) L’Europe des États (faussement dite
3640 ) consisterait en un système de pactes politiques et militaires, et de traités économiques entre pays prétendus souverains
3641 en un système de pactes politiques et militaires, et de traités économiques entre pays prétendus souverains. C’est la form
3642 s monarques, transposée au niveau d’États laïques et en majorité républicains. C’est dérisoire, c’est dépassé, c’est en re
3643 es réalités (car les Six sont déjà bien au-delà), et c’est absolument inadéquat aux exigences reconnues de ce siècle. Ulti
3644 transition tactique vers une union plus sérieuse et concrète. On en passera par là, probablement, mais pourquoi s’y arrêt
3645 français, c’est-à-dire culturellement uniformisée et administrativement centralisée. « Une foi, une loi, un roi. » « Ein V
3646 n Reich, ein Führer. » Des puissances économiques et des équipes de technocrates en lieu et place des anciens partis et de
3647 conomiques et des équipes de technocrates en lieu et place des anciens partis et des équipes de politiciens professionnels
3648 technocrates en lieu et place des anciens partis et des équipes de politiciens professionnels. Certes, les tentatives uni
3649 els. Certes, les tentatives unitaires de Napoléon et d’Hitler ont avorté, au prix qu’on sait, mais rien ne prouve que les
3650 manipulés par le Kremlin ou par la Maison-Blanche et le Pentagone, n’arriveraient pas à imposer cette unification tout ext
3651 maginer que l’un des deux « Grands » la souhaite. Et personne en Europe ne la propose : il est trop clair que cette formul
3652 rmule totalitaire mais sans doctrine millénariste et sans passion ne sauverait le corps qu’au prix de l’âme, autant dire p
3653 ope ses seuls atouts. Le monde entier en pâtirait et se sentirait appauvri. Au reste, Napoléon n’a réussi qu’à provoquer d
3654 éussi qu’à provoquer des réactions nationalistes, et Hitler des mouvements de résistance. Une troisième tentative ne manqu
3655 ivité civique à des éclats d’anarchie névrotique. Et quant à ceux qui déclarent que le Marché commun vise en réalité à ce
3656 n corps politique assez puissant pour sauvegarder et garantir l’autonomie de chacun de ses membres, c’est un problème parf
3657 ou d’Athènes est à quelques heures de Strasbourg, et encore plus près de Bruxelles. Pratiquement, l’Europe d’aujourd’hui e
3658 était la Suisse à l’époque où elle s’est fédérée. Et les disparités de coutumes ou de richesse, de langue, de confession,
3659 , ridiculement réduit, à l’échelle des glorieuses et vieilles nations de l’Europe. J’attends qu’on me démontre pourquoi, e
3660 e l’Europe. J’attends qu’on me démontre pourquoi, et je souhaite qu’on le fasse un jour en pleine connaissance de cause, j
3661 uisse, il reste que la Suisse dépend de l’Europe, et que la forme que prendra l’inévitable union européenne rendra possibl
3662 ravir à la majorité de nos dirigeants politiques et industriels, mais elle nous perdrait tous tant que nous sommes dans l
3663 nion de l’Europe La Suisse est née de l’Europe et en détient le secret. Formée du xive au xvie siècle dans le Saint-E
3664 mée du xive au xvie siècle dans le Saint-Empire et par lui, ayant reçu ses premières libertés pour assurer la grand-gard
3665 s se constituent, se multiplient, s’absolutisent, et prouvent leur souveraineté par de glorieux massacres, qui sont le pri
3666 rps germanique », des états généraux de Hollande, et de la Ligue helvétique136. L’Europe unie qu’il appelle de ses vœux ne
3667 u’unissent les liens d’une « commune législation… et subordination au corps de la république ». C’est une Europe intégrale
3668 Europe intégralement fédéraliste qu’il préconise, et son modèle, en dernière analyse, n’est rien d’autre que la cité de Ge
3669 rent à leur ruine », faute d’un principe d’union, et que si leurs divisions persistent, l’avenir appartiendra « soit à la
3670 ion internationale des idées, malgré les jacobins et le Premier Empire. Benjamin Constant n’est pas seulement l’auteur de
3671 e, pamphlet classique contre l’esprit d’hégémonie et de centralisme national, mais c’est lui qui rédige, pendant les Cent-
3672 ue signe — hélas ! il est trop tard ! — Napoléon. Et son fédéralisme préfigure le régime qui va triompher à l’échelle suis
3673 péenne à la neutralité de la Suisse indépendante. Et tandis que se forment dans le reste de l’Europe des nations unitaires
3674 dèle français, promises aux guerres nationalistes et coloniales, seule la Suisse réussit à unir ses cantons selon la maxim
3675 lus haut degré un caractère très international », et c’est ce type d’union pluraliste qui peut seul assurer la paix de l’E
3676 ralistes européens voit le jour : l’Europa-Union. Et c’est sur sa convocation qu’au lendemain de la guerre, à Hertenstein
3677 rapidement une vingtaine de mouvements nationaux, et plus de cent-mille membres. Elle tient son premier congrès à Montreux
3678 e La Haye naît le Mouvement européen, qui propose et obtient en neuf mois la création du Conseil de l’Europe. L’impulsion
3679 pinion se réveille, les hommes d’État le sentent, et le reste va s’ensuivre : plan Schuman, Communauté du charbon et de l’
3680 s’ensuivre : plan Schuman, Communauté du charbon et de l’acier, tentative avortée d’une Communauté de défense, puis réuss
3681 e défense, puis réussite du Marché commun des Six et réplique des Sept de l’AELE, essor de l’économie européenne, discussi
3682 ef historique, les aspects culturels du mouvement et le rôle qu’y jouent des Suisses. Le congrès de La Haye ayant préconis
3683 opéen de la culture, celui-ci s’organise à Genève et convoque aussitôt une grande conférence qui se tient à Lausanne en dé
3684 à Lausanne en décembre 1949. De cette conférence et de l’action du CEC vont naître successivement : le Centre européen de
3685 re, à Genève également (aujourd’hui à Amsterdam), et une série d’initiatives groupant des instituts universitaires, des fe
3686 européenne de la culture, sur le thème « l’Europe et le monde », se tient à Bâle en septembre 1964, sous le haut patronage
3687 dt, Robert de Traz, auteur de L’Esprit de Genève, et Gonzague de Reynold, auteur de Formation de l’Europe, méritent une pl
3688 en Suisse que Mazzini publie en 1836 le manifeste et les journaux de la Jeune Europe. C’est en Suisse que le fondateur du
3689 isse que Churchill choisit de parler de l’Europe, et que la même année 1946, les premières rencontres internationales de G
3690 uisse idéale, réputée « microcosme de l’Europe », et ce sont quelques Suisses entreprenants qui l’ont permis. Qu’a fait, p
3691 a fait, pendant ce même temps, la Suisse légale ? Et que pensaient les Suisses moyens ? Motifs de la réserve suisse
3692 ns de 1960, il faut reconnaître que nos autorités et notre presse ont été dans l’ensemble pour le moins réservées, et que
3693 ont été dans l’ensemble pour le moins réservées, et que notre peuple l’est sans doute plus encore, s’agissant du projet e
3694 sant du projet européen. Le scepticisme dominait, et comme on tient pour réaliste, en politique, les partis pris de la maj
3695 ste, en politique, les partis pris de la majorité et ses routines, le projet d’union de l’Europe passait généralement pour
3696 initiative de la Suisse, mais aussi l’imagination et la faculté de prévision de ceux qui faisaient notre opinion. L’union
3697 notre opinion. L’union de l’Europe s’avérait bel et bien réalisable, puisqu’elle devenait réalité, mais elle nous prenait
3698 ait réalité, mais elle nous prenait par surprise, et chaque démarche de nos gouvernants pour rejoindre l’histoire en train
3699 e faire semblait prématurée aux yeux de nos sages et de nos experts, quoique trop tardive aux yeux du reste de l’Europe. N
3700 de Canossa sans agenouillement, donc sans pardon. Et notre arrivée tardive au Conseil de l’Europe n’a jamais été justifiée
3701 es partisans de l’abstention. Je vais les résumer et y répondre. Arguments politiques. — La neutralité intégrale reste la
3702 ité intégrale reste la base de notre indépendance et « l’étoile fixe sur laquelle se règle la politique étrangère de la Co
3703 isse recevrait des ordres d’un pouvoir extérieur, et c’en serait fait du rôle particulier qu’elle se réserve d’invoquer pl
3704 pourrait qu’y perdre son prestige international, et cette réserve originale qui fait qu’on la distingue encore parmi les
3705 on internationale actuelle, économique, politique et militaire a, en fait, complètement transformé le sens, la portée et l
3706 fait, complètement transformé le sens, la portée et la réalité de notre neutralité141. » Cette dernière est devenue en pa
3707 isse doit donc tendre à participer « sans réserve et de plein droit » à l’édification de l’Europe unie. Sinon, l’Europe qu
3708 ons de la Croix-Rouge lors des conflits européens et celles de la diplomatie suisse lors de la guerre d’Algérie, l’existen
3709 serait peut-être capable de prévenir ces crises, et à coup sûr diminuerait très fortement les risques de leur retour à l’
3710 st celui qui ose la discuter — a changé de nature et de finalité. Sortie de l’Histoire, en quelque sorte, elle n’est plus
3711 même en cas de conflit entre l’Europe d’une part et l’URSS de l’autre (ou bien la Chine), c’est opérer un coup d’État con
3712 d’État contre notre présent statut de neutralité, et c’est absurde : car la Suisse fait partie de l’Europe, qu’elle le veu
3713 t partie de l’Europe, qu’elle le veuille ou non ; et rester neutre entre l’Europe et ses ennemis, ce serait vouloir rester
3714 veuille ou non ; et rester neutre entre l’Europe et ses ennemis, ce serait vouloir rester neutre entre nos ennemis et nou
3715 ce serait vouloir rester neutre entre nos ennemis et nous-mêmes. Neutres entre le pompier et l’incendie, entre le microbe
3716 s ennemis et nous-mêmes. Neutres entre le pompier et l’incendie, entre le microbe et la maladie ! On ne voit guère quelles
3717 entre le pompier et l’incendie, entre le microbe et la maladie ! On ne voit guère quelles considérations philanthropiques
3718 ropéennes. Ce serait contraire à la Constitution, et ce serait même la fin de notre fédéralisme, n’hésitent pas à déclarer
3719 n’hésitent pas à déclarer de nombreux politiciens et journalistes. Réponse : Le professeur Paul Guggenheim a démontré d’u
3720 le que l’adhésion de la Suisse à une Europe unie, et d’abord au Marché commun, n’entraînerait aucune violation de la Const
3721 rait justifier ce refus par des motifs juridiques et des prétextes tirés de la « démocratie directe », mais uniquement par
3722 drait de nombreux avantages, bancaires notamment, et son agriculture serait gravement menacée. L’adhésion au Marché commun
3723 s que s’il le faut, un jour, la Suisse farà da se et saura bien se défendre ? Nous ne sommes plus au défilé de Morgarten.
3724 des longues piques, des crampons de fer aux pieds et une résolution farouche que nous pourrons faire face à une Europe uni
3725 face à une Europe unie — j’entends unie sans nous et malgré nous. Arguments traditionalistes. — Des représentants de l’in
3726 itionalistes. — Des représentants de l’industrie, et quelquefois de la culture, croient distinguer dans les projets d’Euro
3727 liminer peu à peu les caractéristiques nationales et les remplacer par un sentiment européen », ainsi que le déclarait le
3728 ger, directeur de l’Union suisse pour l’industrie et le commerce (dite Vorort). Réponse : Il est clair qu’une Europe « un
3729 ort). Réponse : Il est clair qu’une Europe « une et indivisible » serait une catastrophe pour la Suisse. Mais personne ne
3730 , n’a pas effacé nos caractéristiques cantonales. Et il est pour le moins bizarre qu’un porte-parole des industriels suiss
3731 en Suisse (Italiens, Allemands, Espagnols, Grecs et Turcs). Ce n’est pas le Marché commun qui les amène. C’est l’expansio
3732 typiques de ce pays ont changé avec les époques, et surtout par l’effet de la technique, laquelle n’a pas été créée par l
3733 l’étranger, le nom de la Suisse évoque des vaches et des vachers, des fromages, des yodleurs et de gras pâturages. En fait
3734 vaches et des vachers, des fromages, des yodleurs et de gras pâturages. En fait, cette « caractéristique nationale » n’en
3735 itions de l’ancienne Suisse, déjà rendu bien rare et difficile pour les habitants de nos grandes villes, soit définitiveme
3736 ’aventure certaine, au nom d’une prudence aveugle et sous le prétexte d’une indépendance dont notre peuple n’est pas dispo
3737 es précisément fédéralistes de tolérance calculée et d’empirisme, qui supposent qu’on ne pousse pas sa pointe à fond et qu
3738 ui supposent qu’on ne pousse pas sa pointe à fond et qu’on ne se laisse pas entraîner par une verve logique ou polémique q
3739 vent bien que chacun sait qu’il s’agit d’intérêts et de maintenir ou d’augmenter le chiffre d’affaires, qui définit le sen
3740 sens de la vie pour nos industriels « sérieux ». Et quant aux enthousiastes de l’Europe, ils savent qu’ils n’ont aucune e
3741 èse-majesté. Personne n’ose donc crier trop fort, et c’est peut-être mieux ainsi. Mais notre peuple comprend mal ce qui es
3742 e reprendrait à son compte ce qui demeure valable et même indispensable dans la neutralité d’une fédération. Il n’y a pas
3743 ns ce domaine de la majorité. Il s’agit de savoir et de dire ce que nous avons à donner, et non pas seulement à sauver ; c
3744 de savoir et de dire ce que nous avons à donner, et non pas seulement à sauver ; ce que l’Europe est en droit d’attendre
3745 dre d’une Suisse qui fait partie de sa communauté et qui en est largement bénéficiaire, et pas seulement ce que nous redou
3746 communauté et qui en est largement bénéficiaire, et pas seulement ce que nous redoutons de l’action des autres. Au cœur g
3747 tons de l’action des autres. Au cœur géographique et historique du continent européen, nous avons réussi beaucoup mieux qu
3748 ameuse neutralité — nécessité subie, à l’origine, et dont nous fîmes peu à peu vertu à partir du xxe siècle — nous avons
3749 at. C’est notre création majeure. Il nous oblige. Et en son nom, nous nous devons dorénavant de prendre des initiatives. A
3750 a solution fédéraliste, qui maintient les patries et l’union. Mais je réitère : si la Suisse ne la préconise pas, qui le f
3751 expérience passionnante, remarquablement positive et tellement opportune à l’échelle mondiale ? Pourquoi cette timidité ?
3752 nt, mais un plan d’union qui nous convienne enfin et auquel nous puissions adhérer « sans réserve et de plein droit ». Mai
3753 n et auquel nous puissions adhérer « sans réserve et de plein droit ». Mais énoncer un plan suppose une politique. Et c’es
3754 it ». Mais énoncer un plan suppose une politique. Et c’est à quoi le gouvernement de notre fédération se refuse avec vigil
3755 e sa gestion « considérée dans ses grandes lignes et dans son ensemble », se voit répondre par le Collège exécutif : 1°) «
3756 ons. » (Ce qui revient à justifier l’opportunisme et le régime du fait accompli, c’est-à-dire du « trop tard mais je n’y p
3757 ’est-à-dire du « trop tard mais je n’y puis rien, et tâchez de comprendre mes soucis… ») 2°) « L’on peut mesurer les diffi
3758 a situation du gouvernement aux yeux du parlement et du pays. » Sur quoi l’un des journalistes romands qui commentent cett
3759 diterait-il le gouvernement aux yeux du parlement et du peuple ? » Et il conclut : « Confusione hominum et providentia dei
3760 uvernement aux yeux du parlement et du peuple ? » Et il conclut : « Confusione hominum et providentia dei Helvetia regitur
3761 u peuple ? » Et il conclut : « Confusione hominum et providentia dei Helvetia regitur 143. » Cet exemple est révélateur d’
3762 un univers en perpétuelle évolution vers un ordre et des formes d’organisation de plus en plus complexes. Les régimes tota
3763 sera de plus en plus réduit quant aux distances, et tissé de réseaux de relations de plus en plus complexes et enchevêtré
3764 de réseaux de relations de plus en plus complexes et enchevêtrées. Les notions de succession logique et de séparation topo
3765 t enchevêtrées. Les notions de succession logique et de séparation topographique des éléments distincts, hier dominantes d
3766 cts, hier dominantes dans l’ordonnance des choses et des États, céderont le pas aux notions d’interaction et de simultanéi
3767 États, céderont le pas aux notions d’interaction et de simultanéité. Distances dévalorisées ou abolies. Communications pl
3768 polyvalence professionnelle. Résidences multiples et nomadisme universel… Dans un tel monde, les dimensions superficielles
3769 les corps politiques à structures très complexes et les communautés à très forte densité culturelle seront alors les réal
3770 elle seront alors les réalités les mieux définies et caractérisées, les plus propres à intégrer une multiplicité de groupe
3771 , à les articuler dans la coexistence spirituelle et topographique, sans frontières territoriales qui les séparent, mais s
3772 rritoriales qui les séparent, mais sans confusion et sans nivellement. L’identité d’un peuple ou d’une communauté ne sera
3773 définie par des arpenteurs, des cordons douaniers et des décrets simplistes et rigides promulgués par une capitale, mais p
3774 , des cordons douaniers et des décrets simplistes et rigides promulgués par une capitale, mais par des propriétés analogue
3775 étés analogues à celles qui distinguent les corps et les combinaisons chimiques, et par des types de structures des relati
3776 tinguent les corps et les combinaisons chimiques, et par des types de structures des relations politiques et sociales. (To
3777 des types de structures des relations politiques et sociales. (Tout cela, presque inconcevable et parfaitement abstrait p
3778 ues et sociales. (Tout cela, presque inconcevable et parfaitement abstrait pour un esprit dix-neuviémiste, mais immédiatem
3779 s immédiatement perceptible, facilement maniable, et devenu comme naturel pour des générations formées par la technologie.
3780 s par la technologie.) C’est dire tout l’avantage et l’avance effective d’une communauté du type suisse sur des entités po
3781 ucturées de l’intérieur. 2°) Les avantages moraux et civiques du petit pays sur la grande nation ont été formulés, depuis
3782 tit État ne possède rien d’autre que la véritable et réelle liberté par laquelle il compense pleinement les énormes avanta
3783 elle il compense pleinement les énormes avantages et même la puissance des grands États. Alexandre Vinet constate que l’h
3784 eur d’un idéal national dominant les nationalités et les unissant dans son sein. Et Robert de Traz, dans le même temps :
3785 les nationalités et les unissant dans son sein. Et Robert de Traz, dans le même temps : Grâce au besoin qu’il a du rest
3786 ation, ont de grandes chances d’être confirmées — et sans doute de s’étendre du plan moral, civique et politique, aux doma
3787 et sans doute de s’étendre du plan moral, civique et politique, aux domaines de l’administration, de l’économie, de la cul
3788 stration, de l’économie, de la culture en général et de la recherche en particulier. Bergson l’avait déjà remarqué : l’hom
3789 cii cessent de se sentir tels. Seules l’idéologie et la police d’État les encadrent alors, sans les unir ni vraiment les o
3790 un milieu où les relais d’exécution sont nombreux et organiquement distribués. Aux stades encore primitifs de la technique
3791 bués. Aux stades encore primitifs de la technique et du développement industriel, on pouvait croire que les décrets du cen
3792 it croire que les décrets du centre, géométriques et uniformes, assureraient seuls une bonne ordonnance de la production e
3793 aient seuls une bonne ordonnance de la production et des échanges, ou corrigeraient les excès et les crises du libéralisme
3794 ction et des échanges, ou corrigeraient les excès et les crises du libéralisme là où il existait, et l’on baptisait « plan
3795 s et les crises du libéralisme là où il existait, et l’on baptisait « plan » l’ensemble de ces décrets, ce qui entraînait
3796 eaucoup d’esprits) entre étatisme, centralisation et planification. Mais dès les années 1950, on prend conscience un peu p
3797 er, de déconcentrer, de différencier, de déléguer et de distribuer les pouvoirs d’initiative, d’étude, de décision et d’ex
3798 r les pouvoirs d’initiative, d’étude, de décision et d’exécution. Et l’on découvre le principe des dimensions optima d’une
3799 ’initiative, d’étude, de décision et d’exécution. Et l’on découvre le principe des dimensions optima d’une activité, d’une
3800 ction entre les possibilités d’existence autonome et les nécessités de mise en commun ou de création d’instruments communs
3801 ogues actuels est l’étude des ensembles régionaux et des « métropoles » constituant les unités de base d’une économie bien
3802 d’une économie bien liée à des réalités sociales et culturelles autant que géographiques. La dévalorisation croissante de
3803 libérer le dynamisme des régions, traditionnelles et nouvelles. Déjà l’on essaie d’évaluer l’optimum de population d’une r
3804 it capable de fonctionner d’une manière autonome, et l’on propose en France le chiffre de six millions : il coïncide, par
3805 hiffre de six millions : il coïncide, par hasard, et pour l’instant, avec celui de notre population. Question : la Suisse
3806 continue d’appliquer les principes du fédéralisme et ses méthodes d’analyse : celles-ci marquent avec précision le moment
3807 existe pas d’autres) d’une communauté politique, et procurer à ses habitants les meilleures chances de plein emploi de le
3808 ent. Elle consulterait ses élites intellectuelles et politiques, les cantons, les villes principales, les grandes organisa
3809 ales, les grandes organisations professionnelles, et concerterait avec elles les termes d’un projet de fédération politiqu
3810 uest145. Il serait présenté au nom de notre idéal et de notre usage du fédéralisme, mais « dans les intérêts de l’Europe e
3811 oit devoir s’y refuser. Pendant longtemps encore, et sans doute trop longtemps pour qu’un revirement puisse s’opérer en te
3812 s en deviendraient les gardiens de musée. En lieu et place des mots d’ordre d’une action militante et réaliste, les cliché
3813 et place des mots d’ordre d’une action militante et réaliste, les clichés de l’helvétisme populaire accueilleraient le to
3814 six siècles de fédéralisme, pédagogie universelle et mutuelle, terre de refuge (des hommes jadis, et des capitaux aujourd’
3815 e et mutuelle, terre de refuge (des hommes jadis, et des capitaux aujourd’hui), secret des banques et confort hôtelier, li
3816 et des capitaux aujourd’hui), secret des banques et confort hôtelier, libres pour travailler et neutres à jamais. On arrê
3817 nques et confort hôtelier, libres pour travailler et neutres à jamais. On arrêterait les frais de l’Histoire, une fois les
3818 ation. On surveillerait l’« occupation des lits » et la moyenne des « nuitées ». On donnerait l’heure au monde entier, et
3819  nuitées ». On donnerait l’heure au monde entier, et pour la modestie on ne craindrait plus personne. Cette image convenue
3820 ner qu’une infime minorité formée d’intellectuels et de citoyens conscients. Elle flatterait les désirs secrets de la plup
3821 l’immense majorité des masses modernes, en Europe et ailleurs : confort technique dans une belle nature, paix assurée et p
3822 ort technique dans une belle nature, paix assurée et pas d’Histoire. Mais il suffit que l’Histoire continue sur un seul po
3823 ’au rêve des Suisses, à la littérature romantique et aux intérêts du tourisme. 3°) Entre ces deux visions d’un comportemen
3824 e plus exigeante que l’histoire réelle des hommes et des nations : ses dilemmes sont plus clairs, mais rarement résolus. I
3825 cident. En général, c’est par manque d’attention, et pour n’avoir pas cru aux conseils les plus simples. À une Suisse qui
3826 eut-on conseiller qui ne soit à la fois prématuré et périmé, ou simplement trompeur comme un tranquillisant ? Il est certa
3827 e. Il est probable qu’elle sera faite d’ici 1980. Et l’on n’imagine pas qu’elle puisse se faire sur d’autres bases et selo
3828 ne pas qu’elle puisse se faire sur d’autres bases et selon d’autres règles que celles d’un fédéralisme plus ou moins bien
3829 e final du premier congrès de l’Europe à La Haye, et le temps où l’Europe unie sera sans doute un fait accompli, je propos
3830 qu’une fédération soit gouvernée par un collège, et non par un seul homme, veulent que son centre ne soit pas une capital
3831 des siècles d’histoire commune à tous nos peuples et les diversités que l’on sait, le District fédéral ne saurait être, lu
3832 centre du continent. Il doit être facile à fermer et à défendre en temps de troubles, mais d’accès facile en temps de paix
3833 être qu’un petit pays, cependant très diversifié et si possible de tradition fédéraliste. Enfin, il doit accepter de deme
3834 , d’ailleurs gardienne traditionnelle des valeurs et des réalités d’intérêt commun pour l’Europe. De même qu’au xiii e siè
3835 siège dans ses villes principales, Zurich, Genève et Bâle, à vingt minutes d’avion l’une de l’autre ; Berne restant le siè
3836 on de l’armée suisse : un million de mobilisables et le réduit national des Alpes, centré sur le Gothard. Des dispositions
3837 ui n’inquiète personne, se voit ainsi réinstallée et confirmée dans son statut traditionnel : sa neutralité, son inviolabi
3838 t traditionnel : sa neutralité, son inviolabilité et son indépendance de toute influence étrangère sont reconnues solennel
3839 isse perdrait dans cette affaire son indépendance et ses caractéristiques nationales. Ce serait vouloir soumettre toute l’
3840 i-chemin entre une initiative prise par la Suisse et une absence totale de projet qui ferait de ce pays un musée. Il est m
3841 i elle persiste en son double refus de participer et d’initier, et ne se prépare pas pour un tiers terme. Examinons d’un p
3842 e en son double refus de participer et d’initier, et ne se prépare pas pour un tiers terme. Examinons d’un peu plus près l
3843 iers terme. Examinons d’un peu plus près les pour et contre. Le Suisse moyen pensera de mon « utopie » que c’est bien joli
3844 , mais que nous ne sommes pas faits pour le rôle, et que le reste de l’Europe va peut-être sourire… Le sourire est inévita
3845 va peut-être sourire… Le sourire est inévitable. Et puis viendra la réflexion, la décision. Je me mets dans la peau du Pa
3846 valoir nos bonnes raisons de n’en avoir aucune — et c’est ce que l’on appelle « se réserver », à Berne. Il se peut que ce
3847 seule qui convienne à un petit pays, pluraliste, et neutre au surplus. Nul projet mieux que le mien ne saurait la servir 
3848 s dont nous refusions obstinément de faire usage. Et nous y trouvons en revanche les garanties qui faisaient de plus en pl
3849 e ne serait ni réaliste ni défendable moralement. Et maintenant, en tant que citoyen, j’essaie d’imaginer mes réactions de
3850 st que la Suisse n’est plus à l’écart de l’Europe et qu’elle participe sans arrière-pensées à ses destins, mais qu’elle re
3851 rvée. Le grand réseau des relations continentales et nos petits réseaux serrés de relations cantonales et communales coexi
3852 nos petits réseaux serrés de relations cantonales et communales coexistent et se superposent sans interférences gênantes.
3853 de relations cantonales et communales coexistent et se superposent sans interférences gênantes. À Genève, depuis le temps
3854 ve, depuis le temps de la SDN, vie internationale et vie locale se croisent et se traversent sans fusion ni mélange, les l
3855 SDN, vie internationale et vie locale se croisent et se traversent sans fusion ni mélange, les longueurs d’onde étant nett
3856 les longueurs d’onde étant nettement distinctes. Et s’il y a contamination, ce n’est pas dans le sens qu’un vieux Genevoi
3857 plus d’« étrangers envahissants » que le tourisme et l’industrie ne s’efforçaient naguère d’en attirer, les uns payants et
3858 efforçaient naguère d’en attirer, les uns payants et les autres payés. D’ailleurs, ces « étrangers » cessent bientôt de l’
3859 petit vin blanc frais de Lavaux ou de Tourbillon, et une assiette de viande des Grisons en fines tranches transparentes, d
3860 matinée près des glaciers ruisselants de lumière et d’eaux vives, à deux-mille mètres, parmi les pâturages à l’herbe rase
3861 . Une place de bourg aux maisons peintes en rouge et ocre, hérissées d’enseignes baroques. Les façades blanches de l’Engad
3862 hôtel, à Montreux, devant les Alpes translucides. Et ces wagons spacieux aux larges baies, glissant en silence dans la plu
3863 lle indéfinie longuement interrompue par des prés et des bois secrets. Les quais de gare où toutes les races du monde se m
3864 derniers paysans dans une odeur de bouillon Maggi et de cigares de Brissago, qui étaient ce que Joyce préférait en Suisse.
3865 go, qui étaient ce que Joyce préférait en Suisse. Et cette façon de vous dire merci quatre ou cinq fois, quand vous achete
3866 cette gentillesse qui étonne même les Américains, et qui est la preuve exquise d’une civilisation. Et puis au-delà des app
3867 et qui est la preuve exquise d’une civilisation. Et puis au-delà des apparences aimables ou rudes, sentimentales, austère
3868 voureuses, cette densité de cultures différentes, et tant d’histoire présente en tous ses âges, du couvent au laboratoire
3869 , aux guérisseurs de l’Appenzell, aux prix Nobel. Et cette science ou cet art de la vie communale, du pacte primitif aux s
3870 munale, du pacte primitif aux syndics de village. Et beaucoup de lourdeur, de brusquerie, d’accents qui ont fait rire tout
3871 qui ont fait rire toute la France (mais par Grock et Michel Simon), et souvent, chez un homme du peuple à la belle tête ta
3872 toute la France (mais par Grock et Michel Simon), et souvent, chez un homme du peuple à la belle tête taillée en bois d’ar
3873 lligence, Jacob Burckhardt, ces mêmes yeux larges et scrutateurs, ce regard maîtrisé, sans illusions, qui taxe le réel à s
3874 e dans mes livres, pour l’avoir vécu d’assez près et pour l’avoir intimement aimé. L’Europe centrale, les États-Unis, la F
3875 que l’Europe devrait se déclarer, jurer son pacte et se constituer. La Suisse fondrait alors en elle sa destinée, fidèle à
3876 us hautes fins. Ce rêve peut devenir vrai demain, et il doit l’être, mais le sera-t-il jamais si nous restons muets ? Malg
3877 qui nous retient, mais nous pousse en même temps et nous oblige, je veux le croire avec Victor Hugo : La Suisse, dans l’
3878 it du projet de paix perpétuelle, publié en 1761, et le Jugement sur la paix perpétuelle, posthume. Le gouvernement de Pol
3879 sations économiques supranationales, indépendance et neutralité de la Suisse, Bâle, 1963. 143. Cf. E. Perron, « Éloge de
3880 n des treize pays qui ont financé sa construction et qui bénéficient de ses recherches n’aurait l’idée de voir dans cette
3881 trés d’une possibilité d’employer leurs talents ; et leur dépendance de l’une ou l’autre des grandes puissances « atomique
3882 r les seize États membres du Conseil de l’Europe, et par l’intermédiaire de cette organisation. 146. On sait que jusqu’à
56 1966, Preuves, articles (1951–1968). André Breton (novembre 1966)
3883 végétale d’un crépuscule humide, presque orageux, et la présence de Breton m’est advenue sous les grands chênes, comme si
3884 vards à pas lents, visage levé, crinière au vent. Et c’est dans le décor de Manhattan (qu’il haïssait), granit poli, briqu
3885 ’il haïssait), granit poli, brique enfumée, verre et ciment, que nous nous sommes rencontrés. Mais au long des années de n
3886 mment renouvelé, qu’il avait baptisé surréalisme, et qui était son idée de la poésie et de « l’intelligence poétique de l’
3887 é surréalisme, et qui était son idée de la poésie et de « l’intelligence poétique de l’univers ». Après tant d’années sans
3888 r : « La voix de l’Amérique parle aux Français », et j’avais deux équipes d’« announcers » qui les lisaient en alternant l
3889 nt de mourir), Lévi-Strauss, un des fils Pitoëff, et Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de quoi vivre sans
3890 ir, nous rencontrer. « Ce sont de ces conneries ! Et que l’on expie ! » (Beaucoup de lui dans ces quelques mots.) Il m’arr
3891 pposer de front : nos options politiques, morales et religieuses. Et nous voici bientôt dans l’euphorie de la contestation
3892 : nos options politiques, morales et religieuses. Et nous voici bientôt dans l’euphorie de la contestation en convergence
3893 fflement, mais il garde pour lui son port de tête et sa présence d’esprit indiscernablement ironique, admirante et solenne
3894 ce d’esprit indiscernablement ironique, admirante et solennelle. Qu’on lui donne un royaume ! Ou plutôt non : qu’on lui do
3895 plutôt non : qu’on lui donne une Église à régir, et le beau nom de sacerdoce à restaurer dans une atmosphère orageuse ! M
3896 ux speakers, nous trouvons un moment pour causer. Et souvent nous parlons des fêtes que nous rêvons d’organiser. « Celle p
3897 personne inconnue des autres, tous étant costumés et masqués, les propos échangés dans un style rigoureusement prescrit, l
3898 mmédiates. Rendre un sens aux paroles, aux gestes et au costume, par cela même à la Surprise… Introduction à la vie hiérat
3899 vouer, sa vie durant, aux manifestations visibles et officielles du christianisme, était un être religieux par excellence.
3900 s, une adoration fascinée, une rébellion furieuse et permanente mais selon sa règle à lui, bien entendu, une rigueur folle
3901 raits se faisant face de la mère Angélique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du jacobinisme dans la vénératio
3902 lique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du jacobinisme dans la vénération de l’artisan lui semblait des plus
3903 ombrageuse, celle qui réglait absolument sa vie, et des décrets d’excommunication peu prévisibles, à grands éclats de voi
3904 de voix soudains en rejetant la tête en arrière, et la victime disparaissait dans les ténèbres du dehors, éjectée, déjeté
3905 gle très courtois, ou d’une épithète gouailleuse, et le disciple, flatté hier encore au-delà de ses plus folles espérances
3906 n allait subitement dégonflé. (Combien de poètes, et plus encore de peintres, n’ont jamais pu vraiment s’approuver dans le
3907 eur cœur, parce que Breton ne les avait pas admis et célébrés !) J’ai vu plus d’une scène de ce genre aux réunions du grou
3908 genre aux réunions du groupe, d’ailleurs variable et quelque peu fortuit, qu’avait reconstitué André Breton dès son arrivé
3909 s arts : Max Ernst, Matta, Tanguy, parfois Masson et toujours « l’artiste-inventeur » Marcel Duchamp, père du Pop Art ving
3910 y voyait aussi quelques poètes, des ethnographes, et quelques jeunes femmes assez fantasques qu’on eût dit nées des comédi
3911 rrasses de café, une ou deux soirées par semaine, et l’on se livrait avec beaucoup de sérieux à des jeux d’écriture ou de
3912 une exposition, ou une vitrine (Breton, Seligmann et Duchamp signèrent celle qui annonçait ma Part du diable ). J’allais
3913 u’il venait de recopier d’une belle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouve
3914 pour m’en lire des chapitres décrivant le travail et les plaisirs réglés des ouvriers de l’utopie phalanstérienne. On eût
3915 , écrira-t-il dans Arcane 17, deux ans plus tard, et il poursuit : « À travers leurs outrances et tout ce qui procède chez
3916 ard, et il poursuit : « À travers leurs outrances et tout ce qui procède chez eux de la griserie imaginative, on ne peut r
3917 es bibliothèques, il n’en crut rien, visiblement, et avec raison : son Augustin à lui était sans nul rapport avec celui qu
3918 rois avoir été, de ses amis, le seul qui s’avouât et se voulût « chrétien ». Cette inconcevable anomalie l’inquiétait fort
3919  ». Cette inconcevable anomalie l’inquiétait fort et parfois, subitement, semblait bien près de déclencher en lui le grand
3920 demment très grave, peut-être même impardonnable. Et lorsqu’il vit que je ne me défendais pas, je suis certain que l’idée
3921 été surréaliste d’observance, comment m’exclure ? Et il n’avait aucune envie de rompre. Il trouva une espèce d’échappatoir
3922 à l’heure, Marcel est déjà là, plus que ponctuel et parfaitement serein. Je ne sais s’il a lu mon litigieux ouvrage. « Je
3923 » André Breton vient très en retard, comme prévu, et comprend vite que tout s’est arrangé. Puisque Marcel, infaillible à s
3924 euse (antichrétienne athée, faut-il le répéter ?) et c’est tout dire. La grande contradiction qui a tendu l’arc d’une exis
3925 le (« La beauté sera convulsive ou ne sera pas ») et la régler jusqu’au moindre soupir. Autoritaire et libertaire, anarchi
3926 et la régler jusqu’au moindre soupir. Autoritaire et libertaire, anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précie
3927 dre soupir. Autoritaire et libertaire, anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens
3928 , anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens bibelots, entre le délire et l’extrê
3929 ajusteur de mallarméens bibelots, entre le délire et l’extrême rigueur il n’a jamais cessé d’inventer un chemin qui ne pou
57 1968, Preuves, articles (1951–1968). Marcel Duchamp mine de rien (février 1968)
3930 arrive par la forêt en pente, a dix-huit chambres et s’ouvre vers le lac par une galerie de bois montée sur de hauts pilot
3931 si vaste que vingt fauteuils cannés s’y perdent, et quelques chevalets de peinture. Luxe inouï de la solitude et du silen
3932 chevalets de peinture. Luxe inouï de la solitude et du silence. Un rideau de pins et l’eau tout de suite, au pied de la g
3933 ï de la solitude et du silence. Un rideau de pins et l’eau tout de suite, au pied de la galerie. Nous attendions Marcel Du
3934 rcel Duchamp sans trop savoir quand il viendrait, et pour mieux l’attirer — vieux procédé magique — Consuelo avait peint s
3935 tête de cheval à la craie sur fond rouge, maigre et qui rit, plutôt sourit… Il arrive hier matin, plus ressemblant que ja
3936 s voisins sont venus en fin d’après-midi, gentils et trop gentils, prônant l’éducation des masses américaines, déplorant l
3937 américaines, déplorant les horreurs de la guerre et buvant beaucoup de cocktails. Marcel, charmant et poli jusqu’à l’invi
3938 et buvant beaucoup de cocktails. Marcel, charmant et poli jusqu’à l’invisibilité, n’a pris qu’un doigt de vermouth. — Les
3939 près le départ de nos hôtes. Elles nous détestent et nous tueraient volontiers. Ce sont les imbéciles qui, en se liguant c
3940 es qui, en se liguant contre les individus libres et inventifs, solidifient ce qu’ils appellent la réalité, le monde « mat
3941 t ce même monde que la science, ensuite, observe, et dont elle décrète les prétendues lois. Mais tout l’effort de l’avenir
3942 qui se passe maintenant, le silence, la lenteur, et la solitude. Aujourd’hui, on nous traque. — Oui, dis-je, mais tout dé
3943 s des hommes : c’est ce qu’il s’agit de bien voir et surtout d’accepter. Le reste est beaucoup plus facile. À nous de choi
3944 nvention. Voulons-nous susciter les fées du bruit et de la vitesse, ou celles de la lenteur et du silence ? Mais notre ami
3945 u bruit et de la vitesse, ou celles de la lenteur et du silence ? Mais notre ami le Dr M. V., qui passe l’été près d’ici a
3946 fée. Quant à Duchamp, il balaie toute la science et les exemples du docteur : ils révèlent une fois de plus à ses yeux le
3947 ses yeux le caractère mythologique de la physique et des mathématiques. — Leurs soi-disant démonstrations dépendent de leu
3948 e prévoyais. Prenez la notion de cause : la cause et l’effet distingués et opposés. C’est insoutenable. C’est un mythe don
3949 notion de cause : la cause et l’effet distingués et opposés. C’est insoutenable. C’est un mythe dont on a tiré l’idée de
3950 u presque tout, à part épistémologie, j’ai oublié et le mot m’agace … Inanité par contre me plaît beaucoup. Mais il y a ce
3951 l’argent, je suis sûr que tout irait aussi bien, et beaucoup plus facilement. Le boulanger continuerait à faire du pain,
3952 rait à faire du pain, parce que c’est son plaisir et qu’il faut s’occuper. On prendrait chez lui sans payer un ou deux pai
3953 ins par jour, on ne peut pas en manger davantage, et il serait inutile d’accumuler des miches puisqu’on ne pourrait pas le
3954 ions légales. Tout se passe librement, entre père et fils, on s’arrange, il y en a pour tout le monde… La famille est le m
3955 mble bien que sa famille (ses parents, ses frères et sa sœur) joue un rôle important dans la vie de Marcel. — Depuis que m
3956 père est mort, je me sens privé de repères. Pères et repères… Je n’arrive plus à prendre de responsabilités. Il me semble
3957 ièces à bouton-pression « résistant aux secousses et déraillements », précise-t-il. Mais faute de jouer, nous en parlons.
3958 pas, d’ailleurs, de lire des livres de problèmes et de les jouer « quatre heures par jour, environ ». C’est à quoi je le
3959 upé chaque matin, sur la galerie, fumant sa pipe, et levé avant tous les autres. Il se passe volontiers de breakfast, et p
3960 les autres. Il se passe volontiers de breakfast, et pense qu’il suffirait de manger une fois par jour — son régime ordina
3961 liments, surtout la viande, n’étant pas assimilés et ne servant qu’à nous bourrer l’estomac d’une sorte de caoutchouc « Et
3962 ous bourrer l’estomac d’une sorte de caoutchouc «  Et tout ce temps qu’on passe à aller chercher les provisions, puis à fai
3963 uisine, puis à manger, puis à laver la vaisselle, et on recommence… » (Toujours et dans tous les domaines, ce même mouveme
3964 laver la vaisselle, et on recommence… » (Toujours et dans tous les domaines, ce même mouvement de retrait.) Le soir, faute
3965 es Chinese Checkers trouvés dans la bibliothèque, et cela nous mène assez tard. Nous avons fini hier par un petit jeu de q
3966 ous avons fini hier par un petit jeu de questions et réponses écrites simultanément. Ma première question était : Qu’est-c
3967 ? Marcel lit sa réponse : L’impossibilité du fer. Et il ajoute : « Encore un calembour, évidemment. » De ma table de trava
3968 e ses œuvres destinées à sa « boîte-en-valise » — et puis il s’étend, ne fait rien, fume un peu, reprend ses échecs. Pensa
3969 eau jour d’abandonner définitivement la peinture, et cela, au moment de ses plus grands triomphes en Amérique. — Pas du to
3970 utres. Vous comprenez, être peintre, c’est copier et multiplier les quelques idées qu’on a eues ici ou là. C’est manifeste
3971 e ils produisent. Croyez-vous qu’ils aiment cela, et qu’ils ont du plaisir à peindre cinquante fois, cent fois la même cho
3972 nt imité. Seules les dimensions sont inusitées. — Et votre dentiste a accepté ce paiement ? — Comment donc, ce n’est pas u
3973 chèque, puisqu’il est entièrement fait par moi ! Et signé ! Rien de plus authentique ! Et au moins, cela ne pouvait pas p
3974 t par moi ! Et signé ! Rien de plus authentique ! Et au moins, cela ne pouvait pas passer pour artistique… Il remet le chè
3975 duction de tableaux, verres, ready mades, croquis et idées qui composent l’œuvre complète de Marcel Duchamp, ainsi prête à
3976 ein le mot mince qui est un mot humain, affectif, et non pas une mesure précise de laboratoire. Le bruit ou la musique que
3977 ra-mince. Le creux dans le papier, entre le recto et le verso d’une feuille mince… À étudier ! — « À étudier de près, d’un
3978 s vous entendre entendre, ni vous goûter goûtant, et ainsi de suite ? Nous sommes en train de déjeuner sur la galerie, au-
3979 us jusqu’à la hauteur du toit, le regard embrasse et caresse la perspective lointaine des montagnes environnant le lac, se
3980 aine des montagnes environnant le lac, ses golfes et ses îles. Je dis combien cette vue m’apaise et me satisfait. — Vous ê
3981 es et ses îles. Je dis combien cette vue m’apaise et me satisfait. — Vous êtes sans cloute presbyte ? Tenez, je vous donne
3982 s’accommodent des villes, mais se sentent perdus et vaguement étourdis devant un paysage comme celui-ci. À vérifier, bien
3983 e de la bombe atomique, avant-hier sur Hiroshima. Et la face de la terre en est changée, mais combien de temps nous faudra
3984 re monde. Le dire tout de suite, le dire partout, et toutes affaires cessantes — si l’on veut simplement qu’elles durent14
3985 Lettres. Hier, j’ai ramené le journal du village, et je l’ai lu presque en entier tout en marchant, malgré les petites mou
3986 monde est accouru sur la galerie, à la nouvelle, et j’ai dû raconter l’histoire comme si je revenais d’Hiroshima, comme s
3987 Cette réaction, je le crains, va se généraliser.) Et chacun s’efforçait de montrer que l’événement ne le prenait pas au dé
3988 ue : la science n’est qu’une mythologie, ses lois et sa matière elle-même sont de purs mythes, et n’ont ni plus ni moins d
3989 lois et sa matière elle-même sont de purs mythes, et n’ont ni plus ni moins de réalité que les conventions d’un jeu quelco
3990 is (La Mort lente) il avait disparu dans les bois et nous revint au bout d’une heure, pâle et défait, disant que sa vie n’
3991 les bois et nous revint au bout d’une heure, pâle et défait, disant que sa vie n’avait plus de sens. Les girls, enfin, par
3992 cope. Voilà bien l’événement, voilà la nouveauté, et l’une des grandes dates de la terre : ce n’est qu’un rien qui s’est d
3993 égrations microscopiques. Bombe atomique de poche et à retardement, à craindre de près pendant presque un siècle. Beaucoup
3994 blancs d’un mètre) que Duchamp avait laissé choir et fixés sur la plaque de verre : mesure objective du hasard. On ne trou
3995 is avec son petit bagage, sa propre mise en boîte et en valise, il se glissera très librement vers le xxie siècle et la s
3996 l se glissera très librement vers le xxie siècle et la suite, en tant qu’inventeur d’une espèce de judo intellectuel dont
3997 il est la seule ceinture noire parmi nos artistes et penseurs. J’admire l’économie de ses moyens : un rien, un calembour,
3998  : un rien, un calembour, un non-mot, un retrait, et voilà les « terreurs » du catch dialectique, les costauds de la certi
3999 e rendre exemplaires, mémorables, chargés de sens et de non-sens, efficaces à long terme ses moindres gestes, ses abstenti
4000 es sur la bombe atomique , commencées ce jour-là, et publiées en 1946 dans des journaux américains, français, hollandais,
58 1968, Preuves, articles (1951–1968). Vingt ans après, ou la campagne des congrès (1947-1949) (octobre 1968)
4001 torien futur devra tenir compte. Points de détail et nuances méticuleuses : car c’est seulement dans le détail concret qu’
4002 soudaine de ceux qui nous laissaient la chose148. Et je voudrais enfin rappeler que le mouvement personnaliste des années
4003 ste des années 1930 s’est continué dans la pensée et dans l’action d’un grand nombre de résistants, ceux qui précisément v
4004 onnés de 1947 à 1949. Ils ont à la fois manifesté et fomenté l’état d’esprit et les tendances maîtresses d’un mouvement mu
4005 nt à la fois manifesté et fomenté l’état d’esprit et les tendances maîtresses d’un mouvement multiforme, hétérogène, étran
4006 térogène, étrangement inefficace dans sa tactique et simpliste dans sa stratégie, mais auquel le Conseil de l’Europe doit
4007 forme dans l’imagination de nombreux économistes, et d’avoir été acceptées par l’opinion, donc par les parlements et les g
4008 acceptées par l’opinion, donc par les parlements et les gouvernements qui en dépendaient alors dans nos pays. Des histori
4009 nt soutenir que tous ces congrès n’ont rien fait, et en effet, il est normal que des congrès ne fassent rien, ce n’est pas
4010 sion y viennent pour s’ennuyer durant les séances et s’amuser d’autant mieux après. Mais une sorte de passion très singuli
4011 l mobile qui rassemblait les militants européens, et elle leur faisait préférer aux réceptions ou à l’opéra le travail noc
4012 si l’on voulait décrire la réalité psychologique et historique de la campagne des congrès et rendre justice à l’action qu
4013 ologique et historique de la campagne des congrès et rendre justice à l’action qu’elle a exercée. Je voudrais comparer cet
4014 ne concentration concertée de facteurs psychiques et psychologiques qui modifient le terrain et préparent l’organisme à ré
4015 hiques et psychologiques qui modifient le terrain et préparent l’organisme à résorber certaines toxines, surmonter des inh
4016 ber certaines toxines, surmonter des inhibitions, et libérer des énergies nouvelles. C’est ce genre-là de métamorphoses pr
4017 riode des congrès s’ouvre en août 1947 à Montreux et se termine en décembre 1949 à Lausanne. Son histoire n’est pas encore
4018 à Lausanne. Son histoire n’est pas encore écrite, et il faut craindre qu’elle ne puisse l’être que d’une manière insuffisa
4019 ntiel de l’événement, qui se passa dans les têtes et dans les cœurs. Les documents manuscrits ou polycopiés, déjà plus « v
4020 « vrais », n’ont pas été systématiquement réunis et ne se conserveront pas longtemps (mauvais papier de l’après-guerre) ;
4021 suyant une larme de l’index, on voit Raoul Dautry et Paul Ramadier, anciens ministres ; Joseph Retinger, qui fut l’éminenc
4022 ur hollandais Kerstens, qui présidait la séance ; et l’un des trois rapporteurs, qui est aujourd’hui le seul survivant du
4023 , qui est aujourd’hui le seul survivant du groupe et qui est en train d’écrire ces pages. Ce ne seront pas des pages d’his
4024 r l’atmosphère de l’époque, les espoirs, déboires et problèmes des responsables de quelques-uns de ces congrès. Personne,
4025 it part à tous. Je serai donc forcément incomplet et délibérément subjectif dans l’approche de ce passé, quitte à recouper
4026 c’est tout ce que l’étude objective des rapports et des résolutions ne pourra révéler aux auteurs de thèses ; une certain
4027 aine fraîcheur créatrice qui animait l’entreprise et l’eût peut-être fait réussir par surprise, si les calculs d’une prude
4028 ralistes qui a presque « fait l’Europe » en 1948, et c’est l’habileté politicienne embrassant notre cause comme pour mieux
4029 enais de rentrer en Europe après six ans aux USA, et je m’installais près de Genève, mais en France, à Ferney-Voltaire, qu
4030 ne des fédéralistes, dont le siège était à Genève et qui allait tenir un congrès à Montreux. Au nom de notre ancienne cama
4031 il me demandait d’y venir prononcer un discours. Et certes, durant mes années américaines, je n’avais cessé d’imaginer un
4032 ente, Raymond Silva, secrétaire général de l’UEF, et il vient me relancer au sujet de Montreux. À mes objections réitérées
4033 avec un groupe où vous ne trouverez que des amis et des disciples. » notes de journal, 6 août 1947 : « Comment refuser,
4034 Aboutissement ? Nouveau départ ? Le fait qu’A. M. et R. S. aient été mes premiers visiteurs donne peut-être son vrai sens
4035 lva, autour d’une table, oui, mais sur une scène, et face à une salle archicomble. Je n’ai en main qu’un texte encore plus
4036 t quand j’oppose point par point le totalitarisme et le fédéralisme, et à la fin, une “ovation” je crois bien. Un curieux
4037 int par point le totalitarisme et le fédéralisme, et à la fin, une “ovation” je crois bien. Un curieux personnage appuyé s
4038 ne fine à l’eau, dans un hall du Montreux-Palace, et m’a dit. “Tout cela est bel et bon, mais maintenant il nous faut trav
4039 u Montreux-Palace, et m’a dit. “Tout cela est bel et bon, mais maintenant il nous faut travailler.” C’est un Polonais d’un
4040 de quitter ce congrès, j’aurai raté le principal, et je décide d’y retourner le soir même. Lu la Gazette dans le train : l
4041 e dans le soleil bas près d’Aigle, beau soir rose et doré sur le Léman tandis que le train serpente de Villeneuve à Montre
4042 devant le micro avec Brugmans, Robert Aron, Silva et Duncan Sandys, jeune ancien ministre conservateur qui représente ici
4043 nir l’Europe doit s’appuyer sur le plan Marshall, et qu’une intégration économique conduira nécessairement à l’intégration
4044 litants, bouscule les prudences gouvernementales, et ne revendique rien de moins qu’une fédération politique, sans laquell
4045 m’apparaît clairement que toutes les difficultés et frustrations qu’allait subir au cours des trois années suivantes notr
4046 remier affrontement entre l’élan des fédéralistes et la tactique des unionistes. « Rien ne peut se faire sans les gouverne
4047 épliquaient les autres. À nous de montrer le but, et après cela, on cherchera les voies qui peuvent y mener. » Il se peut
4048 e soit au fait d’avoir été jeté à brûle-pourpoint et publiquement dans ce débat que je puisse attribuer mon engagement rée
4049 rmer, en revanche, que le contenu des discussions et des résolutions votées m’ait fait alors une impression bien forte. Je
4050 lire le volume qui réunit les principaux discours et les conclusions du congrès152. Il y a là trop d’affirmations de princ
4051 n parle de « mise en commun des sources d’énergie et de matières premières (charbon, électricité, fer, etc.) », d’organisa
4052 e du travail, sans que ces termes soient traduits et exemplifiés par des propositions plus détaillées d’institutions ou d’
4053 je souligne beaucoup de propositions plus riches et plus précises que les motions finales. Le cadre de toute l’action ult
4054 selon le mode fédéral pour sauver les autonomies et les diversités valables, non pas pour les réduire à l’uniformité. La
4055 parti ou par une monnaie. Le mythe du choix fatal et du partage du monde entre les deux Grands, le mythe des souverainetés
4056 s souverainetés nationales absolues sont dénoncés et vidés de leur contenu terroriste, de même que les fausses oppositions
4057 de même que les fausses oppositions entre liberté et planification, attachement à la patrie et universalisme, autorité féd
4058 liberté et planification, attachement à la patrie et universalisme, autorité fédérale et autonomie locale. Enfin, un remar
4059 t à la patrie et universalisme, autorité fédérale et autonomie locale. Enfin, un remarquable rapport de Daniel Serruys pro
4060 lement pour l’équilibre des productions française et allemande (charbonnières et métallurgiques), mais pour la production
4061 productions française et allemande (charbonnières et métallurgiques), mais pour la production de l’Union entière ; il faut
4062 tre en commun les ressources d’énergie des marées et d’énergie atomique ; enfin, le règlement du « problème agricole de l’
4063 ès de Montreux me paraît tenir une place décisive et axiale : c’est là que s’opéra la rencontre de la plupart des courants
4064 ’euphorie d’une promesse de camaraderie retrouvée et d’une grande aventure où s’engager, j’étais loin de mesurer l’importa
4065 ce qui venait de se passer dans ce palace énorme et désuet. Pour l’historien futur, j’indiquerai rapidement les trois com
4066 une curieuse coïncidence à la fois dans le temps et dans l’espace : à la fin de l’été et en Suisse toutes les trois. Il
4067 ans le temps et dans l’espace : à la fin de l’été et en Suisse toutes les trois. Il y avait eu d’abord, fin août, à Herte
4068 , d’Italie, de Belgique, de Hollande, de Danemark et de Grande-Bretagne, mais aussi d’Allemagne, d’Autriche et de plusieur
4069 ande-Bretagne, mais aussi d’Allemagne, d’Autriche et de plusieurs pays de l’Est. De ce colloque allait sortir l’Union euro
4070 éunions constitutives à Luxembourg (octobre 1946) et Amsterdam (avril 1947). Mais derrière Hertenstein, il y avait, tous p
4071 us proches, les mouvements de résistance à Hitler et aux nationalismes totalitaires : c’étaient eux qui prolongeaient leur
4072 r élan dans cette volonté d’action européenne154. Et plusieurs de leurs chefs se retrouvaient à Montreux, Italiens et Alle
4073 leurs chefs se retrouvaient à Montreux, Italiens et Allemands, Français, Bénéluxiens. Enfin, derrière la pensée de la plu
4074 d’abord à Paris dès l’année 1932 (autour d’Esprit et de L’Ordre nouveau) et qui avait essaimé dans le reste de l’Europe, y
4075 nnée 1932 (autour d’Esprit et de L’Ordre nouveau) et qui avait essaimé dans le reste de l’Europe, y compris l’Allemagne (g
4076 ps des îles Lipari (manifeste de Ventotene, 1942, et revue L’Unita Europea). Cette composante personnaliste-résistante éta
4077 entée à Montreux par des hommes comme Robert Aron et Alexandre Marc (qui avaient été, comme moi, de L’Ordre nouveau et d’E
4078 c (qui avaient été, comme moi, de L’Ordre nouveau et d’Esprit), par Eugen Kogon, et par Henri Brugmans, qui a dit ce qu’il
4079 de L’Ordre nouveau et d’Esprit), par Eugen Kogon, et par Henri Brugmans, qui a dit ce qu’il devait à Mounier et à Dandieu
4080 nri Brugmans, qui a dit ce qu’il devait à Mounier et à Dandieu notamment. Il y avait eu ensuite, du 1er au 12 septembre 19
4081 Georges Lukacs, J. R. de Salis, Stephen Spender, et moi-même, nous étions attachés à définir en neuf conférences suivies
4082 la conscience que l’Europe prenait de son destin et des valeurs de sa culture mise au défi par les ambitions (apparemment
4083 Jean Guéhenno, plutôt sceptique, Stephen Spender et quelques autres, nous avions même tenté d’élaborer une sorte de chart
4084 les avaient contribué à créer un climat favorable et presque une mode intellectuelle. Il y avait eu enfin, quelques jours
4085 ont il retirait, mine de rien, la Grande-Bretagne et les Soviets, bienveillants témoins d’un mariage de raison entre la Fr
4086 ts témoins d’un mariage de raison entre la France et l’Allemagne. Churchill avait fondé tôt après l’United Europe Movement
4087 es, des États successeurs de la Double-Monarchie, et de la Grèce, des contacts réguliers, des études préparant des projets
4088 uliers, des études préparant des projets communs, et même certains accords, officiellement signés, tendant à une future un
4089 6 ans, il avait été parachuté en Pologne occupée, et il en gardait une bizarre claudication. Il avait fondé avec Paul van
4090 rir tout cela, par bribes, au cours de ce congrès et des mois qui le suivirent, mais je ne m’en forme qu’aujourd’hui un ta
4091 a tonicité, la consistance, les courants imprévus et le dynamisme neuf. En cet automne d’il y a vingt ans, je n’étais guèr
4092 ne organisation dont je n’étais pas encore membre et d’un mouvement aux contours assez vagues mais au sein duquel j’entrev
4093 e au Montreux-Palace que l’idée avait été lancée, et tout de suite discutée avec passion, de convoquer dès le printemps su
4094 ricoles, patronaux ; coopératives ; magistratures et parlements ; mouvements de jeunesse ; Églises… On les prierait de réd
4095 prierait de rédiger des cahiers de revendications et de nommer leurs délégués. Ceux-ci devaient se réunir en de vastes ass
4096 ient se réunir en de vastes assises délibératives et peu à peu constituantes, à mesure qu’un accord se dégagerait sur les
4097 s des règlements de comptes nationalistes de 1871 et de 1919, devait être racheté en quelque sorte par l’avènement de l’Eu
4098 On convint de chercher un accord entre militants et ministres. Le 11 novembre 1947, à Paris, les délégués de l’United Eur
4099 ais pour l’Europe unie (Dautry, Reynaud, Ramadier et André Siegfried), et de la Ligue européenne de coopération économique
4100 e (Dautry, Reynaud, Ramadier et André Siegfried), et de la Ligue européenne de coopération économique (van Zeeland, Serruy
4101 ient avec ceux de l’UEF (Brugmans, Silva, Voisin) et constituaient un « comité de liaison international des mouvements pou
4102 de réunir à La Haye les « sommités » européennes, et nous invitent à collaborer. Or, Sandys ayant exigé et obtenu que son
4103 ous invitent à collaborer. Or, Sandys ayant exigé et obtenu que son comité anglais et le comité français aient chacun une
4104 ndys ayant exigé et obtenu que son comité anglais et le comité français aient chacun une voix, tout comme la Ligue économi
4105 t chacun une voix, tout comme la Ligue économique et l’UEF, cette dernière se trouve seule contre trois. « Pourtant, si no
4106 es autres se couvriront largement sur leur gauche et nous aurons à envisager bientôt de sérieuses difficultés financières.
4107 e action en serait vite paralysée dans l’immédiat et c’est l’immédiat qui compte, non seulement parce que les événements s
4108 é, les communistes se sont isolés volontairement, et la “troisième force” classique ou bien se retirera sous sa tente, ou
4109 ien se liera aux “grands noms” de l’“Europe unie” et de la Ligue. Nous pourrions sans doute, dans une certaine mesure, emp
4110 ès complet, mais nous ne réussirons pas non plus, et on se sera paralysé mutuellement. » Brugmans propose donc de ratifier
4111 ue des organismes permanents naissent de La Haye, et que les délégués soient choisis par des Comités nationaux, sans droit
4112 vingt présents), s’affrontent les mêmes craintes et volontés contradictoires, quoique inégalement dosées. Rompre avec le
4113 s « sommités », qui dispose des moyens financiers et de la presse, c’est risquer de courir à l’écrasement rapide, ou de « 
4114 uvements totalisant cent-mille membres cotisants) et le dynamisme créateur, révolutionnaire, qu’apporte la doctrine fédéra
4115 e, mais au risque de perdre ses raisons de vivre ( et pas seulement l’appui des socialistes) ? Ou risquer l’isolement et la
4116 l’appui des socialistes) ? Ou risquer l’isolement et la dislocation, mais aussi la seule chance peut-être de réussir notre
4117 révolution fédéraliste ? (La gauche, la jeunesse et le reste suivraient.) Dilemme classique on le voit, que celui qui s’é
4118 es face à quelques anciens ministres britanniques et français très inégalement assurés de leur droit de parler au nom de l
4119 ser dans ce procès-verbal les facteurs politiques et psychologiques, conscients ou inavoués, qui contribuèrent à cette déc
4120 éclatante avec « l’ancien personnel politique », et leur volonté d’assumer tous les risques d’une convocation des états g
4121 aux de l’Europe : les comités d’anciens ministres et d’économistes menacés de perdre l’audience des jeunes mouvements de m
4122 re l’audience des jeunes mouvements de militants, et du même coup leur meilleure chance d’intéresser la presse, ou bien cé
4123 s de renchérir sur les conditions réelles d’union et d’accepter de réviser le dogme des souverainetés nationales absolues.
4124 rope (qui refusait de collaborer avec Churchill), et l’Union parlementaire de Coudenhove (qui avait tenu un important cong
4125 d, avec deux-cents parlementaires de dix nations, et demandé une fédération des peuples, au lieu d’une simple société de g
4126 ent en cas de rupture les fédéralistes hollandais et anglais : la mainmise de la droite libérale sur le congrès de La Haye
4127 sur le congrès de La Haye, le fédéralisme évincé, et ses organisations démantelées par l’attrait que le « congrès de Churc
4128 e d’action réelle. En fait, les militants des NEI et de nombreux éléments socialistes défendirent les thèses fédéralistes
4129 alistes défendirent les thèses fédéralistes avant et pendant le congrès de La Haye et l’on ne peut juger que c’eût été le
4130 déralistes avant et pendant le congrès de La Haye et l’on ne peut juger que c’eût été le cas si l’UEF avait rompu avec San
4131 le cas si l’UEF avait rompu avec Sandys, Retinger et Courtin. Mais gardons pour plus tard l’évaluation des résultats de La
4132 énéraux la naissance d’une vie politique fédérale et la formation d’un noyau de gouvernement européen. Mais le « Comité de
4133 de démontrer d’une manière frappante la puissance et l’ampleur des appuis déjà acquis par l’idée européenne ; 2° de fourni
4134 fournir un matériel de discussions, de propagande et d’études techniques ; 3° d’imprimer un nouvel et puissant élan à la p
4135 et d’études techniques ; 3° d’imprimer un nouvel et puissant élan à la propagande européenne dans tous nos pays. On mesu
4136 érence de niveau entre les ambitions fédéralistes et les objectifs unionistes. Dira-t-on que le comité de liaison se rappr
4137 e ce que l’on prévoyait que les partis politiques et leurs chefs admettraient ? Ce serait avouer que les fédéralistes avai
4138 Retinger, le 25 février, vinrent me voir à Genève et à Ferney pour me demander de m’engager à fond dans le mouvement (je l
4139 (je leur promis d’y consacrer deux ans de ma vie, et m’y voici toujours, après vingt ans), je posai les conditions suivant
4140 ntale aux commissions « sérieuses » (la politique et l’économique), devait assumer le rôle décisif de dire le sens de tout
4141 ôle décisif de dire le sens de toute l’entreprise et des suites qu’on en attendait. 2° Afin de prouver qu’il partageait ce
4142 rédiger le préambule définissant les buts à long et à court terme du congrès et des mouvements qui le prolongeraient par
4143 ssant les buts à long et à court terme du congrès et des mouvements qui le prolongeraient par une action commune. 3° Ce pr
4144 congrès par les animateurs des sections politique et économique. Dès la fin de février, j’avais reçu des promesses de coll
4145 e cinquantaine de philosophes, savants, écrivains et éducateurs, auxquels j’avais soumis une première esquisse du rapport
4146 nt of this kind, however desperate the attempt. » Et Salvador de Madariaga : « Je consacrerai volontiers (à la Commission)
4147 e départ de notre action commune après le Congrès et doit devenir le manifeste de tout le Mouvement européen. Nous devons
4148 de réunir des millions de signatures d’Européens, et de créer de la sorte un puissant mouvement populaire… Cela ne manquer
4149 sion supplémentaire sur les gouvernements timides et récalcitrants. […] Le lancement d’un tel manifeste doit constituer l’
4150 ste doit constituer l’un des objectifs principaux et immédiats du congrès et de notre mouvement. Le fait de recueillir des
4151 des objectifs principaux et immédiats du congrès et de notre mouvement. Le fait de recueillir des signatures doit mainten
4152 devra se terminer par une collecte de signatures ( et peut-être de quelques sous, donnés par chaque signataire, pour faire
4153 x Européens à faire approuver par acclamations » et serait donc lu à la séance de clôture. Des représentants des trois se
4154 C’était à quoi je tenais surtout. Ce point marqué et qui pouvait être important, restait à obtenir l’imprimatur du comité
4155 té pour le rapport culturel, le rapport politique et économique étant déjà sous presse. On était à dix jours du Congrès. À
4156 relle travaillait depuis deux mois sur mon texte, et n’avait jamais entendu parler de ces deux autres. On me répondit que
4157 jet était trop long, qu’il parlait de fédéralisme et qu’on « ne pouvait pas me suivre jusque-là… ». En conséquence, et fau
4158 uvait pas me suivre jusque-là… ». En conséquence, et faute de temps pour raccourcir mon texte, lui incorporer la substance
4159 exte, lui incorporer la substance des deux autres et le remettre à l’imprimeur (dernier délai demain matin, et je devais r
4160 mettre à l’imprimeur (dernier délai demain matin, et je devais repartir le soir même), on se bornerait à proposer au Congr
4161 s… Je quittai la séance au milieu de l’après-midi et allai me recueillir à Westminster Abbey. Puis à pied jusque chez Reti
4162 erais Londres que par l’avion du lendemain matin, et qu’un secrétaire, alerté par Retinger, viendrait à l’aube prendre mon
4163 arçon lugubre m’apporta des kippers, de la bière, et une table de bridge. À 6 heures du matin, j’avais fini, à 8 heures mo
4164 « Cette architecture de grandes poutres, chevrons et traverses sculptées, soutenant un toit immense, tout là-haut, j’ai rê
4165 J’abaisse mes regards le long des parois blanches et nues, jusqu’à cette rangée d’écussons aux lions couchés trois par tro
4166 de nous, un large dais carré, tendu de soie rouge et or. J’appuie ma tête contre les plis d’un lourd rideau de velours pou
4167 assis sur la tribune, derrière deux rangs de dos et de nuques fascinantes qui dépassent le dossier des fauteuils. Cette n
4168 le dossier des fauteuils. Cette nuque très large et rouge, c’est Ramadier ; cette nuque placide et blonde, c’est van Zeel
4169 ge et rouge, c’est Ramadier ; cette nuque placide et blonde, c’est van Zeeland ; et cette absence de nuque, c’est Paul Rey
4170 ette nuque placide et blonde, c’est van Zeeland ; et cette absence de nuque, c’est Paul Reynaud. Une nuque blanche et gonf
4171 e de nuque, c’est Paul Reynaud. Une nuque blanche et gonflée au-dessus du col d’une redingote victorienne, Winston Churchi
4172 Churchill, tout près de moi, parle dans un micro, et la voix me revient de la salle : “The task before us, at this congres
4173 tuted…”158 Oui, c’est un rêve, devenu réalité ; et que je faisais depuis vingt ans. « Devant nous, tout autour de nous,
4174 i rend la vie dangereuse, aventureuse, magnifique et tragique — et, par là, digne d’être vécue.” (C’est mon ami Brugmans,
4175 dangereuse, aventureuse, magnifique et tragique — et , par là, digne d’être vécue.” (C’est mon ami Brugmans, travailliste h
4176 anciens présidents du Conseil, soixante ministres et anciens ministres, deux-cents députés venus de vingt-cinq pays… Mais
4177 u rallier pour une œuvre commune les conformistes et les non-conformistes…) « Tout à l’heure, présidents et rapporteurs, n
4178 s non-conformistes…) « Tout à l’heure, présidents et rapporteurs, nous avons traversé la salle en procession, Churchill et
4179 avons traversé la salle en procession, Churchill et sa femme conduisant. Il y avait des fleurs partout, et des fanfares d
4180 femme conduisant. Il y avait des fleurs partout, et des fanfares dans la cour du palais. “On dirait un mariage !” m’a sou
4181 ayton. « Mariage de qui ? Non certes de Churchill et du Labour, mais peut-être des vieux hommes d’État et des générations
4182 du Labour, mais peut-être des vieux hommes d’État et des générations formées pendant la Résistance ? Ou encore des vainque
4183 pendant la Résistance ? Ou encore des vainqueurs et des vaincus d’hier ? (Nous avons des délégations allemandes, autrichi
4184 s avons des délégations allemandes, autrichiennes et italiennes.) Ou bien le mariage de l’Ouest et de l’Est ? Non, pas cel
4185 nes et italiennes.) Ou bien le mariage de l’Ouest et de l’Est ? Non, pas cela : les quelque trente Roumains, Polonais, Tch
4186 que trente Roumains, Polonais, Tchèques, Hongrois et Yougoslaves ici présents ne sont encore, hélas ! que des “observateur
4187 port (création d’un Centre européen de la culture et d’une Charte des droits de l’homme) se déroulèrent dans l’habituelle
4188 Réarmement moral, exige d’abord un retour à Dieu et dénonce mon rapport comme « antichrétien ». Enfin, Bertrand Russell,
4189 de pays différents à maintenir un contact étroit et à mieux connaître leurs points de vue respectifs »159. Finalement, to
4190 é : Centre culturel, Charte des droits de l’homme et Cour suprême, « instance supérieure aux États à laquelle puissent en
4191 ux États à laquelle puissent en appeler personnes et collectivités ». Tout cela verra le jour à partir de 1950, en applica
4192 ire de fonder les efforts pour l’union économique et politique sur l’unité de culture déjà existante et sur les droits de
4193 t politique sur l’unité de culture déjà existante et sur les droits de la personne, antérieure et supérieure à ceux de l’É
4194 ante et sur les droits de la personne, antérieure et supérieure à ceux de l’État ; de revendiquer une forme d’union fédéra
4195 auver les caractères distinctifs de nos peuples ; et enfin de considérer que cette union sera le premier pas vers une fédé
4196 té d’origine ». La controverse entre fédéralistes et unionistes laisse une trace sensible dans la résolution politique : l
4197 d’union fédérale, j’entends non unitaire, limitée et réelle. Mais si le fédéralisme réussit à influencer le langage des ra
4198 isme réussit à influencer le langage des rapports et des résolutions, il ne triompha que dans les textes. L’unionisme, doc
4199 ope », dont on ne savait pas bien s’il était plus et mieux qu’une alliance de souverainetés nationales absolues. Le rappor
4200 extraordinaire pourvu d’un secrétariat permanent, et une assemblée délibérante nommée par les parlements. Mais la résoluti
4201 s d’un Conseil de l’Europe privé de tous pouvoirs et doté d’une Assemblée purement consultative, formée de députés désigné
4202 la, mais ce qu’on ignore, c’est l’incident minime et décisif qui devait couper les ailes à tout espoir d’action « révoluti
4203 éens , après avoir été discuté pendant deux mois, et mis au point par le comité de liaison à la veille même du congrès, av
4204 l’Europe pour récolter des millions de signatures et devenir l’instrument d’une puissante campagne d’agitation européiste.
4205 e. Par moments, un orage déchaîné faisait baisser et s’éteindre pour quelques secondes toutes les lumières. Au fond de la
4206 e, près de l’entrée principale, je trouvai Duncan et son beau-frère Randolph Churchill, lequel me dit : « Vous souhaitez,
4207 ro à la main, traînant des fils. Je lui fis signe et , parlant devant le micro, je répétai ce qu’on venait de dire et je co
4208 vant le micro, je répétai ce qu’on venait de dire et je conclus : « OK ! Lors du prochain Congrès européen, Staline, qui e
4209 plus fort que vous, enverra cinquante délégués ! Et l’Europe ne se fera pas ! » J’avais un peu crié, je crois. Des huissi
4210 ous prièrent de sortir. J’envoyai quérir Retinger et Paul van Zeeland, qui étaient à la tribune. Dans une petite salle prè
4211 rès de l’entrée, nous nous assîmes à six ou sept, et après dix minutes d’un débat virulent, au cours duquel, voyant entrer
4212 tite phrase incriminée. Cela semblait raisonnable et bénin. Cela signifiait en réalité qu’on ne pourrait plus faire signer
4213 ère Churchill, qui faisait basculer son fauteuil, et je l’entendais dire à haute voix : « But why ? We should stand up at
4214 all stand up ! »162 Personne ne bougea cependant. Et le Congrès prit fin dans l’enthousiasme, mais il venait de tuer en ge
4215 on retentissement dans l’Europe entière. Suite et fin des congrès Le Mouvement européen, né au cours des mois suivan
4216 Mouvement européen, né au cours des mois suivants et dominé par les unionistes, convoqua d’abord un congrès politique à Br
4217 les « industries de base telles que charbon, fer et acier », une Autorité européenne devrait être créée en vue de supprim
4218 des investissements, de la production, des prix, et des droits sociaux. L’influence des socialistes, et surtout d’André P
4219 des droits sociaux. L’influence des socialistes, et surtout d’André Philip, vient désormais s’ajouter à celle des libérau
4220 lle des libéraux, principaux auteurs des analyses et projets formulés par les premiers congrès. Un an plus tard, grâce au
4221 tard, grâce au génie réalisateur de Jean Monnet, et à l’accord des trois chefs de gouvernement démo-chrétiens de France,
4222 ouvernement démo-chrétiens de France, d’Allemagne et d’Italie, la naissance d’une Haute Autorité du charbon et de l’acier
4223 lie, la naissance d’une Haute Autorité du charbon et de l’acier inaugurera une stratégie nouvelle : celle qui consiste à o
4224 ) organisée par mon « Bureau d’études » de Genève et présidée par Salvador de Madariaga, reprit et développa toutes les su
4225 ève et présidée par Salvador de Madariaga, reprit et développa toutes les suggestions même implicites des textes de La Hay
4226 implicites des textes de La Haye. Elle vota vingt et une résolutions, dont il est frappant de constater que dix-neuf sont
4227 ntre européen de la culture, le Collège d’Europe, et le Laboratoire européen de recherches nucléaires (CERN) qui a constru
4228 t l’un des plus grands synchrocyclotrons du monde et a pu, grâce à cela, freiner « l’hémorragie de matière grise » qu’étai
4229 eil. Ainsi les unionistes (la droite continentale et le Labour) avaient eu leur Conseil de Strasbourg ; les économistes (l
4230 Conseil de Strasbourg ; les économistes (libéraux et socialistes) allaient avoir la Haute Autorité de Luxembourg, en atten
4231 ommun ; les culturels avaient le Centre de Genève et par lui ou autour de lui, de nombreuses associations professionnelles
4232 lui, de nombreuses associations professionnelles et instituts d’enseignement ou de recherches. Mais les fédéralistes en t
4233 nnes en une vivante interaction organisée d’union et de diversités, de puissance et de liberté, idéal politique par excell
4234 organisée d’union et de diversités, de puissance et de liberté, idéal politique par excellence. Beaucoup de choses se fai
4235 ux travaillé que les fédéralistes, c’est certain, et leur tâche était plus facile, puisqu’ils misaient sur les routines de
4236 Marché commun. Certaines satisfactions partielles et à court terme coupent mieux l’élan d’une révolution que ne le font le
4237 alistes s’étaient montrés incapables de concevoir et surtout d’imposer une vision vraiment neuve et fascinante des formes
4238 ir et surtout d’imposer une vision vraiment neuve et fascinante des formes et institutions de l’union politique à instaure
4239 ne vision vraiment neuve et fascinante des formes et institutions de l’union politique à instaurer. En décembre 1948, ils
4240 ties dramatiques. Salués par le président Einaudi et par le comte Sforza163, harangués par Pie XII en son palais d’été, il
4241 vain de reprendre l’initiative saisie par Sandys et Retinger dès avant La Haye. L’équipe des dirigeants de Montreux, accu
4242 vouée, après des polémiques acerbes. Henri Frenay et moi-même, élus en tête de liste, devînmes l’un président et l’autre d
4243 e, élus en tête de liste, devînmes l’un président et l’autre délégué général de l’Union. Les thèses « dures » furent accla
4244 de s’épuiser assez vite en querelles de factions et de personnes, ou en initiatives mal exploitées. À La Haye, Paul Reyna
4245 nte du Mouvement européen, j’entends la recherche et la formulation des moyens de rendre fécondes les grandes antinomies v
4246 les qui tissent la réalité occidentale : autorité et liberté, plan continental et initiatives régionales, union nécessaire
4247 cidentale : autorité et liberté, plan continental et initiatives régionales, union nécessaire à la force et respect des au
4248 itiatives régionales, union nécessaire à la force et respect des autonomies, unité et diversité — que dis-je, unité pour l
4249 saire à la force et respect des autonomies, unité et diversité — que dis-je, unité pour les diversités ? Si je tiens pour
4250 ité pour les diversités ? Si je tiens pour licite et opportun de publier aujourd’hui ce protocole d’un échec — une bataill
4251 ussi coriace que désuète. Elle se fera, elle peut et doit se faire à partir des régions, formule neuve qui réalise exactem
4252 e neuve qui réalise exactement ce que demandaient et définissaient le « groupuscule » Ordre nouveau et le mouvement person
4253 et définissaient le « groupuscule » Ordre nouveau et le mouvement personnaliste des années 1930. Mais ceci est une autre h
4254 stoire. Ce sera celle des vingt ans qui viennent. Et certains, que je connais, la préparent. 148. La notion d’engagemen
4255 Journal d’un Européen (1946-1966). 150. Rapports et recueils de Résolutions de Montreux, La Haye, Westminster, Bruxelles,
4256 reux, La Haye, Westminster, Bruxelles, Lausanne — et deux petits volumes : Europe Unites (The Hague Congress and After) et
4257 es : Europe Unites (The Hague Congress and After) et The European Movement and the Council of Europe, rédigés par le secré
4258 de l’union européenne, par Olivier Philip, 1950, et mon Europe en jeu , 1948. Quelques thèses sont en cours de rédaction
4259 té, dans L’Europe de demain, La Baconnière, 1946. Et l’on notera que la plupart des mots-clés de Montreux et de La Haye s’
4260 n notera que la plupart des mots-clés de Montreux et de La Haye s’y trouvent déjà. 155. Sur l’extraordinaire carrière de
4261 ons aux USA ; puis, en Europe, Mouvement européen et groupe de Bilderberg — voir la brochure, intitulée Hommage à un grand
4262 omme celle d’une famille réunie. Nous devons, ici et maintenant, décider que soit constituée une Assemblée européenne… »
4263 e en termes très voisins les mêmes points, Charte et Cour suprême, que la résolution culturelle (§ 4 et 5). 161. Formelle
4264 t Cour suprême, que la résolution culturelle (§ 4 et 5). 161. Formellement, Sandys avait raison : les rapports demandaien
4265 aye (contrairement à ce que répètent journalistes et historiens). Et j’ajoute que deux ans plus tard, à l’Assemblée de Str
4266 nt à ce que répètent journalistes et historiens). Et j’ajoute que deux ans plus tard, à l’Assemblée de Strasbourg, Sandys
4267 isceaux, devant un millier de délégués, d’invités et de journalistes. Il dit ceci : « Il y a une grande différence entre l
4268  Il y a une grande différence entre les Allemands et les Italiens. Eux, quand ils parlent de leur ancien chef, disent : “L
59 1970, Preuves, articles (1951–1968). Dépasser l’État-nation (1970)
4269 exige, que tout le monde admet qu’il faut faire — et que pourtant personne ne fait ? Eh bien ! chacun le sait, rien n’est
4270 e modèle que tous les peuples de l’Europe, grands et petits, ont imité l’un après l’autre, tout au long du xixe siècle, s
4271 n même territoire, défini par le sort des guerres et du coup baptisé « sol sacré de la patrie », des réalités absolument h
4272 son d’avoir les mêmes frontières, comme la langue et l’économie, l’état civil et l’exploitation du sous-sol, ou pire encor
4273 ères, comme la langue et l’économie, l’état civil et l’exploitation du sous-sol, ou pire encore, les idéologies ou les rel
4274 ons de bureaux installés dans une seule capitale, et interdire toute allégeance des citoyens à des entités plus petites (c
4275 il refuse toute union, alléguant une indépendance et une souveraineté absolues aussi peu défendables en droit qu’elles dev
4276 pour permettre une participation civique réelle ; et sans correspondance autre qu’accidentelle avec aucun espace économiqu
4277 notre union politique. Entre l’union de l’Europe et les États-nations sacralisés, entre une nécessité humaine des plus co
4278 s, entre une nécessité humaine des plus concrètes et le culte prolongé d’un mythe, il faut choisir. Pour la première fois
4279 s idéologiques que commerciales (voir le Vietnam) et l’on travaille pour le profit, qui est en somme du superflu. Mais dès
4280 nous voici contraints de le faire, à nos risques et périls ! Nous voici contraints de nous demander ce que nous attendons
4281 nous demander ce que nous attendons de notre vie et de la vie en société, ce que nous voulons réellement, principalement,
4282 , ce que nous voulons réellement, principalement, et contraints de tirer des plans en conséquence. Voulons-nous par exempl
4283 créer un habitat décent, une communauté vivante ? Et quel prix sommes-nous prêts à payer pour cela ? Le prix de certaines
4284 es peuples avancés sous le rapport de l’industrie et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficile
4285 ous le rapport de l’industrie et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficiles, voire angoissante
4286 es. Il nous faut le décider, en toute conscience, et vite ; car le choix de la fin implique évidemment celui des moyens ad
4287 puissance, c’est-à-dire la puissance industrielle et militaire massive d’une sorte de Troisième Grand préoccupé principale
4288 r État-nation continental, uniformisé, centralisé et agressif, comme la France de Napoléon, et faire de nos États autant d
4289 tralisé et agressif, comme la France de Napoléon, et faire de nos États autant de départements. Il faut tout unifier par d
4290 inflexibles, sans égard aux diversités ethniques et régionales, et soumettre la production industrielle au seul impératif
4291 ans égard aux diversités ethniques et régionales, et soumettre la production industrielle au seul impératif de l’élévation
4292 ment des personnes, de participation des citoyens et d’autonomie des communautés (la production industrielle n’étant qu’un
4293 dicalement incompatible avec les fins de l’Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes les plus propr
4294 à réduire l’obstruction des stato-nationalismes, et se consacrer sérieusement à la tâche de construire des modèles neufs
4295 autonomies de tous ordres, régionales, communales et personnelles, mais rien de plus. Il faut admettre la pluralité des al
4296 , civiques, politiques, culturelles, idéologiques et religieuses, contre la prétention de l’État-nation à leur monopole ab
4297 diqués par la nature des tâches, leurs dimensions et celles de la communauté la plus apte à les administrer. En un mot, il
4298 ique a toujours eu pour fin réelle la puissance ; et je vois bien que toutes les civilisations que nous connaissons ont ch
4299 manières de parler plus ou moins nobles, ou pure et simple captatio démagogique. Mais je vois aussi que seuls des Europée
4300 plaires, ont osé proclamer, d’Aristote à Rousseau et de William Penn à Proudhon, que les libertés personnelles et les comm
4301 am Penn à Proudhon, que les libertés personnelles et les communautés autonomes valent mieux que la puissance collective. L
4302 Confédération » qu’évoquait le général de Gaulle, et qui serait formée d’États-nations conservant jalousement leurs préten
4303 , de narguer ces frontières sur terre, sous terre et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel
4304 rontières sur terre, sous terre et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont a
4305 rtation rationnelle des productions industrielles et agricoles. Mais elles ne servent absolument à rien pour arrêter ce qu
4306 pour arrêter ce qui devrait l’être : les tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves, les attaques aér
4307 tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propagande et le
4308 es attaques aériennes, les ondes de la propagande et les grandes contagions dites idéologiques. Elles empêchent simplement
4309 États-nations délimités pour la plupart au xixe et au xxe siècles, se trouvent vraiment former, comme par miracle, des
4310 ons n’existent pas dans l’histoire de la culture, et que les « cheminements de l’esprit » dont parlait Robert Schuman trav
4311 dans l’ensemble vivant de la culture européenne. Et les diversités que nous devons respecter ne sont pas celles de ces Ét
4312 s États-nations nés d’hier : elles les traversent et les divisent tous également, et ne coïncident jamais avec aucune fron
4313 es les traversent et les divisent tous également, et ne coïncident jamais avec aucune frontière. Elles traversent aussi no
4314 lles traversent aussi nos partis, nos confessions et nos régions, nos personnes mêmes ! Il y a dans chaque pays un nord et
4315 personnes mêmes ! Il y a dans chaque pays un nord et un midi ; dans chaque Église, une aile évangélique et une aile ritual
4316 n midi ; dans chaque Église, une aile évangélique et une aile ritualiste ; dans chaque personne qui réfléchit une droite e
4317 e ; dans chaque personne qui réfléchit une droite et une gauche… La renaissance des régions Nos États-nations, obséd
4318 ficace, qui doit être mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministr
4319 e mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministres, d’essayer d’apai
4320 ve de la renaissance des régions. Il faut défaire et dépasser l’État-nation. En instaurant les régions en deçà, et la fédé
4321 l’État-nation. En instaurant les régions en deçà, et la fédération au-delà. Il faut distribuer et répartir l’État aux diff
4322 eçà, et la fédération au-delà. Il faut distribuer et répartir l’État aux différents niveaux de décision où il peut servir
4323 ntité vivante, civique, économique ou culturelle, et être contrôlé par l’usager ; distribuer et répartir l’État, de la com
4324 relle, et être contrôlé par l’usager ; distribuer et répartir l’État, de la commune et de l’entreprise à la région et aux
4325 er ; distribuer et répartir l’État, de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au ni
4326 tat, de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au niveau européen ; là des Agences
4327 au sens originel du mot : l’économie, l’écologie et l’habitat, les recherches scientifiques, les transports, les relation
4328 globales avec d’autres fédérations continentales. Et vous noterez que je ne parle pas de relations ou d’affaires « étrangè
4329 régions rendra justice à ses fécondes diversités, et l’ampleur de la fédération exprimera l’unité millénaire de sa culture
4330 n « niveau de vie » déterminé en termes de profit et de PNB, c’est passer du matérialisme capitaliste et communiste à la m
4331 de PNB, c’est passer du matérialisme capitaliste et communiste à la mise en question du sens même de nos vies et des vrai
4332 te à la mise en question du sens même de nos vies et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. Si sé
4333 et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. Si sérieux que soient les problèmes de prix du lait, du
4334 ans le monde entier, ne relève pas de l’économie, et encore moins de la politique au sens étroit et partisan du terme. Ell
4335 e, et encore moins de la politique au sens étroit et partisan du terme. Elle exige la recréation de communautés véritables
4336 le exige la recréation de communautés véritables. Et la Cité européenne — Res publica europaea — fondée sur les communes e
4337 — Res publica europaea — fondée sur les communes et les régions librement fédérées du continent peut en offrir le modèle.
4338 nt. Car à ce prix seulement nous ferons l’Europe, et nous la ferons pour toute l’humanité, nous lui devons cela ! Une Euro
4339 in de la planète indispensable au Monde de demain et où les hommes pourront trouver non pas le plus de bonheur, peut-être,
4340 us de sens à la vie. 164. Les Basques de l’Est et de l’Ouest, les Catalans de Perpignan et de Barcelone, ne sont pas sé
4341 de l’Est et de l’Ouest, les Catalans de Perpignan et de Barcelone, ne sont pas séparés par les Pyrénées mais par les décre
4342 és par les Pyrénées mais par les décrets de Paris et de Madrid, forçant les uns à parler français, les autres à parler esp
4343 s du Rhin, français sur les deux versants du Jura et italien (ou allemand de nouveau) sur les deux versants des Alpes. Déc
4344 x versants des Alpes. Décréter que le Rhin sépare et que le Rhône unit donne la mesure. bn. Rougemont Denis de, « Dépass
4345 nt d’origines multiples. Il explique ici pourquoi et comment cette “unité de culture non unitaire” doit se traduire en ter
4346 rtie des idées qu’il a exprimées à cette occasion et que l’auteur reprend dans sa Lettre ouverte aux Européens qui paraî