1
ts du village réunis, leur façon d’être ensemble,
et
surtout la jeunesse, d’ordinaire invisible, au point que je doutais m
2
t sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles
et
de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très épais de c
3
e gars peu bruyants, presque tous laids de visage
et
très épais de corps. Nous étions assis derrière eux. Au fond, sur deu
4
es. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement.
Et
des enfants autour du trépied de l’appareil, empressés à tendre les b
5
en aperçoit, attrape la puce en pinçant la fille,
et
les rires redoublent. L’instituteur réclame le silence, et la project
6
res redoublent. L’instituteur réclame le silence,
et
la projection commence. C’est un film d’avant-guerre, la Course au fl
7
inée, on rallume. L’instituteur monte à sa chaire
et
annonce qu’il va prononcer, comme chaque semaine désormais, un petit
8
bref ! » C’est un jeune homme d’allure énergique
et
de visage intelligent, la chevelure noire en bataille qu’il saisit à
9
ue le curé répand sur son compte, dans les foyers
et
jusque dans la presse1 ! « Je n’ai pas cherché la guerre, moi ! Eh bi
10
a guerre, moi ! Eh bien ! je saurai me défendre !
Et
malgré les persécutions de ceux qui ont intérêt à étouffer la vérité,
11
laïcité. « Être laïque, c’est vouloir la justice
et
l’égalité pour tous ! Être laïque, c’est vouloir l’instruction libre
12
! Être laïque, c’est vouloir l’instruction libre
et
gratuite pour tous, sans distinction de fortune ou de religion ! Être
13
, selon les paroles de Gambetta, d’Ernest Lavisse
et
de quelques autres. Être laïque, c’est finalement « aimer son prochai
14
’orateur, au comble de son éloquence, s’écrie : «
Et
, mes frères ! si l’on vient encore vous dire que je suis un empoisonn
15
d’une conférence contradictoire à A… : « La Bible
et
les travailleurs. » C’est sans doute une réponse à la conférence donn
16
, sous les auspices d’une ligue « antifasciste »,
et
qui avait pour sujet : « L’Église contre les travailleurs. » Je compt
17
rence. Mais le village d’A… est à huit kilomètres
et
la tempête m’avait empêché d’y aller à bicyclette. J’essaierai d’alle
18
93 ans. Il s’était converti à soixante-dix ans «
et
il avait toujours tenu ! » Catholique, antifasciste, laïque, protesta
19
e sont pas même tous capables de lire le journal,
et
j’ai remarqué qu’ils achètent absolument au hasard ceux qu’ils trouve
20
a mairie, voûtée, peinte en bleu clair. Une table
et
trois chaises sur la scène surélevée. Environ une centaine d’auditeur
21
levée. Environ une centaine d’auditeurs : paysans
et
pêcheurs, cela se voit. Au premier rang, deux « dames », l’une très v
22
sur la scène : un homme jeune encore, un peu gros
et
lent d’allure, physionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien, messieurs
23
un peu gros et lent d’allure, physionomie ouverte
et
sérieuse. « Eh bien, messieurs et chers amis, nous allons procéder, s
24
ionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien, messieurs
et
chers amis, nous allons procéder, selon votre coutume, à l’élection d
25
a scène, enlèvent leur casquette à visière cirée,
et
s’installent sur les trois chaises, un tout à droite, un tout à gauch
26
s de la salle. Le président se lève : « Messieurs
et
dames, vous m’excuserez de ne pas vous présenter l’orateur qui va vou
27
à A…, mais certainement qu’il va nous intéresser,
et
je lui donne la parole. » M. Palut sourit cordialement, et parle : —
28
donne la parole. » M. Palut sourit cordialement,
et
parle : — On a dit ici même que l’Église est contre les travailleurs.
29
ailleurs. Est-ce vrai ? Il y a plusieurs églises,
et
malheureusement elles ne s’entendent pas toujours. La primitive églis
30
rimitive église était constituée par des esclaves
et
des gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de riches. Elles
31
écrivains, les professeurs, des hommes distingués
et
très instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtres et des pasteurs qui
32
très instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtres
et
des pasteurs qui ont trahi. Capitalisme, bourgeoisie égoïste, guerre.
33
rrassé. Enfin un type se lève au fond de la salle
et
demande « s’il n’y a pas des contradictions dans la Bible ». Suit une
34
». Suit une petite discussion tout à fait confuse
et
sans aucun rapport avec le sujet. Il n’y a pas d’autre question. Le p
35
is assure qu’il a été bien intéressé. On se lève,
et
les langues se délient. « Il a bien parlé, hein ? », me dit mon voisi
36
environ 35 ans, l’air intelligent. Je l’approuve
et
m’étonne que la discussion n’ait pas été plus longue : il y avait pou
37
comme ça… » Je vais me présenter au conférencier,
et
nous sortons ensemble. Dans la rue noire, un homme nous rejoint : c’e
38
en soit, le pasteur note le nom du « président »
et
promet de lui envoyer un Nouveau Testament. Nous faisons les cent pas
39
ette soirée… Je le regarde. C’est un homme simple
et
solide, on peut lui parler en camarade : — Eh bien ! si vous voulez m
40
ont écouté les autres qui disaient le contraire,
et
pas moyen de savoir avec qui ils sont d’accord. Il ne faut pas oublie
41
nous vivons à une époque de propagande forcenée,
et
je vous assure qu’un communiste, par exemple, les aurait attaqués plu
42
c, il y a plus de six ans que je suis dans l’île,
et
je n’avais jamais pu parler à A…, à cause du curé qui s’y opposait pa
43
Ce soir, il s’agissait de gagner leur confiance,
et
ensuite on verra si on peut aller plus loin. — Mais ne croyez-vous pa
44
ils vous remercient, on croit qu’ils ont compris,
et
puis un beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et rien ! Et pourtant
45
t puis un beau jour on s’aperçoit que… rien, rien
et
rien ! Et pourtant il faut bien continuer, même si on a envie de tout
46
beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et rien !
Et
pourtant il faut bien continuer, même si on a envie de tout plaquer,
47
fficulté de s’exprimer ? Tout est mystère en eux,
et
pour eux-mêmes sans doute. Et on dit « le peuple », la volonté du peu
48
est mystère en eux, et pour eux-mêmes sans doute.
Et
on dit « le peuple », la volonté du peuple, comme si on ne les avait
49
ou jamais aimés ! Là-dessus, quantité de pensées
et
de conclusions qui m’ont paru évidentes et importantes. On se sent ré
50
ensées et de conclusions qui m’ont paru évidentes
et
importantes. On se sent réfléchir avec une énergie particulière en pé
51
livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime,
et
l’un des plus charmants dans cette espèce, mais ce n’est point pour c
52
’en parle ici. C’est pour une raison très précise
et
qui n’a rien à voir avec la critique littéraire. À la page 43 de l’éd
53
’air malade. Le lendemain nous le trouvions mort.
Et
je l’avais oublié là, sans sépulture, caché sous des feuillages bruni
54
conclusion qui la dépasse d’ailleurs notablement
et
qui me paraît assez frappante. Voici : pour la première fois depuis j
55
, des modes d’emploi, des descriptions objectives
et
utilisables ; et ceci à tous les degrés de la réalité, dans les grand
56
loi, des descriptions objectives et utilisables ;
et
ceci à tous les degrés de la réalité, dans les grandes choses comme d
57
tre vraiment inquiets, des indiscrétions gênantes
et
dont on ne sait trop que faire, ou des doctrines dont ils négligent d
58
questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ;
et
c’est là qu’ils croient voir leur astuce. Astuces, petites secousses,
59
illes tuiles concassées pour recouvrir les routes
et
les allées de leurs jardins. Et il ajoute : « Dès mon retour à la mai
60
ouvrir les routes et les allées de leurs jardins.
Et
il ajoute : « Dès mon retour à la maison, j’essaierai cela. La Toscan
61
e un aspect complet, tout y a son fini, tout sert
et
semble destiné à un noble usage… » Commentons : la noblesse est dans
62
rebattait les oreilles de phrases sur la volonté
et
la mission du peuple. On a beau se méfier des phrases, il faut se tro
63
e trouver placé soudain devant les êtres en chair
et
en os dont elles parlent, pour comprendre à quel point elles mentent.
64
s alors on comprend aussi pourquoi elles mentent,
et
quel immense désir de réveiller le peuple elles traduisent chez certa
65
geois). Il est très difficile d’aimer ces hommes,
et
cependant ils sont la réalité vivante et présente du « peuple ». Par
66
hommes, et cependant ils sont la réalité vivante
et
présente du « peuple ». Par contre, il est très facile de haïr et de
67
peuple ». Par contre, il est très facile de haïr
et
de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous so
68
ondamner un certain ordre de choses qui nous vexe
et
dont nous souffrons. Et il est très tentant d’appeler cette haine : a
69
e de choses qui nous vexe et dont nous souffrons.
Et
il est très tentant d’appeler cette haine : amour du peuple. Troisièm
70
ateur dit un tas de choses qu’on ne comprend pas,
et
cite des noms qu’on ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence.
71
ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence.
Et
l’éloquence est le but du discours, dont le sujet n’est que le prétex
72
» à s’agiter dans le vide — ce qui est malsain —
et
le peuple à ne pouvoir se libérer des charlataneries politiques autre
73
e c’était correct, parce que ça se tenait en soi,
et
qu’au surplus c’était bien dit. Il ne lui est pas venu à l’esprit que
74
a vérité est quelque chose qui peut être réalisé.
Et
qu’il s’agit de prendre position effectivement. S’il s’était senti in
75
ifficulté de s’exprimer, la timidité, la fatigue,
et
que tout cela peut bien suffire à expliquer le silence de ces cultiva
76
sprit à la constatation de l’exactitude objective
et
formelle des faits ou des raisonnements que l’on allègue. « Il a rais
77
e devient irresponsable. Les clercs s’y résignent
et
même s’en vantent : c’est plus commode. Quant au peuple, il y a belle
78
Il y en a certes qui font progresser la science,
et
cela c’est bien. On va les écouter avec plaisir quand ils viennent fa
79
ain nombre de phrases qu’on lit dans les journaux
et
qu’on entend dans les assemblées, et grâce auxquelles on reconnaît to
80
les journaux et qu’on entend dans les assemblées,
et
grâce auxquelles on reconnaît tout de suite si un type est avec les p
81
stion de travail, de salaires, de prix de la vie,
et
là les intellectuels ne servent à rien. Enfin, les questions de perso
82
onsidération sociale, sait se débrouiller à Paris
et
peut faire de beaux discours. Dans ces conditions, qu’un intellectuel
83
bien patiemment, s’il a su se rendre sympathique
et
surtout s’il a l’air « sincère », mais on n’aura jamais l’idée de met
84
Il reste dans son rôle en s’agitant sur l’estrade
et
en lançant des appels éloquents, et moi je reste dans mon rôle en me
85
sur l’estrade et en lançant des appels éloquents,
et
moi je reste dans mon rôle en me dirigeant d’après mes intérêts. Cela
86
les hommes sans culture se trompent sur la nature
et
sur le rôle de la culture. Mais il est inquiétant que les hommes cult
87
qu’elle implique des actes, ils la disqualifient
et
ils s’en moquent agréablement, ils la réduisent à un ensemble de phra
88
le de phrases correctes, quelquefois ingénieuses,
et
par définition inefficaces. L’opinion de mon voisin après la conféren
89
nt tout se préoccuper de le prendre là où il est,
et
commencer là. Voilà le secret de tout secours… Pour aider réellement
90
m’entourent, ce « peuple » qu’il s’agit d’aider,
et
que je vois encore si mal. (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’ici de m’
91
arcelles minuscules. Sur ces parcelles des hommes
et
des femmes travaillent, le buste parallèle au sol. Ces deux observati
92
ent en deux images exactes les conditions morales
et
économiques des habitants de l’île. 1° Division des terres. — J’ai pu
93
tion encore plus gênante au moment de la récolte.
Et
, bien entendu, cela exclut l’usage des machines agricoles. Pourquoi n
94
l’idéologie rudimentaire qu’on leur a inculquée,
et
qui n’a que trop bien convenu à leur penchant naturel. Il faudrait do
95
dictature est un moyen grossier, souvent barbare
et
toujours déshonorant pour ceux qui la subissent, mais c’est le seul m
96
ubissent, mais c’est le seul moyen de transformer
et
d’animer un peuple auquel on n’a pas su donner le sens civique, le se
97
Mauvais outils. — Revenons au sens précis, limité
et
terre à terre des usages de l’île. Dès la quarantaine déjà, les homme
98
ges de l’île. Dès la quarantaine déjà, les hommes
et
les femmes ont tous le corps plus ou moins déjeté. Cela provient évid
99
e leur position quand ils travaillent aux champs.
Et
cette position provient de la forme de leurs outils. Ils n’utilisent
100
ec la lame, cela suffirait à redresser leur corps
et
augmenterait le rendement de leurs champs. Intrigué dès les premiers
101
mps. Intrigué dès les premiers jours par l’allure
et
les façons de travailler si spéciales des gens d’ici, j’ai hésité lon
102
e les mêmes outils ne sont pas bons en tous pays,
et
je cherchais quelle particularité locale motivait l’usage exclusif de
103
t les outils à long manche qui sont dans le chai,
et
il a refusé. « On n’a pas l’habitude. » Contre-épreuve : un petit pro
104
t propriétaire venu du continent il y a trois ans
et
qui utilise des outils ordinaires, me dit qu’il a tout de suite obten
105
u des résultats supérieurs à ceux de ses voisins,
et
à moindre fatigue. Il y a peut-être d’innombrables petits faits de ce
106
p, se plaignent du mauvais rendement de la terre,
et
refusent cependant de rien changer à des habitudes dont les défauts s
107
de droite » reflète assez exactement la mentalité
et
les conversations de la bourgeoisie conservatrice, alors que la press
108
ns populaires. C’est que les journaux socialistes
et
communistes sont rédigés par des bourgeois, ou par des candidats à la
109
en France, lit trop de journaux, ne lit que cela,
et
finit par se croire « le Peuple », tel que l’imaginent les bourgeois
110
« le Peuple », tel que l’imaginent les bourgeois
et
leurs journalistes. Ce n’est pas dans notre île, d’ailleurs, que j’ai
111
eux journaux locaux gardent un ton à la fois naïf
et
grandiloquent, avec des maladresses et des grosses astuces, qui n’est
112
fois naïf et grandiloquent, avec des maladresses
et
des grosses astuces, qui n’est pas exactement celui des « discussions
113
ries du curé ou de l’instituteur, mariages, décès
et
naissances) tiennent presque toute la place. Abîme entre la politique
114
lace. Abîme entre la politique des amis du peuple
et
la réalité du peuple : rien ne le rend plus sensible que cette différ
115
tre tel organe socialiste ou communiste de Paris,
et
l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934 Les gens. —
116
pour exposer mes critiques ci-dessus consignées,
et
mettre en discussion mes projets de réforme. Mais je sais bien ce qui
117
» chez l’un ou l’autre, à quatre ou cinq. On boit
et
on tape le carton sans beaucoup de paroles. C’est à cela que se rédui
118
sous quand les hommes sont partis pour la guerre,
et
rien ne s’est refait depuis. Quand on veut danser, on fait venir l’or
119
ns une sorte de corporation boulangers, minotiers
et
consommateurs. Le pain, la tombe. Deux réalités fondamentales. Voilà
120
st bien dans l’harmonie de cette lande où l’homme
et
ses maisons mettent les seules verticales. Existence ramenée à ces de
121
dimensions premières. Pour la vie, l’homme debout
et
actif, il faut le pain. Pour la mort, l’homme qui se recouche, il fau
122
les, rudimentaires. Mais quand je vois ces hommes
et
ces femmes accrochés à cette terre pauvre, qu’ils grattent lentement
123
ls subsistent. À la fois aux limites du continent
et
aux limites de l’humanité. Ils n’attaquent plus, ils se cramponnent.
124
n’ont pas à faire face à des menaces extérieures.
Et
surtout ils n’ont nulle envie d’entreprendre une conquête quelconque,
125
ou entreprise commune, qui rassemble les peuples
et
les pousse à créer des signes visibles de leur union : assemblées, fê
126
e feraient-ils de tout cela ? Ils ont la liberté,
et
cela leur suffit, depuis cent-cinquante ans. Ils ne songent pas à en
127
ent mal (légumes, soupes, fruits de mer, seiches,
et
poissons, je crois que c’est à peu près tout) ; mais pourquoi vivraie
128
on des fous est moindre ici que sur le continent.
Et
l’on meurt vieux, et les médecins ne font pas fortune. Quelle conclus
129
re ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux,
et
les médecins ne font pas fortune. Quelle conclusion tirer de tout cel
130
ion tirer de tout cela ? Quand on voit les choses
et
les êtres de trop près, on perd le peu de foi que l’on pouvait accord
131
u de foi que l’on pouvait accorder aux idéologies
et
aux politiciens. Il faut vivre à Paris pour y croire. Réveillez ce pe
132
une vérité absolue, qui vaille mieux que la paix
et
le bonheur, pour oser bouleverser la petite vie de notre île. À noter
133
r bouleverser la petite vie de notre île. À noter
et
à souligner : seules les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme d
134
dont le centre est lointain, qui ne croit à rien,
et
qui par suite ne peut rien exiger de sérieux. Mais il y a d’autres as
135
la question. Le sel ne se vend plus depuis un an,
et
c’était la ressource principale des villages. Le chef-lieu est en tra
136
lonie de vacances qui défilent en maillots rouges
et
l’on pousse des « cris séditieux » ; le dimanche suivant, ce sont les
137
ce sont les enfants de la fondation « de droite »
et
on les applaudit : la fondation fait vivre beaucoup de personnes de l
138
onnes de l’île. La moitié des maisons sont vides,
et
quelques-unes déjà tombent en ruines. Et surtout ce régime d’inertie
139
t vides, et quelques-unes déjà tombent en ruines.
Et
surtout ce régime d’inertie laisse trop de forces grandir contre lui
140
nertie laisse trop de forces grandir contre lui :
et
alors, qui va venir un beau jour, de Paris, faire la loi dans notre v
141
séries d’observations nouvelles sur la province,
et
je crois d’autant plus utile de les consigner qu’elles modifient sens
142
’on se doute à Paris de l’importance des autocars
et
des transformations qu’ils sont en train de causer dans la vie provin
143
utumes : rien ne pouvait modifier plus rapidement
et
plus profondément la coutume de la France rurale. Mais ce n’est pas e
144
complètement le mode de contact entre le voyageur
et
la province. Naguère encore, quand on n’avait que les chemins de fer,
145
it relégué à l’écart de la « vraie » circulation.
Et
l’on ne voyait guère que des gares, ce qu’il y a de plus attristant d
146
qui l’habitent ne sont pas tous de la même sorte,
et
que d’une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui
147
e matinale des foires, dans les districts ruraux,
et
ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La sim
148
ans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée
et
de la sortie des usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser
149
précisions concernant l’heure du prochain départ
et
la destination des diverses voitures qui stationnent sur la place. C’
150
gnie a sa tête de ligne chez un bistro différent,
et
il est rare qu’on puisse trouver l’horaire ailleurs. Parfois le bistr
151
leurs. Parfois le bistro vend aussi les billets ;
et
c’est chez lui qu’on attend le départ. Pour peu que l’on manifeste la
152
quelques anecdotes sur l’installation de la ligne
et
sur la concurrente qui a fait baisser les prix. Car il est de règle q
153
rs économiques du pays, sur les noms des notables
et
sur le jeu des partis politiques. Et que dire maintenant du voyage lu
154
des notables et sur le jeu des partis politiques.
Et
que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce
155
ut dispose à romancer ; de conversations absurdes
et
rapidement intimes, avec ce personnage enfoui à côté de vous dans un
156
ans un luxueux fauteuil de cuir rouge ou bleu vif
et
qui change de tête plusieurs fois pendant le trajet, de coups de main
157
aquets ou d’un jeune veau, ou d’un enfant hurlant
et
admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs accepten
158
veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts
et
de détours imprévus — car les chauffeurs acceptent volontiers toutes
159
r confient au départ avec force recommandations ;
et
ils sont rares, ceux qui n’ont pas deux mots à dire par la portière e
160
. Ce sont, en général de jeunes gaillards solides
et
gais, et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire
161
, en général de jeunes gaillards solides et gais,
et
qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c
162
et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail
et
de le faire bien : c’est moderne, c’est sportif, cela vous pose dans
163
on se sent maître à bord de sa puissante machine,
et
l’on bénéficie de ces petites faveurs que les femmes ont toujours acc
164
mmes ont toujours accordées à ceux qui commandent
et
disposent, ne fût-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien
165
t la bonne humeur, le dynamisme, le sens pratique
et
la rapidité d’esprit que les bourgeois, qui en sont dépourvus, attrib
166
compter les moyens techniques dont ils disposent
et
qui seraient décisifs lors d’une action rapide. Mais loin de moi ces
167
ions : ceux qui les ont n’en parlent pas, dit-on.
Et
je ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation q
168
e Taillefer voulait savoir quel était mon métier.
Et
quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écri
169
tier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun,
et
que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’
170
en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain,
et
chômeur par-dessus le marché, il s’écria : — Ah ! cher monsieur, je
171
dans la société. Vous avez le temps de réfléchir,
et
de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc
172
réfléchir, et de nous faire part de vos lumières,
et
sans vous, où irions-nous donc, nous qui ne croyons plus aux curés !
173
ns qu’un fonctionnaire (c’était pour le flatter),
et
cela tient aux circonstances mêmes qui l’ont mis dans le cas d’écrire
174
ou bien l’on écrit ce que l’on ne peut pas faire,
et
c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’une ambition excessive, deux choses
175
is ; ou bien l’on écrit des choses intelligentes,
et
c’est encore l’aveu d’une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes
176
ncore l’aveu d’une inadaptation cruelle aux mœurs
et
coutumes de ce temps ; ou bien on écrit simplement pour gagner sa chi
177
on écrit simplement pour gagner sa chienne de vie
et
c’est le bon moyen de traîner la misère la plus honteuse qui se puiss
178
ute façon, un écrivain est par nature un empêtré.
Et
voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige mê
179
n est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe
et
l’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige même de ces gens-là des
180
i suffiraient à rendre heureux les plus indignes,
et
ingénieux les plus balourds, enfin je ne sais quelle supériorité huma
181
vous donnons, c’est justement ce qui nous manque,
et
quand vous aurez compris cela, vous cesserez, je le crains, d’envier
182
ait prié de parler des révolutions russes de 1905
et
de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupe
183
parler des révolutions russes de 1905 et de 1917,
et
de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à bicycle
184
inait tout un canton de marécages mélancoliques ;
et
parfois l’on voyait scintiller, dans un lointain nuageux et sous une
185
l’on voyait scintiller, dans un lointain nuageux
et
sous une trouée d’or, la mer. La petite salle des cours ruraux peut c
186
ines, sans barrières ni haies, sans chemins creux
et
sans secrets, où les hommes vivent sans calcul ni prudence, dans la m
187
es vivent sans calcul ni prudence, dans la misère
et
dans la communion, superstitieux, poètes, bons et fous. Je décrivis l
188
et dans la communion, superstitieux, poètes, bons
et
fous. Je décrivis les révoltes obscures de ces masses opprimées et na
189
vis les révoltes obscures de ces masses opprimées
et
naïves, conduites par des équipes d’hommes durs, intellectuels bannis
190
le de Lénine, l’enthousiasme du plan de cinq ans.
Et
je m’étonnais tout en parlant de raconter une épopée contemporaine :
191
it ici de la mesquinerie hargneuse des polémiques
et
des partis pris, devenait légendaire, prenait le rythme et les couleu
192
rtis pris, devenait légendaire, prenait le rythme
et
les couleurs grandioses et irréelles de la page d’histoire. Mensonge
193
ire, prenait le rythme et les couleurs grandioses
et
irréelles de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la sim
194
es de la page d’histoire. Mensonge de la distance
et
de la simplification, vérité de la fable qui donne une forme grande à
195
la fable qui donne une forme grande à nos obscurs
et
grands désirs informulés. En finissant, je craignis un moment de les
196
n garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent
et
ouvert : « Pensez-vous qu’on pourrait faire la même chose ici ? » Pou
197
ples, que la situation matérielle était meilleure
et
demandait un développement tout différent ; qu’on voulait surtout, pa
198
qu’on voulait surtout, par ici, garder sa liberté
et
se gouverner comme on l’entendait. Et je me disais, en l’écoutant : «
199
sa liberté et se gouverner comme on l’entendait.
Et
je me disais, en l’écoutant : « En voilà un que l’on pourrait sans ho
200
me nous autres. Rêverie des jeunes cultivateurs.)
Et
quand j’eus terminé ma causerie, évitant de prononcer mon jugement su
201
ceux de l’île : cette série de questions précises
et
ce désir de rapporter ce que j’avais dit à leur situation concrète. E
202
— Nous étions assis dans sa cuisine avec sa femme
et
ses deux enfants. C’est un homme de quarante ans, aux traits régulier
203
st un homme de quarante ans, aux traits réguliers
et
sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de
204
traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste
et
de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nous laisse
205
aire un mouvement politique en dehors des partis,
et
de voir une fois ce qu’il y aurait à changer pratiquement dans chaque
206
ur oser parler de nouveau une langue large, utile
et
humaine… Auparavant, ils croyaient comme les autres que c’était plutô
207
veau conformisme pour les libérer de l’ancien ; —
et
l’alibi d’une action politique à laquelle ils n’entendent goutte. 1
208
e. L’un est aux mains de M. T…, député de droite,
et
des « curés ». L’autre est « républicain et antifasciste ». 2. Villa
209
oite, et des « curés ». L’autre est « républicain
et
antifasciste ». 2. Village à l’autre extrémité de l’île. 3. Combien
210
qu’avec un manche court « on travaille plus vite
et
plus efficacement qu’avec un manche long, surtout dans un terrain sab
211
e tenu au cours d’un long séjour dans l’île de Ré
et
en Vendée, ses impressions sur la vie des paysans en général et sur l
212
ses impressions sur la vie des paysans en général
et
sur leurs aspirations politiques en particulier. Ces aspirations, à l
213
un divorce angoissant entre les réalités humaines
et
la terminologie et la doctrine politiques. Les pages qu’on va lire, n
214
nt entre les réalités humaines et la terminologie
et
la doctrine politiques. Les pages qu’on va lire, nourries d’observati
215
L’Âme romantique
et
le rêve (15 août 1939)c Le recours à l’inconscient, pour expliquer
216
en publiant son gros volume sur L’Âme romantique
et
le rêve. Livre charmant et capiteux, malgré sa gravité d’ailleurs jam
217
e sur L’Âme romantique et le rêve. Livre charmant
et
capiteux, malgré sa gravité d’ailleurs jamais sévère ; au point que l
218
actualité, au sens le plus pénétrant de ce terme.
Et
pourtant, il faut bien le dire : cette révélation du romantisme allem
219
romantisme allemand dans ce qu’il eut d’audacieux
et
de tragique ne présente pas seulement un intérêt littéraire de tout p
220
re ; elle revêt une portée proprement religieuse.
Et
par là même — car nous vivons au seuil de l’ère des mystiques collect
221
a submergé notre littérature, depuis la guerre ;
et
voici que renaît, d’une manière bien frappante, l’intérêt de beaucoup
222
s études mystiques ; voici que se répand l’usage,
et
même l’abus, du terme de « mystique » dans l’ordre politique ; voici
223
te synthèse de religiosité, de politique, de rêve
et
de mystique élémentaire. Or, ces faits ne sont pas seulement coïncide
224
idents. Ce n’est point du hasard qu’ils sont nés.
Et
si tout nous invite à rechercher leur secrète complicité, rien n’est
225
bre où s’émeut leur commune origine. I. Le Rêve
et
la Mystique La conscience claire est la première conquête spiritue
226
mes angoissés par le mystère d’une nature hostile
et
mouvante. La parole de raison, qui distingue les choses, les arrête e
227
e de raison, qui distingue les choses, les arrête
et
les identifie, apparaît comme une délivrance, une victoire sur le cha
228
p complète, lorsqu’elle est devenue trop ancienne
et
facile, laisse l’homme sur un sentiment de déception et d’indicible a
229
ile, laisse l’homme sur un sentiment de déception
et
d’indicible appauvrissement. Le monde rationnel est rassurant, mais b
230
s beaucoup de questions y demeurent sans réponse,
et
des faims ancestrales sans pâture. D’où renaît, peu à peu, une angois
231
vers ces régions de l’être obscur que le bon sens
et
la philosophie prétendaient mettre au ban de l’humanité. Et tandis qu
232
osophie prétendaient mettre au ban de l’humanité.
Et
tandis que dans sa panique l’homme primitif s’était tourné vers la ra
233
e de science positiviste. Est-il vrai que la nuit
et
le rêve n’ont rien à révéler qui importe au jour ? Est-il vrai que la
234
au jour ? Est-il vrai que la passion, l’angoisse
et
la folie sont moins réelles que nos sagesses tyranniques ? « Songe es
235
Le songe, au contraire, nous propose des paradis
et
des terreurs d’une intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’ent
236
on avec une autre réalité, plus vaste, antérieure
et
supérieure à la vie individuelle. » Mais quelle est cette réalité ? N
237
en nous-mêmes, en nous détournant des apparences,
et
plus nous pénétrons dans la nature des choses qui sont hors de nous »
238
? » Déjà E. T. A. Hoffmann insinue la réponse : «
Et
si un principe spirituel étranger à nous-mêmes était le mobile de ces
239
la traverse de nos idées d’une manière si brusque
et
si saisissante ? » De là à penser que le rêve est « un vestige du div
240
oxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme
et
Dieu. Troxler esquive non sans adresse la difficulté et le choix : po
241
u. Troxler esquive non sans adresse la difficulté
et
le choix : pour lui, le rêve est « tantôt un écho du supraterrestre d
242
bien la profonde ambiguïté où naît le romantisme,
et
dont il vit ! Croire que le rêve ne révèle rien que nos secrets, ce s
243
emandent si le rêve est connaissance ou illusion,
et
si c’est « l’Autre », ou le moi sombre et son néant, que l’on atteint
244
lusion, et si c’est « l’Autre », ou le moi sombre
et
son néant, que l’on atteint au fond de l’inconscient, ils formulent l
245
nnent translucides, une nostalgie longtemps déçue
et
qui s’empare avec avidité des plus furtives promesses de bonheur, sur
246
de bonheur, surtout si elles sont assez obscures
et
ambiguës pour échapper au froid contrôle de la raison. Toute la poési
247
le rôle de la rhétorique chez les poètes du rêve
et
les mystiques. Le philosophe G. von Schubert, comme plus tard le poèt
248
xprime ordinairement dans un langage métaphorique
et
régulier, comme s’il était soumis, en ce domaine, à des lois plus pré
249
t soumis, en ce domaine, à des lois plus précises
et
plus constantes que celles qui le régissent à l’état de veille. D’aut
250
angage pour traduire l’ineffable qu’ils vivaient.
Et
ceci nous amène au problème central : celui de l’expression d’un indi
251
rund de Jakob Boehme), dont on ne peut rien dire,
et
qui cependant est la source de tout ce que l’on dit. C’est l’ineffabl
252
able, l’indicible, le royaume du Silence absolu ;
et
pourtant — voici le paradoxe —, nous voyons bien que les grands mysti
253
oxe —, nous voyons bien que les grands mystiques,
et
après eux les romantiques, passent leur vie à en parler, à en écrire,
254
que, si ce n’est un romantique allemand. Car l’un
et
l’autre ont l’ambition de communiquer par l’écrit ce qu’ils ne cessen
255
s pour exprimer l’inexprimable », dit la sainte ;
et
le poète : « Mais où trouver des mots pour dépeindre, même faiblement
256
ent, la merveille de la vision qui s’offrit à moi
et
qui, transformant mon âme, m’entraîna au-devant d’une réalité invisib
257
re même, la source inépuisable, le point originel
et
fascinant de tout jaillissement du langage, de toute expression litté
258
s mots ? », gémissent-ils. La plainte est sincère
et
tragique. Mais combien de mots leur fera-t-elle accumuler pour dire q
259
accumuler pour dire que rien ne saurait être dit…
Et
pourtant si, romantiques et mystiques sont persuadés que, nonobstant
260
ne saurait être dit… Et pourtant si, romantiques
et
mystiques sont persuadés que, nonobstant leur impuissance à traduire
261
lle d’une conscience passive de l’involontaire. »
Et
sur cette base, la seconde génération du romantisme va formuler sa fa
262
s qu’on en oublie l’origine mystique : « Le poète
et
le rêveur sont passifs ; ils écoutent le langage d’une voix qui leur
263
ent le langage d’une voix qui leur est intérieure
et
pourtant étrangère, qui s’élève dans les profondeurs d’eux-mêmes sans
264
ivité » nous fait comprendre la nature du Silence
et
de l’indicible dont nous parlaient mystiques et romantiques : c’est l
265
e et de l’indicible dont nous parlaient mystiques
et
romantiques : c’est la négation et la mort du monde des formes et du
266
ient mystiques et romantiques : c’est la négation
et
la mort du monde des formes et du langage humain, la négation et la m
267
c’est la négation et la mort du monde des formes
et
du langage humain, la négation et la mort du divers, du moi distinct
268
onde des formes et du langage humain, la négation
et
la mort du divers, du moi distinct et agissant. C’est la Nuit des sen
269
la négation et la mort du divers, du moi distinct
et
agissant. C’est la Nuit des sens et de l’esprit que décrit un Jean de
270
moi distinct et agissant. C’est la Nuit des sens
et
de l’esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit des songe
271
ns et de l’esprit que décrit un Jean de la Croix,
et
dont la nuit des songes, chantée par les poètes, n’était que le symbo
272
s, chantée par les poètes, n’était que le symbole
et
le signe physique6. C’est « le royaume de l’Être qui se confond avec
273
ec le royaume du Néant, l’éternité enfin conquise
et
dont la plénitude ne peut humainement s’exprimer que par l’image de l
274
créature, de toute forme. » Car nous ne percevons
et
n’exprimons que le divers et le distinct, ce qui a pris forme ; tout
275
ar nous ne percevons et n’exprimons que le divers
et
le distinct, ce qui a pris forme ; tout ce que notre conscience a sép
276
; tout ce que notre conscience a séparé du Tout.
Et
c’est cela qui constitue notre réalité de tous les jours. Pour rejoin
277
réalité de tous les jours. Pour rejoindre le Tout
et
l’Unité, il s’agit donc de perdre le Divers, de perdre le réel, de se
278
La grandeur du romantisme restera d’avoir reconnu
et
affirmé la profonde ressemblance des états poétiques et des révélatio
279
irmé la profonde ressemblance des états poétiques
et
des révélations d’ordre religieux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs ir
280
eux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels
et
de s’être dévoué, corps et âme, à la grande nostalgie de l’être en ex
281
pouvoirs irrationnels et de s’être dévoué, corps
et
âme, à la grande nostalgie de l’être en exil. » II. L’Être en exil
282
naît-il, dans quel souvenir d’une patrie heureuse
et
perdue ? On aura bientôt fait de répondre en alléguant notre double n
283
ndre en alléguant notre double nature, corporelle
et
spirituelle. Mais d’une constatation si générale, comment passer à l’
284
tz peut nous y aider. Né dans un milieu quiétiste
et
piétiste, en plein xviiie siècle rationaliste, Moritz fut l’un des t
285
contradiction irrémédiable entre la dure réalité
et
les désirs profonds du moi. Blessure si cruelle et intime que sa cons
286
t les désirs profonds du moi. Blessure si cruelle
et
intime que sa conscience en évite le souvenir (ou le refoule comme di
287
une blessure qui déchire tout ce qui vit en lui,
et
que peut-être lui fit la Vie même. » Non sans lucidité, Moritz a su d
288
la fatalité de l’être individuel, charnel, créé,
et
lié à toute la création. C’est par lui et à travers lui que la consci
289
, créé, et lié à toute la création. C’est par lui
et
à travers lui que la conscience perçoit la réalité extérieure ; comme
290
comme lui donc, cette réalité apparaîtra blessée
et
douloureuse. Se détester revient à détester le monde. L’incapacité d’
291
git d’oublier si l’on ne parvient pas à l’expier.
Et
en effet, à la faveur de cet oubli, de ce refus, le moi perd peu à pe
292
antiques d’être mal assuré de sa propre identité,
et
d’avoir à la rechercher précisément dans le passé. Moritz décrit ains
293
arut qu’il s’était échappé entièrement à lui-même
et
qu’il lui fallait avant toute démarche se rechercher lui-même dans la
294
possible ici-bas, dans la prison du moi coupable
et
douloureux. Il faudra donc chercher au-delà. Et nous avons vu que le
295
e et douloureux. Il faudra donc chercher au-delà.
Et
nous avons vu que le rêve, ou la descente au fond de l’inconscient, r
296
sa culpabilité. Mais d’une autre manière encore,
et
plus précise, le rêve ou la via mystica sont des moyens de récupérer
297
meil préfigure la mort pour le poète romantique ;
et
la mort progressive à soi-même est l’ambition de tous les vrais mysti
298
tombe vécue dès ici-bas, d’une manière indicible.
Et
peut-être pourrait-on dire que l’expérience mystique générale ne devi
299
voie des sublimations — sauf peut-être Jean-Paul
et
Novalis. Ils n’arrivent pas à retrouver dans leur au-delà une Présenc
300
au-delà une Présence qui pardonne, qui guérisse,
et
qui leur rende alors la force d’accepter leur moi coupable et le mond
301
rende alors la force d’accepter leur moi coupable
et
le monde réel. La « contemplation sans objet » à laquelle ils parvien
302
’élan même qu’elle a brisé, mais sans se l’avouer
et
sans pouvoir la reconnaître ou l’exprimer… C’est le mouvement fondame
303
ons de la vie — la joie devant la mort de Tristan
et
d’Isolde. III. Mystique et Personne L’exemple des romantiques a
304
la mort de Tristan et d’Isolde. III. Mystique
et
Personne L’exemple des romantiques allemands illustre une relation
305
antiques allemands illustre une relation profonde
et
constante dans l’homme : celle qui existe entre le recours à l’indici
306
: celle qui existe entre le recours à l’indicible
et
la fuite devant le moi personnel. Se réfugier dans l’indicible, c’est
307
er, c’est se donner pour responsable de sa pensée
et
de ses actes. Mais voilà justement ce qui répugne aux romantiques ! D
308
de celui du Créateur. Créer, c’est donner forme,
et
ils voudraient nier les formes ; c’est limiter, et ils aspirent à l’e
309
t ils voudraient nier les formes ; c’est limiter,
et
ils aspirent à l’expansion indéfinie ; c’est définir par la parole et
310
expansion indéfinie ; c’est définir par la parole
et
l’acte, et ils recherchent le silence passif. Aussi n’ont-ils laissé
311
ndéfinie ; c’est définir par la parole et l’acte,
et
ils recherchent le silence passif. Aussi n’ont-ils laissé pour la plu
312
t l’eussent-ils pu rendre au jour sans le trahir,
et
se trahir ? Ainsi leur œuvre est à l’image de la contradiction vitale
313
e de la contradiction vitale dont ils souffraient
et
d’où naissait leur désir angoissé de perdre leur moi personnel. Je pr
314
ous l’être spirituel, responsable d’une vocation,
et
trouvant là son unité en dépit des contradictions dont peut souffrir
315
ilieu, l’histoire, les richesses qu’il a héritées
et
les blessures qu’il a subies. Il est emprisonné dans ces données, et
316
’il a subies. Il est emprisonné dans ces données,
et
c’est en vain qu’il chercherait à y échapper par des sublimations : a
317
chapper par des sublimations : au fond de la nuit
et
de l’inconscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous des espèces
318
qu’il retrouvera sous des espèces méconnaissables
et
qu’il sera tenté de croire divines. Et il est juste que les premières
319
naissables et qu’il sera tenté de croire divines.
Et
il est juste que les premières touches de l’esprit rendent le moi sen
320
esprit rendent le moi sensible à ses limitations,
et
lui inspirent la nostalgie de les dépasser. Mais seule une vocation l
321
ocation lui en donnera la force. Qu’il la reçoive
et
qu’il l’accepte consciemment, ce sera pour lui l’introduction à une l
322
boutit pas à la négation du réel. Elle transforme
et
oriente à nouveau les forces de l’individu, plutôt qu’elle ne veut le
323
d enfin responsables vis-à-vis de notre prochain,
et
c’est à quoi l’on peut reconnaître la légitimité d’une vocation. Thér
324
ne prend pas la mort pour but, mais bien la vie,
et
cette vie-ci. Elle accepte le moi et toutes ses servitudes en vertu d
325
bien la vie, et cette vie-ci. Elle accepte le moi
et
toutes ses servitudes en vertu de sa vocation, c’est-à-dire en vertu
326
en toute lucidité, de s’exprimer sans réticences
et
d’assumer son moi coupable — parce que dorénavant ce n’est pas cela q
327
e n’est pas cela qui compte, mais l’œuvre à faire
et
Celui qui l’ordonne. Alors le moi coupable et détesté ne cherche plus
328
ire et Celui qui l’ordonne. Alors le moi coupable
et
détesté ne cherche plus de vaine échappatoire dans l’indicible et l’i
329
erche plus de vaine échappatoire dans l’indicible
et
l’inconscient. Il ose enfin parler et témoigner au nom d’une Vérité q
330
l’indicible et l’inconscient. Il ose enfin parler
et
témoigner au nom d’une Vérité qui le dépasse. Et l’on rejoint ici l’e
331
et témoigner au nom d’une Vérité qui le dépasse.
Et
l’on rejoint ici l’enseignement évangélique : ce ne sont pas des exta
332
nts, mais au contraire il leur est demandé d’agir
et
d’annoncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’on parvien
333
ent au salut », dit saint Paul. IV. Romantisme
et
national-socialisme De même que l’expérience d’un au-delà ne prend
334
e que l’expérience d’un au-delà ne prend son sens
et
sa vertu que lorsqu’elle nous ramène au jour de l’activité quotidienn
335
servir à mieux comprendre le temps où nous vivons
et
agissons. Que signifie cette invasion de la politique et de la vie so
336
sons. Que signifie cette invasion de la politique
et
de la vie sociale par ce qu’on nomme les « mystiques » collectives ?
337
ssence, m’apparaît comme un romantisme politique.
Et
je ne dis pas du tout que les écrits d’un Novalis ou d’un Jean-Paul s
338
is que nous pouvons retrouver au niveau inférieur
et
collectif de la psychologie nazie des processus fort analogues à ceux
339
es, il ne s’agit que de reviviscences — vulgaires
et
simplistes, bien sûr — de certaines attitudes de l’homme en face de s
340
taines attitudes de l’homme en face de son destin
et
de sa personne. Le national-socialisme apparut comme une réaction de
341
l. D’où l’impression de culpabilité, inacceptable
et
inavouable (à cause de l’orgueil national). C’est le monde qui doit ê
342
pourtant sommes les fils des vertueux Germains !
Et
de ce sentiment de culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié
343
e ce sentiment de culpabilité, refoulé avec force
et
bruyamment nié (tous les discours d’Hitler proclament, dès le début,
344
la chercher ailleurs : dans un rêve de puissance
et
de libération, dans l’avenir, cet ersatz de l’au-delà. Nions donc cet
345
es, alors que nous voulons une passion nouvelle !
Et
de même que le romantique oubliait son moi détesté en se perdant dans
346
es du rêve, l’Allemand moyen oubliera ses misères
et
les humiliations de sa patrie en se perdant dans l’âme collective, da
347
sacrales organisées par le Führer, au rythme lent
et
envoûtant des défilés et des tambours pendant des heures… On lui a di
348
e Führer, au rythme lent et envoûtant des défilés
et
des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne compte pas en
349
t entre les mains du parti, d’un démiurge anonyme
et
obscur dont il n’a plus qu’à recevoir les ordres, sans trop chercher
350
là délivré de la terrible charge de sa conscience
et
de ses doutes. La discipline collective joue le rôle d’une ascèse du
351
eviennent les preuves de sa transcendante vérité.
Et
c’est ainsi que la masse allemande, imitant au niveau le plus bas l’é
352
émotion remplace la vérité mesquine des juristes.
Et
cela nous fait comprendre bien des choses à première vue sans liens i
353
ression du droit romain, le mépris des frontières
et
des obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’expansion indé
354
mort, toujours rêvée par les grands passionnés),
et
la volonté de s’enfermer dans une réalité impénétrable, indicible, in
355
réalité impénétrable, indicible, incommunicable,
et
qui n’a point de « raisons » à donner : l’autarcie matérielle et mora
356
t de « raisons » à donner : l’autarcie matérielle
et
morale. On ne dira jamais trop à quel point ce pseudo-mysticisme roma
357
ysticisme romantique détermine l’action du Führer
et
son pouvoir hypnotique sur les masses. Les apparences de Realpolitik
358
rences de Realpolitik maintenues par les cyniques
et
les habiles ne dissimulent que très imparfaitement les vrais ressorts
359
ltante, une occasion de sacrifier le moi coupable
et
détesté à quelque chose de plus vrai que la vie, et qui est sa missio
360
détesté à quelque chose de plus vrai que la vie,
et
qui est sa mission millénaire. « Chez nous, proclamait récemment M. G
361
ement d’une religion de l’inconscience collective
et
d’une foi qui veut témoigner par la Parole et l’acte personnel. 6.
362
ive et d’une foi qui veut témoigner par la Parole
et
l’acte personnel. 6. En effet, pour les romantiques, « le sommeil
363
« le sommeil est une préfiguration de la mort »,
et
c’est uniquement dans la mort que nous pouvons rejoindre l’Autre, l’i
364
isme pour la formation de la psychologie moderne,
et
en particulier de la psychologie de l’inconscient. 8. C’est la Reche
365
emont Denis de, « [Compte rendu] L’Âme romantique
et
le rêve », La Revue de Paris, Paris, août 1939, p. 915-928.
366
t assez bien les ascenseurs d’un grand building —
et
deux-cent-cinquante rues coupant les avenues à angle droit : autant d
367
anhattan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson
et
de l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien
368
s’étendent sur des espaces bien plus vastes, îles
et
plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autos
369
eliées par un immense réseau de ponts, de tunnels
et
d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New
370
alors que la vallée s’emplit d’une ombre froide.
Et
j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noircies
371
rue de briques noircies où circulait un vent âpre
et
salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. Ici, elles se
372
cies où circulait un vent âpre et salubre. La mer
et
la montagne se ressemblent partout. Ici, elles se rejoignent et se mê
373
se ressemblent partout. Ici, elles se rejoignent
et
se mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventu
374
t. Les grands souffles océaniques, chargés de sel
et
d’aventure, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empire Stat
375
en contemple la chaîne. Le vent fou, l’air ozoné
et
la lumière éclatant très haut dans le ciel sur des parois violemment
376
us jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île,
et
la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la d
377
formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages.
Et
les blocs erratiques, débités en tranches, polis et luisants comme du
378
les blocs erratiques, débités en tranches, polis
et
luisants comme du marbre, ont été plaqués sur les façades et dans les
379
comme du marbre, ont été plaqués sur les façades
et
dans les vestibules des plus riches bâtiments, reliques scellées d’un
380
scellées d’une antiquité souterraine. À Chicago
et
Saint-Louis, au contraire, sur les plaines d’alluvions ou dans les ma
381
célèbre tour de Pise. Bien des aspects physiques
et
moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat.
382
x de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol
et
ce climat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’extrême civi
383
par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proche
et
l’Océan, ce lieu d’extrême civilisation matérielle demeure hanté par
384
é par on ne sait quelle sauvagerie des hauteurs ;
et
ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné dans une atmosphère
385
e ruban de mon chapeau, où le contrôleur l’a pris
et
replacé sans me déranger dans la lecture de mon journal. Il n’y a que
386
r central), l’autre où les fauteuils sont espacés
et
pivotent ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman
387
uteuils sont espacés et pivotent ; classe de luxe
et
classe de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un coach. Je
388
; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches
et
pullman cars. J’ai pris un coach. Je me suis enfoncé dans le velours
389
h. Je me suis enfoncé dans le velours bleu sombre
et
j’ai regardé mes voisins, car nous roulions dans un tunnel. Dans l’en
390
surgissait du tunnel dans une plaine de marécages
et
de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les ar
391
marécages et de roseaux géants, coupée de canaux
et
de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en pas croire
392
kilomètres au-dessus des usines, des feux rouges
et
des hangars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s
393
re de construction qui enfièvre tout le continent
et
dont le pont de l’autostrade au long de l’horizon porte la gloire.
394
Le bel hiver. — J’ai retrouvé New York glaciale
et
belle, ce bleu de poudre claire et rose au lointain des avenues trop
395
York glaciale et belle, ce bleu de poudre claire
et
rose au lointain des avenues trop larges le matin, ce bleu d’ombre de
396
brante aux pieds, fumerolles au ras de l’asphalte
et
le vent fou ! Si le détail est laid, voyez l’ensemble. Pour un homme
397
matin. Ville pure. — Entre la Trente-troisième
et
la Soixantième rue, le cœur de Manhattan c’est la ville pure. Ici, to
398
la ville pure. Ici, tout ce que le regard touche
et
mesure dans les trois dimensions de l’espace, sauf un découpage de ci
399
ive ne subsiste, plus un seul coin de terre à nu,
et
plus une ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feuillages. Tout e
400
ni de feuillages. Tout est pans de brique peinte
et
de ciment armé diversement coupés et étagés, asphalte plane, parois d
401
rique peinte et de ciment armé diversement coupés
et
étagés, asphalte plane, parois de verre et angles droits, circulation
402
coupés et étagés, asphalte plane, parois de verre
et
angles droits, circulation horizontale et verticale, intensité suprêm
403
e verre et angles droits, circulation horizontale
et
verticale, intensité suprême de la présence humaine jusqu’à trois-cen
404
sont d’immenses parcs semés de monuments. Le site
et
le paysage y sont partout sensibles. Les rues montent et tournent, ép
405
aysage y sont partout sensibles. Les rues montent
et
tournent, épousant les collines. Le sol des plaines environnantes par
406
t les façades, moutonnent à la hauteur des toits,
et
la rivière ouvre l’espace, double le ciel, qui règne seul au coucher
407
gs, se perd dans un dernier éclat d’avion fuyant,
et
c’est la ville alors qui s’empare du ciel, s’en fait un dôme à sa mes
408
i s’empare du ciel, s’en fait un dôme à sa mesure
et
le referme sur sa nuit de ville. Appartements. — Les grandes maison
409
pièce, avec au centre un grand fauteuil tournant
et
basculant, qui se transformerait le soir en lit et d’où, sans se leve
410
t basculant, qui se transformerait le soir en lit
et
d’où, sans se lever, l’on atteindrait le téléphone, la poignée du fri
411
boutons du fourneau électrique, ceux de la radio
et
les robinets de la baignoire. Désespoir à Times Square. — Errer dan
412
rer dans la foule, regarder ou subir les vitrines
et
les réclames lumineuses en délire, passer une heure aux Actualités, é
413
ussant à l’extrême cette « distraction » de l’âme
et
de la volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable, et par la sens
414
volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable,
et
par la sensation directe du monde tel que le crée l’homme privé de l’
415
e l’Esprit, l’une des entrées de la Voie négative
et
du Désert dont parlent les mystiques ? Homéopathie spirituelle : trai
416
t court dans cette promenade de plusieurs heures,
et
c’est ici seulement, sur le papier, que je comprends qu’il faut pouss
417
ré. Ce n’étaient pas « les péchés » de ces hommes
et
de ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger et qui peut-être
418
ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger
et
qui peut-être n’en sont point. Ce n’était pas le froid, la pluie, la
419
hattan — qui, à la fois, ne portent pas de numéro
et
ne coupent point les avenues à angle droit. Hors série, modèle de gra
420
e de grand luxe, elle s’orne d’arbres, de silence
et
de grands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’été, emplit ce
421
me étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte
et
de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New Yor
422
de, petite tranchée d’asphalte et de brique jaune
et
rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York… Si je me retourn
423
r jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral
et
d’eau. La rivière, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éc
424
istance. Cheminées, mâts, clochers, usines basses
et
réclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’
425
trois îlots de granit noir couverts de mouettes,
et
signalés par deux petits phares dont clignotent irrégulièrement le fe
426
ement le feu vert — cinq secondes de révolution —
et
le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embrasse mon regard,
427
ttes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques
et
de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout
428
mmes, avons bâti selon nos caprices, nos passions
et
nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition,
429
aisons folles. Si nous changions un jour de goûts
et
d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne vers le nor
430
étage du River Club, où vivent les milliardaires
et
les acteurs. Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeun
431
Club, où vivent les milliardaires et les acteurs.
Et
tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeunes femmes en mai
432
ns un luxe américain d’ocres, de roses, d’argents
et
d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les p
433
au travail paisible. D’heure en heure, je me lève
et
sors. Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour de mes chambr
434
es chambres blanches, posées sur le onzième étage
et
festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous me
435
t chaude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur,
et
un peu plus bas, et puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisin
436
mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas,
et
puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisins séparés de ma terr
437
gouffre profond mais étroit, je vois des couples
et
des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée
438
t, je vois des couples et des solitaires éteindre
et
rallumer leurs lampes. Une blonde platinée en peignoir rose ouvre son
439
s de tiges de verre dans les highballs. Je rentre
et
j’aligne mes mots. Petits matins déjà doux des terrasses, moments les
440
de la vie, au jour qui point, quand toutes choses
et
les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mou
441
choses et les souvenirs d’hier changent de poids
et
de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premie
442
’ouvre — l’aube est l’heure du pardon délivrant —
et
je me donne au jour américain ! Sur le grand fond sonore à bouche fer
443
oussaient leur solo de désastre, de faux désastre
et
d’appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadri
444
l’une phallique, l’autre en Moïse de Michel-Ange.
Et
sur une terrasse dormante, deux ou trois étages plus bas, quelqu’un s
445
es, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise
et
ses canons glissait sans bruit, un énorme croiseur défilait, tout l’é
446
er. Elle part luxueusement de la Cinquième avenue
et
de Central Park, traverse en direction de l’est de beaux quartiers gr
447
de beaux quartiers gris clair d’un gothique sobre
et
astiqué, change subitement d’aspect et tourne au populaire un demi-bl
448
ique sobre et astiqué, change subitement d’aspect
et
tourne au populaire un demi-block après Lexington avenue, perd toute
449
-ball parmi des seaux d’ordures plus hauts qu’eux
et
des tourbillons fous de papiers sales, pour s’ouvrir enfin toute béan
450
au terme d’un parcours rectiligne d’un kilomètre
et
demi, sans changer de largeur. (Seuls, les trottoirs se rétrécissent.
451
e, parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois
et
d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoi
452
es goudronnés. Flammes gaies sur le couchant rose
et
fuligineux, en rectangle au bout de la rue, légèrement mordu sur les
453
. Portes étroites, ouvrant sur des couloirs hauts
et
profonds où deux personnes peuvent à peine se croiser. L’angoisse me
454
r l’appartement, une espèce de baignoire couverte
et
fort étroite se dresse sur quatre pieds de fonte : il faudrait monter
455
nce dans les journaux : « Cinq pièces, eau chaude
et
bain. » Il en existe dans Manhattan des centaines de milliers constru
456
s sur ce même type : deux pièces claires sur cour
et
rue, reliées par deux ou trois alvéoles aveugles. Tout l’East Side po
457
ordes tendues sur l’abîme supportent des lessives
et
de grands draps claquants. Du haut en bas des façades de brique zigza
458
les radios nostalgiques, des fenêtres s’allument
et
s’éteignent. On peut vivre ici comme ailleurs, mais dans un cadre str
459
’on voit sont des rectangles, à part les chiffons
et
les chats. Les façades, hauts rectangles troués de lumières et de scè
460
Les façades, hauts rectangles troués de lumières
et
de scènes du soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel rouge. Une ra
461
ède aussi deux-cents gratte-ciel pour les bureaux
et
quelques belles avenues de résidences pour les directeurs de bureaux.
462
beurre à l’épicerie du village de Lake George10,
et
que j’en paraissais fort ennuyé, nos voisins vinrent un soir nous en
463
nuyé, nos voisins vinrent un soir nous en offrir,
et
c’est ainsi que nous avons fait connaissance. Deux femmes d’âge moyen
464
avons fait connaissance. Deux femmes d’âge moyen
et
leurs maris se partagent une maison que les pins nous cachent, à deux
465
pas, plus petite que la nôtre, donc plus commode
et
plus confortable à leur sens. (Seuls les Européens de mon espèce aime
466
omme Robert ; son père était un Canadien français
et
sa vieille mère est une Allemande du Sud. La famille de l’autre mari
467
ari est de ce pays depuis plusieurs générations ;
et
leurs épouses, fort plantureuses, viennent d’Irlande. « True average-
468
en souriant. Nous leur avons offert des boissons,
et
nous nous appelons par nos prénoms, sans avoir jamais bien compris no
469
« Personne ne connaît notre ville, me dit Robert,
et
pourtant elle avait les plus grandes filatures du monde avant l’autre
470
urrait bien être européen : collines douces, bois
et
prairies, une rivière lente et les longs bâtiments des filatures — to
471
lines douces, bois et prairies, une rivière lente
et
les longs bâtiments des filatures — tout me rappelle la Souabe, le Wu
472
ures — tout me rappelle la Souabe, le Wurtemberg.
Et
, justement, nous arrivons devant une maison de bois peinte en jaune c
473
habite la mère de Robert, une vieille dame maigre
et
digne, dont les ancêtres quittèrent l’Allemagne en 1848, parce qu’ils
474
ns. Cette vague d’émigration germanique, libérale
et
plus ou moins morave, a modifié l’aspect et les coutumes de maint Éta
475
érale et plus ou moins morave, a modifié l’aspect
et
les coutumes de maint État du Middle West et de la partie nord de la
476
pect et les coutumes de maint État du Middle West
et
de la partie nord de la Pennsylvanie. Nous traversons maintenant la v
477
se de Canadiens français, d’Allemands, d’Italiens
et
d’une minorité d’Anglo-Saxons, laquelle d’ailleurs conduit tout le re
478
Banque est en pierres blanches, ornée de colonnes
et
d’un fronton de temple grec. Je compte beaucoup de barbes longues et
479
temple grec. Je compte beaucoup de barbes longues
et
bouclées. La rue est sale. Suis-je en Russie ? Non, il y a trop d’aut
480
Russie ? Non, il y a trop d’autos. Robert revient
et
nous roulons vers Albany. À la sortie de la ville, il me montre un te
481
tais tout jeune. J’ai eu jusqu’à trente appareils
et
une école de pilotage. Mais, coup sur coup, quatre accidents mortels
482
J’ai ouvert cette agence que vous venez de voir,
et
je n’ai plus piloté depuis lors. Aujourd’hui, je suis président du cl
483
obert à un Robert d’Europe, de même niveau social
et
de même éducation. Nous ne manquons pas de petits bourgeois pieux et
484
n. Nous ne manquons pas de petits bourgeois pieux
et
honnêtes, mais ils n’ont pas le sens du risque et de la vitesse. Nous
485
et honnêtes, mais ils n’ont pas le sens du risque
et
de la vitesse. Nous avons bien des fanatiques de l’aviation, mais ce
486
tion, d’autre part amateurs de golf, de géraniums
et
de week-ends paisibles au bord d’un lac. Mais il ne serait guère plus
487
ar Hollywood, l’Amérique nous propose d’elle-même
et
qu’elle s’efforce d’imiter. Souvenir d’un orage en Virginie Gra
488
’un orage en Virginie Grands plateaux onduleux
et
livrés aux chevaux, jusqu’à l’horizon bleu des Appalaches. Pendant qu
489
e allée qui monte entre des barrières blanches. —
Et
vous verrez ce qu’elle en a fait ! C’est sa manière de se venger de W
490
Trois grands longs chiens sortent, le museau bas,
et
l’un vient vomir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés. Une ser
491
ite, en contrebas, deux hommes en veste de chasse
et
deux jeunes femmes très blondes boivent des whiskys, sans se déranger
492
large galerie ouverte, encombrée de vieux meubles
et
de pièces de bois sculptées, stalles d’églises, aigles de lutrin. De
493
vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà
et
là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, pr
494
u lierre partout. Çà et là, des statues de faunes
et
de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s
495
ns l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s’élève
et
s’ouvre sur la cour sablée des écuries. Celles-ci se déploient en dem
496
déploient en demi-cercle, ornées d’une colonnade
et
d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voic
497
. Du portique, entre les hautes colonnes blanches
et
ces ifs dramatiques, on domine un paysage de pluies lointaines et de
498
tiques, on domine un paysage de pluies lointaines
et
de prairies dorées. Soudain, un coup de vent violent a jeté contre la
499
, un coup de vent violent a jeté contre la façade
et
nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques.
500
a façade et nos visages un tourbillon de feuilles
et
de grosses gouttes obliques. Entrée de l’automne ! The Fall, la Chute
501
t de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici
et
s’ouvrent les espaces de pâturages nus, en pente douce. Très loin, en
502
au galop. Ils disparaissent dans un vallonnement
et
maintenant remontent vers nous sans ralentir. Une femme en jaune, sui
503
chent, on voit qu’elle tient la bride d’une main,
et
de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en galopant. Nouv
504
he de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentissent
et
s’arrêtent devant la barre du portail. Elle pousse son cheval, le por
505
portail. Elle pousse son cheval, le portail cède
et
lui livre passage. C’est une grande femme bottée, sauvage et belle, q
506
e passage. C’est une grande femme bottée, sauvage
et
belle, qui mord une pomme, et son torse paraît nu dans un fin sweater
507
mme bottée, sauvage et belle, qui mord une pomme,
et
son torse paraît nu dans un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pom
508
ns un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pomme
et
nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval,
509
avec hostilité. Il a les yeux d’un bleu très pâle
et
dur. Il n’a pas salué. Son silence nous supprime. C’est sans doute le
510
« Je vous retrouve à la maison ! », crie-t-elle.
Et
piquant son cheval, penchée sur l’encolure, elle disparaît dans le tu
511
ses traces en aboyant. Au fond d’une pièce vaste
et
noire, une petite lampe fait une flaque rose. « Je ne trouve pas les
512
fin, s’allume par degrés. Elle court aux fenêtres
et
ferme avec fracas des volets intérieurs, en chêne clair, puis elle ti
513
Les orages me rendent folle, j’ai tellement peur.
Et
vous ? Vous êtes muets. Vous avez soif ? » Les coups de tonnerre se s
514
» Les coups de tonnerre se succèdent sans répit,
et
parfois les lumières vacillent, baissent, remontent… Paraît dans la p
515
de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent
et
vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme appor
516
rte un plateau. On le renvoie chercher des verres
et
des bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : — Je ne le sais pas p
517
ls sont dans la maison depuis deux ou trois jours
et
se disent les amis de Jim. — Mais où est Jim ? — Je ne sais pas. Il e
518
Des chiens se glissent entre les meubles, humides
et
tremblants. « Mais je ne sais pas recevoir ! dit-elle moqueuse. Voule
519
ai les routes d’Amérique comme un symbole du rêve
et
de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère des pionniers,
520
ns de la crise de 1929, où les affaires périssent
et
les bureaux se vident au-dessus du cinquantième étage, pour peu que l
521
r à repasser au travers des savanes, des cultures
et
des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursuit en silenc
522
contre le chômage. Elles sont le produit du rêve
et
de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, et qui voit grand sans
523
et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre,
et
qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un spectacle émouvant qui
524
pas, mais au contraire atteste une force paisible
et
utile. Trois pistes parallèles dans chaque sens, séparées par une lar
525
pistes blanches délimitées par des lignes jaunes
et
noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de droite à gauche,
526
e droite à gauche, de gauche à droite, entre cent
et
cent-trente à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle ais
527
e aisance dans la vitesse, l’absence de secousses
et
d’obstacles, l’enivrante continuité du déferlement général, tout cela
528
distance par le charme, attirant les villes à soi
et
déplaçant de vastes paysages au gré d’une curiosité rêveuse. Mais, so
529
ant par cent, par mille panneaux de toutes formes
et
couleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan et disparaissent e
530
ouleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan
et
disparaissent en coup de vent, jusqu’à ce que l’œil s’éduque et se me
531
nt en coup de vent, jusqu’à ce que l’œil s’éduque
et
se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale
532
e à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite
et
de morale élémentaire (avec publicité dans le texte) dont les phrases
533
ware en grève… Faites un détour par Philadelphie…
Et
arrêtez-vous à l’hôtel Franklin… Ralentissez, région de daims… Les pa
534
’État de Pennsylvania vous souhaite la bienvenue…
Et
limite votre vitesse à cinquante miles… cinq-cents dollars d’amende o
535
ble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je ferme les yeux
et
j’écoute le grondement sourd des pneus qui mordent le béton. En cinq
536
en traversant deux villes énormes : Philadelphie
et
Baltimore. La vitesse rétrécit l’espace américain, les routes de la v
537
e Mouvement européen (avril 1949)e Nécessité
et
urgence de l’union Quand un Américain déclare que votre idée est g
538
qu’il ne fera rien, qu’il pense qu’il est sérieux
et
que vous rêvez. C’est ainsi qu’une certaine bourgeoisie occidentale,
539
entale, politiquement analphabète dans ses propos
et
ses réflexes, imite à sa manière le cynisme frivole de la noblesse à
540
lle de la Révolution. Mais le grand style se perd
et
Staline est aux portes. Il s’agit en réalité de la vie ou de la mort
541
incipales, d’une part, l’affaissement de l’Europe
et
, d’autre part, le surgissement au plan mondial de la Russie et de l’A
542
art, le surgissement au plan mondial de la Russie
et
de l’Amérique. Ces deux colosses sont en train de s’observer par-dess
543
ls proclament au contraire leur amour de la paix,
et
ils le prouvent, l’un en relevant nos ruines, et l’autre en annexant
544
et ils le prouvent, l’un en relevant nos ruines,
et
l’autre en annexant 700 000 kilomètres carrés de nos terres. Si bien
545
s coups. Une seule puissance pourrait les séparer
et
les forcer au compromis, je veux dire à la paix, c’est l’Europe. Mais
546
isolée, n’a plus la taille qu’il faut pour parler
et
se faire entendre dans le monde dominé par les deux grands empires. E
547
dans le monde dominé par les deux grands empires.
Et
non seulement l’Europe n’est plus une puissance qui pourrait exiger l
548
de nos pays, il faut donc commencer par les unir.
Et
si nous voulons sauver la paix, ou plutôt faire la paix, il nous faut
549
ux fois plus que l’Amérique, autant que la Russie
et
tous ses satellites. Si ces 320 millions d’habitants faisaient bloc,
550
en mesure d’agir, de faire réfléchir l’agresseur,
et
de sauver la paix du monde. Sur quoi j’imagine bien que personne n’os
551
revanche, beaucoup pensent : « Tout cela est bel
et
bon, mais que fait-on et que pourra-t-on faire en temps utile ? » La
552
nt : « Tout cela est bel et bon, mais que fait-on
et
que pourra-t-on faire en temps utile ? » La paix, l’Europe unie, d’ac
553
ici le cauchemar. Déjà les maréchaux s’installent
et
tirent leurs plans ; la Russie fait donner ses cinquièmes colonnes et
554
s ; la Russie fait donner ses cinquièmes colonnes
et
l’Amérique numérote ses bombes. Ainsi l’urgence s’ajoute à la nécessi
555
pondre à ceux qui demandent ce qu’on a fait déjà,
et
ce qu’on peut faire à temps pour fédérer l’Europe. Origines du mou
556
de mille ans. » C’était vers 1860. Mais ces rêves
et
ces prophéties ne pouvaient concerner qu’un avenir incertain, au mili
557
de plus prégnant, pour donner ses assises morales
et
doctrinales à la fédération européenne. C’est alors qu’apparurent en
558
baptisait la personne — l’homme « à la fois libre
et
responsable » que l’on opposait d’une part à l’individu sans devoirs,
559
on opposait d’une part à l’individu sans devoirs,
et
d’autre part à l’homme collectiviste, au soldat politique sans droits
560
tirer de la doctrine ses conséquences politiques
et
sociales, et c’est ainsi que l’on aboutissait à un programme communau
561
doctrine ses conséquences politiques et sociales,
et
c’est ainsi que l’on aboutissait à un programme communautaire, fédéra
562
tellectuels ». Survint la Seconde Guerre mondiale
et
l’occupation de l’Europe. On put croire un moment que tout notre trav
563
ent en France, en Hollande, en Pologne, en Italie
et
en Yougoslavie, nos idées personnalistes se popularisaient, nos livre
564
dées personnalistes se popularisaient, nos livres
et
nos revues passaient de main en main. Les événements que nous avions
565
aient pour nous, en dépit de toutes les censures.
Et
l’idée d’un avenir fédéraliste de l’Europe devenait, pour beaucoup, l
566
rouvait toutes les nuances politiques, nationales
et
religieuses qui font la richesse de l’Europe, et qui la rendent si di
567
et religieuses qui font la richesse de l’Europe,
et
qui la rendent si difficile à gouverner. La première tâche qui s’imp
568
’Union européenne des fédéralistes se constituait
et
pouvait convoquer pour le mois d’août 1947, à Montreux, son premier c
569
congrès. Qu’étions-nous à l’époque, il y a un an
et
demi ? Cent-cinquante à deux-cents délégués venus d’une dizaine de pa
570
deux-cents délégués venus d’une dizaine de pays,
et
représentant une cinquantaine d’associations de toutes les tailles, d
571
sentions entourés à la fois de sympathies faciles
et
d’un scepticisme profond. Devant la tâche urgente, mais qui pouvait p
572
pe, c’est-à-dire de mettre sur pied, contre vents
et
marées, des institutions continentales et de les faire admettre par l
573
e vents et marées, des institutions continentales
et
de les faire admettre par les États, nous n’étions qu’une poignée d’h
574
ns matériels, presque sans troupes derrière nous,
et
sans aucun appui de la part des gouvernements. C’est ainsi qu’à Montr
575
upes qui se formèrent spontanément dans les camps
et
dans les maquis ne devaient rien à cette doctrine. Mais il est non mo
576
Mais il est non moins vrai que les grands thèmes
et
le vocabulaire personnalistes reparaissent avec insistance dans tous
577
grès de Montreux jusqu’à ceux de La Haye, de Rome
et
, tout récemment, de Bruxelles. Parmi bien d’autres influences conjugu
578
lle-ci demeure, me semble-t-il, la plus constante
et
la plus aisément discernable. De Montreux à Bruxelles Le congrè
579
ich. C’est de ces deux initiatives indépendantes,
et
de leur rencontre à Montreux, que devait sortir le congrès de La Haye
580
ropéenne des fédéralistes (présidents H. Brugmans
et
Ignazio Silone) ; United Europe Committee (W. Churchill) ; Ligue indé
581
; Comité français pour l’Europe unie (E. Herriot
et
R. Dautry). Les Nouvelles équipes internationales (Robert Bichet) et
582
Nouvelles équipes internationales (Robert Bichet)
et
l’Union parlementaire européenne (Coudenhove-Kalergi) adhérèrent quel
583
s ministres tels que Churchill, Ramadier, Reynaud
et
van Zeeland, soixante ministres et anciens ministres, près de deux-ce
584
adier, Reynaud et van Zeeland, soixante ministres
et
anciens ministres, près de deux-cents députés aux divers parlements e
585
ux divers parlements européens, des syndicalistes
et
des grands patrons, des socialistes et des conservateurs, des juriste
586
dicalistes et des grands patrons, des socialistes
et
des conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et
587
es socialistes et des conservateurs, des juristes
et
des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux
588
s, des juristes et des écrivains, des professeurs
et
des évêques, ainsi que de nombreux représentants des mouvements fémin
589
de nombreux représentants des mouvements féminins
et
universitaires. Trois résolutions furent votées : économique, politiq
590
résolutions furent votées : économique, politique
et
culturelle. La résolution politique prévoyait, comme prochaine étape,
591
nes plus tard, à la suite d’une décision des Cinq
et
sur la demande réitérée de nos mouvements, une conférence restreinte
592
, une conférence restreinte de dix-huit ministres
et
experts était convoquée à Paris, aux fins d’étudier la constitution d
593
aux fins d’étudier la constitution d’un Parlement
et
d’un Conseil des ministres européens. Le 28 janvier 1949, la conféren
594
9, la conférence aboutissait à un premier accord,
et
pouvait annoncer la création prochaine d’un Conseil de l’Europe, comp
595
autres tâches : l’élargissement de nos mouvements
et
leur liaison, l’étude juridique des institutions à créer, la formatio
596
, la formation d’un Centre européen de la culture
et
de nombreux travaux économiques. Au début de novembre 1948, l’Union e
597
hôtel. À Rome, on nous offrit le palais de Venise
et
toutes ses salles immenses, restées vides depuis la fuite du dernier
598
siégeait dans le cabinet de travail du dictateur,
et
les séances plénières eurent lieu dans la salle même du Grand Conseil
599
tant : « On n’ose plus nous appeler des utopistes
et
des rêveurs ! s’écria-t-il. En réalité, vous êtes, nous sommes, la vé
600
é, vous êtes, nous sommes, la vérité en marche. »
Et
finalement, les congressistes furent reçus par le pape Pie XII, qui l
601
t Léon Blum, Winston Churchill, Alcide de Gasperi
et
Paul-Henri Spaak. À la question : « Qu’a-t-on fait jusqu’ici pour la
602
trepris de tous côtés par des tendances diverses,
et
nous sommes parvenus, plus rapidement que nous n’osions l’imaginer, à
603
omme quelque chose qu’il faut réaliser d’urgence,
et
qui a les plus grandes chances de se réaliser. Nous sommes donc arriv
604
ement, que l’Europe sera faite par des ministres.
Et
cela ne va pas à une fédération, mais à quelques mesures empiriques (
605
ont aucune atteinte aux souverainetés nationales,
et
ne troubleront pas l’économie travailliste dans son austère insularit
606
Car c’est la protection des droits de la personne
et
des droits des minorités contre l’État qu’il s’agit de sauvegarder au
607
e l’État qu’il s’agit de sauvegarder aujourd’hui.
Et
cela suppose l’institution d’une Cour suprême, c’est-à-dire d’une ins
608
irs nécessaires pour enquêter sur leur territoire
et
pour faire exécuter ses arrêts à leurs dépens, s’il y a lieu. C’est
609
’union européenne, une Cour des droits de l’homme
et
une Commission d’enquête indépendante des gouvernements. Ces deux org
610
Philip, le libéral Giscard d’Estaing, Lord Layton
et
Léon Jouhaux. Centre européen de la culture. — Finalement, il nous p
611
s paraît clair que toutes les mesures économiques
et
politiques que pourrait proposer le Mouvement européen resteraient le
612
esteraient lettre morte, s’il n’existait, en deçà
et
au-delà des divisions qu’il nous faut surmonter, une entité européenn
613
culture à sa place, qui est à la fois primordiale
et
finale, il cesserait de mériter l’adjectif de son titre. C’est pourqu
614
de « donner une voix à la conscience de l’Europe
et
des peuples qui lui sont associés ». Il ne s’agit nullement de foment
615
: une certaine conception de la personne humaine
et
de ses libertés fondamentales, antérieures et supérieures à l’État ;
616
ine et de ses libertés fondamentales, antérieures
et
supérieures à l’État ; un certain refus de l’uniformité, un certain s
617
orienté dès le départ par une vision libératrice
et
fascinante. L’Europe se fera, en dépit des experts (qui savent toujou
618
— ceux qui résistent à la fatalité — l’auront vue
et
marchent vers elle. Il se peut que la vision qui les guide, éclairant
619
s Indes, ou nommait ainsi sa vision. Contre vents
et
marées, contre tous les experts de son équipe, il se mit en route pou
620
nouveau, tout imprévu, risquons-nous d’aborder ?
Et
quel bonheur, auquel il suffirait peut-être d’oser croire ? Se peut-i
621
ts. On dit même qu’ils furent plus de cinq-cents.
Et
bien d’autres ont jugé Strasbourg dans les éditoriaux du monde entier
622
pinion générale se dégage de ce flot d’imprimés :
et
c’est que l’opinion, précisément, serait demeurée indifférente. Ce pa
623
quelques années par les mouvements fédéralistes,
et
depuis un an par le Mouvement européen. Mais cet aboutissement specta
624
commissions permanentes ; délimiter une majorité
et
une opposition ; bref, roder la machine et vérifier le jeu des comman
625
jorité et une opposition ; bref, roder la machine
et
vérifier le jeu des commandes. De fait, une semaine a suffi pour réus
626
a suffi pour réussir ces différentes opérations,
et
même pour écarter les deux dangers majeurs qui guettaient la jeune As
627
r groupes nationaux. Ils votent individuellement.
Et
l’on n’a pas remarqué qu’un mot d’ordre national — s’il en fut jamais
628
t en deux groupes à peu près égaux, conservateurs
et
libéraux d’une part, Labour de l’autre (à deux ou trois exceptions pr
629
on partisane qui se dessinait : les travaillistes
et
les socialistes continentaux ne sont pas parvenus à former un front u
630
s sur le fond du débat, c’est-à-dire sur les buts
et
les méthodes du Conseil de l’Europe, les deux conceptions qui se sont
631
ns qui se sont affrontées n’ont pas été la gauche
et
la droite traditionnelles, mais bien le fédéralisme et l’unionisme, f
632
droite traditionnelles, mais bien le fédéralisme
et
l’unionisme, formant une gauche et une droite nouvelles, proprement e
633
le fédéralisme et l’unionisme, formant une gauche
et
une droite nouvelles, proprement européennes, et qui ne recouvrent pa
634
et une droite nouvelles, proprement européennes,
et
qui ne recouvrent pas les anciennes divisions. (Ces dernières ne se r
635
le plan économique, sous les noms de libéralisme
et
de dirigisme.) Que veulent les unionistes ? L’Europe unie, bien sûr.
636
emblent pécher, bien au contraire, par optimisme.
Et
les fédéralistes ont beau jeu de leur répondre : où prendrez-vous le
637
p vite, aux yeux de l’expérience d’autres époques
et
d’une sagesse bien éprouvée (dans tous les sens de l’adjectif), on ne
638
aute d’unité dans nos programmes de redressement.
Et
les menaces de guerre sont là. Demandez à l’opinion si elle est mûre
639
ra ceux qui marchent, ceux qui ont su voir le but
et
qui ont osé lui donner son vrai nom : fédération. Les progrès surpren
640
ré les efforts conjugués des unionistes nordiques
et
des ministres, malgré les conseils de lenteur, de sagesse, de prudenc
641
mitations précises des souverainetés nationales. (
Et
pour ma part, je m’explique mal comment M. Churchill peut à la fois l
642
ll peut à la fois lutter pour l’union de l’Europe
et
déclarer qu’on ne touchera pas à ces sacro-saintes souverainetés.) Ma
643
e ainsi au premier rang, c’est celui de la source
et
des fondements du pouvoir fédéral de demain. Dans les couloirs et les
644
s du pouvoir fédéral de demain. Dans les couloirs
et
les clubs de Strasbourg, on a pu voir se former deux écoles. La premi
645
ectifs qu’ils désignaient dans leurs mémorandums,
et
les confrontent avec les résultats atteints au terme de la première s
646
politique supranationale, d’un Conseil économique
et
social, d’un passeport européen, d’un Centre européen de la culture (
647
opéen. Bien plus, l’existence même de l’Assemblée
et
la rapidité de ses premières opérations doivent être attribuées en pr
648
lieu à l’action décisive du Mouvement : Churchill
et
Spaak n’ont pas manqué de le souligner, pour s’en féliciter, bien ent
649
bien entendu, M. Hugh Dalton, pour s’en plaindre (
et
cette confirmation n’est pas la moins valable). On ne s’en étonnera p
650
ient à Strasbourg appartiennent à notre Mouvement
et
ont pris l’habitude d’y travailler ensemble. On s’est demandé si ces
651
’Assemblée la proposeront, mais les gouvernements
et
parlements nationaux en disposeront. Et qui dispose de ces divers pou
652
ernements et parlements nationaux en disposeront.
Et
qui dispose de ces divers pouvoirs, sinon l’opinion générale, qu’il s
653
e, qu’il s’agit maintenant d’alerter, d’informer,
et
de faire peser de tout son poids sur ses élus ? Montrer ce but et pré
654
r de tout son poids sur ses élus ? Montrer ce but
et
préparer les voies reste la mission décisive du Mouvement européen. C
655
stituante, mais bien d’agir en sorte que ses vœux
et
avis soient régulièrement acceptés par les gouvernements et parlement
656
ient régulièrement acceptés par les gouvernements
et
parlements, en attendant le verdict populaire. ⁂ Nous sommes en plein
657
erdict populaire. ⁂ Nous sommes en pleine action,
et
il est clair qu’il s’est fait de l’Histoire à Strasbourg, mais nous n
658
ricains qui assistait aux travaux de l’Assemblée,
et
qui a pu voir notre Mouvement à l’œuvre, s’écriait à Strasbourg : « J
659
ables”, sans organisations “solides” à la yankee,
et
par la seule action, presque invisible, d’un très petit nombre d’homm
660
L’Europe
et
sa culture (novembre 1950)g Ce titre appelle deux séries d’objecti
661
ur le mot Europe, les autres sur le mot culture ;
et
ce n’est pas tout : les mots « et sa », qui les unissent, ne vont pas
662
e mot culture ; et ce n’est pas tout : les mots «
et
sa », qui les unissent, ne vont pas de soi, dira-t-on… Certes, on peu
663
n peut ergoter à l’infini sur les termes d’Europe
et
de culture. Où commencent, où finissent ces deux réalités ? À la fois
664
ssent ces deux réalités ? À la fois dans l’espace
et
dans le temps, elles sont mouvantes et complexes. (Ce qui peut signif
665
s l’espace et dans le temps, elles sont mouvantes
et
complexes. (Ce qui peut signifier d’ailleurs qu’elles sont vivantes.)
666
sée en compartiments par des chaînes de montagnes
et
des fleuves, nettement délimitée de trois côtés par les mers et par l
667
, nettement délimitée de trois côtés par les mers
et
par l’Océan. Elle rappelle une Grèce agrandie. Mais voici le caractèr
668
a frontière de l’Est sera donc toujours mouvante.
Et
c’est dans l’affrontement perpétuel avec l’Asie, dans l’effort pour s
669
cours des siècles, a pris conscience d’elle-même
et
de son unité. Marathon, Salamine, la défense du limes romain, les cha
670
erranée, l’Italie ou l’Afrique ont été assimilées
et
ont fécondé nos civilisations. Au fait géographique de la division de
671
nt que le phénomène de l’étatisme ne les sclérose
et
ne les rende névrotiques ou même criminelles. Enfin, au fait géograph
672
approches différentes du monde par les Espagnols
et
Portugais, les Scandinaves, les Anglais, les Hollandais, les Français
673
naves, les Anglais, les Hollandais, les Français,
et
les diverses formes qu’a revêtues l’impérialisme européen au cours de
674
rquée, nous nous trouvons devant une question nue
et
simple, sur laquelle notre génération doit concentrer sa réflexion vi
675
le du monde occidental est, à l’origine, ternaire
et
non pas bipolaire, de même que la théologie de l’Occident n’est pas d
676
e l’Occident n’est pas dualiste, mais trinitaire.
Et
de fait, l’Europe n’a pas pris naissance dans le conflit entre l’Est
677
’a pas pris naissance dans le conflit entre l’Est
et
l’Ouest, conflit qui lui a seulement donné conscience d’elle-même une
678
peuvent être appelés symboliquement Athènes, Rome
et
Jérusalem. Athènes, c’est la découverte de l’individu, de l’homme dis
679
de l’individu, de l’homme distingué du troupeau,
et
prenant mesure de lui-même par une rupture libératrice, mais aussi pr
680
tas fondée non plus sur le sacré, mais sur la loi
et
le contrat. Jérusalem enfin, c’est la révélation de la personne, c’es
681
rsonne, c’est-à-dire de la vocation transcendante
et
inconditionnelle qui vient donner à chaque humain, indépendamment de
682
t, les conflits fondamentaux qui les sous-tendent
et
les grandes doctrines de l’homme et de la société qui se sont dégagée
683
sous-tendent et les grandes doctrines de l’homme
et
de la société qui se sont dégagées peu à peu de ce complexe, d’une ma
684
e trinitaire. Après vingt siècles de combinaisons
et
d’analyse, Athènes, Rome, et Jérusalem, cela s’appelle aujourd’hui l’
685
cles de combinaisons et d’analyse, Athènes, Rome,
et
Jérusalem, cela s’appelle aujourd’hui l’individualisme, le collectivi
686
le aujourd’hui l’individualisme, le collectivisme
et
le personnalisme. La lutte que se livrent actuellement ces trois atti
687
attitudes humaines dans le monde, dans la société
et
jusque dans nos vies privées, cette lutte est si violente et douloure
688
ans nos vies privées, cette lutte est si violente
et
douloureuse, si concrète qu’on se voit dispensé de toute autre consid
689
storique tendant à prouver qu’entre Athènes, Rome
et
Jérusalem, il y avait, dès le départ, un drame, ou plutôt trois drame
690
t, un drame, ou plutôt trois drames entrecroisés,
et
leurs combinaisons, et leurs permutations. Dans ce complexe de drames
691
trois drames entrecroisés, et leurs combinaisons,
et
leurs permutations. Dans ce complexe de drames, constitutif de l’Occi
692
elées, un homme donc condamné au choix perpétuel,
et
donc à la prise de conscience, et donc d’abord à la mise en question
693
hoix perpétuel, et donc à la prise de conscience,
et
donc d’abord à la mise en question de tous les résultats et de toutes
694
abord à la mise en question de tous les résultats
et
de toutes les valeurs. Or ce sont là les conditions par excellence qu
695
’était déjà formée la synthèse hautement instable
et
créatrice d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, n’ait cependant pas pré
696
autement instable et créatrice d’Athènes, de Rome
et
de Jérusalem, n’ait cependant pas présenté certains des caractères le
697
s parfois de comprendre, de faire des expériences
et
d’en tirer les conclusions. Au cours des temps, mille vérités et mill
698
es conclusions. Au cours des temps, mille vérités
et
mille erreurs, nées de nos trois éléments fondamentaux, se sont nouée
699
éléments fondamentaux, se sont nouées, combinées
et
mariées, ont divorcé, ont conclu des alliances. Elles se sont combiné
700
iances. Elles se sont combinées au sens chimique,
et
non pas seulement mécanique. Ainsi, dans le laboratoire européen, cer
701
rire. Ce sont les idées de révolution, de passion
et
de progrès. Elles sont nées toutes les trois de la révélation chrétie
702
s les trois de la révélation chrétienne, analysée
et
déformée dans le prisme gréco-judéo-romain. L’idée de révolution est
703
rétienne, du changement d’orientation fondamental
et
brusque, traduite en termes romains d’institutions, de droit nouveau.
704
linienne, mais combinée avec des notions grecques
et
romaines de mesure individuelle et d’organisation collective. Ces tro
705
tions grecques et romaines de mesure individuelle
et
d’organisation collective. Ces trois idées-forces, ces trois ressorts
706
d’exemples : elles nous font pressentir la nature
et
les causes d’une capacité spécifique de l’Européen : celle de transfo
707
e de l’Européen : celle de transformer son milieu
et
ses données matérielles ou morales, sans se laisser arrêter par des c
708
que ou l’immortalité. Cette inquiétude consciente
et
créatrice, je l’appellerai tout simplement : notre culture. Certes, o
709
isciplines intellectuelles, sociales, artistiques
et
religieuses d’une société donnée ; ou comme l’ensemble des procédés d
710
e ; ou comme l’ensemble des procédés de création,
et
leur transmission ; ou encore comme une prise de conscience de la vie
711
rogressive de la maîtrise de l’homme sur lui-même
et
le monde… Toutes ces définitions, et vingt autres possibles, sont à l
712
sur lui-même et le monde… Toutes ces définitions,
et
vingt autres possibles, sont à la fois justes et contestables, trop f
713
et vingt autres possibles, sont à la fois justes
et
contestables, trop faciles ou trop difficiles. Je me contenterai ici
714
fficiles. Je me contenterai ici d’une vue globale
et
d’une constatation simple mais décisive : la culture occidentale, c’e
715
pour reprendre le mot fameux de Valéry, — le cœur
et
le cerveau du monde moderne. À toutes fins utiles, nous savons assez
716
re où ce rappel m’a paru nécessaire pour informer
et
guider une action. ⁂ Essayons de saisir maintenant ces deux réalités,
717
de saisir maintenant ces deux réalités, l’Europe
et
la culture, dans leur drame immédiat à nos vies. L’Europe d’abord. Na
718
guère encore reine de la terre, jusque vers 1914,
et
même jusqu’au dernier conflit, l’Europe s’est vue brusquement détrôné
719
ufs qui menacent d’engager une guerre sur son sol
et
à ses dépens. Poussière de petits États, dont les plus populeux ne sa
720
ales, l’Europe n’offre plus aux empires américain
et
russe qu’un de ces vides dont l’Histoire n’a pas moins horreur que la
721
r le moment, d’un quart de sa population à l’Est,
et
de la péninsule ibérique à l’Ouest. Le reste ne vit encore qu’en vert
722
de progrès a émigré ; elle est devenue américaine
et
russe. Mais ici, nous touchons déjà au drame de notre culture. D’une
723
dans les pays totalitaires qui sont à nos portes
et
qui ont chez nous leurs répondants, la liberté fondamentale de la cul
724
uvoir de mettre en question les valeurs régnantes
et
les activités officielles, se voit niée, punie, qualifiée d’immorale.
725
iberté qu’on nous laisse est devenue presque vide
et
sans effets. À l’Est, nous voyons se former une véritable culture cen
726
censoriale. Le critère politique est seul admis.
Et
l’on s’y réfère avec une rigueur telle que le style même d’un écrivai
727
eut être attaqué par les fonctionnaires de l’État
et
qualifié de sabotage. La censure politique est si parfaitement préven
728
ctivité distincte de répression. Elle est partout
et
nulle part. C’est ainsi qu’un ancien ministre bulgare en exil pouvait
729
. Cependant, qu’en est-il chez nous de la liberté
et
de la censure ? Allons tout de suite à un exemple extrême, et heureus
730
sure ? Allons tout de suite à un exemple extrême,
et
heureusement exceptionnel, mais qui signale un vrai danger. Voici ce
731
ntellectuelle sont actuellement maintenus secrets
et
ne donnent pas lieu, comme avant la guerre, à des communications de p
732
erches de la physique nucléaire un lourd contrôle
et
« des suspicions quasi policières », qui tendent à subordonner entièr
733
entièrement le savant à des exigences politiques
et
militaires. Cet exemple des recherches atomiques nous donne un inquié
734
és élémentaires : liberté de recherche, d’échange
et
de publication. D’une manière générale, la condition de la culture, d
735
s transformations pendant l’ère des nationalismes
et
de la souveraineté sans limites de l’État. Créatrice des richesses, d
736
l’État. Créatrice des richesses, de la puissance
et
du prestige mondial de l’Europe, on pourrait croire qu’elle n’est plu
737
lasses possédantes, ou un ensemble de spécialités
et
de techniques ésotériques qui ne concernent pas l’homme de la rue, ni
738
ie, de la politique, ou de la défense nationale ?
Et
que personne ne s’avise de soutenir qu’il faudrait inverser cette hié
739
béir à des « nécessités » qui lui sont étrangères
et
la dégradent. Elle perd ainsi sa fonction directrice. Et la séparatio
740
égradent. Elle perd ainsi sa fonction directrice.
Et
la séparation s’aggrave entre la pensée et l’action, entre une pensée
741
trice. Et la séparation s’aggrave entre la pensée
et
l’action, entre une pensée qui accepte d’être inefficace, et une acti
742
, entre une pensée qui accepte d’être inefficace,
et
une action par conséquent désorientée, à courtes vues, privée de cohé
743
s lui ont rendu officiellement sa place centrale,
et
ils l’y tiennent emprisonnée. Elle est reine de nouveau, mais elle ne
744
rté, à l’Ouest, en font peu de cas pratiquement ;
et
ceux qui, à l’Est, lui reconnaissent un rôle central, la dénaturent e
745
lui reconnaissent un rôle central, la dénaturent
et
l’asservissent. Or, il est évident que ces conditions sont particuliè
746
s pour l’Europe, puisqu’elles brisent dans un cas
et
, dans l’autre, détendent les ressorts de la créativité qui était depu
747
uis des siècles la vraie cause de notre puissance
et
donc de notre indépendance. De plus, si la culture accepte d’être pri
748
si la culture accepte d’être privée théoriquement
et
pratiquement de la primauté dans nos vies nationales, soit qu’elle se
749
nte d’une liberté honoraire, sans responsabilité,
et
d’un rôle de produit de luxe, alors c’est le sens même de notre civil
750
ent des fins en soi ; là où toutes les activités,
et
les richesses, et les révoltes, et l’invention, trouvaient leur justi
751
i ; là où toutes les activités, et les richesses,
et
les révoltes, et l’invention, trouvaient leur justification finale da
752
les activités, et les richesses, et les révoltes,
et
l’invention, trouvaient leur justification finale dans le développeme
753
mme hypothèse de base, qu’il faut sauver l’Europe
et
sauver la culture. Si je pensais, comme certains, qu’il est trop tard
754
n tarit les sources de sa recréation perpétuelle.
Et
rien ne sert non plus d’entretenir le désir créateur, si on le prive
755
de la confiance en soi, du gaspillage des forces,
et
aussi du sens de la mesure, toutes choses sans lesquelles on ne crée
756
a littérature ne se crée pas dans les universités
et
les bibliothèques, mais dans le champ libre des passions ; la philoso
757
été qui ne risque ou ne conçoit plus d’aventure ;
et
la science s’arrête quand l’audace est un crime. Si l’Europe disparaî
758
une unité, si ce n’était pas celle de son choix ?
Et
si cette unité signifiait sa défaite, non point sa conquête sur elle-
759
non point sa conquête sur elle-même ? Son destin
et
non plus sa liberté ? L’Europe sans sa culture, réduite à ce qu’elle
760
qu’elle est, ne serait plus qu’un cap de l’Asie —
et
l’Asie n’a jamais passé pour la terre de la liberté. Certes, on peut
761
es concepts, mais je parle de réalités : l’Europe
et
la culture universelle qu’elle a produite sont deux réalités coextens
762
e sont deux réalités coextensives. Elles naissent
et
meurent du même mouvement. Qu’en est-il de ce mouvement, au milieu de
763
tes par la sentinelle d’Isaïe : « Le matin vient,
et
la nuit aussi ! » Cette fin de non-recevoir, lyrique et ironique, nou
764
nuit aussi ! » Cette fin de non-recevoir, lyrique
et
ironique, nous renvoie proprement à notre affaire. Et notre affaire m
765
ronique, nous renvoie proprement à notre affaire.
Et
notre affaire me paraît être ici d’apprécier tout d’abord l’état de n
766
ces, en vue d’agir. Entre les deux colosses russe
et
américain, l’Europe qui vient de perdre la guerre fait actuellement c
767
redressement. Entre deux-cents-millions de Russes
et
cent-cinquante-millions d’Américains, nous sommes ici, à l’ouest du r
768
ous pas inventé ? Je cite pêle-mêle : le marxisme
et
la psychanalyse, l’existentialisme et le personnalisme, la théorie de
769
le marxisme et la psychanalyse, l’existentialisme
et
le personnalisme, la théorie des quanta et celle des groupes, la soci
770
alisme et le personnalisme, la théorie des quanta
et
celle des groupes, la sociologie et les grandes synthèses historiques
771
ie des quanta et celle des groupes, la sociologie
et
les grandes synthèses historiques, la relativité généralisée et la ph
772
synthèses historiques, la relativité généralisée
et
la physique nucléaire, l’aviation, la radio et le cinéma, la vaccinat
773
ée et la physique nucléaire, l’aviation, la radio
et
le cinéma, la vaccination, la pénicilline et le DDT, le pétrole synth
774
adio et le cinéma, la vaccination, la pénicilline
et
le DDT, le pétrole synthétique et le radar, la rationalisation du tra
775
la pénicilline et le DDT, le pétrole synthétique
et
le radar, la rationalisation du travail industriel, la construction m
776
riel, la construction métallique, le syndicalisme
et
les coopératives, et enfin l’art moderne tout entier : peinture, musi
777
métallique, le syndicalisme et les coopératives,
et
enfin l’art moderne tout entier : peinture, musique, littérature, poé
778
: peinture, musique, littérature, poésie, théâtre
et
sculpture : presque tous leurs grands noms sont des noms de l’Europe,
779
tous leurs grands noms sont des noms de l’Europe,
et
les très rares qui n’en sont pas ont appris leur métier de nos maître
780
n comme pour le mal, il imite à la fois nos mœurs
et
nos objets, nos procédés d’art et de construction, de transport et de
781
fois nos mœurs et nos objets, nos procédés d’art
et
de construction, de transport et de gouvernement, d’industrie et de m
782
s procédés d’art et de construction, de transport
et
de gouvernement, d’industrie et de médecine, et nos armes. Les Hindou
783
ion, de transport et de gouvernement, d’industrie
et
de médecine, et nos armes. Les Hindous, les Chinois, les Noirs copien
784
t et de gouvernement, d’industrie et de médecine,
et
nos armes. Les Hindous, les Chinois, les Noirs copient l’Europe pour
785
rtager le monde à nos dépens ? L’Amérique du Nord
et
la Russie de Staline sont des produits de notre culture, l’une dès se
786
roduits de notre culture, l’une dès ses origines,
et
l’autre en ce qu’elle a de moderne justement. Calvin et le puritanism
787
utre en ce qu’elle a de moderne justement. Calvin
et
le puritanisme, d’un côté, plus les gratte-ciel, le système Taylor-Be
788
me Taylor-Bedaux à tous les degrés, la cellophane
et
le zipper partout, qui sont des inventions européennes ; et de l’autr
789
er partout, qui sont des inventions européennes ;
et
de l’autre côté, Marx et notre industrie, plus l’instruction publique
790
inventions européennes ; et de l’autre côté, Marx
et
notre industrie, plus l’instruction publique et l’athéisme, l’hypertr
791
x et notre industrie, plus l’instruction publique
et
l’athéisme, l’hypertrophie de l’appareil étatique, et des copies de l
792
’athéisme, l’hypertrophie de l’appareil étatique,
et
des copies de l’art officiel de nos grands-pères. Caricatures évidemm
793
de description : leurs traits les plus frappants,
et
qu’ils croient spécifiques, ne sont souvent que des emprunts à notre
794
tels sont nos atouts, d’où vient notre faiblesse
et
notre angoisse ? D’où vient que nous ayons perdu, ou que nous croyion
795
du, ou que nous croyions avoir perdu la puissance
et
l’initiative, dès qu’il s’agit d’autre chose que de peinture, de parf
796
, celles qui ont fixé le visage du monde moderne.
Et
cette liste est impressionnante. Mais pour qu’elle rassure un Françai
797
ure un Français, un Allemand, un Danois, un Grec,
et
pour qu’ils en tirent quelque orgueil, encore faut-il qu’ils aient co
798
mpter dans ma liste les quelques noms de son pays
et
n’en tirera qu’une raison de plus de se sentir minoritaire, ou pauvre
799
s nos États-nations, nous sommes tous trop petits
et
nous avons, par conséquent, de bonnes raisons d’être angoissés pour n
800
s notre civilisation : conflits sociaux, éthiques
et
spirituels, dont je ne songe pas un seul instant à sous-estimer l’imp
801
ouffrir. Mais elle rend compte de nos faiblesses,
et
de notre démission sur le plan de l’Histoire. Et elle rend compte de
802
et de notre démission sur le plan de l’Histoire.
Et
elle rend compte de la névrose d’infériorité que j’ai dite. La divisi
803
lture sans libre échange des idées, des personnes
et
des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à cet égard. La
804
e échange des idées, des personnes et des œuvres,
et
l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à cet égard. La condition néces
805
la condition du maintien de ce foyer de création
et
de liberté que représente l’Europe dans le monde, et que rien ne peut
806
de liberté que représente l’Europe dans le monde,
et
que rien ne peut remplacer. Qu’avons-nous fait pour nous unir ? Dans
807
de mise en commun de nos ressources matérielles.
Et
maintenant, dans le domaine de cette culture dont on ne saurait trop
808
ère, de nos ressources scientifiques, éducatrices
et
créatrices en général. Cette entreprise viendrait répondre à trois né
809
d’une question scientifique, sur les déficiences
et
les avantages culturels de l’Europe par rapport aux autres continents
810
n voit surgir des instituts13 dont les programmes
et
les buts se ressemblent, mais qui, souvent, s’ignorent mutuellement.
811
lubles dans le cadre trop étroit de chaque nation
et
de chaque budget national : problèmes des recherches atomiques, du ci
812
a nécessité d’un lieu de confrontation permanente
et
d’un instrument d’action concertée à l’échelle du continent, quelque
813
ale soit de pouvoir prendre certaines initiatives
et
de parler au nom de l’Europe comme unité, dans le plan de la culture
814
l’Europe comme unité, dans le plan de la culture
et
de la morale publique, de même que seule une Autorité politique supra
815
septembre sur l’initiative du Mouvement européen,
et
auquel le Conseil de l’Europe vient d’accorder son patronage officiel
816
tive de l’Europe doit commencer dans les cerveaux
et
dans les cœurs. Elle suppose une prise de conscience. Et toute volont
817
les cœurs. Elle suppose une prise de conscience.
Et
toute volonté de réveil de la conscience commune européenne, dans nos
818
la conscience commune européenne, dans nos élites
et
dans nos peuples, suppose la reconnaissance de deux réalités qu’oubli
819
ou n’est qu’un appendice insignifiant de l’Asie.
Et
cela veut dire que la vraie source de la puissance européenne est sa
820
source de la puissance européenne est sa culture,
et
qu’il serait absurde et vain d’essayer de sauver l’une sans l’autre.
821
uropéenne est sa culture, et qu’il serait absurde
et
vain d’essayer de sauver l’une sans l’autre. La seconde, c’est que le
822
e la culture occidentale, consistent en une seule
et
même chose : la liberté de la personne. Et cela veut dire que les cha
823
seule et même chose : la liberté de la personne.
Et
cela veut dire que les chances de l’Europe se confondent aujourd’hui
824
on par orgueil ou par satisfaction de nous-mêmes,
et
encore moins avec le fol espoir d’apaiser à jamais tous nos conflits,
825
i ont fait la vraie grandeur de l’homme européen,
et
pour sauver en face de la terre des masses, et de la terre des machin
826
n, et pour sauver en face de la terre des masses,
et
de la terre des machines, et des terres immenses de la fatalité, une
827
la terre des masses, et de la terre des machines,
et
des terres immenses de la fatalité, une Europe qui demeure la terre d
828
fausse des symétries, celle qui mettrait les USA
et
l’URSS dans le rôle de Charybde et de Scylla. Entre les Américains et
829
ttrait les USA et l’URSS dans le rôle de Charybde
et
de Scylla. Entre les Américains et nous, Européens, il y a en commun
830
le de Charybde et de Scylla. Entre les Américains
et
nous, Européens, il y a en commun les principes originels, l’usage pr
831
commun les principes originels, l’usage présent,
et
l’idéal sans cesse élargi de la liberté de pensée, qui est une garant
832
rantie des autres libertés. Entre les stalinistes
et
nous, Européens, il n’y a qu’un mot : démocratie. Pour eux, cela veut
833
Europei, les Summer Schools of European Studies,
et
enfin le Collège d’Europe, inauguré à Bruges le 12 octobre, et qui pe
834
ollège d’Europe, inauguré à Bruges le 12 octobre,
et
qui peut devenir l’École des sciences politiques du continent. g. R
835
du continent. g. Rougemont Denis de, « L’Europe
et
sa culture », La Revue de Paris, Paris, novembre 1950, p. 79-90.
836
térieur, deux rues de boutiques de luxe, de cafés
et
de librairies aboutissent dans le hall central ouvert sur un vaste pa
837
t sans relâche. Ma chambre a dix mètres sur cinq,
et
cinq de haut. Du plafond pend une grande hélice à quatre pales, qu’un
838
itesses. Sol de dalles grises polies, murs jaunes
et
beaucoup de meubles. Quand je sonne, trois serviteurs paraissent au f
839
rrivé de sonner à nouveau n’entendant rien venir,
et
de m’apercevoir ensuite qu’ils étaient là déjà depuis un long moment.
840
rdres, que le second probablement les enregistre,
et
que le troisième les exécute. Mais non, tout simplement, il y a trop
841
ssent dans l’ombre. Je me rendors. Le thé est là,
et
de nouveau trois hommes en blanc près de la table. Je leur demande du
842
la table. Je leur demande du sucre. Ils sourient
et
s’inclinent. Ils ont des crayons à la main et des blocs de papier. Il
843
ent et s’inclinent. Ils ont des crayons à la main
et
des blocs de papier. Ils attendent. Je leur dis que c’est tout ce que
844
hru ? Éclair de magnésium. Aveuglé, je comprends,
et
m’efforce de donner des réponses attendues, soudain frappé par la sim
845
par la similitude entre le contrôle des étrangers
et
l’interview. ⁂ Bombay, porte des Indes, présente à l’arrivant l’archi
846
e des Indes, présente à l’arrivant l’architecture
et
le puissant trafic d’une grande cité de l’Occident comme on en voit e
847
erchent l’étranger, le dépaysement pour lui-même,
et
sont déçus de ne le point trouver aussi pur et déconcertant qu’ils le
848
e, et sont déçus de ne le point trouver aussi pur
et
déconcertant qu’ils le rêvaient. Pour l’Indien, le Chinois, l’Arabe,
849
un sujet de littérature, de nostalgie consciente
et
cultivée. Il peut bien être le plus fort, il le fut en effet pendant
850
tte conviction, vivante encore dans nos campagnes
et
derrière les rideaux de nos provinces, est répudiée depuis longtemps
851
qui connaît ses dieux se conçoit dans leur ordre
et
sans autres problèmes, la faim n’étant qu’un ennemi. L’Occidental, qu
852
te d’ocres, de briques vernies, de blancs bleutés
et
de luxueux reflets aux vitres de milliers de bow-windows, la Sombre C
853
iers de bow-windows, la Sombre Chose, grouillante
et
mystérieuse, tapie tout près d’ici peut-être, comme le rêve sous la v
854
peut-être, comme le rêve sous la veille, instante
et
pourtant dérobée, la Sombre Chose pressentie, qui parfois nous envoie
855
bien ordonnée de ces quartiers, des signes brefs
et
toujours inquiétants, le cri précipité et comme rageur d’un corbeau m
856
s brefs et toujours inquiétants, le cri précipité
et
comme rageur d’un corbeau maigre à ma fenêtre, une ombre nette de vau
857
ée, des crachats rouges de bétel sur le trottoir,
et
ces moignons de bras charmants et menaçants… Sur le port et devant le
858
ur le trottoir, et ces moignons de bras charmants
et
menaçants… Sur le port et devant les grands hôtels, des fillettes aux
859
gnons de bras charmants et menaçants… Sur le port
et
devant les grands hôtels, des fillettes aux yeux sans sourire, au cor
860
féroce des gens du Sud, avec un petit cri hostile
et
guttural, pareil à celui des corbeaux, le cri de la misère sauvage qu
861
eusement se refusent à choisir entre le Coca-Cola
et
le camp de Kolyma ; ceux qui invoquent la morale et Gandhi pour justi
862
le camp de Kolyma ; ceux qui invoquent la morale
et
Gandhi pour justifier le neutralisme, et ceux qui tiennent à distingu
863
a morale et Gandhi pour justifier le neutralisme,
et
ceux qui tiennent à distinguer neutralisme et neutralité ; ceux qui d
864
me, et ceux qui tiennent à distinguer neutralisme
et
neutralité ; ceux qui demandent que les démocraties balayent devant l
865
balayent devant leur porte, se réforment d’abord,
et
ceux qui veulent sauver d’abord la liberté, sans laquelle il n’est pa
866
lancé d’abord par l’un des délégués occidentaux,
et
frénétiquement applaudi, reparaît le lendemain dans les éditoriaux, l
867
s suivants dans mille échos, lettres à l’éditeur,
et
commentaires critiques sur le Congrès. Je quitterai l’Inde sans avoir
868
les anciens Hindous, les Égyptiens, les Sumériens
et
les Romains, si les Occidentaux eux-mêmes avaient déclaré en leur tem
869
point de culture tant qu’il subsiste de la misère
et
de la famine, il n’y aurait point de civilisation ; s’il n’y avait po
870
e tairai. « Ventre affamé n’a point d’oreilles »,
et
qui suis-je pour lutter ici contre la force d’un proverbe, si convain
871
t faux, que ce sont les repus qui n’écoutent pas,
et
que la disette est mère des civilisations, comme l’angoisse l’est de
872
n Gitan avec ses boucles noires, il est brahmine,
et
par un choix délibéré, très orthodoxe, donc très libre d’esprit.) — J
873
e. La trouverai-je à Bombay ? Il appelle un taxi,
et
nous voilà partis. Nous avons quitté la voiture à l’entrée d’une ruel
874
ndons lentement jusqu’à des escaliers très raides
et
compliqués, entre de hautes façades peintes en jaune. Statuettes vêtu
875
çades peintes en jaune. Statuettes vêtues de soie
et
de fleurs dans des niches, comme à Naples. Il y a bien, assises sur l
876
d’un diamant, aux chevilles surchargées d’anneaux
et
de grelots, mais le décor est italien. (Et ce même rose très pâle et
877
nneaux et de grelots, mais le décor est italien. (
Et
ce même rose très pâle et un peu mauve des cotonnades, que je n’avais
878
le décor est italien. (Et ce même rose très pâle
et
un peu mauve des cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et
879
cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie
et
plus rarement au Brésil.) Nous descendons. Les escaliers débouchent s
880
long bassin rectangulaire, empli d’une eau verte
et
profonde. Tout autour du bassin, et sur l’îlot qui en occupe le centr
881
une eau verte et profonde. Tout autour du bassin,
et
sur l’îlot qui en occupe le centre, s’élèvent des colonnes de pierre
882
hérissées de demi-soucoupes : ce sont des lampes,
et
tout s’allume les soirs de fête. Nous entrons dans une rue sinueuse,
883
ons à un ou deux étages, cages à oiseaux cubiques
et
mal superposées, de cafés minuscules dont les balcons surplombent le
884
inuscules dont les balcons surplombent le bassin,
et
d’espèces de garages ou étables, on ne sait, aux larges portes à barr
885
nd de l’ombre, un autel s’illumine. Étoffes rouge
et
or derrière la statuette, bijoux, fleurs, menues verroteries, et dans
886
la statuette, bijoux, fleurs, menues verroteries,
et
dans l’étroit espace devant l’autel, une femme debout, sans un geste.
887
. Parfois le prêtre en pagne sort d’un coin noir,
et
vient planter autour d’une fontaine basse, dans la courette, deux min
888
qui circulent sans nous voir de leurs yeux fixes
et
ardents. Nous croise un être demi-nu, très vieux, le crâne tondu, deu
889
re. Des femmes aux membres incroyablement maigres
et
gracieux. Peu de bruits, et pas un sourire. La cloche d’un temple tin
890
ncroyablement maigres et gracieux. Peu de bruits,
et
pas un sourire. La cloche d’un temple tinte, sans musique. On entend
891
di. Des yeux brillent dans les portes sombres. Çà
et
là, un homme prie, accroupi contre un mur. Il règne dans tout le quar
892
t le quartier une espèce de solennité énigmatique
et
insidieuse, qui tient du rêve et de la vie animale. Tout est menu, fé
893
nité énigmatique et insidieuse, qui tient du rêve
et
de la vie animale. Tout est menu, félin, misérable et précieux à la f
894
e la vie animale. Tout est menu, félin, misérable
et
précieux à la fois. Dans mes vêtements européens, je me sens trop lou
895
ns mes vêtements européens, je me sens trop lourd
et
trop grand. Un peu plus loin, là où la rue tourne et s’éclaire, vers
896
trop grand. Un peu plus loin, là où la rue tourne
et
s’éclaire, vers les roches noires et plates du bord de mer, des homme
897
a rue tourne et s’éclaire, vers les roches noires
et
plates du bord de mer, des hommes assis en groupe écoutent une lectur
898
de peau très noire, aux gros yeux blancs, sérieux
et
lent. Raja Rao lui demande ce qu’il lit. C’est un chant du Mahabharat
899
du Mahabharata. Ils écoutent sans bouger, jeunes
et
vieux, le livre dont Gandhi chaque soir lisait quelques extraits à se
900
ouchant, ni jamais un groupe d’hommes plus dignes
et
candides dans l’acte d’entendre un poème. Plus tard, comme nous remon
901
un cordon autour du cou pendant jusqu’au nombril,
et
d’un pagne. Il rythmait ses lentes et grandes enjambées en frappant l
902
au nombril, et d’un pagne. Il rythmait ses lentes
et
grandes enjambées en frappant le sol d’un bâton. Derrière lui se pres
903
n sur les talons de l’autre, le premier très gros
et
court, le second décharné, les tendons des chevilles saillant comme d
904
ons des chevilles saillant comme des cordelettes,
et
le troisième trapu, crâne tondu, une sorte de queue de cheval surgiss
905
ly man : plus ils sont saints, plus ils sont nus,
et
non pas chamarrés de robes et surplis à l’instar des princes ou des r
906
plus ils sont nus, et non pas chamarrés de robes
et
surplis à l’instar des princes ou des rois, et comme le sont nos dign
907
es et surplis à l’instar des princes ou des rois,
et
comme le sont nos dignitaires ecclésiastiques, toujours plus lourdeme
908
stricte avec les mouvements des bras, des doigts
et
des chevilles, m’a fait comprendre la statuaire hindoue : les attitud
909
. Ému par tant de beautés concertées, la danseuse
et
ses pas, dont chacun signifiait, l’éclat somptueux des soies, des cou
910
ci, rien ne relève du « goût », mais chaque forme
et
chaque geste sont dictés par le rite et revêtus de son autorité. Pour
911
que forme et chaque geste sont dictés par le rite
et
revêtus de son autorité. Pourtant ce qui a suivi m’a troublé davantag
912
té. Pourtant ce qui a suivi m’a troublé davantage
et
j’en parlerai plus longuement. Devant la soie de fond viennent d’appa
913
au visage rond barré d’énormes moustaches noires,
et
d’une placidité d’expression qui surprend. Vêtus de blouses bleues et
914
’expression qui surprend. Vêtus de blouses bleues
et
de longues culottes blanches serrées aux mollets, chacun d’eux porte
915
croisés ; puis se tournent lentement sur le côté
et
frappent un peu plus fort ; s’assoient et frappent ; tournent sur leu
916
le côté et frappent un peu plus fort ; s’assoient
et
frappent ; tournent sur leur séant et frappent ; se lèvent et marchen
917
s’assoient et frappent ; tournent sur leur séant
et
frappent ; se lèvent et marchent à grands pas, genoux pliés, et frapp
918
; tournent sur leur séant et frappent ; se lèvent
et
marchent à grands pas, genoux pliés, et frappent de plus en plus fort
919
se lèvent et marchent à grands pas, genoux pliés,
et
frappent de plus en plus fort ; et quand leur danse atteint sa plus i
920
genoux pliés, et frappent de plus en plus fort ;
et
quand leur danse atteint sa plus intense animation, frappant devant e
921
ils venaient à rater un seul croisement des armes
et
se touchaient la tête, ils tomberaient raides — le fracas des bâtons
922
chent, frappent encore faiblement, s’immobilisent
et
la musique s’arrête sans conclusion, comme n’importe où. Les deux géa
923
ù. Les deux géants aux faces placides se relèvent
et
s’en vont s’asseoir parmi les musiciens. « Est-ce beau, ou grotesque,
924
occidental) de ces deux êtres absolument pareils
et
dénués de toute expression, leur naïveté inquiétante et opaque, leur
925
ués de toute expression, leur naïveté inquiétante
et
opaque, leur animalité totalement possédée par le rythme léger des in
926
ent possédée par le rythme léger des instruments,
et
ces coups décochés à intervalles précis, par une détente d’une vigueu
927
à voir ici. La danse des deux hercules moustachus
et
puérils, surgis peut-être d’un passé moghol, me fait entrer dans une
928
int étranger aux concepts formulés par l’Europe ?
Et
comment suggérer dans son obscurité le sentiment, mal distinct d’une
929
des fonctions symboliques, sans conscience propre
et
séparée. Je serais tenté d’imaginer à la limite qu’ils ne sont rien q
930
uement déterminés par la batterie des instruments
et
les figures dynamiques de la danse que l’animal par ses instincts. Sa
931
iberté suppose quelque hiatus intime entre le Moi
et
le destin. Il me semble qu’au seuil de comprendre, je viens de sentir
932
e l’individu, de ses souffrances, de sa vie même,
et
pourquoi ses grandeurs anciennes nous semblent tour à tour follement
933
r totalement l’une dans l’autre, tels les animaux
et
les dieux dans la métamorphose infinie de la Fable. ⁂ Chaque nuit, je
934
our aller respirer l’air de la mer. Les corridors
et
les galeries de boutiques sont jonchés de corps endormis. (Quand je p
935
r cuisine, ou qu’ils s’appliquent sur les cheveux
et
sur le front en triples traits, non sans l’avoir mêlée d’un colorant
936
le porche. Saisissement dès l’entrée dans l’ombre
et
le silence. Essayer de se rappeler le plus grand nombre possible des
937
é, surveillé, repoussé par tous ces yeux hostiles
et
insistants. Sur les grandes dalles de pierre, l’urine des vaches sacr
938
racines grises formant le tronc, des fleurs roses
et
violettes, piquées en ex-voto. Devant moi, quelques marches conduisen
939
egardent. Au pied de l’arbre, une petite fontaine
et
un autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homme prie debout, puis
940
une petite fontaine et un autel, chargé de fleurs
et
d’offrandes. Un homme prie debout, puis se tourne à demi en remuant l
941
vers l’autre côté de la cour. Je suis son regard
et
découvre en retrait, au-delà de l’abreuvoir, un bâtiment peint en ble
942
bâtiment peint en bleu-vert, chargé de clochetons
et
de reliefs rococo, qui évoque un pavillon de foire et qui est un temp
943
e reliefs rococo, qui évoque un pavillon de foire
et
qui est un temple. En réalité toute cette cour, avec les vaches et le
944
ple. En réalité toute cette cour, avec les vaches
et
leur mine sacrée, le pipal, l’autel, la fontaine, les fleurs offertes
945
pipal, l’autel, la fontaine, les fleurs offertes
et
les fidèles muets, forme l’antichambre ou le parvis du temple. D’où l
946
le. L’ombre, l’absence de paroles, de mouvements.
Et
la composition compliquée de l’ensemble, comme une mise en scène plei
947
de rites communautaires ; à part les processions
et
fêtes périodiques ; enfin, peu de respect pour les prêtres, sortes de
948
utiles par leur savoir des rites de la naissance
et
de la mort, mais fort inférieurs aux brahmines. Comment cette religio
949
ste-t-elle, privée de toute espèce d’institutions
et
de disciplines collectives ? Elle se transmet par la famille, par le
950
personnes sur une bicyclette — le père, la mère,
et
trois enfants — où enfin, d’une manière générale, il y a partout trop
951
e pays qui ne croit pas à l’absolu de la personne
et
qui semble voué au collectif, la dévotion et le culte sont individual
952
onne et qui semble voué au collectif, la dévotion
et
le culte sont individualistes. Et bien plus encore le salut. Je revoi
953
if, la dévotion et le culte sont individualistes.
Et
bien plus encore le salut. Je revois ces femmes seules dans les templ
954
times avec le dieu, tournant le dos aux passants.
Et
ces hommes en prière contre un mur. Et ces saints demi-nus, traversan
955
passants. Et ces hommes en prière contre un mur.
Et
ces saints demi-nus, traversant à grands pas les rues encombrées de p
956
s rues encombrées de piétons, de vaches, de zébus
et
d’autos, allant ailleurs, on ne sait où, mais on ne peut s’empêcher d
957
où, mais on ne peut s’empêcher de se le demander,
et
d’eux seuls dans la foule infinie, car eux seuls sont vraiment distin
958
rries, galettes, fruits doux-amers, jus de fruits
et
glaces, servis dans de petits bols que l’on dépose sans relâche et sa
959
dans de petits bols que l’on dépose sans relâche
et
sans ordre sur le pourtour d’un grand plateau d’argent, devant chaque
960
e. La conversation s’engage entre Stephen Spender
et
ses vis-à-vis Hindous et Parsis. Stephen déplore la condition présent
961
ge entre Stephen Spender et ses vis-à-vis Hindous
et
Parsis. Stephen déplore la condition présente de l’homme occidental,
962
urire, hésitent un peu, par politesse sans doute,
et
disent enfin que non, qu’ils n’ont pas de complexes, surtout pas de c
963
nière d’exprimer qu’il n’a pas le sens du péché ;
et
par suite, qu’il n’a pas non plus le sens de la révolte, ni celui de
964
e celui de l’originalité, étant l’homme du Karma,
et
d’une caste. La suppression des castes, admise en droit, si elle deve
965
en ne sont qu’erreurs. Le besoin d’être original,
et
dans un autre ordre l’humour, expriment notre notion de l’individu :
966
s nécessaire, absolument liés dans notre histoire
et
dans notre action personnelle. Alors la vocation vient remplacer le r
967
on vient remplacer le rôle. Qu’elle fasse défaut,
et
nous vivons dans l’incertain, l’absurde ou la médiocrité. Chez l’Indi
968
collant à son identité, qui est celle d’un ordre
et
non pas d’un ego, d’un être différent qui ne vivra qu’une fois. Il ré
969
emi étranger, car dans toute destruction violente
et
non rituelle il y a le risque insane de changer le réel et de blesser
970
tuelle il y a le risque insane de changer le réel
et
de blesser l’ordre du monde. De là, sans doute, l’idée de non-violenc
971
bri du danger de communier avec lui dans la lutte
et
d’en sortir contaminé. ⁂ Nehru. — L’un de ses anciens amis m’a mis e
972
à, plus question de plébiscite, idée quantitative
et
bien américaine ; il s’agit au contraire de sauver les droits de la m
973
uver les droits de la minorité, seule responsable
et
progressiste, et qui est hindoue. N’oubliez pas que le Pandit est du
974
e la minorité, seule responsable et progressiste,
et
qui est hindoue. N’oubliez pas que le Pandit est du Kashmir. Prenez e
975
même temps leur politique, on les rend hésitants
et
l’on se plaint de leur retard, mais si l’URSS nous envoie deux wagons
976
ne s’en moque, pourvu que l’Inde appuie la Chine.
Et
cinq des grands ambassadeurs de l’Inde sont communistes ou fellow-tra
977
la misère. » Beaucoup enfin de ceux qui l’aiment
et
qui l’admirent : « Ah ! s’il était resté notre leader moral, au lieu
978
ue je suis dans ce pays — douze jours seulement —
et
je n’en prends aucune à mon compte, mais comment cesserais-je d’y pen
979
il m’a convié, entouré de sa fille, de sa nièce,
et
de quelques familiers de sa maison. Dans le salon où je l’attendais,
980
uit, d’un pas rapide. Un peu voûté, l’air sérieux
et
distant. Il porte une longue veste de soie d’un violet sombre, semée
981
ie d’un violet sombre, semée de fleurs gris-clair
et
jaunes. Pantalons blancs étroits, souliers de soie noire, tête nue. U
982
ention que je risque du Congrès, baissant la tête
et
regardant sa main posée sur un coussin, sans réagir. Je ne sais pourq
983
is.) Mais à table, c’est un autre homme. Souriant
et
détendu, curieux de tout, connaissant bien les écrivains qui particip
984
nfits de vingt sortes diverses posés devant nous,
et
guettant si je les aime ; parlant de tout pour ne parler de rien peut
985
des six ou sept qui dirigent aujourd’hui le monde
et
qui forment déjà, de fait sinon de droit, une sorte de cabinet mondia
986
gies, non seulement par sa situation entre l’URSS
et
les USA, mais par sa manière d’assumer ou de refuser cette situation.
987
naît guère l’Europe que par les collèges anglais,
et
d’autre part, elle est tentée de juger l’Occident tout entier à trave
988
n, je lui téléphonerai. » Un sourire un peu grave
et
charmeur. Un adieu familier de la main. J’essaie maintenant de recomp
989
intenant de recomposer ce que l’on m’a dit de lui
et
ce que j’ai vu de l’homme, pendant une entrevue « banale », et c’est
990
i vu de l’homme, pendant une entrevue « banale »,
et
c’est son prix. Nehru est un brahmine éduqué à Cambridge, un aristocr
991
aristocrate libéral inclinant vers le socialisme,
et
dont le destin, complice de sa nature intime plutôt que de ses idées,
992
Un moraliste en somme, mais sans foi religieuse,
et
qui remplace les dogmes par quelques bons principes empruntés au libé
993
runtés au libéralisme, au socialisme humanitaire,
et
à Gandhi. Avec cela, plus impatient qu’autoritaire, plus soucieux de
994
on personnelle. Tout le monde parle de sa beauté.
Et
il est vrai que son visage et son maintien expriment une harmonie de
995
parle de sa beauté. Et il est vrai que son visage
et
son maintien expriment une harmonie de l’âme hindoue que la plupart d
996
e que la plupart des corps, dans ce pays, cachent
et
même contredisent à nos yeux. L’Indien du peuple, avec ses membres gr
997
ses membres grêles, sa peau grise, ses yeux fixes
et
brillants, nous apparaît plus près que nous de l’animal, ou soudain p
998
l’autre.) Sur le visage de Nehru, l’âme affleure
et
vient en surface. Mais dans son être intime, le regard de l’esprit tr
999
uverait-il pas au contraire ce signe d’inquiétude
et
de contradiction, cette petite cicatrice secrète qui trahit l’arrache
1000
ar l’action combinée de Gandhi, de nos faiblesses
et
de nos idéaux, l’Inde va-t-elle enfin se retrouver elle-même ? Six si
1001
anqué la Renaissance, les Lumières, le romantisme
et
les révolutions. Endormie en plein Moyen Âge, on la réveille au siècl
1002
ein Moyen Âge, on la réveille au siècle américain
et
russe. Ni d’un côté ni de l’autre, elle ne peut se reconnaître. Elle
1003
les castes, chez les brahmines, chez les paysans
et
artisans, mais le pouvoir est aux « sécularistes » qui se détachent d
1004
uissance pratique mais qui résiste en profondeur,
et
un avenir encore épidermique, le présent de l’Inde paraît manquer de
1005
u le pressentir : celui de l’homme entre le mythe
et
la personne. Les autres sont assez connus. Des milliers de vaches sac
1006
. L’armée serait impuissante devant une invasion.
Et
ainsi de suite… Presque tous ces problèmes me semblent insolubles. Il
1007
ui le peut ? L’Amérique lui fournit des tracteurs
et
du blé. La Russie lui propose la révolte. Et l’Europe, jusqu’ici, n’a
1008
eurs et du blé. La Russie lui propose la révolte.
Et
l’Europe, jusqu’ici, n’a rien offert. (Qui, d’ailleurs, l’eût fait en
1009
dentale que se recrutent les staliniens de l’Inde
et
leurs alliés. Le communisme, comme idéal et doctrine révolutionnaire,
1010
’Inde et leurs alliés. Le communisme, comme idéal
et
doctrine révolutionnaire, n’a guère touché que les milieux d’étudiant
1011
ire, n’a guère touché que les milieux d’étudiants
et
les populations très anciennement chrétiennes du Malabar. Mais un Hin
1012
de 390 millions d’habitants — la vie de la rue —
et
aussi les préoccupations nouvelles nées de l’indépendance, les soucis
1013
intelligentsia… ses réactions en face de l’URSS…
et
un portrait nuancé de Nehru. »
1014
Le Suisse moyen
et
quelques autres (mai 1965)j k Portrait du Suisse moyen Les Su
1015
ibles), quatre langues, deux confessions majeures
et
trente-six sectes, je ne sais combien de races variablement mêlées et
1016
, je ne sais combien de races variablement mêlées
et
de dialectes jalousement cultivés — et cela fait beaucoup de combinai
1017
ent mêlées et de dialectes jalousement cultivés —
et
cela fait beaucoup de combinaisons possibles. (J’en ai dénombré cinqu
1018
multiplicité, distribuée sur tout le territoire,
et
d’une même attitude d’intime approbation à l’égard d’un régime qui pe
1019
ais à charge de respect pour les coutumes locales
et
leurs compartimentages. La moyenne suisse est l’expression d’un conte
1020
ime, d’une longue absence de conflits dramatiques
et
de la prospérité qui en a pu résulter. Pas de moyenne réelle dans les
1021
enté d’imposer ses règles, provoquant la violence
et
fixant pour longtemps d’irréductibles discordances et des disparités
1022
ixant pour longtemps d’irréductibles discordances
et
des disparités extrêmes dans les manières de vivre et de juger. La li
1023
es disparités extrêmes dans les manières de vivre
et
de juger. La liberté de rester divers rapproche, les décrets d’unifor
1024
le toujours de la Suisse comme d’une nation « une
et
diverse ». Il faut voir qu’elle est une parce qu’elle est diverse. Le
1025
eu, le sens du compromis, l’attrait de la moyenne
et
son revers qui est la peur de différer, le conformisme, sont les vert
1026
peur de différer, le conformisme, sont les vertus
et
les défauts typiques qu’appelle la tolérance fédéraliste. Enquêtes so
1027
raliste. Enquêtes sociologiques, études d’opinion
et
analyse des votations se recoupent d’une manière remarquable, et tout
1028
votations se recoupent d’une manière remarquable,
et
toutes nous donnent du Suisse moyen un portrait statistique qui resse
1029
ce qu’ils en connaissent bien les données de fait
et
les impératifs concrets, et qu’ils la jugent au surplus satisfaisante
1030
n les données de fait et les impératifs concrets,
et
qu’ils la jugent au surplus satisfaisante. Une enquête conduite par l
1031
lup pendant l’été de 1963, dans six pays d’Europe
et
aux États-Unis, montre qu’ils sont « en tête des gens heureux », comm
1032
eur niveau de vie, tandis que 38 % s’en plaignent
et
que 14 % n’en pensent rien, une majorité écrasante de 88 % des Suisse
1033
» 42 % répondent très heureux, 51 plutôt heureux,
et
6 % seulement pas très heureux. (Reste 1 % pour les désespérés ou ceu
1034
re des Suisses possibles, mais le monde a changé,
et
l’on s’adapte à ces changements, loin de s’accrocher aux recettes du
1035
cité vers des formes d’organisation de l’économie
et
de la distribution des revenus que les socialistes d’antan revendiqua
1036
s d’antan revendiquaient sans trop oser y croire,
et
que les patrons modernes négocient posément avec des chefs syndicalis
1037
sur lequel peuvent compter syndicalistes, patrons
et
gouvernants, c’est le goût du travail dont on a pu écrire qu’il est «
1038
des Suisses », la base de leurs rapports sociaux
et
souvent le sens même de leur vie. Dans le canton de Neuchâtel de mon
1039
t aussi « leur seul mode de promotion »17, dit-on
et
sans doute en va-t-il vraiment ainsi pour l’immense majorité. La cout
1040
le sur les nominations dans la fonction publique,
et
nul autre parti ne l’a remplacé ; peu ou point de grandes fortunes fo
1041
grandes fortunes fondées sur un coup de chance ;
et
les fils à papa ne se contentent pas de poser comme ailleurs aux prog
1042
ailleurs aux progressistes, mais travaillent dur
et
passent inaperçus. Cette prédominance du travail sur toute autre vale
1043
rofessionnelle. Le Suisse s’expatrie facilement18
et
passe sans nulle difficulté d’une commune ou d’un canton à l’autre, m
1044
té ne s’avouent guère, se cherchent des prétextes
et
en trouvent d’excellents, mais il n’y a plus de gratuité. Dans L’Annu
1045
e : « Instruction, distraction. » C’est « Culture
et
loisirs » en France, la nuance est significative. Quant au goût de la
1046
Suisses bien avant l’ère industrielle-utilitaire,
et
même bien avant la Réforme, mais il est en symbiose avec elles, et s’
1047
t la Réforme, mais il est en symbiose avec elles,
et
s’en nourrit autant qu’il explique leur succès dans la majorité de no
1048
mots de passe de la vie quotidienne du bourgeois
et
surtout de son épouse. Tout ce qui est compliqué est vaguement immora
1049
incière d’Einsiedeln, la cathédrale de Saint-Gall
et
les églises de la campagne lucernoise, Beromünster, Ettiswil et Surse
1050
de la campagne lucernoise, Beromünster, Ettiswil
et
Sursee, font une des gloires de ce pays. C’est la Suisse primitive qu
1051
ienne, très mal vue. La Suisse moderne, puritaine
et
technique, ennemie de la dépense autant que de l’apparat, et même des
1052
e, ennemie de la dépense autant que de l’apparat,
et
même des majuscules typographiques (voir l’école graphique de Zurich)
1053
es où l’or est gaspillé sur des stucs boursouflés
et
qui manquent de sérieux… Et cela conduit à poser la question des crit
1054
des stucs boursouflés et qui manquent de sérieux…
Et
cela conduit à poser la question des critères moraux du Suisse moyen.
1055
ui attribue désormais, lui reproche vertueusement
et
s’empresse d’imiter ? La tournure d’esprit sociologique du xxe siècl
1056
gagner davantage. La paresse est une déficience,
et
non le signe éventuel d’une sagesse libérée des contingences. Je ne c
1057
se : « Estimez-vous qu’on peut être un bon Suisse
et
se lever à 9 heures ? » À l’origine du devoir et du goût de se lever
1058
et se lever à 9 heures ? » À l’origine du devoir
et
du goût de se lever tôt pour travailler, il y a la Bible autant que l
1059
r, il y a la Bible autant que la coutume paysanne
et
bien plus que l’utilitarisme. Il y a d’abord la bonne conscience, bie
1060
les récits de Casanova, les lettres de Rousseau,
et
plus tard les indignations de Jeremias Gotthelf contre les mœurs des
1061
cordants décrivent une Suisse gaillarde, rustique
et
soldatesque, qui préfère la virtù à la vertu. Le réveil religieux suc
1062
cédant au piétisme, l’avènement de la bourgeoisie
et
l’école ont changé tout cela. Comme partout en Europe, pendant le xix
1063
steurs, à l’« impureté », péril majeur pour l’âme
et
parfois pour le corps. Cette préoccupation quelque peu obsédante asso
1064
devenu le révolté qu’on serait tenté d’imaginer,
et
que les Églises soient aujourd’hui plus vivantes qu’hier. Les nouvell
1065
anquillement libérées de la hantise du « péché »,
et
les pasteurs actuels aussi. D’où l’on pourrait déduire d’une part qu
1066
un empire bien puissant pour que ses disciplines
et
jugements fussent acceptés aussi communément et sans plus de rébellio
1067
s et jugements fussent acceptés aussi communément
et
sans plus de rébellion que de désaffection. D’autres indices viennent
1068
les enquêtes en cours sur le régime de la censure
et
l’état du mariage en Suisse. La censure des publications n’est offici
1069
gée par les douaniers, fonctionnaires subalternes
et
militarisés. Quels peuvent bien être leurs critères du moral et de l’
1070
. Quels peuvent bien être leurs critères du moral
et
de l’immoral ? Je n’en ai découvert qu’un seul : « La discipline, un
1071
e où il alignait des bâtonnets pendant des heures
et
il fallait surtout que rien ne dépasse. Ce qui dépasse aux yeux de la
1072
mises à l’index par le ministère public fédéral,
et
dont chaque employé des douanes est censé connaître la liste (Sade, H
1073
ent, que ceux de la banalité morale la plus plate
et
la plus résiduelle. On interdit l’entrée de tout écrit, de toute imag
1074
tribu : la commune, le milieu, « nos familles »,
et
très rarement hors du canton, et dans ce cas plutôt hors de Suisse21.
1075
nos familles », et très rarement hors du canton,
et
dans ce cas plutôt hors de Suisse21. L’humoriste Georges Mikes affirm
1076
ètres. Elle en avait le cœur brisé, bien entendu,
et
m’expliqua en grande confidence qu’elle faisait de grands efforts pou
1077
tude un exemple miraculeux de sacrifice personnel
et
une manifestation presque surhumaine de contrôle de soi22 ». Tout cel
1078
s (derrière les États-Unis, le Danemark, la Suède
et
l’Autriche) pour la proportion des divorces, depuis que la mobilité d
1079
ssement correspondant des mariages intercantonaux
et
interconfessionnels : « Ces mariages mixtes !… » En réalité, le divor
1080
is-je, d’une exigence accrue à l’égard du mariage
et
de ce qu’il peut représenter pour le développement personnel de chacu
1081
e développement personnel de chacun des conjoints
et
pour leur intégration en tant que couple dans la vie sociale…23 Au t
1082
de conformisme raisonné, adopté après mûr examen,
et
surtout : moralement assumé. Le niveau de vie, une fois qu’il est bie
1083
nt le danger, ses surprises que le poste « divers
et
imprévu » au budget de la petite famille ne suffiront pas à couvrir,
1084
te famille ne suffiront pas à couvrir, peut-être.
Et
certaines questions qu’on se pose sur le sens final de tout cela… ⁂ C
1085
quotidienne, montre les Suisses tels qu’ils sont
et
se veulent. Ceux qui refuseront de s’y reconnaître ne seront sans dou
1086
sérieux mais heureux (j’ajoute qu’il rit beaucoup
et
facilement), qu’il est réaliste sans cynisme, qu’il accepte sa condit
1087
condition comme il approuve son régime politique
et
acclame son niveau de vie neuf fois sur dix, qu’il n’est pas révoluti
1088
t pas révolutionnaire mais résolument réformiste,
et
qu’il n’aime pas les jeux d’idées ni la spéculation dans aucun ordre,
1089
nter ou le dénigrer ? Il est clair que c’est l’un
et
l’autre, selon le signe dont on affecte les notions de révolte, ou d’
1090
satisfaction, de gratuité ou d’efficacité, etc.,
et
selon qu’on préfère ceux qui s’engagent dans les guerres d’idéologies
1091
rait de la Suisse. L’enquête la plus intelligente
et
la statistique la plus fine peuvent montrer les traits acquis de la p
1092
s » de l’Autrichien, du Français ou de l’Anglais,
et
ce sont pourtant de tels hommes qui donnent à un pays ce qu’on appell
1093
se des consciences actuelles n’en peuvent compter
et
indexer : il y a des forces et des réalités longuement agissantes et
1094
en peuvent compter et indexer : il y a des forces
et
des réalités longuement agissantes et soudain décisives que l’homme m
1095
des forces et des réalités longuement agissantes
et
soudain décisives que l’homme moyen ne peut pas exprimer, bien qu’il
1096
ou faut-il dire précisément parce qu’il en vit ?
Et
ce sont des hommes d’exception qui les révèlent dans leurs œuvres, mê
1097
se, ou peut-être précisément parce que ces forces
et
ces réalités étaient pour eux problèmes, contestations, conceptions i
1098
comme l’Italie a produit Dante, la France Pascal
et
la Révolution, l’Allemagne Goethe et certains phénomènes moins humani
1099
rance Pascal et la Révolution, l’Allemagne Goethe
et
certains phénomènes moins humanistes, la Russie Tolstoï et Staline, l
1100
ns phénomènes moins humanistes, la Russie Tolstoï
et
Staline, l’Espagne Cervantès, Colomb et l’Amérique, cette dernière Or
1101
e Tolstoï et Staline, l’Espagne Cervantès, Colomb
et
l’Amérique, cette dernière Orson Welles et la Bombe. Il faut admettre
1102
Colomb et l’Amérique, cette dernière Orson Welles
et
la Bombe. Il faut admettre que notre aurea mediocritas saute aux yeux
1103
tranger le voie ? Si cet étranger vient chez nous
et
cite l’un des Suisses qu’il connaît par sa réputation mondiale, il ne
1104
lui qui ferait mine de dépasser la mesure commune
et
d’être un chef. Un Führer suisse est impensable, et même l’essai d’in
1105
d’être un chef. Un Führer suisse est impensable,
et
même l’essai d’instituer un Landammann de Suisse échoua très vite, ve
1106
t, on ne saurait dire qu’il gouverne les Suisses,
et
c’est très bien. Mais dans le domaine de la culture, cet égalitarisme
1107
le domaine de la culture, cet égalitarisme jaloux
et
tatillon présente les plus sérieux inconvénients. Car pour qu’un gran
1108
out cela qu’interdisent moralement nos principes,
et
physiquement nos petits compartiments. Que fera dans ces conditions l
1109
lui imposent les petites dimensions de notre État
et
les conditions de sa paix. Se rendre invisible : passer inaperçu. —
1110
e laissent rien paraître que leur identité native
et
naturelle. Ce n’est pas se dissimuler, en vérité : simplement le géni
1111
zius était un jeune Bernois, épris de littérature
et
d’idées libertaires. Il devint cependant pasteur à 25 ans et passa le
1112
libertaires. Il devint cependant pasteur à 25 ans
et
passa le reste de sa vie dans la cure du village de Lützelflüh. À qua
1113
de Lützelflüh. À quarante ans il se mit à écrire
et
, sous le nom de Jeremias Gotthelf (Jérémie : le prophète ; Gotthelf :
1114
quinzaine de romans tragiques, éducatifs, épiques
et
religieux, fantastiques à la fin (L’Araignée noire), que Thomas Mann
1115
e l’administration locale, du secours des pauvres
et
de la commission scolaire. Henri-Frédéric Amiel n’eut même pas à cho
1116
Dans nos cantons, chaque enfant naît soldat ! »)
et
des cours de philosophie dont l’ennui seul est resté mémorable ont ca
1117
Genève, j’ai épousé la mort — celle de mon talent
et
de ma joie. » Je crois que c’est Paul Bourget qui a dit que « Paris e
1118
ccepter dans sa cité natale selon son rang social
et
en tant que professeur. Un peu plus tard, Ferdinand de Saussure suit
1119
oser en tant que différent de ses données natives
et
par une volonté de rupture. On ne saurait lui reprocher cette nouvell
1120
ècle.) Se rendre utile. — Pays pauvre au départ
et
dont les seules richesses furent fabriquées par un travail humain bie
1121
ntrant qu’il fait une œuvre utile au bien commun.
Et
c’est pourquoi les Suisses qui ont excellé furent presque tous, à des
1122
itres divers, hommes utiles au sens le plus noble
et
penseurs engagés dans une communauté (qui souvent dépassait leur pays
1123
randes affaires publiques à l’échelle de l’Europe
et
du monde, théologiens ou pédagogues, savants du premier rang mais qui
1124
rands dons aux yeux de leur conscience helvétique
et
de leur peuple. Point de spéculation sur l’Être en soi, mais seuleme
1125
soi, mais seulement sur les relations entre Dieu
et
l’individu, entre l’individu et la communauté, entre les hommes, entr
1126
ations entre Dieu et l’individu, entre l’individu
et
la communauté, entre les hommes, entre les peuples et nations, entre
1127
a communauté, entre les hommes, entre les peuples
et
nations, entre des entités moralement définies. Le salut de l’homme o
1128
ses. Il est possible que le plus grand théologien
et
le plus grand psychologue de ce siècle, jusqu’ici, soient deux Suisse
1129
ècle, jusqu’ici, soient deux Suisses : Karl Barth
et
C. G. Jung. En eux la Suisse excelle et se dépasse, mais dans le seul
1130
arl Barth et C. G. Jung. En eux la Suisse excelle
et
se dépasse, mais dans le seul sens qu’elle ait jamais voulu se permet
1131
amais voulu se permettre : celui de la cure d’âme
et
d’esprit, et non de la spéculation abstraite. Tous deux fils de paste
1132
e permettre : celui de la cure d’âme et d’esprit,
et
non de la spéculation abstraite. Tous deux fils de pasteurs bâlois, d
1133
ous deux fils de pasteurs bâlois, de haute taille
et
de robuste carrure, fumeurs de pipe et d’humeur malicieuse, et pas du
1134
ute taille et de robuste carrure, fumeurs de pipe
et
d’humeur malicieuse, et pas du tout « intellectuels » ni par l’allure
1135
carrure, fumeurs de pipe et d’humeur malicieuse,
et
pas du tout « intellectuels » ni par l’allure ni dans l’abord humain
1136
leurs tout les oppose. Jeune pasteur en Argovie,
et
socialiste combatif, Karl Barth publie un commentaire sur l’Épître au
1137
, mais ses complices dans l’Église. On l’expulse.
Et
dès lors, revenu à Bâle, il édifie une Dogmatique de l’Église qui est
1138
ise qui est le monument théologique le plus hardi
et
dur d’arêtes de l’ère moderne. On n’avait pas été moins conformiste d
1139
aire après un siècle de libéralisme, plus humaine
et
plus réaliste après un siècle de formalisme puritain et sentimental,
1140
s réaliste après un siècle de formalisme puritain
et
sentimental, ne s’était élevée dans les Églises en retraite devant le
1141
», s’élève sans relâche contre la guerre froide,
et
se voit accusé de neutralisme par les bourgeois anticommunistes. Zwin
1142
es. Zwinglien par sa méfiance à l’égard des rites
et
de toute religion spontanée, luthérien par sa doctrine de la grâce ma
1143
ieu » en l’homme, calviniste par son sens civique
et
communautaire, mais kierkegaardien par son affirmation d’un Dieu tota
1144
en par son affirmation d’un Dieu totaliter aliter
et
sans commune mesure avec les intérêts de la tribu, essentiellement pr
1145
entiellement protestant par sa dialectique du oui
et
du non sans nuances, et par sa rhétorique du « tout cela et rien que
1146
par sa dialectique du oui et du non sans nuances,
et
par sa rhétorique du « tout cela et rien que cela » (qu’il a puisée d
1147
sans nuances, et par sa rhétorique du « tout cela
et
rien que cela » (qu’il a puisée dans saint Paul), il est le seul théo
1148
glises protestantes, en Amérique comme en Europe,
et
que les docteurs de Rome respectent et commentent. Carl Gustav Jung,
1149
en Europe, et que les docteurs de Rome respectent
et
commentent. Carl Gustav Jung, dans le même temps (après sa rupture a
1150
chologiques, ethnographiques, évolutives, en deçà
et
au-delà de toute dogmatique. Alors que Barth veut définir ce qui est
1151
amener l’individu à l’obéissance au Dieu biblique
et
transcendant du dogme, l’autre à l’appropriation personnelle de réali
1152
, collectives (qu’on lui reproche de mal définir)
et
qu’il a détectées dans la grande nuit des âges. Autant Barth refuse l
1153
ait donc plus proche du comportement intellectuel
et
spirituel des Églises romaine et grecque — il connaît et il redécouvr
1154
ent intellectuel et spirituel des Églises romaine
et
grecque — il connaît et il redécouvre la valeur des rites et des symb
1155
ituel des Églises romaine et grecque — il connaît
et
il redécouvre la valeur des rites et des symboles et il est tout le c
1156
— il connaît et il redécouvre la valeur des rites
et
des symboles et il est tout le contraire d’un iconoclaste — mais quan
1157
il redécouvre la valeur des rites et des symboles
et
il est tout le contraire d’un iconoclaste — mais quand il déclare, da
1158
tion archétypique, donc d’une réalité de l’âme, —
et
c’est précisément dans la mesure où ils seraient un mythe fixé que Ba
1159
ntre ces deux hommes n’était même pas concevable,
et
de fait il n’a pas eu lieu. Leurs disciples (pasteurs et théologiens
1160
ait il n’a pas eu lieu. Leurs disciples (pasteurs
et
théologiens d’un côté, médecins psychiatres et philosophes des religi
1161
rs et théologiens d’un côté, médecins psychiatres
et
philosophes des religions de l’autre) coexistent sans se rencontrer,
1162
igions de l’autre) coexistent sans se rencontrer,
et
aucune tentative d’intégration ou de synthèse même très partielle n’a
1163
e démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe
et
du style, libre de tout souci d’application « morale », leur eussent
1164
seraient guère pensables hors du complexe suisse.
Et
c’est à eux que la Suisse, en retour, doit une densité de conscience
1165
S’expatrier. — Les acheteurs de pendules à coucou
et
de montres miniaturisées ignorent en général que le plus grand dôme d
1166
eux ponts les plus longs du monde, le Golden Gate
et
le Washington Bridge, Les Tessinois Maderno et Fontana, le Romand Le
1167
te et le Washington Bridge, Les Tessinois Maderno
et
Fontana, le Romand Le Corbusier, l’Alémanique Othmar Ammann, autant d
1168
ivresse des sommets. L’intuition de la grandeur.
Et
plus d’obstacles devant la pensée. Le Suisse s’appelle Jean-Jacques.
1169
domaine, Karl Barth. Son canton — ou l’Europe. »
Et
il est vrai que nos meilleurs esprits, hors de l’étroit compartiment
1170
, iront chercher dans les vertiges de la synthèse
et
dans les larges vues panoramiques les grandes dimensions qui leur man
1171
énédict de Saussure que ces hommes s’illustrèrent
et
apprirent à voir grand, c’est en s’expatriant pour se réaliser au sei
1172
natal de Schwyz, Euler vécut dans les Allemagnes
et
à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne et à Berlin, Jean-Jacque
1173
s et à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne
et
à Berlin, Jean-Jacques, Mme de Staël et Constant à Paris. Quant à un
1174
à Vienne et à Berlin, Jean-Jacques, Mme de Staël
et
Constant à Paris. Quant à un Jung, à un Ramuz, à un Barth, qui, après
1175
en Suisse, ce n’est pas la Suisse qui a découvert
et
propagé leur nom dans le monde ; c’est au contraire de l’étranger, de
1176
s ancêtres de mon père, dont pourtant les parents
et
trois des grands-parents étaient de Neuchâtel, je trouve 32 Neuchâtel
1177
s étaient de Neuchâtel, je trouve 32 Neuchâtelois
et
32 Européens surtout Français, mais pas un seul Suisse d’un autre can
1178
I, i, 6, 3. 25. Synthèse des sciences médicales
et
d’une écologie européenne avant la lettre : Paracelse. Théorie généra
1179
Jung. j. Rougemont Denis de, « Le Suisse moyen
et
quelques autres », La Revue de Paris, Paris, mai 1965, p. 53-64. k.
1180
s engagés après un siècle ? Celle des fédérations
et
de l’harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance des particulari
1181
tionaux ? Je répondrai : dans les deux à la fois,
et
cela n’est pas contradictoire. Un phénomène très général de convergen
1182
on continentale qui créent le Conseil de l’Europe
et
le Marché commun, puis leurs contreparties plus ou moins réussies dan
1183
mmuniste COMECON, dans le monde arabe, en Afrique
et
en Amérique latine, cependant qu’une volonté d’union mondiale anime l
1184
volonté d’union mondiale anime les Nations unies
et
l’Unesco, le Conseil œcuménique des Églises et Vatican II. Simultaném
1185
es et l’Unesco, le Conseil œcuménique des Églises
et
Vatican II. Simultanément, mais en sens inverse, un phénomène tout au
1186
éral d’affirmation des diversités, des autonomies
et
des volontés d’indépendance, inspire les mouvements de résurgences co
1187
ments de résurgences communalistes, régionalistes
et
nationalistes, qu’on voit partout en plein essor, qu’il s’agisse de N
1188
outumes, ou des nécessités économiques nouvelles,
et
qui enfièvrent tour à tour la Bretagne, les Flandres ou le Pays basqu
1189
ne, les Flandres ou le Pays basque. Convergences
et
diversification, exigence simultanée de plus grandes unions supranati
1190
simultanée de plus grandes unions supranationales
et
de plus petites unités infranationales, solidarités et autonomies : c
1191
plus petites unités infranationales, solidarités
et
autonomies : ces deux mouvements contraires se prononcent en même tem
1192
même temps, résultent en partie des mêmes causes,
et
entraînent des effets complémentaires, j’entends le dépassement de l’
1193
épassement de l’État-nation à la fois par en haut
et
par en bas, d’une part, vers des fédérations continentales et, d’autr
1194
s, d’une part, vers des fédérations continentales
et
, d’autre part, vers un fédéralisme régional. La victime de ce double
1195
l’État-nation, tel qu’il est né de la Révolution
et
du Premier Empire, produit de la confiscation d’une mystique — la nat
1196
tique — la nation — par un appareil administratif
et
policier — l’État. Un État plus ou moins nationalisé ou une nation ét
1197
ance, bientôt imitée par presque toute l’Europe —
et
au xxe siècle, par une centaine de nations nouvelles. Centralisé, at
1198
entaine de nations nouvelles. Centralisé, atomisé
et
trituré par les dynamismes contraires du xxe siècle, l’État-nation e
1199
’Histoire nous l’ont laissé, à la fois trop petit
et
grand. Il est trop petit pour assurer ce qu’on persiste à nommer son
1200
surer ce qu’on persiste à nommer son indépendance
et
sa souveraineté absolue : car nul pays de notre Europe n’est plus en
1201
se nourrir seul, au spirituel comme au physique.
Et
en même temps presque tous nos États centralisés — dans la mesure mêm
1202
p grands pour animer la vie économique culturelle
et
surtout civique de leurs régions : celles-ci se sentent exploitées pa
1203
xploitées par l’État, ses bureaux ou sa capitale,
et
les accusent de colonialisme. Il est certain que la prétention à une
1204
re soutenue à la rigueur que par la Chine, l’URSS
et
surtout les USA, s’ils acceptaient toutefois d’en payer le prix, lequ
1205
e que ce double mouvement de convergence mondiale
et
de diversification locale ne mette en crise permanente. 855 votes en
1206
aux dernières élections, des autonomistes gallois
et
écossais. Agitation basque et catalane, sourde mais profonde. Plastic
1207
utonomistes gallois et écossais. Agitation basque
et
catalane, sourde mais profonde. Plasticages à Saint-Brieuc, dans le T
1208
s à Saint-Brieuc, dans le Tyrol du Sud, à Louvain
et
dans le Jura bernois. Mais en même temps, multiplication des jumelage
1209
de la Regio Basiliensis, unions professionnelles
et
industrielles tendant dévaloriser les frontières… À tous les coups, c
1210
l ne correspond plus ni aux conditions de liberté
et
de participation civique, apanage des communautés ou cités libres, co
1211
i aux conditions de développement, de rentabilité
et
de sécurité, auxquelles ne peuvent répondre que de grands espaces éco
1212
onomiques constitués à la mesure des possibilités
et
des besoins de l’ère scientifico-technique. Cet échec de la politique
1213
hnique. Cet échec de la politique centralisatrice
et
unitaire, secrètement obsédée par un rêve d’autarcie, et cette mise e
1214
aire, secrètement obsédée par un rêve d’autarcie,
et
cette mise en question, voire en accusation, de la formule stato-nati
1215
donc une première réponse : oui, nous sommes bel
et
bien au seuil d’une ère potentiellement fédéraliste. Peut-on dire plu
1216
is ils regroupent 40 % de la population du globe,
et
il est frappant de constater qu’on trouve parmi eux les plus grands É
1217
rmi eux les plus grands États des cinq continents
et
les plus modernes — ainsi les États-Unis, le Mexique et le Brésil pou
1218
plus modernes — ainsi les États-Unis, le Mexique
et
le Brésil pour les trois Amériques, le Nigéria en Afrique, l’Allemagn
1219
en Afrique, l’Allemagne pour l’Europe de l’Ouest
et
la Yougoslavie pour celle de l’Est, et au-delà, l’URSS, l’Inde et l’A
1220
de l’Ouest et la Yougoslavie pour celle de l’Est,
et
au-delà, l’URSS, l’Inde et l’Australie. Voilà qui réfute le cliché du
1221
e pour celle de l’Est, et au-delà, l’URSS, l’Inde
et
l’Australie. Voilà qui réfute le cliché du fédéralisme « désuet ». Ma
1222
la double exigence antinomique de la convergence
et
de la diversification n’est pas tellement mieux satisfaite dans ces t
1223
ires : en URSS, ce sont les autonomies régionales
et
les diversités religieuses et politiques qui sont opprimées par l’Éta
1224
tonomies régionales et les diversités religieuses
et
politiques qui sont opprimées par l’État central dont un Parti unique
1225
îner par des mouvements de convergence européenne
et
mondiale, même s’ils disent s’inspirer du propre exemple de la fédéra
1226
on est en droit d’incriminer que sa trahison pure
et
simple, ou son usage mal compris, ou son blocage délibéré aux limites
1227
du fédéralisme, mais d’un défaut de fédéralisme.
Et
l’on est en droit de penser que l’application correcte de la méthode
1228
tablirait bientôt ce double mouvement de diastole
et
de systole, vers des autonomies plus locales et vers des unions plus
1229
e et de systole, vers des autonomies plus locales
et
vers des unions plus vastes, qui est le battement même du cœur d’un r
1230
ttribué aux girondins de rompre l’unité nationale
et
de transformer la France en une fédération de petits États. » Pour le
1231
’agit d’un système qui est bon pour les sauvages,
et
qui semble n’avoir été préconisé que par des traîtres à la République
1232
de Proudhon. Depuis lors, les centaines d’études
et
de gros volumes parus sur le sujet auraient dû suffire, semble-t-il,
1233
il, à clarifier un terme que le problème européen
et
nos situations nationales nous amènent à utiliser quotidiennement. Ma
1234
isme reste d’être un concept dialectique, ambigu,
et
qui autorise — ou incite en tout cas — aux plus invraisemblables pata
1235
ation intégrale, sans respect pour les diversités
et
les autonomies des pays membres, c’est-à-dire très exactement le cont
1236
ttitude de suspicion envers tout pouvoir central,
et
à la défense ombrageuse des autonomies locales ou régionales. C’est a
1237
s. C’est ainsi qu’un illustre homme d’État belge,
et
grand Européen, écrivait récemment : « Ce n’est pas dans le fédéralis
1238
, ni cela, mais la coexistence en tension de ceci
et
de cela, il semble que le danger d’interprétations partielles, donc r
1239
de l’Europe est l’entreprise capitale de siècle,
et
s’il est vraisemblable que cette union sera fédérale ou ne sera pas,
1240
entraînent en fait les malentendus que j’ai dits,
et
par suite l’importance pratique de tout effort de clarification des c
1241
ffort de clarification des concepts de fédération
et
de fédéralisme. Pour ma part, je voudrais maintenant proposer quelque
1242
raines choisies dans les domaines les plus variés
et
les moins politiques au sens étroit du mot. ⁂ Tout d’abord, trois déf
1243
tés humaines antinomiques mais également valables
et
vitales, de telle sorte que la solution ne puisse être cherchée, ni d
1244
ulement dans une création qui englobe, satisfasse
et
transcende les exigences de l’un et de l’autre. J’appellerai donc sol
1245
e, satisfasse et transcende les exigences de l’un
et
de l’autre. J’appellerai donc solution fédéraliste toute solution qui
1246
le langage de la théorie des jeux de von Neumann
et
Morgenstern, qu’il s’agit de déterminer l’optimum en lequel se concil
1247
ient deux maxima contradictoires, — comme l’offre
et
la demande dans un prix.) L’ensemble des problèmes et des solutions a
1248
a demande dans un prix.) L’ensemble des problèmes
et
des solutions ainsi définis constitue ce que je nommerai la politique
1249
quel type d’homme correspond une telle politique,
et
quel type d’homme elle entend préparer ou éduquer, constatons qu’elle
1250
iens au sujet de l’antinomie fondamentale de l’Un
et
du Divers, ou encore de la permanence et du changement. Parallèlement
1251
de l’Un et du Divers, ou encore de la permanence
et
du changement. Parallèlement se constituaient les premières définitio
1252
s définitions de l’homme comme individu distinct,
et
de la cité ou auto-nomie (littéralement auto-réglage) comme cellule d
1253
nt auto-réglage) comme cellule de base des ligues
et
fédérations. Voilà qui est proprement occidental : devant ce même pro
1254
ment occidental : devant ce même problème de l’Un
et
du divers, les métaphysiques orientales prennent le parti de supprime
1255
équilibre neutre, mais bien en tension créatrice,
et
c’est le succès de cet effort toujours renouvelé toujours menacé, qui
1256
thétiques ou politiques. Ce qui s’oppose coopère,
et
de la lutte des contraires procède la plus belle harmonie, dit un fra
1257
monie, dit un fragment célèbre d’Héraclite. L’art
et
la science de cette mise en tension, de cette composition de réalités
1258
, voilà je crois ce qui définit l’apport original
et
spécifique de la pensée occidentale ; or cette définition vaut égalem
1259
occidentale ; or cette définition vaut également
et
intégralement pour le fédéralisme, du moins tel que je l’entends, apr
1260
grands siècles avec sa dialectique de l’individu
et
de la cité, conciliée dans la notion de citoyen. Mais le moment cruci
1261
écifiquement occidentale vers l’approfondissement
et
l’expansion du modèle des contraires en tension créatrice, nous le tr
1262
puis à Chalcédoine, plusieurs centaines d’évêques
et
de docteurs se mettent d’accord pour définir en grec la nature à la f
1263
rd pour définir en grec la nature à la foi triple
et
une du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une
1264
nature à la foi triple et une du Dieu Père, Fils
et
Saint-Esprit, et la personne à la fois une et double de Jésus-Christ.
1265
triple et une du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit,
et
la personne à la fois une et double de Jésus-Christ. Et ils écrivent
1266
ils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une
et
double de Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seul e
1267
personne à la fois une et double de Jésus-Christ.
Et
ils écrivent : « Nous enseignons un seul et même Seigneur Jésus-Chris
1268
rist. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seul
et
même Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme… fils unique en d
1269
un seul et même Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu
et
vrai homme… fils unique en deux natures, sans confusion (ni) séparati
1270
tance de ces énoncés, je retiens que leurs formes
et
structures posent un certain type de relations, posent donc une socié
1271
ertain type de relations, posent donc une société
et
une politique. De même que le modèle trinitaire des conciles sera uti
1272
sé par Kepler dans ses spéculations sur le cercle
et
leurs applications à l’astronomie, ou par Hegel dans sa dialectique t
1273
onomie, ou par Hegel dans sa dialectique ternaire
et
ses applications au devenir historico-politique — source principale d
1274
nce des deux natures sans confusion ni séparation
et
de l’union qui loin de supprimer la différence des natures sauvegarde
1275
tous les penseurs occidentaux respectueux du réel
et
des conditions de la vie, qui sont : antinomies, oppositions, lutte d
1276
dialectiques, à Pascal, Kierkegaard ou Nietzsche,
et
aux doctrinaires politiques comme Rousseau, Tocqueville et Proudhon,
1277
ctrinaires politiques comme Rousseau, Tocqueville
et
Proudhon, mais aussi aux écoles récentes de physiciens et de logicien
1278
hon, mais aussi aux écoles récentes de physiciens
et
de logiciens pour lesquels la complémentarité de phénomènes, définis
1279
des dogmes relatifs aux trois Personnes divines,
et
surtout à la deuxième, va nous servir de module. La personne humaine,
1280
sidéré dans sa double réalité d’individu distinct
et
de citoyen engagé dans la société. Pourvu de libertés mais de respons
1281
vu de libertés mais de responsabilités, solitaire
et
solidaire (selon le mot de Victor Hugo repris par Camus), distingué d
1282
se constitue dans la dialectique des contraires.
Et
ce caractère va se transmettre à tous les groupes qu’il formera avec
1283
es devront être, à leur tour, à la fois autonomes
et
solidaires : pour eux aussi, l’un n’ira pas sans l’autre, bien mieux
1284
ndispensables l’une à l’autre : la spécialisation
et
la culture générale. 2. Les problèmes actuels de l’habitat et de l’ur
1285
e générale. 2. Les problèmes actuels de l’habitat
et
de l’urbanisme résultent de la croissante difficulté de satisfaire le
1286
frustrées dans les grands ensembles, de solitude
et
de sociabilité, de recueillement et de communication avec les autres.
1287
, de solitude et de sociabilité, de recueillement
et
de communication avec les autres. 3. Au niveau de la vie civique et p
1288
n avec les autres. 3. Au niveau de la vie civique
et
politique, tout le problème revient à concilier les besoins contraire
1289
besoins contraires mais vitaux d’autonomie locale
et
de grands espaces communs, de participation efficace à la vie d’un gr
1290
rticipation efficace à la vie d’un groupe concret
et
d’horizons ouverts, d’adhésion à des communautés plus vastes, de cadr
1291
s vastes, de cadres qui rassurent, d’enracinement
et
de mobilité… La situation de l’homme qui veut à la fois sa vie privée
1292
ation de l’homme qui veut à la fois sa vie privée
et
une vie sociale est homologue à la situation de la région qui veut à
1293
ion de la région qui veut à la fois son autonomie
et
sa participation à un plus grand ensemble, en association. 4. Enfin,
1294
res au sein de l’Être même de l’Universel, source
et
fin de toute communauté. Dans tous ces domaines d’existence, quels se
1295
ctoires de la vie, comme la liberté des personnes
et
la force de la communauté ? L’analyse fédéraliste d’une situation par
1296
s dimensions optima de l’aire d’exécution requise
et
elle le fait en fonction des trois facteurs suivants : possibilités d
1297
nière étape : une fois déterminée cette dimension
et
l’unité correspondante (communale, régionale, nationale, continentale
1298
talitaire. De plus, les aires d’opération peuvent
et
doivent différer selon les tâches, j’entends selon qu’elles intéresse
1299
les ordinateurs, c’est-à-dire le respect du réel
et
de ses infinies complexités enfin rendu possible par la technique mod
1300
ministration soit facile, mais qu’elle soit juste
et
éclairée.) Nous allons voir, enfin, que nos critères d’évaluation des
1301
fin, que nos critères d’évaluation des dimensions
et
d’attribution des niveaux décisionnels — la participation, l’efficaci
1302
aux décisionnels — la participation, l’efficacité
et
l’économie des moyens — sont en interdépendance générale. Prenons l’e
1303
à bon marché, trop serré avec d’autres chez soi,
et
qui voudrait être enfin seul, sort et se mêle à la foule anonyme… Mai
1304
s chez soi, et qui voudrait être enfin seul, sort
et
se mêle à la foule anonyme… Mais c’est une mauvaise solitude, née de
1305
sisterait à recréer les conditions de communauté,
et
tout d’abord certaines dimensions et structures architecturales : des
1306
communauté, et tout d’abord certaines dimensions
et
structures architecturales : des unités d’habitation de 5000 à 25 000
1307
es verts mais de rues réservées aux seuls piétons
et
d’une place remplissant la fonction de l’agora ou du forum dans la ci
1308
es, d’intrigues, de flirts, de criée des journaux
et
de manifestations. La possibilité physique et morale de participation
1309
aux et de manifestations. La possibilité physique
et
morale de participation à la vie communale dépend de tels aménagement
1310
conflits actuels dans l’université, en tous pays
et
tous régimes politico-économiques. Ils ont pour motif profond l’antin
1311
ie entre la culture générale au sens traditionnel
et
l’acquisition d’un savoir professionnel souvent d’autant plus rentabl
1312
robatie toute participation réelle à la recherche
et
compromet l’efficacité de l’enseignement. Remède fédéraliste : commen
1313
des possibilités de recherches très spécialisées
et
de travail interdisciplinaire. L’analyse conduit à souhaiter l’adopti
1314
fédération de ces petites unités en départements,
et
je retrouve ici les solutions préconisées lors du fameux colloque de
1315
rd, municipale. C’est au niveau de la vie civique
et
politique — c’est le même mot, selon l’étymologie — que nous allons e
1316
s (telles que la défense, les affaires étrangères
et
la politique économique, ou certaines recherches scientifiques) sans
1317
s scientifiques) sans léser les droits essentiels
et
l’autonomie des unités de base ? Comment devenir assez grand pour êtr
1318
oportionnées à la puissance que l’on veut obtenir
et
en même temps multiplier les petites unités de base, de manière à mai
1319
ilités de participation civiques, intellectuelles
et
affectives. C’est dans ce double dynamisme créateur d’unions plus vas
1320
igences de l’habitat, de la formation des esprits
et
de l’exercice du civisme, c’est dans cette dialectique concrète que s
1321
ase de la future fédération continentale, en lieu
et
place des États-nations constitués au xixe siècle. On s’aperçoit alo
1322
tionnelle dénommée État ne suffit pas à qualifier
et
moins encore à épuiser »… Et il ajoutait : « Le fédéralisme est autre
1323
ffit pas à qualifier et moins encore à épuiser »…
Et
il ajoutait : « Le fédéralisme est autre chose qu’une simple recette
1324
s grands types d’aménagement du rapport politique
et
peut-être plus encore, un des grands styles de vie et de civilisation
1325
eut-être plus encore, un des grands styles de vie
et
de civilisation, capable, au même titre que le libéralisme, le social
1326
la démocratie, d’alimenter la pensée des sociétés
et
de dicter aux hommes ces “images de comportement” dont Bertrand de Jo
1327
is loin aussi des définitions étroitement légales
et
constitutionnelles du xixe . Nous voici sur le seuil de l’ère des gra
1328
us voici sur le seuil de l’ère des grandes unions
et
des petites unités fonctionnelles, et l’on va peut-être trouver, dans
1329
ndes unions et des petites unités fonctionnelles,
et
l’on va peut-être trouver, dans les techniques avancées, le moyen de
1330
l des éléments particuliers — demeurant distincts
et
reconnaissables — dont se compose la fédération. Il est une symbiose
1331
disparition des spécificités. » 27. H. Brugmans
et
P. Duclos, Le Fédéralisme contemporain, Paris, 1963, p. 151. l. Rou
1332
dans la Gazette de Lausanne (version partielle),
et
en décembre 1964 dans le Bulletin du Centre européen de la culture (