1 1937, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Paysans de l’Ouest (15 juin 1937)
1 ts du village réunis, leur façon d’être ensemble, et surtout la jeunesse, d’ordinaire invisible, au point que je doutais m
2 t sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très épais de c
3 e gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très épais de corps. Nous étions assis derrière eux. Au fond, sur deu
4 es. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et des enfants autour du trépied de l’appareil, empressés à tendre les b
5 en aperçoit, attrape la puce en pinçant la fille, et les rires redoublent. L’instituteur réclame le silence, et la project
6 res redoublent. L’instituteur réclame le silence, et la projection commence. C’est un film d’avant-guerre, la Course au fl
7 inée, on rallume. L’instituteur monte à sa chaire et annonce qu’il va prononcer, comme chaque semaine désormais, un petit
8 bref ! » C’est un jeune homme d’allure énergique et de visage intelligent, la chevelure noire en bataille qu’il saisit à
9 ue le curé répand sur son compte, dans les foyers et jusque dans la presse1 ! « Je n’ai pas cherché la guerre, moi ! Eh bi
10 a guerre, moi ! Eh bien ! je saurai me défendre ! Et malgré les persécutions de ceux qui ont intérêt à étouffer la vérité,
11 laïcité. « Être laïque, c’est vouloir la justice et l’égalité pour tous ! Être laïque, c’est vouloir l’instruction libre
12  ! Être laïque, c’est vouloir l’instruction libre et gratuite pour tous, sans distinction de fortune ou de religion ! Être
13 , selon les paroles de Gambetta, d’Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est finalement « aimer son prochai
14 ’orateur, au comble de son éloquence, s’écrie : «  Et , mes frères ! si l’on vient encore vous dire que je suis un empoisonn
15 d’une conférence contradictoire à A… : « La Bible et les travailleurs. » C’est sans doute une réponse à la conférence donn
16 , sous les auspices d’une ligue « antifasciste », et qui avait pour sujet : « L’Église contre les travailleurs. » Je compt
17 rence. Mais le village d’A… est à huit kilomètres et la tempête m’avait empêché d’y aller à bicyclette. J’essaierai d’alle
18 93 ans. Il s’était converti à soixante-dix ans «  et il avait toujours tenu ! » Catholique, antifasciste, laïque, protesta
19 e sont pas même tous capables de lire le journal, et j’ai remarqué qu’ils achètent absolument au hasard ceux qu’ils trouve
20 a mairie, voûtée, peinte en bleu clair. Une table et trois chaises sur la scène surélevée. Environ une centaine d’auditeur
21 levée. Environ une centaine d’auditeurs : paysans et pêcheurs, cela se voit. Au premier rang, deux « dames », l’une très v
22 sur la scène : un homme jeune encore, un peu gros et lent d’allure, physionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien, messieurs
23 un peu gros et lent d’allure, physionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien, messieurs et chers amis, nous allons procéder, s
24 ionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien, messieurs et chers amis, nous allons procéder, selon votre coutume, à l’élection d
25 a scène, enlèvent leur casquette à visière cirée, et s’installent sur les trois chaises, un tout à droite, un tout à gauch
26 s de la salle. Le président se lève : « Messieurs et dames, vous m’excuserez de ne pas vous présenter l’orateur qui va vou
27 à A…, mais certainement qu’il va nous intéresser, et je lui donne la parole. » M. Palut sourit cordialement, et parle : —
28 donne la parole. » M. Palut sourit cordialement, et parle : — On a dit ici même que l’Église est contre les travailleurs.
29 ailleurs. Est-ce vrai ? Il y a plusieurs églises, et malheureusement elles ne s’entendent pas toujours. La primitive églis
30 rimitive église était constituée par des esclaves et des gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de riches. Elles
31 écrivains, les professeurs, des hommes distingués et très instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtres et des pasteurs qui
32 très instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtres et des pasteurs qui ont trahi. Capitalisme, bourgeoisie égoïste, guerre.
33 rrassé. Enfin un type se lève au fond de la salle et demande « s’il n’y a pas des contradictions dans la Bible ». Suit une
34 ». Suit une petite discussion tout à fait confuse et sans aucun rapport avec le sujet. Il n’y a pas d’autre question. Le p
35 is assure qu’il a été bien intéressé. On se lève, et les langues se délient. « Il a bien parlé, hein ? », me dit mon voisi
36 environ 35 ans, l’air intelligent. Je l’approuve et m’étonne que la discussion n’ait pas été plus longue : il y avait pou
37 comme ça… » Je vais me présenter au conférencier, et nous sortons ensemble. Dans la rue noire, un homme nous rejoint : c’e
38 en soit, le pasteur note le nom du « président » et promet de lui envoyer un Nouveau Testament. Nous faisons les cent pas
39 ette soirée… Je le regarde. C’est un homme simple et solide, on peut lui parler en camarade : — Eh bien ! si vous voulez m
40 ont écouté les autres qui disaient le contraire, et pas moyen de savoir avec qui ils sont d’accord. Il ne faut pas oublie
41 nous vivons à une époque de propagande forcenée, et je vous assure qu’un communiste, par exemple, les aurait attaqués plu
42 c, il y a plus de six ans que je suis dans l’île, et je n’avais jamais pu parler à A…, à cause du curé qui s’y opposait pa
43 Ce soir, il s’agissait de gagner leur confiance, et ensuite on verra si on peut aller plus loin. — Mais ne croyez-vous pa
44 ils vous remercient, on croit qu’ils ont compris, et puis un beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et rien ! Et pourtant
45 t puis un beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et rien ! Et pourtant il faut bien continuer, même si on a envie de tout
46 beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et rien ! Et pourtant il faut bien continuer, même si on a envie de tout plaquer,
47 fficulté de s’exprimer ? Tout est mystère en eux, et pour eux-mêmes sans doute. Et on dit « le peuple », la volonté du peu
48 est mystère en eux, et pour eux-mêmes sans doute. Et on dit « le peuple », la volonté du peuple, comme si on ne les avait
49 ou jamais aimés ! Là-dessus, quantité de pensées et de conclusions qui m’ont paru évidentes et importantes. On se sent ré
50 ensées et de conclusions qui m’ont paru évidentes et importantes. On se sent réfléchir avec une énergie particulière en pé
51 livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans cette espèce, mais ce n’est point pour c
52 ’en parle ici. C’est pour une raison très précise et qui n’a rien à voir avec la critique littéraire. À la page 43 de l’éd
53 ’air malade. Le lendemain nous le trouvions mort. Et je l’avais oublié là, sans sépulture, caché sous des feuillages bruni
54 conclusion qui la dépasse d’ailleurs notablement et qui me paraît assez frappante. Voici : pour la première fois depuis j
55 , des modes d’emploi, des descriptions objectives et utilisables ; et ceci à tous les degrés de la réalité, dans les grand
56 loi, des descriptions objectives et utilisables ; et ceci à tous les degrés de la réalité, dans les grandes choses comme d
57 tre vraiment inquiets, des indiscrétions gênantes et dont on ne sait trop que faire, ou des doctrines dont ils négligent d
58 questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’est là qu’ils croient voir leur astuce. Astuces, petites secousses,
59 illes tuiles concassées pour recouvrir les routes et les allées de leurs jardins. Et il ajoute : « Dès mon retour à la mai
60 ouvrir les routes et les allées de leurs jardins. Et il ajoute : « Dès mon retour à la maison, j’essaierai cela. La Toscan
61 e un aspect complet, tout y a son fini, tout sert et semble destiné à un noble usage… » Commentons : la noblesse est dans
62 rebattait les oreilles de phrases sur la volonté et la mission du peuple. On a beau se méfier des phrases, il faut se tro
63 e trouver placé soudain devant les êtres en chair et en os dont elles parlent, pour comprendre à quel point elles mentent.
64 s alors on comprend aussi pourquoi elles mentent, et quel immense désir de réveiller le peuple elles traduisent chez certa
65 geois). Il est très difficile d’aimer ces hommes, et cependant ils sont la réalité vivante et présente du « peuple ». Par
66 hommes, et cependant ils sont la réalité vivante et présente du « peuple ». Par contre, il est très facile de haïr et de
67  peuple ». Par contre, il est très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous so
68 ondamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il est très tentant d’appeler cette haine : a
69 e de choses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il est très tentant d’appeler cette haine : amour du peuple. Troisièm
70 ateur dit un tas de choses qu’on ne comprend pas, et cite des noms qu’on ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence.
71 ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloquence est le but du discours, dont le sujet n’est que le prétex
72  » à s’agiter dans le vide — ce qui est malsain — et le peuple à ne pouvoir se libérer des charlataneries politiques autre
73 e c’était correct, parce que ça se tenait en soi, et qu’au surplus c’était bien dit. Il ne lui est pas venu à l’esprit que
74 a vérité est quelque chose qui peut être réalisé. Et qu’il s’agit de prendre position effectivement. S’il s’était senti in
75 ifficulté de s’exprimer, la timidité, la fatigue, et que tout cela peut bien suffire à expliquer le silence de ces cultiva
76 sprit à la constatation de l’exactitude objective et formelle des faits ou des raisonnements que l’on allègue. « Il a rais
77 e devient irresponsable. Les clercs s’y résignent et même s’en vantent : c’est plus commode. Quant au peuple, il y a belle
78 Il y en a certes qui font progresser la science, et cela c’est bien. On va les écouter avec plaisir quand ils viennent fa
79 ain nombre de phrases qu’on lit dans les journaux et qu’on entend dans les assemblées, et grâce auxquelles on reconnaît to
80 les journaux et qu’on entend dans les assemblées, et grâce auxquelles on reconnaît tout de suite si un type est avec les p
81 stion de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne servent à rien. Enfin, les questions de perso
82 onsidération sociale, sait se débrouiller à Paris et peut faire de beaux discours. Dans ces conditions, qu’un intellectuel
83 bien patiemment, s’il a su se rendre sympathique et surtout s’il a l’air « sincère », mais on n’aura jamais l’idée de met
84 Il reste dans son rôle en s’agitant sur l’estrade et en lançant des appels éloquents, et moi je reste dans mon rôle en me
85 sur l’estrade et en lançant des appels éloquents, et moi je reste dans mon rôle en me dirigeant d’après mes intérêts. Cela
86 les hommes sans culture se trompent sur la nature et sur le rôle de la culture. Mais il est inquiétant que les hommes cult
87 qu’elle implique des actes, ils la disqualifient et ils s’en moquent agréablement, ils la réduisent à un ensemble de phra
88 le de phrases correctes, quelquefois ingénieuses, et par définition inefficaces. L’opinion de mon voisin après la conféren
89 nt tout se préoccuper de le prendre là où il est, et commencer là. Voilà le secret de tout secours… Pour aider réellement
90 m’entourent, ce « peuple » qu’il s’agit d’aider, et que je vois encore si mal. (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’ici de m’
91 arcelles minuscules. Sur ces parcelles des hommes et des femmes travaillent, le buste parallèle au sol. Ces deux observati
92 ent en deux images exactes les conditions morales et économiques des habitants de l’île. 1° Division des terres. — J’ai pu
93 tion encore plus gênante au moment de la récolte. Et , bien entendu, cela exclut l’usage des machines agricoles. Pourquoi n
94 l’idéologie rudimentaire qu’on leur a inculquée, et qui n’a que trop bien convenu à leur penchant naturel. Il faudrait do
95 dictature est un moyen grossier, souvent barbare et toujours déshonorant pour ceux qui la subissent, mais c’est le seul m
96 ubissent, mais c’est le seul moyen de transformer et d’animer un peuple auquel on n’a pas su donner le sens civique, le se
97 Mauvais outils. — Revenons au sens précis, limité et terre à terre des usages de l’île. Dès la quarantaine déjà, les homme
98 ges de l’île. Dès la quarantaine déjà, les hommes et les femmes ont tous le corps plus ou moins déjeté. Cela provient évid
99 e leur position quand ils travaillent aux champs. Et cette position provient de la forme de leurs outils. Ils n’utilisent
100 ec la lame, cela suffirait à redresser leur corps et augmenterait le rendement de leurs champs. Intrigué dès les premiers
101 mps. Intrigué dès les premiers jours par l’allure et les façons de travailler si spéciales des gens d’ici, j’ai hésité lon
102 e les mêmes outils ne sont pas bons en tous pays, et je cherchais quelle particularité locale motivait l’usage exclusif de
103 t les outils à long manche qui sont dans le chai, et il a refusé. « On n’a pas l’habitude. » Contre-épreuve : un petit pro
104 t propriétaire venu du continent il y a trois ans et qui utilise des outils ordinaires, me dit qu’il a tout de suite obten
105 u des résultats supérieurs à ceux de ses voisins, et à moindre fatigue. Il y a peut-être d’innombrables petits faits de ce
106 p, se plaignent du mauvais rendement de la terre, et refusent cependant de rien changer à des habitudes dont les défauts s
107 de droite » reflète assez exactement la mentalité et les conversations de la bourgeoisie conservatrice, alors que la press
108 ns populaires. C’est que les journaux socialistes et communistes sont rédigés par des bourgeois, ou par des candidats à la
109 en France, lit trop de journaux, ne lit que cela, et finit par se croire « le Peuple », tel que l’imaginent les bourgeois
110 « le Peuple », tel que l’imaginent les bourgeois et leurs journalistes. Ce n’est pas dans notre île, d’ailleurs, que j’ai
111 eux journaux locaux gardent un ton à la fois naïf et grandiloquent, avec des maladresses et des grosses astuces, qui n’est
112 fois naïf et grandiloquent, avec des maladresses et des grosses astuces, qui n’est pas exactement celui des « discussions
113 ries du curé ou de l’instituteur, mariages, décès et naissances) tiennent presque toute la place. Abîme entre la politique
114 lace. Abîme entre la politique des amis du peuple et la réalité du peuple : rien ne le rend plus sensible que cette différ
115 tre tel organe socialiste ou communiste de Paris, et l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934 Les gens. —
116 pour exposer mes critiques ci-dessus consignées, et mettre en discussion mes projets de réforme. Mais je sais bien ce qui
117 » chez l’un ou l’autre, à quatre ou cinq. On boit et on tape le carton sans beaucoup de paroles. C’est à cela que se rédui
118 sous quand les hommes sont partis pour la guerre, et rien ne s’est refait depuis. Quand on veut danser, on fait venir l’or
119 ns une sorte de corporation boulangers, minotiers et consommateurs. Le pain, la tombe. Deux réalités fondamentales. Voilà
120 st bien dans l’harmonie de cette lande où l’homme et ses maisons mettent les seules verticales. Existence ramenée à ces de
121 dimensions premières. Pour la vie, l’homme debout et actif, il faut le pain. Pour la mort, l’homme qui se recouche, il fau
122 les, rudimentaires. Mais quand je vois ces hommes et ces femmes accrochés à cette terre pauvre, qu’ils grattent lentement
123 ls subsistent. À la fois aux limites du continent et aux limites de l’humanité. Ils n’attaquent plus, ils se cramponnent.
124 n’ont pas à faire face à des menaces extérieures. Et surtout ils n’ont nulle envie d’entreprendre une conquête quelconque,
125 ou entreprise commune, qui rassemble les peuples et les pousse à créer des signes visibles de leur union : assemblées, fê
126 e feraient-ils de tout cela ? Ils ont la liberté, et cela leur suffit, depuis cent-cinquante ans. Ils ne songent pas à en
127 ent mal (légumes, soupes, fruits de mer, seiches, et poissons, je crois que c’est à peu près tout) ; mais pourquoi vivraie
128 on des fous est moindre ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux, et les médecins ne font pas fortune. Quelle conclus
129 re ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux, et les médecins ne font pas fortune. Quelle conclusion tirer de tout cel
130 ion tirer de tout cela ? Quand on voit les choses et les êtres de trop près, on perd le peu de foi que l’on pouvait accord
131 u de foi que l’on pouvait accorder aux idéologies et aux politiciens. Il faut vivre à Paris pour y croire. Réveillez ce pe
132 une vérité absolue, qui vaille mieux que la paix et le bonheur, pour oser bouleverser la petite vie de notre île. À noter
133 r bouleverser la petite vie de notre île. À noter et à souligner : seules les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme d
134 dont le centre est lointain, qui ne croit à rien, et qui par suite ne peut rien exiger de sérieux. Mais il y a d’autres as
135 la question. Le sel ne se vend plus depuis un an, et c’était la ressource principale des villages. Le chef-lieu est en tra
136 lonie de vacances qui défilent en maillots rouges et l’on pousse des « cris séditieux » ; le dimanche suivant, ce sont les
137 ce sont les enfants de la fondation « de droite » et on les applaudit : la fondation fait vivre beaucoup de personnes de l
138 onnes de l’île. La moitié des maisons sont vides, et quelques-unes déjà tombent en ruines. Et surtout ce régime d’inertie
139 t vides, et quelques-unes déjà tombent en ruines. Et surtout ce régime d’inertie laisse trop de forces grandir contre lui 
140 nertie laisse trop de forces grandir contre lui : et alors, qui va venir un beau jour, de Paris, faire la loi dans notre v
141 séries d’observations nouvelles sur la province, et je crois d’autant plus utile de les consigner qu’elles modifient sens
142 ’on se doute à Paris de l’importance des autocars et des transformations qu’ils sont en train de causer dans la vie provin
143 utumes : rien ne pouvait modifier plus rapidement et plus profondément la coutume de la France rurale. Mais ce n’est pas e
144 complètement le mode de contact entre le voyageur et la province. Naguère encore, quand on n’avait que les chemins de fer,
145 it relégué à l’écart de la « vraie » circulation. Et l’on ne voyait guère que des gares, ce qu’il y a de plus attristant d
146 qui l’habitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui
147 e matinale des foires, dans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La sim
148 ans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser
149 précisions concernant l’heure du prochain départ et la destination des diverses voitures qui stationnent sur la place. C’
150 gnie a sa tête de ligne chez un bistro différent, et il est rare qu’on puisse trouver l’horaire ailleurs. Parfois le bistr
151 leurs. Parfois le bistro vend aussi les billets ; et c’est chez lui qu’on attend le départ. Pour peu que l’on manifeste la
152 quelques anecdotes sur l’installation de la ligne et sur la concurrente qui a fait baisser les prix. Car il est de règle q
153 rs économiques du pays, sur les noms des notables et sur le jeu des partis politiques. Et que dire maintenant du voyage lu
154 des notables et sur le jeu des partis politiques. Et que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce
155 ut dispose à romancer ; de conversations absurdes et rapidement intimes, avec ce personnage enfoui à côté de vous dans un
156 ans un luxueux fauteuil de cuir rouge ou bleu vif et qui change de tête plusieurs fois pendant le trajet, de coups de main
157 aquets ou d’un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs accepten
158 veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs acceptent volontiers toutes
159 r confient au départ avec force recommandations ; et ils sont rares, ceux qui n’ont pas deux mots à dire par la portière e
160 . Ce sont, en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire
161 , en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c
162 et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c’est moderne, c’est sportif, cela vous pose dans
163 on se sent maître à bord de sa puissante machine, et l’on bénéficie de ces petites faveurs que les femmes ont toujours acc
164 mmes ont toujours accordées à ceux qui commandent et disposent, ne fût-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien
165 t la bonne humeur, le dynamisme, le sens pratique et la rapidité d’esprit que les bourgeois, qui en sont dépourvus, attrib
166 compter les moyens techniques dont ils disposent et qui seraient décisifs lors d’une action rapide. Mais loin de moi ces
167 ions : ceux qui les ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation q
168 e Taillefer voulait savoir quel était mon métier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écri
169 tier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’
170 en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écria : — Ah ! cher monsieur, je
171 dans la société. Vous avez le temps de réfléchir, et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc
172 réfléchir, et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc, nous qui ne croyons plus aux curés !
173 ns qu’un fonctionnaire (c’était pour le flatter), et cela tient aux circonstances mêmes qui l’ont mis dans le cas d’écrire
174 ou bien l’on écrit ce que l’on ne peut pas faire, et c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’une ambition excessive, deux choses
175 is ; ou bien l’on écrit des choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes
176 ncore l’aveu d’une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; ou bien on écrit simplement pour gagner sa chi
177 on écrit simplement pour gagner sa chienne de vie et c’est le bon moyen de traîner la misère la plus honteuse qui se puiss
178 ute façon, un écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige mê
179 n est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige même de ces gens-là des
180 i suffiraient à rendre heureux les plus indignes, et ingénieux les plus balourds, enfin je ne sais quelle supériorité huma
181 vous donnons, c’est justement ce qui nous manque, et quand vous aurez compris cela, vous cesserez, je le crains, d’envier
182 ait prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupe
183 parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à bicycle
184 inait tout un canton de marécages mélancoliques ; et parfois l’on voyait scintiller, dans un lointain nuageux et sous une
185 l’on voyait scintiller, dans un lointain nuageux et sous une trouée d’or, la mer. La petite salle des cours ruraux peut c
186 ines, sans barrières ni haies, sans chemins creux et sans secrets, où les hommes vivent sans calcul ni prudence, dans la m
187 es vivent sans calcul ni prudence, dans la misère et dans la communion, superstitieux, poètes, bons et fous. Je décrivis l
188 et dans la communion, superstitieux, poètes, bons et fous. Je décrivis les révoltes obscures de ces masses opprimées et na
189 vis les révoltes obscures de ces masses opprimées et naïves, conduites par des équipes d’hommes durs, intellectuels bannis
190 le de Lénine, l’enthousiasme du plan de cinq ans. Et je m’étonnais tout en parlant de raconter une épopée contemporaine :
191 it ici de la mesquinerie hargneuse des polémiques et des partis pris, devenait légendaire, prenait le rythme et les couleu
192 rtis pris, devenait légendaire, prenait le rythme et les couleurs grandioses et irréelles de la page d’histoire. Mensonge
193 ire, prenait le rythme et les couleurs grandioses et irréelles de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la sim
194 es de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la simplification, vérité de la fable qui donne une forme grande à
195 la fable qui donne une forme grande à nos obscurs et grands désirs informulés. En finissant, je craignis un moment de les
196 n garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent et ouvert : « Pensez-vous qu’on pourrait faire la même chose ici ? » Pou
197 ples, que la situation matérielle était meilleure et demandait un développement tout différent ; qu’on voulait surtout, pa
198 qu’on voulait surtout, par ici, garder sa liberté et se gouverner comme on l’entendait. Et je me disais, en l’écoutant : «
199 sa liberté et se gouverner comme on l’entendait. Et je me disais, en l’écoutant : « En voilà un que l’on pourrait sans ho
200 me nous autres. Rêverie des jeunes cultivateurs.) Et quand j’eus terminé ma causerie, évitant de prononcer mon jugement su
201 ceux de l’île : cette série de questions précises et ce désir de rapporter ce que j’avais dit à leur situation concrète. E
202 — Nous étions assis dans sa cuisine avec sa femme et ses deux enfants. C’est un homme de quarante ans, aux traits régulier
203 st un homme de quarante ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de
204 traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nous laisse
205 aire un mouvement politique en dehors des partis, et de voir une fois ce qu’il y aurait à changer pratiquement dans chaque
206 ur oser parler de nouveau une langue large, utile et humaine… Auparavant, ils croyaient comme les autres que c’était plutô
207 veau conformisme pour les libérer de l’ancien ; —  et l’alibi d’une action politique à laquelle ils n’entendent goutte. 1
208 e. L’un est aux mains de M. T…, député de droite, et des « curés ». L’autre est « républicain et antifasciste ». 2. Villa
209 oite, et des « curés ». L’autre est « républicain et antifasciste ». 2. Village à l’autre extrémité de l’île. 3. Combien
210 qu’avec un manche court « on travaille plus vite et plus efficacement qu’avec un manche long, surtout dans un terrain sab
211 e tenu au cours d’un long séjour dans l’île de Ré et en Vendée, ses impressions sur la vie des paysans en général et sur l
212 ses impressions sur la vie des paysans en général et sur leurs aspirations politiques en particulier. Ces aspirations, à l
213 un divorce angoissant entre les réalités humaines et la terminologie et la doctrine politiques. Les pages qu’on va lire, n
214 nt entre les réalités humaines et la terminologie et la doctrine politiques. Les pages qu’on va lire, nourries d’observati
2 1939, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’Âme romantique et le rêve (15 août 1939)
215 L’Âme romantique et le rêve (15 août 1939)c Le recours à l’inconscient, pour expliquer
216 en publiant son gros volume sur L’Âme romantique et le rêve. Livre charmant et capiteux, malgré sa gravité d’ailleurs jam
217 e sur L’Âme romantique et le rêve. Livre charmant et capiteux, malgré sa gravité d’ailleurs jamais sévère ; au point que l
218 actualité, au sens le plus pénétrant de ce terme. Et pourtant, il faut bien le dire : cette révélation du romantisme allem
219 romantisme allemand dans ce qu’il eut d’audacieux et de tragique ne présente pas seulement un intérêt littéraire de tout p
220 re ; elle revêt une portée proprement religieuse. Et par là même — car nous vivons au seuil de l’ère des mystiques collect
221 a submergé notre littérature, depuis la guerre ; et voici que renaît, d’une manière bien frappante, l’intérêt de beaucoup
222 s études mystiques ; voici que se répand l’usage, et même l’abus, du terme de « mystique » dans l’ordre politique ; voici
223 te synthèse de religiosité, de politique, de rêve et de mystique élémentaire. Or, ces faits ne sont pas seulement coïncide
224 idents. Ce n’est point du hasard qu’ils sont nés. Et si tout nous invite à rechercher leur secrète complicité, rien n’est
225 bre où s’émeut leur commune origine. I. Le Rêve et la Mystique La conscience claire est la première conquête spiritue
226 mes angoissés par le mystère d’une nature hostile et mouvante. La parole de raison, qui distingue les choses, les arrête e
227 e de raison, qui distingue les choses, les arrête et les identifie, apparaît comme une délivrance, une victoire sur le cha
228 p complète, lorsqu’elle est devenue trop ancienne et facile, laisse l’homme sur un sentiment de déception et d’indicible a
229 ile, laisse l’homme sur un sentiment de déception et d’indicible appauvrissement. Le monde rationnel est rassurant, mais b
230 s beaucoup de questions y demeurent sans réponse, et des faims ancestrales sans pâture. D’où renaît, peu à peu, une angois
231 vers ces régions de l’être obscur que le bon sens et la philosophie prétendaient mettre au ban de l’humanité. Et tandis qu
232 osophie prétendaient mettre au ban de l’humanité. Et tandis que dans sa panique l’homme primitif s’était tourné vers la ra
233 e de science positiviste. Est-il vrai que la nuit et le rêve n’ont rien à révéler qui importe au jour ? Est-il vrai que la
234 au jour ? Est-il vrai que la passion, l’angoisse et la folie sont moins réelles que nos sagesses tyranniques ? « Songe es
235 Le songe, au contraire, nous propose des paradis et des terreurs d’une intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’ent
236 on avec une autre réalité, plus vaste, antérieure et supérieure à la vie individuelle. » Mais quelle est cette réalité ? N
237 en nous-mêmes, en nous détournant des apparences, et plus nous pénétrons dans la nature des choses qui sont hors de nous »
238 ? » Déjà E. T. A. Hoffmann insinue la réponse : «  Et si un principe spirituel étranger à nous-mêmes était le mobile de ces
239 la traverse de nos idées d’une manière si brusque et si saisissante ? » De là à penser que le rêve est « un vestige du div
240 oxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxler esquive non sans adresse la difficulté et le choix : po
241 u. Troxler esquive non sans adresse la difficulté et le choix : pour lui, le rêve est « tantôt un écho du supraterrestre d
242 bien la profonde ambiguïté où naît le romantisme, et dont il vit ! Croire que le rêve ne révèle rien que nos secrets, ce s
243 emandent si le rêve est connaissance ou illusion, et si c’est « l’Autre », ou le moi sombre et son néant, que l’on atteint
244 lusion, et si c’est « l’Autre », ou le moi sombre et son néant, que l’on atteint au fond de l’inconscient, ils formulent l
245 nnent translucides, une nostalgie longtemps déçue et qui s’empare avec avidité des plus furtives promesses de bonheur, sur
246 de bonheur, surtout si elles sont assez obscures et ambiguës pour échapper au froid contrôle de la raison. Toute la poési
247 le rôle de la rhétorique chez les poètes du rêve et les mystiques. Le philosophe G. von Schubert, comme plus tard le poèt
248 xprime ordinairement dans un langage métaphorique et régulier, comme s’il était soumis, en ce domaine, à des lois plus pré
249 t soumis, en ce domaine, à des lois plus précises et plus constantes que celles qui le régissent à l’état de veille. D’aut
250 angage pour traduire l’ineffable qu’ils vivaient. Et ceci nous amène au problème central : celui de l’expression d’un indi
251 rund de Jakob Boehme), dont on ne peut rien dire, et qui cependant est la source de tout ce que l’on dit. C’est l’ineffabl
252 able, l’indicible, le royaume du Silence absolu ; et pourtant — voici le paradoxe —, nous voyons bien que les grands mysti
253 oxe —, nous voyons bien que les grands mystiques, et après eux les romantiques, passent leur vie à en parler, à en écrire,
254 que, si ce n’est un romantique allemand. Car l’un et l’autre ont l’ambition de communiquer par l’écrit ce qu’ils ne cessen
255 s pour exprimer l’inexprimable », dit la sainte ; et le poète : « Mais où trouver des mots pour dépeindre, même faiblement
256 ent, la merveille de la vision qui s’offrit à moi et qui, transformant mon âme, m’entraîna au-devant d’une réalité invisib
257 re même, la source inépuisable, le point originel et fascinant de tout jaillissement du langage, de toute expression litté
258 s mots ? », gémissent-ils. La plainte est sincère et tragique. Mais combien de mots leur fera-t-elle accumuler pour dire q
259 accumuler pour dire que rien ne saurait être dit… Et pourtant si, romantiques et mystiques sont persuadés que, nonobstant
260 ne saurait être dit… Et pourtant si, romantiques et mystiques sont persuadés que, nonobstant leur impuissance à traduire
261 lle d’une conscience passive de l’involontaire. » Et sur cette base, la seconde génération du romantisme va formuler sa fa
262 s qu’on en oublie l’origine mystique : « Le poète et le rêveur sont passifs ; ils écoutent le langage d’une voix qui leur
263 ent le langage d’une voix qui leur est intérieure et pourtant étrangère, qui s’élève dans les profondeurs d’eux-mêmes sans
264 ivité » nous fait comprendre la nature du Silence et de l’indicible dont nous parlaient mystiques et romantiques : c’est l
265 e et de l’indicible dont nous parlaient mystiques et romantiques : c’est la négation et la mort du monde des formes et du
266 ient mystiques et romantiques : c’est la négation et la mort du monde des formes et du langage humain, la négation et la m
267 c’est la négation et la mort du monde des formes et du langage humain, la négation et la mort du divers, du moi distinct
268 onde des formes et du langage humain, la négation et la mort du divers, du moi distinct et agissant. C’est la Nuit des sen
269 la négation et la mort du divers, du moi distinct et agissant. C’est la Nuit des sens et de l’esprit que décrit un Jean de
270 moi distinct et agissant. C’est la Nuit des sens et de l’esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit des songe
271 ns et de l’esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit des songes, chantée par les poètes, n’était que le symbo
272 s, chantée par les poètes, n’était que le symbole et le signe physique6. C’est « le royaume de l’Être qui se confond avec
273 ec le royaume du Néant, l’éternité enfin conquise et dont la plénitude ne peut humainement s’exprimer que par l’image de l
274 créature, de toute forme. » Car nous ne percevons et n’exprimons que le divers et le distinct, ce qui a pris forme ; tout
275 ar nous ne percevons et n’exprimons que le divers et le distinct, ce qui a pris forme ; tout ce que notre conscience a sép
276  ; tout ce que notre conscience a séparé du Tout. Et c’est cela qui constitue notre réalité de tous les jours. Pour rejoin
277 réalité de tous les jours. Pour rejoindre le Tout et l’Unité, il s’agit donc de perdre le Divers, de perdre le réel, de se
278 La grandeur du romantisme restera d’avoir reconnu et affirmé la profonde ressemblance des états poétiques et des révélatio
279 irmé la profonde ressemblance des états poétiques et des révélations d’ordre religieux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs ir
280 eux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et de s’être dévoué, corps et âme, à la grande nostalgie de l’être en ex
281 pouvoirs irrationnels et de s’être dévoué, corps et âme, à la grande nostalgie de l’être en exil. » II. L’Être en exil
282 naît-il, dans quel souvenir d’une patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait de répondre en alléguant notre double n
283 ndre en alléguant notre double nature, corporelle et spirituelle. Mais d’une constatation si générale, comment passer à l’
284 tz peut nous y aider. Né dans un milieu quiétiste et piétiste, en plein xviiie siècle rationaliste, Moritz fut l’un des t
285 contradiction irrémédiable entre la dure réalité et les désirs profonds du moi. Blessure si cruelle et intime que sa cons
286 t les désirs profonds du moi. Blessure si cruelle et intime que sa conscience en évite le souvenir (ou le refoule comme di
287 une blessure qui déchire tout ce qui vit en lui, et que peut-être lui fit la Vie même. » Non sans lucidité, Moritz a su d
288 la fatalité de l’être individuel, charnel, créé, et lié à toute la création. C’est par lui et à travers lui que la consci
289 , créé, et lié à toute la création. C’est par lui et à travers lui que la conscience perçoit la réalité extérieure ; comme
290 comme lui donc, cette réalité apparaîtra blessée et douloureuse. Se détester revient à détester le monde. L’incapacité d’
291 git d’oublier si l’on ne parvient pas à l’expier. Et en effet, à la faveur de cet oubli, de ce refus, le moi perd peu à pe
292 antiques d’être mal assuré de sa propre identité, et d’avoir à la rechercher précisément dans le passé. Moritz décrit ains
293 arut qu’il s’était échappé entièrement à lui-même et qu’il lui fallait avant toute démarche se rechercher lui-même dans la
294 possible ici-bas, dans la prison du moi coupable et douloureux. Il faudra donc chercher au-delà. Et nous avons vu que le
295 e et douloureux. Il faudra donc chercher au-delà. Et nous avons vu que le rêve, ou la descente au fond de l’inconscient, r
296 sa culpabilité. Mais d’une autre manière encore, et plus précise, le rêve ou la via mystica sont des moyens de récupérer
297 meil préfigure la mort pour le poète romantique ; et la mort progressive à soi-même est l’ambition de tous les vrais mysti
298 tombe vécue dès ici-bas, d’une manière indicible. Et peut-être pourrait-on dire que l’expérience mystique générale ne devi
299 voie des sublimations — sauf peut-être Jean-Paul et Novalis. Ils n’arrivent pas à retrouver dans leur au-delà une Présenc
300 au-delà une Présence qui pardonne, qui guérisse, et qui leur rende alors la force d’accepter leur moi coupable et le mond
301 rende alors la force d’accepter leur moi coupable et le monde réel. La « contemplation sans objet » à laquelle ils parvien
302 ’élan même qu’elle a brisé, mais sans se l’avouer et sans pouvoir la reconnaître ou l’exprimer… C’est le mouvement fondame
303 ons de la vie — la joie devant la mort de Tristan et d’Isolde. III. Mystique et Personne L’exemple des romantiques a
304 la mort de Tristan et d’Isolde. III. Mystique et Personne L’exemple des romantiques allemands illustre une relation
305 antiques allemands illustre une relation profonde et constante dans l’homme : celle qui existe entre le recours à l’indici
306 : celle qui existe entre le recours à l’indicible et la fuite devant le moi personnel. Se réfugier dans l’indicible, c’est
307 er, c’est se donner pour responsable de sa pensée et de ses actes. Mais voilà justement ce qui répugne aux romantiques ! D
308 de celui du Créateur. Créer, c’est donner forme, et ils voudraient nier les formes ; c’est limiter, et ils aspirent à l’e
309 t ils voudraient nier les formes ; c’est limiter, et ils aspirent à l’expansion indéfinie ; c’est définir par la parole et
310 expansion indéfinie ; c’est définir par la parole et l’acte, et ils recherchent le silence passif. Aussi n’ont-ils laissé
311 ndéfinie ; c’est définir par la parole et l’acte, et ils recherchent le silence passif. Aussi n’ont-ils laissé pour la plu
312 t l’eussent-ils pu rendre au jour sans le trahir, et se trahir ? Ainsi leur œuvre est à l’image de la contradiction vitale
313 e de la contradiction vitale dont ils souffraient et d’où naissait leur désir angoissé de perdre leur moi personnel. Je pr
314 ous l’être spirituel, responsable d’une vocation, et trouvant là son unité en dépit des contradictions dont peut souffrir
315 ilieu, l’histoire, les richesses qu’il a héritées et les blessures qu’il a subies. Il est emprisonné dans ces données, et
316 ’il a subies. Il est emprisonné dans ces données, et c’est en vain qu’il chercherait à y échapper par des sublimations : a
317 chapper par des sublimations : au fond de la nuit et de l’inconscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous des espèces
318 qu’il retrouvera sous des espèces méconnaissables et qu’il sera tenté de croire divines. Et il est juste que les premières
319 naissables et qu’il sera tenté de croire divines. Et il est juste que les premières touches de l’esprit rendent le moi sen
320 esprit rendent le moi sensible à ses limitations, et lui inspirent la nostalgie de les dépasser. Mais seule une vocation l
321 ocation lui en donnera la force. Qu’il la reçoive et qu’il l’accepte consciemment, ce sera pour lui l’introduction à une l
322 boutit pas à la négation du réel. Elle transforme et oriente à nouveau les forces de l’individu, plutôt qu’elle ne veut le
323 d enfin responsables vis-à-vis de notre prochain, et c’est à quoi l’on peut reconnaître la légitimité d’une vocation. Thér
324 ne prend pas la mort pour but, mais bien la vie, et cette vie-ci. Elle accepte le moi et toutes ses servitudes en vertu d
325 bien la vie, et cette vie-ci. Elle accepte le moi et toutes ses servitudes en vertu de sa vocation, c’est-à-dire en vertu
326 en toute lucidité, de s’exprimer sans réticences et d’assumer son moi coupable — parce que dorénavant ce n’est pas cela q
327 e n’est pas cela qui compte, mais l’œuvre à faire et Celui qui l’ordonne. Alors le moi coupable et détesté ne cherche plus
328 ire et Celui qui l’ordonne. Alors le moi coupable et détesté ne cherche plus de vaine échappatoire dans l’indicible et l’i
329 erche plus de vaine échappatoire dans l’indicible et l’inconscient. Il ose enfin parler et témoigner au nom d’une Vérité q
330 l’indicible et l’inconscient. Il ose enfin parler et témoigner au nom d’une Vérité qui le dépasse. Et l’on rejoint ici l’e
331 et témoigner au nom d’une Vérité qui le dépasse. Et l’on rejoint ici l’enseignement évangélique : ce ne sont pas des exta
332 nts, mais au contraire il leur est demandé d’agir et d’annoncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’on parvien
333 ent au salut », dit saint Paul. IV. Romantisme et national-socialisme De même que l’expérience d’un au-delà ne prend
334 e que l’expérience d’un au-delà ne prend son sens et sa vertu que lorsqu’elle nous ramène au jour de l’activité quotidienn
335 servir à mieux comprendre le temps où nous vivons et agissons. Que signifie cette invasion de la politique et de la vie so
336 sons. Que signifie cette invasion de la politique et de la vie sociale par ce qu’on nomme les « mystiques » collectives ?
337 ssence, m’apparaît comme un romantisme politique. Et je ne dis pas du tout que les écrits d’un Novalis ou d’un Jean-Paul s
338 is que nous pouvons retrouver au niveau inférieur et collectif de la psychologie nazie des processus fort analogues à ceux
339 es, il ne s’agit que de reviviscences — vulgaires et simplistes, bien sûr — de certaines attitudes de l’homme en face de s
340 taines attitudes de l’homme en face de son destin et de sa personne. Le national-socialisme apparut comme une réaction de
341 l. D’où l’impression de culpabilité, inacceptable et inavouable (à cause de l’orgueil national). C’est le monde qui doit ê
342 pourtant sommes les fils des vertueux Germains ! Et de ce sentiment de culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié
343 e ce sentiment de culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié (tous les discours d’Hitler proclament, dès le début,
344 la chercher ailleurs : dans un rêve de puissance et de libération, dans l’avenir, cet ersatz de l’au-delà. Nions donc cet
345 es, alors que nous voulons une passion nouvelle ! Et de même que le romantique oubliait son moi détesté en se perdant dans
346 es du rêve, l’Allemand moyen oubliera ses misères et les humiliations de sa patrie en se perdant dans l’âme collective, da
347 sacrales organisées par le Führer, au rythme lent et envoûtant des défilés et des tambours pendant des heures… On lui a di
348 e Führer, au rythme lent et envoûtant des défilés et des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne compte pas en
349 t entre les mains du parti, d’un démiurge anonyme et obscur dont il n’a plus qu’à recevoir les ordres, sans trop chercher
350 là délivré de la terrible charge de sa conscience et de ses doutes. La discipline collective joue le rôle d’une ascèse du
351 eviennent les preuves de sa transcendante vérité. Et c’est ainsi que la masse allemande, imitant au niveau le plus bas l’é
352 émotion remplace la vérité mesquine des juristes. Et cela nous fait comprendre bien des choses à première vue sans liens i
353 ression du droit romain, le mépris des frontières et des obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’expansion indé
354 mort, toujours rêvée par les grands passionnés), et la volonté de s’enfermer dans une réalité impénétrable, indicible, in
355 réalité impénétrable, indicible, incommunicable, et qui n’a point de « raisons » à donner : l’autarcie matérielle et mora
356 t de « raisons » à donner : l’autarcie matérielle et morale. On ne dira jamais trop à quel point ce pseudo-mysticisme roma
357 ysticisme romantique détermine l’action du Führer et son pouvoir hypnotique sur les masses. Les apparences de Realpolitik
358 rences de Realpolitik maintenues par les cyniques et les habiles ne dissimulent que très imparfaitement les vrais ressorts
359 ltante, une occasion de sacrifier le moi coupable et détesté à quelque chose de plus vrai que la vie, et qui est sa missio
360 détesté à quelque chose de plus vrai que la vie, et qui est sa mission millénaire. « Chez nous, proclamait récemment M. G
361 ement d’une religion de l’inconscience collective et d’une foi qui veut témoigner par la Parole et l’acte personnel. 6.
362 ive et d’une foi qui veut témoigner par la Parole et l’acte personnel. 6. En effet, pour les romantiques, « le sommeil
363 « le sommeil est une préfiguration de la mort », et c’est uniquement dans la mort que nous pouvons rejoindre l’Autre, l’i
364 isme pour la formation de la psychologie moderne, et en particulier de la psychologie de l’inconscient. 8. C’est la Reche
365 emont Denis de, « [Compte rendu] L’Âme romantique et le rêve », La Revue de Paris, Paris, août 1939, p. 915-928.
3 1946, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Tableaux américains (décembre 1946)
366 t assez bien les ascenseurs d’un grand building — et deux-cent-cinquante rues coupant les avenues à angle droit : autant d
367 anhattan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson et de l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien
368 s’étendent sur des espaces bien plus vastes, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autos
369 eliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New
370 alors que la vallée s’emplit d’une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noircies
371 rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. Ici, elles se
372 cies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. Ici, elles se rejoignent et se mê
373 se ressemblent partout. Ici, elles se rejoignent et se mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventu
374 t. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventure, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empire Stat
375 en contemple la chaîne. Le vent fou, l’air ozoné et la lumière éclatant très haut dans le ciel sur des parois violemment
376 us jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la d
377 formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranches, polis et luisants comme du
378 les blocs erratiques, débités en tranches, polis et luisants comme du marbre, ont été plaqués sur les façades et dans les
379 comme du marbre, ont été plaqués sur les façades et dans les vestibules des plus riches bâtiments, reliques scellées d’un
380 scellées d’une antiquité souterraine. À Chicago et Saint-Louis, au contraire, sur les plaines d’alluvions ou dans les ma
381 célèbre tour de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat.
382 x de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’extrême civi
383 par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’extrême civilisation matérielle demeure hanté par
384 é par on ne sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné dans une atmosphère
385 e ruban de mon chapeau, où le contrôleur l’a pris et replacé sans me déranger dans la lecture de mon journal. Il n’y a que
386 r central), l’autre où les fauteuils sont espacés et pivotent ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman
387 uteuils sont espacés et pivotent ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un coach. Je
388 ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un coach. Je me suis enfoncé dans le velours
389 h. Je me suis enfoncé dans le velours bleu sombre et j’ai regardé mes voisins, car nous roulions dans un tunnel. Dans l’en
390 surgissait du tunnel dans une plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les ar
391 marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en pas croire
392 kilomètres au-dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s
393 re de construction qui enfièvre tout le continent et dont le pont de l’autostrade au long de l’horizon porte la gloire.
394 Le bel hiver. — J’ai retrouvé New York glaciale et belle, ce bleu de poudre claire et rose au lointain des avenues trop
395 York glaciale et belle, ce bleu de poudre claire et rose au lointain des avenues trop larges le matin, ce bleu d’ombre de
396 brante aux pieds, fumerolles au ras de l’asphalte et le vent fou ! Si le détail est laid, voyez l’ensemble. Pour un homme
397 matin. Ville pure. — Entre la Trente-troisième et la Soixantième rue, le cœur de Manhattan c’est la ville pure. Ici, to
398 la ville pure. Ici, tout ce que le regard touche et mesure dans les trois dimensions de l’espace, sauf un découpage de ci
399 ive ne subsiste, plus un seul coin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feuillages. Tout e
400 ni de feuillages. Tout est pans de brique peinte et de ciment armé diversement coupés et étagés, asphalte plane, parois d
401 rique peinte et de ciment armé diversement coupés et étagés, asphalte plane, parois de verre et angles droits, circulation
402 coupés et étagés, asphalte plane, parois de verre et angles droits, circulation horizontale et verticale, intensité suprêm
403 e verre et angles droits, circulation horizontale et verticale, intensité suprême de la présence humaine jusqu’à trois-cen
404 sont d’immenses parcs semés de monuments. Le site et le paysage y sont partout sensibles. Les rues montent et tournent, ép
405 aysage y sont partout sensibles. Les rues montent et tournent, épousant les collines. Le sol des plaines environnantes par
406 t les façades, moutonnent à la hauteur des toits, et la rivière ouvre l’espace, double le ciel, qui règne seul au coucher
407 gs, se perd dans un dernier éclat d’avion fuyant, et c’est la ville alors qui s’empare du ciel, s’en fait un dôme à sa mes
408 i s’empare du ciel, s’en fait un dôme à sa mesure et le referme sur sa nuit de ville. Appartements. — Les grandes maison
409 pièce, avec au centre un grand fauteuil tournant et basculant, qui se transformerait le soir en lit et d’où, sans se leve
410 t basculant, qui se transformerait le soir en lit et d’où, sans se lever, l’on atteindrait le téléphone, la poignée du fri
411 boutons du fourneau électrique, ceux de la radio et les robinets de la baignoire. Désespoir à Times Square. — Errer dan
412 rer dans la foule, regarder ou subir les vitrines et les réclames lumineuses en délire, passer une heure aux Actualités, é
413 ussant à l’extrême cette « distraction » de l’âme et de la volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable, et par la sens
414 volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable, et par la sensation directe du monde tel que le crée l’homme privé de l’
415 e l’Esprit, l’une des entrées de la Voie négative et du Désert dont parlent les mystiques ? Homéopathie spirituelle : trai
416 t court dans cette promenade de plusieurs heures, et c’est ici seulement, sur le papier, que je comprends qu’il faut pouss
417 ré. Ce n’étaient pas « les péchés » de ces hommes et de ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger et qui peut-être
418 ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger et qui peut-être n’en sont point. Ce n’était pas le froid, la pluie, la
419 hattan — qui, à la fois, ne portent pas de numéro et ne coupent point les avenues à angle droit. Hors série, modèle de gra
420 e de grand luxe, elle s’orne d’arbres, de silence et de grands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’été, emplit ce
421 me étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New Yor
422 de, petite tranchée d’asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York… Si je me retourn
423 r jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau. La rivière, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éc
424 istance. Cheminées, mâts, clochers, usines basses et réclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’
425 trois îlots de granit noir couverts de mouettes, et signalés par deux petits phares dont clignotent irrégulièrement le fe
426 ement le feu vert — cinq secondes de révolution — et le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embrasse mon regard,
427 ttes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout
428 mmes, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition,
429 aisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne vers le nor
430 étage du River Club, où vivent les milliardaires et les acteurs. Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeun
431 Club, où vivent les milliardaires et les acteurs. Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeunes femmes en mai
432 ns un luxe américain d’ocres, de roses, d’argents et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les p
433 au travail paisible. D’heure en heure, je me lève et sors. Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour de mes chambr
434 es chambres blanches, posées sur le onzième étage et festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous me
435 t chaude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas, et puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisin
436 mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas, et puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisins séparés de ma terr
437 gouffre profond mais étroit, je vois des couples et des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée
438 t, je vois des couples et des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée en peignoir rose ouvre son
439 s de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Petits matins déjà doux des terrasses, moments les
440 de la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mou
441 choses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premie
442 ’ouvre — l’aube est l’heure du pardon délivrant — et je me donne au jour américain ! Sur le grand fond sonore à bouche fer
443 oussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadri
444 l’une phallique, l’autre en Moïse de Michel-Ange. Et sur une terrasse dormante, deux ou trois étages plus bas, quelqu’un s
445 es, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise et ses canons glissait sans bruit, un énorme croiseur défilait, tout l’é
446 er. Elle part luxueusement de la Cinquième avenue et de Central Park, traverse en direction de l’est de beaux quartiers gr
447 de beaux quartiers gris clair d’un gothique sobre et astiqué, change subitement d’aspect et tourne au populaire un demi-bl
448 ique sobre et astiqué, change subitement d’aspect et tourne au populaire un demi-block après Lexington avenue, perd toute
449 -ball parmi des seaux d’ordures plus hauts qu’eux et des tourbillons fous de papiers sales, pour s’ouvrir enfin toute béan
450 au terme d’un parcours rectiligne d’un kilomètre et demi, sans changer de largeur. (Seuls, les trottoirs se rétrécissent.
451 e, parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois et d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoi
452 es goudronnés. Flammes gaies sur le couchant rose et fuligineux, en rectangle au bout de la rue, légèrement mordu sur les
453 . Portes étroites, ouvrant sur des couloirs hauts et profonds où deux personnes peuvent à peine se croiser. L’angoisse me
454 r l’appartement, une espèce de baignoire couverte et fort étroite se dresse sur quatre pieds de fonte : il faudrait monter
455 nce dans les journaux : « Cinq pièces, eau chaude et bain. » Il en existe dans Manhattan des centaines de milliers constru
456 s sur ce même type : deux pièces claires sur cour et rue, reliées par deux ou trois alvéoles aveugles. Tout l’East Side po
457 ordes tendues sur l’abîme supportent des lessives et de grands draps claquants. Du haut en bas des façades de brique zigza
458 les radios nostalgiques, des fenêtres s’allument et s’éteignent. On peut vivre ici comme ailleurs, mais dans un cadre str
459 ’on voit sont des rectangles, à part les chiffons et les chats. Les façades, hauts rectangles troués de lumières et de scè
460 Les façades, hauts rectangles troués de lumières et de scènes du soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel rouge. Une ra
461 ède aussi deux-cents gratte-ciel pour les bureaux et quelques belles avenues de résidences pour les directeurs de bureaux.
462 beurre à l’épicerie du village de Lake George10, et que j’en paraissais fort ennuyé, nos voisins vinrent un soir nous en
463 nuyé, nos voisins vinrent un soir nous en offrir, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance. Deux femmes d’âge moyen
464 avons fait connaissance. Deux femmes d’âge moyen et leurs maris se partagent une maison que les pins nous cachent, à deux
465 pas, plus petite que la nôtre, donc plus commode et plus confortable à leur sens. (Seuls les Européens de mon espèce aime
466 omme Robert ; son père était un Canadien français et sa vieille mère est une Allemande du Sud. La famille de l’autre mari
467 ari est de ce pays depuis plusieurs générations ; et leurs épouses, fort plantureuses, viennent d’Irlande. « True average-
468 en souriant. Nous leur avons offert des boissons, et nous nous appelons par nos prénoms, sans avoir jamais bien compris no
469 « Personne ne connaît notre ville, me dit Robert, et pourtant elle avait les plus grandes filatures du monde avant l’autre
470 urrait bien être européen : collines douces, bois et prairies, une rivière lente et les longs bâtiments des filatures — to
471 lines douces, bois et prairies, une rivière lente et les longs bâtiments des filatures — tout me rappelle la Souabe, le Wu
472 ures — tout me rappelle la Souabe, le Wurtemberg. Et , justement, nous arrivons devant une maison de bois peinte en jaune c
473 habite la mère de Robert, une vieille dame maigre et digne, dont les ancêtres quittèrent l’Allemagne en 1848, parce qu’ils
474 ns. Cette vague d’émigration germanique, libérale et plus ou moins morave, a modifié l’aspect et les coutumes de maint Éta
475 érale et plus ou moins morave, a modifié l’aspect et les coutumes de maint État du Middle West et de la partie nord de la
476 pect et les coutumes de maint État du Middle West et de la partie nord de la Pennsylvanie. Nous traversons maintenant la v
477 se de Canadiens français, d’Allemands, d’Italiens et d’une minorité d’Anglo-Saxons, laquelle d’ailleurs conduit tout le re
478 Banque est en pierres blanches, ornée de colonnes et d’un fronton de temple grec. Je compte beaucoup de barbes longues et
479 temple grec. Je compte beaucoup de barbes longues et bouclées. La rue est sale. Suis-je en Russie ? Non, il y a trop d’aut
480 Russie ? Non, il y a trop d’autos. Robert revient et nous roulons vers Albany. À la sortie de la ville, il me montre un te
481 tais tout jeune. J’ai eu jusqu’à trente appareils et une école de pilotage. Mais, coup sur coup, quatre accidents mortels
482 J’ai ouvert cette agence que vous venez de voir, et je n’ai plus piloté depuis lors. Aujourd’hui, je suis président du cl
483 obert à un Robert d’Europe, de même niveau social et de même éducation. Nous ne manquons pas de petits bourgeois pieux et
484 n. Nous ne manquons pas de petits bourgeois pieux et honnêtes, mais ils n’ont pas le sens du risque et de la vitesse. Nous
485 et honnêtes, mais ils n’ont pas le sens du risque et de la vitesse. Nous avons bien des fanatiques de l’aviation, mais ce
486 tion, d’autre part amateurs de golf, de géraniums et de week-ends paisibles au bord d’un lac. Mais il ne serait guère plus
487 ar Hollywood, l’Amérique nous propose d’elle-même et qu’elle s’efforce d’imiter. Souvenir d’un orage en Virginie Gra
488 ’un orage en Virginie Grands plateaux onduleux et livrés aux chevaux, jusqu’à l’horizon bleu des Appalaches. Pendant qu
489 e allée qui monte entre des barrières blanches. — Et vous verrez ce qu’elle en a fait ! C’est sa manière de se venger de W
490 Trois grands longs chiens sortent, le museau bas, et l’un vient vomir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés. Une ser
491 ite, en contrebas, deux hommes en veste de chasse et deux jeunes femmes très blondes boivent des whiskys, sans se déranger
492 large galerie ouverte, encombrée de vieux meubles et de pièces de bois sculptées, stalles d’églises, aigles de lutrin. De
493 vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, pr
494 u lierre partout. Çà et là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s
495 ns l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée des écuries. Celles-ci se déploient en dem
496 déploient en demi-cercle, ornées d’une colonnade et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voic
497 . Du portique, entre les hautes colonnes blanches et ces ifs dramatiques, on domine un paysage de pluies lointaines et de
498 tiques, on domine un paysage de pluies lointaines et de prairies dorées. Soudain, un coup de vent violent a jeté contre la
499 , un coup de vent violent a jeté contre la façade et nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques.
500 a façade et nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques. Entrée de l’automne ! The Fall, la Chute
501 t de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici et s’ouvrent les espaces de pâturages nus, en pente douce. Très loin, en
502 au galop. Ils disparaissent dans un vallonnement et maintenant remontent vers nous sans ralentir. Une femme en jaune, sui
503 chent, on voit qu’elle tient la bride d’une main, et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en galopant. Nouv
504 he de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentissent et s’arrêtent devant la barre du portail. Elle pousse son cheval, le por
505 portail. Elle pousse son cheval, le portail cède et lui livre passage. C’est une grande femme bottée, sauvage et belle, q
506 e passage. C’est une grande femme bottée, sauvage et belle, qui mord une pomme, et son torse paraît nu dans un fin sweater
507 mme bottée, sauvage et belle, qui mord une pomme, et son torse paraît nu dans un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pom
508 ns un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pomme et nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval,
509 avec hostilité. Il a les yeux d’un bleu très pâle et dur. Il n’a pas salué. Son silence nous supprime. C’est sans doute le
510 « Je vous retrouve à la maison ! », crie-t-elle. Et piquant son cheval, penchée sur l’encolure, elle disparaît dans le tu
511 ses traces en aboyant. Au fond d’une pièce vaste et noire, une petite lampe fait une flaque rose. « Je ne trouve pas les
512 fin, s’allume par degrés. Elle court aux fenêtres et ferme avec fracas des volets intérieurs, en chêne clair, puis elle ti
513 Les orages me rendent folle, j’ai tellement peur. Et vous ? Vous êtes muets. Vous avez soif ? » Les coups de tonnerre se s
514  » Les coups de tonnerre se succèdent sans répit, et parfois les lumières vacillent, baissent, remontent… Paraît dans la p
515 de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent et vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme appor
516 rte un plateau. On le renvoie chercher des verres et des bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : — Je ne le sais pas p
517 ls sont dans la maison depuis deux ou trois jours et se disent les amis de Jim. — Mais où est Jim ? — Je ne sais pas. Il e
518 Des chiens se glissent entre les meubles, humides et tremblants. « Mais je ne sais pas recevoir ! dit-elle moqueuse. Voule
519 ai les routes d’Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère des pionniers,
520 ns de la crise de 1929, où les affaires périssent et les bureaux se vident au-dessus du cinquantième étage, pour peu que l
521 r à repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursuit en silenc
522 contre le chômage. Elles sont le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, et qui voit grand sans
523 et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un spectacle émouvant qui
524 pas, mais au contraire atteste une force paisible et utile. Trois pistes parallèles dans chaque sens, séparées par une lar
525 pistes blanches délimitées par des lignes jaunes et noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de droite à gauche,
526 e droite à gauche, de gauche à droite, entre cent et cent-trente à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle ais
527 e aisance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’obstacles, l’enivrante continuité du déferlement général, tout cela
528 distance par le charme, attirant les villes à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’une curiosité rêveuse. Mais, so
529 ant par cent, par mille panneaux de toutes formes et couleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan et disparaissent e
530 ouleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan et disparaissent en coup de vent, jusqu’à ce que l’œil s’éduque et se me
531 nt en coup de vent, jusqu’à ce que l’œil s’éduque et se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale
532 e à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le texte) dont les phrases
533 ware en grève… Faites un détour par Philadelphie… Et arrêtez-vous à l’hôtel Franklin… Ralentissez, région de daims… Les pa
534 ’État de Pennsylvania vous souhaite la bienvenue… Et limite votre vitesse à cinquante miles… cinq-cents dollars d’amende o
535 ble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je ferme les yeux et j’écoute le grondement sourd des pneus qui mordent le béton. En cinq
536 en traversant deux villes énormes : Philadelphie et Baltimore. La vitesse rétrécit l’espace américain, les routes de la v
4 1949, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Le Mouvement européen (avril 1949)
537 e Mouvement européen (avril 1949)e Nécessité et urgence de l’union Quand un Américain déclare que votre idée est g
538 qu’il ne fera rien, qu’il pense qu’il est sérieux et que vous rêvez. C’est ainsi qu’une certaine bourgeoisie occidentale,
539 entale, politiquement analphabète dans ses propos et ses réflexes, imite à sa manière le cynisme frivole de la noblesse à
540 lle de la Révolution. Mais le grand style se perd et Staline est aux portes. Il s’agit en réalité de la vie ou de la mort
541 incipales, d’une part, l’affaissement de l’Europe et , d’autre part, le surgissement au plan mondial de la Russie et de l’A
542 art, le surgissement au plan mondial de la Russie et de l’Amérique. Ces deux colosses sont en train de s’observer par-dess
543 ls proclament au contraire leur amour de la paix, et ils le prouvent, l’un en relevant nos ruines, et l’autre en annexant
544 et ils le prouvent, l’un en relevant nos ruines, et l’autre en annexant 700 000 kilomètres carrés de nos terres. Si bien
545 s coups. Une seule puissance pourrait les séparer et les forcer au compromis, je veux dire à la paix, c’est l’Europe. Mais
546 isolée, n’a plus la taille qu’il faut pour parler et se faire entendre dans le monde dominé par les deux grands empires. E
547 dans le monde dominé par les deux grands empires. Et non seulement l’Europe n’est plus une puissance qui pourrait exiger l
548 de nos pays, il faut donc commencer par les unir. Et si nous voulons sauver la paix, ou plutôt faire la paix, il nous faut
549 ux fois plus que l’Amérique, autant que la Russie et tous ses satellites. Si ces 320 millions d’habitants faisaient bloc,
550 en mesure d’agir, de faire réfléchir l’agresseur, et de sauver la paix du monde. Sur quoi j’imagine bien que personne n’os
551 revanche, beaucoup pensent : « Tout cela est bel et bon, mais que fait-on et que pourra-t-on faire en temps utile ? » La
552 nt : « Tout cela est bel et bon, mais que fait-on et que pourra-t-on faire en temps utile ? » La paix, l’Europe unie, d’ac
553 ici le cauchemar. Déjà les maréchaux s’installent et tirent leurs plans ; la Russie fait donner ses cinquièmes colonnes et
554 s ; la Russie fait donner ses cinquièmes colonnes et l’Amérique numérote ses bombes. Ainsi l’urgence s’ajoute à la nécessi
555 pondre à ceux qui demandent ce qu’on a fait déjà, et ce qu’on peut faire à temps pour fédérer l’Europe. Origines du mou
556 de mille ans. » C’était vers 1860. Mais ces rêves et ces prophéties ne pouvaient concerner qu’un avenir incertain, au mili
557 de plus prégnant, pour donner ses assises morales et doctrinales à la fédération européenne. C’est alors qu’apparurent en
558 baptisait la personne — l’homme « à la fois libre et responsable » que l’on opposait d’une part à l’individu sans devoirs,
559 on opposait d’une part à l’individu sans devoirs, et d’autre part à l’homme collectiviste, au soldat politique sans droits
560 tirer de la doctrine ses conséquences politiques et sociales, et c’est ainsi que l’on aboutissait à un programme communau
561 doctrine ses conséquences politiques et sociales, et c’est ainsi que l’on aboutissait à un programme communautaire, fédéra
562 tellectuels ». Survint la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de l’Europe. On put croire un moment que tout notre trav
563 ent en France, en Hollande, en Pologne, en Italie et en Yougoslavie, nos idées personnalistes se popularisaient, nos livre
564 dées personnalistes se popularisaient, nos livres et nos revues passaient de main en main. Les événements que nous avions
565 aient pour nous, en dépit de toutes les censures. Et l’idée d’un avenir fédéraliste de l’Europe devenait, pour beaucoup, l
566 rouvait toutes les nuances politiques, nationales et religieuses qui font la richesse de l’Europe, et qui la rendent si di
567 et religieuses qui font la richesse de l’Europe, et qui la rendent si difficile à gouverner. La première tâche qui s’imp
568 ’Union européenne des fédéralistes se constituait et pouvait convoquer pour le mois d’août 1947, à Montreux, son premier c
569 congrès. Qu’étions-nous à l’époque, il y a un an et demi ? Cent-cinquante à deux-cents délégués venus d’une dizaine de pa
570 deux-cents délégués venus d’une dizaine de pays, et représentant une cinquantaine d’associations de toutes les tailles, d
571 sentions entourés à la fois de sympathies faciles et d’un scepticisme profond. Devant la tâche urgente, mais qui pouvait p
572 pe, c’est-à-dire de mettre sur pied, contre vents et marées, des institutions continentales et de les faire admettre par l
573 e vents et marées, des institutions continentales et de les faire admettre par les États, nous n’étions qu’une poignée d’h
574 ns matériels, presque sans troupes derrière nous, et sans aucun appui de la part des gouvernements. C’est ainsi qu’à Montr
575 upes qui se formèrent spontanément dans les camps et dans les maquis ne devaient rien à cette doctrine. Mais il est non mo
576 Mais il est non moins vrai que les grands thèmes et le vocabulaire personnalistes reparaissent avec insistance dans tous
577 grès de Montreux jusqu’à ceux de La Haye, de Rome et , tout récemment, de Bruxelles. Parmi bien d’autres influences conjugu
578 lle-ci demeure, me semble-t-il, la plus constante et la plus aisément discernable. De Montreux à Bruxelles Le congrè
579 ich. C’est de ces deux initiatives indépendantes, et de leur rencontre à Montreux, que devait sortir le congrès de La Haye
580 ropéenne des fédéralistes (présidents H. Brugmans et Ignazio Silone) ; United Europe Committee (W. Churchill) ; Ligue indé
581  ; Comité français pour l’Europe unie (E. Herriot et R. Dautry). Les Nouvelles équipes internationales (Robert Bichet) et
582 Nouvelles équipes internationales (Robert Bichet) et l’Union parlementaire européenne (Coudenhove-Kalergi) adhérèrent quel
583 s ministres tels que Churchill, Ramadier, Reynaud et van Zeeland, soixante ministres et anciens ministres, près de deux-ce
584 adier, Reynaud et van Zeeland, soixante ministres et anciens ministres, près de deux-cents députés aux divers parlements e
585 ux divers parlements européens, des syndicalistes et des grands patrons, des socialistes et des conservateurs, des juriste
586 dicalistes et des grands patrons, des socialistes et des conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et
587 es socialistes et des conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux
588 s, des juristes et des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux représentants des mouvements fémin
589 de nombreux représentants des mouvements féminins et universitaires. Trois résolutions furent votées : économique, politiq
590 résolutions furent votées : économique, politique et culturelle. La résolution politique prévoyait, comme prochaine étape,
591 nes plus tard, à la suite d’une décision des Cinq et sur la demande réitérée de nos mouvements, une conférence restreinte
592 , une conférence restreinte de dix-huit ministres et experts était convoquée à Paris, aux fins d’étudier la constitution d
593 aux fins d’étudier la constitution d’un Parlement et d’un Conseil des ministres européens. Le 28 janvier 1949, la conféren
594 9, la conférence aboutissait à un premier accord, et pouvait annoncer la création prochaine d’un Conseil de l’Europe, comp
595 autres tâches : l’élargissement de nos mouvements et leur liaison, l’étude juridique des institutions à créer, la formatio
596 , la formation d’un Centre européen de la culture et de nombreux travaux économiques. Au début de novembre 1948, l’Union e
597 hôtel. À Rome, on nous offrit le palais de Venise et toutes ses salles immenses, restées vides depuis la fuite du dernier
598 siégeait dans le cabinet de travail du dictateur, et les séances plénières eurent lieu dans la salle même du Grand Conseil
599 tant : « On n’ose plus nous appeler des utopistes et des rêveurs ! s’écria-t-il. En réalité, vous êtes, nous sommes, la vé
600 é, vous êtes, nous sommes, la vérité en marche. » Et finalement, les congressistes furent reçus par le pape Pie XII, qui l
601 t Léon Blum, Winston Churchill, Alcide de Gasperi et Paul-Henri Spaak. À la question : « Qu’a-t-on fait jusqu’ici pour la
602 trepris de tous côtés par des tendances diverses, et nous sommes parvenus, plus rapidement que nous n’osions l’imaginer, à
603 omme quelque chose qu’il faut réaliser d’urgence, et qui a les plus grandes chances de se réaliser. Nous sommes donc arriv
604 ement, que l’Europe sera faite par des ministres. Et cela ne va pas à une fédération, mais à quelques mesures empiriques (
605 ont aucune atteinte aux souverainetés nationales, et ne troubleront pas l’économie travailliste dans son austère insularit
606 Car c’est la protection des droits de la personne et des droits des minorités contre l’État qu’il s’agit de sauvegarder au
607 e l’État qu’il s’agit de sauvegarder aujourd’hui. Et cela suppose l’institution d’une Cour suprême, c’est-à-dire d’une ins
608 irs nécessaires pour enquêter sur leur territoire et pour faire exécuter ses arrêts à leurs dépens, s’il y a lieu. C’est
609 ’union européenne, une Cour des droits de l’homme et une Commission d’enquête indépendante des gouvernements. Ces deux org
610 Philip, le libéral Giscard d’Estaing, Lord Layton et Léon Jouhaux. Centre européen de la culture. — Finalement, il nous p
611 s paraît clair que toutes les mesures économiques et politiques que pourrait proposer le Mouvement européen resteraient le
612 esteraient lettre morte, s’il n’existait, en deçà et au-delà des divisions qu’il nous faut surmonter, une entité européenn
613 culture à sa place, qui est à la fois primordiale et finale, il cesserait de mériter l’adjectif de son titre. C’est pourqu
614 de « donner une voix à la conscience de l’Europe et des peuples qui lui sont associés ». Il ne s’agit nullement de foment
615  : une certaine conception de la personne humaine et de ses libertés fondamentales, antérieures et supérieures à l’État ;
616 ine et de ses libertés fondamentales, antérieures et supérieures à l’État ; un certain refus de l’uniformité, un certain s
617 orienté dès le départ par une vision libératrice et fascinante. L’Europe se fera, en dépit des experts (qui savent toujou
618 — ceux qui résistent à la fatalité — l’auront vue et marchent vers elle. Il se peut que la vision qui les guide, éclairant
619 s Indes, ou nommait ainsi sa vision. Contre vents et marées, contre tous les experts de son équipe, il se mit en route pou
620 nouveau, tout imprévu, risquons-nous d’aborder ? Et quel bonheur, auquel il suffirait peut-être d’oser croire ? Se peut-i
5 1949, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Découverte de l’Europe (octobre 1949)
621 ts. On dit même qu’ils furent plus de cinq-cents. Et bien d’autres ont jugé Strasbourg dans les éditoriaux du monde entier
622 pinion générale se dégage de ce flot d’imprimés : et c’est que l’opinion, précisément, serait demeurée indifférente. Ce pa
623 quelques années par les mouvements fédéralistes, et depuis un an par le Mouvement européen. Mais cet aboutissement specta
624 commissions permanentes ; délimiter une majorité et une opposition ; bref, roder la machine et vérifier le jeu des comman
625 jorité et une opposition ; bref, roder la machine et vérifier le jeu des commandes. De fait, une semaine a suffi pour réus
626 a suffi pour réussir ces différentes opérations, et même pour écarter les deux dangers majeurs qui guettaient la jeune As
627 r groupes nationaux. Ils votent individuellement. Et l’on n’a pas remarqué qu’un mot d’ordre national — s’il en fut jamais
628 t en deux groupes à peu près égaux, conservateurs et libéraux d’une part, Labour de l’autre (à deux ou trois exceptions pr
629 on partisane qui se dessinait : les travaillistes et les socialistes continentaux ne sont pas parvenus à former un front u
630 s sur le fond du débat, c’est-à-dire sur les buts et les méthodes du Conseil de l’Europe, les deux conceptions qui se sont
631 ns qui se sont affrontées n’ont pas été la gauche et la droite traditionnelles, mais bien le fédéralisme et l’unionisme, f
632 droite traditionnelles, mais bien le fédéralisme et l’unionisme, formant une gauche et une droite nouvelles, proprement e
633 le fédéralisme et l’unionisme, formant une gauche et une droite nouvelles, proprement européennes, et qui ne recouvrent pa
634 et une droite nouvelles, proprement européennes, et qui ne recouvrent pas les anciennes divisions. (Ces dernières ne se r
635 le plan économique, sous les noms de libéralisme et de dirigisme.) Que veulent les unionistes ? L’Europe unie, bien sûr.
636 emblent pécher, bien au contraire, par optimisme. Et les fédéralistes ont beau jeu de leur répondre : où prendrez-vous le
637 p vite, aux yeux de l’expérience d’autres époques et d’une sagesse bien éprouvée (dans tous les sens de l’adjectif), on ne
638 aute d’unité dans nos programmes de redressement. Et les menaces de guerre sont là. Demandez à l’opinion si elle est mûre
639 ra ceux qui marchent, ceux qui ont su voir le but et qui ont osé lui donner son vrai nom : fédération. Les progrès surpren
640 ré les efforts conjugués des unionistes nordiques et des ministres, malgré les conseils de lenteur, de sagesse, de prudenc
641 mitations précises des souverainetés nationales. ( Et pour ma part, je m’explique mal comment M. Churchill peut à la fois l
642 ll peut à la fois lutter pour l’union de l’Europe et déclarer qu’on ne touchera pas à ces sacro-saintes souverainetés.) Ma
643 e ainsi au premier rang, c’est celui de la source et des fondements du pouvoir fédéral de demain. Dans les couloirs et les
644 s du pouvoir fédéral de demain. Dans les couloirs et les clubs de Strasbourg, on a pu voir se former deux écoles. La premi
645 ectifs qu’ils désignaient dans leurs mémorandums, et les confrontent avec les résultats atteints au terme de la première s
646 politique supranationale, d’un Conseil économique et social, d’un passeport européen, d’un Centre européen de la culture (
647 opéen. Bien plus, l’existence même de l’Assemblée et la rapidité de ses premières opérations doivent être attribuées en pr
648 lieu à l’action décisive du Mouvement : Churchill et Spaak n’ont pas manqué de le souligner, pour s’en féliciter, bien ent
649 bien entendu, M. Hugh Dalton, pour s’en plaindre ( et cette confirmation n’est pas la moins valable). On ne s’en étonnera p
650 ient à Strasbourg appartiennent à notre Mouvement et ont pris l’habitude d’y travailler ensemble. On s’est demandé si ces
651 ’Assemblée la proposeront, mais les gouvernements et parlements nationaux en disposeront. Et qui dispose de ces divers pou
652 ernements et parlements nationaux en disposeront. Et qui dispose de ces divers pouvoirs, sinon l’opinion générale, qu’il s
653 e, qu’il s’agit maintenant d’alerter, d’informer, et de faire peser de tout son poids sur ses élus ? Montrer ce but et pré
654 r de tout son poids sur ses élus ? Montrer ce but et préparer les voies reste la mission décisive du Mouvement européen. C
655 stituante, mais bien d’agir en sorte que ses vœux et avis soient régulièrement acceptés par les gouvernements et parlement
656 ient régulièrement acceptés par les gouvernements et parlements, en attendant le verdict populaire. ⁂ Nous sommes en plein
657 erdict populaire. ⁂ Nous sommes en pleine action, et il est clair qu’il s’est fait de l’Histoire à Strasbourg, mais nous n
658 ricains qui assistait aux travaux de l’Assemblée, et qui a pu voir notre Mouvement à l’œuvre, s’écriait à Strasbourg : « J
659 ables”, sans organisations “solides” à la yankee, et par la seule action, presque invisible, d’un très petit nombre d’homm
6 1950, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’Europe et sa culture (novembre 1950)
660 L’Europe et sa culture (novembre 1950)g Ce titre appelle deux séries d’objecti
661 ur le mot Europe, les autres sur le mot culture ; et ce n’est pas tout : les mots « et sa », qui les unissent, ne vont pas
662 e mot culture ; et ce n’est pas tout : les mots «  et sa », qui les unissent, ne vont pas de soi, dira-t-on… Certes, on peu
663 n peut ergoter à l’infini sur les termes d’Europe et de culture. Où commencent, où finissent ces deux réalités ? À la fois
664 ssent ces deux réalités ? À la fois dans l’espace et dans le temps, elles sont mouvantes et complexes. (Ce qui peut signif
665 s l’espace et dans le temps, elles sont mouvantes et complexes. (Ce qui peut signifier d’ailleurs qu’elles sont vivantes.)
666 sée en compartiments par des chaînes de montagnes et des fleuves, nettement délimitée de trois côtés par les mers et par l
667 , nettement délimitée de trois côtés par les mers et par l’Océan. Elle rappelle une Grèce agrandie. Mais voici le caractèr
668 a frontière de l’Est sera donc toujours mouvante. Et c’est dans l’affrontement perpétuel avec l’Asie, dans l’effort pour s
669 cours des siècles, a pris conscience d’elle-même et de son unité. Marathon, Salamine, la défense du limes romain, les cha
670 erranée, l’Italie ou l’Afrique ont été assimilées et ont fécondé nos civilisations. Au fait géographique de la division de
671 nt que le phénomène de l’étatisme ne les sclérose et ne les rende névrotiques ou même criminelles. Enfin, au fait géograph
672 approches différentes du monde par les Espagnols et Portugais, les Scandinaves, les Anglais, les Hollandais, les Français
673 naves, les Anglais, les Hollandais, les Français, et les diverses formes qu’a revêtues l’impérialisme européen au cours de
674 rquée, nous nous trouvons devant une question nue et simple, sur laquelle notre génération doit concentrer sa réflexion vi
675 le du monde occidental est, à l’origine, ternaire et non pas bipolaire, de même que la théologie de l’Occident n’est pas d
676 e l’Occident n’est pas dualiste, mais trinitaire. Et de fait, l’Europe n’a pas pris naissance dans le conflit entre l’Est
677 ’a pas pris naissance dans le conflit entre l’Est et l’Ouest, conflit qui lui a seulement donné conscience d’elle-même une
678 peuvent être appelés symboliquement Athènes, Rome et Jérusalem. Athènes, c’est la découverte de l’individu, de l’homme dis
679 de l’individu, de l’homme distingué du troupeau, et prenant mesure de lui-même par une rupture libératrice, mais aussi pr
680 tas fondée non plus sur le sacré, mais sur la loi et le contrat. Jérusalem enfin, c’est la révélation de la personne, c’es
681 rsonne, c’est-à-dire de la vocation transcendante et inconditionnelle qui vient donner à chaque humain, indépendamment de
682 t, les conflits fondamentaux qui les sous-tendent et les grandes doctrines de l’homme et de la société qui se sont dégagée
683 sous-tendent et les grandes doctrines de l’homme et de la société qui se sont dégagées peu à peu de ce complexe, d’une ma
684 e trinitaire. Après vingt siècles de combinaisons et d’analyse, Athènes, Rome, et Jérusalem, cela s’appelle aujourd’hui l’
685 cles de combinaisons et d’analyse, Athènes, Rome, et Jérusalem, cela s’appelle aujourd’hui l’individualisme, le collectivi
686 le aujourd’hui l’individualisme, le collectivisme et le personnalisme. La lutte que se livrent actuellement ces trois atti
687 attitudes humaines dans le monde, dans la société et jusque dans nos vies privées, cette lutte est si violente et douloure
688 ans nos vies privées, cette lutte est si violente et douloureuse, si concrète qu’on se voit dispensé de toute autre consid
689 storique tendant à prouver qu’entre Athènes, Rome et Jérusalem, il y avait, dès le départ, un drame, ou plutôt trois drame
690 t, un drame, ou plutôt trois drames entrecroisés, et leurs combinaisons, et leurs permutations. Dans ce complexe de drames
691 trois drames entrecroisés, et leurs combinaisons, et leurs permutations. Dans ce complexe de drames, constitutif de l’Occi
692 elées, un homme donc condamné au choix perpétuel, et donc à la prise de conscience, et donc d’abord à la mise en question
693 hoix perpétuel, et donc à la prise de conscience, et donc d’abord à la mise en question de tous les résultats et de toutes
694 abord à la mise en question de tous les résultats et de toutes les valeurs. Or ce sont là les conditions par excellence qu
695 ’était déjà formée la synthèse hautement instable et créatrice d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, n’ait cependant pas pré
696 autement instable et créatrice d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, n’ait cependant pas présenté certains des caractères le
697 s parfois de comprendre, de faire des expériences et d’en tirer les conclusions. Au cours des temps, mille vérités et mill
698 es conclusions. Au cours des temps, mille vérités et mille erreurs, nées de nos trois éléments fondamentaux, se sont nouée
699 éléments fondamentaux, se sont nouées, combinées et mariées, ont divorcé, ont conclu des alliances. Elles se sont combiné
700 iances. Elles se sont combinées au sens chimique, et non pas seulement mécanique. Ainsi, dans le laboratoire européen, cer
701 rire. Ce sont les idées de révolution, de passion et de progrès. Elles sont nées toutes les trois de la révélation chrétie
702 s les trois de la révélation chrétienne, analysée et déformée dans le prisme gréco-judéo-romain. L’idée de révolution est
703 rétienne, du changement d’orientation fondamental et brusque, traduite en termes romains d’institutions, de droit nouveau.
704 linienne, mais combinée avec des notions grecques et romaines de mesure individuelle et d’organisation collective. Ces tro
705 tions grecques et romaines de mesure individuelle et d’organisation collective. Ces trois idées-forces, ces trois ressorts
706 d’exemples : elles nous font pressentir la nature et les causes d’une capacité spécifique de l’Européen : celle de transfo
707 e de l’Européen : celle de transformer son milieu et ses données matérielles ou morales, sans se laisser arrêter par des c
708 que ou l’immortalité. Cette inquiétude consciente et créatrice, je l’appellerai tout simplement : notre culture. Certes, o
709 isciplines intellectuelles, sociales, artistiques et religieuses d’une société donnée ; ou comme l’ensemble des procédés d
710 e ; ou comme l’ensemble des procédés de création, et leur transmission ; ou encore comme une prise de conscience de la vie
711 rogressive de la maîtrise de l’homme sur lui-même et le monde… Toutes ces définitions, et vingt autres possibles, sont à l
712 sur lui-même et le monde… Toutes ces définitions, et vingt autres possibles, sont à la fois justes et contestables, trop f
713 et vingt autres possibles, sont à la fois justes et contestables, trop faciles ou trop difficiles. Je me contenterai ici
714 fficiles. Je me contenterai ici d’une vue globale et d’une constatation simple mais décisive : la culture occidentale, c’e
715 pour reprendre le mot fameux de Valéry, — le cœur et le cerveau du monde moderne. À toutes fins utiles, nous savons assez
716 re où ce rappel m’a paru nécessaire pour informer et guider une action. ⁂ Essayons de saisir maintenant ces deux réalités,
717 de saisir maintenant ces deux réalités, l’Europe et la culture, dans leur drame immédiat à nos vies. L’Europe d’abord. Na
718 guère encore reine de la terre, jusque vers 1914, et même jusqu’au dernier conflit, l’Europe s’est vue brusquement détrôné
719 ufs qui menacent d’engager une guerre sur son sol et à ses dépens. Poussière de petits États, dont les plus populeux ne sa
720 ales, l’Europe n’offre plus aux empires américain et russe qu’un de ces vides dont l’Histoire n’a pas moins horreur que la
721 r le moment, d’un quart de sa population à l’Est, et de la péninsule ibérique à l’Ouest. Le reste ne vit encore qu’en vert
722 de progrès a émigré ; elle est devenue américaine et russe. Mais ici, nous touchons déjà au drame de notre culture. D’une
723 dans les pays totalitaires qui sont à nos portes et qui ont chez nous leurs répondants, la liberté fondamentale de la cul
724 uvoir de mettre en question les valeurs régnantes et les activités officielles, se voit niée, punie, qualifiée d’immorale.
725 iberté qu’on nous laisse est devenue presque vide et sans effets. À l’Est, nous voyons se former une véritable culture cen
726 censoriale. Le critère politique est seul admis. Et l’on s’y réfère avec une rigueur telle que le style même d’un écrivai
727 eut être attaqué par les fonctionnaires de l’État et qualifié de sabotage. La censure politique est si parfaitement préven
728 ctivité distincte de répression. Elle est partout et nulle part. C’est ainsi qu’un ancien ministre bulgare en exil pouvait
729 . Cependant, qu’en est-il chez nous de la liberté et de la censure ? Allons tout de suite à un exemple extrême, et heureus
730 sure ? Allons tout de suite à un exemple extrême, et heureusement exceptionnel, mais qui signale un vrai danger. Voici ce
731 ntellectuelle sont actuellement maintenus secrets et ne donnent pas lieu, comme avant la guerre, à des communications de p
732 erches de la physique nucléaire un lourd contrôle et « des suspicions quasi policières », qui tendent à subordonner entièr
733 entièrement le savant à des exigences politiques et militaires. Cet exemple des recherches atomiques nous donne un inquié
734 és élémentaires : liberté de recherche, d’échange et de publication. D’une manière générale, la condition de la culture, d
735 s transformations pendant l’ère des nationalismes et de la souveraineté sans limites de l’État. Créatrice des richesses, d
736 l’État. Créatrice des richesses, de la puissance et du prestige mondial de l’Europe, on pourrait croire qu’elle n’est plu
737 lasses possédantes, ou un ensemble de spécialités et de techniques ésotériques qui ne concernent pas l’homme de la rue, ni
738 ie, de la politique, ou de la défense nationale ? Et que personne ne s’avise de soutenir qu’il faudrait inverser cette hié
739 béir à des « nécessités » qui lui sont étrangères et la dégradent. Elle perd ainsi sa fonction directrice. Et la séparatio
740 égradent. Elle perd ainsi sa fonction directrice. Et la séparation s’aggrave entre la pensée et l’action, entre une pensée
741 trice. Et la séparation s’aggrave entre la pensée et l’action, entre une pensée qui accepte d’être inefficace, et une acti
742 , entre une pensée qui accepte d’être inefficace, et une action par conséquent désorientée, à courtes vues, privée de cohé
743 s lui ont rendu officiellement sa place centrale, et ils l’y tiennent emprisonnée. Elle est reine de nouveau, mais elle ne
744 rté, à l’Ouest, en font peu de cas pratiquement ; et ceux qui, à l’Est, lui reconnaissent un rôle central, la dénaturent e
745 lui reconnaissent un rôle central, la dénaturent et l’asservissent. Or, il est évident que ces conditions sont particuliè
746 s pour l’Europe, puisqu’elles brisent dans un cas et , dans l’autre, détendent les ressorts de la créativité qui était depu
747 uis des siècles la vraie cause de notre puissance et donc de notre indépendance. De plus, si la culture accepte d’être pri
748 si la culture accepte d’être privée théoriquement et pratiquement de la primauté dans nos vies nationales, soit qu’elle se
749 nte d’une liberté honoraire, sans responsabilité, et d’un rôle de produit de luxe, alors c’est le sens même de notre civil
750 ent des fins en soi ; là où toutes les activités, et les richesses, et les révoltes, et l’invention, trouvaient leur justi
751 i ; là où toutes les activités, et les richesses, et les révoltes, et l’invention, trouvaient leur justification finale da
752 les activités, et les richesses, et les révoltes, et l’invention, trouvaient leur justification finale dans le développeme
753 mme hypothèse de base, qu’il faut sauver l’Europe et sauver la culture. Si je pensais, comme certains, qu’il est trop tard
754 n tarit les sources de sa recréation perpétuelle. Et rien ne sert non plus d’entretenir le désir créateur, si on le prive
755 de la confiance en soi, du gaspillage des forces, et aussi du sens de la mesure, toutes choses sans lesquelles on ne crée
756 a littérature ne se crée pas dans les universités et les bibliothèques, mais dans le champ libre des passions ; la philoso
757 été qui ne risque ou ne conçoit plus d’aventure ; et la science s’arrête quand l’audace est un crime. Si l’Europe disparaî
758 une unité, si ce n’était pas celle de son choix ? Et si cette unité signifiait sa défaite, non point sa conquête sur elle-
759 non point sa conquête sur elle-même ? Son destin et non plus sa liberté ? L’Europe sans sa culture, réduite à ce qu’elle
760 qu’elle est, ne serait plus qu’un cap de l’Asie — et l’Asie n’a jamais passé pour la terre de la liberté. Certes, on peut
761 es concepts, mais je parle de réalités : l’Europe et la culture universelle qu’elle a produite sont deux réalités coextens
762 e sont deux réalités coextensives. Elles naissent et meurent du même mouvement. Qu’en est-il de ce mouvement, au milieu de
763 tes par la sentinelle d’Isaïe : « Le matin vient, et la nuit aussi ! » Cette fin de non-recevoir, lyrique et ironique, nou
764 nuit aussi ! » Cette fin de non-recevoir, lyrique et ironique, nous renvoie proprement à notre affaire. Et notre affaire m
765 ronique, nous renvoie proprement à notre affaire. Et notre affaire me paraît être ici d’apprécier tout d’abord l’état de n
766 ces, en vue d’agir. Entre les deux colosses russe et américain, l’Europe qui vient de perdre la guerre fait actuellement c
767 redressement. Entre deux-cents-millions de Russes et cent-cinquante-millions d’Américains, nous sommes ici, à l’ouest du r
768 ous pas inventé ? Je cite pêle-mêle : le marxisme et la psychanalyse, l’existentialisme et le personnalisme, la théorie de
769 le marxisme et la psychanalyse, l’existentialisme et le personnalisme, la théorie des quanta et celle des groupes, la soci
770 alisme et le personnalisme, la théorie des quanta et celle des groupes, la sociologie et les grandes synthèses historiques
771 ie des quanta et celle des groupes, la sociologie et les grandes synthèses historiques, la relativité généralisée et la ph
772 synthèses historiques, la relativité généralisée et la physique nucléaire, l’aviation, la radio et le cinéma, la vaccinat
773 ée et la physique nucléaire, l’aviation, la radio et le cinéma, la vaccination, la pénicilline et le DDT, le pétrole synth
774 adio et le cinéma, la vaccination, la pénicilline et le DDT, le pétrole synthétique et le radar, la rationalisation du tra
775 la pénicilline et le DDT, le pétrole synthétique et le radar, la rationalisation du travail industriel, la construction m
776 riel, la construction métallique, le syndicalisme et les coopératives, et enfin l’art moderne tout entier : peinture, musi
777 métallique, le syndicalisme et les coopératives, et enfin l’art moderne tout entier : peinture, musique, littérature, poé
778 : peinture, musique, littérature, poésie, théâtre et sculpture : presque tous leurs grands noms sont des noms de l’Europe,
779 tous leurs grands noms sont des noms de l’Europe, et les très rares qui n’en sont pas ont appris leur métier de nos maître
780 n comme pour le mal, il imite à la fois nos mœurs et nos objets, nos procédés d’art et de construction, de transport et de
781 fois nos mœurs et nos objets, nos procédés d’art et de construction, de transport et de gouvernement, d’industrie et de m
782 s procédés d’art et de construction, de transport et de gouvernement, d’industrie et de médecine, et nos armes. Les Hindou
783 ion, de transport et de gouvernement, d’industrie et de médecine, et nos armes. Les Hindous, les Chinois, les Noirs copien
784 t et de gouvernement, d’industrie et de médecine, et nos armes. Les Hindous, les Chinois, les Noirs copient l’Europe pour
785 rtager le monde à nos dépens ? L’Amérique du Nord et la Russie de Staline sont des produits de notre culture, l’une dès se
786 roduits de notre culture, l’une dès ses origines, et l’autre en ce qu’elle a de moderne justement. Calvin et le puritanism
787 utre en ce qu’elle a de moderne justement. Calvin et le puritanisme, d’un côté, plus les gratte-ciel, le système Taylor-Be
788 me Taylor-Bedaux à tous les degrés, la cellophane et le zipper partout, qui sont des inventions européennes ; et de l’autr
789 er partout, qui sont des inventions européennes ; et de l’autre côté, Marx et notre industrie, plus l’instruction publique
790 inventions européennes ; et de l’autre côté, Marx et notre industrie, plus l’instruction publique et l’athéisme, l’hypertr
791 x et notre industrie, plus l’instruction publique et l’athéisme, l’hypertrophie de l’appareil étatique, et des copies de l
792 ’athéisme, l’hypertrophie de l’appareil étatique, et des copies de l’art officiel de nos grands-pères. Caricatures évidemm
793 de description : leurs traits les plus frappants, et qu’ils croient spécifiques, ne sont souvent que des emprunts à notre
794 tels sont nos atouts, d’où vient notre faiblesse et notre angoisse ? D’où vient que nous ayons perdu, ou que nous croyion
795 du, ou que nous croyions avoir perdu la puissance et l’initiative, dès qu’il s’agit d’autre chose que de peinture, de parf
796 , celles qui ont fixé le visage du monde moderne. Et cette liste est impressionnante. Mais pour qu’elle rassure un Françai
797 ure un Français, un Allemand, un Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent quelque orgueil, encore faut-il qu’ils aient co
798 mpter dans ma liste les quelques noms de son pays et n’en tirera qu’une raison de plus de se sentir minoritaire, ou pauvre
799 s nos États-nations, nous sommes tous trop petits et nous avons, par conséquent, de bonnes raisons d’être angoissés pour n
800 s notre civilisation : conflits sociaux, éthiques et spirituels, dont je ne songe pas un seul instant à sous-estimer l’imp
801 ouffrir. Mais elle rend compte de nos faiblesses, et de notre démission sur le plan de l’Histoire. Et elle rend compte de
802 et de notre démission sur le plan de l’Histoire. Et elle rend compte de la névrose d’infériorité que j’ai dite. La divisi
803 lture sans libre échange des idées, des personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à cet égard. La
804 e échange des idées, des personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à cet égard. La condition néces
805 la condition du maintien de ce foyer de création et de liberté que représente l’Europe dans le monde, et que rien ne peut
806 de liberté que représente l’Europe dans le monde, et que rien ne peut remplacer. Qu’avons-nous fait pour nous unir ? Dans
807 de mise en commun de nos ressources matérielles. Et maintenant, dans le domaine de cette culture dont on ne saurait trop
808 ère, de nos ressources scientifiques, éducatrices et créatrices en général. Cette entreprise viendrait répondre à trois né
809 d’une question scientifique, sur les déficiences et les avantages culturels de l’Europe par rapport aux autres continents
810 n voit surgir des instituts13 dont les programmes et les buts se ressemblent, mais qui, souvent, s’ignorent mutuellement.
811 lubles dans le cadre trop étroit de chaque nation et de chaque budget national : problèmes des recherches atomiques, du ci
812 a nécessité d’un lieu de confrontation permanente et d’un instrument d’action concertée à l’échelle du continent, quelque
813 ale soit de pouvoir prendre certaines initiatives et de parler au nom de l’Europe comme unité, dans le plan de la culture
814 l’Europe comme unité, dans le plan de la culture et de la morale publique, de même que seule une Autorité politique supra
815 septembre sur l’initiative du Mouvement européen, et auquel le Conseil de l’Europe vient d’accorder son patronage officiel
816 tive de l’Europe doit commencer dans les cerveaux et dans les cœurs. Elle suppose une prise de conscience. Et toute volont
817 les cœurs. Elle suppose une prise de conscience. Et toute volonté de réveil de la conscience commune européenne, dans nos
818 la conscience commune européenne, dans nos élites et dans nos peuples, suppose la reconnaissance de deux réalités qu’oubli
819 ou n’est qu’un appendice insignifiant de l’Asie. Et cela veut dire que la vraie source de la puissance européenne est sa
820 source de la puissance européenne est sa culture, et qu’il serait absurde et vain d’essayer de sauver l’une sans l’autre.
821 uropéenne est sa culture, et qu’il serait absurde et vain d’essayer de sauver l’une sans l’autre. La seconde, c’est que le
822 e la culture occidentale, consistent en une seule et même chose : la liberté de la personne. Et cela veut dire que les cha
823 seule et même chose : la liberté de la personne. Et cela veut dire que les chances de l’Europe se confondent aujourd’hui
824 on par orgueil ou par satisfaction de nous-mêmes, et encore moins avec le fol espoir d’apaiser à jamais tous nos conflits,
825 i ont fait la vraie grandeur de l’homme européen, et pour sauver en face de la terre des masses, et de la terre des machin
826 n, et pour sauver en face de la terre des masses, et de la terre des machines, et des terres immenses de la fatalité, une
827 la terre des masses, et de la terre des machines, et des terres immenses de la fatalité, une Europe qui demeure la terre d
828 fausse des symétries, celle qui mettrait les USA et l’URSS dans le rôle de Charybde et de Scylla. Entre les Américains et
829 ttrait les USA et l’URSS dans le rôle de Charybde et de Scylla. Entre les Américains et nous, Européens, il y a en commun
830 le de Charybde et de Scylla. Entre les Américains et nous, Européens, il y a en commun les principes originels, l’usage pr
831 commun les principes originels, l’usage présent, et l’idéal sans cesse élargi de la liberté de pensée, qui est une garant
832 rantie des autres libertés. Entre les stalinistes et nous, Européens, il n’y a qu’un mot : démocratie. Pour eux, cela veut
833 Europei, les Summer Schools of European Studies, et enfin le Collège d’Europe, inauguré à Bruges le 12 octobre, et qui pe
834 ollège d’Europe, inauguré à Bruges le 12 octobre, et qui peut devenir l’École des sciences politiques du continent. g. R
835 du continent. g. Rougemont Denis de, « L’Europe et sa culture », La Revue de Paris, Paris, novembre 1950, p. 79-90.
7 1951, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Inde 1951 (décembre 1951)
836 térieur, deux rues de boutiques de luxe, de cafés et de librairies aboutissent dans le hall central ouvert sur un vaste pa
837 t sans relâche. Ma chambre a dix mètres sur cinq, et cinq de haut. Du plafond pend une grande hélice à quatre pales, qu’un
838 itesses. Sol de dalles grises polies, murs jaunes et beaucoup de meubles. Quand je sonne, trois serviteurs paraissent au f
839 rrivé de sonner à nouveau n’entendant rien venir, et de m’apercevoir ensuite qu’ils étaient là déjà depuis un long moment.
840 rdres, que le second probablement les enregistre, et que le troisième les exécute. Mais non, tout simplement, il y a trop
841 ssent dans l’ombre. Je me rendors. Le thé est là, et de nouveau trois hommes en blanc près de la table. Je leur demande du
842 la table. Je leur demande du sucre. Ils sourient et s’inclinent. Ils ont des crayons à la main et des blocs de papier. Il
843 ent et s’inclinent. Ils ont des crayons à la main et des blocs de papier. Ils attendent. Je leur dis que c’est tout ce que
844 hru ? Éclair de magnésium. Aveuglé, je comprends, et m’efforce de donner des réponses attendues, soudain frappé par la sim
845 par la similitude entre le contrôle des étrangers et l’interview. ⁂ Bombay, porte des Indes, présente à l’arrivant l’archi
846 e des Indes, présente à l’arrivant l’architecture et le puissant trafic d’une grande cité de l’Occident comme on en voit e
847 erchent l’étranger, le dépaysement pour lui-même, et sont déçus de ne le point trouver aussi pur et déconcertant qu’ils le
848 e, et sont déçus de ne le point trouver aussi pur et déconcertant qu’ils le rêvaient. Pour l’Indien, le Chinois, l’Arabe,
849 un sujet de littérature, de nostalgie consciente et cultivée. Il peut bien être le plus fort, il le fut en effet pendant
850 tte conviction, vivante encore dans nos campagnes et derrière les rideaux de nos provinces, est répudiée depuis longtemps
851 qui connaît ses dieux se conçoit dans leur ordre et sans autres problèmes, la faim n’étant qu’un ennemi. L’Occidental, qu
852 te d’ocres, de briques vernies, de blancs bleutés et de luxueux reflets aux vitres de milliers de bow-windows, la Sombre C
853 iers de bow-windows, la Sombre Chose, grouillante et mystérieuse, tapie tout près d’ici peut-être, comme le rêve sous la v
854 peut-être, comme le rêve sous la veille, instante et pourtant dérobée, la Sombre Chose pressentie, qui parfois nous envoie
855 bien ordonnée de ces quartiers, des signes brefs et toujours inquiétants, le cri précipité et comme rageur d’un corbeau m
856 s brefs et toujours inquiétants, le cri précipité et comme rageur d’un corbeau maigre à ma fenêtre, une ombre nette de vau
857 ée, des crachats rouges de bétel sur le trottoir, et ces moignons de bras charmants et menaçants… Sur le port et devant le
858 ur le trottoir, et ces moignons de bras charmants et menaçants… Sur le port et devant les grands hôtels, des fillettes aux
859 gnons de bras charmants et menaçants… Sur le port et devant les grands hôtels, des fillettes aux yeux sans sourire, au cor
860 féroce des gens du Sud, avec un petit cri hostile et guttural, pareil à celui des corbeaux, le cri de la misère sauvage qu
861 eusement se refusent à choisir entre le Coca-Cola et le camp de Kolyma ; ceux qui invoquent la morale et Gandhi pour justi
862 le camp de Kolyma ; ceux qui invoquent la morale et Gandhi pour justifier le neutralisme, et ceux qui tiennent à distingu
863 a morale et Gandhi pour justifier le neutralisme, et ceux qui tiennent à distinguer neutralisme et neutralité ; ceux qui d
864 me, et ceux qui tiennent à distinguer neutralisme et neutralité ; ceux qui demandent que les démocraties balayent devant l
865 balayent devant leur porte, se réforment d’abord, et ceux qui veulent sauver d’abord la liberté, sans laquelle il n’est pa
866 lancé d’abord par l’un des délégués occidentaux, et frénétiquement applaudi, reparaît le lendemain dans les éditoriaux, l
867 s suivants dans mille échos, lettres à l’éditeur, et commentaires critiques sur le Congrès. Je quitterai l’Inde sans avoir
868 les anciens Hindous, les Égyptiens, les Sumériens et les Romains, si les Occidentaux eux-mêmes avaient déclaré en leur tem
869 point de culture tant qu’il subsiste de la misère et de la famine, il n’y aurait point de civilisation ; s’il n’y avait po
870 e tairai. « Ventre affamé n’a point d’oreilles », et qui suis-je pour lutter ici contre la force d’un proverbe, si convain
871 t faux, que ce sont les repus qui n’écoutent pas, et que la disette est mère des civilisations, comme l’angoisse l’est de
872 n Gitan avec ses boucles noires, il est brahmine, et par un choix délibéré, très orthodoxe, donc très libre d’esprit.) — J
873 e. La trouverai-je à Bombay ? Il appelle un taxi, et nous voilà partis. Nous avons quitté la voiture à l’entrée d’une ruel
874 ndons lentement jusqu’à des escaliers très raides et compliqués, entre de hautes façades peintes en jaune. Statuettes vêtu
875 çades peintes en jaune. Statuettes vêtues de soie et de fleurs dans des niches, comme à Naples. Il y a bien, assises sur l
876 d’un diamant, aux chevilles surchargées d’anneaux et de grelots, mais le décor est italien. (Et ce même rose très pâle et
877 nneaux et de grelots, mais le décor est italien. ( Et ce même rose très pâle et un peu mauve des cotonnades, que je n’avais
878 le décor est italien. (Et ce même rose très pâle et un peu mauve des cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et
879 cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et plus rarement au Brésil.) Nous descendons. Les escaliers débouchent s
880 long bassin rectangulaire, empli d’une eau verte et profonde. Tout autour du bassin, et sur l’îlot qui en occupe le centr
881 une eau verte et profonde. Tout autour du bassin, et sur l’îlot qui en occupe le centre, s’élèvent des colonnes de pierre
882 hérissées de demi-soucoupes : ce sont des lampes, et tout s’allume les soirs de fête. Nous entrons dans une rue sinueuse,
883 ons à un ou deux étages, cages à oiseaux cubiques et mal superposées, de cafés minuscules dont les balcons surplombent le
884 inuscules dont les balcons surplombent le bassin, et d’espèces de garages ou étables, on ne sait, aux larges portes à barr
885 nd de l’ombre, un autel s’illumine. Étoffes rouge et or derrière la statuette, bijoux, fleurs, menues verroteries, et dans
886 la statuette, bijoux, fleurs, menues verroteries, et dans l’étroit espace devant l’autel, une femme debout, sans un geste.
887 . Parfois le prêtre en pagne sort d’un coin noir, et vient planter autour d’une fontaine basse, dans la courette, deux min
888 qui circulent sans nous voir de leurs yeux fixes et ardents. Nous croise un être demi-nu, très vieux, le crâne tondu, deu
889 re. Des femmes aux membres incroyablement maigres et gracieux. Peu de bruits, et pas un sourire. La cloche d’un temple tin
890 ncroyablement maigres et gracieux. Peu de bruits, et pas un sourire. La cloche d’un temple tinte, sans musique. On entend
891 di. Des yeux brillent dans les portes sombres. Çà et là, un homme prie, accroupi contre un mur. Il règne dans tout le quar
892 t le quartier une espèce de solennité énigmatique et insidieuse, qui tient du rêve et de la vie animale. Tout est menu, fé
893 nité énigmatique et insidieuse, qui tient du rêve et de la vie animale. Tout est menu, félin, misérable et précieux à la f
894 e la vie animale. Tout est menu, félin, misérable et précieux à la fois. Dans mes vêtements européens, je me sens trop lou
895 ns mes vêtements européens, je me sens trop lourd et trop grand. Un peu plus loin, là où la rue tourne et s’éclaire, vers
896 trop grand. Un peu plus loin, là où la rue tourne et s’éclaire, vers les roches noires et plates du bord de mer, des homme
897 a rue tourne et s’éclaire, vers les roches noires et plates du bord de mer, des hommes assis en groupe écoutent une lectur
898 de peau très noire, aux gros yeux blancs, sérieux et lent. Raja Rao lui demande ce qu’il lit. C’est un chant du Mahabharat
899 du Mahabharata. Ils écoutent sans bouger, jeunes et vieux, le livre dont Gandhi chaque soir lisait quelques extraits à se
900 ouchant, ni jamais un groupe d’hommes plus dignes et candides dans l’acte d’entendre un poème. Plus tard, comme nous remon
901 un cordon autour du cou pendant jusqu’au nombril, et d’un pagne. Il rythmait ses lentes et grandes enjambées en frappant l
902 au nombril, et d’un pagne. Il rythmait ses lentes et grandes enjambées en frappant le sol d’un bâton. Derrière lui se pres
903 n sur les talons de l’autre, le premier très gros et court, le second décharné, les tendons des chevilles saillant comme d
904 ons des chevilles saillant comme des cordelettes, et le troisième trapu, crâne tondu, une sorte de queue de cheval surgiss
905 ly man : plus ils sont saints, plus ils sont nus, et non pas chamarrés de robes et surplis à l’instar des princes ou des r
906 plus ils sont nus, et non pas chamarrés de robes et surplis à l’instar des princes ou des rois, et comme le sont nos dign
907 es et surplis à l’instar des princes ou des rois, et comme le sont nos dignitaires ecclésiastiques, toujours plus lourdeme
908 stricte avec les mouvements des bras, des doigts et des chevilles, m’a fait comprendre la statuaire hindoue : les attitud
909 . Ému par tant de beautés concertées, la danseuse et ses pas, dont chacun signifiait, l’éclat somptueux des soies, des cou
910 ci, rien ne relève du « goût », mais chaque forme et chaque geste sont dictés par le rite et revêtus de son autorité. Pour
911 que forme et chaque geste sont dictés par le rite et revêtus de son autorité. Pourtant ce qui a suivi m’a troublé davantag
912 té. Pourtant ce qui a suivi m’a troublé davantage et j’en parlerai plus longuement. Devant la soie de fond viennent d’appa
913 au visage rond barré d’énormes moustaches noires, et d’une placidité d’expression qui surprend. Vêtus de blouses bleues et
914 ’expression qui surprend. Vêtus de blouses bleues et de longues culottes blanches serrées aux mollets, chacun d’eux porte
915 croisés ; puis se tournent lentement sur le côté et frappent un peu plus fort ; s’assoient et frappent ; tournent sur leu
916 le côté et frappent un peu plus fort ; s’assoient et frappent ; tournent sur leur séant et frappent ; se lèvent et marchen
917 s’assoient et frappent ; tournent sur leur séant et frappent ; se lèvent et marchent à grands pas, genoux pliés, et frapp
918 ; tournent sur leur séant et frappent ; se lèvent et marchent à grands pas, genoux pliés, et frappent de plus en plus fort
919 se lèvent et marchent à grands pas, genoux pliés, et frappent de plus en plus fort ; et quand leur danse atteint sa plus i
920 genoux pliés, et frappent de plus en plus fort ; et quand leur danse atteint sa plus intense animation, frappant devant e
921 ils venaient à rater un seul croisement des armes et se touchaient la tête, ils tomberaient raides — le fracas des bâtons
922 chent, frappent encore faiblement, s’immobilisent et la musique s’arrête sans conclusion, comme n’importe où. Les deux géa
923 ù. Les deux géants aux faces placides se relèvent et s’en vont s’asseoir parmi les musiciens. « Est-ce beau, ou grotesque,
924 occidental) de ces deux êtres absolument pareils et dénués de toute expression, leur naïveté inquiétante et opaque, leur
925 ués de toute expression, leur naïveté inquiétante et opaque, leur animalité totalement possédée par le rythme léger des in
926 ent possédée par le rythme léger des instruments, et ces coups décochés à intervalles précis, par une détente d’une vigueu
927 à voir ici. La danse des deux hercules moustachus et puérils, surgis peut-être d’un passé moghol, me fait entrer dans une
928 int étranger aux concepts formulés par l’Europe ? Et comment suggérer dans son obscurité le sentiment, mal distinct d’une
929 des fonctions symboliques, sans conscience propre et séparée. Je serais tenté d’imaginer à la limite qu’ils ne sont rien q
930 uement déterminés par la batterie des instruments et les figures dynamiques de la danse que l’animal par ses instincts. Sa
931 iberté suppose quelque hiatus intime entre le Moi et le destin. Il me semble qu’au seuil de comprendre, je viens de sentir
932 e l’individu, de ses souffrances, de sa vie même, et pourquoi ses grandeurs anciennes nous semblent tour à tour follement
933 r totalement l’une dans l’autre, tels les animaux et les dieux dans la métamorphose infinie de la Fable. ⁂ Chaque nuit, je
934 our aller respirer l’air de la mer. Les corridors et les galeries de boutiques sont jonchés de corps endormis. (Quand je p
935 r cuisine, ou qu’ils s’appliquent sur les cheveux et sur le front en triples traits, non sans l’avoir mêlée d’un colorant
936 le porche. Saisissement dès l’entrée dans l’ombre et le silence. Essayer de se rappeler le plus grand nombre possible des
937 é, surveillé, repoussé par tous ces yeux hostiles et insistants. Sur les grandes dalles de pierre, l’urine des vaches sacr
938 racines grises formant le tronc, des fleurs roses et violettes, piquées en ex-voto. Devant moi, quelques marches conduisen
939 egardent. Au pied de l’arbre, une petite fontaine et un autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homme prie debout, puis
940 une petite fontaine et un autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homme prie debout, puis se tourne à demi en remuant l
941 vers l’autre côté de la cour. Je suis son regard et découvre en retrait, au-delà de l’abreuvoir, un bâtiment peint en ble
942 bâtiment peint en bleu-vert, chargé de clochetons et de reliefs rococo, qui évoque un pavillon de foire et qui est un temp
943 e reliefs rococo, qui évoque un pavillon de foire et qui est un temple. En réalité toute cette cour, avec les vaches et le
944 ple. En réalité toute cette cour, avec les vaches et leur mine sacrée, le pipal, l’autel, la fontaine, les fleurs offertes
945 pipal, l’autel, la fontaine, les fleurs offertes et les fidèles muets, forme l’antichambre ou le parvis du temple. D’où l
946 le. L’ombre, l’absence de paroles, de mouvements. Et la composition compliquée de l’ensemble, comme une mise en scène plei
947 de rites communautaires ; à part les processions et fêtes périodiques ; enfin, peu de respect pour les prêtres, sortes de
948 utiles par leur savoir des rites de la naissance et de la mort, mais fort inférieurs aux brahmines. Comment cette religio
949 ste-t-elle, privée de toute espèce d’institutions et de disciplines collectives ? Elle se transmet par la famille, par le
950 personnes sur une bicyclette — le père, la mère, et trois enfants — où enfin, d’une manière générale, il y a partout trop
951 e pays qui ne croit pas à l’absolu de la personne et qui semble voué au collectif, la dévotion et le culte sont individual
952 onne et qui semble voué au collectif, la dévotion et le culte sont individualistes. Et bien plus encore le salut. Je revoi
953 if, la dévotion et le culte sont individualistes. Et bien plus encore le salut. Je revois ces femmes seules dans les templ
954 times avec le dieu, tournant le dos aux passants. Et ces hommes en prière contre un mur. Et ces saints demi-nus, traversan
955 passants. Et ces hommes en prière contre un mur. Et ces saints demi-nus, traversant à grands pas les rues encombrées de p
956 s rues encombrées de piétons, de vaches, de zébus et d’autos, allant ailleurs, on ne sait où, mais on ne peut s’empêcher d
957 où, mais on ne peut s’empêcher de se le demander, et d’eux seuls dans la foule infinie, car eux seuls sont vraiment distin
958 rries, galettes, fruits doux-amers, jus de fruits et glaces, servis dans de petits bols que l’on dépose sans relâche et sa
959 dans de petits bols que l’on dépose sans relâche et sans ordre sur le pourtour d’un grand plateau d’argent, devant chaque
960 e. La conversation s’engage entre Stephen Spender et ses vis-à-vis Hindous et Parsis. Stephen déplore la condition présent
961 ge entre Stephen Spender et ses vis-à-vis Hindous et Parsis. Stephen déplore la condition présente de l’homme occidental,
962 urire, hésitent un peu, par politesse sans doute, et disent enfin que non, qu’ils n’ont pas de complexes, surtout pas de c
963 nière d’exprimer qu’il n’a pas le sens du péché ; et par suite, qu’il n’a pas non plus le sens de la révolte, ni celui de
964 e celui de l’originalité, étant l’homme du Karma, et d’une caste. La suppression des castes, admise en droit, si elle deve
965 en ne sont qu’erreurs. Le besoin d’être original, et dans un autre ordre l’humour, expriment notre notion de l’individu :
966 s nécessaire, absolument liés dans notre histoire et dans notre action personnelle. Alors la vocation vient remplacer le r
967 on vient remplacer le rôle. Qu’elle fasse défaut, et nous vivons dans l’incertain, l’absurde ou la médiocrité. Chez l’Indi
968 collant à son identité, qui est celle d’un ordre et non pas d’un ego, d’un être différent qui ne vivra qu’une fois. Il ré
969 emi étranger, car dans toute destruction violente et non rituelle il y a le risque insane de changer le réel et de blesser
970 tuelle il y a le risque insane de changer le réel et de blesser l’ordre du monde. De là, sans doute, l’idée de non-violenc
971 bri du danger de communier avec lui dans la lutte et d’en sortir contaminé. ⁂ Nehru. — L’un de ses anciens amis m’a mis e
972 à, plus question de plébiscite, idée quantitative et bien américaine ; il s’agit au contraire de sauver les droits de la m
973 uver les droits de la minorité, seule responsable et progressiste, et qui est hindoue. N’oubliez pas que le Pandit est du
974 e la minorité, seule responsable et progressiste, et qui est hindoue. N’oubliez pas que le Pandit est du Kashmir. Prenez e
975 même temps leur politique, on les rend hésitants et l’on se plaint de leur retard, mais si l’URSS nous envoie deux wagons
976 ne s’en moque, pourvu que l’Inde appuie la Chine. Et cinq des grands ambassadeurs de l’Inde sont communistes ou fellow-tra
977 la misère. » Beaucoup enfin de ceux qui l’aiment et qui l’admirent : « Ah ! s’il était resté notre leader moral, au lieu
978 ue je suis dans ce pays — douze jours seulement — et je n’en prends aucune à mon compte, mais comment cesserais-je d’y pen
979 il m’a convié, entouré de sa fille, de sa nièce, et de quelques familiers de sa maison. Dans le salon où je l’attendais,
980 uit, d’un pas rapide. Un peu voûté, l’air sérieux et distant. Il porte une longue veste de soie d’un violet sombre, semée
981 ie d’un violet sombre, semée de fleurs gris-clair et jaunes. Pantalons blancs étroits, souliers de soie noire, tête nue. U
982 ention que je risque du Congrès, baissant la tête et regardant sa main posée sur un coussin, sans réagir. Je ne sais pourq
983 is.) Mais à table, c’est un autre homme. Souriant et détendu, curieux de tout, connaissant bien les écrivains qui particip
984 nfits de vingt sortes diverses posés devant nous, et guettant si je les aime ; parlant de tout pour ne parler de rien peut
985 des six ou sept qui dirigent aujourd’hui le monde et qui forment déjà, de fait sinon de droit, une sorte de cabinet mondia
986 gies, non seulement par sa situation entre l’URSS et les USA, mais par sa manière d’assumer ou de refuser cette situation.
987 naît guère l’Europe que par les collèges anglais, et d’autre part, elle est tentée de juger l’Occident tout entier à trave
988 n, je lui téléphonerai. » Un sourire un peu grave et charmeur. Un adieu familier de la main. J’essaie maintenant de recomp
989 intenant de recomposer ce que l’on m’a dit de lui et ce que j’ai vu de l’homme, pendant une entrevue « banale », et c’est
990 i vu de l’homme, pendant une entrevue « banale », et c’est son prix. Nehru est un brahmine éduqué à Cambridge, un aristocr
991 aristocrate libéral inclinant vers le socialisme, et dont le destin, complice de sa nature intime plutôt que de ses idées,
992 Un moraliste en somme, mais sans foi religieuse, et qui remplace les dogmes par quelques bons principes empruntés au libé
993 runtés au libéralisme, au socialisme humanitaire, et à Gandhi. Avec cela, plus impatient qu’autoritaire, plus soucieux de
994 on personnelle. Tout le monde parle de sa beauté. Et il est vrai que son visage et son maintien expriment une harmonie de
995 parle de sa beauté. Et il est vrai que son visage et son maintien expriment une harmonie de l’âme hindoue que la plupart d
996 e que la plupart des corps, dans ce pays, cachent et même contredisent à nos yeux. L’Indien du peuple, avec ses membres gr
997 ses membres grêles, sa peau grise, ses yeux fixes et brillants, nous apparaît plus près que nous de l’animal, ou soudain p
998 l’autre.) Sur le visage de Nehru, l’âme affleure et vient en surface. Mais dans son être intime, le regard de l’esprit tr
999 uverait-il pas au contraire ce signe d’inquiétude et de contradiction, cette petite cicatrice secrète qui trahit l’arrache
1000 ar l’action combinée de Gandhi, de nos faiblesses et de nos idéaux, l’Inde va-t-elle enfin se retrouver elle-même ? Six si
1001 anqué la Renaissance, les Lumières, le romantisme et les révolutions. Endormie en plein Moyen Âge, on la réveille au siècl
1002 ein Moyen Âge, on la réveille au siècle américain et russe. Ni d’un côté ni de l’autre, elle ne peut se reconnaître. Elle
1003 les castes, chez les brahmines, chez les paysans et artisans, mais le pouvoir est aux « sécularistes » qui se détachent d
1004 uissance pratique mais qui résiste en profondeur, et un avenir encore épidermique, le présent de l’Inde paraît manquer de
1005 u le pressentir : celui de l’homme entre le mythe et la personne. Les autres sont assez connus. Des milliers de vaches sac
1006 . L’armée serait impuissante devant une invasion. Et ainsi de suite… Presque tous ces problèmes me semblent insolubles. Il
1007 ui le peut ? L’Amérique lui fournit des tracteurs et du blé. La Russie lui propose la révolte. Et l’Europe, jusqu’ici, n’a
1008 eurs et du blé. La Russie lui propose la révolte. Et l’Europe, jusqu’ici, n’a rien offert. (Qui, d’ailleurs, l’eût fait en
1009 dentale que se recrutent les staliniens de l’Inde et leurs alliés. Le communisme, comme idéal et doctrine révolutionnaire,
1010 ’Inde et leurs alliés. Le communisme, comme idéal et doctrine révolutionnaire, n’a guère touché que les milieux d’étudiant
1011 ire, n’a guère touché que les milieux d’étudiants et les populations très anciennement chrétiennes du Malabar. Mais un Hin
1012 de 390 millions d’habitants — la vie de la rue — et aussi les préoccupations nouvelles nées de l’indépendance, les soucis
1013 intelligentsia… ses réactions en face de l’URSS… et un portrait nuancé de Nehru. »
8 1965, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Le Suisse moyen et quelques autres (mai 1965)
1014 Le Suisse moyen et quelques autres (mai 1965)j k Portrait du Suisse moyen Les Su
1015 ibles), quatre langues, deux confessions majeures et trente-six sectes, je ne sais combien de races variablement mêlées et
1016 , je ne sais combien de races variablement mêlées et de dialectes jalousement cultivés — et cela fait beaucoup de combinai
1017 ent mêlées et de dialectes jalousement cultivés — et cela fait beaucoup de combinaisons possibles. (J’en ai dénombré cinqu
1018 multiplicité, distribuée sur tout le territoire, et d’une même attitude d’intime approbation à l’égard d’un régime qui pe
1019 ais à charge de respect pour les coutumes locales et leurs compartimentages. La moyenne suisse est l’expression d’un conte
1020 ime, d’une longue absence de conflits dramatiques et de la prospérité qui en a pu résulter. Pas de moyenne réelle dans les
1021 enté d’imposer ses règles, provoquant la violence et fixant pour longtemps d’irréductibles discordances et des disparités
1022 ixant pour longtemps d’irréductibles discordances et des disparités extrêmes dans les manières de vivre et de juger. La li
1023 es disparités extrêmes dans les manières de vivre et de juger. La liberté de rester divers rapproche, les décrets d’unifor
1024 le toujours de la Suisse comme d’une nation « une et diverse ». Il faut voir qu’elle est une parce qu’elle est diverse. Le
1025 eu, le sens du compromis, l’attrait de la moyenne et son revers qui est la peur de différer, le conformisme, sont les vert
1026 peur de différer, le conformisme, sont les vertus et les défauts typiques qu’appelle la tolérance fédéraliste. Enquêtes so
1027 raliste. Enquêtes sociologiques, études d’opinion et analyse des votations se recoupent d’une manière remarquable, et tout
1028 votations se recoupent d’une manière remarquable, et toutes nous donnent du Suisse moyen un portrait statistique qui resse
1029 ce qu’ils en connaissent bien les données de fait et les impératifs concrets, et qu’ils la jugent au surplus satisfaisante
1030 n les données de fait et les impératifs concrets, et qu’ils la jugent au surplus satisfaisante. Une enquête conduite par l
1031 lup pendant l’été de 1963, dans six pays d’Europe et aux États-Unis, montre qu’ils sont « en tête des gens heureux », comm
1032 eur niveau de vie, tandis que 38 % s’en plaignent et que 14 % n’en pensent rien, une majorité écrasante de 88 % des Suisse
1033 » 42 % répondent très heureux, 51 plutôt heureux, et 6 % seulement pas très heureux. (Reste 1 % pour les désespérés ou ceu
1034 re des Suisses possibles, mais le monde a changé, et l’on s’adapte à ces changements, loin de s’accrocher aux recettes du
1035 cité vers des formes d’organisation de l’économie et de la distribution des revenus que les socialistes d’antan revendiqua
1036 s d’antan revendiquaient sans trop oser y croire, et que les patrons modernes négocient posément avec des chefs syndicalis
1037 sur lequel peuvent compter syndicalistes, patrons et gouvernants, c’est le goût du travail dont on a pu écrire qu’il est «
1038 des Suisses », la base de leurs rapports sociaux et souvent le sens même de leur vie. Dans le canton de Neuchâtel de mon
1039 t aussi « leur seul mode de promotion »17, dit-on et sans doute en va-t-il vraiment ainsi pour l’immense majorité. La cout
1040 le sur les nominations dans la fonction publique, et nul autre parti ne l’a remplacé ; peu ou point de grandes fortunes fo
1041 grandes fortunes fondées sur un coup de chance ; et les fils à papa ne se contentent pas de poser comme ailleurs aux prog
1042 ailleurs aux progressistes, mais travaillent dur et passent inaperçus. Cette prédominance du travail sur toute autre vale
1043 rofessionnelle. Le Suisse s’expatrie facilement18 et passe sans nulle difficulté d’une commune ou d’un canton à l’autre, m
1044 té ne s’avouent guère, se cherchent des prétextes et en trouvent d’excellents, mais il n’y a plus de gratuité. Dans L’Annu
1045 e : « Instruction, distraction. » C’est « Culture et loisirs » en France, la nuance est significative. Quant au goût de la
1046 Suisses bien avant l’ère industrielle-utilitaire, et même bien avant la Réforme, mais il est en symbiose avec elles, et s’
1047 t la Réforme, mais il est en symbiose avec elles, et s’en nourrit autant qu’il explique leur succès dans la majorité de no
1048 mots de passe de la vie quotidienne du bourgeois et surtout de son épouse. Tout ce qui est compliqué est vaguement immora
1049 incière d’Einsiedeln, la cathédrale de Saint-Gall et les églises de la campagne lucernoise, Beromünster, Ettiswil et Surse
1050 de la campagne lucernoise, Beromünster, Ettiswil et Sursee, font une des gloires de ce pays. C’est la Suisse primitive qu
1051 ienne, très mal vue. La Suisse moderne, puritaine et technique, ennemie de la dépense autant que de l’apparat, et même des
1052 e, ennemie de la dépense autant que de l’apparat, et même des majuscules typographiques (voir l’école graphique de Zurich)
1053 es où l’or est gaspillé sur des stucs boursouflés et qui manquent de sérieux… Et cela conduit à poser la question des crit
1054 des stucs boursouflés et qui manquent de sérieux… Et cela conduit à poser la question des critères moraux du Suisse moyen.
1055 ui attribue désormais, lui reproche vertueusement et s’empresse d’imiter ? La tournure d’esprit sociologique du xxe siècl
1056 gagner davantage. La paresse est une déficience, et non le signe éventuel d’une sagesse libérée des contingences. Je ne c
1057 se : « Estimez-vous qu’on peut être un bon Suisse et se lever à 9 heures ? » À l’origine du devoir et du goût de se lever
1058 et se lever à 9 heures ? » À l’origine du devoir et du goût de se lever tôt pour travailler, il y a la Bible autant que l
1059 r, il y a la Bible autant que la coutume paysanne et bien plus que l’utilitarisme. Il y a d’abord la bonne conscience, bie
1060 les récits de Casanova, les lettres de Rousseau, et plus tard les indignations de Jeremias Gotthelf contre les mœurs des
1061 cordants décrivent une Suisse gaillarde, rustique et soldatesque, qui préfère la virtù à la vertu. Le réveil religieux suc
1062 cédant au piétisme, l’avènement de la bourgeoisie et l’école ont changé tout cela. Comme partout en Europe, pendant le xix
1063 steurs, à l’« impureté », péril majeur pour l’âme et parfois pour le corps. Cette préoccupation quelque peu obsédante asso
1064 devenu le révolté qu’on serait tenté d’imaginer, et que les Églises soient aujourd’hui plus vivantes qu’hier. Les nouvell
1065 anquillement libérées de la hantise du « péché », et les pasteurs actuels aussi. D’où l’on pourrait déduire d’une part qu
1066 un empire bien puissant pour que ses disciplines et jugements fussent acceptés aussi communément et sans plus de rébellio
1067 s et jugements fussent acceptés aussi communément et sans plus de rébellion que de désaffection. D’autres indices viennent
1068 les enquêtes en cours sur le régime de la censure et l’état du mariage en Suisse. La censure des publications n’est offici
1069 gée par les douaniers, fonctionnaires subalternes et militarisés. Quels peuvent bien être leurs critères du moral et de l’
1070 . Quels peuvent bien être leurs critères du moral et de l’immoral ? Je n’en ai découvert qu’un seul : « La discipline, un
1071 e où il alignait des bâtonnets pendant des heures et il fallait surtout que rien ne dépasse. Ce qui dépasse aux yeux de la
1072 mises à l’index par le ministère public fédéral, et dont chaque employé des douanes est censé connaître la liste (Sade, H
1073 ent, que ceux de la banalité morale la plus plate et la plus résiduelle. On interdit l’entrée de tout écrit, de toute imag
1074 tribu : la commune, le milieu, « nos familles », et très rarement hors du canton, et dans ce cas plutôt hors de Suisse21.
1075  nos familles », et très rarement hors du canton, et dans ce cas plutôt hors de Suisse21. L’humoriste Georges Mikes affirm
1076 ètres. Elle en avait le cœur brisé, bien entendu, et m’expliqua en grande confidence qu’elle faisait de grands efforts pou
1077 tude un exemple miraculeux de sacrifice personnel et une manifestation presque surhumaine de contrôle de soi22 ». Tout cel
1078 s (derrière les États-Unis, le Danemark, la Suède et l’Autriche) pour la proportion des divorces, depuis que la mobilité d
1079 ssement correspondant des mariages intercantonaux et interconfessionnels : « Ces mariages mixtes !… » En réalité, le divor
1080 is-je, d’une exigence accrue à l’égard du mariage et de ce qu’il peut représenter pour le développement personnel de chacu
1081 e développement personnel de chacun des conjoints et pour leur intégration en tant que couple dans la vie sociale…23 Au t
1082 de conformisme raisonné, adopté après mûr examen, et surtout : moralement assumé. Le niveau de vie, une fois qu’il est bie
1083 nt le danger, ses surprises que le poste « divers et imprévu » au budget de la petite famille ne suffiront pas à couvrir,
1084 te famille ne suffiront pas à couvrir, peut-être. Et certaines questions qu’on se pose sur le sens final de tout cela… ⁂ C
1085 quotidienne, montre les Suisses tels qu’ils sont et se veulent. Ceux qui refuseront de s’y reconnaître ne seront sans dou
1086 sérieux mais heureux (j’ajoute qu’il rit beaucoup et facilement), qu’il est réaliste sans cynisme, qu’il accepte sa condit
1087 condition comme il approuve son régime politique et acclame son niveau de vie neuf fois sur dix, qu’il n’est pas révoluti
1088 t pas révolutionnaire mais résolument réformiste, et qu’il n’aime pas les jeux d’idées ni la spéculation dans aucun ordre,
1089 nter ou le dénigrer ? Il est clair que c’est l’un et l’autre, selon le signe dont on affecte les notions de révolte, ou d’
1090 satisfaction, de gratuité ou d’efficacité, etc., et selon qu’on préfère ceux qui s’engagent dans les guerres d’idéologies
1091 rait de la Suisse. L’enquête la plus intelligente et la statistique la plus fine peuvent montrer les traits acquis de la p
1092 s » de l’Autrichien, du Français ou de l’Anglais, et ce sont pourtant de tels hommes qui donnent à un pays ce qu’on appell
1093 se des consciences actuelles n’en peuvent compter et indexer : il y a des forces et des réalités longuement agissantes et
1094 en peuvent compter et indexer : il y a des forces et des réalités longuement agissantes et soudain décisives que l’homme m
1095 des forces et des réalités longuement agissantes et soudain décisives que l’homme moyen ne peut pas exprimer, bien qu’il
1096  ou faut-il dire précisément parce qu’il en vit ? Et ce sont des hommes d’exception qui les révèlent dans leurs œuvres, mê
1097 se, ou peut-être précisément parce que ces forces et ces réalités étaient pour eux problèmes, contestations, conceptions i
1098 comme l’Italie a produit Dante, la France Pascal et la Révolution, l’Allemagne Goethe et certains phénomènes moins humani
1099 rance Pascal et la Révolution, l’Allemagne Goethe et certains phénomènes moins humanistes, la Russie Tolstoï et Staline, l
1100 ns phénomènes moins humanistes, la Russie Tolstoï et Staline, l’Espagne Cervantès, Colomb et l’Amérique, cette dernière Or
1101 e Tolstoï et Staline, l’Espagne Cervantès, Colomb et l’Amérique, cette dernière Orson Welles et la Bombe. Il faut admettre
1102 Colomb et l’Amérique, cette dernière Orson Welles et la Bombe. Il faut admettre que notre aurea mediocritas saute aux yeux
1103 tranger le voie ? Si cet étranger vient chez nous et cite l’un des Suisses qu’il connaît par sa réputation mondiale, il ne
1104 lui qui ferait mine de dépasser la mesure commune et d’être un chef. Un Führer suisse est impensable, et même l’essai d’in
1105 d’être un chef. Un Führer suisse est impensable, et même l’essai d’instituer un Landammann de Suisse échoua très vite, ve
1106 t, on ne saurait dire qu’il gouverne les Suisses, et c’est très bien. Mais dans le domaine de la culture, cet égalitarisme
1107 le domaine de la culture, cet égalitarisme jaloux et tatillon présente les plus sérieux inconvénients. Car pour qu’un gran
1108 out cela qu’interdisent moralement nos principes, et physiquement nos petits compartiments. Que fera dans ces conditions l
1109 lui imposent les petites dimensions de notre État et les conditions de sa paix. Se rendre invisible : passer inaperçu. —
1110 e laissent rien paraître que leur identité native et naturelle. Ce n’est pas se dissimuler, en vérité : simplement le géni
1111 zius était un jeune Bernois, épris de littérature et d’idées libertaires. Il devint cependant pasteur à 25 ans et passa le
1112 libertaires. Il devint cependant pasteur à 25 ans et passa le reste de sa vie dans la cure du village de Lützelflüh. À qua
1113 de Lützelflüh. À quarante ans il se mit à écrire et , sous le nom de Jeremias Gotthelf (Jérémie : le prophète ; Gotthelf :
1114 quinzaine de romans tragiques, éducatifs, épiques et religieux, fantastiques à la fin (L’Araignée noire), que Thomas Mann
1115 e l’administration locale, du secours des pauvres et de la commission scolaire. Henri-Frédéric Amiel n’eut même pas à cho
1116 Dans nos cantons, chaque enfant naît soldat ! ») et des cours de philosophie dont l’ennui seul est resté mémorable ont ca
1117 Genève, j’ai épousé la mort — celle de mon talent et de ma joie. » Je crois que c’est Paul Bourget qui a dit que « Paris e
1118 ccepter dans sa cité natale selon son rang social et en tant que professeur. Un peu plus tard, Ferdinand de Saussure suit
1119 oser en tant que différent de ses données natives et par une volonté de rupture. On ne saurait lui reprocher cette nouvell
1120 ècle.) Se rendre utile. — Pays pauvre au départ et dont les seules richesses furent fabriquées par un travail humain bie
1121 ntrant qu’il fait une œuvre utile au bien commun. Et c’est pourquoi les Suisses qui ont excellé furent presque tous, à des
1122 itres divers, hommes utiles au sens le plus noble et penseurs engagés dans une communauté (qui souvent dépassait leur pays
1123 randes affaires publiques à l’échelle de l’Europe et du monde, théologiens ou pédagogues, savants du premier rang mais qui
1124 rands dons aux yeux de leur conscience helvétique et de leur peuple. Point de spéculation sur l’Être en soi, mais seuleme
1125 soi, mais seulement sur les relations entre Dieu et l’individu, entre l’individu et la communauté, entre les hommes, entr
1126 ations entre Dieu et l’individu, entre l’individu et la communauté, entre les hommes, entre les peuples et nations, entre
1127 a communauté, entre les hommes, entre les peuples et nations, entre des entités moralement définies. Le salut de l’homme o
1128 ses. Il est possible que le plus grand théologien et le plus grand psychologue de ce siècle, jusqu’ici, soient deux Suisse
1129 ècle, jusqu’ici, soient deux Suisses : Karl Barth et C. G. Jung. En eux la Suisse excelle et se dépasse, mais dans le seul
1130 arl Barth et C. G. Jung. En eux la Suisse excelle et se dépasse, mais dans le seul sens qu’elle ait jamais voulu se permet
1131 amais voulu se permettre : celui de la cure d’âme et d’esprit, et non de la spéculation abstraite. Tous deux fils de paste
1132 e permettre : celui de la cure d’âme et d’esprit, et non de la spéculation abstraite. Tous deux fils de pasteurs bâlois, d
1133 ous deux fils de pasteurs bâlois, de haute taille et de robuste carrure, fumeurs de pipe et d’humeur malicieuse, et pas du
1134 ute taille et de robuste carrure, fumeurs de pipe et d’humeur malicieuse, et pas du tout « intellectuels » ni par l’allure
1135 carrure, fumeurs de pipe et d’humeur malicieuse, et pas du tout « intellectuels » ni par l’allure ni dans l’abord humain 
1136 leurs tout les oppose. Jeune pasteur en Argovie, et socialiste combatif, Karl Barth publie un commentaire sur l’Épître au
1137 , mais ses complices dans l’Église. On l’expulse. Et dès lors, revenu à Bâle, il édifie une Dogmatique de l’Église qui est
1138 ise qui est le monument théologique le plus hardi et dur d’arêtes de l’ère moderne. On n’avait pas été moins conformiste d
1139 aire après un siècle de libéralisme, plus humaine et plus réaliste après un siècle de formalisme puritain et sentimental,
1140 s réaliste après un siècle de formalisme puritain et sentimental, ne s’était élevée dans les Églises en retraite devant le
1141  », s’élève sans relâche contre la guerre froide, et se voit accusé de neutralisme par les bourgeois anticommunistes. Zwin
1142 es. Zwinglien par sa méfiance à l’égard des rites et de toute religion spontanée, luthérien par sa doctrine de la grâce ma
1143 ieu » en l’homme, calviniste par son sens civique et communautaire, mais kierkegaardien par son affirmation d’un Dieu tota
1144 en par son affirmation d’un Dieu totaliter aliter et sans commune mesure avec les intérêts de la tribu, essentiellement pr
1145 entiellement protestant par sa dialectique du oui et du non sans nuances, et par sa rhétorique du « tout cela et rien que
1146 par sa dialectique du oui et du non sans nuances, et par sa rhétorique du « tout cela et rien que cela » (qu’il a puisée d
1147 sans nuances, et par sa rhétorique du « tout cela et rien que cela » (qu’il a puisée dans saint Paul), il est le seul théo
1148 glises protestantes, en Amérique comme en Europe, et que les docteurs de Rome respectent et commentent. Carl Gustav Jung,
1149 en Europe, et que les docteurs de Rome respectent et commentent. Carl Gustav Jung, dans le même temps (après sa rupture a
1150 chologiques, ethnographiques, évolutives, en deçà et au-delà de toute dogmatique. Alors que Barth veut définir ce qui est
1151 amener l’individu à l’obéissance au Dieu biblique et transcendant du dogme, l’autre à l’appropriation personnelle de réali
1152 , collectives (qu’on lui reproche de mal définir) et qu’il a détectées dans la grande nuit des âges. Autant Barth refuse l
1153 ait donc plus proche du comportement intellectuel et spirituel des Églises romaine et grecque — il connaît et il redécouvr
1154 ent intellectuel et spirituel des Églises romaine et grecque — il connaît et il redécouvre la valeur des rites et des symb
1155 ituel des Églises romaine et grecque — il connaît et il redécouvre la valeur des rites et des symboles et il est tout le c
1156 — il connaît et il redécouvre la valeur des rites et des symboles et il est tout le contraire d’un iconoclaste — mais quan
1157 il redécouvre la valeur des rites et des symboles et il est tout le contraire d’un iconoclaste — mais quand il déclare, da
1158 tion archétypique, donc d’une réalité de l’âme, —  et c’est précisément dans la mesure où ils seraient un mythe fixé que Ba
1159 ntre ces deux hommes n’était même pas concevable, et de fait il n’a pas eu lieu. Leurs disciples (pasteurs et théologiens
1160 ait il n’a pas eu lieu. Leurs disciples (pasteurs et théologiens d’un côté, médecins psychiatres et philosophes des religi
1161 rs et théologiens d’un côté, médecins psychiatres et philosophes des religions de l’autre) coexistent sans se rencontrer,
1162 igions de l’autre) coexistent sans se rencontrer, et aucune tentative d’intégration ou de synthèse même très partielle n’a
1163 e démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe et du style, libre de tout souci d’application « morale », leur eussent
1164 seraient guère pensables hors du complexe suisse. Et c’est à eux que la Suisse, en retour, doit une densité de conscience
1165 S’expatrier. — Les acheteurs de pendules à coucou et de montres miniaturisées ignorent en général que le plus grand dôme d
1166 eux ponts les plus longs du monde, le Golden Gate et le Washington Bridge, Les Tessinois Maderno et Fontana, le Romand Le
1167 te et le Washington Bridge, Les Tessinois Maderno et Fontana, le Romand Le Corbusier, l’Alémanique Othmar Ammann, autant d
1168 ivresse des sommets. L’intuition de la grandeur. Et plus d’obstacles devant la pensée. Le Suisse s’appelle Jean-Jacques.
1169 domaine, Karl Barth. Son canton — ou l’Europe. » Et il est vrai que nos meilleurs esprits, hors de l’étroit compartiment
1170 , iront chercher dans les vertiges de la synthèse et dans les larges vues panoramiques les grandes dimensions qui leur man
1171 énédict de Saussure que ces hommes s’illustrèrent et apprirent à voir grand, c’est en s’expatriant pour se réaliser au sei
1172 natal de Schwyz, Euler vécut dans les Allemagnes et à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne et à Berlin, Jean-Jacque
1173 s et à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne et à Berlin, Jean-Jacques, Mme de Staël et Constant à Paris. Quant à un
1174 à Vienne et à Berlin, Jean-Jacques, Mme de Staël et Constant à Paris. Quant à un Jung, à un Ramuz, à un Barth, qui, après
1175 en Suisse, ce n’est pas la Suisse qui a découvert et propagé leur nom dans le monde ; c’est au contraire de l’étranger, de
1176 s ancêtres de mon père, dont pourtant les parents et trois des grands-parents étaient de Neuchâtel, je trouve 32 Neuchâtel
1177 s étaient de Neuchâtel, je trouve 32 Neuchâtelois et 32 Européens surtout Français, mais pas un seul Suisse d’un autre can
1178 I, i, 6, 3. 25. Synthèse des sciences médicales et d’une écologie européenne avant la lettre : Paracelse. Théorie généra
1179 Jung. j. Rougemont Denis de, « Le Suisse moyen et quelques autres », La Revue de Paris, Paris, mai 1965, p. 53-64. k.
9 1969, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’avenir du fédéralisme (septembre 1969)
1180 s engagés après un siècle ? Celle des fédérations et de l’harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance des particulari
1181 tionaux ? Je répondrai : dans les deux à la fois, et cela n’est pas contradictoire. Un phénomène très général de convergen
1182 on continentale qui créent le Conseil de l’Europe et le Marché commun, puis leurs contreparties plus ou moins réussies dan
1183 mmuniste COMECON, dans le monde arabe, en Afrique et en Amérique latine, cependant qu’une volonté d’union mondiale anime l
1184 volonté d’union mondiale anime les Nations unies et l’Unesco, le Conseil œcuménique des Églises et Vatican II. Simultaném
1185 es et l’Unesco, le Conseil œcuménique des Églises et Vatican II. Simultanément, mais en sens inverse, un phénomène tout au
1186 éral d’affirmation des diversités, des autonomies et des volontés d’indépendance, inspire les mouvements de résurgences co
1187 ments de résurgences communalistes, régionalistes et nationalistes, qu’on voit partout en plein essor, qu’il s’agisse de N
1188 outumes, ou des nécessités économiques nouvelles, et qui enfièvrent tour à tour la Bretagne, les Flandres ou le Pays basqu
1189 ne, les Flandres ou le Pays basque. Convergences et diversification, exigence simultanée de plus grandes unions supranati
1190 simultanée de plus grandes unions supranationales et de plus petites unités infranationales, solidarités et autonomies : c
1191 plus petites unités infranationales, solidarités et autonomies : ces deux mouvements contraires se prononcent en même tem
1192 même temps, résultent en partie des mêmes causes, et entraînent des effets complémentaires, j’entends le dépassement de l’
1193 épassement de l’État-nation à la fois par en haut et par en bas, d’une part, vers des fédérations continentales et, d’autr
1194 s, d’une part, vers des fédérations continentales et , d’autre part, vers un fédéralisme régional. La victime de ce double
1195 l’État-nation, tel qu’il est né de la Révolution et du Premier Empire, produit de la confiscation d’une mystique — la nat
1196 tique — la nation — par un appareil administratif et policier — l’État. Un État plus ou moins nationalisé ou une nation ét
1197 ance, bientôt imitée par presque toute l’Europe — et au xxe siècle, par une centaine de nations nouvelles. Centralisé, at
1198 entaine de nations nouvelles. Centralisé, atomisé et trituré par les dynamismes contraires du xxe siècle, l’État-nation e
1199 ’Histoire nous l’ont laissé, à la fois trop petit et grand. Il est trop petit pour assurer ce qu’on persiste à nommer son
1200 surer ce qu’on persiste à nommer son indépendance et sa souveraineté absolue : car nul pays de notre Europe n’est plus en
1201 se nourrir seul, au spirituel comme au physique. Et en même temps presque tous nos États centralisés — dans la mesure mêm
1202 p grands pour animer la vie économique culturelle et surtout civique de leurs régions : celles-ci se sentent exploitées pa
1203 xploitées par l’État, ses bureaux ou sa capitale, et les accusent de colonialisme. Il est certain que la prétention à une
1204 re soutenue à la rigueur que par la Chine, l’URSS et surtout les USA, s’ils acceptaient toutefois d’en payer le prix, lequ
1205 e que ce double mouvement de convergence mondiale et de diversification locale ne mette en crise permanente. 855 votes en
1206 aux dernières élections, des autonomistes gallois et écossais. Agitation basque et catalane, sourde mais profonde. Plastic
1207 utonomistes gallois et écossais. Agitation basque et catalane, sourde mais profonde. Plasticages à Saint-Brieuc, dans le T
1208 s à Saint-Brieuc, dans le Tyrol du Sud, à Louvain et dans le Jura bernois. Mais en même temps, multiplication des jumelage
1209 de la Regio Basiliensis, unions professionnelles et industrielles tendant dévaloriser les frontières… À tous les coups, c
1210 l ne correspond plus ni aux conditions de liberté et de participation civique, apanage des communautés ou cités libres, co
1211 i aux conditions de développement, de rentabilité et de sécurité, auxquelles ne peuvent répondre que de grands espaces éco
1212 onomiques constitués à la mesure des possibilités et des besoins de l’ère scientifico-technique. Cet échec de la politique
1213 hnique. Cet échec de la politique centralisatrice et unitaire, secrètement obsédée par un rêve d’autarcie, et cette mise e
1214 aire, secrètement obsédée par un rêve d’autarcie, et cette mise en question, voire en accusation, de la formule stato-nati
1215 donc une première réponse : oui, nous sommes bel et bien au seuil d’une ère potentiellement fédéraliste. Peut-on dire plu
1216 is ils regroupent 40 % de la population du globe, et il est frappant de constater qu’on trouve parmi eux les plus grands É
1217 rmi eux les plus grands États des cinq continents et les plus modernes — ainsi les États-Unis, le Mexique et le Brésil pou
1218 plus modernes — ainsi les États-Unis, le Mexique et le Brésil pour les trois Amériques, le Nigéria en Afrique, l’Allemagn
1219 en Afrique, l’Allemagne pour l’Europe de l’Ouest et la Yougoslavie pour celle de l’Est, et au-delà, l’URSS, l’Inde et l’A
1220 de l’Ouest et la Yougoslavie pour celle de l’Est, et au-delà, l’URSS, l’Inde et l’Australie. Voilà qui réfute le cliché du
1221 e pour celle de l’Est, et au-delà, l’URSS, l’Inde et l’Australie. Voilà qui réfute le cliché du fédéralisme « désuet ». Ma
1222 la double exigence antinomique de la convergence et de la diversification n’est pas tellement mieux satisfaite dans ces t
1223 ires : en URSS, ce sont les autonomies régionales et les diversités religieuses et politiques qui sont opprimées par l’Éta
1224 tonomies régionales et les diversités religieuses et politiques qui sont opprimées par l’État central dont un Parti unique
1225 îner par des mouvements de convergence européenne et mondiale, même s’ils disent s’inspirer du propre exemple de la fédéra
1226 on est en droit d’incriminer que sa trahison pure et simple, ou son usage mal compris, ou son blocage délibéré aux limites
1227 du fédéralisme, mais d’un défaut de fédéralisme. Et l’on est en droit de penser que l’application correcte de la méthode
1228 tablirait bientôt ce double mouvement de diastole et de systole, vers des autonomies plus locales et vers des unions plus
1229 e et de systole, vers des autonomies plus locales et vers des unions plus vastes, qui est le battement même du cœur d’un r
1230 ttribué aux girondins de rompre l’unité nationale et de transformer la France en une fédération de petits États. » Pour le
1231 ’agit d’un système qui est bon pour les sauvages, et qui semble n’avoir été préconisé que par des traîtres à la République
1232 de Proudhon. Depuis lors, les centaines d’études et de gros volumes parus sur le sujet auraient dû suffire, semble-t-il,
1233 il, à clarifier un terme que le problème européen et nos situations nationales nous amènent à utiliser quotidiennement. Ma
1234 isme reste d’être un concept dialectique, ambigu, et qui autorise — ou incite en tout cas — aux plus invraisemblables pata
1235 ation intégrale, sans respect pour les diversités et les autonomies des pays membres, c’est-à-dire très exactement le cont
1236 ttitude de suspicion envers tout pouvoir central, et à la défense ombrageuse des autonomies locales ou régionales. C’est a
1237 s. C’est ainsi qu’un illustre homme d’État belge, et grand Européen, écrivait récemment : « Ce n’est pas dans le fédéralis
1238 , ni cela, mais la coexistence en tension de ceci et de cela, il semble que le danger d’interprétations partielles, donc r
1239 de l’Europe est l’entreprise capitale de siècle, et s’il est vraisemblable que cette union sera fédérale ou ne sera pas,
1240 entraînent en fait les malentendus que j’ai dits, et par suite l’importance pratique de tout effort de clarification des c
1241 ffort de clarification des concepts de fédération et de fédéralisme. Pour ma part, je voudrais maintenant proposer quelque
1242 raines choisies dans les domaines les plus variés et les moins politiques au sens étroit du mot. ⁂ Tout d’abord, trois déf
1243 tés humaines antinomiques mais également valables et vitales, de telle sorte que la solution ne puisse être cherchée, ni d
1244 ulement dans une création qui englobe, satisfasse et transcende les exigences de l’un et de l’autre. J’appellerai donc sol
1245 e, satisfasse et transcende les exigences de l’un et de l’autre. J’appellerai donc solution fédéraliste toute solution qui
1246 le langage de la théorie des jeux de von Neumann et Morgenstern, qu’il s’agit de déterminer l’optimum en lequel se concil
1247 ient deux maxima contradictoires, — comme l’offre et la demande dans un prix.) L’ensemble des problèmes et des solutions a
1248 a demande dans un prix.) L’ensemble des problèmes et des solutions ainsi définis constitue ce que je nommerai la politique
1249 quel type d’homme correspond une telle politique, et quel type d’homme elle entend préparer ou éduquer, constatons qu’elle
1250 iens au sujet de l’antinomie fondamentale de l’Un et du Divers, ou encore de la permanence et du changement. Parallèlement
1251 de l’Un et du Divers, ou encore de la permanence et du changement. Parallèlement se constituaient les premières définitio
1252 s définitions de l’homme comme individu distinct, et de la cité ou auto-nomie (littéralement auto-réglage) comme cellule d
1253 nt auto-réglage) comme cellule de base des ligues et fédérations. Voilà qui est proprement occidental : devant ce même pro
1254 ment occidental : devant ce même problème de l’Un et du divers, les métaphysiques orientales prennent le parti de supprime
1255 équilibre neutre, mais bien en tension créatrice, et c’est le succès de cet effort toujours renouvelé toujours menacé, qui
1256 thétiques ou politiques. Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des contraires procède la plus belle harmonie, dit un fra
1257 monie, dit un fragment célèbre d’Héraclite. L’art et la science de cette mise en tension, de cette composition de réalités
1258 , voilà je crois ce qui définit l’apport original et spécifique de la pensée occidentale ; or cette définition vaut égalem
1259 occidentale ; or cette définition vaut également et intégralement pour le fédéralisme, du moins tel que je l’entends, apr
1260 grands siècles avec sa dialectique de l’individu et de la cité, conciliée dans la notion de citoyen. Mais le moment cruci
1261 écifiquement occidentale vers l’approfondissement et l’expansion du modèle des contraires en tension créatrice, nous le tr
1262 puis à Chalcédoine, plusieurs centaines d’évêques et de docteurs se mettent d’accord pour définir en grec la nature à la f
1263 rd pour définir en grec la nature à la foi triple et une du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une
1264 nature à la foi triple et une du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une et double de Jésus-Christ.
1265 triple et une du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une et double de Jésus-Christ. Et ils écrivent 
1266 ils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une et double de Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seul e
1267 personne à la fois une et double de Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seul et même Seigneur Jésus-Chris
1268 rist. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seul et même Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme… fils unique en d
1269 un seul et même Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme… fils unique en deux natures, sans confusion (ni) séparati
1270 tance de ces énoncés, je retiens que leurs formes et structures posent un certain type de relations, posent donc une socié
1271 ertain type de relations, posent donc une société et une politique. De même que le modèle trinitaire des conciles sera uti
1272 sé par Kepler dans ses spéculations sur le cercle et leurs applications à l’astronomie, ou par Hegel dans sa dialectique t
1273 onomie, ou par Hegel dans sa dialectique ternaire et ses applications au devenir historico-politique — source principale d
1274 nce des deux natures sans confusion ni séparation et de l’union qui loin de supprimer la différence des natures sauvegarde
1275 tous les penseurs occidentaux respectueux du réel et des conditions de la vie, qui sont : antinomies, oppositions, lutte d
1276 dialectiques, à Pascal, Kierkegaard ou Nietzsche, et aux doctrinaires politiques comme Rousseau, Tocqueville et Proudhon,
1277 ctrinaires politiques comme Rousseau, Tocqueville et Proudhon, mais aussi aux écoles récentes de physiciens et de logicien
1278 hon, mais aussi aux écoles récentes de physiciens et de logiciens pour lesquels la complémentarité de phénomènes, définis
1279 des dogmes relatifs aux trois Personnes divines, et surtout à la deuxième, va nous servir de module. La personne humaine,
1280 sidéré dans sa double réalité d’individu distinct et de citoyen engagé dans la société. Pourvu de libertés mais de respons
1281 vu de libertés mais de responsabilités, solitaire et solidaire (selon le mot de Victor Hugo repris par Camus), distingué d
1282 se constitue dans la dialectique des contraires. Et ce caractère va se transmettre à tous les groupes qu’il formera avec
1283 es devront être, à leur tour, à la fois autonomes et solidaires : pour eux aussi, l’un n’ira pas sans l’autre, bien mieux 
1284 ndispensables l’une à l’autre : la spécialisation et la culture générale. 2. Les problèmes actuels de l’habitat et de l’ur
1285 e générale. 2. Les problèmes actuels de l’habitat et de l’urbanisme résultent de la croissante difficulté de satisfaire le
1286 frustrées dans les grands ensembles, de solitude et de sociabilité, de recueillement et de communication avec les autres.
1287 , de solitude et de sociabilité, de recueillement et de communication avec les autres. 3. Au niveau de la vie civique et p
1288 n avec les autres. 3. Au niveau de la vie civique et politique, tout le problème revient à concilier les besoins contraire
1289 besoins contraires mais vitaux d’autonomie locale et de grands espaces communs, de participation efficace à la vie d’un gr
1290 rticipation efficace à la vie d’un groupe concret et d’horizons ouverts, d’adhésion à des communautés plus vastes, de cadr
1291 s vastes, de cadres qui rassurent, d’enracinement et de mobilité… La situation de l’homme qui veut à la fois sa vie privée
1292 ation de l’homme qui veut à la fois sa vie privée et une vie sociale est homologue à la situation de la région qui veut à
1293 ion de la région qui veut à la fois son autonomie et sa participation à un plus grand ensemble, en association. 4. Enfin,
1294 res au sein de l’Être même de l’Universel, source et fin de toute communauté. Dans tous ces domaines d’existence, quels se
1295 ctoires de la vie, comme la liberté des personnes et la force de la communauté ? L’analyse fédéraliste d’une situation par
1296 s dimensions optima de l’aire d’exécution requise et elle le fait en fonction des trois facteurs suivants : possibilités d
1297 nière étape : une fois déterminée cette dimension et l’unité correspondante (communale, régionale, nationale, continentale
1298 talitaire. De plus, les aires d’opération peuvent et doivent différer selon les tâches, j’entends selon qu’elles intéresse
1299 les ordinateurs, c’est-à-dire le respect du réel et de ses infinies complexités enfin rendu possible par la technique mod
1300 ministration soit facile, mais qu’elle soit juste et éclairée.) Nous allons voir, enfin, que nos critères d’évaluation des
1301 fin, que nos critères d’évaluation des dimensions et d’attribution des niveaux décisionnels — la participation, l’efficaci
1302 aux décisionnels — la participation, l’efficacité et l’économie des moyens — sont en interdépendance générale. Prenons l’e
1303 à bon marché, trop serré avec d’autres chez soi, et qui voudrait être enfin seul, sort et se mêle à la foule anonyme… Mai
1304 s chez soi, et qui voudrait être enfin seul, sort et se mêle à la foule anonyme… Mais c’est une mauvaise solitude, née de
1305 sisterait à recréer les conditions de communauté, et tout d’abord certaines dimensions et structures architecturales : des
1306 communauté, et tout d’abord certaines dimensions et structures architecturales : des unités d’habitation de 5000 à 25 000
1307 es verts mais de rues réservées aux seuls piétons et d’une place remplissant la fonction de l’agora ou du forum dans la ci
1308 es, d’intrigues, de flirts, de criée des journaux et de manifestations. La possibilité physique et morale de participation
1309 aux et de manifestations. La possibilité physique et morale de participation à la vie communale dépend de tels aménagement
1310 conflits actuels dans l’université, en tous pays et tous régimes politico-économiques. Ils ont pour motif profond l’antin
1311 ie entre la culture générale au sens traditionnel et l’acquisition d’un savoir professionnel souvent d’autant plus rentabl
1312 robatie toute participation réelle à la recherche et compromet l’efficacité de l’enseignement. Remède fédéraliste : commen
1313 des possibilités de recherches très spécialisées et de travail interdisciplinaire. L’analyse conduit à souhaiter l’adopti
1314 fédération de ces petites unités en départements, et je retrouve ici les solutions préconisées lors du fameux colloque de
1315 rd, municipale. C’est au niveau de la vie civique et politique — c’est le même mot, selon l’étymologie — que nous allons e
1316 s (telles que la défense, les affaires étrangères et la politique économique, ou certaines recherches scientifiques) sans
1317 s scientifiques) sans léser les droits essentiels et l’autonomie des unités de base ? Comment devenir assez grand pour êtr
1318 oportionnées à la puissance que l’on veut obtenir et en même temps multiplier les petites unités de base, de manière à mai
1319 ilités de participation civiques, intellectuelles et affectives. C’est dans ce double dynamisme créateur d’unions plus vas
1320 igences de l’habitat, de la formation des esprits et de l’exercice du civisme, c’est dans cette dialectique concrète que s
1321 ase de la future fédération continentale, en lieu et place des États-nations constitués au xixe siècle. On s’aperçoit alo
1322 tionnelle dénommée État ne suffit pas à qualifier et moins encore à épuiser »… Et il ajoutait : « Le fédéralisme est autre
1323 ffit pas à qualifier et moins encore à épuiser »… Et il ajoutait : « Le fédéralisme est autre chose qu’une simple recette
1324 s grands types d’aménagement du rapport politique et peut-être plus encore, un des grands styles de vie et de civilisation
1325 eut-être plus encore, un des grands styles de vie et de civilisation, capable, au même titre que le libéralisme, le social
1326 la démocratie, d’alimenter la pensée des sociétés et de dicter aux hommes ces “images de comportement” dont Bertrand de Jo
1327 is loin aussi des définitions étroitement légales et constitutionnelles du xixe . Nous voici sur le seuil de l’ère des gra
1328 us voici sur le seuil de l’ère des grandes unions et des petites unités fonctionnelles, et l’on va peut-être trouver, dans
1329 ndes unions et des petites unités fonctionnelles, et l’on va peut-être trouver, dans les techniques avancées, le moyen de
1330 l des éléments particuliers — demeurant distincts et reconnaissables — dont se compose la fédération. Il est une symbiose
1331 disparition des spécificités. » 27. H. Brugmans et P. Duclos, Le Fédéralisme contemporain, Paris, 1963, p. 151. l. Rou
1332 dans la Gazette de Lausanne (version partielle), et en décembre 1964 dans le Bulletin du Centre européen de la culture (