1 1937, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Paysans de l’Ouest (15 juin 1937)
1 tout la jeunesse, d’ordinaire invisible, au point que je doutais même qu’elle existât. Elle était là. Elle occupait les lon
2 ordinaire invisible, au point que je doutais même qu’ elle existât. Elle était là. Elle occupait les longs bancs rangés en c
3 sent les mêmes éphèbes grecs, porteurs de torches qu’ ils se passent avec des gestes lents, hallucinants, à grands sauts ral
4 llume. L’instituteur monte à sa chaire et annonce qu’ il va prononcer, comme chaque semaine désormais, un petit discours. « 
5 isage intelligent, la chevelure noire en bataille qu’ il saisit à pleines mains dans les moments pathétiques. Il annonce le
6 nts pathétiques. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’ est-ce qu’être laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je vous rappellera
7 iques. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’est-ce qu’ être laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je vous rappellerai tout d’a
8 ! — il y a, dis-je, quelqu’un qui a osé prétendre que je suis un empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé des calomn
9 des consciences ! » Récit détaillé des calomnies que le curé répand sur son compte, dans les foyers et jusque dans la pres
10  ! citoyens, lors de ce congrès, il a été stipulé qu’ à l’avenir… » La fin de la phrase étant particulièrement sonore, des a
11 ent m’attaquer dans mon activité professionnelle, que je considère comme sacrée ! » En somme, être laïque, c’est être relig
12 é à l’oreille de ma femme : « C’est un sermon ! » que l’orateur, au comble de son éloquence, s’écrie : « Et, mes frères ! s
13 « Et, mes frères ! si l’on vient encore vous dire que je suis un empoisonneur des consciences, vous saurez maintenant me dé
14 uin a même crié : Très bien ! Les jeunes trouvent qu’ « il cause bien ». Pour terminer la soirée, on passe un dessin animé,
15 e la réponse. La mère Renaud vient de m’apprendre que l’orateur est le pasteur du chef-lieu. Il paraît qu’il cause très bie
16 l’orateur est le pasteur du chef-lieu. Il paraît qu’ il cause très bien — lui aussi — mais elle ne l’a jamais entendu. Elle
17 ous capables de lire le journal, et j’ai remarqué qu’ ils achètent absolument au hasard ceux qu’ils trouvent en dépôt chez l
18 emarqué qu’ils achètent absolument au hasard ceux qu’ ils trouvent en dépôt chez la mère Renaud : l’Ami du Peuple ou la Fran
19 nque entre les opinions, pourtant bien tranchées, que ces journaux leur servent. Je crois qu’ils n’y pensent même pas. Peut
20 ranchées, que ces journaux leur servent. Je crois qu’ ils n’y pensent même pas. Peut-être que la discussion annoncée après l
21 . Je crois qu’ils n’y pensent même pas. Peut-être que la discussion annoncée après la conférence d’A… me fera modifier ce j
22 up M. Palut, n’est-ce pas, c’est la première fois qu’ il vient à A…, mais certainement qu’il va nous intéresser, et je lui d
23 première fois qu’il vient à A…, mais certainement qu’ il va nous intéresser, et je lui donne la parole. » M. Palut sourit co
24 urit cordialement, et parle : — On a dit ici même que l’Église est contre les travailleurs. Est-ce vrai ? Il y a plusieurs
25 e. Un philosophe français, M. Julien Benda, a dit que les clercs ont trahi. Les clercs, n’est-ce pas, ce sont les intellect
26 e vrai chrétien est avec les petits. Résumé de ce que la Bible dit des travailleurs : Jérémie exigeait que le roi payât les
27 la Bible dit des travailleurs : Jérémie exigeait que le roi payât les ouvriers. L’Ancien Testament nous montre que le syst
28 ayât les ouvriers. L’Ancien Testament nous montre que le système de propriété chez les Juifs est presque communiste ! Jésus
29 pas s’y connaître assez en religion, mais assure qu’ il a été bien intéressé. On se lève, et les langues se délient. « Il a
30 ans, l’air intelligent. Je l’approuve et m’étonne que la discussion n’ait pas été plus longue : il y avait pourtant bien de
31  Ben quoi, fait-il, convaincu, c’est la vérité ce qu’ il a dit ! » Comment donc ? Ai-je affaire à un chrétien ou même à un p
32 ci ? » Il me regarde un peu étonné à son tour : «  Qu’ est-ce que vous voulez, il n’y a rien à répondre, c’est juste, ce qu’i
33 me regarde un peu étonné à son tour : « Qu’est-ce que vous voulez, il n’y a rien à répondre, c’est juste, ce qu’il a dit !
34 voulez, il n’y a rien à répondre, c’est juste, ce qu’ il a dit ! Il connaît bien son affaire. C’est bien comme ça que c’est
35 Il connaît bien son affaire. C’est bien comme ça que c’est écrit dans la Bible, il n’a pas dit de mensonges, quoi ! Mais i
36 hose. Là ça barde, après les réunions ! Mais ici, qu’ est-ce que vous voulez ? Ils sont comme ça… » Je vais me présenter au
37 a barde, après les réunions ! Mais ici, qu’est-ce que vous voulez ? Ils sont comme ça… » Je vais me présenter au conférenci
38 s questions ». Il s’exprime avec tant de prudence qu’ on a peine à comprendre ses intentions. Il a un oncle qui est curé, ma
39 faisons les cent pas sur la place. M. Palut sait que je suis écrivain. Il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de m
40 était sûrement beaucoup trop simple pour vous, ce que je leur ai dit ce soir, j’ai dû vous ennuyer, hein ? » Je le rassure
41 ’amour-propre, vous pouvez me dire franchement ce que vous pensez, de cette soirée… Je le regarde. C’est un homme simple et
42 pinion, ou si elle peut vous être utile… je crois que vous êtes encore trop compliqué pour ce public. Il me semble qu’on po
43 ncore trop compliqué pour ce public. Il me semble qu’ on pourrait leur parler plus directement, les interpeller, enfin quoi,
44 vec qui ils sont d’accord. Il ne faut pas oublier que nous vivons à une époque de propagande forcenée, et je vous assure qu
45 époque de propagande forcenée, et je vous assure qu’ un communiste, par exemple, les aurait attaqués plus brutalement sans
46 ession, puisque vous me la demandez. Je sais bien que vous les connaissez beaucoup mieux que moi… Le pasteur sourit : — Vou
47 sais bien que vous les connaissez beaucoup mieux que moi… Le pasteur sourit : — Vous me faites plaisir, tenez ! Bien sûr,
48 son, mon cher monsieur. Mais c’est plus difficile que vous ne croyez. Il faut que je vous dise que c’est la première fois q
49 c’est plus difficile que vous ne croyez. Il faut que je vous dise que c’est la première fois que je parle ici, c’est déjà
50 cile que vous ne croyez. Il faut que je vous dise que c’est la première fois que je parle ici, c’est déjà un énorme succès.
51 faut que je vous dise que c’est la première fois que je parle ici, c’est déjà un énorme succès. Pensez donc, il y a plus d
52 norme succès. Pensez donc, il y a plus de six ans que je suis dans l’île, et je n’avais jamais pu parler à A…, à cause du c
53 n peut aller plus loin. — Mais ne croyez-vous pas qu’ on pourrait gagner leur confiance en leur parlant plus familièrement,
54 ale. — Oui, oui, mais… je les connais. Ils aiment qu’ on leur fasse un beau discours. Ah ! c’est terrible, je vous assure. B
55 ure. Bien sûr, il faudrait parler autrement. Mais qu’ est-ce qu’ils comprennent ? Allez le savoir, avec eux. On prêche penda
56 sûr, il faudrait parler autrement. Mais qu’est-ce qu’ ils comprennent ? Allez le savoir, avec eux. On prêche pendant six ans
57 ans la même chose, ils vous remercient, on croit qu’ ils ont compris, et puis un beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et
58 s ont compris, et puis un beau jour on s’aperçoit que … rien, rien et rien ! Et pourtant il faut bien continuer, même si on
59 marais. « Le peuple, me disais-je en pédalant, ce qu’ ils appellent le peuple… » ; je revoyais cette centaine d’hommes dans
60 rtie, dès qu’il ne s’agit plus d’argent ! À moins que ce ne soit le langage, la difficulté de s’exprimer ? Tout est mystère
61 l’obscurité. Mais le lendemain il n’en reste rien qu’ un peu de courbature dans les jambes. 16 décembre 1933 Derrière la mêm
62 même pile d’assiettes où je crois avoir déjà dit que j’avais trouvé deux ouvrages traitant de mon île, j’ai déniché ce mat
63 encore lu ce livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans cette espèce, mais ce n’est p
64 dans cette espèce, mais ce n’est point pour cela que j’en parle ici. C’est pour une raison très précise et qui n’a rien à
65 la critique littéraire. À la page 43 de l’édition que j’ai sous les yeux, je lis ceci : « … ils déménagent… comme les puces
66 on mort. » Cette phrase a fait dans mon esprit ce qu’ on appelle un trait de lumière. Lundi dernier, au petit matin, nous no
67 pas plus loin la cause du phénomène. Il est vrai qu’ on a beau porter un nombre excessif de jupons, cela ne devrait pas suf
68 re, caché sous des feuillages brunis. Si j’ajoute que la porte d’entrée joint mal le seuil, tout s’explique sans peine déso
69 es indiscrétions gênantes et dont on ne sait trop que faire, ou des doctrines dont ils négligent de nous dire s’ils les ont
70 e, ce sont justement des réponses à des questions qu’ on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’est là qu’ils croient voir le
71 u’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’est là qu’ ils croient voir leur astuce. Astuces, petites secousses, grandes seco
72 elle est même littéralement sensationnelle, mais que veulent-ils qu’on en fasse ? Nous avons tout à rapprendre de Goethe.
73 ittéralement sensationnelle, mais que veulent-ils qu’ on en fasse ? Nous avons tout à rapprendre de Goethe. Non seulement de
74 ses, etc. Ne montons plus au ciel du second Faust que par ces allées de Ferrare ! 18 décembre 1933 Je ne cesse de repenser
75 er à la conférence d’avant-hier à A… Il me semble qu’ elle m’apprend sur « le peuple » davantage que toutes mes expériences
76 ble qu’elle m’apprend sur « le peuple » davantage que toutes mes expériences précédentes. Il me semble même qu’elle m’a fai
77 es mes expériences précédentes. Il me semble même qu’ elle m’a fait voir « le peuple » pour la première fois de ma vie. Prem
78 onstatation : l’apathie générale, aussi bien à A… qu’ à la séance de cinéma. Il n’y aurait là rien d’étonnant, si l’on ne no
79 Troisième constatation : la plupart des discours que l’on tient au peuple lui sont incompréhensibles ; mais ceux qui les é
80 urel. Je fus certainement le seul ici à m’étonner que l’instituteur citât Ernest Lavisse, ou le pasteur M. Benda. Il est gé
81 eur M. Benda. Il est généralement admis en France qu’ un orateur dit un tas de choses qu’on ne comprend pas, et cite des nom
82 dmis en France qu’un orateur dit un tas de choses qu’ on ne comprend pas, et cite des noms qu’on ne connaît pas. Cela fait p
83 de choses qu’on ne comprend pas, et cite des noms qu’ on ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloquence est
84 uence est le but du discours, dont le sujet n’est que le prétexte. Je constate. Je conclus que les intellectuels sont en ma
85 et n’est que le prétexte. Je constate. Je conclus que les intellectuels sont en mauvaise posture pour agir sur le peuple. Q
86 sont en mauvaise posture pour agir sur le peuple. Qu’ ils disent des vérités ou des mensonges, on n’applaudira guère que le
87 s vérités ou des mensonges, on n’applaudira guère que le son de leur voix, ou le parti qui les délègue. Il resterait à expl
88 e libérer des charlataneries politiques autrement que par des violences maladroites, dont il ne sera pas le dernier à pâtir
89 ent-elles pas une origine commune ? Il m’a semblé que j’entrevoyais cette origine dans les propos de mon voisin au sortir d
90 in au sortir de la conférence. Cet homme trouvait qu’ il n’y avait rien à « discuter » dans les paroles de l’orateur, parce
91 ’était correct, parce que ça se tenait en soi, et qu’ au surplus c’était bien dit. Il ne lui est pas venu à l’esprit que la
92 était bien dit. Il ne lui est pas venu à l’esprit que la vérité est quelque chose qui peut être réalisé. Et qu’il s’agit de
93 érité est quelque chose qui peut être réalisé. Et qu’ il s’agit de prendre position effectivement. S’il s’était senti interp
94 oisir, sommé d’approuver ou de refuser en fait ce que venait de dire le conférencier, alors, alors il y aurait eu à discute
95 aurait eu à discuter ! Mais je n’ai pas remarqué qu’ aucun des auditeurs ait pris la chose de cette manière. Je sais bien q
96 ait pris la chose de cette manière. Je sais bien qu’ il y a la difficulté de s’exprimer, la timidité, la fatigue, et que to
97 iculté de s’exprimer, la timidité, la fatigue, et que tout cela peut bien suffire à expliquer le silence de ces cultivateur
98 it la langue bien pendue. Mais surtout je m’avise que la majorité des « intellectuels » d’aujourd’hui ne pense pas très dif
99 ent. Peuple ou « clercs », ils estiment également que la « vérité » n’engage à rien. Ils bornent le rôle de l’esprit à la c
100 ective et formelle des faits ou des raisonnements que l’on allègue. « Il a raison » ne signifie pas pour eux : « Donc je do
101 ur eux : « Donc je dois régler ma conduite sur ce qu’ il dit », mais simplement : « Étant donné ses prémisses ou ses préjugé
102 us commode. Quant au peuple, il y a belle lurette qu’ il sait ce qu’on doit penser des gens instruits. La plupart sont des é
103 ant au peuple, il y a belle lurette qu’il sait ce qu’ on doit penser des gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des o
104 es orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’ avec les riches. Il y en a certes qui font progresser la science, et c
105 t autre chose. C’est un certain nombre de phrases qu’ on lit dans les journaux et qu’on entend dans les assemblées, et grâce
106 nombre de phrases qu’on lit dans les journaux et qu’ on entend dans les assemblées, et grâce auxquelles on reconnaît tout d
107 eut faire de beaux discours. Dans ces conditions, qu’ un intellectuel aille parler au peuple, on l’écoutera bien patiemment,
108 on n’aura jamais l’idée de mettre en pratique ce qu’ il dit. Il reste dans son rôle en s’agitant sur l’estrade et en lançan
109 rès mes intérêts. Cela va de soi. Il est probable qu’ aucun homme du peuple ne s’est jamais dit cela comme je le dis ici. Ma
110 cela comme je le dis ici. Mais il me paraît clair que la plupart font comme s’ils le pensaient. D’autre part, il est trop c
111 s le pensaient. D’autre part, il est trop certain que les intellectuels professent depuis longtemps en toute conscience une
112 e conscience une doctrine analogue. Il est normal que les hommes sans culture se trompent sur la nature et sur le rôle de l
113 sur le rôle de la culture. Mais il est inquiétant que les hommes cultivés, au lieu de s’efforcer, comme ils devraient, de c
114 re respecter la vérité, en montrant par l’exemple qu’ elle implique des actes, ils la disqualifient et ils s’en moquent agré
115 de mon voisin après la conférence, j’ai pu croire que c’était l’opinion d’un nigaud ; mais non, c’est celle d’un clerc parf
116 secours… Pour aider réellement un homme, il faut que j’en sache davantage que lui, mais il faut avant tout que je sache ce
117 lement un homme, il faut que j’en sache davantage que lui, mais il faut avant tout que je sache ce qu’il sait. Sinon mon sa
118 sache davantage que lui, mais il faut avant tout que je sache ce qu’il sait. Sinon mon savoir supérieur ne lui servira de
119 que lui, mais il faut avant tout que je sache ce qu’ il sait. Sinon mon savoir supérieur ne lui servira de rien. Si je pers
120 objectivement ceux qui m’entourent, ce « peuple » qu’ il s’agit d’aider, et que je vois encore si mal. (Ce qui ne m’a pas em
121 entourent, ce « peuple » qu’il s’agit d’aider, et que je vois encore si mal. (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’ici de m’occu
122 des motifs au moins de ma gêne, quand je constate qu’ ils ne comprennent pas de quoi je m’occupe. C’est peut-être un secret
123 t peut-être un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’être reconnu par eux à ma juste valeur. Exactement ce que Kier
124 reconnu par eux à ma juste valeur. Exactement ce que Kierkegaard appelle vanité. Cependant, s’il est des plus probables qu
125 le vanité. Cependant, s’il est des plus probables que j’ai, comme un chacun, mon amour-propre, je ne puis m’empêcher de le
126 pour moi, c’est parce qu’on raconte dans le pays que je possède une machine à écrire…) Février 1934 Les gens. — Du haut d
127 d’une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques centiares, les plus grandes un à deux ares. Je connais déjà
128 s cela n’a pas marché. La tradition de l’île veut que chaque champ soit partagé à la mort du propriétaire en autant de parc
129 à la mort du propriétaire en autant de parcelles qu’ il y a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’un champ un peu
130 parcelles qu’il y a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’un champ un peu meilleur que les autres. Égalité contre
131 éviter que l’un hérite d’un champ un peu meilleur que les autres. Égalité contre solidarité. Le résultat évident de cette t
132 at évident de cette tradition sacro-sainte, c’est que les paysans travaillent beaucoup plus qu’il ne serait nécessaire à le
133 , c’est que les paysans travaillent beaucoup plus qu’ il ne serait nécessaire à leur subsistance si la répartition des terre
134 ce qui s’y oppose, c’est l’idéologie rudimentaire qu’ on leur a inculquée, et qui n’a que trop bien convenu à leur penchant
135 e rudimentaire qu’on leur a inculquée, et qui n’a que trop bien convenu à leur penchant naturel. Il faudrait donc d’abord r
136 al de l’éducation, il n’y a plus d’autre solution que la contrainte. La dictature est un moyen grossier, souvent barbare et
137 e la forme de leurs outils. Ils n’utilisent guère que des « bouelles » au manche très court, recourbé à l’extrémité, de tel
138 rès court, recourbé à l’extrémité, de telle sorte que la lame fait avec le manche un angle d’environ 45 degrés. Cet instrum
139 es des gens d’ici, j’ai hésité longtemps à croire que la raison en était réellement aussi simple. Je connais tout de même a
140 e connais tout de même assez la terre pour savoir que les mêmes outils ne sont pas bons en tous pays, et je cherchais quell
141 ans et qui utilise des outils ordinaires, me dit qu’ il a tout de suite obtenu des résultats supérieurs à ceux de ses voisi
142 érer. Je n’en sais rien4. Je me borne à constater qu’ ici les paysans travaillent trop, se plaignent du mauvais rendement de
143 Je note à l’usage d’un futur historien des mœurs que la presse « de droite » reflète assez exactement la mentalité et les
144 mentalité ni les conversations populaires. C’est que les journaux socialistes et communistes sont rédigés par des bourgeoi
145 s, par accident, quelques traces ici ou là, c’est que le peuple, en France, lit trop de journaux, ne lit que cela, et finit
146 e peuple, en France, lit trop de journaux, ne lit que cela, et finit par se croire « le Peuple », tel que l’imaginent les b
147 e cela, et finit par se croire « le Peuple », tel que l’imaginent les bourgeois et leurs journalistes. Ce n’est pas dans no
148 alistes. Ce n’est pas dans notre île, d’ailleurs, que j’ai pu constater cette contagion ! Les deux journaux locaux gardent
149 ui n’est pas exactement celui des « discussions » qu’ on peut entendre dans les cafés du port, au chef-lieu, mais qui corres
150 port, au chef-lieu, mais qui correspond bien à ce que les pêcheurs ou les paysans aiment à se faire dire, me semble-t-il. D
151 réalité du peuple : rien ne le rend plus sensible que cette différence de ton entre tel organe socialiste ou communiste de
152 le carton sans beaucoup de paroles. C’est à cela que se réduit la vie commune. Quelques-uns le déplorent parmi les vieux.
153 mes et ces femmes accrochés à cette terre pauvre, qu’ ils grattent lentement pour en tirer tout juste de quoi vivre, j’hésit
154 terre ingrate, dans sa courette pleine de fleurs. Qu’ ils n’aient pas de vie communautaire, cela ne signifie pas nécessairem
155 ommunautaire, cela ne signifie pas nécessairement qu’ ils aient perdu le sentiment de leur commune condition. Ils sont peut-
156 hozes, corporations ou camps de travail. Mais ici que feraient-ils de tout cela ? Ils ont la liberté, et cela leur suffit,
157 es, fruits de mer, seiches, et poissons, je crois que c’est à peu près tout) ; mais pourquoi vivraient-ils autrement ? Bien
158 sur une fortune de 100 000 ou de 200 000 francs, que leurs fils iront perdre à la ville : je crois cependant que la propor
159 endant que la proportion des fous est moindre ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux, et les médecins ne font pas fo
160 et les êtres de trop près, on perd le peu de foi que l’on pouvait accorder aux idéologies et aux politiciens. Il faut vivr
161 es choses — c’est son mystère — mais ne dites pas que vous le faites pour son bonheur, car il est plus « heureux » que vous
162 tes pour son bonheur, car il est plus « heureux » que vous. Il faudrait croire fanatiquement à une vérité absolue, qui vail
163 atiquement à une vérité absolue, qui vaille mieux que la paix et le bonheur, pour oser bouleverser la petite vie de notre î
164 pour sauver leur pratique ? On en vient à penser que le régime qui convient le mieux à cette vie obscure — j’entends celui
165 et je crois d’autant plus utile de les consigner qu’ elles modifient sensiblement certains jugements auxquels m’avait amené
166 l’importance des autocars et des transformations qu’ ils sont en train de causer dans la vie provinciale. Je n’ai pas compt
167 onstater, dans plusieurs départements de l’Ouest, qu’ il n’est plus guère de « pays » qui ne soit desservi par une ou deux o
168 ême trois Compagnies de transports locaux. Depuis que j’ai quitté Paris, j’ai bien utilisé une vingtaine de ces lignes. Je
169 et la province. Naguère encore, quand on n’avait que les chemins de fer, tout convergeait vers Paris, non seulement du fai
170 . Le confort relatif des grandes lignes indiquait qu’ on allait à Paris ou qu’on en venait. Tout le reste n’était que tortil
171 grandes lignes indiquait qu’on allait à Paris ou qu’ on en venait. Tout le reste n’était que tortillards cahotants, jamais
172 à Paris ou qu’on en venait. Tout le reste n’était que tortillards cahotants, jamais à l’heure, où l’on se sentait relégué à
173 la « vraie » circulation. Et l’on ne voyait guère que des gares, ce qu’il y a de plus attristant dans chaque village. Aujou
174 lation. Et l’on ne voyait guère que des gares, ce qu’ il y a de plus attristant dans chaque village. Aujourd’hui, les statio
175 utocars sont sur la place principale. C’est de là qu’ on part au milieu d’une grande affluence de badauds, c’est là qu’on ar
176 ilieu d’une grande affluence de badauds, c’est là qu’ on arrive à grand son de trompe, c’est enfin ce que l’on voit le mieux
177 u’on arrive à grand son de trompe, c’est enfin ce que l’on voit le mieux de chaque pays. La voie ferrée était une sorte d’i
178 pte de ses circonstances. Sur ses bords ne vivait qu’ une population nomade, qui portait l’uniforme de l’État, partout, la m
179 gt fois la France de part en part, sans remarquer que les gens qui l’habitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’u
180 l’habitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui cha
181 ns secondaires ou des ruelles à peine plus larges que la voiture. Mais aussi elle tient compte des rythmes de la vie locale
182 rses voitures qui stationnent sur la place. C’est que chaque compagnie a sa tête de ligne chez un bistro différent, et il e
183 de ligne chez un bistro différent, et il est rare qu’ on puisse trouver l’horaire ailleurs. Parfois le bistro vend aussi les
184 bistro vend aussi les billets ; et c’est chez lui qu’ on attend le départ. Pour peu que l’on manifeste la moindre curiosité
185 t c’est chez lui qu’on attend le départ. Pour peu que l’on manifeste la moindre curiosité on ne tarde pas à y apprendre pas
186 qui a fait baisser les prix. Car il est de règle qu’ au début deux Compagnies se disputent le parcours, jusqu’à ce que l’un
187 x Compagnies se disputent le parcours, jusqu’à ce que l’une des deux fasse faillite, ou réussisse à vendre « honnêtement »
188 s sur les personnalités de l’endroit, sur le rôle qu’ ont joué dans l’affaire le sous-préfet, ou le député, ou divers margou
189 ontez dans l’autocar, vous êtes renseigné, vaille que vaille, sur les facteurs économiques du pays, sur les noms des notabl
190 notables et sur le jeu des partis politiques. Et que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce que
191 du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce que Vigny pleurait, la poésie des diligences, mais aérée. C’est fait d’un
192 érée. C’est fait d’une foule d’incidents entrevus que tout dispose à romancer ; de conversations absurdes et rapidement int
193 t volontiers toutes sortes de petites commissions que de vieilles dames leur confient au départ avec force recommandations 
194 sur le bord de la route. Rien de plus sympathique que les conducteurs de car. Cela tient évidemment à leur métier. Ce sont,
195 machine, et l’on bénéficie de ces petites faveurs que les femmes ont toujours accordées à ceux qui commandent et disposent,
196 ées à ceux qui commandent et disposent, ne fût-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien les hommes avec lesquels
197 namisme, le sens pratique et la rapidité d’esprit que les bourgeois, qui en sont dépourvus, attribuent par erreur au « peup
198 i les ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne suis qu’ un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais dû
199 crivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais dû noter plus tôt. Le monsieur rencontré dans l’autocar de T
200 savoir quel était mon métier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par
201 r. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écri
202 us dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’ un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écria : — Ah ! che
203 aux curés ! — Comptez, monsieur, — lui dis-je, —  qu’ un écrivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’un homme normal,
204 n écrivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’ un homme normal, mettons qu’un fonctionnaire (c’était pour le flatter)
205 plus de peine à vivre qu’un homme normal, mettons qu’ un fonctionnaire (c’était pour le flatter), et cela tient aux circonst
206 dans le cas d’écrire. Car, ou bien l’on écrit ce que l’on ne peut pas faire, et c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’une ambi
207 êtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’ on attend, qu’on exige même de ces gens-là des vertus au-dessus du com
208 le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu’ on exige même de ces gens-là des vertus au-dessus du commun, la révéla
209 , des milliardaires ou des saints. Croyez-moi, ce que nous vous donnons, c’est justement ce qui nous manque, et quand vous
210 ars 1934 D’un autre « peuple ». — Il faut encore que je revienne sur mon séjour vendéen. J’avais à donner trois « causerie
211 teurs. Eux-mêmes avaient fixé la liste des sujets qu’ ils désiraient étudier au cours de l’hiver, avec l’aide de plusieurs o
212 lle aux innocentes peintures de paradis modernisé que vulgarise la propagande communiste. Mais leurs questions ne tardèrent
213 ictature ; si les paysans avaient plus de liberté qu’ auparavant, etc. Mais ce qui me surprit davantage, ce fut la question
214 taud, l’air intelligent et ouvert : « Pensez-vous qu’ on pourrait faire la même chose ici ? » Pour sa part, il était sceptiq
215  ? » Pour sa part, il était sceptique. Il pensait qu’ en Vendée les choses ne seraient pas si simples, que la situation maté
216 ’en Vendée les choses ne seraient pas si simples, que la situation matérielle était meilleure et demandait un développement
217 re et demandait un développement tout différent ; qu’ on voulait surtout, par ici, garder sa liberté et se gouverner comme o
218 t. Et je me disais, en l’écoutant : « En voilà un que l’on pourrait sans honte présenter aux jeunes Russes, aux jeunes Alle
219 tout cela est encore moins clair dans la réalité que dans ce résumé). Quand j’ai projeté sur la paroi blanche de la salle
220 k, il y a eu un profond silence au lieu des rires que je craignais. (On peut donc gouverner sans être un monsieur en haut d
221 , évitant de prononcer mon jugement sur les faits que je venais d’exposer, afin de voir si mes auditeurs étaient de la même
222 e voir si mes auditeurs étaient de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précises et ce désir de rapp
223 de questions précises et ce désir de rapporter ce que j’avais dit à leur situation concrète. Esprit critique, méfiance inte
224 eur autonomie… Je ne bifferai pas les conclusions que j’avais tirées de la conférence à A… Elles sont également vraies. Ce
225 savait depuis longtemps ». On sait tant de choses qu’ on n’a jamais pris la peine de connaître, chez les « intellectuels ».
226 laisse seuls, sans direction. Nous ne savons pas que lire. Le travail est dur, ici. Il faut lutter contre les parents, con
227 beaucoup lu Anatole France, c’est à cause de lui que j’ai perdu la foi. J’aimais aussi Romain Rolland. Est-ce qu’il est mo
228 rdu la foi. J’aimais aussi Romain Rolland. Est-ce qu’ il est mort ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’il y aurait d’intéres
229 qu’il est mort ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’ il y aurait d’intéressant à lire ? — Ne lisez-vous pas de journaux pol
230 us pas de journaux politiques ? — Ce n’est pas ce qu’ on cherche. Il faudrait en lire deux au moins pour corriger les menson
231 ire deux au moins pour corriger les mensonges. Ce qu’ ils peuvent tous mentir ! On ne peut plus avoir confiance dans les par
232 is. C’est aussi à cause de cette centralisation : qu’ est-ce qu’ils savent de notre situation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aur
233 aussi à cause de cette centralisation : qu’est-ce qu’ ils savent de notre situation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aurait pas mo
234 qu’ils savent de notre situation à Paris ? Est-ce qu’ il n’y aurait pas moyen de faire un mouvement politique en dehors des
235 ique en dehors des partis, et de voir une fois ce qu’ il y aurait à changer pratiquement dans chaque province ? Qu’on arrive
236 ait à changer pratiquement dans chaque province ? Qu’ on arrive enfin à se gouverner sur place, dans chaque commune ? On sen
237 sur place, dans chaque commune ? On sent bien ce qu’ il faudrait. Mais qu’est-ce qu’on peut, tout seuls dans ce coin ?… » J
238 ue commune ? On sent bien ce qu’il faudrait. Mais qu’ est-ce qu’on peut, tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire u
239  ? On sent bien ce qu’il faudrait. Mais qu’est-ce qu’ on peut, tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une liste d
240 ’instituteur de M… Je ne trouve à lui recommander que des traductions. La littérature moderne en France n’a guère à donner
241 de naïveté, de force ou de conviction. On dirait que tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce qui est simpl
242 maine… Auparavant, ils croyaient comme les autres que c’était plutôt ridicule. Telle est la pauvre chance des « intellectue
243 extrémité de l’île. 3. Combien d’ailleurs savent que ce mot peut désigner autre chose qu’un « je m’en fichiste » ? 4. J’a
244 leurs savent que ce mot peut désigner autre chose qu’ un « je m’en fichiste » ? 4. J’avais raison de marquer ce doute. Un a
245 el je viens de raconter ce petit fait, m’explique qu’ avec un manche court « on travaille plus vite et plus efficacement qu’
246 urt « on travaille plus vite et plus efficacement qu’ avec un manche long, surtout dans un terrain sablonneux ». Reste la qu
247 ont, pour la plupart, contraints. 5. J’ai appris que , dans certaines régions du Midi, de véritables « écumeurs de lignes »
248 terminologie et la doctrine politiques. Les pages qu’ on va lire, nourries d’observations précises, en apportent des preuves
2 1939, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’Âme romantique et le rêve (15 août 1939)
249 est donc l’une de nos origines les plus profondes que nous révèle M. Albert Béguin, en publiant son gros volume sur L’Âme r
250 ré sa gravité d’ailleurs jamais sévère ; au point que l’on craindrait d’en détourner certains lecteurs en remarquant que c’
251 it d’en détourner certains lecteurs en remarquant que c’est aussi un ouvrage d’actualité, au sens le plus pénétrant de ce t
252 : cette révélation du romantisme allemand dans ce qu’ il eut d’audacieux et de tragique ne présente pas seulement un intérêt
253 uels d’où sont nés des mouvements politiques tels que le national-socialisme. Peu à peu, elle dévoile à nos yeux une sorte
254 gé notre littérature, depuis la guerre ; et voici que renaît, d’une manière bien frappante, l’intérêt de beaucoup pour les
255 rêt de beaucoup pour les études mystiques ; voici que se répand l’usage, et même l’abus, du terme de « mystique » dans l’or
256 « mystique » dans l’ordre politique ; voici enfin qu’ un grand empire réalise au milieu de l’Europe la plus inquiétante synt
257 s seulement coïncidents. Ce n’est point du hasard qu’ ils sont nés. Et si tout nous invite à rechercher leur secrète complic
258 r leur secrète complicité, rien n’est plus propre que l’ouvrage d’Albert Béguin à nous guider dans la pénombre où s’émeut l
259 ble au vertige, vers ces régions de l’être obscur que le bon sens et la philosophie prétendaient mettre au ban de l’humanit
260 rès un siècle de science positiviste. Est-il vrai que la nuit et le rêve n’ont rien à révéler qui importe au jour ? Est-il
261 rien à révéler qui importe au jour ? Est-il vrai que la passion, l’angoisse et la folie sont moins réelles que nos sagesse
262 assion, l’angoisse et la folie sont moins réelles que nos sagesses tyranniques ? « Songe est mensonge », décrétait la raiso
263 , d’une Vérité supérieure ? Telle est la question que posèrent les premiers romantiques allemands. « Ils admettent tous, éc
264 allemands. « Ils admettent tous, écrit M. Béguin, que la vie obscure est en incessante communication avec une autre réalité
265 e si brusque et si saisissante ? » De là à penser que le rêve est « un vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur d’un sc
266 que le rêve est « un vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur d’un scrupule d’orthodoxie, d’une dernière crainte de con
267 té où naît le romantisme, et dont il vit ! Croire que le rêve ne révèle rien que nos secrets, ce serait tomber dans la psyc
268 t dont il vit ! Croire que le rêve ne révèle rien que nos secrets, ce serait tomber dans la psychanalyse. Croire qu’il révè
269 ts, ce serait tomber dans la psychanalyse. Croire qu’ il révèle aussi un monde supérieur, c’est entrer dans la voie mystique
270 s textes cités par Béguin nous inclinent à penser qu’ ils sont plus proches des mystiques que des psychanalystes. Au fond, l
271 t à penser qu’ils sont plus proches des mystiques que des psychanalystes. Au fond, lorsqu’ils se demandent si le rêve est c
272 c’est « l’Autre », ou le moi sombre et son néant, que l’on atteint au fond de l’inconscient, ils formulent le problème cruc
273 ions, aux rencontres fortuites en apparence, mais que l’âme prédisposée interprète aussitôt comme des messages. Cela suppos
274 us tard le poète Jean-Paul, insistent sur un fait que Freud utilisera jusqu’à l’abus : c’est que l’esprit abandonné au rêve
275 n fait que Freud utilisera jusqu’à l’abus : c’est que l’esprit abandonné au rêve s’exprime ordinairement dans un langage mé
276 aine, à des lois plus précises et plus constantes que celles qui le régissent à l’état de veille. D’autre part, l’on sait b
277 à l’état de veille. D’autre part, l’on sait bien que les mystiques, fussent-ils de religions différentes — hindous, musulm
278 êmes figures de langage pour traduire l’ineffable qu’ ils vivaient. Et ceci nous amène au problème central : celui de l’expr
279 ation de l’inconscient. Le songe, pour eux, n’est que la « porte » ouvrant sur le monde ineffable, qui est proprement le do
280 n dire, et qui cependant est la source de tout ce que l’on dit. C’est l’ineffable, l’indicible, le royaume du Silence absol
281 s la moindre irrévérence : nul n’est plus verbeux qu’ un mystique, si ce n’est un romantique allemand. Car l’un et l’autre o
282 utre ont l’ambition de communiquer par l’écrit ce qu’ ils ne cessent de définir comme l’indicible. Dès lors, la plainte sera
283 e l’indicible. Dès lors, la plainte sera la même, qu’ il s’agisse d’une Thérèse d’Avila ou simplement du bonhomme Tieck : Do
284 bien de mots leur fera-t-elle accumuler pour dire que rien ne saurait être dit… Et pourtant si, romantiques et mystiques so
285 rtant si, romantiques et mystiques sont persuadés que , nonobstant leur impuissance à traduire l’inconscient ou l’indicible,
286 l’inspiration — tellement vulgarisée de nos jours qu’ on en oublie l’origine mystique : « Le poète et le rêveur sont passifs
287 ’eux-mêmes sans qu’ils puissent faire autre chose que de saluer là l’écho d’un discours divin. » Alors le doute n’est plus
288 n’est plus permis : l’analogie purement formelle que nous décrivions jusqu’ici devient une profonde identité. L’interventi
289 t agissant. C’est la Nuit des sens et de l’esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit des songes, chantée par l
290 nuit des songes, chantée par les poètes, n’était que le symbole et le signe physique6. C’est « le royaume de l’Être qui se
291 dont la plénitude ne peut humainement s’exprimer que par l’image de l’absence de toute créature, de toute forme. » Car nou
292 ute forme. » Car nous ne percevons et n’exprimons que le divers et le distinct, ce qui a pris forme ; tout ce que notre con
293 ers et le distinct, ce qui a pris forme ; tout ce que notre conscience a séparé du Tout. Et c’est cela qui constitue notre
294 », la « contemplation sans objet ». Je pense donc qu’ il est légitime de suivre Albert Béguin dans cette conclusion : « La g
295 l. » II. L’Être en exil Ce sentiment d’exil que nous trouvons à l’origine des expériences mystiques les plus diverses
296 itude de l’examen de conscience en profondeur tel que le pratiquaient autour de lui les disciples de madame Guyon7. Non con
297 Le point de départ paraît bien être une blessure qu’ il reçut de la vie, un choc qui l’a laissé béant sur une contradiction
298 rs profonds du moi. Blessure si cruelle et intime que sa conscience en évite le souvenir (ou le refoule comme dira Freud) d
299 (ou le refoule comme dira Freud) de telle manière que la cause secrète de sa douleur en vient à se confondre avec le fait d
300 dre avec le fait de vivre en général. D’où l’idée qu’ il doit « expier la faute qu’il n’a commise que par son existence même
301 général. D’où l’idée qu’il doit « expier la faute qu’ il n’a commise que par son existence même ». Un philosophe mystique te
302 ée qu’il doit « expier la faute qu’il n’a commise que par son existence même ». Un philosophe mystique tel que Ignaz Troxle
303 son existence même ». Un philosophe mystique tel que Ignaz Troxler n’hésitera pas à élargir le processus jusqu’à y englobe
304 eint par le péché originel : « Sous quelque angle qu’ on veuille l’examiner, l’homme trouve en lui une blessure qui déchire
305 e blessure qui déchire tout ce qui vit en lui, et que peut-être lui fit la Vie même. » Non sans lucidité, Moritz a su dépei
306 comme si le poids de son existence l’eût accablé. Qu’ il dût, jour pour jour, se lever avec lui-même, se coucher avec lui-mê
307 raîner après lui, à chaque pas, son moi détesté…, qu’ il dût désormais, inexorablement, être lui-même… cette idée le plongea
308 toute la création. C’est par lui et à travers lui que la conscience perçoit la réalité extérieure ; comme lui donc, cette r
309 e s’accepter soi-même — à cause de cette blessure qu’ il s’agit d’oublier si l’on ne parvient pas à l’expier. Et en effet, à
310 insi le héros d’un de ses romans : « Il lui parut qu’ il s’était échappé entièrement à lui-même et qu’il lui fallait avant t
311 t qu’il s’était échappé entièrement à lui-même et qu’ il lui fallait avant toute démarche se rechercher lui-même dans la sér
312 i-même dans la série de ses souvenirs. Il sentait que l’existence n’a d’appui ferme que dans la chaîne ininterrompue des so
313 irs. Il sentait que l’existence n’a d’appui ferme que dans la chaîne ininterrompue des souvenirs8 ». Mais, comme le note Al
314 s de plus de saisir la pensée salvatrice ». C’est qu’ il est un souvenir interdit, trop douloureux pour être revécu. Le moi
315 , puisque la cause de sa maladie est justement ce qu’ il ne peut se remémorer, cette lacune qui est à l’origine de la consci
316 Il faudra donc chercher au-delà. Et nous avons vu que le rêve, ou la descente au fond de l’inconscient, représentent pour l
317 a sont des moyens de récupérer le monde perdu. Ce qu’ il faut souligner ici, c’est que la tendance à la dilatation panthéist
318 e monde perdu. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que la tendance à la dilatation panthéiste ou mystique de l’être revêt pr
319 fait dès l’enfance, lorsqu’il s’interroge sur ce qu’ est devenue sa petite sœur : le vœu de retrouver la morte, de communie
320 manière indicible. Et peut-être pourrait-on dire que l’expérience mystique générale ne devient proprement chrétienne que d
321 ystique générale ne devient proprement chrétienne que dans le cas où l’être aimé, sur la mort duquel on médite, est la pers
322 rné de revivre sa blessure, ou plutôt l’élan même qu’ elle a brisé, mais sans se l’avouer et sans pouvoir la reconnaître ou
323 etenir une équivoque dont il y a lieu de craindre qu’ elle soit intéressée. Au contraire, s’exprimer, c’est toujours s’avoue
324 dont on ne peut rien dire. D’où encore le besoin qu’ ils éprouvent d’affirmer surabondamment que l’on n’en peut rien dire q
325 besoin qu’ils éprouvent d’affirmer surabondamment que l’on n’en peut rien dire que par des allusions, des métaphores, des p
326 irmer surabondamment que l’on n’en peut rien dire que par des allusions, des métaphores, des poèmes « inspirés ». À ce nive
327 vante littérature. Mais il faut reconnaître aussi que s’y révèle une maladie de la personne. Le paradoxe de l’expression d’
328 n Indicible est tellement essentiel au romantisme que je n’hésite pas à y trouver l’explication d’un fait connu de tous les
329 ce passif. Aussi n’ont-ils laissé pour la plupart que des fragments, des allusions, des éclats fugitifs ou « illuminations 
330 dre leur moi personnel. Je préciserai ici le sens que je donne au mot de personne, pour éviter certains malentendus courant
331 ar l’espèce, le milieu, l’histoire, les richesses qu’ il a héritées et les blessures qu’il a subies. Il est emprisonné dans
332 , les richesses qu’il a héritées et les blessures qu’ il a subies. Il est emprisonné dans ces données, et c’est en vain qu’i
333 est emprisonné dans ces données, et c’est en vain qu’ il chercherait à y échapper par des sublimations : au fond de la nuit
334 de la nuit et de l’inconscient, c’est encore lui qu’ il retrouvera sous des espèces méconnaissables et qu’il sera tenté de
335 il retrouvera sous des espèces méconnaissables et qu’ il sera tenté de croire divines. Et il est juste que les premières tou
336 ’il sera tenté de croire divines. Et il est juste que les premières touches de l’esprit rendent le moi sensible à ses limit
337 Mais seule une vocation lui en donnera la force. Qu’ il la reçoive et qu’il l’accepte consciemment, ce sera pour lui l’intr
338 tion lui en donnera la force. Qu’il la reçoive et qu’ il l’accepte consciemment, ce sera pour lui l’introduction à une liber
339 t semblable à celle de ces pseudo ou prémystiques que furent les poètes du rêve : il se dévoue à quelque chose qui le dépas
340 riente à nouveau les forces de l’individu, plutôt qu’ elle ne veut les détruire. Elle engage dans le monde actif, au lieu qu
341 étruire. Elle engage dans le monde actif, au lieu que le romantique voulait s’en évader. Elle nous rend enfin responsables
342 une vocation. Thérèse d’Avila ne voulait accepter que les révélations qui la portaient à quelque action pratique dans la vi
343 mantiques. C’est une « activité » qui ne commence qu’ au-delà de la mort à soi-même, c’est-à-dire du renoncement au moi tour
344 ncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’ on parvient au salut », dit saint Paul. IV. Romantisme et national-
345 rience d’un au-delà ne prend son sens et sa vertu que lorsqu’elle nous ramène au jour de l’activité quotidienne — de même n
346 x comprendre le temps où nous vivons et agissons. Que signifie cette invasion de la politique et de la vie sociale par ce q
347 asion de la politique et de la vie sociale par ce qu’ on nomme les « mystiques » collectives ? Certaines catégories que nous
348 « mystiques » collectives ? Certaines catégories que nous venons de dégager pourraient guider notre analyse. Le mouvement
349 un romantisme politique. Et je ne dis pas du tout que les écrits d’un Novalis ou d’un Jean-Paul soient à sa source ; ce ser
350 ient à sa source ; ce serait absurde. Mais je dis que nous pouvons retrouver au niveau inférieur et collectif de la psychol
351 hologie nazie des processus fort analogues à ceux que nous avons décrits. Il ne s’agit pas d’influences, il ne s’agit que d
352 rits. Il ne s’agit pas d’influences, il ne s’agit que de reviviscences — vulgaires et simplistes, bien sûr — de certaines a
353 s les discours d’Hitler proclament, dès le début, que les Allemands n’ont pas perdu la guerre) doit résulter un sentiment d
354 et des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’ il ne compte pas en tant qu’individu conscient ; on lui a dit que sa v
355 pas en tant qu’individu conscient ; on lui a dit que sa vraie vie était entre les mains du parti, d’un démiurge anonyme et
356 d’un démiurge anonyme et obscur dont il n’a plus qu’ à recevoir les ordres, sans trop chercher à les comprendre, comme « pa
357 rôle d’une ascèse du moi : les renoncements mêmes qu’ elle impose deviennent les preuves de sa transcendante vérité. Et c’es
358 reuves de sa transcendante vérité. Et c’est ainsi que la masse allemande, imitant au niveau le plus bas l’évolution des rom
359 es par les cyniques et les habiles ne dissimulent que très imparfaitement les vrais ressorts du régime hitlérien. Nous ne s
360 coupable et détesté à quelque chose de plus vrai que la vie, et qui est sa mission millénaire. « Chez nous, proclamait réc
361 choisir : le peuple n’aime pas à choisir, il aime qu’ on lui présente une opinion juste… D’ailleurs, notre politique est une
362 tique de romantisme collectif, voilà le cauchemar que rêve à côté de nous le IIIe Reich somnambulique. Nous avons tout à cr
363 t à craindre des « inspirations » du Führer, mais que pourrait produire un réveil brusque ? Cette maladie demande un long t
364 e nature spirituelle, à mon avis, au moins autant qu’ économique. Car la lutte qui se livre aujourd’hui dans le secret de la
365 on de la mort », et c’est uniquement dans la mort que nous pouvons rejoindre l’Autre, l’indicible. 7. On peut regretter qu
366 indre l’Autre, l’indicible. 7. On peut regretter qu’ Albert Béguin n’ait pas insisté davantage sur l’importance du quiétism
3 1946, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Tableaux américains (décembre 1946)
367 New York alpestre Personne ne m’avait dit que New York est une île en forme de gratte-ciel couché. C’est la ville l
368 es surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New York est une ville alpestre ! Je l’ai senti le premier soir d’oct
369 es gratte-ciel, de cette couleur orangée aérienne qu’ on voit aux crêtes des parois rocheuses, alors que la vallée s’emplit
370 efeller, de vingt autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais vous désignent comme les Suisses énumèrent leurs Alpe
371 des parois violemment découpées, c’est un climat que je connais… Mais il y a plus. Il y a le sol qui est alpestre dans sa
372 York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici les rapports quotidiens. Ils pensent, dans leur ignoranc
373 rts quotidiens. Ils pensent, dans leur ignorance, que c’est une ville « trop européenne »… Mais, moi, je m’y sens contempor
374 déranger dans la lecture de mon journal. Il n’y a que deux classes en Amérique : l’une où les fauteuils au dossier très hau
375 ns l’ensemble, les femmes m’ont paru dignes de ce que le cinéma nous en promet — mais il suffit de trois ou quatre beautés
376 eautés saines ou frappantes, sur cinquante femmes qu’ on ne remarque pas, pour qu’on s’écrie : « Comme elles sont belles dan
377 homme qui est seul, Manhattan est sublime. Il n’a qu’ à s’oublier dans l’énergie fusante de cette capitale du matin. Ville
378 ur de Manhattan c’est la ville pure. Ici, tout ce que le regard touche et mesure dans les trois dimensions de l’espace, sau
379 fois, je vois une ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un groupe de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en compara
380 usage physique, non point à ces symboles de l’âme que forment les châteaux au fond de nos mémoires. L’idéal de l’Américain
381 valable, et par la sensation directe du monde tel que le crée l’homme privé de l’Esprit, l’une des entrées de la Voie négat
382 rs heures, et c’est ici seulement, sur le papier, que je comprends qu’il faut pousser plus loin. On se demande parfois : qu
383 st ici seulement, sur le papier, que je comprends qu’ il faut pousser plus loin. On se demande parfois : qu’est-ce, en somme
384 l faut pousser plus loin. On se demande parfois : qu’ est-ce, en somme, que le péché ? C’est cela, c’était ce que j’éprouvai
385 oin. On se demande parfois : qu’est-ce, en somme, que le péché ? C’est cela, c’était ce que j’éprouvais à Times Square avec
386 , en somme, que le péché ? C’est cela, c’était ce que j’éprouvais à Times Square avec une acuité crispante : l’état du mond
387 — et le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’ embrasse mon regard, tout est fait de main d’homme, sauf les mouettes.
388 tout est fait de main d’homme, sauf les mouettes. Qu’ on ne me parle plus des lois économiques et de leurs fatales réalités 
389 r ce sont les réalités d’un monde tout artificiel que nous, les hommes, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos
390 rgeois, mais deux radios martèlent ce Tchaïkovski qu’ on entend siffler dans la rue… Je me souviens de ce que j’ai sous les
391 entend siffler dans la rue… Je me souviens de ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellerai, une
392 au base-ball parmi des seaux d’ordures plus hauts qu’ eux et des tourbillons fous de papiers sales, pour s’ouvrir enfin tout
393 que la nuit vient de descendre — depuis cinq ans que je circule dans cette ville, je n’ai jamais été touché ; ils sont d’u
394 us claire, sur la cour. Ce logis, qui n’est guère qu’ un corridor légèrement cloisonné, s’annonce dans les journaux : « Cinq
395 cadre strictement rectangulaire. Tous les objets qu’ on voit sont des rectangles, à part les chiffons et les chats. Les faç
396 le ciel rouge. Une radio clame Amapola, plus fort que tout, dans la cour où les draps au vent font de grands gestes frénéti
397 sidences pour les directeurs de bureaux. C’est ce qu’ on en voit de l’étranger. Cohoes Ayant remarqué qu’on me refusai
398 n voit de l’étranger. Cohoes Ayant remarqué qu’ on me refusait du beurre à l’épicerie du village de Lake George10, et
399 urre à l’épicerie du village de Lake George10, et que j’en paraissais fort ennuyé, nos voisins vinrent un soir nous en offr
400 ns vinrent un soir nous en offrir, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance. Deux femmes d’âge moyen et leurs maris
401 ’âge moyen et leurs maris se partagent une maison que les pins nous cachent, à deux-cents pas, plus petite que la nôtre, do
402 pins nous cachent, à deux-cents pas, plus petite que la nôtre, donc plus commode et plus confortable à leur sens. (Seuls l
403 ndé de soldats. (Le nombre de ces petits services que vous rendent ici les voisins ! En Europe, le voisin n’est que l’ennem
404 dent ici les voisins ! En Europe, le voisin n’est que l’ennemi virtuel.) J’ai cru poli de m’arrêter pour une heure dans la
405 d’unique au monde, compensant ainsi l’impression qu’ elles sont interchangeables à tant d’autres égards.) Le paysage pourra
406 clair, ornée de géraniums aux fenêtres. C’est là qu’ habite la mère de Robert, une vieille dame maigre et digne, dont les a
407 ecrétaire. Les passants me paraissent aussi laids que ces maisons de bois grisâtres ou vert olive, mauves ou goudron, aux p
408 llite a passé inaperçue. J’ai ouvert cette agence que vous venez de voir, et je n’ai plus piloté depuis lors. Aujourd’hui,
409 Ce sera plus commode pour les week-ends, surtout que madame Robert n’aime pas conduire l’auto… J’essaie en vain de compar
410 ile de comparer cette vie, cette ville aux images que , par Hollywood, l’Amérique nous propose d’elle-même et qu’elle s’effo
411 Hollywood, l’Amérique nous propose d’elle-même et qu’ elle s’efforce d’imiter. Souvenir d’un orage en Virginie Grands
412 entre des barrières blanches. — Et vous verrez ce qu’ elle en a fait ! C’est sa manière de se venger de W…, car c’était la m
413 res, à lui. Elle la déteste. Elle n’aime vraiment que ses chevaux… L’auto s’arrête devant un haut portique. Deux colonnes b
414 ante les poursuit armée d’une cravache. Elle crie qu’ ils viennent encore de manger les bougies du carrosse de George Washin
415 e de George Washington. (C’est une pièce de musée que nous allons voir, remisée sous la colonnade des écuries.) Nous pénétr
416 uivie d’un homme. Comme ils s’approchent, on voit qu’ elle tient la bride d’une main, et de l’autre porte à sa bouche une po
417 e main, et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’ elle mord en galopant. Nouveaux éclairs. Tous les chiens du chenil se
418 ’intendant, une sorte de géant toujours en bottes qu’ elle emmenait partout avec elle. Je pense au regard d’acier du jeune h
419 ais pas recevoir ! dit-elle moqueuse. Voulez-vous que je vous joue du piano ? Pour faire croire que je n’ai pas peur… » — E
420 ous que je vous joue du piano ? Pour faire croire que je n’ai pas peur… » — Eh bien ? m’ont demandé mes amis dans la voitur
421 s dans la voiture qui nous emporte sous la pluie, qu’ en pensez-vous ? — Well… pour la première fois de ma vie, je me sens t
422 cade en décade, à travers le Far West, jusqu’à ce qu’ ils eussent rejoint les terres du Pacifique. On ne pouvait plus rien a
423 vident au-dessus du cinquantième étage, pour peu que la pression baisse à Wall Street. Un grand malaise étreignait l’âme a
424 plan et disparaissent en coup de vent, jusqu’à ce que l’œil s’éduque et se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de con
425 a profondeur, vers la culture, vers ces problèmes que le grand nombre a toujours fuis, partout. Peut-être alors les masses
426 e alors les masses elles-mêmes comprendront-elles qu’ il n’est qu’un seul infini véritable : celui que chacun porte en soi,
427 masses elles-mêmes comprendront-elles qu’il n’est qu’ un seul infini véritable : celui que chacun porte en soi, celui de l’â
428 s qu’il n’est qu’un seul infini véritable : celui que chacun porte en soi, celui de l’âme inépuisable. Ce jour-là, les glor
4 1949, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Le Mouvement européen (avril 1949)
429 urgence de l’union Quand un Américain déclare que votre idée est généreuse, c’est qu’il est ému : il va vous aider. Qua
430 icain déclare que votre idée est généreuse, c’est qu’ il est ému : il va vous aider. Quand un Européen vous dit : l’Europe u
431 c’est une belle idée, une idée généreuse…, c’est qu’ il n’a pas envie d’y croire, qu’il ne fera rien, qu’il pense qu’il est
432 généreuse…, c’est qu’il n’a pas envie d’y croire, qu’ il ne fera rien, qu’il pense qu’il est sérieux et que vous rêvez. C’es
433 ’il n’a pas envie d’y croire, qu’il ne fera rien, qu’ il pense qu’il est sérieux et que vous rêvez. C’est ainsi qu’une certa
434 envie d’y croire, qu’il ne fera rien, qu’il pense qu’ il est sérieux et que vous rêvez. C’est ainsi qu’une certaine bourgeoi
435 il ne fera rien, qu’il pense qu’il est sérieux et que vous rêvez. C’est ainsi qu’une certaine bourgeoisie occidentale, poli
436 qu’il est sérieux et que vous rêvez. C’est ainsi qu’ une certaine bourgeoisie occidentale, politiquement analphabète dans s
437 e seule chance de salut. On se demande en vain ce qu’ il peut y avoir de « généreux » dans une opération de ce genre. Qu’il
438 r de « généreux » dans une opération de ce genre. Qu’ il suffise de rappeler les données qui en déterminent exactement l’urg
439 bases pour faire la guerre, mais il reste évident que si les deux Grands continuent à se déclarer la paix sur ce ton-là, ce
440 t nations dont aucune, isolée, n’a plus la taille qu’ il faut pour parler et se faire entendre dans le monde dominé par les
441 olonisation économique. Voici le fait fondamental qu’ énonçait au congrès de La Haye le Message aux Européens  : Aucun de
442 de nos pays ne peut résoudre, seul, les problèmes que lui pose l’économie moderne. Les conclusions que l’on doit tirer de
443 que lui pose l’économie moderne. Les conclusions que l’on doit tirer de cette double constatation sont d’une tragique simp
444 ien ne pourra s’opposer à cette guerre, dont quel que soit le vainqueur — s’il en est un — c’est l’humanité tout entière qu
445 un compromis, de l’inventer pour les deux autres. Que si l’on me dit alors que l’Europe même unie serait encore trop faible
446 n 320 millions d’habitants : c’est deux fois plus que l’Amérique, autant que la Russie et tous ses satellites. Si ces 320 m
447 nts : c’est deux fois plus que l’Amérique, autant que la Russie et tous ses satellites. Si ces 320 millions d’habitants fai
448 ces 320 millions d’habitants faisaient bloc, soit qu’ ils se déclarent neutres, soit qu’ils menacent de porter tout leur poi
449 ient bloc, soit qu’ils se déclarent neutres, soit qu’ ils menacent de porter tout leur poids d’un seul côté, ils seraient en
450 aucoup pensent : « Tout cela est bel et bon, mais que fait-on et que pourra-t-on faire en temps utile ? » La paix, l’Europe
451 : « Tout cela est bel et bon, mais que fait-on et que pourra-t-on faire en temps utile ? » La paix, l’Europe unie, d’accord
452 ai maintenant de répondre à ceux qui demandent ce qu’ on a fait déjà, et ce qu’on peut faire à temps pour fédérer l’Europe.
453 à ceux qui demandent ce qu’on a fait déjà, et ce qu’ on peut faire à temps pour fédérer l’Europe. Origines du mouvement
454 gines du mouvement fédéraliste Il y eut Sully, qu’ aime à citer Churchill : il rêvait d’une coalition. Il y eut Montesqui
455 es rêves et ces prophéties ne pouvaient concerner qu’ un avenir incertain, au milieu du xixe siècle, quand la réalité polit
456 définir cette conception fondamentale de l’homme que l’on baptisait la personne — l’homme « à la fois libre et responsable
457 onne — l’homme « à la fois libre et responsable » que l’on opposait d’une part à l’individu sans devoirs, et d’autre part à
458 nséquences politiques et sociales, et c’est ainsi que l’on aboutissait à un programme communautaire, fédéraliste, anticapit
459 . Le grand public nous ignorait. Nous formions ce qu’ on appelle avec un peu de pitié de « petits groupes d’intellectuels ».
460 l’occupation de l’Europe. On put croire un moment que tout notre travail allait être effacé pour toujours. C’était compter
461 revues passaient de main en main. Les événements que nous avions prévus parlaient pour nous, en dépit de toutes les censur
462 ois d’août 1947, à Montreux, son premier congrès. Qu’ étions-nous à l’époque, il y a un an et demi ? Cent-cinquante à deux-c
463 outes les tailles, dont plusieurs n’étaient guère qu’ un nom abstrait, touchant ou ambitieux, comme par exemple : Comité int
464 e les faire admettre par les États, nous n’étions qu’ une poignée d’hommes de bonne volonté, remarquablement dépourvus de mo
465 n appui de la part des gouvernements. C’est ainsi qu’ à Montreux nous sommes partis — nous sommes partis pour faire l’Europe
466 Europe, tout simplement. On s’étonnera de la part que je viens de faire à la doctrine personnaliste dans la genèse de nos m
467 ste dans la genèse de nos mouvements. Il est vrai que beaucoup de petits groupes qui se formèrent spontanément dans les cam
468 rien à cette doctrine. Mais il est non moins vrai que les grands thèmes et le vocabulaire personnalistes reparaissent avec
469 les Le congrès de Montreux n’était pas terminé que l’idée naissait parmi nous d’en élargir l’action en convoquant, pour
470 voyés du United Europe Committee nous informèrent que le président de ce groupement, Winston Churchill, avait également l’i
471 à faciliter cette « union » des États de l’Europe que Churchill avait réclamée dans son grand discours de Zurich. C’est de
472 s indépendantes, et de leur rencontre à Montreux, que devait sortir le congrès de La Haye. Dès l’automne 1947, un Comité de
473 és, parmi lesquels des ex-Premiers ministres tels que Churchill, Ramadier, Reynaud et van Zeeland, soixante ministres et an
474 écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux représentants des mouvements féminins et universitaires.
475 de Gasperi et Paul-Henri Spaak. À la question : «  Qu’ a-t-on fait jusqu’ici pour la fédération de l’Europe ? » cet historiqu
476 iverses, et nous sommes parvenus, plus rapidement que nous n’osions l’imaginer, à engrener sur les rouages les principaux g
477 rincipaux gouvernements européens. Ce qui n’était qu’ un rêve il y a un siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’une esp
478 éens. Ce qui n’était qu’un rêve il y a un siècle, qu’ une théorie il y a quinze ans, qu’une espérance pendant la guerre, est
479 y a un siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’ une espérance pendant la guerre, est aujourd’hui discuté par la presse
480 s parlements, les ministères, comme quelque chose qu’ il faut réaliser d’urgence, et qui a les plus grandes chances de se ré
481 Haye le principe d’une représentation aussi large que possible non seulement des parlements (partis politiques), mais aussi
482 vue dans son mémorandum du 18 août 1948. C’est ce que la presse nomme aujourd’hui, en simplifiant un peu, la position franç
483 plutôt la position fédéraliste. Car si l’on veut que les peuples soient représentés, c’est que l’on veut aboutir à autre c
484 on veut que les peuples soient représentés, c’est que l’on veut aboutir à autre chose qu’au « Corps consultatif » accepté p
485 sentés, c’est que l’on veut aboutir à autre chose qu’ au « Corps consultatif » accepté par les Cinq : à l’Assemblée constitu
486 nniques respectent leur gouvernement. Ils pensent que les ministres sont là pour gouverner, ce qui paraît étrange à beaucou
487 de Latins. Ils pensent donc, tout naturellement, que l’Europe sera faite par des ministres. Et cela ne va pas à une fédéra
488 stituante. Cour des droits de l’homme. — On sait qu’ une Charte des droits de l’homme vient d’être adoptée par l’ONU. Elle
489 ONU. Elle restera malheureusement inopérante tant que les États resteront souverains. Car c’est la protection des droits de
490 ersonne et des droits des minorités contre l’État qu’ il s’agit de sauvegarder aujourd’hui. Et cela suppose l’institution d’
491 opéen, dans sa réunion de Bruxelles, a recommandé que soit créée, par convention entre les États membres de l’union europée
492 ’un véritable pouvoir fédéral. Il me paraît clair qu’ ils impliquent la création d’une force de police fédérale. Car enfin,
493 miques. — Le contradicteur moyen aime à nous dire que nos plans « généreux » vaudront le papier qui les supporte, tant que
494 éreux » vaudront le papier qui les supporte, tant que nous n’aurons pas résolu les grands problèmes économiques. Nous somme
495 onomiques. Nous sommes un certain nombre à penser qu’ au contraire, la plupart des problèmes économiques resteront insoluble
496 es économiques resteront insolubles en fait, tant que nos plans politiques n’auront pas abouti. La sagesse des experts, dan
497 ue jour avec tant de gravité. Il se dit naïvement que toute exportation devient importation chez le voisin. Une conférence
498 lan des absurdités officielles. Parmi les mesures que défendent la plupart des fédéralistes, signalons l’abaissement progre
499 ssions de notre section économique, si l’on songe qu’ elle a pu réunir, sous le signe de l’Europe, des hommes aussi divers q
500 ous le signe de l’Europe, des hommes aussi divers que le dirigiste André Philip, le libéral Giscard d’Estaing, Lord Layton
501 de la culture. — Finalement, il nous paraît clair que toutes les mesures économiques et politiques que pourrait proposer le
502 que toutes les mesures économiques et politiques que pourrait proposer le Mouvement européen resteraient lettre morte, s’i
503 s’il n’existait, en deçà et au-delà des divisions qu’ il nous faut surmonter, une entité européenne bien vivante, un sentime
504 contraire de restaurer le rayonnement des valeurs que l’Europe, malgré tout, illustre encore aux yeux du monde entier : une
505 e fera, en dépit des experts (qui savent toujours que c’est Dewey qui sera élu), parce qu’une équipe de véritables résistan
506 — l’auront vue et marchent vers elle. Il se peut que la vision qui les guide, éclairant le chemin sous leurs pas, cache un
507 il suffirait peut-être d’oser croire ? Se peut-il que ce soit tout simplement l’Europe, redécouverte à la faveur de son uni
5 1949, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Découverte de l’Europe (octobre 1949)
508 pas bien nouvelle, il y a près de deux-mille ans qu’ on la connaît : la mort d’un Juif obscur, près de Jérusalem, a fait mo
509 e Jérusalem, a fait moins de bruit, en son temps, que la visite de Bartali, coureur cycliste, au Vatican. Il serait donc va
510 ste, au Vatican. Il serait donc vain de s’étonner que le Tour de France ait damé le pion de l’« actualité » à la première A
511 nt les journalistes étaient présents. On dit même qu’ ils furent plus de cinq-cents. Et bien d’autres ont jugé Strasbourg da
512 itoriaux du monde entier, d’autant plus librement qu’ ils n’y étaient pas allés. L’événement s’est donc vu noyé sous un délu
513 les deux à la fois, souvent dans le même article. Que l’Assemblée se soit montrée timide ou au contraire téméraire, que l’e
514 se soit montrée timide ou au contraire téméraire, que l’expérience soit trop tardive, ou au contraire prématurée, c’est ce
515 rop tardive, ou au contraire prématurée, c’est ce que personne ne sera capable de déduire des milliers de coupures de press
516 nérale se dégage de ce flot d’imprimés : et c’est que l’opinion, précisément, serait demeurée indifférente. Ce paradoxe cou
517 artie. S’il leur faut tant de mots pour expliquer que le sujet n’intéresse personne, notre jugement doit chercher d’autres
518 e, notre jugement doit chercher d’autres sources. Que s’est-il passé à Strasbourg ? Quelque chose d’assez neuf, il faut le
519 pas su l’enregistrer, sinon par les oscillations que je viens de rappeler, d’un bout à l’autre du champ des clichés. ⁂ La
520 ataille décisive. Il était raisonnable de prévoir que la première session serait consacrée à des questions de procédure, ca
521 ace un dispositif de combat, tout d’abord obtenir que le Comité des ministres ne dicte pas l’ordre du jour de l’Assemblée ;
522 votent individuellement. Et l’on n’a pas remarqué qu’ un mot d’ordre national — s’il en fut jamais donné — ait été suivi mêm
523 res ne se retrouvent, mais notablement atténuées, que dans le plan économique, sous les noms de libéralisme et de dirigisme
524 e, sous les noms de libéralisme et de dirigisme.) Que veulent les unionistes ? L’Europe unie, bien sûr. Mais pas trop vite,
525 ues nécessaires à l’union de l’Europe. C’est dire que la question centrale posée par les fédéralistes, celle d’un gouvernem
526 de la Commission, M. Bidault, peut déjà déclarer qu’ il s’orientera nettement vers une fédération finale. Il est clair qu’u
527 ettement vers une fédération finale. Il est clair qu’ une formule fédérale implique certaines limitations précises des souve
528 fois lutter pour l’union de l’Europe et déclarer qu’ on ne touchera pas à ces sacro-saintes souverainetés.) Mais au lieu de
529 ouvoir bien réel, dans le Conseil de l’Europe tel qu’ il existe. Certes. Mais, si le Conseil existe, n’est-ce point précisém
530 mission au statu quo ? D’autre part, les pouvoirs que détiennent les ministres étant strictement nationaux, leur addition o
531 nt créer, sur le plan de l’Europe, un danger pire que l’absence de pouvoir, une sorte de frein automatique, un véritable an
532 de frein automatique, un véritable anti-pouvoir, qu’ il s’agirait alors de renverser pour établir l’union réelle ? La secon
533 ? La seconde école, celle des fédéralistes, tient que l’origine normale du pouvoir à créer réside dans l’Assemblée elle-mêm
534 , l’on peut voir dès maintenant dans le seul fait qu’ il ait lieu, la preuve d’une très rapide évolution. Les dirigeants de
535 de notre Mouvement européen n’osaient pas espérer que la question capitale s’imposerait tout naturellement, dans un délai a
536 fierté, lorsqu’ils passent en revue les objectifs qu’ ils désignaient dans leurs mémorandums, et les confrontent avec les ré
537 s valable). On ne s’en étonnera pas, si l’on sait que les deux tiers des députés qui siégeaient à Strasbourg appartiennent
538 de ces divers pouvoirs, sinon l’opinion générale, qu’ il s’agit maintenant d’alerter, d’informer, et de faire peser de tout
539 . ⁂ Nous sommes en pleine action, et il est clair qu’ il s’est fait de l’Histoire à Strasbourg, mais nous n’en connaissons e
540 e à Strasbourg, mais nous n’en connaissons encore que le dynamisme intérieur. Les résultats pourront être jugés d’ici deux
6 1950, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’Europe et sa culture (novembre 1950)
541 s et complexes. (Ce qui peut signifier d’ailleurs qu’ elles sont vivantes.) Elles apparaissent en partie problématiques, en
542 les apparaissent, surtout, liées de telle manière que l’on ne peut définir l’une sans supposer l’existence de l’autre. Le p
543 r résister à la réabsorption dans la grande mère, que la petite Europe, au cours des siècles, a pris conscience d’elle-même
544 hui, la guerre froide, le rideau de fer. Relevons que les poussées de l’Asie par l’est ont été suivies généralement de péri
545 Hollandais, les Français, et les diverses formes qu’ a revêtues l’impérialisme européen au cours des âges. La part des déte
546 oit concentrer sa réflexion vitale. C’est un fait que la péninsule Europe ne représente qu’à peine 5 % des terres de la pla
547 est un fait que la péninsule Europe ne représente qu’ à peine 5 % des terres de la planète. D’où vient alors qu’elle ait dom
548  ? Il serait superflu de chercher ici autre chose que ce que tout le monde sait : la tension fondamentale du monde occident
549 erait superflu de chercher ici autre chose que ce que tout le monde sait : la tension fondamentale du monde occidental est,
550 e, le collectivisme et le personnalisme. La lutte que se livrent actuellement ces trois attitudes humaines dans le monde, d
551 lutte est si violente et douloureuse, si concrète qu’ on se voit dispensé de toute autre considération philosophique ou hist
552 ion philosophique ou historique tendant à prouver qu’ entre Athènes, Rome et Jérusalem, il y avait, dès le départ, un drame,
553 que, ne pouvant espérer d’atteindre à l’équilibre qu’ au prix des synthèses les plus difficiles, n’y parvenant que bien rare
554 des synthèses les plus difficiles, n’y parvenant que bien rarement, obligé de redresser ses déviations sans cesse renaissa
555 lé, au cours du dernier millénaire, plus créateur qu’ aucune espèce d’autre homme produite par les familles connues de la pl
556 le des derniers mille ans. Mais comment expliquer que l’homme du ive siècle, par exemple, en qui s’était déjà formée la sy
557 xixe ou du xxe siècle ? Cela ne prouve-t-il pas que j’aurais oublié quelques éléments décisifs, qui ne sont nés ni d’Athè
558 opéen, certains produits nouveaux ne sont apparus qu’ après des siècles de macération. Trois idées, devenues de nos jours ré
559 s, me paraissent typiquement d’Europe, en ce sens qu’ elles ne pouvaient naître que du complexe que je viens de décrire. Ce
560 d’Europe, en ce sens qu’elles ne pouvaient naître que du complexe que je viens de décrire. Ce sont les idées de révolution,
561 sens qu’elles ne pouvaient naître que du complexe que je viens de décrire. Ce sont les idées de révolution, de passion et d
562 nous disons même individualistes. Elle n’apparaît qu’ au xiie siècle, sous l’influence de l’hérésie manichéenne. Elle suppo
563 énue, comme en Amérique (où l’on pense réellement qu’ un homme en vaut un autre), on voit aussitôt la passion s’atténuer ou
564 tale, c’est ce qui a fait de l’Europe autre chose que ce qu’elle est physiquement, autre chose qu’un petit cap de l’Asie, p
565 ’est ce qui a fait de l’Europe autre chose que ce qu’ elle est physiquement, autre chose qu’un petit cap de l’Asie, pour rep
566 hose que ce qu’elle est physiquement, autre chose qu’ un petit cap de l’Asie, pour reprendre le mot fameux de Valéry, — le c
567 otre tâche est moins, aujourd’hui, de les définir que de les sauver. Aussi bien n’ai-je voulu mentionner certaines données
568 voulu mentionner certaines données fondamentales que dans la mesure où ce rappel m’a paru nécessaire pour informer et guid
569 du globe. Elle n’en sera dans cinquante ans plus qu’ un dixième probablement. Elle ne sait pas encore. Mais ce qu’elle voit
570 me probablement. Elle ne sait pas encore. Mais ce qu’ elle voit très bien, c’est qu’elle n’est plus le centre du monde, sur
571 pas encore. Mais ce qu’elle voit très bien, c’est qu’ elle n’est plus le centre du monde, sur le plan de la puissance politi
572 urope n’offre plus aux empires américain et russe qu’ un de ces vides dont l’Histoire n’a pas moins horreur que la Nature. D
573 e ces vides dont l’Histoire n’a pas moins horreur que la Nature. De plus, elle se voit amputée, pour le moment, d’un quart
574 insule ibérique à l’Ouest. Le reste ne vit encore qu’ en vertu de l’aide intelligente que lui donne un des deux empires neuf
575 ne vit encore qu’en vertu de l’aide intelligente que lui donne un des deux empires neufs, aide qui doit fatalement se tran
576 oint de vue de la puissance matérielle, rappelons que l’Amérique consacre cette année au développement de la recherche atom
577 s d’autre part, dans nos pays, cette même liberté qu’ on nous laisse est devenue presque vide et sans effets. À l’Est, nous
578 admis. Et l’on s’y réfère avec une rigueur telle que le style même d’un écrivain ou d’un peintre peut être attaqué par les
579 censure politique est si parfaitement préventive qu’ elle peut s’offrir le luxe de disparaître en tant qu’activité distinct
580 sion. Elle est partout et nulle part. C’est ainsi qu’ un ancien ministre bulgare en exil pouvait affirmer, récemment, que da
581 stre bulgare en exil pouvait affirmer, récemment, que dans un État communiste la censure au sens courant du mot n’existe pa
582 dans les démocraties dites populaires. Cependant, qu’ en est-il chez nous de la liberté et de la censure ? Allons tout de su
583 ionnel, mais qui signale un vrai danger. Voici ce qu’ écrivait, il y a quelques mois, M. Jean Thibaud, directeur de l’Instit
584 ous donne un inquiétant avertissement, il suggère que si la culture reste encore libre en Occident, c’est peut-être dans la
585 prestige mondial de l’Europe, on pourrait croire qu’ elle n’est plus aujourd’hui qu’un appendice aux déclarations officiell
586 on pourrait croire qu’elle n’est plus aujourd’hui qu’ un appendice aux déclarations officielles, un ornement peut-être vain,
587 devenue périphérique. Comment expliquer autrement qu’ il soit admis sans question, de nos jours, que l’esprit subordonne ses
588 ent qu’il soit admis sans question, de nos jours, que l’esprit subordonne ses intérêts à ceux de l’économie, de la politiqu
589 de la politique, ou de la défense nationale ? Et que personne ne s’avise de soutenir qu’il faudrait inverser cette hiérarc
590 ationale ? Et que personne ne s’avise de soutenir qu’ il faudrait inverser cette hiérarchie ? Rendue matériellement dépendan
591 Rendue matériellement dépendante de l’État, plus qu’ elle ne le fut jamais du mécénat privé, notre culture se voit contrain
592 si bien vu l’importance primordiale de la culture qu’ ils l’ont immédiatement étatisée. Ils lui ont rendu officiellement sa
593 dénaturent et l’asservissent. Or, il est évident que ces conditions sont particulièrement graves pour l’Europe, puisqu’ell
594 ent de la primauté dans nos vies nationales, soit qu’ elle se laisse subordonner aux intérêts économiques ou politiques, soi
595 nner aux intérêts économiques ou politiques, soit qu’ elle se contente d’une liberté honoraire, sans responsabilité, et d’un
596 rope existait réellement là où toutes les valeurs que symbolise le mot culture représentaient des fins en soi ; là où toute
597 l’Évangile rendait le son le plus authentique : «  Que servirait à un homme de gagner le monde, s’il perdait son âme ? » ⁂ J
598 âme ? » ⁂ J’admets ici, comme hypothèse de base, qu’ il faut sauver l’Europe et sauver la culture. Si je pensais, comme cer
599 sauver la culture. Si je pensais, comme certains, qu’ il est trop tard, je me tairais, ou je me ferais Américain. Mais il es
600 itique, si elle est colonisée par l’Amérique — ce qu’ elle désire parfois — ou envahie par la Russie, certains pensent que n
601 fois — ou envahie par la Russie, certains pensent que notre culture serait alors notre dernier refuge, qu’on ferait de l’Eu
602 notre culture serait alors notre dernier refuge, qu’ on ferait de l’Europe un musée dans les ruines, pour l’agrément des mi
603 ssance. Elle sera peut-être unie, c’est même plus que probable, par les soins d’experts étrangers ou d’une police qui a fai
604 t fait sa grandeur à partir d’un médiocre destin. Que servirait à l’Europe de recevoir une unité, si ce n’était pas celle d
605 liberté ? L’Europe sans sa culture, réduite à ce qu’ elle est, ne serait plus qu’un cap de l’Asie — et l’Asie n’a jamais pa
606 culture, réduite à ce qu’elle est, ne serait plus qu’ un cap de l’Asie — et l’Asie n’a jamais passé pour la terre de la libe
607 de réalités : l’Europe et la culture universelle qu’ elle a produite sont deux réalités coextensives. Elles naissent et meu
608 ves. Elles naissent et meurent du même mouvement. Qu’ en est-il de ce mouvement, au milieu de notre siècle ? Va-t-il vers la
609 rs la renaissance ou vers la décadence ? Je crois que la sublime réponse à la question des lendemains nous a été donnée une
610 ui vient de perdre la guerre fait actuellement ce qu’ on appelle une névrose d’infériorité. Pourtant, les faits ne justifien
611 t du charbon, de près d’un tiers de l’électricité que produit aujourd’hui la planète. Nous disposons surtout de ressources
612 itions ne s’imitent pas, une capacité d’invention que le monde entier peut nous envier. Qu’avons-nous inventé, nous les Eur
613 d’invention que le monde entier peut nous envier. Qu’ avons-nous inventé, nous les Européens, depuis cent ans ? Je répondrai
614 s les Européens, depuis cent ans ? Je répondrai : que n’avons-nous pas inventé ? Je cite pêle-mêle : le marxisme et la psyc
615 ou quelques rythmes de leurs danses. Finalement, que sont les empires qui prétendent partager le monde à nos dépens ? L’Am
616 culture, l’une dès ses origines, et l’autre en ce qu’ elle a de moderne justement. Calvin et le puritanisme, d’un côté, plus
617 tures évidemment ; mais ce n’est point par hasard que ces deux grands pays semblent appeler ce procédé de description : leu
618 description : leurs traits les plus frappants, et qu’ ils croient spécifiques, ne sont souvent que des emprunts à notre fond
619 s, et qu’ils croient spécifiques, ne sont souvent que des emprunts à notre fonds, mais développés là-bas sans mesure ni cri
620 nt notre faiblesse et notre angoisse ? D’où vient que nous ayons perdu, ou que nous croyions avoir perdu la puissance et l’
621 re angoisse ? D’où vient que nous ayons perdu, ou que nous croyions avoir perdu la puissance et l’initiative, dès qu’il s’a
622 e et l’initiative, dès qu’il s’agit d’autre chose que de peinture, de parfums, ou de vins du cru ? J’ai dit que nous sommes
623 einture, de parfums, ou de vins du cru ? J’ai dit que nous sommes trois-cents-millions à l’ouest du rideau de fer. C’est vr
624 ou des Grecs, c’est-à-dire comme s’ils n’étaient que quarante millions, soixante millions ou trois millions. Nous parlons,
625 qu’ils en tirent quelque orgueil, encore faut-il qu’ ils aient conscience d’appartenir à la famille européenne. Sinon, chac
626 iste les quelques noms de son pays et n’en tirera qu’ une raison de plus de se sentir minoritaire, ou pauvre. Il en va de mê
627 sibilité de les résoudre un jour. Je ne dirai pas que la division de l’Europe en vingt nations, chacune trop petite, rend c
628 . Et elle rend compte de la névrose d’infériorité que j’ai dite. La division de l’Europe nous prive de la puissance dont to
629 ées, des personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’ il en est aujourd’hui à cet égard. La condition nécessaire, sinon suff
630 du maintien de ce foyer de création et de liberté que représente l’Europe dans le monde, et que rien ne peut remplacer. Qu’
631 liberté que représente l’Europe dans le monde, et que rien ne peut remplacer. Qu’avons-nous fait pour nous unir ? Dans le d
632 ope dans le monde, et que rien ne peut remplacer. Qu’ avons-nous fait pour nous unir ? Dans le domaine politique, nous avons
633 nous avons Strasbourg. Ce n’est pas beaucoup plus qu’ une promesse, mais c’en est une. Nous verrons ce qu’elle vaut, avant l
634 ’une promesse, mais c’en est une. Nous verrons ce qu’ elle vaut, avant la fin de l’année. Dans le domaine économique, nous a
635 de cette culture dont on ne saurait trop répéter qu’ elle est le vrai, le seul secret de notre puissance, il est temps de p
636 roblèmes à résoudre. Troisièmement, l’on constate qu’ aucun de nos instituts culturels nationaux ne peut parler, actuellemen
637 l’Europe qui se voit attaqué par les propagandes que l’on sait. La nécessité se fait donc sentir d’un organisme dont la ra
638 itres principaux, ce n’est rien d’autre, en fait, que le programme du Centre européen de la culture, qui s’est ouvert à Gen
639 Strasbourg, la création d’une armée de l’Europe. Que cette armée soit nécessaire, c’est la déplorable évidence. Mais elle
640 uples, suppose la reconnaissance de deux réalités qu’ oublient généralement nos « réalistes ». La première, c’est que l’Eur
641 néralement nos « réalistes ». La première, c’est que l’Europe est une culture (civilisation si l’on préfère) ou n’est qu’u
642 e culture (civilisation si l’on préfère) ou n’est qu’ un appendice insignifiant de l’Asie. Et cela veut dire que la vraie so
643 pendice insignifiant de l’Asie. Et cela veut dire que la vraie source de la puissance européenne est sa culture, et qu’il s
644 rce de la puissance européenne est sa culture, et qu’ il serait absurde et vain d’essayer de sauver l’une sans l’autre. La s
645 r de sauver l’une sans l’autre. La seconde, c’est que le ressort intime, mais aussi le but final de la culture occidentale,
646 se : la liberté de la personne. Et cela veut dire que les chances de l’Europe se confondent aujourd’hui avec les chances de
647 ntre les stalinistes et nous, Européens, il n’y a qu’ un mot : démocratie. Pour eux, cela veut dire dictature. Pour nous, li
648 ité. Nous savons où sont nos alliances. 13. Tels que le Collège d’Autriche, la Deutsche Europa Akademie, le Centro di Stud
7 1951, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Inde 1951 (décembre 1951)
649 strer les preuves méticuleuses d’une souveraineté que nul ne songe à contester. On nous demande pourquoi nous venons ici. —
650 . (Réponse propre à faire croire au fonctionnaire que c’est M. Nehru qui patronne le Congrès, alors qu’en vérité, il s’est
651 bien convaincu : il voudrait obtenir des réponses qu’ il connaît. Finalement : — Où habiterez-vous ? — Au Taj Mahal Hôtel. S
652 t. — Au Taj ? OK. OK ? On le dirait à moins. Plus qu’ un hôtel, c’est un quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’un
653 Du plafond pend une grande hélice à quatre pales, qu’ un bouton électrique met en marche : trois vitesses. Sol de dalles gri
654 ’entendant rien venir, et de m’apercevoir ensuite qu’ ils étaient là déjà depuis un long moment. Pourquoi trois ? Je me dis
655 depuis un long moment. Pourquoi trois ? Je me dis que le premier prend les ordres, que le second probablement les enregistr
656 rois ? Je me dis que le premier prend les ordres, que le second probablement les enregistre, et que le troisième les exécut
657 es, que le second probablement les enregistre, et que le troisième les exécute. Mais non, tout simplement, il y a trop de g
658 t des blocs de papier. Ils attendent. Je leur dis que c’est tout ce que je désire. Mais eux voudraient me poser quelques qu
659 ier. Ils attendent. Je leur dis que c’est tout ce que je désire. Mais eux voudraient me poser quelques questions. Mon opini
660 t en Amérique du Sud : plus uniformément modernes que les nôtres. Notons une légère frustration de notre sens de l’exotisme
661 èce de curiosité, toujours au bord de la ferveur, qu’ évoque le terme d’exotisme : rien de plus typiquement européen. Parmi
662 de ne le point trouver aussi pur et déconcertant qu’ ils le rêvaient. Pour l’Indien, le Chinois, l’Arabe, l’étranger n’a ja
663 quelles une croyance inverse prédomine. Il semble qu’ au regard de la « hideuse vulgarité » de l’Occident, dont parlait réce
664 r ordre et sans autres problèmes, la faim n’étant qu’ un ennemi. L’Occidental, qui ne se connaît plus, va voir ailleurs comm
665 sérieux de partager la foi de ceux dont il admire qu’ ils en aient une. Ceci dit, je n’aurai de cesse que je n’aie découvert
666 u’ils en aient une. Ceci dit, je n’aurai de cesse que je n’aie découvert, à mon tour, derrière l’immense façade des quais s
667 ar son intelligentsia, c’est retrouver d’abord ce que nous connaissions, avec la seule surprise de n’en pas avoir d’autres.
668 es premières heures de débats, il devient évident que leurs problèmes s’énoncent dans les mêmes termes qu’en Europe. Il y a
669 leurs problèmes s’énoncent dans les mêmes termes qu’ en Europe. Il y a ceux qui pensent que l’URSS c’est la justice, les US
670 êmes termes qu’en Europe. Il y a ceux qui pensent que l’URSS c’est la justice, les USA la liberté ; ceux qui scrupuleusemen
671 er neutralisme et neutralité ; ceux qui demandent que les démocraties balayent devant leur porte, se réforment d’abord, et
672 ux enfin qui se frappent la poitrine en déclarant qu’ il y a de l’indécence à venir parler de culture dans un pays où des mi
673 rès. Je quitterai l’Inde sans avoir voulu dire ce que j’en pense, qui se résume à ceci : si les anciens Hindous, les Égypti
674 ent déclaré en leur temps : point de culture tant qu’ il subsiste de la misère et de la famine, il n’y aurait point de civil
675 r ici contre la force d’un proverbe, si convaincu que je sois qu’il dit faux, que ce sont les repus qui n’écoutent pas, et
676 la force d’un proverbe, si convaincu que je sois qu’ il dit faux, que ce sont les repus qui n’écoutent pas, et que la diset
677 roverbe, si convaincu que je sois qu’il dit faux, que ce sont les repus qui n’écoutent pas, et que la disette est mère des
678 aux, que ce sont les repus qui n’écoutent pas, et que la disette est mère des civilisations, comme l’angoisse l’est de la p
679 sations, comme l’angoisse l’est de la pensée. ⁂ — Que cherchez-vous ? me dit Raja Rao, que je rencontre dans le hall du Taj
680 pensée. ⁂ — Que cherchez-vous ? me dit Raja Rao, que je rencontre dans le hall du Taj. (Il a l’air d’un Gitan avec ses bou
681 quitté la voiture à l’entrée d’une ruelle étroite que nous descendons lentement jusqu’à des escaliers très raides et compli
682 me rose très pâle et un peu mauve des cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et plus rarement au Brésil.) Nous d
683 eu mauve des cotonnades, que je n’avais encore vu qu’ en Italie et plus rarement au Brésil.) Nous descendons. Les escaliers
684 blancs, sérieux et lent. Raja Rao lui demande ce qu’ il lit. C’est un chant du Mahabharata. Ils écoutent sans bouger, jeune
685 iveurs semblaient vouloir montrer avec insistance qu’ ils suivaient. ⁂ Le prêtre, le swami, le holy man : plus ils sont sain
686 tiques, toujours plus lourdement revêtus à mesure qu’ ils gravissent la hiérarchie sacrée. Nos mouvements de réforme religie
687 des soies, des couleurs, des bijoux, je songeais que l’idée de « mauvais goût » devient inconcevable en Inde, alors qu’un
688 ’eût pas manqué de l’évoquer dans nos pays. C’est qu’ ici, rien ne relève du « goût », mais chaque forme et chaque geste son
689 autrement inquiétante de l’Asie. Comment dire ce que l’on sent être à ce point étranger aux concepts formulés par l’Europe
690 curité le sentiment, mal distinct d’une angoisse, qu’ ici le Moi, l’ego central, n’existe pas ? Ces danseurs sont des rôles,
691 t séparée. Je serais tenté d’imaginer à la limite qu’ ils ne sont rien que chair opaque, virilité à l’état pur. Aussi tyrann
692 tenté d’imaginer à la limite qu’ils ne sont rien que chair opaque, virilité à l’état pur. Aussi tyranniquement déterminés
693 instruments et les figures dynamiques de la danse que l’animal par ses instincts. Sans problèmes, sans contradictions, sans
694 aucune espèce de liberté possible, s’il est vrai que toute liberté suppose quelque hiatus intime entre le Moi et le destin
695 us intime entre le Moi et le destin. Il me semble qu’ au seuil de comprendre, je viens de sentir au moins pourquoi l’Asie pe
696 y a bien moins d’irrévérence dans cette remarque qu’ un Occidental ne le pensera, ignorant par exemple que les Indiens reli
697 un Occidental ne le pensera, ignorant par exemple que les Indiens religieux vénèrent jusqu’à la bouse des vaches sacrées, d
698 s, dont ils enduisent le four de leur cuisine, ou qu’ ils s’appliquent sur les cheveux et sur le front en triples traits, no
699 ont vraiment distincts, marchant vers autre chose que leur nature, quand tout le reste est déterminé par la fonction, l’esp
700 s de fruits et glaces, servis dans de petits bols que l’on dépose sans relâche et sans ordre sur le pourtour d’un grand pla
701 mme on sait par mille complexes, sexuels surtout. Qu’ en est-il en Inde ? Les Indiens échangent un sourire, hésitent un peu,
702 un peu, par politesse sans doute, et disent enfin que non, qu’ils n’ont pas de complexes, surtout pas de complexes sexuels.
703 ar politesse sans doute, et disent enfin que non, qu’ ils n’ont pas de complexes, surtout pas de complexes sexuels. Spender
704 duit à sa plus grande simplicité. Je reviens à ce que j’écrivais sur l’absence de contradiction dans l’être intime de l’Asi
705 l’Asiatique : c’est une autre manière d’exprimer qu’ il n’a pas le sens du péché ; et par suite, qu’il n’a pas non plus le
706 er qu’il n’a pas le sens du péché ; et par suite, qu’ il n’a pas non plus le sens de la révolte, ni celui de l’humour, ni mê
707 l’état présent des choses, on comprend fort bien que notre idée de l’originalité (dans les arts ou dans la conduite) ne si
708 on individuelle ne sont pas vues, ou bien ne sont qu’ erreurs. Le besoin d’être original, et dans un autre ordre l’humour, e
709 nelle. Alors la vocation vient remplacer le rôle. Qu’ elle fasse défaut, et nous vivons dans l’incertain, l’absurde ou la mé
710 on pas d’un ego, d’un être différent qui ne vivra qu’ une fois. Il résiste sans contre-attaque, sans chercher à détruire un
711 un plébiscite “démocratique”, qui ne peut tourner qu’ à l’avantage des communistes. Mais prenez l’affaire du Kashmir : là, p
712 t progressiste, et qui est hindoue. N’oubliez pas que le Pandit est du Kashmir. Prenez enfin l’affaire du blé. La famine me
713 isonner leurs leaders. Staline s’en moque, pourvu que l’Inde appuie la Chine. Et cinq des grands ambassadeurs de l’Inde son
714 low-travellers… » Un diplomate : « Nul ne sait ce qu’ il va faire. Il suit surtout la ligne de ses humeurs. L’autre jour, au
715 enir Premier ministre… » Telles sont les opinions que l’on m’a confiées depuis que je suis dans ce pays — douze jours seule
716 es sont les opinions que l’on m’a confiées depuis que je suis dans ce pays — douze jours seulement — et je n’en prends aucu
717 ondamnant le neutralisme. J’avais lu dans l’avion que le Premier ministre devait rentrer ce matin même du Kashmir, après un
718 e noire, tête nue. Un prince d’Orient, aussi beau qu’ on le dit. Légèrement boudeur, m’a-t-il semblé d’abord. (À la première
719 , m’a-t-il semblé d’abord. (À la première mention que je risque du Congrès, baissant la tête et regardant sa main posée sur
720 u à Hollywood quant au volume de production, mais qu’ il juge pire encore quant à la qualité ; parlant des douze grandes lan
721 ousse un pion, profitant d’un silence. Je lui dis que Madariaga, dans la séance de clôture du congrès, s’est écrié : « Votr
722 …) Au café, je lui dis mon étonnement à découvrir que l’intelligentsia de son pays présente avec la nôtre tant d’analogies,
723 u français, mais l’Inde ne connaît guère l’Europe que par les collèges anglais, et d’autre part, elle est tentée de juger l
724 il du palais. « N’oubliez pas de dire à Madariaga que je l’attends. Ou plutôt non, je lui téléphonerai. » Un sourire un peu
725 de la main. J’essaie maintenant de recomposer ce que l’on m’a dit de lui et ce que j’ai vu de l’homme, pendant une entrevu
726 nt de recomposer ce que l’on m’a dit de lui et ce que j’ai vu de l’homme, pendant une entrevue « banale », et c’est son pri
727 nt le destin, complice de sa nature intime plutôt que de ses idées, a fait un prince. Que ce pandit soit devenu Premier min
728 intime plutôt que de ses idées, a fait un prince. Que ce pandit soit devenu Premier ministre, il s’agit là d’un caprice de
729 comme distinct de son rôle historique. On dirait qu’ il le voit avec quelque distance. Un moraliste en somme, mais sans foi
730 manitaire, et à Gandhi. Avec cela, plus impatient qu’ autoritaire, plus soucieux de noblesse morale que de logique. Son déda
731 qu’autoritaire, plus soucieux de noblesse morale que de logique. Son dédain mal dissimulé pour la culture américaine est c
732 italisme promis à des crises fatales. Les mesures qu’ il vient de prendre contre la presse, au nom d’un idéal de « propreté
733 lle contre l’opposition. En dépit de ces défauts, que les Indiens lui reconnaissent, entouré du respect général. Cela tient
734 Tout le monde parle de sa beauté. Et il est vrai que son visage et son maintien expriment une harmonie de l’âme hindoue qu
735 maintien expriment une harmonie de l’âme hindoue que la plupart des corps, dans ce pays, cachent et même contredisent à no
736 yeux fixes et brillants, nous apparaît plus près que nous de l’animal, ou soudain plus près de l’esprit. (Le businessman o
737 que d’une race ? L’individualité n’est jamais née qu’ en rupture de magie. Cette crise profonde de l’Inde se résume en Nehru
738 Certes, mais l’Inde en soi n’existe pas ailleurs que dans nos idées vagues sur son mystère. Elle ne peut plus ressembler q
739 ues sur son mystère. Elle ne peut plus ressembler qu’ à ce qu’elle deviendra. En six siècles, le monde a changé ; une Inde i
740 son mystère. Elle ne peut plus ressembler qu’à ce qu’ elle deviendra. En six siècles, le monde a changé ; une Inde indépenda
741 nte eût changé elle aussi. Le fait certain, c’est qu’ elle n’a pu le faire au rythme accéléré de notre histoire. Elle a manq
742 ontraire, un immense embarras devant le monde tel que d’autres l’ont fait. Jetée dans la lice des États, au milieu d’une pa
743 ne sait pas quel camp choisir. Comme on comprend que Nehru, qui doit « jouer » pour elle sur le plan international, ne soi
744 our elle sur le plan international, ne soit tenté que par le rôle d’arbitre ! Admettons que l’Amérique représente aujourd’h
745 soit tenté que par le rôle d’arbitre ! Admettons que l’Amérique représente aujourd’hui le monde des libertés individuelles
746 tachent d’elle ou la renient. L’évolution normale que provoquerait une suppression réelle des castes rapprocherait l’Inde d
747 Europe en particulier. Mais elle n’affecte encore que l’intelligentsia16. Celle-ci d’ailleurs rejoint plus facilement nos i
748 ailleurs rejoint plus facilement nos incertitudes que nos fois… Entre un passé réduit à l’impuissance pratique mais qui rés
749 blèmes, l’Inde est problèmes. Je n’ai guère parlé que du plus intime d’entre eux, tel que j’ai cru le pressentir : celui de
750 i guère parlé que du plus intime d’entre eux, tel que j’ai cru le pressentir : celui de l’homme entre le mythe et la person
751 ne désastreuse insuffisance, s’accroît moins vite que la population, qui déborde la nuit sur les trottoirs. (Un lit pour de
752 ans cette intelligentsia de formation occidentale que se recrutent les staliniens de l’Inde et leurs alliés. Le communisme,
753 éal et doctrine révolutionnaire, n’a guère touché que les milieux d’étudiants et les populations très anciennement chrétien
754 t par la note suivante : « Ces tableaux de l’Inde que Denis de Rougemont rapporte d’un récent voyage forment un curieux con
755 ieux contraste avec les pages de Somerset Maugham que nous avons publiées dans notre précédente livraison. Après l’Inde rel
8 1965, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Le Suisse moyen et quelques autres (mai 1965)
756 moyen Les Suisses sont plus réellement moyens que « l’homme moyen » des autres peuples, support ou résultat fictif des
757 dénombré cinquante-deux actuellement existantes.) Que deviennent nos fameuses diversités dans cette moyenne qui semble les
758 régime qui permet à chacun de rester soi-même où qu’ il vive, à droits égaux mais à charge de respect pour les coutumes loc
759 mme d’une nation « une et diverse ». Il faut voir qu’ elle est une parce qu’elle est diverse. Le goût du juste milieu, le se
760 formisme, sont les vertus et les défauts typiques qu’ appelle la tolérance fédéraliste. Enquêtes sociologiques, études d’opi
761 s’y méprendre aux Suisses parmi lesquels je vis, que je vois dans la rue, que j’entends dans les trains, avec lesquels j’a
762 s parmi lesquels je vis, que je vois dans la rue, que j’entends dans les trains, avec lesquels j’ai fait mon service milita
763 avec lesquels j’ai fait mon service militaire ou que je rencontre à l’étranger, livrés aux joies inépuisables de la compar
764 es données de fait et les impératifs concrets, et qu’ ils la jugent au surplus satisfaisante. Une enquête conduite par l’ins
765 dans six pays d’Europe et aux États-Unis, montre qu’ ils sont « en tête des gens heureux », comme l’écrit un journal frança
766 niveau de vie, tandis que 38 % s’en plaignent et que 14 % n’en pensent rien, une majorité écrasante de 88 % des Suisses tr
767 e majorité écrasante de 88 % des Suisses trouvent que cela va très bien ainsi. Mais il y a mieux. À la question posée par u
768 publique : « D’une manière générale, diriez-vous que vous êtes très heureux, plutôt heureux, pas très heureux ? » 42 % rép
769 s heureux. (Reste 1 % pour les désespérés ou ceux que la question laisse froids.) Ce n’est pas que tout soit parfait dans l
770 ceux que la question laisse froids.) Ce n’est pas que tout soit parfait dans la meilleure des Suisses possibles, mais le mo
771 nnaire, mais rien non plus de moins réactionnaire que le Suisse moyen. Réformiste conservateur, il évolue avec ténacité ver
772 n de l’économie et de la distribution des revenus que les socialistes d’antan revendiquaient sans trop oser y croire, et qu
773 ’antan revendiquaient sans trop oser y croire, et que les patrons modernes négocient posément avec des chefs syndicalistes
774 nts, c’est le goût du travail dont on a pu écrire qu’ il est « le mode existentiel des Suisses », la base de leurs rapports
775 La coutume patricienne n’a guère laissé de traces que dans quelques banques privées ; le parti radical a perdu la puissance
776 s privées ; le parti radical a perdu la puissance qu’ il exerçait jusqu’aux débuts de ce siècle sur les nominations dans la
777 e en général fidèle à son métier. Dire d’un homme qu’ il a fait beaucoup de métiers est un éloge banal en Amérique (ou versa
778 lents, polyvalent) mais n’éveille guère en Suisse que de sérieux soupçons sur la valeur morale du personnage. Les loisirs e
779 st en symbiose avec elles, et s’en nourrit autant qu’ il explique leur succès dans la majorité de nos cantons. « Simplifions
780 itaine et technique, ennemie de la dépense autant que de l’apparat, et même des majuscules typographiques (voir l’école gra
781 ux de sa religion, ou déjà ceux de l’utilitarisme que certains jugent inhérent à la nouvelle civilisation de l’Occident, — 
782 à la nouvelle civilisation de l’Occident, — celle que le monde entier lui attribue désormais, lui reproche vertueusement et
783 s difficile d’y répondre dans le cas de la Suisse que dans celui des États-Unis par exemple19. Car la Suisse reste tributai
784 oral de son auteur. D’où il résulte, par exemple, que le goût du travail correspond chez le Suisse moyen à une exigence mor
785 chez le Suisse moyen à une exigence morale plutôt qu’ au seul désir de gagner davantage. La paresse est une déficience, et n
786 uête intitulée Un jour en Suisse : « Estimez-vous qu’ on peut être un bon Suisse et se lever à 9 heures ? » À l’origine du d
787 lever tôt pour travailler, il y a la Bible autant que la coutume paysanne et bien plus que l’utilitarisme. Il y a d’abord l
788 Bible autant que la coutume paysanne et bien plus que l’utilitarisme. Il y a d’abord la bonne conscience, bien plus que le
789 me. Il y a d’abord la bonne conscience, bien plus que le sens du rendement objectif : car, ainsi que l’a bien dit une mauva
790 us que le sens du rendement objectif : car, ainsi que l’a bien dit une mauvaise langue, le Suisse se lève tôt, mais il se r
791 uisse se lève tôt, mais il se réveille tard. Mais qu’ en est-il d’autres domaines critiques de l’existence morale en Occiden
792 t pas moins connus pour la licence de leurs mœurs que pour l’austérité patriarcale de leurs principes. Les chroniques illus
793 tendaient au contraire, pour l’épouser, la preuve qu’ elle pouvait être mère), cent témoignages concordants décrivent une Su
794 ndant un siècle. Il est d’autant plus remarquable que le Suisse moyen formé à cette école ne soit pas devenu le révolté qu’
795 formé à cette école ne soit pas devenu le révolté qu’ on serait tenté d’imaginer, et que les Églises soient aujourd’hui plus
796 venu le révolté qu’on serait tenté d’imaginer, et que les Églises soient aujourd’hui plus vivantes qu’hier. Les nouvelles g
797 que les Églises soient aujourd’hui plus vivantes qu’ hier. Les nouvelles générations me paraissent tranquillement libérées
798 els aussi. D’où l’on pourrait déduire d’une part que les exigences de la chair étaient bien fortes en ce pays pour que la
799 rer tant d’efforts à les réfréner ; d’autre part, que la religion devait exercer un empire bien puissant pour que ses disci
800 eptés aussi communément et sans plus de rébellion que de désaffection. D’autres indices viennent-ils corroborer cette concl
801 ure des publications n’est officiellement exercée qu’ aux frontières du pays. La pudeur de la jeunesse suisse est ainsi prot
802 s du moral et de l’immoral ? Je n’en ai découvert qu’ un seul : « La discipline, un point c’est tout ! », me criait hier enc
803 quelques centimètres hors de la file des voitures qu’ il lui avait plu d’organiser devant le poste, — souvenir de l’école en
804 âtonnets pendant des heures et il fallait surtout que rien ne dépasse. Ce qui dépasse aux yeux de la censure, ce sont les œ
805 es d’un tel office ne sauraient être, évidemment, que ceux de la banalité morale la plus plate et la plus résiduelle. On in
806 art « où un particulier non averti ne chercherait qu’ une excitation pour les sens20 ». Faut-il penser que les Suisses bénéf
807 ’une excitation pour les sens20 ». Faut-il penser que les Suisses bénéficient vraiment d’une sensualité si violente qu’un r
808 bénéficient vraiment d’une sensualité si violente qu’ un rien, la moindre négligence risquerait de la porter aux pires excès
809 farouches approbations ; on les considère pour ce qu’ elles sont : résidus de préjugés sociaux ou religieux qui n’ont plus b
810 r « comprendre » ce genre de routines officielles que les vieux se croient obligés de cultiver, mais cela changera bientôt,
811 rs de Suisse21. L’humoriste Georges Mikes affirme qu’ un habitant de l’Obwald lui a dit : « Je préférerais donner ma fille à
812 donner ma fille à un homme de Winterthour plutôt qu’ à quelqu’un de Nidwald » (canton voisin). En revanche, raconte-t-il :
813 bien entendu, et m’expliqua en grande confidence qu’ elle faisait de grands efforts pour traiter sa bru ‟comme si elle étai
814 tait l’une des nôtres”, tout en sachant fort bien que ‟ces mariages mixtes ne réussissent jamais”. Elle voyait dans son att
815 Autriche) pour la proportion des divorces, depuis que la mobilité de sa population d’un canton à l’autre a entraîné un accr
816 une exigence accrue à l’égard du mariage et de ce qu’ il peut représenter pour le développement personnel de chacun des conj
817 ans la vie sociale…23 Au total, il ne semble pas que « l’immoralité » progresse notablement dans les cantons, comme elle l
818 ie elle-même qui devient le danger, ses surprises que le poste « divers et imprévu » au budget de la petite famille ne suff
819 pas à couvrir, peut-être. Et certaines questions qu’ on se pose sur le sens final de tout cela… ⁂ Ce portrait, garanti conf
820 l’expérience quotidienne, montre les Suisses tels qu’ ils sont et se veulent. Ceux qui refuseront de s’y reconnaître ne sero
821 ait, ce n’est pas un éloge, ni une critique. Dire que le Suisse moyen est sérieux mais heureux (j’ajoute qu’il rit beaucoup
822 e Suisse moyen est sérieux mais heureux (j’ajoute qu’ il rit beaucoup et facilement), qu’il est réaliste sans cynisme, qu’il
823 reux (j’ajoute qu’il rit beaucoup et facilement), qu’ il est réaliste sans cynisme, qu’il accepte sa condition comme il appr
824 et facilement), qu’il est réaliste sans cynisme, qu’ il accepte sa condition comme il approuve son régime politique et accl
825 e et acclame son niveau de vie neuf fois sur dix, qu’ il n’est pas révolutionnaire mais résolument réformiste, et qu’il n’ai
826 as révolutionnaire mais résolument réformiste, et qu’ il n’aime pas les jeux d’idées ni la spéculation dans aucun ordre, enf
827 d’idées ni la spéculation dans aucun ordre, enfin que le travail est sa vie, est-ce le vanter ou le dénigrer ? Il est clair
828 e, est-ce le vanter ou le dénigrer ? Il est clair que c’est l’un et l’autre, selon le signe dont on affecte les notions de
829 tion, de gratuité ou d’efficacité, etc., et selon qu’ on préfère ceux qui s’engagent dans les guerres d’idéologies à ceux qu
830 pourtant de tels hommes qui donnent à un pays ce qu’ on appelle son visage, visage bientôt « traditionnel ». On répète qu’i
831 isage, visage bientôt « traditionnel ». On répète qu’ ils expriment l’âme de leur patrie, mais on oublie qu’ils l’ont créée
832 ls expriment l’âme de leur patrie, mais on oublie qu’ ils l’ont créée d’abord (bien que dans un langage donné, qui existait
833 ue dans un langage donné, qui existait avant eux, qu’ ils renouvellent seulement). Il y a dans une patrie, dans une nation,
834 , dans une communauté humaine bien plus de choses que nos instruments d’analyse des consciences actuelles n’en peuvent comp
835 alités longuement agissantes et soudain décisives que l’homme moyen ne peut pas exprimer, bien qu’il en vive, — ou faut-il
836 ns un film naguère célèbre, Orson Welles assurait que la Suisse n’a donné au monde que la pendule à coucou. J’imagine qu’il
837 Welles assurait que la Suisse n’a donné au monde que la pendule à coucou. J’imagine qu’il entendait dire que la Suisse n’a
838 donné au monde que la pendule à coucou. J’imagine qu’ il entendait dire que la Suisse n’a produit rien de grand, hommes, idé
839 pendule à coucou. J’imagine qu’il entendait dire que la Suisse n’a produit rien de grand, hommes, idées ou objets, comme l
840 rnière Orson Welles et la Bombe. Il faut admettre que notre aurea mediocritas saute aux yeux du premier venu, tandis que le
841 à demeurer à peu près invisible. Comment veut-on qu’ un étranger le voie ? Si cet étranger vient chez nous et cite l’un des
842 étranger vient chez nous et cite l’un des Suisses qu’ il connaît par sa réputation mondiale, il ne trouvera pas une personne
843 du ce nom-là ; en revanche, les hommes importants qu’ on lui indiquera sont inconnus hors du canton. La Suisse résulte, l’ai
844 un homme qui le représente. D’où les conséquences qu’ on a vues dans le domaine de la vie publique : tout se ligue instantan
845 peu voyant administre l’État, on ne saurait dire qu’ il gouverne les Suisses, et c’est très bien. Mais dans le domaine de l
846 alités d’un mécène ou d’une cour. C’est tout cela qu’ interdisent moralement nos principes, et physiquement nos petits compa
847 ncipes, et physiquement nos petits compartiments. Que fera dans ces conditions l’homme de talent ou d’ambition ? Il a trois
848 essant de définir certaines conduites spécifiques que lui imposent les petites dimensions de notre État et les conditions d
849 erçu. — Il y a ceux qui ne laissent rien paraître que leur identité native et naturelle. Ce n’est pas se dissimuler, en vér
850 igieux, fantastiques à la fin (L’Araignée noire), que Thomas Mann qualifie d’homériques. Toutes les familles l’ont lu, en S
851 t — celle de mon talent et de ma joie. » Je crois que c’est Paul Bourget qui a dit que « Paris en eût fait un dieu ». Mais
852 joie. » Je crois que c’est Paul Bourget qui a dit que « Paris en eût fait un dieu ». Mais ce n’eût été qu’un dieu de salons
853 « Paris en eût fait un dieu ». Mais ce n’eût été qu’ un dieu de salons, un dieu causeur. Jacob Burckhardt à sa manière fut
854 Un pour tous, tous pour un, c’est moins un idéal qu’ une vitale obligation de solidarité pratique. Quand un Suisse entrepre
855 créatrice ou son génie individuel, en démontrant qu’ il fait une œuvre utile au bien commun. Et c’est pourquoi les Suisses
856 mmunauté (qui souvent dépassait leur pays) plutôt que créateurs d’art ou de pensée pure. Médecins praticiens, guérisseurs d
857 définies. Le salut de l’homme ou sa santé, plutôt que sa définition, préoccupent les meilleurs esprits suisses. Il est poss
858 sse excelle et se dépasse, mais dans le seul sens qu’ elle ait jamais voulu se permettre : celui de la cure d’âme et d’espri
859 nces, et par sa rhétorique du « tout cela et rien que cela » (qu’il a puisée dans saint Paul), il est le seul théologien de
860 sa rhétorique du « tout cela et rien que cela » ( qu’ il a puisée dans saint Paul), il est le seul théologien depuis Calvin
861 ses protestantes, en Amérique comme en Europe, et que les docteurs de Rome respectent et commentent. Carl Gustav Jung, dan
862 n personnelle de réalités animiques, collectives ( qu’ on lui reproche de mal définir) et qu’il a détectées dans la grande nu
863 ollectives (qu’on lui reproche de mal définir) et qu’ il a détectées dans la grande nuit des âges. Autant Barth refuse le ph
864 e — mais quand il déclare, dans sa Réponse à Job, que la proclamation du dogme de l’Assomption de la Vierge en 1950 marque
865 s Jung se réfère aux livres apocryphes, non moins qu’ à la « shakti » hindoue ou à l’Éternel féminin des mystiques hérétique
866 Dieu est une réalité psychique. Le théologien n’a que faire de la psychologie. Il la met entre parenthèses pour ne considér
867 e. Il la met entre parenthèses pour ne considérer que la totalité de l’existence « en tant qu’objet soumis à la déterminati
868 role de Dieu24 ». En revanche, le psychologue n’a que faire des dogmes, sauf s’ils sont l’expression cristallisée d’un myth
869 ment dans la mesure où ils seraient un mythe fixé que Barth les rejetterait. Le dialogue entre ces deux hommes n’était même
870 même très partielle n’a été entreprise jusqu’ici, que je sache. (Un jour, peut-être, j’essaierai de me rendre compte de ce
871 peut-être, j’essaierai de me rendre compte de ce que je dois à l’un autant qu’à l’autre de ces maîtres incompatibles.) Nou
872 me rendre compte de ce que je dois à l’un autant qu’ à l’autre de ces maîtres incompatibles.) Nous n’avons pas en Suisse de
873 pensables hors du complexe suisse. Et c’est à eux que la Suisse, en retour, doit une densité de conscience communautaire, m
874 u et de montres miniaturisées ignorent en général que le plus grand dôme du monde, Saint-Pierre de Rome, fut achevé par des
875 fut achevé par des architectes venus de Suisse ; qu’ un autre Suisse bâtit des capitales en Inde ; qu’un troisième a donné
876 qu’un autre Suisse bâtit des capitales en Inde ; qu’ un troisième a donné à l’Amérique les deux ponts les plus longs du mon
877 Barth. Son canton — ou l’Europe. » Et il est vrai que nos meilleurs esprits, hors de l’étroit compartiment natal, iront che
878 t sur nos Alpes comme Horace-Bénédict de Saussure que ces hommes s’illustrèrent et apprirent à voir grand, c’est en s’expat
879 ranger, des grands pays voisins ou de l’Amérique, que leur réputation nous est revenue, comme importée. « Son canton — ou l
880 voir le plus grand privilège des Suisses : quelle que soit leur petite patrie locale, s’ils la dépassent c’est pour rejoind
881 7,5 % en 1945. 19. Je pense à des ouvrages tels que The Lonely Crowd, de David Riesman. 20. Déclaration d’un chef du ser
882 s sociétés humaines, dont le Contrat social n’est qu’ un fragment : Rousseau. « Considérations sur l’Histoire du Monde » : J
9 1969, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’avenir du fédéralisme (septembre 1969)
883 es communalistes, régionalistes et nationalistes, qu’ on voit partout en plein essor, qu’il s’agisse de Nations en instance
884 nationalistes, qu’on voit partout en plein essor, qu’ il s’agisse de Nations en instance de divorce avec l’OTAN ou avec le P
885 contre le contrat étatique (inégal à leurs yeux) que jadis ou naguère leur imposa l’élément formateur ou hégémonique de ch
886 ouvement contradictoire, c’est l’État-nation, tel qu’ il est né de la Révolution et du Premier Empire, produit de la confisc
887 siècle, l’État-nation européen nous apparaît, tel que les accidents de l’Histoire nous l’ont laissé, à la fois trop petit e
888 petit et grand. Il est trop petit pour assurer ce qu’ on persiste à nommer son indépendance et sa souveraineté absolue : car
889 , et les accusent de colonialisme. Il est certain que la prétention à une politique indépendante, au plein sens du terme, n
890 s du terme, ne saurait être soutenue à la rigueur que par la Chine, l’URSS et surtout les USA, s’ils acceptaient toutefois
891 lus forts, dépendent autant de l’opinion mondiale que celle-ci du dollar ou de la télévision. Une interdépendance universel
892 s je ne vois guère d’État-nation de type unitaire que ce double mouvement de convergence mondiale et de diversification loc
893 té et de sécurité, auxquelles ne peuvent répondre que de grands espaces économiques constitués à la mesure des possibilités
894 à des formules de type fédéraliste. À la question que je me posais sur la prophétie proudhonienne, voici donc une première
895 s qui divisent notre humanité, je ne compte guère que deux douzaines d’États fédératifs, mais ils regroupent 40 % de la pop
896 ulation du globe, et il est frappant de constater qu’ on trouve parmi eux les plus grands États des cinq continents et les p
897 handises de qualités pour le moins diverses selon qu’ il s’agit par exemple de l’empire soviétique, du Nigéria, ou de la Con
898 te dans ces trois États officiellement fédératifs que dans les nations unitaires : en URSS, ce sont les autonomies régional
899 a fédération des cantons suisses ! Il est certain que dans ces trois cas, c’est moins le fédéralisme qu’on est en droit d’i
900 ue dans ces trois cas, c’est moins le fédéralisme qu’ on est en droit d’incriminer que sa trahison pure et simple, ou son us
901 ns le fédéralisme qu’on est en droit d’incriminer que sa trahison pure et simple, ou son usage mal compris, ou son blocage
902 ut de fédéralisme. Et l’on est en droit de penser que l’application correcte de la méthode fédéraliste rétablirait bientôt
903 n politique d’États » (mais on a soin de préciser qu’ en vers, cela fait cinq syllabes). Cette définition est assurément moi
904 Cette définition est assurément moins éclairante que les deux citations qui l’illustrent : 1) « Le fédéralisme était une d
905 les sauvages, et qui semble n’avoir été préconisé que par des traîtres à la République… Il est vrai que mon Littré date de
906 que par des traîtres à la République… Il est vrai que mon Littré date de 1865 : « fédéralisme » y est encore qualifié de « 
907 ent dû suffire, semble-t-il, à clarifier un terme que le problème européen et nos situations nationales nous amènent à util
908 uggérai au comité directeur d’un congrès européen qu’ une journée fût réservée à des travaux sur le fédéralisme. Le représen
909 t du Conseil de l’Europe tint à déclarer aussitôt que le terme de fédéralisme étant tabou à Strasbourg, il se verrait oblig
910 adoptait ma proposition. Je compris par la suite que ce haut fonctionnaire tenait le fédéralisme pour un système d’unifica
911 , c’est-à-dire très exactement le contraire de ce qu’ il est. À l’inverse, le fédéralisme est assimilé par beaucoup à une at
912 des autonomies locales ou régionales. C’est ainsi qu’ un illustre homme d’État belge, et grand Européen, écrivait récemment 
913 alisme, ce n’est pas en se repliant sur elle-même que la Wallonie trouvera son salut. » Plus étonnant encore, en Suisse mêm
914 ls ou de gardiens jaloux des traditions helvètes, que sera-ce ailleurs ? Le fédéralisme n’étant ni ceci, ni cela, mais la c
915 xistence en tension de ceci et de cela, il semble que le danger d’interprétations partielles, donc ruineuses dans son cas,
916 soit pour ainsi dire congénital. Or s’il est vrai que l’union de l’Europe est l’entreprise capitale de siècle, et s’il est
917 ise capitale de siècle, et s’il est vraisemblable que cette union sera fédérale ou ne sera pas, on sent tous les dangers qu
918 fédérale ou ne sera pas, on sent tous les dangers qu’ entraînent en fait les malentendus que j’ai dits, et par suite l’impor
919 les dangers qu’entraînent en fait les malentendus que j’ai dits, et par suite l’importance pratique de tout effort de clari
920 ais également valables et vitales, de telle sorte que la solution ne puisse être cherchée, ni dans la réduction de l’un des
921 en conflit tout en les composant de telle manière que la résultante de leur tension soit positive. (On dirait, dans le lang
922 a théorie des jeux de von Neumann et Morgenstern, qu’ il s’agit de déterminer l’optimum en lequel se concilient deux maxima
923 lèmes et des solutions ainsi définis constitue ce que je nommerai la politique fédéraliste, au sens le plus large du terme.
924 homme elle entend préparer ou éduquer, constatons qu’ elle traduit une forme de pensée, une structure de relations bipolaire
925 s dont le « modèle » nous est connu : c’est celui qu’ ont élaboré les fondateurs de la philosophie occidentale dans le dialo
926 quise sur le chaos de la masse indistincte autant que sur l’anarchie des individus isolés, qu’il s’agisse de réalités métap
927 e autant que sur l’anarchie des individus isolés, qu’ il s’agisse de réalités métaphysiques ou physiques, esthétiques ou pol
928 t intégralement pour le fédéralisme, du moins tel que je l’entends, après avoir valu pour la Grèce des grands siècles avec
929 une seule personne… » Abstraction faite de la foi que l’on accorde ou non à la substance de ces énoncés, je retiens que leu
930 ou non à la substance de ces énoncés, je retiens que leurs formes et structures posent un certain type de relations, posen
931 ce caractère va se transmettre à tous les groupes qu’ il formera avec d’autres hommes, ses semblables. Ces groupes devront ê
932 de l’œcuménisme n’est-il pas le même en sa forme que ceux que nous venons d’évoquer, puisqu’il consiste à concilier des co
933 ménisme n’est-il pas le même en sa forme que ceux que nous venons d’évoquer, puisqu’il consiste à concilier des confessions
934 liste d’une situation part du concret, en ce sens que d’abord elle considère la nature d’une tâche ou d’une fonction partic
935 inentale ou mondiale, selon les cas), il ne reste qu’ à désigner le niveau de compétence où seront prises les décisions rela
936 oivent différer selon les tâches, j’entends selon qu’ elles intéressent tous les hommes de toutes les régions, certains homm
937 quelques régions, ou d’une seule. Je conviendrai que le nombre des combinaisons auxquelles peut conduire cette méthode a d
938 ordinateurs vont prendre la relève. Lénine disait que la révolution communiste, c’était les soviets plus l’électricité. Pou
939 te grande phrase : Le but de la société n’est pas que l’administration soit facile, mais qu’elle soit juste et éclairée.) N
940 n’est pas que l’administration soit facile, mais qu’ elle soit juste et éclairée.) Nous allons voir, enfin, que nos critère
941 soit juste et éclairée.) Nous allons voir, enfin, que nos critères d’évaluation des dimensions et d’attribution des niveaux
942 tude, née de l’absence de communication avec ceux que l’on côtoie comme s’ils n’étaient pas là. La solution consisterait à
943 voir professionnel souvent d’autant plus rentable qu’ il est plus étroitement spécialisé ; mais la révolte actuelle des étud
944 litique — c’est le même mot, selon l’étymologie — que nous allons enfin retrouver le problème classique du fédéralisme : co
945 our pouvoir se charger de tâches communes (telles que la défense, les affaires étrangères et la politique économique, ou ce
946 t permanent. Il y faut une méthode vivante, celle que j’ai dite : sans cesse évaluer à nouveau la dimension des tâches à en
947 ntrations de forces proportionnées à la puissance que l’on veut obtenir et en même temps multiplier les petites unités de b
948 du civisme, c’est dans cette dialectique concrète que sont en train de se former sous nos yeux, en Europe, plus d’une centa
949 on par les auteurs classiques, n’était en réalité qu’ un cas particulier d’une conception beaucoup plus large des relations
950 ité, des relations publiques en général. C’est ce qu’ avait bien vu le regretté Pierre Duclos, lorsqu’il relevait que « le f
951 vu le regretté Pierre Duclos, lorsqu’il relevait que « le fédéralisme vit d’une vie que la forme institutionnelle dénommée
952 qu’il relevait que « le fédéralisme vit d’une vie que la forme institutionnelle dénommée État ne suffit pas à qualifier et
953 Et il ajoutait : « Le fédéralisme est autre chose qu’ une simple recette juridique ou politique : il est un des grands types
954 de vie et de civilisation, capable, au même titre que le libéralisme, le socialisme ou la démocratie, d’alimenter la pensée
955 gement des relations humaines, le fédéralisme tel que j’ai tenté de le définir ne fait que commencer. Il n’est pas matière
956 éralisme tel que j’ai tenté de le définir ne fait que commencer. Il n’est pas matière historique, mais prospective. Il a pl
957 historique, mais prospective. Il a plus d’avenir que de passé. 26. Pierre Duclos écrivait, en 1962, dans son excellent o