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de l’Ouest (15 juin 1937)a b 10 décembre 1933
Un
discours de l’instituteur. — Hier soir, séance de Pathé-Baby organisé
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anisée par l’instituteur dans la salle de l’école
des
garçons. Il me tardait de voir une fois les habitants du village réun
3
tion, placé à trois ou quatre mètres de l’écran. (
Un
drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gar
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de l’écran. (Un drap de lit sur le tableau noir.)
Une
quarantaine de filles et de gars peu bruyants, presque tous laids de
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eux. Au fond, sur deux armoires basses siégeaient
une
dizaine d’hommes. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et de
6
Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et
des
enfants autour du trépied de l’appareil, empressés à tendre les bobin
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re les bobines de film à l’instituteur. Il fallut
un
certain temps pour mettre au point la projection. Les jeunes gens éto
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point la projection. Les jeunes gens étouffaient
des
rires, chatouillaient les filles. Devant moi une grosse luronne s’agi
9
des rires, chatouillaient les filles. Devant moi
une
grosse luronne s’agitait sur son banc. Je voyais une puce circuler su
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grosse luronne s’agitait sur son banc. Je voyais
une
puce circuler sur sa nuque grasse. Un des garçons s’en aperçoit, attr
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Je voyais une puce circuler sur sa nuque grasse.
Un
des garçons s’en aperçoit, attrape la puce en pinçant la fille, et le
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voyais une puce circuler sur sa nuque grasse. Un
des
garçons s’en aperçoit, attrape la puce en pinçant la fille, et les ri
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lame le silence, et la projection commence. C’est
un
film d’avant-guerre, la Course au flambeau, tiré de la pièce de Paul
14
grecs, porteurs de torches qu’ils se passent avec
des
gestes lents, hallucinants, à grands sauts ralentis — le courant élec
15
’il va prononcer, comme chaque semaine désormais,
un
petit discours. « Je serai bref ! » C’est un jeune homme d’allure éne
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ais, un petit discours. « Je serai bref ! » C’est
un
jeune homme d’allure énergique et de visage intelligent, la chevelure
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dis-je, quelqu’un qui a osé prétendre que je suis
un
empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé des calomnies que le
18
n qui a osé prétendre que je suis un empoisonneur
des
consciences ! » Récit détaillé des calomnies que le curé répand sur s
19
n empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé
des
calomnies que le curé répand sur son compte, dans les foyers et jusqu
20
nt, la voix s’enfle. « J’étais au dernier congrès
des
instituteurs qui s’est tenu à Paris. Eh bien ! citoyens, lors de ce c
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a fin de la phrase étant particulièrement sonore,
des
applaudissements éclatent au fond de la salle. Le jeune orateur élect
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a salle. Le jeune orateur électrisé se lance dans
une
définition vibrante de la laïcité. « Être laïque, c’est vouloir la ju
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plutôt soufflé à l’oreille de ma femme : « C’est
un
sermon ! » que l’orateur, au comble de son éloquence, s’écrie : « Et,
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ères ! si l’on vient encore vous dire que je suis
un
empoisonneur des consciences, vous saurez maintenant me défendre ! et
25
ient encore vous dire que je suis un empoisonneur
des
consciences, vous saurez maintenant me défendre ! etc. » C’est fini.
26
l cause bien ». Pour terminer la soirée, on passe
un
dessin animé, le Petit Poucet, qui remporte un gros succès. En sortan
27
se un dessin animé, le Petit Poucet, qui remporte
un
gros succès. En sortant, nous passons devant la salle du curé, qui do
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devant la salle du curé, qui donne aussi ce soir
une
séance de cinéma. On entend rire des enfants. — J’ai rencontré le cur
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ussi ce soir une séance de cinéma. On entend rire
des
enfants. — J’ai rencontré le curé ce matin, suivi comme d’habitude d’
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contré le curé ce matin, suivi comme d’habitude d’
une
bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut. 12 décembre
31
de l’île pour allumer le feu, j’ai vu l’annonce d’
une
conférence contradictoire à A… : « La Bible et les travailleurs. » C’
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La Bible et les travailleurs. » C’est sans doute
une
réponse à la conférence donnée au même endroit, il y a quinze jours,
33
endroit, il y a quinze jours, sous les auspices d’
une
ligue « antifasciste », et qui avait pour sujet : « L’Église contre l
34
euple ou la France de Bordeaux, la feuille locale
des
curés ou celle des républicains. Il est à peu près impossible de savo
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de Bordeaux, la feuille locale des curés ou celle
des
républicains. Il est à peu près impossible de savoir s’ils font une d
36
Il est à peu près impossible de savoir s’ils font
une
distinction quelconque entre les opinions, pourtant bien tranchées, q
37
salle de la mairie, voûtée, peinte en bleu clair.
Une
table et trois chaises sur la scène surélevée. Environ une centaine d
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et trois chaises sur la scène surélevée. Environ
une
centaine d’auditeurs : paysans et pêcheurs, cela se voit. Au premier
39
vais éclairage. L’orateur se hisse sur la scène :
un
homme jeune encore, un peu gros et lent d’allure, physionomie ouverte
40
ur se hisse sur la scène : un homme jeune encore,
un
peu gros et lent d’allure, physionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien
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Je vous demanderai donc de bien vouloir proposer
des
noms. » Silence. Chuchotements. — Vas-y ! — Non ! Moi ? penses-tu ! —
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ère cirée, et s’installent sur les trois chaises,
un
tout à droite, un tout à gauche, le troisième, qui est le président,
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stallent sur les trois chaises, un tout à droite,
un
tout à gauche, le troisième, qui est le président, derrière la table,
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ne pas vous présenter l’orateur qui va vous faire
un
intéressant discours sur le sujet… Je ne connais pas beaucoup M. Palu
45
oujours. La primitive église était constituée par
des
esclaves et des gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de ri
46
itive église était constituée par des esclaves et
des
gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de riches. Elles ont
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claves et des gens pauvres. Depuis lors il y a eu
des
églises de riches. Elles ont trahi l’Évangile. Un philosophe français
48
es églises de riches. Elles ont trahi l’Évangile.
Un
philosophe français, M. Julien Benda, a dit que les clercs ont trahi.
49
es intellectuels, les écrivains, les professeurs,
des
hommes distingués et très instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtre
50
stingués et très instruits. Eh bien, il y a aussi
des
prêtres et des pasteurs qui ont trahi. Capitalisme, bourgeoisie égoïs
51
s instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtres et
des
pasteurs qui ont trahi. Capitalisme, bourgeoisie égoïste, guerre. Mai
52
st avec les petits. Résumé de ce que la Bible dit
des
travailleurs : Jérémie exigeait que le roi payât les ouvriers. L’Anci
53
es Juifs est presque communiste ! Jésus est l’ami
des
pauvres, des péagers. Malheureusement il y a le cléricalisme. C’est l
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presque communiste ! Jésus est l’ami des pauvres,
des
péagers. Malheureusement il y a le cléricalisme. C’est lui qui est ma
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on ni de guerre !… La péroraison a été éloquente,
un
peu trop à mon goût. On applaudit. Le président demande s’il y a des
56
goût. On applaudit. Le président demande s’il y a
des
questions à poser. Long silence embarrassé. Enfin un type se lève au
57
questions à poser. Long silence embarrassé. Enfin
un
type se lève au fond de la salle et demande « s’il n’y a pas des cont
58
e au fond de la salle et demande « s’il n’y a pas
des
contradictions dans la Bible ». Suit une petite discussion tout à fai
59
’y a pas des contradictions dans la Bible ». Suit
une
petite discussion tout à fait confuse et sans aucun rapport avec le s
60
y a pas d’autre question. Le président fait alors
un
bref remerciement à l’orateur. Il s’excuse encore de ne pas s’y conna
61
on voisin, pendant que je lui donne du feu. C’est
un
petit maigre en casquette, environ 35 ans, l’air intelligent. Je l’ap
62
it pas été plus longue : il y avait pourtant bien
des
auditeurs qui ne devaient pas être d’accord ? « Ben quoi, fait-il, co
63
ce qu’il a dit ! » Comment donc ? Ai-je affaire à
un
chrétien ou même à un protestant ? J’essaie de le faire parler. Je lu
64
ment donc ? Ai-je affaire à un chrétien ou même à
un
protestant ? J’essaie de le faire parler. Je lui dis : « Oui, c’est l
65
monde ne pense pas comme ça ici ? » Il me regarde
un
peu étonné à son tour : « Qu’est-ce que vous voulez, il n’y a rien à
66
ier, et nous sortons ensemble. Dans la rue noire,
un
homme nous rejoint : c’est celui qui a présidé la réunion. Il veut en
67
i demander « si ce serait possible de se procurer
une
Bible pour étudier un peu tout ça. On sent bien que c’est important d
68
it possible de se procurer une Bible pour étudier
un
peu tout ça. On sent bien que c’est important de s’y connaître dans c
69
e qu’on a peine à comprendre ses intentions. Il a
un
oncle qui est curé, mais je ne saisis pas bien si ce curé lui a inter
70
e, ou si, au contraire, il pourrait lui en prêter
une
. Quoi qu’il en soit, le pasteur note le nom du « président » et prome
71
le nom du « président » et promet de lui envoyer
un
Nouveau Testament. Nous faisons les cent pas sur la place. M. Palut s
72
lace. M. Palut sait que je suis écrivain. Il a lu
un
de mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion d’« intellectuel »
73
ous pensez, de cette soirée… Je le regarde. C’est
un
homme simple et solide, on peut lui parler en camarade : — Eh bien !
74
ctement, les interpeller, enfin quoi, les secouer
un
peu ! Ils sont là à vous écouter sans bouger, comme ils ont écouté le
75
’accord. Il ne faut pas oublier que nous vivons à
une
époque de propagande forcenée, et je vous assure qu’un communiste, pa
76
oque de propagande forcenée, et je vous assure qu’
un
communiste, par exemple, les aurait attaqués plus brutalement sans au
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est la première fois que je parle ici, c’est déjà
un
énorme succès. Pensez donc, il y a plus de six ans que je suis dans l
78
mais… je les connais. Ils aiment qu’on leur fasse
un
beau discours. Ah ! c’est terrible, je vous assure. Bien sûr, il faud
79
remercient, on croit qu’ils ont compris, et puis
un
beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et rien ! Et pourtant il faut
80
te ou indifférente. Nous prenons rendez-vous pour
un
dimanche prochain, au chef-lieu, après son culte. Je suis rentré à bi
81
es qui me cachaient la mer bruyante, à ma gauche.
Un
brouillard vague flottait sur les marais. « Le peuple, me disais-je e
82
nce ou leur timidité, ou aussi leur fatigue après
une
longue journée de travail. Mais beaucoup ne font plus rien en hiver ?
83
identes et importantes. On se sent réfléchir avec
une
énergie particulière en pédalant contre le vent dans l’obscurité. Mai
84
vrages traitant de mon île, j’ai déniché ce matin
une
édition populaire de La Naissance du jour, de Colette. Je n’avais pas
85
Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un
des
plus charmants dans cette espèce, mais ce n’est point pour cela que j
86
st point pour cela que j’en parle ici. C’est pour
une
raison très précise et qui n’a rien à voir avec la critique littérair
87
lis ceci : « … ils déménagent… comme les puces d’
un
hérisson mort. » Cette phrase a fait dans mon esprit ce qu’on appelle
88
te phrase a fait dans mon esprit ce qu’on appelle
un
trait de lumière. Lundi dernier, au petit matin, nous nous sommes rév
89
l’espace de deux minutes, ce qui doit constituer
une
sorte de record. D’autres sautaient sur le couvre-pied. D’autres sur
90
use du phénomène. Il est vrai qu’on a beau porter
un
nombre excessif de jupons, cela ne devrait pas suffire à rendre vrais
91
ela ne devrait pas suffire à rendre vraisemblable
une
hypothèse à ce point injurieuse. Pourtant nous n’en trouvions pas d’a
92
uvions pas d’autres. Or, peu de jours auparavant,
un
petit hérisson était venu se mettre en boule dans la plate-bande qui
93
je l’avais oublié là, sans sépulture, caché sous
des
feuillages brunis. Si j’ajoute que la porte d’entrée joint mal le seu
94
Je rapporte cette anecdote parce qu’elle comporte
une
conclusion qui la dépasse d’ailleurs notablement et qui me paraît ass
95
e sais combien d’années, je viens de trouver dans
un
ouvrage littéraire la solution d’une question précise. Grâce à Colett
96
trouver dans un ouvrage littéraire la solution d’
une
question précise. Grâce à Colette, je sais maintenant pourquoi notre
97
es. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme
un
symbole. Les livres devraient être utiles. On devrait y trouver des r
98
ivres devraient être utiles. On devrait y trouver
des
renseignements concrets, des recettes exactes, des explications vérif
99
On devrait y trouver des renseignements concrets,
des
recettes exactes, des explications vérifiables, des modes d’emploi, d
100
es renseignements concrets, des recettes exactes,
des
explications vérifiables, des modes d’emploi, des descriptions object
101
s recettes exactes, des explications vérifiables,
des
modes d’emploi, des descriptions objectives et utilisables ; et ceci
102
des explications vérifiables, des modes d’emploi,
des
descriptions objectives et utilisables ; et ceci à tous les degrés de
103
rien. Au lieu de cela, les modernes nous servent
des
états d’âme improbables ou excessifs, des inquiétudes dont ils n’ont
104
servent des états d’âme improbables ou excessifs,
des
inquiétudes dont ils n’ont même pas l’air d’être vraiment inquiets, d
105
ls n’ont même pas l’air d’être vraiment inquiets,
des
indiscrétions gênantes et dont on ne sait trop que faire, ou des doct
106
ns gênantes et dont on ne sait trop que faire, ou
des
doctrines dont ils négligent de nous dire s’ils les ont essayées sur
107
a vie quotidienne. Ils nous donnent très rarement
des
réponses, ou alors, par malchance, ce sont justement des réponses à d
108
onses, ou alors, par malchance, ce sont justement
des
réponses à des questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’
109
, par malchance, ce sont justement des réponses à
des
questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’est là qu’ils c
110
avons tout à rapprendre de Goethe. Non seulement
des
révélations du second Faust, mais aussi de ces pages du Journal de vo
111
Toscane me paraît bien gouvernée, tout y présente
un
aspect complet, tout y a son fini, tout sert et semble destiné à un n
112
tout y a son fini, tout sert et semble destiné à
un
noble usage… » Commentons : la noblesse est dans l’usage. Pas de nobl
113
onté et la mission du peuple. On a beau se méfier
des
phrases, il faut se trouver placé soudain devant les êtres en chair e
114
n essayant de le faire passer d’ores et déjà pour
une
réalité. Deuxième constatation : il est très difficile d’aimer des ho
115
ième constatation : il est très difficile d’aimer
des
hommes qui ne nous sont rien, qui ne nous demandent rien, qui peut-êt
116
ontre, il est très facile de haïr et de condamner
un
certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il e
117
M. Benda. Il est généralement admis en France qu’
un
orateur dit un tas de choses qu’on ne comprend pas, et cite des noms
118
t un tas de choses qu’on ne comprend pas, et cite
des
noms qu’on ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloq
119
se posture pour agir sur le peuple. Qu’ils disent
des
vérités ou des mensonges, on n’applaudira guère que le son de leur vo
120
agir sur le peuple. Qu’ils disent des vérités ou
des
mensonges, on n’applaudira guère que le son de leur voix, ou le parti
121
st malsain — et le peuple à ne pouvoir se libérer
des
charlataneries politiques autrement que par des violences maladroites
122
r des charlataneries politiques autrement que par
des
violences maladroites, dont il ne sera pas le dernier à pâtir. Impuis
123
l’action : ces deux misères n’auraient-elles pas
une
origine commune ? Il m’a semblé que j’entrevoyais cette origine dans
124
u à discuter ! Mais je n’ai pas remarqué qu’aucun
des
auditeurs ait pris la chose de cette manière. Je sais bien qu’il y a
125
n pendue. Mais surtout je m’avise que la majorité
des
« intellectuels » d’aujourd’hui ne pense pas très différemment. Peupl
126
onstatation de l’exactitude objective et formelle
des
faits ou des raisonnements que l’on allègue. « Il a raison » ne signi
127
e l’exactitude objective et formelle des faits ou
des
raisonnements que l’on allègue. « Il a raison » ne signifie pas pour
128
y a belle lurette qu’il sait ce qu’on doit penser
des
gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux, des es
129
n doit penser des gens instruits. La plupart sont
des
égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’avec
130
des gens instruits. La plupart sont des égoïstes,
des
orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’avec les riches. Il
131
s. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux,
des
espèces d’aristos qui ne vont qu’avec les riches. Il y en a certes qu
132
les écouter avec plaisir quand ils viennent faire
une
conférence instructive avec projections lumineuses. Mais les philosop
133
a politique, c’est tout à fait autre chose. C’est
un
certain nombre de phrases qu’on lit dans les journaux et qu’on entend
134
et grâce auxquelles on reconnaît tout de suite si
un
type est avec les petits ou avec les gros. D’autre part, c’est une qu
135
les petits ou avec les gros. D’autre part, c’est
une
question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intell
136
tions de personnes jouent un rôle : on aime avoir
un
député instruit. Mais ce n’est pas pour qu’il dise des choses intelli
137
éputé instruit. Mais ce n’est pas pour qu’il dise
des
choses intelligentes, ou nouvelles. C’est surtout parce qu’un homme i
138
telligentes, ou nouvelles. C’est surtout parce qu’
un
homme instruit jouit d’une certaine considération sociale, sait se dé
139
C’est surtout parce qu’un homme instruit jouit d’
une
certaine considération sociale, sait se débrouiller à Paris et peut f
140
faire de beaux discours. Dans ces conditions, qu’
un
intellectuel aille parler au peuple, on l’écoutera bien patiemment, s
141
son rôle en s’agitant sur l’estrade et en lançant
des
appels éloquents, et moi je reste dans mon rôle en me dirigeant d’apr
142
s professent depuis longtemps en toute conscience
une
doctrine analogue. Il est normal que les hommes sans culture se tromp
143
érité, en montrant par l’exemple qu’elle implique
des
actes, ils la disqualifient et ils s’en moquent agréablement, ils la
144
ils s’en moquent agréablement, ils la réduisent à
un
ensemble de phrases correctes, quelquefois ingénieuses, et par défini
145
onférence, j’ai pu croire que c’était l’opinion d’
un
nigaud ; mais non, c’est celle d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini d
146
t l’opinion d’un nigaud ; mais non, c’est celle d’
un
clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre. 19 d
147
9 décembre 1933 Si l’on veut réellement conduire
un
homme à un but défini, il faut avant tout se préoccuper de le prendre
148
1933 Si l’on veut réellement conduire un homme à
un
but défini, il faut avant tout se préoccuper de le prendre là où il e
149
le secret de tout secours… Pour aider réellement
un
homme, il faut que j’en sache davantage que lui, mais il faut avant t
150
ur moi, dans ma situation actuelle. Elle contient
un
double avertissement. D’une part, elle m’invite à regarder plus objec
151
ard.) D’autre part, elle m’aide à distinguer l’un
des
motifs au moins de ma gêne, quand je constate qu’ils ne comprennent p
152
prennent pas de quoi je m’occupe. C’est peut-être
un
secret désir, un inconscient désir que j’ai d’être reconnu par eux à
153
uoi je m’occupe. C’est peut-être un secret désir,
un
inconscient désir que j’ai d’être reconnu par eux à ma juste valeur.
154
e Kierkegaard appelle vanité. Cependant, s’il est
des
plus probables que j’ai, comme un chacun, mon amour-propre, je ne pui
155
dant, s’il est des plus probables que j’ai, comme
un
chacun, mon amour-propre, je ne puis m’empêcher de le juger assez jus
156
dans l’occurrence. On n’aime pas à être tenu pour
un
fainéant ou un rentier, quand on est dans ma situation, ou mieux, dan
157
ce. On n’aime pas à être tenu pour un fainéant ou
un
rentier, quand on est dans ma situation, ou mieux, dans ce défaut de
158
n » qui fait de moi, pour parler comme la presse,
un
« intellectuel en chômage. » (Écrire, aux yeux de ces paysans, ne sig
159
t parce qu’on raconte dans le pays que je possède
une
machine à écrire…) Février 1934 Les gens. — Du haut des dunes, je vo
160
hine à écrire…) Février 1934 Les gens. — Du haut
des
dunes, je vois les terres divisées en parcelles minuscules. Sur ces p
161
visées en parcelles minuscules. Sur ces parcelles
des
hommes et des femmes travaillent, le buste parallèle au sol. Ces deux
162
elles minuscules. Sur ces parcelles des hommes et
des
femmes travaillent, le buste parallèle au sol. Ces deux observations
163
ervations physiques très simples méritent chacune
un
commentaire. Elles résument en deux images exactes les conditions mor
164
ges exactes les conditions morales et économiques
des
habitants de l’île. 1° Division des terres. — J’ai pu vérifier à plus
165
t économiques des habitants de l’île. 1° Division
des
terres. — J’ai pu vérifier à plusieurs reprises l’extraordinaire comp
166
ières. Les propriétés se composent généralement d’
une
vingtaine ou d’une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que qu
167
és se composent généralement d’une vingtaine ou d’
une
trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques centiares, l
168
up n’ont que quelques centiares, les plus grandes
un
à deux ares. Je connais déjà la géographie locale assez pour me rendr
169
z pour me rendre compte de la dispersion ridicule
des
parcelles tout autour du village : l’homme qui travaille ces bouts de
170
ts de champ, grands comme ma chambre, doit passer
une
partie de la journée à marcher de l’un à l’autre. Disposition encore
171
la récolte. Et, bien entendu, cela exclut l’usage
des
machines agricoles. Pourquoi ne s’entendent-ils pas entre eux pour gr
172
lopins ? Je me suis renseigné. Il paraît bien qu’
un
maire avait proposé la réforme, avant la guerre. Mais cela n’a pas ma
173
a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’
un
champ un peu meilleur que les autres. Égalité contre solidarité. Le r
174
iers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’un champ
un
peu meilleur que les autres. Égalité contre solidarité. Le résultat é
175
t nécessaire à leur subsistance si la répartition
des
terres était conçue, non point selon les principes égalitaires, mais
176
mais selon le bon sens pratique. Comment espérer
un
développement « culturel » de cette population abrutie de fatigue ? I
177
bord réformer leur mentalité pour rendre possible
une
réforme matérielle, qui, à son tour, permettrait d’autres progrès. Un
178
e, qui, à son tour, permettrait d’autres progrès.
Un
seul homme ici pourrait influencer cette mentalité, c’est l’institute
179
mentalité, c’est l’instituteur. S’il leur donnait
une
éducation non plus égalitaire, mais communautaire, beaucoup de choses
180
utre solution que la contrainte. La dictature est
un
moyen grossier, souvent barbare et toujours déshonorant pour ceux qui
181
is c’est le seul moyen de transformer et d’animer
un
peuple auquel on n’a pas su donner le sens civique, le sens de la com
182
ce qui se préoccupe en France de donner au peuple
une
éducation solidariste ? On cherche à enrôler ces cultivateurs dans de
183
iste ? On cherche à enrôler ces cultivateurs dans
des
ligues toujours anti-quelque chose, qui n’empêcheront rien, c’est l’é
184
Revenons au sens précis, limité et terre à terre
des
usages de l’île. Dès la quarantaine déjà, les hommes et les femmes on
185
forme de leurs outils. Ils n’utilisent guère que
des
« bouelles » au manche très court, recourbé à l’extrémité, de telle s
186
é, de telle sorte que la lame fait avec le manche
un
angle d’environ 45 degrés. Cet instrument, d’une part les oblige à ba
187
ondeur. Trente centimètres de rallonge au manche,
un
angle plus grand avec la lame, cela suffirait à redresser leur corps
188
l’allure et les façons de travailler si spéciales
des
gens d’ici, j’ai hésité longtemps à croire que la raison en était rée
189
plutôt surpris. « On a toujours fait comme ça. »
Un
jour, le père Renaud étant venu retourner une planche d’oignons, je l
190
a. » Un jour, le père Renaud étant venu retourner
une
planche d’oignons, je lui ai offert les outils à long manche qui sont
191
fusé. « On n’a pas l’habitude. » Contre-épreuve :
un
petit propriétaire venu du continent il y a trois ans et qui utilise
192
venu du continent il y a trois ans et qui utilise
des
outils ordinaires, me dit qu’il a tout de suite obtenu des résultats
193
s ordinaires, me dit qu’il a tout de suite obtenu
des
résultats supérieurs à ceux de ses voisins, et à moindre fatigue. Il
194
la terre, et refusent cependant de rien changer à
des
habitudes dont les défauts sautent aux yeux du premier venu. 13 févri
195
13 février 1934 La presse. — Je note à l’usage d’
un
futur historien des mœurs que la presse « de droite » reflète assez e
196
presse. — Je note à l’usage d’un futur historien
des
mœurs que la presse « de droite » reflète assez exactement la mentali
197
rnaux socialistes et communistes sont rédigés par
des
bourgeois, ou par des candidats à la bourgeoisie, en tous cas par des
198
ommunistes sont rédigés par des bourgeois, ou par
des
candidats à la bourgeoisie, en tous cas par des gens qui recherchent
199
r des candidats à la bourgeoisie, en tous cas par
des
gens qui recherchent la « considération » du peuple. D’où le ton hain
200
ette contagion ! Les deux journaux locaux gardent
un
ton à la fois naïf et grandiloquent, avec des maladresses et des gros
201
dent un ton à la fois naïf et grandiloquent, avec
des
maladresses et des grosses astuces, qui n’est pas exactement celui de
202
is naïf et grandiloquent, avec des maladresses et
des
grosses astuces, qui n’est pas exactement celui des « discussions » q
203
s grosses astuces, qui n’est pas exactement celui
des
« discussions » qu’on peut entendre dans les cafés du port, au chef-l
204
villageoises (accidents de bicyclette, arrivée d’
un
bateau, prix du sel, causeries du curé ou de l’instituteur, mariages,
205
presque toute la place. Abîme entre la politique
des
amis du peuple et la réalité du peuple : rien ne le rend plus sensibl
206
campagne. 15 février 1934 Les gens. — Si j’avais
une
âme de philanthrope, je chercherais à répandre mes idées dans la popu
207
dans la population : j’organiserais, par exemple,
un
meeting pour exposer mes critiques ci-dessus consignées, et mettre en
208
ire ou récréatif. La plus fameuse était la Clique
des
retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêt
209
ir l’orchestre-jazz du chef-lieu : il arrive dans
un
somptueux car d’excursion capitonné de velours violet, horriblement m
210
lle, dont l’activité principale se manifeste lors
des
enterrements : elle assure à chacun de ses membres une nombreuse suit
211
nterrements : elle assure à chacun de ses membres
une
nombreuse suite pour leur dernier voyage. L’autre, c’est la Société c
212
iété coopérative de panification, réunissant dans
une
sorte de corporation boulangers, minotiers et consommateurs. Le pain,
213
ttaquent plus, ils se cramponnent. Ce ne sont pas
des
colons, des défricheurs, mais de petits propriétaires qui se défenden
214
s, ils se cramponnent. Ce ne sont pas des colons,
des
défricheurs, mais de petits propriétaires qui se défendent avec la se
215
le besoin de s’unir. Ils n’ont pas à faire face à
des
menaces extérieures. Et surtout ils n’ont nulle envie d’entreprendre
216
. Et surtout ils n’ont nulle envie d’entreprendre
une
conquête quelconque, matérielle ou spirituelle. Or, c’est cela seul,
217
, qui rassemble les peuples et les pousse à créer
des
signes visibles de leur union : assemblées, fêtes, cortèges, uniforme
218
d’entre eux sont morts ou vont mourir couchés sur
une
fortune de 100 000 ou de 200 000 francs, que leurs fils iront perdre
219
à la ville : je crois cependant que la proportion
des
fous est moindre ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux, et le
220
ux » que vous. Il faudrait croire fanatiquement à
une
vérité absolue, qui vaille mieux que la paix et le bonheur, pour oser
221
elopper —, c’est encore la Troisième République :
un
État faible, dont le centre est lointain, qui ne croit à rien, et qui
222
cts de la question. Le sel ne se vend plus depuis
un
an, et c’était la ressource principale des villages. Le chef-lieu est
223
depuis un an, et c’était la ressource principale
des
villages. Le chef-lieu est en train de devenir la proie des politicie
224
es. Le chef-lieu est en train de devenir la proie
des
politiciens de Paris. Un dimanche, ce sont les enfants communistes de
225
ain de devenir la proie des politiciens de Paris.
Un
dimanche, ce sont les enfants communistes de la colonie de vacances q
226
es qui défilent en maillots rouges et l’on pousse
des
« cris séditieux » ; le dimanche suivant, ce sont les enfants de la f
227
t vivre beaucoup de personnes de l’île. La moitié
des
maisons sont vides, et quelques-unes déjà tombent en ruines. Et surto
228
orces grandir contre lui : et alors, qui va venir
un
beau jour, de Paris, faire la loi dans notre village ? 15 mars 1934 J
229
considération de mon île. Il faut parler d’abord
des
autocars. Je ne sais si l’on se doute à Paris de l’importance des aut
230
ne sais si l’on se doute à Paris de l’importance
des
autocars et des transformations qu’ils sont en train de causer dans l
231
se doute à Paris de l’importance des autocars et
des
transformations qu’ils sont en train de causer dans la vie provincial
232
t plus guère de « pays » qui ne soit desservi par
une
ou deux ou même trois Compagnies de transports locaux. Depuis que j’a
233
. Depuis que j’ai quitté Paris, j’ai bien utilisé
une
vingtaine de ces lignes. Je commence à connaître leurs coutumes : rie
234
t convergeait vers Paris, non seulement du fait d’
une
organisation ferroviaire centralisée, mais encore sentimentalement. L
235
mais encore sentimentalement. Le confort relatif
des
grandes lignes indiquait qu’on allait à Paris ou qu’on en venait. Tou
236
vraie » circulation. Et l’on ne voyait guère que
des
gares, ce qu’il y a de plus attristant dans chaque village. Aujourd’h
237
ce principale. C’est de là qu’on part au milieu d’
une
grande affluence de badauds, c’est là qu’on arrive à grand son de tro
238
oit le mieux de chaque pays. La voie ferrée était
une
sorte d’insulte à la vie locale : elle la traversait abstraitement, s
239
de ses circonstances. Sur ses bords ne vivait qu’
une
population nomade, qui portait l’uniforme de l’État, partout, la même
240
itent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’
une
province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui change. N
241
as tous de la même sorte, et que d’une province à
une
autre, ce n’est pas seulement le paysage qui change. N’était-ce pas l
242
nt le paysage qui change. N’était-ce pas là l’une
des
raisons qui faisait si facilement nier la subsistance des « petites p
243
ons qui faisait si facilement nier la subsistance
des
« petites patries » dans la nation abstraitement unifiée ? La ligne d
244
Elle quitte à tout propos la route nationale pour
des
chemins secondaires ou des ruelles à peine plus larges que la voiture
245
a route nationale pour des chemins secondaires ou
des
ruelles à peine plus larges que la voiture. Mais aussi elle tient com
246
rges que la voiture. Mais aussi elle tient compte
des
rythmes de la vie locale, du calendrier des marées, de l’heure matina
247
ompte des rythmes de la vie locale, du calendrier
des
marées, de l’heure matinale des foires, dans les districts ruraux, et
248
le, du calendrier des marées, de l’heure matinale
des
foires, dans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la s
249
s ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie
des
usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser ce moyen de tran
250
illeurs de l’entrée et de la sortie des usines ou
des
écoles. La simple intention d’utiliser ce moyen de transport vous met
251
faut aller dans deux ou trois cafés pour obtenir
un
minimum de précisions concernant l’heure du prochain départ et la des
252
nant l’heure du prochain départ et la destination
des
diverses voitures qui stationnent sur la place. C’est que chaque comp
253
’est que chaque compagnie a sa tête de ligne chez
un
bistro différent, et il est rare qu’on puisse trouver l’horaire aille
254
es se disputent le parcours, jusqu’à ce que l’une
des
deux fasse faillite, ou réussisse à vendre « honnêtement » sa renonci
255
n, quitte à recommencer aussitôt le petit jeu sur
un
autre parcours5. De là à des potins sur les personnalités de l’endroi
256
itôt le petit jeu sur un autre parcours5. De là à
des
potins sur les personnalités de l’endroit, sur le rôle qu’ont joué da
257
t pas impossible de pousser la « discussion » sur
un
plan supérieur, d’aborder par exemple la question du capitalisme en g
258
ur les facteurs économiques du pays, sur les noms
des
notables et sur le jeu des partis politiques. Et que dire maintenant
259
du pays, sur les noms des notables et sur le jeu
des
partis politiques. Et que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est
260
Et que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est
une
résurrection de ce que Vigny pleurait, la poésie des diligences, mais
261
résurrection de ce que Vigny pleurait, la poésie
des
diligences, mais aérée. C’est fait d’une foule d’incidents entrevus q
262
a poésie des diligences, mais aérée. C’est fait d’
une
foule d’incidents entrevus que tout dispose à romancer ; de conversat
263
es, avec ce personnage enfoui à côté de vous dans
un
luxueux fauteuil de cuir rouge ou bleu vif et qui change de tête plus
264
ups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’
un
jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours
265
geurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou d’
un
enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les c
266
pas deux mots à dire par la portière entrouverte
un
instant à la fille de l’auberge écartée qui attend le passage du car,
267
erne, c’est sportif, cela vous pose dans l’esprit
des
populations, on se sent maître à bord de sa puissante machine, et l’o
268
x qui commandent et disposent, ne fût-ce que pour
une
heure, de leur vie. Oui, voilà bien les hommes avec lesquels je rêver
269
s hommes avec lesquels je rêverais d’entreprendre
une
belle révolution, qui rajeunisse la France : ils ont la bonne humeur,
270
ont ils disposent et qui seraient décisifs lors d’
une
action rapide. Mais loin de moi ces ambitions : ceux qui les ont n’en
271
es ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne suis qu’
un
écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais dû no
272
n. Et je ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle
un
bout de conversation que j’aurais dû noter plus tôt. Le monsieur renc
273
dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’
un
écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écria : — Ah ! cher
274
— Ah ! cher monsieur, je vous envie ! Vous avez
un
rôle magnifique à jouer dans la société. Vous avez le temps de réfléc
275
x curés ! — Comptez, monsieur, — lui dis-je, — qu’
un
écrivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’un homme normal, m
276
crivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’
un
homme normal, mettons qu’un fonctionnaire (c’était pour le flatter),
277
s de peine à vivre qu’un homme normal, mettons qu’
un
fonctionnaire (c’était pour le flatter), et cela tient aux circonstan
278
ce que l’on ne peut pas faire, et c’est l’aveu d’
une
faiblesse ou d’une ambition excessive, deux choses qui compliquent fo
279
t pas faire, et c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’
une
ambition excessive, deux choses qui compliquent fort la vie, je crois
280
iquent fort la vie, je crois ; ou bien l’on écrit
des
choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’une inadaptation cruel
281
es choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’
une
inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; ou bien on é
282
rédactionnels. Je dis les antres. De toute façon,
un
écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injusti
283
ntres. De toute façon, un écrivain est par nature
un
empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu
284
est qu’on attend, qu’on exige même de ces gens-là
des
vertus au-dessus du commun, la révélation de secrets qui suffiraient
285
vraiment, feraient de leurs détenteurs non point
des
écrivains, mais des Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou de
286
de leurs détenteurs non point des écrivains, mais
des
Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou des saints. Croyez-moi
287
teurs non point des écrivains, mais des Don Juan,
des
dictateurs, des milliardaires ou des saints. Croyez-moi, ce que nous
288
des écrivains, mais des Don Juan, des dictateurs,
des
milliardaires ou des saints. Croyez-moi, ce que nous vous donnons, c’
289
es Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou
des
saints. Croyez-moi, ce que nous vous donnons, c’est justement ce qui
290
le crains, d’envier ma condition… 16 mars 1934 D’
un
autre « peuple ». — Il faut encore que je revienne sur mon séjour ven
291
déen. J’avais à donner trois « causeries » devant
des
auditoires de jeunes cultivateurs. Eux-mêmes avaient fixé la liste de
292
nes cultivateurs. Eux-mêmes avaient fixé la liste
des
sujets qu’ils désiraient étudier au cours de l’hiver, avec l’aide de
293
truites » de la région. On m’avait prié de parler
des
révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS.
294
tions tous réunis pour déjeuner, on dominait tout
un
canton de marécages mélancoliques ; et parfois l’on voyait scintiller
295
oliques ; et parfois l’on voyait scintiller, dans
un
lointain nuageux et sous une trouée d’or, la mer. La petite salle des
296
yait scintiller, dans un lointain nuageux et sous
une
trouée d’or, la mer. La petite salle des cours ruraux peut contenir u
297
et sous une trouée d’or, la mer. La petite salle
des
cours ruraux peut contenir une centaine d’auditeurs. L’orateur doit s
298
r. La petite salle des cours ruraux peut contenir
une
centaine d’auditeurs. L’orateur doit se tenir debout au milieu d’eux,
299
ux, de manière à pouvoir, tout en parlant, passer
des
clichés dans la lanterne à projection. Pour assurer le fameux « conta
300
té physique. Je leur parlai pendant deux heures d’
un
pays d’énormes plaines, sans barrières ni haies, sans chemins creux e
301
de ces masses opprimées et naïves, conduites par
des
équipes d’hommes durs, intellectuels bannis ou petits nobles déclassé
302
ans. Et je m’étonnais tout en parlant de raconter
une
épopée contemporaine : tout cela se dégageait ici de la mesquinerie h
303
cela se dégageait ici de la mesquinerie hargneuse
des
polémiques et des partis pris, devenait légendaire, prenait le rythme
304
ici de la mesquinerie hargneuse des polémiques et
des
partis pris, devenait légendaire, prenait le rythme et les couleurs g
305
e la simplification, vérité de la fable qui donne
une
forme grande à nos obscurs et grands désirs informulés. En finissant,
306
ands désirs informulés. En finissant, je craignis
un
moment de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce
307
e les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’
une
espèce d’imagerie d’Épinal, malgré moi trop pareille aux innocentes p
308
s pu le laisser croire ; si ce n’était pas encore
un
de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté
309
e surprit davantage, ce fut la question franche d’
un
garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent et ouvert : « Pensez-
310
situation matérielle était meilleure et demandait
un
développement tout différent ; qu’on voulait surtout, par ici, garder
311
dait. Et je me disais, en l’écoutant : « En voilà
un
que l’on pourrait sans honte présenter aux jeunes Russes, aux jeunes
312
er aux jeunes Russes, aux jeunes Allemands, comme
un
type de jeune Français. » Je retiens de cette journée deux impression
313
oto de Kalinine, président de l’URSS, debout dans
un
champ, en costume de moujik, il y a eu un profond silence au lieu des
314
ut dans un champ, en costume de moujik, il y a eu
un
profond silence au lieu des rires que je craignais. (On peut donc gou
315
e de moujik, il y a eu un profond silence au lieu
des
rires que je craignais. (On peut donc gouverner sans être un monsieur
316
e je craignais. (On peut donc gouverner sans être
un
monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’un brave type comme nous aut
317
être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’
un
brave type comme nous autres. Rêverie des jeunes cultivateurs.) Et qu
318
l’air d’un brave type comme nous autres. Rêverie
des
jeunes cultivateurs.) Et quand j’eus terminé ma causerie, évitant de
319
concrète. Esprit critique, méfiance intelligente
des
paysans, conscience de leur autonomie… Je ne bifferai pas les conclus
320
cuisine avec sa femme et ses deux enfants. C’est
un
homme de quarante ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent d
321
de quarante ans, aux traits réguliers et sérieux,
un
peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isoleme
322
elle pour se soutenir. Quelquefois on nous envoie
des
journaux ou des revues à l’essai, mais c’est toujours de la politique
323
tenir. Quelquefois on nous envoie des journaux ou
des
revues à l’essai, mais c’est toujours de la politique. Quand j’étais
324
aris ? Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire
un
mouvement politique en dehors des partis, et de voir une fois ce qu’i
325
tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire
une
liste de livres à lire pour l’instituteur de M… Je ne trouve à lui re
326
tituteur de M… Je ne trouve à lui recommander que
des
traductions. La littérature moderne en France n’a guère à donner à ce
327
i est simplement vrai. Je comprends assez bien qu’
un
certain nombre d’écrivains français aient passé au communisme : il le
328
llait cela sans doute pour oser parler de nouveau
une
langue large, utile et humaine… Auparavant, ils croyaient comme les a
329
était plutôt ridicule. Telle est la pauvre chance
des
« intellectuels » : il a fallu un nouveau conformisme pour les libére
330
pauvre chance des « intellectuels » : il a fallu
un
nouveau conformisme pour les libérer de l’ancien ; — et l’alibi d’une
331
sme pour les libérer de l’ancien ; — et l’alibi d’
une
action politique à laquelle ils n’entendent goutte. 1. Deux petits
332
L’un est aux mains de M. T…, député de droite, et
des
« curés ». L’autre est « républicain et antifasciste ». 2. Village à
333
rs savent que ce mot peut désigner autre chose qu’
un
« je m’en fichiste » ? 4. J’avais raison de marquer ce doute. Un agr
334
histe » ? 4. J’avais raison de marquer ce doute.
Un
agriculteur auquel je viens de raconter ce petit fait, m’explique qu’
335
ens de raconter ce petit fait, m’explique qu’avec
un
manche court « on travaille plus vite et plus efficacement qu’avec un
336
travaille plus vite et plus efficacement qu’avec
un
manche long, surtout dans un terrain sablonneux ». Reste la question
337
efficacement qu’avec un manche long, surtout dans
un
terrain sablonneux ». Reste la question de savoir s’il est normal de
338
il est normal de se déformer le corps pour gagner
un
peu plus. Or ils y sont, pour la plupart, contraints. 5. J’ai appris
339
tunes en très peu de temps, parfois sans dépenser
un
seul bidon d’essence. Simplement, ils vendent la menace d’utiliser le
340
t, ils vendent la menace d’utiliser le parcours d’
une
Compagnie en exercice. a. Rougemont Denis de, « Paysans de l’Ouest
341
: « M. Denis de Rougemont, qui a publié récemment
un
remarquable essai sur la culture dans la société actuelle, Penser av
342
é actuelle, Penser avec les mains , a noté, dans
un
journal intime tenu au cours d’un long séjour dans l’île de Ré et en
343
, a noté, dans un journal intime tenu au cours d’
un
long séjour dans l’île de Ré et en Vendée, ses impressions sur la vie
344
le de Ré et en Vendée, ses impressions sur la vie
des
paysans en général et sur leurs aspirations politiques en particulier
345
, sont extrêmement imprécises. Il y a, en France,
un
divorce angoissant entre les réalités humaines et la terminologie et
346
e, nourries d’observations précises, en apportent
des
preuves frappantes. Ces pages sont extraites du Journal d’un intelle
347
rappantes. Ces pages sont extraites du Journal d’
un
intellectuel en chômage , qui doit paraître prochainement. »
348
cours à l’inconscient, pour expliquer la conduite
des
individus ou des collectivités, c’est l’un des traits typiques de not
349
ient, pour expliquer la conduite des individus ou
des
collectivités, c’est l’un des traits typiques de notre siècle. Or l’i
350
te des individus ou des collectivités, c’est l’un
des
traits typiques de notre siècle. Or l’inconscient est la grande décou
351
cient est la grande découverte — ou l’invention —
des
romantiques allemands. C’est donc l’une de nos origines les plus prof
352
r certains lecteurs en remarquant que c’est aussi
un
ouvrage d’actualité, au sens le plus pénétrant de ce terme. Et pourta
353
udacieux et de tragique ne présente pas seulement
un
intérêt littéraire de tout premier ordre ; elle revêt une portée prop
354
rêt littéraire de tout premier ordre ; elle revêt
une
portée proprement religieuse. Et par là même — car nous vivons au seu
355
t par là même — car nous vivons au seuil de l’ère
des
mystiques collectives — cette lecture nous introduit aux vertiges spi
356
s introduit aux vertiges spirituels d’où sont nés
des
mouvements politiques tels que le national-socialisme. Peu à peu, ell
357
al-socialisme. Peu à peu, elle dévoile à nos yeux
une
sorte d’unité profonde sous-jacente aux tourments du siècle. Une vagu
358
té profonde sous-jacente aux tourments du siècle.
Une
vague de rêves a submergé notre littérature, depuis la guerre ; et vo
359
rature, depuis la guerre ; et voici que renaît, d’
une
manière bien frappante, l’intérêt de beaucoup pour les études mystiqu
360
ystique » dans l’ordre politique ; voici enfin qu’
un
grand empire réalise au milieu de l’Europe la plus inquiétante synthè
361
ience claire est la première conquête spirituelle
des
hommes angoissés par le mystère d’une nature hostile et mouvante. La
362
spirituelle des hommes angoissés par le mystère d’
une
nature hostile et mouvante. La parole de raison, qui distingue les ch
363
oses, les arrête et les identifie, apparaît comme
une
délivrance, une victoire sur le chaos panique. Mais cette victoire, l
364
et les identifie, apparaît comme une délivrance,
une
victoire sur le chaos panique. Mais cette victoire, lorsqu’elle est t
365
venue trop ancienne et facile, laisse l’homme sur
un
sentiment de déception et d’indicible appauvrissement. Le monde ratio
366
eaucoup de questions y demeurent sans réponse, et
des
faims ancestrales sans pâture. D’où renaît, peu à peu, une angoisse n
367
ancestrales sans pâture. D’où renaît, peu à peu,
une
angoisse nouvelle, une attraction, comparable au vertige, vers ces ré
368
e. D’où renaît, peu à peu, une angoisse nouvelle,
une
attraction, comparable au vertige, vers ces régions de l’être obscur
369
était tourné vers la raison libératrice, au terme
des
époques appauvries de mystère l’homme sceptique se rejette avec passi
370
nsi naquit le romantisme allemand après le siècle
des
Lumières. Ainsi renaissent nos soifs mystiques élémentaires après un
371
renaissent nos soifs mystiques élémentaires après
un
siècle de science positiviste. Est-il vrai que la nuit et le rêve n’o
372
notre faim. Le songe, au contraire, nous propose
des
paradis et des terreurs d’une intensité séduisante. Serait-il le sign
373
songe, au contraire, nous propose des paradis et
des
terreurs d’une intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée,
374
raire, nous propose des paradis et des terreurs d’
une
intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée, d’une Vérité s
375
té séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée, d’
une
Vérité supérieure ? Telle est la question que posèrent les premiers r
376
vie obscure est en incessante communication avec
une
autre réalité, plus vaste, antérieure et supérieure à la vie individu
377
s nous retirons en nous-mêmes, en nous détournant
des
apparences, et plus nous pénétrons dans la nature des choses qui sont
378
apparences, et plus nous pénétrons dans la nature
des
choses qui sont hors de nous », affirme un des théoriciens du premier
379
ature des choses qui sont hors de nous », affirme
un
des théoriciens du premier romantisme, Ignaz Troxler. Mais encore : s
380
re des choses qui sont hors de nous », affirme un
des
théoriciens du premier romantisme, Ignaz Troxler. Mais encore : s’agi
381
, Ignaz Troxler. Mais encore : s’agit-il vraiment
des
choses qui sont hors de nous, ou bien seulement de choses qui, en nou
382
st-ce nous qui nous jouons de nous-mêmes, ou bien
une
main d’en haut brasse-t-elle les cartes ? » Déjà E. T. A. Hoffmann in
383
jà E. T. A. Hoffmann insinue la réponse : « Et si
un
principe spirituel étranger à nous-mêmes était le mobile de ces irrup
384
nnues qui se jettent à la traverse de nos idées d’
une
manière si brusque et si saisissante ? » De là à penser que le rêve e
385
saisissante ? » De là à penser que le rêve est «
un
vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur d’un scrupule d’orthodox
386
un vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur d’
un
scrupule d’orthodoxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme et
387
y a que l’épaisseur d’un scrupule d’orthodoxie, d’
une
dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxler esquive non sa
388
ulté et le choix : pour lui, le rêve est « tantôt
un
écho du supraterrestre dans le terrestre, tantôt un reflet du terrest
389
écho du supraterrestre dans le terrestre, tantôt
un
reflet du terrestre dans le supraterrestre » ; ou encore : « Ce qui r
390
r dans la psychanalyse. Croire qu’il révèle aussi
un
monde supérieur, c’est entrer dans la voie mystique. Si la plupart de
391
ont pas choisi en toute clarté — ruse vitale pour
des
poètes —, tous les textes cités par Béguin nous inclinent à penser qu
392
nous inclinent à penser qu’ils sont plus proches
des
mystiques que des psychanalystes. Au fond, lorsqu’ils se demandent si
393
penser qu’ils sont plus proches des mystiques que
des
psychanalystes. Au fond, lorsqu’ils se demandent si le rêve est conna
394
s que l’âme prédisposée interprète aussitôt comme
des
messages. Cela suppose un état passionné, une certaine température où
395
erprète aussitôt comme des messages. Cela suppose
un
état passionné, une certaine température où toutes choses deviennent
396
mme des messages. Cela suppose un état passionné,
une
certaine température où toutes choses deviennent translucides, une no
397
érature où toutes choses deviennent translucides,
une
nostalgie longtemps déçue et qui s’empare avec avidité des plus furti
398
lgie longtemps déçue et qui s’empare avec avidité
des
plus furtives promesses de bonheur, surtout si elles sont assez obscu
399
ntique, de même que la surréaliste, est à l’affût
des
« surprises pleines de sens » dont nous parlent aussi les mystiques.
400
de sens » dont nous parlent aussi les mystiques.
Une
autre analogie, assez frappante, c’est le rôle de la rhétorique chez
401
comme plus tard le poète Jean-Paul, insistent sur
un
fait que Freud utilisera jusqu’à l’abus : c’est que l’esprit abandonn
402
it abandonné au rêve s’exprime ordinairement dans
un
langage métaphorique et régulier, comme s’il était soumis, en ce doma
403
gulier, comme s’il était soumis, en ce domaine, à
des
lois plus précises et plus constantes que celles qui le régissent à l
404
ène au problème central : celui de l’expression d’
un
indicible. Il nous faut dépasser ici le domaine circonscrit du rêve.
405
le monde ineffable, qui est proprement le domaine
des
mystiques. Toute expérience mystique ou romantique présuppose l’exist
406
e mystique ou romantique présuppose l’existence d’
un
centre ou d’un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Un-grund de Jakob Boe
407
omantique présuppose l’existence d’un centre ou d’
un
tréfonds divin de l’âme (c’est l’Un-grund de Jakob Boehme), dont on n
408
en parler, à en écrire, à tenter de le cerner par
des
figures qui, n’étant jamais suffisantes, doivent être inépuisablement
409
a moindre irrévérence : nul n’est plus verbeux qu’
un
mystique, si ce n’est un romantique allemand. Car l’un et l’autre ont
410
ul n’est plus verbeux qu’un mystique, si ce n’est
un
romantique allemand. Car l’un et l’autre ont l’ambition de communique
411
s lors, la plainte sera la même, qu’il s’agisse d’
une
Thérèse d’Avila ou simplement du bonhomme Tieck : Donnez-moi des « pa
412
vila ou simplement du bonhomme Tieck : Donnez-moi
des
« paroles nouvelles pour exprimer l’inexprimable », dit la sainte ; e
413
, dit la sainte ; et le poète : « Mais où trouver
des
mots pour dépeindre, même faiblement, la merveille de la vision qui s
414
qui, transformant mon âme, m’entraîna au-devant d’
une
réalité invisible, divine, d’une ineffable splendeur ? Un indicible r
415
aîna au-devant d’une réalité invisible, divine, d’
une
ineffable splendeur ? Un indicible ravissement me souleva tout entier
416
té invisible, divine, d’une ineffable splendeur ?
Un
indicible ravissement me souleva tout entier… » Peut-être touchons-no
417
age, de toute expression littéraire. « Où trouver
des
mots ? », gémissent-ils. La plainte est sincère et tragique. Mais com
418
ont entendu quelque chose. « Je crois avoir fait
une
découverte importante, écrit Ritter, celle d’une conscience passive d
419
une découverte importante, écrit Ritter, celle d’
une
conscience passive de l’involontaire. » Et sur cette base, la seconde
420
e rêveur sont passifs ; ils écoutent le langage d’
une
voix qui leur est intérieure et pourtant étrangère, qui s’élève dans
421
ssent faire autre chose que de saluer là l’écho d’
un
discours divin. » Alors le doute n’est plus permis : l’analogie purem
422
nt formelle que nous décrivions jusqu’ici devient
une
profonde identité. L’intervention de la catégorie « passivité » nous
423
mantiques : c’est la négation et la mort du monde
des
formes et du langage humain, la négation et la mort du divers, du moi
424
ivers, du moi distinct et agissant. C’est la Nuit
des
sens et de l’esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit d
425
C’est la Nuit des sens et de l’esprit que décrit
un
Jean de la Croix, et dont la nuit des songes, chantée par les poètes,
426
t que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit
des
songes, chantée par les poètes, n’était que le symbole et le signe ph
427
avoir reconnu et affirmé la profonde ressemblance
des
états poétiques et des révélations d’ordre religieux, d’avoir ajouté
428
é la profonde ressemblance des états poétiques et
des
révélations d’ordre religieux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrati
429
Ce sentiment d’exil que nous trouvons à l’origine
des
expériences mystiques les plus diverses, d’où naît-il, dans quel souv
430
plus diverses, d’où naît-il, dans quel souvenir d’
une
patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait de répondre en allég
431
double nature, corporelle et spirituelle. Mais d’
une
constatation si générale, comment passer à l’élucidation de ce fait l
432
via mystica ? S’il est permis — comme on l’admet
un
peu trop facilement de nos jours — de tirer de l’étude des maladies u
433
rop facilement de nos jours — de tirer de l’étude
des
maladies une vue nouvelle sur les structures de l’homme, peut-être po
434
t de nos jours — de tirer de l’étude des maladies
une
vue nouvelle sur les structures de l’homme, peut-être pouvons-nous de
435
, peut-être pouvons-nous demander à la biographie
des
romantiques quelques lumières sur les mystiques proprement dits, tout
436
n à Karl Philip Moritz peut nous y aider. Né dans
un
milieu quiétiste et piétiste, en plein xviiie siècle rationaliste, M
437
lein xviiie siècle rationaliste, Moritz fut l’un
des
tout premiers à se tourner vers l’étude des rêves. Il s’y trouvait pr
438
l’un des tout premiers à se tourner vers l’étude
des
rêves. Il s’y trouvait prédisposé par l’habitude de l’examen de consc
439
isciples de madame Guyon7. Non content de publier
une
revue entièrement consacrée à des analyses de rêves, Moritz écrivit d
440
tent de publier une revue entièrement consacrée à
des
analyses de rêves, Moritz écrivit deux romans autobiographiques qui n
441
ques qui nous permettent de pénétrer l’intimité d’
une
expérience prémystique (ou faut-il dire d’une expérience mystique pri
442
é d’une expérience prémystique (ou faut-il dire d’
une
expérience mystique privée de la grâce, réduite à ses aspects puremen
443
nt humains ?) Le point de départ paraît bien être
une
blessure qu’il reçut de la vie, un choc qui l’a laissé béant sur une
444
aît bien être une blessure qu’il reçut de la vie,
un
choc qui l’a laissé béant sur une contradiction irrémédiable entre la
445
reçut de la vie, un choc qui l’a laissé béant sur
une
contradiction irrémédiable entre la dure réalité et les désirs profon
446
e qu’il n’a commise que par son existence même ».
Un
philosophe mystique tel que Ignaz Troxler n’hésitera pas à élargir le
447
e qu’on veuille l’examiner, l’homme trouve en lui
une
blessure qui déchire tout ce qui vit en lui, et que peut-être lui fit
448
re lui-même… cette idée le plongea peu à peu dans
un
désespoir qui l’amena au bord de la rivière… » Prenons-y garde : ce m
449
L’incapacité d’accepter le monde réel est signe d’
une
incapacité de s’accepter soi-même — à cause de cette blessure qu’il s
450
ent dans le passé. Moritz décrit ainsi le héros d’
un
de ses romans : « Il lui parut qu’il s’était échappé entièrement à lu
451
’a d’appui ferme que dans la chaîne ininterrompue
des
souvenirs8 ». Mais, comme le note Albert Béguin, Moritz à cet endroit
452
de saisir la pensée salvatrice ». C’est qu’il est
un
souvenir interdit, trop douloureux pour être revécu. Le moi malade éc
453
nt, représentent pour les romantiques les voies d’
un
retour au monde perdu, à la « vraie vie » qui est « ailleurs », comme
454
perd aussi le sentiment de sa culpabilité. Mais d’
une
autre manière encore, et plus précise, le rêve ou la via mystica sont
455
, et plus précise, le rêve ou la via mystica sont
des
moyens de récupérer le monde perdu. Ce qu’il faut souligner ici, c’es
456
tique de l’être revêt presque toujours la forme d’
un
vœu de mort. Le sommeil préfigure la mort pour le poète romantique ;
457
i voudrait-on mourir ? La biographie de plusieurs
des
poètes étudiés par Béguin nous indique une réponse. En effet, la bles
458
sieurs des poètes étudiés par Béguin nous indique
une
réponse. En effet, la blessure dont ils souffrent est presque toujour
459
nt est presque toujours symbolisée par la perte d’
un
être aimé. Passer dans l’autre monde, c’est retrouver la morte ! « L’
460
: le vœu de retrouver la morte, de communier avec
un
autre univers, lui fait mépriser cette vie, sentir ses limites, mettr
461
, sentir ses limites, mettre tout son espoir dans
une
existence d’outre-tombe ». Le rêve ou la via mystica seront cette exi
462
ette existence d’outre-tombe vécue dès ici-bas, d’
une
manière indicible. Et peut-être pourrait-on dire que l’expérience mys
463
es romantiques n’ont pas été si loin dans la voie
des
sublimations — sauf peut-être Jean-Paul et Novalis. Ils n’arrivent pa
464
Ils n’arrivent pas à retrouver dans leur au-delà
une
Présence qui pardonne, qui guérisse, et qui leur rende alors la force
465
ent en de très rares instants n’est plus alors qu’
un
moyen de jouir d’une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de
466
instants n’est plus alors qu’un moyen de jouir d’
une
« sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de sa propre dissolution
467
se » (comme dit Moritz) de sa propre dissolution,
un
moyen détourné de revivre sa blessure, ou plutôt l’élan même qu’elle
468
ment fondamental de toute passion, le mouvement d’
un
amour qui préfère le néant aux limitations de la vie — la joie devant
469
Isolde. III. Mystique et Personne L’exemple
des
romantiques allemands illustre une relation profonde et constante dan
470
e L’exemple des romantiques allemands illustre
une
relation profonde et constante dans l’homme : celle qui existe entre
471
l. Se réfugier dans l’indicible, c’est entretenir
une
équivoque dont il y a lieu de craindre qu’elle soit intéressée. Au co
472
ui répugne aux romantiques ! D’où leur fuite dans
un
monde dont on ne peut rien dire. D’où encore le besoin qu’ils éprouve
473
rabondamment que l’on n’en peut rien dire que par
des
allusions, des métaphores, des poèmes « inspirés ». À ce niveau, le m
474
e l’on n’en peut rien dire que par des allusions,
des
métaphores, des poèmes « inspirés ». À ce niveau, le mysticisme donne
475
rien dire que par des allusions, des métaphores,
des
poèmes « inspirés ». À ce niveau, le mysticisme donne naissance à la
476
re. Mais il faut reconnaître aussi que s’y révèle
une
maladie de la personne. Le paradoxe de l’expression d’un Indicible es
477
die de la personne. Le paradoxe de l’expression d’
un
Indicible est tellement essentiel au romantisme que je n’hésite pas à
478
e que je n’hésite pas à y trouver l’explication d’
un
fait connu de tous les historiens : c’est l’incapacité des romantique
479
connu de tous les historiens : c’est l’incapacité
des
romantiques à donner des œuvres achevées. En effet, le mouvement de c
480
ens : c’est l’incapacité des romantiques à donner
des
œuvres achevées. En effet, le mouvement de ces poètes est inversé de
481
assif. Aussi n’ont-ils laissé pour la plupart que
des
fragments, des allusions, des éclats fugitifs ou « illuminations », p
482
ont-ils laissé pour la plupart que des fragments,
des
allusions, des éclats fugitifs ou « illuminations », pareils aux souv
483
pour la plupart que des fragments, des allusions,
des
éclats fugitifs ou « illuminations », pareils aux souvenirs d’un rêve
484
ifs ou « illuminations », pareils aux souvenirs d’
un
rêve qui s’efface. Cela dont ils voulaient parler, cet Indicible ou c
485
sonne est en nous l’être spirituel, responsable d’
une
vocation, et trouvant là son unité en dépit des contradictions dont p
486
c’est en vain qu’il chercherait à y échapper par
des
sublimations : au fond de la nuit et de l’inconscient, c’est encore l
487
conscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous
des
espèces méconnaissables et qu’il sera tenté de croire divines. Et il
488
nspirent la nostalgie de les dépasser. Mais seule
une
vocation lui en donnera la force. Qu’il la reçoive et qu’il l’accepte
489
e consciemment, ce sera pour lui l’introduction à
une
liberté toute nouvelle. Dès ce moment, il accomplit en apparences une
490
uvelle. Dès ce moment, il accomplit en apparences
une
évolution fort semblable à celle de ces pseudo ou prémystiques que fu
491
oue à quelque chose qui le dépasse, il se donne à
une
réalité qui, souvent, ne tient pas compte de nos raisons, il s’impose
492
, ne tient pas compte de nos raisons, il s’impose
une
sorte d’ascèse qui le libère des servitudes naturelles. Mais cette as
493
ons, il s’impose une sorte d’ascèse qui le libère
des
servitudes naturelles. Mais cette ascèse n’aboutit pas à la négation
494
’est à quoi l’on peut reconnaître la légitimité d’
une
vocation. Thérèse d’Avila ne voulait accepter que les révélations qui
495
stingue radicalement de la « dissolution du moi »
des
romantiques. C’est une « activité » qui ne commence qu’au-delà de la
496
la « dissolution du moi » des romantiques. C’est
une
« activité » qui ne commence qu’au-delà de la mort à soi-même, c’est-
497
en vertu de sa vocation, c’est-à-dire en vertu d’
un
appel venu d’ailleurs mais qui concerne l’ici-bas. Seule une telle vo
498
enu d’ailleurs mais qui concerne l’ici-bas. Seule
une
telle vocation peut donner le courage de s’avouer en toute lucidité,
499
scient. Il ose enfin parler et témoigner au nom d’
une
Vérité qui le dépasse. Et l’on rejoint ici l’enseignement évangélique
500
t ici l’enseignement évangélique : ce ne sont pas
des
extases indicibles qui sont promises aux vrais croyants, mais au cont
501
national-socialisme De même que l’expérience d’
un
au-delà ne prend son sens et sa vertu que lorsqu’elle nous ramène au
502
ent hitlérien, dans son essence, m’apparaît comme
un
romantisme politique. Et je ne dis pas du tout que les écrits d’un No
503
itique. Et je ne dis pas du tout que les écrits d’
un
Novalis ou d’un Jean-Paul soient à sa source ; ce serait absurde. Mai
504
dis pas du tout que les écrits d’un Novalis ou d’
un
Jean-Paul soient à sa source ; ce serait absurde. Mais je dis que nou
505
au inférieur et collectif de la psychologie nazie
des
processus fort analogues à ceux que nous avons décrits. Il ne s’agit
506
sa personne. Le national-socialisme apparut comme
une
réaction de défense à l’humiliation collective infligée aux Allemands
507
n la blessure la déception non plus ressentie par
un
individu, mais par la nation tout entière dans ses rapports avec le m
508
sommes brimés, nous qui pourtant sommes les fils
des
vertueux Germains ! Et de ce sentiment de culpabilité, refoulé avec f
509
llemands n’ont pas perdu la guerre) doit résulter
un
sentiment de manque d’assurance nationale. La vraie Allemagne ne peut
510
ssure ». Il faut donc la chercher ailleurs : dans
un
rêve de puissance et de libération, dans l’avenir, cet ersatz de l’au
511
toutes ces règles du jeu politique inventées par
des
rationalistes, alors que nous voulons une passion nouvelle ! Et de mê
512
ées par des rationalistes, alors que nous voulons
une
passion nouvelle ! Et de même que le romantique oubliait son moi déte
513
se perdant dans l’âme collective, dans l’hypnose
des
fêtes sacrales organisées par le Führer, au rythme lent et envoûtant
514
nisées par le Führer, au rythme lent et envoûtant
des
défilés et des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne com
515
ührer, au rythme lent et envoûtant des défilés et
des
tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne compte pas en tant
516
et envoûtant des défilés et des tambours pendant
des
heures… On lui a dit qu’il ne compte pas en tant qu’individu conscien
517
ue sa vraie vie était entre les mains du parti, d’
un
démiurge anonyme et obscur dont il n’a plus qu’à recevoir les ordres,
518
s doutes. La discipline collective joue le rôle d’
une
ascèse du moi : les renoncements mêmes qu’elle impose deviennent les
519
emande, imitant au niveau le plus bas l’évolution
des
romantiques cherche à récupérer son unité perdue dans un monde supra-
520
ntiques cherche à récupérer son unité perdue dans
un
monde supra-personnel, où les limites hostiles s’effacent, où la pass
521
ntensité de l’émotion remplace la vérité mesquine
des
juristes. Et cela nous fait comprendre bien des choses à première vue
522
e des juristes. Et cela nous fait comprendre bien
des
choses à première vue sans liens intimes : la suppression du droit ro
523
times : la suppression du droit romain, le mépris
des
frontières et des obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’
524
sion du droit romain, le mépris des frontières et
des
obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’expansion indéfini
525
épris des frontières et des obligations, le culte
des
morts rétabli, le rêve d’expansion indéfinie, mais aussi le goût de l
526
nds passionnés), et la volonté de s’enfermer dans
une
réalité impénétrable, indicible, incommunicable, et qui n’a point de
527
us ne sommes plus en présence de Bismarck, mais d’
un
peuple envoûté par son rêve. Un peuple qui renonce à la raison, qui r
528
Bismarck, mais d’un peuple envoûté par son rêve.
Un
peuple qui renonce à la raison, qui renonce à se justifier aux yeux d
529
yeux du monde, parce qu’il trouve dans sa passion
une
espèce d’innocence exaltante, une occasion de sacrifier le moi coupab
530
dans sa passion une espèce d’innocence exaltante,
une
occasion de sacrifier le moi coupable et détesté à quelque chose de p
531
récemment M. Goebbels, on n’impose pas au peuple
des
opinions diverses entre lesquelles il devrait choisir : le peuple n’a
532
n’aime pas à choisir, il aime qu’on lui présente
une
opinion juste… D’ailleurs, notre politique est une politique d’artist
533
ne opinion juste… D’ailleurs, notre politique est
une
politique d’artistes. Le Führer est un artiste de la politique. Les a
534
tique est une politique d’artistes. Le Führer est
un
artiste de la politique. Les autres hommes d’État sont seulement des
535
olitique. Les autres hommes d’État sont seulement
des
manœuvres. Son État à lui est le produit d’une imagination géniale9.
536
nt des manœuvres. Son État à lui est le produit d’
une
imagination géniale9. » Une politique d’artistes, une politique de ro
537
lui est le produit d’une imagination géniale9. »
Une
politique d’artistes, une politique de romantisme collectif, voilà le
538
imagination géniale9. » Une politique d’artistes,
une
politique de romantisme collectif, voilà le cauchemar que rêve à côté
539
e Reich somnambulique. Nous avons tout à craindre
des
« inspirations » du Führer, mais que pourrait produire un réveil brus
540
pirations » du Führer, mais que pourrait produire
un
réveil brusque ? Cette maladie demande un long traitement, de nature
541
roduire un réveil brusque ? Cette maladie demande
un
long traitement, de nature spirituelle, à mon avis, au moins autant q
542
dans le secret de la conscience allemande, c’est
une
lutte de nature religieuse. C’est l’affrontement d’une religion de l’
543
utte de nature religieuse. C’est l’affrontement d’
une
religion de l’inconscience collective et d’une foi qui veut témoigner
544
d’une religion de l’inconscience collective et d’
une
foi qui veut témoigner par la Parole et l’acte personnel. 6. En ef
545
En effet, pour les romantiques, « le sommeil est
une
préfiguration de la mort », et c’est uniquement dans la mort que nous
546
estre Personne ne m’avait dit que New York est
une
île en forme de gratte-ciel couché. C’est la ville la plus simple du
547
iron — elles figurent assez bien les ascenseurs d’
un
grand building — et deux-cent-cinquante rues coupant les avenues à an
548
l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur
des
espaces bien plus vastes, îles et plaines reliées par un immense rése
549
ces bien plus vastes, îles et plaines reliées par
un
immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Pers
550
rsonne ne m’avait dit, non plus, que New York est
une
ville alpestre ! Je l’ai senti le premier soir d’octobre, quand le so
551
e, quand le soleil couchant flambait les hauteurs
des
gratte-ciel, de cette couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes
552
te couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes
des
parois rocheuses, alors que la vallée s’emplit d’une ombre froide. Et
553
parois rocheuses, alors que la vallée s’emplit d’
une
ombre froide. Et j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue de
554
lit d’une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’
une
gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre e
555
, dans cette rue de briques noircies où circulait
un
vent âpre et salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. I
556
et la lumière éclatant très haut dans le ciel sur
des
parois violemment découpées, c’est un climat que je connais… Mais il
557
e ciel sur des parois violemment découpées, c’est
un
climat que je connais… Mais il y a plus. Il y a le sol qui est alpest
558
la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un
des
secrets de la démesure de Manhattan : seules, ces assises de granit é
559
aient capables de supporter le formidable poids d’
un
gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranc
560
té plaqués sur les façades et dans les vestibules
des
plus riches bâtiments, reliques scellées d’une antiquité souterraine.
561
es des plus riches bâtiments, reliques scellées d’
une
antiquité souterraine. À Chicago et Saint-Louis, au contraire, sur l
562
quiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien
des
aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par
563
le demeure hanté par on ne sait quelle sauvagerie
des
hauteurs ; et ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné dans u
564
ieu d’extrême densité humaine demeure baigné dans
une
atmosphère irrémédiablement désertique. Les Américains des plaines de
565
phère irrémédiablement désertique. Les Américains
des
plaines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de
566
iens. Ils pensent, dans leur ignorance, que c’est
une
ville « trop européenne »… Mais, moi, je m’y sens contemporain de la
567
ue avenir démesuré. Sortie de Manhattan Sur
un
quai souterrain, après avoir traversé les parvis populeux surmontés d
568
ès avoir traversé les parvis populeux surmontés d’
une
coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon premie
569
de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris
un
coach. Je me suis enfoncé dans le velours bleu sombre et j’ai regardé
570
j’ai regardé mes voisins, car nous roulions dans
un
tunnel. Dans l’ensemble, les femmes m’ont paru dignes de ce que le ci
571
s vu les gens. Le train surgissait du tunnel dans
une
plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digu
572
ux et de digues, enjambée par les arches de fer d’
un
pont à n’en pas croire ses yeux, qui porte l’autostrade pendant des k
573
s croire ses yeux, qui porte l’autostrade pendant
des
kilomètres au-dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’avi
574
rte l’autostrade pendant des kilomètres au-dessus
des
usines, des feux rouges et des hangars d’avions aux coupoles surbaiss
575
rade pendant des kilomètres au-dessus des usines,
des
feux rouges et des hangars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage
576
lomètres au-dessus des usines, des feux rouges et
des
hangars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s’enl
577
issées. Paysage de déluge où s’enlisent, fumants,
des
monstres antédiluviens. Une falaise de granit se dresse près de la vo
578
s’enlisent, fumants, des monstres antédiluviens.
Une
falaise de granit se dresse près de la voie. Nous la passons. Sur son
579
e. Nous la passons. Sur son autre versant s’étale
un
cimetière d’autos décarcassées, déchets du grand délire de constructi
580
lle, ce bleu de poudre claire et rose au lointain
des
avenues trop larges le matin, ce bleu d’ombre de brique au puits des
581
rges le matin, ce bleu d’ombre de brique au puits
des
rues luisantes, dos longs d’autos jaunes ou noires, harmonie fauve de
582
os longs d’autos jaunes ou noires, harmonie fauve
des
façades, circulation vibrante aux pieds, fumerolles au ras de l’aspha
583
u ! Si le détail est laid, voyez l’ensemble. Pour
un
homme qui est seul, Manhattan est sublime. Il n’a qu’à s’oublier dans
584
esure dans les trois dimensions de l’espace, sauf
un
découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homme sur table rase,
585
r table rase, imbriqué, condensé, superposé, pour
un
usage massif, exactement prévu. Plus une trace de campagne primitive
586
osé, pour un usage massif, exactement prévu. Plus
une
trace de campagne primitive ne subsiste, plus un seul coin de terre à
587
une trace de campagne primitive ne subsiste, plus
un
seul coin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’eau qui cou
588
ubsiste, plus un seul coin de terre à nu, et plus
une
ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feuillages. Tout est pans d
589
nts mètres du sol. Pour la première fois, je vois
une
ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un groupe de mots d
590
ville aussi purifiée de nature que l’est de prose
un
groupe de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’immen
591
ontent et tournent, épousant les collines. Le sol
des
plaines environnantes paraît encore à nu dans les cours des hôtels, e
592
s environnantes paraît encore à nu dans les cours
des
hôtels, entre les pavés provinciaux, aux esplanades, aux terrains vag
593
bres cachent les façades, moutonnent à la hauteur
des
toits, et la rivière ouvre l’espace, double le ciel, qui règne seul a
594
rapidement les rues profondes, remonte au sommet
des
buildings, se perd dans un dernier éclat d’avion fuyant, et c’est la
595
es, remonte au sommet des buildings, se perd dans
un
dernier éclat d’avion fuyant, et c’est la ville alors qui s’empare du
596
st la ville alors qui s’empare du ciel, s’en fait
un
dôme à sa mesure et le referme sur sa nuit de ville. Appartements.
597
déal de l’Américain serait sans doute la maison d’
une
seule pièce, avec au centre un grand fauteuil tournant et basculant,
598
doute la maison d’une seule pièce, avec au centre
un
grand fauteuil tournant et basculant, qui se transformerait le soir e
599
ines et les réclames lumineuses en délire, passer
une
heure aux Actualités, écouter les conversations des voisins dans un b
600
e heure aux Actualités, écouter les conversations
des
voisins dans un bar, coudoyer des hommes déformés ou épais, des femme
601
lités, écouter les conversations des voisins dans
un
bar, coudoyer des hommes déformés ou épais, des femmes malades ou tro
602
s conversations des voisins dans un bar, coudoyer
des
hommes déformés ou épais, des femmes malades ou trop vernies, Times S
603
ns un bar, coudoyer des hommes déformés ou épais,
des
femmes malades ou trop vernies, Times Square, après un dîner solitair
604
mmes malades ou trop vernies, Times Square, après
un
dîner solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’un exercice s
605
vernies, Times Square, après un dîner solitaire,
un
soir de pluie, c’est le contraire d’un exercice spirituel : une vérit
606
solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’
un
exercice spirituel : une véritable centrifugation de l’être. Mais peu
607
uie, c’est le contraire d’un exercice spirituel :
une
véritable centrifugation de l’être. Mais peut-être, me dis-je après c
608
tel que le crée l’homme privé de l’Esprit, l’une
des
entrées de la Voie négative et du Désert dont parlent les mystiques ?
609
milieu actif… Plus simplement, ce vide est encore
un
appel ; ce désespoir, s’il est conscient, un dernier signe de la vie…
610
core un appel ; ce désespoir, s’il est conscient,
un
dernier signe de la vie… Non, j’ai surtout senti le désespoir tout co
611
a, c’était ce que j’éprouvais à Times Square avec
une
acuité crispante : l’état du monde d’où l’Esprit s’est retiré. Ce n’é
612
a poisse aux pieds mêlée d’essence sur l’asphalte
des
avenues, c’était ce vide. C’était le sens absent. Beekman Place
613
Place Parallèle à l’East River, dont la sépare
une
rangée d’hôtels particuliers à cinq étages, cette rue très courte est
614
rs à cinq étages, cette rue très courte est l’une
des
rares — j’en connais trois dans Manhattan — qui, à la fois, ne porten
615
rbres, de silence et de grands portiers galonnés.
Une
buée bleue, pendant l’été, emplit cet espace fermé par les hauts bâti
616
enêtres dépourvues d’ornements. Beekman Place est
un
de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’
617
: « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’il y trouve
un
charme, simplement. Mais quand je la vois du haut de mon douzième éta
618
anchée d’asphalte et de brique jaune et rose dans
un
chaos géométrique, c’est bien New York… Si je me retourne un peu sur
619
ométrique, c’est bien New York… Si je me retourne
un
peu sur ma terrasse, voici la perspective de l’East River jusqu’à Bro
620
la perspective de l’East River jusqu’à Brooklyn.
Un
paysage immense de minéral et d’eau. La rivière, sillonnée de remorqu
621
ère, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’
un
éclat d’étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dente
622
ain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font
une
dentelle d’un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mât
623
onts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’
un
kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mâts, clochers, u
624
’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus
des
lois économiques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réali
625
urs fatales réalités : car ce sont les réalités d’
un
monde tout artificiel que nous, les hommes, avons bâti selon nos capr
626
passions et nos raisons folles. Si nous changions
un
jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me t
627
sformerait. Si je me tourne vers le nord, je vois
un
monde de terrasses, du dixième au trentième étage du River Club, où v
628
s se penchent sur leurs géraniums, elles ajustent
des
lunettes noires… Quelques jeunes gens viennent boire un verre, le soi
629
ettes noires… Quelques jeunes gens viennent boire
un
verre, le soir. Un violoniste s’escrime à vingt reprises sur le Deuxi
630
ues jeunes gens viennent boire un verre, le soir.
Un
violoniste s’escrime à vingt reprises sur le Deuxième Concerto brande
631
nnais par avance la nostalgie. Le soir vient dans
un
luxe américain d’ocres, de roses, d’argents et d’éclats d’or sur les
632
oses, d’argents et d’éclats d’or sur les fenêtres
des
usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gra
633
nts et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines.
Des
fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gratte-ciel se
634
fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet
des
gratte-ciel se met à luire sous la lune, au-dessus des premiers nuage
635
ratte-ciel se met à luire sous la lune, au-dessus
des
premiers nuages. Une grande nuit s’ouvre au travail paisible. D’heure
636
uire sous la lune, au-dessus des premiers nuages.
Une
grande nuit s’ouvre au travail paisible. D’heure en heure, je me lève
637
haude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur, et
un
peu plus bas, et puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisins s
638
les buildings voisins séparés de ma terrasse par
un
gouffre profond mais étroit, je vois des couples et des solitaires ét
639
rasse par un gouffre profond mais étroit, je vois
des
couples et des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blon
640
uffre profond mais étroit, je vois des couples et
des
solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée en
641
des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes.
Une
blonde platinée en peignoir rose ouvre son frigidaire, sort de la gla
642
glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud.
Des
rires viennent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre
643
eignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent d’
une
terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs.
644
chaud. Des rires viennent d’une terrasse obscure,
un
cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne
645
tre et j’aligne mes mots. Petits matins déjà doux
des
terrasses, moments les plus aigus de la vie, au jour qui point, quand
646
fort dans la brume d’été flottant sur la rivière…
Une
langue de lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas
647
de lumière orangée vient râper doucement le crépi
des
murs bas, sur la terrasse toute voisine. Un autre jour, le même amour
648
répi des murs bas, sur la terrasse toute voisine.
Un
autre jour, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube est l’heure
649
ricain ! Sur le grand fond sonore à bouche fermée
des
usines de l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur s
650
he fermée des usines de l’autre rive, les sirènes
des
ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’a
651
mmercial, dans le matin strident de l’East River.
Un
quadrimoteur argenté passait très haut entre deux tours babyloniennes
652
hallique, l’autre en Moïse de Michel-Ange. Et sur
une
terrasse dormante, deux ou trois étages plus bas, quelqu’un sortait e
653
s plus bas, quelqu’un sortait en robe de chambre,
un
vieux monsieur, pour arroser au tuyau ses arbustes. Soudain, passant
654
ses arbustes. Soudain, passant la tranche ocrée d’
un
bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue gr
655
t de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière,
une
proue grise et ses canons glissait sans bruit, un énorme croiseur déf
656
ne proue grise et ses canons glissait sans bruit,
un
énorme croiseur défilait, tout l’équipage en fête saluant New York d’
657
irection de l’est de beaux quartiers gris clair d’
un
gothique sobre et astiqué, change subitement d’aspect et tourne au po
658
change subitement d’aspect et tourne au populaire
un
demi-block après Lexington avenue, perd toute tenue dès qu’elle a tra
659
reusement d’enfants s’exerçant au base-ball parmi
des
seaux d’ordures plus hauts qu’eux et des tourbillons fous de papiers
660
ll parmi des seaux d’ordures plus hauts qu’eux et
des
tourbillons fous de papiers sales, pour s’ouvrir enfin toute béante s
661
béante sur les fumées de l’East River, au terme d’
un
parcours rectiligne d’un kilomètre et demi, sans changer de largeur.
662
l’East River, au terme d’un parcours rectiligne d’
un
kilomètre et demi, sans changer de largeur. (Seuls, les trottoirs se
663
, fait voir en coupe la société américaine. C’est
une
coupe mégaloscopique — le contraire de microscopique — permettant l’e
664
s lettres, de bouts de bois et d’éclats de verre.
Des
tas de neige noircissent au rebord des trottoirs. Les enfants qui ne
665
de verre. Des tas de neige noircissent au rebord
des
trottoirs. Les enfants qui ne jouent plus à la balle parce que la nui
666
tte ville, je n’ai jamais été touché ; ils sont d’
une
folle brutalité, mais surpassée par leur adresse — allument des feux
667
alité, mais surpassée par leur adresse — allument
des
feux avec des arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’imme
668
rpassée par leur adresse — allument des feux avec
des
arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’immenses cartonnag
669
llument des feux avec des arbres de Noël roussis,
des
morceaux de caisses, d’immenses cartonnages goudronnés. Flammes gaies
670
légèrement mordu sur les bords par la silhouette
des
escaliers de sauvetage. Ces grands seaux à ordures en métal, rarement
671
aux portes d’entrée. Portes étroites, ouvrant sur
des
couloirs hauts et profonds où deux personnes peuvent à peine se crois
672
e. (Rappel inconscient de la naissance, me dirait
un
psychanalyste.) Les boîtes à lettres portent des noms en cek, nous so
673
t un psychanalyste.) Les boîtes à lettres portent
des
noms en cek, nous sommes dans le quartier slovaque. Je gravis l’escal
674
à charbon, qui est censé chauffer l’appartement,
une
espèce de baignoire couverte et fort étroite se dresse sur quatre pie
675
ur quatre pieds de fonte : il faudrait monter sur
une
chaise pour y entrer. De la cuisine, on passe par une baie sans porte
676
chaise pour y entrer. De la cuisine, on passe par
une
baie sans porte dans le frontroom, qui donne sur la rue. De l’autre c
677
etites chambres sans fenêtres ni portes. Au fond,
une
autre pièce plus claire, sur la cour. Ce logis, qui n’est guère qu’un
678
claire, sur la cour. Ce logis, qui n’est guère qu’
un
corridor légèrement cloisonné, s’annonce dans les journaux : « Cinq p
679
eau chaude et bain. » Il en existe dans Manhattan
des
centaines de milliers construits sur ce même type : deux pièces clair
680
eugles. Tout l’East Side populaire est ainsi, sur
une
vingtaine de kilomètres. Je me penche à la fenêtre, au-dessus de la c
681
ux, de chiffons qui bougent, ou ce sont peut-être
des
chats. Des cordes tendues sur l’abîme supportent des lessives et de g
682
fons qui bougent, ou ce sont peut-être des chats.
Des
cordes tendues sur l’abîme supportent des lessives et de grands draps
683
chats. Des cordes tendues sur l’abîme supportent
des
lessives et de grands draps claquants. Du haut en bas des façades de
684
ives et de grands draps claquants. Du haut en bas
des
façades de brique zigzaguent les noirs escaliers de sauvetage. Dans u
685
zigzaguent les noirs escaliers de sauvetage. Dans
un
sous-sol violemment éclairé, je vois quelques Chinois courbés qui emp
686
ois courbés qui empilent du linge ; au cinquième,
une
grosse femme en peignoir qui se farde à gestes menus. Le concierge ir
687
us. Le concierge irlandais hurle dans l’escalier.
Des
enfants pleurent parmi les radios nostalgiques, des fenêtres s’allume
688
s enfants pleurent parmi les radios nostalgiques,
des
fenêtres s’allument et s’éteignent. On peut vivre ici comme ailleurs,
689
nent. On peut vivre ici comme ailleurs, mais dans
un
cadre strictement rectangulaire. Tous les objets qu’on voit sont des
690
nt rectangulaire. Tous les objets qu’on voit sont
des
rectangles, à part les chiffons et les chats. Les façades, hauts rect
691
soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel rouge.
Une
radio clame Amapola, plus fort que tout, dans la cour où les draps au
692
j’en paraissais fort ennuyé, nos voisins vinrent
un
soir nous en offrir, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance.
693
ux femmes d’âge moyen et leurs maris se partagent
une
maison que les pins nous cachent, à deux-cents pas, plus petite que l
694
ment les maisons trop grandes, en Amérique.) L’un
des
maris se nomme Robert ; son père était un Canadien français et sa vie
695
) L’un des maris se nomme Robert ; son père était
un
Canadien français et sa vieille mère est une Allemande du Sud. La fam
696
était un Canadien français et sa vieille mère est
une
Allemande du Sud. La famille de l’autre mari est de ce pays depuis pl
697
concluent-ils en souriant. Nous leur avons offert
des
boissons, et nous nous appelons par nos prénoms, sans avoir jamais bi
698
’éviter la moitié du trajet jusqu’à New York dans
un
train bondé de soldats. (Le nombre de ces petits services que vous re
699
’ennemi virtuel.) J’ai cru poli de m’arrêter pour
une
heure dans la ville natale de Robert, à quelques kilomètres d’Albany.
700
avant l’autre guerre, j’entends pour la longueur
des
bâtiments. » (Il est peu de villes américaines qui ne réussissent à s
701
tre européen : collines douces, bois et prairies,
une
rivière lente et les longs bâtiments des filatures — tout me rappelle
702
rairies, une rivière lente et les longs bâtiments
des
filatures — tout me rappelle la Souabe, le Wurtemberg. Et, justement,
703
e Wurtemberg. Et, justement, nous arrivons devant
une
maison de bois peinte en jaune clair, ornée de géraniums aux fenêtres
704
x fenêtres. C’est là qu’habite la mère de Robert,
une
vieille dame maigre et digne, dont les ancêtres quittèrent l’Allemagn
705
ur masse rouge les maisons de bois ou de brique d’
un
seul étage. Je remarque un groupe de clochetons à bulbe d’or. Serait-
706
de bois ou de brique d’un seul étage. Je remarque
un
groupe de clochetons à bulbe d’or. Serait-ce une usine orthodoxe ? «
707
e un groupe de clochetons à bulbe d’or. Serait-ce
une
usine orthodoxe ? « Oui, dit Robert, c’est l’une de nos deux églises
708
Canadiens français, d’Allemands, d’Italiens et d’
une
minorité d’Anglo-Saxons, laquelle d’ailleurs conduit tout le reste. U
709
axons, laquelle d’ailleurs conduit tout le reste.
Une
petite ville internationale de province, sans grand avenir, qui vit d
710
, sans grand avenir, qui vit déjà sur son passé d’
un
siècle… Robert me dépose devant l’entrée de son agence de locations,
711
t l’entrée de son agence de locations, dans l’une
des
rues principales. Le bureau donne sur le trottoir par trois portes gr
712
e est en pierres blanches, ornée de colonnes et d’
un
fronton de temple grec. Je compte beaucoup de barbes longues et boucl
713
ers Albany. À la sortie de la ville, il me montre
un
terrain d’aviation : — C’est moi qui ai fondé notre Air Club, il y a
714
s tout jeune. J’ai eu jusqu’à trente appareils et
une
école de pilotage. Mais, coup sur coup, quatre accidents mortels en u
715
Mais, coup sur coup, quatre accidents mortels en
une
semaine… C’était le moment du grand krach, en 1929. Tout s’écroulait.
716
n, après la guerre, j’espère m’acheter de nouveau
un
petit avion. Ce sera plus commode pour les week-ends, surtout que mad
717
re l’auto… J’essaie en vain de comparer Cohoes à
une
ville du même nombre d’habitants chez nous ; de comparer Robert à un
718
mbre d’habitants chez nous ; de comparer Robert à
un
Robert d’Europe, de même niveau social et de même éducation. Nous ne
719
sens du risque et de la vitesse. Nous avons bien
des
fanatiques de l’aviation, mais ce ne sont pas des agents de location,
720
des fanatiques de l’aviation, mais ce ne sont pas
des
agents de location, d’autre part amateurs de golf, de géraniums et de
721
de géraniums et de week-ends paisibles au bord d’
un
lac. Mais il ne serait guère plus facile de comparer cette vie, cette
722
même et qu’elle s’efforce d’imiter. Souvenir d’
un
orage en Virginie Grands plateaux onduleux et livrés aux chevaux,
723
eux et livrés aux chevaux, jusqu’à l’horizon bleu
des
Appalaches. Pendant que nous roulons sur une route de campagne, au cr
724
bleu des Appalaches. Pendant que nous roulons sur
une
route de campagne, au creux des haies, le ciel se couvre. « C’est là-
725
nous roulons sur une route de campagne, au creux
des
haies, le ciel se couvre. « C’est là-haut, me dit-on, à mi-pente des
726
se couvre. « C’est là-haut, me dit-on, à mi-pente
des
coteaux. » On ne distingue pas encore cette maison célèbre, cachée da
727
aison célèbre, cachée dans les bosquets au bout d’
une
longue allée qui monte entre des barrières blanches. — Et vous verrez
728
squets au bout d’une longue allée qui monte entre
des
barrières blanches. — Et vous verrez ce qu’elle en a fait ! C’est sa
729
vraiment que ses chevaux… L’auto s’arrête devant
un
haut portique. Deux colonnes blanches entre des ifs géants, comme des
730
nt un haut portique. Deux colonnes blanches entre
des
ifs géants, comme des ailes noires. Je n’en ai jamais vu d’aussi gran
731
eux colonnes blanches entre des ifs géants, comme
des
ailes noires. Je n’en ai jamais vu d’aussi grands, ils montent jusqu’
732
ils montent jusqu’aux fenêtres du deuxième étage.
Une
odeur écœurante vient de la porte dont un battant s’entrouvre devant
733
étage. Une odeur écœurante vient de la porte dont
un
battant s’entrouvre devant nous. Trois grands longs chiens sortent, l
734
t, le museau bas, et l’un vient vomir à nos pieds
des
morceaux de cire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’une cr
735
omir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés.
Une
servante les poursuit armée d’une cravache. Elle crie qu’ils viennent
736
ire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’
une
cravache. Elle crie qu’ils viennent encore de manger les bougies du c
737
bougies du carrosse de George Washington. (C’est
une
pièce de musée que nous allons voir, remisée sous la colonnade des éc
738
e que nous allons voir, remisée sous la colonnade
des
écuries.) Nous pénétrons dans un vestibule sombre. La maîtresse de ma
739
us la colonnade des écuries.) Nous pénétrons dans
un
vestibule sombre. La maîtresse de maison est sortie à cheval. Promeno
740
à cheval. Promenons-nous en l’attendant. L’odeur
des
chiens imprègne les corridors. Dans un fumoir, à droite, en contrebas
741
. L’odeur des chiens imprègne les corridors. Dans
un
fumoir, à droite, en contrebas, deux hommes en veste de chasse et deu
742
chasse et deux jeunes femmes très blondes boivent
des
whiskys, sans se déranger. Nous traversons toute la maison, puis une
743
e déranger. Nous traversons toute la maison, puis
une
large galerie ouverte, encombrée de vieux meubles et de pièces de boi
744
stalles d’églises, aigles de lutrin. De nouveau,
des
ifs non taillés sur un pré d’un vert sombre enclos de murs. Du lierre
745
es de lutrin. De nouveau, des ifs non taillés sur
un
pré d’un vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des
746
rin. De nouveau, des ifs non taillés sur un pré d’
un
vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des statues
747
mbre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là,
des
statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un
748
s et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’
un
socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée des écuries
749
isé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée
des
écuries. Celles-ci se déploient en demi-cercle, ornées d’une colonnad
750
. Celles-ci se déploient en demi-cercle, ornées d’
une
colonnade et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme
751
oient en demi-cercle, ornées d’une colonnade et d’
un
clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voici le
752
et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’
un
énorme cadran. Voici le carrosse de Washington, à l’abandon. La peint
753
lonnes blanches et ces ifs dramatiques, on domine
un
paysage de pluies lointaines et de prairies dorées. Soudain, un coup
754
pluies lointaines et de prairies dorées. Soudain,
un
coup de vent violent a jeté contre la façade et nos visages un tourbi
755
nt violent a jeté contre la façade et nos visages
un
tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques. Entrée de l’au
756
ées dans les branchages — nous arrivons au coin d’
un
bâtiment de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici et s’ouvrent
757
te douce. Très loin, en silhouette sur la crête d’
une
colline, nous voyons deux chevaux au galop. Ils disparaissent dans un
758
ons deux chevaux au galop. Ils disparaissent dans
un
vallonnement et maintenant remontent vers nous sans ralentir. Une fem
759
et maintenant remontent vers nous sans ralentir.
Une
femme en jaune, suivie d’un homme. Comme ils s’approchent, on voit qu
760
nous sans ralentir. Une femme en jaune, suivie d’
un
homme. Comme ils s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’une m
761
ls s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’
une
main, et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en galop
762
bride d’une main, et de l’autre porte à sa bouche
une
pomme qu’elle mord en galopant. Nouveaux éclairs. Tous les chiens du
763
eval, le portail cède et lui livre passage. C’est
une
grande femme bottée, sauvage et belle, qui mord une pomme, et son tor
764
e grande femme bottée, sauvage et belle, qui mord
une
pomme, et son torse paraît nu dans un fin sweater jaune. Elle rit, je
765
, qui mord une pomme, et son torse paraît nu dans
un
fin sweater jaune. Elle rit, jette la pomme et nous salue de la main.
766
l, nous considère avec hostilité. Il a les yeux d’
un
bleu très pâle et dur. Il n’a pas salué. Son silence nous supprime. C
767
sparaît dans le tunnel de la charmille, tandis qu’
une
meute de chiens de toutes les tailles s’élance sur ses traces en aboy
768
les s’élance sur ses traces en aboyant. Au fond d’
une
pièce vaste et noire, une petite lampe fait une flaque rose. « Je ne
769
s en aboyant. Au fond d’une pièce vaste et noire,
une
petite lampe fait une flaque rose. « Je ne trouve pas les prises ! ex
770
d’une pièce vaste et noire, une petite lampe fait
une
flaque rose. « Je ne trouve pas les prises ! explique-t-elle, je ne m
771
mets jamais les pieds dans ce dégoûtant salon ! »
Des
éclairs illuminent longuement les meubles lourds, une bibliothèque, d
772
éclairs illuminent longuement les meubles lourds,
une
bibliothèque, des boiseries. Le lustre, enfin, s’allume par degrés. E
773
longuement les meubles lourds, une bibliothèque,
des
boiseries. Le lustre, enfin, s’allume par degrés. Elle court aux fenê
774
rés. Elle court aux fenêtres et ferme avec fracas
des
volets intérieurs, en chêne clair, puis elle tire encore les rideaux.
775
baissent, remontent… Paraît dans la porte du fond
un
homme en veste de chasse, qui tient des verres de whisky à la main. D
776
te du fond un homme en veste de chasse, qui tient
des
verres de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent et vont s’ass
777
in. Deux femmes blondes entrent et vont s’asseoir
un
peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On
778
vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe.
Un
autre homme apporte un plateau. On le renvoie chercher des verres et
779
à l’écart de notre groupe. Un autre homme apporte
un
plateau. On le renvoie chercher des verres et des bouteilles. Qui son
780
homme apporte un plateau. On le renvoie chercher
des
verres et des bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : — Je ne le
781
un plateau. On le renvoie chercher des verres et
des
bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : — Je ne le sais pas plus
782
ne sais pas. Il est parti. Jim était l’intendant,
une
sorte de géant toujours en bottes qu’elle emmenait partout avec elle.
783
cier du jeune homme silencieux de tout à l’heure.
Des
chiens se glissent entre les meubles, humides et tremblants. « Mais j
784
pourquoi je prendrai les routes d’Amérique comme
un
symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l
785
volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère
des
pionniers, l’ère des défricheurs de savanes qui firent reculer la fro
786
onde. On croyait close l’ère des pionniers, l’ère
des
défricheurs de savanes qui firent reculer la frontière de décade en d
787
e, pour peu que la pression baisse à Wall Street.
Un
grand malaise étreignait l’âme américaine, prise de nausée dès qu’ell
788
prise de nausée dès qu’elle ressent l’approche d’
une
limite infranchissable. Où s’élancer encore ? Comment sortir de cet e
789
e richesses matérielles ? Il restait à construire
des
routes. Depuis dix ans, les autostrades américaines allongent sans ré
790
épit leur ruban de béton, semblables à la trace d’
un
grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des terr
791
s à la trace d’un grand fer à repasser au travers
des
savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantes
792
d’un grand fer à repasser au travers des savanes,
des
cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursu
793
repasser au travers des savanes, des cultures et
des
territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursuit en silence à
794
réaliser. Les autostrades américaines ne sont pas
une
réclame politique, ni même un expédient pour lutter contre le chômage
795
caines ne sont pas une réclame politique, ni même
un
expédient pour lutter contre le chômage. Elles sont le produit du rêv
796
e produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’
un
peuple libre, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un specta
797
re, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin
un
spectacle émouvant qui n’effraye pas, mais au contraire atteste une f
798
vant qui n’effraye pas, mais au contraire atteste
une
force paisible et utile. Trois pistes parallèles dans chaque sens, sé
799
pistes parallèles dans chaque sens, séparées par
une
large bande gazonnée où l’on s’est ingénié à conserver, ici ou là, un
800
née où l’on s’est ingénié à conserver, ici ou là,
un
grand arbre isolé, témoin de la prairie. Trois pistes blanches délimi
801
la prairie. Trois pistes blanches délimitées par
des
lignes jaunes et noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de
802
he à droite, entre cent et cent-trente à l’heure,
des
millions de larges voitures. Une telle aisance dans la vitesse, l’abs
803
rente à l’heure, des millions de larges voitures.
Une
telle aisance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’obstacles,
804
vous donne, après quelques minutes, l’illusion d’
une
puissance immobile qui vaincrait la distance par le charme, attirant
805
es à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’
une
curiosité rêveuse. Mais, soudain, le regard est pris par un panneau r
806
té rêveuse. Mais, soudain, le regard est pris par
un
panneau rutilant sur la droite, puis mitraillé à bout portant par cen
807
es phrases fragmentées s’échelonnent tout au long
des
superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie !… Gardez votre
808
elonnent tout au long des superhighways. « Perdez
une
minute, épargnez une vie !… Gardez votre droite… Dépassez à gauche… A
809
des superhighways. « Perdez une minute, épargnez
une
vie !… Gardez votre droite… Dépassez à gauche… Avez-vous pensé à l’an
810
nsé à l’anniversaire de votre femme ?… Donnez-lui
un
aspirateur Smith… Des bonbons Johnson… Ici, trois tués par jour… Lise
811
de votre femme ?… Donnez-lui un aspirateur Smith…
Des
bonbons Johnson… Ici, trois tués par jour… Lisez la Bible… Cabines de
812
ent yards… Ferryboat du Delaware en grève… Faites
un
détour par Philadelphie… Et arrêtez-vous à l’hôtel Franklin… Ralentis
813
on de daims… Les partis se réconcilient… autour d’
un
verre de champagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’huile
814
à cinquante miles… cinq-cents dollars d’amende ou
un
an de prison… ou les deux ensemble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je fer
815
Je ferme les yeux et j’écoute le grondement sourd
des
pneus qui mordent le béton. En cinq heures, nous aurons couvert les q
816
ricain, les routes de la vitesse lui créent enfin
des
cadres. Quand la surface sera suffisamment organisée, vers quoi se to
817
ses elles-mêmes comprendront-elles qu’il n’est qu’
un
seul infini véritable : celui que chacun porte en soi, celui de l’âme
818
9)e Nécessité et urgence de l’union Quand
un
Américain déclare que votre idée est généreuse, c’est qu’il est ému :
819
se, c’est qu’il est ému : il va vous aider. Quand
un
Européen vous dit : l’Europe unie, oui, c’est une belle idée, une idé
820
un Européen vous dit : l’Europe unie, oui, c’est
une
belle idée, une idée généreuse…, c’est qu’il n’a pas envie d’y croire
821
s dit : l’Europe unie, oui, c’est une belle idée,
une
idée généreuse…, c’est qu’il n’a pas envie d’y croire, qu’il ne fera
822
’il est sérieux et que vous rêvez. C’est ainsi qu’
une
certaine bourgeoisie occidentale, politiquement analphabète dans ses
823
s. Il s’agit en réalité de la vie ou de la mort d’
une
civilisation. Fédérer nos petits peuples in extremis est notre seule
824
n vain ce qu’il peut y avoir de « généreux » dans
une
opération de ce genre. Qu’il suffise de rappeler les données qui en d
825
git de poser les bases de la paix ou de s’assurer
des
bases pour faire la guerre, mais il reste évident que si les deux Gra
826
e déclarer la paix sur ce ton-là, cela finira par
des
coups. Une seule puissance pourrait les séparer et les forcer au comp
827
la paix sur ce ton-là, cela finira par des coups.
Une
seule puissance pourrait les séparer et les forcer au compromis, je v
828
la paix, c’est l’Europe. Mais l’Europe n’est plus
une
puissance, parce qu’elle est divisée en vingt nations dont aucune, is
829
nds empires. Et non seulement l’Europe n’est plus
une
puissance qui pourrait exiger la paix, mais chacune des nations qui l
830
issance qui pourrait exiger la paix, mais chacune
des
nations qui la composent se voit menacée d’annexion politique ou de c
831
: Aucun de nos pays ne peut prétendre, seul, à
une
défense sérieuse de son indépendance. Aucun de nos pays ne peut résou
832
on doit tirer de cette double constatation sont d’
une
tragique simplicité. Si les choses continuent comme elles vont : 1° l
833
uestion allemande ne sera pas réglée, fournissant
un
prétexte permanent à la guerre entre les deux Grands ; 3° rien ne pou
834
re, dont quel que soit le vainqueur — s’il en est
un
— c’est l’humanité tout entière qui sortira vaincue. Si nous voulons
835
-dire cette troisième puissance capable d’imposer
un
compromis, de l’inventer pour les deux autres. Que si l’on me dit alo
836
enir en respect les deux Grands, je répondrai par
un
seul chiffre : la population de l’Europe occidentale, à l’ouest du ri
837
soit qu’ils menacent de porter tout leur poids d’
un
seul côté, ils seraient en mesure d’agir, de faire réfléchir l’agress
838
as les staliniens, ou pas comme cela) : « Je veux
une
Europe désunie… » En revanche, beaucoup pensent : « Tout cela est bel
839
utile ? » La paix, l’Europe unie, d’accord, c’est
un
beau rêve. En attendant, voici le cauchemar. Déjà les maréchaux s’ins
840
ut Sully, qu’aime à citer Churchill : il rêvait d’
une
coalition. Il y eut Montesquieu, premier critique du nationalisme nai
841
ut, qui écrivait : « Le xxe siècle ouvrira l’ère
des
fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans. »
842
l’ère des fédérations, ou l’humanité recommencera
un
purgatoire de mille ans. » C’était vers 1860. Mais ces rêves et ces p
843
rêves et ces prophéties ne pouvaient concerner qu’
un
avenir incertain, au milieu du xixe siècle, quand la réalité politiq
844
nd la réalité politique de l’Europe était l’essor
des
grands nationalismes. Il y eut enfin, après la Première Guerre mondia
845
nd, qui prêta sa grande voix traînarde à l’idée d’
une
union continentale. Mais ces premières ferveurs devaient bientôt se p
846
aient bientôt se perdre dans la rumeur polyglotte
des
couloirs de la SDN. On en était aux constructions diplomatiques. Elle
847
les s’écroulèrent à la première épreuve. Aux yeux
des
jeunes gens de l’époque, il fallait quelque chose de plus profond, de
848
pour leurs revues. Ces dernières n’étaient pas d’
une
lecture très facile. On y parlait beaucoup de l’engagement — un mot q
849
s facile. On y parlait beaucoup de l’engagement —
un
mot qui a fait fortune depuis dans d’autres bouches. On y faisait sur
850
t sociales, et c’est ainsi que l’on aboutissait à
un
programme communautaire, fédéraliste, anticapitaliste mais antiétatiq
851
ndiale et l’occupation de l’Europe. On put croire
un
moment que tout notre travail allait être effacé pour toujours. C’éta
852
ous, en dépit de toutes les censures. Et l’idée d’
un
avenir fédéraliste de l’Europe devenait, pour beaucoup, le symbole de
853
s l’année 1945, on vit surgir dans toute l’Europe
un
pullulement de petits groupes fédéralistes. On y retrouvait toutes le
854
Dès 1946, ce fut chose faite : l’Union européenne
des
fédéralistes se constituait et pouvait convoquer pour le mois d’août
855
remier congrès. Qu’étions-nous à l’époque, il y a
un
an et demi ? Cent-cinquante à deux-cents délégués venus d’une dizaine
856
mi ? Cent-cinquante à deux-cents délégués venus d’
une
dizaine de pays, et représentant une cinquantaine d’associations de t
857
gués venus d’une dizaine de pays, et représentant
une
cinquantaine d’associations de toutes les tailles, dont plusieurs n’é
858
es les tailles, dont plusieurs n’étaient guère qu’
un
nom abstrait, touchant ou ambitieux, comme par exemple : Comité inter
859
: Comité international d’amitié, ou Front humain
des
citoyens du Monde… Nous nous sentions entourés à la fois de sympathie
860
ons entourés à la fois de sympathies faciles et d’
un
scepticisme profond. Devant la tâche urgente, mais qui pouvait paraît
861
-dire de mettre sur pied, contre vents et marées,
des
institutions continentales et de les faire admettre par les États, no
862
es faire admettre par les États, nous n’étions qu’
une
poignée d’hommes de bonne volonté, remarquablement dépourvus de moyen
863
onvoquant, pour le printemps de l’année suivante,
des
états généraux de l’Europe. Sur-le-champ, des accords furent esquissé
864
te, des états généraux de l’Europe. Sur-le-champ,
des
accords furent esquissés avec les représentants d’autres mouvements v
865
urchill, avait également l’intention de convoquer
un
« Congrès de l’Europe ». Il ne s’agissait pas, dans son esprit, d’une
866
urope ». Il ne s’agissait pas, dans son esprit, d’
une
entreprise « fédéraliste » au sens précis, mais plutôt d’une action d
867
ise « fédéraliste » au sens précis, mais plutôt d’
une
action de propagande destinée à faciliter cette « union » des États d
868
e propagande destinée à faciliter cette « union »
des
États de l’Europe que Churchill avait réclamée dans son grand discour
869
sortir le congrès de La Haye. Dès l’automne 1947,
un
Comité de coordination des mouvements pour l’union de l’Europe dressa
870
ye. Dès l’automne 1947, un Comité de coordination
des
mouvements pour l’union de l’Europe dressait les plans de travail pou
871
quatre organisations suivantes : Union européenne
des
fédéralistes (présidents H. Brugmans et Ignazio Silone) ; United Euro
872
États-Unis d’Europe. Le 7 mai 1948, dans la Salle
des
chevaliers du Parlement néerlandais, s’ouvrait le Congrès de l’Europe
873
is-ci plus de huit-cents délégués, parmi lesquels
des
ex-Premiers ministres tels que Churchill, Ramadier, Reynaud et van Ze
874
ux-cents députés aux divers parlements européens,
des
syndicalistes et des grands patrons, des socialistes et des conservat
875
divers parlements européens, des syndicalistes et
des
grands patrons, des socialistes et des conservateurs, des juristes et
876
ropéens, des syndicalistes et des grands patrons,
des
socialistes et des conservateurs, des juristes et des écrivains, des
877
alistes et des grands patrons, des socialistes et
des
conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et des
878
ds patrons, des socialistes et des conservateurs,
des
juristes et des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que
879
socialistes et des conservateurs, des juristes et
des
écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux repr
880
des conservateurs, des juristes et des écrivains,
des
professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux représentants des m
881
des juristes et des écrivains, des professeurs et
des
évêques, ainsi que de nombreux représentants des mouvements féminins
882
des évêques, ainsi que de nombreux représentants
des
mouvements féminins et universitaires. Trois résolutions furent votée
883
révoyait, comme prochaine étape, la convocation d’
une
Assemblée européenne, dont les membres seraient élus « dans leur sein
884
dans leur sein ou au-dehors » par les parlements
des
nations participantes. Ce projet fut mis au point très rapidement, au
885
iaire de M. Bidault, il fut présenté à la réunion
des
ministres des Affaires étrangères des cinq pays signataires du pacte
886
dault, il fut présenté à la réunion des ministres
des
Affaires étrangères des cinq pays signataires du pacte de Bruxelles.
887
la réunion des ministres des Affaires étrangères
des
cinq pays signataires du pacte de Bruxelles. Le 18 août notre Mémoran
888
belge. Quelques semaines plus tard, à la suite d’
une
décision des Cinq et sur la demande réitérée de nos mouvements, une c
889
ues semaines plus tard, à la suite d’une décision
des
Cinq et sur la demande réitérée de nos mouvements, une conférence res
890
inq et sur la demande réitérée de nos mouvements,
une
conférence restreinte de dix-huit ministres et experts était convoqué
891
uée à Paris, aux fins d’étudier la constitution d’
un
Parlement et d’un Conseil des ministres européens. Le 28 janvier 1949
892
ins d’étudier la constitution d’un Parlement et d’
un
Conseil des ministres européens. Le 28 janvier 1949, la conférence ab
893
er la constitution d’un Parlement et d’un Conseil
des
ministres européens. Le 28 janvier 1949, la conférence aboutissait à
894
cord, et pouvait annoncer la création prochaine d’
un
Conseil de l’Europe, comprenant d’une part un Comité de ministres, d’
895
e d’un Conseil de l’Europe, comprenant d’une part
un
Comité de ministres, d’autre part un Corps consultatif, dont les attr
896
t d’une part un Comité de ministres, d’autre part
un
Corps consultatif, dont les attributions restaient à définir. Parallè
897
nos mouvements et leur liaison, l’étude juridique
des
institutions à créer, la formation d’un Centre européen de la culture
898
uridique des institutions à créer, la formation d’
un
Centre européen de la culture et de nombreux travaux économiques. Au
899
es. Au début de novembre 1948, l’Union européenne
des
fédéralistes réunissait à Rome son deuxième congrès annuel. À Montreu
900
el. À Montreux, nous avions tenu nos séances dans
une
modeste salle d’hôtel. À Rome, on nous offrit le palais de Venise et
901
ut inauguré en présence de tous les ministres par
un
discours du président de la République, lui-même fédéraliste convainc
902
déraliste convaincu. Le comte Sforza vint à l’une
des
séances nous parler comme un militant : « On n’ose plus nous appeler
903
Sforza vint à l’une des séances nous parler comme
un
militant : « On n’ose plus nous appeler des utopistes et des rêveurs
904
comme un militant : « On n’ose plus nous appeler
des
utopistes et des rêveurs ! s’écria-t-il. En réalité, vous êtes, nous
905
t : « On n’ose plus nous appeler des utopistes et
des
rêveurs ! s’écria-t-il. En réalité, vous êtes, nous sommes, la vérité
906
ant le congrès de Rome, le Comité de coordination
des
groupements militant pour l’union de l’Europe avait pris le nom de Mo
907
ccinct permet donc de répondre : nous avons lancé
un
mouvement, nous avons conjugué les efforts entrepris de tous côtés pa
908
conjugué les efforts entrepris de tous côtés par
des
tendances diverses, et nous sommes parvenus, plus rapidement que nous
909
cipaux gouvernements européens. Ce qui n’était qu’
un
rêve il y a un siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’une espér
910
ments européens. Ce qui n’était qu’un rêve il y a
un
siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’une espérance pendant la
911
s. Ce qui n’était qu’un rêve il y a un siècle, qu’
une
théorie il y a quinze ans, qu’une espérance pendant la guerre, est au
912
a un siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’
une
espérance pendant la guerre, est aujourd’hui discuté par la presse, l
913
puyé par la propagande ou les travaux spécialisés
des
six mouvements qui le composent, va se porter au cours des mois proch
914
ouvements qui le composent, va se porter au cours
des
mois prochains sur quatre points : Assemblée, Cour des droits de l’ho
915
ois prochains sur quatre points : Assemblée, Cour
des
droits de l’homme, mesures économiques, Centre de la culture. Décrivo
916
stes ayant fait triompher à La Haye le principe d’
une
représentation aussi large que possible non seulement des parlements
917
ésentation aussi large que possible non seulement
des
parlements (partis politiques), mais aussi des « forces vives » de ch
918
nt des parlements (partis politiques), mais aussi
des
« forces vives » de chaque nation (syndicats, religions, universités,
919
e que la presse nomme aujourd’hui, en simplifiant
un
peu, la position française. Je la nommerais plutôt la position fédéra
920
a seule contraindre les États à s’incliner devant
un
pouvoir fédéral, mettant un terme au règne féodal des souverainetés n
921
s à s’incliner devant un pouvoir fédéral, mettant
un
terme au règne féodal des souverainetés nationales absolues. La posit
922
pouvoir fédéral, mettant un terme au règne féodal
des
souverainetés nationales absolues. La position dite britannique (en f
923
éduire l’Assemblée au rôle purement consultatif d’
un
petit Congrès d’experts nommés par les gouvernements. Tout le pouvoir
924
reviendrait aux ministres. Essayons de comprendre
une
attitude qui risque de se confondre, aux yeux de nos militants, avec
925
de se confondre, aux yeux de nos militants, avec
une
volonté sournoise de sabotage. Les Britanniques respectent leur gouve
926
, tout naturellement, que l’Europe sera faite par
des
ministres. Et cela ne va pas à une fédération, mais à quelques mesure
927
sera faite par des ministres. Et cela ne va pas à
une
fédération, mais à quelques mesures empiriques (ils disent : pratique
928
ais. Nous leur disons : « Vous ne pouvez franchir
un
abîme pas à pas, il faut sauter. » Le saut, dans ce cas, consistera à
929
ps consultatif » en Assemblée constituante. Cour
des
droits de l’homme. — On sait qu’une Charte des droits de l’homme vien
930
tuante. Cour des droits de l’homme. — On sait qu’
une
Charte des droits de l’homme vient d’être adoptée par l’ONU. Elle res
931
ur des droits de l’homme. — On sait qu’une Charte
des
droits de l’homme vient d’être adoptée par l’ONU. Elle restera malheu
932
ats resteront souverains. Car c’est la protection
des
droits de la personne et des droits des minorités contre l’État qu’il
933
c’est la protection des droits de la personne et
des
droits des minorités contre l’État qu’il s’agit de sauvegarder aujour
934
rotection des droits de la personne et des droits
des
minorités contre l’État qu’il s’agit de sauvegarder aujourd’hui. Et c
935
rder aujourd’hui. Et cela suppose l’institution d’
une
Cour suprême, c’est-à-dire d’une instance supérieure aux États, dotée
936
l’institution d’une Cour suprême, c’est-à-dire d’
une
instance supérieure aux États, dotée des pouvoirs nécessaires pour en
937
à-dire d’une instance supérieure aux États, dotée
des
pouvoirs nécessaires pour enquêter sur leur territoire et pour faire
938
on entre les États membres de l’union européenne,
une
Cour des droits de l’homme et une Commission d’enquête indépendante d
939
les États membres de l’union européenne, une Cour
des
droits de l’homme et une Commission d’enquête indépendante des gouver
940
ion européenne, une Cour des droits de l’homme et
une
Commission d’enquête indépendante des gouvernements. Ces deux organes
941
l’homme et une Commission d’enquête indépendante
des
gouvernements. Ces deux organes formeraient le noyau d’un véritable p
942
rnements. Ces deux organes formeraient le noyau d’
un
véritable pouvoir fédéral. Il me paraît clair qu’ils impliquent la cr
943
l me paraît clair qu’ils impliquent la création d’
une
force de police fédérale. Car enfin, de quoi s’agit-il, sinon de crée
944
ale. Car enfin, de quoi s’agit-il, sinon de créer
un
tribunal devant lequel puisse être déféré, le cas échéant, tout État
945
olu les grands problèmes économiques. Nous sommes
un
certain nombre à penser qu’au contraire, la plupart des problèmes éco
946
plans politiques n’auront pas abouti. La sagesse
des
experts, dans chacun de nos pays, se réduit au conseil classique : au
947
e exportation devient importation chez le voisin.
Une
conférence d’économistes européens, convoquée pour le mois d’avril à
948
avril à Westminster, essaiera de dépasser le plan
des
absurdités officielles. Parmi les mesures que défendent la plupart de
949
fédéralistes, signalons l’abaissement progressif
des
barrières douanières, l’instauration d’une monnaie européenne, la cré
950
ressif des barrières douanières, l’instauration d’
une
monnaie européenne, la création d’une régie fédérale des houillères (
951
tauration d’une monnaie européenne, la création d’
une
régie fédérale des houillères (solution du problème de la Ruhr). On d
952
naie européenne, la création d’une régie fédérale
des
houillères (solution du problème de la Ruhr). On doit attendre avec c
953
uhr). On doit attendre avec curiosité le résultat
des
discussions de notre section économique, si l’on songe qu’elle a pu r
954
e qu’elle a pu réunir, sous le signe de l’Europe,
des
hommes aussi divers que le dirigiste André Philip, le libéral Giscard
955
lettre morte, s’il n’existait, en deçà et au-delà
des
divisions qu’il nous faut surmonter, une entité européenne bien vivan
956
au-delà des divisions qu’il nous faut surmonter,
une
entité européenne bien vivante, un sentiment commun auquel il soit po
957
ut surmonter, une entité européenne bien vivante,
un
sentiment commun auquel il soit possible de faire appel dès maintenan
958
l il soit possible de faire appel dès maintenant,
une
civilisation occidentale. Réveiller, exprimer, informer cette conscie
959
ngrès de La Haye a réclamé l’institution rapide d’
un
Centre européen de la culture, capable de « donner une voix à la cons
960
entre européen de la culture, capable de « donner
une
voix à la conscience de l’Europe et des peuples qui lui sont associés
961
« donner une voix à la conscience de l’Europe et
des
peuples qui lui sont associés ». Il ne s’agit nullement de fomenter o
962
en, mais au contraire de restaurer le rayonnement
des
valeurs que l’Europe, malgré tout, illustre encore aux yeux du monde
963
tout, illustre encore aux yeux du monde entier :
une
certaine conception de la personne humaine et de ses libertés fondame
964
damentales, antérieures et supérieures à l’État ;
un
certain refus de l’uniformité, un certain sens du dialogue permanent,
965
ures à l’État ; un certain refus de l’uniformité,
un
certain sens du dialogue permanent, condition de notre liberté ; une
966
dialogue permanent, condition de notre liberté ;
une
manière de « chercher à comprendre » qui est notre forme intime de ré
967
… De tous côtés surgissent, dans nos divers pays,
des
instituts qui veulent travailler pour l’Europe. Coordonner toutes ces
968
Coordonner toutes ces initiatives dans le cadre d’
un
grand mouvement qui leur donnera le moyen de concourir à l’édificatio
969
r donnera le moyen de concourir à l’édification d’
un
ordre libre ; former une opinion européenne ; offrir un lieu de renco
970
ncourir à l’édification d’un ordre libre ; former
une
opinion européenne ; offrir un lieu de rencontres à nos meilleurs esp
971
re libre ; former une opinion européenne ; offrir
un
lieu de rencontres à nos meilleurs esprits, ce sont là quelques-unes
972
à nos meilleurs esprits, ce sont là quelques-unes
des
ambitions du Centre européen de la culture qui s’ouvrira bientôt en S
973
⁂ Il n’est point d’ordre économique possible sans
une
volonté préalable de mise en ordre politique. Il n’est point d’ordre
974
rve l’homme, s’il n’est orienté dès le départ par
une
vision libératrice et fascinante. L’Europe se fera, en dépit des expe
975
toujours que c’est Dewey qui sera élu), parce qu’
une
équipe de véritables résistants — ceux qui résistent à la fatalité —
976
guide, éclairant le chemin sous leurs pas, cache
une
réalité finale qui les surprenne. Christophe Colomb voyait les Indes,
977
l’Europe, redécouverte à la faveur de son union ?
Une
Europe rajeunie qui deviendrait soudain, pour nos yeux étonnés, la Te
978
onnière) qui groupe les déclarations fédéralistes
des
mouvements de la Résistance dans neuf pays. e. Rougemont Denis de,
979
it à Valmy : « De ce lieu, de ce jour, sera datée
une
ère nouvelle. » Mais ce jour-là, il est le seul à s’en douter. Cette
980
ès de deux-mille ans qu’on la connaît : la mort d’
un
Juif obscur, près de Jérusalem, a fait moins de bruit, en son temps,
981
nt pas allés. L’événement s’est donc vu noyé sous
un
déluge de clichés contradictoires. Assembleurs de nuées ou mesures te
982
c’est ce que personne ne sera capable de déduire
des
milliers de coupures de presse où figure le nom de Strasbourg. Une se
983
oupures de presse où figure le nom de Strasbourg.
Une
seule opinion générale se dégage de ce flot d’imprimés : et c’est que
984
serait demeurée indifférente. Ce paradoxe couvre
un
sophisme. Car les journaux ne sauraient décrire l’opinion sans la mod
985
par les oscillations que je viens de rappeler, d’
un
bout à l’autre du champ des clichés. ⁂ La réunion de cent-un députés,
986
e viens de rappeler, d’un bout à l’autre du champ
des
clichés. ⁂ La réunion de cent-un députés, régulièrement élus par les
987
années par les mouvements fédéralistes, et depuis
un
an par le Mouvement européen. Mais cet aboutissement spectaculaire de
988
révoir que la première session serait consacrée à
des
questions de procédure, car les statuts du Conseil de l’Europe étaien
989
tonomie. Avant d’agir, il fallait mettre en place
un
dispositif de combat, tout d’abord obtenir que le Comité des ministre
990
tif de combat, tout d’abord obtenir que le Comité
des
ministres ne dicte pas l’ordre du jour de l’Assemblée ; constituer de
991
e pas l’ordre du jour de l’Assemblée ; constituer
des
commissions permanentes ; délimiter une majorité et une opposition ;
992
onstituer des commissions permanentes ; délimiter
une
majorité et une opposition ; bref, roder la machine et vérifier le je
993
mmissions permanentes ; délimiter une majorité et
une
opposition ; bref, roder la machine et vérifier le jeu des commandes.
994
ition ; bref, roder la machine et vérifier le jeu
des
commandes. De fait, une semaine a suffi pour réussir ces différentes
995
achine et vérifier le jeu des commandes. De fait,
une
semaine a suffi pour réussir ces différentes opérations, et même pour
996
la jeune Assemblée. Le premier eût consisté dans
un
clivage vertical, par délégations nationales. Le règlement l’a préven
997
ent individuellement. Et l’on n’a pas remarqué qu’
un
mot d’ordre national — s’il en fut jamais donné — ait été suivi même
998
éviter le danger « national » risquait d’en créer
un
nouveau : le clivage horizontal de l’Assemblée selon les affinités de
999
age horizontal de l’Assemblée selon les affinités
des
partis, par-dessus les frontières. Là encore, l’attitude très particu
1000
ontières. Là encore, l’attitude très particulière
des
Britanniques a fait échouer la première coalition partisane qui se de
1001
listes continentaux ne sont pas parvenus à former
un
front uni des gauches, sur le plan de l’Europe. Dès les premières int
1002
entaux ne sont pas parvenus à former un front uni
des
gauches, sur le plan de l’Europe. Dès les premières interventions sur
1003
mais bien le fédéralisme et l’unionisme, formant
une
gauche et une droite nouvelles, proprement européennes, et qui ne rec
1004
fédéralisme et l’unionisme, formant une gauche et
une
droite nouvelles, proprement européennes, et qui ne recouvrent pas le
1005
e, aux yeux de l’expérience d’autres époques et d’
une
sagesse bien éprouvée (dans tous les sens de l’adjectif), on ne nous
1006
ste parmi les députés européens sont attestés par
un
fait capital : la Commission des affaires générales, élue par l’Assem
1007
sont attestés par un fait capital : la Commission
des
affaires générales, élue par l’Assemblée dès le 20 août, s’est engagé
1008
s’est engagée sans le moindre délai, dans l’étude
des
structures politiques nécessaires à l’union de l’Europe. C’est dire q
1009
tion centrale posée par les fédéralistes, celle d’
un
gouvernement au-dessus des États, n’a pas pu être refoulée plus de di
1010
s fédéralistes, celle d’un gouvernement au-dessus
des
États, n’a pas pu être refoulée plus de dix jours, malgré les efforts
1011
e plus de dix jours, malgré les efforts conjugués
des
unionistes nordiques et des ministres, malgré les conseils de lenteur
1012
les efforts conjugués des unionistes nordiques et
des
ministres, malgré les conseils de lenteur, de sagesse, de prudence, e
1013
s sa prochaine session, l’Assemblée sera saisie d’
un
plan dont le président de la Commission, M. Bidault, peut déjà déclar
1014
ut déjà déclarer qu’il s’orientera nettement vers
une
fédération finale. Il est clair qu’une formule fédérale implique cert
1015
ement vers une fédération finale. Il est clair qu’
une
formule fédérale implique certaines limitations précises des souverai
1016
fédérale implique certaines limitations précises
des
souverainetés nationales. (Et pour ma part, je m’explique mal comment
1017
rainetés.) Mais au lieu de discuter sur l’abandon
des
privilèges féodaux des États, l’Assemblée, fort sagement, s’est tourn
1018
de discuter sur l’abandon des privilèges féodaux
des
États, l’Assemblée, fort sagement, s’est tournée vers les créations n
1019
insi au premier rang, c’est celui de la source et
des
fondements du pouvoir fédéral de demain. Dans les couloirs et les clu
1020
e former deux écoles. La première tient le Comité
des
ministres pour le germe du futur gouvernement de l’Europe. Car les mi
1021
ministres, observe-t-on, sont les seuls à détenir
un
pouvoir bien réel, dans le Conseil de l’Europe tel qu’il existe. Cert
1022
’irait-elle point créer, sur le plan de l’Europe,
un
danger pire que l’absence de pouvoir, une sorte de frein automatique,
1023
’Europe, un danger pire que l’absence de pouvoir,
une
sorte de frein automatique, un véritable anti-pouvoir, qu’il s’agirai
1024
sence de pouvoir, une sorte de frein automatique,
un
véritable anti-pouvoir, qu’il s’agirait alors de renverser pour établ
1025
établir l’union réelle ? La seconde école, celle
des
fédéralistes, tient que l’origine normale du pouvoir à créer réside d
1026
réside dans l’Assemblée elle-même, dont le Comité
des
ministres, élargi, devrait former la Chambre haute (Sénat ou Conseil
1027
et fédéral de l’Union. Sans préjuger de l’issue d’
un
tel débat, l’on peut voir dès maintenant dans le seul fait qu’il ait
1028
ant dans le seul fait qu’il ait lieu, la preuve d’
une
très rapide évolution. Les dirigeants de notre Mouvement européen n’o
1029
on capitale s’imposerait tout naturellement, dans
un
délai aussi réduit. Ils sont en droit de montrer quelque fierté, lors
1030
l’opposition du Comité ministériel la création d’
une
Cour européenne des droits de l’homme, pouvoir supérieur aux États. E
1031
ité ministériel la création d’une Cour européenne
des
droits de l’homme, pouvoir supérieur aux États. Elle a créé plusieurs
1032
permanentes pour étudier l’instauration rapide d’
une
autorité politique supranationale, d’un Conseil économique et social,
1033
rapide d’une autorité politique supranationale, d’
un
Conseil économique et social, d’un passeport européen, d’un Centre eu
1034
ranationale, d’un Conseil économique et social, d’
un
passeport européen, d’un Centre européen de la culture (déjà en voie
1035
économique et social, d’un passeport européen, d’
un
Centre européen de la culture (déjà en voie de formation à Genève). C
1036
’en étonnera pas, si l’on sait que les deux tiers
des
députés qui siégeaient à Strasbourg appartiennent à notre Mouvement e
1037
demandé si ces premiers succès laissaient encore
une
raison d’être suffisante au Mouvement européen, ou s’il devait passer
1038
n à l’Assemblée. C’est peut-être chanter victoire
un
peu trop tôt. Il reste encore à faire entrer dans la réalité le princ
1039
ce qui vient de se passer nourrit l’espoir. L’un
des
observateurs américains qui assistait aux travaux de l’Assemblée, et
1040
kee, et par la seule action, presque invisible, d’
un
très petit nombre d’hommes qui ont su voir juste… » Il venait de déco
1041
en partie problématiques, en partie définies par
des
caractères permanents. Elles apparaissent, surtout, liées de telle ma
1042
’Europe est de nature géographique : l’Europe est
une
presqu’île de l’Asie. Second caractère permanent : elle est nettement
1043
: elle est nettement divisée en compartiments par
des
chaînes de montagnes et des fleuves, nettement délimitée de trois côt
1044
en compartiments par des chaînes de montagnes et
des
fleuves, nettement délimitée de trois côtés par les mers et par l’Océ
1045
côtés par les mers et par l’Océan. Elle rappelle
une
Grèce agrandie. Mais voici le caractère problématique de cette presqu
1046
uée vers le nord, l’Europe s’ouvre vers l’est par
des
plaines indéfinies. Ce n’est pas un fait géographique qui marque ses
1047
rs l’est par des plaines indéfinies. Ce n’est pas
un
fait géographique qui marque ses limites vers l’Asie, mais seulement
1048
ui marque ses limites vers l’Asie, mais seulement
un
fait historique, un rapport de forces humaines. La frontière de l’Est
1049
s vers l’Asie, mais seulement un fait historique,
un
rapport de forces humaines. La frontière de l’Est sera donc toujours
1050
ns la grande mère, que la petite Europe, au cours
des
siècles, a pris conscience d’elle-même et de son unité. Marathon, Sal
1051
inelles. Enfin, au fait géographique du découpage
des
côtes par plusieurs mers, il faut rattacher les approches différentes
1052
es qu’a revêtues l’impérialisme européen au cours
des
âges. La part des déterminations physiques ainsi marquée, nous nous t
1053
’impérialisme européen au cours des âges. La part
des
déterminations physiques ainsi marquée, nous nous trouvons devant une
1054
hysiques ainsi marquée, nous nous trouvons devant
une
question nue et simple, sur laquelle notre génération doit concentrer
1055
ration doit concentrer sa réflexion vitale. C’est
un
fait que la péninsule Europe ne représente qu’à peine 5 % des terres
1056
la péninsule Europe ne représente qu’à peine 5 %
des
terres de la planète. D’où vient alors qu’elle ait dominé le monde en
1057
alors qu’elle ait dominé le monde entier pendant
des
siècles ? À l’origine de toute espèce de dynamisme, il y a une tensio
1058
À l’origine de toute espèce de dynamisme, il y a
une
tension. À l’origine de la puissance européenne, cas tout à fait exce
1059
ué du troupeau, et prenant mesure de lui-même par
une
rupture libératrice, mais aussi profanatrice, avec le sacré. Rome, c’
1060
itoyen, c’est-à-dire de l’individu réintégré dans
une
collectivité d’un nouveau genre, la civitas fondée non plus sur le sa
1061
e de l’individu réintégré dans une collectivité d’
un
nouveau genre, la civitas fondée non plus sur le sacré, mais sur la l
1062
ale dans la cité, donc de tout rapport de forces,
une
valeur absolue, non mesurable. À partir de ces trois pôles, il est po
1063
qui se sont dégagées peu à peu de ce complexe, d’
une
manière comparable à celle dont les grandes hérésies se sont définies
1064
es, Rome et Jérusalem, il y avait, dès le départ,
un
drame, ou plutôt trois drames entrecroisés, et leurs combinaisons, et
1065
uvons le grand secret de l’homme européen : c’est
un
homme dialectique, dialogique, ne pouvant espérer d’atteindre à l’équ
1066
vant espérer d’atteindre à l’équilibre qu’au prix
des
synthèses les plus difficiles, n’y parvenant que bien rarement, oblig
1067
resser ses déviations sans cesse renaissantes par
des
réactions toujours renouvelées, un homme donc condamné au choix perpé
1068
aissantes par des réactions toujours renouvelées,
un
homme donc condamné au choix perpétuel, et donc à la prise de conscie
1069
planète. Il ne pouvait faire autrement. Je parle
des
derniers mille ans. Mais comment expliquer que l’homme du ive siècle
1070
Jérusalem, n’ait cependant pas présenté certains
des
caractères les plus marquants de l’homme du xixe ou du xxe siècle ?
1071
de leurs combinaisons ? Il y a d’abord le temps.
Un
dialogue prend du temps. Le temps de contredire, puis parfois de comp
1072
contredire, puis parfois de comprendre, de faire
des
expériences et d’en tirer les conclusions. Au cours des temps, mille
1073
périences et d’en tirer les conclusions. Au cours
des
temps, mille vérités et mille erreurs, nées de nos trois éléments fon
1074
es, combinées et mariées, ont divorcé, ont conclu
des
alliances. Elles se sont combinées au sens chimique, et non pas seule
1075
rtains produits nouveaux ne sont apparus qu’après
des
siècles de macération. Trois idées, devenues de nos jours réalités ps
1076
omain. L’idée de révolution est inconcevable pour
un
Asiatique ou un Noir, s’ils n’ont pas eu de contact avec notre civili
1077
révolution est inconcevable pour un Asiatique ou
un
Noir, s’ils n’ont pas eu de contact avec notre civilisation. Car cett
1078
droit nouveau. De même, la passion en amour est
une
transposition de la conversion dans le plan des relations individuell
1079
t une transposition de la conversion dans le plan
des
relations individuelles, nous disons même individualistes. Elle n’app
1080
chrétienne, personnaliste, en la valeur infinie d’
un
individu élu, unique, irremplaçable. Là où cette croyance s’atténue,
1081
e, comme en Amérique (où l’on pense réellement qu’
un
homme en vaut un autre), on voit aussitôt la passion s’atténuer ou di
1082
que (où l’on pense réellement qu’un homme en vaut
un
autre), on voit aussitôt la passion s’atténuer ou disparaître. Enfin,
1083
u plus exactement paulinienne, mais combinée avec
des
notions grecques et romaines de mesure individuelle et d’organisation
1084
es nous font pressentir la nature et les causes d’
une
capacité spécifique de l’Européen : celle de transformer son milieu e
1085
térielles ou morales, sans se laisser arrêter par
des
constatations d’intérêt, de bon sens ou de réalisme. Volonté de consc
1086
inir la culture tout autrement : comme l’ensemble
des
disciplines intellectuelles, sociales, artistiques et religieuses d’u
1087
ectuelles, sociales, artistiques et religieuses d’
une
société donnée ; ou comme l’ensemble des procédés de création, et leu
1088
ieuses d’une société donnée ; ou comme l’ensemble
des
procédés de création, et leur transmission ; ou encore comme une pris
1089
création, et leur transmission ; ou encore comme
une
prise de conscience de la vie, comme une extension progressive de la
1090
re comme une prise de conscience de la vie, comme
une
extension progressive de la maîtrise de l’homme sur lui-même et le mo
1091
ciles ou trop difficiles. Je me contenterai ici d’
une
vue globale et d’une constatation simple mais décisive : la culture o
1092
les. Je me contenterai ici d’une vue globale et d’
une
constatation simple mais décisive : la culture occidentale, c’est ce
1093
e que ce qu’elle est physiquement, autre chose qu’
un
petit cap de l’Asie, pour reprendre le mot fameux de Valéry, — le cœu
1094
appel m’a paru nécessaire pour informer et guider
une
action. ⁂ Essayons de saisir maintenant ces deux réalités, l’Europe e
1095
it libérée dans ses ruines. Elle avait représenté
un
quart, puis un cinquième de la population du globe. Elle n’en sera da
1096
ofit de deux empires neufs qui menacent d’engager
une
guerre sur son sol et à ses dépens. Poussière de petits États, dont l
1097
ont les plus populeux ne sauraient plus prétendre
un
seul instant être à l’échelle des réalités modernes ; encombrée de fr
1098
t plus prétendre un seul instant être à l’échelle
des
réalités modernes ; encombrée de frontières intérieures ; épuisant sa
1099
pe n’offre plus aux empires américain et russe qu’
un
de ces vides dont l’Histoire n’a pas moins horreur que la Nature. De
1100
De plus, elle se voit amputée, pour le moment, d’
un
quart de sa population à l’Est, et de la péninsule ibérique à l’Ouest
1101
qu’en vertu de l’aide intelligente que lui donne
un
des deux empires neufs, aide qui doit fatalement se transformer en co
1102
’en vertu de l’aide intelligente que lui donne un
des
deux empires neufs, aide qui doit fatalement se transformer en contrô
1103
; tandis que l’autre empire dispose parmi nous d’
un
corps d’occupation anticipée. La crise économique est imminente. La c
1104
de et sans effets. À l’Est, nous voyons se former
une
véritable culture censoriale. Le critère politique est seul admis. Et
1105
politique est seul admis. Et l’on s’y réfère avec
une
rigueur telle que le style même d’un écrivain ou d’un peintre peut êt
1106
réfère avec une rigueur telle que le style même d’
un
écrivain ou d’un peintre peut être attaqué par les fonctionnaires de
1107
igueur telle que le style même d’un écrivain ou d’
un
peintre peut être attaqué par les fonctionnaires de l’État et qualifi
1108
n. Elle est partout et nulle part. C’est ainsi qu’
un
ancien ministre bulgare en exil pouvait affirmer, récemment, que dans
1109
are en exil pouvait affirmer, récemment, que dans
un
État communiste la censure au sens courant du mot n’existe pas ; car
1110
t du mot n’existe pas ; car toute censure suppose
une
certaine indépendance de la production intellectuelle ou des sources
1111
e indépendance de la production intellectuelle ou
des
sources d’information ; or cette indépendance est exclue à priori dan
1112
liberté et de la censure ? Allons tout de suite à
un
exemple extrême, et heureusement exceptionnel, mais qui signale un vr
1113
e, et heureusement exceptionnel, mais qui signale
un
vrai danger. Voici ce qu’écrivait, il y a quelques mois, M. Jean Thib
1114
ique atomique : « Dans le domaine de la physique,
des
résultats d’une incroyable portée intellectuelle sont actuellement ma
1115
« Dans le domaine de la physique, des résultats d’
une
incroyable portée intellectuelle sont actuellement maintenus secrets
1116
et ne donnent pas lieu, comme avant la guerre, à
des
communications de portée internationale. Il y a loin de la situation
1117
peser sur les recherches de la physique nucléaire
un
lourd contrôle et « des suspicions quasi policières », qui tendent à
1118
s de la physique nucléaire un lourd contrôle et «
des
suspicions quasi policières », qui tendent à subordonner entièrement
1119
qui tendent à subordonner entièrement le savant à
des
exigences politiques et militaires. Cet exemple des recherches atomiq
1120
s exigences politiques et militaires. Cet exemple
des
recherches atomiques nous donne un inquiétant avertissement, il suggè
1121
. Cet exemple des recherches atomiques nous donne
un
inquiétant avertissement, il suggère que si la culture reste encore l
1122
léaire, ceux qui s’y livrent sont aussitôt privés
des
libertés élémentaires : liberté de recherche, d’échange et de publica
1123
erté de recherche, d’échange et de publication. D’
une
manière générale, la condition de la culture, dans nos pays, a subi d
1124
a subi de profondes transformations pendant l’ère
des
nationalismes et de la souveraineté sans limites de l’État. Créatrice
1125
la souveraineté sans limites de l’État. Créatrice
des
richesses, de la puissance et du prestige mondial de l’Europe, on pou
1126
pourrait croire qu’elle n’est plus aujourd’hui qu’
un
appendice aux déclarations officielles, un ornement peut-être vain, u
1127
hui qu’un appendice aux déclarations officielles,
un
ornement peut-être vain, un luxe des classes possédantes, ou un ensem
1128
arations officielles, un ornement peut-être vain,
un
luxe des classes possédantes, ou un ensemble de spécialités et de tec
1129
officielles, un ornement peut-être vain, un luxe
des
classes possédantes, ou un ensemble de spécialités et de techniques é
1130
ut-être vain, un luxe des classes possédantes, ou
un
ensemble de spécialités et de techniques ésotériques qui ne concernen
1131
privé, notre culture se voit contrainte d’obéir à
des
« nécessités » qui lui sont étrangères et la dégradent. Elle perd ain
1132
tion s’aggrave entre la pensée et l’action, entre
une
pensée qui accepte d’être inefficace, et une action par conséquent dé
1133
ntre une pensée qui accepte d’être inefficace, et
une
action par conséquent désorientée, à courtes vues, privée de cohérenc
1134
s elle ne reconnaît plus sa propre voix proférant
des
aveux spontanés, criant sur tous les modes l’éloge de ses bourreaux :
1135
quement ; et ceux qui, à l’Est, lui reconnaissent
un
rôle central, la dénaturent et l’asservissent. Or, il est évident que
1136
t graves pour l’Europe, puisqu’elles brisent dans
un
cas et, dans l’autre, détendent les ressorts de la créativité qui éta
1137
nt les ressorts de la créativité qui était depuis
des
siècles la vraie cause de notre puissance et donc de notre indépendan
1138
omiques ou politiques, soit qu’elle se contente d’
une
liberté honoraire, sans responsabilité, et d’un rôle de produit de lu
1139
’une liberté honoraire, sans responsabilité, et d’
un
rôle de produit de luxe, alors c’est le sens même de notre civilisati
1140
leurs que symbolise le mot culture représentaient
des
fins en soi ; là où toutes les activités, et les richesses, et les ré
1141
nt de la personne humaine, dans le libre exercice
des
vocations ; là enfin où cette phrase de l’Évangile rendait le son le
1142
it le son le plus authentique : « Que servirait à
un
homme de gagner le monde, s’il perdait son âme ? » ⁂ J’admets ici, co
1143
us d’entretenir le désir créateur, si on le prive
des
possibilités de s’accomplir dans une libre communauté. Si l’Europe es
1144
on le prive des possibilités de s’accomplir dans
une
libre communauté. Si l’Europe est réduite à l’impuissance politique,
1145
rs notre dernier refuge, qu’on ferait de l’Europe
un
musée dans les ruines, pour l’agrément des millionnaires curieux, ou
1146
’Europe un musée dans les ruines, pour l’agrément
des
millionnaires curieux, ou l’édification méfiante des stakhanovistes e
1147
millionnaires curieux, ou l’édification méfiante
des
stakhanovistes en troupeaux. Mais un musée, ce n’est pas de la cultur
1148
on méfiante des stakhanovistes en troupeaux. Mais
un
musée, ce n’est pas de la culture. Je ne vois pas d’exemple historiqu
1149
la culture. Je ne vois pas d’exemple historique d’
une
culture qui ait encore créé dans une nation privée de son indépendanc
1150
historique d’une culture qui ait encore créé dans
une
nation privée de son indépendance. L’Europe est encore le foyer de la
1151
it nous être interdite, car la puissance est mère
des
utopies exaltées, de la confiance en soi, du gaspillage des forces, e
1152
s exaltées, de la confiance en soi, du gaspillage
des
forces, et aussi du sens de la mesure, toutes choses sans lesquelles
1153
s dans les musées, mais dans les villes où existe
un
marché ; la littérature ne se crée pas dans les universités et les bi
1154
és et les bibliothèques, mais dans le champ libre
des
passions ; la philosophie dépérit dans une société qui ne risque ou n
1155
libre des passions ; la philosophie dépérit dans
une
société qui ne risque ou ne conçoit plus d’aventure ; et la science s
1156
nture ; et la science s’arrête quand l’audace est
un
crime. Si l’Europe disparaît du jeu des forces mondiales, personne ne
1157
audace est un crime. Si l’Europe disparaît du jeu
des
forces mondiales, personne ne pourra remplacer cette âme d’une civili
1158
ndiales, personne ne pourra remplacer cette âme d’
une
civilisation qui avait su remplacer toutes les autres. Le secret de s
1159
mesures vivantes sera perdu. Mais en retour, sans
une
culture active rendue à l’efficacité, l’Europe ne peut recouvrer la p
1160
probable, par les soins d’experts étrangers ou d’
une
police qui a fait ses preuves ailleurs. Mais elle aura perdu le resso
1161
ce pouvoir qui avait fait sa grandeur à partir d’
un
médiocre destin. Que servirait à l’Europe de recevoir une unité, si c
1162
ocre destin. Que servirait à l’Europe de recevoir
une
unité, si ce n’était pas celle de son choix ? Et si cette unité signi
1163
ture, réduite à ce qu’elle est, ne serait plus qu’
un
cap de l’Asie — et l’Asie n’a jamais passé pour la terre de la libert
1164
e ? Je crois que la sublime réponse à la question
des
lendemains nous a été donnée une fois pour toutes par la sentinelle d
1165
rdre la guerre fait actuellement ce qu’on appelle
une
névrose d’infériorité. Pourtant, les faits ne justifient pas le déses
1166
ts ne justifient pas le désespoir, mais seulement
un
effort de redressement. Entre deux-cents-millions de Russes et cent-c
1167
ts-millions d’Européens. Nous disposons de plus d’
un
quart du charbon, de près d’un tiers de l’électricité que produit auj
1168
isposons de plus d’un quart du charbon, de près d’
un
tiers de l’électricité que produit aujourd’hui la planète. Nous dispo
1169
es humaines qui n’ont pas leurs égales ailleurs :
une
main-d’œuvre spécialisée dont les traditions ne s’imitent pas, une ca
1170
spécialisée dont les traditions ne s’imitent pas,
une
capacité d’invention que le monde entier peut nous envier. Qu’avons-n
1171
l’existentialisme et le personnalisme, la théorie
des
quanta et celle des groupes, la sociologie et les grandes synthèses h
1172
le personnalisme, la théorie des quanta et celle
des
groupes, la sociologie et les grandes synthèses historiques, la relat
1173
t sculpture : presque tous leurs grands noms sont
des
noms de l’Europe, et les très rares qui n’en sont pas ont appris leur
1174
er de nos maîtres, dans nos écoles, aux terrasses
des
cafés de Paris, ou par nos livres. Je dirai plus. Le monde moderne to
1175
us. Le monde moderne tout entier peut être appelé
une
création européenne. Pour le bien comme pour le mal, il imite à la fo
1176
? L’Amérique du Nord et la Russie de Staline sont
des
produits de notre culture, l’une dès ses origines, et l’autre en ce q
1177
de moderne justement. Calvin et le puritanisme, d’
un
côté, plus les gratte-ciel, le système Taylor-Bedaux à tous les degré
1178
rés, la cellophane et le zipper partout, qui sont
des
inventions européennes ; et de l’autre côté, Marx et notre industrie,
1179
héisme, l’hypertrophie de l’appareil étatique, et
des
copies de l’art officiel de nos grands-pères. Caricatures évidemment
1180
t qu’ils croient spécifiques, ne sont souvent que
des
emprunts à notre fonds, mais développés là-bas sans mesure ni critiqu
1181
disais nous. Mais la plupart parlent encore comme
des
Français, des Allemands, des Danois ou des Grecs, c’est-à-dire comme
1182
ais la plupart parlent encore comme des Français,
des
Allemands, des Danois ou des Grecs, c’est-à-dire comme s’ils n’étaien
1183
parlent encore comme des Français, des Allemands,
des
Danois ou des Grecs, c’est-à-dire comme s’ils n’étaient que quarante
1184
comme des Français, des Allemands, des Danois ou
des
Grecs, c’est-à-dire comme s’ils n’étaient que quarante millions, soix
1185
rlons, nous imaginons, nous craignons donc, comme
des
peuples trop petits pour le monde où ils vivent. J’ai dressé une list
1186
p petits pour le monde où ils vivent. J’ai dressé
une
liste de nos créations les plus connues, celles qui ont fixé le visag
1187
te est impressionnante. Mais pour qu’elle rassure
un
Français, un Allemand, un Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent q
1188
sionnante. Mais pour qu’elle rassure un Français,
un
Allemand, un Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent quelque orguei
1189
is pour qu’elle rassure un Français, un Allemand,
un
Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent quelque orgueil, encore fau
1190
elle rassure un Français, un Allemand, un Danois,
un
Grec, et pour qu’ils en tirent quelque orgueil, encore faut-il qu’ils
1191
e les quelques noms de son pays et n’en tirera qu’
une
raison de plus de se sentir minoritaire, ou pauvre. Il en va de même
1192
i demain nos frontières tombaient. Certes, il y a
des
symptômes de crise moins contingents, dans notre civilisation : confl
1193
aux, éthiques et spirituels, dont je ne songe pas
un
seul instant à sous-estimer l’importance. Ces conflits ne seront pas
1194
lle sera supprimée la possibilité de les résoudre
un
jour. Je ne dirai pas que la division de l’Europe en vingt nations, c
1195
puisqu’il n’est pas de culture sans libre échange
des
idées, des personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujo
1196
’est pas de culture sans libre échange des idées,
des
personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à c
1197
re sans libre échange des idées, des personnes et
des
œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à cet égard. La cond
1198
sinon suffisante, du maintien de l’Europe au rang
des
grandes puissances, c’est son union. Telle est aussi la condition du
1199
s avons Strasbourg. Ce n’est pas beaucoup plus qu’
une
promesse, mais c’en est une. Nous verrons ce qu’elle vaut, avant la f
1200
pas beaucoup plus qu’une promesse, mais c’en est
une
. Nous verrons ce qu’elle vaut, avant la fin de l’année. Dans le domai
1201
omique, nous avons le plan Schuman, qui peut être
un
début de mise en commun de nos ressources matérielles. Et maintenant,
1202
cret de notre puissance, il est temps de proposer
un
autre Plan, qui consisterait dans la mise en commun, au service de l’
1203
res principaux. Premièrement, nous avons besoin d’
un
inventaire des forces culturelles du continent. Cette nécessité devie
1204
. Premièrement, nous avons besoin d’un inventaire
des
forces culturelles du continent. Cette nécessité devient évidente dès
1205
e nécessité devient évidente dès qu’on entreprend
des
recherches sur l’état présent d’une question scientifique, sur les dé
1206
on entreprend des recherches sur l’état présent d’
une
question scientifique, sur les déficiences et les avantages culturels
1207
duire. Il y a donc lieu d’envisager la création d’
une
sorte d’Institut de la conjoncture culturelle en Europe. Deuxièmement
1208
elle en Europe. Deuxièmement, nous avons besoin d’
une
coordination des efforts dispersés entre nos vingt nations. Partout,
1209
euxièmement, nous avons besoin d’une coordination
des
efforts dispersés entre nos vingt nations. Partout, l’on voit surgir
1210
ntre nos vingt nations. Partout, l’on voit surgir
des
instituts13 dont les programmes et les buts se ressemblent, mais qui,
1211
uvent, s’ignorent mutuellement. Partout se posent
des
problèmes qui restent insolubles dans le cadre trop étroit de chaque
1212
e nation et de chaque budget national : problèmes
des
recherches atomiques, du cinéma, de la télévision, des intellectuels
1213
echerches atomiques, du cinéma, de la télévision,
des
intellectuels réfugiés, de la révision des manuels d’histoire, des éc
1214
ision, des intellectuels réfugiés, de la révision
des
manuels d’histoire, des échanges… Ainsi apparaît la nécessité d’un li
1215
réfugiés, de la révision des manuels d’histoire,
des
échanges… Ainsi apparaît la nécessité d’un lieu de confrontation perm
1216
oire, des échanges… Ainsi apparaît la nécessité d’
un
lieu de confrontation permanente et d’un instrument d’action concerté
1217
essité d’un lieu de confrontation permanente et d’
un
instrument d’action concertée à l’échelle du continent, quelque chose
1218
tée à l’échelle du continent, quelque chose comme
un
Chatham House européen, mais certainement plus militant, étant donné
1219
certainement plus militant, étant donné l’urgence
des
problèmes à résoudre. Troisièmement, l’on constate qu’aucun de nos in
1220
que l’on sait. La nécessité se fait donc sentir d’
un
organisme dont la raison d’être principale soit de pouvoir prendre ce
1221
lture et de la morale publique, de même que seule
une
Autorité politique supranationale sera capable de traiter au nom de t
1222
, devant l’Assemblée de Strasbourg, la création d’
une
armée de l’Europe. Que cette armée soit nécessaire, c’est la déplorab
1223
rable évidence. Mais elle ne sera pas suffisante.
Une
mitrailleuse ne sert à rien, si l’homme qui la reçoit refuse de s’en
1224
dans les cerveaux et dans les cœurs. Elle suppose
une
prise de conscience. Et toute volonté de réveil de la conscience comm
1225
réalistes ». La première, c’est que l’Europe est
une
culture (civilisation si l’on préfère) ou n’est qu’un appendice insig
1226
ulture (civilisation si l’on préfère) ou n’est qu’
un
appendice insignifiant de l’Asie. Et cela veut dire que la vraie sour
1227
ut final de la culture occidentale, consistent en
une
seule et même chose : la liberté de la personne. Et cela veut dire qu
1228
omme européen, et pour sauver en face de la terre
des
masses, et de la terre des machines, et des terres immenses de la fat
1229
er en face de la terre des masses, et de la terre
des
machines, et des terres immenses de la fatalité, une Europe qui demeu
1230
terre des masses, et de la terre des machines, et
des
terres immenses de la fatalité, une Europe qui demeure la terre des h
1231
machines, et des terres immenses de la fatalité,
une
Europe qui demeure la terre des hommes. 12. Ici cependant, point de
1232
s de la fatalité, une Europe qui demeure la terre
des
hommes. 12. Ici cependant, point de malentendu ! Ne nous laissons j
1233
Ne nous laissons jamais tenter par la plus fausse
des
symétries, celle qui mettrait les USA et l’URSS dans le rôle de Chary
1234
ans cesse élargi de la liberté de pensée, qui est
une
garantie des autres libertés. Entre les stalinistes et nous, Européen
1235
rgi de la liberté de pensée, qui est une garantie
des
autres libertés. Entre les stalinistes et nous, Européens, il n’y a q
1236
e les stalinistes et nous, Européens, il n’y a qu’
un
mot : démocratie. Pour eux, cela veut dire dictature. Pour nous, libe
1237
Bruges le 12 octobre, et qui peut devenir l’École
des
sciences politiques du continent. g. Rougemont Denis de, « L’Europe
1238
de 1951 (décembre 1951)h i Les États neufs ont
des
douaniers nerveux, mais ceux de l’Inde se dominent : ils ont gardé ce
1239
s ceux de l’Inde se dominent : ils ont gardé cela
des
Anglais. Il leur faut cependant plus d’une heure pour nous administre
1240
é cela des Anglais. Il leur faut cependant plus d’
une
heure pour nous administrer les preuves méticuleuses d’une souveraine
1241
pour nous administrer les preuves méticuleuses d’
une
souveraineté que nul ne songe à contester. On nous demande pourquoi n
1242
On nous demande pourquoi nous venons ici. — Pour
un
congrès. — Quel congrès ? Il y en a beaucoup. — Le Congrès indien pou
1243
s qu’en vérité, il s’est borné à le déplacer, par
un
décret, de la capitale à Bombay.) L’officier n’est pas bien convaincu
1244
er n’est pas bien convaincu : il voudrait obtenir
des
réponses qu’il connaît. Finalement : — Où habiterez-vous ? — Au Taj M
1245
— Au Taj ? OK. OK ? On le dirait à moins. Plus qu’
un
hôtel, c’est un quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’une
1246
K ? On le dirait à moins. Plus qu’un hôtel, c’est
un
quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’une coupole. À l’int
1247
. Plus qu’un hôtel, c’est un quartier de ville en
un
seul bâtiment surmonté d’une coupole. À l’intérieur, deux rues de bou
1248
quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’
une
coupole. À l’intérieur, deux rues de boutiques de luxe, de cafés et d
1249
iries aboutissent dans le hall central ouvert sur
un
vaste patio où les voitures se succèdent sans relâche. Ma chambre a d
1250
mètres sur cinq, et cinq de haut. Du plafond pend
une
grande hélice à quatre pales, qu’un bouton électrique met en marche :
1251
plafond pend une grande hélice à quatre pales, qu’
un
bouton électrique met en marche : trois vitesses. Sol de dalles grise
1252
serviteurs paraissent au fond de la pièce, devant
une
tenture sombre, sans nul bruit. Il m’est arrivé de sonner à nouveau n
1253
’apercevoir ensuite qu’ils étaient là déjà depuis
un
long moment. Pourquoi trois ? Je me dis que le premier prend les ordr
1254
de du sucre. Ils sourient et s’inclinent. Ils ont
des
crayons à la main et des blocs de papier. Ils attendent. Je leur dis
1255
et s’inclinent. Ils ont des crayons à la main et
des
blocs de papier. Ils attendent. Je leur dis que c’est tout ce que je
1256
um. Aveuglé, je comprends, et m’efforce de donner
des
réponses attendues, soudain frappé par la similitude entre le contrôl
1257
oudain frappé par la similitude entre le contrôle
des
étrangers et l’interview. ⁂ Bombay, porte des Indes, présente à l’arr
1258
ôle des étrangers et l’interview. ⁂ Bombay, porte
des
Indes, présente à l’arrivant l’architecture et le puissant trafic d’u
1259
l’arrivant l’architecture et le puissant trafic d’
une
grande cité de l’Occident comme on en voit en Amérique du Sud : plus
1260
plus uniformément modernes que les nôtres. Notons
une
légère frustration de notre sens de l’exotisme. Cette espèce de curio
1261
n, le Chinois, l’Arabe, l’étranger n’a jamais été
un
sujet de littérature, de nostalgie consciente et cultivée. Il peut bi
1262
ien être le plus fort, il le fut en effet pendant
des
siècles, mais il a tort, essentiellement. Cette conviction, vivante e
1263
gtemps par nos élites voyageuses, chez lesquelles
une
croyance inverse prédomine. Il semble qu’au regard de la « hideuse vu
1264
t parlait récemment André Gide, toute la noblesse
des
gestes, des allures, toute la solennité des religions (les nôtres éta
1265
cemment André Gide, toute la noblesse des gestes,
des
allures, toute la solennité des religions (les nôtres étant tenues po
1266
lesse des gestes, des allures, toute la solennité
des
religions (les nôtres étant tenues pour préjugés) aient trouvé refuge
1267
rdre et sans autres problèmes, la faim n’étant qu’
un
ennemi. L’Occidental, qui ne se connaît plus, va voir ailleurs commen
1268
ger la foi de ceux dont il admire qu’ils en aient
une
. Ceci dit, je n’aurai de cesse que je n’aie découvert, à mon tour, de
1269
découvert, à mon tour, derrière l’immense façade
des
quais synthétiquement occidentale, tout éclatante d’ocres, de briques
1270
à la circulation bien ordonnée de ces quartiers,
des
signes brefs et toujours inquiétants, le cri précipité et comme rageu
1271
s inquiétants, le cri précipité et comme rageur d’
un
corbeau maigre à ma fenêtre, une ombre nette de vautour traversant le
1272
et comme rageur d’un corbeau maigre à ma fenêtre,
une
ombre nette de vautour traversant lentement la chaussée, des crachats
1273
ette de vautour traversant lentement la chaussée,
des
crachats rouges de bétel sur le trottoir, et ces moignons de bras cha
1274
naçants… Sur le port et devant les grands hôtels,
des
fillettes aux yeux sans sourire, au corps d’une insensée gracilité, à
1275
, des fillettes aux yeux sans sourire, au corps d’
une
insensée gracilité, à peine vêtues d’un lambeau de coton, glissent da
1276
corps d’une insensée gracilité, à peine vêtues d’
un
lambeau de coton, glissent dans les grosses voitures américaines, au
1277
nt toujours, avec cette insistance presque féroce
des
gens du Sud, avec un petit cri hostile et guttural, pareil à celui de
1278
e insistance presque féroce des gens du Sud, avec
un
petit cri hostile et guttural, pareil à celui des corbeaux, le cri de
1279
un petit cri hostile et guttural, pareil à celui
des
corbeaux, le cri de la misère sauvage qui seule, dans cette fournaise
1280
y a de l’indécence à venir parler de culture dans
un
pays où des millions sont affamés. Ce dernier argument, lancé d’abord
1281
décence à venir parler de culture dans un pays où
des
millions sont affamés. Ce dernier argument, lancé d’abord par l’un de
1282
amés. Ce dernier argument, lancé d’abord par l’un
des
délégués occidentaux, et frénétiquement applaudi, reparaît le lendema
1283
techniques pour remédier à la famine. J’en trouve
une
preuve de plus dans le journal de ce matin. C’est un savant indien, D
1284
preuve de plus dans le journal de ce matin. C’est
un
savant indien, D. R. Sethi, qui inventa le procédé pour détruire les
1285
ui inventa le procédé pour détruire les racines d’
une
herbe nommée kans, fléau des riches vallées à blé de l’Inde centrale.
1286
truire les racines d’une herbe nommée kans, fléau
des
riches vallées à blé de l’Inde centrale. Avec l’aide des tracteurs am
1287
hes vallées à blé de l’Inde centrale. Avec l’aide
des
tracteurs américains qui avaient construit la Route birmane, il vient
1288
et qui suis-je pour lutter ici contre la force d’
un
proverbe, si convaincu que je sois qu’il dit faux, que ce sont les re
1289
us qui n’écoutent pas, et que la disette est mère
des
civilisations, comme l’angoisse l’est de la pensée. ⁂ — Que cherchez-
1290
e je rencontre dans le hall du Taj. (Il a l’air d’
un
Gitan avec ses boucles noires, il est brahmine, et par un choix délib
1291
avec ses boucles noires, il est brahmine, et par
un
choix délibéré, très orthodoxe, donc très libre d’esprit.) — Je cherc
1292
che l’Inde. La trouverai-je à Bombay ? Il appelle
un
taxi, et nous voilà partis. Nous avons quitté la voiture à l’entrée d
1293
partis. Nous avons quitté la voiture à l’entrée d’
une
ruelle étroite que nous descendons lentement jusqu’à des escaliers tr
1294
lle étroite que nous descendons lentement jusqu’à
des
escaliers très raides et compliqués, entre de hautes façades peintes
1295
aune. Statuettes vêtues de soie et de fleurs dans
des
niches, comme à Naples. Il y a bien, assises sur les marches, ces fil
1296
hes, ces fillettes en sari aux narines cloutées d’
un
diamant, aux chevilles surchargées d’anneaux et de grelots, mais le d
1297
décor est italien. (Et ce même rose très pâle et
un
peu mauve des cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et pl
1298
alien. (Et ce même rose très pâle et un peu mauve
des
cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et plus rarement au
1299
l.) Nous descendons. Les escaliers débouchent sur
une
place irrégulière, en terre battue, plantée d’arbres au tronc pelé. U
1300
en terre battue, plantée d’arbres au tronc pelé.
Un
désordre de maisons inégales sur la gauche. À droite s’étend un long
1301
maisons inégales sur la gauche. À droite s’étend
un
long bassin rectangulaire, empli d’une eau verte et profonde. Tout au
1302
ite s’étend un long bassin rectangulaire, empli d’
une
eau verte et profonde. Tout autour du bassin, et sur l’îlot qui en oc
1303
et sur l’îlot qui en occupe le centre, s’élèvent
des
colonnes de pierre noire, hérissées de demi-soucoupes : ce sont des l
1304
erre noire, hérissées de demi-soucoupes : ce sont
des
lampes, et tout s’allume les soirs de fête. Nous entrons dans une rue
1305
out s’allume les soirs de fête. Nous entrons dans
une
rue sinueuse, bordée de petites maisons à un ou deux étages, cages à
1306
ans une rue sinueuse, bordée de petites maisons à
un
ou deux étages, cages à oiseaux cubiques et mal superposées, de cafés
1307
tes à barreaux : les temples. Au fond de l’ombre,
un
autel s’illumine. Étoffes rouge et or derrière la statuette, bijoux,
1308
roteries, et dans l’étroit espace devant l’autel,
une
femme debout, sans un geste. Parfois le prêtre en pagne sort d’un coi
1309
oit espace devant l’autel, une femme debout, sans
un
geste. Parfois le prêtre en pagne sort d’un coin noir, et vient plant
1310
sans un geste. Parfois le prêtre en pagne sort d’
un
coin noir, et vient planter autour d’une fontaine basse, dans la cour
1311
ne sort d’un coin noir, et vient planter autour d’
une
fontaine basse, dans la courette, deux minces baguettes d’encens surm
1312
ette, deux minces baguettes d’encens surmontées d’
une
flammèche. Tout ceci s’ouvrant sur la rue, à quelques pas des hommes
1313
e. Tout ceci s’ouvrant sur la rue, à quelques pas
des
hommes vautrés dans les boutiques, des passants à pieds nus qui circu
1314
elques pas des hommes vautrés dans les boutiques,
des
passants à pieds nus qui circulent sans nous voir de leurs yeux fixes
1315
voir de leurs yeux fixes et ardents. Nous croise
un
être demi-nu, très vieux, le crâne tondu, deux mamelles pendant jusqu
1316
âne tondu, deux mamelles pendant jusqu’au ventre.
Des
femmes aux membres incroyablement maigres et gracieux. Peu de bruits,
1317
lement maigres et gracieux. Peu de bruits, et pas
un
sourire. La cloche d’un temple tinte, sans musique. On entend le frot
1318
ux. Peu de bruits, et pas un sourire. La cloche d’
un
temple tinte, sans musique. On entend le frottement des pieds nus, de
1319
mple tinte, sans musique. On entend le frottement
des
pieds nus, des saris roses, violets, vert assourdi. Des yeux brillent
1320
s musique. On entend le frottement des pieds nus,
des
saris roses, violets, vert assourdi. Des yeux brillent dans les porte
1321
eds nus, des saris roses, violets, vert assourdi.
Des
yeux brillent dans les portes sombres. Çà et là, un homme prie, accro
1322
yeux brillent dans les portes sombres. Çà et là,
un
homme prie, accroupi contre un mur. Il règne dans tout le quartier un
1323
sombres. Çà et là, un homme prie, accroupi contre
un
mur. Il règne dans tout le quartier une espèce de solennité énigmatiq
1324
upi contre un mur. Il règne dans tout le quartier
une
espèce de solennité énigmatique et insidieuse, qui tient du rêve et d
1325
s européens, je me sens trop lourd et trop grand.
Un
peu plus loin, là où la rue tourne et s’éclaire, vers les roches noir
1326
vers les roches noires et plates du bord de mer,
des
hommes assis en groupe écoutent une lecture à haute voix. Accroupi su
1327
bord de mer, des hommes assis en groupe écoutent
une
lecture à haute voix. Accroupi sur un banc, le lecteur tient ouvert s
1328
e écoutent une lecture à haute voix. Accroupi sur
un
banc, le lecteur tient ouvert sur ses genoux un gros in-quarto relié.
1329
r un banc, le lecteur tient ouvert sur ses genoux
un
gros in-quarto relié. Homme encore jeune, massif, de peau très noire,
1330
et lent. Raja Rao lui demande ce qu’il lit. C’est
un
chant du Mahabharata. Ils écoutent sans bouger, jeunes et vieux, le l
1331
sais si j’ai rien vu de plus touchant, ni jamais
un
groupe d’hommes plus dignes et candides dans l’acte d’entendre un poè
1332
es plus dignes et candides dans l’acte d’entendre
un
poème. Plus tard, comme nous remontions les pentes de Malabar Hill pa
1333
me nous remontions les pentes de Malabar Hill par
des
chemins encaissés entre les murs de parc des grandes demeures luxueus
1334
par des chemins encaissés entre les murs de parc
des
grandes demeures luxueuses, un saint nous a croisés. Comme je l’aperc
1335
les murs de parc des grandes demeures luxueuses,
un
saint nous a croisés. Comme je l’apercevais de loin : — Qui est-ce ?
1336
loin : — Qui est-ce ? ai-je demandé à mon ami. —
Un
holy man, a-t-il répondu distraitement. — Mais un vrai ou un charlata
1337
Un holy man, a-t-il répondu distraitement. — Mais
un
vrai ou un charlatan ? — Comment peut-on savoir. Il y en a tant. Il m
1338
, a-t-il répondu distraitement. — Mais un vrai ou
un
charlatan ? — Comment peut-on savoir. Il y en a tant. Il marchait len
1339
ait lentement, à grands pas importants, précédé d’
un
énorme ventre bien bronzé, vêtu d’une barbe rousse en éventail jusqu’
1340
s, précédé d’un énorme ventre bien bronzé, vêtu d’
une
barbe rousse en éventail jusqu’aux épaules, d’un cordon autour du cou
1341
une barbe rousse en éventail jusqu’aux épaules, d’
un
cordon autour du cou pendant jusqu’au nombril, et d’un pagne. Il ryth
1342
rdon autour du cou pendant jusqu’au nombril, et d’
un
pagne. Il rythmait ses lentes et grandes enjambées en frappant le sol
1343
lentes et grandes enjambées en frappant le sol d’
un
bâton. Derrière lui se pressaient trois hommes plus petits, l’un sur
1344
ès gros et court, le second décharné, les tendons
des
chevilles saillant comme des cordelettes, et le troisième trapu, crân
1345
écharné, les tendons des chevilles saillant comme
des
cordelettes, et le troisième trapu, crâne tondu, une sorte de queue d
1346
cordelettes, et le troisième trapu, crâne tondu,
une
sorte de queue de cheval surgissant du sommet de l’occiput. Le saint
1347
non pas chamarrés de robes et surplis à l’instar
des
princes ou des rois, et comme le sont nos dignitaires ecclésiastiques
1348
rés de robes et surplis à l’instar des princes ou
des
rois, et comme le sont nos dignitaires ecclésiastiques, toujours plus
1349
saint François aux Doukhobors. ⁂ Dans le salon d’
une
vaste résidence, vidé de ses meubles, le mur du fond tendu d’un seul
1350
ence, vidé de ses meubles, le mur du fond tendu d’
un
seul voile de soie noir chargé de larges signes d’or, Çakuntala dansa
1351
r chargé de larges signes d’or, Çakuntala dansait
des
danses classiques de l’Inde ancienne. Deux petits groupes de musicien
1352
subtile dissymétrie de ses gestes, soulignée par
des
avancements obliques du menton, en liaison stricte avec les mouvement
1353
du menton, en liaison stricte avec les mouvements
des
bras, des doigts et des chevilles, m’a fait comprendre la statuaire h
1354
en liaison stricte avec les mouvements des bras,
des
doigts et des chevilles, m’a fait comprendre la statuaire hindoue : l
1355
ricte avec les mouvements des bras, des doigts et
des
chevilles, m’a fait comprendre la statuaire hindoue : les attitudes d
1356
t comprendre la statuaire hindoue : les attitudes
des
dieux : qui semblent monotones, ou parfois curieusement affectées, so
1357
onotones, ou parfois curieusement affectées, sont
des
figures de la danse de Shiva, langage rituel absolument exact, interp
1358
es pas, dont chacun signifiait, l’éclat somptueux
des
soies, des couleurs, des bijoux, je songeais que l’idée de « mauvais
1359
t chacun signifiait, l’éclat somptueux des soies,
des
couleurs, des bijoux, je songeais que l’idée de « mauvais goût » devi
1360
fiait, l’éclat somptueux des soies, des couleurs,
des
bijoux, je songeais que l’idée de « mauvais goût » devient inconcevab
1361
ais goût » devient inconcevable en Inde, alors qu’
un
tel excès de richesses combinées n’eût pas manqué de l’évoquer dans n
1362
sage rond barré d’énormes moustaches noires, et d’
une
placidité d’expression qui surprend. Vêtus de blouses bleues et de lo
1363
blanches serrées aux mollets, chacun d’eux porte
un
bâton blanc semblable à celui de nos agents. L’introducteur annonce u
1364
ble à celui de nos agents. L’introducteur annonce
une
« danse des sticks » symbolisant le duel de dieux jumeaux. La musique
1365
de nos agents. L’introducteur annonce une « danse
des
sticks » symbolisant le duel de dieux jumeaux. La musique commence do
1366
uis se tournent lentement sur le côté et frappent
un
peu plus fort ; s’assoient et frappent ; tournent sur leur séant et f
1367
de côté, derrière leur dos, les bras levés, avec
une
violence inouïe — s’ils venaient à rater un seul croisement des armes
1368
avec une violence inouïe — s’ils venaient à rater
un
seul croisement des armes et se touchaient la tête, ils tomberaient r
1369
nouïe — s’ils venaient à rater un seul croisement
des
armes et se touchaient la tête, ils tomberaient raides — le fracas de
1370
aient la tête, ils tomberaient raides — le fracas
des
bâtons devient celui d’une dure mêlée de chevaliers, cependant que la
1371
ent raides — le fracas des bâtons devient celui d’
une
dure mêlée de chevaliers, cependant que la musique monotone rythme le
1372
ant que la musique monotone rythme les coups avec
une
implacable exactitude. Decrescendo. Maintenant les voici de nouveau p
1373
voici de nouveau presque assis, appuyés au sol d’
une
main, frappant de l’autre ; puis ils se couchent, frappent encore fai
1374
animalité totalement possédée par le rythme léger
des
instruments, et ces coups décochés à intervalles précis, par une déte
1375
, et ces coups décochés à intervalles précis, par
une
détente d’une vigueur folle, sans la moindre trace de passion. Non,
1376
décochés à intervalles précis, par une détente d’
une
vigueur folle, sans la moindre trace de passion. Non, ni « beau » ni
1377
ni « grotesque » n’ont rien à voir ici. La danse
des
deux hercules moustachus et puérils, surgis peut-être d’un passé mogh
1378
ercules moustachus et puérils, surgis peut-être d’
un
passé moghol, me fait entrer dans une compréhension bien autrement in
1379
peut-être d’un passé moghol, me fait entrer dans
une
compréhension bien autrement inquiétante de l’Asie. Comment dire ce q
1380
r dans son obscurité le sentiment, mal distinct d’
une
angoisse, qu’ici le Moi, l’ego central, n’existe pas ? Ces danseurs s
1381
, l’ego central, n’existe pas ? Ces danseurs sont
des
rôles, des acteurs absolus, des fonctions symboliques, sans conscienc
1382
tral, n’existe pas ? Ces danseurs sont des rôles,
des
acteurs absolus, des fonctions symboliques, sans conscience propre et
1383
Ces danseurs sont des rôles, des acteurs absolus,
des
fonctions symboliques, sans conscience propre et séparée. Je serais t
1384
. Aussi tyranniquement déterminés par la batterie
des
instruments et les figures dynamiques de la danse que l’animal par se
1385
lles, hideuses ou fascinantes comme les figures d’
un
rêve, intensément précises mais sans échelle, chargées d’une indicibl
1386
ntensément précises mais sans échelle, chargées d’
une
indicible signification, mais capables à chaque instant de se muer to
1387
erviteurs se lèvent à demi.) Dehors, dans l’ombre
des
arcades, des milliers de dormeurs sans mouvement. Sur le dos, bouche
1388
lèvent à demi.) Dehors, dans l’ombre des arcades,
des
milliers de dormeurs sans mouvement. Sur le dos, bouche ouverte, à mê
1389
ou sur le côté, recroquevillés, nus ou couverts d’
un
drap. Certains se font un lit d’une table à fruits, d’autres de l’emb
1390
llés, nus ou couverts d’un drap. Certains se font
un
lit d’une table à fruits, d’autres de l’embrasure d’une vitrine de bo
1391
ou couverts d’un drap. Certains se font un lit d’
une
table à fruits, d’autres de l’embrasure d’une vitrine de boutique. Le
1392
t d’une table à fruits, d’autres de l’embrasure d’
une
vitrine de boutique. Leur immobilité parfaite me fascine. (Nous bouge
1393
eux, même parmi les intellectuels.) Près du port,
des
gamins vous offrent à voix basse les marchandises les plus diverses,
1394
es marchandises les plus diverses, commençant par
des
« english girls », sans doute les plus avouables de la liste. Il fait
1395
a bien moins d’irrévérence dans cette remarque qu’
un
Occidental ne le pensera, ignorant par exemple que les Indiens religi
1396
e les Indiens religieux vénèrent jusqu’à la bouse
des
vaches sacrées, dont ils enduisent le four de leur cuisine, ou qu’ils
1397
front en triples traits, non sans l’avoir mêlée d’
un
colorant jaune d’or ou vermillon. ⁂ Quartier purement indien du centr
1398
ûlée, d’encens ou de pétales de fleurs emplissant
des
corbeilles si fraîches à voir. Dans la fournaise d’une petite place,
1399
orbeilles si fraîches à voir. Dans la fournaise d’
une
petite place, vers midi, j’hésitais entre trois ruelles. J’entrevois
1400
, j’hésitais entre trois ruelles. J’entrevois par
une
porte cochère une cour ombreuse, où mon premier mouvement serait d’en
1401
trois ruelles. J’entrevois par une porte cochère
une
cour ombreuse, où mon premier mouvement serait d’entrer. Mon guide me
1402
Mon guide me retient par la manche : lieu sacré.
Un
homme, sur le seuil, fait un signe. Je ne comprends pas. Je passe le
1403
manche : lieu sacré. Un homme, sur le seuil, fait
un
signe. Je ne comprends pas. Je passe le porche. Saisissement dès l’en
1404
ayer de se rappeler le plus grand nombre possible
des
objets livrés à ma vue, pendant les brefs instants où je pourrai me t
1405
stants. Sur les grandes dalles de pierre, l’urine
des
vaches sacrées se répand lentement en larges nappes. À droite, sous u
1406
répand lentement en larges nappes. À droite, sous
un
auvent, des zébus attachés au bord d’un abreuvoir. À gauche, un énorm
1407
ement en larges nappes. À droite, sous un auvent,
des
zébus attachés au bord d’un abreuvoir. À gauche, un énorme pipal — c’
1408
ite, sous un auvent, des zébus attachés au bord d’
un
abreuvoir. À gauche, un énorme pipal — c’est l’arbre sacré de Vishnu
1409
zébus attachés au bord d’un abreuvoir. À gauche,
un
énorme pipal — c’est l’arbre sacré de Vishnu — dont le feuillage couv
1410
ns la torsade de racines grises formant le tronc,
des
fleurs roses et violettes, piquées en ex-voto. Devant moi, quelques m
1411
x-voto. Devant moi, quelques marches conduisent à
une
terrasse surélevée d’un mètre. Des hommes assis sur le rebord, jambes
1412
ues marches conduisent à une terrasse surélevée d’
un
mètre. Des hommes assis sur le rebord, jambes pendantes, me regardent
1413
s conduisent à une terrasse surélevée d’un mètre.
Des
hommes assis sur le rebord, jambes pendantes, me regardent. Au pied d
1414
mbes pendantes, me regardent. Au pied de l’arbre,
une
petite fontaine et un autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homm
1415
rdent. Au pied de l’arbre, une petite fontaine et
un
autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homme prie debout, puis se
1416
ine et un autel, chargé de fleurs et d’offrandes.
Un
homme prie debout, puis se tourne à demi en remuant les lèvres vers l
1417
d et découvre en retrait, au-delà de l’abreuvoir,
un
bâtiment peint en bleu-vert, chargé de clochetons et de reliefs rococ
1418
gé de clochetons et de reliefs rococo, qui évoque
un
pavillon de foire et qui est un temple. En réalité toute cette cour,
1419
ococo, qui évoque un pavillon de foire et qui est
un
temple. En réalité toute cette cour, avec les vaches et leur mine sac
1420
de la terrasse, on distingue entre les feuillages
des
maisons, des enfants qui jouent, du linge qui pend. Atmosphère hiérat
1421
e, on distingue entre les feuillages des maisons,
des
enfants qui jouent, du linge qui pend. Atmosphère hiératique, « arrêt
1422
Et la composition compliquée de l’ensemble, comme
une
mise en scène pleine de sous-entendus. J’attends un geste, un cri. Ri
1423
mise en scène pleine de sous-entendus. J’attends
un
geste, un cri. Rien ne se passe. Ou plutôt, je ne saurai jamais ce qu
1424
cène pleine de sous-entendus. J’attends un geste,
un
cri. Rien ne se passe. Ou plutôt, je ne saurai jamais ce qui, de tout
1425
e respect pour les prêtres, sortes de domestiques
des
temples, utiles par leur savoir des rites de la naissance et de la mo
1426
e domestiques des temples, utiles par leur savoir
des
rites de la naissance et de la mort, mais fort inférieurs aux brahmin
1427
famille, par le respect de la caste, par l’étude
des
Vedas, surtout par les écoles de Maîtres. Les rites sont familiaux, o
1428
multiplie par trois, par dix, par cent le nombre
des
individus jugés nécessaires chez nous pour une tâche déterminée, où j
1429
re des individus jugés nécessaires chez nous pour
une
tâche déterminée, où j’ai vu jusqu’à cinq personnes sur une bicyclett
1430
déterminée, où j’ai vu jusqu’à cinq personnes sur
une
bicyclette — le père, la mère, et trois enfants — où enfin, d’une man
1431
le père, la mère, et trois enfants — où enfin, d’
une
manière générale, il y a partout trop de gens ; dans ce pays qui ne c
1432
dos aux passants. Et ces hommes en prière contre
un
mur. Et ces saints demi-nus, traversant à grands pas les rues encombr
1433
pose sans relâche et sans ordre sur le pourtour d’
un
grand plateau d’argent, devant chaque convive. La conversation s’enga
1434
out. Qu’en est-il en Inde ? Les Indiens échangent
un
sourire, hésitent un peu, par politesse sans doute, et disent enfin q
1435
Inde ? Les Indiens échangent un sourire, hésitent
un
peu, par politesse sans doute, et disent enfin que non, qu’ils n’ont
1436
diction dans l’être intime de l’Asiatique : c’est
une
autre manière d’exprimer qu’il n’a pas le sens du péché ; et par suit
1437
ui de l’originalité, étant l’homme du Karma, et d’
une
caste. La suppression des castes, admise en droit, si elle devenait j
1438
l’homme du Karma, et d’une caste. La suppression
des
castes, admise en droit, si elle devenait jamais effective, entraîner
1439
conséquences dans tous ces ordres. Elle créerait
un
champ libre aux problèmes personnels, aux risques permanents de la pe
1440
enture courue par l’Occident. Dans l’état présent
des
choses, on comprend fort bien que notre idée de l’originalité (dans l
1441
able pour l’Asiatique en tant que tel14. Il est d’
une
caste, d’une secte religieuse, d’une voie spirituelle définie, d’une
1442
siatique en tant que tel14. Il est d’une caste, d’
une
secte religieuse, d’une voie spirituelle définie, d’une école ou d’un
1443
14. Il est d’une caste, d’une secte religieuse, d’
une
voie spirituelle définie, d’une école ou d’une profession. La variati
1444
cte religieuse, d’une voie spirituelle définie, d’
une
école ou d’une profession. La variation, l’innovation individuelle ne
1445
d’une voie spirituelle définie, d’une école ou d’
une
profession. La variation, l’innovation individuelle ne sont pas vues,
1446
nt qu’erreurs. Le besoin d’être original, et dans
un
autre ordre l’humour, expriment notre notion de l’individu : isolé, d
1447
sacralisé, en révolte ouverte ou sournoise contre
un
ordre de choses par essence discutable, c’est-à-dire affecté dès l’or
1448
dès l’origine, comme en chacun de ses états, par
un
principe d’injustice, de malheur, d’incomplétude inéluctable. D’où le
1449
le sens du péché, d’où la révolte, d’où l’idée d’
un
progrès nécessaire, absolument liés dans notre histoire et dans notre
1450
ésiste en collant à son identité, qui est celle d’
un
ordre et non pas d’un ego, d’un être différent qui ne vivra qu’une fo
1451
n identité, qui est celle d’un ordre et non pas d’
un
ego, d’un être différent qui ne vivra qu’une fois. Il résiste sans co
1452
, qui est celle d’un ordre et non pas d’un ego, d’
un
être différent qui ne vivra qu’une fois. Il résiste sans contre-attaq
1453
ste sans contre-attaque, sans chercher à détruire
un
ennemi étranger, car dans toute destruction violente et non rituelle
1454
Russes. Prenez l’affaire de la Corée : il propose
un
plébiscite “démocratique”, qui ne peut tourner qu’à l’avantage des co
1455
émocratique”, qui ne peut tourner qu’à l’avantage
des
communistes. Mais prenez l’affaire du Kashmir : là, plus question de
1456
blé. La famine menace au Bihar. On demande l’aide
des
États-Unis, on critique en même temps leur politique, on les rend hés
1457
moque, pourvu que l’Inde appuie la Chine. Et cinq
des
grands ambassadeurs de l’Inde sont communistes ou fellow-travellers…
1458
e l’Inde sont communistes ou fellow-travellers… »
Un
diplomate : « Nul ne sait ce qu’il va faire. Il suit surtout la ligne
1459
la ligne de ses humeurs. L’autre jour, au banquet
des
grands industriels, il s’est lancé dans un discours fort irrité contr
1460
nquet des grands industriels, il s’est lancé dans
un
discours fort irrité contre le machinisme, inutile selon lui. Or il s
1461
tandis que nous parlons, à New Delhi, au cours d’
un
déjeuner auquel il m’a convié, entouré de sa fille, de sa nièce, et d
1462
tant de Bombay, où notre Congrès s’était clos sur
une
résolution condamnant le neutralisme. J’avais lu dans l’avion que le
1463
re devait rentrer ce matin même du Kashmir, après
une
nuit de voyage. On le disait fort irritable. J’étais en train d’admir
1464
disait fort irritable. J’étais en train d’admirer
des
jonquilles, rapportées toutes fraîches de son pays natal. Il est entr
1465
hes de son pays natal. Il est entré sans bruit, d’
un
pas rapide. Un peu voûté, l’air sérieux et distant. Il porte une long
1466
natal. Il est entré sans bruit, d’un pas rapide.
Un
peu voûté, l’air sérieux et distant. Il porte une longue veste de soi
1467
Un peu voûté, l’air sérieux et distant. Il porte
une
longue veste de soie d’un violet sombre, semée de fleurs gris-clair e
1468
x et distant. Il porte une longue veste de soie d’
un
violet sombre, semée de fleurs gris-clair et jaunes. Pantalons blancs
1469
blancs étroits, souliers de soie noire, tête nue.
Un
prince d’Orient, aussi beau qu’on le dit. Légèrement boudeur, m’a-t-i
1470
, baissant la tête et regardant sa main posée sur
un
coussin, sans réagir. Je ne sais pourquoi je me suis demandé, à ce mo
1471
sait en hindi ou en anglais.) Mais à table, c’est
un
autre homme. Souriant et détendu, curieux de tout, connaissant bien l
1472
’il juge pire encore quant à la qualité ; parlant
des
douze grandes langues indiennes qui remplaceront de plus en plus l’an
1473
sité, c’est regrettable mais inévitable ; parlant
des
fruits confits de vingt sortes diverses posés devant nous, et guettan
1474
ce jeu où je m’amuse à le suivre. Enfin je pousse
un
pion, profitant d’un silence. Je lui dis que Madariaga, dans la séanc
1475
à le suivre. Enfin je pousse un pion, profitant d’
un
silence. Je lui dis que Madariaga, dans la séance de clôture du congr
1476
congrès, s’est écrié : « Votre Nehru, c’est l’un
des
six ou sept qui dirigent aujourd’hui le monde et qui forment déjà, de
1477
onde et qui forment déjà, de fait sinon de droit,
une
sorte de cabinet mondial : en tant que tel il doit prêter l’oreille à
1478
éponse la question de savoir s’ils devraient être
des
Staline ou des Einstein, des Nehrus politiques ou des Nehrus pandits1
1479
ion de savoir s’ils devraient être des Staline ou
des
Einstein, des Nehrus politiques ou des Nehrus pandits15…) Au café, je
1480
s’ils devraient être des Staline ou des Einstein,
des
Nehrus politiques ou des Nehrus pandits15…) Au café, je lui dis mon é
1481
Staline ou des Einstein, des Nehrus politiques ou
des
Nehrus pandits15…) Au café, je lui dis mon étonnement à découvrir que
1482
er ou de refuser cette situation. Approuverait-il
un
plan d’échanges suivis, sur un axe culturel Inde-Europe ? Nos plus gr
1483
n. Approuverait-il un plan d’échanges suivis, sur
un
axe culturel Inde-Europe ? Nos plus grands indianistes sont allemands
1484
l’Europe est plus près de l’Inde… Il s’est donné
une
petite tape sur le genou. « C’est vrai, cela ! me dit-il, il y a du v
1485
l’attends. Ou plutôt non, je lui téléphonerai. »
Un
sourire un peu grave et charmeur. Un adieu familier de la main. J’ess
1486
Ou plutôt non, je lui téléphonerai. » Un sourire
un
peu grave et charmeur. Un adieu familier de la main. J’essaie mainten
1487
éphonerai. » Un sourire un peu grave et charmeur.
Un
adieu familier de la main. J’essaie maintenant de recomposer ce que l
1488
dit de lui et ce que j’ai vu de l’homme, pendant
une
entrevue « banale », et c’est son prix. Nehru est un brahmine éduqué
1489
entrevue « banale », et c’est son prix. Nehru est
un
brahmine éduqué à Cambridge, un aristocrate libéral inclinant vers le
1490
n prix. Nehru est un brahmine éduqué à Cambridge,
un
aristocrate libéral inclinant vers le socialisme, et dont le destin,
1491
sa nature intime plutôt que de ses idées, a fait
un
prince. Que ce pandit soit devenu Premier ministre, il s’agit là d’un
1492
ndit soit devenu Premier ministre, il s’agit là d’
un
caprice de l’Histoire. Il y a beaucoup de caprice chez Nehru. À l’inv
1493
y a beaucoup de caprice chez Nehru. À l’inverse d’
un
Staline, d’un Hitler, mais peut-être aussi d’un Gandhi, il reste comm
1494
e caprice chez Nehru. À l’inverse d’un Staline, d’
un
Hitler, mais peut-être aussi d’un Gandhi, il reste comme distinct de
1495
d’un Staline, d’un Hitler, mais peut-être aussi d’
un
Gandhi, il reste comme distinct de son rôle historique. On dirait qu’
1496
e. On dirait qu’il le voit avec quelque distance.
Un
moraliste en somme, mais sans foi religieuse, et qui remplace les dog
1497
dissimulé pour la culture américaine est celui d’
un
brahmine pour une caste inférieure (il l’a écrit), non pas celui d’un
1498
a culture américaine est celui d’un brahmine pour
une
caste inférieure (il l’a écrit), non pas celui d’un Marx pour le capi
1499
caste inférieure (il l’a écrit), non pas celui d’
un
Marx pour le capitalisme promis à des crises fatales. Les mesures qu’
1500
pas celui d’un Marx pour le capitalisme promis à
des
crises fatales. Les mesures qu’il vient de prendre contre la presse,
1501
qu’il vient de prendre contre la presse, au nom d’
un
idéal de « propreté morale », sont en fait ressenties comme traduisan
1502
est vrai que son visage et son maintien expriment
une
harmonie de l’âme hindoue que la plupart des corps, dans ce pays, cac
1503
ystère primitif qui lie l’homme à ses dieux comme
une
ombre à la nuit ? Ne trouverait-il pas au contraire ce signe d’inquié
1504
ndividu à l’inconscient sacré, au corps magique d’
une
race ? L’individualité n’est jamais née qu’en rupture de magie. Cette
1505
intenant : ce grand Indien, qui libéra son peuple
des
Anglais, pense en anglais. ⁂ Délivrée des Moghols par l’Occident, pui
1506
peuple des Anglais, pense en anglais. ⁂ Délivrée
des
Moghols par l’Occident, puis de l’Occident par l’action combinée de G
1507
le deviendra. En six siècles, le monde a changé ;
une
Inde indépendante eût changé elle aussi. Le fait certain, c’est qu’el
1508
on la réveille au siècle américain et russe. Ni d’
un
côté ni de l’autre, elle ne peut se reconnaître. Elle se dit neutre,
1509
est trompeuse. Je n’ai pas senti là-bas l’essor d’
un
peuple jeune, sa confiance dans l’avenir, ses projets excessifs. Au c
1510
ns l’avenir, ses projets excessifs. Au contraire,
un
immense embarras devant le monde tel que d’autres l’ont fait. Jetée d
1511
e tel que d’autres l’ont fait. Jetée dans la lice
des
États, au milieu d’une partie serrée, l’Inde se voit sommée de jouer.
1512
t fait. Jetée dans la lice des États, au milieu d’
une
partie serrée, l’Inde se voit sommée de jouer. Elle n’est pas équipée
1513
ns que l’Amérique représente aujourd’hui le monde
des
libertés individuelles, dans sa lutte contre la Russie qui représente
1514
peuple indien, qui n’a jamais connu le phénomène
des
« masses », ni l’individualisme dont il est la rançon. Cependant l’In
1515
, en tant qu’État, doit voter pour ou contre l’un
des
blocs, sauf à trouver des motifs très puissants pour justifier son ab
1516
ter pour ou contre l’un des blocs, sauf à trouver
des
motifs très puissants pour justifier son abstention. Mais sur quelles
1517
la renient. L’évolution normale que provoquerait
une
suppression réelle des castes rapprocherait l’Inde de l’Occident, de
1518
n normale que provoquerait une suppression réelle
des
castes rapprocherait l’Inde de l’Occident, de l’Europe en particulier
1519
s facilement nos incertitudes que nos fois… Entre
un
passé réduit à l’impuissance pratique mais qui résiste en profondeur,
1520
sance pratique mais qui résiste en profondeur, et
un
avenir encore épidermique, le présent de l’Inde paraît manquer de con
1521
l’Inde paraît manquer de consistance. Nous avons
des
problèmes, l’Inde est problèmes. Je n’ai guère parlé que du plus inti
1522
the et la personne. Les autres sont assez connus.
Des
milliers de vaches sacrées, d’ailleurs malades, embarrassent la circu
1523
d’ailleurs malades, embarrassent la circulation.
Des
millions de singes sacrés pillent les champs rendus à la culture par
1524
à la culture par les tracteurs. La production, d’
une
désastreuse insuffisance, s’accroît moins vite que la population, qui
1525
pulation, qui déborde la nuit sur les trottoirs. (
Un
lit pour des centaines de personnes à Bombay.) Neuf hommes sur dix so
1526
i déborde la nuit sur les trottoirs. (Un lit pour
des
centaines de personnes à Bombay.) Neuf hommes sur dix sont illettrés,
1527
Bombay.) Neuf hommes sur dix sont illettrés, dans
un
régime officiellement démocratique. Les fonctionnaires sont corrompus
1528
tionnaires sont corrompus, dit-on, du haut en bas
des
hiérarchies improvisées après le départ des Anglais. L’armée serait i
1529
n bas des hiérarchies improvisées après le départ
des
Anglais. L’armée serait impuissante devant une invasion. Et ainsi de
1530
rt des Anglais. L’armée serait impuissante devant
une
invasion. Et ainsi de suite… Presque tous ces problèmes me semblent i
1531
l’Inde, mais qui le peut ? L’Amérique lui fournit
des
tracteurs et du blé. La Russie lui propose la révolte. Et l’Europe, j
1532
uement. Elle doit trouver maintenant les formes d’
une
présence désintéressée, fraternelle. 14. Je ne parle pas des jeunes
1533
désintéressée, fraternelle. 14. Je ne parle pas
des
jeunes intellectuels, formés aux disciplines occidentales, à l’anarch
1534
i les résume. 15. Pandit veut dire sage, docte —
un
peu comme notre « docteur » mais sans brevet. 16. C’est dans cette i
1535
ns très anciennement chrétiennes du Malabar. Mais
un
Hindou ne peut devenir « collectiviste » s’il n’a passé d’abord par l
1536
leaux de l’Inde que Denis de Rougemont rapporte d’
un
récent voyage forment un curieux contraste avec les pages de Somerset
1537
de Rougemont rapporte d’un récent voyage forment
un
curieux contraste avec les pages de Somerset Maugham que nous avons p
1538
livraison. Après l’Inde religieuse, voici l’Inde
des
foules — l’Inde de 390 millions d’habitants — la vie de la rue — et a
1539
telligentsia… ses réactions en face de l’URSS… et
un
portrait nuancé de Nehru. »
1540
sont plus réellement moyens que « l’homme moyen »
des
autres peuples, support ou résultat fictif des statistiques. Voilà qu
1541
» des autres peuples, support ou résultat fictif
des
statistiques. Voilà qui surprendra, s’agissant d’un pays exceptionnel
1542
statistiques. Voilà qui surprendra, s’agissant d’
un
pays exceptionnellement composite : vingt-cinq États distincts (quoiq
1543
éponse : cette moyenne n’est pas née de la fusion
des
diversités, encore moins de leur mélange dans chaque individu, mais d
1544
iplicité, distribuée sur tout le territoire, et d’
une
même attitude d’intime approbation à l’égard d’un régime qui permet à
1545
ne même attitude d’intime approbation à l’égard d’
un
régime qui permet à chacun de rester soi-même où qu’il vive, à droits
1546
rtimentages. La moyenne suisse est l’expression d’
un
contentement presque unanime, d’une longue absence de conflits dramat
1547
l’expression d’un contentement presque unanime, d’
une
longue absence de conflits dramatiques et de la prospérité qui en a p
1548
résulter. Pas de moyenne réelle dans les pays où
une
faction, une Église, une classe a tenté d’imposer ses règles, provoqu
1549
s de moyenne réelle dans les pays où une faction,
une
Église, une classe a tenté d’imposer ses règles, provoquant la violen
1550
réelle dans les pays où une faction, une Église,
une
classe a tenté d’imposer ses règles, provoquant la violence et fixant
1551
nt pour longtemps d’irréductibles discordances et
des
disparités extrêmes dans les manières de vivre et de juger. La libert
1552
divisent. On parle toujours de la Suisse comme d’
une
nation « une et diverse ». Il faut voir qu’elle est une parce qu’elle
1553
parle toujours de la Suisse comme d’une nation «
une
et diverse ». Il faut voir qu’elle est une parce qu’elle est diverse.
1554
tion « une et diverse ». Il faut voir qu’elle est
une
parce qu’elle est diverse. Le goût du juste milieu, le sens du compro
1555
quêtes sociologiques, études d’opinion et analyse
des
votations se recoupent d’une manière remarquable, et toutes nous donn
1556
d’opinion et analyse des votations se recoupent d’
une
manière remarquable, et toutes nous donnent du Suisse moyen un portra
1557
marquable, et toutes nous donnent du Suisse moyen
un
portrait statistique qui ressemble à s’y méprendre aux Suisses parmi
1558
, livrés aux joies inépuisables de la comparaison
des
niveaux de vie. Ce sont des réalistes sans cynisme. Ils acceptent leu
1559
les de la comparaison des niveaux de vie. Ce sont
des
réalistes sans cynisme. Ils acceptent leur condition, parce qu’ils en
1560
ts, et qu’ils la jugent au surplus satisfaisante.
Une
enquête conduite par l’institut Gallup pendant l’été de 1963, dans si
1561
e et aux États-Unis, montre qu’ils sont « en tête
des
gens heureux », comme l’écrit un journal français. Alors que 48 % seu
1562
sont « en tête des gens heureux », comme l’écrit
un
journal français. Alors que 48 % seulement des Français se disent con
1563
rit un journal français. Alors que 48 % seulement
des
Français se disent contents de leur niveau de vie, tandis que 38 % s’
1564
8 % s’en plaignent et que 14 % n’en pensent rien,
une
majorité écrasante de 88 % des Suisses trouvent que cela va très bien
1565
n’en pensent rien, une majorité écrasante de 88 %
des
Suisses trouvent que cela va très bien ainsi. Mais il y a mieux. À la
1566
ainsi. Mais il y a mieux. À la question posée par
un
autre institut de sondage de l’opinion publique : « D’une manière gén
1567
e institut de sondage de l’opinion publique : « D’
une
manière générale, diriez-vous que vous êtes très heureux, plutôt heur
1568
n’est pas que tout soit parfait dans la meilleure
des
Suisses possibles, mais le monde a changé, et l’on s’adapte à ces cha
1569
sauf en politique étrangère) ou de se battre pour
une
utopie. Rien de moins révolutionnaire, mais rien non plus de moins ré
1570
rmiste conservateur, il évolue avec ténacité vers
des
formes d’organisation de l’économie et de la distribution des revenus
1571
’organisation de l’économie et de la distribution
des
revenus que les socialistes d’antan revendiquaient sans trop oser y c
1572
que les patrons modernes négocient posément avec
des
chefs syndicalistes très avertis des conditions de la productivité. L
1573
osément avec des chefs syndicalistes très avertis
des
conditions de la productivité. Le fonds commun sur lequel peuvent com
1574
nt on a pu écrire qu’il est « le mode existentiel
des
Suisses », la base de leurs rapports sociaux et souvent le sens même
1575
en de fois n’ai-je pas lu cette devise gravée sur
une
pierre tombale ou imprimée au bas d’un faire-part de décès, en lieu e
1576
ravée sur une pierre tombale ou imprimée au bas d’
un
faire-part de décès, en lieu et place de l’habituel verset biblique :
1577
cé ; peu ou point de grandes fortunes fondées sur
un
coup de chance ; et les fils à papa ne se contentent pas de poser com
1578
l sur toute autre valeur ou passion se marque par
une
grande stabilité professionnelle. Le Suisse s’expatrie facilement18 e
1579
rie facilement18 et passe sans nulle difficulté d’
une
commune ou d’un canton à l’autre, mais reste en général fidèle à son
1580
et passe sans nulle difficulté d’une commune ou d’
un
canton à l’autre, mais reste en général fidèle à son métier. Dire d’u
1581
mais reste en général fidèle à son métier. Dire d’
un
homme qu’il a fait beaucoup de métiers est un éloge banal en Amérique
1582
e d’un homme qu’il a fait beaucoup de métiers est
un
éloge banal en Amérique (ou versatile veut dire habile, doué de nombr
1583
qués par l’esprit d’efficacité qui fait du Suisse
un
type extrême d’Occidental. « Toutes les activités culturelles du Suis
1584
elles du Suisse, très importantes, participent en
une
certaine manière du travail », observe encore l’enquête déjà citée. L
1585
quête déjà citée. Lire, aller au théâtre, écouter
des
conférences est un devoir avant d’être un plaisir : devoir envers soi
1586
re, aller au théâtre, écouter des conférences est
un
devoir avant d’être un plaisir : devoir envers soi-même, car « il fau
1587
couter des conférences est un devoir avant d’être
un
plaisir : devoir envers soi-même, car « il faut se cultiver », comme
1588
pur, la gratuité ne s’avouent guère, se cherchent
des
prétextes et en trouvent d’excellents, mais il n’y a plus de gratuité
1589
si », « Rassurez-vous, ce sera très simple » sont
des
mots de passe de la vie quotidienne du bourgeois et surtout de son ép
1590
lucernoise, Beromünster, Ettiswil et Sursee, font
une
des gloires de ce pays. C’est la Suisse primitive qui a produit tout
1591
rnoise, Beromünster, Ettiswil et Sursee, font une
des
gloires de ce pays. C’est la Suisse primitive qui a produit tout cela
1592
ie de la dépense autant que de l’apparat, et même
des
majuscules typographiques (voir l’école graphique de Zurich) se sent
1593
sée dans ces sanctuaires où l’or est gaspillé sur
des
stucs boursouflés et qui manquent de sérieux… Et cela conduit à poser
1594
t de sérieux… Et cela conduit à poser la question
des
critères moraux du Suisse moyen. Sont-ils encore ceux de sa religion,
1595
répondre dans le cas de la Suisse que dans celui
des
États-Unis par exemple19. Car la Suisse reste tributaire dans son ens
1596
ar la Suisse reste tributaire dans son ensemble d’
une
certaine éthique protestante, qui ne sépare point la vertu de l’effor
1597
sépare point la vertu de l’effort ni la valeur d’
une
action du mérite moral de son auteur. D’où il résulte, par exemple, q
1598
goût du travail correspond chez le Suisse moyen à
une
exigence morale plutôt qu’au seul désir de gagner davantage. La pares
1599
au seul désir de gagner davantage. La paresse est
une
déficience, et non le signe éventuel d’une sagesse libérée des contin
1600
se est une déficience, et non le signe éventuel d’
une
sagesse libérée des contingences. Je ne connais pas d’autre pays où l
1601
e, et non le signe éventuel d’une sagesse libérée
des
contingences. Je ne connais pas d’autre pays où l’on pourrait poser a
1602
ette question qui figure dans l’enquête intitulée
Un
jour en Suisse : « Estimez-vous qu’on peut être un bon Suisse et se l
1603
n jour en Suisse : « Estimez-vous qu’on peut être
un
bon Suisse et se lever à 9 heures ? » À l’origine du devoir et du goû
1604
rendement objectif : car, ainsi que l’a bien dit
une
mauvaise langue, le Suisse se lève tôt, mais il se réveille tard. Mai
1605
alité, le mariage ? Les anciens Suisses, au temps
des
Ligues, n’étaient pas moins connus pour la licence de leurs mœurs que
1606
hroniques illustrées d’Urs Graf, les descriptions
des
bains de Bade, « jardin de volupté de l’Europe », les récits de Casan
1607
ndignations de Jeremias Gotthelf contre les mœurs
des
paysans bernois (qui, loin d’exiger d’une jeune fille la preuve de sa
1608
s mœurs des paysans bernois (qui, loin d’exiger d’
une
jeune fille la preuve de sa virginité, attendaient au contraire, pour
1609
tre mère), cent témoignages concordants décrivent
une
Suisse gaillarde, rustique et soldatesque, qui préfère la virtù à la
1610
le de luxure, ou, pour rester conforme au langage
des
pasteurs, à l’« impureté », péril majeur pour l’âme et parfois pour l
1611
ue peu obsédante assombrit la prédication pendant
un
siècle. Il est d’autant plus remarquable que le Suisse moyen formé à
1612
er ; d’autre part, que la religion devait exercer
un
empire bien puissant pour que ses disciplines et jugements fussent ac
1613
ensure et l’état du mariage en Suisse. La censure
des
publications n’est officiellement exercée qu’aux frontières du pays.
1614
u moral et de l’immoral ? Je n’en ai découvert qu’
un
seul : « La discipline, un point c’est tout ! », me criait hier encor
1615
e n’en ai découvert qu’un seul : « La discipline,
un
point c’est tout ! », me criait hier encore un de ces « gardiens du s
1616
e, un point c’est tout ! », me criait hier encore
un
de ces « gardiens du seuil », parce que j’avais dévié de quelques cen
1617
ais dévié de quelques centimètres hors de la file
des
voitures qu’il lui avait plu d’organiser devant le poste, — souvenir
1618
e, — souvenir de l’école enfantine où il alignait
des
bâtonnets pendant des heures et il fallait surtout que rien ne dépass
1619
le enfantine où il alignait des bâtonnets pendant
des
heures et il fallait surtout que rien ne dépasse. Ce qui dépasse aux
1620
ministère public fédéral, et dont chaque employé
des
douanes est censé connaître la liste (Sade, Henry Miller, etc.). Or,
1621
te (Sade, Henry Miller, etc.). Or, les critères d’
un
tel office ne sauraient être, évidemment, que ceux de la banalité mor
1622
de tout écrit, de toute image ou œuvre d’art « où
un
particulier non averti ne chercherait qu’une excitation pour les sens
1623
« où un particulier non averti ne chercherait qu’
une
excitation pour les sens20 ». Faut-il penser que les Suisses bénéfici
1624
-il penser que les Suisses bénéficient vraiment d’
une
sensualité si violente qu’un rien, la moindre négligence risquerait d
1625
éficient vraiment d’une sensualité si violente qu’
un
rien, la moindre négligence risquerait de la porter aux pires excès ?
1626
t de la porter aux pires excès ? Comme la censure
des
films (cantonale ou locale), ces mesures restrictives ne provoquent p
1627
de Suisse21. L’humoriste Georges Mikes affirme qu’
un
habitant de l’Obwald lui a dit : « Je préférerais donner ma fille à u
1628
ld lui a dit : « Je préférerais donner ma fille à
un
homme de Winterthour plutôt qu’à quelqu’un de Nidwald » (canton voisi
1629
voisin). En revanche, raconte-t-il : « J’ai connu
une
dame de Schaffhouse dont le fils avait épousé une jeune fille de la v
1630
une dame de Schaffhouse dont le fils avait épousé
une
jeune fille de la ville de Winterthour, distante d’une vingtaine de k
1631
eune fille de la ville de Winterthour, distante d’
une
vingtaine de kilomètres. Elle en avait le cœur brisé, bien entendu, e
1632
ts pour traiter sa bru ‟comme si elle était l’une
des
nôtres”, tout en sachant fort bien que ‟ces mariages mixtes ne réussi
1633
éussissent jamais”. Elle voyait dans son attitude
un
exemple miraculeux de sacrifice personnel et une manifestation presqu
1634
e un exemple miraculeux de sacrifice personnel et
une
manifestation presque surhumaine de contrôle de soi22 ». Tout cela ap
1635
donner raison à cette dame : la Suisse tient l’un
des
premiers rangs (derrière les États-Unis, le Danemark, la Suède et l’A
1636
emark, la Suède et l’Autriche) pour la proportion
des
divorces, depuis que la mobilité de sa population d’un canton à l’aut
1637
vorces, depuis que la mobilité de sa population d’
un
canton à l’autre a entraîné un accroissement correspondant des mariag
1638
de sa population d’un canton à l’autre a entraîné
un
accroissement correspondant des mariages intercantonaux et interconfe
1639
l’autre a entraîné un accroissement correspondant
des
mariages intercantonaux et interconfessionnels : « Ces mariages mixte
1640
tout par d’autres causes. Il n’est pas le signe d’
un
quelconque « relâchement moral » (comparé à la Suisse patriarcale), m
1641
sse patriarcale), mais au contraire, dirais-je, d’
une
exigence accrue à l’égard du mariage et de ce qu’il peut représenter
1642
ésenter pour le développement personnel de chacun
des
conjoints et pour leur intégration en tant que couple dans la vie soc
1643
grands ensembles urbains. Ce n’est pas l’anarchie
des
mœurs qui menace la Suisse, c’est plutôt une espèce particulière de c
1644
chie des mœurs qui menace la Suisse, c’est plutôt
une
espèce particulière de conformisme raisonné, adopté après mûr examen,
1645
les derniers à y reconnaître leurs voisins. C’est
un
portrait, ce n’est pas un éloge, ni une critique. Dire que le Suisse
1646
re leurs voisins. C’est un portrait, ce n’est pas
un
éloge, ni une critique. Dire que le Suisse moyen est sérieux mais heu
1647
ins. C’est un portrait, ce n’est pas un éloge, ni
une
critique. Dire que le Suisse moyen est sérieux mais heureux (j’ajoute
1648
dans les guerres d’idéologies à ceux qui signent
des
contrats de « paix de travail ». (Il n’est pas interdit de se former
1649
de travail ». (Il n’est pas interdit de se former
des
jugements plus nuancés ou dialectiques.) Mais quoi qu’on pense de ce
1650
ce portrait du Suisse moyen, ce n’est pas encore
un
portrait de la Suisse. L’enquête la plus intelligente et la statistiq
1651
ent montrer les traits acquis de la physionomie d’
un
peuple, mais non les forces qui l’ont configurée. Un Mozart, un Desca
1652
peuple, mais non les forces qui l’ont configurée.
Un
Mozart, un Descartes, un Kipling n’auraient jamais été décelés par qu
1653
s non les forces qui l’ont configurée. Un Mozart,
un
Descartes, un Kipling n’auraient jamais été décelés par quelque sonda
1654
es qui l’ont configurée. Un Mozart, un Descartes,
un
Kipling n’auraient jamais été décelés par quelque sondage d’opinion s
1655
et ce sont pourtant de tels hommes qui donnent à
un
pays ce qu’on appelle son visage, visage bientôt « traditionnel ». On
1656
oublie qu’ils l’ont créée d’abord (bien que dans
un
langage donné, qui existait avant eux, qu’ils renouvellent seulement)
1657
eux, qu’ils renouvellent seulement). Il y a dans
une
patrie, dans une nation, dans une communauté humaine bien plus de cho
1658
uvellent seulement). Il y a dans une patrie, dans
une
nation, dans une communauté humaine bien plus de choses que nos instr
1659
t). Il y a dans une patrie, dans une nation, dans
une
communauté humaine bien plus de choses que nos instruments d’analyse
1660
bien plus de choses que nos instruments d’analyse
des
consciences actuelles n’en peuvent compter et indexer : il y a des fo
1661
ctuelles n’en peuvent compter et indexer : il y a
des
forces et des réalités longuement agissantes et soudain décisives que
1662
peuvent compter et indexer : il y a des forces et
des
réalités longuement agissantes et soudain décisives que l’homme moyen
1663
dire précisément parce qu’il en vit ? Et ce sont
des
hommes d’exception qui les révèlent dans leurs œuvres, même s’ils cro
1664
Condition du « grand homme » en Suisse Dans
un
film naguère célèbre, Orson Welles assurait que la Suisse n’a donné a
1665
e restent quelque peu mystérieuses, même aux yeux
des
Européens dotés d’une bonne culture générale. Le statut du « grand ho
1666
mystérieuses, même aux yeux des Européens dotés d’
une
bonne culture générale. Le statut du « grand homme » en Suisse le con
1667
demeurer à peu près invisible. Comment veut-on qu’
un
étranger le voie ? Si cet étranger vient chez nous et cite l’un des S
1668
ie ? Si cet étranger vient chez nous et cite l’un
des
Suisses qu’il connaît par sa réputation mondiale, il ne trouvera pas
1669
ît par sa réputation mondiale, il ne trouvera pas
une
personne sur mille, prise dans la rue, qui ait jamais entendu ce nom-
1670
ds y sera surtout local. Il sera le grand homme d’
une
vallée, d’une cité, plus rarement d’un canton, presque jamais celui d
1671
out local. Il sera le grand homme d’une vallée, d’
une
cité, plus rarement d’un canton, presque jamais celui de la nation en
1672
d homme d’une vallée, d’une cité, plus rarement d’
un
canton, presque jamais celui de la nation entière. D’autre part, le r
1673
e antihégémonique s’oppose à toute prédominance d’
un
canton ou d’un homme qui le représente. D’où les conséquences qu’on a
1674
ue s’oppose à toute prédominance d’un canton ou d’
un
homme qui le représente. D’où les conséquences qu’on a vues dans le d
1675
rait mine de dépasser la mesure commune et d’être
un
chef. Un Führer suisse est impensable, et même l’essai d’instituer un
1676
de dépasser la mesure commune et d’être un chef.
Un
Führer suisse est impensable, et même l’essai d’instituer un Landamma
1677
uisse est impensable, et même l’essai d’instituer
un
Landammann de Suisse échoua très vite, vers 1800. Un Collège peu voya
1678
Landammann de Suisse échoua très vite, vers 1800.
Un
Collège peu voyant administre l’État, on ne saurait dire qu’il gouver
1679
sente les plus sérieux inconvénients. Car pour qu’
un
grand art s’épanouisse, il faut un milieu, une école, un public alert
1680
s. Car pour qu’un grand art s’épanouisse, il faut
un
milieu, une école, un public alerté, un snobisme, les libéralités d’u
1681
qu’un grand art s’épanouisse, il faut un milieu,
une
école, un public alerté, un snobisme, les libéralités d’un mécène ou
1682
d art s’épanouisse, il faut un milieu, une école,
un
public alerté, un snobisme, les libéralités d’un mécène ou d’une cour
1683
, il faut un milieu, une école, un public alerté,
un
snobisme, les libéralités d’un mécène ou d’une cour. C’est tout cela
1684
un public alerté, un snobisme, les libéralités d’
un
mécène ou d’une cour. C’est tout cela qu’interdisent moralement nos p
1685
té, un snobisme, les libéralités d’un mécène ou d’
une
cour. C’est tout cela qu’interdisent moralement nos principes, et phy
1686
maines les plus divers. Sans prétendre à composer
un
portrait-robot du « grand homme suisse moyen » (expression en elle-mê
1687
rend les couleurs du milieu. Albert Bitzius était
un
jeune Bernois, épris de littérature et d’idées libertaires. Il devint
1688
Gotthelf : « Dieu aide ! »), publia coup sur coup
une
quinzaine de romans tragiques, éducatifs, épiques et religieux, fanta
1689
vie durant de l’administration locale, du secours
des
pauvres et de la commission scolaire. Henri-Frédéric Amiel n’eut mêm
1690
e. Henri-Frédéric Amiel n’eut même pas à choisir
un
pseudonyme. Quelques recueils de poésies médiocres, un chant patrioti
1691
eudonyme. Quelques recueils de poésies médiocres,
un
chant patriotique encore très populaire (« Roulez tambours, pour couv
1692
ns nos cantons, chaque enfant naît soldat ! ») et
des
cours de philosophie dont l’ennui seul est resté mémorable ont camouf
1693
le pages de Journal furent écrites dans l’ombre d’
une
carrière assez terne pour être acceptée sans histoires. « En épousant
1694
st Paul Bourget qui a dit que « Paris en eût fait
un
dieu ». Mais ce n’eût été qu’un dieu de salons, un dieu causeur. Jac
1695
Paris en eût fait un dieu ». Mais ce n’eût été qu’
un
dieu de salons, un dieu causeur. Jacob Burckhardt à sa manière fut a
1696
n dieu ». Mais ce n’eût été qu’un dieu de salons,
un
dieu causeur. Jacob Burckhardt à sa manière fut aussi un grand homme
1697
causeur. Jacob Burckhardt à sa manière fut aussi
un
grand homme invisible ; refusant de succéder à Ranke dans la chaire d
1698
selon son rang social et en tant que professeur.
Un
peu plus tard, Ferdinand de Saussure suit la même conduite à Genève c
1699
me conduite à Genève comme par instinct, s’il est
un
instinct patricien. (L’intellectuel du xxe siècle cherche au contrai
1700
tant que différent de ses données natives et par
une
volonté de rupture. On ne saurait lui reprocher cette nouvelle tactiq
1701
t dont les seules richesses furent fabriquées par
un
travail humain bien concerté, la Suisse est née de la coopération. Un
1702
en concerté, la Suisse est née de la coopération.
Un
pour tous, tous pour un, c’est moins un idéal qu’une vitale obligatio
1703
st née de la coopération. Un pour tous, tous pour
un
, c’est moins un idéal qu’une vitale obligation de solidarité pratique
1704
pération. Un pour tous, tous pour un, c’est moins
un
idéal qu’une vitale obligation de solidarité pratique. Quand un Suiss
1705
pour tous, tous pour un, c’est moins un idéal qu’
une
vitale obligation de solidarité pratique. Quand un Suisse entreprend
1706
e vitale obligation de solidarité pratique. Quand
un
Suisse entreprend de créer quelque chose, tout se passe comme s’il av
1707
ou son génie individuel, en démontrant qu’il fait
une
œuvre utile au bien commun. Et c’est pourquoi les Suisses qui ont exc
1708
es Suisses qui ont excellé furent presque tous, à
des
titres divers, hommes utiles au sens le plus noble et penseurs engagé
1709
es au sens le plus noble et penseurs engagés dans
une
communauté (qui souvent dépassait leur pays) plutôt que créateurs d’a
1710
e les hommes, entre les peuples et nations, entre
des
entités moralement définies. Le salut de l’homme ou sa santé, plutôt
1711
rgovie, et socialiste combatif, Karl Barth publie
un
commentaire sur l’Épître aux Romains qui produit dans les milieux thé
1712
dans les milieux théologiques de langue allemande
une
révolution comparable à celle du freudisme ou du léninisme dans d’aut
1713
les prétentions nationales-socialistes, il dresse
un
manifeste de l’« Église confessante », première affirmation, fondamen
1714
mentale, de la Résistance européenne. On lui fait
un
procès à Bonn. Il n’attaque pas le régime en soi, mais ses complices
1715
l’expulse. Et dès lors, revenu à Bâle, il édifie
une
Dogmatique de l’Église qui est le monument théologique le plus hardi
1716
l’orthodoxie. Jamais voix plus autoritaire après
un
siècle de libéralisme, plus humaine et plus réaliste après un siècle
1717
libéralisme, plus humaine et plus réaliste après
un
siècle de formalisme puritain et sentimental, ne s’était élevée dans
1718
r à Hitler au nom de la foi, parce qu’il instaure
une
religion. Après la guerre, ce contempteur de la neutralité, « péché d
1719
guerre, ce contempteur de la neutralité, « péché
des
Suisses », s’élève sans relâche contre la guerre froide, et se voit a
1720
utaire, mais kierkegaardien par son affirmation d’
un
Dieu totaliter aliter et sans commune mesure avec les intérêts de la
1721
logien depuis Calvin qui ait influencé l’ensemble
des
Églises protestantes, en Amérique comme en Europe, et que les docteur
1722
définir) et qu’il a détectées dans la grande nuit
des
âges. Autant Barth refuse le phénomène religieux, infiniment polyvale
1723
, autant Jung veut s’ouvrir aux messages chiffrés
des
religions de toute la terre. L’un procède par exclusion, l’autre par
1724
proche du comportement intellectuel et spirituel
des
Églises romaine et grecque — il connaît et il redécouvre la valeur de
1725
t grecque — il connaît et il redécouvre la valeur
des
rites et des symboles et il est tout le contraire d’un iconoclaste —
1726
l connaît et il redécouvre la valeur des rites et
des
symboles et il est tout le contraire d’un iconoclaste — mais quand il
1727
tes et des symboles et il est tout le contraire d’
un
iconoclaste — mais quand il déclare, dans sa Réponse à Job, que la pr
1728
qu’à la « shakti » hindoue ou à l’Éternel féminin
des
mystiques hérétiques. Pour Barth, Dieu est le vis-à-vis de l’homme, l
1729
is de l’homme, le Tout Autre. Pour Jung, Dieu est
une
réalité psychique. Le théologien n’a que faire de la psychologie. Il
1730
eu24 ». En revanche, le psychologue n’a que faire
des
dogmes, sauf s’ils sont l’expression cristallisée d’un mythe, d’une s
1731
gmes, sauf s’ils sont l’expression cristallisée d’
un
mythe, d’une situation archétypique, donc d’une réalité de l’âme, — e
1732
’ils sont l’expression cristallisée d’un mythe, d’
une
situation archétypique, donc d’une réalité de l’âme, — et c’est préci
1733
d’un mythe, d’une situation archétypique, donc d’
une
réalité de l’âme, — et c’est précisément dans la mesure où ils seraie
1734
c’est précisément dans la mesure où ils seraient
un
mythe fixé que Barth les rejetterait. Le dialogue entre ces deux homm
1735
lieu. Leurs disciples (pasteurs et théologiens d’
un
côté, médecins psychiatres et philosophes des religions de l’autre) c
1736
ns d’un côté, médecins psychiatres et philosophes
des
religions de l’autre) coexistent sans se rencontrer, et aucune tentat
1737
elle n’a été entreprise jusqu’ici, que je sache. (
Un
jour, peut-être, j’essaierai de me rendre compte de ce que je dois à
1738
oïevski seraient impensables en tant que Suisses.
Une
certaine démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe et du style,
1739
ables en tant que Suisses. Une certaine démesure,
un
grand théâtre, un sens de la pompe et du style, libre de tout souci d
1740
Suisses. Une certaine démesure, un grand théâtre,
un
sens de la pompe et du style, libre de tout souci d’application « mor
1741
se. Et c’est à eux que la Suisse, en retour, doit
une
densité de conscience communautaire, mais aussi d’efficacité transfor
1742
dont on trouvera difficilement l’équivalent dans
une
autre région du monde d’étendue à peu près comparable. S’expatrier.
1743
me du monde, Saint-Pierre de Rome, fut achevé par
des
architectes venus de Suisse ; qu’un autre Suisse bâtit des capitales
1744
t achevé par des architectes venus de Suisse ; qu’
un
autre Suisse bâtit des capitales en Inde ; qu’un troisième a donné à
1745
tectes venus de Suisse ; qu’un autre Suisse bâtit
des
capitales en Inde ; qu’un troisième a donné à l’Amérique les deux pon
1746
s s’il monte sur la montagne… Alors cette ivresse
des
sommets. L’intuition de la grandeur. Et plus d’obstacles devant la pe
1747
rmaine de Staël. Il s’appelle Burckhardt ou, dans
un
autre domaine, Karl Barth. Son canton — ou l’Europe. » Et il est vrai
1748
c’est en s’expatriant pour se réaliser au sein d’
une
unité beaucoup plus vaste, impériale ou papale, réformée ou romaine,
1749
acques, Mme de Staël et Constant à Paris. Quant à
un
Jung, à un Ramuz, à un Barth, qui, après de longs séjours loin du pay
1750
de Staël et Constant à Paris. Quant à un Jung, à
un
Ramuz, à un Barth, qui, après de longs séjours loin du pays, ont fait
1751
Constant à Paris. Quant à un Jung, à un Ramuz, à
un
Barth, qui, après de longs séjours loin du pays, ont fait le principa
1752
dans le monde ; c’est au contraire de l’étranger,
des
grands pays voisins ou de l’Amérique, que leur réputation nous est re
1753
ope moderne. J’ose y voir le plus grand privilège
des
Suisses : quelle que soit leur petite patrie locale, s’ils la dépasse
1754
ien plutôt libres pour elle… 17. Cf. l’enquête
Un
jour en Suisse, 1964. 18. 300 000 Suisses vivent à l’étranger, soit
1755
: 10 % avant 1914, 7,5 % en 1945. 19. Je pense à
des
ouvrages tels que The Lonely Crowd, de David Riesman. 20. Déclaratio
1756
onely Crowd, de David Riesman. 20. Déclaration d’
un
chef du service juridique au Ministère public, recueillie par Franck
1757
ublic, recueillie par Franck Jotterand au cours d’
une
enquête sur la censure en Suisse. 21. « Le canton — ou l’Europe », c
1758
mme disait Lucien Febvre. À la sixième génération
des
ancêtres de mon père, dont pourtant les parents et trois des grands-p
1759
s de mon père, dont pourtant les parents et trois
des
grands-parents étaient de Neuchâtel, je trouve 32 Neuchâtelois et 32
1760
telois et 32 Européens surtout Français, mais pas
un
seul Suisse d’un autre canton. 22. Georges Mikes, Switzerland for be
1761
péens surtout Français, mais pas un seul Suisse d’
un
autre canton. 22. Georges Mikes, Switzerland for beginners, 1962. 2
1762
Mikes, Switzerland for beginners, 1962. 23. Cf.
Un
jour en Suisse. 24. Dogmatik der Kirche, I, i, 6, 3. 25. Synthèse
1763
. Dogmatik der Kirche, I, i, 6, 3. 25. Synthèse
des
sciences médicales et d’une écologie européenne avant la lettre : Par
1764
, 6, 3. 25. Synthèse des sciences médicales et d’
une
écologie européenne avant la lettre : Paracelse. Théorie générale des
1765
nne avant la lettre : Paracelse. Théorie générale
des
sociétés humaines, dont le Contrat social n’est qu’un fragment : Rous
1766
ociétés humaines, dont le Contrat social n’est qu’
un
fragment : Rousseau. « Considérations sur l’Histoire du Monde » : Jak
1767
pages paraîtront dans La Suisse ou l’histoire d’
un
peuple heureux chez Hachette. »
1768
devenue célèbre : « Le xixe siècle ouvrira l’ère
des
fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans. »
1769
l’ère des fédérations, ou l’humanité recommencera
un
purgatoire de mille ans. » Dans quelle voie sommes-nous engagés après
1770
ans. » Dans quelle voie sommes-nous engagés après
un
siècle ? Celle des fédérations et de l’harmonie des peuples, ou celle
1771
voie sommes-nous engagés après un siècle ? Celle
des
fédérations et de l’harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance
1772
n siècle ? Celle des fédérations et de l’harmonie
des
peuples, ou celle d’une renaissance des particularismes nationaux ? J
1773
érations et de l’harmonie des peuples, ou celle d’
une
renaissance des particularismes nationaux ? Je répondrai : dans les d
1774
’harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance
des
particularismes nationaux ? Je répondrai : dans les deux à la fois, e
1775
deux à la fois, et cela n’est pas contradictoire.
Un
phénomène très général de convergence inspire les mouvements d’union
1776
e, en Afrique et en Amérique latine, cependant qu’
une
volonté d’union mondiale anime les Nations unies et l’Unesco, le Cons
1777
Nations unies et l’Unesco, le Conseil œcuménique
des
Églises et Vatican II. Simultanément, mais en sens inverse, un phénom
1778
Vatican II. Simultanément, mais en sens inverse,
un
phénomène tout aussi général d’affirmation des diversités, des autono
1779
se, un phénomène tout aussi général d’affirmation
des
diversités, des autonomies et des volontés d’indépendance, inspire le
1780
tout aussi général d’affirmation des diversités,
des
autonomies et des volontés d’indépendance, inspire les mouvements de
1781
l d’affirmation des diversités, des autonomies et
des
volontés d’indépendance, inspire les mouvements de résurgences commun
1782
e chacun de nos États unitaires. Renaissance donc
des
micronationalismes locaux, qui revendiquent leur autonomie au nom de
1783
omie au nom de leur langue, de leurs coutumes, ou
des
nécessités économiques nouvelles, et qui enfièvrent tour à tour la Br
1784
se prononcent en même temps, résultent en partie
des
mêmes causes, et entraînent des effets complémentaires, j’entends le
1785
sultent en partie des mêmes causes, et entraînent
des
effets complémentaires, j’entends le dépassement de l’État-nation à l
1786
fois par en haut et par en bas, d’une part, vers
des
fédérations continentales et, d’autre part, vers un fédéralisme régio
1787
fédérations continentales et, d’autre part, vers
un
fédéralisme régional. La victime de ce double mouvement contradictoir
1788
t du Premier Empire, produit de la confiscation d’
une
mystique — la nation — par un appareil administratif et policier — l’
1789
la confiscation d’une mystique — la nation — par
un
appareil administratif et policier — l’État. Un État plus ou moins na
1790
r un appareil administratif et policier — l’État.
Un
État plus ou moins nationalisé ou une nation étatisée, modèle : la Fr
1791
er — l’État. Un État plus ou moins nationalisé ou
une
nation étatisée, modèle : la France, bientôt imitée par presque toute
1792
r presque toute l’Europe — et au xxe siècle, par
une
centaine de nations nouvelles. Centralisé, atomisé et trituré par les
1793
colonialisme. Il est certain que la prétention à
une
politique indépendante, au plein sens du terme, ne saurait être soute
1794
utefois d’en payer le prix, lequel serait celui d’
une
autarcie presque totale ou d’une sorte d’isolation paranoïaque. En fa
1795
l serait celui d’une autarcie presque totale ou d’
une
sorte d’isolation paranoïaque. En fait, les États-Unis, quoique de lo
1796
diale que celle-ci du dollar ou de la télévision.
Une
interdépendance universelle dans tous ordres tend à réduire l’indépen
1797
dans tous ordres tend à réduire l’indépendance d’
un
État à une certaine liberté dans le choix de ses dépendances, à un ce
1798
ordres tend à réduire l’indépendance d’un État à
une
certaine liberté dans le choix de ses dépendances, à un certain jeu d
1799
taine liberté dans le choix de ses dépendances, à
un
certain jeu dans l’aménagement de ses réseaux de relations plus ou mo
1800
à la Chambre italienne sur le règlement du statut
des
régions autonomes. Risque d’éclatement de la Belgique. En France, flo
1801
. Succès spectaculaires, aux dernières élections,
des
autonomistes gallois et écossais. Agitation basque et catalane, sourd
1802
Jura bernois. Mais en même temps, multiplication
des
jumelages européens entre communes de ces mêmes régions, créations d’
1803
s de liberté et de participation civique, apanage
des
communautés ou cités libres, comme Rousseau l’avait si bien vu ; ni a
1804
grands espaces économiques constitués à la mesure
des
possibilités et des besoins de l’ère scientifico-technique. Cet échec
1805
miques constitués à la mesure des possibilités et
des
besoins de l’ère scientifico-technique. Cet échec de la politique cen
1806
tralisatrice et unitaire, secrètement obsédée par
un
rêve d’autarcie, et cette mise en question, voire en accusation, de l
1807
xixe siècle, nous renvoient l’un comme l’autre à
des
formules de type fédéraliste. À la question que je me posais sur la p
1808
réponse : oui, nous sommes bel et bien au seuil d’
une
ère potentiellement fédéraliste. Peut-on dire plus ? Sur les quelque
1809
ater qu’on trouve parmi eux les plus grands États
des
cinq continents et les plus modernes — ainsi les États-Unis, le Mexiq
1810
isme « désuet ». Mais l’étiquette fédérale couvre
des
marchandises de qualités pour le moins diverses selon qu’il s’agit pa
1811
tiques qui sont opprimées par l’État central dont
un
Parti unique s’est emparé ; au Nigéria, c’est au contraire une des ré
1812
que s’est emparé ; au Nigéria, c’est au contraire
une
des régions fédérées qui s’érige en État unitaire ; en Suisse, c’est
1813
s’est emparé ; au Nigéria, c’est au contraire une
des
régions fédérées qui s’érige en État unitaire ; en Suisse, c’est le r
1814
lleurs), pour refuser de se laisser entraîner par
des
mouvements de convergence européenne et mondiale, même s’ils disent s
1815
ent s’inspirer du propre exemple de la fédération
des
cantons suisses ! Il est certain que dans ces trois cas, c’est moins
1816
al compris, ou son blocage délibéré aux limites d’
un
État fédéral. Il ne s’agit pas d’un défaut du fédéralisme, mais d’un
1817
aux limites d’un État fédéral. Il ne s’agit pas d’
un
défaut du fédéralisme, mais d’un défaut de fédéralisme. Et l’on est e
1818
ne s’agit pas d’un défaut du fédéralisme, mais d’
un
défaut de fédéralisme. Et l’on est en droit de penser que l’applicati
1819
double mouvement de diastole et de systole, vers
des
autonomies plus locales et vers des unions plus vastes, qui est le ba
1820
systole, vers des autonomies plus locales et vers
des
unions plus vastes, qui est le battement même du cœur d’un régime sai
1821
plus vastes, qui est le battement même du cœur d’
un
régime sain, j’entends immunisé contre le virus totalitaire. Mais si
1822
langage politique qui prête à pires malentendus !
Un
Français cultivé qui demande à son Littré le sens du mot fédéralisme
1823
» est défini plus loin comme ce « qui a rapport à
une
confédération ». Quant à « fédération », c’est simplement « union pol
1824
ions qui l’illustrent : 1) « Le fédéralisme était
une
des formes politiques les plus communes employées par les sauvages. »
1825
qui l’illustrent : 1) « Le fédéralisme était une
des
formes politiques les plus communes employées par les sauvages. » Cha
1826
l’unité nationale et de transformer la France en
une
fédération de petits États. » Pour le Français cultivé, donc, la caus
1827
is cultivé, donc, la cause est jugée. Il s’agit d’
un
système qui est bon pour les sauvages, et qui semble n’avoir été préc
1828
ages, et qui semble n’avoir été préconisé que par
des
traîtres à la République… Il est vrai que mon Littré date de 1865 : «
1829
jet auraient dû suffire, semble-t-il, à clarifier
un
terme que le problème européen et nos situations nationales nous amèn
1830
le malheur congénital du fédéralisme reste d’être
un
concept dialectique, ambigu, et qui autorise — ou incite en tout cas
1831
uelques années, je suggérai au comité directeur d’
un
congrès européen qu’une journée fût réservée à des travaux sur le féd
1832
érai au comité directeur d’un congrès européen qu’
une
journée fût réservée à des travaux sur le fédéralisme. Le représentan
1833
un congrès européen qu’une journée fût réservée à
des
travaux sur le fédéralisme. Le représentant du Conseil de l’Europe ti
1834
ce haut fonctionnaire tenait le fédéralisme pour
un
système d’unification intégrale, sans respect pour les diversités et
1835
ans respect pour les diversités et les autonomies
des
pays membres, c’est-à-dire très exactement le contraire de ce qu’il e
1836
verse, le fédéralisme est assimilé par beaucoup à
une
attitude de suspicion envers tout pouvoir central, et à la défense om
1837
tout pouvoir central, et à la défense ombrageuse
des
autonomies locales ou régionales. C’est ainsi qu’un illustre homme d’
1838
autonomies locales ou régionales. C’est ainsi qu’
un
illustre homme d’État belge, et grand Européen, écrivait récemment :
1839
y a quelques années, on put entendre le recteur d’
une
de nos universités cantonales condamner le principe d’une subvention
1840
os universités cantonales condamner le principe d’
une
subvention fédérale « parce qu’ici, disait-il, nous sommes fédéralist
1841
d’Européens professionnels ou de gardiens jaloux
des
traditions helvètes, que sera-ce ailleurs ? Le fédéralisme n’étant ni
1842
portance pratique de tout effort de clarification
des
concepts de fédération et de fédéralisme. Pour ma part, je voudrais m
1843
proposer quelques définitions, puis les relier à
des
situations contemporaines choisies dans les domaines les plus variés
1844
itions. Je propose d’appeler problème fédéraliste
une
situation dans laquelle s’affrontent deux réalités humaines antinomiq
1845
uisse être cherchée, ni dans la réduction de l’un
des
termes, ni dans la subordination de l’un à l’autre, mais seulement da
1846
ordination de l’un à l’autre, mais seulement dans
une
création qui englobe, satisfasse et transcende les exigences de l’un
1847
sitive. (On dirait, dans le langage de la théorie
des
jeux de von Neumann et Morgenstern, qu’il s’agit de déterminer l’opti
1848
ntradictoires, — comme l’offre et la demande dans
un
prix.) L’ensemble des problèmes et des solutions ainsi définis consti
1849
e l’offre et la demande dans un prix.) L’ensemble
des
problèmes et des solutions ainsi définis constitue ce que je nommerai
1850
emande dans un prix.) L’ensemble des problèmes et
des
solutions ainsi définis constitue ce que je nommerai la politique féd
1851
Avant de chercher à quel type d’homme correspond
une
telle politique, et quel type d’homme elle entend préparer ou éduquer
1852
d préparer ou éduquer, constatons qu’elle traduit
une
forme de pensée, une structure de relations bipolaires dont le « modè
1853
, constatons qu’elle traduit une forme de pensée,
une
structure de relations bipolaires dont le « modèle » nous est connu :
1854
littéralement auto-réglage) comme cellule de base
des
ligues et fédérations. Voilà qui est proprement occidental : devant c
1855
uisant l’un de ses termes — le Divers — au prix d’
une
longue ascèse exténuante. Pour le brahmane, pour le bouddhiste, le bu
1856
de la masse indistincte autant que sur l’anarchie
des
individus isolés, qu’il s’agisse de réalités métaphysiques ou physiqu
1857
litiques. Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte
des
contraires procède la plus belle harmonie, dit un fragment célèbre d’
1858
es contraires procède la plus belle harmonie, dit
un
fragment célèbre d’Héraclite. L’art et la science de cette mise en te
1859
que je l’entends, après avoir valu pour la Grèce
des
grands siècles avec sa dialectique de l’individu et de la cité, conci
1860
vers l’approfondissement et l’expansion du modèle
des
contraires en tension créatrice, nous le trouvons dans le christianis
1861
créatrice, nous le trouvons dans le christianisme
des
grands conciles. À Nicée, puis à Chalcédoine, plusieurs centaines d’é
1862
pour définir en grec la nature à la foi triple et
une
du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une et d
1863
e, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois
une
et double de Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seu
1864
Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons
un
seul et même Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme… fils uni
1865
éparation. L’union n’a pas supprimé la différence
des
natures, mais plutôt elle a sauvegardé les propriétés de chaque natur
1866
priétés de chaque nature, qui se rencontrent dans
une
seule personne… » Abstraction faite de la foi que l’on accorde ou non
1867
je retiens que leurs formes et structures posent
un
certain type de relations, posent donc une société et une politique.
1868
posent un certain type de relations, posent donc
une
société et une politique. De même que le modèle trinitaire des concil
1869
ain type de relations, posent donc une société et
une
politique. De même que le modèle trinitaire des conciles sera utilisé
1870
t une politique. De même que le modèle trinitaire
des
conciles sera utilisé par Kepler dans ses spéculations sur le cercle
1871
marxienne — de même le modèle de la co-existence
des
deux natures sans confusion ni séparation et de l’union qui loin de s
1872
et de l’union qui loin de supprimer la différence
des
natures sauvegarde leurs propriétés 26 sera repris par tous les pense
1873
s les penseurs occidentaux respectueux du réel et
des
conditions de la vie, qui sont : antinomies, oppositions, lutte des c
1874
la vie, qui sont : antinomies, oppositions, lutte
des
contraires « d’où procède la plus belle harmonie ». Je pense d’abord,
1875
s comme exclusifs l’un de l’autre, a cessé d’être
un
scandale, est même devenu principe fondamental d’interprétation du ré
1876
oderne où l’on retrouve les structures typiques d’
un
problème fédéraliste. À la base de notre analyse, plaçons une concept
1877
fédéraliste. À la base de notre analyse, plaçons
une
conception de l’homme analogue au modèle bipolaire posé par le concil
1878
Chalcédoine. La personne humaine, notion déduite
des
dogmes relatifs aux trois Personnes divines, et surtout à la deuxième
1879
nauté, cet homme se constitue dans la dialectique
des
contraires. Et ce caractère va se transmettre à tous les groupes qu’i
1880
— l’autonomie. Quelques exemples : 1. Le problème
des
universités résulte d’un couple d’exigences contradictoires, qui para
1881
emples : 1. Le problème des universités résulte d’
un
couple d’exigences contradictoires, qui paraissent exclusives l’une d
1882
ces communs, de participation efficace à la vie d’
un
groupe concret et d’horizons ouverts, d’adhésion à des communautés pl
1883
roupe concret et d’horizons ouverts, d’adhésion à
des
communautés plus vastes, de cadres qui rassurent, d’enracinement et d
1884
on de l’homme qui veut à la fois sa vie privée et
une
vie sociale est homologue à la situation de la région qui veut à la f
1885
eut à la fois son autonomie et sa participation à
un
plus grand ensemble, en association. 4. Enfin, le problème général de
1886
venons d’évoquer, puisqu’il consiste à concilier
des
confessions distinctes dans l’unité de l’Église, c’est-à-dire en dern
1887
té de l’Église, c’est-à-dire en dernière analyse,
des
vocations particulières au sein de l’Être même de l’Universel, source
1888
éthode dictés par le souci fédéraliste de respect
des
diversités, des conditions contradictoires de la vie, comme la libert
1889
r le souci fédéraliste de respect des diversités,
des
conditions contradictoires de la vie, comme la liberté des personnes
1890
tions contradictoires de la vie, comme la liberté
des
personnes et la force de la communauté ? L’analyse fédéraliste d’une
1891
force de la communauté ? L’analyse fédéraliste d’
une
situation part du concret, en ce sens que d’abord elle considère la n
1892
en ce sens que d’abord elle considère la nature d’
une
tâche ou d’une fonction particulière dont on aura reconnu la nécessit
1893
d’abord elle considère la nature d’une tâche ou d’
une
fonction particulière dont on aura reconnu la nécessité ou l’agrément
1894
e d’exécution requise et elle le fait en fonction
des
trois facteurs suivants : possibilités de participation (civique, int
1895
intellectuelle, économique), efficacité, économie
des
moyens. Enfin, dernière étape : une fois déterminée cette dimension e
1896
égions, tous les hommes de quelques régions, ou d’
une
seule. Je conviendrai que le nombre des combinaisons auxquelles peut
1897
ons, ou d’une seule. Je conviendrai que le nombre
des
combinaisons auxquelles peut conduire cette méthode a de quoi donner
1898
cité. Pour moi, le fédéralisme, c’est l’autonomie
des
régions plus les ordinateurs, c’est-à-dire le respect du réel et de s
1899
allons voir, enfin, que nos critères d’évaluation
des
dimensions et d’attribution des niveaux décisionnels — la participati
1900
ères d’évaluation des dimensions et d’attribution
des
niveaux décisionnels — la participation, l’efficacité et l’économie d
1901
ls — la participation, l’efficacité et l’économie
des
moyens — sont en interdépendance générale. Prenons l’exemple de l’hab
1902
e. Prenons l’exemple de l’habitat : le gigantisme
des
villes, l’entassement dans les grands ensembles conçus pour rapporter
1903
ands ensembles conçus pour rapporter, ont produit
une
situation de crise dont l’acuité se mesure notamment par le chiffre é
1904
l’acuité se mesure notamment par le chiffre élevé
des
suicides. L’homme des ensembles à bon marché, trop serré avec d’autre
1905
amment par le chiffre élevé des suicides. L’homme
des
ensembles à bon marché, trop serré avec d’autres chez soi, et qui vou
1906
l, sort et se mêle à la foule anonyme… Mais c’est
une
mauvaise solitude, née de l’absence de communication avec ceux que l’
1907
taines dimensions et structures architecturales :
des
unités d’habitation de 5000 à 25 000 habitants, dotées non seulement
1908
rts mais de rues réservées aux seuls piétons et d’
une
place remplissant la fonction de l’agora ou du forum dans la cité ant
1909
u de rencontres, d’intrigues, de flirts, de criée
des
journaux et de manifestations. La possibilité physique et morale de p
1910
générale au sens traditionnel et l’acquisition d’
un
savoir professionnel souvent d’autant plus rentable qu’il est plus ét
1911
étroitement spécialisé ; mais la révolte actuelle
des
étudiants, sorte de tourbillon dans l’égarement, est aussi le résulta
1912
t, est aussi le résultat mécanique de l’explosion
des
effectifs. Multipliez par dix les dimensions des marches d’un escalie
1913
des effectifs. Multipliez par dix les dimensions
des
marches d’un escalier, il devient impraticable. De même, le décupleme
1914
. Multipliez par dix les dimensions des marches d’
un
escalier, il devient impraticable. De même, le décuplement des effect
1915
il devient impraticable. De même, le décuplement
des
effectifs estudiantins transforme en acrobatie toute participation ré
1916
aliste : commencer par réévaluer les dimensions d’
une
université digne du nom, ménageant des possibilités de recherches trè
1917
mensions d’une université digne du nom, ménageant
des
possibilités de recherches très spécialisées et de travail interdisci
1918
ités de base de douze à quinze étudiants autour d’
un
enseignant (c’étaient les dimensions d’un studium de la Sorbonne au x
1919
utour d’un enseignant (c’étaient les dimensions d’
un
studium de la Sorbonne au xiiie siècle) puis une fédération de ces p
1920
’un studium de la Sorbonne au xiiie siècle) puis
une
fédération de ces petites unités en départements, et je retrouve ici
1921
aux recteurs européens en 1964m. L’université fut
une
commune libre au Moyen âge. Toute vie civique, depuis la cité grecque
1922
ue du fédéralisme : comment assurer la cohésion d’
un
ensemble assez vaste pour pouvoir se charger de tâches communes (tell
1923
) sans léser les droits essentiels et l’autonomie
des
unités de base ? Comment devenir assez grand pour être fort, tout en
1924
ez petit pour être libre ? Ce n’est pas le vote d’
une
constitution, de type plus ou moins fédéral qui peut résoudre une foi
1925
fois pour toutes ce conflit permanent. Il y faut
une
méthode vivante, celle que j’ai dite : sans cesse évaluer à nouveau l
1926
dite : sans cesse évaluer à nouveau la dimension
des
tâches à entreprendre, répartir en conséquence les pouvoirs de décisi
1927
ndant aux exigences de l’habitat, de la formation
des
esprits et de l’exercice du civisme, c’est dans cette dialectique con
1928
ain de se former sous nos yeux, en Europe, plus d’
une
centaine de régions à métropole destinées à devenir — à plus ou moins
1929
future fédération continentale, en lieu et place
des
États-nations constitués au xixe siècle. On s’aperçoit alors que le
1930
par les auteurs classiques, n’était en réalité qu’
un
cas particulier d’une conception beaucoup plus large des relations hu
1931
iques, n’était en réalité qu’un cas particulier d’
une
conception beaucoup plus large des relations humaines dans la cité, d
1932
particulier d’une conception beaucoup plus large
des
relations humaines dans la cité, des relations publiques en général.
1933
p plus large des relations humaines dans la cité,
des
relations publiques en général. C’est ce qu’avait bien vu le regretté
1934
os, lorsqu’il relevait que « le fédéralisme vit d’
une
vie que la forme institutionnelle dénommée État ne suffit pas à quali
1935
il ajoutait : « Le fédéralisme est autre chose qu’
une
simple recette juridique ou politique : il est un des grands types d’
1936
ne simple recette juridique ou politique : il est
un
des grands types d’aménagement du rapport politique et peut-être plus
1937
simple recette juridique ou politique : il est un
des
grands types d’aménagement du rapport politique et peut-être plus enc
1938
nt du rapport politique et peut-être plus encore,
un
des grands styles de vie et de civilisation, capable, au même titre q
1939
du rapport politique et peut-être plus encore, un
des
grands styles de vie et de civilisation, capable, au même titre que l
1940
ocialisme ou la démocratie, d’alimenter la pensée
des
sociétés et de dicter aux hommes ces “images de comportement” dont Be
1941
les sauvages dont parlait Littré. Mais loin aussi
des
définitions étroitement légales et constitutionnelles du xixe . Nous
1942
nelles du xixe . Nous voici sur le seuil de l’ère
des
grandes unions et des petites unités fonctionnelles, et l’on va peut-
1943
voici sur le seuil de l’ère des grandes unions et
des
petites unités fonctionnelles, et l’on va peut-être trouver, dans les
1944
ition. En tant que méthode générale d’aménagement
des
relations humaines, le fédéralisme tel que j’ai tenté de le définir n
1945
: « Le fédéralisme est présence au pouvoir global
des
éléments particuliers — demeurant distincts et reconnaissables — dont
1946
aissables — dont se compose la fédération. Il est
une
symbiose sans confusion ni disparition des spécificités. » 27. H. Br
1947
Il est une symbiose sans confusion ni disparition
des
spécificités. » 27. H. Brugmans et P. Duclos, Le Fédéralisme contemp