1 1937, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Paysans de l’Ouest (15 juin 1937)
1 de l’Ouest (15 juin 1937)a b 10 décembre 1933 Un discours de l’instituteur. — Hier soir, séance de Pathé-Baby organisé
2 anisée par l’instituteur dans la salle de l’école des garçons. Il me tardait de voir une fois les habitants du village réun
3 tion, placé à trois ou quatre mètres de l’écran. ( Un drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gar
4 de l’écran. (Un drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu bruyants, presque tous laids de
5 eux. Au fond, sur deux armoires basses siégeaient une dizaine d’hommes. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et de
6 Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et des enfants autour du trépied de l’appareil, empressés à tendre les bobin
7 re les bobines de film à l’instituteur. Il fallut un certain temps pour mettre au point la projection. Les jeunes gens éto
8 point la projection. Les jeunes gens étouffaient des rires, chatouillaient les filles. Devant moi une grosse luronne s’agi
9 des rires, chatouillaient les filles. Devant moi une grosse luronne s’agitait sur son banc. Je voyais une puce circuler su
10 grosse luronne s’agitait sur son banc. Je voyais une puce circuler sur sa nuque grasse. Un des garçons s’en aperçoit, attr
11 Je voyais une puce circuler sur sa nuque grasse. Un des garçons s’en aperçoit, attrape la puce en pinçant la fille, et le
12 voyais une puce circuler sur sa nuque grasse. Un des garçons s’en aperçoit, attrape la puce en pinçant la fille, et les ri
13 lame le silence, et la projection commence. C’est un film d’avant-guerre, la Course au flambeau, tiré de la pièce de Paul
14 grecs, porteurs de torches qu’ils se passent avec des gestes lents, hallucinants, à grands sauts ralentis — le courant élec
15 ’il va prononcer, comme chaque semaine désormais, un petit discours. « Je serai bref ! » C’est un jeune homme d’allure éne
16 ais, un petit discours. « Je serai bref ! » C’est un jeune homme d’allure énergique et de visage intelligent, la chevelure
17 dis-je, quelqu’un qui a osé prétendre que je suis un empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé des calomnies que le
18 n qui a osé prétendre que je suis un empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé des calomnies que le curé répand sur s
19 n empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé des calomnies que le curé répand sur son compte, dans les foyers et jusqu
20 nt, la voix s’enfle. « J’étais au dernier congrès des instituteurs qui s’est tenu à Paris. Eh bien ! citoyens, lors de ce c
21 a fin de la phrase étant particulièrement sonore, des applaudissements éclatent au fond de la salle. Le jeune orateur élect
22 a salle. Le jeune orateur électrisé se lance dans une définition vibrante de la laïcité. « Être laïque, c’est vouloir la ju
23 plutôt soufflé à l’oreille de ma femme : « C’est un sermon ! » que l’orateur, au comble de son éloquence, s’écrie : « Et,
24 ères ! si l’on vient encore vous dire que je suis un empoisonneur des consciences, vous saurez maintenant me défendre ! et
25 ient encore vous dire que je suis un empoisonneur des consciences, vous saurez maintenant me défendre ! etc. » C’est fini.
26 l cause bien ». Pour terminer la soirée, on passe un dessin animé, le Petit Poucet, qui remporte un gros succès. En sortan
27 se un dessin animé, le Petit Poucet, qui remporte un gros succès. En sortant, nous passons devant la salle du curé, qui do
28 devant la salle du curé, qui donne aussi ce soir une séance de cinéma. On entend rire des enfants. — J’ai rencontré le cur
29 ussi ce soir une séance de cinéma. On entend rire des enfants. — J’ai rencontré le curé ce matin, suivi comme d’habitude d’
30 contré le curé ce matin, suivi comme d’habitude d’ une bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut. 12 décembre
31 de l’île pour allumer le feu, j’ai vu l’annonce d’ une conférence contradictoire à A… : « La Bible et les travailleurs. » C’
32  La Bible et les travailleurs. » C’est sans doute une réponse à la conférence donnée au même endroit, il y a quinze jours,
33 endroit, il y a quinze jours, sous les auspices d’ une ligue « antifasciste », et qui avait pour sujet : « L’Église contre l
34 euple ou la France de Bordeaux, la feuille locale des curés ou celle des républicains. Il est à peu près impossible de savo
35 de Bordeaux, la feuille locale des curés ou celle des républicains. Il est à peu près impossible de savoir s’ils font une d
36 Il est à peu près impossible de savoir s’ils font une distinction quelconque entre les opinions, pourtant bien tranchées, q
37 salle de la mairie, voûtée, peinte en bleu clair. Une table et trois chaises sur la scène surélevée. Environ une centaine d
38 et trois chaises sur la scène surélevée. Environ une centaine d’auditeurs : paysans et pêcheurs, cela se voit. Au premier
39 vais éclairage. L’orateur se hisse sur la scène : un homme jeune encore, un peu gros et lent d’allure, physionomie ouverte
40 ur se hisse sur la scène : un homme jeune encore, un peu gros et lent d’allure, physionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien
41 Je vous demanderai donc de bien vouloir proposer des noms. » Silence. Chuchotements. — Vas-y ! — Non ! Moi ? penses-tu ! —
42 ère cirée, et s’installent sur les trois chaises, un tout à droite, un tout à gauche, le troisième, qui est le président,
43 stallent sur les trois chaises, un tout à droite, un tout à gauche, le troisième, qui est le président, derrière la table,
44 ne pas vous présenter l’orateur qui va vous faire un intéressant discours sur le sujet… Je ne connais pas beaucoup M. Palu
45 oujours. La primitive église était constituée par des esclaves et des gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de ri
46 itive église était constituée par des esclaves et des gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de riches. Elles ont
47 claves et des gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de riches. Elles ont trahi l’Évangile. Un philosophe français
48 es églises de riches. Elles ont trahi l’Évangile. Un philosophe français, M. Julien Benda, a dit que les clercs ont trahi.
49 es intellectuels, les écrivains, les professeurs, des hommes distingués et très instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtre
50 stingués et très instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtres et des pasteurs qui ont trahi. Capitalisme, bourgeoisie égoïs
51 s instruits. Eh bien, il y a aussi des prêtres et des pasteurs qui ont trahi. Capitalisme, bourgeoisie égoïste, guerre. Mai
52 st avec les petits. Résumé de ce que la Bible dit des travailleurs : Jérémie exigeait que le roi payât les ouvriers. L’Anci
53 es Juifs est presque communiste ! Jésus est l’ami des pauvres, des péagers. Malheureusement il y a le cléricalisme. C’est l
54 presque communiste ! Jésus est l’ami des pauvres, des péagers. Malheureusement il y a le cléricalisme. C’est lui qui est ma
55 on ni de guerre !… La péroraison a été éloquente, un peu trop à mon goût. On applaudit. Le président demande s’il y a des
56 goût. On applaudit. Le président demande s’il y a des questions à poser. Long silence embarrassé. Enfin un type se lève au
57 questions à poser. Long silence embarrassé. Enfin un type se lève au fond de la salle et demande « s’il n’y a pas des cont
58 e au fond de la salle et demande « s’il n’y a pas des contradictions dans la Bible ». Suit une petite discussion tout à fai
59 ’y a pas des contradictions dans la Bible ». Suit une petite discussion tout à fait confuse et sans aucun rapport avec le s
60 y a pas d’autre question. Le président fait alors un bref remerciement à l’orateur. Il s’excuse encore de ne pas s’y conna
61 on voisin, pendant que je lui donne du feu. C’est un petit maigre en casquette, environ 35 ans, l’air intelligent. Je l’ap
62 it pas été plus longue : il y avait pourtant bien des auditeurs qui ne devaient pas être d’accord ? « Ben quoi, fait-il, co
63 ce qu’il a dit ! » Comment donc ? Ai-je affaire à un chrétien ou même à un protestant ? J’essaie de le faire parler. Je lu
64 ment donc ? Ai-je affaire à un chrétien ou même à un protestant ? J’essaie de le faire parler. Je lui dis : « Oui, c’est l
65 monde ne pense pas comme ça ici ? » Il me regarde un peu étonné à son tour : « Qu’est-ce que vous voulez, il n’y a rien à
66 ier, et nous sortons ensemble. Dans la rue noire, un homme nous rejoint : c’est celui qui a présidé la réunion. Il veut en
67 i demander « si ce serait possible de se procurer une Bible pour étudier un peu tout ça. On sent bien que c’est important d
68 it possible de se procurer une Bible pour étudier un peu tout ça. On sent bien que c’est important de s’y connaître dans c
69 e qu’on a peine à comprendre ses intentions. Il a un oncle qui est curé, mais je ne saisis pas bien si ce curé lui a inter
70 e, ou si, au contraire, il pourrait lui en prêter une . Quoi qu’il en soit, le pasteur note le nom du « président » et prome
71 le nom du « président » et promet de lui envoyer un Nouveau Testament. Nous faisons les cent pas sur la place. M. Palut s
72 lace. M. Palut sait que je suis écrivain. Il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion d’« intellectuel »
73 ous pensez, de cette soirée… Je le regarde. C’est un homme simple et solide, on peut lui parler en camarade : — Eh bien !
74 ctement, les interpeller, enfin quoi, les secouer un peu ! Ils sont là à vous écouter sans bouger, comme ils ont écouté le
75 ’accord. Il ne faut pas oublier que nous vivons à une époque de propagande forcenée, et je vous assure qu’un communiste, pa
76 oque de propagande forcenée, et je vous assure qu’ un communiste, par exemple, les aurait attaqués plus brutalement sans au
77 est la première fois que je parle ici, c’est déjà un énorme succès. Pensez donc, il y a plus de six ans que je suis dans l
78 mais… je les connais. Ils aiment qu’on leur fasse un beau discours. Ah ! c’est terrible, je vous assure. Bien sûr, il faud
79 remercient, on croit qu’ils ont compris, et puis un beau jour on s’aperçoit que… rien, rien et rien ! Et pourtant il faut
80 te ou indifférente. Nous prenons rendez-vous pour un dimanche prochain, au chef-lieu, après son culte. Je suis rentré à bi
81 es qui me cachaient la mer bruyante, à ma gauche. Un brouillard vague flottait sur les marais. « Le peuple, me disais-je e
82 nce ou leur timidité, ou aussi leur fatigue après une longue journée de travail. Mais beaucoup ne font plus rien en hiver ?
83 identes et importantes. On se sent réfléchir avec une énergie particulière en pédalant contre le vent dans l’obscurité. Mai
84 vrages traitant de mon île, j’ai déniché ce matin une édition populaire de La Naissance du jour, de Colette. Je n’avais pas
85 Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans cette espèce, mais ce n’est point pour cela que j
86 st point pour cela que j’en parle ici. C’est pour une raison très précise et qui n’a rien à voir avec la critique littérair
87 lis ceci : « … ils déménagent… comme les puces d’ un hérisson mort. » Cette phrase a fait dans mon esprit ce qu’on appelle
88 te phrase a fait dans mon esprit ce qu’on appelle un trait de lumière. Lundi dernier, au petit matin, nous nous sommes rév
89 l’espace de deux minutes, ce qui doit constituer une sorte de record. D’autres sautaient sur le couvre-pied. D’autres sur
90 use du phénomène. Il est vrai qu’on a beau porter un nombre excessif de jupons, cela ne devrait pas suffire à rendre vrais
91 ela ne devrait pas suffire à rendre vraisemblable une hypothèse à ce point injurieuse. Pourtant nous n’en trouvions pas d’a
92 uvions pas d’autres. Or, peu de jours auparavant, un petit hérisson était venu se mettre en boule dans la plate-bande qui
93 je l’avais oublié là, sans sépulture, caché sous des feuillages brunis. Si j’ajoute que la porte d’entrée joint mal le seu
94 Je rapporte cette anecdote parce qu’elle comporte une conclusion qui la dépasse d’ailleurs notablement et qui me paraît ass
95 e sais combien d’années, je viens de trouver dans un ouvrage littéraire la solution d’une question précise. Grâce à Colett
96 trouver dans un ouvrage littéraire la solution d’ une question précise. Grâce à Colette, je sais maintenant pourquoi notre
97 es. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme un symbole. Les livres devraient être utiles. On devrait y trouver des r
98 ivres devraient être utiles. On devrait y trouver des renseignements concrets, des recettes exactes, des explications vérif
99 On devrait y trouver des renseignements concrets, des recettes exactes, des explications vérifiables, des modes d’emploi, d
100 es renseignements concrets, des recettes exactes, des explications vérifiables, des modes d’emploi, des descriptions object
101 s recettes exactes, des explications vérifiables, des modes d’emploi, des descriptions objectives et utilisables ; et ceci
102 des explications vérifiables, des modes d’emploi, des descriptions objectives et utilisables ; et ceci à tous les degrés de
103 rien. Au lieu de cela, les modernes nous servent des états d’âme improbables ou excessifs, des inquiétudes dont ils n’ont
104 servent des états d’âme improbables ou excessifs, des inquiétudes dont ils n’ont même pas l’air d’être vraiment inquiets, d
105 ls n’ont même pas l’air d’être vraiment inquiets, des indiscrétions gênantes et dont on ne sait trop que faire, ou des doct
106 ns gênantes et dont on ne sait trop que faire, ou des doctrines dont ils négligent de nous dire s’ils les ont essayées sur
107 a vie quotidienne. Ils nous donnent très rarement des réponses, ou alors, par malchance, ce sont justement des réponses à d
108 onses, ou alors, par malchance, ce sont justement des réponses à des questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’
109 , par malchance, ce sont justement des réponses à des questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’est là qu’ils c
110 avons tout à rapprendre de Goethe. Non seulement des révélations du second Faust, mais aussi de ces pages du Journal de vo
111 Toscane me paraît bien gouvernée, tout y présente un aspect complet, tout y a son fini, tout sert et semble destiné à un n
112 tout y a son fini, tout sert et semble destiné à un noble usage… » Commentons : la noblesse est dans l’usage. Pas de nobl
113 onté et la mission du peuple. On a beau se méfier des phrases, il faut se trouver placé soudain devant les êtres en chair e
114 n essayant de le faire passer d’ores et déjà pour une réalité. Deuxième constatation : il est très difficile d’aimer des ho
115 ième constatation : il est très difficile d’aimer des hommes qui ne nous sont rien, qui ne nous demandent rien, qui peut-êt
116 ontre, il est très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il e
117 M. Benda. Il est généralement admis en France qu’ un orateur dit un tas de choses qu’on ne comprend pas, et cite des noms
118 t un tas de choses qu’on ne comprend pas, et cite des noms qu’on ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloq
119 se posture pour agir sur le peuple. Qu’ils disent des vérités ou des mensonges, on n’applaudira guère que le son de leur vo
120 agir sur le peuple. Qu’ils disent des vérités ou des mensonges, on n’applaudira guère que le son de leur voix, ou le parti
121 st malsain — et le peuple à ne pouvoir se libérer des charlataneries politiques autrement que par des violences maladroites
122 r des charlataneries politiques autrement que par des violences maladroites, dont il ne sera pas le dernier à pâtir. Impuis
123 l’action : ces deux misères n’auraient-elles pas une origine commune ? Il m’a semblé que j’entrevoyais cette origine dans
124 u à discuter ! Mais je n’ai pas remarqué qu’aucun des auditeurs ait pris la chose de cette manière. Je sais bien qu’il y a
125 n pendue. Mais surtout je m’avise que la majorité des « intellectuels » d’aujourd’hui ne pense pas très différemment. Peupl
126 onstatation de l’exactitude objective et formelle des faits ou des raisonnements que l’on allègue. « Il a raison » ne signi
127 e l’exactitude objective et formelle des faits ou des raisonnements que l’on allègue. « Il a raison » ne signifie pas pour
128 y a belle lurette qu’il sait ce qu’on doit penser des gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux, des es
129 n doit penser des gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’avec
130 des gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’avec les riches. Il
131 s. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’avec les riches. Il y en a certes qu
132 les écouter avec plaisir quand ils viennent faire une conférence instructive avec projections lumineuses. Mais les philosop
133 a politique, c’est tout à fait autre chose. C’est un certain nombre de phrases qu’on lit dans les journaux et qu’on entend
134 et grâce auxquelles on reconnaît tout de suite si un type est avec les petits ou avec les gros. D’autre part, c’est une qu
135 les petits ou avec les gros. D’autre part, c’est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intell
136 tions de personnes jouent un rôle : on aime avoir un député instruit. Mais ce n’est pas pour qu’il dise des choses intelli
137 éputé instruit. Mais ce n’est pas pour qu’il dise des choses intelligentes, ou nouvelles. C’est surtout parce qu’un homme i
138 telligentes, ou nouvelles. C’est surtout parce qu’ un homme instruit jouit d’une certaine considération sociale, sait se dé
139 C’est surtout parce qu’un homme instruit jouit d’ une certaine considération sociale, sait se débrouiller à Paris et peut f
140 faire de beaux discours. Dans ces conditions, qu’ un intellectuel aille parler au peuple, on l’écoutera bien patiemment, s
141 son rôle en s’agitant sur l’estrade et en lançant des appels éloquents, et moi je reste dans mon rôle en me dirigeant d’apr
142 s professent depuis longtemps en toute conscience une doctrine analogue. Il est normal que les hommes sans culture se tromp
143 érité, en montrant par l’exemple qu’elle implique des actes, ils la disqualifient et ils s’en moquent agréablement, ils la
144 ils s’en moquent agréablement, ils la réduisent à un ensemble de phrases correctes, quelquefois ingénieuses, et par défini
145 onférence, j’ai pu croire que c’était l’opinion d’ un nigaud ; mais non, c’est celle d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini d
146 t l’opinion d’un nigaud ; mais non, c’est celle d’ un clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre. 19 d
147 9 décembre 1933 Si l’on veut réellement conduire un homme à un but défini, il faut avant tout se préoccuper de le prendre
148 1933 Si l’on veut réellement conduire un homme à un but défini, il faut avant tout se préoccuper de le prendre là où il e
149 le secret de tout secours… Pour aider réellement un homme, il faut que j’en sache davantage que lui, mais il faut avant t
150 ur moi, dans ma situation actuelle. Elle contient un double avertissement. D’une part, elle m’invite à regarder plus objec
151 ard.) D’autre part, elle m’aide à distinguer l’un des motifs au moins de ma gêne, quand je constate qu’ils ne comprennent p
152 prennent pas de quoi je m’occupe. C’est peut-être un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’être reconnu par eux à
153 uoi je m’occupe. C’est peut-être un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’être reconnu par eux à ma juste valeur.
154 e Kierkegaard appelle vanité. Cependant, s’il est des plus probables que j’ai, comme un chacun, mon amour-propre, je ne pui
155 dant, s’il est des plus probables que j’ai, comme un chacun, mon amour-propre, je ne puis m’empêcher de le juger assez jus
156 dans l’occurrence. On n’aime pas à être tenu pour un fainéant ou un rentier, quand on est dans ma situation, ou mieux, dan
157 ce. On n’aime pas à être tenu pour un fainéant ou un rentier, quand on est dans ma situation, ou mieux, dans ce défaut de
158 n » qui fait de moi, pour parler comme la presse, un « intellectuel en chômage. » (Écrire, aux yeux de ces paysans, ne sig
159 t parce qu’on raconte dans le pays que je possède une machine à écrire…) Février 1934 Les gens. — Du haut des dunes, je vo
160 hine à écrire…) Février 1934 Les gens. — Du haut des dunes, je vois les terres divisées en parcelles minuscules. Sur ces p
161 visées en parcelles minuscules. Sur ces parcelles des hommes et des femmes travaillent, le buste parallèle au sol. Ces deux
162 elles minuscules. Sur ces parcelles des hommes et des femmes travaillent, le buste parallèle au sol. Ces deux observations
163 ervations physiques très simples méritent chacune un commentaire. Elles résument en deux images exactes les conditions mor
164 ges exactes les conditions morales et économiques des habitants de l’île. 1° Division des terres. — J’ai pu vérifier à plus
165 t économiques des habitants de l’île. 1° Division des terres. — J’ai pu vérifier à plusieurs reprises l’extraordinaire comp
166 ières. Les propriétés se composent généralement d’ une vingtaine ou d’une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que qu
167 és se composent généralement d’une vingtaine ou d’ une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques centiares, l
168 up n’ont que quelques centiares, les plus grandes un à deux ares. Je connais déjà la géographie locale assez pour me rendr
169 z pour me rendre compte de la dispersion ridicule des parcelles tout autour du village : l’homme qui travaille ces bouts de
170 ts de champ, grands comme ma chambre, doit passer une partie de la journée à marcher de l’un à l’autre. Disposition encore
171 la récolte. Et, bien entendu, cela exclut l’usage des machines agricoles. Pourquoi ne s’entendent-ils pas entre eux pour gr
172 lopins ? Je me suis renseigné. Il paraît bien qu’ un maire avait proposé la réforme, avant la guerre. Mais cela n’a pas ma
173 a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’ un champ un peu meilleur que les autres. Égalité contre solidarité. Le r
174 iers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’un champ un peu meilleur que les autres. Égalité contre solidarité. Le résultat é
175 t nécessaire à leur subsistance si la répartition des terres était conçue, non point selon les principes égalitaires, mais
176 mais selon le bon sens pratique. Comment espérer un développement « culturel » de cette population abrutie de fatigue ? I
177 bord réformer leur mentalité pour rendre possible une réforme matérielle, qui, à son tour, permettrait d’autres progrès. Un
178 e, qui, à son tour, permettrait d’autres progrès. Un seul homme ici pourrait influencer cette mentalité, c’est l’institute
179 mentalité, c’est l’instituteur. S’il leur donnait une éducation non plus égalitaire, mais communautaire, beaucoup de choses
180 utre solution que la contrainte. La dictature est un moyen grossier, souvent barbare et toujours déshonorant pour ceux qui
181 is c’est le seul moyen de transformer et d’animer un peuple auquel on n’a pas su donner le sens civique, le sens de la com
182 ce qui se préoccupe en France de donner au peuple une éducation solidariste ? On cherche à enrôler ces cultivateurs dans de
183 iste ? On cherche à enrôler ces cultivateurs dans des ligues toujours anti-quelque chose, qui n’empêcheront rien, c’est l’é
184  Revenons au sens précis, limité et terre à terre des usages de l’île. Dès la quarantaine déjà, les hommes et les femmes on
185 forme de leurs outils. Ils n’utilisent guère que des « bouelles » au manche très court, recourbé à l’extrémité, de telle s
186 é, de telle sorte que la lame fait avec le manche un angle d’environ 45 degrés. Cet instrument, d’une part les oblige à ba
187 ondeur. Trente centimètres de rallonge au manche, un angle plus grand avec la lame, cela suffirait à redresser leur corps
188 l’allure et les façons de travailler si spéciales des gens d’ici, j’ai hésité longtemps à croire que la raison en était rée
189 plutôt surpris. « On a toujours fait comme ça. » Un jour, le père Renaud étant venu retourner une planche d’oignons, je l
190 a. » Un jour, le père Renaud étant venu retourner une planche d’oignons, je lui ai offert les outils à long manche qui sont
191 fusé. « On n’a pas l’habitude. » Contre-épreuve : un petit propriétaire venu du continent il y a trois ans et qui utilise
192 venu du continent il y a trois ans et qui utilise des outils ordinaires, me dit qu’il a tout de suite obtenu des résultats
193 s ordinaires, me dit qu’il a tout de suite obtenu des résultats supérieurs à ceux de ses voisins, et à moindre fatigue. Il
194 la terre, et refusent cependant de rien changer à des habitudes dont les défauts sautent aux yeux du premier venu. 13 févri
195 13 février 1934 La presse. — Je note à l’usage d’ un futur historien des mœurs que la presse « de droite » reflète assez e
196 presse. — Je note à l’usage d’un futur historien des mœurs que la presse « de droite » reflète assez exactement la mentali
197 rnaux socialistes et communistes sont rédigés par des bourgeois, ou par des candidats à la bourgeoisie, en tous cas par des
198 ommunistes sont rédigés par des bourgeois, ou par des candidats à la bourgeoisie, en tous cas par des gens qui recherchent
199 r des candidats à la bourgeoisie, en tous cas par des gens qui recherchent la « considération » du peuple. D’où le ton hain
200 ette contagion ! Les deux journaux locaux gardent un ton à la fois naïf et grandiloquent, avec des maladresses et des gros
201 dent un ton à la fois naïf et grandiloquent, avec des maladresses et des grosses astuces, qui n’est pas exactement celui de
202 is naïf et grandiloquent, avec des maladresses et des grosses astuces, qui n’est pas exactement celui des « discussions » q
203 s grosses astuces, qui n’est pas exactement celui des « discussions » qu’on peut entendre dans les cafés du port, au chef-l
204 villageoises (accidents de bicyclette, arrivée d’ un bateau, prix du sel, causeries du curé ou de l’instituteur, mariages,
205 presque toute la place. Abîme entre la politique des amis du peuple et la réalité du peuple : rien ne le rend plus sensibl
206 campagne. 15 février 1934 Les gens. — Si j’avais une âme de philanthrope, je chercherais à répandre mes idées dans la popu
207 dans la population : j’organiserais, par exemple, un meeting pour exposer mes critiques ci-dessus consignées, et mettre en
208 ire ou récréatif. La plus fameuse était la Clique des retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêt
209 ir l’orchestre-jazz du chef-lieu : il arrive dans un somptueux car d’excursion capitonné de velours violet, horriblement m
210 lle, dont l’activité principale se manifeste lors des enterrements : elle assure à chacun de ses membres une nombreuse suit
211 nterrements : elle assure à chacun de ses membres une nombreuse suite pour leur dernier voyage. L’autre, c’est la Société c
212 iété coopérative de panification, réunissant dans une sorte de corporation boulangers, minotiers et consommateurs. Le pain,
213 ttaquent plus, ils se cramponnent. Ce ne sont pas des colons, des défricheurs, mais de petits propriétaires qui se défenden
214 s, ils se cramponnent. Ce ne sont pas des colons, des défricheurs, mais de petits propriétaires qui se défendent avec la se
215 le besoin de s’unir. Ils n’ont pas à faire face à des menaces extérieures. Et surtout ils n’ont nulle envie d’entreprendre
216 . Et surtout ils n’ont nulle envie d’entreprendre une conquête quelconque, matérielle ou spirituelle. Or, c’est cela seul,
217 , qui rassemble les peuples et les pousse à créer des signes visibles de leur union : assemblées, fêtes, cortèges, uniforme
218 d’entre eux sont morts ou vont mourir couchés sur une fortune de 100 000 ou de 200 000 francs, que leurs fils iront perdre
219 à la ville : je crois cependant que la proportion des fous est moindre ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux, et le
220 ux » que vous. Il faudrait croire fanatiquement à une vérité absolue, qui vaille mieux que la paix et le bonheur, pour oser
221 elopper —, c’est encore la Troisième République : un État faible, dont le centre est lointain, qui ne croit à rien, et qui
222 cts de la question. Le sel ne se vend plus depuis un an, et c’était la ressource principale des villages. Le chef-lieu est
223 depuis un an, et c’était la ressource principale des villages. Le chef-lieu est en train de devenir la proie des politicie
224 es. Le chef-lieu est en train de devenir la proie des politiciens de Paris. Un dimanche, ce sont les enfants communistes de
225 ain de devenir la proie des politiciens de Paris. Un dimanche, ce sont les enfants communistes de la colonie de vacances q
226 es qui défilent en maillots rouges et l’on pousse des « cris séditieux » ; le dimanche suivant, ce sont les enfants de la f
227 t vivre beaucoup de personnes de l’île. La moitié des maisons sont vides, et quelques-unes déjà tombent en ruines. Et surto
228 orces grandir contre lui : et alors, qui va venir un beau jour, de Paris, faire la loi dans notre village ? 15 mars 1934 J
229 considération de mon île. Il faut parler d’abord des autocars. Je ne sais si l’on se doute à Paris de l’importance des aut
230 ne sais si l’on se doute à Paris de l’importance des autocars et des transformations qu’ils sont en train de causer dans l
231 se doute à Paris de l’importance des autocars et des transformations qu’ils sont en train de causer dans la vie provincial
232 t plus guère de « pays » qui ne soit desservi par une ou deux ou même trois Compagnies de transports locaux. Depuis que j’a
233 . Depuis que j’ai quitté Paris, j’ai bien utilisé une vingtaine de ces lignes. Je commence à connaître leurs coutumes : rie
234 t convergeait vers Paris, non seulement du fait d’ une organisation ferroviaire centralisée, mais encore sentimentalement. L
235 mais encore sentimentalement. Le confort relatif des grandes lignes indiquait qu’on allait à Paris ou qu’on en venait. Tou
236  vraie » circulation. Et l’on ne voyait guère que des gares, ce qu’il y a de plus attristant dans chaque village. Aujourd’h
237 ce principale. C’est de là qu’on part au milieu d’ une grande affluence de badauds, c’est là qu’on arrive à grand son de tro
238 oit le mieux de chaque pays. La voie ferrée était une sorte d’insulte à la vie locale : elle la traversait abstraitement, s
239 de ses circonstances. Sur ses bords ne vivait qu’ une population nomade, qui portait l’uniforme de l’État, partout, la même
240 itent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’ une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui change. N
241 as tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui change. N’était-ce pas l
242 nt le paysage qui change. N’était-ce pas là l’une des raisons qui faisait si facilement nier la subsistance des « petites p
243 ons qui faisait si facilement nier la subsistance des « petites patries » dans la nation abstraitement unifiée ? La ligne d
244 Elle quitte à tout propos la route nationale pour des chemins secondaires ou des ruelles à peine plus larges que la voiture
245 a route nationale pour des chemins secondaires ou des ruelles à peine plus larges que la voiture. Mais aussi elle tient com
246 rges que la voiture. Mais aussi elle tient compte des rythmes de la vie locale, du calendrier des marées, de l’heure matina
247 ompte des rythmes de la vie locale, du calendrier des marées, de l’heure matinale des foires, dans les districts ruraux, et
248 le, du calendrier des marées, de l’heure matinale des foires, dans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la s
249 s ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser ce moyen de tran
250 illeurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser ce moyen de transport vous met
251 faut aller dans deux ou trois cafés pour obtenir un minimum de précisions concernant l’heure du prochain départ et la des
252 nant l’heure du prochain départ et la destination des diverses voitures qui stationnent sur la place. C’est que chaque comp
253 ’est que chaque compagnie a sa tête de ligne chez un bistro différent, et il est rare qu’on puisse trouver l’horaire aille
254 es se disputent le parcours, jusqu’à ce que l’une des deux fasse faillite, ou réussisse à vendre « honnêtement » sa renonci
255 n, quitte à recommencer aussitôt le petit jeu sur un autre parcours5. De là à des potins sur les personnalités de l’endroi
256 itôt le petit jeu sur un autre parcours5. De là à des potins sur les personnalités de l’endroit, sur le rôle qu’ont joué da
257 t pas impossible de pousser la « discussion » sur un plan supérieur, d’aborder par exemple la question du capitalisme en g
258 ur les facteurs économiques du pays, sur les noms des notables et sur le jeu des partis politiques. Et que dire maintenant
259 du pays, sur les noms des notables et sur le jeu des partis politiques. Et que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est
260 Et que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce que Vigny pleurait, la poésie des diligences, mais
261 résurrection de ce que Vigny pleurait, la poésie des diligences, mais aérée. C’est fait d’une foule d’incidents entrevus q
262 a poésie des diligences, mais aérée. C’est fait d’ une foule d’incidents entrevus que tout dispose à romancer ; de conversat
263 es, avec ce personnage enfoui à côté de vous dans un luxueux fauteuil de cuir rouge ou bleu vif et qui change de tête plus
264 ups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’ un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours
265 geurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou d’ un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les c
266 pas deux mots à dire par la portière entrouverte un instant à la fille de l’auberge écartée qui attend le passage du car,
267 erne, c’est sportif, cela vous pose dans l’esprit des populations, on se sent maître à bord de sa puissante machine, et l’o
268 x qui commandent et disposent, ne fût-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien les hommes avec lesquels je rêver
269 s hommes avec lesquels je rêverais d’entreprendre une belle révolution, qui rajeunisse la France : ils ont la bonne humeur,
270 ont ils disposent et qui seraient décisifs lors d’ une action rapide. Mais loin de moi ces ambitions : ceux qui les ont n’en
271 es ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne suis qu’ un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais dû no
272 n. Et je ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais dû noter plus tôt. Le monsieur renc
273 dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’ un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écria : — Ah ! cher
274 — Ah ! cher monsieur, je vous envie ! Vous avez un rôle magnifique à jouer dans la société. Vous avez le temps de réfléc
275 x curés ! — Comptez, monsieur, — lui dis-je, — qu’ un écrivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’un homme normal, m
276 crivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’ un homme normal, mettons qu’un fonctionnaire (c’était pour le flatter),
277 s de peine à vivre qu’un homme normal, mettons qu’ un fonctionnaire (c’était pour le flatter), et cela tient aux circonstan
278 ce que l’on ne peut pas faire, et c’est l’aveu d’ une faiblesse ou d’une ambition excessive, deux choses qui compliquent fo
279 t pas faire, et c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’ une ambition excessive, deux choses qui compliquent fort la vie, je crois
280 iquent fort la vie, je crois ; ou bien l’on écrit des choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’une inadaptation cruel
281 es choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’ une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; ou bien on é
282 rédactionnels. Je dis les antres. De toute façon, un écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injusti
283 ntres. De toute façon, un écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu
284 est qu’on attend, qu’on exige même de ces gens-là des vertus au-dessus du commun, la révélation de secrets qui suffiraient
285 vraiment, feraient de leurs détenteurs non point des écrivains, mais des Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou de
286 de leurs détenteurs non point des écrivains, mais des Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou des saints. Croyez-moi
287 teurs non point des écrivains, mais des Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou des saints. Croyez-moi, ce que nous
288 des écrivains, mais des Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou des saints. Croyez-moi, ce que nous vous donnons, c’
289 es Don Juan, des dictateurs, des milliardaires ou des saints. Croyez-moi, ce que nous vous donnons, c’est justement ce qui
290 le crains, d’envier ma condition… 16 mars 1934 D’ un autre « peuple ». — Il faut encore que je revienne sur mon séjour ven
291 déen. J’avais à donner trois « causeries » devant des auditoires de jeunes cultivateurs. Eux-mêmes avaient fixé la liste de
292 nes cultivateurs. Eux-mêmes avaient fixé la liste des sujets qu’ils désiraient étudier au cours de l’hiver, avec l’aide de
293 truites » de la région. On m’avait prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS.
294 tions tous réunis pour déjeuner, on dominait tout un canton de marécages mélancoliques ; et parfois l’on voyait scintiller
295 oliques ; et parfois l’on voyait scintiller, dans un lointain nuageux et sous une trouée d’or, la mer. La petite salle des
296 yait scintiller, dans un lointain nuageux et sous une trouée d’or, la mer. La petite salle des cours ruraux peut contenir u
297 et sous une trouée d’or, la mer. La petite salle des cours ruraux peut contenir une centaine d’auditeurs. L’orateur doit s
298 r. La petite salle des cours ruraux peut contenir une centaine d’auditeurs. L’orateur doit se tenir debout au milieu d’eux,
299 ux, de manière à pouvoir, tout en parlant, passer des clichés dans la lanterne à projection. Pour assurer le fameux « conta
300 té physique. Je leur parlai pendant deux heures d’ un pays d’énormes plaines, sans barrières ni haies, sans chemins creux e
301 de ces masses opprimées et naïves, conduites par des équipes d’hommes durs, intellectuels bannis ou petits nobles déclassé
302 ans. Et je m’étonnais tout en parlant de raconter une épopée contemporaine : tout cela se dégageait ici de la mesquinerie h
303 cela se dégageait ici de la mesquinerie hargneuse des polémiques et des partis pris, devenait légendaire, prenait le rythme
304 ici de la mesquinerie hargneuse des polémiques et des partis pris, devenait légendaire, prenait le rythme et les couleurs g
305 e la simplification, vérité de la fable qui donne une forme grande à nos obscurs et grands désirs informulés. En finissant,
306 ands désirs informulés. En finissant, je craignis un moment de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce
307 e les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’ une espèce d’imagerie d’Épinal, malgré moi trop pareille aux innocentes p
308 s pu le laisser croire ; si ce n’était pas encore un de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté
309 e surprit davantage, ce fut la question franche d’ un garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent et ouvert : « Pensez-
310 situation matérielle était meilleure et demandait un développement tout différent ; qu’on voulait surtout, par ici, garder
311 dait. Et je me disais, en l’écoutant : « En voilà un que l’on pourrait sans honte présenter aux jeunes Russes, aux jeunes
312 er aux jeunes Russes, aux jeunes Allemands, comme un type de jeune Français. » Je retiens de cette journée deux impression
313 oto de Kalinine, président de l’URSS, debout dans un champ, en costume de moujik, il y a eu un profond silence au lieu des
314 ut dans un champ, en costume de moujik, il y a eu un profond silence au lieu des rires que je craignais. (On peut donc gou
315 e de moujik, il y a eu un profond silence au lieu des rires que je craignais. (On peut donc gouverner sans être un monsieur
316 e je craignais. (On peut donc gouverner sans être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’un brave type comme nous aut
317 être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’ un brave type comme nous autres. Rêverie des jeunes cultivateurs.) Et qu
318 l’air d’un brave type comme nous autres. Rêverie des jeunes cultivateurs.) Et quand j’eus terminé ma causerie, évitant de
319 concrète. Esprit critique, méfiance intelligente des paysans, conscience de leur autonomie… Je ne bifferai pas les conclus
320 cuisine avec sa femme et ses deux enfants. C’est un homme de quarante ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent d
321 de quarante ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isoleme
322 elle pour se soutenir. Quelquefois on nous envoie des journaux ou des revues à l’essai, mais c’est toujours de la politique
323 tenir. Quelquefois on nous envoie des journaux ou des revues à l’essai, mais c’est toujours de la politique. Quand j’étais
324 aris ? Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire un mouvement politique en dehors des partis, et de voir une fois ce qu’i
325 tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une liste de livres à lire pour l’instituteur de M… Je ne trouve à lui re
326 tituteur de M… Je ne trouve à lui recommander que des traductions. La littérature moderne en France n’a guère à donner à ce
327 i est simplement vrai. Je comprends assez bien qu’ un certain nombre d’écrivains français aient passé au communisme : il le
328 llait cela sans doute pour oser parler de nouveau une langue large, utile et humaine… Auparavant, ils croyaient comme les a
329 était plutôt ridicule. Telle est la pauvre chance des « intellectuels » : il a fallu un nouveau conformisme pour les libére
330 pauvre chance des « intellectuels » : il a fallu un nouveau conformisme pour les libérer de l’ancien ; — et l’alibi d’une
331 sme pour les libérer de l’ancien ; — et l’alibi d’ une action politique à laquelle ils n’entendent goutte. 1. Deux petits
332 L’un est aux mains de M. T…, député de droite, et des « curés ». L’autre est « républicain et antifasciste ». 2. Village à
333 rs savent que ce mot peut désigner autre chose qu’ un « je m’en fichiste » ? 4. J’avais raison de marquer ce doute. Un agr
334 histe » ? 4. J’avais raison de marquer ce doute. Un agriculteur auquel je viens de raconter ce petit fait, m’explique qu’
335 ens de raconter ce petit fait, m’explique qu’avec un manche court « on travaille plus vite et plus efficacement qu’avec un
336 travaille plus vite et plus efficacement qu’avec un manche long, surtout dans un terrain sablonneux ». Reste la question
337 efficacement qu’avec un manche long, surtout dans un terrain sablonneux ». Reste la question de savoir s’il est normal de
338 il est normal de se déformer le corps pour gagner un peu plus. Or ils y sont, pour la plupart, contraints. 5. J’ai appris
339 tunes en très peu de temps, parfois sans dépenser un seul bidon d’essence. Simplement, ils vendent la menace d’utiliser le
340 t, ils vendent la menace d’utiliser le parcours d’ une Compagnie en exercice. a. Rougemont Denis de, « Paysans de l’Ouest 
341 : « M. Denis de Rougemont, qui a publié récemment un remarquable essai sur la culture dans la société actuelle, Penser av
342 é actuelle, Penser avec les mains , a noté, dans un journal intime tenu au cours d’un long séjour dans l’île de Ré et en
343 , a noté, dans un journal intime tenu au cours d’ un long séjour dans l’île de Ré et en Vendée, ses impressions sur la vie
344 le de Ré et en Vendée, ses impressions sur la vie des paysans en général et sur leurs aspirations politiques en particulier
345 , sont extrêmement imprécises. Il y a, en France, un divorce angoissant entre les réalités humaines et la terminologie et
346 e, nourries d’observations précises, en apportent des preuves frappantes. Ces pages sont extraites du Journal d’un intelle
347 rappantes. Ces pages sont extraites du Journal d’ un intellectuel en chômage , qui doit paraître prochainement. »
2 1939, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’Âme romantique et le rêve (15 août 1939)
348 cours à l’inconscient, pour expliquer la conduite des individus ou des collectivités, c’est l’un des traits typiques de not
349 ient, pour expliquer la conduite des individus ou des collectivités, c’est l’un des traits typiques de notre siècle. Or l’i
350 te des individus ou des collectivités, c’est l’un des traits typiques de notre siècle. Or l’inconscient est la grande décou
351 cient est la grande découverte — ou l’invention — des romantiques allemands. C’est donc l’une de nos origines les plus prof
352 r certains lecteurs en remarquant que c’est aussi un ouvrage d’actualité, au sens le plus pénétrant de ce terme. Et pourta
353 udacieux et de tragique ne présente pas seulement un intérêt littéraire de tout premier ordre ; elle revêt une portée prop
354 rêt littéraire de tout premier ordre ; elle revêt une portée proprement religieuse. Et par là même — car nous vivons au seu
355 t par là même — car nous vivons au seuil de l’ère des mystiques collectives — cette lecture nous introduit aux vertiges spi
356 s introduit aux vertiges spirituels d’où sont nés des mouvements politiques tels que le national-socialisme. Peu à peu, ell
357 al-socialisme. Peu à peu, elle dévoile à nos yeux une sorte d’unité profonde sous-jacente aux tourments du siècle. Une vagu
358 té profonde sous-jacente aux tourments du siècle. Une vague de rêves a submergé notre littérature, depuis la guerre ; et vo
359 rature, depuis la guerre ; et voici que renaît, d’ une manière bien frappante, l’intérêt de beaucoup pour les études mystiqu
360 ystique » dans l’ordre politique ; voici enfin qu’ un grand empire réalise au milieu de l’Europe la plus inquiétante synthè
361 ience claire est la première conquête spirituelle des hommes angoissés par le mystère d’une nature hostile et mouvante. La
362 spirituelle des hommes angoissés par le mystère d’ une nature hostile et mouvante. La parole de raison, qui distingue les ch
363 oses, les arrête et les identifie, apparaît comme une délivrance, une victoire sur le chaos panique. Mais cette victoire, l
364 et les identifie, apparaît comme une délivrance, une victoire sur le chaos panique. Mais cette victoire, lorsqu’elle est t
365 venue trop ancienne et facile, laisse l’homme sur un sentiment de déception et d’indicible appauvrissement. Le monde ratio
366 eaucoup de questions y demeurent sans réponse, et des faims ancestrales sans pâture. D’où renaît, peu à peu, une angoisse n
367 ancestrales sans pâture. D’où renaît, peu à peu, une angoisse nouvelle, une attraction, comparable au vertige, vers ces ré
368 e. D’où renaît, peu à peu, une angoisse nouvelle, une attraction, comparable au vertige, vers ces régions de l’être obscur
369 était tourné vers la raison libératrice, au terme des époques appauvries de mystère l’homme sceptique se rejette avec passi
370 nsi naquit le romantisme allemand après le siècle des Lumières. Ainsi renaissent nos soifs mystiques élémentaires après un
371 renaissent nos soifs mystiques élémentaires après un siècle de science positiviste. Est-il vrai que la nuit et le rêve n’o
372 notre faim. Le songe, au contraire, nous propose des paradis et des terreurs d’une intensité séduisante. Serait-il le sign
373 songe, au contraire, nous propose des paradis et des terreurs d’une intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée,
374 raire, nous propose des paradis et des terreurs d’ une intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée, d’une Vérité s
375 té séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée, d’ une Vérité supérieure ? Telle est la question que posèrent les premiers r
376 vie obscure est en incessante communication avec une autre réalité, plus vaste, antérieure et supérieure à la vie individu
377 s nous retirons en nous-mêmes, en nous détournant des apparences, et plus nous pénétrons dans la nature des choses qui sont
378 apparences, et plus nous pénétrons dans la nature des choses qui sont hors de nous », affirme un des théoriciens du premier
379 ature des choses qui sont hors de nous », affirme un des théoriciens du premier romantisme, Ignaz Troxler. Mais encore : s
380 re des choses qui sont hors de nous », affirme un des théoriciens du premier romantisme, Ignaz Troxler. Mais encore : s’agi
381 , Ignaz Troxler. Mais encore : s’agit-il vraiment des choses qui sont hors de nous, ou bien seulement de choses qui, en nou
382 st-ce nous qui nous jouons de nous-mêmes, ou bien une main d’en haut brasse-t-elle les cartes ? » Déjà E. T. A. Hoffmann in
383 jà E. T. A. Hoffmann insinue la réponse : « Et si un principe spirituel étranger à nous-mêmes était le mobile de ces irrup
384 nnues qui se jettent à la traverse de nos idées d’ une manière si brusque et si saisissante ? » De là à penser que le rêve e
385 saisissante ? » De là à penser que le rêve est «  un vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur d’un scrupule d’orthodox
386 un vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur d’ un scrupule d’orthodoxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme et
387 y a que l’épaisseur d’un scrupule d’orthodoxie, d’ une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxler esquive non sa
388 ulté et le choix : pour lui, le rêve est « tantôt un écho du supraterrestre dans le terrestre, tantôt un reflet du terrest
389 écho du supraterrestre dans le terrestre, tantôt un reflet du terrestre dans le supraterrestre » ; ou encore : « Ce qui r
390 r dans la psychanalyse. Croire qu’il révèle aussi un monde supérieur, c’est entrer dans la voie mystique. Si la plupart de
391 ont pas choisi en toute clarté — ruse vitale pour des poètes —, tous les textes cités par Béguin nous inclinent à penser qu
392 nous inclinent à penser qu’ils sont plus proches des mystiques que des psychanalystes. Au fond, lorsqu’ils se demandent si
393 penser qu’ils sont plus proches des mystiques que des psychanalystes. Au fond, lorsqu’ils se demandent si le rêve est conna
394 s que l’âme prédisposée interprète aussitôt comme des messages. Cela suppose un état passionné, une certaine température où
395 erprète aussitôt comme des messages. Cela suppose un état passionné, une certaine température où toutes choses deviennent
396 mme des messages. Cela suppose un état passionné, une certaine température où toutes choses deviennent translucides, une no
397 érature où toutes choses deviennent translucides, une nostalgie longtemps déçue et qui s’empare avec avidité des plus furti
398 lgie longtemps déçue et qui s’empare avec avidité des plus furtives promesses de bonheur, surtout si elles sont assez obscu
399 ntique, de même que la surréaliste, est à l’affût des « surprises pleines de sens » dont nous parlent aussi les mystiques.
400 de sens » dont nous parlent aussi les mystiques. Une autre analogie, assez frappante, c’est le rôle de la rhétorique chez
401 comme plus tard le poète Jean-Paul, insistent sur un fait que Freud utilisera jusqu’à l’abus : c’est que l’esprit abandonn
402 it abandonné au rêve s’exprime ordinairement dans un langage métaphorique et régulier, comme s’il était soumis, en ce doma
403 gulier, comme s’il était soumis, en ce domaine, à des lois plus précises et plus constantes que celles qui le régissent à l
404 ène au problème central : celui de l’expression d’ un indicible. Il nous faut dépasser ici le domaine circonscrit du rêve.
405 le monde ineffable, qui est proprement le domaine des mystiques. Toute expérience mystique ou romantique présuppose l’exist
406 e mystique ou romantique présuppose l’existence d’ un centre ou d’un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Un-grund de Jakob Boe
407 omantique présuppose l’existence d’un centre ou d’ un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Un-grund de Jakob Boehme), dont on n
408 en parler, à en écrire, à tenter de le cerner par des figures qui, n’étant jamais suffisantes, doivent être inépuisablement
409 a moindre irrévérence : nul n’est plus verbeux qu’ un mystique, si ce n’est un romantique allemand. Car l’un et l’autre ont
410 ul n’est plus verbeux qu’un mystique, si ce n’est un romantique allemand. Car l’un et l’autre ont l’ambition de communique
411 s lors, la plainte sera la même, qu’il s’agisse d’ une Thérèse d’Avila ou simplement du bonhomme Tieck : Donnez-moi des « pa
412 vila ou simplement du bonhomme Tieck : Donnez-moi des « paroles nouvelles pour exprimer l’inexprimable », dit la sainte ; e
413 , dit la sainte ; et le poète : « Mais où trouver des mots pour dépeindre, même faiblement, la merveille de la vision qui s
414 qui, transformant mon âme, m’entraîna au-devant d’ une réalité invisible, divine, d’une ineffable splendeur ? Un indicible r
415 aîna au-devant d’une réalité invisible, divine, d’ une ineffable splendeur ? Un indicible ravissement me souleva tout entier
416 té invisible, divine, d’une ineffable splendeur ? Un indicible ravissement me souleva tout entier… » Peut-être touchons-no
417 age, de toute expression littéraire. « Où trouver des mots ? », gémissent-ils. La plainte est sincère et tragique. Mais com
418 ont entendu quelque chose. « Je crois avoir fait une découverte importante, écrit Ritter, celle d’une conscience passive d
419 une découverte importante, écrit Ritter, celle d’ une conscience passive de l’involontaire. » Et sur cette base, la seconde
420 e rêveur sont passifs ; ils écoutent le langage d’ une voix qui leur est intérieure et pourtant étrangère, qui s’élève dans
421 ssent faire autre chose que de saluer là l’écho d’ un discours divin. » Alors le doute n’est plus permis : l’analogie purem
422 nt formelle que nous décrivions jusqu’ici devient une profonde identité. L’intervention de la catégorie « passivité » nous
423 mantiques : c’est la négation et la mort du monde des formes et du langage humain, la négation et la mort du divers, du moi
424 ivers, du moi distinct et agissant. C’est la Nuit des sens et de l’esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit d
425 C’est la Nuit des sens et de l’esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit des songes, chantée par les poètes,
426 t que décrit un Jean de la Croix, et dont la nuit des songes, chantée par les poètes, n’était que le symbole et le signe ph
427 avoir reconnu et affirmé la profonde ressemblance des états poétiques et des révélations d’ordre religieux, d’avoir ajouté
428 é la profonde ressemblance des états poétiques et des révélations d’ordre religieux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrati
429 Ce sentiment d’exil que nous trouvons à l’origine des expériences mystiques les plus diverses, d’où naît-il, dans quel souv
430 plus diverses, d’où naît-il, dans quel souvenir d’ une patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait de répondre en allég
431 double nature, corporelle et spirituelle. Mais d’ une constatation si générale, comment passer à l’élucidation de ce fait l
432 via mystica ? S’il est permis — comme on l’admet un peu trop facilement de nos jours — de tirer de l’étude des maladies u
433 rop facilement de nos jours — de tirer de l’étude des maladies une vue nouvelle sur les structures de l’homme, peut-être po
434 t de nos jours — de tirer de l’étude des maladies une vue nouvelle sur les structures de l’homme, peut-être pouvons-nous de
435 , peut-être pouvons-nous demander à la biographie des romantiques quelques lumières sur les mystiques proprement dits, tout
436 n à Karl Philip Moritz peut nous y aider. Né dans un milieu quiétiste et piétiste, en plein xviiie siècle rationaliste, M
437 lein xviiie siècle rationaliste, Moritz fut l’un des tout premiers à se tourner vers l’étude des rêves. Il s’y trouvait pr
438 l’un des tout premiers à se tourner vers l’étude des rêves. Il s’y trouvait prédisposé par l’habitude de l’examen de consc
439 isciples de madame Guyon7. Non content de publier une revue entièrement consacrée à des analyses de rêves, Moritz écrivit d
440 tent de publier une revue entièrement consacrée à des analyses de rêves, Moritz écrivit deux romans autobiographiques qui n
441 ques qui nous permettent de pénétrer l’intimité d’ une expérience prémystique (ou faut-il dire d’une expérience mystique pri
442 é d’une expérience prémystique (ou faut-il dire d’ une expérience mystique privée de la grâce, réduite à ses aspects puremen
443 nt humains ?) Le point de départ paraît bien être une blessure qu’il reçut de la vie, un choc qui l’a laissé béant sur une
444 aît bien être une blessure qu’il reçut de la vie, un choc qui l’a laissé béant sur une contradiction irrémédiable entre la
445 reçut de la vie, un choc qui l’a laissé béant sur une contradiction irrémédiable entre la dure réalité et les désirs profon
446 e qu’il n’a commise que par son existence même ». Un philosophe mystique tel que Ignaz Troxler n’hésitera pas à élargir le
447 e qu’on veuille l’examiner, l’homme trouve en lui une blessure qui déchire tout ce qui vit en lui, et que peut-être lui fit
448 re lui-même… cette idée le plongea peu à peu dans un désespoir qui l’amena au bord de la rivière… » Prenons-y garde : ce m
449 L’incapacité d’accepter le monde réel est signe d’ une incapacité de s’accepter soi-même — à cause de cette blessure qu’il s
450 ent dans le passé. Moritz décrit ainsi le héros d’ un de ses romans : « Il lui parut qu’il s’était échappé entièrement à lu
451 ’a d’appui ferme que dans la chaîne ininterrompue des souvenirs8 ». Mais, comme le note Albert Béguin, Moritz à cet endroit
452 de saisir la pensée salvatrice ». C’est qu’il est un souvenir interdit, trop douloureux pour être revécu. Le moi malade éc
453 nt, représentent pour les romantiques les voies d’ un retour au monde perdu, à la « vraie vie » qui est « ailleurs », comme
454 perd aussi le sentiment de sa culpabilité. Mais d’ une autre manière encore, et plus précise, le rêve ou la via mystica sont
455 , et plus précise, le rêve ou la via mystica sont des moyens de récupérer le monde perdu. Ce qu’il faut souligner ici, c’es
456 tique de l’être revêt presque toujours la forme d’ un vœu de mort. Le sommeil préfigure la mort pour le poète romantique ;
457 i voudrait-on mourir ? La biographie de plusieurs des poètes étudiés par Béguin nous indique une réponse. En effet, la bles
458 sieurs des poètes étudiés par Béguin nous indique une réponse. En effet, la blessure dont ils souffrent est presque toujour
459 nt est presque toujours symbolisée par la perte d’ un être aimé. Passer dans l’autre monde, c’est retrouver la morte ! « L’
460 : le vœu de retrouver la morte, de communier avec un autre univers, lui fait mépriser cette vie, sentir ses limites, mettr
461 , sentir ses limites, mettre tout son espoir dans une existence d’outre-tombe ». Le rêve ou la via mystica seront cette exi
462 ette existence d’outre-tombe vécue dès ici-bas, d’ une manière indicible. Et peut-être pourrait-on dire que l’expérience mys
463 es romantiques n’ont pas été si loin dans la voie des sublimations — sauf peut-être Jean-Paul et Novalis. Ils n’arrivent pa
464 Ils n’arrivent pas à retrouver dans leur au-delà une Présence qui pardonne, qui guérisse, et qui leur rende alors la force
465 ent en de très rares instants n’est plus alors qu’ un moyen de jouir d’une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de
466 instants n’est plus alors qu’un moyen de jouir d’ une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de sa propre dissolution
467 se » (comme dit Moritz) de sa propre dissolution, un moyen détourné de revivre sa blessure, ou plutôt l’élan même qu’elle
468 ment fondamental de toute passion, le mouvement d’ un amour qui préfère le néant aux limitations de la vie — la joie devant
469 Isolde. III. Mystique et Personne L’exemple des romantiques allemands illustre une relation profonde et constante dan
470 e L’exemple des romantiques allemands illustre une relation profonde et constante dans l’homme : celle qui existe entre
471 l. Se réfugier dans l’indicible, c’est entretenir une équivoque dont il y a lieu de craindre qu’elle soit intéressée. Au co
472 ui répugne aux romantiques ! D’où leur fuite dans un monde dont on ne peut rien dire. D’où encore le besoin qu’ils éprouve
473 rabondamment que l’on n’en peut rien dire que par des allusions, des métaphores, des poèmes « inspirés ». À ce niveau, le m
474 e l’on n’en peut rien dire que par des allusions, des métaphores, des poèmes « inspirés ». À ce niveau, le mysticisme donne
475 rien dire que par des allusions, des métaphores, des poèmes « inspirés ». À ce niveau, le mysticisme donne naissance à la
476 re. Mais il faut reconnaître aussi que s’y révèle une maladie de la personne. Le paradoxe de l’expression d’un Indicible es
477 die de la personne. Le paradoxe de l’expression d’ un Indicible est tellement essentiel au romantisme que je n’hésite pas à
478 e que je n’hésite pas à y trouver l’explication d’ un fait connu de tous les historiens : c’est l’incapacité des romantique
479 connu de tous les historiens : c’est l’incapacité des romantiques à donner des œuvres achevées. En effet, le mouvement de c
480 ens : c’est l’incapacité des romantiques à donner des œuvres achevées. En effet, le mouvement de ces poètes est inversé de
481 assif. Aussi n’ont-ils laissé pour la plupart que des fragments, des allusions, des éclats fugitifs ou « illuminations », p
482 ont-ils laissé pour la plupart que des fragments, des allusions, des éclats fugitifs ou « illuminations », pareils aux souv
483 pour la plupart que des fragments, des allusions, des éclats fugitifs ou « illuminations », pareils aux souvenirs d’un rêve
484 ifs ou « illuminations », pareils aux souvenirs d’ un rêve qui s’efface. Cela dont ils voulaient parler, cet Indicible ou c
485 sonne est en nous l’être spirituel, responsable d’ une vocation, et trouvant là son unité en dépit des contradictions dont p
486 c’est en vain qu’il chercherait à y échapper par des sublimations : au fond de la nuit et de l’inconscient, c’est encore l
487 conscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous des espèces méconnaissables et qu’il sera tenté de croire divines. Et il
488 nspirent la nostalgie de les dépasser. Mais seule une vocation lui en donnera la force. Qu’il la reçoive et qu’il l’accepte
489 e consciemment, ce sera pour lui l’introduction à une liberté toute nouvelle. Dès ce moment, il accomplit en apparences une
490 uvelle. Dès ce moment, il accomplit en apparences une évolution fort semblable à celle de ces pseudo ou prémystiques que fu
491 oue à quelque chose qui le dépasse, il se donne à une réalité qui, souvent, ne tient pas compte de nos raisons, il s’impose
492 , ne tient pas compte de nos raisons, il s’impose une sorte d’ascèse qui le libère des servitudes naturelles. Mais cette as
493 ons, il s’impose une sorte d’ascèse qui le libère des servitudes naturelles. Mais cette ascèse n’aboutit pas à la négation
494 ’est à quoi l’on peut reconnaître la légitimité d’ une vocation. Thérèse d’Avila ne voulait accepter que les révélations qui
495 stingue radicalement de la « dissolution du moi » des romantiques. C’est une « activité » qui ne commence qu’au-delà de la
496 la « dissolution du moi » des romantiques. C’est une « activité » qui ne commence qu’au-delà de la mort à soi-même, c’est-
497 en vertu de sa vocation, c’est-à-dire en vertu d’ un appel venu d’ailleurs mais qui concerne l’ici-bas. Seule une telle vo
498 enu d’ailleurs mais qui concerne l’ici-bas. Seule une telle vocation peut donner le courage de s’avouer en toute lucidité,
499 scient. Il ose enfin parler et témoigner au nom d’ une Vérité qui le dépasse. Et l’on rejoint ici l’enseignement évangélique
500 t ici l’enseignement évangélique : ce ne sont pas des extases indicibles qui sont promises aux vrais croyants, mais au cont
501 national-socialisme De même que l’expérience d’ un au-delà ne prend son sens et sa vertu que lorsqu’elle nous ramène au
502 ent hitlérien, dans son essence, m’apparaît comme un romantisme politique. Et je ne dis pas du tout que les écrits d’un No
503 itique. Et je ne dis pas du tout que les écrits d’ un Novalis ou d’un Jean-Paul soient à sa source ; ce serait absurde. Mai
504 dis pas du tout que les écrits d’un Novalis ou d’ un Jean-Paul soient à sa source ; ce serait absurde. Mais je dis que nou
505 au inférieur et collectif de la psychologie nazie des processus fort analogues à ceux que nous avons décrits. Il ne s’agit
506 sa personne. Le national-socialisme apparut comme une réaction de défense à l’humiliation collective infligée aux Allemands
507 n la blessure la déception non plus ressentie par un individu, mais par la nation tout entière dans ses rapports avec le m
508 sommes brimés, nous qui pourtant sommes les fils des vertueux Germains ! Et de ce sentiment de culpabilité, refoulé avec f
509 llemands n’ont pas perdu la guerre) doit résulter un sentiment de manque d’assurance nationale. La vraie Allemagne ne peut
510 ssure ». Il faut donc la chercher ailleurs : dans un rêve de puissance et de libération, dans l’avenir, cet ersatz de l’au
511 toutes ces règles du jeu politique inventées par des rationalistes, alors que nous voulons une passion nouvelle ! Et de mê
512 ées par des rationalistes, alors que nous voulons une passion nouvelle ! Et de même que le romantique oubliait son moi déte
513 se perdant dans l’âme collective, dans l’hypnose des fêtes sacrales organisées par le Führer, au rythme lent et envoûtant
514 nisées par le Führer, au rythme lent et envoûtant des défilés et des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne com
515 ührer, au rythme lent et envoûtant des défilés et des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne compte pas en tant
516 et envoûtant des défilés et des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne compte pas en tant qu’individu conscien
517 ue sa vraie vie était entre les mains du parti, d’ un démiurge anonyme et obscur dont il n’a plus qu’à recevoir les ordres,
518 s doutes. La discipline collective joue le rôle d’ une ascèse du moi : les renoncements mêmes qu’elle impose deviennent les
519 emande, imitant au niveau le plus bas l’évolution des romantiques cherche à récupérer son unité perdue dans un monde supra-
520 ntiques cherche à récupérer son unité perdue dans un monde supra-personnel, où les limites hostiles s’effacent, où la pass
521 ntensité de l’émotion remplace la vérité mesquine des juristes. Et cela nous fait comprendre bien des choses à première vue
522 e des juristes. Et cela nous fait comprendre bien des choses à première vue sans liens intimes : la suppression du droit ro
523 times : la suppression du droit romain, le mépris des frontières et des obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’
524 sion du droit romain, le mépris des frontières et des obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’expansion indéfini
525 épris des frontières et des obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’expansion indéfinie, mais aussi le goût de l
526 nds passionnés), et la volonté de s’enfermer dans une réalité impénétrable, indicible, incommunicable, et qui n’a point de
527 us ne sommes plus en présence de Bismarck, mais d’ un peuple envoûté par son rêve. Un peuple qui renonce à la raison, qui r
528 Bismarck, mais d’un peuple envoûté par son rêve. Un peuple qui renonce à la raison, qui renonce à se justifier aux yeux d
529 yeux du monde, parce qu’il trouve dans sa passion une espèce d’innocence exaltante, une occasion de sacrifier le moi coupab
530 dans sa passion une espèce d’innocence exaltante, une occasion de sacrifier le moi coupable et détesté à quelque chose de p
531 récemment M. Goebbels, on n’impose pas au peuple des opinions diverses entre lesquelles il devrait choisir : le peuple n’a
532 n’aime pas à choisir, il aime qu’on lui présente une opinion juste… D’ailleurs, notre politique est une politique d’artist
533 ne opinion juste… D’ailleurs, notre politique est une politique d’artistes. Le Führer est un artiste de la politique. Les a
534 tique est une politique d’artistes. Le Führer est un artiste de la politique. Les autres hommes d’État sont seulement des
535 olitique. Les autres hommes d’État sont seulement des manœuvres. Son État à lui est le produit d’une imagination géniale9. 
536 nt des manœuvres. Son État à lui est le produit d’ une imagination géniale9. » Une politique d’artistes, une politique de ro
537 lui est le produit d’une imagination géniale9. » Une politique d’artistes, une politique de romantisme collectif, voilà le
538 imagination géniale9. » Une politique d’artistes, une politique de romantisme collectif, voilà le cauchemar que rêve à côté
539 e Reich somnambulique. Nous avons tout à craindre des « inspirations » du Führer, mais que pourrait produire un réveil brus
540 pirations » du Führer, mais que pourrait produire un réveil brusque ? Cette maladie demande un long traitement, de nature
541 roduire un réveil brusque ? Cette maladie demande un long traitement, de nature spirituelle, à mon avis, au moins autant q
542 dans le secret de la conscience allemande, c’est une lutte de nature religieuse. C’est l’affrontement d’une religion de l’
543 utte de nature religieuse. C’est l’affrontement d’ une religion de l’inconscience collective et d’une foi qui veut témoigner
544 d’une religion de l’inconscience collective et d’ une foi qui veut témoigner par la Parole et l’acte personnel. 6. En ef
545 En effet, pour les romantiques, « le sommeil est une préfiguration de la mort », et c’est uniquement dans la mort que nous
3 1946, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Tableaux américains (décembre 1946)
546 estre Personne ne m’avait dit que New York est une île en forme de gratte-ciel couché. C’est la ville la plus simple du
547 iron — elles figurent assez bien les ascenseurs d’ un grand building — et deux-cent-cinquante rues coupant les avenues à an
548 l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien plus vastes, îles et plaines reliées par un immense rése
549 ces bien plus vastes, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Pers
550 rsonne ne m’avait dit, non plus, que New York est une ville alpestre ! Je l’ai senti le premier soir d’octobre, quand le so
551 e, quand le soleil couchant flambait les hauteurs des gratte-ciel, de cette couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes
552 te couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes des parois rocheuses, alors que la vallée s’emplit d’une ombre froide. Et
553 parois rocheuses, alors que la vallée s’emplit d’ une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue de
554 lit d’une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’ une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre e
555 , dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. I
556 et la lumière éclatant très haut dans le ciel sur des parois violemment découpées, c’est un climat que je connais… Mais il
557 e ciel sur des parois violemment découpées, c’est un climat que je connais… Mais il y a plus. Il y a le sol qui est alpest
558 la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules, ces assises de granit é
559 aient capables de supporter le formidable poids d’ un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranc
560 té plaqués sur les façades et dans les vestibules des plus riches bâtiments, reliques scellées d’une antiquité souterraine.
561 es des plus riches bâtiments, reliques scellées d’ une antiquité souterraine. À Chicago et Saint-Louis, au contraire, sur l
562 quiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par
563 le demeure hanté par on ne sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné dans u
564 ieu d’extrême densité humaine demeure baigné dans une atmosphère irrémédiablement désertique. Les Américains des plaines de
565 phère irrémédiablement désertique. Les Américains des plaines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de
566 iens. Ils pensent, dans leur ignorance, que c’est une ville « trop européenne »… Mais, moi, je m’y sens contemporain de la
567 ue avenir démesuré. Sortie de Manhattan Sur un quai souterrain, après avoir traversé les parvis populeux surmontés d
568 ès avoir traversé les parvis populeux surmontés d’ une coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon premie
569 de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un coach. Je me suis enfoncé dans le velours bleu sombre et j’ai regardé
570 j’ai regardé mes voisins, car nous roulions dans un tunnel. Dans l’ensemble, les femmes m’ont paru dignes de ce que le ci
571 s vu les gens. Le train surgissait du tunnel dans une plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digu
572 ux et de digues, enjambée par les arches de fer d’ un pont à n’en pas croire ses yeux, qui porte l’autostrade pendant des k
573 s croire ses yeux, qui porte l’autostrade pendant des kilomètres au-dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’avi
574 rte l’autostrade pendant des kilomètres au-dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’avions aux coupoles surbaiss
575 rade pendant des kilomètres au-dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage
576 lomètres au-dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s’enl
577 issées. Paysage de déluge où s’enlisent, fumants, des monstres antédiluviens. Une falaise de granit se dresse près de la vo
578 s’enlisent, fumants, des monstres antédiluviens. Une falaise de granit se dresse près de la voie. Nous la passons. Sur son
579 e. Nous la passons. Sur son autre versant s’étale un cimetière d’autos décarcassées, déchets du grand délire de constructi
580 lle, ce bleu de poudre claire et rose au lointain des avenues trop larges le matin, ce bleu d’ombre de brique au puits des
581 rges le matin, ce bleu d’ombre de brique au puits des rues luisantes, dos longs d’autos jaunes ou noires, harmonie fauve de
582 os longs d’autos jaunes ou noires, harmonie fauve des façades, circulation vibrante aux pieds, fumerolles au ras de l’aspha
583 u ! Si le détail est laid, voyez l’ensemble. Pour un homme qui est seul, Manhattan est sublime. Il n’a qu’à s’oublier dans
584 esure dans les trois dimensions de l’espace, sauf un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homme sur table rase,
585 r table rase, imbriqué, condensé, superposé, pour un usage massif, exactement prévu. Plus une trace de campagne primitive
586 osé, pour un usage massif, exactement prévu. Plus une trace de campagne primitive ne subsiste, plus un seul coin de terre à
587 une trace de campagne primitive ne subsiste, plus un seul coin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’eau qui cou
588 ubsiste, plus un seul coin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feuillages. Tout est pans d
589 nts mètres du sol. Pour la première fois, je vois une ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un groupe de mots d
590 ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un groupe de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’immen
591 ontent et tournent, épousant les collines. Le sol des plaines environnantes paraît encore à nu dans les cours des hôtels, e
592 s environnantes paraît encore à nu dans les cours des hôtels, entre les pavés provinciaux, aux esplanades, aux terrains vag
593 bres cachent les façades, moutonnent à la hauteur des toits, et la rivière ouvre l’espace, double le ciel, qui règne seul a
594 rapidement les rues profondes, remonte au sommet des buildings, se perd dans un dernier éclat d’avion fuyant, et c’est la
595 es, remonte au sommet des buildings, se perd dans un dernier éclat d’avion fuyant, et c’est la ville alors qui s’empare du
596 st la ville alors qui s’empare du ciel, s’en fait un dôme à sa mesure et le referme sur sa nuit de ville. Appartements.
597 déal de l’Américain serait sans doute la maison d’ une seule pièce, avec au centre un grand fauteuil tournant et basculant,
598 doute la maison d’une seule pièce, avec au centre un grand fauteuil tournant et basculant, qui se transformerait le soir e
599 ines et les réclames lumineuses en délire, passer une heure aux Actualités, écouter les conversations des voisins dans un b
600 e heure aux Actualités, écouter les conversations des voisins dans un bar, coudoyer des hommes déformés ou épais, des femme
601 lités, écouter les conversations des voisins dans un bar, coudoyer des hommes déformés ou épais, des femmes malades ou tro
602 s conversations des voisins dans un bar, coudoyer des hommes déformés ou épais, des femmes malades ou trop vernies, Times S
603 ns un bar, coudoyer des hommes déformés ou épais, des femmes malades ou trop vernies, Times Square, après un dîner solitair
604 mmes malades ou trop vernies, Times Square, après un dîner solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’un exercice s
605 vernies, Times Square, après un dîner solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’un exercice spirituel : une vérit
606 solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’ un exercice spirituel : une véritable centrifugation de l’être. Mais peu
607 uie, c’est le contraire d’un exercice spirituel : une véritable centrifugation de l’être. Mais peut-être, me dis-je après c
608 tel que le crée l’homme privé de l’Esprit, l’une des entrées de la Voie négative et du Désert dont parlent les mystiques ?
609 milieu actif… Plus simplement, ce vide est encore un appel ; ce désespoir, s’il est conscient, un dernier signe de la vie…
610 core un appel ; ce désespoir, s’il est conscient, un dernier signe de la vie… Non, j’ai surtout senti le désespoir tout co
611 a, c’était ce que j’éprouvais à Times Square avec une acuité crispante : l’état du monde d’où l’Esprit s’est retiré. Ce n’é
612 a poisse aux pieds mêlée d’essence sur l’asphalte des avenues, c’était ce vide. C’était le sens absent. Beekman Place
613 Place Parallèle à l’East River, dont la sépare une rangée d’hôtels particuliers à cinq étages, cette rue très courte est
614 rs à cinq étages, cette rue très courte est l’une des rares — j’en connais trois dans Manhattan — qui, à la fois, ne porten
615 rbres, de silence et de grands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’été, emplit cet espace fermé par les hauts bâti
616 enêtres dépourvues d’ornements. Beekman Place est un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’
617  : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’il y trouve un charme, simplement. Mais quand je la vois du haut de mon douzième éta
618 anchée d’asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York… Si je me retourne un peu sur
619 ométrique, c’est bien New York… Si je me retourne un peu sur ma terrasse, voici la perspective de l’East River jusqu’à Bro
620 la perspective de l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau. La rivière, sillonnée de remorqu
621 ère, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’ un éclat d’étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dente
622 ain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mât
623 onts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’ un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mâts, clochers, u
624 ’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réali
625 urs fatales réalités : car ce sont les réalités d’ un monde tout artificiel que nous, les hommes, avons bâti selon nos capr
626 passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me t
627 sformerait. Si je me tourne vers le nord, je vois un monde de terrasses, du dixième au trentième étage du River Club, où v
628 s se penchent sur leurs géraniums, elles ajustent des lunettes noires… Quelques jeunes gens viennent boire un verre, le soi
629 ettes noires… Quelques jeunes gens viennent boire un verre, le soir. Un violoniste s’escrime à vingt reprises sur le Deuxi
630 ues jeunes gens viennent boire un verre, le soir. Un violoniste s’escrime à vingt reprises sur le Deuxième Concerto brande
631 nnais par avance la nostalgie. Le soir vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’argents et d’éclats d’or sur les
632 oses, d’argents et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gra
633 nts et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gratte-ciel se
634 fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gratte-ciel se met à luire sous la lune, au-dessus des premiers nuage
635 ratte-ciel se met à luire sous la lune, au-dessus des premiers nuages. Une grande nuit s’ouvre au travail paisible. D’heure
636 uire sous la lune, au-dessus des premiers nuages. Une grande nuit s’ouvre au travail paisible. D’heure en heure, je me lève
637 haude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas, et puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisins s
638 les buildings voisins séparés de ma terrasse par un gouffre profond mais étroit, je vois des couples et des solitaires ét
639 rasse par un gouffre profond mais étroit, je vois des couples et des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blon
640 uffre profond mais étroit, je vois des couples et des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée en
641 des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée en peignoir rose ouvre son frigidaire, sort de la gla
642 glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre
643 eignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent d’ une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs.
644 chaud. Des rires viennent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne
645 tre et j’aligne mes mots. Petits matins déjà doux des terrasses, moments les plus aigus de la vie, au jour qui point, quand
646 fort dans la brume d’été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas
647 de lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas, sur la terrasse toute voisine. Un autre jour, le même amour
648 répi des murs bas, sur la terrasse toute voisine. Un autre jour, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube est l’heure
649 ricain ! Sur le grand fond sonore à bouche fermée des usines de l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur s
650 he fermée des usines de l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’a
651 mmercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimoteur argenté passait très haut entre deux tours babyloniennes
652 hallique, l’autre en Moïse de Michel-Ange. Et sur une terrasse dormante, deux ou trois étages plus bas, quelqu’un sortait e
653 s plus bas, quelqu’un sortait en robe de chambre, un vieux monsieur, pour arroser au tuyau ses arbustes. Soudain, passant
654 ses arbustes. Soudain, passant la tranche ocrée d’ un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue gr
655 t de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise et ses canons glissait sans bruit, un énorme croiseur déf
656 ne proue grise et ses canons glissait sans bruit, un énorme croiseur défilait, tout l’équipage en fête saluant New York d’
657 irection de l’est de beaux quartiers gris clair d’ un gothique sobre et astiqué, change subitement d’aspect et tourne au po
658 change subitement d’aspect et tourne au populaire un demi-block après Lexington avenue, perd toute tenue dès qu’elle a tra
659 reusement d’enfants s’exerçant au base-ball parmi des seaux d’ordures plus hauts qu’eux et des tourbillons fous de papiers
660 ll parmi des seaux d’ordures plus hauts qu’eux et des tourbillons fous de papiers sales, pour s’ouvrir enfin toute béante s
661 béante sur les fumées de l’East River, au terme d’ un parcours rectiligne d’un kilomètre et demi, sans changer de largeur.
662 l’East River, au terme d’un parcours rectiligne d’ un kilomètre et demi, sans changer de largeur. (Seuls, les trottoirs se
663 , fait voir en coupe la société américaine. C’est une coupe mégaloscopique — le contraire de microscopique — permettant l’e
664 s lettres, de bouts de bois et d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoirs. Les enfants qui ne
665 de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoirs. Les enfants qui ne jouent plus à la balle parce que la nui
666 tte ville, je n’ai jamais été touché ; ils sont d’ une folle brutalité, mais surpassée par leur adresse — allument des feux
667 alité, mais surpassée par leur adresse — allument des feux avec des arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’imme
668 rpassée par leur adresse — allument des feux avec des arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’immenses cartonnag
669 llument des feux avec des arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’immenses cartonnages goudronnés. Flammes gaies
670 légèrement mordu sur les bords par la silhouette des escaliers de sauvetage. Ces grands seaux à ordures en métal, rarement
671 aux portes d’entrée. Portes étroites, ouvrant sur des couloirs hauts et profonds où deux personnes peuvent à peine se crois
672 e. (Rappel inconscient de la naissance, me dirait un psychanalyste.) Les boîtes à lettres portent des noms en cek, nous so
673 t un psychanalyste.) Les boîtes à lettres portent des noms en cek, nous sommes dans le quartier slovaque. Je gravis l’escal
674 à charbon, qui est censé chauffer l’appartement, une espèce de baignoire couverte et fort étroite se dresse sur quatre pie
675 ur quatre pieds de fonte : il faudrait monter sur une chaise pour y entrer. De la cuisine, on passe par une baie sans porte
676 chaise pour y entrer. De la cuisine, on passe par une baie sans porte dans le frontroom, qui donne sur la rue. De l’autre c
677 etites chambres sans fenêtres ni portes. Au fond, une autre pièce plus claire, sur la cour. Ce logis, qui n’est guère qu’un
678 claire, sur la cour. Ce logis, qui n’est guère qu’ un corridor légèrement cloisonné, s’annonce dans les journaux : « Cinq p
679 eau chaude et bain. » Il en existe dans Manhattan des centaines de milliers construits sur ce même type : deux pièces clair
680 eugles. Tout l’East Side populaire est ainsi, sur une vingtaine de kilomètres. Je me penche à la fenêtre, au-dessus de la c
681 ux, de chiffons qui bougent, ou ce sont peut-être des chats. Des cordes tendues sur l’abîme supportent des lessives et de g
682 fons qui bougent, ou ce sont peut-être des chats. Des cordes tendues sur l’abîme supportent des lessives et de grands draps
683 chats. Des cordes tendues sur l’abîme supportent des lessives et de grands draps claquants. Du haut en bas des façades de
684 ives et de grands draps claquants. Du haut en bas des façades de brique zigzaguent les noirs escaliers de sauvetage. Dans u
685 zigzaguent les noirs escaliers de sauvetage. Dans un sous-sol violemment éclairé, je vois quelques Chinois courbés qui emp
686 ois courbés qui empilent du linge ; au cinquième, une grosse femme en peignoir qui se farde à gestes menus. Le concierge ir
687 us. Le concierge irlandais hurle dans l’escalier. Des enfants pleurent parmi les radios nostalgiques, des fenêtres s’allume
688 s enfants pleurent parmi les radios nostalgiques, des fenêtres s’allument et s’éteignent. On peut vivre ici comme ailleurs,
689 nent. On peut vivre ici comme ailleurs, mais dans un cadre strictement rectangulaire. Tous les objets qu’on voit sont des
690 nt rectangulaire. Tous les objets qu’on voit sont des rectangles, à part les chiffons et les chats. Les façades, hauts rect
691 soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel rouge. Une radio clame Amapola, plus fort que tout, dans la cour où les draps au
692 j’en paraissais fort ennuyé, nos voisins vinrent un soir nous en offrir, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance.
693 ux femmes d’âge moyen et leurs maris se partagent une maison que les pins nous cachent, à deux-cents pas, plus petite que l
694 ment les maisons trop grandes, en Amérique.) L’un des maris se nomme Robert ; son père était un Canadien français et sa vie
695 ) L’un des maris se nomme Robert ; son père était un Canadien français et sa vieille mère est une Allemande du Sud. La fam
696 était un Canadien français et sa vieille mère est une Allemande du Sud. La famille de l’autre mari est de ce pays depuis pl
697 concluent-ils en souriant. Nous leur avons offert des boissons, et nous nous appelons par nos prénoms, sans avoir jamais bi
698 ’éviter la moitié du trajet jusqu’à New York dans un train bondé de soldats. (Le nombre de ces petits services que vous re
699 ’ennemi virtuel.) J’ai cru poli de m’arrêter pour une heure dans la ville natale de Robert, à quelques kilomètres d’Albany.
700 avant l’autre guerre, j’entends pour la longueur des bâtiments. » (Il est peu de villes américaines qui ne réussissent à s
701 tre européen : collines douces, bois et prairies, une rivière lente et les longs bâtiments des filatures — tout me rappelle
702 rairies, une rivière lente et les longs bâtiments des filatures — tout me rappelle la Souabe, le Wurtemberg. Et, justement,
703 e Wurtemberg. Et, justement, nous arrivons devant une maison de bois peinte en jaune clair, ornée de géraniums aux fenêtres
704 x fenêtres. C’est là qu’habite la mère de Robert, une vieille dame maigre et digne, dont les ancêtres quittèrent l’Allemagn
705 ur masse rouge les maisons de bois ou de brique d’ un seul étage. Je remarque un groupe de clochetons à bulbe d’or. Serait-
706 de bois ou de brique d’un seul étage. Je remarque un groupe de clochetons à bulbe d’or. Serait-ce une usine orthodoxe ? « 
707 e un groupe de clochetons à bulbe d’or. Serait-ce une usine orthodoxe ? « Oui, dit Robert, c’est l’une de nos deux églises
708 Canadiens français, d’Allemands, d’Italiens et d’ une minorité d’Anglo-Saxons, laquelle d’ailleurs conduit tout le reste. U
709 axons, laquelle d’ailleurs conduit tout le reste. Une petite ville internationale de province, sans grand avenir, qui vit d
710 , sans grand avenir, qui vit déjà sur son passé d’ un siècle… Robert me dépose devant l’entrée de son agence de locations,
711 t l’entrée de son agence de locations, dans l’une des rues principales. Le bureau donne sur le trottoir par trois portes gr
712 e est en pierres blanches, ornée de colonnes et d’ un fronton de temple grec. Je compte beaucoup de barbes longues et boucl
713 ers Albany. À la sortie de la ville, il me montre un terrain d’aviation : — C’est moi qui ai fondé notre Air Club, il y a
714 s tout jeune. J’ai eu jusqu’à trente appareils et une école de pilotage. Mais, coup sur coup, quatre accidents mortels en u
715 Mais, coup sur coup, quatre accidents mortels en une semaine… C’était le moment du grand krach, en 1929. Tout s’écroulait.
716 n, après la guerre, j’espère m’acheter de nouveau un petit avion. Ce sera plus commode pour les week-ends, surtout que mad
717 re l’auto… J’essaie en vain de comparer Cohoes à une ville du même nombre d’habitants chez nous ; de comparer Robert à un
718 mbre d’habitants chez nous ; de comparer Robert à un Robert d’Europe, de même niveau social et de même éducation. Nous ne
719 sens du risque et de la vitesse. Nous avons bien des fanatiques de l’aviation, mais ce ne sont pas des agents de location,
720 des fanatiques de l’aviation, mais ce ne sont pas des agents de location, d’autre part amateurs de golf, de géraniums et de
721 de géraniums et de week-ends paisibles au bord d’ un lac. Mais il ne serait guère plus facile de comparer cette vie, cette
722 même et qu’elle s’efforce d’imiter. Souvenir d’ un orage en Virginie Grands plateaux onduleux et livrés aux chevaux,
723 eux et livrés aux chevaux, jusqu’à l’horizon bleu des Appalaches. Pendant que nous roulons sur une route de campagne, au cr
724 bleu des Appalaches. Pendant que nous roulons sur une route de campagne, au creux des haies, le ciel se couvre. « C’est là-
725 nous roulons sur une route de campagne, au creux des haies, le ciel se couvre. « C’est là-haut, me dit-on, à mi-pente des
726 se couvre. « C’est là-haut, me dit-on, à mi-pente des coteaux. » On ne distingue pas encore cette maison célèbre, cachée da
727 aison célèbre, cachée dans les bosquets au bout d’ une longue allée qui monte entre des barrières blanches. — Et vous verrez
728 squets au bout d’une longue allée qui monte entre des barrières blanches. — Et vous verrez ce qu’elle en a fait ! C’est sa
729 vraiment que ses chevaux… L’auto s’arrête devant un haut portique. Deux colonnes blanches entre des ifs géants, comme des
730 nt un haut portique. Deux colonnes blanches entre des ifs géants, comme des ailes noires. Je n’en ai jamais vu d’aussi gran
731 eux colonnes blanches entre des ifs géants, comme des ailes noires. Je n’en ai jamais vu d’aussi grands, ils montent jusqu’
732 ils montent jusqu’aux fenêtres du deuxième étage. Une odeur écœurante vient de la porte dont un battant s’entrouvre devant
733 étage. Une odeur écœurante vient de la porte dont un battant s’entrouvre devant nous. Trois grands longs chiens sortent, l
734 t, le museau bas, et l’un vient vomir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’une cr
735 omir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’une cravache. Elle crie qu’ils viennent
736 ire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’ une cravache. Elle crie qu’ils viennent encore de manger les bougies du c
737 bougies du carrosse de George Washington. (C’est une pièce de musée que nous allons voir, remisée sous la colonnade des éc
738 e que nous allons voir, remisée sous la colonnade des écuries.) Nous pénétrons dans un vestibule sombre. La maîtresse de ma
739 us la colonnade des écuries.) Nous pénétrons dans un vestibule sombre. La maîtresse de maison est sortie à cheval. Promeno
740 à cheval. Promenons-nous en l’attendant. L’odeur des chiens imprègne les corridors. Dans un fumoir, à droite, en contrebas
741 . L’odeur des chiens imprègne les corridors. Dans un fumoir, à droite, en contrebas, deux hommes en veste de chasse et deu
742 chasse et deux jeunes femmes très blondes boivent des whiskys, sans se déranger. Nous traversons toute la maison, puis une
743 e déranger. Nous traversons toute la maison, puis une large galerie ouverte, encombrée de vieux meubles et de pièces de boi
744 stalles d’églises, aigles de lutrin. De nouveau, des ifs non taillés sur un pré d’un vert sombre enclos de murs. Du lierre
745 es de lutrin. De nouveau, des ifs non taillés sur un pré d’un vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des
746 rin. De nouveau, des ifs non taillés sur un pré d’ un vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des statues
747 mbre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un
748 s et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’ un socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée des écuries
749 isé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée des écuries. Celles-ci se déploient en demi-cercle, ornées d’une colonnad
750 . Celles-ci se déploient en demi-cercle, ornées d’ une colonnade et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme
751 oient en demi-cercle, ornées d’une colonnade et d’ un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voici le
752 et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’ un énorme cadran. Voici le carrosse de Washington, à l’abandon. La peint
753 lonnes blanches et ces ifs dramatiques, on domine un paysage de pluies lointaines et de prairies dorées. Soudain, un coup
754 pluies lointaines et de prairies dorées. Soudain, un coup de vent violent a jeté contre la façade et nos visages un tourbi
755 nt violent a jeté contre la façade et nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques. Entrée de l’au
756 ées dans les branchages — nous arrivons au coin d’ un bâtiment de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici et s’ouvrent
757 te douce. Très loin, en silhouette sur la crête d’ une colline, nous voyons deux chevaux au galop. Ils disparaissent dans un
758 ons deux chevaux au galop. Ils disparaissent dans un vallonnement et maintenant remontent vers nous sans ralentir. Une fem
759 et maintenant remontent vers nous sans ralentir. Une femme en jaune, suivie d’un homme. Comme ils s’approchent, on voit qu
760 nous sans ralentir. Une femme en jaune, suivie d’ un homme. Comme ils s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’une m
761 ls s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’ une main, et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en galop
762 bride d’une main, et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en galopant. Nouveaux éclairs. Tous les chiens du
763 eval, le portail cède et lui livre passage. C’est une grande femme bottée, sauvage et belle, qui mord une pomme, et son tor
764 e grande femme bottée, sauvage et belle, qui mord une pomme, et son torse paraît nu dans un fin sweater jaune. Elle rit, je
765 , qui mord une pomme, et son torse paraît nu dans un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pomme et nous salue de la main.
766 l, nous considère avec hostilité. Il a les yeux d’ un bleu très pâle et dur. Il n’a pas salué. Son silence nous supprime. C
767 sparaît dans le tunnel de la charmille, tandis qu’ une meute de chiens de toutes les tailles s’élance sur ses traces en aboy
768 les s’élance sur ses traces en aboyant. Au fond d’ une pièce vaste et noire, une petite lampe fait une flaque rose. « Je ne
769 s en aboyant. Au fond d’une pièce vaste et noire, une petite lampe fait une flaque rose. « Je ne trouve pas les prises ! ex
770 d’une pièce vaste et noire, une petite lampe fait une flaque rose. « Je ne trouve pas les prises ! explique-t-elle, je ne m
771 mets jamais les pieds dans ce dégoûtant salon ! » Des éclairs illuminent longuement les meubles lourds, une bibliothèque, d
772 éclairs illuminent longuement les meubles lourds, une bibliothèque, des boiseries. Le lustre, enfin, s’allume par degrés. E
773 longuement les meubles lourds, une bibliothèque, des boiseries. Le lustre, enfin, s’allume par degrés. Elle court aux fenê
774 rés. Elle court aux fenêtres et ferme avec fracas des volets intérieurs, en chêne clair, puis elle tire encore les rideaux.
775 baissent, remontent… Paraît dans la porte du fond un homme en veste de chasse, qui tient des verres de whisky à la main. D
776 te du fond un homme en veste de chasse, qui tient des verres de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent et vont s’ass
777 in. Deux femmes blondes entrent et vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On
778 vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On le renvoie chercher des verres et
779 à l’écart de notre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On le renvoie chercher des verres et des bouteilles. Qui son
780 homme apporte un plateau. On le renvoie chercher des verres et des bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : — Je ne le
781 un plateau. On le renvoie chercher des verres et des bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : — Je ne le sais pas plus
782 ne sais pas. Il est parti. Jim était l’intendant, une sorte de géant toujours en bottes qu’elle emmenait partout avec elle.
783 cier du jeune homme silencieux de tout à l’heure. Des chiens se glissent entre les meubles, humides et tremblants. « Mais j
784 pourquoi je prendrai les routes d’Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l
785 volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère des pionniers, l’ère des défricheurs de savanes qui firent reculer la fro
786 onde. On croyait close l’ère des pionniers, l’ère des défricheurs de savanes qui firent reculer la frontière de décade en d
787 e, pour peu que la pression baisse à Wall Street. Un grand malaise étreignait l’âme américaine, prise de nausée dès qu’ell
788 prise de nausée dès qu’elle ressent l’approche d’ une limite infranchissable. Où s’élancer encore ? Comment sortir de cet e
789 e richesses matérielles ? Il restait à construire des routes. Depuis dix ans, les autostrades américaines allongent sans ré
790 épit leur ruban de béton, semblables à la trace d’ un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des terr
791 s à la trace d’un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantes
792 d’un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursu
793 repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursuit en silence à
794 réaliser. Les autostrades américaines ne sont pas une réclame politique, ni même un expédient pour lutter contre le chômage
795 caines ne sont pas une réclame politique, ni même un expédient pour lutter contre le chômage. Elles sont le produit du rêv
796 e produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’ un peuple libre, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un specta
797 re, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un spectacle émouvant qui n’effraye pas, mais au contraire atteste une f
798 vant qui n’effraye pas, mais au contraire atteste une force paisible et utile. Trois pistes parallèles dans chaque sens, sé
799 pistes parallèles dans chaque sens, séparées par une large bande gazonnée où l’on s’est ingénié à conserver, ici ou là, un
800 née où l’on s’est ingénié à conserver, ici ou là, un grand arbre isolé, témoin de la prairie. Trois pistes blanches délimi
801 la prairie. Trois pistes blanches délimitées par des lignes jaunes et noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de
802 he à droite, entre cent et cent-trente à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle aisance dans la vitesse, l’abs
803 rente à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle aisance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’obstacles,
804 vous donne, après quelques minutes, l’illusion d’ une puissance immobile qui vaincrait la distance par le charme, attirant
805 es à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’ une curiosité rêveuse. Mais, soudain, le regard est pris par un panneau r
806 té rêveuse. Mais, soudain, le regard est pris par un panneau rutilant sur la droite, puis mitraillé à bout portant par cen
807 es phrases fragmentées s’échelonnent tout au long des superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie !… Gardez votre
808 elonnent tout au long des superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie !… Gardez votre droite… Dépassez à gauche… A
809 des superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie !… Gardez votre droite… Dépassez à gauche… Avez-vous pensé à l’an
810 nsé à l’anniversaire de votre femme ?… Donnez-lui un aspirateur Smith… Des bonbons Johnson… Ici, trois tués par jour… Lise
811 de votre femme ?… Donnez-lui un aspirateur Smith… Des bonbons Johnson… Ici, trois tués par jour… Lisez la Bible… Cabines de
812 ent yards… Ferryboat du Delaware en grève… Faites un détour par Philadelphie… Et arrêtez-vous à l’hôtel Franklin… Ralentis
813 on de daims… Les partis se réconcilient… autour d’ un verre de champagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’huile 
814 à cinquante miles… cinq-cents dollars d’amende ou un an de prison… ou les deux ensemble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je fer
815 Je ferme les yeux et j’écoute le grondement sourd des pneus qui mordent le béton. En cinq heures, nous aurons couvert les q
816 ricain, les routes de la vitesse lui créent enfin des cadres. Quand la surface sera suffisamment organisée, vers quoi se to
817 ses elles-mêmes comprendront-elles qu’il n’est qu’ un seul infini véritable : celui que chacun porte en soi, celui de l’âme
4 1949, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Le Mouvement européen (avril 1949)
818 9)e Nécessité et urgence de l’union Quand un Américain déclare que votre idée est généreuse, c’est qu’il est ému :
819 se, c’est qu’il est ému : il va vous aider. Quand un Européen vous dit : l’Europe unie, oui, c’est une belle idée, une idé
820 un Européen vous dit : l’Europe unie, oui, c’est une belle idée, une idée généreuse…, c’est qu’il n’a pas envie d’y croire
821 s dit : l’Europe unie, oui, c’est une belle idée, une idée généreuse…, c’est qu’il n’a pas envie d’y croire, qu’il ne fera
822 ’il est sérieux et que vous rêvez. C’est ainsi qu’ une certaine bourgeoisie occidentale, politiquement analphabète dans ses
823 s. Il s’agit en réalité de la vie ou de la mort d’ une civilisation. Fédérer nos petits peuples in extremis est notre seule
824 n vain ce qu’il peut y avoir de « généreux » dans une opération de ce genre. Qu’il suffise de rappeler les données qui en d
825 git de poser les bases de la paix ou de s’assurer des bases pour faire la guerre, mais il reste évident que si les deux Gra
826 e déclarer la paix sur ce ton-là, cela finira par des coups. Une seule puissance pourrait les séparer et les forcer au comp
827 la paix sur ce ton-là, cela finira par des coups. Une seule puissance pourrait les séparer et les forcer au compromis, je v
828 la paix, c’est l’Europe. Mais l’Europe n’est plus une puissance, parce qu’elle est divisée en vingt nations dont aucune, is
829 nds empires. Et non seulement l’Europe n’est plus une puissance qui pourrait exiger la paix, mais chacune des nations qui l
830 issance qui pourrait exiger la paix, mais chacune des nations qui la composent se voit menacée d’annexion politique ou de c
831  : Aucun de nos pays ne peut prétendre, seul, à une défense sérieuse de son indépendance. Aucun de nos pays ne peut résou
832 on doit tirer de cette double constatation sont d’ une tragique simplicité. Si les choses continuent comme elles vont : 1° l
833 uestion allemande ne sera pas réglée, fournissant un prétexte permanent à la guerre entre les deux Grands ; 3° rien ne pou
834 re, dont quel que soit le vainqueur — s’il en est un — c’est l’humanité tout entière qui sortira vaincue. Si nous voulons
835 -dire cette troisième puissance capable d’imposer un compromis, de l’inventer pour les deux autres. Que si l’on me dit alo
836 enir en respect les deux Grands, je répondrai par un seul chiffre : la population de l’Europe occidentale, à l’ouest du ri
837 soit qu’ils menacent de porter tout leur poids d’ un seul côté, ils seraient en mesure d’agir, de faire réfléchir l’agress
838 as les staliniens, ou pas comme cela) : « Je veux une Europe désunie… » En revanche, beaucoup pensent : « Tout cela est bel
839 utile ? » La paix, l’Europe unie, d’accord, c’est un beau rêve. En attendant, voici le cauchemar. Déjà les maréchaux s’ins
840 ut Sully, qu’aime à citer Churchill : il rêvait d’ une coalition. Il y eut Montesquieu, premier critique du nationalisme nai
841 ut, qui écrivait : « Le xxe siècle ouvrira l’ère des fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans. »
842 l’ère des fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans. » C’était vers 1860. Mais ces rêves et ces p
843 rêves et ces prophéties ne pouvaient concerner qu’ un avenir incertain, au milieu du xixe siècle, quand la réalité politiq
844 nd la réalité politique de l’Europe était l’essor des grands nationalismes. Il y eut enfin, après la Première Guerre mondia
845 nd, qui prêta sa grande voix traînarde à l’idée d’ une union continentale. Mais ces premières ferveurs devaient bientôt se p
846 aient bientôt se perdre dans la rumeur polyglotte des couloirs de la SDN. On en était aux constructions diplomatiques. Elle
847 les s’écroulèrent à la première épreuve. Aux yeux des jeunes gens de l’époque, il fallait quelque chose de plus profond, de
848 pour leurs revues. Ces dernières n’étaient pas d’ une lecture très facile. On y parlait beaucoup de l’engagement — un mot q
849 s facile. On y parlait beaucoup de l’engagement — un mot qui a fait fortune depuis dans d’autres bouches. On y faisait sur
850 t sociales, et c’est ainsi que l’on aboutissait à un programme communautaire, fédéraliste, anticapitaliste mais antiétatiq
851 ndiale et l’occupation de l’Europe. On put croire un moment que tout notre travail allait être effacé pour toujours. C’éta
852 ous, en dépit de toutes les censures. Et l’idée d’ un avenir fédéraliste de l’Europe devenait, pour beaucoup, le symbole de
853 s l’année 1945, on vit surgir dans toute l’Europe un pullulement de petits groupes fédéralistes. On y retrouvait toutes le
854 Dès 1946, ce fut chose faite : l’Union européenne des fédéralistes se constituait et pouvait convoquer pour le mois d’août
855 remier congrès. Qu’étions-nous à l’époque, il y a un an et demi ? Cent-cinquante à deux-cents délégués venus d’une dizaine
856 mi ? Cent-cinquante à deux-cents délégués venus d’ une dizaine de pays, et représentant une cinquantaine d’associations de t
857 gués venus d’une dizaine de pays, et représentant une cinquantaine d’associations de toutes les tailles, dont plusieurs n’é
858 es les tailles, dont plusieurs n’étaient guère qu’ un nom abstrait, touchant ou ambitieux, comme par exemple : Comité inter
859  : Comité international d’amitié, ou Front humain des citoyens du Monde… Nous nous sentions entourés à la fois de sympathie
860 ons entourés à la fois de sympathies faciles et d’ un scepticisme profond. Devant la tâche urgente, mais qui pouvait paraît
861 -dire de mettre sur pied, contre vents et marées, des institutions continentales et de les faire admettre par les États, no
862 es faire admettre par les États, nous n’étions qu’ une poignée d’hommes de bonne volonté, remarquablement dépourvus de moyen
863 onvoquant, pour le printemps de l’année suivante, des états généraux de l’Europe. Sur-le-champ, des accords furent esquissé
864 te, des états généraux de l’Europe. Sur-le-champ, des accords furent esquissés avec les représentants d’autres mouvements v
865 urchill, avait également l’intention de convoquer un « Congrès de l’Europe ». Il ne s’agissait pas, dans son esprit, d’une
866 urope ». Il ne s’agissait pas, dans son esprit, d’ une entreprise « fédéraliste » au sens précis, mais plutôt d’une action d
867 ise « fédéraliste » au sens précis, mais plutôt d’ une action de propagande destinée à faciliter cette « union » des États d
868 e propagande destinée à faciliter cette « union » des États de l’Europe que Churchill avait réclamée dans son grand discour
869 sortir le congrès de La Haye. Dès l’automne 1947, un Comité de coordination des mouvements pour l’union de l’Europe dressa
870 ye. Dès l’automne 1947, un Comité de coordination des mouvements pour l’union de l’Europe dressait les plans de travail pou
871 quatre organisations suivantes : Union européenne des fédéralistes (présidents H. Brugmans et Ignazio Silone) ; United Euro
872 États-Unis d’Europe. Le 7 mai 1948, dans la Salle des chevaliers du Parlement néerlandais, s’ouvrait le Congrès de l’Europe
873 is-ci plus de huit-cents délégués, parmi lesquels des ex-Premiers ministres tels que Churchill, Ramadier, Reynaud et van Ze
874 ux-cents députés aux divers parlements européens, des syndicalistes et des grands patrons, des socialistes et des conservat
875 divers parlements européens, des syndicalistes et des grands patrons, des socialistes et des conservateurs, des juristes et
876 ropéens, des syndicalistes et des grands patrons, des socialistes et des conservateurs, des juristes et des écrivains, des
877 alistes et des grands patrons, des socialistes et des conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et des
878 ds patrons, des socialistes et des conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que
879 socialistes et des conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux repr
880 des conservateurs, des juristes et des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux représentants des m
881 des juristes et des écrivains, des professeurs et des évêques, ainsi que de nombreux représentants des mouvements féminins
882 des évêques, ainsi que de nombreux représentants des mouvements féminins et universitaires. Trois résolutions furent votée
883 révoyait, comme prochaine étape, la convocation d’ une Assemblée européenne, dont les membres seraient élus « dans leur sein
884  dans leur sein ou au-dehors » par les parlements des nations participantes. Ce projet fut mis au point très rapidement, au
885 iaire de M. Bidault, il fut présenté à la réunion des ministres des Affaires étrangères des cinq pays signataires du pacte
886 dault, il fut présenté à la réunion des ministres des Affaires étrangères des cinq pays signataires du pacte de Bruxelles.
887 la réunion des ministres des Affaires étrangères des cinq pays signataires du pacte de Bruxelles. Le 18 août notre Mémoran
888 belge. Quelques semaines plus tard, à la suite d’ une décision des Cinq et sur la demande réitérée de nos mouvements, une c
889 ues semaines plus tard, à la suite d’une décision des Cinq et sur la demande réitérée de nos mouvements, une conférence res
890 inq et sur la demande réitérée de nos mouvements, une conférence restreinte de dix-huit ministres et experts était convoqué
891 uée à Paris, aux fins d’étudier la constitution d’ un Parlement et d’un Conseil des ministres européens. Le 28 janvier 1949
892 ins d’étudier la constitution d’un Parlement et d’ un Conseil des ministres européens. Le 28 janvier 1949, la conférence ab
893 er la constitution d’un Parlement et d’un Conseil des ministres européens. Le 28 janvier 1949, la conférence aboutissait à
894 cord, et pouvait annoncer la création prochaine d’ un Conseil de l’Europe, comprenant d’une part un Comité de ministres, d’
895 e d’un Conseil de l’Europe, comprenant d’une part un Comité de ministres, d’autre part un Corps consultatif, dont les attr
896 t d’une part un Comité de ministres, d’autre part un Corps consultatif, dont les attributions restaient à définir. Parallè
897 nos mouvements et leur liaison, l’étude juridique des institutions à créer, la formation d’un Centre européen de la culture
898 uridique des institutions à créer, la formation d’ un Centre européen de la culture et de nombreux travaux économiques. Au
899 es. Au début de novembre 1948, l’Union européenne des fédéralistes réunissait à Rome son deuxième congrès annuel. À Montreu
900 el. À Montreux, nous avions tenu nos séances dans une modeste salle d’hôtel. À Rome, on nous offrit le palais de Venise et
901 ut inauguré en présence de tous les ministres par un discours du président de la République, lui-même fédéraliste convainc
902 déraliste convaincu. Le comte Sforza vint à l’une des séances nous parler comme un militant : « On n’ose plus nous appeler
903 Sforza vint à l’une des séances nous parler comme un militant : « On n’ose plus nous appeler des utopistes et des rêveurs 
904 comme un militant : « On n’ose plus nous appeler des utopistes et des rêveurs ! s’écria-t-il. En réalité, vous êtes, nous
905 t : « On n’ose plus nous appeler des utopistes et des rêveurs ! s’écria-t-il. En réalité, vous êtes, nous sommes, la vérité
906 ant le congrès de Rome, le Comité de coordination des groupements militant pour l’union de l’Europe avait pris le nom de Mo
907 ccinct permet donc de répondre : nous avons lancé un mouvement, nous avons conjugué les efforts entrepris de tous côtés pa
908 conjugué les efforts entrepris de tous côtés par des tendances diverses, et nous sommes parvenus, plus rapidement que nous
909 cipaux gouvernements européens. Ce qui n’était qu’ un rêve il y a un siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’une espér
910 ments européens. Ce qui n’était qu’un rêve il y a un siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’une espérance pendant la
911 s. Ce qui n’était qu’un rêve il y a un siècle, qu’ une théorie il y a quinze ans, qu’une espérance pendant la guerre, est au
912 a un siècle, qu’une théorie il y a quinze ans, qu’ une espérance pendant la guerre, est aujourd’hui discuté par la presse, l
913 puyé par la propagande ou les travaux spécialisés des six mouvements qui le composent, va se porter au cours des mois proch
914 ouvements qui le composent, va se porter au cours des mois prochains sur quatre points : Assemblée, Cour des droits de l’ho
915 ois prochains sur quatre points : Assemblée, Cour des droits de l’homme, mesures économiques, Centre de la culture. Décrivo
916 stes ayant fait triompher à La Haye le principe d’ une représentation aussi large que possible non seulement des parlements
917 ésentation aussi large que possible non seulement des parlements (partis politiques), mais aussi des « forces vives » de ch
918 nt des parlements (partis politiques), mais aussi des « forces vives » de chaque nation (syndicats, religions, universités,
919 e que la presse nomme aujourd’hui, en simplifiant un peu, la position française. Je la nommerais plutôt la position fédéra
920 a seule contraindre les États à s’incliner devant un pouvoir fédéral, mettant un terme au règne féodal des souverainetés n
921 s à s’incliner devant un pouvoir fédéral, mettant un terme au règne féodal des souverainetés nationales absolues. La posit
922 pouvoir fédéral, mettant un terme au règne féodal des souverainetés nationales absolues. La position dite britannique (en f
923 éduire l’Assemblée au rôle purement consultatif d’ un petit Congrès d’experts nommés par les gouvernements. Tout le pouvoir
924 reviendrait aux ministres. Essayons de comprendre une attitude qui risque de se confondre, aux yeux de nos militants, avec
925 de se confondre, aux yeux de nos militants, avec une volonté sournoise de sabotage. Les Britanniques respectent leur gouve
926 , tout naturellement, que l’Europe sera faite par des ministres. Et cela ne va pas à une fédération, mais à quelques mesure
927 sera faite par des ministres. Et cela ne va pas à une fédération, mais à quelques mesures empiriques (ils disent : pratique
928 ais. Nous leur disons : « Vous ne pouvez franchir un abîme pas à pas, il faut sauter. » Le saut, dans ce cas, consistera à
929 ps consultatif » en Assemblée constituante. Cour des droits de l’homme. — On sait qu’une Charte des droits de l’homme vien
930 tuante. Cour des droits de l’homme. — On sait qu’ une Charte des droits de l’homme vient d’être adoptée par l’ONU. Elle res
931 ur des droits de l’homme. — On sait qu’une Charte des droits de l’homme vient d’être adoptée par l’ONU. Elle restera malheu
932 ats resteront souverains. Car c’est la protection des droits de la personne et des droits des minorités contre l’État qu’il
933 c’est la protection des droits de la personne et des droits des minorités contre l’État qu’il s’agit de sauvegarder aujour
934 rotection des droits de la personne et des droits des minorités contre l’État qu’il s’agit de sauvegarder aujourd’hui. Et c
935 rder aujourd’hui. Et cela suppose l’institution d’ une Cour suprême, c’est-à-dire d’une instance supérieure aux États, dotée
936 l’institution d’une Cour suprême, c’est-à-dire d’ une instance supérieure aux États, dotée des pouvoirs nécessaires pour en
937 à-dire d’une instance supérieure aux États, dotée des pouvoirs nécessaires pour enquêter sur leur territoire et pour faire
938 on entre les États membres de l’union européenne, une Cour des droits de l’homme et une Commission d’enquête indépendante d
939 les États membres de l’union européenne, une Cour des droits de l’homme et une Commission d’enquête indépendante des gouver
940 ion européenne, une Cour des droits de l’homme et une Commission d’enquête indépendante des gouvernements. Ces deux organes
941 l’homme et une Commission d’enquête indépendante des gouvernements. Ces deux organes formeraient le noyau d’un véritable p
942 rnements. Ces deux organes formeraient le noyau d’ un véritable pouvoir fédéral. Il me paraît clair qu’ils impliquent la cr
943 l me paraît clair qu’ils impliquent la création d’ une force de police fédérale. Car enfin, de quoi s’agit-il, sinon de crée
944 ale. Car enfin, de quoi s’agit-il, sinon de créer un tribunal devant lequel puisse être déféré, le cas échéant, tout État
945 olu les grands problèmes économiques. Nous sommes un certain nombre à penser qu’au contraire, la plupart des problèmes éco
946 plans politiques n’auront pas abouti. La sagesse des experts, dans chacun de nos pays, se réduit au conseil classique : au
947 e exportation devient importation chez le voisin. Une conférence d’économistes européens, convoquée pour le mois d’avril à
948 avril à Westminster, essaiera de dépasser le plan des absurdités officielles. Parmi les mesures que défendent la plupart de
949 fédéralistes, signalons l’abaissement progressif des barrières douanières, l’instauration d’une monnaie européenne, la cré
950 ressif des barrières douanières, l’instauration d’ une monnaie européenne, la création d’une régie fédérale des houillères (
951 tauration d’une monnaie européenne, la création d’ une régie fédérale des houillères (solution du problème de la Ruhr). On d
952 naie européenne, la création d’une régie fédérale des houillères (solution du problème de la Ruhr). On doit attendre avec c
953 uhr). On doit attendre avec curiosité le résultat des discussions de notre section économique, si l’on songe qu’elle a pu r
954 e qu’elle a pu réunir, sous le signe de l’Europe, des hommes aussi divers que le dirigiste André Philip, le libéral Giscard
955 lettre morte, s’il n’existait, en deçà et au-delà des divisions qu’il nous faut surmonter, une entité européenne bien vivan
956 au-delà des divisions qu’il nous faut surmonter, une entité européenne bien vivante, un sentiment commun auquel il soit po
957 ut surmonter, une entité européenne bien vivante, un sentiment commun auquel il soit possible de faire appel dès maintenan
958 l il soit possible de faire appel dès maintenant, une civilisation occidentale. Réveiller, exprimer, informer cette conscie
959 ngrès de La Haye a réclamé l’institution rapide d’ un Centre européen de la culture, capable de « donner une voix à la cons
960 entre européen de la culture, capable de « donner une voix à la conscience de l’Europe et des peuples qui lui sont associés
961 « donner une voix à la conscience de l’Europe et des peuples qui lui sont associés ». Il ne s’agit nullement de fomenter o
962 en, mais au contraire de restaurer le rayonnement des valeurs que l’Europe, malgré tout, illustre encore aux yeux du monde
963 tout, illustre encore aux yeux du monde entier : une certaine conception de la personne humaine et de ses libertés fondame
964 damentales, antérieures et supérieures à l’État ; un certain refus de l’uniformité, un certain sens du dialogue permanent,
965 ures à l’État ; un certain refus de l’uniformité, un certain sens du dialogue permanent, condition de notre liberté ; une
966 dialogue permanent, condition de notre liberté ; une manière de « chercher à comprendre » qui est notre forme intime de ré
967 … De tous côtés surgissent, dans nos divers pays, des instituts qui veulent travailler pour l’Europe. Coordonner toutes ces
968 Coordonner toutes ces initiatives dans le cadre d’ un grand mouvement qui leur donnera le moyen de concourir à l’édificatio
969 r donnera le moyen de concourir à l’édification d’ un ordre libre ; former une opinion européenne ; offrir un lieu de renco
970 ncourir à l’édification d’un ordre libre ; former une opinion européenne ; offrir un lieu de rencontres à nos meilleurs esp
971 re libre ; former une opinion européenne ; offrir un lieu de rencontres à nos meilleurs esprits, ce sont là quelques-unes
972 à nos meilleurs esprits, ce sont là quelques-unes des ambitions du Centre européen de la culture qui s’ouvrira bientôt en S
973 ⁂ Il n’est point d’ordre économique possible sans une volonté préalable de mise en ordre politique. Il n’est point d’ordre
974 rve l’homme, s’il n’est orienté dès le départ par une vision libératrice et fascinante. L’Europe se fera, en dépit des expe
975 toujours que c’est Dewey qui sera élu), parce qu’ une équipe de véritables résistants — ceux qui résistent à la fatalité —
976 guide, éclairant le chemin sous leurs pas, cache une réalité finale qui les surprenne. Christophe Colomb voyait les Indes,
977 l’Europe, redécouverte à la faveur de son union ? Une Europe rajeunie qui deviendrait soudain, pour nos yeux étonnés, la Te
978 onnière) qui groupe les déclarations fédéralistes des mouvements de la Résistance dans neuf pays. e. Rougemont Denis de,
5 1949, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Découverte de l’Europe (octobre 1949)
979 it à Valmy : « De ce lieu, de ce jour, sera datée une ère nouvelle. » Mais ce jour-là, il est le seul à s’en douter. Cette
980 ès de deux-mille ans qu’on la connaît : la mort d’ un Juif obscur, près de Jérusalem, a fait moins de bruit, en son temps,
981 nt pas allés. L’événement s’est donc vu noyé sous un déluge de clichés contradictoires. Assembleurs de nuées ou mesures te
982 c’est ce que personne ne sera capable de déduire des milliers de coupures de presse où figure le nom de Strasbourg. Une se
983 oupures de presse où figure le nom de Strasbourg. Une seule opinion générale se dégage de ce flot d’imprimés : et c’est que
984 serait demeurée indifférente. Ce paradoxe couvre un sophisme. Car les journaux ne sauraient décrire l’opinion sans la mod
985 par les oscillations que je viens de rappeler, d’ un bout à l’autre du champ des clichés. ⁂ La réunion de cent-un députés,
986 e viens de rappeler, d’un bout à l’autre du champ des clichés. ⁂ La réunion de cent-un députés, régulièrement élus par les
987 années par les mouvements fédéralistes, et depuis un an par le Mouvement européen. Mais cet aboutissement spectaculaire de
988 révoir que la première session serait consacrée à des questions de procédure, car les statuts du Conseil de l’Europe étaien
989 tonomie. Avant d’agir, il fallait mettre en place un dispositif de combat, tout d’abord obtenir que le Comité des ministre
990 tif de combat, tout d’abord obtenir que le Comité des ministres ne dicte pas l’ordre du jour de l’Assemblée ; constituer de
991 e pas l’ordre du jour de l’Assemblée ; constituer des commissions permanentes ; délimiter une majorité et une opposition ;
992 onstituer des commissions permanentes ; délimiter une majorité et une opposition ; bref, roder la machine et vérifier le je
993 mmissions permanentes ; délimiter une majorité et une opposition ; bref, roder la machine et vérifier le jeu des commandes.
994 ition ; bref, roder la machine et vérifier le jeu des commandes. De fait, une semaine a suffi pour réussir ces différentes
995 achine et vérifier le jeu des commandes. De fait, une semaine a suffi pour réussir ces différentes opérations, et même pour
996 la jeune Assemblée. Le premier eût consisté dans un clivage vertical, par délégations nationales. Le règlement l’a préven
997 ent individuellement. Et l’on n’a pas remarqué qu’ un mot d’ordre national — s’il en fut jamais donné — ait été suivi même
998 éviter le danger « national » risquait d’en créer un nouveau : le clivage horizontal de l’Assemblée selon les affinités de
999 age horizontal de l’Assemblée selon les affinités des partis, par-dessus les frontières. Là encore, l’attitude très particu
1000 ontières. Là encore, l’attitude très particulière des Britanniques a fait échouer la première coalition partisane qui se de
1001 listes continentaux ne sont pas parvenus à former un front uni des gauches, sur le plan de l’Europe. Dès les premières int
1002 entaux ne sont pas parvenus à former un front uni des gauches, sur le plan de l’Europe. Dès les premières interventions sur
1003 mais bien le fédéralisme et l’unionisme, formant une gauche et une droite nouvelles, proprement européennes, et qui ne rec
1004 fédéralisme et l’unionisme, formant une gauche et une droite nouvelles, proprement européennes, et qui ne recouvrent pas le
1005 e, aux yeux de l’expérience d’autres époques et d’ une sagesse bien éprouvée (dans tous les sens de l’adjectif), on ne nous
1006 ste parmi les députés européens sont attestés par un fait capital : la Commission des affaires générales, élue par l’Assem
1007 sont attestés par un fait capital : la Commission des affaires générales, élue par l’Assemblée dès le 20 août, s’est engagé
1008 s’est engagée sans le moindre délai, dans l’étude des structures politiques nécessaires à l’union de l’Europe. C’est dire q
1009 tion centrale posée par les fédéralistes, celle d’ un gouvernement au-dessus des États, n’a pas pu être refoulée plus de di
1010 s fédéralistes, celle d’un gouvernement au-dessus des États, n’a pas pu être refoulée plus de dix jours, malgré les efforts
1011 e plus de dix jours, malgré les efforts conjugués des unionistes nordiques et des ministres, malgré les conseils de lenteur
1012 les efforts conjugués des unionistes nordiques et des ministres, malgré les conseils de lenteur, de sagesse, de prudence, e
1013 s sa prochaine session, l’Assemblée sera saisie d’ un plan dont le président de la Commission, M. Bidault, peut déjà déclar
1014 ut déjà déclarer qu’il s’orientera nettement vers une fédération finale. Il est clair qu’une formule fédérale implique cert
1015 ement vers une fédération finale. Il est clair qu’ une formule fédérale implique certaines limitations précises des souverai
1016 fédérale implique certaines limitations précises des souverainetés nationales. (Et pour ma part, je m’explique mal comment
1017 rainetés.) Mais au lieu de discuter sur l’abandon des privilèges féodaux des États, l’Assemblée, fort sagement, s’est tourn
1018 de discuter sur l’abandon des privilèges féodaux des États, l’Assemblée, fort sagement, s’est tournée vers les créations n
1019 insi au premier rang, c’est celui de la source et des fondements du pouvoir fédéral de demain. Dans les couloirs et les clu
1020 e former deux écoles. La première tient le Comité des ministres pour le germe du futur gouvernement de l’Europe. Car les mi
1021 ministres, observe-t-on, sont les seuls à détenir un pouvoir bien réel, dans le Conseil de l’Europe tel qu’il existe. Cert
1022 ’irait-elle point créer, sur le plan de l’Europe, un danger pire que l’absence de pouvoir, une sorte de frein automatique,
1023 ’Europe, un danger pire que l’absence de pouvoir, une sorte de frein automatique, un véritable anti-pouvoir, qu’il s’agirai
1024 sence de pouvoir, une sorte de frein automatique, un véritable anti-pouvoir, qu’il s’agirait alors de renverser pour établ
1025 établir l’union réelle ? La seconde école, celle des fédéralistes, tient que l’origine normale du pouvoir à créer réside d
1026 réside dans l’Assemblée elle-même, dont le Comité des ministres, élargi, devrait former la Chambre haute (Sénat ou Conseil
1027 et fédéral de l’Union. Sans préjuger de l’issue d’ un tel débat, l’on peut voir dès maintenant dans le seul fait qu’il ait
1028 ant dans le seul fait qu’il ait lieu, la preuve d’ une très rapide évolution. Les dirigeants de notre Mouvement européen n’o
1029 on capitale s’imposerait tout naturellement, dans un délai aussi réduit. Ils sont en droit de montrer quelque fierté, lors
1030 l’opposition du Comité ministériel la création d’ une Cour européenne des droits de l’homme, pouvoir supérieur aux États. E
1031 ité ministériel la création d’une Cour européenne des droits de l’homme, pouvoir supérieur aux États. Elle a créé plusieurs
1032 permanentes pour étudier l’instauration rapide d’ une autorité politique supranationale, d’un Conseil économique et social,
1033 rapide d’une autorité politique supranationale, d’ un Conseil économique et social, d’un passeport européen, d’un Centre eu
1034 ranationale, d’un Conseil économique et social, d’ un passeport européen, d’un Centre européen de la culture (déjà en voie
1035 économique et social, d’un passeport européen, d’ un Centre européen de la culture (déjà en voie de formation à Genève). C
1036 ’en étonnera pas, si l’on sait que les deux tiers des députés qui siégeaient à Strasbourg appartiennent à notre Mouvement e
1037 demandé si ces premiers succès laissaient encore une raison d’être suffisante au Mouvement européen, ou s’il devait passer
1038 n à l’Assemblée. C’est peut-être chanter victoire un peu trop tôt. Il reste encore à faire entrer dans la réalité le princ
1039 ce qui vient de se passer nourrit l’espoir. L’un des observateurs américains qui assistait aux travaux de l’Assemblée, et
1040 kee, et par la seule action, presque invisible, d’ un très petit nombre d’hommes qui ont su voir juste… » Il venait de déco
6 1950, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’Europe et sa culture (novembre 1950)
1041 en partie problématiques, en partie définies par des caractères permanents. Elles apparaissent, surtout, liées de telle ma
1042 ’Europe est de nature géographique : l’Europe est une presqu’île de l’Asie. Second caractère permanent : elle est nettement
1043 : elle est nettement divisée en compartiments par des chaînes de montagnes et des fleuves, nettement délimitée de trois côt
1044 en compartiments par des chaînes de montagnes et des fleuves, nettement délimitée de trois côtés par les mers et par l’Océ
1045 côtés par les mers et par l’Océan. Elle rappelle une Grèce agrandie. Mais voici le caractère problématique de cette presqu
1046 uée vers le nord, l’Europe s’ouvre vers l’est par des plaines indéfinies. Ce n’est pas un fait géographique qui marque ses
1047 rs l’est par des plaines indéfinies. Ce n’est pas un fait géographique qui marque ses limites vers l’Asie, mais seulement
1048 ui marque ses limites vers l’Asie, mais seulement un fait historique, un rapport de forces humaines. La frontière de l’Est
1049 s vers l’Asie, mais seulement un fait historique, un rapport de forces humaines. La frontière de l’Est sera donc toujours
1050 ns la grande mère, que la petite Europe, au cours des siècles, a pris conscience d’elle-même et de son unité. Marathon, Sal
1051 inelles. Enfin, au fait géographique du découpage des côtes par plusieurs mers, il faut rattacher les approches différentes
1052 es qu’a revêtues l’impérialisme européen au cours des âges. La part des déterminations physiques ainsi marquée, nous nous t
1053 ’impérialisme européen au cours des âges. La part des déterminations physiques ainsi marquée, nous nous trouvons devant une
1054 hysiques ainsi marquée, nous nous trouvons devant une question nue et simple, sur laquelle notre génération doit concentrer
1055 ration doit concentrer sa réflexion vitale. C’est un fait que la péninsule Europe ne représente qu’à peine 5 % des terres
1056 la péninsule Europe ne représente qu’à peine 5 % des terres de la planète. D’où vient alors qu’elle ait dominé le monde en
1057 alors qu’elle ait dominé le monde entier pendant des siècles ? À l’origine de toute espèce de dynamisme, il y a une tensio
1058 À l’origine de toute espèce de dynamisme, il y a une tension. À l’origine de la puissance européenne, cas tout à fait exce
1059 ué du troupeau, et prenant mesure de lui-même par une rupture libératrice, mais aussi profanatrice, avec le sacré. Rome, c’
1060 itoyen, c’est-à-dire de l’individu réintégré dans une collectivité d’un nouveau genre, la civitas fondée non plus sur le sa
1061 e de l’individu réintégré dans une collectivité d’ un nouveau genre, la civitas fondée non plus sur le sacré, mais sur la l
1062 ale dans la cité, donc de tout rapport de forces, une valeur absolue, non mesurable. À partir de ces trois pôles, il est po
1063 qui se sont dégagées peu à peu de ce complexe, d’ une manière comparable à celle dont les grandes hérésies se sont définies
1064 es, Rome et Jérusalem, il y avait, dès le départ, un drame, ou plutôt trois drames entrecroisés, et leurs combinaisons, et
1065 uvons le grand secret de l’homme européen : c’est un homme dialectique, dialogique, ne pouvant espérer d’atteindre à l’équ
1066 vant espérer d’atteindre à l’équilibre qu’au prix des synthèses les plus difficiles, n’y parvenant que bien rarement, oblig
1067 resser ses déviations sans cesse renaissantes par des réactions toujours renouvelées, un homme donc condamné au choix perpé
1068 aissantes par des réactions toujours renouvelées, un homme donc condamné au choix perpétuel, et donc à la prise de conscie
1069 planète. Il ne pouvait faire autrement. Je parle des derniers mille ans. Mais comment expliquer que l’homme du ive siècle
1070 Jérusalem, n’ait cependant pas présenté certains des caractères les plus marquants de l’homme du xixe ou du xxe siècle ?
1071 de leurs combinaisons ? Il y a d’abord le temps. Un dialogue prend du temps. Le temps de contredire, puis parfois de comp
1072 contredire, puis parfois de comprendre, de faire des expériences et d’en tirer les conclusions. Au cours des temps, mille
1073 périences et d’en tirer les conclusions. Au cours des temps, mille vérités et mille erreurs, nées de nos trois éléments fon
1074 es, combinées et mariées, ont divorcé, ont conclu des alliances. Elles se sont combinées au sens chimique, et non pas seule
1075 rtains produits nouveaux ne sont apparus qu’après des siècles de macération. Trois idées, devenues de nos jours réalités ps
1076 omain. L’idée de révolution est inconcevable pour un Asiatique ou un Noir, s’ils n’ont pas eu de contact avec notre civili
1077 révolution est inconcevable pour un Asiatique ou un Noir, s’ils n’ont pas eu de contact avec notre civilisation. Car cett
1078 droit nouveau. De même, la passion en amour est une transposition de la conversion dans le plan des relations individuell
1079 t une transposition de la conversion dans le plan des relations individuelles, nous disons même individualistes. Elle n’app
1080 chrétienne, personnaliste, en la valeur infinie d’ un individu élu, unique, irremplaçable. Là où cette croyance s’atténue,
1081 e, comme en Amérique (où l’on pense réellement qu’ un homme en vaut un autre), on voit aussitôt la passion s’atténuer ou di
1082 que (où l’on pense réellement qu’un homme en vaut un autre), on voit aussitôt la passion s’atténuer ou disparaître. Enfin,
1083 u plus exactement paulinienne, mais combinée avec des notions grecques et romaines de mesure individuelle et d’organisation
1084 es nous font pressentir la nature et les causes d’ une capacité spécifique de l’Européen : celle de transformer son milieu e
1085 térielles ou morales, sans se laisser arrêter par des constatations d’intérêt, de bon sens ou de réalisme. Volonté de consc
1086 inir la culture tout autrement : comme l’ensemble des disciplines intellectuelles, sociales, artistiques et religieuses d’u
1087 ectuelles, sociales, artistiques et religieuses d’ une société donnée ; ou comme l’ensemble des procédés de création, et leu
1088 ieuses d’une société donnée ; ou comme l’ensemble des procédés de création, et leur transmission ; ou encore comme une pris
1089 création, et leur transmission ; ou encore comme une prise de conscience de la vie, comme une extension progressive de la
1090 re comme une prise de conscience de la vie, comme une extension progressive de la maîtrise de l’homme sur lui-même et le mo
1091 ciles ou trop difficiles. Je me contenterai ici d’ une vue globale et d’une constatation simple mais décisive : la culture o
1092 les. Je me contenterai ici d’une vue globale et d’ une constatation simple mais décisive : la culture occidentale, c’est ce
1093 e que ce qu’elle est physiquement, autre chose qu’ un petit cap de l’Asie, pour reprendre le mot fameux de Valéry, — le cœu
1094 appel m’a paru nécessaire pour informer et guider une action. ⁂ Essayons de saisir maintenant ces deux réalités, l’Europe e
1095 it libérée dans ses ruines. Elle avait représenté un quart, puis un cinquième de la population du globe. Elle n’en sera da
1096 ofit de deux empires neufs qui menacent d’engager une guerre sur son sol et à ses dépens. Poussière de petits États, dont l
1097 ont les plus populeux ne sauraient plus prétendre un seul instant être à l’échelle des réalités modernes ; encombrée de fr
1098 t plus prétendre un seul instant être à l’échelle des réalités modernes ; encombrée de frontières intérieures ; épuisant sa
1099 pe n’offre plus aux empires américain et russe qu’ un de ces vides dont l’Histoire n’a pas moins horreur que la Nature. De
1100 De plus, elle se voit amputée, pour le moment, d’ un quart de sa population à l’Est, et de la péninsule ibérique à l’Ouest
1101 qu’en vertu de l’aide intelligente que lui donne un des deux empires neufs, aide qui doit fatalement se transformer en co
1102 ’en vertu de l’aide intelligente que lui donne un des deux empires neufs, aide qui doit fatalement se transformer en contrô
1103  ; tandis que l’autre empire dispose parmi nous d’ un corps d’occupation anticipée. La crise économique est imminente. La c
1104 de et sans effets. À l’Est, nous voyons se former une véritable culture censoriale. Le critère politique est seul admis. Et
1105 politique est seul admis. Et l’on s’y réfère avec une rigueur telle que le style même d’un écrivain ou d’un peintre peut êt
1106 réfère avec une rigueur telle que le style même d’ un écrivain ou d’un peintre peut être attaqué par les fonctionnaires de
1107 igueur telle que le style même d’un écrivain ou d’ un peintre peut être attaqué par les fonctionnaires de l’État et qualifi
1108 n. Elle est partout et nulle part. C’est ainsi qu’ un ancien ministre bulgare en exil pouvait affirmer, récemment, que dans
1109 are en exil pouvait affirmer, récemment, que dans un État communiste la censure au sens courant du mot n’existe pas ; car
1110 t du mot n’existe pas ; car toute censure suppose une certaine indépendance de la production intellectuelle ou des sources
1111 e indépendance de la production intellectuelle ou des sources d’information ; or cette indépendance est exclue à priori dan
1112 liberté et de la censure ? Allons tout de suite à un exemple extrême, et heureusement exceptionnel, mais qui signale un vr
1113 e, et heureusement exceptionnel, mais qui signale un vrai danger. Voici ce qu’écrivait, il y a quelques mois, M. Jean Thib
1114 ique atomique : « Dans le domaine de la physique, des résultats d’une incroyable portée intellectuelle sont actuellement ma
1115 « Dans le domaine de la physique, des résultats d’ une incroyable portée intellectuelle sont actuellement maintenus secrets
1116 et ne donnent pas lieu, comme avant la guerre, à des communications de portée internationale. Il y a loin de la situation
1117 peser sur les recherches de la physique nucléaire un lourd contrôle et « des suspicions quasi policières », qui tendent à
1118 s de la physique nucléaire un lourd contrôle et «  des suspicions quasi policières », qui tendent à subordonner entièrement
1119 qui tendent à subordonner entièrement le savant à des exigences politiques et militaires. Cet exemple des recherches atomiq
1120 s exigences politiques et militaires. Cet exemple des recherches atomiques nous donne un inquiétant avertissement, il suggè
1121 . Cet exemple des recherches atomiques nous donne un inquiétant avertissement, il suggère que si la culture reste encore l
1122 léaire, ceux qui s’y livrent sont aussitôt privés des libertés élémentaires : liberté de recherche, d’échange et de publica
1123 erté de recherche, d’échange et de publication. D’ une manière générale, la condition de la culture, dans nos pays, a subi d
1124 a subi de profondes transformations pendant l’ère des nationalismes et de la souveraineté sans limites de l’État. Créatrice
1125 la souveraineté sans limites de l’État. Créatrice des richesses, de la puissance et du prestige mondial de l’Europe, on pou
1126 pourrait croire qu’elle n’est plus aujourd’hui qu’ un appendice aux déclarations officielles, un ornement peut-être vain, u
1127 hui qu’un appendice aux déclarations officielles, un ornement peut-être vain, un luxe des classes possédantes, ou un ensem
1128 arations officielles, un ornement peut-être vain, un luxe des classes possédantes, ou un ensemble de spécialités et de tec
1129 officielles, un ornement peut-être vain, un luxe des classes possédantes, ou un ensemble de spécialités et de techniques é
1130 ut-être vain, un luxe des classes possédantes, ou un ensemble de spécialités et de techniques ésotériques qui ne concernen
1131 privé, notre culture se voit contrainte d’obéir à des « nécessités » qui lui sont étrangères et la dégradent. Elle perd ain
1132 tion s’aggrave entre la pensée et l’action, entre une pensée qui accepte d’être inefficace, et une action par conséquent dé
1133 ntre une pensée qui accepte d’être inefficace, et une action par conséquent désorientée, à courtes vues, privée de cohérenc
1134 s elle ne reconnaît plus sa propre voix proférant des aveux spontanés, criant sur tous les modes l’éloge de ses bourreaux :
1135 quement ; et ceux qui, à l’Est, lui reconnaissent un rôle central, la dénaturent et l’asservissent. Or, il est évident que
1136 t graves pour l’Europe, puisqu’elles brisent dans un cas et, dans l’autre, détendent les ressorts de la créativité qui éta
1137 nt les ressorts de la créativité qui était depuis des siècles la vraie cause de notre puissance et donc de notre indépendan
1138 omiques ou politiques, soit qu’elle se contente d’ une liberté honoraire, sans responsabilité, et d’un rôle de produit de lu
1139 ’une liberté honoraire, sans responsabilité, et d’ un rôle de produit de luxe, alors c’est le sens même de notre civilisati
1140 leurs que symbolise le mot culture représentaient des fins en soi ; là où toutes les activités, et les richesses, et les ré
1141 nt de la personne humaine, dans le libre exercice des vocations ; là enfin où cette phrase de l’Évangile rendait le son le
1142 it le son le plus authentique : « Que servirait à un homme de gagner le monde, s’il perdait son âme ? » ⁂ J’admets ici, co
1143 us d’entretenir le désir créateur, si on le prive des possibilités de s’accomplir dans une libre communauté. Si l’Europe es
1144 on le prive des possibilités de s’accomplir dans une libre communauté. Si l’Europe est réduite à l’impuissance politique,
1145 rs notre dernier refuge, qu’on ferait de l’Europe un musée dans les ruines, pour l’agrément des millionnaires curieux, ou
1146 ’Europe un musée dans les ruines, pour l’agrément des millionnaires curieux, ou l’édification méfiante des stakhanovistes e
1147 millionnaires curieux, ou l’édification méfiante des stakhanovistes en troupeaux. Mais un musée, ce n’est pas de la cultur
1148 on méfiante des stakhanovistes en troupeaux. Mais un musée, ce n’est pas de la culture. Je ne vois pas d’exemple historiqu
1149 la culture. Je ne vois pas d’exemple historique d’ une culture qui ait encore créé dans une nation privée de son indépendanc
1150 historique d’une culture qui ait encore créé dans une nation privée de son indépendance. L’Europe est encore le foyer de la
1151 it nous être interdite, car la puissance est mère des utopies exaltées, de la confiance en soi, du gaspillage des forces, e
1152 s exaltées, de la confiance en soi, du gaspillage des forces, et aussi du sens de la mesure, toutes choses sans lesquelles
1153 s dans les musées, mais dans les villes où existe un marché ; la littérature ne se crée pas dans les universités et les bi
1154 és et les bibliothèques, mais dans le champ libre des passions ; la philosophie dépérit dans une société qui ne risque ou n
1155 libre des passions ; la philosophie dépérit dans une société qui ne risque ou ne conçoit plus d’aventure ; et la science s
1156 nture ; et la science s’arrête quand l’audace est un crime. Si l’Europe disparaît du jeu des forces mondiales, personne ne
1157 audace est un crime. Si l’Europe disparaît du jeu des forces mondiales, personne ne pourra remplacer cette âme d’une civili
1158 ndiales, personne ne pourra remplacer cette âme d’ une civilisation qui avait su remplacer toutes les autres. Le secret de s
1159 mesures vivantes sera perdu. Mais en retour, sans une culture active rendue à l’efficacité, l’Europe ne peut recouvrer la p
1160 probable, par les soins d’experts étrangers ou d’ une police qui a fait ses preuves ailleurs. Mais elle aura perdu le resso
1161 ce pouvoir qui avait fait sa grandeur à partir d’ un médiocre destin. Que servirait à l’Europe de recevoir une unité, si c
1162 ocre destin. Que servirait à l’Europe de recevoir une unité, si ce n’était pas celle de son choix ? Et si cette unité signi
1163 ture, réduite à ce qu’elle est, ne serait plus qu’ un cap de l’Asie — et l’Asie n’a jamais passé pour la terre de la libert
1164 e ? Je crois que la sublime réponse à la question des lendemains nous a été donnée une fois pour toutes par la sentinelle d
1165 rdre la guerre fait actuellement ce qu’on appelle une névrose d’infériorité. Pourtant, les faits ne justifient pas le déses
1166 ts ne justifient pas le désespoir, mais seulement un effort de redressement. Entre deux-cents-millions de Russes et cent-c
1167 ts-millions d’Européens. Nous disposons de plus d’ un quart du charbon, de près d’un tiers de l’électricité que produit auj
1168 isposons de plus d’un quart du charbon, de près d’ un tiers de l’électricité que produit aujourd’hui la planète. Nous dispo
1169 es humaines qui n’ont pas leurs égales ailleurs : une main-d’œuvre spécialisée dont les traditions ne s’imitent pas, une ca
1170 spécialisée dont les traditions ne s’imitent pas, une capacité d’invention que le monde entier peut nous envier. Qu’avons-n
1171 l’existentialisme et le personnalisme, la théorie des quanta et celle des groupes, la sociologie et les grandes synthèses h
1172 le personnalisme, la théorie des quanta et celle des groupes, la sociologie et les grandes synthèses historiques, la relat
1173 t sculpture : presque tous leurs grands noms sont des noms de l’Europe, et les très rares qui n’en sont pas ont appris leur
1174 er de nos maîtres, dans nos écoles, aux terrasses des cafés de Paris, ou par nos livres. Je dirai plus. Le monde moderne to
1175 us. Le monde moderne tout entier peut être appelé une création européenne. Pour le bien comme pour le mal, il imite à la fo
1176 ? L’Amérique du Nord et la Russie de Staline sont des produits de notre culture, l’une dès ses origines, et l’autre en ce q
1177 de moderne justement. Calvin et le puritanisme, d’ un côté, plus les gratte-ciel, le système Taylor-Bedaux à tous les degré
1178 rés, la cellophane et le zipper partout, qui sont des inventions européennes ; et de l’autre côté, Marx et notre industrie,
1179 héisme, l’hypertrophie de l’appareil étatique, et des copies de l’art officiel de nos grands-pères. Caricatures évidemment 
1180 t qu’ils croient spécifiques, ne sont souvent que des emprunts à notre fonds, mais développés là-bas sans mesure ni critiqu
1181 disais nous. Mais la plupart parlent encore comme des Français, des Allemands, des Danois ou des Grecs, c’est-à-dire comme
1182 ais la plupart parlent encore comme des Français, des Allemands, des Danois ou des Grecs, c’est-à-dire comme s’ils n’étaien
1183 parlent encore comme des Français, des Allemands, des Danois ou des Grecs, c’est-à-dire comme s’ils n’étaient que quarante
1184 comme des Français, des Allemands, des Danois ou des Grecs, c’est-à-dire comme s’ils n’étaient que quarante millions, soix
1185 rlons, nous imaginons, nous craignons donc, comme des peuples trop petits pour le monde où ils vivent. J’ai dressé une list
1186 p petits pour le monde où ils vivent. J’ai dressé une liste de nos créations les plus connues, celles qui ont fixé le visag
1187 te est impressionnante. Mais pour qu’elle rassure un Français, un Allemand, un Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent q
1188 sionnante. Mais pour qu’elle rassure un Français, un Allemand, un Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent quelque orguei
1189 is pour qu’elle rassure un Français, un Allemand, un Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent quelque orgueil, encore fau
1190 elle rassure un Français, un Allemand, un Danois, un Grec, et pour qu’ils en tirent quelque orgueil, encore faut-il qu’ils
1191 e les quelques noms de son pays et n’en tirera qu’ une raison de plus de se sentir minoritaire, ou pauvre. Il en va de même
1192 i demain nos frontières tombaient. Certes, il y a des symptômes de crise moins contingents, dans notre civilisation : confl
1193 aux, éthiques et spirituels, dont je ne songe pas un seul instant à sous-estimer l’importance. Ces conflits ne seront pas
1194 lle sera supprimée la possibilité de les résoudre un jour. Je ne dirai pas que la division de l’Europe en vingt nations, c
1195 puisqu’il n’est pas de culture sans libre échange des idées, des personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujo
1196 ’est pas de culture sans libre échange des idées, des personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à c
1197 re sans libre échange des idées, des personnes et des œuvres, et l’on sait ce qu’il en est aujourd’hui à cet égard. La cond
1198 sinon suffisante, du maintien de l’Europe au rang des grandes puissances, c’est son union. Telle est aussi la condition du
1199 s avons Strasbourg. Ce n’est pas beaucoup plus qu’ une promesse, mais c’en est une. Nous verrons ce qu’elle vaut, avant la f
1200 pas beaucoup plus qu’une promesse, mais c’en est une . Nous verrons ce qu’elle vaut, avant la fin de l’année. Dans le domai
1201 omique, nous avons le plan Schuman, qui peut être un début de mise en commun de nos ressources matérielles. Et maintenant,
1202 cret de notre puissance, il est temps de proposer un autre Plan, qui consisterait dans la mise en commun, au service de l’
1203 res principaux. Premièrement, nous avons besoin d’ un inventaire des forces culturelles du continent. Cette nécessité devie
1204 . Premièrement, nous avons besoin d’un inventaire des forces culturelles du continent. Cette nécessité devient évidente dès
1205 e nécessité devient évidente dès qu’on entreprend des recherches sur l’état présent d’une question scientifique, sur les dé
1206 on entreprend des recherches sur l’état présent d’ une question scientifique, sur les déficiences et les avantages culturels
1207 duire. Il y a donc lieu d’envisager la création d’ une sorte d’Institut de la conjoncture culturelle en Europe. Deuxièmement
1208 elle en Europe. Deuxièmement, nous avons besoin d’ une coordination des efforts dispersés entre nos vingt nations. Partout,
1209 euxièmement, nous avons besoin d’une coordination des efforts dispersés entre nos vingt nations. Partout, l’on voit surgir
1210 ntre nos vingt nations. Partout, l’on voit surgir des instituts13 dont les programmes et les buts se ressemblent, mais qui,
1211 uvent, s’ignorent mutuellement. Partout se posent des problèmes qui restent insolubles dans le cadre trop étroit de chaque
1212 e nation et de chaque budget national : problèmes des recherches atomiques, du cinéma, de la télévision, des intellectuels
1213 echerches atomiques, du cinéma, de la télévision, des intellectuels réfugiés, de la révision des manuels d’histoire, des éc
1214 ision, des intellectuels réfugiés, de la révision des manuels d’histoire, des échanges… Ainsi apparaît la nécessité d’un li
1215 réfugiés, de la révision des manuels d’histoire, des échanges… Ainsi apparaît la nécessité d’un lieu de confrontation perm
1216 oire, des échanges… Ainsi apparaît la nécessité d’ un lieu de confrontation permanente et d’un instrument d’action concerté
1217 essité d’un lieu de confrontation permanente et d’ un instrument d’action concertée à l’échelle du continent, quelque chose
1218 tée à l’échelle du continent, quelque chose comme un Chatham House européen, mais certainement plus militant, étant donné
1219 certainement plus militant, étant donné l’urgence des problèmes à résoudre. Troisièmement, l’on constate qu’aucun de nos in
1220 que l’on sait. La nécessité se fait donc sentir d’ un organisme dont la raison d’être principale soit de pouvoir prendre ce
1221 lture et de la morale publique, de même que seule une Autorité politique supranationale sera capable de traiter au nom de t
1222 , devant l’Assemblée de Strasbourg, la création d’ une armée de l’Europe. Que cette armée soit nécessaire, c’est la déplorab
1223 rable évidence. Mais elle ne sera pas suffisante. Une mitrailleuse ne sert à rien, si l’homme qui la reçoit refuse de s’en
1224 dans les cerveaux et dans les cœurs. Elle suppose une prise de conscience. Et toute volonté de réveil de la conscience comm
1225 réalistes ». La première, c’est que l’Europe est une culture (civilisation si l’on préfère) ou n’est qu’un appendice insig
1226 ulture (civilisation si l’on préfère) ou n’est qu’ un appendice insignifiant de l’Asie. Et cela veut dire que la vraie sour
1227 ut final de la culture occidentale, consistent en une seule et même chose : la liberté de la personne. Et cela veut dire qu
1228 omme européen, et pour sauver en face de la terre des masses, et de la terre des machines, et des terres immenses de la fat
1229 er en face de la terre des masses, et de la terre des machines, et des terres immenses de la fatalité, une Europe qui demeu
1230 terre des masses, et de la terre des machines, et des terres immenses de la fatalité, une Europe qui demeure la terre des h
1231 machines, et des terres immenses de la fatalité, une Europe qui demeure la terre des hommes. 12. Ici cependant, point de
1232 s de la fatalité, une Europe qui demeure la terre des hommes. 12. Ici cependant, point de malentendu ! Ne nous laissons j
1233 Ne nous laissons jamais tenter par la plus fausse des symétries, celle qui mettrait les USA et l’URSS dans le rôle de Chary
1234 ans cesse élargi de la liberté de pensée, qui est une garantie des autres libertés. Entre les stalinistes et nous, Européen
1235 rgi de la liberté de pensée, qui est une garantie des autres libertés. Entre les stalinistes et nous, Européens, il n’y a q
1236 e les stalinistes et nous, Européens, il n’y a qu’ un mot : démocratie. Pour eux, cela veut dire dictature. Pour nous, libe
1237 Bruges le 12 octobre, et qui peut devenir l’École des sciences politiques du continent. g. Rougemont Denis de, « L’Europe
7 1951, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Inde 1951 (décembre 1951)
1238 de 1951 (décembre 1951)h i Les États neufs ont des douaniers nerveux, mais ceux de l’Inde se dominent : ils ont gardé ce
1239 s ceux de l’Inde se dominent : ils ont gardé cela des Anglais. Il leur faut cependant plus d’une heure pour nous administre
1240 é cela des Anglais. Il leur faut cependant plus d’ une heure pour nous administrer les preuves méticuleuses d’une souveraine
1241 pour nous administrer les preuves méticuleuses d’ une souveraineté que nul ne songe à contester. On nous demande pourquoi n
1242 On nous demande pourquoi nous venons ici. — Pour un congrès. — Quel congrès ? Il y en a beaucoup. — Le Congrès indien pou
1243 s qu’en vérité, il s’est borné à le déplacer, par un décret, de la capitale à Bombay.) L’officier n’est pas bien convaincu
1244 er n’est pas bien convaincu : il voudrait obtenir des réponses qu’il connaît. Finalement : — Où habiterez-vous ? — Au Taj M
1245 — Au Taj ? OK. OK ? On le dirait à moins. Plus qu’ un hôtel, c’est un quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’une
1246 K ? On le dirait à moins. Plus qu’un hôtel, c’est un quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’une coupole. À l’int
1247 . Plus qu’un hôtel, c’est un quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’une coupole. À l’intérieur, deux rues de bou
1248 quartier de ville en un seul bâtiment surmonté d’ une coupole. À l’intérieur, deux rues de boutiques de luxe, de cafés et d
1249 iries aboutissent dans le hall central ouvert sur un vaste patio où les voitures se succèdent sans relâche. Ma chambre a d
1250 mètres sur cinq, et cinq de haut. Du plafond pend une grande hélice à quatre pales, qu’un bouton électrique met en marche :
1251 plafond pend une grande hélice à quatre pales, qu’ un bouton électrique met en marche : trois vitesses. Sol de dalles grise
1252 serviteurs paraissent au fond de la pièce, devant une tenture sombre, sans nul bruit. Il m’est arrivé de sonner à nouveau n
1253 ’apercevoir ensuite qu’ils étaient là déjà depuis un long moment. Pourquoi trois ? Je me dis que le premier prend les ordr
1254 de du sucre. Ils sourient et s’inclinent. Ils ont des crayons à la main et des blocs de papier. Ils attendent. Je leur dis
1255 et s’inclinent. Ils ont des crayons à la main et des blocs de papier. Ils attendent. Je leur dis que c’est tout ce que je
1256 um. Aveuglé, je comprends, et m’efforce de donner des réponses attendues, soudain frappé par la similitude entre le contrôl
1257 oudain frappé par la similitude entre le contrôle des étrangers et l’interview. ⁂ Bombay, porte des Indes, présente à l’arr
1258 ôle des étrangers et l’interview. ⁂ Bombay, porte des Indes, présente à l’arrivant l’architecture et le puissant trafic d’u
1259 l’arrivant l’architecture et le puissant trafic d’ une grande cité de l’Occident comme on en voit en Amérique du Sud : plus
1260 plus uniformément modernes que les nôtres. Notons une légère frustration de notre sens de l’exotisme. Cette espèce de curio
1261 n, le Chinois, l’Arabe, l’étranger n’a jamais été un sujet de littérature, de nostalgie consciente et cultivée. Il peut bi
1262 ien être le plus fort, il le fut en effet pendant des siècles, mais il a tort, essentiellement. Cette conviction, vivante e
1263 gtemps par nos élites voyageuses, chez lesquelles une croyance inverse prédomine. Il semble qu’au regard de la « hideuse vu
1264 t parlait récemment André Gide, toute la noblesse des gestes, des allures, toute la solennité des religions (les nôtres éta
1265 cemment André Gide, toute la noblesse des gestes, des allures, toute la solennité des religions (les nôtres étant tenues po
1266 lesse des gestes, des allures, toute la solennité des religions (les nôtres étant tenues pour préjugés) aient trouvé refuge
1267 rdre et sans autres problèmes, la faim n’étant qu’ un ennemi. L’Occidental, qui ne se connaît plus, va voir ailleurs commen
1268 ger la foi de ceux dont il admire qu’ils en aient une . Ceci dit, je n’aurai de cesse que je n’aie découvert, à mon tour, de
1269 découvert, à mon tour, derrière l’immense façade des quais synthétiquement occidentale, tout éclatante d’ocres, de briques
1270 à la circulation bien ordonnée de ces quartiers, des signes brefs et toujours inquiétants, le cri précipité et comme rageu
1271 s inquiétants, le cri précipité et comme rageur d’ un corbeau maigre à ma fenêtre, une ombre nette de vautour traversant le
1272 et comme rageur d’un corbeau maigre à ma fenêtre, une ombre nette de vautour traversant lentement la chaussée, des crachats
1273 ette de vautour traversant lentement la chaussée, des crachats rouges de bétel sur le trottoir, et ces moignons de bras cha
1274 naçants… Sur le port et devant les grands hôtels, des fillettes aux yeux sans sourire, au corps d’une insensée gracilité, à
1275 , des fillettes aux yeux sans sourire, au corps d’ une insensée gracilité, à peine vêtues d’un lambeau de coton, glissent da
1276 corps d’une insensée gracilité, à peine vêtues d’ un lambeau de coton, glissent dans les grosses voitures américaines, au
1277 nt toujours, avec cette insistance presque féroce des gens du Sud, avec un petit cri hostile et guttural, pareil à celui de
1278 e insistance presque féroce des gens du Sud, avec un petit cri hostile et guttural, pareil à celui des corbeaux, le cri de
1279 un petit cri hostile et guttural, pareil à celui des corbeaux, le cri de la misère sauvage qui seule, dans cette fournaise
1280 y a de l’indécence à venir parler de culture dans un pays où des millions sont affamés. Ce dernier argument, lancé d’abord
1281 décence à venir parler de culture dans un pays où des millions sont affamés. Ce dernier argument, lancé d’abord par l’un de
1282 amés. Ce dernier argument, lancé d’abord par l’un des délégués occidentaux, et frénétiquement applaudi, reparaît le lendema
1283 techniques pour remédier à la famine. J’en trouve une preuve de plus dans le journal de ce matin. C’est un savant indien, D
1284 preuve de plus dans le journal de ce matin. C’est un savant indien, D. R. Sethi, qui inventa le procédé pour détruire les
1285 ui inventa le procédé pour détruire les racines d’ une herbe nommée kans, fléau des riches vallées à blé de l’Inde centrale.
1286 truire les racines d’une herbe nommée kans, fléau des riches vallées à blé de l’Inde centrale. Avec l’aide des tracteurs am
1287 hes vallées à blé de l’Inde centrale. Avec l’aide des tracteurs américains qui avaient construit la Route birmane, il vient
1288 et qui suis-je pour lutter ici contre la force d’ un proverbe, si convaincu que je sois qu’il dit faux, que ce sont les re
1289 us qui n’écoutent pas, et que la disette est mère des civilisations, comme l’angoisse l’est de la pensée. ⁂ — Que cherchez-
1290 e je rencontre dans le hall du Taj. (Il a l’air d’ un Gitan avec ses boucles noires, il est brahmine, et par un choix délib
1291 avec ses boucles noires, il est brahmine, et par un choix délibéré, très orthodoxe, donc très libre d’esprit.) — Je cherc
1292 che l’Inde. La trouverai-je à Bombay ? Il appelle un taxi, et nous voilà partis. Nous avons quitté la voiture à l’entrée d
1293 partis. Nous avons quitté la voiture à l’entrée d’ une ruelle étroite que nous descendons lentement jusqu’à des escaliers tr
1294 lle étroite que nous descendons lentement jusqu’à des escaliers très raides et compliqués, entre de hautes façades peintes
1295 aune. Statuettes vêtues de soie et de fleurs dans des niches, comme à Naples. Il y a bien, assises sur les marches, ces fil
1296 hes, ces fillettes en sari aux narines cloutées d’ un diamant, aux chevilles surchargées d’anneaux et de grelots, mais le d
1297 décor est italien. (Et ce même rose très pâle et un peu mauve des cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et pl
1298 alien. (Et ce même rose très pâle et un peu mauve des cotonnades, que je n’avais encore vu qu’en Italie et plus rarement au
1299 l.) Nous descendons. Les escaliers débouchent sur une place irrégulière, en terre battue, plantée d’arbres au tronc pelé. U
1300 en terre battue, plantée d’arbres au tronc pelé. Un désordre de maisons inégales sur la gauche. À droite s’étend un long
1301 maisons inégales sur la gauche. À droite s’étend un long bassin rectangulaire, empli d’une eau verte et profonde. Tout au
1302 ite s’étend un long bassin rectangulaire, empli d’ une eau verte et profonde. Tout autour du bassin, et sur l’îlot qui en oc
1303 et sur l’îlot qui en occupe le centre, s’élèvent des colonnes de pierre noire, hérissées de demi-soucoupes : ce sont des l
1304 erre noire, hérissées de demi-soucoupes : ce sont des lampes, et tout s’allume les soirs de fête. Nous entrons dans une rue
1305 out s’allume les soirs de fête. Nous entrons dans une rue sinueuse, bordée de petites maisons à un ou deux étages, cages à
1306 ans une rue sinueuse, bordée de petites maisons à un ou deux étages, cages à oiseaux cubiques et mal superposées, de cafés
1307 tes à barreaux : les temples. Au fond de l’ombre, un autel s’illumine. Étoffes rouge et or derrière la statuette, bijoux,
1308 roteries, et dans l’étroit espace devant l’autel, une femme debout, sans un geste. Parfois le prêtre en pagne sort d’un coi
1309 oit espace devant l’autel, une femme debout, sans un geste. Parfois le prêtre en pagne sort d’un coin noir, et vient plant
1310 sans un geste. Parfois le prêtre en pagne sort d’ un coin noir, et vient planter autour d’une fontaine basse, dans la cour
1311 ne sort d’un coin noir, et vient planter autour d’ une fontaine basse, dans la courette, deux minces baguettes d’encens surm
1312 ette, deux minces baguettes d’encens surmontées d’ une flammèche. Tout ceci s’ouvrant sur la rue, à quelques pas des hommes
1313 e. Tout ceci s’ouvrant sur la rue, à quelques pas des hommes vautrés dans les boutiques, des passants à pieds nus qui circu
1314 elques pas des hommes vautrés dans les boutiques, des passants à pieds nus qui circulent sans nous voir de leurs yeux fixes
1315 voir de leurs yeux fixes et ardents. Nous croise un être demi-nu, très vieux, le crâne tondu, deux mamelles pendant jusqu
1316 âne tondu, deux mamelles pendant jusqu’au ventre. Des femmes aux membres incroyablement maigres et gracieux. Peu de bruits,
1317 lement maigres et gracieux. Peu de bruits, et pas un sourire. La cloche d’un temple tinte, sans musique. On entend le frot
1318 ux. Peu de bruits, et pas un sourire. La cloche d’ un temple tinte, sans musique. On entend le frottement des pieds nus, de
1319 mple tinte, sans musique. On entend le frottement des pieds nus, des saris roses, violets, vert assourdi. Des yeux brillent
1320 s musique. On entend le frottement des pieds nus, des saris roses, violets, vert assourdi. Des yeux brillent dans les porte
1321 eds nus, des saris roses, violets, vert assourdi. Des yeux brillent dans les portes sombres. Çà et là, un homme prie, accro
1322 yeux brillent dans les portes sombres. Çà et là, un homme prie, accroupi contre un mur. Il règne dans tout le quartier un
1323 sombres. Çà et là, un homme prie, accroupi contre un mur. Il règne dans tout le quartier une espèce de solennité énigmatiq
1324 upi contre un mur. Il règne dans tout le quartier une espèce de solennité énigmatique et insidieuse, qui tient du rêve et d
1325 s européens, je me sens trop lourd et trop grand. Un peu plus loin, là où la rue tourne et s’éclaire, vers les roches noir
1326 vers les roches noires et plates du bord de mer, des hommes assis en groupe écoutent une lecture à haute voix. Accroupi su
1327 bord de mer, des hommes assis en groupe écoutent une lecture à haute voix. Accroupi sur un banc, le lecteur tient ouvert s
1328 e écoutent une lecture à haute voix. Accroupi sur un banc, le lecteur tient ouvert sur ses genoux un gros in-quarto relié.
1329 r un banc, le lecteur tient ouvert sur ses genoux un gros in-quarto relié. Homme encore jeune, massif, de peau très noire,
1330 et lent. Raja Rao lui demande ce qu’il lit. C’est un chant du Mahabharata. Ils écoutent sans bouger, jeunes et vieux, le l
1331 sais si j’ai rien vu de plus touchant, ni jamais un groupe d’hommes plus dignes et candides dans l’acte d’entendre un poè
1332 es plus dignes et candides dans l’acte d’entendre un poème. Plus tard, comme nous remontions les pentes de Malabar Hill pa
1333 me nous remontions les pentes de Malabar Hill par des chemins encaissés entre les murs de parc des grandes demeures luxueus
1334 par des chemins encaissés entre les murs de parc des grandes demeures luxueuses, un saint nous a croisés. Comme je l’aperc
1335 les murs de parc des grandes demeures luxueuses, un saint nous a croisés. Comme je l’apercevais de loin : — Qui est-ce ?
1336 loin : — Qui est-ce ? ai-je demandé à mon ami. —  Un holy man, a-t-il répondu distraitement. — Mais un vrai ou un charlata
1337 Un holy man, a-t-il répondu distraitement. — Mais un vrai ou un charlatan ? — Comment peut-on savoir. Il y en a tant. Il m
1338 , a-t-il répondu distraitement. — Mais un vrai ou un charlatan ? — Comment peut-on savoir. Il y en a tant. Il marchait len
1339 ait lentement, à grands pas importants, précédé d’ un énorme ventre bien bronzé, vêtu d’une barbe rousse en éventail jusqu’
1340 s, précédé d’un énorme ventre bien bronzé, vêtu d’ une barbe rousse en éventail jusqu’aux épaules, d’un cordon autour du cou
1341 une barbe rousse en éventail jusqu’aux épaules, d’ un cordon autour du cou pendant jusqu’au nombril, et d’un pagne. Il ryth
1342 rdon autour du cou pendant jusqu’au nombril, et d’ un pagne. Il rythmait ses lentes et grandes enjambées en frappant le sol
1343 lentes et grandes enjambées en frappant le sol d’ un bâton. Derrière lui se pressaient trois hommes plus petits, l’un sur
1344 ès gros et court, le second décharné, les tendons des chevilles saillant comme des cordelettes, et le troisième trapu, crân
1345 écharné, les tendons des chevilles saillant comme des cordelettes, et le troisième trapu, crâne tondu, une sorte de queue d
1346 cordelettes, et le troisième trapu, crâne tondu, une sorte de queue de cheval surgissant du sommet de l’occiput. Le saint
1347 non pas chamarrés de robes et surplis à l’instar des princes ou des rois, et comme le sont nos dignitaires ecclésiastiques
1348 rés de robes et surplis à l’instar des princes ou des rois, et comme le sont nos dignitaires ecclésiastiques, toujours plus
1349 saint François aux Doukhobors. ⁂ Dans le salon d’ une vaste résidence, vidé de ses meubles, le mur du fond tendu d’un seul
1350 ence, vidé de ses meubles, le mur du fond tendu d’ un seul voile de soie noir chargé de larges signes d’or, Çakuntala dansa
1351 r chargé de larges signes d’or, Çakuntala dansait des danses classiques de l’Inde ancienne. Deux petits groupes de musicien
1352 subtile dissymétrie de ses gestes, soulignée par des avancements obliques du menton, en liaison stricte avec les mouvement
1353 du menton, en liaison stricte avec les mouvements des bras, des doigts et des chevilles, m’a fait comprendre la statuaire h
1354 en liaison stricte avec les mouvements des bras, des doigts et des chevilles, m’a fait comprendre la statuaire hindoue : l
1355 ricte avec les mouvements des bras, des doigts et des chevilles, m’a fait comprendre la statuaire hindoue : les attitudes d
1356 t comprendre la statuaire hindoue : les attitudes des dieux : qui semblent monotones, ou parfois curieusement affectées, so
1357 onotones, ou parfois curieusement affectées, sont des figures de la danse de Shiva, langage rituel absolument exact, interp
1358 es pas, dont chacun signifiait, l’éclat somptueux des soies, des couleurs, des bijoux, je songeais que l’idée de « mauvais
1359 t chacun signifiait, l’éclat somptueux des soies, des couleurs, des bijoux, je songeais que l’idée de « mauvais goût » devi
1360 fiait, l’éclat somptueux des soies, des couleurs, des bijoux, je songeais que l’idée de « mauvais goût » devient inconcevab
1361 ais goût » devient inconcevable en Inde, alors qu’ un tel excès de richesses combinées n’eût pas manqué de l’évoquer dans n
1362 sage rond barré d’énormes moustaches noires, et d’ une placidité d’expression qui surprend. Vêtus de blouses bleues et de lo
1363 blanches serrées aux mollets, chacun d’eux porte un bâton blanc semblable à celui de nos agents. L’introducteur annonce u
1364 ble à celui de nos agents. L’introducteur annonce une « danse des sticks » symbolisant le duel de dieux jumeaux. La musique
1365 de nos agents. L’introducteur annonce une « danse des sticks » symbolisant le duel de dieux jumeaux. La musique commence do
1366 uis se tournent lentement sur le côté et frappent un peu plus fort ; s’assoient et frappent ; tournent sur leur séant et f
1367 de côté, derrière leur dos, les bras levés, avec une violence inouïe — s’ils venaient à rater un seul croisement des armes
1368 avec une violence inouïe — s’ils venaient à rater un seul croisement des armes et se touchaient la tête, ils tomberaient r
1369 nouïe — s’ils venaient à rater un seul croisement des armes et se touchaient la tête, ils tomberaient raides — le fracas de
1370 aient la tête, ils tomberaient raides — le fracas des bâtons devient celui d’une dure mêlée de chevaliers, cependant que la
1371 ent raides — le fracas des bâtons devient celui d’ une dure mêlée de chevaliers, cependant que la musique monotone rythme le
1372 ant que la musique monotone rythme les coups avec une implacable exactitude. Decrescendo. Maintenant les voici de nouveau p
1373 voici de nouveau presque assis, appuyés au sol d’ une main, frappant de l’autre ; puis ils se couchent, frappent encore fai
1374 animalité totalement possédée par le rythme léger des instruments, et ces coups décochés à intervalles précis, par une déte
1375 , et ces coups décochés à intervalles précis, par une détente d’une vigueur folle, sans la moindre trace de passion. Non,
1376 décochés à intervalles précis, par une détente d’ une vigueur folle, sans la moindre trace de passion. Non, ni « beau » ni
1377 ni « grotesque » n’ont rien à voir ici. La danse des deux hercules moustachus et puérils, surgis peut-être d’un passé mogh
1378 ercules moustachus et puérils, surgis peut-être d’ un passé moghol, me fait entrer dans une compréhension bien autrement in
1379 peut-être d’un passé moghol, me fait entrer dans une compréhension bien autrement inquiétante de l’Asie. Comment dire ce q
1380 r dans son obscurité le sentiment, mal distinct d’ une angoisse, qu’ici le Moi, l’ego central, n’existe pas ? Ces danseurs s
1381 , l’ego central, n’existe pas ? Ces danseurs sont des rôles, des acteurs absolus, des fonctions symboliques, sans conscienc
1382 tral, n’existe pas ? Ces danseurs sont des rôles, des acteurs absolus, des fonctions symboliques, sans conscience propre et
1383 Ces danseurs sont des rôles, des acteurs absolus, des fonctions symboliques, sans conscience propre et séparée. Je serais t
1384 . Aussi tyranniquement déterminés par la batterie des instruments et les figures dynamiques de la danse que l’animal par se
1385 lles, hideuses ou fascinantes comme les figures d’ un rêve, intensément précises mais sans échelle, chargées d’une indicibl
1386 ntensément précises mais sans échelle, chargées d’ une indicible signification, mais capables à chaque instant de se muer to
1387 erviteurs se lèvent à demi.) Dehors, dans l’ombre des arcades, des milliers de dormeurs sans mouvement. Sur le dos, bouche
1388 lèvent à demi.) Dehors, dans l’ombre des arcades, des milliers de dormeurs sans mouvement. Sur le dos, bouche ouverte, à mê
1389 ou sur le côté, recroquevillés, nus ou couverts d’ un drap. Certains se font un lit d’une table à fruits, d’autres de l’emb
1390 llés, nus ou couverts d’un drap. Certains se font un lit d’une table à fruits, d’autres de l’embrasure d’une vitrine de bo
1391 ou couverts d’un drap. Certains se font un lit d’ une table à fruits, d’autres de l’embrasure d’une vitrine de boutique. Le
1392 t d’une table à fruits, d’autres de l’embrasure d’ une vitrine de boutique. Leur immobilité parfaite me fascine. (Nous bouge
1393 eux, même parmi les intellectuels.) Près du port, des gamins vous offrent à voix basse les marchandises les plus diverses,
1394 es marchandises les plus diverses, commençant par des « english girls », sans doute les plus avouables de la liste. Il fait
1395 a bien moins d’irrévérence dans cette remarque qu’ un Occidental ne le pensera, ignorant par exemple que les Indiens religi
1396 e les Indiens religieux vénèrent jusqu’à la bouse des vaches sacrées, dont ils enduisent le four de leur cuisine, ou qu’ils
1397 front en triples traits, non sans l’avoir mêlée d’ un colorant jaune d’or ou vermillon. ⁂ Quartier purement indien du centr
1398 ûlée, d’encens ou de pétales de fleurs emplissant des corbeilles si fraîches à voir. Dans la fournaise d’une petite place,
1399 orbeilles si fraîches à voir. Dans la fournaise d’ une petite place, vers midi, j’hésitais entre trois ruelles. J’entrevois
1400 , j’hésitais entre trois ruelles. J’entrevois par une porte cochère une cour ombreuse, où mon premier mouvement serait d’en
1401 trois ruelles. J’entrevois par une porte cochère une cour ombreuse, où mon premier mouvement serait d’entrer. Mon guide me
1402 Mon guide me retient par la manche : lieu sacré. Un homme, sur le seuil, fait un signe. Je ne comprends pas. Je passe le
1403 manche : lieu sacré. Un homme, sur le seuil, fait un signe. Je ne comprends pas. Je passe le porche. Saisissement dès l’en
1404 ayer de se rappeler le plus grand nombre possible des objets livrés à ma vue, pendant les brefs instants où je pourrai me t
1405 stants. Sur les grandes dalles de pierre, l’urine des vaches sacrées se répand lentement en larges nappes. À droite, sous u
1406 répand lentement en larges nappes. À droite, sous un auvent, des zébus attachés au bord d’un abreuvoir. À gauche, un énorm
1407 ement en larges nappes. À droite, sous un auvent, des zébus attachés au bord d’un abreuvoir. À gauche, un énorme pipal — c’
1408 ite, sous un auvent, des zébus attachés au bord d’ un abreuvoir. À gauche, un énorme pipal — c’est l’arbre sacré de Vishnu
1409 zébus attachés au bord d’un abreuvoir. À gauche, un énorme pipal — c’est l’arbre sacré de Vishnu — dont le feuillage couv
1410 ns la torsade de racines grises formant le tronc, des fleurs roses et violettes, piquées en ex-voto. Devant moi, quelques m
1411 x-voto. Devant moi, quelques marches conduisent à une terrasse surélevée d’un mètre. Des hommes assis sur le rebord, jambes
1412 ues marches conduisent à une terrasse surélevée d’ un mètre. Des hommes assis sur le rebord, jambes pendantes, me regardent
1413 s conduisent à une terrasse surélevée d’un mètre. Des hommes assis sur le rebord, jambes pendantes, me regardent. Au pied d
1414 mbes pendantes, me regardent. Au pied de l’arbre, une petite fontaine et un autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homm
1415 rdent. Au pied de l’arbre, une petite fontaine et un autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homme prie debout, puis se
1416 ine et un autel, chargé de fleurs et d’offrandes. Un homme prie debout, puis se tourne à demi en remuant les lèvres vers l
1417 d et découvre en retrait, au-delà de l’abreuvoir, un bâtiment peint en bleu-vert, chargé de clochetons et de reliefs rococ
1418 gé de clochetons et de reliefs rococo, qui évoque un pavillon de foire et qui est un temple. En réalité toute cette cour,
1419 ococo, qui évoque un pavillon de foire et qui est un temple. En réalité toute cette cour, avec les vaches et leur mine sac
1420 de la terrasse, on distingue entre les feuillages des maisons, des enfants qui jouent, du linge qui pend. Atmosphère hiérat
1421 e, on distingue entre les feuillages des maisons, des enfants qui jouent, du linge qui pend. Atmosphère hiératique, « arrêt
1422 Et la composition compliquée de l’ensemble, comme une mise en scène pleine de sous-entendus. J’attends un geste, un cri. Ri
1423 mise en scène pleine de sous-entendus. J’attends un geste, un cri. Rien ne se passe. Ou plutôt, je ne saurai jamais ce qu
1424 cène pleine de sous-entendus. J’attends un geste, un cri. Rien ne se passe. Ou plutôt, je ne saurai jamais ce qui, de tout
1425 e respect pour les prêtres, sortes de domestiques des temples, utiles par leur savoir des rites de la naissance et de la mo
1426 e domestiques des temples, utiles par leur savoir des rites de la naissance et de la mort, mais fort inférieurs aux brahmin
1427 famille, par le respect de la caste, par l’étude des Vedas, surtout par les écoles de Maîtres. Les rites sont familiaux, o
1428 multiplie par trois, par dix, par cent le nombre des individus jugés nécessaires chez nous pour une tâche déterminée, où j
1429 re des individus jugés nécessaires chez nous pour une tâche déterminée, où j’ai vu jusqu’à cinq personnes sur une bicyclett
1430 déterminée, où j’ai vu jusqu’à cinq personnes sur une bicyclette — le père, la mère, et trois enfants — où enfin, d’une man
1431 le père, la mère, et trois enfants — où enfin, d’ une manière générale, il y a partout trop de gens ; dans ce pays qui ne c
1432 dos aux passants. Et ces hommes en prière contre un mur. Et ces saints demi-nus, traversant à grands pas les rues encombr
1433 pose sans relâche et sans ordre sur le pourtour d’ un grand plateau d’argent, devant chaque convive. La conversation s’enga
1434 out. Qu’en est-il en Inde ? Les Indiens échangent un sourire, hésitent un peu, par politesse sans doute, et disent enfin q
1435 Inde ? Les Indiens échangent un sourire, hésitent un peu, par politesse sans doute, et disent enfin que non, qu’ils n’ont
1436 diction dans l’être intime de l’Asiatique : c’est une autre manière d’exprimer qu’il n’a pas le sens du péché ; et par suit
1437 ui de l’originalité, étant l’homme du Karma, et d’ une caste. La suppression des castes, admise en droit, si elle devenait j
1438 l’homme du Karma, et d’une caste. La suppression des castes, admise en droit, si elle devenait jamais effective, entraîner
1439 conséquences dans tous ces ordres. Elle créerait un champ libre aux problèmes personnels, aux risques permanents de la pe
1440 enture courue par l’Occident. Dans l’état présent des choses, on comprend fort bien que notre idée de l’originalité (dans l
1441 able pour l’Asiatique en tant que tel14. Il est d’ une caste, d’une secte religieuse, d’une voie spirituelle définie, d’une
1442 siatique en tant que tel14. Il est d’une caste, d’ une secte religieuse, d’une voie spirituelle définie, d’une école ou d’un
1443 14. Il est d’une caste, d’une secte religieuse, d’ une voie spirituelle définie, d’une école ou d’une profession. La variati
1444 cte religieuse, d’une voie spirituelle définie, d’ une école ou d’une profession. La variation, l’innovation individuelle ne
1445 d’une voie spirituelle définie, d’une école ou d’ une profession. La variation, l’innovation individuelle ne sont pas vues,
1446 nt qu’erreurs. Le besoin d’être original, et dans un autre ordre l’humour, expriment notre notion de l’individu : isolé, d
1447 sacralisé, en révolte ouverte ou sournoise contre un ordre de choses par essence discutable, c’est-à-dire affecté dès l’or
1448 dès l’origine, comme en chacun de ses états, par un principe d’injustice, de malheur, d’incomplétude inéluctable. D’où le
1449 le sens du péché, d’où la révolte, d’où l’idée d’ un progrès nécessaire, absolument liés dans notre histoire et dans notre
1450 ésiste en collant à son identité, qui est celle d’ un ordre et non pas d’un ego, d’un être différent qui ne vivra qu’une fo
1451 n identité, qui est celle d’un ordre et non pas d’ un ego, d’un être différent qui ne vivra qu’une fois. Il résiste sans co
1452 , qui est celle d’un ordre et non pas d’un ego, d’ un être différent qui ne vivra qu’une fois. Il résiste sans contre-attaq
1453 ste sans contre-attaque, sans chercher à détruire un ennemi étranger, car dans toute destruction violente et non rituelle
1454 Russes. Prenez l’affaire de la Corée : il propose un plébiscite “démocratique”, qui ne peut tourner qu’à l’avantage des co
1455 émocratique”, qui ne peut tourner qu’à l’avantage des communistes. Mais prenez l’affaire du Kashmir : là, plus question de
1456 blé. La famine menace au Bihar. On demande l’aide des États-Unis, on critique en même temps leur politique, on les rend hés
1457 moque, pourvu que l’Inde appuie la Chine. Et cinq des grands ambassadeurs de l’Inde sont communistes ou fellow-travellers… 
1458 e l’Inde sont communistes ou fellow-travellers… » Un diplomate : « Nul ne sait ce qu’il va faire. Il suit surtout la ligne
1459 la ligne de ses humeurs. L’autre jour, au banquet des grands industriels, il s’est lancé dans un discours fort irrité contr
1460 nquet des grands industriels, il s’est lancé dans un discours fort irrité contre le machinisme, inutile selon lui. Or il s
1461 tandis que nous parlons, à New Delhi, au cours d’ un déjeuner auquel il m’a convié, entouré de sa fille, de sa nièce, et d
1462 tant de Bombay, où notre Congrès s’était clos sur une résolution condamnant le neutralisme. J’avais lu dans l’avion que le
1463 re devait rentrer ce matin même du Kashmir, après une nuit de voyage. On le disait fort irritable. J’étais en train d’admir
1464 disait fort irritable. J’étais en train d’admirer des jonquilles, rapportées toutes fraîches de son pays natal. Il est entr
1465 hes de son pays natal. Il est entré sans bruit, d’ un pas rapide. Un peu voûté, l’air sérieux et distant. Il porte une long
1466 natal. Il est entré sans bruit, d’un pas rapide. Un peu voûté, l’air sérieux et distant. Il porte une longue veste de soi
1467 Un peu voûté, l’air sérieux et distant. Il porte une longue veste de soie d’un violet sombre, semée de fleurs gris-clair e
1468 x et distant. Il porte une longue veste de soie d’ un violet sombre, semée de fleurs gris-clair et jaunes. Pantalons blancs
1469 blancs étroits, souliers de soie noire, tête nue. Un prince d’Orient, aussi beau qu’on le dit. Légèrement boudeur, m’a-t-i
1470 , baissant la tête et regardant sa main posée sur un coussin, sans réagir. Je ne sais pourquoi je me suis demandé, à ce mo
1471 sait en hindi ou en anglais.) Mais à table, c’est un autre homme. Souriant et détendu, curieux de tout, connaissant bien l
1472 ’il juge pire encore quant à la qualité ; parlant des douze grandes langues indiennes qui remplaceront de plus en plus l’an
1473 sité, c’est regrettable mais inévitable ; parlant des fruits confits de vingt sortes diverses posés devant nous, et guettan
1474 ce jeu où je m’amuse à le suivre. Enfin je pousse un pion, profitant d’un silence. Je lui dis que Madariaga, dans la séanc
1475 à le suivre. Enfin je pousse un pion, profitant d’ un silence. Je lui dis que Madariaga, dans la séance de clôture du congr
1476 congrès, s’est écrié : « Votre Nehru, c’est l’un des six ou sept qui dirigent aujourd’hui le monde et qui forment déjà, de
1477 onde et qui forment déjà, de fait sinon de droit, une sorte de cabinet mondial : en tant que tel il doit prêter l’oreille à
1478 éponse la question de savoir s’ils devraient être des Staline ou des Einstein, des Nehrus politiques ou des Nehrus pandits1
1479 ion de savoir s’ils devraient être des Staline ou des Einstein, des Nehrus politiques ou des Nehrus pandits15…) Au café, je
1480 s’ils devraient être des Staline ou des Einstein, des Nehrus politiques ou des Nehrus pandits15…) Au café, je lui dis mon é
1481 Staline ou des Einstein, des Nehrus politiques ou des Nehrus pandits15…) Au café, je lui dis mon étonnement à découvrir que
1482 er ou de refuser cette situation. Approuverait-il un plan d’échanges suivis, sur un axe culturel Inde-Europe ? Nos plus gr
1483 n. Approuverait-il un plan d’échanges suivis, sur un axe culturel Inde-Europe ? Nos plus grands indianistes sont allemands
1484 l’Europe est plus près de l’Inde… Il s’est donné une petite tape sur le genou. « C’est vrai, cela ! me dit-il, il y a du v
1485 l’attends. Ou plutôt non, je lui téléphonerai. » Un sourire un peu grave et charmeur. Un adieu familier de la main. J’ess
1486 Ou plutôt non, je lui téléphonerai. » Un sourire un peu grave et charmeur. Un adieu familier de la main. J’essaie mainten
1487 éphonerai. » Un sourire un peu grave et charmeur. Un adieu familier de la main. J’essaie maintenant de recomposer ce que l
1488 dit de lui et ce que j’ai vu de l’homme, pendant une entrevue « banale », et c’est son prix. Nehru est un brahmine éduqué
1489 entrevue « banale », et c’est son prix. Nehru est un brahmine éduqué à Cambridge, un aristocrate libéral inclinant vers le
1490 n prix. Nehru est un brahmine éduqué à Cambridge, un aristocrate libéral inclinant vers le socialisme, et dont le destin,
1491 sa nature intime plutôt que de ses idées, a fait un prince. Que ce pandit soit devenu Premier ministre, il s’agit là d’un
1492 ndit soit devenu Premier ministre, il s’agit là d’ un caprice de l’Histoire. Il y a beaucoup de caprice chez Nehru. À l’inv
1493 y a beaucoup de caprice chez Nehru. À l’inverse d’ un Staline, d’un Hitler, mais peut-être aussi d’un Gandhi, il reste comm
1494 e caprice chez Nehru. À l’inverse d’un Staline, d’ un Hitler, mais peut-être aussi d’un Gandhi, il reste comme distinct de
1495 d’un Staline, d’un Hitler, mais peut-être aussi d’ un Gandhi, il reste comme distinct de son rôle historique. On dirait qu’
1496 e. On dirait qu’il le voit avec quelque distance. Un moraliste en somme, mais sans foi religieuse, et qui remplace les dog
1497 dissimulé pour la culture américaine est celui d’ un brahmine pour une caste inférieure (il l’a écrit), non pas celui d’un
1498 a culture américaine est celui d’un brahmine pour une caste inférieure (il l’a écrit), non pas celui d’un Marx pour le capi
1499 caste inférieure (il l’a écrit), non pas celui d’ un Marx pour le capitalisme promis à des crises fatales. Les mesures qu’
1500 pas celui d’un Marx pour le capitalisme promis à des crises fatales. Les mesures qu’il vient de prendre contre la presse,
1501 qu’il vient de prendre contre la presse, au nom d’ un idéal de « propreté morale », sont en fait ressenties comme traduisan
1502 est vrai que son visage et son maintien expriment une harmonie de l’âme hindoue que la plupart des corps, dans ce pays, cac
1503 ystère primitif qui lie l’homme à ses dieux comme une ombre à la nuit ? Ne trouverait-il pas au contraire ce signe d’inquié
1504 ndividu à l’inconscient sacré, au corps magique d’ une race ? L’individualité n’est jamais née qu’en rupture de magie. Cette
1505 intenant : ce grand Indien, qui libéra son peuple des Anglais, pense en anglais. ⁂ Délivrée des Moghols par l’Occident, pui
1506 peuple des Anglais, pense en anglais. ⁂ Délivrée des Moghols par l’Occident, puis de l’Occident par l’action combinée de G
1507 le deviendra. En six siècles, le monde a changé ; une Inde indépendante eût changé elle aussi. Le fait certain, c’est qu’el
1508 on la réveille au siècle américain et russe. Ni d’ un côté ni de l’autre, elle ne peut se reconnaître. Elle se dit neutre,
1509 est trompeuse. Je n’ai pas senti là-bas l’essor d’ un peuple jeune, sa confiance dans l’avenir, ses projets excessifs. Au c
1510 ns l’avenir, ses projets excessifs. Au contraire, un immense embarras devant le monde tel que d’autres l’ont fait. Jetée d
1511 e tel que d’autres l’ont fait. Jetée dans la lice des États, au milieu d’une partie serrée, l’Inde se voit sommée de jouer.
1512 t fait. Jetée dans la lice des États, au milieu d’ une partie serrée, l’Inde se voit sommée de jouer. Elle n’est pas équipée
1513 ns que l’Amérique représente aujourd’hui le monde des libertés individuelles, dans sa lutte contre la Russie qui représente
1514 peuple indien, qui n’a jamais connu le phénomène des « masses », ni l’individualisme dont il est la rançon. Cependant l’In
1515 , en tant qu’État, doit voter pour ou contre l’un des blocs, sauf à trouver des motifs très puissants pour justifier son ab
1516 ter pour ou contre l’un des blocs, sauf à trouver des motifs très puissants pour justifier son abstention. Mais sur quelles
1517 la renient. L’évolution normale que provoquerait une suppression réelle des castes rapprocherait l’Inde de l’Occident, de
1518 n normale que provoquerait une suppression réelle des castes rapprocherait l’Inde de l’Occident, de l’Europe en particulier
1519 s facilement nos incertitudes que nos fois… Entre un passé réduit à l’impuissance pratique mais qui résiste en profondeur,
1520 sance pratique mais qui résiste en profondeur, et un avenir encore épidermique, le présent de l’Inde paraît manquer de con
1521 l’Inde paraît manquer de consistance. Nous avons des problèmes, l’Inde est problèmes. Je n’ai guère parlé que du plus inti
1522 the et la personne. Les autres sont assez connus. Des milliers de vaches sacrées, d’ailleurs malades, embarrassent la circu
1523 d’ailleurs malades, embarrassent la circulation. Des millions de singes sacrés pillent les champs rendus à la culture par
1524 à la culture par les tracteurs. La production, d’ une désastreuse insuffisance, s’accroît moins vite que la population, qui
1525 pulation, qui déborde la nuit sur les trottoirs. ( Un lit pour des centaines de personnes à Bombay.) Neuf hommes sur dix so
1526 i déborde la nuit sur les trottoirs. (Un lit pour des centaines de personnes à Bombay.) Neuf hommes sur dix sont illettrés,
1527 Bombay.) Neuf hommes sur dix sont illettrés, dans un régime officiellement démocratique. Les fonctionnaires sont corrompus
1528 tionnaires sont corrompus, dit-on, du haut en bas des hiérarchies improvisées après le départ des Anglais. L’armée serait i
1529 n bas des hiérarchies improvisées après le départ des Anglais. L’armée serait impuissante devant une invasion. Et ainsi de
1530 rt des Anglais. L’armée serait impuissante devant une invasion. Et ainsi de suite… Presque tous ces problèmes me semblent i
1531 l’Inde, mais qui le peut ? L’Amérique lui fournit des tracteurs et du blé. La Russie lui propose la révolte. Et l’Europe, j
1532 uement. Elle doit trouver maintenant les formes d’ une présence désintéressée, fraternelle. 14. Je ne parle pas des jeunes
1533 désintéressée, fraternelle. 14. Je ne parle pas des jeunes intellectuels, formés aux disciplines occidentales, à l’anarch
1534 i les résume. 15. Pandit veut dire sage, docte — un peu comme notre « docteur » mais sans brevet. 16. C’est dans cette i
1535 ns très anciennement chrétiennes du Malabar. Mais un Hindou ne peut devenir « collectiviste » s’il n’a passé d’abord par l
1536 leaux de l’Inde que Denis de Rougemont rapporte d’ un récent voyage forment un curieux contraste avec les pages de Somerset
1537 de Rougemont rapporte d’un récent voyage forment un curieux contraste avec les pages de Somerset Maugham que nous avons p
1538 livraison. Après l’Inde religieuse, voici l’Inde des foules — l’Inde de 390 millions d’habitants — la vie de la rue — et a
1539 telligentsia… ses réactions en face de l’URSS… et un portrait nuancé de Nehru. »
8 1965, La Revue de Paris, articles (1937–1969). Le Suisse moyen et quelques autres (mai 1965)
1540 sont plus réellement moyens que « l’homme moyen » des autres peuples, support ou résultat fictif des statistiques. Voilà qu
1541  » des autres peuples, support ou résultat fictif des statistiques. Voilà qui surprendra, s’agissant d’un pays exceptionnel
1542 statistiques. Voilà qui surprendra, s’agissant d’ un pays exceptionnellement composite : vingt-cinq États distincts (quoiq
1543 éponse : cette moyenne n’est pas née de la fusion des diversités, encore moins de leur mélange dans chaque individu, mais d
1544 iplicité, distribuée sur tout le territoire, et d’ une même attitude d’intime approbation à l’égard d’un régime qui permet à
1545 ne même attitude d’intime approbation à l’égard d’ un régime qui permet à chacun de rester soi-même où qu’il vive, à droits
1546 rtimentages. La moyenne suisse est l’expression d’ un contentement presque unanime, d’une longue absence de conflits dramat
1547 l’expression d’un contentement presque unanime, d’ une longue absence de conflits dramatiques et de la prospérité qui en a p
1548 résulter. Pas de moyenne réelle dans les pays où une faction, une Église, une classe a tenté d’imposer ses règles, provoqu
1549 s de moyenne réelle dans les pays où une faction, une Église, une classe a tenté d’imposer ses règles, provoquant la violen
1550 réelle dans les pays où une faction, une Église, une classe a tenté d’imposer ses règles, provoquant la violence et fixant
1551 nt pour longtemps d’irréductibles discordances et des disparités extrêmes dans les manières de vivre et de juger. La libert
1552 divisent. On parle toujours de la Suisse comme d’ une nation « une et diverse ». Il faut voir qu’elle est une parce qu’elle
1553 parle toujours de la Suisse comme d’une nation «  une et diverse ». Il faut voir qu’elle est une parce qu’elle est diverse.
1554 tion « une et diverse ». Il faut voir qu’elle est une parce qu’elle est diverse. Le goût du juste milieu, le sens du compro
1555 quêtes sociologiques, études d’opinion et analyse des votations se recoupent d’une manière remarquable, et toutes nous donn
1556 d’opinion et analyse des votations se recoupent d’ une manière remarquable, et toutes nous donnent du Suisse moyen un portra
1557 marquable, et toutes nous donnent du Suisse moyen un portrait statistique qui ressemble à s’y méprendre aux Suisses parmi
1558 , livrés aux joies inépuisables de la comparaison des niveaux de vie. Ce sont des réalistes sans cynisme. Ils acceptent leu
1559 les de la comparaison des niveaux de vie. Ce sont des réalistes sans cynisme. Ils acceptent leur condition, parce qu’ils en
1560 ts, et qu’ils la jugent au surplus satisfaisante. Une enquête conduite par l’institut Gallup pendant l’été de 1963, dans si
1561 e et aux États-Unis, montre qu’ils sont « en tête des gens heureux », comme l’écrit un journal français. Alors que 48 % seu
1562 sont « en tête des gens heureux », comme l’écrit un journal français. Alors que 48 % seulement des Français se disent con
1563 rit un journal français. Alors que 48 % seulement des Français se disent contents de leur niveau de vie, tandis que 38 % s’
1564 8 % s’en plaignent et que 14 % n’en pensent rien, une majorité écrasante de 88 % des Suisses trouvent que cela va très bien
1565 n’en pensent rien, une majorité écrasante de 88 % des Suisses trouvent que cela va très bien ainsi. Mais il y a mieux. À la
1566 ainsi. Mais il y a mieux. À la question posée par un autre institut de sondage de l’opinion publique : « D’une manière gén
1567 e institut de sondage de l’opinion publique : « D’ une manière générale, diriez-vous que vous êtes très heureux, plutôt heur
1568 n’est pas que tout soit parfait dans la meilleure des Suisses possibles, mais le monde a changé, et l’on s’adapte à ces cha
1569 sauf en politique étrangère) ou de se battre pour une utopie. Rien de moins révolutionnaire, mais rien non plus de moins ré
1570 rmiste conservateur, il évolue avec ténacité vers des formes d’organisation de l’économie et de la distribution des revenus
1571 ’organisation de l’économie et de la distribution des revenus que les socialistes d’antan revendiquaient sans trop oser y c
1572 que les patrons modernes négocient posément avec des chefs syndicalistes très avertis des conditions de la productivité. L
1573 osément avec des chefs syndicalistes très avertis des conditions de la productivité. Le fonds commun sur lequel peuvent com
1574 nt on a pu écrire qu’il est « le mode existentiel des Suisses », la base de leurs rapports sociaux et souvent le sens même
1575 en de fois n’ai-je pas lu cette devise gravée sur une pierre tombale ou imprimée au bas d’un faire-part de décès, en lieu e
1576 ravée sur une pierre tombale ou imprimée au bas d’ un faire-part de décès, en lieu et place de l’habituel verset biblique :
1577 cé ; peu ou point de grandes fortunes fondées sur un coup de chance ; et les fils à papa ne se contentent pas de poser com
1578 l sur toute autre valeur ou passion se marque par une grande stabilité professionnelle. Le Suisse s’expatrie facilement18 e
1579 rie facilement18 et passe sans nulle difficulté d’ une commune ou d’un canton à l’autre, mais reste en général fidèle à son
1580 et passe sans nulle difficulté d’une commune ou d’ un canton à l’autre, mais reste en général fidèle à son métier. Dire d’u
1581 mais reste en général fidèle à son métier. Dire d’ un homme qu’il a fait beaucoup de métiers est un éloge banal en Amérique
1582 e d’un homme qu’il a fait beaucoup de métiers est un éloge banal en Amérique (ou versatile veut dire habile, doué de nombr
1583 qués par l’esprit d’efficacité qui fait du Suisse un type extrême d’Occidental. « Toutes les activités culturelles du Suis
1584 elles du Suisse, très importantes, participent en une certaine manière du travail », observe encore l’enquête déjà citée. L
1585 quête déjà citée. Lire, aller au théâtre, écouter des conférences est un devoir avant d’être un plaisir : devoir envers soi
1586 re, aller au théâtre, écouter des conférences est un devoir avant d’être un plaisir : devoir envers soi-même, car « il fau
1587 couter des conférences est un devoir avant d’être un plaisir : devoir envers soi-même, car « il faut se cultiver », comme
1588 pur, la gratuité ne s’avouent guère, se cherchent des prétextes et en trouvent d’excellents, mais il n’y a plus de gratuité
1589 si », « Rassurez-vous, ce sera très simple » sont des mots de passe de la vie quotidienne du bourgeois et surtout de son ép
1590 lucernoise, Beromünster, Ettiswil et Sursee, font une des gloires de ce pays. C’est la Suisse primitive qui a produit tout
1591 rnoise, Beromünster, Ettiswil et Sursee, font une des gloires de ce pays. C’est la Suisse primitive qui a produit tout cela
1592 ie de la dépense autant que de l’apparat, et même des majuscules typographiques (voir l’école graphique de Zurich) se sent
1593 sée dans ces sanctuaires où l’or est gaspillé sur des stucs boursouflés et qui manquent de sérieux… Et cela conduit à poser
1594 t de sérieux… Et cela conduit à poser la question des critères moraux du Suisse moyen. Sont-ils encore ceux de sa religion,
1595 répondre dans le cas de la Suisse que dans celui des États-Unis par exemple19. Car la Suisse reste tributaire dans son ens
1596 ar la Suisse reste tributaire dans son ensemble d’ une certaine éthique protestante, qui ne sépare point la vertu de l’effor
1597 sépare point la vertu de l’effort ni la valeur d’ une action du mérite moral de son auteur. D’où il résulte, par exemple, q
1598 goût du travail correspond chez le Suisse moyen à une exigence morale plutôt qu’au seul désir de gagner davantage. La pares
1599 au seul désir de gagner davantage. La paresse est une déficience, et non le signe éventuel d’une sagesse libérée des contin
1600 se est une déficience, et non le signe éventuel d’ une sagesse libérée des contingences. Je ne connais pas d’autre pays où l
1601 e, et non le signe éventuel d’une sagesse libérée des contingences. Je ne connais pas d’autre pays où l’on pourrait poser a
1602 ette question qui figure dans l’enquête intitulée Un jour en Suisse : « Estimez-vous qu’on peut être un bon Suisse et se l
1603 n jour en Suisse : « Estimez-vous qu’on peut être un bon Suisse et se lever à 9 heures ? » À l’origine du devoir et du goû
1604 rendement objectif : car, ainsi que l’a bien dit une mauvaise langue, le Suisse se lève tôt, mais il se réveille tard. Mai
1605 alité, le mariage ? Les anciens Suisses, au temps des Ligues, n’étaient pas moins connus pour la licence de leurs mœurs que
1606 hroniques illustrées d’Urs Graf, les descriptions des bains de Bade, « jardin de volupté de l’Europe », les récits de Casan
1607 ndignations de Jeremias Gotthelf contre les mœurs des paysans bernois (qui, loin d’exiger d’une jeune fille la preuve de sa
1608 s mœurs des paysans bernois (qui, loin d’exiger d’ une jeune fille la preuve de sa virginité, attendaient au contraire, pour
1609 tre mère), cent témoignages concordants décrivent une Suisse gaillarde, rustique et soldatesque, qui préfère la virtù à la
1610 le de luxure, ou, pour rester conforme au langage des pasteurs, à l’« impureté », péril majeur pour l’âme et parfois pour l
1611 ue peu obsédante assombrit la prédication pendant un siècle. Il est d’autant plus remarquable que le Suisse moyen formé à
1612 er ; d’autre part, que la religion devait exercer un empire bien puissant pour que ses disciplines et jugements fussent ac
1613 ensure et l’état du mariage en Suisse. La censure des publications n’est officiellement exercée qu’aux frontières du pays.
1614 u moral et de l’immoral ? Je n’en ai découvert qu’ un seul : « La discipline, un point c’est tout ! », me criait hier encor
1615 e n’en ai découvert qu’un seul : « La discipline, un point c’est tout ! », me criait hier encore un de ces « gardiens du s
1616 e, un point c’est tout ! », me criait hier encore un de ces « gardiens du seuil », parce que j’avais dévié de quelques cen
1617 ais dévié de quelques centimètres hors de la file des voitures qu’il lui avait plu d’organiser devant le poste, — souvenir
1618 e, — souvenir de l’école enfantine où il alignait des bâtonnets pendant des heures et il fallait surtout que rien ne dépass
1619 le enfantine où il alignait des bâtonnets pendant des heures et il fallait surtout que rien ne dépasse. Ce qui dépasse aux
1620 ministère public fédéral, et dont chaque employé des douanes est censé connaître la liste (Sade, Henry Miller, etc.). Or,
1621 te (Sade, Henry Miller, etc.). Or, les critères d’ un tel office ne sauraient être, évidemment, que ceux de la banalité mor
1622 de tout écrit, de toute image ou œuvre d’art « où un particulier non averti ne chercherait qu’une excitation pour les sens
1623 « où un particulier non averti ne chercherait qu’ une excitation pour les sens20 ». Faut-il penser que les Suisses bénéfici
1624 -il penser que les Suisses bénéficient vraiment d’ une sensualité si violente qu’un rien, la moindre négligence risquerait d
1625 éficient vraiment d’une sensualité si violente qu’ un rien, la moindre négligence risquerait de la porter aux pires excès ?
1626 t de la porter aux pires excès ? Comme la censure des films (cantonale ou locale), ces mesures restrictives ne provoquent p
1627 de Suisse21. L’humoriste Georges Mikes affirme qu’ un habitant de l’Obwald lui a dit : « Je préférerais donner ma fille à u
1628 ld lui a dit : « Je préférerais donner ma fille à un homme de Winterthour plutôt qu’à quelqu’un de Nidwald » (canton voisi
1629 voisin). En revanche, raconte-t-il : « J’ai connu une dame de Schaffhouse dont le fils avait épousé une jeune fille de la v
1630 une dame de Schaffhouse dont le fils avait épousé une jeune fille de la ville de Winterthour, distante d’une vingtaine de k
1631 eune fille de la ville de Winterthour, distante d’ une vingtaine de kilomètres. Elle en avait le cœur brisé, bien entendu, e
1632 ts pour traiter sa bru ‟comme si elle était l’une des nôtres”, tout en sachant fort bien que ‟ces mariages mixtes ne réussi
1633 éussissent jamais”. Elle voyait dans son attitude un exemple miraculeux de sacrifice personnel et une manifestation presqu
1634 e un exemple miraculeux de sacrifice personnel et une manifestation presque surhumaine de contrôle de soi22 ». Tout cela ap
1635 donner raison à cette dame : la Suisse tient l’un des premiers rangs (derrière les États-Unis, le Danemark, la Suède et l’A
1636 emark, la Suède et l’Autriche) pour la proportion des divorces, depuis que la mobilité de sa population d’un canton à l’aut
1637 vorces, depuis que la mobilité de sa population d’ un canton à l’autre a entraîné un accroissement correspondant des mariag
1638 de sa population d’un canton à l’autre a entraîné un accroissement correspondant des mariages intercantonaux et interconfe
1639 l’autre a entraîné un accroissement correspondant des mariages intercantonaux et interconfessionnels : « Ces mariages mixte
1640 tout par d’autres causes. Il n’est pas le signe d’ un quelconque « relâchement moral » (comparé à la Suisse patriarcale), m
1641 sse patriarcale), mais au contraire, dirais-je, d’ une exigence accrue à l’égard du mariage et de ce qu’il peut représenter
1642 ésenter pour le développement personnel de chacun des conjoints et pour leur intégration en tant que couple dans la vie soc
1643 grands ensembles urbains. Ce n’est pas l’anarchie des mœurs qui menace la Suisse, c’est plutôt une espèce particulière de c
1644 chie des mœurs qui menace la Suisse, c’est plutôt une espèce particulière de conformisme raisonné, adopté après mûr examen,
1645 les derniers à y reconnaître leurs voisins. C’est un portrait, ce n’est pas un éloge, ni une critique. Dire que le Suisse
1646 re leurs voisins. C’est un portrait, ce n’est pas un éloge, ni une critique. Dire que le Suisse moyen est sérieux mais heu
1647 ins. C’est un portrait, ce n’est pas un éloge, ni une critique. Dire que le Suisse moyen est sérieux mais heureux (j’ajoute
1648 dans les guerres d’idéologies à ceux qui signent des contrats de « paix de travail ». (Il n’est pas interdit de se former
1649 de travail ». (Il n’est pas interdit de se former des jugements plus nuancés ou dialectiques.) Mais quoi qu’on pense de ce
1650 ce portrait du Suisse moyen, ce n’est pas encore un portrait de la Suisse. L’enquête la plus intelligente et la statistiq
1651 ent montrer les traits acquis de la physionomie d’ un peuple, mais non les forces qui l’ont configurée. Un Mozart, un Desca
1652 peuple, mais non les forces qui l’ont configurée. Un Mozart, un Descartes, un Kipling n’auraient jamais été décelés par qu
1653 s non les forces qui l’ont configurée. Un Mozart, un Descartes, un Kipling n’auraient jamais été décelés par quelque sonda
1654 es qui l’ont configurée. Un Mozart, un Descartes, un Kipling n’auraient jamais été décelés par quelque sondage d’opinion s
1655 et ce sont pourtant de tels hommes qui donnent à un pays ce qu’on appelle son visage, visage bientôt « traditionnel ». On
1656 oublie qu’ils l’ont créée d’abord (bien que dans un langage donné, qui existait avant eux, qu’ils renouvellent seulement)
1657 eux, qu’ils renouvellent seulement). Il y a dans une patrie, dans une nation, dans une communauté humaine bien plus de cho
1658 uvellent seulement). Il y a dans une patrie, dans une nation, dans une communauté humaine bien plus de choses que nos instr
1659 t). Il y a dans une patrie, dans une nation, dans une communauté humaine bien plus de choses que nos instruments d’analyse
1660 bien plus de choses que nos instruments d’analyse des consciences actuelles n’en peuvent compter et indexer : il y a des fo
1661 ctuelles n’en peuvent compter et indexer : il y a des forces et des réalités longuement agissantes et soudain décisives que
1662 peuvent compter et indexer : il y a des forces et des réalités longuement agissantes et soudain décisives que l’homme moyen
1663 dire précisément parce qu’il en vit ? Et ce sont des hommes d’exception qui les révèlent dans leurs œuvres, même s’ils cro
1664 Condition du « grand homme » en Suisse Dans un film naguère célèbre, Orson Welles assurait que la Suisse n’a donné a
1665 e restent quelque peu mystérieuses, même aux yeux des Européens dotés d’une bonne culture générale. Le statut du « grand ho
1666 mystérieuses, même aux yeux des Européens dotés d’ une bonne culture générale. Le statut du « grand homme » en Suisse le con
1667 demeurer à peu près invisible. Comment veut-on qu’ un étranger le voie ? Si cet étranger vient chez nous et cite l’un des S
1668 ie ? Si cet étranger vient chez nous et cite l’un des Suisses qu’il connaît par sa réputation mondiale, il ne trouvera pas
1669 ît par sa réputation mondiale, il ne trouvera pas une personne sur mille, prise dans la rue, qui ait jamais entendu ce nom-
1670 ds y sera surtout local. Il sera le grand homme d’ une vallée, d’une cité, plus rarement d’un canton, presque jamais celui d
1671 out local. Il sera le grand homme d’une vallée, d’ une cité, plus rarement d’un canton, presque jamais celui de la nation en
1672 d homme d’une vallée, d’une cité, plus rarement d’ un canton, presque jamais celui de la nation entière. D’autre part, le r
1673 e antihégémonique s’oppose à toute prédominance d’ un canton ou d’un homme qui le représente. D’où les conséquences qu’on a
1674 ue s’oppose à toute prédominance d’un canton ou d’ un homme qui le représente. D’où les conséquences qu’on a vues dans le d
1675 rait mine de dépasser la mesure commune et d’être un chef. Un Führer suisse est impensable, et même l’essai d’instituer un
1676 de dépasser la mesure commune et d’être un chef. Un Führer suisse est impensable, et même l’essai d’instituer un Landamma
1677 uisse est impensable, et même l’essai d’instituer un Landammann de Suisse échoua très vite, vers 1800. Un Collège peu voya
1678 Landammann de Suisse échoua très vite, vers 1800. Un Collège peu voyant administre l’État, on ne saurait dire qu’il gouver
1679 sente les plus sérieux inconvénients. Car pour qu’ un grand art s’épanouisse, il faut un milieu, une école, un public alert
1680 s. Car pour qu’un grand art s’épanouisse, il faut un milieu, une école, un public alerté, un snobisme, les libéralités d’u
1681 qu’un grand art s’épanouisse, il faut un milieu, une école, un public alerté, un snobisme, les libéralités d’un mécène ou
1682 d art s’épanouisse, il faut un milieu, une école, un public alerté, un snobisme, les libéralités d’un mécène ou d’une cour
1683 , il faut un milieu, une école, un public alerté, un snobisme, les libéralités d’un mécène ou d’une cour. C’est tout cela
1684 un public alerté, un snobisme, les libéralités d’ un mécène ou d’une cour. C’est tout cela qu’interdisent moralement nos p
1685 té, un snobisme, les libéralités d’un mécène ou d’ une cour. C’est tout cela qu’interdisent moralement nos principes, et phy
1686 maines les plus divers. Sans prétendre à composer un portrait-robot du « grand homme suisse moyen » (expression en elle-mê
1687 rend les couleurs du milieu. Albert Bitzius était un jeune Bernois, épris de littérature et d’idées libertaires. Il devint
1688 Gotthelf : « Dieu aide ! »), publia coup sur coup une quinzaine de romans tragiques, éducatifs, épiques et religieux, fanta
1689 vie durant de l’administration locale, du secours des pauvres et de la commission scolaire. Henri-Frédéric Amiel n’eut mêm
1690 e. Henri-Frédéric Amiel n’eut même pas à choisir un pseudonyme. Quelques recueils de poésies médiocres, un chant patrioti
1691 eudonyme. Quelques recueils de poésies médiocres, un chant patriotique encore très populaire (« Roulez tambours, pour couv
1692 ns nos cantons, chaque enfant naît soldat ! ») et des cours de philosophie dont l’ennui seul est resté mémorable ont camouf
1693 le pages de Journal furent écrites dans l’ombre d’ une carrière assez terne pour être acceptée sans histoires. « En épousant
1694 st Paul Bourget qui a dit que « Paris en eût fait un dieu ». Mais ce n’eût été qu’un dieu de salons, un dieu causeur. Jac
1695 Paris en eût fait un dieu ». Mais ce n’eût été qu’ un dieu de salons, un dieu causeur. Jacob Burckhardt à sa manière fut a
1696 n dieu ». Mais ce n’eût été qu’un dieu de salons, un dieu causeur. Jacob Burckhardt à sa manière fut aussi un grand homme
1697 causeur. Jacob Burckhardt à sa manière fut aussi un grand homme invisible ; refusant de succéder à Ranke dans la chaire d
1698 selon son rang social et en tant que professeur. Un peu plus tard, Ferdinand de Saussure suit la même conduite à Genève c
1699 me conduite à Genève comme par instinct, s’il est un instinct patricien. (L’intellectuel du xxe siècle cherche au contrai
1700 tant que différent de ses données natives et par une volonté de rupture. On ne saurait lui reprocher cette nouvelle tactiq
1701 t dont les seules richesses furent fabriquées par un travail humain bien concerté, la Suisse est née de la coopération. Un
1702 en concerté, la Suisse est née de la coopération. Un pour tous, tous pour un, c’est moins un idéal qu’une vitale obligatio
1703 st née de la coopération. Un pour tous, tous pour un , c’est moins un idéal qu’une vitale obligation de solidarité pratique
1704 pération. Un pour tous, tous pour un, c’est moins un idéal qu’une vitale obligation de solidarité pratique. Quand un Suiss
1705 pour tous, tous pour un, c’est moins un idéal qu’ une vitale obligation de solidarité pratique. Quand un Suisse entreprend
1706 e vitale obligation de solidarité pratique. Quand un Suisse entreprend de créer quelque chose, tout se passe comme s’il av
1707 ou son génie individuel, en démontrant qu’il fait une œuvre utile au bien commun. Et c’est pourquoi les Suisses qui ont exc
1708 es Suisses qui ont excellé furent presque tous, à des titres divers, hommes utiles au sens le plus noble et penseurs engagé
1709 es au sens le plus noble et penseurs engagés dans une communauté (qui souvent dépassait leur pays) plutôt que créateurs d’a
1710 e les hommes, entre les peuples et nations, entre des entités moralement définies. Le salut de l’homme ou sa santé, plutôt
1711 rgovie, et socialiste combatif, Karl Barth publie un commentaire sur l’Épître aux Romains qui produit dans les milieux thé
1712 dans les milieux théologiques de langue allemande une révolution comparable à celle du freudisme ou du léninisme dans d’aut
1713 les prétentions nationales-socialistes, il dresse un manifeste de l’« Église confessante », première affirmation, fondamen
1714 mentale, de la Résistance européenne. On lui fait un procès à Bonn. Il n’attaque pas le régime en soi, mais ses complices
1715 l’expulse. Et dès lors, revenu à Bâle, il édifie une Dogmatique de l’Église qui est le monument théologique le plus hardi
1716 l’orthodoxie. Jamais voix plus autoritaire après un siècle de libéralisme, plus humaine et plus réaliste après un siècle
1717 libéralisme, plus humaine et plus réaliste après un siècle de formalisme puritain et sentimental, ne s’était élevée dans
1718 r à Hitler au nom de la foi, parce qu’il instaure une religion. Après la guerre, ce contempteur de la neutralité, « péché d
1719 guerre, ce contempteur de la neutralité, « péché des Suisses », s’élève sans relâche contre la guerre froide, et se voit a
1720 utaire, mais kierkegaardien par son affirmation d’ un Dieu totaliter aliter et sans commune mesure avec les intérêts de la
1721 logien depuis Calvin qui ait influencé l’ensemble des Églises protestantes, en Amérique comme en Europe, et que les docteur
1722 définir) et qu’il a détectées dans la grande nuit des âges. Autant Barth refuse le phénomène religieux, infiniment polyvale
1723 , autant Jung veut s’ouvrir aux messages chiffrés des religions de toute la terre. L’un procède par exclusion, l’autre par
1724 proche du comportement intellectuel et spirituel des Églises romaine et grecque — il connaît et il redécouvre la valeur de
1725 t grecque — il connaît et il redécouvre la valeur des rites et des symboles et il est tout le contraire d’un iconoclaste —
1726 l connaît et il redécouvre la valeur des rites et des symboles et il est tout le contraire d’un iconoclaste — mais quand il
1727 tes et des symboles et il est tout le contraire d’ un iconoclaste — mais quand il déclare, dans sa Réponse à Job, que la pr
1728 qu’à la « shakti » hindoue ou à l’Éternel féminin des mystiques hérétiques. Pour Barth, Dieu est le vis-à-vis de l’homme, l
1729 is de l’homme, le Tout Autre. Pour Jung, Dieu est une réalité psychique. Le théologien n’a que faire de la psychologie. Il
1730 eu24 ». En revanche, le psychologue n’a que faire des dogmes, sauf s’ils sont l’expression cristallisée d’un mythe, d’une s
1731 gmes, sauf s’ils sont l’expression cristallisée d’ un mythe, d’une situation archétypique, donc d’une réalité de l’âme, — e
1732 ’ils sont l’expression cristallisée d’un mythe, d’ une situation archétypique, donc d’une réalité de l’âme, — et c’est préci
1733 d’un mythe, d’une situation archétypique, donc d’ une réalité de l’âme, — et c’est précisément dans la mesure où ils seraie
1734 c’est précisément dans la mesure où ils seraient un mythe fixé que Barth les rejetterait. Le dialogue entre ces deux homm
1735 lieu. Leurs disciples (pasteurs et théologiens d’ un côté, médecins psychiatres et philosophes des religions de l’autre) c
1736 ns d’un côté, médecins psychiatres et philosophes des religions de l’autre) coexistent sans se rencontrer, et aucune tentat
1737 elle n’a été entreprise jusqu’ici, que je sache. ( Un jour, peut-être, j’essaierai de me rendre compte de ce que je dois à
1738 oïevski seraient impensables en tant que Suisses. Une certaine démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe et du style,
1739 ables en tant que Suisses. Une certaine démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe et du style, libre de tout souci d
1740 Suisses. Une certaine démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe et du style, libre de tout souci d’application « mor
1741 se. Et c’est à eux que la Suisse, en retour, doit une densité de conscience communautaire, mais aussi d’efficacité transfor
1742 dont on trouvera difficilement l’équivalent dans une autre région du monde d’étendue à peu près comparable. S’expatrier.
1743 me du monde, Saint-Pierre de Rome, fut achevé par des architectes venus de Suisse ; qu’un autre Suisse bâtit des capitales
1744 t achevé par des architectes venus de Suisse ; qu’ un autre Suisse bâtit des capitales en Inde ; qu’un troisième a donné à
1745 tectes venus de Suisse ; qu’un autre Suisse bâtit des capitales en Inde ; qu’un troisième a donné à l’Amérique les deux pon
1746 s s’il monte sur la montagne… Alors cette ivresse des sommets. L’intuition de la grandeur. Et plus d’obstacles devant la pe
1747 rmaine de Staël. Il s’appelle Burckhardt ou, dans un autre domaine, Karl Barth. Son canton — ou l’Europe. » Et il est vrai
1748 c’est en s’expatriant pour se réaliser au sein d’ une unité beaucoup plus vaste, impériale ou papale, réformée ou romaine,
1749 acques, Mme de Staël et Constant à Paris. Quant à un Jung, à un Ramuz, à un Barth, qui, après de longs séjours loin du pay
1750 de Staël et Constant à Paris. Quant à un Jung, à un Ramuz, à un Barth, qui, après de longs séjours loin du pays, ont fait
1751 Constant à Paris. Quant à un Jung, à un Ramuz, à un Barth, qui, après de longs séjours loin du pays, ont fait le principa
1752 dans le monde ; c’est au contraire de l’étranger, des grands pays voisins ou de l’Amérique, que leur réputation nous est re
1753 ope moderne. J’ose y voir le plus grand privilège des Suisses : quelle que soit leur petite patrie locale, s’ils la dépasse
1754 ien plutôt libres pour elle… 17. Cf. l’enquête Un jour en Suisse, 1964. 18. 300 000 Suisses vivent à l’étranger, soit
1755 : 10 % avant 1914, 7,5 % en 1945. 19. Je pense à des ouvrages tels que The Lonely Crowd, de David Riesman. 20. Déclaratio
1756 onely Crowd, de David Riesman. 20. Déclaration d’ un chef du service juridique au Ministère public, recueillie par Franck
1757 ublic, recueillie par Franck Jotterand au cours d’ une enquête sur la censure en Suisse. 21. « Le canton — ou l’Europe », c
1758 mme disait Lucien Febvre. À la sixième génération des ancêtres de mon père, dont pourtant les parents et trois des grands-p
1759 s de mon père, dont pourtant les parents et trois des grands-parents étaient de Neuchâtel, je trouve 32 Neuchâtelois et 32
1760 telois et 32 Européens surtout Français, mais pas un seul Suisse d’un autre canton. 22. Georges Mikes, Switzerland for be
1761 péens surtout Français, mais pas un seul Suisse d’ un autre canton. 22. Georges Mikes, Switzerland for beginners, 1962. 2
1762 Mikes, Switzerland for beginners, 1962. 23. Cf. Un jour en Suisse. 24. Dogmatik der Kirche, I, i, 6, 3. 25. Synthèse
1763 . Dogmatik der Kirche, I, i, 6, 3. 25. Synthèse des sciences médicales et d’une écologie européenne avant la lettre : Par
1764 , 6, 3. 25. Synthèse des sciences médicales et d’ une écologie européenne avant la lettre : Paracelse. Théorie générale des
1765 nne avant la lettre : Paracelse. Théorie générale des sociétés humaines, dont le Contrat social n’est qu’un fragment : Rous
1766 ociétés humaines, dont le Contrat social n’est qu’ un fragment : Rousseau. « Considérations sur l’Histoire du Monde » : Jak
1767 pages paraîtront dans La Suisse ou l’histoire d’ un peuple heureux chez Hachette. »
9 1969, La Revue de Paris, articles (1937–1969). L’avenir du fédéralisme (septembre 1969)
1768 devenue célèbre : « Le xixe siècle ouvrira l’ère des fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans. »
1769 l’ère des fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans. » Dans quelle voie sommes-nous engagés après
1770 ans. » Dans quelle voie sommes-nous engagés après un siècle ? Celle des fédérations et de l’harmonie des peuples, ou celle
1771 voie sommes-nous engagés après un siècle ? Celle des fédérations et de l’harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance
1772 n siècle ? Celle des fédérations et de l’harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance des particularismes nationaux ? J
1773 érations et de l’harmonie des peuples, ou celle d’ une renaissance des particularismes nationaux ? Je répondrai : dans les d
1774 ’harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance des particularismes nationaux ? Je répondrai : dans les deux à la fois, e
1775 deux à la fois, et cela n’est pas contradictoire. Un phénomène très général de convergence inspire les mouvements d’union
1776 e, en Afrique et en Amérique latine, cependant qu’ une volonté d’union mondiale anime les Nations unies et l’Unesco, le Cons
1777 Nations unies et l’Unesco, le Conseil œcuménique des Églises et Vatican II. Simultanément, mais en sens inverse, un phénom
1778 Vatican II. Simultanément, mais en sens inverse, un phénomène tout aussi général d’affirmation des diversités, des autono
1779 se, un phénomène tout aussi général d’affirmation des diversités, des autonomies et des volontés d’indépendance, inspire le
1780 tout aussi général d’affirmation des diversités, des autonomies et des volontés d’indépendance, inspire les mouvements de
1781 l d’affirmation des diversités, des autonomies et des volontés d’indépendance, inspire les mouvements de résurgences commun
1782 e chacun de nos États unitaires. Renaissance donc des micronationalismes locaux, qui revendiquent leur autonomie au nom de
1783 omie au nom de leur langue, de leurs coutumes, ou des nécessités économiques nouvelles, et qui enfièvrent tour à tour la Br
1784 se prononcent en même temps, résultent en partie des mêmes causes, et entraînent des effets complémentaires, j’entends le
1785 sultent en partie des mêmes causes, et entraînent des effets complémentaires, j’entends le dépassement de l’État-nation à l
1786 fois par en haut et par en bas, d’une part, vers des fédérations continentales et, d’autre part, vers un fédéralisme régio
1787 fédérations continentales et, d’autre part, vers un fédéralisme régional. La victime de ce double mouvement contradictoir
1788 t du Premier Empire, produit de la confiscation d’ une mystique — la nation — par un appareil administratif et policier — l’
1789 la confiscation d’une mystique — la nation — par un appareil administratif et policier — l’État. Un État plus ou moins na
1790 r un appareil administratif et policier — l’État. Un État plus ou moins nationalisé ou une nation étatisée, modèle : la Fr
1791 er — l’État. Un État plus ou moins nationalisé ou une nation étatisée, modèle : la France, bientôt imitée par presque toute
1792 r presque toute l’Europe — et au xxe siècle, par une centaine de nations nouvelles. Centralisé, atomisé et trituré par les
1793 colonialisme. Il est certain que la prétention à une politique indépendante, au plein sens du terme, ne saurait être soute
1794 utefois d’en payer le prix, lequel serait celui d’ une autarcie presque totale ou d’une sorte d’isolation paranoïaque. En fa
1795 l serait celui d’une autarcie presque totale ou d’ une sorte d’isolation paranoïaque. En fait, les États-Unis, quoique de lo
1796 diale que celle-ci du dollar ou de la télévision. Une interdépendance universelle dans tous ordres tend à réduire l’indépen
1797 dans tous ordres tend à réduire l’indépendance d’ un État à une certaine liberté dans le choix de ses dépendances, à un ce
1798 ordres tend à réduire l’indépendance d’un État à une certaine liberté dans le choix de ses dépendances, à un certain jeu d
1799 taine liberté dans le choix de ses dépendances, à un certain jeu dans l’aménagement de ses réseaux de relations plus ou mo
1800 à la Chambre italienne sur le règlement du statut des régions autonomes. Risque d’éclatement de la Belgique. En France, flo
1801 . Succès spectaculaires, aux dernières élections, des autonomistes gallois et écossais. Agitation basque et catalane, sourd
1802 Jura bernois. Mais en même temps, multiplication des jumelages européens entre communes de ces mêmes régions, créations d’
1803 s de liberté et de participation civique, apanage des communautés ou cités libres, comme Rousseau l’avait si bien vu ; ni a
1804 grands espaces économiques constitués à la mesure des possibilités et des besoins de l’ère scientifico-technique. Cet échec
1805 miques constitués à la mesure des possibilités et des besoins de l’ère scientifico-technique. Cet échec de la politique cen
1806 tralisatrice et unitaire, secrètement obsédée par un rêve d’autarcie, et cette mise en question, voire en accusation, de l
1807 xixe siècle, nous renvoient l’un comme l’autre à des formules de type fédéraliste. À la question que je me posais sur la p
1808 réponse : oui, nous sommes bel et bien au seuil d’ une ère potentiellement fédéraliste. Peut-on dire plus ? Sur les quelque
1809 ater qu’on trouve parmi eux les plus grands États des cinq continents et les plus modernes — ainsi les États-Unis, le Mexiq
1810 isme « désuet ». Mais l’étiquette fédérale couvre des marchandises de qualités pour le moins diverses selon qu’il s’agit pa
1811 tiques qui sont opprimées par l’État central dont un Parti unique s’est emparé ; au Nigéria, c’est au contraire une des ré
1812 que s’est emparé ; au Nigéria, c’est au contraire une des régions fédérées qui s’érige en État unitaire ; en Suisse, c’est
1813 s’est emparé ; au Nigéria, c’est au contraire une des régions fédérées qui s’érige en État unitaire ; en Suisse, c’est le r
1814 lleurs), pour refuser de se laisser entraîner par des mouvements de convergence européenne et mondiale, même s’ils disent s
1815 ent s’inspirer du propre exemple de la fédération des cantons suisses ! Il est certain que dans ces trois cas, c’est moins
1816 al compris, ou son blocage délibéré aux limites d’ un État fédéral. Il ne s’agit pas d’un défaut du fédéralisme, mais d’un
1817 aux limites d’un État fédéral. Il ne s’agit pas d’ un défaut du fédéralisme, mais d’un défaut de fédéralisme. Et l’on est e
1818 ne s’agit pas d’un défaut du fédéralisme, mais d’ un défaut de fédéralisme. Et l’on est en droit de penser que l’applicati
1819 double mouvement de diastole et de systole, vers des autonomies plus locales et vers des unions plus vastes, qui est le ba
1820 systole, vers des autonomies plus locales et vers des unions plus vastes, qui est le battement même du cœur d’un régime sai
1821 plus vastes, qui est le battement même du cœur d’ un régime sain, j’entends immunisé contre le virus totalitaire. Mais si
1822 langage politique qui prête à pires malentendus ! Un Français cultivé qui demande à son Littré le sens du mot fédéralisme
1823 » est défini plus loin comme ce « qui a rapport à une confédération ». Quant à « fédération », c’est simplement « union pol
1824 ions qui l’illustrent : 1) « Le fédéralisme était une des formes politiques les plus communes employées par les sauvages. »
1825 qui l’illustrent : 1) « Le fédéralisme était une des formes politiques les plus communes employées par les sauvages. » Cha
1826 l’unité nationale et de transformer la France en une fédération de petits États. » Pour le Français cultivé, donc, la caus
1827 is cultivé, donc, la cause est jugée. Il s’agit d’ un système qui est bon pour les sauvages, et qui semble n’avoir été préc
1828 ages, et qui semble n’avoir été préconisé que par des traîtres à la République… Il est vrai que mon Littré date de 1865 : «
1829 jet auraient dû suffire, semble-t-il, à clarifier un terme que le problème européen et nos situations nationales nous amèn
1830 le malheur congénital du fédéralisme reste d’être un concept dialectique, ambigu, et qui autorise — ou incite en tout cas
1831 uelques années, je suggérai au comité directeur d’ un congrès européen qu’une journée fût réservée à des travaux sur le féd
1832 érai au comité directeur d’un congrès européen qu’ une journée fût réservée à des travaux sur le fédéralisme. Le représentan
1833 un congrès européen qu’une journée fût réservée à des travaux sur le fédéralisme. Le représentant du Conseil de l’Europe ti
1834 ce haut fonctionnaire tenait le fédéralisme pour un système d’unification intégrale, sans respect pour les diversités et
1835 ans respect pour les diversités et les autonomies des pays membres, c’est-à-dire très exactement le contraire de ce qu’il e
1836 verse, le fédéralisme est assimilé par beaucoup à une attitude de suspicion envers tout pouvoir central, et à la défense om
1837 tout pouvoir central, et à la défense ombrageuse des autonomies locales ou régionales. C’est ainsi qu’un illustre homme d’
1838 autonomies locales ou régionales. C’est ainsi qu’ un illustre homme d’État belge, et grand Européen, écrivait récemment :
1839 y a quelques années, on put entendre le recteur d’ une de nos universités cantonales condamner le principe d’une subvention
1840 os universités cantonales condamner le principe d’ une subvention fédérale « parce qu’ici, disait-il, nous sommes fédéralist
1841 d’Européens professionnels ou de gardiens jaloux des traditions helvètes, que sera-ce ailleurs ? Le fédéralisme n’étant ni
1842 portance pratique de tout effort de clarification des concepts de fédération et de fédéralisme. Pour ma part, je voudrais m
1843 proposer quelques définitions, puis les relier à des situations contemporaines choisies dans les domaines les plus variés
1844 itions. Je propose d’appeler problème fédéraliste une situation dans laquelle s’affrontent deux réalités humaines antinomiq
1845 uisse être cherchée, ni dans la réduction de l’un des termes, ni dans la subordination de l’un à l’autre, mais seulement da
1846 ordination de l’un à l’autre, mais seulement dans une création qui englobe, satisfasse et transcende les exigences de l’un
1847 sitive. (On dirait, dans le langage de la théorie des jeux de von Neumann et Morgenstern, qu’il s’agit de déterminer l’opti
1848 ntradictoires, — comme l’offre et la demande dans un prix.) L’ensemble des problèmes et des solutions ainsi définis consti
1849 e l’offre et la demande dans un prix.) L’ensemble des problèmes et des solutions ainsi définis constitue ce que je nommerai
1850 emande dans un prix.) L’ensemble des problèmes et des solutions ainsi définis constitue ce que je nommerai la politique féd
1851 Avant de chercher à quel type d’homme correspond une telle politique, et quel type d’homme elle entend préparer ou éduquer
1852 d préparer ou éduquer, constatons qu’elle traduit une forme de pensée, une structure de relations bipolaires dont le « modè
1853 , constatons qu’elle traduit une forme de pensée, une structure de relations bipolaires dont le « modèle » nous est connu :
1854 littéralement auto-réglage) comme cellule de base des ligues et fédérations. Voilà qui est proprement occidental : devant c
1855 uisant l’un de ses termes — le Divers — au prix d’ une longue ascèse exténuante. Pour le brahmane, pour le bouddhiste, le bu
1856 de la masse indistincte autant que sur l’anarchie des individus isolés, qu’il s’agisse de réalités métaphysiques ou physiqu
1857 litiques. Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des contraires procède la plus belle harmonie, dit un fragment célèbre d’
1858 es contraires procède la plus belle harmonie, dit un fragment célèbre d’Héraclite. L’art et la science de cette mise en te
1859 que je l’entends, après avoir valu pour la Grèce des grands siècles avec sa dialectique de l’individu et de la cité, conci
1860 vers l’approfondissement et l’expansion du modèle des contraires en tension créatrice, nous le trouvons dans le christianis
1861 créatrice, nous le trouvons dans le christianisme des grands conciles. À Nicée, puis à Chalcédoine, plusieurs centaines d’é
1862 pour définir en grec la nature à la foi triple et une du Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une et d
1863 e, Fils et Saint-Esprit, et la personne à la fois une et double de Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seu
1864 Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seul et même Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme… fils uni
1865 éparation. L’union n’a pas supprimé la différence des natures, mais plutôt elle a sauvegardé les propriétés de chaque natur
1866 priétés de chaque nature, qui se rencontrent dans une seule personne… » Abstraction faite de la foi que l’on accorde ou non
1867 je retiens que leurs formes et structures posent un certain type de relations, posent donc une société et une politique.
1868 posent un certain type de relations, posent donc une société et une politique. De même que le modèle trinitaire des concil
1869 ain type de relations, posent donc une société et une politique. De même que le modèle trinitaire des conciles sera utilisé
1870 t une politique. De même que le modèle trinitaire des conciles sera utilisé par Kepler dans ses spéculations sur le cercle
1871 marxienne — de même le modèle de la co-existence des deux natures sans confusion ni séparation et de l’union qui loin de s
1872 et de l’union qui loin de supprimer la différence des natures sauvegarde leurs propriétés 26 sera repris par tous les pense
1873 s les penseurs occidentaux respectueux du réel et des conditions de la vie, qui sont : antinomies, oppositions, lutte des c
1874 la vie, qui sont : antinomies, oppositions, lutte des contraires « d’où procède la plus belle harmonie ». Je pense d’abord,
1875 s comme exclusifs l’un de l’autre, a cessé d’être un scandale, est même devenu principe fondamental d’interprétation du ré
1876 oderne où l’on retrouve les structures typiques d’ un problème fédéraliste. À la base de notre analyse, plaçons une concept
1877 fédéraliste. À la base de notre analyse, plaçons une conception de l’homme analogue au modèle bipolaire posé par le concil
1878 Chalcédoine. La personne humaine, notion déduite des dogmes relatifs aux trois Personnes divines, et surtout à la deuxième
1879 nauté, cet homme se constitue dans la dialectique des contraires. Et ce caractère va se transmettre à tous les groupes qu’i
1880 — l’autonomie. Quelques exemples : 1. Le problème des universités résulte d’un couple d’exigences contradictoires, qui para
1881 emples : 1. Le problème des universités résulte d’ un couple d’exigences contradictoires, qui paraissent exclusives l’une d
1882 ces communs, de participation efficace à la vie d’ un groupe concret et d’horizons ouverts, d’adhésion à des communautés pl
1883 roupe concret et d’horizons ouverts, d’adhésion à des communautés plus vastes, de cadres qui rassurent, d’enracinement et d
1884 on de l’homme qui veut à la fois sa vie privée et une vie sociale est homologue à la situation de la région qui veut à la f
1885 eut à la fois son autonomie et sa participation à un plus grand ensemble, en association. 4. Enfin, le problème général de
1886 venons d’évoquer, puisqu’il consiste à concilier des confessions distinctes dans l’unité de l’Église, c’est-à-dire en dern
1887 té de l’Église, c’est-à-dire en dernière analyse, des vocations particulières au sein de l’Être même de l’Universel, source
1888 éthode dictés par le souci fédéraliste de respect des diversités, des conditions contradictoires de la vie, comme la libert
1889 r le souci fédéraliste de respect des diversités, des conditions contradictoires de la vie, comme la liberté des personnes
1890 tions contradictoires de la vie, comme la liberté des personnes et la force de la communauté ? L’analyse fédéraliste d’une
1891 force de la communauté ? L’analyse fédéraliste d’ une situation part du concret, en ce sens que d’abord elle considère la n
1892 en ce sens que d’abord elle considère la nature d’ une tâche ou d’une fonction particulière dont on aura reconnu la nécessit
1893 d’abord elle considère la nature d’une tâche ou d’ une fonction particulière dont on aura reconnu la nécessité ou l’agrément
1894 e d’exécution requise et elle le fait en fonction des trois facteurs suivants : possibilités de participation (civique, int
1895 intellectuelle, économique), efficacité, économie des moyens. Enfin, dernière étape : une fois déterminée cette dimension e
1896 égions, tous les hommes de quelques régions, ou d’ une seule. Je conviendrai que le nombre des combinaisons auxquelles peut
1897 ons, ou d’une seule. Je conviendrai que le nombre des combinaisons auxquelles peut conduire cette méthode a de quoi donner
1898 cité. Pour moi, le fédéralisme, c’est l’autonomie des régions plus les ordinateurs, c’est-à-dire le respect du réel et de s
1899 allons voir, enfin, que nos critères d’évaluation des dimensions et d’attribution des niveaux décisionnels — la participati
1900 ères d’évaluation des dimensions et d’attribution des niveaux décisionnels — la participation, l’efficacité et l’économie d
1901 ls — la participation, l’efficacité et l’économie des moyens — sont en interdépendance générale. Prenons l’exemple de l’hab
1902 e. Prenons l’exemple de l’habitat : le gigantisme des villes, l’entassement dans les grands ensembles conçus pour rapporter
1903 ands ensembles conçus pour rapporter, ont produit une situation de crise dont l’acuité se mesure notamment par le chiffre é
1904 l’acuité se mesure notamment par le chiffre élevé des suicides. L’homme des ensembles à bon marché, trop serré avec d’autre
1905 amment par le chiffre élevé des suicides. L’homme des ensembles à bon marché, trop serré avec d’autres chez soi, et qui vou
1906 l, sort et se mêle à la foule anonyme… Mais c’est une mauvaise solitude, née de l’absence de communication avec ceux que l’
1907 taines dimensions et structures architecturales : des unités d’habitation de 5000 à 25 000 habitants, dotées non seulement
1908 rts mais de rues réservées aux seuls piétons et d’ une place remplissant la fonction de l’agora ou du forum dans la cité ant
1909 u de rencontres, d’intrigues, de flirts, de criée des journaux et de manifestations. La possibilité physique et morale de p
1910 générale au sens traditionnel et l’acquisition d’ un savoir professionnel souvent d’autant plus rentable qu’il est plus ét
1911 étroitement spécialisé ; mais la révolte actuelle des étudiants, sorte de tourbillon dans l’égarement, est aussi le résulta
1912 t, est aussi le résultat mécanique de l’explosion des effectifs. Multipliez par dix les dimensions des marches d’un escalie
1913 des effectifs. Multipliez par dix les dimensions des marches d’un escalier, il devient impraticable. De même, le décupleme
1914 . Multipliez par dix les dimensions des marches d’ un escalier, il devient impraticable. De même, le décuplement des effect
1915 il devient impraticable. De même, le décuplement des effectifs estudiantins transforme en acrobatie toute participation ré
1916 aliste : commencer par réévaluer les dimensions d’ une université digne du nom, ménageant des possibilités de recherches trè
1917 mensions d’une université digne du nom, ménageant des possibilités de recherches très spécialisées et de travail interdisci
1918 ités de base de douze à quinze étudiants autour d’ un enseignant (c’étaient les dimensions d’un studium de la Sorbonne au x
1919 utour d’un enseignant (c’étaient les dimensions d’ un studium de la Sorbonne au xiiie siècle) puis une fédération de ces p
1920 ’un studium de la Sorbonne au xiiie siècle) puis une fédération de ces petites unités en départements, et je retrouve ici
1921 aux recteurs européens en 1964m. L’université fut une commune libre au Moyen âge. Toute vie civique, depuis la cité grecque
1922 ue du fédéralisme : comment assurer la cohésion d’ un ensemble assez vaste pour pouvoir se charger de tâches communes (tell
1923 ) sans léser les droits essentiels et l’autonomie des unités de base ? Comment devenir assez grand pour être fort, tout en
1924 ez petit pour être libre ? Ce n’est pas le vote d’ une constitution, de type plus ou moins fédéral qui peut résoudre une foi
1925 fois pour toutes ce conflit permanent. Il y faut une méthode vivante, celle que j’ai dite : sans cesse évaluer à nouveau l
1926 dite : sans cesse évaluer à nouveau la dimension des tâches à entreprendre, répartir en conséquence les pouvoirs de décisi
1927 ndant aux exigences de l’habitat, de la formation des esprits et de l’exercice du civisme, c’est dans cette dialectique con
1928 ain de se former sous nos yeux, en Europe, plus d’ une centaine de régions à métropole destinées à devenir — à plus ou moins
1929 future fédération continentale, en lieu et place des États-nations constitués au xixe siècle. On s’aperçoit alors que le
1930 par les auteurs classiques, n’était en réalité qu’ un cas particulier d’une conception beaucoup plus large des relations hu
1931 iques, n’était en réalité qu’un cas particulier d’ une conception beaucoup plus large des relations humaines dans la cité, d
1932 particulier d’une conception beaucoup plus large des relations humaines dans la cité, des relations publiques en général.
1933 p plus large des relations humaines dans la cité, des relations publiques en général. C’est ce qu’avait bien vu le regretté
1934 os, lorsqu’il relevait que « le fédéralisme vit d’ une vie que la forme institutionnelle dénommée État ne suffit pas à quali
1935 il ajoutait : « Le fédéralisme est autre chose qu’ une simple recette juridique ou politique : il est un des grands types d’
1936 ne simple recette juridique ou politique : il est un des grands types d’aménagement du rapport politique et peut-être plus
1937 simple recette juridique ou politique : il est un des grands types d’aménagement du rapport politique et peut-être plus enc
1938 nt du rapport politique et peut-être plus encore, un des grands styles de vie et de civilisation, capable, au même titre q
1939 du rapport politique et peut-être plus encore, un des grands styles de vie et de civilisation, capable, au même titre que l
1940 ocialisme ou la démocratie, d’alimenter la pensée des sociétés et de dicter aux hommes ces “images de comportement” dont Be
1941 les sauvages dont parlait Littré. Mais loin aussi des définitions étroitement légales et constitutionnelles du xixe . Nous
1942 nelles du xixe . Nous voici sur le seuil de l’ère des grandes unions et des petites unités fonctionnelles, et l’on va peut-
1943 voici sur le seuil de l’ère des grandes unions et des petites unités fonctionnelles, et l’on va peut-être trouver, dans les
1944 ition. En tant que méthode générale d’aménagement des relations humaines, le fédéralisme tel que j’ai tenté de le définir n
1945 : « Le fédéralisme est présence au pouvoir global des éléments particuliers — demeurant distincts et reconnaissables — dont
1946 aissables — dont se compose la fédération. Il est une symbiose sans confusion ni disparition des spécificités. » 27. H. Br
1947 Il est une symbiose sans confusion ni disparition des spécificités. » 27. H. Brugmans et P. Duclos, Le Fédéralisme contemp