1 1932, Le Paysan du Danube. Note
1 ressant du commis voyageur. Mais alors, l’orgueil de quelques-uns, se refusant à une vanité profitable autant que vulgaire
2 té profitable autant que vulgaire, prend l’aspect d’ une assez prétentieuse modestie. Comment, après cela, l’auteur du Pays
3 er qu’il considère ces petits écrits comme autant de hors-d’œuvre ? — De la composition desquels il voudrait bien qu’on ne
4 es petits écrits comme autant de hors-d’œuvre ? —  De la composition desquels il voudrait bien qu’on ne déduise pas celle d
2 1932, Le Paysan du Danube. Le sentiment de l’Europe centrale
5 Le sentiment de l’Europe centrale Un accord sans résolution Il arrive qu’au so
6 ution Il arrive qu’au sortir de Paris le train de banlieue qui emmène son chargement de somnambules énervés de fumée et
7 is le train de banlieue qui emmène son chargement de somnambules énervés de fumée et qui se cachent dans les journaux du s
8 qui emmène son chargement de somnambules énervés de fumée et qui se cachent dans les journaux du soir, soit lentement dou
9 naux du soir, soit lentement doublé par le rapide de Bretagne. Ce long passage lumineux des vacances, traînée d’espoirs dé
10 e. Ce long passage lumineux des vacances, traînée d’ espoirs délivrés qui nous frôle, éveille chez ceux qui restent un sent
11 éveille chez ceux qui restent un sentiment confus d’ exil et de plaisir dont souvent j’ai cru distinguer la contagion dans
12 ez ceux qui restent un sentiment confus d’exil et de plaisir dont souvent j’ai cru distinguer la contagion dans le regard
13 t j’ai cru distinguer la contagion dans le regard de mes voisins. Ainsi d’autres fois j’ai vibré au passage des rapides de
14 i d’autres fois j’ai vibré au passage des rapides de l’Europe centrale ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais d’u
15 assage des rapides de l’Europe centrale ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais d’une fièvre brève qui révélait la
16 e ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais d’ une fièvre brève qui révélait la trouble densité de l’atmosphère. La r
17 ’une fièvre brève qui révélait la trouble densité de l’atmosphère. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée d’Innsbru
18 ait la trouble densité de l’atmosphère. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée d’Innsbruck figure dans mes songerie
19 re. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée d’ Innsbruck figure dans mes songeries le passage du « Sturm and Drang »
20 kilomètres à l’heure. ⁂ L’Europe centrale est une de ces réalités qu’on reconnaît d’abord par leur frisson particulier. Ma
21 nt alors des images champêtres, les toits pointus d’ un bourg au sein d’une vallée de verdure et de vergers — c’est la Soua
22 les toits pointus d’un bourg au sein d’une vallée de verdure et de vergers — c’est la Souabe, la Thuringe, la vie bourgeoi
23 tus d’un bourg au sein d’une vallée de verdure et de vergers — c’est la Souabe, la Thuringe, la vie bourgeoise sans avaric
24 vie bourgeoise sans avarice ; — puis le contraste d’ un massif central de sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté
25 avarice ; — puis le contraste d’un massif central de sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté du continent —, cet
26 uis le contraste d’un massif central de sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté du continent —, cette région esc
27 Prague, qui forme le décor voluptueux et lugubre de tant de drames nourris de solitude ; et puis des plaines qui se perde
28 r voluptueux et lugubre de tant de drames nourris de solitude ; et puis des plaines qui se perdent en steppes, — démesure
29 lle part la « province ». Elles condensent la vie de leur contrée, en donnent la visible formule, petites capitales enraci
30 certaines, selon l’égarement du temps, tentèrent de vivre par elles-mêmes. Elles retirent les parcs qui les alliaient à l
31 cs qui les alliaient à la campagne, se ceinturent d’ usines, et prennent aussitôt cette fièvre caractéristique des organism
32 vre caractéristique des organismes humains isolés de la vie végétale. C’est ainsi que Berlin réglemente la circulation de
33 C’est ainsi que Berlin réglemente la circulation de ses ferments de tristesses intellectuelles, sur une petite superficie
34 Berlin réglemente la circulation de ses ferments de tristesses intellectuelles, sur une petite superficie minérale où la
35 librent, violence et mélancolie, paysages — états d’ âme imposant tour à tour le cynisme ou la bonhomie, tout cela baigne d
36 la baigne dans une inguérissable nostalgie, celle d’ un grand accord complexe qui chercherait en vain sa résolution. ⁂ M’at
37 aphie sentimentale, j’avais un temps conçu l’idée d’ établir une Carte du Tendre de la nouvelle Europe centrale. Il semblai
38 temps conçu l’idée d’établir une Carte du Tendre de la nouvelle Europe centrale. Il semblait que les noms des traités de
39 pe centrale. Il semblait que les noms des traités de 19, Versailles, Trianon, convenaient mieux au rococo des sentiments q
40 re part, flattait un certain goût du graphique et de l’imagerie stylisée qu’à la réflexion je trouvai trop spécifiquement
41 i trop spécifiquement français pour rendre compte d’ une réalité qui, justement, m’attirait comme une étrangère. Néanmoins,
42 esque et défini, au goût du temps, les frontières de certains pays dont on venait à peine de reconnaître l’existence légal
43 férai soudain monter dans un express. Pour guérir de Descartes, il n’est que d’aimer en voyage : l’on découvre bientôt que
44 n express. Pour guérir de Descartes, il n’est que d’ aimer en voyage : l’on découvre bientôt que rien n’est comparable. Que
45 t que rien n’est comparable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des dé
46 n’est comparable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des désirs sans
47 arable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des désirs sans fin, et qui
48 s sentiments ou des désirs sans fin, et qui n’ont de réalité qu’en un cœur, lorsqu’il aime1 ? Tout devenait incompréhensib
49 chemin, nulle distance mesurable, ne conduisaient de Tendre-sur-noblesse à Saint-Masoch-en-Démonie, mais tout se mêlait gl
50 t « paradoxe », tels sont peut-être les mots-clés de l’Europe sentimentale. Pourquoi faut-il que notre langue les traduise
51 ise, en vertu d’une convention qu’il serait temps de réviser, par « démesure » et « confusion » ? Car il est trop certain
52 certain que le mot démesure désigne dans l’esprit d’ un bourgeois cartésien quelque chose dont il convient de se gausser sa
53 ourgeois cartésien quelque chose dont il convient de se gausser sans examen. Mais une exacte traduction ne servirait au fo
54 on ne servirait au fond qu’à déplacer le prétexte d’ un malentendu plus tenace. Lorsqu’on parle de paradoxe, Tartempion se
55 exte d’un malentendu plus tenace. Lorsqu’on parle de paradoxe, Tartempion se souvient du café du Commerce, tandis que le p
56 e premier des Doktor phil. venu évoque le concept d’ ironie selon Jean-Paul, la dialectique selon Hegel, et peut-être la pa
57 dialectique selon Hegel, et peut-être la passion de Kierkegaard. Mais alors M. Truc parle des « brumes nordiques » ! Car
58 ques » ! Car la métamorphose a pour effet certain de rendre tout légalisme inefficace — il n’y a jugement possible que du
59 sse renaissant au contact des éléments inférieurs de deux mondes dont la synthèse constituerait la gloire de ce temps, et,
60 x mondes dont la synthèse constituerait la gloire de ce temps, et, accessoirement, notre salut.   Parmi les traits tout qu
61 , notre salut.   Parmi les traits tout quotidiens de la mentalité germanique, les plus frappants apparaissent déterminés p
62 morale du titanisme. Or elle implique la réalité de la métamorphose. Les autres traits relèvent d’un sentimentalisme part
63 té de la métamorphose. Les autres traits relèvent d’ un sentimentalisme particulier, synthèse « paradoxale » et jamais suff
64 arguments sanglants. Et s’il est des domaines où de nos jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie de nuances vaine
65 jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie de nuances vaines et la décision, même brutale, l’on ne saurait ici serr
66 écision, même brutale, l’on ne saurait ici serrer de trop près les origines secrètes d’un phénomène qui produit ses effets
67 ait ici serrer de trop près les origines secrètes d’ un phénomène qui produit ses effets sur tous les plans, celui de la gu
68 qui produit ses effets sur tous les plans, celui de la guerre y compris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide d’u
69 ns, celui de la guerre y compris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide d’un seul exemple. L’Allemand, dit-on, est
70 ris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide d’ un seul exemple. L’Allemand, dit-on, est brutal ; le Français malin. D
71 t-on, est brutal ; le Français malin. Deux traits de caractère dont les manifestations quotidiennes, dans le domaine du se
72 ent que l’on traduit en s’accusant réciproquement de mensonge chronique. Et de fait, la brutalité paraît fausse, parce qu’
73 accusant réciproquement de mensonge chronique. Et de fait, la brutalité paraît fausse, parce qu’elle impose un ordre arbit
74 parce qu’elle impose un ordre arbitraire au prix d’ un désordre. Mais à l’Allemand, cette sorte-là de mensonge n’est guère
75 d’un désordre. Mais à l’Allemand, cette sorte-là de mensonge n’est guère sensible : la vérité pour lui étant ce qui s’imp
76 pose. Confusion liée au mouvement le plus profond de l’âme allemande, qui la porte à la création volontaire, titanique, du
77 t fausse, parce qu’elle se sert du mensonge comme d’ une arme normale. La brutalité du moins est loyale jusque dans ses exc
78 n’est pas mythique. Il ne crée ni ne fausse rien d’ essentiel à la réalité. Le système D n’est pas un système philosophiq
79 ndamentalement divergentes, dont il serait facile de suivre les manifestations dans les domaines les plus variés de l’être
80 manifestations dans les domaines les plus variés de l’être. Qu’on ne voie pas ici quelque facile généralisation, mais bie
81 facile généralisation, mais bien plutôt un essai de spécification. Je pense, comme vous, qu’il existe quantité d’Allemand
82 tion. Je pense, comme vous, qu’il existe quantité d’ Allemands et de Français pour lesquels la distinction que l’on vient d
83 comme vous, qu’il existe quantité d’Allemands et de Français pour lesquels la distinction que l’on vient d’établir ne vau
84 nçais pour lesquels la distinction que l’on vient d’ établir ne vaut rien : il est même probable qu’ils forment la majorité
85 orment la majorité, car peu de gens sont typiques de quoi que ce soit. Il reste que certains tours de pensée ne sont vérit
86 de quoi que ce soit. Il reste que certains tours de pensée ne sont véritablement réalisables qu’au sein d’un ensemble org
87 nt réalisables qu’au sein d’un ensemble organique de mœurs, de climat et d’ambitions collectives, ensemble que, tout indép
88 bles qu’au sein d’un ensemble organique de mœurs, de climat et d’ambitions collectives, ensemble que, tout indépendamment
89 in d’un ensemble organique de mœurs, de climat et d’ ambitions collectives, ensemble que, tout indépendamment des réalités
90 cesse, ou bien lorsqu’elle grandit soudain. Ainsi de la rumeur en nous du sang qui court ; ainsi de la respiration. Il n’y
91 si de la rumeur en nous du sang qui court ; ainsi de la respiration. Il n’y a sensation que du discontinu. Il n’y a sentim
92 nsation que du discontinu. Il n’y a sentiment que de ce qui nous quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’êtr
93 quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’être nous déchire et nous ressuscite. À la naissance du sentiment,
94 e — en vain. Le sentiment mesure une défaillance de l’être. Mais ici, deux interprétations deviennent possibles. Selon l’
95 à toute réalité humaine ; elle est la marque même de sa validité, la preuve d’humanité pourrait-on dire. (On appelle inhum
96 elle est la marque même de sa validité, la preuve d’ humanité pourrait-on dire. (On appelle inhumain l’être qui ne sent rie
97 , elle indique seulement un défaut qu’il convient de guérir par des moyens appropriés, par une politique ou par une morale
98 part l’on tient la déficience pour essentielle ; de l’autre elle apparaît un accident fâcheux. Telles, peut-être, se déli
99 imitent la notion chrétienne et la notion antique de l’homme ; telles, dans une certaine mesure, la notion germanique et l
100 il garde pour le moraliste latin la signification d’ un accident social réductible à l’ordre imposé. Passant à la limite du
101 la limite du sentiment, là où il prend une valeur d’ acte ou de jugement, l’on peut symboliser l’opposition des deux vision
102 du sentiment, là où il prend une valeur d’acte ou de jugement, l’on peut symboliser l’opposition des deux visions du monde
103 s deux visions du monde dans celle, plus précise, de deux notions du tragique. Le monde latin connaît un tragique aux arêt
104 ue. Le monde latin connaît un tragique aux arêtes de pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou de droits ; l’Europe c
105 tragique aux arêtes de pierre taillée : conflits d’ actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déch
106 aux arêtes de pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes »
107 de pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes » et sans nom
108 actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes » et sans nom qui font dans l’âme un bruit d
109 rantes » et sans nom qui font dans l’âme un bruit de vent mortel et caressant ; une qualité métaphysique et passionnée de
110 aressant ; une qualité métaphysique et passionnée de l’« impossible », — qui dans ce sens, vraiment, n’est pas un mot fran
111 nt, n’est pas un mot français. En ceci, le monde de l’Europe centrale est plus chrétien que le monde latin — si l’on cons
112 e le monde latin — si l’on considère ses manières de sentir et de penser — qu’il est essentiellement antithétique, déchiré
113 tin — si l’on considère ses manières de sentir et de penser — qu’il est essentiellement antithétique, déchiré (« déchirant
114 déchiré (« déchirant ») et fondé sur cette vision de la réalité humaine : la vie est manque et compensation de ce manque ;
115 alité humaine : la vie est manque et compensation de ce manque ; contradictions et dépassement de ces contradictions2. Le
116 tion de ce manque ; contradictions et dépassement de ces contradictions2. Le monde latin, en tant que latin, étant un mond
117 Le monde latin, en tant que latin, étant un monde de l’unité (en vérité de l’unification à tout prix) est un monde « sécul
118 t que latin, étant un monde de l’unité (en vérité de l’unification à tout prix) est un monde « sécularisé » jusque dans se
119 cularisé » jusque dans ses modes les plus intimes de souffrir. Car il n’accepte pas la souffrance comme une condition de l
120 l n’accepte pas la souffrance comme une condition de la conscience du réel, mais la repousse comme le signe d’un manque à
121 nscience du réel, mais la repousse comme le signe d’ un manque à la loi. Il y a une contrepartie. Celui que hante le sens d
122 . Celui que hante le sens du péché — c’est-à-dire de la réalité humaine — celui-là résiste rarement à la tentation de cult
123 umaine — celui-là résiste rarement à la tentation de cultiver le péché. Car de la sorte, il s’imagine que réalité spiritue
124 rarement à la tentation de cultiver le péché. Car de la sorte, il s’imagine que réalité spirituelle sera plus vive, son âm
125 ue essentiel. Calcul faux, comme tous les calculs de l’âme : le péché n’est réel que pour celui qui veut s’en arracher. To
126 ssance à une lâcheté singulière devant la vie. Né d’ un retard dans l’actualisation, il peut tourner alors en un refus chro
127 chronique. Et c’est en quoi le monde latin, monde de la spontanéité, est à son tour plus audacieux, et pour tout dire, plu
128 ux, et pour tout dire, plus chrétien que le monde de l’Europe centrale. L’intelligence est sentimentale Le sentiment
129 voici naître la conscience, c’est-à-dire, un état d’ intensité mortelle de la vie. Car la conscience de vivre implique une
130 ience, c’est-à-dire, un état d’intensité mortelle de la vie. Car la conscience de vivre implique une réflexion concrète qu
131 d’intensité mortelle de la vie. Car la conscience de vivre implique une réflexion concrète qui exalte la vie ; et dans le
132 tionalisme (mais nous vivons sur des distinctions de manuels). Il est même étonnant de constater combien exactement ces de
133 es distinctions de manuels). Il est même étonnant de constater combien exactement ces deux attitudes de l’esprit sont para
134 e constater combien exactement ces deux attitudes de l’esprit sont parallèles. Toutes deux ont leur origine dans un perpét
135 leur origine dans un perpétuel et anxieux besoin de dire les choses, comme pour s’en assurer à la fois et s’en délecter3.
136 t que la taciturne réflexion romaine, la tournure d’ esprit sentencieuse et synthétique de l’esprit hindou. Et cela n’est p
137 la tournure d’esprit sentencieuse et synthétique de l’esprit hindou. Et cela n’est point trop théorique. Que l’on considè
138 ue l’on considère en effet le devenir dialectique de la pensée allemande depuis Goethe : c’est à l’Orient, d’instinct, que
139 ensée allemande depuis Goethe : c’est à l’Orient, d’ instinct, que cette pensée va demander non point seulement sa revanche
140 venir.   Ne pourrait-on pas voir une autre preuve de cette identité formelle dans l’observation suivante : au sortir de l’
141 r, et borne son désir à l’immédiat. — À la limite de la puissance, c’est la réaction goethéenne. Goethe en ce sens est bie
142 acte ; le sentiment à la mélancolie, par le refus de l’acte. Il en résulte que la sensualité germanique est plus conscient
143 ourne en sentiments dans la mesure où elle refuse de s’accomplir pleinement. L’Italien fait l’amour et n’épilogue pas. L’A
144 déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Mais la crainte me prend qu’on aille chercher en ces remarq
145 ercher en ces remarques je ne sais quelle défense d’ un Occident latin dont justement nous récusons l’idéal d’orgueilleuse
146 cident latin dont justement nous récusons l’idéal d’ orgueilleuse et stérilisante perfection. L’intelligence latine aurait
147 dées, trop soumises par leur nature et dépourvues de coquetteries. À force de se craindre dupe, elle a perdu le goût de se
148 À force de se craindre dupe, elle a perdu le goût de se risquer, de découvrir. Et l’impuissance qui déjà la frappe n’est p
149 raindre dupe, elle a perdu le goût de se risquer, de découvrir. Et l’impuissance qui déjà la frappe n’est pas même compens
150 entiment : c’est qu’en définitive il détient plus de réalité que la sensation5. Le désir et le regret sont plus certains q
151 jours sentimentale. ⁂ Europe du sentiment, patrie de la lenteur, — encore un paradis perdu ! C’était bien notre dernier lu
152 ils s’achètent des Bugatti pour brûler les étapes d’ un destin qu’ils pressentent absurde. Rien désormais ne pourra plus no
153 eur des choses. Derniers refuges, vastes auberges de la Souabe où l’on chantait les chœurs de Schubert après boire — et le
154 auberges de la Souabe où l’on chantait les chœurs de Schubert après boire — et les hommes parlaient lentement, parlaient p
155 aient lentement, parlaient peu —, c’est le secret de votre bienveillance que je voudrais rechercher maintenant. Bienveilla
156 penché »… Contribution à l’archéologie des états d’ âme.   L’Europe du sentiment, c’est notre Europe des adieux. Elle ne v
157 us déjà, nous la portons encore comme le souvenir d’ un soir d’adolescence sur la prairie où des filles s’éloignent en chan
158 ous la portons encore comme le souvenir d’un soir d’ adolescence sur la prairie où des filles s’éloignent en chantant. Voic
159 n chantant. Voici la nuit du souvenir, brève nuit d’ août et souvenirs de nos enfances. Ce soir des Signes où des renards s
160 nuit du souvenir, brève nuit d’août et souvenirs de nos enfances. Ce soir des Signes où des renards sortirent à la lisièr
161 des Signes où des renards sortirent à la lisière de la forêt, des renards qu’on n’avait jamais vus, l’orage s’amassait. M
162 « Il va y avoir une averse. Cours à la rencontre de ton père et donne-lui cette pèlerine. » Et quand je le rejoignis dans
163 mes dans ses yeux, c’était la guerre. Brève nuit d’ août, le temps d’un peu se souvenir. Et bientôt paraîtra l’aube dure.
164 , c’était la guerre. Brève nuit d’août, le temps d’ un peu se souvenir. Et bientôt paraîtra l’aube dure. Alors nous entrer
165 u Grand Jour, où nous irons avec ce qu’il restera de bonté dans notre cœur, plus inutile que jamais, dominatrice et bafoué
166 tine, spatiale et statique, qui présida au dessin de la Carte du Tendre. C’est le cri d’un poète français, non d’un França
167 ida au dessin de la Carte du Tendre. C’est le cri d’ un poète français, non d’un Français. 2. Hegel serait le philosophe p
168 du Tendre. C’est le cri d’un poète français, non d’ un Français. 2. Hegel serait le philosophe par excellence de l’Europe
169 is. 2. Hegel serait le philosophe par excellence de l’Europe Centrale. Ce qu’il a tenté d’étaler dans l’Histoire, c’est l
170 excellence de l’Europe Centrale. Ce qu’il a tenté d’ étaler dans l’Histoire, c’est l’équation d’existence de l’âme allemand
171 tenté d’étaler dans l’Histoire, c’est l’équation d’ existence de l’âme allemande. Mais il a voulu que ses moments fussent
172 ler dans l’Histoire, c’est l’équation d’existence de l’âme allemande. Mais il a voulu que ses moments fussent successifs :
173 ses moments fussent successifs : c’était un moyen de la résoudre. Et c’est justement cette « résolution » que combattra Ki
174 ante… 3. Que l’on pense aux expansions verbeuses de Jean-Paul ou du Hölderlin d’Hypérion ; et d’autre part, à la manie d’
175 ölderlin d’Hypérion ; et d’autre part, à la manie d’ exposition systématique et statistique des professeurs allemands. Autr
176 romantiques allemands sont nourris des théorèmes de Spinoza. 4. Je n’entends point par là que la métaphysique allemande
177 nt par là que la métaphysique allemande est fille de la timidité sexuelle : il est clair que, s’il y avait une filiation à
178 t clair que, s’il y avait une filiation à établir de l’une à l’autre, j’opterais pour l’inverse. En réalité, les deux phén
179 é, les deux phénomènes relèvent, encore une fois, d’ un même état d’âme. Le nommer serait nommer l’une des raisons d’être p
180 d’âme. Le nommer serait nommer l’une des raisons d’ être profonde du monde germanique. 5. Seule réalité vivante prise en
3 1932, Le Paysan du Danube. Première partie. Le Paysan du Danube — Un soir à Vienne avec Gérard
181 Mais les Viennois avaient fui dans les opérettes de Strauss, qu’on ne trouve plus nulle part. Dans les dancings, un peupl
182 uve plus nulle part. Dans les dancings, un peuple de fêtards modérés, Juifs et ressortissants de la Petite-Entente, applau
183 euple de fêtards modérés, Juifs et ressortissants de la Petite-Entente, applaudissait chaque soir entre deux airs anglais
184 glais Le Beau Danube bleu, en commémoration polie d’ un passé imaginaire, ou peut-être pour essayer de se prendre encore au
185 d’un passé imaginaire, ou peut-être pour essayer de se prendre encore au rêve de valse qu’on était venu chercher parce qu
186 ut-être pour essayer de se prendre encore au rêve de valse qu’on était venu chercher parce que cela vaudrait bien d’autres
187 vaudrait bien d’autres stupéfiants. Mais un tour de tambour anéantissait cette Vienne tout occupée à ressembler à l’idée
188 ge, ouvert au vent glacial, crée autour du centre de la ville une insécurité qui fait songer à la Russie et au sifflement
189 r à la Russie et au sifflement des balles perdues d’ une révolution. Sept heures du soir : le moment était venu d’arrêter l
190 ution. Sept heures du soir : le moment était venu d’ arrêter le plan de la soirée, et cette promenade où il y avait juste a
191 du soir : le moment était venu d’arrêter le plan de la soirée, et cette promenade où il y avait juste assez de passants p
192 rée, et cette promenade où il y avait juste assez de passants pour qu’on la sentît déserte ne me proposait qu’une frileuse
193 e frileuse nostalgie. Mais qui fallait-il accuser de cette duperie, qui rendre responsable de ma déception, sinon moi-même
194 accuser de cette duperie, qui rendre responsable de ma déception, sinon moi-même, me dis-je bientôt. Car je professe qu’u
195 son objet, de même qu’atteignant un certain degré d’ intensité, un état d’âme crée une situation qui l’exprime — bien qu’on
196 , n’ayant pas renoncé à certaine idée que j’avais d’ un romantisme viennois, je fus conduit, par une sorte de compromis sen
197 omantisme viennois, je fus conduit, par une sorte de compromis sentimental, à l’Opéra où l’on donnait les Contes d’Hoffman
198 sentimental, à l’Opéra où l’on donnait les Contes d’ Hoffmann. Je comprends aujourd’hui le lien qui unissait dans mon espri
199 n esprit Vienne et Hoffmann : c’était le souvenir de Gérard de Nerval. Mais je pense que je n’avais même pas prononcé ment
200 dans l’ombre du théâtre, en retard, un peu ennuyé de me trouver à côté d’une place vide : la jolie femme qu’on attend dans
201 re, en retard, un peu ennuyé de me trouver à côté d’ une place vide : la jolie femme qu’on attend dans ces circonstances, u
202 uait le rendez-vous que j’avais demandé au hasard d’ arranger. Mais le thème de la Barcarolle s’empare bientôt de tout mon
203 avais demandé au hasard d’arranger. Mais le thème de la Barcarolle s’empare bientôt de tout mon être — ainsi d’autres devi
204 . Mais le thème de la Barcarolle s’empare bientôt de tout mon être — ainsi d’autres deviennent patriotes au son d’une fanf
205 être — ainsi d’autres deviennent patriotes au son d’ une fanfare militaire, ainsi je m’abandonne au rêve d’un monde que sus
206 e fanfare militaire, ainsi je m’abandonne au rêve d’ un monde que suscite en moi seul peut-être cette plainte heureuse des
207 ïne est à son piano, c’est un duo des ténèbres et de la pureté où vibrent par instants les accords d’une harmonie surnatur
208 de la pureté où vibrent par instants les accords d’ une harmonie surnaturelle. Et tout cela chanté dans une langue que je
209 oi, il n’entend pas ma question. L’envie me prend d’ aller le rejoindre. Me voici tout abandonné à l’évocation d’un amour t
210 rejoindre. Me voici tout abandonné à l’évocation d’ un amour tragiquement mêlé à des forces inconnues et menaçantes. Mais
211 enaçantes. Mais la musique est si légère, la voix de la jeune fille si transparente : la mort même en devient moins brutal
212 istesse amoureuse. Elle n’est plus que l’approche d’ une grandeur où se perdraient nos amours terrestres dans d’imprévisibl
213 ndeur où se perdraient nos amours terrestres dans d’ imprévisibles transfigurations — l’heure anxieuse et mélancolique où l
214 ci que la forme blanche, sous un brusque faisceau de lumière m’apparaît avec le visage même de mon amour. Je me sens volup
215 aisceau de lumière m’apparaît avec le visage même de mon amour. Je me sens voluptueusement perdre pied. Vertige de te revo
216 . Je me sens voluptueusement perdre pied. Vertige de te revoir, vertige de te perdre vraiment, parce que c’est toi, parce
217 sement perdre pied. Vertige de te revoir, vertige de te perdre vraiment, parce que c’est toi, parce que c’est bien toi de
218 de moi, c’est une chose singulière que le pouvoir de cette musique. Voici que vous êtes tout près de comprendre… Mon voisi
219 u ? — C’est, me répondit-il, que seul vous venez d’ atteindre au monde des êtres véritables. Nous nous rencontrons. Vous m
220 ais le temps approche où vous n’aurez plus besoin de souffrir pour comprendre. Le faisceau de lumière quitta la scène, un
221 s besoin de souffrir pour comprendre. Le faisceau de lumière quitta la scène, un reflet balaya le parterre, le visage de m
222 la scène, un reflet balaya le parterre, le visage de mon voisin m’apparut, pâle dans son collier de barbe noire. Je sentis
223 ge de mon voisin m’apparut, pâle dans son collier de barbe noire. Je sentis que je l’avais déjà reconnu. Il portait une ca
224 connu. Il portait une cape bleu-sombre, à la mode de 1830, qui, à la rigueur, pouvait passer pour une élégance très modern
225 moderne. Il n’y avait dans toute sa personne rien de positivement démodé ; je n’eus même pas le sentiment de quoi que ce f
226 itivement démodé ; je n’eus même pas le sentiment de quoi que ce fût d’immatériel. D’ailleurs le trouble où m’avait jeté l
227 je n’eus même pas le sentiment de quoi que ce fût d’ immatériel. D’ailleurs le trouble où m’avait jeté la première reconnai
228 jeté la première reconnaissance empêcha ma raison d’ intervenir entre la réalité de ma vision et mon cerveau pris au défaut
229 e empêcha ma raison d’intervenir entre la réalité de ma vision et mon cerveau pris au défaut de sa carapace de principes e
230 éalité de ma vision et mon cerveau pris au défaut de sa carapace de principes et d’évidences opaques. Nous sortîmes de l’O
231 sion et mon cerveau pris au défaut de sa carapace de principes et d’évidences opaques. Nous sortîmes de l’Opéra, Gérard de
232 eau pris au défaut de sa carapace de principes et d’ évidences opaques. Nous sortîmes de l’Opéra, Gérard de Nerval et moi,
233 e principes et d’évidences opaques. Nous sortîmes de l’Opéra, Gérard de Nerval et moi, sans nous être rien dit d’autre, co
234 Gérard de Nerval et moi, sans nous être rien dit d’ autre, comme des amis qui se connaissent depuis si longtemps qu’un éch
235 qu’un échange tacite suffit aux petites décisions de la vie quotidienne. Gérard tenait en laisse le fameux homard enrubann
236 nnois, me dit-il, parce qu’ils y voient une façon de me moquer de leurs petits chiens muselés… Je n’en suis pas fâché. »  
237 -il, parce qu’ils y voient une façon de me moquer de leurs petits chiens muselés… Je n’en suis pas fâché. »   Il y avait p
238 s jeunes gens avec une femme à chaque bras, l’air de ne pas trop s’amuser. Ceci du moins n’a guère changé, dis-je, songean
239 ins n’a guère changé, dis-je, songeant aux Amours de Vienne. Certes, répondit Gérard, malgré les apparences, cette vie sen
240 ités qui correspondent encore à l’image classique de Vienne. Sentimentalisme capricieux d’ailleurs, dépourvu d’ironie mais
241 . Sentimentalisme capricieux d’ailleurs, dépourvu d’ ironie mais non pas de légèreté. C’est une sorte d’inconstance folâtre
242 icieux d’ailleurs, dépourvu d’ironie mais non pas de légèreté. C’est une sorte d’inconstance folâtre qui cache une incapac
243 ’ironie mais non pas de légèreté. C’est une sorte d’ inconstance folâtre qui cache une incapacité définitive à se passionne
244 soit. Cette ville, qui est toute caresses, a peur de l’étreinte… C’est d’ailleurs une chose que je comprends assez bien, a
245 moment, comme nous traversions une rue sillonnée de taxis rapides, le homard refusa obstinément de progresser. Gérard dut
246 ée de taxis rapides, le homard refusa obstinément de progresser. Gérard dut le prendre sous le bras, et les paires de pinc
247 Gérard dut le prendre sous le bras, et les paires de pinces s’accrochèrent désespérément à ses manches. De terreur, le hom
248 inces s’accrochèrent désespérément à ses manches. De terreur, le homard avait rougi : il conserva toute la nuit une magnif
249 eur orangée. Gérard semblait habitué à ces sortes de scènes. On reparla de l’inconstance viennoise. Gérard l’attribuait à
250 mblait habitué à ces sortes de scènes. On reparla de l’inconstance viennoise. Gérard l’attribuait à une certaine anémie de
251 à une certaine anémie des sentiments, à un manque de caractère aussi. La fidélité véritable est une œuvre d’art qui demand
252 t amour, c’était parce que je découvrais en elles de secrètes ressemblances, qui pour les autres paraissaient purement mys
253 rtain regard, mais j’ai su retrouver la sensation de ce regard jusque dans des objets — et c’est cela seul qui donne un se
254 e dont l’idée me vient à la vue de cette vendeuse de fleurs. C’était la petite bossue qui vend des roses et des œillets ru
255 erait seule. Nous nous arrêtâmes non loin, auprès d’ une devanture de robes de soie, nous amusant à imaginer les corps préc
256 s nous arrêtâmes non loin, auprès d’une devanture de robes de soie, nous amusant à imaginer les corps précieux qui les rev
257 rêtâmes non loin, auprès d’une devanture de robes de soie, nous amusant à imaginer les corps précieux qui les revêtiraient
258 pressés une jeune femme, chapeau rouge et manteau de fourrure brune, inévitablement. Et ce qui se passa fut, hélas, non mo
259 refusa d’abord les fleurs pour se donner le temps de regarder autour d’elle ; l’intérêt que nous ne sûmes pas dissimuler n
260 fleurs pour se donner le temps de regarder autour d’ elle ; l’intérêt que nous ne sûmes pas dissimuler nous trahit ; elle f
261 donc par accepter et vint à nous avec un sourire d’ opérette : « Les Messieurs sont vraiment gentils ! » Il n’y avait plus
262 ain où nous nous engouffrâmes dans un grand bruit de saxophones et de cors anglais jouant la Marche de Tannhäuser en tango
263 engouffrâmes dans un grand bruit de saxophones et de cors anglais jouant la Marche de Tannhäuser en tango, un Balkanique t
264 r en tango, un Balkanique très lisse nous délivra de notre conquête pour la durée des danses. Gérard bâillait : « Voilà ce
265 anses. Gérard bâillait : « Voilà ce que c’est que de prendre des femmes au hasard, disait-il. Je sens très bien que nous a
266 vous êtes moderne, vous vous contentez peut-être de cette pêche miraculeuse — c’est une façon de parler — à laquelle on s
267 être de cette pêche miraculeuse — c’est une façon de parler — à laquelle on se livre dans ces lieux de plaisir — autre faç
268 de parler — à laquelle on se livre dans ces lieux de plaisir — autre façon de parler. On dit que j’ai vécu d’illusions, av
269 se livre dans ces lieux de plaisir — autre façon de parler. On dit que j’ai vécu d’illusions, avouez que les miennes étai
270 sir — autre façon de parler. On dit que j’ai vécu d’ illusions, avouez que les miennes étaient de meilleure qualité : car c
271 vécu d’illusions, avouez que les miennes étaient de meilleure qualité : car c’est une pauvre illusion que le plaisir qu’o
272 qu’elles le rattachaient aux buts les plus hauts de notre vie. Ces citadins blasés s’amusent plus grossièrement que des b
273 s qui élargissent des sourires à la mesure exacte de leur générosité. Vos boîtes de nuit sont des sortes de distributeurs
274 à la mesure exacte de leur générosité. Vos boîtes de nuit sont des sortes de distributeurs automatiques de plaisir. Autant
275 ur générosité. Vos boîtes de nuit sont des sortes de distributeurs automatiques de plaisir. Autant dire que ceux qui les f
276 uit sont des sortes de distributeurs automatiques de plaisir. Autant dire que ceux qui les fréquentent ne savent plus ce q
277 t épaissis. Regardez ces yeux mornes, ou luisants de concupiscences élémentaires : Ce sont vos contemporains livrés à la d
278 démocratie des plaisirs dans une foire éclatante de faux luxe. La misère, c’est de voir ici des femmes aussi ravissantes
279 ne foire éclatante de faux luxe. La misère, c’est de voir ici des femmes aussi ravissantes que celle-là qui danse en robe
280 qui danse en robe mauve, avec tant de gravité et de détachement. Je viens souvent la regarder, à cause de la noblesse de
281 viens souvent la regarder, à cause de la noblesse de sa danse. Je la nomme Clarissa, parce que cela lui va. Mais comme c’e
282 soit touchée par les mains outrageusement baguées de ces courtiers alourdis de « Knödl ». En Orient on en ferait une chose
283 outrageusement baguées de ces courtiers alourdis de « Knödl ». En Orient on en ferait une chose extrêmement précieuse, qu
284 ’on n’approcherait qu’avec un sentiment religieux de la beauté. Mais je crois que l’Occident est devenu fou. Il ne compren
285 . » Des bugles agonisaient, aux dernières mesures d’ un tango. Notre encombrante conquête revint s’asseoir auprès de nous.
286 moins. « Pourquoi vous ne dites rien ? » fit-elle d’ un ton de reproche, évidemment scandalisée par cette atteinte aux lois
287 Pourquoi vous ne dites rien ? » fit-elle d’un ton de reproche, évidemment scandalisée par cette atteinte aux lois du genre
288 ment, pauvre colombe dépareillée, vous n’avez pas de ressemblance, et c’est bien ce qui vous perdra. » La pauvre fille ne
289 un moment pénible, comme il arrive lorsqu’un peu d’ humanité vient interrompre une comédie aux attitudes convenues, et don
290 homard qui, laissé au vestiaire, y était l’objet de vexations diverses et de curiosités grossières de la part des garçons
291 stiaire, y était l’objet de vexations diverses et de curiosités grossières de la part des garçons. « Encore une proie inut
292 une proie inutile lâchée pour l’ombre, dit Gérard d’ un ton rêveur et malicieux. Mais l’ombre de cette ville illusoire est
293 Gérard d’un ton rêveur et malicieux. Mais l’ombre de cette ville illusoire est la plus douce à mes vagabondages sans but.
294 efs il y a très longtemps, très longtemps… Et pas de Lune ce soir, il serait dangereux de s’endormir. » Se penchant vers m
295 emps… Et pas de Lune ce soir, il serait dangereux de s’endormir. » Se penchant vers moi il prononça : « La nuit sera noire
296 blanche. » Je ressentis quelque émotion à l’ouïe de cette phrase célèbre. Les cocktails du Moulin-Rouge avaient peu à peu
297 s devenaient légères comme des ballons. La rumeur de Vienne baignait nos corps fatigués jusqu’à l’insensibilité et l’illus
298 et l’illusion étendait sur toutes choses une aile d’ ombre flatteuse aux caprices redoutables. Cette nuit-là nous rencontrâ
299 s, allusions. Plus tard, dans un petit bar laqué de noir jusqu’à mi-hauteur, puis couvert de glaces qui, reflétant le pla
300 ar laqué de noir jusqu’à mi-hauteur, puis couvert de glaces qui, reflétant le plafond à caissons dorés, l’étendent indéfin
301 ulé joue très doucement. Nous sommes assis autour d’ une petite table lumineuse, verdâtre, et Gérard, penché sur cet aquari
302 use, verdâtre, et Gérard, penché sur cet aquarium de rêves, discourt et décrit les images qu’il y découvre. Il y a les ail
303 y a les ailes du Moulin-Rouge, qui sont les bras de Clarissa dans sa danse, et Clarissa c’est aussi l’Anglaise aux citron
304 e, et Clarissa c’est aussi l’Anglaise aux citrons de Pompéi, l’Octavie du golfe de Marseille, ou bien plutôt, par on ne sa
305 nglaise aux citrons de Pompéi, l’Octavie du golfe de Marseille, ou bien plutôt, par on ne sait quelle erreur d’images, — c
306 lle, ou bien plutôt, par on ne sait quelle erreur d’ images, — ce serait la gravité énigmatique d’Adrienne ; mais dans le l
307 reur d’images, — ce serait la gravité énigmatique d’ Adrienne ; mais dans le lointain, Aurélia lui répond d’un regard parei
308 ienne ; mais dans le lointain, Aurélia lui répond d’ un regard pareil. Des visages naissent comme des étoiles dans un halo,
309 antes dans la même minute toutes les incarnations d’ un amour dont l’être éternel peu à peu transparaît au travers de ses m
310 tous les visages aimés revivent dans cette coupe de songes, avec leurs illusions, — ces formes passagères que nous croyon
311 sera toujours cachée, ainsi la Lune et sa moitié d’ ombre. Et parce que tout revit en un instant dans cette vision, il con
312 ette vision, il connaît enfin la substance unique de ses amours, il communie avec quelque chose d’éternel. Tous les drames
313 que de ses amours, il communie avec quelque chose d’ éternel. Tous les drames du monde ne sont que des décors mouvants dans
314 t que reflets, épisodes, symboles : le vrai drame de son destin est ailleurs. Il se met alors à m’expliquer des signes, de
315 france qu’elle entraîne, nous révèle le sens réel de nos vies, et peu à peu, de leurs moindres rencontres. La fatigue calm
316 us révèle le sens réel de nos vies, et peu à peu, de leurs moindres rencontres. La fatigue calme son lyrisme et son exalta
317 yrisme et son exaltation. Il semble se rapprocher de moi. Il me raconte de ces superstitions qui ne sont enfantines que po
318 on. Il semble se rapprocher de moi. Il me raconte de ces superstitions qui ne sont enfantines que pour nos savants retombé
319 les correspondances, chaque geste, chaque minute d’ une vie résume cette vie entière, et fait allusion à tout ce qu’il y a
320 oyez-moi, vous pourriez écrire une Vie simultanée de Gérard : elle tiendrait toute en une heure, en un lieu, en une vision
321 une vision. »   Nous sortîmes. Seules des trompes d’ autos s’appelaient dans la nuit froide. Gérard ne disait presque plus
322 la neige fraîche ou s’accoudaient à la banquette d’ un kiosque à « Würstel » où nous nous arrêtâmes. Au léger sifflement d
323 outique, et que le vent menaçait à chaque instant d’ éteindre, le homard se réveilla. Gérard m’expliqua qu’il en était ains
324 on et la fit prendre au homard avec toutes sortes de soins. Les chauffeurs regardaient d’un œil las, trop las pour s’étonn
325 outes sortes de soins. Les chauffeurs regardaient d’ un œil las, trop las pour s’étonner. Transi, je me balançais d’un pied
326 trop las pour s’étonner. Transi, je me balançais d’ un pied sur l’autre dans la neige fondante, tout en croquant une de ce
327 utre dans la neige fondante, tout en croquant une de ces saucisses à la moutarde qu’on appelle ici « Frankfurter » et aill
328 mirent à ronfler. Par le grand escalier, au fond de la cour du palais, descendaient les invités du bal. Des femmes sans c
329 ux faces maigres qui ressemblaient terriblement à d’ anciens Habsbourg, des comtes athlétiques et la silhouette échassière
330 es comtes athlétiques et la silhouette échassière de la jeune duchesse de Clam-Clammansfeld en manteau de velours rose, do
331 la jeune duchesse de Clam-Clammansfeld en manteau de velours rose, dont la tête frisée jetait des insolences sur les chape
332 isée jetait des insolences sur les chapeaux noirs de ses cavaliers. Tout cela s’empila dans les autos ; en un quart d’heur
333 x cheveux noirs en bandeaux, au teint pâle, l’air d’ autrefois. Il avait murmuré : Marie Pleyel. Quand la place se fut apai
334 encieuse fila devant moi ; je reconnus la voiture de la femme aux bandeaux noirs. Mais les rideaux étaient baissés. Déj
335 orteurs passèrent à toute vitesse, m’éclaboussant de neige et de titres dépourvus de sens. Je dormais debout. (Vienne, 192
336 èrent à toute vitesse, m’éclaboussant de neige et de titres dépourvus de sens. Je dormais debout. (Vienne, 1928) 6. Quel
337 e, m’éclaboussant de neige et de titres dépourvus de sens. Je dormais debout. (Vienne, 1928) 6. Quelque chose comme « pâ
4 1932, Le Paysan du Danube. Première partie. Le Paysan du Danube — Une « tasse de thé » au Palais C…
338 Une « tasse de thé » au Palais C… Il fait fausse route, celui qui considère la ch
339 que comme symbolique. Hofmannsthal Un aquarium de lumière rose où nagent des phoques à ventre blanc qui sont des minist
340 ènes en lamé qui sont presque des dames, et aussi de vrais messieurs et de vraies dames : ils montent et descendent de tou
341 presque des dames, et aussi de vrais messieurs et de vraies dames : ils montent et descendent de toutes parts, du haut des
342 iers que décorent trois opulents Tiepolo, du fond d’ un hall périlleux, pressés, poliment bousculés de salon en salon ; et,
343 d’un hall périlleux, pressés, poliment bousculés de salon en salon ; et, plus loin que la rumeur des voix, orchestre du g
344 parfois dans un silence qui s’approfondit au long de corridors capitonnés d’amarante, du côté des collections de vieux Ven
345 qui s’approfondit au long de corridors capitonnés d’ amarante, du côté des collections de vieux Venise, jusqu’au petit salo
346 rs capitonnés d’amarante, du côté des collections de vieux Venise, jusqu’au petit salon où il y a deux Bellini. Et que dir
347 dissimulées derrière des cardinaux du xviiie , —  de cet air mystérieux qu’on prend ici à rester seul. Il faudrait se cach
348 rester seul. Il faudrait se cacher dans les plis de ces hauts rideaux dorés, pour écouter Mozart et attendre, qui sait ?
349 iqueurs transfigurantes, — il faudrait un miracle d’ amour qui fasse pousser un grand cri à un homme qu’on verrait alors s’
350 et rester longtemps, les yeux agrandis, aux pieds d’ une femme qui ne le regarderait pas, qui aurait l’air seulement d’écou
351 ne le regarderait pas, qui aurait l’air seulement d’ écouter autre chose… En vérité le monde propose à l’imagination de
352 se… En vérité le monde propose à l’imagination de bien étranges spectacles ; pourquoi veut-il qu’on les ignore ou qu’on
353 uoi veut-il qu’on les ignore ou qu’on le feigne ? D’ un balcon, entre deux hautes colonnes, je vois des jardins florentins
354 rés par dedans. Côté jardin, côté « cour »… Mais de quoi s’agit-il dans cette intrigue monotone et serrée, et dont se per
355 elle figuration pour une satire à grand spectacle de notre civilisation finissante ! (Vous souriez ? Vous mourrez avec ell
356 souriez ? Vous mourrez avec elle.) Cependant, que de belles personnes — en vain ! Et quelle tenue. Ici l’on sait encore qu
357 s avaient tous tués au Morgarten ! — et mes Juifs de grogner d’aise. La noblesse germanique fait encore des enfants et ils
358 ous tués au Morgarten ! — et mes Juifs de grogner d’ aise. La noblesse germanique fait encore des enfants et ils sont grand
359 u. Ici, plus qu’ailleurs, l’originalité est signe de sang mêlé. Ici comme ailleurs, il faut être conforme, au moins en app
360 mensonge dans le grand monde : plutôt des règles de jeu, et personne n’a l’idée d’y croire. Le pire mensonge est dans la
361 plutôt des règles de jeu, et personne n’a l’idée d’ y croire. Le pire mensonge est dans la vie réputée pratique, parce qu’
362 e je me dis là, c’est un truisme. Truisme a l’air d’ être le nom d’une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en
363 , c’est un truisme. Truisme a l’air d’être le nom d’ une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en souriant de f
364 t un truisme. Truisme a l’air d’être le nom d’une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en souriant de fauteui
365 es un peu volumineuses qui déambulent en souriant de fauteuil en divan, portant de petits animaux au museau pointu sur leu
366 mbulent en souriant de fauteuil en divan, portant de petits animaux au museau pointu sur leurs épaules naguère divines. Je
367 x, regardent quelque chose qui se passe au centre de la pièce. Il y a là dans un espace vide un piano à l’aile levée, et d
368 vant le piano, assis sur un tabouret bas — le pan de l’habit repose sur le parquet — quelqu’un qui ressemble à Richard Str
369 apparaît comme ses œuvres naissent : au carrefour de la célébrité, de l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des v
370 s œuvres naissent : au carrefour de la célébrité, de l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent d
371  : au carrefour de la célébrité, de l’élégance et d’ une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la
372 r de la célébrité, de l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la poésie est dan
373 e musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la poésie est dans toutes les anthologies, l’habit classi
374 l’habit classique, l’accent profond et nasillard d’ origine juive ; une main pend sur l’ébène, succombant à ses bagues. On
375 ferme son livre, plie ses lunettes, baise la main de la maîtresse de maison qui lui offre son bras et l’entraîne dans le b
376 t intéressant ! Le xxe siècle européen offre ici de lui-même l’image la plus flattée : son plus grand musicien, des écriv
377 paraît son étrange impuissance : tous ces accords de gloire et de génie ne font qu’une rumeur informe, insignifiante. Tout
378 range impuissance : tous ces accords de gloire et de génie ne font qu’une rumeur informe, insignifiante. Tout se dégrade e
379 N’oublions pas que l’on a réuni tant de richesses de tous les ordres — pour rien. Exactement. Ni plaisir ni profits. Voilà
380 profits. Voilà bien à quels jeux aboutissent tant d’ ambition et le sérieux dans les affaires : une civilisation qui se don
381 e civilisation qui se donne à elle-même un défilé de mannequins. Comme tout ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein
382 n défilé de mannequins. Comme tout ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein de significations troublantes. Cela donne
383 out ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein de significations troublantes. Cela donne à penser, prête à rire, mais j
384 rire, mais je réserve pour demain les conclusions de philosophe, on m’entraîne par le bras vers les jardins. Des ballerine
385 aîne par le bras vers les jardins. Des ballerines de l’opéra dansent autour d’une vasque, dans un théâtre de grands buis t
386 jardins. Des ballerines de l’opéra dansent autour d’ une vasque, dans un théâtre de grands buis taillés à l’italienne. Un p
387 péra dansent autour d’une vasque, dans un théâtre de grands buis taillés à l’italienne. Un projecteur balaie les gazons, l
388 ur balaie les gazons, les terrasses, des amateurs de baisers dans l’ombre et des fumeurs isolés qui ont fait le tour de bi
389 ’ombre et des fumeurs isolés qui ont fait le tour de bien des choses, Hofmannsthal enfin, serré dans un petit manteau, vis
390 rtant, depuis trente ans, qu’il résout par l’acte d’ écrire… Moi je suis dans les buis, près des basses du petit orchestre,
391 orchestre, avec des écharpes et du sentiment. (Vu de près, le sourire éperdu des ballerines est émouvant, masque plus vrai
392 ai que leurs visages.) On éteint. Et c’est alors, d’ un balcon qui domine les groupes, une voix qui descend avec un tremble
393 groupes, une voix qui descend avec un tremblement d’ étoile. Richard Strauss a levé la tête, il reçoit sur son bon visage o
394 osée divine fait perler une larme, la bénédiction de sa musique. Les petites baronnes ont froid, veulent rentrer, car elle
395 rez-de-chaussée, elles me désignent un des rêves de mon adolescence : sur un canapé d’angle, drapée dans une robe longue,
396 t un des rêves de mon adolescence : sur un canapé d’ angle, drapée dans une robe longue, grise et argent, Henny Porten immo
397 , grise et argent, Henny Porten immobile présente de profil son visage un peu plus grand que nature. À 17 ans, du fond d’u
398 e un peu plus grand que nature. À 17 ans, du fond d’ un cinéma, l’ai-je aimée ? — Je lui sais gré de rester là muette, asse
399 nd d’un cinéma, l’ai-je aimée ? — Je lui sais gré de rester là muette, assez absente encore pour ressembler vraiment à son
400 Tout est lumière dans cet espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et d’acajous polis. On entend le rythme assourdi,
401 mière dans cet espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et d’acajous polis. On entend le rythme assourdi, mais non la
402 t espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et d’ acajous polis. On entend le rythme assourdi, mais non la mélodie d’une
403 On entend le rythme assourdi, mais non la mélodie d’ une danse, au-dessus, et des voix qui passent. Allées et venues dans l
404 environne, ah ! que n’êtes-vous celles des désirs de l’amour ! La traîne d’une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil
405 tes-vous celles des désirs de l’amour ! La traîne d’ une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix de la
406 e l’amour ! La traîne d’une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix de la comtesse Adélaïde, — je la
407 ie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix de la comtesse Adélaïde, — je la connais à cet écho de joie dans mes pen
408 la comtesse Adélaïde, — je la connais à cet écho de joie dans mes pensées. Mais quelle approche me saisit ? Parfois, au c
409  ? Parfois, au cœur des grandes fêtes, une sphère de silence descend, s’arrête quelques secondes, et ceux qu’elle baigne d
410 ’arrête quelques secondes, et ceux qu’elle baigne d’ une grâce furtive sont pris du désir d’adorer. Du sein de tant de cont
411 lle baigne d’une grâce furtive sont pris du désir d’ adorer. Du sein de tant de contraintes polies et dans la pose la plus
412 râce furtive sont pris du désir d’adorer. Du sein de tant de contraintes polies et dans la pose la plus naturellement élég
413 égante, j’ai vu des yeux lever vers moi un regard d’ ardente confiance qui était tout ce qu’on ne pouvait dire, — qui était
414 pouvait dire, — qui était, dans un suprême délice de libération, une prière pour que l’amour soit bien-aimé… Oh ! qu’il y
415 imé… Oh ! qu’il y ait eu cette joie par un regard de jeune fille ! Tout peut encore être sauvé… Un accord brusque de rumeu
416  ! Tout peut encore être sauvé… Un accord brusque de rumeurs à travers une porte qui s’ouvre ramène le bal dans mes désert
417 es déserts. (Elle est partie. — Des rires en cape de velours s’enfuient vers les jardins.) Qu’il y ait eu ce regard, et qu
418 que l’amour seul eût mérité ces fastes ; l’usage de leurs politesses imite dérisoirement la gravité sacrée et l’ascèse ad
419 e seule invente la passion. Ils reviennent. Tombé de mon silence parmi les bavardages, où irai-je avec peut-être un air de
420 les bavardages, où irai-je avec peut-être un air de dégoût, par mégarde… On se presse au bar assourdissant et les visages
421 sages se prennent à vivre, dangereusement. Ô fête d’ une époque où tout ce qui vaut qu’on l’aime oscille entre l’ivresse et
422 ’on aime que tout soit exprimé en symboles gantés de blanc. Nous sommes fous, mais il y a la manière. J’ai l’ennui de mon
423 sommes fous, mais il y a la manière. J’ai l’ennui de mon ami Gérard de Nerval, je bois une menthe à son souvenir. Si je bu
424 rêver à voix haute ? Ébranle un peu ces lambris d’ or, tu vois bien que tout cède aux regards de l’ivresse. Un coude nu s
425 bris d’or, tu vois bien que tout cède aux regards de l’ivresse. Un coude nu s’appuie à mon épaule, je brise des pailles su
426 le verte, l’orchestre russe emmêle des arabesques de danseurs et déjà quelques-uns de ces hôtes diaphanes du petit jour. J
427 e des arabesques de danseurs et déjà quelques-uns de ces hôtes diaphanes du petit jour. J’en ai vu deux, chaussés d’escarp
428 iaphanes du petit jour. J’en ai vu deux, chaussés d’ escarpins fins courant comme des reflets sur le parquet, venir par une
429 e des lèvres pour me dire une phrase à l’oreille, de leur voix trop naturelle, voix de jour. Paroles aussitôt oubliées, ma
430 se à l’oreille, de leur voix trop naturelle, voix de jour. Paroles aussitôt oubliées, mais je sais que la nuit va s’éteind
431 oujours plus ivres. Rosette Anday levant sa coupe de champagne rit et déchaîne des opéras. — « Comme elle est laide, mais
432 « Comme elle est laide, mais une voix à faire mal de bonheur, mais laide !… ah ! magnifique ! », dit quelqu’un près de moi
433 des vaisseaux qui ramènent Iseut dans le silence d’ un midi d’été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue…
434 eaux qui ramènent Iseut dans le silence d’un midi d’ été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue… Mais une
435 ns le silence d’un midi d’été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue… Mais une main de femme au bord du s
436 e mourir dans une légèreté éperdue… Mais une main de femme au bord du sommeil saisie me ramène aux regards. Que sont tous
437 e voient dans la nudité du rêve, oh ! je les hais de me voir ! Je tiens la main d’une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde
438 e, oh ! je les hais de me voir ! Je tiens la main d’ une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde en soie d’aurore, voici l’heu
439 ’une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde en soie d’ aurore, voici l’heure que nous attendions. Les escaliers s’abaissent d
440 ux jardins tendus en tapisserie entre les arcades d’ un péristyle sombre. Le bleu glacé du petit jour noie les buis qui s’é
441 e jardin monte sans fin dans le frisson désespéré de l’aube, — et nous, au bord du péristyle arrêtés, au bord de la nuit q
442 e me tourne vers ce visage très blanc où les yeux d’ un bleu nocturne se refusent… Quelle tendresse, auprès de cet être sec
443 et être secret, inaccessible et pourtant complice d’ une angoisse plus bouleversante que l’amour, à la minute où l’on voit
444 uleversante que l’amour, à la minute où l’on voit de très près, entre la nuit qui s’évapore et l’aube encore vacillante, l
445 nte, le vide absurde où s’en vont nos plaisirs et d’ où remonte notre peine. Ah ! surprendre sur un visage décontenancé, et
446 un visage décontenancé, et jusque dans le rythme d’ une respiration, l’envahissement de cette dure connaissance ! Elle se
447 dans le rythme d’une respiration, l’envahissement de cette dure connaissance ! Elle se tait, plus seule que moi. Le jour q
448 à me saisit va-t-il ainsi nous séparer ? Ce corps de femme défend encore sa nuit, si nu pourtant dans la soie et le velour
449 fatigue qui le fléchit un peu. Toucher, — guérir de l’écœurement de revivre — toucher un corps livré à la violence immobi
450 fléchit un peu. Toucher, — guérir de l’écœurement de revivre — toucher un corps livré à la violence immobile de son âme… M
451 e — toucher un corps livré à la violence immobile de son âme… Mais les jeunes filles sont parfois trop émouvantes pour qu’
452 arette entre mes lèvres sèches. Le hall s’éclaire d’ un jour de balayage, il reste deux chapeaux melons au vestiaire, et qu
453 re mes lèvres sèches. Le hall s’éclaire d’un jour de balayage, il reste deux chapeaux melons au vestiaire, et quelques val
454 au vestiaire, et quelques valets gris. Une corde de violon saute dans sa boîte. Je crois que dans ma tête aussi, des chos
455 paraît, mène parfois bien près de la réalité — et d’ un mouvement non dépourvu d’élégance, j’entends : par une certaine qua
456 ès de la réalité — et d’un mouvement non dépourvu d’ élégance, j’entends : par une certaine qualité de déception, qu’il nou
457 d’élégance, j’entends : par une certaine qualité de déception, qu’il nous propose. La joie du jour, hélas, la plus forte…
5 1932, Le Paysan du Danube. Première partie. Le Paysan du Danube — Voyage en Hongrie
458 grie À Albert Gyergyai i Le dormeur au fil de l’eau Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ;
459 l de l’eau Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ; il faudrait réveiller tant de beautés redoutabl
460 Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ; il faudrait réveiller tant de beautés redoutables pour at
461 ernière chaise libre. En bas, il y a juste autant de vieilles dames et de ministres en retraite que de fauteuils. Et on me
462 En bas, il y a juste autant de vieilles dames et de ministres en retraite que de fauteuils. Et on me regarde. J’ai beau f
463 de vieilles dames et de ministres en retraite que de fauteuils. Et on me regarde. J’ai beau feindre l’intérêt le plus sing
464 en ont tant vu ! Ils aiment mieux me faire honte de mon visage gris ; leurs yeux stupides me demandent où je n’ai pas dor
465 ordages, des chaînes, sur un banc humide, — juste de quoi s’étendre, et regarder jaillir sans fin contre soi l’eau de ce b
466 re, et regarder jaillir sans fin contre soi l’eau de ce beau Danube jaune qui est le plus inodore des fleuves. Dormir. San
467 . Sans avoir pu retrouver cette mélodie descendue d’ un balcon où chantait la Schumann ; sans avoir pu retrouver le nom de
468 tait la Schumann ; sans avoir pu retrouver le nom de qui l’on a reconduit à sa villa, vers cinq heures à travers ces quart
469 à travers ces quartiers si clairs, arbres et jets d’ eau ; sans avoir pu retrouver, des conversations de ce bal, autre chos
470 ’eau ; sans avoir pu retrouver, des conversations de ce bal, autre chose que la phrase, l’unique phrase que Richard Straus
471 t… » C’était au vestiaire, il enfilait une manche de pardessus, me donnait l’autre à serrer, la main n’étant pas encore so
472 la main n’étant pas encore sortie… Dormir au fil de l’eau, entre l’étrange nuit du bal et cette perspective invraisemblab
473 nuit du bal et cette perspective invraisemblable d’ un voyage au hasard commencé dans l’insomnie — vrai voyage à dormir de
474 il reconnaît son rêve. Huit heures aux clochers de la capitale qui s’avance dans la lumière fauve d’un soir chaud sur la
475 de la capitale qui s’avance dans la lumière fauve d’ un soir chaud sur la plaine, avec ses dômes et ses façades exubérantes
476 plaine, avec ses dômes et ses façades exubérantes de reflets, — et déjà nous passons sous de hauts ponts sonores, au long
477 ubérantes de reflets, — et déjà nous passons sous de hauts ponts sonores, au long d’un quai tout fleuri de terrasses ; on
478 nous passons sous de hauts ponts sonores, au long d’ un quai tout fleuri de terrasses ; on nous déverse dans cette foule et
479 auts ponts sonores, au long d’un quai tout fleuri de terrasses ; on nous déverse dans cette foule et ces musiques, deux vi
480 es qui font des signes pour demain, présentations de mes Espoirs aux jeunes Promesses nationales (on n’a pas bien compris
481 ée, des coups d’œil, dans le léger étourdissement de l’amitié prochaine). Et la générosité des lumières d’avant le soir, —
482 ’amitié prochaine). Et la générosité des lumières d’ avant le soir, — et cette espèce de tendresse pour tous les possibles,
483 é des lumières d’avant le soir, — et cette espèce de tendresse pour tous les possibles, qu’on appelle, je crois bien, jeun
484 , qui est un Collège célèbre. ii La Recherche de l’objet inconnu Personne n’a mon adresse, je n’attends rien d’aill
485 emier réveil — délivré. Chez moi je suis la proie de l’angoisse du courrier. J’attends la lettre, j’attends je ne sais quo
486 r. J’attends la lettre, j’attends je ne sais quoi de très important… Trois déceptions par jour ne peuvent qu’énerver le dé
487 a m’apporter ce Paquet inouï, cadeau annonciateur d’ une miraculeuse et royale Venue. Dans le silence de l’adoration comblé
488 ’une miraculeuse et royale Venue. Dans le silence de l’adoration comblée, j’en sortirais de ces objets sans nom, inutilisa
489 le silence de l’adoration comblée, j’en sortirais de ces objets sans nom, inutilisables, bouleversants de perfection, gage
490 ces objets sans nom, inutilisables, bouleversants de perfection, gages d’un monde que les poètes essaient de décrire sans
491 inutilisables, bouleversants de perfection, gages d’ un monde que les poètes essaient de décrire sans l’avoir jamais vu, et
492 fection, gages d’un monde que les poètes essaient de décrire sans l’avoir jamais vu, et dont nous savons seulement que tou
493 vances, les plus exténuantes, et qui sait si tant d’ erreurs ne composeront pas un jour une sorte d’incantation capable d’i
494 nt d’erreurs ne composeront pas un jour une sorte d’ incantation capable d’incliner le Hasard ? Ô décevantes chasses dans l
495 eront pas un jour une sorte d’incantation capable d’ incliner le Hasard ? Ô décevantes chasses dans les bazars, aux étalage
496 lages des fêtes populaires, au fond des boutiques de vieux en province, dans les combles d’un château prussien où tissaien
497 boutiques de vieux en province, dans les combles d’ un château prussien où tissaient d’incroyables araignées, partout où l
498 ns les combles d’un château prussien où tissaient d’ incroyables araignées, partout où le désordre naturel des choses pouva
499 her jusque chez nous ? » (En Hongrie, à 30 heures d’ express, on dit « jusque chez nous », ce qu’on ne dit pas en Amérique.
500 sseports ? Dussè-je les inventer… Ah ! l’embarras de voyager n’est rien auprès de celui d’expliquer pourquoi l’on est part
501 l’embarras de voyager n’est rien auprès de celui d’ expliquer pourquoi l’on est parti. Cependant, mes regards errant sur u
502 in de s’user, ne tarde pas à devenir notre raison de vivre. Mais combien votre sort, ô grands empêtrés ! me paraît enviabl
503 Les désirs les plus incompréhensibles s’emparent de moi comme des superstitions. Tout mon avoir se fond dans une loterie
504 ir se fond dans une loterie qui peut-être n’a pas de gros lot, et jamais, je crains bien, jamais je ne parviendrai à le re
505 é à peine jalouse que l’on réserve aux égarements d’ une jeunesse démodée se peignirent sur les traits de mes auditeurs. —
506 une jeunesse démodée se peignirent sur les traits de mes auditeurs. — Vous êtes, me dit-on, un amateur de troubles disting
507 mes auditeurs. — Vous êtes, me dit-on, un amateur de troubles distingués. Peu de sens du réel. Mais nous vous montrerons n
508 n m’entraîna dans un musée sans sièges. Le Musée de Budapest enferme quelques paysages romantiques aux ciels pleins de dé
509 me quelques paysages romantiques aux ciels pleins de démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait d’un homme » devant lequel
510 ges romantiques aux ciels pleins de démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait d’un homme » devant lequel il faut se taire
511 eins de démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait d’ un homme » devant lequel il faut se taire pour écouter ce qu’il entend
512 pour écouter ce qu’il entend. iii Au tombeau de Gül Baba Dans Bude il y a des ruelles qui sentent encore le Turc.
513 rentrés en Europe. Mais le lendemain, m’échappant d’ un programme admirable, nourrissant et officiel, il a bien fallu que j
514 . « Vous n’y verrez, m’avait-on dit, qu’une paire de babouches dans une mosquée vide que personne n’a plus l’idée de visit
515 ans une mosquée vide que personne n’a plus l’idée de visiter. » Mais comment ne pas voir qu’un lieu qui porte un nom parei
516 ne croit pas à la vertu des noms reste prisonnier de ses sens ; mais celui-là est véritablement voyageur qui n’a pas renon
517 voyageur qui n’a pas renoncé à convaincre le réel de mystère. Montant au Rozsadomb par ce matin brûlant, je savais bien qu
518 pellent une conduite magique. Or il est délicieux de réaliser une idée fixe injustifiable : c’est le plaisir même de l’enf
519 e idée fixe injustifiable : c’est le plaisir même de l’enfance. Je portais donc ma vision d’Orient et je grimpais gravemen
520 isir même de l’enfance. Je portais donc ma vision d’ Orient et je grimpais gravement comme je ferai, je pense, au jour de m
521 mpais gravement comme je ferai, je pense, au jour de mon pèlerinage au Temple de l’Objet inconnu. Voici que ce j’ai vu. On
522 ai, je pense, au jour de mon pèlerinage au Temple de l’Objet inconnu. Voici que ce j’ai vu. On passe une barrière, une cou
523 ardins dont les arbustes sèchent, vers une espèce de grande villa ou palais baroque assez décrépit, un décor en pierre bru
524 répit, un décor en pierre brune peu solide, rongé de roses Crimson. On longe une galerie couverte, on tourne dans un escal
525 n tourne dans un escalier compliqué : c’est plein de colonnettes et de statues dégradées et charmantes. (Vue sur des maiso
526 scalier compliqué : c’est plein de colonnettes et de statues dégradées et charmantes. (Vue sur des maisons pauvres un peu
527 urs assez hauts dont l’un est peut-être la façade d’ une chapelle ; mais la porte est fermée. Par une ouverture étroite on
528 vaste, où il y a quelques arbres devant une sorte de tour peu élevée, à demi recouverte de rosiers, et qu’il paraît imposs
529 t une sorte de tour peu élevée, à demi recouverte de rosiers, et qu’il paraît impossible de situer dans l’ensemble des con
530 recouverte de rosiers, et qu’il paraît impossible de situer dans l’ensemble des constructions. C’est là qu’on entre. Murs
531 ns. C’est là qu’on entre. Murs nus. Un catafalque de bois, au milieu, recouvert d’un très beau tapis mince, ou bannière, a
532 nus. Un catafalque de bois, au milieu, recouvert d’ un très beau tapis mince, ou bannière, avec des caractères turcs brodé
533 vec des caractères turcs brodés en or. L’histoire de Gül Baba est racontée sur un papier jauni encadré et fixé au mur. Gül
534 est le dernier héros musulman qui ait fait parler de lui en Hongrie. Il s’appelait en vérité KehlBaba, ce qui signifie le
535 roses. Moyennant cette naturalisation il continue de protéger la ville (en collaboration avec saint Gellert, dont la statu
536 un rocher, les bras levés, dirige la circulation de Pest. Gül Baba est moins théâtral). D’ailleurs le tombeau est vide. E
537 leurs le tombeau est vide. Et les babouches ? Pas de babouches. Je sais bien que ce n’est pas l’heure de visiter : le Père
538 babouches. Je sais bien que ce n’est pas l’heure de visiter : le Père des roses est peut-être allé se promener. Dehors, l
539 ent » étrange que ce lieu — inquiétant à la façon de certains regards lucides qu’il arrive qu’on porte sur la vie, tout d’
540 lucides qu’il arrive qu’on porte sur la vie, tout d’ un coup, à trois heures de l’après-midi par exemple —, non sans angois
541 porte sur la vie, tout d’un coup, à trois heures de l’après-midi par exemple —, non sans angoisse. iv De midi à quato
542 rès-midi par exemple —, non sans angoisse. iv De midi à quatorze heures On voyage de nos jours d’une façon « ration
543 se. iv De midi à quatorze heures On voyage de nos jours d’une façon « rationnelle », c’est-à-dire que les Cook’s ti
544 midi à quatorze heures On voyage de nos jours d’ une façon « rationnelle », c’est-à-dire que les Cook’s tickets remplac
545 e conduite féconde. Il me semble que la servitude de l’homme moderne apparaît ici sous un aspect bien inquiétant : c’est à
546 joli, ce n’est pas fantaisie. Je parle simplement de vérité et de mensonge, opposant une réalité vivante à une duperie com
547 t pas fantaisie. Je parle simplement de vérité et de mensonge, opposant une réalité vivante à une duperie commerciale. Mai
548 pensez que tant de mots pour une simple question de sentiment… C’est que vous êtes déjà bien malade. Il perd le sentimen
549 dre ! » s’écrie le lecteur, et comme il est, lui, de l’autre école, il referme ces pages et vaque à ses devoirs. Nous voic
550 lus à l’aise. Eh bien oui : je me ferai un mérite de perdre tout mon temps, si toutefois perdre conserve ici le sens qu’il
551 urs « problèmes du plus haut intérêt », le « prix de l’action » et leur morale qui ne parle que d’ obligations dont on ne
552 rix de l’action » et leur morale qui ne parle que d’ obligations dont on ne saurait à la légère se débarrasser sans courir
553 , bref, sans le payer cher. Tout cela est langage de bourse. Pour moi, je poursuivrai mon discours en faveur de l’inutile,
554 ns leurs vastes poches insulaires pour m’informer de cette irrécusable vérité : les affaires sont les affaires, axiome qui
555 oir trépigner, je continuerai à chercher mon bien de midi à quatorze heures, temps qu’ils réservent à la mastication, entr
556 ils réservent à la mastication, entre deux séries d’ heures de travail consacrées, si l’on ose dire, à assurer cette mastic
557 vent à la mastication, entre deux séries d’heures de travail consacrées, si l’on ose dire, à assurer cette mastication. Ma
558 n est assailli par le pittoresque, mais il s’agit de le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et de scepticismes, don
559 il s’agit de le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et de scepticismes, dont le plus simple consiste à traduire ce
560 le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et de scepticismes, dont le plus simple consiste à traduire ce que l’on voi
561 s lignes verticales peinturlurées — elle n’a rien d’ étrange, si l’on songe que nous sommes en Hongrie. Et ce n’est pas que
562 erveilleux, avec quoi l’on est trop souvent tenté de confondre l’excès de bizarrerie. C’est le faux merveilleux qui a disc
563 l’on est trop souvent tenté de confondre l’excès de bizarrerie. C’est le faux merveilleux qui a discrédité le vrai, leque
564 , moralement microscopique. (Il a tellement l’air de rien que nous sommes presque excusables de ne le point apercevoir.) J
565 l’air de rien que nous sommes presque excusables de ne le point apercevoir.) Je vais cependant dire quelque chose d’une s
566 apercevoir.) Je vais cependant dire quelque chose d’ une scène pittoresque. Mais c’est une autre fois que je l’ai vue, à Pe
567 ’est une autre fois que je l’ai vue, à Pest, lors d’ un autre séjour, dans la semaine qui suit Noël, — la plus sombre de l’
568 , dans la semaine qui suit Noël, — la plus sombre de l’année par les rues vides sous la pluie étrangère. Une porte basse s
569 ne porte basse s’ouvre sur un long corridor hanté d’ ombres drapées, qui ne sont pas des nonnes, bien que les voûtes soient
570 pas des nonnes, bien que les voûtes soient celles d’ un ancien couvent. Nous pénétrons dans une grande salle vivement éclai
571 le vivement éclairée. Murs chaulés, et de nouveau de hautes voûtes. Une banquette longe trois des parois, la quatrième est
572 à terre, dans l’attente. Nous sommes assis autour d’ une table et nous voyons, au milieu de la salle, un arbre de Noël aux
573 e et nous voyons, au milieu de la salle, un arbre de Noël aux amples branches rayonnantes, dans une gloire de dorures, — e
574 aux amples branches rayonnantes, dans une gloire de dorures, — et massées tout autour, frileuses dans leurs dessous roses
575 ignoir noir et blanc… Je ne puis avaler mon verre de ce café trop amer qui pince la gorge. Dehors, nous ne parlons pas : l
576 es transitions, et c’est alors que l’on est tenté de mentir, si fort tenté que l’on cède à coup sûr, en se persuadant que
577 as, au contraire, aggraver le cas ?) Or l’intérêt d’ un récit de voyage ne réside pas dans sa vérité générale, mais bien se
578 raire, aggraver le cas ?) Or l’intérêt d’un récit de voyage ne réside pas dans sa vérité générale, mais bien se réfugie da
579 qui ne ressemble à rien, gênante comme un cadeau de pauvre, comme un vrai cadeau. Si le conteur ment — pendant qu’il y es
580 nteur ment — pendant qu’il y est, il ferait mieux de choisir un autre pays que la Hongrie archi-connue —, le lecteur le se
581 ar le plus beau mensonge atteint à peine le degré d’ intérêt d’une vérité banale, et seulement à condition de lui ressemble
582 beau mensonge atteint à peine le degré d’intérêt d’ une vérité banale, et seulement à condition de lui ressembler, ne fût-
583 ment à condition de lui ressembler, ne fût-ce que de loin, — c’est alors ce qu’on appelait un paradoxe, du temps des petit
584 temps des petites manières. Cependant, la réalité d’ un pays apparaissant en général au voyageur de ma sorte sous ses modal
585 ité d’un pays apparaissant en général au voyageur de ma sorte sous ses modalités sentimentales plus que documentaires, peu
586 , peut-être serait-il bon que je parsème ce texte de quelques noms impossibles et de beaucoup de chiffres vraisemblables ?
587 parsème ce texte de quelques noms impossibles et de beaucoup de chiffres vraisemblables ? Ainsi le lecteur superficiel au
588 l’impression que je suis zur Sache, que je parle de mon sujet, — étant admis que mon sujet soit la Hongrie, ce qui me par
589 n’est rien que le voyage du Sujet à la recherche de son Objet, — en passant par la Hongrie. — Mais puisqu’enfin nous y vo
590 ie. — Mais puisqu’enfin nous y voici… (Le tombeau de Gül Baba est symboliquement vide. Quant à l’arbre de Noël, il ne deva
591 Gül Baba est symboliquement vide. Quant à l’arbre de Noël, il ne devait à nulle pendeloque insolite l’étrangeté de son écl
592 ne devait à nulle pendeloque insolite l’étrangeté de son éclat. Alors je m’en vais oublier le But de mon voyage, — qui est
593 é de son éclat. Alors je m’en vais oublier le But de mon voyage, — qui est sa cause. Je vais feindre de prendre au sérieux
594 e mon voyage, — qui est sa cause. Je vais feindre de prendre au sérieux ce que je vois. Ruse connue : c’est l’histoire du
595 que vous avez sous la langue ; je vous conseille de n’y plus penser quelque temps… Car on ne trouve vraiment que ce qu’on
596 Car on ne trouve vraiment que ce qu’on a consenti de ne pas trouver sur l’heure. En petit et intéressé, ce geste s’appelle
597 e prend toute sa hauteur. Silencieuse, solennelle de nudité, entre le Palais du Régent et celui d’un des archiducs, quel d
598 lle de nudité, entre le Palais du Régent et celui d’ un des archiducs, quel décor à rêver le cortège d’un sacre ! J’y ai vu
599 d’un des archiducs, quel décor à rêver le cortège d’ un sacre ! J’y ai vu défiler la Chambre des Magnats, le jour de l’élec
600 J’y ai vu défiler la Chambre des Magnats, le jour de l’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne.
601 ler la Chambre des Magnats, le jour de l’élection d’ un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne. Auprès du porc
602 s, le jour de l’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne. Auprès du porche du Palais, ils n’étaie
603 ’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne. Auprès du porche du Palais, ils n’étaient guère qu’une
604 he du Palais, ils n’étaient guère qu’une centaine de curieux, et quelques gardes. Traversant dans sa longueur toute l’imme
605 dent que du bout des doigts, crainte, sans doute, de troubler l’équilibre toujours instable des huit reflets de leur digni
606 er l’équilibre toujours instable des huit reflets de leur dignité. Mais je n’oublierai pas le sourire de ce vieux prince :
607 leur dignité. Mais je n’oublierai pas le sourire de ce vieux prince : un vrai sourire, adressé personnellement à l’homme,
608 reprend ici sa noblesse. Mon voisin qui a la tête de François-Joseph, dont il fut peut-être valet, nomme à leur passage le
609 remier pont sur le Danube, auteurs ainsi du trait d’ union de Buda-Pest. Il y a trois semaines, à Freudenau, lors du Derby
610 ont sur le Danube, auteurs ainsi du trait d’union de Buda-Pest. Il y a trois semaines, à Freudenau, lors du Derby viennois
611 se tiennent très droits, appuyés sur leurs sabres d’ or recourbés dont les poignées entre leurs doigts gantés étincellent.
612 urs doigts gantés étincellent. Parfois un collier de la Toison d’Or, sur la fourrure du dolman rouge ou jaune, laisse pend
613 ntés étincellent. Parfois un collier de la Toison d’ Or, sur la fourrure du dolman rouge ou jaune, laisse pendre son petit
614 Mais, ô pathétique dissonance, tangible absurdité de notre époque, beaucoup ont dû louer des taxis démodés, au tarif infér
615 f inférieur. Des chauffeurs vautrés, la casquette de travers sur leurs idées sociales, pareils aux chauffeurs de toutes le
616 sur leurs idées sociales, pareils aux chauffeurs de toutes les villes, conduisent dans la cour d’honneur ces reliques inc
617 urs de toutes les villes, conduisent dans la cour d’ honneur ces reliques incroyables et les encensent à la benzine industr
618 doigts levés. On se signe. Et voici venir à pied de son palais proche, tout seul, un archiduc. On salue profondément, en
619 e profondément, en silence (cliquetis des rangées de décorations sur l’uniforme kaki, et du sabre balancé). Une auto encor
620 or. Si le comte Bethlen venait à la SDN en tenue de magnat, beaucoup de gens comprendraient mieux sa politique. viii
621 viii Les coussins Rothermere Le nationalisme de la plupart des États de l’Europe se formule en revendications d’homme
622 es États de l’Europe se formule en revendications d’ hommes d’affaires. Ce qu’on prétend défendre, c’est son droit, ses int
623 de l’Europe se formule en revendications d’hommes d’ affaires. Ce qu’on prétend défendre, c’est son droit, ses intérêts. Ma
624 une passion toute nue, qui exprime l’être profond de la race. On ne discute pas cet amour, on ne réfute pas cette haine. I
625 pas cette haine. Ici, la sympathie est un devoir de politesse. Comment la mesurer sans mauvaise grâce à qui vous a reçu c
626 mauvaise grâce à qui vous a reçu comme un cadeau de Dieu. (« C’est Dieu qui vous envoie », dit la formule traditionnelle.
627 oie », dit la formule traditionnelle.) La liqueur de pêche rend démonstratif, dont on vide trois verres d’un trait en guis
628 êche rend démonstratif, dont on vide trois verres d’ un trait en guise de salut. C’est alors que se déplient les cartes de
629 de salut. C’est alors que se déplient les cartes de « la Hongrie mutilée ». — « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tie
630 . — « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tiers de notre patrie ? » — Ah ! ce n’est pas vous, maintenant, qui allez dema
631 maintenant, qui allez demander raison à vos hôtes de la façon dont ils traitaient, au temps de leur puissance, les allogèn
632 que les nombres ont tort au regard de l’antiquité d’ une civilisation ; qu’il s’agit ici de valeurs ; que si les population
633 l’antiquité d’une civilisation ; qu’il s’agit ici de valeurs ; que si les populations des régions perdues étaient parfois
634 eule active et créatrice. Le reste : des porteurs d’ eau… Dans l’inextricable confusion d’injustices à quoi devait mener le
635 des porteurs d’eau… Dans l’inextricable confusion d’ injustices à quoi devait mener le wilsonisme schématique qui traça les
636 eur devenant l’opprimé sans y perdre le sentiment de sa supériorité de race — sa véritable légitimité — on comprend que le
637 rimé sans y perdre le sentiment de sa supériorité de race — sa véritable légitimité — on comprend que le Hongrois n’ait po
638 nt conservé une extrême sensibilité aux arguments de « droit » qui autorisèrent ce chaos. Il lui reste sa foi en la grande
639 aos. Il lui reste sa foi en la grandeur éternelle de la Hongrie — intemporelle, n’ayant cure des statistiques — et sa doul
640 e des statistiques — et sa douleur aussi, douleur d’ orgueil blessé, mais qui emporte la sympathie : car l’orgueil hongrois
641 la sympathie : car l’orgueil hongrois n’est point de ce que l’on gagne sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point d’u
642 n’est point de ce que l’on gagne sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point d’un parvenu, mais d’un aristocrate. Tous
643 e sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point d’ un parvenu, mais d’un aristocrate. Tous dangers égaux d’ailleurs, préf
644 de ce que l’on est ; non point d’un parvenu, mais d’ un aristocrate. Tous dangers égaux d’ailleurs, préférons cet impériali
645 gers égaux d’ailleurs, préférons cet impérialisme de l’âme à l’impérialisme de la surproduction des machines et des enfant
646 férons cet impérialisme de l’âme à l’impérialisme de la surproduction des machines et des enfants. C’est parce que les Hon
647 erne. Voilà ce qu’on ne dit pas dans les dépêches d’ agence : les journalistes, une fois de plus, passent à côté de l’essen
648 rs. Songez à ce qui forme l’opinion, cet ensemble de mythes sentimentaux qui gouverne les arguments. Songez combien souven
649 à celle des individus, pour ce qui est du moins, de mentir à soi-même. Mais les Hongrois ne renient pas leur romantisme.
650 ongrie, sur une Carte du Tendre d’après le traité de Trianon ! Ces choses, je les ai rêvées sur un divan, à cause d’un cou
651 es choses, je les ai rêvées sur un divan, à cause d’ un coussin où s’étalait le sourire optimiste de Lord Rothermere, en so
652 se d’un coussin où s’étalait le sourire optimiste de Lord Rothermere, en soie blanche sur fond noir. Quelques articles fa
653 r ce peuple turbulent et déchu, suffirent à faire d’ un affairiste anglais l’idole du nationalisme magyar. Son portrait aff
654 universitaires, brodé aux devantures des magasins de mode, et son nom en lettres géantes sur une montagne chauve, voisine
655 lettres géantes sur une montagne chauve, voisine de Budapest, témoignent des espérances démesurées qu’il sut entretenir a
656 espérances démesurées qu’il sut entretenir autour d’ une action certes méritoire, mais plus symbolique qu’efficace. Et sans
657 Et sans lendemain. Ce mélange, en toutes choses, d’ enfantillage et de grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances
658 . Ce mélange, en toutes choses, d’enfantillage et de grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce
659 en toutes choses, d’enfantillage et de grandeur, d’ imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce point le clim
660 illage et de grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce point le climat de la passion ? — C’est
661 t de souffrances vraies, n’est-ce point le climat de la passion ? — C’est celui de la Hongrie9. ix Une lettre de Matth
662 -ce point le climat de la passion ? — C’est celui de la Hongrie9. ix Une lettre de Matthias Corvin « Matthias, par
663 ? — C’est celui de la Hongrie9. ix Une lettre de Matthias Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi de Hongrie. B
664 re de Matthias Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi de Hongrie. Bonjour, citoyens ! Si vous ne venez pas tous vo
665 as Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi de Hongrie. Bonjour, citoyens ! Si vous ne venez pas tous vous présenter
666 bits Personne, à ma connaissance, ne se plaint de ce qu’il y ait peu de poètes par le monde. C’est dans l’ordre des cho
667 ans l’ordre des choses, et l’on sait qu’il suffit de très peu de sel pour rendre mangeables beaucoup de nouilles. Mais voi
668 ais voici, par exemple, ce qu’il faudrait essayer d’ obtenir : que la grande majorité des gens ne deviennent pas enragés dè
669 s ne deviennent pas enragés dès qu’ils perçoivent de la poésie dans l’air. Espoir sans doute chimérique, mais qu’on peut c
670 oute chimérique, mais qu’on peut croire bien près d’ être comblé dans ce pays où les courtiers ne donnent pas encore le ton
671 nnue à l’étranger que par quelques pièces légères de Molnar, qui n’ont de hongrois que l’auteur, d’ailleurs israélite. Il
672 par quelques pièces légères de Molnar, qui n’ont de hongrois que l’auteur, d’ailleurs israélite. Il y a, bien entendu, un
673 à remplir les revues bien pensantes. Elle traite de sujets « bien hongrois » dans un style académique qui me paraît être
674 extrême gauche, et sa revue Documentum (une sorte d’ Esprit nouveau troublé de surréalisme), groupée autour de Louis Kassak
675 ue Documentum (une sorte d’Esprit nouveau troublé de surréalisme), groupée autour de Louis Kassak, nettement international
676 tour de Louis Kassak, nettement internationaliste de doctrine, au lyrisme neuf et parfois sauvage, social ou futuriste, et
677 plus libre et la plus vivante du génie littéraire de cette race me paraît bien avoir été donnée par le groupe important du
678 r anime encore ces écrivains profondément magyars de sensibilité, bien que souvent européens de goûts et de curiosités, et
679 agyars de sensibilité, bien que souvent européens de goûts et de curiosités, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef
680 nsibilité, bien que souvent européens de goûts et de curiosités, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef de file. De
681 és, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef de file. Des amis m’emmènent le voir à Esztergom, où il passe ses étés.
682 ses étés. Esztergom est la plus vieille capitale de la Hongrie. Attila, me dit-on, y régna. Aujourd’hui c’est la résidenc
683 a résidence du Prince Primat. Au-dessus du palais de l’archevêché, sur une colline que le Danube contourne, la Basilique é
684 Danube contourne, la Basilique élève une coupole d’ ocre éclatante, immense et froide, dominant cette plaine onduleuse don
685 ue nous devons rencontrer le poète. Cheveux noirs d’ aigle collés sur son large front, belle carrure ruisselante, il nous s
686 u’à mi-corps, mythologique. Nous sortons ensemble de la petite ville aux rues de terre brûlante, aux maisons jaunes basses
687 Nous sortons ensemble de la petite ville aux rues de terre brûlante, aux maisons jaunes basses, ville sans ombre, sans arb
688 us montons vers la maison du poète, sur un coteau de vignes. Trois chambres boisées entourées d’une large galerie d’où l’o
689 oteau de vignes. Trois chambres boisées entourées d’ une large galerie d’où l’on voit le Danube gris-jaune, brillant, sans
690 is chambres boisées entourées d’une large galerie d’ où l’on voit le Danube gris-jaune, brillant, sans rides, la petite vil
691 bourdonnante, — trois petites chambres et un pan de toit par-dessus, cela fait une baraque à peine visible dans les vigne
692 isible dans les vignes, à peine détachée du flanc de la colline (pour que les vents ne l’emportent pas), un beau nid de po
693 ur que les vents ne l’emportent pas), un beau nid de poète : car demeurer ici, c’est demeurer vraiment « en pleine nature 
694 r vraiment « en pleine nature », un peu au-dessus de la plaine, pas tout à fait dans le ciel, là où doivent vivre ceux qui
695 orizon est aussi lointain qu’on l’imagine, tout a de belles couleurs, le poète sourit en lui-même, il y a une enfance dans
696 , il y a une enfance dans l’air… xi Le retour d’ Esztergom Il faut se pencher aux portières et laisser l’air furieux
697 e et appuyer au front comme une caresse indéfinie de la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conq
698 comme une caresse indéfinie de la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce
699 ie de la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré d’ orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renon
700 . Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renonce à s’affirmer en
701 ueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renonce à s’affirmer en détail précis, se masse dans une con
702 mer en détail précis, se masse dans une confusion de violet sombre, et par la seule ligne dure de l’horizon s’oppose au ci
703 sion de violet sombre, et par la seule ligne dure de l’horizon s’oppose au ciel qui retire ses lueurs. Ciel blanc, où très
704 el qui retire ses lueurs. Ciel blanc, où très peu d’ or rose s’évanouit… Le train serpente dans un de ces paysages de nulle
705 u d’or rose s’évanouit… Le train serpente dans un de ces paysages de nulle part qui sont les plus émouvants, entre des col
706 anouit… Le train serpente dans un de ces paysages de nulle part qui sont les plus émouvants, entre des collines basses gra
707 e heure on sent bien que poursuivre est une sorte d’ enivrant péché. — Nous aurions une maison dans ce désert aux formes te
708 cause de l’éloignement en nous-mêmes. À l’entrée d’ un tunnel tu vois que la veilleuse brûle toujours — et moi, parmi les
709 rûle toujours — et moi, parmi les reflets fuyants de toutes sortes de faces et de paysages soudainement invisibles, je dis
710 t moi, parmi les reflets fuyants de toutes sortes de faces et de paysages soudainement invisibles, je distingue le doux fe
711 les reflets fuyants de toutes sortes de faces et de paysages soudainement invisibles, je distingue le doux feu bleu de mo
712 inement invisibles, je distingue le doux feu bleu de mon obsession. L’Objet inconnu, — quand je pense à ce qu’en imaginera
713 autres, si je leur en parlais… Il leur suffirait de l’image d’un bibelot d’une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un c
714 je leur en parlais… Il leur suffirait de l’image d’ un bibelot d’une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un certain arra
715 arlais… Il leur suffirait de l’image d’un bibelot d’ une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un certain arrangement des c
716 oses qui rende un certain son spirituel… Un objet de musique et de couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfi
717 un certain son spirituel… Un objet de musique et de couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfin, tellement i
718 e et de couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfin, tellement inconnu et tellement fascinant à la fois, qu’i
719 tellement fascinant à la fois, qu’il me préserve de tout amour pour quelque bien particulier où je serais tenté de me com
720 pour quelque bien particulier où je serais tenté de me complaire. Oh ! je sais ! — Je ne sais plus. — Le train s’attarde
721 lors tout s’allume et voici la nuit des faubourgs de Pest, au-dessous de nous. xii Un bal, ou de l’ivresse considérée
722 s de Pest, au-dessous de nous. xii Un bal, ou de l’ivresse considérée comme un des beaux-arts Ils n’ont plus de nom
723 sidérée comme un des beaux-arts Ils n’ont plus de noms, ils ne sont qu’une ivresse aux cent visages, lorsque j’entre da
724 vant un bras, la main à la nuque ; frapper le sol de l’autre talon en changeant de main ; saisir la danseuse sous les bras
725 ue ; frapper le sol de l’autre talon en changeant de main ; saisir la danseuse sous les bras (elle pose alors ses mains su
726 ules du cavalier) et la faire pirouetter un quart de tour à droite, un quart de tour à gauche ; pirouetter seuls sur place
727 re pirouetter un quart de tour à droite, un quart de tour à gauche ; pirouetter seuls sur place ; de nouveau frapper le so
728 ment ; saisir la danseuse, tourbillonner, pousser de grands cris ; tourbillonner en sens inverse ; frapper des talons touj
729 aux yeux de plaine, comme les autres ont des yeux de mer. Des grâces d’amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu
730 comme les autres ont des yeux de mer. Des grâces d’ amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu’à la chevelure. Gr
731 s yeux de mer. Des grâces d’amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu’à la chevelure. Graves entre leurs éclats
732 s chantent, les moires et l’ondulation des rubans de vents chauds sur la plaine, avec des éloignements et des retours, des
733 e les gestes sont gouvernées par la seule logique d’ un rythme constamment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que de s’
734 d’un rythme constamment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que de s’abandonner d’une certaine manière. En France, cha
735 amment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que de s’abandonner d’une certaine manière. En France, chacun parle pour son
736 Il s’agit moins de comprendre que de s’abandonner d’ une certaine manière. En France, chacun parle pour son compte, paraphe
737 ou. Ici, le sens des mots et des choses est celui d’ un courant musical qui domine l’ensemble et le compose selon les lois
738 ui domine l’ensemble et le compose selon les lois d’ une plastique exubérante. Quand je dis que j’observe, je n’observe rie
739 anières. Et quant à ceux qui n’ont pas le pouvoir de s’enivrer, ils auront toujours raison, mais n’auront que cela, car c’
740 c’est l’ivresse10 seulement qui permet à l’esprit de passer d’une forme dans d’autres, — et c’est même en ce passage qu’el
741 resse10 seulement qui permet à l’esprit de passer d’ une forme dans d’autres, — et c’est même en ce passage qu’elle consist
742 e passage qu’elle consiste — ô Danses ! avènement de l’âme aux gestes ! Vous voici, longs coups d’ailes en silence au-dess
743 ent de l’âme aux gestes ! Vous voici, longs coups d’ ailes en silence au-dessus du gouffre. Je vole sur place, mais tout se
744 et l’amour du vertige). Qu’est-ce qu’il y aurait de l’autre côté ? Se laisser choir dans le Gris ? Rejoindre ?… Derrière
745 ise ne rappelle la nostalgie traînante des lieder de l’Oberland : ici la mélancolie même est passionnée. Elles chantent av
746 es mouvements vifs du buste, et des mains pleines de drôleries ou de supplication. Je ne sais ce que disent les paroles. J
747 fs du buste, et des mains pleines de drôleries ou de supplication. Je ne sais ce que disent les paroles. Je vois des cheva
748 uvenir des pays désertés enfièvre encore un désir de perdition illimitée… Les Hongrois se sont arrêtés dans cette plaine.
749 s c’est le soir au camp, perpétuel. Une lassitude de steppe brûlante, des ondulations longues… Mais un cheval se cabre ; e
750 ambours et des cris modulés, et toute la frénésie d’ un grand souffle qui se serait mis à tourbillonner sur place. xiv
751 ngrois t’emportera dans une inénarrable confusion de sentimentalisme et de passion, et c’est là son miracle. Si tu n’as pa
752 s une inénarrable confusion de sentimentalisme et de passion, et c’est là son miracle. Si tu n’as pas le sens de la musiqu
753 , et c’est là son miracle. Si tu n’as pas le sens de la musique, conserve quelque espoir de t’en tirer. Sinon… je t’envier
754 as le sens de la musique, conserve quelque espoir de t’en tirer. Sinon… je t’envierais presque. Celui qui part pour la Hon
755 us. xv La plaine et la musique L’ouverture de Stravinsky exécutée par l’express de Transylvanie au sortir de la gar
756 L’ouverture de Stravinsky exécutée par l’express de Transylvanie au sortir de la gare de Budapest, devient avec la plaine
757 ar l’express de Transylvanie au sortir de la gare de Budapest, devient avec la plaine une Symphonie-Dichtung borodinesque,
758 e hongroise n’est pas monotone, parce qu’elle est d’ un seul tenant. Rien qui fasse répétition. C’est ici le premier pays q
759 . C’est ici le premier pays que je n’ai pas envie d’ élaguer ; dont je ne me compose pas de morceaux choisis11. Il y a une
760 i pas envie d’élaguer ; dont je ne me compose pas de morceaux choisis11. Il y a une grande ville, un grand lac, une plaine
761 ille, un grand lac, une plaine et une seule vigne de véritable Tokay. Et point de ces endroits déprimants, à plusieurs mil
762 e et une seule vigne de véritable Tokay. Et point de ces endroits déprimants, à plusieurs milliers d’exemplaires, tels que
763 de ces endroits déprimants, à plusieurs milliers d’ exemplaires, tels que : banlieue française, village suisse, gare allem
764 çaise, village suisse, gare allemande grouillante de questions sociales. La Puszta est une terre vierge, je veux dire que
765 andue. Il y a peu de bourgeois en Hongrie. Il y a de petits nobles déclassés, des juifs, des paysans, des communistes, de
766 classés, des juifs, des paysans, des communistes, de grands nobles, et des Tziganes. D’ailleurs, le bourgeois supporterait
767 mpleur qu’ont ici toutes choses, cette atmosphère de nomadisme, et ces vents vastes ; et cette passion de vivre « au-dessu
768 nomadisme, et ces vents vastes ; et cette passion de vivre « au-dessus de ses moyens » — c’est-à-dire au-dessus du Moyen —
769 ts vastes ; et cette passion de vivre « au-dessus de ses moyens » — c’est-à-dire au-dessus du Moyen — qui est caractéristi
770 rgement ? » demande certaine hargne à cet artiste de la prodigalité. — « Ah ! répond-il, j’aimerais bien pouvoir vivre com
771 yptien, « car c’est la langue qu’elles apprennent de leurs mères ». Combien j’aime ces sœurs des Tziganes ! Les Tziganes v
772 t le bridge et la bohème, c’est-à-dire un symbole de la servitude et un symbole de la liberté. Si la Hongrie tout de même
773 t-à-dire un symbole de la servitude et un symbole de la liberté. Si la Hongrie tout de même a quelque chose de « moderne »
774 berté. Si la Hongrie tout de même a quelque chose de « moderne », dans un sens vaste et mystique, elle le doit au charme é
775 ns une ère égyptienne. Mais que dire des pouvoirs de la plaine qui s’agrandit pendant des heures ? — Ce qu’en raconte la m
776 usique — tu vas l’entendre à toutes les terrasses de Debrecen. Debrecen est une sorte de grande ville indescriptible, à de
777 les terrasses de Debrecen. Debrecen est une sorte de grande ville indescriptible, à demi mêlée aux sables de la plaine du
778 nde ville indescriptible, à demi mêlée aux sables de la plaine du Hortobágy, aux longues maisons jaunes immensément aligné
779 ngues maisons jaunes immensément alignées, autour d’ une place rectangulaire qui ressemble à un jardin public, flanquée d’u
780 ulaire qui ressemble à un jardin public, flanquée d’ un temple blanc à deux clochers baroques, d’hôtels modernes, de statue
781 nquée d’un temple blanc à deux clochers baroques, d’ hôtels modernes, de statues, de pylônes plantés dans un grand désordre
782 lanc à deux clochers baroques, d’hôtels modernes, de statues, de pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de c
783 clochers baroques, d’hôtels modernes, de statues, de pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de chars à bœufs
784 tatues, de pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrece
785 ônes plantés dans un grand désordre de piétons et de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent
786 t de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent de n’avoir pas ce faux confort que nous n’avons
787 les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent de n’avoir pas ce faux confort que nous n’avons qu’au prix de tout ce qu
788 les Hongrois comme on aime l’enfance : or le rêve de l’enfant, c’est de devenir une grande personne. On me l’a dit, c’est
789 on aime l’enfance : or le rêve de l’enfant, c’est de devenir une grande personne. On me l’a dit, c’est vrai : cette ville
790 ique est aussi l’autre « Rome protestante ». Mais d’ avoir vu ses profondes bibliothèques et son quartier universitaire tou
791 euni dans des jardins luisants ne m’empêchera pas de m’y sentir au bout d’un monde, au bord extrême de l’Europe. Je ne sai
792 de m’y sentir au bout d’un monde, au bord extrême de l’Europe. Je ne sais quel hasard a voulu que j’y entende, un soir, un
793 rd a voulu que j’y entende, un soir, une audition de musiques hongroises, turques et chinoises, commentées et comparées pa
794 Plaine, et que par sa musique j’étais aux marches de l’Asie. En sortant du concert, j’ai erré aux terrasses des hôtels, da
795 ent en jouant ? Qu’est-ce qu’ils écoutent au-delà de leur musique — car aussitôt donnée la phrase, voici qu’une autre vien
796 nt sonore qui l’étire et l’égare, et l’enroule et d’ un coup la subtilise, ne laissant plus qu’un long silence soutenu, com
797 rne avec une vertigineuse docilité dans les voies d’ un amour ineffable et se perd avec lui vers le désert et ses mirages.
798 vec lui vers le désert et ses mirages. On ne sait d’ où tu viens, tu ne sais où tu vas, peuple de perdition, Peuple inconnu
799 sait d’où tu viens, tu ne sais où tu vas, peuple de perdition, Peuple inconnu, — mais c’est toi, c’est toi qui l’as caché
800 eur aux femmes, cet Objet dont parfois, au comble de la turbulence de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’une
801 et Objet dont parfois, au comble de la turbulence de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’une ligne nette, ins
802 de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’ une ligne nette, insaisissable, déjà perdue (comme le rêve pendant que
803 (comme le rêve pendant que bat la paupière lourde de celui qui succombe à l’excès du sommeil) — et me voici plus seul, ave
804 ici plus seul, avec une nostalgie qui ne veut pas de la romance à mon oreille d’un violoneux qui me croit triste. Ils l
805 algie qui ne veut pas de la romance à mon oreille d’ un violoneux qui me croit triste. Ils l’ont amené du fond d’une Ind
806 x qui me croit triste. Ils l’ont amené du fond d’ une Inde. Ils l’ont égaré, comme ils égarent tout d’un monde où si peu
807 une Inde. Ils l’ont égaré, comme ils égarent tout d’ un monde où si peu vaut qu’on le conserve, au long d’un chemin effacé
808 n monde où si peu vaut qu’on le conserve, au long d’ un chemin effacé par le vent sur la plaine… Ils l’ont perdu comme un r
809 sans vider ton verre — il n’y a pure ivresse que de l’abandon —, car voici qu’à son tour il s’égare au bras d’une erreur
810 don —, car voici qu’à son tour il s’égare au bras d’ une erreur inconnue, ton fantôme éternel, ton « Désir désiré ». xv
811 rudentes avec aux jambes l’imperceptible angoisse de rencontrer une onde trop légère. Mais pour connaître un lac, il faut
812 eau, en faire le tour, mais voilà qui est affaire de pur caprice, tandis que s’y baigner est une règle de savoir-vivre ave
813 pur caprice, tandis que s’y baigner est une règle de savoir-vivre avec la Nature. Lac doré, horizon de collines pointues,
814 de savoir-vivre avec la Nature. Lac doré, horizon de collines pointues, rives basses, verdoyantes, toutes fraîches de musi
815 ntues, rives basses, verdoyantes, toutes fraîches de musiquettes et de baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances b
816 s, verdoyantes, toutes fraîches de musiquettes et de baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances bourgeoises et mili
817 fraîches de musiquettes et de baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances bourgeoises et militaires, idylles de jar
818 aux élégances bourgeoises et militaires, idylles de jardins publics à l’écart d’un concert du samedi soir, petits profess
819 militaires, idylles de jardins publics à l’écart d’ un concert du samedi soir, petits professeurs entourés de leur famille
820 ncert du samedi soir, petits professeurs entourés de leur famille, et toutes ces Magda, toutes ces Maritza rieuses et déjà
821 r quelques jours ? On ferait connaissance à table d’ hôte, on irait ensemble à Tihany — elle a l’air d’être en Italie sur s
822 d’hôte, on irait ensemble à Tihany — elle a l’air d’ être en Italie sur sa presqu’île — par cet instable bateau-mouche qui
823 plutôt emmener ce désir, comme un tendre souvenir de voyage, et partir en croyant qu’ici la vie a parfois moins de hargne,
824 t partir en croyant qu’ici la vie a parfois moins de hargne, et les petites gens plus de bonté… Déjà je suis repris par le
825 parfois moins de hargne, et les petites gens plus de bonté… Déjà je suis repris par le malaise que m’infligent les lieux f
826  ! C’est devant une glace panachée qu’il m’arrive de douter de la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nu
827 evant une glace panachée qu’il m’arrive de douter de la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nuit, j’ai r
828 er de la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nuit, j’ai rôdé dans la campagne aux collines basses, d’app
829 , j’ai rôdé dans la campagne aux collines basses, d’ apparence rocheuse — ce sont des restes de volcans — blanches sous la
830 basses, d’apparence rocheuse — ce sont des restes de volcans — blanches sous la Lune et toutes lustrées de rêches végétati
831 olcans — blanches sous la Lune et toutes lustrées de rêches végétations. J’ai traversé l’angoisse lunaire des villages vid
832 vides aux portes aveugles (j’avais peur du bruit de mes pas). Au hasard, j’ai suivi des sentiers dans les champs de maïs,
833 u hasard, j’ai suivi des sentiers dans les champs de maïs, épiant la venue d’une joie inconnue. Joie d’être n’importe où…
834 sentiers dans les champs de maïs, épiant la venue d’ une joie inconnue. Joie d’être n’importe où… évadé ? Mais soudain,
835 e maïs, épiant la venue d’une joie inconnue. Joie d’ être n’importe où… évadé ? Mais soudain, c’est au silence que je me
836 que je me heurte, comme réveillé dans l’absurdité d’ être n’importe où. Une panique balaye la nuit déserte jusqu’à l’horizo
837 maintenant, maintenant, où tu n’es pas — et tant d’ amour perdu… Un train dormait devant la gare campagnarde. Je me suis é
838 un compartiment obscur, stores baissés, à l’abri de la lune. Le contrôleur a dû jouer un rôle dans mes cauchemars. L’aube
839 s cauchemars. L’aube m’éveille dans les faubourgs de Budapest, cheveux en désordre, pantalon plissé, et cet abruti de cont
840 eveux en désordre, pantalon plissé, et cet abruti de contrôleur qui rit et me dit je ne sais quoi, — alors que justement j
841 rs que justement j’allais rattraper, comme un pan de la nuit fuyante, un songe où j’ai dû voir l’Objet pour la première fo
842 ais la lampe et la veilleuse me rendait compagnon d’ une momie bleuâtre, mais peut-on se reposer vraiment à 100 km à l’heur
843 Lune faire des bonds courts sur la plaine inondée de nuit. J’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné de cette hur
844 courts sur la plaine inondée de nuit. J’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné de cette hurlante bousculade sur
845 ’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné de cette hurlante bousculade sur place qu’est un voyage en express. Mais
846 yage en express. Mais je ne trouvais pas la pente de mon esprit, et tout en le parcourant avec une soif qui annonçait le d
847 oif qui annonçait le désert, je traçais des plans d’ œuvres sablonneuses. Je composais un traité des voyages : les titres e
848 ais un traité des voyages : les titres en étaient de Sénèque ou de Swift, et je voyais très bien ce qu’en eussent tiré Ste
849 des voyages : les titres en étaient de Sénèque ou de Swift, et je voyais très bien ce qu’en eussent tiré Sterne ou Goethe,
850 e à Gérard de Nerval, je sentais qu’il s’agissait d’ autre chose. — Il s’agit toujours d’autre chose que de ce qu’on dit.
851 il s’agissait d’autre chose. — Il s’agit toujours d’ autre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’i
852 tre chose. — Il s’agit toujours d’autre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’insomnie ! Cela tou
853 tre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’insomnie ! Cela tourne tout de suite à la débauche. Not
854 tourne tout de suite à la débauche. Notre liberté de penser est absurde au regard des contraintes que subissent nos gestes
855 élevait la Morale du domaine des actions à celui de la pensée, de l’Apparence à l’Essence. D’un coup, tous les refoulés q
856 rale du domaine des actions à celui de la pensée, de l’Apparence à l’Essence. D’un coup, tous les refoulés qui explosent,
857 à celui de la pensée, de l’Apparence à l’Essence. D’ un coup, tous les refoulés qui explosent, le chômage dans la gendarmer
858 eures désorientées ; le sentiment du « non-sens » de la vie n’est-il pas comparable à ce que les mystiques appellent leur
859 Entre « déjà plus » et « pas encore »… Bon point de vue pour déconsidérer nos raisons de vivre. La maladie aussi. Rien ne
860 »… Bon point de vue pour déconsidérer nos raisons de vivre. La maladie aussi. Rien ne ressemble au voyage comme la maladie
861 part, le même dépaysement au retour. « Il revient de loin » signifie : qu’il vient d’être très malade. Si dans ta chambre,
862 ur. « Il revient de loin » signifie : qu’il vient d’ être très malade. Si dans ta chambre, en plein jour, tu t’endors, et q
863 voyage est un état d’âme et non pas une question de transport. Un vrai voyage, on ne sait jamais où cela mène, c’est une
864 amais où cela mène, c’est une aventure qui relève de la métaphysique plus que de la psychologie. — Une vaste licence poéti
865 e aventure qui relève de la métaphysique plus que de la psychologie. — Une vaste licence poétique… (Voici bien la fatigue
866 ien la fatigue avec son jeu des définitions)… pas de but. — C’est vous qui le dites ! — Vous, naturellement… (Encore un qu
867 voyage on la regarde mieux. — La vie… (une sorte de cauchemar de la pensée, qui ne peut plus s’arrêter de penser). Se peu
868 regarde mieux. — La vie… (une sorte de cauchemar de la pensée, qui ne peut plus s’arrêter de penser). Se peut-il qu’on ch
869 auchemar de la pensée, qui ne peut plus s’arrêter de penser). Se peut-il qu’on cherche le sens de la vie ! Je sais seuleme
870 êter de penser). Se peut-il qu’on cherche le sens de la vie ! Je sais seulement que ma vie a un but. M’approcher de mon êt
871 e sais seulement que ma vie a un but. M’approcher de mon être véritable. Seul au milieu des miens, j’oubliais ma race, j’a
872 des miens, j’oubliais ma race, j’avais l’illusion de n’être rien que… moi-même. Identique à mon centre. Ici, comparé à tan
873 Mais en même temps, j’ai découvert mes puissances d’ évasion intérieure. Et souvent je pressens qu’il existe une clef : dél
874 uvent je pressens qu’il existe une clef : délivré de moi-même j’entrerais en plein Moi… Une clef ? Plutôt « cela » qui me
875 oi… Une clef ? Plutôt « cela » qui me permettrait de combler l’écart entre moi et Moi qui est la seule réalité absolument
876 s dans mes pensées ? La veilleuse fleurit soudain d’ un éclat bleu douloureux, le train ralentit. Hegyeshalom, petite gare
877 Cependant, « rien à déclarer » après des semaines de voyage ? Cela va paraître improbable. On a dû voir sur moi que je le
878 cherche, c’est pourquoi l’œil est implacable… Pas de clefs dans mes onze poches. Seulement ce papier timbré d’un ministère
879 dans mes onze poches. Seulement ce papier timbré d’ un ministère… mais déjà l’œil s’éteint, le corps se plie, fait demi-to
880 tristesse. Mais qu’a-t-on jamais pu « déclarer » d’ important ? Je ne sais pas parler en vers et la prose n’indique que le
881 us évidentes. C’est bien pourquoi l’Objet n’a pas de nom. Parfois je me suis demandé s’il n’était pas une sorte de pierre
882 ois je me suis demandé s’il n’était pas une sorte de pierre philosophale. Peut-être ces deux mots suffiraient-ils à l’indi
883 e m’en parle ? Tout en donnant le change à celles de mes pensées qui exigent des apparences positives. Ainsi donc, j’ai ch
884 aiment elle n’existe plus, l’Hermétique Société13 de ceux qui ne désespèrent pas encore du Grand Œuvre ? Cela seul est cer
885 seulement qu’aux yeux de ceux qui surent désirer de la voir, apparaît la « Loge invisible ». J’attends, j’appelle quelqu’
886 out ce qu’elle m’a donné ? Cette notion plus vive d’ un univers où la présence de l’Objet deviendrait plus probable ? Ou bi
887 ette notion plus vive d’un univers où la présence de l’Objet deviendrait plus probable ? Ou bien n’ai-je su voir autre cho
888 u bien n’ai-je su voir autre chose que la Hongrie de mes rêves, ma Hongrie intérieure ? Il est vrai que l’on connaît depui
889 sout dans une synthèse, comme toujours : au point de perfection, aimer et connaître sont un seul et même acte. Peut-être l
890 ont un seul et même acte. Peut-être l’ai-je aimée d’ un amour égoïste, comme un être dont on a besoin et de qui l’on chérit
891 amour égoïste, comme un être dont on a besoin et de qui l’on chérit surtout ce dont on manque : touchantes annexions, pie
892 s’il fallait attendre pour aimer ! Je me souviens de ces terrains de sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre
893 endre pour aimer ! Je me souviens de ces terrains de sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre de maisons basse
894 me souviens de ces terrains de sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre de maisons basses, les dernières de la
895 errains de sable noir, piqués de petits arbres et d’ un désordre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen,
896 le noir, piqués de petits arbres et d’un désordre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen, au bord de la
897 et d’un désordre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de
898 rdre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de soleil couc
899 cen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de soleil couchant. J’y suis venu par hasard, en flânant ; je me suis sa
900 autres semblables, en voyage, je me dis que c’est de là que j’ai tiré le sentiment d’absurdité foncière qu’il m’arrive d’é
901 me dis que c’est de là que j’ai tiré le sentiment d’ absurdité foncière qu’il m’arrive d’éprouver en face d’une action pure
902 le sentiment d’absurdité foncière qu’il m’arrive d’ éprouver en face d’une action purement raisonnable. Ah ! quelle raison
903 ison ici t’attirait donc, sinon l’espoir bien fou d’ y retrouver l’émotion d’un miracle imminent. Ou moins encore : l’image
904 , sinon l’espoir bien fou d’y retrouver l’émotion d’ un miracle imminent. Ou moins encore : l’image, née en rêve, d’une pla
905 imminent. Ou moins encore : l’image, née en rêve, d’ une plaine, d’un couchant plus grandiose au ciel et sur la terre plus
906 oins encore : l’image, née en rêve, d’une plaine, d’ un couchant plus grandiose au ciel et sur la terre plus secret que dan
907 ton pays. Tu attendais une révélation, non point de cet endroit, ni même par lui, — mais à cet endroit, en ce temps. Qui
908 s cette vie et dans d’autres vies, pour approcher de tous côtés un But dont tu ne sais rien d’autre que sa fuite : n’est-i
909 procher de tous côtés un But dont tu ne sais rien d’ autre que sa fuite : n’est-il pas cet objet qui n’ait rien de commun a
910 sa fuite : n’est-il pas cet objet qui n’ait rien de commun avec ce que tu sais de toi-même en cette vie ? Mais le voir, c
911 bjet qui n’ait rien de commun avec ce que tu sais de toi-même en cette vie ? Mais le voir, ce serait mourir dans la totali
912 nière différence, — car on ne voit que ce qui est de soi-même, et conscient. Et c’est à cause d’un pari peut-être fou, et
913 i est de soi-même, et conscient. Et c’est à cause d’ un pari peut-être fou, et qui porte sur des sentiments indéfinis, à ca
914 resses, tu serres des mains, — tu perds les clefs de tes valises… (Cela encore : m’arrêter à Vienne à cause des serrures.
915 eut-être y passer une nuit — rôder à la recherche de Gérard par les rues noires aux palais vides mais hantés, et dans les
916 plutôt mal. 8. Il faut ajouter aux autres causes de l’incompréhension des journalistes la ruse hongroise qu’ils ne peuven
917 arrivistes. 9. Parce que j’« exalte les valeurs de passion » — pour parler comme le seul clerc qui n’ait pas trahi — qui
918 it pas trahi — qui me paraissent être la grandeur de la Hongrie, on m’expliquera que je suis pour la guerre, puisque enfin
919 aix par la mutilation des passions sont disciples d’ Origène. Il doit y avoir d’autres solutions… 10. Toute l’échelle des
920 ons… 10. Toute l’échelle des ivresses : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 11.
921 ute l’échelle des ivresses : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 11. Expression o
922 des ivresses : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 11. Expression où va se réfug
923  : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 11. Expression où va se réfugier le dernie
924 a faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 11. Expression où va se réfugier le dernier vestige de la
925 . Expression où va se réfugier le dernier vestige de la sensualité des érudits. 12. La fameuse marche de Rakoczy est l’œu
926 la sensualité des érudits. 12. La fameuse marche de Rakoczy est l’œuvre d’une Tzigane. 13. L’or n’était qu’un prétexte.
927 ts. 12. La fameuse marche de Rakoczy est l’œuvre d’ une Tzigane. 13. L’or n’était qu’un prétexte. Encore une blague de pa
928 3. L’or n’était qu’un prétexte. Encore une blague de passeport.
6 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — La tour de Hölderlin
929 La tour de Hölderlin « Je lui ai raconté qu’il habite une chaumière au bord d’
930 nt des heures récite des odes grecques au murmure de l’eau ; la princesse de Homburg lui a fait cadeau d’un piano dont il
931 l’eau ; la princesse de Homburg lui a fait cadeau d’ un piano dont il a coupé les cordes, mais pas toutes, en sorte que plu
932 ont il a cassé les cordes, c’est vraiment l’image de son âme ; j’ai voulu attirer là-dessus l’attention du médecin, mais i
933 ’attention du médecin, mais il est plus difficile de se faire comprendre par un sot que par un fou. » L’hiver dernier, m’o
934 u. » L’hiver dernier, m’occupant assez longuement d’ un des poètes auxquels notre temps doit vouer l’attention la plus grav
935 ion la plus grave — car il vécut dans ces marches de l’esprit humain qui confinent peut-être à l’Esprit et dont certains d
936 u tenter le climat, — j’avais rêvé sur ce passage de l’émouvante Bettina, rêvé sans doute assez profondément pour qu’aujou
937 nt un hasard… Hier, c’était la Pentecôte. La fête de la plus haute poésie. Mais dans ce siècle, où tant de voix l’appellen
938 où tant de voix l’appellent, combien sont dignes de s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue de feu qui s’est po
939 s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue de feu qui s’est posée sur Hölderlin et qui l’a consumé… Digne ? — Un ad
940 ui l’a consumé… Digne ? — Un adolescent au visage de jeune fille qui rimait sagement des odes à la liberté… Et voici dans
941 e premier, quand Hölderlin doit quitter la maison de Mme Gontard15, déchirement à peine sensible dans son œuvre. Car ce po
942 n œuvre. Car ce poète n’est peut-être que le lieu de sa poésie, — d’une poésie, l’on dirait, qui ne connaît pas son auteur
943 poète n’est peut-être que le lieu de sa poésie, —  d’ une poésie, l’on dirait, qui ne connaît pas son auteur. Qui parle par
944 ité presque effrayante. Vient le temps où le sens de son monologue entre terre et ciel lui échappe. Il jette encore quelqu
945 au moment où meurt Diotima, Hölderlin errant loin d’ elle (dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé d’insolation ; s
946 ima, Hölderlin errant loin d’elle (dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé d’insolation ; sa folie d’un coup l’env
947 (dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé d’ insolation ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillar
948 eaux croit-on) est frappé d’insolation ; sa folie d’ un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillard qui reparaît en Allema
949 n ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillard qui reparaît en Allemagne. Et durant trente années, ce pauv
950 pauvre corps abandonné vivra dans la petite tour de Tubingue, chez un charpentier — vivra très doucement, inexplicablemen
951 rès doucement, inexplicablement, une vie monotone de vieux maniaque. Le buisson ardent quitté par le feu se dessèche. Ce q
952 ne aux visiteurs venus pour contempler la victime d’ un miracle. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descend
953 ime d’un miracle. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descendu au bord de l’eau, un peu au-dessous de la ma
954 peu au-dessous de la maison, en attendant l’heure d’ ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite déco
955 endant l’heure d’ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à
956 eure d’ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’un
957 vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’ un « Hypérion ». En cherchant, je trouverais bien aussi un « Nietzsche
958 vers l’eau lente. Sur l’autre rive qui est celle d’ une longue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un roman jaun
959 à la main. L’un après l’autre, dans cette paresse de jour férié, les clochers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un
960 e, dans cette paresse de jour férié, les clochers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille
961 chers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille maison souabe, hauts et sombres, qui paraîtr
962 sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille maison souabe, hauts et sombres, qui paraîtraient immenses s’
963 traient immenses s’ils n’étaient à demi encombrés d’ armoires. Un couloir, la chambre. L’homme qui me conduit est le propri
964 ? — (et comme je considère un ravissant médaillon de marbre) — Ça, c’est Diotima. » On rougirait à moins. — « Je ne puis p
965 » On rougirait à moins. — « Je ne puis pas parler de lui, ici à Francfort, écrivait Bettina, car aussitôt l’on se met à ra
966 menade, et le guide désigne familièrement l’image d’ une femme par le nom qu’elle portait au mystère de l’amour. Trois peti
967 d’une femme par le nom qu’elle portait au mystère de l’amour. Trois petites fenêtres ornées de cactus miséreux, une pipe q
968 mystère de l’amour. Trois petites fenêtres ornées de cactus miséreux, une pipe qui traîne sur l’appui ; le jardinet avec s
969 Trente-sept ans dans cette chambre, avec le bruit de l’eau et cette complainte de malade épuisé après un grand accès de fi
970 ambre, avec le bruit de l’eau et cette complainte de malade épuisé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce mo
971 complainte de malade épuisé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeu
972 sé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeunesse, voilà si longtemps,
973 L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeunesse, voilà si longtemps, si longtemps qu’elles ont fui. Avril
974 en, je n’aime plus vivre. Il y avait encore plus de paix que maintenant. La grande allée sur l’île n’existait pas, en fac
975 s. Il voyait des prairies et des collines basses, de l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel est donc ce sommeil « dans
976 prairies et des collines basses, de l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel est donc ce sommeil « dans la nuit de la v
977 et verte… Quel est donc ce sommeil « dans la nuit de la vie » — et cet aveu mystérieux : « La perfection n’a pas de plaint
978  et cet aveu mystérieux : « La perfection n’a pas de plainte… » Vivait-il encore ? Ce lieu soudain m’angoisse. Mais le gar
979 . Il ne vient pas tant de visiteurs, et seulement de 2 à 4. Une rue étouffée entre des maisons pointues et les contreforts
980 fée entre des maisons pointues et les contreforts de l’Église du Chapitre : je vois s’y engager chaque jour le fou au prof
981 je vois s’y engager chaque jour le fou au profil de vieille femme qui promène doucement dans cette calme Tubingue le secr
982 ène doucement dans cette calme Tubingue le secret d’ une épouvantable mélancolie. Les étudiants le rencontrent, qui montent
983 ui montent au Séminaire protestant : il leur fait de profondes révérences…   La rumeur et le cliquetis d’une grande terras
984 profondes révérences…   La rumeur et le cliquetis d’ une grande terrasse de café au bord du Neckar, sous les marronniers. À
985   La rumeur et le cliquetis d’une grande terrasse de café au bord du Neckar, sous les marronniers. À quatre heures, l’orch
986 ringues charmantes, jazz et clarinette, chansons de mai. Les bateaux qui dérivent dans le voisinage se rapprochent, tourn
987 ime pas les jeunes Doktors à lunettes, en costume de bain, qui pagayent vigoureusement, les dents serrées. « Weg zur Kraft
988 pas bien ramer et qui lisent des magazines au fil de l’onde, au comble des vacances. À la table voisine, des adolescents b
989 lafrés font des signes énergiques à une compagnie de cavaliers qui passe sur le pont devant la statue d’Eberhard-en-Barbe.
990 cavaliers qui passe sur le pont devant la statue d’ Eberhard-en-Barbe. Des bourgeois se rient contre par-dessus leurs chop
991 tout cela existe dans le même monde ? (Il est bon de poser parfois de ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vécu dans
992 dans le même monde ? (Il est bon de poser parfois de ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vécu dans cette ville, tou
993 t seuls… Et puis, il lui est arrivé quelque chose de terrible, où il a perdu son âme. Et puis il n’est revenu qu’un vieux
994 out le monde s’accorde à trouver malsain ce genre de tentatives : cela ne peut que mal finir. Ceux du bon sens hochent la
995 a tête et citent la phrase la plus malencontreuse de Pascal : le « Qui veut faire l’ange… » a autorisé des générations de
996 i veut faire l’ange… » a autorisé des générations de bourgeois cultivés à faire la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la
997 urgeois cultivés à faire la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air de je ne sais que
998 la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air de je ne sais quelle revanche du médiocre
999 âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air de je ne sais quelle revanche du médiocre dont ils se sentent bénéficiai
1000 mme cela on est mieux pour donner le coup de pied de l’âne… Écoutons plutôt Bettina — la vérité est plus humaine, est plus
1001  » Ô cette chambre, où pénètre la facilité atroce de la fin d’un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d
1002 chambre, où pénètre la facilité atroce de la fin d’ un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d’eau… elle
1003 n d’un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d’eau… elle est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un
1004 midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d’ eau… elle est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux soi
1005 urs… Faut-il donc que l’un des deux soit absurde, de ces mondes à mes yeux soudain simultanés ?…   Le tragique de la facil
1006 es à mes yeux soudain simultanés ?…   Le tragique de la facilité, c’est qu’elle n’est qu’un oubli. Et pourtant, comme elle
1007 à beau fixe. Pourquoi troubler le miroir innocent de ces eaux, ces âmes indulgentes à leur banalité ? Est-ce qu’ils ne sou
1008 our leur donne une petite fièvre, — cette semaine de leur jeunesse où ils ont cru pressentir de grandes choses généreuses
1009 emaine de leur jeunesse où ils ont cru pressentir de grandes choses généreuses autour d’eux… Cela s’oublie. Et l’amour, to
1010 ru pressentir de grandes choses généreuses autour d’ eux… Cela s’oublie. Et l’amour, tout justement, nous fait comprendre,
1011 e : déjà je leur échappe — je t’échappe ô douceur de vivre ! Tout redevient autour de moi insuffisant, transitoire, allusi
7 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Petit journal de Souabe
1012 Petit journal de Souabe À la tombée d’une nuit froide, en avril, le voyageur descend
1013 Petit journal de Souabe À la tombée d’ une nuit froide, en avril, le voyageur descend dans un vieux bourg de
1014 en avril, le voyageur descend dans un vieux bourg de Souabe, — quelques lumières au milieu d’une étroite vallée où le trai
1015 re, des forêts. Les rues sont vides jusqu’au cœur de la ville, où l’attend une ample demeure. Et maintenant le chien s’est
1016 le chien s’est tu ; des pas s’éloignent. Un trait de lumière sous la porte disparaît. Il aime sentir autour de lui vivre l
1017 i vivre la grande maisonnée, cet espace cloisonné de murailles respectables, plein de présences et d’absences — la chambre
1018 espace cloisonné de murailles respectables, plein de présences et d’absences — la chambre principale où une lampe arrose l
1019 de murailles respectables, plein de présences et d’ absences — la chambre principale où une lampe arrose la pesante nappe
1020 ssins brodés, des verres, des coudes et des pipes de méditation —, des pièces vides où la Lune avance comme un chat sur le
1021 vers l’ombre il distingue les masses confortables de meubles volumineux, le poêle blanc à chapiteau rococo et ce lit énorm
1022 nfouit comme s’il était le sommeil même. Le bruit de la rivière et de l’écluse proche, — ce sera sa première habitude. 2
1023 était le sommeil même. Le bruit de la rivière et de l’écluse proche, — ce sera sa première habitude. 22 avril 1929 M
1024 argie en cet endroit, avant l’écluse qui la prend de biais sur la droite. Un nageur passe à travers les reflets jaunes, ro
1025 ts, des maisons à façades triangulaires. Couleurs d’ un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets d’arbres ; plus près en
1026 à façades triangulaires. Couleurs d’un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets d’arbres ; plus près encore, des nuages
1027 d’un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets d’ arbres ; plus près encore, des nuages troués de petits poissons. À gau
1028 ts d’arbres ; plus près encore, des nuages troués de petits poissons. À gauche je domine un pesant pont de pierre rougeâtr
1029 etits poissons. À gauche je domine un pesant pont de pierre rougeâtre, trois arches dont les piles s’avancent en éperons.
1030 s le parapet, une petite chapelle bossue, nourrie de poussière depuis le Moyen Âge, propose humblement son anachronisme de
1031 le Moyen Âge, propose humblement son anachronisme de plain-pied avec les passants, les voitures. (Ils l’aiment bien, — ne
1032 etite est jolie, très brune, avec un gros collier de verre bleu… Elle lève les yeux tout droit vers moi, une seconde, parl
1033 ent et s’en vont, et avant de disparaître au coin d’ une maison jaune, se retournent. Ce petit monde enclos par le pont et
1034 vraiment mal ? 24 avril 1929 Les habitants de la maison me paraissent peu nombreux, mais sait-on bien d’où il peut
1035 son me paraissent peu nombreux, mais sait-on bien d’ où il peut en sortir encore — sans compter les fantômes, probables ? L
1036 ation, partage sa vie entre la vente des articles de sport et les joies de l’esprit. Quand le négoce installé au rez-de-ch
1037 entre la vente des articles de sport et les joies de l’esprit. Quand le négoce installé au rez-de-chaussée de sa demeure p
1038 prit. Quand le négoce installé au rez-de-chaussée de sa demeure patricienne souffre par le fait des menées impérialistes d
1039 enne souffre par le fait des menées impérialistes de la France, il cherche une revanche sournoise et désintéressée dans l’
1040 vanche sournoise et désintéressée dans l’activité d’ un jugement qui domine la médiocrité du monde. Le père Reinecke est un
1041 r où il me confiera quelques fragments du « livre de sa vie », dont il compose chaque matin deux pages à la machine. Il y
1042 ages à la machine. Il y juge du monde en général, de la religion, des mœurs, de l’histoire, et de ses voisins en particuli
1043 e du monde en général, de la religion, des mœurs, de l’histoire, et de ses voisins en particulier. La « Gnädige » fait ave
1044 ral, de la religion, des mœurs, de l’histoire, et de ses voisins en particulier. La « Gnädige » fait avec bonne humeur la
1045 r la meilleure cuisine possible au Wurtemberg, et de ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’un quatrain de bienvenue. Elle
1046 emberg, et de ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’ un quatrain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en
1047 ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’un quatrain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en vers. Chacun s
1048 ain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en vers. Chacun son petit talent dans la famille. Le gros Fritz
1049 dans la famille. Le gros Fritz est un blond géant de 25 ans, qui rit avec bonté et se distingue dans les concours de gymna
1050 rit avec bonté et se distingue dans les concours de gymnastes. La domestique a cet air de victime attristée que prennent
1051 es concours de gymnastes. La domestique a cet air de victime attristée que prennent souvent les servantes de la bourgeoisi
1052 time attristée que prennent souvent les servantes de la bourgeoisie. Quant au chien, de l’espèce dite « schnauzer », il mo
1053 les servantes de la bourgeoisie. Quant au chien, de l’espèce dite « schnauzer », il montre un poil de couleur neutre, et
1054 de l’espèce dite « schnauzer », il montre un poil de couleur neutre, et quelque bienveillance lorsqu’il a compris. Est-ce
1055 a compris. Est-ce tout ? Il y a encore l’absence de la fille, élément considérable dans l’atmosphère et dans l’économie d
1056 ière, et les galants qui passent sans avoir l’air de rien sur le pont Saint-Nikolaus sont bien capons de voir à sa fenêtre
1057 rien sur le pont Saint-Nikolaus sont bien capons de voir à sa fenêtre la silhouette de l’Étranger. On a laissé sa photo d
1058 nt bien capons de voir à sa fenêtre la silhouette de l’Étranger. On a laissé sa photo dans ma chambre, « pour que vous aye
1059 s font, pas trop tôt. 28 avril 1929 Ils ont de la peine à comprendre pourquoi je suis venu vivre dans ce bourg, chez
1060 en rond entre les collines, secrète sous un voile de brume bleue, dans une grande paix. Vue de la hauteur, sous un ciel pâ
1061 n voile de brume bleue, dans une grande paix. Vue de la hauteur, sous un ciel pâle avec des nuages blancs qui s’en vont. U
1062 ent froid, mais quelques douceurs aux abris, près d’ une de ces maisons isolées où je ne l’amènerai jamais, à cette heure q
1063 oid, mais quelques douceurs aux abris, près d’une de ces maisons isolées où je ne l’amènerai jamais, à cette heure qui ser
1064 l’amènerai jamais, à cette heure qui serait celle de rentrer chez nous s’asseoir auprès d’un feu… — Mais non. 7 mai 192
1065 erait celle de rentrer chez nous s’asseoir auprès d’ un feu… — Mais non. 7 mai 1929 « J’ai mes brouillards et mon bea
1066 de moi », remarque Pascal, asservi au seul climat de l’âme. Pour moi, c’est ma jeunesse et ma vieillesse que je porte ains
1067 lesse que je porte ainsi tour à tour. Entre l’âge de mes humeurs et le chiffre de mes années, « peu de liaison ». C’est à
1068 à tour. Entre l’âge de mes humeurs et le chiffre de mes années, « peu de liaison ». C’est à l’intimité de mon regard avec
1069 es années, « peu de liaison ». C’est à l’intimité de mon regard avec les choses que je mesure ma jeunesse : dans ces campa
1070 choisissant parfois pour y sommeiller une lisière d’ où l’on voit de lointains horizons, puis de nouveau m’enfonçant au has
1071 fois pour y sommeiller une lisière d’où l’on voit de lointains horizons, puis de nouveau m’enfonçant au hasard dans la for
1072 ère montait vers la cime des arbres, aux lisières d’ une forêt de Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clar
1073 vers la cime des arbres, aux lisières d’une forêt de Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clarté devant le
1074 Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clarté devant le ciel pâli. Tout vivait autour de moi dans une sorte
1075 el pâli. Tout vivait autour de moi dans une sorte d’ ivresse lente et majestueuse, et bientôt je me pris à composer des phr
1076 attant, que poursuis-tu dans le mystère des orées d’ ombre ? » Et l’on me répondait : « Ici, la jeune fille Aurore a surpri
1077 sous la futaie.) J’avançais à travers une nature de divagation. Les lisières sont des lieux de l’esprit où circulent des
1078 nature de divagation. Les lisières sont des lieux de l’esprit où circulent des bêtes nées du rêve. Et l’Archer vierge y co
1079 r vierge y court en vain sur la trace des figures de son désir. (« Oh ! qu’il garde ses flèches, il ne tuerait qu’un songe
1080 dis qu’ici j’écris, je me sens tout baigné encore de cette fièvre amoureuse ; et tout est mythe de nouveau. Mythes de l’om
1081 amoureuse ; et tout est mythe de nouveau. Mythes de l’ombre et des frontières, sortis de la forêt occidentale : je retrou
1082 veau. Mythes de l’ombre et des frontières, sortis de la forêt occidentale : je retrouve en eux mon enfance entourée de pré
1083 dentale : je retrouve en eux mon enfance entourée de présences obscures, mon enfance, cette foi anxieuse en je ne sais que
1084 us là. — J’ai poursuivi longtemps le reflet rouge de ses yeux parmi les troncs qui luisaient, faiblement, vers le cœur pro
1085 e croyais m’enfoncer et me perdre dans le silence d’ une mémoire bienheureuse. 21 mai 1929 Matinées végétales, depuis
1086 e à 7 heures, rassemble quelques papiers, un tome de Meister, un paquet de tabac, le tout dans une couverture sous mon bra
1087 e quelques papiers, un tome de Meister, un paquet de tabac, le tout dans une couverture sous mon bras. La ville s’éveille
1088 brûlantes au matin, dominant la ville, ses bruits de chars, ses cris d’enfants. Je traverse l’odeur des groseilliers, écar
1089 dominant la ville, ses bruits de chars, ses cris d’ enfants. Je traverse l’odeur des groseilliers, écarte des ronces, et v
1090 liers, écarte des ronces, et voici sous une voûte de feuillage, la table de pierre et son banc en demi-cercle. L’air est e
1091 s, et voici sous une voûte de feuillage, la table de pierre et son banc en demi-cercle. L’air est encore humide dans cette
1092 cercle. L’air est encore humide dans cette grotte d’ ombre. Sur le banc froid j’étale ma couverture, et mes papiers sur la
1093 urre une pipe. Et alors je ris, je ris du plaisir de la matinée vide devant moi. Merveille de penser au fil du désordre le
1094 plaisir de la matinée vide devant moi. Merveille de penser au fil du désordre lent de la vie d’un jardin, dans l’odeur de
1095 moi. Merveille de penser au fil du désordre lent de la vie d’un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre n
1096 eille de penser au fil du désordre lent de la vie d’ un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre noire, des
1097 d’un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre noire, des mousses. Des fils d’araignée luisent et des brind
1098 ivantes, de la terre noire, des mousses. Des fils d’ araignée luisent et des brindilles tombent sur mes mains, écorces, che
1099 nt sur mes mains, écorces, chenilles. Une bouffée de pipe enveloppe une guêpe qui rôde autour de ma tête. La volupté de te
1100 une guêpe qui rôde autour de ma tête. La volupté de telles heures consiste à n’écrire que quatre ou cinq phrases mais en
1101 que quatre ou cinq phrases mais en tenant compte de tout ce qui bouge. Il importe de s’arrêter longuement sous tous les p
1102 en tenant compte de tout ce qui bouge. Il importe de s’arrêter longuement sous tous les prétextes, de secouer sa pipe quan
1103 de s’arrêter longuement sous tous les prétextes, de secouer sa pipe quand les dernières bouffées deviennent écœurantes, d
1104 and les dernières bouffées deviennent écœurantes, de s’étirer alors et de considérer les flaques de soleil sur la table. J
1105 ffées deviennent écœurantes, de s’étirer alors et de considérer les flaques de soleil sur la table. Je somnole dans une mé
1106 s, de s’étirer alors et de considérer les flaques de soleil sur la table. Je somnole dans une méditation à la fois distrai
1107 es végétales, ces cheminements brisés et délicats d’ insectes rampants ou volants, ces formes et ces voies qui sont celles
1108 avec tout le mobile et l’ineffable du monde. Cure de sommeil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque
1109 mobile et l’ineffable du monde. Cure de sommeil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi 
1110 ’ineffable du monde. Cure de sommeil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi —, cure vrai
1111 meil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi —, cure vraiment : il s’agit de dissoudre ce
1112 is chaque après-midi —, cure vraiment : il s’agit de dissoudre ces angles droits, ces symétries minérales qu’on instruisit
1113 e répondent, se conviennent et soient signes l’un de l’autre. Dans le bonheur de cette matinée, la pensée s’abandonne à la
1114 et soient signes l’un de l’autre. Dans le bonheur de cette matinée, la pensée s’abandonne à la séduction des ramures, et v
1115 tinguer dans leur dessin des formes particulières de son activité. En même temps elle se peuple d’arbres, de germes lents,
1116 res de son activité. En même temps elle se peuple d’ arbres, de germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à trave
1117 activité. En même temps elle se peuple d’arbres, de germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à travers ce jard
1118 e temps elle se peuple d’arbres, de germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à travers ce jardin éveille en ell
1119 te. Elle fraie des pistes délicates dans l’esprit de qui sait l’entendre, et celui-là peut-être, si plus tard il remonte j
1120 era des choses nouvelles dans l’espace. (Au poète de les nommer.) 22 mai 1929 (Après avoir relu ce que j’écrivais hi
1121 u ce que j’écrivais hier.) Il s’agirait, au fond, d’ amener la pensée à la plus insistante vénération du réel. Tel serait l
1122 tante vénération du réel. Tel serait le fondement d’ une morale des idées « par-delà le logique et l’absurde ». Ah bien ! j
1123 dans la tête et dans la peau toute cette matinée d’ air, l’odeur de l’ombre sous les feuilles, et cette autre odeur de hau
1124 t dans la peau toute cette matinée d’air, l’odeur de l’ombre sous les feuilles, et cette autre odeur de hautes tiges crois
1125 e l’ombre sous les feuilles, et cette autre odeur de hautes tiges croissantes et de fourmis rouges. Dès 9 heures j’ai pu t
1126 cette autre odeur de hautes tiges croissantes et de fourmis rouges. Dès 9 heures j’ai pu travailler en costume de bain. B
1127 ouges. Dès 9 heures j’ai pu travailler en costume de bain. Buffon préférait les manchettes et le jabot. C’est bien l’un de
1128 l’un des auteurs les plus constamment provocants de son siècle, — il faudra s’y remettre. Mais ici je m’adonne aux seuls
1129 s romans modernes.) Le pasteur suédois et le mage d’ Einsiedeln représentent assez bien à eux deux, par un hasard qui ne m’
1130 hasard qui ne m’étonne guère, ce double mouvement de matérialisation du spirituel et d’intellectualisation du physique qui
1131 uble mouvement de matérialisation du spirituel et d’ intellectualisation du physique qui justement m’apparaît comme le thèm
1132 physique qui justement m’apparaît comme le thème de mes songeries souabes. Mettons un peu cela au net. Paracelse s’occupa
1133 Mettons un peu cela au net. Paracelse s’occupait d’ extraire l’ens des corps, tandis que Swedenborg se complaît à décrire
1134 anges. L’un découvre l’univers dans chaque organe de la machine humaine. L’autre enseigne que chacun des anges est un miro
1135 ets que nous touchons, — ce mystique avec naturel de ce qui nous est invisible. Tous deux orientent la réflexion vers le s
1136 vers le symbole concret. N’est-ce point ce genre de démarche que notre « culture » a le plus méprisé ? N’est-ce point à c
1137 nt à cause de ce mépris qu’elle a perdu le secret de l’humain ? Car voici bien le monde qu’on nous a fait. Tout encombré d
1138 ci bien le monde qu’on nous a fait. Tout encombré d’ idées sans corps, de corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si
1139 on nous a fait. Tout encombré d’idées sans corps, de corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout
1140 encombré d’idées sans corps, de corps stupides —  de nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves e
1141 sans corps, de corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves et de systèmes qui
1142 es et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves et de systèmes qui ne correspondent à rien ni dans le ciel ni
1143 urs, si vous voulez —, tout encombré de larves et de systèmes qui ne correspondent à rien ni dans le ciel ni sur la terre.
1144 l’homme ? qu’est-ce donc que ce paradoxal mélange de chair et d’âme ? — Paracelse et Swedenborg s’accorderaient, je le cro
1145 ’est-ce donc que ce paradoxal mélange de chair et d’ âme ? — Paracelse et Swedenborg s’accorderaient, je le crois, pour rép
1146 êtres qui peuplent ces villes, là-bas, que le nom d’ homme ne saurait plus les désigner sans fraude. Un bel assortiment de
1147 plus les désigner sans fraude. Un bel assortiment de monstres ! (J’ai lu le journal après dîner.) Et tous les accessoires
1148 le journal après dîner.) Et tous les accessoires de leurs démences, depuis les petites ailes dans le dos jusqu’au groin a
1149 ’au groin antigaz ! Ah ! Diogène, Diogène ! cesse de chercher un homme. Tâche plutôt d’en devenir un. — Parmi ces gens d’i
1150 iogène ! cesse de chercher un homme. Tâche plutôt d’ en devenir un. — Parmi ces gens d’ici, qui prennent leur temps. Parmi
1151 asser pour abstraites ont au contraire le pouvoir de rendre à nos sens leur efficacité et leur étonnement. Je regarde les
1152 acité et leur étonnement. Je regarde les feuilles de ma salade d’un autre œil, depuis que je lis Paracelse, méditant avec
1153 étonnement. Je regarde les feuilles de ma salade d’ un autre œil, depuis que je lis Paracelse, méditant avec appétit sur c
1154 ieu des correspondances, qui est le degré suprême de la signification. (L’état de l’âme et du corps où tout nous apparaît
1155 est le degré suprême de la signification. (L’état de l’âme et du corps où tout nous apparaît en relations concrètes.) 3
1156 .) 31 mai 1929 Personne n’a fabriqué autant de mots abstraits que les professeurs allemands, et cependant, par une a
1157 pparente contradiction, la mentalité du bourgeois de ce pays est puissamment réaliste. J’en trouve des marques bien curieu
1158 ie » du père Reinecke. Il y est beaucoup question de la vie éternelle, et d’expériences vécues avec l’Ange gardien, mais c
1159 l y est beaucoup question de la vie éternelle, et d’ expériences vécues avec l’Ange gardien, mais c’est toujours en relatio
1160 Mes funérailles devront se dérouler dans le cadre de Jésus-Sirach, 38, versets 16-24. Qu’on mange et qu’on boive ferme apr
1161 lésine pas. Il restera toujours assez, à l’époque de ma mort, pour supporter ces frais ; à tout le moins, les mille marks
1162 tout le moins, les mille marks que paie la Caisse de décès y suffiront. Il faut que chacun des participants s’en retourne
1163 rrement ! » Et de même, ceux qui auront pris soin de moi au moment de ma mort et tôt après devront être largement dédommag
1164 l ne sait si je ne flotterai pas encore au-dessus de vous, et si je n’éprouverai pas de l’amertume à voir que mes derniers
1165 core au-dessus de vous, et si je n’éprouverai pas de l’amertume à voir que mes derniers désirs même ne sont pas accomplis.
1166 owatts. Je veux être mis en bière dans mes habits de tous les jours, et peu importe si les coudes ou le fond de mon pantal
1167 es jours, et peu importe si les coudes ou le fond de mon pantalon brillent. En aucun cas je ne veux être emballé dans une
1168 un cas je ne veux être emballé dans une serviette de papier. Je renonce aux couronnes mortuaires et à toute autre marque e
1169 nes mortuaires et à toute autre marque extérieure de deuil ; par contre je voudrais que l’on joue sur ma tombe : Schon die
1170 uin 1929 Tennis avec la jolie fille au collier de perles bleues. Après la partie, où l’on s’est renvoyé autant de regar
1171 es. Après la partie, où l’on s’est renvoyé autant de regards que de balles : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre
1172 rtie, où l’on s’est renvoyé autant de regards que de balles : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre de mon amie, vo
1173 es : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre de mon amie, vous étiez si melancholisch ! » — « À ma fenêtre ? Je ne m’
1174 ouviens pas », dis-je, mentant. Une grosse averse d’ orage nous a fait fuir sous la tonnelle du vestiaire. « N’est-ce pas,
1175 pense : comme elles sont tout de suite en fuite, de tout leur maintien, quand elles ne sont pas provocantes.) Elle baisse
1176 le baisse les yeux, rougit, respire. Elle a l’air de se moquer de moi et d’avoir subi une sorte d’affront, en même temps.
1177 yeux, rougit, respire. Elle a l’air de se moquer de moi et d’avoir subi une sorte d’affront, en même temps. — « Ne regard
1178 git, respire. Elle a l’air de se moquer de moi et d’ avoir subi une sorte d’affront, en même temps. — « Ne regardez donc pa
1179 air de se moquer de moi et d’avoir subi une sorte d’ affront, en même temps. — « Ne regardez donc pas mes mains, je dois fa
1180 les ongles… » Elle voudrait ressembler aux girls de son magazine, et me voit comme au cinéma. Moi, je crois entendre Gret
1181 qui nous rapproche sous la forme, respectivement, d’ une carte postale et d’une réminiscence littéraire. Ses deux sœurs son
1182 la forme, respectivement, d’une carte postale et d’ une réminiscence littéraire. Ses deux sœurs sont venues la chercher, e
1183 me parapluie, jusqu’à leur petite maison couverte de roses Crimson. Le père est un colonel en retraite qui déteste les Fra
1184 te qui déteste les Franzosen. On ne me permet pas d’ entrer. 11 juin 1929 Au rebours des classiques français, livrés
1185 ndément « populaire ». Non seulement l’aubergiste d’ en face cite ses vers en guise de proverbes à propos du temps ou des a
1186 emps ou des affaires locales ; mais les bourgeois de Meister parlent exactement comme mes hôtes, avec les mêmes tours fami
1187 sentencieux, qu’il s’agisse des choses du ciel ou de l’ordonnance du ménage. Une fois de plus, je m’émerveille du réalisme
1188 ge. Une fois de plus, je m’émerveille du réalisme de ce peuple de rêveurs. Dans les Affinités électives, au moment le plus
1189 de plus, je m’émerveille du réalisme de ce peuple de rêveurs. Dans les Affinités électives, au moment le plus dramatique,
1190 és électives, au moment le plus dramatique, celui de la noyade pendant le feu d’artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va
1191 lus dramatique, celui de la noyade pendant le feu d’ artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va-t-elle apostropher le desti
1192 a noyade pendant le feu d’artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va-t-elle apostropher le destin ou pousser de beaux cris
1193 tesse. Va-t-elle apostropher le destin ou pousser de beaux cris raciniens ? Elle envoie le capitaine au château puis songe
1194 aine au château puis songe qu’il a oublié la clef de l’armoire aux confitures. (Je crois qu’il y a dans cette armoire un c
1195 ndiqué en l’occurrence.) Ainsi vivait l’Allemagne d’ hier — celle de cette province encore — dans l’intimité vivante de ses
1196 urrence.) Ainsi vivait l’Allemagne d’hier — celle de cette province encore — dans l’intimité vivante de ses classiques. De
1197 e cette province encore — dans l’intimité vivante de ses classiques. De là peut-être cette dignité conférée à la vie bourg
1198 core — dans l’intimité vivante de ses classiques. De là peut-être cette dignité conférée à la vie bourgeoise, qui fait un
1199 unesse. Il m’y ramène par un tour moins imprudent de la réflexion, avec ce même « réalisme » exemplaire, que tout, ici, co
1200 it laisser aucun doute, fussions-nous même privés de certains témoignages oraux ou de quelques textes irréfutables. Cepend
1201 nous même privés de certains témoignages oraux ou de quelques textes irréfutables. Cependant il possède à un si haut degré
1202 . Cependant il possède à un si haut degré le sens de l’enrobement des vérités occultes, de leur symbolisme concret, de leu
1203 gré le sens de l’enrobement des vérités occultes, de leur symbolisme concret, de leur incarnation, qu’il est possible de l
1204 des vérités occultes, de leur symbolisme concret, de leur incarnation, qu’il est possible de lire les Affinités « sans y r
1205 concret, de leur incarnation, qu’il est possible de lire les Affinités « sans y rien voir », comme on dit17. Mais lorsqu’
1206 ain — quelle prise ! Et combien j’aime le paysage de cette œuvre, son climat, jusqu’aux détails de l’intendance des domain
1207 age de cette œuvre, son climat, jusqu’aux détails de l’intendance des domaines. Là, toute démarche de la pensée s’accorde
1208 de l’intendance des domaines. Là, toute démarche de la pensée s’accorde à des pentes variées et réelles, aux collines thu
1209 nnes sous un très grand ciel doux. Une atmosphère de réflexion confiante et substantielle… Qu’irai-je demander d’autre à c
1210 n confiante et substantielle… Qu’irai-je demander d’ autre à cette « Germanie aimée18 » ? Ah ! les livres nous avaient bien
1211 s livres nous avaient bien trompés. Pas trace ici de « merveilleux ». Tout ce qui, sous d’autres climats, fait effervescen
1212 rais-je un jour décrire ma Souabe : comme un état de l’âme patiente. Une pensée sensuelle et lente, et qui jouit parfois d
1213 e pensée sensuelle et lente, et qui jouit parfois de son objet… 13 juin 1929 Werther. J’ai mis des feuilles de buva
1214 13 juin 1929 Werther. J’ai mis des feuilles de buvard entre les pages, à cause de toutes ces larmes. Maintenant, par
1215 mes. Maintenant, parlez-moi du modernisme éternel de cette plainte. — Des Werthers aux yeux secs, voilà ce que nous sommes
1216 épassent, et parfois un œil égrillard. Impossible de lire Meister ce soir. Je ne sais pas ce qu’il y a, sinon que je dois
1217 , sinon que je dois retenir violemment une espèce de joie qui attrape la fièvre dans mon corps. Toute cette journée baigné
1218 ièvre dans mon corps. Toute cette journée baignée de l’air des collines, il semble que mon sang ce soir la comprenne et lu
1219 ne maison isolée, la plus secrète dans les arbres de son verger… pour… ? Le sais-je même ? La fille au collier bleu… Tout
1220 Le sais-je même ? La fille au collier bleu… Tout d’ un coup le sommeil me vide les jambes. La nuit se ferme à l’imaginatio
1221 pincer le nerf Réalité avec un sourd gémissement de la pensée. J’ai vu la vie, c’est fini, je rentre en moi ; n’ai pas bo
1222 ai pas bougé. Le père Reinecke ferme son magazine d’ un coup, ôte ses lunettes, me regarde avec des yeux écarquillés. « Mai
1223 voulons aller dormir. Ainsi, dormez bien, faites de doux rêves, — il cligne vers son magazine — pas trop doux, hein !… »
1224 doit être ainsi : parfaitement compréhensible et d’ une vulgarité toute naturelle. Il faut aller dormir. Rose de Tannen
1225 e de Tannenbourg L’esplanade du Brühl, un soir de fête, en juin. Il y a dans les marronniers noirs des lampions et des
1226 les marronniers noirs des lampions et des touffes de gamins qui regardent avec la bouche ce qui se passe à l’intérieur d’u
1227 dent avec la bouche ce qui se passe à l’intérieur d’ une enceinte de toiles tendues au-devant d’un petit théâtre. La rampe
1228 uche ce qui se passe à l’intérieur d’une enceinte de toiles tendues au-devant d’un petit théâtre. La rampe a des feux stel
1229 érieur d’une enceinte de toiles tendues au-devant d’ un petit théâtre. La rampe a des feux stellaires, couleur d’Aldébaran.
1230 théâtre. La rampe a des feux stellaires, couleur d’ Aldébaran. On joue Rose de Tannenbourg, drame en 15 tableaux, un prolo
1231 arton des armures sonne sourdement sous les coups d’ un Kühnrich à la basse rugissante, plus traître que nature avec sa lar
1232 e avec sa large face mangée par une barbe en crin de cheval du diable. L’héroïne est belle comme une ballade de Bürger, ta
1233 du diable. L’héroïne est belle comme une ballade de Bürger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil de la prison pat
1234 omme une ballade de Bürger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil de la prison paternelle, tout en coulant un clin
1235 ger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil de la prison paternelle, tout en coulant un clin d’œil assassin vers le
1236 ant un clin d’œil assassin vers le parterre agité de passions contradictoires. Durant les entractes, une fanfare de paysan
1237 ontradictoires. Durant les entractes, une fanfare de paysans bleu de roi joue sur un rythme impeccable, avec toujours les
1238 Durant les entractes, une fanfare de paysans bleu de roi joue sur un rythme impeccable, avec toujours les mêmes notes fêlé
1239 es fêlées et l’accompagnement dans les feuillages de voix fausses mais aériennes, des chansons du Grand Duché de Bade qui
1240 usses mais aériennes, des chansons du Grand Duché de Bade qui sont ce que je connais de plus indiciblement nostalgique. U
1241 nuit est chaude sur les collines. Un grand verre de bière à l’auberge déserte, ma pipe et mon chien qui bougonne. La peti
1242 ué son collier à mon poignet : « pour que je rêve d’ elle ». Son sérieux enfantin devant la vie. « Es ist doch Schicksal, e
1243 et cela signifie d’ailleurs qu’il n’y a pas lieu de résister. 22 juin 1929 Rencontre avec la jeune fille tzigane. L
1244 rai-je ici comme un rêve ? ou comme quelque chose de bien vrai et qui s’est passé cette nuit ? Plusieurs choses sont douce
1245 ette nuit ? Plusieurs choses sont douces au désir de celui qui marche dans une campagne nocturne. Mais plus douce que tout
1246 toutes choses est la rencontre sous un arbre noir d’ une femme abandonnée dans sa tristesse. Par moments il y a la Lune et
1247 se. Par moments il y a la Lune et le visage blanc de la femme debout contre le tronc. (Pour moi je demeure dans l’ombre.)
1248 les yeux clos. L’arbre, en sa nuit vivante, rêve de nous. Plus tard, nous nous sommes regardés sans fin. (Ah ! comment di
1249 Je reconnus la jeune fille tzigane, ma Rose noire de Tannenbourg. La lumière délirait doucement, au sein du silence et du
1250 egard. Et nous sommes demeurés des heures au-delà de ce que l’on ignore d’un être, dans le domaine sans frontières où l’on
1251 demeurés des heures au-delà de ce que l’on ignore d’ un être, dans le domaine sans frontières où l’on connaît profondément.
1252 tières où l’on connaît profondément. Par les yeux d’ une femme étrangère, mes yeux possédaient sans mesure tout ce que l’an
1253 eux possédaient sans mesure tout ce que l’anxiété de la vie nous dérobe : la nudité, la plénitude et la violence infinimen
1254 nce infiniment comblée. Oui, je sus que l’échange de deux regards est infini, est indéfiniment grandiose et musical. Ainsi
1255 che. Maintenant la journée commence, avec les pas de la servante au corridor.) Début de juillet 1929 Écrivez donc un
1256 vec les pas de la servante au corridor.) Début de juillet 1929 Écrivez donc une nouvelle allemande pleine de myosoti
1257 929 Écrivez donc une nouvelle allemande pleine de myosotis, de Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de c
1258 z donc une nouvelle allemande pleine de myosotis, de Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la
1259 llemande pleine de myosotis, de Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la redingote verte, de j
1260 rard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la redingote verte, de jeunes filles qui jouent du violon
1261 dans la forêt, de chasseur à la redingote verte, de jeunes filles qui jouent du violon dans les champs de myrtille et d’i
1262 eunes filles qui jouent du violon dans les champs de myrtille et d’impératrices qui prient dans des chapelles envahies par
1263 i jouent du violon dans les champs de myrtille et d’ impératrices qui prient dans des chapelles envahies par les sapins. C’
1264 es envahies par les sapins. C’est dans une lettre de l’auteur de la Rose de Thuringe. J’ai répondu : Je ne sais pas si vou
1265 par les sapins. C’est dans une lettre de l’auteur de la Rose de Thuringe. J’ai répondu : Je ne sais pas si vous avez connu
1266 sais pas si vous avez connu ce contentement large de tout l’être devant un verre de vin allemand que l’on boit à petites g
1267 contentement large de tout l’être devant un verre de vin allemand que l’on boit à petites gorgées, entre des bouffées de p
1268 e l’on boit à petites gorgées, entre des bouffées de pipe, à l’auberge. Le charme se compose de voluptés du goût et de l’o
1269 uffées de pipe, à l’auberge. Le charme se compose de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissan
1270 erge. Le charme se compose de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se c
1271 me se compose de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans
1272 de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’ une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans un désir ou d
1273 l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans un désir ou dans un rêve. Le vin de So
1274 e concentre dans un désir ou dans un rêve. Le vin de Souabe grise insensiblement, c’est plutôt qu’une fièvre une jubilatio
1275 onhomique qui commence par le cœur et se contente de ralentir doucement les idées. C’est un attendrissement plein de force
1276 ucement les idées. C’est un attendrissement plein de force et de dignité. Alors si l’on est quelques-uns, on se met à chan
1277 idées. C’est un attendrissement plein de force et de dignité. Alors si l’on est quelques-uns, on se met à chanter des chos
1278 l y a de plus pur dans la nature et toutes sortes de sensualités et de gourmandises qui s’éveillent, en sont comme sanctif
1279 dans la nature et toutes sortes de sensualités et de gourmandises qui s’éveillent, en sont comme sanctifiées. Mais c’est l
1280 , en sont comme sanctifiées. Mais c’est le moment d’ entamer le jambon et les cornichons que dépose sur la table une servan
1281 ueuse des plaisirs des hommes, et peut-être aussi de leurs familiarités. J’étais attablé ce soir-là dans l’Auberge du Cerf
1282 qu’apportent dans leurs démonstrations les chiens de tous les pays). Au bout d’un certain temps, et sans doute à cause de
1283 temps, et sans doute à cause de ce que je venais d’ écrire, la faim me prit et je demandai une paire de saucisses croquant
1284 ’écrire, la faim me prit et je demandai une paire de saucisses croquantes et de la moutarde douce. Le journal local m’avai
1285 je demandai une paire de saucisses croquantes et de la moutarde douce. Le journal local m’avait apporté cette ration de b
1286 ce. Le journal local m’avait apporté cette ration de bouleversements, locaux aussi à leur manière, et très éloignés, qui c
1287 t se poser devant moi. La servante à l’autre coin de la pièce brodait, bâillait, se sentait seule aussi. Ah ! pensai-je — 
1288 j’écris ici, c’était alors une soudaine virulence de ma pensée, un élan contenu de certitude et de tendre lucidité, — je s
1289 soudaine virulence de ma pensée, un élan contenu de certitude et de tendre lucidité, — je sais pourquoi je puis rester da
1290 nce de ma pensée, un élan contenu de certitude et de tendre lucidité, — je sais pourquoi je puis rester dans cette Souabe
1291 15 juillet 1929 Le père Reinecke me félicite de ma bonne mine, résultat selon lui de l’excellente cuisine que nous se
1292 me félicite de ma bonne mine, résultat selon lui de l’excellente cuisine que nous sert la Gnädige. Je n’aurais plus l’air
1293 icitons l’hôtesse. Au reste il s’agit bel et bien d’ une question de nourriture, — la question fondamentale, et non point s
1294 se. Au reste il s’agit bel et bien d’une question de nourriture, — la question fondamentale, et non point seulement pour l
1295 e corps. J’ai pensé aux gens des villes, au décor de leur « vie ». J’ai vu clairement qu’ils sont en péril d’inanition spi
1296 « vie ». J’ai vu clairement qu’ils sont en péril d’ inanition spirituelle. Ils ne dorment plus assez pour se rendre compte
1297 . Ils ne dorment plus assez pour se rendre compte de la décadence de leurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’
1298 plus assez pour se rendre compte de la décadence de leurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’alarme —, et l’a
1299 eurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’ alarme —, et l’amour qu’ils essaient encore le samedi soir n’est plus
1300 corps dans l’onde apaisée du souvenir. Sois riche d’ avoir ce que tu es, comme ils sont pauvres de n’avoir que ce qu’ils on
1301 iche d’avoir ce que tu es, comme ils sont pauvres de n’avoir que ce qu’ils ont. 19 juillet 1929 Ces mois de Souabe m
1302 que ce qu’ils ont. 19 juillet 1929 Ces mois de Souabe m’apparaissent de plus en plus comme une retraite sensuelle. N
1303 plus comme une retraite sensuelle. N’est-ce point de cela que l’homme des villes a besoin de nos jours ? On parle toujours
1304 -ce point de cela que l’homme des villes a besoin de nos jours ? On parle toujours de son appétit du plaisir. C’est un cli
1305 villes a besoin de nos jours ? On parle toujours de son appétit du plaisir. C’est un cliché d’un autre âge, et trompeur.
1306 ujours de son appétit du plaisir. C’est un cliché d’ un autre âge, et trompeur. Car l’argent n’est pas le plaisir et ne s’o
1307 humaine et sans but divin. C’est pourquoi l’usage d’ une sensualité consciente redevient une conquête de la sagesse. Fin
1308 ’une sensualité consciente redevient une conquête de la sagesse. Fin juillet 1929 Promenades sous la pluie, à la tom
1309 es désirs qu’auparavant il dédiait à quelque amie de haut parage spirituel. Le corps même y trouve sa part, car l’inventio
1310 s en conversant avec les pensées et les êtres nés de la marche et du bonheur de respirer. Combien j’aime ces ciels bas et
1311 nsées et les êtres nés de la marche et du bonheur de respirer. Combien j’aime ces ciels bas et traînants. Le beau temps n’
1312 ’il figure le contraire du « mauvais ». Les jours de pluie dans les campagnes ont un charme consolant et secret qui favori
1313 e intérieure. Longues randonnées sur les plateaux de la Souabe, vous resterez pour moi comme une introduction à la vie len
1314 us grands spectacles naturels sont des spectacles de lenteur ou d’immobilité dans le mouvement. Et c’est par là qu’ils par
1315 tacles naturels sont des spectacles de lenteur ou d’ immobilité dans le mouvement. Et c’est par là qu’ils parlent à notre â
1316 9 Vraiment la rapidité ne saurait être le fait d’ un esprit incarné, mais seulement de son imagination pervertie. Les ef
1317 être le fait d’un esprit incarné, mais seulement de son imagination pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine de l
1318 eulement de son imagination pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber
1319 pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber. Dès que l’esprit entre da
1320 nt du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber. Dès que l’esprit entre dans le jeu, il provoque des lenteurs
1321 s le jeu, il provoque des lenteurs et des retards d’ où naissent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mai
1322 retards d’où naissent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’
1323 ssent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’abord à les combl
1324 t la conscience. De là des pertes de temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’abord à les combler et qui toujou
1325 les combler et qui toujours dépassent le but. Et de la sorte, une ère de vitesse est une ère où la matière l’emporte. Pro
1326 oujours dépassent le but. Et de la sorte, une ère de vitesse est une ère où la matière l’emporte. Provisoirement ; car il
1327 ’emporte. Provisoirement ; car il se produit ceci d’ étrange que la matière à certaines très grandes vitesses commence de s
1328 atière à certaines très grandes vitesses commence de se spiritualiser. À la vitesse suprême, elle s’évanouit en lumière. C
1329 e. C’est ainsi que dans le monde spirituel, l’ère de la vitesse préparerait l’ère des Illuminés… L’extrême tension de l’es
1330 réparerait l’ère des Illuminés… L’extrême tension de l’esprit peut aboutir à des matérialisations, cependant que l’extrême
1331 matérialisations, cependant que l’extrême tension de la matière explose en subtilité. Double mouvement dont l’axe se nomme
1332 n doit arriver vers 8 heures, J’ai d’abord essayé de me confiner dans cette petite édition cartonnée d’Andersen, mais sans
1333 e me confiner dans cette petite édition cartonnée d’ Andersen, mais sans cesse des hommes entrent, cherchent une place, ouv
1334 moment. Ce train paraît destiné à la réquisition de l’élément minable des populations qu’il traverse. À chaque station no
1335 se. À chaque station nous débarquons un peu moins de paysans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ouvriers, cas
1336 tation nous débarquons un peu moins de paysans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ouvriers, casquettes et bou
1337 ans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ ouvriers, casquettes et bouts de cigares. Des ouvrières aussi, au rega
1338 quons un peu plus d’ouvriers, casquettes et bouts de cigares. Des ouvrières aussi, au regard irrité. Deux d’entre elles on
1339 u regard irrité. Deux d’entre elles ont fait mine de s’asseoir, en face et à côté de moi, mais je n’ai pas retiré ma valis
1340 se sont assises plus loin en maugréant. La misère de tous ces regards me paralyse. Comment répondre à leur hostilité, comm
1341 accueillir avec un cœur viril et bon le spectacle de ces corps amaigris, énervés ? Un cœur viril et bon comme celui d’Ande
1342 igris, énervés ? Un cœur viril et bon comme celui d’ Andersen, un tel cœur ne se fermerait pas devant la haine qui sourd de
1343 œur ne se fermerait pas devant la haine qui sourd de tant d’anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage cont
1344 e fermerait pas devant la haine qui sourd de tant d’ anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage contre leurs
1345 d’anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage contre leurs vêtements et leur casquette, me prouver que vraim
1346 asquette, me prouver que vraiment je n’aurais pas d’ envie… Nouvel arrêt. Mais cette fois c’est une fée qui monte, une gran
1347 de jeune fille nette aux yeux bleu-vert, au teint de princesse d’Andersen. Oh ! qu’elle vienne s’asseoir ici ! Mais je n’o
1348 op choisir, ni surtout me choisir, — va s’asseoir de l’autre côté du couloir, tout au bord d’une banquette. Mais je la voi
1349 ant moi. J’ai honte. Comme nous sommes incapables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous te
1350 nte. Comme nous sommes incapables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous tenions pour nulle
1351 capables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous tenions pour nulles. Si j’étais vraiment li
1352 athie ?… Les hommes parlent une langue brusque et de mauvaise humeur, les yeux mornes ou trop brillants ; ou lisent des fe
1353 interminablement, crache sa fumée dans des gares de banlieue qui ne sont plus fleuries. Il règne dans ce wagon un malaise
1354 auvre interrogation des visages devant l’atrocité de notre vie sociale ! Je baisse les yeux sur mon livre. Et la foule men
1355 Et la foule menaçante se pressait autour du char de la princesse qu’on menait au bûcher. Alors vinrent d’un seul vol onze
1356 a princesse qu’on menait au bûcher. Alors vinrent d’ un seul vol onze grands cygnes blancs. Ils se posèrent autour d’elle e
1357 onze grands cygnes blancs. Ils se posèrent autour d’ elle et battirent de leurs grandes ailes. Et le peuple effrayé recula.
1358 lancs. Ils se posèrent autour d’elle et battirent de leurs grandes ailes. Et le peuple effrayé recula. » Mais la princesse
1359 ula. » Mais la princesse jette sur eux les cottes d’ orties qu’elle tissait de ses mains, et voici onze princes qui se tien
1360 jette sur eux les cottes d’orties qu’elle tissait de ses mains, et voici onze princes qui se tiennent autour d’elle. « Ell
1361 ins, et voici onze princes qui se tiennent autour d’ elle. « Elle est innocente ! » s’écrient-ils, et le peuple s’agenouill
1362 res racontait tout ce qui était arrivé, un parfum de millions de roses se répandit dans les airs, tandis qu’au sommet du b
1363 t tout ce qui était arrivé, un parfum de millions de roses se répandit dans les airs, tandis qu’au sommet du bûcher parais
1364 vitre sale, retenir des larmes ? Un soudain excès de l’amour s’est libéré dans tout mon être et s’élance vers ces vies pro
1365 ’ai compris que la grandeur du cœur humain, c’est de donner sans mesure un amour dont notre vie, peut-être, n’a que faire.
1366 t notre vie, peut-être, n’a que faire. ⁂ Le reste de la vie, c’est toujours entre deux voyages d’Allemagne. On peut s’épre
1367 este de la vie, c’est toujours entre deux voyages d’ Allemagne. On peut s’éprendre d’une telle absence, qui vient au lieu d
1368 ntre deux voyages d’Allemagne. On peut s’éprendre d’ une telle absence, qui vient au lieu d’un temps étrange et plus pesant
1369 us pesant que nulle part. Me voici tout environné de ville. Où trouver ici la lenteur des choses ? Où le désir peut-il err
1370 reux du mystère, dans la puissante circonspection de l’attente ? Ô journées souabes, répandues dans la fraîcheur et l’âcre
1371 ma vie ! Encore un peu, qu’on me laisse au regret de vos paysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir
1372 n peu, qu’on me laisse au regret de vos paysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir quittées pour ce
1373 ysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir quittées pour cette ville à présent sans relâche, où les o
1374 e à présent sans relâche, où les orages n’ont pas d’ odeur, terrains morts où l’on n’a plus peur d’un arbre immense, ni des
1375 pas d’odeur, terrains morts où l’on n’a plus peur d’ un arbre immense, ni des femmes, mais de soi-même, sourdement, dans l’
1376 plus peur d’un arbre immense, ni des femmes, mais de soi-même, sourdement, dans l’insomnie du petit jour populeux… (avril-
1377 rg, puisque leur tentation, leur nostalgie, c’est de revêtir un corps humain. 17. Tel fut bien, d’ailleurs, son dessein,
1378 ar Biedermann). 18. Comme dit l’A. O. Barnabooth de M. Valery-Larbaud.
8 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Châteaux en Prusse
1379 ciel paraissait plus grand que la terre. Des bois de pins s’approchaient, s’écartaient, livrant passage à la chaussée impé
1380 portées blanches sur les ondulations sablonneuses de la plaine. Des prairies doucement soulevées s’arrêtaient au bord du c
1381 ciel, devant la lumière maritime ; puis cédaient de l’épaule et l’on voyait le golfe violacé écumer sous la masse du sole
1382 , nous fit front, et il n’y eut plus qu’une piste de terre entre les sapins noirs, la rumeur du rivage et du soleil derriè
1383 e et du soleil derrière nous décroissant, tumulte d’ un matin d’été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeu
1384 eil derrière nous décroissant, tumulte d’un matin d’ été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la fo
1385 multe d’un matin d’été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la forêt, et le moteur halète au ralen
1386 ant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la forêt, et le moteur halète au ralenti, dans la fraîcheur sobre. L’
1387 e enfin du long voyage nocturne, les yeux cessent de cligner, le corps se détend. Là devant, un chauffeur immobile guette
1388 fois avec un cahot mou. Le silence grandit ; cris de pics, vibration basse des cylindres. On voit paraître de plus hauts a
1389 et bientôt un vaste portail, aux piles couronnées de grands cerfs de bronze. La piste se fait plane, la forêt s’ordonne. É
1390 ste portail, aux piles couronnées de grands cerfs de bronze. La piste se fait plane, la forêt s’ordonne. Échappée sur des
1391 forêt s’ordonne. Échappée sur des étangs couverts de mousse jaune. (Tout à fait réveillé et attentif, maintenant.) Jardin
1392 piquées au loin de massifs éclatants, le gravier d’ une allée fait son bruit luxueux, tout s’éclaire, nous y sommes : cent
1393 s : cent fenêtres, sur la gauche, dans une façade de grès Louis XV. Nous la longeons, nous montons une rampe pavée qui s’e
1394 sous un porche couvert aux colonnes enguirlandées de roses. Toute une famille de géants, debout sur un seuil solennel, me
1395 olonnes enguirlandées de roses. Toute une famille de géants, debout sur un seuil solennel, me regarde piquer du nez à l’ar
1396 lus ancien, mais le dernier « burgrave et comte » de la Prusse-Orientale. Journées À huit heures, tout le monde se ré
1397 nce dans la grande salle du château. Une douzaine de domestiques, homme et femmes, pénètrent par le fond, s’alignent debou
1398 e. Puis on chante et ce sont parfois des strophes de Novalis, des mélodies de Bach. Après le Notre Père, chacun s’en va, s
1399 ont parfois des strophes de Novalis, des mélodies de Bach. Après le Notre Père, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le r
1400 ch. Après le Notre Père, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le reste de la matinée se passe à cheval au bord de la mer.
1401 e, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le reste de la matinée se passe à cheval au bord de la mer. Jeux du rivage : sur
1402 dunes éblouissantes, autour du « Haff »19 coloré de traînées d’algues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de no
1403 issantes, autour du « Haff »19 coloré de traînées d’ algues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de nos bras, et n
1404 ues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de nos bras, et nous les poursuivons, le long des grèves, dans les blés.
1405 le long des grèves, dans les blés. Midi. Au haut de l’escalier monumental — une armature de fer forgé supportant des marc
1406 . Au haut de l’escalier monumental — une armature de fer forgé supportant des marches de marbre —, un cortège se forme. La
1407  une armature de fer forgé supportant des marches de marbre —, un cortège se forme. La porte de la salle à manger s’ouvre
1408 arches de marbre —, un cortège se forme. La porte de la salle à manger s’ouvre à deux battants et le comte entre le premie
1409 tre la sienne : car à peine arrivé il crie le nom d’ un des enfants et celui-ci récite une courte prière, durant laquelle i
1410 te prière, durant laquelle il n’est plus question de bouger. La table immense est chargée des produits du domaine. On boit
1411 un peu de bière, mais surtout du lait froid dans de grands verres : il n’est pas de boisson plus rafraîchissante, ni qui
1412 u lait froid dans de grands verres : il n’est pas de boisson plus rafraîchissante, ni qui se marie mieux avec le goût du c
1413 tes, à travers la forêt —, nous gagnons la maison de l’inspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse de pierre parmi
1414 agnons la maison de l’inspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes de brique au toit de c
1415 nspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes de brique au toit de chaume. Un appel : l’ins
1416 de loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes de brique au toit de chaume. Un appel : l’inspecteur paraît sur son seui
1417 isse de pierre parmi les fermes de brique au toit de chaume. Un appel : l’inspecteur paraît sur son seuil au garde à vous,
1418 uipes très nombreuses, à grand renfort de chevaux de trait, car la nature marécageuse du sol rend les transports malaisés.
1419 t qui rôde autour de la faisanderie. Les couchers de soleil à cette saison se prolongent jusque vers onze heures, en des j
1420 es ondulations des terres. À l’horizon, des ailes de moulin tournent, ou scintille une mer dorée. Tout impose un silence h
1421 t à 40 km, plus loin vers la Russie, dans un pays de lacs, de forêts maigres et de pâturages, à perte de vue. Nous sommes
1422 , plus loin vers la Russie, dans un pays de lacs, de forêts maigres et de pâturages, à perte de vue. Nous sommes pour troi
1423 ussie, dans un pays de lacs, de forêts maigres et de pâturages, à perte de vue. Nous sommes pour trois jours, les hôtes d’
1424 e de vue. Nous sommes pour trois jours, les hôtes d’ une immense demeure en briques roses et jaunes, entourée de prairies a
1425 ense demeure en briques roses et jaunes, entourée de prairies aux bosquets vaporeux. Des parterres de fleurs descendent ju
1426 de prairies aux bosquets vaporeux. Des parterres de fleurs descendent jusqu’à la rivière immobile, élargie en un lac sinu
1427 sage peint à l’aquarelle. Le château, salmigondis de styles, résume, si l’on peut dire, une enquête que poursuivit son con
1428 structeur parmi toutes les demeures seigneuriales d’ Europe, aux fins de réunir les éléments les plus confortables des dive
1429 . Voilà sans doute la figuration la plus concrète de l’égarement des esprits au siècle dernier. Qui dit style d’abord dit
1430 er. Qui dit style d’abord dit sacrifice à une vue de l’esprit. Qui dit confort d’abord dit refus de tout style. Cette mais
1431 ue de l’esprit. Qui dit confort d’abord dit refus de tout style. Cette maison qui offre les commodités du plus luxueux hom
1432 lus à la page que chez mes burgraves. Les maîtres de lieu sourient un peu de « ceux de W. qui ne boivent que du lait ». Et
1433 es. Les maîtres de lieu sourient un peu de « ceux de W. qui ne boivent que du lait ». Et nous servent du thé bouillant où
1434 s servent du thé bouillant où nagent des morceaux de glace. À ces détails près, le même train de vie bottée. Les écuries r
1435 ceaux de glace. À ces détails près, le même train de vie bottée. Les écuries résonnent sous les coups de pied des étalons
1436 ries résonnent sous les coups de pied des étalons de course, géants aux longs fessiers noirs luisants. Sur la plaine éblou
1437 isants. Sur la plaine éblouissante, des troupeaux de chevaux pâturent en liberté. Le meuglement des bœufs ne s’apaise pas
1438 fs ne s’apaise pas sous le soleil et nous entoure d’ une rumeur animale tenace comme toutes ces odeurs de la terre, des her
1439 une rumeur animale tenace comme toutes ces odeurs de la terre, des herbes et des bêtes. Parfois souffle le vent marin ; et
1440 ais on ne voit pas la mer.   Dans la bibliothèque de Waldburg, qui sent encore le cuir, la chasse, j’ai trouvé tous les cl
1441 . Même, un petit Voltaire dépareillé, « ex-libris de la Malmaison ». (Une négligence sans doute, on l’aura retrouvé dans l
1442 ce sans doute, on l’aura retrouvé dans les poches d’ un uniforme au retour de la campagne de France.) Les mémoires, en fran
1443 retrouvé dans les poches d’un uniforme au retour de la campagne de France.) Les mémoires, en français, d’un des burgraves
1444 les poches d’un uniforme au retour de la campagne de France.) Les mémoires, en français, d’un des burgraves zu D. qui fut
1445 a campagne de France.) Les mémoires, en français, d’ un des burgraves zu D. qui fut gouverneur d’Orange, et eut pour précep
1446 çais, d’un des burgraves zu D. qui fut gouverneur d’ Orange, et eut pour précepteur Pierre Bayle en personne, dont il se mo
1447 onvient. Ensuite, tout Schleiermacher, un protégé de la famille. Mais à partir de cette date, il n’y a plus que les Gothas
1448 rler nos pédagogues. Mais elle s’unit à un régime de responsabilités concrètes qui sauvegarde l’initiative personnelle plu
1449 isque et la violence physiques jouent dans la vie de chaque jour leur rôle naturel et tonique. On lâche les garçons à chev
1450 des poulains à dresser — et ce n’est pas commode de se trouver devant une bête en liberté qu’on doit saisir d’abord, puis
1451 ts, des décisions pratiques, tout l’apprentissage de la conduite des hommes, des animaux et des éléments naturels. Pour no
1452 Pour nous, nous développons un sens plutôt fictif de la responsabilité. Nous développons au vrai un hamlétisme. Notre prép
1453 ai un hamlétisme. Notre préparation à l’autonomie de l’individu demeure théorique, et son application est indéfiniment ret
1454 et par toute notre ambiance éducatrice, un organe de l’autonomie qui ne trouve nulle part où s’exercer : d’où les conflits
1455 autonomie qui ne trouve nulle part où s’exercer : d’ où les conflits purement « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà
1456 ment « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà de nos adolescences. Jeux des enfants prussiens : s’asseoir à six ou sep
1457 rminablement à table. — Cruauté franche est signe de santé.   Tacite prétend que l’élan est un animal aux jambes dépourvue
1458 nd que l’élan est un animal aux jambes dépourvues d’ articulations, en sorte qu’il ne peut se coucher et doit dormir appuyé
1459 bête se trouve sans défense. Tacite n’a jamais vu d’ élan. Ces animaux d’allure fantastique déambulent à la tombée de la nu
1460 défense. Tacite n’a jamais vu d’élan. Ces animaux d’ allure fantastique déambulent à la tombée de la nuit dans les clairièr
1461 imaux d’allure fantastique déambulent à la tombée de la nuit dans les clairières, comme des arbres qui se mettraient en ma
1462 membres ne se déboîtent. On a vu des élans gagner de vitesse les automobiles le long de la chaussée de Königsberg. Combie
1463 de vitesse les automobiles le long de la chaussée de Königsberg. Combien j’aimais ces randonnées interminables dans les f
1464 mais ces randonnées interminables dans les forêts de chasse : on allait deux à deux, l’arme en ballant, durant des heures
1465 it pas effrayer le gibier sensible au moindre son de voix humaine. (Tout cela c’était pour préparer quelque battue prochai
1466 ils trouvent leur plaisir dans ces longs mutismes de guetteurs, dont on ressort ivre et comme possédé par les génies du mo
1467 par les génies du monde végétal. Il y a une sorte de violence aussi dans ces bains de silence forestier. Qui peut en calcu
1468 Il y a une sorte de violence aussi dans ces bains de silence forestier. Qui peut en calculer le bienfait d’énergie ? Les j
1469 lence forestier. Qui peut en calculer le bienfait d’ énergie ? Les journées, même de vacances, baignent ici dans une atmosp
1470 lculer le bienfait d’énergie ? Les journées, même de vacances, baignent ici dans une atmosphère goethéenne d’utilité, — au
1471 nces, baignent ici dans une atmosphère goethéenne d’ utilité, — au sens élevé et civilisateur du terme. La notion moderne d
1472 élevé et civilisateur du terme. La notion moderne de superflu, qui donne aux plaisirs mondains l’aspect absurde que nous l
1473 ent dans une activité qui tire son unité foncière de la nature même des choses. Le rythme perpétuellement syncopé du trav
1474 défendrai pas les junkers… J’entends les gens de villes : « Ça ne doit pas être bien drôle à la longue ! » Avec cela q
1475 amusent tant ! La neurasthénie n’est-elle pas une de vos inventions ? Et toute votre littérature est occupée à décrire vos
1476 vos satiétés, quand elle ne se met pas au service d’ un régime de surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle c
1477 , quand elle ne se met pas au service d’un régime de surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle constitue la
1478 un régime de surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle constitue la publicité. Mais il s’agit bien de plaisi
1479 elle constitue la publicité. Mais il s’agit bien de plaisirs ! Il s’agirait plutôt du seul plaisir de vivre. Que demander
1480 de plaisirs ! Il s’agirait plutôt du seul plaisir de vivre. Que demander à un milieu social ? Qu’il vous laisse la franchi
1481 naïvement qu’ailleurs. On ne vous cache pas, pour de ténébreuses habiletés salonnardes, l’intérêt et la sympathie qu’on a
1482 e qu’on a pour vous, ou qu’on n’a pas. Nulle gêne d’ aucune sorte. Le confort véritable de vivre, comment le concevoir aill
1483 . Nulle gêne d’aucune sorte. Le confort véritable de vivre, comment le concevoir ailleurs qu’au sein d’une nature qui, san
1484 urs qu’au sein d’une nature qui, sans cesse exige de l’homme la maîtrise et le déploiement de ses instincts ? Ici, pas d’a
1485 se exige de l’homme la maîtrise et le déploiement de ses instincts ? Ici, pas d’autres empêchements que ceux-là justement
1486 ments que ceux-là justement qui donnent sa raison d’ être au labeur des journées. Nous voici délivrés de la grande bourgeoi
1487 ’être au labeur des journées. Nous voici délivrés de la grande bourgeoisie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir.
1488 es. Nous voici délivrés de la grande bourgeoisie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir. De ces gens grossièrement
1489 ie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir. De ces gens grossièrement distingués qui ne vous ont pas vu, qui détourn
1490 détournent la tête avec une expression méprisable de gêne et de morgue. Et dire que ce sont ces gens-là — cette tourbe — q
1491 la tête avec une expression méprisable de gêne et de morgue. Et dire que ce sont ces gens-là — cette tourbe — qui se perme
1492 nt ces gens-là — cette tourbe — qui se permettent de juger la noblesse terrienne. Dire que ce sont ces bourgeois-là, basse
1493 ue ce sont ces bourgeois-là, bassement incapables de brutalité ou d’orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités mor
1494 ourgeois-là, bassement incapables de brutalité ou d’ orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités morales et de provo
1495 lité ou d’orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités morales et de provocantes civilités, qui viennent vous dire,
1496 iques, en revanche hérissés de vanités morales et de provocantes civilités, qui viennent vous dire, entre deux bridges, qu
1497 modés. Bien joli quand ils ne leur reprochent pas d’ ignorer Proust. Mais quoi, je ne défendrai pas les junkers, — dont le
1498 qu’elle désigne. Un tel milieu ne sollicite guère de l’étranger je ne sais quelle admiration sentimentale ou esthétique. Q
1499 tion sentimentale ou esthétique. Que feraient-ils de mes éloges, même sincères ? Ils n’ont jamais mis en question la néces
1500 s ? Ils n’ont jamais mis en question la nécessité de leur genre de vie, et verraient une sorte d’inconvenance dans l’appro
1501 jamais mis en question la nécessité de leur genre de vie, et verraient une sorte d’inconvenance dans l’approbation que je
1502 sité de leur genre de vie, et verraient une sorte d’ inconvenance dans l’approbation que je pourrais leur en témoigner. Bon
1503 s des villes, toujours inquiets, toujours doutant de leurs raisons d’êtres et de leur actualité, de quêter chez autrui des
1504 jours inquiets, toujours doutant de leurs raisons d’ êtres et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, d
1505 ets, toujours doutant de leurs raisons d’êtres et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, des flatteri
1506 nt de leurs raisons d’êtres et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, des flatteries, toutes choses q
1507 ries, toutes choses qui impliquent la possibilité d’ un doute. Il n’y a d’aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de
1508 ui impliquent la possibilité d’un doute. Il n’y a d’ aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de droit divin, c’est e
1509 d’aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de droit divin, c’est encore à dire : du droit des choses telles que Die
1510 choses telles que Dieu les a créées. Aristocratie de l’être et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste d
1511 que Dieu les a créées. Aristocratie de l’être et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste de l’Europe bo
1512 es. Aristocratie de l’être et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste de l’Europe bourgeoise fait nouvea
1513 nction, non de la considération. Et tout le reste de l’Europe bourgeoise fait nouveau riche, en regard de cette seule clas
1514   Non, je ne peux rien voir dans la « féodalité » de ces junkers, qui soit plus répugnant pour notre humanité que tant de
1515 ains » peu contestables : des rapports personnels de maître à serviteur, des rapports personnels de l’homme à la nature so
1516 ls de maître à serviteur, des rapports personnels de l’homme à la nature sous toutes ses formes, animales, végétales, dome
1517 e croiser dans la rue sans se connaître un patron d’ usine et l’un de ses mécanos. Ou encore, quand le patron salue avec ce
1518 a rue sans se connaître un patron d’usine et l’un de ses mécanos. Ou encore, quand le patron salue avec ce mélange de haut
1519 Ou encore, quand le patron salue avec ce mélange de hauteur, de méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mél
1520 quand le patron salue avec ce mélange de hauteur, de méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crai
1521 salue avec ce mélange de hauteur, de méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crainte, de colère
1522 de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crainte, de colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pa
1523 el répond chez l’inférieur un mélange de crainte, de colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pas scandalisé
1524 z l’inférieur un mélange de crainte, de colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pas scandalisé quand le bur
1525 le ? La question me paraît, au concret, dépourvue de sens. Mais au nom de la dignité humaine, je demande que les journalis
1526 humaine, je demande que les journalistes cessent de déverser sur une classe qu’ils ne peuvent connaître une haine convent
1527 nçaient récemment encore, dans un grand quotidien de Paris, ces junkers qui, d’après eux, constituent la fraction d’humani
1528 junkers qui, d’après eux, constituent la fraction d’ humanité la plus dangereuse pour la paix du monde. Quoi ! cette centai
1529 euse pour la paix du monde. Quoi ! cette centaine de familles écartées du pouvoir dans leur propre patrie depuis la chute
1530 u pouvoir dans leur propre patrie depuis la chute de Bismarck, coupées de tous liens politiques avec une Europe bourgeoise
1531 ropre patrie depuis la chute de Bismarck, coupées de tous liens politiques avec une Europe bourgeoise, résignée à laisser
1532 te race désarmée qui ne subsiste que par la force d’ une vertu sans égale, sans espoir —, péril pour le monde ! Fable énorm
1533 Fable énorme et qui étonne de la part d’écrivains d’ ordinaire consciencieux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant
1534 d’écrivains d’ordinaire consciencieux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant d’argent aux propriétaires de la pres
1535 ux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant d’ argent aux propriétaires de la presse qui publie ces articles, me para
1536 qui rapportèrent tant d’argent aux propriétaires de la presse qui publie ces articles, me paraissaient en ce temps-là plu
1537 ient en ce temps-là plus inquiétants que le fusil de chasse de mes hôtes prussiens. Et puis, allez donc voir un peu dans l
1538 temps-là plus inquiétants que le fusil de chasse de mes hôtes prussiens. Et puis, allez donc voir un peu dans les cryptes
1539 êtes qui vous entoureront. Personne, croyez-m’en, de la race des cavaliers. Quant à savoir si cette classe justifie sa fon
1540 llectuels, les ouvriers, les exploités ont besoin de tels mythes. Mais au regard de la nature, cela n’a point de sens. Ou
1541 thes. Mais au regard de la nature, cela n’a point de sens. Ou bien alors : cela désigne une nouvelle répartition des terre
1542 ure du sol résoudra seule durablement. Les landes de la Prusse-Orientale sont très irrégulièrement fertiles ; seules les g
1543 les grandes entreprises « tiennent le coup » lors d’ une inondation ou d’une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres d
1544 ses « tiennent le coup » lors d’une inondation ou d’ une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres de Waldburg un villag
1545 ’une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres de Waldburg un village que le burgrave a de son propre chef « libéré ».
1546 s terres de Waldburg un village que le burgrave a de son propre chef « libéré ». C’est de tous le plus misérable. Le morce
1547 e burgrave a de son propre chef « libéré ». C’est de tous le plus misérable. Le morcellement des terres, le stade démocrat
1548 us visiblement qu’ailleurs une utopie. Impossible de passer du latifundium au pavillon de banlieue. Au « majorat » succéde
1549 . Impossible de passer du latifundium au pavillon de banlieue. Au « majorat » succédera sans doute un organisme du type de
1550 nés par la guerre, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus de monnaie : cela n’a rien changé à l’organisme de leur vie sociale. Ils
1551 s de monnaie : cela n’a rien changé à l’organisme de leur vie sociale. Ils vivent en paysans, de leurs produits. Ils conso
1552 nisme de leur vie sociale. Ils vivent en paysans, de leurs produits. Ils consomment fort peu d’idéologies importées. Les c
1553 ysans, de leurs produits. Ils consomment fort peu d’ idéologies importées. Les cadets de famille, ceux qu’on envoyait à l’a
1554 mment fort peu d’idéologies importées. Les cadets de famille, ceux qu’on envoyait à l’armée, font parfois de la politique 
1555 ille, ceux qu’on envoyait à l’armée, font parfois de la politique : Hitler les flatte mais ne vainc pas souvent leurs méfi
1556 ces. Certains se sont faits communistes, par goût de l’énergie peut-être. J’ai vu des membres d’un parti national-marxiste
1557 goût de l’énergie peut-être. J’ai vu des membres d’ un parti national-marxiste dont le rêve est de restaurer la Prusse du
1558 res d’un parti national-marxiste dont le rêve est de restaurer la Prusse du grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Rac
1559 urer la Prusse du grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Race de colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe d
1560 u grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Race de colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe depuis des siècle
1561 … Race de colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe depuis des siècles, mais séculairement menacés par l’Asie :
1562 ils lui résistent par leur pauvreté. Les magnats de Hongrie sont déjà des pachas, et l’Occident ne peut rien en attendre,
1563 l’Occident ne peut rien en attendre, qu’un corps de janissaires tout au plus. Mais ces hommes durs, silencieux, et sains
1564 e redoute encore, mais qui forge sa loi au secret de son désespoir… Bastions de l’Occident ? — Duquel ? Ou bien race liée
1565 forge sa loi au secret de son désespoir… Bastions de l’Occident ? — Duquel ? Ou bien race liée au seul goût de sa puissanc
1566 ident ? — Duquel ? Ou bien race liée au seul goût de sa puissance ? Il y a plus qu’un passé d’héroïsme dans ces châteaux p
1567 ul goût de sa puissance ? Il y a plus qu’un passé d’ héroïsme dans ces châteaux perdus, dans ce Waldburg gardien de quels s
1568 ans ces châteaux perdus, dans ce Waldburg gardien de quels secrets longuement, lentement fortifiés…   La nuit, les moustiq
1569 nt une rumeur dans l’obscurité profonde. Des cris de chouettes se poursuivent, s’éloignent, reprennent tout proches. Les é
1570 nt agenouillés, aussi hauts que les jeunes arbres de la lande. Et la mer respire fort contre les grèves, soulagée de la pe
1571 t la mer respire fort contre les grèves, soulagée de la pesante lumière. Mais dans cette chambre élevée du château, l’air
1572 e mêler à celle des vieilles boiseries. Enveloppé de gaze je sors sur mon balcon, je me penche sur le parc incertain. Palp
1573 la crête des forêts, une rougissante lueur avance de l’Occident vers l’Orient. 19. Bras de mer intérieur qui s’avance j
1574 r avance de l’Occident vers l’Orient. 19. Bras de mer intérieur qui s’avance jusqu’à Königsberg.
9 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Le balcon sur l’eau
1575 ent très peu, gris sur le blanc doucement luisant de la surface ; mais le silence a des vagues profondes. L’eau clapote
1576 te avec tendresse, et se retient… Et l’air chargé d’ attente. Nos têtes immobiles sont près de se toucher, nos regards s’en
1577 se toucher, nos regards s’en vont à la rencontre de ce qui est voilé. Retiens ton souffle, retiens ton envie de fermer le
1578 est voilé. Retiens ton souffle, retiens ton envie de fermer les yeux contre une épaule, attends encore un peu plus fort, é
1579 s la brume où nous sommes perdus avec ce clapotis d’ une eau étrangement vivante et qui rêve ; et rien que nos yeux qui bri
1580 formes confondent leur ombre et leur songe… Odeur de l’eau, — pour toute la vie. (1929)
10 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Appendice. Les Soirées du Brambilla-Club, (1930)
1581 Pour Albert Béguin. Paris la nuit oublie parfois d’ être spirituelle, devient tragique ou tout simplement germanique. « L’
1582 ’est la Chambre des Députés », disait un amoureux de la France. Quand vous prenez un taxi passé onze heures, c’est double
1583  : à côté de vous, si vous êtes seul, un fantôme, d’ office, a pris place. On lie bien vite connaissance, pourvu qu’on sach
1584 bien vite connaissance, pourvu qu’on sache un peu d’ allemand, — et l’allemand littéraire y suffit. Pour moi, je ne me sens
1585 comme j’habite l’Odéon, c’est toujours le fantôme de l’Odéon qui m’accompagne et nous ne disons presque rien, nous savons
1586 ille étrangère, n’est-ce point la définition même de la luxure ? Quand je vais à pied, j’oublie en chemin les meilleures p
1587 ns une sentimentalité exquise, navrante. Il reste de s’asseoir à quelque terrasse de café pour y boire à petits coups une
1588 avrante. Il reste de s’asseoir à quelque terrasse de café pour y boire à petits coups une amertume acide et tiède comme l’
1589 acide et tiède comme l’adolescence, un désespoir de nuit d’été sous le tilleul où elle n’est pas venue… (C’est ici le lie
1590 t tiède comme l’adolescence, un désespoir de nuit d’ été sous le tilleul où elle n’est pas venue… (C’est ici le lieu de l’a
1591 lleul où elle n’est pas venue… (C’est ici le lieu de l’avouer : je ne saurais entretenir que des rapports de politesse dis
1592 vouer : je ne saurais entretenir que des rapports de politesse distante avec les personnes qui ont pu dire, ne fut-ce qu’u
1593 e fut-ce qu’une fois en leur vie : « J’ai horreur de la sentimentalité ».) Nous voici donc en taxi, « nous deux le fantôme
1594 le fantôme ». Ce soir-là, le fantôme ayant envie de manger ferme a donné au chauffeur l’adresse d’un ogre. C’est tout prè
1595 ie de manger ferme a donné au chauffeur l’adresse d’ un ogre. C’est tout près parce que j’ai peur. En même temps c’est très
1596 re. Déjà nous traversons la nuit rose et violette de Montparnasse. Là, l’insondable lubie d’un agent nous immobilise une m
1597 violette de Montparnasse. Là, l’insondable lubie d’ un agent nous immobilise une minute aux lisières odorantes d’une terra
1598 nous immobilise une minute aux lisières odorantes d’ une terrasse où nous voyons Charles-Albert Cingria, transfiguré par un
1599 en train de décrire à Blaise Cendrars, son voisin de table, l’arrivée des Mongols dans Paris et leurs établissements place
1600 Mongols dans Paris et leurs établissements place de la Concorde. Notre conteur est vêtu de la gloire d’un pourpoint « plu
1601 ents place de la Concorde. Notre conteur est vêtu de la gloire d’un pourpoint « plus rouge que rouge ». On assure qu’il po
1602 la Concorde. Notre conteur est vêtu de la gloire d’ un pourpoint « plus rouge que rouge ». On assure qu’il possède encore
1603 l est « pittoresque », cas déplorable, s’agissant d’ un poète authentique. Le pittoresque. D’abord je crains que la notion
1604 que la notion n’en soit toute relative aux modes de « vie » bourgeois ; et puis, la comédie n’est pas mon fort, même la t
1605 u jaloux, le travail jusqu’à l’aube, la naissance d’ un visage dans ma mémoire (d’heure en heure ces yeux plus vivants…). D
1606 l’aube, la naissance d’un visage dans ma mémoire ( d’ heure en heure ces yeux plus vivants…). De là, je le suppose, une cert
1607 émoire (d’heure en heure ces yeux plus vivants…). De là, je le suppose, une certaine misanthropie en germe : les êtres cha
1608 es êtres changent trop vite, je n’ai pas le temps de me laisser envoûter ou de les rendre esclaves, hors de quoi je ne sai
1609 e, je n’ai pas le temps de me laisser envoûter ou de les rendre esclaves, hors de quoi je ne sais pas de commerce humain q
1610 les rendre esclaves, hors de quoi je ne sais pas de commerce humain qui vaille la peine, qui vaille l’amour. Durant cette
1611 orsque l’homme, cédant à l’évidence des choses ou de l’esprit, comprend enfin qu’il est perdu, il découvre la liberté. Le
1612 qu’il est perdu, il découvre la liberté. Le goût de se perdre est un des plus profonds mystères de notre condition, et je
1613 ût de se perdre est un des plus profonds mystères de notre condition, et je ne crois pas trop absurde d’y chercher l’origi
1614 notre condition, et je ne crois pas trop absurde d’ y chercher l’origine non seulement des passions amoureuses, mais de la
1615 igine non seulement des passions amoureuses, mais de la plupart des entreprises démesurées qu’enregistre l’Histoire, scien
1616 esurées qu’enregistre l’Histoire, science chargée d’ illustrer à ses propres yeux l’Humanité. En passant, relevons un sophi
1617 à la mode, qui vient trébucher dans les méandres de notre chemin : « Il faut se perdre pour se retrouver », nous enseigne
1618 le croire M. Gide, —  si pareil entre les griffes de son égoïsme à la souris qu’un chat subtil et ironique feint de lâcher
1619 e à la souris qu’un chat subtil et ironique feint de lâcher pour mieux croquer. Pourquoi ne pas se perdre sans arrière-pen
1620 urs les moins préméditées, c’est sans doute celui d’ être trouvé. J’ai toujours méprisé le geste de l’homme qui, le soir da
1621 lui d’être trouvé. J’ai toujours méprisé le geste de l’homme qui, le soir dans sa chambre d’hôtel, ferme sa porte à double
1622 le geste de l’homme qui, le soir dans sa chambre d’ hôtel, ferme sa porte à double tour. Ah ! qu’une nuit enfin, à la fave
1623 double tour. Ah ! qu’une nuit enfin, à la faveur de mon sommeil, on me vole à moi-même ! Que des êtres rêvés m’emportent 
1624 ient là où je ne sais pas que j’ai si grand désir d’ aller… Est-ce ici ? Je regarde autour de moi : des murs sans yeux domi
1625 se produire : des aboiements fous et une effusion de lumière basse, rougeoyante, campagnarde. ⁂ La sauce est au rôti comme
1626 Il arrive qu’on parle, en art culinaire, du style d’ un rôti, et en cuisine littéraire, de pensers mis à toutes sauces. Mai
1627 re, du style d’un rôti, et en cuisine littéraire, de pensers mis à toutes sauces. Mais qui donc, parmi nos penseurs, mérit
1628 es. Mais qui donc, parmi nos penseurs, mériterait d’ être servi en sauce Marthaler ? Mais ne parlons pas de mangeaille : c’
1629 re servi en sauce Marthaler ? Mais ne parlons pas de mangeaille : c’est tout de suite écœurant et prétentieux. Je suis de
1630 st tout de suite écœurant et prétentieux. Je suis de ceux qui mangent sans faire d’histoires. Je remarque simplement qu’on
1631 étentieux. Je suis de ceux qui mangent sans faire d’ histoires. Je remarque simplement qu’on n’est jamais mieux pour parler
1632 us vulgaires, libérant par là cette part gratuite de nous-mêmes qui se plaît à disserter de poésie pure. Edmond Jaloux pré
1633 t gratuite de nous-mêmes qui se plaît à disserter de poésie pure. Edmond Jaloux préside à cette agape dont il m’est imposs
1634 ux préside à cette agape dont il m’est impossible de nommer tous les officiants visibles ou virtuels, et cela pour différe
1635 e Miomandre n’est pas là. Il a téléphoné au début de l’après-midi qu’il commençait un roman. Son absence nous fera-t-elle
1636 puisqu’en ma voisine, je reconnais la Jeune fille de neige. On la sent prête à fondre de tendresse au premier regard. Mais
1637 a Jeune fille de neige. On la sent prête à fondre de tendresse au premier regard. Mais non, trop bien élevée, elle se ress
1638 le se ressaisit, pense à Genève, reprend aussitôt de la consistance, et dans son trouble apparaît toute parcourue d’adorab
1639 nce, et dans son trouble apparaît toute parcourue d’ adorables roseurs boréales. E. T. A. Hoffmann est là, sous un nom d’em
1640 s boréales. E. T. A. Hoffmann est là, sous un nom d’ emprunt. Une femme fatale et un grand incompris sont là. Enfin Jean Ca
1641 à. Enfin Jean Cassou, représentant Mgr le marquis de Carabas, absent de Paris, est là. Peut-être aussi Jean de Boschère, e
1642 u, représentant Mgr le marquis de Carabas, absent de Paris, est là. Peut-être aussi Jean de Boschère, en dépit de certaine
1643 i vous enlevez Georges Petit égaré, en ayant soin d’ ajouter ceux que j’oublie, vous obtiendrez le chiffre exact des partic
1644 culez l’âge du capitaine. Au dessert, chacun y va de son petit miracle. Edmond Jaloux et Dick conversent en danois. Quatre
1645 e, et se mit à errer dans les campagnes, en quête de l’inspiration qui le fuyait. Il buvait, rêvait, dormait sous les trei
1646 a plusieurs semaines, au terme desquelles, épuisé de corps et d’âme, et n’ayant pas écrit une seule note, il se retrouva a
1647 semaines, au terme desquelles, épuisé de corps et d’ âme, et n’ayant pas écrit une seule note, il se retrouva aux portes de
1648 seule note, il se retrouva aux portes de Naples, d’ où il n’eut que la force de regagner son logis. Comme il allait y péné
1649 aux portes de Naples, d’où il n’eut que la force de regagner son logis. Comme il allait y pénétrer, il aperçut auprès du
1650 ter, sa plus belle œuvre, sur le thème des pleurs de la vieille, et mourut comme il l’achevait. ⁂ Partout où il y a de la
1651 mourut comme il l’achevait. ⁂ Partout où il y a de la musique, de l’Italie et une certaine qualité de désespoir, je retr
1652 l l’achevait. ⁂ Partout où il y a de la musique, de l’Italie et une certaine qualité de désespoir, je retrouve les contes
1653 e la musique, de l’Italie et une certaine qualité de désespoir, je retrouve les contes d’Hoffmann. Mais il s’agit de les v
1654 aine qualité de désespoir, je retrouve les contes d’ Hoffmann. Mais il s’agit de les vivre plutôt que d’en parler ; vous vo
1655 je retrouve les contes d’Hoffmann. Mais il s’agit de les vivre plutôt que d’en parler ; vous voyez bien que j’ai quitté ce
1656 ’Hoffmann. Mais il s’agit de les vivre plutôt que d’ en parler ; vous voyez bien que j’ai quitté cette table écroulée, dans
1657 uillard qui cachait le front des palais, une nuit d’ hiver, je chantonnais la Barcarolle en descendant le Grand Canal, — c’
1658 xplique tout ce qui peut être expliqué. 21. Club d’ étudiants de la Suisse romande qui représente en ce pays un état d’ana
1659 ce qui peut être expliqué. 21. Club d’étudiants de la Suisse romande qui représente en ce pays un état d’anarchie perman
1660 Suisse romande qui représente en ce pays un état d’ anarchie permanente — sentimentale et non point politique — dont l’esp
1661 sme — encore qu’il ait préfiguré certains aspects de ce mouvement littéraire parisien.