1 1932, Le Paysan du Danube. Le sentiment de l’Europe centrale
1 tellectuelles, sur une petite superficie minérale la vie se décompose avec virulence. Mais Stuttgart, plus moderne, pla
2 en arguments sanglants. Et s’il est des domaines de nos jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie de nuances va
3 rdre imposé. Passant à la limite du sentiment, là il prend une valeur d’acte ou de jugement, l’on peut symboliser l’opp
4 latine. Elle tourne en sentiments dans la mesure elle refuse de s’accomplir pleinement. L’Italien fait l’amour et n’ép
5 s. Derniers refuges, vastes auberges de la Souabe l’on chantait les chœurs de Schubert après boire — et les hommes parl
6 veillance — un mot des campagnes… Et ces prairies notre adolescence encore « marche, s’arrête et marche, avec le col pe
7 e souvenir d’un soir d’adolescence sur la prairie des filles s’éloignent en chantant. Voici la nuit du souvenir, brève
8 et souvenirs de nos enfances. Ce soir des Signes des renards sortirent à la lisière de la forêt, des renards qu’on n’a
9 entrerons dans cette joie sauvage du Grand Jour, nous irons avec ce qu’il restera de bonté dans notre cœur, plus inuti
2 1932, Le Paysan du Danube. Première partie. Le Paysan du Danube — Un soir à Vienne avec Gérard
10 ’arrêter le plan de la soirée, et cette promenade il y avait juste assez de passants pour qu’on la sentît déserte ne me
11 par une sorte de compromis sentimental, à l’Opéra l’on donnait les Contes d’Hoffmann. Je comprends aujourd’hui le lien
12 piano, c’est un duo des ténèbres et de la pureté vibrent par instants les accords d’une harmonie surnaturelle. Et tout
13 se. Elle n’est plus que l’approche d’une grandeur se perdraient nos amours terrestres dans d’imprévisibles transfigurat
14 ansfigurations — l’heure anxieuse et mélancolique l’on quitte ce visage aimé pour d’autres plus beaux peut-être, mais i
15 oses par votre souffrance… Mais le temps approche vous n’aurez plus besoin de souffrir pour comprendre. Le faisceau de
16 oi que ce fût d’immatériel. D’ailleurs le trouble m’avait jeté la première reconnaissance empêcha ma raison d’interveni
17 r moi, dit Gérard, je situe l’amour dans un monde la question fidélité ou inconstance ne se pose plus. Vous le savez, j
18 s6 ». Heureusement qu’au Moulin-Rouge, souterrain nous nous engouffrâmes dans un grand bruit de saxophones et de cors a
19 quefois j’en ramène des animaux aux yeux bizarres je sais lire les signes. » Comme je ne répondais rien : « Avez-vous s
20 te. Il dit que sa vie ressemble surtout à un film les épisodes s’appellent par le simple jeu des images, se voient par
21 udaient à la banquette d’un kiosque à « Würstel » nous nous arrêtâmes. Au léger sifflement du bec de gaz sans manchon q
3 1932, Le Paysan du Danube. Première partie. Le Paysan du Danube — Une « tasse de thé » au Palais C…
22 ique. Hofmannsthal Un aquarium de lumière rose nagent des phoques à ventre blanc qui sont des ministres, des sirènes
23 collections de vieux Venise, jusqu’au petit salon il y a deux Bellini. Et que dire des portraits, des valets immobiles,
24 drait aller au bar installé dans une petite salle trépigne un orchestre russe, et y boire des liqueurs transfigurantes,
25 ’aventure. Bientôt je parviens à un immense salon beaucoup de gens debout, silencieux, regardent quelque chose qui se p
26 auss a levé la tête, il reçoit sur son bon visage cette rosée divine fait perler une larme, la bénédiction de sa musiqu
27 nnent. Tombé de mon silence parmi les bavardages, irai-je avec peut-être un air de dégoût, par mégarde… On se presse au
28 nent à vivre, dangereusement. Ô fête d’une époque tout ce qui vaut qu’on l’aime oscille entre l’ivresse et la neurasthé
29 reflets sur le parquet, venir par une salle vide pénètre le ciel pâli. Transparents sous les lumières qui déjà retiren
30 peu de nuage flotte sur le bassin, grand œil vide paraît le vertige. Voici que cèdent les amarres des pelouses, tout le
31 ait. Alors je me tourne vers ce visage très blanc les yeux d’un bleu nocturne se refusent… Quelle tendresse, auprès de
32 oisse plus bouleversante que l’amour, à la minute l’on voit de très près, entre la nuit qui s’évapore et l’aube encore
33 pore et l’aube encore vacillante, le vide absurde s’en vont nos plaisirs et d’où remonte notre peine. Ah ! surprendre s
34 e, le vide absurde où s’en vont nos plaisirs et d’ remonte notre peine. Ah ! surprendre sur un visage décontenancé, et j
4 1932, Le Paysan du Danube. Première partie. Le Paysan du Danube — Voyage en Hongrie
35 bert Gyergyai i Le dormeur au fil de l’eau s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ; il faudrait
36 on visage gris ; leurs yeux stupides me demandent je n’ai pas dormi. Le seul refuge est à l’avant, parmi des cordages,
37 pu retrouver cette mélodie descendue d’un balcon chantait la Schumann ; sans avoir pu retrouver le nom de qui l’on a r
38 province, dans les combles d’un château prussien tissaient d’incroyables araignées, partout où le désordre naturel des
39 ien où tissaient d’incroyables araignées, partout le désordre naturel des choses pouvait offrir asile à l’Objet inconnu
40 passe ensuite à une seconde terrasse plus vaste, il y a quelques arbres devant une sorte de tour peu élevée, à demi re
41 teilles sont placées au hasard dans l’espace vide tourne la fumée des cigares. Assis sur la banquette, quelques bougres
42 les ai rêvées sur un divan, à cause d’un coussin s’étalait le sourire optimiste de Lord Rothermere, en soie blanche su
43 peut croire bien près d’être comblé dans ce pays les courtiers ne donnent pas encore le ton. La littérature hongroise
44 de file. Des amis m’emmènent le voir à Esztergom, il passe ses étés. Esztergom est la plus vieille capitale de la Hongr
45 chambres boisées entourées d’une large galerie d’ l’on voit le Danube gris-jaune, brillant, sans rides, la petite ville
46 us de la plaine, pas tout à fait dans le ciel, là doivent vivre ceux qui « chantent ». L’après-midi est immense. Nous b
47 oppose au ciel qui retire ses lueurs. Ciel blanc, très peu d’or rose s’évanouit… Le train serpente dans un de ces paysa
48 serve de tout amour pour quelque bien particulier je serais tenté de me complaire. Oh ! je sais ! — Je ne sais plus. — 
49 choir enfin dans une vaste culbute sur les divans l’ivresse les lâche, affalés, tandis que les danseuses secouent leurs
50 vauchées sous le soleil, des campements nocturnes le souvenir des pays désertés enfièvre encore un désir de perdition i
51 c lui vers le désert et ses mirages. On ne sait d’ tu viens, tu ne sais où tu vas, peuple de perdition, Peuple inconnu,
52 ses mirages. On ne sait d’où tu viens, tu ne sais tu vas, peuple de perdition, Peuple inconnu, — mais c’est toi, c’est
53 ls l’ont égaré, comme ils égarent tout d’un monde si peu vaut qu’on le conserve, au long d’un chemin effacé par le vent
54 venue d’une joie inconnue. Joie d’être n’importe … évadé ? Mais soudain, c’est au silence que je me heurte, comme ré
55 comme réveillé dans l’absurdité d’être n’importe . Une panique balaye la nuit déserte jusqu’à l’horizon. Où vas-tu, les
56 panique balaye la nuit déserte jusqu’à l’horizon. vas-tu, les mains vides, faiblement ? Ah ! toutes les actions précise
57 ce qui t’appelle là-bas, maintenant, maintenant, tu n’es pas — et tant d’amour perdu… Un train dormait devant la gare
58 traper, comme un pan de la nuit fuyante, un songe j’ai dû voir l’Objet pour la première fois — ou bien était-ce un être
59 n de transport. Un vrai voyage, on ne sait jamais cela mène, c’est une aventure qui relève de la métaphysique plus que
60 e m’a donné ? Cette notion plus vive d’un univers la présence de l’Objet deviendrait plus probable ? Ou bien n’ai-je su
61 ule, de la solitude, de l’extase. 11. Expression va se réfugier le dernier vestige de la sensualité des érudits. 12.
5 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — La tour de Hölderlin
62 ête de la plus haute poésie. Mais dans ce siècle, tant de voix l’appellent, combien sont dignes de s’attendre au don du
63 flammes. Dix années dans le Grand Jeu. Dix années le génie tourmente cet être faible, humilié par le monde. L’amour s’é
64 s une sérénité presque effrayante. Vient le temps le sens de son monologue entre terre et ciel lui échappe. Il jette en
65 agesse. » Mais le feu s’éteint — l’esprit souffle il veut. Juin 1802 : au moment où meurt Diotima, Hölderlin errant loi
66 erture. Il y a là une station de canots de louage j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’un « Hypérion
67 uis, il lui est arrivé quelque chose de terrible, il a perdu son âme. Et puis il n’est revenu qu’un vieux corps radotan
68 es dieux le vouent au malheur. » Ô cette chambre, pénètre la facilité atroce de la fin d’un après-midi, ces musiquettes
69 e petite fièvre, — cette semaine de leur jeunesse ils ont cru pressentir de grandes choses généreuses autour d’eux… Cel
70 Bettina von Arnim-Brentano : Die Günderode. 15. il était précepteur. Mme Gontard est la Diotima de l’Hypérion et des
6 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Petit journal de Souabe
71  quelques lumières au milieu d’une étroite vallée le train longtemps côtoya une rivière, des forêts. Les rues sont vide
72 s. Les rues sont vides jusqu’au cœur de la ville, l’attend une ample demeure. Et maintenant le chien s’est tu ; des pas
73 e présences et d’absences — la chambre principale une lampe arrose la pesante nappe aux dessins brodés, des verres, des
74 es et des pipes de méditation —, des pièces vides la Lune avance comme un chat sur le lit conjugal, un salon glacé dont
75 amais ne s’y pose, et tous ces corridors si hauts l’on devine à tâtons des armoires monumentales. Dans une chambre froi
76 eau rococo et ce lit énorme aux édredons rebondis l’on s’enfouit comme s’il était le sommeil même. Le bruit de la riviè
77 n me paraissent peu nombreux, mais sait-on bien d’ il peut en sortir encore — sans compter les fantômes, probables ? Le
78 çais, —et je le verrai bien, assure-t-il, le jour il me confiera quelques fragments du « livre de sa vie », dont il com
79 eurs aux abris, près d’une de ces maisons isolées je ne l’amènerai jamais, à cette heure qui serait celle de rentrer ch
80 oisissant parfois pour y sommeiller une lisière d’ l’on voit de lointains horizons, puis de nouveau m’enfonçant au hasar
81 phrases, tout en allant comme en rêve sur l’herbe s’étouffait tout bruit. « Ô crépuscule adolescent, disais-je, chasseu
82 vagation. Les lisières sont des lieux de l’esprit circulent des bêtes nées du rêve. Et l’Archer vierge y court en vain
83 ’étale ma couverture, et mes papiers sur la table s’aventurent des cloportes. Je bourre une pipe. Et alors je ris, je r
84 ces formes et ces voies qui sont celles mêmes par la pensée entre en contact avec tout le mobile et l’ineffable du mond
85 de la signification. (L’état de l’âme et du corps tout nous apparaît en relations concrètes.) 31 mai 1929 Personn
86 lle au collier de perles bleues. Après la partie, l’on s’est renvoyé autant de regards que de balles : — « Je vous ai b
87 ignore d’un être, dans le domaine sans frontières l’on connaît profondément. Par les yeux d’une femme étrangère, mes ye
88 le jeu, il provoque des lenteurs et des retards d’ naissent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mais
89 t. Et de la sorte, une ère de vitesse est une ère la matière l’emporte. Provisoirement ; car il se produit ceci d’étran
90 y en aura une douzaine encore jusqu’à Stuttgart, je crois bien qu’on doit arriver vers 8 heures, J’ai d’abord essayé d
91 que nulle part. Me voici tout environné de ville. trouver ici la lenteur des choses ? Où le désir peut-il errer, se ret
92 de ville. Où trouver ici la lenteur des choses ? le désir peut-il errer, se retournant souvent vers son passé, méditan
93 ubli jusqu’à ce qu’un souvenir bouge et s’émeuve… se perdre ? Où porter un regard amoureux du mystère, dans la puissant
94 qu’un souvenir bouge et s’émeuve… Où se perdre ? porter un regard amoureux du mystère, dans la puissante circonspectio
95 quittées pour cette ville à présent sans relâche, les orages n’ont pas d’odeur, terrains morts où l’on n’a plus peur d’
96 , où les orages n’ont pas d’odeur, terrains morts l’on n’a plus peur d’un arbre immense, ni des femmes, mais de soi-mêm
7 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Châteaux en Prusse
97 chauffeur immobile guette les ornières profondes les roues s’enfoncent parfois avec un cahot mou. Le silence grandit ;
98 t que du lait ». Et nous servent du thé bouillant nagent des morceaux de glace. À ces détails près, le même train de vi
99 un organe de l’autonomie qui ne trouve nulle part s’exercer : d’où les conflits purement « moraux » qui nous empêtrent,
100 tonomie qui ne trouve nulle part où s’exercer : d’ les conflits purement « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà de
8 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Le balcon sur l’eau
101 t reçue quelque part en nous-mêmes, dans la brume nous sommes perdus avec ce clapotis d’une eau étrangement vivante et
102 et rien que nos yeux qui brillent dans l’étendue nos deux formes confondent leur ombre et leur songe… Odeur de l’eau,
9 1932, Le Paysan du Danube. Deuxième partie. La lenteur des choses — Appendice. Les Soirées du Brambilla-Club, (1930)
103 cence, un désespoir de nuit d’été sous le tilleul elle n’est pas venue… (C’est ici le lieu de l’avouer : je ne saurais
104 une minute aux lisières odorantes d’une terrasse nous voyons Charles-Albert Cingria, transfiguré par un souffle épique
105 ion, nous avons gagné une rue pauvrement éclairée l’on s’arrête. Le fantôme derrière nous claque la portière. Il fait a
106 tres rêvés m’emportent ! — Ils me conduiraient là je ne sais pas que j’ai si grand désir d’aller… Est-ce ici ? Je regar
107 ux dominent des baraques éparses dans une brousse s’engage délibérément notre fantôme. Il avance sans bouger les jambes
108 golèse un Stabat Mater, le musicien quitta Naples il habitait alors, abandonnant sa femme, et se mit à errer dans les c
109 eule note, il se retrouva aux portes de Naples, d’ il n’eut que la force de regagner son logis. Comme il allait y pénétr
110 r un dernier feu, il se précipita dans sa chambre il s’enferma, écrivit dans une grande fièvre tout le Stabat Mater, sa
111 ieille, et mourut comme il l’achevait. ⁂ Partout il y a de la musique, de l’Italie et une certaine qualité de désespoi