1 1937, Journal d’un intellectuel en chômage. Préambule
1 jambes, là, sous ton imperméable, que le cuir ne soit pas mouillé. » (C’est qu’on nous l’a prêté, il faut le soigner…) Nous
2 r…) Nous sortons du port, et tout de suite la mer est forte. Un éclair sur l’eau verte, un gros coup de vent : voilà nos co
3 tre éclair siffle et claque tout près. La tempête est venue brusquement avec l’aube. Depuis une heure nous battions la seme
4 eur patois rapide et monotone. Je crois que je me suis endormi un moment. Nous approchons du dernier village. L’île devient
5 e. L’île devient très étroite. Par endroits, ce n’ est plus qu’une bande de terre aride, portant la route, un mur qui fait d
6 sur les grands quais de ce port atlantique, j’en étais à considérer d’un œil brûlé par l’insomnie les flots de l’océan mauss
7 paremment que je n’avais rien de mieux à faire. J’ étais chômeur depuis trois mois. On m’offrait un abri quelque part, une mai
8 tte ville, au moins pour la jeunesse sans argent, est la ville des gérants ignobles et des concierges, des Lieux-sombres-et
9 nt, d’affirmer que cela peut se faire, que cela s’ est fait, qu’il y a là un bonheur…
2 1937, Journal d’un intellectuel en chômage. Première partie. N’habitez pas les villes !
10 ommencerai par l’inventaire de mon domaine. Je ne suis pas propriétaire, c’est entendu. Je ne possède légalement que des val
11 l’on veuille « avoir » autrement. Posséder, ce n’ est pas avoir. Ce n’est pas même avoir l’usage éventuel de quelque chose.
12 r » autrement. Posséder, ce n’est pas avoir. Ce n’ est pas même avoir l’usage éventuel de quelque chose. Mais c’est user en
13 st donc un acte, et pas du tout un droit. Et ce n’ est pas une sécurité, ni rien qui dure au-delà du temps qu’on en jouit. C
14 jouit. Cette maisonnette, ce jardin et cette île, seront miens selon la puissance avec laquelle j’en saurai faire usage, pour
15 le j’en saurai faire usage, pour une fin qui leur est étrangère, et qui me commandera de les quitter le jour qu’ils y mettr
16 bstacle. (Pour les bourgeois, l’idée de propriété est liée à l’idée d’héritage. Par quelle folie pensent-ils pouvoir « héri
17 tout ignorer de la vraie possession ! Une chose n’ est mienne que pour un temps, et si je change, elle me devient impropre.
18 e n’hérite pas même de moi ! Ou alors, l’héritage est cela dont on ne peut pas se délivrer à temps, et devrait être défini
19 nt on ne peut pas se délivrer à temps, et devrait être défini franchement comme ce qui est incommode ou impropre, et dont il
20 , et devrait être défini franchement comme ce qui est incommode ou impropre, et dont il faut tâcher de se délivrer coûte qu
21 ai sous la main. Voici d’abord la table que je me suis fabriquée : j’ai trouvé dans le chai deux tréteaux et deux planches b
22 t des treilles pour la pêche aux crevettes. Je me suis procuré un petit tonneau de vin blanc de l’île. C’est un clairet asse
23 aisse peut-être un léger goût iodé, au moins l’on est tenté de l’imaginer : la vigne croît ici au ras d’un sol sablonneux q
24 eau vertige de liberté. Depuis six jours que nous sommes arrivés, je n’ai lu que les Règles de Descartes, comme on ferait un m
25 Curiosité, comme au début d’un film. La situation est d’ailleurs excellente pour l’instant. Il nous reste encore de quoi vi
26 ant six semaines environ, si du moins nos calculs sont justes : 900 francs, un bon toit, et le temps de voir venir. Ceci pos
27 ire ; 2 — (problème psychologique) — si ce régime est favorable ou non à la maturation d’une œuvre ; — s’il est moins démor
28 rable ou non à la maturation d’une œuvre ; — s’il est moins démoralisant que le régime parisien ; — s’il endort ou s’il exc
29 it, dans ces articles, de ce que les gens croient être actuel, ou sont censés croire actuel, dans la littérature ou les idée
30 icles, de ce que les gens croient être actuel, ou sont censés croire actuel, dans la littérature ou les idées. C’est cela qu
31 aye, et qui m’ennuie. J’ai gardé pour la fin — ce sera demain — la rédaction de deux articles destinés à des revues de jeune
32 oire de l’île, ses coutumes et son dialecte. L’un est l’œuvre d’un archiviste du continent. Il affecte une douce ironie sor
33 ts vrais. Elle tend aussi, il faut l’avouer, à ne tenir pour vrai que ce qui est petit. Laissons donc de côté ce petit travai
34 il faut l’avouer, à ne tenir pour vrai que ce qui est petit. Laissons donc de côté ce petit travail qui a dû valoir les pal
35 ce par une chronique historique, dont l’essentiel est naturellement l’énumération des débarquements qui ont honoré l’île, d
36 cobins. Plusieurs des discours de leurs chefs ont été consignés par miracle : ils ne le cèdent en rien, pour l’ampleur de l
37 t au moins à son instigation. Enfin, et cela nous sera des plus utiles, une minutieuse description de la faune et de la flor
38 est qu’on préfère sans doute appeler moyen ce qui est très bas — pour se sentir un peu au-dessus… 19 novembre 1933 P
39 a place principale. Au milieu de cette place, qui est un vaste rectangle de terre jaune, les habitants plantèrent à la Révo
40 à la Révolution un arbre de la Liberté. Cet orme est devenu gigantesque, majestueux, exemplaire dans sa symétrie architect
41 e. Il domine toutes les maisons et le clocher. Il est seul au-dessus du pays. Je voudrais le dessiner dans le style romanti
42 d on aborde le village où l’on va vivre. Celle-ci est énorme et goutteuse. Elle a des douleurs dans les jambes, et m’en par
43 tion de rester ici tout l’hiver ? C’est plutôt en été qu’on vient chez nous, me fait-elle prudemment observer. — Je le sai
44 xpliquer la nature de mon travail. « Écrire », qu’ est -ce que cela signifie ? Écrire pour les journaux, sans doute, mais il
45 aient en silence, le nez sur leurs sabots, que je sois sorti. La mère Aujard n’a pas toujours ce qu’on voudrait. En hiver el
46 ler de l’autre côté de la place, chez Mélie. Ce n’ est pas simple d’éviter d’être vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c
47 place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’ être vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c’est prudent, on me l’a dit
48 es augmenteront bien plutôt pour le punir d’avoir été en face. Sans compter qu’on n’aime pas être accueilli par la réprobat
49 ’avoir été en face. Sans compter qu’on n’aime pas être accueilli par la réprobation sournoise d’une épicière. Ennui de trave
50 oge au fond d’une de ces courettes charmantes qui sont la secrète beauté des habitations de l’île : toutes claires et propre
51 avec une grande enveloppe contenant un manuscrit. Est -ce une lettre ? — Non. — Est-ce un imprimé ? — Non. C’est tapé à la m
52 tenant un manuscrit. Est-ce une lettre ? — Non. —  Est -ce un imprimé ? — Non. C’est tapé à la machine. — Est-ce qu’il n’y a
53 ce un imprimé ? — Non. C’est tapé à la machine. —  Est -ce qu’il n’y a rien d’écrit à la main ? — Si, il y a des corrections
54 elle me tend une formule de télégramme, mais ce n’ est pas un télégramme, c’est une notification officielle d’avoir à verser
55 l faut donc que je m’exécute, sinon c’est lui qui sera forcé « d’y aller de sa poche ». Me voilà courant à l’autobus pour ar
56 e cause un peu, pour me faire pardonner. Pédenaud est mutilé de guerre. Il boite. On lui a donné cette recette auxiliaire à
57 n comptant tout ». Sa femme fait des lessives. En été ils pêchent des palourdes et les vendent aux baigneurs. Bien entendu,
58 Si mes articles ne paraissent qu’en décembre, je serai payé au plus tôt en janvier. Et il me reste juste assez pour deux sem
59 trois, en dix minutes, à une plage. Notre village est en effet situé sur une pointe avancée de l’île, et la quatrième direc
60 ncée de l’île, et la quatrième direction possible est celle des marais, à peu près impraticable en cette saison. Nous suivo
61 tiers bordés de tamaris jusqu’aux dunes. Elles ne sont pas bien hautes, ces dunes, dix mètres au plus, mais c’est assez pour
62 ple pas sans une espèce de méfiance profonde : il est surtout une tentation de se dissoudre dans on ne sait quelle sublimit
63 e, manger et boire, 480 francs ; (en général tout est plus cher qu’à Paris). Un stère de bois, 50 francs ; (il y a très peu
64 nnelles de ne pas appeler au secours. Pourtant je suis bien tranquille, je ne l’ai même jamais été aussi absolument. C’est p
65 t je suis bien tranquille, je ne l’ai même jamais été aussi absolument. C’est peut-être à cause du bonheur de notre vie. Tr
66  » en dépend. 2 décembre 1933 Questions. —  Est -ce donc si « naturel » de vivre sur une île ? Est-ce que l’insularité
67 Est-ce donc si « naturel » de vivre sur une île ? Est -ce que l’insularité (géographique et morale) n’est pas une espèce de
68 st-ce que l’insularité (géographique et morale) n’ est pas une espèce de vice ? Est-ce que ce n’est pas la racine de tout l’
69 aphique et morale) n’est pas une espèce de vice ? Est -ce que ce n’est pas la racine de tout l’idéalisme dont les modernes d
70 e) n’est pas une espèce de vice ? Est-ce que ce n’ est pas la racine de tout l’idéalisme dont les modernes doivent se guérir
71 guérir, s’ils veulent enfin devenir « actuels » ? Est -ce que ce n’est pas aussi la racine de cet esprit d’abstraction égoïs
72 ulent enfin devenir « actuels » ? Est-ce que ce n’ est pas aussi la racine de cet esprit d’abstraction égoïste dont nous sou
73 ction égoïste dont nous souffrons tous ? Enfin, n’ est -il point trop facile de trouver son rythme de vie dans les conditions
74 m’obligeant à me poser ici, dans un milieu qui m’ est fort étranger, et cela pour des raisons aussi superficielles, par rap
75 che jusqu’au pays voisin. Cette liberté insulaire est une liberté négative. Elle nous met à l’abri du monde et nous ramène
76 ène tout physiquement à nos limites. Mais l’homme est ainsi fait qu’il désire sans cesse se risquer au-delà de ce qu’il peu
77 s à partager avec les hommes de ce village ce qui est essentiel et solide dans ma vie. Le simple fait que je ne puis pas le
78 à écrire. La mère Renaud (Renaud-de-la-Cure), qui est une vieille amie des propriétaires de notre maison, est venue plusieu
79 e vieille amie des propriétaires de notre maison, est venue plusieurs fois nous voir. Hier, elle m’a demandé avec toutes so
80 change direct sur pied d’égalité. Le père Renaud est un ancien marin, barbu, jovial, déjà touché par le gâtisme, mais agré
81 s souvenirs, trop souvent racontés. (« Quand nous étions devant Tamatave, en 1886… ») Il s’occupe maintenant à fabriquer un fi
82 pés. Je m’attarde à causer dans leur cuisine, qui est leur habitation ordinaire. On ne peut rien désirer de plus plaisant q
83 re, sur laquelle travaille le père Renaud. Le sol est de la terre battue recouverte d’une fine couche de sable. Sur les mur
84 s parfois : Le monde moderne n’a rien en eux. Ils sont indemnes de nos fièvres. Ils ne connaîtront pas nos douloureuses conf
85 s inadaptations et nos désirs discordants. Ils se sont fait un entourage à la mesure de leur être habituel, et s’en contente
86 Ils se sont fait un entourage à la mesure de leur être habituel, et s’en contentent. Pourquoi voudrais-je qu’ils désirent au
87 chose ? Et quand la mère Renaud me dit qu’elle n’ est jamais sortie de l’île, depuis soixante ans qu’elle y est née, pourqu
88 is sortie de l’île, depuis soixante ans qu’elle y est née, pourquoi ne puis-je m’empêcher d’éprouver un sentiment de regret
89 ombre. Et d’abord de ceux qui m’entourent, et qui sont aujourd’hui mes prochains. Ils me parlent de ce qui les intéresse, et
90 moi, m’intéresse : je sens trop bien qu’ils n’en sont pas curieux. De quoi donc me parlent-ils ? Du temps, et j’aime cela
91 eau, mais nouvellement intéressant. Et quand nous sommes en confiance, si j’essaie d’amener l’entretien sur leurs lectures, le
92 vail… J’ai quelque peine à exprimer ceci, — qui n’ est précisément qu’un sentiment de gêne en moi. Sentiment qu’il y a là qu
93 vons pu rester si parfaitement aveugles ? Ou bien est -ce ma gêne qui est absurde ? Essayer de confronter la culture et la r
94 arfaitement aveugles ? Ou bien est-ce ma gêne qui est absurde ? Essayer de confronter la culture et la réalité, c’est peut-
95 r d’une naïveté impardonnable ? — Pourtant, je ne suis pas prêt à me donner tort, c’est-à-dire à donner raison au bon sens d
96 nter cet hymne par les troupes déferlantes, et ce serait le chant du destin d’un siècle aveugle en sa révolte… Étrange accord
97 hauffe le mieux. Une des plaques de mica du Mirus est crevée, et toute la chambre est imprégnée d’une odeur de laurier et d
98 de mica du Mirus est crevée, et toute la chambre est imprégnée d’une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fall
99 ntement ; il se peut que mon style s’en ressente, soit un peu engourdi lui aussi. 10 décembre 1933 Un discours de l’i
100 ois les habitants du village réunis, leur façon d’ être ensemble, et surtout la jeunesse, d’ordinaire invisible, au point que
101 u point que je doutais même qu’elle existât. Elle était là. Elle occupait les longs bancs rangés en chevrons derrière le peti
102 tous laids de visage et très épais de corps. Nous étions assis derrière eux. Au fond, sur deux armoires basses, siégeaient une
103 à grands sauts ralentis — le courant électrique n’ étant sans doute pas assez fort pour faire tourner l’appareil au rythme nor
104 chaque semaine désormais, un petit discours. « Je serai bref ! » C’est un jeune homme d’allure énergique et de visage intelli
105 pathétiques. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’ est -ce qu’être laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je vous rappellerai t
106 es. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’est-ce qu’ être laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je vous rappellerai tout d’abord
107 y a, dis-je, quelqu’un qui a osé prétendre que je suis un empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé des calomnies que
108 s’agite, les bras s’agitent, la voix s’enfle. « J’ étais au dernier congrès des instituteurs qui s’est tenu à Paris, et bien !
109 J’étais au dernier congrès des instituteurs qui s’ est tenu à Paris, et bien ! citoyens ! lors de ce congrès, il a été stipu
110 ais au dernier congrès des instituteurs qui s’est tenu à Paris, et bien ! citoyens ! lors de ce congrès, il a été stipulé qu
111 is, et bien ! citoyens ! lors de ce congrès, il a été stipulé qu’à l’avenir… » La fin de la phrase étant particulièrement s
112 été stipulé qu’à l’avenir… » La fin de la phrase étant particulièrement sonore, des applaudissements éclatent au fond de la
113 nce dans une définition vibrante de la laïcité. «  Être laïque, c’est vouloir la Justice et l’Égalité pour tous ! Être laïque
114 c’est vouloir la Justice et l’Égalité pour tous ! Être laïque, c’est vouloir l’instruction libre et gratuite pour tous, sans
115 ous, sans distinction de fortune ou de religion ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce n’est pas combattre les religi
116 tune ou de religion ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce n’est pas combattre les religions, comme le prétend le voi
117 n ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce n’ est pas combattre les religions, comme le prétend le voisin, « car je les
118 elle, que je considère comme sacrée ! » En somme, être laïque, c’est être religieux au vrai sens du mot, selon les paroles d
119 ère comme sacrée ! » En somme, être laïque, c’est être religieux au vrai sens du mot, selon les paroles de Gambetta, d’Ernes
120 Gambetta, d’Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est finalement « aimer son prochain » ! Je n’ai pas plus tô
121 es frères ! si l’on vient encore vous dire que je suis un empoisonneur des consciences, vous saurez maintenant me défendre !
122 cembre 1933 À la cuisine. — Les jours où il n’ est plus possible de se chauffer dans la grande pièce, je vais travailler
123 isine, pendant que ma femme prépare les repas. On est très bien, dans les cuisines, pour travailler. Je ne conçois, en somm
124 es et richement odorantes. Le confort de celle-ci est plus moral que matériel, d’ailleurs. Ma femme ne dispose que d’un vie
125 re à la première conférence. Mais le village d’A. est à 8 kilomètres et la tempête m’avait empêché d’y aller à bicyclette.
126 La mère Renaud vient de m’apprendre que l’orateur est le pasteur du chef-lieu. Il paraît qu’il cause très bien — lui aussi 
127 lui aussi — mais elle ne l’a jamais entendu. Elle est catholique, en effet, comme d’ailleurs tout le monde au village, à pa
128 ches laïques de l’instituteur. Le seul protestant est mort l’été dernier, âgé de 93 ans. Il s’était converti à 70 ans « et
129 s de l’instituteur. Le seul protestant est mort l’ été dernier, âgé de 93 ans. Il s’était converti à 70 ans « et il avait to
130 stant est mort l’été dernier, âgé de 93 ans. Il s’ était converti à 70 ans « et il avait toujours tenu ! » Catholique, antifas
131 s’était converti à 70 ans « et il avait toujours tenu  ! » Catholique, antifasciste, laïque, protestant, — tous ces mots pre
132 se de joliment absurde. Les paysans du village ne sont pas même tous capables de lire le journal, et j’ai remarqué qu’ils ac
133 le locale des curés ou celle des républicains. Il est à peu près impossible de savoir s’ils font une distinction quelconque
134 onférence d’A. me fera modifier ce jugement. J’en suis bien curieux. 13 décembre 1933 Un ami auquel j’avais prêté quel
135 oie 100 par le courrier de ce matin. « Vous devez être bien content, me dit la factrice pendant que je signe le mandat, c’es
136 mier rang, deux « dames », l’une très vieille. Ce sont les seules femmes. Mauvais éclairage. L’orateur se hisse sur la scène
137 reau, puisque, comme vous le savez, la conférence est contradictoire. Je vous demanderai donc de bien vouloir proposer des
138 out à droite, un tout à gauche, le troisième, qui est le président, derrière la table. Embarrassés de leurs mains, de leurs
139 le sujet… Je ne connais pas beaucoup M. Palut, n’ est -ce pas, c’est la première fois qu’il vient à A. mais certainement qu’
140 ment, et parle : — On a dit ici même que l’Église est contre les travailleurs. Est-ce vrai ? Il y a plusieurs églises, et m
141 ci même que l’Église est contre les travailleurs. Est -ce vrai ? Il y a plusieurs églises, et malheureusement elles ne s’ent
142 ne s’entendent pas toujours. La primitive église était constituée par des esclaves et des gens pauvres. Depuis lors il y a e
143 da, a dit que les clercs ont trahi. Les clercs, n’ est -ce pas, ce sont les intellectuels, les écrivains, les professeurs, de
144 es clercs ont trahi. Les clercs, n’est-ce pas, ce sont les intellectuels, les écrivains, les professeurs, des hommes disting
145 ourgeoisie égoïste, guerre. Mais le vrai chrétien est avec les petits. Résumé de ce que la Bible dit des travailleurs : Jér
146 montre que le système de propriété chez les Juifs est presque communiste ! Jésus est l’ami des pauvres, des péagers. Malheu
147 été chez les Juifs est presque communiste ! Jésus est l’ami des pauvres, des péagers. Malheureusement il y a le cléricalism
148 eureusement il y a le cléricalisme. C’est lui qui est mauvais, non pas la Bible. Être chrétien, c’est aimer son prochain co
149 sme. C’est lui qui est mauvais, non pas la Bible. Être chrétien, c’est aimer son prochain comme Jésus nous aime. Si tous les
150 rochain comme Jésus nous aime. Si tous les hommes étaient chrétiens, il n’y aurait plus d’exploitation ni de guerre !… La péror
151 us d’exploitation ni de guerre !… La péroraison a été éloquente, un peu trop à mon goût. On applaudit. Le président demande
152 connaître assez en religion, mais assure qu’il a été bien intéressé. On se lève, et les langues se délient. « Il a bien pa
153 ’approuve et m’étonne que la discussion n’ait pas été plus longue : il y avait pourtant bien des auditeurs qui ne devaient
154 t pourtant bien des auditeurs qui ne devaient pas être d’accord ? — Ben quoi, fait-il convaincu, c’est la vérité ce qu’il a
155 ? — Il me regarde un peu étonné à son tour : « Qu’ est -ce que vous voulez, il n’y a rien à répondre, c’est juste, ce qu’il a
156 e. Là ça barde, après les réunions ! Mais ici, qu’ est -ce que vous voulez. Ils sont comme ça… » Je vais me présenter au conf
157 unions ! Mais ici, qu’est-ce que vous voulez. Ils sont comme ça… » Je vais me présenter au conférencier et nous sortons ense
158 cier M. Palut. Enfin il veut lui demander « si ce serait possible de se procurer une Bible pour étudier un peu tout ça. On sen
159 ne à comprendre ses intentions. Il a un oncle qui est curé, mais je ne saisis pas bien si ce curé lui a interdit la lecture
160 aire il pourrait lui en prêter une. Quoi qu’il en soit , le pasteur note le nom du « président » et promet de lui envoyer un
161 s les cent pas sur la place. M. Palut sait que je suis écrivain, il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de mon opini
162 us ennuyer, hein ? » Je le rassure vivement. Ce n’ est pas moi qui lui reprocherai jamais d’être trop simple. On ne l’est ja
163 nt. Ce n’est pas moi qui lui reprocherai jamais d’ être trop simple. On ne l’est jamais assez ! — « Oh, vous savez, dit-il, j
164 ui reprocherai jamais d’être trop simple. On ne l’ est jamais assez ! — « Oh, vous savez, dit-il, je n’y mets pas d’amour-pr
165 si vous voulez mon opinion, ou si elle peut vous être utile… je crois que vous êtes encore trop compliqué pour ce public. I
166 u si elle peut vous être utile… je crois que vous êtes encore trop compliqué pour ce public. Il me semble qu’on pourrait leu
167 interpeller, enfin quoi, les secouer un peu ! Ils sont là à vous écouter sans bouger, comme ils ont écouté les autres qui di
168 le contraire, et pas moyen de savoir avec qui ils sont d’accord. Il ne faut pas oublier que nous vivons à une époque de prop
169 — Le pasteur sourit : — Vous me faites plaisir, tenez  ! Bien sûr, vous avez raison, mon cher Monsieur. Mais c’est plus diff
170 uccès. Pensez donc, il y a plus de six ans que je suis dans l’île, et je n’avais jamais pu parler à A. à cause du curé qui s
171 du curé qui s’y opposait par tous les moyens. Ils sont difficiles à prendre, ici. Surtout il ne faut pas les brusquer ! Ce s
172 . Bien sûr, il faudrait parler autrement. Mais qu’ est -ce qu’ils comprennent ? allez le savoir, avec eux. On prêche pendant
173 anche prochain, au chef-lieu, après son culte. Je suis rentré à bicyclette, sans lumière, distinguant à peine la route aspha
174 l. Mais beaucoup ne font plus rien en hiver ? Ils sont venus pour tuer le temps, au lieu d’aller au café. Cette inertie, dès
175 qu’il ne s’agit plus d’argent. À moins que ce ne soit le langage, la difficulté de s’exprimer ? Tout est mystère en eux, et
176 it le langage, la difficulté de s’exprimer ? Tout est mystère en eux, et pour eux-mêmes sans doute. Et on dit le Peuple, la
177 de Colette. Je n’avais pas encore lu ce livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans ce
178 n des plus charmants dans cette espèce, mais ce n’ est point pour cela que j’en parle ici. C’est pour une raison très précis
179 lumière. Lundi dernier, au petit matin, nous nous sommes réveillés couverts de puces. J’exagère à peine : pour mon compte, j’e
180 r. Je n’en menais pas large. Comme la mère Renaud était venue nous voir la veille, nous ne cherchâmes pas plus loin la cause
181 herchâmes pas plus loin la cause du phénomène. Il est vrai qu’on a beau porter un nombre excessif de jupons, cela ne devrai
182 e. Or, peu de jours auparavant, un petit hérisson était venu se mettre en boule dans la plate-bande qui borde la maison, sous
183 olette, je sais maintenant pourquoi notre chambre était pleine de puces. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme un sym
184 je vois là comme un symbole. Les livres devraient être utiles. On devrait y trouver des renseignements concrets, des recette
185 , des inquiétudes dont ils n’ont même pas l’air d’ être vraiment inquiets, des indiscrétions gênantes et dont on ne sait trop
186 rarement des réponses, ou alors par malchance ce sont justement des réponses à des questions qu’on n’avait pas l’idée de se
187 secousses, indiscrétions, toute cette littérature est sans doute pleine de talent, elle est même littéralement sensationnel
188 littérature est sans doute pleine de talent, elle est même littéralement sensationnelle, mais que veulent-ils qu’on en fass
189 né à un noble usage… » — Commentons : La noblesse est dans l’usage. Pas de noblesse sans usage, sans application précise au
190 ases, il faut se trouver placé soudain devant les êtres en chair et en os dont elles parlent, pour comprendre à quel point el
191 éjà pour une réalité. Deuxième constatation : il est très difficile d’aimer des hommes qui ne nous sont rien, qui ne nous
192 est très difficile d’aimer des hommes qui ne nous sont rien, qui ne nous demandent rien, qui peut-être ne voudraient pas mêm
193 aide (nous égale les intellectuels bourgeois). Il est très difficile d’aimer ces hommes, et cependant ils sont la réalité v
194 ès difficile d’aimer ces hommes, et cependant ils sont la réalité vivante et présente du « peuple ». Par contre, il est très
195 vivante et présente du « peuple ». Par contre, il est très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui no
196 hoses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il est très tentant d’appeler cette haine amour du peuple… Troisième constat
197 e constatation : la plupart des discours que l’on tient au peuple lui sont incompréhensibles ; mais ceux qui les écoutent ont
198 plupart des discours que l’on tient au peuple lui sont incompréhensibles ; mais ceux qui les écoutent ont l’air de trouver c
199 outent ont l’air de trouver cela tout naturel. Je fus certainement le seul ici à m’étonner que l’instituteur citât Ernest L
200 itât Ernest Lavisse ; ou le pasteur, M. Benda. Il est généralement admis en France qu’un orateur dit un tas de choses qu’on
201 . Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloquence est le but du discours, dont le sujet n’est que le prétexte. Je constate.
202 éloquence est le but du discours, dont le sujet n’ est que le prétexte. Je constate. Je conclus que les intellectuels sont e
203 te. Je constate. Je conclus que les intellectuels sont en mauvaise posture pour agir sur le peuple. Qu’ils disent des vérité
204 e les « clercs » à s’agiter dans le vide — ce qui est malsain — et le peuple à ne pouvoir se libérer des charlataneries pol
205 ent que par des violences maladroites, dont il ne sera pas le dernier à pâtir. Impuissance de l’« esprit », bêtise de l’acti
206 t dit, parce que c’était correct, parce que ça se tenait en soi, et qu’au surplus c’était bien dit. Il ne lui est pas venu à l
207 soi, et qu’au surplus c’était bien dit. Il ne lui est pas venu à l’esprit que la vérité est quelque chose qui peut être réa
208 . Il ne lui est pas venu à l’esprit que la vérité est quelque chose qui peut être réalisé. Et qu’il s’agit de prendre posit
209 l’esprit que la vérité est quelque chose qui peut être réalisé. Et qu’il s’agit de prendre position effectivement. S’il s’ét
210 s’agit de prendre position effectivement. S’il s’ était senti interpellé personnellement, invité à choisir, sommé d’approuver
211 conduite sur ce qu’il dit », mais simplement : «  étant donné ses prémisses ou ses préjugés, sa déduction est correcte ». Ai
212 donné ses prémisses ou ses préjugés, sa déduction est correcte ». Ainsi l’intelligence devient irresponsable. Les clercs s
213 qu’on doit penser des gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’a
214 auxquelles on reconnaît tout de suite si un type est avec les petits ou avec les gros. D’autre part, c’est une question de
215 ôle : on aime avoir un député instruit. Mais ce n’ est pas pour qu’il dise des choses intelligentes, ou nouvelles. C’est sur
216 irigeant d’après mes intérêts. Cela va de soi. Il est probable qu’aucun homme du peuple ne s’est jamais dit cela comme je l
217 oi. Il est probable qu’aucun homme du peuple ne s’ est jamais dit cela comme je le dis ici. Mais il me paraît clair que la p
218 t font comme s’ils le pensaient. D’autre part, il est trop certain que les intellectuels professent depuis longtemps en tou
219 mps en toute conscience une doctrine analogue. Il est normal que les hommes sans culture se trompent sur la nature et sur l
220 r la nature et sur le rôle de la culture. Mais il est inquiétant que les hommes cultivés, au lieu de s’efforcer, comme ils
221 t avant tout se préoccuper de le prendre là où il est , et commencer là. Voilà le secret de tout secours… Pour aider réellem
222 ersiste cependant à faire valoir ma science, ce n’ est plus alors que par vanité ou par orgueil, de sorte qu’au fond, au lie
223 kegaard me frappe aujourd’hui comme si elle avait été écrite exprès pour moi, dans ma situation actuelle. Elle contient un
224 un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’ être reconnu par eux à ma juste valeur. Exactement ce que Kierkegaard appe
225 e que Kierkegaard appelle vanité. Cependant, s’il est des plus probables que j’ai, comme un chacun, mon amour-propre, je ne
226 r assez justifié dans l’occurrence. On n’aime pas être tenu pour un feignant ou un rentier, quand on est dans ma situation.
227 ez justifié dans l’occurrence. On n’aime pas être tenu pour un feignant ou un rentier, quand on est dans ma situation. — À c
228 tre tenu pour un feignant ou un rentier, quand on est dans ma situation. — À ce propos : j’arrive au bout de mon petit roul
229 ndant le départ de l’autobus pour Taillefer. Nous sommes attablés ici depuis un bon moment déjà, tout contents de revoir le va
230 ec de notre première tentative d’autonomie. Je ne suis pas arrivé à gagner assez vite ce qu’il nous fallait pour subsister a
231 otre réserve. J’ai travaillé beaucoup, mais je ne serai pas payé avant un mois. Or, un mois, ou même une semaine, cela compte
232 n jour près la date d’arrivée des renforts. Je ne suis pas trop fier de ma retraite stratégique, mais tout de même bien déci
233 n n’a pas l’impression qu’elle dort, mais qu’elle est morte. L’autobus brinquebalant, où nous étions seuls au départ, rappe
234 ’elle est morte. L’autobus brinquebalant, où nous étions seuls au départ, rappelait les plus inconfortables légendes : où alla
235 urse angoissante et agréablement diabolique, ce n’ était pas encore pour aujourd’hui. L’hustubuse ne tarda guère à stopper pou
236 u. — Déjeuné, après le culte, chez M. Palut. Il n’ est pas pasteur en titre, mais seulement « évangéliste » au service d’une
237 ervice d’une œuvre missionnaire. Les évangélistes étant moins bien payés que les pasteurs (dont le traitement de base est de
238 ayés que les pasteurs (dont le traitement de base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cela se trou
239 aitement de base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cela se trouve, des remplacements d’institutr
240 t casse beaucoup d’assiettes. Dans cette île, qui fut presque entièrement protestante au xvie siècle, M. Palut n’a plus au
241 zaine au culte. Les autres habitent trop loin, ou sont indifférents. Il me raconte les efforts qu’il a faits, pendant six an
242 dire que tout ce travail épuisant dans l’inertie soit resté absolument vain : il y a eu quelques conversions. Mais c’est to
243 les abandons ou les départs. (Les protestants qui sont souvent l’élément le plus actif de la population s’expatrient volonti
244 rient volontiers, ou vont habiter les villes.) En été , la petite ville se remplit de baigneurs, et l’auditoire du temple es
245 se remplit de baigneurs, et l’auditoire du temple est décuplé : cela suffit pour qu’on maintienne le poste… J’essaie de me
246 veulent pas même l’écouter, et toute sa raison d’ être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il ne p
247 ent pas même l’écouter, et toute sa raison d’être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il ne peut
248 aire, et il ne peut pas le faire. Et de plus, il est seul à croire qu’il doit le faire. J’imagine qu’il doit apparaître, a
249 ’ailleurs inoffensif. Ou peut-être encore, ce qui est pis, comme un hypocrite qui a trouvé le moyen de vivre sans travaille
250 petit hôtelier breton d’origine catholique, il s’ est converti à vingt ans, et depuis lors il n’a jamais songé qu’il pût fa
251 de surdité spirituelle totale. Seule la politique est encore capable de pousser les hommes à des violences. L’héroïsme vrai
252 es à des violences. L’héroïsme vrai aujourd’hui n’ est plus spectaculaire, il ne fait plus de grands gestes symboliques et p
253 . Il ne tranche pas sur la platitude générale. Il est à peu près idéalement méconnu. Peut-être alors y en a-t-il plus qu’on
254 sommateurs attablés autour de moi. Que les hommes sont laids ! Chacun d’eux me frappe par une difformité particulière, pitoy
255 s de raison pour que les habitants de cette ville soient sensiblement plus laids que ceux du reste de la France. Peut-on aimer
256 si je pouvais les connaître mieux, un à un ? — Il sera bientôt temps de se diriger vers cet autobus rouge qui vient d’appara
257 e le souci du lendemain provisoirement écarté, je serais tombé dans le journal intime, la culture des impressions ou le pittor
258 amenait sans cesse aux mêmes préoccupations. Ce n’ était pas cette vacance où les idées et sentiments changent de climat. Le l
259 ées et sentiments changent de climat. Le loisir n’ est pas simplement la cessation du travail pour un repos nécessaire. Il s
260 par rapport à la sécurité matérielle qu’assurent soit le travail, soit la fortune, soit, dans mon cas particulier, l’amitié
261 sécurité matérielle qu’assurent soit le travail, soit la fortune, soit, dans mon cas particulier, l’amitié. Un chômeur inte
262 lle qu’assurent soit le travail, soit la fortune, soit , dans mon cas particulier, l’amitié. Un chômeur intellectuel peut enc
263 r plus concrètement dans la suite. 1 — Le chômage est devenu aujourd’hui un état d’âme, une « condition », un mode particul
264 ondition », un mode particulier d’existence. Il n’ est plus seulement un accident, une privation provisoire de travail rémun
265 absolument nouveau dans l’histoire n’a pas encore été étudié, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur, en tant que fait psycho
266 en tant que fait psychologique. 3 — Cependant, il est difficile, à la longue — car cela dure, croît et embellit depuis ving
267 par le chômage, dont on admet généralement qu’il est démoralisant. (Pour beaucoup de bourgeois, le chômeur est un être mys
268 ralisant. (Pour beaucoup de bourgeois, le chômeur est un être mystérieux et un peu effrayant, il joue le rôle d’un croquemi
269 t. (Pour beaucoup de bourgeois, le chômeur est un être mystérieux et un peu effrayant, il joue le rôle d’un croquemitaine po
270 oucient peu de connaître la mentalité du chômeur, soit que, bourgeois, ils refusent de croire à la nécessité organique et pe
271 manente de sa condition dans l’ordre capitaliste, soit que, socialistes, ils se bornent à utiliser l’argument politique du c
272 rnent à utiliser l’argument politique du chômage, soit enfin qu’une gêne assez compréhensible les retienne de se mêler du ma
273 es morales.) Voici donc le dilemme : ou bien l’on est dans le chômage, et l’on n’a pas les moyens de s’analyser, de s’expri
274 moyens de s’analyser, de s’exprimer. Ou bien l’on est hors du chômage, et l’on a toutes les raisons de ne pas trop s’en app
275 ’intellectuel chômeur. Il semble que cet homme-là soit à peu près le seul qui ait à la fois le droit et les moyens d’étudier
276 e l’intérieur le « fait du chômage ». Mais cela n’ est pas si simple en réalité. J’ai observé par exemple à plusieurs repris
277 me rencontrer, et que je me donne pour ce que je suis , c’est-à-dire un intellectuel chômeur, je devine chez mon homme un ce
278 ela s’appelait bohème de mon temps ! Et puis vous êtes un bourgeois, un bourgeois ne peut pas faire un « vrai » chômeur, il
279 e qui ne va pas. Enfin, au fait et au prendre, qu’ est -ce que cela signifie d’être chômeur quand on a pour métier de penser 
280 fait et au prendre, qu’est-ce que cela signifie d’ être chômeur quand on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de pense
281 e penser ? Ha ha ! Un intellectuel en chômage, ce serait en somme un monsieur un peu fatigué et qui se donnerait quelques vaca
282 nt mes ennuis matériels. De là à croire que je ne suis qu’un amateur, ou que je pose au prolétaire, il n’y a qu’un cheveu. ⁂
283 cheveu. ⁂ Paradoxes. — Un intellectuel chômeur n’ est pas un homme démoralisé par la privation de travail. Au contraire, il
284 u assuré. Mais le seul fait que la « matérielle » est déficiente change sa conscience d’intellectuel, et l’oblige à se pose
285 tions toutes nouvelles. Un intellectuel chômeur n’ est généralement pas « inscrit au chômage » et ne bénéficie pas du minimu
286 visoire sans renoncer en même temps à sa raison d’ être , — ce qui n’est pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il se
287 ncer en même temps à sa raison d’être, — ce qui n’ est pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il se pourrait que l’i
288 chômage pur : certaines circonstances extérieures sont capables de tuer en certains hommes jusqu’à l’activité de la pensée :
289 tivité de la pensée : mon état d’esprit, quand je suis dans une ville étrangère, où rien ne m’appelle ni ne me parle, où je
290 de résumer les faits : 1 — L’intellectuel chômeur est celui qui ne peut plus vivre de son travail, soit qu’il ait perdu l’e
291 est celui qui ne peut plus vivre de son travail, soit qu’il ait perdu l’emploi régulier qui assurait son budget, soit que l
292 perdu l’emploi régulier qui assurait son budget, soit que la nature même de ses travaux l’empêche d’en tirer de quoi vivre.
293 blement de 40 à 70 ans…) 2 — Le chômage tel qu’il est vécu aujourd’hui par une trentaine de millions d’hommes ne peut pas ê
294 ar une trentaine de millions d’hommes ne peut pas être vécu de la même façon par l’intellectuel. Il atteint les travailleurs
295 plupart du temps, que de papier et d’encre. Il ne sera donc jamais un chômeur absolu, pensant toujours, ce qui est son métie
296 amais un chômeur absolu, pensant toujours, ce qui est son métier. Mais peut-être, du fait même qu’il réfléchit plus que d’a
297 de son état, de cet habitus bourgeois qui, hélas, est encore chez nous la marque de l’intellectuel. Par là même, l’intellec
298 raphique… 21 janvier 1934 (dans l’île) Nous sommes rentrés hier soir dans cette maison glaciale et humide. Il n’y avait
299 le et humide. Il n’y avait plus de pétrole, et il était trop tard pour aller en acheter. Silence, froid, solitude, et ce vent
300 Taillefer. Il me semble déjà que l’ambiance où j’ étais en les écrivant m’a fait exagérer l’importance de l’élément d’insécur
301 e déjà entendu, au double sens du mot. Comme si j’ étais moi-même mon destin, à ce moment, et que par suite, aucune question,
302 , diraient les psychologues. Mais une étiquette n’ est pas une explication.) Pourquoi ce calme, quand j’aurais toutes les ra
303 es projets…? D’où vient cette persuasion que tout est bien, si profonde que je me l’avoue pour la première fois aujourd’hui
304 significatif du monde (quoi qu’il m’advienne), ne serais -je pas désespéré, fou de possibles manqués et de grandeurs inatteinte
305 e possibles manqués et de grandeurs inatteintes ? Serait -ce donc que je crois réellement à la Providence ? Beaucoup de philoso
306 hilosophes contemporains disent que la Providence est un opium ; que l’homme s’endort à imaginer un ordre du monde où sa pl
307 s’endort à imaginer un ordre du monde où sa place serait réservée, alors qu’il s’agirait au contraire de créer cet ordre dans
308 ensé du monde, et parmi des déterminations qui ne tiennent aucun compte de moi : voilà la croyance des hommes forts, disent-ils.
309 cache sous cette volonté de puissance ! La force est calme. Et il me plaît de croire qu’elle s’ignore. Je distingue claire
310 e dans la certitude que la seule force qui compte est celle de la Providence (ou du destin). C’est cela seul qui dispense l
311 grand ne se fait que par la collectivité : s’ils étaient seuls, ils auraient peur de n’être rien. 23 janvier 1934 (écrit su
312 ité : s’ils étaient seuls, ils auraient peur de n’ être rien. 23 janvier 1934 (écrit sur la dune) Il ne faut pas se met
313 tation du désespoir et c’est l’humilité. Si je ne suis pas important, le monde s’agrandit. Je puis encore aimer des paysages
314 grandit. Je puis encore aimer des paysages qui ne sont pas mon « état d’âme », mais une parole à déchiffrer. L’humilité m’ap
315 le développement de pensées puissantes. Ici tout est sans voile, dans sa nudité devant Dieu. Ici plus de dérangements dome
316 “Où fuirai-je devant ta face ?” Cette parole peut être dite en vérité, ici, sur la lande. » Oui, c’est cela, mais Kierkegaar
317 de la lande, son sens ésotérique si l’on veut. Il est curieux de noter qu’en français communion contient et évoque union, a
318 s désignent deux aspects d’un même mouvement de l’ être . Celui qui « se tient devant Dieu » est seul. Il se trouve placé dans
319 cts d’un même mouvement de l’être. Celui qui « se tient devant Dieu » est seul. Il se trouve placé dans un rapport strictemen
320 ent de l’être. Celui qui « se tient devant Dieu » est seul. Il se trouve placé dans un rapport strictement personnel, par d
321 un désert, et ensuite il m’apparaît que ce désert est habité par des hommes dont la présence m’est plus concrète qu’ailleur
322 sert est habité par des hommes dont la présence m’ est plus concrète qu’ailleurs. Ou par une analogie moins profonde : d’abo
323 ar une analogie moins profonde : d’abord la lande est une exaltation, un dépaysement romantique, et ensuite il m’apparaît q
324 ment romantique, et ensuite il m’apparaît qu’elle est une terre réelle, travaillée par des hommes réels, leur imposant des
325 s pas entre eux pour grouper leurs lopins ? Je me suis renseigné. Il paraît bien qu’un maire avait proposé la réforme, avant
326 rché. La tradition de l’île veut que chaque champ soit partagé à la mort du propriétaire en autant de parcelles qu’il y a d’
327 ue les paysans travaillent beaucoup plus qu’il ne serait nécessaire à leur subsistance si la répartition des terres était conç
328 e à leur subsistance si la répartition des terres était conçue non point selon les principes égalitaires, mais selon le bon s
329 mais communautaire, beaucoup de choses pourraient être changées. Mais si personne ne fait rien par le moyen normal de l’éduc
330 d’autre solution que la contrainte. La dictature est un moyen grossier, souvent barbare et toujours déshonorant pour ceux
331 er le sens civique, le sens de la communauté. Qui est -ce qui se préoccupe en France de donner au peuple une éducation solid
332 , j’ai hésité longtemps à croire que la raison en était réellement aussi simple. Je connais tout de même assez la terre pour
333 ssez la terre pour savoir que les mêmes outils ne sont pas bons en tous pays, et je cherchais quelle particularité locale mo
334 toujours fait comme ça. » Un jour, le père Renaud étant venu retourner une planche d’oignons, je lui ai offert les outils à l
335 ns, je lui ai offert les outils à long manche qui sont dans le chai, et il a refusé. « On n’a pas l’habitude. » Contre-épreu
336 C’est que les journaux socialistes et communistes sont rédigés par des bourgeois, ou par des candidats à la bourgeoisie, en
337 aginent les bourgeois et leurs journalistes. Ce n’ est pas dans notre île, d’ailleurs, que j’ai pu constater cette contagion
338 avec des maladresses et de grosses astuces, qui n’ est pas exactement celui des « discussions » qu’on peut entendre dans les
339 de l’instituteur, mariages, décès et naissances) tiennent presque toute la place. Abîme entre la politique des amis du peuple,
340 s n’ont pas ou n’ont plus coutume de se réunir, d’ être ensemble pour causer. Le dimanche, ils « font la partie » chez l’un o
341 aractère utilitaire ou récréatif. La plus fameuse était la Clique des retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de
342 rts de nombreuses fêtes villageoises. Tout cela s’ est dissous quand les hommes sont partis pour la guerre, et rien ne s’est
343 s hommes sont partis pour la guerre, et rien ne s’ est refait depuis. Quand on veut danser on fait venir l’orchestre-jazz du
344 la tombe. Deux réalités fondamentales. Voilà qui est bien dans l’harmonie de cette lande où l’homme et ses maisons mettent
345 . Ils n’attaquent plus, ils se cramponnent. Ce ne sont pas des colons, des défricheurs, mais de petits propriétaires qui se
346 perdu le sentiment de leur commune condition. Ils sont peut-être trop pareils pour éprouver le besoin de s’unir. Ils n’ont p
347 ls autrement ? Bien entendu, certains d’entre eux sont morts ou vont mourir couchés sur une fortune de 100 000 ou de 200 000
348 e : je crois cependant que la proportion des fous est moindre ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux5, et les médeci
349 er de tout cela ? Quand on voit les choses et les êtres de trop près, on perd le peu de foi que l’on pouvait accorder aux idé
350 re à Paris pour y croire. Réveillez ce peuple, il sera peut-être capable de grandes choses — c’est son mystère — mais ne dit
351 s pas que vous le faites pour son bonheur, car il est plus « heureux » que vous. Il faudrait croire fanatiquement à une vér
352 sième République : un État faible, dont le centre est lointain, qui ne croit à rien, et qui par suite ne peut rien exiger d
353 a ressource principale des villages. Le chef-lieu est en train de devenir la proie des politiciens de Paris. Un dimanche ce
354 la proie des politiciens de Paris. Un dimanche ce sont les enfants communistes de la colonie de vacances qui défilent en mai
355 des « cris séditieux » ; le dimanche suivant, ce sont les enfants de la fondation « de droite » et on les applaudit : la fo
356 coup de personnes de l’île. La moitié des maisons sont vides, et quelques-unes déjà tombent en ruines. Et surtout ce régime
357 journée paysanne. — En revenant de la côte, je me suis arrêté au Moulin de la Purée, pour jouer avec les chatons qui pullule
358 aire de ma défunte mère. Le matin, je me dis : qu’ est -ce qu’on va manger ce jour ? Je n’avais pas grand-chose. Le père et l
359 grand-chose. Le père et les deux fils disent : on est plus jeunes que toi, on va aller au travail, et toi tu iras à la pêch
360 es hommes mariés de 30 et 35 ans, voyez comme ils sont aujourd’hui ! Ils sont venus pendant la nuit, on a su qui c’était par
361 et 35 ans, voyez comme ils sont aujourd’hui ! Ils sont venus pendant la nuit, on a su qui c’était par la suite. Ils ont pris
362 oilà ! Et pourquoi ? Pour plaisanter ! Quand j’ai été nourrir ma chèvre, je ne l’ai pas vue. J’entre : je ne vois rien. Je
363 vue. J’entre : je ne vois rien. Je me dis : elle est peut-être dans le coin derrière. J’y vais, je regarde : rien. Ils l’a
364 ient volée. Ça m’a fait comme une gifle ! J’en ai été malade comme un chien. Et après, eh bien, les malheurs sont venus de
365 e comme un chien. Et après, eh bien, les malheurs sont venus de partout. On a retrouvé la chèvre. Mais elle est toute changé
366 us de partout. On a retrouvé la chèvre. Mais elle est toute changée. « Je l’ai fait couvrir deux fois : c’était comme si l’
367 vait rien fait. Mais je n’en veux pas d’autre. Je suis sûre qu’avec une autre bête, même une bête chevaline, ce serait parei
368 ’avec une autre bête, même une bête chevaline, ce serait pareil, maintenant… » Fin février 1934 Sur la pauvreté. — Elle
369 Fin février 1934 Sur la pauvreté. — Elle n’ est un problème social si grave que parce qu’elle est d’abord un problème
370 est un problème social si grave que parce qu’elle est d’abord un problème moral non résolu. Pour la majorité des modernes,
371 , mais d’abord humiliation. « Devenir pauvre », «  être ruiné », c’est selon les cas perdre vingt millions sur quarante, ou s
372 ns tous ces cas, le problème que pose la pauvreté est avant tout moral : ce qu’on craint le plus, et en premier lieu, senti
373 ux qu’inspire la publicité. En somme, tout cela n’ est effrayant que parce que l’on n’a pas l’esprit de pauvreté qu’on aime
374 ’église ou dans les livres. On croit que pauvreté est vice, et c’est même justement parce qu’on le croit qu’on répète le pr
375 la psychose de crise qui énerve la bourgeoisie n’ est pas ailleurs que dans l’« esprit de pauvreté ». Et j’ajoute aussitôt
376 solution pratique de la misère réelle, celle qui est vécue depuis longtemps ou depuis toujours par une partie du peuple, e
377 emps ou depuis toujours par une partie du peuple, est au contraire dans la révolution matérielle. Mais cette révolution ne
378 a révolution matérielle. Mais cette révolution ne sera durable et vraiment novatrice que si elle s’accompagne d’une révoluti
379 éantir physiquement toute la bourgeoisie (nous ne sommes pas en Russie). Et tant qu’il y aura des bourgeois, il y aura des gen
380 À moins qu’ils ne comprennent un peu mieux ce qu’ est l’esprit de pauvreté. Mais qui le comprend aujourd’hui ? Pour peu qu’
381 oir, on ne l’a plus. Et quand on l’a vraiment, il est probable qu’on l’ignore. (Ne disons rien des hypocrites et des naïfs
382 urbains, etc.) Sans doute l’esprit de pauvreté n’ est -il donné qu’à ceux qui croient à autre chose qu’à leur vie, à autre c
383 ang, etc., ou même à leur valeur spirituelle. Ils sont très peu. Ou plutôt, disons qu’on en connaît très peu : quelques gran
384 sans le savoir. 28 février 1934 Gens. — Il est très impressionnant de se demander en face de ces hommes, à quelques
385 1er mars 1934 Minimum vital. — Il ne faut être ni riche ni pauvre, selon les mesures sociales qui ne valent jamais q
386 amais que pour « les autres ». Il faut simplement être libre selon la mesure de sa vocation. C’est par rapport à sa seule vo
387 oin pour vivre. S’il a plus ou s’il a moins, s’il est « riche » ou s’il est « pauvre » (ce qui ne saurait être déterminé qu
388 plus ou s’il a moins, s’il est « riche » ou s’il est « pauvre » (ce qui ne saurait être déterminé que par rapport au train
389 riche » ou s’il est « pauvre » (ce qui ne saurait être déterminé que par rapport au train « normal » que lui impose sa vocat
390 lui impose sa vocation), il court un risque qui n’ est pas son vrai risque. Il se voit entraîné hors de sa ligne dans des co
391 rs de sa ligne dans des conflits où sa personne n’ est pas totalement engagée, parce qu’elle ne les a pas créés. Le but conc
392 ssible, c’est d’accorder à tout homme, quel qu’il soit , le « minimum vital » qui lui permette d’obéir à sa vocation. Toute l
393 évidemment sur le fait que ce minimum ne saurait être fixé au plus juste qu’en fonction de chaque « personne ». C’est l’Éta
394 tienne compte des vocations particulières ? Elles sont souvent d’une lecture très douteuse pour ceux mêmes qui devraient les
395 do, selon leurs vocations. Et le minimum qui leur serait accordé varierait d’une catégorie à l’autre. (Cela touche à l’absurde
396 res selon leur profession : d’autant plus qu’elle serait plus monotone par exemple, ou qu’elle supposerait moins d’énergie cré
397 rtance des autocars et des transformations qu’ils sont en train de causer dans la vie provinciale. Je n’ai pas compté le nom
398 er dans plusieurs départements de l’Ouest qu’il n’ est plus guère de « pays » qui ne soit desservi par une ou deux ou même t
399 l’Ouest qu’il n’est plus guère de « pays » qui ne soit desservi par une ou deux ou même trois compagnies de transports locau
400 ndément la coutume de la France rurale. Mais ce n’ est pas encore assez dire : l’autocar modifie complètement le mode de con
401 llait à Paris ou qu’on en venait. Tout le reste n’ était que tortillards cahotants, jamais à l’heure, où l’on se sentait relég
402 que village. Aujourd’hui, les stations d’autocars sont sur la place principale. C’est de là qu’on part au milieu d’une grand
403 l’on voit le mieux de chaque pays. La voie ferrée était une sorte d’insulte à la vie locale : elle la traversait abstraitemen
404 art sans remarquer que les gens qui l’habitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’es
405 me sorte, et que d’une province à une autre, ce n’ est pas seulement le paysage qui change. N’était-ce pas là l’une des rais
406 , ce n’est pas seulement le paysage qui change. N’ était -ce pas là l’une des raisons qui faisait si facilement nier la subsist
407 sa tête de ligne chez un bistrot différent, et il est rare qu’on puisse trouver l’horaire ailleurs. Parfois le bistrot vend
408 a concurrence qui a fait baisser les prix. Car il est de règle qu’au début deux Compagnies se disputent le parcours, jusqu’
409 argoulins, topazes, etc. Si l’on a le temps, il n’ est pas impossible de pousser la « discussion » sur un plan supérieur, d’
410 s. Bref, lorsque vous montez dans l’autocar, vous êtes renseigné, vaille que vaille, sur les facteurs économiques du pays, s
411 ent au départ avec force recommandations ; et ils sont rares, ceux qui n’ont pas deux mots à dire par la portière entrouvert
412 s cheveux au vent sur le bord de la route. Rien n’ est plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela tient évidemment à leu
413 st plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela tient évidemment à leur métier. Ce sont en général de jeunes gaillards soli
414 r de car. Cela tient évidemment à leur métier. Ce sont en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les
415 accordées à ceux qui commandent et disposent, ne fût -ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien les hommes avec l
416 et la rapidité d’esprit que les bourgeois, qui en sont dépourvus, attribuent par erreur au « peuple » en général. Sans compt
417 r les moyens techniques dont ils disposent et qui seraient décisifs lors d’une action rapide. Mais loin de moi ces ambitions : c
418 ux qui les ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais
419 é dans l’autocar de Taillefer voulait savoir quel était mon métier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’é
420 nd j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’ étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écria : « Ah ch
421 fonctionnaire (c’était pour le flatter), et cela tient aux circonstances mêmes qui l’ont mis dans le cas d’écrire. Car ou bi
422 s. Je dis les antres. De toute façon, un écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu
423 05 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à bicyclette ou en charrettes, de tous les village
424 s villages voisins. Du haut de la colline où nous étions tous réunis pour déjeuner, on dominait tout un canton de marécages mé
425 tenir une centaine d’auditeurs. L’orateur doit se tenir debout au milieu d’eux, de manière à pouvoir, tout en parlant, passer
426 i bien que j’avais pu le laisser croire ; si ce n’ était pas encore un de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient pl
427 ravant, etc. Mais ce qui me surprit davantage, ce fut la question franche d’un garçon de vingt ans, costaud, l’air intellig
428 rait faire la même chose ici ? » Pour sa part, il était sceptique. Il pensait qu’en Vendée les choses ne seraient pas si simp
429 sceptique. Il pensait qu’en Vendée les choses ne seraient pas si simples, que la situation matérielle était meilleure et demand
430 aient pas si simples, que la situation matérielle était meilleure et demandait un développement tout différent ; qu’on voulai
431 sions (je n’ose pas en dire davantage : tout cela est encore moins clair dans la réalité que dans ce résumé). Quand j’ai pr
432 es que je craignais. (On peut donc gouverner sans être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’un brave type comme nous
433 e venais d’exposer, afin de voir si mes auditeurs étaient de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précis
434 ns que j’avais tirées de la conférence à A. Elles sont également vraies. Ce qui est faux, c’est de parler du peuple en génér
435 nférence à A. Elles sont également vraies. Ce qui est faux, c’est de parler du peuple en général. — « On le savait depuis l
436 17 mars 1934 L’instituteur vendéen. — Nous étions assis dans sa cuisine avec sa femme et ses deux enfants. C’est un hom
437 irection. Nous ne savons pas que lire. Le travail est dur, ici. Il faut lutter contre les parents, contre la concurrence de
438 sai, mais c’est toujours de la politique. Quand j’ étais jeune, j’ai beaucoup lu Anatole France, c’est à cause de lui que j’ai
439 i perdu la foi. J’aimais beaucoup Romain Rolland. Est -ce qu’il est mort ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’il y aurait d’
440 i. J’aimais beaucoup Romain Rolland. Est-ce qu’il est mort ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’il y aurait d’intéressant à
441 Vous ne lisez pas de journaux politiques ? — Ce n’ est pas ce qu’on cherche. Il faudrait en lire deux au moins pour corriger
442 C’est aussi à cause de cette centralisation : qu’ est -ce qu’ils savent de notre situation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aurait
443 est-ce qu’ils savent de notre situation à Paris ? Est -ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire un mouvement politique en deho
444 commune ? On sent bien ce qu’il faudrait. Mais qu’ est -ce qu’on peut, tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une
445 ïveté, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est
446 ffort est de s’écarter le plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est bizarre, affectée et maigrelette, toute gui
447 plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est bizarre, affectée et maigrelette, toute guindée de petites astuces, d
448 ’il s’agit de passions. Trop difficile quand elle est belle (Claudel ne peut pas devenir populaire). Tristement bourgeoise
449 ire). Tristement bourgeoise et fausse, quand elle est facile. Et les ouvrages « d’avant-garde » donnent dans l’ensemble une
450 paraît que ça va se porter de plus en plus. Telle est la pauvre chance des écrivains français : il a fallu un nouveau confo
451 tte. Je ne sais plus quel poète a écrit : « L’art est une question de virgules. » Voilà qui donne exactement la mesure de l
452 leurs ambitions. Même si cette innocente remarque est juste du strict point de vue d’un artisan précieux de la langue franç
453 te autre époque de nos lettres) je pense que ce n’ est pas par hasard que tous les grands artistes ont jugé bon de parler d’
454 ncore, puisqu’une nouvelle période de trois jours est entamée. Toute la germination est comme crispée dans son essor depuis
455 de trois jours est entamée. Toute la germination est comme crispée dans son essor depuis le début de la tempête ; elle s’e
456 son essor depuis le début de la tempête ; elle s’ est mise sur la défensive. Et moi aussi, je ne parviens plus à avancer da
457 , plus il me vient d’idées fermes et utilisables. Est -ce que les vraies idées viendraient du seul contact des choses, par l
458 d’autres ont créé. 3 avril 1934 La solitude est une jeunesse. Elle nous apprend cette chose nouvelle que nous savions
459 lle que nous savions déjà, c’est vrai, quand nous étions adolescents, chose nouvelle au goût de souvenir, que trop de téléphon
460 ombes ; cette chose toujours neuve et nouvelle qu’ est l’attente d’on ne sait quoi. Condition véritable de l’homme : il est
461 e sait quoi. Condition véritable de l’homme : il est celui qui agit dans l’attente. Il attend des révélations. C’est évide
462 tions. C’est évident ! Ses actions les plus pures sont des appels et des incantations ; leur sens est toujours au-delà. Elle
463 s sont des appels et des incantations ; leur sens est toujours au-delà. Elles ne sont que symboles, invites angoissées ou s
464 ations ; leur sens est toujours au-delà. Elles ne sont que symboles, invites angoissées ou séductions tentées dans l’inconnu
465 nécessairement sur fond de mort. (La jeunesse qui est l’âge de l’attente la plus ardente de la vie est aussi l’âge le plus
466 est l’âge de l’attente la plus ardente de la vie est aussi l’âge le plus familier avec la mort.) Ainsi nos gestes se prolo
467 Ainsi nos gestes se prolongent, et leur grandeur est dans l’attente qu’ils trahissent. Si le travail moderne est dégradant
468 ’attente qu’ils trahissent. Si le travail moderne est dégradant, c’est qu’on a limité ses gestes à l’immédiat, et borné son
469 at, et borné son attente au salaire. Or toute vie est absurde et violemment inacceptable, qui ne s’ouvre pas sur l’attente
470 e que je retrouve dans une pile de notes. La page est restée blanche. Et, toute réflexion faite, c’est bien ainsi, et très
471 noire qui habite seule au bout du jardin. Elle y est pourtant depuis notre arrivée, héritée du propriétaire. Nous l’avons
472 ir pendant des mois, la croyant trop vieille pour être mangée, sinon pour faire encore quelques œufs. Elle paraissait inguér
473 il. (Où va se loger la vanité !) — Le père Renaud était là tout à l’heure pour me donner un coup de main au jardin (Je rappre
474 agnarde). Comme je lui offrais une cigarette il s’ est redressé d’un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis lo
475 eux sous parce qu’il avait pris le monopole. Ça n’ est pas les deux sous, mais il faut se défendre ! » 15 avril 1934
476 ci ne comprendraient rien à ce que je fais, et ce serait assez normal, il y a l’obstacle du vocabulaire, d’une certaine techni
477 e peuple » cela ne peut accrocher à rien dans cet être que j’ai devant moi, avec ses rides, sa barbe et sa casquette, et qui
478 tinue à me parler de la pêche, de son filet qui a été emporté hier, etc. Quel sens concret cela peut-il avoir de parler de
479 de contact, ni jamais de commune mesure ? Mais je suis homme aussi bien qu’eux. Et ce que j’écris m’intéresse tout entier, e
480 noms propres d’hommes du peuple que j’ai connus, est -ce que mes raisonnements ne paraîtraient pas loufoques ? Je reviens à
481 rendre telles qu’elles puissent, je ne dis pas : être comprises, mais au moins, en pensée, confrontées sans un ridicule ang
482 cule angoissant avec la réalité des choses et des êtres dont elles utilisent le concept… Eh bien, voilà le résultat : après u
483 bas de la page. Il me semble vraiment que cela se tient . Il me semble aussi que c’est concret. Je me dis que cette impression
484 des affinités ou répulsions que les faits ou les êtres qu’ils sont censés représenter n’ont pas dans la réalité. À la fin on
485 s ou répulsions que les faits ou les êtres qu’ils sont censés représenter n’ont pas dans la réalité. À la fin on obtient l’a
486 me laisse assez froid. La culture m’a repris. Je suis dans le faux et tout y est correct : je dis que la thèse que je défen
487 ulture m’a repris. Je suis dans le faux et tout y est correct : je dis que la thèse que je défends est vraie !… Il y aurait
488 est correct : je dis que la thèse que je défends est vraie !… Il y aurait de quoi s’arrêter de penser, si l’on pouvait. C’
489 nt » (Lettre à Guez de Balzac, 13 mai 1631). Ce n’ est pas Descartes qui eût écrit ce Journal ! Mais nous, nous chercherons
490 Sterne. Le principe de toute culture véritable n’ est -il pas cette commune mesure, sinon de raisons formulables, du moins…
491 séries de pensées et la diversité désordonnée des êtres et des choses, où nous vivons ? « Je pense, donc j’en suis. » Et je n
492 es choses, où nous vivons ? « Je pense, donc j’en suis . » Et je ne suis guère, si je n’en suis pas. Et je ne pense bien, val
493 s vivons ? « Je pense, donc j’en suis. » Et je ne suis guère, si je n’en suis pas. Et je ne pense bien, valablement, en véri
494 donc j’en suis. » Et je ne suis guère, si je n’en suis pas. Et je ne pense bien, valablement, en vérité, que si je me sens e
495 moyen de ma révolte, sans pour autant cesser d’y être pris). Descartes prétendait le fuir par ce biais de ne le point regar
496 s eût porté la déroute en son système. Mais nous, serons -nous assez forts pour penser les yeux bien ouverts ? 16 avril 1934
497 mais au centre de mon domaine, et c’est Paris qui est loin maintenant, peu vraisemblable ; et non plus moi. Premières roses
498 de mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer est d’un vert-bleu crayeux, très froide encore. On ne peut guère que se t
499 l de l’ère moderne comme le seul homme qui ait su être utile avec grandeur, dans toutes ses pensées. Mais utile à soi-même,
500 èce, dont le sépare enfin cette perfection… Telle est la formule à la fois de la mission et des limites de Goethe. Et c’est
501 n de ce petit coin de conscience humaine qui nous est accessible en Occident. Le romantisme s’évapore de nos vies. L’esprit
502 s plus comment parler à nos voisins, nos échanges sont lourds et naïfs, incertains et souvent absurdes, les matériaux inform
503 objets, qui n’en renvoient pas même l’écho. Nous sommes là, petits individus, devant ce qu’on nomme les « masses », exprimant
504 séparés de cela qu’il nous semble parfois qu’il n’ est plus qu’une alternative de manœuvre : nous laisser prendre par la fou
505 Car la question, la permanente et vraie question est celle des relations nécessaires entre l’esprit individuel, et l’espèc
506 x fuites : devant soi-même ou devant le monde. Il serait temps d’envisager maintenant comment l’homme peut être présent au mon
507 temps d’envisager maintenant comment l’homme peut être présent au monde et à soi-même conjointement. Problème du siècle, ou
508 le premier. Et c’est pourquoi je pense qu’il nous est bon de reprendre aujourd’hui son problème, là où il l’a porté, et dan
509 e doit conduire l’action ; mais sans agir, elle n’ est pas vraie pensée. L’individu ne saurait s’accomplir qu’en relation av
510 e tension entre les autres et lui, et le problème est de trouver, tout en marchant, un équilibre entre ces forces antagonis
511 d’une variation de cette nature font voir qu’elle est le vrai ressort de toute l’Histoire. ⁂ Goethe vivait dans un ordre so
512 e suicide à cause de sa rupture avec le monde. Qu’ est -ce à dire ? c’est qu’il tombe en soi. Il n’y trouve pas de quoi durer
513 erther — et de supporter la condition sociale, ce sera pour Goethe, désormais, de se construire un ordre individuel aussi so
514 générations vont se débattre et s’épuiser. Goethe sera l’homme en relation avec le monde, la société, et la nature ; mais de
515 e cette relation, de cette tension, la résultante sera constamment dirigée vers lui-même, je veux dire vers son moi idéal, l
516 autonome. L’admirable objectivité de son regard n’ est en fin de compte qu’une discipline éducative dont il entend tirer pro
517 lui paraît fort acceptable (utilisable, tel qu’il est , pour un Goethe tel qu’il se voudrait). Rien n’est plus significatif
518 st, pour un Goethe tel qu’il se voudrait). Rien n’ est plus significatif à cet égard que les notes sur Venise du Journal ita
519 t cela d’un regard tranquille et subtil, et je me suis réjoui de cette grande existence. » « Je me suis hâté d’aller voir la
520 suis réjoui de cette grande existence. » « Je me suis hâté d’aller voir la place Saint-Marc, et mon esprit maintenant est e
521 oir la place Saint-Marc, et mon esprit maintenant est enrichi et agrandi de cette image. » Le regard qu’il porte sur le mon
522 cette image. » Le regard qu’il porte sur le monde est l’un des plus précis qui furent jamais portés, mais c’est en lui, dan
523 l porte sur le monde est l’un des plus précis qui furent jamais portés, mais c’est en lui, dans son esprit, qu’il veut en mesu
524 erait que l’équilibre entre sa vision et le monde soit presque absolument atteint. Et pourtant comment ne point sentir le pr
525 rs, et le peuple m’intéresse infiniment. Hier, je suis resté longtemps au marché, et j’ai bien regardé comme ils marchandaie
526 attention et une astuce inexprimable… » « Tout a été dit ou écrit sur Venise, je ne t’en rapporte donc que peu de choses,
527 aire, dépourvue d’arbitraire. Cette peuplade ne s’ est pas réfugiée sur ces îles pour son plaisir, et si d’autres se sont un
528 sur ces îles pour son plaisir, et si d’autres se sont unies à elles, ce ne fut point par quelque caprice… » « Une existence
529 isir, et si d’autres se sont unies à elles, ce ne fut point par quelque caprice… » « Une existence nécessaire, dépourvue d’
530 modèles d’ordre que la société toute défaite qui est la nôtre ne paraît plus capable de subir. Il y a, ou tout au moins il
531 lus d’ordre en nous que dans le monde. Le vertige est à l’extérieur. Et lorsque éclate le conflit entre notre moi et le mon
532 e son jeu, et la plupart de ses établissements ne sont pour nous que signes du désordre. C’est à son anarchie, non à la nôtr
533 s aujourd’hui tout se passe comme si le but final était bien moins de nous réaliser que d’informer un monde neuf, qui enfin n
534 umes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne sont plus destinées à notre seul usage interne : elles prennent l’allure d
535 simple changement de signe dont l’importance nous est encore incalculable, je voudrais indiquer maintenant l’un des premier
536 s de cet ordre, et qui le confirment le mieux, ce sont les œuvres. Une œuvre littéraire, pour Goethe, joue le rôle d’un obje
537 t organique. Iphigénie ou Les affinités électives sont à la fois des preuves d’une maîtrise de soi-même déjà conquise, et de
538 emple d’un individu qui a su tirer du monde où il est né les nourritures les plus richement assimilables. Il choisit, il co
539 ns de puissance exemplaire et d’efficace qu’elles seraient plus parfaites, c’est-à-dire détachées de nos contingences présentes.
540 s modèles que nous puissions prétendre offrir, ce sont les preuves de notre engagement dans la réalité vulgaire du monde act
541 peut modifier le sort de ses victimes, dont nous sommes . Je vois alors une littérature de transition dont l’ambition ne sera
542 une littérature de transition dont l’ambition ne sera plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’être à tout moment à
543 plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’ être à tout moment à l’œuvre toujours ouverte vers le monde, trop près de
544 sant toutes les formes anciennes. Mais ces formes étaient exclusives, elles souffriront de cette nouveauté, c’est à prévoir. Un
545 rt hautain, fermé sur soi. Je ne dis pas qu’il en soit incapable, qu’il n’aime plus cela, qu’il le condamne dans l’absolu. J
546 un certain ordre « élevé » où certaines harmonies sont possibles et par avance élaborées : antiquité, société policée, objet
547 dans nos contacts humains les plus banals ! Nous serons d’autant plus assurés de le toucher utilement que nous aurons moins c
548 oman, essai, commentaires ou poèmes, la fiction n’ étant plus qu’un alibi, ou peut-être une dernière pudeur… Il faut que l’esp
549 es degrés. Qu’il s’humilie — littéralement — pour être utile. Qu’il apprenne à se débrouiller avec des choses vulgaires et t
550 r avec des choses vulgaires et troubles, avec des êtres vrais et qui résistent, avec des faits qu’il se sent maladroit à form
551 ois même à prendre au sérieux, tant qu’il n’a pas été brusqué par eux. Mais aussi rien n’est plus excitant pour la pensée,
552 il n’a pas été brusqué par eux. Mais aussi rien n’ est plus excitant pour la pensée, rien ne saurait mieux la provoquer à l’
553 e cette découverte du monde à un niveau où elle n’ est pas connue, où elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de mir
554 et sans révolte. Sensiblerie évidemment, mais qu’ est -ce que cela veut dire ? Je parlais de « l’attente ardente » des créat
555 ce de notre royauté nécessaire et réparatrice. Il est probable que le tigre en train de déchiqueter une jeune gazelle ne fa
556 t pas de sentiment. Et pourtant, ma sensiblerie n’ est hypocrite que parce qu’elle reste pratiquement insuffisante. Elle est
557 rce qu’elle reste pratiquement insuffisante. Elle est plus juste, et plus digne de l’homme que ces vertus de carnassiers qu
558 ’allais conclure : nos rapports avec la nature ne sont guère plus satisfaisants que nos rapports avec les hommes. Mais atten
559 ts avec les hommes. Mais attention : Si l’homme n’ est que nature, il reste dans l’ordre naturel en tuant pour assurer sa su
560 mme le font tous les autres animaux. Si l’homme n’ est que nature, mon scrupule est contre nature. Et toute espèce de pacifi
561 nimaux. Si l’homme n’est que nature, mon scrupule est contre nature. Et toute espèce de pacifisme ou d’humanitarisme, au bo
562  : un peu comme les eunuques. Alors ? La question est tranchée ? Ou plutôt, il n’y a pas de question ? Et ceux qui se la po
563 se la posent — sans même parvenir à la résoudre — sont simplement de pauvres types ? « Parlez-moi des avions de bombardement
564 du bifteck. Il n’y a que ça de sérieux. » L’homme est un animal raisonnable. C’est de plus en plus évident. 22 mai 1934
565 ule que la nature vit. » (Coleridge). « Car nous sommes là pour deviner les choses dans leurs natures particulières, alors el
566 leurs natures particulières, alors elles nous en sont reconnaissantes. » (C. F. Ramuz). « D’autant plus nous connaissons l
567 ns l’intérieur de son âme, dans une partie de son être inconnue à lui-même. Quoi de plus simple que d’imaginer que cet effor
568 e cet effort de la nature pour pénétrer en nous n’ est pas sans une mystérieuse signification ? » (Benjamin Constant). « C
569 on ? » (Benjamin Constant). « Car la création a été soumise à la vanité — non de son gré mais à cause de celui qui l’y a
570 ui l’y a soumise — avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la libe
571 de l’enfantement… Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. » (Romains 8, 20-24). 24 mai 1934 On dirait que l’homme
572 20-24). 24 mai 1934 On dirait que l’homme n’ est pas fait pour durer : la vie étale nous ennuie, c’est ce qui naît et
573 émeut. Cette nuit, avant d’aller me coucher, j’ai été voir encore au poulailler. (Nous attendions depuis deux jours l’éclos
574 me pas qu’ils l’exigent… Mais pour peu qu’on s’en soit aperçu, il n’est plus guère possible de le feindre, fût-ce pour tâche
575 igent… Mais pour peu qu’on s’en soit aperçu, il n’ est plus guère possible de le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un pe
576 erçu, il n’est plus guère possible de le feindre, fût -ce pour tâcher de gagner un peu d’argent. Tout cela me rend plutôt ir
577 erre. Merveilleuse piste de bicyclette. Nous nous sommes procuré deux vieux clous tout rouillés. Ils supportent très bien de r
578 nte, quand on ne sait plus ce qui bouge et ce qui est fixe, à grande vitesse ! 5 juin 1934 Le jardin à 7 heures du ma
579 ourt sur la table verte. L’après-midi, la chaleur est trop forte. Je travaille dans la grande pièce de l’étage, où j’ai tra
580 transporté ma table à tréteaux. Un de mes rêves s’ est ainsi réalisé : écrire sur une table en sapin, dans une vaste pièce v
581 ande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de pins à l’ est et au Fier, qui termine les marais, nous découvrons que notre domaine
582 ine les marais, nous découvrons que notre domaine est bien étroit… Cela n’a plus la grandeur romantique de la désolation d’
583 ieu sait quoi. Pour moi, je sais seulement que je suis content. Hier soir, j’avais fait une dernière revue de nos possibilit
584 ntre « le sort » depuis sept à huit mois que nous sommes dans l’île. Je n’étais pas fier. Ce matin, nous avons décidé de réagi
585 sept à huit mois que nous sommes dans l’île. Je n’ étais pas fier. Ce matin, nous avons décidé de réagir. Quand une auto risqu
586 freiner, mais peser à fond sur l’accélérateur. Je suis allé à A. acheter des cigarettes. J’ai demandé à Mellouin d’apporter
587 r le canard des grandes occasions, quand la chose est arrivée. Apportée par la factrice. Une grosse enveloppe cachetée, ven
588 n’aurais jamais eu l’idée de solliciter. Et qui m’ est octroyé pour un petit livre paru sans bruit il y a plus de dix-huit m
589 ns bruit il y a plus de dix-huit mois. Les hommes sont bons ! Du moins certains d’entre eux. Sur le moment, ce qui m’a le pl
590 moment, ce qui m’a le plus frappé, c’est que je m’ étais fâché, hier soir, et que la Providence, évidemment, se payait ma tête
591 j’ai calculé que cela nous permettait de passer l’ été ici, sans inquiétude. Ou encore, de le passer ailleurs sans ennui.
592 is en juillet. Tout cela probablement parce que j’ étais à bout de ressources, ne bougeais plus ni pied ni patte, et n’écrivai
593 nce, ou plutôt du retrait. (Il ne faut pas que ce soit une feinte, bien entendu, cela ferait tout rater ; il faut un véritab
594 homéopathes. 16 juin 1934 La banque d’A. n’ est ouverte qu’un jour par semaine. Ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai pu a
595 e d’A. n’est ouverte qu’un jour par semaine. Ce n’ est qu’aujourd’hui que j’ai pu aller y négocier mon chèque. J’arrive deva
596 gocier mon chèque. J’arrive devant la porte où il est écrit : caisse. Je frappe et entre. Un homme penché vers le guichet p
597 uit de voix dans la salle de la caisse. Le client est -il sorti ? Quel peut bien être le motif de cette audience privée ? En
598 a caisse. Le client est-il sorti ? Quel peut bien être le motif de cette audience privée ? Enfin, j’entends qu’on sort, et l
599 t ou quand ils touchent de l’argent. C’est qu’ils sont très spéciaux, les gens d’ici ! Moi je n’y viens qu’une fois par sema
600 ils n’auraient pas idée de ça, au contraire, ils sont tout fiers de venir à la banque. Ici, on a dû faire cette salle d’att
601 ’en puis juger d’après les propos du gérant, ce n’ est pas seulement la crainte, après tout légitime, qu’on sache combien il
602 illette ce journal : voici des semaines qu’il n’y est à peu près plus question des « gens ». En somme, je ne m’intéresse pl
603 reilles. Grande différence entre eux et moi : ils sont adaptés à leur conduite et à leur milieu, comme les animaux. Ils ne s
604 ue de nous » ; la mère Renaud, par exemple, qui s’ est fait opérer en mai, d’un cancer au sein, vient parfois s’installer su
605 e fils ingrat, de nièce coureuse, etc. Les hommes sont ennuyeux les uns pour les autres, dès qu’ils ont cessé de s’étonner l
606 et qu’ils n’ont pas le même genre de métier. Ce n’ est pas la « classe » qui nous sépare ici, mais la profession, les préocc
607 rtout, je pense… Il vaut mieux partir quand on en est là. Quand on en est à ne plus voir le voisin, la situation n’est plus
608 vaut mieux partir quand on en est là. Quand on en est à ne plus voir le voisin, la situation n’est plus humaine, elle ne po
609 n en est à ne plus voir le voisin, la situation n’ est plus humaine, elle ne pose plus de questions utiles. 2 juillet 193
610 ions utiles. 2 juillet 1934 La sécheresse a été la plus forte : malgré nos arrosages, les salades et les choux sont b
611  : malgré nos arrosages, les salades et les choux sont brûlés, la terre se craquelle, ou devient poussiéreuse. Il n’y a plus
612 nt dans un tiroir. Cela signifie que j’ai cessé d’ être chômeur. Le départ est fixé au 10. Il va falloir vendre la poule noir
613 signifie que j’ai cessé d’être chômeur. Le départ est fixé au 10. Il va falloir vendre la poule noire et les poulets encore
614 oule noire et les poulets encore trop jeunes pour être mangés. Régler vingt petites choses de cette espèce. Petites choses p
615 emière fois mesquines… 10 juillet 1934 Tout est bouclé, ficelé, cloué, transporté en brouette à la station de l’« hus
616 assure… J’ai pensé plus d’une fois qu’il pourrait être utile de décrire ma petite expérience d’intellectuel en chômage ; qu’
617 rience d’intellectuel en chômage ; qu’il pourrait être utile de montrer qu’on peut sortir des villes où se font les « carriè
618 tant de gens invoquent avec un accent triste. Je suis devenu tout doucement amoureux de ma vie, et je crois bien que c’est
619 ui dirait au coin d’un bois. Je crois que le réel est à portée de la main, et n’est que là. Alors il s’agit seulement d’ass
620 e crois que le réel est à portée de la main, et n’ est que là. Alors il s’agit seulement d’assurer la prise de cette main. C
621 pauvreté pouvait seule m’y forcer utilement. Ce n’ est pas que je fuie les risques. Je crois avoir fait bon ménage avec celu
622 tendait ici. Mais le risque authentique et fécond est celui qu’on ne cherche pas comme une réponse à son ennui — faut-il di
623 vaniteuse, de tenter le destin « pour voir », qui est la manière des amateurs de vie intense, trahit je crois d’assez banal
624 s complaisances. Et le destin répond à ces défis, fussent -ils géniaux, par des énigmes ironiques. Au bout du compte, Don Juan n
625 y apporter. Qu’enfin les seules questions réelles sont celles que l’existence nous pose, et non point celles que nous posion
626 peuvent plus arriver à se connaître, tels qu’ils sont , qu’à la faveur d’une coucherie compliquée, d’un crime ou d’une révol
627 ard exact. Si jamais je publiais ce cahier, ce ne serait pas pour l’ébahissement de ceux qui rêvent d’autres vies que la leur 
628 erté, à peu de frais. Je dis quelques personnes : sont -elles si rares à désirer ce dont les romanciers ne parlent pas, et qu
629 rer ce dont les romanciers ne parlent pas, et qui est pour moi la seule chose nécessaire ?   Je viens d’interrompre cette p
630 es salades ont monté, le carré de pommes de terre est dévasté ! J’ai entrouvert la porte du poulailler et les poulets se so
631 trouvert la porte du poulailler et les poulets se sont précipités dehors l’un après l’autre avec une espèce d’affolement. Il
632 , et les petits se précipitaient à son caquet. Je suis resté un bon moment à contempler cette espèce d’orgie, consommant la
633 s, de ces plaisirs d’une fascinante pauvreté, qui sont peut-être aussi les plus communs à tous les hommes, — comment le savo
634 is, et qui sait si plusieurs de mes semblables ne seraient pas contents de l’apprendre ? Ce n’est pas une nouvelle bouleversante
635 es ne seraient pas contents de l’apprendre ? Ce n’ est pas une nouvelle bouleversante, c’est même plutôt une sorte de secret
636 Deux petits journaux paraissent dans l’île. L’un est aux mains de M. T…, député de droite, et des « curés ». L’autre est «
637 . T…, député de droite, et des « curés ». L’autre est « républicain et antifasciste ». 2. Village à l’autre extrémité de l
638 in sablonneux ». Reste la question de savoir s’il est normal de se déformer le corps pour gagner un peu plus. Or ils y sont
639 former le corps pour gagner un peu plus. Or ils y sont , pour la plupart, contraints. 5. Le fils de la mère Renaud s’occupe
640 à faire la statistique du village : 45 personnes sont âgées de 80 à 90 ans, sur une population de 450 âmes. 6. On voit que
641 une population de 450 âmes. 6. On voit que ce n’ est pas seulement le « grand capitalisme » qui cultive le chantage légal.
642 he : ce goût de l’utilité pure, de la « qualité d’ être utile » prise en soi, qui rejoindrait la gratuité par un détour que m
643 ! 8. Le Werther de Goethe succombe parce qu’il s’ est livré à son vertige individuel, rompant avec l’ordre social. Un Werth
644 avec l’ordre social. Un Werther d’aujourd’hui, ce serait l’homme qui céderait au vertige du social démesuré, rompant avec son
3 1937, Journal d’un intellectuel en chômage. Deuxième partie. Pauvre province
645 attendais, ni ce que j’ai pu rêver de ce pays. Il est très pauvre, sec et lumineux. Toutes les nuances du gris, herbes, pie
646 ieur. 23 septembre 1934 Maintenant les murs sont nus : d’un joli vert bleu très clair. Le carreau rouge a été débarras
647 ’un joli vert bleu très clair. Le carreau rouge a été débarrassé du tapis. J’ai dressé ma table sur des tréteaux. Il ne res
648 e cheminée — vingt-deux pièces dûment recensées — sont allés les remplacer. Seul vestige des splendeurs bourgeoises de ce sa
649 oques de verre taillé. Fascinant, ce lustre. Nous sommes éreintés et couverts de poussière. Mais on va pouvoir respirer. 25
650 dans ce pays-ci que dans notre île. Mais les gens sont encore plus pauvres, si possible. Les petites entreprises qui leur do
651 gée. Étonnamment active. Bonne protestante et qui tient à le dire. Sa cordialité demeure digne, trait notable à partir des Cé
652 d’emballage. Pas un de ces petits visages qui ne soit beau et fin, mais incroyablement crasseux. Vers la gare, il y a bien
653 un nuage… Cela tend à confirmer un soupçon qui m’ est venu en maintes autres régions de la France : les provinciaux ignoren
654 l’éducation primaire, bienfaisante en principe il est vrai, mais tristement abstraite, étroite, appauvrissante en fait. Je
655 ois le chômage s’étendre et s’installer, comme se sont installés dans ces villages malsains et mal soignés, la tuberculose,
656 ir la bouteille aux pièces de dix sous. Une chose est claire : faire des enfants, dans les conditions actuelles, c’est défi
657 je constate qu’en fait, et dans ce pays tel qu’il est , la morale rationnelle et les mesures qu’elle propose, ce n’est guère
658 rationnelle et les mesures qu’elle propose, ce n’ est guère que le rêve de vieux célibataires assez fortunés, ou ascètes. C
659 cs « parfaits ». « Je me fais servir au lit, on y est mieux pour penser », me confiait l’un de ces esprits « sereins », qui
660 es esprits « sereins », qui d’ailleurs cesse de l’ être dès qu’il se met sur ses deux pattes au milieu de ses frères verticau
661 me assis. Celui qui se fait servir. Mais quoi, je suis injuste pour les célibataires. Il en est au moins deux qui furent des
662 uoi, je suis injuste pour les célibataires. Il en est au moins deux qui furent des « hommes debout », des hommes en marche.
663 our les célibataires. Il en est au moins deux qui furent des « hommes debout », des hommes en marche. Nietzsche au-dessus de G
664 Deux classes d’esprits : ceux dont le but suprême est d’« avoir la paix à tout prix » (rationalistes), et ceux qui pensent
665 onalistes), et ceux qui pensent que leur raison d’ être est de créer (les philosophes en marche). Si les premiers triomphent
666 stes), et ceux qui pensent que leur raison d’être est de créer (les philosophes en marche). Si les premiers triomphent (grâ
667 à l’École et à l’appât des Assurances), la France est perdue. Elle sera colonisée. Mais si l’état d’esprit des seconds domi
668 appât des Assurances), la France est perdue. Elle sera colonisée. Mais si l’état d’esprit des seconds domine, la France fera
669 ionalisme, par suite la guerre. Cette alternative est inévitable dans le régime présent. Elle met en question tout un monde
670 raison. Et que la santé spirituelle d’un peuple n’ est pas totalement compromise quand il fait encore des enfants en dépit d
671 terminé les vendanges, et la récolte des figues d’ été . (Les figues d’hiver apparaissent déjà, plus petites et toujours vert
672 « œillades ». C’est leur gros raisin bleu. Nous y sommes allés hier au soir. Des hauteurs, on voyait la plaine rose et violacé
673 , déjà dans l’ombre, paraissait désert. Nous nous sommes assis sur la terrasse, au pied d’un grand micocoulier. Bientôt un chi
674 s, où elle travaille jusqu’à la nuit tombée. Nous sommes dans une cuisine de ferme, mais la fermière nous reçoit comme une « d
675 Pensez donc, deux femmes seules ! — C’est que je suis chômeur moi-même, madame… — Elle sourit à son tour, l’air de dire : O
676 ourit à son tour, l’air de dire : Oh ! vous, ce n’ est pas la même chose. Elle a sans doute entendu parler de nous. Rien à f
677 s doute entendu parler de nous. Rien à faire : je suis un « monsieur ». La fille rentre : une forte femme, environ 35 ans, u
678 , monsieur, sans indiscrétion ? Je dis mon nom. —  Est -ce vous qui écrivez des articles ? J’en ai lu signés de ce nom-là. Et
679 au de culture fort au-dessus de la moyenne. Ce ne sont pas des bourgeoises, certes, et pourtant elles en sont encore à estim
680 pas des bourgeoises, certes, et pourtant elles en sont encore à estimer que chômeur est synonyme de vagabond dangereux. Elle
681 urtant elles en sont encore à estimer que chômeur est synonyme de vagabond dangereux. Elles font partie des « travailleurs 
682 nt partie des « travailleurs », et pourtant elles sont propriétaires. Je vois en elles un type très classique de Françaises 
683 e ne pas se plaindre de son sort… Pourtant, il en est peu de cette espèce, semble-t-il. On n’en parle jamais. Mais elles ne
684 ur caricature de société. — Simard, le jardinier, est à demi métayer. Est-ce un prolétaire ? Il serait vexé qu’on le lui di
685 iété. — Simard, le jardinier, est à demi métayer. Est -ce un prolétaire ? Il serait vexé qu’on le lui dise. Il s’estime fort
686 er, est à demi métayer. Est-ce un prolétaire ? Il serait vexé qu’on le lui dise. Il s’estime fort au-dessus d’un mineur retrai
687 etraité, par exemple. Les instituteurs d’A… ? Ils sont du peuple. Oui, mais bourgeois par leur profession. Et les Calixte ?
688 te traitera les dames Turc de « koulaks » et tout sera dit. Le marxisme part de statistiques et de relations numériques (sal
689 ique. Il ne part pas de ce que les hommes veulent être , ni de la conscience globale qu’ils ont de leur état (et c’est pourta
690 e « mystification ». Il part de ce que les hommes sont malgré eux, du point de vue abstrait et inhumain de la Statistique. E
691 ssus non seulement des mesures techniques, ce qui serait parfaitement légitime, mais une morale, un art et une métaphysique !
692 étaphysique ! Problème de la politique actuelle : sera-t -elle l’affaire du meilleur statisticien, ou, au contraire, de l’homme
693 ? Sera-t-elle fondée sur la réalité telle qu’elle est vécue et voulue par les hommes réels et concrets, ou bien sur la réal
694 nnelle ?   Petite parabole de Saint-Lazare. — Il est certain que le nombre de voyageurs qui prennent le train à la gare Sa
695 int-Lazare un samedi soir de beau temps, en plein été , est assez exactement prévu par les statistiques. Ce chiffre est fort
696 azare un samedi soir de beau temps, en plein été, est assez exactement prévu par les statistiques. Ce chiffre est fort util
697 exactement prévu par les statistiques. Ce chiffre est fort utile à l’administration des Chemins de fer. Toutefois, il est n
698 ’administration des Chemins de fer. Toutefois, il est non moins certain que chacun de ces voyageurs a le sentiment de s’en
699 brement. Il se croit libre, et concrètement, il l’ est . Bien que la statistique permette de supposer qu’il est assez rigoure
700 ien que la statistique permette de supposer qu’il est assez rigoureusement déterminé. L’État marxiste — ou fasciste d’aille
701 use virée en devoir d’hygiène hebdomadaire. Ce ne serait plus s’échapper, mais encore obéir, et à quoi ? À force de négliger e
702 l, qui n’a pas su organiser à temps ce qui doit l’ être . D’où suit que l’État nouveau se croit tout permis.) 30 octobre 19
703 — Vaine habileté, je le sais bien pourtant… J’en étais là, et n’écrivais plus rien, tout absorbé par mon travail de traducti
704 onne. Un grand jeune homme crépu se présente : il est étudiant, il est venu passer quelques jours chez son père qui est vig
705 une homme crépu se présente : il est étudiant, il est venu passer quelques jours chez son père qui est vigneron non loin d’
706 est venu passer quelques jours chez son père qui est vigneron non loin d’ici. Curieux garçon : j’en suis encore à me deman
707 st vigneron non loin d’ici. Curieux garçon : j’en suis encore à me demander ce qui l’amenait. Pendant tout l’entretien — lit
708 e sport ; très bien, qu’il continue. À son âge, j’ étais gardien de but dans une équipe de football. Mais où diable a-t-il ram
709 us dégoûter de toute espèce d’intelligence). Ce n’ est pas un garçon de sa trempe qui inventa le slogan défaitiste : moins d
710 d’idées ! Méfions-nous de l’intellectualisme ! » Est -ce qu’il y a vraiment lieu de se plaindre de ce que les hommes modern
711 en général. Plutôt que d’avouer que trop d’idées sont sans substance, sans pesée, sans danger, par suite sans nulle utilité
712 ud. Allons, allons, reprenons-nous ! Pour moi, je suis bien décidé, dorénavant, à maintenir le droit imprescriptible de tout
713 plus d’idées possibles. Surtout si l’on se trouve être par vocation ce qu’on nomme un intellectuel. Je ne m’en tiendrai pas
714 cation ce qu’on nomme un intellectuel. Je ne m’en tiendrai pas là. Je souhaite que les hommes aient tous des masses d’idées, et
715 masses d’idées, et par-dessus le marché qu’elles soient justes, et même gênantes pour ceux qui les conçoivent, c’est-à-dire u
716 où on le peut, mon cas devient très clair : je ne suis qu’un barbare, incapable de comprendre les « conditions psychologique
717 re, plus je le lis, que son mépris de la pensée n’ est pour lui qu’une naïve et désarmante excuse à penser mal, à patauger d
718 ue les indications très équivoques de l’instinct. Est -ce bien cela qu’exigent les « anti-intellectualistes » ? Que l’on sup
719 n Hitler l’ont dit ou l’ont fait dire souvent. Ce serait là, semble-t-il, le seul moyen de limiter le jaillissement des idées.
720 r les idées naissent simplement d’une volonté qui est en l’homme de chercher en toutes choses le vrai. Si l’on décrète qu’i
721 ssourdis ; de ces veillées fiévreuses, assiégées. Est -ce que je les regrette ? Est-ce que l’heure de la nuit où l’on ne dor
722 évreuses, assiégées. Est-ce que je les regrette ? Est -ce que l’heure de la nuit où l’on ne dort pas n’est pas toujours l’he
723 t-ce que l’heure de la nuit où l’on ne dort pas n’ est pas toujours l’heure des mauvaises nostalgies ? Qui pourrait nous écr
724 re une histoire des inventions de l’insomnie ? Ne serait -ce pas tout simplement l’histoire de la naissance de nos démons ? La
725 penserais-je, ici, d’humain, d’actif ? Ici où je suis sans prochain à cette heure où mes frères (?) les hommes sont plus él
726 ochain à cette heure où mes frères (?) les hommes sont plus éloignés que jamais ? « La nuit est faite pour dormir », me disa
727 hommes sont plus éloignés que jamais ? « La nuit est faite pour dormir », me disait un gardien de l’ordre qui m’avait surp
728 er devant autrui. Le monologue du journal intime est un artifice qui veut se faire prendre pour la sincérité, alors qu’il
729 se faire prendre pour la sincérité, alors qu’il n’ est au vrai que la manière la plus facile de jouer la comédie : sans spec
730 e : sans spectateurs. Jouer la comédie devant des êtres réels est bien plus significatif. D’une certaine manière, c’est plus
731 ctateurs. Jouer la comédie devant des êtres réels est bien plus significatif. D’une certaine manière, c’est plus « sincère 
732 ’on veut le serrer de près.) La vérité de l’homme est dans le dialogue. Dans son affirmation, dans ses questions ou ses rép
733 nses à d’autres hommes bien réels. Le monologue n’ est qu’une suppression artificielle des conditions concrètes, sociales ou
734 nditions concrètes, sociales ou spirituelles, qui sont celles de chaque homme existant. (Ne pas confondre dialogue avec perp
735 ns ces pages, dès qu’un autre me fait réagir.) Me suis -je assez méfié du genre journal intime ? Depuis six semaines que nous
736 nre journal intime ? Depuis six semaines que nous sommes à A…, me suis-je assez intéressé aux autres qui m’entourent ? Qu’est-
737 me ? Depuis six semaines que nous sommes à A…, me suis -je assez intéressé aux autres qui m’entourent ? Qu’est-ce que je sais
738 e assez intéressé aux autres qui m’entourent ? Qu’ est -ce que je sais d’eux, objectivement ? 10 novembre 1934 Observa
739 vais chez les Calixte. On nous a dit que la mère est malade. Je trouve à la cuisine sa fille et une voisine. Elles se plai
740 voisine. Elles se plaignent du froid. Le fourneau est rouge, mais la porte donne au nord-ouest, d’où vient le vent le plus
741 is qui me paraît propre et sobre. La mère Calixte est au lit, un gros édredon ramassé sur le ventre, les pieds découverts,
742 bien sa blouse noire aussi. Elle me dit qu’elle a été assez mal. On devait lui retirer son linge toutes les deux heures. Qu
743 nde, pensez ! Il ne faut pas croire que la viande soit un si bon remède comme on le dit. Je lui ai fait du poulet, elle n’y
744 poulet, ça lui a fait de l’avantage. Voyez ! ce n’ est pas vrai que la viande est si bonne pour les malades. » Elle accepte
745 avantage. Voyez ! ce n’est pas vrai que la viande est si bonne pour les malades. » Elle accepte de venir faire une lessive
746 her sur des buissons de ronce. Tous les mouchoirs sont plus ou moins déchirés quand on va les récolter. « Voyez-vous ! c’est
747 1 novembre 1934 D’une manière générale, ils ne sont pas conscients de porter la responsabilité des accidents qui leur arr
748 le détail. C’est assez sage dans l’ensemble. Ils seraient moins pauvres, moins malades, etc., s’ils étaient plus « pratiques »
749 eraient moins pauvres, moins malades, etc., s’ils étaient plus « pratiques » comme on dit dans la bourgeoisie — où l’on s’imagi
750 l’on s’imagine bien à tort que les gens du peuple sont spécialement adroits de leurs mains, débrouillards et pleins de resso
751 ds et pleins de ressources mystérieuses. Mais ils seraient moins dignes aussi. Leur dignité est de subir sans se tourmenter. Ils
752 ais ils seraient moins dignes aussi. Leur dignité est de subir sans se tourmenter. Ils ne se mettront jamais dans des états
753 constatant le mal : « Voyez-vous ! je croyais la tenir cette assiette ! » De telle manière qu’on entend bien que c’est ainsi
754 de dépend de nous. Ceci vaut pour les femmes, qui sont la part la plus civilisée de la population. Ce sont elles qui gagnent
755 nt la part la plus civilisée de la population. Ce sont elles qui gagnent ce qu’il faut, elles qui travaillent, elles qui déc
756 ent. Pour les hommes, c’est tout autre chose. Ils sont éloquents et naïfs, revendicateurs et inefficaces. La plupart ne font
757 font rien, ou « travaillent le mazet », ce qui n’ est rien. Les femmes vont à la filature — une sur dix-huit marche encore 
758 ept francs par jour. Pendant ce temps, les hommes sont sur la place et protestent contre le gouvernement. Ce sont les radica
759 la place et protestent contre le gouvernement. Ce sont les radicaux et les socialistes. Les commerçants sont souvent réactio
760 les radicaux et les socialistes. Les commerçants sont souvent réactionnaires et se mêlent peu à ceux de la place. Enfin ceu
761 se mêlent peu à ceux de la place. Enfin ceux qui sont occupés par l’imprimerie du journal local, par les garages ou à la ma
762 du journal local, par les garages ou à la mairie, sont communistes et mènent les affaires du pays. Ils vont à toutes les con
763 à une centaine d’ouvrières, dont le salaire moyen est de neuf francs par jour. Faillite de la dernière bonneterie, ces der
764 neterie, ces derniers jours. Le tiers des maisons est en ruines, — tout le centre. On croirait une ville bombardée. 2300 ha
765 ificielle. Le cycle normal du progrès capitaliste est clos. Lyon a drainé toute la richesse indigène de ce département. Et
766 ci, mais je sens que je la prends en grippe. Elle est réellement affreuse : elle est « ornée ». Le fabricant a voulu faire
767 ds en grippe. Elle est réellement affreuse : elle est « ornée ». Le fabricant a voulu faire bourgeois. Une salamandre, n’es
768 ricant a voulu faire bourgeois. Une salamandre, n’ est -ce pas, c’est un meuble de salon, il faut la décorer convenablement e
769 e serrures. Cette laideur et cette incommodité ne seraient rien d’ailleurs, si elles ne rappelaient sans cesse l’intention d’hon
770  » (Il voulait dire : scandaleux. Mais un miracle est un scandale, après tout. Tradition laïque.) L’autre jour, dans l’auto
771 tocar, une femme dont j’ai cru comprendre qu’elle tient un petit hôtel à Saint-Jean-du-Gard, expliquait à sa voisine qui para
772 t, si l’on y réfléchit, résume un drame. Ce drame est celui du langage dans notre société présente. Et c’est encore une foi
773 e calembour qui ne joue que sur des sons. Mais il est clair que le sens des termes dont nous usons doit subir des métamorph
774 uns, sur quoi repose, tacitement, la vie sociale, sont aujourd’hui vidés de leur signification à la fois symbolique et préci
775 égoûts que chez nous. Leur résonance sentimentale est différente, et c’est pourquoi leur sens est différent, en dépit de ce
776 ntale est différente, et c’est pourquoi leur sens est différent, en dépit de ce que l’on pourrait déduire, dans le fait, d’
777 llé des écrivains dans le langage parlé du peuple fut affectée de malentendus de ce genre. Voire. Le peuple ne lisait pas,
778 oncret des lieux communs. Aujourd’hui ces données sont bouleversées. L’instruction publique et la Presse répandent sinon le
779 sein des conventions communes. Un chacun peut en être , et juger comme il veut. Le droit de se tromper, et de tromper grâce
780 it de se tromper, et de tromper grâce au langage, est un des droits imprescriptibles que se trouve avoir décrété la Convent
781 se trouve avoir décrété la Convention. Bref, il n’ est plus de mesure commune : ni l’Église, ni la Culture, ni l’École qui p
782 e pas dire dans le vide (il vaudrait mieux que ce soit le vide, dans bien des cas), quels que soient nos efforts vers la rig
783 ue ce soit le vide, dans bien des cas), quels que soient nos efforts vers la rigueur et vers l’adaptation de notre style à not
784 rs l’adaptation de notre style à notre action. On serait même tenté d’estimer que la plus grande rigueur entraîne la moindre e
785 osent des exigences dont il faut admirer qu’elles soient aussi exactement contradictoires. Or, de ces deux antagonistes, c’est
786 Or, de ces deux antagonistes, c’est l’esprit qui sera vaincu. Non point qu’il s’avilisse partout ni qu’il se laisse toujour
787 randt, elle dira : « Ah ! oui, ces clairs-obscurs sont magnifiques (souvenir scolaire), mais comme ces gens sont laids, ridé
788 nifiques (souvenir scolaire), mais comme ces gens sont laids, ridés, bossus, et n’ont-ils pas la figure trop large » ? (juge
789 de la Sixtine, elle trouve cela « joli » ; et « —  Tiens , cette femme ressemble… à qui ressemble-t-elle donc ? ne [dirait-on p
790 Durand. Mais oui tout à fait, c’est frappant ! Qu’ est -ce que c’est ? » — La Sybille de Cumes … Cinq minutes après, cette da
791 dame sort d’ici. Les reproductions de la Sixtine sont épinglées au-dessus de ma table de travail.) 28 novembre 1934 «
792 t émouvant… Mais la plupart de nos contemporains, est -ce qu’ils ne disent pas plutôt : « Fichez-moi la paix ! Faites-moi ri
793 ressé de rentrer, je hèle une auto. Le conducteur est seul. Il me prend volontiers. Nous causons. C’est un commerçant de Ly
794 ez bavard. À certaines allusions, je devine qu’il est « seul dans la vie ». Pourtant, il porte une alliance. Pauvre gaieté
795 village. « Je vous dépose ici ? Où voulez-vous ? Tenez , on va s’arrêter devant la pissotière, ha ! ha ! ha ! Ça me rappelle
796 nom du type qui a écrit le bouquin. Ah ça alors ! Tenez , c’est l’histoire d’une municipalité qui fait construire un de ces tr
797 que ça amène, ah ! mais alors, vous savez, tout y est , c’est attrapé, le curé, la politique et tout !… »11 Les éditeurs s’
798 qu’ils demandent, et pourquoi ils le demandent ? Est -ce que le rôle des éditeurs, mais surtout et d’abord des écrivains, n
799 iteurs, mais surtout et d’abord des écrivains, ne serait pas justement de savoir un peu mieux que « les gens » de quoi ils ont
800 ur tête. On les a pris pour ce qu’ils ont l’air d’ être , ou mieux pour ce qu’ils croient devoir se donner l’air d’être ou de
801 x pour ce qu’ils croient devoir se donner l’air d’ être ou de n’être pas. Comme si le fin du fin, c’était de prendre au mot l
802 ils croient devoir se donner l’air d’être ou de n’ être pas. Comme si le fin du fin, c’était de prendre au mot les pauvres ho
803 gaire, avec son rire insupportable, et fallait-il être bien fin pour le comprendre ? 1er décembre 1934 Le pasteur m’a
804 ons toujours dans les 40 à 50. Et une fois qu’ils sont là, on peut parler de tout… J’irai d’autant plus volontiers que, deva
805 bre 1934 Soirée au « Cercle d’hommes ». — Ils étaient en effet une quarantaine hier soir. Je suis entré comme ils achevaien
806 ls étaient en effet une quarantaine hier soir. Je suis entré comme ils achevaient de boire leur tasse de café au fond de la
807 llustrés, quelques livres sur la table. Puis on s’ est assis sur des chaises alignées, pour entendre le « conférencier »12.
808 ues passages de l’Écriture. Après quoi le sujet a été introduit par l’un des instituteurs. Il s’agissait de « l’histoire de
809 a discussion n’a vraiment démarré que lorsqu’on s’ est mis à parler d’autre chose que du sujet, c’est-à-dire d’un peu tout :
810 de traditions et anecdotes locales. Discussion n’ est d’ailleurs pas le mot : c’étaient surtout des questions, des affirmat
811 rgeois peu cultivé et sans doute de tout ce qui n’ est pas « intellectuel » — ne « discute » pas à proprement parler. Son la
812 nt parler. Son langage en tout cas s’y prête mal, soit à cause de sa lenteur, soit à cause de ses répétitions pressées. Or,
813 ut cas s’y prête mal, soit à cause de sa lenteur, soit à cause de ses répétitions pressées. Or, cette lenteur et ces répétit
814 sser à l’esprit le temps de se « figurer » ce qui est dit. (C’est seulement de la langue des écrivains français qu’il est e
815 ulement de la langue des écrivains français qu’il est exact de dire, avec tous les manuels, qu’elle est une langue de discu
816 est exact de dire, avec tous les manuels, qu’elle est une langue de discussion, parce que toujours elle vise à la formule d
817 très mal au rythme de la réflexion spontanée, qui est « péguyste » et non « classique ». Écrivains inutilisables dans la me
818 vains inutilisables dans la mesure où ils veulent être de bons écrivains français.) — Que de bonne volonté chez les hommes
819  ! Comme ils s’appliquent à comprendre, comme ils sont vifs et peu timides, camarades, malicieux et indulgents — leurs bons
820 rend les échanges bien pauvres…) Quand nous nous sommes levés pour sortir, le facteur ronflait, le front sur un dossier de ch
821 ronflait, le front sur un dossier de chaise. Il s’ est relevé, s’est frotté les yeux, est sorti tout tranquillement. J’ai pa
822 ront sur un dossier de chaise. Il s’est relevé, s’ est frotté les yeux, est sorti tout tranquillement. J’ai parlé avec plusi
823 e chaise. Il s’est relevé, s’est frotté les yeux, est sorti tout tranquillement. J’ai parlé avec plusieurs jeunes gens. Que
824 ans ce cercle ? — Il y a de tout. Le quincaillier est royaliste, un des instituteurs est objecteur de conscience, la plupar
825 e quincaillier est royaliste, un des instituteurs est objecteur de conscience, la plupart sont radicaux ou socialistes. Il
826 tituteurs est objecteur de conscience, la plupart sont radicaux ou socialistes. Il vient aussi des communistes, de temps à a
827 ravailleurs, réunions amicales de pasteurs. Je me suis initié à la géographie politique et même spirituelle du département.
828 r un entretien qui m’a instruit.   À N… la mairie est tout entière communiste. Ceux des habitants qui ne le sont pas ne sav
829 entière communiste. Ceux des habitants qui ne le sont pas ne savent pas trop ce qu’ils sont, à part les châtelains. Ils vot
830 s qui ne le sont pas ne savent pas trop ce qu’ils sont , à part les châtelains. Ils votent radical ou socialiste, et se font
831 que les communistes, eux, savent pourquoi ils le sont , et connaissent le marxisme ? On m’avait dit : ce n’est pas cela du t
832 t connaissent le marxisme ? On m’avait dit : ce n’ est pas cela du tout, vous verrez. Être communiste dans ce pays, c’est to
833 ait dit : ce n’est pas cela du tout, vous verrez. Être communiste dans ce pays, c’est tout simplement être à gauche, le plus
834 re communiste dans ce pays, c’est tout simplement être à gauche, le plus à gauche qu’il est possible. S’il en est bien ainsi
835 simplement être à gauche, le plus à gauche qu’il est possible. S’il en est bien ainsi, me dis-je, on peut redouter que ces
836 che, le plus à gauche qu’il est possible. S’il en est bien ainsi, me dis-je, on peut redouter que ces hommes ne sachent pas
837 sens le plus actif : car l’homme dont je parle n’ est pas un enquêteur, simple curieux ou spectateur. C’est bien plutôt un
838 ’aide morale et parfois matérielle, quelqu’un qui est responsable de connaître ces gens mieux qu’ils ne se connaissent eux-
839 rraille couronnant des hauteurs ventées. Les rues sont étroites et caillouteuses, pleines d’odeurs dès que le vent cesse de
840 odeurs dès que le vent cesse de les balayer. Nous sommes installés au presbytère sur une galerie d’où l’on domine un ample pay
841 ’on domine un ample paysage horizontal. La plaine est à nos pieds, des Cévennes grises au nord jusqu’à l’horizon des collin
842 s au-dessous d’une tache blanche dans un pré, qui est le château. Joie de voir un pays dans son ensemble, dans son unité na
843 et plus on les voit de près… — Je comprends qu’il soit difficile de parler en général de ses paroissiens. Mais s’ils sont co
844 parler en général de ses paroissiens. Mais s’ils sont communistes, ils ne doivent tout de même pas faire partie de votre ég
845 les hommes d’ici ne viennent guère au culte. Ce n’ est pas l’envie qui manque, mais ils ont peur. C’est toujours la question
846 er. — ? — Oui, vous savez que nos temples du Midi sont construits en général sur la place du village. En face ou à côté, il
847 orte de la sacristie, on viendrait bien ! Mais on est lâches ! — Et chez eux, les voyez-vous ? Pouvez-vous discuter avec eu
848 -vous discuter avec eux ? — Guère. Là encore, ce sont surtout les femmes qu’on voit. Eux sont au travail, ou au café. — Pou
849 ncore, ce sont surtout les femmes qu’on voit. Eux sont au travail, ou au café. — Pourquoi n’iriez-vous pas au café avec eux 
850 pas. Mais eux on les étonnerait, et surtout ils y sont entre eux. Je n’ai aucune envie d’aller faire l’intrus ou le bon apôt
851 ’intrus ou le bon apôtre. Si c’était possible, ce serait épatant, je ne dis pas. Mais pratiquement, je vous assure, c’est diff
852 rence entre les chrétiens et les incroyants, ce n’ est pas que les chrétiens se conduisent mieux que les autres, mais c’est
853 , si nous ne croyons pas en Dieu, nous autres, ce serait que nous sommes trop orgueilleux ? En général, on peut dire que les c
854 yons pas en Dieu, nous autres, ce serait que nous sommes trop orgueilleux ? En général, on peut dire que les communistes sont
855 ux ? En général, on peut dire que les communistes sont les plus intelligents du village. Ce sont eux et eux seuls qui propos
856 unistes sont les plus intelligents du village. Ce sont eux et eux seuls qui proposent des réformes pratiques, qui demandent
857 ls me posent quelquefois des questions. Mais ce n’ est pas par la lecture qu’ils viennent au parti. L’affaire, pour eux, c’e
858 que chose, de résister aux gros propriétaires qui tiennent la région, et de leur imposer des mesures de progrès, de bon sens… —
859 our la plupart — tous les chefs en tout cas —, ce sont de petits propriétaires ou des ouvriers travaillant à leur compte. —
860 vous entendez bien avec eux ? — Ils savent que je suis de leur côté, en gros, dans les questions locales où il faut prendre
861 ur donne, en fait de doctrine. En réalité, ils ne sont pas plus marxistes que moi. Ils veulent avant tout vivre et travaille
862 qu’il n’y a rien d’autre et personne d’autre… Ce seraient souvent les meilleures têtes du pays, et on les laisse devenir les « 
863 ement des incroyants, tout en s’imaginant qu’il n’ est pas un des leurs… Je voudrais définir le croyant véritable : celui qu
864 onçant aux hommes la vérité et le chemin. Point n’ est besoin d’actions extraordinaires, surhumaines : se rire des dieux du
865 inaires, surhumaines : se rire des dieux du monde est assez héroïque aux yeux du monde, pour qu’il soit vain de chercher mi
866 est assez héroïque aux yeux du monde, pour qu’il soit vain de chercher mieux. 20 décembre 1934 « Ô pays sans musique 
867 mbre 1934 « Ô pays sans musique ! ô peuple, où est ton chant ? » À peine un aigre sifflotis d’« air de Paname » dans un
868 bonnes volontés exploitées par le plus bavard, je suis tenté d’écrire quelque chose de méchant : que ce pays est à l’image d
869 é d’écrire quelque chose de méchant : que ce pays est à l’image des quelques journaux qu’on y lit. Une autre impression que
870 ue j’ai eue cet après-midi sur la place : celle d’ être devant un film dont la musique vient de se taire. Une vie sans accomp
871 rritants témoignages de laisser-aller. Le courant est coupé, le grand courant lyrique de l’époque qui donnait un sens à nos
872 où je touche le fond, voici que je me dis : cela est bon. Il est bon de toucher le grain rugueux de cette vie sans horizon
873 e le fond, voici que je me dis : cela est bon. Il est bon de toucher le grain rugueux de cette vie sans horizon, sans dimen
874 x de cette vie sans horizon, sans dimensions, qui est la vie du très grand nombre. Il faut partir d’ici, du niveau le plus
875 auvreté ou cette anarchie relâchée, si gauche que soit son expression, suffit tout de même à recréer une maigre apparence de
876 aigre apparence de forme, qui trompe encore. Tout est , en réalité, encore plus disjoint que cela. Et sans doute encore plus
877 ne se met à voler qu’au crépuscule. Et peut-être sommes -nous la seule conscience de cette bourgade léthargique, si vraiment l
878 ël 1934 C’est dans la pauvreté totale que Dieu est né. Il n’y avait donc plus d’autre espoir. Voilà la limite impensable
879 n prêche et proclame d’une voix pathétique : tout est perdu ! il est bon de se souvenir que tout est infiniment plus perdu
880 clame d’une voix pathétique : tout est perdu ! il est bon de se souvenir que tout est infiniment plus perdu que nous ne pou
881 ut est perdu ! il est bon de se souvenir que tout est infiniment plus perdu que nous ne pouvons l’imaginer dans nos instant
882 nous le révéler en nous montrant sa fin, que Dieu est né, mort, ressuscité. Palavas-les-Flots, 6 janvier 1935 Deux co
883 t pourtant toujours le cas dans la vraie vie… Je suis assis dans un grand restaurant désert, près d’une baie qui donne sur
884 1935 Ces cochons-là ! — Simard le jardinier s’ est fait une forte entaille au doigt en travaillant. Ce gros homme, viola
885 availlant. Ce gros homme, violacé d’ordinaire, en est tout pâle. Je vais discuter le coup avec lui pour le ravigoter. C’est
886 ne attitude doctorale. La question des assurances est une question complexe, comme toutes les questions capitales. Les gens
887 légumes. Or, la vente des produits de son jardin est son seul moyen de gagner.) Carré sur son tabouret de cuisine, le doig
888 d’assurances — et analogues — avec lesquelles il est en comptes. Je dis compagnies d’assurances, mais lui les nomme plus c
889 lus couramment « ces cochons-là ». Ces cochons-là sont donc au nombre de sept ou huit. Il en totalise sept pour son compte,
890 compte, et sa dame fait le petit appoint. Elle s’ est « coupé » la jambe, cela fait bien cinq ans déjà, et « touche » pour
891 ochon-là » n’a pas répondu, et pourtant la lettre était recommandée. Alors il a été voir « une personne encore plus compétent
892 pourtant la lettre était recommandée. Alors il a été voir « une personne encore plus compétente » que lui, Simard, et cett
893 ndée « à la charge du destinataire ». Eh bien, qu’ est -ce que vous croyez ? Réponse dans les quatre jours ! ah, ils sont com
894 croyez ? Réponse dans les quatre jours ! ah, ils sont comme ça ! Mais voilà que la personne compétente lui dit : « Ce cocho
895 leur poche… — Tous les mas et mazets des environs sont habités par des retraités, des pensionnés, des assurés qui vivent dan
896 eu ni à diable et à peine à la politique, l’hiver est « pourri », la « pulmonie » fait des ravages, et ces cochons-là vous
897 omme nous autres. » Arriérés, illettrés. Je n’en suis plus au temps où j’approuvais certains « Éloges de l’ignorance » plus
898 l’ignorance — oui, au sens de l’école primaire — est un mal qu’il faudrait guérir. Mais je ne puis m’empêcher de penser qu
899 e puis m’empêcher de penser que ces « illettrés » sont peut-être moins bas que ces « assurés ». Ce peuple à la retraite qui
900 . Naturellement j’ai perdu ! Moi vous savez… Ce n’ est pas comme Céline, ah celle-là ! Elle a la veine que voulez-vous ! À l
901 ans les tombolas des sociétés, n’importe où, elle est sûre de gagner quelque chose à tous les coups. » Voilà ce qu’on peut
902 e la nation la plus raisonnable du monde. Le mari est un vieux laïcard, il accuse les curés d’obscurantisme, il ne veut pas
903 énéfice de la culture de cette superstition. S’il est vrai que certains individus « ont la veine » dans ces loteries, notre
904 age scientifique (physico-mathématique) du monde, est fausse. Il est totalement impossible de concevoir la vérité simultané
905 e (physico-mathématique) du monde, est fausse. Il est totalement impossible de concevoir la vérité simultanée de notre scie
906 Ligne écrit : « Il ne croit à rien excepté ce qui est le moins croyable, étant superstitieux sur tout plein d’objets ». Mal
907 roit à rien excepté ce qui est le moins croyable, étant superstitieux sur tout plein d’objets ». Malchance affreuse du peuple
908 crit et embrasse les trois dimensions de la joie, est dit aussi par le vallon des oliviers et par sa jeune nudité. Pas une
909 rasses, ni de ces arbres moirés et allègres. Tout est vu du premier regard, doucement compris, approuvé. Une familiarité, u
910 tout simplets, suivant une piste par jeu. Le ciel est d’un bleu sec et pur, tranché au sommet du vallon par un cyprès grand
911 uleur de terre et festonnée de tuiles roses, elle est bien à la ressemblance des vieilles paysannes de par ici, recuite et
912 en, et la mère Calixte me le confirme : Simard me tient pour un minus, un incapable, peut-être même pour une espèce de malade
913 situation, à l’âge que j’ai, c’est une pitié ! Il est clair que je ne fiche rien. Mais ce qui trouble un peu notre voisin,
914 eu notre voisin, c’est qu’à deux reprises déjà, s’ étant couché fort tard, il a vu ma lampe allumée. Si cela continue, il me p
915 inue, il me prendra pour un sorcier. Qui sait, ce serait bien agréable. N’empêche que je me sens atteint dans ma dignité d’hom
916 la tête d’un écrivain, et d’ailleurs un écrivain, est -ce qu’on en a jamais vu ? Ça doit habiter Paris. Il faudra que je lui
917 3 février 1935 Déclassé. — L’intellectuel l’ est toujours. C’est qu’il est d’une classe particulière, dispersée comme
918 ssé. — L’intellectuel l’est toujours. C’est qu’il est d’une classe particulière, dispersée comme les Juifs le sont chez les
919 classe particulière, dispersée comme les Juifs le sont chez les Gentils. Pourquoi ne l’ai-je compris vraiment qu’à la faveur
920 cacher ce fait que l’intellectuel en tant que tel est un hors-classe, un être à part, auquel on ne croit pas. (D’où sans do
921 tellectuel en tant que tel est un hors-classe, un être à part, auquel on ne croit pas. (D’où sans doute l’angoisse qui pouss
922 ituation bien définie dans le corps social.) Nous sommes méprisés dans la mesure où nous sommes intellectuels, et acceptés — o
923 ial.) Nous sommes méprisés dans la mesure où nous sommes intellectuels, et acceptés — ou utilisés — dans la mesure où nous réu
924 mbrant. Voici comment il me paraît se poser. Nous serions parfaitement contents de notre sort, loin des villes, pour tout ce qu
925 de notre sort, loin des villes, pour tout ce qui est de notre vie privée, de nos travaux et de notre confort. Mais du seul
926 tre confort. Mais du seul fait que ma condition n’ est pas socialement classée, la « distance » normale entre les gens et no
927 tume d’attendre d’autrui beaucoup plus que l’on n’ est disposé à lui donner. Et d’attendre « des gens » en général, une dose
928 de leur existence n’admettent guère. 2. — Nous ne sommes ici que de passage. Au fond, nous n’avons rien à faire à A…, ni rien
929 échanges réels, ou même les refuse. Alors ils ne sont plus pour nous que des « voisins inévitables », selon le mot de Keyse
930 ement, à la méfiance ou à l’indifférence auxquels sont condamnés la plupart d’entre nous. Le secret de ma mauvaise humeur, c
931 r, c’est qu’il n’y a plus de communauté. Car s’il est vrai que tous les hommes sont frères de par leur commune origine, cel
932 communauté. Car s’il est vrai que tous les hommes sont frères de par leur commune origine, cela nous conduit tout au plus à
933 qui saluent les dictateurs, tout cela en vérité n’ est qu’une prière obscure : vienne l’Église universelle, — la révélation
934 le d’hommes. — Hier soir, le sujet de l’entretien était le problème de l’autorité. La discussion dévia bientôt vers le fascis
935 s simplement que je pus, que le problème fasciste est un problème avant tout national ; qu’il s’est posé en Italie dans des
936 ste est un problème avant tout national ; qu’il s’ est posé en Italie dans des termes particuliers à ce pays, et qu’en tout
937 e manière de prévenir utilement un fascisme, ce n’ était pas de condamner les Italiens et leurs admirateurs français, position
938 ou ne prend pas parti. Mais l’électeur veut qu’on soit pour ou contre, et il se méfie par principe de celui qui distingue et
939 principe de celui qui distingue et nuance. On ne tiendra jamais assez compte de cette opposition fondamentale. Peut-être ferai
940 oviets, de mettre en épigraphe à mon article : Je suis contre. Sinon, pour peu que l’article expose le pour et le contre, qu
941 l’article expose le pour et le contre, quelle que soit d’ailleurs ma conclusion, on me classera fasciste ou communiste. Et p
942 mmuniste. Et pourtant, la mission de l’écrivain n’ est -elle pas justement d’éduquer le lecteur, j’entends de l’amener à réfl
943 vois un pigeon violet immobile. Les plumes du cou sont un peu hérissées par le vent. Voici trois jours que je le vois chaque
944 dre ? Pourquoi feint-il de ne pas me voir ? Il se tient là des heures, sans bouger, et s’envole d’un coup vers le soir. Le le
945 s’envole d’un coup vers le soir. Le lendemain, il est là, de nouveau, posé sur une tuile ronde. Il y a quelque chose à comp
946 vraiment l’air de vouloir dire quelque chose ! Il est tourné du côté de la plaine. Signe qu’il va nous arriver quelque chos
947 e par là ? Du côté de Marseille… Et soudain je me suis souvenu de la conférence que je dois donner à Marseille dans quinze j
948 ne voulais pas la préparer avant le dernier jour. Est -ce que cela signifie qu’elle est plus importante que je ne croyais ?
949 le dernier jour. Est-ce que cela signifie qu’elle est plus importante que je ne croyais ? Qu’il y a quelque chose de sérieu
950 rédaction de ma conférence. Ce matin le pigeon n’ est pas revenu. C’est évidemment absurde, cette histoire. Je le vois bien
951 capable de me faire agir ; ou plus exactement, je suis heureux de l’aveu que je viens de m’en faire. Comment ne l’ai-je pas
952 te la trame de mes petites décisions quotidiennes est faite de croyances spontanées et absolues en des « raisons » qui n’en
953 pontanées et absolues en des « raisons » qui n’en sont pas, mais qui m’ont toujours convaincu beaucoup plus vite et beaucoup
954 e de mes intérêts « objectifs »… Et ce jeu-là, je suis tellement le seul à en connaître les règles et les interdictions que
955 ent les dés avant leurs grandes décisions, mais n’ est -ce pas une étrangeté plus aiguë que nous révèle cette foi toute quoti
956 pe spécial, différent de tous les autres… Et ce n’ est guère qu’à l’instant où l’on découvre que tous les autres en croient
957 utres en croient autant, que ces autres cessent d’ être une menace, une masse abstraite, intimidante ou méprisable. Pour ne p
958 ionnel » — et dont la honte alors les opprimait — est justement l’état de l’homme vraiment homme, et le signe d’une accessi
959 condition générale ! Avouer ses superstitions, ce serait avouer ce qu’on a de plus individuel, de plus irréductible au général
960 rendre à d’autres, en un éclair, que chaque homme est irréductible, et que chaque homme a ses aveux à faire. Et l’on compre
961 faire. Et l’on comprend ainsi, soudain, que l’on est un homme « comme les autres » par cela même que l’on s’éprouve absolu
962 ons, c’est sans doute en vertu d’une prudence qui est le fondement même de toute « politique ». Et si j’avoue et légitime l
963 ut que je montre aussi les droits du général. Qu’ est -ce que la politique, sinon le général en tant qu’il s’oppose au réel,
964 le général en tant qu’il s’oppose au réel, lequel est fait de nos monades superstitieuses ? Accorder libre cours à nos supe
965 superstitions, qui du point de vue psychologique sont notre vraie réalité, ce serait jeter la société dans l’anarchie la pl
966 de vue psychologique sont notre vraie réalité, ce serait jeter la société dans l’anarchie la plus sanglante. La politique ne d
967 dividuelle, et c’est pour elle la seule manière d’ être en vérité « réaliste ». Je crains d’avoir créé certain malentendu en
968 e, dialectique, ou mieux encore : pédagogique. Il est de l’essence de toute saine politique de s’opposer à la personne, de
969 itive le réel que nous incarnons. Toute politique est normative, mais seulement de l’extérieur. Une politique saine ne saur
970 formuler. Premier fait : l’équilibre social doit être quelque chose de mouvant. Tout équilibre stable et sclérosé produirai
971 ne ne cherchait plus à triompher de tout ce qui n’ est pas elle, le simulacre d’équilibre que l’on constaterait alors ne ser
972 ulacre d’équilibre que l’on constaterait alors ne serait en fait que la limite du pire désordre, et c’est la mort. Cas puremen
973 d’un équilibre apparemment stabilisé, le désordre est toujours à sens unique : c’est la personne qui cesse de se défendre,
974 ent excessif du général dans la vie réelle. Telle est notre situation — celle du monde bourgeois capitaliste, mais aussi ce
975 t c’est pourquoi l’on s’imagine que l’équilibre s’ est stabilisé. Au vrai, chacun peut voir que l’homme d’aujourd’hui se dés
976 re social, pour rester sain, mouvant, tendu, doit être orienté constamment par un léger excès de la composante « personnelle
977 n des personnes au moment où leurs disciplines se seront enfin harmonisées. (Dans un temps que j’accorde d’ailleurs aussi loin
978 urait se traduire en termes de raison. Mais je la tiens pour néfaste quand elle sort du domaine personnel et déborde dans la
979 l’État devient totalitaire. « Là où l’homme veut être total, l’État ne sera jamais totalitaire. » Or l’État, c’est un fait
980 taire. « Là où l’homme veut être total, l’État ne sera jamais totalitaire. » Or l’État, c’est un fait patent, devient partou
981 e nous pensons avoir récemment « découvertes » ne sont , au sens freudien du terme, que les phantasmes de notre peur de vivre
982 e voulez-vous que j’y fasse ? » ou encore : « Ils sont les plus forts. » Tel est le « moment » de l’angoisse de ce temps. L’
983  ? » ou encore : « Ils sont les plus forts. » Tel est le « moment » de l’angoisse de ce temps. L’homme sain dit : « Voilà c
984 al d’un intellectuel en chômage les pages que je suis en train de rédiger à temps perdu. Il est assez sceptique sur le résu
985 que je suis en train de rédiger à temps perdu. Il est assez sceptique sur le résultat de cette entreprise. Pour des raisons
986 as mentir. — Mais pourquoi n’aime-t-on pas ce qui est vrai ? — Parce que c’est gênant. Cela oblige à conclure, une histoire
987 scret, de ma part, ce journal. Un tel jugement ne serait pas très franc, d’ailleurs. L’indiscrétion, en soi, ne gêne pas beauc
988 urtout la vérité sur une situation matérielle. Il est entendu qu’on ne doit pas parler de « questions matérielles » dans un
989 lement, il se trouve que mon propos, précisément, est de montrer, entre autres, la décadence de ce tabou. Je trouve moins i
990 e désirer.) R. me disait aussi : En somme, vous n’ êtes pas un vrai chômeur, puisque vous avez la possibilité de travailler.
991 e vous avez la possibilité de travailler. — Je me suis fait moi-même cette objection15. Il est clair qu’un intellectuel aura
992 — Je me suis fait moi-même cette objection15. Il est clair qu’un intellectuel aura toujours la possibilité de travailler,
993 é de travailler, pour autant que son vrai travail est de penser. Mais je l’appelle chômeur, faute d’autre terme, s’il n’a p
994 , s’il n’a plus d’emploi, et ne sait plus de quoi sera fait le lendemain. — Admettez que cela ne vous empêche pas de vivre a
995 vez l’air très satisfait de votre situation. Ce n’ est fichtre pas le cas des vrais chômeurs ! — Ah ! c’est vrai, je suis bi
996 le cas des vrais chômeurs ! — Ah ! c’est vrai, je suis bien content, malgré tout. — Alors, vous n’êtes donc pas un vrai chôm
997 e suis bien content, malgré tout. — Alors, vous n’ êtes donc pas un vrai chômeur ? — Mais je ne tiens pas du tout à être un
998 s n’êtes donc pas un vrai chômeur ? — Mais je ne tiens pas du tout à être un « vrai chômeur », je vous l’assure ! D’ailleurs
999 vrai chômeur ? — Mais je ne tiens pas du tout à être un « vrai chômeur », je vous l’assure ! D’ailleurs j’ai déjà dit que
1000 s l’assure ! D’ailleurs j’ai déjà dit que cela me serait pratiquement impossible, sauf gâtisme précoce. Ce n’est pas un mal, j
1001 atiquement impossible, sauf gâtisme précoce. Ce n’ est pas un mal, je pense, si je suis heureux, bien que sans ressources ?
1002 sme précoce. Ce n’est pas un mal, je pense, si je suis heureux, bien que sans ressources ? Mais d’autre part, est-ce que le
1003 ux, bien que sans ressources ? Mais d’autre part, est -ce que le fait que je suis heureux suffit à me nourrir et à me vêtir 
1004 es ? Mais d’autre part, est-ce que le fait que je suis heureux suffit à me nourrir et à me vêtir ? Vous n’avez qu’à regarder
1005 vez qu’à regarder la frange de mon pantalon. Ce n’ est pas avec ça que je pourrais faire une carrière dans le monde, à suppo
1006 je compte dire dans mon journal, c’est qu’on peut être très content d’un sort matériel très médiocre. Ce n’est pas nouveau.
1007 ès content d’un sort matériel très médiocre. Ce n’ est pas nouveau. Et il faut bien reconnaître que ce n’est pas aussi roman
1008 pas nouveau. Et il faut bien reconnaître que ce n’ est pas aussi romantique et excitant que mon titre pourrait le faire croi
1009 e quai. Il y a près de Cassis une petite anse qui est pour moi le lieu du monde le plus pur. Une transparence vert bleu sur
1010 Contact avec le public. — Dans le courrier qui est arrivé en mon absence, deux nouvelles demandes de « causeries » : l’u
1011 vrai sens que dans cette rencontre effective. Ce sont de telles rencontres que je cherche, quand je vais parler dans ces ce
1012 teur, où l’on se voit naturellement contraint, ne fût -ce que par la proximité matérielle16 de se mettre moralement à la por
1013 encontre, sous l’auvent du local que l’on quitte, est en réalité la suite de quelque chose ; le contact s’établit normaleme
1014 ormalement, sans surprises et sans illusion. Ce n’ est plus une pensée lointaine qui anime un rêve, dans une chambre nocturn
1015 erc en chambre. Le lecteur réel, l’auditeur réel, est toujours autrement intelligent qu’on ne l’imagine quand on écrit sans
1016 agine quand on écrit sans l’avoir jamais vu. Il n’ est pas arrêté par nos tabous critiques. Il va tout droit à ce qui le con
1017 ccasion de mes prochains écrits. Cette conclusion est la suivante : le lecteur en son particulier — précisons : le lecteur
1018 les classes et de tous les métiers. Certes, ce n’ est jamais qu’avec des êtres singuliers, par le biais de leur singularité
1019 les métiers. Certes, ce n’est jamais qu’avec des êtres singuliers, par le biais de leur singularité même, qu’on entre vraime
1020 me, qu’on entre vraiment en contact. Ce public-là est relativement restreint. Mais d’autre part il constitue l’élément créa
1021 eur, spirituellement actif du pays. Il ne saurait être question de ce cliché importé d’URSS ou d’Allemagne hitlérienne : « R
1022 les écrivains, comme tels, en aucun temps. Ce ne sont pas des abstractions qui achètent nos livres. Ce qu’il s’agit de ret
1023 lui-là seul peut faire sentir à l’écrivain ce qui est solide et ce qui est artificiel dans ce qu’il écrit. Et cette critiqu
1024 e sentir à l’écrivain ce qui est solide et ce qui est artificiel dans ce qu’il écrit. Et cette critique directe, informulée
1025 milieu des feuilletonistes et des snobs, nous en sommes arrivés à parler dans le vide, à ne parler qu’à ces lecteurs qui achè
1026 s pour remplir les rayons d’un studio-divan. Nous sommes des ingénieux, des amuseurs, des spécialistes, des éléments de public
1027 cité, des académiciens, des journalistes. Nous ne sommes plus des gens utiles. Nous ne sommes plus des hommes normaux chargés
1028 tes. Nous ne sommes plus des gens utiles. Nous ne sommes plus des hommes normaux chargés d’une vocation d’expression et de réf
1029 d’une vocation d’expression et de réflexion. Nous sommes des hommes spéciaux exploitant leur spécialité pour arriver à un succ
1030 ur le marché. Combien de nos romanciers devraient être classés dans la catégorie des femmes à barbe et des veaux à deux tête
1031 st la fin de la phrase qui m’a étonné. La santé n’ étant pas une valeur « culturelle » ni même une valeur de culture « général
1032  ; — et Babbitt que D. H. Lawrence. Tout ce qui n’ est pas d’origine chrétienne, dans le socialisme, se fonde sur cette supe
1033 , l’on oublie d’expliquer pourquoi ces conditions étant remplies, les bourgeois ne sont pas plus heureux que les ouvriers. Et
1034 i ces conditions étant remplies, les bourgeois ne sont pas plus heureux que les ouvriers. Et pourquoi je suis beaucoup plus
1035 pas plus heureux que les ouvriers. Et pourquoi je suis beaucoup plus heureux qu’un bourgeois, avec ma pompe à eau et ma lamp
1036 vieux travailleurs. Demain dimanche, à 10 heures, sera donnée une conférence au profit des vieux, hommes et femmes, âgés de
1037 vous, activez la propagande afin que satisfaction soit donnée aux légitimes revendications des vieux. « L’organisation lutt
1038 urgeois, l’obscurantisme clérical — la conférence est à 10 heures, dimanche matin… — et les oligarchies réactionnaires ! Ô
1039 raternité, Déclaration des droits de l’homme ! Il est venu, il est venu le jour que la Volonté populaire appelait de tous s
1040 claration des droits de l’homme ! Il est venu, il est venu le jour que la Volonté populaire appelait de tous ses espoirs !
1041 de Justice et de passion libertaire, ce grand mot sera prononcé, proclamé, acclamé par les travailleurs de Bouillargues, pro
1042 epuis 89 ! Oui, dis-je, ce symbolique mot d’ordre sera donné comme un soufflet à la Réaction insolente : « Place aux Vieux !
1043 olente : « Place aux Vieux ! » On se demande s’il est au monde un seul pays, hormis la France, où cette phrase soit possibl
1044 e un seul pays, hormis la France, où cette phrase soit possible. Où les partis qui se disent « avancés » osent le proposer c
1045 Où la publication d’un communiqué de ce genre ne soit pas accueillie par une traînée de rigolade irrépressible dans toutes
1046 pondre par cette simple déclaration : « La France est un pays comblé, qui a résolu tous les problèmes économiques urgents.
1047 s les problèmes économiques urgents. La preuve en est fournie par ces phrases cueillies dans un journal révolutionnaire : «
1048 ous, activez la propagande, afin que satisfaction soit donnée aux légitimes revendications des vieux ! » Quand on en est à c
1049 égitimes revendications des vieux ! » Quand on en est à cela, dans les partis d’extrême gauche, c’est que l’état social est
1050 partis d’extrême gauche, c’est que l’état social est à peu près paradisiaque. » J’ajouterais peut-être ceci : En tout cas,
1051 peut-être ceci : En tout cas, tout péril fasciste est écarté d’emblée pour une nation qui sait encore dévouer ses enthousia
1052 Notre opinion publique, à en croire les journaux, est actuellement dominée par le souci des élections académiques et des re
1053 rouve cela touchant et profondément rassurant. Il est encore un peuple au monde pour qui le souci de se montrer humain prim
1054 mbreuses. Cette dernière amicale d’« accidentés » est sans doute la plus à plaindre : elle témoigne en effet, malgré elle,
1055 Avoir peu.) Atteindre cet état que l’on dit avoir été celui des âges d’or : l’état de simplicité envers l’argent. C’est par
1056 s en avons fait une valeur sentimentale, que nous sommes pris dans nos calculs. Il faut apprendre cette simplicité : l’imprévo
1057 aux ou des fausses symétries : chacun de ces mots est essentiel à l’expression d’un seul et même événement.) Si je crois à
1058 e politique, une éthique, une idée qui ne peuvent être rapportées à la situation de l’homme prenant la Cène sont en dernier
1059 portées à la situation de l’homme prenant la Cène sont en dernier recours vaines et illusoires. Nuit de Pâques 1935 Cl
1060 . Matinée du lundi de Pâques, 7 heures Tout est trempé et ruisselant de lumière bleue, les feuillages encore transluc
1061 sa densité, sa légèreté originelles. Les oliviers sont plus soyeux et plus moirés sur le vert plus violent des terrasses, la
1062 chaos brillant d’où montent des vapeurs d’aube d’ été . « Un vrai temps de Pâques ! », me crie Simard. ⁂ Hier il pleuvait. V
1063 au seuil du temple : « Voyez-vous ça, comme tout est dérangé ! Les autres années, il pleut toujours le Vendredi-Saint, et
1064 leur réponds : « Que voulez-vous, les saisons ne sont plus ce qu’elles étaient », — pour montrer que je sais vivre… Parler
1065 voulez-vous, les saisons ne sont plus ce qu’elles étaient  », — pour montrer que je sais vivre… Parler du temps qu’il fait, occu
1066 que cela prend les chiens. Toute la nuit, ils se sont battus dans la remise qui est juste au-dessous de notre chambre, et d
1067 te la nuit, ils se sont battus dans la remise qui est juste au-dessous de notre chambre, et dans la cour, et sur toutes les
1068 range et presque « atterrant ». La petite chienne est couchée, sur le flanc, haletant doucement, l’arrière-train tuméfié. A
1069 te huit, de toutes tailles et pelages. La plupart sont beaucoup plus grands que leur Marquise, mais il y a aussi un insolent
1070 ssé chez les chiens. Cette nuit, les crapauds s’y sont mis. Un vieux mâle coasse des notes basses, et le chœur lui répond, d
1071 s dans la remise. La chienne se traîne. La chatte est déjà grosse. Une puissance inexorable s’est emparée de l’espèce, tour
1072 hatte est déjà grosse. Une puissance inexorable s’ est emparée de l’espèce, tourmente les bêtes, les essouffle et les esquin
1073 émit dans les angoisses de l’enfantement. Et ce n’ est pas elle seulement, mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Espr
1074 n de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. » (Romains 8, 22-24.) Parler de la Nature comme le firent tan
1075 ettres grasses : « Tout notre programme municipal tient en un seul mot : nous sommes antifascistes ! » Après quoi viennent l
1076 e programme municipal tient en un seul mot : nous sommes antifascistes ! » Après quoi viennent les revendications pratiques :
1077 c’est cela l’antifascisme, les fascistes doivent être de drôles de gens. 25 avril 1935 Communisme. — Dans la petite
1078 patronne qui ne répond pas. C’est un habitué, il est comme ça. Il faut le laisser frapper le sol de sa canne et redresser
1079 visage maigre fait un geste réticent. Le vieux le tient par la manche et lui martèle de sa canne le bout des souliers : — Tu
1080 ais il y a bien d’autres aspects. Ces deux hommes sont du même niveau social, sans doute parents, de mœurs et de langage par
1081 langage pareils. S’ils s’opposent, c’est que l’un est avare et légèrement maboul, l’autre énergique et assez sensé. Simple
1082 n de tempérament. Peut-être aussi le communiste n’ est -il pas encore parvenu à « mettre de côté » autant qu’il le voudrait.
1083 tre de côté » autant qu’il le voudrait. Mais ce n’ est pas sûr. Je sais bien une douzaine de ses camarades qui comptent parm
1084 simplement des attitudes morales différentes ? Ce serait nouveau… Il y a au fond tout autre chose. C’est moi qui avais acheté,
1085 uppôts, ces retraités radicaux ou socialistes, ce serait d’être le parti de la vérité et du bon sens. Ils auraient avec eux to
1086 es retraités radicaux ou socialistes, ce serait d’ être le parti de la vérité et du bon sens. Ils auraient avec eux tous les
1087 reuve d’une prose abstraite, brutale — eux qui le sont si peu ! — et si possible, plus médiocre que celle des grands journau
1088 ystique confectionnée à l’usage des moujiks… Quel est l’homme sain qui oserait affirmer que ce quotidien lamentable, hériss
1089 s lecteurs ? Si l’on prend au sérieux le sort qui est fait aux ouvriers — ce n’est pas le cas des intellectuels qui « adhèr
1090 sérieux le sort qui est fait aux ouvriers — ce n’ est pas le cas des intellectuels qui « adhèrent » aux disciplines stalini
1091 plines staliniennes en haine d’une société qu’ils sont encore les seuls à croire « chrétienne » — il faut bien dire que le p
1092 nne » — il faut bien dire que le parti communiste est une sinistre trahison des pauvres hommes. Beaucoup, je le sais, résis
1093 sa situation, et ne voit pas que « son » journal est sans rapport réel avec cette situation. Mais les intellectuels, dont
1094 situation. Mais les intellectuels, dont le métier est de comprendre, dont le métier est de vouloir la vérité, dont la seule
1095 dont le métier est de comprendre, dont le métier est de vouloir la vérité, dont la seule dignité est d’avoir foi dans le p
1096 r est de vouloir la vérité, dont la seule dignité est d’avoir foi dans le pouvoir d’une pensée droite, — on se demande par
1097 guérison que j’attends. Je n’ose croire qu’il me soit bien utile de seulement le savoir… Si j’étais sûr que la bêtise humai
1098 l me soit bien utile de seulement le savoir… Si j’ étais sûr que la bêtise humaine est à jamais irrémédiable, je serais tranqu
1099 t le savoir… Si j’étais sûr que la bêtise humaine est à jamais irrémédiable, je serais tranquille : je ne m’occuperais en b
1100 e la bêtise humaine est à jamais irrémédiable, je serais tranquille : je ne m’occuperais en bonne conscience que d’art et de l
1101 e que d’art et de littérature. Mais quoi ! rien n’ est moins sûr que cette permanence de nos maux. Non que je croie à un « P
1102 ais tout aussitôt de m’agacer. (Au fond tout cela est des plus simples, évident, et si j’éprouve quelque difficulté à le fo
1103 ans mon esprit inséparable d’un faire qui, lui, n’ est pas aisé, et reste même fort obscur et ardu — pour autant que je ne l
1104 e gueule contre les riches du pays. Tout le monde est très content. Là-dessus, deux séries de réflexions me tentent. 1) Réf
1105 ou du disciple de Lénine. — Le peuple, tel qu’il est en réalité, ou tel qu’il est devenu après x années de régime capitali
1106 Le peuple, tel qu’il est en réalité, ou tel qu’il est devenu après x années de régime capitaliste parlementaire et laïque,
1107 s voir le réel. Provisoirement, il a perdu ce qui fut de tous temps sa vraie force. Il ne sait plus où sont ses intérêts, à
1108 de tous temps sa vraie force. Il ne sait plus où sont ses intérêts, à quel niveau il faudrait les défendre. « Aliéné » par
1109 ore, parlez-leur de leur travail, de celui qu’ils sont en train de faire tandis que vous causez, vous arriverez à leur tirer
1110 leur ouvrage, quand ils savent que les résultats sont à la merci soit d’un trust, soit d’un syndicat d’incapables. Ils vous
1111 uand ils savent que les résultats sont à la merci soit d’un trust, soit d’un syndicat d’incapables. Ils vous diront que le m
1112 ue les résultats sont à la merci soit d’un trust, soit d’un syndicat d’incapables. Ils vous diront que le mal vient de l’Éta
1113 plus de vie, d’initiative, de vrai plaisir. On n’ est plus fier d’en être, on approuve la jeunesse qui délaisse la terre po
1114 tiative, de vrai plaisir. On n’est plus fier d’en être , on approuve la jeunesse qui délaisse la terre pour la ville. (« C’es
1115 aire, on ne dira pas un mot de tout cela, on s’en tiendra aux clichés du journal. On n’aura pas le temps ni le courage, ni même
1116 r du peuple, n’écoutons plus ses assemblées, ce n’ est pas lui. Écoutons les observations que formulent des individus pris à
1117 la lutte contre le capitalisme, tout le monde en est , ou feint d’en être ; c’est bien moins concret qu’il ne semble.) Conc
1118 capitalisme, tout le monde en est, ou feint d’en être  ; c’est bien moins concret qu’il ne semble.) Conclusion : il appartie
1119 s, trahie par le langage politicien. La dictature est la seule solution de ceux qui refusent d’éduquer le peuple. Dictature
1120 on, voilà le dilemme du xxe siècle. La dictature est très fragile. Elle n’a qu’un argument très puissant contre nous : sur
1121 mains. C’est peu, dites-vous. Mais rien d’autre n’ est vrai… 6 mai 1935 La mort et les cérémonies dans le Gard. La m
1122 t du lecteur philosophe. Déjà huit mois que nous sommes ici, et combien de fois ne sommes-nous pas entrés dans la grande cuis
1123 t mois que nous sommes ici, et combien de fois ne sommes -nous pas entrés dans la grande cuisine qui était, pensions-nous, tout
1124 sommes-nous pas entrés dans la grande cuisine qui était , pensions-nous, tout leur logis — nous avions cru comprendre que les
1125 nous avions cru comprendre que les autres pièces étaient vides ou ne servaient que de débarras —, et rien ne pouvait nous fair
1126 s elle va « passer » cette nuit, vous savez, elle est toute chargée, bou die ! l’estomac et tout. — Mais les Simard ne m’av
1127 languir bien longtemps. On peut dire que la chose est sûre. Et on l’entend ! Trois fois par jour, le bruit d’effroyables di
1128 parvient de la cuisine des Simard. Un beau-frère est arrivé, et on partage. C’est toujours assez compliqué. La nuit, par u
1129 la moribonde qu’ils veillent à tour de rôle, ils sont venus discuter dans la remise qui est au-dessous de notre chambre, et
1130 rôle, ils sont venus discuter dans la remise qui est au-dessous de notre chambre, et leurs éclats de voix nous ont plusieu
1131 it, qu’elle ne veut pas le lâcher, c’est pour lui tenir compagnie… On a été chercher le pasteur. Je le rencontre comme il sor
1132 s le lâcher, c’est pour lui tenir compagnie… On a été chercher le pasteur. Je le rencontre comme il sort de sa visite. — El
1133 e le rencontre comme il sort de sa visite. — Elle est curieuse, cette vieille, me dit-il. Figurez-vous qu’elle tient sa can
1134 e, cette vieille, me dit-il. Figurez-vous qu’elle tient sa canne à la main, comme ça, sur la couverture, et elle explique que
1135 e passent devant la fenêtre. Je me précipite : ce sont les deux Simard qui font un grand feu dans la cour. Est-ce qu’ils la
1136 s deux Simard qui font un grand feu dans la cour. Est -ce qu’ils la rôtissent ? On distingue des étoffes noires qui se gonfl
1137 ffes noires qui se gonflent sur le brasier… Je me suis réveillé tard. Tandis que je me rase, j’entends Simard qui apostrophe
1138 ur dire ! » Je passe la tête par la fenêtre. — Qu’ est -ce que c’est, Simard ? Il est rouge et boursouflé, tremblant de colèr
1139 ar la fenêtre. — Qu’est-ce que c’est, Simard ? Il est rouge et boursouflé, tremblant de colère et gesticulant. Il crie : Je
1140 e veux pas qu’on lave aujourd’hui ! Ma belle-mère est morte cette nuit. Il ne faut pas se moquer des gens en deuil ! — Mais
1141 — Mais Monsieur Simard… — Il est parti. Le bassin est à 50 mètres de la maison, sur une terrasse qu’on ne peut voir d’ici.
1142 ons avec le beau-frère font toujours rage). Je me suis donc borné à exprimer mes « condoléances » à Mme Simard, que j’ai tro
1143 beaucoup remercié. Bref, il m’a semblé que tout s’ était bien passé. Je me trompais. C’est la mère Calixte qui me l’apprend ce
1144 lixte qui me l’apprend ce matin. Le ménage Simard est furieux. Nous n’avons pas du tout fait ce qu’il fallait. Je me récrie
1145 ma sympathie à Mme Simard. — Je sais, mais vous n’ êtes pas entré chez eux. — Entré chez eux ? — Il faut que je vous explique
1146 Je le lui ai dit : c’est bien ta fôte ! Ça aurait été dans votre maison qu’il y aurait eu un mort, je comprendrais, je n’au
1147 ’aurais pas non plus lavé la vaisselle. Mais ce n’ est pas la même chose. — Je ne comprends pas, Mme Calixte. Pourquoi ne pe
1148 r, mais il a tort pour la lessive. Voyez-vous ils sont trop orgueilleux ces gens-là ! S’ils avaient eu toute la peine que j’
1149 toute la peine que j’ai eue dans ma vie, moi, ça serait autrement, je vous assure ! Ils sont trop orgueilleux, voilà ! Je me
1150 e, moi, ça serait autrement, je vous assure ! Ils sont trop orgueilleux, voilà ! Je me perds dans tout ce protocole. Je sens
1151 perds dans tout ce protocole. Je sens bien qu’il est inutile de leur demander de s’expliquer. Tout cela repose sur un vieu
1152 leau. Impécuniosité cyclique. Les dieux locaux me seraient -ils donc défavorables ? Je me vengerai d’eux en écrivant ici que leur
1153 et la margelle d’un puits. La plupart des vitres sont cassées. Une poule blanche se promène quelquefois dans la cour. Mais
1154 ans la cour. Mais on m’assure que ces habitations sont délaissées depuis deux ans. Plus haut dans la montagne, un autre mas
1155 usion de fleurs violentes et d’orties. L’ensemble est imposant et comme démesuré dans ce paysage de vallons, de collines et
1156 long cri presque humain. La maison la plus proche est à une bonne demi-heure. Il n’y a pas de route. On imagine de vivre là
1157 elle. Nous aurions des fusils et des bibles, nous serions camisés de rouge, et l’on irait de temps à autre arraisonner les féod
1158 té capitaliste, disaient-ils ; mais dès qu’ils en étaient sortis, ils découvraient que c’était la société en général qui les ve
1159 nt pas les cheveux dans les cuisines communes, et soient fidèles… La grande affaire, c’est de se méfier d’un romantisme commun
1160 ine des travaux forcés. Il faut que la communauté soit pour chacun la possibilité de vivre mieux sa vie. Mais cela pose des
1161 lles ! », bien sûr. Reste à savoir si la province est habitable, dans l’état actuel des choses. Tant de régions abandonnées
1162 cet ennui dans la jeunesse rurale, ce sentiment d’ être à l’écart du monde, — et de n’être lié à son voisin que par le souven
1163 ce sentiment d’être à l’écart du monde, — et de n’ être lié à son voisin que par le souvenir de vieilles offenses… Ce n’est p
1164 in que par le souvenir de vieilles offenses… Ce n’ est pas seulement défaut de communion, mais aussi, plus prosaïquement, dé
1165 bouteillent sur la petite superficie de Paris, ne seraient -elles pas d’un usage plus normal là où les hommes sont séparés par de
1166 elles pas d’un usage plus normal là où les hommes sont séparés par de grandes distances désertes ? C’est un symbole. On peut
1167 être, quand toutes ces maisons vides des environs seront habitées par des colonies de jeunes gens — si jamais ils en ont assez
1168 nt — la province deviendra vivable. La révolution sera faite. Nous reviendrons pour faire quelque chose en commun avec tous
1169 naugurèrent les généraux de la Révolution, et qui fut celle de Bonaparte, n’est en somme que l’application du style françai
1170 e la Révolution, et qui fut celle de Bonaparte, n’ est en somme que l’application du style français à la chose militaire. 1
1171 int-Esprit ne font qu’un. Vous voyez que l’Église est réfutée par l’arithmétique. En effet, prenez l’addition : un plus un,
1172 . » Prenez la multiplication ! cria l’abbé V… qui était dans la salle. 15. Voir plus haut, p. 59-65. 16. Que ne connaît p
4 1937, Journal d’un intellectuel en chômage. Troisième partie. L’été parisien
1173 Tous les problèmes vont se poser autrement. Tout est soudain plus dur et agressif, tendu, nerveux, discontinu… Nos valises
1174 ouent pieds nus, heureux. Les arbres du boulevard sont encore verts, ici ; il y a de l’espace. Les masses de briques vernies
1175 la chaussée, à une prise d’eau. Il sifflote, il n’ est pas pressé. Des enfants courent derrière la palissade. Bouffées d’ode
1176 que j’habite près de cette Porte, je n’avais pas été au-delà de la Place d’Italie. Cet après-midi, première incursion dan
1177 eures à la terrasse des mêmes cafés. Chaque chose est à sa place dans l’espace et l’histoire, chaque nuance de la Tradition
1178 l’après-guerre, conservé aux Champs-Élysées. Ce n’ est qu’aux portes et dans les quartiers clairs et chaotiques de la Ceintu
1179 ies et trois parleurs à la fois, de sorte qu’il n’ est plus possible de dormir ni de lire, ni même de penser sans colère, sa
1180 se déchaînent, — moi je me contiens parce que je suis d’ailleurs — c’est qu’ils n’ont plus aucune espèce de sens, je n’ose
1181 s d’instinct. Et les chansons dites populaires ne sont même plus en musique : c’est du « parlé » coupé de fioritures rapides
1182 parlé » coupé de fioritures rapides comme des « n’ est -ce pas ». Soir du 14 juillet 1935 Voici une heure que je suis a
1183 Soir du 14 juillet 1935 Voici une heure que je suis assis à une terrasse de la Porte d’Italie, au milieu de ce que les jo
1184 vement, sur un fond d’ennui multicolore. Ici tout est plus calme, la joie, si joie il y a, est sans gestes et sans flots de
1185 Ici tout est plus calme, la joie, si joie il y a, est sans gestes et sans flots de paroles. Nul pittoresque. Rien à « remar
1186 ans une douce détente apathique. En somme, que ce soit dans la société bourgeoise ou dans le peuple, les « artistes » aujour
1187 ou dans le peuple, les « artistes » aujourd’hui, sont les seuls hommes qui se préoccupent de colorer leur vie. On n’en a pa
1188 puliste, si elle veut rester vraie objectivement, sera toujours terne et même conventionnelle comme ses modèles à la distanc
1189 en casquette et leurs femmes. On peut penser : ce sont des ouvriers et des petits bourgeois. Costume, langage, psychologie d
1190 logie de leurs classes. On peut aussi penser : ce sont des hommes pour qui le Christ est mort. Ils ont chacun en eux ce prob
1191 si penser : ce sont des hommes pour qui le Christ est mort. Ils ont chacun en eux ce problème insondable, qu’ils le sachent
1192 vérité mystérieuse, de l’abyssale originalité qui est pour chacun ce qu’il a de plus réel, de plus inexprimablement réel.
1193 ds crier de toutes parts à l’impiété. Le chrétien est impie en Asie, le musulman en Europe, le papiste à Londres, le calvin
1194 le moliniste au fond du faubourg Saint-Médard. Qu’ est -ce donc qu’un impie ? Tout le monde l’est-il, ou personne ? » Cet arg
1195 ard. Qu’est-ce donc qu’un impie ? Tout le monde l’ est -il, ou personne ? » Cet argument de Diderot contre la religion de son
1196 e toutes parts au mauvais citoyen. Le capitaliste est l’ennemi public en URSS, le communiste en Europe, le fasciste à Londr
1197 , le « populaire » au haut des Champs-Élysées. Qu’ est -ce qu’un mauvais citoyen ? Tout le monde l’est-il, ou personne ? » — 
1198 Qu’est-ce qu’un mauvais citoyen ? Tout le monde l’ est -il, ou personne ? » — Mais je crains que mes contemporains, tout prêt
1199 e crains que mes contemporains, tout prêts qu’ils sont à applaudir Diderot, ne sentent plus guère la force de cette similitu
1200 politiques, etc. Ils me répondent que tout cela n’ est rien, ou n’est que provisoire et simplement « tactique », et que l’id
1201 . Ils me répondent que tout cela n’est rien, ou n’ est que provisoire et simplement « tactique », et que l’idée qui préside
1202 tactique », et que l’idée qui préside à tout cela est si belle et si grande qu’elle mérite bien des sacrifices… Ainsi parla
1203 ose une question gênante, ils me répondent que je suis fasciste. Cette lâcheté était naguère le fait des bourgeois : ils vou
1204 me répondent que je suis fasciste. Cette lâcheté était naguère le fait des bourgeois : ils vous traitaient de bolcheviste dè
1205 e vous tâchiez de leur montrer que leurs idéaux n’ étaient guère pratiqués. — Le marxisme représente la Réalité aux yeux des int
1206 ’une idée savoureuse et difficile dont je préfère tenir le nom secret, encore un temps, et je goûtais la douceur de ces rues,
1207 te cochère, avec une espèce d’éclat de rire. Ce n’ était pas un rire de vraie gaieté ni de folie. C’était quelque chose d’à pe
1208 portière, et je me retrouvai seul. Mon idée s’en était allée (Je ne l’ai retrouvée que ce matin). Mais je venais de voir, le
1209 e précepte du Bienheureux Henri Suso : « Quand tu es parmi les hommes, oublie tout ce que tu vois ou entends, et tiens-toi
1210 hommes, oublie tout ce que tu vois ou entends, et tiens -toi seulement à ce qui s’est révélé à ton être intérieur. » Je referm
1211 ois ou entends, et tiens-toi seulement à ce qui s’ est révélé à ton être intérieur. » Je refermai alors mon livre et me mis
1212 t tiens-toi seulement à ce qui s’est révélé à ton être intérieur. » Je refermai alors mon livre et me mis à regarder les êtr
1213 refermai alors mon livre et me mis à regarder les êtres qui me pressaient de tous côtés. Tantôt ils m’offusquaient par leurs
1214 t je me répétai : « Oublie tout ce que tu vois et tiens -toi seulement à ce qui s’est révélé à ton être intérieur. » Je voyais
1215 ce que tu vois et tiens-toi seulement à ce qui s’ est révélé à ton être intérieur. » Je voyais la laideur et la beauté des
1216 t tiens-toi seulement à ce qui s’est révélé à ton être intérieur. » Je voyais la laideur et la beauté des hommes, mais je me
1217 chain comme toi-même. Et j’ai compris que ce peut être la même chose : regarder pour aimer, et oublier ce que l’on voit.
1218 — En face de moi, derrière mon journal, il y a un être d’une espèce inquiétante. C’est son contact qui m’en avertit. Je ne
1219 ger, comprimé par une grosse femme à bagues qui s’ est assise à côté de moi. J’abaisse mon journal : je vois un homme plutôt
1220 iste. Je retire vivement le mien. Lui revient. Je suis hors de moi. Je le tuerais ! D’ailleurs il a l’air colossalement fort
1221 le et sensible (ou sensorielle pendant que nous y sommes ) est l’expression architecturale et mécanique de l’état de fièvre. C’
1222 nsible (ou sensorielle pendant que nous y sommes) est l’expression architecturale et mécanique de l’état de fièvre. C’est u
1223 ort — cette absence de musique quand le silence a été tué, absence qui se confond avec la présence d’un bruit universel ; c
1224 i ressemble à la caverne de Platon : des ombres d’ êtres y dansent sur les voûtes, et chacun s’y sent seul, tournant le dos au
1225 auchemars. Pour bien comprendre le métro, il faut être pauvre, éreinté et enfiévré par une maladie encore incertaine. Oui, i
1226 in qui ausculte en silence et déjà votre sort lui est connu. Je conçois un métro silencieux, plus rapide, mais par longs bo
1227 s criminelles, des abîmes verdâtres… Un métro qui serait simplement le subconscient des citadins. Août 1935 Considérati
1228 açades toutes sonores de radios et de lumières, n’ est -ce pas beau ? Pourquoi ce ricanement « réactionnaire » dans mon coin
1229 rice chez ces hommes grossièrement satisfaits. Qu’ est -ce que cela fait s’ils sont enfin heureux, délivrés des maux dégradan
1230 èrement satisfaits. Qu’est-ce que cela fait s’ils sont enfin heureux, délivrés des maux dégradants, de la misère et du taudi
1231 e qu’il existe que nous savons encore que l’homme est né pour autre chose que ce bonheur18. Qu’il est né pour un Bonheur qu
1232 e est né pour autre chose que ce bonheur18. Qu’il est né pour un Bonheur que la nature ne lui enseigne pas, qu’elle attend
1233  attente ardente » dont parle saint Paul. L’ennui sera la condition des hommes qui auront tout sauf la seule chose nécessair
1234 ige à prendre la première place qu’on vous offre, fût -elle la plus contraire à votre vocation, sous peine de passer pour un
1235 suus esse potest. Je la renverse : « Que rien ne soit à moi, qui puisse être à un autre. » Fin août 1935 Remercier do
1236 a renverse : « Que rien ne soit à moi, qui puisse être à un autre. » Fin août 1935 Remercier donc, et s’en aller encor
1237 t s’en aller encore. Savoir ce qui compte, et s’y tenir . Je le dis avec d’autant moins d’amertume qu’un espoir vient de m’êtr
1238 d’autant moins d’amertume qu’un espoir vient de m’ être donné. Une feuille de papier-machine avec ce petit poème en prose :
1239 les deux sens.   1933-1935 18. « Que l’homme est né pour le bonheur, certes, toute la nature l’enseigne » (Gide).