1
jambes, là, sous ton imperméable, que le cuir ne
soit
pas mouillé. » (C’est qu’on nous l’a prêté, il faut le soigner…) Nous
2
r…) Nous sortons du port, et tout de suite la mer
est
forte. Un éclair sur l’eau verte, un gros coup de vent : voilà nos co
3
tre éclair siffle et claque tout près. La tempête
est
venue brusquement avec l’aube. Depuis une heure nous battions la seme
4
eur patois rapide et monotone. Je crois que je me
suis
endormi un moment. Nous approchons du dernier village. L’île devient
5
e. L’île devient très étroite. Par endroits, ce n’
est
plus qu’une bande de terre aride, portant la route, un mur qui fait d
6
sur les grands quais de ce port atlantique, j’en
étais
à considérer d’un œil brûlé par l’insomnie les flots de l’océan mauss
7
paremment que je n’avais rien de mieux à faire. J’
étais
chômeur depuis trois mois. On m’offrait un abri quelque part, une mai
8
tte ville, au moins pour la jeunesse sans argent,
est
la ville des gérants ignobles et des concierges, des Lieux-sombres-et
9
nt, d’affirmer que cela peut se faire, que cela s’
est
fait, qu’il y a là un bonheur…
10
ommencerai par l’inventaire de mon domaine. Je ne
suis
pas propriétaire, c’est entendu. Je ne possède légalement que des val
11
l’on veuille « avoir » autrement. Posséder, ce n’
est
pas avoir. Ce n’est pas même avoir l’usage éventuel de quelque chose.
12
r » autrement. Posséder, ce n’est pas avoir. Ce n’
est
pas même avoir l’usage éventuel de quelque chose. Mais c’est user en
13
st donc un acte, et pas du tout un droit. Et ce n’
est
pas une sécurité, ni rien qui dure au-delà du temps qu’on en jouit. C
14
jouit. Cette maisonnette, ce jardin et cette île,
seront
miens selon la puissance avec laquelle j’en saurai faire usage, pour
15
le j’en saurai faire usage, pour une fin qui leur
est
étrangère, et qui me commandera de les quitter le jour qu’ils y mettr
16
bstacle. (Pour les bourgeois, l’idée de propriété
est
liée à l’idée d’héritage. Par quelle folie pensent-ils pouvoir « héri
17
tout ignorer de la vraie possession ! Une chose n’
est
mienne que pour un temps, et si je change, elle me devient impropre.
18
e n’hérite pas même de moi ! Ou alors, l’héritage
est
cela dont on ne peut pas se délivrer à temps, et devrait être défini
19
nt on ne peut pas se délivrer à temps, et devrait
être
défini franchement comme ce qui est incommode ou impropre, et dont il
20
, et devrait être défini franchement comme ce qui
est
incommode ou impropre, et dont il faut tâcher de se délivrer coûte qu
21
ai sous la main. Voici d’abord la table que je me
suis
fabriquée : j’ai trouvé dans le chai deux tréteaux et deux planches b
22
t des treilles pour la pêche aux crevettes. Je me
suis
procuré un petit tonneau de vin blanc de l’île. C’est un clairet asse
23
aisse peut-être un léger goût iodé, au moins l’on
est
tenté de l’imaginer : la vigne croît ici au ras d’un sol sablonneux q
24
eau vertige de liberté. Depuis six jours que nous
sommes
arrivés, je n’ai lu que les Règles de Descartes, comme on ferait un m
25
Curiosité, comme au début d’un film. La situation
est
d’ailleurs excellente pour l’instant. Il nous reste encore de quoi vi
26
ant six semaines environ, si du moins nos calculs
sont
justes : 900 francs, un bon toit, et le temps de voir venir. Ceci pos
27
ire ; 2 — (problème psychologique) — si ce régime
est
favorable ou non à la maturation d’une œuvre ; — s’il est moins démor
28
rable ou non à la maturation d’une œuvre ; — s’il
est
moins démoralisant que le régime parisien ; — s’il endort ou s’il exc
29
it, dans ces articles, de ce que les gens croient
être
actuel, ou sont censés croire actuel, dans la littérature ou les idée
30
icles, de ce que les gens croient être actuel, ou
sont
censés croire actuel, dans la littérature ou les idées. C’est cela qu
31
aye, et qui m’ennuie. J’ai gardé pour la fin — ce
sera
demain — la rédaction de deux articles destinés à des revues de jeune
32
oire de l’île, ses coutumes et son dialecte. L’un
est
l’œuvre d’un archiviste du continent. Il affecte une douce ironie sor
33
ts vrais. Elle tend aussi, il faut l’avouer, à ne
tenir
pour vrai que ce qui est petit. Laissons donc de côté ce petit travai
34
il faut l’avouer, à ne tenir pour vrai que ce qui
est
petit. Laissons donc de côté ce petit travail qui a dû valoir les pal
35
ce par une chronique historique, dont l’essentiel
est
naturellement l’énumération des débarquements qui ont honoré l’île, d
36
cobins. Plusieurs des discours de leurs chefs ont
été
consignés par miracle : ils ne le cèdent en rien, pour l’ampleur de l
37
t au moins à son instigation. Enfin, et cela nous
sera
des plus utiles, une minutieuse description de la faune et de la flor
38
est qu’on préfère sans doute appeler moyen ce qui
est
très bas — pour se sentir un peu au-dessus… 19 novembre 1933 P
39
a place principale. Au milieu de cette place, qui
est
un vaste rectangle de terre jaune, les habitants plantèrent à la Révo
40
à la Révolution un arbre de la Liberté. Cet orme
est
devenu gigantesque, majestueux, exemplaire dans sa symétrie architect
41
e. Il domine toutes les maisons et le clocher. Il
est
seul au-dessus du pays. Je voudrais le dessiner dans le style romanti
42
d on aborde le village où l’on va vivre. Celle-ci
est
énorme et goutteuse. Elle a des douleurs dans les jambes, et m’en par
43
tion de rester ici tout l’hiver ? C’est plutôt en
été
qu’on vient chez nous, me fait-elle prudemment observer. — Je le sai
44
xpliquer la nature de mon travail. « Écrire », qu’
est
-ce que cela signifie ? Écrire pour les journaux, sans doute, mais il
45
aient en silence, le nez sur leurs sabots, que je
sois
sorti. La mère Aujard n’a pas toujours ce qu’on voudrait. En hiver el
46
ler de l’autre côté de la place, chez Mélie. Ce n’
est
pas simple d’éviter d’être vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c
47
place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’
être
vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c’est prudent, on me l’a dit
48
es augmenteront bien plutôt pour le punir d’avoir
été
en face. Sans compter qu’on n’aime pas être accueilli par la réprobat
49
’avoir été en face. Sans compter qu’on n’aime pas
être
accueilli par la réprobation sournoise d’une épicière. Ennui de trave
50
oge au fond d’une de ces courettes charmantes qui
sont
la secrète beauté des habitations de l’île : toutes claires et propre
51
avec une grande enveloppe contenant un manuscrit.
Est
-ce une lettre ? — Non. — Est-ce un imprimé ? — Non. C’est tapé à la m
52
tenant un manuscrit. Est-ce une lettre ? — Non. —
Est
-ce un imprimé ? — Non. C’est tapé à la machine. — Est-ce qu’il n’y a
53
ce un imprimé ? — Non. C’est tapé à la machine. —
Est
-ce qu’il n’y a rien d’écrit à la main ? — Si, il y a des corrections
54
elle me tend une formule de télégramme, mais ce n’
est
pas un télégramme, c’est une notification officielle d’avoir à verser
55
l faut donc que je m’exécute, sinon c’est lui qui
sera
forcé « d’y aller de sa poche ». Me voilà courant à l’autobus pour ar
56
e cause un peu, pour me faire pardonner. Pédenaud
est
mutilé de guerre. Il boite. On lui a donné cette recette auxiliaire à
57
n comptant tout ». Sa femme fait des lessives. En
été
ils pêchent des palourdes et les vendent aux baigneurs. Bien entendu,
58
Si mes articles ne paraissent qu’en décembre, je
serai
payé au plus tôt en janvier. Et il me reste juste assez pour deux sem
59
trois, en dix minutes, à une plage. Notre village
est
en effet situé sur une pointe avancée de l’île, et la quatrième direc
60
ncée de l’île, et la quatrième direction possible
est
celle des marais, à peu près impraticable en cette saison. Nous suivo
61
tiers bordés de tamaris jusqu’aux dunes. Elles ne
sont
pas bien hautes, ces dunes, dix mètres au plus, mais c’est assez pour
62
ple pas sans une espèce de méfiance profonde : il
est
surtout une tentation de se dissoudre dans on ne sait quelle sublimit
63
e, manger et boire, 480 francs ; (en général tout
est
plus cher qu’à Paris). Un stère de bois, 50 francs ; (il y a très peu
64
nnelles de ne pas appeler au secours. Pourtant je
suis
bien tranquille, je ne l’ai même jamais été aussi absolument. C’est p
65
t je suis bien tranquille, je ne l’ai même jamais
été
aussi absolument. C’est peut-être à cause du bonheur de notre vie. Tr
66
» en dépend. 2 décembre 1933 Questions. —
Est
-ce donc si « naturel » de vivre sur une île ? Est-ce que l’insularité
67
Est-ce donc si « naturel » de vivre sur une île ?
Est
-ce que l’insularité (géographique et morale) n’est pas une espèce de
68
st-ce que l’insularité (géographique et morale) n’
est
pas une espèce de vice ? Est-ce que ce n’est pas la racine de tout l’
69
aphique et morale) n’est pas une espèce de vice ?
Est
-ce que ce n’est pas la racine de tout l’idéalisme dont les modernes d
70
e) n’est pas une espèce de vice ? Est-ce que ce n’
est
pas la racine de tout l’idéalisme dont les modernes doivent se guérir
71
guérir, s’ils veulent enfin devenir « actuels » ?
Est
-ce que ce n’est pas aussi la racine de cet esprit d’abstraction égoïs
72
ulent enfin devenir « actuels » ? Est-ce que ce n’
est
pas aussi la racine de cet esprit d’abstraction égoïste dont nous sou
73
ction égoïste dont nous souffrons tous ? Enfin, n’
est
-il point trop facile de trouver son rythme de vie dans les conditions
74
m’obligeant à me poser ici, dans un milieu qui m’
est
fort étranger, et cela pour des raisons aussi superficielles, par rap
75
che jusqu’au pays voisin. Cette liberté insulaire
est
une liberté négative. Elle nous met à l’abri du monde et nous ramène
76
ène tout physiquement à nos limites. Mais l’homme
est
ainsi fait qu’il désire sans cesse se risquer au-delà de ce qu’il peu
77
s à partager avec les hommes de ce village ce qui
est
essentiel et solide dans ma vie. Le simple fait que je ne puis pas le
78
à écrire. La mère Renaud (Renaud-de-la-Cure), qui
est
une vieille amie des propriétaires de notre maison, est venue plusieu
79
e vieille amie des propriétaires de notre maison,
est
venue plusieurs fois nous voir. Hier, elle m’a demandé avec toutes so
80
change direct sur pied d’égalité. Le père Renaud
est
un ancien marin, barbu, jovial, déjà touché par le gâtisme, mais agré
81
s souvenirs, trop souvent racontés. (« Quand nous
étions
devant Tamatave, en 1886… ») Il s’occupe maintenant à fabriquer un fi
82
pés. Je m’attarde à causer dans leur cuisine, qui
est
leur habitation ordinaire. On ne peut rien désirer de plus plaisant q
83
re, sur laquelle travaille le père Renaud. Le sol
est
de la terre battue recouverte d’une fine couche de sable. Sur les mur
84
s parfois : Le monde moderne n’a rien en eux. Ils
sont
indemnes de nos fièvres. Ils ne connaîtront pas nos douloureuses conf
85
s inadaptations et nos désirs discordants. Ils se
sont
fait un entourage à la mesure de leur être habituel, et s’en contente
86
Ils se sont fait un entourage à la mesure de leur
être
habituel, et s’en contentent. Pourquoi voudrais-je qu’ils désirent au
87
chose ? Et quand la mère Renaud me dit qu’elle n’
est
jamais sortie de l’île, depuis soixante ans qu’elle y est née, pourqu
88
is sortie de l’île, depuis soixante ans qu’elle y
est
née, pourquoi ne puis-je m’empêcher d’éprouver un sentiment de regret
89
ombre. Et d’abord de ceux qui m’entourent, et qui
sont
aujourd’hui mes prochains. Ils me parlent de ce qui les intéresse, et
90
moi, m’intéresse : je sens trop bien qu’ils n’en
sont
pas curieux. De quoi donc me parlent-ils ? Du temps, et j’aime cela
91
eau, mais nouvellement intéressant. Et quand nous
sommes
en confiance, si j’essaie d’amener l’entretien sur leurs lectures, le
92
vail… J’ai quelque peine à exprimer ceci, — qui n’
est
précisément qu’un sentiment de gêne en moi. Sentiment qu’il y a là qu
93
vons pu rester si parfaitement aveugles ? Ou bien
est
-ce ma gêne qui est absurde ? Essayer de confronter la culture et la r
94
arfaitement aveugles ? Ou bien est-ce ma gêne qui
est
absurde ? Essayer de confronter la culture et la réalité, c’est peut-
95
r d’une naïveté impardonnable ? — Pourtant, je ne
suis
pas prêt à me donner tort, c’est-à-dire à donner raison au bon sens d
96
nter cet hymne par les troupes déferlantes, et ce
serait
le chant du destin d’un siècle aveugle en sa révolte… Étrange accord
97
hauffe le mieux. Une des plaques de mica du Mirus
est
crevée, et toute la chambre est imprégnée d’une odeur de laurier et d
98
de mica du Mirus est crevée, et toute la chambre
est
imprégnée d’une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fall
99
ntement ; il se peut que mon style s’en ressente,
soit
un peu engourdi lui aussi. 10 décembre 1933 Un discours de l’i
100
ois les habitants du village réunis, leur façon d’
être
ensemble, et surtout la jeunesse, d’ordinaire invisible, au point que
101
u point que je doutais même qu’elle existât. Elle
était
là. Elle occupait les longs bancs rangés en chevrons derrière le peti
102
tous laids de visage et très épais de corps. Nous
étions
assis derrière eux. Au fond, sur deux armoires basses, siégeaient une
103
à grands sauts ralentis — le courant électrique n’
étant
sans doute pas assez fort pour faire tourner l’appareil au rythme nor
104
chaque semaine désormais, un petit discours. « Je
serai
bref ! » C’est un jeune homme d’allure énergique et de visage intelli
105
pathétiques. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’
est
-ce qu’être laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je vous rappellerai t
106
es. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’est-ce qu’
être
laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je vous rappellerai tout d’abord
107
y a, dis-je, quelqu’un qui a osé prétendre que je
suis
un empoisonneur des consciences ! » Récit détaillé des calomnies que
108
s’agite, les bras s’agitent, la voix s’enfle. « J’
étais
au dernier congrès des instituteurs qui s’est tenu à Paris, et bien !
109
J’étais au dernier congrès des instituteurs qui s’
est
tenu à Paris, et bien ! citoyens ! lors de ce congrès, il a été stipu
110
ais au dernier congrès des instituteurs qui s’est
tenu
à Paris, et bien ! citoyens ! lors de ce congrès, il a été stipulé qu
111
is, et bien ! citoyens ! lors de ce congrès, il a
été
stipulé qu’à l’avenir… » La fin de la phrase étant particulièrement s
112
été stipulé qu’à l’avenir… » La fin de la phrase
étant
particulièrement sonore, des applaudissements éclatent au fond de la
113
nce dans une définition vibrante de la laïcité. «
Être
laïque, c’est vouloir la Justice et l’Égalité pour tous ! Être laïque
114
c’est vouloir la Justice et l’Égalité pour tous !
Être
laïque, c’est vouloir l’instruction libre et gratuite pour tous, sans
115
ous, sans distinction de fortune ou de religion !
Être
laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce n’est pas combattre les religi
116
tune ou de religion ! Être laïque… » Ah ! surtout
être
laïque, ce n’est pas combattre les religions, comme le prétend le voi
117
n ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce n’
est
pas combattre les religions, comme le prétend le voisin, « car je les
118
elle, que je considère comme sacrée ! » En somme,
être
laïque, c’est être religieux au vrai sens du mot, selon les paroles d
119
ère comme sacrée ! » En somme, être laïque, c’est
être
religieux au vrai sens du mot, selon les paroles de Gambetta, d’Ernes
120
Gambetta, d’Ernest Lavisse et de quelques autres.
Être
laïque, c’est finalement « aimer son prochain » ! Je n’ai pas plus tô
121
es frères ! si l’on vient encore vous dire que je
suis
un empoisonneur des consciences, vous saurez maintenant me défendre !
122
cembre 1933 À la cuisine. — Les jours où il n’
est
plus possible de se chauffer dans la grande pièce, je vais travailler
123
isine, pendant que ma femme prépare les repas. On
est
très bien, dans les cuisines, pour travailler. Je ne conçois, en somm
124
es et richement odorantes. Le confort de celle-ci
est
plus moral que matériel, d’ailleurs. Ma femme ne dispose que d’un vie
125
re à la première conférence. Mais le village d’A.
est
à 8 kilomètres et la tempête m’avait empêché d’y aller à bicyclette.
126
La mère Renaud vient de m’apprendre que l’orateur
est
le pasteur du chef-lieu. Il paraît qu’il cause très bien — lui aussi
127
lui aussi — mais elle ne l’a jamais entendu. Elle
est
catholique, en effet, comme d’ailleurs tout le monde au village, à pa
128
ches laïques de l’instituteur. Le seul protestant
est
mort l’été dernier, âgé de 93 ans. Il s’était converti à 70 ans « et
129
s de l’instituteur. Le seul protestant est mort l’
été
dernier, âgé de 93 ans. Il s’était converti à 70 ans « et il avait to
130
stant est mort l’été dernier, âgé de 93 ans. Il s’
était
converti à 70 ans « et il avait toujours tenu ! » Catholique, antifas
131
s’était converti à 70 ans « et il avait toujours
tenu
! » Catholique, antifasciste, laïque, protestant, — tous ces mots pre
132
se de joliment absurde. Les paysans du village ne
sont
pas même tous capables de lire le journal, et j’ai remarqué qu’ils ac
133
le locale des curés ou celle des républicains. Il
est
à peu près impossible de savoir s’ils font une distinction quelconque
134
onférence d’A. me fera modifier ce jugement. J’en
suis
bien curieux. 13 décembre 1933 Un ami auquel j’avais prêté quel
135
oie 100 par le courrier de ce matin. « Vous devez
être
bien content, me dit la factrice pendant que je signe le mandat, c’es
136
mier rang, deux « dames », l’une très vieille. Ce
sont
les seules femmes. Mauvais éclairage. L’orateur se hisse sur la scène
137
reau, puisque, comme vous le savez, la conférence
est
contradictoire. Je vous demanderai donc de bien vouloir proposer des
138
out à droite, un tout à gauche, le troisième, qui
est
le président, derrière la table. Embarrassés de leurs mains, de leurs
139
le sujet… Je ne connais pas beaucoup M. Palut, n’
est
-ce pas, c’est la première fois qu’il vient à A. mais certainement qu’
140
ment, et parle : — On a dit ici même que l’Église
est
contre les travailleurs. Est-ce vrai ? Il y a plusieurs églises, et m
141
ci même que l’Église est contre les travailleurs.
Est
-ce vrai ? Il y a plusieurs églises, et malheureusement elles ne s’ent
142
ne s’entendent pas toujours. La primitive église
était
constituée par des esclaves et des gens pauvres. Depuis lors il y a e
143
da, a dit que les clercs ont trahi. Les clercs, n’
est
-ce pas, ce sont les intellectuels, les écrivains, les professeurs, de
144
es clercs ont trahi. Les clercs, n’est-ce pas, ce
sont
les intellectuels, les écrivains, les professeurs, des hommes disting
145
ourgeoisie égoïste, guerre. Mais le vrai chrétien
est
avec les petits. Résumé de ce que la Bible dit des travailleurs : Jér
146
montre que le système de propriété chez les Juifs
est
presque communiste ! Jésus est l’ami des pauvres, des péagers. Malheu
147
été chez les Juifs est presque communiste ! Jésus
est
l’ami des pauvres, des péagers. Malheureusement il y a le cléricalism
148
eureusement il y a le cléricalisme. C’est lui qui
est
mauvais, non pas la Bible. Être chrétien, c’est aimer son prochain co
149
sme. C’est lui qui est mauvais, non pas la Bible.
Être
chrétien, c’est aimer son prochain comme Jésus nous aime. Si tous les
150
rochain comme Jésus nous aime. Si tous les hommes
étaient
chrétiens, il n’y aurait plus d’exploitation ni de guerre !… La péror
151
us d’exploitation ni de guerre !… La péroraison a
été
éloquente, un peu trop à mon goût. On applaudit. Le président demande
152
connaître assez en religion, mais assure qu’il a
été
bien intéressé. On se lève, et les langues se délient. « Il a bien pa
153
’approuve et m’étonne que la discussion n’ait pas
été
plus longue : il y avait pourtant bien des auditeurs qui ne devaient
154
t pourtant bien des auditeurs qui ne devaient pas
être
d’accord ? — Ben quoi, fait-il convaincu, c’est la vérité ce qu’il a
155
? — Il me regarde un peu étonné à son tour : « Qu’
est
-ce que vous voulez, il n’y a rien à répondre, c’est juste, ce qu’il a
156
e. Là ça barde, après les réunions ! Mais ici, qu’
est
-ce que vous voulez. Ils sont comme ça… » Je vais me présenter au conf
157
unions ! Mais ici, qu’est-ce que vous voulez. Ils
sont
comme ça… » Je vais me présenter au conférencier et nous sortons ense
158
cier M. Palut. Enfin il veut lui demander « si ce
serait
possible de se procurer une Bible pour étudier un peu tout ça. On sen
159
ne à comprendre ses intentions. Il a un oncle qui
est
curé, mais je ne saisis pas bien si ce curé lui a interdit la lecture
160
aire il pourrait lui en prêter une. Quoi qu’il en
soit
, le pasteur note le nom du « président » et promet de lui envoyer un
161
s les cent pas sur la place. M. Palut sait que je
suis
écrivain, il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de mon opini
162
us ennuyer, hein ? » Je le rassure vivement. Ce n’
est
pas moi qui lui reprocherai jamais d’être trop simple. On ne l’est ja
163
nt. Ce n’est pas moi qui lui reprocherai jamais d’
être
trop simple. On ne l’est jamais assez ! — « Oh, vous savez, dit-il, j
164
ui reprocherai jamais d’être trop simple. On ne l’
est
jamais assez ! — « Oh, vous savez, dit-il, je n’y mets pas d’amour-pr
165
si vous voulez mon opinion, ou si elle peut vous
être
utile… je crois que vous êtes encore trop compliqué pour ce public. I
166
u si elle peut vous être utile… je crois que vous
êtes
encore trop compliqué pour ce public. Il me semble qu’on pourrait leu
167
interpeller, enfin quoi, les secouer un peu ! Ils
sont
là à vous écouter sans bouger, comme ils ont écouté les autres qui di
168
le contraire, et pas moyen de savoir avec qui ils
sont
d’accord. Il ne faut pas oublier que nous vivons à une époque de prop
169
— Le pasteur sourit : — Vous me faites plaisir,
tenez
! Bien sûr, vous avez raison, mon cher Monsieur. Mais c’est plus diff
170
uccès. Pensez donc, il y a plus de six ans que je
suis
dans l’île, et je n’avais jamais pu parler à A. à cause du curé qui s
171
du curé qui s’y opposait par tous les moyens. Ils
sont
difficiles à prendre, ici. Surtout il ne faut pas les brusquer ! Ce s
172
. Bien sûr, il faudrait parler autrement. Mais qu’
est
-ce qu’ils comprennent ? allez le savoir, avec eux. On prêche pendant
173
anche prochain, au chef-lieu, après son culte. Je
suis
rentré à bicyclette, sans lumière, distinguant à peine la route aspha
174
l. Mais beaucoup ne font plus rien en hiver ? Ils
sont
venus pour tuer le temps, au lieu d’aller au café. Cette inertie, dès
175
qu’il ne s’agit plus d’argent. À moins que ce ne
soit
le langage, la difficulté de s’exprimer ? Tout est mystère en eux, et
176
it le langage, la difficulté de s’exprimer ? Tout
est
mystère en eux, et pour eux-mêmes sans doute. Et on dit le Peuple, la
177
de Colette. Je n’avais pas encore lu ce livre. Il
est
exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans ce
178
n des plus charmants dans cette espèce, mais ce n’
est
point pour cela que j’en parle ici. C’est pour une raison très précis
179
lumière. Lundi dernier, au petit matin, nous nous
sommes
réveillés couverts de puces. J’exagère à peine : pour mon compte, j’e
180
r. Je n’en menais pas large. Comme la mère Renaud
était
venue nous voir la veille, nous ne cherchâmes pas plus loin la cause
181
herchâmes pas plus loin la cause du phénomène. Il
est
vrai qu’on a beau porter un nombre excessif de jupons, cela ne devrai
182
e. Or, peu de jours auparavant, un petit hérisson
était
venu se mettre en boule dans la plate-bande qui borde la maison, sous
183
olette, je sais maintenant pourquoi notre chambre
était
pleine de puces. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme un sym
184
je vois là comme un symbole. Les livres devraient
être
utiles. On devrait y trouver des renseignements concrets, des recette
185
, des inquiétudes dont ils n’ont même pas l’air d’
être
vraiment inquiets, des indiscrétions gênantes et dont on ne sait trop
186
rarement des réponses, ou alors par malchance ce
sont
justement des réponses à des questions qu’on n’avait pas l’idée de se
187
secousses, indiscrétions, toute cette littérature
est
sans doute pleine de talent, elle est même littéralement sensationnel
188
littérature est sans doute pleine de talent, elle
est
même littéralement sensationnelle, mais que veulent-ils qu’on en fass
189
né à un noble usage… » — Commentons : La noblesse
est
dans l’usage. Pas de noblesse sans usage, sans application précise au
190
ases, il faut se trouver placé soudain devant les
êtres
en chair et en os dont elles parlent, pour comprendre à quel point el
191
éjà pour une réalité. Deuxième constatation : il
est
très difficile d’aimer des hommes qui ne nous sont rien, qui ne nous
192
est très difficile d’aimer des hommes qui ne nous
sont
rien, qui ne nous demandent rien, qui peut-être ne voudraient pas mêm
193
aide (nous égale les intellectuels bourgeois). Il
est
très difficile d’aimer ces hommes, et cependant ils sont la réalité v
194
ès difficile d’aimer ces hommes, et cependant ils
sont
la réalité vivante et présente du « peuple ». Par contre, il est très
195
vivante et présente du « peuple ». Par contre, il
est
très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui no
196
hoses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il
est
très tentant d’appeler cette haine amour du peuple… Troisième constat
197
e constatation : la plupart des discours que l’on
tient
au peuple lui sont incompréhensibles ; mais ceux qui les écoutent ont
198
plupart des discours que l’on tient au peuple lui
sont
incompréhensibles ; mais ceux qui les écoutent ont l’air de trouver c
199
outent ont l’air de trouver cela tout naturel. Je
fus
certainement le seul ici à m’étonner que l’instituteur citât Ernest L
200
itât Ernest Lavisse ; ou le pasteur, M. Benda. Il
est
généralement admis en France qu’un orateur dit un tas de choses qu’on
201
. Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloquence
est
le but du discours, dont le sujet n’est que le prétexte. Je constate.
202
éloquence est le but du discours, dont le sujet n’
est
que le prétexte. Je constate. Je conclus que les intellectuels sont e
203
te. Je constate. Je conclus que les intellectuels
sont
en mauvaise posture pour agir sur le peuple. Qu’ils disent des vérité
204
e les « clercs » à s’agiter dans le vide — ce qui
est
malsain — et le peuple à ne pouvoir se libérer des charlataneries pol
205
ent que par des violences maladroites, dont il ne
sera
pas le dernier à pâtir. Impuissance de l’« esprit », bêtise de l’acti
206
t dit, parce que c’était correct, parce que ça se
tenait
en soi, et qu’au surplus c’était bien dit. Il ne lui est pas venu à l
207
soi, et qu’au surplus c’était bien dit. Il ne lui
est
pas venu à l’esprit que la vérité est quelque chose qui peut être réa
208
. Il ne lui est pas venu à l’esprit que la vérité
est
quelque chose qui peut être réalisé. Et qu’il s’agit de prendre posit
209
l’esprit que la vérité est quelque chose qui peut
être
réalisé. Et qu’il s’agit de prendre position effectivement. S’il s’ét
210
s’agit de prendre position effectivement. S’il s’
était
senti interpellé personnellement, invité à choisir, sommé d’approuver
211
conduite sur ce qu’il dit », mais simplement : «
étant
donné ses prémisses ou ses préjugés, sa déduction est correcte ». Ai
212
donné ses prémisses ou ses préjugés, sa déduction
est
correcte ». Ainsi l’intelligence devient irresponsable. Les clercs s
213
qu’on doit penser des gens instruits. La plupart
sont
des égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’aristos qui ne vont qu’a
214
auxquelles on reconnaît tout de suite si un type
est
avec les petits ou avec les gros. D’autre part, c’est une question de
215
ôle : on aime avoir un député instruit. Mais ce n’
est
pas pour qu’il dise des choses intelligentes, ou nouvelles. C’est sur
216
irigeant d’après mes intérêts. Cela va de soi. Il
est
probable qu’aucun homme du peuple ne s’est jamais dit cela comme je l
217
oi. Il est probable qu’aucun homme du peuple ne s’
est
jamais dit cela comme je le dis ici. Mais il me paraît clair que la p
218
t font comme s’ils le pensaient. D’autre part, il
est
trop certain que les intellectuels professent depuis longtemps en tou
219
mps en toute conscience une doctrine analogue. Il
est
normal que les hommes sans culture se trompent sur la nature et sur l
220
r la nature et sur le rôle de la culture. Mais il
est
inquiétant que les hommes cultivés, au lieu de s’efforcer, comme ils
221
t avant tout se préoccuper de le prendre là où il
est
, et commencer là. Voilà le secret de tout secours… Pour aider réellem
222
ersiste cependant à faire valoir ma science, ce n’
est
plus alors que par vanité ou par orgueil, de sorte qu’au fond, au lie
223
kegaard me frappe aujourd’hui comme si elle avait
été
écrite exprès pour moi, dans ma situation actuelle. Elle contient un
224
un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’
être
reconnu par eux à ma juste valeur. Exactement ce que Kierkegaard appe
225
e que Kierkegaard appelle vanité. Cependant, s’il
est
des plus probables que j’ai, comme un chacun, mon amour-propre, je ne
226
r assez justifié dans l’occurrence. On n’aime pas
être
tenu pour un feignant ou un rentier, quand on est dans ma situation.
227
ez justifié dans l’occurrence. On n’aime pas être
tenu
pour un feignant ou un rentier, quand on est dans ma situation. — À c
228
tre tenu pour un feignant ou un rentier, quand on
est
dans ma situation. — À ce propos : j’arrive au bout de mon petit roul
229
ndant le départ de l’autobus pour Taillefer. Nous
sommes
attablés ici depuis un bon moment déjà, tout contents de revoir le va
230
ec de notre première tentative d’autonomie. Je ne
suis
pas arrivé à gagner assez vite ce qu’il nous fallait pour subsister a
231
otre réserve. J’ai travaillé beaucoup, mais je ne
serai
pas payé avant un mois. Or, un mois, ou même une semaine, cela compte
232
n jour près la date d’arrivée des renforts. Je ne
suis
pas trop fier de ma retraite stratégique, mais tout de même bien déci
233
n n’a pas l’impression qu’elle dort, mais qu’elle
est
morte. L’autobus brinquebalant, où nous étions seuls au départ, rappe
234
’elle est morte. L’autobus brinquebalant, où nous
étions
seuls au départ, rappelait les plus inconfortables légendes : où alla
235
urse angoissante et agréablement diabolique, ce n’
était
pas encore pour aujourd’hui. L’hustubuse ne tarda guère à stopper pou
236
u. — Déjeuné, après le culte, chez M. Palut. Il n’
est
pas pasteur en titre, mais seulement « évangéliste » au service d’une
237
ervice d’une œuvre missionnaire. Les évangélistes
étant
moins bien payés que les pasteurs (dont le traitement de base est de
238
ayés que les pasteurs (dont le traitement de base
est
de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cela se trou
239
aitement de base est de 10 000 francs), Mme Palut
est
obligée de faire, quand cela se trouve, des remplacements d’institutr
240
t casse beaucoup d’assiettes. Dans cette île, qui
fut
presque entièrement protestante au xvie siècle, M. Palut n’a plus au
241
zaine au culte. Les autres habitent trop loin, ou
sont
indifférents. Il me raconte les efforts qu’il a faits, pendant six an
242
dire que tout ce travail épuisant dans l’inertie
soit
resté absolument vain : il y a eu quelques conversions. Mais c’est to
243
les abandons ou les départs. (Les protestants qui
sont
souvent l’élément le plus actif de la population s’expatrient volonti
244
rient volontiers, ou vont habiter les villes.) En
été
, la petite ville se remplit de baigneurs, et l’auditoire du temple es
245
se remplit de baigneurs, et l’auditoire du temple
est
décuplé : cela suffit pour qu’on maintienne le poste… J’essaie de me
246
veulent pas même l’écouter, et toute sa raison d’
être
est cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il ne p
247
ent pas même l’écouter, et toute sa raison d’être
est
cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il ne peut
248
aire, et il ne peut pas le faire. Et de plus, il
est
seul à croire qu’il doit le faire. J’imagine qu’il doit apparaître, a
249
’ailleurs inoffensif. Ou peut-être encore, ce qui
est
pis, comme un hypocrite qui a trouvé le moyen de vivre sans travaille
250
petit hôtelier breton d’origine catholique, il s’
est
converti à vingt ans, et depuis lors il n’a jamais songé qu’il pût fa
251
de surdité spirituelle totale. Seule la politique
est
encore capable de pousser les hommes à des violences. L’héroïsme vrai
252
es à des violences. L’héroïsme vrai aujourd’hui n’
est
plus spectaculaire, il ne fait plus de grands gestes symboliques et p
253
. Il ne tranche pas sur la platitude générale. Il
est
à peu près idéalement méconnu. Peut-être alors y en a-t-il plus qu’on
254
sommateurs attablés autour de moi. Que les hommes
sont
laids ! Chacun d’eux me frappe par une difformité particulière, pitoy
255
s de raison pour que les habitants de cette ville
soient
sensiblement plus laids que ceux du reste de la France. Peut-on aimer
256
si je pouvais les connaître mieux, un à un ? — Il
sera
bientôt temps de se diriger vers cet autobus rouge qui vient d’appara
257
e le souci du lendemain provisoirement écarté, je
serais
tombé dans le journal intime, la culture des impressions ou le pittor
258
amenait sans cesse aux mêmes préoccupations. Ce n’
était
pas cette vacance où les idées et sentiments changent de climat. Le l
259
ées et sentiments changent de climat. Le loisir n’
est
pas simplement la cessation du travail pour un repos nécessaire. Il s
260
par rapport à la sécurité matérielle qu’assurent
soit
le travail, soit la fortune, soit, dans mon cas particulier, l’amitié
261
sécurité matérielle qu’assurent soit le travail,
soit
la fortune, soit, dans mon cas particulier, l’amitié. Un chômeur inte
262
lle qu’assurent soit le travail, soit la fortune,
soit
, dans mon cas particulier, l’amitié. Un chômeur intellectuel peut enc
263
r plus concrètement dans la suite. 1 — Le chômage
est
devenu aujourd’hui un état d’âme, une « condition », un mode particul
264
ondition », un mode particulier d’existence. Il n’
est
plus seulement un accident, une privation provisoire de travail rémun
265
absolument nouveau dans l’histoire n’a pas encore
été
étudié, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur, en tant que fait psycho
266
en tant que fait psychologique. 3 — Cependant, il
est
difficile, à la longue — car cela dure, croît et embellit depuis ving
267
par le chômage, dont on admet généralement qu’il
est
démoralisant. (Pour beaucoup de bourgeois, le chômeur est un être mys
268
ralisant. (Pour beaucoup de bourgeois, le chômeur
est
un être mystérieux et un peu effrayant, il joue le rôle d’un croquemi
269
t. (Pour beaucoup de bourgeois, le chômeur est un
être
mystérieux et un peu effrayant, il joue le rôle d’un croquemitaine po
270
oucient peu de connaître la mentalité du chômeur,
soit
que, bourgeois, ils refusent de croire à la nécessité organique et pe
271
manente de sa condition dans l’ordre capitaliste,
soit
que, socialistes, ils se bornent à utiliser l’argument politique du c
272
rnent à utiliser l’argument politique du chômage,
soit
enfin qu’une gêne assez compréhensible les retienne de se mêler du ma
273
es morales.) Voici donc le dilemme : ou bien l’on
est
dans le chômage, et l’on n’a pas les moyens de s’analyser, de s’expri
274
moyens de s’analyser, de s’exprimer. Ou bien l’on
est
hors du chômage, et l’on a toutes les raisons de ne pas trop s’en app
275
’intellectuel chômeur. Il semble que cet homme-là
soit
à peu près le seul qui ait à la fois le droit et les moyens d’étudier
276
e l’intérieur le « fait du chômage ». Mais cela n’
est
pas si simple en réalité. J’ai observé par exemple à plusieurs repris
277
me rencontrer, et que je me donne pour ce que je
suis
, c’est-à-dire un intellectuel chômeur, je devine chez mon homme un ce
278
ela s’appelait bohème de mon temps ! Et puis vous
êtes
un bourgeois, un bourgeois ne peut pas faire un « vrai » chômeur, il
279
e qui ne va pas. Enfin, au fait et au prendre, qu’
est
-ce que cela signifie d’être chômeur quand on a pour métier de penser
280
fait et au prendre, qu’est-ce que cela signifie d’
être
chômeur quand on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de pense
281
e penser ? Ha ha ! Un intellectuel en chômage, ce
serait
en somme un monsieur un peu fatigué et qui se donnerait quelques vaca
282
nt mes ennuis matériels. De là à croire que je ne
suis
qu’un amateur, ou que je pose au prolétaire, il n’y a qu’un cheveu. ⁂
283
cheveu. ⁂ Paradoxes. — Un intellectuel chômeur n’
est
pas un homme démoralisé par la privation de travail. Au contraire, il
284
u assuré. Mais le seul fait que la « matérielle »
est
déficiente change sa conscience d’intellectuel, et l’oblige à se pose
285
tions toutes nouvelles. Un intellectuel chômeur n’
est
généralement pas « inscrit au chômage » et ne bénéficie pas du minimu
286
visoire sans renoncer en même temps à sa raison d’
être
, — ce qui n’est pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il se
287
ncer en même temps à sa raison d’être, — ce qui n’
est
pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il se pourrait que l’i
288
chômage pur : certaines circonstances extérieures
sont
capables de tuer en certains hommes jusqu’à l’activité de la pensée :
289
tivité de la pensée : mon état d’esprit, quand je
suis
dans une ville étrangère, où rien ne m’appelle ni ne me parle, où je
290
de résumer les faits : 1 — L’intellectuel chômeur
est
celui qui ne peut plus vivre de son travail, soit qu’il ait perdu l’e
291
est celui qui ne peut plus vivre de son travail,
soit
qu’il ait perdu l’emploi régulier qui assurait son budget, soit que l
292
perdu l’emploi régulier qui assurait son budget,
soit
que la nature même de ses travaux l’empêche d’en tirer de quoi vivre.
293
blement de 40 à 70 ans…) 2 — Le chômage tel qu’il
est
vécu aujourd’hui par une trentaine de millions d’hommes ne peut pas ê
294
ar une trentaine de millions d’hommes ne peut pas
être
vécu de la même façon par l’intellectuel. Il atteint les travailleurs
295
plupart du temps, que de papier et d’encre. Il ne
sera
donc jamais un chômeur absolu, pensant toujours, ce qui est son métie
296
amais un chômeur absolu, pensant toujours, ce qui
est
son métier. Mais peut-être, du fait même qu’il réfléchit plus que d’a
297
de son état, de cet habitus bourgeois qui, hélas,
est
encore chez nous la marque de l’intellectuel. Par là même, l’intellec
298
raphique… 21 janvier 1934 (dans l’île) Nous
sommes
rentrés hier soir dans cette maison glaciale et humide. Il n’y avait
299
le et humide. Il n’y avait plus de pétrole, et il
était
trop tard pour aller en acheter. Silence, froid, solitude, et ce vent
300
Taillefer. Il me semble déjà que l’ambiance où j’
étais
en les écrivant m’a fait exagérer l’importance de l’élément d’insécur
301
e déjà entendu, au double sens du mot. Comme si j’
étais
moi-même mon destin, à ce moment, et que par suite, aucune question,
302
, diraient les psychologues. Mais une étiquette n’
est
pas une explication.) Pourquoi ce calme, quand j’aurais toutes les ra
303
es projets…? D’où vient cette persuasion que tout
est
bien, si profonde que je me l’avoue pour la première fois aujourd’hui
304
significatif du monde (quoi qu’il m’advienne), ne
serais
-je pas désespéré, fou de possibles manqués et de grandeurs inatteinte
305
e possibles manqués et de grandeurs inatteintes ?
Serait
-ce donc que je crois réellement à la Providence ? Beaucoup de philoso
306
hilosophes contemporains disent que la Providence
est
un opium ; que l’homme s’endort à imaginer un ordre du monde où sa pl
307
s’endort à imaginer un ordre du monde où sa place
serait
réservée, alors qu’il s’agirait au contraire de créer cet ordre dans
308
ensé du monde, et parmi des déterminations qui ne
tiennent
aucun compte de moi : voilà la croyance des hommes forts, disent-ils.
309
cache sous cette volonté de puissance ! La force
est
calme. Et il me plaît de croire qu’elle s’ignore. Je distingue claire
310
e dans la certitude que la seule force qui compte
est
celle de la Providence (ou du destin). C’est cela seul qui dispense l
311
grand ne se fait que par la collectivité : s’ils
étaient
seuls, ils auraient peur de n’être rien. 23 janvier 1934 (écrit su
312
ité : s’ils étaient seuls, ils auraient peur de n’
être
rien. 23 janvier 1934 (écrit sur la dune) Il ne faut pas se met
313
tation du désespoir et c’est l’humilité. Si je ne
suis
pas important, le monde s’agrandit. Je puis encore aimer des paysages
314
grandit. Je puis encore aimer des paysages qui ne
sont
pas mon « état d’âme », mais une parole à déchiffrer. L’humilité m’ap
315
le développement de pensées puissantes. Ici tout
est
sans voile, dans sa nudité devant Dieu. Ici plus de dérangements dome
316
“Où fuirai-je devant ta face ?” Cette parole peut
être
dite en vérité, ici, sur la lande. » Oui, c’est cela, mais Kierkegaar
317
de la lande, son sens ésotérique si l’on veut. Il
est
curieux de noter qu’en français communion contient et évoque union, a
318
s désignent deux aspects d’un même mouvement de l’
être
. Celui qui « se tient devant Dieu » est seul. Il se trouve placé dans
319
cts d’un même mouvement de l’être. Celui qui « se
tient
devant Dieu » est seul. Il se trouve placé dans un rapport strictemen
320
ent de l’être. Celui qui « se tient devant Dieu »
est
seul. Il se trouve placé dans un rapport strictement personnel, par d
321
un désert, et ensuite il m’apparaît que ce désert
est
habité par des hommes dont la présence m’est plus concrète qu’ailleur
322
sert est habité par des hommes dont la présence m’
est
plus concrète qu’ailleurs. Ou par une analogie moins profonde : d’abo
323
ar une analogie moins profonde : d’abord la lande
est
une exaltation, un dépaysement romantique, et ensuite il m’apparaît q
324
ment romantique, et ensuite il m’apparaît qu’elle
est
une terre réelle, travaillée par des hommes réels, leur imposant des
325
s pas entre eux pour grouper leurs lopins ? Je me
suis
renseigné. Il paraît bien qu’un maire avait proposé la réforme, avant
326
rché. La tradition de l’île veut que chaque champ
soit
partagé à la mort du propriétaire en autant de parcelles qu’il y a d’
327
ue les paysans travaillent beaucoup plus qu’il ne
serait
nécessaire à leur subsistance si la répartition des terres était conç
328
e à leur subsistance si la répartition des terres
était
conçue non point selon les principes égalitaires, mais selon le bon s
329
mais communautaire, beaucoup de choses pourraient
être
changées. Mais si personne ne fait rien par le moyen normal de l’éduc
330
d’autre solution que la contrainte. La dictature
est
un moyen grossier, souvent barbare et toujours déshonorant pour ceux
331
er le sens civique, le sens de la communauté. Qui
est
-ce qui se préoccupe en France de donner au peuple une éducation solid
332
, j’ai hésité longtemps à croire que la raison en
était
réellement aussi simple. Je connais tout de même assez la terre pour
333
ssez la terre pour savoir que les mêmes outils ne
sont
pas bons en tous pays, et je cherchais quelle particularité locale mo
334
toujours fait comme ça. » Un jour, le père Renaud
étant
venu retourner une planche d’oignons, je lui ai offert les outils à l
335
ns, je lui ai offert les outils à long manche qui
sont
dans le chai, et il a refusé. « On n’a pas l’habitude. » Contre-épreu
336
C’est que les journaux socialistes et communistes
sont
rédigés par des bourgeois, ou par des candidats à la bourgeoisie, en
337
aginent les bourgeois et leurs journalistes. Ce n’
est
pas dans notre île, d’ailleurs, que j’ai pu constater cette contagion
338
avec des maladresses et de grosses astuces, qui n’
est
pas exactement celui des « discussions » qu’on peut entendre dans les
339
de l’instituteur, mariages, décès et naissances)
tiennent
presque toute la place. Abîme entre la politique des amis du peuple,
340
s n’ont pas ou n’ont plus coutume de se réunir, d’
être
ensemble pour causer. Le dimanche, ils « font la partie » chez l’un o
341
aractère utilitaire ou récréatif. La plus fameuse
était
la Clique des retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de
342
rts de nombreuses fêtes villageoises. Tout cela s’
est
dissous quand les hommes sont partis pour la guerre, et rien ne s’est
343
s hommes sont partis pour la guerre, et rien ne s’
est
refait depuis. Quand on veut danser on fait venir l’orchestre-jazz du
344
la tombe. Deux réalités fondamentales. Voilà qui
est
bien dans l’harmonie de cette lande où l’homme et ses maisons mettent
345
. Ils n’attaquent plus, ils se cramponnent. Ce ne
sont
pas des colons, des défricheurs, mais de petits propriétaires qui se
346
perdu le sentiment de leur commune condition. Ils
sont
peut-être trop pareils pour éprouver le besoin de s’unir. Ils n’ont p
347
ls autrement ? Bien entendu, certains d’entre eux
sont
morts ou vont mourir couchés sur une fortune de 100 000 ou de 200 000
348
e : je crois cependant que la proportion des fous
est
moindre ici que sur le continent. Et l’on meurt vieux5, et les médeci
349
er de tout cela ? Quand on voit les choses et les
êtres
de trop près, on perd le peu de foi que l’on pouvait accorder aux idé
350
re à Paris pour y croire. Réveillez ce peuple, il
sera
peut-être capable de grandes choses — c’est son mystère — mais ne dit
351
s pas que vous le faites pour son bonheur, car il
est
plus « heureux » que vous. Il faudrait croire fanatiquement à une vér
352
sième République : un État faible, dont le centre
est
lointain, qui ne croit à rien, et qui par suite ne peut rien exiger d
353
a ressource principale des villages. Le chef-lieu
est
en train de devenir la proie des politiciens de Paris. Un dimanche ce
354
la proie des politiciens de Paris. Un dimanche ce
sont
les enfants communistes de la colonie de vacances qui défilent en mai
355
des « cris séditieux » ; le dimanche suivant, ce
sont
les enfants de la fondation « de droite » et on les applaudit : la fo
356
coup de personnes de l’île. La moitié des maisons
sont
vides, et quelques-unes déjà tombent en ruines. Et surtout ce régime
357
journée paysanne. — En revenant de la côte, je me
suis
arrêté au Moulin de la Purée, pour jouer avec les chatons qui pullule
358
aire de ma défunte mère. Le matin, je me dis : qu’
est
-ce qu’on va manger ce jour ? Je n’avais pas grand-chose. Le père et l
359
grand-chose. Le père et les deux fils disent : on
est
plus jeunes que toi, on va aller au travail, et toi tu iras à la pêch
360
es hommes mariés de 30 et 35 ans, voyez comme ils
sont
aujourd’hui ! Ils sont venus pendant la nuit, on a su qui c’était par
361
et 35 ans, voyez comme ils sont aujourd’hui ! Ils
sont
venus pendant la nuit, on a su qui c’était par la suite. Ils ont pris
362
oilà ! Et pourquoi ? Pour plaisanter ! Quand j’ai
été
nourrir ma chèvre, je ne l’ai pas vue. J’entre : je ne vois rien. Je
363
vue. J’entre : je ne vois rien. Je me dis : elle
est
peut-être dans le coin derrière. J’y vais, je regarde : rien. Ils l’a
364
ient volée. Ça m’a fait comme une gifle ! J’en ai
été
malade comme un chien. Et après, eh bien, les malheurs sont venus de
365
e comme un chien. Et après, eh bien, les malheurs
sont
venus de partout. On a retrouvé la chèvre. Mais elle est toute changé
366
us de partout. On a retrouvé la chèvre. Mais elle
est
toute changée. « Je l’ai fait couvrir deux fois : c’était comme si l’
367
vait rien fait. Mais je n’en veux pas d’autre. Je
suis
sûre qu’avec une autre bête, même une bête chevaline, ce serait parei
368
’avec une autre bête, même une bête chevaline, ce
serait
pareil, maintenant… » Fin février 1934 Sur la pauvreté. — Elle
369
Fin février 1934 Sur la pauvreté. — Elle n’
est
un problème social si grave que parce qu’elle est d’abord un problème
370
est un problème social si grave que parce qu’elle
est
d’abord un problème moral non résolu. Pour la majorité des modernes,
371
, mais d’abord humiliation. « Devenir pauvre », «
être
ruiné », c’est selon les cas perdre vingt millions sur quarante, ou s
372
ns tous ces cas, le problème que pose la pauvreté
est
avant tout moral : ce qu’on craint le plus, et en premier lieu, senti
373
ux qu’inspire la publicité. En somme, tout cela n’
est
effrayant que parce que l’on n’a pas l’esprit de pauvreté qu’on aime
374
’église ou dans les livres. On croit que pauvreté
est
vice, et c’est même justement parce qu’on le croit qu’on répète le pr
375
la psychose de crise qui énerve la bourgeoisie n’
est
pas ailleurs que dans l’« esprit de pauvreté ». Et j’ajoute aussitôt
376
solution pratique de la misère réelle, celle qui
est
vécue depuis longtemps ou depuis toujours par une partie du peuple, e
377
emps ou depuis toujours par une partie du peuple,
est
au contraire dans la révolution matérielle. Mais cette révolution ne
378
a révolution matérielle. Mais cette révolution ne
sera
durable et vraiment novatrice que si elle s’accompagne d’une révoluti
379
éantir physiquement toute la bourgeoisie (nous ne
sommes
pas en Russie). Et tant qu’il y aura des bourgeois, il y aura des gen
380
À moins qu’ils ne comprennent un peu mieux ce qu’
est
l’esprit de pauvreté. Mais qui le comprend aujourd’hui ? Pour peu qu’
381
oir, on ne l’a plus. Et quand on l’a vraiment, il
est
probable qu’on l’ignore. (Ne disons rien des hypocrites et des naïfs
382
urbains, etc.) Sans doute l’esprit de pauvreté n’
est
-il donné qu’à ceux qui croient à autre chose qu’à leur vie, à autre c
383
ang, etc., ou même à leur valeur spirituelle. Ils
sont
très peu. Ou plutôt, disons qu’on en connaît très peu : quelques gran
384
sans le savoir. 28 février 1934 Gens. — Il
est
très impressionnant de se demander en face de ces hommes, à quelques
385
1er mars 1934 Minimum vital. — Il ne faut
être
ni riche ni pauvre, selon les mesures sociales qui ne valent jamais q
386
amais que pour « les autres ». Il faut simplement
être
libre selon la mesure de sa vocation. C’est par rapport à sa seule vo
387
oin pour vivre. S’il a plus ou s’il a moins, s’il
est
« riche » ou s’il est « pauvre » (ce qui ne saurait être déterminé qu
388
plus ou s’il a moins, s’il est « riche » ou s’il
est
« pauvre » (ce qui ne saurait être déterminé que par rapport au train
389
riche » ou s’il est « pauvre » (ce qui ne saurait
être
déterminé que par rapport au train « normal » que lui impose sa vocat
390
lui impose sa vocation), il court un risque qui n’
est
pas son vrai risque. Il se voit entraîné hors de sa ligne dans des co
391
rs de sa ligne dans des conflits où sa personne n’
est
pas totalement engagée, parce qu’elle ne les a pas créés. Le but conc
392
ssible, c’est d’accorder à tout homme, quel qu’il
soit
, le « minimum vital » qui lui permette d’obéir à sa vocation. Toute l
393
évidemment sur le fait que ce minimum ne saurait
être
fixé au plus juste qu’en fonction de chaque « personne ». C’est l’Éta
394
tienne compte des vocations particulières ? Elles
sont
souvent d’une lecture très douteuse pour ceux mêmes qui devraient les
395
do, selon leurs vocations. Et le minimum qui leur
serait
accordé varierait d’une catégorie à l’autre. (Cela touche à l’absurde
396
res selon leur profession : d’autant plus qu’elle
serait
plus monotone par exemple, ou qu’elle supposerait moins d’énergie cré
397
rtance des autocars et des transformations qu’ils
sont
en train de causer dans la vie provinciale. Je n’ai pas compté le nom
398
er dans plusieurs départements de l’Ouest qu’il n’
est
plus guère de « pays » qui ne soit desservi par une ou deux ou même t
399
l’Ouest qu’il n’est plus guère de « pays » qui ne
soit
desservi par une ou deux ou même trois compagnies de transports locau
400
ndément la coutume de la France rurale. Mais ce n’
est
pas encore assez dire : l’autocar modifie complètement le mode de con
401
llait à Paris ou qu’on en venait. Tout le reste n’
était
que tortillards cahotants, jamais à l’heure, où l’on se sentait relég
402
que village. Aujourd’hui, les stations d’autocars
sont
sur la place principale. C’est de là qu’on part au milieu d’une grand
403
l’on voit le mieux de chaque pays. La voie ferrée
était
une sorte d’insulte à la vie locale : elle la traversait abstraitemen
404
art sans remarquer que les gens qui l’habitent ne
sont
pas tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’es
405
me sorte, et que d’une province à une autre, ce n’
est
pas seulement le paysage qui change. N’était-ce pas là l’une des rais
406
, ce n’est pas seulement le paysage qui change. N’
était
-ce pas là l’une des raisons qui faisait si facilement nier la subsist
407
sa tête de ligne chez un bistrot différent, et il
est
rare qu’on puisse trouver l’horaire ailleurs. Parfois le bistrot vend
408
a concurrence qui a fait baisser les prix. Car il
est
de règle qu’au début deux Compagnies se disputent le parcours, jusqu’
409
argoulins, topazes, etc. Si l’on a le temps, il n’
est
pas impossible de pousser la « discussion » sur un plan supérieur, d’
410
s. Bref, lorsque vous montez dans l’autocar, vous
êtes
renseigné, vaille que vaille, sur les facteurs économiques du pays, s
411
ent au départ avec force recommandations ; et ils
sont
rares, ceux qui n’ont pas deux mots à dire par la portière entrouvert
412
s cheveux au vent sur le bord de la route. Rien n’
est
plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela tient évidemment à leu
413
st plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela
tient
évidemment à leur métier. Ce sont en général de jeunes gaillards soli
414
r de car. Cela tient évidemment à leur métier. Ce
sont
en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les
415
accordées à ceux qui commandent et disposent, ne
fût
-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien les hommes avec l
416
et la rapidité d’esprit que les bourgeois, qui en
sont
dépourvus, attribuent par erreur au « peuple » en général. Sans compt
417
r les moyens techniques dont ils disposent et qui
seraient
décisifs lors d’une action rapide. Mais loin de moi ces ambitions : c
418
ux qui les ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne
suis
qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais
419
é dans l’autocar de Taillefer voulait savoir quel
était
mon métier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’é
420
nd j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’
étais
qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écria : « Ah ch
421
fonctionnaire (c’était pour le flatter), et cela
tient
aux circonstances mêmes qui l’ont mis dans le cas d’écrire. Car ou bi
422
s. Je dis les antres. De toute façon, un écrivain
est
par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu
423
05 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils
étaient
venus par groupes, à bicyclette ou en charrettes, de tous les village
424
s villages voisins. Du haut de la colline où nous
étions
tous réunis pour déjeuner, on dominait tout un canton de marécages mé
425
tenir une centaine d’auditeurs. L’orateur doit se
tenir
debout au milieu d’eux, de manière à pouvoir, tout en parlant, passer
426
i bien que j’avais pu le laisser croire ; si ce n’
était
pas encore un de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient pl
427
ravant, etc. Mais ce qui me surprit davantage, ce
fut
la question franche d’un garçon de vingt ans, costaud, l’air intellig
428
rait faire la même chose ici ? » Pour sa part, il
était
sceptique. Il pensait qu’en Vendée les choses ne seraient pas si simp
429
sceptique. Il pensait qu’en Vendée les choses ne
seraient
pas si simples, que la situation matérielle était meilleure et demand
430
aient pas si simples, que la situation matérielle
était
meilleure et demandait un développement tout différent ; qu’on voulai
431
sions (je n’ose pas en dire davantage : tout cela
est
encore moins clair dans la réalité que dans ce résumé). Quand j’ai pr
432
es que je craignais. (On peut donc gouverner sans
être
un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’un brave type comme nous
433
e venais d’exposer, afin de voir si mes auditeurs
étaient
de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précis
434
ns que j’avais tirées de la conférence à A. Elles
sont
également vraies. Ce qui est faux, c’est de parler du peuple en génér
435
nférence à A. Elles sont également vraies. Ce qui
est
faux, c’est de parler du peuple en général. — « On le savait depuis l
436
17 mars 1934 L’instituteur vendéen. — Nous
étions
assis dans sa cuisine avec sa femme et ses deux enfants. C’est un hom
437
irection. Nous ne savons pas que lire. Le travail
est
dur, ici. Il faut lutter contre les parents, contre la concurrence de
438
sai, mais c’est toujours de la politique. Quand j’
étais
jeune, j’ai beaucoup lu Anatole France, c’est à cause de lui que j’ai
439
i perdu la foi. J’aimais beaucoup Romain Rolland.
Est
-ce qu’il est mort ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’il y aurait d’
440
i. J’aimais beaucoup Romain Rolland. Est-ce qu’il
est
mort ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’il y aurait d’intéressant à
441
Vous ne lisez pas de journaux politiques ? — Ce n’
est
pas ce qu’on cherche. Il faudrait en lire deux au moins pour corriger
442
C’est aussi à cause de cette centralisation : qu’
est
-ce qu’ils savent de notre situation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aurait
443
est-ce qu’ils savent de notre situation à Paris ?
Est
-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire un mouvement politique en deho
444
commune ? On sent bien ce qu’il faudrait. Mais qu’
est
-ce qu’on peut, tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une
445
ïveté, de force et de conviction. Tout son effort
est
de s’écarter le plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est
446
ffort est de s’écarter le plus possible de ce qui
est
simplement vrai. Elle est bizarre, affectée et maigrelette, toute gui
447
plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle
est
bizarre, affectée et maigrelette, toute guindée de petites astuces, d
448
’il s’agit de passions. Trop difficile quand elle
est
belle (Claudel ne peut pas devenir populaire). Tristement bourgeoise
449
ire). Tristement bourgeoise et fausse, quand elle
est
facile. Et les ouvrages « d’avant-garde » donnent dans l’ensemble une
450
paraît que ça va se porter de plus en plus. Telle
est
la pauvre chance des écrivains français : il a fallu un nouveau confo
451
tte. Je ne sais plus quel poète a écrit : « L’art
est
une question de virgules. » Voilà qui donne exactement la mesure de l
452
leurs ambitions. Même si cette innocente remarque
est
juste du strict point de vue d’un artisan précieux de la langue franç
453
te autre époque de nos lettres) je pense que ce n’
est
pas par hasard que tous les grands artistes ont jugé bon de parler d’
454
ncore, puisqu’une nouvelle période de trois jours
est
entamée. Toute la germination est comme crispée dans son essor depuis
455
de trois jours est entamée. Toute la germination
est
comme crispée dans son essor depuis le début de la tempête ; elle s’e
456
son essor depuis le début de la tempête ; elle s’
est
mise sur la défensive. Et moi aussi, je ne parviens plus à avancer da
457
, plus il me vient d’idées fermes et utilisables.
Est
-ce que les vraies idées viendraient du seul contact des choses, par l
458
d’autres ont créé. 3 avril 1934 La solitude
est
une jeunesse. Elle nous apprend cette chose nouvelle que nous savions
459
lle que nous savions déjà, c’est vrai, quand nous
étions
adolescents, chose nouvelle au goût de souvenir, que trop de téléphon
460
ombes ; cette chose toujours neuve et nouvelle qu’
est
l’attente d’on ne sait quoi. Condition véritable de l’homme : il est
461
e sait quoi. Condition véritable de l’homme : il
est
celui qui agit dans l’attente. Il attend des révélations. C’est évide
462
tions. C’est évident ! Ses actions les plus pures
sont
des appels et des incantations ; leur sens est toujours au-delà. Elle
463
s sont des appels et des incantations ; leur sens
est
toujours au-delà. Elles ne sont que symboles, invites angoissées ou s
464
ations ; leur sens est toujours au-delà. Elles ne
sont
que symboles, invites angoissées ou séductions tentées dans l’inconnu
465
nécessairement sur fond de mort. (La jeunesse qui
est
l’âge de l’attente la plus ardente de la vie est aussi l’âge le plus
466
est l’âge de l’attente la plus ardente de la vie
est
aussi l’âge le plus familier avec la mort.) Ainsi nos gestes se prolo
467
Ainsi nos gestes se prolongent, et leur grandeur
est
dans l’attente qu’ils trahissent. Si le travail moderne est dégradant
468
’attente qu’ils trahissent. Si le travail moderne
est
dégradant, c’est qu’on a limité ses gestes à l’immédiat, et borné son
469
at, et borné son attente au salaire. Or toute vie
est
absurde et violemment inacceptable, qui ne s’ouvre pas sur l’attente
470
e que je retrouve dans une pile de notes. La page
est
restée blanche. Et, toute réflexion faite, c’est bien ainsi, et très
471
noire qui habite seule au bout du jardin. Elle y
est
pourtant depuis notre arrivée, héritée du propriétaire. Nous l’avons
472
ir pendant des mois, la croyant trop vieille pour
être
mangée, sinon pour faire encore quelques œufs. Elle paraissait inguér
473
il. (Où va se loger la vanité !) — Le père Renaud
était
là tout à l’heure pour me donner un coup de main au jardin (Je rappre
474
agnarde). Comme je lui offrais une cigarette il s’
est
redressé d’un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis lo
475
eux sous parce qu’il avait pris le monopole. Ça n’
est
pas les deux sous, mais il faut se défendre ! » 15 avril 1934
476
ci ne comprendraient rien à ce que je fais, et ce
serait
assez normal, il y a l’obstacle du vocabulaire, d’une certaine techni
477
e peuple » cela ne peut accrocher à rien dans cet
être
que j’ai devant moi, avec ses rides, sa barbe et sa casquette, et qui
478
tinue à me parler de la pêche, de son filet qui a
été
emporté hier, etc. Quel sens concret cela peut-il avoir de parler de
479
de contact, ni jamais de commune mesure ? Mais je
suis
homme aussi bien qu’eux. Et ce que j’écris m’intéresse tout entier, e
480
noms propres d’hommes du peuple que j’ai connus,
est
-ce que mes raisonnements ne paraîtraient pas loufoques ? Je reviens à
481
rendre telles qu’elles puissent, je ne dis pas :
être
comprises, mais au moins, en pensée, confrontées sans un ridicule ang
482
cule angoissant avec la réalité des choses et des
êtres
dont elles utilisent le concept… Eh bien, voilà le résultat : après u
483
bas de la page. Il me semble vraiment que cela se
tient
. Il me semble aussi que c’est concret. Je me dis que cette impression
484
des affinités ou répulsions que les faits ou les
êtres
qu’ils sont censés représenter n’ont pas dans la réalité. À la fin on
485
s ou répulsions que les faits ou les êtres qu’ils
sont
censés représenter n’ont pas dans la réalité. À la fin on obtient l’a
486
me laisse assez froid. La culture m’a repris. Je
suis
dans le faux et tout y est correct : je dis que la thèse que je défen
487
ulture m’a repris. Je suis dans le faux et tout y
est
correct : je dis que la thèse que je défends est vraie !… Il y aurait
488
est correct : je dis que la thèse que je défends
est
vraie !… Il y aurait de quoi s’arrêter de penser, si l’on pouvait. C’
489
nt » (Lettre à Guez de Balzac, 13 mai 1631). Ce n’
est
pas Descartes qui eût écrit ce Journal ! Mais nous, nous chercherons
490
Sterne. Le principe de toute culture véritable n’
est
-il pas cette commune mesure, sinon de raisons formulables, du moins…
491
séries de pensées et la diversité désordonnée des
êtres
et des choses, où nous vivons ? « Je pense, donc j’en suis. » Et je n
492
es choses, où nous vivons ? « Je pense, donc j’en
suis
. » Et je ne suis guère, si je n’en suis pas. Et je ne pense bien, val
493
s vivons ? « Je pense, donc j’en suis. » Et je ne
suis
guère, si je n’en suis pas. Et je ne pense bien, valablement, en véri
494
donc j’en suis. » Et je ne suis guère, si je n’en
suis
pas. Et je ne pense bien, valablement, en vérité, que si je me sens e
495
moyen de ma révolte, sans pour autant cesser d’y
être
pris). Descartes prétendait le fuir par ce biais de ne le point regar
496
s eût porté la déroute en son système. Mais nous,
serons
-nous assez forts pour penser les yeux bien ouverts ? 16 avril 1934
497
mais au centre de mon domaine, et c’est Paris qui
est
loin maintenant, peu vraisemblable ; et non plus moi. Premières roses
498
de mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer
est
d’un vert-bleu crayeux, très froide encore. On ne peut guère que se t
499
l de l’ère moderne comme le seul homme qui ait su
être
utile avec grandeur, dans toutes ses pensées. Mais utile à soi-même,
500
èce, dont le sépare enfin cette perfection… Telle
est
la formule à la fois de la mission et des limites de Goethe. Et c’est
501
n de ce petit coin de conscience humaine qui nous
est
accessible en Occident. Le romantisme s’évapore de nos vies. L’esprit
502
s plus comment parler à nos voisins, nos échanges
sont
lourds et naïfs, incertains et souvent absurdes, les matériaux inform
503
objets, qui n’en renvoient pas même l’écho. Nous
sommes
là, petits individus, devant ce qu’on nomme les « masses », exprimant
504
séparés de cela qu’il nous semble parfois qu’il n’
est
plus qu’une alternative de manœuvre : nous laisser prendre par la fou
505
Car la question, la permanente et vraie question
est
celle des relations nécessaires entre l’esprit individuel, et l’espèc
506
x fuites : devant soi-même ou devant le monde. Il
serait
temps d’envisager maintenant comment l’homme peut être présent au mon
507
temps d’envisager maintenant comment l’homme peut
être
présent au monde et à soi-même conjointement. Problème du siècle, ou
508
le premier. Et c’est pourquoi je pense qu’il nous
est
bon de reprendre aujourd’hui son problème, là où il l’a porté, et dan
509
e doit conduire l’action ; mais sans agir, elle n’
est
pas vraie pensée. L’individu ne saurait s’accomplir qu’en relation av
510
e tension entre les autres et lui, et le problème
est
de trouver, tout en marchant, un équilibre entre ces forces antagonis
511
d’une variation de cette nature font voir qu’elle
est
le vrai ressort de toute l’Histoire. ⁂ Goethe vivait dans un ordre so
512
e suicide à cause de sa rupture avec le monde. Qu’
est
-ce à dire ? c’est qu’il tombe en soi. Il n’y trouve pas de quoi durer
513
erther — et de supporter la condition sociale, ce
sera
pour Goethe, désormais, de se construire un ordre individuel aussi so
514
générations vont se débattre et s’épuiser. Goethe
sera
l’homme en relation avec le monde, la société, et la nature ; mais de
515
e cette relation, de cette tension, la résultante
sera
constamment dirigée vers lui-même, je veux dire vers son moi idéal, l
516
autonome. L’admirable objectivité de son regard n’
est
en fin de compte qu’une discipline éducative dont il entend tirer pro
517
lui paraît fort acceptable (utilisable, tel qu’il
est
, pour un Goethe tel qu’il se voudrait). Rien n’est plus significatif
518
st, pour un Goethe tel qu’il se voudrait). Rien n’
est
plus significatif à cet égard que les notes sur Venise du Journal ita
519
t cela d’un regard tranquille et subtil, et je me
suis
réjoui de cette grande existence. » « Je me suis hâté d’aller voir la
520
suis réjoui de cette grande existence. » « Je me
suis
hâté d’aller voir la place Saint-Marc, et mon esprit maintenant est e
521
oir la place Saint-Marc, et mon esprit maintenant
est
enrichi et agrandi de cette image. » Le regard qu’il porte sur le mon
522
cette image. » Le regard qu’il porte sur le monde
est
l’un des plus précis qui furent jamais portés, mais c’est en lui, dan
523
l porte sur le monde est l’un des plus précis qui
furent
jamais portés, mais c’est en lui, dans son esprit, qu’il veut en mesu
524
erait que l’équilibre entre sa vision et le monde
soit
presque absolument atteint. Et pourtant comment ne point sentir le pr
525
rs, et le peuple m’intéresse infiniment. Hier, je
suis
resté longtemps au marché, et j’ai bien regardé comme ils marchandaie
526
attention et une astuce inexprimable… » « Tout a
été
dit ou écrit sur Venise, je ne t’en rapporte donc que peu de choses,
527
aire, dépourvue d’arbitraire. Cette peuplade ne s’
est
pas réfugiée sur ces îles pour son plaisir, et si d’autres se sont un
528
sur ces îles pour son plaisir, et si d’autres se
sont
unies à elles, ce ne fut point par quelque caprice… » « Une existence
529
isir, et si d’autres se sont unies à elles, ce ne
fut
point par quelque caprice… » « Une existence nécessaire, dépourvue d’
530
modèles d’ordre que la société toute défaite qui
est
la nôtre ne paraît plus capable de subir. Il y a, ou tout au moins il
531
lus d’ordre en nous que dans le monde. Le vertige
est
à l’extérieur. Et lorsque éclate le conflit entre notre moi et le mon
532
e son jeu, et la plupart de ses établissements ne
sont
pour nous que signes du désordre. C’est à son anarchie, non à la nôtr
533
s aujourd’hui tout se passe comme si le but final
était
bien moins de nous réaliser que d’informer un monde neuf, qui enfin n
534
umes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne
sont
plus destinées à notre seul usage interne : elles prennent l’allure d
535
simple changement de signe dont l’importance nous
est
encore incalculable, je voudrais indiquer maintenant l’un des premier
536
s de cet ordre, et qui le confirment le mieux, ce
sont
les œuvres. Une œuvre littéraire, pour Goethe, joue le rôle d’un obje
537
t organique. Iphigénie ou Les affinités électives
sont
à la fois des preuves d’une maîtrise de soi-même déjà conquise, et de
538
emple d’un individu qui a su tirer du monde où il
est
né les nourritures les plus richement assimilables. Il choisit, il co
539
ns de puissance exemplaire et d’efficace qu’elles
seraient
plus parfaites, c’est-à-dire détachées de nos contingences présentes.
540
s modèles que nous puissions prétendre offrir, ce
sont
les preuves de notre engagement dans la réalité vulgaire du monde act
541
peut modifier le sort de ses victimes, dont nous
sommes
. Je vois alors une littérature de transition dont l’ambition ne sera
542
une littérature de transition dont l’ambition ne
sera
plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’être à tout moment à
543
plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’
être
à tout moment à l’œuvre toujours ouverte vers le monde, trop près de
544
sant toutes les formes anciennes. Mais ces formes
étaient
exclusives, elles souffriront de cette nouveauté, c’est à prévoir. Un
545
rt hautain, fermé sur soi. Je ne dis pas qu’il en
soit
incapable, qu’il n’aime plus cela, qu’il le condamne dans l’absolu. J
546
un certain ordre « élevé » où certaines harmonies
sont
possibles et par avance élaborées : antiquité, société policée, objet
547
dans nos contacts humains les plus banals ! Nous
serons
d’autant plus assurés de le toucher utilement que nous aurons moins c
548
oman, essai, commentaires ou poèmes, la fiction n’
étant
plus qu’un alibi, ou peut-être une dernière pudeur… Il faut que l’esp
549
es degrés. Qu’il s’humilie — littéralement — pour
être
utile. Qu’il apprenne à se débrouiller avec des choses vulgaires et t
550
r avec des choses vulgaires et troubles, avec des
êtres
vrais et qui résistent, avec des faits qu’il se sent maladroit à form
551
ois même à prendre au sérieux, tant qu’il n’a pas
été
brusqué par eux. Mais aussi rien n’est plus excitant pour la pensée,
552
il n’a pas été brusqué par eux. Mais aussi rien n’
est
plus excitant pour la pensée, rien ne saurait mieux la provoquer à l’
553
e cette découverte du monde à un niveau où elle n’
est
pas connue, où elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de mir
554
et sans révolte. Sensiblerie évidemment, mais qu’
est
-ce que cela veut dire ? Je parlais de « l’attente ardente » des créat
555
ce de notre royauté nécessaire et réparatrice. Il
est
probable que le tigre en train de déchiqueter une jeune gazelle ne fa
556
t pas de sentiment. Et pourtant, ma sensiblerie n’
est
hypocrite que parce qu’elle reste pratiquement insuffisante. Elle est
557
rce qu’elle reste pratiquement insuffisante. Elle
est
plus juste, et plus digne de l’homme que ces vertus de carnassiers qu
558
’allais conclure : nos rapports avec la nature ne
sont
guère plus satisfaisants que nos rapports avec les hommes. Mais atten
559
ts avec les hommes. Mais attention : Si l’homme n’
est
que nature, il reste dans l’ordre naturel en tuant pour assurer sa su
560
mme le font tous les autres animaux. Si l’homme n’
est
que nature, mon scrupule est contre nature. Et toute espèce de pacifi
561
nimaux. Si l’homme n’est que nature, mon scrupule
est
contre nature. Et toute espèce de pacifisme ou d’humanitarisme, au bo
562
: un peu comme les eunuques. Alors ? La question
est
tranchée ? Ou plutôt, il n’y a pas de question ? Et ceux qui se la po
563
se la posent — sans même parvenir à la résoudre —
sont
simplement de pauvres types ? « Parlez-moi des avions de bombardement
564
du bifteck. Il n’y a que ça de sérieux. » L’homme
est
un animal raisonnable. C’est de plus en plus évident. 22 mai 1934
565
ule que la nature vit. » (Coleridge). « Car nous
sommes
là pour deviner les choses dans leurs natures particulières, alors el
566
leurs natures particulières, alors elles nous en
sont
reconnaissantes. » (C. F. Ramuz). « D’autant plus nous connaissons l
567
ns l’intérieur de son âme, dans une partie de son
être
inconnue à lui-même. Quoi de plus simple que d’imaginer que cet effor
568
e cet effort de la nature pour pénétrer en nous n’
est
pas sans une mystérieuse signification ? » (Benjamin Constant). « C
569
on ? » (Benjamin Constant). « Car la création a
été
soumise à la vanité — non de son gré mais à cause de celui qui l’y a
570
ui l’y a soumise — avec l’espérance qu’elle aussi
sera
affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la libe
571
de l’enfantement… Car c’est en espérance que nous
sommes
sauvés. » (Romains 8, 20-24). 24 mai 1934 On dirait que l’homme
572
20-24). 24 mai 1934 On dirait que l’homme n’
est
pas fait pour durer : la vie étale nous ennuie, c’est ce qui naît et
573
émeut. Cette nuit, avant d’aller me coucher, j’ai
été
voir encore au poulailler. (Nous attendions depuis deux jours l’éclos
574
me pas qu’ils l’exigent… Mais pour peu qu’on s’en
soit
aperçu, il n’est plus guère possible de le feindre, fût-ce pour tâche
575
igent… Mais pour peu qu’on s’en soit aperçu, il n’
est
plus guère possible de le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un pe
576
erçu, il n’est plus guère possible de le feindre,
fût
-ce pour tâcher de gagner un peu d’argent. Tout cela me rend plutôt ir
577
erre. Merveilleuse piste de bicyclette. Nous nous
sommes
procuré deux vieux clous tout rouillés. Ils supportent très bien de r
578
nte, quand on ne sait plus ce qui bouge et ce qui
est
fixe, à grande vitesse ! 5 juin 1934 Le jardin à 7 heures du ma
579
ourt sur la table verte. L’après-midi, la chaleur
est
trop forte. Je travaille dans la grande pièce de l’étage, où j’ai tra
580
transporté ma table à tréteaux. Un de mes rêves s’
est
ainsi réalisé : écrire sur une table en sapin, dans une vaste pièce v
581
ande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de pins à l’
est
et au Fier, qui termine les marais, nous découvrons que notre domaine
582
ine les marais, nous découvrons que notre domaine
est
bien étroit… Cela n’a plus la grandeur romantique de la désolation d’
583
ieu sait quoi. Pour moi, je sais seulement que je
suis
content. Hier soir, j’avais fait une dernière revue de nos possibilit
584
ntre « le sort » depuis sept à huit mois que nous
sommes
dans l’île. Je n’étais pas fier. Ce matin, nous avons décidé de réagi
585
sept à huit mois que nous sommes dans l’île. Je n’
étais
pas fier. Ce matin, nous avons décidé de réagir. Quand une auto risqu
586
freiner, mais peser à fond sur l’accélérateur. Je
suis
allé à A. acheter des cigarettes. J’ai demandé à Mellouin d’apporter
587
r le canard des grandes occasions, quand la chose
est
arrivée. Apportée par la factrice. Une grosse enveloppe cachetée, ven
588
n’aurais jamais eu l’idée de solliciter. Et qui m’
est
octroyé pour un petit livre paru sans bruit il y a plus de dix-huit m
589
ns bruit il y a plus de dix-huit mois. Les hommes
sont
bons ! Du moins certains d’entre eux. Sur le moment, ce qui m’a le pl
590
moment, ce qui m’a le plus frappé, c’est que je m’
étais
fâché, hier soir, et que la Providence, évidemment, se payait ma tête
591
j’ai calculé que cela nous permettait de passer l’
été
ici, sans inquiétude. Ou encore, de le passer ailleurs sans ennui.
592
is en juillet. Tout cela probablement parce que j’
étais
à bout de ressources, ne bougeais plus ni pied ni patte, et n’écrivai
593
nce, ou plutôt du retrait. (Il ne faut pas que ce
soit
une feinte, bien entendu, cela ferait tout rater ; il faut un véritab
594
homéopathes. 16 juin 1934 La banque d’A. n’
est
ouverte qu’un jour par semaine. Ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai pu a
595
e d’A. n’est ouverte qu’un jour par semaine. Ce n’
est
qu’aujourd’hui que j’ai pu aller y négocier mon chèque. J’arrive deva
596
gocier mon chèque. J’arrive devant la porte où il
est
écrit : caisse. Je frappe et entre. Un homme penché vers le guichet p
597
uit de voix dans la salle de la caisse. Le client
est
-il sorti ? Quel peut bien être le motif de cette audience privée ? En
598
a caisse. Le client est-il sorti ? Quel peut bien
être
le motif de cette audience privée ? Enfin, j’entends qu’on sort, et l
599
t ou quand ils touchent de l’argent. C’est qu’ils
sont
très spéciaux, les gens d’ici ! Moi je n’y viens qu’une fois par sema
600
ils n’auraient pas idée de ça, au contraire, ils
sont
tout fiers de venir à la banque. Ici, on a dû faire cette salle d’att
601
’en puis juger d’après les propos du gérant, ce n’
est
pas seulement la crainte, après tout légitime, qu’on sache combien il
602
illette ce journal : voici des semaines qu’il n’y
est
à peu près plus question des « gens ». En somme, je ne m’intéresse pl
603
reilles. Grande différence entre eux et moi : ils
sont
adaptés à leur conduite et à leur milieu, comme les animaux. Ils ne s
604
ue de nous » ; la mère Renaud, par exemple, qui s’
est
fait opérer en mai, d’un cancer au sein, vient parfois s’installer su
605
e fils ingrat, de nièce coureuse, etc. Les hommes
sont
ennuyeux les uns pour les autres, dès qu’ils ont cessé de s’étonner l
606
et qu’ils n’ont pas le même genre de métier. Ce n’
est
pas la « classe » qui nous sépare ici, mais la profession, les préocc
607
rtout, je pense… Il vaut mieux partir quand on en
est
là. Quand on en est à ne plus voir le voisin, la situation n’est plus
608
vaut mieux partir quand on en est là. Quand on en
est
à ne plus voir le voisin, la situation n’est plus humaine, elle ne po
609
n en est à ne plus voir le voisin, la situation n’
est
plus humaine, elle ne pose plus de questions utiles. 2 juillet 193
610
ions utiles. 2 juillet 1934 La sécheresse a
été
la plus forte : malgré nos arrosages, les salades et les choux sont b
611
: malgré nos arrosages, les salades et les choux
sont
brûlés, la terre se craquelle, ou devient poussiéreuse. Il n’y a plus
612
nt dans un tiroir. Cela signifie que j’ai cessé d’
être
chômeur. Le départ est fixé au 10. Il va falloir vendre la poule noir
613
signifie que j’ai cessé d’être chômeur. Le départ
est
fixé au 10. Il va falloir vendre la poule noire et les poulets encore
614
oule noire et les poulets encore trop jeunes pour
être
mangés. Régler vingt petites choses de cette espèce. Petites choses p
615
emière fois mesquines… 10 juillet 1934 Tout
est
bouclé, ficelé, cloué, transporté en brouette à la station de l’« hus
616
assure… J’ai pensé plus d’une fois qu’il pourrait
être
utile de décrire ma petite expérience d’intellectuel en chômage ; qu’
617
rience d’intellectuel en chômage ; qu’il pourrait
être
utile de montrer qu’on peut sortir des villes où se font les « carriè
618
tant de gens invoquent avec un accent triste. Je
suis
devenu tout doucement amoureux de ma vie, et je crois bien que c’est
619
ui dirait au coin d’un bois. Je crois que le réel
est
à portée de la main, et n’est que là. Alors il s’agit seulement d’ass
620
e crois que le réel est à portée de la main, et n’
est
que là. Alors il s’agit seulement d’assurer la prise de cette main. C
621
pauvreté pouvait seule m’y forcer utilement. Ce n’
est
pas que je fuie les risques. Je crois avoir fait bon ménage avec celu
622
tendait ici. Mais le risque authentique et fécond
est
celui qu’on ne cherche pas comme une réponse à son ennui — faut-il di
623
vaniteuse, de tenter le destin « pour voir », qui
est
la manière des amateurs de vie intense, trahit je crois d’assez banal
624
s complaisances. Et le destin répond à ces défis,
fussent
-ils géniaux, par des énigmes ironiques. Au bout du compte, Don Juan n
625
y apporter. Qu’enfin les seules questions réelles
sont
celles que l’existence nous pose, et non point celles que nous posion
626
peuvent plus arriver à se connaître, tels qu’ils
sont
, qu’à la faveur d’une coucherie compliquée, d’un crime ou d’une révol
627
ard exact. Si jamais je publiais ce cahier, ce ne
serait
pas pour l’ébahissement de ceux qui rêvent d’autres vies que la leur
628
erté, à peu de frais. Je dis quelques personnes :
sont
-elles si rares à désirer ce dont les romanciers ne parlent pas, et qu
629
rer ce dont les romanciers ne parlent pas, et qui
est
pour moi la seule chose nécessaire ? Je viens d’interrompre cette p
630
es salades ont monté, le carré de pommes de terre
est
dévasté ! J’ai entrouvert la porte du poulailler et les poulets se so
631
trouvert la porte du poulailler et les poulets se
sont
précipités dehors l’un après l’autre avec une espèce d’affolement. Il
632
, et les petits se précipitaient à son caquet. Je
suis
resté un bon moment à contempler cette espèce d’orgie, consommant la
633
s, de ces plaisirs d’une fascinante pauvreté, qui
sont
peut-être aussi les plus communs à tous les hommes, — comment le savo
634
is, et qui sait si plusieurs de mes semblables ne
seraient
pas contents de l’apprendre ? Ce n’est pas une nouvelle bouleversante
635
es ne seraient pas contents de l’apprendre ? Ce n’
est
pas une nouvelle bouleversante, c’est même plutôt une sorte de secret
636
Deux petits journaux paraissent dans l’île. L’un
est
aux mains de M. T…, député de droite, et des « curés ». L’autre est «
637
. T…, député de droite, et des « curés ». L’autre
est
« républicain et antifasciste ». 2. Village à l’autre extrémité de l
638
in sablonneux ». Reste la question de savoir s’il
est
normal de se déformer le corps pour gagner un peu plus. Or ils y sont
639
former le corps pour gagner un peu plus. Or ils y
sont
, pour la plupart, contraints. 5. Le fils de la mère Renaud s’occupe
640
à faire la statistique du village : 45 personnes
sont
âgées de 80 à 90 ans, sur une population de 450 âmes. 6. On voit que
641
une population de 450 âmes. 6. On voit que ce n’
est
pas seulement le « grand capitalisme » qui cultive le chantage légal.
642
he : ce goût de l’utilité pure, de la « qualité d’
être
utile » prise en soi, qui rejoindrait la gratuité par un détour que m
643
! 8. Le Werther de Goethe succombe parce qu’il s’
est
livré à son vertige individuel, rompant avec l’ordre social. Un Werth
644
avec l’ordre social. Un Werther d’aujourd’hui, ce
serait
l’homme qui céderait au vertige du social démesuré, rompant avec son
645
attendais, ni ce que j’ai pu rêver de ce pays. Il
est
très pauvre, sec et lumineux. Toutes les nuances du gris, herbes, pie
646
ieur. 23 septembre 1934 Maintenant les murs
sont
nus : d’un joli vert bleu très clair. Le carreau rouge a été débarras
647
’un joli vert bleu très clair. Le carreau rouge a
été
débarrassé du tapis. J’ai dressé ma table sur des tréteaux. Il ne res
648
e cheminée — vingt-deux pièces dûment recensées —
sont
allés les remplacer. Seul vestige des splendeurs bourgeoises de ce sa
649
oques de verre taillé. Fascinant, ce lustre. Nous
sommes
éreintés et couverts de poussière. Mais on va pouvoir respirer. 25
650
dans ce pays-ci que dans notre île. Mais les gens
sont
encore plus pauvres, si possible. Les petites entreprises qui leur do
651
gée. Étonnamment active. Bonne protestante et qui
tient
à le dire. Sa cordialité demeure digne, trait notable à partir des Cé
652
d’emballage. Pas un de ces petits visages qui ne
soit
beau et fin, mais incroyablement crasseux. Vers la gare, il y a bien
653
un nuage… Cela tend à confirmer un soupçon qui m’
est
venu en maintes autres régions de la France : les provinciaux ignoren
654
l’éducation primaire, bienfaisante en principe il
est
vrai, mais tristement abstraite, étroite, appauvrissante en fait. Je
655
ois le chômage s’étendre et s’installer, comme se
sont
installés dans ces villages malsains et mal soignés, la tuberculose,
656
ir la bouteille aux pièces de dix sous. Une chose
est
claire : faire des enfants, dans les conditions actuelles, c’est défi
657
je constate qu’en fait, et dans ce pays tel qu’il
est
, la morale rationnelle et les mesures qu’elle propose, ce n’est guère
658
rationnelle et les mesures qu’elle propose, ce n’
est
guère que le rêve de vieux célibataires assez fortunés, ou ascètes. C
659
cs « parfaits ». « Je me fais servir au lit, on y
est
mieux pour penser », me confiait l’un de ces esprits « sereins », qui
660
es esprits « sereins », qui d’ailleurs cesse de l’
être
dès qu’il se met sur ses deux pattes au milieu de ses frères verticau
661
me assis. Celui qui se fait servir. Mais quoi, je
suis
injuste pour les célibataires. Il en est au moins deux qui furent des
662
uoi, je suis injuste pour les célibataires. Il en
est
au moins deux qui furent des « hommes debout », des hommes en marche.
663
our les célibataires. Il en est au moins deux qui
furent
des « hommes debout », des hommes en marche. Nietzsche au-dessus de G
664
Deux classes d’esprits : ceux dont le but suprême
est
d’« avoir la paix à tout prix » (rationalistes), et ceux qui pensent
665
onalistes), et ceux qui pensent que leur raison d’
être
est de créer (les philosophes en marche). Si les premiers triomphent
666
stes), et ceux qui pensent que leur raison d’être
est
de créer (les philosophes en marche). Si les premiers triomphent (grâ
667
à l’École et à l’appât des Assurances), la France
est
perdue. Elle sera colonisée. Mais si l’état d’esprit des seconds domi
668
appât des Assurances), la France est perdue. Elle
sera
colonisée. Mais si l’état d’esprit des seconds domine, la France fera
669
ionalisme, par suite la guerre. Cette alternative
est
inévitable dans le régime présent. Elle met en question tout un monde
670
raison. Et que la santé spirituelle d’un peuple n’
est
pas totalement compromise quand il fait encore des enfants en dépit d
671
terminé les vendanges, et la récolte des figues d’
été
. (Les figues d’hiver apparaissent déjà, plus petites et toujours vert
672
« œillades ». C’est leur gros raisin bleu. Nous y
sommes
allés hier au soir. Des hauteurs, on voyait la plaine rose et violacé
673
, déjà dans l’ombre, paraissait désert. Nous nous
sommes
assis sur la terrasse, au pied d’un grand micocoulier. Bientôt un chi
674
s, où elle travaille jusqu’à la nuit tombée. Nous
sommes
dans une cuisine de ferme, mais la fermière nous reçoit comme une « d
675
Pensez donc, deux femmes seules ! — C’est que je
suis
chômeur moi-même, madame… — Elle sourit à son tour, l’air de dire : O
676
ourit à son tour, l’air de dire : Oh ! vous, ce n’
est
pas la même chose. Elle a sans doute entendu parler de nous. Rien à f
677
s doute entendu parler de nous. Rien à faire : je
suis
un « monsieur ». La fille rentre : une forte femme, environ 35 ans, u
678
, monsieur, sans indiscrétion ? Je dis mon nom. —
Est
-ce vous qui écrivez des articles ? J’en ai lu signés de ce nom-là. Et
679
au de culture fort au-dessus de la moyenne. Ce ne
sont
pas des bourgeoises, certes, et pourtant elles en sont encore à estim
680
pas des bourgeoises, certes, et pourtant elles en
sont
encore à estimer que chômeur est synonyme de vagabond dangereux. Elle
681
urtant elles en sont encore à estimer que chômeur
est
synonyme de vagabond dangereux. Elles font partie des « travailleurs
682
nt partie des « travailleurs », et pourtant elles
sont
propriétaires. Je vois en elles un type très classique de Françaises
683
e ne pas se plaindre de son sort… Pourtant, il en
est
peu de cette espèce, semble-t-il. On n’en parle jamais. Mais elles ne
684
ur caricature de société. — Simard, le jardinier,
est
à demi métayer. Est-ce un prolétaire ? Il serait vexé qu’on le lui di
685
iété. — Simard, le jardinier, est à demi métayer.
Est
-ce un prolétaire ? Il serait vexé qu’on le lui dise. Il s’estime fort
686
er, est à demi métayer. Est-ce un prolétaire ? Il
serait
vexé qu’on le lui dise. Il s’estime fort au-dessus d’un mineur retrai
687
etraité, par exemple. Les instituteurs d’A… ? Ils
sont
du peuple. Oui, mais bourgeois par leur profession. Et les Calixte ?
688
te traitera les dames Turc de « koulaks » et tout
sera
dit. Le marxisme part de statistiques et de relations numériques (sal
689
ique. Il ne part pas de ce que les hommes veulent
être
, ni de la conscience globale qu’ils ont de leur état (et c’est pourta
690
e « mystification ». Il part de ce que les hommes
sont
malgré eux, du point de vue abstrait et inhumain de la Statistique. E
691
ssus non seulement des mesures techniques, ce qui
serait
parfaitement légitime, mais une morale, un art et une métaphysique !
692
étaphysique ! Problème de la politique actuelle :
sera-t
-elle l’affaire du meilleur statisticien, ou, au contraire, de l’homme
693
? Sera-t-elle fondée sur la réalité telle qu’elle
est
vécue et voulue par les hommes réels et concrets, ou bien sur la réal
694
nnelle ? Petite parabole de Saint-Lazare. — Il
est
certain que le nombre de voyageurs qui prennent le train à la gare Sa
695
int-Lazare un samedi soir de beau temps, en plein
été
, est assez exactement prévu par les statistiques. Ce chiffre est fort
696
azare un samedi soir de beau temps, en plein été,
est
assez exactement prévu par les statistiques. Ce chiffre est fort util
697
exactement prévu par les statistiques. Ce chiffre
est
fort utile à l’administration des Chemins de fer. Toutefois, il est n
698
’administration des Chemins de fer. Toutefois, il
est
non moins certain que chacun de ces voyageurs a le sentiment de s’en
699
brement. Il se croit libre, et concrètement, il l’
est
. Bien que la statistique permette de supposer qu’il est assez rigoure
700
ien que la statistique permette de supposer qu’il
est
assez rigoureusement déterminé. L’État marxiste — ou fasciste d’aille
701
use virée en devoir d’hygiène hebdomadaire. Ce ne
serait
plus s’échapper, mais encore obéir, et à quoi ? À force de négliger e
702
l, qui n’a pas su organiser à temps ce qui doit l’
être
. D’où suit que l’État nouveau se croit tout permis.) 30 octobre 19
703
— Vaine habileté, je le sais bien pourtant… J’en
étais
là, et n’écrivais plus rien, tout absorbé par mon travail de traducti
704
onne. Un grand jeune homme crépu se présente : il
est
étudiant, il est venu passer quelques jours chez son père qui est vig
705
une homme crépu se présente : il est étudiant, il
est
venu passer quelques jours chez son père qui est vigneron non loin d’
706
est venu passer quelques jours chez son père qui
est
vigneron non loin d’ici. Curieux garçon : j’en suis encore à me deman
707
st vigneron non loin d’ici. Curieux garçon : j’en
suis
encore à me demander ce qui l’amenait. Pendant tout l’entretien — lit
708
e sport ; très bien, qu’il continue. À son âge, j’
étais
gardien de but dans une équipe de football. Mais où diable a-t-il ram
709
us dégoûter de toute espèce d’intelligence). Ce n’
est
pas un garçon de sa trempe qui inventa le slogan défaitiste : moins d
710
d’idées ! Méfions-nous de l’intellectualisme ! »
Est
-ce qu’il y a vraiment lieu de se plaindre de ce que les hommes modern
711
en général. Plutôt que d’avouer que trop d’idées
sont
sans substance, sans pesée, sans danger, par suite sans nulle utilité
712
ud. Allons, allons, reprenons-nous ! Pour moi, je
suis
bien décidé, dorénavant, à maintenir le droit imprescriptible de tout
713
plus d’idées possibles. Surtout si l’on se trouve
être
par vocation ce qu’on nomme un intellectuel. Je ne m’en tiendrai pas
714
cation ce qu’on nomme un intellectuel. Je ne m’en
tiendrai
pas là. Je souhaite que les hommes aient tous des masses d’idées, et
715
masses d’idées, et par-dessus le marché qu’elles
soient
justes, et même gênantes pour ceux qui les conçoivent, c’est-à-dire u
716
où on le peut, mon cas devient très clair : je ne
suis
qu’un barbare, incapable de comprendre les « conditions psychologique
717
re, plus je le lis, que son mépris de la pensée n’
est
pour lui qu’une naïve et désarmante excuse à penser mal, à patauger d
718
ue les indications très équivoques de l’instinct.
Est
-ce bien cela qu’exigent les « anti-intellectualistes » ? Que l’on sup
719
n Hitler l’ont dit ou l’ont fait dire souvent. Ce
serait
là, semble-t-il, le seul moyen de limiter le jaillissement des idées.
720
r les idées naissent simplement d’une volonté qui
est
en l’homme de chercher en toutes choses le vrai. Si l’on décrète qu’i
721
ssourdis ; de ces veillées fiévreuses, assiégées.
Est
-ce que je les regrette ? Est-ce que l’heure de la nuit où l’on ne dor
722
évreuses, assiégées. Est-ce que je les regrette ?
Est
-ce que l’heure de la nuit où l’on ne dort pas n’est pas toujours l’he
723
t-ce que l’heure de la nuit où l’on ne dort pas n’
est
pas toujours l’heure des mauvaises nostalgies ? Qui pourrait nous écr
724
re une histoire des inventions de l’insomnie ? Ne
serait
-ce pas tout simplement l’histoire de la naissance de nos démons ? La
725
penserais-je, ici, d’humain, d’actif ? Ici où je
suis
sans prochain à cette heure où mes frères (?) les hommes sont plus él
726
ochain à cette heure où mes frères (?) les hommes
sont
plus éloignés que jamais ? « La nuit est faite pour dormir », me disa
727
hommes sont plus éloignés que jamais ? « La nuit
est
faite pour dormir », me disait un gardien de l’ordre qui m’avait surp
728
er devant autrui. Le monologue du journal intime
est
un artifice qui veut se faire prendre pour la sincérité, alors qu’il
729
se faire prendre pour la sincérité, alors qu’il n’
est
au vrai que la manière la plus facile de jouer la comédie : sans spec
730
e : sans spectateurs. Jouer la comédie devant des
êtres
réels est bien plus significatif. D’une certaine manière, c’est plus
731
ctateurs. Jouer la comédie devant des êtres réels
est
bien plus significatif. D’une certaine manière, c’est plus « sincère
732
’on veut le serrer de près.) La vérité de l’homme
est
dans le dialogue. Dans son affirmation, dans ses questions ou ses rép
733
nses à d’autres hommes bien réels. Le monologue n’
est
qu’une suppression artificielle des conditions concrètes, sociales ou
734
nditions concrètes, sociales ou spirituelles, qui
sont
celles de chaque homme existant. (Ne pas confondre dialogue avec perp
735
ns ces pages, dès qu’un autre me fait réagir.) Me
suis
-je assez méfié du genre journal intime ? Depuis six semaines que nous
736
nre journal intime ? Depuis six semaines que nous
sommes
à A…, me suis-je assez intéressé aux autres qui m’entourent ? Qu’est-
737
me ? Depuis six semaines que nous sommes à A…, me
suis
-je assez intéressé aux autres qui m’entourent ? Qu’est-ce que je sais
738
e assez intéressé aux autres qui m’entourent ? Qu’
est
-ce que je sais d’eux, objectivement ? 10 novembre 1934 Observa
739
vais chez les Calixte. On nous a dit que la mère
est
malade. Je trouve à la cuisine sa fille et une voisine. Elles se plai
740
voisine. Elles se plaignent du froid. Le fourneau
est
rouge, mais la porte donne au nord-ouest, d’où vient le vent le plus
741
is qui me paraît propre et sobre. La mère Calixte
est
au lit, un gros édredon ramassé sur le ventre, les pieds découverts,
742
bien sa blouse noire aussi. Elle me dit qu’elle a
été
assez mal. On devait lui retirer son linge toutes les deux heures. Qu
743
nde, pensez ! Il ne faut pas croire que la viande
soit
un si bon remède comme on le dit. Je lui ai fait du poulet, elle n’y
744
poulet, ça lui a fait de l’avantage. Voyez ! ce n’
est
pas vrai que la viande est si bonne pour les malades. » Elle accepte
745
avantage. Voyez ! ce n’est pas vrai que la viande
est
si bonne pour les malades. » Elle accepte de venir faire une lessive
746
her sur des buissons de ronce. Tous les mouchoirs
sont
plus ou moins déchirés quand on va les récolter. « Voyez-vous ! c’est
747
1 novembre 1934 D’une manière générale, ils ne
sont
pas conscients de porter la responsabilité des accidents qui leur arr
748
le détail. C’est assez sage dans l’ensemble. Ils
seraient
moins pauvres, moins malades, etc., s’ils étaient plus « pratiques »
749
eraient moins pauvres, moins malades, etc., s’ils
étaient
plus « pratiques » comme on dit dans la bourgeoisie — où l’on s’imagi
750
l’on s’imagine bien à tort que les gens du peuple
sont
spécialement adroits de leurs mains, débrouillards et pleins de resso
751
ds et pleins de ressources mystérieuses. Mais ils
seraient
moins dignes aussi. Leur dignité est de subir sans se tourmenter. Ils
752
ais ils seraient moins dignes aussi. Leur dignité
est
de subir sans se tourmenter. Ils ne se mettront jamais dans des états
753
constatant le mal : « Voyez-vous ! je croyais la
tenir
cette assiette ! » De telle manière qu’on entend bien que c’est ainsi
754
de dépend de nous. Ceci vaut pour les femmes, qui
sont
la part la plus civilisée de la population. Ce sont elles qui gagnent
755
nt la part la plus civilisée de la population. Ce
sont
elles qui gagnent ce qu’il faut, elles qui travaillent, elles qui déc
756
ent. Pour les hommes, c’est tout autre chose. Ils
sont
éloquents et naïfs, revendicateurs et inefficaces. La plupart ne font
757
font rien, ou « travaillent le mazet », ce qui n’
est
rien. Les femmes vont à la filature — une sur dix-huit marche encore
758
ept francs par jour. Pendant ce temps, les hommes
sont
sur la place et protestent contre le gouvernement. Ce sont les radica
759
la place et protestent contre le gouvernement. Ce
sont
les radicaux et les socialistes. Les commerçants sont souvent réactio
760
les radicaux et les socialistes. Les commerçants
sont
souvent réactionnaires et se mêlent peu à ceux de la place. Enfin ceu
761
se mêlent peu à ceux de la place. Enfin ceux qui
sont
occupés par l’imprimerie du journal local, par les garages ou à la ma
762
du journal local, par les garages ou à la mairie,
sont
communistes et mènent les affaires du pays. Ils vont à toutes les con
763
à une centaine d’ouvrières, dont le salaire moyen
est
de neuf francs par jour. Faillite de la dernière bonneterie, ces der
764
neterie, ces derniers jours. Le tiers des maisons
est
en ruines, — tout le centre. On croirait une ville bombardée. 2300 ha
765
ificielle. Le cycle normal du progrès capitaliste
est
clos. Lyon a drainé toute la richesse indigène de ce département. Et
766
ci, mais je sens que je la prends en grippe. Elle
est
réellement affreuse : elle est « ornée ». Le fabricant a voulu faire
767
ds en grippe. Elle est réellement affreuse : elle
est
« ornée ». Le fabricant a voulu faire bourgeois. Une salamandre, n’es
768
ricant a voulu faire bourgeois. Une salamandre, n’
est
-ce pas, c’est un meuble de salon, il faut la décorer convenablement e
769
e serrures. Cette laideur et cette incommodité ne
seraient
rien d’ailleurs, si elles ne rappelaient sans cesse l’intention d’hon
770
» (Il voulait dire : scandaleux. Mais un miracle
est
un scandale, après tout. Tradition laïque.) L’autre jour, dans l’auto
771
tocar, une femme dont j’ai cru comprendre qu’elle
tient
un petit hôtel à Saint-Jean-du-Gard, expliquait à sa voisine qui para
772
t, si l’on y réfléchit, résume un drame. Ce drame
est
celui du langage dans notre société présente. Et c’est encore une foi
773
e calembour qui ne joue que sur des sons. Mais il
est
clair que le sens des termes dont nous usons doit subir des métamorph
774
uns, sur quoi repose, tacitement, la vie sociale,
sont
aujourd’hui vidés de leur signification à la fois symbolique et préci
775
égoûts que chez nous. Leur résonance sentimentale
est
différente, et c’est pourquoi leur sens est différent, en dépit de ce
776
ntale est différente, et c’est pourquoi leur sens
est
différent, en dépit de ce que l’on pourrait déduire, dans le fait, d’
777
llé des écrivains dans le langage parlé du peuple
fut
affectée de malentendus de ce genre. Voire. Le peuple ne lisait pas,
778
oncret des lieux communs. Aujourd’hui ces données
sont
bouleversées. L’instruction publique et la Presse répandent sinon le
779
sein des conventions communes. Un chacun peut en
être
, et juger comme il veut. Le droit de se tromper, et de tromper grâce
780
it de se tromper, et de tromper grâce au langage,
est
un des droits imprescriptibles que se trouve avoir décrété la Convent
781
se trouve avoir décrété la Convention. Bref, il n’
est
plus de mesure commune : ni l’Église, ni la Culture, ni l’École qui p
782
e pas dire dans le vide (il vaudrait mieux que ce
soit
le vide, dans bien des cas), quels que soient nos efforts vers la rig
783
ue ce soit le vide, dans bien des cas), quels que
soient
nos efforts vers la rigueur et vers l’adaptation de notre style à not
784
rs l’adaptation de notre style à notre action. On
serait
même tenté d’estimer que la plus grande rigueur entraîne la moindre e
785
osent des exigences dont il faut admirer qu’elles
soient
aussi exactement contradictoires. Or, de ces deux antagonistes, c’est
786
Or, de ces deux antagonistes, c’est l’esprit qui
sera
vaincu. Non point qu’il s’avilisse partout ni qu’il se laisse toujour
787
randt, elle dira : « Ah ! oui, ces clairs-obscurs
sont
magnifiques (souvenir scolaire), mais comme ces gens sont laids, ridé
788
nifiques (souvenir scolaire), mais comme ces gens
sont
laids, ridés, bossus, et n’ont-ils pas la figure trop large » ? (juge
789
de la Sixtine, elle trouve cela « joli » ; et « —
Tiens
, cette femme ressemble… à qui ressemble-t-elle donc ? ne [dirait-on p
790
Durand. Mais oui tout à fait, c’est frappant ! Qu’
est
-ce que c’est ? » — La Sybille de Cumes … Cinq minutes après, cette da
791
dame sort d’ici. Les reproductions de la Sixtine
sont
épinglées au-dessus de ma table de travail.) 28 novembre 1934 «
792
t émouvant… Mais la plupart de nos contemporains,
est
-ce qu’ils ne disent pas plutôt : « Fichez-moi la paix ! Faites-moi ri
793
ressé de rentrer, je hèle une auto. Le conducteur
est
seul. Il me prend volontiers. Nous causons. C’est un commerçant de Ly
794
ez bavard. À certaines allusions, je devine qu’il
est
« seul dans la vie ». Pourtant, il porte une alliance. Pauvre gaieté
795
village. « Je vous dépose ici ? Où voulez-vous ?
Tenez
, on va s’arrêter devant la pissotière, ha ! ha ! ha ! Ça me rappelle
796
nom du type qui a écrit le bouquin. Ah ça alors !
Tenez
, c’est l’histoire d’une municipalité qui fait construire un de ces tr
797
que ça amène, ah ! mais alors, vous savez, tout y
est
, c’est attrapé, le curé, la politique et tout !… »11 Les éditeurs s’
798
qu’ils demandent, et pourquoi ils le demandent ?
Est
-ce que le rôle des éditeurs, mais surtout et d’abord des écrivains, n
799
iteurs, mais surtout et d’abord des écrivains, ne
serait
pas justement de savoir un peu mieux que « les gens » de quoi ils ont
800
ur tête. On les a pris pour ce qu’ils ont l’air d’
être
, ou mieux pour ce qu’ils croient devoir se donner l’air d’être ou de
801
x pour ce qu’ils croient devoir se donner l’air d’
être
ou de n’être pas. Comme si le fin du fin, c’était de prendre au mot l
802
ils croient devoir se donner l’air d’être ou de n’
être
pas. Comme si le fin du fin, c’était de prendre au mot les pauvres ho
803
gaire, avec son rire insupportable, et fallait-il
être
bien fin pour le comprendre ? 1er décembre 1934 Le pasteur m’a
804
ons toujours dans les 40 à 50. Et une fois qu’ils
sont
là, on peut parler de tout… J’irai d’autant plus volontiers que, deva
805
bre 1934 Soirée au « Cercle d’hommes ». — Ils
étaient
en effet une quarantaine hier soir. Je suis entré comme ils achevaien
806
ls étaient en effet une quarantaine hier soir. Je
suis
entré comme ils achevaient de boire leur tasse de café au fond de la
807
llustrés, quelques livres sur la table. Puis on s’
est
assis sur des chaises alignées, pour entendre le « conférencier »12.
808
ues passages de l’Écriture. Après quoi le sujet a
été
introduit par l’un des instituteurs. Il s’agissait de « l’histoire de
809
a discussion n’a vraiment démarré que lorsqu’on s’
est
mis à parler d’autre chose que du sujet, c’est-à-dire d’un peu tout :
810
de traditions et anecdotes locales. Discussion n’
est
d’ailleurs pas le mot : c’étaient surtout des questions, des affirmat
811
rgeois peu cultivé et sans doute de tout ce qui n’
est
pas « intellectuel » — ne « discute » pas à proprement parler. Son la
812
nt parler. Son langage en tout cas s’y prête mal,
soit
à cause de sa lenteur, soit à cause de ses répétitions pressées. Or,
813
ut cas s’y prête mal, soit à cause de sa lenteur,
soit
à cause de ses répétitions pressées. Or, cette lenteur et ces répétit
814
sser à l’esprit le temps de se « figurer » ce qui
est
dit. (C’est seulement de la langue des écrivains français qu’il est e
815
ulement de la langue des écrivains français qu’il
est
exact de dire, avec tous les manuels, qu’elle est une langue de discu
816
est exact de dire, avec tous les manuels, qu’elle
est
une langue de discussion, parce que toujours elle vise à la formule d
817
très mal au rythme de la réflexion spontanée, qui
est
« péguyste » et non « classique ». Écrivains inutilisables dans la me
818
vains inutilisables dans la mesure où ils veulent
être
de bons écrivains français.) — Que de bonne volonté chez les hommes
819
! Comme ils s’appliquent à comprendre, comme ils
sont
vifs et peu timides, camarades, malicieux et indulgents — leurs bons
820
rend les échanges bien pauvres…) Quand nous nous
sommes
levés pour sortir, le facteur ronflait, le front sur un dossier de ch
821
ronflait, le front sur un dossier de chaise. Il s’
est
relevé, s’est frotté les yeux, est sorti tout tranquillement. J’ai pa
822
ront sur un dossier de chaise. Il s’est relevé, s’
est
frotté les yeux, est sorti tout tranquillement. J’ai parlé avec plusi
823
e chaise. Il s’est relevé, s’est frotté les yeux,
est
sorti tout tranquillement. J’ai parlé avec plusieurs jeunes gens. Que
824
ans ce cercle ? — Il y a de tout. Le quincaillier
est
royaliste, un des instituteurs est objecteur de conscience, la plupar
825
e quincaillier est royaliste, un des instituteurs
est
objecteur de conscience, la plupart sont radicaux ou socialistes. Il
826
tituteurs est objecteur de conscience, la plupart
sont
radicaux ou socialistes. Il vient aussi des communistes, de temps à a
827
ravailleurs, réunions amicales de pasteurs. Je me
suis
initié à la géographie politique et même spirituelle du département.
828
r un entretien qui m’a instruit. À N… la mairie
est
tout entière communiste. Ceux des habitants qui ne le sont pas ne sav
829
entière communiste. Ceux des habitants qui ne le
sont
pas ne savent pas trop ce qu’ils sont, à part les châtelains. Ils vot
830
s qui ne le sont pas ne savent pas trop ce qu’ils
sont
, à part les châtelains. Ils votent radical ou socialiste, et se font
831
que les communistes, eux, savent pourquoi ils le
sont
, et connaissent le marxisme ? On m’avait dit : ce n’est pas cela du t
832
t connaissent le marxisme ? On m’avait dit : ce n’
est
pas cela du tout, vous verrez. Être communiste dans ce pays, c’est to
833
ait dit : ce n’est pas cela du tout, vous verrez.
Être
communiste dans ce pays, c’est tout simplement être à gauche, le plus
834
re communiste dans ce pays, c’est tout simplement
être
à gauche, le plus à gauche qu’il est possible. S’il en est bien ainsi
835
simplement être à gauche, le plus à gauche qu’il
est
possible. S’il en est bien ainsi, me dis-je, on peut redouter que ces
836
che, le plus à gauche qu’il est possible. S’il en
est
bien ainsi, me dis-je, on peut redouter que ces hommes ne sachent pas
837
sens le plus actif : car l’homme dont je parle n’
est
pas un enquêteur, simple curieux ou spectateur. C’est bien plutôt un
838
’aide morale et parfois matérielle, quelqu’un qui
est
responsable de connaître ces gens mieux qu’ils ne se connaissent eux-
839
rraille couronnant des hauteurs ventées. Les rues
sont
étroites et caillouteuses, pleines d’odeurs dès que le vent cesse de
840
odeurs dès que le vent cesse de les balayer. Nous
sommes
installés au presbytère sur une galerie d’où l’on domine un ample pay
841
’on domine un ample paysage horizontal. La plaine
est
à nos pieds, des Cévennes grises au nord jusqu’à l’horizon des collin
842
s au-dessous d’une tache blanche dans un pré, qui
est
le château. Joie de voir un pays dans son ensemble, dans son unité na
843
et plus on les voit de près… — Je comprends qu’il
soit
difficile de parler en général de ses paroissiens. Mais s’ils sont co
844
parler en général de ses paroissiens. Mais s’ils
sont
communistes, ils ne doivent tout de même pas faire partie de votre ég
845
les hommes d’ici ne viennent guère au culte. Ce n’
est
pas l’envie qui manque, mais ils ont peur. C’est toujours la question
846
er. — ? — Oui, vous savez que nos temples du Midi
sont
construits en général sur la place du village. En face ou à côté, il
847
orte de la sacristie, on viendrait bien ! Mais on
est
lâches ! — Et chez eux, les voyez-vous ? Pouvez-vous discuter avec eu
848
-vous discuter avec eux ? — Guère. Là encore, ce
sont
surtout les femmes qu’on voit. Eux sont au travail, ou au café. — Pou
849
ncore, ce sont surtout les femmes qu’on voit. Eux
sont
au travail, ou au café. — Pourquoi n’iriez-vous pas au café avec eux
850
pas. Mais eux on les étonnerait, et surtout ils y
sont
entre eux. Je n’ai aucune envie d’aller faire l’intrus ou le bon apôt
851
’intrus ou le bon apôtre. Si c’était possible, ce
serait
épatant, je ne dis pas. Mais pratiquement, je vous assure, c’est diff
852
rence entre les chrétiens et les incroyants, ce n’
est
pas que les chrétiens se conduisent mieux que les autres, mais c’est
853
, si nous ne croyons pas en Dieu, nous autres, ce
serait
que nous sommes trop orgueilleux ? En général, on peut dire que les c
854
yons pas en Dieu, nous autres, ce serait que nous
sommes
trop orgueilleux ? En général, on peut dire que les communistes sont
855
ux ? En général, on peut dire que les communistes
sont
les plus intelligents du village. Ce sont eux et eux seuls qui propos
856
unistes sont les plus intelligents du village. Ce
sont
eux et eux seuls qui proposent des réformes pratiques, qui demandent
857
ls me posent quelquefois des questions. Mais ce n’
est
pas par la lecture qu’ils viennent au parti. L’affaire, pour eux, c’e
858
que chose, de résister aux gros propriétaires qui
tiennent
la région, et de leur imposer des mesures de progrès, de bon sens… —
859
our la plupart — tous les chefs en tout cas —, ce
sont
de petits propriétaires ou des ouvriers travaillant à leur compte. —
860
vous entendez bien avec eux ? — Ils savent que je
suis
de leur côté, en gros, dans les questions locales où il faut prendre
861
ur donne, en fait de doctrine. En réalité, ils ne
sont
pas plus marxistes que moi. Ils veulent avant tout vivre et travaille
862
qu’il n’y a rien d’autre et personne d’autre… Ce
seraient
souvent les meilleures têtes du pays, et on les laisse devenir les «
863
ement des incroyants, tout en s’imaginant qu’il n’
est
pas un des leurs… Je voudrais définir le croyant véritable : celui qu
864
onçant aux hommes la vérité et le chemin. Point n’
est
besoin d’actions extraordinaires, surhumaines : se rire des dieux du
865
inaires, surhumaines : se rire des dieux du monde
est
assez héroïque aux yeux du monde, pour qu’il soit vain de chercher mi
866
est assez héroïque aux yeux du monde, pour qu’il
soit
vain de chercher mieux. 20 décembre 1934 « Ô pays sans musique
867
mbre 1934 « Ô pays sans musique ! ô peuple, où
est
ton chant ? » À peine un aigre sifflotis d’« air de Paname » dans un
868
bonnes volontés exploitées par le plus bavard, je
suis
tenté d’écrire quelque chose de méchant : que ce pays est à l’image d
869
é d’écrire quelque chose de méchant : que ce pays
est
à l’image des quelques journaux qu’on y lit. Une autre impression que
870
ue j’ai eue cet après-midi sur la place : celle d’
être
devant un film dont la musique vient de se taire. Une vie sans accomp
871
rritants témoignages de laisser-aller. Le courant
est
coupé, le grand courant lyrique de l’époque qui donnait un sens à nos
872
où je touche le fond, voici que je me dis : cela
est
bon. Il est bon de toucher le grain rugueux de cette vie sans horizon
873
e le fond, voici que je me dis : cela est bon. Il
est
bon de toucher le grain rugueux de cette vie sans horizon, sans dimen
874
x de cette vie sans horizon, sans dimensions, qui
est
la vie du très grand nombre. Il faut partir d’ici, du niveau le plus
875
auvreté ou cette anarchie relâchée, si gauche que
soit
son expression, suffit tout de même à recréer une maigre apparence de
876
aigre apparence de forme, qui trompe encore. Tout
est
, en réalité, encore plus disjoint que cela. Et sans doute encore plus
877
ne se met à voler qu’au crépuscule. Et peut-être
sommes
-nous la seule conscience de cette bourgade léthargique, si vraiment l
878
ël 1934 C’est dans la pauvreté totale que Dieu
est
né. Il n’y avait donc plus d’autre espoir. Voilà la limite impensable
879
n prêche et proclame d’une voix pathétique : tout
est
perdu ! il est bon de se souvenir que tout est infiniment plus perdu
880
clame d’une voix pathétique : tout est perdu ! il
est
bon de se souvenir que tout est infiniment plus perdu que nous ne pou
881
ut est perdu ! il est bon de se souvenir que tout
est
infiniment plus perdu que nous ne pouvons l’imaginer dans nos instant
882
nous le révéler en nous montrant sa fin, que Dieu
est
né, mort, ressuscité. Palavas-les-Flots, 6 janvier 1935 Deux co
883
t pourtant toujours le cas dans la vraie vie… Je
suis
assis dans un grand restaurant désert, près d’une baie qui donne sur
884
1935 Ces cochons-là ! — Simard le jardinier s’
est
fait une forte entaille au doigt en travaillant. Ce gros homme, viola
885
availlant. Ce gros homme, violacé d’ordinaire, en
est
tout pâle. Je vais discuter le coup avec lui pour le ravigoter. C’est
886
ne attitude doctorale. La question des assurances
est
une question complexe, comme toutes les questions capitales. Les gens
887
légumes. Or, la vente des produits de son jardin
est
son seul moyen de gagner.) Carré sur son tabouret de cuisine, le doig
888
d’assurances — et analogues — avec lesquelles il
est
en comptes. Je dis compagnies d’assurances, mais lui les nomme plus c
889
lus couramment « ces cochons-là ». Ces cochons-là
sont
donc au nombre de sept ou huit. Il en totalise sept pour son compte,
890
compte, et sa dame fait le petit appoint. Elle s’
est
« coupé » la jambe, cela fait bien cinq ans déjà, et « touche » pour
891
ochon-là » n’a pas répondu, et pourtant la lettre
était
recommandée. Alors il a été voir « une personne encore plus compétent
892
pourtant la lettre était recommandée. Alors il a
été
voir « une personne encore plus compétente » que lui, Simard, et cett
893
ndée « à la charge du destinataire ». Eh bien, qu’
est
-ce que vous croyez ? Réponse dans les quatre jours ! ah, ils sont com
894
croyez ? Réponse dans les quatre jours ! ah, ils
sont
comme ça ! Mais voilà que la personne compétente lui dit : « Ce cocho
895
leur poche… — Tous les mas et mazets des environs
sont
habités par des retraités, des pensionnés, des assurés qui vivent dan
896
eu ni à diable et à peine à la politique, l’hiver
est
« pourri », la « pulmonie » fait des ravages, et ces cochons-là vous
897
omme nous autres. » Arriérés, illettrés. Je n’en
suis
plus au temps où j’approuvais certains « Éloges de l’ignorance » plus
898
l’ignorance — oui, au sens de l’école primaire —
est
un mal qu’il faudrait guérir. Mais je ne puis m’empêcher de penser qu
899
e puis m’empêcher de penser que ces « illettrés »
sont
peut-être moins bas que ces « assurés ». Ce peuple à la retraite qui
900
. Naturellement j’ai perdu ! Moi vous savez… Ce n’
est
pas comme Céline, ah celle-là ! Elle a la veine que voulez-vous ! À l
901
ans les tombolas des sociétés, n’importe où, elle
est
sûre de gagner quelque chose à tous les coups. » Voilà ce qu’on peut
902
e la nation la plus raisonnable du monde. Le mari
est
un vieux laïcard, il accuse les curés d’obscurantisme, il ne veut pas
903
énéfice de la culture de cette superstition. S’il
est
vrai que certains individus « ont la veine » dans ces loteries, notre
904
age scientifique (physico-mathématique) du monde,
est
fausse. Il est totalement impossible de concevoir la vérité simultané
905
e (physico-mathématique) du monde, est fausse. Il
est
totalement impossible de concevoir la vérité simultanée de notre scie
906
Ligne écrit : « Il ne croit à rien excepté ce qui
est
le moins croyable, étant superstitieux sur tout plein d’objets ». Mal
907
roit à rien excepté ce qui est le moins croyable,
étant
superstitieux sur tout plein d’objets ». Malchance affreuse du peuple
908
crit et embrasse les trois dimensions de la joie,
est
dit aussi par le vallon des oliviers et par sa jeune nudité. Pas une
909
rasses, ni de ces arbres moirés et allègres. Tout
est
vu du premier regard, doucement compris, approuvé. Une familiarité, u
910
tout simplets, suivant une piste par jeu. Le ciel
est
d’un bleu sec et pur, tranché au sommet du vallon par un cyprès grand
911
uleur de terre et festonnée de tuiles roses, elle
est
bien à la ressemblance des vieilles paysannes de par ici, recuite et
912
en, et la mère Calixte me le confirme : Simard me
tient
pour un minus, un incapable, peut-être même pour une espèce de malade
913
situation, à l’âge que j’ai, c’est une pitié ! Il
est
clair que je ne fiche rien. Mais ce qui trouble un peu notre voisin,
914
eu notre voisin, c’est qu’à deux reprises déjà, s’
étant
couché fort tard, il a vu ma lampe allumée. Si cela continue, il me p
915
inue, il me prendra pour un sorcier. Qui sait, ce
serait
bien agréable. N’empêche que je me sens atteint dans ma dignité d’hom
916
la tête d’un écrivain, et d’ailleurs un écrivain,
est
-ce qu’on en a jamais vu ? Ça doit habiter Paris. Il faudra que je lui
917
3 février 1935 Déclassé. — L’intellectuel l’
est
toujours. C’est qu’il est d’une classe particulière, dispersée comme
918
ssé. — L’intellectuel l’est toujours. C’est qu’il
est
d’une classe particulière, dispersée comme les Juifs le sont chez les
919
classe particulière, dispersée comme les Juifs le
sont
chez les Gentils. Pourquoi ne l’ai-je compris vraiment qu’à la faveur
920
cacher ce fait que l’intellectuel en tant que tel
est
un hors-classe, un être à part, auquel on ne croit pas. (D’où sans do
921
tellectuel en tant que tel est un hors-classe, un
être
à part, auquel on ne croit pas. (D’où sans doute l’angoisse qui pouss
922
ituation bien définie dans le corps social.) Nous
sommes
méprisés dans la mesure où nous sommes intellectuels, et acceptés — o
923
ial.) Nous sommes méprisés dans la mesure où nous
sommes
intellectuels, et acceptés — ou utilisés — dans la mesure où nous réu
924
mbrant. Voici comment il me paraît se poser. Nous
serions
parfaitement contents de notre sort, loin des villes, pour tout ce qu
925
de notre sort, loin des villes, pour tout ce qui
est
de notre vie privée, de nos travaux et de notre confort. Mais du seul
926
tre confort. Mais du seul fait que ma condition n’
est
pas socialement classée, la « distance » normale entre les gens et no
927
tume d’attendre d’autrui beaucoup plus que l’on n’
est
disposé à lui donner. Et d’attendre « des gens » en général, une dose
928
de leur existence n’admettent guère. 2. — Nous ne
sommes
ici que de passage. Au fond, nous n’avons rien à faire à A…, ni rien
929
échanges réels, ou même les refuse. Alors ils ne
sont
plus pour nous que des « voisins inévitables », selon le mot de Keyse
930
ement, à la méfiance ou à l’indifférence auxquels
sont
condamnés la plupart d’entre nous. Le secret de ma mauvaise humeur, c
931
r, c’est qu’il n’y a plus de communauté. Car s’il
est
vrai que tous les hommes sont frères de par leur commune origine, cel
932
communauté. Car s’il est vrai que tous les hommes
sont
frères de par leur commune origine, cela nous conduit tout au plus à
933
qui saluent les dictateurs, tout cela en vérité n’
est
qu’une prière obscure : vienne l’Église universelle, — la révélation
934
le d’hommes. — Hier soir, le sujet de l’entretien
était
le problème de l’autorité. La discussion dévia bientôt vers le fascis
935
s simplement que je pus, que le problème fasciste
est
un problème avant tout national ; qu’il s’est posé en Italie dans des
936
ste est un problème avant tout national ; qu’il s’
est
posé en Italie dans des termes particuliers à ce pays, et qu’en tout
937
e manière de prévenir utilement un fascisme, ce n’
était
pas de condamner les Italiens et leurs admirateurs français, position
938
ou ne prend pas parti. Mais l’électeur veut qu’on
soit
pour ou contre, et il se méfie par principe de celui qui distingue et
939
principe de celui qui distingue et nuance. On ne
tiendra
jamais assez compte de cette opposition fondamentale. Peut-être ferai
940
oviets, de mettre en épigraphe à mon article : Je
suis
contre. Sinon, pour peu que l’article expose le pour et le contre, qu
941
l’article expose le pour et le contre, quelle que
soit
d’ailleurs ma conclusion, on me classera fasciste ou communiste. Et p
942
mmuniste. Et pourtant, la mission de l’écrivain n’
est
-elle pas justement d’éduquer le lecteur, j’entends de l’amener à réfl
943
vois un pigeon violet immobile. Les plumes du cou
sont
un peu hérissées par le vent. Voici trois jours que je le vois chaque
944
dre ? Pourquoi feint-il de ne pas me voir ? Il se
tient
là des heures, sans bouger, et s’envole d’un coup vers le soir. Le le
945
s’envole d’un coup vers le soir. Le lendemain, il
est
là, de nouveau, posé sur une tuile ronde. Il y a quelque chose à comp
946
vraiment l’air de vouloir dire quelque chose ! Il
est
tourné du côté de la plaine. Signe qu’il va nous arriver quelque chos
947
e par là ? Du côté de Marseille… Et soudain je me
suis
souvenu de la conférence que je dois donner à Marseille dans quinze j
948
ne voulais pas la préparer avant le dernier jour.
Est
-ce que cela signifie qu’elle est plus importante que je ne croyais ?
949
le dernier jour. Est-ce que cela signifie qu’elle
est
plus importante que je ne croyais ? Qu’il y a quelque chose de sérieu
950
rédaction de ma conférence. Ce matin le pigeon n’
est
pas revenu. C’est évidemment absurde, cette histoire. Je le vois bien
951
capable de me faire agir ; ou plus exactement, je
suis
heureux de l’aveu que je viens de m’en faire. Comment ne l’ai-je pas
952
te la trame de mes petites décisions quotidiennes
est
faite de croyances spontanées et absolues en des « raisons » qui n’en
953
pontanées et absolues en des « raisons » qui n’en
sont
pas, mais qui m’ont toujours convaincu beaucoup plus vite et beaucoup
954
e de mes intérêts « objectifs »… Et ce jeu-là, je
suis
tellement le seul à en connaître les règles et les interdictions que
955
ent les dés avant leurs grandes décisions, mais n’
est
-ce pas une étrangeté plus aiguë que nous révèle cette foi toute quoti
956
pe spécial, différent de tous les autres… Et ce n’
est
guère qu’à l’instant où l’on découvre que tous les autres en croient
957
utres en croient autant, que ces autres cessent d’
être
une menace, une masse abstraite, intimidante ou méprisable. Pour ne p
958
ionnel » — et dont la honte alors les opprimait —
est
justement l’état de l’homme vraiment homme, et le signe d’une accessi
959
condition générale ! Avouer ses superstitions, ce
serait
avouer ce qu’on a de plus individuel, de plus irréductible au général
960
rendre à d’autres, en un éclair, que chaque homme
est
irréductible, et que chaque homme a ses aveux à faire. Et l’on compre
961
faire. Et l’on comprend ainsi, soudain, que l’on
est
un homme « comme les autres » par cela même que l’on s’éprouve absolu
962
ons, c’est sans doute en vertu d’une prudence qui
est
le fondement même de toute « politique ». Et si j’avoue et légitime l
963
ut que je montre aussi les droits du général. Qu’
est
-ce que la politique, sinon le général en tant qu’il s’oppose au réel,
964
le général en tant qu’il s’oppose au réel, lequel
est
fait de nos monades superstitieuses ? Accorder libre cours à nos supe
965
superstitions, qui du point de vue psychologique
sont
notre vraie réalité, ce serait jeter la société dans l’anarchie la pl
966
de vue psychologique sont notre vraie réalité, ce
serait
jeter la société dans l’anarchie la plus sanglante. La politique ne d
967
dividuelle, et c’est pour elle la seule manière d’
être
en vérité « réaliste ». Je crains d’avoir créé certain malentendu en
968
e, dialectique, ou mieux encore : pédagogique. Il
est
de l’essence de toute saine politique de s’opposer à la personne, de
969
itive le réel que nous incarnons. Toute politique
est
normative, mais seulement de l’extérieur. Une politique saine ne saur
970
formuler. Premier fait : l’équilibre social doit
être
quelque chose de mouvant. Tout équilibre stable et sclérosé produirai
971
ne ne cherchait plus à triompher de tout ce qui n’
est
pas elle, le simulacre d’équilibre que l’on constaterait alors ne ser
972
ulacre d’équilibre que l’on constaterait alors ne
serait
en fait que la limite du pire désordre, et c’est la mort. Cas puremen
973
d’un équilibre apparemment stabilisé, le désordre
est
toujours à sens unique : c’est la personne qui cesse de se défendre,
974
ent excessif du général dans la vie réelle. Telle
est
notre situation — celle du monde bourgeois capitaliste, mais aussi ce
975
t c’est pourquoi l’on s’imagine que l’équilibre s’
est
stabilisé. Au vrai, chacun peut voir que l’homme d’aujourd’hui se dés
976
re social, pour rester sain, mouvant, tendu, doit
être
orienté constamment par un léger excès de la composante « personnelle
977
n des personnes au moment où leurs disciplines se
seront
enfin harmonisées. (Dans un temps que j’accorde d’ailleurs aussi loin
978
urait se traduire en termes de raison. Mais je la
tiens
pour néfaste quand elle sort du domaine personnel et déborde dans la
979
l’État devient totalitaire. « Là où l’homme veut
être
total, l’État ne sera jamais totalitaire. » Or l’État, c’est un fait
980
taire. « Là où l’homme veut être total, l’État ne
sera
jamais totalitaire. » Or l’État, c’est un fait patent, devient partou
981
e nous pensons avoir récemment « découvertes » ne
sont
, au sens freudien du terme, que les phantasmes de notre peur de vivre
982
e voulez-vous que j’y fasse ? » ou encore : « Ils
sont
les plus forts. » Tel est le « moment » de l’angoisse de ce temps. L’
983
? » ou encore : « Ils sont les plus forts. » Tel
est
le « moment » de l’angoisse de ce temps. L’homme sain dit : « Voilà c
984
al d’un intellectuel en chômage les pages que je
suis
en train de rédiger à temps perdu. Il est assez sceptique sur le résu
985
que je suis en train de rédiger à temps perdu. Il
est
assez sceptique sur le résultat de cette entreprise. Pour des raisons
986
as mentir. — Mais pourquoi n’aime-t-on pas ce qui
est
vrai ? — Parce que c’est gênant. Cela oblige à conclure, une histoire
987
scret, de ma part, ce journal. Un tel jugement ne
serait
pas très franc, d’ailleurs. L’indiscrétion, en soi, ne gêne pas beauc
988
urtout la vérité sur une situation matérielle. Il
est
entendu qu’on ne doit pas parler de « questions matérielles » dans un
989
lement, il se trouve que mon propos, précisément,
est
de montrer, entre autres, la décadence de ce tabou. Je trouve moins i
990
e désirer.) R. me disait aussi : En somme, vous n’
êtes
pas un vrai chômeur, puisque vous avez la possibilité de travailler.
991
e vous avez la possibilité de travailler. — Je me
suis
fait moi-même cette objection15. Il est clair qu’un intellectuel aura
992
— Je me suis fait moi-même cette objection15. Il
est
clair qu’un intellectuel aura toujours la possibilité de travailler,
993
é de travailler, pour autant que son vrai travail
est
de penser. Mais je l’appelle chômeur, faute d’autre terme, s’il n’a p
994
, s’il n’a plus d’emploi, et ne sait plus de quoi
sera
fait le lendemain. — Admettez que cela ne vous empêche pas de vivre a
995
vez l’air très satisfait de votre situation. Ce n’
est
fichtre pas le cas des vrais chômeurs ! — Ah ! c’est vrai, je suis bi
996
le cas des vrais chômeurs ! — Ah ! c’est vrai, je
suis
bien content, malgré tout. — Alors, vous n’êtes donc pas un vrai chôm
997
e suis bien content, malgré tout. — Alors, vous n’
êtes
donc pas un vrai chômeur ? — Mais je ne tiens pas du tout à être un
998
s n’êtes donc pas un vrai chômeur ? — Mais je ne
tiens
pas du tout à être un « vrai chômeur », je vous l’assure ! D’ailleurs
999
vrai chômeur ? — Mais je ne tiens pas du tout à
être
un « vrai chômeur », je vous l’assure ! D’ailleurs j’ai déjà dit que
1000
s l’assure ! D’ailleurs j’ai déjà dit que cela me
serait
pratiquement impossible, sauf gâtisme précoce. Ce n’est pas un mal, j
1001
atiquement impossible, sauf gâtisme précoce. Ce n’
est
pas un mal, je pense, si je suis heureux, bien que sans ressources ?
1002
sme précoce. Ce n’est pas un mal, je pense, si je
suis
heureux, bien que sans ressources ? Mais d’autre part, est-ce que le
1003
ux, bien que sans ressources ? Mais d’autre part,
est
-ce que le fait que je suis heureux suffit à me nourrir et à me vêtir
1004
es ? Mais d’autre part, est-ce que le fait que je
suis
heureux suffit à me nourrir et à me vêtir ? Vous n’avez qu’à regarder
1005
vez qu’à regarder la frange de mon pantalon. Ce n’
est
pas avec ça que je pourrais faire une carrière dans le monde, à suppo
1006
je compte dire dans mon journal, c’est qu’on peut
être
très content d’un sort matériel très médiocre. Ce n’est pas nouveau.
1007
ès content d’un sort matériel très médiocre. Ce n’
est
pas nouveau. Et il faut bien reconnaître que ce n’est pas aussi roman
1008
pas nouveau. Et il faut bien reconnaître que ce n’
est
pas aussi romantique et excitant que mon titre pourrait le faire croi
1009
e quai. Il y a près de Cassis une petite anse qui
est
pour moi le lieu du monde le plus pur. Une transparence vert bleu sur
1010
Contact avec le public. — Dans le courrier qui
est
arrivé en mon absence, deux nouvelles demandes de « causeries » : l’u
1011
vrai sens que dans cette rencontre effective. Ce
sont
de telles rencontres que je cherche, quand je vais parler dans ces ce
1012
teur, où l’on se voit naturellement contraint, ne
fût
-ce que par la proximité matérielle16 de se mettre moralement à la por
1013
encontre, sous l’auvent du local que l’on quitte,
est
en réalité la suite de quelque chose ; le contact s’établit normaleme
1014
ormalement, sans surprises et sans illusion. Ce n’
est
plus une pensée lointaine qui anime un rêve, dans une chambre nocturn
1015
erc en chambre. Le lecteur réel, l’auditeur réel,
est
toujours autrement intelligent qu’on ne l’imagine quand on écrit sans
1016
agine quand on écrit sans l’avoir jamais vu. Il n’
est
pas arrêté par nos tabous critiques. Il va tout droit à ce qui le con
1017
ccasion de mes prochains écrits. Cette conclusion
est
la suivante : le lecteur en son particulier — précisons : le lecteur
1018
les classes et de tous les métiers. Certes, ce n’
est
jamais qu’avec des êtres singuliers, par le biais de leur singularité
1019
les métiers. Certes, ce n’est jamais qu’avec des
êtres
singuliers, par le biais de leur singularité même, qu’on entre vraime
1020
me, qu’on entre vraiment en contact. Ce public-là
est
relativement restreint. Mais d’autre part il constitue l’élément créa
1021
eur, spirituellement actif du pays. Il ne saurait
être
question de ce cliché importé d’URSS ou d’Allemagne hitlérienne : « R
1022
les écrivains, comme tels, en aucun temps. Ce ne
sont
pas des abstractions qui achètent nos livres. Ce qu’il s’agit de ret
1023
lui-là seul peut faire sentir à l’écrivain ce qui
est
solide et ce qui est artificiel dans ce qu’il écrit. Et cette critiqu
1024
e sentir à l’écrivain ce qui est solide et ce qui
est
artificiel dans ce qu’il écrit. Et cette critique directe, informulée
1025
milieu des feuilletonistes et des snobs, nous en
sommes
arrivés à parler dans le vide, à ne parler qu’à ces lecteurs qui achè
1026
s pour remplir les rayons d’un studio-divan. Nous
sommes
des ingénieux, des amuseurs, des spécialistes, des éléments de public
1027
cité, des académiciens, des journalistes. Nous ne
sommes
plus des gens utiles. Nous ne sommes plus des hommes normaux chargés
1028
tes. Nous ne sommes plus des gens utiles. Nous ne
sommes
plus des hommes normaux chargés d’une vocation d’expression et de réf
1029
d’une vocation d’expression et de réflexion. Nous
sommes
des hommes spéciaux exploitant leur spécialité pour arriver à un succ
1030
ur le marché. Combien de nos romanciers devraient
être
classés dans la catégorie des femmes à barbe et des veaux à deux tête
1031
st la fin de la phrase qui m’a étonné. La santé n’
étant
pas une valeur « culturelle » ni même une valeur de culture « général
1032
; — et Babbitt que D. H. Lawrence. Tout ce qui n’
est
pas d’origine chrétienne, dans le socialisme, se fonde sur cette supe
1033
, l’on oublie d’expliquer pourquoi ces conditions
étant
remplies, les bourgeois ne sont pas plus heureux que les ouvriers. Et
1034
i ces conditions étant remplies, les bourgeois ne
sont
pas plus heureux que les ouvriers. Et pourquoi je suis beaucoup plus
1035
pas plus heureux que les ouvriers. Et pourquoi je
suis
beaucoup plus heureux qu’un bourgeois, avec ma pompe à eau et ma lamp
1036
vieux travailleurs. Demain dimanche, à 10 heures,
sera
donnée une conférence au profit des vieux, hommes et femmes, âgés de
1037
vous, activez la propagande afin que satisfaction
soit
donnée aux légitimes revendications des vieux. « L’organisation lutt
1038
urgeois, l’obscurantisme clérical — la conférence
est
à 10 heures, dimanche matin… — et les oligarchies réactionnaires ! Ô
1039
raternité, Déclaration des droits de l’homme ! Il
est
venu, il est venu le jour que la Volonté populaire appelait de tous s
1040
claration des droits de l’homme ! Il est venu, il
est
venu le jour que la Volonté populaire appelait de tous ses espoirs !
1041
de Justice et de passion libertaire, ce grand mot
sera
prononcé, proclamé, acclamé par les travailleurs de Bouillargues, pro
1042
epuis 89 ! Oui, dis-je, ce symbolique mot d’ordre
sera
donné comme un soufflet à la Réaction insolente : « Place aux Vieux !
1043
olente : « Place aux Vieux ! » On se demande s’il
est
au monde un seul pays, hormis la France, où cette phrase soit possibl
1044
e un seul pays, hormis la France, où cette phrase
soit
possible. Où les partis qui se disent « avancés » osent le proposer c
1045
Où la publication d’un communiqué de ce genre ne
soit
pas accueillie par une traînée de rigolade irrépressible dans toutes
1046
pondre par cette simple déclaration : « La France
est
un pays comblé, qui a résolu tous les problèmes économiques urgents.
1047
s les problèmes économiques urgents. La preuve en
est
fournie par ces phrases cueillies dans un journal révolutionnaire : «
1048
ous, activez la propagande, afin que satisfaction
soit
donnée aux légitimes revendications des vieux ! » Quand on en est à c
1049
égitimes revendications des vieux ! » Quand on en
est
à cela, dans les partis d’extrême gauche, c’est que l’état social est
1050
partis d’extrême gauche, c’est que l’état social
est
à peu près paradisiaque. » J’ajouterais peut-être ceci : En tout cas,
1051
peut-être ceci : En tout cas, tout péril fasciste
est
écarté d’emblée pour une nation qui sait encore dévouer ses enthousia
1052
Notre opinion publique, à en croire les journaux,
est
actuellement dominée par le souci des élections académiques et des re
1053
rouve cela touchant et profondément rassurant. Il
est
encore un peuple au monde pour qui le souci de se montrer humain prim
1054
mbreuses. Cette dernière amicale d’« accidentés »
est
sans doute la plus à plaindre : elle témoigne en effet, malgré elle,
1055
Avoir peu.) Atteindre cet état que l’on dit avoir
été
celui des âges d’or : l’état de simplicité envers l’argent. C’est par
1056
s en avons fait une valeur sentimentale, que nous
sommes
pris dans nos calculs. Il faut apprendre cette simplicité : l’imprévo
1057
aux ou des fausses symétries : chacun de ces mots
est
essentiel à l’expression d’un seul et même événement.) Si je crois à
1058
e politique, une éthique, une idée qui ne peuvent
être
rapportées à la situation de l’homme prenant la Cène sont en dernier
1059
portées à la situation de l’homme prenant la Cène
sont
en dernier recours vaines et illusoires. Nuit de Pâques 1935 Cl
1060
. Matinée du lundi de Pâques, 7 heures Tout
est
trempé et ruisselant de lumière bleue, les feuillages encore transluc
1061
sa densité, sa légèreté originelles. Les oliviers
sont
plus soyeux et plus moirés sur le vert plus violent des terrasses, la
1062
chaos brillant d’où montent des vapeurs d’aube d’
été
. « Un vrai temps de Pâques ! », me crie Simard. ⁂ Hier il pleuvait. V
1063
au seuil du temple : « Voyez-vous ça, comme tout
est
dérangé ! Les autres années, il pleut toujours le Vendredi-Saint, et
1064
leur réponds : « Que voulez-vous, les saisons ne
sont
plus ce qu’elles étaient », — pour montrer que je sais vivre… Parler
1065
voulez-vous, les saisons ne sont plus ce qu’elles
étaient
», — pour montrer que je sais vivre… Parler du temps qu’il fait, occu
1066
que cela prend les chiens. Toute la nuit, ils se
sont
battus dans la remise qui est juste au-dessous de notre chambre, et d
1067
te la nuit, ils se sont battus dans la remise qui
est
juste au-dessous de notre chambre, et dans la cour, et sur toutes les
1068
range et presque « atterrant ». La petite chienne
est
couchée, sur le flanc, haletant doucement, l’arrière-train tuméfié. A
1069
te huit, de toutes tailles et pelages. La plupart
sont
beaucoup plus grands que leur Marquise, mais il y a aussi un insolent
1070
ssé chez les chiens. Cette nuit, les crapauds s’y
sont
mis. Un vieux mâle coasse des notes basses, et le chœur lui répond, d
1071
s dans la remise. La chienne se traîne. La chatte
est
déjà grosse. Une puissance inexorable s’est emparée de l’espèce, tour
1072
hatte est déjà grosse. Une puissance inexorable s’
est
emparée de l’espèce, tourmente les bêtes, les essouffle et les esquin
1073
émit dans les angoisses de l’enfantement. Et ce n’
est
pas elle seulement, mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Espr
1074
n de notre corps. Car c’est en espérance que nous
sommes
sauvés. » (Romains 8, 22-24.) Parler de la Nature comme le firent tan
1075
ettres grasses : « Tout notre programme municipal
tient
en un seul mot : nous sommes antifascistes ! » Après quoi viennent l
1076
e programme municipal tient en un seul mot : nous
sommes
antifascistes ! » Après quoi viennent les revendications pratiques :
1077
c’est cela l’antifascisme, les fascistes doivent
être
de drôles de gens. 25 avril 1935 Communisme. — Dans la petite
1078
patronne qui ne répond pas. C’est un habitué, il
est
comme ça. Il faut le laisser frapper le sol de sa canne et redresser
1079
visage maigre fait un geste réticent. Le vieux le
tient
par la manche et lui martèle de sa canne le bout des souliers : — Tu
1080
ais il y a bien d’autres aspects. Ces deux hommes
sont
du même niveau social, sans doute parents, de mœurs et de langage par
1081
langage pareils. S’ils s’opposent, c’est que l’un
est
avare et légèrement maboul, l’autre énergique et assez sensé. Simple
1082
n de tempérament. Peut-être aussi le communiste n’
est
-il pas encore parvenu à « mettre de côté » autant qu’il le voudrait.
1083
tre de côté » autant qu’il le voudrait. Mais ce n’
est
pas sûr. Je sais bien une douzaine de ses camarades qui comptent parm
1084
simplement des attitudes morales différentes ? Ce
serait
nouveau… Il y a au fond tout autre chose. C’est moi qui avais acheté,
1085
uppôts, ces retraités radicaux ou socialistes, ce
serait
d’être le parti de la vérité et du bon sens. Ils auraient avec eux to
1086
es retraités radicaux ou socialistes, ce serait d’
être
le parti de la vérité et du bon sens. Ils auraient avec eux tous les
1087
reuve d’une prose abstraite, brutale — eux qui le
sont
si peu ! — et si possible, plus médiocre que celle des grands journau
1088
ystique confectionnée à l’usage des moujiks… Quel
est
l’homme sain qui oserait affirmer que ce quotidien lamentable, hériss
1089
s lecteurs ? Si l’on prend au sérieux le sort qui
est
fait aux ouvriers — ce n’est pas le cas des intellectuels qui « adhèr
1090
sérieux le sort qui est fait aux ouvriers — ce n’
est
pas le cas des intellectuels qui « adhèrent » aux disciplines stalini
1091
plines staliniennes en haine d’une société qu’ils
sont
encore les seuls à croire « chrétienne » — il faut bien dire que le p
1092
nne » — il faut bien dire que le parti communiste
est
une sinistre trahison des pauvres hommes. Beaucoup, je le sais, résis
1093
sa situation, et ne voit pas que « son » journal
est
sans rapport réel avec cette situation. Mais les intellectuels, dont
1094
situation. Mais les intellectuels, dont le métier
est
de comprendre, dont le métier est de vouloir la vérité, dont la seule
1095
dont le métier est de comprendre, dont le métier
est
de vouloir la vérité, dont la seule dignité est d’avoir foi dans le p
1096
r est de vouloir la vérité, dont la seule dignité
est
d’avoir foi dans le pouvoir d’une pensée droite, — on se demande par
1097
guérison que j’attends. Je n’ose croire qu’il me
soit
bien utile de seulement le savoir… Si j’étais sûr que la bêtise humai
1098
l me soit bien utile de seulement le savoir… Si j’
étais
sûr que la bêtise humaine est à jamais irrémédiable, je serais tranqu
1099
t le savoir… Si j’étais sûr que la bêtise humaine
est
à jamais irrémédiable, je serais tranquille : je ne m’occuperais en b
1100
e la bêtise humaine est à jamais irrémédiable, je
serais
tranquille : je ne m’occuperais en bonne conscience que d’art et de l
1101
e que d’art et de littérature. Mais quoi ! rien n’
est
moins sûr que cette permanence de nos maux. Non que je croie à un « P
1102
ais tout aussitôt de m’agacer. (Au fond tout cela
est
des plus simples, évident, et si j’éprouve quelque difficulté à le fo
1103
ans mon esprit inséparable d’un faire qui, lui, n’
est
pas aisé, et reste même fort obscur et ardu — pour autant que je ne l
1104
e gueule contre les riches du pays. Tout le monde
est
très content. Là-dessus, deux séries de réflexions me tentent. 1) Réf
1105
ou du disciple de Lénine. — Le peuple, tel qu’il
est
en réalité, ou tel qu’il est devenu après x années de régime capitali
1106
Le peuple, tel qu’il est en réalité, ou tel qu’il
est
devenu après x années de régime capitaliste parlementaire et laïque,
1107
s voir le réel. Provisoirement, il a perdu ce qui
fut
de tous temps sa vraie force. Il ne sait plus où sont ses intérêts, à
1108
de tous temps sa vraie force. Il ne sait plus où
sont
ses intérêts, à quel niveau il faudrait les défendre. « Aliéné » par
1109
ore, parlez-leur de leur travail, de celui qu’ils
sont
en train de faire tandis que vous causez, vous arriverez à leur tirer
1110
leur ouvrage, quand ils savent que les résultats
sont
à la merci soit d’un trust, soit d’un syndicat d’incapables. Ils vous
1111
uand ils savent que les résultats sont à la merci
soit
d’un trust, soit d’un syndicat d’incapables. Ils vous diront que le m
1112
ue les résultats sont à la merci soit d’un trust,
soit
d’un syndicat d’incapables. Ils vous diront que le mal vient de l’Éta
1113
plus de vie, d’initiative, de vrai plaisir. On n’
est
plus fier d’en être, on approuve la jeunesse qui délaisse la terre po
1114
tiative, de vrai plaisir. On n’est plus fier d’en
être
, on approuve la jeunesse qui délaisse la terre pour la ville. (« C’es
1115
aire, on ne dira pas un mot de tout cela, on s’en
tiendra
aux clichés du journal. On n’aura pas le temps ni le courage, ni même
1116
r du peuple, n’écoutons plus ses assemblées, ce n’
est
pas lui. Écoutons les observations que formulent des individus pris à
1117
la lutte contre le capitalisme, tout le monde en
est
, ou feint d’en être ; c’est bien moins concret qu’il ne semble.) Conc
1118
capitalisme, tout le monde en est, ou feint d’en
être
; c’est bien moins concret qu’il ne semble.) Conclusion : il appartie
1119
s, trahie par le langage politicien. La dictature
est
la seule solution de ceux qui refusent d’éduquer le peuple. Dictature
1120
on, voilà le dilemme du xxe siècle. La dictature
est
très fragile. Elle n’a qu’un argument très puissant contre nous : sur
1121
mains. C’est peu, dites-vous. Mais rien d’autre n’
est
vrai… 6 mai 1935 La mort et les cérémonies dans le Gard. La m
1122
t du lecteur philosophe. Déjà huit mois que nous
sommes
ici, et combien de fois ne sommes-nous pas entrés dans la grande cuis
1123
t mois que nous sommes ici, et combien de fois ne
sommes
-nous pas entrés dans la grande cuisine qui était, pensions-nous, tout
1124
sommes-nous pas entrés dans la grande cuisine qui
était
, pensions-nous, tout leur logis — nous avions cru comprendre que les
1125
nous avions cru comprendre que les autres pièces
étaient
vides ou ne servaient que de débarras —, et rien ne pouvait nous fair
1126
s elle va « passer » cette nuit, vous savez, elle
est
toute chargée, bou die ! l’estomac et tout. — Mais les Simard ne m’av
1127
languir bien longtemps. On peut dire que la chose
est
sûre. Et on l’entend ! Trois fois par jour, le bruit d’effroyables di
1128
parvient de la cuisine des Simard. Un beau-frère
est
arrivé, et on partage. C’est toujours assez compliqué. La nuit, par u
1129
la moribonde qu’ils veillent à tour de rôle, ils
sont
venus discuter dans la remise qui est au-dessous de notre chambre, et
1130
rôle, ils sont venus discuter dans la remise qui
est
au-dessous de notre chambre, et leurs éclats de voix nous ont plusieu
1131
it, qu’elle ne veut pas le lâcher, c’est pour lui
tenir
compagnie… On a été chercher le pasteur. Je le rencontre comme il sor
1132
s le lâcher, c’est pour lui tenir compagnie… On a
été
chercher le pasteur. Je le rencontre comme il sort de sa visite. — El
1133
e le rencontre comme il sort de sa visite. — Elle
est
curieuse, cette vieille, me dit-il. Figurez-vous qu’elle tient sa can
1134
e, cette vieille, me dit-il. Figurez-vous qu’elle
tient
sa canne à la main, comme ça, sur la couverture, et elle explique que
1135
e passent devant la fenêtre. Je me précipite : ce
sont
les deux Simard qui font un grand feu dans la cour. Est-ce qu’ils la
1136
s deux Simard qui font un grand feu dans la cour.
Est
-ce qu’ils la rôtissent ? On distingue des étoffes noires qui se gonfl
1137
ffes noires qui se gonflent sur le brasier… Je me
suis
réveillé tard. Tandis que je me rase, j’entends Simard qui apostrophe
1138
ur dire ! » Je passe la tête par la fenêtre. — Qu’
est
-ce que c’est, Simard ? Il est rouge et boursouflé, tremblant de colèr
1139
ar la fenêtre. — Qu’est-ce que c’est, Simard ? Il
est
rouge et boursouflé, tremblant de colère et gesticulant. Il crie : Je
1140
e veux pas qu’on lave aujourd’hui ! Ma belle-mère
est
morte cette nuit. Il ne faut pas se moquer des gens en deuil ! — Mais
1141
— Mais Monsieur Simard… — Il est parti. Le bassin
est
à 50 mètres de la maison, sur une terrasse qu’on ne peut voir d’ici.
1142
ons avec le beau-frère font toujours rage). Je me
suis
donc borné à exprimer mes « condoléances » à Mme Simard, que j’ai tro
1143
beaucoup remercié. Bref, il m’a semblé que tout s’
était
bien passé. Je me trompais. C’est la mère Calixte qui me l’apprend ce
1144
lixte qui me l’apprend ce matin. Le ménage Simard
est
furieux. Nous n’avons pas du tout fait ce qu’il fallait. Je me récrie
1145
ma sympathie à Mme Simard. — Je sais, mais vous n’
êtes
pas entré chez eux. — Entré chez eux ? — Il faut que je vous explique
1146
Je le lui ai dit : c’est bien ta fôte ! Ça aurait
été
dans votre maison qu’il y aurait eu un mort, je comprendrais, je n’au
1147
’aurais pas non plus lavé la vaisselle. Mais ce n’
est
pas la même chose. — Je ne comprends pas, Mme Calixte. Pourquoi ne pe
1148
r, mais il a tort pour la lessive. Voyez-vous ils
sont
trop orgueilleux ces gens-là ! S’ils avaient eu toute la peine que j’
1149
toute la peine que j’ai eue dans ma vie, moi, ça
serait
autrement, je vous assure ! Ils sont trop orgueilleux, voilà ! Je me
1150
e, moi, ça serait autrement, je vous assure ! Ils
sont
trop orgueilleux, voilà ! Je me perds dans tout ce protocole. Je sens
1151
perds dans tout ce protocole. Je sens bien qu’il
est
inutile de leur demander de s’expliquer. Tout cela repose sur un vieu
1152
leau. Impécuniosité cyclique. Les dieux locaux me
seraient
-ils donc défavorables ? Je me vengerai d’eux en écrivant ici que leur
1153
et la margelle d’un puits. La plupart des vitres
sont
cassées. Une poule blanche se promène quelquefois dans la cour. Mais
1154
ans la cour. Mais on m’assure que ces habitations
sont
délaissées depuis deux ans. Plus haut dans la montagne, un autre mas
1155
usion de fleurs violentes et d’orties. L’ensemble
est
imposant et comme démesuré dans ce paysage de vallons, de collines et
1156
long cri presque humain. La maison la plus proche
est
à une bonne demi-heure. Il n’y a pas de route. On imagine de vivre là
1157
elle. Nous aurions des fusils et des bibles, nous
serions
camisés de rouge, et l’on irait de temps à autre arraisonner les féod
1158
té capitaliste, disaient-ils ; mais dès qu’ils en
étaient
sortis, ils découvraient que c’était la société en général qui les ve
1159
nt pas les cheveux dans les cuisines communes, et
soient
fidèles… La grande affaire, c’est de se méfier d’un romantisme commun
1160
ine des travaux forcés. Il faut que la communauté
soit
pour chacun la possibilité de vivre mieux sa vie. Mais cela pose des
1161
lles ! », bien sûr. Reste à savoir si la province
est
habitable, dans l’état actuel des choses. Tant de régions abandonnées
1162
cet ennui dans la jeunesse rurale, ce sentiment d’
être
à l’écart du monde, — et de n’être lié à son voisin que par le souven
1163
ce sentiment d’être à l’écart du monde, — et de n’
être
lié à son voisin que par le souvenir de vieilles offenses… Ce n’est p
1164
in que par le souvenir de vieilles offenses… Ce n’
est
pas seulement défaut de communion, mais aussi, plus prosaïquement, dé
1165
bouteillent sur la petite superficie de Paris, ne
seraient
-elles pas d’un usage plus normal là où les hommes sont séparés par de
1166
elles pas d’un usage plus normal là où les hommes
sont
séparés par de grandes distances désertes ? C’est un symbole. On peut
1167
être, quand toutes ces maisons vides des environs
seront
habitées par des colonies de jeunes gens — si jamais ils en ont assez
1168
nt — la province deviendra vivable. La révolution
sera
faite. Nous reviendrons pour faire quelque chose en commun avec tous
1169
naugurèrent les généraux de la Révolution, et qui
fut
celle de Bonaparte, n’est en somme que l’application du style françai
1170
e la Révolution, et qui fut celle de Bonaparte, n’
est
en somme que l’application du style français à la chose militaire. 1
1171
int-Esprit ne font qu’un. Vous voyez que l’Église
est
réfutée par l’arithmétique. En effet, prenez l’addition : un plus un,
1172
. » Prenez la multiplication ! cria l’abbé V… qui
était
dans la salle. 15. Voir plus haut, p. 59-65. 16. Que ne connaît p
1173
Tous les problèmes vont se poser autrement. Tout
est
soudain plus dur et agressif, tendu, nerveux, discontinu… Nos valises
1174
ouent pieds nus, heureux. Les arbres du boulevard
sont
encore verts, ici ; il y a de l’espace. Les masses de briques vernies
1175
la chaussée, à une prise d’eau. Il sifflote, il n’
est
pas pressé. Des enfants courent derrière la palissade. Bouffées d’ode
1176
que j’habite près de cette Porte, je n’avais pas
été
au-delà de la Place d’Italie. Cet après-midi, première incursion dan
1177
eures à la terrasse des mêmes cafés. Chaque chose
est
à sa place dans l’espace et l’histoire, chaque nuance de la Tradition
1178
l’après-guerre, conservé aux Champs-Élysées. Ce n’
est
qu’aux portes et dans les quartiers clairs et chaotiques de la Ceintu
1179
ies et trois parleurs à la fois, de sorte qu’il n’
est
plus possible de dormir ni de lire, ni même de penser sans colère, sa
1180
se déchaînent, — moi je me contiens parce que je
suis
d’ailleurs — c’est qu’ils n’ont plus aucune espèce de sens, je n’ose
1181
s d’instinct. Et les chansons dites populaires ne
sont
même plus en musique : c’est du « parlé » coupé de fioritures rapides
1182
parlé » coupé de fioritures rapides comme des « n’
est
-ce pas ». Soir du 14 juillet 1935 Voici une heure que je suis a
1183
Soir du 14 juillet 1935 Voici une heure que je
suis
assis à une terrasse de la Porte d’Italie, au milieu de ce que les jo
1184
vement, sur un fond d’ennui multicolore. Ici tout
est
plus calme, la joie, si joie il y a, est sans gestes et sans flots de
1185
Ici tout est plus calme, la joie, si joie il y a,
est
sans gestes et sans flots de paroles. Nul pittoresque. Rien à « remar
1186
ans une douce détente apathique. En somme, que ce
soit
dans la société bourgeoise ou dans le peuple, les « artistes » aujour
1187
ou dans le peuple, les « artistes » aujourd’hui,
sont
les seuls hommes qui se préoccupent de colorer leur vie. On n’en a pa
1188
puliste, si elle veut rester vraie objectivement,
sera
toujours terne et même conventionnelle comme ses modèles à la distanc
1189
en casquette et leurs femmes. On peut penser : ce
sont
des ouvriers et des petits bourgeois. Costume, langage, psychologie d
1190
logie de leurs classes. On peut aussi penser : ce
sont
des hommes pour qui le Christ est mort. Ils ont chacun en eux ce prob
1191
si penser : ce sont des hommes pour qui le Christ
est
mort. Ils ont chacun en eux ce problème insondable, qu’ils le sachent
1192
vérité mystérieuse, de l’abyssale originalité qui
est
pour chacun ce qu’il a de plus réel, de plus inexprimablement réel.
1193
ds crier de toutes parts à l’impiété. Le chrétien
est
impie en Asie, le musulman en Europe, le papiste à Londres, le calvin
1194
le moliniste au fond du faubourg Saint-Médard. Qu’
est
-ce donc qu’un impie ? Tout le monde l’est-il, ou personne ? » Cet arg
1195
ard. Qu’est-ce donc qu’un impie ? Tout le monde l’
est
-il, ou personne ? » Cet argument de Diderot contre la religion de son
1196
e toutes parts au mauvais citoyen. Le capitaliste
est
l’ennemi public en URSS, le communiste en Europe, le fasciste à Londr
1197
, le « populaire » au haut des Champs-Élysées. Qu’
est
-ce qu’un mauvais citoyen ? Tout le monde l’est-il, ou personne ? » —
1198
Qu’est-ce qu’un mauvais citoyen ? Tout le monde l’
est
-il, ou personne ? » — Mais je crains que mes contemporains, tout prêt
1199
e crains que mes contemporains, tout prêts qu’ils
sont
à applaudir Diderot, ne sentent plus guère la force de cette similitu
1200
politiques, etc. Ils me répondent que tout cela n’
est
rien, ou n’est que provisoire et simplement « tactique », et que l’id
1201
. Ils me répondent que tout cela n’est rien, ou n’
est
que provisoire et simplement « tactique », et que l’idée qui préside
1202
tactique », et que l’idée qui préside à tout cela
est
si belle et si grande qu’elle mérite bien des sacrifices… Ainsi parla
1203
ose une question gênante, ils me répondent que je
suis
fasciste. Cette lâcheté était naguère le fait des bourgeois : ils vou
1204
me répondent que je suis fasciste. Cette lâcheté
était
naguère le fait des bourgeois : ils vous traitaient de bolcheviste dè
1205
e vous tâchiez de leur montrer que leurs idéaux n’
étaient
guère pratiqués. — Le marxisme représente la Réalité aux yeux des int
1206
’une idée savoureuse et difficile dont je préfère
tenir
le nom secret, encore un temps, et je goûtais la douceur de ces rues,
1207
te cochère, avec une espèce d’éclat de rire. Ce n’
était
pas un rire de vraie gaieté ni de folie. C’était quelque chose d’à pe
1208
portière, et je me retrouvai seul. Mon idée s’en
était
allée (Je ne l’ai retrouvée que ce matin). Mais je venais de voir, le
1209
e précepte du Bienheureux Henri Suso : « Quand tu
es
parmi les hommes, oublie tout ce que tu vois ou entends, et tiens-toi
1210
hommes, oublie tout ce que tu vois ou entends, et
tiens
-toi seulement à ce qui s’est révélé à ton être intérieur. » Je referm
1211
ois ou entends, et tiens-toi seulement à ce qui s’
est
révélé à ton être intérieur. » Je refermai alors mon livre et me mis
1212
t tiens-toi seulement à ce qui s’est révélé à ton
être
intérieur. » Je refermai alors mon livre et me mis à regarder les êtr
1213
refermai alors mon livre et me mis à regarder les
êtres
qui me pressaient de tous côtés. Tantôt ils m’offusquaient par leurs
1214
t je me répétai : « Oublie tout ce que tu vois et
tiens
-toi seulement à ce qui s’est révélé à ton être intérieur. » Je voyais
1215
ce que tu vois et tiens-toi seulement à ce qui s’
est
révélé à ton être intérieur. » Je voyais la laideur et la beauté des
1216
t tiens-toi seulement à ce qui s’est révélé à ton
être
intérieur. » Je voyais la laideur et la beauté des hommes, mais je me
1217
chain comme toi-même. Et j’ai compris que ce peut
être
la même chose : regarder pour aimer, et oublier ce que l’on voit.
1218
— En face de moi, derrière mon journal, il y a un
être
d’une espèce inquiétante. C’est son contact qui m’en avertit. Je ne
1219
ger, comprimé par une grosse femme à bagues qui s’
est
assise à côté de moi. J’abaisse mon journal : je vois un homme plutôt
1220
iste. Je retire vivement le mien. Lui revient. Je
suis
hors de moi. Je le tuerais ! D’ailleurs il a l’air colossalement fort
1221
le et sensible (ou sensorielle pendant que nous y
sommes
) est l’expression architecturale et mécanique de l’état de fièvre. C’
1222
nsible (ou sensorielle pendant que nous y sommes)
est
l’expression architecturale et mécanique de l’état de fièvre. C’est u
1223
ort — cette absence de musique quand le silence a
été
tué, absence qui se confond avec la présence d’un bruit universel ; c
1224
i ressemble à la caverne de Platon : des ombres d’
êtres
y dansent sur les voûtes, et chacun s’y sent seul, tournant le dos au
1225
auchemars. Pour bien comprendre le métro, il faut
être
pauvre, éreinté et enfiévré par une maladie encore incertaine. Oui, i
1226
in qui ausculte en silence et déjà votre sort lui
est
connu. Je conçois un métro silencieux, plus rapide, mais par longs bo
1227
s criminelles, des abîmes verdâtres… Un métro qui
serait
simplement le subconscient des citadins. Août 1935 Considérati
1228
açades toutes sonores de radios et de lumières, n’
est
-ce pas beau ? Pourquoi ce ricanement « réactionnaire » dans mon coin
1229
rice chez ces hommes grossièrement satisfaits. Qu’
est
-ce que cela fait s’ils sont enfin heureux, délivrés des maux dégradan
1230
èrement satisfaits. Qu’est-ce que cela fait s’ils
sont
enfin heureux, délivrés des maux dégradants, de la misère et du taudi
1231
e qu’il existe que nous savons encore que l’homme
est
né pour autre chose que ce bonheur18. Qu’il est né pour un Bonheur qu
1232
e est né pour autre chose que ce bonheur18. Qu’il
est
né pour un Bonheur que la nature ne lui enseigne pas, qu’elle attend
1233
attente ardente » dont parle saint Paul. L’ennui
sera
la condition des hommes qui auront tout sauf la seule chose nécessair
1234
ige à prendre la première place qu’on vous offre,
fût
-elle la plus contraire à votre vocation, sous peine de passer pour un
1235
suus esse potest. Je la renverse : « Que rien ne
soit
à moi, qui puisse être à un autre. » Fin août 1935 Remercier do
1236
a renverse : « Que rien ne soit à moi, qui puisse
être
à un autre. » Fin août 1935 Remercier donc, et s’en aller encor
1237
t s’en aller encore. Savoir ce qui compte, et s’y
tenir
. Je le dis avec d’autant moins d’amertume qu’un espoir vient de m’êtr
1238
d’autant moins d’amertume qu’un espoir vient de m’
être
donné. Une feuille de papier-machine avec ce petit poème en prose :
1239
les deux sens. 1933-1935 18. « Que l’homme
est
né pour le bonheur, certes, toute la nature l’enseigne » (Gide).