1 ter sur la bâche qui couvre l’avant du bateau, et de l’eau gicle sur nos visages glacés. « Tire le gramophone entre tes ja

2 erte, un gros coup de vent : voilà nos compagnons de voyage, le médecin de l’île et trois représentants de commerce, qui s

3 vent : voilà nos compagnons de voyage, le médecin de l’île et trois représentants de commerce, qui se précipitent dans la

4 oyage, le médecin de l’île et trois représentants de commerce, qui se précipitent dans la cabine de la cale par une espèce

5 ts de commerce, qui se précipitent dans la cabine de la cale par une espèce de trappe. Nous restons seuls sur le pont, ma

6 cipitent dans la cabine de la cale par une espèce de trappe. Nous restons seuls sur le pont, ma femme et moi, à entasser n

7 re nous battions la semelle sur les quais déserts de ce port fantomatique, sans ville derrière lui, vaguement américain et

8 américain et militaire, sous un ciel bas couleur d’ acier où rien ne bougeait, et voilà tout d’un coup cet orage de novemb

9 ouleur d’acier où rien ne bougeait, et voilà tout d’ un coup cet orage de novembre qui crible et bat les flots durant la co

10 en ne bougeait, et voilà tout d’un coup cet orage de novembre qui crible et bat les flots durant la courte traversée, puis

11 cet augure à double sens, certifiant la présence d’ un destin. Voici l’île : une plage basse, quelques pins, deux ou trois

12 trois baraques. Nous traînons nos valises le long d’ un appontement interminable jusqu’à l’autocar où notre petit groupe de

13 erminable jusqu’à l’autocar où notre petit groupe de voyageurs transis s’installe rapidement. Après quoi l’on attend penda

14 t une bonne demi-heure : le chauffeur et les gars de la buvette ont bien des choses à se raconter. Dès le démarrage, la vo

15 er. Dès le démarrage, la voiture craque et crisse de partout. Un incroyable cliquetis de vitres va nous accompagner pendan

16 que et crisse de partout. Un incroyable cliquetis de vitres va nous accompagner pendant deux heures et demie, — car l’hora

17 s moins pour parcourir les trente-huit kilomètres de l’île dans sa longueur. Nous traversons de longs villages blancs et b

18 mètres de l’île dans sa longueur. Nous traversons de longs villages blancs et bleus aux maisons basses, des champs pauvres

19 le soleil qui reparaît fait briller des pyramides de sel. Au loin, parmi les lagunes et les marais, pointent de grands clo

20 u loin, parmi les lagunes et les marais, pointent de grands clochers peints de blanc jusqu’à mi-hauteur, et de noir au-des

21 et les marais, pointent de grands clochers peints de blanc jusqu’à mi-hauteur, et de noir au-dessus, repères pour les navi

22 s clochers peints de blanc jusqu’à mi-hauteur, et de noir au-dessus, repères pour les navigateurs. L’autocar sent la marée

23 étroite. Par endroits, ce n’est plus qu’une bande de terre aride, portant la route, un mur qui fait digue, une haie de tam

24 portant la route, un mur qui fait digue, une haie de tamaris. À gauche, l’océan invisible derrière le mur ; à droite, des

25 e, la dernière maison luit doucement. Nous voyons de loin sa façade blanchie, où les volets d’un bleu pâle semblent peints

26 voyons de loin sa façade blanchie, où les volets d’ un bleu pâle semblent peints à l’aquarelle. C’est une maison simplette

27 ir posé sur l’horizon, un peu au-delà des limites européennes , dans une espèce de terrain vague de la civilisation de l’Occident, p

28 au-delà des limites européennes, dans une espèce de terrain vague de la civilisation de l’Occident, pays dénué et purifié

29 tes européennes, dans une espèce de terrain vague de la civilisation de l’Occident, pays dénué et purifié, ramené à la nud

30 ns une espèce de terrain vague de la civilisation de l’Occident, pays dénué et purifié, ramené à la nudité des quatre élém

31 rimordiaux : la terre, la mer, le ciel, et le feu de la lumière. Nous vivrons bien ! ⁂ Je revois, je revis si bien cette t

32 dans cette île à la saison où il convient plutôt de la quitter quand on le peut. Si, par cette aube de novembre, sur les

33 e la quitter quand on le peut. Si, par cette aube de novembre, sur les grands quais de ce port atlantique, j’en étais à co

34 par cette aube de novembre, sur les grands quais de ce port atlantique, j’en étais à considérer d’un œil brûlé par l’inso

35 is de ce port atlantique, j’en étais à considérer d’ un œil brûlé par l’insomnie les flots de l’océan maussade et les pauvr

36 onsidérer d’un œil brûlé par l’insomnie les flots de l’océan maussade et les pauvres rivages du détroit, c’est fort appare

37 troit, c’est fort apparemment que je n’avais rien de mieux à faire. J’étais chômeur depuis trois mois. On m’offrait un abr

38 rt, une maison vide pendant l’hiver, une occasion de solitude désirée en secret dès longtemps. Je voudrais bien n’avoir pa

39 pas l’air trop romantique : mes dernières années de Paris m’avaient appris que cette ville, au moins pour la jeunesse san

40 ’autres disent : Allons-nous-en, et restent faute d’ imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour partir : la France

41 estent faute d’imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour partir : la France a des milliers de maisons vides. Dit

42 e bien peu pour partir : la France a des milliers de maisons vides. Dites autour de vous que vous en cherchez une, et vous

43 re par ce livre. Peut-être mon récit n’a-t-il pas d’ autre but que de décrire un précédent, d’affirmer que cela peut se fai

44 Peut-être mon récit n’a-t-il pas d’autre but que de décrire un précédent, d’affirmer que cela peut se faire, que cela s’e

45 t-il pas d’autre but que de décrire un précédent, d’ affirmer que cela peut se faire, que cela s’est fait, qu’il y a là un

46 emière partieN’habitez pas les villes ! Début de novembre 1933 Je commencerai par l’inventaire de mon domaine. Je n

47 novembre 1933 Je commencerai par l’inventaire de mon domaine. Je ne suis pas propriétaire, c’est entendu. Je ne possèd

48 ntendu. Je ne possède légalement que des valises, de quoi me vêtir, et quelques livres. Mais aussi, je ne puis vivre nulle

49 e sais mettre en œuvre à ma façon, et peu capable de comprendre que l’on veuille « avoir » autrement. Posséder, ce n’est p

50 s avoir. Ce n’est pas même avoir l’usage éventuel de quelque chose. Mais c’est user en fait de cette chose-là. C’est donc

51 ventuel de quelque chose. Mais c’est user en fait de cette chose-là. C’est donc un acte, et pas du tout un droit. Et ce n’

52 fin qui leur est étrangère, et qui me commandera de les quitter le jour qu’ils y mettront obstacle. (Pour les bourgeois,

53 y mettront obstacle. (Pour les bourgeois, l’idée de propriété est liée à l’idée d’héritage. Par quelle folie pensent-ils

54 bourgeois, l’idée de propriété est liée à l’idée d’ héritage. Par quelle folie pensent-ils pouvoir « hériter » des biens d

55 e folie pensent-ils pouvoir « hériter » des biens de leurs pères ? Il faut tout ignorer de la vraie possession ! Une chose

56 » des biens de leurs pères ? Il faut tout ignorer de la vraie possession ! Une chose n’est mienne que pour un temps, et si

57 e, elle me devient impropre. Je n’hérite pas même de moi ! Ou alors, l’héritage est cela dont on ne peut pas se délivrer à

58 est incommode ou impropre, et dont il faut tâcher de se délivrer coûte que coûte.) Mon domaine, c’est ce que j’ai sous la

59 du jardin. Quand je lève le nez, je vois la cour de terre battue à l’ombre de ses deux tilleuls, la margelle du puits à g

60 ose une vieille chatte, le chai à droite. Au-delà de la cour, les planches incultes du potager, de chaque côté d’une allée

61 elà de la cour, les planches incultes du potager, de chaque côté d’une allée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une port

62 les planches incultes du potager, de chaque côté d’ une allée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une porte de bois à deu

63 tes du potager, de chaque côté d’une allée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une porte de bois à deux battants, à demi

64 ée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une porte de bois à deux battants, à demi cachée par des lauriers épais. De hauts

65 x battants, à demi cachée par des lauriers épais. De hauts murs blancs enclosent de tous côtés ce jardin de curé qui a jus

66 es lauriers épais. De hauts murs blancs enclosent de tous côtés ce jardin de curé qui a juste la largeur de la maison. On

67 uts murs blancs enclosent de tous côtés ce jardin de curé qui a juste la largeur de la maison. On ne voit rien que le ciel

68 us côtés ce jardin de curé qui a juste la largeur de la maison. On ne voit rien que le ciel au-delà, un ciel lavé, tissé d

69 oit rien que le ciel au-delà, un ciel lavé, tissé d’ oiseaux, et parfois traversé par un nuage rapide. En me retournant à d

70 t à droite, je vois par une autre fenêtre un coin de lande, et des petites dunes broussailleuses qui ferment l’horizon bas

71 compte deux chambres au rez-de-chaussée, séparées de la cuisine par un couloir dallé. À l’étage, où l’on parvient par un p

72 parvient par un petit escalier qui prend au fond de la cuisine, deux autres chambres assez vastes et presque vides, auxqu

73 vastes et presque vides, auxquelles le toit sert de plafond. Très peu de meubles, comme j’aime. Des murs blanchis ou tein

74 ubles, comme j’aime. Des murs blanchis ou teintés de bleu clair, des planchers rudes. Décor candide et gai, oui vraiment p

75 rte un peu trop basse, règne une pénétrante odeur de laurier. On distingue dans l’ombre des amas de branchages, des outils

76 ur de laurier. On distingue dans l’ombre des amas de branchages, des outils et des treilles pour la pêche aux crevettes. J

77 ux crevettes. Je me suis procuré un petit tonneau de vin blanc de l’île. C’est un clairet assez acide, qui laisse peut-êtr

78 Je me suis procuré un petit tonneau de vin blanc de l’île. C’est un clairet assez acide, qui laisse peut-être un léger go

79 -être un léger goût iodé, au moins l’on est tenté de l’imaginer : la vigne croît ici au ras d’un sol sablonneux que l’on f

80 t tenté de l’imaginer : la vigne croît ici au ras d’ un sol sablonneux que l’on fume avec du varech. De l’île, du village,

81 d’un sol sablonneux que l’on fume avec du varech. De l’île, du village, de la mer, je ne veux rien dire encore : je laisse

82 e l’on fume avec du varech. De l’île, du village, de la mer, je ne veux rien dire encore : je laisse tout cela se mêler à

83 se mêler à ma vie, dans l’heureux étourdissement de la lumière maritime. Pour mes pensées, je les occupe en attendant à d

84 e. Pour mes pensées, je les occupe en attendant à de petits exercices formels, sans nul rapport avec ce beau vertige de li

85 es formels, sans nul rapport avec ce beau vertige de liberté. Depuis six jours que nous sommes arrivés, je n’ai lu que les

86 ue nous sommes arrivés, je n’ai lu que les Règles de Descartes, comme on ferait un mot croisé, pour tuer le temps avant un

87 us. 10 novembre 1933 Ce journal n’aura rien d’ intime. J’ai à gagner ma vie, non pas à la regarder. Toutefois, noter

88 e paraîtront frappants ici ou là, c’est une sorte de contrôle amusant et utile — pour plus tard — et c’est une bonne disci

89 — pour plus tard — et c’est une bonne discipline de l’esprit que la description objective. Me voici engagé dans une expér

90 ctive. Me voici engagé dans une expérience forcée de vie pauvre, libre et solitaire — trois grands mots ! et pourtant c’es

91 nt c’est bien cela — tout au bout d’un pays dénué de ressources, pratiquement analogue, j’imagine, à un poste colonial aux

92 aux limites du désert. Curiosité, comme au début d’ un film. La situation est d’ailleurs excellente pour l’instant. Il nou

93 s excellente pour l’instant. Il nous reste encore de quoi vivre pendant six semaines environ, si du moins nos calculs sont

94 ont justes : 900 francs, un bon toit, et le temps de voir venir. Ceci posé, il s’agit de vérifier et de noter ici au jour

95 , et le temps de voir venir. Ceci posé, il s’agit de vérifier et de noter ici au jour le jour : 1 — (problème matériel) —

96 e voir venir. Ceci posé, il s’agit de vérifier et de noter ici au jour le jour : 1 — (problème matériel) — si l’on peut vi

97 si ce régime est favorable ou non à la maturation d’ une œuvre ; — s’il est moins démoralisant que le régime parisien ; — s

98 évitables et quotidiens entre un « intellectuel » de ma sorte et les habitants du pays, se révèlent bons, mauvais, ou simp

99 evues, hebdomadaires et journaux. Grande facilité de travail dans ce silence à peu près absolu. Mais aussi j’ai l’impressi

100 u près absolu. Mais aussi j’ai l’impression nette d’ utiliser la fin de l’élan intellectuel qui me soutenait à Paris. Ces d

101 s aussi j’ai l’impression nette d’utiliser la fin de l’élan intellectuel qui me soutenait à Paris. Ces deux derniers jours

102 , j’arrivais mal à prendre au sérieux l’actualité de ce que j’écrivais. Il faut avouer qu’il s’agissait, dans ces articles

103 faut avouer qu’il s’agissait, dans ces articles, de ce que les gens croient être actuel, ou sont censés croire actuel, da

104 gardé pour la fin — ce sera demain — la rédaction de deux articles destinés à des revues de jeunes (non payantes bien ente

105 rédaction de deux articles destinés à des revues de jeunes (non payantes bien entendu), et que je vais sans doute écrire

106 s bien entendu), et que je vais sans doute écrire d’ un trait, parce que j’y parlerai de notre affaire, avec nos mots, dans

107 s doute écrire d’un trait, parce que j’y parlerai de notre affaire, avec nos mots, dans notre liberté. Après quoi, je pour

108 d’hui c’est le jour du repos. J’ai trouvé au fond d’ une armoire, derrière une pile d’assiettes, deux volumes sur l’histoir

109 i trouvé au fond d’une armoire, derrière une pile d’ assiettes, deux volumes sur l’histoire de l’île, ses coutumes et son d

110 une pile d’assiettes, deux volumes sur l’histoire de l’île, ses coutumes et son dialecte. L’un est l’œuvre d’un archiviste

111 e, ses coutumes et son dialecte. L’un est l’œuvre d’ un archiviste du continent. Il affecte une douce ironie sorbonnarde po

112 petits événements qui se déroulèrent dans ce coin de pays, et surtout pour les légendes locales, qui ont fortement exagéré

113 exagéré et embelli tout cela… La science réclame de petits faits vrais. Elle tend aussi, il faut l’avouer, à ne tenir pou

114 nir pour vrai que ce qui est petit. Laissons donc de côté ce petit travail qui a dû valoir les palmes à son auteur. Le sec

115 es à son auteur. Le second bouquin, c’est l’œuvre d’ un vieux médecin tout plein de verve et de gaillarde érudition, comme

116 quin, c’est l’œuvre d’un vieux médecin tout plein de verve et de gaillarde érudition, comme il s’en trouve un peu partout

117 l’œuvre d’un vieux médecin tout plein de verve et de gaillarde érudition, comme il s’en trouve un peu partout pour sauver

118 en trouve un peu partout pour sauver « l’esprit » d’ un pays. J’ai passé tout l’après-midi dessus. Cela commence par une ch

119 emières galères romaines jusqu’au bateau à vapeur de Sadi Carnot — monument au point où il toucha terre en 1892 —, en pass

120 ars norvégiens, les flottes anglaises des guerres de religion et les expéditions de saumoniers. Une période héroïque sous

121 laises des guerres de religion et les expéditions de saumoniers. Une période héroïque sous Richelieu. Depuis lors, semble-

122 pour la plupart jacobins. Plusieurs des discours de leurs chefs ont été consignés par miracle : ils ne le cèdent en rien,

123 iracle : ils ne le cèdent en rien, pour l’ampleur de leurs vues sur le monde, à l’éloquence des conventionnels… On trouve

124 , rédigées dans un patois un peu trop exemplaire. D’ intéressantes précisions budgétaires sur les institutions de bienfaisa

125 antes précisions budgétaires sur les institutions de bienfaisance fondées par le docteur lui-même, ou tout au moins à son

126 sera des plus utiles, une minutieuse description de la faune et de la flore de l’île, du régime des marées, des courants

127 utiles, une minutieuse description de la faune et de la flore de l’île, du régime des marées, des courants et des vents. M

128 minutieuse description de la faune et de la flore de l’île, du régime des marées, des courants et des vents. Merveilleux l

129 e, un vieux docteur au fichu caractère a composés de sa longue expérience, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa s

130 chu caractère a composés de sa longue expérience, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa science hétéroclite de pra

131 omposés de sa longue expérience, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de coll

132 périence, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit fo

133 de son amour caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher

134 ché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher se font une guer

135 n et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher se font une guerre acharnée dans ces pages, et ils l’emporten

136 emportent tour à tour, jusqu’à la synthèse finale d’ une envolée tout à la fois patriotique, républicaine, et tolérante. La

137 nte. La droite, la gauche, et une certaine espèce d’ intelligence, ou d’ironie… Pour de tels hommes, certes il n’y a pas de

138 gauche, et une certaine espèce d’intelligence, ou d’ ironie… Pour de tels hommes, certes il n’y a pas deux France ! Ou plut

139 certaine espèce d’intelligence, ou d’ironie… Pour de tels hommes, certes il n’y a pas deux France ! Ou plutôt elles se mêl

140 dans un combat indivisible et nécessaire au cœur de chacun d’eux. Voilà l’espèce d’hommes français que je voudrais croire

141 ombat indivisible et nécessaire au cœur de chacun d’ eux. Voilà l’espèce d’hommes français que je voudrais croire la plus a

142 écessaire au cœur de chacun d’eux. Voilà l’espèce d’ hommes français que je voudrais croire la plus authentique, et la plus

143 rais croire la plus authentique, et la plus digne d’ incarner le concept de Français moyen. « Français-moyen » aux yeux des

144 thentique, et la plus digne d’incarner le concept de Français moyen. « Français-moyen » aux yeux des journalistes, c’est u

145 j’appelle un Français aplati, un parfait lecteur de journaux, un minimum de Français, et non pas du tout une moyenne. Que

146 plati, un parfait lecteur de journaux, un minimum de Français, et non pas du tout une moyenne. Que ne réserve-t-on l’expre

147 e petite rue toute blanche qui contourne la panse de l’église, et aboutit à la place principale. Au milieu de cette place,

148 milieu de cette place, qui est un vaste rectangle de terre jaune, les habitants plantèrent à la Révolution un arbre de la

149 les habitants plantèrent à la Révolution un arbre de la Liberté. Cet orme est devenu gigantesque, majestueux, exemplaire d

150 ulence, frisé comme une perruque du grand siècle. De trois côtés de la place généralement vide, les maisons s’alignent en

151 omme une perruque du grand siècle. De trois côtés de la place généralement vide, les maisons s’alignent en ordre modeste,

152 couleur des volets s’harmonise avec chaque façade d’ une manière subtile et précise qui en dit long sur l’âme de ce peuple

153 ière subtile et précise qui en dit long sur l’âme de ce peuple discret. C’est l’impression que je veux retenir pour le mom

154 du chou-fleur, des enveloppes jaunes, du peloton de ficelle et du kilo de riz. Mes vêtements, citadins mais râpés, ne la

155 veloppes jaunes, du peloton de ficelle et du kilo de riz. Mes vêtements, citadins mais râpés, ne la renseignent pas claire

156 , ne la renseignent pas clairement. Et que penser d’ un « Parisien » qui manifeste l’intention de rester ici tout l’hiver ?

157 enser d’un « Parisien » qui manifeste l’intention de rester ici tout l’hiver ? C’est plutôt en été qu’on vient chez nous,

158 mes vacances ! J’ai du travail chez moi, des tas de choses à écrire… Elle n’ose pas m’en demander davantage. Et moi, je r

159 davantage. Et moi, je recule devant l’entreprise de lui expliquer la nature de mon travail. « Écrire », qu’est-ce que cel

160 le devant l’entreprise de lui expliquer la nature de mon travail. « Écrire », qu’est-ce que cela signifie ? Écrire pour le

161 u’on voudrait. En hiver elle fait peu de réserves de produits alimentaires, les habitants n’achetant guère autre chose que

162 s, les habitants n’achetant guère autre chose que de la mercerie, des lainages et des épices. Alors il faut aller de l’aut

163 , des lainages et des épices. Alors il faut aller de l’autre côté de la place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’

164 t des épices. Alors il faut aller de l’autre côté de la place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’être vu par l’un

165 côté de la place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’ éviter d’être vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c’est prudent,

166 a place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’ être vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c’est prudent, on me l’a

167 elles les augmenteront bien plutôt pour le punir d’ avoir été en face. Sans compter qu’on n’aime pas être accueilli par la

168 e pas être accueilli par la réprobation sournoise d’ une épicière. Ennui de traverser le village, quand on se sent observé

169 ar la réprobation sournoise d’une épicière. Ennui de traverser le village, quand on se sent observé derrière les fenêtres.

170 oi, dans les petits deux-pièces, que l’on souffre de l’inquisition des voisins. Ici c’est dans la rue seulement, et c’est

171 rmal. 20 novembre 1933 C’est chez le voisin de la mère Aujard dite Ugénie que j’ai acheté mon tonneau de vin. Ce voi

172 re Aujard dite Ugénie que j’ai acheté mon tonneau de vin. Ce voisin s’appelle Renaud, comme la majorité des habitants, Ren

173 é des habitants, Renaud-Mellouin. Il loge au fond d’ une de ces courettes charmantes qui sont la secrète beauté des habitat

174 habitants, Renaud-Mellouin. Il loge au fond d’une de ces courettes charmantes qui sont la secrète beauté des habitations d

175 mantes qui sont la secrète beauté des habitations de l’île : toutes claires et propres, tapissées de glycines et de roses

176 s de l’île : toutes claires et propres, tapissées de glycines et de roses trémières, et parfois recouvertes de treilles à

177 utes claires et propres, tapissées de glycines et de roses trémières, et parfois recouvertes de treilles à l’italienne. Co

178 nes et de roses trémières, et parfois recouvertes de treilles à l’italienne. Comme on voudrait y vivre ! y passer des soir

179 re ! y passer des soirées attablé devant un verre de petit vin, à regarder le carré de ciel pâlir et les murs qui devienne

180 devant un verre de petit vin, à regarder le carré de ciel pâlir et les murs qui deviennent roses. 21 novembre 1933

181 viennent roses. 21 novembre 1933 Le bureau de poste. — Trois mètres sur trois, et une grille épaisse au milieu. Der

182 sse au milieu. Derrière la grille, le long visage de Pédenaud. J’ai l’impression que je lui gâte la vie. Trois fois la sem

183 ’est tapé à la machine. — Est-ce qu’il n’y a rien d’ écrit à la main ? — Si, il y a des corrections écrites à la main. Péde

184 nième fois son tarif, fait son calcul sur un bout de papier, et conclut que j’ai à payer 72 francs, pour un envoi, ce jour

185 ’ai à payer 72 francs, pour un envoi, ce jour-là, d’ une centaine de feuillets. Il en paraît lui-même consterné. J’affirme

186 francs, pour un envoi, ce jour-là, d’une centaine de feuillets. Il en paraît lui-même consterné. J’affirme avec vivacité q

187 Il faut tout recommencer. Finalement l’on décide d’ envoyer le manuscrit comme échantillon sans valeur. Port : quatre fran

188 ntends grincer la porte du jardin. C’est la femme de Pédenaud qui brandit un papier. J’accours : elle me tend une formule

189 t un papier. J’accours : elle me tend une formule de télégramme, mais ce n’est pas un télégramme, c’est une notification o

190 un télégramme, c’est une notification officielle d’ avoir à verser sans délai la somme de 67 fr. 25 restant due sur l’envo

191 n officielle d’avoir à verser sans délai la somme de 67 fr. 25 restant due sur l’envoi de ce matin. En effet, Pédenaud qui

192 lai la somme de 67 fr. 25 restant due sur l’envoi de ce matin. En effet, Pédenaud qui a voulu en avoir le cœur net, a pris

193 ue je m’exécute, sinon c’est lui qui sera forcé «  d’ y aller de sa poche ». Me voilà courant à l’autobus pour arrêter le co

194 écute, sinon c’est lui qui sera forcé « d’y aller de sa poche ». Me voilà courant à l’autobus pour arrêter le courrier. L’

195 stal, discuter passionnément, trouver une formule d’ apaisement qui ménage toutes les susceptibilités, et finalement ne rie

196 raît entre les gens d’ici et moi dès qu’il s’agit de mon travail et de ses conditions pratiques. Petits ennuis sans gravit

197 s d’ici et moi dès qu’il s’agit de mon travail et de ses conditions pratiques. Petits ennuis sans gravité, bien sûr. Mais

198 ns gravité, bien sûr. Mais quel drame dans la vie d’ un buraliste de recette auxiliaire ! Depuis lors, il rougit et transpi

199 n sûr. Mais quel drame dans la vie d’un buraliste de recette auxiliaire ! Depuis lors, il rougit et transpire rien qu’à me

200 peu, pour me faire pardonner. Pédenaud est mutilé de guerre. Il boite. On lui a donné cette recette auxiliaire à titre de

201 dans la catégorie bourgeoise. Ma bonne conscience de pauvre n’aura pas duré bien longtemps. 26 novembre 1933 Aucune

202 longtemps. 26 novembre 1933 Aucune réponse de Paris à mes envois. Si mes articles ne paraissent qu’en décembre, je

203 semaines, si toutefois je restreins mes dépenses de tabac. Difficulté de travailler sans fumer. Le meilleur moyen, c’est

204 is je restreins mes dépenses de tabac. Difficulté de travailler sans fumer. Le meilleur moyen, c’est d’aller réfléchir le

205 e travailler sans fumer. Le meilleur moyen, c’est d’ aller réfléchir le long des plages. — Quand nous sortons de notre encl

206 éfléchir le long des plages. — Quand nous sortons de notre enclos, nous avons trois promenades au choix : elles conduisent

207 village est en effet situé sur une pointe avancée de l’île, et la quatrième direction possible est celle des marais, à peu

208 en cette saison. Nous suivons des sentiers bordés de tamaris jusqu’aux dunes. Elles ne sont pas bien hautes, ces dunes, di

209 t assez pour embrasser du regard une bonne partie de l’île, notre village, les marais et deux ou trois clochers lointains,

210 s avait comme étourdis à l’arrivée. Des faisceaux de rayons divisés par les nuages lourds et rapides rasent les terres bru

211 se couvre et se nettoie tout entier dans l’espace d’ une demi-heure. Les côtes, elles aussi, se transforment. Une nuit de v

212 Les côtes, elles aussi, se transforment. Une nuit de vent bouleverse leur dessin et leurs couleurs, apporte un banc de var

213 se leur dessin et leurs couleurs, apporte un banc de varech pourpré ou dénude des roches noires, la veille encore recouver

214 e des roches noires, la veille encore recouvertes de sable. Peu d’hommes aux champs, petits hommes noirs courbés. Et le vi

215 oires, la veille encore recouvertes de sable. Peu d’ hommes aux champs, petits hommes noirs courbés. Et le village vu des d

216 village vu des dunes tantôt ressemble à un dessin d’ enfant, ou à l’esquisse d’un peintre cubiste, tantôt sous une averse m

217 t ressemble à un dessin d’enfant, ou à l’esquisse d’ un peintre cubiste, tantôt sous une averse mêlée de rayons, à quelque

218 ’un peintre cubiste, tantôt sous une averse mêlée de rayons, à quelque illustration du xviiie allemand. 28 novembre 19

219 s-entendu solennel à toutes les pensées. Il donne de la force aux plus fortes, leur prêtant un cadre et un fond, et rejett

220 Toutefois, je ne le contemple pas sans une espèce de méfiance profonde : il est surtout une tentation de se dissoudre dans

221 méfiance profonde : il est surtout une tentation de se dissoudre dans on ne sait quelle sublimité stérile. Plutôt que de

222 s on ne sait quelle sublimité stérile. Plutôt que de poser un regard vague et passionné sur l’infini néant des eaux, je co

223 s’écoule à chaque retrait des vagues, et l’usure de mes souliers dont l’eau salée durcit et fendille le cuir… 1er déce

224 général tout est plus cher qu’à Paris). Un stère de bois, 50 francs ; (il y a très peu d’arbres sur l’île, on fait venir

225 ). Un stère de bois, 50 francs ; (il y a très peu d’ arbres sur l’île, on fait venir le bois de chauffage du continent). Éc

226 rès peu d’arbres sur l’île, on fait venir le bois de chauffage du continent). Éclairage au pétrole, 30 francs. Bons de la

227 continent). Éclairage au pétrole, 30 francs. Bons de la « Société coopérative de panification », 40 francs. Réparation de

228 role, 30 francs. Bons de la « Société coopérative de panification », 40 francs. Réparation de la pompe du puits, 25 francs

229 pérative de panification », 40 francs. Réparation de la pompe du puits, 25 francs ; (elle ne marche pas mieux depuis, il f

230 revue. Reste : environ 200 francs. Le sentiment de dépendre entièrement de bonnes ou de mauvaises volontés lointaines, e

231 200 francs. Le sentiment de dépendre entièrement de bonnes ou de mauvaises volontés lointaines, et du hasard, éveille par

232 Le sentiment de dépendre entièrement de bonnes ou de mauvaises volontés lointaines, et du hasard, éveille par résonance un

233 et du hasard, éveille par résonance un sentiment de liberté, de gratuité aventureuse. Mon sort ne dépend plus de ce que j

234 d, éveille par résonance un sentiment de liberté, de gratuité aventureuse. Mon sort ne dépend plus de ce que je puis faire

235 de gratuité aventureuse. Mon sort ne dépend plus de ce que je puis faire ou imaginer : libération. Il faut qu’il arrive q

236 chose. Et s’il n’arrive rien ? « On ne meurt pas de faim dans nos pays », dit-on, et je crois bien que je l’ai dit quelqu

237 ans précédent, et des raisons toutes personnelles de ne pas appeler au secours. Pourtant je suis bien tranquille, je ne l’

238 si absolument. C’est peut-être à cause du bonheur de notre vie. Trouver son rythme naturel, et les moyens de s’y réduire,

239 re vie. Trouver son rythme naturel, et les moyens de s’y réduire, voilà le but de toute morale : car le « bien penser » en

240 turel, et les moyens de s’y réduire, voilà le but de toute morale : car le « bien penser » en dépend. 2 décembre 1933

241 1933 Questions. — Est-ce donc si « naturel » de vivre sur une île ? Est-ce que l’insularité (géographique et morale)

242 ité (géographique et morale) n’est pas une espèce de vice ? Est-ce que ce n’est pas la racine de tout l’idéalisme dont les

243 spèce de vice ? Est-ce que ce n’est pas la racine de tout l’idéalisme dont les modernes doivent se guérir, s’ils veulent e

244 tuels » ? Est-ce que ce n’est pas aussi la racine de cet esprit d’abstraction égoïste dont nous souffrons tous ? Enfin, n’

245 ce que ce n’est pas aussi la racine de cet esprit d’ abstraction égoïste dont nous souffrons tous ? Enfin, n’est-il point t

246 ouffrons tous ? Enfin, n’est-il point trop facile de trouver son rythme de vie dans les conditions somme toute artificiell

247 n’est-il point trop facile de trouver son rythme de vie dans les conditions somme toute artificielles où mon chômage m’a

248 promenade et que nous mesurons toute l’étroitesse de notre domaine, la mer partout à dix minutes et ces marécages hostiles

249 minutes et ces marécages hostiles, nous souffrons de ne pouvoir prolonger en pensée notre marche jusqu’au pays voisin. Cet

250 i fait qu’il désire sans cesse se risquer au-delà de ce qu’il peut, et franchir au moins en pensée les bornes de ses posse

251 l peut, et franchir au moins en pensée les bornes de ses possessions pour aller se mêler aux « autres », à l’étranger… Tou

252 re, je ne parviens pas à partager avec les hommes de ce village ce qui est essentiel et solide dans ma vie. Le simple fait

253 gêne constamment sensible. Et je n’ai nulle envie d’ en prendre mon parti. Dans ce qu’ils ont pu entrevoir de mon activité,

254 rendre mon parti. Dans ce qu’ils ont pu entrevoir de mon activité, une seule chose les a frappés : ma machine à écrire. La

255 Cure), qui est une vieille amie des propriétaires de notre maison, est venue plusieurs fois nous voir. Hier, elle m’a dema

256 s voir. Hier, elle m’a demandé avec toutes sortes de précautions oratoires embrouillées si son fils pourrait venir aussi v

257 dre et l’admirer. Ils ont ainsi sur moi une sorte de supériorité concrète dont je ne souffre pas dans ma vanité, c’est ent

258 a vanité, c’est entendu, mais bien dans mon désir de sympathie humaine, d’échange direct sur pied d’égalité. Le père Rena

259 u, mais bien dans mon désir de sympathie humaine, d’ échange direct sur pied d’égalité. Le père Renaud est un ancien marin

260 r de sympathie humaine, d’échange direct sur pied d’ égalité. Le père Renaud est un ancien marin, barbu, jovial, déjà touc

261 6… ») Il s’occupe maintenant à fabriquer un filet de quatre-vingt-dix mètres, bel ouvrage dont le détail m’intéresse. Le f

262 ose des cartes postales illustrées avec des bouts de timbres-poste découpés. Je m’attarde à causer dans leur cuisine, qui

263 plaisant que cet intérieur. Des chaises au siège de bois poli, une lourde table au centre, une autre plus petite vers la

264 sur laquelle travaille le père Renaud. Le sol est de la terre battue recouverte d’une fine couche de sable. Sur les murs b

265 Renaud. Le sol est de la terre battue recouverte d’ une fine couche de sable. Sur les murs blanchis, quelques petites grav

266 t de la terre battue recouverte d’une fine couche de sable. Sur les murs blanchis, quelques petites gravures anciennes, en

267 s, quelques petites gravures anciennes, encadrées de noir, et joliment disposées, une photo de bateau, et un vieil arbre g

268 cadrées de noir, et joliment disposées, une photo de bateau, et un vieil arbre généalogique aux couleurs pâlies. Cet ordre

269 tte propreté rigoureuse qui règnent ici avec tant d’ aisance, ai-je le droit de les considérer comme les symboles visibles

270 i règnent ici avec tant d’aisance, ai-je le droit de les considérer comme les symboles visibles de l’univers intérieur de

271 oit de les considérer comme les symboles visibles de l’univers intérieur de ces gens ? Je me dis parfois : Le monde modern

272 omme les symboles visibles de l’univers intérieur de ces gens ? Je me dis parfois : Le monde moderne n’a rien en eux. Ils

273 monde moderne n’a rien en eux. Ils sont indemnes de nos fièvres. Ils ne connaîtront pas nos douloureuses confusions, nos

274 rdants. Ils se sont fait un entourage à la mesure de leur être habituel, et s’en contentent. Pourquoi voudrais-je qu’ils d

275 la mère Renaud me dit qu’elle n’est jamais sortie de l’île, depuis soixante ans qu’elle y est née, pourquoi ne puis-je m’e

276 qu’elle y est née, pourquoi ne puis-je m’empêcher d’ éprouver un sentiment de regret pour elle, de resserrement ? 4 déce

277 uoi ne puis-je m’empêcher d’éprouver un sentiment de regret pour elle, de resserrement ? 4 décembre 1933 Ma gêne qua

278 cher d’éprouver un sentiment de regret pour elle, de resserrement ? 4 décembre 1933 Ma gêne quand l’épicière voulait

279 ns pareilles : voilà qui me pose tout le problème de la culture. Cela paraîtrait absurde à la plupart des intellectuels qu

280 llectuels que je connais. Pourtant si l’on refuse de poser ce problème dans le détail concret des relations humaines quelc

281 refuse aussi le vrai sérieux, la vraie difficulté de la question. Le bénéfice le plus certain de mon état, c’est que je me

282 culté de la question. Le bénéfice le plus certain de mon état, c’est que je me vois contraint de toucher tous les jours le

283 rtain de mon état, c’est que je me vois contraint de toucher tous les jours les limites du domaine culturel : et là seulem

284 ssivement tacite. Je voudrais exprimer un maximum d’ humanité lorsque j’écris, et c’est précisément parce que j’écris que j

285 écisément parce que j’écris que je me vois séparé de beaucoup d’hommes, du plus grand nombre. Et d’abord de ceux qui m’ent

286 rce que j’écris que je me vois séparé de beaucoup d’ hommes, du plus grand nombre. Et d’abord de ceux qui m’entourent, et q

287 aucoup d’hommes, du plus grand nombre. Et d’abord de ceux qui m’entourent, et qui sont aujourd’hui mes prochains. Ils me p

288 ui sont aujourd’hui mes prochains. Ils me parlent de ce qui les intéresse, et je m’y intéresse avec eux. Mais je ne puis o

289 Mais je ne puis ou ne sais pas encore leur parler de ce qui, moi, m’intéresse : je sens trop bien qu’ils n’en sont pas cur

290 je sens trop bien qu’ils n’en sont pas curieux. De quoi donc me parlent-ils ? Du temps, et j’aime cela comme tout le mon

291  ? Du temps, et j’aime cela comme tout le monde ; de leur travail aux champs ou à la côte, et je les écoute avec toute l’a

292 la côte, et je les écoute avec toute l’attention d’ un apprenti ; de leurs souvenirs, parfois touchants, parfois comiques,

293 les écoute avec toute l’attention d’un apprenti ; de leurs souvenirs, parfois touchants, parfois comiques, toujours révéla

294 , parfois comiques, toujours révélateurs pour moi d’ un monde non pas absolument nouveau, mais nouvellement intéressant. Et

295 t. Et quand nous sommes en confiance, si j’essaie d’ amener l’entretien sur leurs lectures, les journaux qu’ils achètent, l

296 nt sans intérêt. Je ne sens pas qu’ils se méfient de moi. Simplement, ils n’ont jamais formé de phrases, dans leur tête, à

297 éfient de moi. Simplement, ils n’ont jamais formé de phrases, dans leur tête, à propos de ces choses-là. Non seulement je

298 à. Non seulement je ne sens pas qu’ils se méfient de moi en tant qu’intellectuel ou « spécialiste », mais encore je devine

299 viens de nommer. Ils ne se doutent pas que c’est de cela précisément qu’un écrivain peut faire sa « spécialité ». Et rien

300 ialité ». Et rien ne les étonnerait davantage que d’ apprendre un beau jour que je m’intéresse à leurs « idées », à leur si

301 lèmes, — et que j’en fais parfois la matière même de mon travail… J’ai quelque peine à exprimer ceci, — qui n’est précisém

302 mer ceci, — qui n’est précisément qu’un sentiment de gêne en moi. Sentiment qu’il y a là quelque absurdité, et si énorme q

303 Ou bien est-ce ma gêne qui est absurde ? Essayer de confronter la culture et la réalité, c’est peut-être prouver qu’on ig

304 uver qu’on ignore l’une et l’autre ? Ou témoigner d’ une naïveté impardonnable ? — Pourtant, je ne suis pas prêt à me donne

305 er tort, c’est-à-dire à donner raison au bon sens de l’époque présente. Il a trop souvent fait ses preuves. 5 décembre

306 uvent fait ses preuves. 5 décembre 1933 Une de nos joies, c’est de pouvoir enfin mettre au gramophone, et avec l’aig

307 es. 5 décembre 1933 Une de nos joies, c’est de pouvoir enfin mettre au gramophone, et avec l’aiguille forte, des chœ

308 le forte, des chœurs à grand fracas ou simplement de la musique moderne, — sans voisins pour taper à la paroi ou pour nous

309 antes, sur le palier. Nous n’avons qu’une dizaine de disques : Bach, Mozart, Stravinsky, Honegger. De Milhaud, l’ouverture

310 de disques : Bach, Mozart, Stravinsky, Honegger. De Milhaud, l’ouverture des Euménides, emportée de Paris sans avoir pu l

311 . De Milhaud, l’ouverture des Euménides, emportée de Paris sans avoir pu la jouer ailleurs que chez le marchand. C’est l’é

312 ailleurs que chez le marchand. C’est l’événement de notre solitude. Et certainement c’était ici, dans ce désert, qu’il co

313 ment c’était ici, dans ce désert, qu’il convenait d’ entendre une telle musique et de la laisser se déployer dans toute sa

314 , qu’il convenait d’entendre une telle musique et de la laisser se déployer dans toute sa démesure. Indescriptible majesté

315 er dans toute sa démesure. Indescriptible majesté de ce lent paroxysme vocal, rythmé comme par l’avance d’une foule en mar

316 e lent paroxysme vocal, rythmé comme par l’avance d’ une foule en marche, catastrophe ou triomphe solennel d’on ne sait que

317 foule en marche, catastrophe ou triomphe solennel d’ on ne sait quelle révolution future… Dictateur, prophète des masses, j

318 upes déferlantes, et ce serait le chant du destin d’ un siècle aveugle en sa révolte… Étrange accord de cette musique de f

319 ’un siècle aveugle en sa révolte… Étrange accord de cette musique de foule et de la lande désolée autour de nous ! Proxim

320 e en sa révolte… Étrange accord de cette musique de foule et de la lande désolée autour de nous ! Proximité de l’océan. C

321 lte… Étrange accord de cette musique de foule et de la lande désolée autour de nous ! Proximité de l’océan. Clameur des m

322 et de la lande désolée autour de nous ! Proximité de l’océan. Clameur des masses contre le ciel fatal, et l’homme se tait

323 s qu’ici, dans le silence, se prolonge une rumeur de foule invisible. 6 décembre 1933 Il fait très froid depuis quel

324 e cela qui me réchauffe le mieux. Une des plaques de mica du Mirus est crevée, et toute la chambre est imprégnée d’une ode

325 rus est crevée, et toute la chambre est imprégnée d’ une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une

326 ée, et toute la chambre est imprégnée d’une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une couche de gl

327 a chambre est imprégnée d’une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une couche de glace sur l’eau

328 fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une couche de glace sur l’eau du puits. J’ai les doigts engourdis par le contact de

329 u puits. J’ai les doigts engourdis par le contact de la corde gelée, et tremblants d’avoir scié et cassé des branches. Cel

330 s par le contact de la corde gelée, et tremblants d’ avoir scié et cassé des branches. Cela m’oblige à écrire lentement ; i

331 di lui aussi. 10 décembre 1933 Un discours de l’instituteur. — Hier soir, séance de Pathé-Baby organisée par l’inst

332 Un discours de l’instituteur. — Hier soir, séance de Pathé-Baby organisée par l’instituteur dans la salle de l’école des g

333 hé-Baby organisée par l’instituteur dans la salle de l’école des garçons. Il me tardait de voir une fois les habitants du

334 ns la salle de l’école des garçons. Il me tardait de voir une fois les habitants du village réunis, leur façon d’être ense

335 fois les habitants du village réunis, leur façon d’ être ensemble, et surtout la jeunesse, d’ordinaire invisible, au point

336 ur façon d’être ensemble, et surtout la jeunesse, d’ ordinaire invisible, au point que je doutais même qu’elle existât. Ell

337 ncs rangés en chevrons derrière le petit appareil de projection placé à trois ou quatre mètres de l’écran. (Un drap de lit

338 reil de projection placé à trois ou quatre mètres de l’écran. (Un drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de fil

339 acé à trois ou quatre mètres de l’écran. (Un drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu br

340 drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très

341 ur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très épais de corp

342 illes et de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très épais de corps. Nous étions assis derrière eux. Au fon

343 yants, presque tous laids de visage et très épais de corps. Nous étions assis derrière eux. Au fond, sur deux armoires bas

344 sur deux armoires basses, siégeaient une dizaine d’ hommes. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et des enfants a

345 aient une dizaine d’hommes. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et des enfants autour du trépied de l’appareil,

346 annes seulement. Et des enfants autour du trépied de l’appareil, empressés à tendre les bobines de film à l’instituteur. I

347 ied de l’appareil, empressés à tendre les bobines de film à l’instituteur. Ilfallut un certain temps pour mettre au point

348 silence, et la projection commence. C’est un film d’ avant-guerre, la Course au Flambeau, tiré de la pièce de Paul Hervieu.

349 film d’avant-guerre, la Course au Flambeau, tiré de la pièce de Paul Hervieu. Entre chaque épisode reparaissent les mêmes

350 t-guerre, la Course au Flambeau, tiré de la pièce de Paul Hervieu. Entre chaque épisode reparaissent les mêmes éphèbes gre

351 de reparaissent les mêmes éphèbes grecs, porteurs de torches qu’ils se passent avec des gestes lents, hallucinants, à gran

352 iscours. « Je serai bref ! » C’est un jeune homme d’ allure énergique et de visage intelligent, la chevelure noire en batai

353 ef ! » C’est un jeune homme d’allure énergique et de visage intelligent, la chevelure noire en bataille qu’il saisit à ple

354 dans les moments pathétiques. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’est-ce qu’être laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je v

355 e saurai me défendre ! Et malgré les persécutions de ceux qui ont intérêt à étouffer la vérité, etc. » La chevelure s’agit

356 congrès, il a été stipulé qu’à l’avenir… » La fin de la phrase étant particulièrement sonore, des applaudissements éclaten

357 ent sonore, des applaudissements éclatent au fond de la salle. Le jeune orateur électrisé se lance dans une définition vib

358 r électrisé se lance dans une définition vibrante de la laïcité. « Être laïque, c’est vouloir la Justice et l’Égalité pour

359 ion libre et gratuite pour tous, sans distinction de fortune ou de religion ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce

360 ratuite pour tous, sans distinction de fortune ou de religion ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce n’est pas comb

361 religieux au vrai sens du mot, selon les paroles de Gambetta, d’Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est

362 vrai sens du mot, selon les paroles de Gambetta, d’ Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est finalement « 

363 elon les paroles de Gambetta, d’Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est finalement « aimer son prochain »

364 hain » ! Je n’ai pas plus tôt soufflé à l’oreille de ma femme « C’est un sermon ! » que l’orateur, au comble de son éloque

365 me « C’est un sermon ! » que l’orateur, au comble de son éloquence, s’écrie : « Et, mes frères ! si l’on vient encore vous

366 salle du curé, qui donne aussi ce soir une séance de cinéma. On entend rire des enfants. J’ai rencontré le curé ce matin,

367 nts. J’ai rencontré le curé ce matin, suivi comme d’ habitude d’une bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut

368 encontré le curé ce matin, suivi comme d’habitude d’ une bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut. 11 déc

369 curé ce matin, suivi comme d’habitude d’une bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut. 11 décembre 1933

370 la cuisine. — Les jours où il n’est plus possible de se chauffer dans la grande pièce, je vais travailler à la cuisine, pe

371 vailler. Je ne conçois, en somme, que trois types de pièces habitables, pour un homme qui attache de l’importance à ce qui

372 s de pièces habitables, pour un homme qui attache de l’importance à ce qui l’entoure : appartements et grandes salles de c

373 ce qui l’entoure : appartements et grandes salles de châteaux ; chambre encombrée de livres et de papiers ; cuisines paysa

374 et grandes salles de châteaux ; chambre encombrée de livres et de papiers ; cuisines paysannes, confortables et richement

375 lles de châteaux ; chambre encombrée de livres et de papiers ; cuisines paysannes, confortables et richement odorantes. Le

376 , confortables et richement odorantes. Le confort de celle-ci est plus moral que matériel, d’ailleurs. Ma femme ne dispose

377 que matériel, d’ailleurs. Ma femme ne dispose que d’ un vieux fourneau difficile à allumer et à entretenir, et d’un réchaud

378 fourneau difficile à allumer et à entretenir, et d’ un réchaud à gaz de pétrole sujet à des pannes mystérieuses, qui nous

379 à allumer et à entretenir, et d’un réchaud à gaz de pétrole sujet à des pannes mystérieuses, qui nous menace sans cesse d

380 s pannes mystérieuses, qui nous menace sans cesse d’ explosion. (Deux petites pompes, à droite et à gauche de l’appareil, a

381 osion. (Deux petites pompes, à droite et à gauche de l’appareil, assurent en principe la pression du gaz. On risque toujou

382 n principe la pression du gaz. On risque toujours de pomper un peu trop fort et de tout faire sauter.) Pas d’évier, ni d’e

383 On risque toujours de pomper un peu trop fort et de tout faire sauter.) Pas d’évier, ni d’eau courante, bien entendu. Il

384 er un peu trop fort et de tout faire sauter.) Pas d’ évier, ni d’eau courante, bien entendu. Il faut aller au puits ; filtr

385 op fort et de tout faire sauter.) Pas d’évier, ni d’ eau courante, bien entendu. Il faut aller au puits ; filtrer l’eau tan

386 e 1933 Tout à l’heure, en déchirant le journal de l’île pour allumer le feu, j’ai vu l’annonce d’une conférence contrad

387 l de l’île pour allumer le feu, j’ai vu l’annonce d’ une conférence contradictoire à A… : « La Bible et les travailleurs ».

388 e endroit, il y a quinze jours, sous les auspices d’ une ligue « antifasciste », et qui avait pour sujet : « L’Église contr

389 rendre à la première conférence. Mais le village d’ A. est à 8 kilomètres et la tempête m’avait empêché d’y aller à bicycl

390 est à 8 kilomètres et la tempête m’avait empêché d’ y aller à bicyclette. J’essaierai d’aller demain soir entendre la répo

391 avait empêché d’y aller à bicyclette. J’essaierai d’ aller demain soir entendre la réponse. La mère Renaud vient de m’appre

392 ut le monde au village, à part la petite minorité de mauvaises têtes qui suit les prêches laïques de l’instituteur. Le seu

393 é de mauvaises têtes qui suit les prêches laïques de l’instituteur. Le seul protestant est mort l’été dernier, âgé de 93 a

394 r. Le seul protestant est mort l’été dernier, âgé de 93 ans. Il s’était converti à 70 ans « et il avait toujours tenu ! »

395 stant, — tous ces mots prennent ici quelque chose de joliment absurde. Les paysans du village ne sont pas même tous capabl

396 paysans du village ne sont pas même tous capables de lire le journal, et j’ai remarqué qu’ils achètent absolument au hasar

397 le des républicains. Il est à peu près impossible de savoir s’ils font une distinction quelconque entre les opinions, pour

398 re que la discussion annoncée après la conférence d’ A. me fera modifier ce jugement. J’en suis bien curieux. 13 décembr

399 Un ami auquel j’avais prêté quelques centaines de francs il y a un an, m’en renvoie 100 par le courrier de ce matin. « 

400 cs il y a un an, m’en renvoie 100 par le courrier de ce matin. « Vous devez être bien content, me dit la factrice pendant

401 t et pour tout 2 francs 50 : on ne me ferait plus de crédit chez les épicières, et j’en aurai sans doute besoin un de ces

402 les épicières, et j’en aurai sans doute besoin un de ces jours… 15 décembre 1933 Je relève les notes prises l’autre

403 ’autre soir sur la conférence à A. — Grande salle de la Mairie, voûtée, peinte en bleu clair. Une table et trois chaises s

404 ises sur la scène surélevée. Environ une centaine d’ auditeurs : paysans et pêcheurs, cela se voit. Au premier rang, deux «

405 scène : c’est un homme jeune encore, un peu lent d’ allure, à la physionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien, Messieurs et

406 rence est contradictoire. Je vous demanderai donc de bien vouloir proposer des noms ». Silence. Chuchotements. « Vas-y ! —

407 se lèvent en haussant les épaules pour s’excuser de se mettre en avant. Ils gravissent la scène, enlèvent leur casquette

408 est le président, derrière la table. Embarrassés de leurs mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’œil malicieux

409 t, derrière la table. Embarrassés de leurs mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’œil malicieux aux copains de

410 able. Embarrassés de leurs mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’œil malicieux aux copains de la salle. Le pré

411 s mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’ œil malicieux aux copains de la salle. Le président se lève : « Messie

412 leur casquette. Coups d’œil malicieux aux copains de la salle. Le président se lève : « Messieurs et dames, vous m’excuser

413 se lève : « Messieurs et dames, vous m’excuserez de ne pas vous présenter l’orateur qui va vous faire un intéressant disc

414 s gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de riches. Elles ont trahi l’Évangile. « Un philosophe français, M. Juli

415 Mais le vrai chrétien est avec les petits. Résumé de ce que la Bible dit des travailleurs : Jérémie exigeait que le roi pa

416 rs. L’Ancien Testament nous montre que le système de propriété chez les Juifs est presque communiste ! Jésus est l’ami des

417 les hommes étaient chrétiens, il n’y aurait plus d’ exploitation ni de guerre !… La péroraison a été éloquente, un peu tro

418 t chrétiens, il n’y aurait plus d’exploitation ni de guerre !… La péroraison a été éloquente, un peu trop à mon goût. On a

419 silence embarrassé. Enfin un type se lève au fond de la salle et demande « s’il n’y a pas des contradictions dans la Bible

420 et sans aucun rapport avec le sujet. Il n’y a pas d’ autre question. Le président fait alors un bref remerciement à l’orate

421 bref remerciement à l’orateur. Il s’excuse encore de ne pas s’y connaître assez en religion, mais assure qu’il a été bien

422 à un chrétien ou même à un protestant ? J’essaie de le faire parler. Je lui dis : Oui, c’est la vérité pour les chrétiens

423 ça que c’est écrit dans la Bible, il n’a pas dit de mensonges, quoi ! Mais ici ils ne savent pas discuter. Si vous alliez

424 nfin il veut lui demander « si ce serait possible de se procurer une Bible pour étudier un peu tout ça. On sent bien que c

425 un peu tout ça. On sent bien que c’est important de s’y connaître dans ces questions. » Il s’exprime avant tant de pruden

426 sis pas bien si ce curé lui a interdit la lecture de la Bible, ou si au contraire il pourrait lui en prêter une. Quoi qu’i

427 le pasteur note le nom du « président » et promet de lui envoyer un Nouveau Testament. Nous faisons les cent pas sur la p

428 e. M. Palut sait que je suis écrivain, il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion « d’intellectuel » su

429 n, il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion « d’intellectuel » sur son discours. « C’était sûrement b

430 mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion «  d’ intellectuel » sur son discours. « C’était sûrement beaucoup trop simp

431 ment. Ce n’est pas moi qui lui reprocherai jamais d’ être trop simple. On ne l’est jamais assez ! — « Oh, vous savez, dit-i

432 sez ! — « Oh, vous savez, dit-il, je n’y mets pas d’ amour-propre, vous pouvez me dire franchement ce que vous pensez de ce

433 ous pouvez me dire franchement ce que vous pensez de cette soirée »… Je le regarde. C’est un homme simple et solide, on pe

434 es autres qui disaient le contraire, et pas moyen de savoir avec qui ils sont d’accord. Il ne faut pas oublier que nous vi

435 ne faut pas oublier que nous vivons à une époque de propagande forcenée, et je vous assure qu’un communiste, par exemple,

436 n oratoire. Pourquoi ne pas saisir cette occasion de leur prêcher l’Évangile, là, tout droit, dans leur langage de tous le

437 her l’Évangile, là, tout droit, dans leur langage de tous les jours, comme le faisaient les réformateurs, — les forcer à p

438 t déjà un énorme succès. Pensez donc, il y a plus de six ans que je suis dans l’île, et je n’avais jamais pu parler à A. à

439 ne faut pas les brusquer ! Ce soir, il s’agissait de gagner leur confiance, et ensuite on verra si on peut aller plus loin

440 ce en leur parlant plus familièrement, sans faire d’ éloquence ? Cela trancherait au moins sur la propagande électorale. — 

441 urtant il faut bien continuer, même si on a envie de tout plaquer, certains jours… Il faudra reparler de tout cela. M. Pal

442 tout plaquer, certains jours… Il faudra reparler de tout cela. M. Palut n’a jamais l’occasion de discuter, il se sent ter

443 rler de tout cela. M. Palut n’a jamais l’occasion de discuter, il se sent terriblement isolé au milieu de cette population

444 appellent le Peuple !… je revoyais cette centaine d’ hommes dans la salle nue. Leur méfiance ou leur timidité, ou aussi leu

445 é, ou aussi leur fatigue après une longue journée de travail. Mais beaucoup ne font plus rien en hiver ? Ils sont venus po

446 au café. Cette inertie, dès qu’il ne s’agit plus d’ argent. À moins que ce ne soit le langage, la difficulté de s’exprimer

447 À moins que ce ne soit le langage, la difficulté de s’exprimer ? Tout est mystère en eux, et pour eux-mêmes sans doute. E

448 jamais vus ! ou jamais aimés. Là-dessus, quantité de pensées et de conclusions qui m’ont paru évidentes et importantes. On

449 u jamais aimés. Là-dessus, quantité de pensées et de conclusions qui m’ont paru évidentes et importantes. On se sent réflé

450 bes. 16 décembre 1933 Derrière la même pile d’ assiettes où je crois avoir déjà dit que j’avais trouvé deux ouvrages

451 éjà dit que j’avais trouvé deux ouvrages traitant de mon île, j’ai déniché ce matin une édition populaire de La Naissance

452 île, j’ai déniché ce matin une édition populaire de La Naissance du jour, de Colette. Je n’avais pas encore lu ce livre.

453 in une édition populaire de La Naissance du jour, de Colette. Je n’avais pas encore lu ce livre. Il est exactement de l’es

454 n’avais pas encore lu ce livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans cette espèce, ma

455 à voir avec la critique littéraire. À la page 43 de l’édition que j’ai sous les yeux, je lis ceci : « … ils déménagent… c

456 je lis ceci : « … ils déménagent… comme les puces d’ un hérisson mort. » Cette phrase a fait dans mon esprit ce qu’on appel

457 a fait dans mon esprit ce qu’on appelle un trait de lumière. Lundi dernier, au petit matin, nous nous sommes réveillés co

458 petit matin, nous nous sommes réveillés couverts de puces. J’exagère à peine : pour mon compte, j’en ai pris sept sur mon

459 e, j’en ai pris sept sur mon pyjama dans l’espace de deux minutes, ce qui doit constituer une sorte de record. D’autres sa

460 de deux minutes, ce qui doit constituer une sorte de record. D’autres sautaient sur le couvre-pied. D’autres sur le planch

461 l est vrai qu’on a beau porter un nombre excessif de jupons, cela ne devrait pas suffire à rendre vraisemblable une hypoth

462 oint injurieuse. Pourtant nous n’en trouvions pas d’ autre. Or, peu de jours auparavant, un petit hérisson était venu se me

463 ’explique sans peine désormais, grâce à la phrase de Colette. Je rapporte cette anecdote parce qu’elle comporte une conclu

464 : pour la première fois depuis je ne sais combien d’ années, je viens de trouver dans un ouvrage littéraire la solution d’u

465 de trouver dans un ouvrage littéraire la solution d’ une question précise. Grâce à Colette, je sais maintenant pourquoi not

466 is maintenant pourquoi notre chambre était pleine de puces. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme un symbole. Les

467 tre chambre était pleine de puces. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme un symbole. Les livres devraient être uti

468 exactes, des explications vérifiables, des modes d’ emploi, des descriptions objectives et utilisables ; et ceci à tous le

469 ctives et utilisables ; et ceci à tous les degrés de la réalité, dans les grandes choses comme dans les choses de rien. Au

470 té, dans les grandes choses comme dans les choses de rien. Au lieu de cela, les modernes nous servent des états d’âme impr

471 lieu de cela, les modernes nous servent des états d’ âme improbables ou excessifs, des inquiétudes dont ils n’ont même pas

472 fs, des inquiétudes dont ils n’ont même pas l’air d’ être vraiment inquiets, des indiscrétions gênantes et dont on ne sait

473 op que faire, ou des doctrines dont ils négligent de nous dire s’ils les ont essayées sur le vif, dans le détail de la vie

474 s’ils les ont essayées sur le vif, dans le détail de la vie quotidienne. Ils nous donnent très rarement des réponses, ou a

475 réponses à des questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’est là qu’ils croient voir leur astuce. Astuces, peti

476 ns, toute cette littérature est sans doute pleine de talent, elle est même littéralement sensationnelle, mais que veulent-

477 ls qu’on en fasse ? — Nous avons tout à apprendre de Goethe. Non seulement des révélations du second Faust, mais aussi de

478 ement des révélations du second Faust, mais aussi de ces pages du Journal de voyage en Italie où, par exemple, il rapporte

479 second Faust, mais aussi de ces pages du Journal de voyage en Italie où, par exemple, il rapporte à Mme de Stein comment

480 il rapporte à Mme de Stein comment les habitants de Ferrare utilisent les vieilles tuiles concassées pour recouvrir les r

481 oncassées pour recouvrir les routes et les allées de leurs jardins. Et il ajoute : « Dès mon retour à la maison, j’essaier

482 — Commentons : La noblesse est dans l’usage. Pas de noblesse sans usage, sans application précise aux choses, etc. Ne mon

483 s plus au ciel du second Faust que par ces allées de Ferrare ! 18 décembre 1933 Je ne cesse de repenser à la confére

484 s de Ferrare ! 18 décembre 1933 Je ne cesse de repenser à la conférence d’avant-hier, à A. Il me semble qu’elle m’ap

485 e 1933 Je ne cesse de repenser à la conférence d’ avant-hier, à A. Il me semble qu’elle m’apprend sur « le peuple » dava

486 m’a fait voir « le peuple » pour la première fois de ma vie. Première constatation : l’apathie générale, aussi bien à A. q

487 ’apathie générale, aussi bien à A. qu’à la séance de cinéma. Il n’y aurait là rien d’étonnant si l’on ne nous rebattait le

488 . qu’à la séance de cinéma. Il n’y aurait là rien d’ étonnant si l’on ne nous rebattait les oreilles de phrases sur la volo

489 d’étonnant si l’on ne nous rebattait les oreilles de phrases sur la volonté et la mission du peuple. On a beau se méfier d

490 si pour quoi elles mentent, et quel immense désir de réveiller le peuple elles traduisent chez certains qui les prononcent

491 elles traduisent chez certains qui les prononcent de bonne foi. Elles le trahissent d’ailleurs, ce désir, en essayant de l

492 s le trahissent d’ailleurs, ce désir, en essayant de le faire passer d’ores et déjà pour une réalité. Deuxième constatati

493 é. Deuxième constatation : il est très difficile d’ aimer des hommes qui ne nous sont rien, qui ne nous demandent rien, qu

494 andent rien, qui peut-être ne voudraient pas même de notre aide (nous égale les intellectuels bourgeois). Il est très diff

495 s intellectuels bourgeois). Il est très difficile d’ aimer ces hommes, et cependant ils sont la réalité vivante et présente

496 nte du « peuple ». Par contre, il est très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont

497 uple ». Par contre, il est très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous souff

498 s facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il est très tentant d

499 xe et dont nous souffrons. Et il est très tentant d’ appeler cette haine amour du peuple… Troisième constatation : la plupa

500 éhensibles ; mais ceux qui les écoutent ont l’air de trouver cela tout naturel. Je fus certainement le seul ici à m’étonne

501 e des noms qu’on ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloquence est le but du discours, dont le sujet n’e

502 u des mensonges, on n’applaudira guère que le son de leur voix, ou le parti qui les délègue. Il resterait à expliquer cet

503 nt il ne sera pas le dernier à pâtir. Impuissance de l’« esprit », bêtise de l’action : ces deux misères n’auraient-elles

504 nier à pâtir. Impuissance de l’« esprit », bêtise de l’action : ces deux misères n’auraient-elles pas une origine commune 

505 é que j’entrevoyais cette origine dans les propos de mon voisin au sortir de la conférence. Cet homme trouvait qu’il n’y a

506 il n’y avait rien à « discuter » dans les paroles de l’orateur, parce que c’était « la vérité ». Autrement dit, parce que

507 lque chose qui peut être réalisé. Et qu’il s’agit de prendre position effectivement. S’il s’était senti interpellé personn

508 terpellé personnellement, invité à choisir, sommé d’ approuver ou de refuser en fait ce que venait de dire le conférencier,

509 nellement, invité à choisir, sommé d’approuver ou de refuser en fait ce que venait de dire le conférencier, alors ! alors

510 remarqué qu’aucun des auditeurs ait pris la chose de cette manière. Je sais bien qu’il y a la difficulté de s’exprimer, la

511 tte manière. Je sais bien qu’il y a la difficulté de s’exprimer, la timidité, la fatigue, et que tout cela peut bien suffi

512 out cela peut bien suffire à expliquer le silence de ces cultivateurs. Mais le type qui m’a parlé avait la langue bien pen

513 je m’avise que la majorité des « intellectuels » d’ aujourd’hui ne pense pas très différemment. Peuple ou « clercs », ils

514 a « vérité » n’engage à rien. Ils bornent le rôle de l’esprit à la constatation de l’exactitude objective et formelle des

515 Ils bornent le rôle de l’esprit à la constatation de l’exactitude objective et formelle des faits ou des raisonnements que

516 t sont des égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’ aristos qui ne vont qu’avec les riches. Il y en a certes qui font prog

517 tout à fait autre chose. C’est un certain nombre de phrases qu’on lit dans les journaux et qu’on entend dans les assemblé

518 u avec les gros. D’autre part, c’est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne s

519 ros. D’autre part, c’est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne servent à rie

520 part, c’est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne servent à rien. Enfin, les

521 est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne servent à rien. Enfin, les questio

522 llectuels ne servent à rien. Enfin, les questions de personnes jouent un rôle : on aime avoir un député instruit. Mais ce

523 s. C’est surtout parce qu’un homme instruit jouit d’ une certaine considération sociale, sait se débrouiller à Paris et peu

524 ociale, sait se débrouiller à Paris et peut faire de beaux discours. Dans ces conditions, qu’un intellectuel aille parler

525 a l’air « sincère », mais on n’aura jamais l’idée de mettre en pratique ce qu’il dit. Il reste dans son rôle en s’agitant

526 culture se trompent sur la nature et sur le rôle de la culture. Mais il est inquiétant que les hommes cultivés, au lieu d

527 ivés, au lieu de s’efforcer, comme ils devraient, de combattre activement cette erreur, en tirent au contraire leur confor

528 uent agréablement, ils la réduisent à un ensemble de phrases correctes, quelquefois ingénieuses, et par définition ineffic

529 nieuses, et par définition inefficaces. L’opinion de mon voisin après la conférence, j’ai pu croire que c’était l’opinion

530 conférence, j’ai pu croire que c’était l’opinion d’ un nigaud ; mais non, c’est celle d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini

531 ait l’opinion d’un nigaud ; mais non, c’est celle d’ un clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre.

532 c’est celle d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre. 20 décembre 1933 « Si l’on veut

533 d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre. 20 décembre 1933 « Si l’on veut réellement co

534 à un but défini, il faut avant tout se préoccuper de le prendre là où il est, et commencer là. Voilà le secret de tout sec

535 re là où il est, et commencer là. Voilà le secret de tout secours… Pour aider réellement un homme, il faut que j’en sache

536 l sait. Sinon mon savoir supérieur ne lui servira de rien. Si je persiste cependant à faire valoir ma science, ce n’est pl

537 eu d’aider l’homme, je cherche à me faire admirer de lui. » Cette remarque de Kierkegaard me frappe aujourd’hui comme si

538 rche à me faire admirer de lui. » Cette remarque de Kierkegaard me frappe aujourd’hui comme si elle avait été écrite expr

539 ceux qui m’entourent, ce « peuple » qu’il s’agit d’ aider, et que je vois encore si mal. (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’

540 core si mal. (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’ici de m’occuper de politique par exemple… Mais déjà je me sens moins assuré

541 (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’ici de m’occuper de politique par exemple… Mais déjà je me sens moins assuré dans ma bonn

542 je me sens moins assuré dans ma bonne conscience de « doctrinaire », à cet égard.) D’autre part, elle m’aide à distinguer

543 elle m’aide à distinguer l’un des motifs au moins de ma gêne, quand je constate qu’ils ne comprennent pas de quoi je m’occ

544 gêne, quand je constate qu’ils ne comprennent pas de quoi je m’occupe. C’est peut-être un secret désir, un inconscient dés

545 re un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’ être reconnu par eux à ma juste valeur. Exactement ce que Kierkegaard

546 n chacun, mon amour-propre, je ne puis m’empêcher de le juger assez justifié dans l’occurrence. On n’aime pas être tenu po

547 et je ne prévois aucune « rentrée » avant la fin de janvier. J’attends encore le courrier de demain matin pour prendre un

548 t la fin de janvier. J’attends encore le courrier de demain matin pour prendre une décision. 23 décembre 1933 J’écr

549 23 décembre 1933 J’écris ceci sur une table de café. À travers la vitrine, je vois le vieux port de cette vieille vi

550 café. À travers la vitrine, je vois le vieux port de cette vieille ville, la plus proche de notre île, et où nous devons e

551 encore passer deux heures en attendant le départ de l’autobus pour Taillefer. Nous sommes attablés ici depuis un bon mome

552 blés ici depuis un bon moment déjà, tout contents de revoir le va-et-vient d’un lieu public, de lire des journaux de Paris

553 ment déjà, tout contents de revoir le va-et-vient d’ un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarett

554 ntents de revoir le va-et-vient d’un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarettes américaines au

555 a-et-vient d’un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarettes américaines au goût de miel, introuv

556 ’un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarettes américaines au goût de miel, introuvables dans l

557 is et de fumer des cigarettes américaines au goût de miel, introuvables dans l’île. Pendant que ma femme lit des hebdomada

558 mme lit des hebdomadaires, je vais renouer le fil de ce journal. Tout d’abord, j’ai à constater l’échec de notre première

559 e journal. Tout d’abord, j’ai à constater l’échec de notre première tentative d’autonomie. Je ne suis pas arrivé à gagner

560 i à constater l’échec de notre première tentative d’ autonomie. Je ne suis pas arrivé à gagner assez vite ce qu’il nous fal

561 il nous fallait pour subsister après l’épuisement de notre réserve. J’ai travaillé beaucoup, mais je ne serai pas payé ava

562 ui vit au jour le jour, il s’agit essentiellement d’ éviter les lacunes de cette sorte. (Ce que l’on nomme « difficultés de

563 r, il s’agit essentiellement d’éviter les lacunes de cette sorte. (Ce que l’on nomme « difficultés de trésorerie » dans le

564 de cette sorte. (Ce que l’on nomme « difficultés de trésorerie » dans les affaires, devient ici, évidemment, un obstacle

565 évidemment, un obstacle absolu.) Assuré au moins de quelque argent à venir, j’ai accepté l’invitation d’un ami qui nous o

566 quelque argent à venir, j’ai accepté l’invitation d’ un ami qui nous offre de passer trois semaines chez lui. Il habite à u

567 j’ai accepté l’invitation d’un ami qui nous offre de passer trois semaines chez lui. Il habite à une petite journée de voy

568 semaines chez lui. Il habite à une petite journée de voyage de notre île. La leçon pratique de cette première expérience d

569 hez lui. Il habite à une petite journée de voyage de notre île. La leçon pratique de cette première expérience de deux moi

570 journée de voyage de notre île. La leçon pratique de cette première expérience de deux mois, c’est que la liberté ne s’imp

571 e. La leçon pratique de cette première expérience de deux mois, c’est que la liberté ne s’improvise pas. Qu’il faut la con

572 rir avec méthode, et organiser à l’avance un plan d’ attaque, prévoyant à un jour près la date d’arrivée des renforts. Je n

573 plan d’attaque, prévoyant à un jour près la date d’ arrivée des renforts. Je ne suis pas trop fier de ma retraite stratégi

574 d’arrivée des renforts. Je ne suis pas trop fier de ma retraite stratégique, mais tout de même bien décidé à renouveler m

575 es vieux du village. Il faisait nuit noire, et un de ces mauvais froids humides. Rien de plus lugubre que l’île avant l’au

576 stopper pour embarquer deux paysannes encombrées de paniers, puis d’autres paysannes, puis des gars endimanchés qui allai

577 s qui allaient s’amuser au chef-lieu, si bien que d’ arrêt en arrêt, il fallut près de deux heures pour arriver au dit chef

578 titre, mais seulement « évangéliste » au service d’ une œuvre missionnaire. Les évangélistes étant moins bien payés que le

579 s bien payés que les pasteurs (dont le traitement de base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cel

580 que les pasteurs (dont le traitement de base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cela se trouve,

581 base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cela se trouve, des remplacements d’institutrices. Ils o

582 de faire, quand cela se trouve, des remplacements d’ institutrices. Ils ont déjà deux garçons, et ils ont trouvé le moyen d

583 ont déjà deux garçons, et ils ont trouvé le moyen de recueillir encore une vieille Bretonne sans ressources, qui aide un p

584 s, qui aide un peu à la cuisine et casse beaucoup d’ assiettes. Dans cette île, qui fut presque entièrement protestante au

585 le, M. Palut n’a plus aujourd’hui qu’une centaine de paroissiens disséminés. Il en vient une dizaine au culte. Les autres

586 c la population. Conférences, visites, colportage de bibles de porte en porte. On ne peut pas dire que tout ce travail épu

587 ation. Conférences, visites, colportage de bibles de porte en porte. On ne peut pas dire que tout ce travail épuisant dans

588 testants qui sont souvent l’élément le plus actif de la population s’expatrient volontiers, ou vont habiter les villes.) E

589 r les villes.) En été, la petite ville se remplit de baigneurs, et l’auditoire du temple est décuplé : cela suffit pour qu

590 a suffit pour qu’on maintienne le poste… J’essaie de me représenter l’existence quotidienne de cet homme aux prises avec l

591 ’essaie de me représenter l’existence quotidienne de cet homme aux prises avec la solitude la plus désespérante, celle que

592 ue lui crée l’indifférence tranquille et obstinée de ceux auprès desquels il devrait exercer sa mission. Ils ne veulent pa

593 ne veulent pas même l’écouter, et toute sa raison d’ être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il

594 ’écouter, et toute sa raison d’être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il ne peut pas le faire.

595 d’être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’ autre à faire, et il ne peut pas le faire. Et de plus, il est seul à

596 ine qu’il doit apparaître, aux yeux des habitants de cette petite ville comme une espèce de fou, d’ailleurs inoffensif. Ou

597 habitants de cette petite ville comme une espèce de fou, d’ailleurs inoffensif. Ou peut-être encore, ce qui est pis, comm

598 est pis, comme un hypocrite qui a trouvé le moyen de vivre sans travailler. Il m’a décrit son existence sans amertume. Il

599 son existence sans amertume. Il ne se plaint que de son isolement intellectuel. Il trouve normal de vivre une vie humaine

600 e de son isolement intellectuel. Il trouve normal de vivre une vie humainement absurde. Non qu’il n’en distingue pas l’abs

601 ais simplement il sait pourquoi il la subit. Fils d’ un petit hôtelier breton d’origine catholique, il s’est converti à vin

602 quoi il la subit. Fils d’un petit hôtelier breton d’ origine catholique, il s’est converti à vingt ans, et depuis lors il n

603 te qu’il n’y ait « à vues humaines » aucun espoir de se faire entendre, si le seul espoir vrai réside dans la foi, qui ord

604 seul espoir vrai réside dans la foi, qui ordonne de parler quand même ? On ne persécute plus le christianisme en France :

605 ristianisme en France : c’est sans doute un signe de surdité spirituelle totale. Seule la politique est encore capable de

606 lle totale. Seule la politique est encore capable de pousser les hommes à des violences. L’héroïsme vrai aujourd’hui n’est

607 urd’hui n’est plus spectaculaire, il ne fait plus de grands gestes symboliques et passionnés. Il ne tranche pas sur la pla

608 autour de moi. Que les hommes sont laids ! Chacun d’ eux me frappe par une difformité particulière, pitoyable ou irritante.

609 deux mois j’ai vu tous les jours les mêmes têtes de paysans et de pêcheurs, ni belles ni laides comme les têtes que l’on

610 i vu tous les jours les mêmes têtes de paysans et de pêcheurs, ni belles ni laides comme les têtes que l’on connaît bien e

611 arlent. J’ai sans doute perdu l’habitude citadine de ne pas voir ceux qui m’entourent. Je pose un regard trop précis, qui

612 u « vraisemblable » même ; car enfin il n’y a pas de raison pour que les habitants de cette ville soient sensiblement plus

613 fin il n’y a pas de raison pour que les habitants de cette ville soient sensiblement plus laids que ceux du reste de la Fr

614 soient sensiblement plus laids que ceux du reste de la France. Peut-on aimer les hommes qu’on voit ? — Ou bien, au contra

615 onnaître mieux, un à un ? — Il sera bientôt temps de se diriger vers cet autobus rouge qui vient d’apparaître sur le quai.

616 ps de se diriger vers cet autobus rouge qui vient d’ apparaître sur le quai. Je me réjouis de ce petit voyage. Il me semble

617 qui vient d’apparaître sur le quai. Je me réjouis de ce petit voyage. Il me semble que je vais découvrir un pays cent fois

618 ir : la province et la vie quotidienne, une foule de réalités sociales passionnantes avec lesquelles j’ai hâte de confront

619 sociales passionnantes avec lesquelles j’ai hâte de confronter les hypothèses que je déduis, depuis deux mois, de mes pet

620 r les hypothèses que je déduis, depuis deux mois, de mes petites observations sur l’île. La solitude rajeunit. Me voici da

621 île. La solitude rajeunit. Me voici dans l’humeur de mes vingt ans, curieux des moindres aventures, et tout mon lyrisme au

622 ou le pittoresque. Ce séjour, par ailleurs plein d’ agrément, ne m’a permis de faire jusqu’ici qu’une seule expérience pré

623 our, par ailleurs plein d’agrément, ne m’a permis de faire jusqu’ici qu’une seule expérience précise et utile relativement

624 périence précise et utile relativement au dessein de ce journal : celle du loisir. Je m’aperçois que je ne savais plus, ou

625 re » une soirée, depuis six mois que je n’ai plus de travail fixe. Quand je m’arrêtais d’écrire, par fatigue, je ne me sen

626 je n’ai plus de travail fixe. Quand je m’arrêtais d’ écrire, par fatigue, je ne me sentais pas la bonne conscience de l’emp

627 fatigue, je ne me sentais pas la bonne conscience de l’employé qui a fait sa journée et qui pense maintenant à autre chose

628 et qui pense maintenant à autre chose. Une sorte d’ impatience me tarabustait encore, me ramenait sans cesse aux mêmes pré

629 cette vacance où les idées et sentiments changent de climat. Le loisir n’est pas simplement la cessation du travail pour u

630 r — et c’est cela qui le différencie profondément d’ un chômeur industriel, par exemple —, mais il ne connaît plus de vrais

631 ndustriel, par exemple —, mais il ne connaît plus de vrais loisirs. ⁂ Je saisis l’occasion de ce répit pour essayer de dém

632 aît plus de vrais loisirs. ⁂ Je saisis l’occasion de ce répit pour essayer de démêler un peu la signification complexe du

633 . ⁂ Je saisis l’occasion de ce répit pour essayer de démêler un peu la signification complexe du chômage intellectuel. Nos

634 mplexe du chômage intellectuel. Nos conversations de ces jours derniers avec nos amis, et les précisions que j’ai dû fourn

635 ons que j’ai dû fournir à des personnes curieuses de mon état, m’ont amené à me poser un certain nombre de questions et m’

636 on état, m’ont amené à me poser un certain nombre de questions et m’ont rendu attentif à quelques faits que je veux consig

637 tat d’âme, une « condition », un mode particulier d’ existence. Il n’est plus seulement un accident, une privation provisoi

638 s seulement un accident, une privation provisoire de travail rémunérateur. Il ne relève plus seulement de la statistique é

639 travail rémunérateur. Il ne relève plus seulement de la statistique économique, mais de la psychologie. 2 — Ce fait « exis

640 plus seulement de la statistique économique, mais de la psychologie. 2 — Ce fait « existentiel » absolument nouveau dans l

641 eau dans l’histoire n’a pas encore été étudié, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur, en tant que fait psychologique. 3 — C

642 n’a pas encore été étudié, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur, en tant que fait psychologique. 3 — Cependant, il est di

643 cela dure, croît et embellit depuis vingt ans —,  de se refuser systématiquement à envisager le sort d’environ 30 millions

644 e se refuser systématiquement à envisager le sort d’ environ 30 millions de contemporains. D’autant plus que des partis pol

645 quement à envisager le sort d’environ 30 millions de contemporains. D’autant plus que des partis politiques « dangereux »

646 r le sort d’environ 30 millions de contemporains. D’ autant plus que des partis politiques « dangereux » prennent soin de v

647 des partis politiques « dangereux » prennent soin de vous le rappeler avec une insistance impitoyable. Alors on se rabat s

648 e mystérieux et un peu effrayant, il joue le rôle d’ un croquemitaine pour grandes personnes.) On discute avec passion des

649 s sans-travail, ou tout au moins pour leur donner de la soupe ; on fait des hypothèses sociologiques, etc. Tout cela reste

650 n n’étudie pas la misère, quand il ne s’agit plus de rien que de trouver le pain du lendemain, et c’est le cas du très gra

651 as la misère, quand il ne s’agit plus de rien que de trouver le pain du lendemain, et c’est le cas du très grand nombre. D

652 rand nombre. D’autre part, ceux qui « jouissent » d’ un mode d’existence assuré se soucient peu de connaître la mentalité d

653 e. D’autre part, ceux qui « jouissent » d’un mode d’ existence assuré se soucient peu de connaître la mentalité du chômeur,

654 ité du chômeur, soit que, bourgeois, ils refusent de croire à la nécessité organique et permanente de sa condition dans l’

655 de croire à la nécessité organique et permanente de sa condition dans l’ordre capitaliste, soit que, socialistes, ils se

656 fin qu’une gêne assez compréhensible les retienne de se mêler du malheur d’autrui, d’un malheur en l’espèce dont ils se se

657 ompréhensible les retienne de se mêler du malheur d’ autrui, d’un malheur en l’espèce dont ils se sentent peut-être, obscur

658 ble les retienne de se mêler du malheur d’autrui, d’ un malheur en l’espèce dont ils se sentent peut-être, obscurément, res

659 n est dans le chômage, et l’on n’a pas les moyens de s’analyser, de s’exprimer. Ou bien l’on est hors du chômage, et l’on

660 hômage, et l’on n’a pas les moyens de s’analyser, de s’exprimer. Ou bien l’on est hors du chômage, et l’on a toutes les ra

661 est hors du chômage, et l’on a toutes les raisons de ne pas trop s’en approcher. 5 — Reste le cas tout à fait particulier

662 procher. 5 — Reste le cas tout à fait particulier de l’intellectuel chômeur. Il semble que cet homme-là soit à peu près le

663 le seul qui ait à la fois le droit et les moyens d’ étudier de l’intérieur le « fait du chômage ». Mais cela n’est pas si

664 ui ait à la fois le droit et les moyens d’étudier de l’intérieur le « fait du chômage ». Mais cela n’est pas si simple en

665 urs reprises un petit fait amusant. Les bourgeois de gauche ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver le

666 un petit fait amusant. Les bourgeois de gauche ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver les élites », e

667 urgeois de gauche ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver les élites », et de secourir les chômeurs in

668 e ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver les élites », et de secourir les chômeurs intellectuels dont

669 iers de la nécessité de « sauver les élites », et de secourir les chômeurs intellectuels dont on dirait parfois qu’ils par

670 issent plus spécialement touchants… Mais quand un de ces excellents bourgeois vient à me rencontrer, et que je me donne po

671 : « Chômeur ? Allons donc, cela s’appelait bohème de mon temps ! Et puis vous êtes un bourgeois, un bourgeois ne peut pas

672 u fait et au prendre, qu’est-ce que cela signifie d’ être chômeur quand on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de p

673 la signifie d’être chômeur quand on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de penser ? Ha ha ! Un intellectuel en chô

674 nd on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de penser ? Ha ha ! Un intellectuel en chômage, ce serait en somme un mo

675 e qui renforce cette impression chez quelques-uns de ceux auxquels j’ai eu affaire, c’est que j’ai l’air assez satisfait d

676 eu affaire, c’est que j’ai l’air assez satisfait de mon état, le plaisir de vivre à ma guise dans une simplicité très fav

677 ’ai l’air assez satisfait de mon état, le plaisir de vivre à ma guise dans une simplicité très favorable à mon travail, su

678 vail, surpassant finalement mes ennuis matériels. De là à croire que je ne suis qu’un amateur, ou que je pose au prolétair

679 ur n’est pas un homme démoralisé par la privation de travail. Au contraire, il peut travailler davantage. Il ne se disting

680 eut travailler davantage. Il ne se distingue donc d’ un intellectuel rentier que par le manque de revenu assuré. Mais le se

681 donc d’un intellectuel rentier que par le manque de revenu assuré. Mais le seul fait que la « matérielle » est déficiente

682  matérielle » est déficiente change sa conscience d’ intellectuel, et l’oblige à se poser des questions toutes nouvelles. U

683 scrit au chômage » et ne bénéficie pas du minimum de sécurité financière accordé par l’État au chômeur industriel. Autre d

684 rovisoire sans renoncer en même temps à sa raison d’ être, — ce qui n’est pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il

685 mps à sa raison d’être, — ce qui n’est pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il se pourrait que l’intellectuel pu

686 tuel puisse connaître une forme très particulière de chômage pur : certaines circonstances extérieures sont capables de tu

687 certaines circonstances extérieures sont capables de tuer en certains hommes jusqu’à l’activité de la pensée : mon état d’

688 les de tuer en certains hommes jusqu’à l’activité de la pensée : mon état d’esprit, quand je suis dans une ville étrangère

689 erdre jusqu’à mes attaches avec moi-même, à force d’ inaction, de gratuité. Plus j’essaie de préciser ma condition, plus el

690 à mes attaches avec moi-même, à force d’inaction, de gratuité. Plus j’essaie de préciser ma condition, plus elle m’apparaî

691 e, à force d’inaction, de gratuité. Plus j’essaie de préciser ma condition, plus elle m’apparaît paradoxale, tantôt meille

692 t voisine. À défaut de conclusion nette, essayons de résumer les faits : 1 — L’intellectuel chômeur est celui qui ne peut

693 llectuel chômeur est celui qui ne peut plus vivre de son travail, soit qu’il ait perdu l’emploi régulier qui assurait son

694 qui assurait son budget, soit que la nature même de ses travaux l’empêche d’en tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en

695 soit que la nature même de ses travaux l’empêche d’ en tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en France d’écrivains qui vi

696 a nature même de ses travaux l’empêche d’en tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en France d’écrivains qui vivent de leu

697 tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en France d’ écrivains qui vivent de leurs écrits ? Peut-être deux sur cent — et ce

698 Combien y a-t-il en France d’écrivains qui vivent de leurs écrits ? Peut-être deux sur cent — et ces deux-là auront probab

699 eux sur cent — et ces deux-là auront probablement de 40 à 70 ans…) 2 — Le chômage tel qu’il est vécu aujourd’hui par une t

700 tel qu’il est vécu aujourd’hui par une trentaine de millions d’hommes ne peut pas être vécu de la même façon par l’intell

701 st vécu aujourd’hui par une trentaine de millions d’ hommes ne peut pas être vécu de la même façon par l’intellectuel. Il a

702 ntaine de millions d’hommes ne peut pas être vécu de la même façon par l’intellectuel. Il atteint les travailleurs manuels

703 leur profession quand les instruments ou le champ d’ action nécessaires leur font défaut. Mais l’intellectuel n’a besoin, l

704 intellectuel n’a besoin, la plupart du temps, que de papier et d’encre. Il ne sera donc jamais un chômeur absolu, pensant

705 n’a besoin, la plupart du temps, que de papier et d’ encre. Il ne sera donc jamais un chômeur absolu, pensant toujours, ce

706 d’autres, par vocation, souffrira-t-il davantage de son état, tout au moins le comprendra-t-il plus profondément, plus in

707 ge déclasse l’intellectuel. Il le met sur un pied d’ égalité paradoxal avec les hommes qui l’entourent. Il le dépouille des

708 ’entourent. Il le dépouille des signes extérieurs de son état, de cet habitus bourgeois qui, hélas, est encore chez nous l

709 l le dépouille des signes extérieurs de son état, de cet habitus bourgeois qui, hélas, est encore chez nous la marque de l

710 rgeois qui, hélas, est encore chez nous la marque de l’intellectuel. Par là même, l’intellectuel chômeur risque d’apparaît

711 ctuel. Par là même, l’intellectuel chômeur risque d’ apparaître inférieur aux yeux des gens de métier parmi lesquels il vit

712 r risque d’apparaître inférieur aux yeux des gens de métier parmi lesquels il vit. Pour le moment, ce qui domine en moi, c

713 ette maison glaciale et humide. Il n’y avait plus de pétrole, et il était trop tard pour aller en acheter. Silence, froid,

714 nce, froid, solitude, et ce vent qui ne cesse pas de siffler autour de la maison. Nous avons trouvé des noix et bu un verr

715 maison. Nous avons trouvé des noix et bu un verre de vin, à la lueur d’une bougie. Heureux de nous retrouver chez nous, da

716 trouvé des noix et bu un verre de vin, à la lueur d’ une bougie. Heureux de nous retrouver chez nous, dans notre campement

717 un verre de vin, à la lueur d’une bougie. Heureux de nous retrouver chez nous, dans notre campement au bout du monde. Conf

718 inconfort matériel. Je viens de relire mes notes de Taillefer. Il me semble déjà que l’ambiance où j’étais en les écrivan

719 is en les écrivant m’a fait exagérer l’importance de l’élément d’insécurité dans ma vie actuelle. Certes, j’ai toujours le

720 ivant m’a fait exagérer l’importance de l’élément d’ insécurité dans ma vie actuelle. Certes, j’ai toujours les mêmes raiso

721 rtes, j’ai toujours les mêmes raisons matérielles de m’inquiéter. Mais je ne les sens pas si obsédantes. Et même, en y réf

722 e rappelle d’autres moments pareils : à l’annonce d’ accidents imprévus qui donnaient brusquement à ma vie un cours nouveau

723 ux reprises au moins, je me souviens parfaitement d’ avoir prononcé à mi-voix : « Ainsi, c’est cela. » — avec ce même calme

724 faisais que reconnaître et vérifier quelque chose de déjà entendu, au double sens du mot. Comme si j’étais moi-même mon de

725 rquoi ce calme, quand j’aurais toutes les raisons de m’inquiéter, de réclamer, de calculer plus ou moins fiévreusement d’a

726 quand j’aurais toutes les raisons de m’inquiéter, de réclamer, de calculer plus ou moins fiévreusement d’autres projets…?

727 s toutes les raisons de m’inquiéter, de réclamer, de calculer plus ou moins fiévreusement d’autres projets…? D’où vient ce

728 er plus ou moins fiévreusement d’autres projets…? D’ où vient cette persuasion que tout est bien, si profonde que je me l’a

729 et que je n’arrive à la préciser que par l’effort d’ écrire ici des mots qui la traduisent et la trahissent ? D’où vient ce

730 ici des mots qui la traduisent et la trahissent ? D’ où vient cette espèce d’optimisme que rien ne paraît motiver aux yeux

731 uisent et la trahissent ? D’où vient cette espèce d’ optimisme que rien ne paraît motiver aux yeux d’autrui ou aux yeux de

732 e d’optimisme que rien ne paraît motiver aux yeux d’ autrui ou aux yeux de ma raison ? Et si je n’avais pas une croyance se

733 u’il m’advienne), ne serais-je pas désespéré, fou de possibles manqués et de grandeurs inatteintes ? Serait-ce donc que je

734 ais-je pas désespéré, fou de possibles manqués et de grandeurs inatteintes ? Serait-ce donc que je crois réellement à la P

735 i des déterminations qui ne tiennent aucun compte de moi : voilà la croyance des hommes forts, disent-ils. Savoir quelle a

736 hommes forts, disent-ils. Savoir quelle angoisse d’ infériorité se cache sous cette volonté de puissance ! La force est ca

737 ngoisse d’infériorité se cache sous cette volonté de puissance ! La force est calme. Et il me plaît de croire qu’elle s’ig

738 de puissance ! La force est calme. Et il me plaît de croire qu’elle s’ignore. Je distingue clairement ceci : il y a une im

739 certitude que la seule force qui compte est celle de la Providence (ou du destin). C’est cela seul qui dispense l’homme de

740 du destin). C’est cela seul qui dispense l’homme de jouer la comédie de la force pour s’imposer aux autres, ou s’en impos

741 ela seul qui dispense l’homme de jouer la comédie de la force pour s’imposer aux autres, ou s’en imposer à soi-même. Ceux

742 ’en imposer à soi-même. Ceux qui font des mentons d’ imperator, ceux qui frappent du poing sur la table, ceux qui s’égosill

743 e, ceux qui s’égosillent, ceux qui publient à son de trompe leurs défis ou leurs succès — prouvent qu’ils n’y croient pas

744 On comprend qu’ils s’acharnent à répéter que rien de grand ne se fait que par la collectivité : s’ils étaient seuls, ils a

745 ectivité : s’ils étaient seuls, ils auraient peur de n’être rien. 23 janvier 1934 (écrit sur la dune) Il ne faut pas

746 ne) Il ne faut pas se mettre en colère au mois de janvier. C’est une saison abstraite, on n’atteint presque rien. Le so

747 agrandit les regards sans nourrir la vision. Pas de mouches dans la lumière au ras des landes. Lucidité stérile du bel hi

748 craindre qu’elle ne m’attaque par désir famélique de créer du nouveau. Car c’est une consolation aussi que d’avoir à faire

749 r du nouveau. Car c’est une consolation aussi que d’ avoir à faire face à quelque catastrophe intime. Certains jours on don

750 jours on donnerait beaucoup pour une bonne raison de désespérer, pour une bonne et impérieuse raison d’abandonner cette pa

751 e désespérer, pour une bonne et impérieuse raison d’ abandonner cette partie mal engagée, ma vie, et de se retrouver neuf,

752 d’abandonner cette partie mal engagée, ma vie, et de se retrouver neuf, enfantin, ou tout simplement jeune devant un prése

753 ou tout simplement jeune devant un présent ouvert de tous côtés… Une seule vertu peut alors nous sauver de cette tentation

754 ous côtés… Une seule vertu peut alors nous sauver de cette tentation du désespoir et c’est l’humilité. Si je ne suis pas i

755 Ainsi je me renouvelle lentement. C’est un moyen de sortir de l’impasse : non pas en changeant ses données, mais soi-même

756 me renouvelle lentement. C’est un moyen de sortir de l’impasse : non pas en changeant ses données, mais soi-même. Fin d

757 s en changeant ses données, mais soi-même. Fin de janvier 1934 Je lis dans le Journal de Kierkegaard : « La lande do

758 Fin de janvier 1934 Je lis dans le Journal de Kierkegaard : « La lande doit favoriser le développement de pensées p

759 aard : « La lande doit favoriser le développement de pensées puissantes. Ici tout est sans voile, dans sa nudité devant Di

760 sans voile, dans sa nudité devant Dieu. Ici plus de dérangements domestiques, plus aucun de ces subterfuges grâce auxquel

761 Ici plus de dérangements domestiques, plus aucun de ces subterfuges grâce auxquels la conscience peut se dissimuler, et q

762 conscience peut se dissimuler, et qui l’empêchent d’ atteindre rien de sérieux dans le désordre. “Où fuirai-je devant ta fa

763 e dissimuler, et qui l’empêchent d’atteindre rien de sérieux dans le désordre. “Où fuirai-je devant ta face ?” Cette parol

764 ans l’édition allemande où je poursuis la lecture de ce journal : Einsamkeit (solitude), et Gottgemeinsamkeit (communion a

765 Dieu). Leur rapprochement exprime le sens profond de la lande, son sens ésotérique si l’on veut. Il est curieux de noter q

766 son sens ésotérique si l’on veut. Il est curieux de noter qu’en français communion contient et évoque union, alors qu’en

767 s qu’il y ait là contradiction : les deux couples de mots désignent deux aspects d’un même mouvement de l’être. Celui qui

768 : les deux couples de mots désignent deux aspects d’ un même mouvement de l’être. Celui qui « se tient devant Dieu » est se

769 e mots désignent deux aspects d’un même mouvement de l’être. Celui qui « se tient devant Dieu » est seul. Il se trouve pla

770 Dieu, il se voit uni à ses semblables par un lien de responsabilité. Séparé du monde et remis au monde d’une manière toute

771 responsabilité. Séparé du monde et remis au monde d’ une manière toute nouvelle, non plus pour le subir mais pour collabore

772 r mais pour collaborer à sa transformation. Ainsi de mon île : c’est d’abord un désert, et ensuite il m’apparaît que ce dé

773 ar des hommes réels, leur imposant des conditions de vie précises et qu’il s’agit de regarder d’un œil actif. Février 1

774 nt des conditions de vie précises et qu’il s’agit de regarder d’un œil actif. Février 1934 Les gens. — Du haut des

775 tions de vie précises et qu’il s’agit de regarder d’ un œil actif. Février 1934 Les gens. — Du haut des dunes, je vo

776 s conditions morales et économiques des habitants de l’île. 1. Division des terres. — J’ai pu vérifier à plusieurs reprise

777 tion du cadastre en lisant affichées sur les murs de l’église les annonces de ventes immobilières. Les propriétés se compo

778 t affichées sur les murs de l’église les annonces de ventes immobilières. Les propriétés se composent généralement d’une v

779 ilières. Les propriétés se composent généralement d’ une vingtaine ou d’une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que

780 étés se composent généralement d’une vingtaine ou d’ une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques centiares

781 t généralement d’une vingtaine ou d’une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques centiares, les plus grand

782 la géographie locale assez pour me rendre compte de la dispersion ridicule des parcelles tout autour du village : l’homme

783 tour du village : l’homme qui travaille ces bouts de champ grands comme ma chambre doit passer une partie de la journée à

784 mp grands comme ma chambre doit passer une partie de la journée à marcher de l’un à l’autre. Disposition encore plus gênan

785 re doit passer une partie de la journée à marcher de l’un à l’autre. Disposition encore plus gênante au moment de la récol

786 la guerre. Mais cela n’a pas marché. La tradition de l’île veut que chaque champ soit partagé à la mort du propriétaire en

787 soit partagé à la mort du propriétaire en autant de parcelles qu’il y a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’u

788 du propriétaire en autant de parcelles qu’il y a d’ héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’un champ un peu meilleur

789 y a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’ un champ un peu meilleur que les autres. Égalité contre solidarité. Le

790 s. Égalité contre solidarité. Le résultat évident de cette tradition sacro-sainte, c’est que les paysans travaillent beauc

791 ue. Comment espérer un développement « culturel » de cette population abrutie de fatigue ? Il faudrait d’abord réformer le

792 oppement « culturel » de cette population abrutie de fatigue ? Il faudrait d’abord réformer leurs conditions matérielles.

793 Mais si personne ne fait rien par le moyen normal de l’éducation, il n’y a plus d’autre solution que la contrainte. La dic

794 par le moyen normal de l’éducation, il n’y a plus d’ autre solution que la contrainte. La dictature est un moyen grossier,

795 r ceux qui la subissent, mais c’est le seul moyen de transformer et d’animer un peuple auquel on n’a pas su donner le sens

796 ssent, mais c’est le seul moyen de transformer et d’ animer un peuple auquel on n’a pas su donner le sens civique, le sens

797 uel on n’a pas su donner le sens civique, le sens de la communauté. Qui est-ce qui se préoccupe en France de donner au peu

798 communauté. Qui est-ce qui se préoccupe en France de donner au peuple une éducation solidariste ? On cherche à enrôler ces

799 , c’est l’évidence, parce qu’elles n’exigent rien de positif, ne construisent rien, n’animent rien, s’épuisent en excitati

800 u sens précis, limité et terre à terre des usages de l’île. Dès la quarantaine déjà, les hommes et les femmes ont tous le

801 ps plus ou moins déjeté. Cela provient évidemment de leur position quand ils travaillent aux champs. Et cette position pro

802 ravaillent aux champs. Et cette position provient de la forme de leurs outils. Ils n’utilisent guère que des « bouelles »

803 ux champs. Et cette position provient de la forme de leurs outils. Ils n’utilisent guère que des « bouelles » au manche tr

804 s » au manche très court, recourbé à l’extrémité, de telle sorte que la lame fait avec le manche un angle d’environ 45°. C

805 le sorte que la lame fait avec le manche un angle d’ environ 45°. Cet instrument, d’une part, les oblige à baisser le buste

806 r la terre sablonneuse, d’autre part, les empêche de labourer cette terre à plus de dix ou quinze centimètres de profondeu

807 part, les empêche de labourer cette terre à plus de dix ou quinze centimètres de profondeur. Trente centimètres de rallon

808 r cette terre à plus de dix ou quinze centimètres de profondeur. Trente centimètres de rallonge au manche, un angle plus g

809 nze centimètres de profondeur. Trente centimètres de rallonge au manche, un angle plus grand avec la lame, cela suffirait

810 redresser leur corps et augmenterait le rendement de leurs champs. Intrigué dès les premiers jours par l’allure et les faç

811 dès les premiers jours par l’allure et les façons de travailler si spéciales des gens d’ici, j’ai hésité longtemps à croir

812 le particularité locale motivait l’usage exclusif de cette bouelle. Je les ai questionnés : ils ont eu l’air plutôt surpri

813 , le père Renaud étant venu retourner une planche d’ oignons, je lui ai offert les outils à long manche qui sont dans le ch

814 t de suite obtenu des résultats supérieurs à ceux de ses voisins, et à moindre fatigue. Il y a peut-être d’innombrables pe

815 s voisins, et à moindre fatigue. Il y a peut-être d’ innombrables petits faits de ce genre en France. Il y aurait peut-être

816 gue. Il y a peut-être d’innombrables petits faits de ce genre en France. Il y aurait peut-être d’innombrables réformes aus

817 aits de ce genre en France. Il y aurait peut-être d’ innombrables réformes aussi simples à opérer. Je n’en sais rien4. Je m

818 availlent trop, se plaignent du mauvais rendement de la terre, et refusent cependant de rien changer à des habitudes dont

819 vais rendement de la terre, et refusent cependant de rien changer à des habitudes dont les défauts sautent aux yeux du pre

820 3 février 1934 La presse. — Je note à l’usage d’ un futur historien des mœurs que la presse « de droite » reflète assez

821 ge d’un futur historien des mœurs que la presse «  de droite » reflète assez exactement la mentalité et les conversations d

822 ssez exactement la mentalité et les conversations de la bourgeoisie conservatrice, alors que la presse de gauche ne reflèt

823 la bourgeoisie conservatrice, alors que la presse de gauche ne reflète nullement la mentalité ni les conversations populai

824 s qui recherchent la « considération du peuple ». D’ où le ton haineux, typiquement petit-bourgeois, de certaines de ces fe

825 D’où le ton haineux, typiquement petit-bourgeois, de certaines de ces feuilles. Je n’ai jamais retrouvé ce ton dans le peu

826 aineux, typiquement petit-bourgeois, de certaines de ces feuilles. Je n’ai jamais retrouvé ce ton dans le peuple. S’il en

827 t, quelques traces ici ou là, c’est que le peuple de France lit trop de journaux, ne lit que cela, et finit par se croire

828 ici ou là, c’est que le peuple de France lit trop de journaux, ne lit que cela, et finit par se croire « le Peuple » tel q

829 is naïf et grandiloquent, avec des maladresses et de grosses astuces, qui n’est pas exactement celui des « discussions » q

830 nnes. Les correspondances villageoises (accidents de bicyclette, arrivée d’un bateau, prix du sel, causeries du curé ou de

831 es villageoises (accidents de bicyclette, arrivée d’ un bateau, prix du sel, causeries du curé ou de l’instituteur, mariage

832 ée d’un bateau, prix du sel, causeries du curé ou de l’instituteur, mariages, décès et naissances) tiennent presque toute

833 ien ne le rend plus sensible que cette différence de ton entre tel organe socialiste ou communiste de Paris, et l’un de ce

834 de ton entre tel organe socialiste ou communiste de Paris, et l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934

835 organe socialiste ou communiste de Paris, et l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934 Les gens. — S

836 mmuniste de Paris, et l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934 Les gens. — Si j’avais une âme de ph

837 5 février 1934 Les gens. — Si j’avais une âme de philanthrope, je chercherais à répandre mes idées dans la population 

838 s consignées, et mettre en discussion mes projets de réforme. Je sais bien ce qui m’arrêterait dès les premiers pas. Ces h

839 s pas. Ces hommes n’ont pas ou n’ont plus coutume de se réunir, d’être ensemble pour causer. Le dimanche, ils « font la pa

840 mes n’ont pas ou n’ont plus coutume de se réunir, d’ être ensemble pour causer. Le dimanche, ils « font la partie » chez l’

841 plorent parmi les vieux. Mais personne n’a l’idée de rien entreprendre. Le village comptait autrefois, paraît-il, cinq ou

842 mptait autrefois, paraît-il, cinq ou six sociétés de caractère utilitaire ou récréatif. La plus fameuse était la Clique de

843 if. La plus fameuse était la Clique des retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêtes villageois

844 la Clique des retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêtes villageoises. Tout cela s’est dissou

845 traités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêtes villageoises. Tout cela s’est dissous quand les homm

846 zz du chef-lieu : il arrive dans un somptueux car d’ excursion capitonné de velours violet horriblement moderne. Cependant

847 rrive dans un somptueux car d’excursion capitonné de velours violet horriblement moderne. Cependant deux associations se s

848 este lors des enterrements : elle assure à chacun de ses membres une nombreuse suite pour leur « dernier voyage ». L’autre

849 r voyage ». L’autre, c’est la Société coopérative de panification, réunissant dans une sorte de corporation boulanger, min

850 rative de panification, réunissant dans une sorte de corporation boulanger, minotier et consommateurs. Le pain, la tombe.

851 fondamentales. Voilà qui est bien dans l’harmonie de cette lande où l’homme et ses maisons mettent les seules verticales.

852 u’ils grattent lentement pour en tirer tout juste de quoi vivre, j’hésite à reconnaître dans leur existence le beau mythe

853 À la fois aux limites du continent et aux limites de l’humanité. Ils n’attaquent plus, ils se cramponnent. Ce ne sont pas

854 Ce ne sont pas des colons, des défricheurs, mais de petits propriétaires qui se défendent avec la seule obstination de l’

855 taires qui se défendent avec la seule obstination de l’instinct, au niveau le plus bas où l’homme puisse vivre sans misère

856 , sans tristesse. Chacun pour soi sur sa parcelle de terre ingrate, ou dans sa courette pleine de fleurs. Qu’ils n’aient p

857 elle de terre ingrate, ou dans sa courette pleine de fleurs. Qu’ils n’aient pas de vie communautaire, cela ne signifie pas

858 sa courette pleine de fleurs. Qu’ils n’aient pas de vie communautaire, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils aient p

859 as nécessairement qu’ils aient perdu le sentiment de leur commune condition. Ils sont peut-être trop pareils pour éprouver

860 nt peut-être trop pareils pour éprouver le besoin de s’unir. Ils n’ont pas à faire face à des menaces extérieures. Et surt

861 ces extérieures. Et surtout ils n’ont nulle envie d’ entreprendre une conquête quelconque, matérielle ou spirituelle. Or c’

862 peuples et les pousse à créer des signes visibles de leur union : assemblées, fêtes, cortèges, uniformes, ou chefs, — kolk

863 mes, ou chefs, — kolkhozes, corporations ou camps de travail. Mais ici, que feraient-ils de tout cela ? Ils ont la liberté

864 s ou camps de travail. Mais ici, que feraient-ils de tout cela ? Ils ont la liberté, et cela leur suffit, depuis cent-cinq

865 . Ils se nourrissent mal (légumes, soupes, fruits de mer, seiches et poisson, je crois que c’est à peu près tout), mais po

866 sont morts ou vont mourir couchés sur une fortune de 100 000 ou de 200 000 francs, que leurs fils iront perdre à la ville 

867 vont mourir couchés sur une fortune de 100 000 ou de 200 000 francs, que leurs fils iront perdre à la ville : je crois cep

868 cins ne font pas fortune. Quelle conclusion tirer de tout cela ? Quand on voit les choses et les êtres de trop près, on pe

869 tout cela ? Quand on voit les choses et les êtres de trop près, on perd le peu de foi que l’on pouvait accorder aux idéolo

870 e. Réveillez ce peuple, il sera peut-être capable de grandes choses — c’est son mystère — mais ne dites pas que vous le fa

871 t le bonheur, pour oser bouleverser la petite vie de notre île. À noter et à souligner : Seules les guerres de religion on

872 île. À noter et à souligner : Seules les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme de ce peuple. Mais combien se feraien

873 uligner : Seules les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme de ce peuple. Mais combien se feraient tuer aujourd’hui po

874 es les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme de ce peuple. Mais combien se feraient tuer aujourd’hui pour sauver leur

875 roit à rien, et qui par suite ne peut rien exiger de sérieux… — Mais il y a d’autres aspects de la question. Le sel ne se

876 exiger de sérieux… — Mais il y a d’autres aspects de la question. Le sel ne se vend plus depuis un an, et c’était la resso

877 est en train de devenir la proie des politiciens de Paris. Un dimanche ce sont les enfants communistes de la colonie de v

878 aris. Un dimanche ce sont les enfants communistes de la colonie de vacances qui défilent en maillots rouges et l’on pousse

879 che ce sont les enfants communistes de la colonie de vacances qui défilent en maillots rouges et l’on pousse des « cris sé

880 ieux » ; le dimanche suivant, ce sont les enfants de la fondation « de droite » et on les applaudit : la fondation fait vi

881 he suivant, ce sont les enfants de la fondation «  de droite » et on les applaudit : la fondation fait vivre beaucoup de pe

882 t : la fondation fait vivre beaucoup de personnes de l’île. La moitié des maisons sont vides, et quelques-unes déjà tomben

883 unes déjà tombent en ruines. Et surtout ce régime d’ inertie laisse trop de forces grandir contre lui : et alors, qui va ve

884 uines. Et surtout ce régime d’inertie laisse trop de forces grandir contre lui : et alors, qui va venir un beau jour, de P

885 contre lui : et alors, qui va venir un beau jour, de Paris, faire la loi dans notre village ? 19 février 1934 Les g

886 village ? 19 février 1934 Les gens : récit d’ une journée paysanne. — En revenant de la côte, je me suis arrêté au M

887 ens : récit d’une journée paysanne. — En revenant de la côte, je me suis arrêté au Moulin de la Purée, pour jouer avec les

888 revenant de la côte, je me suis arrêté au Moulin de la Purée, pour jouer avec les chatons qui pullulent dans la cour. La

889 ent dans la cour. La mère Renaud-de-la-Purée sort de sa porte, appuyée sur un court bâton. C’est donc la jambe qui ne va p

890 court bâton. C’est donc la jambe qui ne va plus. D’ où cela vient-il ? — C’est depuis qu’ils m’ont pris la chèvre. Ça m’a

891 ela. Elle vient donc s’appuyer contre la barrière de la cour, cale son bâton, et commence d’une voix posée, monotone et ba

892 barrière de la cour, cale son bâton, et commence d’ une voix posée, monotone et basse : — C’était le 26 de juillet, l’anni

893 e voix posée, monotone et basse : — C’était le 26 de juillet, l’anniversaire de ma défunte mère. Le matin, je me dis : qu’

894 asse : — C’était le 26 de juillet, l’anniversaire de ma défunte mère. Le matin, je me dis : qu’est-ce qu’on va manger ce j

895 on. C’est ce qu’il faut pour manger. Ils rentrent d’ avoir tiré le sel et mangent la pêche. J’avais ajouté deux ou trois ja

896 qu’ils avaient pris la chèvre. Des hommes mariés de 30 et 35 ans, voyez comme ils sont aujourd’hui ! Ils sont venus penda

897 si l’on n’avait rien fait. Mais je n’en veux pas d’ autre. Je suis sûre qu’avec une autre bête, même une bête chevaline, c

898 résolu. Pour la majorité des modernes, la menace de pauvreté ne signifie pas d’abord : faim et fatigue, comme pour les pa

899 e francs sur deux cent-mille, ou perdre une place de quatre-vingt-mille pour en retrouver une de vingt-quatre-mille ; ou p

900 place de quatre-vingt-mille pour en retrouver une de vingt-quatre-mille ; ou perdre intégralement le peu que l’on avait. D

901 plus, et en premier lieu, sentimentalement, c’est de perdre son rang et la considération qui s’y attache, c’est de ne plus

902 n rang et la considération qui s’y attache, c’est de ne plus pouvoir « représenter », séduire, voyager, rouler auto, aller

903 est effrayant que parce que l’on n’a pas l’esprit de pauvreté qu’on aime entendre louer à l’église ou dans les livres. On

904 pense que la vraie solution, la solution pratique de la psychose de crise qui énerve la bourgeoisie n’est pas ailleurs que

905 aie solution, la solution pratique de la psychose de crise qui énerve la bourgeoisie n’est pas ailleurs que dans l’« espri

906 ourgeoisie n’est pas ailleurs que dans l’« esprit de pauvreté ». Et j’ajoute aussitôt que la solution pratique de la misèr

907  ». Et j’ajoute aussitôt que la solution pratique de la misère réelle, celle qui est vécue depuis longtemps ou depuis touj

908 le et vraiment novatrice que si elle s’accompagne d’ une révolution morale chez les bourgeois : car on ne peut pas anéantir

909 ois, il y aura des gens qui craindront avant tout de descendre d’un échelon, c’est-à-dire de devenir pauvres. À moins qu’i

910 a des gens qui craindront avant tout de descendre d’ un échelon, c’est-à-dire de devenir pauvres. À moins qu’ils ne compren

911 vant tout de descendre d’un échelon, c’est-à-dire de devenir pauvres. À moins qu’ils ne comprennent un peu mieux ce qu’est

912 ls ne comprennent un peu mieux ce qu’est l’esprit de pauvreté. Mais qui le comprend aujourd’hui ? Pour peu qu’on se vante

913 le comprend aujourd’hui ? Pour peu qu’on se vante de l’avoir, on ne l’a plus. Et quand on l’a vraiment, il est probable qu

914 tes et des naïfs qui croient que louer « l’esprit de pauvreté » dispense de supprimer les facteurs matériels de la misère,

915 oient que louer « l’esprit de pauvreté » dispense de supprimer les facteurs matériels de la misère, capitalisme, centres u

916 té » dispense de supprimer les facteurs matériels de la misère, capitalisme, centres urbains, etc.) Sans doute l’esprit de

917 lisme, centres urbains, etc.) Sans doute l’esprit de pauvreté n’est-il donné qu’à ceux qui croient à autre chose qu’à leur

918 peu : quelques grands chefs, quelques fanatiques d’ une cause, quelques saints. Mais peut-être aussi un grand nombre d’obs

919 ques saints. Mais peut-être aussi un grand nombre d’ obscurs croyants. Ceux par qui l’humanité vaut quelque chose, sans le

920 vrier 1934 Gens. — Il est très impressionnant de se demander en face de ces hommes, à quelques mètres d’eux, quand ils

921 demander en face de ces hommes, à quelques mètres d’ eux, quand ils travaillent sur leur parcelle, ce que signifient les mé

922 méthodes productivistes et la démesure collective d’ un plan quinquennal. Le silence de la lande et des marais, la rumeur d

923 sure collective d’un plan quinquennal. Le silence de la lande et des marais, la rumeur de la côte, les petits chocs irrégu

924 . Le silence de la lande et des marais, la rumeur de la côte, les petits chocs irréguliers des pioches et des bouelles, to

925 rs des pioches et des bouelles, tout ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activ

926 s et des bouelles, tout ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activité humaine a

927 ouelles, tout ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activité humaine au ras du s

928 t ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activité humaine au ras du sol, sous ce

929 vérité » brutaliser et bouleverser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vi

930 liser et bouleverser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er ma

931 verser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er mars 1934 Mi

932 as de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er mars 1934 Minimum vital. — Il n

933 de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er mars 1934 Minimum vital. — Il ne faut être ni r

934  ». Il faut simplement être libre selon la mesure de sa vocation. C’est par rapport à sa seule vocation qu’un homme peut a

935 qu’un homme peut arriver à savoir avec certitude de quoi et de combien il a besoin pour vivre. S’il a plus ou s’il a moin

936 e peut arriver à savoir avec certitude de quoi et de combien il a besoin pour vivre. S’il a plus ou s’il a moins, s’il est

937 parce qu’elle ne les a pas créés. Le but concret de la révolution économique que je crois moralement nécessaire, et d’ail

938 aire, et d’ailleurs techniquement possible, c’est d’ accorder à tout homme, quel qu’il soit, le « minimum vital » qui lui p

939 qu’il soit, le « minimum vital » qui lui permette d’ obéir à sa vocation. Toute la difficulté repose évidemment sur le fait

940 sonne ». C’est l’État qui devrait donner à chacun de ses membres le minimum qu’il mérite. Mais comment exiger de l’État qu

941 bres le minimum qu’il mérite. Mais comment exiger de l’État qu’il tienne compte des vocations particulières ? Elles sont s

942 des vocations particulières ? Elles sont souvent d’ une lecture très douteuse pour ceux mêmes qui devraient les exercer !

943 Il faudrait donc, dans la pratique, se contenter d’ approximations toujours très contestables. Le problème se ramènerait à

944 extérieurs aisément vérifiables qui permettraient de répartir les hommes grosso modo, selon leurs vocations. Et le minimum

945 . Et le minimum qui leur serait accordé varierait d’ une catégorie à l’autre. (Cela touche à l’absurde, on le voit — mais j

946 que c’est tout de même ce que l’on peut imaginer de moins déraisonnable, cela peut nous donner une bonne idée du maximum

947 , cela peut nous donner une bonne idée du maximum d’ absurdité que représente l’anarchie actuelle.) Si l’on me chargeait de

948 ésente l’anarchie actuelle.) Si l’on me chargeait de redistribuer toutes les richesses, selon mon expérience et mes petite

949 t je donnerais aux autres selon leur profession : d’ autant plus qu’elle serait plus monotone par exemple, ou qu’elle suppo

950 onotone par exemple, ou qu’elle supposerait moins d’ énergie créatrice… Et pour ma part — s’il faut un exemple précis, c’es

951 restant indéterminé, et dépendant du seul caprice d’ un employé que je ne connaîtrais pas. 15 mars 1934 Je rentre de

952 ne connaîtrais pas. 15 mars 1934 Je rentre de Vendée. On m’avait demandé d’y aller faire quelques causeries. J’en r

953 s 1934 Je rentre de Vendée. On m’avait demandé d’ y aller faire quelques causeries. J’en rapporte deux séries d’observat

954 ire quelques causeries. J’en rapporte deux séries d’ observations nouvelles sur la Province, et je crois d’autant plus util

955 servations nouvelles sur la Province, et je crois d’ autant plus utile de les consigner qu’elles modifient sensiblement cer

956 sur la Province, et je crois d’autant plus utile de les consigner qu’elles modifient sensiblement certains jugements auxq

957 jugements auxquels m’avait amené la considération de mon île.   Il faut parler d’abord des autocars. Je ne sais si l’on se

958 des autocars. Je ne sais si l’on se doute à Paris de l’importance des autocars et des transformations qu’ils sont en train

959 la vie provinciale. Je n’ai pas compté le nombre de lignes actuellement exploitées. Mais j’ai pu constater dans plusieurs

960 ais j’ai pu constater dans plusieurs départements de l’Ouest qu’il n’est plus guère de « pays » qui ne soit desservi par u

961 rs départements de l’Ouest qu’il n’est plus guère de « pays » qui ne soit desservi par une ou deux ou même trois compagnie

962 desservi par une ou deux ou même trois compagnies de transports locaux. Depuis que j’ai quitté Paris, j’ai bien utilisé un

963 ’ai quitté Paris, j’ai bien utilisé une vingtaine de ces lignes. Je commence à connaître leurs coutumes : rien ne pouvait

964 r plus rapidement et plus profondément la coutume de la France rurale. Mais ce n’est pas encore assez dire : l’autocar mod

965 sez dire : l’autocar modifie complètement le mode de contact entre le voyageur et la province. Naguère encore, quand on n’

966 out convergeait vers Paris, non seulement du fait d’ une organisation ferroviaire centralisée, mais encore sentimentalement

967 s à l’heure, où l’on se sentait relégué à l’écart de la « vraie » circulation. Et l’on ne voyait guère que des gares, ce q

968 nt dans chaque village. Aujourd’hui, les stations d’ autocars sont sur la place principale. C’est de là qu’on part au milie

969 ns d’autocars sont sur la place principale. C’est de là qu’on part au milieu d’une grande affluence de badauds, c’est là q

970 de là qu’on part au milieu d’une grande affluence de badauds, c’est là qu’on arrive à grand son de trompe, c’est enfin ce

971 nce de badauds, c’est là qu’on arrive à grand son de trompe, c’est enfin ce que l’on voit le mieux de chaque pays. La voie

972 de trompe, c’est enfin ce que l’on voit le mieux de chaque pays. La voie ferrée était une sorte d’insulte à la vie locale

973 ux de chaque pays. La voie ferrée était une sorte d’ insulte à la vie locale : elle la traversait abstraitement, sans la vo

974 it abstraitement, sans la voir, sans tenir compte de ses circonstances. Sur ses bords ne vivait qu’une population nomade,

975 qu’une population nomade, qui portait l’uniforme de l’État, partout la même. Vous pouviez parcourir vingt fois la France

976 même. Vous pouviez parcourir vingt fois la France de part en part sans remarquer que les gens qui l’habitent ne sont pas t

977 quer que les gens qui l’habitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’est pas seulem

978 abitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’ une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui change

979 » dans la nation abstraitement unifiée ? La ligne d’ autocar fait partie du pays. Elle en épouse la géographie physique mai

980 voiture. Mais aussi elle tient compte des rythmes de la vie locale, du calendrier des marées, de l’heure matinale des foir

981 thmes de la vie locale, du calendrier des marées, de l’heure matinale des foires, dans les districts ruraux, et ailleurs d

982 es foires, dans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intentio

983 les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser ce

984 tie des usines ou des écoles. La simple intention d’ utiliser ce moyen de transport vous met en contact avec toutes sortes

985 s écoles. La simple intention d’utiliser ce moyen de transport vous met en contact avec toutes sortes d’habitudes locales.

986 transport vous met en contact avec toutes sortes d’ habitudes locales. D’abord il faut aller dans deux ou trois cafés pour

987 dans deux ou trois cafés pour obtenir un minimum de précisions concernant l’heure du prochain départ et la destination de

988 nt sur la place. C’est que chaque ligne a sa tête de ligne chez un bistrot différent, et il est rare qu’on puisse trouver

989 e curiosité on ne tarde pas à y apprendre pas mal d’ histoires, dont j’indiquerai ici l’enchaînement à peu près immuable. C

990 ommence par quelques anecdotes sur l’installation de la ligne et sur la concurrence qui a fait baisser les prix. Car il es

991 ncurrence qui a fait baisser les prix. Car il est de règle qu’au début deux Compagnies se disputent le parcours, jusqu’à c

992 tit jeu un peu plus loin, sur un autre parcours6. De là à des potins sur les personnalités de l’endroit, sur le rôle qu’on

993 rcours6. De là à des potins sur les personnalités de l’endroit, sur le rôle qu’ont joué dans l’affaire le sous-préfet, ou

994 etc. Si l’on a le temps, il n’est pas impossible de pousser la « discussion » sur un plan supérieur, d’aborder par exempl

995 pousser la « discussion » sur un plan supérieur, d’ aborder par exemple la question du capitalisme en général et des moyen

996 question du capitalisme en général et des moyens d’ arrêter ses méfaits. Bref, lorsque vous montez dans l’autocar, vous êt

997 enant du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce que Vigny pleurait, la poésie des diligences, mais aérée. C’est fa

998 la poésie des diligences, mais aérée. C’est fait d’ une foule d’incidents entrevus, que tout dispose à romancer ; de conve

999 es diligences, mais aérée. C’est fait d’une foule d’ incidents entrevus, que tout dispose à romancer ; de conversations abs

1000 incidents entrevus, que tout dispose à romancer ; de conversations absurdes et rapidement intimes, avec ce personnage enfo

1001 ge enfoui à côté de vous dans un luxueux fauteuil de cuir rouge ou bleu vif, et qui change de tête plusieurs fois pendant

1002 fauteuil de cuir rouge ou bleu vif, et qui change de tête plusieurs fois pendant le trajet, de coups de main aux voyageurs

1003 change de tête plusieurs fois pendant le trajet, de coups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou

1004 le trajet, de coups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêt

1005 coups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’ un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détour

1006 yageurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou d’ un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les

1007 ’un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’ arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs acceptent volontier

1008 au, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs acceptent volontiers toutes sor

1009 les chauffeurs acceptent volontiers toutes sortes de petites commissions que de vieilles dames leur confient au départ ave

1010 lontiers toutes sortes de petites commissions que de vieilles dames leur confient au départ avec force recommandations ; e

1011 par la portière entrouverte un instant à la fille de l’auberge écartée qui attend le passage du car, les cheveux au vent s

1012 e passage du car, les cheveux au vent sur le bord de la route. Rien n’est plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela t

1013 ute. Rien n’est plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela tient évidemment à leur métier. Ce sont en général de jeune

1014 ient évidemment à leur métier. Ce sont en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’aim

1015 ds solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’ aimer le travail et de le faire bien : c’est moderne, c’est sportif, c

1016 qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c’est moderne, c’est sportif, cela vous pose dans l’e

1017 à bord de sa puissante machine, et l’on bénéficie de ces petites faveurs que les femmes ont toujours accordées à ceux qui

1018 ndent et disposent, ne fût-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien les hommes avec lesquels je rêverais d’entr

1019 , voilà bien les hommes avec lesquels je rêverais d’ entreprendre une belle révolution, qui rajeunisse la France : ils ont

1020 ur, le dynamisme, le sens pratique et la rapidité d’ esprit que les bourgeois, qui en sont dépourvus, attribuent par erreur

1021 dont ils disposent et qui seraient décisifs lors d’ une action rapide. Mais loin de moi ces ambitions : ceux qui les ont n

1022 ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais dû noter plus tôt. Le monsieur rencontré da

1023 er plus tôt. Le monsieur rencontré dans l’autocar de Taillefer voulait savoir quel était mon métier. Et quand j’eus dit qu

1024 fique à jouer dans la société. Vous avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où iri

1025 ns la société. Vous avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc, n

1026 avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc, nous qui ne croyons

1027 lui dis-je, qu’un écrivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’un homme normal, mettons qu’un fonctionnaire (c’étai

1028 aux circonstances mêmes qui l’ont mis dans le cas d’ écrire. Car ou bien l’on écrit ce que l’on ne peut pas faire, et c’est

1029 it ce que l’on ne peut pas faire, et c’est l’aveu d’ une faiblesse ou d’une ambition excessive, deux choses qui compliquent

1030 eut pas faire, et c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’ une ambition excessive, deux choses qui compliquent fort la vie, je cr

1031 des choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’ une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; ou bien l

1032 d’une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; ou bien l’on écrit simplement pour gagner sa chienne de vi

1033 bien l’on écrit simplement pour gagner sa chienne de vie, et c’est le bon moyen de traîner la misère la plus honteuse qui

1034 r gagner sa chienne de vie, et c’est le bon moyen de traîner la misère la plus honteuse qui se puisse imaginer, dans les a

1035 dans les antres rédactionnels. Je dis les antres. De toute façon, un écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le parad

1036 ’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige même de ces gens-là des vertus au-dessus du commun, la révélation de secrets

1037 -là des vertus au-dessus du commun, la révélation de secrets qui suffiraient à rendre heureux les plus indignes, et ingéni

1038 je ne sais quelle supériorité humaine, quel luxe d’ énergie ou d’invention qui, s’ils les possédaient vraiment, feraient d

1039 uelle supériorité humaine, quel luxe d’énergie ou d’ invention qui, s’ils les possédaient vraiment, feraient de leurs déten

1040 ion qui, s’ils les possédaient vraiment, feraient de leurs détenteurs non point des écrivains mais des Don Juan, des dicta

1041 aurez compris cela, vous cesserez, je le crains, d’ envier ma condition… » 16 mars 1934 D’un autre « peuple ». — Il

1042 ains, d’envier ma condition… » 16 mars 1934 D’ un autre « peuple ». — Il faut encore que je revienne sur mon séjour v

1043 donner trois « causeries » devant des auditoires de jeunes cultivateurs. Eux-mêmes avaient fixé la liste des sujets qu’il

1044 ésiraient étudier au cours de l’hiver avec l’aide de plusieurs orateurs bénévoles, pasteurs, instituteurs ou autres « pers

1045 , instituteurs ou autres « personnes instruites » de la région. On m’avait prié de parler des révolutions russes de 1905 e

1046 sonnes instruites » de la région. On m’avait prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel

1047 On m’avait prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par

1048 prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à

1049 ler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à bicyclette

1050 ns russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à bicyclette ou en charrettes,

1051 venus par groupes, à bicyclette ou en charrettes, de tous les villages voisins. Du haut de la colline où nous étions tous

1052 charrettes, de tous les villages voisins. Du haut de la colline où nous étions tous réunis pour déjeuner, on dominait tout

1053 réunis pour déjeuner, on dominait tout un canton de marécages mélancoliques ; et parfois l’on voyait scintiller dans un l

1054 iller dans un lointain nuageux et sous une trouée d’ or, la mer. La petite salle des cours ruraux peut contenir une centain

1055 salle des cours ruraux peut contenir une centaine d’ auditeurs. L’orateur doit se tenir debout au milieu d’eux, de manière

1056 mité physique. Je leur parlai pendant deux heures d’ un pays d’énormes plaines, sans barrières ni haies, sans chemins creux

1057 que. Je leur parlai pendant deux heures d’un pays d’ énormes plaines, sans barrières ni haies, sans chemins creux et sans s

1058 , bons et fous. Je décrivis les révoltes obscures de ces masses opprimées et naïves, conduites par des équipes d’hommes du

1059 es opprimées et naïves, conduites par des équipes d’ hommes durs, intellectuels bannis ou petits nobles déclassés ; le trio

1060 petits nobles déclassés ; le triomphe implacable de Lénine ; l’enthousiasme du plan de cinq ans. Et je m’étonnais tout en

1061 phe implacable de Lénine ; l’enthousiasme du plan de cinq ans. Et je m’étonnais tout en parlant de raconter une épopée con

1062 lan de cinq ans. Et je m’étonnais tout en parlant de raconter une épopée contemporaine : tout cela se dégageait ici de la

1063 épopée contemporaine : tout cela se dégageait ici de la mesquinerie hargneuse des polémiques et des partis pris, devenait

1064 le rythme et les couleurs grandioses et irréelles de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ;

1065 t les couleurs grandioses et irréelles de la page d’ histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ; vérité de

1066 oses et irréelles de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ; vérité de la fable qui donne un

1067 de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ; vérité de la fable qui donne une forme grande à n

1068 e de la distance et de la simplification ; vérité de la fable qui donne une forme grande à nos obscurs et grands désirs in

1069 rs informulés. En finissant je craignis un moment de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce d’imagerie

1070 ssant je craignis un moment de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce d’imagerie d’Épinal, malgré moi

1071 de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’ une espèce d’imagerie d’Épinal, malgré moi trop pareille aux innocente

1072 trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce d’ imagerie d’Épinal, malgré moi trop pareille aux innocentes peintures d

1073 e les avoir rendus jaloux d’une espèce d’imagerie d’ Épinal, malgré moi trop pareille aux innocentes peintures de paradis m

1074 malgré moi trop pareille aux innocentes peintures de paradis modernisé que vulgarise la propagande communiste. Mais leurs

1075 u le laisser croire ; si ce n’était pas encore un de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté qu’

1076 oire ; si ce n’était pas encore un de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté qu’auparavant, etc

1077 égimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté qu’auparavant, etc. Mais ce qui me surprit davantage, ce fut

1078 me surprit davantage, ce fut la question franche d’ un garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent et ouvert : « Pense

1079 davantage, ce fut la question franche d’un garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent et ouvert : « Pensez-vous qu’on

1080 eunes Russes, aux jeunes Allemands, comme un type de jeune Français. Je retiens de cette journée deux impressions (je n’os

1081 ands, comme un type de jeune Français. Je retiens de cette journée deux impressions (je n’ose pas en dire davantage : tout

1082 résumé). Quand j’ai projeté sur la paroi blanche de la salle la photo de Kalinine, président de l’URSS, debout dans un ch

1083 projeté sur la paroi blanche de la salle la photo de Kalinine, président de l’URSS, debout dans un champ en costume de mou

1084 anche de la salle la photo de Kalinine, président de l’URSS, debout dans un champ en costume de moujik, il y a eu un profo

1085 sident de l’URSS, debout dans un champ en costume de moujik, il y a eu un profond silence au lieu des rires que je craigna

1086 peut donc gouverner sans être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’un brave type comme nous autres. Rêverie des jeu

1087 ns être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’ un brave type comme nous autres. Rêverie des jeunes cultivateurs.) Et

1088 eurs.) Et quand j’ai terminé ma causerie, évitant de prononcer mon jugement sur les faits que je venais d’exposer, afin de

1089 rononcer mon jugement sur les faits que je venais d’ exposer, afin de voir si mes auditeurs étaient de la même espèce que c

1090 d’exposer, afin de voir si mes auditeurs étaient de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précises,

1091 mes auditeurs étaient de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précises, et ce désir de rapporter c

1092 de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précises, et ce désir de rapporter ce que j’avais dit à leu

1093  : cette série de questions précises, et ce désir de rapporter ce que j’avais dit à leur situation concrète. Esprit critiq

1094 ue, méfiance intelligente des paysans, conscience de leur autonomie… Je ne bifferai pas les conclusions que j’avais tirées

1095 e bifferai pas les conclusions que j’avais tirées de la conférence à A. Elles sont également vraies. Ce qui est faux, c’es

1096 les sont également vraies. Ce qui est faux, c’est de parler du peuple en général. — « On le savait depuis longtemps. » — O

1097 tant de choses que l’on n’a jamais pris la peine de connaître, chez les « intellectuels ». 17 mars 1934 L’institute

1098 avec sa femme et ses deux enfants. C’est un homme de quarante ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste e

1099 ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nou

1100 its réguliers et sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nous laisse seu

1101 ent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nous laisse seuls, sans direction. Nous ne savons

1102 lutter contre les parents, contre la concurrence de l’école libre qui nous a pris les deux tiers de nos élèves. On aurait

1103 e de l’école libre qui nous a pris les deux tiers de nos élèves. On aurait besoin de nourriture intellectuelle pour se sou

1104 is les deux tiers de nos élèves. On aurait besoin de nourriture intellectuelle pour se soutenir. Quelquefois on nous envoi

1105 naux ou des revues à l’essai, mais c’est toujours de la politique. Quand j’étais jeune, j’ai beaucoup lu Anatole France, c

1106  ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’il y aurait d’ intéressant à lire ? — Vous ne lisez pas de journaux politiques ? — Ce

1107 aurait d’intéressant à lire ? — Vous ne lisez pas de journaux politiques ? — Ce n’est pas ce qu’on cherche. Il faudrait en

1108 de cette centralisation : qu’est-ce qu’ils savent de notre situation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire

1109 ation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire un mouvement politique en dehors des partis et de voir une fois

1110 re un mouvement politique en dehors des partis et de voir une fois ce qu’il y aurait à changer pratiquement dans chaque pr

1111 on peut, tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une liste de livres à lire pour l’instituteur de M. Je ne trouv

1112 dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une liste de livres à lire pour l’instituteur de M. Je ne trouve à lui recommander

1113 ire une liste de livres à lire pour l’instituteur de M. Je ne trouve à lui recommander que des traductions. La littérature

1114 en France n’a guère à donner à ceux qui ont faim de nourriture solide, élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et d

1115 im de nourriture solide, élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter

1116 ture solide, élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter le plus poss

1117 élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce q

1118 é, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est bi

1119 Tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est bizarre, affectée et maigrelette

1120 t bizarre, affectée et maigrelette, toute guindée de petites astuces, d’airs entendus dès qu’il s’agit de passions. Trop d

1121 et maigrelette, toute guindée de petites astuces, d’ airs entendus dès qu’il s’agit de passions. Trop difficile quand elle

1122 petites astuces, d’airs entendus dès qu’il s’agit de passions. Trop difficile quand elle est belle (Claudel ne peut pas de

1123 fausse, quand elle est facile. Et les ouvrages «  d’ avant-garde » donnent dans l’ensemble une impression de crampe, de min

1124 nt-garde » donnent dans l’ensemble une impression de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’impuissants qui se tortu

1125 donnent dans l’ensemble une impression de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’impuissants qui se torturent à plai

1126 le une impression de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’impuissants qui se torturent à plaisir pour provoquer un

1127 ion de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’ impuissants qui se torturent à plaisir pour provoquer un petit grincem

1128 laisir pour provoquer un petit grincement nouveau de la sensibilité. Je comprends très bien qu’un certain nombre d’écrivai

1129 lité. Je comprends très bien qu’un certain nombre d’ écrivains français aient passé au communisme : il leur fallait cela sa

1130 l a fallu un nouveau conformisme pour les libérer de l’ancien ; et l’alibi d’une action politique à laquelle ils n’entende

1131 ormisme pour les libérer de l’ancien ; et l’alibi d’ une action politique à laquelle ils n’entendent goutte. Je ne sais plu

1132 lus quel poète a écrit : « L’art est une question de virgules. » Voilà qui donne exactement la mesure de leurs ambitions.

1133 virgules. » Voilà qui donne exactement la mesure de leurs ambitions. Même si cette innocente remarque est juste du strict

1134 nocente remarque est juste du strict point de vue d’ un artisan précieux de la langue française telle qu’on l’écrit à Paris

1135 uste du strict point de vue d’un artisan précieux de la langue française telle qu’on l’écrit à Paris de nos jours (car c’e

1136 e la langue française telle qu’on l’écrit à Paris de nos jours (car c’est faux sous tout autre rapport, pour tout autre pa

1137 rt, pour tout autre pays, pour toute autre époque de nos lettres) je pense que ce n’est pas par hasard que tous les grands

1138 hasard que tous les grands artistes ont jugé bon de parler d’autre chose, et de s’attacher plutôt à ce qu’il y a entre le

1139 e tous les grands artistes ont jugé bon de parler d’ autre chose, et de s’attacher plutôt à ce qu’il y a entre les virgules

1140 artistes ont jugé bon de parler d’autre chose, et de s’attacher plutôt à ce qu’il y a entre les virgules. Fin mars 1934

1141 s. Fin mars 1934 Le vent souffle en tempête de la mer vers le continent, depuis sept jours déjà, sans une seule heur

1142 ent, depuis sept jours déjà, sans une seule heure d’ interruption. Et cela doit durer deux jours encore, puisqu’une nouvell

1143 er deux jours encore, puisqu’une nouvelle période de trois jours est entamée. Toute la germination est comme crispée dans

1144 est comme crispée dans son essor depuis le début de la tempête ; elle s’est mise sur la défensive. Et moi aussi, je ne pa

1145 s jours, le bateau n’a pas pu aborder l’île. Plus de courrier. On parle d’accidents. Pourvu que le manuscrit d’une traduct

1146 pas pu aborder l’île. Plus de courrier. On parle d’ accidents. Pourvu que le manuscrit d’une traduction « alimentaire » qu

1147 er. On parle d’accidents. Pourvu que le manuscrit d’ une traduction « alimentaire » que j’ai expédié il y a quatre jours, n

1148 ne pas, feuille à feuille, déshonorer les rivages de l’île ! S’il fallait encore le revoir ! (C’est sur le prix de ce trav

1149 ’il fallait encore le revoir ! (C’est sur le prix de ce travail, payé d’avance, que nous avons vécu depuis janvier, je cro

1150 e revoir ! (C’est sur le prix de ce travail, payé d’ avance, que nous avons vécu depuis janvier, je crois que j’avais omis

1151 ns vécu depuis janvier, je crois que j’avais omis de le noter jusqu’ici.) 2 avril 1934 Voici l’île purifiée et rajeu

1152 s jours. Labouré et dessiné des planches, arraché de vieilles souches, dégagé les plates-bandes couvertes de feuilles mort

1153 illes souches, dégagé les plates-bandes couvertes de feuilles mortes. Il me semble souvent que plus je travaille de mes ma

1154 ortes. Il me semble souvent que plus je travaille de mes mains, plus il me vient d’idées fermes et utilisables. Est-ce que

1155 plus je travaille de mes mains, plus il me vient d’ idées fermes et utilisables. Est-ce que les vraies idées viendraient d

1156 es mains ? On le croirait à voir l’amaigrissement de la pensée des clercs aux mains débiles qui ratiocinent dans les revue

1157 d nous étions adolescents, chose nouvelle au goût de souvenir, que trop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’he

1158 nts, chose nouvelle au goût de souvenir, que trop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’impi

1159 de souvenir, que trop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’indi

1160 rop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’ heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’indifférence avaient re

1161 léphones, à la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’indifférence avaient repoussée d

1162 la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’ impitoyables rendez-vous d’indifférence avaient repoussée dans nos lom

1163 e, d’heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’ indifférence avaient repoussée dans nos lombes ; cette chose toujours

1164 chose toujours neuve et nouvelle qu’est l’attente d’ on ne sait quoi. Condition véritable de l’homme : il est celui qui ag

1165 l’attente d’on ne sait quoi. Condition véritable de l’homme : il est celui qui agit dans l’attente. Il attend des révélat

1166  ? Si je gratte pendant des heures ce coin réduit de terre caillouteuse, c’est pour un printemps qui viendra. C’est pour g

1167 ne l’avenir, et l’imagine nécessairement sur fond de mort. (La jeunesse qui est l’âge de l’attente la plus ardente de la v

1168 ment sur fond de mort. (La jeunesse qui est l’âge de l’attente la plus ardente de la vie est aussi l’âge le plus familier

1169 unesse qui est l’âge de l’attente la plus ardente de la vie est aussi l’âge le plus familier avec la mort.) Ainsi nos gest

1170 nt inacceptable, qui ne s’ouvre pas sur l’attente d’ une révélation à venir, et d’une « consolation » finale. (Consolation

1171 re pas sur l’attente d’une révélation à venir, et d’ une « consolation » finale. (Consolation signifiant selon l’étymologie

1172 attente…) 7 avril 1934 Recette pour vivre de peu. La première condition c’est de gagner peu. (J’ai écrit cela, je

1173 te pour vivre de peu. La première condition c’est de gagner peu. (J’ai écrit cela, je me le rappelle, peu de temps après n

1174 ppelle, peu de temps après notre arrivée, en haut d’ une page que je retrouve dans une pile de notes. La page est restée bl

1175 en haut d’une page que je retrouve dans une pile de notes. La page est restée blanche. Et, toute réflexion faite, c’est b

1176 lacune dans ces notes : je n’ai pas encore parlé de la poule, la triste et digne poule noire qui habite seule au bout du

1177 là qu’hier, elle a pondu. Et ce matin de nouveau. De très gros œufs, me semble-t-il. (Où va se loger la vanité !) — Le pèr

1178 ardin (Je rapprends avec plaisir les petits trucs de plantage que je savais dans mon enfance campagnarde). Comme je lui of

1179 me je lui offrais une cigarette il s’est redressé d’ un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis longtemps ! — 

1180 offrais une cigarette il s’est redressé d’un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis longtemps ! — Ça vous f

1181 edressé d’un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis longtemps ! — Ça vous faisait mal à la gorge ? — Non, j’

1182 a vous faisait mal à la gorge ? — Non, j’ai cessé d’ acheter des cigarettes, je fumais des jaunes comme celles-là, le jour

1183 mme celles-là, le jour où l’État les a augmentées de deux sous parce qu’il avait pris le monopole. Ça n’est pas les deux s

1184 nd je me tire du livre que j’écris — sur la crise de la culture — pour causer avec la laitière ou la factrice, ou le posti

1185 t assez normal, il y a l’obstacle du vocabulaire, d’ une certaine technique des idées, etc., mais encore ils ne comprendrai

1186 etc., mais encore ils ne comprendraient pas même de quoi il s’agit quand je parle d’eux, précisément, et des problèmes qu

1187 draient pas même de quoi il s’agit quand je parle d’ eux, précisément, et des problèmes qui intéressent leur existence. J’a

1188 liquer chaque terme. Ils n’y reconnaîtraient rien de ce qui les « soucie », amuse, occupe, ou intéresse. Vraiment non, ce

1189 ent non, ce chapitre sur « l’origine rationaliste de la scission entre la culture et le peuple » cela ne peut accrocher à

1190 arbe et sa casquette, et qui continue à me parler de la pêche, de son filet qui a été emporté hier, etc. Quel sens concret

1191 squette, et qui continue à me parler de la pêche, de son filet qui a été emporté hier, etc. Quel sens concret cela peut-il

1192 é hier, etc. Quel sens concret cela peut-il avoir de parler de la « scission » entre cet homme et la culture ? N’y a-t-il

1193 c. Quel sens concret cela peut-il avoir de parler de la « scission » entre cet homme et la culture ? N’y a-t-il pas là deu

1194 N’y a-t-il pas là deux mondes qui n’ont jamais eu de contact, ni jamais de commune mesure ? Mais je suis homme aussi bien

1195 mondes qui n’ont jamais eu de contact, ni jamais de commune mesure ? Mais je suis homme aussi bien qu’eux. Et ce que j’éc

1196 entier, en tant qu’homme. Donc j’ai bien le droit de parler aussi de leurs problèmes. Mais encore je le fais d’une manière

1197 qu’homme. Donc j’ai bien le droit de parler aussi de leurs problèmes. Mais encore je le fais d’une manière qui leur paraît

1198 aussi de leurs problèmes. Mais encore je le fais d’ une manière qui leur paraîtra sans doute beaucoup plus absurde que les

1199 ans doute beaucoup plus absurde que les simagrées d’ un sorcier à un nègre. J’essaie de résoudre un problème que je dis les

1200 e les simagrées d’un sorcier à un nègre. J’essaie de résoudre un problème que je dis les concerner, et dont aucun d’entre

1201 s le mot « peuple » dans mon livre, par une série de noms propres d’hommes du peuple que j’ai connus, est-ce que mes raiso

1202 e » dans mon livre, par une série de noms propres d’ hommes du peuple que j’ai connus, est-ce que mes raisonnements ne para

1203 Je reviens à mes pages, bien décidé à les refaire de fond en comble, à simplifier, à concrétiser, à essayer de les rendre

1204 en comble, à simplifier, à concrétiser, à essayer de les rendre telles qu’elles puissent, je ne dis pas : être comprises,

1205 Eh bien, voilà le résultat : après une demi-heure de relecture attentive, j’ai rajouté quelques virgules, précisé quelques

1206 Je me dis que cette impression-là et l’inquiétude de tout à l’heure s’excluent en fait. Mais je n’arrive plus du tout à re

1207 je n’arrive plus du tout à retrouver ce sentiment d’ absurdité que provoquait en moi précisément, la présence physique d’un

1208 ovoquait en moi précisément, la présence physique d’ un homme, confrontée avec les idées que j’avais en tête. Il y a probab

1209 rdité que j’éprouvais, mais aussi l’impossibilité de la « sentir » avec quelque vivacité, sauf par éclairs, dans la rue pa

1210 retrouver le souvenir autrement que par un effort de réflexion qui me laisse assez froid. La culture m’a repris. Je suis d

1211 la thèse que je défends est vraie !… Il y aurait de quoi s’arrêter de penser, si l’on pouvait. C’est pourquoi Descartes n

1212 éfends est vraie !… Il y aurait de quoi s’arrêter de penser, si l’on pouvait. C’est pourquoi Descartes ne voyait rien ni p

1213 ais me promener tous les jours parmi la confusion d’ un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez f

1214 parmi la confusion d’un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez faire dans vos allées ; et je n’

1215 sion d’un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez faire dans vos allées ; et je n’y considère pa

1216 ce Journal ! Mais nous, nous chercherons le salut de la pensée ailleurs que dans la fuite devant ce qui la met en question

1217 Programme : Ne plus rien écrire sans tenir compte de l’existence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’institut

1218 sans tenir compte de l’existence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au mo

1219 pte de l’existence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que

1220 tence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de K

1221 aud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume

1222 ituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable

1223 e Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence

1224 etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence Sterne. L

1225 t que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence Sterne. Le principe de toute cultur

1226 le de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence Sterne. Le principe de toute culture véritable

1227 , ou de l’inimitable Laurence Sterne. Le principe de toute culture véritable n’est-il pas cette commune mesure, sinon de r

1228 éritable n’est-il pas cette commune mesure, sinon de raisons formulables, du moins… d’angoisse, ou de vision finale, qu’il

1229 e mesure, sinon de raisons formulables, du moins… d’ angoisse, ou de vision finale, qu’il s’agit de maintenir par un consta

1230 de raisons formulables, du moins… d’angoisse, ou de vision finale, qu’il s’agit de maintenir par un constant effort entre

1231 ns… d’angoisse, ou de vision finale, qu’il s’agit de maintenir par un constant effort entre nos belles séries de pensées e

1232 ir par un constant effort entre nos belles séries de pensées et la diversité désordonnée des êtres et des choses, où nous

1233 rité, que si je me sens et me connais participant de ce monde « mal compassé ». (Je puis le connaître par le moyen de ma r

1234 al compassé ». (Je puis le connaître par le moyen de ma révolte, sans pour autant cesser d’y être pris). Descartes prétend

1235 r le moyen de ma révolte, sans pour autant cesser d’ y être pris). Descartes prétendait le fuir par ce biais de ne le point

1236 pris). Descartes prétendait le fuir par ce biais de ne le point regarder. La vue d’un homme de chair et d’os eût porté la

1237 fuir par ce biais de ne le point regarder. La vue d’ un homme de chair et d’os eût porté la déroute en son système. Mais no

1238 biais de ne le point regarder. La vue d’un homme de chair et d’os eût porté la déroute en son système. Mais nous, serons-

1239 le point regarder. La vue d’un homme de chair et d’ os eût porté la déroute en son système. Mais nous, serons-nous assez f

1240 me souvenir qu’il allait à peu près dans le sens de ce que j’ai noté hier ici. « Les sciences traictent les choses trop f

1241  Les sciences traictent les choses trop finement, d’ une mode artificielle, et différente à la commune et naturelle. Mon pa

1242 ntend : lisez-lui Léon Hebreu et Ficin ; on parle de luy, de ses pensées et de ses actions, et si n’y entend rien. Ie ne r

1243 lisez-lui Léon Hebreu et Ficin ; on parle de luy, de ses pensées et de ses actions, et si n’y entend rien. Ie ne recognoy

1244 reu et Ficin ; on parle de luy, de ses pensées et de ses actions, et si n’y entend rien. Ie ne recognoy pas chez Aristote

1245 vements ordinaires, on les a couverts et revestus d’ une aultre robe, pour l’usage de l’eschole : Dieu leur doint bien fair

1246 verts et revestus d’une aultre robe, pour l’usage de l’eschole : Dieu leur doint bien faire ! Si i’estoy du mestier, ie na

1247 artializent la nature. » Mais le malheur du jour d’ aujourd’hui, c’est que le peuple qui lit les journaux a l’esprit plus

1248 Et quand ceux-ci « naturalizent », on les accuse d’ artifice. Pourquoi s’obstineraient-ils à parler peuple à un peuple hab

1249 , planté des choux, enfoncé une à une des graines de haricots dans un sillon tiré à la ficelle. Plaisir d’avoir les doigts

1250 aricots dans un sillon tiré à la ficelle. Plaisir d’ avoir les doigts et les ongles terreux ; toujours ce goût d’enfance…

1251 s doigts et les ongles terreux ; toujours ce goût d’ enfance… Je ne me sens plus « éloigné de Paris », mais au centre de m

1252 ce goût d’enfance… Je ne me sens plus « éloigné de Paris », mais au centre de mon domaine, et c’est Paris qui est loin m

1253 me sens plus « éloigné de Paris », mais au centre de mon domaine, et c’est Paris qui est loin maintenant, peu vraisemblabl

1254 qui baigne le jardin fleuri, éclate sur la façade de la maison plus claire que le ciel vide, et illumine la goutte rose d’

1255 aire que le ciel vide, et illumine la goutte rose d’ une fourmi ailée qui danse au-dessus de mon verre de vin blanc. Mai

1256 outte rose d’une fourmi ailée qui danse au-dessus de mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer est d’un vert-bleu cray

1257 une fourmi ailée qui danse au-dessus de mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer est d’un vert-bleu crayeux, très fro

1258 mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer est d’ un vert-bleu crayeux, très froide encore. On ne peut guère que se trem

1259 lancs au-delà des lagunes transfigurés en mirages de Venise. Une odeur forte de varech séché vient des champs et des vigne

1260 ransfigurés en mirages de Venise. Une odeur forte de varech séché vient des champs et des vignes sablonneuses. 14-16 ma

1261 s vignes sablonneuses. 14-16 mai 1934 Idée d’ une littérature à venir. — Je lis le Goethe de Gundolf avec une sorte

1262 nir. — Je lis le Goethe de Gundolf avec une sorte de passion jalouse pour l’homme, avec ce même « intérêt personnel » que

1263 les Affinités électives. Goethe apparaît au seuil de l’ère moderne comme le seul homme qui ait su être utile avec grandeur

1264 i7, le « beau travail » du vivre goethéen n’ayant de fin que dans l’individu le plus parfait de son espèce, dont le sépare

1265 ’ayant de fin que dans l’individu le plus parfait de son espèce, dont le sépare enfin cette perfection… Telle est la formu

1266 cette perfection… Telle est la formule à la fois de la mission et des limites de Goethe. Et c’est là qu’il nous faut repr

1267 la formule à la fois de la mission et des limites de Goethe. Et c’est là qu’il nous faut reprendre, avec une patience obst

1268 ée malgré tant de grossières menaces, l’éducation de ce petit coin de conscience humaine qui nous est accessible en Occide

1269 grossières menaces, l’éducation de ce petit coin de conscience humaine qui nous est accessible en Occident. Le romantisme

1270 t accessible en Occident. Le romantisme s’évapore de nos vies. L’esprit pur a cessé de nous séduire : nous posons nos rega

1271 tisme s’évapore de nos vies. L’esprit pur a cessé de nous séduire : nous posons nos regards à hauteur d’homme. Et nous voy

1272 nous séduire : nous posons nos regards à hauteur d’ homme. Et nous voyons un monde neuf où la pensée avait perdu, depuis u

1273 pensée avait perdu, depuis un siècle, la coutume de chercher ses résistances. Or ce monde nous apparaît démesurément agra

1274 , notre perfectionnement nous ont si bien séparés de cela qu’il nous semble parfois qu’il n’est plus qu’une alternative de

1275 emble parfois qu’il n’est plus qu’une alternative de manœuvre : nous laisser prendre par la foule, dont le torrent arrondi

1276 lines partisanes, ou bien fuir à l’écart, essayer de prolonger encore les anciens jeux, de subtiliser un peu plus, de raff

1277 rt, essayer de prolonger encore les anciens jeux, de subtiliser un peu plus, de raffiner cet examen que la pensée « libre 

1278 core les anciens jeux, de subtiliser un peu plus, de raffiner cet examen que la pensée « libre » fait d’elle-même, cette c

1279 raffiner cet examen que la pensée « libre » fait d’ elle-même, cette connaissance de l’homme qui ne « connaît » pas en act

1280 ée « libre » fait d’elle-même, cette connaissance de l’homme qui ne « connaît » pas en acte, qui se souvient seulement d’a

1281  connaît » pas en acte, qui se souvient seulement d’ avoir connu… Dans les deux cas, il ne s’agit au fond que de refuges, d

1282 onnu… Dans les deux cas, il ne s’agit au fond que de refuges, de facilité. C’est refuser le conflit, non le résoudre. Car

1283 es deux cas, il ne s’agit au fond que de refuges, de facilité. C’est refuser le conflit, non le résoudre. Car la question,

1284 e, maîtresse du corps. L’alternative que je viens d’ indiquer — engagement dans la masse, ou refuge dans l’esprit pur — ne

1285 vant soi-même ou devant le monde. Il serait temps d’ envisager maintenant comment l’homme peut être présent au monde et à s

1286 er. Et c’est pourquoi je pense qu’il nous est bon de reprendre aujourd’hui son problème, là où il l’a porté, et dans ses t

1287 la trace des grands individus. La définition même de l’homme, ce qu’il a proprement d’humain, c’est cette tension entre le

1288 définition même de l’homme, ce qu’il a proprement d’ humain, c’est cette tension entre les autres et lui, et le problème es

1289 nsion entre les autres et lui, et le problème est de trouver, tout en marchant, un équilibre entre ces forces antagonistes

1290 hant, un équilibre entre ces forces antagonistes, de telle façon que loin de se nier ou de s’exclure, elles s’éduquent et

1291 tagonistes, de telle façon que loin de se nier ou de s’exclure, elles s’éduquent et se forment l’une par l’autre. Mais l’i

1292 pôles, société et individu, a varié depuis Goethe d’ une manière appréciable. Les suites et les retentissements d’une varia

1293 re appréciable. Les suites et les retentissements d’ une variation de cette nature font voir qu’elle est le vrai ressort de

1294 Les suites et les retentissements d’une variation de cette nature font voir qu’elle est le vrai ressort de toute l’Histoir

1295 ette nature font voir qu’elle est le vrai ressort de toute l’Histoire. ⁂ Goethe vivait dans un ordre social dont les signe

1296 ire ? c’est qu’il tombe en soi. Il n’y trouve pas de quoi durer, ni rien de ferme où poser le pied. Il se donne tort, et n

1297 en soi. Il n’y trouve pas de quoi durer, ni rien de ferme où poser le pied. Il se donne tort, et non au monde. Tout le pr

1298 se donne tort, et non au monde. Tout le problème de l’équilibre goethéen se pose à partir de Werther, contre lui, ou plut

1299 r, contre lui, ou plutôt contre sa mort. Le moyen de vivre — de survivre à Werther — et de supporter la condition sociale,

1300 ui, ou plutôt contre sa mort. Le moyen de vivre —  de survivre à Werther — et de supporter la condition sociale, ce sera po

1301 t. Le moyen de vivre — de survivre à Werther — et de supporter la condition sociale, ce sera pour Goethe, désormais, de se

1302 ondition sociale, ce sera pour Goethe, désormais, de se construire un ordre individuel aussi solide et organique que celui

1303 onner à ses relations avec le monde : le commerce de la société, l’action et le service d’autrui lui demeurent indispensab

1304 le commerce de la société, l’action et le service d’ autrui lui demeurent indispensables, non point qu’il voie en eux sa fi

1305 x sa fin, mais parce que seuls ils lui permettent de se réaliser, de se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de

1306 arce que seuls ils lui permettent de se réaliser, de se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de sa jeunesse inoc

1307 lui permettent de se réaliser, de se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de sa jeunesse inoccupée, enfin de do

1308 se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de sa jeunesse inoccupée, enfin de dominer dans l’espace d’une seule vie

1309 archie intérieure de sa jeunesse inoccupée, enfin de dominer dans l’espace d’une seule vie ce romantisme où trois générati

1310 eunesse inoccupée, enfin de dominer dans l’espace d’ une seule vie ce romantisme où trois générations vont se débattre et s

1311 on avec le monde, la société, et la nature ; mais de cette relation, de cette tension, la résultante sera constamment diri

1312 a société, et la nature ; mais de cette relation, de cette tension, la résultante sera constamment dirigée vers lui-même,

1313 ent organisé et autonome. L’admirable objectivité de son regard n’est en fin de compte qu’une discipline éducative dont il

1314 x phrases splendides : « J’ai considéré tout cela d’ un regard tranquille et subtil, et je me suis réjoui de cette grande e

1315 regard tranquille et subtil, et je me suis réjoui de cette grande existence. » « Je me suis hâté d’aller voir la place Sai

1316 ui de cette grande existence. » « Je me suis hâté d’ aller voir la place Saint-Marc, et mon esprit maintenant est enrichi e

1317 , et mon esprit maintenant est enrichi et agrandi de cette image. » Le regard qu’il porte sur le monde est l’un des plus p

1318 ne point sentir le précepte individuel, la leçon de sagesse intérieure qui se dégage de ses descriptions et les affecte e

1319 uel, la leçon de sagesse intérieure qui se dégage de ses descriptions et les affecte encore d’un sens certain : « À part l

1320 dégage de ses descriptions et les affecte encore d’ un sens certain : « À part l’église Saint-Marc, je n’ai visité aucun b

1321 de masse ! Et une existence nécessaire, dépourvue d’ arbitraire. Cette peuplade ne s’est pas réfugiée sur ces îles pour son

1322 caprice… » « Une existence nécessaire, dépourvue d’ arbitraire », voilà la leçon qu’il se répète pour lui-même, l’idéal qu

1323 me, l’idéal qu’il a su opposer au Sturm und Drang de sa jeunesse. Mais encore une fois il s’agit pour lui d’une nécessité

1324 jeunesse. Mais encore une fois il s’agit pour lui d’ une nécessité tout intérieure, d’une loi comparable à celles qu’il a s

1325 s’agit pour lui d’une nécessité tout intérieure, d’ une loi comparable à celles qu’il a su découvrir dans les plantes : lo

1326 elles qu’il a su découvrir dans les plantes : loi de la forme organisatrice de l’individu autonome. ⁂ Inverser les données

1327 dans les plantes : loi de la forme organisatrice de l’individu autonome. ⁂ Inverser les données du problème goethéen, tou

1328 lème actuel. Notre pensée nous donne des modèles d’ ordre que la société toute défaite qui est la nôtre ne paraît plus cap

1329 e défaite qui est la nôtre ne paraît plus capable de subir. Il y a, ou tout au moins il peut y avoir beaucoup plus d’ordre

1330 a, ou tout au moins il peut y avoir beaucoup plus d’ ordre en nous que dans le monde. Le vertige est à l’extérieur. Et lors

1331 masquons son arbitraire, nous refusons les règles de son jeu, et la plupart de ses établissements ne sont pour nous que si

1332 es individu et société. Mais sa résultante change de signe : elle pointe sa flèche contre la société8. Nous ne pouvons nou

1333 t se passe comme si le but final était bien moins de nous réaliser que d’informer un monde neuf, qui enfin nous paraisse a

1334 e but final était bien moins de nous réaliser que d’ informer un monde neuf, qui enfin nous paraisse acceptable. Les « leço

1335 ue nous tirons aujourd’hui du spectacle des gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons

1336 ns aujourd’hui du spectacle des gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne sont plus

1337 tacle des gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne sont plus destinées à notre seu

1338 gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne sont plus destinées à notre seul usage i

1339 otre seul usage interne : elles prennent l’allure de revendications contre le désordre établi. De ce simple changement de

1340 lure de revendications contre le désordre établi. De ce simple changement de signe dont l’importance nous est encore incal

1341 ontre le désordre établi. De ce simple changement de signe dont l’importance nous est encore incalculable, je voudrais ind

1342 es : son contrecoup dans la littérature. L’effort de Goethe contre lui-même vise à la création d’un ordre interne, d’une o

1343 fort de Goethe contre lui-même vise à la création d’ un ordre interne, d’une objectivité intime. Les témoignages les plus c

1344 e lui-même vise à la création d’un ordre interne, d’ une objectivité intime. Les témoignages les plus convaincants de cet o

1345 ité intime. Les témoignages les plus convaincants de cet ordre, et qui le confirment le mieux, ce sont les œuvres. Une œuv

1346 . Une œuvre littéraire, pour Goethe, joue le rôle d’ un objet exemplaire : c’est un modèle de composition disciplinée et or

1347 e le rôle d’un objet exemplaire : c’est un modèle de composition disciplinée et organique. Iphigénie ou Les affinités élec

1348 es affinités électives sont à la fois des preuves d’ une maîtrise de soi-même déjà conquise, et des moyens de la parfaire e

1349 ectives sont à la fois des preuves d’une maîtrise de soi-même déjà conquise, et des moyens de la parfaire en l’enseignant.

1350 maîtrise de soi-même déjà conquise, et des moyens de la parfaire en l’enseignant. Ce que Goethe doit au monde, c’est de de

1351 l’enseignant. Ce que Goethe doit au monde, c’est de devenir Goethe. Il doit montrer l’exemple d’un individu qui a su tire

1352 ’est de devenir Goethe. Il doit montrer l’exemple d’ un individu qui a su tirer du monde où il est né les nourritures les p

1353 ant vis-à-vis de lui-même comme il fait vis-à-vis d’ un « sujet ». Mais, tout inverse, notre effort contre le monde vise à

1354 notre effort contre le monde vise à l’affirmation d’ un ordre externe, d’une communauté vivante. Les témoignages que nous d

1355 le monde vise à l’affirmation d’un ordre externe, d’ une communauté vivante. Les témoignages que nous devons porter en fave

1356 t ordre à créer ne pourront plus revêtir la forme d’ œuvres closes, suffisantes en soi, objectives : car prétendant à servi

1357 ntes en soi, objectives : car prétendant à servir de modèles, de telles œuvres auraient d’autant moins de puissance exempl

1358 objectives : car prétendant à servir de modèles, de telles œuvres auraient d’autant moins de puissance exemplaire et d’ef

1359 nt à servir de modèles, de telles œuvres auraient d’ autant moins de puissance exemplaire et d’efficace qu’elles seraient p

1360 modèles, de telles œuvres auraient d’autant moins de puissance exemplaire et d’efficace qu’elles seraient plus parfaites,

1361 uraient d’autant moins de puissance exemplaire et d’ efficace qu’elles seraient plus parfaites, c’est-à-dire détachées de n

1362 s seraient plus parfaites, c’est-à-dire détachées de nos contingences présentes. Faites pour durer, elles resteraient des

1363 s puissions prétendre offrir, ce sont les preuves de notre engagement dans la réalité vulgaire du monde actuel. Si nous de

1364 ons quelque chose à ce monde, c’est notre volonté de le changer, de le connaître afin de le changer, de le connaître en ta

1365 se à ce monde, c’est notre volonté de le changer, de le connaître afin de le changer, de le connaître en tant que notre ac

1366 e le changer, de le connaître afin de le changer, de le connaître en tant que notre action peut modifier le sort de ses vi

1367 re en tant que notre action peut modifier le sort de ses victimes, dont nous sommes. Je vois alors une littérature de tran

1368 , dont nous sommes. Je vois alors une littérature de transition dont l’ambition ne sera plus de faire des œuvres (au sens

1369 rature de transition dont l’ambition ne sera plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’être à tout moment à l’œuvre

1370 ra plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’ être à tout moment à l’œuvre toujours ouverte vers le monde, trop près

1371 iscontinuités, par là très infidèle aux préceptes de « l’Art », mais découvrant peut-être au-delà, dans les conditions mêm

1372 rant peut-être au-delà, dans les conditions mêmes de son action, un nouveau style, plus efficace et plus intime. Je ne voi

1373 ces formes étaient exclusives, elles souffriront de cette nouveauté, c’est à prévoir. Un écrivain qui se rend compte du p

1374 eut plus s’adonner sans scrupules à certains jeux d’ un art hautain, fermé sur soi. Je ne dis pas qu’il en soit incapable,

1375 Goethe encore doit choisir ses sujets et le cadre de ses pensées dans un certain ordre « élevé » où certaines harmonies so

1376 ce élaborées : antiquité, société policée, objets d’ art, paysages célèbres, tout ce qui met une certaine distance entre le

1377 os contacts humains les plus banals ! Nous serons d’ autant plus assurés de le toucher utilement que nous aurons moins calc

1378 s plus banals ! Nous serons d’autant plus assurés de le toucher utilement que nous aurons moins calculé le mode et le lieu

1379 ns moins calculé le mode et le lieu des contacts. D’ où je vois naître une littérature de circonstances, et de circonstance

1380 des contacts. D’où je vois naître une littérature de circonstances, et de circonstances non choisies, de rencontres, une s

1381 vois naître une littérature de circonstances, et de circonstances non choisies, de rencontres, une sorte de perpétuel jou

1382 circonstances, et de circonstances non choisies, de rencontres, une sorte de perpétuel journal de nos relations avec le m

1383 constances non choisies, de rencontres, une sorte de perpétuel journal de nos relations avec le monde, empruntant toutes l

1384 es, de rencontres, une sorte de perpétuel journal de nos relations avec le monde, empruntant toutes les formes qu’on voudr

1385 rien ne saurait mieux la provoquer à l’invention de prises nouvelles ou de vérités plus touchantes que cette découverte d

1386 la provoquer à l’invention de prises nouvelles ou de vérités plus touchantes que cette découverte du monde à un niveau où

1387 lle n’est pas connue, où elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de

1388 s connue, où elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dan

1389 ù elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dans le monde

1390 as encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dans le monde quotidien, c

1391 is, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dans le monde quotidien, c’est le vrai progrès de l’esprit,

1392 it dans le monde quotidien, c’est le vrai progrès de l’esprit, c’est l’ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et d

1393 st le vrai progrès de l’esprit, c’est l’ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et de tendresse réelle », notre rép

1394 prit, c’est l’ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et de tendresse réelle », notre réponse d’homme à toute la cr

1395 ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et de tendresse réelle », notre réponse d’homme à toute la création, longte

1396 e vigueur et de tendresse réelle », notre réponse d’ homme à toute la création, longtemps trompée dans son « attente ardent

1397 1934 Pêche aux crevettes. — Pendant les jours de grande marée, entre deux flux, d’immenses plateaux rocheux, pourpres,

1398 ndant les jours de grande marée, entre deux flux, d’ immenses plateaux rocheux, pourpres, jaunes et noirs se révèlent au-de

1399 ux, pourpres, jaunes et noirs se révèlent au-delà de la plage, nouveau pays tout grouillant de merveilles, d’eaux ruissela

1400 au-delà de la plage, nouveau pays tout grouillant de merveilles, d’eaux ruisselantes et de vies monstrueuses, soudain port

1401 lage, nouveau pays tout grouillant de merveilles, d’ eaux ruisselantes et de vies monstrueuses, soudain porté à la lumière

1402 grouillant de merveilles, d’eaux ruisselantes et de vies monstrueuses, soudain porté à la lumière de midi, comme un secre

1403 onné s’étale sous le grand rire des dieux ! Armés de treilles à long manche, les jambes nues, nous courons sur les roches

1404 ambes nues, nous courons sur les roches tapissées d’ algues sombres dont le crépitement sous nos pas fait fuir et choir de

1405 nt le crépitement sous nos pas fait fuir et choir de tous côtés de petits crabes. Des ruisseaux, des rivières impétueuses

1406 ent sous nos pas fait fuir et choir de tous côtés de petits crabes. Des ruisseaux, des rivières impétueuses parcourent ce

1407 dans l’eau jusqu’aux genoux, les jambes caressées de courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de «

1408 genoux, les jambes caressées de courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelque

1409 caressées de courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer q

1410 courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer qui affleure l

1411 , de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer qui affleure le tranchant du

1412 , de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer qui affleure le tranchant du plateau, la rivière s’élargit en

1413 ent la treille et l’égoutter. On ramène un paquet de varech, un ou deux crabes tout terreux, et parfois en se penchant sur

1414 ois en se penchant sur la treille, on voit bondir d’ un bord à l’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdât

1415 on voit bondir d’un bord à l’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdâtre qu’il faut attraper comme une m

1416 un bord à l’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdâtre qu’il faut attraper comme une mouche et qui vous

1417 ’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdâtre qu’il faut attraper comme une mouche et qui vous saute dans

1418 i vous saute dans la main et vous gratte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses pattes. On fourre cela dans l

1419 la main et vous gratte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses pattes. On fourre cela dans le sachet que l’on

1420 atte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses pattes. On fourre cela dans le sachet que l’on porte attaché à la

1421 ’on porte attaché à la ceinture et qui se remplit de tressaillements. Nous ne gardons que les plus belles crevettes, dites

1422 ttes, dites « bouquets », grosses comme le doigt, d’ un rose sombre, aux longues antennes grenat. Un jour nous avons pris u

1423 renat. Un jour nous avons pris une seiche énorme, de celles que les gens de l’île mangent (ils les coupent dans la longueu

1424 ns pris une seiche énorme, de celles que les gens de l’île mangent (ils les coupent dans la longueur et les conservent pou

1425 bauchée : un seul os aplati au milieu d’un paquet de chair dense et fade, et une tête aux gros yeux étalés, qui s’emboîte

1426 sur le reste on ne sait comment. C’est l’emblème de la rage imbécile : quand on la replonge dans l’eau elle vous éternue

1427 nous attardons encore à chercher dans les flaques d’ eau tiédie ou sous les pierres, des palourdes qu’on reconnaît aux deux

1428 rochées qu’elles ménagent dans le sable au-dessus d’ elles — ou des coutelets qui font un trou en forme de serrure — ou des

1429 l nous a fallu trois belles heures pour rapporter de quoi déjeuner, des coups de soleil, et ces visions éclatantes de la c

1430 heures pour rapporter de quoi déjeuner, des coups de soleil, et ces visions éclatantes de la côte, ce flamboiement de l’im

1431 r, des coups de soleil, et ces visions éclatantes de la côte, ce flamboiement de l’imagination… ⁂ On cuit les crevettes to

1432 es visions éclatantes de la côte, ce flamboiement de l’imagination… ⁂ On cuit les crevettes toutes vivantes, en les jetant

1433 les crevettes toutes vivantes, en les jetant dans de l’eau qui bout. Après des soubresauts terribles — une ou deux sautent

1434 t, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Je parlais de « l’attente ardente » des créatures, songeant au passage où l’Apôtre

1435 passage où l’Apôtre nous fait entendre ce soupir de toute la création vers la révélation des « enfants de lumière », et l

1436 oute la création vers la révélation des « enfants de lumière », et la restauration de l’ordre originel. Et voilà pratiquem

1437 on des « enfants de lumière », et la restauration de l’ordre originel. Et voilà pratiquement la réponse de l’homme : pilla

1438 ’ordre originel. Et voilà pratiquement la réponse de l’homme : pillage, ruses, destruction, dévoration, le tout accompagné

1439 uses, destruction, dévoration, le tout accompagné de sentiments « humains », admiration, répulsion, pitié, etc. En somme,

1440 cela me fend le cœur ! » Voilà la dernière trace de la conscience cosmique en nous, de la conscience de notre royauté néc

1441 dernière trace de la conscience cosmique en nous, de la conscience de notre royauté nécessaire et réparatrice. Il est prob

1442 la conscience cosmique en nous, de la conscience de notre royauté nécessaire et réparatrice. Il est probable que le tigre

1443 de déchiqueter une jeune gazelle ne fait pas tant d’ histoires, ne fait pas de sentiment. Et pourtant, ma sensiblerie n’est

1444 gazelle ne fait pas tant d’histoires, ne fait pas de sentiment. Et pourtant, ma sensiblerie n’est hypocrite que parce qu’e

1445 insuffisante. Elle est plus juste, et plus digne de l’homme que ces vertus de carnassiers que nous partageons, d’ailleurs

1446 us juste, et plus digne de l’homme que ces vertus de carnassiers que nous partageons, d’ailleurs maladroitement, avec le t

1447 , mon scrupule est contre nature. Et toute espèce de pacifisme ou d’humanitarisme, au bout du compte. C’est uniquement s’i

1448 st contre nature. Et toute espèce de pacifisme ou d’ humanitarisme, au bout du compte. C’est uniquement s’il y a dans l’hom

1449 ans l’homme une vocation surnaturelle, la mission de restaurer l’harmonie primitive, que ce scrupule se justifie : il appa

1450 er écho, le dernier reproche, la dernière plainte de la justice cosmique blessée. Comme une prière muette en moi, toute ma

1451 a question est tranchée ? Ou plutôt, il n’y a pas de question ? Et ceux qui se la posent — sans même parvenir à la résoudr

1452 ans même parvenir à la résoudre — sont simplement de pauvres types ? « Parlez-moi des avions de bombardement, de la sécuri

1453 lement de pauvres types ? « Parlez-moi des avions de bombardement, de la sécurité système si vis pacem, et du bifteck. Il

1454 types ? « Parlez-moi des avions de bombardement, de la sécurité système si vis pacem, et du bifteck. Il n’y a que ça de s

1455 tème si vis pacem, et du bifteck. Il n’y a que ça de sérieux. » L’homme est un animal raisonnable. C’est de plus en plus é

1456 nous en sont reconnaissantes. » (C. F. Ramuz). «  D’ autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n

1457 t plus nous connaissons les choses particulières, d’ autant plus nous connaissons Dieu » (Spinoza). « Tout l’univers s’adr

1458 e ineffable qui se fait entendre dans l’intérieur de son âme, dans une partie de son être inconnue à lui-même. Quoi de plu

1459 ndre dans l’intérieur de son âme, dans une partie de son être inconnue à lui-même. Quoi de plus simple que d’imaginer que

1460 être inconnue à lui-même. Quoi de plus simple que d’ imaginer que cet effort de la nature pour pénétrer en nous n’est pas s

1461 Quoi de plus simple que d’imaginer que cet effort de la nature pour pénétrer en nous n’est pas sans une mystérieuse signif

1462 « Car la création a été soumise à la vanité — non de son gré mais à cause de celui qui l’y a soumise — avec l’espérance qu

1463  — avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloi

1464 nce qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants d

1465 ude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or nous savons que jusqu’à ce jour, la

1466 avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or nous savons que jusqu’à ce jour, la création tout entière so

1467 tion tout entière soupire et souffre des douleurs de l’enfantement… Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. » (Roma

1468 et ce qui meurt qui nous émeut. Cette nuit, avant d’ aller me coucher, j’ai été voir encore au poulailler. (Nous attendions

1469 r une bougie, je réveille ma femme. Nous essayons de soulever par les ailes la poule, qui fait un caquet déchirant : elle

1470 elle serre entre ses pattes un œuf à demi-ouvert, d’ où sort un long cou maigre, tout humide. Un poulet gris, déjà séché, p

1471 de, et reprend, l’œil fixe, son travail invisible de mère. C’est beau. C’est fascinant. C’est grave et mystérieux, pacifia

1472 e et mystérieux, pacifiant comme la démonstration d’ une absolue sagesse à l’œuvre dans cette vie. Il y a sur toute la terr

1473 l’œuvre dans cette vie. Il y a sur toute la terre de ces moments de pureté. Il faut penser à eux quand on juge « le monde 

1474 tte vie. Il y a sur toute la terre de ces moments de pureté. Il faut penser à eux quand on juge « le monde »… Nous mangeon

1475 n’ont que quelques feuilles. Mais avec le produit de nos pêches, les bons de pain, le reste du tonneau de vin blanc, nous

1476 les. Mais avec le produit de nos pêches, les bons de pain, le reste du tonneau de vin blanc, nous pourrions subsister sans

1477 nos pêches, les bons de pain, le reste du tonneau de vin blanc, nous pourrions subsister sans argent pendant quelques sema

1478 eau, plus rien à espérer avant longtemps, en fait de « rentrées ». Le produit d’une traduction et de la correction d’un ma

1479 nt longtemps, en fait de « rentrées ». Le produit d’ une traduction et de la correction d’un manuscrit nous a fait vivre ju

1480 t de « rentrées ». Le produit d’une traduction et de la correction d’un manuscrit nous a fait vivre jusqu’en avril. Pendan

1481 . Le produit d’une traduction et de la correction d’ un manuscrit nous a fait vivre jusqu’en avril. Pendant ce temps, j’ai

1482 on s’en soit aperçu, il n’est plus guère possible de le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un peu d’argent. Tout cela m

1483 guère possible de le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un peu d’argent. Tout cela me rend plutôt irritable, intellect

1484 e le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un peu d’ argent. Tout cela me rend plutôt irritable, intellectuellement. Mauvai

1485 urrier, ou les journaux. C’est lassant, le manque d’ argent, à la longue. Et l’on voit trop de raisons de tous les ordres q

1486 e manque d’argent, à la longue. Et l’on voit trop de raisons de tous les ordres qui expliquent cette situation, et pourquo

1487 argent, à la longue. Et l’on voit trop de raisons de tous les ordres qui expliquent cette situation, et pourquoi elle ne c

1488 exemple, cela réussit ou rate, cela ne dépend pas de l’opinion. Ni de la bêtise plus ou moins spirituelle de, etc. Parlons

1489 ssit ou rate, cela ne dépend pas de l’opinion. Ni de la bêtise plus ou moins spirituelle de, etc. Parlons plutôt de nos ba

1490 pinion. Ni de la bêtise plus ou moins spirituelle de , etc. Parlons plutôt de nos bains, les premiers vrais bains de la sai

1491 plus ou moins spirituelle de, etc. Parlons plutôt de nos bains, les premiers vrais bains de la saison, à la Grande-Conche.

1492 ons plutôt de nos bains, les premiers vrais bains de la saison, à la Grande-Conche. Une plage immense, en arc de cercle, a

1493 on, à la Grande-Conche. Une plage immense, en arc de cercle, au pied des dunes, très doucement inclinée, et sans une pierr

1494 inclinée, et sans une pierre. Merveilleuse piste de bicyclette. Nous nous sommes procuré deux vieux clous tout rouillés.

1495 eux clous tout rouillés. Ils supportent très bien de rouler dans les minces nappes d’eau que poussent devant elles les gro

1496 ortent très bien de rouler dans les minces nappes d’ eau que poussent devant elles les grosses vagues. Entre la terre et l’

1497 le découvrons ! Touffu, feuillu et odorant, plein de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets,

1498 illu et odorant, plein de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glyci

1499 t, plein de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs

1500 de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangée

1501 s multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’ œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat,

1502 res, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne

1503 capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’ Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne sais pa

1504 de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne sais pas les noms,

1505 nteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne sais pas les noms, et de roses,

1506 ngées et grenat, dont je ne sais pas les noms, et de roses, et de roses trémières qui grandissent d’un pouce au moins pend

1507 at, dont je ne sais pas les noms, et de roses, et de roses trémières qui grandissent d’un pouce au moins pendant la nuit.

1508 t de roses, et de roses trémières qui grandissent d’ un pouce au moins pendant la nuit. Nous allumons une première cigarett

1509 à lire et à écrire sous les tilleuls, en maillot de bain. Beaucoup de moustiques et de fourmis ailées que j’essaie de tue

1510 ls, en maillot de bain. Beaucoup de moustiques et de fourmis ailées que j’essaie de tuer au fly-tox. Une araignée parfois

1511 p de moustiques et de fourmis ailées que j’essaie de tuer au fly-tox. Une araignée parfois descend au-dessus de ma page, p

1512 u fly-tox. Une araignée parfois descend au-dessus de ma page, pédale de toutes ses pattes dans le vide, remonte, retombe,

1513 gnée parfois descend au-dessus de ma page, pédale de toutes ses pattes dans le vide, remonte, retombe, et court sur la tab

1514 est trop forte. Je travaille dans la grande pièce de l’étage, où j’ai transporté ma table à tréteaux. Un de mes rêves s’es

1515 étage, où j’ai transporté ma table à tréteaux. Un de mes rêves s’est ainsi réalisé : écrire sur une table en sapin, dans u

1516 n 1934 Depuis que nous parcourons cette pointe de l’île à bicyclette, de la Grande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de

1517 us parcourons cette pointe de l’île à bicyclette, de la Grande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de pins à l’est et au Fier

1518 te, de la Grande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de pins à l’est et au Fier, qui termine les marais, nous découvrons que

1519 bien étroit… Cela n’a plus la grandeur romantique de la désolation d’hiver. Et partout les cultivateurs, au travail sur le

1520 n’a plus la grandeur romantique de la désolation d’ hiver. Et partout les cultivateurs, au travail sur leurs petits champs

1521 ntent. Hier soir, j’avais fait une dernière revue de nos possibilités de subsister pendant les semaines qui viennent. Arti

1522 avais fait une dernière revue de nos possibilités de subsister pendant les semaines qui viennent. Articles, zéro. Traducti

1523 : néant. Reste : 90 francs. Une remarque ironique de ma femme sur mes petits comptes, avait amené la première explosion de

1524 petits comptes, avait amené la première explosion de mauvaise humeur contre « le sort » depuis sept à huit mois que nous s

1525 Je n’étais pas fier. Ce matin, nous avons décidé de réagir. Quand une auto risque de rater le tournant, emportée par la f

1526 ous avons décidé de réagir. Quand une auto risque de rater le tournant, emportée par la force centrifuge, il ne faut pas f

1527 . acheter des cigarettes. J’ai demandé à Mellouin d’ apporter un nouveau tonnelet. Et nous allions nous mettre à table pour

1528 a factrice. Une grosse enveloppe cachetée, venant de l’étranger. En-tête d’une fondation littéraire. Il faut d’abord signe

1529 enveloppe cachetée, venant de l’étranger. En-tête d’ une fondation littéraire. Il faut d’abord signer, c’est recommandé. En

1530 ut juste le nom. Que je n’aurais jamais eu l’idée de solliciter. Et qui m’est octroyé pour un petit livre paru sans bruit

1531 é pour un petit livre paru sans bruit il y a plus de dix-huit mois. Les hommes sont bons ! Du moins certains d’entre eux.

1532 e. Ensuite, j’ai calculé que cela nous permettait de passer l’été ici, sans inquiétude. Ou encore, de le passer ailleurs s

1533 de passer l’été ici, sans inquiétude. Ou encore, de le passer ailleurs sans ennui. 15 juin 1934 Bon vent du destin

1534 Bon vent du destin souffle encore : au courrier de midi, l’offre par une amie, d’une maison pour l’hiver prochain, dans

1535 core : au courrier de midi, l’offre par une amie, d’ une maison pour l’hiver prochain, dans le Gard. Autre lettre : une inv

1536 n’écrivais plus à personne. Je crois à la valeur d’ appel de l’absence, ou plutôt du retrait. (Il ne faut pas que ce soit

1537 ais plus à personne. Je crois à la valeur d’appel de l’absence, ou plutôt du retrait. (Il ne faut pas que ce soit une fein

1538 véritable non-espoir.) Équivalent, pour la façon de traiter la vie, de la médecine des homéopathes. 16 juin 1934 La

1539 ir.) Équivalent, pour la façon de traiter la vie, de la médecine des homéopathes. 16 juin 1934 La banque d’A. n’est

1540 ine des homéopathes. 16 juin 1934 La banque d’ A. n’est ouverte qu’un jour par semaine. Ce n’est qu’aujourd’hui que j

1541 passe sa portette et vient me prier à voix basse d’ aller attendre dans la pièce voisine. J’attends je ne sais combien de

1542 ns la pièce voisine. J’attends je ne sais combien de temps, je n’ai pas de montre, mais c’est très long. Aucun bruit de vo

1543 ’attends je ne sais combien de temps, je n’ai pas de montre, mais c’est très long. Aucun bruit de voix dans la salle de la

1544 pas de montre, mais c’est très long. Aucun bruit de voix dans la salle de la caisse. Le client est-il sorti ? Quel peut b

1545 ’est très long. Aucun bruit de voix dans la salle de la caisse. Le client est-il sorti ? Quel peut bien être le motif de c

1546 lient est-il sorti ? Quel peut bien être le motif de cette audience privée ? Enfin, j’entends qu’on sort, et le gérant vie

1547 . Notre affaire réglée, il croit devoir s’excuser de m’avoir fait passer à côté tout à l’heure. « Vous savez, c’est la cou

1548 s la salle quand ils payent ou quand ils touchent de l’argent. C’est qu’ils sont très spéciaux, les gens d’ici ! Moi je n’

1549 chaine sur le continent), ils n’auraient pas idée de ça, au contraire, ils sont tout fiers de venir à la banque. Ici, on a

1550 pas idée de ça, au contraire, ils sont tout fiers de venir à la banque. Ici, on a dû faire cette salle d’attente… » Autant

1551 venir à la banque. Ici, on a dû faire cette salle d’ attente… » Autant que j’en puis juger d’après les propos du gérant, ce

1552 tout légitime, qu’on sache combien ils ont « mis de côté », qui peut expliquer le comportement des gens d’ici. Il faut ad

1553 te tout à fait particulière s’attache au commerce de l’argent. 20 juin 1934 Les gens. — Je feuillette ce journal :

1554 plus guère à leurs affaires. J’ai pris mon parti de cet équilibre indifférent et cordial qui a fini par s’établir entre n

1555 s’établir entre nous ; et il ne reste que l’ennui de nos conversations toujours pareilles. Grande différence entre eux et

1556 r milieu, comme les animaux. Ils ne se posent pas de questions gênantes. Or, c’est mon métier d’en poser… Seule la maladie

1557 t pas de questions gênantes. Or, c’est mon métier d’ en poser… Seule la maladie les pousse à réfléchir un moment sur « ce q

1558 usse à réfléchir un moment sur « ce que c’est que de nous » ; la mère Renaud, par exemple, qui s’est fait opérer en mai, d

1559 enaud, par exemple, qui s’est fait opérer en mai, d’ un cancer au sein, vient parfois s’installer sur une chaise du jardin,

1560 haise du jardin, et parle un peu de l’au-delà, et d’ un sermon du curé, mais cela s’égare vite dans des généralités proverb

1561 erbiales, ou bien l’on retombe dans des histoires de fils ingrat, de nièce coureuse, etc. Les hommes sont ennuyeux les uns

1562 n l’on retombe dans des histoires de fils ingrat, de nièce coureuse, etc. Les hommes sont ennuyeux les uns pour les autres

1563 eux les uns pour les autres, dès qu’ils ont cessé de s’étonner les uns des autres, et qu’ils n’ont pas le même genre de mé

1564 uns des autres, et qu’ils n’ont pas le même genre de métier. Ce n’est pas la « classe » qui nous sépare ici, mais la profe

1565 les préoccupations professionnelles, et le défaut de buts communs surtout, je pense… Il vaut mieux partir quand on en est

1566 a situation n’est plus humaine, elle ne pose plus de questions utiles. 2 juillet 1934 La sécheresse a été la plus fo

1567 s n’avons plus la même patience, depuis qu’il y a de l’argent dans un tiroir. Cela signifie que j’ai cessé d’être chômeur.

1568 gent dans un tiroir. Cela signifie que j’ai cessé d’ être chômeur. Le départ est fixé au 10. Il va falloir vendre la poule

1569 nes pour être mangés. Régler vingt petites choses de cette espèce. Petites choses pour la première fois mesquines… 10 j

1570 icelé, cloué, transporté en brouette à la station de l’« hustubuse ». Il me reste à peu près deux heures, avant le départ,

1571 faire un peu de sentiment sur l’île, et le bilan de l’année écoulée. Bilan. — S’installer dans la pauvreté comme dans un

1572  S’installer dans la pauvreté comme dans un champ d’ activité nouveau, avec l’ardeur et les curiosités naïves du débutant,

1573 s naïves du débutant, cela suppose beaucoup moins de courage que bien des jeunes bourgeois ne l’imaginent : ceux qui voudr

1574 le saut. Peut-être leur suffirait-il, pour oser, d’ une vision précise de cet état qu’ils rêvent et craignent. Il me sembl

1575 eur suffirait-il, pour oser, d’une vision précise de cet état qu’ils rêvent et craignent. Il me semble que Proust dit à pe

1576 (dans un autre ordre). Si l’on trouve le courage de se mettre en route, c’est bien souvent à cause d’une seule image qui

1577 de se mettre en route, c’est bien souvent à cause d’ une seule image qui vous revient, l’image d’une action pratique que l’

1578 cause d’une seule image qui vous revient, l’image d’ une action pratique que l’on a déjà su accomplir au cours d’un précéde

1579 on pratique que l’on a déjà su accomplir au cours d’ un précédent voyage, et qui rassure… J’ai pensé plus d’une fois qu’il

1580 précédent voyage, et qui rassure… J’ai pensé plus d’ une fois qu’il pourrait être utile de décrire ma petite expérience d’i

1581 i pensé plus d’une fois qu’il pourrait être utile de décrire ma petite expérience d’intellectuel en chômage ; qu’il pourra

1582 urrait être utile de décrire ma petite expérience d’ intellectuel en chômage ; qu’il pourrait être utile de montrer qu’on p

1583 tellectuel en chômage ; qu’il pourrait être utile de montrer qu’on peut sortir des villes où se font les « carrières » san

1584 s villes où se font les « carrières » sans sortir de la vie véritable ; et qu’on peut vivre de très peu sans cesser de viv

1585 sortir de la vie véritable ; et qu’on peut vivre de très peu sans cesser de vivre son plein. Voici un an bientôt que j’ai

1586 ble ; et qu’on peut vivre de très peu sans cesser de vivre son plein. Voici un an bientôt que j’ai quitté Paris pour notre

1587 nt triste. Je suis devenu tout doucement amoureux de ma vie, et je crois bien que c’est un penchant qu’elle agrée. Non poi

1588 u’elle agrée. Non point qu’elle me paye en retour de surprises multipliées : peu d’aventures dans l’existence d’un homme q

1589 me paye en retour de surprises multipliées : peu d’ aventures dans l’existence d’un homme qui cherche à se posséder, plutô

1590 es multipliées : peu d’aventures dans l’existence d’ un homme qui cherche à se posséder, plutôt qu’à se fuir dans les hasar

1591 fuir dans les hasards. C’est sans doute un effet de la trentaine qui approche : je n’espère plus, comme à vingt ans, renc

1592 lle embuscade du destin, comme qui dirait au coin d’ un bois. Je crois que le réel est à portée de la main, et n’est que là

1593 coin d’un bois. Je crois que le réel est à portée de la main, et n’est que là. Alors il s’agit seulement d’assurer la pris

1594 main, et n’est que là. Alors il s’agit seulement d’ assurer la prise de cette main. C’est l’affaire d’une patience, ou d’u

1595 là. Alors il s’agit seulement d’assurer la prise de cette main. C’est l’affaire d’une patience, ou d’une impatience domin

1596 d’assurer la prise de cette main. C’est l’affaire d’ une patience, ou d’une impatience dominée, — et sans doute qu’une cert

1597 de cette main. C’est l’affaire d’une patience, ou d’ une impatience dominée, — et sans doute qu’une certaine pauvreté pouva

1598 ne réponse à son ennui — faut-il dire à sa peur — de vivre. Cette manière romantique, et somme toute vaniteuse, de tenter

1599 tte manière romantique, et somme toute vaniteuse, de tenter le destin « pour voir », qui est la manière des amateurs de vi