1 ter sur la bâche qui couvre l’avant du bateau, et de l’eau gicle sur nos visages glacés. « Tire le gramophone entre tes ja

2 erte, un gros coup de vent : voilà nos compagnons de voyage, le médecin de l’île et trois représentants de commerce, qui s

3 vent : voilà nos compagnons de voyage, le médecin de l’île et trois représentants de commerce, qui se précipitent dans la

4 oyage, le médecin de l’île et trois représentants de commerce, qui se précipitent dans la cabine de la cale par une espèce

5 ts de commerce, qui se précipitent dans la cabine de la cale par une espèce de trappe. Nous restons seuls sur le pont, ma

6 cipitent dans la cabine de la cale par une espèce de trappe. Nous restons seuls sur le pont, ma femme et moi, à entasser n

7 re nous battions la semelle sur les quais déserts de ce port fantomatique, sans ville derrière lui, vaguement américain et

8 américain et militaire, sous un ciel bas couleur d’ acier où rien ne bougeait, et voilà tout d’un coup cet orage de novemb

9 ouleur d’acier où rien ne bougeait, et voilà tout d’ un coup cet orage de novembre qui crible et bat les flots durant la co

10 en ne bougeait, et voilà tout d’un coup cet orage de novembre qui crible et bat les flots durant la courte traversée, puis

11 cet augure à double sens, certifiant la présence d’ un destin. Voici l’île : une plage basse, quelques pins, deux ou trois

12 trois baraques. Nous traînons nos valises le long d’ un appontement interminable jusqu’à l’autocar où notre petit groupe de

13 erminable jusqu’à l’autocar où notre petit groupe de voyageurs transis s’installe rapidement. Après quoi l’on attend penda

14 t une bonne demi-heure : le chauffeur et les gars de la buvette ont bien des choses à se raconter. Dès le démarrage, la vo

15 er. Dès le démarrage, la voiture craque et crisse de partout. Un incroyable cliquetis de vitres va nous accompagner pendan

16 que et crisse de partout. Un incroyable cliquetis de vitres va nous accompagner pendant deux heures et demie, — car l’hora

17 s moins pour parcourir les trente-huit kilomètres de l’île dans sa longueur. Nous traversons de longs villages blancs et b

18 mètres de l’île dans sa longueur. Nous traversons de longs villages blancs et bleus aux maisons basses, des champs pauvres

19 le soleil qui reparaît fait briller des pyramides de sel. Au loin, parmi les lagunes et les marais, pointent de grands clo

20 u loin, parmi les lagunes et les marais, pointent de grands clochers peints de blanc jusqu’à mi-hauteur, et de noir au-des

21 et les marais, pointent de grands clochers peints de blanc jusqu’à mi-hauteur, et de noir au-dessus, repères pour les navi

22 s clochers peints de blanc jusqu’à mi-hauteur, et de noir au-dessus, repères pour les navigateurs. L’autocar sent la marée

23 étroite. Par endroits, ce n’est plus qu’une bande de terre aride, portant la route, un mur qui fait digue, une haie de tam

24 portant la route, un mur qui fait digue, une haie de tamaris. À gauche, l’océan invisible derrière le mur ; à droite, des

25 e, la dernière maison luit doucement. Nous voyons de loin sa façade blanchie, où les volets d’un bleu pâle semblent peints

26 voyons de loin sa façade blanchie, où les volets d’ un bleu pâle semblent peints à l’aquarelle. C’est une maison simplette

27 au-delà des limites européennes, dans une espèce de terrain vague de la civilisation de l’Occident, pays dénué et purifié

28 tes européennes, dans une espèce de terrain vague de la civilisation de l’Occident, pays dénué et purifié, ramené à la nud

29 ns une espèce de terrain vague de la civilisation de l’Occident, pays dénué et purifié, ramené à la nudité des quatre élém

30 rimordiaux : la terre, la mer, le ciel, et le feu de la lumière. Nous vivrons bien ! ⁂ Je revois, je revis si bien cette t

31 dans cette île à la saison où il convient plutôt de la quitter quand on le peut. Si, par cette aube de novembre, sur les

32 e la quitter quand on le peut. Si, par cette aube de novembre, sur les grands quais de ce port atlantique, j’en étais à co

33 par cette aube de novembre, sur les grands quais de ce port atlantique, j’en étais à considérer d’un œil brûlé par l’inso

34 is de ce port atlantique, j’en étais à considérer d’ un œil brûlé par l’insomnie les flots de l’océan maussade et les pauvr

35 onsidérer d’un œil brûlé par l’insomnie les flots de l’océan maussade et les pauvres rivages du détroit, c’est fort appare

36 troit, c’est fort apparemment que je n’avais rien de mieux à faire. J’étais chômeur depuis trois mois. On m’offrait un abr

37 rt, une maison vide pendant l’hiver, une occasion de solitude désirée en secret dès longtemps. Je voudrais bien n’avoir pa

38 pas l’air trop romantique : mes dernières années de Paris m’avaient appris que cette ville, au moins pour la jeunesse san

39 ’autres disent : Allons-nous-en, et restent faute d’ imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour partir : la France

40 estent faute d’imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour partir : la France a des milliers de maisons vides. Dit

41 e bien peu pour partir : la France a des milliers de maisons vides. Dites autour de vous que vous en cherchez une, et vous

42 re par ce livre. Peut-être mon récit n’a-t-il pas d’ autre but que de décrire un précédent, d’affirmer que cela peut se fai

43 Peut-être mon récit n’a-t-il pas d’autre but que de décrire un précédent, d’affirmer que cela peut se faire, que cela s’e

44 t-il pas d’autre but que de décrire un précédent, d’ affirmer que cela peut se faire, que cela s’est fait, qu’il y a là un

45 emière partieN’habitez pas les villes ! Début de novembre 1933 Je commencerai par l’inventaire de mon domaine. Je n

46 novembre 1933 Je commencerai par l’inventaire de mon domaine. Je ne suis pas propriétaire, c’est entendu. Je ne possèd

47 ntendu. Je ne possède légalement que des valises, de quoi me vêtir, et quelques livres. Mais aussi, je ne puis vivre nulle

48 e sais mettre en œuvre à ma façon, et peu capable de comprendre que l’on veuille « avoir » autrement. Posséder, ce n’est p

49 s avoir. Ce n’est pas même avoir l’usage éventuel de quelque chose. Mais c’est user en fait de cette chose-là. C’est donc

50 ventuel de quelque chose. Mais c’est user en fait de cette chose-là. C’est donc un acte, et pas du tout un droit. Et ce n’

51 fin qui leur est étrangère, et qui me commandera de les quitter le jour qu’ils y mettront obstacle. (Pour les bourgeois,

52 y mettront obstacle. (Pour les bourgeois, l’idée de propriété est liée à l’idée d’héritage. Par quelle folie pensent-ils

53 bourgeois, l’idée de propriété est liée à l’idée d’ héritage. Par quelle folie pensent-ils pouvoir « hériter » des biens d

54 e folie pensent-ils pouvoir « hériter » des biens de leurs pères ? Il faut tout ignorer de la vraie possession ! Une chose

55 » des biens de leurs pères ? Il faut tout ignorer de la vraie possession ! Une chose n’est mienne que pour un temps, et si

56 e, elle me devient impropre. Je n’hérite pas même de moi ! Ou alors, l’héritage est cela dont on ne peut pas se délivrer à

57 est incommode ou impropre, et dont il faut tâcher de se délivrer coûte que coûte.) Mon domaine, c’est ce que j’ai sous la

58 du jardin. Quand je lève le nez, je vois la cour de terre battue à l’ombre de ses deux tilleuls, la margelle du puits à g

59 ose une vieille chatte, le chai à droite. Au-delà de la cour, les planches incultes du potager, de chaque côté d’une allée

60 elà de la cour, les planches incultes du potager, de chaque côté d’une allée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une port

61 les planches incultes du potager, de chaque côté d’ une allée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une porte de bois à deu

62 tes du potager, de chaque côté d’une allée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une porte de bois à deux battants, à demi

63 ée bordée de rosiers. L’allée aboutit à une porte de bois à deux battants, à demi cachée par des lauriers épais. De hauts

64 x battants, à demi cachée par des lauriers épais. De hauts murs blancs enclosent de tous côtés ce jardin de curé qui a jus

65 es lauriers épais. De hauts murs blancs enclosent de tous côtés ce jardin de curé qui a juste la largeur de la maison. On

66 uts murs blancs enclosent de tous côtés ce jardin de curé qui a juste la largeur de la maison. On ne voit rien que le ciel

67 us côtés ce jardin de curé qui a juste la largeur de la maison. On ne voit rien que le ciel au-delà, un ciel lavé, tissé d

68 oit rien que le ciel au-delà, un ciel lavé, tissé d’ oiseaux, et parfois traversé par un nuage rapide. En me retournant à d

69 t à droite, je vois par une autre fenêtre un coin de lande, et des petites dunes broussailleuses qui ferment l’horizon bas

70 compte deux chambres au rez-de-chaussée, séparées de la cuisine par un couloir dallé. À l’étage, où l’on parvient par un p

71 parvient par un petit escalier qui prend au fond de la cuisine, deux autres chambres assez vastes et presque vides, auxqu

72 vastes et presque vides, auxquelles le toit sert de plafond. Très peu de meubles, comme j’aime. Des murs blanchis ou tein

73 ubles, comme j’aime. Des murs blanchis ou teintés de bleu clair, des planchers rudes. Décor candide et gai, oui vraiment p

74 rte un peu trop basse, règne une pénétrante odeur de laurier. On distingue dans l’ombre des amas de branchages, des outils

75 ur de laurier. On distingue dans l’ombre des amas de branchages, des outils et des treilles pour la pêche aux crevettes. J

76 ux crevettes. Je me suis procuré un petit tonneau de vin blanc de l’île. C’est un clairet assez acide, qui laisse peut-êtr

77 Je me suis procuré un petit tonneau de vin blanc de l’île. C’est un clairet assez acide, qui laisse peut-être un léger go

78 -être un léger goût iodé, au moins l’on est tenté de l’imaginer : la vigne croît ici au ras d’un sol sablonneux que l’on f

79 t tenté de l’imaginer : la vigne croît ici au ras d’ un sol sablonneux que l’on fume avec du varech. De l’île, du village,

80 d’un sol sablonneux que l’on fume avec du varech. De l’île, du village, de la mer, je ne veux rien dire encore : je laisse

81 e l’on fume avec du varech. De l’île, du village, de la mer, je ne veux rien dire encore : je laisse tout cela se mêler à

82 se mêler à ma vie, dans l’heureux étourdissement de la lumière maritime. Pour mes pensées, je les occupe en attendant à d

83 e. Pour mes pensées, je les occupe en attendant à de petits exercices formels, sans nul rapport avec ce beau vertige de li

84 es formels, sans nul rapport avec ce beau vertige de liberté. Depuis six jours que nous sommes arrivés, je n’ai lu que les

85 ue nous sommes arrivés, je n’ai lu que les Règles de Descartes, comme on ferait un mot croisé, pour tuer le temps avant un

86 us. 10 novembre 1933 Ce journal n’aura rien d’ intime. J’ai à gagner ma vie, non pas à la regarder. Toutefois, noter

87 e paraîtront frappants ici ou là, c’est une sorte de contrôle amusant et utile — pour plus tard — et c’est une bonne disci

88 — pour plus tard — et c’est une bonne discipline de l’esprit que la description objective. Me voici engagé dans une expér

89 ctive. Me voici engagé dans une expérience forcée de vie pauvre, libre et solitaire — trois grands mots ! et pourtant c’es

90 nt c’est bien cela — tout au bout d’un pays dénué de ressources, pratiquement analogue, j’imagine, à un poste colonial aux

91 aux limites du désert. Curiosité, comme au début d’ un film. La situation est d’ailleurs excellente pour l’instant. Il nou

92 s excellente pour l’instant. Il nous reste encore de quoi vivre pendant six semaines environ, si du moins nos calculs sont

93 ont justes : 900 francs, un bon toit, et le temps de voir venir. Ceci posé, il s’agit de vérifier et de noter ici au jour

94 , et le temps de voir venir. Ceci posé, il s’agit de vérifier et de noter ici au jour le jour : 1 — (problème matériel) —

95 e voir venir. Ceci posé, il s’agit de vérifier et de noter ici au jour le jour : 1 — (problème matériel) — si l’on peut vi

96 si ce régime est favorable ou non à la maturation d’ une œuvre ; — s’il est moins démoralisant que le régime parisien ; — s

97 évitables et quotidiens entre un « intellectuel » de ma sorte et les habitants du pays, se révèlent bons, mauvais, ou simp

98 evues, hebdomadaires et journaux. Grande facilité de travail dans ce silence à peu près absolu. Mais aussi j’ai l’impressi

99 u près absolu. Mais aussi j’ai l’impression nette d’ utiliser la fin de l’élan intellectuel qui me soutenait à Paris. Ces d

100 s aussi j’ai l’impression nette d’utiliser la fin de l’élan intellectuel qui me soutenait à Paris. Ces deux derniers jours

101 , j’arrivais mal à prendre au sérieux l’actualité de ce que j’écrivais. Il faut avouer qu’il s’agissait, dans ces articles

102 faut avouer qu’il s’agissait, dans ces articles, de ce que les gens croient être actuel, ou sont censés croire actuel, da

103 gardé pour la fin — ce sera demain — la rédaction de deux articles destinés à des revues de jeunes (non payantes bien ente

104 rédaction de deux articles destinés à des revues de jeunes (non payantes bien entendu), et que je vais sans doute écrire

105 s bien entendu), et que je vais sans doute écrire d’ un trait, parce que j’y parlerai de notre affaire, avec nos mots, dans

106 s doute écrire d’un trait, parce que j’y parlerai de notre affaire, avec nos mots, dans notre liberté. Après quoi, je pour

107 d’hui c’est le jour du repos. J’ai trouvé au fond d’ une armoire, derrière une pile d’assiettes, deux volumes sur l’histoir

108 i trouvé au fond d’une armoire, derrière une pile d’ assiettes, deux volumes sur l’histoire de l’île, ses coutumes et son d

109 une pile d’assiettes, deux volumes sur l’histoire de l’île, ses coutumes et son dialecte. L’un est l’œuvre d’un archiviste

110 e, ses coutumes et son dialecte. L’un est l’œuvre d’ un archiviste du continent. Il affecte une douce ironie sorbonnarde po

111 petits événements qui se déroulèrent dans ce coin de pays, et surtout pour les légendes locales, qui ont fortement exagéré

112 exagéré et embelli tout cela… La science réclame de petits faits vrais. Elle tend aussi, il faut l’avouer, à ne tenir pou

113 nir pour vrai que ce qui est petit. Laissons donc de côté ce petit travail qui a dû valoir les palmes à son auteur. Le sec

114 es à son auteur. Le second bouquin, c’est l’œuvre d’ un vieux médecin tout plein de verve et de gaillarde érudition, comme

115 quin, c’est l’œuvre d’un vieux médecin tout plein de verve et de gaillarde érudition, comme il s’en trouve un peu partout

116 l’œuvre d’un vieux médecin tout plein de verve et de gaillarde érudition, comme il s’en trouve un peu partout pour sauver

117 en trouve un peu partout pour sauver « l’esprit » d’ un pays. J’ai passé tout l’après-midi dessus. Cela commence par une ch

118 emières galères romaines jusqu’au bateau à vapeur de Sadi Carnot — monument au point où il toucha terre en 1892 —, en pass

119 ars norvégiens, les flottes anglaises des guerres de religion et les expéditions de saumoniers. Une période héroïque sous

120 laises des guerres de religion et les expéditions de saumoniers. Une période héroïque sous Richelieu. Depuis lors, semble-

121 pour la plupart jacobins. Plusieurs des discours de leurs chefs ont été consignés par miracle : ils ne le cèdent en rien,

122 iracle : ils ne le cèdent en rien, pour l’ampleur de leurs vues sur le monde, à l’éloquence des conventionnels… On trouve

123 , rédigées dans un patois un peu trop exemplaire. D’ intéressantes précisions budgétaires sur les institutions de bienfaisa

124 antes précisions budgétaires sur les institutions de bienfaisance fondées par le docteur lui-même, ou tout au moins à son

125 sera des plus utiles, une minutieuse description de la faune et de la flore de l’île, du régime des marées, des courants

126 utiles, une minutieuse description de la faune et de la flore de l’île, du régime des marées, des courants et des vents. M

127 minutieuse description de la faune et de la flore de l’île, du régime des marées, des courants et des vents. Merveilleux l

128 e, un vieux docteur au fichu caractère a composés de sa longue expérience, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa s

129 chu caractère a composés de sa longue expérience, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa science hétéroclite de pra

130 omposés de sa longue expérience, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de coll

131 périence, de ses rancunes, de son amour caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit fo

132 de son amour caché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher

133 ché, et de sa science hétéroclite de praticien et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher se font une guer

134 n et de collectionneur. L’esprit fort et l’esprit de clocher se font une guerre acharnée dans ces pages, et ils l’emporten

135 emportent tour à tour, jusqu’à la synthèse finale d’ une envolée tout à la fois patriotique, républicaine, et tolérante. La

136 nte. La droite, la gauche, et une certaine espèce d’ intelligence, ou d’ironie… Pour de tels hommes, certes il n’y a pas de

137 gauche, et une certaine espèce d’intelligence, ou d’ ironie… Pour de tels hommes, certes il n’y a pas deux France ! Ou plut

138 certaine espèce d’intelligence, ou d’ironie… Pour de tels hommes, certes il n’y a pas deux France ! Ou plutôt elles se mêl

139 dans un combat indivisible et nécessaire au cœur de chacun d’eux. Voilà l’espèce d’hommes français que je voudrais croire

140 ombat indivisible et nécessaire au cœur de chacun d’ eux. Voilà l’espèce d’hommes français que je voudrais croire la plus a

141 écessaire au cœur de chacun d’eux. Voilà l’espèce d’ hommes français que je voudrais croire la plus authentique, et la plus

142 rais croire la plus authentique, et la plus digne d’ incarner le concept de Français moyen. « Français-moyen » aux yeux des

143 thentique, et la plus digne d’incarner le concept de Français moyen. « Français-moyen » aux yeux des journalistes, c’est u

144 j’appelle un Français aplati, un parfait lecteur de journaux, un minimum de Français, et non pas du tout une moyenne. Que

145 plati, un parfait lecteur de journaux, un minimum de Français, et non pas du tout une moyenne. Que ne réserve-t-on l’expre

146 e petite rue toute blanche qui contourne la panse de l’église, et aboutit à la place principale. Au milieu de cette place,

147 milieu de cette place, qui est un vaste rectangle de terre jaune, les habitants plantèrent à la Révolution un arbre de la

148 les habitants plantèrent à la Révolution un arbre de la Liberté. Cet orme est devenu gigantesque, majestueux, exemplaire d

149 ulence, frisé comme une perruque du grand siècle. De trois côtés de la place généralement vide, les maisons s’alignent en

150 omme une perruque du grand siècle. De trois côtés de la place généralement vide, les maisons s’alignent en ordre modeste,

151 couleur des volets s’harmonise avec chaque façade d’ une manière subtile et précise qui en dit long sur l’âme de ce peuple

152 ière subtile et précise qui en dit long sur l’âme de ce peuple discret. C’est l’impression que je veux retenir pour le mom

153 du chou-fleur, des enveloppes jaunes, du peloton de ficelle et du kilo de riz. Mes vêtements, citadins mais râpés, ne la

154 veloppes jaunes, du peloton de ficelle et du kilo de riz. Mes vêtements, citadins mais râpés, ne la renseignent pas claire

155 , ne la renseignent pas clairement. Et que penser d’ un « Parisien » qui manifeste l’intention de rester ici tout l’hiver ?

156 enser d’un « Parisien » qui manifeste l’intention de rester ici tout l’hiver ? C’est plutôt en été qu’on vient chez nous,

157 mes vacances ! J’ai du travail chez moi, des tas de choses à écrire… Elle n’ose pas m’en demander davantage. Et moi, je r

158 davantage. Et moi, je recule devant l’entreprise de lui expliquer la nature de mon travail. « Écrire », qu’est-ce que cel

159 le devant l’entreprise de lui expliquer la nature de mon travail. « Écrire », qu’est-ce que cela signifie ? Écrire pour le

160 u’on voudrait. En hiver elle fait peu de réserves de produits alimentaires, les habitants n’achetant guère autre chose que

161 s, les habitants n’achetant guère autre chose que de la mercerie, des lainages et des épices. Alors il faut aller de l’aut

162 , des lainages et des épices. Alors il faut aller de l’autre côté de la place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’

163 t des épices. Alors il faut aller de l’autre côté de la place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’être vu par l’un

164 côté de la place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’ éviter d’être vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c’est prudent,

165 a place, chez Mélie. Ce n’est pas simple d’éviter d’ être vu par l’une, entrant chez l’autre. Mais c’est prudent, on me l’a

166 elles les augmenteront bien plutôt pour le punir d’ avoir été en face. Sans compter qu’on n’aime pas être accueilli par la

167 e pas être accueilli par la réprobation sournoise d’ une épicière. Ennui de traverser le village, quand on se sent observé

168 ar la réprobation sournoise d’une épicière. Ennui de traverser le village, quand on se sent observé derrière les fenêtres.

169 oi, dans les petits deux-pièces, que l’on souffre de l’inquisition des voisins. Ici c’est dans la rue seulement, et c’est

170 rmal. 20 novembre 1933 C’est chez le voisin de la mère Aujard dite Ugénie que j’ai acheté mon tonneau de vin. Ce voi

171 re Aujard dite Ugénie que j’ai acheté mon tonneau de vin. Ce voisin s’appelle Renaud, comme la majorité des habitants, Ren

172 é des habitants, Renaud-Mellouin. Il loge au fond d’ une de ces courettes charmantes qui sont la secrète beauté des habitat

173 habitants, Renaud-Mellouin. Il loge au fond d’une de ces courettes charmantes qui sont la secrète beauté des habitations d

174 mantes qui sont la secrète beauté des habitations de l’île : toutes claires et propres, tapissées de glycines et de roses

175 s de l’île : toutes claires et propres, tapissées de glycines et de roses trémières, et parfois recouvertes de treilles à

176 utes claires et propres, tapissées de glycines et de roses trémières, et parfois recouvertes de treilles à l’italienne. Co

177 nes et de roses trémières, et parfois recouvertes de treilles à l’italienne. Comme on voudrait y vivre ! y passer des soir

178 re ! y passer des soirées attablé devant un verre de petit vin, à regarder le carré de ciel pâlir et les murs qui devienne

179 devant un verre de petit vin, à regarder le carré de ciel pâlir et les murs qui deviennent roses. 21 novembre 1933

180 viennent roses. 21 novembre 1933 Le bureau de poste. — Trois mètres sur trois, et une grille épaisse au milieu. Der

181 sse au milieu. Derrière la grille, le long visage de Pédenaud. J’ai l’impression que je lui gâte la vie. Trois fois la sem

182 ’est tapé à la machine. — Est-ce qu’il n’y a rien d’ écrit à la main ? — Si, il y a des corrections écrites à la main. Péde

183 nième fois son tarif, fait son calcul sur un bout de papier, et conclut que j’ai à payer 72 francs, pour un envoi, ce jour

184 ’ai à payer 72 francs, pour un envoi, ce jour-là, d’ une centaine de feuillets. Il en paraît lui-même consterné. J’affirme

185 francs, pour un envoi, ce jour-là, d’une centaine de feuillets. Il en paraît lui-même consterné. J’affirme avec vivacité q

186 Il faut tout recommencer. Finalement l’on décide d’ envoyer le manuscrit comme échantillon sans valeur. Port : quatre fran

187 ntends grincer la porte du jardin. C’est la femme de Pédenaud qui brandit un papier. J’accours : elle me tend une formule

188 t un papier. J’accours : elle me tend une formule de télégramme, mais ce n’est pas un télégramme, c’est une notification o

189 un télégramme, c’est une notification officielle d’ avoir à verser sans délai la somme de 67 fr. 25 restant due sur l’envo

190 n officielle d’avoir à verser sans délai la somme de 67 fr. 25 restant due sur l’envoi de ce matin. En effet, Pédenaud qui

191 lai la somme de 67 fr. 25 restant due sur l’envoi de ce matin. En effet, Pédenaud qui a voulu en avoir le cœur net, a pris

192 ue je m’exécute, sinon c’est lui qui sera forcé «  d’ y aller de sa poche ». Me voilà courant à l’autobus pour arrêter le co

193 écute, sinon c’est lui qui sera forcé « d’y aller de sa poche ». Me voilà courant à l’autobus pour arrêter le courrier. L’

194 stal, discuter passionnément, trouver une formule d’ apaisement qui ménage toutes les susceptibilités, et finalement ne rie

195 raît entre les gens d’ici et moi dès qu’il s’agit de mon travail et de ses conditions pratiques. Petits ennuis sans gravit

196 s d’ici et moi dès qu’il s’agit de mon travail et de ses conditions pratiques. Petits ennuis sans gravité, bien sûr. Mais

197 ns gravité, bien sûr. Mais quel drame dans la vie d’ un buraliste de recette auxiliaire ! Depuis lors, il rougit et transpi

198 n sûr. Mais quel drame dans la vie d’un buraliste de recette auxiliaire ! Depuis lors, il rougit et transpire rien qu’à me

199 peu, pour me faire pardonner. Pédenaud est mutilé de guerre. Il boite. On lui a donné cette recette auxiliaire à titre de

200 dans la catégorie bourgeoise. Ma bonne conscience de pauvre n’aura pas duré bien longtemps. 26 novembre 1933 Aucune

201 longtemps. 26 novembre 1933 Aucune réponse de Paris à mes envois. Si mes articles ne paraissent qu’en décembre, je

202 semaines, si toutefois je restreins mes dépenses de tabac. Difficulté de travailler sans fumer. Le meilleur moyen, c’est

203 is je restreins mes dépenses de tabac. Difficulté de travailler sans fumer. Le meilleur moyen, c’est d’aller réfléchir le

204 e travailler sans fumer. Le meilleur moyen, c’est d’ aller réfléchir le long des plages. — Quand nous sortons de notre encl

205 éfléchir le long des plages. — Quand nous sortons de notre enclos, nous avons trois promenades au choix : elles conduisent

206 village est en effet situé sur une pointe avancée de l’île, et la quatrième direction possible est celle des marais, à peu

207 en cette saison. Nous suivons des sentiers bordés de tamaris jusqu’aux dunes. Elles ne sont pas bien hautes, ces dunes, di

208 t assez pour embrasser du regard une bonne partie de l’île, notre village, les marais et deux ou trois clochers lointains,

209 s avait comme étourdis à l’arrivée. Des faisceaux de rayons divisés par les nuages lourds et rapides rasent les terres bru

210 se couvre et se nettoie tout entier dans l’espace d’ une demi-heure. Les côtes, elles aussi, se transforment. Une nuit de v

211 Les côtes, elles aussi, se transforment. Une nuit de vent bouleverse leur dessin et leurs couleurs, apporte un banc de var

212 se leur dessin et leurs couleurs, apporte un banc de varech pourpré ou dénude des roches noires, la veille encore recouver

213 e des roches noires, la veille encore recouvertes de sable. Peu d’hommes aux champs, petits hommes noirs courbés. Et le vi

214 oires, la veille encore recouvertes de sable. Peu d’ hommes aux champs, petits hommes noirs courbés. Et le village vu des d

215 village vu des dunes tantôt ressemble à un dessin d’ enfant, ou à l’esquisse d’un peintre cubiste, tantôt sous une averse m

216 t ressemble à un dessin d’enfant, ou à l’esquisse d’ un peintre cubiste, tantôt sous une averse mêlée de rayons, à quelque

217 ’un peintre cubiste, tantôt sous une averse mêlée de rayons, à quelque illustration du xviiie allemand. 28 novembre 19

218 s-entendu solennel à toutes les pensées. Il donne de la force aux plus fortes, leur prêtant un cadre et un fond, et rejett

219 Toutefois, je ne le contemple pas sans une espèce de méfiance profonde : il est surtout une tentation de se dissoudre dans

220 méfiance profonde : il est surtout une tentation de se dissoudre dans on ne sait quelle sublimité stérile. Plutôt que de

221 s on ne sait quelle sublimité stérile. Plutôt que de poser un regard vague et passionné sur l’infini néant des eaux, je co

222 s’écoule à chaque retrait des vagues, et l’usure de mes souliers dont l’eau salée durcit et fendille le cuir… 1er déce

223 général tout est plus cher qu’à Paris). Un stère de bois, 50 francs ; (il y a très peu d’arbres sur l’île, on fait venir

224 ). Un stère de bois, 50 francs ; (il y a très peu d’ arbres sur l’île, on fait venir le bois de chauffage du continent). Éc

225 rès peu d’arbres sur l’île, on fait venir le bois de chauffage du continent). Éclairage au pétrole, 30 francs. Bons de la

226 continent). Éclairage au pétrole, 30 francs. Bons de la « Société coopérative de panification », 40 francs. Réparation de

227 role, 30 francs. Bons de la « Société coopérative de panification », 40 francs. Réparation de la pompe du puits, 25 francs

228 pérative de panification », 40 francs. Réparation de la pompe du puits, 25 francs ; (elle ne marche pas mieux depuis, il f

229 revue. Reste : environ 200 francs. Le sentiment de dépendre entièrement de bonnes ou de mauvaises volontés lointaines, e

230 200 francs. Le sentiment de dépendre entièrement de bonnes ou de mauvaises volontés lointaines, et du hasard, éveille par

231 Le sentiment de dépendre entièrement de bonnes ou de mauvaises volontés lointaines, et du hasard, éveille par résonance un

232 et du hasard, éveille par résonance un sentiment de liberté, de gratuité aventureuse. Mon sort ne dépend plus de ce que j

233 d, éveille par résonance un sentiment de liberté, de gratuité aventureuse. Mon sort ne dépend plus de ce que je puis faire

234 de gratuité aventureuse. Mon sort ne dépend plus de ce que je puis faire ou imaginer : libération. Il faut qu’il arrive q

235 chose. Et s’il n’arrive rien ? « On ne meurt pas de faim dans nos pays », dit-on, et je crois bien que je l’ai dit quelqu

236 ans précédent, et des raisons toutes personnelles de ne pas appeler au secours. Pourtant je suis bien tranquille, je ne l’

237 si absolument. C’est peut-être à cause du bonheur de notre vie. Trouver son rythme naturel, et les moyens de s’y réduire,

238 re vie. Trouver son rythme naturel, et les moyens de s’y réduire, voilà le but de toute morale : car le « bien penser » en

239 turel, et les moyens de s’y réduire, voilà le but de toute morale : car le « bien penser » en dépend. 2 décembre 1933

240 1933 Questions. — Est-ce donc si « naturel » de vivre sur une île ? Est-ce que l’insularité (géographique et morale)

241 ité (géographique et morale) n’est pas une espèce de vice ? Est-ce que ce n’est pas la racine de tout l’idéalisme dont les

242 spèce de vice ? Est-ce que ce n’est pas la racine de tout l’idéalisme dont les modernes doivent se guérir, s’ils veulent e

243 tuels » ? Est-ce que ce n’est pas aussi la racine de cet esprit d’abstraction égoïste dont nous souffrons tous ? Enfin, n’

244 ce que ce n’est pas aussi la racine de cet esprit d’ abstraction égoïste dont nous souffrons tous ? Enfin, n’est-il point t

245 ouffrons tous ? Enfin, n’est-il point trop facile de trouver son rythme de vie dans les conditions somme toute artificiell

246 n’est-il point trop facile de trouver son rythme de vie dans les conditions somme toute artificielles où mon chômage m’a

247 promenade et que nous mesurons toute l’étroitesse de notre domaine, la mer partout à dix minutes et ces marécages hostiles

248 minutes et ces marécages hostiles, nous souffrons de ne pouvoir prolonger en pensée notre marche jusqu’au pays voisin. Cet

249 i fait qu’il désire sans cesse se risquer au-delà de ce qu’il peut, et franchir au moins en pensée les bornes de ses posse

250 l peut, et franchir au moins en pensée les bornes de ses possessions pour aller se mêler aux « autres », à l’étranger… Tou

251 re, je ne parviens pas à partager avec les hommes de ce village ce qui est essentiel et solide dans ma vie. Le simple fait

252 gêne constamment sensible. Et je n’ai nulle envie d’ en prendre mon parti. Dans ce qu’ils ont pu entrevoir de mon activité,

253 rendre mon parti. Dans ce qu’ils ont pu entrevoir de mon activité, une seule chose les a frappés : ma machine à écrire. La

254 Cure), qui est une vieille amie des propriétaires de notre maison, est venue plusieurs fois nous voir. Hier, elle m’a dema

255 s voir. Hier, elle m’a demandé avec toutes sortes de précautions oratoires embrouillées si son fils pourrait venir aussi v

256 dre et l’admirer. Ils ont ainsi sur moi une sorte de supériorité concrète dont je ne souffre pas dans ma vanité, c’est ent

257 a vanité, c’est entendu, mais bien dans mon désir de sympathie humaine, d’échange direct sur pied d’égalité. Le père Rena

258 u, mais bien dans mon désir de sympathie humaine, d’ échange direct sur pied d’égalité. Le père Renaud est un ancien marin

259 r de sympathie humaine, d’échange direct sur pied d’ égalité. Le père Renaud est un ancien marin, barbu, jovial, déjà touc

260 6… ») Il s’occupe maintenant à fabriquer un filet de quatre-vingt-dix mètres, bel ouvrage dont le détail m’intéresse. Le f

261 ose des cartes postales illustrées avec des bouts de timbres-poste découpés. Je m’attarde à causer dans leur cuisine, qui

262 plaisant que cet intérieur. Des chaises au siège de bois poli, une lourde table au centre, une autre plus petite vers la

263 sur laquelle travaille le père Renaud. Le sol est de la terre battue recouverte d’une fine couche de sable. Sur les murs b

264 Renaud. Le sol est de la terre battue recouverte d’ une fine couche de sable. Sur les murs blanchis, quelques petites grav

265 t de la terre battue recouverte d’une fine couche de sable. Sur les murs blanchis, quelques petites gravures anciennes, en

266 s, quelques petites gravures anciennes, encadrées de noir, et joliment disposées, une photo de bateau, et un vieil arbre g

267 cadrées de noir, et joliment disposées, une photo de bateau, et un vieil arbre généalogique aux couleurs pâlies. Cet ordre

268 tte propreté rigoureuse qui règnent ici avec tant d’ aisance, ai-je le droit de les considérer comme les symboles visibles

269 i règnent ici avec tant d’aisance, ai-je le droit de les considérer comme les symboles visibles de l’univers intérieur de

270 oit de les considérer comme les symboles visibles de l’univers intérieur de ces gens ? Je me dis parfois : Le monde modern

271 omme les symboles visibles de l’univers intérieur de ces gens ? Je me dis parfois : Le monde moderne n’a rien en eux. Ils

272 monde moderne n’a rien en eux. Ils sont indemnes de nos fièvres. Ils ne connaîtront pas nos douloureuses confusions, nos

273 rdants. Ils se sont fait un entourage à la mesure de leur être habituel, et s’en contentent. Pourquoi voudrais-je qu’ils d

274 la mère Renaud me dit qu’elle n’est jamais sortie de l’île, depuis soixante ans qu’elle y est née, pourquoi ne puis-je m’e

275 qu’elle y est née, pourquoi ne puis-je m’empêcher d’ éprouver un sentiment de regret pour elle, de resserrement ? 4 déce

276 uoi ne puis-je m’empêcher d’éprouver un sentiment de regret pour elle, de resserrement ? 4 décembre 1933 Ma gêne qua

277 cher d’éprouver un sentiment de regret pour elle, de resserrement ? 4 décembre 1933 Ma gêne quand l’épicière voulait

278 ns pareilles : voilà qui me pose tout le problème de la culture. Cela paraîtrait absurde à la plupart des intellectuels qu

279 llectuels que je connais. Pourtant si l’on refuse de poser ce problème dans le détail concret des relations humaines quelc

280 refuse aussi le vrai sérieux, la vraie difficulté de la question. Le bénéfice le plus certain de mon état, c’est que je me

281 culté de la question. Le bénéfice le plus certain de mon état, c’est que je me vois contraint de toucher tous les jours le

282 rtain de mon état, c’est que je me vois contraint de toucher tous les jours les limites du domaine culturel : et là seulem

283 ssivement tacite. Je voudrais exprimer un maximum d’ humanité lorsque j’écris, et c’est précisément parce que j’écris que j

284 écisément parce que j’écris que je me vois séparé de beaucoup d’hommes, du plus grand nombre. Et d’abord de ceux qui m’ent

285 rce que j’écris que je me vois séparé de beaucoup d’ hommes, du plus grand nombre. Et d’abord de ceux qui m’entourent, et q

286 aucoup d’hommes, du plus grand nombre. Et d’abord de ceux qui m’entourent, et qui sont aujourd’hui mes prochains. Ils me p

287 ui sont aujourd’hui mes prochains. Ils me parlent de ce qui les intéresse, et je m’y intéresse avec eux. Mais je ne puis o

288 Mais je ne puis ou ne sais pas encore leur parler de ce qui, moi, m’intéresse : je sens trop bien qu’ils n’en sont pas cur

289 je sens trop bien qu’ils n’en sont pas curieux. De quoi donc me parlent-ils ? Du temps, et j’aime cela comme tout le mon

290  ? Du temps, et j’aime cela comme tout le monde ; de leur travail aux champs ou à la côte, et je les écoute avec toute l’a

291 la côte, et je les écoute avec toute l’attention d’ un apprenti ; de leurs souvenirs, parfois touchants, parfois comiques,

292 les écoute avec toute l’attention d’un apprenti ; de leurs souvenirs, parfois touchants, parfois comiques, toujours révéla

293 , parfois comiques, toujours révélateurs pour moi d’ un monde non pas absolument nouveau, mais nouvellement intéressant. Et

294 t. Et quand nous sommes en confiance, si j’essaie d’ amener l’entretien sur leurs lectures, les journaux qu’ils achètent, l

295 nt sans intérêt. Je ne sens pas qu’ils se méfient de moi. Simplement, ils n’ont jamais formé de phrases, dans leur tête, à

296 éfient de moi. Simplement, ils n’ont jamais formé de phrases, dans leur tête, à propos de ces choses-là. Non seulement je

297 à. Non seulement je ne sens pas qu’ils se méfient de moi en tant qu’intellectuel ou « spécialiste », mais encore je devine

298 viens de nommer. Ils ne se doutent pas que c’est de cela précisément qu’un écrivain peut faire sa « spécialité ». Et rien

299 ialité ». Et rien ne les étonnerait davantage que d’ apprendre un beau jour que je m’intéresse à leurs « idées », à leur si

300 lèmes, — et que j’en fais parfois la matière même de mon travail… J’ai quelque peine à exprimer ceci, — qui n’est précisém

301 mer ceci, — qui n’est précisément qu’un sentiment de gêne en moi. Sentiment qu’il y a là quelque absurdité, et si énorme q

302 Ou bien est-ce ma gêne qui est absurde ? Essayer de confronter la culture et la réalité, c’est peut-être prouver qu’on ig

303 uver qu’on ignore l’une et l’autre ? Ou témoigner d’ une naïveté impardonnable ? — Pourtant, je ne suis pas prêt à me donne

304 er tort, c’est-à-dire à donner raison au bon sens de l’époque présente. Il a trop souvent fait ses preuves. 5 décembre

305 uvent fait ses preuves. 5 décembre 1933 Une de nos joies, c’est de pouvoir enfin mettre au gramophone, et avec l’aig

306 es. 5 décembre 1933 Une de nos joies, c’est de pouvoir enfin mettre au gramophone, et avec l’aiguille forte, des chœ

307 le forte, des chœurs à grand fracas ou simplement de la musique moderne, — sans voisins pour taper à la paroi ou pour nous

308 antes, sur le palier. Nous n’avons qu’une dizaine de disques : Bach, Mozart, Stravinsky, Honegger. De Milhaud, l’ouverture

309 de disques : Bach, Mozart, Stravinsky, Honegger. De Milhaud, l’ouverture des Euménides, emportée de Paris sans avoir pu l

310 . De Milhaud, l’ouverture des Euménides, emportée de Paris sans avoir pu la jouer ailleurs que chez le marchand. C’est l’é

311 ailleurs que chez le marchand. C’est l’événement de notre solitude. Et certainement c’était ici, dans ce désert, qu’il co

312 ment c’était ici, dans ce désert, qu’il convenait d’ entendre une telle musique et de la laisser se déployer dans toute sa

313 , qu’il convenait d’entendre une telle musique et de la laisser se déployer dans toute sa démesure. Indescriptible majesté

314 er dans toute sa démesure. Indescriptible majesté de ce lent paroxysme vocal, rythmé comme par l’avance d’une foule en mar

315 e lent paroxysme vocal, rythmé comme par l’avance d’ une foule en marche, catastrophe ou triomphe solennel d’on ne sait que

316 foule en marche, catastrophe ou triomphe solennel d’ on ne sait quelle révolution future… Dictateur, prophète des masses, j

317 upes déferlantes, et ce serait le chant du destin d’ un siècle aveugle en sa révolte… Étrange accord de cette musique de f

318 ’un siècle aveugle en sa révolte… Étrange accord de cette musique de foule et de la lande désolée autour de nous ! Proxim

319 e en sa révolte… Étrange accord de cette musique de foule et de la lande désolée autour de nous ! Proximité de l’océan. C

320 lte… Étrange accord de cette musique de foule et de la lande désolée autour de nous ! Proximité de l’océan. Clameur des m

321 et de la lande désolée autour de nous ! Proximité de l’océan. Clameur des masses contre le ciel fatal, et l’homme se tait

322 s qu’ici, dans le silence, se prolonge une rumeur de foule invisible. 6 décembre 1933 Il fait très froid depuis quel

323 e cela qui me réchauffe le mieux. Une des plaques de mica du Mirus est crevée, et toute la chambre est imprégnée d’une ode

324 rus est crevée, et toute la chambre est imprégnée d’ une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une

325 ée, et toute la chambre est imprégnée d’une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une couche de gl

326 a chambre est imprégnée d’une odeur de laurier et de fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une couche de glace sur l’eau

327 fumée. Ce matin déjà il a fallu casser une couche de glace sur l’eau du puits. J’ai les doigts engourdis par le contact de

328 u puits. J’ai les doigts engourdis par le contact de la corde gelée, et tremblants d’avoir scié et cassé des branches. Cel

329 s par le contact de la corde gelée, et tremblants d’ avoir scié et cassé des branches. Cela m’oblige à écrire lentement ; i

330 di lui aussi. 10 décembre 1933 Un discours de l’instituteur. — Hier soir, séance de Pathé-Baby organisée par l’inst

331 Un discours de l’instituteur. — Hier soir, séance de Pathé-Baby organisée par l’instituteur dans la salle de l’école des g

332 hé-Baby organisée par l’instituteur dans la salle de l’école des garçons. Il me tardait de voir une fois les habitants du

333 ns la salle de l’école des garçons. Il me tardait de voir une fois les habitants du village réunis, leur façon d’être ense

334 fois les habitants du village réunis, leur façon d’ être ensemble, et surtout la jeunesse, d’ordinaire invisible, au point

335 ur façon d’être ensemble, et surtout la jeunesse, d’ ordinaire invisible, au point que je doutais même qu’elle existât. Ell

336 ncs rangés en chevrons derrière le petit appareil de projection placé à trois ou quatre mètres de l’écran. (Un drap de lit

337 reil de projection placé à trois ou quatre mètres de l’écran. (Un drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de fil

338 acé à trois ou quatre mètres de l’écran. (Un drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu br

339 drap de lit sur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très

340 ur le tableau noir.) Une quarantaine de filles et de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très épais de corp

341 illes et de gars peu bruyants, presque tous laids de visage et très épais de corps. Nous étions assis derrière eux. Au fon

342 yants, presque tous laids de visage et très épais de corps. Nous étions assis derrière eux. Au fond, sur deux armoires bas

343 sur deux armoires basses, siégeaient une dizaine d’ hommes. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et des enfants a

344 aient une dizaine d’hommes. Deux ou trois coiffes de paysannes seulement. Et des enfants autour du trépied de l’appareil,

345 annes seulement. Et des enfants autour du trépied de l’appareil, empressés à tendre les bobines de film à l’instituteur. I

346 ied de l’appareil, empressés à tendre les bobines de film à l’instituteur. Ilfallut un certain temps pour mettre au point

347 silence, et la projection commence. C’est un film d’ avant-guerre, la Course au Flambeau, tiré de la pièce de Paul Hervieu.

348 film d’avant-guerre, la Course au Flambeau, tiré de la pièce de Paul Hervieu. Entre chaque épisode reparaissent les mêmes

349 t-guerre, la Course au Flambeau, tiré de la pièce de Paul Hervieu. Entre chaque épisode reparaissent les mêmes éphèbes gre

350 de reparaissent les mêmes éphèbes grecs, porteurs de torches qu’ils se passent avec des gestes lents, hallucinants, à gran

351 iscours. « Je serai bref ! » C’est un jeune homme d’ allure énergique et de visage intelligent, la chevelure noire en batai

352 ef ! » C’est un jeune homme d’allure énergique et de visage intelligent, la chevelure noire en bataille qu’il saisit à ple

353 dans les moments pathétiques. Il annonce le sujet de ce soir : Qu’est-ce qu’être laïque ? — « Messieurs, chers amis ! Je v

354 e saurai me défendre ! Et malgré les persécutions de ceux qui ont intérêt à étouffer la vérité, etc. » La chevelure s’agit

355 congrès, il a été stipulé qu’à l’avenir… » La fin de la phrase étant particulièrement sonore, des applaudissements éclaten

356 ent sonore, des applaudissements éclatent au fond de la salle. Le jeune orateur électrisé se lance dans une définition vib

357 r électrisé se lance dans une définition vibrante de la laïcité. « Être laïque, c’est vouloir la Justice et l’Égalité pour

358 ion libre et gratuite pour tous, sans distinction de fortune ou de religion ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce

359 ratuite pour tous, sans distinction de fortune ou de religion ! Être laïque… » Ah ! surtout être laïque, ce n’est pas comb

360 religieux au vrai sens du mot, selon les paroles de Gambetta, d’Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est

361 vrai sens du mot, selon les paroles de Gambetta, d’ Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est finalement « 

362 elon les paroles de Gambetta, d’Ernest Lavisse et de quelques autres. Être laïque, c’est finalement « aimer son prochain »

363 hain » ! Je n’ai pas plus tôt soufflé à l’oreille de ma femme « C’est un sermon ! » que l’orateur, au comble de son éloque

364 me « C’est un sermon ! » que l’orateur, au comble de son éloquence, s’écrie : « Et, mes frères ! si l’on vient encore vous

365 salle du curé, qui donne aussi ce soir une séance de cinéma. On entend rire des enfants. J’ai rencontré le curé ce matin,

366 nts. J’ai rencontré le curé ce matin, suivi comme d’ habitude d’une bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut

367 encontré le curé ce matin, suivi comme d’habitude d’ une bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut. 11 déc

368 curé ce matin, suivi comme d’habitude d’une bande de petits garçons. Il n’a pas répondu à mon salut. 11 décembre 1933

369 la cuisine. — Les jours où il n’est plus possible de se chauffer dans la grande pièce, je vais travailler à la cuisine, pe

370 vailler. Je ne conçois, en somme, que trois types de pièces habitables, pour un homme qui attache de l’importance à ce qui

371 s de pièces habitables, pour un homme qui attache de l’importance à ce qui l’entoure : appartements et grandes salles de c

372 ce qui l’entoure : appartements et grandes salles de châteaux ; chambre encombrée de livres et de papiers ; cuisines paysa

373 et grandes salles de châteaux ; chambre encombrée de livres et de papiers ; cuisines paysannes, confortables et richement

374 lles de châteaux ; chambre encombrée de livres et de papiers ; cuisines paysannes, confortables et richement odorantes. Le

375 , confortables et richement odorantes. Le confort de celle-ci est plus moral que matériel, d’ailleurs. Ma femme ne dispose

376 que matériel, d’ailleurs. Ma femme ne dispose que d’ un vieux fourneau difficile à allumer et à entretenir, et d’un réchaud

377 fourneau difficile à allumer et à entretenir, et d’ un réchaud à gaz de pétrole sujet à des pannes mystérieuses, qui nous

378 à allumer et à entretenir, et d’un réchaud à gaz de pétrole sujet à des pannes mystérieuses, qui nous menace sans cesse d

379 s pannes mystérieuses, qui nous menace sans cesse d’ explosion. (Deux petites pompes, à droite et à gauche de l’appareil, a

380 osion. (Deux petites pompes, à droite et à gauche de l’appareil, assurent en principe la pression du gaz. On risque toujou

381 n principe la pression du gaz. On risque toujours de pomper un peu trop fort et de tout faire sauter.) Pas d’évier, ni d’e

382 On risque toujours de pomper un peu trop fort et de tout faire sauter.) Pas d’évier, ni d’eau courante, bien entendu. Il

383 er un peu trop fort et de tout faire sauter.) Pas d’ évier, ni d’eau courante, bien entendu. Il faut aller au puits ; filtr

384 op fort et de tout faire sauter.) Pas d’évier, ni d’ eau courante, bien entendu. Il faut aller au puits ; filtrer l’eau tan

385 e 1933 Tout à l’heure, en déchirant le journal de l’île pour allumer le feu, j’ai vu l’annonce d’une conférence contrad

386 l de l’île pour allumer le feu, j’ai vu l’annonce d’ une conférence contradictoire à A… : « La Bible et les travailleurs ».

387 e endroit, il y a quinze jours, sous les auspices d’ une ligue « antifasciste », et qui avait pour sujet : « L’Église contr

388 rendre à la première conférence. Mais le village d’ A. est à 8 kilomètres et la tempête m’avait empêché d’y aller à bicycl

389 est à 8 kilomètres et la tempête m’avait empêché d’ y aller à bicyclette. J’essaierai d’aller demain soir entendre la répo

390 avait empêché d’y aller à bicyclette. J’essaierai d’ aller demain soir entendre la réponse. La mère Renaud vient de m’appre

391 ut le monde au village, à part la petite minorité de mauvaises têtes qui suit les prêches laïques de l’instituteur. Le seu

392 é de mauvaises têtes qui suit les prêches laïques de l’instituteur. Le seul protestant est mort l’été dernier, âgé de 93 a

393 r. Le seul protestant est mort l’été dernier, âgé de 93 ans. Il s’était converti à 70 ans « et il avait toujours tenu ! »

394 stant, — tous ces mots prennent ici quelque chose de joliment absurde. Les paysans du village ne sont pas même tous capabl

395 paysans du village ne sont pas même tous capables de lire le journal, et j’ai remarqué qu’ils achètent absolument au hasar

396 le des républicains. Il est à peu près impossible de savoir s’ils font une distinction quelconque entre les opinions, pour

397 re que la discussion annoncée après la conférence d’ A. me fera modifier ce jugement. J’en suis bien curieux. 13 décembr

398 Un ami auquel j’avais prêté quelques centaines de francs il y a un an, m’en renvoie 100 par le courrier de ce matin. « 

399 cs il y a un an, m’en renvoie 100 par le courrier de ce matin. « Vous devez être bien content, me dit la factrice pendant

400 t et pour tout 2 francs 50 : on ne me ferait plus de crédit chez les épicières, et j’en aurai sans doute besoin un de ces

401 les épicières, et j’en aurai sans doute besoin un de ces jours… 15 décembre 1933 Je relève les notes prises l’autre

402 ’autre soir sur la conférence à A. — Grande salle de la Mairie, voûtée, peinte en bleu clair. Une table et trois chaises s

403 ises sur la scène surélevée. Environ une centaine d’ auditeurs : paysans et pêcheurs, cela se voit. Au premier rang, deux «

404 scène : c’est un homme jeune encore, un peu lent d’ allure, à la physionomie ouverte et sérieuse. « Eh bien, Messieurs et

405 rence est contradictoire. Je vous demanderai donc de bien vouloir proposer des noms ». Silence. Chuchotements. « Vas-y ! —

406 se lèvent en haussant les épaules pour s’excuser de se mettre en avant. Ils gravissent la scène, enlèvent leur casquette

407 est le président, derrière la table. Embarrassés de leurs mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’œil malicieux

408 t, derrière la table. Embarrassés de leurs mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’œil malicieux aux copains de

409 able. Embarrassés de leurs mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’œil malicieux aux copains de la salle. Le pré

410 s mains, de leurs pieds, de leur casquette. Coups d’ œil malicieux aux copains de la salle. Le président se lève : « Messie

411 leur casquette. Coups d’œil malicieux aux copains de la salle. Le président se lève : « Messieurs et dames, vous m’excuser

412 se lève : « Messieurs et dames, vous m’excuserez de ne pas vous présenter l’orateur qui va vous faire un intéressant disc

413 s gens pauvres. Depuis lors il y a eu des églises de riches. Elles ont trahi l’Évangile. « Un philosophe français, M. Juli

414 Mais le vrai chrétien est avec les petits. Résumé de ce que la Bible dit des travailleurs : Jérémie exigeait que le roi pa

415 rs. L’Ancien Testament nous montre que le système de propriété chez les Juifs est presque communiste ! Jésus est l’ami des

416 les hommes étaient chrétiens, il n’y aurait plus d’ exploitation ni de guerre !… La péroraison a été éloquente, un peu tro

417 t chrétiens, il n’y aurait plus d’exploitation ni de guerre !… La péroraison a été éloquente, un peu trop à mon goût. On a

418 silence embarrassé. Enfin un type se lève au fond de la salle et demande « s’il n’y a pas des contradictions dans la Bible

419 et sans aucun rapport avec le sujet. Il n’y a pas d’ autre question. Le président fait alors un bref remerciement à l’orate

420 bref remerciement à l’orateur. Il s’excuse encore de ne pas s’y connaître assez en religion, mais assure qu’il a été bien

421 à un chrétien ou même à un protestant ? J’essaie de le faire parler. Je lui dis : Oui, c’est la vérité pour les chrétiens

422 ça que c’est écrit dans la Bible, il n’a pas dit de mensonges, quoi ! Mais ici ils ne savent pas discuter. Si vous alliez

423 nfin il veut lui demander « si ce serait possible de se procurer une Bible pour étudier un peu tout ça. On sent bien que c

424 un peu tout ça. On sent bien que c’est important de s’y connaître dans ces questions. » Il s’exprime avant tant de pruden

425 sis pas bien si ce curé lui a interdit la lecture de la Bible, ou si au contraire il pourrait lui en prêter une. Quoi qu’i

426 le pasteur note le nom du « président » et promet de lui envoyer un Nouveau Testament. Nous faisons les cent pas sur la p

427 e. M. Palut sait que je suis écrivain, il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion « d’intellectuel » su

428 n, il a lu un de mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion « d’intellectuel » sur son discours. « C’était sûrement b

429 mes articles. Je le sens inquiet de mon opinion «  d’ intellectuel » sur son discours. « C’était sûrement beaucoup trop simp

430 ment. Ce n’est pas moi qui lui reprocherai jamais d’ être trop simple. On ne l’est jamais assez ! — « Oh, vous savez, dit-i

431 sez ! — « Oh, vous savez, dit-il, je n’y mets pas d’ amour-propre, vous pouvez me dire franchement ce que vous pensez de ce

432 ous pouvez me dire franchement ce que vous pensez de cette soirée »… Je le regarde. C’est un homme simple et solide, on pe

433 es autres qui disaient le contraire, et pas moyen de savoir avec qui ils sont d’accord. Il ne faut pas oublier que nous vi

434 ne faut pas oublier que nous vivons à une époque de propagande forcenée, et je vous assure qu’un communiste, par exemple,

435 n oratoire. Pourquoi ne pas saisir cette occasion de leur prêcher l’Évangile, là, tout droit, dans leur langage de tous le

436 her l’Évangile, là, tout droit, dans leur langage de tous les jours, comme le faisaient les réformateurs, — les forcer à p

437 t déjà un énorme succès. Pensez donc, il y a plus de six ans que je suis dans l’île, et je n’avais jamais pu parler à A. à

438 ne faut pas les brusquer ! Ce soir, il s’agissait de gagner leur confiance, et ensuite on verra si on peut aller plus loin

439 ce en leur parlant plus familièrement, sans faire d’ éloquence ? Cela trancherait au moins sur la propagande électorale. — 

440 urtant il faut bien continuer, même si on a envie de tout plaquer, certains jours… Il faudra reparler de tout cela. M. Pal

441 tout plaquer, certains jours… Il faudra reparler de tout cela. M. Palut n’a jamais l’occasion de discuter, il se sent ter

442 rler de tout cela. M. Palut n’a jamais l’occasion de discuter, il se sent terriblement isolé au milieu de cette population

443 appellent le Peuple !… je revoyais cette centaine d’ hommes dans la salle nue. Leur méfiance ou leur timidité, ou aussi leu

444 é, ou aussi leur fatigue après une longue journée de travail. Mais beaucoup ne font plus rien en hiver ? Ils sont venus po

445 au café. Cette inertie, dès qu’il ne s’agit plus d’ argent. À moins que ce ne soit le langage, la difficulté de s’exprimer

446 À moins que ce ne soit le langage, la difficulté de s’exprimer ? Tout est mystère en eux, et pour eux-mêmes sans doute. E

447 jamais vus ! ou jamais aimés. Là-dessus, quantité de pensées et de conclusions qui m’ont paru évidentes et importantes. On

448 u jamais aimés. Là-dessus, quantité de pensées et de conclusions qui m’ont paru évidentes et importantes. On se sent réflé

449 bes. 16 décembre 1933 Derrière la même pile d’ assiettes où je crois avoir déjà dit que j’avais trouvé deux ouvrages

450 éjà dit que j’avais trouvé deux ouvrages traitant de mon île, j’ai déniché ce matin une édition populaire de La Naissance

451 île, j’ai déniché ce matin une édition populaire de La Naissance du jour, de Colette. Je n’avais pas encore lu ce livre.

452 in une édition populaire de La Naissance du jour, de Colette. Je n’avais pas encore lu ce livre. Il est exactement de l’es

453 n’avais pas encore lu ce livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans cette espèce, ma

454 à voir avec la critique littéraire. À la page 43 de l’édition que j’ai sous les yeux, je lis ceci : « … ils déménagent… c

455 je lis ceci : « … ils déménagent… comme les puces d’ un hérisson mort. » Cette phrase a fait dans mon esprit ce qu’on appel

456 a fait dans mon esprit ce qu’on appelle un trait de lumière. Lundi dernier, au petit matin, nous nous sommes réveillés co

457 petit matin, nous nous sommes réveillés couverts de puces. J’exagère à peine : pour mon compte, j’en ai pris sept sur mon

458 e, j’en ai pris sept sur mon pyjama dans l’espace de deux minutes, ce qui doit constituer une sorte de record. D’autres sa

459 de deux minutes, ce qui doit constituer une sorte de record. D’autres sautaient sur le couvre-pied. D’autres sur le planch

460 l est vrai qu’on a beau porter un nombre excessif de jupons, cela ne devrait pas suffire à rendre vraisemblable une hypoth

461 oint injurieuse. Pourtant nous n’en trouvions pas d’ autre. Or, peu de jours auparavant, un petit hérisson était venu se me

462 ’explique sans peine désormais, grâce à la phrase de Colette. Je rapporte cette anecdote parce qu’elle comporte une conclu

463 : pour la première fois depuis je ne sais combien d’ années, je viens de trouver dans un ouvrage littéraire la solution d’u

464 de trouver dans un ouvrage littéraire la solution d’ une question précise. Grâce à Colette, je sais maintenant pourquoi not

465 is maintenant pourquoi notre chambre était pleine de puces. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme un symbole. Les

466 tre chambre était pleine de puces. Cela n’a l’air de rien, mais je vois là comme un symbole. Les livres devraient être uti

467 exactes, des explications vérifiables, des modes d’ emploi, des descriptions objectives et utilisables ; et ceci à tous le

468 ctives et utilisables ; et ceci à tous les degrés de la réalité, dans les grandes choses comme dans les choses de rien. Au

469 té, dans les grandes choses comme dans les choses de rien. Au lieu de cela, les modernes nous servent des états d’âme impr

470 lieu de cela, les modernes nous servent des états d’ âme improbables ou excessifs, des inquiétudes dont ils n’ont même pas

471 fs, des inquiétudes dont ils n’ont même pas l’air d’ être vraiment inquiets, des indiscrétions gênantes et dont on ne sait

472 op que faire, ou des doctrines dont ils négligent de nous dire s’ils les ont essayées sur le vif, dans le détail de la vie

473 s’ils les ont essayées sur le vif, dans le détail de la vie quotidienne. Ils nous donnent très rarement des réponses, ou a

474 réponses à des questions qu’on n’avait pas l’idée de se poser ; et c’est là qu’ils croient voir leur astuce. Astuces, peti

475 ns, toute cette littérature est sans doute pleine de talent, elle est même littéralement sensationnelle, mais que veulent-

476 ls qu’on en fasse ? — Nous avons tout à apprendre de Goethe. Non seulement des révélations du second Faust, mais aussi de

477 ement des révélations du second Faust, mais aussi de ces pages du Journal de voyage en Italie où, par exemple, il rapporte

478 second Faust, mais aussi de ces pages du Journal de voyage en Italie où, par exemple, il rapporte à Mme de Stein comment

479 il rapporte à Mme de Stein comment les habitants de Ferrare utilisent les vieilles tuiles concassées pour recouvrir les r

480 oncassées pour recouvrir les routes et les allées de leurs jardins. Et il ajoute : « Dès mon retour à la maison, j’essaier

481 — Commentons : La noblesse est dans l’usage. Pas de noblesse sans usage, sans application précise aux choses, etc. Ne mon

482 s plus au ciel du second Faust que par ces allées de Ferrare ! 18 décembre 1933 Je ne cesse de repenser à la confére

483 s de Ferrare ! 18 décembre 1933 Je ne cesse de repenser à la conférence d’avant-hier, à A. Il me semble qu’elle m’ap

484 e 1933 Je ne cesse de repenser à la conférence d’ avant-hier, à A. Il me semble qu’elle m’apprend sur « le peuple » dava

485 m’a fait voir « le peuple » pour la première fois de ma vie. Première constatation : l’apathie générale, aussi bien à A. q

486 ’apathie générale, aussi bien à A. qu’à la séance de cinéma. Il n’y aurait là rien d’étonnant si l’on ne nous rebattait le

487 . qu’à la séance de cinéma. Il n’y aurait là rien d’ étonnant si l’on ne nous rebattait les oreilles de phrases sur la volo

488 d’étonnant si l’on ne nous rebattait les oreilles de phrases sur la volonté et la mission du peuple. On a beau se méfier d

489 si pour quoi elles mentent, et quel immense désir de réveiller le peuple elles traduisent chez certains qui les prononcent

490 elles traduisent chez certains qui les prononcent de bonne foi. Elles le trahissent d’ailleurs, ce désir, en essayant de l

491 s le trahissent d’ailleurs, ce désir, en essayant de le faire passer d’ores et déjà pour une réalité. Deuxième constatati

492 é. Deuxième constatation : il est très difficile d’ aimer des hommes qui ne nous sont rien, qui ne nous demandent rien, qu

493 andent rien, qui peut-être ne voudraient pas même de notre aide (nous égale les intellectuels bourgeois). Il est très diff

494 s intellectuels bourgeois). Il est très difficile d’ aimer ces hommes, et cependant ils sont la réalité vivante et présente

495 nte du « peuple ». Par contre, il est très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont

496 uple ». Par contre, il est très facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous souff

497 s facile de haïr et de condamner un certain ordre de choses qui nous vexe et dont nous souffrons. Et il est très tentant d

498 xe et dont nous souffrons. Et il est très tentant d’ appeler cette haine amour du peuple… Troisième constatation : la plupa

499 éhensibles ; mais ceux qui les écoutent ont l’air de trouver cela tout naturel. Je fus certainement le seul ici à m’étonne

500 e des noms qu’on ne connaît pas. Cela fait partie de l’éloquence. Et l’éloquence est le but du discours, dont le sujet n’e

501 u des mensonges, on n’applaudira guère que le son de leur voix, ou le parti qui les délègue. Il resterait à expliquer cet

502 nt il ne sera pas le dernier à pâtir. Impuissance de l’« esprit », bêtise de l’action : ces deux misères n’auraient-elles

503 nier à pâtir. Impuissance de l’« esprit », bêtise de l’action : ces deux misères n’auraient-elles pas une origine commune 

504 é que j’entrevoyais cette origine dans les propos de mon voisin au sortir de la conférence. Cet homme trouvait qu’il n’y a

505 il n’y avait rien à « discuter » dans les paroles de l’orateur, parce que c’était « la vérité ». Autrement dit, parce que

506 lque chose qui peut être réalisé. Et qu’il s’agit de prendre position effectivement. S’il s’était senti interpellé personn

507 terpellé personnellement, invité à choisir, sommé d’ approuver ou de refuser en fait ce que venait de dire le conférencier,

508 nellement, invité à choisir, sommé d’approuver ou de refuser en fait ce que venait de dire le conférencier, alors ! alors

509 remarqué qu’aucun des auditeurs ait pris la chose de cette manière. Je sais bien qu’il y a la difficulté de s’exprimer, la

510 tte manière. Je sais bien qu’il y a la difficulté de s’exprimer, la timidité, la fatigue, et que tout cela peut bien suffi

511 out cela peut bien suffire à expliquer le silence de ces cultivateurs. Mais le type qui m’a parlé avait la langue bien pen

512 je m’avise que la majorité des « intellectuels » d’ aujourd’hui ne pense pas très différemment. Peuple ou « clercs », ils

513 a « vérité » n’engage à rien. Ils bornent le rôle de l’esprit à la constatation de l’exactitude objective et formelle des

514 Ils bornent le rôle de l’esprit à la constatation de l’exactitude objective et formelle des faits ou des raisonnements que

515 t sont des égoïstes, des orgueilleux, des espèces d’ aristos qui ne vont qu’avec les riches. Il y en a certes qui font prog

516 tout à fait autre chose. C’est un certain nombre de phrases qu’on lit dans les journaux et qu’on entend dans les assemblé

517 u avec les gros. D’autre part, c’est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne s

518 ros. D’autre part, c’est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne servent à rie

519 part, c’est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne servent à rien. Enfin, les

520 est une question de travail, de salaires, de prix de la vie, et là les intellectuels ne servent à rien. Enfin, les questio

521 llectuels ne servent à rien. Enfin, les questions de personnes jouent un rôle : on aime avoir un député instruit. Mais ce

522 s. C’est surtout parce qu’un homme instruit jouit d’ une certaine considération sociale, sait se débrouiller à Paris et peu

523 ociale, sait se débrouiller à Paris et peut faire de beaux discours. Dans ces conditions, qu’un intellectuel aille parler

524 a l’air « sincère », mais on n’aura jamais l’idée de mettre en pratique ce qu’il dit. Il reste dans son rôle en s’agitant

525 culture se trompent sur la nature et sur le rôle de la culture. Mais il est inquiétant que les hommes cultivés, au lieu d

526 ivés, au lieu de s’efforcer, comme ils devraient, de combattre activement cette erreur, en tirent au contraire leur confor

527 uent agréablement, ils la réduisent à un ensemble de phrases correctes, quelquefois ingénieuses, et par définition ineffic

528 nieuses, et par définition inefficaces. L’opinion de mon voisin après la conférence, j’ai pu croire que c’était l’opinion

529 conférence, j’ai pu croire que c’était l’opinion d’ un nigaud ; mais non, c’est celle d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini

530 ait l’opinion d’un nigaud ; mais non, c’est celle d’ un clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre.

531 c’est celle d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre. 20 décembre 1933 « Si l’on veut

532 d’un clerc parfait. Je n’ai pas fini de m’étonner de cette rencontre. 20 décembre 1933 « Si l’on veut réellement co

533 à un but défini, il faut avant tout se préoccuper de le prendre là où il est, et commencer là. Voilà le secret de tout sec

534 re là où il est, et commencer là. Voilà le secret de tout secours… Pour aider réellement un homme, il faut que j’en sache

535 l sait. Sinon mon savoir supérieur ne lui servira de rien. Si je persiste cependant à faire valoir ma science, ce n’est pl

536 eu d’aider l’homme, je cherche à me faire admirer de lui. » Cette remarque de Kierkegaard me frappe aujourd’hui comme si

537 rche à me faire admirer de lui. » Cette remarque de Kierkegaard me frappe aujourd’hui comme si elle avait été écrite expr

538 ceux qui m’entourent, ce « peuple » qu’il s’agit d’ aider, et que je vois encore si mal. (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’

539 core si mal. (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’ici de m’occuper de politique par exemple… Mais déjà je me sens moins assuré

540 (Ce qui ne m’a pas empêché jusqu’ici de m’occuper de politique par exemple… Mais déjà je me sens moins assuré dans ma bonn

541 je me sens moins assuré dans ma bonne conscience de « doctrinaire », à cet égard.) D’autre part, elle m’aide à distinguer

542 elle m’aide à distinguer l’un des motifs au moins de ma gêne, quand je constate qu’ils ne comprennent pas de quoi je m’occ

543 gêne, quand je constate qu’ils ne comprennent pas de quoi je m’occupe. C’est peut-être un secret désir, un inconscient dés

544 re un secret désir, un inconscient désir que j’ai d’ être reconnu par eux à ma juste valeur. Exactement ce que Kierkegaard

545 n chacun, mon amour-propre, je ne puis m’empêcher de le juger assez justifié dans l’occurrence. On n’aime pas être tenu po

546 et je ne prévois aucune « rentrée » avant la fin de janvier. J’attends encore le courrier de demain matin pour prendre un

547 t la fin de janvier. J’attends encore le courrier de demain matin pour prendre une décision. 23 décembre 1933 J’écr

548 23 décembre 1933 J’écris ceci sur une table de café. À travers la vitrine, je vois le vieux port de cette vieille vi

549 café. À travers la vitrine, je vois le vieux port de cette vieille ville, la plus proche de notre île, et où nous devons e

550 encore passer deux heures en attendant le départ de l’autobus pour Taillefer. Nous sommes attablés ici depuis un bon mome

551 blés ici depuis un bon moment déjà, tout contents de revoir le va-et-vient d’un lieu public, de lire des journaux de Paris

552 ment déjà, tout contents de revoir le va-et-vient d’ un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarett

553 ntents de revoir le va-et-vient d’un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarettes américaines au

554 a-et-vient d’un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarettes américaines au goût de miel, introuv

555 ’un lieu public, de lire des journaux de Paris et de fumer des cigarettes américaines au goût de miel, introuvables dans l

556 is et de fumer des cigarettes américaines au goût de miel, introuvables dans l’île. Pendant que ma femme lit des hebdomada

557 mme lit des hebdomadaires, je vais renouer le fil de ce journal. Tout d’abord, j’ai à constater l’échec de notre première

558 e journal. Tout d’abord, j’ai à constater l’échec de notre première tentative d’autonomie. Je ne suis pas arrivé à gagner

559 i à constater l’échec de notre première tentative d’ autonomie. Je ne suis pas arrivé à gagner assez vite ce qu’il nous fal

560 il nous fallait pour subsister après l’épuisement de notre réserve. J’ai travaillé beaucoup, mais je ne serai pas payé ava

561 ui vit au jour le jour, il s’agit essentiellement d’ éviter les lacunes de cette sorte. (Ce que l’on nomme « difficultés de

562 r, il s’agit essentiellement d’éviter les lacunes de cette sorte. (Ce que l’on nomme « difficultés de trésorerie » dans le

563 de cette sorte. (Ce que l’on nomme « difficultés de trésorerie » dans les affaires, devient ici, évidemment, un obstacle

564 évidemment, un obstacle absolu.) Assuré au moins de quelque argent à venir, j’ai accepté l’invitation d’un ami qui nous o

565 quelque argent à venir, j’ai accepté l’invitation d’ un ami qui nous offre de passer trois semaines chez lui. Il habite à u

566 j’ai accepté l’invitation d’un ami qui nous offre de passer trois semaines chez lui. Il habite à une petite journée de voy

567 semaines chez lui. Il habite à une petite journée de voyage de notre île. La leçon pratique de cette première expérience d

568 hez lui. Il habite à une petite journée de voyage de notre île. La leçon pratique de cette première expérience de deux moi

569 journée de voyage de notre île. La leçon pratique de cette première expérience de deux mois, c’est que la liberté ne s’imp

570 e. La leçon pratique de cette première expérience de deux mois, c’est que la liberté ne s’improvise pas. Qu’il faut la con

571 rir avec méthode, et organiser à l’avance un plan d’ attaque, prévoyant à un jour près la date d’arrivée des renforts. Je n

572 plan d’attaque, prévoyant à un jour près la date d’ arrivée des renforts. Je ne suis pas trop fier de ma retraite stratégi

573 d’arrivée des renforts. Je ne suis pas trop fier de ma retraite stratégique, mais tout de même bien décidé à renouveler m

574 es vieux du village. Il faisait nuit noire, et un de ces mauvais froids humides. Rien de plus lugubre que l’île avant l’au

575 stopper pour embarquer deux paysannes encombrées de paniers, puis d’autres paysannes, puis des gars endimanchés qui allai

576 s qui allaient s’amuser au chef-lieu, si bien que d’ arrêt en arrêt, il fallut près de deux heures pour arriver au dit chef

577 titre, mais seulement « évangéliste » au service d’ une œuvre missionnaire. Les évangélistes étant moins bien payés que le

578 s bien payés que les pasteurs (dont le traitement de base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cel

579 que les pasteurs (dont le traitement de base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cela se trouve,

580 base est de 10 000 francs), Mme Palut est obligée de faire, quand cela se trouve, des remplacements d’institutrices. Ils o

581 de faire, quand cela se trouve, des remplacements d’ institutrices. Ils ont déjà deux garçons, et ils ont trouvé le moyen d

582 ont déjà deux garçons, et ils ont trouvé le moyen de recueillir encore une vieille Bretonne sans ressources, qui aide un p

583 s, qui aide un peu à la cuisine et casse beaucoup d’ assiettes. Dans cette île, qui fut presque entièrement protestante au

584 le, M. Palut n’a plus aujourd’hui qu’une centaine de paroissiens disséminés. Il en vient une dizaine au culte. Les autres

585 c la population. Conférences, visites, colportage de bibles de porte en porte. On ne peut pas dire que tout ce travail épu

586 ation. Conférences, visites, colportage de bibles de porte en porte. On ne peut pas dire que tout ce travail épuisant dans

587 testants qui sont souvent l’élément le plus actif de la population s’expatrient volontiers, ou vont habiter les villes.) E

588 r les villes.) En été, la petite ville se remplit de baigneurs, et l’auditoire du temple est décuplé : cela suffit pour qu

589 a suffit pour qu’on maintienne le poste… J’essaie de me représenter l’existence quotidienne de cet homme aux prises avec l

590 ’essaie de me représenter l’existence quotidienne de cet homme aux prises avec la solitude la plus désespérante, celle que

591 ue lui crée l’indifférence tranquille et obstinée de ceux auprès desquels il devrait exercer sa mission. Ils ne veulent pa

592 ne veulent pas même l’écouter, et toute sa raison d’ être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il

593 ’écouter, et toute sa raison d’être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’autre à faire, et il ne peut pas le faire.

594 d’être est cependant de leur parler. Il n’a rien d’ autre à faire, et il ne peut pas le faire. Et de plus, il est seul à

595 ine qu’il doit apparaître, aux yeux des habitants de cette petite ville comme une espèce de fou, d’ailleurs inoffensif. Ou

596 habitants de cette petite ville comme une espèce de fou, d’ailleurs inoffensif. Ou peut-être encore, ce qui est pis, comm

597 est pis, comme un hypocrite qui a trouvé le moyen de vivre sans travailler. Il m’a décrit son existence sans amertume. Il

598 son existence sans amertume. Il ne se plaint que de son isolement intellectuel. Il trouve normal de vivre une vie humaine

599 e de son isolement intellectuel. Il trouve normal de vivre une vie humainement absurde. Non qu’il n’en distingue pas l’abs

600 ais simplement il sait pourquoi il la subit. Fils d’ un petit hôtelier breton d’origine catholique, il s’est converti à vin

601 quoi il la subit. Fils d’un petit hôtelier breton d’ origine catholique, il s’est converti à vingt ans, et depuis lors il n

602 te qu’il n’y ait « à vues humaines » aucun espoir de se faire entendre, si le seul espoir vrai réside dans la foi, qui ord

603 seul espoir vrai réside dans la foi, qui ordonne de parler quand même ? On ne persécute plus le christianisme en France :

604 ristianisme en France : c’est sans doute un signe de surdité spirituelle totale. Seule la politique est encore capable de

605 lle totale. Seule la politique est encore capable de pousser les hommes à des violences. L’héroïsme vrai aujourd’hui n’est

606 urd’hui n’est plus spectaculaire, il ne fait plus de grands gestes symboliques et passionnés. Il ne tranche pas sur la pla

607 autour de moi. Que les hommes sont laids ! Chacun d’ eux me frappe par une difformité particulière, pitoyable ou irritante.

608 deux mois j’ai vu tous les jours les mêmes têtes de paysans et de pêcheurs, ni belles ni laides comme les têtes que l’on

609 i vu tous les jours les mêmes têtes de paysans et de pêcheurs, ni belles ni laides comme les têtes que l’on connaît bien e

610 arlent. J’ai sans doute perdu l’habitude citadine de ne pas voir ceux qui m’entourent. Je pose un regard trop précis, qui

611 u « vraisemblable » même ; car enfin il n’y a pas de raison pour que les habitants de cette ville soient sensiblement plus

612 fin il n’y a pas de raison pour que les habitants de cette ville soient sensiblement plus laids que ceux du reste de la Fr

613 soient sensiblement plus laids que ceux du reste de la France. Peut-on aimer les hommes qu’on voit ? — Ou bien, au contra

614 onnaître mieux, un à un ? — Il sera bientôt temps de se diriger vers cet autobus rouge qui vient d’apparaître sur le quai.

615 ps de se diriger vers cet autobus rouge qui vient d’ apparaître sur le quai. Je me réjouis de ce petit voyage. Il me semble

616 qui vient d’apparaître sur le quai. Je me réjouis de ce petit voyage. Il me semble que je vais découvrir un pays cent fois

617 ir : la province et la vie quotidienne, une foule de réalités sociales passionnantes avec lesquelles j’ai hâte de confront

618 sociales passionnantes avec lesquelles j’ai hâte de confronter les hypothèses que je déduis, depuis deux mois, de mes pet

619 r les hypothèses que je déduis, depuis deux mois, de mes petites observations sur l’île. La solitude rajeunit. Me voici da

620 île. La solitude rajeunit. Me voici dans l’humeur de mes vingt ans, curieux des moindres aventures, et tout mon lyrisme au

621 ou le pittoresque. Ce séjour, par ailleurs plein d’ agrément, ne m’a permis de faire jusqu’ici qu’une seule expérience pré

622 our, par ailleurs plein d’agrément, ne m’a permis de faire jusqu’ici qu’une seule expérience précise et utile relativement

623 périence précise et utile relativement au dessein de ce journal : celle du loisir. Je m’aperçois que je ne savais plus, ou

624 re » une soirée, depuis six mois que je n’ai plus de travail fixe. Quand je m’arrêtais d’écrire, par fatigue, je ne me sen

625 je n’ai plus de travail fixe. Quand je m’arrêtais d’ écrire, par fatigue, je ne me sentais pas la bonne conscience de l’emp

626 fatigue, je ne me sentais pas la bonne conscience de l’employé qui a fait sa journée et qui pense maintenant à autre chose

627 et qui pense maintenant à autre chose. Une sorte d’ impatience me tarabustait encore, me ramenait sans cesse aux mêmes pré

628 cette vacance où les idées et sentiments changent de climat. Le loisir n’est pas simplement la cessation du travail pour u

629 r — et c’est cela qui le différencie profondément d’ un chômeur industriel, par exemple —, mais il ne connaît plus de vrais

630 ndustriel, par exemple —, mais il ne connaît plus de vrais loisirs. ⁂ Je saisis l’occasion de ce répit pour essayer de dém

631 aît plus de vrais loisirs. ⁂ Je saisis l’occasion de ce répit pour essayer de démêler un peu la signification complexe du

632 . ⁂ Je saisis l’occasion de ce répit pour essayer de démêler un peu la signification complexe du chômage intellectuel. Nos

633 mplexe du chômage intellectuel. Nos conversations de ces jours derniers avec nos amis, et les précisions que j’ai dû fourn

634 ons que j’ai dû fournir à des personnes curieuses de mon état, m’ont amené à me poser un certain nombre de questions et m’

635 on état, m’ont amené à me poser un certain nombre de questions et m’ont rendu attentif à quelques faits que je veux consig

636 tat d’âme, une « condition », un mode particulier d’ existence. Il n’est plus seulement un accident, une privation provisoi

637 s seulement un accident, une privation provisoire de travail rémunérateur. Il ne relève plus seulement de la statistique é

638 travail rémunérateur. Il ne relève plus seulement de la statistique économique, mais de la psychologie. 2 — Ce fait « exis

639 plus seulement de la statistique économique, mais de la psychologie. 2 — Ce fait « existentiel » absolument nouveau dans l

640 eau dans l’histoire n’a pas encore été étudié, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur, en tant que fait psychologique. 3 — C

641 n’a pas encore été étudié, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur, en tant que fait psychologique. 3 — Cependant, il est di

642 cela dure, croît et embellit depuis vingt ans —,  de se refuser systématiquement à envisager le sort d’environ 30 millions

643 e se refuser systématiquement à envisager le sort d’ environ 30 millions de contemporains. D’autant plus que des partis pol

644 quement à envisager le sort d’environ 30 millions de contemporains. D’autant plus que des partis politiques « dangereux »

645 r le sort d’environ 30 millions de contemporains. D’ autant plus que des partis politiques « dangereux » prennent soin de v

646 des partis politiques « dangereux » prennent soin de vous le rappeler avec une insistance impitoyable. Alors on se rabat s

647 e mystérieux et un peu effrayant, il joue le rôle d’ un croquemitaine pour grandes personnes.) On discute avec passion des

648 s sans-travail, ou tout au moins pour leur donner de la soupe ; on fait des hypothèses sociologiques, etc. Tout cela reste

649 n n’étudie pas la misère, quand il ne s’agit plus de rien que de trouver le pain du lendemain, et c’est le cas du très gra

650 as la misère, quand il ne s’agit plus de rien que de trouver le pain du lendemain, et c’est le cas du très grand nombre. D

651 rand nombre. D’autre part, ceux qui « jouissent » d’ un mode d’existence assuré se soucient peu de connaître la mentalité d

652 e. D’autre part, ceux qui « jouissent » d’un mode d’ existence assuré se soucient peu de connaître la mentalité du chômeur,

653 ité du chômeur, soit que, bourgeois, ils refusent de croire à la nécessité organique et permanente de sa condition dans l’

654 de croire à la nécessité organique et permanente de sa condition dans l’ordre capitaliste, soit que, socialistes, ils se

655 fin qu’une gêne assez compréhensible les retienne de se mêler du malheur d’autrui, d’un malheur en l’espèce dont ils se se

656 ompréhensible les retienne de se mêler du malheur d’ autrui, d’un malheur en l’espèce dont ils se sentent peut-être, obscur

657 ble les retienne de se mêler du malheur d’autrui, d’ un malheur en l’espèce dont ils se sentent peut-être, obscurément, res

658 n est dans le chômage, et l’on n’a pas les moyens de s’analyser, de s’exprimer. Ou bien l’on est hors du chômage, et l’on

659 hômage, et l’on n’a pas les moyens de s’analyser, de s’exprimer. Ou bien l’on est hors du chômage, et l’on a toutes les ra

660 est hors du chômage, et l’on a toutes les raisons de ne pas trop s’en approcher. 5 — Reste le cas tout à fait particulier

661 procher. 5 — Reste le cas tout à fait particulier de l’intellectuel chômeur. Il semble que cet homme-là soit à peu près le

662 le seul qui ait à la fois le droit et les moyens d’ étudier de l’intérieur le « fait du chômage ». Mais cela n’est pas si

663 ui ait à la fois le droit et les moyens d’étudier de l’intérieur le « fait du chômage ». Mais cela n’est pas si simple en

664 urs reprises un petit fait amusant. Les bourgeois de gauche ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver le

665 un petit fait amusant. Les bourgeois de gauche ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver les élites », e

666 urgeois de gauche ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver les élites », et de secourir les chômeurs in

667 e ou de droite parlent volontiers de la nécessité de « sauver les élites », et de secourir les chômeurs intellectuels dont

668 iers de la nécessité de « sauver les élites », et de secourir les chômeurs intellectuels dont on dirait parfois qu’ils par

669 issent plus spécialement touchants… Mais quand un de ces excellents bourgeois vient à me rencontrer, et que je me donne po

670 : « Chômeur ? Allons donc, cela s’appelait bohème de mon temps ! Et puis vous êtes un bourgeois, un bourgeois ne peut pas

671 u fait et au prendre, qu’est-ce que cela signifie d’ être chômeur quand on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de p

672 la signifie d’être chômeur quand on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de penser ? Ha ha ! Un intellectuel en chô

673 nd on a pour métier de penser ? Peut-on s’arrêter de penser ? Ha ha ! Un intellectuel en chômage, ce serait en somme un mo

674 e qui renforce cette impression chez quelques-uns de ceux auxquels j’ai eu affaire, c’est que j’ai l’air assez satisfait d

675 eu affaire, c’est que j’ai l’air assez satisfait de mon état, le plaisir de vivre à ma guise dans une simplicité très fav

676 ’ai l’air assez satisfait de mon état, le plaisir de vivre à ma guise dans une simplicité très favorable à mon travail, su

677 vail, surpassant finalement mes ennuis matériels. De là à croire que je ne suis qu’un amateur, ou que je pose au prolétair

678 ur n’est pas un homme démoralisé par la privation de travail. Au contraire, il peut travailler davantage. Il ne se disting

679 eut travailler davantage. Il ne se distingue donc d’ un intellectuel rentier que par le manque de revenu assuré. Mais le se

680 donc d’un intellectuel rentier que par le manque de revenu assuré. Mais le seul fait que la « matérielle » est déficiente

681  matérielle » est déficiente change sa conscience d’ intellectuel, et l’oblige à se poser des questions toutes nouvelles. U

682 scrit au chômage » et ne bénéficie pas du minimum de sécurité financière accordé par l’État au chômeur industriel. Autre d

683 rovisoire sans renoncer en même temps à sa raison d’ être, — ce qui n’est pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il

684 mps à sa raison d’être, — ce qui n’est pas le cas de l’ouvrier, surtout non qualifié. Il se pourrait que l’intellectuel pu

685 tuel puisse connaître une forme très particulière de chômage pur : certaines circonstances extérieures sont capables de tu

686 certaines circonstances extérieures sont capables de tuer en certains hommes jusqu’à l’activité de la pensée : mon état d’

687 les de tuer en certains hommes jusqu’à l’activité de la pensée : mon état d’esprit, quand je suis dans une ville étrangère

688 erdre jusqu’à mes attaches avec moi-même, à force d’ inaction, de gratuité. Plus j’essaie de préciser ma condition, plus el

689 à mes attaches avec moi-même, à force d’inaction, de gratuité. Plus j’essaie de préciser ma condition, plus elle m’apparaî

690 e, à force d’inaction, de gratuité. Plus j’essaie de préciser ma condition, plus elle m’apparaît paradoxale, tantôt meille

691 t voisine. À défaut de conclusion nette, essayons de résumer les faits : 1 — L’intellectuel chômeur est celui qui ne peut

692 llectuel chômeur est celui qui ne peut plus vivre de son travail, soit qu’il ait perdu l’emploi régulier qui assurait son

693 qui assurait son budget, soit que la nature même de ses travaux l’empêche d’en tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en

694 soit que la nature même de ses travaux l’empêche d’ en tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en France d’écrivains qui vi

695 a nature même de ses travaux l’empêche d’en tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en France d’écrivains qui vivent de leu

696 tirer de quoi vivre. (Combien y a-t-il en France d’ écrivains qui vivent de leurs écrits ? Peut-être deux sur cent — et ce

697 Combien y a-t-il en France d’écrivains qui vivent de leurs écrits ? Peut-être deux sur cent — et ces deux-là auront probab

698 eux sur cent — et ces deux-là auront probablement de 40 à 70 ans…) 2 — Le chômage tel qu’il est vécu aujourd’hui par une t

699 tel qu’il est vécu aujourd’hui par une trentaine de millions d’hommes ne peut pas être vécu de la même façon par l’intell

700 st vécu aujourd’hui par une trentaine de millions d’ hommes ne peut pas être vécu de la même façon par l’intellectuel. Il a

701 ntaine de millions d’hommes ne peut pas être vécu de la même façon par l’intellectuel. Il atteint les travailleurs manuels

702 leur profession quand les instruments ou le champ d’ action nécessaires leur font défaut. Mais l’intellectuel n’a besoin, l

703 intellectuel n’a besoin, la plupart du temps, que de papier et d’encre. Il ne sera donc jamais un chômeur absolu, pensant

704 n’a besoin, la plupart du temps, que de papier et d’ encre. Il ne sera donc jamais un chômeur absolu, pensant toujours, ce

705 d’autres, par vocation, souffrira-t-il davantage de son état, tout au moins le comprendra-t-il plus profondément, plus in

706 ge déclasse l’intellectuel. Il le met sur un pied d’ égalité paradoxal avec les hommes qui l’entourent. Il le dépouille des

707 ’entourent. Il le dépouille des signes extérieurs de son état, de cet habitus bourgeois qui, hélas, est encore chez nous l

708 l le dépouille des signes extérieurs de son état, de cet habitus bourgeois qui, hélas, est encore chez nous la marque de l

709 rgeois qui, hélas, est encore chez nous la marque de l’intellectuel. Par là même, l’intellectuel chômeur risque d’apparaît

710 ctuel. Par là même, l’intellectuel chômeur risque d’ apparaître inférieur aux yeux des gens de métier parmi lesquels il vit

711 r risque d’apparaître inférieur aux yeux des gens de métier parmi lesquels il vit. Pour le moment, ce qui domine en moi, c

712 ette maison glaciale et humide. Il n’y avait plus de pétrole, et il était trop tard pour aller en acheter. Silence, froid,

713 nce, froid, solitude, et ce vent qui ne cesse pas de siffler autour de la maison. Nous avons trouvé des noix et bu un verr

714 maison. Nous avons trouvé des noix et bu un verre de vin, à la lueur d’une bougie. Heureux de nous retrouver chez nous, da

715 trouvé des noix et bu un verre de vin, à la lueur d’ une bougie. Heureux de nous retrouver chez nous, dans notre campement

716 un verre de vin, à la lueur d’une bougie. Heureux de nous retrouver chez nous, dans notre campement au bout du monde. Conf

717 inconfort matériel. Je viens de relire mes notes de Taillefer. Il me semble déjà que l’ambiance où j’étais en les écrivan

718 is en les écrivant m’a fait exagérer l’importance de l’élément d’insécurité dans ma vie actuelle. Certes, j’ai toujours le

719 ivant m’a fait exagérer l’importance de l’élément d’ insécurité dans ma vie actuelle. Certes, j’ai toujours les mêmes raiso

720 rtes, j’ai toujours les mêmes raisons matérielles de m’inquiéter. Mais je ne les sens pas si obsédantes. Et même, en y réf

721 e rappelle d’autres moments pareils : à l’annonce d’ accidents imprévus qui donnaient brusquement à ma vie un cours nouveau

722 ux reprises au moins, je me souviens parfaitement d’ avoir prononcé à mi-voix : « Ainsi, c’est cela. » — avec ce même calme

723 faisais que reconnaître et vérifier quelque chose de déjà entendu, au double sens du mot. Comme si j’étais moi-même mon de

724 rquoi ce calme, quand j’aurais toutes les raisons de m’inquiéter, de réclamer, de calculer plus ou moins fiévreusement d’a

725 quand j’aurais toutes les raisons de m’inquiéter, de réclamer, de calculer plus ou moins fiévreusement d’autres projets…?

726 s toutes les raisons de m’inquiéter, de réclamer, de calculer plus ou moins fiévreusement d’autres projets…? D’où vient ce

727 er plus ou moins fiévreusement d’autres projets…? D’ où vient cette persuasion que tout est bien, si profonde que je me l’a

728 et que je n’arrive à la préciser que par l’effort d’ écrire ici des mots qui la traduisent et la trahissent ? D’où vient ce

729 ici des mots qui la traduisent et la trahissent ? D’ où vient cette espèce d’optimisme que rien ne paraît motiver aux yeux

730 uisent et la trahissent ? D’où vient cette espèce d’ optimisme que rien ne paraît motiver aux yeux d’autrui ou aux yeux de

731 e d’optimisme que rien ne paraît motiver aux yeux d’ autrui ou aux yeux de ma raison ? Et si je n’avais pas une croyance se

732 u’il m’advienne), ne serais-je pas désespéré, fou de possibles manqués et de grandeurs inatteintes ? Serait-ce donc que je

733 ais-je pas désespéré, fou de possibles manqués et de grandeurs inatteintes ? Serait-ce donc que je crois réellement à la P

734 i des déterminations qui ne tiennent aucun compte de moi : voilà la croyance des hommes forts, disent-ils. Savoir quelle a

735 hommes forts, disent-ils. Savoir quelle angoisse d’ infériorité se cache sous cette volonté de puissance ! La force est ca

736 ngoisse d’infériorité se cache sous cette volonté de puissance ! La force est calme. Et il me plaît de croire qu’elle s’ig

737 de puissance ! La force est calme. Et il me plaît de croire qu’elle s’ignore. Je distingue clairement ceci : il y a une im

738 certitude que la seule force qui compte est celle de la Providence (ou du destin). C’est cela seul qui dispense l’homme de

739 du destin). C’est cela seul qui dispense l’homme de jouer la comédie de la force pour s’imposer aux autres, ou s’en impos

740 ela seul qui dispense l’homme de jouer la comédie de la force pour s’imposer aux autres, ou s’en imposer à soi-même. Ceux

741 ’en imposer à soi-même. Ceux qui font des mentons d’ imperator, ceux qui frappent du poing sur la table, ceux qui s’égosill

742 e, ceux qui s’égosillent, ceux qui publient à son de trompe leurs défis ou leurs succès — prouvent qu’ils n’y croient pas

743 On comprend qu’ils s’acharnent à répéter que rien de grand ne se fait que par la collectivité : s’ils étaient seuls, ils a

744 ectivité : s’ils étaient seuls, ils auraient peur de n’être rien. 23 janvier 1934 (écrit sur la dune) Il ne faut pas

745 ne) Il ne faut pas se mettre en colère au mois de janvier. C’est une saison abstraite, on n’atteint presque rien. Le so

746 agrandit les regards sans nourrir la vision. Pas de mouches dans la lumière au ras des landes. Lucidité stérile du bel hi

747 craindre qu’elle ne m’attaque par désir famélique de créer du nouveau. Car c’est une consolation aussi que d’avoir à faire

748 r du nouveau. Car c’est une consolation aussi que d’ avoir à faire face à quelque catastrophe intime. Certains jours on don

749 jours on donnerait beaucoup pour une bonne raison de désespérer, pour une bonne et impérieuse raison d’abandonner cette pa

750 e désespérer, pour une bonne et impérieuse raison d’ abandonner cette partie mal engagée, ma vie, et de se retrouver neuf,

751 d’abandonner cette partie mal engagée, ma vie, et de se retrouver neuf, enfantin, ou tout simplement jeune devant un prése

752 ou tout simplement jeune devant un présent ouvert de tous côtés… Une seule vertu peut alors nous sauver de cette tentation

753 ous côtés… Une seule vertu peut alors nous sauver de cette tentation du désespoir et c’est l’humilité. Si je ne suis pas i

754 Ainsi je me renouvelle lentement. C’est un moyen de sortir de l’impasse : non pas en changeant ses données, mais soi-même

755 me renouvelle lentement. C’est un moyen de sortir de l’impasse : non pas en changeant ses données, mais soi-même. Fin d

756 s en changeant ses données, mais soi-même. Fin de janvier 1934 Je lis dans le Journal de Kierkegaard : « La lande do

757 Fin de janvier 1934 Je lis dans le Journal de Kierkegaard : « La lande doit favoriser le développement de pensées p

758 aard : « La lande doit favoriser le développement de pensées puissantes. Ici tout est sans voile, dans sa nudité devant Di

759 sans voile, dans sa nudité devant Dieu. Ici plus de dérangements domestiques, plus aucun de ces subterfuges grâce auxquel

760 Ici plus de dérangements domestiques, plus aucun de ces subterfuges grâce auxquels la conscience peut se dissimuler, et q

761 conscience peut se dissimuler, et qui l’empêchent d’ atteindre rien de sérieux dans le désordre. “Où fuirai-je devant ta fa

762 e dissimuler, et qui l’empêchent d’atteindre rien de sérieux dans le désordre. “Où fuirai-je devant ta face ?” Cette parol

763 ans l’édition allemande où je poursuis la lecture de ce journal : Einsamkeit (solitude), et Gottgemeinsamkeit (communion a

764 Dieu). Leur rapprochement exprime le sens profond de la lande, son sens ésotérique si l’on veut. Il est curieux de noter q

765 son sens ésotérique si l’on veut. Il est curieux de noter qu’en français communion contient et évoque union, alors qu’en

766 s qu’il y ait là contradiction : les deux couples de mots désignent deux aspects d’un même mouvement de l’être. Celui qui

767 : les deux couples de mots désignent deux aspects d’ un même mouvement de l’être. Celui qui « se tient devant Dieu » est se

768 e mots désignent deux aspects d’un même mouvement de l’être. Celui qui « se tient devant Dieu » est seul. Il se trouve pla

769 Dieu, il se voit uni à ses semblables par un lien de responsabilité. Séparé du monde et remis au monde d’une manière toute

770 responsabilité. Séparé du monde et remis au monde d’ une manière toute nouvelle, non plus pour le subir mais pour collabore

771 r mais pour collaborer à sa transformation. Ainsi de mon île : c’est d’abord un désert, et ensuite il m’apparaît que ce dé

772 ar des hommes réels, leur imposant des conditions de vie précises et qu’il s’agit de regarder d’un œil actif. Février 1

773 nt des conditions de vie précises et qu’il s’agit de regarder d’un œil actif. Février 1934 Les gens. — Du haut des

774 tions de vie précises et qu’il s’agit de regarder d’ un œil actif. Février 1934 Les gens. — Du haut des dunes, je vo

775 s conditions morales et économiques des habitants de l’île. 1. Division des terres. — J’ai pu vérifier à plusieurs reprise

776 tion du cadastre en lisant affichées sur les murs de l’église les annonces de ventes immobilières. Les propriétés se compo

777 t affichées sur les murs de l’église les annonces de ventes immobilières. Les propriétés se composent généralement d’une v

778 ilières. Les propriétés se composent généralement d’ une vingtaine ou d’une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que

779 étés se composent généralement d’une vingtaine ou d’ une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques centiares

780 t généralement d’une vingtaine ou d’une trentaine de parcelles, dont beaucoup n’ont que quelques centiares, les plus grand

781 la géographie locale assez pour me rendre compte de la dispersion ridicule des parcelles tout autour du village : l’homme

782 tour du village : l’homme qui travaille ces bouts de champ grands comme ma chambre doit passer une partie de la journée à

783 mp grands comme ma chambre doit passer une partie de la journée à marcher de l’un à l’autre. Disposition encore plus gênan

784 re doit passer une partie de la journée à marcher de l’un à l’autre. Disposition encore plus gênante au moment de la récol

785 la guerre. Mais cela n’a pas marché. La tradition de l’île veut que chaque champ soit partagé à la mort du propriétaire en

786 soit partagé à la mort du propriétaire en autant de parcelles qu’il y a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’u

787 du propriétaire en autant de parcelles qu’il y a d’ héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’un champ un peu meilleur

788 y a d’héritiers. Ceci pour éviter que l’un hérite d’ un champ un peu meilleur que les autres. Égalité contre solidarité. Le

789 s. Égalité contre solidarité. Le résultat évident de cette tradition sacro-sainte, c’est que les paysans travaillent beauc

790 ue. Comment espérer un développement « culturel » de cette population abrutie de fatigue ? Il faudrait d’abord réformer le

791 oppement « culturel » de cette population abrutie de fatigue ? Il faudrait d’abord réformer leurs conditions matérielles.

792 Mais si personne ne fait rien par le moyen normal de l’éducation, il n’y a plus d’autre solution que la contrainte. La dic

793 par le moyen normal de l’éducation, il n’y a plus d’ autre solution que la contrainte. La dictature est un moyen grossier,

794 r ceux qui la subissent, mais c’est le seul moyen de transformer et d’animer un peuple auquel on n’a pas su donner le sens

795 ssent, mais c’est le seul moyen de transformer et d’ animer un peuple auquel on n’a pas su donner le sens civique, le sens

796 uel on n’a pas su donner le sens civique, le sens de la communauté. Qui est-ce qui se préoccupe en France de donner au peu

797 communauté. Qui est-ce qui se préoccupe en France de donner au peuple une éducation solidariste ? On cherche à enrôler ces

798 , c’est l’évidence, parce qu’elles n’exigent rien de positif, ne construisent rien, n’animent rien, s’épuisent en excitati

799 u sens précis, limité et terre à terre des usages de l’île. Dès la quarantaine déjà, les hommes et les femmes ont tous le

800 ps plus ou moins déjeté. Cela provient évidemment de leur position quand ils travaillent aux champs. Et cette position pro

801 ravaillent aux champs. Et cette position provient de la forme de leurs outils. Ils n’utilisent guère que des « bouelles »

802 ux champs. Et cette position provient de la forme de leurs outils. Ils n’utilisent guère que des « bouelles » au manche tr

803 s » au manche très court, recourbé à l’extrémité, de telle sorte que la lame fait avec le manche un angle d’environ 45°. C

804 le sorte que la lame fait avec le manche un angle d’ environ 45°. Cet instrument, d’une part, les oblige à baisser le buste

805 r la terre sablonneuse, d’autre part, les empêche de labourer cette terre à plus de dix ou quinze centimètres de profondeu

806 part, les empêche de labourer cette terre à plus de dix ou quinze centimètres de profondeur. Trente centimètres de rallon

807 r cette terre à plus de dix ou quinze centimètres de profondeur. Trente centimètres de rallonge au manche, un angle plus g

808 nze centimètres de profondeur. Trente centimètres de rallonge au manche, un angle plus grand avec la lame, cela suffirait

809 redresser leur corps et augmenterait le rendement de leurs champs. Intrigué dès les premiers jours par l’allure et les faç

810 dès les premiers jours par l’allure et les façons de travailler si spéciales des gens d’ici, j’ai hésité longtemps à croir

811 le particularité locale motivait l’usage exclusif de cette bouelle. Je les ai questionnés : ils ont eu l’air plutôt surpri

812 , le père Renaud étant venu retourner une planche d’ oignons, je lui ai offert les outils à long manche qui sont dans le ch

813 t de suite obtenu des résultats supérieurs à ceux de ses voisins, et à moindre fatigue. Il y a peut-être d’innombrables pe

814 s voisins, et à moindre fatigue. Il y a peut-être d’ innombrables petits faits de ce genre en France. Il y aurait peut-être

815 gue. Il y a peut-être d’innombrables petits faits de ce genre en France. Il y aurait peut-être d’innombrables réformes aus

816 aits de ce genre en France. Il y aurait peut-être d’ innombrables réformes aussi simples à opérer. Je n’en sais rien4. Je m

817 availlent trop, se plaignent du mauvais rendement de la terre, et refusent cependant de rien changer à des habitudes dont

818 vais rendement de la terre, et refusent cependant de rien changer à des habitudes dont les défauts sautent aux yeux du pre

819 3 février 1934 La presse. — Je note à l’usage d’ un futur historien des mœurs que la presse « de droite » reflète assez

820 ge d’un futur historien des mœurs que la presse «  de droite » reflète assez exactement la mentalité et les conversations d

821 ssez exactement la mentalité et les conversations de la bourgeoisie conservatrice, alors que la presse de gauche ne reflèt

822 la bourgeoisie conservatrice, alors que la presse de gauche ne reflète nullement la mentalité ni les conversations populai

823 s qui recherchent la « considération du peuple ». D’ où le ton haineux, typiquement petit-bourgeois, de certaines de ces fe

824 D’où le ton haineux, typiquement petit-bourgeois, de certaines de ces feuilles. Je n’ai jamais retrouvé ce ton dans le peu

825 aineux, typiquement petit-bourgeois, de certaines de ces feuilles. Je n’ai jamais retrouvé ce ton dans le peuple. S’il en

826 t, quelques traces ici ou là, c’est que le peuple de France lit trop de journaux, ne lit que cela, et finit par se croire

827 ici ou là, c’est que le peuple de France lit trop de journaux, ne lit que cela, et finit par se croire « le Peuple » tel q

828 is naïf et grandiloquent, avec des maladresses et de grosses astuces, qui n’est pas exactement celui des « discussions » q

829 nnes. Les correspondances villageoises (accidents de bicyclette, arrivée d’un bateau, prix du sel, causeries du curé ou de

830 es villageoises (accidents de bicyclette, arrivée d’ un bateau, prix du sel, causeries du curé ou de l’instituteur, mariage

831 ée d’un bateau, prix du sel, causeries du curé ou de l’instituteur, mariages, décès et naissances) tiennent presque toute

832 ien ne le rend plus sensible que cette différence de ton entre tel organe socialiste ou communiste de Paris, et l’un de ce

833 de ton entre tel organe socialiste ou communiste de Paris, et l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934

834 organe socialiste ou communiste de Paris, et l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934 Les gens. — S

835 mmuniste de Paris, et l’un de ces petits journaux de campagne. 15 février 1934 Les gens. — Si j’avais une âme de ph

836 5 février 1934 Les gens. — Si j’avais une âme de philanthrope, je chercherais à répandre mes idées dans la population 

837 s consignées, et mettre en discussion mes projets de réforme. Je sais bien ce qui m’arrêterait dès les premiers pas. Ces h

838 s pas. Ces hommes n’ont pas ou n’ont plus coutume de se réunir, d’être ensemble pour causer. Le dimanche, ils « font la pa

839 mes n’ont pas ou n’ont plus coutume de se réunir, d’ être ensemble pour causer. Le dimanche, ils « font la partie » chez l’

840 plorent parmi les vieux. Mais personne n’a l’idée de rien entreprendre. Le village comptait autrefois, paraît-il, cinq ou

841 mptait autrefois, paraît-il, cinq ou six sociétés de caractère utilitaire ou récréatif. La plus fameuse était la Clique de

842 if. La plus fameuse était la Clique des retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêtes villageois

843 la Clique des retraités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêtes villageoises. Tout cela s’est dissou

844 traités de la Marine, qui animait de ses concerts de nombreuses fêtes villageoises. Tout cela s’est dissous quand les homm

845 zz du chef-lieu : il arrive dans un somptueux car d’ excursion capitonné de velours violet horriblement moderne. Cependant

846 rrive dans un somptueux car d’excursion capitonné de velours violet horriblement moderne. Cependant deux associations se s

847 este lors des enterrements : elle assure à chacun de ses membres une nombreuse suite pour leur « dernier voyage ». L’autre

848 r voyage ». L’autre, c’est la Société coopérative de panification, réunissant dans une sorte de corporation boulanger, min

849 rative de panification, réunissant dans une sorte de corporation boulanger, minotier et consommateurs. Le pain, la tombe.

850 fondamentales. Voilà qui est bien dans l’harmonie de cette lande où l’homme et ses maisons mettent les seules verticales.

851 u’ils grattent lentement pour en tirer tout juste de quoi vivre, j’hésite à reconnaître dans leur existence le beau mythe

852 À la fois aux limites du continent et aux limites de l’humanité. Ils n’attaquent plus, ils se cramponnent. Ce ne sont pas

853 Ce ne sont pas des colons, des défricheurs, mais de petits propriétaires qui se défendent avec la seule obstination de l’

854 taires qui se défendent avec la seule obstination de l’instinct, au niveau le plus bas où l’homme puisse vivre sans misère

855 , sans tristesse. Chacun pour soi sur sa parcelle de terre ingrate, ou dans sa courette pleine de fleurs. Qu’ils n’aient p

856 elle de terre ingrate, ou dans sa courette pleine de fleurs. Qu’ils n’aient pas de vie communautaire, cela ne signifie pas

857 sa courette pleine de fleurs. Qu’ils n’aient pas de vie communautaire, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils aient p

858 as nécessairement qu’ils aient perdu le sentiment de leur commune condition. Ils sont peut-être trop pareils pour éprouver

859 nt peut-être trop pareils pour éprouver le besoin de s’unir. Ils n’ont pas à faire face à des menaces extérieures. Et surt

860 ces extérieures. Et surtout ils n’ont nulle envie d’ entreprendre une conquête quelconque, matérielle ou spirituelle. Or c’

861 peuples et les pousse à créer des signes visibles de leur union : assemblées, fêtes, cortèges, uniformes, ou chefs, — kolk

862 mes, ou chefs, — kolkhozes, corporations ou camps de travail. Mais ici, que feraient-ils de tout cela ? Ils ont la liberté

863 s ou camps de travail. Mais ici, que feraient-ils de tout cela ? Ils ont la liberté, et cela leur suffit, depuis cent-cinq

864 . Ils se nourrissent mal (légumes, soupes, fruits de mer, seiches et poisson, je crois que c’est à peu près tout), mais po

865 sont morts ou vont mourir couchés sur une fortune de 100 000 ou de 200 000 francs, que leurs fils iront perdre à la ville 

866 vont mourir couchés sur une fortune de 100 000 ou de 200 000 francs, que leurs fils iront perdre à la ville : je crois cep

867 cins ne font pas fortune. Quelle conclusion tirer de tout cela ? Quand on voit les choses et les êtres de trop près, on pe

868 tout cela ? Quand on voit les choses et les êtres de trop près, on perd le peu de foi que l’on pouvait accorder aux idéolo

869 e. Réveillez ce peuple, il sera peut-être capable de grandes choses — c’est son mystère — mais ne dites pas que vous le fa

870 t le bonheur, pour oser bouleverser la petite vie de notre île. À noter et à souligner : Seules les guerres de religion on

871 île. À noter et à souligner : Seules les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme de ce peuple. Mais combien se feraien

872 uligner : Seules les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme de ce peuple. Mais combien se feraient tuer aujourd’hui po

873 es les guerres de religion ont tiré de l’héroïsme de ce peuple. Mais combien se feraient tuer aujourd’hui pour sauver leur

874 roit à rien, et qui par suite ne peut rien exiger de sérieux… — Mais il y a d’autres aspects de la question. Le sel ne se

875 exiger de sérieux… — Mais il y a d’autres aspects de la question. Le sel ne se vend plus depuis un an, et c’était la resso

876 est en train de devenir la proie des politiciens de Paris. Un dimanche ce sont les enfants communistes de la colonie de v

877 aris. Un dimanche ce sont les enfants communistes de la colonie de vacances qui défilent en maillots rouges et l’on pousse

878 che ce sont les enfants communistes de la colonie de vacances qui défilent en maillots rouges et l’on pousse des « cris sé

879 ieux » ; le dimanche suivant, ce sont les enfants de la fondation « de droite » et on les applaudit : la fondation fait vi

880 he suivant, ce sont les enfants de la fondation «  de droite » et on les applaudit : la fondation fait vivre beaucoup de pe

881 t : la fondation fait vivre beaucoup de personnes de l’île. La moitié des maisons sont vides, et quelques-unes déjà tomben

882 unes déjà tombent en ruines. Et surtout ce régime d’ inertie laisse trop de forces grandir contre lui : et alors, qui va ve

883 uines. Et surtout ce régime d’inertie laisse trop de forces grandir contre lui : et alors, qui va venir un beau jour, de P

884 contre lui : et alors, qui va venir un beau jour, de Paris, faire la loi dans notre village ? 19 février 1934 Les g

885 village ? 19 février 1934 Les gens : récit d’ une journée paysanne. — En revenant de la côte, je me suis arrêté au M

886 ens : récit d’une journée paysanne. — En revenant de la côte, je me suis arrêté au Moulin de la Purée, pour jouer avec les

887 revenant de la côte, je me suis arrêté au Moulin de la Purée, pour jouer avec les chatons qui pullulent dans la cour. La

888 ent dans la cour. La mère Renaud-de-la-Purée sort de sa porte, appuyée sur un court bâton. C’est donc la jambe qui ne va p

889 court bâton. C’est donc la jambe qui ne va plus. D’ où cela vient-il ? — C’est depuis qu’ils m’ont pris la chèvre. Ça m’a

890 ela. Elle vient donc s’appuyer contre la barrière de la cour, cale son bâton, et commence d’une voix posée, monotone et ba

891 barrière de la cour, cale son bâton, et commence d’ une voix posée, monotone et basse : — C’était le 26 de juillet, l’anni

892 e voix posée, monotone et basse : — C’était le 26 de juillet, l’anniversaire de ma défunte mère. Le matin, je me dis : qu’

893 asse : — C’était le 26 de juillet, l’anniversaire de ma défunte mère. Le matin, je me dis : qu’est-ce qu’on va manger ce j

894 on. C’est ce qu’il faut pour manger. Ils rentrent d’ avoir tiré le sel et mangent la pêche. J’avais ajouté deux ou trois ja

895 qu’ils avaient pris la chèvre. Des hommes mariés de 30 et 35 ans, voyez comme ils sont aujourd’hui ! Ils sont venus penda

896 si l’on n’avait rien fait. Mais je n’en veux pas d’ autre. Je suis sûre qu’avec une autre bête, même une bête chevaline, c

897 résolu. Pour la majorité des modernes, la menace de pauvreté ne signifie pas d’abord : faim et fatigue, comme pour les pa

898 e francs sur deux cent-mille, ou perdre une place de quatre-vingt-mille pour en retrouver une de vingt-quatre-mille ; ou p

899 place de quatre-vingt-mille pour en retrouver une de vingt-quatre-mille ; ou perdre intégralement le peu que l’on avait. D

900 plus, et en premier lieu, sentimentalement, c’est de perdre son rang et la considération qui s’y attache, c’est de ne plus

901 n rang et la considération qui s’y attache, c’est de ne plus pouvoir « représenter », séduire, voyager, rouler auto, aller

902 est effrayant que parce que l’on n’a pas l’esprit de pauvreté qu’on aime entendre louer à l’église ou dans les livres. On

903 pense que la vraie solution, la solution pratique de la psychose de crise qui énerve la bourgeoisie n’est pas ailleurs que

904 aie solution, la solution pratique de la psychose de crise qui énerve la bourgeoisie n’est pas ailleurs que dans l’« espri

905 ourgeoisie n’est pas ailleurs que dans l’« esprit de pauvreté ». Et j’ajoute aussitôt que la solution pratique de la misèr

906  ». Et j’ajoute aussitôt que la solution pratique de la misère réelle, celle qui est vécue depuis longtemps ou depuis touj

907 le et vraiment novatrice que si elle s’accompagne d’ une révolution morale chez les bourgeois : car on ne peut pas anéantir

908 ois, il y aura des gens qui craindront avant tout de descendre d’un échelon, c’est-à-dire de devenir pauvres. À moins qu’i

909 a des gens qui craindront avant tout de descendre d’ un échelon, c’est-à-dire de devenir pauvres. À moins qu’ils ne compren

910 vant tout de descendre d’un échelon, c’est-à-dire de devenir pauvres. À moins qu’ils ne comprennent un peu mieux ce qu’est

911 ls ne comprennent un peu mieux ce qu’est l’esprit de pauvreté. Mais qui le comprend aujourd’hui ? Pour peu qu’on se vante

912 le comprend aujourd’hui ? Pour peu qu’on se vante de l’avoir, on ne l’a plus. Et quand on l’a vraiment, il est probable qu

913 tes et des naïfs qui croient que louer « l’esprit de pauvreté » dispense de supprimer les facteurs matériels de la misère,

914 oient que louer « l’esprit de pauvreté » dispense de supprimer les facteurs matériels de la misère, capitalisme, centres u

915 té » dispense de supprimer les facteurs matériels de la misère, capitalisme, centres urbains, etc.) Sans doute l’esprit de

916 lisme, centres urbains, etc.) Sans doute l’esprit de pauvreté n’est-il donné qu’à ceux qui croient à autre chose qu’à leur

917 peu : quelques grands chefs, quelques fanatiques d’ une cause, quelques saints. Mais peut-être aussi un grand nombre d’obs

918 ques saints. Mais peut-être aussi un grand nombre d’ obscurs croyants. Ceux par qui l’humanité vaut quelque chose, sans le

919 vrier 1934 Gens. — Il est très impressionnant de se demander en face de ces hommes, à quelques mètres d’eux, quand ils

920 demander en face de ces hommes, à quelques mètres d’ eux, quand ils travaillent sur leur parcelle, ce que signifient les mé

921 méthodes productivistes et la démesure collective d’ un plan quinquennal. Le silence de la lande et des marais, la rumeur d

922 sure collective d’un plan quinquennal. Le silence de la lande et des marais, la rumeur de la côte, les petits chocs irrégu

923 . Le silence de la lande et des marais, la rumeur de la côte, les petits chocs irréguliers des pioches et des bouelles, to

924 rs des pioches et des bouelles, tout ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activ

925 s et des bouelles, tout ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activité humaine a

926 ouelles, tout ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activité humaine au ras du s

927 t ce qu’il y a de paisible, de grand, de mesquin, de millénaire dans cette faible activité humaine au ras du sol, sous ce

928 vérité » brutaliser et bouleverser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vi

929 liser et bouleverser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er ma

930 verser à grand fracas de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er mars 1934 Mi

931 as de moteurs et de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er mars 1934 Minimum vital. — Il n

932 de règlements de fer les rythmes de cette île et de ces vies ? 1er mars 1934 Minimum vital. — Il ne faut être ni r

933  ». Il faut simplement être libre selon la mesure de sa vocation. C’est par rapport à sa seule vocation qu’un homme peut a

934 qu’un homme peut arriver à savoir avec certitude de quoi et de combien il a besoin pour vivre. S’il a plus ou s’il a moin

935 e peut arriver à savoir avec certitude de quoi et de combien il a besoin pour vivre. S’il a plus ou s’il a moins, s’il est

936 parce qu’elle ne les a pas créés. Le but concret de la révolution économique que je crois moralement nécessaire, et d’ail

937 aire, et d’ailleurs techniquement possible, c’est d’ accorder à tout homme, quel qu’il soit, le « minimum vital » qui lui p

938 qu’il soit, le « minimum vital » qui lui permette d’ obéir à sa vocation. Toute la difficulté repose évidemment sur le fait

939 sonne ». C’est l’État qui devrait donner à chacun de ses membres le minimum qu’il mérite. Mais comment exiger de l’État qu

940 bres le minimum qu’il mérite. Mais comment exiger de l’État qu’il tienne compte des vocations particulières ? Elles sont s

941 des vocations particulières ? Elles sont souvent d’ une lecture très douteuse pour ceux mêmes qui devraient les exercer !

942 Il faudrait donc, dans la pratique, se contenter d’ approximations toujours très contestables. Le problème se ramènerait à

943 extérieurs aisément vérifiables qui permettraient de répartir les hommes grosso modo, selon leurs vocations. Et le minimum

944 . Et le minimum qui leur serait accordé varierait d’ une catégorie à l’autre. (Cela touche à l’absurde, on le voit — mais j

945 que c’est tout de même ce que l’on peut imaginer de moins déraisonnable, cela peut nous donner une bonne idée du maximum

946 , cela peut nous donner une bonne idée du maximum d’ absurdité que représente l’anarchie actuelle.) Si l’on me chargeait de

947 ésente l’anarchie actuelle.) Si l’on me chargeait de redistribuer toutes les richesses, selon mon expérience et mes petite

948 t je donnerais aux autres selon leur profession : d’ autant plus qu’elle serait plus monotone par exemple, ou qu’elle suppo

949 onotone par exemple, ou qu’elle supposerait moins d’ énergie créatrice… Et pour ma part — s’il faut un exemple précis, c’es

950 restant indéterminé, et dépendant du seul caprice d’ un employé que je ne connaîtrais pas. 15 mars 1934 Je rentre de

951 ne connaîtrais pas. 15 mars 1934 Je rentre de Vendée. On m’avait demandé d’y aller faire quelques causeries. J’en r

952 s 1934 Je rentre de Vendée. On m’avait demandé d’ y aller faire quelques causeries. J’en rapporte deux séries d’observat

953 ire quelques causeries. J’en rapporte deux séries d’ observations nouvelles sur la Province, et je crois d’autant plus util

954 servations nouvelles sur la Province, et je crois d’ autant plus utile de les consigner qu’elles modifient sensiblement cer

955 sur la Province, et je crois d’autant plus utile de les consigner qu’elles modifient sensiblement certains jugements auxq

956 jugements auxquels m’avait amené la considération de mon île.   Il faut parler d’abord des autocars. Je ne sais si l’on se

957 des autocars. Je ne sais si l’on se doute à Paris de l’importance des autocars et des transformations qu’ils sont en train

958 la vie provinciale. Je n’ai pas compté le nombre de lignes actuellement exploitées. Mais j’ai pu constater dans plusieurs

959 ais j’ai pu constater dans plusieurs départements de l’Ouest qu’il n’est plus guère de « pays » qui ne soit desservi par u

960 rs départements de l’Ouest qu’il n’est plus guère de « pays » qui ne soit desservi par une ou deux ou même trois compagnie

961 desservi par une ou deux ou même trois compagnies de transports locaux. Depuis que j’ai quitté Paris, j’ai bien utilisé un

962 ’ai quitté Paris, j’ai bien utilisé une vingtaine de ces lignes. Je commence à connaître leurs coutumes : rien ne pouvait

963 r plus rapidement et plus profondément la coutume de la France rurale. Mais ce n’est pas encore assez dire : l’autocar mod

964 sez dire : l’autocar modifie complètement le mode de contact entre le voyageur et la province. Naguère encore, quand on n’

965 out convergeait vers Paris, non seulement du fait d’ une organisation ferroviaire centralisée, mais encore sentimentalement

966 s à l’heure, où l’on se sentait relégué à l’écart de la « vraie » circulation. Et l’on ne voyait guère que des gares, ce q

967 nt dans chaque village. Aujourd’hui, les stations d’ autocars sont sur la place principale. C’est de là qu’on part au milie

968 ns d’autocars sont sur la place principale. C’est de là qu’on part au milieu d’une grande affluence de badauds, c’est là q

969 de là qu’on part au milieu d’une grande affluence de badauds, c’est là qu’on arrive à grand son de trompe, c’est enfin ce

970 nce de badauds, c’est là qu’on arrive à grand son de trompe, c’est enfin ce que l’on voit le mieux de chaque pays. La voie

971 de trompe, c’est enfin ce que l’on voit le mieux de chaque pays. La voie ferrée était une sorte d’insulte à la vie locale

972 ux de chaque pays. La voie ferrée était une sorte d’ insulte à la vie locale : elle la traversait abstraitement, sans la vo

973 it abstraitement, sans la voir, sans tenir compte de ses circonstances. Sur ses bords ne vivait qu’une population nomade,

974 qu’une population nomade, qui portait l’uniforme de l’État, partout la même. Vous pouviez parcourir vingt fois la France

975 même. Vous pouviez parcourir vingt fois la France de part en part sans remarquer que les gens qui l’habitent ne sont pas t

976 quer que les gens qui l’habitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’est pas seulem

977 abitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’ une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui change

978 » dans la nation abstraitement unifiée ? La ligne d’ autocar fait partie du pays. Elle en épouse la géographie physique mai

979 voiture. Mais aussi elle tient compte des rythmes de la vie locale, du calendrier des marées, de l’heure matinale des foir

980 thmes de la vie locale, du calendrier des marées, de l’heure matinale des foires, dans les districts ruraux, et ailleurs d

981 es foires, dans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intentio

982 les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser ce

983 tie des usines ou des écoles. La simple intention d’ utiliser ce moyen de transport vous met en contact avec toutes sortes

984 s écoles. La simple intention d’utiliser ce moyen de transport vous met en contact avec toutes sortes d’habitudes locales.

985 transport vous met en contact avec toutes sortes d’ habitudes locales. D’abord il faut aller dans deux ou trois cafés pour

986 dans deux ou trois cafés pour obtenir un minimum de précisions concernant l’heure du prochain départ et la destination de

987 nt sur la place. C’est que chaque ligne a sa tête de ligne chez un bistrot différent, et il est rare qu’on puisse trouver

988 e curiosité on ne tarde pas à y apprendre pas mal d’ histoires, dont j’indiquerai ici l’enchaînement à peu près immuable. C

989 ommence par quelques anecdotes sur l’installation de la ligne et sur la concurrence qui a fait baisser les prix. Car il es

990 ncurrence qui a fait baisser les prix. Car il est de règle qu’au début deux Compagnies se disputent le parcours, jusqu’à c

991 tit jeu un peu plus loin, sur un autre parcours6. De là à des potins sur les personnalités de l’endroit, sur le rôle qu’on

992 rcours6. De là à des potins sur les personnalités de l’endroit, sur le rôle qu’ont joué dans l’affaire le sous-préfet, ou

993 etc. Si l’on a le temps, il n’est pas impossible de pousser la « discussion » sur un plan supérieur, d’aborder par exempl

994 pousser la « discussion » sur un plan supérieur, d’ aborder par exemple la question du capitalisme en général et des moyen

995 question du capitalisme en général et des moyens d’ arrêter ses méfaits. Bref, lorsque vous montez dans l’autocar, vous êt

996 enant du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce que Vigny pleurait, la poésie des diligences, mais aérée. C’est fa

997 la poésie des diligences, mais aérée. C’est fait d’ une foule d’incidents entrevus, que tout dispose à romancer ; de conve

998 es diligences, mais aérée. C’est fait d’une foule d’ incidents entrevus, que tout dispose à romancer ; de conversations abs

999 incidents entrevus, que tout dispose à romancer ; de conversations absurdes et rapidement intimes, avec ce personnage enfo

1000 ge enfoui à côté de vous dans un luxueux fauteuil de cuir rouge ou bleu vif, et qui change de tête plusieurs fois pendant

1001 fauteuil de cuir rouge ou bleu vif, et qui change de tête plusieurs fois pendant le trajet, de coups de main aux voyageurs

1002 change de tête plusieurs fois pendant le trajet, de coups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou

1003 le trajet, de coups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêt

1004 coups de main aux voyageurs chargés de paquets ou d’ un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détour

1005 yageurs chargés de paquets ou d’un jeune veau, ou d’ un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les

1006 ’un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’ arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs acceptent volontier

1007 au, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs acceptent volontiers toutes sor

1008 les chauffeurs acceptent volontiers toutes sortes de petites commissions que de vieilles dames leur confient au départ ave

1009 lontiers toutes sortes de petites commissions que de vieilles dames leur confient au départ avec force recommandations ; e

1010 par la portière entrouverte un instant à la fille de l’auberge écartée qui attend le passage du car, les cheveux au vent s

1011 e passage du car, les cheveux au vent sur le bord de la route. Rien n’est plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela t

1012 ute. Rien n’est plus sympathique qu’un conducteur de car. Cela tient évidemment à leur métier. Ce sont en général de jeune

1013 ient évidemment à leur métier. Ce sont en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’aim

1014 ds solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’ aimer le travail et de le faire bien : c’est moderne, c’est sportif, c

1015 qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c’est moderne, c’est sportif, cela vous pose dans l’e

1016 à bord de sa puissante machine, et l’on bénéficie de ces petites faveurs que les femmes ont toujours accordées à ceux qui

1017 ndent et disposent, ne fût-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien les hommes avec lesquels je rêverais d’entr

1018 , voilà bien les hommes avec lesquels je rêverais d’ entreprendre une belle révolution, qui rajeunisse la France : ils ont

1019 ur, le dynamisme, le sens pratique et la rapidité d’ esprit que les bourgeois, qui en sont dépourvus, attribuent par erreur

1020 dont ils disposent et qui seraient décisifs lors d’ une action rapide. Mais loin de moi ces ambitions : ceux qui les ont n

1021 ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’aurais dû noter plus tôt. Le monsieur rencontré da

1022 er plus tôt. Le monsieur rencontré dans l’autocar de Taillefer voulait savoir quel était mon métier. Et quand j’eus dit qu

1023 fique à jouer dans la société. Vous avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où iri

1024 ns la société. Vous avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc, n

1025 avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc, nous qui ne croyons

1026 lui dis-je, qu’un écrivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’un homme normal, mettons qu’un fonctionnaire (c’étai

1027 aux circonstances mêmes qui l’ont mis dans le cas d’ écrire. Car ou bien l’on écrit ce que l’on ne peut pas faire, et c’est

1028 it ce que l’on ne peut pas faire, et c’est l’aveu d’ une faiblesse ou d’une ambition excessive, deux choses qui compliquent

1029 eut pas faire, et c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’ une ambition excessive, deux choses qui compliquent fort la vie, je cr

1030 des choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’ une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; ou bien l

1031 d’une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; ou bien l’on écrit simplement pour gagner sa chienne de vi

1032 bien l’on écrit simplement pour gagner sa chienne de vie, et c’est le bon moyen de traîner la misère la plus honteuse qui

1033 r gagner sa chienne de vie, et c’est le bon moyen de traîner la misère la plus honteuse qui se puisse imaginer, dans les a

1034 dans les antres rédactionnels. Je dis les antres. De toute façon, un écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le parad

1035 ’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige même de ces gens-là des vertus au-dessus du commun, la révélation de secrets

1036 -là des vertus au-dessus du commun, la révélation de secrets qui suffiraient à rendre heureux les plus indignes, et ingéni

1037 je ne sais quelle supériorité humaine, quel luxe d’ énergie ou d’invention qui, s’ils les possédaient vraiment, feraient d

1038 uelle supériorité humaine, quel luxe d’énergie ou d’ invention qui, s’ils les possédaient vraiment, feraient de leurs déten

1039 ion qui, s’ils les possédaient vraiment, feraient de leurs détenteurs non point des écrivains mais des Don Juan, des dicta

1040 aurez compris cela, vous cesserez, je le crains, d’ envier ma condition… » 16 mars 1934 D’un autre « peuple ». — Il

1041 ains, d’envier ma condition… » 16 mars 1934 D’ un autre « peuple ». — Il faut encore que je revienne sur mon séjour v

1042 donner trois « causeries » devant des auditoires de jeunes cultivateurs. Eux-mêmes avaient fixé la liste des sujets qu’il

1043 ésiraient étudier au cours de l’hiver avec l’aide de plusieurs orateurs bénévoles, pasteurs, instituteurs ou autres « pers

1044 , instituteurs ou autres « personnes instruites » de la région. On m’avait prié de parler des révolutions russes de 1905 e

1045 sonnes instruites » de la région. On m’avait prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel

1046 On m’avait prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par

1047 prié de parler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à

1048 ler des révolutions russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à bicyclette

1049 ns russes de 1905 et de 1917, et de l’état actuel de l’URSS. Ils étaient venus par groupes, à bicyclette ou en charrettes,

1050 venus par groupes, à bicyclette ou en charrettes, de tous les villages voisins. Du haut de la colline où nous étions tous

1051 charrettes, de tous les villages voisins. Du haut de la colline où nous étions tous réunis pour déjeuner, on dominait tout

1052 réunis pour déjeuner, on dominait tout un canton de marécages mélancoliques ; et parfois l’on voyait scintiller dans un l

1053 iller dans un lointain nuageux et sous une trouée d’ or, la mer. La petite salle des cours ruraux peut contenir une centain

1054 salle des cours ruraux peut contenir une centaine d’ auditeurs. L’orateur doit se tenir debout au milieu d’eux, de manière

1055 mité physique. Je leur parlai pendant deux heures d’ un pays d’énormes plaines, sans barrières ni haies, sans chemins creux

1056 que. Je leur parlai pendant deux heures d’un pays d’ énormes plaines, sans barrières ni haies, sans chemins creux et sans s

1057 , bons et fous. Je décrivis les révoltes obscures de ces masses opprimées et naïves, conduites par des équipes d’hommes du

1058 es opprimées et naïves, conduites par des équipes d’ hommes durs, intellectuels bannis ou petits nobles déclassés ; le trio

1059 petits nobles déclassés ; le triomphe implacable de Lénine ; l’enthousiasme du plan de cinq ans. Et je m’étonnais tout en

1060 phe implacable de Lénine ; l’enthousiasme du plan de cinq ans. Et je m’étonnais tout en parlant de raconter une épopée con

1061 lan de cinq ans. Et je m’étonnais tout en parlant de raconter une épopée contemporaine : tout cela se dégageait ici de la

1062 épopée contemporaine : tout cela se dégageait ici de la mesquinerie hargneuse des polémiques et des partis pris, devenait

1063 le rythme et les couleurs grandioses et irréelles de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ;

1064 t les couleurs grandioses et irréelles de la page d’ histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ; vérité de

1065 oses et irréelles de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ; vérité de la fable qui donne un

1066 de la page d’histoire. Mensonge de la distance et de la simplification ; vérité de la fable qui donne une forme grande à n

1067 e de la distance et de la simplification ; vérité de la fable qui donne une forme grande à nos obscurs et grands désirs in

1068 rs informulés. En finissant je craignis un moment de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce d’imagerie

1069 ssant je craignis un moment de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce d’imagerie d’Épinal, malgré moi

1070 de les avoir trompés, de les avoir rendus jaloux d’ une espèce d’imagerie d’Épinal, malgré moi trop pareille aux innocente

1071 trompés, de les avoir rendus jaloux d’une espèce d’ imagerie d’Épinal, malgré moi trop pareille aux innocentes peintures d

1072 e les avoir rendus jaloux d’une espèce d’imagerie d’ Épinal, malgré moi trop pareille aux innocentes peintures de paradis m

1073 malgré moi trop pareille aux innocentes peintures de paradis modernisé que vulgarise la propagande communiste. Mais leurs

1074 u le laisser croire ; si ce n’était pas encore un de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté qu’

1075 oire ; si ce n’était pas encore un de ces régimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté qu’auparavant, etc

1076 égimes de dictature ; si les paysans avaient plus de liberté qu’auparavant, etc. Mais ce qui me surprit davantage, ce fut

1077 me surprit davantage, ce fut la question franche d’ un garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent et ouvert : « Pense

1078 davantage, ce fut la question franche d’un garçon de vingt ans, costaud, l’air intelligent et ouvert : « Pensez-vous qu’on

1079 eunes Russes, aux jeunes Allemands, comme un type de jeune Français. Je retiens de cette journée deux impressions (je n’os

1080 ands, comme un type de jeune Français. Je retiens de cette journée deux impressions (je n’ose pas en dire davantage : tout

1081 résumé). Quand j’ai projeté sur la paroi blanche de la salle la photo de Kalinine, président de l’URSS, debout dans un ch

1082 projeté sur la paroi blanche de la salle la photo de Kalinine, président de l’URSS, debout dans un champ en costume de mou

1083 anche de la salle la photo de Kalinine, président de l’URSS, debout dans un champ en costume de moujik, il y a eu un profo

1084 sident de l’URSS, debout dans un champ en costume de moujik, il y a eu un profond silence au lieu des rires que je craigna

1085 peut donc gouverner sans être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’un brave type comme nous autres. Rêverie des jeu

1086 ns être un monsieur en haut de forme ? Il a l’air d’ un brave type comme nous autres. Rêverie des jeunes cultivateurs.) Et

1087 eurs.) Et quand j’ai terminé ma causerie, évitant de prononcer mon jugement sur les faits que je venais d’exposer, afin de

1088 rononcer mon jugement sur les faits que je venais d’ exposer, afin de voir si mes auditeurs étaient de la même espèce que c

1089 d’exposer, afin de voir si mes auditeurs étaient de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précises,

1090 mes auditeurs étaient de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précises, et ce désir de rapporter c

1091 de la même espèce que ceux de l’île : cette série de questions précises, et ce désir de rapporter ce que j’avais dit à leu

1092  : cette série de questions précises, et ce désir de rapporter ce que j’avais dit à leur situation concrète. Esprit critiq

1093 ue, méfiance intelligente des paysans, conscience de leur autonomie… Je ne bifferai pas les conclusions que j’avais tirées

1094 e bifferai pas les conclusions que j’avais tirées de la conférence à A. Elles sont également vraies. Ce qui est faux, c’es

1095 les sont également vraies. Ce qui est faux, c’est de parler du peuple en général. — « On le savait depuis longtemps. » — O

1096 tant de choses que l’on n’a jamais pris la peine de connaître, chez les « intellectuels ». 17 mars 1934 L’institute

1097 avec sa femme et ses deux enfants. C’est un homme de quarante ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste e

1098 ans, aux traits réguliers et sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nou

1099 its réguliers et sérieux, un peu lent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nous laisse seu

1100 ent de geste et de parole ; prudent. Il se plaint de son isolement. « On nous laisse seuls, sans direction. Nous ne savons

1101 lutter contre les parents, contre la concurrence de l’école libre qui nous a pris les deux tiers de nos élèves. On aurait

1102 e de l’école libre qui nous a pris les deux tiers de nos élèves. On aurait besoin de nourriture intellectuelle pour se sou

1103 is les deux tiers de nos élèves. On aurait besoin de nourriture intellectuelle pour se soutenir. Quelquefois on nous envoi

1104 naux ou des revues à l’essai, mais c’est toujours de la politique. Quand j’étais jeune, j’ai beaucoup lu Anatole France, c

1105  ? Vous ne pourriez pas me dire ce qu’il y aurait d’ intéressant à lire ? — Vous ne lisez pas de journaux politiques ? — Ce

1106 aurait d’intéressant à lire ? — Vous ne lisez pas de journaux politiques ? — Ce n’est pas ce qu’on cherche. Il faudrait en

1107 de cette centralisation : qu’est-ce qu’ils savent de notre situation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire

1108 ation à Paris ? Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de faire un mouvement politique en dehors des partis et de voir une fois

1109 re un mouvement politique en dehors des partis et de voir une fois ce qu’il y aurait à changer pratiquement dans chaque pr

1110 on peut, tout seuls dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une liste de livres à lire pour l’instituteur de M. Je ne trouv

1111 dans ce coin ?… » J’ai essayé de faire une liste de livres à lire pour l’instituteur de M. Je ne trouve à lui recommander

1112 ire une liste de livres à lire pour l’instituteur de M. Je ne trouve à lui recommander que des traductions. La littérature

1113 en France n’a guère à donner à ceux qui ont faim de nourriture solide, élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et d

1114 im de nourriture solide, élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter

1115 ture solide, élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter le plus poss

1116 élémentaire. Elle manque de naïveté, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce q

1117 é, de force et de conviction. Tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est bi

1118 Tout son effort est de s’écarter le plus possible de ce qui est simplement vrai. Elle est bizarre, affectée et maigrelette

1119 t bizarre, affectée et maigrelette, toute guindée de petites astuces, d’airs entendus dès qu’il s’agit de passions. Trop d

1120 et maigrelette, toute guindée de petites astuces, d’ airs entendus dès qu’il s’agit de passions. Trop difficile quand elle

1121 petites astuces, d’airs entendus dès qu’il s’agit de passions. Trop difficile quand elle est belle (Claudel ne peut pas de

1122 fausse, quand elle est facile. Et les ouvrages «  d’ avant-garde » donnent dans l’ensemble une impression de crampe, de min

1123 nt-garde » donnent dans l’ensemble une impression de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’impuissants qui se tortu

1124 donnent dans l’ensemble une impression de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’impuissants qui se torturent à plai

1125 le une impression de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’impuissants qui se torturent à plaisir pour provoquer un

1126 ion de crampe, de minutie maniaque, de méchanceté d’ impuissants qui se torturent à plaisir pour provoquer un petit grincem

1127 laisir pour provoquer un petit grincement nouveau de la sensibilité. Je comprends très bien qu’un certain nombre d’écrivai

1128 lité. Je comprends très bien qu’un certain nombre d’ écrivains français aient passé au communisme : il leur fallait cela sa

1129 l a fallu un nouveau conformisme pour les libérer de l’ancien ; et l’alibi d’une action politique à laquelle ils n’entende

1130 ormisme pour les libérer de l’ancien ; et l’alibi d’ une action politique à laquelle ils n’entendent goutte. Je ne sais plu

1131 lus quel poète a écrit : « L’art est une question de virgules. » Voilà qui donne exactement la mesure de leurs ambitions.

1132 virgules. » Voilà qui donne exactement la mesure de leurs ambitions. Même si cette innocente remarque est juste du strict

1133 nocente remarque est juste du strict point de vue d’ un artisan précieux de la langue française telle qu’on l’écrit à Paris

1134 uste du strict point de vue d’un artisan précieux de la langue française telle qu’on l’écrit à Paris de nos jours (car c’e

1135 e la langue française telle qu’on l’écrit à Paris de nos jours (car c’est faux sous tout autre rapport, pour tout autre pa

1136 rt, pour tout autre pays, pour toute autre époque de nos lettres) je pense que ce n’est pas par hasard que tous les grands

1137 hasard que tous les grands artistes ont jugé bon de parler d’autre chose, et de s’attacher plutôt à ce qu’il y a entre le

1138 e tous les grands artistes ont jugé bon de parler d’ autre chose, et de s’attacher plutôt à ce qu’il y a entre les virgules

1139 artistes ont jugé bon de parler d’autre chose, et de s’attacher plutôt à ce qu’il y a entre les virgules. Fin mars 1934

1140 s. Fin mars 1934 Le vent souffle en tempête de la mer vers le continent, depuis sept jours déjà, sans une seule heur

1141 ent, depuis sept jours déjà, sans une seule heure d’ interruption. Et cela doit durer deux jours encore, puisqu’une nouvell

1142 er deux jours encore, puisqu’une nouvelle période de trois jours est entamée. Toute la germination est comme crispée dans

1143 est comme crispée dans son essor depuis le début de la tempête ; elle s’est mise sur la défensive. Et moi aussi, je ne pa

1144 s jours, le bateau n’a pas pu aborder l’île. Plus de courrier. On parle d’accidents. Pourvu que le manuscrit d’une traduct

1145 pas pu aborder l’île. Plus de courrier. On parle d’ accidents. Pourvu que le manuscrit d’une traduction « alimentaire » qu

1146 er. On parle d’accidents. Pourvu que le manuscrit d’ une traduction « alimentaire » que j’ai expédié il y a quatre jours, n

1147 ne pas, feuille à feuille, déshonorer les rivages de l’île ! S’il fallait encore le revoir ! (C’est sur le prix de ce trav

1148 ’il fallait encore le revoir ! (C’est sur le prix de ce travail, payé d’avance, que nous avons vécu depuis janvier, je cro

1149 e revoir ! (C’est sur le prix de ce travail, payé d’ avance, que nous avons vécu depuis janvier, je crois que j’avais omis

1150 ns vécu depuis janvier, je crois que j’avais omis de le noter jusqu’ici.) 2 avril 1934 Voici l’île purifiée et rajeu

1151 s jours. Labouré et dessiné des planches, arraché de vieilles souches, dégagé les plates-bandes couvertes de feuilles mort

1152 illes souches, dégagé les plates-bandes couvertes de feuilles mortes. Il me semble souvent que plus je travaille de mes ma

1153 ortes. Il me semble souvent que plus je travaille de mes mains, plus il me vient d’idées fermes et utilisables. Est-ce que

1154 plus je travaille de mes mains, plus il me vient d’ idées fermes et utilisables. Est-ce que les vraies idées viendraient d

1155 es mains ? On le croirait à voir l’amaigrissement de la pensée des clercs aux mains débiles qui ratiocinent dans les revue

1156 d nous étions adolescents, chose nouvelle au goût de souvenir, que trop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’he

1157 nts, chose nouvelle au goût de souvenir, que trop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’impi

1158 de souvenir, que trop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’indi

1159 rop de téléphones, à la ville, de tout à l’heure, d’ heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’indifférence avaient re

1160 léphones, à la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’indifférence avaient repoussée d

1161 la ville, de tout à l’heure, d’heures de bureau, d’ impitoyables rendez-vous d’indifférence avaient repoussée dans nos lom

1162 e, d’heures de bureau, d’impitoyables rendez-vous d’ indifférence avaient repoussée dans nos lombes ; cette chose toujours

1163 chose toujours neuve et nouvelle qu’est l’attente d’ on ne sait quoi. Condition véritable de l’homme : il est celui qui ag

1164 l’attente d’on ne sait quoi. Condition véritable de l’homme : il est celui qui agit dans l’attente. Il attend des révélat

1165  ? Si je gratte pendant des heures ce coin réduit de terre caillouteuse, c’est pour un printemps qui viendra. C’est pour g

1166 ne l’avenir, et l’imagine nécessairement sur fond de mort. (La jeunesse qui est l’âge de l’attente la plus ardente de la v

1167 ment sur fond de mort. (La jeunesse qui est l’âge de l’attente la plus ardente de la vie est aussi l’âge le plus familier

1168 unesse qui est l’âge de l’attente la plus ardente de la vie est aussi l’âge le plus familier avec la mort.) Ainsi nos gest

1169 nt inacceptable, qui ne s’ouvre pas sur l’attente d’ une révélation à venir, et d’une « consolation » finale. (Consolation

1170 re pas sur l’attente d’une révélation à venir, et d’ une « consolation » finale. (Consolation signifiant selon l’étymologie

1171 attente…) 7 avril 1934 Recette pour vivre de peu. La première condition c’est de gagner peu. (J’ai écrit cela, je

1172 te pour vivre de peu. La première condition c’est de gagner peu. (J’ai écrit cela, je me le rappelle, peu de temps après n

1173 ppelle, peu de temps après notre arrivée, en haut d’ une page que je retrouve dans une pile de notes. La page est restée bl

1174 en haut d’une page que je retrouve dans une pile de notes. La page est restée blanche. Et, toute réflexion faite, c’est b

1175 lacune dans ces notes : je n’ai pas encore parlé de la poule, la triste et digne poule noire qui habite seule au bout du

1176 là qu’hier, elle a pondu. Et ce matin de nouveau. De très gros œufs, me semble-t-il. (Où va se loger la vanité !) — Le pèr

1177 ardin (Je rapprends avec plaisir les petits trucs de plantage que je savais dans mon enfance campagnarde). Comme je lui of

1178 me je lui offrais une cigarette il s’est redressé d’ un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis longtemps ! — 

1179 offrais une cigarette il s’est redressé d’un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis longtemps ! — Ça vous f

1180 edressé d’un air de défi : « Non, non. J’ai cessé de fumer depuis longtemps ! — Ça vous faisait mal à la gorge ? — Non, j’

1181 a vous faisait mal à la gorge ? — Non, j’ai cessé d’ acheter des cigarettes, je fumais des jaunes comme celles-là, le jour

1182 mme celles-là, le jour où l’État les a augmentées de deux sous parce qu’il avait pris le monopole. Ça n’est pas les deux s

1183 nd je me tire du livre que j’écris — sur la crise de la culture — pour causer avec la laitière ou la factrice, ou le posti

1184 t assez normal, il y a l’obstacle du vocabulaire, d’ une certaine technique des idées, etc., mais encore ils ne comprendrai

1185 etc., mais encore ils ne comprendraient pas même de quoi il s’agit quand je parle d’eux, précisément, et des problèmes qu

1186 draient pas même de quoi il s’agit quand je parle d’ eux, précisément, et des problèmes qui intéressent leur existence. J’a

1187 liquer chaque terme. Ils n’y reconnaîtraient rien de ce qui les « soucie », amuse, occupe, ou intéresse. Vraiment non, ce

1188 ent non, ce chapitre sur « l’origine rationaliste de la scission entre la culture et le peuple » cela ne peut accrocher à

1189 arbe et sa casquette, et qui continue à me parler de la pêche, de son filet qui a été emporté hier, etc. Quel sens concret

1190 squette, et qui continue à me parler de la pêche, de son filet qui a été emporté hier, etc. Quel sens concret cela peut-il

1191 é hier, etc. Quel sens concret cela peut-il avoir de parler de la « scission » entre cet homme et la culture ? N’y a-t-il

1192 c. Quel sens concret cela peut-il avoir de parler de la « scission » entre cet homme et la culture ? N’y a-t-il pas là deu

1193 N’y a-t-il pas là deux mondes qui n’ont jamais eu de contact, ni jamais de commune mesure ? Mais je suis homme aussi bien

1194 mondes qui n’ont jamais eu de contact, ni jamais de commune mesure ? Mais je suis homme aussi bien qu’eux. Et ce que j’éc

1195 entier, en tant qu’homme. Donc j’ai bien le droit de parler aussi de leurs problèmes. Mais encore je le fais d’une manière

1196 qu’homme. Donc j’ai bien le droit de parler aussi de leurs problèmes. Mais encore je le fais d’une manière qui leur paraît

1197 aussi de leurs problèmes. Mais encore je le fais d’ une manière qui leur paraîtra sans doute beaucoup plus absurde que les

1198 ans doute beaucoup plus absurde que les simagrées d’ un sorcier à un nègre. J’essaie de résoudre un problème que je dis les

1199 e les simagrées d’un sorcier à un nègre. J’essaie de résoudre un problème que je dis les concerner, et dont aucun d’entre

1200 s le mot « peuple » dans mon livre, par une série de noms propres d’hommes du peuple que j’ai connus, est-ce que mes raiso

1201 e » dans mon livre, par une série de noms propres d’ hommes du peuple que j’ai connus, est-ce que mes raisonnements ne para

1202 Je reviens à mes pages, bien décidé à les refaire de fond en comble, à simplifier, à concrétiser, à essayer de les rendre

1203 en comble, à simplifier, à concrétiser, à essayer de les rendre telles qu’elles puissent, je ne dis pas : être comprises,

1204 Eh bien, voilà le résultat : après une demi-heure de relecture attentive, j’ai rajouté quelques virgules, précisé quelques

1205 Je me dis que cette impression-là et l’inquiétude de tout à l’heure s’excluent en fait. Mais je n’arrive plus du tout à re

1206 je n’arrive plus du tout à retrouver ce sentiment d’ absurdité que provoquait en moi précisément, la présence physique d’un

1207 ovoquait en moi précisément, la présence physique d’ un homme, confrontée avec les idées que j’avais en tête. Il y a probab

1208 rdité que j’éprouvais, mais aussi l’impossibilité de la « sentir » avec quelque vivacité, sauf par éclairs, dans la rue pa

1209 retrouver le souvenir autrement que par un effort de réflexion qui me laisse assez froid. La culture m’a repris. Je suis d

1210 la thèse que je défends est vraie !… Il y aurait de quoi s’arrêter de penser, si l’on pouvait. C’est pourquoi Descartes n

1211 éfends est vraie !… Il y aurait de quoi s’arrêter de penser, si l’on pouvait. C’est pourquoi Descartes ne voyait rien ni p

1212 ais me promener tous les jours parmi la confusion d’ un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez f

1213 parmi la confusion d’un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez faire dans vos allées ; et je n’

1214 sion d’un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez faire dans vos allées ; et je n’y considère pa

1215 ce Journal ! Mais nous, nous chercherons le salut de la pensée ailleurs que dans la fuite devant ce qui la met en question

1216 Programme : Ne plus rien écrire sans tenir compte de l’existence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’institut

1217 sans tenir compte de l’existence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au mo

1218 pte de l’existence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que

1219 tence du père Renaud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de K

1220 aud, de l’épicière, de M. Palut, de l’instituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume

1221 ituteur de Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable

1222 e Vendée, etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence

1223 etc., etc. Au moins autant que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence Sterne. L

1224 t que de celle de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence Sterne. Le principe de toute cultur

1225 le de Kant, de Guillaume Apollinaire, de Marx, ou de l’inimitable Laurence Sterne. Le principe de toute culture véritable

1226 , ou de l’inimitable Laurence Sterne. Le principe de toute culture véritable n’est-il pas cette commune mesure, sinon de r

1227 éritable n’est-il pas cette commune mesure, sinon de raisons formulables, du moins… d’angoisse, ou de vision finale, qu’il

1228 e mesure, sinon de raisons formulables, du moins… d’ angoisse, ou de vision finale, qu’il s’agit de maintenir par un consta

1229 de raisons formulables, du moins… d’angoisse, ou de vision finale, qu’il s’agit de maintenir par un constant effort entre

1230 ns… d’angoisse, ou de vision finale, qu’il s’agit de maintenir par un constant effort entre nos belles séries de pensées e

1231 ir par un constant effort entre nos belles séries de pensées et la diversité désordonnée des êtres et des choses, où nous

1232 rité, que si je me sens et me connais participant de ce monde « mal compassé ». (Je puis le connaître par le moyen de ma r

1233 al compassé ». (Je puis le connaître par le moyen de ma révolte, sans pour autant cesser d’y être pris). Descartes prétend

1234 r le moyen de ma révolte, sans pour autant cesser d’ y être pris). Descartes prétendait le fuir par ce biais de ne le point

1235 pris). Descartes prétendait le fuir par ce biais de ne le point regarder. La vue d’un homme de chair et d’os eût porté la

1236 fuir par ce biais de ne le point regarder. La vue d’ un homme de chair et d’os eût porté la déroute en son système. Mais no

1237 biais de ne le point regarder. La vue d’un homme de chair et d’os eût porté la déroute en son système. Mais nous, serons-

1238 le point regarder. La vue d’un homme de chair et d’ os eût porté la déroute en son système. Mais nous, serons-nous assez f

1239 me souvenir qu’il allait à peu près dans le sens de ce que j’ai noté hier ici. « Les sciences traictent les choses trop f

1240  Les sciences traictent les choses trop finement, d’ une mode artificielle, et différente à la commune et naturelle. Mon pa

1241 ntend : lisez-lui Léon Hebreu et Ficin ; on parle de luy, de ses pensées et de ses actions, et si n’y entend rien. Ie ne r

1242 lisez-lui Léon Hebreu et Ficin ; on parle de luy, de ses pensées et de ses actions, et si n’y entend rien. Ie ne recognoy

1243 reu et Ficin ; on parle de luy, de ses pensées et de ses actions, et si n’y entend rien. Ie ne recognoy pas chez Aristote

1244 vements ordinaires, on les a couverts et revestus d’ une aultre robe, pour l’usage de l’eschole : Dieu leur doint bien fair

1245 verts et revestus d’une aultre robe, pour l’usage de l’eschole : Dieu leur doint bien faire ! Si i’estoy du mestier, ie na

1246 artializent la nature. » Mais le malheur du jour d’ aujourd’hui, c’est que le peuple qui lit les journaux a l’esprit plus

1247 Et quand ceux-ci « naturalizent », on les accuse d’ artifice. Pourquoi s’obstineraient-ils à parler peuple à un peuple hab

1248 , planté des choux, enfoncé une à une des graines de haricots dans un sillon tiré à la ficelle. Plaisir d’avoir les doigts

1249 aricots dans un sillon tiré à la ficelle. Plaisir d’ avoir les doigts et les ongles terreux ; toujours ce goût d’enfance…

1250 s doigts et les ongles terreux ; toujours ce goût d’ enfance… Je ne me sens plus « éloigné de Paris », mais au centre de m

1251 ce goût d’enfance… Je ne me sens plus « éloigné de Paris », mais au centre de mon domaine, et c’est Paris qui est loin m

1252 me sens plus « éloigné de Paris », mais au centre de mon domaine, et c’est Paris qui est loin maintenant, peu vraisemblabl

1253 qui baigne le jardin fleuri, éclate sur la façade de la maison plus claire que le ciel vide, et illumine la goutte rose d’

1254 aire que le ciel vide, et illumine la goutte rose d’ une fourmi ailée qui danse au-dessus de mon verre de vin blanc. Mai

1255 outte rose d’une fourmi ailée qui danse au-dessus de mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer est d’un vert-bleu cray

1256 une fourmi ailée qui danse au-dessus de mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer est d’un vert-bleu crayeux, très fro

1257 mon verre de vin blanc. Mai 1934 La mer est d’ un vert-bleu crayeux, très froide encore. On ne peut guère que se trem

1258 lancs au-delà des lagunes transfigurés en mirages de Venise. Une odeur forte de varech séché vient des champs et des vigne

1259 ransfigurés en mirages de Venise. Une odeur forte de varech séché vient des champs et des vignes sablonneuses. 14-16 ma

1260 s vignes sablonneuses. 14-16 mai 1934 Idée d’ une littérature à venir. — Je lis le Goethe de Gundolf avec une sorte

1261 nir. — Je lis le Goethe de Gundolf avec une sorte de passion jalouse pour l’homme, avec ce même « intérêt personnel » que

1262 les Affinités électives. Goethe apparaît au seuil de l’ère moderne comme le seul homme qui ait su être utile avec grandeur

1263 i7, le « beau travail » du vivre goethéen n’ayant de fin que dans l’individu le plus parfait de son espèce, dont le sépare

1264 ’ayant de fin que dans l’individu le plus parfait de son espèce, dont le sépare enfin cette perfection… Telle est la formu

1265 cette perfection… Telle est la formule à la fois de la mission et des limites de Goethe. Et c’est là qu’il nous faut repr

1266 la formule à la fois de la mission et des limites de Goethe. Et c’est là qu’il nous faut reprendre, avec une patience obst

1267 ée malgré tant de grossières menaces, l’éducation de ce petit coin de conscience humaine qui nous est accessible en Occide

1268 grossières menaces, l’éducation de ce petit coin de conscience humaine qui nous est accessible en Occident. Le romantisme

1269 t accessible en Occident. Le romantisme s’évapore de nos vies. L’esprit pur a cessé de nous séduire : nous posons nos rega

1270 tisme s’évapore de nos vies. L’esprit pur a cessé de nous séduire : nous posons nos regards à hauteur d’homme. Et nous voy

1271 nous séduire : nous posons nos regards à hauteur d’ homme. Et nous voyons un monde neuf où la pensée avait perdu, depuis u

1272 pensée avait perdu, depuis un siècle, la coutume de chercher ses résistances. Or ce monde nous apparaît démesurément agra

1273 , notre perfectionnement nous ont si bien séparés de cela qu’il nous semble parfois qu’il n’est plus qu’une alternative de

1274 emble parfois qu’il n’est plus qu’une alternative de manœuvre : nous laisser prendre par la foule, dont le torrent arrondi

1275 lines partisanes, ou bien fuir à l’écart, essayer de prolonger encore les anciens jeux, de subtiliser un peu plus, de raff

1276 rt, essayer de prolonger encore les anciens jeux, de subtiliser un peu plus, de raffiner cet examen que la pensée « libre 

1277 core les anciens jeux, de subtiliser un peu plus, de raffiner cet examen que la pensée « libre » fait d’elle-même, cette c

1278 raffiner cet examen que la pensée « libre » fait d’ elle-même, cette connaissance de l’homme qui ne « connaît » pas en act

1279 ée « libre » fait d’elle-même, cette connaissance de l’homme qui ne « connaît » pas en acte, qui se souvient seulement d’a

1280  connaît » pas en acte, qui se souvient seulement d’ avoir connu… Dans les deux cas, il ne s’agit au fond que de refuges, d

1281 onnu… Dans les deux cas, il ne s’agit au fond que de refuges, de facilité. C’est refuser le conflit, non le résoudre. Car

1282 es deux cas, il ne s’agit au fond que de refuges, de facilité. C’est refuser le conflit, non le résoudre. Car la question,

1283 e, maîtresse du corps. L’alternative que je viens d’ indiquer — engagement dans la masse, ou refuge dans l’esprit pur — ne

1284 vant soi-même ou devant le monde. Il serait temps d’ envisager maintenant comment l’homme peut être présent au monde et à s

1285 er. Et c’est pourquoi je pense qu’il nous est bon de reprendre aujourd’hui son problème, là où il l’a porté, et dans ses t

1286 la trace des grands individus. La définition même de l’homme, ce qu’il a proprement d’humain, c’est cette tension entre le

1287 définition même de l’homme, ce qu’il a proprement d’ humain, c’est cette tension entre les autres et lui, et le problème es

1288 nsion entre les autres et lui, et le problème est de trouver, tout en marchant, un équilibre entre ces forces antagonistes

1289 hant, un équilibre entre ces forces antagonistes, de telle façon que loin de se nier ou de s’exclure, elles s’éduquent et

1290 tagonistes, de telle façon que loin de se nier ou de s’exclure, elles s’éduquent et se forment l’une par l’autre. Mais l’i

1291 pôles, société et individu, a varié depuis Goethe d’ une manière appréciable. Les suites et les retentissements d’une varia

1292 re appréciable. Les suites et les retentissements d’ une variation de cette nature font voir qu’elle est le vrai ressort de

1293 Les suites et les retentissements d’une variation de cette nature font voir qu’elle est le vrai ressort de toute l’Histoir

1294 ette nature font voir qu’elle est le vrai ressort de toute l’Histoire. ⁂ Goethe vivait dans un ordre social dont les signe

1295 ire ? c’est qu’il tombe en soi. Il n’y trouve pas de quoi durer, ni rien de ferme où poser le pied. Il se donne tort, et n

1296 en soi. Il n’y trouve pas de quoi durer, ni rien de ferme où poser le pied. Il se donne tort, et non au monde. Tout le pr

1297 se donne tort, et non au monde. Tout le problème de l’équilibre goethéen se pose à partir de Werther, contre lui, ou plut

1298 r, contre lui, ou plutôt contre sa mort. Le moyen de vivre — de survivre à Werther — et de supporter la condition sociale,

1299 ui, ou plutôt contre sa mort. Le moyen de vivre —  de survivre à Werther — et de supporter la condition sociale, ce sera po

1300 t. Le moyen de vivre — de survivre à Werther — et de supporter la condition sociale, ce sera pour Goethe, désormais, de se

1301 ondition sociale, ce sera pour Goethe, désormais, de se construire un ordre individuel aussi solide et organique que celui

1302 onner à ses relations avec le monde : le commerce de la société, l’action et le service d’autrui lui demeurent indispensab

1303 le commerce de la société, l’action et le service d’ autrui lui demeurent indispensables, non point qu’il voie en eux sa fi

1304 x sa fin, mais parce que seuls ils lui permettent de se réaliser, de se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de

1305 arce que seuls ils lui permettent de se réaliser, de se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de sa jeunesse inoc

1306 lui permettent de se réaliser, de se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de sa jeunesse inoccupée, enfin de do

1307 se construire, de maîtriser l’anarchie intérieure de sa jeunesse inoccupée, enfin de dominer dans l’espace d’une seule vie

1308 archie intérieure de sa jeunesse inoccupée, enfin de dominer dans l’espace d’une seule vie ce romantisme où trois générati

1309 eunesse inoccupée, enfin de dominer dans l’espace d’ une seule vie ce romantisme où trois générations vont se débattre et s

1310 on avec le monde, la société, et la nature ; mais de cette relation, de cette tension, la résultante sera constamment diri

1311 a société, et la nature ; mais de cette relation, de cette tension, la résultante sera constamment dirigée vers lui-même,

1312 ent organisé et autonome. L’admirable objectivité de son regard n’est en fin de compte qu’une discipline éducative dont il

1313 x phrases splendides : « J’ai considéré tout cela d’ un regard tranquille et subtil, et je me suis réjoui de cette grande e

1314 regard tranquille et subtil, et je me suis réjoui de cette grande existence. » « Je me suis hâté d’aller voir la place Sai

1315 ui de cette grande existence. » « Je me suis hâté d’ aller voir la place Saint-Marc, et mon esprit maintenant est enrichi e

1316 , et mon esprit maintenant est enrichi et agrandi de cette image. » Le regard qu’il porte sur le monde est l’un des plus p

1317 ne point sentir le précepte individuel, la leçon de sagesse intérieure qui se dégage de ses descriptions et les affecte e

1318 uel, la leçon de sagesse intérieure qui se dégage de ses descriptions et les affecte encore d’un sens certain : « À part l

1319 dégage de ses descriptions et les affecte encore d’ un sens certain : « À part l’église Saint-Marc, je n’ai visité aucun b

1320 de masse ! Et une existence nécessaire, dépourvue d’ arbitraire. Cette peuplade ne s’est pas réfugiée sur ces îles pour son

1321 caprice… » « Une existence nécessaire, dépourvue d’ arbitraire », voilà la leçon qu’il se répète pour lui-même, l’idéal qu

1322 me, l’idéal qu’il a su opposer au Sturm und Drang de sa jeunesse. Mais encore une fois il s’agit pour lui d’une nécessité

1323 jeunesse. Mais encore une fois il s’agit pour lui d’ une nécessité tout intérieure, d’une loi comparable à celles qu’il a s

1324 s’agit pour lui d’une nécessité tout intérieure, d’ une loi comparable à celles qu’il a su découvrir dans les plantes : lo

1325 elles qu’il a su découvrir dans les plantes : loi de la forme organisatrice de l’individu autonome. ⁂ Inverser les données

1326 dans les plantes : loi de la forme organisatrice de l’individu autonome. ⁂ Inverser les données du problème goethéen, tou

1327 lème actuel. Notre pensée nous donne des modèles d’ ordre que la société toute défaite qui est la nôtre ne paraît plus cap

1328 e défaite qui est la nôtre ne paraît plus capable de subir. Il y a, ou tout au moins il peut y avoir beaucoup plus d’ordre

1329 a, ou tout au moins il peut y avoir beaucoup plus d’ ordre en nous que dans le monde. Le vertige est à l’extérieur. Et lors

1330 masquons son arbitraire, nous refusons les règles de son jeu, et la plupart de ses établissements ne sont pour nous que si

1331 es individu et société. Mais sa résultante change de signe : elle pointe sa flèche contre la société8. Nous ne pouvons nou

1332 t se passe comme si le but final était bien moins de nous réaliser que d’informer un monde neuf, qui enfin nous paraisse a

1333 e but final était bien moins de nous réaliser que d’ informer un monde neuf, qui enfin nous paraisse acceptable. Les « leço

1334 ue nous tirons aujourd’hui du spectacle des gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons

1335 ns aujourd’hui du spectacle des gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne sont plus

1336 tacle des gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne sont plus destinées à notre seu

1337 gens, de l’examen de leurs coutumes, ou de celui de leurs raisons, ces leçons ne sont plus destinées à notre seul usage i

1338 otre seul usage interne : elles prennent l’allure de revendications contre le désordre établi. De ce simple changement de

1339 lure de revendications contre le désordre établi. De ce simple changement de signe dont l’importance nous est encore incal

1340 ontre le désordre établi. De ce simple changement de signe dont l’importance nous est encore incalculable, je voudrais ind

1341 es : son contrecoup dans la littérature. L’effort de Goethe contre lui-même vise à la création d’un ordre interne, d’une o

1342 fort de Goethe contre lui-même vise à la création d’ un ordre interne, d’une objectivité intime. Les témoignages les plus c

1343 e lui-même vise à la création d’un ordre interne, d’ une objectivité intime. Les témoignages les plus convaincants de cet o

1344 ité intime. Les témoignages les plus convaincants de cet ordre, et qui le confirment le mieux, ce sont les œuvres. Une œuv

1345 . Une œuvre littéraire, pour Goethe, joue le rôle d’ un objet exemplaire : c’est un modèle de composition disciplinée et or

1346 e le rôle d’un objet exemplaire : c’est un modèle de composition disciplinée et organique. Iphigénie ou Les affinités élec

1347 es affinités électives sont à la fois des preuves d’ une maîtrise de soi-même déjà conquise, et des moyens de la parfaire e

1348 ectives sont à la fois des preuves d’une maîtrise de soi-même déjà conquise, et des moyens de la parfaire en l’enseignant.

1349 maîtrise de soi-même déjà conquise, et des moyens de la parfaire en l’enseignant. Ce que Goethe doit au monde, c’est de de

1350 l’enseignant. Ce que Goethe doit au monde, c’est de devenir Goethe. Il doit montrer l’exemple d’un individu qui a su tire

1351 ’est de devenir Goethe. Il doit montrer l’exemple d’ un individu qui a su tirer du monde où il est né les nourritures les p

1352 ant vis-à-vis de lui-même comme il fait vis-à-vis d’ un « sujet ». Mais, tout inverse, notre effort contre le monde vise à

1353 notre effort contre le monde vise à l’affirmation d’ un ordre externe, d’une communauté vivante. Les témoignages que nous d

1354 le monde vise à l’affirmation d’un ordre externe, d’ une communauté vivante. Les témoignages que nous devons porter en fave

1355 t ordre à créer ne pourront plus revêtir la forme d’ œuvres closes, suffisantes en soi, objectives : car prétendant à servi

1356 ntes en soi, objectives : car prétendant à servir de modèles, de telles œuvres auraient d’autant moins de puissance exempl

1357 objectives : car prétendant à servir de modèles, de telles œuvres auraient d’autant moins de puissance exemplaire et d’ef

1358 nt à servir de modèles, de telles œuvres auraient d’ autant moins de puissance exemplaire et d’efficace qu’elles seraient p

1359 modèles, de telles œuvres auraient d’autant moins de puissance exemplaire et d’efficace qu’elles seraient plus parfaites,

1360 uraient d’autant moins de puissance exemplaire et d’ efficace qu’elles seraient plus parfaites, c’est-à-dire détachées de n

1361 s seraient plus parfaites, c’est-à-dire détachées de nos contingences présentes. Faites pour durer, elles resteraient des

1362 s puissions prétendre offrir, ce sont les preuves de notre engagement dans la réalité vulgaire du monde actuel. Si nous de

1363 ons quelque chose à ce monde, c’est notre volonté de le changer, de le connaître afin de le changer, de le connaître en ta

1364 se à ce monde, c’est notre volonté de le changer, de le connaître afin de le changer, de le connaître en tant que notre ac

1365 e le changer, de le connaître afin de le changer, de le connaître en tant que notre action peut modifier le sort de ses vi

1366 re en tant que notre action peut modifier le sort de ses victimes, dont nous sommes. Je vois alors une littérature de tran

1367 , dont nous sommes. Je vois alors une littérature de transition dont l’ambition ne sera plus de faire des œuvres (au sens

1368 rature de transition dont l’ambition ne sera plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’être à tout moment à l’œuvre

1369 ra plus de faire des œuvres (au sens ancien) mais d’ être à tout moment à l’œuvre toujours ouverte vers le monde, trop près

1370 iscontinuités, par là très infidèle aux préceptes de « l’Art », mais découvrant peut-être au-delà, dans les conditions mêm

1371 rant peut-être au-delà, dans les conditions mêmes de son action, un nouveau style, plus efficace et plus intime. Je ne voi

1372 ces formes étaient exclusives, elles souffriront de cette nouveauté, c’est à prévoir. Un écrivain qui se rend compte du p

1373 eut plus s’adonner sans scrupules à certains jeux d’ un art hautain, fermé sur soi. Je ne dis pas qu’il en soit incapable,

1374 Goethe encore doit choisir ses sujets et le cadre de ses pensées dans un certain ordre « élevé » où certaines harmonies so

1375 ce élaborées : antiquité, société policée, objets d’ art, paysages célèbres, tout ce qui met une certaine distance entre le

1376 os contacts humains les plus banals ! Nous serons d’ autant plus assurés de le toucher utilement que nous aurons moins calc

1377 s plus banals ! Nous serons d’autant plus assurés de le toucher utilement que nous aurons moins calculé le mode et le lieu

1378 ns moins calculé le mode et le lieu des contacts. D’ où je vois naître une littérature de circonstances, et de circonstance

1379 des contacts. D’où je vois naître une littérature de circonstances, et de circonstances non choisies, de rencontres, une s

1380 vois naître une littérature de circonstances, et de circonstances non choisies, de rencontres, une sorte de perpétuel jou

1381 circonstances, et de circonstances non choisies, de rencontres, une sorte de perpétuel journal de nos relations avec le m

1382 constances non choisies, de rencontres, une sorte de perpétuel journal de nos relations avec le monde, empruntant toutes l

1383 es, de rencontres, une sorte de perpétuel journal de nos relations avec le monde, empruntant toutes les formes qu’on voudr

1384 rien ne saurait mieux la provoquer à l’invention de prises nouvelles ou de vérités plus touchantes que cette découverte d

1385 la provoquer à l’invention de prises nouvelles ou de vérités plus touchantes que cette découverte du monde à un niveau où

1386 lle n’est pas connue, où elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de

1387 s connue, où elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dan

1388 ù elle n’a pas encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dans le monde

1389 as encore posé de repères, de relais, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dans le monde quotidien, c

1390 is, de miroirs, de faux-semblants. Cette descente de l’esprit dans le monde quotidien, c’est le vrai progrès de l’esprit,

1391 it dans le monde quotidien, c’est le vrai progrès de l’esprit, c’est l’ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et d

1392 st le vrai progrès de l’esprit, c’est l’ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et de tendresse réelle », notre rép

1393 prit, c’est l’ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et de tendresse réelle », notre réponse d’homme à toute la cr

1394 ouverture de notre vie aux « influx de vigueur et de tendresse réelle », notre réponse d’homme à toute la création, longte

1395 e vigueur et de tendresse réelle », notre réponse d’ homme à toute la création, longtemps trompée dans son « attente ardent

1396 1934 Pêche aux crevettes. — Pendant les jours de grande marée, entre deux flux, d’immenses plateaux rocheux, pourpres,

1397 ndant les jours de grande marée, entre deux flux, d’ immenses plateaux rocheux, pourpres, jaunes et noirs se révèlent au-de

1398 ux, pourpres, jaunes et noirs se révèlent au-delà de la plage, nouveau pays tout grouillant de merveilles, d’eaux ruissela

1399 au-delà de la plage, nouveau pays tout grouillant de merveilles, d’eaux ruisselantes et de vies monstrueuses, soudain port

1400 lage, nouveau pays tout grouillant de merveilles, d’ eaux ruisselantes et de vies monstrueuses, soudain porté à la lumière

1401 grouillant de merveilles, d’eaux ruisselantes et de vies monstrueuses, soudain porté à la lumière de midi, comme un secre

1402 onné s’étale sous le grand rire des dieux ! Armés de treilles à long manche, les jambes nues, nous courons sur les roches

1403 ambes nues, nous courons sur les roches tapissées d’ algues sombres dont le crépitement sous nos pas fait fuir et choir de

1404 nt le crépitement sous nos pas fait fuir et choir de tous côtés de petits crabes. Des ruisseaux, des rivières impétueuses

1405 ent sous nos pas fait fuir et choir de tous côtés de petits crabes. Des ruisseaux, des rivières impétueuses parcourent ce

1406 dans l’eau jusqu’aux genoux, les jambes caressées de courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de «

1407 genoux, les jambes caressées de courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelque

1408 caressées de courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer q

1409 courants froids, de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer qui affleure l

1410 , de courants tièdes, de poissons, de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer qui affleure le tranchant du

1411 , de crabiots et de « laines ». À quelques mètres de la mer qui affleure le tranchant du plateau, la rivière s’élargit en

1412 ent la treille et l’égoutter. On ramène un paquet de varech, un ou deux crabes tout terreux, et parfois en se penchant sur

1413 ois en se penchant sur la treille, on voit bondir d’ un bord à l’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdât

1414 on voit bondir d’un bord à l’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdâtre qu’il faut attraper comme une m

1415 un bord à l’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdâtre qu’il faut attraper comme une mouche et qui vous

1416 ’autre quelque chose de transparent ou de rosé ou de verdâtre qu’il faut attraper comme une mouche et qui vous saute dans

1417 i vous saute dans la main et vous gratte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses pattes. On fourre cela dans l

1418 la main et vous gratte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses pattes. On fourre cela dans le sachet que l’on

1419 atte la paume de ses antennes, de ses écailles et de ses pattes. On fourre cela dans le sachet que l’on porte attaché à la

1420 ’on porte attaché à la ceinture et qui se remplit de tressaillements. Nous ne gardons que les plus belles crevettes, dites

1421 ttes, dites « bouquets », grosses comme le doigt, d’ un rose sombre, aux longues antennes grenat. Un jour nous avons pris u

1422 renat. Un jour nous avons pris une seiche énorme, de celles que les gens de l’île mangent (ils les coupent dans la longueu

1423 ns pris une seiche énorme, de celles que les gens de l’île mangent (ils les coupent dans la longueur et les conservent pou

1424 bauchée : un seul os aplati au milieu d’un paquet de chair dense et fade, et une tête aux gros yeux étalés, qui s’emboîte

1425 sur le reste on ne sait comment. C’est l’emblème de la rage imbécile : quand on la replonge dans l’eau elle vous éternue

1426 nous attardons encore à chercher dans les flaques d’ eau tiédie ou sous les pierres, des palourdes qu’on reconnaît aux deux

1427 rochées qu’elles ménagent dans le sable au-dessus d’ elles — ou des coutelets qui font un trou en forme de serrure — ou des

1428 l nous a fallu trois belles heures pour rapporter de quoi déjeuner, des coups de soleil, et ces visions éclatantes de la c

1429 heures pour rapporter de quoi déjeuner, des coups de soleil, et ces visions éclatantes de la côte, ce flamboiement de l’im

1430 r, des coups de soleil, et ces visions éclatantes de la côte, ce flamboiement de l’imagination… ⁂ On cuit les crevettes to

1431 es visions éclatantes de la côte, ce flamboiement de l’imagination… ⁂ On cuit les crevettes toutes vivantes, en les jetant

1432 les crevettes toutes vivantes, en les jetant dans de l’eau qui bout. Après des soubresauts terribles — une ou deux sautent

1433 t, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Je parlais de « l’attente ardente » des créatures, songeant au passage où l’Apôtre

1434 passage où l’Apôtre nous fait entendre ce soupir de toute la création vers la révélation des « enfants de lumière », et l

1435 oute la création vers la révélation des « enfants de lumière », et la restauration de l’ordre originel. Et voilà pratiquem

1436 on des « enfants de lumière », et la restauration de l’ordre originel. Et voilà pratiquement la réponse de l’homme : pilla

1437 ’ordre originel. Et voilà pratiquement la réponse de l’homme : pillage, ruses, destruction, dévoration, le tout accompagné

1438 uses, destruction, dévoration, le tout accompagné de sentiments « humains », admiration, répulsion, pitié, etc. En somme,

1439 cela me fend le cœur ! » Voilà la dernière trace de la conscience cosmique en nous, de la conscience de notre royauté néc

1440 dernière trace de la conscience cosmique en nous, de la conscience de notre royauté nécessaire et réparatrice. Il est prob

1441 la conscience cosmique en nous, de la conscience de notre royauté nécessaire et réparatrice. Il est probable que le tigre

1442 de déchiqueter une jeune gazelle ne fait pas tant d’ histoires, ne fait pas de sentiment. Et pourtant, ma sensiblerie n’est

1443 gazelle ne fait pas tant d’histoires, ne fait pas de sentiment. Et pourtant, ma sensiblerie n’est hypocrite que parce qu’e

1444 insuffisante. Elle est plus juste, et plus digne de l’homme que ces vertus de carnassiers que nous partageons, d’ailleurs

1445 us juste, et plus digne de l’homme que ces vertus de carnassiers que nous partageons, d’ailleurs maladroitement, avec le t

1446 , mon scrupule est contre nature. Et toute espèce de pacifisme ou d’humanitarisme, au bout du compte. C’est uniquement s’i

1447 st contre nature. Et toute espèce de pacifisme ou d’ humanitarisme, au bout du compte. C’est uniquement s’il y a dans l’hom

1448 ans l’homme une vocation surnaturelle, la mission de restaurer l’harmonie primitive, que ce scrupule se justifie : il appa

1449 er écho, le dernier reproche, la dernière plainte de la justice cosmique blessée. Comme une prière muette en moi, toute ma

1450 a question est tranchée ? Ou plutôt, il n’y a pas de question ? Et ceux qui se la posent — sans même parvenir à la résoudr

1451 ans même parvenir à la résoudre — sont simplement de pauvres types ? « Parlez-moi des avions de bombardement, de la sécuri

1452 lement de pauvres types ? « Parlez-moi des avions de bombardement, de la sécurité système si vis pacem, et du bifteck. Il

1453 types ? « Parlez-moi des avions de bombardement, de la sécurité système si vis pacem, et du bifteck. Il n’y a que ça de s

1454 tème si vis pacem, et du bifteck. Il n’y a que ça de sérieux. » L’homme est un animal raisonnable. C’est de plus en plus é

1455 nous en sont reconnaissantes. » (C. F. Ramuz). «  D’ autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n

1456 t plus nous connaissons les choses particulières, d’ autant plus nous connaissons Dieu » (Spinoza). « Tout l’univers s’adr

1457 e ineffable qui se fait entendre dans l’intérieur de son âme, dans une partie de son être inconnue à lui-même. Quoi de plu

1458 ndre dans l’intérieur de son âme, dans une partie de son être inconnue à lui-même. Quoi de plus simple que d’imaginer que

1459 être inconnue à lui-même. Quoi de plus simple que d’ imaginer que cet effort de la nature pour pénétrer en nous n’est pas s

1460 Quoi de plus simple que d’imaginer que cet effort de la nature pour pénétrer en nous n’est pas sans une mystérieuse signif

1461 « Car la création a été soumise à la vanité — non de son gré mais à cause de celui qui l’y a soumise — avec l’espérance qu

1462  — avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloi

1463 nce qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants d

1464 ude de la corruption pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or nous savons que jusqu’à ce jour, la

1465 avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or nous savons que jusqu’à ce jour, la création tout entière so

1466 tion tout entière soupire et souffre des douleurs de l’enfantement… Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. » (Roma

1467 et ce qui meurt qui nous émeut. Cette nuit, avant d’ aller me coucher, j’ai été voir encore au poulailler. (Nous attendions

1468 r une bougie, je réveille ma femme. Nous essayons de soulever par les ailes la poule, qui fait un caquet déchirant : elle

1469 elle serre entre ses pattes un œuf à demi-ouvert, d’ où sort un long cou maigre, tout humide. Un poulet gris, déjà séché, p

1470 de, et reprend, l’œil fixe, son travail invisible de mère. C’est beau. C’est fascinant. C’est grave et mystérieux, pacifia

1471 e et mystérieux, pacifiant comme la démonstration d’ une absolue sagesse à l’œuvre dans cette vie. Il y a sur toute la terr

1472 l’œuvre dans cette vie. Il y a sur toute la terre de ces moments de pureté. Il faut penser à eux quand on juge « le monde 

1473 tte vie. Il y a sur toute la terre de ces moments de pureté. Il faut penser à eux quand on juge « le monde »… Nous mangeon

1474 n’ont que quelques feuilles. Mais avec le produit de nos pêches, les bons de pain, le reste du tonneau de vin blanc, nous

1475 les. Mais avec le produit de nos pêches, les bons de pain, le reste du tonneau de vin blanc, nous pourrions subsister sans

1476 nos pêches, les bons de pain, le reste du tonneau de vin blanc, nous pourrions subsister sans argent pendant quelques sema

1477 eau, plus rien à espérer avant longtemps, en fait de « rentrées ». Le produit d’une traduction et de la correction d’un ma

1478 nt longtemps, en fait de « rentrées ». Le produit d’ une traduction et de la correction d’un manuscrit nous a fait vivre ju

1479 t de « rentrées ». Le produit d’une traduction et de la correction d’un manuscrit nous a fait vivre jusqu’en avril. Pendan

1480 . Le produit d’une traduction et de la correction d’ un manuscrit nous a fait vivre jusqu’en avril. Pendant ce temps, j’ai

1481 on s’en soit aperçu, il n’est plus guère possible de le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un peu d’argent. Tout cela m

1482 guère possible de le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un peu d’argent. Tout cela me rend plutôt irritable, intellect

1483 e le feindre, fût-ce pour tâcher de gagner un peu d’ argent. Tout cela me rend plutôt irritable, intellectuellement. Mauvai

1484 urrier, ou les journaux. C’est lassant, le manque d’ argent, à la longue. Et l’on voit trop de raisons de tous les ordres q

1485 e manque d’argent, à la longue. Et l’on voit trop de raisons de tous les ordres qui expliquent cette situation, et pourquo

1486 argent, à la longue. Et l’on voit trop de raisons de tous les ordres qui expliquent cette situation, et pourquoi elle ne c

1487 exemple, cela réussit ou rate, cela ne dépend pas de l’opinion. Ni de la bêtise plus ou moins spirituelle de, etc. Parlons

1488 ssit ou rate, cela ne dépend pas de l’opinion. Ni de la bêtise plus ou moins spirituelle de, etc. Parlons plutôt de nos ba

1489 pinion. Ni de la bêtise plus ou moins spirituelle de , etc. Parlons plutôt de nos bains, les premiers vrais bains de la sai

1490 plus ou moins spirituelle de, etc. Parlons plutôt de nos bains, les premiers vrais bains de la saison, à la Grande-Conche.

1491 ons plutôt de nos bains, les premiers vrais bains de la saison, à la Grande-Conche. Une plage immense, en arc de cercle, a

1492 on, à la Grande-Conche. Une plage immense, en arc de cercle, au pied des dunes, très doucement inclinée, et sans une pierr

1493 inclinée, et sans une pierre. Merveilleuse piste de bicyclette. Nous nous sommes procuré deux vieux clous tout rouillés.

1494 eux clous tout rouillés. Ils supportent très bien de rouler dans les minces nappes d’eau que poussent devant elles les gro

1495 ortent très bien de rouler dans les minces nappes d’ eau que poussent devant elles les grosses vagues. Entre la terre et l’

1496 le découvrons ! Touffu, feuillu et odorant, plein de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets,

1497 illu et odorant, plein de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glyci

1498 t, plein de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs

1499 de giroflées multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangée

1500 s multicolores, de capucines, de pois de senteur, d’ œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat,

1501 res, de capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne

1502 capucines, de pois de senteur, d’œillets, de pois d’ Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne sais pa

1503 de pois de senteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne sais pas les noms,

1504 nteur, d’œillets, de pois d’Espagne, de glycines, de fleurs orangées et grenat, dont je ne sais pas les noms, et de roses,

1505 ngées et grenat, dont je ne sais pas les noms, et de roses, et de roses trémières qui grandissent d’un pouce au moins pend

1506 at, dont je ne sais pas les noms, et de roses, et de roses trémières qui grandissent d’un pouce au moins pendant la nuit.

1507 t de roses, et de roses trémières qui grandissent d’ un pouce au moins pendant la nuit. Nous allumons une première cigarett

1508 à lire et à écrire sous les tilleuls, en maillot de bain. Beaucoup de moustiques et de fourmis ailées que j’essaie de tue

1509 ls, en maillot de bain. Beaucoup de moustiques et de fourmis ailées que j’essaie de tuer au fly-tox. Une araignée parfois

1510 p de moustiques et de fourmis ailées que j’essaie de tuer au fly-tox. Une araignée parfois descend au-dessus de ma page, p

1511 u fly-tox. Une araignée parfois descend au-dessus de ma page, pédale de toutes ses pattes dans le vide, remonte, retombe,

1512 gnée parfois descend au-dessus de ma page, pédale de toutes ses pattes dans le vide, remonte, retombe, et court sur la tab

1513 est trop forte. Je travaille dans la grande pièce de l’étage, où j’ai transporté ma table à tréteaux. Un de mes rêves s’es

1514 étage, où j’ai transporté ma table à tréteaux. Un de mes rêves s’est ainsi réalisé : écrire sur une table en sapin, dans u

1515 n 1934 Depuis que nous parcourons cette pointe de l’île à bicyclette, de la Grande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de

1516 us parcourons cette pointe de l’île à bicyclette, de la Grande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de pins à l’est et au Fier

1517 te, de la Grande-Conche, à l’ouest, jusqu’au bois de pins à l’est et au Fier, qui termine les marais, nous découvrons que

1518 bien étroit… Cela n’a plus la grandeur romantique de la désolation d’hiver. Et partout les cultivateurs, au travail sur le

1519 n’a plus la grandeur romantique de la désolation d’ hiver. Et partout les cultivateurs, au travail sur leurs petits champs

1520 ntent. Hier soir, j’avais fait une dernière revue de nos possibilités de subsister pendant les semaines qui viennent. Arti

1521 avais fait une dernière revue de nos possibilités de subsister pendant les semaines qui viennent. Articles, zéro. Traducti

1522 : néant. Reste : 90 francs. Une remarque ironique de ma femme sur mes petits comptes, avait amené la première explosion de

1523 petits comptes, avait amené la première explosion de mauvaise humeur contre « le sort » depuis sept à huit mois que nous s

1524 Je n’étais pas fier. Ce matin, nous avons décidé de réagir. Quand une auto risque de rater le tournant, emportée par la f

1525 ous avons décidé de réagir. Quand une auto risque de rater le tournant, emportée par la force centrifuge, il ne faut pas f

1526 . acheter des cigarettes. J’ai demandé à Mellouin d’ apporter un nouveau tonnelet. Et nous allions nous mettre à table pour

1527 a factrice. Une grosse enveloppe cachetée, venant de l’étranger. En-tête d’une fondation littéraire. Il faut d’abord signe

1528 enveloppe cachetée, venant de l’étranger. En-tête d’ une fondation littéraire. Il faut d’abord signer, c’est recommandé. En

1529 ut juste le nom. Que je n’aurais jamais eu l’idée de solliciter. Et qui m’est octroyé pour un petit livre paru sans bruit

1530 é pour un petit livre paru sans bruit il y a plus de dix-huit mois. Les hommes sont bons ! Du moins certains d’entre eux.

1531 e. Ensuite, j’ai calculé que cela nous permettait de passer l’été ici, sans inquiétude. Ou encore, de le passer ailleurs s

1532 de passer l’été ici, sans inquiétude. Ou encore, de le passer ailleurs sans ennui. 15 juin 1934 Bon vent du destin

1533 Bon vent du destin souffle encore : au courrier de midi, l’offre par une amie, d’une maison pour l’hiver prochain, dans

1534 core : au courrier de midi, l’offre par une amie, d’ une maison pour l’hiver prochain, dans le Gard. Autre lettre : une inv

1535 n’écrivais plus à personne. Je crois à la valeur d’ appel de l’absence, ou plutôt du retrait. (Il ne faut pas que ce soit

1536 ais plus à personne. Je crois à la valeur d’appel de l’absence, ou plutôt du retrait. (Il ne faut pas que ce soit une fein

1537 véritable non-espoir.) Équivalent, pour la façon de traiter la vie, de la médecine des homéopathes. 16 juin 1934 La

1538 ir.) Équivalent, pour la façon de traiter la vie, de la médecine des homéopathes. 16 juin 1934 La banque d’A. n’est

1539 ine des homéopathes. 16 juin 1934 La banque d’ A. n’est ouverte qu’un jour par semaine. Ce n’est qu’aujourd’hui que j

1540 passe sa portette et vient me prier à voix basse d’ aller attendre dans la pièce voisine. J’attends je ne sais combien de

1541 ns la pièce voisine. J’attends je ne sais combien de temps, je n’ai pas de montre, mais c’est très long. Aucun bruit de vo

1542 ’attends je ne sais combien de temps, je n’ai pas de montre, mais c’est très long. Aucun bruit de voix dans la salle de la

1543 pas de montre, mais c’est très long. Aucun bruit de voix dans la salle de la caisse. Le client est-il sorti ? Quel peut b

1544 ’est très long. Aucun bruit de voix dans la salle de la caisse. Le client est-il sorti ? Quel peut bien être le motif de c

1545 lient est-il sorti ? Quel peut bien être le motif de cette audience privée ? Enfin, j’entends qu’on sort, et le gérant vie

1546 . Notre affaire réglée, il croit devoir s’excuser de m’avoir fait passer à côté tout à l’heure. « Vous savez, c’est la cou

1547 s la salle quand ils payent ou quand ils touchent de l’argent. C’est qu’ils sont très spéciaux, les gens d’ici ! Moi je n’

1548 chaine sur le continent), ils n’auraient pas idée de ça, au contraire, ils sont tout fiers de venir à la banque. Ici, on a

1549 pas idée de ça, au contraire, ils sont tout fiers de venir à la banque. Ici, on a dû faire cette salle d’attente… » Autant

1550 venir à la banque. Ici, on a dû faire cette salle d’ attente… » Autant que j’en puis juger d’après les propos du gérant, ce

1551 tout légitime, qu’on sache combien ils ont « mis de côté », qui peut expliquer le comportement des gens d’ici. Il faut ad

1552 te tout à fait particulière s’attache au commerce de l’argent. 20 juin 1934 Les gens. — Je feuillette ce journal :

1553 plus guère à leurs affaires. J’ai pris mon parti de cet équilibre indifférent et cordial qui a fini par s’établir entre n

1554 s’établir entre nous ; et il ne reste que l’ennui de nos conversations toujours pareilles. Grande différence entre eux et

1555 r milieu, comme les animaux. Ils ne se posent pas de questions gênantes. Or, c’est mon métier d’en poser… Seule la maladie

1556 t pas de questions gênantes. Or, c’est mon métier d’ en poser… Seule la maladie les pousse à réfléchir un moment sur « ce q

1557 usse à réfléchir un moment sur « ce que c’est que de nous » ; la mère Renaud, par exemple, qui s’est fait opérer en mai, d

1558 enaud, par exemple, qui s’est fait opérer en mai, d’ un cancer au sein, vient parfois s’installer sur une chaise du jardin,

1559 haise du jardin, et parle un peu de l’au-delà, et d’ un sermon du curé, mais cela s’égare vite dans des généralités proverb

1560 erbiales, ou bien l’on retombe dans des histoires de fils ingrat, de nièce coureuse, etc. Les hommes sont ennuyeux les uns

1561 n l’on retombe dans des histoires de fils ingrat, de nièce coureuse, etc. Les hommes sont ennuyeux les uns pour les autres

1562 eux les uns pour les autres, dès qu’ils ont cessé de s’étonner les uns des autres, et qu’ils n’ont pas le même genre de mé

1563 uns des autres, et qu’ils n’ont pas le même genre de métier. Ce n’est pas la « classe » qui nous sépare ici, mais la profe

1564 les préoccupations professionnelles, et le défaut de buts communs surtout, je pense… Il vaut mieux partir quand on en est

1565 a situation n’est plus humaine, elle ne pose plus de questions utiles. 2 juillet 1934 La sécheresse a été la plus fo

1566 s n’avons plus la même patience, depuis qu’il y a de l’argent dans un tiroir. Cela signifie que j’ai cessé d’être chômeur.

1567 gent dans un tiroir. Cela signifie que j’ai cessé d’ être chômeur. Le départ est fixé au 10. Il va falloir vendre la poule

1568 nes pour être mangés. Régler vingt petites choses de cette espèce. Petites choses pour la première fois mesquines… 10 j

1569 icelé, cloué, transporté en brouette à la station de l’« hustubuse ». Il me reste à peu près deux heures, avant le départ,

1570 faire un peu de sentiment sur l’île, et le bilan de l’année écoulée. Bilan. — S’installer dans la pauvreté comme dans un

1571  S’installer dans la pauvreté comme dans un champ d’ activité nouveau, avec l’ardeur et les curiosités naïves du débutant,

1572 s naïves du débutant, cela suppose beaucoup moins de courage que bien des jeunes bourgeois ne l’imaginent : ceux qui voudr

1573 le saut. Peut-être leur suffirait-il, pour oser, d’ une vision précise de cet état qu’ils rêvent et craignent. Il me sembl

1574 eur suffirait-il, pour oser, d’une vision précise de cet état qu’ils rêvent et craignent. Il me semble que Proust dit à pe

1575 (dans un autre ordre). Si l’on trouve le courage de se mettre en route, c’est bien souvent à cause d’une seule image qui

1576 de se mettre en route, c’est bien souvent à cause d’ une seule image qui vous revient, l’image d’une action pratique que l’

1577 cause d’une seule image qui vous revient, l’image d’ une action pratique que l’on a déjà su accomplir au cours d’un précéde

1578 on pratique que l’on a déjà su accomplir au cours d’ un précédent voyage, et qui rassure… J’ai pensé plus d’une fois qu’il

1579 précédent voyage, et qui rassure… J’ai pensé plus d’ une fois qu’il pourrait être utile de décrire ma petite expérience d’i

1580 i pensé plus d’une fois qu’il pourrait être utile de décrire ma petite expérience d’intellectuel en chômage ; qu’il pourra

1581 urrait être utile de décrire ma petite expérience d’ intellectuel en chômage ; qu’il pourrait être utile de montrer qu’on p

1582 tellectuel en chômage ; qu’il pourrait être utile de montrer qu’on peut sortir des villes où se font les « carrières » san

1583 s villes où se font les « carrières » sans sortir de la vie véritable ; et qu’on peut vivre de très peu sans cesser de viv

1584 sortir de la vie véritable ; et qu’on peut vivre de très peu sans cesser de vivre son plein. Voici un an bientôt que j’ai

1585 ble ; et qu’on peut vivre de très peu sans cesser de vivre son plein. Voici un an bientôt que j’ai quitté Paris pour notre

1586 nt triste. Je suis devenu tout doucement amoureux de ma vie, et je crois bien que c’est un penchant qu’elle agrée. Non poi

1587 u’elle agrée. Non point qu’elle me paye en retour de surprises multipliées : peu d’aventures dans l’existence d’un homme q

1588 me paye en retour de surprises multipliées : peu d’ aventures dans l’existence d’un homme qui cherche à se posséder, plutô

1589 es multipliées : peu d’aventures dans l’existence d’ un homme qui cherche à se posséder, plutôt qu’à se fuir dans les hasar

1590 fuir dans les hasards. C’est sans doute un effet de la trentaine qui approche : je n’espère plus, comme à vingt ans, renc

1591 lle embuscade du destin, comme qui dirait au coin d’ un bois. Je crois que le réel est à portée de la main, et n’est que là

1592 coin d’un bois. Je crois que le réel est à portée de la main, et n’est que là. Alors il s’agit seulement d’assurer la pris

1593 main, et n’est que là. Alors il s’agit seulement d’ assurer la prise de cette main. C’est l’affaire d’une patience, ou d’u

1594 là. Alors il s’agit seulement d’assurer la prise de cette main. C’est l’affaire d’une patience, ou d’une impatience domin

1595 d’assurer la prise de cette main. C’est l’affaire d’ une patience, ou d’une impatience dominée, — et sans doute qu’une cert

1596 de cette main. C’est l’affaire d’une patience, ou d’ une impatience dominée, — et sans doute qu’une certaine pauvreté pouva

1597 ne réponse à son ennui — faut-il dire à sa peur — de vivre. Cette manière romantique, et somme toute vaniteuse, de tenter

1598 tte manière romantique, et somme toute vaniteuse, de tenter le destin « pour voir », qui est la manière des amateurs de vi

1599 in « pour voir », qui est la manière des amateurs de vie intense, trahit je crois d’assez banales complaisances. Et le des