1 1939, L’Amour et l’Occident. Avertissement
1 J’ai appelé « livres » les différentes parties de cet ouvrage, parce que chacune esquisse le contenu d’un volume de dim
2 et ouvrage, parce que chacune esquisse le contenu d’ un volume de dimensions ordinaires. Le grand nombre des faits et des t
3 parce que chacune esquisse le contenu d’un volume de dimensions ordinaires. Le grand nombre des faits et des textes cités,
4 e jeu des « leitmotive » entrelacés, risqueraient d’ égarer certains lecteurs si je ne donnais ici la clef de ma compositio
5 er certains lecteurs si je ne donnais ici la clef de ma composition. Le premier livre expose le contenu caché de la légend
6 osition. Le premier livre expose le contenu caché de la légende ou du mythe de Tristan. C’est une descente aux cercles suc
7 expose le contenu caché de la légende ou du mythe de Tristan. C’est une descente aux cercles successifs de la passion. Le
8 ristan. C’est une descente aux cercles successifs de la passion. Le dernier livre indique une attitude humaine diamétralem
9 ement opposée, et par là il achève la description de la passion, car on ne connaît vraiment que les choses dépassées, ou d
10 ant aux livres intermédiaires : le deuxième tente de remonter aux origines religieuses du mythe, tandis que les suivants d
11 ines les plus divers : mystique, littérature, art de la guerre, morale du mariage. ⁂ L’agrément de parler des choses de l’
12 art de la guerre, morale du mariage. ⁂ L’agrément de parler des choses de l’amour est un prétexte assez peu convaincant, l
13 ale du mariage. ⁂ L’agrément de parler des choses de l’amour est un prétexte assez peu convaincant, lorsqu’il s’agit d’un
14 prétexte assez peu convaincant, lorsqu’il s’agit d’ un volume aussi dense. Douteux avantage d’ailleurs : on rougirait de l
15 dense. Douteux avantage d’ailleurs : on rougirait de le partager avec tant d’auteurs à succès. Aussi me suis-je donné quel
16 ’ailleurs : on rougirait de le partager avec tant d’ auteurs à succès. Aussi me suis-je donné quelques difficultés. Je n’ai
17 Stendhal nommait l’amour-passion, mais j’ai tenté de le décrire comme un phénomène historique, d’origine proprement religi
18 enté de le décrire comme un phénomène historique, d’ origine proprement religieuse. Or les hommes, et les femmes, tolèrent
19 et les femmes, tolèrent fort bien que l’on parle d’ amour, et même ils ne s’en lassent jamais, si commun que soit le disco
20 s plaisirs, s’il devait leur en coûter la fatigue d’ une réflexion ». Il s’en suit que ce livre montrera sa nécessité dans
21 s la mesure où d’abord il déplaira ; et il n’aura d’ utilité que s’il convainc ceux qui auront pris conscience, en le lisan
22 en le lisant, des raisons qu’ils pouvaient avoir de le trouver d’abord déplaisant. Cette manière me vaudra bien des repro
23 n’ont jamais connu la vraie passion s’étonneront de m’y voir consacrer tout un livre. Les uns diront qu’à définir l’amour
24 savoir, peut-être, ou même guérir ? Je suis parti d’ un type de la passion telle que la vivent les Occidentaux, d’une forme
25 ut-être, ou même guérir ? Je suis parti d’un type de la passion telle que la vivent les Occidentaux, d’une forme extrême,
26 e la passion telle que la vivent les Occidentaux, d’ une forme extrême, exceptionnelle en apparences : le mythe de Tristan
27 extrême, exceptionnelle en apparences : le mythe de Tristan et Iseut. Il nous faut ce repère fabuleux, cet exemple éclata
28 cet exemple éclatant et « banal » — comme on dit d’ un four qu’il est banal, donc unique — si nous voulons comprendre dans
29 oulons comprendre dans nos vies le sens et la fin de la passion. Il est donc entendu que j’ai simplifié. Pourquoi perdre s
30 is dogmatisé, je n’en demanderai pardon qu’à ceux de mes lecteurs qui estimeront que mes stylisations font tort au sens pr
31 raîné par mes analyses dans des domaines réservés d’ ordinaire aux « spécialistes », j’ai profité autant que je l’ai pu des
32 que je l’ai pu des travaux réputés classiques, et de quelques autres ; et si je n’en ai cité qu’un nombre assez restreint,
33 n’est pas toujours par ignorance, mais par souci de m’en tenir à l’essentiel. Les spécialistes me pardonneront-ils d’avoi
34 l’essentiel. Les spécialistes me pardonneront-ils d’ avoir tenté un effort de synthèse que toute leur formation technique c
35 istes me pardonneront-ils d’avoir tenté un effort de synthèse que toute leur formation technique condamne ? À défaut d’une
36 oute leur formation technique condamne ? À défaut d’ une science universelle qu’il faudrait plusieurs vies pour maîtriser,
37 qu’il n’était besoin, et n’ai livré qu’un résumé de mes recherches. Ce compromis m’expose à un double péril. J’aurais peu
38 l’estime des spécialistes si je n’avais pas tiré de leurs travaux des conclusions… Dans cette situation fâcheuse, il ne m
39 ion fâcheuse, il ne me reste qu’un espoir : celui d’ instruire les lectrices tout en amusant les savants. J’ai vécu ce livr
40 escence et ma jeunesse ; je l’ai conçu sous forme d’ œuvre écrite, et nourri de quelques lectures, depuis deux ans ; enfin
41 e l’ai conçu sous forme d’œuvre écrite, et nourri de quelques lectures, depuis deux ans ; enfin je l’ai rédigé en quatre m
42 ai rédigé en quatre mois. Ceci me rappelle le mot de Vernet, à propos d’un tableau qu’il vendait assez cher : « Il m’a dem
43 l vendait assez cher : « Il m’a demandé une heure de travail, et toute la vie. » D. de R.
44 andé une heure de travail, et toute la vie. » D. de R.
2 1939, L’Amour et l’Occident. Livre premier. Le mythe de Tristan
45 Livre premierLe mythe de Tristan 1.Triomphe du roman, et ce qu’il cache « Seigneurs, vo
46 , et ce qu’il cache « Seigneurs, vous plaît-il d’ entendre un beau conte d’amour et de mort ?… » — Rien au monde ne saur
47 Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’ amour et de mort ?… » — Rien au monde ne saurait nous plaire davantage
48 vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ?… » — Rien au monde ne saurait nous plaire davantage. À tel poi
49 Tristan de Bédier doit passer pour le type idéal de la première phrase d’un roman. C’est le trait d’un art infaillible qu
50 t passer pour le type idéal de la première phrase d’ un roman. C’est le trait d’un art infaillible qui nous jette dès le se
51 de la première phrase d’un roman. C’est le trait d’ un art infaillible qui nous jette dès le seuil du conte dans l’état pa
52 jette dès le seuil du conte dans l’état passionné d’ attente où naît l’illusion romanesque. D’où vient ce charme ? Et quell
53 assionné d’attente où naît l’illusion romanesque. D’ où vient ce charme ? Et quelles complicités cet artifice de « rhétoriq
54 t ce charme ? Et quelles complicités cet artifice de « rhétorique profonde » sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’acco
55 » sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord d’ amour et de mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus
56 ejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord d’amour et de mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus profondes,
57 du roman. Il est d’autres raisons, plus secrètes, d’ y voir comme une définition de la conscience occidentale… Amour et mor
58 ons, plus secrètes, d’y voir comme une définition de la conscience occidentale… Amour et mort, amour mortel : si ce n’est
59 toute la poésie, c’est du moins tout ce qu’il y a de populaire, tout ce qu’il y a d’universellement émouvant dans nos litt
60 tout ce qu’il y a de populaire, tout ce qu’il y a d’ universellement émouvant dans nos littératures ; et dans nos plus viei
61 nos plus belles chansons. L’amour heureux n’a pas d’ histoire. Il n’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’a
62 ons. L’amour heureux n’a pas d’histoire. Il n’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condam
63 heureux n’a pas d’histoire. Il n’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condamné par la vie
64 ’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condamné par la vie même. Ce qui exalte le lyrisme
65 couple. C’est moins l’amour comblé que la passion d’ amour. Et passion signifie souffrance. Voilà le fait fondamental. Mais
66 otre éducation, dans les images qui font le décor de nos vies ; enfin le besoin d’évasion exaspéré par l’ennui mécanique,
67 s qui font le décor de nos vies ; enfin le besoin d’ évasion exaspéré par l’ennui mécanique, tout en nous et autour de nous
68 nous en sommes venus à voir en elle une promesse de vie plus vivante, une puissance qui transfigure, quelque chose qui se
69 e, quelque chose qui serait au-delà du bonheur et de la souffrance, une béatitude ardente. Dans « passion » nous ne senton
70 ce qui est passionnant ». Et pourtant, la passion d’ amour signifie, de fait, un malheur. La société où nous vivons et dont
71 nant ». Et pourtant, la passion d’amour signifie, de fait, un malheur. La société où nous vivons et dont les mœurs n’ont g
72 ur-passion, neuf fois sur dix, à revêtir la forme de l’adultère. Et j’entends bien que les amants invoqueront tous les cas
73 ends bien que les amants invoqueront tous les cas d’ exception, mais la statistique est cruelle : elle réfute notre poésie.
74 us exalte à ce qui semblerait combler notre idéal de vie harmonieuse ? Serrons de plus près cette contradiction, par un ef
75 illusion. Affirmer que l’amour-passion signifie, de fait, l’adultère, c’est insister sur la réalité que notre culte de l’
76 re, c’est insister sur la réalité que notre culte de l’amour masque et transfigure à la fois ; c’est mettre au jour ce que
77 our ce que ce culte dissimule, refoule, et refuse de nommer pour nous permettre un abandon ardent à ce que nous n’osions p
78 ui est la nôtre, n’est-ce pas une première preuve de ce fait paradoxal : que nous voulons la passion et le malheur à condi
79 e seraient toutes nos littératures ? Elles vivent de la « crise du mariage ». Il est probable aussi qu’elles l’entretienne
80 , et qu’elles en tirent un répertoire inépuisable de situations comiques ou cyniques. Droit divin de la passion, psycholog
81 e de situations comiques ou cyniques. Droit divin de la passion, psychologie mondaine, succès du trio au théâtre — soit qu
82 n’est trahir le tourment innombrable et obsédant de l’amour en rupture de loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader
83 ent innombrable et obsédant de l’amour en rupture de loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réali
84 e loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réalité ? Tourner la situation en mystique ou en farce,
85 ns le remords ou dans la crainte, dans le plaisir de la révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’hommes qui ne s
86 ainte, dans le plaisir de la révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’hommes qui ne se reconnaissent dans l’une
87 révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’ hommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catégories.
88 ommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catégories. Renoncements, compromis, ruptures, neurasthénies, con
89 neurasthénies, confusions irritantes et mesquines de rêves, d’obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheu
90 ies, confusions irritantes et mesquines de rêves, d’ obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheur humain s
91 irritantes et mesquines de rêves, d’obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheur humain se résume dans l
92 la moitié du malheur humain se résume dans le mot d’ adultère. Malgré toutes nos littératures — ou peut-être à cause d’elle
93 ré toutes nos littératures — ou peut-être à cause d’ elles justement — il peut sembler parfois qu’on n’ait encore rien dit
94 arfois qu’on n’ait encore rien dit sur la réalité de ce malheur. Et que certaines questions des plus naïves, en ce domaine
95 , sur « quelque chose » qui la ruine au cœur même de nos ambitions ? Est-ce vraiment, comme beaucoup le pensent, la concep
96 tourment, ou au contraire, est-ce une conception de l’amour dont on n’a peut-être pas vu qu’elle rend ce lien, dès le pri
97 truit que ce qui assure « le bonheur des époux ». D’ où peut venir une telle contradiction ? Si le secret de la crise du ma
98 peut venir une telle contradiction ? Si le secret de la crise du mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous
99 t de la crise du mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amo
100 u mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’ où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amour trahit-il ?
101 d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amour trahit-il ? Quel secret de notre existence, de notre esprit,
102  ? Quelle idée de l’amour trahit-il ? Quel secret de notre existence, de notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.
103 amour trahit-il ? Quel secret de notre existence, de notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il exist
104 Quel secret de notre existence, de notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il existe un grand mythe
105 2.Le mythe Il existe un grand mythe européen de l’adultère : le Roman de Tristan et Iseut. Au travers du désordre ext
106 un grand mythe européen de l’adultère : le Roman de Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême de nos mœurs, dans l
107 Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême de nos mœurs, dans la confusion des morales et des immoralismes qui en v
108 ralismes qui en vivent, aux moments les plus purs d’ un drame, il arrive qu’on voie transparaître en filigrane cette forme
109 e. Comme une grande image simple, comme une sorte de type primitif de nos tourments les plus complexes. Et de même que pou
110 de image simple, comme une sorte de type primitif de nos tourments les plus complexes. Et de même que pour se tirer des co
111 exes. Et de même que pour se tirer des confusions de notre langue, les poètes ont coutume de rapporter les mots à leurs or
112 onfusions de notre langue, les poètes ont coutume de rapporter les mots à leurs origines lointaines, c’est-à-dire à la cho
113 oudrais rapporter à ce mythe certaines confusions de nos mœurs. Étymologie des passions, moins décevante que celle des mot
114 ais d’abord, dira-t-on, est-il exact que le roman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’est-ce pas détruire son cha
115 dans ce cas, n’est-ce pas détruire son charme que d’ essayer de l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est s
116 s, n’est-ce pas détruire son charme que d’essayer de l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’
117 n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’ irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une pui
118 us à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou d’ illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une puissance trop inc
119 ythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une puissance trop incontestable. Mais
120 it du mot oblige à le redéfinir. On pourrait dire d’ une manière générale qu’un mythe est une histoire, une fable symboliqu
121 e, simple et frappante, résumant un nombre infini de situations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d’un co
122 tuations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d’un coup d’œil certains types de relations constantes, et de
123 lus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d’ un coup d’œil certains types de relations constantes, et de les dégage
124 e permet de saisir d’un coup d’œil certains types de relations constantes, et de les dégager du fouillis des apparences qu
125 d’œil certains types de relations constantes, et de les dégager du fouillis des apparences quotidiennes. Dans un sens plu
126 ens plus étroit, les mythes traduisent les règles de conduite d’un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élé
127 oit, les mythes traduisent les règles de conduite d’ un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élément sacré a
128 un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élément sacré autour duquel s’est constitué le groupe. (Récits symb
129 el s’est constitué le groupe. (Récits symboliques de la vie et de la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou
130 titué le groupe. (Récits symboliques de la vie et de la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou l’origine de
131 etc.). On l’a remarqué souvent : un mythe n’a pas d’ auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l’est en parti
132 e. Il se présente comme l’expression tout anonyme de réalités collectives, ou plus exactement : communes. L’œuvre d’art — 
133 mythe. Sa valeur ne relève en effet que du talent de son créateur. Ce qui importe en elle, c’est justement ce qui n’import
134 , ou sa « vraisemblance », et toutes ses qualités de réussite singulière (originalité, habileté, style, etc.). Mais le ca
135 mme telle, n’a pas à proprement parler un pouvoir de contrainte sur le public. Si belle et puissante qu’elle soit, on peut
136 ut au moins, la rend inefficace. Or je me propose d’ envisager Tristan non point comme œuvre littéraire, mais comme type de
137 e œuvre littéraire, mais comme type des relations de l’homme et de la femme dans un groupe historique donné : l’élite soci
138 aire, mais comme type des relations de l’homme et de la femme dans un groupe historique donné : l’élite sociale, la cheval
139 ngtemps. Pourtant ses lois sont encore les nôtres d’ une manière secrète et diffuse. Profanées et reniées par nos codes off
140 iées par nos codes officiels, elles sont devenues d’ autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir que sur nos
141 d’autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan
142 s de pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord
143 ue sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l
144 . ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l’auteur — à supp
145 ui nous restent sont des remaniements artistiques d’ un archétype dont on n’a pu trouver la moindre trace1. Un autre aspect
146 ouver la moindre trace1. Un autre aspect mythique de la légende de Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise2. Le pro
147 re trace1. Un autre aspect mythique de la légende de Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise2. Le progrès de l’acti
148 ’est l’élément sacré qu’elle utilise2. Le progrès de l’action, et les effets qu’elle devait exercer sur l’auditeur, dépend
149 une certaine mesure (que nous aurons à préciser) d’ un ensemble de règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume
150 mesure (que nous aurons à préciser) d’un ensemble de règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevaler
151 ous aurons à préciser) d’un ensemble de règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevalerie médiévale.
152 s et de cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie furent souve
153 ume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie furent souvent appelés « religions ». Chastellain, chroniq
154 t appelés « religions ». Chastellain, chroniqueur de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison d’or (dernier en date)
155 chroniqueur de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison d’or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère s
156 de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison d’ or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère sacré, en un s
157 ison d’or (dernier en date), et il en parle comme d’ un mystère sacré, en un siècle où pourtant la chevalerie n’était plus
158 us guère qu’une survivance3. Enfin la nature même de l’obscurité que nous découvrirons dans la légende, dénote sa parenté
159 é du mythe en général ne réside pas dans sa forme d’ expression4. Elle tient d’une part au mystère de son origine, et d’aut
160 e d’expression4. Elle tient d’une part au mystère de son origine, et d’autre part à l’importance vitale des faits que le m
161 oustraire à la critique, il n’y aurait pas besoin de mythe. On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité de morale, ou
162 ait pas besoin de mythe. On pourrait se contenter d’ une loi, d’un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rô
163 oin de mythe. On pourrait se contenter d’une loi, d’ un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résum
164 . On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechn
165 ntenter d’une loi, d’un traité de morale, ou même d’ une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point de myth
166 morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en
167 te jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les e
168 technique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste o
169 qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste ou directe. Au contraire, le myt
170 le de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’ une manière manifeste ou directe. Au contraire, le mythe paraît lorsqu
171 e paraît lorsqu’il serait dangereux ou impossible d’ avouer clairement un certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou
172 impossible d’avouer clairement un certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou de relations affectives, que l’on tien
173 certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou de relations affectives, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il
174 nt cependant à conserver, ou qu’il est impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemple, pour expri
175 impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemple, pour exprimer les vérités de la science : nous l
176 de mythes, par exemple, pour exprimer les vérités de la science : nous les considérons en effet d’une manière parfaitement
177 tés de la science : nous les considérons en effet d’ une manière parfaitement « profane », et elles ont donc tout à gagner
178 la critique individuelle. Mais nous avons besoin d’ un mythe pour exprimer le fait obscur et inavouable que la passion est
179 aîne la destruction pour ceux qui s’y abandonnent de toutes leurs forces. C’est que nous voulons sauver cette passion, et
180 ent. L’obscurité du mythe nous met donc en mesure d’ accueillir son contenu déguisé et d’en jouir par l’imagination, sans e
181 onc en mesure d’accueillir son contenu déguisé et d’ en jouir par l’imagination, sans en prendre toutefois une conscience a
182 a contradiction. Ainsi se trouvent mises à l’abri de la critique certaines réalités humaines que nous sentons ou pressento
183 ù le grand jour et la raison5 les menaceraient. ⁂ D’ origine inconnue ou mal connue — de caractère primitivement sacré — vo
184 enaceraient. ⁂ D’origine inconnue ou mal connue —  de caractère primitivement sacré — voilant le secret qu’il exprime, le R
185 oilant le secret qu’il exprime, le Roman mythique de Tristan posséderait-il au même degré les qualités contraignantes d’un
186 rait-il au même degré les qualités contraignantes d’ un vrai mythe ? Cette question ne peut être esquivée. Elle nous porte
187 esquivée. Elle nous porte au cœur du problème et de son actualité. Précisons que les règles chevaleresques qui jouaient b
188 qui jouaient bel et bien au xiiie siècle un rôle de contrainte absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre d’obstac
189 absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre d’ obstacle mythique et de figures rituelles de rhétorique. Sans elles, l
190 t dans le roman qu’à titre d’obstacle mythique et de figures rituelles de rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas tr
191 titre d’obstacle mythique et de figures rituelles de rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas trouvé ses prétextes à
192 r que ces « cérémonies » sociales sont des moyens de faire admettre un contenu antisocial, qui est la passion. Le mot « co
193 « contenu » prend ici toute sa force : la passion de Tristan et d’Iseut est littéralement « contenue » par les règles de l
194 end ici toute sa force : la passion de Tristan et d’ Iseut est littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie.
195 eut est littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie. C’est à cette condition seulement qu’elle pourra s’exp
196 t donc que les groupes constitués soient capables de lui opposer une structure fortement charpentée, pour qu’elle trouve l
197 tement charpentée, pour qu’elle trouve l’occasion de s’extérioriser sans causer les pires dégâts. Que, par la suite, le li
198 ou que le groupe soit dissocié, le mythe cessera d’ être un mythe au sens strict. Mais ce qu’il aura perdu en force contra
199 il aura perdu en force contraignante et en moyens de se communiquer sous une forme voilée et admissible, il le retrouvera
200 re que la chevalerie, même sous sa forme profanée de savoir-vivre — les usages qu’il faut observer si l’on veut être un ge
201 uotidienne, envahira le subconscient, — appellera de nouvelles contraintes, se les inventera au besoin… Car nous verrons q
202 nous verrons que ce n’est pas seulement la nature de la société, mais l’ardeur même de la sombre passion qui exige un aveu
203 ement la nature de la société, mais l’ardeur même de la sombre passion qui exige un aveu masqué. Le mythe, au sens strict
204 e période où les élites faisaient un vaste effort de mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait de « contenir », préci
205 de mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait de « contenir », précisément, les poussées de l’instinct destructeur : c
206 issait de « contenir », précisément, les poussées de l’instinct destructeur : car la religion, en l’attaquant, l’exaspérai
207 érait. Les chroniques, les sermons et les satires de ce siècle nous révèlent qu’il connut une première « crise du mariage 
208 le appelait une réaction vive. Le succès du Roman de Tristan fut donc d’ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’ex
209 tion vive. Le succès du Roman de Tristan fut donc d’ ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’exprimer en satisfacti
210 s. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie de la société. Elle tend toujours à provoquer, de la part de la société,
211 art de la société, une mise en ordre équivalente. D’ où la permanence historique non point du mythe sous sa forme première,
212 e non point du mythe sous sa forme première, mais de l’exigence mythique à laquelle répondait le Roman. Élargissant notre
213 us appellerons mythe, désormais, cette permanence d’ un type de relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tris
214 rons mythe, désormais, cette permanence d’un type de relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tristan et Ise
215 lations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tristan et Iseut, ce ne sera plus seulement le Roman, mais le phénomè
216 qu’il illustre, et dont l’influence n’a pas cessé de s’étendre jusqu’à nos jours. Passion de la nature obscure, dynamisme
217 pas cessé de s’étendre jusqu’à nos jours. Passion de la nature obscure, dynamisme excité par l’esprit, possibilité préform
218 ar l’esprit, possibilité préformée à la recherche d’ une contrainte qui l’exalte, charme, terreur ou idéal : tel est le myt
219 arle Nietzsche. 3.Actualité du mythe ; raisons de notre analyse Nul besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui
220 du mythe ; raisons de notre analyse Nul besoin d’ avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni d’avoir enten
221 besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la v
222 u le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni d’ avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’
223 ou celui de M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique d’un
224 ubir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique d’ un tel mythe. Il se trahit dans la plupart de nos romans et de nos fil
225 he. Il se trahit dans la plupart de nos romans et de nos films, dans leurs succès auprès des masses, dans les complaisance
226 poètes, des mal mariés, des midinettes qui rêvent d’ amours miraculeuses. Le mythe agit partout où la passion est rêvée com
227 rophe, et non point comme une catastrophe. Il vit de la vie même de ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était
228 oint comme une catastrophe. Il vit de la vie même de ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était le philtre du
229 d sur l’homme impuissant et ravi pour le consumer d’ un feu pur ; et qu’il est plus fort et plus vrai que le bonheur, la so
230 i que le bonheur, la société et la morale. Il vit de la vie même du romantisme en nous ; il est le grand mystère de cette
231 e du romantisme en nous ; il est le grand mystère de cette religion dont les poètes du siècle passé se firent les prêtres
232 ècle passé se firent les prêtres et les inspirés. De cette influence et de sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs im
233 es prêtres et les inspirés. De cette influence et de sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous ser
234 nance du lecteur à envisager mon projet. Le Roman de Tristan nous est « sacré » dans la mesure exacte où l’on estimera que
235 timera que je commets un « sacrilège » en tentant de l’analyser. Certes, ce reproche de sacrilège revêt alors un sens bien
236 e » en tentant de l’analyser. Certes, ce reproche de sacrilège revêt alors un sens bien anodin, si l’on songe qu’il se tra
237 nce obscure et déprimée. Je ne courrai donc guère d’ autre risque que celui de voir le lecteur fermer le volume à cette pag
238 Je ne courrai donc guère d’autre risque que celui de voir le lecteur fermer le volume à cette page. (Et certes, le sens in
239 ume à cette page. (Et certes, le sens inconscient d’ un tel geste n’est rien de moins que la mise à mort de l’auteur. Pourt
240 es, le sens inconscient d’un tel geste n’est rien de moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant il demeure sans effets
241 tel geste n’est rien de moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant il demeure sans effets). Mais si tu m’épargnes, ô
242 nt sacrée pour toi ? Ou simplement que les hommes d’ aujourd’hui ne sont pas moins débiles dans leurs passions que dans leu
243 débiles dans leurs passions que dans leurs gestes de réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, où sera le courage que l’o
244 s que dans leurs gestes de réprobation ? À défaut d’ ennemis déclarés, où sera le courage que l’on réclame des écrivains ?
245 me éprouvé du dépit à voir l’un des commentateurs de la légende de Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La for
246 dépit à voir l’un des commentateurs de la légende de Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La formule est sans
247 de la légende de Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La formule est sans doute exacte, si l’on se borne à co
248 on soutenir que la faute morale est le vrai sujet de la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opé
249 n de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opéra de l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’est-ce que cela ? Un vilain mot 
250 , n’est-ce que cela ? Un vilain mot ? Une rupture de contrat ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop de cas ; mais
251 t ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop de cas ; mais c’est souvent bien davantage : une atmosphère tragique et
252 lème s’élargit magnifiquement — et mon cas empire d’ autant. Je dirai mes raisons de persévérer, et l’on jugera si elles so
253  et mon cas empire d’autant. Je dirai mes raisons de persévérer, et l’on jugera si elles sont diaboliques. La première est
254 La première est que nous sommes parvenus au point de désordre social où l’immoralisme se révèle plus exténuant que les mor
255 lus exténuant que les morales anciennes. Le culte de l’amour-passion s’est tellement démocratisé qu’il perd ses vertus est
256 sé qu’il perd ses vertus esthétiques et sa valeur de tragédie spirituelle. Reste une confuse et diffuse souffrance, quelqu
257 une confuse et diffuse souffrance, quelque chose d’ impur et de triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner
258 e et diffuse souffrance, quelque chose d’impur et de triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner les causes
259 les causes faussement sacrées : cette littérature de la passion, cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue » d’allure
260 , cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue » d’ allure commerciale de ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaqu
261 on lui fait, cette « vogue » d’allure commerciale de ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût-c
262 t cela, fût-ce même pour sauver le mythe des abus de son extrême vulgarisation. Et tant pis pour le sacrilège. La poésie a
263 e a d’autres chances. Ma seconde raison n’est pas d’ un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût
264 ances. Ma seconde raison n’est pas d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair
265 s d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’ un homme qui a le goût d’y voir clair, de prendre conscience de sa vie
266 auté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût d’ y voir clair, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses cont
267 te, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je
268 i a le goût d’y voir clair, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de
269 ’y voir clair, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’e
270 air, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il p
271 ie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il permet de dégager une raison simple de notre con
272 m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il permet de dégager une raison simple de notre confusion présente. C’est qu’il pe
273 , c’est qu’il permet de dégager une raison simple de notre confusion présente. C’est qu’il permet aussi de formuler certai
274 otre confusion présente. C’est qu’il permet aussi de formuler certaines relations permanentes noyées sous les vulgarités m
275 ermanentes noyées sous les vulgarités minutieuses de nos psychologies. C’est enfin qu’il permet de mettre à nu certain dil
276 ses de nos psychologies. C’est enfin qu’il permet de mettre à nu certain dilemme dont notre vie hâtive, notre culture et l
277 dont notre vie hâtive, notre culture et le ronron de nos morales sont en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dr
278 culture et le ronron de nos morales sont en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de la passion
279 faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de la passion dans sa violence primitive et sacrée, dans sa pureté monum
280 vaillamment entre la Norme du Jour et la Passion de la Nuit ; dresser cette figure de la Mort des Amants qu’exalte l’ango
281 r et la Passion de la Nuit ; dresser cette figure de la Mort des Amants qu’exalte l’angoissant et vampirique crescendo du
282 angoissant et vampirique crescendo du second acte de Wagner, tel est le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il
283 u second acte de Wagner, tel est le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est d’amener un lecteu
284 et ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est d’ amener un lecteur au seuil du choix : « J’ai voulu cela ! » ou bien :
285 suis pas sûr que la conscience claire soit utile d’ une manière générale, et en soi. Ni que les vérités utiles soient avou
286 sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité » de mon entreprise, notre sort n’en demeure pas moins, à nous autres Occi
287 ’en demeure pas moins, à nous autres Occidentaux, de devenir de plus en plus conscients des illusions dont nous vivons. Et
288 fonction du philosophe, du moraliste, du créateur de formes idéales, est simplement d’accroître la conscience, donc la mau
289 te, du créateur de formes idéales, est simplement d’ accroître la conscience, donc la mauvaise conscience des hommes… Qui s
290 où cela peut nous mener ? Là-dessus, il est temps de passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite est sans d
291 ps de passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite est sans doute une certaine froideur avec laquelle nous l
292 ds et aveugles aux « charmes » du récit, essayons de résumer « objectivement » les faits qu’il nous rapporte et les raison
293 qu’il en propose, ou qu’il omet très curieusement de nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman de Tristan6 Amo
294 nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman de Tristan6 Amors par force vos demeine ! (Béroul.) Tristan naît d
295 a mère Blanchefleur ne survit pas à sa naissance. D’ où le nom du héros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas d’orag
296 aissance. D’où le nom du héros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas d’orage qui couvre la légende. Le roi Marc de
297 éros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas d’ orage qui couvre la légende. Le roi Marc de Cornouailles, frère de Bla
298 . Première prouesse ou performance : la victoire de Tristan sur le Morholt. Ce géant irlandais vient, comme le Minotaure,
299 dais vient, comme le Minotaure, exiger son tribut de jeunes filles ou de jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la p
300 Minotaure, exiger son tribut de jeunes filles ou de jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la permission de le comb
301 ger son tribut de jeunes filles ou de jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la permission de le combattre, au momen
302 ns de Cornouailles. Tristan obtient la permission de le combattre, au moment où il pourrait être armé chevalier, donc peu
303 en a reçu un coup d’épée empoisonnée. Sans espoir de survivre à son mal, Tristan s’embarque à l’aventure dans un bateau sa
304 t le sauver. Mais le géant Morholt était le frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origin
305 frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’ avouer son nom et l’origine de son mal. Iseut, princesse royale, le so
306 istan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origine de son mal. Iseut, princesse royale, le soigne et le guérit. C’est le Pr
307 ue. Quelques années plus tard, le roi Marc décide d’ épouser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu d’or. C’est Tris
308 ser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu d’ or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête » de l’inconnue. Une tempê
309 u d’or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête » de l’inconnue. Une tempête rejette le héros vers l’Irlande. Là, il comba
310 ui menaçait la capitale. (C’est le motif consacré de la vierge délivrée par un jeune paladin.) Blessé par le monstre, Tris
311 couvre que le blessé n’est autre que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace de le tuer dans so
312 que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace de le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la m
313 on oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace de le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la mission dont le roi Ma
314 ) Tristan et la princesse voguent vers les terres de Marc. En haute mer, le vent tombe, la chaleur est pesante. Ils ont so
315 . Ils le boivent. Les voici entrés dans les voies d’ une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour de leurs vies, car ils
316 d’une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour de leurs vies, car ils ont beu leur destruction et leur mort ». Ils s’av
317 ’efficacité du philtre à trois ans1. Thomas, imbu de fine psychologie, et plein de méfiance pour le merveilleux, qu’il jug
318 ans1. Thomas, imbu de fine psychologie, et plein de méfiance pour le merveilleux, qu’il juge grossier, réduit autant que
319 ible l’importance du philtre, et présente l’amour de Tristan et d’Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scèn
320 nce du philtre, et présente l’amour de Tristan et d’ Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scène du bain. Eil
321 nt des barons « félons » dénoncent au roi l’amour de Tristan et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvell
322 « félons » dénoncent au roi l’amour de Tristan et d’ Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvelle ruse (scène
323 n et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’ une nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc de son innocence
324 nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc de son innocence et revient à la cour. Le nain Frocine, complice des bar
325 re les amants et leur tend un piège. Entre le lit de Tristan et celui de la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan
326 r tend un piège. Entre le lit de Tristan et celui de la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé
327 e le lit de Tristan et celui de la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle missio
328 istan et celui de la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle mission, veut rejoin
329 e la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé d’ une nouvelle mission, veut rejoindre une dernière fois son amie, penda
330 ndant la nuit qui précède son départ. Il franchit d’ un saut l’espace qui sépare les deux lits. Mais une blessure récente q
331 irruption dans le dortoir. Ils voient des traces de sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Is
332 rtoir. Ils voient des traces de sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une
333 des traces de sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux
334 e est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène de la chapelle)
335 eux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène de la chapelle). Il délivre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt
336 livre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt de Morois. Trois ans durant, ils y mènent une vie « aspre et dure ». Un
337 on épée nue. Ému par ce qu’il prend pour un signe de chasteté, le roi les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée de
338 les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée de Tristan et dépose à sa place l’épée royale. Les trois ans écoulés, l
339 royale. Les trois ans écoulés, le philtre cesse d’ agir (selon Béroul et l’ancêtre commun des cinq versions). Alors seule
340 grin, par l’entremise duquel Tristan offre au roi de lui rendre sa femme. Marc promet son pardon. Les amants se séparent à
341 he du cortège royal. Iseut supplie encore Tristan de demeurer dans le pays jusqu’à ce qu’il soit certain que Marc la trait
342 qu’elle rejoindra le chevalier au premier signal de sa part, et sans que rien puisse la retenir, « ni tour, ni mur, ni fo
343 ins. Mais les barons félons veillent sur la vertu de la reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement de Dieu » pour pr
344 reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement de Dieu » pour prouver son innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomp
345 n innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomphe de l’épreuve : avant de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main d
346 de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main de qui n’a pas menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’aucun
347 menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’ aucun homme, hors ceux du roi son maître et du manant qui vient de l’a
348 tre et du manant qui vient de l’aider à descendre de sa barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais de nouvelles avent
349 a barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais de nouvelles aventures entraînent au loin le chevalier. Il croit que la
350 loin le chevalier. Il croit que la reine a cessé de l’aimer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà de la mer, « po
351 mer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà de la mer, « pour son nom et pour sa beauté »7 une autre Iseut, l’Iseut
352 , et son vaisseau arbore une voile blanche, signe d’ espoir. Iseut aux blanches mains guettait son arrivée. Tourmentée par
353 ourmentée par la jalousie, elle s’en vient au lit de Tristan et lui annonce que la voile est noire. Tristan meurt. Iseut l
354 cet instant, monte au château, embrasse le corps de son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé de la sorte, et tout « ch
355 ps de son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé de la sorte, et tout « charme » détruit, à considérer froidement le plus
356 it que sa donnée ni son progrès ne sont dépourvus d’ équivoque. J’ai passé quantité d’épisodes accessoires, mais aucun des
357 e sont dépourvus d’équivoque. J’ai passé quantité d’ épisodes accessoires, mais aucun des motifs allégués de l’action centr
358 sodes accessoires, mais aucun des motifs allégués de l’action centrale du Roman. Et je les ai même soulignés. On a pu voir
359 années dans la forêt, parce que le philtre cesse d’ agir ; — Tristan épouse Iseut aux blanches mains « pour son nom et pou
360 « raisons » mises à part — nous aurons l’occasion d’ y revenir — on s’aperçoit que le Roman repose sur une série de contrad
361 — on s’aperçoit que le Roman repose sur une série de contradictions énigmatiques. Une première remarque m’a frappé, faite
362 é, faite en passant par l’un des éditeurs récents de la légende : tout au long du Roman, Tristan paraît physiquement supér
363 ucune force extérieure ne saurait donc l’empêcher d’ enlever Iseut et d’obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent
364 ure ne saurait donc l’empêcher d’enlever Iseut et d’ obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent le droit du plus f
365 oindre scrupule ; et surtout s’il s’agit du droit d’ un homme sur une femme : c’est l’enjeu habituel des tournois. Pourquoi
366 uel des tournois. Pourquoi Tristan n’use-t-il pas de ce droit ? Mise en éveil par cette première question, notre méfiance
367 non moins curieuses et obscures. Pourquoi l’épée de chasteté entre les corps dans la forêt ? Les amants ont déjà péché ;
368 forêt ? Les amants ont déjà péché ; ils refusent de se repentir, à ce moment-là ; enfin ils ne prévoient nullement que le
369 ans les différentes versions, qui donne la raison de cet acte8. Pourquoi Tristan rend-il la reine à Marc, et cela, même d
370 la, même dans les versions où le philtre continue d’ agir ? Si, comme certains le disent, c’est une repentance sincère qui
371 motive la séparation, pourquoi se promettent-ils de se revoir au moment même où ils acceptent de se quitter ? Pourquoi Tr
372 -ils de se revoir au moment même où ils acceptent de se quitter ? Pourquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir de n
373 urquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir de nouvelles aventures, alors qu’ils ont un rendez-vous dans la forêt ?
374 oi la reine coupable propose-t-elle un « jugement de Dieu » ? Elle sait bien que cette épreuve doit la perdre. Elle n’en t
375 pposerait à son retour auprès du roi, donc auprès d’ Iseut… D’autre part, n’est-il pas fort étrange que les poètes du xiiie
376 s du xiiie siècle, si exigeants dès qu’il s’agit d’ honneur, de fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de comme
377 siècle, si exigeants dès qu’il s’agit d’honneur, de fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de commentaire tant
378 fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de commentaire tant d’actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-il
379 , laissent passer sans un mot de commentaire tant d’ actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-ils nous présenter tel
380 mment peuvent-ils nous présenter tel qu’un modèle de chevalerie ce Tristan qui a trompé son roi par les ruses les plus cyn
381 de « félons » les barons qui défendent l’honneur de Marc ? Même si la jalousie les meut, ils n’ont du moins ni menti ni t
382 moins ni menti ni trompé, et ce n’est pas le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même des rares mot
383 s le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même des rares motifs allégués. En effet, si la morale de l
384 des rares motifs allégués. En effet, si la morale de la fidélité au suzerain voulait que Tristan livre à Marc la fiancée q
385 iancée qu’il alla quérir10, on ne peut s’empêcher de penser que ces scrupules sont bien tardifs et peu sincères, puisque T
386 bien tardifs et peu sincères, puisque Tristan n’a de cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui ce
387 an n’a de cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès d’ Iseut… Et ce philtre qui cesse d’agir, n’était-il pas destiné aux épou
388 la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui cesse d’ agir, n’était-il pas destiné aux époux ? Alors, pourquoi limiter sa du
389 durée ? Trois ans, ce n’est guère pour le bonheur d’ un couple. Et quand Tristan épouse l’autre Iseut « pour son nom et pou
390 ieuse, et qu’il se met dans une situation qui n’a d’ autre issue que la mort ? 6.Chevalerie contre Mariage Un moderne
391 ontre Mariage Un moderne commentateur du Roman de Tristan et Iseut veut y voir un « conflit cornélien entre l’amour et
392 t le devoir ». Cette interprétation classique est d’ un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle paraît
393 st d’un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle paraît ignorer l’un de ces faits dont l’envergure éch
394 elle abuse de Corneille, elle paraît ignorer l’un de ces faits dont l’envergure échappe souvent aux prises de l’érudition
395 faits dont l’envergure échappe souvent aux prises de l’érudition scrupuleuse. Je veux parler de l’opposition qui se manife
396 prises de l’érudition scrupuleuse. Je veux parler de l’opposition qui se manifeste dès la seconde moitié du xiie siècle e
397 es premiers auteurs qui en parlent ont l’habitude de déplorer sa décadence : mais ils oublient que, telle qu’ils la souhai
398 à peine de naître dans leurs rêves. N’est-il pas de l’essence d’un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même o
399 aître dans leurs rêves. N’est-il pas de l’essence d’ un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même où il essaie m
400 ence à l’instant même où il essaie maladroitement de se réaliser ? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas d’oppos
401 ? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas d’ opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités tyranniques 
402 ance du roman n’est-elle pas d’opposer la fiction d’ un certain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme q
403 -elle pas d’opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme que nous pose le Rom
404 tain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus d’ une énigme que nous pose le Roman nous incite à chercher de ce côté le
405 gme que nous pose le Roman nous incite à chercher de ce côté les éléments d’une première solution. Si l’on admet que l’ave
406 an nous incite à chercher de ce côté les éléments d’ une première solution. Si l’on admet que l’aventure de Tristan devait
407 e première solution. Si l’on admet que l’aventure de Tristan devait servir à illustrer le conflit de la chevalerie et de l
408 e de Tristan devait servir à illustrer le conflit de la chevalerie et de la société féodale — donc le conflit de deux devo
409 servir à illustrer le conflit de la chevalerie et de la société féodale — donc le conflit de deux devoirs ou même, nous l’
410 alerie et de la société féodale — donc le conflit de deux devoirs ou même, nous l’avons vu page 7, le conflit de deux « re
411 voirs ou même, nous l’avons vu page 7, le conflit de deux « religions » —, l’on s’aperçoit que bien des épisodes s’éclaire
412 tes les difficultés, elle en repousse la solution d’ une manière significative. En quoi le roman breton se distingue-t-il d
413 cative. En quoi le roman breton se distingue-t-il de la chanson de geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie s
414 i le roman breton se distingue-t-il de la chanson de geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie siècle avec une
415 le troubadour méridional, se reconnaît le vassal d’ une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur. D’où
416 une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal d’ un seigneur. D’où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre
417 Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur. D’ où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre plus d’un exemp
418 vassal d’un seigneur. D’où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre plus d’un exemple. Reprenons l’épisode des
419 t des conflits de droit, dont le Roman offre plus d’ un exemple. Reprenons l’épisode des trois barons « félons ». Selon la
420 ns ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu de dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : il e
421  » et loyaux. Et si l’auteur les traite cependant de félons, c’est en vertu d’un autre code évidemment, qui ne peut être q
422 autre code évidemment, qui ne peut être que celui de la chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de la Gascogne e
423 i de la chevalerie du Midi. La décision des cours d’ amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les
424 chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets
425 connue : félon sera celui qui révèle les secrets de l’amour courtois. Ce seul exemple suffirait à démontrer que les auteu
426 le droit féodal. Mais nous avons d’autres raisons de le croire. La conception de la fidélité et du mariage, selon l’amour
427 vons d’autres raisons de le croire. La conception de la fidélité et du mariage, selon l’amour courtois, est seule capable
428 ariage, selon l’amour courtois, est seule capable d’ expliquer certaines contradictions frappantes du récit. Selon la thèse
429 se officiellement admise, l’amour courtois est né d’ une réaction à l’anarchie brutale des mœurs féodales. On sait que le m
430 nu pour les seigneurs une pure et simple occasion de s’enrichir, et d’annexer des terres données en dot ou espérées en hér
431 urs une pure et simple occasion de s’enrichir, et d’ annexer des terres données en dot ou espérées en héritage. Quand l’« a
432 tournait mal, on répudiait sa femme. Le prétexte de l’inceste, curieusement exploité, trouvait l’Église sans résistance :
433 trouvait l’Église sans résistance : il suffisait d’ alléguer sans trop de preuves, une parenté au quatrième degré, pour ob
434 ns résistance : il suffisait d’alléguer sans trop de preuves, une parenté au quatrième degré, pour obtenir l’annulation. À
435 our obtenir l’annulation. À ces abus, générateurs de querelles infinies et de guerres, l’amour courtois oppose une fidélit
436 À ces abus, générateurs de querelles infinies et de guerres, l’amour courtois oppose une fidélité indépendante du mariage
437 e sont pas compatibles : c’est le fameux jugement d’ une cour d’amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) S
438 compatibles : c’est le fameux jugement d’une cour d’ amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) Si Tristan,
439 et l’auteur du Roman, partagent une telle manière de voir, la félonie et l’adultère sont excusés, et plus qu’excusés, magn
440 élité à la loi supérieure du donnoi, c’est-à-dire de l’amour courtois. (Donnoi, ou domnei en provençal, désigne la relatio
441 nnoi, ou domnei en provençal, désigne la relation de vasselage instituée entre l’amant-chevalier et sa dame, ou domina.) F
442 e, on l’a vu. Le Roman ne manque pas une occasion de rabaisser l’institution sociale, d’humilier le mari — roi aux oreille
443 une occasion de rabaisser l’institution sociale, d’ humilier le mari — roi aux oreilles de cheval, toujours si facilement
444 on sociale, d’humilier le mari — roi aux oreilles de cheval, toujours si facilement dupé — et de glorifier la vertu de ceu
445 illes de cheval, toujours si facilement dupé — et de glorifier la vertu de ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui
446 urs si facilement dupé — et de glorifier la vertu de ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui. Mais cette fidélité
447 pose, autant qu’au mariage, à la « satisfaction » de l’amour. « Il ne sait de donnoi vraiment rien, celui qui désire l’ent
448 e, à la « satisfaction » de l’amour. « Il ne sait de donnoi vraiment rien, celui qui désire l’entière possession de sa dam
449 iment rien, celui qui désire l’entière possession de sa dame. Cela n’est plus amour, qui tourne à la réalité 11. » Voilà q
450 à la réalité 11. » Voilà qui nous met sur la voie d’ une première explication d’épisodes tels que ceux de l’épée de chastet
451 i nous met sur la voie d’une première explication d’ épisodes tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son
452 une première explication d’épisodes tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite da
453 re explication d’épisodes tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite dans le Moro
454 es tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour d’ Iseut à son mari après la retraite dans le Morois, ou même du mariage
455 ès la retraite dans le Morois, ou même du mariage de Tristan. En effet, le « droit de la passion » au sens où l’entendent
456 même du mariage de Tristan. En effet, le « droit de la passion » au sens où l’entendent les modernes, permettrait à Trist
457 ù l’entendent les modernes, permettrait à Tristan d’ enlever Iseut, après qu’ils ont bu le philtre. Cependant il la livre à
458 Cependant il la livre à Marc : c’est que la règle de l’amour courtois s’oppose à ce qu’une telle passion « tourne à la réa
459 , c’est-à-dire aboutisse à l’« entière possession de sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas, d’observer la fidélité
460 de sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas, d’ observer la fidélité féodale, masque et complice énigmatique de la fid
461 fidélité féodale, masque et complice énigmatique de la fidélité courtoise. Il choisit en toute liberté, car nous avons ma
462 e plan féodal qu’il adopte, faire valoir le droit de la force… Étrange amour, va-t-on penser, qui se conforme aux lois qui
463 s qui le condamnent, afin de mieux se conserver ! D’ où peut venir cette préférence pour ce qui entrave la passion, pour ce
464 st pas encore répondre sur le fond, car il s’agit de savoir pourquoi l’on préfère cet amour à l’autre, à celui qui se « ré
465 t vraisemblable, que le Roman illustre un conflit de « religions », nous avons pu préciser et cerner les principales diffi
466 pu préciser et cerner les principales difficultés de l’intrigue : mais en fin de compte, la solution se trouve simplement
467 our du roman Si l’on se reporte à notre résumé de la légende, on ne peut manquer d’être frappé de ce fait : les deux lo
468 à notre résumé de la légende, on ne peut manquer d’ être frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie
469 é de la légende, on ne peut manquer d’être frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie et morale féod
470 es seules situations où elles permettent au roman de rebondir 12. Cette remarque à son tour ne saurait constituer par ell
471 nstituer par elle-même une explication. À chacune de nos questions, il serait évidemment facile de répondre : les choses s
472 une de nos questions, il serait évidemment facile de répondre : les choses se passent ainsi parce qu’autrement il n’y aura
473 ssent ainsi parce qu’autrement il n’y aurait plus de roman. Mais cette réponse ne paraît convaincante qu’en vertu d’une co
474 convaincante qu’en vertu d’une coutume paresseuse de notre critique littéraire. En vérité, elle ne répond à rien. Elle nou
475 t pas sans danger. Elle nous met en effet au cœur de tout le problème — et sa portée dépasse sans aucun doute le cas parti
476 ortée dépasse sans aucun doute le cas particulier de notre mythe. Pour qui se place, par un effort d’abstraction, à l’exté
477 de notre mythe. Pour qui se place, par un effort d’ abstraction, à l’extérieur du phénomène commun au romancier et au lect
478 aît qu’une convention tacite, ou mieux, une sorte de complicité les lie : la volonté que le roman continue, ou comme on di
479 ndisse. Supprimez cette volonté, il n’y aura plus de vraisemblance qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas de l’His
480 ce qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas de l’Histoire scientifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera d’
481 ns le cas de l’Histoire scientifique. (Le lecteur d’ un ouvrage « sérieux » sera d’autant plus exigeant qu’il sait que le d
482 ifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera d’ autant plus exigeant qu’il sait que le déroulement des faits ne doit d
483 que le déroulement des faits ne doit dépendre ni de son désir ni des fantaisies de l’auteur.) Supposez au contraire cette
484 e doit dépendre ni de son désir ni des fantaisies de l’auteur.) Supposez au contraire cette volonté toute pure, il n’y aur
485 traire cette volonté toute pure, il n’y aura plus d’ invraisemblance possible : c’est le cas du conte. Entre ces deux extrê
486 du conte. Entre ces deux extrêmes, il est autant de niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemb
487 Entre ces deux extrêmes, il est autant de niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépen
488 es, il est autant de niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépend, pour un ouvrage ro
489 mblance dépend, pour un ouvrage romanesque donné, de la nature des passions qu’il veut flatter. C’est dire que l’on accept
490 flatter. C’est dire que l’on acceptera le « coup de pouce » du créateur, et les entorses qu’il fait subir à la « logique 
491 et les entorses qu’il fait subir à la « logique » d’ observation courante, dans la mesure exacte où ces licences fourniront
492 on que l’on désire éprouver. Ainsi, le vrai sujet d’ une œuvre est révélé par la nature des « trucs » que l’auteur fait int
493 les obstacles extérieurs qui s’opposent à l’amour de Tristan sont dans un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne so
494 dre, que des artifices romanesques. Or il résulte de nos remarques au sujet de la vraisemblance, que la gratuité même des
495 des obstacles invoqués peut révéler le vrai sujet d’ une œuvre, la vraie nature de la passion qu’elle met en jeu. Il faut s
496 évéler le vrai sujet d’une œuvre, la vraie nature de la passion qu’elle met en jeu. Il faut sentir qu’ici tout est symbole
497 pose à la manière d’un rêve, et non point à celle de nos vies : les prétextes du romancier, les actions de ses deux héros,
498 os vies : les prétextes du romancier, les actions de ses deux héros, et les préférences secrètes qu’il suppose chez son le
499 faits » ne sont que les images ou les projections d’ un désir, de ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplemen
500 ont que les images ou les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire d
501 les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire durer. Tout manifeste,
502 t manifeste, dans le comportement du chevalier et de la princesse, une exigence ignorée d’eux — et peut-être du romancier 
503 hevalier et de la princesse, une exigence ignorée d’ eux — et peut-être du romancier — mais plus profonde que celle de leur
504 -être du romancier — mais plus profonde que celle de leur bonheur. Pas un des obstacles qu’ils rencontrent ne se révèle, o
505 ! On peut dire qu’ils ne perdent pas une occasion de se séparer. Quand il n’y a pas d’obstacle, ils en inventent : l’épée
506 as une occasion de se séparer. Quand il n’y a pas d’ obstacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage de Tristan. Ils en
507 stacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage de Tristan. Ils en inventent comme à plaisir, — bien qu’ils en souffrent
508 et du lecteur ? Mais c’est tout un, car le démon de l’amour courtois qui inspire au cœur des amants les ruses d’où naît l
509 courtois qui inspire au cœur des amants les ruses d’ où naît leur souffrance, c’est le démon même du roman tel que l’aiment
510 ent les Occidentaux. Quel est alors le vrai sujet de la légende ? La séparation des amants ? Oui, mais au nom de la passio
511 ? Oui, mais au nom de la passion, et pour l’amour de l’amour même qui les tourmente, pour l’exalter, pour le transfigurer
512 le transfigurer — au détriment de leur bonheur et de leur vie même… ⁂ Nous commençons à distinguer le sens secret et inqui
513 ressemble au vertige… Mais ce n’est plus l’heure de se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le charme, nous co
514 e. Mais la passion du philosophe n’est-elle point de méditer dans le vertige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien
515 ige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien d’ autre que l’effort d’un esprit qui résiste à la chute, et qui se défen
516 la connaissance ne soit rien d’autre que l’effort d’ un esprit qui résiste à la chute, et qui se défend au sein de la tenta
517 i se défend au sein de la tentation… 8.L’amour de l’amour De tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me ré
518 sein de la tentation… 8.L’amour de l’amour De tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis de lui ;
519 ux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis de lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vo
520 x et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas de quoi je me plains, car mon mal me vient de ma volonté ; c’est mon vou
521 mon vouloir qui devient mon mal ; mais j’ai tant d’ aise à vouloir ainsi que je souffre agréablement, et tant de joie dans
522 ces. Chrétien de Troyes. Il faut avoir l’audace de poser la question : Tristan aime-t-il Iseut ? Est-il aimé par elle ?
523 st point, comme l’a dit à peu près Valéry.) Rien d’ humain ne paraît rapprocher nos amants, bien au contraire. Lors de leu
524 ur première rencontre, ils n’ont que des rapports de politesse conventionnelle. Et quand Tristan revient en quête d’Iseut,
525 onventionnelle. Et quand Tristan revient en quête d’ Iseut, on se souvient que cette politesse fait place à la plus franche
526 ndresse va-t-elle naître et les unir, à la faveur de ce destin magique ? Dans tout le Roman, dans ces milliers devers, je
527 seule trace. C’est quand ils vivent dans la forêt de Morois, après l’évasion de Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant
528 s vivent dans la forêt de Morois, après l’évasion de Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment de bone amor
529 . Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment de bone amor L’un par l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes d
530 l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes de cette époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus,
531 es devenus, et qu’ils n’éprouvaient pas le besoin d’ insister sur ce qui va de soi ? Qu’on lise alors, attentivement, le ré
532 lles, qui sont peut-être aussi les plus profondes de la légende, ce sont les deux visites que les amants font à l’ermite O
533 se confesser. Mais au lieu d’avouer leur péché et de demander l’absolution, ils s’efforcent de démontrer qu’ils n’ont aucu
534 éché et de demander l’absolution, ils s’efforcent de démontrer qu’ils n’ont aucune responsabilité dans l’aventure, puisqu’
535  ! Q’el m’aime, c’est par la poison Ge ne me pus de lié partir, N’ele de moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui :
536 t par la poison Ge ne me pus de lié partir, N’ele de moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui : Sire, por Dieu omnip
537 is « par-delà le bien et le mal », dans une sorte de transcendance de nos communes conditions, dans un absolu indicible, i
538 bien et le mal », dans une sorte de transcendance de nos communes conditions, dans un absolu indicible, incompatible avec
539 du bien et du mal ; elle les conduit même au-delà de l’origine de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souf
540 mal ; elle les conduit même au-delà de l’origine de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souffrance, au-de
541 de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souffrance, au-delà du domaine où l’on distingue, et où les contra
542 n’appartient ni à l’un ni à l’autre, mais relève d’ une puissance étrangère, indépendante de leurs qualités, de leurs dési
543 is relève d’une puissance étrangère, indépendante de leurs qualités, de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être
544 ssance étrangère, indépendante de leurs qualités, de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être tel qu’ils le conn
545 ualités, de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être tel qu’ils le connaissent. Les traits physiques et psycholo
546 nnaissent. Les traits physiques et psychologiques de cet homme et de cette femme sont parfaitement conventionnels et rhéto
547 raits physiques et psychologiques de cet homme et de cette femme sont parfaitement conventionnels et rhétoriques. Lui, c’e
548 à propos de la durée du philtre est le contraire d’ une amitié réelle. Bien plus, si l’amitié morale se fait jour, ce n’es
549 moment où la passion faiblit. Et le premier effet de cette amitié naissante n’est pas : du tout d’unir davantage les amant
550 fet de cette amitié naissante n’est pas : du tout d’ unir davantage les amants, mais au contraire de leur montrer qu’ils on
551 ls ont tout intérêt à se quitter. Voyons ce point d’ un peu plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li troi
552 . Voyons ce point d’un peu plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li troi an. Tristan chassait dans la f
553 . Il regrette « le vair et le gris » et l’apparat de chevalerie, et le haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons d
554 haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons de son oncle. Il songe aussi à son amie, — pour la première fois semble-
555 lle pourrait être « en beles chambres… portendües de dras de soie ». Iseut de son côté, à la même heure conçoit les mêmes
556 rait être « en beles chambres… portendües de dras de soie ». Iseut de son côté, à la même heure conçoit les mêmes gestes.
557 les chambres… portendües de dras de soie ». Iseut de son côté, à la même heure conçoit les mêmes gestes. Le soir venu, ils
558 ent : « En mal uson notre jovente… ». La décision de se séparer est bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretag
559 de se séparer est bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretagne. Auparavant, ils iront voir Ogrin l’ermite pou
560 oignante définition qu’un poète ait jamais donnée de la passion ! À lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force de l
561 lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force de langage qui fait pâlir le romantisme tout entier ! Qui nous rendra ce
562 stan reçoit la réponse favorable du roi acceptant de reprendre Iseut : Dex ! dist Tristan, quel departie ! Mot est dolenz
563 auprès de son ami ; plus heureuse dans le malheur d’ amour que dans leur vie commune du Morois… ⁂ On sait d’ailleurs que pa
564  lui par elle, elle par lui… » L’égoïsme apparent d’ un tel amour expliquerait à lui seul bien des « hasards », bien des ma
565 qu’ils aiment, c’est l’amour, c’est le fait même d’ aimer. Et ils agissent comme s’ils avaient compris que tout ce qui s’o
566 ur cœur, pour l’exalter à l’infini dans l’instant de l’obstacle absolu, qui est la mort. Tristan aime se sentir aimer, bie
567 . Et Iseut ne fait rien pour retenir Tristan près d’ elle : il lui suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’aut
568 pour retenir Tristan près d’elle : il lui suffit d’ un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais no
569 i suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non de la
570 ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non de la présence de l’autre, mais bien p
571 rûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non de la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparati
572 de l’autre tel qu’il est ; et non de la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparation des amants r
573 t non de la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparation des amants résulte ainsi de leur passion
574 absence ! La séparation des amants résulte ainsi de leur passion même, et de l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt
575 des amants résulte ainsi de leur passion même, et de l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt qu’à son contentement, p
576 à son contentement, plutôt qu’à son vivant objet. D’ où les obstacles multipliés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnan
577 jet. D’où les obstacles multipliés par le Roman ; d’ où l’indifférence étonnante de ces complices d’un même rêve au sein du
578 liés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnante de ces complices d’un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ;
579  ; d’où l’indifférence étonnante de ces complices d’ un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ; d’où le crescend
580 es complices d’un même rêve au sein duquel chacun d’ eux reste seul ; d’où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose
581 ême rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ; d’ où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose. Dualité irrémédia
582 » soupire Tristan. Pourtant il sent déjà, au fond de la nuit qui vient, poindre la flamme secrète, ravivée par l’absence.
583 amme secrète, ravivée par l’absence. 9.L’amour de la Mort Mais il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare d’Aug
584 s il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare d’ Augustin est une émouvante formule dont lui-même ne s’est pas satisfai
585 cle dont nous avons souvent parlé, et la création de l’obstacle par la passion des deux héros (confondant ici ses effets a
586 s deux héros (confondant ici ses effets avec ceux de l’exigence romanesque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’es
587 ses effets avec ceux de l’exigence romanesque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’est-il qu’un prétexte, nécessa
588 le n’est-il qu’un prétexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’est-il pas lié à la passion d’une manière beaucoup p
589 s de la passion, ou n’est-il pas lié à la passion d’ une manière beaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même de la p
590 eaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même de la passion, — si l’on descend au fond du mythe ? ⁂ Nous avons vu que
591 es revoirs successifs des amants13. Or les causes de séparation sont de deux sortes ; circonstances extérieures adverses,
592 fs des amants13. Or les causes de séparation sont de deux sortes ; circonstances extérieures adverses, entraves inventées
593 ventées par Tristan. Tristan ne se comportera pas de la même manière dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt de dé
594 e dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt de dégager cette dialectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce son
595 est pas sans intérêt de dégager cette dialectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce sont les circonstances sociales
596 tances sociales qui menacent les amants (présence de Marc, méfiance des barons, jugement de Dieu, etc.), Tristan bondit pa
597 (présence de Marc, méfiance des barons, jugement de Dieu, etc.), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut d’un lit à
598 .), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut d’ un lit à l’autre en est le symbole). Quitte à souffrir (sa blessure se
599 ’il oublie la douleur et le danger dans l’ivresse de son « déduit ». Pourtant, le sang de sa blessure le trahit. C’est la
600 ns l’ivresse de son « déduit ». Pourtant, le sang de sa blessure le trahit. C’est la « marque rouge » qui met le roi sur l
601 t la « marque rouge » qui met le roi sur la trace de l’adultère. Quant à nous, elle nous met sur la trace du dessein secre
602 laquelle Tristan le surmonte est une affirmation de la vie. En tout cela ; Tristan n’obéit qu’à la coutume féodale des ch
603 u’à la coutume féodale des chevaliers : il s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus
604 éodale des chevaliers : il s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avon
605 l s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit d’ être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avons vu que cela le conduira
606 te autre est l’attitude du chevalier lorsque rien d’ extérieur à eux-mêmes ne sépare plus les amants. C’est même l’inverse
607 leurs corps demeurés vêtus, c’est encore occasion de prouesse, mais cette fois-ci contre lui-même, à ses dépens. Puisqu’il
608 ement la hiérarchie des préférences du conteur et de son lecteur. L’obstacle le plus grave, c’est donc celui que l’on préf
609 n. Notons aussi qu’en cette extrémité, la volonté de se séparer revêt une valeur affective plus forte que la passion même.
610 orte que la passion même. La mort, qui est le but de la passion, la tue. Mais l’épée nue n’est pas encore l’expression déc
611 pas encore l’expression décisive du désir sombre, de la fin même de la passion (au double sens du mot fin). L’admirable ép
612 pression décisive du désir sombre, de la fin même de la passion (au double sens du mot fin). L’admirable épisode des épées
613 l’on se rappelle qu’il substitue son arme à celle de son rival. Cela signifie qu’à l’obstacle désiré et librement créé par
614 rement créé par les amants, il substitue le signe de son pouvoir social, l’obstacle légal, objectif. Tristan relève ce déf
615 bstacle légal, objectif. Tristan relève ce défi : d’ où le rebondissement de l’action. Et ici le mot prend un sens symboliq
616 . Tristan relève ce défi : d’où le rebondissement de l’action. Et ici le mot prend un sens symbolique : l’action empêche l
617 sens symbolique : l’action empêche la « passion » d’ être totale, car la passion, c’est « ce que l’on subit » — à la limite
618 ’autres termes, cette action est un nouveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂ On retrouvera la mêm
619 uveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂ On retrouvera la même dialectique entre les deux mariages
620 lectique entre les deux mariages du Roman ; celui d’ Iseut la Blonde avec le Roi, et celui d’Iseut aux blanches mains avec
621 n ; celui d’Iseut la Blonde avec le Roi, et celui d’ Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier de ces mariages est
622 Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier de ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence
623 ristan. Le premier de ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé par
624 e du mari, méprisé par l’amour courtois. Occasion de prouesse classique et de rebondissements faciles. L’existence du mari
625 amour courtois. Occasion de prouesse classique et de rebondissements faciles. L’existence du mari, l’obstacle de l’adultèr
626 ssements faciles. L’existence du mari, l’obstacle de l’adultère, c’est le premier prétexte venu, le plus naturellement ima
627 ue à plaisir ! Sans le mari, je ne donne pas plus de trois ans à l’amour de Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sages
628 mari, je ne donne pas plus de trois ans à l’amour de Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’e
629 n effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’est d’ avoir limité à cette durée l’action du philtre : « La mère Iseut qui l
630 tre : « La mère Iseut qui le bollit — À trois anz d’ amistié le fist. » Sans le mari, il ne resterait aux deux amants qu’à
631 tan puisse jamais épouser Iseut. Elle est le type de la femme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l’aimer, pui
632 emme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait d’être ce qu’elle est. Imaginez cela :
633 rs on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait d’ être ce qu’elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négatio
634 maginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation de la passion, au moins de celle dont nous nous occupons. L’ardeur amour
635 istan ! C’est la négation de la passion, au moins de celle dont nous nous occupons. L’ardeur amoureuse spontanée, couronné
636 st une flambée qui ne peut pas survivre à l’éclat de sa consommation. Mais sa brûlure demeure inoubliable, et c’est elle q
637 mants veulent prolonger et renouveler à l’infini. D’ où les périls nouveaux qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier
638 surmontés. C’est alors qu’il s’éloigne, en quête d’ aventures plus secrètes et plus profondes, l’on dirait même : plus int
639 d’Iseut aux blanches mains croit son ami amoureux de sa sœur. Cette erreur — provoquée par le nom des deux femmes — est la
640 deux femmes — est la seule « raison » du mariage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé de s’expliquer. Mais une foi
641 riage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé de s’expliquer. Mais une fois de plus, l’honneur interviendra, et au seu
642 de plus, l’honneur interviendra, et au seul titre de prétexte, pour empêcher Tristan de se dédire. C’est que l’amant press
643 au seul titre de prétexte, pour empêcher Tristan de se dédire. C’est que l’amant pressent, dans cette nouvelle épreuve qu
644 cette nouvelle épreuve qu’il s’impose, l’occasion d’ un progrès décisif. Ce mariage blanc avec une femme qu’il trouve belle
645 hasteté du chevalier marié répond à la déposition de l’épée nue entre les corps. Mais une chasteté volontaire, c’est un su
646 n suicide symbolique — (on voit ici le sens caché de l’épée). C’est une victoire de l’idéal courtois sur la robuste tradit
647 ici le sens caché de l’épée). C’est une victoire de l’idéal courtois sur la robuste tradition celtique qui affirmait l’or
648 obuste tradition celtique qui affirmait l’orgueil de vivre. C’est une manière de purification de ce qui subsistait, dans l
649 i affirmait l’orgueil de vivre. C’est une manière de purification de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’anim
650 gueil de vivre. C’est une manière de purification de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et d’actif. V
651 purification de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le dési
652 de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’ animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe d
653 bsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et d’ actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort su
654 désir, de spontané, d’animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort sur la vie. ⁂ Ainsi
655 Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort sur la vie. ⁂ Ainsi donc cette préférence accordée à l’obstac
656 ccordée à l’obstacle voulu, c’était l’affirmation de la mort, c’était un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort d’amour
657 tait un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort d’ amour, vers une mort volontaire au terme d’une série d’épreuves dont T
658 e mort d’amour, vers une mort volontaire au terme d’ une série d’épreuves dont Tristan sorte purifié ; vers une mort qui so
659 ur, vers une mort volontaire au terme d’une série d’ épreuves dont Tristan sorte purifié ; vers une mort qui soit une trans
660 non pas un hasard brutal. Il s’agit donc toujours de ramener la fatalité extérieure à une fatalité interne, librement assu
661 librement assumée par les amants. C’est le rachat de leur destin qu’ils accomplissent en mourant par amour : c’est une rev
662 e. Et l’on assiste, in extremis, au renversement de la dialectique passion-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’obstacle qu
663 iment ce n’est plus l’obstacle qui est au service de la passion fatale, mais au contraire il est devenu le but, la fin dés
664 elle-même. Et la passion n’a donc joué qu’un rôle d’ épreuve purificatrice, on dirait presque de pénitence au service de ce
665 n rôle d’épreuve purificatrice, on dirait presque de pénitence au service de cette mort qui transfigure. Nous touchons au
666 atrice, on dirait presque de pénitence au service de cette mort qui transfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour
667 sfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour de l’amour même dissimulait une passion beaucoup plus terrible, une volo
668 que se « trahir » par des symboles tels que celui de l’épée nue ou de la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants m
669 par des symboles tels que celui de l’épée nue ou de la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants malgré eux n’ont j
670 n’ont jamais cherché que le rachat et la revanche de « ce qu’ils subissaient » — la passion initiée par le philtre. Au fon
671 on initiée par le philtre. Au fond le plus secret de leur cœur, c’était la volonté de la mort, la passion active de la Nui
672 d le plus secret de leur cœur, c’était la volonté de la mort, la passion active de la Nuit qui leur dictait ses décisions
673 c’était la volonté de la mort, la passion active de la Nuit qui leur dictait ses décisions fatales. 10.Le philtre E
674 the, la nécessité même qui l’a créé. Le sens réel de la passion est tellement effrayant et inavouable, que non seulement c
675 la vivent ne sauraient prendre aucune conscience de sa fin, mais que ceux qui la veulent dépeindre dans sa merveilleuse v
676 ans sa merveilleuse violence se voient contraints de recourir au langage trompeur des symboles. Laissons de côté, pour le
677 courir au langage trompeur des symboles. Laissons de côté, pour le moment, la question de savoir si les auteurs des cinq p
678 es. Laissons de côté, pour le moment, la question de savoir si les auteurs des cinq poèmes primitifs étaient ou non consci
679 s cinq poèmes primitifs étaient ou non conscients de la portée de leur œuvre. En tout état de cause, il convient de précis
680 primitifs étaient ou non conscients de la portée de leur œuvre. En tout état de cause, il convient de préciser le sens du
681 nscients de la portée de leur œuvre. En tout état de cause, il convient de préciser le sens du mot « trompeur » que nous v
682 de leur œuvre. En tout état de cause, il convient de préciser le sens du mot « trompeur » que nous venons d’utiliser. La v
683 ciser le sens du mot « trompeur » que nous venons d’ utiliser. La vulgarisation de la psychanalyse nous habitue à concevoir
684 ur » que nous venons d’utiliser. La vulgarisation de la psychanalyse nous habitue à concevoir qu’un désir refoulé « s’expr
685 terdite, l’amour inavouable, se créent un système de symboles, un langage hiéroglyphique, dont la conscience n’a pas la cl
686 me ce qu’il veut dire sans le dire. Il lui arrive de composer en un seul geste ou une seule métaphore à la fois l’expressi
687 ste ou une seule métaphore à la fois l’expression de l’objet désiré et l’expression de ce qui condamne ce désir. Ainsi l’i
688 is l’expression de l’objet désiré et l’expression de ce qui condamne ce désir. Ainsi l’interdiction reste affirmée, et l’o
689 ibles se voient du même coup satisfaites : besoin de parler de ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour
690 oient du même coup satisfaites : besoin de parler de ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour du risque
691 tes : besoin de parler de ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour du risque et instinct de prudence. I
692 ustraire au jugement, amour du risque et instinct de prudence. Interrogez celui qui use d’un tel langage, demandez-lui rai
693 et instinct de prudence. Interrogez celui qui use d’ un tel langage, demandez-lui raison de sa prédilection pour telle ou t
694 lui qui use d’un tel langage, demandez-lui raison de sa prédilection pour telle ou telle image d’apparence bizarre, il rép
695 ison de sa prédilection pour telle ou telle image d’ apparence bizarre, il répondra que « c’est tout naturel », « qu’il n’e
696 « qu’il n’en sait rien », « qu’il n’y attache pas d’ importance ». S’il est poète, il parlera d’inspiration, ou au contrair
697 he pas d’importance ». S’il est poète, il parlera d’ inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court
698 ontraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court de bonnes raisons pour démontrer qu’il n’est responsable de rien… Imagin
699 es raisons pour démontrer qu’il n’est responsable de rien… Imaginons maintenant le problème qui se posait à l’auteur du Ro
700 blème qui se posait à l’auteur du Roman primitif. De quel matériel symbolique — apte à cacher ce qu’il fallait traduire —
701 fallait traduire — disposait-il au xiie siècle ? De la magie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d
702 e — disposait-il au xiie siècle ? De la magie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d’expression sau
703 gie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d’expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner
704 rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d’ expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner de raisons, v
705 ion saute aux yeux. La magie persuade sans donner de raisons, voire dans la mesure où elle n’en donne point. Et la rhétori
706 , comme d’ailleurs toute rhétorique, est le moyen de faire passer pour « naturelles » les plus obscures propositions. Masq
707 us obscures propositions. Masque idéal ! Garantie de secret, mais aussi garantie d’approbation sans condition de la part d
708 e idéal ! Garantie de secret, mais aussi garantie d’ approbation sans condition de la part du lecteur de roman. La chevaler
709 ’approbation sans condition de la part du lecteur de roman. La chevalerie, c’est la règle sociale que les élites du siècle
710 la règle sociale que les élites du siècle rêvent d’ opposer aux pires « folies » dont elles se sentent menacées. La coutum
711 lies » dont elles se sentent menacées. La coutume de la chevalerie fournira donc le cadre du Roman. Et nous avons marqué,
712 nous avons marqué, en maint endroit, le caractère de « prétexte rêvé » des interdictions qu’elle impose. Pour la magie, v
713 our la magie, voici quel sera son rôle. Il s’agit de dépeindre une passion dont la violence fascinante ne peut être accept
714 ra donc l’admirer qu’en tant qu’on l’aura libérée de toute espèce de lien visible avec l’humaine responsabilité. L’interve
715 r qu’en tant qu’on l’aura libérée de toute espèce de lien visible avec l’humaine responsabilité. L’intervention du philtre
716 sponsabilité. L’intervention du philtre, agissant d’ une manière fatale, et mieux encore bu par erreur, se révèle désormais
717 4. Qu’est-ce alors que le philtre ? C’est l’alibi de la passion. C’est ce qui permet aux malheureux amants de dire : « Vou
718 assion. C’est ce qui permet aux malheureux amants de dire : « Vous voyez que je n’y suis pour rien, vous voyez que c’est p
719 . » Et cependant, nous voyons bien qu’à la faveur de cette fatalité trompeuse, tous leurs actes sont orientés vers le dest
720 rs le destin mortel qu’ils aiment, avec une sorte d’ astucieuse résolution, avec une ruse d’autant plus infaillible qu’elle
721 une sorte d’astucieuse résolution, avec une ruse d’ autant plus infaillible qu’elle peut agir à l’abri du jugement. Nos ac
722 it ce but, mais la conscience n’a pas eu le temps d’ intervenir et de gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus
723 la conscience n’a pas eu le temps d’intervenir et de gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus belles scènes d
724 ent comme en toute innocence. ⁂ Il n’y aurait pas de mythe, il n’y aurait pas de roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire
725 . ⁂ Il n’y aurait pas de mythe, il n’y aurait pas de roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire quelle est la fin qu’ils se
726 vaient dire quelle est la fin qu’ils se préparent de toute leur volonté profonde, et plus que profonde, abyssale. Qui donc
727 déteste le Jour qui l’offusque ? et qu’il attend de tout son être l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucou
728 et qu’il attend de tout son être l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucoup plus tard, ont osé cet aveu supr
729 romancier désire flatter chez l’auditeur paraît, d’ ordinaire, plus débile. Il y a peu de chance qu’elle soit jamais pouss
730 ndubitable, par une mort qui la manifeste au-delà de tout repentir possible ! Certains mystiques ont fait plus qu’avouer :
731 , une force aveugle ou le Néant, qui s’emparaient de leur secret vouloir, mais le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive f
732 le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive flamme d’ amour » éclose aux « déserts » de la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien
733 la « vive flamme d’amour » éclose aux « déserts » de la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien avouer. Il veut comme s’il ne vou
734 sa fuite désespérée, dans la sublime coquetterie de sa fuite ! Et qu’il l’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplair
735 ’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplaire de sa vie. Les raisons de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne s
736 l à la grandeur exemplaire de sa vie. Les raisons de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables a
737 Elles le méprisent. Tristan s’est fait prisonnier d’ un délire auprès duquel pâlissent toute sagesse, toute « vérité », et
738 toute « vérité », et la vie même. Il est au-delà de nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême
739 , et la vie même. Il est au-delà de nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême où la totale joui
740 ers l’instant suprême où la totale jouissance est de sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent décrire la Nuit, mais la « mus
741 sir dont elle procède. Levez-vous, orages sonores de la mort de Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le hé
742 le procède. Levez-vous, orages sonores de la mort de Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes so
743 vez-vous, orages sonores de la mort de Tristan et d’ Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes sons lamentables
744 en plus inquiète, lorsque le fils apprit le sort de la mère… Quand mon père m’engendra et mourut, quand ma mère me donna
745 ète : — Pour désirer et pour mourir ! Pour mourir de désirer ! Il peut maudire ses astres, sa naissance, mais la musique
746 me qui l’ai composé… Et je l’ai bu à longs traits de délice !… 11.L’amour réciproque malheureux Passion veut dire s
747 re et responsable. Aimer l’amour plus que l’objet de l’amour, aimer la passion pour elle-même, de l’amabam amare d’Augusti
748 bjet de l’amour, aimer la passion pour elle-même, de l’amabam amare d’Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et
749 imer la passion pour elle-même, de l’amabam amare d’ Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et chercher la souff
750 et chercher la souffrance. Amour-passion : désir de ce qui nous blesse, et nous anéantit par son triomphe. C’est un secre
751 n’a jamais toléré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé de refouler, — de préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa per
752 éré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé de refouler, —  de préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa persistance nous i
753 sa persistance nous invite à porter sur l’avenir de l’Europe un jugement très pessimiste. Marquons ici une incidence qui
754 développement : c’est la liaison ou la complicité de la passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mod
755 a liaison ou la complicité de la passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode de connaître qui défi
756 passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et d’ un certain mode de connaître qui définirait à lui seul notre psyché oc
757 e la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode de connaître qui définirait à lui seul notre psyché occidentale. Pourquo
758 i seul notre psyché occidentale. Pourquoi l’homme d’ Occident veut-il subir cette passion qui le blesse et que toute sa rai
759 C’est qu’il se connaît et s’éprouve sous le coup de menaces vitales, dans la souffrance et au seuil de la mort. Le troisi
760 e menaces vitales, dans la souffrance et au seuil de la mort. Le troisième acte du drame de Wagner décrit bien davantage q
761 t au seuil de la mort. Le troisième acte du drame de Wagner décrit bien davantage qu’une catastrophe romanesque : il décri
762 romanesque : il décrit l’essentielle catastrophe de notre sadique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût de se connaî
763 tastrophe de notre sadique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût de la collision
764 adique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût de la collision révélatrice qui est
765 ort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût de la collision révélatrice qui est sans doute la plus inarrachable des
766 i est sans doute la plus inarrachable des racines de l’instinct de la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illus
767 te la plus inarrachable des racines de l’instinct de la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illustrée, avouée e
768 des racines de l’instinct de la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illustrée, avouée et constatée par la puret
769 té du mythe originel, redescendons à l’expérience de la passion telle que la vivent les hommes d’aujourd’hui. Le succès pr
770 ence de la passion telle que la vivent les hommes d’ aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman de Tristan révèle en nous,
771 mmes d’aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman de Tristan révèle en nous, que nous le voulions ou non, une préférence i
772 e pour le malheur. Que ce malheur, selon la force de notre âme, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décade
773 me, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décadence, ou la souffrance qui transfigure, ou le défi que l’espr
774 Ce ciel aux nuées exaltées, crépuscule empourpré d’ héroïsme, n’annonce pas le Jour, mais la Nuit ! La « vraie vie est ail
775 illeurs », dit Rimbaud. Elle n’est qu’un des noms de la Mort, le seul nom par lequel nous osions l’appeler — tout en feign
776 r lequel nous osions l’appeler — tout en feignant de la repousser. Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui d’un a
777 Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui d’ un amour impossible ? C’est que nous aimons la brûlure, et la conscien
778 ’est que nous aimons la brûlure, et la conscience de ce qui brûle en nous. Liaison profonde de la souffrance et du savoir.
779 science de ce qui brûle en nous. Liaison profonde de la souffrance et du savoir. Complicité de la conscience et de la mort
780 rofonde de la souffrance et du savoir. Complicité de la conscience et de la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explica
781 ance et du savoir. Complicité de la conscience et de la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explication générale de not
782 gel a pu fonder sur elle une explication générale de notre esprit et même de notre Histoire.) Je définirais volontiers le
783 une explication générale de notre esprit et même de notre Histoire.) Je définirais volontiers le romantique occidental co
784 ent la douleur amoureuse, est un moyen privilégié de connaissance. Certes, cela vaut pour les meilleurs. Le grand nombre s
785 s. Le grand nombre se soucie peu de connaître, et de se connaître. Il cherche simplement l’amour le plus sensible. Mais c’
786 . Il me paraît que cela explique une bonne partie de notre psychologie. Sans traverses à l’amour, point de « roman ». Or c
787 otre psychologie. Sans traverses à l’amour, point de « roman ». Or c’est le roman qu’on aime, c’est-à-dire la conscience,
788 ience, l’intensité, les variations et les retards de la passion, son crescendo jusqu’à la catastrophe — et non point sa ra
789 du malheur qui le guette. Il y faut cette menace de la vie et des hostiles réalités qui l’éloignent dans quelque au-delà.
790 e durée sensible, elle ne peut être qu’un instant de grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une id
791 elle ne peut être qu’un instant de grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle de carte post
792 an et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle de carte postale. L’amour heureux n’a pas d’histoire dans la littérature
793 idylle de carte postale. L’amour heureux n’a pas d’ histoire dans la littérature occidentale. Et l’amour qui n’est pas réc
794 ur un amour vrai. La grande trouvaille des poètes de l’Europe, ce qui les distingue avant tout dans la littérature mondial
795 , ce qui exprime le plus profondément l’obsession de l’Européen : connaître à travers la douleur, c’est le secret du mythe
796 re à travers la douleur, c’est le secret du mythe de Tristan, l’amour-passion à la fois partagé et combattu, anxieux d’un
797 ur-passion à la fois partagé et combattu, anxieux d’ un bonheur qu’il repousse, magnifié par sa catastrophe, — l’amour réci
798 Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre, d’ une fidélité exemplaire. Mais le malheur, c’est que l’amour qui les « 
799 que l’amour qui les « demeine » n’est pas l’amour de l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’entr’aiment, ma
800 ais chacun n’aime l’autre qu’à partir de soi, non de l’autre. Leur malheur prend ainsi sa source dans une fausse réciproci
801 nsi sa source dans une fausse réciprocité, masque d’ un double narcissisme. À tel point qu’à certains moments, on sent perc
802 u’à certains moments, on sent percer dans l’excès de leur passion une espèce de haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avan
803 nt percer dans l’excès de leur passion une espèce de haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psy
804 dans l’excès de leur passion une espèce de haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psychologues
805 is, le vent souffle vers la terre natale. Ô fille d’ Irlande, où t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile, sont-ce tes soupir
806 le, souffle ô vent ! Malheur, ah ! malheur, fille d’ Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur de la passion qui fuit
807 d’Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur de la passion qui fuit le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel de
808 it le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel de l’amour : ce que l’on désire, on ne l’a pas encore — c’est la Mort —
809 — et l’on perd ce que l’on avait, — la jouissance de la vie. Mais cette perte n’est pas sentie comme un appauvrissement, b
810 sement, plus magnifiquement. C’est que l’approche de la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens
811 . C’est que l’approche de la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, le désir. Elle l
812 désir. Elle l’aggrave même parfois jusqu’au désir de tuer l’autre, ou de se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage.
813 e même parfois jusqu’au désir de tuer l’autre, ou de se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait enc
814 jusqu’au désir de tuer l’autre, ou de se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait encore Isolde, sec
815 ents, clamait encore Isolde, secouez la léthargie de cette mer rêveuse, ressuscitez des profondeurs l’implacable convoitis
816 oin de la vie qui les pousse, proies voluptueuses de forces contradictoires mais qui les précipitent au même vertige, les
817 e rejoindre qu’à l’instant qui les prive à jamais de tout espoir humain, de tout amour possible, au sein de l’obstacle abs
818 ant qui les prive à jamais de tout espoir humain, de tout amour possible, au sein de l’obstacle absolu et d’une suprême ex
819 t amour possible, au sein de l’obstacle absolu et d’ une suprême exaltation qui se détruit par son accomplissement. 12.U
820 pressentir certaines contradictions. L’hypothèse d’ une opposition, que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi de ch
821 ypothèse d’une opposition, que l’auteur eût tenté d’ illustrer, entre la loi de chevalerie et les coutumes féodales, nous a
822 que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi de chevalerie et les coutumes féodales, nous a permis de surprendre le m
823 hevalerie et les coutumes féodales, nous a permis de surprendre le mécanisme de ces contradictions. Alors a commencé notre
824 éodales, nous a permis de surprendre le mécanisme de ces contradictions. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet de
825 s. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet de la légende. Derrière la préférence accordée par l’auteur à la règle d
826 re la préférence accordée par l’auteur à la règle de chevalerie, il y a le goût du romanesque. Derrière le goût du romanes
827 que. Derrière le goût du romanesque, il y a celui de l’amour pour lui-même. Et cela suppose une recherche secrète de l’obs
828 r lui-même. Et cela suppose une recherche secrète de l’obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque
829 à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque d’ un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, q
830 Mais ce n’est encore là que le masque d’un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, qui se révèl
831 le suprême, c’est la mort, qui se révèle au terme de l’aventure comme la vraie fin, le désir désiré dès le début de la pas
832 comme la vraie fin, le désir désiré dès le début de la passion, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin r
833 doit renier l’intime évidence. Que la sécheresse d’ une description réduite à suivre en ses détours la logique interne du
834 peine devant les preuves ; mais quoi qu’on pense d’ une interprétation que j’ai stylisée à dessein, il demeure qu’elle nou
835 lisée à dessein, il demeure qu’elle nous a permis de surprendre à l’état naissant quelques relations fondamentales qui sou
836 est une ascèse. Elle s’oppose à la vie terrestre d’ une manière d’autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et
837 e. Elle s’oppose à la vie terrestre d’une manière d’ autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et que ce désir,
838 amour n’est pas sans lien profond avec notre goût de la guerre. Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin de la pa
839 Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin de la passion, sont des aspects de notre mode occidental de connaissance
840 ion, et le besoin de la passion, sont des aspects de notre mode occidental de connaissance, il faut en venir — au moins so
841 assion, sont des aspects de notre mode occidental de connaissance, il faut en venir — au moins sous forme de question — à
842 peut-être, en fin de compte, la plus fondamentale de toutes. Connaître à travers la souffrance, n’est-ce pas l’acte même,
843 ouffrance, n’est-ce pas l’acte même, et l’audace, de nos mystiques les plus lucides ? Érotique au sens noble, et mystique 
844 ? Érotique au sens noble, et mystique : que l’une de l’autre soit cause ou effet, ou qu’elles aient une commune origine — 
845 ieille et grave mélodie » orchestrée par le drame de Wagner : Elle m’a interrogé un jour, et voici qu’elle me parle encor
846 épète : — Pour désirer et pour mourir. ⁂ Partant d’ un examen « physionomique » des formes et des structures du Roman, nou
847 nous venons de dégager. 1. Il est assez facile d’ éliminer, par une comparaison critique, les fantaisies individuelles d
848 elles des cinq auteurs. Dans l’analyse du contenu de la légende qu’on trouvera au chapitre 5, ces variantes seront négligé
849 circonstances passagères, ou des goûts personnels de l’auteur. 2. Voir Appendice 1. 3. Appendice 2. 4. Ce serait ici l
850 ’individu. Que le rationalisme soit passé au rang de doctrine officielle ne doit pas nous faire oublier son efficacité pro
851 par M. Joseph Bédier (dans son étude sur le poème de Thomas) entre les cinq versions du xiie siècle : Béroul, Thomas, Eil
852 an et le Roman en prose. Les versions ultérieures de Gottfried de Strasbourg et de tous les imitateurs allemands, italiens
853 ersions ultérieures de Gottfried de Strasbourg et de tous les imitateurs allemands, italiens, danois, russes, tchèques, et
854 mpte également des travaux critiques plus récents de MM. E. Muret et E. Vinaver. 7. « Pur belté e pur nun d’Isolt » (Thom
855 E. Muret et E. Vinaver. 7. « Pur belté e pur nun d’ Isolt » (Thomas). 8. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème de Tho
856 s). 8. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème de Thomas (t. I, p. 240), nous lisons que le veneur du roi, pénétrant da
857 s la retraite des amants « vit Tristan couché, et de l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour s
858 s amants « vit Tristan couché, et de l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour se reposer à caus
859 la forte chaleur, et dormaient ainsi séparés l’un de l’autre parce que… » Ici le texte est interrompu ! Et Bédier dit en n
860 une étoffe dont on s’habille — Il se prête au gré de tous — Soit à la sincérité soit à la tromperie — Il est toujours ce q
861 veut qu’il soit… » 10. Et qu’il avait conquise de plein droit pour lui-même en la délivrant du dragon — comme ne manque
862 e en la délivrant du dragon — comme ne manque pas de le souligner Thomas. 11. Fauriel, Histoire de la poésie provençale,
863 s de le souligner Thomas. 11. Fauriel, Histoire de la poésie provençale, I, p. 512. 12. Précisons que : 1° elles sont o
864 ’un calcul secret ; car si l’on choisissait l’une d’ elles à l’exclusion totale de l’autre, la situation se dénouerait trop
865 on choisissait l’une d’elles à l’exclusion totale de l’autre, la situation se dénouerait trop vite ; 2° elles ne sont pas
866 Mais sans cette faute initiale, il n’y aurait pas de roman du tout. 13. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour de Tri
867 . 13. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour de Tristan en Irlande. Ils se séparent sans s’aimer. — Second séjour : e
868 e, péché consommé ; Iseut livrée. — Tristan banni de la cour. Rendez-vous sous l’arbre. — Tristan revient à la cour. Le « 
869 en fou ; s’éloigne. — Longue séparation, mariage de Tristan. — Iseut s’approche et Tristan meurt. Puis mort d’Iseut. Résu
870 n. — Iseut s’approche et Tristan meurt. Puis mort d’ Iseut. Résumons encore : une seule longue période de réunion (l’aspre
871 Iseut. Résumons encore : une seule longue période de réunion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période de séparation (
872 ion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période de séparation (le mariage de Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fi
873 épond la longue période de séparation (le mariage de Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fin : la double Mort ; entre
874 hiltre ; à la fin : la double Mort ; entre-temps, de furtives rencontres. 14. Thomas, qui cherche à diminuer le rôle de
875 res. 14. Thomas, qui cherche à diminuer le rôle de cette « emprise » magique, se verra condamné à rendre la passion moin
876 r en ceci à Béroul il sera le premier responsable de la dégradation du mythe. 15. Dans le drame de Wagner, quand le roi s
877 le de la dégradation du mythe. 15. Dans le drame de Wagner, quand le roi surprend les amants, Tristan répond à ses questi
878 , et là où j’irai pour toujours : le vaste empire de l’éternelle nuit. Là-bas, une science unique nous est donnée : le div
879 erbez : La mere Yseut, qui le bollit, A trois anz d’ amistié le fist.
3 1939, L’Amour et l’Occident. Livre II. Les origines religieuses du mythe
880 ure, ou dans l’instinct, les esquisses grossières de faits « spirituels », aussitôt nous croyons tenir une explication de
881 ls », aussitôt nous croyons tenir une explication de ces faits. Le plus bas nous paraît le plus vrai. C’est la superstitio
882 us vrai. C’est la superstition du temps, la manie de « ramener » le sublime à l’infime, l’étrange erreur qui prend pour ca
883 s spiritualistes. Mais je distingue mal l’intérêt d’ un affranchissement qui consiste à « expliquer » Dostoïevski par le ha
884 l, et Nietzsche par la syphilis. Curieuse manière de libérer l’esprit, qui se « ramène » à le nier. Mais j’ai beau dire et
885 ène » à le nier. Mais j’ai beau dire et protester d’ avance : si je constate que l’instinct et le sexe connaissent une dial
886 ue spontanée, analogue à certains égards, à celle de la passion dans notre mythe, beaucoup penseront que voilà qui suffit…
887 que voilà qui suffit… Donnons une page à ce genre d’ objections. ⁂ L’obstacle dont on a vu le jeu au cours de notre analyse
888 au cours de notre analyse du mythe, n’est-il pas d’ origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’est-ce pas la ruse la
889 l s’impose parfois une certaine continence, quasi d’ instinct, dans l’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur de S
890 continence, quasi d’instinct, dans l’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur de Sparte, imposait aux jeunes marié
891 ’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur de Sparte, imposait aux jeunes mariés une abstinence prolongée. « C’est
892 que — qu’ils soient toujours plus forts et dispos de leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir d’aimer à cœur saoul
893 leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir d’ aimer à cœur saoul, leur amour en demeure toujours frais, et que leurs
894 obstacle instinctif à l’instinct, ayant pour fin de rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu d’une telle discipli
895 rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu d’ une telle discipline est relative à la vie même, non à l’esprit. Elle
896 obtenu. Elle ne cherche rien au-delà. L’eugénisme d’ un Lycurgue n’est nullement ascétique, puisqu’il vise au contraire à l
897 u’il vise au contraire à la meilleure propagation de l’espèce. On ne saurait voir dans ces processus vitaux autre chose qu
898 s vitaux autre chose que le support physiologique de la dialectique passionnelle. Il faut bien que la passion se serve des
899 on des lois du corps n’explique nullement l’amour d’ un Tristan, par exemple. Elle rend d’autant plus évidente l’interventi
900 ment l’amour d’un Tristan, par exemple. Elle rend d’ autant plus évidente l’intervention d’un facteur « étranger » seul cap
901 . Elle rend d’autant plus évidente l’intervention d’ un facteur « étranger » seul capable de détourner l’instinct de son bu
902 tervention d’un facteur « étranger » seul capable de détourner l’instinct de son but naturel et de transformer le désir en
903 « étranger » seul capable de détourner l’instinct de son but naturel et de transformer le désir en une aspiration indéfini
904 ble de détourner l’instinct de son but naturel et de transformer le désir en une aspiration indéfinie, c’est-à-dire sans f
905 s chez les peuplades primitives. C’est un jeu que de retrouver l’« origine » sacrée des motifs caractéristiques du Roman.
906 ée des motifs caractéristiques du Roman. La quête de la fiancée lointaine, par exemple, se rattache au cérémonial du rapt
907 t nuptial, chez les tribus exogamiques. La morale de la prouesse est une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plu
908 e de la prouesse est une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité d’une sélect
909 s beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité d’ une sélection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir de la mort qu
910 ection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir de la mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct de mort décrit pa
911 mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct de mort décrit par Freud et par les plus récents biologistes. Mais on ne
912 e histoire européenne… L’antiquité n’a rien connu de semblable à l’amour de Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les
913 L’antiquité n’a rien connu de semblable à l’amour de Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains,
914 a rien connu de semblable à l’amour de Tristan et d’ Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains, l’amour est un
915 ux, il leur faut pardonner comme étant malades… » D’ où vient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce
916 t malades… » D’où vient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce qui nous touche dans le Roman ? Parl
917 stement ce qui nous touche dans le Roman ? Parler de déviation de l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoi
918 i nous touche dans le Roman ? Parler de déviation de l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoir, précisémen
919 e l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoir, précisément, quel est le facteur qui a pu causer cette déviat
920 .) Platon nous parle dans Phèdre et le Banquet d’ une fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler d’humeurs maligne
921 fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler d’ humeurs malignes. Ce n’est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est
922 r tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce de fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni
923 loue. Mais il est une autre espèce de fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni ne se crée da
924 agit du dehors, un emportement, un rapt indéfini de la raison et du sens naturel. On l’appellera donc enthousiasme, ce qu
925 signifie « endieusement », car ce délire procède de la divinité et porte notre élan vers Dieu. Tel est l’amour platonicie
926 l’amour platonicien : « délire divin », transport de l’âme, folie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’être aimé
927 l », car l’amour est la voie qui monte par degrés d’ extase vers l’origine unique de tout ce qui existe, loin des corps et
928 i monte par degrés d’extase vers l’origine unique de tout ce qui existe, loin des corps et de la matière, loin de ce qui d
929 e unique de tout ce qui existe, loin des corps et de la matière, loin de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’
930 de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’ être soi et d’être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir tota
931 se et distingue, au-delà du malheur d’être soi et d’ être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c’est l’Asp
932 é à sa plus haute puissance, à l’extrême exigence de pureté qui est l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est
933 ême exigence de pureté qui est l’extrême exigence d’ Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’être actuel, dans sa so
934 gence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’élan suprême
935 ir aboutit à ce qui est non-désir. La dialectique d’ Éros introduit dans la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes
936 ctique d’Éros introduit dans la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes de l’attrait sexuel : un désir qui ne retom
937 la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes de l’attrait sexuel : un désir qui ne retombe plus, que plus rien ne peu
938 atisfaire, qui repousse même et fuit la tentation de s’accomplir dans notre monde, parce qu’il ne veut embrasser que le To
939 le Tout. C’est le dépassement infini, l’ascension de l’homme vers son dieu. Et ce mouvement est sans retour. ⁂ Les origine
940 nsi l’Orient vint rêver dans nos vies, réveillant de très vieux souvenirs. Car du fond de notre Occident, la voix des bard
941 , réveillant de très vieux souvenirs. Car du fond de notre Occident, la voix des bardes celtes lui répondait. Je ne sais s
942 armonie ancestrale — toutes nos races sont venues d’ Orient — ou simplement si la nature humaine n’est point portée en tous
943 ques à ceux des Grecs — la quête du Graal à celle de la Toison d’or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration
944 es Grecs — la quête du Graal à celle de la Toison d’ or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration des âmes à ce
945 raal à celle de la Toison d’or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration des âmes à celles des druides sur l’i
946 agent des travaux récents, renforçant l’hypothèse d’ une communauté originelle des croyances religieuses en Orient et en Oc
947 ome, les Celtes avaient conquis une grande partie de l’Europe actuelle. Venus du Sud-Ouest de la Germanie et du Nord-Est d
948 à sac Rome et Delphes, et soumis tous les peuples de l’Atlantique à la mer Noire. Ils poussèrent même jusqu’en Ukraine et
949 alates), préfigurant assez exactement l’extension de l’Empire romain. Or les Celtes n’étaient pas une nation. Ils n’avaien
950 eltes n’étaient pas une nation. Ils n’avaient pas d’ autre « unité » que celle d’une civilisation, dont le principe spiritu
951 on. Ils n’avaient pas d’autre « unité » que celle d’ une civilisation, dont le principe spirituel était maintenu par le col
952 orte internationale », commune à tous les peuples d’ origine celtique, du fond de la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Ital
953 ne à tous les peuples d’origine celtique, du fond de la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les v
954 les d’origine celtique, du fond de la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les voyages et les renc
955 ent l’union des peuples celtiques et le sentiment de leur parenté »16. Les druides formaient des confréries religieuses do
956 uides formaient des confréries religieuses douées de pouvoirs très étendus. Ils étaient à la fois devins, magiciens, médec
957 ecins, prêtres, professeurs. Ils n’écrivaient pas de livres, mais donnaient un enseignement oral, en vers gnomiques, à des
958 s gnomiques, à des élèves qu’ils gardaient auprès d’ eux pendant vingt ans17. (On a pu rapprocher ce collège sacerdotal d’i
959 ans17. (On a pu rapprocher ce collège sacerdotal d’ institutions tout à fait identiques chez les autres peuples indo-europ
960 euples indo-européens : mages iraniens, brahmanes de l’Inde, pontifes et flamines de Rome. Le flamen porte d’ailleurs le m
961 aniens, brahmanes de l’Inde, pontifes et flamines de Rome. Le flamen porte d’ailleurs le même nom que le brahmane.18) Il e
962 la mort. Vie aventureuse, très semblable à celle de la terre, mais épurée, et dont certains héros pouvaient revenir, sous
963 se mêler aux vivants. Par cette doctrine centrale de la survie des âmes, les Celtes s’apparentent aux Grecs. Mais toute do
964 ltes s’apparentent aux Grecs. Mais toute doctrine de l’immortalité suppose une préoccupation tragique de la mort. Les Celt
965 l’immortalité suppose une préoccupation tragique de la mort. Les Celtes, écrit Hubert, « ont cultivé certainement la méta
966 ubert, « ont cultivé certainement la métaphysique de la mort… Ils ont beaucoup rêvé sur la mort. C’était une compagne fami
967 iétant ». De même, dans leur mythologie, « l’idée de mort domine tout, et tout la découvre »19. Et cela n’est pas sans inc
968 précis avec ce que l’on a dit plus haut du mythe de Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir de mort. D’autre par
969 Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir de mort. D’autre part, les dieux celtiques forment deux séries opposées 
970 dieux lumineux et dieux sombres. Il nous importe de souligner ce fait du dualisme fondamental de la religion des druides.
971 orte de souligner ce fait du dualisme fondamental de la religion des druides. Car c’est ici que se révèle la convergence d
972 ues, et hindouistes avec la religion fondamentale de l’Europe. De l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprim
973 uistes avec la religion fondamentale de l’Europe. De l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les f
974 ion fondamentale de l’Europe. De l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les formes les plus diver
975 mes les plus diverses, ce même mystère du Jour et de la Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lu
976 verses, ce même mystère du Jour et de la Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lumière incréée,
977 leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, auteur du mal,
978 dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, auteur du mal, qui domine toute la Création visible. Des si
979 Création visible. Des siècles avant l’apparition de Mani, on peut déceler la même opposition dans les mythologies indo-eu
980 dont l’un au moins intéresse directement l’objet de ce livre : la conception de la femme chez les Celtes n’est pas sans r
981 e directement l’objet de ce livre : la conception de la femme chez les Celtes n’est pas sans rappeler la dialectique plato
982 st pas sans rappeler la dialectique platonicienne de l’Amour. La femme figure aux yeux des druides un être divin et prophé
983 s fée ? », dit-elle. Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole de l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mé
984 Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole de l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terr
985 s apparences de la Femme, symbole de l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terrestres. Mais sym
986 sans fin. L’Essylt des légendes sacrées, « objet de contemplation, spectacle mystérieux », c’était l’invitation à désirer
987 , dira Goethe. Et Novalis : « La femme est le but de l’homme. » Ainsi l’aspiration vers la Lumière prend pour symbole l’at
988 qui réside par-delà les étoiles, c’est le royaume de Dispater, le père des Ombres. Et de même, le Tristan de Wagner veut s
989 agner veut sombrer, mais pour renaître en un ciel de Lumière. La « Nuit » qu’il chante, c’est le Jour incréé. Et sa passio
990 est le Jour incréé. Et sa passion, c’est le culte d’ Éros, le Désir qui méprise Vénus, même quand il souffre volupté, même
991 même quand il croit aimer un être… On parle trop de nirvana et de bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le f
992 croit aimer un être… On parle trop de nirvana et de bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen de l
993 opos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen de l’Occident n’avait pas pu fournir au magicien les éléments les plus a
994 fournir au magicien les éléments les plus actifs de son philtre ! Il est frappant de constater d’ailleurs à quel point le
995 les plus actifs de son philtre ! Il est frappant de constater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de l’Europe a
996 ater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de l’Europe a survécu à la conquête romaine et aux invasions germaniques
997 man et les langues romanes attestent l’importance de l’héritage celtique. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et de
998 éritage celtique. Plus tard, ce furent des moines d’ Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conse
999 que. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conservées justeme
1000 culte des lettres. Et ceci nous amène aux abords de l’époque où se forma notre mythe… ⁂ Mais plus près de nous que Platon
1001 près de nous que Platon et les druides, une sorte d’ unité mystique du monde indo-européen se dessine comme en filigrane à
1002 sons le domaine géographique et historique qui va de l’Inde à la Bretagne, nous constatons qu’une religion s’y est répandu
1003 nous constatons qu’une religion s’y est répandue, d’ une manière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle de notre ère,
1004 ière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle de notre ère, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et de la Nuit t
1005 re, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et de la Nuit tels qu’ils s’étaient élaborés en Perse d’abord, puis dans le
1006 nichéenne. Les difficultés mêmes que l’on éprouve de nos jours à définir cette religion ne sont pas sans nous renseigner s
1007 e jusqu’à nos jours émanent presque exclusivement de ses adversaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine de Mani (qui
1008 ersaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine de Mani (qui était originaire de l’Iran) ait pris, selon les peuples et
1009 ien que la doctrine de Mani (qui était originaire de l’Iran) ait pris, selon les peuples et leurs croyances, des formes tr
1010 (Zarathustra ou Zoroastre). De plus il est permis de penser que les survivances celtiques dans le Midi languedocien offrir
1011 ut doivent être retenus : 1° Le dogme fondamental de toutes les sectes manichéennes, c’est la nature divine ou angélique d
1012 manichéennes, c’est la nature divine ou angélique de l’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit de la matière. Is
1013 élique de l’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit de la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en e
1014 ’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit de la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en exil et sépa
1015 formes créées et de la nuit de la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en exil et séparé d’eux. Je suis un
1016 a lumière et des dieux Me voici en exil et séparé d’ eux. Je suis un dieu, et né des dieux Mais maintenant réduit à souffr
1017 duit à souffrir. Ainsi lamente le Moi spirituel d’ un disciple du sauveur Mani, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan d
1018 disciple du sauveur Mani, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une p
1019 eur Mani, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une part la « réminisc
1020 e revenu du Ciel sur la terre, et qui se souvient de l’île des immortels. Mais cet élan est sans cesse entravé par la jalo
1021 s cet élan est sans cesse entravé par la jalousie de Vénus (Dîbat dans le premier hymne cité) qui veut retenir dans la som
1022 ant en proie au lumineux Désir. Tel est le combat de l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale d
1023 eux Désir. Tel est le combat de l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale des anges déchus dans
1024 . Il est très important et significatif pour nous de remarquer à la suite d’un travail récent22 que la structure de la foi
1025 et significatif pour nous de remarquer à la suite d’ un travail récent22 que la structure de la foi manichéenne « est essen
1026 à la suite d’un travail récent22 que la structure de la foi manichéenne « est essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu
1027 sentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition rati
1028 ». Autrement dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnell
1029 dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnelle et « object
1030 is angoissée et enthousiasmante (au sens littéral de ce terme), d’ordre essentiellement poétique. « La « vérité » de la co
1031 t enthousiasmante (au sens littéral de ce terme), d’ ordre essentiellement poétique. « La « vérité » de la cosmogonie et de
1032 d’ordre essentiellement poétique. « La « vérité » de la cosmogonie et de la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans
1033 ent poétique. « La « vérité » de la cosmogonie et de la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans la certitude attest
1034 le récitatif du psaume ». Et l’on songe au secret de Tristan, qu’il ne peut « dire » mais seulement chanter… ⁂ Toute conce
1035 même ; et dans la mort le bien dernier, le rachat de la faute d’être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse i
1036 ns la mort le bien dernier, le rachat de la faute d’ être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse indistinction
1037 graduelle, par la mort progressive et volontaire de l’ascèse, nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin de l’esprit,
1038 e, nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin de l’esprit, son but, c’est aussi la fin de la vie, c’est la mort. Éros,
1039 s la fin de l’esprit, son but, c’est aussi la fin de la vie, c’est la mort. Éros, notre Désir suprême, n’exalte nos désirs
1040 désirs que pour les sacrifier. L’accomplissement de l’Amour nie tout amour terrestre. Et son Bonheur nie tout bonheur ter
1041 tout bonheur terrestre. Considéré du point de vue de la vie, un tel Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le
1042 ccidental sur lequel se détache notre mythe. Mais d’ où vient qu’il s’en soit « détaché », justement ? Quelle menace, quell
1043 duire que par le charme et la secrète incantation d’ un mythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile de
1044 ythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile de Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole
1045 apè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile de Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Die
1046 éternel, sans rémission, l’irrévocable hostilité de la Nuit terrestre et du Jour transcendant ? Non, car voici la suite d
1047 faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire co
1048 , et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloir
1049 ls unique venu du Père (I, 14-15). L’incarnation de la Parole dans le monde — de la Lumière dans les Ténèbres —, tel est
1050 -15). L’incarnation de la Parole dans le monde —  de la Lumière dans les Ténèbres —, tel est l’événement inouï qui nous dé
1051 est l’événement inouï qui nous délivre du malheur de vivre. Tel est le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’a
1052 us délivre du malheur de vivre. Tel est le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien que l’Écriture
1053 t le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien que l’Écriture nomme Agapè. Événement sans précédent
1054 ent, et « naturellement » incroyable. Car le fait de l’Incarnation est la négation radicale de toute espèce de religion. I
1055 le fait de l’Incarnation est la négation radicale de toute espèce de religion. Il est le suprême scandale, non seulement p
1056 arnation est la négation radicale de toute espèce de religion. Il est le suprême scandale, non seulement pour notre raison
1057 ison qui n’admet point cette impensable confusion de l’infini et du fini, mais surtout pour l’esprit religieux naturel. To
1058 ésir unique, qui aboutit à les nier. Le but final de cette dialectique, c’est la non-vie, la mort du corps. La Nuit et le
1059 me créé qui appartient à la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant d’être, en se « perdant » au sein de la divinité.
1060 à la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant d’ être, en se « perdant » au sein de la divinité. Mais le christianisme,
1061 la divinité. Mais le christianisme, par son dogme de l’incarnation du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique de fon
1062 du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique de fond en comble. Au lieu que la mort soit le terme dernier, elle devie
1063 ngile appelle « mort à soi-même », c’est le début d’ une vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite de l’esprit hors
1064 vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite de l’esprit hors du monde, mais son retour en force au sein du monde ! U
1065 nde ! Une recréation immédiate. Une réaffirmation de la vie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas de la vie idéal
1066 iate. Une réaffirmation de la vie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais de la vie présente
1067 ie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais de la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu —
1068 a vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais de la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu — le vrai Dieu — s’est f
1069 — s’est fait homme, et vrai homme. En la personne de Jésus-Christ, les ténèbres vraiment ont « reçu » la lumière. Et tout
1070 raiment ont « reçu » la lumière. Et tout homme né de femme qui croit cela, renaît de l’esprit dès maintenant : mort à soi-
1071 Et tout homme né de femme qui croit cela, renaît de l’esprit dès maintenant : mort à soi-même et mort au monde en tant qu
1072 mais, l’amour n’est plus fuite et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà de la mort, mais il se retourne vers la v
1073 et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà de la mort, mais il se retourne vers la vie. Et cette conversion de l’am
1074 s il se retourne vers la vie. Et cette conversion de l’amour fait apparaître le prochain. Pour l’Éros, la créature n’était
1075 re n’était qu’un prétexte illusoire, une occasion de s’enflammer ; et il fallait aussitôt s’en déprendre, puisque le but é
1076 ait aussitôt s’en déprendre, puisque le but était de brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulie
1077 re, puisque le but était de brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulier n’était guère qu’un déf
1078 n’était guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n
1079 été jusqu’à les revêtir. Et revêtant la condition de l’homme pécheur et séparé, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amo
1080 aré, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amour de Dieu nous a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle de la sanct
1081 s a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle de la sanctification. Le contraire de la sublimation, qui n’était que fu
1082 uvelle : celle de la sanctification. Le contraire de la sublimation, qui n’était que fuite illusoire au-delà du concret de
1083 ui n’était que fuite illusoire au-delà du concret de la vie. Aimer devient alors une action positive, une action de transf
1084 mer devient alors une action positive, une action de transformation. Éros cherchait le dépassement à l’infini. L’amour chr
1085 r aimer Dieu, c’est obéir à Dieu qui nous ordonne de nous aimer les uns les autres. Que signifie : Aimez vos ennemis ? C’e
1086 ue signifie : Aimez vos ennemis ? C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme i
1087 os ennemis ? C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est auss
1088 C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi de désir et d’ angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est aussi la naissan
1089 me, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est aussi la naissance du prochain. À ceux qui
1090 chain ? Jésus répond : c’est l’homme qui a besoin de vous. Tous les rapports humains, dès cet instant, changent de sens. L
1091 s les rapports humains, dès cet instant, changent de sens. Le nouveau symbole de l’Amour, ce n’est plus la passion infinie
1092 cet instant, changent de sens. Le nouveau symbole de l’Amour, ce n’est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumièr
1093 bole de l’Amour, ce n’est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Ég
1094 e n’est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Église. L’amour huma
1095 te de lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Église. L’amour humain lui-même s’en trouve transformé. Tandis que
1096 r le mariage. Un tel amour, étant conçu à l’image de l’amour du Christ pour son Église (Éph., 5,25), peut être vraiment ré
1097 me l’autre tel qu’il est — au lieu d’aimer l’idée de l’amour ou sa mortelle et délicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se mar
1098 élicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se marier que de brûler », écrit saint Paul aux Corinthiens.) De plus, c’est un amour
1099 naît dès ici-bas, dans l’obéissance, la plénitude de son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et de la Nuit, poussé à son extrême
1100 plénitude de son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et de la Nuit, poussé à son extrême logique, aboutissait, du point de vue d
1101 son extrême logique, aboutissait, du point de vue de la vie, au malheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’est un
1102 e n’est un malheur mortel que pour l’homme séparé de Dieu, mais un malheur recréateur et bienheureux dès cette vie pour le
1103 lut ». 4.Orient et Occident Est-il possible de définir l’Orient et l’Occident en dehors de la géographie ? En présen
1104 nce d’un problème aussi complexe, et en l’absence de toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que de s
1105 de toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté d’ un écrivain que de se borner à déclarer son parti pris. Ce que j’appel
1106 atisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que de se borner à déclarer son parti pris. Ce que j’appelle Orient, dans ce
1107 elle Orient, dans cet ouvrage, c’est une tendance de l’esprit humain qui a trouvé du côté de l’Asie ses plus hautes et pur
1108 lus hautes et pures expressions. J’entends parler d’ une forme de mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et m
1109 t pures expressions. J’entends parler d’une forme de mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et moniste dans
1110 ntale » ? À la négation du divers, à l’absorption de tous en Un, à la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas de die
1111 la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas de dieu, comme dans le bouddhisme, avec l’Être-Un universel. Et j’appel
1112  une différence qualitative infinie ». Donc point de fusion possible, ni d’union substantielle. Mais seulement une communi
1113 tive infinie ». Donc point de fusion possible, ni d’ union substantielle. Mais seulement une communion, dont le modèle est
1114 une communion, dont le modèle est dans le mariage de l’Église et de son Seigneur. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’
1115 dont le modèle est dans le mariage de l’Église et de son Seigneur. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas de pei
1116 Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas de peine à démontrer qu’il existe en Orient de nombreuses tendances occi
1117 a pas de peine à démontrer qu’il existe en Orient de nombreuses tendances occidentales ; et l’inverse. (Mais je ne fais pa
1118 veut l’union, c’est-à-dire la fusion essentielle de l’individu dans le dieu. L’individu distinct — cette erreur douloureu
1119 ticulières, elles ne représentent que des défauts de l’Être. Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amo
1120 ue des défauts de l’Être. Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera en même temps son ascèse, l
1121 s n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera en même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la
1122 n même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la vie. Agapè au contraire ne cherche pas l’union qui s’opérerait au
1123 re ne cherche pas l’union qui s’opérerait au-delà de la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort
1124 » Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas d’ être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne tro
1125 joue ici-bas. Le péché n’est pas d’être né, mais d’ avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne trouverons pas Dieu
1126 e trouverons pas Dieu par une élévation indéfinie de notre désir. Nous aurons beau sublimer notre Éros, il ne sera jamais
1127 re Éros, il ne sera jamais que nous-mêmes ! Point d’ illusions ni d’optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais
1128 sera jamais que nous-mêmes ! Point d’illusions ni d’ optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais alors, c’est l
1129 . Dieu nous cherche et nous a trouvés par l’amour de son Fils abaissé jusqu’à nous. L’Incarnation est le signe historique
1130 squ’à nous. L’Incarnation est le signe historique d’ une création renouvelée, où le croyant se trouve réintégré par l’acte
1131 où le croyant se trouve réintégré par l’acte même de sa foi. Désormais, pardonné et sanctifié, c’est-à-dire réconcilié, l’
1132 et s’aime lui-même en vérité. Pour l’Agapè, point de fusion ni d’exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’o
1133 -même en vérité. Pour l’Agapè, point de fusion ni d’ exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine d’une
1134 ution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine d’ une vie nouvelle, dont l’acte créateur s’appelle la communion. Et pour
1135 e à s’exalter, mais tel qu’il est dans la réalité de sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain, —
1136 s tel qu’il est dans la réalité de sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain, — n’est-on pas en d
1137 tresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain, — n’est-on pas en droit de conclure que cette forme d’amour
1138 Éros n’a pas de prochain, — n’est-on pas en droit de conclure que cette forme d’amour nommée passion doit normalement se d
1139 n’est-on pas en droit de conclure que cette forme d’ amour nommée passion doit normalement se développer au sein des peuple
1140 es peuples chrétiens — historiquement les peuples d’ Occident — ne devraient pas connaître la passion, ou tout au moins la
1141 connaître la passion, ou tout au moins la traiter d’ incroyance ? Or l’Histoire nous oblige à le constater : c’est l’invers
1142 ns qu’en Orient23, et dans la Grèce contemporaine de Platon, l’amour humain est très généralement conçu comme le plaisir,
1143 où elle exerce ses ravages aux dépens du monde et de soi. L’identification des éléments religieux dont nous avions décelé
1144 s et les mœurs. Serait-ce alors dans le fait même de cette contradiction flagrante que résiderait l’explication du mythe ?
1145 ns les mœurs occidentales Pour introduire plus de clarté dans ce dédale dialectique, je proposerai le schéma suivant :
1146 rare et méprisée. Christianisme Communion (pas d’ union essentielle). Amour du prochain. (Mariage heureux.) Conflits dou
1147 nflits douloureux, passion exaltée. Le principe d’ explication de ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de
1148 eux, passion exaltée. Le principe d’explication de ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de Platon et dur
1149 triompha. La primitive Église fut une communauté de faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereu
1150 primitive Église fut une communauté de faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereurs carolingien
1151 ui les imposèrent par la force à tous les peuples d’ Occident. Dès lors, les vieilles croyances païennes refoulées devinren
1152 ui dans un cadre chrétien, mais privé des secours d’ une foi réelle, un tel homme, fatalement, devait sentir en lui s’exalt
1153 bare. Il était prêt à accueillir, sous le couvert de formes catholiques, toutes les reviviscences des mystiques païennes c
1154 les reviviscences des mystiques païennes capables de le « libérer ». C’est ainsi que les doctrines secrètes, dont nous avo
1155 nsi que l’amour-passion, forme terrestre du culte de l’Éros, envahit la psyché des élites mal converties et souffrant du m
1156 rmes ésotériques, se déguisa en hérésies secrètes d’ apparences plus ou moins orthodoxes. Ces hérésies se propagèrent très
1157 où nous les retrouverons un peu plus tard mêlées de la manière la plus complexe à la grande renaissance mystique. D’autre
1158 sait pas toujours l’origine et la portée mystique de valeurs qu’elle prenait pour une mode et qu’elle accommodait à ses pl
1159 ne devait pas tarder à matérialiser les préceptes d’ une religion qui pourtant s’opposait au christianisme par son refus de
1160 ourtant s’opposait au christianisme par son refus de l’Incarnation, précisément ! Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul
1161 Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul exemple de ce processus si typiquement occidental, et qui consiste à garder le s
1162 ental, et qui consiste à garder le signe matériel d’ une religion dont on trahit l’esprit25. Platon liait l’Amour à la Beau
1163 tendait, c’était d’abord l’essence intellectuelle de la perfection incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’est deven
1164 llectuelle de la perfection incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’est devenue cette doctrine parmi nous ? « Person
1165 ne saurait dire jusqu’à quelles couches profondes de l’humanité d’Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’h
1166 e jusqu’à quelles couches profondes de l’humanité d’ Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’homme le plus s
1167 oniciennes. L’homme le plus simple use couramment d’ expressions et de notions qui remontent à Platon.26 » Mais il en abuse
1168 me le plus simple use couramment d’expressions et de notions qui remontent à Platon.26 » Mais il en abuse dans le sens où
1169 s il en abuse dans le sens où l’incline sa nature d’ Occidental. C’est ainsi que le platonisme nous a conduits à une terrib
1170 sion : à cette idée que l’amour dépend avant tout de la beauté physique — alors qu’en fait cette beauté même n’est que l’a
1171 ’est que l’attribut conféré par l’amant à l’objet de son choix d’amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour
1172 tribut conféré par l’amant à l’objet de son choix d’ amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour embellit son
1173 et que la beauté « officielle » n’est pas un gage d’ être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède, nous rend ave
1174 qui nous obsède, nous rend aveugles à la réalité de l’objet tel qu’il est dans sa vérité — ou bien nous la rend peu aimab
1175 rend peu aimable. Et il nous jette à la poursuite de chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore, d’où vient ce succès
1176 chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore, d’ où vient ce succès et cette permanence invincible de l’erreur héritée
1177 où vient ce succès et cette permanence invincible de l’erreur héritée de Platon ? C’est qu’elle trouve dans le cœur de tou
1178 t cette permanence invincible de l’erreur héritée de Platon ? C’est qu’elle trouve dans le cœur de tout homme — et spécial
1179 tée de Platon ? C’est qu’elle trouve dans le cœur de tout homme — et spécialement de tout Occidental — de très obscures co
1180 ouve dans le cœur de tout homme — et spécialement de tout Occidental — de très obscures complicités. Souvenons-nous du cul
1181 tout homme — et spécialement de tout Occidental — de très obscures complicités. Souvenons-nous du culte druidique pour la
1182 mme, être prophétique, « éternel féminin », « but de l’homme ». Les Celtes, déjà, tendaient donc à matérialiser l’élan div
1183 y a plus, nous le savons depuis Freud : le « type de femme » que chaque homme porte dans son cœur et qu’il assimile d’inst
1184 haque homme porte dans son cœur et qu’il assimile d’ instinct à la définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la
1185 cœur et qu’il assimile d’instinct à la définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoi
1186 définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les
1187 émoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les causes de la curieuse contradiction qui apparaît au xiie siècle entre les doct
1188 des contrecoups du christianisme (et spécialement de sa doctrine du mariage) dans les âmes où vivait encore un paganisme n
1189 que et contestable si nous n’étions pas en mesure de décrire avec précision les voies et moyens historiques de cette renai
1190 re avec précision les voies et moyens historiques de cette renaissance de l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers l
1191 voies et moyens historiques de cette renaissance de l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers le milieu du xiie siè
1192 é sa date : vers le milieu du xiie siècle. (Date de naissance de l’amour-passion !27) Et nous allons montrer qu’elle port
1193 ers le milieu du xiie siècle. (Date de naissance de l’amour-passion !27) Et nous allons montrer qu’elle porte un nom par
1194 ares Que toute la poésie européenne soit issue de la poésie des troubadours au xiie siècle, c’est ce dont personne ne
1195 « Oui, entre les xie et xiie siècles, la poésie d’ où qu’elle fût (hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienn
1196 poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du trou
1197 nt être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du troubadour, qui n’a
1198 t-ce que la poésie des troubadours ? L’exaltation de l’amour malheureux. « Il n’y a dans toute la lyrique occitane et la l
1199 qui toujours dit non.29 » L’Europe n’a pas connu de poésie plus profondément rhétorique : non seulement dans ses formes v
1200 que celle-ci ne prend sa source que dans les lois de l’amour courtois, les leys d’amors. Mais il faut dire aussi que jamai
1201 e que dans les lois de l’amour courtois, les leys d’ amors. Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut plus exalt
1202  Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour possible en cette
1203 ancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour possible en cette vie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la c
1204 ie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la chasteté. E d’ amor mou castitaz (d’amour vient chasteté) chante le troubadour toulou
1205 Amour suppose la chasteté. E d’amor mou castitaz ( d’ amour vient chasteté) chante le troubadour toulousain Guilhem Montanha
1206 amoureux. Le poète a gagné sa dame par la beauté de son hommage musical. Il lui jure à genoux une éternelle fidélité, com
1207 fidélité, comme on fait à un suzerain. « En gage d’ amour, la dame donnait à son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoign
1208 ur, la dame donnait à son paladin-poète un anneau d’ or, lui enjoignait de se lever, et lui déposait un baiser sur le front
1209 son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoignait de se lever, et lui déposait un baiser sur le front. Premier baiser, gén
1210 te union mystique en la plaçant sous l’invocation de la Vierge Marie. »30 (De tels excès ne devaient pas se multiplier, d’
1211 laçant sous l’invocation de la Vierge Marie. »30 ( De tels excès ne devaient pas se multiplier, d’ailleurs, et l’on va voir
1212 ’ailleurs, et l’on va voir pour quelles raisons.) D’ où vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuellement insati
1213 es raisons.) D’où vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuellement insatisfait », et cette louange enthousiast
1214 ait », et cette louange enthousiaste et plaintive d’ « une belle qui toujours dit non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme q
1215 aintive d’« une belle qui toujours dit non » ? Et d’ où vient ce savant lyrisme qui tout d’un coup se trouve là pour tradui
1216 non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme qui tout d’ un coup se trouve là pour traduire la passion nouvelle ? On ne saurait
1217 ne saurait trop souligner le caractère miraculeux de cette double naissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine d’ann
1218 e cette double naissance, si rapide : en l’espace d’ une vingtaine d’années, naissance d’une vision de la femme entièrement
1219 aissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine d’ années, naissance d’une vision de la femme entièrement contraire aux m
1220 : en l’espace d’une vingtaine d’années, naissance d’ une vision de la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles
1221 d’une vingtaine d’années, naissance d’une vision de la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles — (la femme
1222 ditionnelles — (la femme se voit élevée au-dessus de l’homme, dont elle devient l’idéal nostalgique) — et naissance d’une
1223 elle devient l’idéal nostalgique) — et naissance d’ une poésie à formes fixes, très compliquées et raffinées, sans précéde
1224 ns toute l’Antiquité ni dans les quelques siècles de culture qui succèdent à la renaissance carolingienne. Ou bien tout ce
1225 tout cela « tombe du ciel », c’est-à-dire jaillit d’ une inspiration subite et collective — mais encore faudrait-il expliqu
1226 els lieux bien définis ; ou bien tout cela relève d’ une cause historique précise — mais alors il s’agit de savoir pour que
1227 e cause historique précise — mais alors il s’agit de savoir pour quelles raisons elle est demeurée obscure jusqu’à nos jou
1228 estion, et la facilité avec laquelle ils décident de n’y point répondre. Tout le monde admet aujourd’hui que la poésie pro
1229 d’hui que la poésie provençale et les conceptions de l’amour qu’elle illustre, « loin de s’expliquer par les conditions où
1230 le ne reflète aucunement la réalité, la condition de la femme n’ayant pas été, dans les institutions féodales du Midi, moi
1231 « évident » que les troubadours ne tiraient rien de la réalité sociale, il paraît non moins évident que leur conception d
1232 , il paraît non moins évident que leur conception de l’amour venait d’ailleurs. Quel pouvait être cet ailleurs ? La même q
1233  », écrit M. Jeanroy (quitte à reprocher à chacun de ces poètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce d’originalité
1234 te à reprocher à chacun de ces poètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’être borné à raffi
1235 oètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce d’ originalité et de s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieu
1236 de n’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieux communs : mais
1237 se risque à formuler une hypothèse sur l’origine de la rhétorique courtoise, les spécialistes l’accablent des plus aigres
1238 tte énormité »33. Diez a montré des ressemblances de forme (rythmes et coupes) entre la lyrique arabe et la lyrique proven
1239 peu de culture pour connaître cette poésie. Ainsi de chaque réponse proposée : le « sérieux » des savants paraissant consi
1240 consister surtout dans une propension à qualifier d’ énormité ou de fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phéno
1241 out dans une propension à qualifier d’énormité ou de fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phénomène qu’ils pa
1242 ier d’énormité ou de fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phénomène qu’ils passent leur vie à étudier. Il est
1243 ru pouvoir tout éclaircir en décelant à l’origine de la lyrique provençale des influences religieuses, néo-platoniciennes
1244 ies » ont aussitôt dressé contre elles l’ensemble de nos érudits. Wechssler s’est vu traiter de « doctrinaire » — suprême
1245 semble de nos érudits. Wechssler s’est vu traiter de « doctrinaire » — suprême injure — et plusieurs ont insinué que la qu
1246 injure — et plusieurs ont insinué que la qualité d’ Allemand de ce professeur les dispensait de réfuter un système incompa
1247 t plusieurs ont insinué que la qualité d’Allemand de ce professeur les dispensait de réfuter un système incompatible avec
1248 ualité d’Allemand de ce professeur les dispensait de réfuter un système incompatible avec le clair génie de notre race. Il
1249 futer un système incompatible avec le clair génie de notre race. Il reste donc d’une part un phénomène étrange, et d’autre
1250 d’une part un phénomène étrange, et d’autre part, de fort savantes réfutations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il es
1251 ge, et d’autre part, de fort savantes réfutations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il est également impossible — écri
1252 pliquer. « Il est également impossible — écrit un de nos professeurs — de voir dans ces chansons d’amour, qui forment les
1253 lement impossible — écrit un de nos professeurs — de voir dans ces chansons d’amour, qui forment les trois quarts de la po
1254 un de nos professeurs — de voir dans ces chansons d’ amour, qui forment les trois quarts de la poésie provençale, une image
1255 es chansons d’amour, qui forment les trois quarts de la poésie provençale, une image fidèle de la réalité et un pur assemb
1256 quarts de la poésie provençale, une image fidèle de la réalité et un pur assemblage de formules vides de sens. » Certes.
1257 e image fidèle de la réalité et un pur assemblage de formules vides de sens. » Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu
1258 la réalité et un pur assemblage de formules vides de sens. » Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu’« en historien sc
1259 qu’« en historien scrupuleux », il se garde bien de se prononcer. Ce qui revient à dire que la lyrique courtoise dont il
1260 eux et jusqu’à plus ample informé « un assemblage de formules vides de sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un
1261 s ample informé « un assemblage de formules vides de sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un philologue qui se
1262 liciter » les textes, fût-ce par le moindre essai de les comprendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part, d’une hypot
1263 rendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part, d’ une hypothèse à tel point scrupuleuse. Je me refuse à supposer un seul
1264 ul instant que les troubadours furent des faibles d’ esprit, tout juste bons à répéter sans se lasser des formules apprises
1265 me demande, après Aroux et Péladan, si le secret de toute cette poésie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près d’e
1266 ie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près d’ elle qu’on ne l’a fait — tout près : sur place, dans le milieu même où
1267 se trouvait déterminer les formes, même sociales, de ce milieu35. Partant de là, constatons qu’un grand fait historique d
1268 s formes, même sociales, de ce milieu35. Partant de là, constatons qu’un grand fait historique domine le xiie siècle pro
1269 ne hérésie puissante se répandait. L’on a pu dire de la religion cathare qu’elle représenta pour l’Église un péril aussi g
1270 enta pour l’Église un péril aussi grave que celui de l’arianisme. Certains ne vont-ils pas jusqu’à prétendre qu’elle fit e
1271 ’à prétendre qu’elle fit en Occident des millions de fidèles secrets, malgré la très sanglante croisade des albigeois — ou
1272 rès sanglante croisade des albigeois — ou à cause d’ elle — au xiiie siècle et jusqu’à la Réforme. Selon Rahn, l’on peut a
1273 a région des Pyrénées méridionales au ive siècle de notre ère, et convertit au christianisme les druides habitant ces con
1274 e des Pauliciens, et aux églises néo-manichéennes d’ Asie Mineure et de Bulgarie. Quoi qu’il en soit, les « purs » ou catha
1275 et aux églises néo-manichéennes d’Asie Mineure et de Bulgarie. Quoi qu’il en soit, les « purs » ou cathares se rattachaien
1276 ait assez que la Gnose, de même que les doctrines de Mani (ou Manès), plonge des racines dans la religion dualiste de l’Ir
1277 ès), plonge des racines dans la religion dualiste de l’Iran36. Quelle était la doctrine des cathares ? L’Inquisition a brû
1278 s interrogatoires des accusés38. En tenant compte de ce que nous savons par ailleurs du manichéisme, et des méthodes inqui
1279 es méthodes inquisitoriales, il nous est possible de reconstituer dans ses grands traits le dogme de « l’Église d’Amour ».
1280 e de reconstituer dans ses grands traits le dogme de « l’Église d’Amour ». Dieu est amour. Mais le monde est mauvais. Donc
1281 uer dans ses grands traits le dogme de « l’Église d’ Amour ». Dieu est amour. Mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saura
1282 ais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde, de ses ténèbres, et du péché qui nous enserre. Sa création première, enc
1283 ange déchu, emprisonné dans la matière, et soumis de ce fait aux lois des corps dont la plus tyrannique est la procréation
1284 plus tyrannique est la procréation. Mais le Fils de Dieu est venu pour nous montrer le chemin du retour à la Lumière. Ce
1285 e s’est pas incarné : il n’a pris que l’apparence d’ un homme40. Les cathares rejettent donc le dogme de l’Incarnation, et
1286 ’un homme40. Les cathares rejettent donc le dogme de l’Incarnation, et par suite, le sacrement de la Cène qui le traduit (
1287 ogme de l’Incarnation, et par suite, le sacrement de la Cène qui le traduit (et qu’ils remplacent par une simple agape com
1288 « spiritualiste » des évangiles, et spécialement de l’Évangile de Jean. Triple hérésie contre la Trinité : en effet, elle
1289 te » des évangiles, et spécialement de l’Évangile de Jean. Triple hérésie contre la Trinité : en effet, elle divise le Pèr
1290 lle fait « la Mère de Dieu », le principe féminin de l’Amour (c’est la Sophia chez les gnostiques grecs ; Maria chez les c
1291 tiques grecs ; Maria chez les cathares.) L’Église d’ Amour, la Santa Gleyzia des cathares, ne connaît qu’un seul « sacremen
1292 le baptême du Saint-Esprit consolateur, le baiser de paix ou consolamentum que donne le prêtre au nouveau frère pendant la
1293 e le prêtre au nouveau frère pendant la cérémonie d’ initiation. Encore est-ce moins un sacrement au sens catholique de ce
1294 core est-ce moins un sacrement au sens catholique de ce terme, qu’un signe d’accession à la vie spirituelle. Avant de rece
1295 ement au sens catholique de ce terme, qu’un signe d’ accession à la vie spirituelle. Avant de recevoir ce baiser, le néophy
1296 angile, à ne jamais mentir ni jurer, à s’abstenir de tout contact avec sa femme s’il était marié 41, à ne tuer ni ne mange
1297 ul animal, enfin à tenir sa foi secrète. Un jeûne de quarante jours, ou endura, précédait cette initiation, et un autre d’
1298 u endura, précédait cette initiation, et un autre d’ égale durée lui succédait. « Il arrivait fréquemment, nous dit Rahn, q
1299 exigeait qu’on mît fin à sa vie non par lassitude de vivre, par peur ou par douleur, mais dans un état de parfait détachem
1300 vivre, par peur ou par douleur, mais dans un état de parfait détachement de la matière… Cinq genres de morts volontaires a
1301 douleur, mais dans un état de parfait détachement de la matière… Cinq genres de morts volontaires avaient la préférence de
1302 de parfait détachement de la matière… Cinq genres de morts volontaires avaient la préférence des cathares : ils s’empoison
1303  : ils s’empoisonnaient, ils se laissaient mourir de faim, ils s’ouvraient les veines du poignet, ils se jetaient dans un
1304 rait : comme ce fut le cas pour tant de sectes et de religions orientales — jaïnisme, bouddhisme, essénisme, gnosticisme c
1305 u imperfecti). Seuls les seconds avaient le droit de se marier et de vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’ast
1306 euls les seconds avaient le droit de se marier et de vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’astreindre à tous l
1307 les purs, sans s’astreindre à tous les préceptes de la morale ésotérique : mortifications corporelles, mépris de la créat
1308 e ésotérique : mortifications corporelles, mépris de la création, dissolution de tous les « liens mondains ». Saint Bernar
1309 s corporelles, mépris de la création, dissolution de tous les « liens mondains ». Saint Bernard de Clairvaux (cité par Rah
1310 a pu dire des cathares, qu’il combattit pourtant de toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas de sermons plus chrét
1311 e toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas de sermons plus chrétiens que les leurs, et leurs mœurs étaient pures… »
1312 es… » Ce jugement rachète en partie les calomnies de l’Inquisition. Mais on s’étonne de voir le saint qualifier de « chrét
1313 les calomnies de l’Inquisition. Mais on s’étonne de voir le saint qualifier de « chrétienne » une prédication qui nie plu
1314 tion. Mais on s’étonne de voir le saint qualifier de « chrétienne » une prédication qui nie plusieurs des dogmes fondament
1315 ication qui nie plusieurs des dogmes fondamentaux de l’Église. Quant à la pureté de mœurs des cathares, nous avons vu qu’e
1316 ogmes fondamentaux de l’Église. Quant à la pureté de mœurs des cathares, nous avons vu qu’elle traduisait des croyances to
1317 la morale chrétienne authentique. La condamnation de la chair, où certains croient voir aujourd’hui une caractéristique ch
1318 r aujourd’hui une caractéristique chrétienne, est d’ origine manichéenne et hérétique. Car il faut bien noter que la « chai
1319 nt Paul n’est pas le corps physique, mais le tout de l’homme incroyant, corps, raison, facultés, désirs… ⁂ La croisade des
1320 pulations qui les aimaient, viola leur sanctuaire de Montségur — le Montsalvat de la légende du Graal44 — enfin saccagea b
1321 iola leur sanctuaire de Montségur — le Montsalvat de la légende du Graal44 — enfin saccagea brutalement la civilisation qu
1322 t la civilisation qu’ils avaient édifiée en moins d’ un siècle. Et cependant, de cette culture et de ses doctrines secrètes
1323 aient édifiée en moins d’un siècle. Et cependant, de cette culture et de ses doctrines secrètes, nous sommes encore tribut
1324 ns d’un siècle. Et cependant, de cette culture et de ses doctrines secrètes, nous sommes encore tributaires, au-delà de ce
1325 secrètes, nous sommes encore tributaires, au-delà de ce que l’on imagine… (Comme j’espère le montrer par ce livre.) 7.H
1326 considérer les troubadours comme les « croyants » de l’Église cathare, et comme les chantres de son hérésie ? Les présompt
1327 ants » de l’Église cathare, et comme les chantres de son hérésie ? Les présomptions en faveur de cette thèse sont tellemen
1328 te thèse sont tellement fortes qu’il conviendrait de retourner la question : comment et par quoi expliquer le lyrisme des
1329 ares étaient troubadours. » Mais nous avons assez de bonnes raisons pour nous passer de toute espèce d’exagération enthous
1330 us avons assez de bonnes raisons pour nous passer de toute espèce d’exagération enthousiaste. Est-ce pure coïncidence, si
1331 e bonnes raisons pour nous passer de toute espèce d’ exagération enthousiaste. Est-ce pure coïncidence, si les troubadours
1332 , et vantent — sans toujours l’exercer — la vertu de chasteté ? Est-ce pure coïncidence, si, comme les « purs », ils ne re
1333 cidence, si, comme les « purs », ils ne reçoivent de leur Dame qu’un seul baiser d’initiation ? Et s’ils distinguent deux
1334 , ils ne reçoivent de leur Dame qu’un seul baiser d’ initiation ? Et s’ils distinguent deux degrés dans le domnei (le prega
1335 et l’entendeire) comme on distingue dans l’Église d’ Amour les adeptes et les parfaits ? Et s’ils raillent les liens du mar
1336 igneurs hérétiques ? Il ne serait que trop facile de multiplier ces questions. Voyons plutôt les arguments adverses. Tous
1337 roubadours, dira-t-on, ne furent pas dans le camp de l’hérésie. Plusieurs finirent leurs jours dans des couvents. Certes,
1338 jour où il fut accusé devant le pape Innocent III d’ avoir causé la mort de cinq-cent-mille personnes ! D’ailleurs, quand o
1339 devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort de cinq-cent-mille personnes ! D’ailleurs, quand on démontrerait, à supp
1340 d’entre les troubadours ignoraient les analogies de leur lyrisme et du dogme cathare, on n’aurait pas encore démontré que
1341 re, on n’aurait pas encore démontré que l’origine de ce lyrisme n’est pas cathare. N’oublions pas qu’ils composaient leurs
1342 leurs coblas et leurs sirventés selon les canons d’ une rhétorique admirablement invariable, qu’ils apprenaient pendant l’
1343 nommées « menestrandises » — (les conservatoires de l’époque, note Cingria). On peut concevoir une poésie — même très bel
1344 r une poésie — même très belle — qui serait faite de lieux communs dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’est-ce pa
1345 t faite de lieux communs dont le poète ne saurait d’ où ils viennent. N’est-ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si
1346 Et si l’on dit : ces troubadours ne parlent point de leurs croyances dans les poésies qui nous restent — il suffit de rapp
1347 ces dans les poésies qui nous restent — il suffit de rappeler que les cathares promettaient, lors de l’initiation, de ne j
1348 les cathares promettaient, lors de l’initiation, de ne jamais trahir leur foi, et cela quelle que fût la mort dont ils se
1349 verraient menacés. C’est ainsi que les registres de l’Inquisition ne portent pas un seul aveu concernant la minesola 45,
1350 uprême initiation des « purs ». La fréquence même de cette question débattue dans les cours d’amour : « Un chevalier peut-
1351 ce même de cette question débattue dans les cours d’ amour : « Un chevalier peut-il être à la fois marié et fidèle à sa dam
1352 aient subir un apparent « mariage » avec l’Église de Rome dont ils étaient les clercs, tout en servant dans leurs « pensée
1353 t dans leurs « pensées » une autre Dame, l’Église d’ Amour…46 Mais certains abjurèrent l’hérésie sans abandonner le « trob
1354 c’est un ésotérisme dont l’existence ne fait plus de doute aujourd’hui. « Il y eut dès le milieu du xiie siècle (et ce ph
1355 cole, celle du trobar clus, dont l’ambition était de voiler la pensée sous l’ambiguïté des expressions » (Jeanroy). Est-ce
1356 prudence, en cette époque précisément où l’Église de Rome préparait sa croisade et son Inquisition ? Mais venons-en aux te
1357 rons-les dans la très pure nudité et transparence de leur adamantine rhétorique. ⁂ Thème de la mort, que l’on préfère aux
1358 ansparence de leur adamantine rhétorique. ⁂ Thème de la mort, que l’on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc de m
1359 on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc de mourir Que de joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pou
1360 dons du monde : Plus m’agrée donc de mourir Que de joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit
1361 Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit de me plaire tant. Ainsi chante Aimeric de Belenoi47. La « joie vilaine
1362 7. La « joie vilaine », c’est ce qui le guérirait de son désir, si justement l’amour sans fin n’était le mal qu’il aime, l
1363 mour sans fin n’était le mal qu’il aime, la « joy d’ amor », le délire qui prévaut : … en fait, ce fou désir M’occira, que
1364 me plaint. … et ce désir Prévaut — bien que fait de délire — Sur tout autre… S’il ne veut pas mourir encore, c’est qu’il
1365 st pas assez détaché du désir, c’est qu’il craint de quitter son corps par désespoir, « mortel péché », enfin, c’est qu’il
1366 c’est qu’il ignore encore à quoi lui peut servir De laisser en extase son âme ravir. La doctrine n’exigeait-elle pas qu’
1367 ssitude ni par peur ou douleur, mais dans un état de parfait détachement de la matière…48 ». Voici le thème de la séparat
1368 douleur, mais dans un état de parfait détachement de la matière…48 ». Voici le thème de la séparation, le leitmotiv de to
1369 t détachement de la matière…48 ». Voici le thème de la séparation, le leitmotiv de tout l’amour courtois : Dieu ! commen
1370 ». Voici le thème de la séparation, le leitmotiv de tout l’amour courtois : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’e
1371  : cette aube qui doit le réunir à son « copain » de route, et donc d’épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », est-c
1372 doit le réunir à son « copain » de route, et donc d’ épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », est-ce l’esprit et le c
1373 l’esprit et le corps ? Mais souvenons-nous aussi de la coutume des missionnaires cheminant deux par deux) : Roi glorieux
1374 t venue Et bientôt viendra l’aube. Mais à la fin de la chanson, le troubadour a-t-il trahi ses vœux ? Ou bien a-t-il trou
1375 lus voir aube ni jour Car la plus belle fille qui de mère naquit La tiens dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni de ja
1376 tiens dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni de jaloux ni d’aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille
1377 mes bras, donc plus ne me soucie Ni de jaloux ni d’ aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille dont Wagner,
1378 de lancer le trille dont Wagner, au deuxième acte de Tristan, fera le cri sublime de Brengaine : « Habet acht ! Habet acht
1379 au deuxième acte de Tristan, fera le cri sublime de Brengaine : « Habet acht ! Habet acht ! Schon weicht dem Tag die Nach
1380 ous à jurer que jamais ils ne trahiront le secret de leur grande passion, — comme s’il s’agissait d’une foi, et d’une foi
1381 t de leur grande passion, — comme s’il s’agissait d’ une foi, et d’une foi initiatique ? Ne sais comment lui faire savoir
1382 de passion, — comme s’il s’agissait d’une foi, et d’ une foi initiatique ? Ne sais comment lui faire savoir Ma flamme, cra
1383 us le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt que de faillir en un seul mot… Quelle est la « dame » qui mériterait ce sac
1384 « dame » qui mériterait ce sacrifice ? Ou ce cri de Guillaume de Poitiers : Par elle seule je serai sauvé ! S’il ne s’a
1385 r elle seule je serai sauvé ! S’il ne s’agit que de figures de rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? E
1386 e je serai sauvé ! S’il ne s’agit que de figures de rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? Et quel Amou
1387 latonicienne ? Dans sa chanson « Du moindre tiers d’ Amour », celui des femmes — Guiraut de Calanson dit des deux autres ti
1388 conviennent Noblesse et Merci ; et le premier est de telle élévation qu’au-dessus du ciel plane son pouvoir. Cet Amour u
1389 en soi des grands mystiques hétérodoxes, le Dieu d’ avant la Trinité dont nous parlent la Gnose et Maître Eckhart ? Et d’o
1390 dont nous parlent la Gnose et Maître Eckhart ? Et d’ où viendrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment d’équivoque don
1391 endrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment d’ équivoque dont on ne peut se départir à la lecture de ces poèmes amour
1392 quivoque dont on ne peut se départir à la lecture de ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien d’une femme réelle51 comme dans
1393 a lecture de ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien d’ une femme réelle51 comme dans le Cantique des Cantiques, mais là aussi
1394 l n’y aurait là, tout « simplement » qu’une manie d’ idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais d’où provient donc cette m
1395 nie d’idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais d’ où provient donc cette manie ? D’une « humeur idéalisante » ? Lisons p
1396 ur naturel. Mais d’où provient donc cette manie ? D’ une « humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique de Peire de Rog
1397  humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique de Peire de Rogiers : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin d’ell
1398 rs : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin d’ elle que j’ai si grand Mon cœur ne s’en doit point défaire Ni jamais j
1399 ais rien, car ne sais vouloir qu’ELLE. Et ce cri de Bernart de Ventadour : Elle m’a pris mon cœur, elle m’a pris moi-mêm
1400 ésir et mon cœur assoiffé ! Et ces deux strophes d’ Arnaut Daniel — un noble qui se fit jongleur errant, et dont les roman
1401 s romanistes assurent que les poèmes sont « vides de pensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la mystique nég
1402 ensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la mystique négative, et ses métaphores invariables ? Je l’aime et l
1403 taphores invariables ? Je l’aime et la recherche de si grand cœur que, par excès de désir, je crois que je m’enlèverai to
1404 e et la recherche de si grand cœur que, par excès de désir, je crois que je m’enlèverai tout désir si l’on peut rien perdr
1405 aimer. Car son cœur submerge le mien tout entier d’ un flot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire de Rome, ni qu’o
1406 lot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire de Rome, ni qu’on m’en nomme le pape (et pour cause !), si je ne dois pa
1407 nt masquer, à la fin du poème, le sens trop grave de cette opposition des deux Églises : Je suis Arnaut qui amasse le ven
1408 i amasse le vent, et je chasse le lièvre à l’aide d’ un bœuf, et je nage contre le flux ! On se souvient de l’apparition d
1409 bœuf, et je nage contre le flux ! On se souvient de l’apparition d’Arnaut Daniel au Purgatoire, comme il se nomme à Dante
1410 contre le flux ! On se souvient de l’apparition d’ Arnaut Daniel au Purgatoire, comme il se nomme à Dante, son disciple,
1411 u sui Arnautz, che plor e vai cantan… ⁂ L’Église de Rome savait fort bien ce que trop de savants s’obstinent encore à ne
1412 ⁂ L’Église de Rome savait fort bien ce que trop de savants s’obstinent encore à ne pas voir. Elle mesura toute l’ampleur
1413 ession par la force ne pouvait suffire à la tâche d’ extirper les racines vivantes, pures et impures, de la révolte. Au cul
1414 ’extirper les racines vivantes, pures et impures, de la révolte. Au culte symbolique de la Femme, le clergé eut la grande
1415 es et impures, de la révolte. Au culte symbolique de la Femme, le clergé eut la grande sagesse d’opposer une croyance « or
1416 ique de la Femme, le clergé eut la grande sagesse d’ opposer une croyance « orthodoxe » qui répondit au même désir. De là l
1417 royance « orthodoxe » qui répondit au même désir. De là les tentatives multipliées, dès le milieu du xiie siècle, pour in
1418 e milieu du xiie siècle, pour instituer un culte de la Vierge. À la « Dame des pensées » de l’hérétique, on substituera «
1419 un culte de la Vierge. À la « Dame des pensées » de l’hérétique, on substituera « Notre-Dame ». En 1140, à Lyon, les chan
1420 1140, à Lyon, les chanoines établissent une fête de l’Immaculée Conception de Notre-Dame. Et les ordres monastiques qui a
1421 es établissent une fête de l’Immaculée Conception de Notre-Dame. Et les ordres monastiques qui apparaissent alors sont des
1422 ordres chevaleresques. (Le moine est « chevalier de Marie »). Saint Bernard de Clairvaux eut beau protester dans une lett
1423 fameuse contre « cette fête nouvelle que l’usage de l’Église ignore, que la raison n’approuve pas, que la tradition n’aut
1424 torise point… et qui introduit la nouveauté, sœur de la superstition, fille de l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau,
1425 duit la nouveauté, sœur de la superstition, fille de l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire
1426 saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire de la manière la plus précise : « Si Marie eût été conçue sans péché, el
1427 té conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’ être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à un
1428 soin d’être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à une nécessité d’ordre vital pour l’Église menac
1429 » Le culte de la Vierge répondait à une nécessité d’ ordre vital pour l’Église menacée. La papauté, plusieurs siècles plus
1430 dégagent des conclusions dont l’importance risque de se mesurer au nombre d’objections qu’elles soulèveront. Je ne songe p
1431 dont l’importance risque de se mesurer au nombre d’ objections qu’elles soulèveront. Je ne songe pas à esquiver des critiq
1432 e j’espère fécondes. Mais le lecteur me saura gré de tenir compte des doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et d’ind
1433 es doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et d’ indiquer en bref par quelles raisons je crois pouvoir les surmonter. O
1434 e mal connue et qu’il est donc au moins prématuré d’ y voir la source du lyrisme courtois ; 2° Que les troubadours n’ont ja
1435 t qu’ils suivaient cette religion, ou que c’était d’ elle qu’ils parlaient ; 3° Qu’au contraire, l’amour qu’ils exaltent n
1436 du désir sexuel ; 4° Qu’on distingue mal comment, de la confuse combinaison de doctrines manichéennes et néo-platonicienne
1437 distingue mal comment, de la confuse combinaison de doctrines manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond de traditio
1438 s manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond de traditions celtibériques, aurait pu naître une rhétorique aussi préci
1439 celle des troubadours. Je répondrai dans l’ordre de ces critiques. 1. Religion mal connue Si elle n’était pas connue du t
1440 çal resterait totalement obscur, comme il ressort de l’aveu même des romanistes. Or je répète que je me refuse, pour ma pa
1441 sidérer comme absurde une poétique et une éthique de l’amour d’où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles
1442 me absurde une poétique et une éthique de l’amour d’ où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de l
1443 dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de la littérature occidentale. D’autre part, le peu que l’on connaît des
1444 contestations possibles les origines manichéennes de l’hérésie. Or si l’on se reporte à ce qui fut dit plus haut (II, 2) s
1445 nichéens en général, il apparaît qu’un supplément d’ information sur telle ou telle nuance ou altération qu’auraient reçues
1446 dogme catholique ; à quoi s’ajoutent des éléments de vocabulaire et de syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On
1447 à quoi s’ajoutent des éléments de vocabulaire et de syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On peut imaginer que
1448 tretiennent avec le néo-manichéisme des relations d’ un type analogue52. Au surplus, les origines hérétiques des lieux comm
1449 urplus, les origines hérétiques des lieux communs de la rhétorique courtoise deviennent sensibles dès que l’on compare ces
1450 les dès que l’on compare ces lieux communs à ceux de la poésie cléricale de l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que J
1451 e ces lieux communs à ceux de la poésie cléricale de l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que Jeanroy n’a pas été sans
1452 ue Jeanroy n’a pas été sans le remarquer. Parlant de la lyrique abstraite des troubadours du xiiie siècle, et de la confu
1453 ue abstraite des troubadours du xiiie siècle, et de la confusion qu’elle favorise, de Dieu et de la Dame des pensées, il
1454 iie siècle, et de la confusion qu’elle favorise, de Dieu et de la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on,
1455 , et de la confusion qu’elle favorise, de Dieu et de la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures
1456 il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures de rhétorique sans conséquences. Soit. Mais les théories que les troubad
1457 ourquoi n’y a-t-il dans leurs œuvres aucune trace de ce déchirement intérieur, de ce dissidio qui rend si pathétiques cert
1458 œuvres aucune trace de ce déchirement intérieur, de ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers de Pétrarque ? » Ce
1459 ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers de Pétrarque ? » Cette question qui demeure ouverte dans l’ouvrage de M.
1460 Cette question qui demeure ouverte dans l’ouvrage de M. Jeanroy53, trouve une réponse tout évidente dans l’hypothèse que j
1461 us haut pour quelles raisons impérieuses (crainte de la persécution et serment d’initiation) ces poètes ne pouvaient parle
1462 impérieuses (crainte de la persécution et serment d’ initiation) ces poètes ne pouvaient parler ouvertement de leur foi cat
1463 ation) ces poètes ne pouvaient parler ouvertement de leur foi cathare. (Ceux qui en ont parlé l’avaient tout d’abord abjur
1464 . Nous avons dit aussi qu’il n’est pas nécessaire de supposer que tous partageaient cette foi. Mais il reste à marquer que
1465 rtaines confusions ou abus, en explique davantage de notre part. Si l’on essaie de se replacer dans l’atmosphère du Moyen
1466 explique davantage de notre part. Si l’on essaie de se replacer dans l’atmosphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absen
1467 osphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absence de signification symbolique d’une poésie serait un fait beaucoup plus sc
1468 perçoit que l’absence de signification symbolique d’ une poésie serait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut l’être
1469 eut l’être à nos yeux, par exemple, le symbolisme de la Dame. Dans l’optique de l’homme médiéval, toute chose signifie aut
1470 e chose, et cela sans qu’intervienne aucun effort de traduction conceptuelle. En d’autres termes, le médiéval n’a pas beso
1471 e. En d’autres termes, le médiéval n’a pas besoin de se formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni d’en prendre une c
1472 e formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni d’ en prendre une conscience distincte. Il est indemne de ce rationalisme
1473 prendre une conscience distincte. Il est indemne de ce rationalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et
1474 onalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d’ isoler et d’abstraire de toute ambiance significative les objets que n
1475 nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et d’ abstraire de toute ambiance significative les objets que nous considér
1476 , à nous autres modernes, d’isoler et d’abstraire de toute ambiance significative les objets que nous considérons54. L’un
1477 celui, entre autres, du mystique Suso : « La vie de la chrétienté médiévale est, dans toutes ses manifestations, saturée
1478 vale est, dans toutes ses manifestations, saturée de représentations religieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaire
1479 ions, saturée de représentations religieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche c
1480 de représentations religieuses. Pas de choses ou d’ actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche constamment à
1481 e rapport avec la foi. Mais dans cette atmosphère de saturation, la tension religieuse, l’idée transcendentale, l’élan ver
1482 banalité, en choquant matérialisme à prétentions d’ au-delà. Même chez un mystique de l’envergure d’un Henri Suso, le subl
1483 me à prétentions d’au-delà. Même chez un mystique de l’envergure d’un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le
1484 s d’au-delà. Même chez un mystique de l’envergure d’ un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le ridicule. Il e
1485 uvresse. Sublime encore, quand il suit les usages de l’amour profane et célèbre le jour de l’an et le premier mai en offra
1486 ser du reste ? À table, il mange les trois quarts d’ une pomme en l’honneur de la Trinité, et le dernier quart par amour po
1487 l mange les trois quarts d’une pomme en l’honneur de la Trinité, et le dernier quart par amour pour la Mère céleste qui do
1488 il double la cinquième gorgée parce que du flanc de Jésus, coula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification de la vie p
1489 gée parce que du flanc de Jésus, coula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification de la vie poussée à ses extrêmes limit
1490 oula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification de la vie poussée à ses extrêmes limites »55. Dira-t-on que l’on tombe i
1491 eu plus loin que « la naïve conscience religieuse de la multitude n’avait pas besoin de preuves intellectuelles en matière
1492 nce religieuse de la multitude n’avait pas besoin de preuves intellectuelles en matière de foi : la seule présence d’une i
1493 llectuelles en matière de foi : la seule présence d’ une image visible des choses saintes suffisait à en démontrer la vérit
1494 bolique aux yeux des initiés et des sympathisants de l’Église d’Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idé
1495 yeux des initiés et des sympathisants de l’Église d’ Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idée, stricteme
1496 tre valables, dussent être commentés et expliqués d’ une manière non symbolique… Toutefois, par suite de la situation parti
1497 allait de soi. Dans ce cas, le symbole se double d’ une allégorie, et prend un sens cryptographique. Je veux parler de l’é
1498 et prend un sens cryptographique. Je veux parler de l’école du trobar clus, déjà citée, et que M. Jeanroy définit en ces
1499 onsistait alors à recouvrir une pensée religieuse d’ un vêtement profane, à appliquer à l’amour divin les formules consacré
1500 es formules consacrées par l’usage à l’expression de l’amour humain.56 » Le trobar clus ne serait ainsi qu’un jeu littérai
1501 avoir d’autres causes » qu’on « ne se flatte pas de débrouiller ». (Op. cit., II, p. 16.) Mais le troubadour Alegret l’a
1502 avance et je lui dirai comment il me fut possible d’ y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette manière d’embr
1503 me fut possible d’y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette manière d’embrouiller les sens (entrebescar disa
1504 (var. trois) mots de sens divers. » Cette manière d’ embrouiller les sens (entrebescar disaient les Provençaux : entrelacer
1505 trelacer) s’expliquerait-elle par une « intention d’ intriguer l’auditeur et de lui poser une énigme » ? On peut penser que
1506 lle par une « intention d’intriguer l’auditeur et de lui poser une énigme » ? On peut penser que les troubadours étaient m
1507 dours entendaient-ils leurs propres symboles ? Et d’ une manière plus générale, quelle espèce de conscience avons-nous des
1508 s ? Et d’une manière plus générale, quelle espèce de conscience avons-nous des métaphores que nous utilisons dans nos écri
1509 poésie baignait dans l’atmosphère la plus chargée de passions. Les actions que nous rapportent les chroniqueurs du temps s
1510 s plus « surréalistes » qu’ait connues l’histoire de nos mœurs… Qu’on se rappelle ce seigneur jaloux qui tue le troubadour
1511 e ce seigneur jaloux qui tue le troubadour favori de sa femme, et fait servir le cœur de la victime sur un plat. La dame l
1512 badour favori de sa femme, et fait servir le cœur de la victime sur un plat. La dame le mange sans savoir ce que c’est. Le
1513 ets si savoureux que jamais plus ne mangerai rien d’ autre ! » et elle se jette par la fenêtre du donjon. On admettra que c
1514 gine. 3. L’amour courtois serait une idéalisation de l’amour charnel C’est la thèse la plus courante. On pourrait se borne
1515 me médiéval procède généralement de haut en bas —  de ciel en terre — ce qui réfute les conclusions modernes déduites du pr
1516 i aussi, dans la lyrique courtoise une expression de sentiments religieux de l’époque58, Jeanroy écrit : « Dans ces affirm
1517 courtoise une expression de sentiments religieux de l’époque58, Jeanroy écrit : « Dans ces affirmations hardies, il y a d
1518 affirmations hardies, il y a du reste une erreur de fait aisée à relever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée de so
1519 elever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée de son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules creuses o
1520 e son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules creuses on le peut admettre. Mais au début et jusqu’à la fin
1521 siècle, il n’en était pas ainsi : chez les poètes de cette époque, l’expression du désir charnel est si vive et parfois si
1522 parfois si brutale qu’il est vraiment impossible de se tromper sur la nature de leurs aspirations. » Si c’est le cas, on
1523 t vraiment impossible de se tromper sur la nature de leurs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande d’où vient la gên
1524 urs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande d’ où vient la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé d
1525 se demande d’où vient la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé de reconnaître l’équivoque des expressi
1526 l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé de reconnaître l’équivoque des expressions courtoises et leurs résonance
1527 tain — doit-il avouer — que les idées religieuses d’ une époque influent généralement sur la conception qu’on se fait de l’
1528 uent généralement sur la conception qu’on se fait de l’amour, et surtout que le vocabulaire de la galanterie se règle sur
1529 se fait de l’amour, et surtout que le vocabulaire de la galanterie se règle sur celui de la dévotion 59. Du jour où adorer
1530 e vocabulaire de la galanterie se règle sur celui de la dévotion 59. Du jour où adorer devient synonyme d’aimer, cette mét
1531 a dévotion 59. Du jour où adorer devient synonyme d’ aimer, cette métaphore en entraîne une quantité d’autres. » Et de cite
1532 métaphore en entraîne une quantité d’autres. » Et de citer Chrétien de Troyes, et les poètes du Nord disciples des troubad
1533 enser aux effusions et aux appels à la souffrance d’ une sainte Thérèse et d’un Jean de la Croix »60. Mais alors pourquoi r
1534 ux appels à la souffrance d’une sainte Thérèse et d’ un Jean de la Croix »60. Mais alors pourquoi rejeter sans discussion l
1535 alors pourquoi rejeter sans discussion l’ouvrage de Wechssler, qui soutient que les « théories amoureuses du Moyen Âge ne
1536 ries amoureuses du Moyen Âge ne sont qu’un reflet de ses idées religieuses » ? Et pourquoi vouloir à tout prix que les poè
1537 ations « réalistes » et des descriptions précises de la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche de ne recourir jama
1538 la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche de ne recourir jamais qu’à des épithètes stéréotypées ? Jaufré Rudel, pr
1539 , dit très nettement que sa Dame est une création de son esprit, et qu’elle s’évanouit avec l’aube. Ailleurs, c’est la « p
1540 qu’il veut aimer. Cependant M. Jeanroy s’inquiète de trouver dans ses poèmes « des détails qui paraissent nous plonger dan
1541  ». Exemples donnés : « Je suis en doute au sujet d’ une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est que tout ce que le f
1542 t que toute la poésie des troubadours fût l’œuvre d’ un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette expression
1543 Où est alors cette expression « vive et brutale » d’ un désir évidemment charnel ? Dans la crudité de certains termes ? Mai
1544 » d’un désir évidemment charnel ? Dans la crudité de certains termes ? Mais elle était courante et naturelle avant le puri
1545 nt est anachronique. Voici par contre un document de poids à l’appui de la thèse symboliste. Raimbaut d’Orange écrit un po
1546 e, dit-il, soyez brutaux, « donnez-leur des coups de poing sur le nez » (est-ce assez « cru » ?), forcez-les : car c’est c
1547 comporte autrement, c’est que je ne me soucie pas d’ aimer. Je ne veux pas me gêner pour les femmes, pas plus que si toutes
1548 p parler est pis que péché mortel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange de la Dame
1549 rtel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange d’ admirables poèmes à la louange de la Dame. Et nous savons par ailleurs
1550 aimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange de la Dame. Et nous savons par ailleurs que l’anneau (échangé par Trista
1551 nneau (échangé par Tristan et Iseut) est le signe d’ une fidélité qui justement n’est pas celle des corps. Soulignons enfin
1552 Soulignons enfin ce fait capital : que les vertus de la cortezia ; humilité, loyauté, respect et fidélité envers la Dame,
1553 a Dame, sont ici rapportées expressément au refus de l’amour physique. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes de Da
1554 ue. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes de Dante être d’autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs image
1555 , nous verrons plus tard les poèmes de Dante être d’ autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs images que Béatrice
1556 Béatrice s’élèvera davantage dans une hiérarchie d’ abstractions mystiques, figurant d’abord la philosophie, puis la Scien
1557 ardents parmi les troubadours à louer les beautés de leur Dame, Arnaut Daniel et l’Italien Guinizelli sont placés au chant
1558 us amène à reconnaître enfin la réelle complexité d’ un problème dont nous avons souligné jusqu’ici, non sans une volontair
1559 cru que la cortezia était une simple idéalisation de l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif de soutenir que l’
1560 ’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif de soutenir que l’idéal mystique sur quoi elle se fondait à l’origine fû
1561 ervé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltation de la chasteté produit presque toujours des excès luxurieux. Sans nous a
1562 cès luxurieux. Sans nous attarder aux accusations de débauche que beaucoup ont portées contre les troubadours — l’on sait
1563 les troubadours — l’on sait au vrai peu de choses de leurs vies — nous rappellerons l’exemple des sectes gnostiques, qui c
1564 particulier l’attrait des sexes, mais déduisaient de cette condamnation une morale étrangement débridée. Les carpocratiens
1565 saient le sperme62. Il est probable que des excès de ce genre se produisirent aussi chez les cathares, et plus encore chez
1566 rifiantes figurent à cet égard dans les registres de l’Inquisition. Notons toutefois qu’elles sont souvent contradictoires
1567 cepter le christianisme primitif. Et il est juste de citer ici le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de fouiller
1568 rimitif. Et il est juste de citer ici le jugement d’ un dominicain qui eut l’occasion de fouiller dans les archives du sain
1569 ci le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de fouiller dans les archives du saint Office, et qui s’exprime ainsi au
1570 ice, et qui s’exprime ainsi au sujet des cathares d’ Italie, ou patarins : « Malgré toutes mes recherches, dans les procédu
1571 à tout, leurs erreurs étaient plutôt des erreurs d’ intelligence que de sensualité »63. Retenons donc ceci, qui nuance not
1572 urs étaient plutôt des erreurs d’intelligence que de sensualité »63. Retenons donc ceci, qui nuance notre schéma : si les
1573 nc ceci, qui nuance notre schéma : si les erreurs de la passion — au sens précis que je donne à ce mot — sont d’origine re
1574 ion — au sens précis que je donne à ce mot — sont d’ origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent fl
1575 , ou comme dit Platon dans le Banquet : « l’amour de gauche ». ⁂ Tout ceci m’amène à conclure — quels qu’aient pu être mes
1576 r mon interprétation religieuse du mythe courtois de la passion. Pour nous faciliter une représentation analogique de ce p
1577 Pour nous faciliter une représentation analogique de ce processus minimum d’inspiration et d’influence, prenons un exemple
1578 représentation analogique de ce processus minimum d’ inspiration et d’influence, prenons un exemple moderne. Un exemple don
1579 alogique de ce processus minimum d’inspiration et d’ influence, prenons un exemple moderne. Un exemple dont je crois pouvoi
1580 ment connues (au sens total) par plusieurs hommes de ma génération : je veux parler du surréalisme et de l’influence de Fr
1581 ma génération : je veux parler du surréalisme et de l’influence de Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de
1582 : je veux parler du surréalisme et de l’influence de Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de notre civilisa
1583 eud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de notre civilisation détruite : il a devant les yeux quelques poèmes su
1584 ration sémite. Du moins sait-on par les pamphlets de ses adversaires que cette école proposait une théorie érotique des rê
1585 araissent présenter aucun sens, et l’on se plaint de leur monotonie ; toujours les mêmes images érotiques et sanglantes, l
1586 érateur « peu sérieux » imagine alors l’hypothèse d’ une influence de la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïnc
1587 rieux » imagine alors l’hypothèse d’une influence de la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïncidence des dates
1588 u’il n’en existe plus. — Dans ce cas, il convient de surseoir à toute hypothèse cohérente. En attendant, le bon sens suffi
1589 montrer : 1° que le peu de choses que nous savons de la psychanalyse n’autorise pas à faire de cette doctrine la source de
1590 savons de la psychanalyse n’autorise pas à faire de cette doctrine la source des textes connus. (Il semble bien que Freud
1591 nt tout un savant ; qu’il ait soutenu une théorie de la libido ; et qu’il ait pris une attitude déterministe : or le surré
1592 e littéraire avant tout ; on ne retrouve le terme de libido dans aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont de tend
1593 aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont de tendance idéaliste-anarchisante) ; 2° que les surréalistes n’ont jama
1594 alystes ; 4° qu’enfin l’on distingue mal comment, d’ une science qui se donnait pour objet l’analyse et la cure des névrose
1595 ure des névroses, aurait pu naître une rhétorique de la folie, c’est-à-dire un défi à toute science en général et à toute
1596 vaient nul besoin et n’avaient pas la possibilité de parler de libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la
1597 besoin et n’avaient pas la possibilité de parler de libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur d’u
1598 s poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur d’ une erreur initiale sur la portée exacte de la doctrine de Freud (déte
1599 faveur d’une erreur initiale sur la portée exacte de la doctrine de Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tire
1600 reur initiale sur la portée exacte de la doctrine de Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments
1601 -positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments de leur lyrisme (ce dernier trait me paraît capital pour l’analogie que
1602 ns enfin qu’il a suffi que quelques-uns des chefs de cette école lisent Freud : les disciples se sont bornés à imiter la r
1603 outre, on aperçoit, par cet exemple, que l’action d’ une doctrine sur des poètes s’exerce moins par influence directe qu’à
1604 exerce moins par influence directe qu’à la faveur d’ une certaine ambiance de scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée
1605 ce directe qu’à la faveur d’une certaine ambiance de scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux.
1606 ’à la faveur d’une certaine ambiance de scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui expli
1607 une certaine ambiance de scandale, de snobisme et d’ intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal d’e
1608 par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal d’ erreurs, variations et contradictions chez les poètes influencés. D’où
1609 ons et contradictions chez les poètes influencés. D’ où résulte qu’un surcroît d’informations sur la nature exacte des théo
1610 es poètes influencés. D’où résulte qu’un surcroît d’ informations sur la nature exacte des théories de Freud, loin de fourn
1611 d’informations sur la nature exacte des théories de Freud, loin de fournir aux savants futurs les apaisements qu’ils sero
1612 nts futurs les apaisements qu’ils seront en droit d’ attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur « peu sérieu
1613 en droit d’attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur « peu sérieux ». (Eppur ! C’est lui qui aura raison c
1614 ra raison contre les « vingtiémistes » chevronnés de son temps.) On a remarqué qu’à l’objection n° 4, je n’ai répondu jusq
1615 à l’objection n° 4, je n’ai répondu jusqu’ici que d’ une manière tout indirecte et allusive. C’est qu’elle mérite un traite
1616 au chapitre. 9.Les mystiques arabes Comment de la confuse combinaison de doctrines plus ou moins chrétiennes, manich
1617 iques arabes Comment de la confuse combinaison de doctrines plus ou moins chrétiennes, manichéennes et néo-platonicienn
1618 ? C’est l’argument que les romanistes ont coutume d’ opposer à l’interprétation religieuse de l’art courtois. Or il se trou
1619 t coutume d’opposer à l’interprétation religieuse de l’art courtois. Or il se trouve que dès le ixe siècle, une synthèse
1620 xe siècle, une synthèse non moins « improbable » de manichéisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et
1621 non moins « improbable » de manichéisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et bien opérée dans les par
1622 le » de manichéisme iranien, de néo-platonisme et d’ islamisme s’était bel et bien opérée dans les parages de l’Asie Mineur
1623 misme s’était bel et bien opérée dans les parages de l’Asie Mineure et de plus, s’était exprimée par une poésie religieuse
1624 courtoises. ⁂ Lorsque Sismondi avança l’hypothèse d’ une influence arabe sur la lyrique provençale, A. W. Schlegel lui répo
1625 utenir un pareil paradoxe. Mais Schlegel prouvait de la sorte que cette double ignorance était précisément son fait. On l’
1626 it. On l’excusera d’ailleurs si l’on tient compte de l’état des études arabisantes à son époque. Des travaux plus récents
1627 élé l’existence dès le ixe siècle, dans l’islam, d’ une école de mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour princi
1628 nce dès le ixe siècle, dans l’islam, d’une école de mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour principales illust
1629 laj, Al-Ghazali et Sohrawardi d’Alep, troubadours de l’Amour suprême, chantres courtois de l’Idée voilée, objet aimé mais
1630 troubadours de l’Amour suprême, chantres courtois de l’Idée voilée, objet aimé mais en même temps symbole du Désir divin65
1631  qu’il connaissait par Plotin, Proclus et l’école d’ Athènes — un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme était par a
1632 n, Proclus et l’école d’Athènes — un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme était par ailleurs très fortement pénét
1633 tonisme était par ailleurs très fortement pénétré de représentations mythiques iraniennes. En particulier, il empruntait a
1634 ont s’était inspiré Manès — l’opposition du monde de la Lumière et du monde des Ténèbres, dont on a vu qu’elle est fondame
1635 rique amoureuse et chevaleresque, dont les titres de quelques traités mystiques de cette école donnent une idée : Le Famil
1636 ue, dont les titres de quelques traités mystiques de cette école donnent une idée : Le Familier des Amants, Le Roman des S
1637 Roman des Sept Beautés… Il y a plus. À l’occasion de ces traités, les mêmes disputes théologiques se produisirent, qui dev
1638 mer Dieu (comme l’ordonne le sommaire évangélique de la Loi). Une créature finie ne peut aimer que le fini. Il en résulta
1639 i. Il en résulta que les mystiques furent obligés de recourir à des symboles dont le sens restait secret. (Ainsi la louang
1640 n, dont l’usage était interdit, devint le symbole de la divine ivresse d’amour). Mais compte tenu de cette difficulté part
1641 interdit, devint le symbole de la divine ivresse d’ amour). Mais compte tenu de cette difficulté particulière — qui n’est
1642 e de la divine ivresse d’amour). Mais compte tenu de cette difficulté particulière — qui n’est d’ailleurs pas sans rapport
1643 part divine dont l’exaltation aboutît à la fusion de l’âme et de la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes m
1644 dont l’exaltation aboutît à la fusion de l’âme et de la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes mystiques ten
1645 tendait à établir cette confusion du Créateur et de la créature. Et l’on accusa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la
1646 teur et de la créature. Et l’on accusa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la foi de leur langage symbolique. Al-Hallaj
1647 usa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la foi de leur langage symbolique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer
1648 ique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer de leur vie cette accusation d’hérésie66. Il est bien émouvant de consta
1649 devaient même payer de leur vie cette accusation d’ hérésie66. Il est bien émouvant de constater que tous les termes d’une
1650 ette accusation d’hérésie66. Il est bien émouvant de constater que tous les termes d’une pareille polémique s’appliquent a
1651 st bien émouvant de constater que tous les termes d’ une pareille polémique s’appliquent au cas des troubadours, et plus ta
1652 verrons, au cas des grands mystiques occidentaux, de Maître Eckhart à Jean de la Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « cou
1653 Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « courtois » de la mystique arabe fera sentir à quelles profondeurs le parallélisme t
1654 ent ainsi une communauté, — comparable à l’Église d’ Amour des cathares. b) selon le manichéisme iranien, dont s’inspiraien
1655 chéisme iranien, dont s’inspiraient les mystiques de l’école illuminative de Sohrawardi, une jeune fille éblouissante atte
1656 inspiraient les mystiques de l’école illuminative de Sohrawardi, une jeune fille éblouissante attend le fidèle à la sortie
1657 e suis toi-même ! » Or selon certains interprètes de la mystique des troubadours, la Dame des pensées ne serait autre que
1658 serait autre que la part spirituelle et angélique de l’homme, son vrai moi. Ce qui pourrait nous orienter vers une compréh
1659 ait nous orienter vers une compréhension nouvelle de ce que nous appelions le « narcissisme de la passion » (à propos de T
1660 ouvelle de ce que nous appelions le « narcissisme de la passion » (à propos de Tristan, chap. vii du Livre Ier). c) Le Fam
1661 Amants est construit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et de ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges
1662 struit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et de ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges habite un per
1663 et de ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges habite un personnage qui se nomme l’Idée voilée. Elle « con
1664 lle « connaît les secrets qui guérissent et c’est d’ elle que l’on apprend la magie ». (L’Iseut celtique était aussi une ma
1665 seut celtique était aussi une magicienne, « objet de contemplation, spectacle mystérieux. ») Dans le Château de l’Âme habi
1666 plation, spectacle mystérieux. ») Dans le Château de l’Âme habitent d’autres personnages allégoriques, tels que Beauté, Dé
1667 r, le Bien connu : comment ne pas songer au Roman de la Rose ? Et le symbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage d
1668 mbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage de Nizani de Ganja : le Roman des Sept Beautés, qui conte les aventures
1669 te un roi-chevalier. Nous retrouverons le Château de l’Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et d’une sainte Thér
1670 s le Château de l’Âme parmi les symboles préférés d’ un Ruysbroek et d’une sainte Thérèse… d) Dans un poème d’Omar Ibn al F
1671 Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et d’ une sainte Thérèse… d) Dans un poème d’Omar Ibn al Faridh — pour prend
1672 ysbroek et d’une sainte Thérèse… d) Dans un poème d’ Omar Ibn al Faridh — pour prendre un exemple entre cent — l’auteur déc
1673 errible qui l’envoûte : Mes concitoyens, étonnés de me voir esclave, ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris de
1674 ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris de folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe de Nou’
1675 -t-il été pris de folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de
1676 ue peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie
1677 e m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie d’un regard, cela m’est égal que Sou’d
1678 té, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie d’ un regard, cela m’est égal que Sou’da ne soit pas complaisante68. « N
1679 mplaisante68. « Nou’m » est le nom conventionnel de la femme aimée, et signifie ici Dieu. Or les troubadours nommaient au
1680 Dieu. Or les troubadours nommaient aussi la Dame de leurs pensées d’un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos é
1681 ubadours nommaient aussi la Dame de leurs pensées d’ un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos érudits s’épuisent
1682 nt, donne le premier (Sohrawardi ; le Bruissement de l’aile de Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des trou
1683 le premier (Sohrawardi ; le Bruissement de l’aile de Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des troubadours, p
1684 thèmes constants du lyrisme des troubadours, puis de Dante et enfin de Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » d
1685 u lyrisme des troubadours, puis de Dante et enfin de Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » de la Dame une impo
1686 Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » de la Dame une importance apparemment démesurée69, mais qui s’explique f
1687 ) Les mystiques arabes insistent sur la nécessité de garder le secret de l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les ind
1688 es insistent sur la nécessité de garder le secret de l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les indiscrets qui voudraie
1689 draient s’enquérir des mystères sans y participer de toute leur foi. À l’interrogation d’un impatient : « Qu’est-ce que le
1690 y participer de toute leur foi. À l’interrogation d’ un impatient : « Qu’est-ce que le soufisme ? » al-Hallaj répond : « Ne
1691 amants. » De plus, les indiscrets sont soupçonnés d’ intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les amants à l’autori
1692 provençaux apparaissent des personnages qualifiés de losengiers (médisants, indiscrets, espions) et que le troubadour couv
1693 indiscrets, espions) et que le troubadour couvre d’ invectives. Nos savants commentateurs ne savent trop que faire de ces
1694 os savants commentateurs ne savent trop que faire de ces encombrants losengiers, et tentent de s’en débarrasser en affirma
1695 e faire de ces encombrants losengiers, et tentent de s’en débarrasser en affirmant que les amants du xiie siècle tenaient
1696 nts du xiie siècle tenaient énormément au secret de leurs liaisons (ce qui les distinguerait, sans doute, des amants de t
1697 (ce qui les distinguerait, sans doute, des amants de tous les autres siècles ?). g) Enfin, la louange de la mort d’amour e
1698 tous les autres siècles ?). g) Enfin, la louange de la mort d’amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-
1699 utres siècles ?). g) Enfin, la louange de la mort d’ amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh :
1700 me mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repos de l’amour est une fatigue, son commencement une maladie, sa fin la mort
1701 mour est une vie ; je rends grâce à ma Bien-aimée de me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas de son amour ne peut en vi
1702 mée de me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas de son amour ne peut en vivre.70 C’est ici le cri même de la mystique
1703 amour ne peut en vivre.70 C’est ici le cri même de la mystique occidentale mais aussi du lyrisme provençal. C’est l’orai
1704 du lyrisme provençal. C’est l’oraison jaculatoire de sainte Thérèse : Je meurs de ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En m
1705 ’oraison jaculatoire de sainte Thérèse : Je meurs de ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En me tuant vous me ferez vivre,
1706 ous me ferez vivre, car pour moi c’est mourir que de vivre, et vivre que de mourir. La vie, c’est en effet le jour terre
1707 pour moi c’est mourir que de vivre, et vivre que de mourir. La vie, c’est en effet le jour terrestre des êtres continge
1708 ur terrestre des êtres contingents et le tourment de la matière ; mais la mort c’est la nuit de l’illumination, l’évanouis
1709 urment de la matière ; mais la mort c’est la nuit de l’illumination, l’évanouissement des formes illusoires, l’union de l’
1710 , l’évanouissement des formes illusoires, l’union de l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-
1711 sement des formes illusoires, l’union de l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-il pour les
1712 du plus grand Amant, puisqu’en exprimant le désir de voir Dieu, sur le Sinaï il exprima le désir de sa mort. Et l’on conço
1713 ir de voir Dieu, sur le Sinaï il exprima le désir de sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire de la voie illuminat
1714 sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire de la voie illuminative d’un Sohrawardi, d’un al-Hallaj, ait été le mart
1715 t que le terme nécessaire de la voie illuminative d’ un Sohrawardi, d’un al-Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet
1716 cessaire de la voie illuminative d’un Sohrawardi, d’ un al-Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’amor 
1717 al-Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’amor : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui di
1718 ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’ amor : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui dis : Maître
1719 est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie de la Beauté attirant à elle les amoureux.71 ⁂ Par quelles voies la my
1720 que courtoise eussent-elles pu parvenir, en moins d’ un siècle, et à travers quelles traductions, aux initiés de l’Église d
1721 le, et à travers quelles traductions, aux initiés de l’Église d’Amour, et par eux aux poètes du Midi ? Je ne sache pas que
1722 vers quelles traductions, aux initiés de l’Église d’ Amour, et par eux aux poètes du Midi ? Je ne sache pas que l’on soit e
1723 du Midi ? Je ne sache pas que l’on soit en mesure de résoudre aujourd’hui ce problème. S’il est une voie de transmission g
1724 soudre aujourd’hui ce problème. S’il est une voie de transmission géographique, c’est du côté de l’Espagne, évidemment, qu
1725 côté de l’Espagne, évidemment, qu’il conviendrait de la chercher, puisque c’est là que s’opérait le contact du monde arabe
1726 un rôle non négligeable. Mais si l’on se contente de souligner le parallélisme des formes, des contenus et des problèmes d
1727 rmes, des contenus et des problèmes dans le monde de l’islam et dans le monde courtois, l’on aura du moins répondu à l’obj
1728 u à l’objection sceptique que je résumais en tête de ce chapitre. Et rien n’empêche alors de supposer que les mêmes causes
1729 s en tête de ce chapitre. Et rien n’empêche alors de supposer que les mêmes causes — les mêmes courants religieux — produi
1730 sans transmission directe. Cependant les travaux d’ un Asin Palacios nous mettent sur la voie de découvertes considérables
1731 avaux d’un Asin Palacios nous mettent sur la voie de découvertes considérables concernant les relations de la mystique sou
1732 écouvertes considérables concernant les relations de la mystique soufiste et de la poésie occidentale, à une époque plus t
1733 ncernant les relations de la mystique soufiste et de la poésie occidentale, à une époque plus tardive il est vrai. Je ne p
1734 té décrit en effet une traversée des trois mondes de l’au-delà, enfer, purgatoire, paradis, avec les mêmes rencontres et p
1735 ulman identique dans sa structure, dans plusieurs de ses règles, et même dans son costume l’Ordre des Assaccis, auquel Ibn
1736 thurien — une transposition romanesque des règles de l’amour courtois et de sa rhétorique à double sens. « C’est du contac
1737 tion romanesque des règles de l’amour courtois et de sa rhétorique à double sens. « C’est du contact des légendes exotique
1738 ul ou un Chrétien de Troyes, et quelques éléments de mythologie grecque. On a longtemps polémiqué sur l’autonomie relative
1739 t sa doctrine secrète aux « romanciers » du cycle de la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies de cette transmission d
1740 de la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies de cette transmission dans les documents historiques. Aliénor de Poitier
1741 istoriques. Aliénor de Poitiers, quittant sa cour d’ amour languedocienne, avait épousé Louis VII, puis en l’an 1154, Henri
1742 trouvères anglo-normands reçurent le code secret de l’amour courtois74. Chrétien de Troyes déclare tenir le fond et l’esp
1743 étien de Troyes déclare tenir le fond et l’esprit de ses romans de la comtesse Marie de Champagne, fille d’Aliénor, célèbr
1744 s déclare tenir le fond et l’esprit de ses romans de la comtesse Marie de Champagne, fille d’Aliénor, célèbre par sa cour
1745 s romans de la comtesse Marie de Champagne, fille d’ Aliénor, célèbre par sa cour d’amour où le mariage fut condamné. Chrét
1746 e Champagne, fille d’Aliénor, célèbre par sa cour d’ amour où le mariage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tri
1747 riage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas
1748 d, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende de Tristan se répandit très largement dans le Midi. Cette interaction si
1749 bretons. Nous avons vu que la religion druidique, d’ où sont issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doc
1750 ardes et filids, enseignait une doctrine dualiste de l’Univers, et faisait de la femme un symbole du divin. Et c’est dans
1751 it une doctrine dualiste de l’Univers, et faisait de la femme un symbole du divin. Et c’est dans le fonds celtibérique qu
1752 des « purs » a puisé, selon Rahn, certains traits de sa mythologie. Que celle-ci ait revêtu chez les poètes du Nord des co
1753 e la doctrine courtoise rejoignît et fît resurgir d’ anciennes traditions autochtones, elle n’en était pas moins pour les t
1754 pas moins pour les trouvères une chose apprise : d’ où les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il est d’ailleurs extrêm
1755 en souvent. Il est d’ailleurs extrêmement délicat de préciser les causes et l’importance exacte de ces erreurs. Est-ce un
1756 cat de préciser les causes et l’importance exacte de ces erreurs. Est-ce un défaut d’initiation mystique ? Est-ce une trad
1757 mportance exacte de ces erreurs. Est-ce un défaut d’ initiation mystique ? Est-ce une tradition imparfaite ? Ou encore une
1758 de l’hérésie même, un essai plus ou moins sincère de retour vers l’orthodoxie75 ? Ou simplement, une « profanation » des t
1759 à d’autres fins que les cathares ? Dans l’attente de recherches plus approfondies sur tous ces points, bornons-nous à rema
1760 des troubadours, dont ils sont cependant inspirés de la manière la plus incontestable. Nous ne savons si Chrétien de Troye
1761 ons si Chrétien de Troyes a bien compris les lois d’ amour que lui enseignait Marie de Champagne. Nous ne savons dans quell
1762 lu que ses romans fussent des chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples a
1763 chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples allégories illustrant la morale
1764 e persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples allégories illustrant la morale et la mystique courtoises. To
1765 Toutes les hypothèses sont permises en l’absence de documents dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop d’intérêt
1766 dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop d’ intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion de l’hérésie, sans p
1767 intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion de l’hérésie, sans parler de sa volonté de demeurer ésotérique. Il paraî
1768 ués contre la diffusion de l’hérésie, sans parler de sa volonté de demeurer ésotérique. Il paraît donc fort peu probable q
1769 diffusion de l’hérésie, sans parler de sa volonté de demeurer ésotérique. Il paraît donc fort peu probable que l’on découv
1770 chronique déguisée des cathares. (Parzival, fils d’ Herzeloïde, femme du Castis, chez Wolfram d’Eschenbach, serait le comt
1771 bach, serait le comte Ramon Roger Trencavel, fils d’ Adélaïde de Carcassonne et d’Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trenc
1772 oger Trencavel, fils d’Adélaïde de Carcassonne et d’ Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trencavel signifie : « qui tranche
1773 ui tranche bellement », et Wolfram traduit le nom de Parzival par « Schneid mitten durch » : « perce bellement ».) Ces deu
1774 ne se complètent76. Elles ont l’avantage décisif de rendre compte de bien des bizarreries de la légende et de son attirai
1775 76. Elles ont l’avantage décisif de rendre compte de bien des bizarreries de la légende et de son attirail symbolique. Fau
1776 décisif de rendre compte de bien des bizarreries de la légende et de son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un tra
1777 e compte de bien des bizarreries de la légende et de son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un transcripteur modern
1778 oyes n’était pas instruit du sens païen et secret de ces traits mystérieux qu’il rapportait »77 ? Ou bien se vit-il contra
1779 u’il rapportait »77 ? Ou bien se vit-il contraint de déguiser ce sens, en sorte que seuls les initiés pussent démêler la f
1780 du Graal le vase qui reçut le sang du Christ, et de la Table ronde une sorte d’autel pour la Sainte-Cène. Cependant, même
1781 le sang du Christ, et de la Table ronde une sorte d’ autel pour la Sainte-Cène. Cependant, même dans le grand roman de Lanc
1782 Sainte-Cène. Cependant, même dans le grand roman de Lancelot (qui date de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont
1783 t, même dans le grand roman de Lancelot (qui date de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont évidents, si saugrenu
1784 auteur lui-même, après chaque épisode. Il est une de ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine cathar
1785 est une de ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine cathare y transparaît nettement, malgré l’ignora
1786 thare y transparaît nettement, malgré l’ignorance de l’auteur. Lancelot errant par la haute forêt parvient à un carrefour.
1787 arvient à un carrefour. Il hésite entre le chemin de gauche et celui de droite. Il s’engage dans celui de gauche, malgré l
1788 our. Il hésite entre le chemin de gauche et celui de droite. Il s’engage dans celui de gauche, malgré l’avertissement grav
1789 gauche et celui de droite. Il s’engage dans celui de gauche, malgré l’avertissement gravé sur une croix qui se dresse deva
1790 t un chevalier à l’armure blanche qui le renverse de son cheval et le dépouille de sa couronne. Lancelot tout déconfit ren
1791 che qui le renverse de son cheval et le dépouille de sa couronne. Lancelot tout déconfit rencontre un prêtre et se confess
1792 re et se confesse. « Je vous dirai la signifiance de ce qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous
1793 e qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous avez dédaignée au carrefour, était celle de la cheval
1794 que vous avez dédaignée au carrefour, était celle de la chevalerie terrienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle de g
1795 errienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle de gauche était la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit pl
1796 ongtemps triomphé ; celle de gauche était la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes
1797 a chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes et d’abattre des champions par force d’armes : il s’a
1798 le, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes et d’ abattre des champions par force d’armes : il s’agit des choses spiritu
1799 r des hommes et d’abattre des champions par force d’ armes : il s’agit des choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronn
1800 choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronne d’ orgueil : c’est pourquoi le chevalier vous renversa si facilement, car
1801 e commettre.78 » Libre après cela aux historiens de la littérature de parler d’aventures incroyables, de merveilleux faci
1802 Libre après cela aux historiens de la littérature de parler d’aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés to
1803 s cela aux historiens de la littérature de parler d’ aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes,
1804 la littérature de parler d’aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, e
1805 r d’aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérent
1806 s, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérents, personnages sans cara
1807 des aventures s’enchaînent à l’infini », nous dit de ces légendes l’un de leurs meilleurs adapteurs modernes ! Ainsi s’est
1808 înent à l’infini », nous dit de ces légendes l’un de leurs meilleurs adapteurs modernes ! Ainsi s’est répandue l’opinion f
1809 notre esprit si pénétrant et averti. Un peu plus de pénétration nous ferait voir au contraire que la vraie barbarie est d
1810 conception moderne du roman, photographie truquée de faits insignifiants, alors que le roman breton procède d’une cohérenc
1811 insignifiants, alors que le roman breton procède d’ une cohérence intime dont nous avons perdu jusqu’au pressentiment. En
1812 s erreurs. Ils ont traité un thème nouveau, celui de l’amour physique, c’est-à-dire de la faute. (Et j’entends bien la fau
1813 nouveau, celui de l’amour physique, c’est-à-dire de la faute. (Et j’entends bien la faute au sens « courtois », non pas a
1814 en la faute au sens « courtois », non pas au sens de la morale chrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne sont pas
1815 as au sens de la morale chrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes d’amour, comme on
1816 rétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes d’ amour, comme on le répète, mais de véritables romans. C’est qu’à la di
1817 ment des poèmes d’amour, comme on le répète, mais de véritables romans. C’est qu’à la différence des poèmes provençaux, il
1818 ovençaux, ils s’attachent à décrire les trahisons de l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan de la passion dans sa pu
1819 s de l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan de la passion dans sa pureté mystique. Le point de départ de Lancelot — 
1820 n de la passion dans sa pureté mystique. Le point de départ de Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour
1821 ssion dans sa pureté mystique. Le point de départ de Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois,
1822 mystique. Le point de départ de Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois, la possession physi
1823 é contre l’amour courtois, la possession physique d’ une femme réelle, la « profanation » de l’amour. Et c’est à cause de c
1824 n physique d’une femme réelle, la « profanation » de l’amour. Et c’est à cause de cette faute initiale que Lancelot ne tro
1825 t à l’initiation. Il est clair que la description de ces errements et de leurs punitions exigeait la forme du récit, et no
1826 est clair que la description de ces errements et de leurs punitions exigeait la forme du récit, et non plus de la simple
1827 punitions exigeait la forme du récit, et non plus de la simple chanson79. Ainsi s’explique par des raisons spirituelles la
1828 xplique par des raisons spirituelles la formation d’ un genre nouveau — le roman — qui ne deviendra proprement littéraire q
1829 au minimum, tandis que le développement tragique de la doctrine religieuse détermine à lui seul la courbe puissante et si
1830 ve incorporés des éléments religieux et mythiques d’ origine très nettement celtique, bien plus nombreux et plus exactement
1831 plus exactement identifiables que dans les romans de la Table ronde. ⁂ Hubert note très bien à propos de la littérature ga
1832 « c’est un miracle qu’elle contienne des éléments de religion brittonique : elle s’est formée dans un pays chrétien, roman
1833 miracle est cependant attesté par un grand nombre d’ incidents mis en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent d’expl
1834 en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent d’ explication que dans les récentes découvertes de l’archéologie celtiqu
1835 t d’explication que dans les récentes découvertes de l’archéologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique de ces éléme
1836 ologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique de ces éléments religieux était tel qu’on s’explique assez bien leur sur
1837 avait perdu la foi des druides, et oublié le sens de leurs mystères. Dans le cycle des légendes irlandaises, nous trouvons
1838 gendes irlandaises, nous trouvons un grand nombre de récits qui racontent le voyage d’un héros au pays des morts. Ce héros
1839 un grand nombre de récits qui racontent le voyage d’ un héros au pays des morts. Ce héros, Bran, Cuchulainn, ou Oisin, « es
1840 à une terre merveilleuse. « Il se lasse à la fin de ce séjour, veut revenir. C’est finalement pour mourir.81 » Nous avons
1841 pour mourir.81 » Nous avons là l’origine évidente de la première navigation à l’aventure de Tristan malade, en quête du ba
1842 e évidente de la première navigation à l’aventure de Tristan malade, en quête du baume magique. D’autre part, plusieurs ré
1843 du baume magique. D’autre part, plusieurs récits de ce cycle irlandais figurent les prototypes assez exacts des situation
1844 s prototypes assez exacts des situations du Roman de Tristan. Par exemple, dans l’idylle tragique de Diarmaid et Grainne,
1845 n de Tristan. Par exemple, dans l’idylle tragique de Diarmaid et Grainne, les deux amants se sauvent dans la forêt où le m
1846 rt, pour ne jamais se séparer »82. Il serait aisé de multiplier ces comparaisons littéraires. Mais certains traits de mœur
1847 es comparaisons littéraires. Mais certains traits de mœurs nous incitent à des rapprochements plus précis. On se rappelle
1848 précis. On se rappelle que Tristan, après la mort de ses parents, fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était f
1849 Celtes, que l’on confiât les enfants « à la garde d’ un personnage qualifié dans une grande maison, la maison des hommes ».
1850 son des hommes ». Ils y recevaient l’enseignement d’ un druide, et se trouvaient mis à l’abri des femmes. « Cette instituti
1851 n qu’on appelle généralement du nom anglo-normand de fosterage s’est maintenue en pays celtique : nous trouvons les enfant
1852 s nourriciers, à l’égard desquels ils contractent de véritables liens de parenté, attestés par le fait qu’un certain nombr
1853 gard desquels ils contractent de véritables liens de parenté, attestés par le fait qu’un certain nombre de personnages por
1854 arenté, attestés par le fait qu’un certain nombre de personnages portent dans l’indication de leur filiation le nom de leu
1855 n nombre de personnages portent dans l’indication de leur filiation le nom de leur père nourricier… On recherchait comme p
1856 ortent dans l’indication de leur filiation le nom de leur père nourricier… On recherchait comme pères nourriciers soit les
1857 herchait comme pères nourriciers soit les membres de la famille maternelle, soit… les druides.83 » Tristan élevé par Marc,
1858 s » du roi. (Les psychanalystes ne manqueront pas de voir dans la liaison malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat d’
1859 anqueront pas de voir dans la liaison malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppos
1860 de voir dans la liaison malheureuse de Tristan et d’ Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le
1861 son malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat d’ un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le fait que les « père
1862 ez bien toléré chez les Celtes, comme l’attestent de nombreux documents). La coutume celtique du potlatch, don rituel ou p
1863 eltique du potlatch, don rituel ou plutôt échange de dons ostentatoires, accompagné de surenchère, subsiste également dans
1864 plutôt échange de dons ostentatoires, accompagné de surenchère, subsiste également dans Tristan et les romans de la Table
1865 re, subsiste également dans Tristan et les romans de la Table ronde. On y voit un grand nombre d’aventures débuter par une
1866 mans de la Table ronde. On y voit un grand nombre d’ aventures débuter par une promesse « en blanc » faite par le roi à que
1867 de un don, sans dire lequel. Il s’agit en général d’ un service très périlleux. « Les tournois, note Hubert, font certainem
1868 s tournois, note Hubert, font certainement partie de ce vaste système de concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enf
1869 ert, font certainement partie de ce vaste système de concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que le
1870 ment partie de ce vaste système de concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que les jeunes Celtes au
1871 es hommes, devaient accomplir un exploit (meurtre d’ un étranger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit de se marier :
1872 anger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit de se marier : le combat contre le Morholt, dans Tristan, illustre exact
1873 ous ces faits rendent vraisemblable la conclusion d’ Hubert : à savoir que la mythologie celtique s’est transmise au cycle
1874 uses, mais par le culte plus profane des héros et de leurs prouesses, remplaçant peu à peu les dieux dans les légendes pop
1875 ton Paris remarquait avec profondeur que le roman de Tristan et d’Iseut rend un son particulier, qui ne se retrouve guère
1876 rquait avec profondeur que le roman de Tristan et d’ Iseut rend un son particulier, qui ne se retrouve guère dans la littér
1877 en Âge, et il l’expliquait par l’origine celtique de ces poèmes. C’est par Tristan et par Arthur que le plus clair et le p
1878 édier sut faire rendre à sa moderne transcription de la légende, est si nettement sensible à notre cœur qu’il nous met en
1879 nt sensible à notre cœur qu’il nous met en mesure d’ isoler l’élément non celtique, donc proprement courtois qui provoqua,
1880 is qui provoqua, au xiie siècle, la constitution de notre mythe. Qu’on lise l’une après l’autre une légende irlandaise et
1881 près l’autre une légende irlandaise et la légende de Béroul ou de Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité
1882 une légende irlandaise et la légende de Béroul ou de Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité tout extérie
1883 égende de Béroul ou de Thomas : et l’on verra que d’ un côté, c’est une fatalité tout extérieure qui provoque la catastroph
1884 xtérieure qui provoque la catastrophe, tandis que de l’autre, c’est la volonté secrète, mais infaillible, des deux amants
1885 r celtique (en dépit de la sublimation religieuse de la femme par les druides) est avant tout l’amour sensuel84. Le fait q
1886 ur religieux orthodoxe, et se voit donc contraint de s’exprimer par des symboles ésotériques, aide à comprendre que le fon
1887 e favoriser la confusion moderne entre la passion de Tristan et la pure sensualité. Quelques citations de Thomas, le plus
1888 Tristan et la pure sensualité. Quelques citations de Thomas, le plus conscient des cinq auteurs de la légende primitive, s
1889 ons de Thomas, le plus conscient des cinq auteurs de la légende primitive, suffiront à faire concevoir l’originalité du my
1890 mmenté en termes étonnamment modernes le principe de cohésion qu’apporte la mystique cathare aux éléments religieux, socio
1891 du vieux fond breton. Ce principe, c’est l’amour de la douleur considérée comme une ascèse, le « mal aimé » des troubadou
1892 istan livré au plus cruel conflit, lorsqu’au soir de ses noces avec Iseut aux blanches mains, il ne peut se résoudre à pos
1893 , quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le désir de Tristan ne s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa doul
1894 e s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et de ses peines, et contre son mal, il avise un remède do
1895 té. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et de ses peines, et contre son mal, il avise un remède dont il doublera so
1896 nd en aversion que le bonheur qu’il est contraint d’ avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa recherche, pensan
1897 a !… Ainsi en advient-il à beaucoup de gens. Dans d’ amers déboires d’amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’
1898 ient-il à beaucoup de gens. Dans d’amers déboires d’ amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’ils font pour s’y
1899 aire, s’en affranchir et s’en venger les asservit d’ un lien plus inextricable encore. D’irréalisables désirs, d’impossible
1900 les asservit d’un lien plus inextricable encore. D’ irréalisables désirs, d’impossibles convoitises les conduisent à ne ri
1901 plus inextricable encore. D’irréalisables désirs, d’ impossibles convoitises les conduisent à ne rien faire dans leur détre
1902 désir. (Encontre désir fait volier, dit le texte de Thomas.)85 ⁂ Un fonds celtique de légendes religieuses — d’ailleurs
1903 dit le texte de Thomas.)85 ⁂ Un fonds celtique de légendes religieuses — d’ailleurs très anciennement commun au Midi la
1904 que et au Nord irlandais et breton ; des coutumes de chevalerie féodale ; des apparences d’orthodoxie chrétienne ; une sen
1905 s coutumes de chevalerie féodale ; des apparences d’ orthodoxie chrétienne ; une sensualité parfois très complaisante ; enf
1906 n de compte les éléments sur lesquels la doctrine de l’Amour opéra ses transmutations. Ainsi naquit le mythe de Tristan. L
1907 r opéra ses transmutations. Ainsi naquit le mythe de Tristan. Loin de moi la tentation d’analyser le processus de cette mé
1908 uit le mythe de Tristan. Loin de moi la tentation d’ analyser le processus de cette métamorphose : il nous échappe doubleme
1909 Loin de moi la tentation d’analyser le processus de cette métamorphose : il nous échappe doublement, étant poétique et my
1910 poétique et mystique. Mais nous savons maintenant d’ où vient le mythe, et où il mène. Et peut-être pressentons-nous — mais
1911 remières conclusions Compte tenu du changement de registre qui s’opère dans les expressions poétiques de l’amour courto
1912 gistre qui s’opère dans les expressions poétiques de l’amour courtois, lorsqu’on passe du Midi des troubadours au Nord plu
1913 plus barbare des trouvères, nous sommes en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul l’aboutissement de tou
1914 en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul l’aboutissement de toutes nos pérégrinations. Les religions an
1915 nt dans le chef-d’œuvre de Béroul l’aboutissement de toutes nos pérégrinations. Les religions antiques, certaines mystique
1916 e qui les fit revivre en Languedoc, le contrecoup de cette hérésie dans la conscience occidentale et dans les coutumes féo
1917 r dans le mythe. Nous avons donc rejoint le Roman de Tristan et situé sa nécessité à telle date, à l’intersection de telle
1918 situé sa nécessité à telle date, à l’intersection de telles traditions hérétiques et de telles institutions qui les condam
1919 l’intersection de telles traditions hérétiques et de telles institutions qui les condamnaient farouchement, les obligeant
1920 imer en symboles équivoques et à revêtir la forme d’ un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la
1921 oles équivoques et à revêtir la forme d’un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion :
1922 s et à revêtir la forme d’un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion : l’amour-passi
1923 . De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion : l’amour-passion glorifié par le mythe fut réell
1924 par le mythe fut réellement au xiie siècle, date de son apparition, une religion dans toute la force de ce terme, et spéc
1925 son apparition, une religion dans toute la force de ce terme, et spécialement une hérésie chrétienne historiquement déter
1926 ne hérésie chrétienne historiquement déterminée . D’ où l’on pourra déduire. 1° que la passion, vulgarisée de nos jours par
1927 ’on pourra déduire. 1° que la passion, vulgarisée de nos jours par les romans et par le film, n’est rien d’autre que le re
1928 s jours par les romans et par le film, n’est rien d’ autre que le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’une hérés
1929 le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’ une hérésie spiritualiste dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’or
1930 dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’origine de notre crise du mariage, il n’y a pas moins que le conflit de deux tra
1931 ise du mariage, il n’y a pas moins que le conflit de deux traditions religieuses, c’est-à-dire une décision que nous preno
1932 esque toujours inconsciemment, en toute ignorance de cause, de fins et de risques encourus, en faveur d’une morale surviva
1933 ours inconsciemment, en toute ignorance de cause, de fins et de risques encourus, en faveur d’une morale survivante que no
1934 ciemment, en toute ignorance de cause, de fins et de risques encourus, en faveur d’une morale survivante que nous ne savon
1935 savons plus justifier. ⁂ Il s’en faut d’ailleurs de beaucoup que la passion et le mythe de la passion n’agissent que dans
1936 d’ailleurs de beaucoup que la passion et le mythe de la passion n’agissent que dans nos vies privées. La mystique d’Occide
1937 n’agissent que dans nos vies privées. La mystique d’ Occident est une autre passion dont le langage métaphorique est parfoi
1938 horique est parfois étrangement semblable à celui de l’amour courtois. Nos grandes littératures sont pour une bonne partie
1939 férons le dire : des « profanations » successives de son contenu et de sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes
1940 es « profanations » successives de son contenu et de sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes les formes militai
1941 litaires, jusque vers 1914, ont gardé par le fait de leur origine chevaleresque — et pour d’autres raisons peut-être — un
1942 lélisme constant avec l’évolution du mythe. C’est de quoi l’on traitera dans les livres qui viennent. 16. H. Hubert, L
1943 eltes, II, p. 227, 229, 274. (Le meilleur ouvrage d’ ensemble sur la civilisation, l’histoire et l’archéologie celtique.)
1944 eltique.) 17. H. d’Arbois de Jubainville, Cours de littérature celtique, I, p. 1-65. 18. J. Vendryès, Mémoires de la s
1945 celtique, I, p. 1-65. 18. J. Vendryès, Mémoires de la société linguistique, XX, 6, 265. 19. Op. cit., I, p. 18, et II,
1946 5 août 1937.) 23. Voir l’Appendice 4. 24. Droit d’ user et d’abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour
1947 7.) 23. Voir l’Appendice 4. 24. Droit d’user et d’ abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour le droit r
1948 ulte des images — manifestation la plus simpliste de ce penchant — a toujours répugné à l’Oriental. Au viiie siècle, le p
1949 tal. Au viiie siècle, le pape Léon III, instruit de cette répugnance par sa lutte contre les juifs et les montanistes, in
1950 e dont il espérait voir sortir l’unité religieuse de l’Empire oriental-occidental. Son échec est significatif. 26. J. Or
1951 on le verra bien par la suite. Le premier couple d’ amants « passionnés » dont l’histoire soit venue jusqu’à nous, c’est H
1952 rre de Barjac. On connaît d’autres cas où l’amant d’ une femme — toujours mariée — brûlait des cierges à tous les saints po
1953 rûlait des cierges à tous les saints pour obtenir de vaincre les rigueurs de la « belle ». 31. A. Jeanroy, La Poésie lyr
1954 s les saints pour obtenir de vaincre les rigueurs de la « belle ». 31. A. Jeanroy, La Poésie lyrique des troubadours, 19
1955 t celle du Nord. Mais ces différences ne sont pas de nature à expliquer le culte de la femme. On y reviendra. 33. A. Jea
1956 rences ne sont pas de nature à expliquer le culte de la femme. On y reviendra. 33. A. Jeanroy, La Poésie lyrique des tro
1957 5. On a tenté quelques explications sociologiques de la courtoisie. Elles se ramènent à des suppositions — souvent contrad
1958 ions — souvent contradictoires — sur la condition de la femme en Languedoc. Vernon Lee, par exemple, dans un essai intitul
1959 s il y avait « une énorme prépondérance numérique d’ hommes » dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet
1960 umérique d’hommes » dont peu pouvaient se marier. D’ où l’idéalisation de l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire.
1961 dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte
1962 uvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet d’ un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte du renseig
1963 u renseignement, mais il n’explique en somme rien de précis quant à la rhétorique courtoise. (Par contre il nous aidera pl
1964 nous aidera plus tard à concevoir qu’à la faveur de cette situation sociologique, la confusion de l’amour mystique et de
1965 eur de cette situation sociologique, la confusion de l’amour mystique et de l’amour charnel ait pu s’établir assez vite.)
1966 sociologique, la confusion de l’amour mystique et de l’amour charnel ait pu s’établir assez vite.) 36. Parmi les sectes g
1967 es par le dualisme parsiste, on peut citer celles de Bardesane, des pératiens, des docètes, des caïnites, des séthiens, de
1968 ratiens, des docètes, des caïnites, des séthiens, de Simon le Mage, etc. 37. Non point tous cependant. D. Roché, dans une
1969 harisme (p. 2, Carcassonne, 1937) donne une liste d’ ouvrages retrouvés ; un rituel d’initiation, un apocryphe de saint Jea
1970 donne une liste d’ouvrages retrouvés ; un rituel d’ initiation, un apocryphe de saint Jean, plus exactement nommé « Cène s
1971 retrouvés ; un rituel d’initiation, un apocryphe de saint Jean, plus exactement nommé « Cène secrète », et les Capitula d
1972 xactement nommé « Cène secrète », et les Capitula de Faustus de Milev, évêque machinéen dont l’influence s’exercera direct
1973 ent sur les cathares. On peut y ajouter la Vision de saint Paul et le Purgatoire de saint Patrice (traduit par Marie de Fr
1974 ajouter la Vision de saint Paul et le Purgatoire de saint Patrice (traduit par Marie de France), et plusieurs écrits publ
1975 38. Voir en particulier les Summae contra kataros d’ Alain de Lille (Alanus de Insulis), Moneta de Cremone, Ranieri Sacchon
1976 ndis que le chrétien revient à elle, et s’efforce de répondre à l’« attente ardente » de la créature. (Romains, 8.) 40. D
1977 et s’efforce de répondre à l’« attente ardente » de la créature. (Romains, 8.) 40. D’où le nom de docètes pris par une s
1978 ente ardente » de la créature. (Romains, 8.) 40. D’ où le nom de docètes pris par une secte gnostique : dokesis — apparenc
1979  » de la créature. (Romains, 8.) 40. D’où le nom de docètes pris par une secte gnostique : dokesis — apparence. 41. D. 
1980 p. cit. p. 14 et 15) atténue d’ailleurs la portée de cette condamnation du mariage dans la pure doctrine cathare, en renvo
1981 e doctrine cathare, en renvoyant aux déclarations de saint Paul sur les eunuques volontaires. Et après tout, Rome approuve
1982 tout autant faciliter la mort volontaire au terme d’ une initiation convenable ? 43. L’expression de « parfaits » ne se tr
1983 e d’une initiation convenable ? 43. L’expression de « parfaits » ne se trouve d’ailleurs que dans les registres de l’Inqu
1984  » ne se trouve d’ailleurs que dans les registres de l’Inquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement de chrétiens) pa
1985 que dans les registres de l’Inquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir été utilisé par
1986 nquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir été utilisé par les cathares eux-mêmes, et « 
1987 f qu’elle représentait pour eux non pas une femme de chair, mère de Jésus, mais leur Église. 47. Traduit par C.-A. Cingri
1988 ingria (Mesures, n° 2, 1937). Parmi des centaines de citations également significatives, ou davantage, qui eussent pu inte
1989 ssent pu intervenir dans ce chapitre, j’ai choisi de préférence celles qu’a traduites C.-A. Cingria (en vers), pour la per
1990 uites C.-A. Cingria (en vers), pour la perfection de leur forme et de leur matière verbale. 48. D. Roché, op. cit., insi
1991 ia (en vers), pour la perfection de leur forme et de leur matière verbale. 48. D. Roché, op. cit., insiste lui aussi sur
1992 oché, op. cit., insiste lui aussi sur « le danger d’ une envolée trop rapide vers le ciel », selon les cathares, et oppose
1993 ieu, Lumière, Foi, Église, est un indice probable de catharisme chez un troubadour. Les cathares s’appliquaient à parler l
1994 ision du monde dominée par l’hostilité du Jour et de la Nuit. Voici le début d’une autre « aube » anonyme : « En un verger
1995 l’hostilité du Jour et de la Nuit. Voici le début d’ une autre « aube » anonyme : « En un verger, sous une loge d’aubépine,
1996 « aube » anonyme : « En un verger, sous une loge d’ aubépine, la dame a tenu son ami dans ses bras jusqu’à ce que le guett
1997 poèmes ! 52. Au moment de donner le bon à tirer de cet ouvrage, je lis une étude remarquable de Lucie Varga : Peire Card
1998 irer de cet ouvrage, je lis une étude remarquable de Lucie Varga : Peire Cardinal était-il hérétique ? (« Rev. d’hist. des
1999 rga : Peire Cardinal était-il hérétique ? (« Rev. d’ hist. des relig. », juin 1938) qui m’apporte de décisives confirmation
2000 v. d’hist. des relig. », juin 1938) qui m’apporte de décisives confirmations. L’auteur va jusqu’à proposer, au terme d’une
2001 irmations. L’auteur va jusqu’à proposer, au terme d’ une démonstration serrée, que l’on prenne les poèmes des troubadours c
2002 n prenne les poèmes des troubadours comme sources d’ études sur le catharisme. — Cf. sur Peire Cardinal hérétique : J. Anol
2003 troubadours, II, p. 306. Faut-il que je m’excuse de revenir sans cesse à ce livre et à cet auteur ? Mais ils résument tro
2004 sement — l’ensemble des positions « officielles » de la philologie et de l’histoire littéraire pour ne pas me servir ici d
2005 des positions « officielles » de la philologie et de l’histoire littéraire pour ne pas me servir ici de symboles. Ceci enc
2006 e l’histoire littéraire pour ne pas me servir ici de symboles. Ceci encore : les doutes qu’exprime M. Jeanroy, je n’ai pas
2007 nroy, je n’ai pas été sans les concevoir au début de cette recherche. Et l’on ne manquerait pas de me les opposer si je n’
2008 but de cette recherche. Et l’on ne manquerait pas de me les opposer si je n’en tenais pas compte dès maintenant. 54. Par
2009 l jugerait absurde, c’est-à-dire qui n’aurait pas de sens religieux et de situation précise dans l’ensemble des valeurs qu
2010 ’est-à-dire qui n’aurait pas de sens religieux et de situation précise dans l’ensemble des valeurs qu’il connaît. 55. J.
2011 uis quand ? Rudel utilisait ce procédé, et il est de la première moitié du xiie siècle, c’est à-dire de la toute première
2012 la première moitié du xiie siècle, c’est à-dire de la toute première génération des troubadours ! Donc l’un des inventeu
2013 ration des troubadours ! Donc l’un des inventeurs de ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple d’anachronisme tenda
2014 ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple d’ anachronisme tendancieux. On veut à tout prix que le langage des troub
2015 e langage des troubadours soit le langage naturel de l’amour humain, transposé à l’amour divin. Alors qu’historiquement, c
2016 e et authentique ? Ceci pour répondre au reproche d’ insincérité fait aux troubadours par nos érudits — reproche lui-même s
2017 eproche lui-même stéréotypé… 58. Mais catholique d’ origine, non hérétique. 59. Remarquons que cette thèse — qui est la n
2018 p. 91.) 60. M. Jeanroy cite des textes probants de ces poètes dans sa thèse latine. De nostratibus medii ævi pœtis qui p
2019 xtes probants de ces poètes dans sa thèse latine. De nostratibus medii ævi pœtis qui primum lyrica Aquitaniæ carmina imita
2020 alier courtois donnait souvent à sa Dame le titre de seigneur au masculin : mi dons (mi dominus) et en Espagne : senhor (n
2021 tout est symbole religieux, et non pas traduction de relations humaines. Toutefois, le narcissisme inhérent à tout amour d
2022 n sexuel, des déviations dont il serait difficile de nier que certains troubadours n’aient pas été victimes. 62. Textes t
2023 65. Voir entre autres : L. Massignon, La Passion de al-Hallaj ; Le Diwan de al-Hallaj ; Essai sur les origines du lexique
2024 L. Massignon, La Passion de al-Hallaj ; Le Diwan de al-Hallaj ; Essai sur les origines du lexique technique de la mystiqu
2025 laj ; Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane. — Henry Corbin : Édition et introduction de de
2026 sulmane. — Henry Corbin : Édition et introduction de deux traités de Sohrawardi : Le Familier des Amants et le Bruissement
2027 Corbin : Édition et introduction de deux traités de Sohrawardi : Le Familier des Amants et le Bruissement de l’aile de Ga
2028 awardi : Le Familier des Amants et le Bruissement de l’aile de Gabriel. — E. Dermenghem : trad. de plusieurs poèmes d’Ibn-
2029 e Familier des Amants et le Bruissement de l’aile de Gabriel. — E. Dermenghem : trad. de plusieurs poèmes d’Ibn-al-Faridh
2030 ent de l’aile de Gabriel. — E. Dermenghem : trad. de plusieurs poèmes d’Ibn-al-Faridh (dans les revues Mesures, Hermès, Ca
2031 riel. — E. Dermenghem : trad. de plusieurs poèmes d’ Ibn-al-Faridh (dans les revues Mesures, Hermès, Cahiers du Sud). 66.
2032 ès, Cahiers du Sud). 66. Voici le chef principal d’ accusation, selon Massignon (Passion de al-Hallaj, p. 161) : « Adorer
2033 principal d’accusation, selon Massignon (Passion de al-Hallaj, p. 161) : « Adorer Dieu par amour seulement est le crime d
2034 agnétique du fer pour le fer, et leurs particules de lumière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer de lumière dont
2035 ière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer de lumière dont elles sont venues ». 67. H. Corbin : introduction au F
2036 odernes n’ont vu là qu’un raffinement extravagant de préciosité dans la « courtoisie », ce qui symbolise toute leur erreur
2037 r le sens même du mot courtois ! 70. Cf. l’étude de E. Dermenghem, Mortelle poésie (Hermès, juin 1936), où l’on trouvera
2038 ermès, juin 1936), où l’on trouvera la traduction de très belles légendes musulmanes sur la mort par amour (mystique). 71
2039 aj, texte relatif à la prédication et au supplice de al-Hallaj. 72. Don Miguel Asin Palacios, La Escatologia musulmana e
2040 nombrables objections que sa thèse n’a pas manqué d’ exciter chez les divers spécialistes mis en cause, et menacés par cet
2041 cialistes mis en cause, et menacés par cet effort de synthèse dans leur essence même de « spécialistes ». — Sur les rappor
2042 par cet effort de synthèse dans leur essence même de « spécialistes ». — Sur les rapports entre la lyrique hispano-arabe e
2043 hispano-arabe et les troubadours, voir les études de Menendez y Pelayo, Gonzalez de Palencia, et Ribera. (À propos du zéje
2044 édigé au commencement du xiiie siècle : c’est le De arte honeste amandi d’André Le Chapelain. 75. Chez Chrétien de Troy
2045 u xiiie siècle : c’est le De arte honeste amandi d’ André Le Chapelain. 75. Chez Chrétien de Troyes en particulier. 76.
2046 le rattachait le Graal aux rites secrets du culte d’ Adonis. Ce qui est certain, c’est qu’un symbole comme celui du roi pêc
2047 Celtes peut se confondre facilement avec la coupe de la Cène. Et la lance elle-même revêt les significations les plus dive
2048 interprétation. Il s’est produit toute une série de fusions et de confusions de symboles. 77. Les Romans de la Table ro
2049 n. Il s’est produit toute une série de fusions et de confusions de symboles. 77. Les Romans de la Table ronde, nouvellem
2050 oduit toute une série de fusions et de confusions de symboles. 77. Les Romans de la Table ronde, nouvellement rédigés pa
2051 ns et de confusions de symboles. 77. Les Romans de la Table ronde, nouvellement rédigés par J. Boulenger, IV, p. 238. 7
2052 communié se donnent les uns aux autres le baiser de paix, selon le rite oriental, que les cathares paraissent avoir repri
2053 doivent traverser n’est autre que le pont Chinvat de la mythologie manichéenne, pont jeté sur la rivière infernale, et que
2054 ue seuls les élus peuvent franchir. « Il y a lieu d’ appeler manichéisant le milieu créateur de la matière de Bretagne », é
2055 a lieu d’appeler manichéisant le milieu créateur de la matière de Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291)
2056 ler manichéisant le milieu créateur de la matière de Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291) après avoir in
2057 C’est pourquoi le roman finit « bien » — au sens de la mystique cathare — c’est-à-dire aboutit à la double mort volontair
2058 , II, p. 286. 81. Ibid., p. 298. 82. Histoire de Bailé au doux langage, trad. G. Dottin (L’Épopée irlandaise, Paris 19
2059 ., II, p. 243-244. 84. Voir l’intéressante étude de M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende de « Tannhäuser » (Mercur
2060 de de M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende de « Tannhäuser » (Mercure de France, juin 1938). Le Tannhäuser du xvie
2061 xvie siècle est une tardive adaptation allemande de légendes irlando-écossaises ; il ne doit rien aux influences courtois
4 1939, L’Amour et l’Occident. Livre III. Passion et mystique
2062 1.Position du problème On a souvent tenté d’ expliquer le mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation de l’am
2063 mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation de l’amour humain, c’est-à-dire en fin de compte : à la sexualité. Or l’
2064 de compte : à la sexualité. Or l’examen du Roman de Tristan et de ses sources historiques nous a conduit à renverser le r
2065 la sexualité. Or l’examen du Roman de Tristan et de ses sources historiques nous a conduit à renverser le rapport. C’est
2066 es conclusions générales. Mais il permet au moins de reposer un problème que le xixe siècle matérialiste s’était cru en m
2067 e xixe siècle matérialiste s’était cru en mesure de trancher au détriment de la mystique. À vrai dire, je ne suis pas trè
2068 définitive et simple. Mais il me paraît important de reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou de la
2069 de reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou de la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre,
2070 moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou de la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet
2071 parte de la passion ou de la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet implicitement, c’est l’exi
2072 e que l’on admet implicitement, c’est l’existence d’ un rapport quelconque entre ces deux réalités. Reste à savoir dans que
2073 ogie des métaphores mystiques et amoureuses. Mais d’ une entière analogie des mots, peut-on conclure à une entière analogie
2074 sommes-nous pas jusqu’à un certain point victimes d’ une illusion verbale ? d’une sorte de « calembour continué » ? Quand b
2075 n certain point victimes d’une illusion verbale ? d’ une sorte de « calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas
2076 int victimes d’une illusion verbale ? d’une sorte de « calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas, le problèm
2077 otre sens. a) S’il n’y avait en jeu, dans le cas de la passion, que des facteurs physiologiques, on ne comprendrait plus
2078 iologiques, on ne comprendrait plus rien au mythe de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim
2079 de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle
2080 La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’ une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, mo
2081 é est une faim. Or il est de la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, moins elle se
2082 yons ici une passion dont la nature est justement de refuser tout ce qui pourrait la satisfaire et la guérir. Nous ne somm
2083 sommes donc pas en présence d’une faim, mais bien d’ une intoxication. Et l’on a soutenu récemment, par les preuves les plu
2084 morale, toute intoxication suppose l’intervention d’ un agent étranger, que l’instinct livré à lui-même éliminerait aussi v
2085 ement, la mystique à elle seule, rend-elle compte de la passion ? Il faudrait alors expliquer pourquoi c’est dans l’amour
2086 est toujours à l’instinct sexuel que l’on a tenté de « ramener » la mystique, et cela bien avant Freud et son école. Voici
2087 e que pose l’amour-passion : si l’on n’y voit que de la sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas de quoi l’on par
2088 sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas de quoi l’on parle. Si au contraire on rapporte cet amour à quelque chos
2089 u contraire on rapporte cet amour à quelque chose d’ étranger au sexe — il en résulte des choses bizarres, comme disait à p
2090 qu’il se posait au xiie siècle. C’est en partant d’ un exemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor de la grande mys
2091 siècle. C’est en partant d’un exemple précis et d’ une œuvre antérieure à l’essor de la grande mystique orthodoxe, que no
2092 xemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor de la grande mystique orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances
2093 orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances de surprendre à l’état naissant la dialectique des « choses bizarres »…
2094 ture mystique Nous avons constaté que le Roman de Tristan est, à bien des égards, une première « profanation » de la my
2095 , à bien des égards, une première « profanation » de la mystique courtoise et de ses sources (néo-platonisme, manichéisme,
2096 mière « profanation » de la mystique courtoise et de ses sources (néo-platonisme, manichéisme, soufisme). La mythification
2097 des complaisances bien explicables envers le goût de leurs auditeurs, moins policés que ceux du Midi. Le caractère distinc
2098 di. Le caractère distinctif du Roman est en effet de reposer sur une faute contre les lois d’amour courtois, puisque tout
2099 en effet de reposer sur une faute contre les lois d’ amour courtois, puisque tout le drame vient de l’adultère consommé. De
2100 isque tout le drame vient de l’adultère consommé. De là que nous ayons un « roman » selon la formule moderne du genre, et
2101 et si l’on considère surtout le principe interne de l’action, Tristan évoque par la plupart de ses situations romanesques
2102 part de ses situations romanesques la progression d’ une vie mystique. Certains « moments » relèvent de la pure tradition c
2103 d’une vie mystique. Certains « moments » relèvent de la pure tradition cathare, d’autres peuvent être rapprochés d’une exp
2104 adition cathare, d’autres peuvent être rapprochés d’ une expérience mystique plus générale, et qu’on retrouve identique, da
2105 niens et Arabes, voire bouddhistes). En tout état de cause, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman d’adultère : l’i
2106 En tout état de cause, on ne saurait plus parler d’ un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité de Tristan, c’est l’hérési
2107 se, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman d’ adultère : l’infidélité de Tristan, c’est l’hérésie, c’est la vertu my
2108 ler d’un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité de Tristan, c’est l’hérésie, c’est la vertu mystique des « purs », c’est
2109 des « purs », c’est une vertu, selon les auteurs de la légende. Et la faute n’est pas dans l’amour, mais dans sa « réalis
2110 que se révèle toute comparaison entre deux formes de mystique — et d’autant plus qu’ici l’un des termes en présence se tro
2111 te comparaison entre deux formes de mystique — et d’ autant plus qu’ici l’un des termes en présence se trouve dénaturé par
2112 nacelle sans gouvernail ni voile, muni seulement de son épée et de sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qu
2113 ouvernail ni voile, muni seulement de son épée et de sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qui chassera le p
2114 cherche du baume salutaire qui chassera le poison de son sang. C’est le type même du départ mystique, de l’abandon à l’ave
2115 son sang. C’est le type même du départ mystique, de l’abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête de l’âme pécheres
2116 abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête de l’âme pécheresse, c’est-à-dire blessée mortellement, qui renonce aux
2117 inconnue. La poésie moderne nous a montré combien d’ exemples de ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents
2118 a poésie moderne nous a montré combien d’exemples de ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiment
2119 ure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiments d’ une recherche mystique, qui ne laisse oublier ni la lyre ni l’épée sym
2120 analyse du mythe, que cette fatalité joue le rôle d’ un alibi : les amants ne se veulent responsables de rien, leur passion
2121 ’un alibi : les amants ne se veulent responsables de rien, leur passion étant inavouable tant aux yeux de la société (qui
2122 les fait mourir). C’est là l’aspect psychologique de l’aventure. Mais voici l’aspect religieux : ce hasard aussitôt irrévo
2123 p que tout semblait le préparer, c’est l’élection d’ une âme par l’Amour tout-puissant, la vocation qui la surprend comme m
2124 conduire à l’endura. Mais emporté par la violence de la première révélation, qui parfois embrase le sang, il enfreint la r
2125 le, souffle ô vent ! Malheur ! ah malheur ! fille d’ Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie de pénitence devra mai
2126 d’Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie de pénitence devra maintenant racheter le sacrilège. Mais le malheur ess
2127 racheter le sacrilège. Mais le malheur essentiel de cet amour n’est pas seulement la rançon du péché. L’ascèse qui rachèt
2128 it aussi et surtout délivrer l’homme du fait même d’ être né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement f
2129 vrer l’homme du fait même d’être né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement final et bienheureux, à l
2130 nitence a donc une signification toute différente de celle du repentir chrétien. Et bien que l’orthodoxie et l’hérésie sem
2131 onfondues dans le Roman, il est toujours possible de reconnaître, à de tels traits, la tendance réellement dominante — cel
2132 Roman, il est toujours possible de reconnaître, à de tels traits, la tendance réellement dominante — celle qui s’épanouira
2133 a mort des amants. Reprenons par exemple le récit de l’« aspre vie » dans la forêt de Morois. « Nous avons perdu le monde,
2134 exemple le récit de l’« aspre vie » dans la forêt de Morois. « Nous avons perdu le monde, et le monde nous », gémit Iseut
2135 gémit Iseut (dans le Roman en prose). Et Tristan de répondre : « Si le monde entier était orendroit avec nous, je ne verr
2136 , je ne verrois fors vous seule. » Il s’agit bien d’ une endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes de
2137 e endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes de jeûne et de macération dont nous connaissons le but c
2138 retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes de jeûne et de macération dont nous connaissons le but chez les cathares
2139 s la forêt, c’est une de ces périodes de jeûne et de macération dont nous connaissons le but chez les cathares : l’absorpt
2140 nnaissons le but chez les cathares : l’absorption de toutes les facultés dans la contemplation de l’amour seul. Un trait p
2141 tion de toutes les facultés dans la contemplation de l’amour seul. Un trait profond de la passion — et de la mystique en g
2142 a contemplation de l’amour seul. Un trait profond de la passion — et de la mystique en général — paraît ici. « On est seul
2143 l’amour seul. Un trait profond de la passion — et de la mystique en général — paraît ici. « On est seul avec tout ce qu’on
2144 ’on aime », écrira plus tard Novalis, ce mystique de la Nuit et de la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, pa
2145 rira plus tard Novalis, ce mystique de la Nuit et de la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, parmi tant d’aut
2146 eurs, parmi tant d’autres sens possibles, un fait d’ observation purement psychologique : la passion n’est nullement cette
2147 lescents ; elle est, bien au contraire, une sorte d’ intensité nue et dénuante, oui vraiment, un amer dénuement, un appauvr
2148 i vraiment, un amer dénuement, un appauvrissement de la conscience vidée de toute diversité, une obsession de l’imaginatio
2149 uement, un appauvrissement de la conscience vidée de toute diversité, une obsession de l’imagination concentrée sur une se
2150 onscience vidée de toute diversité, une obsession de l’imagination concentrée sur une seule image, — et dès lors le monde
2151 lors le monde s’évanouit, « les autres » cessent d’ être présents, il n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tien
2152 les choses créées. Vraiment, comment se défendre de songer ici aux « déserts » de la Nuit obscure que décrit saint Jean d
2153 comment se défendre de songer ici aux « déserts » de la Nuit obscure que décrit saint Jean de la Croix ? « Éloigne les cho
2154 vait que Dieu et elle au monde ». A-t-on le droit d’ opérer ce rapprochement entre un génie religieux du premier ordre et u
2155 mentaires ? Certes, ce serait commettre une sorte de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion d’amour
2156 de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que d’ une passion d’amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici su
2157 ’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion d’ amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici sur la via mysti
2158 es « parfaits ». C’est alors le contenu des états d’ âme et leur objet, mais non leur forme, qui diffère89. (Nous allons y
2159 dissiper toute équivoque.) ⁂ Voici un autre point de comparaison. On sait combien les mystiques espagnols ont coutume d’in
2160 sait combien les mystiques espagnols ont coutume d’ insister sur le récit de leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour
2161 ues espagnols ont coutume d’insister sur le récit de leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour divin sont vifs, plus l
2162 morales qu’entraîne la mortification des sens et de la volonté, mais l’âme souffre séparation et réjection, dans le temps
2163 uffre séparation et réjection, dans le temps même de la plus vive ardeur de son amour. Il y aurait à citer cent pages où r
2164 ection, dans le temps même de la plus vive ardeur de son amour. Il y aurait à citer cent pages où revient la même plainte
2165 ait à citer cent pages où revient la même plainte de l’âme sur « l’abandon divin, tourment suprême ». Sur « ce vide profon
2166 ce vide profond… cruelle disette des trois sortes de biens qui peuvent consoler l’âme, savoir les temporels, les naturels,
2167 les spirituels » ; enfin, « sur cette impression de rejet qui compte parmi les peines les plus dures de l’état de purific
2168 rejet qui compte parmi les peines les plus dures de l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et par
2169 compte parmi les peines les plus dures de l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et parfois équiv
2170 est qu’une impure et parfois équivoque traduction de la mystique courtoise. (Il arrive que les situations les plus apparem
2171 avement — à partir de l’amour humain, et par voie de sublimation, non par la voie inverse, allant de l’Amour divin aux mét
2172 e de sublimation, non par la voie inverse, allant de l’Amour divin aux métaphores, qui convient pour les grands mystiques.
2173 ci dit, nous pouvons retrouver dans le mythe plus d’ un aspect des souffrances mystiques. On se souvient de la plainte du t
2174 aspect des souffrances mystiques. On se souvient de la plainte du troubadour : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus
2175 mme Tristan si follement que lorsqu’il est séparé de sa « dame ». La psychologie la plus simple rendrait compte de ce phén
2176  ». La psychologie la plus simple rendrait compte de ce phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et d’image matériel
2177 t compte de ce phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et d’image matérielle pour représenter les tourments de l’as
2178 phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et d’ image matérielle pour représenter les tourments de l’ascèse purificatr
2179 d’image matérielle pour représenter les tourments de l’ascèse purificatrice. Nous avons vu que les séparations des deux am
2180 Roman, répondent à une nécessité tout intérieure de la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chos
2181 imée, mais elle est aussi autre chose, le symbole de l’Amour lumineux. Quand Tristan erre au loin, il l’aime davantage, et
2182 l’aime davantage, et plus il aime, plus il endure de souffrances. Mais nous savons que c’est la souffrance qui est le vrai
2183 avons que c’est la souffrance qui est le vrai but de la séparation voulue… Nous rejoignons alors la situation mystique (pa
2184 e rejeté par l’amour. Au point qu’il doutera même de l’« amitié » d’Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’i
2185 mour. Au point qu’il doutera même de l’« amitié » d’ Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’il acceptera le «
2186 ovisoirement. C’est quand, le philtre ayant cessé d’ agir, Tristan et Iseut vont trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Re
2187 trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Rencontre de celui qui souffre pour son Dieu, et des amants qui souffrent pour un
2188 ais tandis que le roi s’approche avec son cortège de barons, les amants échangent l’anneau de l’éternelle fidélité et du s
2189 cortège de barons, les amants échangent l’anneau de l’éternelle fidélité et du secret. La soumission ne sera donc qu’appa
2190 ⁂ Pour extérieures et formelles qu’elles soient, de telles correspondances ne sauraient être, en toute honnêteté, réduite
2191 es. Mais si les formes sont pareilles, il importe de définir en quoi les contenus restent incompatibles, et quelle est la
2192 us restent incompatibles, et quelle est la nature de l’abus qui par la suite a voulu les confondre. L’on pourrait tout ram
2193 ramener à une grossière confusion du Créateur et de la créature, dans le Roman : la fameuse « divinisation de la femme »
2194 éature, dans le Roman : la fameuse « divinisation de la femme » selon la formule des manuels. Dans le cas où Iseut ne sera
2195 s que nous venons de dégager ne seraient plus que de l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je ne songe pas
2196 t plus que de l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je ne songe pas à nier cet aspect du problème, il sera
2197 la, ce serait alors tout l’arrière-plan religieux de la légende qu’il faudrait nier ou négliger, en dépit de l’évidence hi
2198 e qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait d’ être un roman courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’être ce
2199 man courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’ être ce qu’il fut, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits co
2200 s, ce qui se trouve en question, c’est la passion d’ amour, et non l’amour purement profane et naturel. Voici, me semble-t-
2201 rel. Voici, me semble-t-il, le principe véritable de l’opposition des deux mystiques. L’orthodoxe aboutit au « mariage spi
2202 ues. L’orthodoxe aboutit au « mariage spirituel » de Dieu et de l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’unio
2203 odoxe aboutit au « mariage spirituel » de Dieu et de l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’union et la fus
2204 espère l’union et la fusion totale, mais au-delà de la mort des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas de rachat poss
2205 rt des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas de rachat possible de ce monde. Il s’en suivait — théoriquement — que l’
2206 les cathares, il n’y avait pas de rachat possible de ce monde. Il s’en suivait — théoriquement — que l’amour profane était
2207 s mystiques du Roman chercheront donc l’intensité de la passion et non son apaisement heureux. Plus leur passion est vive
2208 voient dans les actes et les œuvres qui découlent de l’état mystique les critères de sa vérité91. C’est du moins le mouvem
2209 res qui découlent de l’état mystique les critères de sa vérité91. C’est du moins le mouvement constant de ceux qui ont con
2210 sa vérité91. C’est du moins le mouvement constant de ceux qui ont concentré leur oraison sur le Christ incarné réellement.
2211 ’Incarnation, et ne pouvaient connaître ce retour de l’âme à une vie rénovée. « Je meurs de ne pas mourir », dit sainte Th
2212 ce retour de l’âme à une vie rénovée. « Je meurs de ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est de ne pas mourir asse
2213 e ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est de ne pas mourir assez pour vivre toute la vie nouvelle, et pour obéir s
2214 Jean de la Croix. Les amants se plaignent parfois de leur passion et maudissent le poison fatal, cause de leurs terribles
2215 leur passion et maudissent le poison fatal, cause de leurs terribles souffrances. « Amor par force les demeine. » Mais fin
2216 comme la révélation dernière, dans la mort. Ainsi de leur attitude envers les créatures : ils ne les retrouvent pas au-del
2217 les créatures : ils ne les retrouvent pas au-delà de leur passion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au
2218 ne les retrouvent pas au-delà de leur passion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au monde si caractéri
2219 ssion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au monde si caractéristique du christianisme. Jean de la Croix
2220 qu’on mortifie les passions, l’âme ne reçoit plus d’ aliment des créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’obscurit
2221 l’âme ne reçoit plus d’aliment des créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’obscurité, et destituée des objets qu
2222 s créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’ obscurité, et destituée des objets que les passions lui présentaient. 
2223 III). (Et l’on peut certes rapprocher ce passage de l’admirable cri de Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris
2224 t certes rapprocher ce passage de l’admirable cri de Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris moi-même, elle m’a
2225 e mon désir et mon cœur assoiffé. ») Au-delà même de cet état, Jean de la Croix connut la viduité totale, où non seulement
2226 n, et l’amour avec son objet, mais jusqu’au désir de l’amour semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide de toute con
2227 au désir de l’amour semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide de toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut,
2228 semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide de toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l’attire
2229 ximes.) Le troubadour Arnaut Daniel parlait aussi de cet « excès de désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théop
2230 badour Arnaut Daniel parlait aussi de cet « excès de désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théopathique n’about
2231 en termes magnifiques que l’âme pure est le lieu de rédemption des créatures dénaturées par le péché. « Toutes les créatu
2232 rées par le péché. « Toutes les créatures passent de leur vie à leur être. Toutes les créatures se portent dans ma raison
2233 l faut indiquer la dernière limite, qui est celle de l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le mystère
2234 qui est celle de l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baign
2235 ncore, la clé de l’opposition est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique de l’org
2236 on. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique de l’orgueil chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui est le mo
2237 tique de l’orgueil chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui est le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous
2238 de la prouesse qui est le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous les passionnés, il aime avec témérité la sensatio
2239 es passionnés, il aime avec témérité la sensation de puissance qu’il éprouve dans le risque. D’où le désir final du risque
2240 sation de puissance qu’il éprouve dans le risque. D’ où le désir final du risque pour lui-même, la passion de la passion sa
2241 e désir final du risque pour lui-même, la passion de la passion sans terme, la volonté de la mort sans retour. L’on s’aper
2242 , la passion de la passion sans terme, la volonté de la mort sans retour. L’on s’aperçoit, à cette limite, que la prouesse
2243 e limite, que la prouesse était le signe matériel d’ un processus de divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire,
2244 a prouesse était le signe matériel d’un processus de divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire, sont la prudenc
2245 Ainsi le chrétien ne se jette pas dans l’illusion d’ une mort d’amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites
2246 rétien ne se jette pas dans l’illusion d’une mort d’ amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites de sa terr
2247 sfigurante, mais au contraire accepte les limites de sa terrestre vocation. « Rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l
2248 a Croix, et cela « parce qu’il se tient au centre de son humilité ». 3.Transpositions curieuses, mais inévitables To
2249 ns curieuses, mais inévitables Toute la poésie d’ Occident procède de l’amour courtois et du roman breton qui en dérive.
2250 inévitables Toute la poésie d’Occident procède de l’amour courtois et du roman breton qui en dérive. C’est à cette orig
2251 e ; et c’est dans ce vocabulaire que les amoureux d’ aujourd’hui puisent encore, en toute inconscience, leurs métaphores le
2252 le mythe romanesque avait utilisé un « matériel » d’ images, de noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, d
2253 omanesque avait utilisé un « matériel » d’images, de noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une
2254 vait utilisé un « matériel » d’images, de noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une religion dé
2255 tuations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’ une religion déjà morte, de même notre littérature et nos passions uti
2256 seule mystique définissait le sens valable. Plus d’ une fois, l’ambiguïté du mythe nous a fait hésiter en présence de tel
2257 ésiter en présence de tel épisode : s’agissait-il d’ amour profane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole de l’Éros l
2258 l d’amour profane — selon la lettre du Roman — ou d’ un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit
2259 fane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit donc que par
2260 Roman — ou d’un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit donc que par la suite, le lecteur ignor
2261 ’un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église d’ Amour ? On conçoit donc que par la suite, le lecteur ignorant des myst
2262 s ces allégories trop bien voilées. Il est facile d’ imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : « Je te che
2263 troubadour ait exprimé la même prière en feignant de l’adresser à sa Dame. L’amant habitué aux métaphores mystiques, qu’il
2264 ues, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté de voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il aime : c
2265 tenté de voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il aime : celle qu’on goûte et savoure en soi, dans une
2266 lle qu’on goûte et savoure en soi, dans une sorte d’ indifférence à son objet vivant et extérieur. Ainsi nous avons vu que
2267 our-passion tend à se confondre avec l’exaltation d’ un narcissisme… Dans cette transposition purement blasphématoire, et q
2268 de des métaphores utilisées dans les deux cas. Or d’ où venaient ces métaphores ? D’une mystique, comme nous l’avons vu — m
2269 s les deux cas. Or d’où venaient ces métaphores ? D’ une mystique, comme nous l’avons vu — mais déguisée, persécutée, puis
2270 te donc valable à condition qu’on change le signe de chacune de ses propositions. Par exemple, là où la science proclame q
2271 able à condition qu’on change le signe de chacune de ses propositions. Par exemple, là où la science proclame que la mysti
2272 là où la science proclame que la mystique résulte d’ une sublimation de l’instinct, il suffira de changer le sens de la rel
2273 roclame que la mystique résulte d’une sublimation de l’instinct, il suffira de changer le sens de la relation constatée, e
2274 sulte d’une sublimation de l’instinct, il suffira de changer le sens de la relation constatée, et d’écrire que « l’instinc
2275 tion de l’instinct, il suffira de changer le sens de la relation constatée, et d’écrire que « l’instinct » en question rés
2276 a de changer le sens de la relation constatée, et d’ écrire que « l’instinct » en question résulte d’une profanation de la
2277 t d’écrire que « l’instinct » en question résulte d’ une profanation de la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience m
2278 ’instinct » en question résulte d’une profanation de la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience moderne montre une
2279 épugnance à opérer ce renversement, qu’il est bon d’ entrer plus avant dans le mécanisme des transpositions, et même de rec
2280 ant dans le mécanisme des transpositions, et même de reconnaître la valeur de certaines objections courantes. Car enfin, d
2281 transpositions, et même de reconnaître la valeur de certaines objections courantes. Car enfin, dira-t-on, la mystique, au
2282 enfin, dira-t-on, la mystique, au moins dans une de ses tendances, ne s’est-elle pas prêtée à toutes les confusions ? N’a
2283 ons ? N’a-t-elle pas abusé la première du langage de l’Éros païen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage de la pass
2284 ïen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage de la passion Le fait central de toute vie religieuse de forme et de
2285 es et le langage de la passion Le fait central de toute vie religieuse de forme et de contenu chrétiens, c’est l’événem
2286 assion Le fait central de toute vie religieuse de forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dè
2287 fait central de toute vie religieuse de forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dès que l’on s
2288 forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dès que l’on s’écarte un tant soit peu de ce foyer, l’
2289 oit peu de ce foyer, l’on encourt le double péril de l’humanisme et de l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à i
2290 r, l’on encourt le double péril de l’humanisme et de l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à idéaliser tout l’Év
2291  enthousiasme » — cette transgression des limites de l’humain, finalement irréalisable, devait se traduire, et se trahir d
2292 nt irréalisable, devait se traduire, et se trahir d’ une manière fatale, par une exaltation en termes divins de l’amour sex
2293 nière fatale, par une exaltation en termes divins de l’amour sexuel. À l’inverse, on peut observer chez les mystiques les
2294 im et soif, volonté. Exaltation en termes humains de l’amour de Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous ret
2295 volonté. Exaltation en termes humains de l’amour de Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous retrouverons d
2296 ée. Même chez les représentants les plus typiques de l’une et de l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût
2297 z les représentants les plus typiques de l’une et de l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût-ce qu’à la
2298 anière dont la tentation coexiste avec la volonté d’ obéissance chez le croyant. Historiquement parlant, il est donc malais
2299 yant. Historiquement parlant, il est donc malaisé de les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire. Le premier cou
2300 la chose est claire. Le premier courant est celui de la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et de la di
2301 la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et de la divinité. Le second courant peut être appelé celui de
2302 unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et de la divinité. Le second courant peut être appelé celui de la mystique
2303 ivinité. Le second courant peut être appelé celui de la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’âme et de Dieu, e
2304 de la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’âme et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est ma
2305 ue épithalamique : il tend au mariage de l’âme et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est maintenue entr
2306 me et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’ essence est maintenue entre la créature et le Créateur. Quelques exemp
2307 seuls valables en ce domaine92 — nous permettront de préciser tout cela sans excessives simplifications. Ils nous permettr
2308 excessives simplifications. Ils nous permettront d’ entrevoir les raisons de ce curieux phénomène : « l’abus » du langage
2309 ons. Ils nous permettront d’entrevoir les raisons de ce curieux phénomène : « l’abus » du langage amoureux en religion doi
2310 xe. J’emprunterai mon premier exemple à l’ouvrage de Rudolf Otto intitulé Mystique occidentale-orientale 93. L’auteur comp
2311 le 93. L’auteur compare, puis oppose le fondateur de la mystique allemande au xive siècle, Maître Eckhart, et le mystique
2312 e objet, c’est que Rudolf Otto distingue l’Orient de l’Occident en ramenant leurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Ag
2313 eurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Agapè, d’ une manière assez analogue à celle que nous proposions ci-dessus (voir
2314 n tant que, par l’âme du croyant, elles « passent de leur vie à leur être ». La confrontation est rendue possible par le f
2315 oyen Âge une tradition mystique parallèle à celle de Sankara. « Mystique de l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la fav
2316 mystique parallèle à celle de Sankara. « Mystique de l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur de laquelle le Je e
2317 l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur de laquelle le Je et le Tu des êtres unis par une forte émotion coulent
2318 l’un dans l’autre, donnant naissance à une unité d’ être. Eckhart ne connaît ni cette ivresse ni cet amour « pathologique 
2319 e ». L’amour, pour lui, c’est la vertu chrétienne de l’Agapè, forte comme la mort, mais non point ivre ; intime, mais humb
2320 , tout particulièrement, que Eckhart se distingue d’ une manière radicale de Plotin, dont on persiste à faire son maître. P
2321 , que Eckhart se distingue d’une manière radicale de Plotin, dont on persiste à faire son maître. Plotin lui aussi prêche
2322 st l’éros grec, qui est jouissance, et jouissance d’ une naturelle et surnaturelle Beauté… gardant jusqu’en ses plus subtil
2323 u’en ses plus subtiles sublimations quelque chose de l’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur de l
2324 ’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur de l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la
2325 sium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur de l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divin
2326 en, grand Daimon qui, de la ferveur de l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divine, mais n’en c
2327 divine, mais n’en conserve pas moins les éléments de l’homme fervent. » Pour Eckhart, la vraie voie mystique n’est pas cel
2328 raie voie mystique n’est pas celle qui, s’élevant d’ un état de sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un éla
2329 mystique n’est pas celle qui, s’élevant d’un état de sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan d’amour 
2330 entiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’ un élan d’amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une
2331 mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan d’ amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une œuvre, non
2332 t plutôt comme fournissant d’abord la possibilité d’ une Agapè authentique. Non seulement son Agapè n’a pas le moindre trai
2333 simplicité élémentaires, sans exaltation ni ajout d’ aucune sorte ». Et de cette union résultent « la confiance, la foi, l’
2334 es, sans exaltation ni ajout d’aucune sorte ». Et de cette union résultent « la confiance, la foi, l’abandon, le service »
2335 service ». Il s’agit donc plutôt, me semble-t-il, d’ une communion que d’une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart
2336 donc plutôt, me semble-t-il, d’une communion que d’ une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart, l’âme reste l’âme,
2337 , l’âme reste l’âme, et Dieu reste Dieu95. L’acte d’ amour spirituel est initial, et non final. Pour le chrétien, la mort à
2338 Pour le chrétien, la mort à soi-même est le début d’ une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce monde. D’ailleur
2339 d’une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart où il est questio
2340 ophe de ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage d’ Eckhart où il est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’â
2341 un passage d’Eckhart où il est question non plus d’ union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de
2342 art où il est question non plus d’union mais bien d’ égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et
2343 est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un
2344 non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un est source e
2345 ’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un est source et origine du fleurissant resp
2346 qui figure pour Eckhart l’expression authentique de l’union divine, mais bien l’Agapè, dont ne parlent et que ne connaiss
2347 ni Sankara. Voici donc, semble-t-il, deux pôles de la mystique universelle très nettement caractérisés. L’Orient (c’est-
2348 ns les termes mêmes par lesquels nous avons tenté de distinguer la mystique des cathares et la doctrine chrétienne de l’am
2349 a mystique des cathares et la doctrine chrétienne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur de sainteté. Le pape Jean
2350 ne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur de sainteté. Le pape Jean XXII condamna même ses thèses les plus hardies
2351 a même ses thèses les plus hardies dans une bulle de 1329. L’une des thèses condamnées, la dixième, est ainsi reproduite d
2352 alement en Dieu et nous nous convertissons en lui de la même manière que le pain dans le sacrement se change en corps du C
2353 ne distinction. Cette thèse, extraite des œuvres d’ Eckhart, paraît contredire formellement l’interprétation précédente. E
2354 art du côté de « l’Orient », c’est-à-dire du côté d’ une mystique essentiellement unitive, et par cela même hérétique… Ce q
2355 ecticien par excellence, et qu’il est trop facile d’ extraire de ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui,
2356 r excellence, et qu’il est trop facile d’extraire de ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui, a-t-on pu
2357 n sont inséparables, n’étant que les deux aspects d’ une même vérité.97 ». Il n’en est pas moins significatif de constater
2358 e vérité.97 ». Il n’en est pas moins significatif de constater que Eckhart souleva dans la mystique flamande une oppositio
2359 l’abandon des œuvres. On est toujours à l’Orient de quelqu’un ! C’est ainsi que Maître Eckhart figura l’hérésie que j’app
2360 gens qui ne veulent pas seulement être les égaux de Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus maudits que
2361 r… Voilà ce qu’ils appellent la parfaite pauvreté d’ esprit… Mais ceux qui sont nés du Saint-Esprit et chantent ses louange
2362 agissent. On le voit : Ruysbroek accuse Eckhart de quiétisme. Il revendique contre lui un certain activisme de l’amour.
2363 me. Il revendique contre lui un certain activisme de l’amour. C’est qu’il ne croit nullement que toute distinction entre l
2364 blable à Dieu. Elle contemple Dieu dans le miroir d’ un esprit entièrement purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes e
2365 contemplons ; car notre essence, sans rien perdre de sa propre personnalité, est unie à la vérité divine qui respecte la d
2366 nction. » Et ailleurs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est l
2367 urs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distance essenti
2368 de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distance essentielle… » ⁂ Or voici le point qu’
2369 ssentielle… » ⁂ Or voici le point qu’il importait de mettre en lumière. Si l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amo
2370 l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amour de l’âme pour Dieu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera p
2371 —, je ne sais si l’on rencontre jamais le langage de l’amour humain. » À l’inverse, si l’âme ne peut s’unir essentiellemen
2372 ’orthodoxie chrétienne, il en résulte que l’amour de l’âme pour Dieu est, dans ce sens précis, un amour réciproque malheur
2373 langage passionnel, c’est-à-dire dans le langage de l’hérésie cathare « profanisé » par la littérature et adopté par les
2374 it. Là encore, les textes confirment l’exactitude de notre schéma. C’est bien avec Ruysbrœk et sa doctrine de la distincti
2375 e schéma. C’est bien avec Ruysbrœk et sa doctrine de la distinction essentielle qu’apparaît, dans la mystique du Nord, le
2376 l’irrésistible désir. S’efforcer continuellement de saisir l’insaisissable… Et l’objet du désir ne peut être ni abandonné
2377 onner est chose intolérable, et il est impossible de le conserver. Le silence même n’a pas assez de force pour l’étreindre
2378 le de le conserver. Le silence même n’a pas assez de force pour l’étreindre de ses mains. » Et toutes les métaphores de l’
2379 ence même n’a pas assez de force pour l’étreindre de ses mains. » Et toutes les métaphores de l’amour-passion se déversent
2380 treindre de ses mains. » Et toutes les métaphores de l’amour-passion se déversent dans la prose enflammée de Ruysbroek : i
2381 mour-passion se déversent dans la prose enflammée de Ruysbroek : immersion dans l’amour, défaillements, embrassements, our
2382 s l’amour, défaillements, embrassements, ouragans de l’impatience, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour,
2383 embrassements, ouragans de l’impatience, brûlure d’ amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour, délices ruisselantes, iv
2384 e, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie d’ amour, délices ruisselantes, ivresses, meurtrissures… « Il m’a bu l’es
2385 l’esprit et le cœur » fait dire Ruysbroek à l’une de ses béguines parlant du Christ. « Je me suis perdue dans sa bouche »,
2386 une autre. Et une troisième : « Boire les regards de l’amour et s’y engloutir enivrée… » Je me suis arrêté à l’exemple de
2387 arrêté à l’exemple de Ruysbroek pour la commodité de l’exposé : le fait historique que Maître Eckhart et son disciple se s
2388 on disciple se soient opposés sur le point précis de l’union divine, rendait possible une confrontation. Mais la lecture
2389 us eût fourni un autre exemple non moins frappant de l’usage des thèmes courtois. On sait que saint François d’Assise avai
2390 ais dans sa jeunesse et qu’il faisait ses délices de nos romans de chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalie
2391 unesse et qu’il faisait ses délices de nos romans de chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalier du monde » o
2392 es délices de nos romans de chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalier du monde » ou, selon ses propres paro
2393 é du monde entier »100. Et l’on sait d’autre part de quelle manière il inaugura son ministère : sur la grande place d’Assi
2394 e il inaugura son ministère : sur la grande place d’ Assise, en présence de l’évêque et d’une foule immense, il se dépouill
2395 grande place d’Assise, en présence de l’évêque et d’ une foule immense, il se dépouilla de tous ses vêtements et se dressan
2396 l’évêque et d’une foule immense, il se dépouilla de tous ses vêtements et se dressant tout nu devant son père richement h
2397 es vers français… Le parfait dénuement avait fait de son corps l’humble serviteur de son âme ; plus d’obstacles à ses élan
2398 uement avait fait de son corps l’humble serviteur de son âme ; plus d’obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se s
2399 de son corps l’humble serviteur de son âme ; plus d’ obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se souvenant des roman
2400 !… Se souvenant des romans français, François fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’être son « chevalier »101. Cet
2401 nçois fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’ être son « chevalier »101. Cette forme de « dénuement », physique mais
2402 s’honora d’être son « chevalier »101. Cette forme de « dénuement », physique mais symbolique, est encore pratiquée de nos
2403 », physique mais symbolique, est encore pratiquée de nos jours par la secte des Doukhobors (« combattants spirituels ») do
2404 s au Canada voulant protester contre l’obligation de faire élever leurs enfants à l’école d’État « parcoururent les campag
2405 bligation de faire élever leurs enfants à l’école d’ État « parcoururent les campagnes complètement dévêtus et chantant des
2406 ymnes religieux »102. On les accusa naturellement d’ exhibitionnisme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était mo
2407 On les accusa naturellement d’exhibitionnisme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était moins obtus. La chevale
2408 di de la France : par les routes, sur les places, de village en château. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur de Die
2409 sur les places, de village en château. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes de ses imitateurs,
2410 âteau. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine
2411 acopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre d
2412 Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre de la bienheureuse Angèle de Fol
2413 s lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre de la bienheureuse Angèle de Foligno, et tant de récits des Fioretti 103
2414 ou à son entourage, et cet « angélisme » rappelle d’ une manière inquiétante celui des cathares. D’autres laudes, pour être
2415 res laudes, pour être plus évidemment catholiques d’ inspiration, n’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises » de lan
2416 ’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises » de langage : Mon cœur se fond comme la glace au feu lorsque étroitement
2417 itement j’embrasse mon Seigneur, criant : l’amour de l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré d’amour. Dans les fla
2418 e l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré d’ amour. Dans les flammes, je brûle et je languis, en criant ; en vivant
2419 , je vis. Pourtant, je n’aime pas, mais j’ai soif d’ aimer, et j’ai faim de m’unir à l’Amour.104 5.La Rhétorique court
2420 n’aime pas, mais j’ai soif d’aimer, et j’ai faim de m’unir à l’Amour.104 5.La Rhétorique courtoise chez les mystique
2421 uances les plus précieuses, la rhétorique entière de l’amour courtois. À défaut d’une anthologie qui tiendrait décidément
2422 rhétorique entière de l’amour courtois. À défaut d’ une anthologie qui tiendrait décidément trop de place105 bornons-nous
2423 ut d’une anthologie qui tiendrait décidément trop de place105 bornons-nous à énumérer les principaux thèmes communs aux tr
2424 oubadours et aux mystiques orthodoxes : « Mourir de ne pas mourir.106 » La « brûlure suave ». Le « dard d’amour » qui ble
2425 pas mourir.106 » La « brûlure suave ». Le « dard d’ amour » qui blesse sans tuer. Le « salut » de l’amour. La passion qui
2426 dard d’amour » qui blesse sans tuer. Le « salut » de l’amour. La passion qui « isole » du monde et des êtres. La passion q
2427 assion qui décolore tout autre amour. Se plaindre d’ un mal que l’on préfère cependant à toute joie et à tout bien terrestr
2428 i purifie et chasse toute pensée vile. Le vouloir de l’amour se substituant au vouloir propre. Le « combat » d’amour, dont
2429 r se substituant au vouloir propre. Le « combat » d’ amour, dont il faut sortir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », hav
2430 ir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », havres de l’amour. Le symbolisme du « miroir », amour imparfait renvoyant à l’a
2431  cœur volé », l’« entendement ravi », le « rapt » d’ amour. L’amour considéré comme « connaissance » suprême (canoscenza en
2432 ). Sur quoi le psychologue matérialiste (cela va de Voltaire à Freud) conclut avec une bizarre assurance, et sur la foi d
2433 sur la foi du seul langage, que tout cela relève d’ une déviation sexuelle. Et l’on sait que les conclusions des savants d
2434 atérialiste sur les mystiques est plus révélateur de l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le po
2435 les mystiques est plus révélateur de l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le porte, il repose
2436 élateur de l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le porte, il repose sur une double erreur histo
2437 historique et psychologique. Car : 1° le langage de la passion — tel qu’on le retrouve chez les mystiques — n’est pas, à
2438 iques — n’est pas, à l’origine, celui des sens et de la nature, mais il est au contraire la rhétorique d’une ascèse étroit
2439 la nature, mais il est au contraire la rhétorique d’ une ascèse étroitement liée à l’hérésie méridionale du xiie siècle ;
2440 e étaient mieux avertis que quiconque des dangers de la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression de saint Jean de la Cr
2441 de la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression de saint Jean de la Croix.) Or tous les deux en parlent avec une liberté
2442 ait signifier, dans leur cas, le soupçon habituel de « refoulement ». ⁂ Reprenons ces deux arguments. Et tout d’abord, sou
2443 ne saurait être confondu avec la nature profonde de l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit de sainte Thérèse : « 
2444 de l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit de sainte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre de ses images… M
2445 rit de sainte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre de ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines
2446 nte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre de ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines de ce lang
2447 s… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines de ce langage psychologique où se traduit sans doute, le plus purement,
2448 ques, et sainte Thérèse la première, se plaignent de n’avoir pas de mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres
2449 Thérèse la première, se plaignent de n’avoir pas de mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres de Dieu telles
2450 nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres de Dieu telles qu’ils les vivent dans leur âme. Et leurs silences furent
2451 ls que leurs paroles. Il ne s’agit donc, ici, que de tenir compte des éléments hérités de leur langage littéraire. Or s’il
2452 nc, ici, que de tenir compte des éléments hérités de leur langage littéraire. Or s’il faut se borner à un exemple qui est
2453 t même raffine la rhétorique courtoise. S’agit-il d’ influences littéraires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou d’
2454 ourtoise. S’agit-il d’influences littéraires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou d’une recréation autonome, qui p
2455 ires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou d’ une recréation autonome, qui pourrait s’expliquer en partie sur la bas
2456 e recomposée ?108 » Je ne pense pas que personne, de nos jours, soit en mesure de trancher toutes ces questions. Les spéci
2457 se pas que personne, de nos jours, soit en mesure de trancher toutes ces questions. Les spécialistes les mieux informés hé
2458 s mieux informés hésitent encore lorsqu’il s’agit d’ attribuer à tel mystique fort bien connu, et orthodoxe par-dessus le m
2459 uysbroek ou sainte Thérèse par exemple) l’origine de termes précis dont saint Jean de la Croix fait usage. Nous pouvons ce
2460 nte Thérèse raffolait dans sa jeunesse des romans de chevalerie (voir sa Vie par elle-même, chap. ii) ; elle eut même, par
2461 ême, chap. ii) ; elle eut même, paraît-il, l’idée d’ en composer un en collaboration avec son frère Rodrigue.109 » Nous sav
2462 iture intellectuelle étaient tous fortement imbus de rhétorique courtoise et chevaleresque. La question a d’ailleurs été t
2463 tée, par un auteur qui offre toutes les garanties de sérieux et d’information110, et en des termes qui me paraissent trop
2464 teur qui offre toutes les garanties de sérieux et d’ information110, et en des termes qui me paraissent trop significatifs
2465 es reproduire : Si l’on se borne à la conception de l’amour dans les romans de chevalerie et dans les traités spirituels
2466 borne à la conception de l’amour dans les romans de chevalerie et dans les traités spirituels du xvie siècle, on observe
2467 es traités spirituels du xvie siècle, on observe d’ intéressantes analogies de fond et de forme. a) le noble langage d’Am
2468 vie siècle, on observe d’intéressantes analogies de fond et de forme. a) le noble langage d’Amadis, ses métaphores éroti
2469 , on observe d’intéressantes analogies de fond et de forme. a) le noble langage d’Amadis, ses métaphores érotiques, ses s
2470 alogies de fond et de forme. a) le noble langage d’ Amadis, ses métaphores érotiques, ses subtiles préciosités se retrouve
2471 Bernardino de Laredo et Malou de Chaide [maîtres de sainte Thérèse], aussi bien que dans les Exclamations et le Château i
2472 le Château intérieur. b) En Espagne, les auteurs de romans de chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisen
2473 intérieur. b) En Espagne, les auteurs de romans de chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisent par le m
2474 ls sacrifient le sentiment du merveilleux à celui d’ une intimité plus familière et plus émouvante, comme ils tendent à met
2475 l’un et l’autre dans la même conception héroïque de l’obligation morale, de l’action et de la foi. La devise d’Amadis des
2476 même conception héroïque de l’obligation morale, de l’action et de la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle de sain
2477 n héroïque de l’obligation morale, de l’action et de la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle de sainte Thérèse pour
2478 ation morale, de l’action et de la foi. La devise d’ Amadis des Gaules et celle de sainte Thérèse pourrait être également «
2479 de la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle de sainte Thérèse pourrait être également « aimer pour agir ». [Ici, je
2480 est pas dans les pauvres extravagances des romans de chevalerie mystique (la Gallarda Espirituel, El divino Escarraman) qu
2481 ivino Escarraman) qu’il faut chercher la synthèse de l’amour divin et de l’amour courtois, mais chez les troubadours prove
2482 ’il faut chercher la synthèse de l’amour divin et de l’amour courtois, mais chez les troubadours provençaux du xiie siècl
2483 ençaux du xiie siècle. Les plus féconds éléments de leur doctrine, de leur symbolisme et de leur terminologie passent dan
2484 ècle. Les plus féconds éléments de leur doctrine, de leur symbolisme et de leur terminologie passent dans la mystique du x
2485 éléments de leur doctrine, de leur symbolisme et de leur terminologie passent dans la mystique du xiiie siècle par l’int
2486 t François d’Assise. En se limitant à l’évolution de sainte Thérèse, on constate que les romans de chevalerie ont eu sur e
2487 ion de sainte Thérèse, on constate que les romans de chevalerie ont eu sur elle une influence psychologique, et une influe
2488 u intérieur. Extraordinaire retour et assomption de l’hérésie, par le détour d’une rhétorique qu’elle a créée contre l’Ég
2489 retour et assomption de l’hérésie, par le détour d’ une rhétorique qu’elle a créée contre l’Église, et que l’Église lui re
2490 lui reprend par ses saints ! Résumons les étapes de l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend de l’Éros à Vénus, el
2491 e l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend de l’Éros à Vénus, elle va jusqu’à se confondre avec la poésie d’un amou
2492 énus, elle va jusqu’à se confondre avec la poésie d’ un amour qui serait tout profane ; elle espère par ce déguisement écha
2493 x yeux des mondains abusés par le charme trompeur de l’art : ils n’en gardent que la poésie ; et voici que cent ans et tro
2494 à mon avis, cette propension moderne est le signe d’ un ressentiment profond à l’endroit de la poésie, et en général, de to
2495 profond à l’endroit de la poésie, et en général, de toute activité créatrice — donc risquée — de l’esprit. Mais il convie
2496 ral, de toute activité créatrice — donc risquée — de l’esprit. Mais il convient de préciser encore : que pour les hommes d
2497 ce — donc risquée — de l’esprit. Mais il convient de préciser encore : que pour les hommes du xvie siècle, le langage éro
2498 vrosés, héritiers du « puritanisme » embourgeoisé d’ un xixe siècle incroyant. Saint Jean de la Croix, qui décrivit en une
2499 de la Croix, qui décrivit en une page remarquable de pénétration psychologique les mouvements de la chair attirée par l’él
2500 uable de pénétration psychologique les mouvements de la chair attirée par l’élan mystique en ses débuts (Nuit obscure, I,
2501 plus qu’il ne se la dissimule la gravité relative de pareils accidents. Réciter ici les formules « sublimation » et « refo
2502 on » et « refoulement », c’est simplement refuser de savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure,
2503 refoulement », c’est simplement refuser de savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Th
2504 orsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint de ressentir une émotion des sens chaque fois qu’il entre en oraison : «
2505 est indifférent à l’oraison, et que le mieux est de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne po
2506 de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne pouvait communier sans éprouver d’émoi sexuel, et à
2507 ses frères qui ne pouvait communier sans éprouver d’ émoi sexuel, et à qui l’on avait ordonné en conséquence, de ne plus co
2508 xuel, et à qui l’on avait ordonné en conséquence, de ne plus communier qu’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille
2509 u’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille de ne pas s’inquiéter, de recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’
2510 Jean de la Croix conseille de ne pas s’inquiéter, de recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’il advienne, — et le fr
2511 — et le frère se trouve guéri, parce qu’il cesse de craindre à l’excès. S’il faut parler encore de psychanalyse, reconnai
2512 se de craindre à l’excès. S’il faut parler encore de psychanalyse, reconnaissons que Jean de la Croix joue ici le rôle du
2513 le Cantique des Cantiques auraient pu s’exprimer d’ une autre manière. Vu notre grossièreté, je ne serais pas surprise que
2514 ndu dire à certaines personnes qu’elles évitaient de les entendre. Ô Dieu ! que notre misère est grande ! Il nous arrive c
2515 ui changent en poison tout ce qu’ils mangent… » ⁂ De la comparaison formelle des écrits d’un Eckhart avec ceux d’un Ruysbr
2516 angent… » ⁂ De la comparaison formelle des écrits d’ un Eckhart avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la
2517 raison formelle des écrits d’un Eckhart avec ceux d’ un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons mai
2518 des écrits d’un Eckhart avec ceux d’un Ruysbroek, d’ une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer ce
2519 ckhart avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’ un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer cette conclusion :
2520 langage courant par les mystiques n’est pas sans d’ étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur foi dans l’In
2521 pas sans d’étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur foi dans l’Incarnation. Ruysbroek, Thérèse et Jean de
2522  christocentriques ». Tout chez eux part du drame de la séparation instituée par le péché entre l’homme et son Créateur ;
2523 mme et son Créateur ; tout aboutit à des instants de communion active dans la Grâce, et c’est cela qu’ils appellent « mari
2524 la qu’ils appellent « mariage » — cette communion de l’âme élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie de l’homme sé
2525  cette communion de l’âme élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie de l’homme séparé, c’est la passion, — et la p
2526 élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie de l’homme séparé, c’est la passion, — et la passion est partout dans le
2527 out dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la mo
2528 eurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles d’ Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspec
2529 ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspecte de troubles complaisances ! — qui se vit portée par l’objet même de sa f
2530 plaisances ! — qui se vit portée par l’objet même de sa foi à user, et parfois à abuser, du langage de l’amour-passion. Us
2531 de sa foi à user, et parfois à abuser, du langage de l’amour-passion. Usage et abus dont la psychologie moderne devait néc
2532 sitions physiologiques sublimées ? Rien ne permet de l’affirmer historiquement. En théorie cependant l’objection reste pos
2533 n se repose, non moins insoluble, quand il s’agit de savoir, en fin de compte, si c’est l’« esprit » ou la « matière » qui
2534 serait alors la cause première — ou au contraire d’ une sublimation de phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la b
2535 ause première — ou au contraire d’une sublimation de phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la base de ce qui se t
2536 mènes physiologiques, lesquels seraient à la base de ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu’on donnera,
2537 térialiste, tranche toujours le débat au bénéfice de ce qui est le plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’un g
2538 plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’ un goût qu’il est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est am
2539 n dit d’un goût qu’il est amer mais on dira aussi d’ une douleur qu’elle est amère. Comment cela peut-il s’expliquer ? Tout
2540 e monde répond, sans hésiter, que lorsqu’on parle d’ une douleur amère, on s’exprime par métaphore, au figuré. Le sens prop
2541 physique, tenue pour primitive. Il se peut. Mais d’ où le sait-on ? Les personnes qui croient cela, le croient-elles pour
2542 elles pour des raisons qu’elles seraient capables de donner ? Ont-elles donc recherché si, chronologiquement, le sens « ma
2543 erché si, chronologiquement, le sens « matériel » d’ un mot précède toujours le « spirituel », qui ne serait qu’une transpo
2544 se livre à ces recherches : on affirme sur la foi d’ un préjugé que l’on baptise bon sens ou évidence. Ce préjugé consiste
2545 réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base de tout ; que c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme de ce préj
2546 e c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme de ce préjugé a été défini et critiqué par le docteur Minkowski113 et Ar
2547 qué par le docteur Minkowski113 et Arnaud Dandieu d’ une manière pertinente et nuancée. Selon ces deux auteurs, le sens dit
2548 ènes aussi divers ? En vérité, il n’y a pas moins d’ amertume dans la douleur que dans le goût du sel, mais ce que nous dés
2549 t l’autre par le même mot, c’est une même manière d’ être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité
2550 ar les sens, soit par la pensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi de nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hés
2551 ensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi de nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hésite pas à tenir ce raisonn
2552 trait sexuel — or sainte Thérèse parle sans cesse d’ amour —, donc cette mystique est une érotomane qui s’ignore. » Mais no
2553 istorique. Résumons-le encore une fois, pour plus de clarté. Notre langage passionnel nous vient de la rhétorique des trou
2554 une dogmatique manichéenne y compose des symboles d’ attrait sexuel. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant de la re
2555 el. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant de la religion qui l’a créée, passe dans les mœurs, et devient langage c
2556 imer ses expériences ineffables, il est contraint de se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’e
2557 riences ineffables, il est contraint de se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’elles sont, qu
2558 iie siècle, les métaphores courantes sont celles de la rhétorique courtoise. Que les mystiques s’en emparent sans hésiter
2559 lles, mais simplement que l’expression habituelle de ces passions, créée d’ailleurs par une mystique, convient à l’express
2560 illeurs par une mystique, convient à l’expression de l’amour spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même d’autant plus
2561 ur spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même d’ autant plus à l’expression des rapports « malheureux » entretenus par
2562 lus complètement humanisée, c’est-à-dire détachée de l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et de l’âme,
2563 l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et de l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de
2564 Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et de l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de tout amour
2565 ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de tout amour humain ; tandis que l’orthodoxie pose que l’union est impo
2566 n et rend l’amour humain possible en ses limites. D’ où il résulte que le langage de la passion humaine selon l’hérésie cor
2567 le en ses limites. D’où il résulte que le langage de la passion humaine selon l’hérésie correspond au langage de la passio
2568 ion humaine selon l’hérésie correspond au langage de la passion divine selon l’orthodoxie. On se trouve donc en présence
2569 ision tout arbitraire isolerait tel ou tel moment de cette dialectique permanente pour en faire la donnée première. 7.L
2570 s Cette décision tout arbitraire, il est temps de la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire
2571 ut arbitraire, il est temps de la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’ell
2572 de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’elle soit arbitraire en fin de compte, ou ce qui revi
2573 e, avant tout compte, n’exclut pas qu’on l’appuie de raisons. J’en marquerai trois. 1° Le langage passionnel me paraît s’e
2574 esprit, en ceci qu’il exprime non pas le triomphe de la nature sur l’esprit114, mais l’excès de l’esprit sur l’instinct. «
2575 iomphe de la nature sur l’esprit114, mais l’excès de l’esprit sur l’instinct. « L’amour existe lorsque le désir est si gra
2576 e le désir est si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel », disait le troubadour Guido Cavalcanti, au xiiie s
2577 ur Guido Cavalcanti, au xiiie siècle. Or le fait de dépasser les limites de l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit
2578 xiiie siècle. Or le fait de dépasser les limites de l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit. C’est ce fait seul qui
2579 ant qu’esprit. C’est ce fait seul qui nous permet de parler. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir auta
2580 r. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvoir d’exprimer ce qui est. Un animal est inc
2581 ffet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvoir d’ exprimer ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que
2582 ir d’exprimer ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du néc
2583 er ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du nécessaire et
2584 de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’ aller au-delà du nécessaire et au-delà de la satisfaction. La passion,
2585 ait pas, d’aller au-delà du nécessaire et au-delà de la satisfaction. La passion, l’amour de l’amour, c’est au contraire l
2586 t au-delà de la satisfaction. La passion, l’amour de l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà de l’instinct et qu
2587 l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà de l’instinct et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable d’un tel
2588 et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable d’ un tel mensonge ne saurait être que « l’esprit ». (On sent ici à quell
2589 songe se trouvent liés. Et n’est-elle pas typique de toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se décrire comme pour
2590 -elle pas typique de toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais a
2591 ue de toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais aussi cette conv
2592 s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais aussi cette conviction que les autres ne comprendront
2593 peut alors que mentir pour sauver l’essence même de la passion !) 2° Si Jean de la Croix, et même Ruysbroek, et saint Fra
2594 nçois, sont évidemment postérieurs à la naissance de l’amour-passion, il n’en reste pas moins que celui-ci est postérieur
2595 ais il est certain que l’érotomanie est une forme d’ intoxication, et tout nous prouve que les Eckhart, Ruysbroek, Thérèse,
2596 e, Jean de la Croix, sont exactement le contraire de ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non de sa p
2597 me des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non de sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter.
2598 ’intoxiqué est la victime non de sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine de cett
2599 riel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine de cette passion est un désir, conscient ou non, d’échapper à la conditi
2600 de cette passion est un désir, conscient ou non, d’ échapper à la condition terrestre insupportable, et si l’on est en dro
2601 terrestre insupportable, et si l’on est en droit d’ y voir le rudiment d’un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’
2602 ble, et si l’on est en droit d’y voir le rudiment d’ un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’intoxiqué est avant t
2603 as moins que l’intoxiqué est avant tout l’esclave de sa drogue. Psychologiquement, c’est un être déchu, dont les sens s’ém
2604 es, tout au contraire, insistent sur la nécessité de dépasser l’état de transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pur
2605 re, insistent sur la nécessité de dépasser l’état de transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de
2606 nt sur la nécessité de dépasser l’état de transe, d’ accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de vérifier m
2607 à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de vérifier même les plus hautes grâces par leurs répercussions dans la
2608 les grands mystiques s’accordent à voir le terme de leur ascension dans la liberté souveraine de l’âme. Saint Jean de la
2609 erme de leur ascension dans la liberté souveraine de l’âme. Saint Jean de la Croix et Maître Eckhart disent en termes diff
2610 er Dieu sans plus sentir son amour. C’est un état d’ indifférence parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point de perf
2611 parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point de perfection d’un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédi
2612 rait-on ; en vérité, c’est le point de perfection d’ un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédiatement active
2613 nt de perfection d’un équilibre durement conquis, d’ une connaissance immédiatement active. Au-delà des transes et au-delà
2614 édiatement active. Au-delà des transes et au-delà de l’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état d’extrême « désint
2615 ’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état d’ extrême « désintoxication » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possessi
2616 ulmine dans un état d’extrême « désintoxication » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possession de soi-même. Et c’est alors
2617 on » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possession de soi-même. Et c’est alors que le mariage devient possible, qui signifi
2618 evient possible, qui signifie non plus jouissance de l’Éros, mais fécondité de l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe appara
2619 fie non plus jouissance de l’Éros, mais fécondité de l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe apparaît-elle enfin comme la voi
2620 llence, la meilleure discipline qui nous permette de transcender l’amour-passion jusque dans ses formes sublimées. Le cycl
2621 assion jusque dans ses formes sublimées. Le cycle de l’ascèse chrétienne ramène l’âme à l’obéissance heureuse, c’est-à-dir
2622 eureuse, c’est-à-dire à l’acceptation des limites de la créature, mais dans un esprit renouvelé, dans une liberté reconqui
2623 elé, dans une liberté reconquise. 8.Crépuscule de l’amour-passion C’est le dogme de l’Incarnation qui distingue radi
2624 8.Crépuscule de l’amour-passion C’est le dogme de l’Incarnation qui distingue radicalement la mystique orthodoxe de l’h
2625 qui distingue radicalement la mystique orthodoxe de l’hérétique. C’est lui qui donne un sens tout différent au mot amour
2626 opposent la Nuit au Jour comme le fait l’Évangile de Jean. Mais la Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme de la
2627 Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme de la Nuit : elle n’a pas « été faite chair ». Ils ne veulent pas que le
2628 eulent aller tout droit à l’Amour par l’amour, et de la Nuit au Jour sans nul intermédiaire. Sombrant alors, comme Icare e
2629 6. Mais ils ignorent que la Nuit, c’est la Colère de Dieu — répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre d’un obscur dém
2630 — répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre d’ un obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine de la Bible.) Refu
2631 obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine de la Bible.) Refusant que le Jour les enseigne dans cette vie et par le
2632 Jour les enseigne dans cette vie et par le moyen de la « matière », méconnaissant une Agapè qui sanctifie la créature, ig
2633 ctifie la créature, ignorant donc la vraie nature de ce qu’ils tiennent pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre
2634 ils tiennent pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre sans retour au moment même qu’ils croient lui échapper. Et
2635 ur au moment même qu’ils croient lui échapper. Et de là vient que la confusion était fatale entre l’Éros divinisant et l’É
2636 tale entre l’Éros divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct. De là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amo
2637 os divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct. De là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amor des troubadou
2638 là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’ amor des troubadours, devait fatalement aboutir à la passion humaine m
2639 mort seule pouvait éteindre : ce fut la « torture d’ amour » qu’ils se mirent à aimer pour elle-même. La passion des « parf
2640 ort que la suprême sensation. Et de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole de l’union avec la Jour
2641 Et de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera d’ être un symbole de l’union avec la Jour incréé, deviendra le symbole d
2642 r de la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole de l’union avec la Jour incréé, deviendra le symbole de l’impossible uni
2643 l’union avec la Jour incréé, deviendra le symbole de l’impossible union avec la femme ; gardant de ses origines mystiques
2644 ole de l’impossible union avec la femme ; gardant de ses origines mystiques on ne sait quoi de divin, de faussement transc
2645 gardant de ses origines mystiques on ne sait quoi de divin, de faussement transcendant — une illusion de gloire libératric
2646 ses origines mystiques on ne sait quoi de divin, de faussement transcendant — une illusion de gloire libératrice dont la
2647 divin, de faussement transcendant — une illusion de gloire libératrice dont la douleur serait encore le signe ! Ainsi s’o
2648 sentiment. Intoxication par l’esprit. L’histoire de la passion d’amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie s
2649 toxication par l’esprit. L’histoire de la passion d’ amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie siècle jusqu’à
2650 , du xiiie siècle jusqu’à nous, c’est l’histoire de la déchéance du mythe courtois dans la vie « profanée ». C’est le réc
2651 s figures du discours passionné, les « couleurs » de sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, p
2652 a rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’ un crépuscule, promesses de gloire jamais tenues… 86. Philippe de F
2653 is que les exaltations d’un crépuscule, promesses de gloire jamais tenues… 86. Philippe de Félice, Poisons sacrés, ivre
2654 es divines, essai sur quelques formes inférieures de la mystique. Paris 1936. 87. Il y a bien l’exemple de la formica san
2655 mystique. Paris 1936. 87. Il y a bien l’exemple de la formica sanguinea. Cet insecte entretient dans sa fourmilière un p
2656 7. 89. Voir Appendice 8. 90. La Nuit obscure, de saint Jean de la Croix, II, i, 1er verset. Trad. Hoornaert. 91. Ce n
2657 ute occasion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir de lui de grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâc
2658 asion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir de lui de grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâces pass
2659 sa volonté, que ces grâces passent par les mains de cette humanité sacrée en laquelle il a déclaré lui-même prendre sa co
2660 (Saint Jean de la Croix, p. 618) si nous tentions de prendre une vue générale des diverses mystiques connues, « l’expérien
2661 nnues, « l’expérience mystique ne nous semblerait d’ un type homogène que dans la mesure où elle serait banale, dans la mes
2662 saisir ». 93. Gotha, 1929. Seul le livre célèbre de R. Otto sur le Sacré a paru jusqu’ici en traduction française. 94. «
2663 ent si totalement un seul être qu’il ne reste pas d’ autre distinction que celle-ci : Lui demeure Dieu et elle demeure âme.
2664 bien dire que l’on se heurte dans tous les écrits d’ Eckhart, à une grave équivoque sur le sens qu’il attribue à l’union (E
2665 it à croire, avec Otto, qu’il ne s’agit nullement d’ une fusion essentielle. 96. Und diese Gleichheit aus dem Einen in das
2666 e être proposée comme un critère lorsqu’il s’agit de savoir si tel mystique croyait ou non à l’union essentielle ? Dans ce
2667 à l’union essentielle ? Dans ce cas, la remarque de l’abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse d’Otto, et nous p
2668 s ce cas, la remarque de l’abbé Paquier servirait d’ argument contre la thèse d’Otto, et nous permettrait de ranger Maître
2669 abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse d’ Otto, et nous permettrait de ranger Maître Eckhart parmi les hérétique
2670 ument contre la thèse d’Otto, et nous permettrait de ranger Maître Eckhart parmi les hérétiques. Je simplifie évidemment,
2671 fie évidemment, mais il y a là une question digne d’ être étudiée minutieusement. 99. Un troubadour : « Amour ne me quitte
2672 thologie). 101. Id., Ibid., et P. Sabatier, Vie de saint François d’Assise. 102. B. de Ligt, La Paix créatrice, II, p. 
2673 int François nommait le frère Gilles « un paladin de sa Table ronde », et les miracles du saint — comme la conversion du l
2674 s miracles du saint — comme la conversion du loup de Gubbio — se produisent dans les mêmes circonstances que les prouesses
2675 rs du xiiie siècle. 104. Ciascun amante, danse de l’amour mystique. Voir aussi l’Appendice 9. 105. On en trouvera d’ai
2676 livre II et 3-4 du livre IV. 106. Ce cri célèbre de sainte Thérèse est inspiré de la franciscaine Angèle de Foligno : « J
2677 106. Ce cri célèbre de sainte Thérèse est inspiré de la franciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir de mourir. »
2678 nciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir de mourir. » 107. J. Baruzi, Introduction à des recherches sur le lang
2679 Etchegoyen, l’Amour divin, essai sur les sources de sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression de l’amour divin. 111. Tra
2680 rces de sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression de l’amour divin. 111. Travaux de Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, L
2681 ie : l’Expression de l’amour divin. 111. Travaux de Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, Leuba, Freud, pour s’en tenir aux
2682 ntes telles que « aveuglé par la passion », « fou d’ amour ». 115. Surtout les épigones féminins : une Marguerite-Marie Al
2683 uiétant exemple (sa description du lit nuptial et de ce qui s’y passe !) 116. Karl Jaspers a magnifiquement exprimé cette
2684 a magnifiquement exprimé cette assomption finale de la Nuit par le Jour dans sa Philosophie. (Cf. trad. française par H. 
5 1939, L’Amour et l’Occident. Livre IV. Le mythe dans la littérature
2685 péché. C’est lorsque la volonté humaine se sépare de Dieu pour être une volonté à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et
2686 à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et brûle de sa propre affection, ardeur qui lui est propre et qui n’a rien à voir
2687 ivine. Jacob Boehme. 1.D’une influence précise de la littérature sur les mœurs D’une manière générale, il est bien d
2688 luence précise de la littérature sur les mœurs D’ une manière générale, il est bien difficile de vérifier l’influence de
2689 D’une manière générale, il est bien difficile de vérifier l’influence des arts sur la vie quotidienne d’une époque. « 
2690 ifier l’influence des arts sur la vie quotidienne d’ une époque. « La musique adoucit les mœurs » ? Je n’en sais rien, et p
2691 ouvons l’habiter, mais là n’est pas son caractère d’ art. De même pour telle ou telle philosophie. Mais le cas est tout dif
2692 . Mais le cas est tout différent lorsqu’il s’agit d’ une littérature dont on peut démontrer, historiquement, qu’elle a donn
2693 ue à la passion. Si la littérature peut se vanter d’ avoir agi sur les mœurs de l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu
2694 térature peut se vanter d’avoir agi sur les mœurs de l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit. D’une maniè
2695 , c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit. D’ une manière plus précise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage de
2696 récise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage de l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire de supposer ici quelque po
2697 age de l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire de supposer ici quelque pouvoir magique des sons et du langage sur nos a
2698 des sons et du langage sur nos actes. L’adoption d’ un certain langage conventionnel entraîne et favorise naturellement l’
2699 tents qui se trouvent les plus aptes à s’exprimer de la sorte. C’est dans ce sens que l’on peut dire après La Rochefoucaul
2700 s que l’on peut dire après La Rochefoucauld : peu d’ hommes seraient amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour
2701 nt amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’ amour. ⁂ Passion et expression ne sont guère séparables. La passion pr
2702 arables. La passion prend sa source dans cet élan de l’esprit qui par ailleurs fait naître le langage. Dès qu’elle dépasse
2703 ens est significatif.) En ce domaine, il est aisé de vérifier. Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les masses par im
2704 e certaine rhétorique est la condition suffisante de leur aveu, donc de leur prise de conscience. À défaut de cette rhétor
2705 ue est la condition suffisante de leur aveu, donc de leur prise de conscience. À défaut de cette rhétorique, ces sentiment
2706 que, ces sentiments existeraient sans doute, mais d’ une manière accidentelle, non reconnue, à titre d’étrangetés inavouabl
2707 d’une manière accidentelle, non reconnue, à titre d’ étrangetés inavouables, en contrebande. Mais on a toujours vu que l’in
2708 ontrebande. Mais on a toujours vu que l’invention d’ une rhétorique faisait foisonner rapidement certaines puissances laten
2709 rtaines puissances latentes du cœur. L’apparition de Werther par exemple a produit une vague, de suicides. Rousseau fit bo
2710 ition de Werther par exemple a produit une vague, de suicides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour de France, et Re
2711 cides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour de France, et René désola plusieurs générations. C’est que pour admirer
2712 t même pour se suicider, il faut être en mesure «  d’ expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est
2713 sent. Plus un homme est sentimental, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme
2714 de même, plus un homme est passionné, plus il y a de chances qu’il réinvente les figures de la rhétorique ; qu’il redécouv
2715 lus il y a de chances qu’il réinvente les figures de la rhétorique ; qu’il redécouvre leur nécessité ; qu’il se modèle spo
2716 tion du mythe courtois dans la morale des peuples d’ Occident : l’on peut admettre qu’elle est parallèle à ses métamorphose
2717 ards et simplifications). En esquissant la courbe de la mystique classique, nous avons pu décrire une assomption du mythe.
2718 ntenant. 2.Les deux Roses Le meilleur point de départ nous est donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années
2719 lleur point de départ nous est donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années 1237 et 1280 environ. Il y a cent ans
2720 sque, que Béroul et Thomas ont composé la légende de Tristan. La croisade des albigeois a saccagé la civilisation courtois
2721 derniers troubadours. Que va devenir la tradition d’ Amour ? Il semble bien que dès le second tiers du siècle, les hérétiqu
2722 ute l’Europe, où l’Église les traque, aient cessé de recourir à l’expression littéraire de leur religion. Le catharisme se
2723 aient cessé de recourir à l’expression littéraire de leur religion. Le catharisme se cachera désormais dans les couches pr
2724 formes nobles, ne fournit plus les beaux symboles de la grande féodalité. Ce mutisme, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès
2725 e, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès. L’Église d’ Amour118 donnera naissance à d’innombrables sectes plus ou moins secrè
2726 progrès. L’Église d’Amour118 donnera naissance à d’ innombrables sectes plus ou moins secrètes, plus ou moins révolutionna
2727 onnaires, et dont les traits constants témoignent d’ une origine commune, d’une tradition fidèlement conservée. Toutes ces
2728 raits constants témoignent d’une origine commune, d’ une tradition fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont ca
2729 par leur spiritualisme exalté ; par leur doctrine de la « joie rayonnante » ; par leur refus des sacrements et du mariage 
2730 nts et du mariage ; par leur condamnation absolue de toute participation aux guerres ; par leur anticléricalisme ; par leu
2731 erres ; par leur anticléricalisme ; par leur goût de la pauvreté et de l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égal
2732 nticléricalisme ; par leur goût de la pauvreté et de l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égalitaire, allant par
2733 ommunisme total119. Nous retrouvons cet ensemble de traits non seulement chez les frères du Libre-Esprit et les ortliebie
2734 nt chez les Vaudois eux-mêmes, chez les disciples de Joachim de Flore, chez les béguines et les béguards des Pays-Bas, che
2735 dents avec une violence qui rappelle les procédés de Rome contre ses propres sectes. Mais ils ne purent ou ne voulurent le
2736 purent ou ne voulurent les anéantir totalement : de nos jours, on retrouve çà et là des communautés mennonites mêlées d’é
2737 trouve çà et là des communautés mennonites mêlées d’ éléments russes — doukhobors et khlystis — au Canada et jusqu’au Parag
2738 — au Canada et jusqu’au Paraguay. Leur conception de l’amour n’a pas varié. Plusieurs auteurs ont supposé qu’une élite clé
2739 pensent-ils expliquer mieux certaines obscurités de la littérature émanée des cercles franciscains et même parfois domini
2740 vons vu à propos des mystiques. Mais en l’absence de preuves presque impossibles à établir, pour la raison bien simple que
2741 siècle, la littérature courtoise s’est détachée de ses racines mystiques ; elle s’est alors trouvée réduite à une simple
2742 le s’est alors trouvée réduite à une simple forme d’ expression, c’est-à-dire à une rhétorique. Mais automatiquement, cette
2743 dite « réaliste ». Double mouvement dont le Roman de la Rose nous donne l’illustre témoignage. La Rose de Guillaume de Lor
2744 partie du roman, dite courtoise —, c’est l’amour de la femme idéale, vraie femme déjà mais femme inaccessible dans son ja
2745 éjà mais femme inaccessible dans son jardin givré d’ allégories. Danger, Male-Bouche et Honte défendent Bel Accueil contre
2746 est plus une ascèse mystique, mais un raffinement de l’esprit, qui doit amener l’amant à mériter le don. Au contraire, pou
2747 e. Le réalisme le plus franc succède aux fadaises de Lorris, le sensualisme au platonisme, le cynisme à l’exaltation. La R
2748 , le cynisme à l’exaltation. La Rose est emportée de haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison de la passi
2749 e est emportée de haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune de ces parties aura sa
2750 tte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune de ces parties aura sa descendance. De Lorris, no
2751 de l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune de ces parties aura sa descendance. De Lorris, nous irons par Dante — qu
2752 sion. Chacune de ces parties aura sa descendance. De Lorris, nous irons par Dante — qui peut-être le traduisit — jusqu’à P
2753 celle qui condamne la passion comme une « maladie de l’âme » — se transmettra aux parties basses de la littérature françai
2754 ie de l’âme » — se transmettra aux parties basses de la littérature française : gauloiserie, gaillardise, rationalisme pol
2755 curieusement exaspérée, naturalisme et réduction de l’homme au sexe. C’est la défense normale que l’homme païen oppose au
2756 défense normale que l’homme païen oppose au mythe de l’amour malheureux. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche d’
2757 x. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche d’ une vision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion d’y revenir).
2758 ision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion d’ y revenir). 3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour de l’
2759 3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour de l’an 1200, quelques couplets sont échangés entre Rambaut de Vaqueiras
2760 laspina. Il semble bien qu’un courant très direct d’ échanges « littéraires » — si l’on veut — unisse le Midi de la France
2761 à la Lombardo-Vénétie. Une fois de plus, la carte de l’influence des troubadours se confond avec celle des hérésies. Un pe
2762 Un peu plus tard, le mouvement franciscain naîtra d’ une conjonction semblable entre les « spirituels » (mais dans l’Église
2763 estion est encore obscure. On ne trouve à la cour de Palerme qu’un seul poète provençal, et Frédéric persécute l’hérésie.
2764 que le procédé mystifiant ? On serait assez tenté de le croire, lorsqu’on voit Dante et son ami Cavalcanti s’élever contre
2765 d’Arezzo, et railler ses disciples : « Sectateurs de l’ignorance, aveugles qui veulent juger des couleurs, oies essayant d
2766 les qui veulent juger des couleurs, oies essayant de rivaliser avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un de ces pa
2767 avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un de ces pasticheurs infatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion d
2768 fatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion de définir le dolce stil nuovo, le style savant et caressant que l’école
2769 ombés dans un douteux allégorisme : ils parlaient de la dame comme d’une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais
2770 teux allégorisme : ils parlaient de la dame comme d’ une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais froide et stéréo
2771 te et Cavalcanti, d’autres encore, demandent plus de sincérité et plus de chaleur amoureuse, mais en même temps, ils saven
2772 utres encore, demandent plus de sincérité et plus de chaleur amoureuse, mais en même temps, ils savent et disent (dans ce
2773 purement symbolique. Tel est le secret paradoxal de l’amour courtois : guindé et froid quand il ne vante que la femme, ma
2774 quand il ne vante que la femme, mais tout ardent de sincérité quand il célèbre la Sagesse d’amour : c’est là vraiment que
2775 t ardent de sincérité quand il célèbre la Sagesse d’ amour : c’est là vraiment que bat son cœur. Et Dante n’est jamais plus
2776 ns son Banquet, comme le secret qu’il faut voiler d’ un « beau mensonge ». Les cathares savaient bien tout cela. Mais noton
2777 jour faisait une seule lumière, trompeuse à force d’ évidence. Maintenant nous pouvons distinguer les thèmes que le trobar
2778 s que le trobar mêlait dans la naïve transparence de ses symboles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte de Jacques
2779 oles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte de Jacques de Lentino : Mon cœur souvent meurt, et plus douloureusement
2780 n cœur souvent meurt, et plus douloureusement que de mort naturelle, pour vous Dame qu’il désire et aime plus que lui-même
2781 te de même : Amour qui, dans ma pensée, me parle de ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient de choses telles qu’à
2782 de ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient de choses telles qu’à leur sujet mon intelligence s’égare. Son langage r
2783  Malheureuse que je suis ! Je ne suis pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore d
2784 suis pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore de la signification symbolique de
2785 ntends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore de la signification symbolique de la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en
2786 i douterait encore de la signification symbolique de la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe de « n
2787 qu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe de « notre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et de n
2788 otre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue
2789 Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue [auquel ell
2790 de grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue [auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà
2791 [auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà de notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’est qu’un blasphéma
2792 ’est qu’un blasphémateur lorsqu’il écrit au seuil de la Vita Nuova, cette strophe au sublime départ : Un ange crie en l’I
2793 monde se voit une merveille en l’acte qui procède d’ une âme qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose
2794 qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que d’ une chose — c’est de l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les
2795 e. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose — c’est de l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les Saints implorent ce
2796 , Pitié prend notre parti, car Dieu dit, et c’est de ma Dame qu’il entend parler : — Mes bien-aimés, ores souffrez en paix
2797 ure, autant qu’il me plaira, là où se trouve plus d’ un qui s’attend à la perdre et qui dira dans l’enfer : — Ô maudits, j’
2798 vu l’espérance des bienheureux ! S’agit-il donc de Béatrice comme femme ? Est-ce sa présence que tous les saints implore
2799 espérance des bienheureux » ? Ou s’agit-il plutôt de l’Esprit saint soutenant son Église par la charité du Christ — (la Pi
2800 matoire, c’est l’équivoque malgré tout maintenue. D’ où le débat qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait de définir
2801 t qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait de définir enfin ce dont on parle. « Cet Amour est-il vie ou mort ? » de
2802 nt le premier. Et le second répond : « Du pouvoir de l’amour provient souvent la mort… L’amour existe lorsque le désir est
2803 e le désir est si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel… Comme il ne provient point de la qualité, il réfléch
2804 es de l’amour naturel… Comme il ne provient point de la qualité, il réfléchit perpétuellement sur lui-même son propre effe
2805 ion mystique. Mais encore faut-il définir le rôle de l’amour naturel dans cette perspective céleste. C’est ce qu’a fait Da
2806 , exprimant dans une petite fable la vraie nature de l’Amour qu’il chante, et le danger de s’arrêter aux formes terrestres
2807 raie nature de l’Amour qu’il chante, et le danger de s’arrêter aux formes terrestres qui n’en sont qu’un reflet : De même
2808 ge en regardant un miroir et croit y voir l’image de ses petits qu’elle, va cherchant : par ce plaisir elle oublie le chas
2809 ne poursuit point ; de même celui qui est pénétré d’ amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ainsi il soul
2810 énétré d’amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ainsi il soulage sa grande peine… Mais la dame n’a point
2811 l’Amour à son profit. Dans un Bestiaire moralisé de cette époque, je trouve la même fable, avec cette conclusion : Ce fa
2812 st le Démon, qui nous fait voir ce qui n’est pas. De là vient que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’aller vers l
2813 ent que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’ aller vers le Seigneur. Le temps venait où les poètes succomberaient
2814 es poètes succomberaient aux charmes du miroir et de la rhétorique profanée. Nous allons voir Pétrarque se laisser prendre
2815 re « à ce qui n’est pas », c’est-à-dire à l’image de sa Laure, qui trop longtemps — comme il gémit plus tard — le retiendr
2816 ngtemps — comme il gémit plus tard — le retiendra d’ « aller vers le Seigneur ». 4.Pétrarque, ou le rhéteur converti
2817 ment amoureux et c’est Pétrarque. Et ce qu’il y a de mieux, c’est que c’est vrai… Qu’appelle-t-on un homme simplement amou
2818 ’appelle-t-on un homme simplement amoureux ? Rien d’ analogue. Lui l’était d’une façon extraordinaire, incendiaire, solaire
2819 implement amoureux ? Rien d’analogue. Lui l’était d’ une façon extraordinaire, incendiaire, solaire.121 Voilà ce qui doit
2820 our la première fois les symboles des troubadours d’ un souffle parfaitement païen, et non plus du tout hérétique ! On est
2821 ut s’est volatilisé : il ne joue plus. Le langage de l’Amour est enfin devenu la rhétorique du cœur humain. Cette « profan
2822 ique orthodoxe. Et cette dernière ne manquera pas d’ y puiser ses meilleures métaphores. En vérité, la tentation était trop
2823 hasard.) Voici le Sonnet du premier anniversaire de l’amour de Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heur
2824 oici le Sonnet du premier anniversaire de l’amour de Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heure Où si hau
2825 e faut rendre grâce Toi qui fus jugée digne alors d’ un tel honneur. D’Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le
2826 e Toi qui fus jugée digne alors d’un tel honneur. D’ Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le suis, au plus hau
2827 ène Et te fait mépriser ce que l’homme désire122. D’ Elle te vient la grâce généreuse Qui te pousse au ciel par un droit se
2828 l par un droit sentier Et fait que je marche fier de mon espérance. Où Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe
2829 Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe de Tristan123, c’est dans le cri de la « torture délicieuse », du mal ai
2830 l prend la harpe de Tristan123, c’est dans le cri de la « torture délicieuse », du mal aimé, du plaisir qui consume : Ô t
2831 e : Ô tendres, angéliques étincelles, béatitudes De ma vie où s’allume le plaisir Qui doucement me consume et détruit. (L
2832 ir Qui doucement me consume et détruit. (Les Yeux de ma dame.) Ô mort vivante, ô mal délicieux124 Comment as-tu sur moi
2833 le je nais…125 (Sonnet 164.) Ailleurs, il parle de Laure comme de sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se sé
2834 (Sonnet 164.) Ailleurs, il parle de Laure comme de sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant d’Iseut
2835 imée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant d’ Iseut lorsqu’il la rend à son époux : Ô dure départie Pourquoi m’as-t
2836 d à son époux : Ô dure départie Pourquoi m’as-tu de mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux de Laure présente …all
2837 de mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux de Laure présente …allumés d’une lueur céleste M’enflamment de façon qu
2838 t 254.) Car les yeux de Laure présente …allumés d’ une lueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît de brûler.126
2839 ésente …allumés d’une lueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît de brûler.126 (Triomphe de l’amour.) Mais prés
2840 ueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît de brûler.126 (Triomphe de l’amour.) Mais présente ou absente — ici en
2841 de façon qu’il me plaît de brûler.126 (Triomphe de l’amour.) Mais présente ou absente — ici encore —, la femme ne sera
2842 encore —, la femme ne sera jamais que l’occasion d’ une torture qu’il préfère à tout : Je sais, suivant mon feu partout o
2843 is, suivant mon feu partout où il me fuit, Brûler de loin — de près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier ve
2844 t mon feu partout où il me fuit, Brûler de loin —  de près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier vers. Et le
2845 romantique est dans ce dernier vers. Et le secret de cette mélancolie, Pétrarque a su l’analyser mieux que les plus lucide
2846 su l’analyser mieux que les plus lucides victimes de ce que l’on baptisera plus tard le mal du siècle : Des autres passio
2847 eut appeler le comble des misères !) je me repais de ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignan
2848 mble des misères !) je me repais de ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignante que, si l’on v
2849 e ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignante que, si l’on vient m’en arracher, c’est malgré m
2850 iste à ce point ? Est-ce bien le cours des choses de ce monde ? Est-ce une douleur physique, ou bien quelque rigueur injus
2851 douleur physique, ou bien quelque rigueur injuste de fortune ? Pétrarque. — Rien de tout cela en particulier. C’est le «
2852 e rigueur injuste de fortune ? Pétrarque. — Rien de tout cela en particulier. C’est le « vague des passions » préromanti
2853 l se peut faire qu’il vive encore, quoique séparé de sa dame : Mais Amour me répond : ne te souvient-il pas que c’est là
2854 l pas que c’est là le privilège des amants déliés de toutes les qualités de l’homme128 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse as
2855 rivilège des amants déliés de toutes les qualités de l’homme128 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse ascension au Ventoux, qui
2856 et voilà qui rappelle au poète que ses « qualités d’ homme » le lient de fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit
2857 le au poète que ses « qualités d’homme » le lient de fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson de
2858 ion pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson de la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen de conscience : Je
2859 Chanson de la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen de conscience : Je vais pensant— et en pensant m’assaille u
2860 la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen de conscience : Je vais pensant— et en pensant m’assaille une pitié de
2861 vais pensant— et en pensant m’assaille une pitié de moi-même si forte qu’elle me conduit souvent à d’autres pleurs que ce
2862 nds ton parti avec prudence ! Prends ! Et arrache de ton cœur toute racine De ce plaisir qui heureux ne le peut jamais ren
2863 ce ! Prends ! Et arrache de ton cœur toute racine De ce plaisir qui heureux ne le peut jamais rendre… Il n’a que trop lon
2864 à cet amour blasphématoire, à ce besoin dément. d’ un plaisir que l’usage en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace d
2865 age en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace de négocier avec la mort ! La lucidité même d’un tel cri, où s’avoue l
2866 ace de négocier avec la mort ! La lucidité même d’ un tel cri, où s’avoue le dernier secret du mythe courtois, c’est le s
2867 dernier secret du mythe courtois, c’est le signe d’ une grâce reçue. Ce qui peut arracher à l’espoir vain, c’est la foi se
2868 la foi seule dans le pardon. Voici la conversion de l’espérance qui trouve enfin son objet véritable : Or lève-toi vers
2869 l et paré ! S’il est vrai, qu’ici-bas tant joyeux de son mal votre désir s’apaise par un coup d’œil, une parole, une chans
2870 Imposer un style à la vie des passions — ce rêve de tout le Moyen Âge païen tourmenté par la loi chrétienne —, c’est la s
2871 vait donner naissance au mythe. Mais la confusion de la foi, « qui à Dieu seul est due et à lui seul convient », avec l’am
2872 ul est due et à lui seul convient », avec l’amour d’ « une chose mortelle », en fut la conséquence inévitable. Et c’est bie
2873 , en fut la conséquence inévitable. Et c’est bien de cette confusion — non de la doctrine orthodoxe — que devait résulter
2874 névitable. Et c’est bien de cette confusion — non de la doctrine orthodoxe — que devait résulter l’opposition tragique du
2875 devait résulter l’opposition tragique du corps et de l’âme. C’est la tendance ascétique, orientale — le monachisme vient d
2876 ndance ascétique, orientale — le monachisme vient d’ Orient — c’est la tendance hérétique des « parfaits » qui inspira la p
2877 bien elle, qui, peu à peu, contamina par le moyen d’ une littérature idéalisante, l’élite de la société médiévale. D’où la
2878 r le moyen d’une littérature idéalisante, l’élite de la société médiévale. D’où la réaction « réaliste » qui ne pouvait ma
2879 ure idéalisante, l’élite de la société médiévale. D’ où la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle
2880 ù la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle fut surtout sensible dans la bourgeoisie. Dès le déb
2881 . Dès le début du xiie siècle, en plein triomphe de l’amour courtois, l’on voit paraître cette tendance contraire, celle
2882 contre poésie, cynisme contre idéalisme. Le Débat de l’âme et du corps qui date précisément de cette époque, est le premie
2883 e Débat de l’âme et du corps qui date précisément de cette époque, est le premier témoignage d’un conflit que le mariage c
2884 sément de cette époque, est le premier témoignage d’ un conflit que le mariage chrétien était censé résoudre. On y voit l’â
2885 censé résoudre. On y voit l’âme récemment séparée de son corps adresser à son compagnon les reproches les plus amers : c’e
2886 t trop tard, au-devant du supplice éternel. Issus de ce ressentiment du corps, les fabliaux eurent un immense succès (aupr
2887 annoncent le roman comique, qui annonce le roman de mœurs, qui annonce le naturalisme polémique du dernier siècle. Mais j
2888 soient engendrés en ligne directe. Chaque moment de cette progression vers le « vrai » se trouve lié, plus étroitement qu
2889 tement qu’au précédent, à un moment correspondant de la progression vers le « précieux », et c’est de cela qu’il naît, par
2890 de la progression vers le « précieux », et c’est de cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît de l’Astrée, non de
2891 cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît de l’Astrée, non des fabliaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédie
2892 liaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédies de Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantis
2893 ne de Marivaux naît des comédies de Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantisme, au moins auta
2894 comédies de Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantisme, au moins autant, si ce n’est beaucoup
2895 , au moins autant, si ce n’est beaucoup plus, que de Balzac (considéré alors comme réaliste). Pour en revenir au xiiie si
2896 J. Huizinga129 — l’esprit gaulois aux conventions de l’amour courtois et à y voir la conception naturaliste de l’amour, en
2897 ur courtois et à y voir la conception naturaliste de l’amour, en opposition avec la conception romantique. Or la gauloiser
2898 que. La pensée érotique, pour acquérir une valeur de culture, doit être stylisée. Elle doit représenter la réalité complex
2899 a gauloiserie : la licence fantaisiste, le dédain de toutes les complications naturelles et sociales de l’amour, l’indulge
2900 e toutes les complications naturelles et sociales de l’amour, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes de la vie se
2901 , l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes de la vie sexuelle, la vision d’une jouissance infinie, tout cela ne fai
2902 ges et les égoïsmes de la vie sexuelle, la vision d’ une jouissance infinie, tout cela ne fait que donner satisfaction au b
2903 ne fait que donner satisfaction au besoin humain de substituer à la réalité le rêve d’une vie plus heureuse. C’est encore
2904 besoin humain de substituer à la réalité le rêve d’ une vie plus heureuse. C’est encore une aspiration à la vie sublime, t
2905 du côté animal. C’est un idéal quand même : celui de la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et de l’amour alambiqu
2906 uand même : celui de la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et de l’amour alambiqué, on le surprend dans une satir
2907 la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et de l’amour alambiqué, on le surprend dans une satire du xiiie siècle in
2908 intitulée l’Évangile des femmes : c’est une suite de quatrains dont les trois premiers vers exaltent la femme selon le mod
2909 le mode courtois, tandis que la quatrième réfute d’ un trait brutal ces éloges. Autre complicité : la gauloiserie démolit
2910 r en bas, alors que la chevalerie le ridiculisait d’ en haut. Comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit de Chiceface
2911 Comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit de Chiceface. Chiceface est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de
2912 ace est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi est-il d’une maigreur effroyable, tandis que so
2913 ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi est-il d’ une maigreur effroyable, tandis que son confrère Bigorne, lequel ne ma
2914 igorne, lequel ne mange que les maris soumis, est d’ un embonpoint sans pareil. Parallèlement à ces deux courants issus du
2915 e, en consacrant ses derniers chants à la louange de la Vierge — Notre Dame opposée à « ma » dame — mais sans varier le mo
2916 s sans varier le moins du monde ses lieux communs de poésie courtoise130. Dante a vengé d’avance les troubadours en mettan
2917 eux communs de poésie courtoise130. Dante a vengé d’ avance les troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers de Marie »
2918 troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers de Marie », moines italiens appelés aussi « chevaliers joyeux » à cause
2919 solue, et malgré leur saint patronage. 6.Suite de la chevalerie, jusqu’à Cervantès L’influence du roman breton est a
2920 ce du roman breton est attestée par des centaines de textes à travers les xiiie , xive et xve siècles. Elle couvre la mê
2921 rs : l’Europe entière. Les minnesänger (chanteurs de l’Amour) en Allemagne sont nourris de légendes cathares131 et par ail
2922 (chanteurs de l’Amour) en Allemagne sont nourris de légendes cathares131 et par ailleurs ne font qu’adapter du français l
2923 illeurs ne font qu’adapter du français les récits de Chrétien de Troyes. On traduit le roman de Tristan dans toutes les la
2924 récits de Chrétien de Troyes. On traduit le roman de Tristan dans toutes les langues d’Occident. L’Anglais Thomas Malory,
2925 aduit le roman de Tristan dans toutes les langues d’ Occident. L’Anglais Thomas Malory, à la fin du xve siècle, en refait
2926 se. Dante considère le cycle épique et romanesque de la France du Nord comme le modèle universel de toute prose narrative,
2927 ue de la France du Nord comme le modèle universel de toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait de Tristan (dans sa
2928 toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait de Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale. De là, j
2929 trait de Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de
2930 ns sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des E
2931 portrait de la femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrabl
2932 femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations,
2933 De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations, dont les Amadi
2934 ège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’ innombrables imitations, dont les Amadis portugais (puis espagnols, pu
2935 is auquel on pouvait s’attendre, certains auteurs de ces imitations se trouvent amenés à redécouvrir le sens original des
2936 ystiques. Mais alors ils ne peuvent se servir que d’ une mythologie toute catholique — soit prudence ou incompréhension — a
2937 n primitive. En 1554, en Espagne, paraît un livre de Hyeronimo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro de cavalleri
2938 mo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro de cavalleria celestial del pié de la rosa fragante. Le Christ y devient
2939 lamboyant : Libro de cavalleria celestial del pié de la rosa fragante. Le Christ y devient le chevalier du Lion, Satan le
2940 r du Désert, et les apôtres, les douze chevaliers de la Table ronde. Or, selon Rahn, la Table ronde du Parzival, au sanctu
2941 n Rahn, la Table ronde du Parzival, au sanctuaire de Montségur ou « Montsalvat » — dernière forteresse des cathares — c’ét
2942 Cervantès ne cite point les très nombreux romans de « chevalerie célestielle » qu’on lisait de son temps avec passion132.
2943 romans de « chevalerie célestielle » qu’on lisait de son temps avec passion132. Il ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’a
2944 ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’aux romans d’ aventures profanes. Cette omission est mystérieuse. Elle militerait en
2945 lle Cervantès connaissait la signification réelle de la littérature courtoise, et raillait non sans désespoir les rêveries
2946 oise, et raillait non sans désespoir les rêveries de ses contemporains, adonnés à une illusion dont ils avaient perdu le s
2947 des temps rend totalement impraticable. L’Église de Rome a triomphé. Mieux vaut dès lors se mettre du bon côté, avec l’ho
2948 ngage moderne. Et en Irlande, elles vivent encore de nos jours. Je ne puis examiner ici le problème des rapports entre ce
2949 miner ici le problème des rapports entre ce fonds de légendes celtiques et la littérature anglaise populaire et savante. M
2950 ste, ait écrit un traité sur les fées, sans trace de scepticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare,
2951 traité sur les fées, sans trace de scepticisme ou d’ ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare, — mais nous avons
2952 pticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare, — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit
2953 e rien de Shakespeare, — mais nous avons le Songe d’ une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons R
2954 hakespeare, — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’ été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Jul
2955 stan de Wagner. Tant qu’on ignore à peu près tout de la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demande
2956 ant qu’on ignore à peu près tout de la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissai
2957 re à peu près tout de la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissait la tradition
2958 , voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissait la tradition secrète des troubadours. Ma
2959 beaucoup plus grand nombre… Comment les légendes de ce temps n’auraient-elles point gardé de traces des luttes violentes
2960 légendes de ce temps n’auraient-elles point gardé de traces des luttes violentes qui opposèrent dans la cité les « patarin
2961 plus profonde que jamais, la tragédie des Amants de Vérone, c’est le voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir de
2962 voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir de nos yeux que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir de la méla
2963 sant au souvenir de nos yeux que l’image négative d’ un éclat, « le soleil noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs d
2964 que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide de tortures tra
2965 il noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide de tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’écl
2966 élancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide de tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair de l’amour
2967 deurs de l’âme avide de tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair de l’amour illumine parfois une face imm
2968 transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair de l’amour illumine parfois une face immobile et fascinante, — ce nous-m
2969 s une face immobile et fascinante, — ce nous-même d’ horreur et de divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ress
2970 mobile et fascinante, — ce nous-même d’horreur et de divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité d’un c
2971 el s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité d’ un coup dans sa pleine stature, comme étourdi de sa jeunesse provocant
2972 é d’un coup dans sa pleine stature, comme étourdi de sa jeunesse provocante et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau
2973 omme étourdi de sa jeunesse provocante et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau de Mantoue voici le mythe de nouveau
2974 nte et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau de Mantoue voici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur d’une tor
2975 ici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur d’ une torche que tient Roméo. Juliette repose, endormie par le philtre.
2976 Juliette repose, endormie par le philtre. Le fils de Montague est entré, et il parle : Combien souvent les hommes sur le
2977 r ? Ô mon amour, ma femme, La mort a sucé le miel de ton haleine Et n’a pas eu de prise encor sur ta beauté Et tu n’es pas
2978 mort a sucé le miel de ton haleine Et n’a pas eu de prise encor sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de beau
2979 sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de beauté Est encore cramoisie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle dra
2980 sie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle drapeau de la mort n’est pas avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi es-tu si be
2981 rainte de cela je demeure avec toi Et plus jamais de ce palais de la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Av
2982 a je demeure avec toi Et plus jamais de ce palais de la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Avec les vers q
2983 ecouer l’influence des étoiles funestes Et sortir de cette chair lasse du monde. Mes yeux regardez une dernière fois ! Mes
2984 Sur les récifs brisants ta barque épuisée, malade de la mer ! Voilà pour mon amour ! (Il boit.) … Honnête apothicaire Ta d
2985 st rapide. En un baiser je meurs. Le consolament de la Mort vient de sceller le seul mariage qu’ait jamais pu vouloir l’É
2986 sombrie… Séparons-nous pour nous entretenir encor de ces tristesses.133 ⁂ Il est certain que Milton quoique puritain sub
2987 ain que Milton quoique puritain subit l’influence de doctrines cabalistiques aussi peu « spiritualistes » que possible. Ma
2988  » contre la féodalité et le clergé ? Deux poèmes de Milton, qu’il écrivit dans sa jeunesse, l’Allegro et le Penseroso exp
2989 et le Penseroso expriment l’opposition du Jour et de la Nuit, et le choix nécessaire qu’il n’a pas encore fait. (Il ne le
2990 ne le fera sans doute jamais : du moins pas sans de telles réticences qu’il serait vain de conclure sur ce point plus net
2991 s pas sans de telles réticences qu’il serait vain de conclure sur ce point plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même
2992 nt plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même d’ embrasser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet d’épopée avait
2993 ser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet d’ épopée avait envisagé parfois le thème de la légende celtique d’Arthur
2994 un sujet d’épopée avait envisagé parfois le thème de la légende celtique d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dan
2995 envisagé parfois le thème de la légende celtique d’ Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge
2996 de la légende celtique d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge de la Mélancolie nocturne,
2997 iers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge de la Mélancolie nocturne, s’adressant à cette « Vierge sérieuse » il la
2998 ’adressant à cette « Vierge sérieuse » il la prie d’ évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bag
2999 erge sérieuse » il la prie d’évoquer encore l’âme d’ Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiq
3000 la prie d’évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiques, et finalement
3001 nalement les « illustres bardes » qui chantèrent d’ une voix grave et solennelle tournois et trophées remportés, forêts, e
3002 eets the ear »… Il avait étudié pour son Histoire de Bretagne la chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le De doct
3003 chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le De doctrina christiana, il s’était insurgé « contre la puissance créatri
3004 l s’était insurgé « contre la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation… répudiant
3005 la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation… répudiant les définitions théologique
3006 trice de Dieu, contre les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation… répudiant les définitions théologiques traditionnelles
3007 nd lyrisme passionnel ? Quant au « matérialisme » de Milton, il s’oppose moins qu’on pourrait le croire à une doctrine « c
3008 n pourrait le croire à une doctrine « courtoise » de l’amour. Entre un monisme qui assimile l’esprit à la matière (ou l’in
3009 me n’est pas infranchissable, surtout sur le plan de l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont d’importants présupposé
3010 de l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont d’ importants présupposés communs. L’extrême de la luxure touche parfois
3011 e ont d’importants présupposés communs. L’extrême de la luxure touche parfois l’extrême de la chasteté exaltée. Et la néga
3012 . L’extrême de la luxure touche parfois l’extrême de la chasteté exaltée. Et la négation de la mort, chez Milton, le condu
3013 l’extrême de la chasteté exaltée. Et la négation de la mort, chez Milton, le conduit à des conclusions bien proches de ce
3014 Milton, le conduit à des conclusions bien proches de celles des cathares. Comme eux, Milton croit que le bon désir procède
3015 rincipes intellectuels, et qu’il doit nous purger de notre mauvais désir, de la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son ma
3016 et qu’il doit nous purger de notre mauvais désir, de la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son maître en occultisme, ense
3017 atière divine… Il reste cependant que la doctrine de Milton est bien plus « rationnelle » et sociale que celle des hérétiq
3018 vait-elle point favoriser les confusions extrêmes de la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les
3019 favoriser les confusions extrêmes de la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les sectes néo-man
3020 de la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée : de la
3021 ans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée : de la mystique à la psychologie L’histoire du mythe dans le Roman, au
3022 ade en pure psychologie. Le Roman devient l’objet d’ une littérature raffinée. D’Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Sc
3023 Roman devient l’objet d’une littérature raffinée. D’ Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Scudéry n’ont plus la moindre
3024 éry n’ont plus la moindre idée du sens ésotérique de la chevalerie légendaire. La nature symbolique des sujets qu’ils repr
3025 u’ils reprennent les induit simplement à composer d’ interminables romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le G
3026 c. Le sujet du roman demeure les « contrariétés » de l’amour, mais l’obstacle n’est plus la volonté de mort, si secrète et
3027 de l’amour, mais l’obstacle n’est plus la volonté de mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’est simplement le p
3028 physique dans Tristan : c’est simplement le point d’ honneur, manie sociale. C’est l’héroïne, ici, qui est la plus astucieu
3029 ici, qui est la plus astucieuse lorsqu’il s’agit d’ imaginer des prétextes de séparation. Elle terrorise avec délices son
3030 ucieuse lorsqu’il s’agit d’imaginer des prétextes de séparation. Elle terrorise avec délices son chevaleresque soupirant,
3031 soupirant, et l’on voit Polexandre, dans le roman de Gomberville, parcourir comme un fou les cinq parties du monde pour ap
3032 nq parties du monde pour apaiser un regard irrité de sa maîtresse. Au dénouement, il est encore à se demander si cette « r
3033 s échos mélancoliques. Il y a bien les douze lois d’ Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge de la chasteté, voire les
3034 ois d’Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge de la chasteté, voire les défis à une mort libératrice. Mais la dialecti
3035 une mort libératrice. Mais la dialectique sauvage de Tristan n’est plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la
3036 plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la Nuit se ramène à des jeux de pénombre. Entre le corps des deux ama
3037 combat du Jour et de la Nuit se ramène à des jeux de pénombre. Entre le corps des deux amants plus d’épée nue, mais la hou
3038 de pénombre. Entre le corps des deux amants plus d’ épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur de la b
3039 ux amants plus d’épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolis
3040 épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée d’ une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste.
3041 s la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste. Au cinquième
3042 ise tout le reste. Au cinquième et dernier volume de ce roman que l’on n’ose nommer un roman-fleuve, puisqu’il n’est parco
3043 , puisqu’il n’est parcouru que par les sinuosités d’ un modeste ruisseau, le Lignon, Céladon désespéré appelle la mort ; As
3044 gnon, Céladon désespéré appelle la mort ; Astrée, de son côté conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin de leurs ma
3045 conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin de leurs maux à la Fontaine de Vérité, gardée par des lions et des licor
3046 vont demander la fin de leurs maux à la Fontaine de Vérité, gardée par des lions et des licornes : cette fontaine ne sera
3047 l’oracle, que par la mort du plus fidèle amant et de la plus fidèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat de la fata
3048 fidèle amant et de la plus fidèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat de la fatalité du philtre.) Céladon s’avanc
3049 idèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat de la fatalité du philtre.) Céladon s’avance, mais ô miracle, les lions
3050 le ciel s’obscurcit, le tonnerre gronde, le génie de l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin de l’enchantement. Ast
3051 de l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin de l’enchantement. Astrée et Céladon évanouis (c’est une mort métaphoriq
3052 ils se réveillent, puis s’épousent. On a coutume de déclarer inexplicable le succès prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses
3053 ume de déclarer inexplicable le succès prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux de nos ré
3054 Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux de nos récents romans féeriques. Et la psychologie des écrivains françai
3055 psychologie des écrivains français n’a pas cessé de se complaire dans l’élégance allégorique : voir Giraudoux. La Fontain
3056 ine adorait « cette œuvre exquise ». Et Rousseau, de passage à Lyon, voulut aller visiter le Forez et rechercher sur les r
3057 esse, elle lui dit que le Forez était un bon pays de forges et qu’on y travaillait fort bien le fer. « Cette bonne femme,
3058 serrurier. » ⁂ En vérité je me sens fort capable d’ entreprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue de l’art littérair
3059 é je me sens fort capable d’entreprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue de l’art littéraire, c’est une réussite ca
3060 treprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue de l’art littéraire, c’est une réussite capitale. Jamais les ressources
3061 ’est une réussite capitale. Jamais les ressources d’ une rhétorique plus savante n’ont été à ce point harmonisées. L’on n’i
3062 nt été à ce point harmonisées. L’on n’imagine pas de roman mieux écrit ; plus strictement réglé, dans son progrès, sur les
3063 strictement réglé, dans son progrès, sur les lois d’ une plus sûre esthétique. L’emploi de « personnages constants » — le b
3064 sur les lois d’une plus sûre esthétique. L’emploi de « personnages constants » — le berger, la bergère, le volage, la coqu
3065 dialectique des sentiments sa meilleure garantie de précision, et disons même de vérité. Ici c’est l’art et non « la vie 
3066 a meilleure garantie de précision, et disons même de vérité. Ici c’est l’art et non « la vie » qui mène le jeu. Nous somme
3067 i mène le jeu. Nous sommes en face d’une création de l’esprit, et non d’une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou
3068 sommes en face d’une création de l’esprit, et non d’ une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et
3069 ’une création de l’esprit, et non d’une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immé
3070 prit, et non d’une confusion de reflets troubles, d’ aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immérités (comme sont les
3071 ets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immérités (comme sont les romans d’aujourd’hui). En un mot, l
3072 ts et de hasards immérités (comme sont les romans d’ aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle suppose un métie
3073 Elle suppose un métier savant, et vingt-cinq ans d’ application. Le snobisme qui lui fit un succès était mieux averti que
3074 ieux averti que le nôtre. Mais aussi ce caractère d’ achèvement nous permet de poser une question nette : que vaut le succè
3075 Mais aussi ce caractère d’achèvement nous permet de poser une question nette : que vaut le succès même de l’effort littér
3076 oser une question nette : que vaut le succès même de l’effort littéraire ? Si l’on songe au mythe primitif, dont l’Astrée
3077 l’Astrée reprend tous les thèmes, l’on est frappé de constater que chez d’Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le de
3078 les thèmes, l’on est frappé de constater que chez d’ Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le destin en machine romane
3079 e la littérature la plus parfaite, en raison même de sa perfection, n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices de f
3080 n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices de formes et de mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever e
3081 ous-produit des mystiques créatrices de formes et de mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever en tant qu’œuv
3082 e qu’une résistance à peu près nulle aux attaques de l’esprit réaliste et de ce qu’on nomme l’intérêt civique — comme il a
3083 u près nulle aux attaques de l’esprit réaliste et de ce qu’on nomme l’intérêt civique — comme il apparaît de nos jours ? A
3084 qu’on nomme l’intérêt civique — comme il apparaît de nos jours ? Alors que les mystiques et les religions prennent au cont
3085 ns et railleries qu’on leur oppose ? Ce fut assez d’ un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de
3086 ries qu’on leur oppose ? Ce fut assez d’un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de Roman — pour
3087 ficieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de Roman — pour réduire au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels
3088 au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels de notre siècle, la féerie romanesque née de l’Astrée, et le roman comiq
3089 manuels de notre siècle, la féerie romanesque née de l’Astrée, et le roman comique, son parasite135. Il n’y eut plus qu’un
3090 est dans le théâtre classique — donc au cœur même d’ un ordre intolérant — que la passion devait trouver sa revanche la plu
3091 e la plus éclatante. On connaît le curieux sujet de la Place royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant d’Angélique
3092 royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant d’ Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’atta
3093 désobligeante. Alidor amant d’Angélique, et aimé d’ elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’attache trop » et il veut
3094 ’Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé d’ un amour qui l’attache trop » et il veut faire en sorte que sa maîtres
3095 rte que sa maîtresse se donne à son ami Cléandre. D’ où l’on conclut généralement que Corneille est le premier auteur qui a
3096 qui ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut d’ être analysé. Voici comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’est
3097 m’aimant trop qu’elle me fait mourir ; Un moment de froideur, et je pourrais guérir ; Une mauvaise œillade, un peu de jal
3098 parfaite, et sa perfection N’approche point encor de son affection ; Point de refus pour moi, point d’heures inégales ; Ac
3099 n N’approche point encor de son affection ; Point de refus pour moi, point d’heures inégales ; Accablé de faveurs à mon re
3100 de son affection ; Point de refus pour moi, point d’ heures inégales ; Accablé de faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ic
3101 refus pour moi, point d’heures inégales ; Accablé de faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ici la tirade : les premiers v
3102 Quoi, c’est le bonheur qui serait fatal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’être trahi par Angélique le guéri
3103 tal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’ être trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait
3104 e malheur d’être trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait un curieux monstre ! Disons plutôt qu’o
3105 isons plutôt qu’on voit trop bien ce qu’il essaie de nous dissimuler. Lui aussi, il ne veut que « brûler » ! Mais il ne pe
3106 le goût du malheur, à cette époque. « J’ai honte de souffrir les maux dont je me plains », dit-il plus bas. C’est donc la
3107 it-il plus bas. C’est donc la honte qui est cause de son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstacle entre
3108 est cause de son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même
3109 son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’ un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même. Il manque u
3110 ns passés dans la forêt. Tristan avait le recours de rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint d’inventer un rival. So
3111 de rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint d’ inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare d’Angéli
3112 idor est contraint d’inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux d’avouer cett
3113 rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare d’ Angélique, mais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine de se pl
3114 plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux d’ avouer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’être trop enchaîn
3115 ais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’être trop enchaîné par cette fidélité, — alors qu’on vo
3116 vouer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’ être trop enchaîné par cette fidélité, — alors qu’on voit tout au cont
3117 lors qu’on voit tout au contraire qu’il désespère de ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’être libre qui traduit
3118 e de ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’ être libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de
3119 besoin d’être libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se p
3120 duit un profond désir de n’être plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se passerait si Angélique faisai
3121 est ce qui se passerait si Angélique faisait mine de lui échapper. Mais voyez comme il est habile : Cléandre Vit-on jamai
3122 mme il est habile : Cléandre Vit-on jamais amant de la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alido
3123 s’arrête aux sentiments vulgaires ? Il le prend de haut : méfions-nous. C’est qu’il se dispose à mentir. Il ne faut poi
3124 ’il se dispose à mentir. Il ne faut point servir d’ objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir d’amour qui ne nous
3125 objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir d’ amour qui ne nous cède : Je le hais s’il me force : et quand j’aime, j
3126 hais s’il me force : et quand j’aime, je veux Que de ma volonté dépendent tous mes vœux ; Que mon feu m’obéisse, au lieu d
3127 e classique, pensera-t-on : la volonté triomphant de la passion. Mais la suite de la comédie, même si nous ignorions les r
3128 a volonté triomphant de la passion. Mais la suite de la comédie, même si nous ignorions les ruses du mythe, nous ferait bi
3129 hautaines déclarations. « Il ne faut point servir d’ objet qui nous possède » signifie en réalité : « Le seul objet qui vai
3130 signifie en réalité : « Le seul objet qui vaille d’ être servi, c’est celui qui nous posséderait totalement et qui, par sa
3131 ers mots : « … et l’éteindre » étant pur artifice de rhétorique, destiné à persuader le lecteur, ou Cléandre, ou Corneille
3132 Corneille a tout fait pour cela. Dans la dédicace de sa pièce, il s’adresse en ces termes à un personnage inconnu : C’est
3133 se en ces termes à un personnage inconnu : C’est de vous que j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujour
3134 onnu : C’est de vous que j’ai appris que l’amour d’ un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais
3135 t qu’enfin la personne aimée nous a beaucoup plus d’ obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre
3136 personne aimée nous a beaucoup plus d’obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de
3137 e notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination
3138 rs qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination aveugle, et forcée
3139 otre choix et de son mérite, que quand elle vient d’ une inclination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance
3140 lination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance à qui nous ne pouvons résister… On ne donne point ce qu’on
3141 bel et bon. Mais nous n’oublions pas que ce refus de la contrainte fatale, cette liberté qui fait le prix du don, c’est un
3142 rix du don, c’est une des exigences fondamentales de l’amour courtois (l’un des articles des Leys d’Amors). Et que cette e
3143 te trop fidèle se trouvent malgré eux dans l’état de mariés, à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour de la liber
3144 à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour de la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour de la passion. À tel
3145 de la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour de la passion. À tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes De cr
3146 tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes De crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît d’un amour par force
3147 e crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît d’ un amour par force un amour par devoir. C’est le plus pur langage cou
3148 rai chez elle encor le moindre accès Mes desseins de guérir n’auront point de succès. Ces « desseins de guérir » (entendo
3149 indre accès Mes desseins de guérir n’auront point de succès. Ces « desseins de guérir » (entendons : de brûler, donc en f
3150 guérir n’auront point de succès. Ces « desseins de guérir » (entendons : de brûler, donc en fait : sa crainte de guérir 
3151 succès. Ces « desseins de guérir » (entendons : de brûler, donc en fait : sa crainte de guérir !) sont en effet couronné
3152 (entendons : de brûler, donc en fait : sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés de succès au cinquième acte. Cornei
3153 : sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés de succès au cinquième acte. Corneille l’avoue plus tard, tout en feigna
3154 te. Corneille l’avoue plus tard, tout en feignant de s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen de sa pièce : Cet amo
3155 de s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen de sa pièce : Cet amour de son repos n’empêche point qu’au cinquième ac
3156 se doit, dans un Examen de sa pièce : Cet amour de son repos n’empêche point qu’au cinquième acte (Alidor) ne se montre
3157 maîtresse, malgré la résolution qu’il avait prise de s’en défaire, et les trahisons qu’il lui a faites ; de sorte qu’il se
3158 ommencer à l’aimer que quand il lui a donné sujet de le haïr. L’aveu est complet cette fois-ci. Mais dans le plan puremen
3159 e logique. « Cela fait, conclut-il, une inégalité de mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement d
3160 mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement de l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfait
3161 euse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement de l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfaitement mené à chef.
3162 t si parfaitement mené à chef. L’essence du mythe de l’amour malheureux, nous le savons, c’est une passion inavouable. L’o
3163 vons, c’est une passion inavouable. L’originalité de Corneille demeure d’avoir voulu combattre et nier cette passion dont
3164 on inavouable. L’originalité de Corneille demeure d’ avoir voulu combattre et nier cette passion dont il vivait, et ce myth
3165 et le Cid. Il a voulu sauver au moins le principe de la liberté, c’est-à-dire de la personne — sans lui sacrifier toutefoi
3166 au moins le principe de la liberté, c’est-à-dire de la personne — sans lui sacrifier toutefois les effets délicieux et to
3167  » (ici métaphorique). Bien mieux : cette volonté de liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle pr
3168 é de liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée de ce
3169 efficace de la passion qu’elle prétendait guérir. D’ où la tension inégalée de ce « théâtre du devoir » — comme le récitent
3170 ’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée de ce « théâtre du devoir » — comme le récitent et le réciteront toujour
3171 citeront toujours ceux qui ne sont guère capables de l’aimer… 10.Racine, ou le mythe déchaîné L’opposition classique
3172 e, ou le mythe déchaîné L’opposition classique de Racine et de Corneille se réduit à ceci touchant le mythe : Racine pa
3173 e déchaîné L’opposition classique de Racine et de Corneille se réduit à ceci touchant le mythe : Racine part du philtre
3174 touchant le mythe : Racine part du philtre comme d’ un fait indiscutable privant ses victimes de toute espèce de responsab
3175 comme d’un fait indiscutable privant ses victimes de toute espèce de responsabilité : « C’est Vénus tout entière à sa proi
3176 indiscutable privant ses victimes de toute espèce de responsabilité : « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée », — 
3177 qu’« une tyrannie dont il faut secouer le joug ». D’ où l’harmonie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue de l’autre
3178 ut secouer le joug ». D’où l’harmonie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue de l’autre ; l’un s’abandonnant au cou
3179 nie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue de l’autre ; l’un s’abandonnant au courant, l’autre lui résistant, bien
3180 ntraîné…) L’invitus invitam 136 qui fait le sujet de Bérénice, c’est une formule antique interprétée par un « moderne » da
3181 par un « moderne » dans la perspective courtoise de l’amour réciproque malheureux. Ainsi devient-elle la formule même de
3182 ue malheureux. Ainsi devient-elle la formule même de notre mythe. Mais Racine, dans ses premières pièces, raccourcit la po
3183 pièces, raccourcit la portée du mythe à la mesure d’ une psychologie exagérément « admissible ». « Je n’ai point poussé Bér
3184 it avec Énée, elle n’est pas obligée, comme elle, de renoncer à la vie ». L’on sent tout l’artifice et la faiblesse du « r
3185 « raisonnement » qui se voit opposé à la passion de la Nuit ! « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des m
3186 sions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. 
3187 te tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » Or cette « tristesse majestueuse qui fait tout le plai
3188 « tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie », ce n’est que la moitié du mythe, son aspect diurne, so
3189 on aspect diurne, son reflet moral dans notre vie de créatures finies. Il y manque l’aspect nocturne, l’épanouissement mys
3190 ne, l’épanouissement mystique dans la vie infinie de la Nuit. Il y manque ce que l’on pourrait appeler, symétriquement, « 
3191 sans un appauvrissement métaphysique, générateur de confusions incalculables. Car enfin cette « tristesse » racinienne, s
3192 est dans le monde du jour, et qualifiée néanmoins de « plaisir », l’on ne voit pas en quoi ce serait davantage qu’une moro
3193 es, l’on est fondé à contester la vérité dernière de la croyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine de la passion
3194 oyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine de la passion et de son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que ce
3195 manichéenne) qui est à l’origine de la passion et de son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que cette croyance donn
3196 ui en résulte, c’est que l’obstacle est un masque de la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguration, l’instant
3197 un masque de la mort, et que la mort est le gage d’ une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se révèle le Jo
3198 tait la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute d’ atteindre cette limite, un Racine se condamne et nous condamne à goûte
3199 condamne et nous condamne à goûter une mélancolie de nature essentiellement trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer
3200 ent trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer de la vie matérielle par la mort ; et l’Agapè chrétienne veut sanctifier
3201 sait quel « plaisir », cela révèle en définitive d’ assez morbides complaisances à la défaite de l’esprit, à la résignatio
3202 itive d’assez morbides complaisances à la défaite de l’esprit, à la résignation des sens. Et déjà l’on pressent que cet ab
3203 cet abandon au « mal du siècle » (sécularisation de la passion) ne peut conduire Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à
3204 Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à la forme de mortification morose — d’autopunition dira Freud — qui se trouve la m
3205 c’est-à-dire à la forme de mortification morose —  d’ autopunition dira Freud — qui se trouve la mieux adaptée au tempéramen
3206 e conversion-là ne pourra s’opérer qu’à la faveur d’ une crise révélant à Racine lui-même la vraie nature de son délire. Ph
3207 crise révélant à Racine lui-même la vraie nature de son délire. Phèdre est un moment décisif non seulement dans la vie du
3208 is dans l’évolution du mythe à travers l’histoire de l’Europe. 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort
3209 . 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort est écarté dans Bérénice par une « censure » morale évidemmen
3210 par une « censure » morale évidemment chrétienne d’ origine. Racine ne peut ni ne veut être pleinement lucide. Car sa luci
3211 e plus secret, et sans se l’avouer. Mais la crise de sa passion pour une femme qui fut peut-être la Champmeslé, et les pre
3212 ut-être la Champmeslé, et les premières atteintes d’ une vraie foi vont le pousser comme malgré lui, et plus qu’il n’espéra
3213 algré lui, et plus qu’il n’espérait, aux extrêmes de l’aveu. Phèdre, c’est la revanche de la mort. Oui, Racine le sait ma
3214 ux extrêmes de l’aveu. Phèdre, c’est la revanche de la mort. Oui, Racine le sait maintenant, c’est une nécessité qu’il y
3215 arti du jour, la mort n’est plus que le châtiment de ses trop longues complaisances. C’est la passion, c’est sa propre pas
3216 assion, qu’il châtie en vouant à la mort la fille de Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert de son sujet antique,
3217 de Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert de son sujet antique, se punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisan
3218 punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisant de l’obstacle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’est plus admi
3219 st-à-dire une entrave qu’il n’est plus admissible de vouloir vaincre. L’opinion — à laquelle Racine se montre si sensible 
3220 ar personnes interposées en refusant à la passion de Phèdre toute réciprocité de la part. d’Hippolyte. Or Phèdre était écr
3221 refusant à la passion de Phèdre toute réciprocité de la part. d’Hippolyte. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y t
3222 a passion de Phèdre toute réciprocité de la part. d’ Hippolyte. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle
3223 était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle de la reine. Et Hippolyte, c’est Racine tel que maintenant il se souhait
3224 ondant Phèdre et la femme qu’il aime, il se venge de l’objet de sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion
3225 re et la femme qu’il aime, il se venge de l’objet de sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion est condam
3226 e sans appel. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque de Phèdre est encore en pleine crise, balançant devant la décision. D’où
3227 re en pleine crise, balançant devant la décision. D’ où la duplicité profonde de la pièce. La loi morale, la loi du jour qu
3228 nt devant la décision. D’où la duplicité profonde de la pièce. La loi morale, la loi du jour qu’il veut servir désormais,
3229 ine à rendre le jeune prince insensible à l’amour de Phèdre. Il déclare donc cet amour incestueux, encore que cette reine
3230 encore que cette reine ne soit que la belle-mère d’ Hippolyte. Mais le vieil homme, le Racine naturel, cherche à tourner c
3231 ment il s’y prend : en rendant Hippolyte amoureux d’ Aricie, dont on va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est t
3232 r est très subtil. Pour ce qui est du personnage d’ Hippolyte, écrit-il dans la Préface, j’avais remarqué dans les anciens
3233 rqué dans les anciens qu’on reprochait à Euripide de l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection :
3234 de l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince ca
3235 e toute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié. J’a
3236 la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus d’ indignation que de pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse
3237 ne prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait u
3238 able envers son père, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et
3239 re, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur d’ âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprime
3240 grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle faiblesse la
3241 , qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père. Ainsi donc, Aricie, c’est « l’amour que le Père interdit 
3242 mour que le Père interdit », — un substitut voilé de l’amour incestueux137. (La psychanalyse nous a accoutumés à des dégui
3243 . Ici, comme dans le mythe, le « Destin » servira d’ alibi à la responsabilité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle
3244 le « Destin » servira d’alibi à la responsabilité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle de l’auteur. Ah ! Seigneur
3245 lité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle de l’auteur. Ah ! Seigneur ! si notre heure est une fois marquée Le cie
3246 eur ! si notre heure est une fois marquée Le ciel de nos raisons ne sait point s’informer. (I, 1.) Ce n’est pas ce ciel-l
3247 à tel point essentielle à la pièce, constitutive de la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire re
3248 ntielle à la pièce, constitutive de la crise même d’ où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son aute
3249 se même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’ en faire reproche à son auteur. Il fallait Phèdre. Il fallait cet affl
3250 the au jour. Il fallait cette douloureuse poussée de la volonté de mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossib
3251 l fallait cette douloureuse poussée de la volonté de mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossible aveu, se re
3252 sée de la volonté de mort cherchant à se délivrer d’ elle-même par l’impossible aveu, se retenant, s’avouant enfin à l’inst
3253 tant où elle y renonçait — avec le mouvement même de la reine, à trois reprises138. Il fallait cela pour que l’amour-passi
3254 s l’apparition du mythe au xiie siècle, triomphe de la mort de l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de
3255 ion du mythe au xiie siècle, triomphe de la mort de l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de Roméo : E
3256 mort de l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté Rend
3257 te, renversant toute la dialectique de Tristan et de Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté Rend au jour qu’il
3258 ient toute sa pureté. — Elle expire, Seigneur ! — D’ une action si noire Que ne peut avec elle expirer la mémoire ! Malgr
3259 que je puis assurer, c’est que je n’ai point fait de tragédie où la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci ; les m
3260 seule pensée du crime y est regardée avec autant d’ horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour d
3261 tant d’horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont p
3262 e même ; les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pou
3263 re dont elles sont cause… On est loin du dessein d’ « exciter les passions » pour « plaire » à un besoin de « tristesse ma
3264 xciter les passions » pour « plaire » à un besoin de « tristesse majestueuse ». On est tout près de Port-Royal. Racine, c
3265 ès de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était de la race des troubadours qui trahissent l’Amour pour l’amour : presque
3266 i en religion. Mais notons-le : dans une religion de retraite, — dernière injure peut-être au jour intolérable… 12.Écli
3267 e français souffre ou bénéficie, comme on voudra, d’ une première éclipse du mythe dans les mœurs et la philosophie. La mis
3268 . La mise en ordre (pour ne pas dire mise au pas) de la société féodale par l’État-roi, entraîne des modifications assez p
3269 les coutumes. Le mariage redevient l’institution de base : il atteint un point d’équilibre où les siècles suivants auront
3270 vient l’institution de base : il atteint un point d’ équilibre où les siècles suivants auront grand-peine à se maintenir, e
3271 réelle ou supposée n’y ajoute guère qu’un élément d’ exquise perfection, de luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie q
3272 ajoute guère qu’un élément d’exquise perfection, de luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie qui sent presque l’impe
3273 uise perfection, de luxe heureux, dernière touche d’ une fantaisie qui sent presque l’impertinence. (Le xviiie la jugera v
3274 resque l’impertinence. (Le xviiie la jugera vite de mauvais goût.) La convenance des rangs et la conformité des « qualité
3275 bon mariage : curieuse analogie avec la Chine. Et de fait, c’est à partir de ce xviie siècle « rationnel » que nos mœurs
3276 nul paraisse y prendre garde, se rangent aux lois de la raison du siècle, reniant l’absolu chrétien. Les « mérites » et no
3277 non plus la grâce imprévisible décident désormais d’ une union, et rendront seuls « aimable » un parti soigneusement raison
3278 mable » un parti soigneusement raisonné. Triomphe de la morale jésuite. C’est le baroque classique qui vient emprisonner,
3279 classique qui vient emprisonner, dans l’artifice de ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse de la passion telle q
3280 e ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse de la passion telle que la conduit un Descartes, sa réduction à des caté
3281 tement distinctes, à des hiérarchies rationnelles de qualités, mérites et facultés, devait-elle aboutir nécessairement à l
3282 outir nécessairement à la dissolution du mythe et de son dynamisme originel. C’est que le mythe ne déploie son empire que
3283 nsgression du domaine où vaut la morale. ⁂ Le cas de Spinoza mériterait un chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s
3284 dimanche.) Spinoza définit l’amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un s
3285 définit l’amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs
3286 amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée d’ une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs le seul p
3287 ine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’est pas de cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa cause e
3288 hé, la vertu, notre corps, notre moi distinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union
3289 orps, notre moi distinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union totale se lie indisso
3290 stinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union totale se lie indissolublement au désir
3291 ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’ union totale se lie indissolublement au désir de la mort qui libère. C
3292 r d’union totale se lie indissolublement au désir de la mort qui libère. C’est parce que la passion n’existe pas sans la d
3293 qui l’a séduite : « Je vous rends grâces du fond de mon cœur pour la désespérance où vous m’avez jetée, et méprise le rep
3294 eu ! Aimez-moi donc toujours, faites-moi souffrir de pires douleurs encore ! » Vers la fin du xviiie siècle, c’est une au
3295 u, c’est vraiment l’éclipse totale du Soleil noir de la Mélancolie. Les « qualités » et les « mérites » qui rendent « aima
3296 érites » qui rendent « aimable », selon les roués de la Régence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral,
3297 able », selon les roués de la Régence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral, mais intellectuel et physi
3298 égence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ ordre moral, mais intellectuel et physique. La distinction de l’esprit
3299 al, mais intellectuel et physique. La distinction de l’esprit et de la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de
3300 ectuel et physique. La distinction de l’esprit et de la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de l’âme croyante,
3301 ’esprit et de la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligen
3302 a chair, succédant à la séparation de l’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligence et en sexe.
3303 la passion n’a plus où se prendre. Et l’on parle de « passionnettes ». Le dieu d’Amour n’est plus un dur destin mais un e
3304 ndre. Et l’on parle de « passionnettes ». Le dieu d’ Amour n’est plus un dur destin mais un enfant impertinent. Presque plu
3305 ant impertinent. Presque plus rien n’est défendu. De la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour la rhétoriqu
3306 hétorique du désir, mais non plus même pour celle de l’amour. « Belle vertu, dit Mme d’Épinay, qu’on s’attache avec des ép
3307 re qu’à la « guerre en dentelles ».) Or ce siècle de la Volupté n’est pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guéri
3308 es ».) Or ce siècle de la Volupté n’est pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes de ce
3309 elle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes de ce temps n’aiment pas avec le cœur, elles aiment avec la tête », dit
3310 c la tête », dit l’abbé Galiani. Des « débauchées de l’esprit », ajoute Walpole, donnant peut-être la meilleure formule du
3311 des Richelieu et des Casanova, je suis moins sûr de leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncou
3312 s Casanova, je suis moins sûr de leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncourt l’ont très bien a
3313 iècle : « Au lieu de lui donner les satisfactions de l’amour sensuel et de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’
3314 ui donner les satisfactions de l’amour sensuel et de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’inquiétudes, la pousse
3315 t de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’ inquiétudes, la pousse d’essai en essai, de tentatives en tentatives,
3316 upté, l’amour la remplit d’inquiétudes, la pousse d’ essai en essai, de tentatives en tentatives, agitant devant elle, à me
3317 emplit d’inquiétudes, la pousse d’essai en essai, de tentatives en tentatives, agitant devant elle, à mesure qu’elle fait
3318 ntation des corruptions spirituelles, un mensonge d’ idéal, le caprice insaisissable des rêves de la débauche. » Un « menso
3319 songe d’idéal, le caprice insaisissable des rêves de la débauche. » Un « mensonge d’idéal », c’est bien à quoi se résumera
3320 issable des rêves de la débauche. » Un « mensonge d’ idéal », c’est bien à quoi se résumera toujours la réaction cynique co
3321 cynique contre le mythe. Nous en avons donné plus d’ un exemple. Le xviiie est trop poli pour admettre la gauloiserie : il
3322 gauloiserie : il la remplace par une affectation de facilité voluptueuse. Cette boutade qui réduit tout l’amour au contac
3323 Cette boutade qui réduit tout l’amour au contact de deux épidermes, j’y vois bien moins l’affirmation d’un matérialisme i
3324 deux épidermes, j’y vois bien moins l’affirmation d’ un matérialisme inhumain qu’une preuve de la secrète persistance du my
3325 irmation d’un matérialisme inhumain qu’une preuve de la secrète persistance du mythe au cœur des hommes du xviiie . Il fal
3326 viiie . Il fallait bien que subsistât quelque peu d’ illusion amoureuse et d’idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu jug
3327 que subsistât quelque peu d’illusion amoureuse et d’ idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant » de noter
3328 iffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant » de noter cette maxime et de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce
3329 ait pu juger « piquant » de noter cette maxime et de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce n’était encore, et ce ne
3330 mythe devait faire apparaître l’antithèse absolue de Tristan. Si Don Juan n’est pas, historiquement, une invention du xvii
3331 il joué par rapport à ce personnage le rôle exact de Lucifer par rapport à la Création, dans la doctrine manichéenne : c’e
3332 imprimé pour toujours ces deux traits si typiques de l’époque : la noirceur et la scélératesse. Antithèse vraiment parfait
3333 esse. Antithèse vraiment parfaite des deux vertus de l’amour chevaleresque : la candeur et la courtoisie. ⁂ Il me semble q
3334 qu’exerce sur le cœur des femmes et sur l’esprit de certains hommes le personnage mythique de Don Juan peut s’expliquer p
3335 ’esprit de certains hommes le personnage mythique de Don Juan peut s’expliquer par sa nature infiniment contradictoire. Do
3336 an, c’est à la fois l’espèce pure, la spontanéité de l’instinct, et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus de la mer
3337 , et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus de la mer des possibles. C’est l’infidélité perpétuelle, mais c’est auss
3338 tuelle, mais c’est aussi la perpétuelle recherche d’ une femme unique, jamais rejointe par l’erreur inlassable du désir. C’
3339 ur inlassable du désir. C’est l’insolente avidité d’ une jeunesse renouvelée à chaque rencontre, et c’est aussi la secrète
3340 ue rencontre, et c’est aussi la secrète faiblesse de celui qui ne peut pas posséder, parce qu’il n’est pas assez pour avoi
3341 le Don Juan du théâtre141 comme le reflet inversé de Tristan. Le contraste est d’abord dans l’allure extérieure des person
3342 u contraire, Tristan vient en scène avec l’espèce de lenteur somnambulique de celui qu’hypnotise un objet merveilleux, don
3343 t en scène avec l’espèce de lenteur somnambulique de celui qu’hypnotise un objet merveilleux, dont il n’aura jamais épuisé
3344 n, toujours aimé, ne peut jamais aimer en retour. D’ où son angoisse et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte d’amo
3345 et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte d’ amour la volupté d’une profanation, l’autre accomplit en restant chast
3346 ue. L’un recherche dans l’acte d’amour la volupté d’ une profanation, l’autre accomplit en restant chaste la « prouesse » d
3347 t chaste la « prouesse » divinisante. La tactique de Don Juan, c’est le viol, et aussitôt remportée la victoire, il abando
3348 il abandonne le terrain, il s’enfuit. Or la règle de l’amour courtois faisait du viol précisément le crime des crimes, la
3349 crime des crimes, la félonie sans rémission ; et de l’hommage un engagement jusqu’à la mort. Mais Don Juan aime le crime
3350 ime le crime en soi, et par là se rend tributaire de la morale dont il abuse. Il a grand besoin qu’elle existe pour trouve
3351 es règles, des péchés et des vertus, par la grâce d’ une vertu qui transcende le monde de la Loi. Enfin tout se ramène à ce
3352 par la grâce d’une vertu qui transcende le monde de la Loi. Enfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan est le dém
3353 ramène à cette opposition : Don Juan est le démon de l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde, le martyr de
3354 le prisonnier des apparences du monde, le martyr de la sensation de plus en plus décevante et méprisable — quand Tristan
3355 e et méprisable — quand Tristan est le prisonnier d’ un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mu
3356 Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mue en joie pure à la mort
3357 ier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’ un ravissement qui se mue en joie pure à la mort. On peut noter encore
3358 e le Commandeur lui tend la main, au dernier acte de Mozart, rachetant par cet ultime défi des lâchetés qui eussent déshon
3359 ’abdique au contraire son orgueil qu’à l’approche de la mort lumineuse. Je ne leur vois qu’un trait commun : tous deux ont
3360 trait commun : tous deux ont l’épée à la main. ⁂ De la Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve d’une aristocrat
3361 Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve d’ une aristocratie déchue de l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzu
3362 uan a régné sur le rêve d’une aristocratie déchue de l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzun dans la plus haute socié
3363 te, tels sont les parangons qui prennent la place de l’idéal détruit par le xviie siècle. Ce refoulement du mythe par l’i
3364 s plus étranges retours. Parmi tant de facilités, de raffinements intellectuels ou voluptueux, de satiétés, l’un des besoi
3365 tés, de raffinements intellectuels ou voluptueux, de satiétés, l’un des besoins les plus profonds de l’homme demeure privé
3366 , de satiétés, l’un des besoins les plus profonds de l’homme demeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin de souffri
3367 esoins les plus profonds de l’homme demeure privé d’ assouvissement, et c’est le besoin de souffrir. Un corps social qui le
3368 emeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin de souffrir. Un corps social qui le cultive, s’alanguit, comme l’a montr
3369 uté active les souffrances qu’il interdit au cœur de subir. Point de bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd l
3370 ouffrances qu’il interdit au cœur de subir. Point de bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd le contact vital,
3371 fantaisie perd le contact vital, et tout pouvoir de « sympathie ». La femme n’est plus pour l’homme du xviiie qu’un « ob
3372 ’autre ces extrêmes : la femme-idéal, pur symbole d’ un Amour qui entraîne l’amour au-delà des formes visibles ; et la femm
3373 r au-delà des formes visibles ; et la femme-objet de plaisir, instrument plus ou moins aimable d’une sensation qui enferme
3374 bjet de plaisir, instrument plus ou moins aimable d’ une sensation qui enferme l’homme en soi… Je distingue dans la contrad
3375 ’homme en soi… Je distingue dans la contradiction de Don Juan et de Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui
3376 Je distingue dans la contradiction de Don Juan et de Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui vit cette cont
3377 Juan et de Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui vit cette contradiction parce qu’il subit la sensualité
3378 ensualité et désire l’idéal courtois, les données de l’œuvre de Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans le
3379 t désire l’idéal courtois, les données de l’œuvre de Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes de
3380 nnées de l’œuvre de Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle de s
3381 ons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle de son admiration pour la poésie de Pétra
3382 st dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle de son admiration pour la poésie de Pétrarque. Admiration traditionnelle
3383 Sade nous parle de son admiration pour la poésie de Pétrarque. Admiration traditionnelle dans sa famille, depuis le maria
3384 ent l’existence du désir et des corps, la réalité d’ un « objet ». Sade, qui est un homme du xviiie , connaît trop bien sa
3385 sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’ un rachat. Purification par le mal : péchons jusqu’à détruire les dern
3386 négliger l’objet, détruisons-le par des tortures d’ où nous tirerons encore quelque plaisir, et cela fait partie de notre
3387 erons encore quelque plaisir, et cela fait partie de notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare de Sade. Le meurtre se
3388 de notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare de Sade. Le meurtre seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre de ce
3389 re seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre de ce qu’on aime, puisque c’est cela qui nous enchaîne. On ne tue bien q
3390 amour, parce que lui seul est souverain. Le crime d’ amour impur sauvera la pureté. Lisons maintenant avec cette clé la dé
3391 re scrupule les ennemis qui nuisent à ses projets de grandeur ? Des lois cruelles, arbitraires, impérieuses, pourront de m
3392 ont de même assassiner chaque siècle des millions d’ individus, et nous, faibles et malheureux particuliers, nous ne pourro
3393 à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous l
3394 es ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous le voile du plus
3395 le du plus profond mystère, nous venger amplement de cette ineptie ? » (C’est moi qui ai souligné). Si le marquis de Sade
3396 Sade avait été interrogé sur les mobiles secrets de sa morale, il se fût sans nul doute réfugié derrière un verbiage cyni
3397 nts : ils signifient avec exactitude le contraire de leur sens littéral143. Cette glorification du sexe est une constante
3398 sexe est une constante et rationnelle profanation de la morale profanée du xviiie . C’est la « voie négative » d’un athée
3399 e profanée du xviiie . C’est la « voie négative » d’ un athée qui désespère d’échapper à ses liens, et qui défie l’amour sp
3400 est la « voie négative » d’un athée qui désespère d’ échapper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel de se manifester
3401 apper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel de se manifester en tuant le criminel144. Car là seulement serait la dél
3402 roubadours… 14. La Nouvelle Héloïse Paysan de Genève, Rousseau échappe à l’influence du don-juanisme citadin, mais
3403 et qui n’est autre que le pétrarquisme. Le roman de Rousseau à proprement parler n’est pas une renaissance du mythe primi
3404 arler n’est pas une renaissance du mythe primitif de Tristan. Il n’a pas la violence sauvage de la légende, et encore moin
3405 imitif de Tristan. Il n’a pas la violence sauvage de la légende, et encore moins son arrière-plan ésotérique. Ce qui revit
3406 edia, l’heureuse mélancolie cultivée par l’ermite de Vaucluse. Qu’on relise les sommaires analytiques joints par un éditeu
3407 retrouve les situations que prévoyaient les leys de cortezia. C’est le Canzoniere mis en prose — et quelque peu embourgeo
3408 (Çà et là une citation, une allusion, témoignent de la connaissance que Rousseau avait de Pétrarque, véritable inventeur
3409 témoignent de la connaissance que Rousseau avait de Pétrarque, véritable inventeur du sentiment de la nature et du lyrism
3410 it de Pétrarque, véritable inventeur du sentiment de la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie a
3411 inventeur du sentiment de la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique
3412 de la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec d’ Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique profane. Chez Rousseau
3413 ue profane. Chez Rousseau, elle devient une sorte de piétisme raffiné. Ici encore, la décadence est manifeste. L’Héloïse q
3414 ’après un renoncement à la passion, et cette mort de Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il in
3415 Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il insiste longuement, dans une lettre à son éditeur, sur
3416 re à son éditeur, sur son protestantisme et celui de ses héros : mais malgré sa sincérité, l’on ne peut que suspecter un «
3417 ne peut que suspecter un « calvinisme » qui parle de l’Être suprême et paraît ignorer le Christ…) Tout cela ne m’empêchera
3418 gnorer le Christ…) Tout cela ne m’empêchera point de confesser un goût très vif pour le style de ce roman — seul comparabl
3419 point de confesser un goût très vif pour le style de ce roman — seul comparable à l’Astrée sous ce rapport — et une admira
3420 l en attribuant à l’auteur du roman les croyances de ses personnages. Si Rousseau fut le premier à décrire ces erreurs, c’
3421 qu’il en souffrit plus que d’autres et avec plus de résolution de s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conc
3422 frit plus que d’autres et avec plus de résolution de s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conclusions de l’œ
3423 e. Mais on néglige habituellement les conclusions de l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et de cer
3424 de l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et de certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesq
3425 ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et de certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesque. Il est visib
3426 ble que Rousseau, pas plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’est dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande
3427 plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’est dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie marié
3428 à la fin de sa vie, n’est dupe de la « religion » d’ amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie mariée (3e partie, lettr
3429 religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie mariée (3e partie, lettre XVIII), analysant le passé des amants
3430 ssé des amants : on ne saurait dépister avec plus de rigueur, quoique féminine, les confusions intéressées de l’Éros et de
3431 eur, quoique féminine, les confusions intéressées de l’Éros et de l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, q
3432 féminine, les confusions intéressées de l’Éros et de l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, quand on a une
3433 tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat »
3434 st de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’ attribuer au « climat » de la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xvi
3435 fois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat » de la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté d
3436 e, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté de contagion contre laquelle les conclusions de l’auteur ne pouvaient ri
3437 ulté de contagion contre laquelle les conclusions de l’auteur ne pouvaient rien. Et là, c’est bien le mythe qui reparaît,
3438 je ne t’aime plus ? Quel doute !… » Il s’effraye de l’équivoque du soupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte de
3439 oupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte de dépit à peine voilé : « J’ai pris pour toi des sentiments plus paisib
3440 les, il est vrai, mais plus affectueux et de plus de différentes espèces… Les douceurs de l’amitié tempèrent les emporteme
3441 x et de plus de différentes espèces… Les douceurs de l’amitié tempèrent les emportements de l’amour… » Le Tristan qui se r
3442 s douceurs de l’amitié tempèrent les emportements de l’amour… » Le Tristan qui se réveille en lui après la « faute » de la
3443 Tristan qui se réveille en lui après la « faute » de la possession, se passerait bien de ces douceurs paisibles… Lui aussi
3444 la « faute » de la possession, se passerait bien de ces douceurs paisibles… Lui aussi désirait brûler, et non pas rassasi
3445 er les obstacles les plus gratuits, les prétextes de séparation, les situations voluptueusement inextricables. D’où l’insi
3446 on, les situations voluptueusement inextricables. D’ où l’insistance pénible et, dès cette date, quelque peu excessive me s
3447 elque peu excessive me semble-t-il, sur la roture de Saint-Preux, laquelle est censée interdire toute possibilité d’union
3448 , laquelle est censée interdire toute possibilité d’ union légale. D’où encore l’assimilation du préjugé social et des exig
3449 ensée interdire toute possibilité d’union légale. D’ où encore l’assimilation du préjugé social et des exigences d’une vert
3450 l’assimilation du préjugé social et des exigences d’ une vertu déclarée religieuse par opportunité. Mais on distingue les m
3451 portunité. Mais on distingue les mobiles inavoués de la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi de courtoisie qui impos
3452 de la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi de courtoisie qui imposait la chasteté ; ici, c’est la coutume bourgeois
3453 c’est la coutume bourgeoise. Mais sous le couvert de l’une et de l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre
3454 tume bourgeoise. Mais sous le couvert de l’une et de l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre déjà citée
3455 vertu bourgeoise trop souvent invoquée. Et ainsi de suite : il serait aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse,
3456 vent invoquée. Et ainsi de suite : il serait aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse de Tr
3457 ropos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse de Tristan, notre dialectique de l’obstacle. Il y a pourtant cette diffé
3458 toute notre exégèse de Tristan, notre dialectique de l’obstacle. Il y a pourtant cette différence capitale que Rousseau ab
3459 ’âme sentimental — et non mystique146 —des amants de la Nouvelle Héloïse, que le romantisme va tâcher de rejoindre une mys
3460 la Nouvelle Héloïse, que le romantisme va tâcher de rejoindre une mystique primitive qu’il ignore, mais dont il redécouvr
3461 se dégrader, s’humaniser, s’analyser en éléments de moins en moins mystérieux ; enfin Racine l’abat, non sans avoir reçu
3462 reuse blessure. Et Don Juan bondit sur la scène : de Molière à Mozart, c’est la grande éclipse du mythe. Mais à partir du
3463 a grande éclipse du mythe. Mais à partir du roman de Rousseau, qui naît comme en marge du siècle, nous allons parcourir le
3464 min en sens inverse : par Werther, cette réplique d’ Héloïse mais qui finit beaucoup plus mal, — se rapprochant du modèle p
3465 ean-Paul, à Hölderlin, à Novalis. Dans la panique de la Révolution, de la Terreur, des guerres européennes, certains aveux
3466 lin, à Novalis. Dans la panique de la Révolution, de la Terreur, des guerres européennes, certains aveux deviennent possib
3467 ouffrances osent enfin dire leur nom. L’adoration de la Nuit et de la Mort accède pour la première fois au plan de la cons
3468 nt enfin dire leur nom. L’adoration de la Nuit et de la Mort accède pour la première fois au plan de la conscience lyrique
3469 t de la Mort accède pour la première fois au plan de la conscience lyrique. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement
3470 e. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement de l’Europe par une plus insidieuse tyrannie. Jusqu’au jour où Wagner, d
3471 dire l’indicible, elle a forcé le dernier mystère de Tristan. Mon propos n’est point de recenser les innombrables manifest
3472 ernier mystère de Tristan. Mon propos n’est point de recenser les innombrables manifestations du mythe dans nos littératur
3473 os littératures, surtout modernes, mais seulement de poser des jalons et de réduire certaines contradictions tout apparent
3474 t modernes, mais seulement de poser des jalons et de réduire certaines contradictions tout apparentes. On me pardonnera de
3475 contradictions tout apparentes. On me pardonnera de ne point multiplier les preuves de l’évidente renaissance du thème co
3476 me pardonnera de ne point multiplier les preuves de l’évidente renaissance du thème courtois — donc de l’amour réciproque
3477 e l’évidente renaissance du thème courtois — donc de l’amour réciproque malheureux — chez tous les romantiques allemands s
3478 ur nudité même, je sens trop bien qu’ils risquent de prendre figure d’arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fa
3479 sens trop bien qu’ils risquent de prendre figure d’ arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fait de leur trop pa
3480 uent de prendre figure d’arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fait de leur trop parfaite convenance à nos déf
3481 ents, à cet endroit de notre voyage, du seul fait de leur trop parfaite convenance à nos définitions du mythe…) Lettre de
3482 te convenance à nos définitions du mythe…) Lettre de Diotima à Hölderlin : Hier soir, j’ai longuement réfléchi sur la pas
3483 t réfléchi sur la passion. Sans doute, la passion de l’amour suprême ne trouve jamais son accomplissement ici-bas ! Compre
3484 ’autre et la foi dans la toute-puissante divinité de l’Amour qui à jamais nous guidera, invisible, et renforcera sans cess
3485 cera sans cesse notre union.148 Journal intime de Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m
3486 ime de Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [ de sa fiancée] la pensée m’est venue que ma mort donnerait à l’humanité
3487 nue que ma mort donnerait à l’humanité un exemple de fidélité éternelle, et qu’elle instaurerait, en quelque sorte, la pos
3488 le instaurerait, en quelque sorte, la possibilité d’ aimer comme je l’ai fait. Lorsqu’on fuit la douleur, c’est qu’on ne ve
3489 agement n’était pas pris pour ce monde… Maximes de Novalis : Toutes les passions finissent comme une tragédie, tout ce
3490 é finit par la mort, toute poésie a quelque chose de tragique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage
3491 plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit de noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut
3492 vivant, la mort est une nuit de noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut-être à l’amour comm
3493 eu n’a rien à faire avec la Nature, il est le but de la Nature, l’élément avec lequel elle doit un jour s’harmoniser. Nous
3494 jour s’harmoniser. Nous sommes des esprits émanés de Dieu, des germes divins. Un jour nous deviendrons ce que notre Père e
3495 ptiale ! Et l’on devrait citer toutes les œuvres de Tieck, définissant l’amour comme « une maladie du désir, une divine l
3496 du désir, une divine langueur »150… L’exaltation de la mort volontaire, amoureuse et divinisante, voilà le thème religieu
3497 nisante, voilà le thème religieux le plus profond de cette nouvelle hérésie albigeoise que fut le romantisme allemand. La
3498 d. La mort est le but idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible de Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Nov
3499 idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible de Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Novalis. Elle fut pour K
3500 pour Kleist « le seul accomplissement » possible d’ une « passion d’amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais
3501 e seul accomplissement » possible d’une « passion d’ amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais les poètes ne s
3502 ilosophe comme Schubert spécule sur le Nachtseite de l’existence. Fichte lui-même donne la définition de l’amour-par-essen
3503 l’existence. Fichte lui-même donne la définition de l’amour-par-essence-impossible, le vrai amour qui repousse tout objet
3504 r s’élancer à l’infini. C’est, dit-il, « le désir de quelque chose d’entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un
3505 nfini. C’est, dit-il, « le désir de quelque chose d’ entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un besoin, par un ma
3506 esoin, par un malaise, par un vide à la recherche de ce qui le comblerait, mais ignorant d’où cela peut venir… » Hoffmann
3507 recherche de ce qui le comblerait, mais ignorant d’ où cela peut venir… » Hoffmann ne dit pas autre chose lorsqu’il baptis
3508 claire sans consumer, toute la félicité ineffable de la vie supérieure, germée au plus secret de l’âme. L’esprit déploie m
3509 fable de la vie supérieure, germée au plus secret de l’âme. L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes de désir, tis
3510 L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes de désir, tisse son filet autour de celle qui est apparue, et elle est à
3511 st à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif de son aspiration est à jamais insatiable. C’est toute l’aventure des m
3512 elle hérésie passionnelle, la transgression rêvée de toutes limites, et le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent
3513 le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent de tous côtés et se rassemblent les éléments épars du mythe, que Wagner
3514 our le recréer dans une synthèse définitive. Rien d’ étonnant si le premier poème inspiré par le souvenir des cathares et d
3515 ier poème inspiré par le souvenir des cathares et de leur mystique fut composé par l’un des plus purs romantiques : c’est
3516 s purs romantiques : c’est l’épopée des albigeois de Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte de profession de fo
3517 Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte de profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et se
3518 y lire ces vers qui sont une sorte de profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle
3519 ces vers qui sont une sorte de profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle aussi,
3520 ieu ! ce cri puissant retentira Comme un tonnerre de joie à travers la nuit de printemps ! 16.Intériorisation du mythe
3521 ntira Comme un tonnerre de joie à travers la nuit de printemps ! 16.Intériorisation du mythe Le rythme intime du ro
3522 du romantisme allemand, la diastole et la systole de son cœur, c’est l’enthousiasme et la tristesse métaphysique. C’est la
3523 tesse métaphysique. C’est la dialectique abyssale de l’hérésie manichéenne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et d
3524 nne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et de la nuit en Jour. Le même élan qui portait l’âme vers la lumière et l’
3525 ière et l’unité divine, considéré du point de vue de ce monde n’est plus qu’un élan vers la mort, une séparation essentiel
3526 , une séparation essentielle. Tel est le tragique de l’Ironie transcendentale, ce mouvement perpétuel du romantisme, cette
3527 ours, l’endiosada des mystiques espagnols, la joy d’ amor dans son délire dionysiaque. Il en jaillit perpétuellement, au po
3528 . Il en jaillit perpétuellement, au point suprême de son élévation, des fantaisies extravagantes. Il y a une gaieté romant
3529 ntique, comme il y a un attendrissement : moments de détente, entre deux élancements contradictoires, retours au monde… C’
3530 ontradictoires, retours au monde… C’est ce moment de joie bizarre, né de l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romanti
3531 urs au monde… C’est ce moment de joie bizarre, né de l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romantisme français. Ici, l
3532 a trop vite au but. La France de la Révolution et de l’Empire n’a plus d’énergie disponible pour la spéculation spirituell
3533 a France de la Révolution et de l’Empire n’a plus d’ énergie disponible pour la spéculation spirituelle : elle n’a point de
3534 pour la spéculation spirituelle : elle n’a point de « religion nouvelle », point de philosophes romantiques151, peu ou po
3535  : elle n’a point de « religion nouvelle », point de philosophes romantiques151, peu ou point de métaphysique, et peu ou p
3536 point de philosophes romantiques151, peu ou point de métaphysique, et peu ou point de fantaisie, — cette surabondance de l
3537 51, peu ou point de métaphysique, et peu ou point de fantaisie, — cette surabondance de l’esprit exalté par son propre dra
3538 t peu ou point de fantaisie, — cette surabondance de l’esprit exalté par son propre drame. ⁂ Le romantisme en France n’aur
3539 omantisme en France n’aura guère débordé le champ de la psychologie individuelle. Il y gagne une lucidité qui le conduit p
3540 un vrai romantique. L’enthousiasme errant, fils de la pâle Nuit. Et la célèbre invocation : « Levez-vous vite, orages d
3541 désirés qui devez emporter René dans les espaces d’ une autre vie, » c’est le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il
3542 les espaces d’une autre vie, » c’est le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizo
3543 une autre vie, » c’est le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizon spirituel, n
3544 pur de la passion de la Nuit. Mais il n’est point d’ aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’amour au s
3545 t point d’aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jam
3546 tique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’ amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il
3547 spirituel, ni de véritable joie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il se refuse à l’ill
3548 is transcendé, il se refuse à l’illusion dernière d’ une libération cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse de sa tr
3549 on cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse de sa tristesse et de son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé,
3550 ombe, désenchanté, à l’analyse de sa tristesse et de son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même t
3551 Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même tenté de dire : trop rigoureux… Auprès de lui, Jean-Paul et Novalis feront tou
3552 lui, Jean-Paul et Novalis feront toujours figure d’ adolescents. Le goût de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur
3553 lis feront toujours figure d’adolescents. Le goût de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur de vivre : c’est peut-ê
3554 de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur de vivre : c’est peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré de la ré
3555 st peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré de la réalité de son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux form
3556 u’il est plus « naïf », plus assuré de la réalité de son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux formes désirables
3557 les se reprendre sans cesse aux formes désirables de la terre, oublier, plaisanter follement, tout ardents de curiosité ;
3558 erre, oublier, plaisanter follement, tout ardents de curiosité ; d’une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le rom
3559 plaisanter follement, tout ardents de curiosité ; d’ une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le romantique françai
3560 52. René s’amuse un jour à effeuiller une branche de saule sur un ruisseau, attachant une idée à chaque feuille que le cou
3561 s’intéresse aux accidents qui menacent les débris de son rameau… On croit lire un poète allemand, on va retrouver la riche
3562 e et se juge ridicule : « Voilà donc à quel degré de puérilité notre superbe raison peut descendre ! » Et c’est la « super
3563 n des hommes attachent leur destinée à des choses d’ aussi peu de valeur que mes feuilles de saule. » (Le reste de la page,
3564 des choses d’aussi peu de valeur que mes feuilles de saule. » (Le reste de la page, admirable, jusqu’aux fameux orages dés
3565 de valeur que mes feuilles de saule. » (Le reste de la page, admirable, jusqu’aux fameux orages désirés)153. ⁂ « Pour ces
3566 l’amour ne sera pas longtemps félicité ineffable de la vie supérieure » dont parle E. T. A. Hoffmann ; mais plutôt cet am
3567 aciturne et toujours menacé » des plus beaux vers de Vigny. Cette absence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes de l
3568 acé » des plus beaux vers de Vigny. Cette absence d’ intérêt naïf pour les formes quotidiennes de la vie facilitera le déta
3569 sence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes de la vie facilitera le détachement de l’esprit, la purification abstrai
3570 quotidiennes de la vie facilitera le détachement de l’esprit, la purification abstraite du sentiment. Les êtres et les ch
3571 percés par un regard désabusé, cesseront bientôt d’ être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieu
3572 d’être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieures, deviendra ce qu’il est en son principe : une
3573 ené ; il reste encore des désirs et l’on n’a plus d’ illusions… On habite avec un cœur plein, un monde vide. » Alors la fem
3574 , un monde vide. » Alors la femme elle-même cesse d’ être le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Oberm
3575 e elle-même cesse d’être le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Obermann de Sénancour, l’« obstacle »
3576 Iseut pour elle-même, mais seulement pour l’amour de l’Amour dont sa beauté lui offrait une image. Lui pourtant l’ignorait
3577 ame se passe en eux, entre les lois inacceptables de la vie terrestre et finie, et le désir d’une transgression de nos lim
3578 ptables de la vie terrestre et finie, et le désir d’ une transgression de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares son
3579 rrestre et finie, et le désir d’une transgression de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares sont toutefois les roma
3580 , exacte, et plus proche qu’on ne pourrait croire de la mystique négative. La plupart reviendront aux illusions de l’amour
3581 ue négative. La plupart reviendront aux illusions de l’amour humain, sans retrouver pourtant la forte naïveté du mythe. Il
3582 ir social, ou la vertu, ou le secret mélancolique de l’amant ou quelque scrupule religieux, enfin le narcissisme avoué… In
3583 rdissent, et que tout élément « sacré » disparaît de la vie sociale. 17.Stendhal, ou le fiasco du sublime Homme du x
3584 dhal nous offre un exemple parfait pour l’analyse de la profanation du mythe. Voici un homme que le besoin de la passion t
3585 rofanation du mythe. Voici un homme que le besoin de la passion tourmente : il a découvert dans son « âme », c’est-à-dire
3586 mer passionnément, ce serait vivre ! Il s’imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève de la nature physique. (Et il
3587 imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève de la nature physique. (Et il a même là-dessus sa petite explication mat
3588 te du mythe dans son esprit, une habitude héritée de la culture, et spécialement de la littérature, puisque mystique et re
3589 e habitude héritée de la culture, et spécialement de la littérature, puisque mystique et religion, pour lui, sont mortes.
3590 ligion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé de constater que ce désir de passion, et la passion elle-même dans le mo
3591 tes. Mais il est obligé de constater que ce désir de passion, et la passion elle-même dans le monde où il vit, sont condam
3592 mnés par la raison et par le scepticisme général. D’ où le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin ; d’où son fameux tr
3593 scepticisme général. D’où le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin ; d’où son fameux traité De l’Amour. Aux première
3594 le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin ; d’ où son fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes de la préface, v
3595 e de justifier ce besoin ; d’où son fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes de la préface, vous le sentez en pleine
3596 on fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes de la préface, vous le sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite d
3597 e sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite de l’amour, ce petit volume n’est point un roman, et surtout n’est pas a
3598 ut uniment une description exacte et scientifique d’ une sorte de folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie
3599 ne description exacte et scientifique d’une sorte de folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie : l’amour-p
3600 assion, l’amour-goût, l’amour physique et l’amour de vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie
3601 de vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie de la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que
3602 eul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie de la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que j’appelle cristallisati
3603 que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’obje
3604 llisation, c’est l’opération de l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles
3605 qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel de Salzburg, lorsqu’o
3606 imé a de nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel de Salzburg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on le
3607 e nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel de Salzburg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on le retrou
3608 profonde, on le retrouve trois mois après « garni d’ une infinité de diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, d
3609 retrouve trois mois après « garni d’une infinité de diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, dans cette théor
3610 ement. Et pourquoi cela ? Parce que l’on a besoin d’ aimer, et qu’on ne peut aimer que la beauté. Disons plus simplement qu
3611 mier154 que cette célèbre théorie revient à faire de l’amour passionné une simple erreur. « Non point que la passion se tr
3612 ur… Le cas Stendhal n’est pas douteux : il s’agit d’ un homme qui n’aimait pas réellement, et qui surtout ne fut pas réelle
3613 voit amené à définir l’amour comme « une maladie de l’esprit » — dans la pure tradition antique, sauf qu’il s’affirme heu
3614 e tradition antique, sauf qu’il s’affirme heureux d’ être malade. Le voici donc dans la situation d’un médecin qui étudie s
3615 ux d’être malade. Le voici donc dans la situation d’ un médecin qui étudie sur lui-même les progrès et les singularités d’u
3616 udie sur lui-même les progrès et les singularités d’ un mal qu’il ne croit pas mortel155. Une chose me frappe : sa descript
3617 ne chose me frappe : sa description est admirable de vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalem
3618 rappe : sa description est admirable de vivacité, d’ exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalement pessimist
3619 est admirable de vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalement pessimiste — puisque aussi bien
3620 alement pessimiste — puisque aussi bien il s’agit d’ une erreur et dont il se désole d’être tiré. D’où peut provenir ce pes
3621 bien il s’agit d’une erreur et dont il se désole d’ être tiré. D’où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conce
3622 it d’une erreur et dont il se désole d’être tiré. D’ où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conception de la v
3623 nir ce pessimisme incompatible avec la conception de la vie qu’il s’était faite ? C’est la question qu’il ne se pose jamai
3624 en : « Le plaisir ne produit pas la moitié autant d’ impression que la douleur, ensuite, outre ce désagrément dans la quant
3625 r, ensuite, outre ce désagrément dans la quantité d’ émotion, la sympathie est au moins la moitié moins excitée par la pein
3626 excitée par la peinture du bonheur que par celle de l’infortune. » Et encore : « Une âme faite pour les passions sent d’a
3627 Un Grec ressuscité ne s’en étonnerait pas moins. D’ où nous viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne sont-ils pas
3628 ne se pose pas la question, n’étant pas en mesure de la résoudre. En matérialiste grossier — c’est la bonne espèce, la plu
3629 rime simplement tout problème, grâce à sa théorie de la cristallisation, donc de l’erreur. Ce qui explique la passion, à s
3630 e, grâce à sa théorie de la cristallisation, donc de l’erreur. Ce qui explique la passion, à son avis, c’est une erreur fa
3631 ène, dit-il, vient de la nature qui nous commande d’ avoir du plaisir et qui nous envoie le sang au cerveau. » Voilà donc l
3632 n amour qui, loin de se tromper, est seul capable de découvrir dans l’être aimé les qualités réelles qui s’y cachent. De p
3633 i s’y cachent. De plus, n’est-ce point là le type d’ une solution verbale ? Car dire que la passion est une erreur — elle l
3634 erreur. L’instinct ou la nature n’ont pas coutume de se tromper de la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’
3635 inct ou la nature n’ont pas coutume de se tromper de la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’esprit. La vér
3636 la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’esprit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime d’un phénomène
3637 rit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime d’ un phénomène spirituel que ses croyances matérialistes ne sont plus en
3638 es croyances matérialistes ne sont plus en mesure de justifier. Victime heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher d
3639 heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher de pousser plus avant son enquête. Qu’est-ce que ce livre qu’il nous lai
3640 ce que ce livre qu’il nous laisse ? Le témoignage d’ une inquiétude qu’éprouve l’esprit lucide devant le mythe : non qu’il
3641 en Provence au xiie siècle, et reproduit le code d’ amour courtois en appendice. (Raynouard et Fauriel venaient de provoqu
3642 t conduite entre les deux sexes sur les principes de la justice… » Il finira, bien entendu, par les citer, ces anecdotes.
3643 seule qui remplis toute mon âme, suprême volupté d’ amour ! L’homme qui a écrit cela (dans Tristan et Isolde) savait que
3644 l’erreur : qu’elle est une décision fondamentale de l’être, un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d
3645 n faveur de la Mort, si la Mort est la libération d’ un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celle
3646 tion d’un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur
3647 onné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale mépri
3648 elles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’ une totale méprise, organisée et entretenue par une sorte de consensus
3649 le méprise, organisée et entretenue par une sorte de consensus social, d’aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À
3650 et entretenue par une sorte de consensus social, d’ aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À force de l’entendre
3651 es, voilà qui est significatif au plus haut point de la nécessité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense d’une socié
3652 nt de la nécessité sociale des mythes. (Mensonges d’ autodéfense d’une société qui veut sauver sa forme, tandis que les ind
3653 sité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense d’ une société qui veut sauver sa forme, tandis que les individus qui la
3654 composent se prêtent obscurément, sous le couvert d’ un refus, aux passions qui tendent à sa perte). En composant Tristan,
3655 tabou : il a tout dit, tout avoué par les paroles de son livret, et plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit de la
3656 t plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit de la dissolution des formes et des êtres, la libération du désir, l’ana
3657 pusculaire, immensément plaintive et bienheureuse de l’âme sauvée par la blessure mortelle du corps. Mais le sens maléfiqu
3658 lessure mortelle du corps. Mais le sens maléfique de ce message, il fallait le nier pour pouvoir l’accueillir, il fallait
3659 l fallait à tout prix le travestir, l’interpréter d’ une manière tolérable, c’est-à-dire au nom du bon sens. Du mystère bou
3660 -dire au nom du bon sens. Du mystère bouleversant de la Nuit et de la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation 
3661 u bon sens. Du mystère bouleversant de la Nuit et de la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation » d’un pauvre
3662 ruction des corps, l’on a fait la « sublimation » d’ un pauvre secret du plein jour l’attrait des sexes, la loi tout animal
3663 t et complètement ne saurait d’ailleurs témoigner d’ une vitalité sociale exceptionnelle : c’est plutôt la frivolité du pub
3664 ourd, et pour tout dire sa faculté exceptionnelle de ne pas entendre ce qu’on lui chante, qui ont facilité l’opération. Ai
3665 onde du jour : haine, orgueil et violence barbare de l’honneur féodal, jusqu’au crime. Isolde veut venger l’affront subi.
3666 re à Tristan est destiné à le faire mourir : mais d’ une mort que l’Amour condamne, d’une mort selon les lois du jour et de
3667 re mourir : mais d’une mort que l’Amour condamne, d’ une mort selon les lois du jour et de la vengeance, brutale, accidente
3668 ur condamne, d’une mort selon les lois du jour et de la vengeance, brutale, accidentelle, privée de sens mystique. Or la M
3669 et de la vengeance, brutale, accidentelle, privée de sens mystique. Or la Minne suprême inspire à Brangaene l’erreur qui d
3670 aene l’erreur qui doit sauver l’Amour. Au philtre de mort, elle substitue le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte uniqu
3671 r. Au philtre de mort, elle substitue le breuvage d’ initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et d’Isolde, aussitôt q
3672 le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et d’Isolde, aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique d
3673 initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et d’ Isolde, aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique du sacrement ca
3674 rs cœurs. Les initiés pénètrent au monde nocturne de l’extase libératrice. Et le jour qui revient avec le cortège royal et
3675 , le jour ne pourra plus les ressaisir : au terme de l’épreuve qu’il va leur imposer — c’est la passion — ils ont déjà pre
3676 autre mort, celle qui est le seul accomplissement de leur amour. Le deuxième acte est le chant de la passion des âmes pris
3677 ment de leur amour. Le deuxième acte est le chant de la passion des âmes prisonnières des formes. Tous les obstacles surmo
3678 surmontés, quand les amants sont seuls enveloppés de ténèbres, c’est le désir charnel qui les sépare encore. Ils sont ense
3679 ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et de Tristan « et » Isolde qui signifie leur dualité créée. À ce moment la
3680 seule peut exprimer la certitude et la substance de cette double nostalgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir d
3681 rtitude et la substance de cette double nostalgie d’ être un. Car seule elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de
3682 lgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir d’ harmoniser la plainte de deux voix, et d’en faire une plainte unique o
3683 e elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de deux voix, et d’en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité
3684 pouvoir d’harmoniser la plainte de deux voix, et d’ en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité d’un indicible au
3685 faire une plainte unique où déjà vibre la réalité d’ un indicible au-delà d’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du du
3686 e où déjà vibre la réalité d’un indicible au-delà d’ espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celu
3687 ’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’ amour est déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le
3688 urquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le traître Mélot156 blesse
3689 aincu, elle vole au jour son apparente victoire : de cette blessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage de la suprêm
3690 lessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage de la suprême guérison, celle que chantera Isolde agonisante sur le cada
3691 lle que chantera Isolde agonisante sur le cadavre de Tristan, dans l’extase de la « joie la plus haute ». Initiation, pass
3692 onisante sur le cadavre de Tristan, dans l’extase de la « joie la plus haute ». Initiation, passion, accomplissement morte
3693 asquée dans les légendes médiévales par une foule d’ éléments épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme d’art que Wagne
3694 nts épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme d’ art que Wagner a choisie n’est pas sans recréer des possibilités de « 
3695 a choisie n’est pas sans recréer des possibilités de « méprise ». Il fallait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui ti
3696 mythe. De même que le péché du premier homme, et de chaque homme, introduit dans le monde le temps ; de même que la faute
3697 e la faute des amants légendaires contre les lois de l’amour chaste transforme l’hymne des troubadours en un roman157 — ai
3698 Mais le drame ne peut pas tout dire, la religion de la passion étant « essentiellement lyrique ». Dès lors la musique seu
3699 lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable d’ exprimer la dialectique transcendentale, le caractère éperdument contr
3700 ractère éperdument contradictoire, contrapuntique de la passion de la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition
3701 ment contradictoire, contrapuntique de la passion de la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition même de la mu
3702 ui est l’appel au Jour incréé. La définition même de la musique occidentale, c’est l’accord émouvant des contraires ; en t
3703 ; en termes de l’art : le contrepoint. Expression d’ un dualisme douloureux, permanent au niveau de la vie, mais qui s’évan
3704 is qui s’évanouit dans la grâce lumineuse au-delà de la mort physique. Or le drame achevé par la musique, c’est l’opéra. A
3705 péra. Ainsi, ce n’est point un hasard si le mythe de Tristan et celui de Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevé
3706 t point un hasard si le mythe de Tristan et celui de Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevée que dans la forme
3707 ecevoir leur expression achevée que dans la forme de l’opéra. Si Mozart et Wagner nous ont donné les chefs-d’œuvre du dram
3708 musical, c’est en vertu de l’affinité originelle de ce mode d’expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique
3709 ’est en vertu de l’affinité originelle de ce mode d’ expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique seule peut
3710 surent choisir. La musique seule peut bien parler de la tragédie, dont elle est la mère et la fille Toutefois, dans le cas
3711 le est la mère et la fille Toutefois, dans le cas de Tristan, l’élément plastique inhérent à toute mise en scène théâtrale
3712 « jour », contredisent fatalement le sens profond de l’action. Tant qu’on regarde la scène, on est victime de l’illusion d
3713 tion. Tant qu’on regarde la scène, on est victime de l’illusion des formes — et des plus ridicules. Il n’y a là, « visible
3714 ire ! L’orchestre décrit largement les dimensions d’ une tragédie tout intérieure. La morbidesse bouleversante des mélodies
3715 nière et impure langueur dans l’âme qui se guérit de vivre. Seule la lumière douloureuse du troisième acte — l’obsession j
3716 fiévreux — peut traduire à ma vue le sens profond de l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel, de trop
3717 e l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a d’ artificiel, de trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt,
3718 mants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel, de trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt, et que déjà l’
3719 puscule vainement exalté. ⁂ Un second lieu commun de la critique — d’ailleurs absolument contradictoire avec celui qui fai
3720 absolument contradictoire avec celui qui faisait de Tristan la glorification du désir sensuel — c’est le rappel de l’infl
3721 glorification du désir sensuel — c’est le rappel de l’influence de Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Ni
3722 du désir sensuel — c’est le rappel de l’influence de Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Nietzsche, et Wag
3723 e influence est fortement surestimée. Un créateur de la taille de Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait tr
3724 st fortement surestimée. Un créateur de la taille de Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait trouvé chez Sch
3725 minations, voilà sans doute ce qu’il faut retenir de la rencontre, et ce n’est pas d’un immense intérêt. L’ascèse, la néga
3726 ’il faut retenir de la rencontre, et ce n’est pas d’ un immense intérêt. L’ascèse, la négation du monde créé, l’identificat
3727 cèse, la négation du monde créé, l’identification de l’attrait sexuel avec le vouloir-vivre obscurcissant la connaissance,
3728 issance, toute cette mystique que l’on s’empresse de qualifier de bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parc
3729 e cette mystique que l’on s’empresse de qualifier de bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parce qu’il la po
3730 oles des minnesänger, dans la légende manichéenne de Parzival, et par-dessous l’imagerie chrétienne, dans le Saint-Graal,
3731 rre sacrée des Iraniens et des cathares, la coupe de Gwyon159, divinité celtique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu
3732 eltique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu de la légende, dans sa virulence intégrale, ce n’est point là une thèse
3733 largement déclarée par la musique et les paroles de l’opéra. Par l’opéra, le mythe connaît son achèvement. Mais ce « term
3734 es — comme presque tous les termes du vocabulaire de l’existence, décrivant l’être en situation d’agir, non les objets. Ac
3735 ire de l’existence, décrivant l’être en situation d’ agir, non les objets. Achèvement désigne l’expression totale d’un être
3736 es objets. Achèvement désigne l’expression totale d’ un être, d’un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort.
3737 Achèvement désigne l’expression totale d’un être, d’ un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le my
3738 igne l’expression totale d’un être, d’un mythe ou d’ une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le mythe « achevé »
3739 r Wagner a vécu. Vixit Tristan ! Et s’ouvre l’ère de ses fantômes. 19.Vulgarisation du mythe Il y eut la voie poétiq
3740 jeunes Parques, des apparences à peine féminines de fuites — comme on dit que l’eau fuit d’un bassin : fissures dans le r
3741 féminines de fuites — comme on dit que l’eau fuit d’ un bassin : fissures dans le réel, fuites de rêves. C’est la tradition
3742 fuit d’un bassin : fissures dans le réel, fuites de rêves. C’est la tradition alanguie, intellectualisée, sophistiquée. V
3743 passer les belles autos, et s’indigner des excès de vitesse. Le Lys dans la Vallée, Adolphe, Dominique, Madame Bovary, T
3744 ovary, Thérèse Raquin, La Porte étroite, Un amour de Swann : étapes françaises de la dissociation psychologique, de la dég
3745 te étroite, Un amour de Swann : étapes françaises de la dissociation psychologique, de la dégradation de « l’obstacle » ex
3746 apes françaises de la dissociation psychologique, de la dégradation de « l’obstacle » extérieure, et de la reconnaissance
3747 la dissociation psychologique, de la dégradation de « l’obstacle » extérieure, et de la reconnaissance lucide — par là mê
3748 e la dégradation de « l’obstacle » extérieure, et de la reconnaissance lucide — par là même, antiromanesque — de sa nature
3749 nnaissance lucide — par là même, antiromanesque — de sa nature purement intime et subjective. (Religieuse dans le cas de G
3750 ent intime et subjective. (Religieuse dans le cas de Gide, quasi physiologique dans celui de Proust.) Parallèlement, il co
3751 ns le cas de Gide, quasi physiologique dans celui de Proust.) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe de la Mort d
3752 dans celui de Proust.) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de
3753 ) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karéni
3754 ment, il convient de citer le Triomphe de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et pres
3755 t, il convient de citer le Triomphe de la Mort de d’ Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et presque
3756 de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et presque tous les grands romans de l’ère vi
3757 Anna Karénine, et presque tous les grands romans de l’ère victorienne, et surtout Tess des d’Urberville et Jude l’Obscur 
3758 romans de l’ère victorienne, et surtout Tess des d’ Urberville et Jude l’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants
3759 rtout Tess des d’Urberville et Jude l’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants d’un Charles Morgan. ⁂ Mais les che
3760 ’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants d’ un Charles Morgan. ⁂ Mais les chefs-d’œuvre, désormais, nous en appren
3761 descente du mythe dans les mœurs, que les romans de série, le théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique de notre
3762 théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique de notre époque est diffus dans la médiocrité. Le vrai sérieux dès lors,
3763 plique la connaissance, le rejet ou l’acceptation de ce qui meut ou émeut les masses, et de l’anonymat des grands courants
3764 cceptation de ce qui meut ou émeut les masses, et de l’anonymat des grands courants qui roulent les individus détachés ave
3765 ’esprit répugne encore à mesurer. L’envahissement de nos littératures, tant bourgeoises que « prolétariennes », par le rom
3766 que « prolétariennes », par le roman, et le roman d’ amour s’entend, traduit exactement l’envahissement de notre conscience
3767 mour s’entend, traduit exactement l’envahissement de notre conscience par le contenu totalement profané du mythe. Celui-ci
3768 ement profané du mythe. Celui-ci cesse d’ailleurs d’ être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et q
3769 rs d’être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et que le secret mystique qu’il exprimait en le voi
3770 des romantiques devient alors la vague obsession de luxe et d’aventures exotiques que les romans d’un Dekobra suffisent à
3771 iques devient alors la vague obsession de luxe et d’ aventures exotiques que les romans d’un Dekobra suffisent à satisfaire
3772 n de luxe et d’aventures exotiques que les romans d’ un Dekobra suffisent à satisfaire symboliquement. Que cela n’ait plus
3773 symboliquement. Que cela n’ait plus aucune espèce de sens valable il suffit pour s’en assurer d’imaginer l’impuissance abs
3774 spèce de sens valable il suffit pour s’en assurer d’ imaginer l’impuissance absolue où se trouvent les clients de cette lit
3775 l’impuissance absolue où se trouvent les clients de cette littérature à concevoir une réalité mystique, une ascèse, un ef
3776 evoir une réalité mystique, une ascèse, un effort de l’esprit pour s’affranchir des liens sensuels : or la passion courtoi
3777 ns sensuels : or la passion courtoise n’avait pas d’ autre but, et son langage n’avait pas d’autre clé. Perdus et oubliés c
3778 avait pas d’autre but, et son langage n’avait pas d’ autre clé. Perdus et oubliés cette clé et ce but, la passion dont le b
3779 revient nous tourmenter n’est plus qu’une maladie de l’instinct, rarement mortelle, régulièrement toxique et déprimante, t
3780 ussi dégradée et dégradante, par rapport au mythe de Tristan, que le serait par exemple l’alcoolisme par rapport à l’ivres
3781 taient les mystiques arabes. L’exemple du théâtre d’ avant-guerre détient une signification plus riche pour notre objet. La
3782 et. La bourgeoisie du Second Empire eut le mérite de faire une dernière tentative pour régulariser dans son cadre social l
3783 er dans son cadre social l’influence anarchisante de la passion. Car celle-ci survivait à toute mystique, par la grâce équ
3784 ns une certaine jeunesse tout au moins, le besoin d’ une brûlure nostalgique ; et tout cela composait une sorte de complexe
3785 re nostalgique ; et tout cela composait une sorte de complexe que l’on prenait pour la « nature » elle-même, bien qu’il ne
3786 psychologique, voire physiologique. La tentative de normalisation bourgeoise de la passion, visant à recréer une expressi
3787 logique. La tentative de normalisation bourgeoise de la passion, visant à recréer une expression conventionnelle, donc adm
3788 dmissible par l’ordre social, — ce fut le théâtre de Dumas à Bataille. La fameuse « pièce à trois personnages », modèle de
3789 La fameuse « pièce à trois personnages », modèle de presque tous les auteurs dramatiques d’avant-guerre, c’est simplement
3790 », modèle de presque tous les auteurs dramatiques d’ avant-guerre, c’est simplement l’adaptation du mythe de Tristan à la m
3791 nt-guerre, c’est simplement l’adaptation du mythe de Tristan à la mesure d’une société moderne. Le roi Marc est devenu le
3792 ment l’adaptation du mythe de Tristan à la mesure d’ une société moderne. Le roi Marc est devenu le Cocu ; Tristan, le jeun
3793 Iseut, l’épouse insatisfaite, oisive et lectrice de romans. Ici encore, deux morales s’affrontent. Les barons félons de l
3794 ore, deux morales s’affrontent. Les barons félons de la légende sont figurés par les tenants de la morale « conformiste ».
3795 félons de la légende sont figurés par les tenants de la morale « conformiste ». Ils défendent le mariage bourgeois, l’héri
3796 contraire triomphe régulièrement — fût-ce au prix d’ un coup de pistolet. C’est la morale du romantisme, des droits impresc
3797 morale du romantisme, des droits imprescriptibles de l’amour, et elle implique la supériorité « spirituelle » de la maître
3798 , et elle implique la supériorité « spirituelle » de la maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi de la responsabili
3799 a maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi de la responsabilité, on lui donne le nom romantique de « fatalité de la
3800 la responsabilité, on lui donne le nom romantique de « fatalité de la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas t
3801 ité, on lui donne le nom romantique de « fatalité de la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort de l’assim
3802 n ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort de l’assimiler à la « littérature » en général, terme de mépris vouant à
3803 ’assimiler à la « littérature » en général, terme de mépris vouant à une exécration globale les « tendances dissolvantes »
3804 impossibles ». Bientôt, l’on n’essaiera plus même de nier la complaisance que réclame de ses propres victimes l’élaboratio
3805 era plus même de nier la complaisance que réclame de ses propres victimes l’élaboration du vieux philtre. Elle est minutie
3806 ue dans ses ruses inconscientes, en des centaines de pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour de Swann.) Littératu
3807 pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour de Swann.) Littérature bourgeoise ai-je dit : ses conclusions régulièrem
3808 ulièrement antibourgeoises font partie intégrante de l’ordre social établi. L’instinct de conservation rend en effet cet o
3809 e intégrante de l’ordre social établi. L’instinct de conservation rend en effet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui fei
3810 ffet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui feint de le renier, mais qui en vit. Le calcul est très simple, et bien entend
3811 n rêveries voluptueuses les tendances subversives de l’esprit. La morale du mariage en souffre évidemment, mais cela n’est
3812 ariage en souffre évidemment, mais cela n’est pas d’ une gravité urgente, puisqu’on sait bien que l’institution matrimonial
3813 qui entraînent une dilapidation du « patrimoine » de la famille. (Patrimoine ne signifiant plus que fortune et propriétés)
3814 plus que fortune et propriétés). ⁂ Cette volonté de jouir du mythe mais sans le payer trop cher, on la voit s’exprimer en
3815 riques que le film américain des premières années de l’après-guerre. C’était l’époque du happy end : tout devait aboutir a
3816 tout devait aboutir au long baiser final sur fond de roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sa
3817 aboutir au long baiser final sur fond de roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sans relations
3818 e roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sans relations intimes avec le mythe au dernier stade
3819 relations intimes avec le mythe au dernier stade de sa déchéance. Elle exprime à la perfection la synthèse idéale de deux
3820 . Elle exprime à la perfection la synthèse idéale de deux désirs contradictoires : désir que rien ne s’arrange et désir qu
3821 ovient précisément du fait qu’il libère le public de ses contradictions intimes. En effet : point de roman sans obstacles.
3822 c de ses contradictions intimes. En effet : point de roman sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci d’une invrais
3823 sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci d’ une invraisemblance que le désir de romantisme rend insensible. Ainsi,
3824 nc, sans souci d’une invraisemblance que le désir de romantisme rend insensible. Ainsi, pendant une heure ou deux le roman
3825 , dès que cela nous devient clair. Il s’agit donc de supprimer l’obstacle à temps, ce qui amène par définition la fin du r
3826 in du roman et du film : « et ils eurent beaucoup d’ enfants » signifie qu’il n’y a plus rien à raconter ; ou bien c’est le
3827 os plan, bouchant l’écran et refermant la fenêtre de l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera de donner à cette fin une
3828 tre de l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera de donner à cette fin une atmosphère « poétique » qui dissimule le passa
3829 lus qu’une nostalgie assez vulgaire, idéalisation de désirs anodins, d’ailleurs ramenés vers la jouissance des choses, c’e
3830 c l’instinct qu’elle excitait par sa volonté même de le nier. L’ambiguïté du langage mystique de l’hérésie devait faire na
3831 même de le nier. L’ambiguïté du langage mystique de l’hérésie devait faire naître, dès le xiiie siècle, une rhétorique p
3832 tre, dès le xiiie siècle, une rhétorique profane de la passion. Et c’est la diffusion de ce langage par la littérature ro
3833 ique profane de la passion. Et c’est la diffusion de ce langage par la littérature romanesque qui aboutit, au cours du der
3834 t des rôles : l’instinct devenant le vrai support d’ une rhétorique dont les figures lui prêtent désormais un semblant d’id
3835 ont les figures lui prêtent désormais un semblant d’ idéalité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose de Guillaume de
3836 ité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose de Guillaume de Lorris répond la rose de Jean de Meung, comme à la rhéto
3837 e à la rose de Guillaume de Lorris répond la rose de Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline de Pétrarque s’oppos
3838 Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline de Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle de Boccace, le romantis
3839 de Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle de Boccace, le romantisme a provoqué de nos jours une révolte qui se veu
3840 ie sensuelle de Boccace, le romantisme a provoqué de nos jours une révolte qui se veut « primitive ». Ce n’est plus « le s
3841 ue nous disent ces hommes : « Nous en avons assez de souffrir pour des idées, des idéaux, des petites hypocrisies idéalisé
3842 lles personne ne sait plus croire. Vous avez fait de la femme une espèce de divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos
3843 lus croire. Vous avez fait de la femme une espèce de divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos femmes fatales, et vos
3844 et vos femmes adultères, et vos femmes desséchées de vertu, nous ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos « d
3845 femmes desséchées de vertu, nous ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme est d’abord u
3846 us ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme est d’abord une femelle. Nous la ferons se
3847 rit. Et la grande innocence bestiale nous guérira de votre goût du péché, cette maladie de l’instinct génésique. Ce que vo
3848 ous guérira de votre goût du péché, cette maladie de l’instinct génésique. Ce que vous appelez morale, c’est ce qui nous r
3849 ui est la Vie. Et la vie, c’est l’instinct libéré de l’esprit, la grande puissance solaire qui broie et magnifie l’individ
3850 idu fécond, la belle brute déchaînée, etc. » L’un de ces prophètes est allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de v
3851 st allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de vitalité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique de la « Vie » a pu
3852 italité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique de la « Vie » a pu donner naissance à de belles œuvres littéraires. Mais
3853 le mystique de la « Vie » a pu donner naissance à de belles œuvres littéraires. Mais elle porte un nom « politique ». Je l
3854 ve, étrangement identique, aux origines profondes d’ un mouvement que nous n’avons plus à étudier ni à convaincre. Disons p
3855 xtes économiques ou doctrinaux qui lui ont permis de s’emparer du pouvoir). C’est une négation de l’au-delà dont le but n’
3856 rmis de s’emparer du pouvoir). C’est une négation de l’au-delà dont le but n’est pas de supprimer les dieux mais de s’empa
3857 t une négation de l’au-delà dont le but n’est pas de supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divinisant l
3858 dont le but n’est pas de supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divinisant l’ici-bas. Perdre sa personna
3859 ’est pas de supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divinisant l’ici-bas. Perdre sa personnalité morale e
3860 lité morale et se retremper dans le flux cosmique de l’instinct, c’est l’idéal de nos poètes du primitivisme solaire, mais
3861 ans le flux cosmique de l’instinct, c’est l’idéal de nos poètes du primitivisme solaire, mais la pratique de cette croyanc
3862 poètes du primitivisme solaire, mais la pratique de cette croyance n’est pas de nature à nous tromper un seul instant : i
3863 ire, mais la pratique de cette croyance n’est pas de nature à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « belles » br
3864 ure à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « belles » brutes, il y a des brutes. L’idée de beauté, qu’un Lawrenc
3865 s de « belles » brutes, il y a des brutes. L’idée de beauté, qu’un Lawrence croit encore consistante, c’est l’héritage d’u
3866 wrence croit encore consistante, c’est l’héritage d’ une époque en faillite — une dette que plus personne, là-bas, n’est di
3867 là-bas, n’est disposé à reconnaître. On n’a plus de comptes à rendre à cet « esprit » platonicien. Il était cause de tout
3868 ndre à cet « esprit » platonicien. Il était cause de toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est clair. Ma
3869 était cause de toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins
3870 » — l’on prétend s’enfoncer dans le flot primitif de l’instinct, dans le larvaire, dans le non-fait, dans l’« infait », c’
3871 dans l’infect, l’on croit retrouver l’authentique de la vie, et l’on ne fait pourtant que s’abandonner au torrent des déch
3872 pourtant que s’abandonner au torrent des déchets de l’ancienne culture et de ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a plu
3873 r au torrent des déchets de l’ancienne culture et de ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujourd
3874 désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’ aujourd’hui, d’authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, d
3875 est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujourd’hui, d’ authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon d
3876 ive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon de notre siècle, ce que l’Église appelle péché originel, cela désigne la
3877 dessous de nos morales, ce n’est pas nous libérer de leurs interdictions, mais nous livrer à une folie qui répugnerait aux
3878 t pas revenir au réel, mais s’égarer dans la zone de terreur et dans les terrains vagues où se sont déversés tous les rebu
3879 rrains vagues où se sont déversés tous les rebuts d’ une civilisation intoxiquée. L’« authentique » dont le désir nous obsè
3880 pourrons pas le retrouver. Il n’est pas au terme d’ un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la ch
3881 e retrouver. Il n’est pas au terme d’un mouvement d’ abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’est p
3882 d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être recréé pa
3883 r à la sobriété. Agir, ce n’est pas s’évader hors d’ un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce corps gênant. Mais c
3884 conditions qui nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus e
3885 nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus en détruisant ma
3886 flit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus en détruisant mais en mariant les deux puissan
3887 nces antagonistes. Que l’esprit vienne au secours de la chair et retrouve en elle son appui, et que la chair se soumette à
3888 tel, Éros vital — l’un appelle l’autre, et chacun d’ eux n’a pour fin véritable et pour terminaison réelle que l’autre, qu’
3889 ait détruire ! À l’infini, jusqu’à la consomption de toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se p
3890 l’infini, jusqu’à la consomption de toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se prend pour son di
3891 e prend pour son dieu. Voilà le mouvement dernier de la passion, dont l’exaspération s’appelle la guerre. 21.La passion
3892 passion dans tous les domaines Le mythe sacré de l’amour courtois, au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale d’o
3893 , au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale d’ ordonner et de purifier les puissances anarchiques de la passion. Une
3894 cle, avait eu pour fonction sociale d’ordonner et de purifier les puissances anarchiques de la passion. Une mystique trans
3895 rdonner et de purifier les puissances anarchiques de la passion. Une mystique transcendante orientait secrètement, polaris
3896 ètement, polarisait vers l’au-delà les nostalgies de l’humanité souffrante. C’était sans doute une hérésie, mais pacifique
3897 oute une hérésie, mais pacifique, et par certains de ses aspects, très favorable à l’équilibre civilisateur. Cependant, du
3898 du seul fait qu’elle s’opposait à la propagation de l’espèce et à la guerre, la société devait la persécuter. Ce fut Rome
3899 ée, l’hérésie ne devait pas tarder à se dénaturer de mille manières. Les confusions qu’elle favorisait malgré elle, cette
3900 ’elle favorisait malgré elle, cette glorification de l’amour humain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’une am
3901 lorification de l’amour humain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’une ambiguïté à la fois essentielle et oppo
3902 ain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’ une ambiguïté à la fois essentielle et opportune, qui permettait tous
3903 bus, c’est cela qui allait échapper aux tribunaux de l’Inquisition, puis envahir la conscience européenne, même orthodoxe,
3904 ence européenne, même orthodoxe, et par une sorte d’ ironie, donner sa rhétorique passionnelle au mysticisme des plus grand
3905 squ’il n’avait pu se traduire que dans les termes de l’amour humain, bien qu’entendus au sens mystique. Ce sens évanoui re
3906 plus en plus mystérieux, apte à séduire le besoin d’ idéal qu’avait laissé dans la conscience une connaissance mystique rép
3907 tique réprouvée, puis perdue. Telle fut la chance de la littérature en Occident ; et cela seul peut expliquer l’empire, un
3908 r les masses. Toutefois, le classicisme s’efforça d’ imposer tout au moins une forme d’art à ces puissances obscures privée
3909 cisme s’efforça d’imposer tout au moins une forme d’ art à ces puissances obscures privées de leur forme sacrée. C’est à ce
3910 une forme d’art à ces puissances obscures privées de leur forme sacrée. C’est à ces vestiges de rites que s’attaqua le rom
3911 rivées de leur forme sacrée. C’est à ces vestiges de rites que s’attaqua le romantisme. D’où la violente exaltation dès la
3912 es vestiges de rites que s’attaqua le romantisme. D’ où la violente exaltation dès la fin du xviiie siècle, de tout ce qu’
3913 violente exaltation dès la fin du xviiie siècle, de tout ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel de Tristan, puis
3914 ut ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel de Tristan, puis ses substituts littéraires. Le xixe siècle bourgeois v
3915 répandre dans la conscience profane l’« instinct de mort » longtemps refoulé dans l’inconscient ou canalisé dès sa source
3916 ce par un art aristocratique. Et quand les cadres de la société vinrent à craquer — sous l’effet de poussées d’un tout aut
3917 es de la société vinrent à craquer — sous l’effet de poussées d’un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inond
3918 iété vinrent à craquer — sous l’effet de poussées d’ un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inonda notre vie
3919 s plus ce que signifiait cette diffuse exaltation de l’amour. Nous la prenions pour un printemps de l’instinct et pour une
3920 on de l’amour. Nous la prenions pour un printemps de l’instinct et pour une renaissance des forces dionysiaques persécutée
3921 sme. Toute la littérature moderne entonna l’hymne de la « libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton de désespoir ? Co
3922 oderne entonna l’hymne de la « libération ». Mais d’ où lui vient alors ce ton de désespoir ? Comment se fait-il que le rom
3923 « libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton de désespoir ? Comment se fait-il que le roman qui triompha pendant tren
3924 qui triompha pendant trente ans, au xxe siècle, de toutes les autres formes littéraires, aboutisse à cette analyse maréc
3925 ittéraires, aboutisse à cette analyse marécageuse de nos doutes et de notre vide ? Que signifie cette libération qui nous
3926 isse à cette analyse marécageuse de nos doutes et de notre vide ? Que signifie cette libération qui nous laisse tellement
3927 virulence provisoire qu’en se mettant au service de mystiques partisanes ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle
3928 s ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle de nos mœurs n’autorise pas cette conclusion. Car la crise actuelle du m
3929 nt que l’on voudra, mais tout de même le triomphe d’ une passion profanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine de la
3930 fanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine de la sexualité proprement dite, le contenu du mythe et ses fantômes env
3931 iques ». C’est que nous sommes devenus incapables de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de distinguer leur natur
3932 ommes devenus incapables de faire la part du feu, d’ ordonner nos désirs, de distinguer leur nature et leur fin, d’imposer
3933 s de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de distinguer leur nature et leur fin, d’imposer une mesure à leurs diva
3934 os désirs, de distinguer leur nature et leur fin, d’ imposer une mesure à leurs divagations — de les exprimer en figures. L
3935 r fin, d’imposer une mesure à leurs divagations —  de les exprimer en figures. Les dernières formes de l’amour ont été bala
3936  de les exprimer en figures. Les dernières formes de l’amour ont été balayées par la guerre. Et j’insisterai sur cet exemp
3937 sur cet exemple symbolique : nous ne faisons plus de « déclarations d’amour » dans le même temps que nous admettons la gue
3938 mbolique : nous ne faisons plus de « déclarations d’ amour » dans le même temps que nous admettons la guerre sans « déclara
3939 sa conversion en rhétorique, puis la dissolution de cette rhétorique et la totale vulgarisation de son contenu, l’on peut
3940 on de cette rhétorique et la totale vulgarisation de son contenu, l’on peut en suivre les étapes dans un domaine en appare
3941 x que nous venons de parcourir : dans l’évolution de la guerre et de ses méthodes en Occident. 117. Je rappelle que j’e
3942 s de parcourir : dans l’évolution de la guerre et de ses méthodes en Occident. 117. Je rappelle que j’emploie toujours
3943 elle que j’emploie toujours ce mot au double sens de sacrilège et de laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas rec
3944 ie toujours ce mot au double sens de sacrilège et de laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas recourir à « profan
3945 r à « profanisation ». 118. Désormais le symbole de toute l’opposition sera donné par le nom même de l’amour. En face de
3946 de toute l’opposition sera donné par le nom même de l’amour. En face de l’Église de Rome : Roma, se dresse l’Église d’Amo
3947 é par le nom même de l’amour. En face de l’Église de Rome : Roma, se dresse l’Église d’Amour : amor, et la seconde accuse
3948 ce de l’Église de Rome : Roma, se dresse l’Église d’ Amour : amor, et la seconde accuse la première d’avoir inverti sataniq
3949 d’Amour : amor, et la seconde accuse la première d’ avoir inverti sataniquement le nom même de l’amour divin, et d’avoir f
3950 remière d’avoir inverti sataniquement le nom même de l’amour divin, et d’avoir fait de l’Évangile un prétexte à massacrer
3951 ti sataniquement le nom même de l’amour divin, et d’ avoir fait de l’Évangile un prétexte à massacrer les « purs ». 119. A
3952 ent le nom même de l’amour divin, et d’avoir fait de l’Évangile un prétexte à massacrer les « purs ». 119. Ai-je dit que
3953 r les « purs ». 119. Ai-je dit que la chevalerie d’ amour méridionale se distinguait de la chevalerie féodale en ceci surt
3954 la chevalerie d’amour méridionale se distinguait de la chevalerie féodale en ceci surtout : c’est que tout homme, fût-il
3955 s ou vilain, pouvait y accéder par la seule grâce de la « poésie ». D’innombrables documents nous attestent qu’aux yeux de
3956 it y accéder par la seule grâce de la « poésie ». D’ innombrables documents nous attestent qu’aux yeux des cathares, la vér
3957 s, la véritable noblesse est celle du troubadour, de celui qui connaît et pratique les leys d’amors. Dante soutiendra la m
3958 badour, de celui qui connaît et pratique les leys d’ amors. Dante soutiendra la même doctrine… 120. Béatrice a certainemen
3959 isté, et Dante l’a certainement aimée. C’est donc d’ une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse de ce qui se passa chez
3960 c d’une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse de ce qui se passa chez les troubadours. Béatrice deviendra successiveme
3961 . Sainte Thérèse : « Ces grâces sont accompagnées d’ un entier détachement des créatures, quant à l’esprit… On se sent alor
3962 n se sent alors beaucoup plus étranger aux choses de la terre » et passim ! 123. Il connaissait le roman et le cite plusi
3963 cite plusieurs fois. Par exemple dans le Triomphe de l’amour : « Voici ceux qui remplissent de rêverie les livres — Trista
3964 riomphe de l’amour : « Voici ceux qui remplissent de rêverie les livres — Tristan et Lancelot et les autres errants — auxq
3965 supplice, elle voudrait y passer ce qui lui reste de vie. » 126. Saint Jean de la Croix : « Ô brûlure suave ! » et tout l
3966 ix : « Ô brûlure suave ! » et tout le commentaire de ce vers dans la Vive flamme d’amour (II, 1). 127. Sainte Thérèse : «
3967 out le commentaire de ce vers dans la Vive flamme d’ amour (II, 1). 127. Sainte Thérèse : « De ce désir qui en un instant
3968 flamme d’amour (II, 1). 127. Sainte Thérèse : «  De ce désir qui en un instant pénètre l’âme entière naît une douleur qui
3969 ière naît une douleur qui la transporte au-dessus d’ elle-même et de tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette sol
3970 ouleur qui la transporte au-dessus d’elle-même et de tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette solitude. Qu’on lu
3971 Sainte Thérèse : « Quelle souveraineté que celle d’ une âme qui portée à cette hauteur par Dieu lui-même, considère toutes
3972 u xiiie siècle. 131. Voir la Croisade du Graal, d’ Otto Rahn, déjà cité. 132. Nous avons déjà relevé l’influence de cett
3973 jà cité. 132. Nous avons déjà relevé l’influence de cette littérature sur sainte Thérèse et les mystiques espagnols en gé
3974 ystiques espagnols en général. 133. La Tragédie de Roméo et Juliette, traduction P.-J. Jouve et G. Pitoëff. 134. Floris
3975 à Samson Agonistes.) 135. Charles Sorel, auteur de Francion, avait écrit l’Anti-Roman ou le Berger extravagant, reprenan
3976 éaliste », toutes les situations conventionnelles de l’Astrée. De même, Scarron, etc. 136. « Titus, qui aimait passionném
3977 et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya de Rome malgré lui et malgré elle, dès les prem
3978 royait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya de Rome malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire.
3979 malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface de Bérénice.) 13
3980 n empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface de Bérénice.) 137. Hippolyte parlant d’Aricie, acte Ier, scène Ire : « 
3981 ne, préface de Bérénice.) 137. Hippolyte parlant d’ Aricie, acte Ier, scène Ire : « Dois-je épouser ses droits contre un p
3982 à Thésée, au Ve acte. 139. Nouvelle vérification de ce que nous disions à propos d’Eckhart : la mystique unitive ignore l
3983 Doctrine fabuleuse , en préparation. 141. Celui de Mozart plutôt que celui de Molière, beaucoup moins significatif à mon
3984 éparation. 141. Celui de Mozart plutôt que celui de Molière, beaucoup moins significatif à mon avis, et qui d’ailleurs n’
3985 bé de Sade, propre oncle du marquis, est l’auteur d’ un ouvrage intitulé : Remarques sur les premiers poètes français et le
3986 s premiers poètes français et les troubadours, et de trois volumes (anonymes) de mémoires sur Pétrarque. 143. « On a de S
3987 t les troubadours, et de trois volumes (anonymes) de mémoires sur Pétrarque. 143. « On a de Sade : Juliette ou les malheu
3988 anonymes) de mémoires sur Pétrarque. 143. « On a de Sade : Juliette ou les malheurs de la vertu (1791), puis Justine ou l
3989 . 143. « On a de Sade : Juliette ou les malheurs de la vertu (1791), puis Justine ou les prospérités du vice. C’est le co
3990 ctement (donc en psychanalyse, le contraire aussi de ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fort
3991 yse, le contraire aussi de ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A.
3992 i de ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.)
3993 de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.) 144. Voir Appendice 10. 1
3994 Appendice 10. 145. Rappelons que l’amour fameux d’ Abélard et Héloïse est le premier exemple historique de la passion don
3995 lard et Héloïse est le premier exemple historique de la passion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre d’Héloïse co
3996 ion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre d’ Héloïse composé (par elle-même ?) en vers latins (cité par Rémusat : A
3997 : Abélard, t. I). L’amante supplie : Soulage-moi de ma croix. Conduis vers la lumière Mon âme délivrée ! Et le chœur des
3998 œur des religieuses reprend : Qu’ils se reposent de leur labeur Et de leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des
3999 s reprend : Qu’ils se reposent de leur labeur Et de leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des habitants des deu
4000 hérétique, se rapproche sur des points essentiels de la doctrine spiritualiste des cathares. Et dans ses Lamentations, il
4001 il laisse échapper le grand cri du romantisme et de Tristan : « Amoris impulsio culpae justificatio. » 146. Est-ce la f
4002 eau ? Ou plutôt au symbolisme ? Beaucoup de dames d’ aujourd’hui croient que « mystique » signifie sentimental. Vitraux, pé
4003 tal. Vitraux, pénombre bleue, arpèges, somnolence de l’esprit, rêverie des sens… 147. W. Schlegel commença en 1808 une ré
4004 chlegel commença en 1808 une rédaction modernisée de Tristan. Puis Rückert, Immermann, Platen, bien d’autres, esquissèrent
4005 issèrent des Tristan (poèmes et drames). Le poème de Platen débute ainsi : « Celui dont les yeux ont une fois contemplé la
4006 re Saisons, devait représenter les quatre saisons de l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité de l’univers ; le j
4007 l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée de la créature ; le soir, négati
4008 illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée de la créature ; le soir, négation illimitée de l’existence à l’origine
4009 itée de la créature ; le soir, négation illimitée de l’existence à l’origine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée
4010 ir, négation illimitée de l’existence à l’origine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée de la connaissance de Dieu,
4011 gine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée de la connaissance de Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, Les Ro
4012 la nuit, profondeur illimitée de la connaissance de Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, Les Romantiques allemands
4013 dre un siècle pour en voir un : Bergson, disciple de Schelling. 152. Voir le Journal de Novalis, et le portrait qu’il don
4014 son, disciple de Schelling. 152. Voir le Journal de Novalis, et le portrait qu’il donne de sa fiancée perdue, Sophie von
4015 le Journal de Novalis, et le portrait qu’il donne de sa fiancée perdue, Sophie von Kühn, morte à 16 ans. Il note « ses pla
4016 s du vin ». Le Français hausse les épaules devant de tels enfantillages. 153. On lit dans le Cantique des Cantiques : « L
4017 s en scène s’obstinent à conserver (la décoration de la tente au premier acte, le lierre peint sur les murailles du burg a
4018 ques, et non pas cette interminable gesticulation de Tristan essoufflé sur sa couche, d’Isolde entravée par ses voiles… 1
4019 gesticulation de Tristan essoufflé sur sa couche, d’ Isolde entravée par ses voiles… 159. Gwyon (d’où guyon : guide, en vi
4020 e, d’Isolde entravée par ses voiles… 159. Gwyon ( d’ où guyon : guide, en vieux français) c’est le Führer qui détient les s
4021 français) c’est le Führer qui détient les secrets d’ initiation à la voix divinisante. 160. Héritage, dot, « situation » d
4022 tage, dot, « situation » des conjoints, relations d’ affaires, etc. 161. Scène d’un roman de Caldwell intitulé La Route au
4023 conjoints, relations d’affaires, etc. 161. Scène d’ un roman de Caldwell intitulé La Route au tabac. 162. On connaît la p
4024 relations d’affaires, etc. 161. Scène d’un roman de Caldwell intitulé La Route au tabac. 162. On connaît la phrase d’un
4025 ulé La Route au tabac. 162. On connaît la phrase d’ un officier hitlérien : « Chaque fois que j’entends prononcer le mot «
6 1939, L’Amour et l’Occident. Livre V. Amour et guerre
4026 ommes tributaires — inconsciemment bien entendu — d’ un ensemble de mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé
4027 res — inconsciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles.
4028 ciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles. Or passion s
4029 les. Or passion signifie souffrance. Notre notion de l’amour enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc
4030 otion de l’amour enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde q
4031 ons de la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde qui flatte ou légitime obscurément, au plus sec
4032 ui flatte ou légitime obscurément, au plus secret de la conscience occidentale, le goût de la guerre. Cette liaison singul
4033 plus secret de la conscience occidentale, le goût de la guerre. Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme e
4034 e, le goût de la guerre. Cette liaison singulière d’ une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerr
4035 rre. Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entr
4036 son singulière d’une certaine idée de la femme et d’ une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne de profond
4037 ine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne de profondes conséquences pour la mo
4038 orrespondante de la guerre, en Occident, entraîne de profondes conséquences pour la morale, l’éducation, la politique. Un
4039 n, la politique. Un fort gros livre ne serait pas de trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit
4040 rit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté de la tâche. Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséde
4041 Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséder à fond la matière rapidement explorée dans les pages qui pré
4042 ntreprises depuis le xixe siècle sur la question de l’« instinct combatif » dans ses relations avec l’instinct sexuel163.
4043 ns ses relations avec l’instinct sexuel163. Faute de quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et su
4044 quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et surtout à les situer dans la logique du mythe, qui est
4045 ins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerr
4046 s nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fond
4047 x théories de Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés : les figures courant
4048 gures courantes du langage le font voir avec plus d’ évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeante
4049 le font voir avec plus d’évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeantes relatives à la genèse de
4050 à quelques rapprochements formels entre les arts d’ aimer et de guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos ét
4051 rapprochements formels entre les arts d’aimer et de guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplem
4052 le jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement de marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de
4053 lélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’a
4054 ’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour
4055 a guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiqu
4056 ns préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiquité, les poè
4057 ité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrièr
4058 de l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le
4059 de métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèche
4060 ur décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu d’ amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se ren
4061 ert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus an
4062 il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans
4063 . L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’ une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous possédions, le Thé
4064 ’Héliodore (iiie siècle) parle déjà des « luttes d’ amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les
4065 iie siècle) parle déjà des « luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévit
4066  luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévitables d’Éros ». Plutarque fai
4067 de celui « qui tombe sous les traits inévitables d’ Éros ». Plutarque fait voir que la morale sexuelle des Spartiates s’or
4068 des Spartiates s’ordonnait au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant l
4069 au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant les relations des époux, n’
4070 inutieuses réglant les relations des époux, n’ont d’ autre but que d’augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirm
4071 nt les relations des époux, n’ont d’autre but que d’ augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirme la liaison nat
4072 la liaison naturelle, c’est-à-dire physiologique de l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de c
4073 ’est-à-dire physiologique de l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblance
4074 el et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et leur conc
4075 entre la tactique des Anciens et leur conception de l’amour. Les deux domaines restent soumis à des lois tout à fait dist
4076 mis à des lois tout à fait distinctes, et privées de commune mesure. Il n’en va plus de même dans notre histoire à partir
4077 les. On voit alors le langage amoureux s’enrichir de tournures qui ne désignent plus seulement les gestes élémentaires du
4078 lémentaires du guerrier, mais qui sont empruntées d’ une façon très précise à l’art des batailles, à la tactique militaire
4079 se à l’art des batailles, à la tactique militaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’une origine commune plus ou
4080 itaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’ une origine commune plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’u
4081 ne plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’ un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre
4082 ’un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près,
4083 lisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre d’ amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il c
4084 livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il cherche à vaincre les dernières défenses de
4085 suit, il cherche à vaincre les dernières défenses de sa pudeur, et à les tourner par surprise ; enfin la dame se rend à me
4086 is alors, par une curieuse inversion bien typique de la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps qu
4087 e temps que son vainqueur. Il deviendra le vassal de cette suzeraine, selon la règle des guerres féodales, tout comme si c
4088 te 164. Il ne lui reste plus qu’à faire la preuve de sa vaillance, etc. Tout ceci pour le beau langage. Mais l’argot solda
4089 oldatesque et civil nous fournirait une profusion d’ exemples d’une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’intr
4090 et civil nous fournirait une profusion d’exemples d’ une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’introduction de
4091 introduction des armes à feu devait donner lieu à d’ innombrables plaisanteries à double sens. Ce parallélisme d’ailleurs e
4092 amment exploité par les écrivains. C’est un thème de rhétorique inépuisable. « Ô ! trop heureux capitaine, écrit Brantôme1
4093 , écrit Brantôme165 qui avez combattu et tué tant d’ hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop h
4094 65 qui avez combattu et tué tant d’hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop heureux encore une
4095 vez combattu et vaincu à tant d’autres assauts et de reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit ! » Il ne
4096 de reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit ! » Il ne faudra pas s’étonner si les auteurs mystiques rep
4097 on le processus décrit plus haut, dans le domaine de l’amour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérès
4098 mour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son
4099 l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son Ley de Amor : « Ne pense pas que
4100 ns son Ley de Amor : « Ne pense pas que le combat de l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’u
4101 me les autres batailles où la fureur et le fracas d’ une guerre épouvantable sévit des deux côtés, car l’amour ne combat qu
4102 bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise de
4103 é. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise de possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l
4104 de possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a vu que la rhétorique courtoise tr
4105 urtoise traduit, à l’origine, la lutte du Jour et de la Nuit. La mort y joue un rôle central : elle est la défaite du mond
4106 ral : elle est la défaite du monde et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l
4107 , ni cette complicité physiologique des instincts de combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des
4108 mplicité physiologique des instincts de combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des expressions
4109 pressions guerrières dans la littérature érotique d’ Occident. Ce qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge d’une r
4110 qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge d’ une règle effectivement commune à l’art d’aimer et à l’art militaire,
4111 yen Âge d’une règle effectivement commune à l’art d’ aimer et à l’art militaire, et qui s’appelle la chevalerie. 3.La ch
4112 s’appelle la chevalerie. 3.La chevalerie, loi de l’amour et de la guerre « Donner un style à l’amour », telle est,
4113 chevalerie. 3.La chevalerie, loi de l’amour et de la guerre « Donner un style à l’amour », telle est, selon J. Huizi
4114 telle est, selon J. Huizinga l’aspiration suprême de la société médiévale dans l’ordre éthique. « C’est une nécessité soci
4115 éthique. « C’est une nécessité sociale, un besoin d’ autant plus impérieux que les mœurs sont plus féroces. Il faut élever
4116 plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur d’ un rite, la violence débordante de la passion l’exige. À moins que les
4117 ur à la hauteur d’un rite, la violence débordante de la passion l’exige. À moins que les émotions ne se laissent encadrer
4118 les, c’est la barbarie. L’Église avait pour tâche de réprimer la brutalité et la licence du peuple, mais elle n’y suffisai
4119 sait pas. L’aristocratie, en dehors des préceptes de la religion, avait sa culture à elle, à savoir la courtoisie, et elle
4120 avoir la courtoisie, et elle y puisait les normes de sa conduite166 ». (Nous savons en effet que la courtoisie non seuleme
4121 éviser bien des jugements sur l’unité spirituelle de la société médiévale !) Or s’il est vrai que cette morale courtoise n
4122 mœurs privées des hautes classes, qui demeuraient d’ « une rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal cré
4123 rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’ un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérat
4124 du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérature. Et par ailleurs
4125 ser à la réalité la plus violente du temps, celle de la guerre. Exemple unique d’un ars amandi qui donne naissance à un ar
4126 ente du temps, celle de la guerre. Exemple unique d’ un ars amandi qui donne naissance à un ars bellandi. Ce n’est pas seul
4127 Ce n’est pas seulement dans le détail des règles de combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresqu
4128 de combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresque, mais dans la conduite même des batailles, et j
4129 malisme militaire revêt à cette époque une valeur d’ absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter
4130 ’on se laisse tuer pour respecter des conventions d’ une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Étoile
4131 d’une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamai
4132 illeuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamais de plus d
4133 e dans le combat ils ne reculeront jamais de plus de quatre arpents ; sinon ils devront mourir ou se rendre. Et cette règl
4134 on en croit Froissart, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessit
4135 rt, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités de la stratégie
4136 tre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités de la stratégie sont sacrifiées à celle de l’esthétique ou de l’honneur
4137 écessités de la stratégie sont sacrifiées à celle de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterr
4138 atégie sont sacrifiées à celle de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterre va à la rencontre
4139 va à la rencontre des Français avant la bataille d’ Azincourt. Par erreur, le soir, il dépasse le village que les fourrage
4140 « comme celuy qui gardoit le plus les ceremonies d’ honneur très loable » vient justement d’ordonner que les chevaliers en
4141 eremonies d’honneur très loable » vient justement d’ ordonner que les chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’a
4142 chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’ armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtement
4143 d’armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’arme
4144 eculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la n
4145 tements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’ armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la nuit dans l’e
4146 mément à ce nouveau plan. » Les exemples abondent de carnages inutiles provoqués par des vœux d’une folle outrecuidance et
4147 ndent de carnages inutiles provoqués par des vœux d’ une folle outrecuidance et que l’on tente d’accomplir au plus grand de
4148 vœux d’une folle outrecuidance et que l’on tente d’ accomplir au plus grand des périls possibles. C’est bien le péril qu’o
4149 es engagements. La casuistique courtoise en offre d’ excellents. Cette casuistique « ne régit pas seulement la morale et le
4150 te sur le droit des gens à sa naissance. « Droits de butin, droit d’attaque, fidélité à la parole donnée sont régis par de
4151 des gens à sa naissance. « Droits de butin, droit d’ attaque, fidélité à la parole donnée sont régis par des règles semblab
4152 tournoi et la chasse167 ». L’Arbre des Batailles d’ Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discu
4153 tailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques
4154 guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce
4155 iscutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et d’ articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd
4156 le-mêle à coups de textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mê
4157 es et d’articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on
4158 d dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Va
4159 untée, est-on tenu de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se battre après les
4160 ndre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se battre après les repas ou à jeun ? — Dans q
4161 pas ou à jeun ? — Dans quels cas peut-on s’évader de captivité ? » Dans un autre ouvrage, on voit deux capitaines se dispu
4162 iverselle basée sur l’union des rois, la conquête de Jérusalem et l’expulsion des Turcs. Idées chimériques mais dont l’emp
4163 . Idées chimériques mais dont l’empire ne cessera de s’exercer sur les princes jusqu’au xve siècle, en dépit des transfor
4164 usqu’au xve siècle, en dépit des transformations de tous ordres survenues entre-temps en Europe, et à l’encontre des inté
4165 i que se marque le mieux le caractère particulier de l’idéal courtois, radicalement contradictoire avec la « dure réalité 
4166 icalement contradictoire avec la « dure réalité » de l’époque : il représente un pôle d’attraction pour les aspirations sp
4167 ure réalité » de l’époque : il représente un pôle d’ attraction pour les aspirations spirituelles brimées. C’est une forme
4168 aspirations spirituelles brimées. C’est une forme d’ évasion romantique, en même temps qu’un frein aux instincts. Le formal
4169 u’un frein aux instincts. Le formalisme minutieux de la guerre s’oppose aux violences du sang féodal comme le culte de la
4170 ppose aux violences du sang féodal comme le culte de la chasteté, chez les troubadours, s’oppose à l’exaltation érotique d
4171 nsi dire l’une à côté de l’autre deux conceptions de la vie : la conception pieuse, ascétique, attire à elle tous les sent
4172 iable, se venge terriblement. Que l’un ou l’autre de ces penchants prédomine, nous avons le saint ou le pécheur ; mais en
4173 néral, ils se tiennent en équilibre instable avec d’ énormes écarts de la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte
4174 nnent en équilibre instable avec d’énormes écarts de la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte Il est pourta
4175 parfaite des instincts érotiques et guerriers et de la règle courtoise idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de
4176 e idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de la lice où se jouent les tournois. Là, les fureurs du sang se donnent
4177 mais sous l’égide et dans les cadres symboliques d’ une cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction myth
4178 ne cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction mythique du Tristan telle que nous la définissions : expr
4179 nt, de manière à la rendre acceptable au jugement de la société. Le tournoi « joue » le mythe, physiquement : — « Les tran
4180 oue » le mythe, physiquement : — « Les transports de l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous form
4181 amatique et le sport. Celui-ci est, au Moyen Âge, de beaucoup le plus important. Le drame ne traitait encore, en général,
4182 haut point et contenait, en outre, une forte dose d’ érotisme. Partout et toujours, le sport a associé ces deux facteurs :
4183 que retournés à la simplicité grecque, le tournoi de la fin du Moyen Âge, avec ses riches ornements et sa mise en scène, p
4184 ne me paraît plus propre à restituer l’atmosphère de rêve du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut
4185 propre à restituer l’atmosphère de rêve du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les œuv
4186 de rêve du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les œuvres de Chastellain et les mémoir
4187 tions de tournois qu’on peut lire dans les œuvres de Chastellain et les mémoires d’Olivier de la Marche, tous deux histori
4188 re dans les œuvres de Chastellain et les mémoires d’ Olivier de la Marche, tous deux historiographes du fastueux et chevale
4189 istoriographes du fastueux et chevaleresque duché de Bourgogne au xve siècle. L’amour et la mort s’y marient dans un pays
4190 marient dans un paysage artificiel et symbolique de très haute mélancolie. « L’héroïsme par amour — voilà le motif romane
4191 mation immédiate du désir sensuel en un sacrifice de soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expressio
4192 ce de soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expression et la satisfaction du désir, qui paraissent t
4193 complissement du désir, et la délivrance est donc de toute manière assurée. » La mise en scène des tournois emprunte ses i
4194 scène des tournois emprunte ses idées aux romans de la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit de la Fonta
4195 de la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’ Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesq
4196 ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginair
4197 conditions décrites par les « chapitres » du pas d’ armes. C’est à cheval qu’il faut toucher les boucliers : les chevalier
4198 er à la pèlerine » ; parfois il apparaît en héros de roman et s’appelle le chevalier au cygne, ou porte les armes de Lance
4199 appelle le chevalier au cygne, ou porte les armes de Lancelot, de Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mé
4200 evalier au cygne, ou porte les armes de Lancelot, de Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est
4201 ne, ou porte les armes de Lancelot, de Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est répandu sur to
4202 ristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est répandu sur toute l’action : le nom de la Fontaine des
4203 élancolie est répandu sur toute l’action : le nom de la Fontaine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs
4204 if. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés de larmes blanches ; on les touche par pitié pour la « Dame des pleurs »
4205 emprise du Dragon, célébré à l’occasion du départ de sa fille Marguerite devenue reine d’Angleterre, le roi René apparaît
4206 apparaît en noir, sur un cheval noir caparaçonné de noir, avec une lance noire et un écu de sable aux larmes d’argent… Po
4207 paraçonné de noir, avec une lance noire et un écu de sable aux larmes d’argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont no
4208 vec une lance noire et un écu de sable aux larmes d’ argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont noirs et violets aux l
4209 rnoi apparaît encore dans la coutume du chevalier de porter le voile ou une pièce du vêtement de sa dame, qu’il lui remet
4210 alier de porter le voile ou une pièce du vêtement de sa dame, qu’il lui remet parfois, après le combat, tout maculé de son
4211 l lui remet parfois, après le combat, tout maculé de son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans de la Table ronde.) « 
4212 de son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans de la Table ronde.) « L’atmosphère de passion qui entourait les tournois
4213 ans les romans de la Table ronde.) « L’atmosphère de passion qui entourait les tournois explique l’hostilité de l’Église p
4214 n qui entourait les tournois explique l’hostilité de l’Église pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois d’éclatants ad
4215 ise pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois d’ éclatants adultères, comme le témoigne à propos du tournois de 1389, l
4216 adultères, comme le témoigne à propos du tournois de 1389, le Religieux de Saint-Denis, et sur la foi de celui-ci, Jean Ju
4217 moigne à propos du tournois de 1389, le Religieux de Saint-Denis, et sur la foi de celui-ci, Jean Juvénal des Ursins. » ⁂
4218 1389, le Religieux de Saint-Denis, et sur la foi de celui-ci, Jean Juvénal des Ursins. » ⁂ Cependant, la grande vogue des
4219 endant, la grande vogue des tournois est l’indice d’ un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve si
4220 rande vogue des tournois est l’indice d’un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve siècle (batail
4221 i se heurte dès le début du xve siècle (bataille d’ Azincourt) à des réalités de plus en plus brutales et matérielles qui
4222 la guerre, aux xive et xve siècles, était faite d’ approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « vers l’an
4223 t xve siècles, était faite d’approches furtives, d’ incursions et de raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimie
4224 était faite d’approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimiers et les blason
4225 cimiers et les blasons, les bannières et les cris de guerre conservent aux combats un caractère individuel et l’apparence
4226 ux combats un caractère individuel et l’apparence d’ un noble sport ». Mais dans le courant du xve siècle, l’on se met à c
4227 les lansquenets introduisent l’usage du tambour, d’ origine orientale. « Avec son effet hypnotique et inharmonieux, le tam
4228 le tambour symbolise la transition entre l’époque de la chevalerie et celle de l’art militaire moderne ; il est un élément
4229 ansition entre l’époque de la chevalerie et celle de l’art militaire moderne ; il est un élément dans la mécanisation de l
4230 moderne ; il est un élément dans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup de grâce sera porté à la chevalerie par l’
4231 ans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup de grâce sera porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « E
4232 grâce sera porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « Et n’est-ce pas une ironie du sort qui fit que cette
4233 que cette fleur des chevaliers errants à la mode de Bourgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet de canon ? » ⁂ I
4234 rgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet de canon ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions de la guerre
4235 ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions de la guerre et de l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales
4236 ste pas moins que les conventions de la guerre et de l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales d’une empreinte
4237 our courtois ont marqué les coutumes occidentales d’ une empreinte qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée de val
4238 qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée de valeur individuelle, ou d’exploit guerrier, représenté par le duel et
4239 au xxe siècle. L’idée de valeur individuelle, ou d’ exploit guerrier, représenté par le duel et la « prouesse » (tournoi,
4240 at singulier des deux chefs en présence) ; l’idée de régler les batailles d’après un protocole quasi sacral ; la conceptio
4241 protocole quasi sacral ; la conception ascétique de la vie militaire (jeûnes prolongés avant l’épreuve des armes) ; les c
4242 l’épreuve des armes) ; les conventions permettant de déterminer le vainqueur (c’est par exemple celui qui passe la nuit su
4243 otiques et militaires, — tout cela ne cessera pas de déterminer les modes de guerroyer à travers les siècles suivants. Si
4244  tout cela ne cessera pas de déterminer les modes de guerroyer à travers les siècles suivants. Si bien que l’on pourra con
4245 omme relatif à un changement dans les conceptions de l’amour, ou inversement. 5. Condottieri et canons L’Italie n’a
4246 s ; riche, bien peuplée et ne reconnaissant point de domination étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre de la magn
4247 n étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre de la magnificence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand
4248 irait encore un nouveau lustre de la magnificence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes cé
4249 un nouveau lustre de la magnificence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de
4250 e de la magnificence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Si
4251 ficence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’ un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Siège de la Rel
4252 rs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Siège de la Religion. Les Science
4253 la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Siège de la Religion. Les Sciences et les Arts fleuriss
4254 Arts fleurissaient dans son sein, elle possédait de grands hommes d’État, et même d’excellents capitaines pour ce temps-l
4255 , elle possédait de grands hommes d’État, et même d’ excellents capitaines pour ce temps-là.169 Ces capitaines, c’étaien
4256 es capitaines, c’étaient les condottieri. Soldats de métier au service des Princes et des papes, ils avaient pour coutume
4257 et des papes, ils avaient pour coutume bien moins de faire la guerre que d’empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers
4258 nt pour coutume bien moins de faire la guerre que d’ empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout d’a
4259 tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout d’ avisés diplomates, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un
4260 enturiers étaient avant tout d’avisés diplomates, d’ astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un soldat. Leur tactique
4261 es, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’ un soldat. Leur tactique consistait essentiellement à faire des prison
4262 réussite — ils parvenaient à battre l’adversaire d’ une manière vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble de ses for
4263 e vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble de ses forces en achetant d’un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient
4264 détruisaient l’ensemble de ses forces en achetant d’ un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient pas, il fallait se résoudr
4265 n danger : « On combat toujours à cheval, couvert d’ armes et assuré de la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vai
4266 mbat toujours à cheval, couvert d’armes et assuré de la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vaincus est presque t
4267 propriétés ; tout ce qu’ils ont à craindre, c’est de payer une contribution.170 » Cet art de guerre exprimait dans son pla
4268 re, c’est de payer une contribution.170 » Cet art de guerre exprimait dans son plan — alors considéré comme inférieur — un
4269 une « civilisation » profonde, donc le contraire d’ une « militarisation ». L’État était devenu une œuvre d’art, selon l’e
4270 était devenu une œuvre d’art, selon l’expression de Burckhardt. La guerre elle-même s’était civilisée, dans toute la mesu
4271 mpagne. (Ce n’était plus d’ailleurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe d’une personnalité). On réprouvait l’usage d
4272 illeurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe d’ une personnalité). On réprouvait l’usage des armes à feu comme contrai
4273 sage des armes à feu comme contraire à la dignité de l’individu. (Le condottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’
4274 ondottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’ un de ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la lég
4275 tiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’un de ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la légitimi
4276 que le misérable avait osé soutenir la légitimité de l’emploi des canons). Et comment concevait-on l’amour ? Burckhardt in
4277 que les mariages se concluaient sans drame, après de très courtes fiançailles, et que le droit du mari à la fidélité de l’
4278 iançailles, et que le droit du mari à la fidélité de l’épouse ne revêtait pas ce caractère absolu qu’il avait pris dans le
4279 il avait pris dans les pays nordiques. Les femmes de la haute société recevaient une éducation aussi complète que celle de
4280 ssi complète que celle des hommes, et jouissaient d’ une entière égalité morale, à l’inverse de ce qui se passait en France
4281 ssaient d’une entière égalité morale, à l’inverse de ce qui se passait en France et dans les Allemagnes. Si par ailleurs,
4282 et vénale dans la pratique, il en allait de même de l’amour. Semblables aux hétaïres de la Grèce antique, les courtisanes
4283 llait de même de l’amour. Semblables aux hétaïres de la Grèce antique, les courtisanes jouaient un rôle parfois considérab
4284 eur culture, récitant et faisant des vers, jouant d’ un instrument, tenant conversation. Cette paganisation de la vie sexue
4285 strument, tenant conversation. Cette paganisation de la vie sexuelle dénote un recul sensible des influences courtoises, u
4286 niste. La « courtoisie » prenait son sens moderne de politesse et de civilité. Il n’était plus question de condamner la vi
4287 toisie » prenait son sens moderne de politesse et de civilité. Il n’était plus question de condamner la vie. Et « l’instin
4288 olitesse et de civilité. Il n’était plus question de condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait neutralisé. ⁂ C’
4289 lus question de condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait neutralisé. ⁂ C’est sur cette Italie heureuse, immora
4290 ue172 qu’allaient se jeter les troupes françaises de Charles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons de bronze provoq
4291 s troupes françaises de Charles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons de bronze provoqua dans la péninsule une pani
4292 rles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons de bronze provoqua dans la péninsule une panique de fin du monde. « Le p
4293 de bronze provoqua dans la péninsule une panique de fin du monde. « Le passage de ce prince en Italie, dit Guichardin, fu
4294 ninsule une panique de fin du monde. « Le passage de ce prince en Italie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité de
4295 e prince en Italie, dit Guichardin, fut la source d’ une infinité de maux et de révolutions. Les États changèrent tout à co
4296 lie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité de maux et de révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les
4297 ichardin, fut la source d’une infinité de maux et de révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les provinces
4298 les villes détruites, et tout le pays fut inondé de sang… L’Italie apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode de fa
4299 apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode de faire la guerre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie de nos p
4300 erre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie de nos provinces qu’il fut depuis impossible d’y rétablir l’ordre et la
4301 onie de nos provinces qu’il fut depuis impossible d’ y rétablir l’ordre et la tranquillité173. Ce n’était pas que les Itali
4302 était pas que les Italiens eussent ignoré l’usage de l’artillerie jusqu’à cette date, mais ils la méprisaient, comme je l’
4303 i dit, et comme le prouvent encore les invectives de l’Arioste contre les armes à feu. Au surplus, dit Guichardin, « les F
4304 es pièces qu’ils appelaient canons étaient toutes de bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu’elles fai
4305 ns les combats que dans les sièges… » Autre sujet d’ effroi pour l’Italie : tandis que dans la milice des condottieri « la
4306 la milice des condottieri « la plupart des hommes d’ armes étaient ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours suje
4307 plupart des hommes d’armes étaient ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours sujets d’un autre prince que celui
4308 s ou de la lie du peuple, presque toujours sujets d’ un autre prince que celui pour lequel ils faisaient la guerre », et n’
4309 et n’étaient donc animés « ni par aucun sentiment de gloire ni par aucun motif extérieur », l’armée française se présentai
4310 présentait comme une armée nationale : « Les gens d’ armes étaient presque tous sujets du Roi et gentilshommes » ce qui les
4311 ts du Roi et gentilshommes » ce qui les empêchait de « changer de maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès
4312 gentilshommes » ce qui les empêchait de « changer de maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors d’inévit
4313 ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors d’ inévitables carnages. Et en effet au combat de Rappallo, tout au début
4314 ors d’inévitables carnages. Et en effet au combat de Rappallo, tout au début de la campagne, sur les 3000 hommes engagés,
4315 Et en effet au combat de Rappallo, tout au début de la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de cent furent tués :
4316 de la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de cent furent tués : « Nombre considérable par rapport à la manière don
4317 les Espagnols « chez lesquels peut-être un apport de sang non occidental, ou peut-être l’habitude des spectacles de l’Inqu
4318 ccidental, ou peut-être l’habitude des spectacles de l’Inquisition avaient déchaîné les instincts démoniaques ». Artilleri
4319 linées et uniformes. Évolution qui devait aboutir de nos jours à l’annihilation de toute passion guerrière, à mesure que l
4320 qui devait aboutir de nos jours à l’annihilation de toute passion guerrière, à mesure que les hommes desservant les machi
4321 êmes des machines, n’exécutant qu’un petit nombre de mouvements automatiques, destinés à donner la mort à distance, sans c
4322 . 6.La guerre classique L’effort des hommes de guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera de dominer le monstre méc
4323 es de guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera de dominer le monstre mécanique, afin de sauver autant que possible le c
4324 de sauver autant que possible le caractère humain de la guerre. On ne peut pas renoncer aux inventions techniques, à l’art
4325 fications. Du moins va-t-on multiplier les règles de la tactique et de la stratégie, afin que l’intelligence, et la « vale
4326 s va-t-on multiplier les règles de la tactique et de la stratégie, afin que l’intelligence, et la « valeur » des chefs gar
4327 nt apparemment le premier rang parmi les facteurs de la lutte. La chevalerie représentait un effort pour donner un style
4328 nserver et recréer ce style malgré l’intervention de facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire de
4329 tyle malgré l’intervention de facteurs inhumains. D’ où le formalisme étonnant de l’art militaire de ces siècles174. Avec V
4330 e facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire de ces siècles174. Avec Vauban, le siège d’une place
4331 s. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire de ces siècles174. Avec Vauban, le siège d’une place forte devient une s
4332 ilitaire de ces siècles174. Avec Vauban, le siège d’ une place forte devient une sorte d’opération de l’esprit dont les pér
4333 ban, le siège d’une place forte devient une sorte d’ opération de l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien di
4334 e d’une place forte devient une sorte d’opération de l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien dit, comme les
4335 déroulent, on l’a bien dit, comme les cinq actes d’ une tragédie classique. C’est alors que la guerre ressemble vraiment
4336 ors que la guerre ressemble vraiment à une partie d’ échecs. Lorsque après des manœuvres compliquées, un des adversaires a
4337 rtes — alors vient la grande bataille : du sommet de quelque coteau, où lui apparaît tout le terrain du combat, tout l’éch
4338 leur boîte ou les régiments dans leurs quartiers d’ hiver, et chacun va à ses petites affaires en attendant la partie ou l
4339 suivante.175 Chaque fois que reparaît l’élément de jeu dans la guerre, on peut en déduire que la société et sa culture f
4340 t sa culture font un effort pour recréer le mythe de la passion, c’est-à-dire pour rendre à la puissance anarchique un cad
4341 à la puissance anarchique un cadre et des moyens d’ expression rituels. Et c’est bien ce qui se vérifie dans le cas du xvi
4342 viiie siècle176. Mot étonnant, d’ailleurs repris de von der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine de citer : « L’err
4343 on der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine de citer : « L’erreur (des généraux « formalistes ») consistait à placer
4344 raux « formalistes ») consistait à placer l’objet de la guerre dans l’exécution de manœuvres finement combinées et non dan
4345 it à placer l’objet de la guerre dans l’exécution de manœuvres finement combinées et non dans l’anéantissement des forces
4346 combinées et non dans l’anéantissement des forces de l’adversaire. Le monde militaire est toujours tombé dans ces erreurs
4347 à abandonner la notion droite et simple des lois de la guerre, à spiritualiser la matière, en négligeant le sens naturel
4348 t peut-être excessif : il ne s’agissait guère que de rationaliser. Mais l’expression (méprisante !) est bien typique de la
4349 Mais l’expression (méprisante !) est bien typique de la psychologie qui apparaîtra dès la Révolution française — ce déchaî
4350 ue reprochent les stratèges modernes aux généraux de Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en
4351 s stratèges modernes aux généraux de Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins
4352 aux généraux de Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’ avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouv
4353 e Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouvaient. Or c’éta
4354 avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins d’ hommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe d’une civilisation
4355 ommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe d’ une civilisation dont tout l’effort tendait à ordonner la Nature, la m
4356 Nature, la matière, et leurs fatalités, aux lois de la raison humaine et de l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, m
4357 leurs fatalités, aux lois de la raison humaine et de l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, mais sans laquelle nulle
4358 pouvait faire des tragédies sans crime. Le refus de trouver belles les catastrophes, voilà qui peut définir l’âge classiq
4359 d’ailleurs secrètement désirés ; mais la grandeur de l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utilise
4360 ètement désirés ; mais la grandeur de l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait mê
4361 la grandeur de l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait même de les subordonner à
4362 me est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait même de les subordonner à une diplomatie, art
4363 les canaliser et de les utiliser, on dirait même de les subordonner à une diplomatie, art de civils. Louis XIV déclare la
4364 ait même de les subordonner à une diplomatie, art de civils. Louis XIV déclare la guerre sous des prétextes juridiques et
4365 où l’honneur national n’a rien à voir. Querelles de gendre et de beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même q
4366 national n’a rien à voir. Querelles de gendre et de beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même que l’on « tra
4367 iècle est le plus propre à illustrer le parallèle de l’amour et de la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiqu
4368 lus propre à illustrer le parallèle de l’amour et de la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiquer. Don Juan s
4369 parallèle de l’amour et de la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiquer. Don Juan succède à Tristan, la volu
4370 erre en même temps se « profane » : aux Jugements de Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée de fer, ascétique et sanglante,
4371 Jugements de Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée de fer, ascétique et sanglante, succède une diplomatie retorse, une armé
4372 , libertins et bien décidés à sauver « la douceur de vivre ». Les légendes épiques et les romans de la Table ronde multipl
4373 ur de vivre ». Les légendes épiques et les romans de la Table ronde multiplient les récits de tueries inouïes ; la gloire
4374 s romans de la Table ronde multiplient les récits de tueries inouïes ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre de ses
4375 iplient les récits de tueries inouïes ; la gloire d’ un chevalier est faite du nombre de ses adversaires pourfendus et déca
4376 es ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre de ses adversaires pourfendus et décapités, et si possible tranchés en d
4377 dus et décapités, et si possible tranchés en deux de la tête aux pieds d’un formidable coup d’épée. Les exagérations sauva
4378 si possible tranchés en deux de la tête aux pieds d’ un formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages de ces récits ne
4379 formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages de ces récits ne laissent pas de doute sur ce qui flatte la vraie passio
4380 agérations sauvages de ces récits ne laissent pas de doute sur ce qui flatte la vraie passion de l’homme du Moyen Âge. Glo
4381 t pas de doute sur ce qui flatte la vraie passion de l’homme du Moyen Âge. Gloire du sang ! Mais le xviiie siècle considé
4382 ie siècle considéra comme une réussite glorieuse d’ avoir pris une ville assiégée en ne faisant de part et d’autre que tro
4383 use d’avoir pris une ville assiégée en ne faisant de part et d’autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honne
4384 pris une ville assiégée en ne faisant de part et d’ autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honneur. Maurice
4385 e suis point pour les batailles, surtout au début d’ une guerre. Je suis persuadé qu’un bon général pourra la faire toute s
4386 t parmi les troupes ennemies — en véritable héros de l’Astrée qu’il fut. Et cette suprême politesse devant la mort, à Font
4387 Fontenoy. ⁂ Mais voici la totale « profanation » de la guerre et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Rég
4388 s voici la totale « profanation » de la guerre et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Régence qui la prop
4389 et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Régence qui la propose, reprenant, et sans doute à son insu, la mé
4390 2 milliards pour vingt ans. Nous n’avons pas plus de cinq ans de guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous m
4391 pour vingt ans. Nous n’avons pas plus de cinq ans de guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous met en arrièr
4392 incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer de détruire 150 000 ennemis par le feu, le fer, l’eau, la faim, les fati
4393 adies. Ainsi, la destruction directe ou indirecte d’ un soldat allemand nous coûte 20 000 livres sans compter la perte sur
4394 cet attirail dispendieux, incommode et dangereux, d’ une armée permanente, ne vaudrait-il pas mieux en épargner les frais e
4395 actuel, on perd celui qu’on avait, sans profiter de celui qu’on a détruit si dispendieusement. ⁂ Les Goncourt ont très b
4396 rès bien senti l’identité foncière des phénomènes de la guerre et de l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décri
4397 ’identité foncière des phénomènes de la guerre et de l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décrivent la « tactiq
4398 ls termes ils décrivent la « tactique » des roués de l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu de l’amour, que le siè
4399 de l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu de l’amour, que le siècle révèle peut-être ses qualités les plus profond
4400 s ressources les plus secrètes, et comme un génie de duplicité tout inattendu du caractère français. Que de grands diploma
4401 plicité tout inattendu du caractère français. Que de grands diplomates, que de grands politiques sans nom, plus habiles qu
4402 caractère français. Que de grands diplomates, que de grands politiques sans nom, plus habiles que Dubois, plus insinuants
4403 s insinuants que Bernis, parmi cette petite bande d’ hommes qui font de la séduction de la femme le but de leurs pensées et
4404 ernis, parmi cette petite bande d’hommes qui font de la séduction de la femme le but de leurs pensées et la grande affaire
4405 te petite bande d’hommes qui font de la séduction de la femme le but de leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Qu
4406 ommes qui font de la séduction de la femme le but de leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Que de combinaisons d
4407 emme le but de leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Que de combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un
4408 urs pensées et la grande affaire de leur vie… Que de combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une fe
4409 a grande affaire de leur vie… Que de combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir f
4410 de leur vie… Que de combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir fait ce qu’on app
4411 dissimulé… « N’omettre rien », c’est le précepte de l’un d’eux.177 » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’o
4412 lé… « N’omettre rien », c’est le précepte de l’un d’ eux.177 » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaien
4413 n », c’est le précepte de l’un d’eux.177 » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaient guère que sur le
4414 , il y a la Révolution française et les campagnes de Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre de la passion catast
4415 Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre de la passion catastrophique. Du point de vue proprement militaire, qu’a
4416 e, qu’apportait la Révolution ? « Un déchaînement de passion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie de l’ancienne éc
4417 sion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie de l’ancienne école, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire de la g
4418 érésie de l’ancienne école, précise-t-il, c’était d’ avoir voulu « faire de la guerre une science exacte, méconnaissant sa
4419 cole, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire de la guerre une science exacte, méconnaissant sa nature même de drame e
4420 une science exacte, méconnaissant sa nature même de drame effrayant et passionné (Jomini) ». On sait par ailleurs quelle
4421 (Jomini) ». On sait par ailleurs quelle explosion de sentimentalisme précéda et accompagna la Révolution, phénomène beauco
4422 78. Longtemps contenue dans les formes classiques de la guerre, la violence, après le meurtre du Roi — action sacrée et ri
4423 les sociétés primitives — redevient quelque chose d’ horrifiant et d’attirant tout à la fois. C’est le culte et le mystère
4424 mitives — redevient quelque chose d’horrifiant et d’ attirant tout à la fois. C’est le culte et le mystère sanglant autour
4425 la Nation. Or la Nation, c’est la transposition de la passion sur le plan collectif. À vrai dire, il est plus facile de
4426 e plan collectif. À vrai dire, il est plus facile de le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-o
4427 À vrai dire, il est plus facile de le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-on, suppose deux ê
4428 r la Nation… Nous savons toutefois que la passion d’ amour, par exemple, est en son fond un narcissisme, autoexaltation de
4429 e, est en son fond un narcissisme, autoexaltation de l’amant, bien plus que relation avec l’aimée. Ce que désire Tristan,
4430 l’aimée. Ce que désire Tristan, c’est la brûlure d’ amour plus que la possession d’Iseut. Car la brûlure intense et dévora
4431 , c’est la brûlure d’amour plus que la possession d’ Iseut. Car la brûlure intense et dévorante de la passion le divinise,
4432 sion d’Iseut. Car la brûlure intense et dévorante de la passion le divinise, et comme Wagner l’a vu, l’égale au monde. « M
4433 t que Dieu. Elle veut (sans le savoir) qu’au-delà de cette gloire, sa mort soit véritablement la fin de tout. L’ardeur nat
4434 e cette gloire, sa mort soit véritablement la fin de tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est une autœxaltation, un am
4435 premier lieu, et qu’on proclame. Mais cette haine de l’autre, n’est-elle pas toujours présente dans les transports de l’am
4436 st-elle pas toujours présente dans les transports de l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement d’accent. Ensuite,
4437 l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement d’ accent. Ensuite, que veut la passion nationale ? L’exaltation de la fo
4438 ite, que veut la passion nationale ? L’exaltation de la force collective ne peut mener qu’à ce dilemme : ou l’impérialisme
4439 e : ou l’impérialisme triomphe — c’est l’ambition de s’égaler au monde — ou le voisin s’y oppose énergiquement, et c’est l
4440 ainsi sans se l’avouer qu’elle préfère le risque de mort, et la mort même, à l’abandon de sa passion. « La liberté ou la
4441 e le risque de mort, et la mort même, à l’abandon de sa passion. « La liberté ou la mort », hurlaient les jacobins à l’heu
4442 s, à l’heure où liberté et mort étaient bien près d’ avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont liées comme l’Am
4443 sormais le fait national sera le facteur dominant de la guerre. « Celui qui écrit sur la stratégie et sur la tactique devr
4444 e et une tactique nationales, seules susceptibles d’ être profitables à la nation pour laquelle il écrit. » Ainsi s’exprime
4445 insi s’exprime le général von der Goltz, disciple de Clausewitz, lequel n’a cessé d’affirmer que toute la théorie prussien
4446 r Goltz, disciple de Clausewitz, lequel n’a cessé d’ affirmer que toute la théorie prussienne de la guerre devait se fonder
4447 cessé d’affirmer que toute la théorie prussienne de la guerre devait se fonder sur l’expérience des campagnes de la Révol
4448 e devait se fonder sur l’expérience des campagnes de la Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la
4449 ur l’expérience des campagnes de la Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la passion contre la « 
4450 gnes de la Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la passion contre la « science exacte ». C’est a
4451 assion contre la « science exacte ». C’est au cri de Vive la Nation ! que les sans-culottes repoussèrent l’armée « classiq
4452 armée « classique » des alliés. On connaît le mot de Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une è
4453 des alliés. On connaît le mot de Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’
4454 naît le mot de Goethe, au soir de la bataille : «  De ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde »
4455 de Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ». Et Foch co
4456 laient consacrer à la lutte toutes les ressources de la nation ; parce qu’elles allaient se donner comme but non un intérê
4457 êt dynastique, mais la conquête ou la propagation d’ idées philosophiques… d’avantages immatériels… parce qu’elles allaient
4458 onquête ou la propagation d’idées philosophiques… d’ avantages immatériels… parce qu’elles allaient mettre en jeu des senti
4459 ntiments, des passions, c’est-à-dire des éléments de force jusqu’alors inexploités ». ⁂ Il serait assez curieux de précise
4460 qu’alors inexploités ». ⁂ Il serait assez curieux de préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte puis de Napoléon
4461 curieux de préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis
4462 r le parallèle entre les amours de Bonaparte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis d’Autriche, d’aut
4463 rte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes d’ Italie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille corr
4464 poléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis d’ Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille correspond à la sé
4465 ie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille correspond à la séduction de Joséphine — c’est le coup d’aud
4466 ertain type de bataille correspond à la séduction de Joséphine — c’est le coup d’audace de l’inférieur qui jette toutes se
4467 spond à la séduction de Joséphine — c’est le coup d’ audace de l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et
4468 a séduction de Joséphine — c’est le coup d’audace de l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et bluffe ;
4469 orces au point décisif, et bluffe ; un autre type de bataille correspond au mariage dynastique avec l’archiduchesse Marie-
4470 e, brutale… Et il n’est pas sans intérêt non plus de noter que Waterloo fut une bataille perdue par excès de science, peut
4471 er que Waterloo fut une bataille perdue par excès de science, peut-être, ou par défaut d’élan national-révolutionnaire… Ce
4472 ue par excès de science, peut-être, ou par défaut d’ élan national-révolutionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon
4473 acteur passionnel dans la conduite des batailles. D’ où ce cri d’un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’
4474 onnel dans la conduite des batailles. D’où ce cri d’ un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’est pas poss
4475 ait de battre en Italie : « Il n’est pas possible de méconnaître, comme ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires
4476 ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires de l’art de guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolut
4477 rte, les principes les plus élémentaires de l’art de guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolution, l’on
4478 battre « avec le cœur des soldats » c’est-à-dire d’ une façon « farouche et tragique » (Foch). Il faudrait préciser : ce n
4479 och). Il faudrait préciser : ce n’est pas le cœur de chaque soldat considéré comme un héros qui décidera du sort d’une gue
4480 dat considéré comme un héros qui décidera du sort d’ une guerre, mais bien le cœur collectif, si l’on ose dire, la puissanc
4481 ctif, si l’on ose dire, la puissance passionnelle de la Nation. Les poètes romantiques jouèrent un rôle notable dans les g
4482 ntiques jouèrent un rôle notable dans les guerres de libération que mena la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies d’
4483 na la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies d’ essence passionnelle d’un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent le
4484 oléon. Et les philosophies d’essence passionnelle d’ un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du na
4485 hilosophies d’essence passionnelle d’un Fichte et d’ un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du nationalisme alle
4486 ent les premiers appuis du nationalisme allemand. D’ où le caractère de plus en plus sanglant des guerres du xixe siècle.
4487 nt des guerres du xixe siècle. Il ne s’agit plus d’ intérêts, mais de « religions » antagonistes. Or les religions ne tran
4488 xixe siècle. Il ne s’agit plus d’intérêts, mais de « religions » antagonistes. Or les religions ne transigent point, à l
4489 des intérêts : elles préfèrent la mort héroïque. ( De tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus viole
4490 rent la mort héroïque. (De tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les
4491 e. (De tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les trois premiers quart
4492 siècle et particulièrement pour la période qui va de 1848 à 1870. Après quoi, les passions nationales, provisoirement apai
4493 italisme et du commerce. La violence ne cesse pas de s’exercer au nom de la Nation, mais ce sont bel et bien des intérêts
4494 bien marqué le maréchal Foch, dans ses Principes de la guerre : La guerre fut nationale au début pour conquérir et garan
4495 et garantir l’indépendance des peuples : Français de 1792-93, Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, E
4496 ance des peuples : Français de 1792-93, Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comp
4497 ançais de 1792-93, Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manife
4498 Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses
4499 4-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses et puissantes d
4500 alors ces manifestations glorieuses et puissantes de la passion des peuples qui s’appellent : Valmy, Saragosse, Tarancon,
4501 ité. C’est la thèse des Italiens et des Prussiens de 1866, 1870. Ce sera la thèse au nom de laquelle le roi de Prusse deve
4502 nom de laquelle le roi de Prusse devenu empereur d’ Allemagne revendiquera les provinces allemandes de l’Autriche. Mais no
4503 d’Allemagne revendiquera les provinces allemandes de l’Autriche. Mais nous la voyons maintenant (1903) encore nationale, e
4504 r conquérir des avantages commerciaux des traités de commerce avantageux. Après avoir été le moyen violent que les peuples
4505 ) que cette période, du point de vue des mœurs et de leur littérature, se définit par une dernière tentative de mythificat
4506 ittérature, se définit par une dernière tentative de mythification de la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer
4507 finit par une dernière tentative de mythification de la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer à la chevalerie,
4508 emplît la même fonction sociale (mais à la mesure de notre société). Ce n’était plus, en effet, un principe spirituel qui
4509 s « formes » et les conventions, mais des calculs d’ intérêts privés, incapables de fournir les bases d’une communauté soli
4510 s, mais des calculs d’intérêts privés, incapables de fournir les bases d’une communauté solide. La nation même que l’on in
4511 ’intérêts privés, incapables de fournir les bases d’ une communauté solide. La nation même que l’on invoquait avait perdu d
4512 de. La nation même que l’on invoquait avait perdu de son prestige romantique : le pavillon couvrait les intérêts de l’État
4513 ge romantique : le pavillon couvrait les intérêts de l’État, — non les passions ou l’honneur des élites. Et l’État ne joua
4514 État ne jouait plus guère que le rôle honorifique d’ un conseil d’administration, faisant la guerre pour des motifs bancair
4515 ant la guerre pour des motifs bancaires (conquête de Madagascar). La guerre coloniale n’est en somme que la continuation d
4516 erre coloniale n’est en somme que la continuation de la concurrence capitaliste par des moyens plus onéreux pour le pays,
4517 les classes bourgeoises, un bien bizarre mélange de sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et de dots 
4518 n bien bizarre mélange de sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’
4519 re mélange de sentimentalisme à fleur de nerfs et d’ histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd
4520 e sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans le
4521 isme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans les annonces ma
4522 res de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’ être aujourd’hui dans les annonces matrimoniales. La sexualité pure n’
4523  » ces petits calculs et ces « beaux sentiments » de série. (Comme une goutte d’eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourq
4524 « beaux sentiments » de série. (Comme une goutte d’ eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourquoi Jarry dit que l’eau est
4525 u est impure). De même la guerre était un composé d’ excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sin
4526 De même la guerre était un composé d’excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sinon un sentimen
4527 anche », sinon un sentimentalisme national ? — et de plans commerciaux ou financiers. L’élément proprement guerrier n’y tr
4528 ir liquider sans dommages le formidable potentiel de frénésie et de grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident d
4529 s dommages le formidable potentiel de frénésie et de grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident des siècles de c
4530 antes qu’avaient accumulé en Occident des siècles de culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les p
4531 aient accumulé en Occident des siècles de culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les plus notable
4532 t des siècles de culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance
4533 de 1914 fut l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance du mythe. 10.La guerre totale À partir de
4534 lisme institué par la chevalerie entre les formes de l’amour et de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la gue
4535 par la chevalerie entre les formes de l’amour et de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujou
4536 de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant
4537 Certes, le but concret de la guerre fut toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant sa force armée. (Forcer l
4538 détruisant sa force armée. (Forcer la résistance de la femme par la séduction, c’est la paix ; par le viol, c’est la guer
4539 re ses défenses. Bataille rangée contre une armée de métier, siège des ouvrages fortifiés, capture du chef : un système de
4540 ouvrages fortifiés, capture du chef : un système de règles précises, donc un art, désignait le vainqueur. Et ce vainqueur
4541 ésignait le vainqueur. Et ce vainqueur triomphait d’ un vivant, d’un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention
4542 ainqueur. Et ce vainqueur triomphait d’un vivant, d’ un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention d’une techniq
4543 ce vainqueur triomphait d’un vivant, d’un pays ou d’ un peuple encore désirables. L’intervention d’une technique inhumaine,
4544 ou d’un peuple encore désirables. L’intervention d’ une technique inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces d’un État,
4545 que inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces d’ un État, changea la face de la guerre à Verdun. Car dès que la guerre
4546 uvre toutes les forces d’un État, changea la face de la guerre à Verdun. Car dès que la guerre devient « totale » — et non
4547 armées signifie l’anéantissement des forces vives de l’ennemi : des ouvriers embrigadés dans les usines, des mères qui pro
4548 usines, des mères qui procréent des soldats, bref de tous les « moyens de production », choses et personnes assimilées. La
4549 procréent des soldats, bref de tous les « moyens de production », choses et personnes assimilées. La guerre n’est plus un
4550 . La guerre n’est plus un viol mais un assassinat de l’objet convoité et hostile, — c’est-à-dire un acte « total », détrui
4551 emparer. Verdun ne fut d’ailleurs qu’un prodrome de cette guerre nouvelle, puisque le procédé se limita à la destruction
4552 le procédé se limita à la destruction méthodique d’ un million de soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de met
4553 e limita à la destruction méthodique d’un million de soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point
4554 struction méthodique d’un million de soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point un instrument qu
4555 soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point un instrument qui, par la suite, devait se trouver en
4556 nt qui, par la suite, devait se trouver en mesure d’ opérer sur des étendues bien plus vastes, comme Londres, Paris et Berl
4557 Londres, Paris et Berlin ; non plus seulement sur de la chair à canon, mais sur la chair qui fabrique les canons, ce qui e
4558 ce qui est évidemment plus efficace. La technique de la mort à grande distance ne trouve son équivalent dans nulle éthique
4559 ouve son équivalent dans nulle éthique imaginable de l’amour. C’est que la guerre totale échappe à l’homme et à l’instinct
4560 contact avec la civilisation technique. Une sorte de visite dirigée de l’exposition universelle des industries et arts app
4561 vilisation technique. Une sorte de visite dirigée de l’exposition universelle des industries et arts appliqués de la mort,
4562 tion universelle des industries et arts appliqués de la mort, avec démonstrations quotidiennes sur le vif. D’autre part, o
4563 tre part, on pourrait la comparer un premier Plan de quatre ans — idée que devaient reprendre un peu plus tard les dictate
4564 des moyens destructifs, mécanisés, eut pour effet de neutraliser la passion proprement belliqueuse des combattants. Il ne
4565 elliqueuse des combattants. Il ne s’agissait plus de violence du sang, mais de brutalité quantitative, de masses lancées l
4566 . Il ne s’agissait plus de violence du sang, mais de brutalité quantitative, de masses lancées les unes contre les autres
4567 violence du sang, mais de brutalité quantitative, de masses lancées les unes contre les autres non plus par des mouvements
4568 nes contre les autres non plus par des mouvements de délire passionnel, mais bien par des intelligences calculatrices d’in
4569 el, mais bien par des intelligences calculatrices d’ ingénieurs. Désormais, l’homme n’est plus que le servant du matériel ;
4570 servant du matériel ; il passe lui-même à l’état de matériel, d’autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réf
4571 atériel ; il passe lui-même à l’état de matériel, d’ autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réflexes individ
4572 nde, la victoire dépend en fin de compte des lois de la mécanique plutôt que des prévisions de la psychologie. L’instinct
4573 es lois de la mécanique plutôt que des prévisions de la psychologie. L’instinct combatif est déçu. L’explosion habituelle
4574 nstinct combatif est déçu. L’explosion habituelle de sexualité qui accompagnait les grands conflits ne s’est guère produit
4575 iviles. En dépit des efforts du lyrisme officiel, d’ une certaine littérature et de l’imagerie populaire, le retour du perm
4576 u lyrisme officiel, d’une certaine littérature et de l’imagerie populaire, le retour du permissionnaire ne ressemble à rie
4577 mâle longtemps privé. Des témoignages sans nombre de médecins et de soldats prouvent que la guerre du matériel s’est tradu
4578 privé. Des témoignages sans nombre de médecins et de soldats prouvent que la guerre du matériel s’est traduite en réalité
4579 et homosexualité, tel fut le résultat statistique de quatre années passées dans les tranchées. Et de là vient que pour la
4580 e de quatre années passées dans les tranchées. Et de là vient que pour la première fois, l’on ait assisté à une révolte gé
4581 rant plus l’exutoire des passions, mais une sorte d’ immense castration de l’Europe. c) La guerre totale suppose la destruc
4582 des passions, mais une sorte d’immense castration de l’Europe. c) La guerre totale suppose la destruction de toutes les fo
4583 urope. c) La guerre totale suppose la destruction de toutes les formes conventionnelles de la lutte. À partir de 1920, on
4584 destruction de toutes les formes conventionnelles de la lutte. À partir de 1920, on ne se soumettra plus aux « simagrées d
4585 se soumettra plus aux « simagrées diplomatiques » de l’ultimatum et de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront
4586 aux « simagrées diplomatiques » de l’ultimatum et de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront plus la solennell
4587 atiques » de l’ultimatum et de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront plus la solennelle conclusion des hosti
4588 t villes fortifiées, civils et militaires, moyens de destruction permis ou condamnés, tomberont. D’où résulte que la défai
4589 ns de destruction permis ou condamnés, tomberont. D’ où résulte que la défaite d’un pays ne sera plus symbolique, métaphori
4590 condamnés, tomberont. D’où résulte que la défaite d’ un pays ne sera plus symbolique, métaphorique, c’est-à-dire limitée à
4591 s signes convenus, mais sera concrètement la mort de ce pays. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée de règles, la
4592 s. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée de règles, la guerre ne traduit plus l’acte du viol sur le plan des nati
4593 mais bien l’acte du crime sadique, la possession d’ une victime morte, donc en fait la non-possession. Elle n’exprime plus
4594 et le transcende, mais seulement cette perversion de la passion — d’ailleurs fatale, nous l’avons vu ailleurs — qu’est le
4595 , nous l’avons vu ailleurs — qu’est le « complexe de castration ». 11.La passion transportée dans la politique Chass
4596 transportée dans la politique Chassée du champ de la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’être clos comme doi
4597 e la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’ être clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une
4598 mp cesse d’être clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles, mais un secteu
4599 rain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles, mais un secteur de bombardement — la passion a cherché et t
4600 lus une lice décorée de symboles, mais un secteur de bombardement — la passion a cherché et trouvé d’autres modes d’expres
4601 t — la passion a cherché et trouvé d’autres modes d’ expression en actes. Elle y était d’ailleurs contrainte par la dépréci
4602 les et privées, non moins que par la dénaturation de la guerre. D’une part, dans les pays démocratiques, les mœurs se sont
4603 lies à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus d’ obstacles absolus, donc exaltants pour la passion ; d’autre part, dans
4604 le dressage des jeunes par l’État tend à éliminer de la vie privée toute espèce de tragique intime et de problématique sen
4605 tat tend à éliminer de la vie privée toute espèce de tragique intime et de problématique sentimentale. L’anarchie des mœur
4606 la vie privée toute espèce de tragique intime et de problématique sentimentale. L’anarchie des mœurs et l’hygiène autorit
4607 rès dans le même sens : elles déçoivent le besoin de passion, héréditaire ou acquis par la culture ; elles détendent ses r
4608 mour, dans l’après-guerre, fut un curieux mélange d’ intellectualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et de l’anarchi
4609 mélange d’intellectualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste
4610 tualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit
4611 e de l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit des Allemands). L’on vit bien
4612 t bien que la passion romantique ne trouvait plus de quoi se composer un mythe ; ne trouvait plus des résistances choisies
4613 des résistances choisies au sein d’une atmosphère d’ orageuse et secrète dévotion. La crainte morbide des entraînements « n
4614 s « duperies du cœur », alliée à un désir fébrile d’ aventure, voilà le climat des principaux romans de cette période. Et c
4615 d’aventure, voilà le climat des principaux romans de cette période. Et cela signifie sans équivoque que les relations indi
4616 e les relations individuelles des sexes ont cessé d’ être le lieu par excellence où se réalise la passion. Celle-ci paraît
4617 e réalise la passion. Celle-ci paraît se détacher de son support. Nous sommes entrés dans l’ère des libidos errantes, en q
4618 entrés dans l’ère des libidos errantes, en quête d’ un théâtre nouveau. Et le premier qui s’est offert, c’est le théâtre p
4619 offert, c’est le théâtre politique. La politique de masses, telle qu’on l’a pratiquée depuis 1917 n’est que la continuati
4620 a pratiquée depuis 1917 n’est que la continuation de la guerre totale par d’autres moyens (pour reprendre une fois de plus
4621 fois de plus, en l’inversant, la célèbre formule de Clausewitz). Le terme de « fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs,
4622 sant, la célèbre formule de Clausewitz). Le terme de « fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs, l’État totalitaire n’est
4623 par ailleurs, l’État totalitaire n’est que l’état de guerre prolongé, ou recréé, et entretenu en permanence dans la nation
4624 is si la guerre totale anéantit toute possibilité de passion, la politique ne fait que transposer les passions individuell
4625 elle (ou lui) qui assume désormais la dialectique de l’obstacle exaltant, de l’ascèse et de la course inconsciente à la mo
4626 désormais la dialectique de l’obstacle exaltant, de l’ascèse et de la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante
4627 ialectique de l’obstacle exaltant, de l’ascèse et de la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante. Tandis qu’à l
4628 rsonnels, à l’extérieur et au sommet le potentiel de passion s’accroît de jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la moral
4629 ur et au sommet le potentiel de passion s’accroît de jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la morale qui concerne les ci
4630 yens : et l’eugénisme est la négation rationnelle de toute espèce d’aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la ten
4631 nisme est la négation rationnelle de toute espèce d’ aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension de l’ensemb
4632 privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension de l’ensemble, personnifié dans la Nation. L’État-nation dit aux Alleman
4633 ux Allemands : — Procréez ! et c’est une négation de la passion ; mais il dit aux peuples voisins : — Nous sommes trop nom
4634 muler au sommet. Or il est clair que ces volontés de puissance affrontées — il y a déjà plusieurs États totalitaires — ne
4635 r l’autre l’obstacle. Le but réel, tacite, fatal, de ces exaltations totalitaires est donc la guerre, qui signifie la mort
4636 signifie la mort. Et comme on le voit dans le cas de la passion d’amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les
4637 rt. Et comme on le voit dans le cas de la passion d’ amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les intéressés, m
4638 ’on exalte y trouve son sens réel. Il serait aisé de multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la politique
4639 ns réel. Il serait aisé de multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la politique et la passion. L’ascèse co
4640 ules réagissent au dictateur, dans un pays donné, de la même manière que la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations
4641 la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations de l’homme. Le Français s’étonne des succès d’Hitler auprès de la masse
4642 tions de l’homme. Le Français s’étonne des succès d’ Hitler auprès de la masse germanique, mais il ne s’étonnerait pas moin
4643 atins, faire la cour à une femme c’est l’étourdir de paroles flatteuses : ainsi nos hommes politiques quand ils courtisent
4644 e enfin le destin et affirme qu’il est ce destin… De la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de ses actes, donc
4645 l est ce destin… De la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de ses actes, donc du sentiment oppressant de sa cu
4646 a sorte, il délivre la foule de la responsabilité de ses actes, donc du sentiment oppressant de sa culpabilité morale. Ell
4647 bilité de ses actes, donc du sentiment oppressant de sa culpabilité morale. Elle se rend au sauveur terrible et le nomme s
4648 le terme populaire désignant en Allemagne l’acte d’ épouser, c’est freien, verbe qui signifie littéralement : libérer… Hit
4649 a plus facilement dans le domaine des sentiments… De tous temps, la force qui a mis en mouvement les révolutions les plus
4650 iolentes a résidé bien moins dans la proclamation d’ une idée scientifique qui s’emparait des foules que dans un fanatisme
4651 qui les emballait follement. (Mein Kampf) Oui, «  de tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est qu
4652 « de tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est que l’action passionnelle sur les masses, telle qu
4653 telle que la définit Hitler, se double désormais d’ une action rationalisante sur les individus. En outre, cette action n’
4654 elconque, mais par le chef qui incarne la Nation. D’ où la puissance sans précédent du transfert qui s’opère du privé au pu
4655 public. Quel Wagner surhumain sera donc en mesure d’ orchestrer la grandiose catastrophe de la passion devenue totalitaire 
4656 c en mesure d’orchestrer la grandiose catastrophe de la passion devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil d’une conc
4657 n devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil d’ une conclusion que j’étais loin de prévoir en commençant ce livre. Que
4658 e. Que l’on suive l’évolution du mythe occidental de la passion dans l’histoire de la littérature ou dans l’histoire des m
4659 du mythe occidental de la passion dans l’histoire de la littérature ou dans l’histoire des méthodes de la guerre, c’est la
4660 de la littérature ou dans l’histoire des méthodes de la guerre, c’est la même courbe qui apparaît. Et l’on aboutit pareill
4661 ’on aboutit pareillement à cet aspect trop ignoré de la crise de notre époque, qui est la dissolution des formes instituée
4662 pareillement à cet aspect trop ignoré de la crise de notre époque, qui est la dissolution des formes instituées par la che
4663 stituées par la chevalerie. C’est dans le domaine de la guerre, où toute évolution est pratiquement irréversible, — alors
4664 a des « retours » littéraires — que la nécessité d’ une solution nouvelle est apparue en premier lieu. Cette solution s’ap
4665 t totalitaire. C’est la réponse du xxe siècle né de la guerre à la menace permanente que la passion et l’instinct de mort
4666 la menace permanente que la passion et l’instinct de mort font peser sur toute société. La réponse du xiie siècle avait é
4667 lassique182. La réponse du xviiie fut le cynisme de Don Juan et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme ne fut pas une
4668 ces nocturnes du mythe n’ait été un dernier moyen de le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soit, cette défense éta
4669 se répandirent dans les domaines les plus divers, d’ où résulta une dissociation, au sens précis de relâchement des liens s
4670 rs, d’où résulta une dissociation, au sens précis de relâchement des liens sociaux. La guerre européenne fut le jugement d
4671 ens sociaux. La guerre européenne fut le jugement d’ un monde qui avait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer d’une
4672 ait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer d’ une manière anarchique le « contenu » mortel du mythe. Cependant, je n
4673 mythe. Cependant, je ne pense pas que le drainage de toute passion par la nation soit autre chose qu’une mesure de détress
4674 sion par la nation soit autre chose qu’une mesure de détresse. C’est repousser la menace immédiate, mais l’aggraver alors
4675 omplexe des hommes, même militarisés. Des mesures de police ne font pas une culture, des slogans ne font pas une morale. E
4676 e quotidienne des hommes, il subsiste encore trop de jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résol
4677 des hommes, il subsiste encore trop de jeu, trop d’ angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors :
4678 siste encore trop de jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la
4679 en ce sera la guerre à bref délai, et le problème de la passion sera supprimé avec la civilisation qui l’a fait naître ; O
4680 tra dans les pays totalitaires, comme il ne cesse de nous travailler dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité de l
4681 dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité de la paix que j’envisagerai dans les deux livres terminaux : le premier
4682 163. On en aura un aperçu en lisant les ouvrages de Freud, et L’Instinct combatif de Pierre Bovet. 164. Défaite se dit
4683 ant les ouvrages de Freud, et L’Instinct combatif de Pierre Bovet. 164. Défaite se dit en allemand Niederlage, littéral
4684 en allemand Niederlage, littéralement : position de qui gît à terre, de qui est couché au-dessous (cf. l’expression « avo
4685 age, littéralement : position de qui gît à terre, de qui est couché au-dessous (cf. l’expression « avoir le dessous »). Ra
4686 voir le dessous »). Rappelons aussi le symbolisme de la Tour assiégée dans le Roman de la Rose, et l’expression « se faire
4687 i le symbolisme de la Tour assiégée dans le Roman de la Rose, et l’expression « se faire des alliés dans la place ». 165.
4688 ion autant que par l’intelligence et la fécondité de ses vues critiques renouvelle notre conception du Moyen Âge en nous f
4689 ns la vie quotidienne des bourgeois et des nobles de l’époque. Les passages entre guillemets de ce chapitre et du suivant
4690 nobles de l’époque. Les passages entre guillemets de ce chapitre et du suivant sont des citations de la traduction françai
4691 s de ce chapitre et du suivant sont des citations de la traduction française. (Paris 1932.) 167. Qu’on se reporte à notre
4692 ) 167. Qu’on se reporte à notre analyse du mythe de Tristan : on y trouvera quelques illustrations typiques de ce passage
4693 n : on y trouvera quelques illustrations typiques de ce passage (barons « félons », jugement par le fer, justification tan
4694 lons », jugement par le fer, justification tantôt de l’adultère tantôt de la séparation des amants). 168. Je serais assez
4695 le fer, justification tantôt de l’adultère tantôt de la séparation des amants). 168. Je serais assez tenté de voir dans l
4696 paration des amants). 168. Je serais assez tenté de voir dans la fonction dramatique du tournoi l’une des origines de la
4697 fonction dramatique du tournoi l’une des origines de la tragédie moderne. Celle-ci s’est constituée précisément à l’époque
4698 précisément à l’époque où les tournois passaient de mode, et où se dissociaient leurs éléments guerrier, sportif et théât
4699 ique que comportait le tournoi, mais satisfaisant d’ autant mieux le besoin, d’émotion sentimentale et spirituelle. 169.
4700 rnoi, mais satisfaisant d’autant mieux le besoin, d’ émotion sentimentale et spirituelle. 169. Guichardin, Histoire des G
4701 rituelle. 169. Guichardin, Histoire des Guerres d’ Italie, I, p. 2. 170. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance
4702 0. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance de l’esprit. 171. Die Kultur der Renaissance, VI, p. 1. 172. Il est j
4703 naissance, VI, p. 1. 172. Il est juste toutefois de rappeler qu’on tuait facilement dans ce pays. Mais le meurtre y resta
4704 ans le monde militarisé, l’individu se voit privé de cette possibilité passionnelle, transférée à la seule collectivité. C
4705 a suite des dévastations qui marquèrent la guerre de Trente Ans, les années s’imposèrent « des règles et des limites qui r
4706 oral et à une nécessité pratique ». Il s’agissait d’ éviter des dépenses excessives — les hommes coûtant cher — et de ne pa
4707 épenses excessives — les hommes coûtant cher — et de ne pas effrayer les peuples au point de rendre impossible tout recrut
4708 cher — et de ne pas effrayer les peuples au point de rendre impossible tout recrutement des volontaires… 175. J. Bouleng
4709 r, Le Grand Siècle. 176. F. Foch, Les Principes de la Guerre (1903, réédité en 1929). 177. E. et J. de Goncourt, La Fem
4710 compagna la Terreur, voir le très curieux ouvrage d’ André Monglond, Le Préromantisme français. 179. Je parle de cette cho
4711 nglond, Le Préromantisme français. 179. Je parle de cette chose abstraite et frappante, irréelle mais signifiante, qu’est
4712 iante, qu’est la moyenne des expressions typiques de l’amour à une époque donnée — aussi irréelle et aussi signifiante dan
4713 ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a de tout — mais qui sont d’une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis r
4714 que — dans chacune il y a de tout — mais qui sont d’ une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien de m
4715 a de tout — mais qui sont d’une époque plutôt que d’ une autre. Je ne dis rien de plus ni rien de moins. 180. Conclusion d
4716 t que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien de moins. 180. Conclusion de l’enquête conduite sous la direction de Ma
4717 s rien de plus ni rien de moins. 180. Conclusion de l’enquête conduite sous la direction de Magnus Hirschfeld par une dou
4718 onclusion de l’enquête conduite sous la direction de Magnus Hirschfeld par une douzaine de savants allemands et autrichien
4719 a direction de Magnus Hirschfeld par une douzaine de savants allemands et autrichiens, et publiée sous le titre de Sitteng
4720 llemands et autrichiens, et publiée sous le titre de Sittengeschichte des Weltkriegs (Histoire des mœurs pendant la guerre
4721 , éprouvant que la guerre totale est une négation de la passion guerrière, se jette alors dans des aventures absurdes, qu’
4722 Guerre notre mère d’Ernst Jünger et les Réprouvés de Ernst von Salomon, pour ne citer que des ouvrages traduits en françai
4723 e, Chine). C’est la débauche désespérée et vénale de celui qu’a déçu la passion. Revanche sadique. 182. Bachofen (auteur
7 1939, L’Amour et l’Occident. Livre VI. Le mythe contre le mariage
4724 Deux morales s’affrontaient au Moyen Âge : celle de la société christianisée, et celle de la courtoisie hérétique. L’une
4725 Âge : celle de la société christianisée, et celle de la courtoisie hérétique. L’une impliquait le mariage, dont elle fit m
4726 même un sacrement ; l’autre exaltait un ensemble de valeurs d’où résultait — en principe tout au moins — la condamnation
4727 crement ; l’autre exaltait un ensemble de valeurs d’ où résultait — en principe tout au moins — la condamnation du mariage.
4728 rouvait donc sanctifier les intérêts fondamentaux de l’espèce et les intérêts de la cité. Celui qui contrevenait à ce trip
4729 intérêts fondamentaux de l’espèce et les intérêts de la cité. Celui qui contrevenait à ce triple engagement ne se rendait
4730 ou méprisable. La synthèse catholique s’efforçait de marier l’eau et le feu, car on pouvait tirer des Écritures et des Pèr
4731 s thèses les plus contradictoires sur la sainteté de la procréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté de la virginité
4732 dictoires sur la sainteté de la procréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi de l’esprit. Pour
4733 rocréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi de l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple,
4734 espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi de l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple, une descendance nombr
4735 par exemple, une descendance nombreuse est signe d’ élection, tandis que pour saint Paul, celui qui reste vierge « fait mi
4736 ême chrétiennement. L’hérésie qui est à l’origine de la cortezia du Midi s’opposait au mariage catholique sur les trois ch
4737 nt, comme n’étant établi par aucun texte univoque de l’Évangile183. Elle condamnait la procréation comme relevant de la lo
4738 83. Elle condamnait la procréation comme relevant de la loi du Prince des ténèbres, c’est-à-dire du Démiurge auteur du mon
4739 du vouloir-vivre collectif184. Mais le fondement de ces trois refus était en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire
4740 nt de ces trois refus était en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant, en conflit éternel et ang
4741 it en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant, en conflit éternel et angoissé avec la créature de
4742 , en conflit éternel et angoissé avec la créature de chair et ses instincts asservissants. L’apparition de la passion d’Am
4743 hair et ses instincts asservissants. L’apparition de la passion d’Amour devait donc transformer radicalement le jugement p
4744 stincts asservissants. L’apparition de la passion d’ Amour devait donc transformer radicalement le jugement porté sur l’adu
4745 é. Mais nous avons montré que le symbole courtois de l’amour pour une Dame (spirituelle), amour évidemment incompatible av
4746 èmes provençaux et des romans bretons, l’adultère de Tristan reste une faute185, mais il se trouve revêtir en même temps l
4747 mais il se trouve revêtir en même temps l’aspect d’ une aventure plus belle que la morale. Ce qui, pour le croyant maniché
4748 anichéen, était l’expression dramatique du combat de la foi et du monde, devient alors pour le lecteur une « poésie » équi
4749 sie » équivoque et brûlante. Poésie toute profane d’ apparences, dont la puissance de séduction s’accroît encore du fait qu
4750 sie toute profane d’apparences, dont la puissance de séduction s’accroît encore du fait que l’on ignore la signification m
4751 du fait que l’on ignore la signification mystique de ses symboles, et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que d’un
4752 et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que d’ un mystère vague et flatteur. Comment expliquer autrement qu’à partir
4753 ieu qu’à des commentaires édifiants sur le danger de pécher et le remords, devient soudain vertu mystique (dans le symbole
4754 t ramener la crise actuelle du mariage au conflit de l’orthodoxie et d’une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme te
4755 actuelle du mariage au conflit de l’orthodoxie et d’ une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme telle, n’existe plus 
4756 avouer qu’elle joue un rôle restreint dans la vie de nos sociétés. Ce qui explique, à mon sens l’état présent de dé-morali
4757 iétés. Ce qui explique, à mon sens l’état présent de dé-moralisation générale — non d’a-moralité comme on dit trop souvent
4758 l’état présent de dé-moralisation générale — non d’ a-moralité comme on dit trop souvent — c’est la confuse dissension au
4759 onfuse dissension au sein de laquelle nous vivons de deux morales, dont l’une est héritée de l’orthodoxie religieuse, mais
4760 us vivons de deux morales, dont l’une est héritée de l’orthodoxie religieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi vivante, e
4761 plus sur une foi vivante, et dont l’autre dérive d’ une hérésie dont l’expression « essentiellement lyrique » nous parvien
4762 i les forces en présence : d’une part, une morale de l’espèce et de la société en général, mais plus ou moins empreinte de
4763 présence : d’une part, une morale de l’espèce et de la société en général, mais plus ou moins empreinte de religion — c’e
4764 société en général, mais plus ou moins empreinte de religion — c’est ce que l’on nomme la morale bourgeoise ; d’autre par
4765 passionnelle ou romanesque. Tous les adolescents de la bourgeoisie occidentale sont élevés dans l’idée du mariage, mais e
4766 es. Leurs origines et leurs finalités s’excluent. De leur coexistence dans nos vies surgissent sans fin des problèmes inso
4767 n d’autres temps, ce fut la fonction du mythe que d’ ordonner cette anarchie latente et de la composer symboliquement dans
4768 du mythe que d’ordonner cette anarchie latente et de la composer symboliquement dans nos catégories morales. Rôle d’exutoi
4769 symboliquement dans nos catégories morales. Rôle d’ exutoire, rôle civilisateur. Mais le mythe s’est déprimé et profané en
4770 ses éléments plastiques. Si maintenant il tentait de se recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus de résistances as
4771 recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus de résistances assez solides pour lui servir de masque et de prétexte. U
4772 plus de résistances assez solides pour lui servir de masque et de prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur
4773 tances assez solides pour lui servir de masque et de prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur la « crise d
4774 Mais je doute fort qu’il en résulte aucune espèce de solution pratique : car seul le mythe, c’est-à-dire l’inconscience po
4775 nscience pourrait fournir à la passion une espèce de modus vivendi, et tous ces livres, aggravant au contraire notre consc
4776 ibuent à le rendre insoluble. Ils sont les signes de la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire dans les cadre
4777 uble. Ils sont les signes de la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire dans les cadres actuels. L’institution
4778 atrimoniale se fondait en effet sur trois groupes de valeurs qui lui fournissaient ses « contraintes » — et c’est précisém
4779  contraintes » — et c’est précisément dans le jeu de ces contraintes que le mythe puisait ses moyens d’expression (comme o
4780 e ces contraintes que le mythe puisait ses moyens d’ expression (comme on l’a vu au Livre I). Or voici que ces contraintes
4781 , chez les peuples païens, s’est toujours entouré d’ un rituel dont nos institutions gardèrent longtemps les éléments : rit
4782 itutions gardèrent longtemps les éléments : rites de l’achat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, l
4783 ngtemps les éléments : rites de l’achat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son imp
4784 ments : rites de l’achat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son importance, par su
4785 hat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son importance, par suite de l’instabilité
4786 et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son importance, par suite de l’instabilité économique. Les coutumes r
4787 paysannes186. La demande en mariage, avec échange de visites en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi dém
4788 mande en mariage, avec échange de visites en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi démodée que les crinol
4789 uples n’éprouve plus même le besoin superstitieux d’ aller se faire « bénir » par un prêtre. 2. — Contraintes sociales Les
4790 n prêtre. 2. — Contraintes sociales Les questions de rang, de sang, d’intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train
4791 2. — Contraintes sociales Les questions de rang, de sang, d’intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train de passer
4792 traintes sociales Les questions de rang, de sang, d’ intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train de passer au secon
4793 s de rang, de sang, d’intérêts familiaux, et même d’ argent, sont en train de passer au second plan dans les pays démocrati
4794 e plus en plus le choix réciproque des conjoints. D’ où le nombre croissant des divorces. En même temps, les cérémonies épi
4795 s se simplifient ou disparaissent. Il est curieux de noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telles que la « 
4796 aissent. Il est curieux de noter que des coutumes d’ origine lointaine et sacrée telles que la « quasi-publicité du lit nup
4797 es originels, mais les rites gardaient pour effet de socialiser l’acte du mariage, de l’intégrer dans l’existence communau
4798 aient pour effet de socialiser l’acte du mariage, de l’intégrer dans l’existence communautaire. À partir du xviiie siècle
4799 À partir du xviiie siècle, le thème du « Coucher de la mariée » n’est plus qu’une occasion d’anodines galanteries pictura
4800 Coucher de la mariée » n’est plus qu’une occasion d’ anodines galanteries picturales. De nos jours enfin, le « voyage de no
4801 u’une occasion d’anodines galanteries picturales. De nos jours enfin, le « voyage de noces », pour autant qu’il subsiste e
4802 eries picturales. De nos jours enfin, le « voyage de noces », pour autant qu’il subsiste et garde une signification, repré
4803 signification, représente bien plutôt une volonté de s’évader de l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de
4804 n, représente bien plutôt une volonté de s’évader de l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de ce qu’on app
4805 une volonté de s’évader de l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de ce qu’on appelle le bonheur des époux
4806 biance sociale et de souligner le caractère privé de ce qu’on appelle le bonheur des époux. 3. — Contraintes religieuses D
4807 à-dire qu’il ne tient aucun compte des variations de tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne
4808 tient aucun compte des variations de tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas d
4809 mpte des variations de tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas de se produire
4810 iations de tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas de se produire un jour ou d
4811 s et de conditions externes qui ne manqueront pas de se produire un jour ou d’autre dans la vie du couple. Or c’est de tou
4812 s qui ne manqueront pas de se produire un jour ou d’ autre dans la vie du couple. Or c’est de tout cela, justement, que les
4813 n jour ou d’autre dans la vie du couple. Or c’est de tout cela, justement, que les modernes font dépendre leur « bonheur »
4814 des obstacles institutionnels entraîne une chute de tension morale d’où résulte une immense confusion. L’adultère devient
4815 titutionnels entraîne une chute de tension morale d’ où résulte une immense confusion. L’adultère devient un sujet de délic
4816 ne immense confusion. L’adultère devient un sujet de délicates analyses psychologiques, ou de plaisanteries vaudevillesque
4817 un sujet de délicates analyses psychologiques, ou de plaisanteries vaudevillesques. La fidélité dans le mariage paraît lég
4818 ge paraît légèrement ridicule : elle prend figure de conformisme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit de deux mora
4819 isme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit de deux morales hostiles — et par suite plus de mythe possible — mais on
4820 flit de deux morales hostiles — et par suite plus de mythe possible — mais on approche d’un état de neutralisation mutuell
4821 r suite plus de mythe possible — mais on approche d’ un état de neutralisation mutuelle au terme de la consomption des viei
4822 us de mythe possible — mais on approche d’un état de neutralisation mutuelle au terme de la consomption des vieilles valeu
4823 che d’un état de neutralisation mutuelle au terme de la consomption des vieilles valeurs non transcendées mais déprimées.
4824 2.Idée moderne du bonheur Le mariage cessant d’ être garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fo
4825 Le mariage cessant d’être garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fonder, désormais, que sur des d
4826 as le plus favorable. Or s’il est assez difficile de définir en général le bonheur, le problème devient insoluble dès que
4827 t insoluble dès que s’y ajoute la volonté moderne d’ être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de
4828 ue s’y ajoute la volonté moderne d’être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir de quoi i
4829 son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pou
4830 r, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’amé
4831 peut-être au même, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouc
4832 , de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouches bien calculée
4833 nheur, répètent les prêches des magazines, dépend de ceci, exige cela — et ceci ou cela, c’est toujours quelque chose qu’i
4834 t toujours quelque chose qu’il faut acquérir, par de l’argent le plus souvent. Le résultat de cette propagande dont le suc
4835 rir, par de l’argent le plus souvent. Le résultat de cette propagande dont le succès caractérise l’état moral de l’époque,
4836 ropagande dont le succès caractérise l’état moral de l’époque, est à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheur facil
4837 ractérise l’état moral de l’époque, est à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup de nous
4838 ’époque, est à la fois de nous obséder par l’idée d’ un bonheur facile, et du même coup de nous rendre inaptes à le posséde
4839 r par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup de nous rendre inaptes à le posséder. Car tout ce qu’on nous propose nou
4840 e qu’on nous propose nous introduit dans le monde de la comparaison, où nul bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme
4841 t meurt dans la revendication. C’est qu’il dépend de l’être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont rép
4842 evendication. C’est qu’il dépend de l’être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et notre tem
4843 pend de l’être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et notre temps n’apporte rien qui doive
4844 temps n’apporte rien qui doive nous faire changer d’ avis. Tout bonheur que l’on veut sentir, que l’on veut tenir à sa merc
4845 ur » suppose de la part des modernes une capacité d’ ennui presque morbide — ou l’intention secrète de tricher II est proba
4846 d’ennui presque morbide — ou l’intention secrète de tricher II est probable que cette intention ou cet espoir d’ailleurs
4847 lle on se marie encore « sans y croire ». Le rêve de la passion possible agit comme une distraction permanente, anesthésia
4848 distraction permanente, anesthésiant les révoltes de l’ennui. On n’ignore pas que la passion serait un malheur — mais on p
4849 dans nos vies l’idée moderne du bonheur. Cela va de toute manière à la ruine du mariage en tant qu’institution sociale.
4850 , qui les traitait comme des égaux. On peut citer de très nombreux exemples de vilains armés chevaliers parce qu’ils savai
4851 es égaux. On peut citer de très nombreux exemples de vilains armés chevaliers parce qu’ils savaient chanter l’Amour. Et c’
4852 Et c’est pourquoi certains auteurs ont pu parler d’ une féodalité démocratique en Languedoc. Il est clair qu’un tel jugeme
4853 que : car l’Amour dont il s’agissait n’était rien d’ autre que la foi cathare, et l’accession d’un roturier à la chevalerie
4854 t rien d’autre que la foi cathare, et l’accession d’ un roturier à la chevalerie était un symbole mystique bien plutôt qu’u
4855 ons longuement parlé ; on prit le symbole au pied de la lettre, on « mystifia » l’amour profane. Et c’est de là que nous v
4856 lettre, on « mystifia » l’amour profane. Et c’est de là que nous vient, par la littérature, cette idée toute moderne et ro
4857 ’elle nous met au-dessus des lois. Celui qui aime de passion accède à une humanité plus haute, où les barrières sociales,
4858 e mécano épouser l’héritière187. De même, le Prix de Beauté a quelque chance de devenir comtesse ou milliardaire. C’est un
4859 e187. De même, le Prix de Beauté a quelque chance de devenir comtesse ou milliardaire. C’est une « adaptation » moderne — 
4860 langage du cinéma, seul adéquat en l’occurrence — de la primauté de l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion prof
4861 ma, seul adéquat en l’occurrence — de la primauté de l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion profane soit une ab
4862 la passion profane soit une absurdité, une forme d’ intoxication, une « maladie de l’âme » comme pensaient les Anciens, to
4863 bsurdité, une forme d’intoxication, une « maladie de l’âme » comme pensaient les Anciens, tout le monde est prêt à le reco
4864 et cette nuance est décisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend de l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même
4865 cisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend de l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même ou la vie en général :
4866 ur lui-même ou la vie en général : dernier relent de la mystique primitive. De la poésie à l’anecdote piquante, la passion
4867 énéral : dernier relent de la mystique primitive. De la poésie à l’anecdote piquante, la passion c’est toujours l’aventure
4868 nture. C’est ce qui va changer ma vie, l’enrichir d’ imprévu, de risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes
4869 t ce qui va changer ma vie, l’enrichir d’imprévu, de risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes ou flatteus
4870 vie, l’enrichir d’imprévu, de risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes ou flatteuses. C’est tout le poss
4871  ! — la plus « naturelle » pensera-t-on… Illusion de liberté. Et illusion de plénitude. Je nommerai libre un homme qui se
4872  » pensera-t-on… Illusion de liberté. Et illusion de plénitude. Je nommerai libre un homme qui se possède. Mais l’homme de
4873 merai libre un homme qui se possède. Mais l’homme de la passion cherche au contraire à être possédé, dépossédé, jeté hors
4874 é, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et de fait, c’est déjà sa nostalgie qui le « démeine » — dont il ignore l’o
4875  dont il ignore l’origine et la fin. Son illusion de liberté repose sur cette double ignorance. Le passionné, c’est l’homm
4876 sionné, c’est l’homme qui veut trouver son « type de femme » et n’aimer qu’elle. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’appari
4877 le. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’apparition d’ une noble Dame dans le paysage des souvenirs d’enfance : Blonde, aux
4878 on d’une noble Dame dans le paysage des souvenirs d’ enfance : Blonde, aux yeux noirs, en ses habits anciens Que dans une
4879 tre J’ai déjà vue, et dont je me souviens… Image de la mère, sans nul doute, et la psychanalyse nous apprend quels empêch
4880 nts tragiques cela peut signifier. Mais l’exemple d’ un poète ne vaut rien ou vaut trop. J’entends décrire une illusion app
4881 ommes du xxe siècle : or plus encore que l’image de la Mère, ce qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ». De nos j
4882 qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ». De nos jours — et ce n’est qu’un début —, un homme qui se prend de passi
4883  et ce n’est qu’un début —, un homme qui se prend de passion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est présumé neura
4884 ra soigner.) Certes, la standardisation des types de femmes admis pour « beaux » se produit normalement dans chaque généra
4885 dans chaque génération, de même que chaque époque de la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la
4886 e sportive. Mais le panurgisme esthétique atteint de nos jours une puissance inconnue, développée par tous les moyens tech
4887 ues, et bientôt politiques, en sorte que le choix d’ un type de femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se t
4888 entôt politiques, en sorte que le choix d’un type de femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se trouve déte
4889 llywood — et bientôt par l’État. Double influence de la beauté-standard : elle définit d’avance l’objet de la passion — dé
4890 le influence de la beauté-standard : elle définit d’ avance l’objet de la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et d
4891 a beauté-standard : elle définit d’avance l’objet de la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et disqualifie le mar
4892 édante. (Encore la femme pourra-t-elle s’efforcer de se faire une tête à la Garbo, mais alors il s’agit que le mari ressem
4893 emble à Gable ou à Taylor !) Ainsi la « liberté » de la passion relève des statistiques publicitaires. L’homme qui croit d
4894 icitaires. L’homme qui croit désirer « son » type de femme se trouve intimement déterminé par des facteurs de mode ou de c
4895 e se trouve intimement déterminé par des facteurs de mode ou de commerce qui changent au moins tous les six mois. Supposon
4896 intimement déterminé par des facteurs de mode ou de commerce qui changent au moins tous les six mois. Supposons, comme il
4897 entre ce qu’il aime et ce que le film le persuade d’ aimer. Il rencontre cette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme
4898 ette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme de son désir et de sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve188 ; elle
4899 a reconnaît. C’est elle, la femme de son désir et de sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve188 ; elle est mariée, natu
4900 e sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement de ce Tristan qu’il porte en soi comme son génie caché ! Et plus rien ne
4901 a couronne s’il est roi). Voilà le vrai « mariage d’ amour » moderne : le mariage avec la passion ! Mais aussitôt paraît u
4902 eut, c’est toujours l’étrangère, l’étrangeté même de la femme, et tout ce qu’il y a d’éternellement fuyant, évanouissant e
4903 ’étrangeté même de la femme, et tout ce qu’il y a d’ éternellement fuyant, évanouissant et presque hostile dans un être, ce
4904 ui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité de posséder, plus délicieuse que toute possession au cœur de l’homme en
4905 der, plus délicieuse que toute possession au cœur de l’homme en proie au mythe. C’est la femme-dont-on-est-séparé : on la
4906 désirer et pour exalter ce désir aux proportions d’ une passion consciente, intense, infiniment intéressante… Or c’est la
4907 , où plus rien ne s’oppose à leur union, le génie de la passion dépose entre leurs corps une épée nue. Descendons quelques
4908 endons quelques siècles et toute l’échelle qui va de l’héroïsme religieux à la confusion sans grandeur où se débattent les
4909 emme perd son « attrait », parce qu’il n’est plus d’ obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe dont l’hor
4910 ’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’ un mythe dont l’horizon mystique s’est refermé depuis longtemps. Pour
4911 tourmenter sans lui révéler son secret, il n’est d’ au-delà de la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourment
4912 r sans lui révéler son secret, il n’est d’au-delà de la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourment nouveau d
4913 s une passion nouvelle — dans le tourment nouveau de la poursuite d’apparences toujours plus fugitives. Il était de la nat
4914 uvelle — dans le tourment nouveau de la poursuite d’ apparences toujours plus fugitives. Il était de la nature essentielle
4915 te d’apparences toujours plus fugitives. Il était de la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin — et c’e
4916 plus fugitives. Il était de la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin — et c’est par là que cette passi
4917 t de la nature essentielle de la passion mystique d’ être sans fin — et c’est par là que cette passion se détachait des ryt
4918 moderne, ce n’est plus que le retour sempiternel d’ une ardeur constamment déçue. Le mythe décrivait une fatalité dont ses
4919 dénoue en infidélité. Qui ne sent la dégradation d’ un Tristan qui a plusieurs Iseut ? Or ce n’est pas lui qu’il convient
4920 sieurs Iseut ? Or ce n’est pas lui qu’il convient d’ accuser, mais il est la victime d’un ordre social où les obstacles se
4921 qu’il convient d’accuser, mais il est la victime d’ un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vit
4922 . Sans cesse, il faut recommencer cette ascension de l’âme dressée contre le monde. Mais alors le Tristan moderne glisse v
4923 oderne glisse vers le type contraire du Don Juan, de l’homme aux amours successives. Les catégories se détruisent, l’avent
4924 à cette consomption. Mais Don Juan ne connaît pas d’ Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déch
4925 omption. Mais Don Juan ne connaît pas d’Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déchirements vol
4926 nnaît pas d’Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dan
4927 Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni d’ avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat
4928 passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat, il n’a jama
4929 toujours dans l’immédiat, il n’a jamais le temps d’ aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne l
4930 dans l’immédiat, il n’a jamais le temps d’aimer —  d’ attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste
4931 t, il n’a jamais le temps d’aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’
4932 d’aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’aime pas ce qui lui résis
4933 l n’aime pas ce qui lui résiste. ⁂ Aimer, au sens de la passion, c’est alors le contraire de vivre ! C’est un appauvrissem
4934 , au sens de la passion, c’est alors le contraire de vivre ! C’est un appauvrissement de l’être, une ascèse sans au-delà,
4935 le contraire de vivre ! C’est un appauvrissement de l’être, une ascèse sans au-delà, une impuissance à aimer le présent s
4936 t, une fuite sans fin devant la possession. Aimer d’ amour-passion signifiait « vivre » pour Tristan, car la vraie vie qu’i
4937 et du film apparaissent comme les signes certains d’ une décadence de la personne chez les modernes, et d’une espèce de mal
4938 aissent comme les signes certains d’une décadence de la personne chez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’être.
4939 ne décadence de la personne chez les modernes, et d’ une espèce de maladie de l’être. Presque toutes les complications qui
4940 de la personne chez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’être. Presque toutes les complications qui servent d’int
4941 nne chez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’être. Presque toutes les complications qui servent d’intrigues à no
4942 tre. Presque toutes les complications qui servent d’ intrigues à nos auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses de la
4943 auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses de la passion pour s’« entretenir », — des ruses d’une passion débile po
4944 de la passion pour s’« entretenir », — des ruses d’ une passion débile pour s’inventer de plus secrets obstacles. Je songe
4945 plus secrets obstacles. Je songe à la psychologie de la jalousie, qui envahit nos analyses : jalousie désirée, provoquée,
4946 , — n’aboutit pas. On retombe sans cesse au monde de la comparaison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes
4947 esse au monde de la comparaison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur seuil souffr
4948 t femmes dès qu’ils passent leur seuil souffrent de jalousie », dit un poème tibétain189. C’est que, passant « leur seuil
4949 in189. C’est que, passant « leur seuil », sortant de leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d
4950 t du présent tel qu’il leur est donné, incapables d’ accepter l’autre tel qu’il est, parce qu’il faudrait tout d’abord s’ac
4951 r, qualités dont ils se sentent privés, et motifs de comparaisons qui toujours tournent à leur détriment. Le mari souffre
4952 l. Il a perdu la seule chose nécessaire : le sens de la fidélité. Car voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’u
4953 voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’ un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à
4954 non comme prétexte à s’exalter, ou comme « objet de contemplation », mais comme une existence incomparable et autonome à
4955 incomparable et autonome à son côté, une exigence d’ amour actif. ⁂ Je n’entends pas ici attaquer la passion : je me borne
4956 comment cette passion développe un certain nombre de fatalités psychologiques dont les effets ne sont plus contestables. Q
4957 ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée mêm
4958 contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée même du mariage
4959 mariage dans une époque où l’on tente la gageure de fonder le mariage, précisément, sur les valeurs élaborées par une éth
4960 sément, sur les valeurs élaborées par une éthique de la passion. Certes, il serait excessif d’estimer que la plupart de no
4961 éthique de la passion. Certes, il serait excessif d’ estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie au délire de
4962 part de nos contemporains sont en proie au délire de Tristan. Bien peu ont assez soif pour boire le philtre, et j’en vois
4963 ythe primitif, c’est pourtant là qu’est le secret de l’inquiétude qui tourmente aujourd’hui les couples. Rien ne répugne a
4964 ne répugne autant à un esprit moderne que l’idée d’ une limitation volontairement assumée ; et rien ne le flatte davantage
4965 ée ; et rien ne le flatte davantage que le mirage d’ infini dépassement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer de pren
4966 ement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer de prendre conscience de la nature du phénomène, c’est à quoi se résume
4967 souvenir du mythe. Essayer de prendre conscience de la nature du phénomène, c’est à quoi se résume l’ambition des analyse
4968 spirituel que fait courir à la personne l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe). D’où les multiples tentatives de « 
4969 ne l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe). D’ où les multiples tentatives de « restauration » du mariage auxquelles
4970 est née du mythe). D’où les multiples tentatives de « restauration » du mariage auxquelles nous assistons depuis la guerr
4971 s la guerre. Les Églises font un honorable effort de redéfinition de l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique1
4972 Églises font un honorable effort de redéfinition de l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique190. Les humanist
4973 lique190. Les humanistes reprennent les arguments d’ un Goethe ou d’un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il f
4974 umanistes reprennent les arguments d’un Goethe ou d’ un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il faut y voir la g
4975 lon le premier, il faut y voir la grande conquête de la culture occidentale, et le fondement solide de toute vie personnel
4976 de la culture occidentale, et le fondement solide de toute vie personnelle ; selon le second, l’union monogamique serait l
4977 s sexes, dans une société libérée des contraintes de classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science
4978 une société libérée des contraintes de classes et d’ argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science des rapports
4979 e classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science des rapports conjugaux. Jung analyse le « conflit
4980 les « névroses » qui seraient à l’origine du mal ( d’ où l’on déduit que la médecine mentale guérirait tout). Van de Velde o
4981 lgarisée des phénomènes sexuels. L’abondance même de ces recherches191 et de ces recettes me rend sceptique quant à leur e
4982 sexuels. L’abondance même de ces recherches191 et de ces recettes me rend sceptique quant à leur efficacité : elle révèle
4983 l’étendue du désastre, sans apporter les éléments d’ une révolution à sa mesure. En outre, il est frappant de constater que
4984 révolution à sa mesure. En outre, il est frappant de constater que presque tous ces sages auteurs donnent quelques lignes
4985 ages auteurs donnent quelques lignes à la louange de la passion, ou tout au moins affectent de la tolérer : pour des raiso
4986 louange de la passion, ou tout au moins affectent de la tolérer : pour des raisons trop faciles à concevoir, on craint d’a
4987 r des raisons trop faciles à concevoir, on craint d’ attaquer le lecteur dans ses croyances les plus intimes et les plus so
4988 intimes et les plus solidement ancrées. On a peur de paraître « puritain ». On s’efforce de faire la part du feu, et l’on
4989 On a peur de paraître « puritain ». On s’efforce de faire la part du feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe de
4990 feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe de présenter la passion amoureuse comme le couronnement d’un hymen idéal
4991 senter la passion amoureuse comme le couronnement d’ un hymen idéalement réalisé (d’après les recettes). Personne, que je s
4992 a encore osé dire que l’amour tel qu’on l’imagine de nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend
4993 e sait pas au juste ce qu’est l’amour-passion, ni d’ où il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose d’in
4994 où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose d’ inquiétant, mais on a peur, en le combattant, de parler comme un phili
4995 e d’inquiétant, mais on a peur, en le combattant, de parler comme un philistin. (Ce qui se produirait fatalement !) Ainsi
4996 agner la confiance ; on ne remonte pas le courant de toute l’époque ; la passion a toujours existé, elle existera donc tou
4997 C’est même à cause de cela que vous ne ferez rien de sérieux. Et comme il faut pourtant que quelque chose se fasse, la seu
4998 n qui se pose à l’historien, au sociologue, c’est de savoir quel mécanisme va se déclencher pour rétablir la situation — o
4999 tion — ou quel réflexe collectif. ⁂ Deux exemples de grande envergure nous indiquent un type de réponse, une solution peut
5000 emples de grande envergure nous indiquent un type de réponse, une solution peut-être inévitable. La Russie de la Révolutio
5001 e la Révolution connut un « déchaînement » sexuel de la jeunesse que l’on serait tenté de juger sans précédent dans notre
5002 ent » sexuel de la jeunesse que l’on serait tenté de juger sans précédent dans notre histoire européenne192. Quant au mari
5003 traduisit dans la réalité par une généralisation de l’union libre, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tou
5004 réalité par une généralisation de l’union libre, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait
5005 généralisation de l’union libre, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait contraire aux pr
5006 , de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait contraire aux préjugés réactionnaires, qu’on se
5007 re des mœurs, et il proteste avec toute l’énergie d’ un « révolutionnaire professionnel » — donc puritain — contre cette an
5008 n — contre cette anarchie sexuelle qu’il qualifie de « petite-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste de l’express
5009 e-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste de l’expression.) Vingt ans plus tard, le « redressement des mœurs » s’e
5010 ar quelque sursaut vertueux, non par l’initiative d’ une ligue philanthropique, mais par les soins d’une dictature exacteme
5011 e d’une ligue philanthropique, mais par les soins d’ une dictature exactement consciente des conditions de sa durée. Stalin
5012 ne dictature exactement consciente des conditions de sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain de refaire des cadr
5013 sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain de refaire des cadres à sa nation. Car sans cadres, l’économie périclita
5014 sion précisément que l’on entendait « liquider ». D’ où l’absolue nécessité de restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l
5015 entendait « liquider ». D’où l’absolue nécessité de restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l’élément statique et stab
5016 emier chef qu’est la famille. Ce fut le mécanisme de la dictature productiviste qui contraignit l’État dit socialiste à éd
5017 raignit l’État dit socialiste à édicter une série de lois contre le divorce (qu’on rendit beaucoup plus onéreux), contre l
5018 n des enfants nés hors mariage. La rigueur subite de ces lois, le choc psychologique qu’elles provoquèrent, la propagande,
5019 elles provoquèrent, la propagande, et les mesures de contrôle policier de la vie privée, changèrent notablement l’ambiance
5020 a propagande, et les mesures de contrôle policier de la vie privée, changèrent notablement l’ambiance morale de la Russie
5021 privée, changèrent notablement l’ambiance morale de la Russie aux environs de l’année 1936193. Le mariage se trouva resta
5022 ement l’ambiance morale de la Russie aux environs de l’année 1936193. Le mariage se trouva restauré sur des bases strictem
5023 lèmes individuels tendaient à perdre toute espèce de dignité, de légitimité, de virulence anarchisante194. L’Allemagne de
5024 duels tendaient à perdre toute espèce de dignité, de légitimité, de virulence anarchisante194. L’Allemagne de l’après-guer
5025 à perdre toute espèce de dignité, de légitimité, de virulence anarchisante194. L’Allemagne de l’après-guerre atteignit-el
5026 timité, de virulence anarchisante194. L’Allemagne de l’après-guerre atteignit-elle un stade d’anarchie sexuelle comparable
5027 lemagne de l’après-guerre atteignit-elle un stade d’ anarchie sexuelle comparable à celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le
5028 e un stade d’anarchie sexuelle comparable à celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le processus de ruine des obstacles socia
5029 celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le processus de ruine des obstacles sociaux, pour s’y être développé sans violences e
5030 it que plus gravement miné l’éthique matrimoniale de la jeunesse. La décadence du mythe de la passion dans la patrie du ro
5031 atrimoniale de la jeunesse. La décadence du mythe de la passion dans la patrie du romantisme entraînait d’autre part des c
5032 onséquences bien plus complexes que chez nous, et d’ apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide de l’après-guerre all
5033 ’apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide de l’après-guerre allemande, la Neue Sachlichkeit des avant-gardes litté
5034 rimes dits « politiques » exécutés par des ligues de jeunes gens, certaines formes de naturisme, les « fiançailles d’essai
5035 s par des ligues de jeunes gens, certaines formes de naturisme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang de coutume nor
5036 certaines formes de naturisme, les « fiançailles d’ essai » élevées au rang de coutume normale parmi les étudiants, le sér
5037 isme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang de coutume normale parmi les étudiants, le sérieux accordé aux conflits
5038 sionnels « à trois » ou « à quatre » — renouvelés de la Lucinde de Schlegel — autant de signes de la panique sexuelle prov
5039 » — renouvelés de la Lucinde de Schlegel — autant de signes de la panique sexuelle provoquée par la décadence des contrain
5040 elés de la Lucinde de Schlegel — autant de signes de la panique sexuelle provoquée par la décadence des contraintes matrim
5041 cadence des contraintes matrimoniales et du mythe de l’amour mortel. Déjà l’on voyait affleurer le fond de désespoir et d’
5042 ’amour mortel. Déjà l’on voyait affleurer le fond de désespoir et d’anarchie intime que suppose toute morale du « bonheur 
5043 éjà l’on voyait affleurer le fond de désespoir et d’ anarchie intime que suppose toute morale du « bonheur » strictement in
5044 t militaire, devait se donner pour première tâche de surmonter cette crise de mœurs. On commença par opposer à l’idéal ant
5045 nner pour première tâche de surmonter cette crise de mœurs. On commença par opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et
5046 urs. On commença par opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et de « vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnu
5047 ar opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et de « vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnutz geht vor Eigenn
5048 ul objet légitime et possible à la passion l’idée de nation symbolisée par le Führer. D’abord on prive la femme de son aur
5049 mbolisée par le Führer. D’abord on prive la femme de son auréole romantique : on la réduit à sa fonction matrimoniale : fa
5050 argera (c’est-à-dire pendant quatre ou cinq ans). De là, on passe à des mesures d’ordre eugénique. On ouvre une « école de
5051 uatre ou cinq ans). De là, on passe à des mesures d’ ordre eugénique. On ouvre une « école de fiancées » pour les futures f
5052 s mesures d’ordre eugénique. On ouvre une « école de fiancées » pour les futures femmes des S. S. (Schutz Staffeln : escou
5053 res femmes des S. S. (Schutz Staffeln : escouades de protection du régime, troupe sélectionnée incarnant l’idéal racial).
5054 l’idéal racial). Ces femmes doivent être blondes, de sang aryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type de femme » se
5055 ryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type de femme » se trouve prescrit non par les souvenirs inconscients, ni par
5056 res mais par la section scientifique du ministère de la propagande. En 1938, on institue des écoles analogues pour toutes
5057 es les femmes allemandes, et l’on ne manquera pas de les rendre obligatoires à bref délai. Le but dernier de l’entreprise
5058 rendre obligatoires à bref délai. Le but dernier de l’entreprise ne fait pas de doute : on en viendra à n’autoriser plus
5059 délai. Le but dernier de l’entreprise ne fait pas de doute : on en viendra à n’autoriser plus que les unions contractées s
5060 dividuels, donc des passions. À chacun sa « fiche de mariage ». Alors la science matrimoniale trouvera sa juste applicatio
5061 niale trouvera sa juste application dans l’esprit de Lycurgue et de Sparte : on en fera l’un des chapitres de la préparati
5062 sa juste application dans l’esprit de Lycurgue et de Sparte : on en fera l’un des chapitres de la préparation militaire195
5063 rgue et de Sparte : on en fera l’un des chapitres de la préparation militaire195. ⁂ Trois hypothèses demeurent alors possi
5064 xprimer dans un langage symbolique (ésotérique et d’ extérieur rassurant) les éléments plastiques, militaires et sacrés qui
5065 ui s’institua au xiie siècle. Mais l’éventualité de la guerre, c’est-à-dire d’une décharge passionnelle au niveau collect
5066 le. Mais l’éventualité de la guerre, c’est-à-dire d’ une décharge passionnelle au niveau collectif et national, paraît aujo
5067 l’on peut encore imaginer que la pratique forcée de l’eugénisme réussira, là où toutes nos morales échouent, entraînant l
5068 tion du besoin « spirituel », et donc artificiel, de la passion. Alors le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe d
5069 et donc artificiel, de la passion. Alors le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occ
5070 le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occident nouveau, imprévisible, naîtra dans
5071 ique se justifierait soit par le récit du miracle de Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) ; soit par le passage où Jé
5072 ce que Dieu a uni ; soit enfin par des entretiens de Jésus ressuscité et de ses disciples « que les évangélistes et les Ac
5073 t enfin par des entretiens de Jésus ressuscité et de ses disciples « que les évangélistes et les Actes mentionnent sans le
5074 hares, nous l’avons vu, le véritable crime, c’est d’ avoir « consommé » dans la chair cet adultère. 186. Sauf peut-être au
5075 ux États-Unis, s’il faut en croire certains échos de presse sur la vie privée des stars et des magnats de la finance. 187
5076 presse sur la vie privée des stars et des magnats de la finance. 187. L’aventure fameuse de la princesse de C… donna lieu
5077 s magnats de la finance. 187. L’aventure fameuse de la princesse de C… donna lieu au début du siècle à toute une littérat
5078 toute une littérature romanesque. Quant au thème de l’ouvrier ou du chauffeur qui « mérite » la fille du patron, il est a
5079 ilm allemand, depuis l’hitlérisme. 188. Le titre d’ un roman de Max Brod, Die Frau nach der man sich sehnt (la femme que l
5080 d, depuis l’hitlérisme. 188. Le titre d’un roman de Max Brod, Die Frau nach der man sich sehnt (la femme que l’on désire,
5081 an sich sehnt (la femme que l’on désire, la femme de notre nostalgie) est la meilleure définition d’Iseut. L’amour-passion
5082 e de notre nostalgie) est la meilleure définition d’ Iseut. L’amour-passion veut « la princesse lointaine » tandis que l’am
5083 répondu à la décision des évêques anglicans dite de Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et d’Oxford (toutes les
5084 nglicans dite de Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et d’Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également
5085 Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et d’ Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également touché le probl
5086 ement touché le problème. 191. Il serait curieux de retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a parlé le pre
5087 eur — évidemment moderne — qui a parlé le premier d’ un « problème sexuel ». Fourier peut-être ? Ou Proudhon ? 192. En réa
5088 oviétiques. 194. Famille, eugénisme, suppression de la passion : tout cela devrait être mis entre guillemets quand il s’a
5089 devrait être mis entre guillemets quand il s’agit de l’URSS. La diminution vertigineuse de la population oblige Staline à
5090 d il s’agit de l’URSS. La diminution vertigineuse de la population oblige Staline à une politique de natalité. Mais qui pe
5091 e de la population oblige Staline à une politique de natalité. Mais qui peut savoir si on l’applique ? Et je le répète, se
5092  ? Et je le répète, ses mobiles ne sont nullement d’ ordre « moral », mais plutôt militaire. 195. Depuis que ceci a été éc
5093 t-cinq ans : on va les chasser des Villes de plus de 5000 habitants.
8 1939, L’Amour et l’Occident. Livre VII. L’Amour action, ou de la fidélité
5094 Livre VIIL’Amour action, ou de la fidélité 1.Nécessité d’un parti pris À l’heure où cet ouvra
5095 L’Amour action, ou de la fidélité 1.Nécessité d’ un parti pris À l’heure où cet ouvrage touche à sa conclusion, il m
5096 core. L’aveu sera jugé insolite. Mais je pressens d’ assez profondes raisons de le consentir. J’ai voulu décrire la passion
5097 olite. Mais je pressens d’assez profondes raisons de le consentir. J’ai voulu décrire la passion comme une entité historiq
5098 e cours est calculable. J’ai cru cerner le secret de son mythe. La découverte n’est pas négligeable. Mais peut-on décrire
5099 n décrire la passion ? On ne décrit pas une forme d’ existence sans y participer, fût-ce même par une révolte contre la déc
5100 ui se définirait elle-même comme une condamnation de la passion : il suffit, pour l’apercevoir, d’observer que la passion,
5101 ion de la passion : il suffit, pour l’apercevoir, d’ observer que la passion, quelle qu’elle soit, ne peut ni ne veut « avo
5102 on, dès l’instant qu’on parle raison. Car l’homme de la passion est justement celui qui choisit d’être dans son tort, aux
5103 mme de la passion est justement celui qui choisit d’ être dans son tort, aux yeux du monde, — et dans ce tort majeur, irrév
5104 e tort majeur, irrévocable, que signifie le choix de la mort contre la vie. Et comment échapper au démon que l’on fixe ? P
5105 iolence spirituelle qui tuât mieux que la passion d’ amour : celle au moins de l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mai
5106 uât mieux que la passion d’amour : celle au moins de l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mais encore plus agressive,
5107 ns doute, puisqu’il n’est plus question pour nous de recourir au bras séculier. (Sans compter que la Croisade, au total, f
5108 avant tout et après tout, à l’origine et à la fin de la passion, il n’y a pas une « erreur » sur l’homme ou Dieu — a forti
5109 rreur « morale » — mais une décision fondamentale de l’homme, qui veut être lui-même son dieu196. La passion brûle dans no
5110 eté du moraliste qui prétendait détourner l’homme de cette voie mortelle, divinisante, en lui « prouvant » qu’elle débouch
5111 ans sa perte ! En lui opposant toutes les raisons de la terre, et les conseils de tous nos arts de vivre, quand c’est la t
5112 t toutes les raisons de la terre, et les conseils de tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la
5113 ons de la terre, et les conseils de tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la fa
5114 e tuer autrement qu’il ne veut l’être, c’est bien de cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion.
5115 trement qu’il ne veut l’être, c’est bien de cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion. Quant à s
5116 era, c’est son hygiène. Il y a toutes les raisons de le prévoir, dans une époque où l’on confond thérapeutique et sotériol
5117 l’on confond thérapeutique et sotériologie (lois de l’hygiène et doctrine du salut). À vues humaines, la guérison de nos
5118 doctrine du salut). À vues humaines, la guérison de nos passions viendra de l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le po
5119 l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le poids de toutes nos fautes, et de la faute initiale de vivre, pour les glorifi
5120 me qui assumera le poids de toutes nos fautes, et de la faute initiale de vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom
5121 ids de toutes nos fautes, et de la faute initiale de vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom de l’innocence du Peu
5122 i, ici et maintenant, le problème ne comporte pas d’ échappatoire dans le temps à venir. S’il n’est peut-être pas possible
5123 e pas possible à l’homme — à un homme déterminé — de connaître ses propres désirs et de sonder en vérité ses préférences l
5124 me déterminé — de connaître ses propres désirs et de sonder en vérité ses préférences les plus secrètes, du moins peut-il
5125 c un parti pris tout personnel que je vais tenter de définir maintenant, et après coup, tel que je le reconnais dans ma vi
5126 ce. 2.Critique du mariage Si je ne vois pas de raison qui tienne contre la passion véritable, il m’apparaît en secon
5127 meilleurs esprits demeurent absolument valables. De tout temps, les raisons du philistin ont eu mauvaise conscience devan
5128 use « paix du foyer » n’existe guère qu’au niveau d’ une certaine éloquence moyenne, politicienne, bourgeoise ou édifiante.
5129 iale, vous verrez que cela va, neuf fois sur dix, de l’agitation des petits soins à la criaillerie délirante. Enregistrez
5130 délirante. Enregistrez sur disque, au hasard, un de ces entretiens « paisibles » qui agrémentent le « foyer domestique »
5131 isibles » qui agrémentent le « foyer domestique » d’ un bourgeois ou d’un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se
5132 mentent le « foyer domestique » d’un bourgeois ou d’ un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se justifier. Oui, l
5133 larent au nom de leur vocation qu’il faut choisir de faire des livres ou des enfants : aut liberi aut libri disait Nietzsc
5134 e étant la suprême valeur du « stade esthétique » de la vie ; puis la surmonte en exaltant le mariage, suprême valeur du «
5135 et le romantique, et leur donner raison au point de leur faire honte d’avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin il
5136 t leur donner raison au point de leur faire honte d’ avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin il n’écrase pas seulem
5137 u point de leur faire honte d’avoir parfois douté d’ eux-mêmes ; mais à la fin il n’écrase pas seulement ce philistin qui s
5138 écrase pas seulement ce philistin qui se contente d’ épouser la veuve du brasseur, ou ce jeune fou qui aime la fille du roi
5139 re leur moralisme ; et les croyants aux arguments de saint Paul, qui valent contre leur humanisme. Que dit l’Apôtre ? Je
5140 t l’Apôtre ? Je pense qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que c
5141 se qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme,
5142 rps, mais c’est la femme. Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est d’un commun accord pour un temps, afin de vaquer
5143 . Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est d’ un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis reto
5144 n de vaquer à la prière ; puis retournez ensemble de peur que Satan ne vous tente par votre incontinence. Je dis cela par
5145 ais pas un ordre… Car il vaut mieux se marier que de brûler… Que chacun marche selon la part que le Seigneur lui a faite,
5146 Seigneur lui a faite, selon l’appel qu’il a reçu de Dieu… Que chacun, frères, demeure devant Dieu dans l’état où il était
5147 sant du monde comme n’en usant pas, car la figure de ce monde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup de grâce : Cel
5148 onde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup de grâce : Celui qui n’est pas marié s’inquiète des choses du Seigneur,
5149 rié s’inquiète des choses du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du m
5150 marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme. (v. 32). ⁂ Tout ce qu’on peut dire contre le mari
5151 r, pour ceux qui croient. Il n’est possible alors d’ affirmer le mariage qu’au-delà des deux premières critiques et en chem
5152 intenant sans cesse présente l’exigence inhumaine de perfection, comme une question perpétuelle, un aiguillon qui empêche
5153 ne question perpétuelle, un aiguillon qui empêche de retomber sous le coup des objections humaines. Si j’oublie cet au-del
5154 s. Si j’oublie cet au-delà du mariage, mais aussi de tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume de Dieu (« Il n’y aura pl
5155 si de tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume de Dieu (« Il n’y aura plus ni hommes ni femmes »), je borne ma vision e
5156 il ne me reste que la révolte contre ma condition de créature ; et au contraire, si je l’atteins trop aisément, je deviend
5157 ris dans les rets sociaux, et incapable désormais de concevoir les vérités « cruelles » de l’esprit, dont parle Nietzsche.
5158 e désormais de concevoir les vérités « cruelles » de l’esprit, dont parle Nietzsche. Mais si je sais que l’Apôtre a raison
5159 ision Si l’on songe à ce que signifie le choix d’ une femme pour toute la vie, l’on en vient à cette conclusion : choisi
5160 populaire et bourgeoise recommande au jeune homme de « réfléchir » avant de prendre une décision : elle l’entretient ainsi
5161 e l’entretient ainsi dans l’illusion que le choix d’ une femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible
5162 i dans l’illusion que le choix d’une femme dépend d’ un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette err
5163 e le choix d’une femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est
5164 n certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous aurez
5165 est tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter de mettre au départ toutes les chances de votre côté — et je suppose que
5166 eau tenter de mettre au départ toutes les chances de votre côté — et je suppose que la vie vous laisse le temps de calcule
5167 é — et je suppose que la vie vous laisse le temps de calculer — jamais vous ne pourrez prévoir votre future évolution, et
5168 oir votre future évolution, et encore moins celle de l’épouse choisie, encore bien moins celle du couple formé. Les facteu
5169 si leur nombre était fini) et que vous disposiez d’ une telle science de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et
5170 t fini) et que vous disposiez d’une telle science de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évi
5171 e évidente, encore ne sauriez-vous prévoir la fin d’ une union faite en connaissance de causes. Il a fallu, dit-on, des mil
5172 prévoir la fin d’une union faite en connaissance de causes. Il a fallu, dit-on, des millénaires à la nature pour sélectio
5173 araissent adaptées. Et nous aurions la prétention de résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de
5174 aptées. Et nous aurions la prétention de résoudre d’ un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres p
5175 résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement org
5176 up, en une seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est
5177 qu’un troisième essai le rapprochera sensiblement de son « bonheur ». Alors que tout nous montre que cent-mille essais ne
5178 remiers éléments, tout balbutiants et empiriques, d’ une science du « mariage heureux ».) Il faut le reconnaître honnêtemen
5179 osé par la nécessité pratique du mariage apparaît d’ autant plus insoluble que l’on tient davantage à le « résoudre » au se
5180 ent davantage à le « résoudre » au sens rationnel de ce terme. Certes, il y a du sophisme dans mon raisonnement : car tout
5181 ophisme dans mon raisonnement : car tout se passe d’ ordinaire comme si le bonheur des époux dépendait en réalité d’un nomb
5182 omme si le bonheur des époux dépendait en réalité d’ un nombre fini de facteurs : caractère, beauté, fortune, rang social…
5183 r des époux dépendait en réalité d’un nombre fini de facteurs : caractère, beauté, fortune, rang social… Mais pour peu que
5184 ncite les jeunes fiancés à calculer leurs chances de bonheur, on détourne leur attention du problème proprement éthique. E
5185 ention du problème proprement éthique. En tentant de réduire ou de dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement
5186 lème proprement éthique. En tentant de réduire ou de dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement un choix de c
5187 tentant de réduire ou de dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement un choix de cet ordre, on donne à croire
5188 aractère de pari que revêt objectivement un choix de cet ordre, on donne à croire que tout se ramène à une sagesse, à un s
5189 e qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler d’ une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la
5190 Et la seule garantie concevable est dans la force de la décision en vertu de laquelle on s’engage pour toute la vie « advi
5191 esure où l’on se persuade qu’il s’agit avant tout de calcul. D’où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mar
5192 on se persuade qu’il s’agit avant tout de calcul. D’ où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au
5193 plus conforme à l’essence du mariage, et au réel, d’ enseigner aux jeunes gens que leur choix relève toujours d’une sorte d
5194 er aux jeunes gens que leur choix relève toujours d’ une sorte d’arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heur
5195 s gens que leur choix relève toujours d’une sorte d’ arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heureuses ou non
5196 reuses ou non. Ce n’est pas là un éloge du « coup de tête » : car tant que l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide
5197 ue l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide de s’en priver. Mais je dis que la garantie d’une union raisonnable dans
5198 upide de s’en priver. Mais je dis que la garantie d’ une union raisonnable dans les apparences n’est jamais dans ces appare
5199 apparences. Elle est dans l’événement irrationnel d’ une décision prise en dépit de tout, et qui fonde une nouvelle existen
5200 n’est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal de mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l’Iseut
5201 êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie d’ une dot adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là me
5202 il faut n’avoir connu que peu de solitude et peu d’ angoisse, très peu de solitaire angoisse.) Seule une décision de cet o
5203 ès peu de solitaire angoisse.) Seule une décision de cet ordre, irrationnelle mais non sentimentale, sobre mais sans aucun
5204 ntale, sobre mais sans aucun cynisme, peut servir de point de départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidéli
5205 bre mais sans aucun cynisme, peut servir de point de départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui so
5206 je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette de « bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’étant pas
5207 lité On fausse l’éthique du mariage en faisant de la promesse de fidélité un problème, alors que le problème ne devrait
5208 se l’éthique du mariage en faisant de la promesse de fidélité un problème, alors que le problème ne devrait se poser qu’à
5209 e on fausse la théologie en partant du « problème de Dieu » — exactement comme si l’on ne croyait pas — alors que le seul
5210 croyait pas — alors que le seul vrai problème est de savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle
5211 le n’est pas — comme tout ce qui porte une chance de grandeur. (Comme la passion !) Les moralistes et certains sociologues
5212 Les moralistes et certains sociologues ont essayé de prouver que la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est saluta
5213 la raison et l’intérêt : quand ils n’auront plus de passions, quand ils cesseront de préférer l’erreur comme telle, quand
5214 ls n’auront plus de passions, quand ils cesseront de préférer l’erreur comme telle, quand ils cesseront de mériter cet inq
5215 référer l’erreur comme telle, quand ils cesseront de mériter cet inquiétant nom d’homme, au sens actuel. Car pour ceux du
5216 quand ils cesseront de mériter cet inquiétant nom d’ homme, au sens actuel. Car pour ceux du siècle présent, je pense que l
5217 leur langage, la fidélité conjugale est le succès d’ un effort « inhumain ». Leur revendication fondamentale, leur religion
5218 ». Leur revendication fondamentale, leur religion de la Vie, s’y oppose diamétralement. Ils considèrent la fidélité comme
5219 stention prudente… Ou encore ils y voient l’effet d’ une impuissance à vivre largement, d’un goût mesquin pour le confort e
5220 ient l’effet d’une impuissance à vivre largement, d’ un goût mesquin pour le confort et le conforme ; d’un défaut d’imagina
5221 ’un goût mesquin pour le confort et le conforme ; d’ un défaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’in
5222 quin pour le confort et le conforme ; d’un défaut d’ imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordid
5223 fort et le conforme ; d’un défaut d’imagination ; d’ une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordide… L’habitude de
5224 éfaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ; d’ un calcul d’intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acqu
5225 ination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’ intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acquise, c’est d
5226 habitude des modernes, leur nature acquise, c’est d’ exploiter chaque situation au maximum et pour elle-même, sans plus se
5227 jouissance qu’on en tire. Seul un respect acquis de l’ordre social soutient encore, en fait, l’idée de fidélité. Mais l’o
5228 e l’ordre social soutient encore, en fait, l’idée de fidélité. Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne de tous les
5229 . Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne de tous les côtés. Voyez les excuses invoquées par le mari qui trompe sa
5230 trompe sa femme ; il dit tantôt : « Cela n’a pas d’ importance, cela ne change rien à nos rapports, c’est une passade, une
5231 rtant que toutes vos petites morales et garanties de bonheur bourgeois ! » Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas
5232 » Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas de contradiction profonde, nous l’avons vu198. Dans les deux cas, il s’a
5233 nous l’avons vu198. Dans les deux cas, il s’agit de s’évader hors de tout engagement concret, considéré comme une odieuse
5234 gie rationaliste ou hédoniste, je ne parlerai que d’ une fidélité observée en vertu de l’absurde, parce qu’on s’y est engag
5235 e commune en la valeur révélatrice du spontané et de la multiplicité des expériences. Elle nie que l’être aimé doive réuni
5236 être ou pour rester aimable, le plus grand nombre de qualités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur
5237 nombre de qualités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c’est a
5238 t tout l’obéissance, et en second lieu la volonté de faire une œuvre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce de cons
5239 vre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce de conservatisme. Elle est plutôt une construction. « Absurde » au moins
5240 au moins autant que la passion, elle se distingue de la passion par un refus constant de subir ses rêves, par un besoin co
5241 se distingue de la passion par un refus constant de subir ses rêves, par un besoin constant d’agir pour l’être aimé, par
5242 nstant de subir ses rêves, par un besoin constant d’ agir pour l’être aimé, par une constante prise sur le réel, qu’elle ch
5243 le s’édifie à la manière d’une œuvre, à la faveur d’ une œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à
5244 osent un parti pris199, une attitude fondamentale de créateur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse de fidélité int
5245 teur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse de fidélité introduit une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan
5246 vie, la promesse de fidélité introduit une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan de la personne. (À condition bien
5247 fidélité introduit une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan de la personne. (À condition bien entendu que cette
5248 une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan de la personne. (À condition bien entendu que cette promesse ne soit pas
5249 as faite pour des « raisons » que l’on se réserve de répudier un jour, quand elles cesseront de paraître raisonnables ! Si
5250 éserve de répudier un jour, quand elles cesseront de paraître raisonnables ! Si la promesse du mariage est le type même de
5251 bles ! Si la promesse du mariage est le type même de l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est faite une fois pour
5252 e la plus déshéritée, détient sa chance immédiate de grandeur, et c’est dans la fidélité a absurde » qu’elle pourra la réa
5253 r : quand il y aurait toutes les raisons du monde de dire oui à cette passion éblouissante, — dire non en vertu de l’absur
5254 u de l’absurde, en vertu d’une promesse ancienne, d’ une déraison humaine, d’une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu
5255 d’une promesse ancienne, d’une déraison humaine, d’ une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et pe
5256 se ancienne, d’une déraison humaine, d’une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus
5257 nne, d’une déraison humaine, d’une raison de foi, d’ une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus tard, a
5258 compense la perte : nous sommes ici dans un ordre de grandeur où nos mesures et nos équivalences n’ont plus cours.) Mais s
5259 -nous encore imaginer une grandeur qui n’ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidél
5260 ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire d’ une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une folie, mais la
5261 lie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie de sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’est pas un héroïsme
5262 tiente et tendre application. Le contraire absolu de toute littérature, de tout lyrisme, au sens moderne de ces mots… ⁂ Ce
5263 cation. Le contraire absolu de toute littérature, de tout lyrisme, au sens moderne de ces mots… ⁂ Cependant, tout n’est pa
5264 ute littérature, de tout lyrisme, au sens moderne de ces mots… ⁂ Cependant, tout n’est pas encore clair. Tristan lui aussi
5265 èle. (Pour ne rien dire des successives fidélités de nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des
5266 des successives fidélités de nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti). O
5267 reconnu dans sa femme une Iseut ? Lorsque l’amant de la légende manichéenne a traversé les grandes épreuves d’initiation,
5268 gende manichéenne a traversé les grandes épreuves d’ initiation, souvenez-vous de la « jeune fille éblouissante » qui l’acc
5269 les grandes épreuves d’initiation, souvenez-vous de la « jeune fille éblouissante » qui l’accueille par ces paroles : « J
5270 le par ces paroles : « Je suis toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un narcissisme mystique, m
5271 is toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un narcissisme mystique, mais qui s’ignore, naturellem
5272 an n’aime pas Iseut mais l’amour même, et au-delà de cet amour, la mort, c’est-à-dire la seule délivrance du moi coupable
5273 us profonde et secrète passion. Le mythe s’empare de l’« instinct de mort » inséparable de toute vie créée, et il le trans
5274 ecrète passion. Le mythe s’empare de l’« instinct de mort » inséparable de toute vie créée, et il le transfigure en lui do
5275 he s’empare de l’« instinct de mort » inséparable de toute vie créée, et il le transfigure en lui donnant un but essentiel
5276 re, mépriser son bonheur, c’est alors une manière de se sauver et d’accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Is
5277 bonheur, c’est alors une manière de se sauver et d’ accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Isolde agonisante.
5278 accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’ Isolde agonisante. Fidélité qui consume la vie, mais qui consume aussi
5279 faute, et divinise un moi purifié, « innocent » ! De ces origines mystiques, la « fidélité passionnée » n’a gardé parmi no
5280 passionnée » n’a gardé parmi nous que l’illusion d’ accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire de cette illusion trahit
5281 n d’accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire de cette illusion trahit encore l’obscure survivance de la religion prim
5282 cette illusion trahit encore l’obscure survivance de la religion primitive. Religion antérieure à notre « instinct » moder
5283 nstinct » moderne, et qui détient l’intime secret de la passion, au-delà de ce que les psychologues peuvent y lire. « Notr
5284 ui détient l’intime secret de la passion, au-delà de ce que les psychologues peuvent y lire. « Notre engagement n’était pa
5285 nt à sa fiancée perdue. C’est l’émouvante formule de la fidélité courtoise ; une négation sans retour de la vie. Mais la f
5286 la fidélité courtoise ; une négation sans retour de la vie. Mais la fidélité dans le mariage est au contraire un engageme
5287 engagement absolument pris pour ce monde. Partant d’ une déraison « mystique » (si l’on veut), indifférente, sinon hostile
5288 aime voue sa fidélité. Et tandis que la fidélité de Tristan était un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la
5289 de Tristan était un perpétuel refus, une volonté d’ exclure et de nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde
5290 tait un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde d’envahir l’â
5291 exclure et de nier la création dans sa diversité, d’ empêcher le monde d’envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil
5292 a création dans sa diversité, d’empêcher le monde d’ envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil de la créature, la
5293 nvahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil de la créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est, dans son in
5294 es époux est l’accueil de la créature, la volonté d’ accepter l’autre tel qu’il est, dans son intime singularité. Insistons
5295 t ; elle ne peut être qu’une action. Se contenter de ne pas tromper sa femme serait une preuve d’indigence et non d’amour.
5296 nter de ne pas tromper sa femme serait une preuve d’ indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bi
5297 per sa femme serait une preuve d’indigence et non d’ amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’être aimé,
5298 r. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’être aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle
5299 l’autre, que le moi rejoint sa personne — au-delà de son propre bonheur. Ainsi la personne des époux est une mutuelle créa
5300 tuelle création, elle est le double aboutissement de « l’amour-action ». Ce qui niait l’individu et son naturel égoïsme, c
5301 uvrira que la fidélité dans le mariage est la loi d’ une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la poly
5302 iage est la loi d’une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pou
5303 naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pour la mort (c’était la passion de Tristan). L’amour fidèle d
5304 n plus de la vie pour la mort (c’était la passion de Tristan). L’amour fidèle de Tristan détruisait son bonheur et sa vie
5305 t (c’était la passion de Tristan). L’amour fidèle de Tristan détruisait son bonheur et sa vie pour témoigner en faveur de
5306 dans le mariage chrétien témoigne que la volonté de Dieu, même quand elle ruine notre bonheur, est salutaire. L’amour de
5307 elle ruine notre bonheur, est salutaire. L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissem
5308 tre bonheur, est salutaire. L’amour de Tristan et d’ Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissement suprême, c
5309 L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’ être deux ; et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illi
5310 les visages, les destins singuliers : « Non plus d’ Isolde, plus de Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut qu
5311 es destins singuliers : « Non plus d’Isolde, plus de Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse
5312 nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse d’ être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir
5313 être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus que « moi-le-monde » ! Mais
5314 i-le-monde » ! Mais l’amour du mariage est la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’il m’appell
5315 u mariage est la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tou
5316 (Il y a toujours une telle menace dans l’échange de plaisir d’une « liaison ».) Mais combien d’hommes savent-ils la diffé
5317 ujours une telle menace dans l’échange de plaisir d’ une « liaison ».) Mais combien d’hommes savent-ils la différence entre
5318 hange de plaisir d’une « liaison ».) Mais combien d’ hommes savent-ils la différence entre une obsession que l’on subit et
5319 sume ? 5.Éros sauvé par Agapè Alors l’amour de charité, l’amour chrétien, qui est Agapè, paraît enfin dans sa pleine
5320 fin dans sa pleine stature : il est l’affirmation de l’être. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a répandu
5321 i a répandu dans notre monde occidental le poison de l’ascèse idéaliste — tout ce qu’un Nietzsche injustement reproche au
5322 , et non pas Agapè, qui a glorifié notre instinct de mort, et qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge d’Éros en l
5323 qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge d’ Éros en le sauvant. Car Agapè ne sait pas détruire et ne veut pas même
5324 la mort parce qu’il veut exalter la vie au-dessus de notre condition finie et limitée de créatures. Ainsi le même mouvemen
5325 vie au-dessus de notre condition finie et limitée de créatures. Ainsi le même mouvement qui fait que nous adorons la vie n
5326 négation. C’est la profonde misère, le désespoir d’ Éros, sa servitude inexprimable : — en l’exprimant, Agapè l’en délivre
5327 que la vie terrestre et temporelle ne mérite pas d’ être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à
5328 à la mort. Mais l’homme qui croit à la révélation de l’Agapè voit soudain le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi d
5329 in le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi de sa religion naturelle. Il peut maintenant espérer autre chose, il sai
5330 hé. Et voici que l’Éros à son tour se voit relevé de sa fonction mortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’être
5331 se voit relevé de sa fonction mortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’être un démon
5332 ortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’ être un dieu, il cesse d’être un démon 200. Et il retrouve sa juste pl
5333 destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’ être un démon 200. Et il retrouve sa juste place dans l’économie provi
5334 etrouve sa juste place dans l’économie provisoire de la Création, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire
5335 place dans l’économie provisoire de la Création, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire un dieu de l’Éro
5336 n, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire un dieu de l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus d
5337 e païen ne pouvait autrement que de faire un dieu de l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus dangereux et le pl
5338 plus mystérieux, le plus profondément lié au fait de vivre. Toutes les religions païennes divinisent le Désir. Toutes cher
5339 devient aussitôt, et par là même, le pire ennemi de la vie, la séduction du Rien. Mais dès lors que le Verbe s’est fait c
5340 eu qui l’a aimé le premier, et qui s’est approché de lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus haut, dans l’ascensio
5341 e du désir ? Cela seulement : qu’il nous détourne d’ obéir. Mais il perd sa puissance absolue quand nous cessons de le divi
5342 s il perd sa puissance absolue quand nous cessons de le diviniser. Et c’est ce qu’atteste l’expérience de la fidélité dans
5343 le diviniser. Et c’est ce qu’atteste l’expérience de la fidélité dans le mariage. Car cette fidélité se fonde justement su
5344 é se fonde justement sur le refus initial et juré de « cultiver » les illusions de la passion, de leur rendre un culte sec
5345 fus initial et juré de « cultiver » les illusions de la passion, de leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mysté
5346 juré de « cultiver » les illusions de la passion, de leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît
5347 de la passion, de leur rendre un culte secret, et d’ en attendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai de le faire con
5348 e secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen d’un fait connu.
5349 tendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen d’un fait connu. Le christianisme a p
5350 e. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen d’ un fait connu. Le christianisme a proclamé l’égalité parfaite des sexe
5351 a proclamé l’égalité parfaite des sexes, et cela de la manière la plus précise : La femme n’a pas autorité sur son propr
5352 t la femme. (I. Cor., 7.) La femme étant l’égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme »201. En même tem
5353 égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme »201. En même temps, elle échappe à l’abaissement bestial qui
5354 abaissement bestial qui tôt ou tard est la rançon d’ une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne doit pas être e
5355 qui tôt ou tard est la rançon d’une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne doit pas être entendue au sens mod
5356 moderne et revendicateur. Elle procède du mystère de l’amour. Elle n’est que le signe et la démonstration du triomphe d’Ag
5357 ’est que le signe et la démonstration du triomphe d’ Agapè sur Éros. Car l’amour réellement réciproque exige et crée l’égal
5358 our réellement réciproque exige et crée l’égalité de ceux qui s’aiment. Dieu manifeste son amour pour l’homme en exigeant
5359 t saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une femme en la traitant comme une personne humaine to
5360 une personne humaine totale, — non comme une fée de la légende, mi-déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons de c
5361 déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons de ces prémisses générales à la psychologie la plus concrète de la relat
5362 isses générales à la psychologie la plus concrète de la relation des égaux. L’exercice de la fidélité envers une femme acc
5363 lus concrète de la relation des égaux. L’exercice de la fidélité envers une femme accoutume à considérer les autres femmes
5364 ne femme accoutume à considérer les autres femmes d’ une manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde de l’Éros : comme
5365 e manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde de l’Éros : comme des personnes, non plus comme des reflets ou des objet
5366 xercice spirituel » développe des facultés neuves de jugement, de possession de soi et de respect202. Au contraire de l’ho
5367 tuel » développe des facultés neuves de jugement, de possession de soi et de respect202. Au contraire de l’homme érotique,
5368 pe des facultés neuves de jugement, de possession de soi et de respect202. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la
5369 ultés neuves de jugement, de possession de soi et de respect202. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la fidélité
5370 ect202. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la fidélité ne cherche plus à voir dans une femme seulement ce corps
5371 ent, à peine tenté, le mystère difficile et grave d’ une existence autonome, étrangère, d’une vie totale dont il n’a désiré
5372 ile et grave d’une existence autonome, étrangère, d’ une vie totale dont il n’a désiré vraiment qu’un illusoire ou fugitif
5373 dité qu’elle développe. L’empire du mythe faiblit d’ autant ; et s’il reste improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser
5374 e improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser de traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué d’images, — du moin
5375 olisse jamais sans laisser de traces dans le cœur d’ un homme moderne, intoxiqué d’images, — du moins perd-il son efficace 
5376 traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué d’ images, — du moins perd-il son efficace : ce n’est plus lui qui déterm
5377 up de foudre », et encore moins à la « fatalité » de la passion. Le « coup de foudre » est sans doute une légende accrédit
5378 de accréditée par Don Juan, comme la « fatalité » de la passion est accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent
5379 rompé, parce qu’il y trouve son intérêt ; figures de rhétorique romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il serait a
5380 ables à ce titre, mais qu’il serait assez absurde de confondre avec des vérités psychologiques. Notre analyse du mythe nou
5381 i l’on aime croire à la fatalité, qui est l’alibi de la culpabilité : « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute, je n’y ét
5382 ce de ma personne. » Pieux mensonge203 du servant d’ Éros. Mais de combien de complaisances secrètes se compose une « fatal
5383 onne. » Pieux mensonge203 du servant d’Éros. Mais de combien de complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant
5384 ux mensonge203 du servant d’Éros. Mais de combien de complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant au coup de
5385 coup de foudre, il est censé justifier les écarts de Don Juan. Toute la littérature nous engage à y voir la preuve d’une t
5386 ute la littérature nous engage à y voir la preuve d’ une très puissante nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups de fo
5387 nte nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups de foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de su
5388 nsuelle. Don Juan, l’homme des coups de foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe
5389 oudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine l
5390 a vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine les contingenc
5391 , serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe d’ une puissance indéfinie et qui domine les contingences morales. Mais a
5392 s, on peut être certain qu’un pareil mythe est né de la rêverie des impuissants. Et en effet, la conduite de Don Juan est
5393 rêverie des impuissants. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien typique d’une certaine déficience sexuelle. C’est d
5394 n effet, la conduite de Don Juan est bien typique d’ une certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de fatigue général
5395 e certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de fatigue générale, et sexuellement localisée, que le corps se voit por
5396 iots. Par contre, dans un état normal du corps et de l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il appa
5397 un état normal du corps et de l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il apparaît ainsi que la monog
5398 st la meilleure garantie du plaisir, c’est-à-dire de l’Éros purement charnel, et non du tout divinisé204. ⁂ On objecte alo
5399 rs que le mariage ne serait plus que le « tombeau de l’amour ». Mais c’est encore le mythe, naturellement, qui nous le fai
5400 ment, qui nous le fait croire, avec son obsession de l’amour contrarié. Il serait plus vrai de dire après M. Croce que « l
5401 session de l’amour contrarié. Il serait plus vrai de dire après M. Croce que « le mariage est le tombeau de l’amour sauvag
5402 re après M. Croce que « le mariage est le tombeau de l’amour sauvage »205 (et plus communément du sentimentalisme). L’amou
5403 uvage et naturel se manifeste par le viol, preuve d’ amour chez tous les barbares. Mais le viol, comme la polygamie, révèle
5404 ie, révèle que l’homme n’est pas encore en mesure de concevoir la réalité de la personne chez la femme. C’est autant dire
5405 ’est pas encore en mesure de concevoir la réalité de la personne chez la femme. C’est autant dire qu’il ne sait pas encore
5406 e aimer. Le viol et la polygamie privent la femme de sa qualité d’égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépe
5407 ol et la polygamie privent la femme de sa qualité d’ égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépersonnalise les
5408 omine, ce n’est pas faute de « passion » (au sens de tempérament) mais c’est qu’il aime, justement, et qu’en vertu de cet
5409 justement, et qu’en vertu de cet amour, il refuse de s’imposer, il se refuse à une violence qui nie et détruit la personne
5410 sonne. Il prouve ainsi qu’il veut d’abord le bien de l’autre. Son égoïsme passe par l’autre. On admettra que c’est une rév
5411 t dépasser la formule toute négative et privative de Croce, et définir enfin le mariage comme cette institution qui contie
5412 r la morale, mais par l’amour. 6.Les paradoxes de l’Occident Ces quelques remarques sur la passion et le mariage met
5413 iage mettent en lumière l’opposition fondamentale de l’Éros et de l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputen
5414 en lumière l’opposition fondamentale de l’Éros et de l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputent notre Occid
5415 qui se disputent notre Occident. La connaissance de ce conflit, de ses origines historiques et psychologiques, de son enj
5416 nt notre Occident. La connaissance de ce conflit, de ses origines historiques et psychologiques, de son enjeu spirituel, m
5417 t, de ses origines historiques et psychologiques, de son enjeu spirituel, me paraît devoir entraîner la révision d’un cert
5418 spirituel, me paraît devoir entraîner la révision d’ un certain nombre de jugements courants, dans le domaine de l’éthique
5419 devoir entraîner la révision d’un certain nombre de jugements courants, dans le domaine de l’éthique d’abord, mais aussi
5420 ain nombre de jugements courants, dans le domaine de l’éthique d’abord, mais aussi dans celui de la culture et de sa philo
5421 maine de l’éthique d’abord, mais aussi dans celui de la culture et de sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira
5422 e d’abord, mais aussi dans celui de la culture et de sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute de dég
5423 elui de la culture et de sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute de dégager le principe de correcti
5424 e. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute de dégager le principe de correction que nos recherches sur la passion p
5425 age, il suffira sans doute de dégager le principe de correction que nos recherches sur la passion peuvent établir. ⁂ Les O
5426 y voient l’héritage du christianisme et le secret de notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme,
5427 namisme, correspondent aux trois traits dominants de la psyché occidentale. De là vient l’impression d’évidence qu’entraîn
5428 trois traits dominants de la psyché occidentale. De là vient l’impression d’évidence qu’entraînent de pareils jugements.
5429 e la psyché occidentale. De là vient l’impression d’ évidence qu’entraînent de pareils jugements. Cependant, si les conclus
5430 De là vient l’impression d’évidence qu’entraînent de pareils jugements. Cependant, si les conclusions de notre examen du m
5431 pareils jugements. Cependant, si les conclusions de notre examen du mythe courtois sont justes, il faudra corriger sensib
5432 justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma de l’Occident chrétien. Tout d’abord : ce n’est pas le christianisme qui
5433 a fait naître la passion, mais c’est une hérésie d’ origine orientale. Cette hérésie s’est répandue d’abord dans les contr
5434 ous-produit du christianisme » ou le « changement d’ adresse d’une force que le christianisme a réveillée et orientée vers
5435 t du christianisme » ou le « changement d’adresse d’ une force que le christianisme a réveillée et orientée vers Dieu »206.
5436 tée vers Dieu »206. Il est plutôt le sous-produit de la religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité
5437 religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyances, et
5438 enne. Plus exactement, il est né de la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyances, et du conflit de l’h
5439 n avec nos plus vieilles croyances, et du conflit de l’hérésie qui en résulta avec l’orthodoxie chrétienne. Première corre
5440 avec l’orthodoxie chrétienne. Première correction d’ importance. Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynamis
5441 e correction d’importance. Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de deux sourc
5442 er que le fameux « dynamisme occidental » procède de deux sources distinctes. Si c’est notre délire guerrier que l’on ente
5443 ner par ce terme, nous avons vu qu’il se rattache de la manière la plus précise, historiquement, à la passion. Comme la pa
5444 iquement, à la passion. Comme la passion, le goût de la guerre procède d’une conception de la vie ardente qui est un masqu
5445 n. Comme la passion, le goût de la guerre procède d’ une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. D
5446 on, le goût de la guerre procède d’une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti,
5447 tion de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Mais l’autre aspect du d
5448 itude humaine qu’il révèle est l’antithèse exacte de la passion : c’est une affirmation de la valeur des choses créées, de
5449 hèse exacte de la passion : c’est une affirmation de la valeur des choses créées, de la matière, et une application de l’e
5450 t une affirmation de la valeur des choses créées, de la matière, et une application de l’esprit au monde visible. La passi
5451 choses créées, de la matière, et une application de l’esprit au monde visible. La passion ni la foi hérétique dont elle e
5452 raient proposer comme but à notre vie la maîtrise de la Nature, puisque c’est là le but et la fonction originelle du Démiu
5453 le du Démiurge, et puisque le salut est justement d’ échapper à sa loi démoniaque207. Faut-il voir à la source de cet aspec
5454 à sa loi démoniaque207. Faut-il voir à la source de cet aspect le plus réel de l’activisme européen une sorte de tempéram
5455 ut-il voir à la source de cet aspect le plus réel de l’activisme européen une sorte de tempérament continental ? Ou quelqu
5456 ct le plus réel de l’activisme européen une sorte de tempérament continental ? Ou quelque influence indirecte de l’ambitio
5457 ment continental ? Ou quelque influence indirecte de l’ambition chrétienne définie par l’Apôtre (Romains, 8), et qui tendr
5458 ve, troublée par le péché ? La volonté chrétienne de transformer le pécheur dans son âme et dans sa conduite a entraîné en
5459 et dans sa conduite a entraîné en Occident l’idée de transformer le milieu humain (d’où le mythe de la révolution), et l’i
5460 Occident l’idée de transformer le milieu humain ( d’ où le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu natu
5461 ée de transformer le milieu humain (d’où le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu naturel (d’où la t
5462 umain (d’où le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu naturel (d’où la technique). Reste à savoir si
5463 ion), et l’idée de transformer le milieu naturel ( d’ où la technique). Reste à savoir si le christianisme, accueilli par le
5464 ais la réponse n’importe pas ici : il nous suffit de marquer que les éléments occidentaux-chrétiens (c’est-à-dire créateur
5465 ntés par une volonté exactement contraire à celle de la passion. Ce qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit de f
5466 qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit de fait une fatale erreur dans l’activisme moderne, c’est la collusion d
5467 reur dans l’activisme moderne, c’est la collusion de la guerre et de notre génie technique. À partir de la Révolution, la
5468 visme moderne, c’est la collusion de la guerre et de notre génie technique. À partir de la Révolution, la guerre devenant
5469 rre devenant « nationale » exige la collaboration de toutes les forces créatrices, et en particulier de la technique. C’es
5470 e toutes les forces créatrices, et en particulier de la technique. C’est alors la passion (guerrière) qui va devenir le pr
5471 on (guerrière) qui va devenir le principal moteur de la recherche mécanique : on l’a bien vu depuis 1915. Mais cette union
5472 is cette union tout à fait monstrueuse des forces de mort et des forces créatrices va dénaturer à la fois la guerre et le
5473 épètent tant de publicistes — qui est responsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’est pas chrét
5474 nsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’est pas chrétien208. Il est tout au contraire manichéen.
5475 s cultivé la religion para ou même antichrétienne de la passion. ⁂ Faut-il conclure que la passion serait la tentation ori
5476 lure que la passion serait la tentation orientale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est développée dans notre his
5477 e et xiiie siècles, et par l’impulsion décisive de l’hérésie méridionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et de l
5478 ionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et de l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos « mo
5479 du Proche-Orient et de l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos « mortelles » croyances. Mais dir
5480 nt pas produit les mêmes effets parmi les peuples de l’Orient ? C’est qu’elles n’y ont pas trouvé les mêmes obstacles. Ai
5481 mes obstacles. Ainsi notre chance dramatique est d’ avoir résisté à la passion par des moyens prédestinés à l’exalter. Tel
5482 és à l’exalter. Telle fut la tentation permanente d’ où jaillirent nos plus belles créations. Mais ce qui produit la vie pr
5483 un accent se déplace pour que le dynamisme change de signe. ⁂ C’est en fin de compte dans l’attitude religieuse des Occide
5484 ccidentaux, et dans l’institution la plus typique de leur morale : le mariage, qu’il sera désormais possible de repérer av
5485 orale : le mariage, qu’il sera désormais possible de repérer avec assez de précision ce déplacement d’accent dont tout dép
5486 ’il sera désormais possible de repérer avec assez de précision ce déplacement d’accent dont tout dépend. Il est certain qu
5487 de repérer avec assez de précision ce déplacement d’ accent dont tout dépend. Il est certain que l’Occidental christianisé
5488 Occidental christianisé se distingue profondément de l’Oriental par son pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a
5489 tingue profondément de l’Oriental par son pouvoir d’ approfondir l’être créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le
5490 pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret de notre fidélité. La sagesse orien
5491 s ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret de notre fidélité. La sagesse orientale cherche la connaissance dans l’a
5492 essive du divers. Nous, nous cherchons la densité de l’être dans la personne distincte, sans cesse approfondie comme telle
5493 distincte, sans cesse approfondie comme telle. «  D’ autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
5494 t plus nous connaissons les choses particulières, d’ autant plus nous connaissons Dieu », dit Spinoza. Cette attitude, qui
5495 t, définit en même temps les conditions profondes de la fidélité, de la personne, du mariage, — et du refus de la passion.
5496 me temps les conditions profondes de la fidélité, de la personne, du mariage, — et du refus de la passion. Elle suppose l’
5497 délité, de la personne, du mariage, — et du refus de la passion. Elle suppose l’acceptation du différent, et donc de l’inc
5498 Elle suppose l’acceptation du différent, et donc de l’incomplet, la prise sur le concret dans ses limitations. Le chrétie
5499 moderne du mariage est le signe le moins trompeur d’ une décadence occidentale. Il en est d’autres, certes, dans les domain
5500 s les plus divers : le culte du nombre, la poésie de l’évasion, l’envahissement de la culture par les passions nationalist
5501 u nombre, la poésie de l’évasion, l’envahissement de la culture par les passions nationalistes : tout ce qui tend à ruiner
5502 appent souvent aux prises individuelles. Le signe de la crise du mariage nous parle et nous avertit mieux : aucun n’est pl
5503 otidien, plus intimement vérifiable. 7.Au-delà de la tragédie Cet ouvrage, à bien des égards, peut apparaître comme
5504 à bien des égards, peut apparaître comme le bilan d’ une décadence : mythe dégradé, mariage en crise, formes et conventions
5505 aux domaines où il peut entraîner la destruction de notre civilisation. Tout cela est, tout cela nous menace, et d’autant
5506 isation. Tout cela est, tout cela nous menace, et d’ autant plus qu’on voudrait le nier. Cependant, à plusieurs reprises, l
5507 Cependant, à plusieurs reprises, la connaissance de ces périls nous a fait entrevoir des possibilités de les surmonter. P
5508 ces périls nous a fait entrevoir des possibilités de les surmonter. Par exemple, il se peut que l’Europe, après une crise
5509 osé qu’elle n’y succombe point), retrouve le sens d’ une fidélité gagée au moins sur des institutions solides, à la mesure
5510 u moins sur des institutions solides, à la mesure de la personne. Il se peut que les excès mêmes de la passion provoquent
5511 re de la personne. Il se peut que les excès mêmes de la passion provoquent des résistances, c’est-à-dire des formes nouvel
5512 ais après tout, n’est-ce pas encore une tentation de la passion que ce souci des lendemains qui obsède aujourd’hui tant de
5513 monde nous importe bien moins que la connaissance de nos devoirs présents. Car « la figure de ce monde passe », mais l’obé
5514 aissance de nos devoirs présents. Car « la figure de ce monde passe », mais l’obéissance est toujours hic et nunc, dans l’
5515 ’obéissance est toujours hic et nunc, dans l’acte de l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes de réflexions, amor
5516 l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes de réflexions, amorcés çà et là dans ces pages, pourront en constituer l
5517 t en constituer la conclusion ouverte. J’ai tenté de débrouiller certains problèmes posés en termes d’histoire et de psych
5518 certains problèmes posés en termes d’histoire et de psychologie : mais les constatations tout objectives auxquelles je me
5519 lemme passion-fidélité peut nous le faire croire. De fait, on ne connaît jamais que les problèmes dont on pressent au moin
5520 au moins la solution, le dépassement. Or le moyen de dépasser notre dilemme ne saurait être la pure et simple négation de
5521 ilemme ne saurait être la pure et simple négation de l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la
5522 e saurait être la pure et simple négation de l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la passion
5523 ncipe, ce serait vouloir supprimer l’un des pôles de notre tension créatrice. De fait, cela n’est pas possible. Le philist
5524 primer l’un des pôles de notre tension créatrice. De fait, cela n’est pas possible. Le philistin qui « condamne » de la so
5525 n’est pas possible. Le philistin qui « condamne » de la sorte et à priori toute passion, c’est qu’il n’en a connu aucune,
5526 e-là le seul progrès concevable est dans la crise de sa sécurité, c’est-à-dire dans le drame passionnel (Appendice 11). Ma
5527 le drame passionnel (Appendice 11). Mais au-delà de la passion vécue jusqu’à l’impasse mortelle, que pouvons-nous désorma
5528 thèmes que je vais esquisser indiquent deux voies de dépassement, dans la ligne de cet ouvrage, mais au-delà du schématism
5529 ndiquent deux voies de dépassement, dans la ligne de cet ouvrage, mais au-delà du schématisme inhérent à tout exposé. ⁂ Le
5530 l’événement qui devint pour Kierkegaard le point de départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec
5531 nt qui devint pour Kierkegaard le point de départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec Régine. La
5532 t de départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette rupture nous de
5533 e de ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette rupture nous demeure en partie mystérieuse209 : c’est « le secr
5534 de. Ici l’obstacle indispensable à la passion est d’ une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’on n
5535 ait en pressentir la gravité sans invoquer la foi de Kierkegaard. Selon lui, l’homme fini et pécheur ne saurait entretenir
5536 qui est l’Éternel et le Saint — que des relations d’ amour mortellement malheureux. « Dieu crée tout ex nihilo » et celui q
5537 le réduire à néant ». Du point de vue du monde et de la vie naturelle, Dieu apparaît alors comme « mon ennemi mortel ». No
5538 heurtons ici à l’extrême limite, à l’origine pure de la passion, — mais du même coup nous sommes jetés au cœur même de la
5539  mais du même coup nous sommes jetés au cœur même de la foi chrétienne ! Car voici : cet homme mort au monde, tué par l’am
5540 ant et vivre dans le monde comme s’il n’avait pas d’ autre tâche ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier de la foi »,
5541 che ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier de la foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien de surhumain : « i
5542 ier de la foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien de surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit co
5543 a foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien de surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit comme n’im
5544 suite, c’est en vertu de l’absurde (c’est-à-dire de la foi). Il fait sans cesse le saut dans l’infini, mais avec une tell
5545 ans le fini, et qu’on ne remarque en lui rien que de fini »210… Ainsi l’extrême de la passion, la mort d’amour, initie une
5546 que en lui rien que de fini »210… Ainsi l’extrême de la passion, la mort d’amour, initie une vie nouvelle, où la passion n
5547 fini »210… Ainsi l’extrême de la passion, la mort d’ amour, initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’être présente
5548 , initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’ être présente, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bie
5549 s que royale, elle est divine. Et dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que la passion — quel que soit l’or
5550 au-delà réel, et son salut, que par cette action d’ obéissance qui est la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le mon
5551 que par cette action d’obéissance qui est la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le monde », mais « en vertu de l’a
5552  ressaisir » le monde fini que dans la conscience de sa perte, infiniment féconde pour son génie ; il ne recouvra pas Régi
5553 ; il ne recouvra pas Régine, mais ne cessa jamais de l’aimer et de lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cett
5554 ra pas Régine, mais ne cessa jamais de l’aimer et de lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre était
5555 Et c’est peut-être que cette œuvre était le lieu de sa fidélité la plus réelle. Pourquoi chercher ailleurs que dans la vo
5556 vocation vraiment unique du Solitaire, le secret de son échec humain ? D’autres reçoivent une autre vocation, épousent Ré
5557 rtu de l’absurde ». Et ils s’étonnent chaque jour de leur bonheur. (Ces choses-là sont trop simples et totales pour qu’un
5558 re la question qu’elles nous posent et la réponse de notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’est peut-être pas d
5559 econd thème que j’esquisserai n’est peut-être pas d’ une nature essentiellement hétérogène. Peut-être même doit-il être con
5560 re conçu comme un aspect particulier du mouvement de retour de la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’
5561 omme un aspect particulier du mouvement de retour de la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’ascension
5562 assion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’ascension spirituelle qu’il nous raconte dans le langage de la plus
5563 on spirituelle qu’il nous raconte dans le langage de la plus ardente passion, saint Jean de la Croix connaît que l’âme att
5564 ean de la Croix connaît que l’âme atteint un état de présence parfaite à l’objet aimant de l’amour, et c’est ce qu’il nomm
5565 int un état de présence parfaite à l’objet aimant de l’amour, et c’est ce qu’il nomme le mariage mystique. L’âme se compor
5566 rte alors à l’endroit de son amour avec une sorte d’ indifférence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinct
5567 érence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinction ressentie comme un déchirement ; elle ne désire plus r
5568 ui dans la dualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit a
5569 ualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce et d’ obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit alors comblé
5570 un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit alors comblé sans cesse dans l’acte mêm
5571 se voit alors comblé sans cesse dans l’acte même d’ obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même de consc
5572 même d’obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seulement la sobriété
5573 rte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir.
5574 t plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analog
5575 e de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que la p
5576 t la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que la passion, née du mortel désir
5577 ors concevoir que la passion, née du mortel désir d’ union mystique, ne saurait être dépassée et accomplie que par la renco
5578 t être dépassée et accomplie que par la rencontre d’ un autre, par l’admission de sa vie étrangère, de sa personne à tout j
5579 que par la rencontre d’un autre, par l’admission de sa vie étrangère, de sa personne à tout jamais distincte, mais qui of
5580 d’un autre, par l’admission de sa vie étrangère, de sa personne à tout jamais distincte, mais qui offre une alliance sans
5581 nse, la nostalgie comblée par la présence cessent d’ appeler un bonheur sensible, cessent de souffrir, acceptent notre jour
5582 ce cessent d’appeler un bonheur sensible, cessent de souffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage est possible. Nou
5583 dernière fois pourtant nous reprendrons un parti de sobriété. Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’est pas co
5584 ure. Nous sommes sans fin ni cesse dans le combat de la nature et de la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux.
5585 sans fin ni cesse dans le combat de la nature et de la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horizon
5586 on n’est plus le même. Une fidélité gardée au Nom de ce qui ne change pas comme nous, révèle peu à peu son mystère : c’est
5587 , révèle peu à peu son mystère : c’est qu’au-delà de la tragédie, il y a de nouveau le bonheur. Un bonheur qui ressemble à
5588 21 juin 1938. 196. Je m’en tiens au cas-limite de Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage chrétien ; et des
5589 en tiens au cas-limite de Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage chrétien ; et des états de mariage dans la pa
5590 e passion dans le mariage chrétien ; et des états de mariage dans la passion… 197. Plus on s’écarte de l’espèce pour se r
5591 e mariage dans la passion… 197. Plus on s’écarte de l’espèce pour se rapprocher de la personne, plus le choix devient sin
5592 . Plus on s’écarte de l’espèce pour se rapprocher de la personne, plus le choix devient singulier. À cette personnalisatio
5593 choix devient singulier. À cette personnalisation de l’être aimé correspond d’ailleurs une spécification croissante de l’i
5594 orrespond d’ailleurs une spécification croissante de l’instinct, à mesure que l’homme se virilise : c’est l’argument du Dr
5595 ue la passion une évasion hors du réel, une façon de l’idéaliser. 199. J’emploie ce terme au sens actif et littéral, par
5596 littéral, par opposition au sens devenu courant, de « préjugé », de « parti imité ». 200. Voir le remarquable essai de R
5597 pposition au sens devenu courant, de « préjugé », de « parti imité ». 200. Voir le remarquable essai de R. de Pury, « Éro
5598 « parti imité ». 200. Voir le remarquable essai de R. de Pury, « Éros et Agapè », dans le recueil collectif intitulé Pro
5599 è », dans le recueil collectif intitulé Problèmes de la sexualité (collection « Présences ») : « Un chrétien peut et doit
5600 ’est pas le péché ; le péché c’est la sublimation d’ Éros. 201. Comme le croira cependant Novalis, renouvelant la mystique
5601 En ce que l’on reconnaît dans un être la totalité d’ une personne. La personne, selon la fameuse définition kantienne, c’es
5602 ent. 203. Sur la liaison absolument fondamentale de la passion et du mensonge, j’ai insisté déjà pages 37 à 41 et page 15
5603 riage ne saurait être fondé sur des « arguments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait d’observation qui réfu
5604 guments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’ un fait d’observation qui réfute les croyances courantes, nées du myth
5605 de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait d’ observation qui réfute les croyances courantes, nées du mythe de Trist
5606 qui réfute les croyances courantes, nées du mythe de Tristan et de son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tou
5607 croyances courantes, nées du mythe de Tristan et de son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tout à fait ineff
5608 i préfère le mythe et veut croire aux révélations de la passion. 205. B. Croce, Etica e Politica. 206. Leo Ferrero, Dés
5609 itica. 206. Leo Ferrero, Désespoirs. Le problème de la passion est admirablement défini par ce petit livre dans ses donné
5610 ice 4.) 207. « L’idée antique du travail indigne de l’homme libre se retrouve dans la chevalerie », écrit Henri Pirenne,
5611 ns la chevalerie », écrit Henri Pirenne, Histoire de l’Europe, p. 113. Mais pour d’autres raisons, on le conçoit ! 208. I
5612 la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte de la grâce fait par Dieu. 209. Malgré les tentatives multiples d’expli
5613 t par Dieu. 209. Malgré les tentatives multiples d’ explication « modernes » — ô combien — par la physiologie, la psychiat
5614 ychiatrie, la psychanalyse en particulier. Aucune de ces explications ne me paraît rendre compte, le moins du monde, de la
5615 ns ne me paraît rendre compte, le moins du monde, de la singularité du cas. Elles s’appliqueraient aussi bien à n’importe
5616 Tremblement, traduit d’après la version allemande de E. Geismar et R. Marx.
9 1939, L’Amour et l’Occident. Appendices
5617 Appendices 1. – Caractère sacré de la légende Pour éviter tout malentendu, je préciserai ici que mon
5618 ici que mon analyse se borne à la légende écrite de Tristan. C’est d’elle seule que je parle quand je parle du mythe « pr
5619 se se borne à la légende écrite de Tristan. C’est d’ elle seule que je parle quand je parle du mythe « primitif ». Il serai
5620 nd je parle du mythe « primitif ». Il serait aisé de se prévaloir du caractère sacré que certains auteurs du siècle dernie
5621 dernier ont cru pouvoir attribuer aux personnages de Tristan et d’Iseut (ou Essylt) dans la mythologie celtique. Dès le vi
5622 u pouvoir attribuer aux personnages de Tristan et d’ Iseut (ou Essylt) dans la mythologie celtique. Dès le viie siècle, Tr
5623 rés », c’est-à-dire des élèves des druides, rival de son oncle Markh, le roi-cheval, et amant d’Essylt, dont on a pu suppo
5624 rival de son oncle Markh, le roi-cheval, et amant d’ Essylt, dont on a pu supposer que le nom signifiait « spectacle mystér
5625 e le nom signifiait « spectacle mystérieux, objet de contemplation », fée irlandaise, cavale aux crins blancs, ou encore f
5626 se, cavale aux crins blancs, ou encore figuration de l’eau de la chaudière de Cerridwen, qui donne l’inspiration aux barde
5627 e aux crins blancs, ou encore figuration de l’eau de la chaudière de Cerridwen, qui donne l’inspiration aux bardes, guérit
5628 cs, ou encore figuration de l’eau de la chaudière de Cerridwen, qui donne l’inspiration aux bardes, guérit et ressuscite,
5629 ressuscite, c’est-à-dire élève l’initié à la vie de l’esprit. Tout cela est vraisemblable, et contesté. Dans les Mabinogi
5630 brève sur la légende originelle : « Drystan, fils de Tallwch, gardien des porcs de Markh, amant d’Essylt. » (C’est dans un
5631 e : « Drystan, fils de Tallwch, gardien des porcs de Markh, amant d’Essylt. » (C’est dans une énumération des amants fameu
5632 ils de Tallwch, gardien des porcs de Markh, amant d’ Essylt. » (C’est dans une énumération des amants fameux de la Bretagne
5633 . » (C’est dans une énumération des amants fameux de la Bretagne.) On a voulu voir également dans la rivalité de Tristan e
5634 agne.) On a voulu voir également dans la rivalité de Tristan et de Marc le symbole de la lutte entre les Bretons armoricai
5635 ulu voir également dans la rivalité de Tristan et de Marc le symbole de la lutte entre les Bretons armoricains et les Gall
5636 dans la rivalité de Tristan et de Marc le symbole de la lutte entre les Bretons armoricains et les Gallo-Francs. Il est in
5637 -Francs. Il est incontestable que maints éléments de la tradition bardique (orale) sont incorporés dans la légende. (Cf. l
5638 mas, Eilhart, l’auteur du Roman en prose et celui de la Folie Tristan n’étaient pas initiés à cette tradition. Ils ignorai
5639 s. Et les traces qui subsistent, dans leur texte, d’ anciennes pratiques de magie montrent bien que l’usage de ces dernière
5640 ubsistent, dans leur texte, d’anciennes pratiques de magie montrent bien que l’usage de ces dernières est oublié ; à l’épo
5641 nnes pratiques de magie montrent bien que l’usage de ces dernières est oublié ; à l’époque et dans les pays où ils écriven
5642 ù ils écrivent. Tout cela n’est plus qu’ornements d’ art, pittoresque, anecdotes interprétées par la fantaisie individuelle
5643 elle du poète. Les faits que nous décrit l’auteur de la Folie Tristan étaient sans doute à l’origine tout autre chose qu’u
5644 s doute à l’origine tout autre chose qu’une suite d’ extravagances. Chaque parole et chaque geste du héros devaient corresp
5645 correspondre à des symboles déterminés. La maison de verre par exemple, dans laquelle Tristan fou veut emmener Iseut, étai
5646 t, était dans la mythologie druidique le vaisseau de la mort qui s’en va par-delà les nuages jusqu’au cercle céleste du Gw
5647 este du Gwynfyd. Dans la Folie Tristan, la maison de verre n’est plus qu’une image émouvante née de la fantaisie poétique
5648 on de verre n’est plus qu’une image émouvante née de la fantaisie poétique de l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ
5649 ’une image émouvante née de la fantaisie poétique de l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ de Tristan pour la Bretag
5650 ue de l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ de Tristan pour la Bretagne n’a plus aucun sens « historique » défini ;
5651 ons que je ne tiens compte, dans mon analyse, que de la légende rédigée, et réinventée quant au sens, par les poètes du xi
5652 lle seule agit encore sur nous, en tant que mythe de l’amour-passion. 2. – Chevalerie sacrée La pensée médiévale en
5653 ée La pensée médiévale en général est saturée de conceptions religieuses. De la même manière, dans une sphère plus res
5654 n général est saturée de conceptions religieuses. De la même manière, dans une sphère plus restreinte, la pensée de tous c
5655 nière, dans une sphère plus restreinte, la pensée de tous ceux qui vivent dans les cercles de la cour et de la noblesse es
5656 a pensée de tous ceux qui vivent dans les cercles de la cour et de la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cet
5657 us ceux qui vivent dans les cercles de la cour et de la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cette conception
5658 ercles de la cour et de la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cette conception envahit même le domaine de la
5659 eresque. Cette conception envahit même le domaine de la religion : la prouesse de l’archange saint Michel était « la premi
5660 ahit même le domaine de la religion : la prouesse de l’archange saint Michel était « la première milicie et prouesse cheva
5661 ureuse qui oncques fut mise en exploict » ; c’est de là que procède la chevalerie qui, en tant que « milicie terrienne et
5662 ne imitation des chœurs des anges autour du trône de Dieu. Le poète espagnol Juan Manuel l’appelle une espèce de sacrement
5663 e poète espagnol Juan Manuel l’appelle une espèce de sacrement, qu’il compare au Baptême et au Mariage. (J. Huizinga : le
5664 evaleresque constituait pour l’esprit superficiel de ces auteurs [Froissart, Monstrelet, Chastellain, La Marche…] une clef
5665 En réalité, les guerres, tout comme la politique de leur temps, étaient extrêmement informes, et apparemment incohérentes
5666 t incohérentes. La guerre était un état chronique d’ escarmouches isolées s’étendant sur un vaste domaine ; la diplomatie,
5667 es, et d’autre part, par un ensemble inextricable de questions de droit isolées et mesquines. L’histoire, n’étant pas en m
5668 e part, par un ensemble inextricable de questions de droit isolées et mesquines. L’histoire, n’étant pas en mesure de disc
5669 s et mesquines. L’histoire, n’étant pas en mesure de discerner un réel développement social, se servait de la fiction de l
5670 iscerner un réel développement social, se servait de la fiction de l’idéal chevaleresque à l’aide de laquelle elle réduisa
5671 el développement social, se servait de la fiction de l’idéal chevaleresque à l’aide de laquelle elle réduisait le monde au
5672 laquelle elle réduisait le monde aux proportions d’ une belle image d’honneur princier et de vertu courtoise, et créait l’
5673 uisait le monde aux proportions d’une belle image d’ honneur princier et de vertu courtoise, et créait l’illusion de l’ordr
5674 oportions d’une belle image d’honneur princier et de vertu courtoise, et créait l’illusion de l’ordre. (Ibid., p. 80.)
5675 ncier et de vertu courtoise, et créait l’illusion de l’ordre. (Ibid., p. 80.) 3. – Chansons de geste et romans courtoi
5676 ion de l’ordre. (Ibid., p. 80.) 3. – Chansons de geste et romans courtois Les chansons de geste sont nées au xie s
5677 nsons de geste et romans courtois Les chansons de geste sont nées au xie siècle, et pas avant, comme l’a montré Joseph
5678 ondateurs. Il est compréhensible que ces chansons de clercs parlent très peu ou point d’amour. Une seule, la Légende de Gi
5679 ces chansons de clercs parlent très peu ou point d’ amour. Une seule, la Légende de Girard de Roussillon (composée entre 1
5680 très peu ou point d’amour. Une seule, la Légende de Girard de Roussillon (composée entre 1150 et 1180 selon Bédier) conti
5681 e 1150 et 1180 selon Bédier) contient une épisode d’ amour courtois. Elle est écrite dans un dialecte intermédiaire entre l
5682 ovençal. À tous égards, elle marque la transition de l’épopée française au « roman » proprement dit. L’épisode d’amour nou
5683 française au « roman » proprement dit. L’épisode d’ amour nous intéresse d’autant plus qu’il décrit une situation fort ana
5684 proprement dit. L’épisode d’amour nous intéresse d’ autant plus qu’il décrit une situation fort analogue — dans sa forme —
5685 fort analogue — dans sa forme — à celle du Roman de Tristan. Or il est évident que cette situation ne peut être qu’une in
5686 on courtoise (elle tranche nettement sur le reste de la légende qui est cléricale et féodale). Cette analogie avec Tristan
5687 t subir au vieux mythe celtique. Elle nous permet de mesurer l’influence décisive de l’amour courtois sur les auteurs du c
5688 Elle nous permet de mesurer l’influence décisive de l’amour courtois sur les auteurs du cycle breton. Voici la donnée : l
5689 sera Charles, la cadette, Elissent, sera la femme de Girard. Lorsque Charles voit les deux princesses, il s’éprend d’Eliss
5690 que Charles voit les deux princesses, il s’éprend d’ Elissent, déjà fiancée à Girard. Après un long débat, Girard consent à
5691 consent à céder Elissent, à condition qu’il cesse d’ être vassal du roi. Il épouse Berthe, tandis qu’Elissent devient reine
5692 s, ainsi que Berthe sa femme, et la reine. Femme de roi, dit-il, que pensez-vous de l’échange que j’ai fait de vous ? Je
5693 la reine. Femme de roi, dit-il, que pensez-vous de l’échange que j’ai fait de vous ? Je sais bien que vous me tenez pour
5694 it-il, que pensez-vous de l’échange que j’ai fait de vous ? Je sais bien que vous me tenez pour méprisable. — Non, Seigneu
5695 r méprisable. — Non, Seigneur, mais pour un homme de valeur et de prix. Vous m’avez faite reine, et ma sœur, vous l’avez é
5696 — Non, Seigneur, mais pour un homme de valeur et de prix. Vous m’avez faite reine, et ma sœur, vous l’avez épousée pour l
5697 ine, et ma sœur, vous l’avez épousée pour l’amour de moi. Écoutez-moi, vous, comtes Bertolai et Gervais. Et vous, ma chère
5698 ne à jamais mon amour au duc Girard. Je lui donne de mon oscle la fleur, parce que je l’aime plus que mon père et plus que
5699 ari ; et le voyant partir, je ne puis me défendre de pleurer… » Dès ce moment, ajoute le poète, « dura toujours l’amour de
5700 moment, ajoute le poète, « dura toujours l’amour de Girard et d’Elissent, pur de tout reproche, sans qu’il y eût entre eu
5701 te le poète, « dura toujours l’amour de Girard et d’ Elissent, pur de tout reproche, sans qu’il y eût entre eux autre chose
5702 ura toujours l’amour de Girard et d’Elissent, pur de tout reproche, sans qu’il y eût entre eux autre chose que bon vouloir
5703 est très frappante. Il s’agit dans les deux cas : D’ un vassal puissant chargé de la « quête » d’une fiancée lointaine ; — 
5704 t dans les deux cas : D’un vassal puissant chargé de la « quête » d’une fiancée lointaine ; — d’une rivalité entre le vass
5705 cas : D’un vassal puissant chargé de la « quête » d’ une fiancée lointaine ; — d’une rivalité entre le vassal et son suzera
5706 hargé de la « quête » d’une fiancée lointaine ; —  d’ une rivalité entre le vassal et son suzerain ; — d’un conflit entre l’
5707 ’une rivalité entre le vassal et son suzerain ; —  d’ un conflit entre l’hommage dû au suzerain et l’hommage donné à la femm
5708 dû au suzerain et l’hommage donné à la femme ; —  d’ un mariage de consolation du vassal (ici avec la sœur de son amie, là
5709 in et l’hommage donné à la femme ; — d’un mariage de consolation du vassal (ici avec la sœur de son amie, là avec son homo
5710 ariage de consolation du vassal (ici avec la sœur de son amie, là avec son homonyme) — enfin dans les deux légendes, l’amo
5711 t sa fidélité triomphent idéalement du mariage et de sa fidélité, en même temps que des liens féodaux. Mais les différence
5712 s significatives. Dans Tristan, c’est la jalousie d’ Iseut aux blanches mains qui provoque la catastrophe, tandis que dans
5713 extes « courtois ». Ils nous permettent également de concevoir que Béroul et Thomas n’ont gardé du mythe druidique guère d
5714 ère davantage que les noms et le support matériel de l’action. 1. Sur le mariage en général : Jugement de la comtesse de C
5715 l’action. 1. Sur le mariage en général : Jugement de la comtesse de Champagne : Par la teneur des présentes, nous disons
5716 roquement et gratuitement, sans aucune obligation de nécessité, tandis que les époux sont tenus par devoir à toutes les vo
5717 sont tenus par devoir à toutes les volontés l’un de l’autre. Que ce jugement que nous prononçons avec une extrême maturit
5718 gable. Donné l’an 1174, le troisième des calendes de mai, indiction VII. 2. À rapprocher du mariage blanc de Tristan : Ju
5719 indiction VII. 2. À rapprocher du mariage blanc de Tristan : Jugement de la reine Éléonore : Demande. Un amant heureux
5720 rapprocher du mariage blanc de Tristan : Jugement de la reine Éléonore : Demande. Un amant heureux avait demandé à sa da
5721 ant heureux avait demandé à sa dame la permission d’ offrir ses hommages à une autre : il y fut autorisé et cessa de sentir
5722 hommages à une autre : il y fut autorisé et cessa de sentir pour sa première amie la tendresse qu’il lui avait portée d’ab
5723 abord. Après un mois, il revient à elle, proteste de ne pas s’être épris ailleurs, et de n’avoir pris aucune liberté avec
5724 lle, proteste de ne pas s’être épris ailleurs, et de n’avoir pris aucune liberté avec l’autre dame, mais d’avoir voulu seu
5725 avoir pris aucune liberté avec l’autre dame, mais d’ avoir voulu seulement mettre à l’épreuve la constance de sa maîtresse.
5726 r voulu seulement mettre à l’épreuve la constance de sa maîtresse. Celle-ci l’a privé de son amour, disant qu’il s’en est
5727 la constance de sa maîtresse. Celle-ci l’a privé de son amour, disant qu’il s’en est rendu indigne en implorant et en acc
5728 mplorant et en acceptant pareille licence. Arrêt de la reine Éléonore. Telle est la nature de l’amour : les amants feigne
5729 Arrêt de la reine Éléonore. Telle est la nature de l’amour : les amants feignent souvent de souhaiter d’autres nœuds, po
5730 a nature de l’amour : les amants feignent souvent de souhaiter d’autres nœuds, pour s’assurer davantage de la fidélité et
5731 ouhaiter d’autres nœuds, pour s’assurer davantage de la fidélité et de la constance de la personne aimée. C’est léser le d
5732 nœuds, pour s’assurer davantage de la fidélité et de la constance de la personne aimée. C’est léser le droit des amants qu
5733 surer davantage de la fidélité et de la constance de la personne aimée. C’est léser le droit des amants que de refuser, so
5734 rsonne aimée. C’est léser le droit des amants que de refuser, sous un prétexte semblable, ses embrassements ou sa tendress
5735 ière le néglige. Ce n’est point tant la constance de son amie que la sienne propre qu’il veut mettre à l’épreuve. À cette
5736 ien du même ordre. 4. – Conceptions orientales de l’amour Il est bien entendu que j’appelle Orient une certaine atti
5737 que j’appelle Orient une certaine attitude totale de l’homme qui s’est manifestée principalement chez les peuples et dans
5738 cipalement chez les peuples et dans les religions de l’Asie. L’Iran, l’islam, l’Arabie et le judaïsme ne sont pas cet Orie
5739 x occidentaux. Il en va tout autrement des Indes, de la Chine, du Tibet, du Japon. Dans un très beau recueil posthume de p
5740 bet, du Japon. Dans un très beau recueil posthume de poèmes et d’essais de Leo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relat
5741 . Dans un très beau recueil posthume de poèmes et d’ essais de Leo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation d’un entr
5742 très beau recueil posthume de poèmes et d’essais de Leo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation d’un entretien qu’
5743 eo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation d’ un entretien qu’a eu l’auteur avec un jeune Chinois : « Le concept d’
5744 eu l’auteur avec un jeune Chinois : « Le concept d’ amour » n’existe pas en Chine. Le verbe « aimer » est employé seulemen
5745 et les fils. Le mari n’aime pas la femme : « il a de l’affection pour elle », plus ou moins. Quant aux rapports entre la f
5746 ils définissent leurs sentiments. La philosophie de Motse (taoïste) — la seule un peu chrétienne, qui a pour fondement qu
5747 iés très jeunes par leurs parents, et le problème de l’amour ne se pose pas. Ils n’ont pas à poursuivre toute la vie cette
5748 utres, et dont nous voulons être sûrs. L’attitude de l’Européen qui se demande toute sa vie : « Est-ce de l’amour ou non ?
5749 l’Européen qui se demande toute sa vie : « Est-ce de l’amour ou non ? Est-ce que j’aime vraiment cette femme, ou est-ce qu
5750 e j’aime vraiment cette femme, ou est-ce que j’ai de l’affection pour elle ? Est-ce que j’aime Dieu ou est-ce que j’ai seu
5751 ue j’aime Dieu ou est-ce que j’ai seulement envie de l’aimer ? Est-ce que j’aime cet être ou est-ce que j’aime l’amour ? »
5752 il n’aime pas cette femme ; il a seulement envie de l’aimer — cette attitude pourrait être considérée par un psychiatre c
5753 dérée par un psychiatre chinois comme un symptôme de folie. Nous sommes fous sans nous en rendre compte ; toute notre vie
5754 x, la tranquillité ! Je suis moi-même le plus fou de tous les fous, hélas ! Mais au moins maintenant je le sais. Et encor
5755 ondée sur la famille, et la famille sur l’absence d’ amour. Les traditions chinoises insistent sur ce point. Toute manifest
5756 oises insistent sur ce point. Toute manifestation de tendresse entre mari et femme est jugée inconvenante. 5. – Mystiq
5757 endice à son beau livre sur la Théologie mystique de saint Bernard (Paris, 1934, p. 193 à 216), M. Étienne Gilson examine
5758 193 à 216), M. Étienne Gilson examine le problème d’ une influence possible de la mystique cistercienne sur les troubadours
5759 lson examine le problème d’une influence possible de la mystique cistercienne sur les troubadours. En effet, « chronologiq
5760 fute cette hypothèse en montrant : 1° que l’objet de l’amour n’est pas le même pour saint Bernard et pour les troubadours,
5761 n lui, la sensualité naturelle ; 2° que la nature de l’amour est très différente dans les deux cas, malgré d’apparentes an
5762 our est très différente dans les deux cas, malgré d’ apparentes analogies d’expression. M. Gilson conclut qu’il ne peut don
5763 dans les deux cas, malgré d’apparentes analogies d’ expression. M. Gilson conclut qu’il ne peut donc s’agir que « de deux
5764 M. Gilson conclut qu’il ne peut donc s’agir que «  de deux produits indépendants de la civilisation du xiie siècle », ayan
5765 t donc s’agir que « de deux produits indépendants de la civilisation du xiie siècle », ayant tout au plus en commun quelq
5766  », ayant tout au plus en commun quelques figures de langage. Je souscris sans réserve à ce jugement. Mais je le rejoins p
5767 ans réserve à ce jugement. Mais je le rejoins par de tout autres voies. Car l’opposition évidente entre la courtoisie et l
5768 ition évidente entre la courtoisie et la mystique de saint Bernard n’est pas seulement, comme l’a vu M. Gilson, celle de l
5769 ’est pas seulement, comme l’a vu M. Gilson, celle de la « chair » et de l’« esprit » au sens paulinien de ces termes, mais
5770 comme l’a vu M. Gilson, celle de la « chair » et de l’« esprit » au sens paulinien de ces termes, mais surtout celle de l
5771 la « chair » et de l’« esprit » au sens paulinien de ces termes, mais surtout celle de l’hérésie et de l’orthodoxie. Cepen
5772 sens paulinien de ces termes, mais surtout celle de l’hérésie et de l’orthodoxie. Cependant certains arguments invoqués p
5773 de ces termes, mais surtout celle de l’hérésie et de l’orthodoxie. Cependant certains arguments invoqués par M. Gilson me
5774 r — écrit notre auteur — sur l’objet et la nature de l’amour mystique tel que le conçoit saint Bernard : c’est un amour sp
5775 rtois serait au contraire « l’expression poétique de la concupiscence » (p. 200). Certes, une opinion assez répandue prête
5776 rs une attitude idéaliste du même genre que celle de saint Bernard. Pour dissiper cette illusion, M. Gilson — après M. Jea
5777  Gilson — après M. Jeanroy — invoque le langage «  d’ une crudité intraduisible » d’un Marcabru et même d’un Rudel. Mais tir
5778 nvoque le langage « d’une crudité intraduisible » d’ un Marcabru et même d’un Rudel. Mais tirer argument de cette crudité e
5779 une crudité intraduisible » d’un Marcabru et même d’ un Rudel. Mais tirer argument de cette crudité en faveur de la thèse s
5780 Marcabru et même d’un Rudel. Mais tirer argument de cette crudité en faveur de la thèse sensualiste et contre la symbolis
5781 » des modernes qui n’est sans doute que le résidu de préjugés scientifiques dépassés. Il se pourrait que nous tenions là u
5782 Il se pourrait que nous tenions là un bel exemple d’ anachronisme. A-t-on seulement remarqué que les siècles passés usaient
5783 ué que les siècles passés usaient très couramment d’ un langage plus « grossier » que le nôtre — signe d’une sensibilité se
5784 un langage plus « grossier » que le nôtre — signe d’ une sensibilité sexuelle peu énervée — tandis que notre langage décolo
5785 œurs des troubadours, ma déduction serait inverse de celle des savants modernes. Marcabru n’hésite pas à nommer un chat un
5786 il joue le jeu le plus naturel, selon la coutume de son temps211. Ou si l’on tient que le langage érotique traduit nécess
5787 rement une sensualité déchaînée, que pensera-t-on d’ une sainte Thérèse, d’un Ruysbroek ! b) « On n’a jamais entendu saint
5788 déchaînée, que pensera-t-on d’une sainte Thérèse, d’ un Ruysbroek ! b) « On n’a jamais entendu saint Bernard souhaiter d’ê
5789 ) « On n’a jamais entendu saint Bernard souhaiter d’ être débarrassé de l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sou
5790 entendu saint Bernard souhaiter d’être débarrassé de l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug de l’Amo
5791 nt Bernard souhaiter d’être débarrassé de l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug de l’Amour. Donc ce
5792 Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug de l’Amour. Donc cet amour n’est pas spirituel. — Mais plus tard, d’autr
5793 les expressions des troubadours, et souhaiteront d’ être libérés des tourments de l’amour divin : c’est là bien entendu, c
5794 urs, et souhaiteront d’être libérés des tourments de l’amour divin : c’est là bien entendu, comme chez les troubadours, un
5795 entendu, comme chez les troubadours, une manière d’ exprimer la violence de leur passion, une sorte d’antiphrase. Mais enc
5796 s troubadours, une manière d’exprimer la violence de leur passion, une sorte d’antiphrase. Mais encore une fois, si l’on v
5797 d’exprimer la violence de leur passion, une sorte d’ antiphrase. Mais encore une fois, si l’on veut déduire d’un tel « refu
5798 hrase. Mais encore une fois, si l’on veut déduire d’ un tel « refus » que l’Amour courtois était purement sensuel, la déduc
5799 est immanent sans être transcendant, il n’y a pas de problème mystique au sens où les chrétiens l’entendent. Ce qu’ils ont
5800 . Ce qu’ils ont à expérimenter… c’est l’immanence d’ un Dieu qui est et reste transcendant ». Mais alors, lorsqu’une créatu
5801 rs, lorsqu’une créature aime son Dieu, l’obstacle de la transcendance introduit dans l’amour un malheur essentiel (quoi qu
5802 -à-vis de l’amour des êtres. Certes : « la pureté de l’amour courtois sépare les amants, au lieu que celle de l’amour myst
5803 our courtois sépare les amants, au lieu que celle de l’amour mystique les unit ». Mais il faut voir que les amants courtoi
5804 contraire, l’amour mystique orthodoxe n’unit pas de cette façon, mais fait seulement communier. d) Pour démontrer que l’
5805 is est sensuel, M. Gilson cite encore une strophe de Thibaut de Champagne : Douce dame, s’il vos plesoit un soir M’avriez
5806 dame, s’il vos plesoit un soir M’avriez vos plus de joie doné C’onques Tristans, qui en fist son pouoir N’en pust avoir n
5807 s, qui en fist son pouoir N’en pust avoir nul jor de son ané. Et il commente : « À moins de réformer sérieusement notre c
5808 r nul jor de son ané. Et il commente : « À moins de réformer sérieusement notre conception des amours d’Iseut et de Trist
5809 réformer sérieusement notre conception des amours d’ Iseut et de Tristan, nous ne pouvons avoir de doutes sur la nature des
5810 rieusement notre conception des amours d’Iseut et de Tristan, nous ne pouvons avoir de doutes sur la nature des sentiments
5811 ours d’Iseut et de Tristan, nous ne pouvons avoir de doutes sur la nature des sentiments dont Thibaut est animé. » Précisé
5812 ts dont Thibaut est animé. » Précisément, l’objet de mon ouvrage est, entre autres, de « réformer sérieusement notre conce
5813 sément, l’objet de mon ouvrage est, entre autres, de « réformer sérieusement notre conception des amours d’Iseut et de Tri
5814 réformer sérieusement notre conception des amours d’ Iseut et de Tristan »… 6. – Dante hérétique Tout à fait indépend
5815 rieusement notre conception des amours d’Iseut et de Tristan »… 6. – Dante hérétique Tout à fait indépendamment des
5816 ut à fait indépendamment des travaux très sérieux d’ un Asin Palacios, il convient de mentionner la thèse hardie et quelque
5817 vaux très sérieux d’un Asin Palacios, il convient de mentionner la thèse hardie et quelque peu aventureuse de deux auteurs
5818 ionner la thèse hardie et quelque peu aventureuse de deux auteurs du siècle dernier : Eugène Aroux et, à sa suite, Péladan
5819 et, à sa suite, Péladan. Aroux expose le résultat de ses inductions dans un ouvrage aujourd’hui presque introuvable intitu
5820 aliste (1854). Non seulement Dante faisait partie de l’ordre des Templiers, mais encore cet ordre aurait été lié à l’hérés
5821 ès lors, toute la Comédie, le Convito, et même le De vulgari eloquentia devraient être interprétés symboliquement. Dans un
5822 n. La brochure porte un titre significatif : Clef de la Comédie anticatholique de Dante Alighieri, pasteur de l’Église alb
5823 significatif : Clef de la Comédie anticatholique de Dante Alighieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville de Floren
5824 omédie anticatholique de Dante Alighieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville de Florence, affilié à l’ordre du Tem
5825 e Dante Alighieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville de Florence, affilié à l’ordre du Temple, — donnant l’explic
5826 hieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville de Florence, affilié à l’ordre du Temple, — donnant l’explication du lan
5827 t l’explication du langage symbolique des fidèles d’ Amour dans les compositions lyriques, romans et épopées chevaleresques
5828 rs (1856). C’est un lexique donnant la traduction d’ environ 500 termes, comme par exemple : « Arbres morts ». — Les cathol
5829 dours traitaient les membres du clergé catholique d’ arbres automnals morts. « Albigéisme, albigeois ». — Mots introuvables
5830 risme albigeois, qui par un dédoublement mystique de l’âme et du corps, étaient censés avoir les deux sexes, hommes en tan
5831 en tant qu’intelligence et pensée libre des liens de la matière. « Lancelot ». — …Il faut toute la préoccupation de la let
5832 . « Lancelot ». — …Il faut toute la préoccupation de la lettre, chez les déchiffreurs de vieux manuscrits, pour qu’une lit
5833 préoccupation de la lettre, chez les déchiffreurs de vieux manuscrits, pour qu’une littérature entière soit passée sous le
5834 out, obtenant une vogue européenne, et des amours d’ une pureté angélique à servir de modèles aux races futures ! » Je ne p
5835 ne, et des amours d’une pureté angélique à servir de modèles aux races futures ! » Je ne prends pas à mon compte toutes ce
5836 e n’a fait que confirmer, plus tard, l’exactitude de bien des vues centrales d’Aroux. (Gaston Paris établissant vers 1880
5837 lus tard, l’exactitude de bien des vues centrales d’ Aroux. (Gaston Paris établissant vers 1880 la filiation troubadours-tr
5838 oman breton ; Asin Palacios reprenant la question de l’hérésie chez Dante, etc.) 7. – « Coup de foudre » et conversion
5839 ion de l’hérésie chez Dante, etc.) 7. – « Coup de foudre » et conversion Le premier regard des amants, qui va change
5840 r toute leur vie, correspond à la première touche de l’amour divin, à la conversion du chrétien. Gottfried de Strasbourg p
5841 hrétien. Gottfried de Strasbourg peignant l’amour de Rivalen pour Blanchefleur (ce sont les parents de Tristan) accumule l
5842 de Rivalen pour Blanchefleur (ce sont les parents de Tristan) accumule les expressions religieuses les plus insistantes :
5843 ors la vraie Minne La fougueuse déesse Le pénétra de ses ardeurs Et son cœur brûlant Lui révéla la source Des peines dont
5844 omme. Tout ce qu’il faisait Était comme entremêlé de folie Et frappé d’aveuglement. Ses sens étaient troublés Égarés par l
5845 faisait Était comme entremêlé de folie Et frappé d’ aveuglement. Ses sens étaient troublés Égarés par la Minne Et comme dé
5846 nt troublés Égarés par la Minne Et comme délivrés De leur frein naturel. Sa vie se consumait. (Traduction Bossert.) Les t
5847 rois derniers vers sont une parfaite confirmation de ma définition de la passion opposée à l’amour naturel. 8. – Passio
5848 s sont une parfaite confirmation de ma définition de la passion opposée à l’amour naturel. 8. – Passion et Ascèse Da
5849 se réfugient les amants (correspondant à la forêt de Morois chez Béroul) est décrite en détail, et chaque détail comporte
5850 es géants. C’est une voûte dont la clef est faite de pierres précieuses. Au milieu trône un lit de cristal, etc. Mais voic
5851 ite de pierres précieuses. Au milieu trône un lit de cristal, etc. Mais voici ce qui nous intéresse : Ce n’est pas sans r
5852 cette contrée sauvage. Cela veut dire Que le lieu de l’amour N’est pas dans les routes battues Ni autour des habitations h
5853 ) Pour qui conserverait des doutes sur la nature de l’amour en question, précisons que Gottfried confesse qu’il a, lui au
5854 désert, mais sans y rencontrer la « récompense » de ses peines. (Il n’est pas devenu Parfait) : J’ai connu la fossure Qu
5855 allé en Cornouailles. Comment pourrait-il s’agir d’ amour physique ? Et le dernier vers indique bien que la « fossure » es
5856 er ailleurs qu’en Cornouailles. (Temple ou grotte d’ hérétiques ?) 9. – Saint François d’Assise et les cathares Paul
5857 ares Paul Sabatier, dans sa fameuse biographie de saint François, se pose la question d’une influence possible de l’hér
5858 biographie de saint François, se pose la question d’ une influence possible de l’hérésie courtoise sur la mystique francisc
5859 ois, se pose la question d’une influence possible de l’hérésie courtoise sur la mystique franciscaine. Il commence par nie
5860 Il commence par nier toute communication directe de l’une à l’autre. (L’argument avancé me convainc peu : l’hérésie était
5861 argument avancé me convainc peu : l’hérésie était de nature dogmatique, et saint François ne s’occupait pas de doctrine… M
5862 e dogmatique, et saint François ne s’occupait pas de doctrine… Mais croit-on que tous les cathares dogmatisaient ? Il y a
5863 dogmatisaient ? Il y a de plus sérieuses raisons de nier l’hérésie du saint.) Cependant, il décrit fort bien l’ambiance c
5864 Cependant, il décrit fort bien l’ambiance cathare de l’Italie au temps de la jeunesse de François. Les hérétiques, baptisé
5865 iance cathare de l’Italie au temps de la jeunesse de François. Les hérétiques, baptisés Gazzari en Italie (Bulgares ou Bou
5866 s pays du Nord) s’étaient emparés du gouvernement de plusieurs municipalités. Le podestat d’Assise était un hérétique, ava
5867 vernement de plusieurs municipalités. Le podestat d’ Assise était un hérétique, avant 1204 ! Dans les cités avoisinantes, i
5868 vant 1204 ! Dans les cités avoisinantes, il y eut de nombreux soulèvements et émeutes occasionnés par le conflit religieux
5869 été le disciple enthousiaste des poètes français ( d’ où son nom même). Il partageait l’engouement des Italiens du Nord pour
5870 ueiras, Bernart de Ventadour). Enfin, l’influence de Joachim de Flore sur saint François ne saurait faire de doute. Ce fam
5871 chim de Flore sur saint François ne saurait faire de doute. Ce fameux ermite annonçait le règne de l’Esprit, l’approche de
5872 ire de doute. Ce fameux ermite annonçait le règne de l’Esprit, l’approche de la troisième période de l’humanité, le régime
5873 ermite annonçait le règne de l’Esprit, l’approche de la troisième période de l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amo
5874 e de l’Esprit, l’approche de la troisième période de l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amour. Certains troubadours
5875 de la troisième période de l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amour. Certains troubadours le connurent. (Richard C
5876 e période de l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amour. Certains troubadours le connurent. (Richard Cœur de Lion par
5877 exemple). Les deux doctrines ont bien des points de ressemblance. Il reste que saint François, s’il fut influencé par l’a
5878 int François, s’il fut influencé par l’atmosphère de la religion d’Amour, en transporta toute la passion dans l’Église et
5879 ’il fut influencé par l’atmosphère de la religion d’ Amour, en transporta toute la passion dans l’Église et l’orthodoxie, a
5880 ne obtint sans faire couler le sang la résorption de l’hérésie en Italie, alors que la brutalité des cléricaux dans le Mid
5881 e Midi n’y parvint — et en apparence — qu’au prix d’ effroyables massacres. Seule Agapè peut triompher d’Éros. Mars déchaîn
5882 effroyables massacres. Seule Agapè peut triompher d’ Éros. Mars déchaîné, même contre Éros, n’est guère qu’un autre aspect
5883 0. – Sur le sadisme Je trouve une confirmation de mon analyse du crime sadique dans deux études remarquables de Pierre
5884 se du crime sadique dans deux études remarquables de Pierre Klossowski : le Mal et la négation d’autrui dans la philosophi
5885 bles de Pierre Klossowski : le Mal et la négation d’ autrui dans la philosophie de D. A. F. de Sade et Temps et Agressivité
5886 e Mal et la négation d’autrui dans la philosophie de D. A. F. de Sade et Temps et Agressivité. (Recherches philosophiques,
5887 montre que pour Sade, le mal est l’unique élément de la Nature. On lit dans la Nouvelle Justine : « Oui, j’abhorre la Natu
5888 la connais trop bien que je la déteste : instruit de ses affreux secrets… j’ai éprouvé une sorte de plaisir à copier ses n
5889 it de ses affreux secrets… j’ai éprouvé une sorte de plaisir à copier ses noirceurs. » (D’où le désir sadique de se libére
5890 é une sorte de plaisir à copier ses noirceurs. » ( D’ où le désir sadique de se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès
5891 à copier ses noirceurs. » (D’où le désir sadique de se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès de débauche.) Autre c
5892 e se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès de débauche.) Autre condamnation vraiment manichéenne de la Création : «
5893 ébauche.) Autre condamnation vraiment manichéenne de la Création : « Le principe de vie dans tous les êtres n’est autre qu
5894 aiment manichéenne de la Création : « Le principe de vie dans tous les êtres n’est autre que celui de la mort ; nous les r
5895 de vie dans tous les êtres n’est autre que celui de la mort ; nous les recevons et les nourrissons dans nous tous deux à
5896 x à la fois. » P. Klossowski oppose cette opinion de Sade à celle de Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct de mor
5897 . Klossowski oppose cette opinion de Sade à celle de Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct de mort et Éros. L’ana
5898 de Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct de mort et Éros. L’analyse du mythe nous a montré que cette antithèse es
5899 ictime. Ainsi la conscience sadique est l’inverse de la conscience romantique. Le romantique (Pétrarque) se châtie pour co
5900 é, tandis que Sade veut le tuer. 11. – Au-delà de nos sécurités Faut-il aller encore plus loin que Kierkegaard dans
5901 le dépassement du « stade éthique » ? Il m’arrive de le pressentir, et de penser : du point de vue de la foi, il n’y a san
5902 tade éthique » ? Il m’arrive de le pressentir, et de penser : du point de vue de la foi, il n’y a sans doute aucun profit
5903 de le pressentir, et de penser : du point de vue de la foi, il n’y a sans doute aucun profit au « règlement des mœurs » p
5904 s mœurs » pour les non-chrétiens. C’est une façon de les mettre, au contraire, à l’abri du désespoir réel, humain, qui les
5905 el, humain, qui les conduirait à la foi. Une cure d’ âme comprise non pas au sens d’une hygiène morale bourgeoise, mais au
5906 à la foi. Une cure d’âme comprise non pas au sens d’ une hygiène morale bourgeoise, mais au sens chrétien — la guérison à o
5907 e non chrétien qu’il traverse tout le « bonheur » de la passion. Or on s’efforce de le retenir en deçà. Si bien que le seu
5908 out le « bonheur » de la passion. Or on s’efforce de le retenir en deçà. Si bien que le seul au-delà concret qu’il soit en
5909 en que le seul au-delà concret qu’il soit en état de désirer, d’imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voil
5910 ul au-delà concret qu’il soit en état de désirer, d’ imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voilà ce qu’il f
5911 nt précisément les expressions par trop raffinées de l’amour qui sont les plus suspectes chez les troubadours ? Au point q