1
J’ai appelé « livres » les différentes parties
de
cet ouvrage, parce que chacune esquisse le contenu d’un volume de dim
2
et ouvrage, parce que chacune esquisse le contenu
d’
un volume de dimensions ordinaires. Le grand nombre des faits et des t
3
parce que chacune esquisse le contenu d’un volume
de
dimensions ordinaires. Le grand nombre des faits et des textes cités,
4
e jeu des « leitmotive » entrelacés, risqueraient
d’
égarer certains lecteurs si je ne donnais ici la clef de ma compositio
5
er certains lecteurs si je ne donnais ici la clef
de
ma composition. Le premier livre expose le contenu caché de la légend
6
osition. Le premier livre expose le contenu caché
de
la légende ou du mythe de Tristan. C’est une descente aux cercles suc
7
expose le contenu caché de la légende ou du mythe
de
Tristan. C’est une descente aux cercles successifs de la passion. Le
8
ristan. C’est une descente aux cercles successifs
de
la passion. Le dernier livre indique une attitude humaine diamétralem
9
ement opposée, et par là il achève la description
de
la passion, car on ne connaît vraiment que les choses dépassées, ou d
10
ant aux livres intermédiaires : le deuxième tente
de
remonter aux origines religieuses du mythe, tandis que les suivants d
11
ines les plus divers : mystique, littérature, art
de
la guerre, morale du mariage. ⁂ L’agrément de parler des choses de l’
12
art de la guerre, morale du mariage. ⁂ L’agrément
de
parler des choses de l’amour est un prétexte assez peu convaincant, l
13
ale du mariage. ⁂ L’agrément de parler des choses
de
l’amour est un prétexte assez peu convaincant, lorsqu’il s’agit d’un
14
prétexte assez peu convaincant, lorsqu’il s’agit
d’
un volume aussi dense. Douteux avantage d’ailleurs : on rougirait de l
15
dense. Douteux avantage d’ailleurs : on rougirait
de
le partager avec tant d’auteurs à succès. Aussi me suis-je donné quel
16
’ailleurs : on rougirait de le partager avec tant
d’
auteurs à succès. Aussi me suis-je donné quelques difficultés. Je n’ai
17
Stendhal nommait l’amour-passion, mais j’ai tenté
de
le décrire comme un phénomène historique, d’origine proprement religi
18
enté de le décrire comme un phénomène historique,
d’
origine proprement religieuse. Or les hommes, et les femmes, tolèrent
19
et les femmes, tolèrent fort bien que l’on parle
d’
amour, et même ils ne s’en lassent jamais, si commun que soit le disco
20
s plaisirs, s’il devait leur en coûter la fatigue
d’
une réflexion ». Il s’en suit que ce livre montrera sa nécessité dans
21
s la mesure où d’abord il déplaira ; et il n’aura
d’
utilité que s’il convainc ceux qui auront pris conscience, en le lisan
22
en le lisant, des raisons qu’ils pouvaient avoir
de
le trouver d’abord déplaisant. Cette manière me vaudra bien des repro
23
n’ont jamais connu la vraie passion s’étonneront
de
m’y voir consacrer tout un livre. Les uns diront qu’à définir l’amour
24
savoir, peut-être, ou même guérir ? Je suis parti
d’
un type de la passion telle que la vivent les Occidentaux, d’une forme
25
ut-être, ou même guérir ? Je suis parti d’un type
de
la passion telle que la vivent les Occidentaux, d’une forme extrême,
26
e la passion telle que la vivent les Occidentaux,
d’
une forme extrême, exceptionnelle en apparences : le mythe de Tristan
27
extrême, exceptionnelle en apparences : le mythe
de
Tristan et Iseut. Il nous faut ce repère fabuleux, cet exemple éclata
28
cet exemple éclatant et « banal » — comme on dit
d’
un four qu’il est banal, donc unique — si nous voulons comprendre dans
29
oulons comprendre dans nos vies le sens et la fin
de
la passion. Il est donc entendu que j’ai simplifié. Pourquoi perdre s
30
is dogmatisé, je n’en demanderai pardon qu’à ceux
de
mes lecteurs qui estimeront que mes stylisations font tort au sens pr
31
raîné par mes analyses dans des domaines réservés
d’
ordinaire aux « spécialistes », j’ai profité autant que je l’ai pu des
32
que je l’ai pu des travaux réputés classiques, et
de
quelques autres ; et si je n’en ai cité qu’un nombre assez restreint,
33
n’est pas toujours par ignorance, mais par souci
de
m’en tenir à l’essentiel. Les spécialistes me pardonneront-ils d’avoi
34
l’essentiel. Les spécialistes me pardonneront-ils
d’
avoir tenté un effort de synthèse que toute leur formation technique c
35
istes me pardonneront-ils d’avoir tenté un effort
de
synthèse que toute leur formation technique condamne ? À défaut d’une
36
oute leur formation technique condamne ? À défaut
d’
une science universelle qu’il faudrait plusieurs vies pour maîtriser,
37
qu’il n’était besoin, et n’ai livré qu’un résumé
de
mes recherches. Ce compromis m’expose à un double péril. J’aurais peu
38
l’estime des spécialistes si je n’avais pas tiré
de
leurs travaux des conclusions… Dans cette situation fâcheuse, il ne m
39
ion fâcheuse, il ne me reste qu’un espoir : celui
d’
instruire les lectrices tout en amusant les savants. J’ai vécu ce livr
40
escence et ma jeunesse ; je l’ai conçu sous forme
d’
œuvre écrite, et nourri de quelques lectures, depuis deux ans ; enfin
41
e l’ai conçu sous forme d’œuvre écrite, et nourri
de
quelques lectures, depuis deux ans ; enfin je l’ai rédigé en quatre m
42
ai rédigé en quatre mois. Ceci me rappelle le mot
de
Vernet, à propos d’un tableau qu’il vendait assez cher : « Il m’a dem
43
l vendait assez cher : « Il m’a demandé une heure
de
travail, et toute la vie. » D. de R.
44
andé une heure de travail, et toute la vie. » D.
de
R.
45
Livre premierLe mythe
de
Tristan 1.Triomphe du roman, et ce qu’il cache « Seigneurs, vo
46
, et ce qu’il cache « Seigneurs, vous plaît-il
d’
entendre un beau conte d’amour et de mort ?… » — Rien au monde ne saur
47
Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte
d’
amour et de mort ?… » — Rien au monde ne saurait nous plaire davantage
48
vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et
de
mort ?… » — Rien au monde ne saurait nous plaire davantage. À tel poi
49
Tristan de Bédier doit passer pour le type idéal
de
la première phrase d’un roman. C’est le trait d’un art infaillible qu
50
t passer pour le type idéal de la première phrase
d’
un roman. C’est le trait d’un art infaillible qui nous jette dès le se
51
de la première phrase d’un roman. C’est le trait
d’
un art infaillible qui nous jette dès le seuil du conte dans l’état pa
52
jette dès le seuil du conte dans l’état passionné
d’
attente où naît l’illusion romanesque. D’où vient ce charme ? Et quell
53
assionné d’attente où naît l’illusion romanesque.
D’
où vient ce charme ? Et quelles complicités cet artifice de « rhétoriq
54
t ce charme ? Et quelles complicités cet artifice
de
« rhétorique profonde » sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’acco
55
» sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord
d’
amour et de mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus
56
ejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord d’amour et
de
mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus profondes,
57
du roman. Il est d’autres raisons, plus secrètes,
d’
y voir comme une définition de la conscience occidentale… Amour et mor
58
ons, plus secrètes, d’y voir comme une définition
de
la conscience occidentale… Amour et mort, amour mortel : si ce n’est
59
toute la poésie, c’est du moins tout ce qu’il y a
de
populaire, tout ce qu’il y a d’universellement émouvant dans nos litt
60
tout ce qu’il y a de populaire, tout ce qu’il y a
d’
universellement émouvant dans nos littératures ; et dans nos plus viei
61
nos plus belles chansons. L’amour heureux n’a pas
d’
histoire. Il n’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’a
62
ons. L’amour heureux n’a pas d’histoire. Il n’est
de
roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condam
63
heureux n’a pas d’histoire. Il n’est de roman que
de
l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condamné par la vie
64
’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire
de
l’amour menacé et condamné par la vie même. Ce qui exalte le lyrisme
65
couple. C’est moins l’amour comblé que la passion
d’
amour. Et passion signifie souffrance. Voilà le fait fondamental. Mais
66
otre éducation, dans les images qui font le décor
de
nos vies ; enfin le besoin d’évasion exaspéré par l’ennui mécanique,
67
s qui font le décor de nos vies ; enfin le besoin
d’
évasion exaspéré par l’ennui mécanique, tout en nous et autour de nous
68
nous en sommes venus à voir en elle une promesse
de
vie plus vivante, une puissance qui transfigure, quelque chose qui se
69
e, quelque chose qui serait au-delà du bonheur et
de
la souffrance, une béatitude ardente. Dans « passion » nous ne senton
70
ce qui est passionnant ». Et pourtant, la passion
d’
amour signifie, de fait, un malheur. La société où nous vivons et dont
71
nant ». Et pourtant, la passion d’amour signifie,
de
fait, un malheur. La société où nous vivons et dont les mœurs n’ont g
72
ur-passion, neuf fois sur dix, à revêtir la forme
de
l’adultère. Et j’entends bien que les amants invoqueront tous les cas
73
ends bien que les amants invoqueront tous les cas
d’
exception, mais la statistique est cruelle : elle réfute notre poésie.
74
us exalte à ce qui semblerait combler notre idéal
de
vie harmonieuse ? Serrons de plus près cette contradiction, par un ef
75
illusion. Affirmer que l’amour-passion signifie,
de
fait, l’adultère, c’est insister sur la réalité que notre culte de l’
76
re, c’est insister sur la réalité que notre culte
de
l’amour masque et transfigure à la fois ; c’est mettre au jour ce que
77
our ce que ce culte dissimule, refoule, et refuse
de
nommer pour nous permettre un abandon ardent à ce que nous n’osions p
78
ui est la nôtre, n’est-ce pas une première preuve
de
ce fait paradoxal : que nous voulons la passion et le malheur à condi
79
e seraient toutes nos littératures ? Elles vivent
de
la « crise du mariage ». Il est probable aussi qu’elles l’entretienne
80
, et qu’elles en tirent un répertoire inépuisable
de
situations comiques ou cyniques. Droit divin de la passion, psycholog
81
e de situations comiques ou cyniques. Droit divin
de
la passion, psychologie mondaine, succès du trio au théâtre — soit qu
82
n’est trahir le tourment innombrable et obsédant
de
l’amour en rupture de loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader
83
ent innombrable et obsédant de l’amour en rupture
de
loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réali
84
e loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader
de
son affreuse réalité ? Tourner la situation en mystique ou en farce,
85
ns le remords ou dans la crainte, dans le plaisir
de
la révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’hommes qui ne s
86
ainte, dans le plaisir de la révolte ou l’anxiété
de
la tentation, il est peu d’hommes qui ne se reconnaissent dans l’une
87
révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu
d’
hommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catégories.
88
ommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins
de
ces catégories. Renoncements, compromis, ruptures, neurasthénies, con
89
neurasthénies, confusions irritantes et mesquines
de
rêves, d’obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheu
90
ies, confusions irritantes et mesquines de rêves,
d’
obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheur humain s
91
irritantes et mesquines de rêves, d’obligations,
de
complaisances secrètes — la moitié du malheur humain se résume dans l
92
la moitié du malheur humain se résume dans le mot
d’
adultère. Malgré toutes nos littératures — ou peut-être à cause d’elle
93
ré toutes nos littératures — ou peut-être à cause
d’
elles justement — il peut sembler parfois qu’on n’ait encore rien dit
94
arfois qu’on n’ait encore rien dit sur la réalité
de
ce malheur. Et que certaines questions des plus naïves, en ce domaine
95
, sur « quelque chose » qui la ruine au cœur même
de
nos ambitions ? Est-ce vraiment, comme beaucoup le pensent, la concep
96
tourment, ou au contraire, est-ce une conception
de
l’amour dont on n’a peut-être pas vu qu’elle rend ce lien, dès le pri
97
truit que ce qui assure « le bonheur des époux ».
D’
où peut venir une telle contradiction ? Si le secret de la crise du ma
98
peut venir une telle contradiction ? Si le secret
de
la crise du mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous
99
t de la crise du mariage est simplement l’attrait
de
l’interdit, d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amo
100
u mariage est simplement l’attrait de l’interdit,
d’
où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amour trahit-il ?
101
d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée
de
l’amour trahit-il ? Quel secret de notre existence, de notre esprit,
102
? Quelle idée de l’amour trahit-il ? Quel secret
de
notre existence, de notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.
103
amour trahit-il ? Quel secret de notre existence,
de
notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il exist
104
Quel secret de notre existence, de notre esprit,
de
notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il existe un grand mythe
105
2.Le mythe Il existe un grand mythe européen
de
l’adultère : le Roman de Tristan et Iseut. Au travers du désordre ext
106
un grand mythe européen de l’adultère : le Roman
de
Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême de nos mœurs, dans l
107
Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême
de
nos mœurs, dans la confusion des morales et des immoralismes qui en v
108
ralismes qui en vivent, aux moments les plus purs
d’
un drame, il arrive qu’on voie transparaître en filigrane cette forme
109
e. Comme une grande image simple, comme une sorte
de
type primitif de nos tourments les plus complexes. Et de même que pou
110
de image simple, comme une sorte de type primitif
de
nos tourments les plus complexes. Et de même que pour se tirer des co
111
exes. Et de même que pour se tirer des confusions
de
notre langue, les poètes ont coutume de rapporter les mots à leurs or
112
onfusions de notre langue, les poètes ont coutume
de
rapporter les mots à leurs origines lointaines, c’est-à-dire à la cho
113
oudrais rapporter à ce mythe certaines confusions
de
nos mœurs. Étymologie des passions, moins décevante que celle des mot
114
ais d’abord, dira-t-on, est-il exact que le roman
de
Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’est-ce pas détruire son cha
115
dans ce cas, n’est-ce pas détruire son charme que
d’
essayer de l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est s
116
s, n’est-ce pas détruire son charme que d’essayer
de
l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’
117
n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme
d’
irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une pui
118
us à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou
d’
illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une puissance trop inc
119
ythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop
de
mythes manifestent parmi nous une puissance trop incontestable. Mais
120
it du mot oblige à le redéfinir. On pourrait dire
d’
une manière générale qu’un mythe est une histoire, une fable symboliqu
121
e, simple et frappante, résumant un nombre infini
de
situations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d’un co
122
tuations plus ou moins analogues. Le mythe permet
de
saisir d’un coup d’œil certains types de relations constantes, et de
123
lus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir
d’
un coup d’œil certains types de relations constantes, et de les dégage
124
e permet de saisir d’un coup d’œil certains types
de
relations constantes, et de les dégager du fouillis des apparences qu
125
d’œil certains types de relations constantes, et
de
les dégager du fouillis des apparences quotidiennes. Dans un sens plu
126
ens plus étroit, les mythes traduisent les règles
de
conduite d’un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élé
127
oit, les mythes traduisent les règles de conduite
d’
un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élément sacré a
128
un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc
de
l’élément sacré autour duquel s’est constitué le groupe. (Récits symb
129
el s’est constitué le groupe. (Récits symboliques
de
la vie et de la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou
130
titué le groupe. (Récits symboliques de la vie et
de
la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou l’origine de
131
etc.). On l’a remarqué souvent : un mythe n’a pas
d’
auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l’est en parti
132
e. Il se présente comme l’expression tout anonyme
de
réalités collectives, ou plus exactement : communes. L’œuvre d’art —
133
mythe. Sa valeur ne relève en effet que du talent
de
son créateur. Ce qui importe en elle, c’est justement ce qui n’import
134
, ou sa « vraisemblance », et toutes ses qualités
de
réussite singulière (originalité, habileté, style, etc.). Mais le ca
135
mme telle, n’a pas à proprement parler un pouvoir
de
contrainte sur le public. Si belle et puissante qu’elle soit, on peut
136
ut au moins, la rend inefficace. Or je me propose
d’
envisager Tristan non point comme œuvre littéraire, mais comme type de
137
e œuvre littéraire, mais comme type des relations
de
l’homme et de la femme dans un groupe historique donné : l’élite soci
138
aire, mais comme type des relations de l’homme et
de
la femme dans un groupe historique donné : l’élite sociale, la cheval
139
ngtemps. Pourtant ses lois sont encore les nôtres
d’
une manière secrète et diffuse. Profanées et reniées par nos codes off
140
iées par nos codes officiels, elles sont devenues
d’
autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir que sur nos
141
d’autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus
de
pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan
142
s de pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits
de
la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord
143
ue sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende
de
Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l
144
. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont
de
ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l’auteur — à supp
145
ui nous restent sont des remaniements artistiques
d’
un archétype dont on n’a pu trouver la moindre trace1. Un autre aspect
146
ouver la moindre trace1. Un autre aspect mythique
de
la légende de Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise2. Le pro
147
re trace1. Un autre aspect mythique de la légende
de
Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise2. Le progrès de l’acti
148
’est l’élément sacré qu’elle utilise2. Le progrès
de
l’action, et les effets qu’elle devait exercer sur l’auditeur, dépend
149
une certaine mesure (que nous aurons à préciser)
d’
un ensemble de règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume
150
mesure (que nous aurons à préciser) d’un ensemble
de
règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevaler
151
ous aurons à préciser) d’un ensemble de règles et
de
cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevalerie médiévale.
152
s et de cérémonies qui n’est autre que la coutume
de
la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie furent souve
153
ume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres »
de
chevalerie furent souvent appelés « religions ». Chastellain, chroniq
154
t appelés « religions ». Chastellain, chroniqueur
de
la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison d’or (dernier en date)
155
chroniqueur de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre
de
la Toison d’or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère s
156
de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison
d’
or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère sacré, en un s
157
ison d’or (dernier en date), et il en parle comme
d’
un mystère sacré, en un siècle où pourtant la chevalerie n’était plus
158
us guère qu’une survivance3. Enfin la nature même
de
l’obscurité que nous découvrirons dans la légende, dénote sa parenté
159
é du mythe en général ne réside pas dans sa forme
d’
expression4. Elle tient d’une part au mystère de son origine, et d’aut
160
e d’expression4. Elle tient d’une part au mystère
de
son origine, et d’autre part à l’importance vitale des faits que le m
161
oustraire à la critique, il n’y aurait pas besoin
de
mythe. On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité de morale, ou
162
ait pas besoin de mythe. On pourrait se contenter
d’
une loi, d’un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rô
163
oin de mythe. On pourrait se contenter d’une loi,
d’
un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résum
164
. On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité
de
morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechn
165
ntenter d’une loi, d’un traité de morale, ou même
d’
une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point de myth
166
morale, ou même d’une historiette jouant le rôle
de
résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en
167
te jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point
de
mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les e
168
technique. Point de mythe tant qu’il est loisible
de
s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste o
169
qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et
de
les exprimer d’une manière manifeste ou directe. Au contraire, le myt
170
le de s’en tenir aux évidences et de les exprimer
d’
une manière manifeste ou directe. Au contraire, le mythe paraît lorsqu
171
e paraît lorsqu’il serait dangereux ou impossible
d’
avouer clairement un certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou
172
impossible d’avouer clairement un certain nombre
de
faits sociaux ou religieux, ou de relations affectives, que l’on tien
173
certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou
de
relations affectives, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il
174
nt cependant à conserver, ou qu’il est impossible
de
détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemple, pour expri
175
impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin
de
mythes, par exemple, pour exprimer les vérités de la science : nous l
176
de mythes, par exemple, pour exprimer les vérités
de
la science : nous les considérons en effet d’une manière parfaitement
177
tés de la science : nous les considérons en effet
d’
une manière parfaitement « profane », et elles ont donc tout à gagner
178
la critique individuelle. Mais nous avons besoin
d’
un mythe pour exprimer le fait obscur et inavouable que la passion est
179
aîne la destruction pour ceux qui s’y abandonnent
de
toutes leurs forces. C’est que nous voulons sauver cette passion, et
180
ent. L’obscurité du mythe nous met donc en mesure
d’
accueillir son contenu déguisé et d’en jouir par l’imagination, sans e
181
onc en mesure d’accueillir son contenu déguisé et
d’
en jouir par l’imagination, sans en prendre toutefois une conscience a
182
a contradiction. Ainsi se trouvent mises à l’abri
de
la critique certaines réalités humaines que nous sentons ou pressento
183
ù le grand jour et la raison5 les menaceraient. ⁂
D’
origine inconnue ou mal connue — de caractère primitivement sacré — vo
184
enaceraient. ⁂ D’origine inconnue ou mal connue —
de
caractère primitivement sacré — voilant le secret qu’il exprime, le R
185
oilant le secret qu’il exprime, le Roman mythique
de
Tristan posséderait-il au même degré les qualités contraignantes d’un
186
rait-il au même degré les qualités contraignantes
d’
un vrai mythe ? Cette question ne peut être esquivée. Elle nous porte
187
esquivée. Elle nous porte au cœur du problème et
de
son actualité. Précisons que les règles chevaleresques qui jouaient b
188
qui jouaient bel et bien au xiiie siècle un rôle
de
contrainte absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre d’obstac
189
absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre
d’
obstacle mythique et de figures rituelles de rhétorique. Sans elles, l
190
t dans le roman qu’à titre d’obstacle mythique et
de
figures rituelles de rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas tr
191
titre d’obstacle mythique et de figures rituelles
de
rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas trouvé ses prétextes à
192
r que ces « cérémonies » sociales sont des moyens
de
faire admettre un contenu antisocial, qui est la passion. Le mot « co
193
« contenu » prend ici toute sa force : la passion
de
Tristan et d’Iseut est littéralement « contenue » par les règles de l
194
end ici toute sa force : la passion de Tristan et
d’
Iseut est littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie.
195
eut est littéralement « contenue » par les règles
de
la chevalerie. C’est à cette condition seulement qu’elle pourra s’exp
196
t donc que les groupes constitués soient capables
de
lui opposer une structure fortement charpentée, pour qu’elle trouve l
197
tement charpentée, pour qu’elle trouve l’occasion
de
s’extérioriser sans causer les pires dégâts. Que, par la suite, le li
198
ou que le groupe soit dissocié, le mythe cessera
d’
être un mythe au sens strict. Mais ce qu’il aura perdu en force contra
199
il aura perdu en force contraignante et en moyens
de
se communiquer sous une forme voilée et admissible, il le retrouvera
200
re que la chevalerie, même sous sa forme profanée
de
savoir-vivre — les usages qu’il faut observer si l’on veut être un ge
201
uotidienne, envahira le subconscient, — appellera
de
nouvelles contraintes, se les inventera au besoin… Car nous verrons q
202
nous verrons que ce n’est pas seulement la nature
de
la société, mais l’ardeur même de la sombre passion qui exige un aveu
203
ement la nature de la société, mais l’ardeur même
de
la sombre passion qui exige un aveu masqué. Le mythe, au sens strict
204
e période où les élites faisaient un vaste effort
de
mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait de « contenir », préci
205
de mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait
de
« contenir », précisément, les poussées de l’instinct destructeur : c
206
issait de « contenir », précisément, les poussées
de
l’instinct destructeur : car la religion, en l’attaquant, l’exaspérai
207
érait. Les chroniques, les sermons et les satires
de
ce siècle nous révèlent qu’il connut une première « crise du mariage
208
le appelait une réaction vive. Le succès du Roman
de
Tristan fut donc d’ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’ex
209
tion vive. Le succès du Roman de Tristan fut donc
d’
ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’exprimer en satisfacti
210
s. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie
de
la société. Elle tend toujours à provoquer, de la part de la société,
211
art de la société, une mise en ordre équivalente.
D’
où la permanence historique non point du mythe sous sa forme première,
212
e non point du mythe sous sa forme première, mais
de
l’exigence mythique à laquelle répondait le Roman. Élargissant notre
213
us appellerons mythe, désormais, cette permanence
d’
un type de relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tris
214
rons mythe, désormais, cette permanence d’un type
de
relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tristan et Ise
215
lations et des réactions qu’il provoque. Le mythe
de
Tristan et Iseut, ce ne sera plus seulement le Roman, mais le phénomè
216
qu’il illustre, et dont l’influence n’a pas cessé
de
s’étendre jusqu’à nos jours. Passion de la nature obscure, dynamisme
217
pas cessé de s’étendre jusqu’à nos jours. Passion
de
la nature obscure, dynamisme excité par l’esprit, possibilité préform
218
ar l’esprit, possibilité préformée à la recherche
d’
une contrainte qui l’exalte, charme, terreur ou idéal : tel est le myt
219
arle Nietzsche. 3.Actualité du mythe ; raisons
de
notre analyse Nul besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui
220
du mythe ; raisons de notre analyse Nul besoin
d’
avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni d’avoir enten
221
besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui
de
M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la v
222
u le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni
d’
avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’
223
ou celui de M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra
de
Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique d’un
224
ubir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique
d’
un tel mythe. Il se trahit dans la plupart de nos romans et de nos fil
225
he. Il se trahit dans la plupart de nos romans et
de
nos films, dans leurs succès auprès des masses, dans les complaisance
226
poètes, des mal mariés, des midinettes qui rêvent
d’
amours miraculeuses. Le mythe agit partout où la passion est rêvée com
227
rophe, et non point comme une catastrophe. Il vit
de
la vie même de ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était
228
oint comme une catastrophe. Il vit de la vie même
de
ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était le philtre du
229
d sur l’homme impuissant et ravi pour le consumer
d’
un feu pur ; et qu’il est plus fort et plus vrai que le bonheur, la so
230
i que le bonheur, la société et la morale. Il vit
de
la vie même du romantisme en nous ; il est le grand mystère de cette
231
e du romantisme en nous ; il est le grand mystère
de
cette religion dont les poètes du siècle passé se firent les prêtres
232
ècle passé se firent les prêtres et les inspirés.
De
cette influence et de sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs im
233
es prêtres et les inspirés. De cette influence et
de
sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous ser
234
nance du lecteur à envisager mon projet. Le Roman
de
Tristan nous est « sacré » dans la mesure exacte où l’on estimera que
235
timera que je commets un « sacrilège » en tentant
de
l’analyser. Certes, ce reproche de sacrilège revêt alors un sens bien
236
e » en tentant de l’analyser. Certes, ce reproche
de
sacrilège revêt alors un sens bien anodin, si l’on songe qu’il se tra
237
nce obscure et déprimée. Je ne courrai donc guère
d’
autre risque que celui de voir le lecteur fermer le volume à cette pag
238
Je ne courrai donc guère d’autre risque que celui
de
voir le lecteur fermer le volume à cette page. (Et certes, le sens in
239
ume à cette page. (Et certes, le sens inconscient
d’
un tel geste n’est rien de moins que la mise à mort de l’auteur. Pourt
240
es, le sens inconscient d’un tel geste n’est rien
de
moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant il demeure sans effets
241
tel geste n’est rien de moins que la mise à mort
de
l’auteur. Pourtant il demeure sans effets). Mais si tu m’épargnes, ô
242
nt sacrée pour toi ? Ou simplement que les hommes
d’
aujourd’hui ne sont pas moins débiles dans leurs passions que dans leu
243
débiles dans leurs passions que dans leurs gestes
de
réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, où sera le courage que l’o
244
s que dans leurs gestes de réprobation ? À défaut
d’
ennemis déclarés, où sera le courage que l’on réclame des écrivains ?
245
me éprouvé du dépit à voir l’un des commentateurs
de
la légende de Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La for
246
dépit à voir l’un des commentateurs de la légende
de
Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La formule est sans
247
de la légende de Tristan la définir « une épopée
de
l’adultère ». La formule est sans doute exacte, si l’on se borne à co
248
on soutenir que la faute morale est le vrai sujet
de
la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opé
249
n de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opéra
de
l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’est-ce que cela ? Un vilain mot
250
, n’est-ce que cela ? Un vilain mot ? Une rupture
de
contrat ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop de cas ; mais
251
t ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop
de
cas ; mais c’est souvent bien davantage : une atmosphère tragique et
252
lème s’élargit magnifiquement — et mon cas empire
d’
autant. Je dirai mes raisons de persévérer, et l’on jugera si elles so
253
et mon cas empire d’autant. Je dirai mes raisons
de
persévérer, et l’on jugera si elles sont diaboliques. La première est
254
La première est que nous sommes parvenus au point
de
désordre social où l’immoralisme se révèle plus exténuant que les mor
255
lus exténuant que les morales anciennes. Le culte
de
l’amour-passion s’est tellement démocratisé qu’il perd ses vertus est
256
sé qu’il perd ses vertus esthétiques et sa valeur
de
tragédie spirituelle. Reste une confuse et diffuse souffrance, quelqu
257
une confuse et diffuse souffrance, quelque chose
d’
impur et de triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner
258
e et diffuse souffrance, quelque chose d’impur et
de
triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner les causes
259
les causes faussement sacrées : cette littérature
de
la passion, cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue » d’allure
260
, cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue »
d’
allure commerciale de ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaqu
261
on lui fait, cette « vogue » d’allure commerciale
de
ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût-c
262
t cela, fût-ce même pour sauver le mythe des abus
de
son extrême vulgarisation. Et tant pis pour le sacrilège. La poésie a
263
e a d’autres chances. Ma seconde raison n’est pas
d’
un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût
264
ances. Ma seconde raison n’est pas d’un défenseur
de
la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair
265
s d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais
d’
un homme qui a le goût d’y voir clair, de prendre conscience de sa vie
266
auté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût
d’
y voir clair, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses cont
267
te, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair,
de
prendre conscience de sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je
268
i a le goût d’y voir clair, de prendre conscience
de
sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de
269
’y voir clair, de prendre conscience de sa vie et
de
la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’e
270
air, de prendre conscience de sa vie et de la vie
de
ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il p
271
ie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe
de
Tristan, c’est qu’il permet de dégager une raison simple de notre con
272
m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il permet
de
dégager une raison simple de notre confusion présente. C’est qu’il pe
273
, c’est qu’il permet de dégager une raison simple
de
notre confusion présente. C’est qu’il permet aussi de formuler certai
274
otre confusion présente. C’est qu’il permet aussi
de
formuler certaines relations permanentes noyées sous les vulgarités m
275
ermanentes noyées sous les vulgarités minutieuses
de
nos psychologies. C’est enfin qu’il permet de mettre à nu certain dil
276
ses de nos psychologies. C’est enfin qu’il permet
de
mettre à nu certain dilemme dont notre vie hâtive, notre culture et l
277
dont notre vie hâtive, notre culture et le ronron
de
nos morales sont en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dr
278
culture et le ronron de nos morales sont en passe
de
nous faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de la passion
279
faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe
de
la passion dans sa violence primitive et sacrée, dans sa pureté monum
280
vaillamment entre la Norme du Jour et la Passion
de
la Nuit ; dresser cette figure de la Mort des Amants qu’exalte l’ango
281
r et la Passion de la Nuit ; dresser cette figure
de
la Mort des Amants qu’exalte l’angoissant et vampirique crescendo du
282
angoissant et vampirique crescendo du second acte
de
Wagner, tel est le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il
283
u second acte de Wagner, tel est le premier objet
de
cet ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est d’amener un lecteu
284
et ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est
d’
amener un lecteur au seuil du choix : « J’ai voulu cela ! » ou bien :
285
suis pas sûr que la conscience claire soit utile
d’
une manière générale, et en soi. Ni que les vérités utiles soient avou
286
sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité »
de
mon entreprise, notre sort n’en demeure pas moins, à nous autres Occi
287
’en demeure pas moins, à nous autres Occidentaux,
de
devenir de plus en plus conscients des illusions dont nous vivons. Et
288
fonction du philosophe, du moraliste, du créateur
de
formes idéales, est simplement d’accroître la conscience, donc la mau
289
te, du créateur de formes idéales, est simplement
d’
accroître la conscience, donc la mauvaise conscience des hommes… Qui s
290
où cela peut nous mener ? Là-dessus, il est temps
de
passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite est sans d
291
ps de passer à l’opération annoncée. La condition
de
sa réussite est sans doute une certaine froideur avec laquelle nous l
292
ds et aveugles aux « charmes » du récit, essayons
de
résumer « objectivement » les faits qu’il nous rapporte et les raison
293
qu’il en propose, ou qu’il omet très curieusement
de
nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman de Tristan6 Amo
294
nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman
de
Tristan6 Amors par force vos demeine ! (Béroul.) Tristan naît d
295
a mère Blanchefleur ne survit pas à sa naissance.
D’
où le nom du héros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas d’orag
296
aissance. D’où le nom du héros, la couleur sombre
de
sa vie, et le ciel bas d’orage qui couvre la légende. Le roi Marc de
297
éros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas
d’
orage qui couvre la légende. Le roi Marc de Cornouailles, frère de Bla
298
. Première prouesse ou performance : la victoire
de
Tristan sur le Morholt. Ce géant irlandais vient, comme le Minotaure,
299
dais vient, comme le Minotaure, exiger son tribut
de
jeunes filles ou de jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la p
300
Minotaure, exiger son tribut de jeunes filles ou
de
jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la permission de le comb
301
ger son tribut de jeunes filles ou de jeunes gens
de
Cornouailles. Tristan obtient la permission de le combattre, au momen
302
ns de Cornouailles. Tristan obtient la permission
de
le combattre, au moment où il pourrait être armé chevalier, donc peu
303
en a reçu un coup d’épée empoisonnée. Sans espoir
de
survivre à son mal, Tristan s’embarque à l’aventure dans un bateau sa
304
t le sauver. Mais le géant Morholt était le frère
de
cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origin
305
frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il
d’
avouer son nom et l’origine de son mal. Iseut, princesse royale, le so
306
istan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origine
de
son mal. Iseut, princesse royale, le soigne et le guérit. C’est le Pr
307
ue. Quelques années plus tard, le roi Marc décide
d’
épouser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu d’or. C’est Tris
308
ser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu
d’
or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête » de l’inconnue. Une tempê
309
u d’or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête »
de
l’inconnue. Une tempête rejette le héros vers l’Irlande. Là, il comba
310
ui menaçait la capitale. (C’est le motif consacré
de
la vierge délivrée par un jeune paladin.) Blessé par le monstre, Tris
311
couvre que le blessé n’est autre que le meurtrier
de
son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace de le tuer dans so
312
que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée
de
Tristan et menace de le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la m
313
on oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace
de
le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la mission dont le roi Ma
314
) Tristan et la princesse voguent vers les terres
de
Marc. En haute mer, le vent tombe, la chaleur est pesante. Ils ont so
315
. Ils le boivent. Les voici entrés dans les voies
d’
une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour de leurs vies, car ils
316
d’une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour
de
leurs vies, car ils ont beu leur destruction et leur mort ». Ils s’av
317
’efficacité du philtre à trois ans1. Thomas, imbu
de
fine psychologie, et plein de méfiance pour le merveilleux, qu’il jug
318
ans1. Thomas, imbu de fine psychologie, et plein
de
méfiance pour le merveilleux, qu’il juge grossier, réduit autant que
319
ible l’importance du philtre, et présente l’amour
de
Tristan et d’Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scèn
320
nce du philtre, et présente l’amour de Tristan et
d’
Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scène du bain. Eil
321
nt des barons « félons » dénoncent au roi l’amour
de
Tristan et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvell
322
« félons » dénoncent au roi l’amour de Tristan et
d’
Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvelle ruse (scène
323
n et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur
d’
une nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc de son innocence
324
nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc
de
son innocence et revient à la cour. Le nain Frocine, complice des bar
325
re les amants et leur tend un piège. Entre le lit
de
Tristan et celui de la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan
326
r tend un piège. Entre le lit de Tristan et celui
de
la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé
327
e le lit de Tristan et celui de la reine, il sème
de
la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle missio
328
istan et celui de la reine, il sème de la « fleur
de
blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle mission, veut rejoin
329
e la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé
d’
une nouvelle mission, veut rejoindre une dernière fois son amie, penda
330
ndant la nuit qui précède son départ. Il franchit
d’
un saut l’espace qui sépare les deux lits. Mais une blessure récente q
331
irruption dans le dortoir. Ils voient des traces
de
sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Is
332
rtoir. Ils voient des traces de sang sur la fleur
de
blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une
333
des traces de sang sur la fleur de blé. La preuve
de
l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux
334
e est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe
de
lépreux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène de la chapelle)
335
eux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène
de
la chapelle). Il délivre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt
336
livre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt
de
Morois. Trois ans durant, ils y mènent une vie « aspre et dure ». Un
337
on épée nue. Ému par ce qu’il prend pour un signe
de
chasteté, le roi les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée de
338
les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée
de
Tristan et dépose à sa place l’épée royale. Les trois ans écoulés, l
339
royale. Les trois ans écoulés, le philtre cesse
d’
agir (selon Béroul et l’ancêtre commun des cinq versions). Alors seule
340
grin, par l’entremise duquel Tristan offre au roi
de
lui rendre sa femme. Marc promet son pardon. Les amants se séparent à
341
he du cortège royal. Iseut supplie encore Tristan
de
demeurer dans le pays jusqu’à ce qu’il soit certain que Marc la trait
342
qu’elle rejoindra le chevalier au premier signal
de
sa part, et sans que rien puisse la retenir, « ni tour, ni mur, ni fo
343
ins. Mais les barons félons veillent sur la vertu
de
la reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement de Dieu » pour pr
344
reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement
de
Dieu » pour prouver son innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomp
345
n innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomphe
de
l’épreuve : avant de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main d
346
de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main
de
qui n’a pas menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’aucun
347
menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras
d’
aucun homme, hors ceux du roi son maître et du manant qui vient de l’a
348
tre et du manant qui vient de l’aider à descendre
de
sa barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais de nouvelles avent
349
a barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais
de
nouvelles aventures entraînent au loin le chevalier. Il croit que la
350
loin le chevalier. Il croit que la reine a cessé
de
l’aimer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà de la mer, « po
351
mer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà
de
la mer, « pour son nom et pour sa beauté »7 une autre Iseut, l’Iseut
352
, et son vaisseau arbore une voile blanche, signe
d’
espoir. Iseut aux blanches mains guettait son arrivée. Tourmentée par
353
ourmentée par la jalousie, elle s’en vient au lit
de
Tristan et lui annonce que la voile est noire. Tristan meurt. Iseut l
354
cet instant, monte au château, embrasse le corps
de
son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé de la sorte, et tout « ch
355
ps de son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé
de
la sorte, et tout « charme » détruit, à considérer froidement le plus
356
it que sa donnée ni son progrès ne sont dépourvus
d’
équivoque. J’ai passé quantité d’épisodes accessoires, mais aucun des
357
e sont dépourvus d’équivoque. J’ai passé quantité
d’
épisodes accessoires, mais aucun des motifs allégués de l’action centr
358
sodes accessoires, mais aucun des motifs allégués
de
l’action centrale du Roman. Et je les ai même soulignés. On a pu voir
359
années dans la forêt, parce que le philtre cesse
d’
agir ; — Tristan épouse Iseut aux blanches mains « pour son nom et pou
360
« raisons » mises à part — nous aurons l’occasion
d’
y revenir — on s’aperçoit que le Roman repose sur une série de contrad
361
— on s’aperçoit que le Roman repose sur une série
de
contradictions énigmatiques. Une première remarque m’a frappé, faite
362
é, faite en passant par l’un des éditeurs récents
de
la légende : tout au long du Roman, Tristan paraît physiquement supér
363
ucune force extérieure ne saurait donc l’empêcher
d’
enlever Iseut et d’obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent
364
ure ne saurait donc l’empêcher d’enlever Iseut et
d’
obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent le droit du plus f
365
oindre scrupule ; et surtout s’il s’agit du droit
d’
un homme sur une femme : c’est l’enjeu habituel des tournois. Pourquoi
366
uel des tournois. Pourquoi Tristan n’use-t-il pas
de
ce droit ? Mise en éveil par cette première question, notre méfiance
367
non moins curieuses et obscures. Pourquoi l’épée
de
chasteté entre les corps dans la forêt ? Les amants ont déjà péché ;
368
forêt ? Les amants ont déjà péché ; ils refusent
de
se repentir, à ce moment-là ; enfin ils ne prévoient nullement que le
369
ans les différentes versions, qui donne la raison
de
cet acte8. Pourquoi Tristan rend-il la reine à Marc, et cela, même d
370
la, même dans les versions où le philtre continue
d’
agir ? Si, comme certains le disent, c’est une repentance sincère qui
371
motive la séparation, pourquoi se promettent-ils
de
se revoir au moment même où ils acceptent de se quitter ? Pourquoi Tr
372
-ils de se revoir au moment même où ils acceptent
de
se quitter ? Pourquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir de n
373
urquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir
de
nouvelles aventures, alors qu’ils ont un rendez-vous dans la forêt ?
374
oi la reine coupable propose-t-elle un « jugement
de
Dieu » ? Elle sait bien que cette épreuve doit la perdre. Elle n’en t
375
pposerait à son retour auprès du roi, donc auprès
d’
Iseut… D’autre part, n’est-il pas fort étrange que les poètes du xiiie
376
s du xiiie siècle, si exigeants dès qu’il s’agit
d’
honneur, de fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de comme
377
siècle, si exigeants dès qu’il s’agit d’honneur,
de
fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de commentaire tant
378
fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot
de
commentaire tant d’actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-il
379
, laissent passer sans un mot de commentaire tant
d’
actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-ils nous présenter tel
380
mment peuvent-ils nous présenter tel qu’un modèle
de
chevalerie ce Tristan qui a trompé son roi par les ruses les plus cyn
381
de « félons » les barons qui défendent l’honneur
de
Marc ? Même si la jalousie les meut, ils n’ont du moins ni menti ni t
382
moins ni menti ni trompé, et ce n’est pas le cas
de
Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même des rares mot
383
s le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter
de
la valeur même des rares motifs allégués. En effet, si la morale de l
384
des rares motifs allégués. En effet, si la morale
de
la fidélité au suzerain voulait que Tristan livre à Marc la fiancée q
385
iancée qu’il alla quérir10, on ne peut s’empêcher
de
penser que ces scrupules sont bien tardifs et peu sincères, puisque T
386
bien tardifs et peu sincères, puisque Tristan n’a
de
cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui ce
387
an n’a de cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès
d’
Iseut… Et ce philtre qui cesse d’agir, n’était-il pas destiné aux épou
388
la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui cesse
d’
agir, n’était-il pas destiné aux époux ? Alors, pourquoi limiter sa du
389
durée ? Trois ans, ce n’est guère pour le bonheur
d’
un couple. Et quand Tristan épouse l’autre Iseut « pour son nom et pou
390
ieuse, et qu’il se met dans une situation qui n’a
d’
autre issue que la mort ? 6.Chevalerie contre Mariage Un moderne
391
ontre Mariage Un moderne commentateur du Roman
de
Tristan et Iseut veut y voir un « conflit cornélien entre l’amour et
392
t le devoir ». Cette interprétation classique est
d’
un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle paraît
393
st d’un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse
de
Corneille, elle paraît ignorer l’un de ces faits dont l’envergure éch
394
elle abuse de Corneille, elle paraît ignorer l’un
de
ces faits dont l’envergure échappe souvent aux prises de l’érudition
395
faits dont l’envergure échappe souvent aux prises
de
l’érudition scrupuleuse. Je veux parler de l’opposition qui se manife
396
prises de l’érudition scrupuleuse. Je veux parler
de
l’opposition qui se manifeste dès la seconde moitié du xiie siècle e
397
es premiers auteurs qui en parlent ont l’habitude
de
déplorer sa décadence : mais ils oublient que, telle qu’ils la souhai
398
à peine de naître dans leurs rêves. N’est-il pas
de
l’essence d’un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même o
399
aître dans leurs rêves. N’est-il pas de l’essence
d’
un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même où il essaie m
400
ence à l’instant même où il essaie maladroitement
de
se réaliser ? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas d’oppos
401
? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas
d’
opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités tyranniques
402
ance du roman n’est-elle pas d’opposer la fiction
d’
un certain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme q
403
-elle pas d’opposer la fiction d’un certain idéal
de
vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme que nous pose le Rom
404
tain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus
d’
une énigme que nous pose le Roman nous incite à chercher de ce côté le
405
gme que nous pose le Roman nous incite à chercher
de
ce côté les éléments d’une première solution. Si l’on admet que l’ave
406
an nous incite à chercher de ce côté les éléments
d’
une première solution. Si l’on admet que l’aventure de Tristan devait
407
e première solution. Si l’on admet que l’aventure
de
Tristan devait servir à illustrer le conflit de la chevalerie et de l
408
e de Tristan devait servir à illustrer le conflit
de
la chevalerie et de la société féodale — donc le conflit de deux devo
409
servir à illustrer le conflit de la chevalerie et
de
la société féodale — donc le conflit de deux devoirs ou même, nous l’
410
alerie et de la société féodale — donc le conflit
de
deux devoirs ou même, nous l’avons vu page 7, le conflit de deux « re
411
voirs ou même, nous l’avons vu page 7, le conflit
de
deux « religions » —, l’on s’aperçoit que bien des épisodes s’éclaire
412
tes les difficultés, elle en repousse la solution
d’
une manière significative. En quoi le roman breton se distingue-t-il d
413
cative. En quoi le roman breton se distingue-t-il
de
la chanson de geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie s
414
i le roman breton se distingue-t-il de la chanson
de
geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie siècle avec une
415
le troubadour méridional, se reconnaît le vassal
d’
une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur. D’où
416
une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal
d’
un seigneur. D’où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre
417
Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur.
D’
où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre plus d’un exemp
418
vassal d’un seigneur. D’où naîtront des conflits
de
droit, dont le Roman offre plus d’un exemple. Reprenons l’épisode des
419
t des conflits de droit, dont le Roman offre plus
d’
un exemple. Reprenons l’épisode des trois barons « félons ». Selon la
420
ns ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu
de
dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : il e
421
» et loyaux. Et si l’auteur les traite cependant
de
félons, c’est en vertu d’un autre code évidemment, qui ne peut être q
422
autre code évidemment, qui ne peut être que celui
de
la chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de la Gascogne e
423
i de la chevalerie du Midi. La décision des cours
d’
amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les
424
chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour
de
la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets
425
connue : félon sera celui qui révèle les secrets
de
l’amour courtois. Ce seul exemple suffirait à démontrer que les auteu
426
le droit féodal. Mais nous avons d’autres raisons
de
le croire. La conception de la fidélité et du mariage, selon l’amour
427
vons d’autres raisons de le croire. La conception
de
la fidélité et du mariage, selon l’amour courtois, est seule capable
428
ariage, selon l’amour courtois, est seule capable
d’
expliquer certaines contradictions frappantes du récit. Selon la thèse
429
se officiellement admise, l’amour courtois est né
d’
une réaction à l’anarchie brutale des mœurs féodales. On sait que le m
430
nu pour les seigneurs une pure et simple occasion
de
s’enrichir, et d’annexer des terres données en dot ou espérées en hér
431
urs une pure et simple occasion de s’enrichir, et
d’
annexer des terres données en dot ou espérées en héritage. Quand l’« a
432
tournait mal, on répudiait sa femme. Le prétexte
de
l’inceste, curieusement exploité, trouvait l’Église sans résistance :
433
trouvait l’Église sans résistance : il suffisait
d’
alléguer sans trop de preuves, une parenté au quatrième degré, pour ob
434
ns résistance : il suffisait d’alléguer sans trop
de
preuves, une parenté au quatrième degré, pour obtenir l’annulation. À
435
our obtenir l’annulation. À ces abus, générateurs
de
querelles infinies et de guerres, l’amour courtois oppose une fidélit
436
À ces abus, générateurs de querelles infinies et
de
guerres, l’amour courtois oppose une fidélité indépendante du mariage
437
e sont pas compatibles : c’est le fameux jugement
d’
une cour d’amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) S
438
compatibles : c’est le fameux jugement d’une cour
d’
amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) Si Tristan,
439
et l’auteur du Roman, partagent une telle manière
de
voir, la félonie et l’adultère sont excusés, et plus qu’excusés, magn
440
élité à la loi supérieure du donnoi, c’est-à-dire
de
l’amour courtois. (Donnoi, ou domnei en provençal, désigne la relatio
441
nnoi, ou domnei en provençal, désigne la relation
de
vasselage instituée entre l’amant-chevalier et sa dame, ou domina.) F
442
e, on l’a vu. Le Roman ne manque pas une occasion
de
rabaisser l’institution sociale, d’humilier le mari — roi aux oreille
443
une occasion de rabaisser l’institution sociale,
d’
humilier le mari — roi aux oreilles de cheval, toujours si facilement
444
on sociale, d’humilier le mari — roi aux oreilles
de
cheval, toujours si facilement dupé — et de glorifier la vertu de ceu
445
illes de cheval, toujours si facilement dupé — et
de
glorifier la vertu de ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui
446
urs si facilement dupé — et de glorifier la vertu
de
ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui. Mais cette fidélité
447
pose, autant qu’au mariage, à la « satisfaction »
de
l’amour. « Il ne sait de donnoi vraiment rien, celui qui désire l’ent
448
e, à la « satisfaction » de l’amour. « Il ne sait
de
donnoi vraiment rien, celui qui désire l’entière possession de sa dam
449
iment rien, celui qui désire l’entière possession
de
sa dame. Cela n’est plus amour, qui tourne à la réalité 11. » Voilà q
450
à la réalité 11. » Voilà qui nous met sur la voie
d’
une première explication d’épisodes tels que ceux de l’épée de chastet
451
i nous met sur la voie d’une première explication
d’
épisodes tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son
452
une première explication d’épisodes tels que ceux
de
l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite da
453
re explication d’épisodes tels que ceux de l’épée
de
chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite dans le Moro
454
es tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour
d’
Iseut à son mari après la retraite dans le Morois, ou même du mariage
455
ès la retraite dans le Morois, ou même du mariage
de
Tristan. En effet, le « droit de la passion » au sens où l’entendent
456
même du mariage de Tristan. En effet, le « droit
de
la passion » au sens où l’entendent les modernes, permettrait à Trist
457
ù l’entendent les modernes, permettrait à Tristan
d’
enlever Iseut, après qu’ils ont bu le philtre. Cependant il la livre à
458
Cependant il la livre à Marc : c’est que la règle
de
l’amour courtois s’oppose à ce qu’une telle passion « tourne à la réa
459
, c’est-à-dire aboutisse à l’« entière possession
de
sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas, d’observer la fidélité
460
de sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas,
d’
observer la fidélité féodale, masque et complice énigmatique de la fid
461
fidélité féodale, masque et complice énigmatique
de
la fidélité courtoise. Il choisit en toute liberté, car nous avons ma
462
e plan féodal qu’il adopte, faire valoir le droit
de
la force… Étrange amour, va-t-on penser, qui se conforme aux lois qui
463
s qui le condamnent, afin de mieux se conserver !
D’
où peut venir cette préférence pour ce qui entrave la passion, pour ce
464
st pas encore répondre sur le fond, car il s’agit
de
savoir pourquoi l’on préfère cet amour à l’autre, à celui qui se « ré
465
t vraisemblable, que le Roman illustre un conflit
de
« religions », nous avons pu préciser et cerner les principales diffi
466
pu préciser et cerner les principales difficultés
de
l’intrigue : mais en fin de compte, la solution se trouve simplement
467
our du roman Si l’on se reporte à notre résumé
de
la légende, on ne peut manquer d’être frappé de ce fait : les deux lo
468
à notre résumé de la légende, on ne peut manquer
d’
être frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie
469
é de la légende, on ne peut manquer d’être frappé
de
ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie et morale féod
470
es seules situations où elles permettent au roman
de
rebondir 12. Cette remarque à son tour ne saurait constituer par ell
471
nstituer par elle-même une explication. À chacune
de
nos questions, il serait évidemment facile de répondre : les choses s
472
une de nos questions, il serait évidemment facile
de
répondre : les choses se passent ainsi parce qu’autrement il n’y aura
473
ssent ainsi parce qu’autrement il n’y aurait plus
de
roman. Mais cette réponse ne paraît convaincante qu’en vertu d’une co
474
convaincante qu’en vertu d’une coutume paresseuse
de
notre critique littéraire. En vérité, elle ne répond à rien. Elle nou
475
t pas sans danger. Elle nous met en effet au cœur
de
tout le problème — et sa portée dépasse sans aucun doute le cas parti
476
ortée dépasse sans aucun doute le cas particulier
de
notre mythe. Pour qui se place, par un effort d’abstraction, à l’exté
477
de notre mythe. Pour qui se place, par un effort
d’
abstraction, à l’extérieur du phénomène commun au romancier et au lect
478
aît qu’une convention tacite, ou mieux, une sorte
de
complicité les lie : la volonté que le roman continue, ou comme on di
479
ndisse. Supprimez cette volonté, il n’y aura plus
de
vraisemblance qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas de l’His
480
ce qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas
de
l’Histoire scientifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera d’
481
ns le cas de l’Histoire scientifique. (Le lecteur
d’
un ouvrage « sérieux » sera d’autant plus exigeant qu’il sait que le d
482
ifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera
d’
autant plus exigeant qu’il sait que le déroulement des faits ne doit d
483
que le déroulement des faits ne doit dépendre ni
de
son désir ni des fantaisies de l’auteur.) Supposez au contraire cette
484
e doit dépendre ni de son désir ni des fantaisies
de
l’auteur.) Supposez au contraire cette volonté toute pure, il n’y aur
485
traire cette volonté toute pure, il n’y aura plus
d’
invraisemblance possible : c’est le cas du conte. Entre ces deux extrê
486
du conte. Entre ces deux extrêmes, il est autant
de
niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemb
487
Entre ces deux extrêmes, il est autant de niveaux
de
vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépen
488
es, il est autant de niveaux de vraisemblance que
de
sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépend, pour un ouvrage ro
489
mblance dépend, pour un ouvrage romanesque donné,
de
la nature des passions qu’il veut flatter. C’est dire que l’on accept
490
flatter. C’est dire que l’on acceptera le « coup
de
pouce » du créateur, et les entorses qu’il fait subir à la « logique
491
et les entorses qu’il fait subir à la « logique »
d’
observation courante, dans la mesure exacte où ces licences fourniront
492
on que l’on désire éprouver. Ainsi, le vrai sujet
d’
une œuvre est révélé par la nature des « trucs » que l’auteur fait int
493
les obstacles extérieurs qui s’opposent à l’amour
de
Tristan sont dans un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne so
494
dre, que des artifices romanesques. Or il résulte
de
nos remarques au sujet de la vraisemblance, que la gratuité même des
495
des obstacles invoqués peut révéler le vrai sujet
d’
une œuvre, la vraie nature de la passion qu’elle met en jeu. Il faut s
496
évéler le vrai sujet d’une œuvre, la vraie nature
de
la passion qu’elle met en jeu. Il faut sentir qu’ici tout est symbole
497
pose à la manière d’un rêve, et non point à celle
de
nos vies : les prétextes du romancier, les actions de ses deux héros,
498
os vies : les prétextes du romancier, les actions
de
ses deux héros, et les préférences secrètes qu’il suppose chez son le
499
faits » ne sont que les images ou les projections
d’
un désir, de ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplemen
500
ont que les images ou les projections d’un désir,
de
ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire d
501
les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose,
de
ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire durer. Tout manifeste,
502
t manifeste, dans le comportement du chevalier et
de
la princesse, une exigence ignorée d’eux — et peut-être du romancier
503
hevalier et de la princesse, une exigence ignorée
d’
eux — et peut-être du romancier — mais plus profonde que celle de leur
504
-être du romancier — mais plus profonde que celle
de
leur bonheur. Pas un des obstacles qu’ils rencontrent ne se révèle, o
505
! On peut dire qu’ils ne perdent pas une occasion
de
se séparer. Quand il n’y a pas d’obstacle, ils en inventent : l’épée
506
as une occasion de se séparer. Quand il n’y a pas
d’
obstacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage de Tristan. Ils en
507
stacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage
de
Tristan. Ils en inventent comme à plaisir, — bien qu’ils en souffrent
508
et du lecteur ? Mais c’est tout un, car le démon
de
l’amour courtois qui inspire au cœur des amants les ruses d’où naît l
509
courtois qui inspire au cœur des amants les ruses
d’
où naît leur souffrance, c’est le démon même du roman tel que l’aiment
510
ent les Occidentaux. Quel est alors le vrai sujet
de
la légende ? La séparation des amants ? Oui, mais au nom de la passio
511
? Oui, mais au nom de la passion, et pour l’amour
de
l’amour même qui les tourmente, pour l’exalter, pour le transfigurer
512
le transfigurer — au détriment de leur bonheur et
de
leur vie même… ⁂ Nous commençons à distinguer le sens secret et inqui
513
ressemble au vertige… Mais ce n’est plus l’heure
de
se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le charme, nous co
514
e. Mais la passion du philosophe n’est-elle point
de
méditer dans le vertige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien
515
ige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien
d’
autre que l’effort d’un esprit qui résiste à la chute, et qui se défen
516
la connaissance ne soit rien d’autre que l’effort
d’
un esprit qui résiste à la chute, et qui se défend au sein de la tenta
517
i se défend au sein de la tentation… 8.L’amour
de
l’amour De tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me ré
518
sein de la tentation… 8.L’amour de l’amour
De
tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis de lui ;
519
ux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis
de
lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vo
520
x et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas
de
quoi je me plains, car mon mal me vient de ma volonté ; c’est mon vou
521
mon vouloir qui devient mon mal ; mais j’ai tant
d’
aise à vouloir ainsi que je souffre agréablement, et tant de joie dans
522
ces. Chrétien de Troyes. Il faut avoir l’audace
de
poser la question : Tristan aime-t-il Iseut ? Est-il aimé par elle ?
523
st point, comme l’a dit à peu près Valéry.) Rien
d’
humain ne paraît rapprocher nos amants, bien au contraire. Lors de leu
524
ur première rencontre, ils n’ont que des rapports
de
politesse conventionnelle. Et quand Tristan revient en quête d’Iseut,
525
onventionnelle. Et quand Tristan revient en quête
d’
Iseut, on se souvient que cette politesse fait place à la plus franche
526
ndresse va-t-elle naître et les unir, à la faveur
de
ce destin magique ? Dans tout le Roman, dans ces milliers devers, je
527
seule trace. C’est quand ils vivent dans la forêt
de
Morois, après l’évasion de Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant
528
s vivent dans la forêt de Morois, après l’évasion
de
Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment de bone amor
529
. Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment
de
bone amor L’un par l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes d
530
l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes
de
cette époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus,
531
es devenus, et qu’ils n’éprouvaient pas le besoin
d’
insister sur ce qui va de soi ? Qu’on lise alors, attentivement, le ré
532
lles, qui sont peut-être aussi les plus profondes
de
la légende, ce sont les deux visites que les amants font à l’ermite O
533
se confesser. Mais au lieu d’avouer leur péché et
de
demander l’absolution, ils s’efforcent de démontrer qu’ils n’ont aucu
534
éché et de demander l’absolution, ils s’efforcent
de
démontrer qu’ils n’ont aucune responsabilité dans l’aventure, puisqu’
535
! Q’el m’aime, c’est par la poison Ge ne me pus
de
lié partir, N’ele de moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui :
536
t par la poison Ge ne me pus de lié partir, N’ele
de
moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui : Sire, por Dieu omnip
537
is « par-delà le bien et le mal », dans une sorte
de
transcendance de nos communes conditions, dans un absolu indicible, i
538
bien et le mal », dans une sorte de transcendance
de
nos communes conditions, dans un absolu indicible, incompatible avec
539
du bien et du mal ; elle les conduit même au-delà
de
l’origine de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souf
540
mal ; elle les conduit même au-delà de l’origine
de
toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souffrance, au-de
541
de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et
de
la souffrance, au-delà du domaine où l’on distingue, et où les contra
542
n’appartient ni à l’un ni à l’autre, mais relève
d’
une puissance étrangère, indépendante de leurs qualités, de leurs dési
543
is relève d’une puissance étrangère, indépendante
de
leurs qualités, de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être
544
ssance étrangère, indépendante de leurs qualités,
de
leurs désirs, au moins conscients, et de leur être tel qu’ils le conn
545
ualités, de leurs désirs, au moins conscients, et
de
leur être tel qu’ils le connaissent. Les traits physiques et psycholo
546
nnaissent. Les traits physiques et psychologiques
de
cet homme et de cette femme sont parfaitement conventionnels et rhéto
547
raits physiques et psychologiques de cet homme et
de
cette femme sont parfaitement conventionnels et rhétoriques. Lui, c’e
548
à propos de la durée du philtre est le contraire
d’
une amitié réelle. Bien plus, si l’amitié morale se fait jour, ce n’es
549
moment où la passion faiblit. Et le premier effet
de
cette amitié naissante n’est pas : du tout d’unir davantage les amant
550
fet de cette amitié naissante n’est pas : du tout
d’
unir davantage les amants, mais au contraire de leur montrer qu’ils on
551
ls ont tout intérêt à se quitter. Voyons ce point
d’
un peu plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li troi
552
. Voyons ce point d’un peu plus près. L’endemain
de
la saint Jehan Aconpli furent li troi an. Tristan chassait dans la f
553
. Il regrette « le vair et le gris » et l’apparat
de
chevalerie, et le haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons d
554
haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons
de
son oncle. Il songe aussi à son amie, — pour la première fois semble-
555
lle pourrait être « en beles chambres… portendües
de
dras de soie ». Iseut de son côté, à la même heure conçoit les mêmes
556
rait être « en beles chambres… portendües de dras
de
soie ». Iseut de son côté, à la même heure conçoit les mêmes gestes.
557
les chambres… portendües de dras de soie ». Iseut
de
son côté, à la même heure conçoit les mêmes gestes. Le soir venu, ils
558
ent : « En mal uson notre jovente… ». La décision
de
se séparer est bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretag
559
de se séparer est bientôt prise. Tristan propose
de
« gerpir » en Bretagne. Auparavant, ils iront voir Ogrin l’ermite pou
560
oignante définition qu’un poète ait jamais donnée
de
la passion ! À lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force de l
561
lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force
de
langage qui fait pâlir le romantisme tout entier ! Qui nous rendra ce
562
stan reçoit la réponse favorable du roi acceptant
de
reprendre Iseut : Dex ! dist Tristan, quel departie ! Mot est dolenz
563
auprès de son ami ; plus heureuse dans le malheur
d’
amour que dans leur vie commune du Morois… ⁂ On sait d’ailleurs que pa
564
lui par elle, elle par lui… » L’égoïsme apparent
d’
un tel amour expliquerait à lui seul bien des « hasards », bien des ma
565
qu’ils aiment, c’est l’amour, c’est le fait même
d’
aimer. Et ils agissent comme s’ils avaient compris que tout ce qui s’o
566
ur cœur, pour l’exalter à l’infini dans l’instant
de
l’obstacle absolu, qui est la mort. Tristan aime se sentir aimer, bie
567
. Et Iseut ne fait rien pour retenir Tristan près
d’
elle : il lui suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’aut
568
pour retenir Tristan près d’elle : il lui suffit
d’
un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais no
569
i suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un
de
l’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non de la
570
ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais non
de
l’autre tel qu’il est ; et non de la présence de l’autre, mais bien p
571
rûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non
de
la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparati
572
de l’autre tel qu’il est ; et non de la présence
de
l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparation des amants r
573
t non de la présence de l’autre, mais bien plutôt
de
son absence ! La séparation des amants résulte ainsi de leur passion
574
absence ! La séparation des amants résulte ainsi
de
leur passion même, et de l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt
575
des amants résulte ainsi de leur passion même, et
de
l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt qu’à son contentement, p
576
à son contentement, plutôt qu’à son vivant objet.
D’
où les obstacles multipliés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnan
577
jet. D’où les obstacles multipliés par le Roman ;
d’
où l’indifférence étonnante de ces complices d’un même rêve au sein du
578
liés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnante
de
ces complices d’un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ;
579
; d’où l’indifférence étonnante de ces complices
d’
un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ; d’où le crescend
580
es complices d’un même rêve au sein duquel chacun
d’
eux reste seul ; d’où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose
581
ême rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ;
d’
où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose. Dualité irrémédia
582
» soupire Tristan. Pourtant il sent déjà, au fond
de
la nuit qui vient, poindre la flamme secrète, ravivée par l’absence.
583
amme secrète, ravivée par l’absence. 9.L’amour
de
la Mort Mais il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare d’Aug
584
s il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare
d’
Augustin est une émouvante formule dont lui-même ne s’est pas satisfai
585
cle dont nous avons souvent parlé, et la création
de
l’obstacle par la passion des deux héros (confondant ici ses effets a
586
s deux héros (confondant ici ses effets avec ceux
de
l’exigence romanesque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’es
587
ses effets avec ceux de l’exigence romanesque et
de
l’attente du lecteur) — cet obstacle n’est-il qu’un prétexte, nécessa
588
le n’est-il qu’un prétexte, nécessaire au progrès
de
la passion, ou n’est-il pas lié à la passion d’une manière beaucoup p
589
s de la passion, ou n’est-il pas lié à la passion
d’
une manière beaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même de la p
590
eaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même
de
la passion, — si l’on descend au fond du mythe ? ⁂ Nous avons vu que
591
es revoirs successifs des amants13. Or les causes
de
séparation sont de deux sortes ; circonstances extérieures adverses,
592
fs des amants13. Or les causes de séparation sont
de
deux sortes ; circonstances extérieures adverses, entraves inventées
593
ventées par Tristan. Tristan ne se comportera pas
de
la même manière dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt de dé
594
e dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt
de
dégager cette dialectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce son
595
est pas sans intérêt de dégager cette dialectique
de
l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce sont les circonstances sociales
596
tances sociales qui menacent les amants (présence
de
Marc, méfiance des barons, jugement de Dieu, etc.), Tristan bondit pa
597
(présence de Marc, méfiance des barons, jugement
de
Dieu, etc.), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut d’un lit à
598
.), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut
d’
un lit à l’autre en est le symbole). Quitte à souffrir (sa blessure se
599
’il oublie la douleur et le danger dans l’ivresse
de
son « déduit ». Pourtant, le sang de sa blessure le trahit. C’est la
600
ns l’ivresse de son « déduit ». Pourtant, le sang
de
sa blessure le trahit. C’est la « marque rouge » qui met le roi sur l
601
t la « marque rouge » qui met le roi sur la trace
de
l’adultère. Quant à nous, elle nous met sur la trace du dessein secre
602
laquelle Tristan le surmonte est une affirmation
de
la vie. En tout cela ; Tristan n’obéit qu’à la coutume féodale des ch
603
u’à la coutume féodale des chevaliers : il s’agit
de
faire preuve de « valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus
604
éodale des chevaliers : il s’agit de faire preuve
de
« valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avon
605
l s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit
d’
être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avons vu que cela le conduira
606
te autre est l’attitude du chevalier lorsque rien
d’
extérieur à eux-mêmes ne sépare plus les amants. C’est même l’inverse
607
leurs corps demeurés vêtus, c’est encore occasion
de
prouesse, mais cette fois-ci contre lui-même, à ses dépens. Puisqu’il
608
ement la hiérarchie des préférences du conteur et
de
son lecteur. L’obstacle le plus grave, c’est donc celui que l’on préf
609
n. Notons aussi qu’en cette extrémité, la volonté
de
se séparer revêt une valeur affective plus forte que la passion même.
610
orte que la passion même. La mort, qui est le but
de
la passion, la tue. Mais l’épée nue n’est pas encore l’expression déc
611
pas encore l’expression décisive du désir sombre,
de
la fin même de la passion (au double sens du mot fin). L’admirable ép
612
pression décisive du désir sombre, de la fin même
de
la passion (au double sens du mot fin). L’admirable épisode des épées
613
l’on se rappelle qu’il substitue son arme à celle
de
son rival. Cela signifie qu’à l’obstacle désiré et librement créé par
614
rement créé par les amants, il substitue le signe
de
son pouvoir social, l’obstacle légal, objectif. Tristan relève ce déf
615
bstacle légal, objectif. Tristan relève ce défi :
d’
où le rebondissement de l’action. Et ici le mot prend un sens symboliq
616
. Tristan relève ce défi : d’où le rebondissement
de
l’action. Et ici le mot prend un sens symbolique : l’action empêche l
617
sens symbolique : l’action empêche la « passion »
d’
être totale, car la passion, c’est « ce que l’on subit » — à la limite
618
’autres termes, cette action est un nouveau délai
de
la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂ On retrouvera la mêm
619
uveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard
de
la Mort. ⁂ On retrouvera la même dialectique entre les deux mariages
620
lectique entre les deux mariages du Roman ; celui
d’
Iseut la Blonde avec le Roi, et celui d’Iseut aux blanches mains avec
621
n ; celui d’Iseut la Blonde avec le Roi, et celui
d’
Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier de ces mariages est
622
Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier
de
ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence
623
ristan. Le premier de ces mariages est l’obstacle
de
fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé par
624
e du mari, méprisé par l’amour courtois. Occasion
de
prouesse classique et de rebondissements faciles. L’existence du mari
625
amour courtois. Occasion de prouesse classique et
de
rebondissements faciles. L’existence du mari, l’obstacle de l’adultèr
626
ssements faciles. L’existence du mari, l’obstacle
de
l’adultère, c’est le premier prétexte venu, le plus naturellement ima
627
ue à plaisir ! Sans le mari, je ne donne pas plus
de
trois ans à l’amour de Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sages
628
mari, je ne donne pas plus de trois ans à l’amour
de
Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’e
629
n effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’est
d’
avoir limité à cette durée l’action du philtre : « La mère Iseut qui l
630
tre : « La mère Iseut qui le bollit — À trois anz
d’
amistié le fist. » Sans le mari, il ne resterait aux deux amants qu’à
631
tan puisse jamais épouser Iseut. Elle est le type
de
la femme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l’aimer, pui
632
emme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait
de
l’aimer, puisqu’elle cesserait d’être ce qu’elle est. Imaginez cela :
633
rs on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait
d’
être ce qu’elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négatio
634
maginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation
de
la passion, au moins de celle dont nous nous occupons. L’ardeur amour
635
istan ! C’est la négation de la passion, au moins
de
celle dont nous nous occupons. L’ardeur amoureuse spontanée, couronné
636
st une flambée qui ne peut pas survivre à l’éclat
de
sa consommation. Mais sa brûlure demeure inoubliable, et c’est elle q
637
mants veulent prolonger et renouveler à l’infini.
D’
où les périls nouveaux qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier
638
surmontés. C’est alors qu’il s’éloigne, en quête
d’
aventures plus secrètes et plus profondes, l’on dirait même : plus int
639
d’Iseut aux blanches mains croit son ami amoureux
de
sa sœur. Cette erreur — provoquée par le nom des deux femmes — est la
640
deux femmes — est la seule « raison » du mariage
de
Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé de s’expliquer. Mais une foi
641
riage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé
de
s’expliquer. Mais une fois de plus, l’honneur interviendra, et au seu
642
de plus, l’honneur interviendra, et au seul titre
de
prétexte, pour empêcher Tristan de se dédire. C’est que l’amant press
643
au seul titre de prétexte, pour empêcher Tristan
de
se dédire. C’est que l’amant pressent, dans cette nouvelle épreuve qu
644
cette nouvelle épreuve qu’il s’impose, l’occasion
d’
un progrès décisif. Ce mariage blanc avec une femme qu’il trouve belle
645
hasteté du chevalier marié répond à la déposition
de
l’épée nue entre les corps. Mais une chasteté volontaire, c’est un su
646
n suicide symbolique — (on voit ici le sens caché
de
l’épée). C’est une victoire de l’idéal courtois sur la robuste tradit
647
ici le sens caché de l’épée). C’est une victoire
de
l’idéal courtois sur la robuste tradition celtique qui affirmait l’or
648
obuste tradition celtique qui affirmait l’orgueil
de
vivre. C’est une manière de purification de ce qui subsistait, dans l
649
i affirmait l’orgueil de vivre. C’est une manière
de
purification de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’anim
650
gueil de vivre. C’est une manière de purification
de
ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et d’actif. V
651
purification de ce qui subsistait, dans le désir,
de
spontané, d’animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le dési
652
de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané,
d’
animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe d
653
bsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et
d’
actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort su
654
désir, de spontané, d’animal et d’actif. Victoire
de
la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort sur la vie. ⁂ Ainsi
655
Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe
de
la mort sur la vie. ⁂ Ainsi donc cette préférence accordée à l’obstac
656
ccordée à l’obstacle voulu, c’était l’affirmation
de
la mort, c’était un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort d’amour
657
tait un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort
d’
amour, vers une mort volontaire au terme d’une série d’épreuves dont T
658
e mort d’amour, vers une mort volontaire au terme
d’
une série d’épreuves dont Tristan sorte purifié ; vers une mort qui so
659
ur, vers une mort volontaire au terme d’une série
d’
épreuves dont Tristan sorte purifié ; vers une mort qui soit une trans
660
non pas un hasard brutal. Il s’agit donc toujours
de
ramener la fatalité extérieure à une fatalité interne, librement assu
661
librement assumée par les amants. C’est le rachat
de
leur destin qu’ils accomplissent en mourant par amour : c’est une rev
662
e. Et l’on assiste, in extremis, au renversement
de
la dialectique passion-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’obstacle qu
663
iment ce n’est plus l’obstacle qui est au service
de
la passion fatale, mais au contraire il est devenu le but, la fin dés
664
elle-même. Et la passion n’a donc joué qu’un rôle
d’
épreuve purificatrice, on dirait presque de pénitence au service de ce
665
n rôle d’épreuve purificatrice, on dirait presque
de
pénitence au service de cette mort qui transfigure. Nous touchons au
666
atrice, on dirait presque de pénitence au service
de
cette mort qui transfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour
667
sfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour
de
l’amour même dissimulait une passion beaucoup plus terrible, une volo
668
que se « trahir » par des symboles tels que celui
de
l’épée nue ou de la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants m
669
par des symboles tels que celui de l’épée nue ou
de
la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants malgré eux n’ont j
670
n’ont jamais cherché que le rachat et la revanche
de
« ce qu’ils subissaient » — la passion initiée par le philtre. Au fon
671
on initiée par le philtre. Au fond le plus secret
de
leur cœur, c’était la volonté de la mort, la passion active de la Nui
672
d le plus secret de leur cœur, c’était la volonté
de
la mort, la passion active de la Nuit qui leur dictait ses décisions
673
c’était la volonté de la mort, la passion active
de
la Nuit qui leur dictait ses décisions fatales. 10.Le philtre E
674
the, la nécessité même qui l’a créé. Le sens réel
de
la passion est tellement effrayant et inavouable, que non seulement c
675
la vivent ne sauraient prendre aucune conscience
de
sa fin, mais que ceux qui la veulent dépeindre dans sa merveilleuse v
676
ans sa merveilleuse violence se voient contraints
de
recourir au langage trompeur des symboles. Laissons de côté, pour le
677
courir au langage trompeur des symboles. Laissons
de
côté, pour le moment, la question de savoir si les auteurs des cinq p
678
es. Laissons de côté, pour le moment, la question
de
savoir si les auteurs des cinq poèmes primitifs étaient ou non consci
679
s cinq poèmes primitifs étaient ou non conscients
de
la portée de leur œuvre. En tout état de cause, il convient de précis
680
primitifs étaient ou non conscients de la portée
de
leur œuvre. En tout état de cause, il convient de préciser le sens du
681
nscients de la portée de leur œuvre. En tout état
de
cause, il convient de préciser le sens du mot « trompeur » que nous v
682
de leur œuvre. En tout état de cause, il convient
de
préciser le sens du mot « trompeur » que nous venons d’utiliser. La v
683
ciser le sens du mot « trompeur » que nous venons
d’
utiliser. La vulgarisation de la psychanalyse nous habitue à concevoir
684
ur » que nous venons d’utiliser. La vulgarisation
de
la psychanalyse nous habitue à concevoir qu’un désir refoulé « s’expr
685
terdite, l’amour inavouable, se créent un système
de
symboles, un langage hiéroglyphique, dont la conscience n’a pas la cl
686
me ce qu’il veut dire sans le dire. Il lui arrive
de
composer en un seul geste ou une seule métaphore à la fois l’expressi
687
ste ou une seule métaphore à la fois l’expression
de
l’objet désiré et l’expression de ce qui condamne ce désir. Ainsi l’i
688
is l’expression de l’objet désiré et l’expression
de
ce qui condamne ce désir. Ainsi l’interdiction reste affirmée, et l’o
689
ibles se voient du même coup satisfaites : besoin
de
parler de ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour
690
oient du même coup satisfaites : besoin de parler
de
ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour du risque
691
tes : besoin de parler de ce qu’on aime et besoin
de
le soustraire au jugement, amour du risque et instinct de prudence. I
692
ustraire au jugement, amour du risque et instinct
de
prudence. Interrogez celui qui use d’un tel langage, demandez-lui rai
693
et instinct de prudence. Interrogez celui qui use
d’
un tel langage, demandez-lui raison de sa prédilection pour telle ou t
694
lui qui use d’un tel langage, demandez-lui raison
de
sa prédilection pour telle ou telle image d’apparence bizarre, il rép
695
ison de sa prédilection pour telle ou telle image
d’
apparence bizarre, il répondra que « c’est tout naturel », « qu’il n’e
696
« qu’il n’en sait rien », « qu’il n’y attache pas
d’
importance ». S’il est poète, il parlera d’inspiration, ou au contrair
697
he pas d’importance ». S’il est poète, il parlera
d’
inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court
698
ontraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court
de
bonnes raisons pour démontrer qu’il n’est responsable de rien… Imagin
699
es raisons pour démontrer qu’il n’est responsable
de
rien… Imaginons maintenant le problème qui se posait à l’auteur du Ro
700
blème qui se posait à l’auteur du Roman primitif.
De
quel matériel symbolique — apte à cacher ce qu’il fallait traduire —
701
fallait traduire — disposait-il au xiie siècle ?
De
la magie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d
702
e — disposait-il au xiie siècle ? De la magie et
de
la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d’expression sau
703
gie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage
de
ces modes d’expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner
704
rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes
d’
expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner de raisons, v
705
ion saute aux yeux. La magie persuade sans donner
de
raisons, voire dans la mesure où elle n’en donne point. Et la rhétori
706
, comme d’ailleurs toute rhétorique, est le moyen
de
faire passer pour « naturelles » les plus obscures propositions. Masq
707
us obscures propositions. Masque idéal ! Garantie
de
secret, mais aussi garantie d’approbation sans condition de la part d
708
e idéal ! Garantie de secret, mais aussi garantie
d’
approbation sans condition de la part du lecteur de roman. La chevaler
709
’approbation sans condition de la part du lecteur
de
roman. La chevalerie, c’est la règle sociale que les élites du siècle
710
la règle sociale que les élites du siècle rêvent
d’
opposer aux pires « folies » dont elles se sentent menacées. La coutum
711
lies » dont elles se sentent menacées. La coutume
de
la chevalerie fournira donc le cadre du Roman. Et nous avons marqué,
712
nous avons marqué, en maint endroit, le caractère
de
« prétexte rêvé » des interdictions qu’elle impose. Pour la magie, v
713
our la magie, voici quel sera son rôle. Il s’agit
de
dépeindre une passion dont la violence fascinante ne peut être accept
714
ra donc l’admirer qu’en tant qu’on l’aura libérée
de
toute espèce de lien visible avec l’humaine responsabilité. L’interve
715
r qu’en tant qu’on l’aura libérée de toute espèce
de
lien visible avec l’humaine responsabilité. L’intervention du philtre
716
sponsabilité. L’intervention du philtre, agissant
d’
une manière fatale, et mieux encore bu par erreur, se révèle désormais
717
4. Qu’est-ce alors que le philtre ? C’est l’alibi
de
la passion. C’est ce qui permet aux malheureux amants de dire : « Vou
718
assion. C’est ce qui permet aux malheureux amants
de
dire : « Vous voyez que je n’y suis pour rien, vous voyez que c’est p
719
. » Et cependant, nous voyons bien qu’à la faveur
de
cette fatalité trompeuse, tous leurs actes sont orientés vers le dest
720
rs le destin mortel qu’ils aiment, avec une sorte
d’
astucieuse résolution, avec une ruse d’autant plus infaillible qu’elle
721
une sorte d’astucieuse résolution, avec une ruse
d’
autant plus infaillible qu’elle peut agir à l’abri du jugement. Nos ac
722
it ce but, mais la conscience n’a pas eu le temps
d’
intervenir et de gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus
723
la conscience n’a pas eu le temps d’intervenir et
de
gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus belles scènes d
724
ent comme en toute innocence. ⁂ Il n’y aurait pas
de
mythe, il n’y aurait pas de roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire
725
. ⁂ Il n’y aurait pas de mythe, il n’y aurait pas
de
roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire quelle est la fin qu’ils se
726
vaient dire quelle est la fin qu’ils se préparent
de
toute leur volonté profonde, et plus que profonde, abyssale. Qui donc
727
déteste le Jour qui l’offusque ? et qu’il attend
de
tout son être l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucou
728
et qu’il attend de tout son être l’anéantissement
de
son être ? Certains poètes, beaucoup plus tard, ont osé cet aveu supr
729
romancier désire flatter chez l’auditeur paraît,
d’
ordinaire, plus débile. Il y a peu de chance qu’elle soit jamais pouss
730
ndubitable, par une mort qui la manifeste au-delà
de
tout repentir possible ! Certains mystiques ont fait plus qu’avouer :
731
, une force aveugle ou le Néant, qui s’emparaient
de
leur secret vouloir, mais le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive f
732
le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive flamme
d’
amour » éclose aux « déserts » de la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien
733
la « vive flamme d’amour » éclose aux « déserts »
de
la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien avouer. Il veut comme s’il ne vou
734
sa fuite désespérée, dans la sublime coquetterie
de
sa fuite ! Et qu’il l’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplair
735
’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplaire
de
sa vie. Les raisons de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne s
736
l à la grandeur exemplaire de sa vie. Les raisons
de
la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables a
737
Elles le méprisent. Tristan s’est fait prisonnier
d’
un délire auprès duquel pâlissent toute sagesse, toute « vérité », et
738
toute « vérité », et la vie même. Il est au-delà
de
nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême
739
, et la vie même. Il est au-delà de nos bonheurs,
de
nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême où la totale joui
740
ers l’instant suprême où la totale jouissance est
de
sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent décrire la Nuit, mais la « mus
741
sir dont elle procède. Levez-vous, orages sonores
de
la mort de Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le hé
742
le procède. Levez-vous, orages sonores de la mort
de
Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes so
743
vez-vous, orages sonores de la mort de Tristan et
d’
Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes sons lamentables
744
en plus inquiète, lorsque le fils apprit le sort
de
la mère… Quand mon père m’engendra et mourut, quand ma mère me donna
745
ète : — Pour désirer et pour mourir ! Pour mourir
de
désirer ! Il peut maudire ses astres, sa naissance, mais la musique
746
me qui l’ai composé… Et je l’ai bu à longs traits
de
délice !… 11.L’amour réciproque malheureux Passion veut dire s
747
re et responsable. Aimer l’amour plus que l’objet
de
l’amour, aimer la passion pour elle-même, de l’amabam amare d’Augusti
748
bjet de l’amour, aimer la passion pour elle-même,
de
l’amabam amare d’Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et
749
imer la passion pour elle-même, de l’amabam amare
d’
Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et chercher la souff
750
et chercher la souffrance. Amour-passion : désir
de
ce qui nous blesse, et nous anéantit par son triomphe. C’est un secre
751
n’a jamais toléré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé
de
refouler, — de préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa per
752
éré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé de refouler, —
de
préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa persistance nous i
753
sa persistance nous invite à porter sur l’avenir
de
l’Europe un jugement très pessimiste. Marquons ici une incidence qui
754
développement : c’est la liaison ou la complicité
de
la passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mod
755
a liaison ou la complicité de la passion, du goût
de
la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode de connaître qui défi
756
passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et
d’
un certain mode de connaître qui définirait à lui seul notre psyché oc
757
e la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode
de
connaître qui définirait à lui seul notre psyché occidentale. Pourquo
758
i seul notre psyché occidentale. Pourquoi l’homme
d’
Occident veut-il subir cette passion qui le blesse et que toute sa rai
759
C’est qu’il se connaît et s’éprouve sous le coup
de
menaces vitales, dans la souffrance et au seuil de la mort. Le troisi
760
e menaces vitales, dans la souffrance et au seuil
de
la mort. Le troisième acte du drame de Wagner décrit bien davantage q
761
t au seuil de la mort. Le troisième acte du drame
de
Wagner décrit bien davantage qu’une catastrophe romanesque : il décri
762
romanesque : il décrit l’essentielle catastrophe
de
notre sadique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût de se connaî
763
tastrophe de notre sadique génie, ce goût réprimé
de
la mort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût de la collision
764
adique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût
de
se connaître à la limite, ce goût de la collision révélatrice qui est
765
ort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût
de
la collision révélatrice qui est sans doute la plus inarrachable des
766
i est sans doute la plus inarrachable des racines
de
l’instinct de la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illus
767
te la plus inarrachable des racines de l’instinct
de
la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illustrée, avouée e
768
des racines de l’instinct de la guerre en nous. ⁂
De
cette extrémité tragique, illustrée, avouée et constatée par la puret
769
té du mythe originel, redescendons à l’expérience
de
la passion telle que la vivent les hommes d’aujourd’hui. Le succès pr
770
ence de la passion telle que la vivent les hommes
d’
aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman de Tristan révèle en nous,
771
mmes d’aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman
de
Tristan révèle en nous, que nous le voulions ou non, une préférence i
772
e pour le malheur. Que ce malheur, selon la force
de
notre âme, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décade
773
me, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen
de
la décadence, ou la souffrance qui transfigure, ou le défi que l’espr
774
Ce ciel aux nuées exaltées, crépuscule empourpré
d’
héroïsme, n’annonce pas le Jour, mais la Nuit ! La « vraie vie est ail
775
illeurs », dit Rimbaud. Elle n’est qu’un des noms
de
la Mort, le seul nom par lequel nous osions l’appeler — tout en feign
776
r lequel nous osions l’appeler — tout en feignant
de
la repousser. Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui d’un a
777
Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui
d’
un amour impossible ? C’est que nous aimons la brûlure, et la conscien
778
’est que nous aimons la brûlure, et la conscience
de
ce qui brûle en nous. Liaison profonde de la souffrance et du savoir.
779
science de ce qui brûle en nous. Liaison profonde
de
la souffrance et du savoir. Complicité de la conscience et de la mort
780
rofonde de la souffrance et du savoir. Complicité
de
la conscience et de la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explica
781
ance et du savoir. Complicité de la conscience et
de
la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explication générale de not
782
gel a pu fonder sur elle une explication générale
de
notre esprit et même de notre Histoire.) Je définirais volontiers le
783
une explication générale de notre esprit et même
de
notre Histoire.) Je définirais volontiers le romantique occidental co
784
ent la douleur amoureuse, est un moyen privilégié
de
connaissance. Certes, cela vaut pour les meilleurs. Le grand nombre s
785
s. Le grand nombre se soucie peu de connaître, et
de
se connaître. Il cherche simplement l’amour le plus sensible. Mais c’
786
. Il me paraît que cela explique une bonne partie
de
notre psychologie. Sans traverses à l’amour, point de « roman ». Or c
787
otre psychologie. Sans traverses à l’amour, point
de
« roman ». Or c’est le roman qu’on aime, c’est-à-dire la conscience,
788
ience, l’intensité, les variations et les retards
de
la passion, son crescendo jusqu’à la catastrophe — et non point sa ra
789
du malheur qui le guette. Il y faut cette menace
de
la vie et des hostiles réalités qui l’éloignent dans quelque au-delà.
790
e durée sensible, elle ne peut être qu’un instant
de
grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une id
791
elle ne peut être qu’un instant de grâce — le duo
de
Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle de carte post
792
an et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle
de
carte postale. L’amour heureux n’a pas d’histoire dans la littérature
793
idylle de carte postale. L’amour heureux n’a pas
d’
histoire dans la littérature occidentale. Et l’amour qui n’est pas réc
794
ur un amour vrai. La grande trouvaille des poètes
de
l’Europe, ce qui les distingue avant tout dans la littérature mondial
795
, ce qui exprime le plus profondément l’obsession
de
l’Européen : connaître à travers la douleur, c’est le secret du mythe
796
re à travers la douleur, c’est le secret du mythe
de
Tristan, l’amour-passion à la fois partagé et combattu, anxieux d’un
797
ur-passion à la fois partagé et combattu, anxieux
d’
un bonheur qu’il repousse, magnifié par sa catastrophe, — l’amour réci
798
Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre,
d’
une fidélité exemplaire. Mais le malheur, c’est que l’amour qui les «
799
que l’amour qui les « demeine » n’est pas l’amour
de
l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’entr’aiment, ma
800
ais chacun n’aime l’autre qu’à partir de soi, non
de
l’autre. Leur malheur prend ainsi sa source dans une fausse réciproci
801
nsi sa source dans une fausse réciprocité, masque
d’
un double narcissisme. À tel point qu’à certains moments, on sent perc
802
u’à certains moments, on sent percer dans l’excès
de
leur passion une espèce de haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avan
803
nt percer dans l’excès de leur passion une espèce
de
haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psy
804
dans l’excès de leur passion une espèce de haine
de
l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psychologues
805
is, le vent souffle vers la terre natale. Ô fille
d’
Irlande, où t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile, sont-ce tes soupir
806
le, souffle ô vent ! Malheur, ah ! malheur, fille
d’
Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur de la passion qui fuit
807
d’Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur
de
la passion qui fuit le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel de
808
it le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel
de
l’amour : ce que l’on désire, on ne l’a pas encore — c’est la Mort —
809
— et l’on perd ce que l’on avait, — la jouissance
de
la vie. Mais cette perte n’est pas sentie comme un appauvrissement, b
810
sement, plus magnifiquement. C’est que l’approche
de
la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens
811
. C’est que l’approche de la mort est l’aiguillon
de
la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, le désir. Elle l
812
désir. Elle l’aggrave même parfois jusqu’au désir
de
tuer l’autre, ou de se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage.
813
e même parfois jusqu’au désir de tuer l’autre, ou
de
se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait enc
814
jusqu’au désir de tuer l’autre, ou de se tuer, ou
de
sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait encore Isolde, sec
815
ents, clamait encore Isolde, secouez la léthargie
de
cette mer rêveuse, ressuscitez des profondeurs l’implacable convoitis
816
oin de la vie qui les pousse, proies voluptueuses
de
forces contradictoires mais qui les précipitent au même vertige, les
817
e rejoindre qu’à l’instant qui les prive à jamais
de
tout espoir humain, de tout amour possible, au sein de l’obstacle abs
818
ant qui les prive à jamais de tout espoir humain,
de
tout amour possible, au sein de l’obstacle absolu et d’une suprême ex
819
t amour possible, au sein de l’obstacle absolu et
d’
une suprême exaltation qui se détruit par son accomplissement. 12.U
820
pressentir certaines contradictions. L’hypothèse
d’
une opposition, que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi de ch
821
ypothèse d’une opposition, que l’auteur eût tenté
d’
illustrer, entre la loi de chevalerie et les coutumes féodales, nous a
822
que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi
de
chevalerie et les coutumes féodales, nous a permis de surprendre le m
823
hevalerie et les coutumes féodales, nous a permis
de
surprendre le mécanisme de ces contradictions. Alors a commencé notre
824
éodales, nous a permis de surprendre le mécanisme
de
ces contradictions. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet de
825
s. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet
de
la légende. Derrière la préférence accordée par l’auteur à la règle d
826
re la préférence accordée par l’auteur à la règle
de
chevalerie, il y a le goût du romanesque. Derrière le goût du romanes
827
que. Derrière le goût du romanesque, il y a celui
de
l’amour pour lui-même. Et cela suppose une recherche secrète de l’obs
828
r lui-même. Et cela suppose une recherche secrète
de
l’obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque
829
à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque
d’
un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, q
830
Mais ce n’est encore là que le masque d’un amour
de
l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, qui se révèl
831
le suprême, c’est la mort, qui se révèle au terme
de
l’aventure comme la vraie fin, le désir désiré dès le début de la pas
832
comme la vraie fin, le désir désiré dès le début
de
la passion, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin r
833
doit renier l’intime évidence. Que la sécheresse
d’
une description réduite à suivre en ses détours la logique interne du
834
peine devant les preuves ; mais quoi qu’on pense
d’
une interprétation que j’ai stylisée à dessein, il demeure qu’elle nou
835
lisée à dessein, il demeure qu’elle nous a permis
de
surprendre à l’état naissant quelques relations fondamentales qui sou
836
est une ascèse. Elle s’oppose à la vie terrestre
d’
une manière d’autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et
837
e. Elle s’oppose à la vie terrestre d’une manière
d’
autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et que ce désir,
838
amour n’est pas sans lien profond avec notre goût
de
la guerre. Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin de la pa
839
Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin
de
la passion, sont des aspects de notre mode occidental de connaissance
840
ion, et le besoin de la passion, sont des aspects
de
notre mode occidental de connaissance, il faut en venir — au moins so
841
assion, sont des aspects de notre mode occidental
de
connaissance, il faut en venir — au moins sous forme de question — à
842
peut-être, en fin de compte, la plus fondamentale
de
toutes. Connaître à travers la souffrance, n’est-ce pas l’acte même,
843
ouffrance, n’est-ce pas l’acte même, et l’audace,
de
nos mystiques les plus lucides ? Érotique au sens noble, et mystique
844
? Érotique au sens noble, et mystique : que l’une
de
l’autre soit cause ou effet, ou qu’elles aient une commune origine —
845
ieille et grave mélodie » orchestrée par le drame
de
Wagner : Elle m’a interrogé un jour, et voici qu’elle me parle encor
846
épète : — Pour désirer et pour mourir. ⁂ Partant
d’
un examen « physionomique » des formes et des structures du Roman, nou
847
nous venons de dégager. 1. Il est assez facile
d’
éliminer, par une comparaison critique, les fantaisies individuelles d
848
elles des cinq auteurs. Dans l’analyse du contenu
de
la légende qu’on trouvera au chapitre 5, ces variantes seront négligé
849
circonstances passagères, ou des goûts personnels
de
l’auteur. 2. Voir Appendice 1. 3. Appendice 2. 4. Ce serait ici l
850
’individu. Que le rationalisme soit passé au rang
de
doctrine officielle ne doit pas nous faire oublier son efficacité pro
851
par M. Joseph Bédier (dans son étude sur le poème
de
Thomas) entre les cinq versions du xiie siècle : Béroul, Thomas, Eil
852
an et le Roman en prose. Les versions ultérieures
de
Gottfried de Strasbourg et de tous les imitateurs allemands, italiens
853
ersions ultérieures de Gottfried de Strasbourg et
de
tous les imitateurs allemands, italiens, danois, russes, tchèques, et
854
mpte également des travaux critiques plus récents
de
MM. E. Muret et E. Vinaver. 7. « Pur belté e pur nun d’Isolt » (Thom
855
E. Muret et E. Vinaver. 7. « Pur belté e pur nun
d’
Isolt » (Thomas). 8. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème de Tho
856
s). 8. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème
de
Thomas (t. I, p. 240), nous lisons que le veneur du roi, pénétrant da
857
s la retraite des amants « vit Tristan couché, et
de
l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour s
858
s amants « vit Tristan couché, et de l’autre côté
de
la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour se reposer à caus
859
la forte chaleur, et dormaient ainsi séparés l’un
de
l’autre parce que… » Ici le texte est interrompu ! Et Bédier dit en n
860
une étoffe dont on s’habille — Il se prête au gré
de
tous — Soit à la sincérité soit à la tromperie — Il est toujours ce q
861
veut qu’il soit… » 10. Et qu’il avait conquise
de
plein droit pour lui-même en la délivrant du dragon — comme ne manque
862
e en la délivrant du dragon — comme ne manque pas
de
le souligner Thomas. 11. Fauriel, Histoire de la poésie provençale,
863
s de le souligner Thomas. 11. Fauriel, Histoire
de
la poésie provençale, I, p. 512. 12. Précisons que : 1° elles sont o
864
’un calcul secret ; car si l’on choisissait l’une
d’
elles à l’exclusion totale de l’autre, la situation se dénouerait trop
865
on choisissait l’une d’elles à l’exclusion totale
de
l’autre, la situation se dénouerait trop vite ; 2° elles ne sont pas
866
Mais sans cette faute initiale, il n’y aurait pas
de
roman du tout. 13. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour de Tri
867
. 13. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour
de
Tristan en Irlande. Ils se séparent sans s’aimer. — Second séjour : e
868
e, péché consommé ; Iseut livrée. — Tristan banni
de
la cour. Rendez-vous sous l’arbre. — Tristan revient à la cour. Le «
869
en fou ; s’éloigne. — Longue séparation, mariage
de
Tristan. — Iseut s’approche et Tristan meurt. Puis mort d’Iseut. Résu
870
n. — Iseut s’approche et Tristan meurt. Puis mort
d’
Iseut. Résumons encore : une seule longue période de réunion (l’aspre
871
Iseut. Résumons encore : une seule longue période
de
réunion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période de séparation (
872
ion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période
de
séparation (le mariage de Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fi
873
épond la longue période de séparation (le mariage
de
Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fin : la double Mort ; entre
874
hiltre ; à la fin : la double Mort ; entre-temps,
de
furtives rencontres. 14. Thomas, qui cherche à diminuer le rôle de
875
res. 14. Thomas, qui cherche à diminuer le rôle
de
cette « emprise » magique, se verra condamné à rendre la passion moin
876
r en ceci à Béroul il sera le premier responsable
de
la dégradation du mythe. 15. Dans le drame de Wagner, quand le roi s
877
le de la dégradation du mythe. 15. Dans le drame
de
Wagner, quand le roi surprend les amants, Tristan répond à ses questi
878
, et là où j’irai pour toujours : le vaste empire
de
l’éternelle nuit. Là-bas, une science unique nous est donnée : le div
879
erbez : La mere Yseut, qui le bollit, A trois anz
d’
amistié le fist.
880
ure, ou dans l’instinct, les esquisses grossières
de
faits « spirituels », aussitôt nous croyons tenir une explication de
881
ls », aussitôt nous croyons tenir une explication
de
ces faits. Le plus bas nous paraît le plus vrai. C’est la superstitio
882
us vrai. C’est la superstition du temps, la manie
de
« ramener » le sublime à l’infime, l’étrange erreur qui prend pour ca
883
s spiritualistes. Mais je distingue mal l’intérêt
d’
un affranchissement qui consiste à « expliquer » Dostoïevski par le ha
884
l, et Nietzsche par la syphilis. Curieuse manière
de
libérer l’esprit, qui se « ramène » à le nier. Mais j’ai beau dire et
885
ène » à le nier. Mais j’ai beau dire et protester
d’
avance : si je constate que l’instinct et le sexe connaissent une dial
886
ue spontanée, analogue à certains égards, à celle
de
la passion dans notre mythe, beaucoup penseront que voilà qui suffit…
887
que voilà qui suffit… Donnons une page à ce genre
d’
objections. ⁂ L’obstacle dont on a vu le jeu au cours de notre analyse
888
au cours de notre analyse du mythe, n’est-il pas
d’
origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’est-ce pas la ruse la
889
l s’impose parfois une certaine continence, quasi
d’
instinct, dans l’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur de S
890
continence, quasi d’instinct, dans l’intérêt même
de
l’espèce ? Lycurgue, législateur de Sparte, imposait aux jeunes marié
891
’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur
de
Sparte, imposait aux jeunes mariés une abstinence prolongée. « C’est
892
que — qu’ils soient toujours plus forts et dispos
de
leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir d’aimer à cœur saoul
893
leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir
d’
aimer à cœur saoul, leur amour en demeure toujours frais, et que leurs
894
obstacle instinctif à l’instinct, ayant pour fin
de
rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu d’une telle discipli
895
rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu
d’
une telle discipline est relative à la vie même, non à l’esprit. Elle
896
obtenu. Elle ne cherche rien au-delà. L’eugénisme
d’
un Lycurgue n’est nullement ascétique, puisqu’il vise au contraire à l
897
u’il vise au contraire à la meilleure propagation
de
l’espèce. On ne saurait voir dans ces processus vitaux autre chose qu
898
s vitaux autre chose que le support physiologique
de
la dialectique passionnelle. Il faut bien que la passion se serve des
899
on des lois du corps n’explique nullement l’amour
d’
un Tristan, par exemple. Elle rend d’autant plus évidente l’interventi
900
ment l’amour d’un Tristan, par exemple. Elle rend
d’
autant plus évidente l’intervention d’un facteur « étranger » seul cap
901
. Elle rend d’autant plus évidente l’intervention
d’
un facteur « étranger » seul capable de détourner l’instinct de son bu
902
tervention d’un facteur « étranger » seul capable
de
détourner l’instinct de son but naturel et de transformer le désir en
903
« étranger » seul capable de détourner l’instinct
de
son but naturel et de transformer le désir en une aspiration indéfini
904
ble de détourner l’instinct de son but naturel et
de
transformer le désir en une aspiration indéfinie, c’est-à-dire sans f
905
s chez les peuplades primitives. C’est un jeu que
de
retrouver l’« origine » sacrée des motifs caractéristiques du Roman.
906
ée des motifs caractéristiques du Roman. La quête
de
la fiancée lointaine, par exemple, se rattache au cérémonial du rapt
907
t nuptial, chez les tribus exogamiques. La morale
de
la prouesse est une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plu
908
e de la prouesse est une sublimation non déguisée
de
coutumes beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité d’une sélect
909
s beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité
d’
une sélection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir de la mort qu
910
ection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir
de
la mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct de mort décrit pa
911
mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct
de
mort décrit par Freud et par les plus récents biologistes. Mais on ne
912
e histoire européenne… L’antiquité n’a rien connu
de
semblable à l’amour de Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les
913
L’antiquité n’a rien connu de semblable à l’amour
de
Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains,
914
a rien connu de semblable à l’amour de Tristan et
d’
Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains, l’amour est un
915
ux, il leur faut pardonner comme étant malades… »
D’
où vient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce
916
t malades… » D’où vient alors cette glorification
de
la passion, qui est justement ce qui nous touche dans le Roman ? Parl
917
stement ce qui nous touche dans le Roman ? Parler
de
déviation de l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoi
918
i nous touche dans le Roman ? Parler de déviation
de
l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoir, précisémen
919
e l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit
de
savoir, précisément, quel est le facteur qui a pu causer cette déviat
920
.) Platon nous parle dans Phèdre et le Banquet
d’
une fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler d’humeurs maligne
921
fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler
d’
humeurs malignes. Ce n’est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est
922
r tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce
de
fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni
923
loue. Mais il est une autre espèce de fureur, ou
de
délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni ne se crée da
924
agit du dehors, un emportement, un rapt indéfini
de
la raison et du sens naturel. On l’appellera donc enthousiasme, ce qu
925
signifie « endieusement », car ce délire procède
de
la divinité et porte notre élan vers Dieu. Tel est l’amour platonicie
926
l’amour platonicien : « délire divin », transport
de
l’âme, folie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’être aimé
927
l », car l’amour est la voie qui monte par degrés
d’
extase vers l’origine unique de tout ce qui existe, loin des corps et
928
i monte par degrés d’extase vers l’origine unique
de
tout ce qui existe, loin des corps et de la matière, loin de ce qui d
929
e unique de tout ce qui existe, loin des corps et
de
la matière, loin de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’
930
de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur
d’
être soi et d’être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir tota
931
se et distingue, au-delà du malheur d’être soi et
d’
être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c’est l’Asp
932
é à sa plus haute puissance, à l’extrême exigence
de
pureté qui est l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est
933
ême exigence de pureté qui est l’extrême exigence
d’
Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’être actuel, dans sa so
934
gence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation
de
l’être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’élan suprême
935
ir aboutit à ce qui est non-désir. La dialectique
d’
Éros introduit dans la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes
936
ctique d’Éros introduit dans la vie quelque chose
de
tout étranger aux rythmes de l’attrait sexuel : un désir qui ne retom
937
la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes
de
l’attrait sexuel : un désir qui ne retombe plus, que plus rien ne peu
938
atisfaire, qui repousse même et fuit la tentation
de
s’accomplir dans notre monde, parce qu’il ne veut embrasser que le To
939
le Tout. C’est le dépassement infini, l’ascension
de
l’homme vers son dieu. Et ce mouvement est sans retour. ⁂ Les origine
940
nsi l’Orient vint rêver dans nos vies, réveillant
de
très vieux souvenirs. Car du fond de notre Occident, la voix des bard
941
, réveillant de très vieux souvenirs. Car du fond
de
notre Occident, la voix des bardes celtes lui répondait. Je ne sais s
942
armonie ancestrale — toutes nos races sont venues
d’
Orient — ou simplement si la nature humaine n’est point portée en tous
943
ques à ceux des Grecs — la quête du Graal à celle
de
la Toison d’or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration
944
es Grecs — la quête du Graal à celle de la Toison
d’
or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration des âmes à ce
945
raal à celle de la Toison d’or — et les doctrines
de
Pythagore sur la transmigration des âmes à celles des druides sur l’i
946
agent des travaux récents, renforçant l’hypothèse
d’
une communauté originelle des croyances religieuses en Orient et en Oc
947
ome, les Celtes avaient conquis une grande partie
de
l’Europe actuelle. Venus du Sud-Ouest de la Germanie et du Nord-Est d
948
à sac Rome et Delphes, et soumis tous les peuples
de
l’Atlantique à la mer Noire. Ils poussèrent même jusqu’en Ukraine et
949
alates), préfigurant assez exactement l’extension
de
l’Empire romain. Or les Celtes n’étaient pas une nation. Ils n’avaien
950
eltes n’étaient pas une nation. Ils n’avaient pas
d’
autre « unité » que celle d’une civilisation, dont le principe spiritu
951
on. Ils n’avaient pas d’autre « unité » que celle
d’
une civilisation, dont le principe spirituel était maintenu par le col
952
orte internationale », commune à tous les peuples
d’
origine celtique, du fond de la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Ital
953
ne à tous les peuples d’origine celtique, du fond
de
la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les v
954
les d’origine celtique, du fond de la Bretagne et
de
l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les voyages et les renc
955
ent l’union des peuples celtiques et le sentiment
de
leur parenté »16. Les druides formaient des confréries religieuses do
956
uides formaient des confréries religieuses douées
de
pouvoirs très étendus. Ils étaient à la fois devins, magiciens, médec
957
ecins, prêtres, professeurs. Ils n’écrivaient pas
de
livres, mais donnaient un enseignement oral, en vers gnomiques, à des
958
s gnomiques, à des élèves qu’ils gardaient auprès
d’
eux pendant vingt ans17. (On a pu rapprocher ce collège sacerdotal d’i
959
ans17. (On a pu rapprocher ce collège sacerdotal
d’
institutions tout à fait identiques chez les autres peuples indo-europ
960
euples indo-européens : mages iraniens, brahmanes
de
l’Inde, pontifes et flamines de Rome. Le flamen porte d’ailleurs le m
961
aniens, brahmanes de l’Inde, pontifes et flamines
de
Rome. Le flamen porte d’ailleurs le même nom que le brahmane.18) Il e
962
la mort. Vie aventureuse, très semblable à celle
de
la terre, mais épurée, et dont certains héros pouvaient revenir, sous
963
se mêler aux vivants. Par cette doctrine centrale
de
la survie des âmes, les Celtes s’apparentent aux Grecs. Mais toute do
964
ltes s’apparentent aux Grecs. Mais toute doctrine
de
l’immortalité suppose une préoccupation tragique de la mort. Les Celt
965
l’immortalité suppose une préoccupation tragique
de
la mort. Les Celtes, écrit Hubert, « ont cultivé certainement la méta
966
ubert, « ont cultivé certainement la métaphysique
de
la mort… Ils ont beaucoup rêvé sur la mort. C’était une compagne fami
967
iétant ». De même, dans leur mythologie, « l’idée
de
mort domine tout, et tout la découvre »19. Et cela n’est pas sans inc
968
précis avec ce que l’on a dit plus haut du mythe
de
Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir de mort. D’autre par
969
Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir
de
mort. D’autre part, les dieux celtiques forment deux séries opposées
970
dieux lumineux et dieux sombres. Il nous importe
de
souligner ce fait du dualisme fondamental de la religion des druides.
971
orte de souligner ce fait du dualisme fondamental
de
la religion des druides. Car c’est ici que se révèle la convergence d
972
ues, et hindouistes avec la religion fondamentale
de
l’Europe. De l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprim
973
uistes avec la religion fondamentale de l’Europe.
De
l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les f
974
ion fondamentale de l’Europe. De l’Inde aux rives
de
l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les formes les plus diver
975
mes les plus diverses, ce même mystère du Jour et
de
la Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lu
976
verses, ce même mystère du Jour et de la Nuit, et
de
leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lumière incréée,
977
leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu
de
Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, auteur du mal,
978
dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu
de
Ténèbres, auteur du mal, qui domine toute la Création visible. Des si
979
Création visible. Des siècles avant l’apparition
de
Mani, on peut déceler la même opposition dans les mythologies indo-eu
980
dont l’un au moins intéresse directement l’objet
de
ce livre : la conception de la femme chez les Celtes n’est pas sans r
981
e directement l’objet de ce livre : la conception
de
la femme chez les Celtes n’est pas sans rappeler la dialectique plato
982
st pas sans rappeler la dialectique platonicienne
de
l’Amour. La femme figure aux yeux des druides un être divin et prophé
983
s fée ? », dit-elle. Éros a revêtu les apparences
de
la Femme, symbole de l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mé
984
Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole
de
l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terr
985
s apparences de la Femme, symbole de l’au-delà et
de
cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terrestres. Mais sym
986
sans fin. L’Essylt des légendes sacrées, « objet
de
contemplation, spectacle mystérieux », c’était l’invitation à désirer
987
, dira Goethe. Et Novalis : « La femme est le but
de
l’homme. » Ainsi l’aspiration vers la Lumière prend pour symbole l’at
988
qui réside par-delà les étoiles, c’est le royaume
de
Dispater, le père des Ombres. Et de même, le Tristan de Wagner veut s
989
agner veut sombrer, mais pour renaître en un ciel
de
Lumière. La « Nuit » qu’il chante, c’est le Jour incréé. Et sa passio
990
est le Jour incréé. Et sa passion, c’est le culte
d’
Éros, le Désir qui méprise Vénus, même quand il souffre volupté, même
991
même quand il croit aimer un être… On parle trop
de
nirvana et de bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le f
992
croit aimer un être… On parle trop de nirvana et
de
bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen de l
993
opos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen
de
l’Occident n’avait pas pu fournir au magicien les éléments les plus a
994
fournir au magicien les éléments les plus actifs
de
son philtre ! Il est frappant de constater d’ailleurs à quel point le
995
les plus actifs de son philtre ! Il est frappant
de
constater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de l’Europe a
996
ater d’ailleurs à quel point le celtisme originel
de
l’Europe a survécu à la conquête romaine et aux invasions germaniques
997
man et les langues romanes attestent l’importance
de
l’héritage celtique. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et de
998
éritage celtique. Plus tard, ce furent des moines
d’
Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conse
999
que. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et
de
Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conservées justeme
1000
culte des lettres. Et ceci nous amène aux abords
de
l’époque où se forma notre mythe… ⁂ Mais plus près de nous que Platon
1001
près de nous que Platon et les druides, une sorte
d’
unité mystique du monde indo-européen se dessine comme en filigrane à
1002
sons le domaine géographique et historique qui va
de
l’Inde à la Bretagne, nous constatons qu’une religion s’y est répandu
1003
nous constatons qu’une religion s’y est répandue,
d’
une manière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle de notre ère,
1004
ière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle
de
notre ère, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et de la Nuit t
1005
re, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et
de
la Nuit tels qu’ils s’étaient élaborés en Perse d’abord, puis dans le
1006
nichéenne. Les difficultés mêmes que l’on éprouve
de
nos jours à définir cette religion ne sont pas sans nous renseigner s
1007
e jusqu’à nos jours émanent presque exclusivement
de
ses adversaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine de Mani (qui
1008
ersaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine
de
Mani (qui était originaire de l’Iran) ait pris, selon les peuples et
1009
ien que la doctrine de Mani (qui était originaire
de
l’Iran) ait pris, selon les peuples et leurs croyances, des formes tr
1010
(Zarathustra ou Zoroastre). De plus il est permis
de
penser que les survivances celtiques dans le Midi languedocien offrir
1011
ut doivent être retenus : 1° Le dogme fondamental
de
toutes les sectes manichéennes, c’est la nature divine ou angélique d
1012
manichéennes, c’est la nature divine ou angélique
de
l’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit de la matière. Is
1013
élique de l’âme, prisonnière des formes créées et
de
la nuit de la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en e
1014
’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit
de
la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en exil et sépa
1015
formes créées et de la nuit de la matière. Issu
de
la lumière et des dieux Me voici en exil et séparé d’eux. Je suis un
1016
a lumière et des dieux Me voici en exil et séparé
d’
eux. Je suis un dieu, et né des dieux Mais maintenant réduit à souffr
1017
duit à souffrir. Ainsi lamente le Moi spirituel
d’
un disciple du sauveur Mani, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan d
1018
disciple du sauveur Mani, dans l’hymne du Destin
de
l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une p
1019
eur Mani, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan
de
l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une part la « réminisc
1020
e revenu du Ciel sur la terre, et qui se souvient
de
l’île des immortels. Mais cet élan est sans cesse entravé par la jalo
1021
s cet élan est sans cesse entravé par la jalousie
de
Vénus (Dîbat dans le premier hymne cité) qui veut retenir dans la som
1022
ant en proie au lumineux Désir. Tel est le combat
de
l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale d
1023
eux Désir. Tel est le combat de l’amour sexuel et
de
l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale des anges déchus dans
1024
. Il est très important et significatif pour nous
de
remarquer à la suite d’un travail récent22 que la structure de la foi
1025
et significatif pour nous de remarquer à la suite
d’
un travail récent22 que la structure de la foi manichéenne « est essen
1026
à la suite d’un travail récent22 que la structure
de
la foi manichéenne « est essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu
1027
sentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est
de
la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition rati
1028
». Autrement dit, qu’il est de la nature profonde
de
cette foi de se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnell
1029
dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi
de
se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnelle et « object
1030
is angoissée et enthousiasmante (au sens littéral
de
ce terme), d’ordre essentiellement poétique. « La « vérité » de la co
1031
t enthousiasmante (au sens littéral de ce terme),
d’
ordre essentiellement poétique. « La « vérité » de la cosmogonie et de
1032
d’ordre essentiellement poétique. « La « vérité »
de
la cosmogonie et de la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans
1033
ent poétique. « La « vérité » de la cosmogonie et
de
la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans la certitude attest
1034
le récitatif du psaume ». Et l’on songe au secret
de
Tristan, qu’il ne peut « dire » mais seulement chanter… ⁂ Toute conce
1035
même ; et dans la mort le bien dernier, le rachat
de
la faute d’être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse i
1036
ns la mort le bien dernier, le rachat de la faute
d’
être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse indistinction
1037
graduelle, par la mort progressive et volontaire
de
l’ascèse, nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin de l’esprit,
1038
e, nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin
de
l’esprit, son but, c’est aussi la fin de la vie, c’est la mort. Éros,
1039
s la fin de l’esprit, son but, c’est aussi la fin
de
la vie, c’est la mort. Éros, notre Désir suprême, n’exalte nos désirs
1040
désirs que pour les sacrifier. L’accomplissement
de
l’Amour nie tout amour terrestre. Et son Bonheur nie tout bonheur ter
1041
tout bonheur terrestre. Considéré du point de vue
de
la vie, un tel Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le
1042
ccidental sur lequel se détache notre mythe. Mais
d’
où vient qu’il s’en soit « détaché », justement ? Quelle menace, quell
1043
duire que par le charme et la secrète incantation
d’
un mythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile de
1044
ythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue
de
l’Évangile de Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole
1045
apè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile
de
Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Die
1046
éternel, sans rémission, l’irrévocable hostilité
de
la Nuit terrestre et du Jour transcendant ? Non, car voici la suite d
1047
faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine
de
grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire co
1048
, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et
de
vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloir
1049
ls unique venu du Père (I, 14-15). L’incarnation
de
la Parole dans le monde — de la Lumière dans les Ténèbres —, tel est
1050
-15). L’incarnation de la Parole dans le monde —
de
la Lumière dans les Ténèbres —, tel est l’événement inouï qui nous dé
1051
est l’événement inouï qui nous délivre du malheur
de
vivre. Tel est le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’a
1052
us délivre du malheur de vivre. Tel est le centre
de
tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien que l’Écriture
1053
t le centre de tout le christianisme, et le foyer
de
l’amour chrétien que l’Écriture nomme Agapè. Événement sans précédent
1054
ent, et « naturellement » incroyable. Car le fait
de
l’Incarnation est la négation radicale de toute espèce de religion. I
1055
le fait de l’Incarnation est la négation radicale
de
toute espèce de religion. Il est le suprême scandale, non seulement p
1056
arnation est la négation radicale de toute espèce
de
religion. Il est le suprême scandale, non seulement pour notre raison
1057
ison qui n’admet point cette impensable confusion
de
l’infini et du fini, mais surtout pour l’esprit religieux naturel. To
1058
ésir unique, qui aboutit à les nier. Le but final
de
cette dialectique, c’est la non-vie, la mort du corps. La Nuit et le
1059
me créé qui appartient à la Nuit, ne peut trouver
de
salut qu’en cessant d’être, en se « perdant » au sein de la divinité.
1060
à la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant
d’
être, en se « perdant » au sein de la divinité. Mais le christianisme,
1061
la divinité. Mais le christianisme, par son dogme
de
l’incarnation du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique de fon
1062
du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique
de
fond en comble. Au lieu que la mort soit le terme dernier, elle devie
1063
ngile appelle « mort à soi-même », c’est le début
d’
une vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite de l’esprit hors
1064
vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite
de
l’esprit hors du monde, mais son retour en force au sein du monde ! U
1065
nde ! Une recréation immédiate. Une réaffirmation
de
la vie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas de la vie idéal
1066
iate. Une réaffirmation de la vie, non pas certes
de
la vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais de la vie présente
1067
ie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas
de
la vie idéale, mais de la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu —
1068
a vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais
de
la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu — le vrai Dieu — s’est f
1069
— s’est fait homme, et vrai homme. En la personne
de
Jésus-Christ, les ténèbres vraiment ont « reçu » la lumière. Et tout
1070
raiment ont « reçu » la lumière. Et tout homme né
de
femme qui croit cela, renaît de l’esprit dès maintenant : mort à soi-
1071
Et tout homme né de femme qui croit cela, renaît
de
l’esprit dès maintenant : mort à soi-même et mort au monde en tant qu
1072
mais, l’amour n’est plus fuite et perpétuel refus
de
l’acte. Il commence au-delà de la mort, mais il se retourne vers la v
1073
et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà
de
la mort, mais il se retourne vers la vie. Et cette conversion de l’am
1074
s il se retourne vers la vie. Et cette conversion
de
l’amour fait apparaître le prochain. Pour l’Éros, la créature n’était
1075
re n’était qu’un prétexte illusoire, une occasion
de
s’enflammer ; et il fallait aussitôt s’en déprendre, puisque le but é
1076
ait aussitôt s’en déprendre, puisque le but était
de
brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulie
1077
re, puisque le but était de brûler toujours plus,
de
brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulier n’était guère qu’un déf
1078
n’était guère qu’un défaut et un obscurcissement
de
l’Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n
1079
été jusqu’à les revêtir. Et revêtant la condition
de
l’homme pécheur et séparé, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amo
1080
aré, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amour
de
Dieu nous a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle de la sanct
1081
s a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle
de
la sanctification. Le contraire de la sublimation, qui n’était que fu
1082
uvelle : celle de la sanctification. Le contraire
de
la sublimation, qui n’était que fuite illusoire au-delà du concret de
1083
ui n’était que fuite illusoire au-delà du concret
de
la vie. Aimer devient alors une action positive, une action de transf
1084
mer devient alors une action positive, une action
de
transformation. Éros cherchait le dépassement à l’infini. L’amour chr
1085
r aimer Dieu, c’est obéir à Dieu qui nous ordonne
de
nous aimer les uns les autres. Que signifie : Aimez vos ennemis ? C’e
1086
ue signifie : Aimez vos ennemis ? C’est l’abandon
de
l’égoïsme, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme i
1087
os ennemis ? C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi
de
désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est auss
1088
C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi de désir et
d’
angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est aussi la naissan
1089
me, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort
de
l’homme isolé, mais c’est aussi la naissance du prochain. À ceux qui
1090
chain ? Jésus répond : c’est l’homme qui a besoin
de
vous. Tous les rapports humains, dès cet instant, changent de sens. L
1091
s les rapports humains, dès cet instant, changent
de
sens. Le nouveau symbole de l’Amour, ce n’est plus la passion infinie
1092
cet instant, changent de sens. Le nouveau symbole
de
l’Amour, ce n’est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumièr
1093
bole de l’Amour, ce n’est plus la passion infinie
de
l’âme en quête de lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Ég
1094
e n’est plus la passion infinie de l’âme en quête
de
lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Église. L’amour huma
1095
te de lumière, mais c’est le mariage du Christ et
de
l’Église. L’amour humain lui-même s’en trouve transformé. Tandis que
1096
r le mariage. Un tel amour, étant conçu à l’image
de
l’amour du Christ pour son Église (Éph., 5,25), peut être vraiment ré
1097
me l’autre tel qu’il est — au lieu d’aimer l’idée
de
l’amour ou sa mortelle et délicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se mar
1098
élicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se marier que
de
brûler », écrit saint Paul aux Corinthiens.) De plus, c’est un amour
1099
naît dès ici-bas, dans l’obéissance, la plénitude
de
son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et de la Nuit, poussé à son extrême
1100
plénitude de son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et
de
la Nuit, poussé à son extrême logique, aboutissait, du point de vue d
1101
son extrême logique, aboutissait, du point de vue
de
la vie, au malheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’est un
1102
e n’est un malheur mortel que pour l’homme séparé
de
Dieu, mais un malheur recréateur et bienheureux dès cette vie pour le
1103
lut ». 4.Orient et Occident Est-il possible
de
définir l’Orient et l’Occident en dehors de la géographie ? En présen
1104
nce d’un problème aussi complexe, et en l’absence
de
toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que de s
1105
de toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté
d’
un écrivain que de se borner à déclarer son parti pris. Ce que j’appel
1106
atisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que
de
se borner à déclarer son parti pris. Ce que j’appelle Orient, dans ce
1107
elle Orient, dans cet ouvrage, c’est une tendance
de
l’esprit humain qui a trouvé du côté de l’Asie ses plus hautes et pur
1108
lus hautes et pures expressions. J’entends parler
d’
une forme de mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et m
1109
t pures expressions. J’entends parler d’une forme
de
mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et moniste dans
1110
ntale » ? À la négation du divers, à l’absorption
de
tous en Un, à la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas de die
1111
la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas
de
dieu, comme dans le bouddhisme, avec l’Être-Un universel. Et j’appel
1112
une différence qualitative infinie ». Donc point
de
fusion possible, ni d’union substantielle. Mais seulement une communi
1113
tive infinie ». Donc point de fusion possible, ni
d’
union substantielle. Mais seulement une communion, dont le modèle est
1114
une communion, dont le modèle est dans le mariage
de
l’Église et de son Seigneur. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’
1115
dont le modèle est dans le mariage de l’Église et
de
son Seigneur. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas de pei
1116
Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas
de
peine à démontrer qu’il existe en Orient de nombreuses tendances occi
1117
a pas de peine à démontrer qu’il existe en Orient
de
nombreuses tendances occidentales ; et l’inverse. (Mais je ne fais pa
1118
veut l’union, c’est-à-dire la fusion essentielle
de
l’individu dans le dieu. L’individu distinct — cette erreur douloureu
1119
ticulières, elles ne représentent que des défauts
de
l’Être. Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amo
1120
ue des défauts de l’Être. Nous n’avons donc point
de
prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera en même temps son ascèse, l
1121
s n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation
de
l’Amour sera en même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la
1122
n même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà
de
la vie. Agapè au contraire ne cherche pas l’union qui s’opérerait au
1123
re ne cherche pas l’union qui s’opérerait au-delà
de
la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort
1124
» Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas
d’
être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne tro
1125
joue ici-bas. Le péché n’est pas d’être né, mais
d’
avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne trouverons pas Dieu
1126
e trouverons pas Dieu par une élévation indéfinie
de
notre désir. Nous aurons beau sublimer notre Éros, il ne sera jamais
1127
re Éros, il ne sera jamais que nous-mêmes ! Point
d’
illusions ni d’optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais
1128
sera jamais que nous-mêmes ! Point d’illusions ni
d’
optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais alors, c’est l
1129
. Dieu nous cherche et nous a trouvés par l’amour
de
son Fils abaissé jusqu’à nous. L’Incarnation est le signe historique
1130
squ’à nous. L’Incarnation est le signe historique
d’
une création renouvelée, où le croyant se trouve réintégré par l’acte
1131
où le croyant se trouve réintégré par l’acte même
de
sa foi. Désormais, pardonné et sanctifié, c’est-à-dire réconcilié, l’
1132
et s’aime lui-même en vérité. Pour l’Agapè, point
de
fusion ni d’exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’o
1133
-même en vérité. Pour l’Agapè, point de fusion ni
d’
exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine d’une
1134
ution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine
d’
une vie nouvelle, dont l’acte créateur s’appelle la communion. Et pour
1135
e à s’exalter, mais tel qu’il est dans la réalité
de
sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain, —
1136
s tel qu’il est dans la réalité de sa détresse et
de
son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain, — n’est-on pas en d
1137
tresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas
de
prochain, — n’est-on pas en droit de conclure que cette forme d’amour
1138
Éros n’a pas de prochain, — n’est-on pas en droit
de
conclure que cette forme d’amour nommée passion doit normalement se d
1139
n’est-on pas en droit de conclure que cette forme
d’
amour nommée passion doit normalement se développer au sein des peuple
1140
es peuples chrétiens — historiquement les peuples
d’
Occident — ne devraient pas connaître la passion, ou tout au moins la
1141
connaître la passion, ou tout au moins la traiter
d’
incroyance ? Or l’Histoire nous oblige à le constater : c’est l’invers
1142
ns qu’en Orient23, et dans la Grèce contemporaine
de
Platon, l’amour humain est très généralement conçu comme le plaisir,
1143
où elle exerce ses ravages aux dépens du monde et
de
soi. L’identification des éléments religieux dont nous avions décelé
1144
s et les mœurs. Serait-ce alors dans le fait même
de
cette contradiction flagrante que résiderait l’explication du mythe ?
1145
ns les mœurs occidentales Pour introduire plus
de
clarté dans ce dédale dialectique, je proposerai le schéma suivant :
1146
rare et méprisée. Christianisme Communion (pas
d’
union essentielle). Amour du prochain. (Mariage heureux.) Conflits dou
1147
nflits douloureux, passion exaltée. Le principe
d’
explication de ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de
1148
eux, passion exaltée. Le principe d’explication
de
ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de Platon et dur
1149
triompha. La primitive Église fut une communauté
de
faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereu
1150
primitive Église fut une communauté de faibles et
de
méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereurs carolingien
1151
ui les imposèrent par la force à tous les peuples
d’
Occident. Dès lors, les vieilles croyances païennes refoulées devinren
1152
ui dans un cadre chrétien, mais privé des secours
d’
une foi réelle, un tel homme, fatalement, devait sentir en lui s’exalt
1153
bare. Il était prêt à accueillir, sous le couvert
de
formes catholiques, toutes les reviviscences des mystiques païennes c
1154
les reviviscences des mystiques païennes capables
de
le « libérer ». C’est ainsi que les doctrines secrètes, dont nous avo
1155
nsi que l’amour-passion, forme terrestre du culte
de
l’Éros, envahit la psyché des élites mal converties et souffrant du m
1156
rmes ésotériques, se déguisa en hérésies secrètes
d’
apparences plus ou moins orthodoxes. Ces hérésies se propagèrent très
1157
où nous les retrouverons un peu plus tard mêlées
de
la manière la plus complexe à la grande renaissance mystique. D’autre
1158
sait pas toujours l’origine et la portée mystique
de
valeurs qu’elle prenait pour une mode et qu’elle accommodait à ses pl
1159
ne devait pas tarder à matérialiser les préceptes
d’
une religion qui pourtant s’opposait au christianisme par son refus de
1160
ourtant s’opposait au christianisme par son refus
de
l’Incarnation, précisément ! Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul
1161
Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul exemple
de
ce processus si typiquement occidental, et qui consiste à garder le s
1162
ental, et qui consiste à garder le signe matériel
d’
une religion dont on trahit l’esprit25. Platon liait l’Amour à la Beau
1163
tendait, c’était d’abord l’essence intellectuelle
de
la perfection incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’est deven
1164
llectuelle de la perfection incréée : l’idée même
de
toute excellence. Qu’est devenue cette doctrine parmi nous ? « Person
1165
ne saurait dire jusqu’à quelles couches profondes
de
l’humanité d’Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’h
1166
e jusqu’à quelles couches profondes de l’humanité
d’
Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’homme le plus s
1167
oniciennes. L’homme le plus simple use couramment
d’
expressions et de notions qui remontent à Platon.26 » Mais il en abuse
1168
me le plus simple use couramment d’expressions et
de
notions qui remontent à Platon.26 » Mais il en abuse dans le sens où
1169
s il en abuse dans le sens où l’incline sa nature
d’
Occidental. C’est ainsi que le platonisme nous a conduits à une terrib
1170
sion : à cette idée que l’amour dépend avant tout
de
la beauté physique — alors qu’en fait cette beauté même n’est que l’a
1171
’est que l’attribut conféré par l’amant à l’objet
de
son choix d’amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour
1172
tribut conféré par l’amant à l’objet de son choix
d’
amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour embellit son
1173
et que la beauté « officielle » n’est pas un gage
d’
être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède, nous rend ave
1174
qui nous obsède, nous rend aveugles à la réalité
de
l’objet tel qu’il est dans sa vérité — ou bien nous la rend peu aimab
1175
rend peu aimable. Et il nous jette à la poursuite
de
chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore, d’où vient ce succès
1176
chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore,
d’
où vient ce succès et cette permanence invincible de l’erreur héritée
1177
où vient ce succès et cette permanence invincible
de
l’erreur héritée de Platon ? C’est qu’elle trouve dans le cœur de tou
1178
t cette permanence invincible de l’erreur héritée
de
Platon ? C’est qu’elle trouve dans le cœur de tout homme — et spécial
1179
tée de Platon ? C’est qu’elle trouve dans le cœur
de
tout homme — et spécialement de tout Occidental — de très obscures co
1180
ouve dans le cœur de tout homme — et spécialement
de
tout Occidental — de très obscures complicités. Souvenons-nous du cul
1181
tout homme — et spécialement de tout Occidental —
de
très obscures complicités. Souvenons-nous du culte druidique pour la
1182
mme, être prophétique, « éternel féminin », « but
de
l’homme ». Les Celtes, déjà, tendaient donc à matérialiser l’élan div
1183
y a plus, nous le savons depuis Freud : le « type
de
femme » que chaque homme porte dans son cœur et qu’il assimile d’inst
1184
haque homme porte dans son cœur et qu’il assimile
d’
instinct à la définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la
1185
cœur et qu’il assimile d’instinct à la définition
de
la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoi
1186
définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir
de
la mère « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les
1187
émoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les causes
de
la curieuse contradiction qui apparaît au xiie siècle entre les doct
1188
des contrecoups du christianisme (et spécialement
de
sa doctrine du mariage) dans les âmes où vivait encore un paganisme n
1189
que et contestable si nous n’étions pas en mesure
de
décrire avec précision les voies et moyens historiques de cette renai
1190
re avec précision les voies et moyens historiques
de
cette renaissance de l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers l
1191
voies et moyens historiques de cette renaissance
de
l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers le milieu du xiie siè
1192
é sa date : vers le milieu du xiie siècle. (Date
de
naissance de l’amour-passion !27) Et nous allons montrer qu’elle port
1193
ers le milieu du xiie siècle. (Date de naissance
de
l’amour-passion !27) Et nous allons montrer qu’elle porte un nom par
1194
ares Que toute la poésie européenne soit issue
de
la poésie des troubadours au xiie siècle, c’est ce dont personne ne
1195
« Oui, entre les xie et xiie siècles, la poésie
d’
où qu’elle fût (hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienn
1196
poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu
de
parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du trou
1197
nt être que troubadour, était tenu de parler — et
de
l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du troubadour, qui n’a
1198
t-ce que la poésie des troubadours ? L’exaltation
de
l’amour malheureux. « Il n’y a dans toute la lyrique occitane et la l
1199
qui toujours dit non.29 » L’Europe n’a pas connu
de
poésie plus profondément rhétorique : non seulement dans ses formes v
1200
que celle-ci ne prend sa source que dans les lois
de
l’amour courtois, les leys d’amors. Mais il faut dire aussi que jamai
1201
e que dans les lois de l’amour courtois, les leys
d’
amors. Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut plus exalt
1202
Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement
de
l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour possible en cette
1203
ancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà
de
tout amour possible en cette vie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la c
1204
ie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la chasteté. E
d’
amor mou castitaz (d’amour vient chasteté) chante le troubadour toulou
1205
Amour suppose la chasteté. E d’amor mou castitaz (
d’
amour vient chasteté) chante le troubadour toulousain Guilhem Montanha
1206
amoureux. Le poète a gagné sa dame par la beauté
de
son hommage musical. Il lui jure à genoux une éternelle fidélité, com
1207
fidélité, comme on fait à un suzerain. « En gage
d’
amour, la dame donnait à son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoign
1208
ur, la dame donnait à son paladin-poète un anneau
d’
or, lui enjoignait de se lever, et lui déposait un baiser sur le front
1209
son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoignait
de
se lever, et lui déposait un baiser sur le front. Premier baiser, gén
1210
te union mystique en la plaçant sous l’invocation
de
la Vierge Marie. »30 (De tels excès ne devaient pas se multiplier, d’
1211
laçant sous l’invocation de la Vierge Marie. »30 (
De
tels excès ne devaient pas se multiplier, d’ailleurs, et l’on va voir
1212
’ailleurs, et l’on va voir pour quelles raisons.)
D’
où vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuellement insati
1213
es raisons.) D’où vient cette conception nouvelle
de
l’amour « perpétuellement insatisfait », et cette louange enthousiast
1214
ait », et cette louange enthousiaste et plaintive
d’
« une belle qui toujours dit non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme q
1215
aintive d’« une belle qui toujours dit non » ? Et
d’
où vient ce savant lyrisme qui tout d’un coup se trouve là pour tradui
1216
non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme qui tout
d’
un coup se trouve là pour traduire la passion nouvelle ? On ne saurait
1217
ne saurait trop souligner le caractère miraculeux
de
cette double naissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine d’ann
1218
e cette double naissance, si rapide : en l’espace
d’
une vingtaine d’années, naissance d’une vision de la femme entièrement
1219
aissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine
d’
années, naissance d’une vision de la femme entièrement contraire aux m
1220
: en l’espace d’une vingtaine d’années, naissance
d’
une vision de la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles
1221
d’une vingtaine d’années, naissance d’une vision
de
la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles — (la femme
1222
ditionnelles — (la femme se voit élevée au-dessus
de
l’homme, dont elle devient l’idéal nostalgique) — et naissance d’une
1223
elle devient l’idéal nostalgique) — et naissance
d’
une poésie à formes fixes, très compliquées et raffinées, sans précéde
1224
ns toute l’Antiquité ni dans les quelques siècles
de
culture qui succèdent à la renaissance carolingienne. Ou bien tout ce
1225
tout cela « tombe du ciel », c’est-à-dire jaillit
d’
une inspiration subite et collective — mais encore faudrait-il expliqu
1226
els lieux bien définis ; ou bien tout cela relève
d’
une cause historique précise — mais alors il s’agit de savoir pour que
1227
e cause historique précise — mais alors il s’agit
de
savoir pour quelles raisons elle est demeurée obscure jusqu’à nos jou
1228
estion, et la facilité avec laquelle ils décident
de
n’y point répondre. Tout le monde admet aujourd’hui que la poésie pro
1229
d’hui que la poésie provençale et les conceptions
de
l’amour qu’elle illustre, « loin de s’expliquer par les conditions où
1230
le ne reflète aucunement la réalité, la condition
de
la femme n’ayant pas été, dans les institutions féodales du Midi, moi
1231
« évident » que les troubadours ne tiraient rien
de
la réalité sociale, il paraît non moins évident que leur conception d
1232
, il paraît non moins évident que leur conception
de
l’amour venait d’ailleurs. Quel pouvait être cet ailleurs ? La même q
1233
», écrit M. Jeanroy (quitte à reprocher à chacun
de
ces poètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce d’originalité
1234
te à reprocher à chacun de ces poètes pris à part
de
n’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’être borné à raffi
1235
oètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce
d’
originalité et de s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieu
1236
de n’avoir montré aucune espèce d’originalité et
de
s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieux communs : mais
1237
se risque à formuler une hypothèse sur l’origine
de
la rhétorique courtoise, les spécialistes l’accablent des plus aigres
1238
tte énormité »33. Diez a montré des ressemblances
de
forme (rythmes et coupes) entre la lyrique arabe et la lyrique proven
1239
peu de culture pour connaître cette poésie. Ainsi
de
chaque réponse proposée : le « sérieux » des savants paraissant consi
1240
consister surtout dans une propension à qualifier
d’
énormité ou de fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phéno
1241
out dans une propension à qualifier d’énormité ou
de
fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phénomène qu’ils pa
1242
ier d’énormité ou de fantaisie tout ce qui menace
de
donner un sens au phénomène qu’ils passent leur vie à étudier. Il est
1243
ru pouvoir tout éclaircir en décelant à l’origine
de
la lyrique provençale des influences religieuses, néo-platoniciennes
1244
ies » ont aussitôt dressé contre elles l’ensemble
de
nos érudits. Wechssler s’est vu traiter de « doctrinaire » — suprême
1245
semble de nos érudits. Wechssler s’est vu traiter
de
« doctrinaire » — suprême injure — et plusieurs ont insinué que la qu
1246
injure — et plusieurs ont insinué que la qualité
d’
Allemand de ce professeur les dispensait de réfuter un système incompa
1247
t plusieurs ont insinué que la qualité d’Allemand
de
ce professeur les dispensait de réfuter un système incompatible avec
1248
ualité d’Allemand de ce professeur les dispensait
de
réfuter un système incompatible avec le clair génie de notre race. Il
1249
futer un système incompatible avec le clair génie
de
notre race. Il reste donc d’une part un phénomène étrange, et d’autre
1250
d’une part un phénomène étrange, et d’autre part,
de
fort savantes réfutations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il es
1251
ge, et d’autre part, de fort savantes réfutations
de
tout ce qui prétend l’expliquer. « Il est également impossible — écri
1252
pliquer. « Il est également impossible — écrit un
de
nos professeurs — de voir dans ces chansons d’amour, qui forment les
1253
lement impossible — écrit un de nos professeurs —
de
voir dans ces chansons d’amour, qui forment les trois quarts de la po
1254
un de nos professeurs — de voir dans ces chansons
d’
amour, qui forment les trois quarts de la poésie provençale, une image
1255
es chansons d’amour, qui forment les trois quarts
de
la poésie provençale, une image fidèle de la réalité et un pur assemb
1256
quarts de la poésie provençale, une image fidèle
de
la réalité et un pur assemblage de formules vides de sens. » Certes.
1257
e image fidèle de la réalité et un pur assemblage
de
formules vides de sens. » Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu
1258
la réalité et un pur assemblage de formules vides
de
sens. » Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu’« en historien sc
1259
qu’« en historien scrupuleux », il se garde bien
de
se prononcer. Ce qui revient à dire que la lyrique courtoise dont il
1260
eux et jusqu’à plus ample informé « un assemblage
de
formules vides de sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un
1261
s ample informé « un assemblage de formules vides
de
sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un philologue qui se
1262
liciter » les textes, fût-ce par le moindre essai
de
les comprendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part, d’une hypot
1263
rendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part,
d’
une hypothèse à tel point scrupuleuse. Je me refuse à supposer un seul
1264
ul instant que les troubadours furent des faibles
d’
esprit, tout juste bons à répéter sans se lasser des formules apprises
1265
me demande, après Aroux et Péladan, si le secret
de
toute cette poésie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près d’e
1266
ie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près
d’
elle qu’on ne l’a fait — tout près : sur place, dans le milieu même où
1267
se trouvait déterminer les formes, même sociales,
de
ce milieu35. Partant de là, constatons qu’un grand fait historique d
1268
s formes, même sociales, de ce milieu35. Partant
de
là, constatons qu’un grand fait historique domine le xiie siècle pro
1269
ne hérésie puissante se répandait. L’on a pu dire
de
la religion cathare qu’elle représenta pour l’Église un péril aussi g
1270
enta pour l’Église un péril aussi grave que celui
de
l’arianisme. Certains ne vont-ils pas jusqu’à prétendre qu’elle fit e
1271
’à prétendre qu’elle fit en Occident des millions
de
fidèles secrets, malgré la très sanglante croisade des albigeois — ou
1272
rès sanglante croisade des albigeois — ou à cause
d’
elle — au xiiie siècle et jusqu’à la Réforme. Selon Rahn, l’on peut a
1273
a région des Pyrénées méridionales au ive siècle
de
notre ère, et convertit au christianisme les druides habitant ces con
1274
e des Pauliciens, et aux églises néo-manichéennes
d’
Asie Mineure et de Bulgarie. Quoi qu’il en soit, les « purs » ou catha
1275
et aux églises néo-manichéennes d’Asie Mineure et
de
Bulgarie. Quoi qu’il en soit, les « purs » ou cathares se rattachaien
1276
ait assez que la Gnose, de même que les doctrines
de
Mani (ou Manès), plonge des racines dans la religion dualiste de l’Ir
1277
ès), plonge des racines dans la religion dualiste
de
l’Iran36. Quelle était la doctrine des cathares ? L’Inquisition a brû
1278
s interrogatoires des accusés38. En tenant compte
de
ce que nous savons par ailleurs du manichéisme, et des méthodes inqui
1279
es méthodes inquisitoriales, il nous est possible
de
reconstituer dans ses grands traits le dogme de « l’Église d’Amour ».
1280
e de reconstituer dans ses grands traits le dogme
de
« l’Église d’Amour ». Dieu est amour. Mais le monde est mauvais. Donc
1281
uer dans ses grands traits le dogme de « l’Église
d’
Amour ». Dieu est amour. Mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saura
1282
ais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde,
de
ses ténèbres, et du péché qui nous enserre. Sa création première, enc
1283
ange déchu, emprisonné dans la matière, et soumis
de
ce fait aux lois des corps dont la plus tyrannique est la procréation
1284
plus tyrannique est la procréation. Mais le Fils
de
Dieu est venu pour nous montrer le chemin du retour à la Lumière. Ce
1285
e s’est pas incarné : il n’a pris que l’apparence
d’
un homme40. Les cathares rejettent donc le dogme de l’Incarnation, et
1286
’un homme40. Les cathares rejettent donc le dogme
de
l’Incarnation, et par suite, le sacrement de la Cène qui le traduit (
1287
ogme de l’Incarnation, et par suite, le sacrement
de
la Cène qui le traduit (et qu’ils remplacent par une simple agape com
1288
« spiritualiste » des évangiles, et spécialement
de
l’Évangile de Jean. Triple hérésie contre la Trinité : en effet, elle
1289
te » des évangiles, et spécialement de l’Évangile
de
Jean. Triple hérésie contre la Trinité : en effet, elle divise le Pèr
1290
lle fait « la Mère de Dieu », le principe féminin
de
l’Amour (c’est la Sophia chez les gnostiques grecs ; Maria chez les c
1291
tiques grecs ; Maria chez les cathares.) L’Église
d’
Amour, la Santa Gleyzia des cathares, ne connaît qu’un seul « sacremen
1292
le baptême du Saint-Esprit consolateur, le baiser
de
paix ou consolamentum que donne le prêtre au nouveau frère pendant la
1293
e le prêtre au nouveau frère pendant la cérémonie
d’
initiation. Encore est-ce moins un sacrement au sens catholique de ce
1294
core est-ce moins un sacrement au sens catholique
de
ce terme, qu’un signe d’accession à la vie spirituelle. Avant de rece
1295
ement au sens catholique de ce terme, qu’un signe
d’
accession à la vie spirituelle. Avant de recevoir ce baiser, le néophy
1296
angile, à ne jamais mentir ni jurer, à s’abstenir
de
tout contact avec sa femme s’il était marié 41, à ne tuer ni ne mange
1297
ul animal, enfin à tenir sa foi secrète. Un jeûne
de
quarante jours, ou endura, précédait cette initiation, et un autre d’
1298
u endura, précédait cette initiation, et un autre
d’
égale durée lui succédait. « Il arrivait fréquemment, nous dit Rahn, q
1299
exigeait qu’on mît fin à sa vie non par lassitude
de
vivre, par peur ou par douleur, mais dans un état de parfait détachem
1300
vivre, par peur ou par douleur, mais dans un état
de
parfait détachement de la matière… Cinq genres de morts volontaires a
1301
douleur, mais dans un état de parfait détachement
de
la matière… Cinq genres de morts volontaires avaient la préférence de
1302
de parfait détachement de la matière… Cinq genres
de
morts volontaires avaient la préférence des cathares : ils s’empoison
1303
: ils s’empoisonnaient, ils se laissaient mourir
de
faim, ils s’ouvraient les veines du poignet, ils se jetaient dans un
1304
rait : comme ce fut le cas pour tant de sectes et
de
religions orientales — jaïnisme, bouddhisme, essénisme, gnosticisme c
1305
u imperfecti). Seuls les seconds avaient le droit
de
se marier et de vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’ast
1306
euls les seconds avaient le droit de se marier et
de
vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’astreindre à tous l
1307
les purs, sans s’astreindre à tous les préceptes
de
la morale ésotérique : mortifications corporelles, mépris de la créat
1308
e ésotérique : mortifications corporelles, mépris
de
la création, dissolution de tous les « liens mondains ». Saint Bernar
1309
s corporelles, mépris de la création, dissolution
de
tous les « liens mondains ». Saint Bernard de Clairvaux (cité par Rah
1310
a pu dire des cathares, qu’il combattit pourtant
de
toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas de sermons plus chrét
1311
e toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas
de
sermons plus chrétiens que les leurs, et leurs mœurs étaient pures… »
1312
es… » Ce jugement rachète en partie les calomnies
de
l’Inquisition. Mais on s’étonne de voir le saint qualifier de « chrét
1313
les calomnies de l’Inquisition. Mais on s’étonne
de
voir le saint qualifier de « chrétienne » une prédication qui nie plu
1314
tion. Mais on s’étonne de voir le saint qualifier
de
« chrétienne » une prédication qui nie plusieurs des dogmes fondament
1315
ication qui nie plusieurs des dogmes fondamentaux
de
l’Église. Quant à la pureté de mœurs des cathares, nous avons vu qu’e
1316
ogmes fondamentaux de l’Église. Quant à la pureté
de
mœurs des cathares, nous avons vu qu’elle traduisait des croyances to
1317
la morale chrétienne authentique. La condamnation
de
la chair, où certains croient voir aujourd’hui une caractéristique ch
1318
r aujourd’hui une caractéristique chrétienne, est
d’
origine manichéenne et hérétique. Car il faut bien noter que la « chai
1319
nt Paul n’est pas le corps physique, mais le tout
de
l’homme incroyant, corps, raison, facultés, désirs… ⁂ La croisade des
1320
pulations qui les aimaient, viola leur sanctuaire
de
Montségur — le Montsalvat de la légende du Graal44 — enfin saccagea b
1321
iola leur sanctuaire de Montségur — le Montsalvat
de
la légende du Graal44 — enfin saccagea brutalement la civilisation qu
1322
t la civilisation qu’ils avaient édifiée en moins
d’
un siècle. Et cependant, de cette culture et de ses doctrines secrètes
1323
aient édifiée en moins d’un siècle. Et cependant,
de
cette culture et de ses doctrines secrètes, nous sommes encore tribut
1324
ns d’un siècle. Et cependant, de cette culture et
de
ses doctrines secrètes, nous sommes encore tributaires, au-delà de ce
1325
secrètes, nous sommes encore tributaires, au-delà
de
ce que l’on imagine… (Comme j’espère le montrer par ce livre.) 7.H
1326
considérer les troubadours comme les « croyants »
de
l’Église cathare, et comme les chantres de son hérésie ? Les présompt
1327
ants » de l’Église cathare, et comme les chantres
de
son hérésie ? Les présomptions en faveur de cette thèse sont tellemen
1328
te thèse sont tellement fortes qu’il conviendrait
de
retourner la question : comment et par quoi expliquer le lyrisme des
1329
ares étaient troubadours. » Mais nous avons assez
de
bonnes raisons pour nous passer de toute espèce d’exagération enthous
1330
us avons assez de bonnes raisons pour nous passer
de
toute espèce d’exagération enthousiaste. Est-ce pure coïncidence, si
1331
e bonnes raisons pour nous passer de toute espèce
d’
exagération enthousiaste. Est-ce pure coïncidence, si les troubadours
1332
, et vantent — sans toujours l’exercer — la vertu
de
chasteté ? Est-ce pure coïncidence, si, comme les « purs », ils ne re
1333
cidence, si, comme les « purs », ils ne reçoivent
de
leur Dame qu’un seul baiser d’initiation ? Et s’ils distinguent deux
1334
, ils ne reçoivent de leur Dame qu’un seul baiser
d’
initiation ? Et s’ils distinguent deux degrés dans le domnei (le prega
1335
et l’entendeire) comme on distingue dans l’Église
d’
Amour les adeptes et les parfaits ? Et s’ils raillent les liens du mar
1336
igneurs hérétiques ? Il ne serait que trop facile
de
multiplier ces questions. Voyons plutôt les arguments adverses. Tous
1337
roubadours, dira-t-on, ne furent pas dans le camp
de
l’hérésie. Plusieurs finirent leurs jours dans des couvents. Certes,
1338
jour où il fut accusé devant le pape Innocent III
d’
avoir causé la mort de cinq-cent-mille personnes ! D’ailleurs, quand o
1339
devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort
de
cinq-cent-mille personnes ! D’ailleurs, quand on démontrerait, à supp
1340
d’entre les troubadours ignoraient les analogies
de
leur lyrisme et du dogme cathare, on n’aurait pas encore démontré que
1341
re, on n’aurait pas encore démontré que l’origine
de
ce lyrisme n’est pas cathare. N’oublions pas qu’ils composaient leurs
1342
leurs coblas et leurs sirventés selon les canons
d’
une rhétorique admirablement invariable, qu’ils apprenaient pendant l’
1343
nommées « menestrandises » — (les conservatoires
de
l’époque, note Cingria). On peut concevoir une poésie — même très bel
1344
r une poésie — même très belle — qui serait faite
de
lieux communs dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’est-ce pa
1345
t faite de lieux communs dont le poète ne saurait
d’
où ils viennent. N’est-ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si
1346
Et si l’on dit : ces troubadours ne parlent point
de
leurs croyances dans les poésies qui nous restent — il suffit de rapp
1347
ces dans les poésies qui nous restent — il suffit
de
rappeler que les cathares promettaient, lors de l’initiation, de ne j
1348
les cathares promettaient, lors de l’initiation,
de
ne jamais trahir leur foi, et cela quelle que fût la mort dont ils se
1349
verraient menacés. C’est ainsi que les registres
de
l’Inquisition ne portent pas un seul aveu concernant la minesola 45,
1350
uprême initiation des « purs ». La fréquence même
de
cette question débattue dans les cours d’amour : « Un chevalier peut-
1351
ce même de cette question débattue dans les cours
d’
amour : « Un chevalier peut-il être à la fois marié et fidèle à sa dam
1352
aient subir un apparent « mariage » avec l’Église
de
Rome dont ils étaient les clercs, tout en servant dans leurs « pensée
1353
t dans leurs « pensées » une autre Dame, l’Église
d’
Amour…46 Mais certains abjurèrent l’hérésie sans abandonner le « trob
1354
c’est un ésotérisme dont l’existence ne fait plus
de
doute aujourd’hui. « Il y eut dès le milieu du xiie siècle (et ce ph
1355
cole, celle du trobar clus, dont l’ambition était
de
voiler la pensée sous l’ambiguïté des expressions » (Jeanroy). Est-ce
1356
prudence, en cette époque précisément où l’Église
de
Rome préparait sa croisade et son Inquisition ? Mais venons-en aux te
1357
rons-les dans la très pure nudité et transparence
de
leur adamantine rhétorique. ⁂ Thème de la mort, que l’on préfère aux
1358
ansparence de leur adamantine rhétorique. ⁂ Thème
de
la mort, que l’on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc de m
1359
on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc
de
mourir Que de joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pou
1360
dons du monde : Plus m’agrée donc de mourir Que
de
joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit
1361
Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit
de
me plaire tant. Ainsi chante Aimeric de Belenoi47. La « joie vilaine
1362
7. La « joie vilaine », c’est ce qui le guérirait
de
son désir, si justement l’amour sans fin n’était le mal qu’il aime, l
1363
mour sans fin n’était le mal qu’il aime, la « joy
d’
amor », le délire qui prévaut : … en fait, ce fou désir M’occira, que
1364
me plaint. … et ce désir Prévaut — bien que fait
de
délire — Sur tout autre… S’il ne veut pas mourir encore, c’est qu’il
1365
st pas assez détaché du désir, c’est qu’il craint
de
quitter son corps par désespoir, « mortel péché », enfin, c’est qu’il
1366
c’est qu’il ignore encore à quoi lui peut servir
De
laisser en extase son âme ravir. La doctrine n’exigeait-elle pas qu’
1367
ssitude ni par peur ou douleur, mais dans un état
de
parfait détachement de la matière…48 ». Voici le thème de la séparat
1368
douleur, mais dans un état de parfait détachement
de
la matière…48 ». Voici le thème de la séparation, le leitmotiv de to
1369
t détachement de la matière…48 ». Voici le thème
de
la séparation, le leitmotiv de tout l’amour courtois : Dieu ! commen
1370
». Voici le thème de la séparation, le leitmotiv
de
tout l’amour courtois : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’e
1371
: cette aube qui doit le réunir à son « copain »
de
route, et donc d’épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », est-c
1372
doit le réunir à son « copain » de route, et donc
d’
épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », est-ce l’esprit et le c
1373
l’esprit et le corps ? Mais souvenons-nous aussi
de
la coutume des missionnaires cheminant deux par deux) : Roi glorieux
1374
t venue Et bientôt viendra l’aube. Mais à la fin
de
la chanson, le troubadour a-t-il trahi ses vœux ? Ou bien a-t-il trou
1375
lus voir aube ni jour Car la plus belle fille qui
de
mère naquit La tiens dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni de ja
1376
tiens dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni
de
jaloux ni d’aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille
1377
mes bras, donc plus ne me soucie Ni de jaloux ni
d’
aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille dont Wagner,
1378
de lancer le trille dont Wagner, au deuxième acte
de
Tristan, fera le cri sublime de Brengaine : « Habet acht ! Habet acht
1379
au deuxième acte de Tristan, fera le cri sublime
de
Brengaine : « Habet acht ! Habet acht ! Schon weicht dem Tag die Nach
1380
ous à jurer que jamais ils ne trahiront le secret
de
leur grande passion, — comme s’il s’agissait d’une foi, et d’une foi
1381
t de leur grande passion, — comme s’il s’agissait
d’
une foi, et d’une foi initiatique ? Ne sais comment lui faire savoir
1382
de passion, — comme s’il s’agissait d’une foi, et
d’
une foi initiatique ? Ne sais comment lui faire savoir Ma flamme, cra
1383
us le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt que
de
faillir en un seul mot… Quelle est la « dame » qui mériterait ce sac
1384
« dame » qui mériterait ce sacrifice ? Ou ce cri
de
Guillaume de Poitiers : Par elle seule je serai sauvé ! S’il ne s’a
1385
r elle seule je serai sauvé ! S’il ne s’agit que
de
figures de rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? E
1386
e je serai sauvé ! S’il ne s’agit que de figures
de
rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? Et quel Amou
1387
latonicienne ? Dans sa chanson « Du moindre tiers
d’
Amour », celui des femmes — Guiraut de Calanson dit des deux autres ti
1388
conviennent Noblesse et Merci ; et le premier est
de
telle élévation qu’au-dessus du ciel plane son pouvoir. Cet Amour u
1389
en soi des grands mystiques hétérodoxes, le Dieu
d’
avant la Trinité dont nous parlent la Gnose et Maître Eckhart ? Et d’o
1390
dont nous parlent la Gnose et Maître Eckhart ? Et
d’
où viendrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment d’équivoque don
1391
endrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment
d’
équivoque dont on ne peut se départir à la lecture de ces poèmes amour
1392
quivoque dont on ne peut se départir à la lecture
de
ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien d’une femme réelle51 comme dans
1393
a lecture de ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien
d’
une femme réelle51 comme dans le Cantique des Cantiques, mais là aussi
1394
l n’y aurait là, tout « simplement » qu’une manie
d’
idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais d’où provient donc cette m
1395
nie d’idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais
d’
où provient donc cette manie ? D’une « humeur idéalisante » ? Lisons p
1396
ur naturel. Mais d’où provient donc cette manie ?
D’
une « humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique de Peire de Rog
1397
humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique
de
Peire de Rogiers : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin d’ell
1398
rs : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin
d’
elle que j’ai si grand Mon cœur ne s’en doit point défaire Ni jamais j
1399
ais rien, car ne sais vouloir qu’ELLE. Et ce cri
de
Bernart de Ventadour : Elle m’a pris mon cœur, elle m’a pris moi-mêm
1400
ésir et mon cœur assoiffé ! Et ces deux strophes
d’
Arnaut Daniel — un noble qui se fit jongleur errant, et dont les roman
1401
s romanistes assurent que les poèmes sont « vides
de
pensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la mystique nég
1402
ensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise
de
la mystique négative, et ses métaphores invariables ? Je l’aime et l
1403
taphores invariables ? Je l’aime et la recherche
de
si grand cœur que, par excès de désir, je crois que je m’enlèverai to
1404
e et la recherche de si grand cœur que, par excès
de
désir, je crois que je m’enlèverai tout désir si l’on peut rien perdr
1405
aimer. Car son cœur submerge le mien tout entier
d’
un flot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire de Rome, ni qu’o
1406
lot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire
de
Rome, ni qu’on m’en nomme le pape (et pour cause !), si je ne dois pa
1407
nt masquer, à la fin du poème, le sens trop grave
de
cette opposition des deux Églises : Je suis Arnaut qui amasse le ven
1408
i amasse le vent, et je chasse le lièvre à l’aide
d’
un bœuf, et je nage contre le flux ! On se souvient de l’apparition d
1409
bœuf, et je nage contre le flux ! On se souvient
de
l’apparition d’Arnaut Daniel au Purgatoire, comme il se nomme à Dante
1410
contre le flux ! On se souvient de l’apparition
d’
Arnaut Daniel au Purgatoire, comme il se nomme à Dante, son disciple,
1411
u sui Arnautz, che plor e vai cantan… ⁂ L’Église
de
Rome savait fort bien ce que trop de savants s’obstinent encore à ne
1412
⁂ L’Église de Rome savait fort bien ce que trop
de
savants s’obstinent encore à ne pas voir. Elle mesura toute l’ampleur
1413
ession par la force ne pouvait suffire à la tâche
d’
extirper les racines vivantes, pures et impures, de la révolte. Au cul
1414
’extirper les racines vivantes, pures et impures,
de
la révolte. Au culte symbolique de la Femme, le clergé eut la grande
1415
es et impures, de la révolte. Au culte symbolique
de
la Femme, le clergé eut la grande sagesse d’opposer une croyance « or
1416
ique de la Femme, le clergé eut la grande sagesse
d’
opposer une croyance « orthodoxe » qui répondit au même désir. De là l
1417
royance « orthodoxe » qui répondit au même désir.
De
là les tentatives multipliées, dès le milieu du xiie siècle, pour in
1418
e milieu du xiie siècle, pour instituer un culte
de
la Vierge. À la « Dame des pensées » de l’hérétique, on substituera «
1419
un culte de la Vierge. À la « Dame des pensées »
de
l’hérétique, on substituera « Notre-Dame ». En 1140, à Lyon, les chan
1420
1140, à Lyon, les chanoines établissent une fête
de
l’Immaculée Conception de Notre-Dame. Et les ordres monastiques qui a
1421
es établissent une fête de l’Immaculée Conception
de
Notre-Dame. Et les ordres monastiques qui apparaissent alors sont des
1422
ordres chevaleresques. (Le moine est « chevalier
de
Marie »). Saint Bernard de Clairvaux eut beau protester dans une lett
1423
fameuse contre « cette fête nouvelle que l’usage
de
l’Église ignore, que la raison n’approuve pas, que la tradition n’aut
1424
torise point… et qui introduit la nouveauté, sœur
de
la superstition, fille de l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau,
1425
duit la nouveauté, sœur de la superstition, fille
de
l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire
1426
saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire
de
la manière la plus précise : « Si Marie eût été conçue sans péché, el
1427
té conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin
d’
être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à un
1428
soin d’être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte
de
la Vierge répondait à une nécessité d’ordre vital pour l’Église menac
1429
» Le culte de la Vierge répondait à une nécessité
d’
ordre vital pour l’Église menacée. La papauté, plusieurs siècles plus
1430
dégagent des conclusions dont l’importance risque
de
se mesurer au nombre d’objections qu’elles soulèveront. Je ne songe p
1431
dont l’importance risque de se mesurer au nombre
d’
objections qu’elles soulèveront. Je ne songe pas à esquiver des critiq
1432
e j’espère fécondes. Mais le lecteur me saura gré
de
tenir compte des doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et d’ind
1433
es doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et
d’
indiquer en bref par quelles raisons je crois pouvoir les surmonter. O
1434
e mal connue et qu’il est donc au moins prématuré
d’
y voir la source du lyrisme courtois ; 2° Que les troubadours n’ont ja
1435
t qu’ils suivaient cette religion, ou que c’était
d’
elle qu’ils parlaient ; 3° Qu’au contraire, l’amour qu’ils exaltent n
1436
du désir sexuel ; 4° Qu’on distingue mal comment,
de
la confuse combinaison de doctrines manichéennes et néo-platonicienne
1437
distingue mal comment, de la confuse combinaison
de
doctrines manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond de traditio
1438
s manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond
de
traditions celtibériques, aurait pu naître une rhétorique aussi préci
1439
celle des troubadours. Je répondrai dans l’ordre
de
ces critiques. 1. Religion mal connue Si elle n’était pas connue du t
1440
çal resterait totalement obscur, comme il ressort
de
l’aveu même des romanistes. Or je répète que je me refuse, pour ma pa
1441
sidérer comme absurde une poétique et une éthique
de
l’amour d’où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles
1442
me absurde une poétique et une éthique de l’amour
d’
où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de l
1443
dans les siècles suivants, les plus belles œuvres
de
la littérature occidentale. D’autre part, le peu que l’on connaît des
1444
contestations possibles les origines manichéennes
de
l’hérésie. Or si l’on se reporte à ce qui fut dit plus haut (II, 2) s
1445
nichéens en général, il apparaît qu’un supplément
d’
information sur telle ou telle nuance ou altération qu’auraient reçues
1446
dogme catholique ; à quoi s’ajoutent des éléments
de
vocabulaire et de syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On
1447
à quoi s’ajoutent des éléments de vocabulaire et
de
syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On peut imaginer que
1448
tretiennent avec le néo-manichéisme des relations
d’
un type analogue52. Au surplus, les origines hérétiques des lieux comm
1449
urplus, les origines hérétiques des lieux communs
de
la rhétorique courtoise deviennent sensibles dès que l’on compare ces
1450
les dès que l’on compare ces lieux communs à ceux
de
la poésie cléricale de l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que J
1451
e ces lieux communs à ceux de la poésie cléricale
de
l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que Jeanroy n’a pas été sans
1452
ue Jeanroy n’a pas été sans le remarquer. Parlant
de
la lyrique abstraite des troubadours du xiiie siècle, et de la confu
1453
ue abstraite des troubadours du xiiie siècle, et
de
la confusion qu’elle favorise, de Dieu et de la Dame des pensées, il
1454
iie siècle, et de la confusion qu’elle favorise,
de
Dieu et de la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on,
1455
, et de la confusion qu’elle favorise, de Dieu et
de
la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures
1456
il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures
de
rhétorique sans conséquences. Soit. Mais les théories que les troubad
1457
ourquoi n’y a-t-il dans leurs œuvres aucune trace
de
ce déchirement intérieur, de ce dissidio qui rend si pathétiques cert
1458
œuvres aucune trace de ce déchirement intérieur,
de
ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers de Pétrarque ? » Ce
1459
ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers
de
Pétrarque ? » Cette question qui demeure ouverte dans l’ouvrage de M.
1460
Cette question qui demeure ouverte dans l’ouvrage
de
M. Jeanroy53, trouve une réponse tout évidente dans l’hypothèse que j
1461
us haut pour quelles raisons impérieuses (crainte
de
la persécution et serment d’initiation) ces poètes ne pouvaient parle
1462
impérieuses (crainte de la persécution et serment
d’
initiation) ces poètes ne pouvaient parler ouvertement de leur foi cat
1463
ation) ces poètes ne pouvaient parler ouvertement
de
leur foi cathare. (Ceux qui en ont parlé l’avaient tout d’abord abjur
1464
. Nous avons dit aussi qu’il n’est pas nécessaire
de
supposer que tous partageaient cette foi. Mais il reste à marquer que
1465
rtaines confusions ou abus, en explique davantage
de
notre part. Si l’on essaie de se replacer dans l’atmosphère du Moyen
1466
explique davantage de notre part. Si l’on essaie
de
se replacer dans l’atmosphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absen
1467
osphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absence
de
signification symbolique d’une poésie serait un fait beaucoup plus sc
1468
perçoit que l’absence de signification symbolique
d’
une poésie serait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut l’être
1469
eut l’être à nos yeux, par exemple, le symbolisme
de
la Dame. Dans l’optique de l’homme médiéval, toute chose signifie aut
1470
e chose, et cela sans qu’intervienne aucun effort
de
traduction conceptuelle. En d’autres termes, le médiéval n’a pas beso
1471
e. En d’autres termes, le médiéval n’a pas besoin
de
se formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni d’en prendre une c
1472
e formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni
d’
en prendre une conscience distincte. Il est indemne de ce rationalisme
1473
prendre une conscience distincte. Il est indemne
de
ce rationalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et
1474
onalisme qui nous permet, à nous autres modernes,
d’
isoler et d’abstraire de toute ambiance significative les objets que n
1475
nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et
d’
abstraire de toute ambiance significative les objets que nous considér
1476
, à nous autres modernes, d’isoler et d’abstraire
de
toute ambiance significative les objets que nous considérons54. L’un
1477
celui, entre autres, du mystique Suso : « La vie
de
la chrétienté médiévale est, dans toutes ses manifestations, saturée
1478
vale est, dans toutes ses manifestations, saturée
de
représentations religieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaire
1479
ions, saturée de représentations religieuses. Pas
de
choses ou d’actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche c
1480
de représentations religieuses. Pas de choses ou
d’
actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche constamment à
1481
e rapport avec la foi. Mais dans cette atmosphère
de
saturation, la tension religieuse, l’idée transcendentale, l’élan ver
1482
banalité, en choquant matérialisme à prétentions
d’
au-delà. Même chez un mystique de l’envergure d’un Henri Suso, le subl
1483
me à prétentions d’au-delà. Même chez un mystique
de
l’envergure d’un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le
1484
s d’au-delà. Même chez un mystique de l’envergure
d’
un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le ridicule. Il e
1485
uvresse. Sublime encore, quand il suit les usages
de
l’amour profane et célèbre le jour de l’an et le premier mai en offra
1486
ser du reste ? À table, il mange les trois quarts
d’
une pomme en l’honneur de la Trinité, et le dernier quart par amour po
1487
l mange les trois quarts d’une pomme en l’honneur
de
la Trinité, et le dernier quart par amour pour la Mère céleste qui do
1488
il double la cinquième gorgée parce que du flanc
de
Jésus, coula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification de la vie p
1489
gée parce que du flanc de Jésus, coula du sang et
de
l’eau. Voilà la sanctification de la vie poussée à ses extrêmes limit
1490
oula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification
de
la vie poussée à ses extrêmes limites »55. Dira-t-on que l’on tombe i
1491
eu plus loin que « la naïve conscience religieuse
de
la multitude n’avait pas besoin de preuves intellectuelles en matière
1492
nce religieuse de la multitude n’avait pas besoin
de
preuves intellectuelles en matière de foi : la seule présence d’une i
1493
llectuelles en matière de foi : la seule présence
d’
une image visible des choses saintes suffisait à en démontrer la vérit
1494
bolique aux yeux des initiés et des sympathisants
de
l’Église d’Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idé
1495
yeux des initiés et des sympathisants de l’Église
d’
Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idée, stricteme
1496
tre valables, dussent être commentés et expliqués
d’
une manière non symbolique… Toutefois, par suite de la situation parti
1497
allait de soi. Dans ce cas, le symbole se double
d’
une allégorie, et prend un sens cryptographique. Je veux parler de l’é
1498
et prend un sens cryptographique. Je veux parler
de
l’école du trobar clus, déjà citée, et que M. Jeanroy définit en ces
1499
onsistait alors à recouvrir une pensée religieuse
d’
un vêtement profane, à appliquer à l’amour divin les formules consacré
1500
es formules consacrées par l’usage à l’expression
de
l’amour humain.56 » Le trobar clus ne serait ainsi qu’un jeu littérai
1501
avoir d’autres causes » qu’on « ne se flatte pas
de
débrouiller ». (Op. cit., II, p. 16.) Mais le troubadour Alegret l’a
1502
avance et je lui dirai comment il me fut possible
d’
y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette manière d’embr
1503
me fut possible d’y mettre deux (var. trois) mots
de
sens divers. » Cette manière d’embrouiller les sens (entrebescar disa
1504
(var. trois) mots de sens divers. » Cette manière
d’
embrouiller les sens (entrebescar disaient les Provençaux : entrelacer
1505
trelacer) s’expliquerait-elle par une « intention
d’
intriguer l’auditeur et de lui poser une énigme » ? On peut penser que
1506
lle par une « intention d’intriguer l’auditeur et
de
lui poser une énigme » ? On peut penser que les troubadours étaient m
1507
dours entendaient-ils leurs propres symboles ? Et
d’
une manière plus générale, quelle espèce de conscience avons-nous des
1508
s ? Et d’une manière plus générale, quelle espèce
de
conscience avons-nous des métaphores que nous utilisons dans nos écri
1509
poésie baignait dans l’atmosphère la plus chargée
de
passions. Les actions que nous rapportent les chroniqueurs du temps s
1510
s plus « surréalistes » qu’ait connues l’histoire
de
nos mœurs… Qu’on se rappelle ce seigneur jaloux qui tue le troubadour
1511
e ce seigneur jaloux qui tue le troubadour favori
de
sa femme, et fait servir le cœur de la victime sur un plat. La dame l
1512
badour favori de sa femme, et fait servir le cœur
de
la victime sur un plat. La dame le mange sans savoir ce que c’est. Le
1513
ets si savoureux que jamais plus ne mangerai rien
d’
autre ! » et elle se jette par la fenêtre du donjon. On admettra que c
1514
gine. 3. L’amour courtois serait une idéalisation
de
l’amour charnel C’est la thèse la plus courante. On pourrait se borne
1515
me médiéval procède généralement de haut en bas —
de
ciel en terre — ce qui réfute les conclusions modernes déduites du pr
1516
i aussi, dans la lyrique courtoise une expression
de
sentiments religieux de l’époque58, Jeanroy écrit : « Dans ces affirm
1517
courtoise une expression de sentiments religieux
de
l’époque58, Jeanroy écrit : « Dans ces affirmations hardies, il y a d
1518
affirmations hardies, il y a du reste une erreur
de
fait aisée à relever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée de so
1519
elever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée
de
son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules creuses o
1520
e son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu
de
formules creuses on le peut admettre. Mais au début et jusqu’à la fin
1521
siècle, il n’en était pas ainsi : chez les poètes
de
cette époque, l’expression du désir charnel est si vive et parfois si
1522
parfois si brutale qu’il est vraiment impossible
de
se tromper sur la nature de leurs aspirations. » Si c’est le cas, on
1523
t vraiment impossible de se tromper sur la nature
de
leurs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande d’où vient la gên
1524
urs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande
d’
où vient la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé d
1525
se demande d’où vient la gêne et l’« agacement »
de
l’auteur lorsqu’il est obligé de reconnaître l’équivoque des expressi
1526
l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé
de
reconnaître l’équivoque des expressions courtoises et leurs résonance
1527
tain — doit-il avouer — que les idées religieuses
d’
une époque influent généralement sur la conception qu’on se fait de l’
1528
uent généralement sur la conception qu’on se fait
de
l’amour, et surtout que le vocabulaire de la galanterie se règle sur
1529
se fait de l’amour, et surtout que le vocabulaire
de
la galanterie se règle sur celui de la dévotion 59. Du jour où adorer
1530
e vocabulaire de la galanterie se règle sur celui
de
la dévotion 59. Du jour où adorer devient synonyme d’aimer, cette mét
1531
a dévotion 59. Du jour où adorer devient synonyme
d’
aimer, cette métaphore en entraîne une quantité d’autres. » Et de cite
1532
métaphore en entraîne une quantité d’autres. » Et
de
citer Chrétien de Troyes, et les poètes du Nord disciples des troubad
1533
enser aux effusions et aux appels à la souffrance
d’
une sainte Thérèse et d’un Jean de la Croix »60. Mais alors pourquoi r
1534
ux appels à la souffrance d’une sainte Thérèse et
d’
un Jean de la Croix »60. Mais alors pourquoi rejeter sans discussion l
1535
alors pourquoi rejeter sans discussion l’ouvrage
de
Wechssler, qui soutient que les « théories amoureuses du Moyen Âge ne
1536
ries amoureuses du Moyen Âge ne sont qu’un reflet
de
ses idées religieuses » ? Et pourquoi vouloir à tout prix que les poè
1537
ations « réalistes » et des descriptions précises
de
la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche de ne recourir jama
1538
la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche
de
ne recourir jamais qu’à des épithètes stéréotypées ? Jaufré Rudel, pr
1539
, dit très nettement que sa Dame est une création
de
son esprit, et qu’elle s’évanouit avec l’aube. Ailleurs, c’est la « p
1540
qu’il veut aimer. Cependant M. Jeanroy s’inquiète
de
trouver dans ses poèmes « des détails qui paraissent nous plonger dan
1541
». Exemples donnés : « Je suis en doute au sujet
d’
une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est que tout ce que le f
1542
t que toute la poésie des troubadours fût l’œuvre
d’
un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette expression
1543
Où est alors cette expression « vive et brutale »
d’
un désir évidemment charnel ? Dans la crudité de certains termes ? Mai
1544
» d’un désir évidemment charnel ? Dans la crudité
de
certains termes ? Mais elle était courante et naturelle avant le puri
1545
nt est anachronique. Voici par contre un document
de
poids à l’appui de la thèse symboliste. Raimbaut d’Orange écrit un po
1546
e, dit-il, soyez brutaux, « donnez-leur des coups
de
poing sur le nez » (est-ce assez « cru » ?), forcez-les : car c’est c
1547
comporte autrement, c’est que je ne me soucie pas
d’
aimer. Je ne veux pas me gêner pour les femmes, pas plus que si toutes
1548
p parler est pis que péché mortel. Or nous avons
de
ce même Raimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange de la Dame
1549
rtel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange
d’
admirables poèmes à la louange de la Dame. Et nous savons par ailleurs
1550
aimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange
de
la Dame. Et nous savons par ailleurs que l’anneau (échangé par Trista
1551
nneau (échangé par Tristan et Iseut) est le signe
d’
une fidélité qui justement n’est pas celle des corps. Soulignons enfin
1552
Soulignons enfin ce fait capital : que les vertus
de
la cortezia ; humilité, loyauté, respect et fidélité envers la Dame,
1553
a Dame, sont ici rapportées expressément au refus
de
l’amour physique. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes de Da
1554
ue. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes
de
Dante être d’autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs image
1555
, nous verrons plus tard les poèmes de Dante être
d’
autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs images que Béatrice
1556
Béatrice s’élèvera davantage dans une hiérarchie
d’
abstractions mystiques, figurant d’abord la philosophie, puis la Scien
1557
ardents parmi les troubadours à louer les beautés
de
leur Dame, Arnaut Daniel et l’Italien Guinizelli sont placés au chant
1558
us amène à reconnaître enfin la réelle complexité
d’
un problème dont nous avons souligné jusqu’ici, non sans une volontair
1559
cru que la cortezia était une simple idéalisation
de
l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif de soutenir que l’
1560
’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif
de
soutenir que l’idéal mystique sur quoi elle se fondait à l’origine fû
1561
ervé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltation
de
la chasteté produit presque toujours des excès luxurieux. Sans nous a
1562
cès luxurieux. Sans nous attarder aux accusations
de
débauche que beaucoup ont portées contre les troubadours — l’on sait
1563
les troubadours — l’on sait au vrai peu de choses
de
leurs vies — nous rappellerons l’exemple des sectes gnostiques, qui c
1564
particulier l’attrait des sexes, mais déduisaient
de
cette condamnation une morale étrangement débridée. Les carpocratiens
1565
saient le sperme62. Il est probable que des excès
de
ce genre se produisirent aussi chez les cathares, et plus encore chez
1566
rifiantes figurent à cet égard dans les registres
de
l’Inquisition. Notons toutefois qu’elles sont souvent contradictoires
1567
cepter le christianisme primitif. Et il est juste
de
citer ici le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de fouiller
1568
rimitif. Et il est juste de citer ici le jugement
d’
un dominicain qui eut l’occasion de fouiller dans les archives du sain
1569
ci le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion
de
fouiller dans les archives du saint Office, et qui s’exprime ainsi au
1570
ice, et qui s’exprime ainsi au sujet des cathares
d’
Italie, ou patarins : « Malgré toutes mes recherches, dans les procédu
1571
à tout, leurs erreurs étaient plutôt des erreurs
d’
intelligence que de sensualité »63. Retenons donc ceci, qui nuance not
1572
urs étaient plutôt des erreurs d’intelligence que
de
sensualité »63. Retenons donc ceci, qui nuance notre schéma : si les
1573
nc ceci, qui nuance notre schéma : si les erreurs
de
la passion — au sens précis que je donne à ce mot — sont d’origine re
1574
ion — au sens précis que je donne à ce mot — sont
d’
origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent fl
1575
, ou comme dit Platon dans le Banquet : « l’amour
de
gauche ». ⁂ Tout ceci m’amène à conclure — quels qu’aient pu être mes
1576
r mon interprétation religieuse du mythe courtois
de
la passion. Pour nous faciliter une représentation analogique de ce p
1577
Pour nous faciliter une représentation analogique
de
ce processus minimum d’inspiration et d’influence, prenons un exemple
1578
représentation analogique de ce processus minimum
d’
inspiration et d’influence, prenons un exemple moderne. Un exemple don
1579
alogique de ce processus minimum d’inspiration et
d’
influence, prenons un exemple moderne. Un exemple dont je crois pouvoi
1580
ment connues (au sens total) par plusieurs hommes
de
ma génération : je veux parler du surréalisme et de l’influence de Fr
1581
ma génération : je veux parler du surréalisme et
de
l’influence de Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de
1582
: je veux parler du surréalisme et de l’influence
de
Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de notre civilisa
1583
eud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur
de
notre civilisation détruite : il a devant les yeux quelques poèmes su
1584
ration sémite. Du moins sait-on par les pamphlets
de
ses adversaires que cette école proposait une théorie érotique des rê
1585
araissent présenter aucun sens, et l’on se plaint
de
leur monotonie ; toujours les mêmes images érotiques et sanglantes, l
1586
érateur « peu sérieux » imagine alors l’hypothèse
d’
une influence de la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïnc
1587
rieux » imagine alors l’hypothèse d’une influence
de
la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïncidence des dates
1588
u’il n’en existe plus. — Dans ce cas, il convient
de
surseoir à toute hypothèse cohérente. En attendant, le bon sens suffi
1589
montrer : 1° que le peu de choses que nous savons
de
la psychanalyse n’autorise pas à faire de cette doctrine la source de
1590
savons de la psychanalyse n’autorise pas à faire
de
cette doctrine la source des textes connus. (Il semble bien que Freud
1591
nt tout un savant ; qu’il ait soutenu une théorie
de
la libido ; et qu’il ait pris une attitude déterministe : or le surré
1592
e littéraire avant tout ; on ne retrouve le terme
de
libido dans aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont de tend
1593
aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont
de
tendance idéaliste-anarchisante) ; 2° que les surréalistes n’ont jama
1594
alystes ; 4° qu’enfin l’on distingue mal comment,
d’
une science qui se donnait pour objet l’analyse et la cure des névrose
1595
ure des névroses, aurait pu naître une rhétorique
de
la folie, c’est-à-dire un défi à toute science en général et à toute
1596
vaient nul besoin et n’avaient pas la possibilité
de
parler de libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la
1597
besoin et n’avaient pas la possibilité de parler
de
libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur d’u
1598
s poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur
d’
une erreur initiale sur la portée exacte de la doctrine de Freud (déte
1599
faveur d’une erreur initiale sur la portée exacte
de
la doctrine de Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tire
1600
reur initiale sur la portée exacte de la doctrine
de
Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments
1601
-positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments
de
leur lyrisme (ce dernier trait me paraît capital pour l’analogie que
1602
ns enfin qu’il a suffi que quelques-uns des chefs
de
cette école lisent Freud : les disciples se sont bornés à imiter la r
1603
outre, on aperçoit, par cet exemple, que l’action
d’
une doctrine sur des poètes s’exerce moins par influence directe qu’à
1604
exerce moins par influence directe qu’à la faveur
d’
une certaine ambiance de scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée
1605
ce directe qu’à la faveur d’une certaine ambiance
de
scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux.
1606
’à la faveur d’une certaine ambiance de scandale,
de
snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui expli
1607
une certaine ambiance de scandale, de snobisme et
d’
intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal d’e
1608
par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal
d’
erreurs, variations et contradictions chez les poètes influencés. D’où
1609
ons et contradictions chez les poètes influencés.
D’
où résulte qu’un surcroît d’informations sur la nature exacte des théo
1610
es poètes influencés. D’où résulte qu’un surcroît
d’
informations sur la nature exacte des théories de Freud, loin de fourn
1611
d’informations sur la nature exacte des théories
de
Freud, loin de fournir aux savants futurs les apaisements qu’ils sero
1612
nts futurs les apaisements qu’ils seront en droit
d’
attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur « peu sérieu
1613
en droit d’attendre, paraîtra contredire la thèse
de
mon littérateur « peu sérieux ». (Eppur ! C’est lui qui aura raison c
1614
ra raison contre les « vingtiémistes » chevronnés
de
son temps.) On a remarqué qu’à l’objection n° 4, je n’ai répondu jusq
1615
à l’objection n° 4, je n’ai répondu jusqu’ici que
d’
une manière tout indirecte et allusive. C’est qu’elle mérite un traite
1616
au chapitre. 9.Les mystiques arabes Comment
de
la confuse combinaison de doctrines plus ou moins chrétiennes, manich
1617
iques arabes Comment de la confuse combinaison
de
doctrines plus ou moins chrétiennes, manichéennes et néo-platonicienn
1618
? C’est l’argument que les romanistes ont coutume
d’
opposer à l’interprétation religieuse de l’art courtois. Or il se trou
1619
t coutume d’opposer à l’interprétation religieuse
de
l’art courtois. Or il se trouve que dès le ixe siècle, une synthèse
1620
xe siècle, une synthèse non moins « improbable »
de
manichéisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et
1621
non moins « improbable » de manichéisme iranien,
de
néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et bien opérée dans les par
1622
le » de manichéisme iranien, de néo-platonisme et
d’
islamisme s’était bel et bien opérée dans les parages de l’Asie Mineur
1623
misme s’était bel et bien opérée dans les parages
de
l’Asie Mineure et de plus, s’était exprimée par une poésie religieuse
1624
courtoises. ⁂ Lorsque Sismondi avança l’hypothèse
d’
une influence arabe sur la lyrique provençale, A. W. Schlegel lui répo
1625
utenir un pareil paradoxe. Mais Schlegel prouvait
de
la sorte que cette double ignorance était précisément son fait. On l’
1626
it. On l’excusera d’ailleurs si l’on tient compte
de
l’état des études arabisantes à son époque. Des travaux plus récents
1627
élé l’existence dès le ixe siècle, dans l’islam,
d’
une école de mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour princi
1628
nce dès le ixe siècle, dans l’islam, d’une école
de
mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour principales illust
1629
laj, Al-Ghazali et Sohrawardi d’Alep, troubadours
de
l’Amour suprême, chantres courtois de l’Idée voilée, objet aimé mais
1630
troubadours de l’Amour suprême, chantres courtois
de
l’Idée voilée, objet aimé mais en même temps symbole du Désir divin65
1631
qu’il connaissait par Plotin, Proclus et l’école
d’
Athènes — un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme était par a
1632
n, Proclus et l’école d’Athènes — un continuateur
de
Zoroastre. Son néo-platonisme était par ailleurs très fortement pénét
1633
tonisme était par ailleurs très fortement pénétré
de
représentations mythiques iraniennes. En particulier, il empruntait a
1634
ont s’était inspiré Manès — l’opposition du monde
de
la Lumière et du monde des Ténèbres, dont on a vu qu’elle est fondame
1635
rique amoureuse et chevaleresque, dont les titres
de
quelques traités mystiques de cette école donnent une idée : Le Famil
1636
ue, dont les titres de quelques traités mystiques
de
cette école donnent une idée : Le Familier des Amants, Le Roman des S
1637
Roman des Sept Beautés… Il y a plus. À l’occasion
de
ces traités, les mêmes disputes théologiques se produisirent, qui dev
1638
mer Dieu (comme l’ordonne le sommaire évangélique
de
la Loi). Une créature finie ne peut aimer que le fini. Il en résulta
1639
i. Il en résulta que les mystiques furent obligés
de
recourir à des symboles dont le sens restait secret. (Ainsi la louang
1640
n, dont l’usage était interdit, devint le symbole
de
la divine ivresse d’amour). Mais compte tenu de cette difficulté part
1641
interdit, devint le symbole de la divine ivresse
d’
amour). Mais compte tenu de cette difficulté particulière — qui n’est
1642
e de la divine ivresse d’amour). Mais compte tenu
de
cette difficulté particulière — qui n’est d’ailleurs pas sans rapport
1643
part divine dont l’exaltation aboutît à la fusion
de
l’âme et de la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes m
1644
dont l’exaltation aboutît à la fusion de l’âme et
de
la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes mystiques ten
1645
tendait à établir cette confusion du Créateur et
de
la créature. Et l’on accusa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la
1646
teur et de la créature. Et l’on accusa ces poètes
de
manichéisme déguisé, sur la foi de leur langage symbolique. Al-Hallaj
1647
usa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la foi
de
leur langage symbolique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer
1648
ique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer
de
leur vie cette accusation d’hérésie66. Il est bien émouvant de consta
1649
devaient même payer de leur vie cette accusation
d’
hérésie66. Il est bien émouvant de constater que tous les termes d’une
1650
ette accusation d’hérésie66. Il est bien émouvant
de
constater que tous les termes d’une pareille polémique s’appliquent a
1651
st bien émouvant de constater que tous les termes
d’
une pareille polémique s’appliquent au cas des troubadours, et plus ta
1652
verrons, au cas des grands mystiques occidentaux,
de
Maître Eckhart à Jean de la Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « cou
1653
Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « courtois »
de
la mystique arabe fera sentir à quelles profondeurs le parallélisme t
1654
ent ainsi une communauté, — comparable à l’Église
d’
Amour des cathares. b) selon le manichéisme iranien, dont s’inspiraien
1655
chéisme iranien, dont s’inspiraient les mystiques
de
l’école illuminative de Sohrawardi, une jeune fille éblouissante atte
1656
inspiraient les mystiques de l’école illuminative
de
Sohrawardi, une jeune fille éblouissante attend le fidèle à la sortie
1657
e suis toi-même ! » Or selon certains interprètes
de
la mystique des troubadours, la Dame des pensées ne serait autre que
1658
serait autre que la part spirituelle et angélique
de
l’homme, son vrai moi. Ce qui pourrait nous orienter vers une compréh
1659
ait nous orienter vers une compréhension nouvelle
de
ce que nous appelions le « narcissisme de la passion » (à propos de T
1660
ouvelle de ce que nous appelions le « narcissisme
de
la passion » (à propos de Tristan, chap. vii du Livre Ier). c) Le Fam
1661
Amants est construit sur l’allégorie du « Château
de
l’Âme » et de ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges
1662
struit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et
de
ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges habite un per
1663
et de ses différents étages et loges. Dans l’une
de
ces loges habite un personnage qui se nomme l’Idée voilée. Elle « con
1664
lle « connaît les secrets qui guérissent et c’est
d’
elle que l’on apprend la magie ». (L’Iseut celtique était aussi une ma
1665
seut celtique était aussi une magicienne, « objet
de
contemplation, spectacle mystérieux. ») Dans le Château de l’Âme habi
1666
plation, spectacle mystérieux. ») Dans le Château
de
l’Âme habitent d’autres personnages allégoriques, tels que Beauté, Dé
1667
r, le Bien connu : comment ne pas songer au Roman
de
la Rose ? Et le symbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage d
1668
mbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage
de
Nizani de Ganja : le Roman des Sept Beautés, qui conte les aventures
1669
te un roi-chevalier. Nous retrouverons le Château
de
l’Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et d’une sainte Thér
1670
s le Château de l’Âme parmi les symboles préférés
d’
un Ruysbroek et d’une sainte Thérèse… d) Dans un poème d’Omar Ibn al F
1671
Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et
d’
une sainte Thérèse… d) Dans un poème d’Omar Ibn al Faridh — pour prend
1672
ysbroek et d’une sainte Thérèse… d) Dans un poème
d’
Omar Ibn al Faridh — pour prendre un exemple entre cent — l’auteur déc
1673
errible qui l’envoûte : Mes concitoyens, étonnés
de
me voir esclave, ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris de
1674
ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris
de
folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe de Nou’
1675
-t-il été pris de folie ? Et que peuvent-ils dire
de
moi, sinon que je m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de
1676
ue peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe
de
Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie
1677
e m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe
de
Nou’m. Quand Nou’m me gratifie d’un regard, cela m’est égal que Sou’d
1678
té, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie
d’
un regard, cela m’est égal que Sou’da ne soit pas complaisante68. « N
1679
mplaisante68. « Nou’m » est le nom conventionnel
de
la femme aimée, et signifie ici Dieu. Or les troubadours nommaient au
1680
Dieu. Or les troubadours nommaient aussi la Dame
de
leurs pensées d’un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos é
1681
ubadours nommaient aussi la Dame de leurs pensées
d’
un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos érudits s’épuisent
1682
nt, donne le premier (Sohrawardi ; le Bruissement
de
l’aile de Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des trou
1683
le premier (Sohrawardi ; le Bruissement de l’aile
de
Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des troubadours, p
1684
thèmes constants du lyrisme des troubadours, puis
de
Dante et enfin de Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » d
1685
u lyrisme des troubadours, puis de Dante et enfin
de
Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » de la Dame une impo
1686
Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut »
de
la Dame une importance apparemment démesurée69, mais qui s’explique f
1687
) Les mystiques arabes insistent sur la nécessité
de
garder le secret de l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les ind
1688
es insistent sur la nécessité de garder le secret
de
l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les indiscrets qui voudraie
1689
draient s’enquérir des mystères sans y participer
de
toute leur foi. À l’interrogation d’un impatient : « Qu’est-ce que le
1690
y participer de toute leur foi. À l’interrogation
d’
un impatient : « Qu’est-ce que le soufisme ? » al-Hallaj répond : « Ne
1691
amants. » De plus, les indiscrets sont soupçonnés
d’
intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les amants à l’autori
1692
provençaux apparaissent des personnages qualifiés
de
losengiers (médisants, indiscrets, espions) et que le troubadour couv
1693
indiscrets, espions) et que le troubadour couvre
d’
invectives. Nos savants commentateurs ne savent trop que faire de ces
1694
os savants commentateurs ne savent trop que faire
de
ces encombrants losengiers, et tentent de s’en débarrasser en affirma
1695
e faire de ces encombrants losengiers, et tentent
de
s’en débarrasser en affirmant que les amants du xiie siècle tenaient
1696
nts du xiie siècle tenaient énormément au secret
de
leurs liaisons (ce qui les distinguerait, sans doute, des amants de t
1697
(ce qui les distinguerait, sans doute, des amants
de
tous les autres siècles ?). g) Enfin, la louange de la mort d’amour e
1698
tous les autres siècles ?). g) Enfin, la louange
de
la mort d’amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-
1699
utres siècles ?). g) Enfin, la louange de la mort
d’
amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh :
1700
me mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repos
de
l’amour est une fatigue, son commencement une maladie, sa fin la mort
1701
mour est une vie ; je rends grâce à ma Bien-aimée
de
me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas de son amour ne peut en vi
1702
mée de me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas
de
son amour ne peut en vivre.70 C’est ici le cri même de la mystique
1703
amour ne peut en vivre.70 C’est ici le cri même
de
la mystique occidentale mais aussi du lyrisme provençal. C’est l’orai
1704
du lyrisme provençal. C’est l’oraison jaculatoire
de
sainte Thérèse : Je meurs de ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En m
1705
’oraison jaculatoire de sainte Thérèse : Je meurs
de
ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En me tuant vous me ferez vivre,
1706
ous me ferez vivre, car pour moi c’est mourir que
de
vivre, et vivre que de mourir. La vie, c’est en effet le jour terre
1707
pour moi c’est mourir que de vivre, et vivre que
de
mourir. La vie, c’est en effet le jour terrestre des êtres continge
1708
ur terrestre des êtres contingents et le tourment
de
la matière ; mais la mort c’est la nuit de l’illumination, l’évanouis
1709
urment de la matière ; mais la mort c’est la nuit
de
l’illumination, l’évanouissement des formes illusoires, l’union de l’
1710
, l’évanouissement des formes illusoires, l’union
de
l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-
1711
sement des formes illusoires, l’union de l’Âme et
de
l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-il pour les
1712
du plus grand Amant, puisqu’en exprimant le désir
de
voir Dieu, sur le Sinaï il exprima le désir de sa mort. Et l’on conço
1713
ir de voir Dieu, sur le Sinaï il exprima le désir
de
sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire de la voie illuminat
1714
sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire
de
la voie illuminative d’un Sohrawardi, d’un al-Hallaj, ait été le mart
1715
t que le terme nécessaire de la voie illuminative
d’
un Sohrawardi, d’un al-Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet
1716
cessaire de la voie illuminative d’un Sohrawardi,
d’
un al-Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’amor
1717
al-Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet
de
la joy d’amor : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui di
1718
ait été le martyre religieux au sommet de la joy
d’
amor : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui dis : Maître
1719
est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie
de
la Beauté attirant à elle les amoureux.71 ⁂ Par quelles voies la my
1720
que courtoise eussent-elles pu parvenir, en moins
d’
un siècle, et à travers quelles traductions, aux initiés de l’Église d
1721
le, et à travers quelles traductions, aux initiés
de
l’Église d’Amour, et par eux aux poètes du Midi ? Je ne sache pas que
1722
vers quelles traductions, aux initiés de l’Église
d’
Amour, et par eux aux poètes du Midi ? Je ne sache pas que l’on soit e
1723
du Midi ? Je ne sache pas que l’on soit en mesure
de
résoudre aujourd’hui ce problème. S’il est une voie de transmission g
1724
soudre aujourd’hui ce problème. S’il est une voie
de
transmission géographique, c’est du côté de l’Espagne, évidemment, qu
1725
côté de l’Espagne, évidemment, qu’il conviendrait
de
la chercher, puisque c’est là que s’opérait le contact du monde arabe
1726
un rôle non négligeable. Mais si l’on se contente
de
souligner le parallélisme des formes, des contenus et des problèmes d
1727
rmes, des contenus et des problèmes dans le monde
de
l’islam et dans le monde courtois, l’on aura du moins répondu à l’obj
1728
u à l’objection sceptique que je résumais en tête
de
ce chapitre. Et rien n’empêche alors de supposer que les mêmes causes
1729
s en tête de ce chapitre. Et rien n’empêche alors
de
supposer que les mêmes causes — les mêmes courants religieux — produi
1730
sans transmission directe. Cependant les travaux
d’
un Asin Palacios nous mettent sur la voie de découvertes considérables
1731
avaux d’un Asin Palacios nous mettent sur la voie
de
découvertes considérables concernant les relations de la mystique sou
1732
écouvertes considérables concernant les relations
de
la mystique soufiste et de la poésie occidentale, à une époque plus t
1733
ncernant les relations de la mystique soufiste et
de
la poésie occidentale, à une époque plus tardive il est vrai. Je ne p
1734
té décrit en effet une traversée des trois mondes
de
l’au-delà, enfer, purgatoire, paradis, avec les mêmes rencontres et p
1735
ulman identique dans sa structure, dans plusieurs
de
ses règles, et même dans son costume l’Ordre des Assaccis, auquel Ibn
1736
thurien — une transposition romanesque des règles
de
l’amour courtois et de sa rhétorique à double sens. « C’est du contac
1737
tion romanesque des règles de l’amour courtois et
de
sa rhétorique à double sens. « C’est du contact des légendes exotique
1738
ul ou un Chrétien de Troyes, et quelques éléments
de
mythologie grecque. On a longtemps polémiqué sur l’autonomie relative
1739
t sa doctrine secrète aux « romanciers » du cycle
de
la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies de cette transmission d
1740
de la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies
de
cette transmission dans les documents historiques. Aliénor de Poitier
1741
istoriques. Aliénor de Poitiers, quittant sa cour
d’
amour languedocienne, avait épousé Louis VII, puis en l’an 1154, Henri
1742
trouvères anglo-normands reçurent le code secret
de
l’amour courtois74. Chrétien de Troyes déclare tenir le fond et l’esp
1743
étien de Troyes déclare tenir le fond et l’esprit
de
ses romans de la comtesse Marie de Champagne, fille d’Aliénor, célèbr
1744
s déclare tenir le fond et l’esprit de ses romans
de
la comtesse Marie de Champagne, fille d’Aliénor, célèbre par sa cour
1745
s romans de la comtesse Marie de Champagne, fille
d’
Aliénor, célèbre par sa cour d’amour où le mariage fut condamné. Chrét
1746
e Champagne, fille d’Aliénor, célèbre par sa cour
d’
amour où le mariage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tri
1747
riage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman
de
Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas
1748
d, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende
de
Tristan se répandit très largement dans le Midi. Cette interaction si
1749
bretons. Nous avons vu que la religion druidique,
d’
où sont issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doc
1750
ardes et filids, enseignait une doctrine dualiste
de
l’Univers, et faisait de la femme un symbole du divin. Et c’est dans
1751
it une doctrine dualiste de l’Univers, et faisait
de
la femme un symbole du divin. Et c’est dans le fonds celtibérique qu
1752
des « purs » a puisé, selon Rahn, certains traits
de
sa mythologie. Que celle-ci ait revêtu chez les poètes du Nord des co
1753
e la doctrine courtoise rejoignît et fît resurgir
d’
anciennes traditions autochtones, elle n’en était pas moins pour les t
1754
pas moins pour les trouvères une chose apprise :
d’
où les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il est d’ailleurs extrêm
1755
en souvent. Il est d’ailleurs extrêmement délicat
de
préciser les causes et l’importance exacte de ces erreurs. Est-ce un
1756
cat de préciser les causes et l’importance exacte
de
ces erreurs. Est-ce un défaut d’initiation mystique ? Est-ce une trad
1757
mportance exacte de ces erreurs. Est-ce un défaut
d’
initiation mystique ? Est-ce une tradition imparfaite ? Ou encore une
1758
de l’hérésie même, un essai plus ou moins sincère
de
retour vers l’orthodoxie75 ? Ou simplement, une « profanation » des t
1759
à d’autres fins que les cathares ? Dans l’attente
de
recherches plus approfondies sur tous ces points, bornons-nous à rema
1760
des troubadours, dont ils sont cependant inspirés
de
la manière la plus incontestable. Nous ne savons si Chrétien de Troye
1761
ons si Chrétien de Troyes a bien compris les lois
d’
amour que lui enseignait Marie de Champagne. Nous ne savons dans quell
1762
lu que ses romans fussent des chroniques secrètes
de
l’Église persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples a
1763
chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse
de
Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples allégories illustrant la morale
1764
e persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou
de
simples allégories illustrant la morale et la mystique courtoises. To
1765
Toutes les hypothèses sont permises en l’absence
de
documents dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop d’intérêt
1766
dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop
d’
intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion de l’hérésie, sans p
1767
intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion
de
l’hérésie, sans parler de sa volonté de demeurer ésotérique. Il paraî
1768
ués contre la diffusion de l’hérésie, sans parler
de
sa volonté de demeurer ésotérique. Il paraît donc fort peu probable q
1769
diffusion de l’hérésie, sans parler de sa volonté
de
demeurer ésotérique. Il paraît donc fort peu probable que l’on découv
1770
chronique déguisée des cathares. (Parzival, fils
d’
Herzeloïde, femme du Castis, chez Wolfram d’Eschenbach, serait le comt
1771
bach, serait le comte Ramon Roger Trencavel, fils
d’
Adélaïde de Carcassonne et d’Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trenc
1772
oger Trencavel, fils d’Adélaïde de Carcassonne et
d’
Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trencavel signifie : « qui tranche
1773
ui tranche bellement », et Wolfram traduit le nom
de
Parzival par « Schneid mitten durch » : « perce bellement ».) Ces deu
1774
ne se complètent76. Elles ont l’avantage décisif
de
rendre compte de bien des bizarreries de la légende et de son attirai
1775
76. Elles ont l’avantage décisif de rendre compte
de
bien des bizarreries de la légende et de son attirail symbolique. Fau
1776
décisif de rendre compte de bien des bizarreries
de
la légende et de son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un tra
1777
e compte de bien des bizarreries de la légende et
de
son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un transcripteur modern
1778
oyes n’était pas instruit du sens païen et secret
de
ces traits mystérieux qu’il rapportait »77 ? Ou bien se vit-il contra
1779
u’il rapportait »77 ? Ou bien se vit-il contraint
de
déguiser ce sens, en sorte que seuls les initiés pussent démêler la f
1780
du Graal le vase qui reçut le sang du Christ, et
de
la Table ronde une sorte d’autel pour la Sainte-Cène. Cependant, même
1781
le sang du Christ, et de la Table ronde une sorte
d’
autel pour la Sainte-Cène. Cependant, même dans le grand roman de Lanc
1782
Sainte-Cène. Cependant, même dans le grand roman
de
Lancelot (qui date de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont
1783
t, même dans le grand roman de Lancelot (qui date
de
1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont évidents, si saugrenu
1784
auteur lui-même, après chaque épisode. Il est une
de
ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine cathar
1785
est une de ces interprétations que je crois utile
de
citer, car l’origine cathare y transparaît nettement, malgré l’ignora
1786
thare y transparaît nettement, malgré l’ignorance
de
l’auteur. Lancelot errant par la haute forêt parvient à un carrefour.
1787
arvient à un carrefour. Il hésite entre le chemin
de
gauche et celui de droite. Il s’engage dans celui de gauche, malgré l
1788
our. Il hésite entre le chemin de gauche et celui
de
droite. Il s’engage dans celui de gauche, malgré l’avertissement grav
1789
gauche et celui de droite. Il s’engage dans celui
de
gauche, malgré l’avertissement gravé sur une croix qui se dresse deva
1790
t un chevalier à l’armure blanche qui le renverse
de
son cheval et le dépouille de sa couronne. Lancelot tout déconfit ren
1791
che qui le renverse de son cheval et le dépouille
de
sa couronne. Lancelot tout déconfit rencontre un prêtre et se confess
1792
re et se confesse. « Je vous dirai la signifiance
de
ce qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous
1793
e qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie
de
droite que vous avez dédaignée au carrefour, était celle de la cheval
1794
que vous avez dédaignée au carrefour, était celle
de
la chevalerie terrienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle de g
1795
errienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle
de
gauche était la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit pl
1796
ongtemps triomphé ; celle de gauche était la voie
de
la chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes
1797
a chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là
de
tuer des hommes et d’abattre des champions par force d’armes : il s’a
1798
le, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes et
d’
abattre des champions par force d’armes : il s’agit des choses spiritu
1799
r des hommes et d’abattre des champions par force
d’
armes : il s’agit des choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronn
1800
choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronne
d’
orgueil : c’est pourquoi le chevalier vous renversa si facilement, car
1801
e commettre.78 » Libre après cela aux historiens
de
la littérature de parler d’aventures incroyables, de merveilleux faci
1802
Libre après cela aux historiens de la littérature
de
parler d’aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés to
1803
s cela aux historiens de la littérature de parler
d’
aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes,
1804
la littérature de parler d’aventures incroyables,
de
merveilleux facile, de naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, e
1805
r d’aventures incroyables, de merveilleux facile,
de
naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérent
1806
s, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes,
de
fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérents, personnages sans cara
1807
des aventures s’enchaînent à l’infini », nous dit
de
ces légendes l’un de leurs meilleurs adapteurs modernes ! Ainsi s’est
1808
înent à l’infini », nous dit de ces légendes l’un
de
leurs meilleurs adapteurs modernes ! Ainsi s’est répandue l’opinion f
1809
notre esprit si pénétrant et averti. Un peu plus
de
pénétration nous ferait voir au contraire que la vraie barbarie est d
1810
conception moderne du roman, photographie truquée
de
faits insignifiants, alors que le roman breton procède d’une cohérenc
1811
insignifiants, alors que le roman breton procède
d’
une cohérence intime dont nous avons perdu jusqu’au pressentiment. En
1812
s erreurs. Ils ont traité un thème nouveau, celui
de
l’amour physique, c’est-à-dire de la faute. (Et j’entends bien la fau
1813
nouveau, celui de l’amour physique, c’est-à-dire
de
la faute. (Et j’entends bien la faute au sens « courtois », non pas a
1814
en la faute au sens « courtois », non pas au sens
de
la morale chrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne sont pas
1815
as au sens de la morale chrétienne.) Les ouvrages
de
Chrétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes d’amour, comme on
1816
rétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes
d’
amour, comme on le répète, mais de véritables romans. C’est qu’à la di
1817
ment des poèmes d’amour, comme on le répète, mais
de
véritables romans. C’est qu’à la différence des poèmes provençaux, il
1818
ovençaux, ils s’attachent à décrire les trahisons
de
l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan de la passion dans sa pu
1819
s de l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan
de
la passion dans sa pureté mystique. Le point de départ de Lancelot —
1820
n de la passion dans sa pureté mystique. Le point
de
départ de Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour
1821
ssion dans sa pureté mystique. Le point de départ
de
Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois,
1822
mystique. Le point de départ de Lancelot — comme
de
Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois, la possession physi
1823
é contre l’amour courtois, la possession physique
d’
une femme réelle, la « profanation » de l’amour. Et c’est à cause de c
1824
n physique d’une femme réelle, la « profanation »
de
l’amour. Et c’est à cause de cette faute initiale que Lancelot ne tro
1825
t à l’initiation. Il est clair que la description
de
ces errements et de leurs punitions exigeait la forme du récit, et no
1826
est clair que la description de ces errements et
de
leurs punitions exigeait la forme du récit, et non plus de la simple
1827
punitions exigeait la forme du récit, et non plus
de
la simple chanson79. Ainsi s’explique par des raisons spirituelles la
1828
xplique par des raisons spirituelles la formation
d’
un genre nouveau — le roman — qui ne deviendra proprement littéraire q
1829
au minimum, tandis que le développement tragique
de
la doctrine religieuse détermine à lui seul la courbe puissante et si
1830
ve incorporés des éléments religieux et mythiques
d’
origine très nettement celtique, bien plus nombreux et plus exactement
1831
plus exactement identifiables que dans les romans
de
la Table ronde. ⁂ Hubert note très bien à propos de la littérature ga
1832
« c’est un miracle qu’elle contienne des éléments
de
religion brittonique : elle s’est formée dans un pays chrétien, roman
1833
miracle est cependant attesté par un grand nombre
d’
incidents mis en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent d’expl
1834
en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent
d’
explication que dans les récentes découvertes de l’archéologie celtiqu
1835
t d’explication que dans les récentes découvertes
de
l’archéologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique de ces éléme
1836
ologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique
de
ces éléments religieux était tel qu’on s’explique assez bien leur sur
1837
avait perdu la foi des druides, et oublié le sens
de
leurs mystères. Dans le cycle des légendes irlandaises, nous trouvons
1838
gendes irlandaises, nous trouvons un grand nombre
de
récits qui racontent le voyage d’un héros au pays des morts. Ce héros
1839
un grand nombre de récits qui racontent le voyage
d’
un héros au pays des morts. Ce héros, Bran, Cuchulainn, ou Oisin, « es
1840
à une terre merveilleuse. « Il se lasse à la fin
de
ce séjour, veut revenir. C’est finalement pour mourir.81 » Nous avons
1841
pour mourir.81 » Nous avons là l’origine évidente
de
la première navigation à l’aventure de Tristan malade, en quête du ba
1842
e évidente de la première navigation à l’aventure
de
Tristan malade, en quête du baume magique. D’autre part, plusieurs ré
1843
du baume magique. D’autre part, plusieurs récits
de
ce cycle irlandais figurent les prototypes assez exacts des situation
1844
s prototypes assez exacts des situations du Roman
de
Tristan. Par exemple, dans l’idylle tragique de Diarmaid et Grainne,
1845
n de Tristan. Par exemple, dans l’idylle tragique
de
Diarmaid et Grainne, les deux amants se sauvent dans la forêt où le m
1846
rt, pour ne jamais se séparer »82. Il serait aisé
de
multiplier ces comparaisons littéraires. Mais certains traits de mœur
1847
es comparaisons littéraires. Mais certains traits
de
mœurs nous incitent à des rapprochements plus précis. On se rappelle
1848
précis. On se rappelle que Tristan, après la mort
de
ses parents, fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était f
1849
Celtes, que l’on confiât les enfants « à la garde
d’
un personnage qualifié dans une grande maison, la maison des hommes ».
1850
son des hommes ». Ils y recevaient l’enseignement
d’
un druide, et se trouvaient mis à l’abri des femmes. « Cette instituti
1851
n qu’on appelle généralement du nom anglo-normand
de
fosterage s’est maintenue en pays celtique : nous trouvons les enfant
1852
s nourriciers, à l’égard desquels ils contractent
de
véritables liens de parenté, attestés par le fait qu’un certain nombr
1853
gard desquels ils contractent de véritables liens
de
parenté, attestés par le fait qu’un certain nombre de personnages por
1854
arenté, attestés par le fait qu’un certain nombre
de
personnages portent dans l’indication de leur filiation le nom de leu
1855
n nombre de personnages portent dans l’indication
de
leur filiation le nom de leur père nourricier… On recherchait comme p
1856
ortent dans l’indication de leur filiation le nom
de
leur père nourricier… On recherchait comme pères nourriciers soit les
1857
herchait comme pères nourriciers soit les membres
de
la famille maternelle, soit… les druides.83 » Tristan élevé par Marc,
1858
s » du roi. (Les psychanalystes ne manqueront pas
de
voir dans la liaison malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat d’
1859
anqueront pas de voir dans la liaison malheureuse
de
Tristan et d’Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppos
1860
de voir dans la liaison malheureuse de Tristan et
d’
Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le
1861
son malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat
d’
un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le fait que les « père
1862
ez bien toléré chez les Celtes, comme l’attestent
de
nombreux documents). La coutume celtique du potlatch, don rituel ou p
1863
eltique du potlatch, don rituel ou plutôt échange
de
dons ostentatoires, accompagné de surenchère, subsiste également dans
1864
plutôt échange de dons ostentatoires, accompagné
de
surenchère, subsiste également dans Tristan et les romans de la Table
1865
re, subsiste également dans Tristan et les romans
de
la Table ronde. On y voit un grand nombre d’aventures débuter par une
1866
mans de la Table ronde. On y voit un grand nombre
d’
aventures débuter par une promesse « en blanc » faite par le roi à que
1867
de un don, sans dire lequel. Il s’agit en général
d’
un service très périlleux. « Les tournois, note Hubert, font certainem
1868
s tournois, note Hubert, font certainement partie
de
ce vaste système de concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enf
1869
ert, font certainement partie de ce vaste système
de
concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que le
1870
ment partie de ce vaste système de concurrence et
de
surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que les jeunes Celtes au
1871
es hommes, devaient accomplir un exploit (meurtre
d’
un étranger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit de se marier :
1872
anger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit
de
se marier : le combat contre le Morholt, dans Tristan, illustre exact
1873
ous ces faits rendent vraisemblable la conclusion
d’
Hubert : à savoir que la mythologie celtique s’est transmise au cycle
1874
uses, mais par le culte plus profane des héros et
de
leurs prouesses, remplaçant peu à peu les dieux dans les légendes pop
1875
ton Paris remarquait avec profondeur que le roman
de
Tristan et d’Iseut rend un son particulier, qui ne se retrouve guère
1876
rquait avec profondeur que le roman de Tristan et
d’
Iseut rend un son particulier, qui ne se retrouve guère dans la littér
1877
en Âge, et il l’expliquait par l’origine celtique
de
ces poèmes. C’est par Tristan et par Arthur que le plus clair et le p
1878
édier sut faire rendre à sa moderne transcription
de
la légende, est si nettement sensible à notre cœur qu’il nous met en
1879
nt sensible à notre cœur qu’il nous met en mesure
d’
isoler l’élément non celtique, donc proprement courtois qui provoqua,
1880
is qui provoqua, au xiie siècle, la constitution
de
notre mythe. Qu’on lise l’une après l’autre une légende irlandaise et
1881
près l’autre une légende irlandaise et la légende
de
Béroul ou de Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité
1882
une légende irlandaise et la légende de Béroul ou
de
Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité tout extérie
1883
égende de Béroul ou de Thomas : et l’on verra que
d’
un côté, c’est une fatalité tout extérieure qui provoque la catastroph
1884
xtérieure qui provoque la catastrophe, tandis que
de
l’autre, c’est la volonté secrète, mais infaillible, des deux amants
1885
r celtique (en dépit de la sublimation religieuse
de
la femme par les druides) est avant tout l’amour sensuel84. Le fait q
1886
ur religieux orthodoxe, et se voit donc contraint
de
s’exprimer par des symboles ésotériques, aide à comprendre que le fon
1887
e favoriser la confusion moderne entre la passion
de
Tristan et la pure sensualité. Quelques citations de Thomas, le plus
1888
Tristan et la pure sensualité. Quelques citations
de
Thomas, le plus conscient des cinq auteurs de la légende primitive, s
1889
ons de Thomas, le plus conscient des cinq auteurs
de
la légende primitive, suffiront à faire concevoir l’originalité du my
1890
mmenté en termes étonnamment modernes le principe
de
cohésion qu’apporte la mystique cathare aux éléments religieux, socio
1891
du vieux fond breton. Ce principe, c’est l’amour
de
la douleur considérée comme une ascèse, le « mal aimé » des troubadou
1892
istan livré au plus cruel conflit, lorsqu’au soir
de
ses noces avec Iseut aux blanches mains, il ne peut se résoudre à pos
1893
, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le désir
de
Tristan ne s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa doul
1894
e s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger
de
sa douleur et de ses peines, et contre son mal, il avise un remède do
1895
té. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et
de
ses peines, et contre son mal, il avise un remède dont il doublera so
1896
nd en aversion que le bonheur qu’il est contraint
d’
avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa recherche, pensan
1897
a !… Ainsi en advient-il à beaucoup de gens. Dans
d’
amers déboires d’amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’
1898
ient-il à beaucoup de gens. Dans d’amers déboires
d’
amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’ils font pour s’y
1899
aire, s’en affranchir et s’en venger les asservit
d’
un lien plus inextricable encore. D’irréalisables désirs, d’impossible
1900
les asservit d’un lien plus inextricable encore.
D’
irréalisables désirs, d’impossibles convoitises les conduisent à ne ri
1901
plus inextricable encore. D’irréalisables désirs,
d’
impossibles convoitises les conduisent à ne rien faire dans leur détre
1902
désir. (Encontre désir fait volier, dit le texte
de
Thomas.)85 ⁂ Un fonds celtique de légendes religieuses — d’ailleurs
1903
dit le texte de Thomas.)85 ⁂ Un fonds celtique
de
légendes religieuses — d’ailleurs très anciennement commun au Midi la
1904
que et au Nord irlandais et breton ; des coutumes
de
chevalerie féodale ; des apparences d’orthodoxie chrétienne ; une sen
1905
s coutumes de chevalerie féodale ; des apparences
d’
orthodoxie chrétienne ; une sensualité parfois très complaisante ; enf
1906
n de compte les éléments sur lesquels la doctrine
de
l’Amour opéra ses transmutations. Ainsi naquit le mythe de Tristan. L
1907
r opéra ses transmutations. Ainsi naquit le mythe
de
Tristan. Loin de moi la tentation d’analyser le processus de cette mé
1908
uit le mythe de Tristan. Loin de moi la tentation
d’
analyser le processus de cette métamorphose : il nous échappe doubleme
1909
Loin de moi la tentation d’analyser le processus
de
cette métamorphose : il nous échappe doublement, étant poétique et my
1910
poétique et mystique. Mais nous savons maintenant
d’
où vient le mythe, et où il mène. Et peut-être pressentons-nous — mais
1911
remières conclusions Compte tenu du changement
de
registre qui s’opère dans les expressions poétiques de l’amour courto
1912
gistre qui s’opère dans les expressions poétiques
de
l’amour courtois, lorsqu’on passe du Midi des troubadours au Nord plu
1913
plus barbare des trouvères, nous sommes en mesure
de
voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul l’aboutissement de tou
1914
en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre
de
Béroul l’aboutissement de toutes nos pérégrinations. Les religions an
1915
nt dans le chef-d’œuvre de Béroul l’aboutissement
de
toutes nos pérégrinations. Les religions antiques, certaines mystique
1916
e qui les fit revivre en Languedoc, le contrecoup
de
cette hérésie dans la conscience occidentale et dans les coutumes féo
1917
r dans le mythe. Nous avons donc rejoint le Roman
de
Tristan et situé sa nécessité à telle date, à l’intersection de telle
1918
situé sa nécessité à telle date, à l’intersection
de
telles traditions hérétiques et de telles institutions qui les condam
1919
l’intersection de telles traditions hérétiques et
de
telles institutions qui les condamnaient farouchement, les obligeant
1920
imer en symboles équivoques et à revêtir la forme
d’
un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la
1921
oles équivoques et à revêtir la forme d’un mythe.
De
l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion :
1922
s et à revêtir la forme d’un mythe. De l’ensemble
de
ces convergences, il est temps de tirer la conclusion : l’amour-passi
1923
. De l’ensemble de ces convergences, il est temps
de
tirer la conclusion : l’amour-passion glorifié par le mythe fut réell
1924
par le mythe fut réellement au xiie siècle, date
de
son apparition, une religion dans toute la force de ce terme, et spéc
1925
son apparition, une religion dans toute la force
de
ce terme, et spécialement une hérésie chrétienne historiquement déter
1926
ne hérésie chrétienne historiquement déterminée .
D’
où l’on pourra déduire. 1° que la passion, vulgarisée de nos jours par
1927
’on pourra déduire. 1° que la passion, vulgarisée
de
nos jours par les romans et par le film, n’est rien d’autre que le re
1928
s jours par les romans et par le film, n’est rien
d’
autre que le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’une hérés
1929
le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies
d’
une hérésie spiritualiste dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’or
1930
dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’origine
de
notre crise du mariage, il n’y a pas moins que le conflit de deux tra
1931
ise du mariage, il n’y a pas moins que le conflit
de
deux traditions religieuses, c’est-à-dire une décision que nous preno
1932
esque toujours inconsciemment, en toute ignorance
de
cause, de fins et de risques encourus, en faveur d’une morale surviva
1933
ours inconsciemment, en toute ignorance de cause,
de
fins et de risques encourus, en faveur d’une morale survivante que no
1934
ciemment, en toute ignorance de cause, de fins et
de
risques encourus, en faveur d’une morale survivante que nous ne savon
1935
savons plus justifier. ⁂ Il s’en faut d’ailleurs
de
beaucoup que la passion et le mythe de la passion n’agissent que dans
1936
d’ailleurs de beaucoup que la passion et le mythe
de
la passion n’agissent que dans nos vies privées. La mystique d’Occide
1937
n’agissent que dans nos vies privées. La mystique
d’
Occident est une autre passion dont le langage métaphorique est parfoi
1938
horique est parfois étrangement semblable à celui
de
l’amour courtois. Nos grandes littératures sont pour une bonne partie
1939
férons le dire : des « profanations » successives
de
son contenu et de sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes
1940
es « profanations » successives de son contenu et
de
sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes les formes militai
1941
litaires, jusque vers 1914, ont gardé par le fait
de
leur origine chevaleresque — et pour d’autres raisons peut-être — un
1942
lélisme constant avec l’évolution du mythe. C’est
de
quoi l’on traitera dans les livres qui viennent. 16. H. Hubert, L
1943
eltes, II, p. 227, 229, 274. (Le meilleur ouvrage
d’
ensemble sur la civilisation, l’histoire et l’archéologie celtique.)
1944
eltique.) 17. H. d’Arbois de Jubainville, Cours
de
littérature celtique, I, p. 1-65. 18. J. Vendryès, Mémoires de la s
1945
celtique, I, p. 1-65. 18. J. Vendryès, Mémoires
de
la société linguistique, XX, 6, 265. 19. Op. cit., I, p. 18, et II,
1946
5 août 1937.) 23. Voir l’Appendice 4. 24. Droit
d’
user et d’abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour
1947
7.) 23. Voir l’Appendice 4. 24. Droit d’user et
d’
abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour le droit r
1948
ulte des images — manifestation la plus simpliste
de
ce penchant — a toujours répugné à l’Oriental. Au viiie siècle, le p
1949
tal. Au viiie siècle, le pape Léon III, instruit
de
cette répugnance par sa lutte contre les juifs et les montanistes, in
1950
e dont il espérait voir sortir l’unité religieuse
de
l’Empire oriental-occidental. Son échec est significatif. 26. J. Or
1951
on le verra bien par la suite. Le premier couple
d’
amants « passionnés » dont l’histoire soit venue jusqu’à nous, c’est H
1952
rre de Barjac. On connaît d’autres cas où l’amant
d’
une femme — toujours mariée — brûlait des cierges à tous les saints po
1953
rûlait des cierges à tous les saints pour obtenir
de
vaincre les rigueurs de la « belle ». 31. A. Jeanroy, La Poésie lyr
1954
s les saints pour obtenir de vaincre les rigueurs
de
la « belle ». 31. A. Jeanroy, La Poésie lyrique des troubadours, 19
1955
t celle du Nord. Mais ces différences ne sont pas
de
nature à expliquer le culte de la femme. On y reviendra. 33. A. Jea
1956
rences ne sont pas de nature à expliquer le culte
de
la femme. On y reviendra. 33. A. Jeanroy, La Poésie lyrique des tro
1957
5. On a tenté quelques explications sociologiques
de
la courtoisie. Elles se ramènent à des suppositions — souvent contrad
1958
ions — souvent contradictoires — sur la condition
de
la femme en Languedoc. Vernon Lee, par exemple, dans un essai intitul
1959
s il y avait « une énorme prépondérance numérique
d’
hommes » dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet
1960
umérique d’hommes » dont peu pouvaient se marier.
D’
où l’idéalisation de l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire.
1961
dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation
de
l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte
1962
uvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet
d’
un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte du renseig
1963
u renseignement, mais il n’explique en somme rien
de
précis quant à la rhétorique courtoise. (Par contre il nous aidera pl
1964
nous aidera plus tard à concevoir qu’à la faveur
de
cette situation sociologique, la confusion de l’amour mystique et de
1965
eur de cette situation sociologique, la confusion
de
l’amour mystique et de l’amour charnel ait pu s’établir assez vite.)
1966
sociologique, la confusion de l’amour mystique et
de
l’amour charnel ait pu s’établir assez vite.) 36. Parmi les sectes g
1967
es par le dualisme parsiste, on peut citer celles
de
Bardesane, des pératiens, des docètes, des caïnites, des séthiens, de
1968
ratiens, des docètes, des caïnites, des séthiens,
de
Simon le Mage, etc. 37. Non point tous cependant. D. Roché, dans une
1969
harisme (p. 2, Carcassonne, 1937) donne une liste
d’
ouvrages retrouvés ; un rituel d’initiation, un apocryphe de saint Jea
1970
donne une liste d’ouvrages retrouvés ; un rituel
d’
initiation, un apocryphe de saint Jean, plus exactement nommé « Cène s
1971
retrouvés ; un rituel d’initiation, un apocryphe
de
saint Jean, plus exactement nommé « Cène secrète », et les Capitula d
1972
xactement nommé « Cène secrète », et les Capitula
de
Faustus de Milev, évêque machinéen dont l’influence s’exercera direct
1973
ent sur les cathares. On peut y ajouter la Vision
de
saint Paul et le Purgatoire de saint Patrice (traduit par Marie de Fr
1974
ajouter la Vision de saint Paul et le Purgatoire
de
saint Patrice (traduit par Marie de France), et plusieurs écrits publ
1975
38. Voir en particulier les Summae contra kataros
d’
Alain de Lille (Alanus de Insulis), Moneta de Cremone, Ranieri Sacchon
1976
ndis que le chrétien revient à elle, et s’efforce
de
répondre à l’« attente ardente » de la créature. (Romains, 8.) 40. D
1977
et s’efforce de répondre à l’« attente ardente »
de
la créature. (Romains, 8.) 40. D’où le nom de docètes pris par une s
1978
ente ardente » de la créature. (Romains, 8.) 40.
D’
où le nom de docètes pris par une secte gnostique : dokesis — apparenc
1979
» de la créature. (Romains, 8.) 40. D’où le nom
de
docètes pris par une secte gnostique : dokesis — apparence. 41. D.
1980
p. cit. p. 14 et 15) atténue d’ailleurs la portée
de
cette condamnation du mariage dans la pure doctrine cathare, en renvo
1981
e doctrine cathare, en renvoyant aux déclarations
de
saint Paul sur les eunuques volontaires. Et après tout, Rome approuve
1982
tout autant faciliter la mort volontaire au terme
d’
une initiation convenable ? 43. L’expression de « parfaits » ne se tr
1983
e d’une initiation convenable ? 43. L’expression
de
« parfaits » ne se trouve d’ailleurs que dans les registres de l’Inqu
1984
» ne se trouve d’ailleurs que dans les registres
de
l’Inquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement de chrétiens) pa
1985
que dans les registres de l’Inquisition. Le terme
de
bonshommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir été utilisé par
1986
nquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement
de
chrétiens) paraît avoir été utilisé par les cathares eux-mêmes, et «
1987
f qu’elle représentait pour eux non pas une femme
de
chair, mère de Jésus, mais leur Église. 47. Traduit par C.-A. Cingri
1988
ingria (Mesures, n° 2, 1937). Parmi des centaines
de
citations également significatives, ou davantage, qui eussent pu inte
1989
ssent pu intervenir dans ce chapitre, j’ai choisi
de
préférence celles qu’a traduites C.-A. Cingria (en vers), pour la per
1990
uites C.-A. Cingria (en vers), pour la perfection
de
leur forme et de leur matière verbale. 48. D. Roché, op. cit., insi
1991
ia (en vers), pour la perfection de leur forme et
de
leur matière verbale. 48. D. Roché, op. cit., insiste lui aussi sur
1992
oché, op. cit., insiste lui aussi sur « le danger
d’
une envolée trop rapide vers le ciel », selon les cathares, et oppose
1993
ieu, Lumière, Foi, Église, est un indice probable
de
catharisme chez un troubadour. Les cathares s’appliquaient à parler l
1994
ision du monde dominée par l’hostilité du Jour et
de
la Nuit. Voici le début d’une autre « aube » anonyme : « En un verger
1995
l’hostilité du Jour et de la Nuit. Voici le début
d’
une autre « aube » anonyme : « En un verger, sous une loge d’aubépine,
1996
« aube » anonyme : « En un verger, sous une loge
d’
aubépine, la dame a tenu son ami dans ses bras jusqu’à ce que le guett
1997
poèmes ! 52. Au moment de donner le bon à tirer
de
cet ouvrage, je lis une étude remarquable de Lucie Varga : Peire Card
1998
irer de cet ouvrage, je lis une étude remarquable
de
Lucie Varga : Peire Cardinal était-il hérétique ? (« Rev. d’hist. des
1999
rga : Peire Cardinal était-il hérétique ? (« Rev.
d’
hist. des relig. », juin 1938) qui m’apporte de décisives confirmation
2000
v. d’hist. des relig. », juin 1938) qui m’apporte
de
décisives confirmations. L’auteur va jusqu’à proposer, au terme d’une
2001
irmations. L’auteur va jusqu’à proposer, au terme
d’
une démonstration serrée, que l’on prenne les poèmes des troubadours c
2002
n prenne les poèmes des troubadours comme sources
d’
études sur le catharisme. — Cf. sur Peire Cardinal hérétique : J. Anol
2003
troubadours, II, p. 306. Faut-il que je m’excuse
de
revenir sans cesse à ce livre et à cet auteur ? Mais ils résument tro
2004
sement — l’ensemble des positions « officielles »
de
la philologie et de l’histoire littéraire pour ne pas me servir ici d
2005
des positions « officielles » de la philologie et
de
l’histoire littéraire pour ne pas me servir ici de symboles. Ceci enc
2006
e l’histoire littéraire pour ne pas me servir ici
de
symboles. Ceci encore : les doutes qu’exprime M. Jeanroy, je n’ai pas
2007
nroy, je n’ai pas été sans les concevoir au début
de
cette recherche. Et l’on ne manquerait pas de me les opposer si je n’
2008
but de cette recherche. Et l’on ne manquerait pas
de
me les opposer si je n’en tenais pas compte dès maintenant. 54. Par
2009
l jugerait absurde, c’est-à-dire qui n’aurait pas
de
sens religieux et de situation précise dans l’ensemble des valeurs qu
2010
’est-à-dire qui n’aurait pas de sens religieux et
de
situation précise dans l’ensemble des valeurs qu’il connaît. 55. J.
2011
uis quand ? Rudel utilisait ce procédé, et il est
de
la première moitié du xiie siècle, c’est à-dire de la toute première
2012
la première moitié du xiie siècle, c’est à-dire
de
la toute première génération des troubadours ! Donc l’un des inventeu
2013
ration des troubadours ! Donc l’un des inventeurs
de
ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple d’anachronisme tenda
2014
ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple
d’
anachronisme tendancieux. On veut à tout prix que le langage des troub
2015
e langage des troubadours soit le langage naturel
de
l’amour humain, transposé à l’amour divin. Alors qu’historiquement, c
2016
e et authentique ? Ceci pour répondre au reproche
d’
insincérité fait aux troubadours par nos érudits — reproche lui-même s
2017
eproche lui-même stéréotypé… 58. Mais catholique
d’
origine, non hérétique. 59. Remarquons que cette thèse — qui est la n
2018
p. 91.) 60. M. Jeanroy cite des textes probants
de
ces poètes dans sa thèse latine. De nostratibus medii ævi pœtis qui p
2019
xtes probants de ces poètes dans sa thèse latine.
De
nostratibus medii ævi pœtis qui primum lyrica Aquitaniæ carmina imita
2020
alier courtois donnait souvent à sa Dame le titre
de
seigneur au masculin : mi dons (mi dominus) et en Espagne : senhor (n
2021
tout est symbole religieux, et non pas traduction
de
relations humaines. Toutefois, le narcissisme inhérent à tout amour d
2022
n sexuel, des déviations dont il serait difficile
de
nier que certains troubadours n’aient pas été victimes. 62. Textes t
2023
65. Voir entre autres : L. Massignon, La Passion
de
al-Hallaj ; Le Diwan de al-Hallaj ; Essai sur les origines du lexique
2024
L. Massignon, La Passion de al-Hallaj ; Le Diwan
de
al-Hallaj ; Essai sur les origines du lexique technique de la mystiqu
2025
laj ; Essai sur les origines du lexique technique
de
la mystique musulmane. — Henry Corbin : Édition et introduction de de
2026
sulmane. — Henry Corbin : Édition et introduction
de
deux traités de Sohrawardi : Le Familier des Amants et le Bruissement
2027
Corbin : Édition et introduction de deux traités
de
Sohrawardi : Le Familier des Amants et le Bruissement de l’aile de Ga
2028
awardi : Le Familier des Amants et le Bruissement
de
l’aile de Gabriel. — E. Dermenghem : trad. de plusieurs poèmes d’Ibn-
2029
e Familier des Amants et le Bruissement de l’aile
de
Gabriel. — E. Dermenghem : trad. de plusieurs poèmes d’Ibn-al-Faridh
2030
ent de l’aile de Gabriel. — E. Dermenghem : trad.
de
plusieurs poèmes d’Ibn-al-Faridh (dans les revues Mesures, Hermès, Ca
2031
riel. — E. Dermenghem : trad. de plusieurs poèmes
d’
Ibn-al-Faridh (dans les revues Mesures, Hermès, Cahiers du Sud). 66.
2032
ès, Cahiers du Sud). 66. Voici le chef principal
d’
accusation, selon Massignon (Passion de al-Hallaj, p. 161) : « Adorer
2033
principal d’accusation, selon Massignon (Passion
de
al-Hallaj, p. 161) : « Adorer Dieu par amour seulement est le crime d
2034
agnétique du fer pour le fer, et leurs particules
de
lumière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer de lumière dont
2035
ière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer
de
lumière dont elles sont venues ». 67. H. Corbin : introduction au F
2036
odernes n’ont vu là qu’un raffinement extravagant
de
préciosité dans la « courtoisie », ce qui symbolise toute leur erreur
2037
r le sens même du mot courtois ! 70. Cf. l’étude
de
E. Dermenghem, Mortelle poésie (Hermès, juin 1936), où l’on trouvera
2038
ermès, juin 1936), où l’on trouvera la traduction
de
très belles légendes musulmanes sur la mort par amour (mystique). 71
2039
aj, texte relatif à la prédication et au supplice
de
al-Hallaj. 72. Don Miguel Asin Palacios, La Escatologia musulmana e
2040
nombrables objections que sa thèse n’a pas manqué
d’
exciter chez les divers spécialistes mis en cause, et menacés par cet
2041
cialistes mis en cause, et menacés par cet effort
de
synthèse dans leur essence même de « spécialistes ». — Sur les rappor
2042
par cet effort de synthèse dans leur essence même
de
« spécialistes ». — Sur les rapports entre la lyrique hispano-arabe e
2043
hispano-arabe et les troubadours, voir les études
de
Menendez y Pelayo, Gonzalez de Palencia, et Ribera. (À propos du zéje
2044
édigé au commencement du xiiie siècle : c’est le
De
arte honeste amandi d’André Le Chapelain. 75. Chez Chrétien de Troy
2045
u xiiie siècle : c’est le De arte honeste amandi
d’
André Le Chapelain. 75. Chez Chrétien de Troyes en particulier. 76.
2046
le rattachait le Graal aux rites secrets du culte
d’
Adonis. Ce qui est certain, c’est qu’un symbole comme celui du roi pêc
2047
Celtes peut se confondre facilement avec la coupe
de
la Cène. Et la lance elle-même revêt les significations les plus dive
2048
interprétation. Il s’est produit toute une série
de
fusions et de confusions de symboles. 77. Les Romans de la Table ro
2049
n. Il s’est produit toute une série de fusions et
de
confusions de symboles. 77. Les Romans de la Table ronde, nouvellem
2050
oduit toute une série de fusions et de confusions
de
symboles. 77. Les Romans de la Table ronde, nouvellement rédigés pa
2051
ns et de confusions de symboles. 77. Les Romans
de
la Table ronde, nouvellement rédigés par J. Boulenger, IV, p. 238. 7
2052
communié se donnent les uns aux autres le baiser
de
paix, selon le rite oriental, que les cathares paraissent avoir repri
2053
doivent traverser n’est autre que le pont Chinvat
de
la mythologie manichéenne, pont jeté sur la rivière infernale, et que
2054
ue seuls les élus peuvent franchir. « Il y a lieu
d’
appeler manichéisant le milieu créateur de la matière de Bretagne », é
2055
a lieu d’appeler manichéisant le milieu créateur
de
la matière de Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291)
2056
ler manichéisant le milieu créateur de la matière
de
Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291) après avoir in
2057
C’est pourquoi le roman finit « bien » — au sens
de
la mystique cathare — c’est-à-dire aboutit à la double mort volontair
2058
, II, p. 286. 81. Ibid., p. 298. 82. Histoire
de
Bailé au doux langage, trad. G. Dottin (L’Épopée irlandaise, Paris 19
2059
., II, p. 243-244. 84. Voir l’intéressante étude
de
M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende de « Tannhäuser » (Mercur
2060
de de M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende
de
« Tannhäuser » (Mercure de France, juin 1938). Le Tannhäuser du xvie
2061
xvie siècle est une tardive adaptation allemande
de
légendes irlando-écossaises ; il ne doit rien aux influences courtois
2062
1.Position du problème On a souvent tenté
d’
expliquer le mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation de l’am
2063
mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation
de
l’amour humain, c’est-à-dire en fin de compte : à la sexualité. Or l’
2064
de compte : à la sexualité. Or l’examen du Roman
de
Tristan et de ses sources historiques nous a conduit à renverser le r
2065
la sexualité. Or l’examen du Roman de Tristan et
de
ses sources historiques nous a conduit à renverser le rapport. C’est
2066
es conclusions générales. Mais il permet au moins
de
reposer un problème que le xixe siècle matérialiste s’était cru en m
2067
e xixe siècle matérialiste s’était cru en mesure
de
trancher au détriment de la mystique. À vrai dire, je ne suis pas trè
2068
définitive et simple. Mais il me paraît important
de
reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou de la
2069
de reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte
de
la passion ou de la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre,
2070
moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou
de
la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet
2071
parte de la passion ou de la mystique pour tenter
de
ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet implicitement, c’est l’exi
2072
e que l’on admet implicitement, c’est l’existence
d’
un rapport quelconque entre ces deux réalités. Reste à savoir dans que
2073
ogie des métaphores mystiques et amoureuses. Mais
d’
une entière analogie des mots, peut-on conclure à une entière analogie
2074
sommes-nous pas jusqu’à un certain point victimes
d’
une illusion verbale ? d’une sorte de « calembour continué » ? Quand b
2075
n certain point victimes d’une illusion verbale ?
d’
une sorte de « calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas
2076
int victimes d’une illusion verbale ? d’une sorte
de
« calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas, le problèm
2077
otre sens. a) S’il n’y avait en jeu, dans le cas
de
la passion, que des facteurs physiologiques, on ne comprendrait plus
2078
iologiques, on ne comprendrait plus rien au mythe
de
Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim
2079
de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est
de
la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle
2080
La sexualité est une faim. Or il est de la nature
d’
une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, mo
2081
é est une faim. Or il est de la nature d’une faim
de
chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, moins elle se
2082
yons ici une passion dont la nature est justement
de
refuser tout ce qui pourrait la satisfaire et la guérir. Nous ne somm
2083
sommes donc pas en présence d’une faim, mais bien
d’
une intoxication. Et l’on a soutenu récemment, par les preuves les plu
2084
morale, toute intoxication suppose l’intervention
d’
un agent étranger, que l’instinct livré à lui-même éliminerait aussi v
2085
ement, la mystique à elle seule, rend-elle compte
de
la passion ? Il faudrait alors expliquer pourquoi c’est dans l’amour
2086
est toujours à l’instinct sexuel que l’on a tenté
de
« ramener » la mystique, et cela bien avant Freud et son école. Voici
2087
e que pose l’amour-passion : si l’on n’y voit que
de
la sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas de quoi l’on par
2088
sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas
de
quoi l’on parle. Si au contraire on rapporte cet amour à quelque chos
2089
u contraire on rapporte cet amour à quelque chose
d’
étranger au sexe — il en résulte des choses bizarres, comme disait à p
2090
qu’il se posait au xiie siècle. C’est en partant
d’
un exemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor de la grande mys
2091
siècle. C’est en partant d’un exemple précis et
d’
une œuvre antérieure à l’essor de la grande mystique orthodoxe, que no
2092
xemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor
de
la grande mystique orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances
2093
orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances
de
surprendre à l’état naissant la dialectique des « choses bizarres »…
2094
ture mystique Nous avons constaté que le Roman
de
Tristan est, à bien des égards, une première « profanation » de la my
2095
, à bien des égards, une première « profanation »
de
la mystique courtoise et de ses sources (néo-platonisme, manichéisme,
2096
mière « profanation » de la mystique courtoise et
de
ses sources (néo-platonisme, manichéisme, soufisme). La mythification
2097
des complaisances bien explicables envers le goût
de
leurs auditeurs, moins policés que ceux du Midi. Le caractère distinc
2098
di. Le caractère distinctif du Roman est en effet
de
reposer sur une faute contre les lois d’amour courtois, puisque tout
2099
en effet de reposer sur une faute contre les lois
d’
amour courtois, puisque tout le drame vient de l’adultère consommé. De
2100
isque tout le drame vient de l’adultère consommé.
De
là que nous ayons un « roman » selon la formule moderne du genre, et
2101
et si l’on considère surtout le principe interne
de
l’action, Tristan évoque par la plupart de ses situations romanesques
2102
part de ses situations romanesques la progression
d’
une vie mystique. Certains « moments » relèvent de la pure tradition c
2103
d’une vie mystique. Certains « moments » relèvent
de
la pure tradition cathare, d’autres peuvent être rapprochés d’une exp
2104
adition cathare, d’autres peuvent être rapprochés
d’
une expérience mystique plus générale, et qu’on retrouve identique, da
2105
niens et Arabes, voire bouddhistes). En tout état
de
cause, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman d’adultère : l’i
2106
En tout état de cause, on ne saurait plus parler
d’
un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité de Tristan, c’est l’hérési
2107
se, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman
d’
adultère : l’infidélité de Tristan, c’est l’hérésie, c’est la vertu my
2108
ler d’un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité
de
Tristan, c’est l’hérésie, c’est la vertu mystique des « purs », c’est
2109
des « purs », c’est une vertu, selon les auteurs
de
la légende. Et la faute n’est pas dans l’amour, mais dans sa « réalis
2110
que se révèle toute comparaison entre deux formes
de
mystique — et d’autant plus qu’ici l’un des termes en présence se tro
2111
te comparaison entre deux formes de mystique — et
d’
autant plus qu’ici l’un des termes en présence se trouve dénaturé par
2112
nacelle sans gouvernail ni voile, muni seulement
de
son épée et de sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qu
2113
ouvernail ni voile, muni seulement de son épée et
de
sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qui chassera le p
2114
cherche du baume salutaire qui chassera le poison
de
son sang. C’est le type même du départ mystique, de l’abandon à l’ave
2115
son sang. C’est le type même du départ mystique,
de
l’abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête de l’âme pécheres
2116
abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête
de
l’âme pécheresse, c’est-à-dire blessée mortellement, qui renonce aux
2117
inconnue. La poésie moderne nous a montré combien
d’
exemples de ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents
2118
a poésie moderne nous a montré combien d’exemples
de
ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiment
2119
ure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiments
d’
une recherche mystique, qui ne laisse oublier ni la lyre ni l’épée sym
2120
analyse du mythe, que cette fatalité joue le rôle
d’
un alibi : les amants ne se veulent responsables de rien, leur passion
2121
’un alibi : les amants ne se veulent responsables
de
rien, leur passion étant inavouable tant aux yeux de la société (qui
2122
les fait mourir). C’est là l’aspect psychologique
de
l’aventure. Mais voici l’aspect religieux : ce hasard aussitôt irrévo
2123
p que tout semblait le préparer, c’est l’élection
d’
une âme par l’Amour tout-puissant, la vocation qui la surprend comme m
2124
conduire à l’endura. Mais emporté par la violence
de
la première révélation, qui parfois embrase le sang, il enfreint la r
2125
le, souffle ô vent ! Malheur ! ah malheur ! fille
d’
Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie de pénitence devra mai
2126
d’Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie
de
pénitence devra maintenant racheter le sacrilège. Mais le malheur ess
2127
racheter le sacrilège. Mais le malheur essentiel
de
cet amour n’est pas seulement la rançon du péché. L’ascèse qui rachèt
2128
it aussi et surtout délivrer l’homme du fait même
d’
être né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement f
2129
vrer l’homme du fait même d’être né dans ce monde
de
ténèbres. Elle doit conduire au détachement final et bienheureux, à l
2130
nitence a donc une signification toute différente
de
celle du repentir chrétien. Et bien que l’orthodoxie et l’hérésie sem
2131
onfondues dans le Roman, il est toujours possible
de
reconnaître, à de tels traits, la tendance réellement dominante — cel
2132
Roman, il est toujours possible de reconnaître, à
de
tels traits, la tendance réellement dominante — celle qui s’épanouira
2133
a mort des amants. Reprenons par exemple le récit
de
l’« aspre vie » dans la forêt de Morois. « Nous avons perdu le monde,
2134
exemple le récit de l’« aspre vie » dans la forêt
de
Morois. « Nous avons perdu le monde, et le monde nous », gémit Iseut
2135
gémit Iseut (dans le Roman en prose). Et Tristan
de
répondre : « Si le monde entier était orendroit avec nous, je ne verr
2136
, je ne verrois fors vous seule. » Il s’agit bien
d’
une endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes de
2137
e endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une
de
ces périodes de jeûne et de macération dont nous connaissons le but c
2138
retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes
de
jeûne et de macération dont nous connaissons le but chez les cathares
2139
s la forêt, c’est une de ces périodes de jeûne et
de
macération dont nous connaissons le but chez les cathares : l’absorpt
2140
nnaissons le but chez les cathares : l’absorption
de
toutes les facultés dans la contemplation de l’amour seul. Un trait p
2141
tion de toutes les facultés dans la contemplation
de
l’amour seul. Un trait profond de la passion — et de la mystique en g
2142
a contemplation de l’amour seul. Un trait profond
de
la passion — et de la mystique en général — paraît ici. « On est seul
2143
l’amour seul. Un trait profond de la passion — et
de
la mystique en général — paraît ici. « On est seul avec tout ce qu’on
2144
’on aime », écrira plus tard Novalis, ce mystique
de
la Nuit et de la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, pa
2145
rira plus tard Novalis, ce mystique de la Nuit et
de
la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, parmi tant d’aut
2146
eurs, parmi tant d’autres sens possibles, un fait
d’
observation purement psychologique : la passion n’est nullement cette
2147
lescents ; elle est, bien au contraire, une sorte
d’
intensité nue et dénuante, oui vraiment, un amer dénuement, un appauvr
2148
i vraiment, un amer dénuement, un appauvrissement
de
la conscience vidée de toute diversité, une obsession de l’imaginatio
2149
uement, un appauvrissement de la conscience vidée
de
toute diversité, une obsession de l’imagination concentrée sur une se
2150
onscience vidée de toute diversité, une obsession
de
l’imagination concentrée sur une seule image, — et dès lors le monde
2151
lors le monde s’évanouit, « les autres » cessent
d’
être présents, il n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tien
2152
les choses créées. Vraiment, comment se défendre
de
songer ici aux « déserts » de la Nuit obscure que décrit saint Jean d
2153
comment se défendre de songer ici aux « déserts »
de
la Nuit obscure que décrit saint Jean de la Croix ? « Éloigne les cho
2154
vait que Dieu et elle au monde ». A-t-on le droit
d’
opérer ce rapprochement entre un génie religieux du premier ordre et u
2155
mentaires ? Certes, ce serait commettre une sorte
de
blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion d’amour
2156
de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que
d’
une passion d’amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici su
2157
’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion
d’
amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici sur la via mysti
2158
es « parfaits ». C’est alors le contenu des états
d’
âme et leur objet, mais non leur forme, qui diffère89. (Nous allons y
2159
dissiper toute équivoque.) ⁂ Voici un autre point
de
comparaison. On sait combien les mystiques espagnols ont coutume d’in
2160
sait combien les mystiques espagnols ont coutume
d’
insister sur le récit de leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour
2161
ues espagnols ont coutume d’insister sur le récit
de
leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour divin sont vifs, plus l
2162
morales qu’entraîne la mortification des sens et
de
la volonté, mais l’âme souffre séparation et réjection, dans le temps
2163
uffre séparation et réjection, dans le temps même
de
la plus vive ardeur de son amour. Il y aurait à citer cent pages où r
2164
ection, dans le temps même de la plus vive ardeur
de
son amour. Il y aurait à citer cent pages où revient la même plainte
2165
ait à citer cent pages où revient la même plainte
de
l’âme sur « l’abandon divin, tourment suprême ». Sur « ce vide profon
2166
ce vide profond… cruelle disette des trois sortes
de
biens qui peuvent consoler l’âme, savoir les temporels, les naturels,
2167
les spirituels » ; enfin, « sur cette impression
de
rejet qui compte parmi les peines les plus dures de l’état de purific
2168
rejet qui compte parmi les peines les plus dures
de
l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et par
2169
compte parmi les peines les plus dures de l’état
de
purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et parfois équiv
2170
est qu’une impure et parfois équivoque traduction
de
la mystique courtoise. (Il arrive que les situations les plus apparem
2171
avement — à partir de l’amour humain, et par voie
de
sublimation, non par la voie inverse, allant de l’Amour divin aux mét
2172
e de sublimation, non par la voie inverse, allant
de
l’Amour divin aux métaphores, qui convient pour les grands mystiques.
2173
ci dit, nous pouvons retrouver dans le mythe plus
d’
un aspect des souffrances mystiques. On se souvient de la plainte du t
2174
aspect des souffrances mystiques. On se souvient
de
la plainte du troubadour : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus
2175
mme Tristan si follement que lorsqu’il est séparé
de
sa « dame ». La psychologie la plus simple rendrait compte de ce phén
2176
». La psychologie la plus simple rendrait compte
de
ce phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et d’image matériel
2177
t compte de ce phénomène. Mais il ne sert ici que
de
prétexte et d’image matérielle pour représenter les tourments de l’as
2178
phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et
d’
image matérielle pour représenter les tourments de l’ascèse purificatr
2179
d’image matérielle pour représenter les tourments
de
l’ascèse purificatrice. Nous avons vu que les séparations des deux am
2180
Roman, répondent à une nécessité tout intérieure
de
la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chos
2181
imée, mais elle est aussi autre chose, le symbole
de
l’Amour lumineux. Quand Tristan erre au loin, il l’aime davantage, et
2182
l’aime davantage, et plus il aime, plus il endure
de
souffrances. Mais nous savons que c’est la souffrance qui est le vrai
2183
avons que c’est la souffrance qui est le vrai but
de
la séparation voulue… Nous rejoignons alors la situation mystique (pa
2184
e rejeté par l’amour. Au point qu’il doutera même
de
l’« amitié » d’Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’i
2185
mour. Au point qu’il doutera même de l’« amitié »
d’
Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’il acceptera le «
2186
ovisoirement. C’est quand, le philtre ayant cessé
d’
agir, Tristan et Iseut vont trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Re
2187
trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Rencontre
de
celui qui souffre pour son Dieu, et des amants qui souffrent pour un
2188
ais tandis que le roi s’approche avec son cortège
de
barons, les amants échangent l’anneau de l’éternelle fidélité et du s
2189
cortège de barons, les amants échangent l’anneau
de
l’éternelle fidélité et du secret. La soumission ne sera donc qu’appa
2190
⁂ Pour extérieures et formelles qu’elles soient,
de
telles correspondances ne sauraient être, en toute honnêteté, réduite
2191
es. Mais si les formes sont pareilles, il importe
de
définir en quoi les contenus restent incompatibles, et quelle est la
2192
us restent incompatibles, et quelle est la nature
de
l’abus qui par la suite a voulu les confondre. L’on pourrait tout ram
2193
ramener à une grossière confusion du Créateur et
de
la créature, dans le Roman : la fameuse « divinisation de la femme »
2194
éature, dans le Roman : la fameuse « divinisation
de
la femme » selon la formule des manuels. Dans le cas où Iseut ne sera
2195
s que nous venons de dégager ne seraient plus que
de
l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je ne songe pas
2196
t plus que de l’ordre du langage, et spécialement
de
la métaphore. Je ne songe pas à nier cet aspect du problème, il sera
2197
la, ce serait alors tout l’arrière-plan religieux
de
la légende qu’il faudrait nier ou négliger, en dépit de l’évidence hi
2198
e qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait
d’
être un roman courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’être ce
2199
man courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait
d’
être ce qu’il fut, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits co
2200
s, ce qui se trouve en question, c’est la passion
d’
amour, et non l’amour purement profane et naturel. Voici, me semble-t-
2201
rel. Voici, me semble-t-il, le principe véritable
de
l’opposition des deux mystiques. L’orthodoxe aboutit au « mariage spi
2202
ues. L’orthodoxe aboutit au « mariage spirituel »
de
Dieu et de l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’unio
2203
odoxe aboutit au « mariage spirituel » de Dieu et
de
l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’union et la fus
2204
espère l’union et la fusion totale, mais au-delà
de
la mort des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas de rachat poss
2205
rt des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas
de
rachat possible de ce monde. Il s’en suivait — théoriquement — que l’
2206
les cathares, il n’y avait pas de rachat possible
de
ce monde. Il s’en suivait — théoriquement — que l’amour profane était
2207
s mystiques du Roman chercheront donc l’intensité
de
la passion et non son apaisement heureux. Plus leur passion est vive
2208
voient dans les actes et les œuvres qui découlent
de
l’état mystique les critères de sa vérité91. C’est du moins le mouvem
2209
res qui découlent de l’état mystique les critères
de
sa vérité91. C’est du moins le mouvement constant de ceux qui ont con
2210
sa vérité91. C’est du moins le mouvement constant
de
ceux qui ont concentré leur oraison sur le Christ incarné réellement.
2211
’Incarnation, et ne pouvaient connaître ce retour
de
l’âme à une vie rénovée. « Je meurs de ne pas mourir », dit sainte Th
2212
ce retour de l’âme à une vie rénovée. « Je meurs
de
ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est de ne pas mourir asse
2213
e ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est
de
ne pas mourir assez pour vivre toute la vie nouvelle, et pour obéir s
2214
Jean de la Croix. Les amants se plaignent parfois
de
leur passion et maudissent le poison fatal, cause de leurs terribles
2215
leur passion et maudissent le poison fatal, cause
de
leurs terribles souffrances. « Amor par force les demeine. » Mais fin
2216
comme la révélation dernière, dans la mort. Ainsi
de
leur attitude envers les créatures : ils ne les retrouvent pas au-del
2217
les créatures : ils ne les retrouvent pas au-delà
de
leur passion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au
2218
ne les retrouvent pas au-delà de leur passion et
de
son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au monde si caractéri
2219
ssion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement
de
retour au monde si caractéristique du christianisme. Jean de la Croix
2220
qu’on mortifie les passions, l’âme ne reçoit plus
d’
aliment des créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’obscurit
2221
l’âme ne reçoit plus d’aliment des créatures ; et
de
cette façon, elle est remplie d’obscurité, et destituée des objets qu
2222
s créatures ; et de cette façon, elle est remplie
d’
obscurité, et destituée des objets que les passions lui présentaient.
2223
III). (Et l’on peut certes rapprocher ce passage
de
l’admirable cri de Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris
2224
t certes rapprocher ce passage de l’admirable cri
de
Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris moi-même, elle m’a
2225
e mon désir et mon cœur assoiffé. ») Au-delà même
de
cet état, Jean de la Croix connut la viduité totale, où non seulement
2226
n, et l’amour avec son objet, mais jusqu’au désir
de
l’amour semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide de toute con
2227
au désir de l’amour semblent se dérober au comble
de
l’élan : « Vide de toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut,
2228
semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide
de
toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l’attire
2229
ximes.) Le troubadour Arnaut Daniel parlait aussi
de
cet « excès de désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théop
2230
badour Arnaut Daniel parlait aussi de cet « excès
de
désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théopathique n’about
2231
en termes magnifiques que l’âme pure est le lieu
de
rédemption des créatures dénaturées par le péché. « Toutes les créatu
2232
rées par le péché. « Toutes les créatures passent
de
leur vie à leur être. Toutes les créatures se portent dans ma raison
2233
l faut indiquer la dernière limite, qui est celle
de
l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le mystère
2234
qui est celle de l’humilité. Et là encore, la clé
de
l’opposition est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baign
2235
ncore, la clé de l’opposition est dans le mystère
de
l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique de l’org
2236
on. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique
de
l’orgueil chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui est le mo
2237
tique de l’orgueil chevaleresque : c’est le désir
de
la prouesse qui est le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous
2238
de la prouesse qui est le moteur des hauts faits
de
Tristan. Comme tous les passionnés, il aime avec témérité la sensatio
2239
es passionnés, il aime avec témérité la sensation
de
puissance qu’il éprouve dans le risque. D’où le désir final du risque
2240
sation de puissance qu’il éprouve dans le risque.
D’
où le désir final du risque pour lui-même, la passion de la passion sa
2241
e désir final du risque pour lui-même, la passion
de
la passion sans terme, la volonté de la mort sans retour. L’on s’aper
2242
, la passion de la passion sans terme, la volonté
de
la mort sans retour. L’on s’aperçoit, à cette limite, que la prouesse
2243
e limite, que la prouesse était le signe matériel
d’
un processus de divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire,
2244
a prouesse était le signe matériel d’un processus
de
divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire, sont la prudenc
2245
Ainsi le chrétien ne se jette pas dans l’illusion
d’
une mort d’amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites
2246
rétien ne se jette pas dans l’illusion d’une mort
d’
amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites de sa terr
2247
sfigurante, mais au contraire accepte les limites
de
sa terrestre vocation. « Rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l
2248
a Croix, et cela « parce qu’il se tient au centre
de
son humilité ». 3.Transpositions curieuses, mais inévitables To
2249
ns curieuses, mais inévitables Toute la poésie
d’
Occident procède de l’amour courtois et du roman breton qui en dérive.
2250
inévitables Toute la poésie d’Occident procède
de
l’amour courtois et du roman breton qui en dérive. C’est à cette orig
2251
e ; et c’est dans ce vocabulaire que les amoureux
d’
aujourd’hui puisent encore, en toute inconscience, leurs métaphores le
2252
le mythe romanesque avait utilisé un « matériel »
d’
images, de noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, d
2253
omanesque avait utilisé un « matériel » d’images,
de
noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une
2254
vait utilisé un « matériel » d’images, de noms et
de
situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une religion dé
2255
tuations tiré du fonds religieux des Celtes, donc
d’
une religion déjà morte, de même notre littérature et nos passions uti
2256
seule mystique définissait le sens valable. Plus
d’
une fois, l’ambiguïté du mythe nous a fait hésiter en présence de tel
2257
ésiter en présence de tel épisode : s’agissait-il
d’
amour profane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole de l’Éros l
2258
l d’amour profane — selon la lettre du Roman — ou
d’
un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit
2259
fane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole
de
l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit donc que par
2260
Roman — ou d’un symbole de l’Éros lumineux, voire
de
l’Église d’Amour ? On conçoit donc que par la suite, le lecteur ignor
2261
’un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église
d’
Amour ? On conçoit donc que par la suite, le lecteur ignorant des myst
2262
s ces allégories trop bien voilées. Il est facile
d’
imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : « Je te che
2263
troubadour ait exprimé la même prière en feignant
de
l’adresser à sa Dame. L’amant habitué aux métaphores mystiques, qu’il
2264
ues, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté
de
voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il aime : c
2265
tenté de voir dans cette même phrase l’expression
de
la passion qu’il aime : celle qu’on goûte et savoure en soi, dans une
2266
lle qu’on goûte et savoure en soi, dans une sorte
d’
indifférence à son objet vivant et extérieur. Ainsi nous avons vu que
2267
our-passion tend à se confondre avec l’exaltation
d’
un narcissisme… Dans cette transposition purement blasphématoire, et q
2268
de des métaphores utilisées dans les deux cas. Or
d’
où venaient ces métaphores ? D’une mystique, comme nous l’avons vu — m
2269
s les deux cas. Or d’où venaient ces métaphores ?
D’
une mystique, comme nous l’avons vu — mais déguisée, persécutée, puis
2270
te donc valable à condition qu’on change le signe
de
chacune de ses propositions. Par exemple, là où la science proclame q
2271
able à condition qu’on change le signe de chacune
de
ses propositions. Par exemple, là où la science proclame que la mysti
2272
là où la science proclame que la mystique résulte
d’
une sublimation de l’instinct, il suffira de changer le sens de la rel
2273
roclame que la mystique résulte d’une sublimation
de
l’instinct, il suffira de changer le sens de la relation constatée, e
2274
sulte d’une sublimation de l’instinct, il suffira
de
changer le sens de la relation constatée, et d’écrire que « l’instinc
2275
tion de l’instinct, il suffira de changer le sens
de
la relation constatée, et d’écrire que « l’instinct » en question rés
2276
a de changer le sens de la relation constatée, et
d’
écrire que « l’instinct » en question résulte d’une profanation de la
2277
t d’écrire que « l’instinct » en question résulte
d’
une profanation de la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience m
2278
’instinct » en question résulte d’une profanation
de
la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience moderne montre une
2279
épugnance à opérer ce renversement, qu’il est bon
d’
entrer plus avant dans le mécanisme des transpositions, et même de rec
2280
ant dans le mécanisme des transpositions, et même
de
reconnaître la valeur de certaines objections courantes. Car enfin, d
2281
transpositions, et même de reconnaître la valeur
de
certaines objections courantes. Car enfin, dira-t-on, la mystique, au
2282
enfin, dira-t-on, la mystique, au moins dans une
de
ses tendances, ne s’est-elle pas prêtée à toutes les confusions ? N’a
2283
ons ? N’a-t-elle pas abusé la première du langage
de
l’Éros païen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage de la pass
2284
ïen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage
de
la passion Le fait central de toute vie religieuse de forme et de
2285
es et le langage de la passion Le fait central
de
toute vie religieuse de forme et de contenu chrétiens, c’est l’événem
2286
assion Le fait central de toute vie religieuse
de
forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dè
2287
fait central de toute vie religieuse de forme et
de
contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dès que l’on s
2288
forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement
de
l’Incarnation. Dès que l’on s’écarte un tant soit peu de ce foyer, l’
2289
oit peu de ce foyer, l’on encourt le double péril
de
l’humanisme et de l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à i
2290
r, l’on encourt le double péril de l’humanisme et
de
l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à idéaliser tout l’Év
2291
enthousiasme » — cette transgression des limites
de
l’humain, finalement irréalisable, devait se traduire, et se trahir d
2292
nt irréalisable, devait se traduire, et se trahir
d’
une manière fatale, par une exaltation en termes divins de l’amour sex
2293
nière fatale, par une exaltation en termes divins
de
l’amour sexuel. À l’inverse, on peut observer chez les mystiques les
2294
im et soif, volonté. Exaltation en termes humains
de
l’amour de Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous ret
2295
volonté. Exaltation en termes humains de l’amour
de
Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous retrouverons d
2296
ée. Même chez les représentants les plus typiques
de
l’une et de l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût
2297
z les représentants les plus typiques de l’une et
de
l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût-ce qu’à la
2298
anière dont la tentation coexiste avec la volonté
d’
obéissance chez le croyant. Historiquement parlant, il est donc malais
2299
yant. Historiquement parlant, il est donc malaisé
de
les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire. Le premier cou
2300
la chose est claire. Le premier courant est celui
de
la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et de la di
2301
la mystique unitive : il tend à la fusion totale
de
l’âme et de la divinité. Le second courant peut être appelé celui de
2302
unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et
de
la divinité. Le second courant peut être appelé celui de la mystique
2303
ivinité. Le second courant peut être appelé celui
de
la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’âme et de Dieu, e
2304
de la mystique épithalamique : il tend au mariage
de
l’âme et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est ma
2305
ue épithalamique : il tend au mariage de l’âme et
de
Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est maintenue entr
2306
me et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction
d’
essence est maintenue entre la créature et le Créateur. Quelques exemp
2307
seuls valables en ce domaine92 — nous permettront
de
préciser tout cela sans excessives simplifications. Ils nous permettr
2308
excessives simplifications. Ils nous permettront
d’
entrevoir les raisons de ce curieux phénomène : « l’abus » du langage
2309
ons. Ils nous permettront d’entrevoir les raisons
de
ce curieux phénomène : « l’abus » du langage amoureux en religion doi
2310
xe. J’emprunterai mon premier exemple à l’ouvrage
de
Rudolf Otto intitulé Mystique occidentale-orientale 93. L’auteur comp
2311
le 93. L’auteur compare, puis oppose le fondateur
de
la mystique allemande au xive siècle, Maître Eckhart, et le mystique
2312
e objet, c’est que Rudolf Otto distingue l’Orient
de
l’Occident en ramenant leurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Ag
2313
eurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Agapè,
d’
une manière assez analogue à celle que nous proposions ci-dessus (voir
2314
n tant que, par l’âme du croyant, elles « passent
de
leur vie à leur être ». La confrontation est rendue possible par le f
2315
oyen Âge une tradition mystique parallèle à celle
de
Sankara. « Mystique de l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la fav
2316
mystique parallèle à celle de Sankara. « Mystique
de
l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur de laquelle le Je e
2317
l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur
de
laquelle le Je et le Tu des êtres unis par une forte émotion coulent
2318
l’un dans l’autre, donnant naissance à une unité
d’
être. Eckhart ne connaît ni cette ivresse ni cet amour « pathologique
2319
e ». L’amour, pour lui, c’est la vertu chrétienne
de
l’Agapè, forte comme la mort, mais non point ivre ; intime, mais humb
2320
, tout particulièrement, que Eckhart se distingue
d’
une manière radicale de Plotin, dont on persiste à faire son maître. P
2321
, que Eckhart se distingue d’une manière radicale
de
Plotin, dont on persiste à faire son maître. Plotin lui aussi prêche
2322
st l’éros grec, qui est jouissance, et jouissance
d’
une naturelle et surnaturelle Beauté… gardant jusqu’en ses plus subtil
2323
u’en ses plus subtiles sublimations quelque chose
de
l’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur de l
2324
’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui,
de
la ferveur de l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la
2325
sium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur
de
l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divin
2326
en, grand Daimon qui, de la ferveur de l’instinct
de
procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divine, mais n’en c
2327
divine, mais n’en conserve pas moins les éléments
de
l’homme fervent. » Pour Eckhart, la vraie voie mystique n’est pas cel
2328
raie voie mystique n’est pas celle qui, s’élevant
d’
un état de sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un éla
2329
mystique n’est pas celle qui, s’élevant d’un état
de
sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan d’amour
2330
entiment, mènerait à une union suprême, au sommet
d’
un élan d’amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une
2331
mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan
d’
amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une œuvre, non
2332
t plutôt comme fournissant d’abord la possibilité
d’
une Agapè authentique. Non seulement son Agapè n’a pas le moindre trai
2333
simplicité élémentaires, sans exaltation ni ajout
d’
aucune sorte ». Et de cette union résultent « la confiance, la foi, l’
2334
es, sans exaltation ni ajout d’aucune sorte ». Et
de
cette union résultent « la confiance, la foi, l’abandon, le service »
2335
service ». Il s’agit donc plutôt, me semble-t-il,
d’
une communion que d’une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart
2336
donc plutôt, me semble-t-il, d’une communion que
d’
une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart, l’âme reste l’âme,
2337
, l’âme reste l’âme, et Dieu reste Dieu95. L’acte
d’
amour spirituel est initial, et non final. Pour le chrétien, la mort à
2338
Pour le chrétien, la mort à soi-même est le début
d’
une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce monde. D’ailleur
2339
d’une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe
de
ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart où il est questio
2340
ophe de ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage
d’
Eckhart où il est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’â
2341
un passage d’Eckhart où il est question non plus
d’
union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de
2342
art où il est question non plus d’union mais bien
d’
égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et
2343
est question non plus d’union mais bien d’égalité
de
l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un
2344
non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et
de
Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un est source e
2345
’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité
de
l’un dans l’un et avec l’un est source et origine du fleurissant resp
2346
qui figure pour Eckhart l’expression authentique
de
l’union divine, mais bien l’Agapè, dont ne parlent et que ne connaiss
2347
ni Sankara. Voici donc, semble-t-il, deux pôles
de
la mystique universelle très nettement caractérisés. L’Orient (c’est-
2348
ns les termes mêmes par lesquels nous avons tenté
de
distinguer la mystique des cathares et la doctrine chrétienne de l’am
2349
a mystique des cathares et la doctrine chrétienne
de
l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur de sainteté. Le pape Jean
2350
ne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur
de
sainteté. Le pape Jean XXII condamna même ses thèses les plus hardies
2351
a même ses thèses les plus hardies dans une bulle
de
1329. L’une des thèses condamnées, la dixième, est ainsi reproduite d
2352
alement en Dieu et nous nous convertissons en lui
de
la même manière que le pain dans le sacrement se change en corps du C
2353
ne distinction. Cette thèse, extraite des œuvres
d’
Eckhart, paraît contredire formellement l’interprétation précédente. E
2354
art du côté de « l’Orient », c’est-à-dire du côté
d’
une mystique essentiellement unitive, et par cela même hérétique… Ce q
2355
ecticien par excellence, et qu’il est trop facile
d’
extraire de ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui,
2356
r excellence, et qu’il est trop facile d’extraire
de
ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui, a-t-on pu
2357
n sont inséparables, n’étant que les deux aspects
d’
une même vérité.97 ». Il n’en est pas moins significatif de constater
2358
e vérité.97 ». Il n’en est pas moins significatif
de
constater que Eckhart souleva dans la mystique flamande une oppositio
2359
l’abandon des œuvres. On est toujours à l’Orient
de
quelqu’un ! C’est ainsi que Maître Eckhart figura l’hérésie que j’app
2360
gens qui ne veulent pas seulement être les égaux
de
Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus maudits que
2361
r… Voilà ce qu’ils appellent la parfaite pauvreté
d’
esprit… Mais ceux qui sont nés du Saint-Esprit et chantent ses louange
2362
agissent. On le voit : Ruysbroek accuse Eckhart
de
quiétisme. Il revendique contre lui un certain activisme de l’amour.
2363
me. Il revendique contre lui un certain activisme
de
l’amour. C’est qu’il ne croit nullement que toute distinction entre l
2364
blable à Dieu. Elle contemple Dieu dans le miroir
d’
un esprit entièrement purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes e
2365
contemplons ; car notre essence, sans rien perdre
de
sa propre personnalité, est unie à la vérité divine qui respecte la d
2366
nction. » Et ailleurs : « L’abîme qui nous sépare
de
Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est l
2367
urs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu est perçu
de
nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distance essenti
2368
de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret
de
nous-mêmes. Il est la distance essentielle… » ⁂ Or voici le point qu’
2369
ssentielle… » ⁂ Or voici le point qu’il importait
de
mettre en lumière. Si l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amo
2370
l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amour
de
l’âme pour Dieu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera p
2371
—, je ne sais si l’on rencontre jamais le langage
de
l’amour humain. » À l’inverse, si l’âme ne peut s’unir essentiellemen
2372
’orthodoxie chrétienne, il en résulte que l’amour
de
l’âme pour Dieu est, dans ce sens précis, un amour réciproque malheur
2373
langage passionnel, c’est-à-dire dans le langage
de
l’hérésie cathare « profanisé » par la littérature et adopté par les
2374
it. Là encore, les textes confirment l’exactitude
de
notre schéma. C’est bien avec Ruysbrœk et sa doctrine de la distincti
2375
e schéma. C’est bien avec Ruysbrœk et sa doctrine
de
la distinction essentielle qu’apparaît, dans la mystique du Nord, le
2376
l’irrésistible désir. S’efforcer continuellement
de
saisir l’insaisissable… Et l’objet du désir ne peut être ni abandonné
2377
onner est chose intolérable, et il est impossible
de
le conserver. Le silence même n’a pas assez de force pour l’étreindre
2378
le de le conserver. Le silence même n’a pas assez
de
force pour l’étreindre de ses mains. » Et toutes les métaphores de l’
2379
ence même n’a pas assez de force pour l’étreindre
de
ses mains. » Et toutes les métaphores de l’amour-passion se déversent
2380
treindre de ses mains. » Et toutes les métaphores
de
l’amour-passion se déversent dans la prose enflammée de Ruysbroek : i
2381
mour-passion se déversent dans la prose enflammée
de
Ruysbroek : immersion dans l’amour, défaillements, embrassements, our
2382
s l’amour, défaillements, embrassements, ouragans
de
l’impatience, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour,
2383
embrassements, ouragans de l’impatience, brûlure
d’
amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour, délices ruisselantes, iv
2384
e, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie
d’
amour, délices ruisselantes, ivresses, meurtrissures… « Il m’a bu l’es
2385
l’esprit et le cœur » fait dire Ruysbroek à l’une
de
ses béguines parlant du Christ. « Je me suis perdue dans sa bouche »,
2386
une autre. Et une troisième : « Boire les regards
de
l’amour et s’y engloutir enivrée… » Je me suis arrêté à l’exemple de
2387
arrêté à l’exemple de Ruysbroek pour la commodité
de
l’exposé : le fait historique que Maître Eckhart et son disciple se s
2388
on disciple se soient opposés sur le point précis
de
l’union divine, rendait possible une confrontation. Mais la lecture
2389
us eût fourni un autre exemple non moins frappant
de
l’usage des thèmes courtois. On sait que saint François d’Assise avai
2390
ais dans sa jeunesse et qu’il faisait ses délices
de
nos romans de chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalie
2391
unesse et qu’il faisait ses délices de nos romans
de
chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalier du monde » o
2392
es délices de nos romans de chevalerie. Il rêvait
de
devenir le « meilleur chevalier du monde » ou, selon ses propres paro
2393
é du monde entier »100. Et l’on sait d’autre part
de
quelle manière il inaugura son ministère : sur la grande place d’Assi
2394
e il inaugura son ministère : sur la grande place
d’
Assise, en présence de l’évêque et d’une foule immense, il se dépouill
2395
grande place d’Assise, en présence de l’évêque et
d’
une foule immense, il se dépouilla de tous ses vêtements et se dressan
2396
l’évêque et d’une foule immense, il se dépouilla
de
tous ses vêtements et se dressant tout nu devant son père richement h
2397
es vers français… Le parfait dénuement avait fait
de
son corps l’humble serviteur de son âme ; plus d’obstacles à ses élan
2398
uement avait fait de son corps l’humble serviteur
de
son âme ; plus d’obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se s
2399
de son corps l’humble serviteur de son âme ; plus
d’
obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se souvenant des roman
2400
!… Se souvenant des romans français, François fit
de
la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’être son « chevalier »101. Cet
2401
nçois fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora
d’
être son « chevalier »101. Cette forme de « dénuement », physique mais
2402
s’honora d’être son « chevalier »101. Cette forme
de
« dénuement », physique mais symbolique, est encore pratiquée de nos
2403
», physique mais symbolique, est encore pratiquée
de
nos jours par la secte des Doukhobors (« combattants spirituels ») do
2404
s au Canada voulant protester contre l’obligation
de
faire élever leurs enfants à l’école d’État « parcoururent les campag
2405
bligation de faire élever leurs enfants à l’école
d’
État « parcoururent les campagnes complètement dévêtus et chantant des
2406
ymnes religieux »102. On les accusa naturellement
d’
exhibitionnisme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était mo
2407
On les accusa naturellement d’exhibitionnisme et
de
communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était moins obtus. La chevale
2408
di de la France : par les routes, sur les places,
de
village en château. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur de Die
2409
sur les places, de village en château. Les poèmes
de
Jacopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes de ses imitateurs,
2410
âteau. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur
de
Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine
2411
acopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes
de
ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre d
2412
Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres
de
sainte Catherine de Sienne, le Livre de la bienheureuse Angèle de Fol
2413
s lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre
de
la bienheureuse Angèle de Foligno, et tant de récits des Fioretti 103
2414
ou à son entourage, et cet « angélisme » rappelle
d’
une manière inquiétante celui des cathares. D’autres laudes, pour être
2415
res laudes, pour être plus évidemment catholiques
d’
inspiration, n’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises » de lan
2416
’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises »
de
langage : Mon cœur se fond comme la glace au feu lorsque étroitement
2417
itement j’embrasse mon Seigneur, criant : l’amour
de
l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré d’amour. Dans les fla
2418
e l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré
d’
amour. Dans les flammes, je brûle et je languis, en criant ; en vivant
2419
, je vis. Pourtant, je n’aime pas, mais j’ai soif
d’
aimer, et j’ai faim de m’unir à l’Amour.104 5.La Rhétorique court
2420
n’aime pas, mais j’ai soif d’aimer, et j’ai faim
de
m’unir à l’Amour.104 5.La Rhétorique courtoise chez les mystique
2421
uances les plus précieuses, la rhétorique entière
de
l’amour courtois. À défaut d’une anthologie qui tiendrait décidément
2422
rhétorique entière de l’amour courtois. À défaut
d’
une anthologie qui tiendrait décidément trop de place105 bornons-nous
2423
ut d’une anthologie qui tiendrait décidément trop
de
place105 bornons-nous à énumérer les principaux thèmes communs aux tr
2424
oubadours et aux mystiques orthodoxes : « Mourir
de
ne pas mourir.106 » La « brûlure suave ». Le « dard d’amour » qui ble
2425
pas mourir.106 » La « brûlure suave ». Le « dard
d’
amour » qui blesse sans tuer. Le « salut » de l’amour. La passion qui
2426
dard d’amour » qui blesse sans tuer. Le « salut »
de
l’amour. La passion qui « isole » du monde et des êtres. La passion q
2427
assion qui décolore tout autre amour. Se plaindre
d’
un mal que l’on préfère cependant à toute joie et à tout bien terrestr
2428
i purifie et chasse toute pensée vile. Le vouloir
de
l’amour se substituant au vouloir propre. Le « combat » d’amour, dont
2429
r se substituant au vouloir propre. Le « combat »
d’
amour, dont il faut sortir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », hav
2430
ir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », havres
de
l’amour. Le symbolisme du « miroir », amour imparfait renvoyant à l’a
2431
cœur volé », l’« entendement ravi », le « rapt »
d’
amour. L’amour considéré comme « connaissance » suprême (canoscenza en
2432
). Sur quoi le psychologue matérialiste (cela va
de
Voltaire à Freud) conclut avec une bizarre assurance, et sur la foi d
2433
sur la foi du seul langage, que tout cela relève
d’
une déviation sexuelle. Et l’on sait que les conclusions des savants d
2434
atérialiste sur les mystiques est plus révélateur
de
l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le po
2435
les mystiques est plus révélateur de l’obsession
de
ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le porte, il repose
2436
élateur de l’obsession de ceux qui le portent que
de
l’objet sur lequel on le porte, il repose sur une double erreur histo
2437
historique et psychologique. Car : 1° le langage
de
la passion — tel qu’on le retrouve chez les mystiques — n’est pas, à
2438
iques — n’est pas, à l’origine, celui des sens et
de
la nature, mais il est au contraire la rhétorique d’une ascèse étroit
2439
la nature, mais il est au contraire la rhétorique
d’
une ascèse étroitement liée à l’hérésie méridionale du xiie siècle ;
2440
e étaient mieux avertis que quiconque des dangers
de
la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression de saint Jean de la Cr
2441
de la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression
de
saint Jean de la Croix.) Or tous les deux en parlent avec une liberté
2442
ait signifier, dans leur cas, le soupçon habituel
de
« refoulement ». ⁂ Reprenons ces deux arguments. Et tout d’abord, sou
2443
ne saurait être confondu avec la nature profonde
de
l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit de sainte Thérèse : «
2444
de l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit
de
sainte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre de ses images… M
2445
rit de sainte Thérèse : « On a démêlé les sources
de
nombre de ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines
2446
nte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre
de
ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines de ce lang
2447
s… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines
de
ce langage psychologique où se traduit sans doute, le plus purement,
2448
ques, et sainte Thérèse la première, se plaignent
de
n’avoir pas de mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres
2449
Thérèse la première, se plaignent de n’avoir pas
de
mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres de Dieu telles
2450
nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres
de
Dieu telles qu’ils les vivent dans leur âme. Et leurs silences furent
2451
ls que leurs paroles. Il ne s’agit donc, ici, que
de
tenir compte des éléments hérités de leur langage littéraire. Or s’il
2452
nc, ici, que de tenir compte des éléments hérités
de
leur langage littéraire. Or s’il faut se borner à un exemple qui est
2453
t même raffine la rhétorique courtoise. S’agit-il
d’
influences littéraires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou d’
2454
ourtoise. S’agit-il d’influences littéraires ? Ou
de
courants hérétiques souterrains ? Ou d’une recréation autonome, qui p
2455
ires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou
d’
une recréation autonome, qui pourrait s’expliquer en partie sur la bas
2456
e recomposée ?108 » Je ne pense pas que personne,
de
nos jours, soit en mesure de trancher toutes ces questions. Les spéci
2457
se pas que personne, de nos jours, soit en mesure
de
trancher toutes ces questions. Les spécialistes les mieux informés hé
2458
s mieux informés hésitent encore lorsqu’il s’agit
d’
attribuer à tel mystique fort bien connu, et orthodoxe par-dessus le m
2459
uysbroek ou sainte Thérèse par exemple) l’origine
de
termes précis dont saint Jean de la Croix fait usage. Nous pouvons ce
2460
nte Thérèse raffolait dans sa jeunesse des romans
de
chevalerie (voir sa Vie par elle-même, chap. ii) ; elle eut même, par
2461
ême, chap. ii) ; elle eut même, paraît-il, l’idée
d’
en composer un en collaboration avec son frère Rodrigue.109 » Nous sav
2462
iture intellectuelle étaient tous fortement imbus
de
rhétorique courtoise et chevaleresque. La question a d’ailleurs été t
2463
tée, par un auteur qui offre toutes les garanties
de
sérieux et d’information110, et en des termes qui me paraissent trop
2464
teur qui offre toutes les garanties de sérieux et
d’
information110, et en des termes qui me paraissent trop significatifs
2465
es reproduire : Si l’on se borne à la conception
de
l’amour dans les romans de chevalerie et dans les traités spirituels
2466
borne à la conception de l’amour dans les romans
de
chevalerie et dans les traités spirituels du xvie siècle, on observe
2467
es traités spirituels du xvie siècle, on observe
d’
intéressantes analogies de fond et de forme. a) le noble langage d’Am
2468
vie siècle, on observe d’intéressantes analogies
de
fond et de forme. a) le noble langage d’Amadis, ses métaphores éroti
2469
, on observe d’intéressantes analogies de fond et
de
forme. a) le noble langage d’Amadis, ses métaphores érotiques, ses s
2470
alogies de fond et de forme. a) le noble langage
d’
Amadis, ses métaphores érotiques, ses subtiles préciosités se retrouve
2471
Bernardino de Laredo et Malou de Chaide [maîtres
de
sainte Thérèse], aussi bien que dans les Exclamations et le Château i
2472
le Château intérieur. b) En Espagne, les auteurs
de
romans de chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisen
2473
intérieur. b) En Espagne, les auteurs de romans
de
chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisent par le m
2474
ls sacrifient le sentiment du merveilleux à celui
d’
une intimité plus familière et plus émouvante, comme ils tendent à met
2475
l’un et l’autre dans la même conception héroïque
de
l’obligation morale, de l’action et de la foi. La devise d’Amadis des
2476
même conception héroïque de l’obligation morale,
de
l’action et de la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle de sain
2477
n héroïque de l’obligation morale, de l’action et
de
la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle de sainte Thérèse pour
2478
ation morale, de l’action et de la foi. La devise
d’
Amadis des Gaules et celle de sainte Thérèse pourrait être également «
2479
de la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle
de
sainte Thérèse pourrait être également « aimer pour agir ». [Ici, je
2480
est pas dans les pauvres extravagances des romans
de
chevalerie mystique (la Gallarda Espirituel, El divino Escarraman) qu
2481
ivino Escarraman) qu’il faut chercher la synthèse
de
l’amour divin et de l’amour courtois, mais chez les troubadours prove
2482
’il faut chercher la synthèse de l’amour divin et
de
l’amour courtois, mais chez les troubadours provençaux du xiie siècl
2483
ençaux du xiie siècle. Les plus féconds éléments
de
leur doctrine, de leur symbolisme et de leur terminologie passent dan
2484
ècle. Les plus féconds éléments de leur doctrine,
de
leur symbolisme et de leur terminologie passent dans la mystique du x
2485
éléments de leur doctrine, de leur symbolisme et
de
leur terminologie passent dans la mystique du xiiie siècle par l’int
2486
t François d’Assise. En se limitant à l’évolution
de
sainte Thérèse, on constate que les romans de chevalerie ont eu sur e
2487
ion de sainte Thérèse, on constate que les romans
de
chevalerie ont eu sur elle une influence psychologique, et une influe
2488
u intérieur. Extraordinaire retour et assomption
de
l’hérésie, par le détour d’une rhétorique qu’elle a créée contre l’Ég
2489
retour et assomption de l’hérésie, par le détour
d’
une rhétorique qu’elle a créée contre l’Église, et que l’Église lui re
2490
lui reprend par ses saints ! Résumons les étapes
de
l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend de l’Éros à Vénus, el
2491
e l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend
de
l’Éros à Vénus, elle va jusqu’à se confondre avec la poésie d’un amou
2492
énus, elle va jusqu’à se confondre avec la poésie
d’
un amour qui serait tout profane ; elle espère par ce déguisement écha
2493
x yeux des mondains abusés par le charme trompeur
de
l’art : ils n’en gardent que la poésie ; et voici que cent ans et tro
2494
à mon avis, cette propension moderne est le signe
d’
un ressentiment profond à l’endroit de la poésie, et en général, de to
2495
profond à l’endroit de la poésie, et en général,
de
toute activité créatrice — donc risquée — de l’esprit. Mais il convie
2496
ral, de toute activité créatrice — donc risquée —
de
l’esprit. Mais il convient de préciser encore : que pour les hommes d
2497
ce — donc risquée — de l’esprit. Mais il convient
de
préciser encore : que pour les hommes du xvie siècle, le langage éro
2498
vrosés, héritiers du « puritanisme » embourgeoisé
d’
un xixe siècle incroyant. Saint Jean de la Croix, qui décrivit en une
2499
de la Croix, qui décrivit en une page remarquable
de
pénétration psychologique les mouvements de la chair attirée par l’él
2500
uable de pénétration psychologique les mouvements
de
la chair attirée par l’élan mystique en ses débuts (Nuit obscure, I,
2501
plus qu’il ne se la dissimule la gravité relative
de
pareils accidents. Réciter ici les formules « sublimation » et « refo
2502
on » et « refoulement », c’est simplement refuser
de
savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure,
2503
refoulement », c’est simplement refuser de savoir
de
quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Th
2504
orsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint
de
ressentir une émotion des sens chaque fois qu’il entre en oraison : «
2505
est indifférent à l’oraison, et que le mieux est
de
n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne po
2506
de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un
de
ses frères qui ne pouvait communier sans éprouver d’émoi sexuel, et à
2507
ses frères qui ne pouvait communier sans éprouver
d’
émoi sexuel, et à qui l’on avait ordonné en conséquence, de ne plus co
2508
xuel, et à qui l’on avait ordonné en conséquence,
de
ne plus communier qu’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille
2509
u’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille
de
ne pas s’inquiéter, de recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’
2510
Jean de la Croix conseille de ne pas s’inquiéter,
de
recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’il advienne, — et le fr
2511
— et le frère se trouve guéri, parce qu’il cesse
de
craindre à l’excès. S’il faut parler encore de psychanalyse, reconnai
2512
se de craindre à l’excès. S’il faut parler encore
de
psychanalyse, reconnaissons que Jean de la Croix joue ici le rôle du
2513
le Cantique des Cantiques auraient pu s’exprimer
d’
une autre manière. Vu notre grossièreté, je ne serais pas surprise que
2514
ndu dire à certaines personnes qu’elles évitaient
de
les entendre. Ô Dieu ! que notre misère est grande ! Il nous arrive c
2515
ui changent en poison tout ce qu’ils mangent… » ⁂
De
la comparaison formelle des écrits d’un Eckhart avec ceux d’un Ruysbr
2516
angent… » ⁂ De la comparaison formelle des écrits
d’
un Eckhart avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la
2517
raison formelle des écrits d’un Eckhart avec ceux
d’
un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons mai
2518
des écrits d’un Eckhart avec ceux d’un Ruysbroek,
d’
une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer ce
2519
ckhart avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et
d’
un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer cette conclusion :
2520
langage courant par les mystiques n’est pas sans
d’
étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur foi dans l’In
2521
pas sans d’étroites relations avec leur doctrine
de
l’union ou leur foi dans l’Incarnation. Ruysbroek, Thérèse et Jean de
2522
christocentriques ». Tout chez eux part du drame
de
la séparation instituée par le péché entre l’homme et son Créateur ;
2523
mme et son Créateur ; tout aboutit à des instants
de
communion active dans la Grâce, et c’est cela qu’ils appellent « mari
2524
la qu’ils appellent « mariage » — cette communion
de
l’âme élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie de l’homme sé
2525
cette communion de l’âme élue et du Christ époux
de
l’Église. Mais la voie de l’homme séparé, c’est la passion, — et la p
2526
élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie
de
l’homme séparé, c’est la passion, — et la passion est partout dans le
2527
out dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente
de
celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la mo
2528
eurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles
d’
Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspec
2529
ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspecte
de
troubles complaisances ! — qui se vit portée par l’objet même de sa f
2530
plaisances ! — qui se vit portée par l’objet même
de
sa foi à user, et parfois à abuser, du langage de l’amour-passion. Us
2531
de sa foi à user, et parfois à abuser, du langage
de
l’amour-passion. Usage et abus dont la psychologie moderne devait néc
2532
sitions physiologiques sublimées ? Rien ne permet
de
l’affirmer historiquement. En théorie cependant l’objection reste pos
2533
n se repose, non moins insoluble, quand il s’agit
de
savoir, en fin de compte, si c’est l’« esprit » ou la « matière » qui
2534
serait alors la cause première — ou au contraire
d’
une sublimation de phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la b
2535
ause première — ou au contraire d’une sublimation
de
phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la base de ce qui se t
2536
mènes physiologiques, lesquels seraient à la base
de
ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu’on donnera,
2537
térialiste, tranche toujours le débat au bénéfice
de
ce qui est le plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’un g
2538
plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit
d’
un goût qu’il est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est am
2539
n dit d’un goût qu’il est amer mais on dira aussi
d’
une douleur qu’elle est amère. Comment cela peut-il s’expliquer ? Tout
2540
e monde répond, sans hésiter, que lorsqu’on parle
d’
une douleur amère, on s’exprime par métaphore, au figuré. Le sens prop
2541
physique, tenue pour primitive. Il se peut. Mais
d’
où le sait-on ? Les personnes qui croient cela, le croient-elles pour
2542
elles pour des raisons qu’elles seraient capables
de
donner ? Ont-elles donc recherché si, chronologiquement, le sens « ma
2543
erché si, chronologiquement, le sens « matériel »
d’
un mot précède toujours le « spirituel », qui ne serait qu’une transpo
2544
se livre à ces recherches : on affirme sur la foi
d’
un préjugé que l’on baptise bon sens ou évidence. Ce préjugé consiste
2545
réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base
de
tout ; que c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme de ce préj
2546
e c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme
de
ce préjugé a été défini et critiqué par le docteur Minkowski113 et Ar
2547
qué par le docteur Minkowski113 et Arnaud Dandieu
d’
une manière pertinente et nuancée. Selon ces deux auteurs, le sens dit
2548
ènes aussi divers ? En vérité, il n’y a pas moins
d’
amertume dans la douleur que dans le goût du sel, mais ce que nous dés
2549
t l’autre par le même mot, c’est une même manière
d’
être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité
2550
ar les sens, soit par la pensée, dans la totalité
de
notre existence. Ainsi de nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hés
2551
ensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi
de
nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hésite pas à tenir ce raisonn
2552
trait sexuel — or sainte Thérèse parle sans cesse
d’
amour —, donc cette mystique est une érotomane qui s’ignore. » Mais no
2553
istorique. Résumons-le encore une fois, pour plus
de
clarté. Notre langage passionnel nous vient de la rhétorique des trou
2554
une dogmatique manichéenne y compose des symboles
d’
attrait sexuel. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant de la re
2555
el. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant
de
la religion qui l’a créée, passe dans les mœurs, et devient langage c
2556
imer ses expériences ineffables, il est contraint
de
se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’e
2557
riences ineffables, il est contraint de se servir
de
métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’elles sont, qu
2558
iie siècle, les métaphores courantes sont celles
de
la rhétorique courtoise. Que les mystiques s’en emparent sans hésiter
2559
lles, mais simplement que l’expression habituelle
de
ces passions, créée d’ailleurs par une mystique, convient à l’express
2560
illeurs par une mystique, convient à l’expression
de
l’amour spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même d’autant plus
2561
ur spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même
d’
autant plus à l’expression des rapports « malheureux » entretenus par
2562
lus complètement humanisée, c’est-à-dire détachée
de
l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et de l’âme,
2563
l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible
de
Dieu et de l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de
2564
Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et
de
l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de tout amour
2565
ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur
de
tout amour humain ; tandis que l’orthodoxie pose que l’union est impo
2566
n et rend l’amour humain possible en ses limites.
D’
où il résulte que le langage de la passion humaine selon l’hérésie cor
2567
le en ses limites. D’où il résulte que le langage
de
la passion humaine selon l’hérésie correspond au langage de la passio
2568
ion humaine selon l’hérésie correspond au langage
de
la passion divine selon l’orthodoxie. On se trouve donc en présence
2569
ision tout arbitraire isolerait tel ou tel moment
de
cette dialectique permanente pour en faire la donnée première. 7.L
2570
s Cette décision tout arbitraire, il est temps
de
la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire
2571
ut arbitraire, il est temps de la prendre ici, et
de
la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’ell
2572
de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire
de
sa primauté. Qu’elle soit arbitraire en fin de compte, ou ce qui revi
2573
e, avant tout compte, n’exclut pas qu’on l’appuie
de
raisons. J’en marquerai trois. 1° Le langage passionnel me paraît s’e
2574
esprit, en ceci qu’il exprime non pas le triomphe
de
la nature sur l’esprit114, mais l’excès de l’esprit sur l’instinct. «
2575
iomphe de la nature sur l’esprit114, mais l’excès
de
l’esprit sur l’instinct. « L’amour existe lorsque le désir est si gra
2576
e le désir est si grand qu’il dépasse les limites
de
l’amour naturel », disait le troubadour Guido Cavalcanti, au xiiie s
2577
ur Guido Cavalcanti, au xiiie siècle. Or le fait
de
dépasser les limites de l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit
2578
xiiie siècle. Or le fait de dépasser les limites
de
l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit. C’est ce fait seul qui
2579
ant qu’esprit. C’est ce fait seul qui nous permet
de
parler. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir auta
2580
r. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir
de
mentir autant que le pouvoir d’exprimer ce qui est. Un animal est inc
2581
ffet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvoir
d’
exprimer ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que
2582
ir d’exprimer ce qui est. Un animal est incapable
de
mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du néc
2583
er ce qui est. Un animal est incapable de mentir,
de
dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du nécessaire et
2584
de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas,
d’
aller au-delà du nécessaire et au-delà de la satisfaction. La passion,
2585
ait pas, d’aller au-delà du nécessaire et au-delà
de
la satisfaction. La passion, l’amour de l’amour, c’est au contraire l
2586
t au-delà de la satisfaction. La passion, l’amour
de
l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà de l’instinct et qu
2587
l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà
de
l’instinct et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable d’un tel
2588
et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable
d’
un tel mensonge ne saurait être que « l’esprit ». (On sent ici à quell
2589
songe se trouvent liés. Et n’est-elle pas typique
de
toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se décrire comme pour
2590
-elle pas typique de toute passion, cette volonté
de
s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais a
2591
ue de toute passion, cette volonté de s’exprimer,
de
se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais aussi cette conv
2592
s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir
de
soi-même ? Mais aussi cette conviction que les autres ne comprendront
2593
peut alors que mentir pour sauver l’essence même
de
la passion !) 2° Si Jean de la Croix, et même Ruysbroek, et saint Fra
2594
nçois, sont évidemment postérieurs à la naissance
de
l’amour-passion, il n’en reste pas moins que celui-ci est postérieur
2595
ais il est certain que l’érotomanie est une forme
d’
intoxication, et tout nous prouve que les Eckhart, Ruysbroek, Thérèse,
2596
e, Jean de la Croix, sont exactement le contraire
de
ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non de sa p
2597
me des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non
de
sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter.
2598
’intoxiqué est la victime non de sa passion, mais
de
l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine de cett
2599
riel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine
de
cette passion est un désir, conscient ou non, d’échapper à la conditi
2600
de cette passion est un désir, conscient ou non,
d’
échapper à la condition terrestre insupportable, et si l’on est en dro
2601
terrestre insupportable, et si l’on est en droit
d’
y voir le rudiment d’un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’
2602
ble, et si l’on est en droit d’y voir le rudiment
d’
un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’intoxiqué est avant t
2603
as moins que l’intoxiqué est avant tout l’esclave
de
sa drogue. Psychologiquement, c’est un être déchu, dont les sens s’ém
2604
es, tout au contraire, insistent sur la nécessité
de
dépasser l’état de transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pur
2605
re, insistent sur la nécessité de dépasser l’état
de
transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de
2606
nt sur la nécessité de dépasser l’état de transe,
d’
accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de vérifier m
2607
à une lucidité toujours plus pure et audacieuse,
de
vérifier même les plus hautes grâces par leurs répercussions dans la
2608
les grands mystiques s’accordent à voir le terme
de
leur ascension dans la liberté souveraine de l’âme. Saint Jean de la
2609
erme de leur ascension dans la liberté souveraine
de
l’âme. Saint Jean de la Croix et Maître Eckhart disent en termes diff
2610
er Dieu sans plus sentir son amour. C’est un état
d’
indifférence parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point de perf
2611
parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point
de
perfection d’un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédi
2612
rait-on ; en vérité, c’est le point de perfection
d’
un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédiatement active
2613
nt de perfection d’un équilibre durement conquis,
d’
une connaissance immédiatement active. Au-delà des transes et au-delà
2614
édiatement active. Au-delà des transes et au-delà
de
l’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état d’extrême « désint
2615
’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état
d’
extrême « désintoxication » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possessi
2616
ulmine dans un état d’extrême « désintoxication »
de
l’âme. Dans la plus rigoureuse possession de soi-même. Et c’est alors
2617
on » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possession
de
soi-même. Et c’est alors que le mariage devient possible, qui signifi
2618
evient possible, qui signifie non plus jouissance
de
l’Éros, mais fécondité de l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe appara
2619
fie non plus jouissance de l’Éros, mais fécondité
de
l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe apparaît-elle enfin comme la voi
2620
llence, la meilleure discipline qui nous permette
de
transcender l’amour-passion jusque dans ses formes sublimées. Le cycl
2621
assion jusque dans ses formes sublimées. Le cycle
de
l’ascèse chrétienne ramène l’âme à l’obéissance heureuse, c’est-à-dir
2622
eureuse, c’est-à-dire à l’acceptation des limites
de
la créature, mais dans un esprit renouvelé, dans une liberté reconqui
2623
elé, dans une liberté reconquise. 8.Crépuscule
de
l’amour-passion C’est le dogme de l’Incarnation qui distingue radi
2624
8.Crépuscule de l’amour-passion C’est le dogme
de
l’Incarnation qui distingue radicalement la mystique orthodoxe de l’h
2625
qui distingue radicalement la mystique orthodoxe
de
l’hérétique. C’est lui qui donne un sens tout différent au mot amour
2626
opposent la Nuit au Jour comme le fait l’Évangile
de
Jean. Mais la Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme de la
2627
Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme
de
la Nuit : elle n’a pas « été faite chair ». Ils ne veulent pas que le
2628
eulent aller tout droit à l’Amour par l’amour, et
de
la Nuit au Jour sans nul intermédiaire. Sombrant alors, comme Icare e
2629
6. Mais ils ignorent que la Nuit, c’est la Colère
de
Dieu — répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre d’un obscur dém
2630
— répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre
d’
un obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine de la Bible.) Refu
2631
obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine
de
la Bible.) Refusant que le Jour les enseigne dans cette vie et par le
2632
Jour les enseigne dans cette vie et par le moyen
de
la « matière », méconnaissant une Agapè qui sanctifie la créature, ig
2633
ctifie la créature, ignorant donc la vraie nature
de
ce qu’ils tiennent pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre
2634
ils tiennent pour le péché, ils courent le risque
de
s’y perdre sans retour au moment même qu’ils croient lui échapper. Et
2635
ur au moment même qu’ils croient lui échapper. Et
de
là vient que la confusion était fatale entre l’Éros divinisant et l’É
2636
tale entre l’Éros divinisant et l’Éros prisonnier
de
l’instinct. De là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amo
2637
os divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct.
De
là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amor des troubadou
2638
là vient que la passion « enthousiaste », la joy
d’
amor des troubadours, devait fatalement aboutir à la passion humaine m
2639
mort seule pouvait éteindre : ce fut la « torture
d’
amour » qu’ils se mirent à aimer pour elle-même. La passion des « parf
2640
ort que la suprême sensation. Et de même, l’amour
de
la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole de l’union avec la Jour
2641
Et de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera
d’
être un symbole de l’union avec la Jour incréé, deviendra le symbole d
2642
r de la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole
de
l’union avec la Jour incréé, deviendra le symbole de l’impossible uni
2643
l’union avec la Jour incréé, deviendra le symbole
de
l’impossible union avec la femme ; gardant de ses origines mystiques
2644
ole de l’impossible union avec la femme ; gardant
de
ses origines mystiques on ne sait quoi de divin, de faussement transc
2645
gardant de ses origines mystiques on ne sait quoi
de
divin, de faussement transcendant — une illusion de gloire libératric
2646
ses origines mystiques on ne sait quoi de divin,
de
faussement transcendant — une illusion de gloire libératrice dont la
2647
divin, de faussement transcendant — une illusion
de
gloire libératrice dont la douleur serait encore le signe ! Ainsi s’o
2648
sentiment. Intoxication par l’esprit. L’histoire
de
la passion d’amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie s
2649
toxication par l’esprit. L’histoire de la passion
d’
amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie siècle jusqu’à
2650
, du xiiie siècle jusqu’à nous, c’est l’histoire
de
la déchéance du mythe courtois dans la vie « profanée ». C’est le réc
2651
s figures du discours passionné, les « couleurs »
de
sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, p
2652
a rhétorique ne seront jamais que les exaltations
d’
un crépuscule, promesses de gloire jamais tenues… 86. Philippe de F
2653
is que les exaltations d’un crépuscule, promesses
de
gloire jamais tenues… 86. Philippe de Félice, Poisons sacrés, ivre
2654
es divines, essai sur quelques formes inférieures
de
la mystique. Paris 1936. 87. Il y a bien l’exemple de la formica san
2655
mystique. Paris 1936. 87. Il y a bien l’exemple
de
la formica sanguinea. Cet insecte entretient dans sa fourmilière un p
2656
7. 89. Voir Appendice 8. 90. La Nuit obscure,
de
saint Jean de la Croix, II, i, 1er verset. Trad. Hoornaert. 91. Ce n
2657
ute occasion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir
de
lui de grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâc
2658
asion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir de lui
de
grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâces pass
2659
sa volonté, que ces grâces passent par les mains
de
cette humanité sacrée en laquelle il a déclaré lui-même prendre sa co
2660
(Saint Jean de la Croix, p. 618) si nous tentions
de
prendre une vue générale des diverses mystiques connues, « l’expérien
2661
nnues, « l’expérience mystique ne nous semblerait
d’
un type homogène que dans la mesure où elle serait banale, dans la mes
2662
saisir ». 93. Gotha, 1929. Seul le livre célèbre
de
R. Otto sur le Sacré a paru jusqu’ici en traduction française. 94. «
2663
ent si totalement un seul être qu’il ne reste pas
d’
autre distinction que celle-ci : Lui demeure Dieu et elle demeure âme.
2664
bien dire que l’on se heurte dans tous les écrits
d’
Eckhart, à une grave équivoque sur le sens qu’il attribue à l’union (E
2665
it à croire, avec Otto, qu’il ne s’agit nullement
d’
une fusion essentielle. 96. Und diese Gleichheit aus dem Einen in das
2666
e être proposée comme un critère lorsqu’il s’agit
de
savoir si tel mystique croyait ou non à l’union essentielle ? Dans ce
2667
à l’union essentielle ? Dans ce cas, la remarque
de
l’abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse d’Otto, et nous p
2668
s ce cas, la remarque de l’abbé Paquier servirait
d’
argument contre la thèse d’Otto, et nous permettrait de ranger Maître
2669
abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse
d’
Otto, et nous permettrait de ranger Maître Eckhart parmi les hérétique
2670
ument contre la thèse d’Otto, et nous permettrait
de
ranger Maître Eckhart parmi les hérétiques. Je simplifie évidemment,
2671
fie évidemment, mais il y a là une question digne
d’
être étudiée minutieusement. 99. Un troubadour : « Amour ne me quitte
2672
thologie). 101. Id., Ibid., et P. Sabatier, Vie
de
saint François d’Assise. 102. B. de Ligt, La Paix créatrice, II, p.
2673
int François nommait le frère Gilles « un paladin
de
sa Table ronde », et les miracles du saint — comme la conversion du l
2674
s miracles du saint — comme la conversion du loup
de
Gubbio — se produisent dans les mêmes circonstances que les prouesses
2675
rs du xiiie siècle. 104. Ciascun amante, danse
de
l’amour mystique. Voir aussi l’Appendice 9. 105. On en trouvera d’ai
2676
livre II et 3-4 du livre IV. 106. Ce cri célèbre
de
sainte Thérèse est inspiré de la franciscaine Angèle de Foligno : « J
2677
106. Ce cri célèbre de sainte Thérèse est inspiré
de
la franciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir de mourir. »
2678
nciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir
de
mourir. » 107. J. Baruzi, Introduction à des recherches sur le lang
2679
Etchegoyen, l’Amour divin, essai sur les sources
de
sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression de l’amour divin. 111. Tra
2680
rces de sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression
de
l’amour divin. 111. Travaux de Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, L
2681
ie : l’Expression de l’amour divin. 111. Travaux
de
Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, Leuba, Freud, pour s’en tenir aux
2682
ntes telles que « aveuglé par la passion », « fou
d’
amour ». 115. Surtout les épigones féminins : une Marguerite-Marie Al
2683
uiétant exemple (sa description du lit nuptial et
de
ce qui s’y passe !) 116. Karl Jaspers a magnifiquement exprimé cette
2684
a magnifiquement exprimé cette assomption finale
de
la Nuit par le Jour dans sa Philosophie. (Cf. trad. française par H.
2685
péché. C’est lorsque la volonté humaine se sépare
de
Dieu pour être une volonté à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et
2686
à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et brûle
de
sa propre affection, ardeur qui lui est propre et qui n’a rien à voir
2687
ivine. Jacob Boehme. 1.D’une influence précise
de
la littérature sur les mœurs D’une manière générale, il est bien d
2688
luence précise de la littérature sur les mœurs
D’
une manière générale, il est bien difficile de vérifier l’influence de
2689
D’une manière générale, il est bien difficile
de
vérifier l’influence des arts sur la vie quotidienne d’une époque. «
2690
ifier l’influence des arts sur la vie quotidienne
d’
une époque. « La musique adoucit les mœurs » ? Je n’en sais rien, et p
2691
ouvons l’habiter, mais là n’est pas son caractère
d’
art. De même pour telle ou telle philosophie. Mais le cas est tout dif
2692
. Mais le cas est tout différent lorsqu’il s’agit
d’
une littérature dont on peut démontrer, historiquement, qu’elle a donn
2693
ue à la passion. Si la littérature peut se vanter
d’
avoir agi sur les mœurs de l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu
2694
térature peut se vanter d’avoir agi sur les mœurs
de
l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit. D’une maniè
2695
, c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit.
D’
une manière plus précise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage de
2696
récise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage
de
l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire de supposer ici quelque po
2697
age de l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire
de
supposer ici quelque pouvoir magique des sons et du langage sur nos a
2698
des sons et du langage sur nos actes. L’adoption
d’
un certain langage conventionnel entraîne et favorise naturellement l’
2699
tents qui se trouvent les plus aptes à s’exprimer
de
la sorte. C’est dans ce sens que l’on peut dire après La Rochefoucaul
2700
s que l’on peut dire après La Rochefoucauld : peu
d’
hommes seraient amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour
2701
nt amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler
d’
amour. ⁂ Passion et expression ne sont guère séparables. La passion pr
2702
arables. La passion prend sa source dans cet élan
de
l’esprit qui par ailleurs fait naître le langage. Dès qu’elle dépasse
2703
ens est significatif.) En ce domaine, il est aisé
de
vérifier. Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les masses par im
2704
e certaine rhétorique est la condition suffisante
de
leur aveu, donc de leur prise de conscience. À défaut de cette rhétor
2705
ue est la condition suffisante de leur aveu, donc
de
leur prise de conscience. À défaut de cette rhétorique, ces sentiment
2706
que, ces sentiments existeraient sans doute, mais
d’
une manière accidentelle, non reconnue, à titre d’étrangetés inavouabl
2707
d’une manière accidentelle, non reconnue, à titre
d’
étrangetés inavouables, en contrebande. Mais on a toujours vu que l’in
2708
ontrebande. Mais on a toujours vu que l’invention
d’
une rhétorique faisait foisonner rapidement certaines puissances laten
2709
rtaines puissances latentes du cœur. L’apparition
de
Werther par exemple a produit une vague, de suicides. Rousseau fit bo
2710
ition de Werther par exemple a produit une vague,
de
suicides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour de France, et Re
2711
cides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour
de
France, et René désola plusieurs générations. C’est que pour admirer
2712
t même pour se suicider, il faut être en mesure «
d’
expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est
2713
sent. Plus un homme est sentimental, plus il y a
de
chances qu’il soit verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme
2714
de même, plus un homme est passionné, plus il y a
de
chances qu’il réinvente les figures de la rhétorique ; qu’il redécouv
2715
lus il y a de chances qu’il réinvente les figures
de
la rhétorique ; qu’il redécouvre leur nécessité ; qu’il se modèle spo
2716
tion du mythe courtois dans la morale des peuples
d’
Occident : l’on peut admettre qu’elle est parallèle à ses métamorphose
2717
ards et simplifications). En esquissant la courbe
de
la mystique classique, nous avons pu décrire une assomption du mythe.
2718
ntenant. 2.Les deux Roses Le meilleur point
de
départ nous est donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années
2719
lleur point de départ nous est donné par le Roman
de
la Rose, écrit entre les années 1237 et 1280 environ. Il y a cent ans
2720
sque, que Béroul et Thomas ont composé la légende
de
Tristan. La croisade des albigeois a saccagé la civilisation courtois
2721
derniers troubadours. Que va devenir la tradition
d’
Amour ? Il semble bien que dès le second tiers du siècle, les hérétiqu
2722
ute l’Europe, où l’Église les traque, aient cessé
de
recourir à l’expression littéraire de leur religion. Le catharisme se
2723
aient cessé de recourir à l’expression littéraire
de
leur religion. Le catharisme se cachera désormais dans les couches pr
2724
formes nobles, ne fournit plus les beaux symboles
de
la grande féodalité. Ce mutisme, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès
2725
e, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès. L’Église
d’
Amour118 donnera naissance à d’innombrables sectes plus ou moins secrè
2726
progrès. L’Église d’Amour118 donnera naissance à
d’
innombrables sectes plus ou moins secrètes, plus ou moins révolutionna
2727
onnaires, et dont les traits constants témoignent
d’
une origine commune, d’une tradition fidèlement conservée. Toutes ces
2728
raits constants témoignent d’une origine commune,
d’
une tradition fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont ca
2729
par leur spiritualisme exalté ; par leur doctrine
de
la « joie rayonnante » ; par leur refus des sacrements et du mariage
2730
nts et du mariage ; par leur condamnation absolue
de
toute participation aux guerres ; par leur anticléricalisme ; par leu
2731
erres ; par leur anticléricalisme ; par leur goût
de
la pauvreté et de l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égal
2732
nticléricalisme ; par leur goût de la pauvreté et
de
l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égalitaire, allant par
2733
ommunisme total119. Nous retrouvons cet ensemble
de
traits non seulement chez les frères du Libre-Esprit et les ortliebie
2734
nt chez les Vaudois eux-mêmes, chez les disciples
de
Joachim de Flore, chez les béguines et les béguards des Pays-Bas, che
2735
dents avec une violence qui rappelle les procédés
de
Rome contre ses propres sectes. Mais ils ne purent ou ne voulurent le
2736
purent ou ne voulurent les anéantir totalement :
de
nos jours, on retrouve çà et là des communautés mennonites mêlées d’é
2737
trouve çà et là des communautés mennonites mêlées
d’
éléments russes — doukhobors et khlystis — au Canada et jusqu’au Parag
2738
— au Canada et jusqu’au Paraguay. Leur conception
de
l’amour n’a pas varié. Plusieurs auteurs ont supposé qu’une élite clé
2739
pensent-ils expliquer mieux certaines obscurités
de
la littérature émanée des cercles franciscains et même parfois domini
2740
vons vu à propos des mystiques. Mais en l’absence
de
preuves presque impossibles à établir, pour la raison bien simple que
2741
siècle, la littérature courtoise s’est détachée
de
ses racines mystiques ; elle s’est alors trouvée réduite à une simple
2742
le s’est alors trouvée réduite à une simple forme
d’
expression, c’est-à-dire à une rhétorique. Mais automatiquement, cette
2743
dite « réaliste ». Double mouvement dont le Roman
de
la Rose nous donne l’illustre témoignage. La Rose de Guillaume de Lor
2744
partie du roman, dite courtoise —, c’est l’amour
de
la femme idéale, vraie femme déjà mais femme inaccessible dans son ja
2745
éjà mais femme inaccessible dans son jardin givré
d’
allégories. Danger, Male-Bouche et Honte défendent Bel Accueil contre
2746
est plus une ascèse mystique, mais un raffinement
de
l’esprit, qui doit amener l’amant à mériter le don. Au contraire, pou
2747
e. Le réalisme le plus franc succède aux fadaises
de
Lorris, le sensualisme au platonisme, le cynisme à l’exaltation. La R
2748
, le cynisme à l’exaltation. La Rose est emportée
de
haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison de la passi
2749
e est emportée de haute lutte. La Nature triomphe
de
l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune de ces parties aura sa
2750
tte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison
de
la passion. Chacune de ces parties aura sa descendance. De Lorris, no
2751
de l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune
de
ces parties aura sa descendance. De Lorris, nous irons par Dante — qu
2752
sion. Chacune de ces parties aura sa descendance.
De
Lorris, nous irons par Dante — qui peut-être le traduisit — jusqu’à P
2753
celle qui condamne la passion comme une « maladie
de
l’âme » — se transmettra aux parties basses de la littérature françai
2754
ie de l’âme » — se transmettra aux parties basses
de
la littérature française : gauloiserie, gaillardise, rationalisme pol
2755
curieusement exaspérée, naturalisme et réduction
de
l’homme au sexe. C’est la défense normale que l’homme païen oppose au
2756
défense normale que l’homme païen oppose au mythe
de
l’amour malheureux. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche d’
2757
x. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche
d’
une vision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion d’y revenir).
2758
ision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion
d’
y revenir). 3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour de l’
2759
3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour
de
l’an 1200, quelques couplets sont échangés entre Rambaut de Vaqueiras
2760
laspina. Il semble bien qu’un courant très direct
d’
échanges « littéraires » — si l’on veut — unisse le Midi de la France
2761
à la Lombardo-Vénétie. Une fois de plus, la carte
de
l’influence des troubadours se confond avec celle des hérésies. Un pe
2762
Un peu plus tard, le mouvement franciscain naîtra
d’
une conjonction semblable entre les « spirituels » (mais dans l’Église
2763
estion est encore obscure. On ne trouve à la cour
de
Palerme qu’un seul poète provençal, et Frédéric persécute l’hérésie.
2764
que le procédé mystifiant ? On serait assez tenté
de
le croire, lorsqu’on voit Dante et son ami Cavalcanti s’élever contre
2765
d’Arezzo, et railler ses disciples : « Sectateurs
de
l’ignorance, aveugles qui veulent juger des couleurs, oies essayant d
2766
les qui veulent juger des couleurs, oies essayant
de
rivaliser avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un de ces pa
2767
avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un
de
ces pasticheurs infatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion d
2768
fatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion
de
définir le dolce stil nuovo, le style savant et caressant que l’école
2769
ombés dans un douteux allégorisme : ils parlaient
de
la dame comme d’une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais
2770
teux allégorisme : ils parlaient de la dame comme
d’
une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais froide et stéréo
2771
te et Cavalcanti, d’autres encore, demandent plus
de
sincérité et plus de chaleur amoureuse, mais en même temps, ils saven
2772
utres encore, demandent plus de sincérité et plus
de
chaleur amoureuse, mais en même temps, ils savent et disent (dans ce
2773
purement symbolique. Tel est le secret paradoxal
de
l’amour courtois : guindé et froid quand il ne vante que la femme, ma
2774
quand il ne vante que la femme, mais tout ardent
de
sincérité quand il célèbre la Sagesse d’amour : c’est là vraiment que
2775
t ardent de sincérité quand il célèbre la Sagesse
d’
amour : c’est là vraiment que bat son cœur. Et Dante n’est jamais plus
2776
ns son Banquet, comme le secret qu’il faut voiler
d’
un « beau mensonge ». Les cathares savaient bien tout cela. Mais noton
2777
jour faisait une seule lumière, trompeuse à force
d’
évidence. Maintenant nous pouvons distinguer les thèmes que le trobar
2778
s que le trobar mêlait dans la naïve transparence
de
ses symboles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte de Jacques
2779
oles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte
de
Jacques de Lentino : Mon cœur souvent meurt, et plus douloureusement
2780
n cœur souvent meurt, et plus douloureusement que
de
mort naturelle, pour vous Dame qu’il désire et aime plus que lui-même
2781
te de même : Amour qui, dans ma pensée, me parle
de
ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient de choses telles qu’à
2782
de ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient
de
choses telles qu’à leur sujet mon intelligence s’égare. Son langage r
2783
Malheureuse que je suis ! Je ne suis pas capable
de
répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore d
2784
suis pas capable de répéter ce que j’entends dire
de
ma Dame ! Et qui douterait encore de la signification symbolique de
2785
ntends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore
de
la signification symbolique de la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en
2786
i douterait encore de la signification symbolique
de
la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe de « n
2787
qu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe
de
« notre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et de n
2788
otre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine
de
grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue
2789
Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et
de
noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue [auquel ell
2790
de grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil
de
celui qu’elle salue [auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà
2791
[auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà
de
notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’est qu’un blasphéma
2792
’est qu’un blasphémateur lorsqu’il écrit au seuil
de
la Vita Nuova, cette strophe au sublime départ : Un ange crie en l’I
2793
monde se voit une merveille en l’acte qui procède
d’
une âme qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose
2794
qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que
d’
une chose — c’est de l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les
2795
e. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose — c’est
de
l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les Saints implorent ce
2796
, Pitié prend notre parti, car Dieu dit, et c’est
de
ma Dame qu’il entend parler : — Mes bien-aimés, ores souffrez en paix
2797
ure, autant qu’il me plaira, là où se trouve plus
d’
un qui s’attend à la perdre et qui dira dans l’enfer : — Ô maudits, j’
2798
vu l’espérance des bienheureux ! S’agit-il donc
de
Béatrice comme femme ? Est-ce sa présence que tous les saints implore
2799
espérance des bienheureux » ? Ou s’agit-il plutôt
de
l’Esprit saint soutenant son Église par la charité du Christ — (la Pi
2800
matoire, c’est l’équivoque malgré tout maintenue.
D’
où le débat qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait de définir
2801
t qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait
de
définir enfin ce dont on parle. « Cet Amour est-il vie ou mort ? » de
2802
nt le premier. Et le second répond : « Du pouvoir
de
l’amour provient souvent la mort… L’amour existe lorsque le désir est
2803
e le désir est si grand qu’il dépasse les limites
de
l’amour naturel… Comme il ne provient point de la qualité, il réfléch
2804
es de l’amour naturel… Comme il ne provient point
de
la qualité, il réfléchit perpétuellement sur lui-même son propre effe
2805
ion mystique. Mais encore faut-il définir le rôle
de
l’amour naturel dans cette perspective céleste. C’est ce qu’a fait Da
2806
, exprimant dans une petite fable la vraie nature
de
l’Amour qu’il chante, et le danger de s’arrêter aux formes terrestres
2807
raie nature de l’Amour qu’il chante, et le danger
de
s’arrêter aux formes terrestres qui n’en sont qu’un reflet : De même
2808
ge en regardant un miroir et croit y voir l’image
de
ses petits qu’elle, va cherchant : par ce plaisir elle oublie le chas
2809
ne poursuit point ; de même celui qui est pénétré
d’
amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ainsi il soul
2810
énétré d’amour puise la vie dans la contemplation
de
sa dame, car ainsi il soulage sa grande peine… Mais la dame n’a point
2811
l’Amour à son profit. Dans un Bestiaire moralisé
de
cette époque, je trouve la même fable, avec cette conclusion : Ce fa
2812
st le Démon, qui nous fait voir ce qui n’est pas.
De
là vient que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’aller vers l
2813
ent que bien des hommes ont péri pour avoir tardé
d’
aller vers le Seigneur. Le temps venait où les poètes succomberaient
2814
es poètes succomberaient aux charmes du miroir et
de
la rhétorique profanée. Nous allons voir Pétrarque se laisser prendre
2815
re « à ce qui n’est pas », c’est-à-dire à l’image
de
sa Laure, qui trop longtemps — comme il gémit plus tard — le retiendr
2816
ngtemps — comme il gémit plus tard — le retiendra
d’
« aller vers le Seigneur ». 4.Pétrarque, ou le rhéteur converti
2817
ment amoureux et c’est Pétrarque. Et ce qu’il y a
de
mieux, c’est que c’est vrai… Qu’appelle-t-on un homme simplement amou
2818
’appelle-t-on un homme simplement amoureux ? Rien
d’
analogue. Lui l’était d’une façon extraordinaire, incendiaire, solaire
2819
implement amoureux ? Rien d’analogue. Lui l’était
d’
une façon extraordinaire, incendiaire, solaire.121 Voilà ce qui doit
2820
our la première fois les symboles des troubadours
d’
un souffle parfaitement païen, et non plus du tout hérétique ! On est
2821
ut s’est volatilisé : il ne joue plus. Le langage
de
l’Amour est enfin devenu la rhétorique du cœur humain. Cette « profan
2822
ique orthodoxe. Et cette dernière ne manquera pas
d’
y puiser ses meilleures métaphores. En vérité, la tentation était trop
2823
hasard.) Voici le Sonnet du premier anniversaire
de
l’amour de Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heur
2824
oici le Sonnet du premier anniversaire de l’amour
de
Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heure Où si hau
2825
e faut rendre grâce Toi qui fus jugée digne alors
d’
un tel honneur. D’Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le
2826
e Toi qui fus jugée digne alors d’un tel honneur.
D’
Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le suis, au plus hau
2827
ène Et te fait mépriser ce que l’homme désire122.
D’
Elle te vient la grâce généreuse Qui te pousse au ciel par un droit se
2828
l par un droit sentier Et fait que je marche fier
de
mon espérance. Où Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe
2829
Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe
de
Tristan123, c’est dans le cri de la « torture délicieuse », du mal ai
2830
l prend la harpe de Tristan123, c’est dans le cri
de
la « torture délicieuse », du mal aimé, du plaisir qui consume : Ô t
2831
e : Ô tendres, angéliques étincelles, béatitudes
De
ma vie où s’allume le plaisir Qui doucement me consume et détruit. (L
2832
ir Qui doucement me consume et détruit. (Les Yeux
de
ma dame.) Ô mort vivante, ô mal délicieux124 Comment as-tu sur moi
2833
le je nais…125 (Sonnet 164.) Ailleurs, il parle
de
Laure comme de sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se sé
2834
(Sonnet 164.) Ailleurs, il parle de Laure comme
de
sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant d’Iseut
2835
imée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant
d’
Iseut lorsqu’il la rend à son époux : Ô dure départie Pourquoi m’as-t
2836
d à son époux : Ô dure départie Pourquoi m’as-tu
de
mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux de Laure présente …all
2837
de mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux
de
Laure présente …allumés d’une lueur céleste M’enflamment de façon qu
2838
t 254.) Car les yeux de Laure présente …allumés
d’
une lueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît de brûler.126
2839
ésente …allumés d’une lueur céleste M’enflamment
de
façon qu’il me plaît de brûler.126 (Triomphe de l’amour.) Mais prés
2840
ueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît
de
brûler.126 (Triomphe de l’amour.) Mais présente ou absente — ici en
2841
de façon qu’il me plaît de brûler.126 (Triomphe
de
l’amour.) Mais présente ou absente — ici encore —, la femme ne sera
2842
encore —, la femme ne sera jamais que l’occasion
d’
une torture qu’il préfère à tout : Je sais, suivant mon feu partout o
2843
is, suivant mon feu partout où il me fuit, Brûler
de
loin — de près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier ve
2844
t mon feu partout où il me fuit, Brûler de loin —
de
près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier vers. Et le
2845
romantique est dans ce dernier vers. Et le secret
de
cette mélancolie, Pétrarque a su l’analyser mieux que les plus lucide
2846
su l’analyser mieux que les plus lucides victimes
de
ce que l’on baptisera plus tard le mal du siècle : Des autres passio
2847
eut appeler le comble des misères !) je me repais
de
ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignan
2848
mble des misères !) je me repais de ces peines et
de
ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignante que, si l’on v
2849
e ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte
de
volupté si poignante que, si l’on vient m’en arracher, c’est malgré m
2850
iste à ce point ? Est-ce bien le cours des choses
de
ce monde ? Est-ce une douleur physique, ou bien quelque rigueur injus
2851
douleur physique, ou bien quelque rigueur injuste
de
fortune ? Pétrarque. — Rien de tout cela en particulier. C’est le «
2852
e rigueur injuste de fortune ? Pétrarque. — Rien
de
tout cela en particulier. C’est le « vague des passions » préromanti
2853
l se peut faire qu’il vive encore, quoique séparé
de
sa dame : Mais Amour me répond : ne te souvient-il pas que c’est là
2854
l pas que c’est là le privilège des amants déliés
de
toutes les qualités de l’homme128 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse as
2855
rivilège des amants déliés de toutes les qualités
de
l’homme128 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse ascension au Ventoux, qui
2856
et voilà qui rappelle au poète que ses « qualités
d’
homme » le lient de fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit
2857
le au poète que ses « qualités d’homme » le lient
de
fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson de
2858
ion pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson
de
la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen de conscience : Je
2859
Chanson de la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé
de
l’examen de conscience : Je vais pensant— et en pensant m’assaille u
2860
la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen
de
conscience : Je vais pensant— et en pensant m’assaille une pitié de
2861
vais pensant— et en pensant m’assaille une pitié
de
moi-même si forte qu’elle me conduit souvent à d’autres pleurs que ce
2862
nds ton parti avec prudence ! Prends ! Et arrache
de
ton cœur toute racine De ce plaisir qui heureux ne le peut jamais ren
2863
ce ! Prends ! Et arrache de ton cœur toute racine
De
ce plaisir qui heureux ne le peut jamais rendre… Il n’a que trop lon
2864
à cet amour blasphématoire, à ce besoin dément.
d’
un plaisir que l’usage en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace d
2865
age en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace
de
négocier avec la mort ! La lucidité même d’un tel cri, où s’avoue l
2866
ace de négocier avec la mort ! La lucidité même
d’
un tel cri, où s’avoue le dernier secret du mythe courtois, c’est le s
2867
dernier secret du mythe courtois, c’est le signe
d’
une grâce reçue. Ce qui peut arracher à l’espoir vain, c’est la foi se
2868
la foi seule dans le pardon. Voici la conversion
de
l’espérance qui trouve enfin son objet véritable : Or lève-toi vers
2869
l et paré ! S’il est vrai, qu’ici-bas tant joyeux
de
son mal votre désir s’apaise par un coup d’œil, une parole, une chans
2870
Imposer un style à la vie des passions — ce rêve
de
tout le Moyen Âge païen tourmenté par la loi chrétienne —, c’est la s
2871
vait donner naissance au mythe. Mais la confusion
de
la foi, « qui à Dieu seul est due et à lui seul convient », avec l’am
2872
ul est due et à lui seul convient », avec l’amour
d’
« une chose mortelle », en fut la conséquence inévitable. Et c’est bie
2873
, en fut la conséquence inévitable. Et c’est bien
de
cette confusion — non de la doctrine orthodoxe — que devait résulter
2874
névitable. Et c’est bien de cette confusion — non
de
la doctrine orthodoxe — que devait résulter l’opposition tragique du
2875
devait résulter l’opposition tragique du corps et
de
l’âme. C’est la tendance ascétique, orientale — le monachisme vient d
2876
ndance ascétique, orientale — le monachisme vient
d’
Orient — c’est la tendance hérétique des « parfaits » qui inspira la p
2877
bien elle, qui, peu à peu, contamina par le moyen
d’
une littérature idéalisante, l’élite de la société médiévale. D’où la
2878
r le moyen d’une littérature idéalisante, l’élite
de
la société médiévale. D’où la réaction « réaliste » qui ne pouvait ma
2879
ure idéalisante, l’élite de la société médiévale.
D’
où la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle
2880
ù la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer
de
s’ensuivre. Elle fut surtout sensible dans la bourgeoisie. Dès le déb
2881
. Dès le début du xiie siècle, en plein triomphe
de
l’amour courtois, l’on voit paraître cette tendance contraire, celle
2882
contre poésie, cynisme contre idéalisme. Le Débat
de
l’âme et du corps qui date précisément de cette époque, est le premie
2883
e Débat de l’âme et du corps qui date précisément
de
cette époque, est le premier témoignage d’un conflit que le mariage c
2884
sément de cette époque, est le premier témoignage
d’
un conflit que le mariage chrétien était censé résoudre. On y voit l’â
2885
censé résoudre. On y voit l’âme récemment séparée
de
son corps adresser à son compagnon les reproches les plus amers : c’e
2886
t trop tard, au-devant du supplice éternel. Issus
de
ce ressentiment du corps, les fabliaux eurent un immense succès (aupr
2887
annoncent le roman comique, qui annonce le roman
de
mœurs, qui annonce le naturalisme polémique du dernier siècle. Mais j
2888
soient engendrés en ligne directe. Chaque moment
de
cette progression vers le « vrai » se trouve lié, plus étroitement qu
2889
tement qu’au précédent, à un moment correspondant
de
la progression vers le « précieux », et c’est de cela qu’il naît, par
2890
de la progression vers le « précieux », et c’est
de
cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît de l’Astrée, non de
2891
cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît
de
l’Astrée, non des fabliaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédie
2892
liaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédies
de
Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantis
2893
ne de Marivaux naît des comédies de Marivaux, non
de
Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantisme, au moins auta
2894
comédies de Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît
de
la décomposition du romantisme, au moins autant, si ce n’est beaucoup
2895
, au moins autant, si ce n’est beaucoup plus, que
de
Balzac (considéré alors comme réaliste). Pour en revenir au xiiie si
2896
J. Huizinga129 — l’esprit gaulois aux conventions
de
l’amour courtois et à y voir la conception naturaliste de l’amour, en
2897
ur courtois et à y voir la conception naturaliste
de
l’amour, en opposition avec la conception romantique. Or la gauloiser
2898
que. La pensée érotique, pour acquérir une valeur
de
culture, doit être stylisée. Elle doit représenter la réalité complex
2899
a gauloiserie : la licence fantaisiste, le dédain
de
toutes les complications naturelles et sociales de l’amour, l’indulge
2900
e toutes les complications naturelles et sociales
de
l’amour, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes de la vie se
2901
, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes
de
la vie sexuelle, la vision d’une jouissance infinie, tout cela ne fai
2902
ges et les égoïsmes de la vie sexuelle, la vision
d’
une jouissance infinie, tout cela ne fait que donner satisfaction au b
2903
ne fait que donner satisfaction au besoin humain
de
substituer à la réalité le rêve d’une vie plus heureuse. C’est encore
2904
besoin humain de substituer à la réalité le rêve
d’
une vie plus heureuse. C’est encore une aspiration à la vie sublime, t
2905
du côté animal. C’est un idéal quand même : celui
de
la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et de l’amour alambiqu
2906
uand même : celui de la luxure. » Ce lien profond
de
la gauloiserie et de l’amour alambiqué, on le surprend dans une satir
2907
la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et
de
l’amour alambiqué, on le surprend dans une satire du xiiie siècle in
2908
intitulée l’Évangile des femmes : c’est une suite
de
quatrains dont les trois premiers vers exaltent la femme selon le mod
2909
le mode courtois, tandis que la quatrième réfute
d’
un trait brutal ces éloges. Autre complicité : la gauloiserie démolit
2910
r en bas, alors que la chevalerie le ridiculisait
d’
en haut. Comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit de Chiceface
2911
Comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit
de
Chiceface. Chiceface est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de
2912
ace est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que
de
femmes fidèles, aussi est-il d’une maigreur effroyable, tandis que so
2913
ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi est-il
d’
une maigreur effroyable, tandis que son confrère Bigorne, lequel ne ma
2914
igorne, lequel ne mange que les maris soumis, est
d’
un embonpoint sans pareil. Parallèlement à ces deux courants issus du
2915
e, en consacrant ses derniers chants à la louange
de
la Vierge — Notre Dame opposée à « ma » dame — mais sans varier le mo
2916
s sans varier le moins du monde ses lieux communs
de
poésie courtoise130. Dante a vengé d’avance les troubadours en mettan
2917
eux communs de poésie courtoise130. Dante a vengé
d’
avance les troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers de Marie »
2918
troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers
de
Marie », moines italiens appelés aussi « chevaliers joyeux » à cause
2919
solue, et malgré leur saint patronage. 6.Suite
de
la chevalerie, jusqu’à Cervantès L’influence du roman breton est a
2920
ce du roman breton est attestée par des centaines
de
textes à travers les xiiie , xive et xve siècles. Elle couvre la mê
2921
rs : l’Europe entière. Les minnesänger (chanteurs
de
l’Amour) en Allemagne sont nourris de légendes cathares131 et par ail
2922
(chanteurs de l’Amour) en Allemagne sont nourris
de
légendes cathares131 et par ailleurs ne font qu’adapter du français l
2923
illeurs ne font qu’adapter du français les récits
de
Chrétien de Troyes. On traduit le roman de Tristan dans toutes les la
2924
récits de Chrétien de Troyes. On traduit le roman
de
Tristan dans toutes les langues d’Occident. L’Anglais Thomas Malory,
2925
aduit le roman de Tristan dans toutes les langues
d’
Occident. L’Anglais Thomas Malory, à la fin du xve siècle, en refait
2926
se. Dante considère le cycle épique et romanesque
de
la France du Nord comme le modèle universel de toute prose narrative,
2927
ue de la France du Nord comme le modèle universel
de
toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait de Tristan (dans sa
2928
toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait
de
Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale. De là, j
2929
trait de Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait
de
la femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de
2930
ns sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale.
De
là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des E
2931
portrait de la femme idéale. De là, jusqu’au fond
de
la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrabl
2932
femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège,
de
la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations,
2933
De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie,
de
la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations, dont les Amadi
2934
ège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes,
d’
innombrables imitations, dont les Amadis portugais (puis espagnols, pu
2935
is auquel on pouvait s’attendre, certains auteurs
de
ces imitations se trouvent amenés à redécouvrir le sens original des
2936
ystiques. Mais alors ils ne peuvent se servir que
d’
une mythologie toute catholique — soit prudence ou incompréhension — a
2937
n primitive. En 1554, en Espagne, paraît un livre
de
Hyeronimo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro de cavalleri
2938
mo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro
de
cavalleria celestial del pié de la rosa fragante. Le Christ y devient
2939
lamboyant : Libro de cavalleria celestial del pié
de
la rosa fragante. Le Christ y devient le chevalier du Lion, Satan le
2940
r du Désert, et les apôtres, les douze chevaliers
de
la Table ronde. Or, selon Rahn, la Table ronde du Parzival, au sanctu
2941
n Rahn, la Table ronde du Parzival, au sanctuaire
de
Montségur ou « Montsalvat » — dernière forteresse des cathares — c’ét
2942
Cervantès ne cite point les très nombreux romans
de
« chevalerie célestielle » qu’on lisait de son temps avec passion132.
2943
romans de « chevalerie célestielle » qu’on lisait
de
son temps avec passion132. Il ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’a
2944
ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’aux romans
d’
aventures profanes. Cette omission est mystérieuse. Elle militerait en
2945
lle Cervantès connaissait la signification réelle
de
la littérature courtoise, et raillait non sans désespoir les rêveries
2946
oise, et raillait non sans désespoir les rêveries
de
ses contemporains, adonnés à une illusion dont ils avaient perdu le s
2947
des temps rend totalement impraticable. L’Église
de
Rome a triomphé. Mieux vaut dès lors se mettre du bon côté, avec l’ho
2948
ngage moderne. Et en Irlande, elles vivent encore
de
nos jours. Je ne puis examiner ici le problème des rapports entre ce
2949
miner ici le problème des rapports entre ce fonds
de
légendes celtiques et la littérature anglaise populaire et savante. M
2950
ste, ait écrit un traité sur les fées, sans trace
de
scepticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare,
2951
traité sur les fées, sans trace de scepticisme ou
d’
ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare, — mais nous avons
2952
pticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien
de
Shakespeare, — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit
2953
e rien de Shakespeare, — mais nous avons le Songe
d’
une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons R
2954
hakespeare, — mais nous avons le Songe d’une Nuit
d’
été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Jul
2955
stan de Wagner. Tant qu’on ignore à peu près tout
de
la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demande
2956
ant qu’on ignore à peu près tout de la vie, voire
de
l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissai
2957
re à peu près tout de la vie, voire de l’identité
de
Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissait la tradition
2958
, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain
de
se demander s’il connaissait la tradition secrète des troubadours. Ma
2959
beaucoup plus grand nombre… Comment les légendes
de
ce temps n’auraient-elles point gardé de traces des luttes violentes
2960
légendes de ce temps n’auraient-elles point gardé
de
traces des luttes violentes qui opposèrent dans la cité les « patarin
2961
plus profonde que jamais, la tragédie des Amants
de
Vérone, c’est le voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir de
2962
voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir
de
nos yeux que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir de la méla
2963
sant au souvenir de nos yeux que l’image négative
d’
un éclat, « le soleil noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs d
2964
que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir
de
la mélancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide de tortures tra
2965
il noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs
de
l’âme avide de tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’écl
2966
élancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide
de
tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair de l’amour
2967
deurs de l’âme avide de tortures transfigurantes,
de
la nuit abyssale où l’éclair de l’amour illumine parfois une face imm
2968
transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair
de
l’amour illumine parfois une face immobile et fascinante, — ce nous-m
2969
s une face immobile et fascinante, — ce nous-même
d’
horreur et de divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ress
2970
mobile et fascinante, — ce nous-même d’horreur et
de
divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité d’un c
2971
el s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité
d’
un coup dans sa pleine stature, comme étourdi de sa jeunesse provocant
2972
é d’un coup dans sa pleine stature, comme étourdi
de
sa jeunesse provocante et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau
2973
omme étourdi de sa jeunesse provocante et enivrée
de
rhétorique, au seuil du tombeau de Mantoue voici le mythe de nouveau
2974
nte et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau
de
Mantoue voici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur d’une tor
2975
ici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur
d’
une torche que tient Roméo. Juliette repose, endormie par le philtre.
2976
Juliette repose, endormie par le philtre. Le fils
de
Montague est entré, et il parle : Combien souvent les hommes sur le
2977
r ? Ô mon amour, ma femme, La mort a sucé le miel
de
ton haleine Et n’a pas eu de prise encor sur ta beauté Et tu n’es pas
2978
mort a sucé le miel de ton haleine Et n’a pas eu
de
prise encor sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de beau
2979
sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne
de
beauté Est encore cramoisie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle dra
2980
sie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle drapeau
de
la mort n’est pas avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi es-tu si be
2981
rainte de cela je demeure avec toi Et plus jamais
de
ce palais de la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Av
2982
a je demeure avec toi Et plus jamais de ce palais
de
la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Avec les vers q
2983
ecouer l’influence des étoiles funestes Et sortir
de
cette chair lasse du monde. Mes yeux regardez une dernière fois ! Mes
2984
Sur les récifs brisants ta barque épuisée, malade
de
la mer ! Voilà pour mon amour ! (Il boit.) … Honnête apothicaire Ta d
2985
st rapide. En un baiser je meurs. Le consolament
de
la Mort vient de sceller le seul mariage qu’ait jamais pu vouloir l’É
2986
sombrie… Séparons-nous pour nous entretenir encor
de
ces tristesses.133 ⁂ Il est certain que Milton quoique puritain sub
2987
ain que Milton quoique puritain subit l’influence
de
doctrines cabalistiques aussi peu « spiritualistes » que possible. Ma
2988
» contre la féodalité et le clergé ? Deux poèmes
de
Milton, qu’il écrivit dans sa jeunesse, l’Allegro et le Penseroso exp
2989
et le Penseroso expriment l’opposition du Jour et
de
la Nuit, et le choix nécessaire qu’il n’a pas encore fait. (Il ne le
2990
ne le fera sans doute jamais : du moins pas sans
de
telles réticences qu’il serait vain de conclure sur ce point plus net
2991
s pas sans de telles réticences qu’il serait vain
de
conclure sur ce point plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même
2992
nt plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même
d’
embrasser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet d’épopée avait
2993
ser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet
d’
épopée avait envisagé parfois le thème de la légende celtique d’Arthur
2994
un sujet d’épopée avait envisagé parfois le thème
de
la légende celtique d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dan
2995
envisagé parfois le thème de la légende celtique
d’
Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge
2996
de la légende celtique d’Arthur et des chevaliers
de
la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge de la Mélancolie nocturne,
2997
iers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge
de
la Mélancolie nocturne, s’adressant à cette « Vierge sérieuse » il la
2998
’adressant à cette « Vierge sérieuse » il la prie
d’
évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bag
2999
erge sérieuse » il la prie d’évoquer encore l’âme
d’
Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiq
3000
la prie d’évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux
de
Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiques, et finalement
3001
nalement les « illustres bardes » qui chantèrent
d’
une voix grave et solennelle tournois et trophées remportés, forêts, e
3002
eets the ear »… Il avait étudié pour son Histoire
de
Bretagne la chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le De doct
3003
chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le
De
doctrina christiana, il s’était insurgé « contre la puissance créatri
3004
l s’était insurgé « contre la puissance créatrice
de
Dieu, contre les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation… répudiant
3005
la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes
de
la Trinité et de l’Incarnation… répudiant les définitions théologique
3006
trice de Dieu, contre les dogmes de la Trinité et
de
l’Incarnation… répudiant les définitions théologiques traditionnelles
3007
nd lyrisme passionnel ? Quant au « matérialisme »
de
Milton, il s’oppose moins qu’on pourrait le croire à une doctrine « c
3008
n pourrait le croire à une doctrine « courtoise »
de
l’amour. Entre un monisme qui assimile l’esprit à la matière (ou l’in
3009
me n’est pas infranchissable, surtout sur le plan
de
l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont d’importants présupposé
3010
de l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont
d’
importants présupposés communs. L’extrême de la luxure touche parfois
3011
e ont d’importants présupposés communs. L’extrême
de
la luxure touche parfois l’extrême de la chasteté exaltée. Et la néga
3012
. L’extrême de la luxure touche parfois l’extrême
de
la chasteté exaltée. Et la négation de la mort, chez Milton, le condu
3013
l’extrême de la chasteté exaltée. Et la négation
de
la mort, chez Milton, le conduit à des conclusions bien proches de ce
3014
Milton, le conduit à des conclusions bien proches
de
celles des cathares. Comme eux, Milton croit que le bon désir procède
3015
rincipes intellectuels, et qu’il doit nous purger
de
notre mauvais désir, de la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son ma
3016
et qu’il doit nous purger de notre mauvais désir,
de
la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son maître en occultisme, ense
3017
atière divine… Il reste cependant que la doctrine
de
Milton est bien plus « rationnelle » et sociale que celle des hérétiq
3018
vait-elle point favoriser les confusions extrêmes
de
la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les
3019
favoriser les confusions extrêmes de la chair et
de
l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les sectes néo-man
3020
de la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas
de
se produire dans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée : de la
3021
ans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée :
de
la mystique à la psychologie L’histoire du mythe dans le Roman, au
3022
ade en pure psychologie. Le Roman devient l’objet
d’
une littérature raffinée. D’Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Sc
3023
Roman devient l’objet d’une littérature raffinée.
D’
Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Scudéry n’ont plus la moindre
3024
éry n’ont plus la moindre idée du sens ésotérique
de
la chevalerie légendaire. La nature symbolique des sujets qu’ils repr
3025
u’ils reprennent les induit simplement à composer
d’
interminables romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le G
3026
c. Le sujet du roman demeure les « contrariétés »
de
l’amour, mais l’obstacle n’est plus la volonté de mort, si secrète et
3027
de l’amour, mais l’obstacle n’est plus la volonté
de
mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’est simplement le p
3028
physique dans Tristan : c’est simplement le point
d’
honneur, manie sociale. C’est l’héroïne, ici, qui est la plus astucieu
3029
ici, qui est la plus astucieuse lorsqu’il s’agit
d’
imaginer des prétextes de séparation. Elle terrorise avec délices son
3030
ucieuse lorsqu’il s’agit d’imaginer des prétextes
de
séparation. Elle terrorise avec délices son chevaleresque soupirant,
3031
soupirant, et l’on voit Polexandre, dans le roman
de
Gomberville, parcourir comme un fou les cinq parties du monde pour ap
3032
nq parties du monde pour apaiser un regard irrité
de
sa maîtresse. Au dénouement, il est encore à se demander si cette « r
3033
s échos mélancoliques. Il y a bien les douze lois
d’
Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge de la chasteté, voire les
3034
ois d’Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge
de
la chasteté, voire les défis à une mort libératrice. Mais la dialecti
3035
une mort libératrice. Mais la dialectique sauvage
de
Tristan n’est plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la
3036
plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et
de
la Nuit se ramène à des jeux de pénombre. Entre le corps des deux ama
3037
combat du Jour et de la Nuit se ramène à des jeux
de
pénombre. Entre le corps des deux amants plus d’épée nue, mais la hou
3038
de pénombre. Entre le corps des deux amants plus
d’
épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur de la b
3039
ux amants plus d’épée nue, mais la houlette dorée
de
Céladon ornée d’une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolis
3040
épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée
d’
une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste.
3041
s la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur
de
la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste. Au cinquième
3042
ise tout le reste. Au cinquième et dernier volume
de
ce roman que l’on n’ose nommer un roman-fleuve, puisqu’il n’est parco
3043
, puisqu’il n’est parcouru que par les sinuosités
d’
un modeste ruisseau, le Lignon, Céladon désespéré appelle la mort ; As
3044
gnon, Céladon désespéré appelle la mort ; Astrée,
de
son côté conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin de leurs ma
3045
conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin
de
leurs maux à la Fontaine de Vérité, gardée par des lions et des licor
3046
vont demander la fin de leurs maux à la Fontaine
de
Vérité, gardée par des lions et des licornes : cette fontaine ne sera
3047
l’oracle, que par la mort du plus fidèle amant et
de
la plus fidèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat de la fata
3048
fidèle amant et de la plus fidèle amante. (Thème
de
Tristan : c’est le rachat de la fatalité du philtre.) Céladon s’avanc
3049
idèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat
de
la fatalité du philtre.) Céladon s’avance, mais ô miracle, les lions
3050
le ciel s’obscurcit, le tonnerre gronde, le génie
de
l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin de l’enchantement. Ast
3051
de l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin
de
l’enchantement. Astrée et Céladon évanouis (c’est une mort métaphoriq
3052
ils se réveillent, puis s’épousent. On a coutume
de
déclarer inexplicable le succès prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses
3053
ume de déclarer inexplicable le succès prodigieux
de
l’Astrée. Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux de nos ré
3054
Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux
de
nos récents romans féeriques. Et la psychologie des écrivains françai
3055
psychologie des écrivains français n’a pas cessé
de
se complaire dans l’élégance allégorique : voir Giraudoux. La Fontain
3056
ine adorait « cette œuvre exquise ». Et Rousseau,
de
passage à Lyon, voulut aller visiter le Forez et rechercher sur les r
3057
esse, elle lui dit que le Forez était un bon pays
de
forges et qu’on y travaillait fort bien le fer. « Cette bonne femme,
3058
serrurier. » ⁂ En vérité je me sens fort capable
d’
entreprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue de l’art littérair
3059
é je me sens fort capable d’entreprendre un éloge
de
l’Astrée : du point de vue de l’art littéraire, c’est une réussite ca
3060
treprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue
de
l’art littéraire, c’est une réussite capitale. Jamais les ressources
3061
’est une réussite capitale. Jamais les ressources
d’
une rhétorique plus savante n’ont été à ce point harmonisées. L’on n’i
3062
nt été à ce point harmonisées. L’on n’imagine pas
de
roman mieux écrit ; plus strictement réglé, dans son progrès, sur les
3063
strictement réglé, dans son progrès, sur les lois
d’
une plus sûre esthétique. L’emploi de « personnages constants » — le b
3064
sur les lois d’une plus sûre esthétique. L’emploi
de
« personnages constants » — le berger, la bergère, le volage, la coqu
3065
dialectique des sentiments sa meilleure garantie
de
précision, et disons même de vérité. Ici c’est l’art et non « la vie
3066
a meilleure garantie de précision, et disons même
de
vérité. Ici c’est l’art et non « la vie » qui mène le jeu. Nous somme
3067
i mène le jeu. Nous sommes en face d’une création
de
l’esprit, et non d’une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou
3068
sommes en face d’une création de l’esprit, et non
d’
une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et
3069
’une création de l’esprit, et non d’une confusion
de
reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immé
3070
prit, et non d’une confusion de reflets troubles,
d’
aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immérités (comme sont les
3071
ets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et
de
hasards immérités (comme sont les romans d’aujourd’hui). En un mot, l
3072
ts et de hasards immérités (comme sont les romans
d’
aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle suppose un métie
3073
Elle suppose un métier savant, et vingt-cinq ans
d’
application. Le snobisme qui lui fit un succès était mieux averti que
3074
ieux averti que le nôtre. Mais aussi ce caractère
d’
achèvement nous permet de poser une question nette : que vaut le succè
3075
Mais aussi ce caractère d’achèvement nous permet
de
poser une question nette : que vaut le succès même de l’effort littér
3076
oser une question nette : que vaut le succès même
de
l’effort littéraire ? Si l’on songe au mythe primitif, dont l’Astrée
3077
l’Astrée reprend tous les thèmes, l’on est frappé
de
constater que chez d’Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le de
3078
les thèmes, l’on est frappé de constater que chez
d’
Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le destin en machine romane
3079
e la littérature la plus parfaite, en raison même
de
sa perfection, n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices de f
3080
n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices
de
formes et de mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever e
3081
ous-produit des mystiques créatrices de formes et
de
mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever en tant qu’œuv
3082
e qu’une résistance à peu près nulle aux attaques
de
l’esprit réaliste et de ce qu’on nomme l’intérêt civique — comme il a
3083
u près nulle aux attaques de l’esprit réaliste et
de
ce qu’on nomme l’intérêt civique — comme il apparaît de nos jours ? A
3084
qu’on nomme l’intérêt civique — comme il apparaît
de
nos jours ? Alors que les mystiques et les religions prennent au cont
3085
ns et railleries qu’on leur oppose ? Ce fut assez
d’
un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de
3086
ries qu’on leur oppose ? Ce fut assez d’un décret
de
l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de Roman — pour
3087
ficieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros
de
Roman — pour réduire au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels
3088
au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels
de
notre siècle, la féerie romanesque née de l’Astrée, et le roman comiq
3089
manuels de notre siècle, la féerie romanesque née
de
l’Astrée, et le roman comique, son parasite135. Il n’y eut plus qu’un
3090
est dans le théâtre classique — donc au cœur même
d’
un ordre intolérant — que la passion devait trouver sa revanche la plu
3091
e la plus éclatante. On connaît le curieux sujet
de
la Place royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant d’Angélique
3092
royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant
d’
Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’atta
3093
désobligeante. Alidor amant d’Angélique, et aimé
d’
elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’attache trop » et il veut
3094
’Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé
d’
un amour qui l’attache trop » et il veut faire en sorte que sa maîtres
3095
rte que sa maîtresse se donne à son ami Cléandre.
D’
où l’on conclut généralement que Corneille est le premier auteur qui a
3096
qui ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut
d’
être analysé. Voici comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’est
3097
m’aimant trop qu’elle me fait mourir ; Un moment
de
froideur, et je pourrais guérir ; Une mauvaise œillade, un peu de jal
3098
parfaite, et sa perfection N’approche point encor
de
son affection ; Point de refus pour moi, point d’heures inégales ; Ac
3099
n N’approche point encor de son affection ; Point
de
refus pour moi, point d’heures inégales ; Accablé de faveurs à mon re
3100
de son affection ; Point de refus pour moi, point
d’
heures inégales ; Accablé de faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ic
3101
refus pour moi, point d’heures inégales ; Accablé
de
faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ici la tirade : les premiers v
3102
Quoi, c’est le bonheur qui serait fatal au repos
de
cet étrange amant ? Et le malheur d’être trahi par Angélique le guéri
3103
tal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur
d’
être trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait
3104
e malheur d’être trahi par Angélique le guérirait
de
son amour ? Cet Alidor serait un curieux monstre ! Disons plutôt qu’o
3105
isons plutôt qu’on voit trop bien ce qu’il essaie
de
nous dissimuler. Lui aussi, il ne veut que « brûler » ! Mais il ne pe
3106
le goût du malheur, à cette époque. « J’ai honte
de
souffrir les maux dont je me plains », dit-il plus bas. C’est donc la
3107
it-il plus bas. C’est donc la honte qui est cause
de
son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstacle entre
3108
est cause de son mensonge. En vérité, il souffre
de
l’absence d’un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même
3109
son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence
d’
un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même. Il manque u
3110
ns passés dans la forêt. Tristan avait le recours
de
rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint d’inventer un rival. So
3111
de rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint
d’
inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare d’Angéli
3112
idor est contraint d’inventer un rival. Souffrant
de
ce que plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux d’avouer cett
3113
rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare
d’
Angélique, mais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine de se pl
3114
plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux
d’
avouer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’être trop enchaîn
3115
ais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine
de
se plaindre d’être trop enchaîné par cette fidélité, — alors qu’on vo
3116
vouer cette souffrance, il imagine de se plaindre
d’
être trop enchaîné par cette fidélité, — alors qu’on voit tout au cont
3117
lors qu’on voit tout au contraire qu’il désespère
de
ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’être libre qui traduit
3118
e de ne point l’être assez. Il proclame un besoin
d’
être libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de
3119
besoin d’être libre qui traduit un profond désir
de
n’être plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se p
3120
duit un profond désir de n’être plus même en état
de
désirer aucune liberté. C’est ce qui se passerait si Angélique faisai
3121
est ce qui se passerait si Angélique faisait mine
de
lui échapper. Mais voyez comme il est habile : Cléandre Vit-on jamai
3122
mme il est habile : Cléandre Vit-on jamais amant
de
la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alido
3123
s’arrête aux sentiments vulgaires ? Il le prend
de
haut : méfions-nous. C’est qu’il se dispose à mentir. Il ne faut poi
3124
’il se dispose à mentir. Il ne faut point servir
d’
objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir d’amour qui ne nous
3125
objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir
d’
amour qui ne nous cède : Je le hais s’il me force : et quand j’aime, j
3126
hais s’il me force : et quand j’aime, je veux Que
de
ma volonté dépendent tous mes vœux ; Que mon feu m’obéisse, au lieu d
3127
e classique, pensera-t-on : la volonté triomphant
de
la passion. Mais la suite de la comédie, même si nous ignorions les r
3128
a volonté triomphant de la passion. Mais la suite
de
la comédie, même si nous ignorions les ruses du mythe, nous ferait bi
3129
hautaines déclarations. « Il ne faut point servir
d’
objet qui nous possède » signifie en réalité : « Le seul objet qui vai
3130
signifie en réalité : « Le seul objet qui vaille
d’
être servi, c’est celui qui nous posséderait totalement et qui, par sa
3131
ers mots : « … et l’éteindre » étant pur artifice
de
rhétorique, destiné à persuader le lecteur, ou Cléandre, ou Corneille
3132
Corneille a tout fait pour cela. Dans la dédicace
de
sa pièce, il s’adresse en ces termes à un personnage inconnu : C’est
3133
se en ces termes à un personnage inconnu : C’est
de
vous que j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujour
3134
onnu : C’est de vous que j’ai appris que l’amour
d’
un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais
3135
t qu’enfin la personne aimée nous a beaucoup plus
d’
obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre
3136
personne aimée nous a beaucoup plus d’obligation
de
notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de
3137
e notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet
de
notre choix et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination
3138
rs qu’elle est toujours l’effet de notre choix et
de
son mérite, que quand elle vient d’une inclination aveugle, et forcée
3139
otre choix et de son mérite, que quand elle vient
d’
une inclination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance
3140
lination aveugle, et forcée par quelque ascendant
de
naissance à qui nous ne pouvons résister… On ne donne point ce qu’on
3141
bel et bon. Mais nous n’oublions pas que ce refus
de
la contrainte fatale, cette liberté qui fait le prix du don, c’est un
3142
rix du don, c’est une des exigences fondamentales
de
l’amour courtois (l’un des articles des Leys d’Amors). Et que cette e
3143
te trop fidèle se trouvent malgré eux dans l’état
de
mariés, à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour de la liber
3144
à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour
de
la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour de la passion. À tel
3145
de la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour
de
la passion. À tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes De cr
3146
tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes
De
crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît d’un amour par force
3147
e crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît
d’
un amour par force un amour par devoir. C’est le plus pur langage cou
3148
rai chez elle encor le moindre accès Mes desseins
de
guérir n’auront point de succès. Ces « desseins de guérir » (entendo
3149
indre accès Mes desseins de guérir n’auront point
de
succès. Ces « desseins de guérir » (entendons : de brûler, donc en f
3150
guérir n’auront point de succès. Ces « desseins
de
guérir » (entendons : de brûler, donc en fait : sa crainte de guérir
3151
succès. Ces « desseins de guérir » (entendons :
de
brûler, donc en fait : sa crainte de guérir !) sont en effet couronné
3152
(entendons : de brûler, donc en fait : sa crainte
de
guérir !) sont en effet couronnés de succès au cinquième acte. Cornei
3153
: sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés
de
succès au cinquième acte. Corneille l’avoue plus tard, tout en feigna
3154
te. Corneille l’avoue plus tard, tout en feignant
de
s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen de sa pièce : Cet amo
3155
de s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen
de
sa pièce : Cet amour de son repos n’empêche point qu’au cinquième ac
3156
se doit, dans un Examen de sa pièce : Cet amour
de
son repos n’empêche point qu’au cinquième acte (Alidor) ne se montre
3157
maîtresse, malgré la résolution qu’il avait prise
de
s’en défaire, et les trahisons qu’il lui a faites ; de sorte qu’il se
3158
ommencer à l’aimer que quand il lui a donné sujet
de
le haïr. L’aveu est complet cette fois-ci. Mais dans le plan puremen
3159
e logique. « Cela fait, conclut-il, une inégalité
de
mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement d
3160
mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point
de
cet aveuglement de l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfait
3161
euse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement
de
l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfaitement mené à chef.
3162
t si parfaitement mené à chef. L’essence du mythe
de
l’amour malheureux, nous le savons, c’est une passion inavouable. L’o
3163
vons, c’est une passion inavouable. L’originalité
de
Corneille demeure d’avoir voulu combattre et nier cette passion dont
3164
on inavouable. L’originalité de Corneille demeure
d’
avoir voulu combattre et nier cette passion dont il vivait, et ce myth
3165
et le Cid. Il a voulu sauver au moins le principe
de
la liberté, c’est-à-dire de la personne — sans lui sacrifier toutefoi
3166
au moins le principe de la liberté, c’est-à-dire
de
la personne — sans lui sacrifier toutefois les effets délicieux et to
3167
» (ici métaphorique). Bien mieux : cette volonté
de
liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle pr
3168
é de liberté est devenue l’agent le plus efficace
de
la passion qu’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée de ce
3169
efficace de la passion qu’elle prétendait guérir.
D’
où la tension inégalée de ce « théâtre du devoir » — comme le récitent
3170
’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée
de
ce « théâtre du devoir » — comme le récitent et le réciteront toujour
3171
citeront toujours ceux qui ne sont guère capables
de
l’aimer… 10.Racine, ou le mythe déchaîné L’opposition classique
3172
e, ou le mythe déchaîné L’opposition classique
de
Racine et de Corneille se réduit à ceci touchant le mythe : Racine pa
3173
e déchaîné L’opposition classique de Racine et
de
Corneille se réduit à ceci touchant le mythe : Racine part du philtre
3174
touchant le mythe : Racine part du philtre comme
d’
un fait indiscutable privant ses victimes de toute espèce de responsab
3175
comme d’un fait indiscutable privant ses victimes
de
toute espèce de responsabilité : « C’est Vénus tout entière à sa proi
3176
indiscutable privant ses victimes de toute espèce
de
responsabilité : « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée », —
3177
qu’« une tyrannie dont il faut secouer le joug ».
D’
où l’harmonie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue de l’autre
3178
ut secouer le joug ». D’où l’harmonie voluptueuse
de
l’un, et la dialectique tendue de l’autre ; l’un s’abandonnant au cou
3179
nie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue
de
l’autre ; l’un s’abandonnant au courant, l’autre lui résistant, bien
3180
ntraîné…) L’invitus invitam 136 qui fait le sujet
de
Bérénice, c’est une formule antique interprétée par un « moderne » da
3181
par un « moderne » dans la perspective courtoise
de
l’amour réciproque malheureux. Ainsi devient-elle la formule même de
3182
ue malheureux. Ainsi devient-elle la formule même
de
notre mythe. Mais Racine, dans ses premières pièces, raccourcit la po
3183
pièces, raccourcit la portée du mythe à la mesure
d’
une psychologie exagérément « admissible ». « Je n’ai point poussé Bér
3184
it avec Énée, elle n’est pas obligée, comme elle,
de
renoncer à la vie ». L’on sent tout l’artifice et la faiblesse du « r
3185
« raisonnement » qui se voit opposé à la passion
de
la Nuit ! « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des m
3186
sions y soient excitées, et que tout s’y ressente
de
cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.
3187
te tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir
de
la tragédie. » Or cette « tristesse majestueuse qui fait tout le plai
3188
« tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir
de
la tragédie », ce n’est que la moitié du mythe, son aspect diurne, so
3189
on aspect diurne, son reflet moral dans notre vie
de
créatures finies. Il y manque l’aspect nocturne, l’épanouissement mys
3190
ne, l’épanouissement mystique dans la vie infinie
de
la Nuit. Il y manque ce que l’on pourrait appeler, symétriquement, «
3191
sans un appauvrissement métaphysique, générateur
de
confusions incalculables. Car enfin cette « tristesse » racinienne, s
3192
est dans le monde du jour, et qualifiée néanmoins
de
« plaisir », l’on ne voit pas en quoi ce serait davantage qu’une moro
3193
es, l’on est fondé à contester la vérité dernière
de
la croyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine de la passion
3194
oyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine
de
la passion et de son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que ce
3195
manichéenne) qui est à l’origine de la passion et
de
son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que cette croyance donn
3196
ui en résulte, c’est que l’obstacle est un masque
de
la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguration, l’instant
3197
un masque de la mort, et que la mort est le gage
d’
une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se révèle le Jo
3198
tait la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute
d’
atteindre cette limite, un Racine se condamne et nous condamne à goûte
3199
condamne et nous condamne à goûter une mélancolie
de
nature essentiellement trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer
3200
ent trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer
de
la vie matérielle par la mort ; et l’Agapè chrétienne veut sanctifier
3201
sait quel « plaisir », cela révèle en définitive
d’
assez morbides complaisances à la défaite de l’esprit, à la résignatio
3202
itive d’assez morbides complaisances à la défaite
de
l’esprit, à la résignation des sens. Et déjà l’on pressent que cet ab
3203
cet abandon au « mal du siècle » (sécularisation
de
la passion) ne peut conduire Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à
3204
Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à la forme
de
mortification morose — d’autopunition dira Freud — qui se trouve la m
3205
c’est-à-dire à la forme de mortification morose —
d’
autopunition dira Freud — qui se trouve la mieux adaptée au tempéramen
3206
e conversion-là ne pourra s’opérer qu’à la faveur
d’
une crise révélant à Racine lui-même la vraie nature de son délire. Ph
3207
crise révélant à Racine lui-même la vraie nature
de
son délire. Phèdre est un moment décisif non seulement dans la vie du
3208
is dans l’évolution du mythe à travers l’histoire
de
l’Europe. 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort
3209
. 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème
de
la mort est écarté dans Bérénice par une « censure » morale évidemmen
3210
par une « censure » morale évidemment chrétienne
d’
origine. Racine ne peut ni ne veut être pleinement lucide. Car sa luci
3211
e plus secret, et sans se l’avouer. Mais la crise
de
sa passion pour une femme qui fut peut-être la Champmeslé, et les pre
3212
ut-être la Champmeslé, et les premières atteintes
d’
une vraie foi vont le pousser comme malgré lui, et plus qu’il n’espéra
3213
algré lui, et plus qu’il n’espérait, aux extrêmes
de
l’aveu. Phèdre, c’est la revanche de la mort. Oui, Racine le sait ma
3214
ux extrêmes de l’aveu. Phèdre, c’est la revanche
de
la mort. Oui, Racine le sait maintenant, c’est une nécessité qu’il y
3215
arti du jour, la mort n’est plus que le châtiment
de
ses trop longues complaisances. C’est la passion, c’est sa propre pas
3216
assion, qu’il châtie en vouant à la mort la fille
de
Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert de son sujet antique,
3217
de Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert
de
son sujet antique, se punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisan
3218
punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisant
de
l’obstacle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’est plus admi
3219
st-à-dire une entrave qu’il n’est plus admissible
de
vouloir vaincre. L’opinion — à laquelle Racine se montre si sensible
3220
ar personnes interposées en refusant à la passion
de
Phèdre toute réciprocité de la part. d’Hippolyte. Or Phèdre était écr
3221
refusant à la passion de Phèdre toute réciprocité
de
la part. d’Hippolyte. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y t
3222
a passion de Phèdre toute réciprocité de la part.
d’
Hippolyte. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle
3223
était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle
de
la reine. Et Hippolyte, c’est Racine tel que maintenant il se souhait
3224
ondant Phèdre et la femme qu’il aime, il se venge
de
l’objet de sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion
3225
re et la femme qu’il aime, il se venge de l’objet
de
sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion est condam
3226
e sans appel. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque
de
Phèdre est encore en pleine crise, balançant devant la décision. D’où
3227
re en pleine crise, balançant devant la décision.
D’
où la duplicité profonde de la pièce. La loi morale, la loi du jour qu
3228
nt devant la décision. D’où la duplicité profonde
de
la pièce. La loi morale, la loi du jour qu’il veut servir désormais,
3229
ine à rendre le jeune prince insensible à l’amour
de
Phèdre. Il déclare donc cet amour incestueux, encore que cette reine
3230
encore que cette reine ne soit que la belle-mère
d’
Hippolyte. Mais le vieil homme, le Racine naturel, cherche à tourner c
3231
ment il s’y prend : en rendant Hippolyte amoureux
d’
Aricie, dont on va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est t
3232
r est très subtil. Pour ce qui est du personnage
d’
Hippolyte, écrit-il dans la Préface, j’avais remarqué dans les anciens
3233
rqué dans les anciens qu’on reprochait à Euripide
de
l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection :
3234
de l’avoir représenté comme un philosophe exempt
de
toute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince ca
3235
e toute imperfection : ce qui faisait que la mort
de
ce jeune prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié. J’a
3236
la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus
d’
indignation que de pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse
3237
ne prince causait beaucoup plus d’indignation que
de
pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait u
3238
able envers son père, sans pourtant lui rien ôter
de
cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et
3239
re, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur
d’
âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprime
3240
grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur
de
Phèdre, et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle faiblesse la
3241
, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels
de
son père. Ainsi donc, Aricie, c’est « l’amour que le Père interdit
3242
mour que le Père interdit », — un substitut voilé
de
l’amour incestueux137. (La psychanalyse nous a accoutumés à des dégui
3243
. Ici, comme dans le mythe, le « Destin » servira
d’
alibi à la responsabilité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle
3244
le « Destin » servira d’alibi à la responsabilité
de
ceux qui aiment, et du même coup, à celle de l’auteur. Ah ! Seigneur
3245
lité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle
de
l’auteur. Ah ! Seigneur ! si notre heure est une fois marquée Le cie
3246
eur ! si notre heure est une fois marquée Le ciel
de
nos raisons ne sait point s’informer. (I, 1.) Ce n’est pas ce ciel-l
3247
à tel point essentielle à la pièce, constitutive
de
la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire re
3248
ntielle à la pièce, constitutive de la crise même
d’
où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son aute
3249
se même d’où elle est née, qu’il serait bien vain
d’
en faire reproche à son auteur. Il fallait Phèdre. Il fallait cet affl
3250
the au jour. Il fallait cette douloureuse poussée
de
la volonté de mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossib
3251
l fallait cette douloureuse poussée de la volonté
de
mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossible aveu, se re
3252
sée de la volonté de mort cherchant à se délivrer
d’
elle-même par l’impossible aveu, se retenant, s’avouant enfin à l’inst
3253
tant où elle y renonçait — avec le mouvement même
de
la reine, à trois reprises138. Il fallait cela pour que l’amour-passi
3254
s l’apparition du mythe au xiie siècle, triomphe
de
la mort de l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de
3255
ion du mythe au xiie siècle, triomphe de la mort
de
l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de Roméo : E
3256
mort de l’amante, renversant toute la dialectique
de
Tristan et de Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté Rend
3257
te, renversant toute la dialectique de Tristan et
de
Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté Rend au jour qu’il
3258
ient toute sa pureté. — Elle expire, Seigneur ! —
D’
une action si noire Que ne peut avec elle expirer la mémoire ! Malgr
3259
que je puis assurer, c’est que je n’ai point fait
de
tragédie où la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci ; les m
3260
seule pensée du crime y est regardée avec autant
d’
horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour d
3261
tant d’horreur que le crime même ; les faiblesses
de
l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont p
3262
e même ; les faiblesses de l’amour y passent pour
de
vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pou
3263
re dont elles sont cause… On est loin du dessein
d’
« exciter les passions » pour « plaire » à un besoin de « tristesse ma
3264
xciter les passions » pour « plaire » à un besoin
de
« tristesse majestueuse ». On est tout près de Port-Royal. Racine, c
3265
ès de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était
de
la race des troubadours qui trahissent l’Amour pour l’amour : presque
3266
i en religion. Mais notons-le : dans une religion
de
retraite, — dernière injure peut-être au jour intolérable… 12.Écli
3267
e français souffre ou bénéficie, comme on voudra,
d’
une première éclipse du mythe dans les mœurs et la philosophie. La mis
3268
. La mise en ordre (pour ne pas dire mise au pas)
de
la société féodale par l’État-roi, entraîne des modifications assez p
3269
les coutumes. Le mariage redevient l’institution
de
base : il atteint un point d’équilibre où les siècles suivants auront
3270
vient l’institution de base : il atteint un point
d’
équilibre où les siècles suivants auront grand-peine à se maintenir, e
3271
réelle ou supposée n’y ajoute guère qu’un élément
d’
exquise perfection, de luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie q
3272
ajoute guère qu’un élément d’exquise perfection,
de
luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie qui sent presque l’impe
3273
uise perfection, de luxe heureux, dernière touche
d’
une fantaisie qui sent presque l’impertinence. (Le xviiie la jugera v
3274
resque l’impertinence. (Le xviiie la jugera vite
de
mauvais goût.) La convenance des rangs et la conformité des « qualité
3275
bon mariage : curieuse analogie avec la Chine. Et
de
fait, c’est à partir de ce xviie siècle « rationnel » que nos mœurs
3276
nul paraisse y prendre garde, se rangent aux lois
de
la raison du siècle, reniant l’absolu chrétien. Les « mérites » et no
3277
non plus la grâce imprévisible décident désormais
d’
une union, et rendront seuls « aimable » un parti soigneusement raison
3278
mable » un parti soigneusement raisonné. Triomphe
de
la morale jésuite. C’est le baroque classique qui vient emprisonner,
3279
classique qui vient emprisonner, dans l’artifice
de
ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse de la passion telle q
3280
e ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse
de
la passion telle que la conduit un Descartes, sa réduction à des caté
3281
tement distinctes, à des hiérarchies rationnelles
de
qualités, mérites et facultés, devait-elle aboutir nécessairement à l
3282
outir nécessairement à la dissolution du mythe et
de
son dynamisme originel. C’est que le mythe ne déploie son empire que
3283
nsgression du domaine où vaut la morale. ⁂ Le cas
de
Spinoza mériterait un chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s
3284
dimanche.) Spinoza définit l’amour : un sentiment
de
joie accompagné de l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un s
3285
définit l’amour : un sentiment de joie accompagné
de
l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs
3286
amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée
d’
une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs le seul p
3287
ine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’est pas
de
cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa cause e
3288
hé, la vertu, notre corps, notre moi distinct. Et
de
là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union
3289
orps, notre moi distinct. Et de là vient l’ardeur
de
la passion. Et de là vient que le désir d’union totale se lie indisso
3290
stinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et
de
là vient que le désir d’union totale se lie indissolublement au désir
3291
ardeur de la passion. Et de là vient que le désir
d’
union totale se lie indissolublement au désir de la mort qui libère. C
3292
r d’union totale se lie indissolublement au désir
de
la mort qui libère. C’est parce que la passion n’existe pas sans la d
3293
qui l’a séduite : « Je vous rends grâces du fond
de
mon cœur pour la désespérance où vous m’avez jetée, et méprise le rep
3294
eu ! Aimez-moi donc toujours, faites-moi souffrir
de
pires douleurs encore ! » Vers la fin du xviiie siècle, c’est une au
3295
u, c’est vraiment l’éclipse totale du Soleil noir
de
la Mélancolie. Les « qualités » et les « mérites » qui rendent « aima
3296
érites » qui rendent « aimable », selon les roués
de
la Régence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral,
3297
able », selon les roués de la Régence et du règne
de
Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral, mais intellectuel et physi
3298
égence et du règne de Louis XV, ne sont plus même
d’
ordre moral, mais intellectuel et physique. La distinction de l’esprit
3299
al, mais intellectuel et physique. La distinction
de
l’esprit et de la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de
3300
ectuel et physique. La distinction de l’esprit et
de
la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de l’âme croyante,
3301
’esprit et de la chair, succédant à la séparation
de
l’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligen
3302
a chair, succédant à la séparation de l’esprit et
de
l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligence et en sexe.
3303
la passion n’a plus où se prendre. Et l’on parle
de
« passionnettes ». Le dieu d’Amour n’est plus un dur destin mais un e
3304
ndre. Et l’on parle de « passionnettes ». Le dieu
d’
Amour n’est plus un dur destin mais un enfant impertinent. Presque plu
3305
ant impertinent. Presque plus rien n’est défendu.
De
la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour la rhétoriqu
3306
hétorique du désir, mais non plus même pour celle
de
l’amour. « Belle vertu, dit Mme d’Épinay, qu’on s’attache avec des ép
3307
re qu’à la « guerre en dentelles ».) Or ce siècle
de
la Volupté n’est pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guéri
3308
es ».) Or ce siècle de la Volupté n’est pas celui
de
la santé sensuelle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes de ce
3309
elle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes
de
ce temps n’aiment pas avec le cœur, elles aiment avec la tête », dit
3310
c la tête », dit l’abbé Galiani. Des « débauchées
de
l’esprit », ajoute Walpole, donnant peut-être la meilleure formule du
3311
des Richelieu et des Casanova, je suis moins sûr
de
leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncou
3312
s Casanova, je suis moins sûr de leur réalité que
de
celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncourt l’ont très bien a
3313
iècle : « Au lieu de lui donner les satisfactions
de
l’amour sensuel et de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’
3314
ui donner les satisfactions de l’amour sensuel et
de
la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’inquiétudes, la pousse
3315
t de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit
d’
inquiétudes, la pousse d’essai en essai, de tentatives en tentatives,
3316
upté, l’amour la remplit d’inquiétudes, la pousse
d’
essai en essai, de tentatives en tentatives, agitant devant elle, à me
3317
emplit d’inquiétudes, la pousse d’essai en essai,
de
tentatives en tentatives, agitant devant elle, à mesure qu’elle fait
3318
ntation des corruptions spirituelles, un mensonge
d’
idéal, le caprice insaisissable des rêves de la débauche. » Un « menso
3319
songe d’idéal, le caprice insaisissable des rêves
de
la débauche. » Un « mensonge d’idéal », c’est bien à quoi se résumera
3320
issable des rêves de la débauche. » Un « mensonge
d’
idéal », c’est bien à quoi se résumera toujours la réaction cynique co
3321
cynique contre le mythe. Nous en avons donné plus
d’
un exemple. Le xviiie est trop poli pour admettre la gauloiserie : il
3322
gauloiserie : il la remplace par une affectation
de
facilité voluptueuse. Cette boutade qui réduit tout l’amour au contac
3323
Cette boutade qui réduit tout l’amour au contact
de
deux épidermes, j’y vois bien moins l’affirmation d’un matérialisme i
3324
deux épidermes, j’y vois bien moins l’affirmation
d’
un matérialisme inhumain qu’une preuve de la secrète persistance du my
3325
irmation d’un matérialisme inhumain qu’une preuve
de
la secrète persistance du mythe au cœur des hommes du xviiie . Il fal
3326
viiie . Il fallait bien que subsistât quelque peu
d’
illusion amoureuse et d’idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu jug
3327
que subsistât quelque peu d’illusion amoureuse et
d’
idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant » de noter
3328
iffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant »
de
noter cette maxime et de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce
3329
ait pu juger « piquant » de noter cette maxime et
de
la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce n’était encore, et ce ne
3330
mythe devait faire apparaître l’antithèse absolue
de
Tristan. Si Don Juan n’est pas, historiquement, une invention du xvii
3331
il joué par rapport à ce personnage le rôle exact
de
Lucifer par rapport à la Création, dans la doctrine manichéenne : c’e
3332
imprimé pour toujours ces deux traits si typiques
de
l’époque : la noirceur et la scélératesse. Antithèse vraiment parfait
3333
esse. Antithèse vraiment parfaite des deux vertus
de
l’amour chevaleresque : la candeur et la courtoisie. ⁂ Il me semble q
3334
qu’exerce sur le cœur des femmes et sur l’esprit
de
certains hommes le personnage mythique de Don Juan peut s’expliquer p
3335
’esprit de certains hommes le personnage mythique
de
Don Juan peut s’expliquer par sa nature infiniment contradictoire. Do
3336
an, c’est à la fois l’espèce pure, la spontanéité
de
l’instinct, et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus de la mer
3337
, et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus
de
la mer des possibles. C’est l’infidélité perpétuelle, mais c’est auss
3338
tuelle, mais c’est aussi la perpétuelle recherche
d’
une femme unique, jamais rejointe par l’erreur inlassable du désir. C’
3339
ur inlassable du désir. C’est l’insolente avidité
d’
une jeunesse renouvelée à chaque rencontre, et c’est aussi la secrète
3340
ue rencontre, et c’est aussi la secrète faiblesse
de
celui qui ne peut pas posséder, parce qu’il n’est pas assez pour avoi
3341
le Don Juan du théâtre141 comme le reflet inversé
de
Tristan. Le contraste est d’abord dans l’allure extérieure des person
3342
u contraire, Tristan vient en scène avec l’espèce
de
lenteur somnambulique de celui qu’hypnotise un objet merveilleux, don
3343
t en scène avec l’espèce de lenteur somnambulique
de
celui qu’hypnotise un objet merveilleux, dont il n’aura jamais épuisé
3344
n, toujours aimé, ne peut jamais aimer en retour.
D’
où son angoisse et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte d’amo
3345
et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte
d’
amour la volupté d’une profanation, l’autre accomplit en restant chast
3346
ue. L’un recherche dans l’acte d’amour la volupté
d’
une profanation, l’autre accomplit en restant chaste la « prouesse » d
3347
t chaste la « prouesse » divinisante. La tactique
de
Don Juan, c’est le viol, et aussitôt remportée la victoire, il abando
3348
il abandonne le terrain, il s’enfuit. Or la règle
de
l’amour courtois faisait du viol précisément le crime des crimes, la
3349
crime des crimes, la félonie sans rémission ; et
de
l’hommage un engagement jusqu’à la mort. Mais Don Juan aime le crime
3350
ime le crime en soi, et par là se rend tributaire
de
la morale dont il abuse. Il a grand besoin qu’elle existe pour trouve
3351
es règles, des péchés et des vertus, par la grâce
d’
une vertu qui transcende le monde de la Loi. Enfin tout se ramène à ce
3352
par la grâce d’une vertu qui transcende le monde
de
la Loi. Enfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan est le dém
3353
ramène à cette opposition : Don Juan est le démon
de
l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde, le martyr de
3354
le prisonnier des apparences du monde, le martyr
de
la sensation de plus en plus décevante et méprisable — quand Tristan
3355
e et méprisable — quand Tristan est le prisonnier
d’
un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mu
3356
Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et
de
la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mue en joie pure à la mort
3357
ier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr
d’
un ravissement qui se mue en joie pure à la mort. On peut noter encore
3358
e le Commandeur lui tend la main, au dernier acte
de
Mozart, rachetant par cet ultime défi des lâchetés qui eussent déshon
3359
’abdique au contraire son orgueil qu’à l’approche
de
la mort lumineuse. Je ne leur vois qu’un trait commun : tous deux ont
3360
trait commun : tous deux ont l’épée à la main. ⁂
De
la Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve d’une aristocrat
3361
Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve
d’
une aristocratie déchue de l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzu
3362
uan a régné sur le rêve d’une aristocratie déchue
de
l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzun dans la plus haute socié
3363
te, tels sont les parangons qui prennent la place
de
l’idéal détruit par le xviie siècle. Ce refoulement du mythe par l’i
3364
s plus étranges retours. Parmi tant de facilités,
de
raffinements intellectuels ou voluptueux, de satiétés, l’un des besoi
3365
tés, de raffinements intellectuels ou voluptueux,
de
satiétés, l’un des besoins les plus profonds de l’homme demeure privé
3366
, de satiétés, l’un des besoins les plus profonds
de
l’homme demeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin de souffri
3367
esoins les plus profonds de l’homme demeure privé
d’
assouvissement, et c’est le besoin de souffrir. Un corps social qui le
3368
emeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin
de
souffrir. Un corps social qui le cultive, s’alanguit, comme l’a montr
3369
uté active les souffrances qu’il interdit au cœur
de
subir. Point de bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd l
3370
ouffrances qu’il interdit au cœur de subir. Point
de
bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd le contact vital,
3371
fantaisie perd le contact vital, et tout pouvoir
de
« sympathie ». La femme n’est plus pour l’homme du xviiie qu’un « ob
3372
’autre ces extrêmes : la femme-idéal, pur symbole
d’
un Amour qui entraîne l’amour au-delà des formes visibles ; et la femm
3373
r au-delà des formes visibles ; et la femme-objet
de
plaisir, instrument plus ou moins aimable d’une sensation qui enferme
3374
bjet de plaisir, instrument plus ou moins aimable
d’
une sensation qui enferme l’homme en soi… Je distingue dans la contrad
3375
’homme en soi… Je distingue dans la contradiction
de
Don Juan et de Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui
3376
Je distingue dans la contradiction de Don Juan et
de
Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui vit cette cont
3377
Juan et de Tristan, dans la tension insupportable
de
l’esprit qui vit cette contradiction parce qu’il subit la sensualité
3378
ensualité et désire l’idéal courtois, les données
de
l’œuvre de Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans le
3379
t désire l’idéal courtois, les données de l’œuvre
de
Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes de
3380
nnées de l’œuvre de Sade, et les raisons précises
de
sa révolte. C’est dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle de s
3381
ons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes
de
l’amour que Sade nous parle de son admiration pour la poésie de Pétra
3382
st dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle
de
son admiration pour la poésie de Pétrarque. Admiration traditionnelle
3383
Sade nous parle de son admiration pour la poésie
de
Pétrarque. Admiration traditionnelle dans sa famille, depuis le maria
3384
ent l’existence du désir et des corps, la réalité
d’
un « objet ». Sade, qui est un homme du xviiie , connaît trop bien sa
3385
sera la souffrance, et la souffrance est le signe
d’
un rachat. Purification par le mal : péchons jusqu’à détruire les dern
3386
négliger l’objet, détruisons-le par des tortures
d’
où nous tirerons encore quelque plaisir, et cela fait partie de notre
3387
erons encore quelque plaisir, et cela fait partie
de
notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare de Sade. Le meurtre se
3388
de notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare
de
Sade. Le meurtre seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre de ce
3389
re seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre
de
ce qu’on aime, puisque c’est cela qui nous enchaîne. On ne tue bien q
3390
amour, parce que lui seul est souverain. Le crime
d’
amour impur sauvera la pureté. Lisons maintenant avec cette clé la dé
3391
re scrupule les ennemis qui nuisent à ses projets
de
grandeur ? Des lois cruelles, arbitraires, impérieuses, pourront de m
3392
ont de même assassiner chaque siècle des millions
d’
individus, et nous, faibles et malheureux particuliers, nous ne pourro
3393
à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien
de
si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous l
3394
es ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare,
de
si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous le voile du plus
3395
le du plus profond mystère, nous venger amplement
de
cette ineptie ? » (C’est moi qui ai souligné). Si le marquis de Sade
3396
Sade avait été interrogé sur les mobiles secrets
de
sa morale, il se fût sans nul doute réfugié derrière un verbiage cyni
3397
nts : ils signifient avec exactitude le contraire
de
leur sens littéral143. Cette glorification du sexe est une constante
3398
sexe est une constante et rationnelle profanation
de
la morale profanée du xviiie . C’est la « voie négative » d’un athée
3399
e profanée du xviiie . C’est la « voie négative »
d’
un athée qui désespère d’échapper à ses liens, et qui défie l’amour sp
3400
est la « voie négative » d’un athée qui désespère
d’
échapper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel de se manifester
3401
apper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel
de
se manifester en tuant le criminel144. Car là seulement serait la dél
3402
roubadours… 14. La Nouvelle Héloïse Paysan
de
Genève, Rousseau échappe à l’influence du don-juanisme citadin, mais
3403
et qui n’est autre que le pétrarquisme. Le roman
de
Rousseau à proprement parler n’est pas une renaissance du mythe primi
3404
arler n’est pas une renaissance du mythe primitif
de
Tristan. Il n’a pas la violence sauvage de la légende, et encore moin
3405
imitif de Tristan. Il n’a pas la violence sauvage
de
la légende, et encore moins son arrière-plan ésotérique. Ce qui revit
3406
edia, l’heureuse mélancolie cultivée par l’ermite
de
Vaucluse. Qu’on relise les sommaires analytiques joints par un éditeu
3407
retrouve les situations que prévoyaient les leys
de
cortezia. C’est le Canzoniere mis en prose — et quelque peu embourgeo
3408
(Çà et là une citation, une allusion, témoignent
de
la connaissance que Rousseau avait de Pétrarque, véritable inventeur
3409
témoignent de la connaissance que Rousseau avait
de
Pétrarque, véritable inventeur du sentiment de la nature et du lyrism
3410
it de Pétrarque, véritable inventeur du sentiment
de
la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie a
3411
inventeur du sentiment de la nature et du lyrisme
de
la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique
3412
de la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec
d’
Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique profane. Chez Rousseau
3413
ue profane. Chez Rousseau, elle devient une sorte
de
piétisme raffiné. Ici encore, la décadence est manifeste. L’Héloïse q
3414
’après un renoncement à la passion, et cette mort
de
Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il in
3415
Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre
de
Rousseau. (Il insiste longuement, dans une lettre à son éditeur, sur
3416
re à son éditeur, sur son protestantisme et celui
de
ses héros : mais malgré sa sincérité, l’on ne peut que suspecter un «
3417
ne peut que suspecter un « calvinisme » qui parle
de
l’Être suprême et paraît ignorer le Christ…) Tout cela ne m’empêchera
3418
gnorer le Christ…) Tout cela ne m’empêchera point
de
confesser un goût très vif pour le style de ce roman — seul comparabl
3419
point de confesser un goût très vif pour le style
de
ce roman — seul comparable à l’Astrée sous ce rapport — et une admira
3420
l en attribuant à l’auteur du roman les croyances
de
ses personnages. Si Rousseau fut le premier à décrire ces erreurs, c’
3421
qu’il en souffrit plus que d’autres et avec plus
de
résolution de s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conc
3422
frit plus que d’autres et avec plus de résolution
de
s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conclusions de l’œ
3423
e. Mais on néglige habituellement les conclusions
de
l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et de cer
3424
de l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton,
de
l’émotion et de certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesq
3425
ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et
de
certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesque. Il est visib
3426
ble que Rousseau, pas plus que Pétrarque à la fin
de
sa vie, n’est dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande
3427
plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’est dupe
de
la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie marié
3428
à la fin de sa vie, n’est dupe de la « religion »
d’
amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie mariée (3e partie, lettr
3429
religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre
de
Julie mariée (3e partie, lettre XVIII), analysant le passé des amants
3430
ssé des amants : on ne saurait dépister avec plus
de
rigueur, quoique féminine, les confusions intéressées de l’Éros et de
3431
eur, quoique féminine, les confusions intéressées
de
l’Éros et de l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, q
3432
féminine, les confusions intéressées de l’Éros et
de
l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, quand on a une
3433
tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est
de
notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat »
3434
st de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort
d’
attribuer au « climat » de la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xvi
3435
fois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat »
de
la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté d
3436
e, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté
de
contagion contre laquelle les conclusions de l’auteur ne pouvaient ri
3437
ulté de contagion contre laquelle les conclusions
de
l’auteur ne pouvaient rien. Et là, c’est bien le mythe qui reparaît,
3438
je ne t’aime plus ? Quel doute !… » Il s’effraye
de
l’équivoque du soupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte de
3439
oupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte
de
dépit à peine voilé : « J’ai pris pour toi des sentiments plus paisib
3440
les, il est vrai, mais plus affectueux et de plus
de
différentes espèces… Les douceurs de l’amitié tempèrent les emporteme
3441
x et de plus de différentes espèces… Les douceurs
de
l’amitié tempèrent les emportements de l’amour… » Le Tristan qui se r
3442
s douceurs de l’amitié tempèrent les emportements
de
l’amour… » Le Tristan qui se réveille en lui après la « faute » de la
3443
Tristan qui se réveille en lui après la « faute »
de
la possession, se passerait bien de ces douceurs paisibles… Lui aussi
3444
la « faute » de la possession, se passerait bien
de
ces douceurs paisibles… Lui aussi désirait brûler, et non pas rassasi
3445
er les obstacles les plus gratuits, les prétextes
de
séparation, les situations voluptueusement inextricables. D’où l’insi
3446
on, les situations voluptueusement inextricables.
D’
où l’insistance pénible et, dès cette date, quelque peu excessive me s
3447
elque peu excessive me semble-t-il, sur la roture
de
Saint-Preux, laquelle est censée interdire toute possibilité d’union
3448
, laquelle est censée interdire toute possibilité
d’
union légale. D’où encore l’assimilation du préjugé social et des exig
3449
ensée interdire toute possibilité d’union légale.
D’
où encore l’assimilation du préjugé social et des exigences d’une vert
3450
l’assimilation du préjugé social et des exigences
d’
une vertu déclarée religieuse par opportunité. Mais on distingue les m
3451
portunité. Mais on distingue les mobiles inavoués
de
la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi de courtoisie qui impos
3452
de la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi
de
courtoisie qui imposait la chasteté ; ici, c’est la coutume bourgeois
3453
c’est la coutume bourgeoise. Mais sous le couvert
de
l’une et de l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre
3454
tume bourgeoise. Mais sous le couvert de l’une et
de
l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre déjà citée
3455
vertu bourgeoise trop souvent invoquée. Et ainsi
de
suite : il serait aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse,
3456
vent invoquée. Et ainsi de suite : il serait aisé
de
reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse de Tr
3457
ropos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse
de
Tristan, notre dialectique de l’obstacle. Il y a pourtant cette diffé
3458
toute notre exégèse de Tristan, notre dialectique
de
l’obstacle. Il y a pourtant cette différence capitale que Rousseau ab
3459
’âme sentimental — et non mystique146 —des amants
de
la Nouvelle Héloïse, que le romantisme va tâcher de rejoindre une mys
3460
la Nouvelle Héloïse, que le romantisme va tâcher
de
rejoindre une mystique primitive qu’il ignore, mais dont il redécouvr
3461
se dégrader, s’humaniser, s’analyser en éléments
de
moins en moins mystérieux ; enfin Racine l’abat, non sans avoir reçu
3462
reuse blessure. Et Don Juan bondit sur la scène :
de
Molière à Mozart, c’est la grande éclipse du mythe. Mais à partir du
3463
a grande éclipse du mythe. Mais à partir du roman
de
Rousseau, qui naît comme en marge du siècle, nous allons parcourir le
3464
min en sens inverse : par Werther, cette réplique
d’
Héloïse mais qui finit beaucoup plus mal, — se rapprochant du modèle p
3465
ean-Paul, à Hölderlin, à Novalis. Dans la panique
de
la Révolution, de la Terreur, des guerres européennes, certains aveux
3466
lin, à Novalis. Dans la panique de la Révolution,
de
la Terreur, des guerres européennes, certains aveux deviennent possib
3467
ouffrances osent enfin dire leur nom. L’adoration
de
la Nuit et de la Mort accède pour la première fois au plan de la cons
3468
nt enfin dire leur nom. L’adoration de la Nuit et
de
la Mort accède pour la première fois au plan de la conscience lyrique
3469
t de la Mort accède pour la première fois au plan
de
la conscience lyrique. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement
3470
e. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement
de
l’Europe par une plus insidieuse tyrannie. Jusqu’au jour où Wagner, d
3471
dire l’indicible, elle a forcé le dernier mystère
de
Tristan. Mon propos n’est point de recenser les innombrables manifest
3472
ernier mystère de Tristan. Mon propos n’est point
de
recenser les innombrables manifestations du mythe dans nos littératur
3473
os littératures, surtout modernes, mais seulement
de
poser des jalons et de réduire certaines contradictions tout apparent
3474
t modernes, mais seulement de poser des jalons et
de
réduire certaines contradictions tout apparentes. On me pardonnera de
3475
contradictions tout apparentes. On me pardonnera
de
ne point multiplier les preuves de l’évidente renaissance du thème co
3476
me pardonnera de ne point multiplier les preuves
de
l’évidente renaissance du thème courtois — donc de l’amour réciproque
3477
e l’évidente renaissance du thème courtois — donc
de
l’amour réciproque malheureux — chez tous les romantiques allemands s
3478
ur nudité même, je sens trop bien qu’ils risquent
de
prendre figure d’arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fa
3479
sens trop bien qu’ils risquent de prendre figure
d’
arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fait de leur trop pa
3480
uent de prendre figure d’arguments, à cet endroit
de
notre voyage, du seul fait de leur trop parfaite convenance à nos déf
3481
ents, à cet endroit de notre voyage, du seul fait
de
leur trop parfaite convenance à nos définitions du mythe…) Lettre de
3482
te convenance à nos définitions du mythe…) Lettre
de
Diotima à Hölderlin : Hier soir, j’ai longuement réfléchi sur la pas
3483
t réfléchi sur la passion. Sans doute, la passion
de
l’amour suprême ne trouve jamais son accomplissement ici-bas ! Compre
3484
’autre et la foi dans la toute-puissante divinité
de
l’Amour qui à jamais nous guidera, invisible, et renforcera sans cess
3485
cera sans cesse notre union.148 Journal intime
de
Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m
3486
ime de Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [
de
sa fiancée] la pensée m’est venue que ma mort donnerait à l’humanité
3487
nue que ma mort donnerait à l’humanité un exemple
de
fidélité éternelle, et qu’elle instaurerait, en quelque sorte, la pos
3488
le instaurerait, en quelque sorte, la possibilité
d’
aimer comme je l’ai fait. Lorsqu’on fuit la douleur, c’est qu’on ne ve
3489
agement n’était pas pris pour ce monde… Maximes
de
Novalis : Toutes les passions finissent comme une tragédie, tout ce
3490
é finit par la mort, toute poésie a quelque chose
de
tragique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage
3491
plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit
de
noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut
3492
vivant, la mort est une nuit de noces, un secret
de
doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut-être à l’amour comm
3493
eu n’a rien à faire avec la Nature, il est le but
de
la Nature, l’élément avec lequel elle doit un jour s’harmoniser. Nous
3494
jour s’harmoniser. Nous sommes des esprits émanés
de
Dieu, des germes divins. Un jour nous deviendrons ce que notre Père e
3495
ptiale ! Et l’on devrait citer toutes les œuvres
de
Tieck, définissant l’amour comme « une maladie du désir, une divine l
3496
du désir, une divine langueur »150… L’exaltation
de
la mort volontaire, amoureuse et divinisante, voilà le thème religieu
3497
nisante, voilà le thème religieux le plus profond
de
cette nouvelle hérésie albigeoise que fut le romantisme allemand. La
3498
d. La mort est le but idéal des « hommes élevés »
de
la Loge invisible de Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Nov
3499
idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible
de
Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Novalis. Elle fut pour K
3500
pour Kleist « le seul accomplissement » possible
d’
une « passion d’amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais
3501
e seul accomplissement » possible d’une « passion
d’
amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais les poètes ne s
3502
ilosophe comme Schubert spécule sur le Nachtseite
de
l’existence. Fichte lui-même donne la définition de l’amour-par-essen
3503
l’existence. Fichte lui-même donne la définition
de
l’amour-par-essence-impossible, le vrai amour qui repousse tout objet
3504
r s’élancer à l’infini. C’est, dit-il, « le désir
de
quelque chose d’entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un
3505
nfini. C’est, dit-il, « le désir de quelque chose
d’
entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un besoin, par un ma
3506
esoin, par un malaise, par un vide à la recherche
de
ce qui le comblerait, mais ignorant d’où cela peut venir… » Hoffmann
3507
recherche de ce qui le comblerait, mais ignorant
d’
où cela peut venir… » Hoffmann ne dit pas autre chose lorsqu’il baptis
3508
claire sans consumer, toute la félicité ineffable
de
la vie supérieure, germée au plus secret de l’âme. L’esprit déploie m
3509
fable de la vie supérieure, germée au plus secret
de
l’âme. L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes de désir, tis
3510
L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes
de
désir, tisse son filet autour de celle qui est apparue, et elle est à
3511
st à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif
de
son aspiration est à jamais insatiable. C’est toute l’aventure des m
3512
elle hérésie passionnelle, la transgression rêvée
de
toutes limites, et le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent
3513
le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent
de
tous côtés et se rassemblent les éléments épars du mythe, que Wagner
3514
our le recréer dans une synthèse définitive. Rien
d’
étonnant si le premier poème inspiré par le souvenir des cathares et d
3515
ier poème inspiré par le souvenir des cathares et
de
leur mystique fut composé par l’un des plus purs romantiques : c’est
3516
s purs romantiques : c’est l’épopée des albigeois
de
Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte de profession de fo
3517
Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte
de
profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et se
3518
y lire ces vers qui sont une sorte de profession
de
foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle
3519
ces vers qui sont une sorte de profession de foi
de
la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle aussi,
3520
ieu ! ce cri puissant retentira Comme un tonnerre
de
joie à travers la nuit de printemps ! 16.Intériorisation du mythe
3521
ntira Comme un tonnerre de joie à travers la nuit
de
printemps ! 16.Intériorisation du mythe Le rythme intime du ro
3522
du romantisme allemand, la diastole et la systole
de
son cœur, c’est l’enthousiasme et la tristesse métaphysique. C’est la
3523
tesse métaphysique. C’est la dialectique abyssale
de
l’hérésie manichéenne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et d
3524
nne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et
de
la nuit en Jour. Le même élan qui portait l’âme vers la lumière et l’
3525
ière et l’unité divine, considéré du point de vue
de
ce monde n’est plus qu’un élan vers la mort, une séparation essentiel
3526
, une séparation essentielle. Tel est le tragique
de
l’Ironie transcendentale, ce mouvement perpétuel du romantisme, cette
3527
ours, l’endiosada des mystiques espagnols, la joy
d’
amor dans son délire dionysiaque. Il en jaillit perpétuellement, au po
3528
. Il en jaillit perpétuellement, au point suprême
de
son élévation, des fantaisies extravagantes. Il y a une gaieté romant
3529
ntique, comme il y a un attendrissement : moments
de
détente, entre deux élancements contradictoires, retours au monde… C’
3530
ontradictoires, retours au monde… C’est ce moment
de
joie bizarre, né de l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romanti
3531
urs au monde… C’est ce moment de joie bizarre, né
de
l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romantisme français. Ici, l
3532
a trop vite au but. La France de la Révolution et
de
l’Empire n’a plus d’énergie disponible pour la spéculation spirituell
3533
a France de la Révolution et de l’Empire n’a plus
d’
énergie disponible pour la spéculation spirituelle : elle n’a point de
3534
pour la spéculation spirituelle : elle n’a point
de
« religion nouvelle », point de philosophes romantiques151, peu ou po
3535
: elle n’a point de « religion nouvelle », point
de
philosophes romantiques151, peu ou point de métaphysique, et peu ou p
3536
point de philosophes romantiques151, peu ou point
de
métaphysique, et peu ou point de fantaisie, — cette surabondance de l
3537
51, peu ou point de métaphysique, et peu ou point
de
fantaisie, — cette surabondance de l’esprit exalté par son propre dra
3538
t peu ou point de fantaisie, — cette surabondance
de
l’esprit exalté par son propre drame. ⁂ Le romantisme en France n’aur
3539
omantisme en France n’aura guère débordé le champ
de
la psychologie individuelle. Il y gagne une lucidité qui le conduit p
3540
un vrai romantique. L’enthousiasme errant, fils
de
la pâle Nuit. Et la célèbre invocation : « Levez-vous vite, orages d
3541
désirés qui devez emporter René dans les espaces
d’
une autre vie, » c’est le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il
3542
les espaces d’une autre vie, » c’est le chant pur
de
la passion de la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizo
3543
une autre vie, » c’est le chant pur de la passion
de
la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizon spirituel, n
3544
pur de la passion de la Nuit. Mais il n’est point
d’
aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’amour au s
3545
t point d’aube mystique à l’horizon spirituel, ni
de
véritable joie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jam
3546
tique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie
d’
amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il
3547
spirituel, ni de véritable joie d’amour au sommet
de
ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il se refuse à l’ill
3548
is transcendé, il se refuse à l’illusion dernière
d’
une libération cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse de sa tr
3549
on cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse
de
sa tristesse et de son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé,
3550
ombe, désenchanté, à l’analyse de sa tristesse et
de
son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même t
3551
Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même tenté
de
dire : trop rigoureux… Auprès de lui, Jean-Paul et Novalis feront tou
3552
lui, Jean-Paul et Novalis feront toujours figure
d’
adolescents. Le goût de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur
3553
lis feront toujours figure d’adolescents. Le goût
de
la mort, chez les Allemands, exalte la saveur de vivre : c’est peut-ê
3554
de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur
de
vivre : c’est peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré de la ré
3555
st peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré
de
la réalité de son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux form
3556
u’il est plus « naïf », plus assuré de la réalité
de
son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux formes désirables
3557
les se reprendre sans cesse aux formes désirables
de
la terre, oublier, plaisanter follement, tout ardents de curiosité ;
3558
erre, oublier, plaisanter follement, tout ardents
de
curiosité ; d’une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le rom
3559
plaisanter follement, tout ardents de curiosité ;
d’
une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le romantique françai
3560
52. René s’amuse un jour à effeuiller une branche
de
saule sur un ruisseau, attachant une idée à chaque feuille que le cou
3561
s’intéresse aux accidents qui menacent les débris
de
son rameau… On croit lire un poète allemand, on va retrouver la riche
3562
e et se juge ridicule : « Voilà donc à quel degré
de
puérilité notre superbe raison peut descendre ! » Et c’est la « super
3563
n des hommes attachent leur destinée à des choses
d’
aussi peu de valeur que mes feuilles de saule. » (Le reste de la page,
3564
des choses d’aussi peu de valeur que mes feuilles
de
saule. » (Le reste de la page, admirable, jusqu’aux fameux orages dés
3565
de valeur que mes feuilles de saule. » (Le reste
de
la page, admirable, jusqu’aux fameux orages désirés)153. ⁂ « Pour ces
3566
l’amour ne sera pas longtemps félicité ineffable
de
la vie supérieure » dont parle E. T. A. Hoffmann ; mais plutôt cet am
3567
aciturne et toujours menacé » des plus beaux vers
de
Vigny. Cette absence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes de l
3568
acé » des plus beaux vers de Vigny. Cette absence
d’
intérêt naïf pour les formes quotidiennes de la vie facilitera le déta
3569
sence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes
de
la vie facilitera le détachement de l’esprit, la purification abstrai
3570
quotidiennes de la vie facilitera le détachement
de
l’esprit, la purification abstraite du sentiment. Les êtres et les ch
3571
percés par un regard désabusé, cesseront bientôt
d’
être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieu
3572
d’être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri
de
ses formes extérieures, deviendra ce qu’il est en son principe : une
3573
ené ; il reste encore des désirs et l’on n’a plus
d’
illusions… On habite avec un cœur plein, un monde vide. » Alors la fem
3574
, un monde vide. » Alors la femme elle-même cesse
d’
être le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Oberm
3575
e elle-même cesse d’être le symbole indispensable
de
la nostalgie passionnée. Dans l’Obermann de Sénancour, l’« obstacle »
3576
Iseut pour elle-même, mais seulement pour l’amour
de
l’Amour dont sa beauté lui offrait une image. Lui pourtant l’ignorait
3577
ame se passe en eux, entre les lois inacceptables
de
la vie terrestre et finie, et le désir d’une transgression de nos lim
3578
ptables de la vie terrestre et finie, et le désir
d’
une transgression de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares son
3579
rrestre et finie, et le désir d’une transgression
de
nos limites, mortelle mais divinisante. Rares sont toutefois les roma
3580
, exacte, et plus proche qu’on ne pourrait croire
de
la mystique négative. La plupart reviendront aux illusions de l’amour
3581
ue négative. La plupart reviendront aux illusions
de
l’amour humain, sans retrouver pourtant la forte naïveté du mythe. Il
3582
ir social, ou la vertu, ou le secret mélancolique
de
l’amant ou quelque scrupule religieux, enfin le narcissisme avoué… In
3583
rdissent, et que tout élément « sacré » disparaît
de
la vie sociale. 17.Stendhal, ou le fiasco du sublime Homme du x
3584
dhal nous offre un exemple parfait pour l’analyse
de
la profanation du mythe. Voici un homme que le besoin de la passion t
3585
rofanation du mythe. Voici un homme que le besoin
de
la passion tourmente : il a découvert dans son « âme », c’est-à-dire
3586
mer passionnément, ce serait vivre ! Il s’imagine
de
très bonne foi qu’un tel besoin relève de la nature physique. (Et il
3587
imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève
de
la nature physique. (Et il a même là-dessus sa petite explication mat
3588
te du mythe dans son esprit, une habitude héritée
de
la culture, et spécialement de la littérature, puisque mystique et re
3589
e habitude héritée de la culture, et spécialement
de
la littérature, puisque mystique et religion, pour lui, sont mortes.
3590
ligion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé
de
constater que ce désir de passion, et la passion elle-même dans le mo
3591
tes. Mais il est obligé de constater que ce désir
de
passion, et la passion elle-même dans le monde où il vit, sont condam
3592
mnés par la raison et par le scepticisme général.
D’
où le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin ; d’où son fameux tr
3593
scepticisme général. D’où le besoin qu’il éprouve
de
justifier ce besoin ; d’où son fameux traité De l’Amour. Aux première
3594
le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin ;
d’
où son fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes de la préface, v
3595
e de justifier ce besoin ; d’où son fameux traité
De
l’Amour. Aux premières lignes de la préface, vous le sentez en pleine
3596
on fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes
de
la préface, vous le sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite d
3597
e sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite
de
l’amour, ce petit volume n’est point un roman, et surtout n’est pas a
3598
ut uniment une description exacte et scientifique
d’
une sorte de folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie
3599
ne description exacte et scientifique d’une sorte
de
folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie : l’amour-p
3600
assion, l’amour-goût, l’amour physique et l’amour
de
vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie
3601
de vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux
de
l’auteur. La théorie de la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que
3602
eul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie
de
la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que j’appelle cristallisati
3603
que j’appelle cristallisation, c’est l’opération
de
l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’obje
3604
llisation, c’est l’opération de l’esprit qui tire
de
tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles
3605
qui se présente la découverte que l’objet aimé a
de
nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel de Salzburg, lorsqu’o
3606
imé a de nouvelles perfections. » Ainsi aux mines
de
sel de Salzburg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on le
3607
e nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel
de
Salzburg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on le retrou
3608
profonde, on le retrouve trois mois après « garni
d’
une infinité de diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, d
3609
retrouve trois mois après « garni d’une infinité
de
diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, dans cette théor
3610
ement. Et pourquoi cela ? Parce que l’on a besoin
d’
aimer, et qu’on ne peut aimer que la beauté. Disons plus simplement qu
3611
mier154 que cette célèbre théorie revient à faire
de
l’amour passionné une simple erreur. « Non point que la passion se tr
3612
ur… Le cas Stendhal n’est pas douteux : il s’agit
d’
un homme qui n’aimait pas réellement, et qui surtout ne fut pas réelle
3613
voit amené à définir l’amour comme « une maladie
de
l’esprit » — dans la pure tradition antique, sauf qu’il s’affirme heu
3614
e tradition antique, sauf qu’il s’affirme heureux
d’
être malade. Le voici donc dans la situation d’un médecin qui étudie s
3615
ux d’être malade. Le voici donc dans la situation
d’
un médecin qui étudie sur lui-même les progrès et les singularités d’u
3616
udie sur lui-même les progrès et les singularités
d’
un mal qu’il ne croit pas mortel155. Une chose me frappe : sa descript
3617
ne chose me frappe : sa description est admirable
de
vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalem
3618
rappe : sa description est admirable de vivacité,
d’
exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalement pessimist
3619
est admirable de vivacité, d’exactitude, parfois
de
profondeur ; mais elle est totalement pessimiste — puisque aussi bien
3620
alement pessimiste — puisque aussi bien il s’agit
d’
une erreur et dont il se désole d’être tiré. D’où peut provenir ce pes
3621
bien il s’agit d’une erreur et dont il se désole
d’
être tiré. D’où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conce
3622
it d’une erreur et dont il se désole d’être tiré.
D’
où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conception de la v
3623
nir ce pessimisme incompatible avec la conception
de
la vie qu’il s’était faite ? C’est la question qu’il ne se pose jamai
3624
en : « Le plaisir ne produit pas la moitié autant
d’
impression que la douleur, ensuite, outre ce désagrément dans la quant
3625
r, ensuite, outre ce désagrément dans la quantité
d’
émotion, la sympathie est au moins la moitié moins excitée par la pein
3626
excitée par la peinture du bonheur que par celle
de
l’infortune. » Et encore : « Une âme faite pour les passions sent d’a
3627
Un Grec ressuscité ne s’en étonnerait pas moins.
D’
où nous viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne sont-ils pas
3628
ne se pose pas la question, n’étant pas en mesure
de
la résoudre. En matérialiste grossier — c’est la bonne espèce, la plu
3629
rime simplement tout problème, grâce à sa théorie
de
la cristallisation, donc de l’erreur. Ce qui explique la passion, à s
3630
e, grâce à sa théorie de la cristallisation, donc
de
l’erreur. Ce qui explique la passion, à son avis, c’est une erreur fa
3631
ène, dit-il, vient de la nature qui nous commande
d’
avoir du plaisir et qui nous envoie le sang au cerveau. » Voilà donc l
3632
n amour qui, loin de se tromper, est seul capable
de
découvrir dans l’être aimé les qualités réelles qui s’y cachent. De p
3633
i s’y cachent. De plus, n’est-ce point là le type
d’
une solution verbale ? Car dire que la passion est une erreur — elle l
3634
erreur. L’instinct ou la nature n’ont pas coutume
de
se tromper de la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’
3635
inct ou la nature n’ont pas coutume de se tromper
de
la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’esprit. La vér
3636
la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que
de
l’esprit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime d’un phénomène
3637
rit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime
d’
un phénomène spirituel que ses croyances matérialistes ne sont plus en
3638
es croyances matérialistes ne sont plus en mesure
de
justifier. Victime heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher d
3639
heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher
de
pousser plus avant son enquête. Qu’est-ce que ce livre qu’il nous lai
3640
ce que ce livre qu’il nous laisse ? Le témoignage
d’
une inquiétude qu’éprouve l’esprit lucide devant le mythe : non qu’il
3641
en Provence au xiie siècle, et reproduit le code
d’
amour courtois en appendice. (Raynouard et Fauriel venaient de provoqu
3642
t conduite entre les deux sexes sur les principes
de
la justice… » Il finira, bien entendu, par les citer, ces anecdotes.
3643
seule qui remplis toute mon âme, suprême volupté
d’
amour ! L’homme qui a écrit cela (dans Tristan et Isolde) savait que
3644
l’erreur : qu’elle est une décision fondamentale
de
l’être, un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d
3645
n faveur de la Mort, si la Mort est la libération
d’
un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celle
3646
tion d’un monde ordonné par le mal. Mais l’audace
de
cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur
3647
onné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est
de
celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale mépri
3648
elles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur
d’
une totale méprise, organisée et entretenue par une sorte de consensus
3649
le méprise, organisée et entretenue par une sorte
de
consensus social, d’aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À
3650
et entretenue par une sorte de consensus social,
d’
aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À force de l’entendre
3651
es, voilà qui est significatif au plus haut point
de
la nécessité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense d’une socié
3652
nt de la nécessité sociale des mythes. (Mensonges
d’
autodéfense d’une société qui veut sauver sa forme, tandis que les ind
3653
sité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense
d’
une société qui veut sauver sa forme, tandis que les individus qui la
3654
composent se prêtent obscurément, sous le couvert
d’
un refus, aux passions qui tendent à sa perte). En composant Tristan,
3655
tabou : il a tout dit, tout avoué par les paroles
de
son livret, et plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit de la
3656
t plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit
de
la dissolution des formes et des êtres, la libération du désir, l’ana
3657
pusculaire, immensément plaintive et bienheureuse
de
l’âme sauvée par la blessure mortelle du corps. Mais le sens maléfiqu
3658
lessure mortelle du corps. Mais le sens maléfique
de
ce message, il fallait le nier pour pouvoir l’accueillir, il fallait
3659
l fallait à tout prix le travestir, l’interpréter
d’
une manière tolérable, c’est-à-dire au nom du bon sens. Du mystère bou
3660
-dire au nom du bon sens. Du mystère bouleversant
de
la Nuit et de la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation
3661
u bon sens. Du mystère bouleversant de la Nuit et
de
la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation » d’un pauvre
3662
ruction des corps, l’on a fait la « sublimation »
d’
un pauvre secret du plein jour l’attrait des sexes, la loi tout animal
3663
t et complètement ne saurait d’ailleurs témoigner
d’
une vitalité sociale exceptionnelle : c’est plutôt la frivolité du pub
3664
ourd, et pour tout dire sa faculté exceptionnelle
de
ne pas entendre ce qu’on lui chante, qui ont facilité l’opération. Ai
3665
onde du jour : haine, orgueil et violence barbare
de
l’honneur féodal, jusqu’au crime. Isolde veut venger l’affront subi.
3666
re à Tristan est destiné à le faire mourir : mais
d’
une mort que l’Amour condamne, d’une mort selon les lois du jour et de
3667
re mourir : mais d’une mort que l’Amour condamne,
d’
une mort selon les lois du jour et de la vengeance, brutale, accidente
3668
ur condamne, d’une mort selon les lois du jour et
de
la vengeance, brutale, accidentelle, privée de sens mystique. Or la M
3669
et de la vengeance, brutale, accidentelle, privée
de
sens mystique. Or la Minne suprême inspire à Brangaene l’erreur qui d
3670
aene l’erreur qui doit sauver l’Amour. Au philtre
de
mort, elle substitue le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte uniqu
3671
r. Au philtre de mort, elle substitue le breuvage
d’
initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et d’Isolde, aussitôt q
3672
le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte unique
de
Tristan et d’Isolde, aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique d
3673
initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et
d’
Isolde, aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique du sacrement ca
3674
rs cœurs. Les initiés pénètrent au monde nocturne
de
l’extase libératrice. Et le jour qui revient avec le cortège royal et
3675
, le jour ne pourra plus les ressaisir : au terme
de
l’épreuve qu’il va leur imposer — c’est la passion — ils ont déjà pre
3676
autre mort, celle qui est le seul accomplissement
de
leur amour. Le deuxième acte est le chant de la passion des âmes pris
3677
ment de leur amour. Le deuxième acte est le chant
de
la passion des âmes prisonnières des formes. Tous les obstacles surmo
3678
surmontés, quand les amants sont seuls enveloppés
de
ténèbres, c’est le désir charnel qui les sépare encore. Ils sont ense
3679
ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et
de
Tristan « et » Isolde qui signifie leur dualité créée. À ce moment la
3680
seule peut exprimer la certitude et la substance
de
cette double nostalgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir d
3681
rtitude et la substance de cette double nostalgie
d’
être un. Car seule elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de
3682
lgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir
d’
harmoniser la plainte de deux voix, et d’en faire une plainte unique o
3683
e elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte
de
deux voix, et d’en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité
3684
pouvoir d’harmoniser la plainte de deux voix, et
d’
en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité d’un indicible au
3685
faire une plainte unique où déjà vibre la réalité
d’
un indicible au-delà d’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du du
3686
e où déjà vibre la réalité d’un indicible au-delà
d’
espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celu
3687
’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo
d’
amour est déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le
3688
urquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celui
de
la mort. Encore une fois revient le jour : le traître Mélot156 blesse
3689
aincu, elle vole au jour son apparente victoire :
de
cette blessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage de la suprêm
3690
lessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage
de
la suprême guérison, celle que chantera Isolde agonisante sur le cada
3691
lle que chantera Isolde agonisante sur le cadavre
de
Tristan, dans l’extase de la « joie la plus haute ». Initiation, pass
3692
onisante sur le cadavre de Tristan, dans l’extase
de
la « joie la plus haute ». Initiation, passion, accomplissement morte
3693
asquée dans les légendes médiévales par une foule
d’
éléments épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme d’art que Wagne
3694
nts épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme
d’
art que Wagner a choisie n’est pas sans recréer des possibilités de «
3695
a choisie n’est pas sans recréer des possibilités
de
« méprise ». Il fallait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui ti
3696
mythe. De même que le péché du premier homme, et
de
chaque homme, introduit dans le monde le temps ; de même que la faute
3697
e la faute des amants légendaires contre les lois
de
l’amour chaste transforme l’hymne des troubadours en un roman157 — ai
3698
Mais le drame ne peut pas tout dire, la religion
de
la passion étant « essentiellement lyrique ». Dès lors la musique seu
3699
lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable
d’
exprimer la dialectique transcendentale, le caractère éperdument contr
3700
ractère éperdument contradictoire, contrapuntique
de
la passion de la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition
3701
ment contradictoire, contrapuntique de la passion
de
la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition même de la mu
3702
ui est l’appel au Jour incréé. La définition même
de
la musique occidentale, c’est l’accord émouvant des contraires ; en t
3703
; en termes de l’art : le contrepoint. Expression
d’
un dualisme douloureux, permanent au niveau de la vie, mais qui s’évan
3704
is qui s’évanouit dans la grâce lumineuse au-delà
de
la mort physique. Or le drame achevé par la musique, c’est l’opéra. A
3705
péra. Ainsi, ce n’est point un hasard si le mythe
de
Tristan et celui de Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevé
3706
t point un hasard si le mythe de Tristan et celui
de
Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevée que dans la forme
3707
ecevoir leur expression achevée que dans la forme
de
l’opéra. Si Mozart et Wagner nous ont donné les chefs-d’œuvre du dram
3708
musical, c’est en vertu de l’affinité originelle
de
ce mode d’expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique
3709
’est en vertu de l’affinité originelle de ce mode
d’
expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique seule peut
3710
surent choisir. La musique seule peut bien parler
de
la tragédie, dont elle est la mère et la fille Toutefois, dans le cas
3711
le est la mère et la fille Toutefois, dans le cas
de
Tristan, l’élément plastique inhérent à toute mise en scène théâtrale
3712
« jour », contredisent fatalement le sens profond
de
l’action. Tant qu’on regarde la scène, on est victime de l’illusion d
3713
tion. Tant qu’on regarde la scène, on est victime
de
l’illusion des formes — et des plus ridicules. Il n’y a là, « visible
3714
ire ! L’orchestre décrit largement les dimensions
d’
une tragédie tout intérieure. La morbidesse bouleversante des mélodies
3715
nière et impure langueur dans l’âme qui se guérit
de
vivre. Seule la lumière douloureuse du troisième acte — l’obsession j
3716
fiévreux — peut traduire à ma vue le sens profond
de
l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel, de trop
3717
e l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a
d’
artificiel, de trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt,
3718
mants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel,
de
trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt, et que déjà l’
3719
puscule vainement exalté. ⁂ Un second lieu commun
de
la critique — d’ailleurs absolument contradictoire avec celui qui fai
3720
absolument contradictoire avec celui qui faisait
de
Tristan la glorification du désir sensuel — c’est le rappel de l’infl
3721
glorification du désir sensuel — c’est le rappel
de
l’influence de Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Ni
3722
du désir sensuel — c’est le rappel de l’influence
de
Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Nietzsche, et Wag
3723
e influence est fortement surestimée. Un créateur
de
la taille de Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait tr
3724
st fortement surestimée. Un créateur de la taille
de
Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait trouvé chez Sch
3725
minations, voilà sans doute ce qu’il faut retenir
de
la rencontre, et ce n’est pas d’un immense intérêt. L’ascèse, la néga
3726
’il faut retenir de la rencontre, et ce n’est pas
d’
un immense intérêt. L’ascèse, la négation du monde créé, l’identificat
3727
cèse, la négation du monde créé, l’identification
de
l’attrait sexuel avec le vouloir-vivre obscurcissant la connaissance,
3728
issance, toute cette mystique que l’on s’empresse
de
qualifier de bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parc
3729
e cette mystique que l’on s’empresse de qualifier
de
bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parce qu’il la po
3730
oles des minnesänger, dans la légende manichéenne
de
Parzival, et par-dessous l’imagerie chrétienne, dans le Saint-Graal,
3731
rre sacrée des Iraniens et des cathares, la coupe
de
Gwyon159, divinité celtique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu
3732
eltique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu
de
la légende, dans sa virulence intégrale, ce n’est point là une thèse
3733
largement déclarée par la musique et les paroles
de
l’opéra. Par l’opéra, le mythe connaît son achèvement. Mais ce « term
3734
es — comme presque tous les termes du vocabulaire
de
l’existence, décrivant l’être en situation d’agir, non les objets. Ac
3735
ire de l’existence, décrivant l’être en situation
d’
agir, non les objets. Achèvement désigne l’expression totale d’un être
3736
es objets. Achèvement désigne l’expression totale
d’
un être, d’un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort.
3737
Achèvement désigne l’expression totale d’un être,
d’
un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le my
3738
igne l’expression totale d’un être, d’un mythe ou
d’
une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le mythe « achevé »
3739
r Wagner a vécu. Vixit Tristan ! Et s’ouvre l’ère
de
ses fantômes. 19.Vulgarisation du mythe Il y eut la voie poétiq
3740
jeunes Parques, des apparences à peine féminines
de
fuites — comme on dit que l’eau fuit d’un bassin : fissures dans le r
3741
féminines de fuites — comme on dit que l’eau fuit
d’
un bassin : fissures dans le réel, fuites de rêves. C’est la tradition
3742
fuit d’un bassin : fissures dans le réel, fuites
de
rêves. C’est la tradition alanguie, intellectualisée, sophistiquée. V
3743
passer les belles autos, et s’indigner des excès
de
vitesse. Le Lys dans la Vallée, Adolphe, Dominique, Madame Bovary, T
3744
ovary, Thérèse Raquin, La Porte étroite, Un amour
de
Swann : étapes françaises de la dissociation psychologique, de la dég
3745
te étroite, Un amour de Swann : étapes françaises
de
la dissociation psychologique, de la dégradation de « l’obstacle » ex
3746
apes françaises de la dissociation psychologique,
de
la dégradation de « l’obstacle » extérieure, et de la reconnaissance
3747
la dissociation psychologique, de la dégradation
de
« l’obstacle » extérieure, et de la reconnaissance lucide — par là mê
3748
e la dégradation de « l’obstacle » extérieure, et
de
la reconnaissance lucide — par là même, antiromanesque — de sa nature
3749
nnaissance lucide — par là même, antiromanesque —
de
sa nature purement intime et subjective. (Religieuse dans le cas de G
3750
ent intime et subjective. (Religieuse dans le cas
de
Gide, quasi physiologique dans celui de Proust.) Parallèlement, il co
3751
ns le cas de Gide, quasi physiologique dans celui
de
Proust.) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe de la Mort d
3752
dans celui de Proust.) Parallèlement, il convient
de
citer le Triomphe de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de
3753
) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe
de
la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karéni
3754
ment, il convient de citer le Triomphe de la Mort
de
d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et pres
3755
t, il convient de citer le Triomphe de la Mort de
d’
Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et presque
3756
de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable
de
Wagner — Anna Karénine, et presque tous les grands romans de l’ère vi
3757
Anna Karénine, et presque tous les grands romans
de
l’ère victorienne, et surtout Tess des d’Urberville et Jude l’Obscur
3758
romans de l’ère victorienne, et surtout Tess des
d’
Urberville et Jude l’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants
3759
rtout Tess des d’Urberville et Jude l’Obscur ; et
de
nos jours les romans platonisants d’un Charles Morgan. ⁂ Mais les che
3760
’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants
d’
un Charles Morgan. ⁂ Mais les chefs-d’œuvre, désormais, nous en appren
3761
descente du mythe dans les mœurs, que les romans
de
série, le théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique de notre
3762
théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique
de
notre époque est diffus dans la médiocrité. Le vrai sérieux dès lors,
3763
plique la connaissance, le rejet ou l’acceptation
de
ce qui meut ou émeut les masses, et de l’anonymat des grands courants
3764
cceptation de ce qui meut ou émeut les masses, et
de
l’anonymat des grands courants qui roulent les individus détachés ave
3765
’esprit répugne encore à mesurer. L’envahissement
de
nos littératures, tant bourgeoises que « prolétariennes », par le rom
3766
que « prolétariennes », par le roman, et le roman
d’
amour s’entend, traduit exactement l’envahissement de notre conscience
3767
mour s’entend, traduit exactement l’envahissement
de
notre conscience par le contenu totalement profané du mythe. Celui-ci
3768
ement profané du mythe. Celui-ci cesse d’ailleurs
d’
être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et q
3769
rs d’être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé
de
son cadre sacral, et que le secret mystique qu’il exprimait en le voi
3770
des romantiques devient alors la vague obsession
de
luxe et d’aventures exotiques que les romans d’un Dekobra suffisent à
3771
iques devient alors la vague obsession de luxe et
d’
aventures exotiques que les romans d’un Dekobra suffisent à satisfaire
3772
n de luxe et d’aventures exotiques que les romans
d’
un Dekobra suffisent à satisfaire symboliquement. Que cela n’ait plus
3773
symboliquement. Que cela n’ait plus aucune espèce
de
sens valable il suffit pour s’en assurer d’imaginer l’impuissance abs
3774
spèce de sens valable il suffit pour s’en assurer
d’
imaginer l’impuissance absolue où se trouvent les clients de cette lit
3775
l’impuissance absolue où se trouvent les clients
de
cette littérature à concevoir une réalité mystique, une ascèse, un ef
3776
evoir une réalité mystique, une ascèse, un effort
de
l’esprit pour s’affranchir des liens sensuels : or la passion courtoi
3777
ns sensuels : or la passion courtoise n’avait pas
d’
autre but, et son langage n’avait pas d’autre clé. Perdus et oubliés c
3778
avait pas d’autre but, et son langage n’avait pas
d’
autre clé. Perdus et oubliés cette clé et ce but, la passion dont le b
3779
revient nous tourmenter n’est plus qu’une maladie
de
l’instinct, rarement mortelle, régulièrement toxique et déprimante, t
3780
ussi dégradée et dégradante, par rapport au mythe
de
Tristan, que le serait par exemple l’alcoolisme par rapport à l’ivres
3781
taient les mystiques arabes. L’exemple du théâtre
d’
avant-guerre détient une signification plus riche pour notre objet. La
3782
et. La bourgeoisie du Second Empire eut le mérite
de
faire une dernière tentative pour régulariser dans son cadre social l
3783
er dans son cadre social l’influence anarchisante
de
la passion. Car celle-ci survivait à toute mystique, par la grâce équ
3784
ns une certaine jeunesse tout au moins, le besoin
d’
une brûlure nostalgique ; et tout cela composait une sorte de complexe
3785
re nostalgique ; et tout cela composait une sorte
de
complexe que l’on prenait pour la « nature » elle-même, bien qu’il ne
3786
psychologique, voire physiologique. La tentative
de
normalisation bourgeoise de la passion, visant à recréer une expressi
3787
logique. La tentative de normalisation bourgeoise
de
la passion, visant à recréer une expression conventionnelle, donc adm
3788
dmissible par l’ordre social, — ce fut le théâtre
de
Dumas à Bataille. La fameuse « pièce à trois personnages », modèle de
3789
La fameuse « pièce à trois personnages », modèle
de
presque tous les auteurs dramatiques d’avant-guerre, c’est simplement
3790
», modèle de presque tous les auteurs dramatiques
d’
avant-guerre, c’est simplement l’adaptation du mythe de Tristan à la m
3791
nt-guerre, c’est simplement l’adaptation du mythe
de
Tristan à la mesure d’une société moderne. Le roi Marc est devenu le
3792
ment l’adaptation du mythe de Tristan à la mesure
d’
une société moderne. Le roi Marc est devenu le Cocu ; Tristan, le jeun
3793
Iseut, l’épouse insatisfaite, oisive et lectrice
de
romans. Ici encore, deux morales s’affrontent. Les barons félons de l
3794
ore, deux morales s’affrontent. Les barons félons
de
la légende sont figurés par les tenants de la morale « conformiste ».
3795
félons de la légende sont figurés par les tenants
de
la morale « conformiste ». Ils défendent le mariage bourgeois, l’héri
3796
contraire triomphe régulièrement — fût-ce au prix
d’
un coup de pistolet. C’est la morale du romantisme, des droits impresc
3797
morale du romantisme, des droits imprescriptibles
de
l’amour, et elle implique la supériorité « spirituelle » de la maître
3798
, et elle implique la supériorité « spirituelle »
de
la maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi de la responsabili
3799
a maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi
de
la responsabilité, on lui donne le nom romantique de « fatalité de la
3800
la responsabilité, on lui donne le nom romantique
de
« fatalité de la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas t
3801
ité, on lui donne le nom romantique de « fatalité
de
la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort de l’assim
3802
n ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort
de
l’assimiler à la « littérature » en général, terme de mépris vouant à
3803
’assimiler à la « littérature » en général, terme
de
mépris vouant à une exécration globale les « tendances dissolvantes »
3804
impossibles ». Bientôt, l’on n’essaiera plus même
de
nier la complaisance que réclame de ses propres victimes l’élaboratio
3805
era plus même de nier la complaisance que réclame
de
ses propres victimes l’élaboration du vieux philtre. Elle est minutie
3806
ue dans ses ruses inconscientes, en des centaines
de
pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour de Swann.) Littératu
3807
pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour
de
Swann.) Littérature bourgeoise ai-je dit : ses conclusions régulièrem
3808
ulièrement antibourgeoises font partie intégrante
de
l’ordre social établi. L’instinct de conservation rend en effet cet o
3809
e intégrante de l’ordre social établi. L’instinct
de
conservation rend en effet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui fei
3810
ffet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui feint
de
le renier, mais qui en vit. Le calcul est très simple, et bien entend
3811
n rêveries voluptueuses les tendances subversives
de
l’esprit. La morale du mariage en souffre évidemment, mais cela n’est
3812
ariage en souffre évidemment, mais cela n’est pas
d’
une gravité urgente, puisqu’on sait bien que l’institution matrimonial
3813
qui entraînent une dilapidation du « patrimoine »
de
la famille. (Patrimoine ne signifiant plus que fortune et propriétés)
3814
plus que fortune et propriétés). ⁂ Cette volonté
de
jouir du mythe mais sans le payer trop cher, on la voit s’exprimer en
3815
riques que le film américain des premières années
de
l’après-guerre. C’était l’époque du happy end : tout devait aboutir a
3816
tout devait aboutir au long baiser final sur fond
de
roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sa
3817
aboutir au long baiser final sur fond de roses ou
de
tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sans relations
3818
e roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure
de
style n’est pas sans relations intimes avec le mythe au dernier stade
3819
relations intimes avec le mythe au dernier stade
de
sa déchéance. Elle exprime à la perfection la synthèse idéale de deux
3820
. Elle exprime à la perfection la synthèse idéale
de
deux désirs contradictoires : désir que rien ne s’arrange et désir qu
3821
ovient précisément du fait qu’il libère le public
de
ses contradictions intimes. En effet : point de roman sans obstacles.
3822
c de ses contradictions intimes. En effet : point
de
roman sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci d’une invrais
3823
sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci
d’
une invraisemblance que le désir de romantisme rend insensible. Ainsi,
3824
nc, sans souci d’une invraisemblance que le désir
de
romantisme rend insensible. Ainsi, pendant une heure ou deux le roman
3825
, dès que cela nous devient clair. Il s’agit donc
de
supprimer l’obstacle à temps, ce qui amène par définition la fin du r
3826
in du roman et du film : « et ils eurent beaucoup
d’
enfants » signifie qu’il n’y a plus rien à raconter ; ou bien c’est le
3827
os plan, bouchant l’écran et refermant la fenêtre
de
l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera de donner à cette fin une
3828
tre de l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera
de
donner à cette fin une atmosphère « poétique » qui dissimule le passa
3829
lus qu’une nostalgie assez vulgaire, idéalisation
de
désirs anodins, d’ailleurs ramenés vers la jouissance des choses, c’e
3830
c l’instinct qu’elle excitait par sa volonté même
de
le nier. L’ambiguïté du langage mystique de l’hérésie devait faire na
3831
même de le nier. L’ambiguïté du langage mystique
de
l’hérésie devait faire naître, dès le xiiie siècle, une rhétorique p
3832
tre, dès le xiiie siècle, une rhétorique profane
de
la passion. Et c’est la diffusion de ce langage par la littérature ro
3833
ique profane de la passion. Et c’est la diffusion
de
ce langage par la littérature romanesque qui aboutit, au cours du der
3834
t des rôles : l’instinct devenant le vrai support
d’
une rhétorique dont les figures lui prêtent désormais un semblant d’id
3835
ont les figures lui prêtent désormais un semblant
d’
idéalité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose de Guillaume de
3836
ité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose
de
Guillaume de Lorris répond la rose de Jean de Meung, comme à la rhéto
3837
e à la rose de Guillaume de Lorris répond la rose
de
Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline de Pétrarque s’oppos
3838
Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline
de
Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle de Boccace, le romantis
3839
de Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle
de
Boccace, le romantisme a provoqué de nos jours une révolte qui se veu
3840
ie sensuelle de Boccace, le romantisme a provoqué
de
nos jours une révolte qui se veut « primitive ». Ce n’est plus « le s
3841
ue nous disent ces hommes : « Nous en avons assez
de
souffrir pour des idées, des idéaux, des petites hypocrisies idéalisé
3842
lles personne ne sait plus croire. Vous avez fait
de
la femme une espèce de divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos
3843
lus croire. Vous avez fait de la femme une espèce
de
divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos femmes fatales, et vos
3844
et vos femmes adultères, et vos femmes desséchées
de
vertu, nous ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos « d
3845
femmes desséchées de vertu, nous ont gâté la joie
de
vivre. Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme est d’abord u
3846
us ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons
de
vos « divines ». La femme est d’abord une femelle. Nous la ferons se
3847
rit. Et la grande innocence bestiale nous guérira
de
votre goût du péché, cette maladie de l’instinct génésique. Ce que vo
3848
ous guérira de votre goût du péché, cette maladie
de
l’instinct génésique. Ce que vous appelez morale, c’est ce qui nous r
3849
ui est la Vie. Et la vie, c’est l’instinct libéré
de
l’esprit, la grande puissance solaire qui broie et magnifie l’individ
3850
idu fécond, la belle brute déchaînée, etc. » L’un
de
ces prophètes est allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de v
3851
st allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant
de
vitalité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique de la « Vie » a pu
3852
italité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique
de
la « Vie » a pu donner naissance à de belles œuvres littéraires. Mais
3853
le mystique de la « Vie » a pu donner naissance à
de
belles œuvres littéraires. Mais elle porte un nom « politique ». Je l
3854
ve, étrangement identique, aux origines profondes
d’
un mouvement que nous n’avons plus à étudier ni à convaincre. Disons p
3855
xtes économiques ou doctrinaux qui lui ont permis
de
s’emparer du pouvoir). C’est une négation de l’au-delà dont le but n’
3856
rmis de s’emparer du pouvoir). C’est une négation
de
l’au-delà dont le but n’est pas de supprimer les dieux mais de s’empa
3857
t une négation de l’au-delà dont le but n’est pas
de
supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divinisant l
3858
dont le but n’est pas de supprimer les dieux mais
de
s’emparer de leur pouvoir en divinisant l’ici-bas. Perdre sa personna
3859
’est pas de supprimer les dieux mais de s’emparer
de
leur pouvoir en divinisant l’ici-bas. Perdre sa personnalité morale e
3860
lité morale et se retremper dans le flux cosmique
de
l’instinct, c’est l’idéal de nos poètes du primitivisme solaire, mais
3861
ans le flux cosmique de l’instinct, c’est l’idéal
de
nos poètes du primitivisme solaire, mais la pratique de cette croyanc
3862
poètes du primitivisme solaire, mais la pratique
de
cette croyance n’est pas de nature à nous tromper un seul instant : i
3863
ire, mais la pratique de cette croyance n’est pas
de
nature à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « belles » br
3864
ure à nous tromper un seul instant : il n’y a pas
de
« belles » brutes, il y a des brutes. L’idée de beauté, qu’un Lawrenc
3865
s de « belles » brutes, il y a des brutes. L’idée
de
beauté, qu’un Lawrence croit encore consistante, c’est l’héritage d’u
3866
wrence croit encore consistante, c’est l’héritage
d’
une époque en faillite — une dette que plus personne, là-bas, n’est di
3867
là-bas, n’est disposé à reconnaître. On n’a plus
de
comptes à rendre à cet « esprit » platonicien. Il était cause de tout
3868
ndre à cet « esprit » platonicien. Il était cause
de
toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est clair. Ma
3869
était cause de toute la confusion, et il l’a payé
de
sa vie, voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins
3870
» — l’on prétend s’enfoncer dans le flot primitif
de
l’instinct, dans le larvaire, dans le non-fait, dans l’« infait », c’
3871
dans l’infect, l’on croit retrouver l’authentique
de
la vie, et l’on ne fait pourtant que s’abandonner au torrent des déch
3872
pourtant que s’abandonner au torrent des déchets
de
l’ancienne culture et de ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a plu
3873
r au torrent des déchets de l’ancienne culture et
de
ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujourd
3874
désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme
d’
aujourd’hui, d’authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, d
3875
est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujourd’hui,
d’
authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon d
3876
ive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon
de
notre siècle, ce que l’Église appelle péché originel, cela désigne la
3877
dessous de nos morales, ce n’est pas nous libérer
de
leurs interdictions, mais nous livrer à une folie qui répugnerait aux
3878
t pas revenir au réel, mais s’égarer dans la zone
de
terreur et dans les terrains vagues où se sont déversés tous les rebu
3879
rrains vagues où se sont déversés tous les rebuts
d’
une civilisation intoxiquée. L’« authentique » dont le désir nous obsè
3880
pourrons pas le retrouver. Il n’est pas au terme
d’
un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la ch
3881
e retrouver. Il n’est pas au terme d’un mouvement
d’
abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’est p
3882
d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment
de
la chair. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être recréé pa
3883
r à la sobriété. Agir, ce n’est pas s’évader hors
d’
un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce corps gênant. Mais c
3884
conditions qui nous sont faites, dans le conflit
de
l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus e
3885
nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et
de
la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus en détruisant ma
3886
flit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter
de
les surmonter non plus en détruisant mais en mariant les deux puissan
3887
nces antagonistes. Que l’esprit vienne au secours
de
la chair et retrouve en elle son appui, et que la chair se soumette à
3888
tel, Éros vital — l’un appelle l’autre, et chacun
d’
eux n’a pour fin véritable et pour terminaison réelle que l’autre, qu’
3889
ait détruire ! À l’infini, jusqu’à la consomption
de
toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se p
3890
l’infini, jusqu’à la consomption de toute vie et
de
tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se prend pour son di
3891
e prend pour son dieu. Voilà le mouvement dernier
de
la passion, dont l’exaspération s’appelle la guerre. 21.La passion
3892
passion dans tous les domaines Le mythe sacré
de
l’amour courtois, au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale d’o
3893
, au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale
d’
ordonner et de purifier les puissances anarchiques de la passion. Une
3894
cle, avait eu pour fonction sociale d’ordonner et
de
purifier les puissances anarchiques de la passion. Une mystique trans
3895
rdonner et de purifier les puissances anarchiques
de
la passion. Une mystique transcendante orientait secrètement, polaris
3896
ètement, polarisait vers l’au-delà les nostalgies
de
l’humanité souffrante. C’était sans doute une hérésie, mais pacifique
3897
oute une hérésie, mais pacifique, et par certains
de
ses aspects, très favorable à l’équilibre civilisateur. Cependant, du
3898
du seul fait qu’elle s’opposait à la propagation
de
l’espèce et à la guerre, la société devait la persécuter. Ce fut Rome
3899
ée, l’hérésie ne devait pas tarder à se dénaturer
de
mille manières. Les confusions qu’elle favorisait malgré elle, cette
3900
’elle favorisait malgré elle, cette glorification
de
l’amour humain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’une am
3901
lorification de l’amour humain qui était l’envers
de
sa doctrine, ce langage d’une ambiguïté à la fois essentielle et oppo
3902
ain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage
d’
une ambiguïté à la fois essentielle et opportune, qui permettait tous
3903
bus, c’est cela qui allait échapper aux tribunaux
de
l’Inquisition, puis envahir la conscience européenne, même orthodoxe,
3904
ence européenne, même orthodoxe, et par une sorte
d’
ironie, donner sa rhétorique passionnelle au mysticisme des plus grand
3905
squ’il n’avait pu se traduire que dans les termes
de
l’amour humain, bien qu’entendus au sens mystique. Ce sens évanoui re
3906
plus en plus mystérieux, apte à séduire le besoin
d’
idéal qu’avait laissé dans la conscience une connaissance mystique rép
3907
tique réprouvée, puis perdue. Telle fut la chance
de
la littérature en Occident ; et cela seul peut expliquer l’empire, un
3908
r les masses. Toutefois, le classicisme s’efforça
d’
imposer tout au moins une forme d’art à ces puissances obscures privée
3909
cisme s’efforça d’imposer tout au moins une forme
d’
art à ces puissances obscures privées de leur forme sacrée. C’est à ce
3910
une forme d’art à ces puissances obscures privées
de
leur forme sacrée. C’est à ces vestiges de rites que s’attaqua le rom
3911
rivées de leur forme sacrée. C’est à ces vestiges
de
rites que s’attaqua le romantisme. D’où la violente exaltation dès la
3912
es vestiges de rites que s’attaqua le romantisme.
D’
où la violente exaltation dès la fin du xviiie siècle, de tout ce qu’
3913
violente exaltation dès la fin du xviiie siècle,
de
tout ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel de Tristan, puis
3914
ut ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel
de
Tristan, puis ses substituts littéraires. Le xixe siècle bourgeois v
3915
répandre dans la conscience profane l’« instinct
de
mort » longtemps refoulé dans l’inconscient ou canalisé dès sa source
3916
ce par un art aristocratique. Et quand les cadres
de
la société vinrent à craquer — sous l’effet de poussées d’un tout aut
3917
es de la société vinrent à craquer — sous l’effet
de
poussées d’un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inond
3918
iété vinrent à craquer — sous l’effet de poussées
d’
un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inonda notre vie
3919
s plus ce que signifiait cette diffuse exaltation
de
l’amour. Nous la prenions pour un printemps de l’instinct et pour une
3920
on de l’amour. Nous la prenions pour un printemps
de
l’instinct et pour une renaissance des forces dionysiaques persécutée
3921
sme. Toute la littérature moderne entonna l’hymne
de
la « libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton de désespoir ? Co
3922
oderne entonna l’hymne de la « libération ». Mais
d’
où lui vient alors ce ton de désespoir ? Comment se fait-il que le rom
3923
« libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton
de
désespoir ? Comment se fait-il que le roman qui triompha pendant tren
3924
qui triompha pendant trente ans, au xxe siècle,
de
toutes les autres formes littéraires, aboutisse à cette analyse maréc
3925
ittéraires, aboutisse à cette analyse marécageuse
de
nos doutes et de notre vide ? Que signifie cette libération qui nous
3926
isse à cette analyse marécageuse de nos doutes et
de
notre vide ? Que signifie cette libération qui nous laisse tellement
3927
virulence provisoire qu’en se mettant au service
de
mystiques partisanes ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle
3928
s ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle
de
nos mœurs n’autorise pas cette conclusion. Car la crise actuelle du m
3929
nt que l’on voudra, mais tout de même le triomphe
d’
une passion profanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine de la
3930
fanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine
de
la sexualité proprement dite, le contenu du mythe et ses fantômes env
3931
iques ». C’est que nous sommes devenus incapables
de
faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de distinguer leur natur
3932
ommes devenus incapables de faire la part du feu,
d’
ordonner nos désirs, de distinguer leur nature et leur fin, d’imposer
3933
s de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs,
de
distinguer leur nature et leur fin, d’imposer une mesure à leurs diva
3934
os désirs, de distinguer leur nature et leur fin,
d’
imposer une mesure à leurs divagations — de les exprimer en figures. L
3935
r fin, d’imposer une mesure à leurs divagations —
de
les exprimer en figures. Les dernières formes de l’amour ont été bala
3936
de les exprimer en figures. Les dernières formes
de
l’amour ont été balayées par la guerre. Et j’insisterai sur cet exemp
3937
sur cet exemple symbolique : nous ne faisons plus
de
« déclarations d’amour » dans le même temps que nous admettons la gue
3938
mbolique : nous ne faisons plus de « déclarations
d’
amour » dans le même temps que nous admettons la guerre sans « déclara
3939
sa conversion en rhétorique, puis la dissolution
de
cette rhétorique et la totale vulgarisation de son contenu, l’on peut
3940
on de cette rhétorique et la totale vulgarisation
de
son contenu, l’on peut en suivre les étapes dans un domaine en appare
3941
x que nous venons de parcourir : dans l’évolution
de
la guerre et de ses méthodes en Occident. 117. Je rappelle que j’e
3942
s de parcourir : dans l’évolution de la guerre et
de
ses méthodes en Occident. 117. Je rappelle que j’emploie toujours
3943
elle que j’emploie toujours ce mot au double sens
de
sacrilège et de laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas rec
3944
ie toujours ce mot au double sens de sacrilège et
de
laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas recourir à « profan
3945
r à « profanisation ». 118. Désormais le symbole
de
toute l’opposition sera donné par le nom même de l’amour. En face de
3946
de toute l’opposition sera donné par le nom même
de
l’amour. En face de l’Église de Rome : Roma, se dresse l’Église d’Amo
3947
é par le nom même de l’amour. En face de l’Église
de
Rome : Roma, se dresse l’Église d’Amour : amor, et la seconde accuse
3948
ce de l’Église de Rome : Roma, se dresse l’Église
d’
Amour : amor, et la seconde accuse la première d’avoir inverti sataniq
3949
d’Amour : amor, et la seconde accuse la première
d’
avoir inverti sataniquement le nom même de l’amour divin, et d’avoir f
3950
remière d’avoir inverti sataniquement le nom même
de
l’amour divin, et d’avoir fait de l’Évangile un prétexte à massacrer
3951
ti sataniquement le nom même de l’amour divin, et
d’
avoir fait de l’Évangile un prétexte à massacrer les « purs ». 119. A
3952
ent le nom même de l’amour divin, et d’avoir fait
de
l’Évangile un prétexte à massacrer les « purs ». 119. Ai-je dit que
3953
r les « purs ». 119. Ai-je dit que la chevalerie
d’
amour méridionale se distinguait de la chevalerie féodale en ceci surt
3954
la chevalerie d’amour méridionale se distinguait
de
la chevalerie féodale en ceci surtout : c’est que tout homme, fût-il
3955
s ou vilain, pouvait y accéder par la seule grâce
de
la « poésie ». D’innombrables documents nous attestent qu’aux yeux de
3956
it y accéder par la seule grâce de la « poésie ».
D’
innombrables documents nous attestent qu’aux yeux des cathares, la vér
3957
s, la véritable noblesse est celle du troubadour,
de
celui qui connaît et pratique les leys d’amors. Dante soutiendra la m
3958
badour, de celui qui connaît et pratique les leys
d’
amors. Dante soutiendra la même doctrine… 120. Béatrice a certainemen
3959
isté, et Dante l’a certainement aimée. C’est donc
d’
une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse de ce qui se passa chez
3960
c d’une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse
de
ce qui se passa chez les troubadours. Béatrice deviendra successiveme
3961
. Sainte Thérèse : « Ces grâces sont accompagnées
d’
un entier détachement des créatures, quant à l’esprit… On se sent alor
3962
n se sent alors beaucoup plus étranger aux choses
de
la terre » et passim ! 123. Il connaissait le roman et le cite plusi
3963
cite plusieurs fois. Par exemple dans le Triomphe
de
l’amour : « Voici ceux qui remplissent de rêverie les livres — Trista
3964
riomphe de l’amour : « Voici ceux qui remplissent
de
rêverie les livres — Tristan et Lancelot et les autres errants — auxq
3965
supplice, elle voudrait y passer ce qui lui reste
de
vie. » 126. Saint Jean de la Croix : « Ô brûlure suave ! » et tout l
3966
ix : « Ô brûlure suave ! » et tout le commentaire
de
ce vers dans la Vive flamme d’amour (II, 1). 127. Sainte Thérèse : «
3967
out le commentaire de ce vers dans la Vive flamme
d’
amour (II, 1). 127. Sainte Thérèse : « De ce désir qui en un instant
3968
flamme d’amour (II, 1). 127. Sainte Thérèse : «
De
ce désir qui en un instant pénètre l’âme entière naît une douleur qui
3969
ière naît une douleur qui la transporte au-dessus
d’
elle-même et de tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette sol
3970
ouleur qui la transporte au-dessus d’elle-même et
de
tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette solitude. Qu’on lu
3971
Sainte Thérèse : « Quelle souveraineté que celle
d’
une âme qui portée à cette hauteur par Dieu lui-même, considère toutes
3972
u xiiie siècle. 131. Voir la Croisade du Graal,
d’
Otto Rahn, déjà cité. 132. Nous avons déjà relevé l’influence de cett
3973
jà cité. 132. Nous avons déjà relevé l’influence
de
cette littérature sur sainte Thérèse et les mystiques espagnols en gé
3974
ystiques espagnols en général. 133. La Tragédie
de
Roméo et Juliette, traduction P.-J. Jouve et G. Pitoëff. 134. Floris
3975
à Samson Agonistes.) 135. Charles Sorel, auteur
de
Francion, avait écrit l’Anti-Roman ou le Berger extravagant, reprenan
3976
éaliste », toutes les situations conventionnelles
de
l’Astrée. De même, Scarron, etc. 136. « Titus, qui aimait passionném
3977
et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis
de
l’épouser, la renvoya de Rome malgré lui et malgré elle, dès les prem
3978
royait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya
de
Rome malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire.
3979
malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours
de
son empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface de Bérénice.) 13
3980
n empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface
de
Bérénice.) 137. Hippolyte parlant d’Aricie, acte Ier, scène Ire : «
3981
ne, préface de Bérénice.) 137. Hippolyte parlant
d’
Aricie, acte Ier, scène Ire : « Dois-je épouser ses droits contre un p
3982
à Thésée, au Ve acte. 139. Nouvelle vérification
de
ce que nous disions à propos d’Eckhart : la mystique unitive ignore l
3983
Doctrine fabuleuse , en préparation. 141. Celui
de
Mozart plutôt que celui de Molière, beaucoup moins significatif à mon
3984
éparation. 141. Celui de Mozart plutôt que celui
de
Molière, beaucoup moins significatif à mon avis, et qui d’ailleurs n’
3985
bé de Sade, propre oncle du marquis, est l’auteur
d’
un ouvrage intitulé : Remarques sur les premiers poètes français et le
3986
s premiers poètes français et les troubadours, et
de
trois volumes (anonymes) de mémoires sur Pétrarque. 143. « On a de S
3987
t les troubadours, et de trois volumes (anonymes)
de
mémoires sur Pétrarque. 143. « On a de Sade : Juliette ou les malheu
3988
anonymes) de mémoires sur Pétrarque. 143. « On a
de
Sade : Juliette ou les malheurs de la vertu (1791), puis Justine ou l
3989
. 143. « On a de Sade : Juliette ou les malheurs
de
la vertu (1791), puis Justine ou les prospérités du vice. C’est le co
3990
ctement (donc en psychanalyse, le contraire aussi
de
ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fort
3991
yse, le contraire aussi de ce contraire, et ainsi
de
suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A.
3992
i de ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes
de
l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.)
3993
de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune
de
Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.) 144. Voir Appendice 10. 1
3994
Appendice 10. 145. Rappelons que l’amour fameux
d’
Abélard et Héloïse est le premier exemple historique de la passion don
3995
lard et Héloïse est le premier exemple historique
de
la passion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre d’Héloïse co
3996
ion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre
d’
Héloïse composé (par elle-même ?) en vers latins (cité par Rémusat : A
3997
: Abélard, t. I). L’amante supplie : Soulage-moi
de
ma croix. Conduis vers la lumière Mon âme délivrée ! Et le chœur des
3998
œur des religieuses reprend : Qu’ils se reposent
de
leur labeur Et de leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des
3999
s reprend : Qu’ils se reposent de leur labeur Et
de
leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des habitants des deu
4000
hérétique, se rapproche sur des points essentiels
de
la doctrine spiritualiste des cathares. Et dans ses Lamentations, il
4001
il laisse échapper le grand cri du romantisme et
de
Tristan : « Amoris impulsio culpae justificatio. » 146. Est-ce la f
4002
eau ? Ou plutôt au symbolisme ? Beaucoup de dames
d’
aujourd’hui croient que « mystique » signifie sentimental. Vitraux, pé
4003
tal. Vitraux, pénombre bleue, arpèges, somnolence
de
l’esprit, rêverie des sens… 147. W. Schlegel commença en 1808 une ré
4004
chlegel commença en 1808 une rédaction modernisée
de
Tristan. Puis Rückert, Immermann, Platen, bien d’autres, esquissèrent
4005
issèrent des Tristan (poèmes et drames). Le poème
de
Platen débute ainsi : « Celui dont les yeux ont une fois contemplé la
4006
re Saisons, devait représenter les quatre saisons
de
l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité de l’univers ; le j
4007
l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité
de
l’univers ; le jour, forme illimitée de la créature ; le soir, négati
4008
illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée
de
la créature ; le soir, négation illimitée de l’existence à l’origine
4009
itée de la créature ; le soir, négation illimitée
de
l’existence à l’origine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée
4010
ir, négation illimitée de l’existence à l’origine
de
l’univers ; la nuit, profondeur illimitée de la connaissance de Dieu,
4011
gine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée
de
la connaissance de Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, Les Ro
4012
la nuit, profondeur illimitée de la connaissance
de
Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, Les Romantiques allemands
4013
dre un siècle pour en voir un : Bergson, disciple
de
Schelling. 152. Voir le Journal de Novalis, et le portrait qu’il don
4014
son, disciple de Schelling. 152. Voir le Journal
de
Novalis, et le portrait qu’il donne de sa fiancée perdue, Sophie von
4015
le Journal de Novalis, et le portrait qu’il donne
de
sa fiancée perdue, Sophie von Kühn, morte à 16 ans. Il note « ses pla
4016
s du vin ». Le Français hausse les épaules devant
de
tels enfantillages. 153. On lit dans le Cantique des Cantiques : « L
4017
s en scène s’obstinent à conserver (la décoration
de
la tente au premier acte, le lierre peint sur les murailles du burg a
4018
ques, et non pas cette interminable gesticulation
de
Tristan essoufflé sur sa couche, d’Isolde entravée par ses voiles… 1
4019
gesticulation de Tristan essoufflé sur sa couche,
d’
Isolde entravée par ses voiles… 159. Gwyon (d’où guyon : guide, en vi
4020
e, d’Isolde entravée par ses voiles… 159. Gwyon (
d’
où guyon : guide, en vieux français) c’est le Führer qui détient les s
4021
français) c’est le Führer qui détient les secrets
d’
initiation à la voix divinisante. 160. Héritage, dot, « situation » d
4022
tage, dot, « situation » des conjoints, relations
d’
affaires, etc. 161. Scène d’un roman de Caldwell intitulé La Route au
4023
conjoints, relations d’affaires, etc. 161. Scène
d’
un roman de Caldwell intitulé La Route au tabac. 162. On connaît la p
4024
relations d’affaires, etc. 161. Scène d’un roman
de
Caldwell intitulé La Route au tabac. 162. On connaît la phrase d’un
4025
ulé La Route au tabac. 162. On connaît la phrase
d’
un officier hitlérien : « Chaque fois que j’entends prononcer le mot «
4026
ommes tributaires — inconsciemment bien entendu —
d’
un ensemble de mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé
4027
res — inconsciemment bien entendu — d’un ensemble
de
mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles.
4028
ciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et
de
coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles. Or passion s
4029
les. Or passion signifie souffrance. Notre notion
de
l’amour enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc
4030
otion de l’amour enveloppant celle que nous avons
de
la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde q
4031
ons de la femme, se trouve donc liée à une notion
de
la souffrance féconde qui flatte ou légitime obscurément, au plus sec
4032
ui flatte ou légitime obscurément, au plus secret
de
la conscience occidentale, le goût de la guerre. Cette liaison singul
4033
plus secret de la conscience occidentale, le goût
de
la guerre. Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme e
4034
e, le goût de la guerre. Cette liaison singulière
d’
une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerr
4035
rre. Cette liaison singulière d’une certaine idée
de
la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entr
4036
son singulière d’une certaine idée de la femme et
d’
une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne de profond
4037
ine idée de la femme et d’une idée correspondante
de
la guerre, en Occident, entraîne de profondes conséquences pour la mo
4038
orrespondante de la guerre, en Occident, entraîne
de
profondes conséquences pour la morale, l’éducation, la politique. Un
4039
n, la politique. Un fort gros livre ne serait pas
de
trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit
4040
rit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté
de
la tâche. Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséde
4041
Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait
de
posséder à fond la matière rapidement explorée dans les pages qui pré
4042
ntreprises depuis le xixe siècle sur la question
de
l’« instinct combatif » dans ses relations avec l’instinct sexuel163.
4043
ns ses relations avec l’instinct sexuel163. Faute
de
quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et su
4044
quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre
de
questions, et surtout à les situer dans la logique du mythe, qui est
4045
ins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple
de
recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerr
4046
s nécessaire par exemple de recourir aux théories
de
Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fond
4047
x théories de Freud pour constater que l’instinct
de
guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés : les figures courant
4048
gures courantes du langage le font voir avec plus
d’
évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeante
4049
le font voir avec plus d’évidence. Laissant donc
de
côté les hypothèses multiples et changeantes relatives à la genèse de
4050
à quelques rapprochements formels entre les arts
d’
aimer et de guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos ét
4051
rapprochements formels entre les arts d’aimer et
de
guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplem
4052
le jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement
de
marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de
4053
lélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution
de
la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’a
4054
’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs
de
la priorité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour
4055
a guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité
de
l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiqu
4056
ns préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou
de
l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiquité, les poè
4057
ité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier
de
l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrièr
4058
de l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé
de
métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le
4059
de métaphores guerrières pour décrire les effets
de
l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèche
4060
ur décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu
d’
amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se ren
4061
ert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu
de
la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus an
4062
il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre
de
Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans
4063
. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession
d’
une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous possédions, le Thé
4064
’Héliodore (iiie siècle) parle déjà des « luttes
d’
amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les
4065
iie siècle) parle déjà des « luttes d’amour » et
de
la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévit
4066
luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite »
de
celui « qui tombe sous les traits inévitables d’Éros ». Plutarque fai
4067
de celui « qui tombe sous les traits inévitables
d’
Éros ». Plutarque fait voir que la morale sexuelle des Spartiates s’or
4068
des Spartiates s’ordonnait au rendement militaire
de
ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant l
4069
au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme
de
Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant les relations des époux, n’
4070
inutieuses réglant les relations des époux, n’ont
d’
autre but que d’augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirm
4071
nt les relations des époux, n’ont d’autre but que
d’
augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirme la liaison nat
4072
la liaison naturelle, c’est-à-dire physiologique
de
l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de c
4073
’est-à-dire physiologique de l’instinct sexuel et
de
l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblance
4074
el et de l’instinct combatif. Mais il serait vain
de
chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et leur conc
4075
entre la tactique des Anciens et leur conception
de
l’amour. Les deux domaines restent soumis à des lois tout à fait dist
4076
mis à des lois tout à fait distinctes, et privées
de
commune mesure. Il n’en va plus de même dans notre histoire à partir
4077
les. On voit alors le langage amoureux s’enrichir
de
tournures qui ne désignent plus seulement les gestes élémentaires du
4078
lémentaires du guerrier, mais qui sont empruntées
d’
une façon très précise à l’art des batailles, à la tactique militaire
4079
se à l’art des batailles, à la tactique militaire
de
l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’une origine commune plus ou
4080
itaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais,
d’
une origine commune plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’u
4081
ne plus ou moins obscurément ressentie, mais bien
d’
un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre
4082
’un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège
de
sa Dame. Il livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près,
4083
lisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre
d’
amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il c
4084
livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre
de
près, il la poursuit, il cherche à vaincre les dernières défenses de
4085
suit, il cherche à vaincre les dernières défenses
de
sa pudeur, et à les tourner par surprise ; enfin la dame se rend à me
4086
is alors, par une curieuse inversion bien typique
de
la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps qu
4087
e temps que son vainqueur. Il deviendra le vassal
de
cette suzeraine, selon la règle des guerres féodales, tout comme si c
4088
te 164. Il ne lui reste plus qu’à faire la preuve
de
sa vaillance, etc. Tout ceci pour le beau langage. Mais l’argot solda
4089
oldatesque et civil nous fournirait une profusion
d’
exemples d’une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’intr
4090
et civil nous fournirait une profusion d’exemples
d’
une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’introduction de
4091
introduction des armes à feu devait donner lieu à
d’
innombrables plaisanteries à double sens. Ce parallélisme d’ailleurs e
4092
amment exploité par les écrivains. C’est un thème
de
rhétorique inépuisable. « Ô ! trop heureux capitaine, écrit Brantôme1
4093
, écrit Brantôme165 qui avez combattu et tué tant
d’
hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop h
4094
65 qui avez combattu et tué tant d’hommes ennemis
de
Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop heureux encore une
4095
vez combattu et vaincu à tant d’autres assauts et
de
reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit ! » Il ne
4096
de reprises une si belle Dame entre les pavillons
de
votre lit ! » Il ne faudra pas s’étonner si les auteurs mystiques rep
4097
on le processus décrit plus haut, dans le domaine
de
l’amour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérès
4098
mour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres
de
sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son
4099
l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus
de
rhétorique courtoise) écrit dans son Ley de Amor : « Ne pense pas que
4100
ns son Ley de Amor : « Ne pense pas que le combat
de
l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’u
4101
me les autres batailles où la fureur et le fracas
d’
une guerre épouvantable sévit des deux côtés, car l’amour ne combat qu
4102
bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre
de
grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise de
4103
é. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise
de
possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l
4104
de possession est un embrassement. Sa tuerie est
de
donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a vu que la rhétorique courtoise tr
4105
urtoise traduit, à l’origine, la lutte du Jour et
de
la Nuit. La mort y joue un rôle central : elle est la défaite du mond
4106
ral : elle est la défaite du monde et la victoire
de
la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l
4107
, ni cette complicité physiologique des instincts
de
combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des
4108
mplicité physiologique des instincts de combat et
de
procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des expressions
4109
pressions guerrières dans la littérature érotique
d’
Occident. Ce qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge d’une r
4110
qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge
d’
une règle effectivement commune à l’art d’aimer et à l’art militaire,
4111
yen Âge d’une règle effectivement commune à l’art
d’
aimer et à l’art militaire, et qui s’appelle la chevalerie. 3.La ch
4112
s’appelle la chevalerie. 3.La chevalerie, loi
de
l’amour et de la guerre « Donner un style à l’amour », telle est,
4113
chevalerie. 3.La chevalerie, loi de l’amour et
de
la guerre « Donner un style à l’amour », telle est, selon J. Huizi
4114
telle est, selon J. Huizinga l’aspiration suprême
de
la société médiévale dans l’ordre éthique. « C’est une nécessité soci
4115
éthique. « C’est une nécessité sociale, un besoin
d’
autant plus impérieux que les mœurs sont plus féroces. Il faut élever
4116
plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur
d’
un rite, la violence débordante de la passion l’exige. À moins que les
4117
ur à la hauteur d’un rite, la violence débordante
de
la passion l’exige. À moins que les émotions ne se laissent encadrer
4118
les, c’est la barbarie. L’Église avait pour tâche
de
réprimer la brutalité et la licence du peuple, mais elle n’y suffisai
4119
sait pas. L’aristocratie, en dehors des préceptes
de
la religion, avait sa culture à elle, à savoir la courtoisie, et elle
4120
avoir la courtoisie, et elle y puisait les normes
de
sa conduite166 ». (Nous savons en effet que la courtoisie non seuleme
4121
éviser bien des jugements sur l’unité spirituelle
de
la société médiévale !) Or s’il est vrai que cette morale courtoise n
4122
mœurs privées des hautes classes, qui demeuraient
d’
« une rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal cré
4123
rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle
d’
un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérat
4124
du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal créateur
de
belles apparences. Elle triompha dans la littérature. Et par ailleurs
4125
ser à la réalité la plus violente du temps, celle
de
la guerre. Exemple unique d’un ars amandi qui donne naissance à un ar
4126
ente du temps, celle de la guerre. Exemple unique
d’
un ars amandi qui donne naissance à un ars bellandi. Ce n’est pas seul
4127
Ce n’est pas seulement dans le détail des règles
de
combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresqu
4128
de combat individuel que se fait sentir l’action
de
l’idéal chevaleresque, mais dans la conduite même des batailles, et j
4129
malisme militaire revêt à cette époque une valeur
d’
absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter
4130
’on se laisse tuer pour respecter des conventions
d’
une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Étoile
4131
d’une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers
de
l’ordre de l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamai
4132
illeuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre
de
l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamais de plus d
4133
e dans le combat ils ne reculeront jamais de plus
de
quatre arpents ; sinon ils devront mourir ou se rendre. Et cette règl
4134
on en croit Froissart, coûta la vie, dès le début
de
l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessit
4135
rt, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus
de
quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités de la stratégie
4136
tre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités
de
la stratégie sont sacrifiées à celle de l’esthétique ou de l’honneur
4137
écessités de la stratégie sont sacrifiées à celle
de
l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterr
4138
atégie sont sacrifiées à celle de l’esthétique ou
de
l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterre va à la rencontre
4139
va à la rencontre des Français avant la bataille
d’
Azincourt. Par erreur, le soir, il dépasse le village que les fourrage
4140
« comme celuy qui gardoit le plus les ceremonies
d’
honneur très loable » vient justement d’ordonner que les chevaliers en
4141
eremonies d’honneur très loable » vient justement
d’
ordonner que les chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’a
4142
chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte
d’
armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtement
4143
d’armes afin de ne pas être, en revenant, obligés
de
reculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’arme
4144
eculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu
de
sa cotte d’armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la n
4145
tements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte
d’
armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la nuit dans l’e
4146
mément à ce nouveau plan. » Les exemples abondent
de
carnages inutiles provoqués par des vœux d’une folle outrecuidance et
4147
ndent de carnages inutiles provoqués par des vœux
d’
une folle outrecuidance et que l’on tente d’accomplir au plus grand de
4148
vœux d’une folle outrecuidance et que l’on tente
d’
accomplir au plus grand des périls possibles. C’est bien le péril qu’o
4149
es engagements. La casuistique courtoise en offre
d’
excellents. Cette casuistique « ne régit pas seulement la morale et le
4150
te sur le droit des gens à sa naissance. « Droits
de
butin, droit d’attaque, fidélité à la parole donnée sont régis par de
4151
des gens à sa naissance. « Droits de butin, droit
d’
attaque, fidélité à la parole donnée sont régis par des règles semblab
4152
tournoi et la chasse167 ». L’Arbre des Batailles
d’
Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discu
4153
tailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit
de
guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques
4154
guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups
de
textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce
4155
iscutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et
d’
articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd
4156
le-mêle à coups de textes bibliques et d’articles
de
droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mê
4157
es et d’articles de droit canonique des questions
de
ce genre : « Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on
4158
d dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu
de
la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Va
4159
untée, est-on tenu de la rendre ? — Est-il permis
de
livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se battre après les
4160
ndre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour
de
fête ? — Vaut-il mieux se battre après les repas ou à jeun ? — Dans q
4161
pas ou à jeun ? — Dans quels cas peut-on s’évader
de
captivité ? » Dans un autre ouvrage, on voit deux capitaines se dispu
4162
iverselle basée sur l’union des rois, la conquête
de
Jérusalem et l’expulsion des Turcs. Idées chimériques mais dont l’emp
4163
. Idées chimériques mais dont l’empire ne cessera
de
s’exercer sur les princes jusqu’au xve siècle, en dépit des transfor
4164
usqu’au xve siècle, en dépit des transformations
de
tous ordres survenues entre-temps en Europe, et à l’encontre des inté
4165
i que se marque le mieux le caractère particulier
de
l’idéal courtois, radicalement contradictoire avec la « dure réalité
4166
icalement contradictoire avec la « dure réalité »
de
l’époque : il représente un pôle d’attraction pour les aspirations sp
4167
ure réalité » de l’époque : il représente un pôle
d’
attraction pour les aspirations spirituelles brimées. C’est une forme
4168
aspirations spirituelles brimées. C’est une forme
d’
évasion romantique, en même temps qu’un frein aux instincts. Le formal
4169
u’un frein aux instincts. Le formalisme minutieux
de
la guerre s’oppose aux violences du sang féodal comme le culte de la
4170
ppose aux violences du sang féodal comme le culte
de
la chasteté, chez les troubadours, s’oppose à l’exaltation érotique d
4171
nsi dire l’une à côté de l’autre deux conceptions
de
la vie : la conception pieuse, ascétique, attire à elle tous les sent
4172
iable, se venge terriblement. Que l’un ou l’autre
de
ces penchants prédomine, nous avons le saint ou le pécheur ; mais en
4173
néral, ils se tiennent en équilibre instable avec
d’
énormes écarts de la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte
4174
nnent en équilibre instable avec d’énormes écarts
de
la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte Il est pourta
4175
parfaite des instincts érotiques et guerriers et
de
la règle courtoise idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de
4176
e idéale : c’est le terrain nettement circonscrit
de
la lice où se jouent les tournois. Là, les fureurs du sang se donnent
4177
mais sous l’égide et dans les cadres symboliques
d’
une cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction myth
4178
ne cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif
de
la fonction mythique du Tristan telle que nous la définissions : expr
4179
nt, de manière à la rendre acceptable au jugement
de
la société. Le tournoi « joue » le mythe, physiquement : — « Les tran
4180
oue » le mythe, physiquement : — « Les transports
de
l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous form
4181
amatique et le sport. Celui-ci est, au Moyen Âge,
de
beaucoup le plus important. Le drame ne traitait encore, en général,
4182
haut point et contenait, en outre, une forte dose
d’
érotisme. Partout et toujours, le sport a associé ces deux facteurs :
4183
que retournés à la simplicité grecque, le tournoi
de
la fin du Moyen Âge, avec ses riches ornements et sa mise en scène, p
4184
ne me paraît plus propre à restituer l’atmosphère
de
rêve du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut
4185
propre à restituer l’atmosphère de rêve du Roman
de
Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les œuv
4186
de rêve du Roman de Tristan que les descriptions
de
tournois qu’on peut lire dans les œuvres de Chastellain et les mémoir
4187
tions de tournois qu’on peut lire dans les œuvres
de
Chastellain et les mémoires d’Olivier de la Marche, tous deux histori
4188
re dans les œuvres de Chastellain et les mémoires
d’
Olivier de la Marche, tous deux historiographes du fastueux et chevale
4189
istoriographes du fastueux et chevaleresque duché
de
Bourgogne au xve siècle. L’amour et la mort s’y marient dans un pays
4190
marient dans un paysage artificiel et symbolique
de
très haute mélancolie. « L’héroïsme par amour — voilà le motif romane
4191
mation immédiate du désir sensuel en un sacrifice
de
soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expressio
4192
ce de soi-même qui semble faire partie du domaine
de
l’éthique… L’expression et la satisfaction du désir, qui paraissent t
4193
complissement du désir, et la délivrance est donc
de
toute manière assurée. » La mise en scène des tournois emprunte ses i
4194
scène des tournois emprunte ses idées aux romans
de
la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit de la Fonta
4195
de la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas
d’
Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesq
4196
ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit
de
la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginair
4197
conditions décrites par les « chapitres » du pas
d’
armes. C’est à cheval qu’il faut toucher les boucliers : les chevalier
4198
er à la pèlerine » ; parfois il apparaît en héros
de
roman et s’appelle le chevalier au cygne, ou porte les armes de Lance
4199
appelle le chevalier au cygne, ou porte les armes
de
Lancelot, de Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mé
4200
evalier au cygne, ou porte les armes de Lancelot,
de
Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est
4201
ne, ou porte les armes de Lancelot, de Tristan ou
de
Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est répandu sur to
4202
ristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile
de
mélancolie est répandu sur toute l’action : le nom de la Fontaine des
4203
élancolie est répandu sur toute l’action : le nom
de
la Fontaine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs
4204
if. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés
de
larmes blanches ; on les touche par pitié pour la « Dame des pleurs »
4205
emprise du Dragon, célébré à l’occasion du départ
de
sa fille Marguerite devenue reine d’Angleterre, le roi René apparaît
4206
apparaît en noir, sur un cheval noir caparaçonné
de
noir, avec une lance noire et un écu de sable aux larmes d’argent… Po
4207
paraçonné de noir, avec une lance noire et un écu
de
sable aux larmes d’argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont no
4208
vec une lance noire et un écu de sable aux larmes
d’
argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont noirs et violets aux l
4209
rnoi apparaît encore dans la coutume du chevalier
de
porter le voile ou une pièce du vêtement de sa dame, qu’il lui remet
4210
alier de porter le voile ou une pièce du vêtement
de
sa dame, qu’il lui remet parfois, après le combat, tout maculé de son
4211
l lui remet parfois, après le combat, tout maculé
de
son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans de la Table ronde.) «
4212
de son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans
de
la Table ronde.) « L’atmosphère de passion qui entourait les tournois
4213
ans les romans de la Table ronde.) « L’atmosphère
de
passion qui entourait les tournois explique l’hostilité de l’Église p
4214
n qui entourait les tournois explique l’hostilité
de
l’Église pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois d’éclatants ad
4215
ise pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois
d’
éclatants adultères, comme le témoigne à propos du tournois de 1389, l
4216
adultères, comme le témoigne à propos du tournois
de
1389, le Religieux de Saint-Denis, et sur la foi de celui-ci, Jean Ju
4217
moigne à propos du tournois de 1389, le Religieux
de
Saint-Denis, et sur la foi de celui-ci, Jean Juvénal des Ursins. » ⁂
4218
1389, le Religieux de Saint-Denis, et sur la foi
de
celui-ci, Jean Juvénal des Ursins. » ⁂ Cependant, la grande vogue des
4219
endant, la grande vogue des tournois est l’indice
d’
un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve si
4220
rande vogue des tournois est l’indice d’un déclin
de
la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve siècle (batail
4221
i se heurte dès le début du xve siècle (bataille
d’
Azincourt) à des réalités de plus en plus brutales et matérielles qui
4222
la guerre, aux xive et xve siècles, était faite
d’
approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « vers l’an
4223
t xve siècles, était faite d’approches furtives,
d’
incursions et de raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimie
4224
était faite d’approches furtives, d’incursions et
de
raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimiers et les blason
4225
cimiers et les blasons, les bannières et les cris
de
guerre conservent aux combats un caractère individuel et l’apparence
4226
ux combats un caractère individuel et l’apparence
d’
un noble sport ». Mais dans le courant du xve siècle, l’on se met à c
4227
les lansquenets introduisent l’usage du tambour,
d’
origine orientale. « Avec son effet hypnotique et inharmonieux, le tam
4228
le tambour symbolise la transition entre l’époque
de
la chevalerie et celle de l’art militaire moderne ; il est un élément
4229
ansition entre l’époque de la chevalerie et celle
de
l’art militaire moderne ; il est un élément dans la mécanisation de l
4230
moderne ; il est un élément dans la mécanisation
de
la guerre. » Enfin le coup de grâce sera porté à la chevalerie par l’
4231
ans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup
de
grâce sera porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « E
4232
grâce sera porté à la chevalerie par l’invention
de
l’artillerie. « Et n’est-ce pas une ironie du sort qui fit que cette
4233
que cette fleur des chevaliers errants à la mode
de
Bourgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet de canon ? » ⁂ I
4234
rgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet
de
canon ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions de la guerre
4235
? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions
de
la guerre et de l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales
4236
ste pas moins que les conventions de la guerre et
de
l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales d’une empreinte
4237
our courtois ont marqué les coutumes occidentales
d’
une empreinte qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée de val
4238
qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée
de
valeur individuelle, ou d’exploit guerrier, représenté par le duel et
4239
au xxe siècle. L’idée de valeur individuelle, ou
d’
exploit guerrier, représenté par le duel et la « prouesse » (tournoi,
4240
at singulier des deux chefs en présence) ; l’idée
de
régler les batailles d’après un protocole quasi sacral ; la conceptio
4241
protocole quasi sacral ; la conception ascétique
de
la vie militaire (jeûnes prolongés avant l’épreuve des armes) ; les c
4242
l’épreuve des armes) ; les conventions permettant
de
déterminer le vainqueur (c’est par exemple celui qui passe la nuit su
4243
otiques et militaires, — tout cela ne cessera pas
de
déterminer les modes de guerroyer à travers les siècles suivants. Si
4244
tout cela ne cessera pas de déterminer les modes
de
guerroyer à travers les siècles suivants. Si bien que l’on pourra con
4245
omme relatif à un changement dans les conceptions
de
l’amour, ou inversement. 5. Condottieri et canons L’Italie n’a
4246
s ; riche, bien peuplée et ne reconnaissant point
de
domination étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre de la magn
4247
n étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre
de
la magnificence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand
4248
irait encore un nouveau lustre de la magnificence
de
plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes cé
4249
un nouveau lustre de la magnificence de plusieurs
de
ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de
4250
e de la magnificence de plusieurs de ses Princes,
de
la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Si
4251
ficence de plusieurs de ses Princes, de la beauté
d’
un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Siège de la Rel
4252
rs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre
de
villes célèbres et de la majesté du Siège de la Religion. Les Science
4253
la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et
de
la majesté du Siège de la Religion. Les Sciences et les Arts fleuriss
4254
Arts fleurissaient dans son sein, elle possédait
de
grands hommes d’État, et même d’excellents capitaines pour ce temps-l
4255
, elle possédait de grands hommes d’État, et même
d’
excellents capitaines pour ce temps-là.169 Ces capitaines, c’étaien
4256
es capitaines, c’étaient les condottieri. Soldats
de
métier au service des Princes et des papes, ils avaient pour coutume
4257
et des papes, ils avaient pour coutume bien moins
de
faire la guerre que d’empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers
4258
nt pour coutume bien moins de faire la guerre que
d’
empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout d’a
4259
tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout
d’
avisés diplomates, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un
4260
enturiers étaient avant tout d’avisés diplomates,
d’
astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un soldat. Leur tactique
4261
es, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix
d’
un soldat. Leur tactique consistait essentiellement à faire des prison
4262
réussite — ils parvenaient à battre l’adversaire
d’
une manière vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble de ses for
4263
e vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble
de
ses forces en achetant d’un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient
4264
détruisaient l’ensemble de ses forces en achetant
d’
un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient pas, il fallait se résoudr
4265
n danger : « On combat toujours à cheval, couvert
d’
armes et assuré de la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vai
4266
mbat toujours à cheval, couvert d’armes et assuré
de
la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vaincus est presque t
4267
propriétés ; tout ce qu’ils ont à craindre, c’est
de
payer une contribution.170 » Cet art de guerre exprimait dans son pla
4268
re, c’est de payer une contribution.170 » Cet art
de
guerre exprimait dans son plan — alors considéré comme inférieur — un
4269
une « civilisation » profonde, donc le contraire
d’
une « militarisation ». L’État était devenu une œuvre d’art, selon l’e
4270
était devenu une œuvre d’art, selon l’expression
de
Burckhardt. La guerre elle-même s’était civilisée, dans toute la mesu
4271
mpagne. (Ce n’était plus d’ailleurs un « jugement
de
Dieu », mais le triomphe d’une personnalité). On réprouvait l’usage d
4272
illeurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe
d’
une personnalité). On réprouvait l’usage des armes à feu comme contrai
4273
sage des armes à feu comme contraire à la dignité
de
l’individu. (Le condottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’
4274
ondottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux
d’
un de ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la lég
4275
tiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’un
de
ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la légitimi
4276
que le misérable avait osé soutenir la légitimité
de
l’emploi des canons). Et comment concevait-on l’amour ? Burckhardt in
4277
que les mariages se concluaient sans drame, après
de
très courtes fiançailles, et que le droit du mari à la fidélité de l’
4278
iançailles, et que le droit du mari à la fidélité
de
l’épouse ne revêtait pas ce caractère absolu qu’il avait pris dans le
4279
il avait pris dans les pays nordiques. Les femmes
de
la haute société recevaient une éducation aussi complète que celle de
4280
ssi complète que celle des hommes, et jouissaient
d’
une entière égalité morale, à l’inverse de ce qui se passait en France
4281
ssaient d’une entière égalité morale, à l’inverse
de
ce qui se passait en France et dans les Allemagnes. Si par ailleurs,
4282
et vénale dans la pratique, il en allait de même
de
l’amour. Semblables aux hétaïres de la Grèce antique, les courtisanes
4283
llait de même de l’amour. Semblables aux hétaïres
de
la Grèce antique, les courtisanes jouaient un rôle parfois considérab
4284
eur culture, récitant et faisant des vers, jouant
d’
un instrument, tenant conversation. Cette paganisation de la vie sexue
4285
strument, tenant conversation. Cette paganisation
de
la vie sexuelle dénote un recul sensible des influences courtoises, u
4286
niste. La « courtoisie » prenait son sens moderne
de
politesse et de civilité. Il n’était plus question de condamner la vi
4287
toisie » prenait son sens moderne de politesse et
de
civilité. Il n’était plus question de condamner la vie. Et « l’instin
4288
olitesse et de civilité. Il n’était plus question
de
condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait neutralisé. ⁂ C’
4289
lus question de condamner la vie. Et « l’instinct
de
mort » semblait neutralisé. ⁂ C’est sur cette Italie heureuse, immora
4290
ue172 qu’allaient se jeter les troupes françaises
de
Charles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons de bronze provoq
4291
s troupes françaises de Charles VIII. Le tonnerre
de
leurs trente-six canons de bronze provoqua dans la péninsule une pani
4292
rles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons
de
bronze provoqua dans la péninsule une panique de fin du monde. « Le p
4293
de bronze provoqua dans la péninsule une panique
de
fin du monde. « Le passage de ce prince en Italie, dit Guichardin, fu
4294
ninsule une panique de fin du monde. « Le passage
de
ce prince en Italie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité de
4295
e prince en Italie, dit Guichardin, fut la source
d’
une infinité de maux et de révolutions. Les États changèrent tout à co
4296
lie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité
de
maux et de révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les
4297
ichardin, fut la source d’une infinité de maux et
de
révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les provinces
4298
les villes détruites, et tout le pays fut inondé
de
sang… L’Italie apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode de fa
4299
apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode
de
faire la guerre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie de nos p
4300
erre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie
de
nos provinces qu’il fut depuis impossible d’y rétablir l’ordre et la
4301
onie de nos provinces qu’il fut depuis impossible
d’
y rétablir l’ordre et la tranquillité173. Ce n’était pas que les Itali
4302
était pas que les Italiens eussent ignoré l’usage
de
l’artillerie jusqu’à cette date, mais ils la méprisaient, comme je l’
4303
i dit, et comme le prouvent encore les invectives
de
l’Arioste contre les armes à feu. Au surplus, dit Guichardin, « les F
4304
es pièces qu’ils appelaient canons étaient toutes
de
bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu’elles fai
4305
ns les combats que dans les sièges… » Autre sujet
d’
effroi pour l’Italie : tandis que dans la milice des condottieri « la
4306
la milice des condottieri « la plupart des hommes
d’
armes étaient ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours suje
4307
plupart des hommes d’armes étaient ou paysans ou
de
la lie du peuple, presque toujours sujets d’un autre prince que celui
4308
s ou de la lie du peuple, presque toujours sujets
d’
un autre prince que celui pour lequel ils faisaient la guerre », et n’
4309
et n’étaient donc animés « ni par aucun sentiment
de
gloire ni par aucun motif extérieur », l’armée française se présentai
4310
présentait comme une armée nationale : « Les gens
d’
armes étaient presque tous sujets du Roi et gentilshommes » ce qui les
4311
ts du Roi et gentilshommes » ce qui les empêchait
de
« changer de maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès
4312
gentilshommes » ce qui les empêchait de « changer
de
maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors d’inévit
4313
ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors
d’
inévitables carnages. Et en effet au combat de Rappallo, tout au début
4314
ors d’inévitables carnages. Et en effet au combat
de
Rappallo, tout au début de la campagne, sur les 3000 hommes engagés,
4315
Et en effet au combat de Rappallo, tout au début
de
la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de cent furent tués :
4316
de la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus
de
cent furent tués : « Nombre considérable par rapport à la manière don
4317
les Espagnols « chez lesquels peut-être un apport
de
sang non occidental, ou peut-être l’habitude des spectacles de l’Inqu
4318
ccidental, ou peut-être l’habitude des spectacles
de
l’Inquisition avaient déchaîné les instincts démoniaques ». Artilleri
4319
linées et uniformes. Évolution qui devait aboutir
de
nos jours à l’annihilation de toute passion guerrière, à mesure que l
4320
qui devait aboutir de nos jours à l’annihilation
de
toute passion guerrière, à mesure que les hommes desservant les machi
4321
êmes des machines, n’exécutant qu’un petit nombre
de
mouvements automatiques, destinés à donner la mort à distance, sans c
4322
. 6.La guerre classique L’effort des hommes
de
guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera de dominer le monstre méc
4323
es de guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera
de
dominer le monstre mécanique, afin de sauver autant que possible le c
4324
de sauver autant que possible le caractère humain
de
la guerre. On ne peut pas renoncer aux inventions techniques, à l’art
4325
fications. Du moins va-t-on multiplier les règles
de
la tactique et de la stratégie, afin que l’intelligence, et la « vale
4326
s va-t-on multiplier les règles de la tactique et
de
la stratégie, afin que l’intelligence, et la « valeur » des chefs gar
4327
nt apparemment le premier rang parmi les facteurs
de
la lutte. La chevalerie représentait un effort pour donner un style
4328
nserver et recréer ce style malgré l’intervention
de
facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire de
4329
tyle malgré l’intervention de facteurs inhumains.
D’
où le formalisme étonnant de l’art militaire de ces siècles174. Avec V
4330
e facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant
de
l’art militaire de ces siècles174. Avec Vauban, le siège d’une place
4331
s. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire
de
ces siècles174. Avec Vauban, le siège d’une place forte devient une s
4332
ilitaire de ces siècles174. Avec Vauban, le siège
d’
une place forte devient une sorte d’opération de l’esprit dont les pér
4333
ban, le siège d’une place forte devient une sorte
d’
opération de l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien di
4334
e d’une place forte devient une sorte d’opération
de
l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien dit, comme les
4335
déroulent, on l’a bien dit, comme les cinq actes
d’
une tragédie classique. C’est alors que la guerre ressemble vraiment
4336
ors que la guerre ressemble vraiment à une partie
d’
échecs. Lorsque après des manœuvres compliquées, un des adversaires a
4337
rtes — alors vient la grande bataille : du sommet
de
quelque coteau, où lui apparaît tout le terrain du combat, tout l’éch
4338
leur boîte ou les régiments dans leurs quartiers
d’
hiver, et chacun va à ses petites affaires en attendant la partie ou l
4339
suivante.175 Chaque fois que reparaît l’élément
de
jeu dans la guerre, on peut en déduire que la société et sa culture f
4340
t sa culture font un effort pour recréer le mythe
de
la passion, c’est-à-dire pour rendre à la puissance anarchique un cad
4341
à la puissance anarchique un cadre et des moyens
d’
expression rituels. Et c’est bien ce qui se vérifie dans le cas du xvi
4342
viiie siècle176. Mot étonnant, d’ailleurs repris
de
von der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine de citer : « L’err
4343
on der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine
de
citer : « L’erreur (des généraux « formalistes ») consistait à placer
4344
raux « formalistes ») consistait à placer l’objet
de
la guerre dans l’exécution de manœuvres finement combinées et non dan
4345
it à placer l’objet de la guerre dans l’exécution
de
manœuvres finement combinées et non dans l’anéantissement des forces
4346
combinées et non dans l’anéantissement des forces
de
l’adversaire. Le monde militaire est toujours tombé dans ces erreurs
4347
à abandonner la notion droite et simple des lois
de
la guerre, à spiritualiser la matière, en négligeant le sens naturel
4348
t peut-être excessif : il ne s’agissait guère que
de
rationaliser. Mais l’expression (méprisante !) est bien typique de la
4349
Mais l’expression (méprisante !) est bien typique
de
la psychologie qui apparaîtra dès la Révolution française — ce déchaî
4350
ue reprochent les stratèges modernes aux généraux
de
Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en
4351
s stratèges modernes aux généraux de Louis XIV et
de
Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins
4352
aux généraux de Louis XIV et de Louis XV ? C’est
d’
avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouv
4353
e Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé
de
faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouvaient. Or c’éta
4354
avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins
d’
hommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe d’une civilisation
4355
ommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe
d’
une civilisation dont tout l’effort tendait à ordonner la Nature, la m
4356
Nature, la matière, et leurs fatalités, aux lois
de
la raison humaine et de l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, m
4357
leurs fatalités, aux lois de la raison humaine et
de
l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, mais sans laquelle nulle
4358
pouvait faire des tragédies sans crime. Le refus
de
trouver belles les catastrophes, voilà qui peut définir l’âge classiq
4359
d’ailleurs secrètement désirés ; mais la grandeur
de
l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utilise
4360
ètement désirés ; mais la grandeur de l’homme est
de
limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait mê
4361
la grandeur de l’homme est de limiter leur champ,
de
les canaliser et de les utiliser, on dirait même de les subordonner à
4362
me est de limiter leur champ, de les canaliser et
de
les utiliser, on dirait même de les subordonner à une diplomatie, art
4363
les canaliser et de les utiliser, on dirait même
de
les subordonner à une diplomatie, art de civils. Louis XIV déclare la
4364
ait même de les subordonner à une diplomatie, art
de
civils. Louis XIV déclare la guerre sous des prétextes juridiques et
4365
où l’honneur national n’a rien à voir. Querelles
de
gendre et de beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même q
4366
national n’a rien à voir. Querelles de gendre et
de
beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même que l’on « tra
4367
iècle est le plus propre à illustrer le parallèle
de
l’amour et de la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiqu
4368
lus propre à illustrer le parallèle de l’amour et
de
la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiquer. Don Juan s
4369
parallèle de l’amour et de la guerre. Il suffira
de
quelques touches pour l’indiquer. Don Juan succède à Tristan, la volu
4370
erre en même temps se « profane » : aux Jugements
de
Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée de fer, ascétique et sanglante,
4371
Jugements de Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée
de
fer, ascétique et sanglante, succède une diplomatie retorse, une armé
4372
, libertins et bien décidés à sauver « la douceur
de
vivre ». Les légendes épiques et les romans de la Table ronde multipl
4373
ur de vivre ». Les légendes épiques et les romans
de
la Table ronde multiplient les récits de tueries inouïes ; la gloire
4374
s romans de la Table ronde multiplient les récits
de
tueries inouïes ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre de ses
4375
iplient les récits de tueries inouïes ; la gloire
d’
un chevalier est faite du nombre de ses adversaires pourfendus et déca
4376
es ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre
de
ses adversaires pourfendus et décapités, et si possible tranchés en d
4377
dus et décapités, et si possible tranchés en deux
de
la tête aux pieds d’un formidable coup d’épée. Les exagérations sauva
4378
si possible tranchés en deux de la tête aux pieds
d’
un formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages de ces récits ne
4379
formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages
de
ces récits ne laissent pas de doute sur ce qui flatte la vraie passio
4380
agérations sauvages de ces récits ne laissent pas
de
doute sur ce qui flatte la vraie passion de l’homme du Moyen Âge. Glo
4381
t pas de doute sur ce qui flatte la vraie passion
de
l’homme du Moyen Âge. Gloire du sang ! Mais le xviiie siècle considé
4382
ie siècle considéra comme une réussite glorieuse
d’
avoir pris une ville assiégée en ne faisant de part et d’autre que tro
4383
use d’avoir pris une ville assiégée en ne faisant
de
part et d’autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honne
4384
pris une ville assiégée en ne faisant de part et
d’
autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honneur. Maurice
4385
e suis point pour les batailles, surtout au début
d’
une guerre. Je suis persuadé qu’un bon général pourra la faire toute s
4386
t parmi les troupes ennemies — en véritable héros
de
l’Astrée qu’il fut. Et cette suprême politesse devant la mort, à Font
4387
Fontenoy. ⁂ Mais voici la totale « profanation »
de
la guerre et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Rég
4388
s voici la totale « profanation » de la guerre et
de
sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Régence qui la prop
4389
et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier
de
la Régence qui la propose, reprenant, et sans doute à son insu, la mé
4390
2 milliards pour vingt ans. Nous n’avons pas plus
de
cinq ans de guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous m
4391
pour vingt ans. Nous n’avons pas plus de cinq ans
de
guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous met en arrièr
4392
incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer
de
détruire 150 000 ennemis par le feu, le fer, l’eau, la faim, les fati
4393
adies. Ainsi, la destruction directe ou indirecte
d’
un soldat allemand nous coûte 20 000 livres sans compter la perte sur
4394
cet attirail dispendieux, incommode et dangereux,
d’
une armée permanente, ne vaudrait-il pas mieux en épargner les frais e
4395
actuel, on perd celui qu’on avait, sans profiter
de
celui qu’on a détruit si dispendieusement. ⁂ Les Goncourt ont très b
4396
rès bien senti l’identité foncière des phénomènes
de
la guerre et de l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décri
4397
’identité foncière des phénomènes de la guerre et
de
l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décrivent la « tactiq
4398
ls termes ils décrivent la « tactique » des roués
de
l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu de l’amour, que le siè
4399
de l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu
de
l’amour, que le siècle révèle peut-être ses qualités les plus profond
4400
s ressources les plus secrètes, et comme un génie
de
duplicité tout inattendu du caractère français. Que de grands diploma
4401
plicité tout inattendu du caractère français. Que
de
grands diplomates, que de grands politiques sans nom, plus habiles qu
4402
caractère français. Que de grands diplomates, que
de
grands politiques sans nom, plus habiles que Dubois, plus insinuants
4403
s insinuants que Bernis, parmi cette petite bande
d’
hommes qui font de la séduction de la femme le but de leurs pensées et
4404
ernis, parmi cette petite bande d’hommes qui font
de
la séduction de la femme le but de leurs pensées et la grande affaire
4405
te petite bande d’hommes qui font de la séduction
de
la femme le but de leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Qu
4406
ommes qui font de la séduction de la femme le but
de
leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Que de combinaisons d
4407
emme le but de leurs pensées et la grande affaire
de
leur vie… Que de combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un
4408
urs pensées et la grande affaire de leur vie… Que
de
combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une fe
4409
a grande affaire de leur vie… Que de combinaisons
de
romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir f
4410
de leur vie… Que de combinaisons de romancier et
de
stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir fait ce qu’on app
4411
dissimulé… « N’omettre rien », c’est le précepte
de
l’un d’eux.177 » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’o
4412
lé… « N’omettre rien », c’est le précepte de l’un
d’
eux.177 » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaien
4413
n », c’est le précepte de l’un d’eux.177 » Devise
de
général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaient guère que sur le
4414
, il y a la Révolution française et les campagnes
de
Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre de la passion catast
4415
Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre
de
la passion catastrophique. Du point de vue proprement militaire, qu’a
4416
e, qu’apportait la Révolution ? « Un déchaînement
de
passion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie de l’ancienne éc
4417
sion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie
de
l’ancienne école, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire de la g
4418
érésie de l’ancienne école, précise-t-il, c’était
d’
avoir voulu « faire de la guerre une science exacte, méconnaissant sa
4419
cole, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire
de
la guerre une science exacte, méconnaissant sa nature même de drame e
4420
une science exacte, méconnaissant sa nature même
de
drame effrayant et passionné (Jomini) ». On sait par ailleurs quelle
4421
(Jomini) ». On sait par ailleurs quelle explosion
de
sentimentalisme précéda et accompagna la Révolution, phénomène beauco
4422
78. Longtemps contenue dans les formes classiques
de
la guerre, la violence, après le meurtre du Roi — action sacrée et ri
4423
les sociétés primitives — redevient quelque chose
d’
horrifiant et d’attirant tout à la fois. C’est le culte et le mystère
4424
mitives — redevient quelque chose d’horrifiant et
d’
attirant tout à la fois. C’est le culte et le mystère sanglant autour
4425
la Nation. Or la Nation, c’est la transposition
de
la passion sur le plan collectif. À vrai dire, il est plus facile de
4426
e plan collectif. À vrai dire, il est plus facile
de
le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-o
4427
À vrai dire, il est plus facile de le sentir que
de
l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-on, suppose deux ê
4428
r la Nation… Nous savons toutefois que la passion
d’
amour, par exemple, est en son fond un narcissisme, autoexaltation de
4429
e, est en son fond un narcissisme, autoexaltation
de
l’amant, bien plus que relation avec l’aimée. Ce que désire Tristan,
4430
l’aimée. Ce que désire Tristan, c’est la brûlure
d’
amour plus que la possession d’Iseut. Car la brûlure intense et dévora
4431
, c’est la brûlure d’amour plus que la possession
d’
Iseut. Car la brûlure intense et dévorante de la passion le divinise,
4432
sion d’Iseut. Car la brûlure intense et dévorante
de
la passion le divinise, et comme Wagner l’a vu, l’égale au monde. « M
4433
t que Dieu. Elle veut (sans le savoir) qu’au-delà
de
cette gloire, sa mort soit véritablement la fin de tout. L’ardeur nat
4434
e cette gloire, sa mort soit véritablement la fin
de
tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est une autœxaltation, un am
4435
premier lieu, et qu’on proclame. Mais cette haine
de
l’autre, n’est-elle pas toujours présente dans les transports de l’am
4436
st-elle pas toujours présente dans les transports
de
l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement d’accent. Ensuite,
4437
l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement
d’
accent. Ensuite, que veut la passion nationale ? L’exaltation de la fo
4438
ite, que veut la passion nationale ? L’exaltation
de
la force collective ne peut mener qu’à ce dilemme : ou l’impérialisme
4439
e : ou l’impérialisme triomphe — c’est l’ambition
de
s’égaler au monde — ou le voisin s’y oppose énergiquement, et c’est l
4440
ainsi sans se l’avouer qu’elle préfère le risque
de
mort, et la mort même, à l’abandon de sa passion. « La liberté ou la
4441
e le risque de mort, et la mort même, à l’abandon
de
sa passion. « La liberté ou la mort », hurlaient les jacobins à l’heu
4442
s, à l’heure où liberté et mort étaient bien près
d’
avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont liées comme l’Am
4443
sormais le fait national sera le facteur dominant
de
la guerre. « Celui qui écrit sur la stratégie et sur la tactique devr
4444
e et une tactique nationales, seules susceptibles
d’
être profitables à la nation pour laquelle il écrit. » Ainsi s’exprime
4445
insi s’exprime le général von der Goltz, disciple
de
Clausewitz, lequel n’a cessé d’affirmer que toute la théorie prussien
4446
r Goltz, disciple de Clausewitz, lequel n’a cessé
d’
affirmer que toute la théorie prussienne de la guerre devait se fonder
4447
cessé d’affirmer que toute la théorie prussienne
de
la guerre devait se fonder sur l’expérience des campagnes de la Révol
4448
e devait se fonder sur l’expérience des campagnes
de
la Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la
4449
ur l’expérience des campagnes de la Révolution et
de
l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la passion contre la «
4450
gnes de la Révolution et de l’Empire. La bataille
de
Valmy fut gagnée par la passion contre la « science exacte ». C’est a
4451
assion contre la « science exacte ». C’est au cri
de
Vive la Nation ! que les sans-culottes repoussèrent l’armée « classiq
4452
armée « classique » des alliés. On connaît le mot
de
Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une è
4453
des alliés. On connaît le mot de Goethe, au soir
de
la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’
4454
naît le mot de Goethe, au soir de la bataille : «
De
ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde »
4455
de Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu,
de
ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ». Et Foch co
4456
laient consacrer à la lutte toutes les ressources
de
la nation ; parce qu’elles allaient se donner comme but non un intérê
4457
êt dynastique, mais la conquête ou la propagation
d’
idées philosophiques… d’avantages immatériels… parce qu’elles allaient
4458
onquête ou la propagation d’idées philosophiques…
d’
avantages immatériels… parce qu’elles allaient mettre en jeu des senti
4459
ntiments, des passions, c’est-à-dire des éléments
de
force jusqu’alors inexploités ». ⁂ Il serait assez curieux de précise
4460
qu’alors inexploités ». ⁂ Il serait assez curieux
de
préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte puis de Napoléon
4461
curieux de préciser le parallèle entre les amours
de
Bonaparte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis
4462
r le parallèle entre les amours de Bonaparte puis
de
Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis d’Autriche, d’aut
4463
rte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes
d’
Italie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille corr
4464
poléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis
d’
Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille correspond à la sé
4465
ie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type
de
bataille correspond à la séduction de Joséphine — c’est le coup d’aud
4466
ertain type de bataille correspond à la séduction
de
Joséphine — c’est le coup d’audace de l’inférieur qui jette toutes se
4467
spond à la séduction de Joséphine — c’est le coup
d’
audace de l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et
4468
a séduction de Joséphine — c’est le coup d’audace
de
l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et bluffe ;
4469
orces au point décisif, et bluffe ; un autre type
de
bataille correspond au mariage dynastique avec l’archiduchesse Marie-
4470
e, brutale… Et il n’est pas sans intérêt non plus
de
noter que Waterloo fut une bataille perdue par excès de science, peut
4471
er que Waterloo fut une bataille perdue par excès
de
science, peut-être, ou par défaut d’élan national-révolutionnaire… Ce
4472
ue par excès de science, peut-être, ou par défaut
d’
élan national-révolutionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon
4473
acteur passionnel dans la conduite des batailles.
D’
où ce cri d’un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’
4474
onnel dans la conduite des batailles. D’où ce cri
d’
un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’est pas poss
4475
ait de battre en Italie : « Il n’est pas possible
de
méconnaître, comme ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires
4476
ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires
de
l’art de guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolut
4477
rte, les principes les plus élémentaires de l’art
de
guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolution, l’on
4478
battre « avec le cœur des soldats » c’est-à-dire
d’
une façon « farouche et tragique » (Foch). Il faudrait préciser : ce n
4479
och). Il faudrait préciser : ce n’est pas le cœur
de
chaque soldat considéré comme un héros qui décidera du sort d’une gue
4480
dat considéré comme un héros qui décidera du sort
d’
une guerre, mais bien le cœur collectif, si l’on ose dire, la puissanc
4481
ctif, si l’on ose dire, la puissance passionnelle
de
la Nation. Les poètes romantiques jouèrent un rôle notable dans les g
4482
ntiques jouèrent un rôle notable dans les guerres
de
libération que mena la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies d’
4483
na la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies
d’
essence passionnelle d’un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent le
4484
oléon. Et les philosophies d’essence passionnelle
d’
un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du na
4485
hilosophies d’essence passionnelle d’un Fichte et
d’
un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du nationalisme alle
4486
ent les premiers appuis du nationalisme allemand.
D’
où le caractère de plus en plus sanglant des guerres du xixe siècle.
4487
nt des guerres du xixe siècle. Il ne s’agit plus
d’
intérêts, mais de « religions » antagonistes. Or les religions ne tran
4488
xixe siècle. Il ne s’agit plus d’intérêts, mais
de
« religions » antagonistes. Or les religions ne transigent point, à l
4489
des intérêts : elles préfèrent la mort héroïque. (
De
tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus viole
4490
rent la mort héroïque. (De tous temps les guerres
de
religion ont été de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les
4491
e. (De tous temps les guerres de religion ont été
de
beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les trois premiers quart
4492
siècle et particulièrement pour la période qui va
de
1848 à 1870. Après quoi, les passions nationales, provisoirement apai
4493
italisme et du commerce. La violence ne cesse pas
de
s’exercer au nom de la Nation, mais ce sont bel et bien des intérêts
4494
bien marqué le maréchal Foch, dans ses Principes
de
la guerre : La guerre fut nationale au début pour conquérir et garan
4495
et garantir l’indépendance des peuples : Français
de
1792-93, Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, E
4496
ance des peuples : Français de 1792-93, Espagnols
de
1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comp
4497
ançais de 1792-93, Espagnols de 1804-1814, Russes
de
1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manife
4498
Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands
de
1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses
4499
4-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe
de
1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses et puissantes d
4500
alors ces manifestations glorieuses et puissantes
de
la passion des peuples qui s’appellent : Valmy, Saragosse, Tarancon,
4501
ité. C’est la thèse des Italiens et des Prussiens
de
1866, 1870. Ce sera la thèse au nom de laquelle le roi de Prusse deve
4502
nom de laquelle le roi de Prusse devenu empereur
d’
Allemagne revendiquera les provinces allemandes de l’Autriche. Mais no
4503
d’Allemagne revendiquera les provinces allemandes
de
l’Autriche. Mais nous la voyons maintenant (1903) encore nationale, e
4504
r conquérir des avantages commerciaux des traités
de
commerce avantageux. Après avoir été le moyen violent que les peuples
4505
) que cette période, du point de vue des mœurs et
de
leur littérature, se définit par une dernière tentative de mythificat
4506
ittérature, se définit par une dernière tentative
de
mythification de la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer
4507
finit par une dernière tentative de mythification
de
la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer à la chevalerie,
4508
emplît la même fonction sociale (mais à la mesure
de
notre société). Ce n’était plus, en effet, un principe spirituel qui
4509
s « formes » et les conventions, mais des calculs
d’
intérêts privés, incapables de fournir les bases d’une communauté soli
4510
s, mais des calculs d’intérêts privés, incapables
de
fournir les bases d’une communauté solide. La nation même que l’on in
4511
’intérêts privés, incapables de fournir les bases
d’
une communauté solide. La nation même que l’on invoquait avait perdu d
4512
de. La nation même que l’on invoquait avait perdu
de
son prestige romantique : le pavillon couvrait les intérêts de l’État
4513
ge romantique : le pavillon couvrait les intérêts
de
l’État, — non les passions ou l’honneur des élites. Et l’État ne joua
4514
État ne jouait plus guère que le rôle honorifique
d’
un conseil d’administration, faisant la guerre pour des motifs bancair
4515
ant la guerre pour des motifs bancaires (conquête
de
Madagascar). La guerre coloniale n’est en somme que la continuation d
4516
erre coloniale n’est en somme que la continuation
de
la concurrence capitaliste par des moyens plus onéreux pour le pays,
4517
les classes bourgeoises, un bien bizarre mélange
de
sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et de dots
4518
n bien bizarre mélange de sentimentalisme à fleur
de
nerfs et d’histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’
4519
re mélange de sentimentalisme à fleur de nerfs et
d’
histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd
4520
e sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires
de
rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans le
4521
isme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et
de
dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans les annonces ma
4522
res de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé
d’
être aujourd’hui dans les annonces matrimoniales. La sexualité pure n’
4523
» ces petits calculs et ces « beaux sentiments »
de
série. (Comme une goutte d’eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourq
4524
« beaux sentiments » de série. (Comme une goutte
d’
eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourquoi Jarry dit que l’eau est
4525
u est impure). De même la guerre était un composé
d’
excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sin
4526
De même la guerre était un composé d’excitations
de
l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sinon un sentimen
4527
anche », sinon un sentimentalisme national ? — et
de
plans commerciaux ou financiers. L’élément proprement guerrier n’y tr
4528
ir liquider sans dommages le formidable potentiel
de
frénésie et de grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident d
4529
s dommages le formidable potentiel de frénésie et
de
grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident des siècles de c
4530
antes qu’avaient accumulé en Occident des siècles
de
culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les p
4531
aient accumulé en Occident des siècles de culture
de
la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les plus notable
4532
t des siècles de culture de la passion. La guerre
de
1914 fut l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance
4533
de 1914 fut l’un des résultats les plus notables
de
cette méconnaissance du mythe. 10.La guerre totale À partir de
4534
lisme institué par la chevalerie entre les formes
de
l’amour et de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la gue
4535
par la chevalerie entre les formes de l’amour et
de
la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujou
4536
de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret
de
la guerre fut toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant
4537
Certes, le but concret de la guerre fut toujours
de
forcer la résistance ennemie, en détruisant sa force armée. (Forcer l
4538
détruisant sa force armée. (Forcer la résistance
de
la femme par la séduction, c’est la paix ; par le viol, c’est la guer
4539
re ses défenses. Bataille rangée contre une armée
de
métier, siège des ouvrages fortifiés, capture du chef : un système de
4540
ouvrages fortifiés, capture du chef : un système
de
règles précises, donc un art, désignait le vainqueur. Et ce vainqueur
4541
ésignait le vainqueur. Et ce vainqueur triomphait
d’
un vivant, d’un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention
4542
ainqueur. Et ce vainqueur triomphait d’un vivant,
d’
un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention d’une techniq
4543
ce vainqueur triomphait d’un vivant, d’un pays ou
d’
un peuple encore désirables. L’intervention d’une technique inhumaine,
4544
ou d’un peuple encore désirables. L’intervention
d’
une technique inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces d’un État,
4545
que inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces
d’
un État, changea la face de la guerre à Verdun. Car dès que la guerre
4546
uvre toutes les forces d’un État, changea la face
de
la guerre à Verdun. Car dès que la guerre devient « totale » — et non
4547
armées signifie l’anéantissement des forces vives
de
l’ennemi : des ouvriers embrigadés dans les usines, des mères qui pro
4548
usines, des mères qui procréent des soldats, bref
de
tous les « moyens de production », choses et personnes assimilées. La
4549
procréent des soldats, bref de tous les « moyens
de
production », choses et personnes assimilées. La guerre n’est plus un
4550
. La guerre n’est plus un viol mais un assassinat
de
l’objet convoité et hostile, — c’est-à-dire un acte « total », détrui
4551
emparer. Verdun ne fut d’ailleurs qu’un prodrome
de
cette guerre nouvelle, puisque le procédé se limita à la destruction
4552
le procédé se limita à la destruction méthodique
d’
un million de soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de met
4553
e limita à la destruction méthodique d’un million
de
soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point
4554
struction méthodique d’un million de soldats, non
de
civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point un instrument qu
4555
soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit
de
mettre au point un instrument qui, par la suite, devait se trouver en
4556
nt qui, par la suite, devait se trouver en mesure
d’
opérer sur des étendues bien plus vastes, comme Londres, Paris et Berl
4557
Londres, Paris et Berlin ; non plus seulement sur
de
la chair à canon, mais sur la chair qui fabrique les canons, ce qui e
4558
ce qui est évidemment plus efficace. La technique
de
la mort à grande distance ne trouve son équivalent dans nulle éthique
4559
ouve son équivalent dans nulle éthique imaginable
de
l’amour. C’est que la guerre totale échappe à l’homme et à l’instinct
4560
contact avec la civilisation technique. Une sorte
de
visite dirigée de l’exposition universelle des industries et arts app
4561
vilisation technique. Une sorte de visite dirigée
de
l’exposition universelle des industries et arts appliqués de la mort,
4562
tion universelle des industries et arts appliqués
de
la mort, avec démonstrations quotidiennes sur le vif. D’autre part, o
4563
tre part, on pourrait la comparer un premier Plan
de
quatre ans — idée que devaient reprendre un peu plus tard les dictate
4564
des moyens destructifs, mécanisés, eut pour effet
de
neutraliser la passion proprement belliqueuse des combattants. Il ne
4565
elliqueuse des combattants. Il ne s’agissait plus
de
violence du sang, mais de brutalité quantitative, de masses lancées l
4566
. Il ne s’agissait plus de violence du sang, mais
de
brutalité quantitative, de masses lancées les unes contre les autres
4567
violence du sang, mais de brutalité quantitative,
de
masses lancées les unes contre les autres non plus par des mouvements
4568
nes contre les autres non plus par des mouvements
de
délire passionnel, mais bien par des intelligences calculatrices d’in
4569
el, mais bien par des intelligences calculatrices
d’
ingénieurs. Désormais, l’homme n’est plus que le servant du matériel ;
4570
servant du matériel ; il passe lui-même à l’état
de
matériel, d’autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réf
4571
atériel ; il passe lui-même à l’état de matériel,
d’
autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réflexes individ
4572
nde, la victoire dépend en fin de compte des lois
de
la mécanique plutôt que des prévisions de la psychologie. L’instinct
4573
es lois de la mécanique plutôt que des prévisions
de
la psychologie. L’instinct combatif est déçu. L’explosion habituelle
4574
nstinct combatif est déçu. L’explosion habituelle
de
sexualité qui accompagnait les grands conflits ne s’est guère produit
4575
iviles. En dépit des efforts du lyrisme officiel,
d’
une certaine littérature et de l’imagerie populaire, le retour du perm
4576
u lyrisme officiel, d’une certaine littérature et
de
l’imagerie populaire, le retour du permissionnaire ne ressemble à rie
4577
mâle longtemps privé. Des témoignages sans nombre
de
médecins et de soldats prouvent que la guerre du matériel s’est tradu
4578
privé. Des témoignages sans nombre de médecins et
de
soldats prouvent que la guerre du matériel s’est traduite en réalité
4579
et homosexualité, tel fut le résultat statistique
de
quatre années passées dans les tranchées. Et de là vient que pour la
4580
e de quatre années passées dans les tranchées. Et
de
là vient que pour la première fois, l’on ait assisté à une révolte gé
4581
rant plus l’exutoire des passions, mais une sorte
d’
immense castration de l’Europe. c) La guerre totale suppose la destruc
4582
des passions, mais une sorte d’immense castration
de
l’Europe. c) La guerre totale suppose la destruction de toutes les fo
4583
urope. c) La guerre totale suppose la destruction
de
toutes les formes conventionnelles de la lutte. À partir de 1920, on
4584
destruction de toutes les formes conventionnelles
de
la lutte. À partir de 1920, on ne se soumettra plus aux « simagrées d
4585
se soumettra plus aux « simagrées diplomatiques »
de
l’ultimatum et de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront
4586
aux « simagrées diplomatiques » de l’ultimatum et
de
la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront plus la solennell
4587
atiques » de l’ultimatum et de la « déclaration »
de
guerre. Les traités ne seront plus la solennelle conclusion des hosti
4588
t villes fortifiées, civils et militaires, moyens
de
destruction permis ou condamnés, tomberont. D’où résulte que la défai
4589
ns de destruction permis ou condamnés, tomberont.
D’
où résulte que la défaite d’un pays ne sera plus symbolique, métaphori
4590
condamnés, tomberont. D’où résulte que la défaite
d’
un pays ne sera plus symbolique, métaphorique, c’est-à-dire limitée à
4591
s signes convenus, mais sera concrètement la mort
de
ce pays. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée de règles, la
4592
s. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée
de
règles, la guerre ne traduit plus l’acte du viol sur le plan des nati
4593
mais bien l’acte du crime sadique, la possession
d’
une victime morte, donc en fait la non-possession. Elle n’exprime plus
4594
et le transcende, mais seulement cette perversion
de
la passion — d’ailleurs fatale, nous l’avons vu ailleurs — qu’est le
4595
, nous l’avons vu ailleurs — qu’est le « complexe
de
castration ». 11.La passion transportée dans la politique Chass
4596
transportée dans la politique Chassée du champ
de
la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’être clos comme doi
4597
e la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse
d’
être clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une
4598
mp cesse d’être clos comme doit l’être un terrain
de
jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles, mais un secteu
4599
rain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée
de
symboles, mais un secteur de bombardement — la passion a cherché et t
4600
lus une lice décorée de symboles, mais un secteur
de
bombardement — la passion a cherché et trouvé d’autres modes d’expres
4601
t — la passion a cherché et trouvé d’autres modes
d’
expression en actes. Elle y était d’ailleurs contrainte par la dépréci
4602
les et privées, non moins que par la dénaturation
de
la guerre. D’une part, dans les pays démocratiques, les mœurs se sont
4603
lies à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus
d’
obstacles absolus, donc exaltants pour la passion ; d’autre part, dans
4604
le dressage des jeunes par l’État tend à éliminer
de
la vie privée toute espèce de tragique intime et de problématique sen
4605
tat tend à éliminer de la vie privée toute espèce
de
tragique intime et de problématique sentimentale. L’anarchie des mœur
4606
la vie privée toute espèce de tragique intime et
de
problématique sentimentale. L’anarchie des mœurs et l’hygiène autorit
4607
rès dans le même sens : elles déçoivent le besoin
de
passion, héréditaire ou acquis par la culture ; elles détendent ses r
4608
mour, dans l’après-guerre, fut un curieux mélange
d’
intellectualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et de l’anarchi
4609
mélange d’intellectualisme angoissé (littérature
de
l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste
4610
tualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et
de
l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit
4611
e de l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et
de
cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit des Allemands). L’on vit bien
4612
t bien que la passion romantique ne trouvait plus
de
quoi se composer un mythe ; ne trouvait plus des résistances choisies
4613
des résistances choisies au sein d’une atmosphère
d’
orageuse et secrète dévotion. La crainte morbide des entraînements « n
4614
s « duperies du cœur », alliée à un désir fébrile
d’
aventure, voilà le climat des principaux romans de cette période. Et c
4615
d’aventure, voilà le climat des principaux romans
de
cette période. Et cela signifie sans équivoque que les relations indi
4616
e les relations individuelles des sexes ont cessé
d’
être le lieu par excellence où se réalise la passion. Celle-ci paraît
4617
e réalise la passion. Celle-ci paraît se détacher
de
son support. Nous sommes entrés dans l’ère des libidos errantes, en q
4618
entrés dans l’ère des libidos errantes, en quête
d’
un théâtre nouveau. Et le premier qui s’est offert, c’est le théâtre p
4619
offert, c’est le théâtre politique. La politique
de
masses, telle qu’on l’a pratiquée depuis 1917 n’est que la continuati
4620
a pratiquée depuis 1917 n’est que la continuation
de
la guerre totale par d’autres moyens (pour reprendre une fois de plus
4621
fois de plus, en l’inversant, la célèbre formule
de
Clausewitz). Le terme de « fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs,
4622
sant, la célèbre formule de Clausewitz). Le terme
de
« fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs, l’État totalitaire n’est
4623
par ailleurs, l’État totalitaire n’est que l’état
de
guerre prolongé, ou recréé, et entretenu en permanence dans la nation
4624
is si la guerre totale anéantit toute possibilité
de
passion, la politique ne fait que transposer les passions individuell
4625
elle (ou lui) qui assume désormais la dialectique
de
l’obstacle exaltant, de l’ascèse et de la course inconsciente à la mo
4626
désormais la dialectique de l’obstacle exaltant,
de
l’ascèse et de la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante
4627
ialectique de l’obstacle exaltant, de l’ascèse et
de
la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante. Tandis qu’à l
4628
rsonnels, à l’extérieur et au sommet le potentiel
de
passion s’accroît de jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la moral
4629
ur et au sommet le potentiel de passion s’accroît
de
jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la morale qui concerne les ci
4630
yens : et l’eugénisme est la négation rationnelle
de
toute espèce d’aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la ten
4631
nisme est la négation rationnelle de toute espèce
d’
aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension de l’ensemb
4632
privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension
de
l’ensemble, personnifié dans la Nation. L’État-nation dit aux Alleman
4633
ux Allemands : — Procréez ! et c’est une négation
de
la passion ; mais il dit aux peuples voisins : — Nous sommes trop nom
4634
muler au sommet. Or il est clair que ces volontés
de
puissance affrontées — il y a déjà plusieurs États totalitaires — ne
4635
r l’autre l’obstacle. Le but réel, tacite, fatal,
de
ces exaltations totalitaires est donc la guerre, qui signifie la mort
4636
signifie la mort. Et comme on le voit dans le cas
de
la passion d’amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les
4637
rt. Et comme on le voit dans le cas de la passion
d’
amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les intéressés, m
4638
’on exalte y trouve son sens réel. Il serait aisé
de
multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la politique
4639
ns réel. Il serait aisé de multiplier les preuves
de
ce nouveau parallélisme entre la politique et la passion. L’ascèse co
4640
ules réagissent au dictateur, dans un pays donné,
de
la même manière que la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations
4641
la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations
de
l’homme. Le Français s’étonne des succès d’Hitler auprès de la masse
4642
tions de l’homme. Le Français s’étonne des succès
d’
Hitler auprès de la masse germanique, mais il ne s’étonnerait pas moin
4643
atins, faire la cour à une femme c’est l’étourdir
de
paroles flatteuses : ainsi nos hommes politiques quand ils courtisent
4644
e enfin le destin et affirme qu’il est ce destin…
De
la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de ses actes, donc
4645
l est ce destin… De la sorte, il délivre la foule
de
la responsabilité de ses actes, donc du sentiment oppressant de sa cu
4646
a sorte, il délivre la foule de la responsabilité
de
ses actes, donc du sentiment oppressant de sa culpabilité morale. Ell
4647
bilité de ses actes, donc du sentiment oppressant
de
sa culpabilité morale. Elle se rend au sauveur terrible et le nomme s
4648
le terme populaire désignant en Allemagne l’acte
d’
épouser, c’est freien, verbe qui signifie littéralement : libérer… Hit
4649
a plus facilement dans le domaine des sentiments…
De
tous temps, la force qui a mis en mouvement les révolutions les plus
4650
iolentes a résidé bien moins dans la proclamation
d’
une idée scientifique qui s’emparait des foules que dans un fanatisme
4651
qui les emballait follement. (Mein Kampf) Oui, «
de
tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est qu
4652
« de tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté
de
notre temps, c’est que l’action passionnelle sur les masses, telle qu
4653
telle que la définit Hitler, se double désormais
d’
une action rationalisante sur les individus. En outre, cette action n’
4654
elconque, mais par le chef qui incarne la Nation.
D’
où la puissance sans précédent du transfert qui s’opère du privé au pu
4655
public. Quel Wagner surhumain sera donc en mesure
d’
orchestrer la grandiose catastrophe de la passion devenue totalitaire
4656
c en mesure d’orchestrer la grandiose catastrophe
de
la passion devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil d’une conc
4657
n devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil
d’
une conclusion que j’étais loin de prévoir en commençant ce livre. Que
4658
e. Que l’on suive l’évolution du mythe occidental
de
la passion dans l’histoire de la littérature ou dans l’histoire des m
4659
du mythe occidental de la passion dans l’histoire
de
la littérature ou dans l’histoire des méthodes de la guerre, c’est la
4660
de la littérature ou dans l’histoire des méthodes
de
la guerre, c’est la même courbe qui apparaît. Et l’on aboutit pareill
4661
’on aboutit pareillement à cet aspect trop ignoré
de
la crise de notre époque, qui est la dissolution des formes instituée
4662
pareillement à cet aspect trop ignoré de la crise
de
notre époque, qui est la dissolution des formes instituées par la che
4663
stituées par la chevalerie. C’est dans le domaine
de
la guerre, où toute évolution est pratiquement irréversible, — alors
4664
a des « retours » littéraires — que la nécessité
d’
une solution nouvelle est apparue en premier lieu. Cette solution s’ap
4665
t totalitaire. C’est la réponse du xxe siècle né
de
la guerre à la menace permanente que la passion et l’instinct de mort
4666
la menace permanente que la passion et l’instinct
de
mort font peser sur toute société. La réponse du xiie siècle avait é
4667
lassique182. La réponse du xviiie fut le cynisme
de
Don Juan et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme ne fut pas une
4668
ces nocturnes du mythe n’ait été un dernier moyen
de
le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soit, cette défense éta
4669
se répandirent dans les domaines les plus divers,
d’
où résulta une dissociation, au sens précis de relâchement des liens s
4670
rs, d’où résulta une dissociation, au sens précis
de
relâchement des liens sociaux. La guerre européenne fut le jugement d
4671
ens sociaux. La guerre européenne fut le jugement
d’
un monde qui avait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer d’une
4672
ait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer
d’
une manière anarchique le « contenu » mortel du mythe. Cependant, je n
4673
mythe. Cependant, je ne pense pas que le drainage
de
toute passion par la nation soit autre chose qu’une mesure de détress
4674
sion par la nation soit autre chose qu’une mesure
de
détresse. C’est repousser la menace immédiate, mais l’aggraver alors
4675
omplexe des hommes, même militarisés. Des mesures
de
police ne font pas une culture, des slogans ne font pas une morale. E
4676
e quotidienne des hommes, il subsiste encore trop
de
jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résol
4677
des hommes, il subsiste encore trop de jeu, trop
d’
angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors :
4678
siste encore trop de jeu, trop d’angoisse et trop
de
possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la
4679
en ce sera la guerre à bref délai, et le problème
de
la passion sera supprimé avec la civilisation qui l’a fait naître ; O
4680
tra dans les pays totalitaires, comme il ne cesse
de
nous travailler dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité de l
4681
dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité
de
la paix que j’envisagerai dans les deux livres terminaux : le premier
4682
163. On en aura un aperçu en lisant les ouvrages
de
Freud, et L’Instinct combatif de Pierre Bovet. 164. Défaite se dit
4683
ant les ouvrages de Freud, et L’Instinct combatif
de
Pierre Bovet. 164. Défaite se dit en allemand Niederlage, littéral
4684
en allemand Niederlage, littéralement : position
de
qui gît à terre, de qui est couché au-dessous (cf. l’expression « avo
4685
age, littéralement : position de qui gît à terre,
de
qui est couché au-dessous (cf. l’expression « avoir le dessous »). Ra
4686
voir le dessous »). Rappelons aussi le symbolisme
de
la Tour assiégée dans le Roman de la Rose, et l’expression « se faire
4687
i le symbolisme de la Tour assiégée dans le Roman
de
la Rose, et l’expression « se faire des alliés dans la place ». 165.
4688
ion autant que par l’intelligence et la fécondité
de
ses vues critiques renouvelle notre conception du Moyen Âge en nous f
4689
ns la vie quotidienne des bourgeois et des nobles
de
l’époque. Les passages entre guillemets de ce chapitre et du suivant
4690
nobles de l’époque. Les passages entre guillemets
de
ce chapitre et du suivant sont des citations de la traduction françai
4691
s de ce chapitre et du suivant sont des citations
de
la traduction française. (Paris 1932.) 167. Qu’on se reporte à notre
4692
) 167. Qu’on se reporte à notre analyse du mythe
de
Tristan : on y trouvera quelques illustrations typiques de ce passage
4693
n : on y trouvera quelques illustrations typiques
de
ce passage (barons « félons », jugement par le fer, justification tan
4694
lons », jugement par le fer, justification tantôt
de
l’adultère tantôt de la séparation des amants). 168. Je serais assez
4695
le fer, justification tantôt de l’adultère tantôt
de
la séparation des amants). 168. Je serais assez tenté de voir dans l
4696
paration des amants). 168. Je serais assez tenté
de
voir dans la fonction dramatique du tournoi l’une des origines de la
4697
fonction dramatique du tournoi l’une des origines
de
la tragédie moderne. Celle-ci s’est constituée précisément à l’époque
4698
précisément à l’époque où les tournois passaient
de
mode, et où se dissociaient leurs éléments guerrier, sportif et théât
4699
ique que comportait le tournoi, mais satisfaisant
d’
autant mieux le besoin, d’émotion sentimentale et spirituelle. 169.
4700
rnoi, mais satisfaisant d’autant mieux le besoin,
d’
émotion sentimentale et spirituelle. 169. Guichardin, Histoire des G
4701
rituelle. 169. Guichardin, Histoire des Guerres
d’
Italie, I, p. 2. 170. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance
4702
0. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance
de
l’esprit. 171. Die Kultur der Renaissance, VI, p. 1. 172. Il est j
4703
naissance, VI, p. 1. 172. Il est juste toutefois
de
rappeler qu’on tuait facilement dans ce pays. Mais le meurtre y resta
4704
ans le monde militarisé, l’individu se voit privé
de
cette possibilité passionnelle, transférée à la seule collectivité. C
4705
a suite des dévastations qui marquèrent la guerre
de
Trente Ans, les années s’imposèrent « des règles et des limites qui r
4706
oral et à une nécessité pratique ». Il s’agissait
d’
éviter des dépenses excessives — les hommes coûtant cher — et de ne pa
4707
épenses excessives — les hommes coûtant cher — et
de
ne pas effrayer les peuples au point de rendre impossible tout recrut
4708
cher — et de ne pas effrayer les peuples au point
de
rendre impossible tout recrutement des volontaires… 175. J. Bouleng
4709
r, Le Grand Siècle. 176. F. Foch, Les Principes
de
la Guerre (1903, réédité en 1929). 177. E. et J. de Goncourt, La Fem
4710
compagna la Terreur, voir le très curieux ouvrage
d’
André Monglond, Le Préromantisme français. 179. Je parle de cette cho
4711
nglond, Le Préromantisme français. 179. Je parle
de
cette chose abstraite et frappante, irréelle mais signifiante, qu’est
4712
iante, qu’est la moyenne des expressions typiques
de
l’amour à une époque donnée — aussi irréelle et aussi signifiante dan
4713
ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a
de
tout — mais qui sont d’une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis r
4714
que — dans chacune il y a de tout — mais qui sont
d’
une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien de m
4715
a de tout — mais qui sont d’une époque plutôt que
d’
une autre. Je ne dis rien de plus ni rien de moins. 180. Conclusion d
4716
t que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien
de
moins. 180. Conclusion de l’enquête conduite sous la direction de Ma
4717
s rien de plus ni rien de moins. 180. Conclusion
de
l’enquête conduite sous la direction de Magnus Hirschfeld par une dou
4718
onclusion de l’enquête conduite sous la direction
de
Magnus Hirschfeld par une douzaine de savants allemands et autrichien
4719
a direction de Magnus Hirschfeld par une douzaine
de
savants allemands et autrichiens, et publiée sous le titre de Sitteng
4720
llemands et autrichiens, et publiée sous le titre
de
Sittengeschichte des Weltkriegs (Histoire des mœurs pendant la guerre
4721
, éprouvant que la guerre totale est une négation
de
la passion guerrière, se jette alors dans des aventures absurdes, qu’
4722
Guerre notre mère d’Ernst Jünger et les Réprouvés
de
Ernst von Salomon, pour ne citer que des ouvrages traduits en françai
4723
e, Chine). C’est la débauche désespérée et vénale
de
celui qu’a déçu la passion. Revanche sadique. 182. Bachofen (auteur
4724
Deux morales s’affrontaient au Moyen Âge : celle
de
la société christianisée, et celle de la courtoisie hérétique. L’une
4725
Âge : celle de la société christianisée, et celle
de
la courtoisie hérétique. L’une impliquait le mariage, dont elle fit m
4726
même un sacrement ; l’autre exaltait un ensemble
de
valeurs d’où résultait — en principe tout au moins — la condamnation
4727
crement ; l’autre exaltait un ensemble de valeurs
d’
où résultait — en principe tout au moins — la condamnation du mariage.
4728
rouvait donc sanctifier les intérêts fondamentaux
de
l’espèce et les intérêts de la cité. Celui qui contrevenait à ce trip
4729
intérêts fondamentaux de l’espèce et les intérêts
de
la cité. Celui qui contrevenait à ce triple engagement ne se rendait
4730
ou méprisable. La synthèse catholique s’efforçait
de
marier l’eau et le feu, car on pouvait tirer des Écritures et des Pèr
4731
s thèses les plus contradictoires sur la sainteté
de
la procréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté de la virginité
4732
dictoires sur la sainteté de la procréation — loi
de
l’espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi de l’esprit. Pour
4733
rocréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté
de
la virginité — loi de l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple,
4734
espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi
de
l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple, une descendance nombr
4735
par exemple, une descendance nombreuse est signe
d’
élection, tandis que pour saint Paul, celui qui reste vierge « fait mi
4736
ême chrétiennement. L’hérésie qui est à l’origine
de
la cortezia du Midi s’opposait au mariage catholique sur les trois ch
4737
nt, comme n’étant établi par aucun texte univoque
de
l’Évangile183. Elle condamnait la procréation comme relevant de la lo
4738
83. Elle condamnait la procréation comme relevant
de
la loi du Prince des ténèbres, c’est-à-dire du Démiurge auteur du mon
4739
du vouloir-vivre collectif184. Mais le fondement
de
ces trois refus était en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire
4740
nt de ces trois refus était en vérité la doctrine
de
l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant, en conflit éternel et ang
4741
it en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire
de
l’Éros divinisant, en conflit éternel et angoissé avec la créature de
4742
, en conflit éternel et angoissé avec la créature
de
chair et ses instincts asservissants. L’apparition de la passion d’Am
4743
hair et ses instincts asservissants. L’apparition
de
la passion d’Amour devait donc transformer radicalement le jugement p
4744
stincts asservissants. L’apparition de la passion
d’
Amour devait donc transformer radicalement le jugement porté sur l’adu
4745
é. Mais nous avons montré que le symbole courtois
de
l’amour pour une Dame (spirituelle), amour évidemment incompatible av
4746
èmes provençaux et des romans bretons, l’adultère
de
Tristan reste une faute185, mais il se trouve revêtir en même temps l
4747
mais il se trouve revêtir en même temps l’aspect
d’
une aventure plus belle que la morale. Ce qui, pour le croyant maniché
4748
anichéen, était l’expression dramatique du combat
de
la foi et du monde, devient alors pour le lecteur une « poésie » équi
4749
sie » équivoque et brûlante. Poésie toute profane
d’
apparences, dont la puissance de séduction s’accroît encore du fait qu
4750
sie toute profane d’apparences, dont la puissance
de
séduction s’accroît encore du fait que l’on ignore la signification m
4751
du fait que l’on ignore la signification mystique
de
ses symboles, et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que d’un
4752
et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que
d’
un mystère vague et flatteur. Comment expliquer autrement qu’à partir
4753
ieu qu’à des commentaires édifiants sur le danger
de
pécher et le remords, devient soudain vertu mystique (dans le symbole
4754
t ramener la crise actuelle du mariage au conflit
de
l’orthodoxie et d’une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme te
4755
actuelle du mariage au conflit de l’orthodoxie et
d’
une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme telle, n’existe plus
4756
avouer qu’elle joue un rôle restreint dans la vie
de
nos sociétés. Ce qui explique, à mon sens l’état présent de dé-morali
4757
iétés. Ce qui explique, à mon sens l’état présent
de
dé-moralisation générale — non d’a-moralité comme on dit trop souvent
4758
l’état présent de dé-moralisation générale — non
d’
a-moralité comme on dit trop souvent — c’est la confuse dissension au
4759
onfuse dissension au sein de laquelle nous vivons
de
deux morales, dont l’une est héritée de l’orthodoxie religieuse, mais
4760
us vivons de deux morales, dont l’une est héritée
de
l’orthodoxie religieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi vivante, e
4761
plus sur une foi vivante, et dont l’autre dérive
d’
une hérésie dont l’expression « essentiellement lyrique » nous parvien
4762
i les forces en présence : d’une part, une morale
de
l’espèce et de la société en général, mais plus ou moins empreinte de
4763
présence : d’une part, une morale de l’espèce et
de
la société en général, mais plus ou moins empreinte de religion — c’e
4764
société en général, mais plus ou moins empreinte
de
religion — c’est ce que l’on nomme la morale bourgeoise ; d’autre par
4765
passionnelle ou romanesque. Tous les adolescents
de
la bourgeoisie occidentale sont élevés dans l’idée du mariage, mais e
4766
es. Leurs origines et leurs finalités s’excluent.
De
leur coexistence dans nos vies surgissent sans fin des problèmes inso
4767
n d’autres temps, ce fut la fonction du mythe que
d’
ordonner cette anarchie latente et de la composer symboliquement dans
4768
du mythe que d’ordonner cette anarchie latente et
de
la composer symboliquement dans nos catégories morales. Rôle d’exutoi
4769
symboliquement dans nos catégories morales. Rôle
d’
exutoire, rôle civilisateur. Mais le mythe s’est déprimé et profané en
4770
ses éléments plastiques. Si maintenant il tentait
de
se recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus de résistances as
4771
recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus
de
résistances assez solides pour lui servir de masque et de prétexte. U
4772
plus de résistances assez solides pour lui servir
de
masque et de prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur
4773
tances assez solides pour lui servir de masque et
de
prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur la « crise d
4774
Mais je doute fort qu’il en résulte aucune espèce
de
solution pratique : car seul le mythe, c’est-à-dire l’inconscience po
4775
nscience pourrait fournir à la passion une espèce
de
modus vivendi, et tous ces livres, aggravant au contraire notre consc
4776
ibuent à le rendre insoluble. Ils sont les signes
de
la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire dans les cadre
4777
uble. Ils sont les signes de la crise, mais aussi
de
notre impuissance à la réduire dans les cadres actuels. L’institution
4778
atrimoniale se fondait en effet sur trois groupes
de
valeurs qui lui fournissaient ses « contraintes » — et c’est précisém
4779
contraintes » — et c’est précisément dans le jeu
de
ces contraintes que le mythe puisait ses moyens d’expression (comme o
4780
e ces contraintes que le mythe puisait ses moyens
d’
expression (comme on l’a vu au Livre I). Or voici que ces contraintes
4781
, chez les peuples païens, s’est toujours entouré
d’
un rituel dont nos institutions gardèrent longtemps les éléments : rit
4782
itutions gardèrent longtemps les éléments : rites
de
l’achat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, l
4783
ngtemps les éléments : rites de l’achat, du rapt,
de
la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son imp
4784
ments : rites de l’achat, du rapt, de la quête et
de
l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son importance, par su
4785
hat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais
de
nos jours, la dot perd de son importance, par suite de l’instabilité
4786
et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd
de
son importance, par suite de l’instabilité économique. Les coutumes r
4787
paysannes186. La demande en mariage, avec échange
de
visites en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi dém
4788
mande en mariage, avec échange de visites en haut
de
forme et « déclaration » officielle, est aussi démodée que les crinol
4789
uples n’éprouve plus même le besoin superstitieux
d’
aller se faire « bénir » par un prêtre. 2. — Contraintes sociales Les
4790
n prêtre. 2. — Contraintes sociales Les questions
de
rang, de sang, d’intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train
4791
2. — Contraintes sociales Les questions de rang,
de
sang, d’intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train de passer
4792
traintes sociales Les questions de rang, de sang,
d’
intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train de passer au secon
4793
s de rang, de sang, d’intérêts familiaux, et même
d’
argent, sont en train de passer au second plan dans les pays démocrati
4794
e plus en plus le choix réciproque des conjoints.
D’
où le nombre croissant des divorces. En même temps, les cérémonies épi
4795
s se simplifient ou disparaissent. Il est curieux
de
noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telles que la «
4796
aissent. Il est curieux de noter que des coutumes
d’
origine lointaine et sacrée telles que la « quasi-publicité du lit nup
4797
es originels, mais les rites gardaient pour effet
de
socialiser l’acte du mariage, de l’intégrer dans l’existence communau
4798
aient pour effet de socialiser l’acte du mariage,
de
l’intégrer dans l’existence communautaire. À partir du xviiie siècle
4799
À partir du xviiie siècle, le thème du « Coucher
de
la mariée » n’est plus qu’une occasion d’anodines galanteries pictura
4800
Coucher de la mariée » n’est plus qu’une occasion
d’
anodines galanteries picturales. De nos jours enfin, le « voyage de no
4801
u’une occasion d’anodines galanteries picturales.
De
nos jours enfin, le « voyage de noces », pour autant qu’il subsiste e
4802
eries picturales. De nos jours enfin, le « voyage
de
noces », pour autant qu’il subsiste et garde une signification, repré
4803
signification, représente bien plutôt une volonté
de
s’évader de l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de
4804
n, représente bien plutôt une volonté de s’évader
de
l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de ce qu’on app
4805
une volonté de s’évader de l’ambiance sociale et
de
souligner le caractère privé de ce qu’on appelle le bonheur des époux
4806
biance sociale et de souligner le caractère privé
de
ce qu’on appelle le bonheur des époux. 3. — Contraintes religieuses D
4807
à-dire qu’il ne tient aucun compte des variations
de
tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne
4808
tient aucun compte des variations de tempérament,
de
caractère, de goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas d
4809
mpte des variations de tempérament, de caractère,
de
goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas de se produire
4810
iations de tempérament, de caractère, de goûts et
de
conditions externes qui ne manqueront pas de se produire un jour ou d
4811
s et de conditions externes qui ne manqueront pas
de
se produire un jour ou d’autre dans la vie du couple. Or c’est de tou
4812
s qui ne manqueront pas de se produire un jour ou
d’
autre dans la vie du couple. Or c’est de tout cela, justement, que les
4813
n jour ou d’autre dans la vie du couple. Or c’est
de
tout cela, justement, que les modernes font dépendre leur « bonheur »
4814
des obstacles institutionnels entraîne une chute
de
tension morale d’où résulte une immense confusion. L’adultère devient
4815
titutionnels entraîne une chute de tension morale
d’
où résulte une immense confusion. L’adultère devient un sujet de délic
4816
ne immense confusion. L’adultère devient un sujet
de
délicates analyses psychologiques, ou de plaisanteries vaudevillesque
4817
un sujet de délicates analyses psychologiques, ou
de
plaisanteries vaudevillesques. La fidélité dans le mariage paraît lég
4818
ge paraît légèrement ridicule : elle prend figure
de
conformisme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit de deux mora
4819
isme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit
de
deux morales hostiles — et par suite plus de mythe possible — mais on
4820
flit de deux morales hostiles — et par suite plus
de
mythe possible — mais on approche d’un état de neutralisation mutuell
4821
r suite plus de mythe possible — mais on approche
d’
un état de neutralisation mutuelle au terme de la consomption des viei
4822
us de mythe possible — mais on approche d’un état
de
neutralisation mutuelle au terme de la consomption des vieilles valeu
4823
che d’un état de neutralisation mutuelle au terme
de
la consomption des vieilles valeurs non transcendées mais déprimées.
4824
2.Idée moderne du bonheur Le mariage cessant
d’
être garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fo
4825
Le mariage cessant d’être garanti par un système
de
contraintes sociales ne peut plus se fonder, désormais, que sur des d
4826
as le plus favorable. Or s’il est assez difficile
de
définir en général le bonheur, le problème devient insoluble dès que
4827
t insoluble dès que s’y ajoute la volonté moderne
d’
être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de
4828
ue s’y ajoute la volonté moderne d’être le maître
de
son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir de quoi i
4829
son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même,
de
sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pou
4830
r, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir
de
quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’amé
4831
peut-être au même, de sentir de quoi il est fait,
de
l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouc
4832
, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et
de
le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouches bien calculée
4833
nheur, répètent les prêches des magazines, dépend
de
ceci, exige cela — et ceci ou cela, c’est toujours quelque chose qu’i
4834
t toujours quelque chose qu’il faut acquérir, par
de
l’argent le plus souvent. Le résultat de cette propagande dont le suc
4835
rir, par de l’argent le plus souvent. Le résultat
de
cette propagande dont le succès caractérise l’état moral de l’époque,
4836
ropagande dont le succès caractérise l’état moral
de
l’époque, est à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheur facil
4837
ractérise l’état moral de l’époque, est à la fois
de
nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup de nous
4838
’époque, est à la fois de nous obséder par l’idée
d’
un bonheur facile, et du même coup de nous rendre inaptes à le posséde
4839
r par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup
de
nous rendre inaptes à le posséder. Car tout ce qu’on nous propose nou
4840
e qu’on nous propose nous introduit dans le monde
de
la comparaison, où nul bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme
4841
t meurt dans la revendication. C’est qu’il dépend
de
l’être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont rép
4842
evendication. C’est qu’il dépend de l’être et non
de
l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et notre tem
4843
pend de l’être et non de l’avoir : les moralistes
de
tous les temps l’ont répété, et notre temps n’apporte rien qui doive
4844
temps n’apporte rien qui doive nous faire changer
d’
avis. Tout bonheur que l’on veut sentir, que l’on veut tenir à sa merc
4845
ur » suppose de la part des modernes une capacité
d’
ennui presque morbide — ou l’intention secrète de tricher II est proba
4846
d’ennui presque morbide — ou l’intention secrète
de
tricher II est probable que cette intention ou cet espoir d’ailleurs
4847
lle on se marie encore « sans y croire ». Le rêve
de
la passion possible agit comme une distraction permanente, anesthésia
4848
distraction permanente, anesthésiant les révoltes
de
l’ennui. On n’ignore pas que la passion serait un malheur — mais on p
4849
dans nos vies l’idée moderne du bonheur. Cela va
de
toute manière à la ruine du mariage en tant qu’institution sociale.
4850
, qui les traitait comme des égaux. On peut citer
de
très nombreux exemples de vilains armés chevaliers parce qu’ils savai
4851
es égaux. On peut citer de très nombreux exemples
de
vilains armés chevaliers parce qu’ils savaient chanter l’Amour. Et c’
4852
Et c’est pourquoi certains auteurs ont pu parler
d’
une féodalité démocratique en Languedoc. Il est clair qu’un tel jugeme
4853
que : car l’Amour dont il s’agissait n’était rien
d’
autre que la foi cathare, et l’accession d’un roturier à la chevalerie
4854
t rien d’autre que la foi cathare, et l’accession
d’
un roturier à la chevalerie était un symbole mystique bien plutôt qu’u
4855
ons longuement parlé ; on prit le symbole au pied
de
la lettre, on « mystifia » l’amour profane. Et c’est de là que nous v
4856
lettre, on « mystifia » l’amour profane. Et c’est
de
là que nous vient, par la littérature, cette idée toute moderne et ro
4857
’elle nous met au-dessus des lois. Celui qui aime
de
passion accède à une humanité plus haute, où les barrières sociales,
4858
e mécano épouser l’héritière187. De même, le Prix
de
Beauté a quelque chance de devenir comtesse ou milliardaire. C’est un
4859
e187. De même, le Prix de Beauté a quelque chance
de
devenir comtesse ou milliardaire. C’est une « adaptation » moderne —
4860
langage du cinéma, seul adéquat en l’occurrence —
de
la primauté de l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion prof
4861
ma, seul adéquat en l’occurrence — de la primauté
de
l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion profane soit une ab
4862
la passion profane soit une absurdité, une forme
d’
intoxication, une « maladie de l’âme » comme pensaient les Anciens, to
4863
bsurdité, une forme d’intoxication, une « maladie
de
l’âme » comme pensaient les Anciens, tout le monde est prêt à le reco
4864
et cette nuance est décisive. Le moderne, l’homme
de
la passion, attend de l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même
4865
cisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend
de
l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même ou la vie en général :
4866
ur lui-même ou la vie en général : dernier relent
de
la mystique primitive. De la poésie à l’anecdote piquante, la passion
4867
énéral : dernier relent de la mystique primitive.
De
la poésie à l’anecdote piquante, la passion c’est toujours l’aventure
4868
nture. C’est ce qui va changer ma vie, l’enrichir
d’
imprévu, de risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes
4869
t ce qui va changer ma vie, l’enrichir d’imprévu,
de
risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes ou flatteus
4870
vie, l’enrichir d’imprévu, de risques exaltants,
de
jouissances toujours plus violentes ou flatteuses. C’est tout le poss
4871
! — la plus « naturelle » pensera-t-on… Illusion
de
liberté. Et illusion de plénitude. Je nommerai libre un homme qui se
4872
» pensera-t-on… Illusion de liberté. Et illusion
de
plénitude. Je nommerai libre un homme qui se possède. Mais l’homme de
4873
merai libre un homme qui se possède. Mais l’homme
de
la passion cherche au contraire à être possédé, dépossédé, jeté hors
4874
é, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et
de
fait, c’est déjà sa nostalgie qui le « démeine » — dont il ignore l’o
4875
dont il ignore l’origine et la fin. Son illusion
de
liberté repose sur cette double ignorance. Le passionné, c’est l’homm
4876
sionné, c’est l’homme qui veut trouver son « type
de
femme » et n’aimer qu’elle. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’appari
4877
le. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’apparition
d’
une noble Dame dans le paysage des souvenirs d’enfance : Blonde, aux
4878
on d’une noble Dame dans le paysage des souvenirs
d’
enfance : Blonde, aux yeux noirs, en ses habits anciens Que dans une
4879
tre J’ai déjà vue, et dont je me souviens… Image
de
la mère, sans nul doute, et la psychanalyse nous apprend quels empêch
4880
nts tragiques cela peut signifier. Mais l’exemple
d’
un poète ne vaut rien ou vaut trop. J’entends décrire une illusion app
4881
ommes du xxe siècle : or plus encore que l’image
de
la Mère, ce qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ». De nos j
4882
qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ».
De
nos jours — et ce n’est qu’un début —, un homme qui se prend de passi
4883
et ce n’est qu’un début —, un homme qui se prend
de
passion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est présumé neura
4884
ra soigner.) Certes, la standardisation des types
de
femmes admis pour « beaux » se produit normalement dans chaque généra
4885
dans chaque génération, de même que chaque époque
de
la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la
4886
e sportive. Mais le panurgisme esthétique atteint
de
nos jours une puissance inconnue, développée par tous les moyens tech
4887
ues, et bientôt politiques, en sorte que le choix
d’
un type de femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se t
4888
entôt politiques, en sorte que le choix d’un type
de
femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se trouve déte
4889
llywood — et bientôt par l’État. Double influence
de
la beauté-standard : elle définit d’avance l’objet de la passion — dé
4890
le influence de la beauté-standard : elle définit
d’
avance l’objet de la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et d
4891
a beauté-standard : elle définit d’avance l’objet
de
la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et disqualifie le mar
4892
édante. (Encore la femme pourra-t-elle s’efforcer
de
se faire une tête à la Garbo, mais alors il s’agit que le mari ressem
4893
emble à Gable ou à Taylor !) Ainsi la « liberté »
de
la passion relève des statistiques publicitaires. L’homme qui croit d
4894
icitaires. L’homme qui croit désirer « son » type
de
femme se trouve intimement déterminé par des facteurs de mode ou de c
4895
e se trouve intimement déterminé par des facteurs
de
mode ou de commerce qui changent au moins tous les six mois. Supposon
4896
intimement déterminé par des facteurs de mode ou
de
commerce qui changent au moins tous les six mois. Supposons, comme il
4897
entre ce qu’il aime et ce que le film le persuade
d’
aimer. Il rencontre cette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme
4898
ette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme
de
son désir et de sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve188 ; elle
4899
a reconnaît. C’est elle, la femme de son désir et
de
sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve188 ; elle est mariée, natu
4900
e sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement
de
ce Tristan qu’il porte en soi comme son génie caché ! Et plus rien ne
4901
a couronne s’il est roi). Voilà le vrai « mariage
d’
amour » moderne : le mariage avec la passion ! Mais aussitôt paraît u
4902
eut, c’est toujours l’étrangère, l’étrangeté même
de
la femme, et tout ce qu’il y a d’éternellement fuyant, évanouissant e
4903
’étrangeté même de la femme, et tout ce qu’il y a
d’
éternellement fuyant, évanouissant et presque hostile dans un être, ce
4904
ui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité
de
posséder, plus délicieuse que toute possession au cœur de l’homme en
4905
der, plus délicieuse que toute possession au cœur
de
l’homme en proie au mythe. C’est la femme-dont-on-est-séparé : on la
4906
désirer et pour exalter ce désir aux proportions
d’
une passion consciente, intense, infiniment intéressante… Or c’est la
4907
, où plus rien ne s’oppose à leur union, le génie
de
la passion dépose entre leurs corps une épée nue. Descendons quelques
4908
endons quelques siècles et toute l’échelle qui va
de
l’héroïsme religieux à la confusion sans grandeur où se débattent les
4909
emme perd son « attrait », parce qu’il n’est plus
d’
obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe dont l’hor
4910
’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes
d’
un mythe dont l’horizon mystique s’est refermé depuis longtemps. Pour
4911
tourmenter sans lui révéler son secret, il n’est
d’
au-delà de la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourment
4912
r sans lui révéler son secret, il n’est d’au-delà
de
la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourment nouveau d
4913
s une passion nouvelle — dans le tourment nouveau
de
la poursuite d’apparences toujours plus fugitives. Il était de la nat
4914
uvelle — dans le tourment nouveau de la poursuite
d’
apparences toujours plus fugitives. Il était de la nature essentielle
4915
te d’apparences toujours plus fugitives. Il était
de
la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin — et c’e
4916
plus fugitives. Il était de la nature essentielle
de
la passion mystique d’être sans fin — et c’est par là que cette passi
4917
t de la nature essentielle de la passion mystique
d’
être sans fin — et c’est par là que cette passion se détachait des ryt
4918
moderne, ce n’est plus que le retour sempiternel
d’
une ardeur constamment déçue. Le mythe décrivait une fatalité dont ses
4919
dénoue en infidélité. Qui ne sent la dégradation
d’
un Tristan qui a plusieurs Iseut ? Or ce n’est pas lui qu’il convient
4920
sieurs Iseut ? Or ce n’est pas lui qu’il convient
d’
accuser, mais il est la victime d’un ordre social où les obstacles se
4921
qu’il convient d’accuser, mais il est la victime
d’
un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vit
4922
. Sans cesse, il faut recommencer cette ascension
de
l’âme dressée contre le monde. Mais alors le Tristan moderne glisse v
4923
oderne glisse vers le type contraire du Don Juan,
de
l’homme aux amours successives. Les catégories se détruisent, l’avent
4924
à cette consomption. Mais Don Juan ne connaît pas
d’
Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déch
4925
omption. Mais Don Juan ne connaît pas d’Iseut, ni
de
passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déchirements vol
4926
nnaît pas d’Iseut, ni de passion inaccessible, ni
de
passé ni d’avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dan
4927
Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni
d’
avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat
4928
passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni
de
déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat, il n’a jama
4929
toujours dans l’immédiat, il n’a jamais le temps
d’
aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne l
4930
dans l’immédiat, il n’a jamais le temps d’aimer —
d’
attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste
4931
t, il n’a jamais le temps d’aimer — d’attendre et
de
se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’
4932
d’aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien
de
ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’aime pas ce qui lui résis
4933
l n’aime pas ce qui lui résiste. ⁂ Aimer, au sens
de
la passion, c’est alors le contraire de vivre ! C’est un appauvrissem
4934
, au sens de la passion, c’est alors le contraire
de
vivre ! C’est un appauvrissement de l’être, une ascèse sans au-delà,
4935
le contraire de vivre ! C’est un appauvrissement
de
l’être, une ascèse sans au-delà, une impuissance à aimer le présent s
4936
t, une fuite sans fin devant la possession. Aimer
d’
amour-passion signifiait « vivre » pour Tristan, car la vraie vie qu’i
4937
et du film apparaissent comme les signes certains
d’
une décadence de la personne chez les modernes, et d’une espèce de mal
4938
aissent comme les signes certains d’une décadence
de
la personne chez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’être.
4939
ne décadence de la personne chez les modernes, et
d’
une espèce de maladie de l’être. Presque toutes les complications qui
4940
de la personne chez les modernes, et d’une espèce
de
maladie de l’être. Presque toutes les complications qui servent d’int
4941
nne chez les modernes, et d’une espèce de maladie
de
l’être. Presque toutes les complications qui servent d’intrigues à no
4942
tre. Presque toutes les complications qui servent
d’
intrigues à nos auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses de la
4943
auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses
de
la passion pour s’« entretenir », — des ruses d’une passion débile po
4944
de la passion pour s’« entretenir », — des ruses
d’
une passion débile pour s’inventer de plus secrets obstacles. Je songe
4945
plus secrets obstacles. Je songe à la psychologie
de
la jalousie, qui envahit nos analyses : jalousie désirée, provoquée,
4946
, — n’aboutit pas. On retombe sans cesse au monde
de
la comparaison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes
4947
esse au monde de la comparaison, qui est le monde
de
la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur seuil souffr
4948
t femmes dès qu’ils passent leur seuil souffrent
de
jalousie », dit un poème tibétain189. C’est que, passant « leur seuil
4949
in189. C’est que, passant « leur seuil », sortant
de
leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d
4950
t du présent tel qu’il leur est donné, incapables
d’
accepter l’autre tel qu’il est, parce qu’il faudrait tout d’abord s’ac
4951
r, qualités dont ils se sentent privés, et motifs
de
comparaisons qui toujours tournent à leur détriment. Le mari souffre
4952
l. Il a perdu la seule chose nécessaire : le sens
de
la fidélité. Car voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’u
4953
voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive
d’
un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à
4954
non comme prétexte à s’exalter, ou comme « objet
de
contemplation », mais comme une existence incomparable et autonome à
4955
incomparable et autonome à son côté, une exigence
d’
amour actif. ⁂ Je n’entends pas ici attaquer la passion : je me borne
4956
comment cette passion développe un certain nombre
de
fatalités psychologiques dont les effets ne sont plus contestables. Q
4957
ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan
de
l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée mêm
4958
contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou
de
l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée même du mariage
4959
mariage dans une époque où l’on tente la gageure
de
fonder le mariage, précisément, sur les valeurs élaborées par une éth
4960
sément, sur les valeurs élaborées par une éthique
de
la passion. Certes, il serait excessif d’estimer que la plupart de no
4961
éthique de la passion. Certes, il serait excessif
d’
estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie au délire de
4962
part de nos contemporains sont en proie au délire
de
Tristan. Bien peu ont assez soif pour boire le philtre, et j’en vois
4963
ythe primitif, c’est pourtant là qu’est le secret
de
l’inquiétude qui tourmente aujourd’hui les couples. Rien ne répugne a
4964
ne répugne autant à un esprit moderne que l’idée
d’
une limitation volontairement assumée ; et rien ne le flatte davantage
4965
ée ; et rien ne le flatte davantage que le mirage
d’
infini dépassement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer de pren
4966
ement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer
de
prendre conscience de la nature du phénomène, c’est à quoi se résume
4967
souvenir du mythe. Essayer de prendre conscience
de
la nature du phénomène, c’est à quoi se résume l’ambition des analyse
4968
spirituel que fait courir à la personne l’éthique
de
l’évasion, qui est née du mythe). D’où les multiples tentatives de «
4969
ne l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe).
D’
où les multiples tentatives de « restauration » du mariage auxquelles
4970
est née du mythe). D’où les multiples tentatives
de
« restauration » du mariage auxquelles nous assistons depuis la guerr
4971
s la guerre. Les Églises font un honorable effort
de
redéfinition de l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique1
4972
Églises font un honorable effort de redéfinition
de
l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique190. Les humanist
4973
lique190. Les humanistes reprennent les arguments
d’
un Goethe ou d’un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il f
4974
umanistes reprennent les arguments d’un Goethe ou
d’
un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il faut y voir la g
4975
lon le premier, il faut y voir la grande conquête
de
la culture occidentale, et le fondement solide de toute vie personnel
4976
de la culture occidentale, et le fondement solide
de
toute vie personnelle ; selon le second, l’union monogamique serait l
4977
s sexes, dans une société libérée des contraintes
de
classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science
4978
une société libérée des contraintes de classes et
d’
argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science des rapports
4979
e classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent
de
fonder une science des rapports conjugaux. Jung analyse le « conflit
4980
les « névroses » qui seraient à l’origine du mal (
d’
où l’on déduit que la médecine mentale guérirait tout). Van de Velde o
4981
lgarisée des phénomènes sexuels. L’abondance même
de
ces recherches191 et de ces recettes me rend sceptique quant à leur e
4982
sexuels. L’abondance même de ces recherches191 et
de
ces recettes me rend sceptique quant à leur efficacité : elle révèle
4983
l’étendue du désastre, sans apporter les éléments
d’
une révolution à sa mesure. En outre, il est frappant de constater que
4984
révolution à sa mesure. En outre, il est frappant
de
constater que presque tous ces sages auteurs donnent quelques lignes
4985
ages auteurs donnent quelques lignes à la louange
de
la passion, ou tout au moins affectent de la tolérer : pour des raiso
4986
louange de la passion, ou tout au moins affectent
de
la tolérer : pour des raisons trop faciles à concevoir, on craint d’a
4987
r des raisons trop faciles à concevoir, on craint
d’
attaquer le lecteur dans ses croyances les plus intimes et les plus so
4988
intimes et les plus solidement ancrées. On a peur
de
paraître « puritain ». On s’efforce de faire la part du feu, et l’on
4989
On a peur de paraître « puritain ». On s’efforce
de
faire la part du feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe de
4990
feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe
de
présenter la passion amoureuse comme le couronnement d’un hymen idéal
4991
senter la passion amoureuse comme le couronnement
d’
un hymen idéalement réalisé (d’après les recettes). Personne, que je s
4992
a encore osé dire que l’amour tel qu’on l’imagine
de
nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend
4993
e sait pas au juste ce qu’est l’amour-passion, ni
d’
où il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose d’in
4994
où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose
d’
inquiétant, mais on a peur, en le combattant, de parler comme un phili
4995
e d’inquiétant, mais on a peur, en le combattant,
de
parler comme un philistin. (Ce qui se produirait fatalement !) Ainsi
4996
agner la confiance ; on ne remonte pas le courant
de
toute l’époque ; la passion a toujours existé, elle existera donc tou
4997
C’est même à cause de cela que vous ne ferez rien
de
sérieux. Et comme il faut pourtant que quelque chose se fasse, la seu
4998
n qui se pose à l’historien, au sociologue, c’est
de
savoir quel mécanisme va se déclencher pour rétablir la situation — o
4999
tion — ou quel réflexe collectif. ⁂ Deux exemples
de
grande envergure nous indiquent un type de réponse, une solution peut
5000
emples de grande envergure nous indiquent un type
de
réponse, une solution peut-être inévitable. La Russie de la Révolutio
5001
e la Révolution connut un « déchaînement » sexuel
de
la jeunesse que l’on serait tenté de juger sans précédent dans notre
5002
ent » sexuel de la jeunesse que l’on serait tenté
de
juger sans précédent dans notre histoire européenne192. Quant au mari
5003
traduisit dans la réalité par une généralisation
de
l’union libre, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tou
5004
réalité par une généralisation de l’union libre,
de
l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait
5005
généralisation de l’union libre, de l’avortement,
de
l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait contraire aux pr
5006
, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref
de
tout ce qu’on croyait contraire aux préjugés réactionnaires, qu’on se
5007
re des mœurs, et il proteste avec toute l’énergie
d’
un « révolutionnaire professionnel » — donc puritain — contre cette an
5008
n — contre cette anarchie sexuelle qu’il qualifie
de
« petite-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste de l’express
5009
e-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste
de
l’expression.) Vingt ans plus tard, le « redressement des mœurs » s’e
5010
ar quelque sursaut vertueux, non par l’initiative
d’
une ligue philanthropique, mais par les soins d’une dictature exacteme
5011
e d’une ligue philanthropique, mais par les soins
d’
une dictature exactement consciente des conditions de sa durée. Stalin
5012
ne dictature exactement consciente des conditions
de
sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain de refaire des cadr
5013
sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain
de
refaire des cadres à sa nation. Car sans cadres, l’économie périclita
5014
sion précisément que l’on entendait « liquider ».
D’
où l’absolue nécessité de restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l
5015
entendait « liquider ». D’où l’absolue nécessité
de
restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l’élément statique et stab
5016
emier chef qu’est la famille. Ce fut le mécanisme
de
la dictature productiviste qui contraignit l’État dit socialiste à éd
5017
raignit l’État dit socialiste à édicter une série
de
lois contre le divorce (qu’on rendit beaucoup plus onéreux), contre l
5018
n des enfants nés hors mariage. La rigueur subite
de
ces lois, le choc psychologique qu’elles provoquèrent, la propagande,
5019
elles provoquèrent, la propagande, et les mesures
de
contrôle policier de la vie privée, changèrent notablement l’ambiance
5020
a propagande, et les mesures de contrôle policier
de
la vie privée, changèrent notablement l’ambiance morale de la Russie
5021
privée, changèrent notablement l’ambiance morale
de
la Russie aux environs de l’année 1936193. Le mariage se trouva resta
5022
ement l’ambiance morale de la Russie aux environs
de
l’année 1936193. Le mariage se trouva restauré sur des bases strictem
5023
lèmes individuels tendaient à perdre toute espèce
de
dignité, de légitimité, de virulence anarchisante194. L’Allemagne de
5024
duels tendaient à perdre toute espèce de dignité,
de
légitimité, de virulence anarchisante194. L’Allemagne de l’après-guer
5025
à perdre toute espèce de dignité, de légitimité,
de
virulence anarchisante194. L’Allemagne de l’après-guerre atteignit-el
5026
timité, de virulence anarchisante194. L’Allemagne
de
l’après-guerre atteignit-elle un stade d’anarchie sexuelle comparable
5027
lemagne de l’après-guerre atteignit-elle un stade
d’
anarchie sexuelle comparable à celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le
5028
e un stade d’anarchie sexuelle comparable à celui
de
la Russie jusqu’à Staline ? Le processus de ruine des obstacles socia
5029
celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le processus
de
ruine des obstacles sociaux, pour s’y être développé sans violences e
5030
it que plus gravement miné l’éthique matrimoniale
de
la jeunesse. La décadence du mythe de la passion dans la patrie du ro
5031
atrimoniale de la jeunesse. La décadence du mythe
de
la passion dans la patrie du romantisme entraînait d’autre part des c
5032
onséquences bien plus complexes que chez nous, et
d’
apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide de l’après-guerre all
5033
’apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide
de
l’après-guerre allemande, la Neue Sachlichkeit des avant-gardes litté
5034
rimes dits « politiques » exécutés par des ligues
de
jeunes gens, certaines formes de naturisme, les « fiançailles d’essai
5035
s par des ligues de jeunes gens, certaines formes
de
naturisme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang de coutume nor
5036
certaines formes de naturisme, les « fiançailles
d’
essai » élevées au rang de coutume normale parmi les étudiants, le sér
5037
isme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang
de
coutume normale parmi les étudiants, le sérieux accordé aux conflits
5038
sionnels « à trois » ou « à quatre » — renouvelés
de
la Lucinde de Schlegel — autant de signes de la panique sexuelle prov
5039
» — renouvelés de la Lucinde de Schlegel — autant
de
signes de la panique sexuelle provoquée par la décadence des contrain
5040
elés de la Lucinde de Schlegel — autant de signes
de
la panique sexuelle provoquée par la décadence des contraintes matrim
5041
cadence des contraintes matrimoniales et du mythe
de
l’amour mortel. Déjà l’on voyait affleurer le fond de désespoir et d’
5042
’amour mortel. Déjà l’on voyait affleurer le fond
de
désespoir et d’anarchie intime que suppose toute morale du « bonheur
5043
éjà l’on voyait affleurer le fond de désespoir et
d’
anarchie intime que suppose toute morale du « bonheur » strictement in
5044
t militaire, devait se donner pour première tâche
de
surmonter cette crise de mœurs. On commença par opposer à l’idéal ant
5045
nner pour première tâche de surmonter cette crise
de
mœurs. On commença par opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et
5046
urs. On commença par opposer à l’idéal antisocial
de
« bonheur » et de « vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnu
5047
ar opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et
de
« vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnutz geht vor Eigenn
5048
ul objet légitime et possible à la passion l’idée
de
nation symbolisée par le Führer. D’abord on prive la femme de son aur
5049
mbolisée par le Führer. D’abord on prive la femme
de
son auréole romantique : on la réduit à sa fonction matrimoniale : fa
5050
argera (c’est-à-dire pendant quatre ou cinq ans).
De
là, on passe à des mesures d’ordre eugénique. On ouvre une « école de
5051
uatre ou cinq ans). De là, on passe à des mesures
d’
ordre eugénique. On ouvre une « école de fiancées » pour les futures f
5052
s mesures d’ordre eugénique. On ouvre une « école
de
fiancées » pour les futures femmes des S. S. (Schutz Staffeln : escou
5053
res femmes des S. S. (Schutz Staffeln : escouades
de
protection du régime, troupe sélectionnée incarnant l’idéal racial).
5054
l’idéal racial). Ces femmes doivent être blondes,
de
sang aryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type de femme » se
5055
ryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type
de
femme » se trouve prescrit non par les souvenirs inconscients, ni par
5056
res mais par la section scientifique du ministère
de
la propagande. En 1938, on institue des écoles analogues pour toutes
5057
es les femmes allemandes, et l’on ne manquera pas
de
les rendre obligatoires à bref délai. Le but dernier de l’entreprise
5058
rendre obligatoires à bref délai. Le but dernier
de
l’entreprise ne fait pas de doute : on en viendra à n’autoriser plus
5059
délai. Le but dernier de l’entreprise ne fait pas
de
doute : on en viendra à n’autoriser plus que les unions contractées s
5060
dividuels, donc des passions. À chacun sa « fiche
de
mariage ». Alors la science matrimoniale trouvera sa juste applicatio
5061
niale trouvera sa juste application dans l’esprit
de
Lycurgue et de Sparte : on en fera l’un des chapitres de la préparati
5062
sa juste application dans l’esprit de Lycurgue et
de
Sparte : on en fera l’un des chapitres de la préparation militaire195
5063
rgue et de Sparte : on en fera l’un des chapitres
de
la préparation militaire195. ⁂ Trois hypothèses demeurent alors possi
5064
xprimer dans un langage symbolique (ésotérique et
d’
extérieur rassurant) les éléments plastiques, militaires et sacrés qui
5065
ui s’institua au xiie siècle. Mais l’éventualité
de
la guerre, c’est-à-dire d’une décharge passionnelle au niveau collect
5066
le. Mais l’éventualité de la guerre, c’est-à-dire
d’
une décharge passionnelle au niveau collectif et national, paraît aujo
5067
l’on peut encore imaginer que la pratique forcée
de
l’eugénisme réussira, là où toutes nos morales échouent, entraînant l
5068
tion du besoin « spirituel », et donc artificiel,
de
la passion. Alors le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe d
5069
et donc artificiel, de la passion. Alors le cycle
de
l’amour courtois sera fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occ
5070
le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe
de
la passion aura vécu. Un Occident nouveau, imprévisible, naîtra dans
5071
ique se justifierait soit par le récit du miracle
de
Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) ; soit par le passage où Jé
5072
ce que Dieu a uni ; soit enfin par des entretiens
de
Jésus ressuscité et de ses disciples « que les évangélistes et les Ac
5073
t enfin par des entretiens de Jésus ressuscité et
de
ses disciples « que les évangélistes et les Actes mentionnent sans le
5074
hares, nous l’avons vu, le véritable crime, c’est
d’
avoir « consommé » dans la chair cet adultère. 186. Sauf peut-être au
5075
ux États-Unis, s’il faut en croire certains échos
de
presse sur la vie privée des stars et des magnats de la finance. 187
5076
presse sur la vie privée des stars et des magnats
de
la finance. 187. L’aventure fameuse de la princesse de C… donna lieu
5077
s magnats de la finance. 187. L’aventure fameuse
de
la princesse de C… donna lieu au début du siècle à toute une littérat
5078
toute une littérature romanesque. Quant au thème
de
l’ouvrier ou du chauffeur qui « mérite » la fille du patron, il est a
5079
ilm allemand, depuis l’hitlérisme. 188. Le titre
d’
un roman de Max Brod, Die Frau nach der man sich sehnt (la femme que l
5080
d, depuis l’hitlérisme. 188. Le titre d’un roman
de
Max Brod, Die Frau nach der man sich sehnt (la femme que l’on désire,
5081
an sich sehnt (la femme que l’on désire, la femme
de
notre nostalgie) est la meilleure définition d’Iseut. L’amour-passion
5082
e de notre nostalgie) est la meilleure définition
d’
Iseut. L’amour-passion veut « la princesse lointaine » tandis que l’am
5083
répondu à la décision des évêques anglicans dite
de
Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et d’Oxford (toutes les
5084
nglicans dite de Lambeth. Les Congrès œcuméniques
de
Stockholm et d’Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également
5085
Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et
d’
Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également touché le probl
5086
ement touché le problème. 191. Il serait curieux
de
retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a parlé le pre
5087
eur — évidemment moderne — qui a parlé le premier
d’
un « problème sexuel ». Fourier peut-être ? Ou Proudhon ? 192. En réa
5088
oviétiques. 194. Famille, eugénisme, suppression
de
la passion : tout cela devrait être mis entre guillemets quand il s’a
5089
devrait être mis entre guillemets quand il s’agit
de
l’URSS. La diminution vertigineuse de la population oblige Staline à
5090
d il s’agit de l’URSS. La diminution vertigineuse
de
la population oblige Staline à une politique de natalité. Mais qui pe
5091
e de la population oblige Staline à une politique
de
natalité. Mais qui peut savoir si on l’applique ? Et je le répète, se
5092
? Et je le répète, ses mobiles ne sont nullement
d’
ordre « moral », mais plutôt militaire. 195. Depuis que ceci a été éc
5093
t-cinq ans : on va les chasser des Villes de plus
de
5000 habitants.
5094
Livre VIIL’Amour action, ou
de
la fidélité 1.Nécessité d’un parti pris À l’heure où cet ouvra
5095
L’Amour action, ou de la fidélité 1.Nécessité
d’
un parti pris À l’heure où cet ouvrage touche à sa conclusion, il m
5096
core. L’aveu sera jugé insolite. Mais je pressens
d’
assez profondes raisons de le consentir. J’ai voulu décrire la passion
5097
olite. Mais je pressens d’assez profondes raisons
de
le consentir. J’ai voulu décrire la passion comme une entité historiq
5098
e cours est calculable. J’ai cru cerner le secret
de
son mythe. La découverte n’est pas négligeable. Mais peut-on décrire
5099
n décrire la passion ? On ne décrit pas une forme
d’
existence sans y participer, fût-ce même par une révolte contre la déc
5100
ui se définirait elle-même comme une condamnation
de
la passion : il suffit, pour l’apercevoir, d’observer que la passion,
5101
ion de la passion : il suffit, pour l’apercevoir,
d’
observer que la passion, quelle qu’elle soit, ne peut ni ne veut « avo
5102
on, dès l’instant qu’on parle raison. Car l’homme
de
la passion est justement celui qui choisit d’être dans son tort, aux
5103
mme de la passion est justement celui qui choisit
d’
être dans son tort, aux yeux du monde, — et dans ce tort majeur, irrév
5104
e tort majeur, irrévocable, que signifie le choix
de
la mort contre la vie. Et comment échapper au démon que l’on fixe ? P
5105
iolence spirituelle qui tuât mieux que la passion
d’
amour : celle au moins de l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mai
5106
uât mieux que la passion d’amour : celle au moins
de
l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mais encore plus agressive,
5107
ns doute, puisqu’il n’est plus question pour nous
de
recourir au bras séculier. (Sans compter que la Croisade, au total, f
5108
avant tout et après tout, à l’origine et à la fin
de
la passion, il n’y a pas une « erreur » sur l’homme ou Dieu — a forti
5109
rreur « morale » — mais une décision fondamentale
de
l’homme, qui veut être lui-même son dieu196. La passion brûle dans no
5110
eté du moraliste qui prétendait détourner l’homme
de
cette voie mortelle, divinisante, en lui « prouvant » qu’elle débouch
5111
ans sa perte ! En lui opposant toutes les raisons
de
la terre, et les conseils de tous nos arts de vivre, quand c’est la t
5112
t toutes les raisons de la terre, et les conseils
de
tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la
5113
ons de la terre, et les conseils de tous nos arts
de
vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la fa
5114
e tuer autrement qu’il ne veut l’être, c’est bien
de
cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion.
5115
trement qu’il ne veut l’être, c’est bien de cela,
de
cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion. Quant à s
5116
era, c’est son hygiène. Il y a toutes les raisons
de
le prévoir, dans une époque où l’on confond thérapeutique et sotériol
5117
l’on confond thérapeutique et sotériologie (lois
de
l’hygiène et doctrine du salut). À vues humaines, la guérison de nos
5118
doctrine du salut). À vues humaines, la guérison
de
nos passions viendra de l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le po
5119
l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le poids
de
toutes nos fautes, et de la faute initiale de vivre, pour les glorifi
5120
me qui assumera le poids de toutes nos fautes, et
de
la faute initiale de vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom
5121
ids de toutes nos fautes, et de la faute initiale
de
vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom de l’innocence du Peu
5122
i, ici et maintenant, le problème ne comporte pas
d’
échappatoire dans le temps à venir. S’il n’est peut-être pas possible
5123
e pas possible à l’homme — à un homme déterminé —
de
connaître ses propres désirs et de sonder en vérité ses préférences l
5124
me déterminé — de connaître ses propres désirs et
de
sonder en vérité ses préférences les plus secrètes, du moins peut-il
5125
c un parti pris tout personnel que je vais tenter
de
définir maintenant, et après coup, tel que je le reconnais dans ma vi
5126
ce. 2.Critique du mariage Si je ne vois pas
de
raison qui tienne contre la passion véritable, il m’apparaît en secon
5127
meilleurs esprits demeurent absolument valables.
De
tout temps, les raisons du philistin ont eu mauvaise conscience devan
5128
use « paix du foyer » n’existe guère qu’au niveau
d’
une certaine éloquence moyenne, politicienne, bourgeoise ou édifiante.
5129
iale, vous verrez que cela va, neuf fois sur dix,
de
l’agitation des petits soins à la criaillerie délirante. Enregistrez
5130
délirante. Enregistrez sur disque, au hasard, un
de
ces entretiens « paisibles » qui agrémentent le « foyer domestique »
5131
isibles » qui agrémentent le « foyer domestique »
d’
un bourgeois ou d’un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se
5132
mentent le « foyer domestique » d’un bourgeois ou
d’
un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se justifier. Oui, l
5133
larent au nom de leur vocation qu’il faut choisir
de
faire des livres ou des enfants : aut liberi aut libri disait Nietzsc
5134
e étant la suprême valeur du « stade esthétique »
de
la vie ; puis la surmonte en exaltant le mariage, suprême valeur du «
5135
et le romantique, et leur donner raison au point
de
leur faire honte d’avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin il
5136
t leur donner raison au point de leur faire honte
d’
avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin il n’écrase pas seulem
5137
u point de leur faire honte d’avoir parfois douté
d’
eux-mêmes ; mais à la fin il n’écrase pas seulement ce philistin qui s
5138
écrase pas seulement ce philistin qui se contente
d’
épouser la veuve du brasseur, ou ce jeune fou qui aime la fille du roi
5139
re leur moralisme ; et les croyants aux arguments
de
saint Paul, qui valent contre leur humanisme. Que dit l’Apôtre ? Je
5140
t l’Apôtre ? Je pense qu’il est bon pour l’homme
de
ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que c
5141
se qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher
de
femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme,
5142
rps, mais c’est la femme. Ne vous privez pas l’un
de
l’autre, si ce n’est d’un commun accord pour un temps, afin de vaquer
5143
. Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est
d’
un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis reto
5144
n de vaquer à la prière ; puis retournez ensemble
de
peur que Satan ne vous tente par votre incontinence. Je dis cela par
5145
ais pas un ordre… Car il vaut mieux se marier que
de
brûler… Que chacun marche selon la part que le Seigneur lui a faite,
5146
Seigneur lui a faite, selon l’appel qu’il a reçu
de
Dieu… Que chacun, frères, demeure devant Dieu dans l’état où il était
5147
sant du monde comme n’en usant pas, car la figure
de
ce monde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup de grâce : Cel
5148
onde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup
de
grâce : Celui qui n’est pas marié s’inquiète des choses du Seigneur,
5149
rié s’inquiète des choses du Seigneur, des moyens
de
plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du m
5150
marié s’inquiète des choses du monde, des moyens
de
plaire à sa femme. (v. 32). ⁂ Tout ce qu’on peut dire contre le mari
5151
r, pour ceux qui croient. Il n’est possible alors
d’
affirmer le mariage qu’au-delà des deux premières critiques et en chem
5152
intenant sans cesse présente l’exigence inhumaine
de
perfection, comme une question perpétuelle, un aiguillon qui empêche
5153
ne question perpétuelle, un aiguillon qui empêche
de
retomber sous le coup des objections humaines. Si j’oublie cet au-del
5154
s. Si j’oublie cet au-delà du mariage, mais aussi
de
tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume de Dieu (« Il n’y aura pl
5155
si de tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume
de
Dieu (« Il n’y aura plus ni hommes ni femmes »), je borne ma vision e
5156
il ne me reste que la révolte contre ma condition
de
créature ; et au contraire, si je l’atteins trop aisément, je deviend
5157
ris dans les rets sociaux, et incapable désormais
de
concevoir les vérités « cruelles » de l’esprit, dont parle Nietzsche.
5158
e désormais de concevoir les vérités « cruelles »
de
l’esprit, dont parle Nietzsche. Mais si je sais que l’Apôtre a raison
5159
ision Si l’on songe à ce que signifie le choix
d’
une femme pour toute la vie, l’on en vient à cette conclusion : choisi
5160
populaire et bourgeoise recommande au jeune homme
de
« réfléchir » avant de prendre une décision : elle l’entretient ainsi
5161
e l’entretient ainsi dans l’illusion que le choix
d’
une femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible
5162
i dans l’illusion que le choix d’une femme dépend
d’
un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette err
5163
e le choix d’une femme dépend d’un certain nombre
de
raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est
5164
n certain nombre de raisons qu’il serait possible
de
peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous aurez
5165
est tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter
de
mettre au départ toutes les chances de votre côté — et je suppose que
5166
eau tenter de mettre au départ toutes les chances
de
votre côté — et je suppose que la vie vous laisse le temps de calcule
5167
é — et je suppose que la vie vous laisse le temps
de
calculer — jamais vous ne pourrez prévoir votre future évolution, et
5168
oir votre future évolution, et encore moins celle
de
l’épouse choisie, encore bien moins celle du couple formé. Les facteu
5169
si leur nombre était fini) et que vous disposiez
d’
une telle science de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et
5170
t fini) et que vous disposiez d’une telle science
de
l’humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évi
5171
e évidente, encore ne sauriez-vous prévoir la fin
d’
une union faite en connaissance de causes. Il a fallu, dit-on, des mil
5172
prévoir la fin d’une union faite en connaissance
de
causes. Il a fallu, dit-on, des millénaires à la nature pour sélectio
5173
araissent adaptées. Et nous aurions la prétention
de
résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de
5174
aptées. Et nous aurions la prétention de résoudre
d’
un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres p
5175
résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème
de
l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement org
5176
up, en une seule vie, le problème de l’adaptation
de
deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est
5177
qu’un troisième essai le rapprochera sensiblement
de
son « bonheur ». Alors que tout nous montre que cent-mille essais ne
5178
remiers éléments, tout balbutiants et empiriques,
d’
une science du « mariage heureux ».) Il faut le reconnaître honnêtemen
5179
osé par la nécessité pratique du mariage apparaît
d’
autant plus insoluble que l’on tient davantage à le « résoudre » au se
5180
ent davantage à le « résoudre » au sens rationnel
de
ce terme. Certes, il y a du sophisme dans mon raisonnement : car tout
5181
ophisme dans mon raisonnement : car tout se passe
d’
ordinaire comme si le bonheur des époux dépendait en réalité d’un nomb
5182
omme si le bonheur des époux dépendait en réalité
d’
un nombre fini de facteurs : caractère, beauté, fortune, rang social…
5183
r des époux dépendait en réalité d’un nombre fini
de
facteurs : caractère, beauté, fortune, rang social… Mais pour peu que
5184
ncite les jeunes fiancés à calculer leurs chances
de
bonheur, on détourne leur attention du problème proprement éthique. E
5185
ention du problème proprement éthique. En tentant
de
réduire ou de dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement
5186
lème proprement éthique. En tentant de réduire ou
de
dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement un choix de c
5187
tentant de réduire ou de dissimuler le caractère
de
pari que revêt objectivement un choix de cet ordre, on donne à croire
5188
aractère de pari que revêt objectivement un choix
de
cet ordre, on donne à croire que tout se ramène à une sagesse, à un s
5189
e qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler
d’
une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la
5190
Et la seule garantie concevable est dans la force
de
la décision en vertu de laquelle on s’engage pour toute la vie « advi
5191
esure où l’on se persuade qu’il s’agit avant tout
de
calcul. D’où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mar
5192
on se persuade qu’il s’agit avant tout de calcul.
D’
où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au
5193
plus conforme à l’essence du mariage, et au réel,
d’
enseigner aux jeunes gens que leur choix relève toujours d’une sorte d
5194
er aux jeunes gens que leur choix relève toujours
d’
une sorte d’arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heur
5195
s gens que leur choix relève toujours d’une sorte
d’
arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heureuses ou non
5196
reuses ou non. Ce n’est pas là un éloge du « coup
de
tête » : car tant que l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide
5197
ue l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide
de
s’en priver. Mais je dis que la garantie d’une union raisonnable dans
5198
upide de s’en priver. Mais je dis que la garantie
d’
une union raisonnable dans les apparences n’est jamais dans ces appare
5199
apparences. Elle est dans l’événement irrationnel
d’
une décision prise en dépit de tout, et qui fonde une nouvelle existen
5200
n’est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal
de
mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l’Iseut
5201
êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie
d’
une dot adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là me
5202
il faut n’avoir connu que peu de solitude et peu
d’
angoisse, très peu de solitaire angoisse.) Seule une décision de cet o
5203
ès peu de solitaire angoisse.) Seule une décision
de
cet ordre, irrationnelle mais non sentimentale, sobre mais sans aucun
5204
ntale, sobre mais sans aucun cynisme, peut servir
de
point de départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidéli
5205
bre mais sans aucun cynisme, peut servir de point
de
départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui so
5206
je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette
de
« bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’étant pas
5207
lité On fausse l’éthique du mariage en faisant
de
la promesse de fidélité un problème, alors que le problème ne devrait
5208
se l’éthique du mariage en faisant de la promesse
de
fidélité un problème, alors que le problème ne devrait se poser qu’à
5209
e on fausse la théologie en partant du « problème
de
Dieu » — exactement comme si l’on ne croyait pas — alors que le seul
5210
croyait pas — alors que le seul vrai problème est
de
savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle
5211
le n’est pas — comme tout ce qui porte une chance
de
grandeur. (Comme la passion !) Les moralistes et certains sociologues
5212
Les moralistes et certains sociologues ont essayé
de
prouver que la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est saluta
5213
la raison et l’intérêt : quand ils n’auront plus
de
passions, quand ils cesseront de préférer l’erreur comme telle, quand
5214
ls n’auront plus de passions, quand ils cesseront
de
préférer l’erreur comme telle, quand ils cesseront de mériter cet inq
5215
référer l’erreur comme telle, quand ils cesseront
de
mériter cet inquiétant nom d’homme, au sens actuel. Car pour ceux du
5216
quand ils cesseront de mériter cet inquiétant nom
d’
homme, au sens actuel. Car pour ceux du siècle présent, je pense que l
5217
leur langage, la fidélité conjugale est le succès
d’
un effort « inhumain ». Leur revendication fondamentale, leur religion
5218
». Leur revendication fondamentale, leur religion
de
la Vie, s’y oppose diamétralement. Ils considèrent la fidélité comme
5219
stention prudente… Ou encore ils y voient l’effet
d’
une impuissance à vivre largement, d’un goût mesquin pour le confort e
5220
ient l’effet d’une impuissance à vivre largement,
d’
un goût mesquin pour le confort et le conforme ; d’un défaut d’imagina
5221
’un goût mesquin pour le confort et le conforme ;
d’
un défaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’in
5222
quin pour le confort et le conforme ; d’un défaut
d’
imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordid
5223
fort et le conforme ; d’un défaut d’imagination ;
d’
une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordide… L’habitude de
5224
éfaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ;
d’
un calcul d’intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acqu
5225
ination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul
d’
intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acquise, c’est d
5226
habitude des modernes, leur nature acquise, c’est
d’
exploiter chaque situation au maximum et pour elle-même, sans plus se
5227
jouissance qu’on en tire. Seul un respect acquis
de
l’ordre social soutient encore, en fait, l’idée de fidélité. Mais l’o
5228
e l’ordre social soutient encore, en fait, l’idée
de
fidélité. Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne de tous les
5229
. Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne
de
tous les côtés. Voyez les excuses invoquées par le mari qui trompe sa
5230
trompe sa femme ; il dit tantôt : « Cela n’a pas
d’
importance, cela ne change rien à nos rapports, c’est une passade, une
5231
rtant que toutes vos petites morales et garanties
de
bonheur bourgeois ! » Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas
5232
» Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas
de
contradiction profonde, nous l’avons vu198. Dans les deux cas, il s’a
5233
nous l’avons vu198. Dans les deux cas, il s’agit
de
s’évader hors de tout engagement concret, considéré comme une odieuse
5234
gie rationaliste ou hédoniste, je ne parlerai que
d’
une fidélité observée en vertu de l’absurde, parce qu’on s’y est engag
5235
e commune en la valeur révélatrice du spontané et
de
la multiplicité des expériences. Elle nie que l’être aimé doive réuni
5236
être ou pour rester aimable, le plus grand nombre
de
qualités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur
5237
nombre de qualités possible. Elle nie que le but
de
la fidélité soit le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c’est a
5238
t tout l’obéissance, et en second lieu la volonté
de
faire une œuvre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce de cons
5239
vre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce
de
conservatisme. Elle est plutôt une construction. « Absurde » au moins
5240
au moins autant que la passion, elle se distingue
de
la passion par un refus constant de subir ses rêves, par un besoin co
5241
se distingue de la passion par un refus constant
de
subir ses rêves, par un besoin constant d’agir pour l’être aimé, par
5242
nstant de subir ses rêves, par un besoin constant
d’
agir pour l’être aimé, par une constante prise sur le réel, qu’elle ch
5243
le s’édifie à la manière d’une œuvre, à la faveur
d’
une œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à
5244
osent un parti pris199, une attitude fondamentale
de
créateur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse de fidélité int
5245
teur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse
de
fidélité introduit une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan
5246
vie, la promesse de fidélité introduit une chance
de
faire œuvre, et de s’élever au plan de la personne. (À condition bien
5247
fidélité introduit une chance de faire œuvre, et
de
s’élever au plan de la personne. (À condition bien entendu que cette
5248
une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan
de
la personne. (À condition bien entendu que cette promesse ne soit pas
5249
as faite pour des « raisons » que l’on se réserve
de
répudier un jour, quand elles cesseront de paraître raisonnables ! Si
5250
éserve de répudier un jour, quand elles cesseront
de
paraître raisonnables ! Si la promesse du mariage est le type même de
5251
bles ! Si la promesse du mariage est le type même
de
l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est faite une fois pour
5252
e la plus déshéritée, détient sa chance immédiate
de
grandeur, et c’est dans la fidélité a absurde » qu’elle pourra la réa
5253
r : quand il y aurait toutes les raisons du monde
de
dire oui à cette passion éblouissante, — dire non en vertu de l’absur
5254
u de l’absurde, en vertu d’une promesse ancienne,
d’
une déraison humaine, d’une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu
5255
d’une promesse ancienne, d’une déraison humaine,
d’
une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et pe
5256
se ancienne, d’une déraison humaine, d’une raison
de
foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus
5257
nne, d’une déraison humaine, d’une raison de foi,
d’
une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus tard, a
5258
compense la perte : nous sommes ici dans un ordre
de
grandeur où nos mesures et nos équivalences n’ont plus cours.) Mais s
5259
-nous encore imaginer une grandeur qui n’ait rien
de
romantique ? Et qui soit le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidél
5260
ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire
d’
une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une folie, mais la
5261
lie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie
de
sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’est pas un héroïsme
5262
tiente et tendre application. Le contraire absolu
de
toute littérature, de tout lyrisme, au sens moderne de ces mots… ⁂ Ce
5263
cation. Le contraire absolu de toute littérature,
de
tout lyrisme, au sens moderne de ces mots… ⁂ Cependant, tout n’est pa
5264
ute littérature, de tout lyrisme, au sens moderne
de
ces mots… ⁂ Cependant, tout n’est pas encore clair. Tristan lui aussi
5265
èle. (Pour ne rien dire des successives fidélités
de
nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des
5266
des successives fidélités de nos « liaisons », et
de
tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti). O
5267
reconnu dans sa femme une Iseut ? Lorsque l’amant
de
la légende manichéenne a traversé les grandes épreuves d’initiation,
5268
gende manichéenne a traversé les grandes épreuves
d’
initiation, souvenez-vous de la « jeune fille éblouissante » qui l’acc
5269
les grandes épreuves d’initiation, souvenez-vous
de
la « jeune fille éblouissante » qui l’accueille par ces paroles : « J
5270
le par ces paroles : « Je suis toi-même ! » Ainsi
de
la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un narcissisme mystique, m
5271
is toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et
de
Tristan. C’est un narcissisme mystique, mais qui s’ignore, naturellem
5272
an n’aime pas Iseut mais l’amour même, et au-delà
de
cet amour, la mort, c’est-à-dire la seule délivrance du moi coupable
5273
us profonde et secrète passion. Le mythe s’empare
de
l’« instinct de mort » inséparable de toute vie créée, et il le trans
5274
ecrète passion. Le mythe s’empare de l’« instinct
de
mort » inséparable de toute vie créée, et il le transfigure en lui do
5275
he s’empare de l’« instinct de mort » inséparable
de
toute vie créée, et il le transfigure en lui donnant un but essentiel
5276
re, mépriser son bonheur, c’est alors une manière
de
se sauver et d’accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Is
5277
bonheur, c’est alors une manière de se sauver et
d’
accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Isolde agonisante.
5278
accéder à une vie supérieure, la « joie suprême »
d’
Isolde agonisante. Fidélité qui consume la vie, mais qui consume aussi
5279
faute, et divinise un moi purifié, « innocent » !
De
ces origines mystiques, la « fidélité passionnée » n’a gardé parmi no
5280
passionnée » n’a gardé parmi nous que l’illusion
d’
accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire de cette illusion trahit
5281
n d’accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire
de
cette illusion trahit encore l’obscure survivance de la religion prim
5282
cette illusion trahit encore l’obscure survivance
de
la religion primitive. Religion antérieure à notre « instinct » moder
5283
nstinct » moderne, et qui détient l’intime secret
de
la passion, au-delà de ce que les psychologues peuvent y lire. « Notr
5284
ui détient l’intime secret de la passion, au-delà
de
ce que les psychologues peuvent y lire. « Notre engagement n’était pa
5285
nt à sa fiancée perdue. C’est l’émouvante formule
de
la fidélité courtoise ; une négation sans retour de la vie. Mais la f
5286
la fidélité courtoise ; une négation sans retour
de
la vie. Mais la fidélité dans le mariage est au contraire un engageme
5287
engagement absolument pris pour ce monde. Partant
d’
une déraison « mystique » (si l’on veut), indifférente, sinon hostile
5288
aime voue sa fidélité. Et tandis que la fidélité
de
Tristan était un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la
5289
de Tristan était un perpétuel refus, une volonté
d’
exclure et de nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde
5290
tait un perpétuel refus, une volonté d’exclure et
de
nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde d’envahir l’â
5291
exclure et de nier la création dans sa diversité,
d’
empêcher le monde d’envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil
5292
a création dans sa diversité, d’empêcher le monde
d’
envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil de la créature, la
5293
nvahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil
de
la créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est, dans son in
5294
es époux est l’accueil de la créature, la volonté
d’
accepter l’autre tel qu’il est, dans son intime singularité. Insistons
5295
t ; elle ne peut être qu’une action. Se contenter
de
ne pas tromper sa femme serait une preuve d’indigence et non d’amour.
5296
nter de ne pas tromper sa femme serait une preuve
d’
indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bi
5297
per sa femme serait une preuve d’indigence et non
d’
amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’être aimé,
5298
r. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien
de
l’être aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle
5299
l’autre, que le moi rejoint sa personne — au-delà
de
son propre bonheur. Ainsi la personne des époux est une mutuelle créa
5300
tuelle création, elle est le double aboutissement
de
« l’amour-action ». Ce qui niait l’individu et son naturel égoïsme, c
5301
uvrira que la fidélité dans le mariage est la loi
d’
une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la poly
5302
iage est la loi d’une vie nouvelle ; et non point
de
la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pou
5303
naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus
de
la vie pour la mort (c’était la passion de Tristan). L’amour fidèle d
5304
n plus de la vie pour la mort (c’était la passion
de
Tristan). L’amour fidèle de Tristan détruisait son bonheur et sa vie
5305
t (c’était la passion de Tristan). L’amour fidèle
de
Tristan détruisait son bonheur et sa vie pour témoigner en faveur de
5306
dans le mariage chrétien témoigne que la volonté
de
Dieu, même quand elle ruine notre bonheur, est salutaire. L’amour de
5307
elle ruine notre bonheur, est salutaire. L’amour
de
Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissem
5308
tre bonheur, est salutaire. L’amour de Tristan et
d’
Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissement suprême, c
5309
L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse
d’
être deux ; et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illi
5310
les visages, les destins singuliers : « Non plus
d’
Isolde, plus de Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut qu
5311
es destins singuliers : « Non plus d’Isolde, plus
de
Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse
5312
nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse
d’
être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir
5313
être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse
de
me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus que « moi-le-monde » ! Mais
5314
i-le-monde » ! Mais l’amour du mariage est la fin
de
l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’il m’appell
5315
u mariage est la fin de l’angoisse, l’acceptation
de
l’être limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tou
5316
(Il y a toujours une telle menace dans l’échange
de
plaisir d’une « liaison ».) Mais combien d’hommes savent-ils la diffé
5317
ujours une telle menace dans l’échange de plaisir
d’
une « liaison ».) Mais combien d’hommes savent-ils la différence entre
5318
hange de plaisir d’une « liaison ».) Mais combien
d’
hommes savent-ils la différence entre une obsession que l’on subit et
5319
sume ? 5.Éros sauvé par Agapè Alors l’amour
de
charité, l’amour chrétien, qui est Agapè, paraît enfin dans sa pleine
5320
fin dans sa pleine stature : il est l’affirmation
de
l’être. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a répandu
5321
i a répandu dans notre monde occidental le poison
de
l’ascèse idéaliste — tout ce qu’un Nietzsche injustement reproche au
5322
, et non pas Agapè, qui a glorifié notre instinct
de
mort, et qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge d’Éros en l
5323
qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge
d’
Éros en le sauvant. Car Agapè ne sait pas détruire et ne veut pas même
5324
la mort parce qu’il veut exalter la vie au-dessus
de
notre condition finie et limitée de créatures. Ainsi le même mouvemen
5325
vie au-dessus de notre condition finie et limitée
de
créatures. Ainsi le même mouvement qui fait que nous adorons la vie n
5326
négation. C’est la profonde misère, le désespoir
d’
Éros, sa servitude inexprimable : — en l’exprimant, Agapè l’en délivre
5327
que la vie terrestre et temporelle ne mérite pas
d’
être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à
5328
à la mort. Mais l’homme qui croit à la révélation
de
l’Agapè voit soudain le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi d
5329
in le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi
de
sa religion naturelle. Il peut maintenant espérer autre chose, il sai
5330
hé. Et voici que l’Éros à son tour se voit relevé
de
sa fonction mortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’être
5331
se voit relevé de sa fonction mortelle et délivré
de
son destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’être un démon
5332
ortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse
d’
être un dieu, il cesse d’être un démon 200. Et il retrouve sa juste pl
5333
destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse
d’
être un démon 200. Et il retrouve sa juste place dans l’économie provi
5334
etrouve sa juste place dans l’économie provisoire
de
la Création, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire
5335
place dans l’économie provisoire de la Création,
de
l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire un dieu de l’Éro
5336
n, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que
de
faire un dieu de l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus d
5337
e païen ne pouvait autrement que de faire un dieu
de
l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus dangereux et le pl
5338
plus mystérieux, le plus profondément lié au fait
de
vivre. Toutes les religions païennes divinisent le Désir. Toutes cher
5339
devient aussitôt, et par là même, le pire ennemi
de
la vie, la séduction du Rien. Mais dès lors que le Verbe s’est fait c
5340
eu qui l’a aimé le premier, et qui s’est approché
de
lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus haut, dans l’ascensio
5341
e du désir ? Cela seulement : qu’il nous détourne
d’
obéir. Mais il perd sa puissance absolue quand nous cessons de le divi
5342
s il perd sa puissance absolue quand nous cessons
de
le diviniser. Et c’est ce qu’atteste l’expérience de la fidélité dans
5343
le diviniser. Et c’est ce qu’atteste l’expérience
de
la fidélité dans le mariage. Car cette fidélité se fonde justement su
5344
é se fonde justement sur le refus initial et juré
de
« cultiver » les illusions de la passion, de leur rendre un culte sec
5345
fus initial et juré de « cultiver » les illusions
de
la passion, de leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mysté
5346
juré de « cultiver » les illusions de la passion,
de
leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît
5347
de la passion, de leur rendre un culte secret, et
d’
en attendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai de le faire con
5348
e secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît
de
vie. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen d’un fait connu.
5349
tendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai
de
le faire concevoir par l’examen d’un fait connu. Le christianisme a p
5350
e. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen
d’
un fait connu. Le christianisme a proclamé l’égalité parfaite des sexe
5351
a proclamé l’égalité parfaite des sexes, et cela
de
la manière la plus précise : La femme n’a pas autorité sur son propr
5352
t la femme. (I. Cor., 7.) La femme étant l’égale
de
l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme »201. En même tem
5353
égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but
de
l’homme »201. En même temps, elle échappe à l’abaissement bestial qui
5354
abaissement bestial qui tôt ou tard est la rançon
d’
une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne doit pas être e
5355
qui tôt ou tard est la rançon d’une divinisation
de
la créature. Mais cette égalité ne doit pas être entendue au sens mod
5356
moderne et revendicateur. Elle procède du mystère
de
l’amour. Elle n’est que le signe et la démonstration du triomphe d’Ag
5357
’est que le signe et la démonstration du triomphe
d’
Agapè sur Éros. Car l’amour réellement réciproque exige et crée l’égal
5358
our réellement réciproque exige et crée l’égalité
de
ceux qui s’aiment. Dieu manifeste son amour pour l’homme en exigeant
5359
t saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne
de
son amour pour une femme en la traitant comme une personne humaine to
5360
une personne humaine totale, — non comme une fée
de
la légende, mi-déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons de c
5361
déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons
de
ces prémisses générales à la psychologie la plus concrète de la relat
5362
isses générales à la psychologie la plus concrète
de
la relation des égaux. L’exercice de la fidélité envers une femme acc
5363
lus concrète de la relation des égaux. L’exercice
de
la fidélité envers une femme accoutume à considérer les autres femmes
5364
ne femme accoutume à considérer les autres femmes
d’
une manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde de l’Éros : comme
5365
e manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde
de
l’Éros : comme des personnes, non plus comme des reflets ou des objet
5366
xercice spirituel » développe des facultés neuves
de
jugement, de possession de soi et de respect202. Au contraire de l’ho
5367
tuel » développe des facultés neuves de jugement,
de
possession de soi et de respect202. Au contraire de l’homme érotique,
5368
pe des facultés neuves de jugement, de possession
de
soi et de respect202. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la
5369
ultés neuves de jugement, de possession de soi et
de
respect202. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la fidélité
5370
ect202. Au contraire de l’homme érotique, l’homme
de
la fidélité ne cherche plus à voir dans une femme seulement ce corps
5371
ent, à peine tenté, le mystère difficile et grave
d’
une existence autonome, étrangère, d’une vie totale dont il n’a désiré
5372
ile et grave d’une existence autonome, étrangère,
d’
une vie totale dont il n’a désiré vraiment qu’un illusoire ou fugitif
5373
dité qu’elle développe. L’empire du mythe faiblit
d’
autant ; et s’il reste improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser
5374
e improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser
de
traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué d’images, — du moin
5375
olisse jamais sans laisser de traces dans le cœur
d’
un homme moderne, intoxiqué d’images, — du moins perd-il son efficace
5376
traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué
d’
images, — du moins perd-il son efficace : ce n’est plus lui qui déterm
5377
up de foudre », et encore moins à la « fatalité »
de
la passion. Le « coup de foudre » est sans doute une légende accrédit
5378
de accréditée par Don Juan, comme la « fatalité »
de
la passion est accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent
5379
rompé, parce qu’il y trouve son intérêt ; figures
de
rhétorique romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il serait a
5380
ables à ce titre, mais qu’il serait assez absurde
de
confondre avec des vérités psychologiques. Notre analyse du mythe nou
5381
i l’on aime croire à la fatalité, qui est l’alibi
de
la culpabilité : « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute, je n’y ét
5382
ce de ma personne. » Pieux mensonge203 du servant
d’
Éros. Mais de combien de complaisances secrètes se compose une « fatal
5383
onne. » Pieux mensonge203 du servant d’Éros. Mais
de
combien de complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant
5384
ux mensonge203 du servant d’Éros. Mais de combien
de
complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant au coup de
5385
coup de foudre, il est censé justifier les écarts
de
Don Juan. Toute la littérature nous engage à y voir la preuve d’une t
5386
ute la littérature nous engage à y voir la preuve
d’
une très puissante nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups de fo
5387
nte nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups
de
foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de su
5388
nsuelle. Don Juan, l’homme des coups de foudre et
de
la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe
5389
oudre et de la vie « orageuse », serait une sorte
de
surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine l
5390
a vie « orageuse », serait une sorte de surhomme,
de
surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine les contingenc
5391
, serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe
d’
une puissance indéfinie et qui domine les contingences morales. Mais a
5392
s, on peut être certain qu’un pareil mythe est né
de
la rêverie des impuissants. Et en effet, la conduite de Don Juan est
5393
rêverie des impuissants. Et en effet, la conduite
de
Don Juan est bien typique d’une certaine déficience sexuelle. C’est d
5394
n effet, la conduite de Don Juan est bien typique
d’
une certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de fatigue général
5395
e certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état
de
fatigue générale, et sexuellement localisée, que le corps se voit por
5396
iots. Par contre, dans un état normal du corps et
de
l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il appa
5397
un état normal du corps et de l’esprit, le risque
de
coup de foudre est à peu près éliminé. Il apparaît ainsi que la monog
5398
st la meilleure garantie du plaisir, c’est-à-dire
de
l’Éros purement charnel, et non du tout divinisé204. ⁂ On objecte alo
5399
rs que le mariage ne serait plus que le « tombeau
de
l’amour ». Mais c’est encore le mythe, naturellement, qui nous le fai
5400
ment, qui nous le fait croire, avec son obsession
de
l’amour contrarié. Il serait plus vrai de dire après M. Croce que « l
5401
session de l’amour contrarié. Il serait plus vrai
de
dire après M. Croce que « le mariage est le tombeau de l’amour sauvag
5402
re après M. Croce que « le mariage est le tombeau
de
l’amour sauvage »205 (et plus communément du sentimentalisme). L’amou
5403
uvage et naturel se manifeste par le viol, preuve
d’
amour chez tous les barbares. Mais le viol, comme la polygamie, révèle
5404
ie, révèle que l’homme n’est pas encore en mesure
de
concevoir la réalité de la personne chez la femme. C’est autant dire
5405
’est pas encore en mesure de concevoir la réalité
de
la personne chez la femme. C’est autant dire qu’il ne sait pas encore
5406
e aimer. Le viol et la polygamie privent la femme
de
sa qualité d’égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépe
5407
ol et la polygamie privent la femme de sa qualité
d’
égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépersonnalise les
5408
omine, ce n’est pas faute de « passion » (au sens
de
tempérament) mais c’est qu’il aime, justement, et qu’en vertu de cet
5409
justement, et qu’en vertu de cet amour, il refuse
de
s’imposer, il se refuse à une violence qui nie et détruit la personne
5410
sonne. Il prouve ainsi qu’il veut d’abord le bien
de
l’autre. Son égoïsme passe par l’autre. On admettra que c’est une rév
5411
t dépasser la formule toute négative et privative
de
Croce, et définir enfin le mariage comme cette institution qui contie
5412
r la morale, mais par l’amour. 6.Les paradoxes
de
l’Occident Ces quelques remarques sur la passion et le mariage met
5413
iage mettent en lumière l’opposition fondamentale
de
l’Éros et de l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputen
5414
en lumière l’opposition fondamentale de l’Éros et
de
l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputent notre Occid
5415
qui se disputent notre Occident. La connaissance
de
ce conflit, de ses origines historiques et psychologiques, de son enj
5416
nt notre Occident. La connaissance de ce conflit,
de
ses origines historiques et psychologiques, de son enjeu spirituel, m
5417
t, de ses origines historiques et psychologiques,
de
son enjeu spirituel, me paraît devoir entraîner la révision d’un cert
5418
spirituel, me paraît devoir entraîner la révision
d’
un certain nombre de jugements courants, dans le domaine de l’éthique
5419
devoir entraîner la révision d’un certain nombre
de
jugements courants, dans le domaine de l’éthique d’abord, mais aussi
5420
ain nombre de jugements courants, dans le domaine
de
l’éthique d’abord, mais aussi dans celui de la culture et de sa philo
5421
maine de l’éthique d’abord, mais aussi dans celui
de
la culture et de sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira
5422
e d’abord, mais aussi dans celui de la culture et
de
sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute de dég
5423
elui de la culture et de sa philosophie. Au terme
de
cet ouvrage, il suffira sans doute de dégager le principe de correcti
5424
e. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute
de
dégager le principe de correction que nos recherches sur la passion p
5425
age, il suffira sans doute de dégager le principe
de
correction que nos recherches sur la passion peuvent établir. ⁂ Les O
5426
y voient l’héritage du christianisme et le secret
de
notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme,
5427
namisme, correspondent aux trois traits dominants
de
la psyché occidentale. De là vient l’impression d’évidence qu’entraîn
5428
trois traits dominants de la psyché occidentale.
De
là vient l’impression d’évidence qu’entraînent de pareils jugements.
5429
e la psyché occidentale. De là vient l’impression
d’
évidence qu’entraînent de pareils jugements. Cependant, si les conclus
5430
De là vient l’impression d’évidence qu’entraînent
de
pareils jugements. Cependant, si les conclusions de notre examen du m
5431
pareils jugements. Cependant, si les conclusions
de
notre examen du mythe courtois sont justes, il faudra corriger sensib
5432
justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma
de
l’Occident chrétien. Tout d’abord : ce n’est pas le christianisme qui
5433
a fait naître la passion, mais c’est une hérésie
d’
origine orientale. Cette hérésie s’est répandue d’abord dans les contr
5434
ous-produit du christianisme » ou le « changement
d’
adresse d’une force que le christianisme a réveillée et orientée vers
5435
t du christianisme » ou le « changement d’adresse
d’
une force que le christianisme a réveillée et orientée vers Dieu »206.
5436
tée vers Dieu »206. Il est plutôt le sous-produit
de
la religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité
5437
religion manichéenne. Plus exactement, il est né
de
la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyances, et
5438
enne. Plus exactement, il est né de la complicité
de
cette religion avec nos plus vieilles croyances, et du conflit de l’h
5439
n avec nos plus vieilles croyances, et du conflit
de
l’hérésie qui en résulta avec l’orthodoxie chrétienne. Première corre
5440
avec l’orthodoxie chrétienne. Première correction
d’
importance. Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynamis
5441
e correction d’importance. Ensuite, il est urgent
de
rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de deux sourc
5442
er que le fameux « dynamisme occidental » procède
de
deux sources distinctes. Si c’est notre délire guerrier que l’on ente
5443
ner par ce terme, nous avons vu qu’il se rattache
de
la manière la plus précise, historiquement, à la passion. Comme la pa
5444
iquement, à la passion. Comme la passion, le goût
de
la guerre procède d’une conception de la vie ardente qui est un masqu
5445
n. Comme la passion, le goût de la guerre procède
d’
une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. D
5446
on, le goût de la guerre procède d’une conception
de
la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti,
5447
tion de la vie ardente qui est un masque du désir
de
mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Mais l’autre aspect du d
5448
itude humaine qu’il révèle est l’antithèse exacte
de
la passion : c’est une affirmation de la valeur des choses créées, de
5449
hèse exacte de la passion : c’est une affirmation
de
la valeur des choses créées, de la matière, et une application de l’e
5450
t une affirmation de la valeur des choses créées,
de
la matière, et une application de l’esprit au monde visible. La passi
5451
choses créées, de la matière, et une application
de
l’esprit au monde visible. La passion ni la foi hérétique dont elle e
5452
raient proposer comme but à notre vie la maîtrise
de
la Nature, puisque c’est là le but et la fonction originelle du Démiu
5453
le du Démiurge, et puisque le salut est justement
d’
échapper à sa loi démoniaque207. Faut-il voir à la source de cet aspec
5454
à sa loi démoniaque207. Faut-il voir à la source
de
cet aspect le plus réel de l’activisme européen une sorte de tempéram
5455
ut-il voir à la source de cet aspect le plus réel
de
l’activisme européen une sorte de tempérament continental ? Ou quelqu
5456
ct le plus réel de l’activisme européen une sorte
de
tempérament continental ? Ou quelque influence indirecte de l’ambitio
5457
ment continental ? Ou quelque influence indirecte
de
l’ambition chrétienne définie par l’Apôtre (Romains, 8), et qui tendr
5458
ve, troublée par le péché ? La volonté chrétienne
de
transformer le pécheur dans son âme et dans sa conduite a entraîné en
5459
et dans sa conduite a entraîné en Occident l’idée
de
transformer le milieu humain (d’où le mythe de la révolution), et l’i
5460
Occident l’idée de transformer le milieu humain (
d’
où le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu natu
5461
ée de transformer le milieu humain (d’où le mythe
de
la révolution), et l’idée de transformer le milieu naturel (d’où la t
5462
umain (d’où le mythe de la révolution), et l’idée
de
transformer le milieu naturel (d’où la technique). Reste à savoir si
5463
ion), et l’idée de transformer le milieu naturel (
d’
où la technique). Reste à savoir si le christianisme, accueilli par le
5464
ais la réponse n’importe pas ici : il nous suffit
de
marquer que les éléments occidentaux-chrétiens (c’est-à-dire créateur
5465
ntés par une volonté exactement contraire à celle
de
la passion. Ce qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit de f
5466
qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit
de
fait une fatale erreur dans l’activisme moderne, c’est la collusion d
5467
reur dans l’activisme moderne, c’est la collusion
de
la guerre et de notre génie technique. À partir de la Révolution, la
5468
visme moderne, c’est la collusion de la guerre et
de
notre génie technique. À partir de la Révolution, la guerre devenant
5469
rre devenant « nationale » exige la collaboration
de
toutes les forces créatrices, et en particulier de la technique. C’es
5470
e toutes les forces créatrices, et en particulier
de
la technique. C’est alors la passion (guerrière) qui va devenir le pr
5471
on (guerrière) qui va devenir le principal moteur
de
la recherche mécanique : on l’a bien vu depuis 1915. Mais cette union
5472
is cette union tout à fait monstrueuse des forces
de
mort et des forces créatrices va dénaturer à la fois la guerre et le
5473
épètent tant de publicistes — qui est responsable
de
la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’est pas chrét
5474
nsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique
de
l’Occident n’est pas chrétien208. Il est tout au contraire manichéen.
5475
s cultivé la religion para ou même antichrétienne
de
la passion. ⁂ Faut-il conclure que la passion serait la tentation ori
5476
lure que la passion serait la tentation orientale
de
l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est développée dans notre his
5477
e et xiiie siècles, et par l’impulsion décisive
de
l’hérésie méridionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et de l
5478
ionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et
de
l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos « mo
5479
du Proche-Orient et de l’Iran, sources certaines
de
l’hérésie, que nous sont venues nos « mortelles » croyances. Mais dir
5480
nt pas produit les mêmes effets parmi les peuples
de
l’Orient ? C’est qu’elles n’y ont pas trouvé les mêmes obstacles. Ai
5481
mes obstacles. Ainsi notre chance dramatique est
d’
avoir résisté à la passion par des moyens prédestinés à l’exalter. Tel
5482
és à l’exalter. Telle fut la tentation permanente
d’
où jaillirent nos plus belles créations. Mais ce qui produit la vie pr
5483
un accent se déplace pour que le dynamisme change
de
signe. ⁂ C’est en fin de compte dans l’attitude religieuse des Occide
5484
ccidentaux, et dans l’institution la plus typique
de
leur morale : le mariage, qu’il sera désormais possible de repérer av
5485
orale : le mariage, qu’il sera désormais possible
de
repérer avec assez de précision ce déplacement d’accent dont tout dép
5486
’il sera désormais possible de repérer avec assez
de
précision ce déplacement d’accent dont tout dépend. Il est certain qu
5487
de repérer avec assez de précision ce déplacement
d’
accent dont tout dépend. Il est certain que l’Occidental christianisé
5488
Occidental christianisé se distingue profondément
de
l’Oriental par son pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a
5489
tingue profondément de l’Oriental par son pouvoir
d’
approfondir l’être créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le
5490
pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a
de
particulier. C’est tout le secret de notre fidélité. La sagesse orien
5491
s ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret
de
notre fidélité. La sagesse orientale cherche la connaissance dans l’a
5492
essive du divers. Nous, nous cherchons la densité
de
l’être dans la personne distincte, sans cesse approfondie comme telle
5493
distincte, sans cesse approfondie comme telle. «
D’
autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
5494
t plus nous connaissons les choses particulières,
d’
autant plus nous connaissons Dieu », dit Spinoza. Cette attitude, qui
5495
t, définit en même temps les conditions profondes
de
la fidélité, de la personne, du mariage, — et du refus de la passion.
5496
me temps les conditions profondes de la fidélité,
de
la personne, du mariage, — et du refus de la passion. Elle suppose l’
5497
délité, de la personne, du mariage, — et du refus
de
la passion. Elle suppose l’acceptation du différent, et donc de l’inc
5498
Elle suppose l’acceptation du différent, et donc
de
l’incomplet, la prise sur le concret dans ses limitations. Le chrétie
5499
moderne du mariage est le signe le moins trompeur
d’
une décadence occidentale. Il en est d’autres, certes, dans les domain
5500
s les plus divers : le culte du nombre, la poésie
de
l’évasion, l’envahissement de la culture par les passions nationalist
5501
u nombre, la poésie de l’évasion, l’envahissement
de
la culture par les passions nationalistes : tout ce qui tend à ruiner
5502
appent souvent aux prises individuelles. Le signe
de
la crise du mariage nous parle et nous avertit mieux : aucun n’est pl
5503
otidien, plus intimement vérifiable. 7.Au-delà
de
la tragédie Cet ouvrage, à bien des égards, peut apparaître comme
5504
à bien des égards, peut apparaître comme le bilan
d’
une décadence : mythe dégradé, mariage en crise, formes et conventions
5505
aux domaines où il peut entraîner la destruction
de
notre civilisation. Tout cela est, tout cela nous menace, et d’autant
5506
isation. Tout cela est, tout cela nous menace, et
d’
autant plus qu’on voudrait le nier. Cependant, à plusieurs reprises, l
5507
Cependant, à plusieurs reprises, la connaissance
de
ces périls nous a fait entrevoir des possibilités de les surmonter. P
5508
ces périls nous a fait entrevoir des possibilités
de
les surmonter. Par exemple, il se peut que l’Europe, après une crise
5509
osé qu’elle n’y succombe point), retrouve le sens
d’
une fidélité gagée au moins sur des institutions solides, à la mesure
5510
u moins sur des institutions solides, à la mesure
de
la personne. Il se peut que les excès mêmes de la passion provoquent
5511
re de la personne. Il se peut que les excès mêmes
de
la passion provoquent des résistances, c’est-à-dire des formes nouvel
5512
ais après tout, n’est-ce pas encore une tentation
de
la passion que ce souci des lendemains qui obsède aujourd’hui tant de
5513
monde nous importe bien moins que la connaissance
de
nos devoirs présents. Car « la figure de ce monde passe », mais l’obé
5514
aissance de nos devoirs présents. Car « la figure
de
ce monde passe », mais l’obéissance est toujours hic et nunc, dans l’
5515
’obéissance est toujours hic et nunc, dans l’acte
de
l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes de réflexions, amor
5516
l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes
de
réflexions, amorcés çà et là dans ces pages, pourront en constituer l
5517
t en constituer la conclusion ouverte. J’ai tenté
de
débrouiller certains problèmes posés en termes d’histoire et de psych
5518
certains problèmes posés en termes d’histoire et
de
psychologie : mais les constatations tout objectives auxquelles je me
5519
lemme passion-fidélité peut nous le faire croire.
De
fait, on ne connaît jamais que les problèmes dont on pressent au moin
5520
au moins la solution, le dépassement. Or le moyen
de
dépasser notre dilemme ne saurait être la pure et simple négation de
5521
ilemme ne saurait être la pure et simple négation
de
l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la
5522
e saurait être la pure et simple négation de l’un
de
ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la passion
5523
ncipe, ce serait vouloir supprimer l’un des pôles
de
notre tension créatrice. De fait, cela n’est pas possible. Le philist
5524
primer l’un des pôles de notre tension créatrice.
De
fait, cela n’est pas possible. Le philistin qui « condamne » de la so
5525
n’est pas possible. Le philistin qui « condamne »
de
la sorte et à priori toute passion, c’est qu’il n’en a connu aucune,
5526
e-là le seul progrès concevable est dans la crise
de
sa sécurité, c’est-à-dire dans le drame passionnel (Appendice 11). Ma
5527
le drame passionnel (Appendice 11). Mais au-delà
de
la passion vécue jusqu’à l’impasse mortelle, que pouvons-nous désorma
5528
thèmes que je vais esquisser indiquent deux voies
de
dépassement, dans la ligne de cet ouvrage, mais au-delà du schématism
5529
ndiquent deux voies de dépassement, dans la ligne
de
cet ouvrage, mais au-delà du schématisme inhérent à tout exposé. ⁂ Le
5530
l’événement qui devint pour Kierkegaard le point
de
départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec
5531
nt qui devint pour Kierkegaard le point de départ
de
toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec Régine. La
5532
t de départ de toute sa réflexion, fut la rupture
de
ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette rupture nous de
5533
e de ses fiançailles avec Régine. La cause intime
de
cette rupture nous demeure en partie mystérieuse209 : c’est « le secr
5534
de. Ici l’obstacle indispensable à la passion est
d’
une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’on n
5535
ait en pressentir la gravité sans invoquer la foi
de
Kierkegaard. Selon lui, l’homme fini et pécheur ne saurait entretenir
5536
qui est l’Éternel et le Saint — que des relations
d’
amour mortellement malheureux. « Dieu crée tout ex nihilo » et celui q
5537
le réduire à néant ». Du point de vue du monde et
de
la vie naturelle, Dieu apparaît alors comme « mon ennemi mortel ». No
5538
heurtons ici à l’extrême limite, à l’origine pure
de
la passion, — mais du même coup nous sommes jetés au cœur même de la
5539
mais du même coup nous sommes jetés au cœur même
de
la foi chrétienne ! Car voici : cet homme mort au monde, tué par l’am
5540
ant et vivre dans le monde comme s’il n’avait pas
d’
autre tâche ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier de la foi »,
5541
che ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier
de
la foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien de surhumain : « i
5542
ier de la foi », quand on le rencontre, n’a l’air
de
rien de surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit co
5543
a foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien
de
surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit comme n’im
5544
suite, c’est en vertu de l’absurde (c’est-à-dire
de
la foi). Il fait sans cesse le saut dans l’infini, mais avec une tell
5545
ans le fini, et qu’on ne remarque en lui rien que
de
fini »210… Ainsi l’extrême de la passion, la mort d’amour, initie une
5546
que en lui rien que de fini »210… Ainsi l’extrême
de
la passion, la mort d’amour, initie une vie nouvelle, où la passion n
5547
fini »210… Ainsi l’extrême de la passion, la mort
d’
amour, initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’être présente
5548
, initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse
d’
être présente, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bie
5549
s que royale, elle est divine. Et dans l’analogie
de
la foi, l’on peut alors concevoir que la passion — quel que soit l’or
5550
au-delà réel, et son salut, que par cette action
d’
obéissance qui est la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le mon
5551
que par cette action d’obéissance qui est la vie
de
fidélité. Vivre alors « comme tout le monde », mais « en vertu de l’a
5552
ressaisir » le monde fini que dans la conscience
de
sa perte, infiniment féconde pour son génie ; il ne recouvra pas Régi
5553
; il ne recouvra pas Régine, mais ne cessa jamais
de
l’aimer et de lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cett
5554
ra pas Régine, mais ne cessa jamais de l’aimer et
de
lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre était
5555
Et c’est peut-être que cette œuvre était le lieu
de
sa fidélité la plus réelle. Pourquoi chercher ailleurs que dans la vo
5556
vocation vraiment unique du Solitaire, le secret
de
son échec humain ? D’autres reçoivent une autre vocation, épousent Ré
5557
rtu de l’absurde ». Et ils s’étonnent chaque jour
de
leur bonheur. (Ces choses-là sont trop simples et totales pour qu’un
5558
re la question qu’elles nous posent et la réponse
de
notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’est peut-être pas d
5559
econd thème que j’esquisserai n’est peut-être pas
d’
une nature essentiellement hétérogène. Peut-être même doit-il être con
5560
re conçu comme un aspect particulier du mouvement
de
retour de la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’
5561
omme un aspect particulier du mouvement de retour
de
la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’ascension
5562
assion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet
de
l’ascension spirituelle qu’il nous raconte dans le langage de la plus
5563
on spirituelle qu’il nous raconte dans le langage
de
la plus ardente passion, saint Jean de la Croix connaît que l’âme att
5564
ean de la Croix connaît que l’âme atteint un état
de
présence parfaite à l’objet aimant de l’amour, et c’est ce qu’il nomm
5565
int un état de présence parfaite à l’objet aimant
de
l’amour, et c’est ce qu’il nomme le mariage mystique. L’âme se compor
5566
rte alors à l’endroit de son amour avec une sorte
d’
indifférence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinct
5567
érence quasi divine. Elle est au-delà du doute et
de
la distinction ressentie comme un déchirement ; elle ne désire plus r
5568
ui dans la dualité, qui n’est plus qu’un dialogue
de
grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit a
5569
ualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce et
d’
obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit alors comblé
5570
un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir
de
la plus haute passion se voit alors comblé sans cesse dans l’acte mêm
5571
se voit alors comblé sans cesse dans l’acte même
d’
obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même de consc
5572
même d’obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme
de
brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seulement la sobriété
5573
rte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même
de
conscience de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir.
5574
t plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience
de
l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analog
5575
e de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse
de
l’agir. Dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que la p
5576
t la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analogie
de
la foi, l’on peut alors concevoir que la passion, née du mortel désir
5577
ors concevoir que la passion, née du mortel désir
d’
union mystique, ne saurait être dépassée et accomplie que par la renco
5578
t être dépassée et accomplie que par la rencontre
d’
un autre, par l’admission de sa vie étrangère, de sa personne à tout j
5579
que par la rencontre d’un autre, par l’admission
de
sa vie étrangère, de sa personne à tout jamais distincte, mais qui of
5580
d’un autre, par l’admission de sa vie étrangère,
de
sa personne à tout jamais distincte, mais qui offre une alliance sans
5581
nse, la nostalgie comblée par la présence cessent
d’
appeler un bonheur sensible, cessent de souffrir, acceptent notre jour
5582
ce cessent d’appeler un bonheur sensible, cessent
de
souffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage est possible. Nou
5583
dernière fois pourtant nous reprendrons un parti
de
sobriété. Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’est pas co
5584
ure. Nous sommes sans fin ni cesse dans le combat
de
la nature et de la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux.
5585
sans fin ni cesse dans le combat de la nature et
de
la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horizon
5586
on n’est plus le même. Une fidélité gardée au Nom
de
ce qui ne change pas comme nous, révèle peu à peu son mystère : c’est
5587
, révèle peu à peu son mystère : c’est qu’au-delà
de
la tragédie, il y a de nouveau le bonheur. Un bonheur qui ressemble à
5588
21 juin 1938. 196. Je m’en tiens au cas-limite
de
Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage chrétien ; et des
5589
en tiens au cas-limite de Tristan. Il y a des cas
de
passion dans le mariage chrétien ; et des états de mariage dans la pa
5590
e passion dans le mariage chrétien ; et des états
de
mariage dans la passion… 197. Plus on s’écarte de l’espèce pour se r
5591
e mariage dans la passion… 197. Plus on s’écarte
de
l’espèce pour se rapprocher de la personne, plus le choix devient sin
5592
. Plus on s’écarte de l’espèce pour se rapprocher
de
la personne, plus le choix devient singulier. À cette personnalisatio
5593
choix devient singulier. À cette personnalisation
de
l’être aimé correspond d’ailleurs une spécification croissante de l’i
5594
orrespond d’ailleurs une spécification croissante
de
l’instinct, à mesure que l’homme se virilise : c’est l’argument du Dr
5595
ue la passion une évasion hors du réel, une façon
de
l’idéaliser. 199. J’emploie ce terme au sens actif et littéral, par
5596
littéral, par opposition au sens devenu courant,
de
« préjugé », de « parti imité ». 200. Voir le remarquable essai de R
5597
pposition au sens devenu courant, de « préjugé »,
de
« parti imité ». 200. Voir le remarquable essai de R. de Pury, « Éro
5598
« parti imité ». 200. Voir le remarquable essai
de
R. de Pury, « Éros et Agapè », dans le recueil collectif intitulé Pro
5599
è », dans le recueil collectif intitulé Problèmes
de
la sexualité (collection « Présences ») : « Un chrétien peut et doit
5600
’est pas le péché ; le péché c’est la sublimation
d’
Éros. 201. Comme le croira cependant Novalis, renouvelant la mystique
5601
En ce que l’on reconnaît dans un être la totalité
d’
une personne. La personne, selon la fameuse définition kantienne, c’es
5602
ent. 203. Sur la liaison absolument fondamentale
de
la passion et du mensonge, j’ai insisté déjà pages 37 à 41 et page 15
5603
riage ne saurait être fondé sur des « arguments »
de
ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait d’observation qui réfu
5604
guments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement,
d’
un fait d’observation qui réfute les croyances courantes, nées du myth
5605
de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait
d’
observation qui réfute les croyances courantes, nées du mythe de Trist
5606
qui réfute les croyances courantes, nées du mythe
de
Tristan et de son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tou
5607
croyances courantes, nées du mythe de Tristan et
de
son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tout à fait ineff
5608
i préfère le mythe et veut croire aux révélations
de
la passion. 205. B. Croce, Etica e Politica. 206. Leo Ferrero, Dés
5609
itica. 206. Leo Ferrero, Désespoirs. Le problème
de
la passion est admirablement défini par ce petit livre dans ses donné
5610
ice 4.) 207. « L’idée antique du travail indigne
de
l’homme libre se retrouve dans la chevalerie », écrit Henri Pirenne,
5611
ns la chevalerie », écrit Henri Pirenne, Histoire
de
l’Europe, p. 113. Mais pour d’autres raisons, on le conçoit ! 208. I
5612
la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte
de
la grâce fait par Dieu. 209. Malgré les tentatives multiples d’expli
5613
t par Dieu. 209. Malgré les tentatives multiples
d’
explication « modernes » — ô combien — par la physiologie, la psychiat
5614
ychiatrie, la psychanalyse en particulier. Aucune
de
ces explications ne me paraît rendre compte, le moins du monde, de la
5615
ns ne me paraît rendre compte, le moins du monde,
de
la singularité du cas. Elles s’appliqueraient aussi bien à n’importe
5616
Tremblement, traduit d’après la version allemande
de
E. Geismar et R. Marx.
5617
Appendices 1. – Caractère sacré
de
la légende Pour éviter tout malentendu, je préciserai ici que mon
5618
ici que mon analyse se borne à la légende écrite
de
Tristan. C’est d’elle seule que je parle quand je parle du mythe « pr
5619
se se borne à la légende écrite de Tristan. C’est
d’
elle seule que je parle quand je parle du mythe « primitif ». Il serai
5620
nd je parle du mythe « primitif ». Il serait aisé
de
se prévaloir du caractère sacré que certains auteurs du siècle dernie
5621
dernier ont cru pouvoir attribuer aux personnages
de
Tristan et d’Iseut (ou Essylt) dans la mythologie celtique. Dès le vi
5622
u pouvoir attribuer aux personnages de Tristan et
d’
Iseut (ou Essylt) dans la mythologie celtique. Dès le viie siècle, Tr
5623
rés », c’est-à-dire des élèves des druides, rival
de
son oncle Markh, le roi-cheval, et amant d’Essylt, dont on a pu suppo
5624
rival de son oncle Markh, le roi-cheval, et amant
d’
Essylt, dont on a pu supposer que le nom signifiait « spectacle mystér
5625
e le nom signifiait « spectacle mystérieux, objet
de
contemplation », fée irlandaise, cavale aux crins blancs, ou encore f
5626
se, cavale aux crins blancs, ou encore figuration
de
l’eau de la chaudière de Cerridwen, qui donne l’inspiration aux barde
5627
e aux crins blancs, ou encore figuration de l’eau
de
la chaudière de Cerridwen, qui donne l’inspiration aux bardes, guérit
5628
cs, ou encore figuration de l’eau de la chaudière
de
Cerridwen, qui donne l’inspiration aux bardes, guérit et ressuscite,
5629
ressuscite, c’est-à-dire élève l’initié à la vie
de
l’esprit. Tout cela est vraisemblable, et contesté. Dans les Mabinogi
5630
brève sur la légende originelle : « Drystan, fils
de
Tallwch, gardien des porcs de Markh, amant d’Essylt. » (C’est dans un
5631
e : « Drystan, fils de Tallwch, gardien des porcs
de
Markh, amant d’Essylt. » (C’est dans une énumération des amants fameu
5632
ils de Tallwch, gardien des porcs de Markh, amant
d’
Essylt. » (C’est dans une énumération des amants fameux de la Bretagne
5633
. » (C’est dans une énumération des amants fameux
de
la Bretagne.) On a voulu voir également dans la rivalité de Tristan e
5634
agne.) On a voulu voir également dans la rivalité
de
Tristan et de Marc le symbole de la lutte entre les Bretons armoricai
5635
ulu voir également dans la rivalité de Tristan et
de
Marc le symbole de la lutte entre les Bretons armoricains et les Gall
5636
dans la rivalité de Tristan et de Marc le symbole
de
la lutte entre les Bretons armoricains et les Gallo-Francs. Il est in
5637
-Francs. Il est incontestable que maints éléments
de
la tradition bardique (orale) sont incorporés dans la légende. (Cf. l
5638
mas, Eilhart, l’auteur du Roman en prose et celui
de
la Folie Tristan n’étaient pas initiés à cette tradition. Ils ignorai
5639
s. Et les traces qui subsistent, dans leur texte,
d’
anciennes pratiques de magie montrent bien que l’usage de ces dernière
5640
ubsistent, dans leur texte, d’anciennes pratiques
de
magie montrent bien que l’usage de ces dernières est oublié ; à l’épo
5641
nnes pratiques de magie montrent bien que l’usage
de
ces dernières est oublié ; à l’époque et dans les pays où ils écriven
5642
ù ils écrivent. Tout cela n’est plus qu’ornements
d’
art, pittoresque, anecdotes interprétées par la fantaisie individuelle
5643
elle du poète. Les faits que nous décrit l’auteur
de
la Folie Tristan étaient sans doute à l’origine tout autre chose qu’u
5644
s doute à l’origine tout autre chose qu’une suite
d’
extravagances. Chaque parole et chaque geste du héros devaient corresp
5645
correspondre à des symboles déterminés. La maison
de
verre par exemple, dans laquelle Tristan fou veut emmener Iseut, étai
5646
t, était dans la mythologie druidique le vaisseau
de
la mort qui s’en va par-delà les nuages jusqu’au cercle céleste du Gw
5647
este du Gwynfyd. Dans la Folie Tristan, la maison
de
verre n’est plus qu’une image émouvante née de la fantaisie poétique
5648
on de verre n’est plus qu’une image émouvante née
de
la fantaisie poétique de l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ
5649
’une image émouvante née de la fantaisie poétique
de
l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ de Tristan pour la Bretag
5650
ue de l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ
de
Tristan pour la Bretagne n’a plus aucun sens « historique » défini ;
5651
ons que je ne tiens compte, dans mon analyse, que
de
la légende rédigée, et réinventée quant au sens, par les poètes du xi
5652
lle seule agit encore sur nous, en tant que mythe
de
l’amour-passion. 2. – Chevalerie sacrée La pensée médiévale en
5653
ée La pensée médiévale en général est saturée
de
conceptions religieuses. De la même manière, dans une sphère plus res
5654
n général est saturée de conceptions religieuses.
De
la même manière, dans une sphère plus restreinte, la pensée de tous c
5655
nière, dans une sphère plus restreinte, la pensée
de
tous ceux qui vivent dans les cercles de la cour et de la noblesse es
5656
a pensée de tous ceux qui vivent dans les cercles
de
la cour et de la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cet
5657
us ceux qui vivent dans les cercles de la cour et
de
la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cette conception
5658
ercles de la cour et de la noblesse est imprégnée
de
l’idéal chevaleresque. Cette conception envahit même le domaine de la
5659
eresque. Cette conception envahit même le domaine
de
la religion : la prouesse de l’archange saint Michel était « la premi
5660
ahit même le domaine de la religion : la prouesse
de
l’archange saint Michel était « la première milicie et prouesse cheva
5661
ureuse qui oncques fut mise en exploict » ; c’est
de
là que procède la chevalerie qui, en tant que « milicie terrienne et
5662
ne imitation des chœurs des anges autour du trône
de
Dieu. Le poète espagnol Juan Manuel l’appelle une espèce de sacrement
5663
e poète espagnol Juan Manuel l’appelle une espèce
de
sacrement, qu’il compare au Baptême et au Mariage. (J. Huizinga : le
5664
evaleresque constituait pour l’esprit superficiel
de
ces auteurs [Froissart, Monstrelet, Chastellain, La Marche…] une clef
5665
En réalité, les guerres, tout comme la politique
de
leur temps, étaient extrêmement informes, et apparemment incohérentes
5666
t incohérentes. La guerre était un état chronique
d’
escarmouches isolées s’étendant sur un vaste domaine ; la diplomatie,
5667
es, et d’autre part, par un ensemble inextricable
de
questions de droit isolées et mesquines. L’histoire, n’étant pas en m
5668
e part, par un ensemble inextricable de questions
de
droit isolées et mesquines. L’histoire, n’étant pas en mesure de disc
5669
s et mesquines. L’histoire, n’étant pas en mesure
de
discerner un réel développement social, se servait de la fiction de l
5670
iscerner un réel développement social, se servait
de
la fiction de l’idéal chevaleresque à l’aide de laquelle elle réduisa
5671
el développement social, se servait de la fiction
de
l’idéal chevaleresque à l’aide de laquelle elle réduisait le monde au
5672
laquelle elle réduisait le monde aux proportions
d’
une belle image d’honneur princier et de vertu courtoise, et créait l’
5673
uisait le monde aux proportions d’une belle image
d’
honneur princier et de vertu courtoise, et créait l’illusion de l’ordr
5674
oportions d’une belle image d’honneur princier et
de
vertu courtoise, et créait l’illusion de l’ordre. (Ibid., p. 80.)
5675
ncier et de vertu courtoise, et créait l’illusion
de
l’ordre. (Ibid., p. 80.) 3. – Chansons de geste et romans courtoi
5676
ion de l’ordre. (Ibid., p. 80.) 3. – Chansons
de
geste et romans courtois Les chansons de geste sont nées au xie s
5677
nsons de geste et romans courtois Les chansons
de
geste sont nées au xie siècle, et pas avant, comme l’a montré Joseph
5678
ondateurs. Il est compréhensible que ces chansons
de
clercs parlent très peu ou point d’amour. Une seule, la Légende de Gi
5679
ces chansons de clercs parlent très peu ou point
d’
amour. Une seule, la Légende de Girard de Roussillon (composée entre 1
5680
très peu ou point d’amour. Une seule, la Légende
de
Girard de Roussillon (composée entre 1150 et 1180 selon Bédier) conti
5681
e 1150 et 1180 selon Bédier) contient une épisode
d’
amour courtois. Elle est écrite dans un dialecte intermédiaire entre l
5682
ovençal. À tous égards, elle marque la transition
de
l’épopée française au « roman » proprement dit. L’épisode d’amour nou
5683
française au « roman » proprement dit. L’épisode
d’
amour nous intéresse d’autant plus qu’il décrit une situation fort ana
5684
proprement dit. L’épisode d’amour nous intéresse
d’
autant plus qu’il décrit une situation fort analogue — dans sa forme —
5685
fort analogue — dans sa forme — à celle du Roman
de
Tristan. Or il est évident que cette situation ne peut être qu’une in
5686
on courtoise (elle tranche nettement sur le reste
de
la légende qui est cléricale et féodale). Cette analogie avec Tristan
5687
t subir au vieux mythe celtique. Elle nous permet
de
mesurer l’influence décisive de l’amour courtois sur les auteurs du c
5688
Elle nous permet de mesurer l’influence décisive
de
l’amour courtois sur les auteurs du cycle breton. Voici la donnée : l
5689
sera Charles, la cadette, Elissent, sera la femme
de
Girard. Lorsque Charles voit les deux princesses, il s’éprend d’Eliss
5690
que Charles voit les deux princesses, il s’éprend
d’
Elissent, déjà fiancée à Girard. Après un long débat, Girard consent à
5691
consent à céder Elissent, à condition qu’il cesse
d’
être vassal du roi. Il épouse Berthe, tandis qu’Elissent devient reine
5692
s, ainsi que Berthe sa femme, et la reine. Femme
de
roi, dit-il, que pensez-vous de l’échange que j’ai fait de vous ? Je
5693
la reine. Femme de roi, dit-il, que pensez-vous
de
l’échange que j’ai fait de vous ? Je sais bien que vous me tenez pour
5694
it-il, que pensez-vous de l’échange que j’ai fait
de
vous ? Je sais bien que vous me tenez pour méprisable. — Non, Seigneu
5695
r méprisable. — Non, Seigneur, mais pour un homme
de
valeur et de prix. Vous m’avez faite reine, et ma sœur, vous l’avez é
5696
— Non, Seigneur, mais pour un homme de valeur et
de
prix. Vous m’avez faite reine, et ma sœur, vous l’avez épousée pour l
5697
ine, et ma sœur, vous l’avez épousée pour l’amour
de
moi. Écoutez-moi, vous, comtes Bertolai et Gervais. Et vous, ma chère
5698
ne à jamais mon amour au duc Girard. Je lui donne
de
mon oscle la fleur, parce que je l’aime plus que mon père et plus que
5699
ari ; et le voyant partir, je ne puis me défendre
de
pleurer… » Dès ce moment, ajoute le poète, « dura toujours l’amour de
5700
moment, ajoute le poète, « dura toujours l’amour
de
Girard et d’Elissent, pur de tout reproche, sans qu’il y eût entre eu
5701
te le poète, « dura toujours l’amour de Girard et
d’
Elissent, pur de tout reproche, sans qu’il y eût entre eux autre chose
5702
ura toujours l’amour de Girard et d’Elissent, pur
de
tout reproche, sans qu’il y eût entre eux autre chose que bon vouloir
5703
est très frappante. Il s’agit dans les deux cas :
D’
un vassal puissant chargé de la « quête » d’une fiancée lointaine ; —
5704
t dans les deux cas : D’un vassal puissant chargé
de
la « quête » d’une fiancée lointaine ; — d’une rivalité entre le vass
5705
cas : D’un vassal puissant chargé de la « quête »
d’
une fiancée lointaine ; — d’une rivalité entre le vassal et son suzera
5706
hargé de la « quête » d’une fiancée lointaine ; —
d’
une rivalité entre le vassal et son suzerain ; — d’un conflit entre l’
5707
’une rivalité entre le vassal et son suzerain ; —
d’
un conflit entre l’hommage dû au suzerain et l’hommage donné à la femm
5708
dû au suzerain et l’hommage donné à la femme ; —
d’
un mariage de consolation du vassal (ici avec la sœur de son amie, là
5709
in et l’hommage donné à la femme ; — d’un mariage
de
consolation du vassal (ici avec la sœur de son amie, là avec son homo
5710
ariage de consolation du vassal (ici avec la sœur
de
son amie, là avec son homonyme) — enfin dans les deux légendes, l’amo
5711
t sa fidélité triomphent idéalement du mariage et
de
sa fidélité, en même temps que des liens féodaux. Mais les différence
5712
s significatives. Dans Tristan, c’est la jalousie
d’
Iseut aux blanches mains qui provoque la catastrophe, tandis que dans
5713
extes « courtois ». Ils nous permettent également
de
concevoir que Béroul et Thomas n’ont gardé du mythe druidique guère d
5714
ère davantage que les noms et le support matériel
de
l’action. 1. Sur le mariage en général : Jugement de la comtesse de C
5715
l’action. 1. Sur le mariage en général : Jugement
de
la comtesse de Champagne : Par la teneur des présentes, nous disons
5716
roquement et gratuitement, sans aucune obligation
de
nécessité, tandis que les époux sont tenus par devoir à toutes les vo
5717
sont tenus par devoir à toutes les volontés l’un
de
l’autre. Que ce jugement que nous prononçons avec une extrême maturit
5718
gable. Donné l’an 1174, le troisième des calendes
de
mai, indiction VII. 2. À rapprocher du mariage blanc de Tristan : Ju
5719
indiction VII. 2. À rapprocher du mariage blanc
de
Tristan : Jugement de la reine Éléonore : Demande. Un amant heureux
5720
rapprocher du mariage blanc de Tristan : Jugement
de
la reine Éléonore : Demande. Un amant heureux avait demandé à sa da
5721
ant heureux avait demandé à sa dame la permission
d’
offrir ses hommages à une autre : il y fut autorisé et cessa de sentir
5722
hommages à une autre : il y fut autorisé et cessa
de
sentir pour sa première amie la tendresse qu’il lui avait portée d’ab
5723
abord. Après un mois, il revient à elle, proteste
de
ne pas s’être épris ailleurs, et de n’avoir pris aucune liberté avec
5724
lle, proteste de ne pas s’être épris ailleurs, et
de
n’avoir pris aucune liberté avec l’autre dame, mais d’avoir voulu seu
5725
avoir pris aucune liberté avec l’autre dame, mais
d’
avoir voulu seulement mettre à l’épreuve la constance de sa maîtresse.
5726
r voulu seulement mettre à l’épreuve la constance
de
sa maîtresse. Celle-ci l’a privé de son amour, disant qu’il s’en est
5727
la constance de sa maîtresse. Celle-ci l’a privé
de
son amour, disant qu’il s’en est rendu indigne en implorant et en acc
5728
mplorant et en acceptant pareille licence. Arrêt
de
la reine Éléonore. Telle est la nature de l’amour : les amants feigne
5729
Arrêt de la reine Éléonore. Telle est la nature
de
l’amour : les amants feignent souvent de souhaiter d’autres nœuds, po
5730
a nature de l’amour : les amants feignent souvent
de
souhaiter d’autres nœuds, pour s’assurer davantage de la fidélité et
5731
ouhaiter d’autres nœuds, pour s’assurer davantage
de
la fidélité et de la constance de la personne aimée. C’est léser le d
5732
nœuds, pour s’assurer davantage de la fidélité et
de
la constance de la personne aimée. C’est léser le droit des amants qu
5733
surer davantage de la fidélité et de la constance
de
la personne aimée. C’est léser le droit des amants que de refuser, so
5734
rsonne aimée. C’est léser le droit des amants que
de
refuser, sous un prétexte semblable, ses embrassements ou sa tendress
5735
ière le néglige. Ce n’est point tant la constance
de
son amie que la sienne propre qu’il veut mettre à l’épreuve. À cette
5736
ien du même ordre. 4. – Conceptions orientales
de
l’amour Il est bien entendu que j’appelle Orient une certaine atti
5737
que j’appelle Orient une certaine attitude totale
de
l’homme qui s’est manifestée principalement chez les peuples et dans
5738
cipalement chez les peuples et dans les religions
de
l’Asie. L’Iran, l’islam, l’Arabie et le judaïsme ne sont pas cet Orie
5739
x occidentaux. Il en va tout autrement des Indes,
de
la Chine, du Tibet, du Japon. Dans un très beau recueil posthume de p
5740
bet, du Japon. Dans un très beau recueil posthume
de
poèmes et d’essais de Leo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relat
5741
. Dans un très beau recueil posthume de poèmes et
d’
essais de Leo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation d’un entr
5742
très beau recueil posthume de poèmes et d’essais
de
Leo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation d’un entretien qu’
5743
eo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation
d’
un entretien qu’a eu l’auteur avec un jeune Chinois : « Le concept d’
5744
eu l’auteur avec un jeune Chinois : « Le concept
d’
amour » n’existe pas en Chine. Le verbe « aimer » est employé seulemen
5745
et les fils. Le mari n’aime pas la femme : « il a
de
l’affection pour elle », plus ou moins. Quant aux rapports entre la f
5746
ils définissent leurs sentiments. La philosophie
de
Motse (taoïste) — la seule un peu chrétienne, qui a pour fondement qu
5747
iés très jeunes par leurs parents, et le problème
de
l’amour ne se pose pas. Ils n’ont pas à poursuivre toute la vie cette
5748
utres, et dont nous voulons être sûrs. L’attitude
de
l’Européen qui se demande toute sa vie : « Est-ce de l’amour ou non ?
5749
l’Européen qui se demande toute sa vie : « Est-ce
de
l’amour ou non ? Est-ce que j’aime vraiment cette femme, ou est-ce qu
5750
e j’aime vraiment cette femme, ou est-ce que j’ai
de
l’affection pour elle ? Est-ce que j’aime Dieu ou est-ce que j’ai seu
5751
ue j’aime Dieu ou est-ce que j’ai seulement envie
de
l’aimer ? Est-ce que j’aime cet être ou est-ce que j’aime l’amour ? »
5752
il n’aime pas cette femme ; il a seulement envie
de
l’aimer — cette attitude pourrait être considérée par un psychiatre c
5753
dérée par un psychiatre chinois comme un symptôme
de
folie. Nous sommes fous sans nous en rendre compte ; toute notre vie
5754
x, la tranquillité ! Je suis moi-même le plus fou
de
tous les fous, hélas ! Mais au moins maintenant je le sais. Et encor
5755
ondée sur la famille, et la famille sur l’absence
d’
amour. Les traditions chinoises insistent sur ce point. Toute manifest
5756
oises insistent sur ce point. Toute manifestation
de
tendresse entre mari et femme est jugée inconvenante. 5. – Mystiq
5757
endice à son beau livre sur la Théologie mystique
de
saint Bernard (Paris, 1934, p. 193 à 216), M. Étienne Gilson examine
5758
193 à 216), M. Étienne Gilson examine le problème
d’
une influence possible de la mystique cistercienne sur les troubadours
5759
lson examine le problème d’une influence possible
de
la mystique cistercienne sur les troubadours. En effet, « chronologiq
5760
fute cette hypothèse en montrant : 1° que l’objet
de
l’amour n’est pas le même pour saint Bernard et pour les troubadours,
5761
n lui, la sensualité naturelle ; 2° que la nature
de
l’amour est très différente dans les deux cas, malgré d’apparentes an
5762
our est très différente dans les deux cas, malgré
d’
apparentes analogies d’expression. M. Gilson conclut qu’il ne peut don
5763
dans les deux cas, malgré d’apparentes analogies
d’
expression. M. Gilson conclut qu’il ne peut donc s’agir que « de deux
5764
M. Gilson conclut qu’il ne peut donc s’agir que «
de
deux produits indépendants de la civilisation du xiie siècle », ayan
5765
t donc s’agir que « de deux produits indépendants
de
la civilisation du xiie siècle », ayant tout au plus en commun quelq
5766
», ayant tout au plus en commun quelques figures
de
langage. Je souscris sans réserve à ce jugement. Mais je le rejoins p
5767
ans réserve à ce jugement. Mais je le rejoins par
de
tout autres voies. Car l’opposition évidente entre la courtoisie et l
5768
ition évidente entre la courtoisie et la mystique
de
saint Bernard n’est pas seulement, comme l’a vu M. Gilson, celle de l
5769
’est pas seulement, comme l’a vu M. Gilson, celle
de
la « chair » et de l’« esprit » au sens paulinien de ces termes, mais
5770
comme l’a vu M. Gilson, celle de la « chair » et
de
l’« esprit » au sens paulinien de ces termes, mais surtout celle de l
5771
la « chair » et de l’« esprit » au sens paulinien
de
ces termes, mais surtout celle de l’hérésie et de l’orthodoxie. Cepen
5772
sens paulinien de ces termes, mais surtout celle
de
l’hérésie et de l’orthodoxie. Cependant certains arguments invoqués p
5773
de ces termes, mais surtout celle de l’hérésie et
de
l’orthodoxie. Cependant certains arguments invoqués par M. Gilson me
5774
r — écrit notre auteur — sur l’objet et la nature
de
l’amour mystique tel que le conçoit saint Bernard : c’est un amour sp
5775
rtois serait au contraire « l’expression poétique
de
la concupiscence » (p. 200). Certes, une opinion assez répandue prête
5776
rs une attitude idéaliste du même genre que celle
de
saint Bernard. Pour dissiper cette illusion, M. Gilson — après M. Jea
5777
Gilson — après M. Jeanroy — invoque le langage «
d’
une crudité intraduisible » d’un Marcabru et même d’un Rudel. Mais tir
5778
nvoque le langage « d’une crudité intraduisible »
d’
un Marcabru et même d’un Rudel. Mais tirer argument de cette crudité e
5779
une crudité intraduisible » d’un Marcabru et même
d’
un Rudel. Mais tirer argument de cette crudité en faveur de la thèse s
5780
Marcabru et même d’un Rudel. Mais tirer argument
de
cette crudité en faveur de la thèse sensualiste et contre la symbolis
5781
» des modernes qui n’est sans doute que le résidu
de
préjugés scientifiques dépassés. Il se pourrait que nous tenions là u
5782
Il se pourrait que nous tenions là un bel exemple
d’
anachronisme. A-t-on seulement remarqué que les siècles passés usaient
5783
ué que les siècles passés usaient très couramment
d’
un langage plus « grossier » que le nôtre — signe d’une sensibilité se
5784
un langage plus « grossier » que le nôtre — signe
d’
une sensibilité sexuelle peu énervée — tandis que notre langage décolo
5785
œurs des troubadours, ma déduction serait inverse
de
celle des savants modernes. Marcabru n’hésite pas à nommer un chat un
5786
il joue le jeu le plus naturel, selon la coutume
de
son temps211. Ou si l’on tient que le langage érotique traduit nécess
5787
rement une sensualité déchaînée, que pensera-t-on
d’
une sainte Thérèse, d’un Ruysbroek ! b) « On n’a jamais entendu saint
5788
déchaînée, que pensera-t-on d’une sainte Thérèse,
d’
un Ruysbroek ! b) « On n’a jamais entendu saint Bernard souhaiter d’ê
5789
) « On n’a jamais entendu saint Bernard souhaiter
d’
être débarrassé de l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sou
5790
entendu saint Bernard souhaiter d’être débarrassé
de
l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug de l’Amo
5791
nt Bernard souhaiter d’être débarrassé de l’amour
de
Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug de l’Amour. Donc ce
5792
Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug
de
l’Amour. Donc cet amour n’est pas spirituel. — Mais plus tard, d’autr
5793
les expressions des troubadours, et souhaiteront
d’
être libérés des tourments de l’amour divin : c’est là bien entendu, c
5794
urs, et souhaiteront d’être libérés des tourments
de
l’amour divin : c’est là bien entendu, comme chez les troubadours, un
5795
entendu, comme chez les troubadours, une manière
d’
exprimer la violence de leur passion, une sorte d’antiphrase. Mais enc
5796
s troubadours, une manière d’exprimer la violence
de
leur passion, une sorte d’antiphrase. Mais encore une fois, si l’on v
5797
d’exprimer la violence de leur passion, une sorte
d’
antiphrase. Mais encore une fois, si l’on veut déduire d’un tel « refu
5798
hrase. Mais encore une fois, si l’on veut déduire
d’
un tel « refus » que l’Amour courtois était purement sensuel, la déduc
5799
est immanent sans être transcendant, il n’y a pas
de
problème mystique au sens où les chrétiens l’entendent. Ce qu’ils ont
5800
. Ce qu’ils ont à expérimenter… c’est l’immanence
d’
un Dieu qui est et reste transcendant ». Mais alors, lorsqu’une créatu
5801
rs, lorsqu’une créature aime son Dieu, l’obstacle
de
la transcendance introduit dans l’amour un malheur essentiel (quoi qu
5802
-à-vis de l’amour des êtres. Certes : « la pureté
de
l’amour courtois sépare les amants, au lieu que celle de l’amour myst
5803
our courtois sépare les amants, au lieu que celle
de
l’amour mystique les unit ». Mais il faut voir que les amants courtoi
5804
contraire, l’amour mystique orthodoxe n’unit pas
de
cette façon, mais fait seulement communier. d) Pour démontrer que l’
5805
is est sensuel, M. Gilson cite encore une strophe
de
Thibaut de Champagne : Douce dame, s’il vos plesoit un soir M’avriez
5806
dame, s’il vos plesoit un soir M’avriez vos plus
de
joie doné C’onques Tristans, qui en fist son pouoir N’en pust avoir n
5807
s, qui en fist son pouoir N’en pust avoir nul jor
de
son ané. Et il commente : « À moins de réformer sérieusement notre c
5808
r nul jor de son ané. Et il commente : « À moins
de
réformer sérieusement notre conception des amours d’Iseut et de Trist
5809
réformer sérieusement notre conception des amours
d’
Iseut et de Tristan, nous ne pouvons avoir de doutes sur la nature des
5810
rieusement notre conception des amours d’Iseut et
de
Tristan, nous ne pouvons avoir de doutes sur la nature des sentiments
5811
ours d’Iseut et de Tristan, nous ne pouvons avoir
de
doutes sur la nature des sentiments dont Thibaut est animé. » Précisé
5812
ts dont Thibaut est animé. » Précisément, l’objet
de
mon ouvrage est, entre autres, de « réformer sérieusement notre conce
5813
sément, l’objet de mon ouvrage est, entre autres,
de
« réformer sérieusement notre conception des amours d’Iseut et de Tri
5814
réformer sérieusement notre conception des amours
d’
Iseut et de Tristan »… 6. – Dante hérétique Tout à fait indépend
5815
rieusement notre conception des amours d’Iseut et
de
Tristan »… 6. – Dante hérétique Tout à fait indépendamment des
5816
ut à fait indépendamment des travaux très sérieux
d’
un Asin Palacios, il convient de mentionner la thèse hardie et quelque
5817
vaux très sérieux d’un Asin Palacios, il convient
de
mentionner la thèse hardie et quelque peu aventureuse de deux auteurs
5818
ionner la thèse hardie et quelque peu aventureuse
de
deux auteurs du siècle dernier : Eugène Aroux et, à sa suite, Péladan
5819
et, à sa suite, Péladan. Aroux expose le résultat
de
ses inductions dans un ouvrage aujourd’hui presque introuvable intitu
5820
aliste (1854). Non seulement Dante faisait partie
de
l’ordre des Templiers, mais encore cet ordre aurait été lié à l’hérés
5821
ès lors, toute la Comédie, le Convito, et même le
De
vulgari eloquentia devraient être interprétés symboliquement. Dans un
5822
n. La brochure porte un titre significatif : Clef
de
la Comédie anticatholique de Dante Alighieri, pasteur de l’Église alb
5823
significatif : Clef de la Comédie anticatholique
de
Dante Alighieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville de Floren
5824
omédie anticatholique de Dante Alighieri, pasteur
de
l’Église albigeoise de la ville de Florence, affilié à l’ordre du Tem
5825
e Dante Alighieri, pasteur de l’Église albigeoise
de
la ville de Florence, affilié à l’ordre du Temple, — donnant l’explic
5826
hieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville
de
Florence, affilié à l’ordre du Temple, — donnant l’explication du lan
5827
t l’explication du langage symbolique des fidèles
d’
Amour dans les compositions lyriques, romans et épopées chevaleresques
5828
rs (1856). C’est un lexique donnant la traduction
d’
environ 500 termes, comme par exemple : « Arbres morts ». — Les cathol
5829
dours traitaient les membres du clergé catholique
d’
arbres automnals morts. « Albigéisme, albigeois ». — Mots introuvables
5830
risme albigeois, qui par un dédoublement mystique
de
l’âme et du corps, étaient censés avoir les deux sexes, hommes en tan
5831
en tant qu’intelligence et pensée libre des liens
de
la matière. « Lancelot ». — …Il faut toute la préoccupation de la let
5832
. « Lancelot ». — …Il faut toute la préoccupation
de
la lettre, chez les déchiffreurs de vieux manuscrits, pour qu’une lit
5833
préoccupation de la lettre, chez les déchiffreurs
de
vieux manuscrits, pour qu’une littérature entière soit passée sous le
5834
out, obtenant une vogue européenne, et des amours
d’
une pureté angélique à servir de modèles aux races futures ! » Je ne p
5835
ne, et des amours d’une pureté angélique à servir
de
modèles aux races futures ! » Je ne prends pas à mon compte toutes ce
5836
e n’a fait que confirmer, plus tard, l’exactitude
de
bien des vues centrales d’Aroux. (Gaston Paris établissant vers 1880
5837
lus tard, l’exactitude de bien des vues centrales
d’
Aroux. (Gaston Paris établissant vers 1880 la filiation troubadours-tr
5838
oman breton ; Asin Palacios reprenant la question
de
l’hérésie chez Dante, etc.) 7. – « Coup de foudre » et conversion
5839
ion de l’hérésie chez Dante, etc.) 7. – « Coup
de
foudre » et conversion Le premier regard des amants, qui va change
5840
r toute leur vie, correspond à la première touche
de
l’amour divin, à la conversion du chrétien. Gottfried de Strasbourg p
5841
hrétien. Gottfried de Strasbourg peignant l’amour
de
Rivalen pour Blanchefleur (ce sont les parents de Tristan) accumule l
5842
de Rivalen pour Blanchefleur (ce sont les parents
de
Tristan) accumule les expressions religieuses les plus insistantes :
5843
ors la vraie Minne La fougueuse déesse Le pénétra
de
ses ardeurs Et son cœur brûlant Lui révéla la source Des peines dont
5844
omme. Tout ce qu’il faisait Était comme entremêlé
de
folie Et frappé d’aveuglement. Ses sens étaient troublés Égarés par l
5845
faisait Était comme entremêlé de folie Et frappé
d’
aveuglement. Ses sens étaient troublés Égarés par la Minne Et comme dé
5846
nt troublés Égarés par la Minne Et comme délivrés
De
leur frein naturel. Sa vie se consumait. (Traduction Bossert.) Les t
5847
rois derniers vers sont une parfaite confirmation
de
ma définition de la passion opposée à l’amour naturel. 8. – Passio
5848
s sont une parfaite confirmation de ma définition
de
la passion opposée à l’amour naturel. 8. – Passion et Ascèse Da
5849
se réfugient les amants (correspondant à la forêt
de
Morois chez Béroul) est décrite en détail, et chaque détail comporte
5850
es géants. C’est une voûte dont la clef est faite
de
pierres précieuses. Au milieu trône un lit de cristal, etc. Mais voic
5851
ite de pierres précieuses. Au milieu trône un lit
de
cristal, etc. Mais voici ce qui nous intéresse : Ce n’est pas sans r
5852
cette contrée sauvage. Cela veut dire Que le lieu
de
l’amour N’est pas dans les routes battues Ni autour des habitations h
5853
) Pour qui conserverait des doutes sur la nature
de
l’amour en question, précisons que Gottfried confesse qu’il a, lui au
5854
désert, mais sans y rencontrer la « récompense »
de
ses peines. (Il n’est pas devenu Parfait) : J’ai connu la fossure Qu
5855
allé en Cornouailles. Comment pourrait-il s’agir
d’
amour physique ? Et le dernier vers indique bien que la « fossure » es
5856
er ailleurs qu’en Cornouailles. (Temple ou grotte
d’
hérétiques ?) 9. – Saint François d’Assise et les cathares Paul
5857
ares Paul Sabatier, dans sa fameuse biographie
de
saint François, se pose la question d’une influence possible de l’hér
5858
biographie de saint François, se pose la question
d’
une influence possible de l’hérésie courtoise sur la mystique francisc
5859
ois, se pose la question d’une influence possible
de
l’hérésie courtoise sur la mystique franciscaine. Il commence par nie
5860
Il commence par nier toute communication directe
de
l’une à l’autre. (L’argument avancé me convainc peu : l’hérésie était
5861
argument avancé me convainc peu : l’hérésie était
de
nature dogmatique, et saint François ne s’occupait pas de doctrine… M
5862
e dogmatique, et saint François ne s’occupait pas
de
doctrine… Mais croit-on que tous les cathares dogmatisaient ? Il y a
5863
dogmatisaient ? Il y a de plus sérieuses raisons
de
nier l’hérésie du saint.) Cependant, il décrit fort bien l’ambiance c
5864
Cependant, il décrit fort bien l’ambiance cathare
de
l’Italie au temps de la jeunesse de François. Les hérétiques, baptisé
5865
iance cathare de l’Italie au temps de la jeunesse
de
François. Les hérétiques, baptisés Gazzari en Italie (Bulgares ou Bou
5866
s pays du Nord) s’étaient emparés du gouvernement
de
plusieurs municipalités. Le podestat d’Assise était un hérétique, ava
5867
vernement de plusieurs municipalités. Le podestat
d’
Assise était un hérétique, avant 1204 ! Dans les cités avoisinantes, i
5868
vant 1204 ! Dans les cités avoisinantes, il y eut
de
nombreux soulèvements et émeutes occasionnés par le conflit religieux
5869
été le disciple enthousiaste des poètes français (
d’
où son nom même). Il partageait l’engouement des Italiens du Nord pour
5870
ueiras, Bernart de Ventadour). Enfin, l’influence
de
Joachim de Flore sur saint François ne saurait faire de doute. Ce fam
5871
chim de Flore sur saint François ne saurait faire
de
doute. Ce fameux ermite annonçait le règne de l’Esprit, l’approche de
5872
ire de doute. Ce fameux ermite annonçait le règne
de
l’Esprit, l’approche de la troisième période de l’humanité, le régime
5873
ermite annonçait le règne de l’Esprit, l’approche
de
la troisième période de l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amo
5874
e de l’Esprit, l’approche de la troisième période
de
l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amour. Certains troubadours
5875
de la troisième période de l’humanité, le régime
de
la grâce et de l’Amour. Certains troubadours le connurent. (Richard C
5876
e période de l’humanité, le régime de la grâce et
de
l’Amour. Certains troubadours le connurent. (Richard Cœur de Lion par
5877
exemple). Les deux doctrines ont bien des points
de
ressemblance. Il reste que saint François, s’il fut influencé par l’a
5878
int François, s’il fut influencé par l’atmosphère
de
la religion d’Amour, en transporta toute la passion dans l’Église et
5879
’il fut influencé par l’atmosphère de la religion
d’
Amour, en transporta toute la passion dans l’Église et l’orthodoxie, a
5880
ne obtint sans faire couler le sang la résorption
de
l’hérésie en Italie, alors que la brutalité des cléricaux dans le Mid
5881
e Midi n’y parvint — et en apparence — qu’au prix
d’
effroyables massacres. Seule Agapè peut triompher d’Éros. Mars déchaîn
5882
effroyables massacres. Seule Agapè peut triompher
d’
Éros. Mars déchaîné, même contre Éros, n’est guère qu’un autre aspect
5883
0. – Sur le sadisme Je trouve une confirmation
de
mon analyse du crime sadique dans deux études remarquables de Pierre
5884
se du crime sadique dans deux études remarquables
de
Pierre Klossowski : le Mal et la négation d’autrui dans la philosophi
5885
bles de Pierre Klossowski : le Mal et la négation
d’
autrui dans la philosophie de D. A. F. de Sade et Temps et Agressivité
5886
e Mal et la négation d’autrui dans la philosophie
de
D. A. F. de Sade et Temps et Agressivité. (Recherches philosophiques,
5887
montre que pour Sade, le mal est l’unique élément
de
la Nature. On lit dans la Nouvelle Justine : « Oui, j’abhorre la Natu
5888
la connais trop bien que je la déteste : instruit
de
ses affreux secrets… j’ai éprouvé une sorte de plaisir à copier ses n
5889
it de ses affreux secrets… j’ai éprouvé une sorte
de
plaisir à copier ses noirceurs. » (D’où le désir sadique de se libére
5890
é une sorte de plaisir à copier ses noirceurs. » (
D’
où le désir sadique de se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès
5891
à copier ses noirceurs. » (D’où le désir sadique
de
se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès de débauche.) Autre c
5892
e se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès
de
débauche.) Autre condamnation vraiment manichéenne de la Création : «
5893
ébauche.) Autre condamnation vraiment manichéenne
de
la Création : « Le principe de vie dans tous les êtres n’est autre qu
5894
aiment manichéenne de la Création : « Le principe
de
vie dans tous les êtres n’est autre que celui de la mort ; nous les r
5895
de vie dans tous les êtres n’est autre que celui
de
la mort ; nous les recevons et les nourrissons dans nous tous deux à
5896
x à la fois. » P. Klossowski oppose cette opinion
de
Sade à celle de Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct de mor
5897
. Klossowski oppose cette opinion de Sade à celle
de
Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct de mort et Éros. L’ana
5898
de Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct
de
mort et Éros. L’analyse du mythe nous a montré que cette antithèse es
5899
ictime. Ainsi la conscience sadique est l’inverse
de
la conscience romantique. Le romantique (Pétrarque) se châtie pour co
5900
é, tandis que Sade veut le tuer. 11. – Au-delà
de
nos sécurités Faut-il aller encore plus loin que Kierkegaard dans
5901
le dépassement du « stade éthique » ? Il m’arrive
de
le pressentir, et de penser : du point de vue de la foi, il n’y a san
5902
tade éthique » ? Il m’arrive de le pressentir, et
de
penser : du point de vue de la foi, il n’y a sans doute aucun profit
5903
de le pressentir, et de penser : du point de vue
de
la foi, il n’y a sans doute aucun profit au « règlement des mœurs » p
5904
s mœurs » pour les non-chrétiens. C’est une façon
de
les mettre, au contraire, à l’abri du désespoir réel, humain, qui les
5905
el, humain, qui les conduirait à la foi. Une cure
d’
âme comprise non pas au sens d’une hygiène morale bourgeoise, mais au
5906
à la foi. Une cure d’âme comprise non pas au sens
d’
une hygiène morale bourgeoise, mais au sens chrétien — la guérison à o
5907
e non chrétien qu’il traverse tout le « bonheur »
de
la passion. Or on s’efforce de le retenir en deçà. Si bien que le seu
5908
out le « bonheur » de la passion. Or on s’efforce
de
le retenir en deçà. Si bien que le seul au-delà concret qu’il soit en
5909
en que le seul au-delà concret qu’il soit en état
de
désirer, d’imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voil
5910
ul au-delà concret qu’il soit en état de désirer,
d’
imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voilà ce qu’il f
5911
nt précisément les expressions par trop raffinées
de
l’amour qui sont les plus suspectes chez les troubadours ? Au point q