1 1939, L’Amour et l’Occident. Avertissement
1 passées, ou du moins celles dont on a pu toucher, fût -ce même sans les franchir, les limites. Quant aux livres intermédiair
2 age. ⁂ L’agrément de parler des choses de l’amour est un prétexte assez peu convaincant, lorsqu’il s’agit d’un volume aussi
3 e partager avec tant d’auteurs à succès. Aussi me suis -je donné quelques difficultés. Je n’ai pas voulu flatter ni déprécier
4 et même ils ne s’en lassent jamais, si commun que soit le discours ; mais ils redoutent que l’on définisse la passion, pour
5 ère me vaudra bien des reproches. Les amoureux me tiendront pour cynique, et ceux qui n’ont jamais connu la vraie passion s’étonn
6 atant et « banal » — comme on dit d’un four qu’il est banal, donc unique — si nous voulons comprendre dans nos vies le sens
7 dans nos vies le sens et la fin de la passion. Il est donc entendu que j’ai simplifié. Pourquoi perdre son temps et son sty
8 t son style à expliquer sans cesse que la réalité est plus complexe que tout ce qu’on peut en dire ? Que la vie soit confus
9 plexe que tout ce qu’on peut en dire ? Que la vie soit confuse ne saurait signifier qu’une œuvre écrite doit l’imiter. Si j’
10 e n’en ai cité qu’un nombre assez restreint, ce n’ est pas toujours par ignorance, mais par souci de m’en tenir à l’essentie
11 as toujours par ignorance, mais par souci de m’en tenir à l’essentiel. Les spécialistes me pardonneront-ils d’avoir tenté un
12 ’il faudrait plusieurs vies pour maîtriser, je me suis borné à rechercher ici et là des confirmations opportunes à certaines
13 ntuitives. J’en ai trouvé d’ailleurs plus qu’il n’ était besoin, et n’ai livré qu’un résumé de mes recherches. Ce compromis m’
14 ces si je n’avais pas donné des preuves. Et je me serais acquis l’estime des spécialistes si je n’avais pas tiré de leurs trav
2 1939, L’Amour et l’Occident. Livre premier. Le mythe de Tristan
15 dans nos cœurs ? Que l’accord d’amour et de mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus profondes, c’est un
16 à première vue le succès prodigieux du roman. Il est d’autres raisons, plus secrètes, d’y voir comme une définition de la
17 ccidentale… Amour et mort, amour mortel : si ce n’ est pas toute la poésie, c’est du moins tout ce qu’il y a de populaire, t
18 hansons. L’amour heureux n’a pas d’histoire. Il n’ est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et con
19 e même. Ce qui exalte le lyrisme occidental, ce n’ est pas le plaisir des sens, ni la paix féconde du couple. C’est moins l’
20 nous glorifie à tel point la passion que nous en sommes venus à voir en elle une promesse de vie plus vivante, une puissance
21 une puissance qui transfigure, quelque chose qui serait au-delà du bonheur et de la souffrance, une béatitude ardente. Dans «
22 ne sentons plus « ce qui souffre » mais « ce qui est passionnant ». Et pourtant, la passion d’amour signifie, de fait, un
23 ont tous les cas d’exception, mais la statistique est cruelle : elle réfute notre poésie. Vivons-nous dans une telle illusi
24 se confondent le plus souvent dans la société qui est la nôtre, n’est-ce pas une première preuve de ce fait paradoxal : que
25 plus souvent dans la société qui est la nôtre, n’ est -ce pas une première preuve de ce fait paradoxal : que nous voulons la
26 un devoir et une commodité. Sans l’adultère, que seraient toutes nos littératures ? Elles vivent de la « crise du mariage ». Il
27 res ? Elles vivent de la « crise du mariage ». Il est probable aussi qu’elles l’entretiennent, soit qu’elles « chantent » e
28 . Il est probable aussi qu’elles l’entretiennent, soit qu’elles « chantent » en prose et en vers ce que la religion tient po
29 chantent » en prose et en vers ce que la religion tient pour un crime, et la Loi pour une contravention, soit au contraire qu
30 pour un crime, et la Loi pour une contravention, soit au contraire qu’elles s’en amusent, et qu’elles en tirent un répertoi
31 psychologie mondaine, succès du trio au théâtre —  soit qu’on idéalise, ou subtilise, ou ironise, que fait-on si ce n’est tra
32 se, ou subtilise, ou ironise, que fait-on si ce n’ est trahir le tourment innombrable et obsédant de l’amour en rupture de l
33 ble et obsédant de l’amour en rupture de loi ? Ne serait -ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réalité ? Tourner la
34 stique ou en farce, c’est toujours avouer qu’elle est insupportable… Mal-mariés, déçus, révoltés, exaltés ou cyniques, infi
35 xaltés ou cyniques, infidèles ou trompés : que ce soit en fait ou en rêve, dans le remords ou dans la crainte, dans le plais
36 ir de la révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’hommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catég
37 s questions des plus naïves, en ce domaine, aient été plus souvent résolues que posées… Par exemple, le mal constaté, faut-
38 se » qui la ruine au cœur même de nos ambitions ? Est -ce vraiment, comme beaucoup le pensent, la conception dite « chrétien
39 e qui cause tout notre tourment, ou au contraire, est -ce une conception de l’amour dont on n’a peut-être pas vu qu’elle ren
40 ntradiction ? Si le secret de la crise du mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous vient ce goût du malheu
41 mmédiate vérification. ⁂ Mais d’abord, dira-t-on, est -il exact que le roman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’es
42 , dira-t-on, est-il exact que le roman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’est-ce pas détruire son charme que d’ess
43 oman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’ est -ce pas détruire son charme que d’essayer de l’analyser ? Nous n’en so
44 on charme que d’essayer de l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop
45 alyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi
46 pourrait dire d’une manière générale qu’un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un
47 procèdent donc de l’élément sacré autour duquel s’ est constitué le groupe. (Récits symboliques de la vie et de la mort des
48 ent : un mythe n’a pas d’auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l’est en partie. Il se présente comme l’exp
49 Son origine doit être obscure. Et son sens même l’ est en partie. Il se présente comme l’expression tout anonyme de réalités
50 inte sur le public. Si belle et puissante qu’elle soit , on peut toujours la critiquer, ou la goûter pour des raisons individ
51 hevalerie du xiie et du xiiie siècle. Ce groupe est à vrai dire dissous depuis longtemps. Pourtant ses lois sont encore l
52 dire dissous depuis longtemps. Pourtant ses lois sont encore les nôtres d’une manière secrète et diffuse. Profanées et reni
53 ofanées et reniées par nos codes officiels, elles sont devenues d’autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir
54 rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l’auteur — à s
55 — à supposer qu’il y en eût un, et un seul — nous est totalement inconnu. Les cinq versions « originales » qui nous restent
56 Les cinq versions « originales » qui nous restent sont des remaniements artistiques d’un archétype dont on n’a pu trouver la
57 r) d’un ensemble de règles et de cérémonies qui n’ est autre que la coutume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de
58 alerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie furent souvent appelés « religions ». Chastellain, chroniqueur de la Bourgog
59 e sacré, en un siècle où pourtant la chevalerie n’ était plus guère qu’une survivance3. Enfin la nature même de l’obscurité qu
60 l ne réside pas dans sa forme d’expression4. Elle tient d’une part au mystère de son origine, et d’autre part à l’importance
61 des faits que le mythe symbolise. Si ces faits n’ étaient pas obscurs, ou s’il n’y avait quelque intérêt à obscurcir leur origi
62 résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière
63 e. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste ou directe.
64 directe. Au contraire, le mythe paraît lorsqu’il serait dangereux ou impossible d’avouer clairement un certain nombre de fait
65 u religieux, ou de relations affectives, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il est impossible de détruire. Nous n’av
66 s, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il est impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemp
67 rimer le fait obscur et inavouable que la passion est liée à la mort, et qu’elle entraîne la destruction pour ceux qui s’y
68 ignantes d’un vrai mythe ? Cette question ne peut être esquivée. Elle nous porte au cœur du problème et de son actualité. Pr
69 Il faut bien voir que ces « cérémonies » sociales sont des moyens de faire admettre un contenu antisocial, qui est la passio
70 yens de faire admettre un contenu antisocial, qui est la passion. Le mot « contenu » prend ici toute sa force : la passion
71 toute sa force : la passion de Tristan et d’Iseut est littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie. C’est à c
72 olérable. Il faut donc que les groupes constitués soient capables de lui opposer une structure fortement charpentée, pour qu’e
73 le lien social vienne à faiblir, ou que le groupe soit dissocié, le mythe cessera d’être un mythe au sens strict. Mais ce qu
74 u que le groupe soit dissocié, le mythe cessera d’ être un mythe au sens strict. Mais ce qu’il aura perdu en force contraigna
75 vre — les usages qu’il faut observer si l’on veut être un gentleman — perdra ses dernières vertus, la passion « contenue » d
76 es inventera au besoin… Car nous verrons que ce n’ est pas seulement la nature de la société, mais l’ardeur même de la sombr
77 une réaction vive. Le succès du Roman de Tristan fut donc d’ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’exprimer en sa
78 raît, cette passion n’en subsiste pas moins. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie de la société. Elle tend toujou
79 ’il provoque. Le mythe de Tristan et Iseut, ce ne sera plus seulement le Roman, mais le phénomène qu’il illustre, et dont l’
80 inte qui l’exalte, charme, terreur ou idéal : tel est le mythe qui nous tourmente. Qu’il ait perdu sa forme primitive voilà
81 miraculeuses. Le mythe agit partout où la passion est rêvée comme un idéal, non point redoutée comme une fièvre maligne ; p
82 comme une fièvre maligne ; partout où sa fatalité est appelée, invoquée, imaginée comme une belle et désirable catastrophe,
83 it de la vie même de ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était le philtre du Roman) ; qu’il fond sur l’homme i
84 et ravi pour le consumer d’un feu pur ; et qu’il est plus fort et plus vrai que le bonheur, la société et la morale. Il vi
85 Il vit de la vie même du romantisme en nous ; il est le grand mystère de cette religion dont les poètes du siècle passé se
86 tte influence et de sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous sera donnée ici même par une certaine
87 ue, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous sera donnée ici même par une certaine répugnance du lecteur à envisager mo
88 à envisager mon projet. Le Roman de Tristan nous est « sacré » dans la mesure exacte où l’on estimera que je commets un « 
89 mort du coupable. Le sacré qui entre ici en jeu n’ est plus qu’une survivance obscure et déprimée. Je ne courrai donc guère
90 (Et certes, le sens inconscient d’un tel geste n’ est rien de moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant il demeure san
91 faut-il croire que cela signifie que la passion n’ est point sacrée pour toi ? Ou simplement que les hommes d’aujourd’hui ne
92 i ? Ou simplement que les hommes d’aujourd’hui ne sont pas moins débiles dans leurs passions que dans leurs gestes de réprob
93 de réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, où sera le courage que l’on réclame des écrivains ? Faudra-t-il qu’ils l’exer
94 définir « une épopée de l’adultère ». La formule est sans doute exacte, si l’on se borne à considérer la donnée sèche du R
95 restrictive. Peut-on soutenir que la faute morale est le vrai sujet de la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne se
96 la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne serait -il qu’un opéra de l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’est-ce que cel
97 ’un opéra de l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’ est -ce que cela ? Un vilain mot ? Une rupture de contrat ? C’est cela aus
98 ? Une rupture de contrat ? C’est cela aussi, ce n’ est que cela dans trop de cas ; mais c’est souvent bien davantage : une a
99 es raisons de persévérer, et l’on jugera si elles sont diaboliques. La première est que nous sommes parvenus au point de dés
100 ’on jugera si elles sont diaboliques. La première est que nous sommes parvenus au point de désordre social où l’immoralisme
101 elles sont diaboliques. La première est que nous sommes parvenus au point de désordre social où l’immoralisme se révèle plus
102 morales anciennes. Le culte de l’amour-passion s’ est tellement démocratisé qu’il perd ses vertus esthétiques et sa valeur
103 t, cette « vogue » d’allure commerciale de ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût-ce même pour
104 secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût -ce même pour sauver le mythe des abus de son extrême vulgarisation. E
105 La poésie a d’autres chances. Ma seconde raison n’ est pas d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a
106 hâtive, notre culture et le ronron de nos morales sont en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de
107 ampirique crescendo du second acte de Wagner, tel est le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’es
108 ela ! » ou bien : « Que Dieu m’en garde ! » Je ne suis pas sûr que la conscience claire soit utile d’une manière générale, e
109 e ! » Je ne suis pas sûr que la conscience claire soit utile d’une manière générale, et en soi. Ni que les vérités utiles so
110 re générale, et en soi. Ni que les vérités utiles soient avouables sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité » de mon ent
111 es soient avouables sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité » de mon entreprise, notre sort n’en demeure pas moins, à
112 phe, du moraliste, du créateur de formes idéales, est simplement d’accroître la conscience, donc la mauvaise conscience des
113 Qui sait où cela peut nous mener ? Là-dessus, il est temps de passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite e
114 l’opération annoncée. La condition de sa réussite est sans doute une certaine froideur avec laquelle nous la mènerons. Sour
115 mission de le combattre, au moment où il pourrait être armé chevalier, donc peu après sa puberté. Il le tue, mais il en a re
116 remède qui peut le sauver. Mais le géant Morholt était le frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’avouer son nom
117 un jeune paladin.) Blessé par le monstre, Tristan est soigné de nouveau par Iseut. Un jour, cette princesse découvre que le
118 Un jour, cette princesse découvre que le blessé n’ est autre que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et
119 ’a chargé. Et Iseut lui fait grâce, car elle veut être reine. (Selon certains auteurs, c’est aussi qu’elle admire la beauté
120 de Marc. En haute mer, le vent tombe, la chaleur est pesante. Ils ont soif. La servante Brangien leur donne à boire. Mais
121 e ces variantes, comme nous le verrons.) La faute est donc consommée. Mais Tristan reste lié par la mission qu’il a reçue d
122 ent au roi l’amour de Tristan et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvelle ruse (scène du verger), il con
123 sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux et Tristan con
124 é. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux et Tristan condamné à mort. Il s’évade
125 Tristan de demeurer dans le pays jusqu’à ce qu’il soit certain que Marc la traite bien. Puis, par une dernière ruse féminine
126 in de qui n’a pas menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’aucun homme, hors ceux du roi son maître et du manant
127 ent au lit de Tristan et lui annonce que la voile est noire. Tristan meurt. Iseut la blonde débarque à cet instant, monte a
128 es, on s’aperçoit que sa donnée ni son progrès ne sont dépourvus d’équivoque. J’ai passé quantité d’épisodes accessoires, ma
129 choses : Tristan conduit Iseut au roi parce qu’il est lié par la fidélité du chevalier ; — les amants se séparent, au terme
130 e que par une ruse improvisée in extremis, et qui est donnée comme trompant Dieu lui-même, puisque le miracle s’opère9 ! En
131 puisque le miracle s’opère9 ! Enfin, ce jugement étant acquis, la reine passe pour innocente. Tristan l’est donc aussi, et l
132 acquis, la reine passe pour innocente. Tristan l’ est donc aussi, et l’on ne voit plus du tout ce qui s’opposerait à son re
133 près du roi, donc auprès d’Iseut… D’autre part, n’ est -il pas fort étrange que les poètes du xiiie siècle, si exigeants dès
134 t, ils n’ont du moins ni menti ni trompé, et ce n’ est pas le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même
135 on ne peut s’empêcher de penser que ces scrupules sont bien tardifs et peu sincères, puisque Tristan n’a de cesse qu’il ne r
136 auprès d’Iseut… Et ce philtre qui cesse d’agir, n’ était -il pas destiné aux époux ? Alors, pourquoi limiter sa durée ? Trois a
137 lors, pourquoi limiter sa durée ? Trois ans, ce n’ est guère pour le bonheur d’un couple. Et quand Tristan épouse l’autre Is
138 ur sa beauté » mais cependant la laisse vierge, n’ est -il pas évident que rien ne l’oblige à ce mariage et à cette chasteté
139 ur et le devoir ». Cette interprétation classique est d’un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle par
140 s romans bretons la reflètent et la cultivent. Il est probable que la chevalerie courtoise ne fut guère qu’un idéal. Les pr
141 t. Il est probable que la chevalerie courtoise ne fut guère qu’un idéal. Les premiers auteurs qui en parlent ont l’habitude
142 elle vient à peine de naître dans leurs rêves. N’ est -il pas de l’essence d’un idéal que l’on déplore sa décadence à l’inst
143 se réaliser ? D’autre part, la chance du roman n’ est -elle pas d’opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités
144 ns « félons ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu de dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneu
145  félons ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu de dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : i
146 ur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : il est « félon » s’il ne le fait pas. Or, dans Tristan, les barons dénoncent
147 en vertu d’un autre code évidemment, qui ne peut être que celui de la chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de
148 idi. La décision des cours d’amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets de l’amour cour
149 rs d’amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets de l’amour courtois. Ce seul exemple suf
150 a fidélité et du mariage, selon l’amour courtois, est seule capable d’expliquer certaines contradictions frappantes du réci
151 la thèse officiellement admise, l’amour courtois est né d’une réaction à l’anarchie brutale des mœurs féodales. On sait qu
152 éodales. On sait que le mariage, au xiie siècle, était devenu pour les seigneurs une pure et simple occasion de s’enrichir,
153 ient même à déclarer que l’amour et le mariage ne sont pas compatibles : c’est le fameux jugement d’une cour d’amour tenue c
154 e telle manière de voir, la félonie et l’adultère sont excusés, et plus qu’excusés, magnifiés comme exprimant une intrépide
155 ui désire l’entière possession de sa dame. Cela n’ est plus amour, qui tourne à la réalité 11. » Voilà qui nous met sur la v
156 toute liberté, car nous avons marqué plus haut qu’ étant plus fort que le Roi et les barons, il pourrait, dans le plan féodal
157 ? Répondre : ainsi le veut l’amour courtois, ce n’ est pas encore répondre sur le fond, car il s’agit de savoir pourquoi l’o
158 notre résumé de la légende, on ne peut manquer d’ être frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie et m
159 entrent en jeu, chevalerie et morale féodale, ne sont observées par l’auteur que dans les seules situations où elles permet
160 e une explication. À chacune de nos questions, il serait évidemment facile de répondre : les choses se passent ainsi parce qu’
161 nsciente sagesse : c’est qu’on pressent qu’elle n’ est pas sans danger. Elle nous met en effet au cœur de tout le problème —
162 te volonté, il n’y aura plus de vraisemblance qui tienne  : c’est ce qui se passe dans le cas de l’Histoire scientifique. (Le l
163 cientifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera d’autant plus exigeant qu’il sait que le déroulement des faits ne doi
164 ’est le cas du conte. Entre ces deux extrêmes, il est autant de niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : l
165 désire éprouver. Ainsi, le vrai sujet d’une œuvre est révélé par la nature des « trucs » que l’auteur fait intervenir, et q
166 es extérieurs qui s’opposent à l’amour de Tristan sont dans un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne sont, à tout pr
167 un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne sont , à tout prendre, que des artifices romanesques. Or il résulte de nos
168 on qu’elle met en jeu. Il faut sentir qu’ici tout est symbole, tout se tient, tout se compose à la manière d’un rêve, et no
169 . Il faut sentir qu’ici tout est symbole, tout se tient , tout se compose à la manière d’un rêve, et non point à celle de nos
170 qu’il suppose chez son lecteur. Les « faits » ne sont que les images ou les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose, d
171 tent comme à plaisir, — bien qu’ils en souffrent. Serait -ce alors pour le plaisir du romancier et du lecteur ? Mais c’est tout
172 e du roman tel que l’aiment les Occidentaux. Quel est alors le vrai sujet de la légende ? La séparation des amants ? Oui, m
173 cette passion qui ressemble au vertige… Mais ce n’ est plus l’heure de se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le
174 Mais ce n’est plus l’heure de se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le charme, nous co-naissons au « tourment dé
175 ons au « tourment délicieux ». Toute condamnation serait vaine : on ne condamne pas le vertige. Mais la passion du philosophe
176 e pas le vertige. Mais la passion du philosophe n’ est -elle point de méditer dans le vertige ? Il se peut que la connaissanc
177 ns le vertige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien d’autre que l’effort d’un esprit qui résiste à la chute, et qui
178 re ; il me plaît ; je me réjouis de lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas de quo
179 de lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas de quoi je me plains, car mon mal me vi
180 éablement, et tant de joie dans ma douleur que je suis malade avec délices. Chrétien de Troyes. Il faut avoir l’audace de
181 de poser la question : Tristan aime-t-il Iseut ? Est -il aimé par elle ? (Seules les questions « stupides » peuvent nous in
182 i passe pour évident cache quelque chose qui ne l’ est point, comme l’a dit à peu près Valéry.) Rien d’humain ne paraît rap
183 lité. Tout porte à croire que librement ils ne se fussent jamais choisis. Mais ils ont bu le philtre, et voici la passion. Une
184 dolor. Dira-t-on que les poètes de cette époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus, et qu’ils n’éprouva
185 e époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus, et qu’ils n’éprouvaient pas le besoin d’insister sur ce qui
186 ns la forêt. Ses deux scènes les plus belles, qui sont peut-être aussi les plus profondes de la légende, ce sont les deux vi
187 t-être aussi les plus profondes de la légende, ce sont les deux visites que les amants font à l’ermite Ogrin. La première fo
188 iez. La situation dans laquelle ils se trouvent est donc passionnément contradictoire : ils aiment, mais ils ne s’aiment
189 mais ils ne peuvent s’en repentir, puisqu’ils ne sont pas responsables ; ils se confessent, mais ne veulent pas guérir, ni
190 gue, et où les contraires s’excluent. L’aveu n’en est pas moins formel : « Il ne m’aime pas, ne je lui. » Tout se passe com
191 de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être tel qu’ils le connaissent. Les traits physiques et psychologiques de
192 et psychologiques de cet homme et de cette femme sont parfaitement conventionnels et rhétoriques. Lui, c’est « le plus fort
193 pes à ce point simplifiés ? L’« amistié » dont il est question à propos de la durée du philtre est le contraire d’une amiti
194 t il est question à propos de la durée du philtre est le contraire d’une amitié réelle. Bien plus, si l’amitié morale se fa
195 Bien plus, si l’amitié morale se fait jour, ce n’ est qu’au moment où la passion faiblit. Et le premier effet de cette amit
196 . Et le premier effet de cette amitié naissante n’ est pas : du tout d’unir davantage les amants, mais au contraire de leur
197 plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li troi an. Tristan chassait dans la forêt. Soudain, il se souvient
198 ! Il songe que dans cette aventure, elle pourrait être « en beles chambres… portendües de dras de soie ». Iseut de son côté,
199 uson notre jovente… ». La décision de se séparer est bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretagne. Auparavant,
200 Iseut : Dex ! dist Tristan, quel departie ! Mot est dolenz qui pert s’amie… C’est sur sa propre peine qu’il s’apitoie. I
201 et bien que le philtre n’agisse plus, les amants seront repris par la passion, jusqu’au point qu’ils en perdront la vie, « lu
202 l’infini dans l’instant de l’obstacle absolu, qui est la mort. Tristan aime se sentir aimer, bien plus qu’il n’aime Iseut l
203 ’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il est  ; et non de la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence !
204 pothéose. Dualité irrémédiable et désirée ! « Mot est dolenz qui pert s’amie » soupire Tristan. Pourtant il sent déjà, au f
205 aut pousser plus loin : l’amabam amare d’Augustin est une émouvante formule dont lui-même ne s’est pas satisfait. L’obstacl
206 stin est une émouvante formule dont lui-même ne s’ est pas satisfait. L’obstacle dont nous avons souvent parlé, et la créati
207 sque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’ est -il qu’un prétexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’est-il p
208 étexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’ est -il pas lié à la passion d’une manière beaucoup plus profonde ? N’est-
209 passion d’une manière beaucoup plus profonde ? N’ est -il pas l’objet même de la passion, — si l’on descend au fond du mythe
210 cessifs des amants13. Or les causes de séparation sont de deux sortes ; circonstances extérieures adverses, entraves inventé
211 pas de la même manière dans les deux cas. Et il n’ est pas sans intérêt de dégager cette dialectique de l’obstacle dans le R
212 alectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce sont les circonstances sociales qui menacent les amants (présence de Marc,
213 -dessus l’obstacle (le saut d’un lit à l’autre en est le symbole). Quitte à souffrir (sa blessure se rouvre) et à risquer s
214 risquer sa vie (il se sait épié). Mais la passion est alors si violente, si animale pourrait-on dire, qu’il oublie la doule
215 du péril pour lui-même. Mais tant que le péril n’ est qu’une menace tout extérieure, la prouesse par laquelle Tristan le su
216 ure, la prouesse par laquelle Tristan le surmonte est une affirmation de la vie. En tout cela ; Tristan n’obéit qu’à la cou
217 s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit d’ être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avons vu que cela le conduirait à
218 ever la reine à son roi. Et que le droit établi n’ est soudain respecté, à ce moment, que parce qu’il fournit un prétexte à
219 n prétexte à faire rebondir le roman. Toute autre est l’attitude du chevalier lorsque rien d’extérieur à eux-mêmes ne sépar
220 is-ci contre lui-même, à ses dépens. Puisqu’il en est lui-même le fauteur, c’est un obstacle qu’il ne peut plus vaincre ! N
221 tive plus forte que la passion même. La mort, qui est le but de la passion, la tue. Mais l’épée nue n’est pas encore l’expr
222 t le but de la passion, la tue. Mais l’épée nue n’ est pas encore l’expression décisive du désir sombre, de la fin même de l
223 ns symbolique : l’action empêche la « passion » d’ être totale, car la passion, c’est « ce que l’on subit » — à la limite, c’
224 , c’est la mort. En d’autres termes, cette action est un nouveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂
225 es mains avec Tristan. Le premier de ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari
226 remier de ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé par l’amour court
227 pas que Tristan puisse jamais épouser Iseut. Elle est le type de la femme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l
228 on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait d’ être ce qu’elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation de
229 l’aimer, puisqu’elle cesserait d’être ce qu’elle est . Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation de la passion, au
230 amoureuse spontanée, couronnée et non combattue, est par essence peu durable. C’est une flambée qui ne peut pas survivre à
231 x qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier est telle qu’il les aura bientôt tous surmontés. C’est alors qu’il s’éloi
232 e erreur — provoquée par le nom des deux femmes — est la seule « raison » du mariage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait
233 ison » du mariage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé de s’expliquer. Mais une fois de plus, l’honneur interviendra, e
234 il ruine ainsi par l’intérieur). Prouesse dont il est la victime ! La chasteté du chevalier marié répond à la déposition de
235 es dont Tristan sorte purifié ; vers une mort qui soit une transfiguration, et non pas un hasard brutal. Il s’agit donc touj
236 de la dialectique passion-obstacle. Vraiment ce n’ est plus l’obstacle qui est au service de la passion fatale, mais au cont
237 n-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’obstacle qui est au service de la passion fatale, mais au contraire il est devenu le b
238 ervice de la passion fatale, mais au contraire il est devenu le but, la fin désirée pour elle-même. Et la passion n’a donc
239 ité même qui l’a créé. Le sens réel de la passion est tellement effrayant et inavouable, que non seulement ceux qui la vive
240 e savoir si les auteurs des cinq poèmes primitifs étaient ou non conscients de la portée de leur œuvre. En tout état de cause,
241 et l’objet reste inavoué, mais tout de même il y est fait allusion, et par là, dans une certaine mesure, des exigences inc
242 n », « qu’il n’y attache pas d’importance ». S’il est poète, il parlera d’inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne
243 inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court de bonnes raisons pour démontrer qu’il n’est responsab
244 à court de bonnes raisons pour démontrer qu’il n’ est responsable de rien… Imaginons maintenant le problème qui se posait à
245 chevaleresque, comme d’ailleurs toute rhétorique, est le moyen de faire passer pour « naturelles » les plus obscures propos
246 ctions qu’elle impose. Pour la magie, voici quel sera son rôle. Il s’agit de dépeindre une passion dont la violence fascina
247 e une passion dont la violence fascinante ne peut être acceptée sans scrupules. Elle apparaît barbare dans ses effets. Elle
248 ules. Elle apparaît barbare dans ses effets. Elle est proscrite par l’Église comme un péché ; par la raison comme un excès
249 par erreur, se révèle désormais nécessaire14. Qu’ est -ce alors que le philtre ? C’est l’alibi de la passion. C’est ce qui p
250 lheureux amants de dire : « Vous voyez que je n’y suis pour rien, vous voyez que c’est plus fort que moi. » Et cependant, no
251 eur de cette fatalité trompeuse, tous leurs actes sont orientés vers le destin mortel qu’ils aiment, avec une sorte d’astuci
252 abri du jugement. Nos actions les moins calculées sont parfois les plus efficaces. La pierre qu’on lance « sans viser » va d
253 Et c’est pourquoi les plus belles scènes du Roman sont celles que les auteurs n’ont pas su commenter, et qu’ils décrivent co
254 roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire quelle est la fin qu’ils se préparent de toute leur volonté profonde, et plus qu
255 Jour qui l’offusque ? et qu’il attend de tout son être l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucoup plus tard, o
256 l attend de tout son être l’anéantissement de son être  ? Certains poètes, beaucoup plus tard, ont osé cet aveu suprême. Mais
257 ont osé cet aveu suprême. Mais la foule dit : ce sont des fous. Et la passion que le romancier désire flatter chez l’audite
258 inaire, plus débile. Il y a peu de chance qu’elle soit jamais poussée à s’avouer par son excès indubitable, par une mort qui
259 tiques ont fait plus qu’avouer : ils ont su et se sont expliqués. Mais s’ils ont affronté « la Nuit obscure » avec la plus s
260 et « lumineuse » se substituerait à la leur. Ce n’ était pas le dieu sans nom du philtre, une force aveugle ou le Néant, qui s
261 dont il rejette avec horreur la connaissance. Il tient son excuse toute prête, et elle le trompe mieux que quiconque : c’est
262 r exemplaire de sa vie. Les raisons de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables au Jour15. Elles
263 s de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables au Jour15. Elles le méprisent. Tristan s’est fait p
264 nicables au Jour15. Elles le méprisent. Tristan s’ est fait prisonnier d’un délire auprès duquel pâlissent toute sagesse, to
265 ute sagesse, toute « vérité », et la vie même. Il est au-delà de nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’insta
266 ce vers l’instant suprême où la totale jouissance est de sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent décrire la Nuit, mais la « 
267 soir, lorsqu’en un temps lointain la mort du père fut annoncée au fils. Dans l’aube sinistre, tu me cherchais, de plus en p
268 t voici qu’elle me parle encore. Pour quel destin suis -je né ? Pour quel destin ? La vieille mélodie me répète : — Pour dési
269 maudire ses astres, sa naissance, mais la musique est savante, vraiment, et elle nous chante immensément le beau secret : c
270 n’a pas cessé de refouler, — de préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa persistance nous invite à porter sur l’a
271 ? Pourquoi veut-il cet amour dont l’éclat ne peut être que son suicide ? C’est qu’il se connaît et s’éprouve sous le coup de
272 a limite, ce goût de la collision révélatrice qui est sans doute la plus inarrachable des racines de l’instinct de la guerr
273 eur. Que ce malheur, selon la force de notre âme, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décadence, ou la souff
274 nnonce pas le Jour, mais la Nuit ! La « vraie vie est ailleurs », dit Rimbaud. Elle n’est qu’un des noms de la Mort, le seu
275 a « vraie vie est ailleurs », dit Rimbaud. Elle n’ est qu’un des noms de la Mort, le seul nom par lequel nous osions l’appel
276 la douleur, et spécialement la douleur amoureuse, est un moyen privilégié de connaissance. Certes, cela vaut pour les meill
277 vient retarder l’heureux accomplissement. Ainsi, soit qu’on désire l’amour le plus conscient, ou simplement l’amour le plus
278 t non pas la présence, nous émeuvent. La présence est inexprimable, elle ne possède aucune durée sensible, elle ne peut êtr
279 le ne possède aucune durée sensible, elle ne peut être qu’un instant de grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on
280 dans la littérature occidentale. Et l’amour qui n’ est pas réciproque ne passe point pour un amour vrai. La grande trouvaill
281 t Iseut « s’entr’aiment », ou du moins, qu’ils en sont persuadés. Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre, d’une fid
282 t », ou du moins, qu’ils en sont persuadés. Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre, d’une fidélité exemplaire. Mai
283 , qu’ils en sont persuadés. Et il est vrai qu’ils sont , l’un envers l’autre, d’une fidélité exemplaire. Mais le malheur, c’e
284 malheur, c’est que l’amour qui les « demeine » n’ est pas l’amour de l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’
285  demeine » n’est pas l’amour de l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’entr’aiment, mais chacun n’aime l’aut
286 lande, où t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile, sont -ce tes soupirs ? Souffle, souffle ô vent ! Malheur, ah ! malheur, fil
287 it, — la jouissance de la vie. Mais cette perte n’ est pas sentie comme un appauvrissement, bien au contraire. On s’imagine
288 s magnifiquement. C’est que l’approche de la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, l
289 rète de l’obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’ est encore là que le masque d’un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacl
290 ébut de la passion, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin racheté. Cette analyse du mythe primitif livre
291 on, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin racheté. Cette analyse du mythe primitif livre quelques secrets
292 primitif livre quelques secrets dont l’importance est appréciable, — mais dont la conscience commune doit renier l’intime é
293 je le sens bien, et m’en console si les résultats sont exacts ; que certaines conjectures soient discutables, je l’admettrai
294 résultats sont exacts ; que certaines conjectures soient discutables, je l’admettrai sans peine devant les preuves ; mais quoi
295 Nous savons, par la fin du mythe, que la passion est une ascèse. Elle s’oppose à la vie terrestre d’une manière d’autant p
296 Incidemment, nous avons indiqué qu’un tel amour n’ est pas sans lien profond avec notre goût de la guerre. Enfin, s’il est v
297 profond avec notre goût de la guerre. Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin de la passion, sont des aspects de
298 vrai que la passion, et le besoin de la passion, sont des aspects de notre mode occidental de connaissance, il faut en veni
299 e de toutes. Connaître à travers la souffrance, n’ est -ce pas l’acte même, et l’audace, de nos mystiques les plus lucides ?
300 au sens noble, et mystique : que l’une de l’autre soit cause ou effet, ou qu’elles aient une commune origine — ces deux « pa
301 t voici qu’elle me parle encore. Pour quel destin suis -je né ? Pour quel destin ? La vieille mélodie me répète : — Pour dési
302 es relations que nous venons de dégager. 1. Il est assez facile d’éliminer, par une comparaison critique, les fantaisies
303 gende qu’on trouvera au chapitre 5, ces variantes seront négligées pour autant qu’elles s’expliquent trop aisément par des cir
304 r. 2. Voir Appendice 1. 3. Appendice 2. 4. Ce serait ici le langage du poème : or on sait qu’il est des plus simples. 5.
305 serait ici le langage du poème : or on sait qu’il est des plus simples. 5. La raison dont je parle ici étant l’activité pr
306 des plus simples. 5. La raison dont je parle ici étant l’activité profanatrice qui s’exerce aux dépens du sacré collectif et
307 et qui en libère l’individu. Que le rationalisme soit passé au rang de doctrine officielle ne doit pas nous faire oublier s
308 de l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’ étaient couchés pour se reposer à cause de la forte chaleur, et dormaient ain
309 séparés l’un de l’autre parce que… » Ici le texte est interrompu ! Et Bédier dit en note : « Passage inintelligible. » Quel
310 sage inintelligible. » Quelle puissance maléfique est donc intervenue pour brouiller le seul texte qui pût éclaircir le mys
311 tfried de Strasbourg insiste avec cynisme : « Ce fut ainsi chose manifeste — Et avérée devant tous — Que le très glorieux
312 dont on s’habille — Il se prête au gré de tous —  Soit à la sincérité soit à la tromperie — Il est toujours ce qu’on veut qu
313 Il se prête au gré de tous — Soit à la sincérité soit à la tromperie — Il est toujours ce qu’on veut qu’il soit… » 10. E
314 us — Soit à la sincérité soit à la tromperie — Il est toujours ce qu’on veut qu’il soit… » 10. Et qu’il avait conquise d
315 a tromperie — Il est toujours ce qu’on veut qu’il soit … » 10. Et qu’il avait conquise de plein droit pour lui-même en la
316 vençale, I, p. 512. 12. Précisons que : 1° elles sont observées tour à tour, en vertu d’un calcul secret ; car si l’on choi
317 a situation se dénouerait trop vite ; 2° elles ne sont pas toujours observées : ainsi le péché consommé dès que les amants o
318 ché consommé dès que les amants ont bu le philtre est un péché aux yeux de l’amour courtois non moins qu’aux yeux de la mor
319 tan revient à la cour. Le « flagrant délit ». Ils sont séparés. — Ils se retrouvent et passent trois ans dans la forêt, puis
320 yeux du moraliste. Inférieur en ceci à Béroul il sera le premier responsable de la dégradation du mythe. 15. Dans le drame
321 emandes. » Et plus tard, quand il meurt : « Je ne suis pas resté au lieu de mon réveil. Mais où ai-je fait séjour ? Je ne sa
322 séjour ? Je ne saurais le dire… C’était là où je fus toujours, et là où j’irai pour toujours : le vaste empire de l’éterne
323 l’éternelle nuit. Là-bas, une science unique nous est donnée : le divin, l’éternel, l’originel oubli… Oh ! si je pouvais le
3 1939, L’Amour et l’Occident. Livre II. Les origines religieuses du mythe
324 the 1.L’« obstacle » naturel et sacré Nous sommes tous plus ou moins matérialistes, nous autres héritiers du xixe . Qu’
325 es de faits « spirituels », aussitôt nous croyons tenir une explication de ces faits. Le plus bas nous paraît le plus vrai. C
326 a vu le jeu au cours de notre analyse du mythe, n’ est -il pas d’origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’est-ce pas
327 ’origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’ est -ce pas la ruse la plus élémentaire du désir ? Et l’homme n’est-il pas
328 ruse la plus élémentaire du désir ? Et l’homme n’ est -il pas « ainsi fait » qu’il s’impose parfois une certaine continence,
329 . « C’est afin — lui fait dire Plutarque — qu’ils soient toujours plus forts et dispos de leur corps, et qu’en ne jouissant pa
330 lus valeureux. Or la vertu d’une telle discipline est relative à la vie même, non à l’esprit. Elle cède au succès obtenu. E
331 cherche rien au-delà. L’eugénisme d’un Lycurgue n’ est nullement ascétique, puisqu’il vise au contraire à la meilleure propa
332 les tribus exogamiques. La morale de la prouesse est une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plus anciennes trad
333 la nécessité d’une sélection biologique. Et il n’ est pas jusqu’au désir de la mort que l’on ne puisse « ramener » à l’inst
334 assez que pour les Grecs et les Romains, l’amour est une maladie (Ménandre) dans la mesure où il transcende la volupté qui
335 e) dans la mesure où il transcende la volupté qui est sa fin naturelle. C’est une « frénésie », dit Plutarque. « Aucuns ont
336 ont pensé que c’était une rage… Ainsi à ceux qui sont amoureux, il leur faut pardonner comme étant malades… » D’où vient al
337 x qui sont amoureux, il leur faut pardonner comme étant malades… » D’où vient alors cette glorification de la passion, qui es
338 ient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce qui nous touche dans le Roman ? Parler de déviation de l
339 ire puisqu’il s’agit de savoir, précisément, quel est le facteur qui a pu causer cette déviation. 2.Éros, ou le Désir sa
340 l’âme, pour la troubler d’humeurs malignes. Ce n’ est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce de fureur
341 . Ce n’est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce de fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans
342 de la divinité et porte notre élan vers Dieu. Tel est l’amour platonicien : « délire divin », transport de l’âme, folie et
343 ort de l’âme, folie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’être aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie
344 lie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’ être aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie qui monte par de
345 e l’être aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie qui monte par degrés d’extase vers l’origine unique de tout c
346 ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’ être soi et d’être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c
347 et distingue, au-delà du malheur d’être soi et d’ être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c’est l’Aspirat
348 ute puissance, à l’extrême exigence de pureté qui est l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’ê
349 l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’é
350 d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’ être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’élan suprême du dési
351 é. Ainsi l’élan suprême du désir aboutit à ce qui est non-désir. La dialectique d’Éros introduit dans la vie quelque chose
352 cension de l’homme vers son dieu. Et ce mouvement est sans retour. ⁂ Les origines iraniennes et orphiques du platonisme son
353 es origines iraniennes et orphiques du platonisme sont encore mal connues mais certaines. Et par Plotin et l’Aréopagite, cet
354 . Et par Plotin et l’Aréopagite, cette doctrine s’ est transmise au monde médiéval. Ainsi l’Orient vint rêver dans nos vies,
355 ou quelque harmonie ancestrale — toutes nos races sont venues d’Orient — ou simplement si la nature humaine n’est point port
356 s d’Orient — ou simplement si la nature humaine n’ est point portée en tous lieux et tous temps à diviniser son Désir dans d
357 druides sur l’immortalité. La mythologie comparée est la plus périlleuse des sciences, si l’on excepte l’étymologie dont el
358 merci du calembour le plus tentant… Quoi qu’il en soit , certaines convergences générales se dégagent des travaux récents, re
359 t l’extension de l’Empire romain. Or les Celtes n’ étaient pas une nation. Ils n’avaient pas d’autre « unité » que celle d’une c
360 le d’une civilisation, dont le principe spirituel était maintenu par le collège sacerdotal des druides. Ce collège à son tour
361 e sacerdotal des druides. Ce collège à son tour n’ était nullement l’émanation des petits peuples ou tribus, mais « une instit
362 religieuses douées de pouvoirs très étendus. Ils étaient à la fois devins, magiciens, médecins, prêtres, professeurs. Ils n’éc
363 rte d’ailleurs le même nom que le brahmane.18) Il est certain que les Celtes croyaient à une vie après la mort. Vie aventur
364 mort. C’était une compagne familière dont ils se sont plu à déguiser le caractère inquiétant ». De même, dans leur mytholog
365 t domine tout, et tout la découvre »19. Et cela n’ est pas sans inciter à des rapprochements très précis avec ce que l’on a
366 Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, aut
367 vre : la conception de la femme chez les Celtes n’ est pas sans rappeler la dialectique platonicienne de l’Amour. La femme f
368 l’Amour. La femme figure aux yeux des druides un être divin et prophétique. C’est la Velléda des Martyrs, le fantôme lumine
369 perdu dans sa rêverie nocturne : « Sais-tu que je suis fée ? », dit-elle. Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole
370 stérieux », c’était l’invitation à désirer ce qui est au-delà des formes incarnées. Mais elle est belle et désirable en soi
371 e qui est au-delà des formes incarnées. Mais elle est belle et désirable en soi… Et pourtant sa nature est fuyante. « L’Éte
372 belle et désirable en soi… Et pourtant sa nature est fuyante. « L’Éternel féminin nous entraîne », dira Goethe. Et Novalis
373 entraîne », dira Goethe. Et Novalis : « La femme est le but de l’homme. » Ainsi l’aspiration vers la Lumière prend pour sy
374 es. Le grand Jour incréé, aux yeux de la chair, n’ est que la Nuit. Mais notre jour, aux yeux du dieu qui réside par-delà le
375 il souffre volupté, même quand il croit aimer un être … On parle trop de nirvana et de bouddhisme à propos de l’opéra wagnér
376 les éléments les plus actifs de son philtre ! Il est frappant de constater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de
377 et aux invasions germaniques. « Les Gallo-Romains sont restés pour la plupart des Celtes déguisés. Si bien qu’après les inva
378 aître en Gaule des modes et des goûts qui avaient été ceux des Celtes.20 » L’art roman et les langues romanes attestent l’i
379 ’importance de l’héritage celtique. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes b
380 la Bretagne, nous constatons qu’une religion s’y est répandue, d’une manière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle
381 le des mythes du Jour et de la Nuit tels qu’ils s’ étaient élaborés en Perse d’abord, puis dans les sectes gnostiques et orphiqu
382 éprouve de nos jours à définir cette religion ne sont pas sans nous renseigner sur sa nature profonde et sa portée humaine.
383 ature profonde et sa portée humaine. D’abord elle fut partout persécutée avec une violence inouïe par les pouvoirs ou les o
384 n vit en elle la pire menace sociale. Ses fidèles furent massacrés, leurs écrits dispersés et brûlés. Si bien que les témoigna
385 . Si bien que les témoignages sur lesquels elle a été jugée jusqu’à nos jours émanent presque exclusivement de ses adversai
386 uite, il semble bien que la doctrine de Mani (qui était originaire de l’Iran) ait pris, selon les peuples et leurs croyances,
387 n hymne manichéen récemment retrouvé et traduit21 sont invoqués et loués successivement Jésus, Mani, Ohrmuzd, Çakyamouni, et
388 in Zarhust (Zarathustra ou Zoroastre). De plus il est permis de penser que les survivances celtiques dans le Midi languedoc
389 ppements qui suivront, deux faits surtout doivent être retenus : 1° Le dogme fondamental de toutes les sectes manichéennes,
390 t des dieux Me voici en exil et séparé d’eux. Je suis un dieu, et né des dieux Mais maintenant réduit à souffrir. Ainsi l
391 estin de l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’ est pas sans évoquer d’une part la « réminiscence du Beau » dont parlent
392 se souvient de l’île des immortels. Mais cet élan est sans cesse entravé par la jalousie de Vénus (Dîbat dans le premier hy
393 e matière l’amant en proie au lumineux Désir. Tel est le combat de l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse f
394 s anges déchus dans des corps trop humains… 2. Il est très important et significatif pour nous de remarquer à la suite d’un
395 récent22 que la structure de la foi manichéenne «  est essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est de la nature prof
396 t essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition r
397 la mort le bien dernier, le rachat de la faute d’ être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse indistinction. Dè
398 u point de vue de la vie, un tel Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le grand fond du paganisme oriental-occi
399 el Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le grand fond du paganisme oriental-occidental sur lequel se détache
400 e détache notre mythe. Mais d’où vient qu’il s’en soit  « détaché », justement ? Quelle menace, quelle interdiction a contrai
401 rologue de l’Évangile de Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… En
402 : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… En elle était la vie, et la vie é
403 arole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La
404 était avec Dieu, et la Parole était Dieu… En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans l
405 arole était Dieu… En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténè
406 s, et les ténèbres ne l’ont pas reçue. (I, 1-5.) Est -ce encore le dualisme éternel, sans rémission, l’irrévocable hostilit
407 car voici la suite du passage : Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérit
408 le monde — de la Lumière dans les Ténèbres —, tel est l’événement inouï qui nous délivre du malheur de vivre. Tel est le ce
409 t inouï qui nous délivre du malheur de vivre. Tel est le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien q
410 lement » incroyable. Car le fait de l’Incarnation est la négation radicale de toute espèce de religion. Il est le suprême s
411 négation radicale de toute espèce de religion. Il est le suprême scandale, non seulement pour notre raison qui n’admet poin
412 la non-vie, la mort du corps. La Nuit et le Jour étant incompatibles, l’homme créé qui appartient à la Nuit, ne peut trouver
413 la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant d’ être , en se « perdant » au sein de la divinité. Mais le christianisme, par
414 ialectique de fond en comble. Au lieu que la mort soit le terme dernier, elle devient la première condition. Ce que l’Évangi
415 st le début d’une vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’ est pas la fuite de l’esprit hors du monde, mais son retour en force au s
416 e que l’Esprit ressaisit. Dieu — le vrai Dieu — s’ est fait homme, et vrai homme. En la personne de Jésus-Christ, les ténèbr
417 e et mort au monde en tant que le moi et le monde sont pécheurs, mais rendu à soi-même et au monde en tant que l’Esprit veut
418 ue l’Esprit veut les sauver. Désormais, l’amour n’ est plus fuite et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà de la mo
419 pparaître le prochain. Pour l’Éros, la créature n’ était qu’un prétexte illusoire, une occasion de s’enflammer ; et il fallait
420 l fallait aussitôt s’en déprendre, puisque le but était de brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particu
421 er toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’ être particulier n’était guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’Êtr
422 e brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulier n’ était guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’Être unique. Comment l’
423 ait guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’ Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n’étant
424 ’Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était  ? Le salut n’étant qu’au-delà, l’homme religieux se détournait des cr
425 nt l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n’ étant qu’au-delà, l’homme religieux se détournait des créatures ignorées pa
426 s créatures ignorées par son dieu. Mais Dieu ne s’ est pas détourné. « Il nous a aimés le premier » dans notre forme et nos
427 emier » dans notre forme et nos limitations. Il a été jusqu’à les revêtir. Et revêtant la condition de l’homme pécheur et s
428 tification. Le contraire de la sublimation, qui n’ était que fuite illusoire au-delà du concret de la vie. Aimer devient alors
429 chait le dépassement à l’infini. L’amour chrétien est obéissance dans le présent. Car aimer Dieu, c’est obéir à Dieu qui no
430 in. À ceux qui lui demandaient ironiquement : Qui est mon prochain ? Jésus répond : c’est l’homme qui a besoin de vous. Tou
431 gent de sens. Le nouveau symbole de l’Amour, ce n’ est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumière, mais c’est le m
432 et là, le sanctifie par le mariage. Un tel amour, étant conçu à l’image de l’amour du Christ pour son Église (Éph., 5,25), pe
433 mour du Christ pour son Église (Éph., 5,25), peut être vraiment réciproque. Car il aime l’autre tel qu’il est — au lieu d’ai
434 raiment réciproque. Car il aime l’autre tel qu’il est — au lieu d’aimer l’idée de l’amour ou sa mortelle et délicieuse brûl
435 du point de vue de la vie, au malheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’est un malheur mortel que pour l’homme sé
436 lheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’ est un malheur mortel que pour l’homme séparé de Dieu, mais un malheur re
437 e « saisit le salut ». 4.Orient et Occident Est -il possible de définir l’Orient et l’Occident en dehors de la géograp
438  » une conception religieuse qui à vrai dire nous est venue du Proche-Orient, mais qui n’a triomphé qu’en Occident : celle
439 lle. Mais seulement une communion, dont le modèle est dans le mariage de l’Église et de son Seigneur. Ces deux extrêmes ain
440 ières, elles ne représentent que des défauts de l’ Être . Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera
441 onc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera en même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la vie. Agapè
442 l’union qui s’opérerait au-delà de la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le
443 au-delà de la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas d’êtr
444 terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’ est pas d’être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous
445 Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas d’ être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne trouver
446 ésir. Nous aurons beau sublimer notre Éros, il ne sera jamais que nous-mêmes ! Point d’illusions ni d’optimisme humain, dans
447 me orthodoxe. Mais alors, c’est le désespoir ? Ce serait le désespoir, s’il n’y avait pas la Bonne Nouvelle ; et cette nouvell
448 r de son Fils abaissé jusqu’à nous. L’Incarnation est le signe historique d’une création renouvelée, où le croyant se trouv
449 ’est-à-dire réconcilié, l’homme reste un homme (n’ est pas divinisé) mais un homme qui ne vit plus pour lui seul. « Tu aimer
450 exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine d’une vie nouvelle, dont l’acte créateur s’appelle la commu
451 , il faut bien qu’il y ait deux sujets, et qu’ils soient présents l’un à l’autre : donc l’un pour l’autre le prochain. Si l’Ag
452 lus comme un prétexte à s’exalter, mais tel qu’il est dans la réalité de sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a
453 espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain, — n’ est -on pas en droit de conclure que cette forme d’amour nommée passion do
454 ous oblige à le constater : c’est l’inverse qui s’ est réalisé. Nous voyons qu’en Orient23, et dans la Grèce contemporaine d
455 la Grèce contemporaine de Platon, l’amour humain est très généralement conçu comme le plaisir, la simple volupté physique.
456  au sens tragique et douloureux — non seulement y est rare, mais encore et surtout y est méprisée par la morale courante co
457 on seulement y est rare, mais encore et surtout y est méprisée par la morale courante comme une maladie frénétique. « Aucun
458 n Occident, au xiie siècle, c’est le mariage qui est en butte au mépris, tandis que la passion est glorifiée dans la mesur
459 qui est en butte au mépris, tandis que la passion est glorifiée dans la mesure même où elle est déraisonnable, où elle fait
460 passion est glorifiée dans la mesure même où elle est déraisonnable, où elle fait souffrir, où elle exerce ses ravages aux
461 ction flagrante entre les doctrines et les mœurs. Serait -ce alors dans le fait même de cette contradiction flagrante que résid
462 xaltée. Le principe d’explication de ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de Platon et durant les siècles
463 emps de Platon et durant les siècles suivants, ne fut jamais une doctrine populaire, mais une sagesse ésotérique. Il en all
464 oi le christianisme triompha. La primitive Église fut une communauté de faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin
465 r en lui s’exalter la révolte du sang barbare. Il était prêt à accueillir, sous le couvert de formes catholiques, toutes les
466 ion incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’ est devenue cette doctrine parmi nous ? « Personne ne saurait dire jusqu’
467 é physique — alors qu’en fait cette beauté même n’ est que l’attribut conféré par l’amant à l’objet de son choix d’amour. L’
468 it son objet », et que la beauté « officielle » n’ est pas un gage d’être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède
469 que la beauté « officielle » n’est pas un gage d’ être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède, nous rend aveugle
470 s rend aveugles à la réalité de l’objet tel qu’il est dans sa vérité — ou bien nous la rend peu aimable. Et il nous jette à
471 Souvenons-nous du culte druidique pour la Femme, être prophétique, « éternel féminin », « but de l’homme ». Les Celtes, déj
472 simile d’instinct à la définition de la beauté, n’ est -ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si
473 re « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les causes de la curieuse contradiction qui apparaît au xiie si
474 trines et les mœurs, une première conclusion peut être formulée dès à présent : L’amour-passion est apparu en Occident comme
475 eut être formulée dès à présent : L’amour-passion est apparu en Occident comme l’un des contrecoups du christianisme (et sp
476 resterait bien théorique et contestable si nous n’ étions pas en mesure de décrire avec précision les voies et moyens historiqu
477 urs et cathares Que toute la poésie européenne soit issue de la poésie des troubadours au xiie siècle, c’est ce dont per
478 les xie et xiie siècles, la poésie d’où qu’elle fût (hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienne, toscane, gé
479 picarde, champenoise, flamande, anglaise, etc.,) était au préalable languedocienne, c’est-à-dire que le poète, ne pouvant êt
480 uedocienne, c’est-à-dire que le poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le s
481 ire que le poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage
482 e le poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du t
483 it pas — le langage du troubadour, qui n’a jamais été que le provençal.28 » Qu’est-ce que la poésie des troubadours ? L’exa
484 dour, qui n’a jamais été que le provençal.28 » Qu’ est -ce que la poésie des troubadours ? L’exaltation de l’amour malheureux
485 Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut plus exaltante et fervente. Ce qu’elle exalte, c’est l’amour hors du
486 que l’union des corps, tandis que l’« Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-
487 s, tandis que l’« Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour p
488 mais encore faudrait-il expliquer pourquoi elle s’ est produite à tel moment et dans tels lieux bien définis ; ou bien tout
489 ors il s’agit de savoir pour quelles raisons elle est demeurée obscure jusqu’à nos jours. Ce qui est curieux au plus haut p
490 le est demeurée obscure jusqu’à nos jours. Ce qui est curieux au plus haut point, c’est l’embarras des romanistes les plus
491 ntradiction absolue avec ces conditions »31. « Il est évident qu’elle ne reflète aucunement la réalité, la condition de la
492 la réalité, la condition de la femme n’ayant pas été , dans les institutions féodales du Midi, moins humble et dépendante q
493 dépendante que dans celles du Nord.32 » Or, s’il est à ce point « évident » que les troubadours ne tiraient rien de la réa
494 eption de l’amour venait d’ailleurs. Quel pouvait être cet ailleurs ? La même question se pose pour leur art, j’entends pour
495 ’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’ être borné à raffiner des formes fixes et des lieux communs : mais encore
496 la lyrique arabe et la lyrique provençale : ce n’ est pas sérieux, nous dit-on. Brinkmann et d’autres ont supposé que la po
497 ournir des modèles : tout compte fait, cela ne se tient pas, car les troubadours, paraît-il, avaient trop peu de culture pour
498 u phénomène qu’ils passent leur vie à étudier. Il est vrai que Wechssler, dans un ouvrage fameux34, a cru pouvoir tout écla
499 ntre elles l’ensemble de nos érudits. Wechssler s’ est vu traiter de « doctrinaire » — suprême injure — et plusieurs ont ins
500 utations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il est également impossible — écrit un de nos professeurs — de voir dans ces
501 rmules vides de sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un philologue qui se respecte et n’entend pas « solliciter
502 specte et n’entend pas « solliciter » les textes, fût -ce par le moindre essai de les comprendre. Je ne saurais me contenter
503 se à supposer un seul instant que les troubadours furent des faibles d’esprit, tout juste bons à répéter sans se lasser des fo
504 si le secret de toute cette poésie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près d’elle qu’on ne l’a fait — tout près : sur
505 out près : sur place, dans le milieu même où elle est née. Et non pas dans le milieu purement « social » au sens moderne, m
506 nnes d’Asie Mineure et de Bulgarie. Quoi qu’il en soit , les « purs » ou cathares se rattachaient aux grands courants gnostiq
507 nes dans la religion dualiste de l’Iran36. Quelle était la doctrine des cathares ? L’Inquisition a brûlé la plupart de leurs
508 chéisme, et des méthodes inquisitoriales, il nous est possible de reconstituer dans ses grands traits le dogme de « l’Églis
509 nds traits le dogme de « l’Église d’Amour ». Dieu est amour. Mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur
510 l’Église d’Amour ». Dieu est amour. Mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde, de ses ténèbres
511 . Mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde, de ses ténèbres, et du péché qui nous enserre. Sa
512 enserre. Sa création première, encore informe, a été achevée mais pervertie par l’Ange révolté, Satan ou le Démiurge39. L’
513 r l’Ange révolté, Satan ou le Démiurge39. L’homme est un ange déchu, emprisonné dans la matière, et soumis de ce fait aux l
514 e fait aux lois des corps dont la plus tyrannique est la procréation. Mais le Fils de Dieu est venu pour nous montrer le ch
515 rannique est la procréation. Mais le Fils de Dieu est venu pour nous montrer le chemin du retour à la Lumière. Ce Christ ne
516 le chemin du retour à la Lumière. Ce Christ ne s’ est pas incarné : il n’a pris que l’apparence d’un homme40. Les cathares
517 u frère pendant la cérémonie d’initiation. Encore est -ce moins un sacrement au sens catholique de ce terme, qu’un signe d’a
518 , à s’abstenir de tout contact avec sa femme s’il était marié 41, à ne tuer ni ne manger nul animal, enfin à tenir sa foi sec
519 ié 41, à ne tuer ni ne manger nul animal, enfin à tenir sa foi secrète. Un jeûne de quarante jours, ou endura, précédait cett
520 ne congestion pulmonaire. Chez eux, cette maladie était toujours mortelle. Le meilleur médecin ne saurait sauver des malades
521 rir.42 » Notons enfin ce dernier trait : comme ce fut le cas pour tant de sectes et de religions orientales — jaïnisme, bou
522 mons plus chrétiens que les leurs, et leurs mœurs étaient pures… » Ce jugement rachète en partie les calomnies de l’Inquisition
523 voir aujourd’hui une caractéristique chrétienne, est d’origine manichéenne et hérétique. Car il faut bien noter que la « c
524 en noter que la « chair » dont parle saint Paul n’ est pas le corps physique, mais le tout de l’homme incroyant, corps, rais
525 cette culture et de ses doctrines secrètes, nous sommes encore tributaires, au-delà de ce que l’on imagine… (Comme j’espère l
526 résie ? Les présomptions en faveur de cette thèse sont tellement fortes qu’il conviendrait de retourner la question : commen
527 badours, si l’on nie que l’hérésie cathare en ait été la source vive ? Otto Rahn n’hésite point à écrire : « La plupart des
528 ite point à écrire : « La plupart des troubadours étaient hérétiques, tous les cathares étaient troubadours. » Mais nous avons
529 troubadours étaient hérétiques, tous les cathares étaient troubadours. » Mais nous avons assez de bonnes raisons pour nous pass
530 asser de toute espèce d’exagération enthousiaste. Est -ce pure coïncidence, si les troubadours comme les cathares glorifient
531  sans toujours l’exercer — la vertu de chasteté ? Est -ce pure coïncidence, si, comme les « purs », ils ne reçoivent de leur
532 t pour chanter et offrir leur hommage se trouvent être précisément les cours des seigneurs hérétiques ? Il ne serait que tro
533 sément les cours des seigneurs hérétiques ? Il ne serait que trop facile de multiplier ces questions. Voyons plutôt les argume
534 nts adverses. Tous les troubadours, dira-t-on, ne furent pas dans le camp de l’hérésie. Plusieurs finirent leurs jours dans de
535 i passa-t-il pour un traître, jusqu’au jour où il fut accusé devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort de cinq-cent
536 illeurs, quand on démontrerait, à supposer que ce fût possible en soi, que tels d’entre les troubadours ignoraient les anal
537 pas encore démontré que l’origine de ce lyrisme n’ est pas cathare. N’oublions pas qu’ils composaient leurs coblas et leurs
538 peut concevoir une poésie — même très belle — qui serait faite de lieux communs dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’
539 uns dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’ est -ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si l’on dit : ces troubad
540 de ne jamais trahir leur foi, et cela quelle que fût la mort dont ils se verraient menacés. C’est ainsi que les registres
541 e dans les cours d’amour : « Un chevalier peut-il être à la fois marié et fidèle à sa dame ? » — voilà qui nous donne à pens
542 parent « mariage » avec l’Église de Rome dont ils étaient les clercs, tout en servant dans leurs « pensées » une autre Dame, l’
543 e d’Auvergne fit pénitence ? Preuve de plus qu’il fut hérétique. Enfin, ce qui doit égarer, c’est un ésotérisme dont l’exis
544 u du xiie siècle (et ce phénomène à cette époque est singulièrement curieux) une école, celle du trobar clus, dont l’ambit
545 une école, celle du trobar clus, dont l’ambition était de voiler la pensée sous l’ambiguïté des expressions » (Jeanroy). Est
546 sée sous l’ambiguïté des expressions » (Jeanroy). Est -ce vraiment si « curieux » cette prudence, en cette époque précisémen
547 ait de son désir, si justement l’amour sans fin n’ était le mal qu’il aime, la « joy d’amor », le délire qui prévaut : … en f
548 e… S’il ne veut pas mourir encore, c’est qu’il n’ est pas assez détaché du désir, c’est qu’il craint de quitter son corps p
549 ois : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’ est loin plus la désire ? Et voici Guiraut de Bornheil qui prie la vraie
550 d’épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », est -ce l’esprit et le corps ? Mais souvenons-nous aussi de la coutume des
551 eu, Seigneur, s’il vous agrée À mon copain fidèle soit aide et bienvenue Car ne l’ai plus revu depuis la nuit venue Et bient
552 e faut se séparer ? Beau doux copain, tant riche est ce séjour Que ne veux jamais plus voir aube ni jour Car la plus belle
553 our Car la plus belle fille qui de mère naquit La tiens dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni de jaloux ni d’aube. Ce r
554 it non » — encore qu’ici le doute s’insinue — qui est -elle, femme ou symbole ? Pourquoi sont-ils tous à jurer que jamais il
555 sinue — qui est-elle, femme ou symbole ? Pourquoi sont -ils tous à jurer que jamais ils ne trahiront le secret de leur grande
556 s, accomplis en toute malice, à demander qui elle est , et quel est son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai
557 en toute malice, à demander qui elle est, et quel est son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché.
558 demander qui elle est, et quel est son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt
559 t son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt que de faillir en un seul mot… Quelle
560 ais plutôt que de faillir en un seul mot… Quelle est la « dame » qui mériterait ce sacrifice ? Ou ce cri de Guillaume de P
561 cri de Guillaume de Poitiers : Par elle seule je serai sauvé ! S’il ne s’agit que de figures de rhétorique, quel est l’espr
562 S’il ne s’agit que de figures de rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? Et quel Amour en fut l’idée plato
563 sprit qui leur donna naissance ? Et quel Amour en fut l’idée platonicienne ? Dans sa chanson « Du moindre tiers d’Amour »,
564 ers conviennent Noblesse et Merci ; et le premier est de telle élévation qu’au-dessus du ciel plane son pouvoir. Cet Amou
565 en trois, ce principe féminin (Amor en provençal est du genre féminin) qui chez Dante va « mouvoir le ciel et toutes les é
566 e va « mouvoir le ciel et toutes les étoiles », n’ est -ce point déjà la Divinité en soi des grands mystiques hétérodoxes, le
567 le Cantique des Cantiques, mais là aussi, le ton est réellement mystique. Les érudits nous ressassent leur formule : il n’
568 ris moi-même, elle m’a pris le monde, puis elle s’ est elle-même dérobée à moi, ne me laissant que mon désir et mon cœur ass
569 t, et dont les romanistes assurent que les poèmes sont « vides de pensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la m
570 grave de cette opposition des deux Églises : Je suis Arnaut qui amasse le vent, et je chasse le lièvre à l’aide d’un bœuf,
571 Et les ordres monastiques qui apparaissent alors sont des répliques aux ordres chevaleresques. (Le moine est « chevalier de
572 es répliques aux ordres chevaleresques. (Le moine est « chevalier de Marie »). Saint Bernard de Clairvaux eut beau proteste
573 re de la manière la plus précise : « Si Marie eût été conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’être rachetée par Jé
574 conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’ être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à une né
575 on me dira : 1° Que la religion des cathares nous est encore mal connue et qu’il est donc au moins prématuré d’y voir la so
576 des cathares nous est encore mal connue et qu’il est donc au moins prématuré d’y voir la source du lyrisme courtois ; 2° Q
577  ; 3° Qu’au contraire, l’amour qu’ils exaltent n’ est que l’idéalisation ou la sublimation du désir sexuel ; 4° Qu’on disti
578 e ces critiques. 1. Religion mal connue Si elle n’ était pas connue du tout, le problème du lyrisme provençal resterait totale
579 surde une poétique et une éthique de l’amour d’où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de la litté
580 nnes de l’hérésie. Or si l’on se reporte à ce qui fut dit plus haut (II, 2) sur la nature essentiellement lyrique des dogme
581 it pas grand-chose pour ou contre ma thèse. Ce ne sont pas des équivalences rationnelles et exactes du dogme qu’il faut cher
582 chrétien » que l’on reconnaît chez un Baudelaire est autre chose qu’une transposition terme à terme des dogmes catholiques
583 utôt une certaine sensibilité (même formelle) qui serait inconcevable sans le dogme catholique ; à quoi s’ajoutent des élément
584 ments de vocabulaire et de syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On peut imaginer que les thèmes que nous avons
585 n spécialiste aussi sceptique que Jeanroy n’a pas été sans le remarquer. Parlant de la lyrique abstraite des troubadours du
586 -on, que figures de rhétorique sans conséquences. Soit . Mais les théories que les troubadours développaient avec une si grav
587 s développaient avec une si grave application, ne sont -elles pas aux antipodes du christianisme ? Ne devaient-ils pas s’en a
588 ut d’abord abjurée). Nous avons dit aussi qu’il n’ est pas nécessaire de supposer que tous partageaient cette foi. Mais il r
589 ’absence de signification symbolique d’une poésie serait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut l’être à nos yeux, par e
590 it un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut l’ être à nos yeux, par exemple, le symbolisme de la Dame. Dans l’optique de
591 oie, ni d’en prendre une conscience distincte. Il est indemne de ce rationalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d
592 stique Suso : « La vie de la chrétienté médiévale est , dans toutes ses manifestations, saturée de représentations religieus
593 ieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaires soient -elles, dont on ne cherche constamment à établir le rapport avec la fo
594 anscendentale, l’élan vers le sublime, ne peuvent être toujours présents. Viennent-ils à manquer, tout ce qui était destiné
595 urs présents. Viennent-ils à manquer, tout ce qui était destiné à stimuler la conscience religieuse dégénère en profane banal
596 ublime nous semble parfois frôler le ridicule. Il est sublime quand, par piété envers la Vierge, il rend hommage à toutes l
597 as leurs pommes. Après Noël, au temps où l’Enfant est trop jeune pour manger des fruits, Suso ne mange pas ce dernier quart
598 99). C’est dire que le « secret » des troubadours était en somme une évidence symbolique aux yeux des initiés et des sympathi
599 athisants de l’Église d’Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idée, strictement moderne, que les symboles, po
600 idée, strictement moderne, que les symboles, pour être valables, dussent être commentés et expliqués d’une manière non symbo
601 ne, que les symboles, pour être valables, dussent être commentés et expliqués d’une manière non symbolique… Toutefois, par s
602 pression de l’amour humain.56 » Le trobar clus ne serait ainsi qu’un jeu littéraire, un « tarabiscotage », « une perversion du
603 ers, qu’il s’avance et je lui dirai comment il me fut possible d’y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette ma
604 une énigme » ? On peut penser que les troubadours étaient mus par des passions moins puériles… « J’entrelace des mots rares, so
605 aimbaut d’Orange. Et Marcabru : « Pour sage je le tiens sans nul doute celui qui dans mon chant devine ce que chaque mot sign
606 mon chant devine ce que chaque mot signifie. » Il est vrai qu’il ajoute — boutade ou précaution ? — « car moi-même je suis
607 ute — boutade ou précaution ? — « car moi-même je suis embarrassé pour éclaircir ma parole obscure. » Ici se poserait la plu
608 ent » symbolique des médiévaux : leurs symboles n’ étaient pas traduisibles en concepts prosaïques et rationnels. Ce n’est donc
609 sibles en concepts prosaïques et rationnels. Ce n’ est donc que sur le double sens allégorique que devrait porter la questio
610 ons que nous rapportent les chroniqueurs du temps sont parmi les folles, les plus « surréalistes » qu’ait connues l’histoire
611 même dogmatique à l’origine. 3. L’amour courtois serait une idéalisation de l’amour charnel C’est la thèse la plus courante.
612 t aisée à relever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée de son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules
613 se soit vidée de son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules creuses on le peut admettre. Mais au début et
614 début et jusqu’à la fin du xiie siècle, il n’en était pas ainsi : chez les poètes de cette époque, l’expression du désir ch
615 es de cette époque, l’expression du désir charnel est si vive et parfois si brutale qu’il est vraiment impossible de se tro
616 r charnel est si vive et parfois si brutale qu’il est vraiment impossible de se tromper sur la nature de leurs aspirations.
617 la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé de reconnaître l’équivoque des expressions courtoises et leurs
618 ns courtoises et leurs résonances mystiques. « Il est certain — doit-il avouer — que les idées religieuses d’une époque inf
619 ent que les « théories amoureuses du Moyen Âge ne sont qu’un reflet de ses idées religieuses » ? Et pourquoi vouloir à tout
620 , prince de Blaye, dit très nettement que sa Dame est une création de son esprit, et qu’elle s’évanouit avec l’aube. Ailleu
621 et que rien n’explique ». Exemples donnés : « Je suis en doute au sujet d’une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est
622 Je suis en doute au sujet d’une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est que tout ce que le frère me refuse, j’entends
623 il semblerait que toute la poésie des troubadours fût l’œuvre d’un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette
624 vre d’un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette expression « vive et brutale » d’un désir évidemment char
625  ? Dans la crudité de certains termes ? Mais elle était courante et naturelle avant le puritanisme bourgeois. L’argument est
626 urelle avant le puritanisme bourgeois. L’argument est anachronique. Voici par contre un document de poids à l’appui de la t
627 mmes. Si vous voulez faire leur conquête, dit-il, soyez brutaux, « donnez-leur des coups de poing sur le nez » (est-ce assez
628 x, « donnez-leur des coups de poing sur le nez » ( est -ce assez « cru » ?), forcez-les : car c’est cela qu’elles aiment. Qu
629 me gêner pour les femmes, pas plus que si toutes étaient mes sœurs ; c’est pourquoi je suis envers elles humble, complaisant,
630 e si toutes étaient mes sœurs ; c’est pourquoi je suis envers elles humble, complaisant, loyal et doux, tendre, respectueux
631 et fidèle… Je n’aime rien, sauf cet anneau qui m’ est cher, parce qu’il a été au doigt… Mais je m’aventure trop : assez, ma
632 en, sauf cet anneau qui m’est cher, parce qu’il a été au doigt… Mais je m’aventure trop : assez, ma langue ! Car trop parle
633 venture trop : assez, ma langue ! Car trop parler est pis que péché mortel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange d’a
634 leurs que l’anneau (échangé par Tristan et Iseut) est le signe d’une fidélité qui justement n’est pas celle des corps. Soul
635 seut) est le signe d’une fidélité qui justement n’ est pas celle des corps. Soulignons enfin ce fait capital : que les vertu
636 ité, loyauté, respect et fidélité envers la Dame, sont ici rapportées expressément au refus de l’amour physique. Au surplus,
637 rplus, nous verrons plus tard les poèmes de Dante être d’autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs images que Béatr
638 leur Dame, Arnaut Daniel et l’Italien Guinizelli sont placés au chant XXIV du Purgatoire dans le cercle des sodomistes !61
639 contesté. On a trop longtemps cru que la cortezia était une simple idéalisation de l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait
640 déalisation de l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif de soutenir que l’idéal mystique sur quoi elle se fondait à
641 éal mystique sur quoi elle se fondait à l’origine fût toujours et partout observé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltat
642 rigine fût toujours et partout observé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltation de la chasteté produit presque toujours
643 n, mais par ailleurs divinisaient le sperme62. Il est probable que des excès de ce genre se produisirent aussi chez les cat
644 stres de l’Inquisition. Notons toutefois qu’elles sont souvent contradictoires. Ainsi l’on affirme tantôt que les cathares t
645 oires. Ainsi l’on affirme tantôt que les cathares tiennent pour innocentes les voluptés les plus grossières, tantôt qu’ils répro
646 l, licite ou non. Mais des accusations semblables furent portées contre toutes les religions nouvelles, sans excepter le chris
647 s, sans excepter le christianisme primitif. Et il est juste de citer ici le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de
648 ), des excès sensuels. Or, si les religieux ne se sont pas tus par modestie, ce qui ne me paraît pas croyable de la part d’h
649 mes qui faisaient attention à tout, leurs erreurs étaient plutôt des erreurs d’intelligence que de sensualité »63. Retenons don
650 passion — au sens précis que je donne à ce mot — sont d’origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent
651 e mot — sont d’origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent flatter, par cela même qu’elles veulent
652 Tout ceci m’amène à conclure — quels qu’aient pu être mes scrupules à l’origine — que la rhétorique courtoise fut au moins
653 rupules à l’origine — que la rhétorique courtoise fut au moins inspirée par la mystique cathare64. C’est là une thèse minim
654 xemple dont je crois pouvoir dire que les données sont entièrement énumérables et très profondément connues (au sens total)
655 des textes connus. (Il semble bien que Freud ait été avant tout un savant ; qu’il ait soutenu une théorie de la libido ; e
656 ris une attitude déterministe : or le surréalisme fut une école littéraire avant tout ; on ne retrouve le terme de libido d
657 dans aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont de tendance idéaliste-anarchisante) ; 2° que les surréalistes n’ont j
658 alistes n’ont jamais dit dans leurs poèmes qu’ils étaient les disciples du freudisme ; 3° qu’au contraire, la liberté qu’ils ex
659  ; 3° qu’au contraire, la liberté qu’ils exaltent est celle que devaient nier tous les psychanalystes ; 4° qu’enfin l’on di
660 siècle, comment toutes ces choses improbables se sont réellement produites ; nous savons que les initiateurs du mouvement s
661 sans lui, leurs théories et leur lyrisme eussent été tout différents ; nous savons que ces poètes n’éprouvaient nul besoin
662 fs de cette école lisent Freud : les disciples se sont bornés à imiter la rhétorique des maîtres… En outre, on aperçoit, par
663 fournir aux savants futurs les apaisements qu’ils seront en droit d’attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur
664 éisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’ était bel et bien opérée dans les parages de l’Asie Mineure et de plus, s’é
665 dans les parages de l’Asie Mineure et de plus, s’ était exprimée par une poésie religieuse dont les métaphores érotiques offr
666 l prouvait de la sorte que cette double ignorance était précisément son fait. On l’excusera d’ailleurs si l’on tient compte d
667 un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme était par ailleurs très fortement pénétré de représentations mythiques iran
668 , il empruntait aux doctrines avestiques — dont s’ était inspiré Manès — l’opposition du monde de la Lumière et du monde des T
669 re et du monde des Ténèbres, dont on a vu qu’elle est fondamentale pour les cathares. Et tout cela se traduisait — tout com
670 imer que le fini. Il en résulta que les mystiques furent obligés de recourir à des symboles dont le sens restait secret. (Ains
671 it secret. (Ainsi la louange du vin, dont l’usage était interdit, devint le symbole de la divine ivresse d’amour). Mais compt
672 ymbole de la divine ivresse d’amour). Mais compte tenu de cette difficulté particulière — qui n’est d’ailleurs pas sans rapp
673 pte tenu de cette difficulté particulière — qui n’ est d’ailleurs pas sans rapport avec la situation courtoise —, nous retro
674 ayer de leur vie cette accusation d’hérésie66. Il est bien émouvant de constater que tous les termes d’une pareille polémiq
675 à la sortie du pont Chinvat et lui déclare : « Je suis toi-même ! » Or selon certains interprètes de la mystique des troubad
676 mystique des troubadours, la Dame des pensées ne serait autre que la part spirituelle et angélique de l’homme, son vrai moi.
677 hap. vii du Livre Ier). c) Le Familier des Amants est construit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et de ses différent
678 le que l’on apprend la magie ». (L’Iseut celtique était aussi une magicienne, « objet de contemplation, spectacle mystérieux.
679 esclave, ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris de folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe
680 ou’m. Quand Nou’m me gratifie d’un regard, cela m’ est égal que Sou’da ne soit pas complaisante68. « Nou’m » est le nom con
681 atifie d’un regard, cela m’est égal que Sou’da ne soit pas complaisante68. « Nou’m » est le nom conventionnel de la femme a
682 que Sou’da ne soit pas complaisante68. « Nou’m » est le nom conventionnel de la femme aimée, et signifie ici Dieu. Or les
683 leur foi. À l’interrogation d’un impatient : « Qu’ est -ce que le soufisme ? » al-Hallaj répond : « Ne t’attaque pas à Nous,
684 ans le sang des amants. » De plus, les indiscrets sont soupçonnés d’intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les ama
685 crets sont soupçonnés d’intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les amants à l’autorité orthodoxe, c’est-à-dire qui
686 asser en affirmant que les amants du xiie siècle tenaient énormément au secret de leurs liaisons (ce qui les distinguerait, san
687 ècles ?). g) Enfin, la louange de la mort d’amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repo
688 des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repos de l’amour est une fatigue, son commencement une maladie, sa fin la mort. Pour moi c
689 fin la mort. Pour moi cependant la mort par amour est une vie ; je rends grâce à ma Bien-aimée de me l’avoir offerte. Celui
690 r. La vie, c’est en effet le jour terrestre des êtres contingents et le tourment de la matière ; mais la mort c’est la nuit
691 ’union de l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’ Être absolu. Aussi Moïse est-il pour les mystiques arabes le symbole du pl
692 imé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est -il pour les mystiques arabes le symbole du plus grand Amant, puisqu’e
693 illuminative d’un Sohrawardi, d’un al-Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’amor : Al-Hallaj se renda
694 dait au supplice en riant. Je lui dis : Maître qu’ est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie de la Beauté attirant à
695 ui dis : Maître qu’est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie de la Beauté attirant à elle les amoureux.71 ⁂ Par q
696 eux aux poètes du Midi ? Je ne sache pas que l’on soit en mesure de résoudre aujourd’hui ce problème. S’il est une voie de t
697 mesure de résoudre aujourd’hui ce problème. S’il est une voie de transmission géographique, c’est du côté de l’Espagne, év
698 poésie occidentale, à une époque plus tardive il est vrai. Je ne puis ici que renvoyer à ces travaux si justement célèbres
699 bien avoir appartenu à l’ordre des Templiers, qui était en relations certaines avec un ordre musulman identique dans sa struc
700 on costume l’Ordre des Assaccis, auquel Ibn Arabi fut affilié… (Appendice 6.) 10.De l’Amour courtois au roman breton
701 u Nord et du Midi. Il semble bien que la question soit actuellement résolue : c’est bien le Midi roman qui a donné son style
702 de l’amour courtois74. Chrétien de Troyes déclare tenir le fond et l’esprit de ses romans de la comtesse Marie de Champagne,
703 liénor, célèbre par sa cour d’amour où le mariage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tristan dont les manuscrit
704 ait écrit un Roman de Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la
705 e Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende de Tristan se
706 uscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende de Tristan se répandit très largeme
707 ns. Nous avons vu que la religion druidique, d’où sont issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doctrine d
708 gir d’anciennes traditions autochtones, elle n’en était pas moins pour les trouvères une chose apprise : d’où les erreurs qu’
709 ’où les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il est d’ailleurs extrêmement délicat de préciser les causes et l’importance
710 les causes et l’importance exacte de ces erreurs. Est -ce un défaut d’initiation mystique ? Est-ce une tradition imparfaite 
711 erreurs. Est-ce un défaut d’initiation mystique ? Est -ce une tradition imparfaite ? Ou encore une tendance hérétique au sei
712 , bornons-nous à remarquer que les romans bretons sont tantôt plus « chrétiens » et tantôt plus « barbares » que les poèmes
713 rbares » que les poèmes des troubadours, dont ils sont cependant inspirés de la manière la plus incontestable. Nous ne savon
714 vons dans quelle mesure il a voulu que ses romans fussent des chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse de Rahn, Pélada
715 et la mystique courtoises. Toutes les hypothèses sont permises en l’absence de documents dont on voit bien pourquoi ils fon
716 intention qui animait le romancier. Quoi qu’il en soit , Chrétien de Troyes a notablement déformé la signification des mythes
717 oïde, femme du Castis, chez Wolfram d’Eschenbach, serait le comte Ramon Roger Trencavel, fils d’Adélaïde de Carcassonne et d’A
718 il penser, avec un transcripteur moderne, qu’« il est fort vraisemblable que Chrétien de Troyes n’était pas instruit du sen
719 l est fort vraisemblable que Chrétien de Troyes n’ était pas instruit du sens païen et secret de ces traits mystérieux qu’il r
720 rnement romanesque et la chronique réelle ? Si ce fut le cas, il n’y réussit que trop bien, puisque Robert de Boron, son co
721 ate de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont évidents, si saugrenues que puissent paraître les interprétations que
722 donne l’auteur lui-même, après chaque épisode. Il est une de ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine
723 se. « Je vous dirai la signifiance de ce qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous avez dédaignée
724 e de droite que vous avez dédaignée au carrefour, était celle de la chevalerie terrienne, où vous avez longtemps triomphé ; c
725 où vous avez longtemps triomphé ; celle de gauche était la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer
726 n de leurs meilleurs adapteurs modernes ! Ainsi s’ est répandue l’opinion fort étrange que les poètes bretons n’étaient en s
727 e l’opinion fort étrange que les poètes bretons n’ étaient en somme que des amuseurs un peu niais, dont le succès demeure incomp
728 us ferait voir au contraire que la vraie barbarie est dans la conception moderne du roman, photographie truquée de faits in
729 ignifie », dans ces aventures merveilleuses, tout est symbole ou délicate allégorie, et seuls les ignorants s’arrêtent à l’
730 , non avertis. Mais quand bien même les trouvères seraient inférieurs aux troubadours dans la connaissance mystique, ils n’ont p
731 hrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes d’amour, comme on le répète, mais de véritab
732 nitiale que Lancelot ne trouvera pas le Graal, et sera cent fois humilié quand il errera dans la voie célestielle. Il a choi
733 voie terrienne, il a trahi l’Amour mystique, il n’ est pas « pur ». Seuls les « purs » et les vrais « sauvages » comme Bohor
734 erceval et Galaad parviendront à l’initiation. Il est clair que la description de ces errements et de leurs punitions exige
735 ens que la part épique — combats et intrigues — y est réduite au minimum, tandis que le développement tragique de la doctri
736 e et simple du récit. Mais en même temps, Tristan est le plus « breton » des romans courtois, en ce sens qu’on y trouve inc
737 nne des éléments de religion brittonique : elle s’ est formée dans un pays chrétien, romanisé, puis colonisé par les Irlanda
738 , puis colonisé par les Irlandais »80. Le miracle est cependant attesté par un grand nombre d’incidents mis en œuvre par Bé
739 re, le pouvoir poétique de ces éléments religieux était tel qu’on s’explique assez bien leur survivance, même dans un monde q
740 es morts. Ce héros, Bran, Cuchulainn, ou Oisin, «  est attiré par une mystérieuse beauté : il s’embarque sur une barque magi
741 mort les précède, empêchant leur réunion « car il était prédit par les druides qu’ils ne se rencontreraient pas dans leur vie
742 après la mort, pour ne jamais se séparer »82. Il serait aisé de multiplier ces comparaisons littéraires. Mais certains traits
743 ppelle que Tristan, après la mort de ses parents, fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était fréquent, chez les
744 fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était fréquent, chez les plus anciens Celtes, que l’on confiât les enfants
745 généralement du nom anglo-normand de fosterage s’ est maintenue en pays celtique : nous trouvons les enfants confiés à des
746 ourricier… On recherchait comme pères nourriciers soit les membres de la famille maternelle, soit… les druides.83 » Tristan
747 iciers soit les membres de la famille maternelle, soit … les druides.83 » Tristan élevé par Marc, son oncle maternel, devient
748 ouvent jusqu’à cinquante fils juridiques (le lien était donc assez faible), et surtout le fait que l’inceste était assez bien
749 c assez faible), et surtout le fait que l’inceste était assez bien toléré chez les Celtes, comme l’attestent de nombreux docu
750 d’Hubert : à savoir que la mythologie celtique s’ est transmise au cycle courtois non par des voies proprement religieuses,
751 lus clair et le plus précieux du génie celtique s’ est incorporé à l’esprit européen. (Hubert, II, p. 336.) Ce « son particu
752 rendre à sa moderne transcription de la légende, est si nettement sensible à notre cœur qu’il nous met en mesure d’isoler
753 blimation religieuse de la femme par les druides) est avant tout l’amour sensuel84. Le fait que dans certaines légendes cet
754 tériques, aide à comprendre que le fond breton se soit si aisément adapté au symbolisme du roman courtois. Mais cette analog
755 our son nom et pour sa beauté, car, quelle qu’eût été sa beauté sans ce nom, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le dési
756 lle qu’eût été sa beauté sans ce nom, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le désir de Tristan ne s’y fût pas porté. Ains
757 ce nom sans sa beauté, le désir de Tristan ne s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et de ses peine
758 rment. » Du seul fait qu’Iseut aux blanches mains est devenue sa femme légitime, il ne doit plus et ne peut plus la désirer
759 il n’eût méprisé le bien qu’il a, s’il n’eût pas été le sien : son cœur ne prend en aversion que le bonheur qu’il est cont
760 on cœur ne prend en aversion que le bonheur qu’il est contraint d’avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa rech
761 st contraint d’avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa recherche, pensant toujours trouver mieux, parce qu’il n’a
762 enfin la fantaisie individuelle des poètes : tels sont donc en fin de compte les éléments sur lesquels la doctrine de l’Amou
763 cette métamorphose : il nous échappe doublement, étant poétique et mystique. Mais nous savons maintenant d’où vient le mythe
764 une œuvre. 12.Premières conclusions Compte tenu du changement de registre qui s’opère dans les expressions poétiques
765 ubadours au Nord plus barbare des trouvères, nous sommes en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul l’aboutis
766 d’un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion : l’amour-passion glorifié par le mythe
767 onclusion : l’amour-passion glorifié par le mythe fut réellement au xiie siècle, date de son apparition, une religion dans
768 sée de nos jours par les romans et par le film, n’ est rien d’autre que le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’u
769 que dans nos vies privées. La mystique d’Occident est une autre passion dont le langage métaphorique est parfois étrangemen
770 st une autre passion dont le langage métaphorique est parfois étrangement semblable à celui de l’amour courtois. Nos grande
771 lui de l’amour courtois. Nos grandes littératures sont pour une bonne partie des laïcisations du mythe, ou comme nous préfér
772 24. Droit d’user et d’abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour le droit romain : persona est sui juris ;
773 des « personnes » pour le droit romain : persona est sui juris ; servus non est persona. 25. Le culte des images — manife
774 droit romain : persona est sui juris ; servus non est persona. 25. Le culte des images — manifestation la plus simpliste d
775 gieuse de l’Empire oriental-occidental. Son échec est significatif. 26. J. Ortega y Gasset, Über die Liebe. 27. Ceci n’e
776 J. Ortega y Gasset, Über die Liebe. 27. Ceci n’ est pas une boutade, on le verra bien par la suite. Le premier couple d’a
777 er couple d’amants « passionnés » dont l’histoire soit venue jusqu’à nous, c’est Héloïse et Abélard : première moitié du xii
778 dal… » Alors ? En réalité, cette seconde phrase n’ est pas fausse : il y avait des différences importantes entre la féodalit
779 du Midi et celle du Nord. Mais ces différences ne sont pas de nature à expliquer le culte de la femme. On y reviendra. 33.
780 e, puisqu’à la fin des temps, Satan et la matière seront illuminés, tandis que l’orthodoxie croit que Satan sera damné pour to
781 lluminés, tandis que l’orthodoxie croit que Satan sera damné pour toujours. Il reste que dans ce temps, le manichéen condamn
782 shommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir été utilisé par les cathares eux-mêmes, et « parfaits » serait ironique.
783 ilisé par les cathares eux-mêmes, et « parfaits » serait ironique. 44. C’est du moins la thèse soutenue par Otto Rahn. 45. O
784 mot « vraie » devant Dieu, Lumière, Foi, Église, est un indice probable de catharisme chez un troubadour. Les cathares s’a
785 n significative pour l’initié. 50. Les « aubes » étaient un genre régulier. On conçoit sa nécessité dans une vision du monde d
786 En un verger, sous une loge d’aubépine, la dame a tenu son ami dans ses bras jusqu’à ce que le guetteur ait crié : « Dieu !
787 étude remarquable de Lucie Varga : Peire Cardinal était -il hérétique ? (« Rev. d’hist. des relig. », juin 1938) qui m’apporte
788 e : les doutes qu’exprime M. Jeanroy, je n’ai pas été sans les concevoir au début de cette recherche. Et l’on ne manquerait
789 pte dès maintenant. 54. Par exemple, le médiéval serait trop « naïf » pour étudier une matière qu’il jugerait absurde, c’est-
790 Depuis quand ? Rudel utilisait ce procédé, et il est de la première moitié du xiie siècle, c’est à-dire de la toute premi
791 onc l’un des inventeurs de ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple d’anachronisme tendancieux. On veut à tout prix qu
792 n veut à tout prix que le langage des troubadours soit le langage naturel de l’amour humain, transposé à l’amour divin. Alor
793 Alors qu’historiquement, c’est le contraire qui s’ est produit. 57. Un amoureux peu lettré qui écrit à sa fiancée des épîtr
794 hérétique. 59. Remarquons que cette thèse — qui est la nôtre — renverse exactement le préjugé cher à l’auteur, et sur leq
795 nt le préjugé cher à l’auteur, et sur lequel il s’ est réglé jusqu’ici. (Cf. note 1, p. 91.) 60. M. Jeanroy cite des texte
796 e crois qu’ici encore, au moins à l’origine, tout est symbole religieux, et non pas traduction de relations humaines. Toute
797 ment, dans le plan sexuel, des déviations dont il serait difficile de nier que certains troubadours n’aient pas été victimes.
798 cile de nier que certains troubadours n’aient pas été victimes. 62. Textes traduits et commentés dans Wolfgang Schultz, Do
799 llaj, p. 161) : « Adorer Dieu par amour seulement est le crime des manichéens… (ceux-ci) adorent Dieu par amour physique, p
800 , comme un aimant, le foyer de lumière dont elles sont venues ». 67. H. Corbin : introduction au Familier des Amants. 68.
801 xotérique » le plus complet que nous connaissions fut rédigé au commencement du xiiie siècle : c’est le De arte honeste am
802 Graal aux rites secrets du culte d’Adonis. Ce qui est certain, c’est qu’un symbole comme celui du roi pêcheur (Amfortas che
803 d’Eschenbach, « le roi Pescière » chez Chrétien) est commun aux orphiques, aux manichéens, et même aux premiers chrétiens 
804 lon les cultes : Je ne pense pas qu’on doive s’en tenir à une seule interprétation. Il s’est produit toute une série de fusio
805 doive s’en tenir à une seule interprétation. Il s’ est produit toute une série de fusions et de confusions de symboles. 77.
806 » que les chevaliers du Graal doivent traverser n’ est autre que le pont Chinvat de la mythologie manichéenne, pont jeté sur
807 ces romans. 79. Dans Tristan, la faute initiale est douloureusement rachetée par une longue pénitence des amants. C’est p
808 France, juin 1938). Le Tannhäuser du xvie siècle est une tardive adaptation allemande de légendes irlando-écossaises ; il
809 salvat (ou Montségur) des chastes (ou cathares) y est remplacé par le Venusberg ! 85. Le Tristan et Iseut de Thomas, tradu
4 1939, L’Amour et l’Occident. Livre III. Passion et mystique
810 mystique, plus ou moins consciente et précise. Il est certain que ce seul exemple n’autorise pas à des conclusions générale
811 er un problème que le xixe siècle matérialiste s’ était cru en mesure de trancher au détriment de la mystique. À vrai dire, j
812 r au détriment de la mystique. À vrai dire, je ne suis pas très sûr que ce problème comporte une solution définitive et simp
813 avoir dans quelle mesure ce rapprochement ne nous est pas suggéré par la seule nature du langage. On a remarqué depuis long
814 tière analogie des réalités qu’ils désignent ? Ne sommes -nous pas jusqu’à un certain point victimes d’une illusion verbale ? d
815 te de « calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas, le problème ressurgit ailleurs. Marquons tout de suite ce qui
816 drait plus rien au mythe de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim de chercher à tout prix l
817 ythe de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus el
818 m de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, moins elle se montre difficile quant aux objets qui peuvent la
819 . Mais nous voyons ici une passion dont la nature est justement de refuser tout ce qui pourrait la satisfaire et la guérir.
820 qui pourrait la satisfaire et la guérir. Nous ne sommes donc pas en présence d’une faim, mais bien d’une intoxication. Et l’o
821 reuves les plus convaincantes, que tout intoxiqué est un mystique qui s’ignore86. Or, qu’elle soit physique, ou morale, tou
822 xiqué est un mystique qui s’ignore86. Or, qu’elle soit physique, ou morale, toute intoxication suppose l’intervention d’un a
823 ue Nous avons constaté que le Roman de Tristan est , à bien des égards, une première « profanation » de la mystique court
824 , soufisme). La mythification a trop bien réussi, soit que Béroul, Thomas, et leur prédécesseur n’aient pas toujours très bi
825 ien saisi l’enseignement courtois dans sa pureté, soit qu’ils aient été entraînés par l’ardeur proprement « romanesque » (au
826 nement courtois dans sa pureté, soit qu’ils aient été entraînés par l’ardeur proprement « romanesque » (au sens moderne et
827 ue ceux du Midi. Le caractère distinctif du Roman est en effet de reposer sur une faute contre les lois d’amour courtois, p
828 nt de la pure tradition cathare, d’autres peuvent être rapprochés d’une expérience mystique plus générale, et qu’on retrouve
829 u, selon les auteurs de la légende. Et la faute n’ est pas dans l’amour, mais dans sa « réalisation »… ⁂ Si délicate et péri
830 épée symbolique du défi à la société constituée ! Est -il beaucoup de nos poètes qui aient trouvé leur « amour mortel » ? Po
831 ne se veulent responsables de rien, leur passion étant inavouable tant aux yeux de la société (qui la réprouve comme un crim
832 crilège. Mais le malheur essentiel de cet amour n’ est pas seulement la rançon du péché. L’ascèse qui rachètera la faute com
833 aussi et surtout délivrer l’homme du fait même d’ être né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement final
834 parfois étrangement confondues dans le Roman, il est toujours possible de reconnaître, à de tels traits, la tendance réell
835 e). Et Tristan de répondre : « Si le monde entier était orendroit avec nous, je ne verrois fors vous seule. » Il s’agit bien
836 — et de la mystique en général — paraît ici. « On est seul avec tout ce qu’on aime », écrira plus tard Novalis, ce mystique
837 observation purement psychologique : la passion n’ est nullement cette vie plus riche dont rêvent les adolescents ; elle est
838 vie plus riche dont rêvent les adolescents ; elle est , bien au contraire, une sorte d’intensité nue et dénuante, oui vraime
839 ors le monde s’évanouit, « les autres » cessent d’ être présents, il n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tiennent
840 l n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tiennent , ni terre ni ciel : on est seul avec tout ce que l’on aime. « Nous av
841 irs, ni liens qui tiennent, ni terre ni ciel : on est seul avec tout ce que l’on aime. « Nous avons perdu le monde, et le m
842 a Croix ? « Éloigne les choses, amant ! — Ma voie est fuite ». Et Thérèse d’Avila disait, plusieurs siècles avant Novalis,
843 êt les formes les plus rudimentaires ? Certes, ce serait commettre une sorte de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que
844 sion d’amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici sur la via mystica des « parfaits ». C’est alors le contenu des é
845 urs souffrances. Plus la lumière et l’amour divin sont vifs, plus l’âme se voit souillée et misérable en sorte qu’« elle se
846 ouillée et misérable en sorte qu’« elle se figure être persécutée par Dieu comme son ennemie. Cette impression provoque une
847 Dieu, m’as-tu fait contraire à toi-même, pourquoi suis -je devenu à charge à moi-même ?90 » Or il ne s’agit plus ici des souf
848 s de l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’ est qu’une impure et parfois équivoque traduction de la mystique courtois
849 s plus apparemment « mystiques » du Roman doivent être interprétées — si l’on ne veut pas errer gravement — à partir de l’am
850 our : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’ est loin plus la désire ? Jamais l’amour n’enflamme Tristan si follement
851 our n’enflamme Tristan si follement que lorsqu’il est séparé de sa « dame ». La psychologie la plus simple rendrait compte
852 ne nécessité tout intérieure de la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chose, le symbole de l’Amo
853 la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chose, le symbole de l’Amour lumineux. Quand Tristan erre
854 ces. Mais nous savons que c’est la souffrance qui est le vrai but de la séparation voulue… Nous rejoignons alors la situati
855 il doutera même de l’« amitié » d’Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’il acceptera le « mariage blanc » avec l
856 éternelle fidélité et du secret. La soumission ne sera donc qu’apparente. Et le jugement par le fer rouge qu’exige la reine,
857 e jugement par le fer rouge qu’exige la reine, ce sera sa vengeance contre le Dieu du roi, deux fois trompé. ⁂ Pour extérieu
858 trompé. ⁂ Pour extérieures et formelles qu’elles soient , de telles correspondances ne sauraient être, en toute honnêteté, réd
859 es soient, de telles correspondances ne sauraient être , en toute honnêteté, réduites à des coïncidences. Mais si les formes
860 , réduites à des coïncidences. Mais si les formes sont pareilles, il importe de définir en quoi les contenus restent incompa
861 uoi les contenus restent incompatibles, et quelle est la nature de l’abus qui par la suite a voulu les confondre. L’on pour
862 n la formule des manuels. Dans le cas où Iseut ne serait qu’une belle femme — comme le croiront les siècles à venir —, les sim
863 militudes mystiques que nous venons de dégager ne seraient plus que de l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je n
864 Je ne songe pas à nier cet aspect du problème, il sera traité en son lieu. Mais je crois qu’il y a bien autre chose. Car s’i
865 bien autre chose. Car s’il n’y avait que cela, ce serait alors tout l’arrière-plan religieux de la légende qu’il faudrait nier
866 istorique. On reviendrait donc à zéro pour ce qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait d’être un roman courtois ; ou
867 qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait d’ être un roman courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’être ce qu’i
868 n courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’ être ce qu’il fut, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits conçoi
869 u bien l’amour courtois cesserait d’être ce qu’il fut , pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits conçoivent qu’il fu
870 ressembler à ce que nos érudits conçoivent qu’il fut . C’est autant dire qu’on ne comprendrait plus rien à rien. Encore une
871 ’en suivait — théoriquement — que l’amour profane était le malheur absolu, l’attachement impossible et condamnable à la créat
872 aite ; tandis que pour le chrétien, l’amour divin est un malheur recréateur. Loin de nier l’amour profane, il aboutit à le
873 et non son apaisement heureux. Plus leur passion est vive et plus elle les détache des choses créées, et plus facilement i
874 d’aliment des créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’obscurité, et destituée des objets que les passions lui pré
875 m’a pris moi-même, elle m’a pris le monde, puis s’ est elle-même dérobée à moi, ne me laissant rien que mon désir et mon cœu
876 damnation des créatures. Maître Eckhart, que l’on tient cependant — à tort peut-être — pour platonicien, sait dire en termes
877 n, sait dire en termes magnifiques que l’âme pure est le lieu de rédemption des créatures dénaturées par le péché. « Toutes
878 « Toutes les créatures passent de leur vie à leur être . Toutes les créatures se portent dans ma raison afin d’être en moi ra
879 es les créatures se portent dans ma raison afin d’ être en moi raisonnables. Moi seul, je ramène toutes les créatures à Dieu.
880 ux. Mais il faut indiquer la dernière limite, qui est celle de l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le
881 l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphèr
882 on est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique de l’orgueil chevaleresque : c’est l
883 chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui est le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous les passionnés, il a
884 L’on s’aperçoit, à cette limite, que la prouesse était le signe matériel d’un processus de divinisation. Les vrais mystiques
885 nisation. Les vrais mystiques, tout au contraire, sont la prudence même, la rigueur même, l’obéissance même dans la lucidité
886 ’obéissance même dans la lucidité. Si « la mort m’ est un gain », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’est incarné,
887 Si « la mort m’est un gain », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’est incarné, c’est-à-dire abaissé. Ainsi le chr
888 n », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’ est incarné, c’est-à-dire abaissé. Ainsi le chrétien ne se jette pas dans
889 saint Jean de la Croix, et cela « parce qu’il se tient au centre de son humilité ». 3.Transpositions curieuses, mais inév
890 ue par la suite, le lecteur ignorant des mystères fut presque fatalement amené à transposer dans notre vie profane toutes c
891 ofane toutes ces allégories trop bien voilées. Il est facile d’imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : «
892 rs de moi, et je ne te trouvais pas, parce que tu étais en moi. » Il parle à Dieu, à l’amour éternel. Mais supposez qu’un tro
893 ores mystiques, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté de voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il
894 ransposition purement blasphématoire, et qui ne s’ est accomplie qu’après le xiie siècle, la conscience moderne a cru voir
895 t ses métaphores devenues profanes comme si elles étaient toutes naturelles. Et nous ferons de même ensuite, et nos savants. No
896 grande répugnance à opérer ce renversement, qu’il est bon d’entrer plus avant dans le mécanisme des transpositions, et même
897 ystique, au moins dans une de ses tendances, ne s’ est -elle pas prêtée à toutes les confusions ? N’a-t-elle pas abusé la pre
898 t de l’Incarnation. Dès que l’on s’écarte un tant soit peu de ce foyer, l’on encourt le double péril de l’humanisme et de l’
899 us retrouverons dans la mystique universelle. Ils seront d’ailleurs rarement purs dans telle ou telle œuvre donnée. Même chez
900 tre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût -ce qu’à la manière dont la tentation coexiste avec la volonté d’obéis
901 sance chez le croyant. Historiquement parlant, il est donc malaisé de les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire
902 isé de les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire. Le premier courant est celui de la mystique unitive : il tend
903 iquement, la chose est claire. Le premier courant est celui de la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et
904 e l’âme et de la divinité. Le second courant peut être appelé celui de la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’â
905 ieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est maintenue entre la créature et le Créateur. Quelques exemples individ
906 : « l’abus » du langage amoureux en religion doit être rattaché, historiquement, au courant le plus orthodoxe. J’emprunterai
907 re Eckhart, et le mystique hindou Sankara. Ce qui est intéressant pour notre objet, c’est que Rudolf Otto distingue l’Orien
908 l : le nirvana ne peut accueillir le samsara (qui est la vie diverse, infiniment mouvante). Au contraire, Eckhart verra Die
909 me du croyant, elles « passent de leur vie à leur être  ». La confrontation est rendue possible par le fait qu’il existe au M
910 ssent de leur vie à leur être ». La confrontation est rendue possible par le fait qu’il existe au Moyen Âge une tradition m
911 Otto — à la faveur de laquelle le Je et le Tu des êtres unis par une forte émotion coulent l’un dans l’autre, donnant naissan
912 ’un dans l’autre, donnant naissance à une unité d’ être . Eckhart ne connaît ni cette ivresse ni cet amour « pathologique ». L
913 prêche l’amour mystique, mais l’amour plotinien n’ est nullement l’Agapè chrétienne : c’est l’éros grec, qui est jouissance,
914 ement l’Agapè chrétienne : c’est l’éros grec, qui est jouissance, et jouissance d’une naturelle et surnaturelle Beauté… gar
915 fervent. » Pour Eckhart, la vraie voie mystique n’ est pas celle qui, s’élevant d’un état de sentiment, mènerait à une union
916 e, et Dieu reste Dieu95. L’acte d’amour spirituel est initial, et non final. Pour le chrétien, la mort à soi-même est le dé
917 t non final. Pour le chrétien, la mort à soi-même est le début d’une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce mond
918 . D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart où il est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu :
919 Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un est source et origine du fleurissant resplendissant amour. 96  Ce n’est d
920 ine du fleurissant resplendissant amour. 96  Ce n’ est donc pas, conclut Otto, la plus haute joie mystique qui figure pour E
921 doctrine chrétienne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur de sainteté. Le pape Jean XXII condamna même ses thèses
922 de 1329. L’une des thèses condamnées, la dixième, est ainsi reproduite dans la bulle : Nous nous métamorphosons totalement
923 ns le sacrement se change en corps du Christ : je suis ainsi changé en lui parce que lui-même me fait être sien. Unité et no
924 is ainsi changé en lui parce que lui-même me fait être sien. Unité et non similitude. Par le Dieu vivant, il est vrai qu’il
925 . Unité et non similitude. Par le Dieu vivant, il est vrai qu’il n’y a plus là aucune distinction. Cette thèse, extraite d
926 ement unitive, et par cela même hérétique… Ce qui est certain, c’est que Maître Eckhart est le dialecticien par excellence,
927 que… Ce qui est certain, c’est que Maître Eckhart est le dialecticien par excellence, et qu’il est trop facile d’extraire d
928 hart est le dialecticien par excellence, et qu’il est trop facile d’extraire de ses œuvres les vérités les plus contradicto
929 firmation forment à elles deux la vérité. L’une n’ est pas vraie sans l’autre, et ne se peut concevoir que par rapport à l’a
930 ue par rapport à l’autre. Affirmation et négation sont inséparables, n’étant que les deux aspects d’une même vérité.97 ». Il
931 tre. Affirmation et négation sont inséparables, n’ étant que les deux aspects d’une même vérité.97 ». Il n’en est pas moins si
932 les deux aspects d’une même vérité.97 ». Il n’en est pas moins significatif de constater que Eckhart souleva dans la mysti
933 r l’union essentielle et l’abandon des œuvres. On est toujours à l’Orient de quelqu’un ! C’est ainsi que Maître Eckhart fig
934 Ruysbroek se montre impitoyable contre celui qui fut son maître. Dans son Livre des douze béguines, il dénonce « ces faux
935 khart et ses disciples — qui « s’imaginent qu’ils sont Dieu par nature ». « Quant à ces gens qui ne veulent pas seulement êt
936 . « Quant à ces gens qui ne veulent pas seulement être les égaux de Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus
937 t être les égaux de Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus maudits que Lucifer et ses séides ». Et encore 
938 lent la parfaite pauvreté d’esprit… Mais ceux qui sont nés du Saint-Esprit et chantent ses louanges, pratiquent toutes les v
939 que toute distinction entre l’âme et Dieu puisse être abolie : l’âme ne peut se faire divine, mais seulement semblable à Di
940 tièrement purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes et sommes ce que nous contemplons ; car notre essence, sans rien perd
941 purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes et sommes ce que nous contemplons ; car notre essence, sans rien perdre de sa p
942 ence, sans rien perdre de sa propre personnalité, est unie à la vérité divine qui respecte la distinction. » Et ailleurs :
943 » Et ailleurs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distanc
944 de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distance essentielle… » ⁂ Or voici le point qu’il importait de met
945 ssentiellement à Dieu, l’amour de l’âme pour Dieu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera pas porté à s’exprime
946 eu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera pas porté à s’exprimer en termes de passion. Et c’est bien ce que l’H
947 nne, il en résulte que l’amour de l’âme pour Dieu est , dans ce sens précis, un amour réciproque malheureux. On peut alors p
948 s humaines. Car c’est sa rhétorique qui se trouve être la plus apte à traduire et à communiquer l’essence tout ineffable du
949 isir l’insaisissable… Et l’objet du désir ne peut être ni abandonné ni saisi99. L’abandonner est chose intolérable, et il es
950 e peut être ni abandonné ni saisi99. L’abandonner est chose intolérable, et il est impossible de le conserver. Le silence m
951 aisi99. L’abandonner est chose intolérable, et il est impossible de le conserver. Le silence même n’a pas assez de force po
952 l’une de ses béguines parlant du Christ. « Je me suis perdue dans sa bouche », dit une autre. Et une troisième : « Boire le
953 ards de l’amour et s’y engloutir enivrée… » Je me suis arrêté à l’exemple de Ruysbroek pour la commodité de l’exposé : le fa
954 historique que Maître Eckhart et son disciple se soient opposés sur le point précis de l’union divine, rendait possible une c
955 ichement habillé, déclara que désormais Dieu seul serait son Père. « L’évêque lui jeta sur les épaules son propre manteau, et
956 ois fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’ être son « chevalier »101. Cette forme de « dénuement », physique mais sym
957 forme de « dénuement », physique mais symbolique, est encore pratiquée de nos jours par la secte des Doukhobors (« combatta
958 s (« combattants spirituels ») dont les croyances sont liées à celles des cathares et gnostiques. En 1929, les Doukhobors ré
959 sme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était moins obtus. La chevalerie errante des Franciscains se répandit en It
960 ins se répandit en Italie comme les troubadours s’ étaient répandus dans le Midi de la France : par les routes, sur les places,
961 rhétorique des troubadours et des romans courtois sont les sources directes du lyrisme franciscain, lequel à son tour devait
962 uivants. Souviens-toi, ô créature, que ta nature est celle des anges. Si plus longtemps tu demeures en cette boue, tu devr
963 iétante celui des cathares. D’autres laudes, pour être plus évidemment catholiques d’inspiration, n’en sont que plus « éroti
964 e plus évidemment catholiques d’inspiration, n’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises » de langage : Mon cœur se fo
965 e l’amour courtois. À défaut d’une anthologie qui tiendrait décidément trop de place105 bornons-nous à énumérer les principaux th
966 l’amour. La passion qui « isole » du monde et des êtres . La passion qui décolore tout autre amour. Se plaindre d’un mal que l
967 t que les conclusions des savants du xixe siècle sont devenues nos préjugés courants. Mais sans compter que le jugement mat
968 er que le jugement matérialiste sur les mystiques est plus révélateur de l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet
969 on — tel qu’on le retrouve chez les mystiques — n’ est pas, à l’origine, celui des sens et de la nature, mais il est au cont
970 ’origine, celui des sens et de la nature, mais il est au contraire la rhétorique d’une ascèse étroitement liée à l’hérésie
971 es comme saint Jean de la Croix et sainte Thérèse étaient mieux avertis que quiconque des dangers de la « luxure spirituelle ».
972 nons bien que le langage des mystiques ne saurait être confondu avec la nature profonde de l’expérience qu’ils ont vécue. J.
973 u’ils les vivent dans leur âme. Et leurs silences furent plus réels que leurs paroles. Il ne s’agit donc, ici, que de tenir co
974 ttéraire. Or s’il faut se borner à un exemple qui est à la fois le plus fameux, le mieux connu, et celui qui a le plus égar
975 et celui qui a le plus égaré nos savants, le fait est que sainte Thérèse utilise constamment, et même raffine la rhétorique
976 an de la Croix emprunte au Cantique des Cantiques sont extraites uniquement du poème biblique, ou ne sont pas en même temps
977 ont extraites uniquement du poème biblique, ou ne sont pas en même temps des images retrouvées, vérifiées pour ainsi dire, t
978 108 » Je ne pense pas que personne, de nos jours, soit en mesure de trancher toutes ces questions. Les spécialistes les mieu
979 ux dont elle faisait sa nourriture intellectuelle étaient tous fortement imbus de rhétorique courtoise et chevaleresque. La que
980 rtoise et chevaleresque. La question a d’ailleurs été traitée, par un auteur qui offre toutes les garanties de sérieux et d
981 t à mettre l’humain et le divin sur le même plan, soit en contemplant le divin avec des yeux profanes, soit en considérant l
982 t en contemplant le divin avec des yeux profanes, soit en considérant l’humain sous une interprétation divine. [C’est moi qu
983 is des Gaules et celle de sainte Thérèse pourrait être également « aimer pour agir ». [Ici, je ferais quelques réserves : l’
984 re, aime pour souffrir, pour « pâtir »…] d) Ce n’ est pas dans les pauvres extravagances des romans de chevalerie mystique
985 usqu’à se confondre avec la poésie d’un amour qui serait tout profane ; elle espère par ce déguisement échapper aux persécutio
986 tte préférence pour le langage passionnel, elle a été interprétée généralement selon la superstition matérialiste111. On a
987 l « dévoyé ». Le xixe siècle, dans l’ensemble, n’ est jamais plus heureux que lorsqu’il peut « ramener » le supérieur à l’i
988 . Et c’est ce qu’il appelle « expliquer ». Que ce soit , la plupart du temps, au prix des pires dénis du sens critique, je n’
989 lleurs112 qu’à mon avis, cette propension moderne est le signe d’un ressentiment profond à l’endroit de la poésie, et en gé
990 r les hommes du xvie siècle, le langage érotique était plus innocent qu’à nos yeux. C’est nous qui sommes des névrosés, héri
991 était plus innocent qu’à nos yeux. C’est nous qui sommes des névrosés, héritiers du « puritanisme » embourgeoisé d’un xixe si
992 mplement refuser de savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Thérèse écrit à un religie
993 oir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint de res
994 ois qu’il entre en oraison : « Je trouve que cela est indifférent à l’oraison, et que le mieux est de n’y faire aucune atte
995 cela est indifférent à l’oraison, et que le mieux est de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne
996 d’une autre manière. Vu notre grossièreté, je ne serais pas surprise que cela nous vînt à l’esprit. J’ai même entendu dire à
997 taient de les entendre. Ô Dieu ! que notre misère est grande ! Il nous arrive comme à ces animaux venimeux qui changent en
998 empruntées au langage courant par les mystiques n’ est pas sans d’étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur f
999 carnation. Ruysbroek, Thérèse et Jean de la Croix sont très nettement « christocentriques ». Tout chez eux part du drame de
1000 l’homme séparé, c’est la passion, — et la passion est partout dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles d’Eck
1001 ion est partout dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthod
1002 st absente de celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspecte de troubles complaisances !
1003 re. 6.Note sur la métaphore Pourtant tout n’ est pas expliqué par ces considérations historiques. Car on peut reculer
1004 mpte, si c’est l’« esprit » ou la « matière » qui sont la cause des phénomènes où tous les deux sont impliqués. Par exemple,
1005 qui sont la cause des phénomènes où tous les deux sont impliqués. Par exemple, dans le cas du langage mystique : sommes-nous
1006 s. Par exemple, dans le cas du langage mystique : sommes -nous en présence d’une matérialisation du spirituel — et celui-ci ser
1007 d’une matérialisation du spirituel — et celui-ci serait alors la cause première — ou au contraire d’une sublimation de phénom
1008 ublimation de phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la base de ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu
1009 la base de ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu’on donnera, une chose demeure certaine : c’est que nous
1010 nera, une chose demeure certaine : c’est que nous sommes en présence de deux facteurs qui n’existent jamais l’un sans l’autre.
1011 ais l’un sans l’autre. On pourrait fort bien s’en tenir à cette constatation empirique. Mais en fait, personne ne s’y tient.
1012 tatation empirique. Mais en fait, personne ne s’y tient . La conscience moderne, par exemple, victime des réflexes que lui a d
1013 , tranche toujours le débat au bénéfice de ce qui est le plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’un goût qu’il e
1014 ns le cas des métaphores : on dit d’un goût qu’il est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est amère. Comment cela
1015 est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est amère. Comment cela peut-il s’expliquer ? Tout le monde répond, sans
1016 aphore, au figuré. Le sens propre du mot « amer » serait alors celui qui concerne la sensation physique, tenue pour primitive.
1017 cela, le croient-elles pour des raisons qu’elles seraient capables de donner ? Ont-elles donc recherché si, chronologiquement,
1018 ’un mot précède toujours le « spirituel », qui ne serait qu’une transposition, un à peu près, une erreur tolérée ? En vérité,
1019 nce. Ce préjugé consiste à croire que le physique est plus vrai et plus réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base de
1020 t plus vrai et plus réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base de tout ; que c’est par lui que tout s’explique. Le mé
1021 que tout s’explique. Le mécanisme de ce préjugé a été défini et critiqué par le docteur Minkowski113 et Arnaud Dandieu d’un
1022 « propre » et le sens dit « figuré » ne sauraient être « ramenés » l’un à l’autre, car tous les deux traduisent « proprement
1023 l’autre par le même mot, c’est une même manière d’ être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de n
1024 même mot, c’est une même manière d’être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de notre existence
1025 e même manière d’être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi de nos méta
1026 métaphores amoureuses. Le moderne n’hésite pas à tenir ce raisonnement : « Amour désigne pour moi l’attrait sexuel — or sain
1027 e parle sans cesse d’amour —, donc cette mystique est une érotomane qui s’ignore. » Mais nous avons vu que sainte Thérèse n
1028 en, et qu’au contraire, les amants « passionnés » sont sans doute des mystiques qui s’ignorent… Ainsi les arguments s’annule
1029 ique veut exprimer ses expériences ineffables, il est contraint de se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve e
1030 Il les prend où il les trouve et telles qu’elles sont , quitte à les modifier par la suite. Or à partir du xiie siècle, les
1031 partir du xiie siècle, les métaphores courantes sont celles de la rhétorique courtoise. Que les mystiques s’en emparent sa
1032 eux » entretenus par l’âme et son Dieu, qu’elle s’ est plus complètement humanisée, c’est-à-dire détachée de l’hérésie. Car
1033 humain ; tandis que l’orthodoxie pose que l’union est impossible, ce qui entraîne le malheur divin et rend l’amour humain p
1034 s mystiques Cette décision tout arbitraire, il est temps de la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’es
1035 de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’elle soit arbitraire en fin de compte, ou ce qui revient au même, avant tout co
1036 sur l’instinct. « L’amour existe lorsque le désir est si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel », disait le tr
1037 C’est ce fait seul qui nous permet de parler. Qu’ est -ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvo
1038 de mentir autant que le pouvoir d’exprimer ce qui est . Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait
1039 t que le pouvoir d’exprimer ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller a
1040 inct. Le responsable d’un tel mensonge ne saurait être que « l’esprit ». (On sent ici à quelle profondeur l’amour-passion, l
1041 ’expression et le mensonge se trouvent liés. Et n’ est -elle pas typique de toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se
1042 e la Croix, et même Ruysbroek, et saint François, sont évidemment postérieurs à la naissance de l’amour-passion, il n’en res
1043 our-passion, il n’en reste pas moins que celui-ci est postérieur à la mystique pseudo-chrétienne des cathares. 3° C’est san
1044 ute à tort qu’à la proposition : « Tout érotomane est un mystique qui s’ignore », on a cru pouvoir répondre : « Ou l’invers
1045 fois comme des érotomanes qui s’ignorent. Mais il est certain que l’érotomanie est une forme d’intoxication, et tout nous p
1046 s’ignorent. Mais il est certain que l’érotomanie est une forme d’intoxication, et tout nous prouve que les Eckhart, Ruysbr
1047 es Eckhart, Ruysbroek, Thérèse, Jean de la Croix, sont exactement le contraire de ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué
1048 ire de ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non de sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilis
1049 ise pour s’exalter. Si l’origine de cette passion est un désir, conscient ou non, d’échapper à la condition terrestre insup
1050 la condition terrestre insupportable, et si l’on est en droit d’y voir le rudiment d’un appel mystique, il n’en reste pas
1051 mystique, il n’en reste pas moins que l’intoxiqué est avant tout l’esclave de sa drogue. Psychologiquement, c’est un être d
1052 esclave de sa drogue. Psychologiquement, c’est un être déchu, dont les sens s’émoussent, dont la lucidité s’affaiblit, et qu
1053 ssions dans la vie quotidienne. Sainte Thérèse ne tenait pour bonnes que les visions qui la poussaient à mieux agir, à mieux a
1054 a pas revêtu la forme de la Nuit : elle n’a pas «  été faite chair ». Ils ne veulent pas que le Jour parfait se communique à
1055 ns nul intermédiaire. Sombrant alors, comme Icare est tombé. (Celui qui veut aller à Dieu sans passer par le Christ qui est
1056 i veut aller à Dieu sans passer par le Christ qui est « le chemin », celui-là va au diable, disait énergiquement Luther.) I
1057 nergiquement Luther.) Ils pressentent que la Nuit est un mystère du Jour, dont le Jour seul détient le secret dernier116. M
1058 — et non pas l’œuvre d’un obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine de la Bible.) Refusant que le Jour les enseigne
1059 ature, ignorant donc la vraie nature de ce qu’ils tiennent pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre sans retour au mom
1060 ent lui échapper. Et de là vient que la confusion était fatale entre l’Éros divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct. De
1061 une soif que la mort seule pouvait éteindre : ce fut la « torture d’amour » qu’ils se mirent à aimer pour elle-même. La pa
1062 de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera d’ être un symbole de l’union avec la Jour incréé, deviendra le symbole de l’
1063 ne illusion de gloire libératrice dont la douleur serait encore le signe ! Ainsi s’opère le renversement tragique : se dépasse
1064 er jusqu’à s’unir au transcendant, quand le but n’ est plus la Lumière, et quand on ignore le « chemin », c’est se précipite
1065 cipiter dans la Nuit. Le dépassement, dès lors, n’ est plus qu’exaltation du narcissisme. Il ne vise plus à la libération de
1066 s passionné, les « couleurs » de sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, promesses de gloire jamai
1067 es fourmis ne parieront pas toutes les hypothèses sont possibles ! 88. Voir Appendice 7. 89. Voir Appendice 8. 90. La Nu
1068 ix, II, i, 1er verset. Trad. Hoornaert. 91. Ce n’ est pas évident pour Eckhart (voir plus bas, chap. iii) mais bien pour sa
1069 evoir de lui de grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâces passent par les mains de cette humanité sa
1070 ait d’un type homogène que dans la mesure où elle serait banale, dans la mesure aussi où nous échouerions à la saisir ». 93.
1071 anum frumenti… « L’âme échappe à sa nature, à son être et à sa vie, et naît dans la Divinité. C’est là qu’est son devenir. E
1072 t à sa vie, et naît dans la Divinité. C’est là qu’ est son devenir. Elle devient si totalement un seul être qu’il ne reste p
1073 t son devenir. Elle devient si totalement un seul être qu’il ne reste pas d’autre distinction que celle-ci : Lui demeure Die
1074 bsence du langage « épithalamique » pourrait-elle être proposée comme un critère lorsqu’il s’agit de savoir si tel mystique
1075 e évidemment, mais il y a là une question digne d’ être étudiée minutieusement. 99. Un troubadour : « Amour ne me quitte ni
1076 ces que les prouesses des chevaliers errants. Ils sont d’ailleurs rapportés par les auteurs des Fioretti sous une forme narr
1077 livre IV. 106. Ce cri célèbre de sainte Thérèse est inspiré de la franciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir de
1078 , Krafft-Ebing, Murisier, Leuba, Freud, pour s’en tenir aux plus célèbres. 112. Dans Penser avec les mains , IIe partie. 1
5 1939, L’Amour et l’Occident. Livre IV. Le mythe dans la littérature
1079 la littérature On reconnaîtra maintenant ce qu’ est le péché ou comment procède le péché. C’est lorsque la volonté humain
1080 lorsque la volonté humaine se sépare de Dieu pour être une volonté à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et brûle de sa pr
1081 r et brûle de sa propre affection, ardeur qui lui est propre et qui n’a rien à voir avec l’ardeur divine. Jacob Boehme.
1082 ature sur les mœurs D’une manière générale, il est bien difficile de vérifier l’influence des arts sur la vie quotidienn
1083 it le démontrer. Et la peinture, quelle peut bien être son action ? L’architecture, au moins, nous pouvons l’habiter, mais l
1084 ture, au moins, nous pouvons l’habiter, mais là n’ est pas son caractère d’art. De même pour telle ou telle philosophie. Mai
1085 même pour telle ou telle philosophie. Mais le cas est tout différent lorsqu’il s’agit d’une littérature dont on peut démont
1086 que du mythe, héritage de l’amour provençal. Il n’ est pas nécessaire de supposer ici quelque pouvoir magique des sons et du
1087 n peut dire après La Rochefoucauld : peu d’hommes seraient amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour. ⁂ Passion et
1088 ntendu parler d’amour. ⁂ Passion et expression ne sont guère séparables. La passion prend sa source dans cet élan de l’espri
1089 du même mouvement à se raconter elle-même, que ce soit pour se justifier, pour s’exalter, ou simplement pour s’entretenir. (
1090 ou simplement pour s’entretenir. (Le double sens est significatif.) En ce domaine, il est aisé de vérifier. Les sentiments
1091 double sens est significatif.) En ce domaine, il est aisé de vérifier. Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les masse
1092 éprouvent l’élite, puis les masses par imitation, sont des créations littéraires en ce sens qu’une certaine rhétorique est l
1093 littéraires en ce sens qu’une certaine rhétorique est la condition suffisante de leur aveu, donc de leur prise de conscienc
1094 es mélancolies, et même pour se suicider, il faut être en mesure « d’expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plu
1095 i-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est sentimental, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant
1096 mme est sentimental, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme est passionné, plus
1097 verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme est passionné, plus il y a de chances qu’il réinvente les figures de la r
1098 s peuples d’Occident : l’on peut admettre qu’elle est parallèle à ses métamorphoses littéraires. (Moyennant, cela va de soi
1099 rice du « charme ». La littérature, au contraire, est la voie qui descend aux mœurs. C’est donc la vulgarisation du mythe,
1100 es deux Roses Le meilleur point de départ nous est donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années 1237 et 1280 en
1101 fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont caractérisées par leur opposition au dogme trinitaire (du moins sous
1102 du Libre-Esprit et les ortliebiens rhénans — qui furent peut-être en rapport avec les Vaudois, voisins des cathares —, non se
1103 s ont supposé qu’une élite cléricale du Moyen Âge fut initiée à ces doctrines. Ainsi pensent-ils expliquer mieux certaines
1104 ue l’Église a détruit tous les documents, je m’en tiendrai à un jugement certainement vrai pour la plupart des cas : dès avant l
1105 lieu du xiiie siècle, la littérature courtoise s’ est détachée de ses racines mystiques ; elle s’est alors trouvée réduite
1106 s’est détachée de ses racines mystiques ; elle s’ est alors trouvée réduite à une simple forme d’expression, c’est-à-dire à
1107 rises des galants. L’obstacle à l’union amoureuse est figuré par l’exigence morale, et non plus du tout religieuse. Ce n’es
1108 ence morale, et non plus du tout religieuse. Ce n’ est plus une ascèse mystique, mais un raffinement de l’esprit, qui doit a
1109 Jean de Meung, qui terminera le Roman, la Rose n’ est plus que la volupté physique. Le réalisme le plus franc succède aux f
1110 au platonisme, le cynisme à l’exaltation. La Rose est emportée de haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison
1111 de l’amour malheureux. (Peut-être, pratiquement, est -elle bien proche d’une vision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occa
1112 mbole Alentour de l’an 1200, quelques couplets sont échangés entre Rambaut de Vaqueiras, troubadour languedocien, et le p
1113 s. Cependant qu’autour de Palerme, où Frédéric II tient sa cour, fleurit l’école dite des Siciliens. Dans quelle mesure cette
1114 ud s’inspira-t-elle des troubadours ? La question est encore obscure. On ne trouve à la cour de Palerme qu’un seul poète pr
1115 le mesure les Siciliens « savaient » encore ce qu’ est l’Amour. N’avaient-ils retenu du trobar clus que le procédé mystifian
1116 enu du trobar clus que le procédé mystifiant ? On serait assez tenté de le croire, lorsqu’on voit Dante et son ami Cavalcanti
1117 nes valables — oppose à ces rhétoriqueurs. Ce qui est frappant dans cette nouvelle école, c’est qu’elle rénove consciemment
1118 langage symbolique des troubadours. Les Siciliens étaient tombés dans un douteux allégorisme : ils parlaient de la dame comme d
1119 rlaient de la dame comme d’une femme réelle, ce n’ était plus que galanterie mais froide et stéréotypée. Dante et Cavalcanti,
1120 en même temps, ils savent et disent (dans ce dire est la nouveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel est le secret
1121 isent (dans ce dire est la nouveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel est le secret paradoxal de l’amour courtois 
1122 uveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel est le secret paradoxal de l’amour courtois : guindé et froid quand il ne
1123  : c’est là vraiment que bat son cœur. Et Dante n’ est jamais plus passionné qu’en chantant la Philosophie, si ce n’est quan
1124 passionné qu’en chantant la Philosophie, si ce n’ est quand elle devient la Science sacrée. Sincérité bien propre aux troub
1125 ont jamais dit. C’est parce que Dante et ses amis sont amenés à définir leur art, qu’on surprend mieux qu’ailleurs chez les
1126 écoute et l’entend s’écrie : — Malheureuse que je suis  ! Je ne suis pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame 
1127 ntend s’écrie : — Malheureuse que je suis ! Je ne suis pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui dou
1128 le salue [auquel elle donne son salut] et, s’il n’ est déjà de notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’est qu’un b
1129 notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’ est qu’un blasphémateur lorsqu’il écrit au seuil de la Vita Nuova, cette
1130 ureux ! S’agit-il donc de Béatrice comme femme ? Est -ce sa présence que tous les saints implorent et qui serait « l’espéra
1131 sa présence que tous les saints implorent et qui serait « l’espérance des bienheureux » ? Ou s’agit-il plutôt de l’Esprit sai
1132 it de définir enfin ce dont on parle. « Cet Amour est -il vie ou mort ? » demande courageusement le premier. Et le second ré
1133 souvent la mort… L’amour existe lorsque le désir est si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel… Comme il ne pr
1134 rpétuellement sur lui-même son propre effet. Il n’ est point un plaisir, mais une contemplation. » Aucun doute ne demeure po
1135 tion. » Aucun doute ne demeure possible : l’Amour est la passion mystique. Mais encore faut-il définir le rôle de l’amour n
1136 anger de s’arrêter aux formes terrestres qui n’en sont qu’un reflet : De même que la tigresse, dans sa grande douleur, se s
1137 este là, et ne poursuit point ; de même celui qui est pénétré d’amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ai
1138 oint le cœur pitoyable, le jour passe et l’espoir est déçu ! Ici la Dame au cœur impitoyable est bien la femme qui détourn
1139 spoir est déçu ! Ici la Dame au cœur impitoyable est bien la femme qui détourne l’Amour à son profit. Dans un Bestiaire mo
1140 nous ; ses petits, qu’un chasseur lui a pris, ce sont les vertus, et le chasseur c’est le Démon, qui nous fait voir ce qui
1141 sseur c’est le Démon, qui nous fait voir ce qui n’ est pas. De là vient que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’alle
1142 ns voir Pétrarque se laisser prendre « à ce qui n’ est pas », c’est-à-dire à l’image de sa Laure, qui trop longtemps — comme
1143 r une chose mortelle avec une foi Qui à Dieu seul est due et à lui seul convient… Tout le monde, et sur le moindre roche
1144 ndre rocher que trempe la mer, sait qu’un homme a été superlativement amoureux et c’est Pétrarque. Et ce qu’il y a de mieux
1145 omme simplement amoureux ? Rien d’analogue. Lui l’ était d’une façon extraordinaire, incendiaire, solaire.121 Voilà ce qui d
1146 itement païen, et non plus du tout hérétique ! On est aux antipodes du Dante, mais aussi des rhéteurs qu’il attaquait. Le «
1147 aquait. Le « secret » dont je parlais plus haut s’ est volatilisé : il ne joue plus. Le langage de l’Amour est enfin devenu
1148 latilisé : il ne joue plus. Le langage de l’Amour est enfin devenu la rhétorique du cœur humain. Cette « profanation » radi
1149 es meilleures métaphores. En vérité, la tentation était trop forte. (On en jugera par quelques exemples mis en note, et à vra
1150 dis : Ô mon âme, il te faut rendre grâce Toi qui fus jugée digne alors d’un tel honneur. D’Elle te vient cet amoureux pens
1151 e te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le suis , au plus haut Bien te mène Et te fait mépriser ce que l’homme désire1
1152 s présente ou absente — ici encore —, la femme ne sera jamais que l’occasion d’une torture qu’il préfère à tout : Je sais,
1153 de loin — de près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier vers. Et le secret de cette mélancolie, Pétrarque a s
1154 i !127 Et saint Augustin, avec lequel Pétrarque tient ce dialogue fictif, lui répond : Tu connais très bien ton mal. Tout
1155 ut à l’heure, tu en sauras la cause. Dis-moi : qu’ est -ce qui te rend triste à ce point ? Est-ce bien le cours des choses de
1156 s-moi : qu’est-ce qui te rend triste à ce point ? Est -ce bien le cours des choses de ce monde ? Est-ce une douleur physique
1157 t ? Est-ce bien le cours des choses de ce monde ? Est -ce une douleur physique, ou bien quelque rigueur injuste de fortune ?
1158 ppel à la mort : Que s’ouvre donc la geôle où je suis enfermé Qui me clôt le chemin vers une telle vie ! (Chanson 72.) La
1159 on espoir en « cette fausse douceur fugitive » qu’ est l’amour idéalisé. Et je me sens au cœur venir, heure par heure, une
1160 une chose mortelle, avec une foi qui à Dieu seul est due et à lui seul convient est plus interdit à qui plus désire honneu
1161 oi qui à Dieu seul est due et à lui seul convient est plus interdit à qui plus désire honneur ! Mais comment s’arracher à
1162 qui tourne autour de toi immortel et paré ! S’il est vrai, qu’ici-bas tant joyeux de son mal votre désir s’apaise par un c
1163 p d’œil, une parole, une chanson, — si ce plaisir est jà si grand… quel sera l’autre ! 5.Un idéal à rebours : la gauloi
1164 ne chanson, — si ce plaisir est jà si grand… quel sera l’autre ! 5.Un idéal à rebours : la gauloiserie Imposer un sty
1165 e. Mais la confusion de la foi, « qui à Dieu seul est due et à lui seul convient », avec l’amour d’« une chose mortelle »,
1166 ient », avec l’amour d’« une chose mortelle », en fut la conséquence inévitable. Et c’est bien de cette confusion — non de
1167 iste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle fut surtout sensible dans la bourgeoisie. Dès le début du xiie siècle, e
1168 et du corps qui date précisément de cette époque, est le premier témoignage d’un conflit que le mariage chrétien était cens
1169 r témoignage d’un conflit que le mariage chrétien était censé résoudre. On y voit l’âme récemment séparée de son corps adress
1170 du dernier siècle. Mais je ne crois pas qu’ils se soient engendrés en ligne directe. Chaque moment de cette progression vers l
1171 mposition du romantisme, au moins autant, si ce n’ est beaucoup plus, que de Balzac (considéré alors comme réaliste). Pour e
1172 ourtoises ? Il me paraît que la « gauloiserie » n’ est qu’un pétrarquisme à rebours. « On aime à opposer — écrit J. Huizinga
1173 Or la gauloiserie, aussi bien que la courtoisie, est une fiction romantique. La pensée érotique, pour acquérir une valeur
1174 otique, pour acquérir une valeur de culture, doit être stylisée. Elle doit représenter la réalité complexe et pénible sous u
1175 entre autres, dans le Dit de Chiceface. Chiceface est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi es
1176 ux qui ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi est -il d’une maigreur effroyable, tandis que son confrère Bigorne, lequel
1177 re Bigorne, lequel ne mange que les maris soumis, est d’un embonpoint sans pareil. Parallèlement à ces deux courants issus
1178 jusqu’à Cervantès L’influence du roman breton est attestée par des centaines de textes à travers les xiiie , xive et x
1179 s minnesänger (chanteurs de l’Amour) en Allemagne sont nourris de légendes cathares131 et par ailleurs ne font qu’adapter du
1180 se servir que d’une mythologie toute catholique —  soit prudence ou incompréhension — assez incompatible, on l’a bien vu, ave
1181 u’aux romans d’aventures profanes. Cette omission est mystérieuse. Elle militerait en faveur de la thèse selon laquelle Cer
1182 ont ils avaient perdu le secret. Don Quichotte ne serait grotesque que parce qu’il veut imiter une ascèse à laquelle il n’est
1183 arce qu’il veut imiter une ascèse à laquelle il n’ est pas initié, et suivre une voie que le malheur des temps rend totaleme
1184 on Cependant Rome n’a pas triomphé partout. Il est une île où son pouvoir est contesté. C’est la dernière patrie des bar
1185 s triomphé partout. Il est une île où son pouvoir est contesté. C’est la dernière patrie des bardes. En Cornouailles et en
1186 ittérature anglaise populaire et savante. Mais il est significatif qu’à la fin du xviie siècle, un bon lettré comme Robert
1187 kespeare, — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’ été . Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Juliet
1188 vons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Juliette qui est la seule tragé
1189 atholique — mais nous avons Roméo et Juliette qui est la seule tragédie courtoise, et la plus belle résurrection du mythe a
1190 de la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissait la tradition secrète des troubad
1191 adours. Mais on peut relever ce fait : que Vérone fut un des principaux centres du catharisme en Italie. Selon le moine Ran
1192 me en Italie. Selon le moine Ranieri Saccone, qui fut dix-sept ans hérétique, il y avait à Vérone près de cinq-cents « parf
1193 ouveau qui se dresse, à la lueur d’une torche que tient Roméo. Juliette repose, endormie par le philtre. Le fils de Montague
1194 ose, endormie par le philtre. Le fils de Montague est entré, et il parle : Combien souvent les hommes sur le point de mour
1195 bien souvent les hommes sur le point de mourir Se sont sentis joyeux ! Ceux qui veillent sur eux Disent : l’éclair avant la
1196 t n’a pas eu de prise encor sur ta beauté Et tu n’ es pas conquise. L’enseigne de beauté Est encore cramoisie sur tes lèvre
1197 uté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de beauté Est encore cramoisie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle drapeau de la
1198 èvres, tes joues, Et le pâle drapeau de la mort n’ est pas avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi es-tu si belle encore ? D
1199 n’est pas avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi es -tu si belle encore ? Dois-je penser Que la mort non substantielle est
1200 re ? Dois-je penser Que la mort non substantielle est amoureuse Et que le monstre maigre te conserve Ici pour être ton aman
1201 use Et que le monstre maigre te conserve Ici pour être ton amant dans la ténèbre ? Par crainte de cela je demeure avec toi E
1202 repartirai ; ici je veux rester Avec les vers qui sont tes serviteurs ; ici, ici Je vais fixer mon repos éternel, Secouer l’
1203 mour ! (Il boit.) … Honnête apothicaire Ta drogue est rapide. En un baiser je meurs. Le consolament de la Mort vient de sc
1204 ous entretenir encor de ces tristesses.133 ⁂ Il est certain que Milton quoique puritain subit l’influence de doctrines ca
1205 is : du moins pas sans de telles réticences qu’il serait vain de conclure sur ce point plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Ava
1206 légendes. Et dans le De doctrina christiana, il s’ était insurgé « contre la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes de
1207 qui malgré tout rattache Milton à la Réforme : n’ est -ce point la même et unique hérésie que nous trouvons partout et en to
1208 stiques et manichéennes montre bien que l’abîme n’ est pas infranchissable, surtout sur le plan de l’éthique. L’idéalisme et
1209 n maître en occultisme, enseignait que la lumière est la matière divine… Il reste cependant que la doctrine de Milton est b
1210 ine… Il reste cependant que la doctrine de Milton est bien plus « rationnelle » et sociale que celle des hérétiques du Midi
1211 omposer d’interminables romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc
1212 s romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc. Le sujet du roman de
1213 e est Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc. Le sujet du roman demeure les « contrariétés »
1214 es « contrariétés » de l’amour, mais l’obstacle n’ est plus la volonté de mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’
1215 honneur, manie sociale. C’est l’héroïne, ici, qui est la plus astucieuse lorsqu’il s’agit d’imaginer des prétextes de sépar
1216 regard irrité de sa maîtresse. Au dénouement, il est encore à se demander si cette « reine de l’Île inaccessible » ne va p
1217 retardé jusqu’à la dix-millième lorsque l’auteur est un champion du genre. C’est le roman allégorique du xviie siècle qui
1218 l’emporte, et dès lors la fin du roman ne saurait être qu’un retour à ce qui n’est plus le roman : au bonheur. Les grands th
1219 du roman ne saurait être qu’un retour à ce qui n’ est plus le roman : au bonheur. Les grands thèmes tragiques du mythe n’év
1220 ratrice. Mais la dialectique sauvage de Tristan n’ est plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la Nuit se ramèn
1221 ue l’on n’ose nommer un roman-fleuve, puisqu’il n’ est parcouru que par les sinuosités d’un modeste ruisseau, le Lignon, Cél
1222 par des lions et des licornes : cette fontaine ne sera désenchantée, selon l’oracle, que par la mort du plus fidèle amant et
1223 et Céladon évanouis (c’est une mort métaphorique) sont transportés chez le druide Adamas où ils se réveillent, puis s’épouse
1224 s prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux de nos récents romans féeriques. Et la psycholog
1225 auprès de son hôtesse, elle lui dit que le Forez était un bon pays de forges et qu’on y travaillait fort bien le fer. « Cett
1226 es ressources d’une rhétorique plus savante n’ont été à ce point harmonisées. L’on n’imagine pas de roman mieux écrit ; plu
1227 est l’art et non « la vie » qui mène le jeu. Nous sommes en face d’une création de l’esprit, et non d’une confusion de reflets
1228 u moins indiscrets et de hasards immérités (comme sont les romans d’aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle su
1229 nt les romans d’aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle suppose un métier savant, et vingt-cinq ans d’applica
1230 d’application. Le snobisme qui lui fit un succès était mieux averti que le nôtre. Mais aussi ce caractère d’achèvement nous
1231 itif, dont l’Astrée reprend tous les thèmes, l’on est frappé de constater que chez d’Urfé le tragique se dégrade en émotion
1232 plus parfaite, en raison même de sa perfection, n’ est qu’un sous-produit des mystiques créatrices de formes et de mythes ?
1233 l’épuisement temporaire des sources profondes ? N’ est -ce point pour cette cause que la littérature, si fort qu’elle flatte
1234 réfutations et railleries qu’on leur oppose ? Ce fut assez d’un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les
1235 dre. D’où l’on conclut généralement que Corneille est le premier auteur qui ait voulu soumettre la passion à la raison, sin
1236 tre la passion à la raison, sinon à la morale. Il serait donc le premier qui ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut d’ê
1237 i ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut d’ être analysé. Voici comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’est qu’
1238 ci comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’ est qu’en m’aimant trop qu’elle me fait mourir ; Un moment de froideur, e
1239 rais soudain passé ma fantaisie : Mais las ! elle est parfaite, et sa perfection N’approche point encor de son affection ;
1240 ttirer notre méfiance. Quoi, c’est le bonheur qui serait fatal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’être trahi par
1241 l au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’ être trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait un
1242 Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait un curieux monstre ! Disons plutôt qu’on voit trop bien ce qu’il essa
1243 lains », dit-il plus bas. C’est donc la honte qui est cause de son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstac
1244 ait le recours de rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint d’inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sé
1245 uer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’ être trop enchaîné par cette fidélité, — alors qu’on voit tout au contrair
1246 t tout au contraire qu’il désespère de ne point l’ être assez. Il proclame un besoin d’être libre qui traduit un profond dési
1247 de ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’ être libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de dés
1248 in d’être libre qui traduit un profond désir de n’ être plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se passerai
1249 faisait mine de lui échapper. Mais voyez comme il est habile : Cléandre Vit-on jamais amant de la sorte enflammé Qui se tî
1250 Vit-on jamais amant de la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alidor Comptes-tu mon esprit entre
1251 de la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alidor Comptes-tu mon esprit entre les ordinaires ? Pen
1252 rait bien voir que la vraie volonté du personnage est exactement opposée à ces hautaines déclarations. « Il ne faut point s
1253 ignifie en réalité : « Le seul objet qui vaille d’ être servi, c’est celui qui nous posséderait totalement et qui, par sa fui
1254 e. » Les deux derniers mots : « … et l’éteindre » étant pur artifice de rhétorique, destiné à persuader le lecteur, ou Cléand
1255 , ou Corneille lui-même, que c’est la liberté qui est désirée, alors que c’est évidemment le « feu » ; et non pas le feu « 
1256 e j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne
1257 p plus d’obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de son mérite, que quand elle vien
1258 oint ce qu’on ne saurait nous refuser. Voilà qui est bel et bon. Mais nous n’oublions pas que ce refus de la contrainte fa
1259 articles des Leys d’Amors). Et que cette exigence est polémique, dirigée contre le mariage. Or Alidor et son amante trop fi
1260 is pour l’amour de la passion. À tel prix que ce soit , il faut rompre mes chaînes De crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pou
1261 de brûler, donc en fait : sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés de succès au cinquième acte. Corneille l’avoue plu
1262 ue quand il lui a donné sujet de le haïr. L’aveu est complet cette fois-ci. Mais dans le plan purement psychologique où Co
1263 Cela fait, conclut-il, une inégalité de mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement de l’auteur sur
1264 aphorique). Bien mieux : cette volonté de liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle prétendait gué
1265 le récitent et le réciteront toujours ceux qui ne sont guère capables de l’aimer… 10.Racine, ou le mythe déchaîné L’op
1266 ers engagements que Didon avait avec Énée, elle n’ est pas obligée, comme elle, de renoncer à la vie ». L’on sent tout l’art
1267 i se voit opposé à la passion de la Nuit ! « Ce n’ est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédi
1268 ragédie, ajoute Racine, il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soien
1269 t que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressen
1270 s acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui
1271 e qui fait tout le plaisir de la tragédie », ce n’ est que la moitié du mythe, son aspect diurne, son reflet moral dans notr
1272 renversement dans la joie, acceptée telle qu’elle est dans le monde du jour, et qualifiée néanmoins de « plaisir », l’on ne
1273 moins de « plaisir », l’on ne voit pas en quoi ce serait davantage qu’une morosa delectatio. Certes, l’on est fondé à conteste
1274 davantage qu’une morosa delectatio. Certes, l’on est fondé à contester la vérité dernière de la croyance mystique (maniché
1275 ernière de la croyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine de la passion et de son mythe : du moins faut-il bien rec
1276 le tourment qui en résulte, c’est que l’obstacle est un masque de la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguratio
1277 obstacle est un masque de la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se r
1278 e gage d’une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute d’atteindre cette limite
1279 ne lui-même la vraie nature de son délire. Phèdre est un moment décisif non seulement dans la vie du poète, mais dans l’évo
1280 èdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort est écarté dans Bérénice par une « censure » morale évidemment chrétienne
1281 t chrétienne d’origine. Racine ne peut ni ne veut être pleinement lucide. Car sa lucidité l’obligerait à condamner ce qu’il
1282 r. Mais la crise de sa passion pour une femme qui fut peut-être la Champmeslé, et les premières atteintes d’une vraie foi v
1283 iguration : il a pris le parti du jour, la mort n’ est plus que le châtiment de ses trop longues complaisances. C’est la pas
1284 acle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’ est plus admissible de vouloir vaincre. L’opinion — à laquelle Racine se
1285 laquelle Racine se montre si sensible — l’opinion est toujours avec Tristan contre le roi Marc, avec le séducteur contre le
1286 avec le séducteur contre le mari trompé ; elle n’ est jamais avec les amants incestueux. Ensuite, Racine se punit par perso
1287 te réciprocité de la part. d’Hippolyte. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle de la reine. Et Hippolyte,
1288 te. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle de la reine. Et Hippolyte, c’est Racine tel que maintenant il
1289 n, et il se démontre à lui-même que cette passion est condamnable sans appel. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque de Phèdre
1290 el. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque de Phèdre est encore en pleine crise, balançant devant la décision. D’où la duplici
1291 c cet amour incestueux, encore que cette reine ne soit que la belle-mère d’Hippolyte. Mais le vieil homme, le Racine naturel
1292 polyte amoureux d’Aricie, dont on va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est très subtil. Pour ce qui est du per
1293 va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est très subtil. Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, écrit-il dan
1294 e déguisée. Le tour est très subtil. Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, écrit-il dans la Préface, j’avais remarqué
1295 passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père. Ainsi donc, Ar
1296 umés à des déguisements plus savants !) Mais ce n’ est pas l’inceste, c’est la passion qui intéresse — au sens fort — Racine
1297 elle de l’auteur. Ah ! Seigneur ! si notre heure est une fois marquée Le ciel de nos raisons ne sait point s’informer. (I,
1298 s raisons ne sait point s’informer. (I, 1.) Ce n’ est pas ce ciel-là qu’eût adoré Corneille ! Ni ces dieux que l’on dupe, e
1299 t sur qui l’on rejette la faute : Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout
1300 on sang. (II, 3.) Et voici la servante Œnone qui tient à Phèdre le même langage que la servante Brangaine à Isolde : Vous a
1301 ut vaincre sa destinée : Par un charme fatal vous fûtes entraînée… (IV, 6.) Duplicité, ai-je dit, mais à tel point essentiel
1302 la pièce, constitutive de la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son auteur. Il fall
1303 itutive de la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son auteur. Il fallait Phèdre. Il fal
1304 ine a su faire mentir — j’en viens à croire qu’il est sincère dans sa Préface lorsqu’il écrit : Ce que je puis assurer, c’
1305 st que je n’ai point fait de tragédie où la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévè
1306 au jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévèrement punies : la seule pensée du crime y est regardée avec auta
1307 nt sévèrement punies : la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même ; les faiblesses de
1308 sent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pour démontrer tout le désordre dont elles so
1309 ux que pour démontrer tout le désordre dont elles sont cause… On est loin du dessein d’« exciter les passions » pour « plai
1310 ntrer tout le désordre dont elles sont cause… On est loin du dessein d’« exciter les passions » pour « plaire » à un besoi
1311 re » à un besoin de « tristesse majestueuse ». On est tout près de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était de la race d
1312 out près de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était de la race des troubadours qui trahissent l’Amour pour l’amour : pres
1313 n chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s’ est guère fait sentir que deux siècles plus tard. (Il a fallu que les phi
1314 ul prévu par ce mystique : si la cause extérieure est un Dieu auquel notre âme pourrait s’identifier139. Mais Spinoza négli
1315 l’obstacle ». Dans le fait, nos passions humaines sont toujours liées à des passions contraires, notre amour toujours lié à
1316 notre haine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’ est pas de cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa
1317 s roués de la Régence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral, mais intellectuel et physique. La distinctio
1318 ’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’ être en intelligence et en sexe. À vrai dire, tout obstacle détruit, la pa
1319 ’on parle de « passionnettes ». Le dieu d’Amour n’ est plus un dur destin mais un enfant impertinent. Presque plus rien n’es
1320 n mais un enfant impertinent. Presque plus rien n’ est défendu. De la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour
1321 es épingles ! » (Il me semble que ces épingles ne sont point citées par hasard : « Amour vous point », disait la rhétorique.
1322 le sang coulera sous la Terreur ; mais nous n’en sommes encore qu’à la « guerre en dentelles ».) Or ce siècle de la Volupté n
1323 rre en dentelles ».) Or ce siècle de la Volupté n’ est pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les
1324 ncarner ce rêve des Richelieu et des Casanova, je suis moins sûr de leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce dési
1325 Nous en avons donné plus d’un exemple. Le xviiie est trop poli pour admettre la gauloiserie : il la remplace par une affec
1326 de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce n’ était encore, et ce ne sera jamais, qu’un idéalisme à rebours. 13.Don Ju
1327 uvait encore étonner. Ce n’était encore, et ce ne sera jamais, qu’un idéalisme à rebours. 13.Don Juan et Sade Comme on
1328 tre l’antithèse absolue de Tristan. Si Don Juan n’ est pas, historiquement, une invention du xviiie , du moins ce siècle a-t
1329 de celui qui ne peut pas posséder, parce qu’il n’ est pas assez pour avoir… Mais cela nous entraînerait à quelques développ
1330 comme le reflet inversé de Tristan. Le contraste est d’abord dans l’allure extérieure des personnages, dans leur rythme. O
1331 e une seule femme. Mais c’est la multiplicité qui est pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se conce
1332 a multiplicité qui est pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se concentre le monde entier. Tristan n’
1333 nfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan est le démon de l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde,
1334 s en plus décevante et méprisable — quand Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravi
1335 Casanova au niveau de l’aventure scélérate, tels sont les parangons qui prennent la place de l’idéal détruit par le xviie
1336 tal, et tout pouvoir de « sympathie ». La femme n’ est plus pour l’homme du xviiie qu’un « objet ». Mesurons l’un à l’autre
1337 t des corps, la réalité d’un « objet ». Sade, qui est un homme du xviiie , connaît trop bien sa monotone tyrannie. Ce que P
1338 , c’est lui qui détient le plaisir, et le plaisir est une fatalité. Comment s’en libérer, si ce n’est par l’excès, car tout
1339 r est une fatalité. Comment s’en libérer, si ce n’ est par l’excès, car tout excès vient de l’esprit ! Rien de plus glaciale
1340 euses » multipliées par la rage du Marquis. Là où est le plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’un
1341 par la rage du Marquis. Là où est le plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’un rachat. Purificatio
1342 plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’un rachat. Purification par le mal : péchons jusqu’à détru
1343 On ne tue bien que son amour, parce que lui seul est souverain. Le crime d’amour impur sauvera la pureté. Lisons maintena
1344 ticuliers, nous ne pourrons pas sacrifier un seul être à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare, de si
1345 un seul être à nos vengeances ou à nos caprices ? Est -il rien de si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous
1346 moi qui ai souligné). Si le marquis de Sade avait été interrogé sur les mobiles secrets de sa morale, il se fût sans nul do
1347 rrogé sur les mobiles secrets de sa morale, il se fût sans nul doute réfugié derrière un verbiage cynique. Mais tous ses ar
1348 ière un verbiage cynique. Mais tous ses arguments sont transparents : ils signifient avec exactitude le contraire de leur se
1349 eur sens littéral143. Cette glorification du sexe est une constante et rationnelle profanation de la morale profanée du xvi
1350 ifester en tuant le criminel144. Car là seulement serait la délivrance, — selon la foi des troubadours… 14. La Nouvelle Hél
1351 mpérament des complicités bien profondes et qui n’ est autre que le pétrarquisme. Le roman de Rousseau à proprement parler n
1352 uisme. Le roman de Rousseau à proprement parler n’ est pas une renaissance du mythe primitif de Tristan. Il n’a pas la viole
1353 rte de piétisme raffiné. Ici encore, la décadence est manifeste. L’Héloïse qui vécut au xiie siècle145 et dont nous posséd
1354 renoncement à la passion, et cette mort de Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il insiste long
1355 ut que suspecter un « calvinisme » qui parle de l’ Être suprême et paraît ignorer le Christ…) Tout cela ne m’empêchera point
1356 man les croyances de ses personnages. Si Rousseau fut le premier à décrire ces erreurs, c’est qu’il en souffrit plus que d’
1357 complaisances qu’entraîne le genre romanesque. Il est visible que Rousseau, pas plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’es
1358 eau, pas plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’ est dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Jul
1359 s intéressées de l’Éros et de l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, quand on a une fois abandonné la vérit
1360 le, on s’en fait ensuite une à sa mode, et l’on y tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est de notre choix. » Toutefo
1361 n y tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « clima
1362 ) qu’il se met à douter sombrement : « Non, ce ne sont point ces transports que je regrette le plus : ah non ! retire s’il l
1363 onnerais mille vies, mais rends-moi tout ce qui n’ était point elles, et les effaçait mille fois. Rends-moi cette étroite unio
1364 i pris pour toi des sentiments plus paisibles, il est vrai, mais plus affectueux et de plus de différentes espèces… Les dou
1365 mble-t-il, sur la roture de Saint-Preux, laquelle est censée interdire toute possibilité d’union légale. D’où encore l’assi
1366 r » l’amour chaste qui les ravissait — bien qu’il fût dès ce moment condamnable  — et « crime », « horreurs », « corruption
1367 ise trop souvent invoquée. Et ainsi de suite : il serait aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégè
1368 forcé le dernier mystère de Tristan. Mon propos n’ est point de recenser les innombrables manifestations du mythe dans nos l
1369 bien mon sentiment : chercher cette satisfaction serait folie. Mourir ensemble ! (Mais silence ! ceci paraît exalté, et pourt
1370 ion.148 Journal intime de Novalis : Lorsque j’ étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m’est venue que ma mort donn
1371 ’étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m’ est venue que ma mort donnerait à l’humanité un exemple de fidélité étern
1372 ouverte. Que Dieu me conserve cette douleur qui m’ est indiciblement chère… Notre engagement n’était pas pris pour ce monde…
1373 qui m’est indiciblement chère… Notre engagement n’ était pas pris pour ce monde… Maximes de Novalis : Toutes les passions f
1374 assions finissent comme une tragédie, tout ce qui est limité finit par la mort, toute poésie a quelque chose de tragique. U
1375 poésie a quelque chose de tragique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage qui nous donne une compagne
1376 ique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage qui nous donne une compagne pour la Nuit. C’est dans la mo
1377 agne pour la Nuit. C’est dans la mort que l’amour est le plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit de noces, un secr
1378 ’amour est le plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit de noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens app
1379 ut-être à l’amour comme le sommeil à la vie. Ce n’ est pas la plus noble part, et l’homme vigoureux préférera toujours veill
1380 Nature. Dieu n’a rien à faire avec la Nature, il est le but de la Nature, l’élément avec lequel elle doit un jour s’harmon
1381 avec lequel elle doit un jour s’harmoniser. Nous sommes des esprits émanés de Dieu, des germes divins. Un jour nous deviendro
1382 ivins. Un jour nous deviendrons ce que notre Père est lui-même.149 Et dans les Hymnes à la Nuit, où l’Éros ténébreux supp
1383 profond de cette nouvelle hérésie albigeoise que fut le romantisme allemand. La mort est le but idéal des « hommes élevés 
1384 lbigeoise que fut le romantisme allemand. La mort est le but idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible de Jean-Paul.
1385 . Elle se confond avec l’amour chez Novalis. Elle fut pour Kleist « le seul accomplissement » possible d’une « passion d’am
1386 aquelle se refusait son corps. Mais les poètes ne sont plus les seuls à tenter l’au-delà nocturne : un philosophe comme Schu
1387 tes de désir, tisse son filet autour de celle qui est apparue, et elle est à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif d
1388 on filet autour de celle qui est apparue, et elle est à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif de son aspiration est
1389 lle qui est apparue, et elle est à lui… et elle n’ est jamais à lui, car la soif de son aspiration est à jamais insatiable.
1390 n’est jamais à lui, car la soif de son aspiration est à jamais insatiable. C’est toute l’aventure des mystiques unitives q
1391 par le souvenir des cathares et de leur mystique fut composé par l’un des plus purs romantiques : c’est l’épopée des albig
1392 s albigeois de Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte de profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par
1393 ue Dieu nous voile, Passera, la Nouvelle Alliance sera rompue ; Alors nous concevrons Dieu comme l’Esprit, Alors se célébrer
1394 Alors se célébrera l’Alliance éternelle. L’Esprit est Dieu ! ce cri puissant retentira Comme un tonnerre de joie à travers
1395 é divine, considéré du point de vue de ce monde n’ est plus qu’un élan vers la mort, une séparation essentielle. Tel est le
1396 lan vers la mort, une séparation essentielle. Tel est le tragique de l’Ironie transcendentale, ce mouvement perpétuel du ro
1397 s qu’elle peut concevoir et désirer (la nature, l’ être aimé, le moi), tout ce qui n’est pas l’Unité incréée, la dissolution
1398 r (la nature, l’être aimé, le moi), tout ce qui n’ est pas l’Unité incréée, la dissolution sans retour. Mais cet enthousiasm
1399 la dissolution sans retour. Mais cet enthousiasme est réel, c’est l’« endieusement » des troubadours, l’endiosada des mysti
1400 t défaut au romantisme français. Ici, les données sont les mêmes mais le rythme est moins ample et l’esprit va trop vite au
1401 s. Ici, les données sont les mêmes mais le rythme est moins ample et l’esprit va trop vite au but. La France de la Révoluti
1402 le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il n’ est point d’aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’a
1403 ie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’ est jamais transcendé, il se refuse à l’illusion dernière d’une libératio
1404 puissance lucide. Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même tenté de dire : trop rigoureux… Auprès de lui, Jean-Paul et Nova
1405 exalte la saveur de vivre : c’est peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré de la réalité de son au-delà. Voyez-les se
1406 son » qui conclut sur une épigramme : « Et encore est -il vrai que bien des hommes attachent leur destinée à des choses d’au
1407 à leurs chimères les plus consolantes, l’amour ne sera pas longtemps félicité ineffable de la vie supérieure » dont parle E.
1408 prit, la purification abstraite du sentiment. Les êtres et les choses, ces prétextes, percés par un regard désabusé, cesseron
1409 ercés par un regard désabusé, cesseront bientôt d’ être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieures,
1410 vri de ses formes extérieures, deviendra ce qu’il est en son principe : une autodestruction voluptueuse du moi. « On est dé
1411 pe : une autodestruction voluptueuse du moi. « On est détrompé sans avoir joui, dit René ; il reste encore des désirs et l’
1412 un monde vide. » Alors la femme elle-même cesse d’ être le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Obermann
1413 née. Dans l’Obermann de Sénancour, l’« obstacle » est purement intérieur, il est dans la dualité du moi qui ne peut ni s’af
1414 ancour, l’« obstacle » est purement intérieur, il est dans la dualité du moi qui ne peut ni s’affirmer ni se dissoudre, ni
1415 ni s’affirmer ni se dissoudre, ni se posséder ni être possédé. Nous savions que Tristan n’aimait pas Iseut pour elle-même,
1416 une image. Lui pourtant l’ignorait, et sa passion était naïve et forte. René et surtout Obermann ne peuvent même plus croire
1417 de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares sont toutefois les romantiques français qui atteignirent cette connaissanc
1418 ourrait seule le combler. Aimer passionnément, ce serait vivre ! Il s’imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève de la
1419 te.) Il rirait bien si je lui démontrais que ce n’ est là que l’empreinte du mythe dans son esprit, une habitude héritée de
1420 térature, puisque mystique et religion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé de constater que ce désir de passion, et l
1421 tique et religion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé de constater que ce désir de passion, et la passion elle-même
1422 et la passion elle-même dans le monde où il vit, sont condamnés par la raison et par le scepticisme général. D’où le besoin
1423 « Quoiqu’il traite de l’amour, ce petit volume n’ est point un roman, et surtout n’est pas amusant comme un roman. C’est to
1424 e petit volume n’est point un roman, et surtout n’ est pas amusant comme un roman. C’est tout uniment une description exacte
1425 assion se trompe souvent, précise-t-il, mais elle est en soi une erreur… Le cas Stendhal n’est pas douteux : il s’agit d’un
1426 ais elle est en soi une erreur… Le cas Stendhal n’ est pas douteux : il s’agit d’un homme qui n’aimait pas réellement, et qu
1427 me qui n’aimait pas réellement, et qui surtout ne fut pas réellement aimé. » Tristan aimait, Don Juan était aimé ; mais cel
1428 t pas réellement aimé. » Tristan aimait, Don Juan était aimé ; mais celui qui n’a du premier que la nostalgie, et du second q
1429 tradition antique, sauf qu’il s’affirme heureux d’ être malade. Le voici donc dans la situation d’un médecin qui étudie sur l
1430 s mortel155. Une chose me frappe : sa description est admirable de vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais ell
1431 , d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalement pessimiste — puisque aussi bien il s’agit d’une erreur et
1432 ien il s’agit d’une erreur et dont il se désole d’ être tiré. D’où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conceptio
1433 incompatible avec la conception de la vie qu’il s’ était faite ? C’est la question qu’il ne se pose jamais. Il note très bien 
1434 agrément dans la quantité d’émotion, la sympathie est au moins la moitié moins excitée par la peinture du bonheur que par c
1435 « Il y a peu de peines morales dans la vie qui ne soient rendues chères par l’émotion qu’elles excitent. » Voilà qui est vrai 
1436 ères par l’émotion qu’elles excitent. » Voilà qui est vrai : nous aimons la douleur, et le bonheur nous ennuie un peu… Cela
1437 viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne sont -ils pas contre nature ? Encore une fois, Stendhal ne se pose pas la q
1438 une fois, Stendhal ne se pose pas la question, n’ étant pas en mesure de la résoudre. En matérialiste grossier — c’est la bon
1439 rois, comme Ortega, que la solution stendhalienne est d’abord inexacte, au regard des faits. Il existe un amour qui, loin d
1440 aits. Il existe un amour qui, loin de se tromper, est seul capable de découvrir dans l’être aimé les qualités réelles qui s
1441 se tromper, est seul capable de découvrir dans l’ être aimé les qualités réelles qui s’y cachent. De plus, n’est-ce point là
1442 les qualités réelles qui s’y cachent. De plus, n’ est -ce point là le type d’une solution verbale ? Car dire que la passion
1443 d’une solution verbale ? Car dire que la passion est une erreur — elle l’est parfois —, ce n’est pas encore expliquer cett
1444 ? Car dire que la passion est une erreur — elle l’ est parfois —, ce n’est pas encore expliquer cette erreur. L’instinct ou
1445 ssion est une erreur — elle l’est parfois —, ce n’ est pas encore expliquer cette erreur. L’instinct ou la nature n’ont pas
1446 ir que de l’esprit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime d’un phénomène spirituel que ses croyances matérialistes n
1447 mène spirituel que ses croyances matérialistes ne sont plus en mesure de justifier. Victime heureuse d’ailleurs, et cela suf
1448 l’empêcher de pousser plus avant son enquête. Qu’ est -ce que ce livre qu’il nous laisse ? Le témoignage d’une inquiétude qu
1449 ent s’en libérer, mais il en a perdu la clé. Ce n’ est pas qu’au cours de sa recherche, Stendhal n’ait plusieurs fois « brûl
1450 la (dans Tristan et Isolde) savait que la passion est quelque chose de plus que l’erreur : qu’elle est une décision fondame
1451 est quelque chose de plus que l’erreur : qu’elle est une décision fondamentale de l’être, un choix en faveur de la Mort, s
1452 reur : qu’elle est une décision fondamentale de l’ être , un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d’un mon
1453 l’être, un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d’un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œ
1454 ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale mé
1455 udace de cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale méprise, organisée et entretenue
1456 es, on a fini par croire que le Tristan de Wagner est un drame du désir sensuel. Qu’un tel jugement ait pu s’accréditer en
1457 diter en dépit de flagrantes évidences, voilà qui est significatif au plus haut point de la nécessité sociale des mythes. (
1458 hanté la Nuit de la dissolution des formes et des êtres , la libération du désir, l’anathème sur le désir, la gloire crépuscul
1459 faut au bourgeois pour ressentir sa vie… Qu’on y soit parvenu si rapidement et complètement ne saurait d’ailleurs témoigner
1460 lité l’opération. Ainsi le Tristan de Wagner peut être impunément repris devant des salles émues en toute sécurité ; si fort
1461 ant des salles émues en toute sécurité ; si forte est la certitude générale que personne ne croira son message. ⁂ Le drame
1462 ’affront subi. Le philtre qu’elle offre à Tristan est destiné à le faire mourir : mais d’une mort que l’Amour condamne, d’u
1463 lois du jour, la haine, l’honneur et la vengeance sont devenues sans force sur leurs cœurs. Les initiés pénètrent au monde n
1464  — ils ont déjà pressenti l’autre mort, celle qui est le seul accomplissement de leur amour. Le deuxième acte est le chant
1465 l accomplissement de leur amour. Le deuxième acte est le chant de la passion des âmes prisonnières des formes. Tous les obs
1466 s. Tous les obstacles surmontés, quand les amants sont seuls enveloppés de ténèbres, c’est le désir charnel qui les sépare e
1467 c’est le désir charnel qui les sépare encore. Ils sont ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et de Tristan « et » Is
1468 sépare encore. Ils sont ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et de Tristan « et » Isolde qui signifie leur dualité
1469 itude et la substance de cette double nostalgie d’ être un. Car seule elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de deux
1470 ce. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le traître M
1471 ⁂ Cependant la forme d’art que Wagner a choisie n’ est pas sans recréer des possibilités de « méprise ». Il fallait que ce f
1472 es possibilités de « méprise ». Il fallait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui tiennent à l’essence même du mythe. D
1473 allait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui tiennent à l’essence même du mythe. De même que le péché du premier homme, et
1474 mier acte, introduisent la lutte et la durée, qui sont les éléments du drame. Mais le drame ne peut pas tout dire, la religi
1475 ne peut pas tout dire, la religion de la passion étant « essentiellement lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable d
1476 entiellement lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable d’exprimer la dialectique transcendentale, le caractère éperd
1477 re, contrapuntique de la passion de la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition même de la musique occidentale,
1478 achevé par la musique, c’est l’opéra. Ainsi, ce n’ est point un hasard si le mythe de Tristan et celui de Don Juan n’ont pu
1479 seule peut bien parler de la tragédie, dont elle est la mère et la fille Toutefois, dans le cas de Tristan, l’élément plas
1480 fond de l’action. Tant qu’on regarde la scène, on est victime de l’illusion des formes — et des plus ridicules. Il n’y a là
1481 es mélodies révèle un monde où le désir charnel n’ est plus qu’une dernière et impure langueur dans l’âme qui se guérit de v
1482 e annonce que le jour meurt, et que déjà l’aube n’ est plus qu’un crépuscule vainement exalté. ⁂ Un second lieu commun de la
1483 Wagner lui-même, il me paraît que cette influence est fortement surestimée. Un créateur de la taille de Wagner ne met pas d
1484 te ce qu’il faut retenir de la rencontre, et ce n’ est pas d’un immense intérêt. L’ascèse, la négation du monde créé, l’iden
1485 C’est parce qu’il la portait vivante en lui qu’il fut le premier à retrouver sa trace dans les symboles des minnesänger, da
1486 de la légende, dans sa virulence intégrale, ce n’ est point là une thèse à faire admettre, c’est l’évidence largement décla
1487 termes du vocabulaire de l’existence, décrivant l’ être en situation d’agir, non les objets. Achèvement désigne l’expression
1488 jets. Achèvement désigne l’expression totale d’un être , d’un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi l
1489 , enfin le film. Le vrai tragique de notre époque est diffus dans la médiocrité. Le vrai sérieux dès lors, implique la conn
1490 ent profané du mythe. Celui-ci cesse d’ailleurs d’ être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et que l
1491 passion dont le besoin revient nous tourmenter n’ est plus qu’une maladie de l’instinct, rarement mortelle, régulièrement t
1492 gradante, par rapport au mythe de Tristan, que le serait par exemple l’alcoolisme par rapport à l’ivresse divine que chantaien
1493 onnelle, donc admissible par l’ordre social, — ce fut le théâtre de Dumas à Bataille. La fameuse « pièce à trois personnage
1494 an à la mesure d’une société moderne. Le roi Marc est devenu le Cocu ; Tristan, le jeune premier, ou gigolo ; Iseut, l’épou
1495 les s’affrontent. Les barons félons de la légende sont figurés par les tenants de la morale « conformiste ». Ils défendent l
1496 eois, l’héritage, les convenances et l’Ordre. Ils sont du côté du mari, et donc légèrement ridicules. Mais la morale contrai
1497 Mais la morale contraire triomphe régulièrement —  fût -ce au prix d’un coup de pistolet. C’est la morale du romantisme, des
1498 res victimes l’élaboration du vieux philtre. Elle est minutieusement décrite, jusque dans ses ruses inconscientes, en des c
1499 ui feint de le renier, mais qui en vit. Le calcul est très simple, et bien entendu inconscient. L’idéal glorifié par la lit
1500 ale du mariage en souffre évidemment, mais cela n’ est pas d’une gravité urgente, puisqu’on sait bien que l’institution matr
1501 i, les seuls écarts considérés comme intolérables sont ceux qui entraînent une dilapidation du « patrimoine » de la famille.
1502 de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’ est pas sans relations intimes avec le mythe au dernier stade de sa déché
1503 à trois, l’idéalisme tragique du mythe originel n’ est plus qu’une nostalgie assez vulgaire, idéalisation de désirs anodins,
1504 jours une révolte qui se veut « primitive ». Ce n’ est plus « le sentiment que l’on idéalise, c’est l’instinct. Je songe aux
1505 Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme est d’abord une femelle. Nous la ferons se traîner sur le ventre vers le
1506 dure, voilà ce qui peut nous purifier. Vos tabous sont des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la vie, c
1507 sont des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la vie, c’est l’instinct libéré de l’esprit, la grande pui
1508 lle brute déchaînée, etc. » L’un de ces prophètes est allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de vitalité qu’une vac
1509 r). C’est une négation de l’au-delà dont le but n’ est pas de supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divin
1510 sme solaire, mais la pratique de cette croyance n’ est pas de nature à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « bell
1511 faillite — une dette que plus personne, là-bas, n’ est disposé à reconnaître. On n’a plus de comptes à rendre à cet « esprit
1512 comptes à rendre à cet « esprit » platonicien. Il était cause de toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est
1513 la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins clair : quand sous pr
1514 , voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins clair : quand sous prétexte de détruire l’artificiel — rhét
1515 lors, redescendre au-dessous de nos morales, ce n’ est pas nous libérer de leurs interdictions, mais nous livrer à une folie
1516 is, nous engageait dans des voies irréelles) ce n’ est pas revenir au réel, mais s’égarer dans la zone de terreur et dans le
1517 zone de terreur et dans les terrains vagues où se sont déversés tous les rebuts d’une civilisation intoxiquée. L’« authentiq
1518 s obsède, nous ne pourrons pas le retrouver. Il n’ est pas au terme d’un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au resse
1519 tinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’ est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être recréé par un effort contrai
1520 air. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’ être recréé par un effort contraire à la passion, c’est-à-dire par une act
1521 urification — un retour à la sobriété. Agir, ce n’ est pas s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce
1522 s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’ est pas tuer ce corps gênant. Mais ce n’est pas non plus tirer son revolv
1523 que. Ce n’est pas tuer ce corps gênant. Mais ce n’ est pas non plus tirer son revolver contre l’esprit sous prétexte qu’il n
1524 en vérité, c’est accepter les conditions qui nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter
1525 tte à l’esprit et retrouve par lui sa paix. Telle est la voie. Éros mortel, Éros vital — l’un appelle l’autre, et chacun d’
1526 à la guerre, la société devait la persécuter. Ce fut Rome qui porta le fer et le feu dans les provinces gagnées à l’hérési
1527 é elle, cette glorification de l’amour humain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’une ambiguïté à la fois essenti
1528 nnaissance mystique réprouvée, puis perdue. Telle fut la chance de la littérature en Occident ; et cela seul peut expliquer
1529 n se mettant au service de mystiques partisanes ? Serait -ce la fin du romantisme ? Le spectacle de nos mœurs n’autorise pas ce
1530 et déjà s’exalte en « mystiques ». C’est que nous sommes devenus incapables de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de
1531 r en figures. Les dernières formes de l’amour ont été balayées par la guerre. Et j’insisterai sur cet exemple symbolique :
1532 118. Désormais le symbole de toute l’opposition sera donné par le nom même de l’amour. En face de l’Église de Rome : Roma,
1533 e féodale en ceci surtout : c’est que tout homme, fût -il bourgeois ou vilain, pouvait y accéder par la seule grâce de la « 
1534 t qu’aux yeux des cathares, la véritable noblesse est celle du troubadour, de celui qui connaît et pratique les leys d’amor
1535 a, Pétrarque. 122. Sainte Thérèse : « Ces grâces sont accompagnées d’un entier détachement des créatures, quant à l’esprit…
1536 r par Dieu lui-même, considère toutes choses sans être enchaînée par aucune. 129. Le Déclin du Moyen Âge. 130. Selon A. J
1537 e. 142. L’abbé de Sade, propre oncle du marquis, est l’auteur d’un ouvrage intitulé : Remarques sur les premiers poètes fr
1538 Rappelons que l’amour fameux d’Abélard et Héloïse est le premier exemple historique de la passion dont nous parlons ici. Vo
1539 ndaient l’union des habitants des deux : Déjà ils sont entrés dans le sanctuaire du Sauveur. Abélard répondit assez mal à c
1540 : « Amoris impulsio culpae justificatio. » 146. Est -ce la faute à Rousseau ? Ou plutôt au symbolisme ? Beaucoup de dames
1541 ui dont les yeux ont une fois contemplé la beauté est déjà voué à la mort… » 148. Les italiques sont dans le texte origina
1542 té est déjà voué à la mort… » 148. Les italiques sont dans le texte original. 149. Autre vision manichéenne du monde : la
1543 er les quatre saisons de l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée de la cr
1544 re la cristallisation et l’idéalisation courtoise tient en ceci : Stendhal sait qu’il y aura décristallisation (retour à la l
1545 losengier. 157. Cf. chap. 10, livre II. Le roman est un poème qui n’exprime plus l’instant mais la durée. 158. Surtout le
6 1939, L’Amour et l’Occident. Livre V. Amour et guerre
1546 ormes Du désir à la mort par la passion, telle est la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour
1547 est la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour autant que nous sommes tributaires — inconsciemment
1548 t nous y sommes tous engagés pour autant que nous sommes tributaires — inconsciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et
1549 l’éducation, la politique. Un fort gros livre ne serait pas de trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce liv
1550 mêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit écrit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté de la tâche. Car
1551 urtout à les situer dans la logique du mythe, qui est mon vrai sujet. On peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’e
1552 peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’ est pas moins instructif, en ce domaine, que la recherche des causes, et
1553 ce domaine, que la recherche des causes, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple de r
1554 s, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’ est pas nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour con
1555 constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés : les figures courantes du langage le font voir
1556 ntes relatives à la genèse des instincts, je m’en tiendrai à quelques rapprochements formels entre les arts d’aimer et de guerro
1557 yer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement de marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l
1558 re les effets de l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se rend à l’hom
1559 me se rend à l’homme qui la conquiert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession
1560 meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous p
1561 nstinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et l
1562 ent les gestes élémentaires du guerrier, mais qui sont empruntées d’une façon très précise à l’art des batailles, à la tacti
1563 bien typique de la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps que son vainqueur. Il deviendra le vassa
1564 nteries à double sens. Ce parallélisme d’ailleurs est complaisamment exploité par les écrivains. C’est un thème de rhétoriq
1565 de Amor : « Ne pense pas que le combat de l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’une guerre épo
1566 que ses tendres paroles. Ses flèches et ses coups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande effic
1567 oups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie.
1568 composent son artillerie. Sa prise de possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a
1569 rise de possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a vu que la rhétorique courtoise
1570 de la Nuit. La mort y joue un rôle central : elle est la défaite du monde et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort
1571 et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre
1572 rt sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre. Mais ni cette origine religieuse, ni cette co
1573 la guerre « Donner un style à l’amour », telle est , selon J. Huizinga l’aspiration suprême de la société médiévale dans
1574 , un besoin d’autant plus impérieux que les mœurs sont plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur d’un rite, la viole
1575 té spirituelle de la société médiévale !) Or s’il est vrai que cette morale courtoise ne parvint guère à transformer les mœ
1576 mandi qui donne naissance à un ars bellandi. Ce n’ est pas seulement dans le détail des règles de combat individuel que se f
1577 à cette époque une valeur d’absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter des conventions d’une me
1578 re eux. » De même, les nécessités de la stratégie sont sacrifiées à celle de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 141
1579 sance abandonnent la cotte d’armes afin de ne pas être , en revenant, obligés de reculer en vêtements guerriers. Maintenant,
1580 r ses pas ; il passe la nuit dans l’endroit où il est , et fait se ranger l’avant-garde conformément à ce nouveau plan. » Le
1581 le péril qu’on recherche pour lui-même, car on n’ est pas inapte en d’autres cas à trouver des prétextes pour esquiver ses
1582 étend à tous les domaines où le style et la forme sont choses essentielles : les cérémonies, l’étiquette, les tournois, la c
1583 tin, droit d’attaque, fidélité à la parole donnée sont régis par des règles semblables à celles qui gouvernent le tournoi et
1584 chasse167 ». L’Arbre des Batailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à
1585  Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est -on tenu de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de
1586 n perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? —
1587 ne armure empruntée, est-on tenu de la rendre ? —  Est -il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se bat
1588 au Moyen Âge par la conception chevaleresque, ce sont essentiellement selon Huizinga : la lutte pour la paix universelle ba
1589 le saint ou le pécheur ; mais en général, ils se tiennent en équilibre instable avec d’énormes écarts de la balance. » 4.Les
1590 e. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte Il est pourtant un domaine où s’opère la synthèse à peu près parfaite des in
1591 s de l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous forme de lecture, mais surtout donnés en spectacle. Ce
1592 a représentation dramatique et le sport. Celui-ci est , au Moyen Âge, de beaucoup le plus important. Le drame ne traitait en
1593 que la matière sacrée ; l’aventure amoureuse n’y était qu’exceptionnelle. Le sport médiéval, au contraire, et surtout le tou
1594 rt médiéval, au contraire, et surtout le tournoi, était lui-même dramatique au plus haut point et contenait, en outre, une fo
1595 et amoureux ; mais tandis que les sports modernes sont presque retournés à la simplicité grecque, le tournoi de la fin du Mo
1596 ve à l’accomplissement du désir, et la délivrance est donc de toute manière assurée. » La mise en scène des tournois emprun
1597 cle, le Pas d’Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginaire. « La fontaine est constr
1598 une aventure romanesque imaginaire. « La fontaine est construite à cet effet. Pendant une année entière, tous les premiers
1599 oyer, devant la fontaine, une tente dans laquelle est assise une dame (en effigie naturellement) ; celle-ci tient une licor
1600 se une dame (en effigie naturellement) ; celle-ci tient une licorne qui porte trois écus. Tout chevalier qui touche l’écu s’e
1601 s des chevaux prêts à cet usage. » « Le chevalier est toujours inconnu ; c’est « le blanc chevalier », « le chevalier mesco
1602 alamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est répandu sur toute l’action : le nom de la Fontaine des Pleurs est émi
1603 toute l’action : le nom de la Fontaine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés d
1604 ine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés de larmes blanches ; on les touche pa
1605 rmes d’argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont noirs et violets aux larmes noires ou or. » L’élément érotique du tou
1606 sins. » ⁂ Cependant, la grande vogue des tournois est l’indice d’un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le débu
1607 . « En tant que principe militaire, la chevalerie était devenue insuffisante ; la tactique avait depuis longtemps renoncé à s
1608 es règles : la guerre, aux xive et xve siècles, était faite d’approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « v
1609 evalerie et celle de l’art militaire moderne ; il est un élément dans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup de grâc
1610 canisation de la guerre. » Enfin le coup de grâce sera porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « Et n’est-ce
1611 hevalerie par l’invention de l’artillerie. « Et n’ est -ce pas une ironie du sort qui fit que cette fleur des chevaliers erra
1612 rants à la mode de Bourgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet de canon ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conv
1613 Condottieri et canons L’Italie n’avait jamais été si florissante ni si paisible qu’elle l’était vers l’année 1490. Une
1614 amais été si florissante ni si paisible qu’elle l’ était vers l’année 1490. Une paix profonde régnait dans ses provinces : les
1615 dans ses provinces : les montagnes et les plaines étaient également fertiles ; riche, bien peuplée et ne reconnaissant point de
1616 d’empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout d’avisés diplomates, d’astucieux commerçants. Ils savaient
1617 lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vaincus est presque toujours respectée. Ils ne sont pas longtemps prisonniers et
1618 es vaincus est presque toujours respectée. Ils ne sont pas longtemps prisonniers et ils recouvrent très aisément la liberté.
1619 . Une ville a beau se révolter vingt fois, elle n’ est jamais détruite ; les habitants conservent toutes leurs propriétés ;
1620 onc le contraire d’une « militarisation ». L’État était devenu une œuvre d’art, selon l’expression de Burckhardt. La guerre e
1621 l’expression de Burckhardt. La guerre elle-même s’ était civilisée, dans toute la mesure où le paradoxe est soutenable. Le due
1622 it civilisée, dans toute la mesure où le paradoxe est soutenable. Le duel des chefs était fort en honneur, et suffisait à t
1623 où le paradoxe est soutenable. Le duel des chefs était fort en honneur, et suffisait à terminer une campagne. (Ce n’était pl
1624 neur, et suffisait à terminer une campagne. (Ce n’ était plus d’ailleurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe d’une perso
1625 t dans les Allemagnes. Si par ailleurs, la guerre était devenue diplomatique dans les hautes sphères, et vénale dans la prati
1626 on sens moderne de politesse et de civilité. Il n’ était plus question de condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait
1627 e passage de ce prince en Italie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité de maux et de révolutions. Les États changèr
1628 ats changèrent tout à coup de face, les provinces furent ravagées les villes détruites, et tout le pays fut inondé de sang… L’
1629 nt ravagées les villes détruites, et tout le pays fut inondé de sang… L’Italie apprit aussi une nouvelle mais sanglante mét
1630 ment la paix et l’harmonie de nos provinces qu’il fut depuis impossible d’y rétablir l’ordre et la tranquillité173. Ce n’ét
1631 d’y rétablir l’ordre et la tranquillité173. Ce n’ était pas que les Italiens eussent ignoré l’usage de l’artillerie jusqu’à c
1632 gère, et dont les pièces qu’ils appelaient canons étaient toutes de bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu
1633 nt canons étaient toutes de bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu’elles faisaient en peu de temps ce qu’o
1634 s ; enfin cette machine plus infernale qu’humaine était aussi utile aux Français dans les combats que dans les sièges… » Autr
1635 e des condottieri « la plupart des hommes d’armes étaient ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours sujets d’un autre
1636 celui pour lequel ils faisaient la guerre », et n’ étaient donc animés « ni par aucun sentiment de gloire ni par aucun motif ext
1637 it comme une armée nationale : « Les gens d’armes étaient presque tous sujets du Roi et gentilshommes » ce qui les empêchait de
1638 mpagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de cent furent tués : « Nombre considérable par rapport à la manière dont on faisait
1639 a guerre en Italie » remarque Guichardin. Et ce n’ était vraiment qu’un début ! Burckhardt affirme que les dévastations frança
1640 urckhardt affirme que les dévastations françaises furent peu de chose en comparaison de celles commises un peu plus tard par l
1641 hommes de guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera de dominer le monstre mécanique, afin de sauver autant que possible l
1642 donner un style à l’instinct. La guerre classique est un effort pour conserver et recréer ce style malgré l’intervention de
1643 nt des forces de l’adversaire. Le monde militaire est toujours tombé dans ces erreurs quand il s’est mis à abandonner la no
1644 re est toujours tombé dans ces erreurs quand il s’ est mis à abandonner la notion droite et simple des lois de la guerre, à
1645 les résolutions des hommes. » — « Spiritualiser » est peut-être excessif : il ne s’agissait guère que de rationaliser. Mais
1646 de rationaliser. Mais l’expression (méprisante !) est bien typique de la psychologie qui apparaîtra dès la Révolution franç
1647 s laquelle nulle civilisation et nulle culture ne sont proprement concevables. Racine aussi, nous l’avons vu, croyait qu’on
1648 secrètement désirés ; mais la grandeur de l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait
1649 uerre en dentelles L’exemple du xviiie siècle est le plus propre à illustrer le parallèle de l’amour et de la guerre. I
1650 its de tueries inouïes ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre de ses adversaires pourfendus et décapités, et si pos
1651 t d’autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honneur. Maurice de Saxe écrit : « Je ne suis point pour les bata
1652 est à l’honneur. Maurice de Saxe écrit : « Je ne suis point pour les batailles, surtout au début d’une guerre. Je suis pers
1653 les batailles, surtout au début d’une guerre. Je suis persuadé qu’un bon général pourra la faire toute sa vie sans s’y voir
1654 igé. » S’il faut cependant en venir aux mains, ce sera du moins pour une bataille « rangée », un siège « en règle », et la t
1655 s ennemies — en véritable héros de l’Astrée qu’il fut . Et cette suprême politesse devant la mort, à Fontenoy. ⁂ Mais voici
1656 il nous en coûte pour guerroyer cinq ans. Quel en est le résultat ? Car le succès définitif est incertain. Avec bien du bon
1657 Quel en est le résultat ? Car le succès définitif est incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer de détruire 150 000
1658 sans compter la perte sur notre population, qui n’ est réparée qu’au bout de vingt-cinq ans. Au lieu de cet attirail dispend
1659 erling. C’est la plus forte évaluation, et ils ne sont pas tous aussi chers, comme on sait ; mais enfin, il y aurait encore
1660 etourner la position… Et l’attaque commencée, ils sont jusqu’au bout ces comédiens étonnants, pareils à ces livres du temps
1661 lesquels il n’y a pas un sentiment exprimé qui ne soit feint ou dissimulé… « N’omettre rien », c’est le précepte de l’un d’e
1662 la passion sur le plan collectif. À vrai dire, il est plus facile de le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute pa
1663 nellement. Toute passion, dira-t-on, suppose deux êtres , et l’on ne voit pas à qui s’adresse la passion assumée par la Nation
1664 ns toutefois que la passion d’amour, par exemple, est en son fond un narcissisme, autoexaltation de l’amant, bien plus que
1665 le au monde. « Mon regard ravi s’aveugle… Seul je suis — Moi le monde »… La passion veut que le moi devienne plus grand que
1666 ns le savoir) qu’au-delà de cette gloire, sa mort soit véritablement la fin de tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est
1667 a fin de tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est une autœxaltation, un amour narcissiste du Soi collectif. Il est vrai
1668 tation, un amour narcissiste du Soi collectif. Il est vrai que sa relation avec autrui s’avoue rarement comme un amour : pr
1669 et qu’on proclame. Mais cette haine de l’autre, n’ est -elle pas toujours présente dans les transports de l’amour-passion ? I
1670 gt fois supérieures, à l’heure où liberté et mort étaient bien près d’avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont lié
1671 ’avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont liées comme l’Amour et la Mort. Désormais le fait national sera le fa
1672 me l’Amour et la Mort. Désormais le fait national sera le facteur dominant de la guerre. « Celui qui écrit sur la stratégie
1673 et une tactique nationales, seules susceptibles d’ être profitables à la nation pour laquelle il écrit. » Ainsi s’exprime le
1674 a Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la passion contre la « science exacte ». C’est au cri de V
1675 ainsi cette phrase fameuse : « Une ère nouvelle s’ était ouverte, celle des guerres nationales aux allures déchaînées parce qu
1676 éléments de force jusqu’alors inexploités ». ⁂ Il serait assez curieux de préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte
1677 étorique et la surprise massive, brutale… Et il n’ est pas sans intérêt non plus de noter que Waterloo fut une bataille perd
1678 t pas sans intérêt non plus de noter que Waterloo fut une bataille perdue par excès de science, peut-être, ou par défaut d’
1679 ar défaut d’élan national-révolutionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon fut le premier à tenir compte du facteur
1680 tionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon fut le premier à tenir compte du facteur passionnel dans la conduite des
1681 énéraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’ est pas possible de méconnaître, comme ce Bonaparte, les principes les pl
1682 et tragique » (Foch). Il faudrait préciser : ce n’ est pas le cœur de chaque soldat considéré comme un héros qui décidera du
1683 sionnelle d’un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du nationalisme allemand. D’où le caractère de pl
1684 oïque. (De tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les trois premiers qu
1685 sse pas de s’exercer au nom de la Nation, mais ce sont bel et bien des intérêts qui mènent le jeu, ainsi que l’a fort bien m
1686 och, dans ses Principes de la guerre : La guerre fut nationale au début pour conquérir et garantir l’indépendance des peup
1687 , Saragosse, Tarancon, Moscou, Leipzig, etc. Elle fut nationale par la suite pour conquérir l’unité des races, la nationali
1688 e des Italiens et des Prussiens de 1866, 1870. Ce sera la thèse au nom de laquelle le roi de Prusse devenu empereur d’Allema
1689 x des traités de commerce avantageux. Après avoir été le moyen violent que les peuples employaient pour se faire une place
1690 commerce suit le drapeau, disent les Anglais. Ce fut la période coloniale, la dernière « paix » méritée par l’Europe. On a
1691 sociale (mais à la mesure de notre société). Ce n’ était plus, en effet, un principe spirituel qui inspirait les « formes » et
1692 s (conquête de Madagascar). La guerre coloniale n’ est en somme que la continuation de la concurrence capitaliste par des mo
1693 mpagnies. Vers la fin du xixe siècle, l’amour179 était devenu, dans les classes bourgeoises, un bien bizarre mélange de sent
1694 s de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’ être aujourd’hui dans les annonces matrimoniales. La sexualité pure n’inte
1695 l’absinthe, et c’est pourquoi Jarry dit que l’eau est impure). De même la guerre était un composé d’excitations de l’opinio
1696 arry dit que l’eau est impure). De même la guerre était un composé d’excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « r
1697 composé d’excitations de l’opinion publique — qu’ est -ce que la « revanche », sinon un sentimentalisme national ? — et de p
1698 ècles de culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance du mythe
1699 erie entre les formes de l’amour et de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujours de forcer la
1700 , soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant sa force armé
1701 on », choses et personnes assimilées. La guerre n’ est plus un viol mais un assassinat de l’objet convoité et hostile, — c’e
1702 sant cet objet au lieu de s’en emparer. Verdun ne fut d’ailleurs qu’un prodrome de cette guerre nouvelle, puisque le procéd
1703 mais sur la chair qui fabrique les canons, ce qui est évidemment plus efficace. La technique de la mort à grande distance n
1704 elle se retourne contre la passion même dont elle est née. Et c’est cela, non l’envergure des massacres, qui est nouveau da
1705 Et c’est cela, non l’envergure des massacres, qui est nouveau dans l’histoire du monde. Là-dessus, trois remarques dont on
1706 dessus, trois remarques dont on verra qu’elles ne sont pas sans liens : a) La guerre est née dans les campagnes : elle a mêm
1707 ra qu’elles ne sont pas sans liens : a) La guerre est née dans les campagnes : elle a même porté leur nom jusqu’à nos jours
1708 e part des masses paysannes, la guerre européenne fut un premier contact avec la civilisation technique. Une sorte de visit
1709 calculatrices d’ingénieurs. Désormais, l’homme n’ est plus que le servant du matériel ; il passe lui-même à l’état de matér
1710 l’état de matériel, d’autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réflexes individuels. Ainsi, malgré le dopage e
1711 prévisions de la psychologie. L’instinct combatif est déçu. L’explosion habituelle de sexualité qui accompagnait les grands
1712 xualité qui accompagnait les grands conflits ne s’ est guère produite qu’à l’arrière dans les populations civiles. En dépit
1713 t de soldats prouvent que la guerre du matériel s’ est traduite en réalité par une « catastrophe sexuelle »180. L’impuissanc
1714 tels qu’onanisme chronique et homosexualité, tel fut le résultat statistique de quatre années passées dans les tranchées.
1715 t de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront plus la solennelle conclusion des hostilités. Les distinctions arbitr
1716 mberont. D’où résulte que la défaite d’un pays ne sera plus symbolique, métaphorique, c’est-à-dire limitée à certains signes
1717 t-à-dire limitée à certains signes convenus, mais sera concrètement la mort de ce pays. Encore une fois, dès que l’on abando
1718  d’ailleurs fatale, nous l’avons vu ailleurs — qu’ est le « complexe de castration ». 11.La passion transportée dans la p
1719 la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’ être clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une lic
1720 , lorsque ce champ cesse d’être clos comme doit l’ être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles,
1721 s comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’ est plus une lice décorée de symboles, mais un secteur de bombardement — 
1722 ouvé d’autres modes d’expression en actes. Elle y était d’ailleurs contrainte par la dépréciation des résistances morales et
1723 e part, dans les pays démocratiques, les mœurs se sont assouplies à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus d’obstacles a
1724 mes et personnels. L’amour, dans l’après-guerre, fut un curieux mélange d’intellectualisme angoissé (littérature de l’inqu
1725 les relations individuelles des sexes ont cessé d’ être le lieu par excellence où se réalise la passion. Celle-ci paraît se d
1726 Celle-ci paraît se détacher de son support. Nous sommes entrés dans l’ère des libidos errantes, en quête d’un théâtre nouveau
1727 n quête d’un théâtre nouveau. Et le premier qui s’ est offert, c’est le théâtre politique. La politique de masses, telle qu’
1728 e masses, telle qu’on l’a pratiquée depuis 1917 n’ est que la continuation de la guerre totale par d’autres moyens (pour rep
1729 dique déjà. Et par ailleurs, l’État totalitaire n’ est que l’état de guerre prolongé, ou recréé, et entretenu en permanence
1730 nsposer les passions individuelles au niveau de l’ être collectif. Tout ce que l’éducation totalitaire refuse aux individus i
1731 morale qui concerne les citoyens : et l’eugénisme est la négation rationnelle de toute espèce d’aventure privée. Mais cela
1732 assion ; mais il dit aux peuples voisins : — Nous sommes trop nombreux dans nos frontières, j’exige donc des terres nouvelles 
1733 s à la base viennent s’accumuler au sommet. Or il est clair que ces volontés de puissance affrontées — il y a déjà plusieur
1734 l, tacite, fatal, de ces exaltations totalitaires est donc la guerre, qui signifie la mort. Et comme on le voit dans le cas
1735 le voit dans le cas de la passion d’amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les intéressés, mais il est réelle
1736 ment nié avec vigueur par les intéressés, mais il est réellement inconscient. Personne n’ose dire : je veux la guerre ; non
1737 out ce que l’on exalte y trouve son sens réel. Il serait aisé de multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la po
1738 litique et la passion. L’ascèse collectivisée, ce sont les restrictions que l’État impose au nom de la grandeur nationale. L
1739 d ils courtisent une assemblée électorale. Hitler est plus brutal : il se fâche et se plaint en même temps ; il ne persuade
1740 ûte ; il invoque enfin le destin et affirme qu’il est ce destin… De la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de s
1741 tel point féminins que ses opinions et ses actes sont déterminés beaucoup plus par l’impression produite sur les sens que p
1742 sur les sens que par la pure réflexion. La masse est peu accessible aux idées abstraites. Par contre, on l’empoignera plus
1743 ollement. (Mein Kampf) Oui, « de tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est que l’action passionne
1744 sante sur les individus. En outre, cette action n’ est plus exercée par un meneur quelconque, mais par le chef qui incarne l
1745 s’opère du privé au public. Quel Wagner surhumain sera donc en mesure d’orchestrer la grandiose catastrophe de la passion de
1746 ⁂ Ceci nous mène au seuil d’une conclusion que j’ étais loin de prévoir en commençant ce livre. Que l’on suive l’évolution du
1747 pect trop ignoré de la crise de notre époque, qui est la dissolution des formes instituées par la chevalerie. C’est dans le
1748 dans le domaine de la guerre, où toute évolution est pratiquement irréversible, — alors qu’il y a des « retours » littérai
1749 raires — que la nécessité d’une solution nouvelle est apparue en premier lieu. Cette solution s’appelle l’État totalitaire.
1750 r toute société. La réponse du xiie siècle avait été la chevalerie courtoise, son éthique et ses mythes romanesques. La ré
1751 e la tragédie classique182. La réponse du xviiie fut le cynisme de Don Juan et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme n
1752 n et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme ne fut pas une réponse, à moins que l’on admette — et c’est possible — que s
1753 t abandon aux puissances nocturnes du mythe n’ait été un dernier moyen de le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soi
1754 de le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soit , cette défense était faible en regard du péril déchaîné. Les forces a
1755 un excès voulu. Quoi qu’il en soit, cette défense était faible en regard du péril déchaîné. Les forces antivitales longtemps
1756 lâchement des liens sociaux. La guerre européenne fut le jugement d’un monde qui avait cru pouvoir abandonner les formes, e
1757 as que le drainage de toute passion par la nation soit autre chose qu’une mesure de détresse. C’est repousser la menace immé
1758 les ainsi constitués en blocs. L’État totalitaire est bien une forme recréée, mais une forme trop vaste, trop rigide et tro
1759 jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’ est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la guerre à bref délai,
1760 en n’est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la guerre à bref délai, et le problème de la passion sera supprimé av
1761 guerre à bref délai, et le problème de la passion sera supprimé avec la civilisation qui l’a fait naître ; Ou bien ce sera l
1762 la civilisation qui l’a fait naître ; Ou bien ce sera la paix, et le problème renaîtra dans les pays totalitaires, comme il
1763 ttéralement : position de qui gît à terre, de qui est couché au-dessous (cf. l’expression « avoir le dessous »). Rappelons
1764 ges entre guillemets de ce chapitre et du suivant sont des citations de la traduction française. (Paris 1932.) 167. Qu’on s
1765 ère tantôt de la séparation des amants). 168. Je serais assez tenté de voir dans la fonction dramatique du tournoi l’une des
1766 e des origines de la tragédie moderne. Celle-ci s’ est constituée précisément à l’époque où les tournois passaient de mode,
1767 éments guerrier, sportif et théâtral. La tragédie serait ainsi une « action » privée du risque physique que comportait le tour
1768 . Die Kultur der Renaissance, VI, p. 1. 172. Il est juste toutefois de rappeler qu’on tuait facilement dans ce pays. Mais
1769 raite et frappante, irréelle mais signifiante, qu’ est la moyenne des expressions typiques de l’amour à une époque donnée — 
1770 rand Siècle », pour le vice que pour la vertu. Il est des « signes » qui ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a d
1771 e que pour la vertu. Il est des « signes » qui ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a de tout — mais qui sont d’un
1772 l’époque — dans chacune il y a de tout — mais qui sont d’une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien d
1773 ansquenet moderne, éprouvant que la guerre totale est une négation de la passion guerrière, se jette alors dans des aventur
7 1939, L’Amour et l’Occident. Livre VI. Le mythe contre le mariage
1774 en l’opposition. Aux yeux de l’Église, l’adultère était tout à la fois un sacrilège, un crime contre l’ordre naturel et un cr
1775 Testament, par exemple, une descendance nombreuse est signe d’élection, tandis que pour saint Paul, celui qui reste vierge
1776 qui se marie, même chrétiennement. L’hérésie qui est à l’origine de la cortezia du Midi s’opposait au mariage catholique s
1777 er. Elle niait tout d’abord le sacrement, comme n’ étant établi par aucun texte univoque de l’Évangile183. Elle condamnait la
1778 ollectif184. Mais le fondement de ces trois refus était en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant,
1779 que la morale. Ce qui, pour le croyant manichéen, était l’expression dramatique du combat de la foi et du monde, devient alor
1780 Iseut, vit un roman, et se rend admirable… Ce qui était « faute » et ne pouvait donner lieu qu’à des commentaires édifiants s
1781 laquelle nous vivons de deux morales, dont l’une est héritée de l’orthodoxie religieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi
1782 ous les adolescents de la bourgeoisie occidentale sont élevés dans l’idée du mariage, mais en même temps se trouvent baignés
1783 ille allusions quotidiennes, dont le sous-entendu est à peu près que la passion est l’épreuve suprême, que tout homme doit
1784 ont le sous-entendu est à peu près que la passion est l’épreuve suprême, que tout homme doit un jour la connaître, et que l
1785 it un jour la connaître, et que la vie ne saurait être à plein vécue que par ceux qui « ont passé par là ». Or la passion et
1786 « ont passé par là ». Or la passion et le mariage sont par essence incompatibles. Leurs origines et leurs finalités s’exclue
1787 nos « sécurités » sociales. En d’autres temps, ce fut la fonction du mythe que d’ordonner cette anarchie latente et de la c
1788 le d’exutoire, rôle civilisateur. Mais le mythe s’ est déprimé et profané en même temps que les formes sociales dont il tira
1789 problème, contribuent à le rendre insoluble. Ils sont les signes de la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire
1790 es sacrées Le mariage, chez les peuples païens, s’ est toujours entouré d’un rituel dont nos institutions gardèrent longtemp
1791 s en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi démodée que les crinolines. Et la majorité des couples n’éprouv
1792 de sang, d’intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train de passer au second plan dans les pays démocratiques, et par
1793 pithalamiques se simplifient ou disparaissent. Il est curieux de noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telle
1794 e siècle, le thème du « Coucher de la mariée » n’ est plus qu’une occasion d’anodines galanteries picturales. De nos jours
1795 repousse avec horreur. Car l’engagement religieux est pris « pour le temps et l’éternité », c’est-à-dire qu’il ne tient auc
1796 r le temps et l’éternité », c’est-à-dire qu’il ne tient aucun compte des variations de tempérament, de caractère, de goûts et
1797 2.Idée moderne du bonheur Le mariage cessant d’ être garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fonder
1798 conjoints dans le cas le plus favorable. Or s’il est assez difficile de définir en général le bonheur, le problème devient
1799 insoluble dès que s’y ajoute la volonté moderne d’ être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sen
1800 i revient peut-être au même, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par d
1801 t le succès caractérise l’état moral de l’époque, est à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même
1802 bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme ne sera pas Dieu. Le bonheur est une Eurydice : on l’a perdu dès qu’on veut l
1803 ir, tant que l’homme ne sera pas Dieu. Le bonheur est une Eurydice : on l’a perdu dès qu’on veut le saisir. Il ne peut vivr
1804 rt dans la revendication. C’est qu’il dépend de l’ être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et
1805 Tout bonheur que l’on veut sentir, que l’on veut tenir à sa merci — au lieu d’y être comme par grâce — se transforme instant
1806 tir, que l’on veut tenir à sa merci — au lieu d’y être comme par grâce — se transforme instantanément en une absence insuppo
1807 ue morbide — ou l’intention secrète de tricher II est probable que cette intention ou cet espoir d’ailleurs le plus souvent
1808 voltes de l’ennui. On n’ignore pas que la passion serait un malheur — mais on pressent que ce serait un malheur plus beau et p
1809 ssion serait un malheur — mais on pressent que ce serait un malheur plus beau et plus « vivant » que la vie normale, plus exal
1810 bonheur »… Ou l’ennui résigné ou la passion : tel est le dilemme qu’introduit dans nos vies l’idée moderne du bonheur. Cela
1811 vre ! » Dès le xiie siècle provençal, l’amour était considéré comme noble. Non seulement il ennoblissait mais encore il a
1812 ler d’une féodalité démocratique en Languedoc. Il est clair qu’un tel jugement se fonde sur une équivoque : car l’Amour don
1813 une équivoque : car l’Amour dont il s’agissait n’ était rien d’autre que la foi cathare, et l’accession d’un roturier à la ch
1814 are, et l’accession d’un roturier à la chevalerie était un symbole mystique bien plutôt qu’une dérogation aux coutumes du dro
1815 e idée toute moderne et romantique que la passion est une noblesse morale, qu’elle nous met au-dessus des lois. Celui qui a
1816 sur l’ordre social établi. Que la passion profane soit une absurdité, une forme d’intoxication, une « maladie de l’âme » com
1817 ’âme » comme pensaient les Anciens, tout le monde est prêt à le reconnaître, c’est un des lieux communs les plus usés des m
1818 lus le croire, à l’âge du film et du roman — nous sommes tous plus ou moins intoxiqués, — et cette nuance est décisive. Le mod
1819 tous plus ou moins intoxiqués, — et cette nuance est décisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend de l’amour fatal
1820 r ! Je vais y entrer, je vais y monter, je vais y être « transporté » ! La sempiternelle illusion, la plus naïve et — j’ai b
1821 Mais l’homme de la passion cherche au contraire à être possédé, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et de fait, c’es
1822 st la « beauté standard ». De nos jours — et ce n’ est qu’un début —, un homme qui se prend de passion pour une femme qu’il
1823 omme qui se prend de passion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est présumé neurasthénique. (Dans x années, on le
1824 ssion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est présumé neurasthénique. (Dans x années, on le fera soigner.) Certes,
1825 ion, de même que chaque époque de la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais
1826 ue chaque époque de la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme
1827 e de la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme esthétique atte
1828 fère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme esthétique atteint de nos jours
1829 t au moins tous les six mois. Supposons, comme il est probable, qu’il se fixe enfin sur un type, compromis entre ce qu’il a
1830 plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve188 ; elle est mariée, naturellement. Qu’elle divorce, et il l’épousera ! Avec elle,
1831 Qu’elle divorce, et il l’épousera ! Avec elle, ce sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement de ce Tristan qu’il porte
1832 pousera ! Avec elle, ce sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement de ce Tristan qu’il porte en soi comme son génie cac
1833 a révélation mythique. (Pas même la couronne s’il est roi). Voilà le vrai « mariage d’amour » moderne : le mariage avec la
1834 fois épousée ? Une nostalgie que l’on chérissait est -elle encore désirable une fois rejointe ? Car Iseut, c’est toujours l
1835 t fuyant, évanouissant et presque hostile dans un être , cela même qui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité de poss
1836 e combat. On imagine différente la femme que l’on tient dans ses bras, on la déguise et on l’éloigne en rêve, on s’acharne à
1837 rêve, on s’acharne à dépayser les sentiments qui sont en train de se nouer dans une durée étale et trop sereine. C’est qu’i
1838 s où la femme perd son « attrait », parce qu’il n’ est plus d’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe do
1839 les victimes d’un mythe dont l’horizon mystique s’ est refermé depuis longtemps. Pour Tristan, Iseut n’était rien que le sym
1840 t refermé depuis longtemps. Pour Tristan, Iseut n’ était rien que le symbole du Désir lumineux : son au-delà, c’était la mort
1841 ient tourmenter sans lui révéler son secret, il n’ est d’au-delà de la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourm
1842 oursuite d’apparences toujours plus fugitives. Il était de la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin — et
1843 de la nature essentielle de la passion mystique d’ être sans fin — et c’est par là que cette passion se détachait des rythmes
1844 la conscience douloureuse — pour le moderne, ce n’ est plus que le retour sempiternel d’une ardeur constamment déçue. Le myt
1845 où se complaisent les modernes, ne sait plus même être fidèle, puisqu’elle n’a plus pour fin la transcendance. Elle épuise l
1846 tion d’un Tristan qui a plusieurs Iseut ? Or ce n’ est pas lui qu’il convient d’accuser, mais il est la victime d’un ordre s
1847 e n’est pas lui qu’il convient d’accuser, mais il est la victime d’un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils c
1848 la victime d’un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vite, ils cèdent avant que l’expérience ait
1849 sives. Les catégories se détruisent, l’aventure n’ est plus même exemplaire. Seul, le Don Juan mythique échappait à cette co
1850 ontraire de vivre ! C’est un appauvrissement de l’ être , une ascèse sans au-delà, une impuissance à aimer le présent sans l’i
1851 Mais nous avons perdu la transcendance. La mort n’ est plus qu’une lente consomption. À cette lumière, que jette sur nos psy
1852 hez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’ être . Presque toutes les complications qui servent d’intrigues à nos auteu
1853 non plus chez l’autre seulement — la coquetterie est un peu simple — mais on en vient à désirer que l’être aimé soit infid
1854 un peu simple — mais on en vient à désirer que l’ être aimé soit infidèle pour qu’on puisse de nouveau le poursuivre et « re
1855 mple — mais on en vient à désirer que l’être aimé soit infidèle pour qu’on puisse de nouveau le poursuivre et « ressentir »
1856 fois de plus, que le mythe des amants « ravis » s’ est dégradé en perdant sa mystique. Le ravissement n’est plus qu’une sens
1857 dégradé en perdant sa mystique. Le ravissement n’ est plus qu’une sensation, — n’aboutit pas. On retombe sans cesse au mond
1858 etombe sans cesse au monde de la comparaison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur
1859 ’est que, passant « leur seuil », sortant de leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d’accepter
1860 de leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d’accepter l’autre tel qu’il est, parce qu’il faudr
1861 st donné, incapables d’accepter l’autre tel qu’il est , parce qu’il faudrait tout d’abord s’accepter, ils ne voient de toute
1862 i la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à s’exalt
1863 re de fatalités psychologiques dont les effets ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou de l’autre, il
1864 nt les effets ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruin
1865 aborées par une éthique de la passion. Certes, il serait excessif d’estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie
1866 sif d’estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie au délire de Tristan. Bien peu ont assez soif pour boire le
1867 pour boire le philtre, et j’en vois moins encore être élus par le sort pour succomber au tourment exemplaire. Mais tous ou
1868 u en rêvassent. Et si brouillée et défraîchie que soit l’empreinte du mythe primitif, c’est pourtant là qu’est le secret de
1869 empreinte du mythe primitif, c’est pourtant là qu’ est le secret de l’inquiétude qui tourmente aujourd’hui les couples. Rien
1870 t intolérables pour tout ordre social, quel qu’il soit . (Et je ne parle même pas du danger spirituel que fait courir à la pe
1871 courir à la personne l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe). D’où les multiples tentatives de « restauration » du m
1872 ersonnelle ; selon le second, l’union monogamique serait la forme la plus rationnelle des relations entre les sexes, dans une
1873 « conflit psychologique » et les « névroses » qui seraient à l’origine du mal (d’où l’on déduit que la médecine mentale guérirai
1874 éments d’une révolution à sa mesure. En outre, il est frappant de constater que presque tous ces sages auteurs donnent quel
1875 dire que l’amour tel qu’on l’imagine de nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend fonder sur lui
1876 r sur lui. C’est qu’on ne sait pas au juste ce qu’ est l’amour-passion, ni d’où il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y
1877 s existé, elle existera donc toujours, et nous ne sommes pas des Don Quichotte… » Je le crois bien ! C’est même à cause de cel
1878 n « déchaînement » sexuel de la jeunesse que l’on serait tenté de juger sans précédent dans notre histoire européenne192. Quan
1879 otre histoire européenne192. Quant au mariage, il fut en principe balayé durant la période des Soviets. La morale des intel
1880 gt ans plus tard, le « redressement des mœurs » s’ est opéré, non par quelque sursaut vertueux, non par l’initiative d’une l
1881 consciente des conditions de sa durée. Staline s’ est assigné pour but prochain de refaire des cadres à sa nation. Car sans
1882 ment statique et stabilisateur au premier chef qu’ est la famille. Ce fut le mécanisme de la dictature productiviste qui con
1883 abilisateur au premier chef qu’est la famille. Ce fut le mécanisme de la dictature productiviste qui contraignit l’État dit
1884 rocessus de ruine des obstacles sociaux, pour s’y être développé sans violences extérieures, n’avait que plus gravement miné
1885 née incarnant l’idéal racial). Ces femmes doivent être blondes, de sang aryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type d
1886 de la passion. Alors le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occident nouveau, imprévi
1887 , p. 186. Le sacrement catholique se justifierait soit par le récit du miracle de Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) 
1888 le de Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) ; soit par le passage où Jésus proclame que l’homme ne doit pas séparer ce q
1889 e l’homme ne doit pas séparer ce que Dieu a uni ; soit enfin par des entretiens de Jésus ressuscité et de ses disciples « qu
1890 ont souvent exprimé cette opinion : « Les crimes sont un tribut payé à la vie. » (Carpocrates, cf. Schultz, Dokumente der G
1891 Dokumente der Gnosis.) 185. Encore que la faute soit alors considérée moins par rapport à la morale en soi, que sous l’asp
1892 u chauffeur qui « mérite » la fille du patron, il est abondamment exploité par le film allemand, depuis l’hitlérisme. 188.
1893 mme que l’on désire, la femme de notre nostalgie) est la meilleure définition d’Iseut. L’amour-passion veut « la princesse
1894 aines) ont également touché le problème. 191. Il serait curieux de retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a p
1895 oblème. 191. Il serait curieux de retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a parlé le premier d’un « problèm
1896 des pays bourgeois après la guerre. La différence est qu’en Russie on affichait des principes « émancipés » — qu’ailleurs o
1897 me, suppression de la passion : tout cela devrait être mis entre guillemets quand il s’agit de l’URSS. La diminution vertigi
1898 i on l’applique ? Et je le répète, ses mobiles ne sont nullement d’ordre « moral », mais plutôt militaire. 195. Depuis que
1899 », mais plutôt militaire. 195. Depuis que ceci a été écrit, les événements se sont précipités. À Berlin : loi du 6 juillet
1900 5. Depuis que ceci a été écrit, les événements se sont précipités. À Berlin : loi du 6 juillet 1938, décrétant entre autres
1901 let 1938, décrétant entre autres que les mariages seront contractés dorénavant « au nom de l’État » (socialisation). À Rome :
8 1939, L’Amour et l’Occident. Livre VII. L’Amour action, ou de la fidélité
1902 n dessein le plus secret m’échappe encore. L’aveu sera jugé insolite. Mais je pressens d’assez profondes raisons de le conse
1903 ieux déterminés, et sous des astres dont le cours est calculable. J’ai cru cerner le secret de son mythe. La découverte n’e
1904 ru cerner le secret de son mythe. La découverte n’ est pas négligeable. Mais peut-on décrire la passion ? On ne décrit pas u
1905 crit pas une forme d’existence sans y participer, fût -ce même par une révolte contre la décision dont elle est née. Et pour
1906 même par une révolte contre la décision dont elle est née. Et pour tout dire, j’ignore encore si cela peut avoir un sens :
1907 n sens : approuver ou rejeter la passion. Combien serait vaine l’attitude intellectuelle qui se définirait elle-même comme une
1908 cevoir, d’observer que la passion, quelle qu’elle soit , ne peut ni ne veut « avoir raison ». Contre elle, on a toujours rais
1909 ant qu’on parle raison. Car l’homme de la passion est justement celui qui choisit d’être dans son tort, aux yeux du monde,
1910 e de la passion est justement celui qui choisit d’ être dans son tort, aux yeux du monde, — et dans ce tort majeur, irrévocab
1911 is encore plus agressive, sans doute, puisqu’il n’ est plus question pour nous de recourir au bras séculier. (Sans compter q
1912 éculier. (Sans compter que la Croisade, au total, fut un échec dont la passion sut profiter.) C’est qu’avant tout et après
1913 is une décision fondamentale de l’homme, qui veut être lui-même son dieu196. La passion brûle dans notre cœur sitôt que le s
1914 tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la faute à racheter ! Mais tuer l’homme a
1915 nd c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la faute à racheter ! Mais tuer l’homme avant qu’il se tue, et le tue
1916 u’il se tue, et le tuer autrement qu’il ne veut l’ être , c’est bien de cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpass
1917 ieu culturel où la passion plonge ses racines, il est probable que l’État s’en chargera, c’est son hygiène. Il y a toutes l
1918 pas d’échappatoire dans le temps à venir. S’il n’ est peut-être pas possible à l’homme — à un homme déterminé — de connaîtr
1919 oup, tel que je le reconnais dans ma vie. Et ce n’ est à aucun degré une solution que je propose. Car outre qu’une telle sol
1920 on probablement n’existe pas, si elle existait ce serait pour moi seul : on ne se décide jamais que pour son compte, — et le r
1921 décide jamais que pour son compte, — et le reste est indiscrétion. Mais je ne pouvais écrire un livre entier sur la passio
1922 la passion ne peut exister — et alors en parler n’ est qu’une farce — mais dans le choix qui détermine une existence. 2.C
1923 que du mariage Si je ne vois pas de raison qui tienne contre la passion véritable, il m’apparaît en second lieu que la rais
1924 ble, il m’apparaît en second lieu que la raison n’ est guère plus efficace pour légitimer le mariage ; et que les arguments
1925 ence devant les ironies du romantique. Mais elles sont mises en pleine déroute par la simple véracité. La fameuse « paix du
1926 « enfer ». Et je lui fais un plus large crédit ! Étant donné que les humains des deux sexes, pris un à un, sont généralement
1927 nné que les humains des deux sexes, pris un à un, sont généralement des coquins, pourquoi seraient-ils des anges une fois ap
1928 un à un, sont généralement des coquins, pourquoi seraient -ils des anges une fois appariés ? Ignore-t-on la réalité, ou n’a-t-on
1929 le première porte venue ! Ce silence que l’épouse est censée ménager autour du vaillant travailleur qui rentre le soir, har
1930 ux tous, lui qui d’abord exalte la passion, comme étant la suprême valeur du « stade esthétique » de la vie ; puis la surmont
1931 l’homme pieux qui estimait que la religion devait être un amour heureux, un mariage avec sa vertu. Car l’amour du pécheur po
1932 e avec sa vertu. Car l’amour du pécheur pour Dieu est « essentiellement malheureux », et cette passion chrétienne est la se
1933 llement malheureux », et cette passion chrétienne est la seule vérité, et tous nos « devoirs » humains (dont le bonheur) ne
1934 !) Et comment réfuter ce furieux ? Les incroyants sont renvoyés aux arguments des romantiques, qui valent contre leur morali
1935 eur humanisme. Que dit l’Apôtre ? Je pense qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter
1936 emme. Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’ est d’un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis r
1937 un, frères, demeure devant Dieu dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé (vierge ou marié)… usant du monde comme n’en u
1938 e devant Dieu dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé (vierge ou marié)… usant du monde comme n’en usant pas, car la
1939 1-32.) Et voici le coup de grâce : Celui qui n’ est pas marié s’inquiète des choses du Seigneur, des moyens de plaire au
1940 r, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme
1941 32). ⁂ Tout ce qu’on peut dire contre le mariage est vrai, par conséquent doit être dit, soit du point de vue des romantiq
1942 e contre le mariage est vrai, par conséquent doit être dit, soit du point de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut —,
1943 e mariage est vrai, par conséquent doit être dit, soit du point de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut —, soit du po
1944 de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut —, soit du point de vue du clerc parfait — si l’on croit à son œuvre —, soit
1945 e du clerc parfait — si l’on croit à son œuvre —, soit du point de vue spirituel pur, pour ceux qui croient. Il n’est possib
1946 de vue spirituel pur, pour ceux qui croient. Il n’ est possible alors d’affirmer le mariage qu’au-delà des deux premières cr
1947 femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière
1948 erait possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter de mettre au départ tou
1949 ns celle du couple formé. Les facteurs mis en jeu sont trop hétéroclites. À supposer que vous puissiez les calculer dans le
1950 es calculer dans le présent (comme si leur nombre était fini) et que vous disposiez d’une telle science de l’humain que leurs
1951 telle science de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évidente, encore ne sauriez-vous prévoir l
1952 ne seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est pourtant à
1953 ors que tout nous montre que cent-mille essais ne seraient pas encore assez pour constituer les premiers éléments, tout balbutia
1954 le reconnaître honnêtement : le problème qui nous est posé par la nécessité pratique du mariage apparaît d’autant plus inso
1955 mariage apparaît d’autant plus insoluble que l’on tient davantage à le « résoudre » au sens rationnel de ce terme. Certes, il
1956 es impondérables deviennent décisifs. Le sophisme est alors du côté du bon sens, qui recommandait un choix mûri et raisonné
1957 selon des critères impersonnels. Mais enfin ce n’ est pas l’erreur logique qui est grave, c’est l’erreur morale qu’elle sup
1958 els. Mais enfin ce n’est pas l’erreur logique qui est grave, c’est l’erreur morale qu’elle suppose. Lorsqu’on incite les je
1959 t non pas à une décision. Or ce savoir ne pouvant être qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler d’une garantie. Et la
1960 r d’une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la décision en vertu de laquelle on s’engage pour to
1961 ’agit avant tout de calcul. D’où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au réel, d’enseigner aux jeu
1962 gent à assumer les suites, heureuses ou non. Ce n’ est pas là un éloge du « coup de tête » : car tant que l’on peut calculer
1963 : car tant que l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide de s’en priver. Mais je dis que la garantie d’une union raiso
1964 tie d’une union raisonnable dans les apparences n’ est jamais dans ces apparences. Elle est dans l’événement irrationnel d’u
1965 apparences n’est jamais dans ces apparences. Elle est dans l’événement irrationnel d’une décision prise en dépit de tout, e
1966 Choisir une femme pour en faire son épouse, ce n’ est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal de mes rêves, vous comble
1967 n épouse, ce n’est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal de mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous ê
1968 es, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie d’une dot adéquate — dont
1969 able — et munie d’une dot adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là mentir et l’on ne peut rien fonder qui
1970 adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là mentir et l’on ne peut rien fonder qui dure sur le mensonge. Il n’
1971 Untel : « Je veux vivre avec vous telle que vous êtes . » Car cela signifie en vérité : c’est vous que je choisis pour parta
1972 uve que je vous aime. (Vraiment, pour dire : Ce n’ est que cela ! — comme le diront beaucoup de jeunes gens qui s’attendent,
1973 lité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette de « bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possibl
1974 ette de « bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’étant pas compromise en germe par un calcul forcément ine
1975  », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’ étant pas compromise en germe par un calcul forcément inexact. 4.Sur la
1976 érée comme absolue. La problématique du mariage n’ est pas du cur, mais du quomodo. « L’éthique ne commence pas, dit Kierkeg
1977 s dans un savoir qui exige sa réalisation. » Ce n’ est pas l’engagement qui est problématique, mais les conséquences qu’il e
1978 e sa réalisation. » Ce n’est pas l’engagement qui est problématique, mais les conséquences qu’il entraîne. (De même on faus
1979 ne croyait pas — alors que le seul vrai problème est de savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou e
1980 est de savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle n’est pas — comme tout ce qui porte une chance
1981 ir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle n’ est pas — comme tout ce qui porte une chance de grandeur. (Comme la passi
1982 ociologues ont essayé de prouver que la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est salutaire. Cela se discute à l’infi
1983 ue la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est salutaire. Cela se discute à l’infini. Et cela nous sera des plus uti
1984 lutaire. Cela se discute à l’infini. Et cela nous sera des plus utiles dès que les hommes se régleront sur la raison et l’in
1985 yeux et dans leur langage, la fidélité conjugale est le succès d’un effort « inhumain ». Leur revendication fondamentale,
1986 e, en fait, l’idée de fidélité. Mais l’obstacle n’ est pas sérieux, on le tourne de tous les côtés. Voyez les excuses invoqu
1987 é observée en vertu de l’absurde, parce qu’on s’y est engagé, simplement, et que c’est un fait absolu, sur quoi se fonde la
1988 e des époux. Il faut bien voir que cette fidélité est à contre-courant des valeurs aujourd’hui vénérées par presque tous. E
1989 e la multiplicité des expériences. Elle nie que l’ être aimé doive réunir, pour être ou pour rester aimable, le plus grand no
1990 nces. Elle nie que l’être aimé doive réunir, pour être ou pour rester aimable, le plus grand nombre de qualités possible. El
1991 ités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c’est avant tout l’obéis
1992 la volonté de faire une œuvre. Car la fidélité n’ est pas du tout une espèce de conservatisme. Elle est plutôt une construc
1993 est pas du tout une espèce de conservatisme. Elle est plutôt une construction. « Absurde » au moins autant que la passion,
1994 r ses rêves, par un besoin constant d’agir pour l’ être aimé, par une constante prise sur le réel, qu’elle cherche à dominer,
1995 œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à quelque chose qui n’était pas, mais que l’on crée. Pers
1996 la première est la fidélité à quelque chose qui n’ était pas, mais que l’on crée. Personne, œuvre et fidélité : les trois mots
1997 . Personne, œuvre et fidélité : les trois mots ne sont point séparables ou concevables isolément. Et tous les trois supposen
1998 . (À condition bien entendu que cette promesse ne soit pas faite pour des « raisons » que l’on se réserve de répudier un jou
1999 paraître raisonnables ! Si la promesse du mariage est le type même de l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est fait
2000 e de l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est faite une fois pour toutes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vi
2001 st faite une fois pour toutes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vie, fût-elle la plus déshéritée, détient sa chance i
2002 utes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vie, fût -elle la plus déshéritée, détient sa chance immédiate de grandeur, et
2003 homme découvre que la folie du sacrifice consenti était la plus grande sagesse ; et que le bonheur qu’il a renoncé lui est re
2004 e sagesse ; et que le bonheur qu’il a renoncé lui est rendu, comme Isaac fut rendu à Abraham. Mais alors il n’y songeait pa
2005 onheur qu’il a renoncé lui est rendu, comme Isaac fut rendu à Abraham. Mais alors il n’y songeait pas ! Et il se peut aussi
2006 e peut aussi que rien ne compense la perte : nous sommes ici dans un ordre de grandeur où nos mesures et nos équivalences n’on
2007 ne grandeur qui n’ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une
2008 d’une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une folie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie de sobriété q
2009 sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’ est pas un héroïsme, ni un défi, mais une patiente et tendre application.
2010 au sens moderne de ces mots… ⁂ Cependant, tout n’ est pas encore clair. Tristan lui aussi fut fidèle ! Et toute passion vér
2011 t, tout n’est pas encore clair. Tristan lui aussi fut fidèle ! Et toute passion véritable est fidèle. (Pour ne rien dire de
2012 lui aussi fut fidèle ! Et toute passion véritable est fidèle. (Pour ne rien dire des successives fidélités de nos « liaison
2013 nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti). Où est alors la différence ? Et
2014 ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti). Où est alors la différence ? Et le mari fidèle, ne serait-ce pas simplement
2015 ù est alors la différence ? Et le mari fidèle, ne serait -ce pas simplement celui qui a reconnu dans sa femme une Iseut ? Lorsq
2016 uissante » qui l’accueille par ces paroles : « Je suis toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un n
2017 e, mais qui s’ignore, naturellement, et qui croit être un vrai amour pour l’autre. L’analyse des légendes courtoises nous a
2018 délivrance du moi coupable et asservi. Tristan n’ est pas fidèle à une promesse, ni à cet être symbolique, ce beau prétexte
2019 Tristan n’est pas fidèle à une promesse, ni à cet être symbolique, ce beau prétexte qui s’appelle Iseut, mais à sa plus prof
2020 psychologues peuvent y lire. « Notre engagement n’ était pas pris pour ce monde », écrivait Novalis songeant à sa fiancée perd
2021 etour de la vie. Mais la fidélité dans le mariage est au contraire un engagement absolument pris pour ce monde. Partant d’u
2022 sa fidélité. Et tandis que la fidélité de Tristan était un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la création dans
2023 r le monde d’envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil de la créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est
2024 créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est , dans son intime singularité. Insistons : la fidélité dans le mariage
2025 sistons : la fidélité dans le mariage ne peut pas être cette attitude négative qu’on imagine habituellement ; elle ne peut ê
2026 ative qu’on imagine habituellement ; elle ne peut être qu’une action. Se contenter de ne pas tromper sa femme serait une pre
2027 e action. Se contenter de ne pas tromper sa femme serait une preuve d’indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : e
2028 fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’ être aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle le proc
2029 e son propre bonheur. Ainsi la personne des époux est une mutuelle création, elle est le double aboutissement de « l’amour-
2030 ersonne des époux est une mutuelle création, elle est le double aboutissement de « l’amour-action ». Ce qui niait l’individ
2031 me, on découvrira que la fidélité dans le mariage est la loi d’une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce sera
2032 e nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pour la mort (c’était la passio
2033 nté de Dieu, même quand elle ruine notre bonheur, est salutaire. L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être de
2034 ’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’ être deux ; et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illimité
2035 m qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse d’ être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et
2036 Il faut que l’autre cesse d’être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus qu
2037 us que « moi-le-monde » ! Mais l’amour du mariage est la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’i
2038 iage est la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’ être limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tourne ave
2039 r afin d’attester notre alliance. ⁂ Une vie qui m’ est alliée — pour toute la vie, voilà le miracle du mariage. Une vie qui
2040 ne vie qui ne veut plus que mon bien, parce qu’il est confondu avec le sien : et si ce n’était pour toute la vie, ce serait
2041 arce qu’il est confondu avec le sien : et si ce n’ était pour toute la vie, ce serait encore une menace. (Il y a toujours une
2042 le sien : et si ce n’était pour toute la vie, ce serait encore une menace. (Il y a toujours une telle menace dans l’échange d
2043 Alors l’amour de charité, l’amour chrétien, qui est Agapè, paraît enfin dans sa pleine stature : il est l’affirmation de
2044 t Agapè, paraît enfin dans sa pleine stature : il est l’affirmation de l’être. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païe
2045 ans sa pleine stature : il est l’affirmation de l’ être . Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a répandu dans no
2046 ue la vie terrestre et temporelle ne mérite pas d’ être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à l’É
2047 mérite pas d’être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à l’Éternel. Car après tout c’est ici-bas
2048 r. L’homme naturel ne pouvait pas l’imaginer. Il était donc condamné à croire Éros, c’est-à-dire à se confier dans son désir
2049 n de l’Agapè voit soudain le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi de sa religion naturelle. Il peut maintenant espér
2050 eut maintenant espérer autre chose, il sait qu’il est une autre délivrance du péché. Et voici que l’Éros à son tour se voit
2051 telle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’ être un dieu, il cesse d’être un démon 200. Et il retrouve sa juste place
2052 estin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’ être un démon 200. Et il retrouve sa juste place dans l’économie provisoir
2053 a séduction du Rien. Mais dès lors que le Verbe s’ est fait chair et qu’il nous a parlé en mots humains, nous avons appris c
2054 humains, nous avons appris cette nouvelle : ce n’ est pas l’homme qui doit se délivrer lui-même, c’est Dieu qui l’a aimé le
2055 ême, c’est Dieu qui l’a aimé le premier, et qui s’ est approché de lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus haut, dan
2056 premier, et qui s’est approché de lui. Le salut n’ est plus au-delà, toujours plus haut, dans l’ascension interminable du Dé
2057 rps, mais c’est la femme. (I. Cor., 7.) La femme étant l’égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme »201.
2058 femme étant l’égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme »201. En même temps, elle échappe à l’abaissement
2059 e échappe à l’abaissement bestial qui tôt ou tard est la rançon d’une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne do
2060 on de la créature. Mais cette égalité ne doit pas être entendue au sens moderne et revendicateur. Elle procède du mystère de
2061 ateur. Elle procède du mystère de l’amour. Elle n’ est que le signe et la démonstration du triomphe d’Agapè sur Éros. Car l’
2062 te son amour pour l’homme en exigeant que l’homme soit saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une
2063 mme en exigeant que l’homme soit saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une femme en la traitant
2064 d’images, — du moins perd-il son efficace : ce n’ est plus lui qui détermine la personne. En d’autres termes, on pourrait d
2065 Car si le désir va vite et n’importe où, l’amour est lent et difficile, il engage vraiment toute une vie, et il n’exige pa
2066 « fatalité » de la passion. Le « coup de foudre » est sans doute une légende accréditée par Don Juan, comme la « fatalité »
2067 par Don Juan, comme la « fatalité » de la passion est accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent tromper que ce
2068 t alibi qui ne peuvent tromper que celui qui veut être trompé, parce qu’il y trouve son intérêt ; figures de rhétorique roma
2069 romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il serait assez absurde de confondre avec des vérités psychologiques. Notre ana
2070 voir pourquoi l’on aime croire à la fatalité, qui est l’alibi de la culpabilité : « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute
2071 alité, qui est l’alibi de la culpabilité : « Ce n’ est pas moi qui ai commis la faute, je n’y étais pas, c’est cette puissan
2072 « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute, je n’y étais pas, c’est cette puissance fatale qui agissait en lieu et place de ma
2073 se une « fatalité » ! Quant au coup de foudre, il est censé justifier les écarts de Don Juan. Toute la littérature nous eng
2074 me des coups de foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et
2075 ine les contingences morales. Mais alors, on peut être certain qu’un pareil mythe est né de la rêverie des impuissants. Et e
2076 is alors, on peut être certain qu’un pareil mythe est né de la rêverie des impuissants. Et en effet, la conduite de Don Jua
2077 impuissants. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien typique d’une certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de
2078 corps et de l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il apparaît ainsi que la monogamie, normalisant l
2079 e la monogamie, normalisant les rapports sexuels, est la meilleure garantie du plaisir, c’est-à-dire de l’Éros purement cha
2080 divinisé204. ⁂ On objecte alors que le mariage ne serait plus que le « tombeau de l’amour ». Mais c’est encore le mythe, natur
2081 oire, avec son obsession de l’amour contrarié. Il serait plus vrai de dire après M. Croce que « le mariage est le tombeau de l
2082 plus vrai de dire après M. Croce que « le mariage est le tombeau de l’amour sauvage »205 (et plus communément du sentimenta
2083 le viol, comme la polygamie, révèle que l’homme n’ est pas encore en mesure de concevoir la réalité de la personne chez la f
2084 humaines. Par contre, l’homme qui se domine, ce n’ est pas faute de « passion » (au sens de tempérament) mais c’est qu’il ai
2085 istianisme et le secret de notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme, passion, dynamisme, corres
2086 les conclusions de notre examen du mythe courtois sont justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma de l’Occident chrét
2087 chéma de l’Occident chrétien. Tout d’abord : ce n’ est pas le christianisme qui a fait naître la passion, mais c’est une hér
2088 une hérésie d’origine orientale. Cette hérésie s’ est répandue d’abord dans les contrées les moins christianisées, précisém
2089 enaient encore une vie secrète. L’amour-passion n’ est pas l’amour chrétien, ni même le « sous-produit du christianisme » ou
2090 anisme a réveillée et orientée vers Dieu »206. Il est plutôt le sous-produit de la religion manichéenne. Plus exactement, i
2091 t de la religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyance
2092 ne. Première correction d’importance. Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de
2093 re procède d’une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Ma
2094 ntal, j’entends notre génie technique, ne saurait être un seul instant ramené à la passion. L’attitude humaine qu’il révèle
2095 ené à la passion. L’attitude humaine qu’il révèle est l’antithèse exacte de la passion : c’est une affirmation de la valeur
2096 visible. La passion ni la foi hérétique dont elle est née ne sauraient proposer comme but à notre vie la maîtrise de la Nat
2097 ction originelle du Démiurge, et puisque le salut est justement d’échapper à sa loi démoniaque207. Faut-il voir à la source
2098 s (c’est-à-dire créateurs) du dynamisme européen, sont orientés par une volonté exactement contraire à celle de la passion.
2099 devenant mortelle, trahit les ambitions dont elle est née. Il se peut que l’Occident succombe à ce destin qu’il s’est forgé
2100 peut que l’Occident succombe à ce destin qu’il s’ est forgé. Mais il est clair que ce n’est pas le christianisme — comme le
2101 t succombe à ce destin qu’il s’est forgé. Mais il est clair que ce n’est pas le christianisme — comme le répètent tant de p
2102 tin qu’il s’est forgé. Mais il est clair que ce n’ est pas le christianisme — comme le répètent tant de publicistes — qui es
2103 sme — comme le répètent tant de publicistes — qui est responsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident
2104 astrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’ est pas chrétien208. Il est tout au contraire manichéen. C’est ce qu’igno
2105 trophique de l’Occident n’est pas chrétien208. Il est tout au contraire manichéen. C’est ce qu’ignorent communément ceux qu
2106 stianisme et l’Occident, comme si tout l’Occident était chrétien. Si donc l’Europe succombe à son mauvais génie, ce sera pour
2107 Si donc l’Europe succombe à son mauvais génie, ce sera pour avoir trop longtemps cultivé la religion para ou même antichréti
2108 de la passion. ⁂ Faut-il conclure que la passion serait la tentation orientale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est
2109 erait la tentation orientale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est développée dans notre histoire et nos cultures
2110 entale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’ est développée dans notre histoire et nos cultures qu’à partir des xiie
2111 l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos « mortelles » croyances. Mais dira-t-on, ces mêmes croyanc
2112 s mêmes obstacles. Ainsi notre chance dramatique est d’avoir résisté à la passion par des moyens prédestinés à l’exalter.
2113 ion par des moyens prédestinés à l’exalter. Telle fut la tentation permanente d’où jaillirent nos plus belles créations. Ma
2114 a plus typique de leur morale : le mariage, qu’il sera désormais possible de repérer avec assez de précision ce déplacement
2115 sion ce déplacement d’accent dont tout dépend. Il est certain que l’Occidental christianisé se distingue profondément de l’
2116 ent de l’Oriental par son pouvoir d’approfondir l’ être créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret de notre fi
2117 e du divers. Nous, nous cherchons la densité de l’ être dans la personne distincte, sans cesse approfondie comme telle. « D’a
2118 limitations. Le chrétien prend le monde tel qu’il est , et non point tel qu’il peut le rêver. Son activité « créatrice » con
2119 rt. Et c’est pourquoi la crise moderne du mariage est le signe le moins trompeur d’une décadence occidentale. Il en est d’a
2120 moins trompeur d’une décadence occidentale. Il en est d’autres, certes, dans les domaines les plus divers : le culte du nom
2121  : tout ce qui tend à ruiner la personne. Mais ce sont là des phénomènes complexes et collectifs, qui échappent souvent aux
2122 ariage nous parle et nous avertit mieux : aucun n’ est plus sensible et quotidien, plus intimement vérifiable. 7.Au-delà
2123 r la destruction de notre civilisation. Tout cela est , tout cela nous menace, et d’autant plus qu’on voudrait le nier. Cepe
2124 menant alors un âge classique… Mais après tout, n’ est -ce pas encore une tentation de la passion que ce souci des lendemains
2125  la figure de ce monde passe », mais l’obéissance est toujours hic et nunc, dans l’acte de l’Éternel où notre espoir se fon
2126 es constatations tout objectives auxquelles je me suis vu conduit ne sont pas suffisantes en soi. Elles commandent certaines
2127 ut objectives auxquelles je me suis vu conduit ne sont pas suffisantes en soi. Elles commandent certaines décisions. Elles i
2128 troduisent à une problématique nouvelle, et qui n’ est pas toujours aussi simpliste que le dilemme passion-fidélité peut nou
2129 Or le moyen de dépasser notre dilemme ne saurait être la pure et simple négation de l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y
2130 ste encore : condamner la passion en principe, ce serait vouloir supprimer l’un des pôles de notre tension créatrice. De fait,
2131 pôles de notre tension créatrice. De fait, cela n’ est pas possible. Le philistin qui « condamne » de la sorte et à priori t
2132 assion, c’est qu’il n’en a connu aucune, et qu’il est en deçà du conflit. Pour cet homme-là le seul progrès concevable est
2133 lit. Pour cet homme-là le seul progrès concevable est dans la crise de sa sécurité, c’est-à-dire dans le drame passionnel (
2134 e inhérent à tout exposé. ⁂ Le premier thème peut être situé par rapport à un drame personnel dont les données biographiques
2135 ame personnel dont les données biographiques nous sont suffisamment connues. On sait que l’événement qui devint pour Kierkeg
2136 kegaard le point de départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette r
2137 monde. Ici l’obstacle indispensable à la passion est d’une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’o
2138 pécheur ne saurait entretenir avec son Dieu — qui est l’Éternel et le Saint — que des relations d’amour mortellement malheu
2139 gine pure de la passion, — mais du même coup nous sommes jetés au cœur même de la foi chrétienne ! Car voici : cet homme mort
2140 initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’ être présente, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bien pl
2141 , mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bien plus que royale, elle est divine. Et dans l’analogie de la foi,
2142 jaloux : car elle est bien plus que royale, elle est divine. Et dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que l
2143 on peut alors concevoir que la passion — quel que soit l’ordre où elle se manifeste — ne trouve son au-delà réel, et son sal
2144 son salut, que par cette action d’obéissance qui est la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le monde », mais « en ve
2145 hose qu’une « solution », pour qui croit que Dieu est fidèle, et que l’amour ne trompe jamais l’aimé. Certes, Kierkegaard n
2146 ute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre était le lieu de sa fidélité la plus réelle. Pourquoi chercher ailleurs que
2147 nnent chaque jour de leur bonheur. (Ces choses-là sont trop simples et totales pour qu’un discours vienne mettre ses délais
2148 notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’ est peut-être pas d’une nature essentiellement hétérogène. Peut-être même
2149 ssentiellement hétérogène. Peut-être même doit-il être conçu comme un aspect particulier du mouvement de retour de la passio
2150 avec une sorte d’indifférence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinction ressentie comme un déchirement 
2151 e désire plus rien que son amour ne veuille, elle est une avec lui dans la dualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce
2152 lle, elle est une avec lui dans la dualité, qui n’ est plus qu’un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus
2153 cesse dans l’acte même d’obéir, en sorte qu’il n’ est plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seul
2154 née du mortel désir d’union mystique, ne saurait être dépassée et accomplie que par la rencontre d’un autre, par l’admissio
2155 uffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage est possible. Nous sommes deux dans le contentement. Une dernière fois po
2156 otre jour. Et alors le mariage est possible. Nous sommes deux dans le contentement. Une dernière fois pourtant nous reprendron
2157 s reprendrons un parti de sobriété. Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’est pas comme une erreur à laquelle on
2158 Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’ est pas comme une erreur à laquelle on renoncerait un beau jour pour adop
2159 beau jour pour adopter une vérité meilleure. Nous sommes sans fin ni cesse dans le combat de la nature et de la grâce. Sans fi
2160 cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horizon n’ est plus le même. Une fidélité gardée au Nom de ce qui ne change pas comm
2161 monde. 21 février — 21 juin 1938. 196. Je m’en tiens au cas-limite de Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage c
2162 devient singulier. À cette personnalisation de l’ être aimé correspond d’ailleurs une spécification croissante de l’instinct
2163 en faveur de la monogamie. 198. La gauloiserie n’ étant pas moins que la passion une évasion hors du réel, une façon de l’idé
2164 et justement pas en tant qu’Éros sublimé. Éros n’ est pas le péché ; le péché c’est la sublimation d’Éros. 201. Comme le c
2165 le prends ici ? En ce que l’on reconnaît dans un être la totalité d’une personne. La personne, selon la fameuse définition
2166 ameuse définition kantienne, c’est ce qui ne peut être utilisé par l’homme comme une chose, comme un instrument. 203. Sur l
2167 04. Je répète toutefois que le mariage ne saurait être fondé sur des « arguments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d
2168 e son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tout à fait inefficace aux yeux de qui préfère le mythe et veut croir
2169 eo Ferrero, Désespoirs. Le problème de la passion est admirablement défini par ce petit livre dans ses données actuelles, p
2170 notre châtiment et non pas notre délivrance. Ce n’ est pas la mort, la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte de la
2171 nce. Ce n’est pas la mort, la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte de la grâce fait par Dieu. 209. Malgré les te
9 1939, L’Amour et l’Occident. Appendices
2172 je parle quand je parle du mythe « primitif ». Il serait aisé de se prévaloir du caractère sacré que certains auteurs du siècl
2173 gie celtique. Dès le viie siècle, Tristan aurait été un demi-dieu, le héraut symbolique des mystères, le « gardien des mar
2174 re élève l’initié à la vie de l’esprit. Tout cela est vraisemblable, et contesté. Dans les Mabinogion, recueil des légendes
2175 e les Bretons armoricains et les Gallo-Francs. Il est incontestable que maints éléments de la tradition bardique (orale) so
2176 maints éléments de la tradition bardique (orale) sont incorporés dans la légende. (Cf. livre II, chap. 11.) Mais il est non
2177 ans la légende. (Cf. livre II, chap. 11.) Mais il est non moins certain que Béroul, Thomas, Eilhart, l’auteur du Roman en p
2178 du Roman en prose et celui de la Folie Tristan n’ étaient pas initiés à cette tradition. Ils ignoraient le sens primitivement s
2179 magie montrent bien que l’usage de ces dernières est oublié ; à l’époque et dans les pays où ils écrivent. Tout cela n’est
2180 que et dans les pays où ils écrivent. Tout cela n’ est plus qu’ornements d’art, pittoresque, anecdotes interprétées par la f
2181 aits que nous décrit l’auteur de la Folie Tristan étaient sans doute à l’origine tout autre chose qu’une suite d’extravagances.
2182 le, dans laquelle Tristan fou veut emmener Iseut, était dans la mythologie druidique le vaisseau de la mort qui s’en va par-d
2183 nfyd. Dans la Folie Tristan, la maison de verre n’ est plus qu’une image émouvante née de la fantaisie poétique de l’amoureu
2184 valerie sacrée La pensée médiévale en général est saturée de conceptions religieuses. De la même manière, dans une sphè
2185 ent dans les cercles de la cour et de la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cette conception envahit même le
2186 religion : la prouesse de l’archange saint Michel était « la première milicie et prouesse chevaleureuse qui oncques fut mise
2187 ère milicie et prouesse chevaleureuse qui oncques fut mise en exploict » ; c’est de là que procède la chevalerie qui, en ta
2188 que « milicie terrienne et chevalerie humaine », est une imitation des chœurs des anges autour du trône de Dieu. Le poète
2189 s guerres, tout comme la politique de leur temps, étaient extrêmement informes, et apparemment incohérentes. La guerre était un
2190 informes, et apparemment incohérentes. La guerre était un état chronique d’escarmouches isolées s’étendant sur un vaste doma
2191 ions de droit isolées et mesquines. L’histoire, n’ étant pas en mesure de discerner un réel développement social, se servait d
2192 geste et romans courtois Les chansons de geste sont nées au xie siècle, et pas avant, comme l’a montré Joseph Bédier. El
2193 pas avant, comme l’a montré Joseph Bédier. Elles furent composées, pour la plupart, par des clercs, et dans des intentions pr
2194 ques miraculeuses et ses héroïques fondateurs. Il est compréhensible que ces chansons de clercs parlent très peu ou point d
2195 dier) contient une épisode d’amour courtois. Elle est écrite dans un dialecte intermédiaire entre le français et le provenç
2196 ans sa forme — à celle du Roman de Tristan. Or il est évident que cette situation ne peut être qu’une invention courtoise (
2197 an. Or il est évident que cette situation ne peut être qu’une invention courtoise (elle tranche nettement sur le reste de la
2198 tranche nettement sur le reste de la légende qui est cléricale et féodale). Cette analogie avec Tristan nous donne un repè
2199 . Voici la donnée : le duc Girard de Roussillon a été quérir une fiancée pour Charles le Chauve, son suzerain. Accompagné d
2200 , Berthe, épousera Charles, la cadette, Elissent, sera la femme de Girard. Lorsque Charles voit les deux princesses, il s’ép
2201 nsent à céder Elissent, à condition qu’il cesse d’ être vassal du roi. Il épouse Berthe, tandis qu’Elissent devient reine. Au
2202 que j’ai fait de vous ? Je sais bien que vous me tenez pour méprisable. — Non, Seigneur, mais pour un homme de valeur et de
2203 par les plaines herbues… L’analogie avec Tristan est très frappante. Il s’agit dans les deux cas : D’un vassal puissant ch
2204 ps que des liens féodaux. Mais les différences ne sont pas moins significatives. Dans Tristan, c’est la jalousie d’Iseut aux
2205 ouement romanesque, tandis que dans le second, il est épique. Là, c’est l’amour qui conduit à la mort ; ici, ce sont les in
2206 Là, c’est l’amour qui conduit à la mort ; ici, ce sont les intérêts féodaux qui entraînent à des guerres sans fin. — Voici d
2207 une obligation de nécessité, tandis que les époux sont tenus par devoir à toutes les volontés l’un de l’autre. Que ce jugeme
2208 bligation de nécessité, tandis que les époux sont tenus par devoir à toutes les volontés l’un de l’autre. Que ce jugement que
2209 rmission d’offrir ses hommages à une autre : il y fut autorisé et cessa de sentir pour sa première amie la tendresse qu’il
2210 un mois, il revient à elle, proteste de ne pas s’ être épris ailleurs, et de n’avoir pris aucune liberté avec l’autre dame,
2211 elle-ci l’a privé de son amour, disant qu’il s’en est rendu indigne en implorant et en acceptant pareille licence. Arrêt d
2212 eille licence. Arrêt de la reine Éléonore. Telle est la nature de l’amour : les amants feignent souvent de souhaiter d’aut
2213 lors qu’il croit que la première le néglige. Ce n’ est point tant la constance de son amie que la sienne propre qu’il veut m
2214 sfert » au sens freudien — la situation juridique est bien du même ordre. 4. – Conceptions orientales de l’amour Il e
2215 . 4. – Conceptions orientales de l’amour Il est bien entendu que j’appelle Orient une certaine attitude totale de l’h
2216 ent une certaine attitude totale de l’homme qui s’ est manifestée principalement chez les peuples et dans les religions de l
2217 Asie. L’Iran, l’islam, l’Arabie et le judaïsme ne sont pas cet Orient-là, et se rattachent directement (Livre II, chap. 2 et
2218 amour » n’existe pas en Chine. Le verbe « aimer » est employé seulement pour définir les rapports entre la mère et les fils
2219 quelque chose qui se rapproche du mot « amour », est oubliée tout de suite pendant la dynastie Han. Les Chinois sont marié
2220 out de suite pendant la dynastie Han. Les Chinois sont mariés très jeunes par leurs parents, et le problème de l’amour ne se
2221 ndéfini que tous les autres, et dont nous voulons être sûrs. L’attitude de l’Européen qui se demande toute sa vie : « Est-ce
2222 ude de l’Européen qui se demande toute sa vie : «  Est -ce de l’amour ou non ? Est-ce que j’aime vraiment cette femme, ou est
2223 mande toute sa vie : « Est-ce de l’amour ou non ? Est -ce que j’aime vraiment cette femme, ou est-ce que j’ai de l’affection
2224 non ? Est-ce que j’aime vraiment cette femme, ou est -ce que j’ai de l’affection pour elle ? Est-ce que j’aime Dieu ou est-
2225 me, ou est-ce que j’ai de l’affection pour elle ? Est -ce que j’aime Dieu ou est-ce que j’ai seulement envie de l’aimer ? Es
2226 l’affection pour elle ? Est-ce que j’aime Dieu ou est -ce que j’ai seulement envie de l’aimer ? Est-ce que j’aime cet être o
2227 u ou est-ce que j’ai seulement envie de l’aimer ? Est -ce que j’aime cet être ou est-ce que j’aime l’amour ? », etc., son dé
2228 eulement envie de l’aimer ? Est-ce que j’aime cet être ou est-ce que j’aime l’amour ? », etc., son désespoir quand il découv
2229 envie de l’aimer ? Est-ce que j’aime cet être ou est -ce que j’aime l’amour ? », etc., son désespoir quand il découvre aprè
2230 lement envie de l’aimer — cette attitude pourrait être considérée par un psychiatre chinois comme un symptôme de folie. Nous
2231 ychiatre chinois comme un symptôme de folie. Nous sommes fous sans nous en rendre compte ; toute notre vie est fondée sur la p
2232 fous sans nous en rendre compte ; toute notre vie est fondée sur la passion et nous voulons la paix, la tranquillité ! Je s
2233 ion et nous voulons la paix, la tranquillité ! Je suis moi-même le plus fou de tous les fous, hélas ! Mais au moins maintena
2234 e le sais. Et encore : La civilisation chinoise est fondée sur la famille, et la famille sur l’absence d’amour. Les tradi
2235 te manifestation de tendresse entre mari et femme est jugée inconvenante. 5. – Mystique et amour courtois Dans un ap
2236 « chronologiquement parlant, les deux mouvements sont à peu près contemporains. » On a donc supposé une filiation des ciste
2237 pothèse en montrant : 1° que l’objet de l’amour n’ est pas le même pour saint Bernard et pour les troubadours, ces derniers
2238 ensualité naturelle ; 2° que la nature de l’amour est très différente dans les deux cas, malgré d’apparentes analogies d’ex
2239 e la courtoisie et la mystique de saint Bernard n’ est pas seulement, comme l’a vu M. Gilson, celle de la « chair » et de l’
2240 à tout amour charnel » (p. 195). L’amour courtois serait au contraire « l’expression poétique de la concupiscence » (p. 200).
2241 c’est flatter un « bon sens » des modernes qui n’ est sans doute que le résidu de préjugés scientifiques dépassés. Il se po
2242 s scientifiques dépassés. Il se pourrait que nous tenions là un bel exemple d’anachronisme. A-t-on seulement remarqué que les s
2243 ssières » aux mœurs des troubadours, ma déduction serait inverse de celle des savants modernes. Marcabru n’hésite pas à nommer
2244 ue cela ne choque personne — et non du tout qu’il est un débauché. Ayant choisi le symbolisme amoureux, il joue le jeu le p
2245 rel, selon la coutume de son temps211. Ou si l’on tient que le langage érotique traduit nécessairement une sensualité déchaîn
2246 « On n’a jamais entendu saint Bernard souhaiter d’ être débarrassé de l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le
2247 missent sous le joug de l’Amour. Donc cet amour n’ est pas spirituel. — Mais plus tard, d’autres mystiques catholiques, sain
2248 es expressions des troubadours, et souhaiteront d’ être libérés des tourments de l’amour divin : c’est là bien entendu, comme
2249 t déduire d’un tel « refus » que l’Amour courtois était purement sensuel, la déduction vaudrait aussi pour sainte Thérèse ; c
2250 iens obtient au contraire sa récompense. « On lui est uni (à la Béatitude) du fait même qu’on l’aime. » — Or M. Gilson dit
2251 it fort bien, deux pages plus loin, que « si Dieu est immanent sans être transcendant, il n’y a pas de problème mystique au
2252 pages plus loin, que « si Dieu est immanent sans être transcendant, il n’y a pas de problème mystique au sens où les chréti
2253 t à expérimenter… c’est l’immanence d’un Dieu qui est et reste transcendant ». Mais alors, lorsqu’une créature aime son Die
2254 situation du troubadour vis-à-vis de l’amour des êtres . Certes : « la pureté de l’amour courtois sépare les amants, au lieu
2255 t ». Mais il faut voir que les amants courtois ne sont séparés sur la terre qu’en vertu de cet amour mystique qui les unit à
2256 ommunier. d) Pour démontrer que l’amour courtois est sensuel, M. Gilson cite encore une strophe de Thibaut de Champagne :
2257 doutes sur la nature des sentiments dont Thibaut est animé. » Précisément, l’objet de mon ouvrage est, entre autres, de « 
2258 est animé. » Précisément, l’objet de mon ouvrage est , entre autres, de « réformer sérieusement notre conception des amours
2259 ordre des Templiers, mais encore cet ordre aurait été lié à l’hérésie cathare — en dépit de certaines apparences — comme le
2260 nvito, et même le De vulgari eloquentia devraient être interprétés symboliquement. Dans un opuscule postérieur, Aroux précis
2261 — Mots introuvables dans la Comédie, quand l’idée est partout présente. « Dames ». — Les initiés du templarisme albigeois,
2262 ar un dédoublement mystique de l’âme et du corps, étaient censés avoir les deux sexes, hommes en tant que corps et forme matéri
2263 vieux manuscrits, pour qu’une littérature entière soit passée sous leurs yeux sans qu’ils y aient vu autre chose que des con
2264 peignant l’amour de Rivalen pour Blanchefleur (ce sont les parents de Tristan) accumule les expressions religieuses les plus
2265 e vie. Il entra dans une vie nouvelle Où tout son être fut changé. Il devint un autre homme. Tout ce qu’il faisait Était com
2266 . Il entra dans une vie nouvelle Où tout son être fut changé. Il devint un autre homme. Tout ce qu’il faisait Était comme e
2267 . Il devint un autre homme. Tout ce qu’il faisait Était comme entremêlé de folie Et frappé d’aveuglement. Ses sens étaient tr
2268 remêlé de folie Et frappé d’aveuglement. Ses sens étaient troublés Égarés par la Minne Et comme délivrés De leur frein naturel.
2269 t. (Traduction Bossert.) Les trois derniers vers sont une parfaite confirmation de ma définition de la passion opposée à l’
2270 (correspondant à la forêt de Morois chez Béroul) est décrite en détail, et chaque détail comporte un sens symbolique comme
2271 ymbolique commenté par l’auteur. La « fossure » a été construite par des géants. C’est une voûte dont la clef est faite de
2272 uite par des géants. C’est une voûte dont la clef est faite de pierres précieuses. Au milieu trône un lit de cristal, etc.
2273 al, etc. Mais voici ce qui nous intéresse : Ce n’ est pas sans raison Que la fossure est reléguée Dans cette contrée sauvag
2274 éresse : Ce n’est pas sans raison Que la fossure est reléguée Dans cette contrée sauvage. Cela veut dire Que le lieu de l’
2275 sauvage. Cela veut dire Que le lieu de l’amour N’ est pas dans les routes battues Ni autour des habitations humaines. Il ha
2276 les déserts. Le chemin qui conduit à sa retraite Est dur et pénible. (Traduction Bossert.) Pour qui conserverait des dout
2277 rencontrer la « récompense » de ses peines. (Il n’ est pas devenu Parfait) : J’ai connu la fossure Quand je n’avais que 11
2278 la fossure Quand je n’avais que 11 ans Mais je ne suis jamais allé en Cornouailles. Comment pourrait-il s’agir d’amour phys
2279 t le dernier vers indique bien que la « fossure » est purement symbolique, puisqu’elle peut exister ailleurs qu’en Cornouai
2280 e. (L’argument avancé me convainc peu : l’hérésie était de nature dogmatique, et saint François ne s’occupait pas de doctrine
2281 lie (Bulgares ou Bougres dans les pays du Nord) s’ étaient emparés du gouvernement de plusieurs municipalités. Le podestat d’Ass
2282 de plusieurs municipalités. Le podestat d’Assise était un hérétique, avant 1204 ! Dans les cités avoisinantes, il y eut de n
2283 autre part, on sait bien que saint François avait été le disciple enthousiaste des poètes français (d’où son nom même). Il
2284 e ressemblance. Il reste que saint François, s’il fut influencé par l’atmosphère de la religion d’Amour, en transporta tout
2285 ompher d’Éros. Mars déchaîné, même contre Éros, n’ est guère qu’un autre aspect du mal qu’il veut détruire, et plus barbare.
2286 s IV et V.) L’auteur montre que pour Sade, le mal est l’unique élément de la Nature. On lit dans la Nouvelle Justine : « Ou
2287 la Création : « Le principe de vie dans tous les êtres n’est autre que celui de la mort ; nous les recevons et les nourrisso
2288 tion : « Le principe de vie dans tous les êtres n’ est autre que celui de la mort ; nous les recevons et les nourrissons dan
2289 nalyse du mythe nous a montré que cette antithèse est purement apparente. Mais si la vie et la Nature créée ne sont que noi
2290 t apparente. Mais si la vie et la Nature créée ne sont que noirceurs et cruauté, il faut alors pour s’en délivrer renchérir
2291 r le prochain. Sade choisit le prochain : il veut être criminel plutôt que victime. Ainsi la conscience sadique est l’invers
2292 l plutôt que victime. Ainsi la conscience sadique est l’inverse de la conscience romantique. Le romantique (Pétrarque) se c
2293 n deçà. Si bien que le seul au-delà concret qu’il soit en état de désirer, d’imaginer, c’est le « dérèglement des passions »
2294 e peut très bien lui apparaître : la loi. Or ce n’ est que le renoncement à la loi ainsi comprise qui peut nous conduire à l
2295 ète des divers problèmes abordés dans cet ouvrage est pratiquement exclue. On n’indiquera ici que les travaux utilisés par
2296 935. 211. Faut-il préciser qu’à mon sens, ce sont précisément les expressions par trop raffinées de l’amour qui sont le
2297 les expressions par trop raffinées de l’amour qui sont les plus suspectes chez les troubadours ? Au point que l’on se demand