1 1944, Les Personnes du drame. Note de l’auteur
1 Note de l’auteur Ce livre allait être mis sous presse en mai 1940, lorsque
2 sse en mai 1940, lorsque se déclencha la bataille de France. Le manuscrit et la composition typographique ont disparu. Mai
3 disparu. Mais j’avais conservé par hasard un jeu d’ épreuves, que j’emportai en Amérique. Plusieurs des chapitres de ce li
4 e j’emportai en Amérique. Plusieurs des chapitres de ce livre ont été publiés en première version par les revues suivantes
5 suivantes : Nouvelle Revue française , Bulletin de l’Union pour la vérité, Hermès, Foi et Vie , Esprit , La Revue de
6 vérité, Hermès, Foi et Vie , Esprit , La Revue de Paris . Tous ont été remaniés et souvent notablement augmentés pour c
7 ent augmentés pour cette édition. Le premier date de 1932, les derniers de 1939. Si je me décide à les publier aujourd’hui
8 te édition. Le premier date de 1932, les derniers de 1939. Si je me décide à les publier aujourd’hui, ce n’est point que j
9 urd’hui, ce n’est point que je ne me sois éloigné de certains des auteurs dont je m’inspirais alors — comme on quitte sa n
10 a nourrice au moment du sevrage. Mais la doctrine de la personne, que leurs œuvres et leur vie illustraient à mes yeux, m’
11 t plus valable que jamais. Elle est le vrai sujet de ce livre — comme de tous ceux que j’ai signés jusqu’à ce jour. New Yo
12 amais. Elle est le vrai sujet de ce livre — comme de tous ceux que j’ai signés jusqu’à ce jour. New York, 1944.
2 1944, Les Personnes du drame. Introduction
13 mme ou par l’auteur ? Il est déçu par la relation de l’un à l’autre. Par l’homme insuffisant qui se révèle dans l’auteur,
14 eur, donc par l’auteur aussi, qui révèle trop peu d’ homme. On cite ordinairement la phrase des Pensées pour établir entre
15 mme en général ; qu’il est, dans l’homme, la part de l’artifice et des apparences trompeuses. Mais au fait, rien n’est moi
16 l’homme authentique, c’est-à-dire la combinaison de ce qu’il est et de ce qu’il se veut. L’homme sans son œuvre n’est pas
17 e, c’est-à-dire la combinaison de ce qu’il est et de ce qu’il se veut. L’homme sans son œuvre n’est pas vrai, de même que
18 c’est créer le type même du sophisme, un problème de la forme et du fond, un problème de la poule et de l’œuf : lequel des
19 , un problème de la forme et du fond, un problème de la poule et de l’œuf : lequel des deux a commencé ? Tenons-nous-en à
20 e la forme et du fond, un problème de la poule et de l’œuf : lequel des deux a commencé ? Tenons-nous-en à la réponse, tou
21 -en à la réponse, toute goethéenne en son humour, de l’essayiste Rudolf Kassner1 : « Je laisse le problème au stade du dra
22 ais pas chercher sous la forme — car il n’y a pas de drame sans forme et réciproquement. » Comment pourrait-on voir l’être
23 réciproquement. » Comment pourrait-on voir l’être d’ un homme hors de ses manifestations ? Si donc je m’intéresse à ce qui
24 ut le chercher. Car toute œuvre est le témoignage d’ un drame entre l’homme et lui-même, elle est ce drame, rendu visible,
25 et c’est dans le drame qu’existe la vérité totale d’ un être. Dans ce témoignage des formes, chercher l’homme, c’est tenter
26 ignage des formes, chercher l’homme, c’est tenter de surprendre la personne. Voir des formes, épouser des rythmes — qu’ils
27 r des formes, épouser des rythmes — qu’ils soient de verbe ou de pensée — c’est percevoir les résultats momentanés et mesu
28 , épouser des rythmes — qu’ils soient de verbe ou de pensée — c’est percevoir les résultats momentanés et mesurer le degré
29 voir les résultats momentanés et mesurer le degré de tension du combat spirituel où l’homme devient personne, et « s’autor
30 el où l’homme devient personne, et « s’autorise » d’ une vocation unique. Pourtant, ces témoignages visibles et tangibles r
31 ar là même, équivoques. Et cela tient à la nature de la personne qui s’y révèle. ⁂ S’il est vrai que la personne pure cons
32 a personne pure consiste dans la pure coïncidence d’ une vocation et d’un individu ; et si notre personne toujours impure c
33 nsiste dans la pure coïncidence d’une vocation et d’ un individu ; et si notre personne toujours impure consiste dans l’app
34 personne toujours impure consiste dans l’approche d’ une vocation qui s’empare d’un individu pour orienter ses données natu
35 siste dans l’approche d’une vocation qui s’empare d’ un individu pour orienter ses données naturelles vers des fins révélée
36 sera jamais visible en soi. Car des protagonistes de ce drame, l’un seulement tombe sous notre sens : c’est l’individu nat
37 ’individu naturel. Encore n’est-il guère isolable de cette œuvre où l’« autre » l’engage. Finalement nous ne voyons que l’
38 ne voyons que l’œuvre, c’est-à-dire le champ clos de la lutte. Nous ne serions assurés de voir la personne intégrale dans
39 e champ clos de la lutte. Nous ne serions assurés de voir la personne intégrale dans ses actes, que si nous étions assurés
40 égrale dans ses actes, que si nous étions assurés d’ une parfaite identité entre les gestes de l’individu et les appels de
41 assurés d’une parfaite identité entre les gestes de l’individu et les appels de sa vocation (encore faudrait-il croire ce
42 tité entre les gestes de l’individu et les appels de sa vocation (encore faudrait-il croire cette vocation…). Nous voyons
43 use, ou simplement une traduction en bon français de ce que Freud appelle le « surmoi » ? A-t-elle jamais existé dans l’hi
44 ire ? Un homme a-t-il jamais reçu le don terrible d’ incarner sans le moindre défaut la Parole qui était sa vraie vie, sa v
45 nt et touchaient l’individu Jésus, le charpentier de Nazareth. Ils connaissaient aussi sa vocation, annoncée par les Écrit
46 on, annoncée par les Écritures et désignée du nom de Christ. Mais ce que « la chair ni le sang », ni la raison qui entend
47 croire et contempler, c’était l’identité parfaite de Jésus-Christ, en une Personne. À tout jamais, pour l’homme de chair e
48 ist, en une Personne. À tout jamais, pour l’homme de chair et de raison, ce trait d’union reste impensable, cette identité
49 Personne. À tout jamais, pour l’homme de chair et de raison, ce trait d’union reste impensable, cette identité scandaleuse
50 ais, pour l’homme de chair et de raison, ce trait d’ union reste impensable, cette identité scandaleuse. Folie pour les Gre
51 la parole lui dit : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair ni le sang qui t’ont révélé cela,
52  — et ce n’est qu’aux yeux de la foi que certains de nos actes apparaissent comme attestant notre obéissance à l’Éternel.
53 mystère et une promesse, qu’en sera-t-il aux yeux d’ autrui ? Et de quel droit prétendrons-nous discerner dans une œuvre éc
54 promesse, qu’en sera-t-il aux yeux d’autrui ? Et de quel droit prétendrons-nous discerner dans une œuvre écrite les témoi
55 s discerner dans une œuvre écrite les témoignages d’ une vocation qui reste, par essence, incomparable ? ⁂ Supposons le pro
56 le problème résolu. Connaître la grandeur unique d’ une personne, c’est d’abord mesurer les tensions singulières au sein d
57 lles elle apparut ; c’est approfondir les données de l’individu qui la subit ou qui l’accepte, mimer en soi certains de se
58 la subit ou qui l’accepte, mimer en soi certains de ses efforts, entrer en sympathie, de préférence peut-être, avec ce qu
59 soi certains de ses efforts, entrer en sympathie, de préférence peut-être, avec ce qui nous déconcerte en ses démarches. E
60 inventer son jeu. Tâche impossible, si les œuvres de cet homme, et en particulier son œuvre écrite, ne venaient soutenir l
61 l’entreprise. Et c’est pourquoi, dans ces études de la personne, je m’attache à des écrivains. Il est clair qu’ils ne dét
62 s un privilège particulier, mais ils ont témoigné de leur identité par certains documents précis, dont le charme et l’auda
63 l’audace me guident : je connais bien les règles de ce jeu, ses difficultés sont les miennes. Je puis donc essayer quelqu
64 nt les miennes. Je puis donc essayer quelques-uns de leurs coups, les plus faciles parmi ceux qu’ils m’indiquent. Serait-c
65 é dans mon incertitude… Et cependant cet exercice de sympathie m’a rendu plus conscient de moi-même. J’ai reconnu, ici ou
66 et exercice de sympathie m’a rendu plus conscient de moi-même. J’ai reconnu, ici ou là, sous les espèces d’un tour de phra
67 i-même. J’ai reconnu, ici ou là, sous les espèces d’ un tour de phrase ou de pensée, quelques moments d’un drame secrètemen
68 ai reconnu, ici ou là, sous les espèces d’un tour de phrase ou de pensée, quelques moments d’un drame secrètement familier
69 ci ou là, sous les espèces d’un tour de phrase ou de pensée, quelques moments d’un drame secrètement familier. Ces formes,
70 ’un tour de phrase ou de pensée, quelques moments d’ un drame secrètement familier. Ces formes, ces formules, elles me parl
71 t, m’expriment. Elles ont dû naître, sous la main de leur auteur, d’un mouvement de foi ou de doute analogue à ceux que je
72 Elles ont dû naître, sous la main de leur auteur, d’ un mouvement de foi ou de doute analogue à ceux que je vis. L’Esprit s
73 ître, sous la main de leur auteur, d’un mouvement de foi ou de doute analogue à ceux que je vis. L’Esprit seul reconnaît l
74 la main de leur auteur, d’un mouvement de foi ou de doute analogue à ceux que je vis. L’Esprit seul reconnaît l’Esprit, m
75 té dans les contradictions qui trahit l’existence de la personne. ⁂ Il me semble que toute incarnation d’une pensée dans u
76 la personne. ⁂ Il me semble que toute incarnation d’ une pensée dans une vie ou d’une vocation dans un individu « figure »
77 ue toute incarnation d’une pensée dans une vie ou d’ une vocation dans un individu « figure » la synthèse en un seul être,
78 n seul être, en un seul acte, en une seule œuvre, de deux natures distinctes ou même contradictoires, d’une forme et d’un
79 deux natures distinctes ou même contradictoires, d’ une forme et d’un agent transformateur, d’une résistance et d’une acti
80 istinctes ou même contradictoires, d’une forme et d’ un agent transformateur, d’une résistance et d’une activité dont le co
81 toires, d’une forme et d’un agent transformateur, d’ une résistance et d’une activité dont le conflit ne peut se résoudre q
82 et d’un agent transformateur, d’une résistance et d’ une activité dont le conflit ne peut se résoudre que par le fait d’une
83 nt le conflit ne peut se résoudre que par le fait d’ une création. La personne se connaît elle-même dans les actes par lesq
84 accompli, des incompatibles donnés. Cette manière de saisir et de créer des relations par nul autre prévues, voilà précisé
85 incompatibles donnés. Cette manière de saisir et de créer des relations par nul autre prévues, voilà précisément ce qu’on
86 ment ce qu’on peut appeler le style « personnel » d’ un auteur, ou d’ailleurs de n’importe quel homme responsable de son ex
87 le style « personnel » d’un auteur, ou d’ailleurs de n’importe quel homme responsable de son existence. Il s’agit là d’un
88 ou d’ailleurs de n’importe quel homme responsable de son existence. Il s’agit là d’un phénomène qui déborde dès l’origine
89 homme responsable de son existence. Il s’agit là d’ un phénomène qui déborde dès l’origine le fait d’écrire, le style au s
90 d’un phénomène qui déborde dès l’origine le fait d’ écrire, le style au sens étroit. Il s’agit là d’une équation fondament
91 t d’écrire, le style au sens étroit. Il s’agit là d’ une équation fondamentale de l’exister, dont la critique personnaliste
92 étroit. Il s’agit là d’une équation fondamentale de l’exister, dont la critique personnaliste a pour objet de rechercher
93 ster, dont la critique personnaliste a pour objet de rechercher les éléments dans toutes les formes élaborées, — éthiques,
94 ues… C’est ainsi que j’ai cherché dans les œuvres d’ un Goethe, d’un Kierkegaard, ou d’un Luther, les données « personnelle
95 nsi que j’ai cherché dans les œuvres d’un Goethe, d’ un Kierkegaard, ou d’un Luther, les données « personnelles » dont la m
96 dans les œuvres d’un Goethe, d’un Kierkegaard, ou d’ un Luther, les données « personnelles » dont la mise en tension a pu p
97 ’institue chez un homme l’information progressive d’ une idée, c’est-à-dire son actualisation. Je crois que l’homme ne vaut
98 t manifeste ainsi son être véritable, l’intention de son existence. La magie et le germanisme surmontés, ordonnés et mis e
99 s, ordonnés et mis en valeur (au sens nietzschéen de ce terme) par une volonté d’agir dont la victoire est attestée dans F
100 (au sens nietzschéen de ce terme) par une volonté d’ agir dont la victoire est attestée dans Faust, — c’est cela que j’appe
101 , — c’est cela que j’appelle Goethe. L’opposition de la forme du monde et de l’esprit qui la transforme ; l’opposition du
102 elle Goethe. L’opposition de la forme du monde et de l’esprit qui la transforme ; l’opposition du solitaire et de la foule
103 qui la transforme ; l’opposition du solitaire et de la foule, à l’intérieur même de l’individu ; l’attestation des exigen
104 n du solitaire et de la foule, à l’intérieur même de l’individu ; l’attestation des exigences d’une foi qui paraît incomme
105 même de l’individu ; l’attestation des exigences d’ une foi qui paraît incommensurable avec la vie organisée par la sagess
106 sée par la sagesse goethéenne, — c’est le contenu d’ un message qui ne pouvait trouver sa forme achevée que dans le fait ir
107 ver sa forme achevée que dans le fait irrécusable d’ un martyre. Telle fut la vocation de Kierkegaard. L’angoisse devant un
108 t irrécusable d’un martyre. Telle fut la vocation de Kierkegaard. L’angoisse devant une culpabilité qui lui demeure indéch
109 frable, l’insupportable et trop lucide hésitation de l’homme placé devant « l’absurdité » du transcendant, c’est la person
110 nt, c’est la personne essentiellement énigmatique de Franz Kafka ; le négatif, en quelque sorte, d’une vocation. Le triomp
111 ue de Franz Kafka ; le négatif, en quelque sorte, d’ une vocation. Le triomphe d’une parole mortelle et salutaire sur un in
112 if, en quelque sorte, d’une vocation. Le triomphe d’ une parole mortelle et salutaire sur un individu puissamment naturel,
113 ment naturel, c’est l’acte autorisant la doctrine de Luther. La lutte d’un créateur contre l’automatisme, de l’authenticit
114 l’acte autorisant la doctrine de Luther. La lutte d’ un créateur contre l’automatisme, de l’authenticité contre les convent
115 her. La lutte d’un créateur contre l’automatisme, de l’authenticité contre les conventions, et de l’élémentaire contre l’a
116 sme, de l’authenticité contre les conventions, et de l’élémentaire contre l’artificiel, c’est le langage et le visage de R
117 ontre l’artificiel, c’est le langage et le visage de Ramuz. C’est proprement, sa « raison d’être ». Ces cinq figures sont
118 le visage de Ramuz. C’est proprement, sa « raison d’ être ». Ces cinq figures sont disparates, non seulement dans leurs app
119 raient être justifiées qu’à titre, si j’ose dire, de métaphores critiques, par là même significatives du vrai sujet de cet
120 itiques, par là même significatives du vrai sujet de cet ouvrage : « L’homme étant donné, dit Claudel, pour inventer une r
121 infiniment distants et multiples. » ⁂ « Un homme d’ esprit — lit-on dans Kierkegaard — disait qu’on pouvait répartir l’hum
122 ous points préférable, parce qu’elle a l’avantage de mettre l’imagination en mouvement. » Voilà bien le seul avantage que
123 eul avantage que je sois raisonnablement en droit d’ attendre de la publication d’un tel recueil. Et cependant, il me sembl
124 e que je sois raisonnablement en droit d’attendre de la publication d’un tel recueil. Et cependant, il me semble, après co
125 onnablement en droit d’attendre de la publication d’ un tel recueil. Et cependant, il me semble, après coup, que tout n’est
126 écrivains dont la pensée a transformé les données de nos vies, je distingue deux grandes familles. Les uns n’agissent que
127 s. Les uns n’agissent que par le contenu objectif de leurs théories, non par leur style, indifférent. Tels sont Hegel, Mar
128 aard, un Rimbaud agissent bien moins par la vertu de leurs conclusions que par celle de leur drame personnel, rendu sensib
129 s par la vertu de leurs conclusions que par celle de leur drame personnel, rendu sensible par les tours et par l’allure de
130 nel, rendu sensible par les tours et par l’allure de leur pensée. Seuls, les auteurs de cette seconde famille m’ont arrêté
131 t par l’allure de leur pensée. Seuls, les auteurs de cette seconde famille m’ont arrêté, pour me faire repartir dans mon s
132 epartir dans mon sens. Et c’est l’une des raisons de mon choix. L’autre est, que tel un chevalier du Temple, je ne me suis
133 evalier du Temple, je ne me suis accordé le droit de chasser qu’un gibier léonin. Sans oublier d’ailleurs que, selon le mo
134 léonin. Sans oublier d’ailleurs que, selon le mot de Luther, nous croyons jouer à la chasse quand, bien souvent, c’est nou
135 ommes chassés ! ⁂ Et ceci sera plutôt une manière de postface : je n’ai pas fait de la critique dans cet ouvrage, mais des
136 plutôt une manière de postface : je n’ai pas fait de la critique dans cet ouvrage, mais des exercices spirituels. Qu’ils s
137 age, mais des exercices spirituels. Qu’ils soient d’ un accès difficile appartient à la loi du genre. Que leur ton soit par
138 e n’offre au lecteur qu’un effort. Je lui demande d’ éprouver certains rythmes dont l’ampleur ou l’élan propagent un pouvoi
139 Initiation au drame dont, maintenant c’est à nous d’ être les personnes. Incipit tragœdia ! Août 1939 1. Rudolf Kassner :
140 ia ! Août 1939 1. Rudolf Kassner : Les Éléments de la grandeur humaine (trad. française, Gallimard 1932).
3 1944, Les Personnes du drame. I. Sagesse et folie de la personne — 1. Le silence de Goethe
141 1.Le silence de Goethe « L’homme, dit Goethe, ne reconnaît et n’apprécie que ce qu’
142 t et n’apprécie que ce qu’il est lui-même en état de faire. » Telle est la cause du malentendu que soulèvera toujours l’ex
143 se du malentendu que soulèvera toujours l’exemple de cette vie. Ceux qui traitent Goethe de bourgeois ne prouvent rien de
144 l’exemple de cette vie. Ceux qui traitent Goethe de bourgeois ne prouvent rien de plus que leur propre rationalisme, sans
145 a domination des mystères. Ainsi se réclament-ils de Rimbaud. Peut-être la confrontation du Sage et du Fou permettra-t-ell
146 ud ne fut jamais un écrivain, ne se soucia jamais de l’être. Et Goethe ne fut qu’entre autres choses un écrivain. Ce n’est
147 n écrivain. Ce n’est donc pas l’aspect littéraire de ces expériences qui doit conditionner notre vision. Non point qu’il s
148 u’il soit un seul instant négligeable, s’agissant de deux êtres que l’on connaît par leurs écrits d’abord. Mais pour en te
149 rd. Mais pour en tenir un juste compte, il s’agit de le subordonner au problème personnel de ces vies, à leur équation d’e
150 il s’agit de le subordonner au problème personnel de ces vies, à leur équation d’existence. Or c’est, chez l’un comme chez
151 u problème personnel de ces vies, à leur équation d’ existence. Or c’est, chez l’un comme chez l’autre, une révolution de l
152 est, chez l’un comme chez l’autre, une révolution de l’esprit dont procèdent à la fois le refus de la magie et le goût pas
153 ion de l’esprit dont procèdent à la fois le refus de la magie et le goût passionné de l’effort immédiat. Ce qui ne cesse d
154 la fois le refus de la magie et le goût passionné de l’effort immédiat. Ce qui ne cesse de provoquer dans mon esprit l’éto
155 t passionné de l’effort immédiat. Ce qui ne cesse de provoquer dans mon esprit l’étonnement du premier regard, c’est la si
156 étonnement du premier regard, c’est la similitude de forme, c’est-à-dire la similitude essentielle, hors du temps, qui par
157 ces deux expériences, à mesure qu’on les abstrait de toute la littérature dont elles enveloppèrent leurs manifestations, —
158 anifestations, — à quoi l’on ne s’est point privé d’ ajouter quelques tomes depuis. Il convient de marquer toutefois qu’un
159 rivé d’ajouter quelques tomes depuis. Il convient de marquer toutefois qu’un pareil rapprochement eût exaspéré Goethe auta
160 une analogie universelle des réactions profondes de l’âme devant son destin m’autorise à cette confrontation, et me persu
161 m’autorise à cette confrontation, et me persuade de son intérêt humain. Et si tout cela reste absurde aux yeux de ceux po
162 te certaine originalité dans l’ordre — au mieux — de l’esthétique, je ne m’en étonnerai point. Il s’agit simplement, ici,
163 m’en étonnerai point. Il s’agit simplement, ici, de rendre plus concrète, grâce au recoupement de deux vies qui la réalis
164 ci, de rendre plus concrète, grâce au recoupement de deux vies qui la réalisèrent dans des styles opposés, une attitude hu
165 dan), l’on en trouve dans toutes ses œuvres assez de signes irrévocables pour n’avoir plus besoin de solliciter les biogra
166 z de signes irrévocables pour n’avoir plus besoin de solliciter les biographes. On a souvent rappelé l’amitié du jeune bou
167 On a souvent rappelé l’amitié du jeune bourgeois de Francfort et de la sage et très fervente Mlle de Klettenberg. Mais bi
168 ppelé l’amitié du jeune bourgeois de Francfort et de la sage et très fervente Mlle de Klettenberg. Mais bien plus que dans
169 une spiritualité facilement épurée, le mysticisme de celui qui, tout enfant, édifiait un autel à la Nature, trouvait son a
170 ose-croix, et qui le porta même à quelques essais d’ alchimie. Coquetteries, a-t-on dit, — mais il n’est point de sentiment
171 . Coquetteries, a-t-on dit, — mais il n’est point de sentiments intermédiaires qui ne conduisent réellement vers une pléni
172 nt vers une plénitude, pour un esprit comme celui de Goethe. « On a peur que son feu ne le consume », écrit un de ses amis
173 « On a peur que son feu ne le consume », écrit un de ses amis, vers ce temps. « Goethe vit sur un perpétuel pied de guerre
174 vers ce temps. « Goethe vit sur un perpétuel pied de guerre et de révolte psychique ». Et lui-même gémit, avec une sombre
175 . « Goethe vit sur un perpétuel pied de guerre et de révolte psychique ». Et lui-même gémit, avec une sombre joie : « Sort
176 oie : « Sort misérable, qui ne me permet rien que d’ extrême. » Jacob Boehme, Paracelse, Swedenborg, lectures de son adoles
177 . » Jacob Boehme, Paracelse, Swedenborg, lectures de son adolescence, figurent bel et bien dans son évolution une de ces c
178 ence, figurent bel et bien dans son évolution une de ces crises où l’être spirituel découvre sa forme véritable. Si, comme
179 malement se traduire que par une qualité nouvelle de silence. Encore faut-il que le destin favorise concrètement cette ass
180 ent cette assomption intérieure. Par l’instrument de quel « hasard » l’a-t-il donc provoquée chez Goethe ? Il est un fait
181 -t-il donc provoquée chez Goethe ? Il est un fait de sa jeunesse dont on ne saurait exagérer l’importance à la fois histor
182 historique et symbolique : les premiers contacts de Goethe avec le mysticisme précédèrent de très peu une grave maladie,
183 contacts de Goethe avec le mysticisme précédèrent de très peu une grave maladie, dont il ne fut sauvé que par l’interventi
184 adie, dont il ne fut sauvé que par l’intervention d’ un médecin qui se donnait pour alchimiste. Retenons ceci : au seuil de
185 donnait pour alchimiste. Retenons ceci : au seuil de l’initiation, chez Goethe, il n’y a pas une révolte, il y a un péril
186 rop puissamment son âme », qu’il appelle les arts d’ une magie maîtrisée. La question se pose pour lui, dès l’abord, en ter
187 rmes urgents et contraignants : il faut survivre. De là le sérieux avec lequel il accepte les conditions de l’initiation :
188 le sérieux avec lequel il accepte les conditions de l’initiation : d’abord la plus difficile, le silence. Ainsi, les prem
189 es premières séductions du dépaysement spirituel, de la connaissance ésotérique dans ce qu’elle peut avoir de purement « é
190 onnaissance ésotérique dans ce qu’elle peut avoir de purement « étrange » ont à peine enfiévré le jeune Goethe, que déjà l
191 a faiblesse du corps le ramène à l’aspect concret de notre condition. Et c’est seulement en passant par une application ma
192 qui figure en raccourci tout le drame dialectique de sa vie. Mais cette maladie, et la convalescence, ont éveillé dans son
193 les premières tentations créatrices. Conçue sous de tels auspices, c’est tout naturellement que la littérature prendra pl
194 ittérature prendra plus tard chez Goethe l’allure d’ une discipline de l’âme. Un exercice, une activité organique à objecti
195 a plus tard chez Goethe l’allure d’une discipline de l’âme. Un exercice, une activité organique à objectifs limités et con
196 oncrètement conditionnée. Dès ce moment, le choix de Goethe a trouvé sa forme. Il lui faudra maintenant le renouveler perp
197 spéculative n’est, en fait, qu’un accomplissement de la magie réelle, le plus difficile et le seul humainement fécond. Car
198 ment fécond. Car un tel silence n’est pas absence de mots. Il est encore chez Goethe une activité, et même à double effet.
199 de plus agissant, dans une œuvre marquée du signe de la maturité, que cette présence rayonnante dont on devine chaque phra
200 rien ne saurait mieux trahir que la retenue même de l’expression. C’est pourquoi nous l’éprouvons plus vivement dans cert
201 t dans certains passages des Affinités électives, d’ une apparente platitude mais translucide, que dans le conte du Serpent
202 s seule à le sauvegarder. Il y faudra le dressage de la souffrance. L’excès verbal de Werther couvre d’abord la voix intér
203 udra le dressage de la souffrance. L’excès verbal de Werther couvre d’abord la voix intérieure, la renie même bruyamment.
204 ieure, la renie même bruyamment. C’est là le fait d’ une âme qui se refuse encore à la souffrance et la crie sur le toit. U
205 la souffrance et la crie sur le toit. Un peu plus de souffrance, et plus intimement ancrée, voici l’autre danger : la déle
206 e, l’obscurité glaciale des Mystères. Un peu plus d’ humilité, c’est-à-dire le réel désir d’être « utile », et c’est le jus
207 n peu plus d’humilité, c’est-à-dire le réel désir d’ être « utile », et c’est le juste point : les Affinités. L’alternance
208 ’alternance des trois états, visible tout au long de l’œuvre, prouve d’ailleurs que la question se pose sans cesse à nouve
209 nsi que la magie, reniée extérieurement au profit d’ une expression « utile », renaît comme libérée intérieurement au « jou
210  ». L’âme pâment à cette connaissance, à cet acte de fécondation spirituelle par où l’homme pénètre dans la réalité mystiq
211 peut se produire que dans le plus profond silence de l’esprit, dans la région où seul accède celui qui sait préserver sa p
212 ent pur, mais aussi l’être sombre dans le mystère de la fureur » ? ⁂ Cette complexe dialectique de la magie, Goethe lui-mê
213 ère de la fureur » ? ⁂ Cette complexe dialectique de la magie, Goethe lui-même l’a stylisée en symboles concrets dans le F
214 concrets dans le Faust. Œuvre longue comme sa vie de créateur exactement, œuvre à tel point autobiographique qu’il fut ten
215 uvre à tel point autobiographique qu’il fut tenté d’ incorporer le plan de certains actes à Vérité et Poésie. Le drame s’ou
216 biographique qu’il fut tenté d’incorporer le plan de certains actes à Vérité et Poésie. Le drame s’ouvre sur un réveil : l
217 cice sans frein des arts occultes laisse l’esprit de Faust béant sur le vide : « Moi qui me suis cru plus grand que le Ché
218 le Chérubin… qui pensais en créant pouvoir jouir de la vie des dieux et m’y égaler… combien je dois expier tout cela ! »
219 is expier tout cela ! » Faust se reprend au seuil de la mort. Mais la vie ne lui sera plus qu’un profond renoncement ; mêm
220 ccès réel pour Faust : la possession bienheureuse de l’instant. Et lorsque, épuisé mais pacifié, il va quitter son corps a
221 va quitter son corps aveugle pour d’autres formes d’ existence que la Nature se voit pour ainsi dire contrainte d’assigner
222 que la Nature se voit pour ainsi dire contrainte d’ assigner à l’homme actif 3, l’on découvre que c’est la magie encore qu
223 découvre que c’est la magie encore qui n’a cessé de l’entraver : Könnt ich Magie von meinem Pfad entfernen Die Zauberspr
224 ein Mensch zu sein.4 C’est tout le drame secret de l’œuvre qui s’avoue dans ce cri : chaque fois que Goethe invoque la c
225 s que Goethe invoque la catégorie pour lui sacrée de l’humain, comprenons qu’il y va de tout. Mais les anges enfin élèvent
226 our lui sacrée de l’humain, comprenons qu’il y va de tout. Mais les anges enfin élèvent Faust au-dessus de cette agonie sy
227 out. Mais les anges enfin élèvent Faust au-dessus de cette agonie symbolique de toute son existence, et c’est leur chœur q
228 lèvent Faust au-dessus de cette agonie symbolique de toute son existence, et c’est leur chœur qui chante une dernière fois
229 ière fois la loi, au moment qu’il reçoit la grâce de lui échapper : Wer immer strebend sich bemüht Den können wir erlösen
230 que Faust enfin rejoint dans la pleine possession de ses forces et l’assurance du regard. L’âme, purifiée de sa « vieille
231 forces et l’assurance du regard. L’âme, purifiée de sa « vieille dépouille » par l’effort aveuglant de la vie, pénètre da
232 e sa « vieille dépouille » par l’effort aveuglant de la vie, pénètre dans le Nouveau Jour et contemple l’indescriptible. S
233 contemple l’indescriptible. Si Faust est le drame d’ une formidable patience sans cesse remise en question, la Saison en En
234 mise en question, la Saison en Enfer est le drame d’ une pureté avide, et son destin se joue d’un coup. La grandeur de Goet
235 e drame d’une pureté avide, et son destin se joue d’ un coup. La grandeur de Goethe est d’avoir su vieillir, celle de Rimba
236 ide, et son destin se joue d’un coup. La grandeur de Goethe est d’avoir su vieillir, celle de Rimbaud de s’y être refusé.
237 stin se joue d’un coup. La grandeur de Goethe est d’ avoir su vieillir, celle de Rimbaud de s’y être refusé. Transportez l
238 grandeur de Goethe est d’avoir su vieillir, celle de Rimbaud de s’y être refusé. Transportez la dialectique faustienne da
239 Goethe est d’avoir su vieillir, celle de Rimbaud de s’y être refusé. Transportez la dialectique faustienne dans la vie d
240 Transportez la dialectique faustienne dans la vie d’ un être jeune, et libre encore de toute contrainte sociale et culturel
241 enne dans la vie d’un être jeune, et libre encore de toute contrainte sociale et culturelle : le dessin se simplifiera jus
242 onnée initiale est bien la même : c’est l’attrait d’ une vision qui transcende la vie médiocre. Rimbaud s’y lance avec l’em
243 ie médiocre. Rimbaud s’y lance avec l’emportement d’ une révolte qui traduit d’abord un excès féroce de vitalité plutôt qu’
244 d’une révolte qui traduit d’abord un excès féroce de vitalité plutôt qu’une souffrance physique, et va d’un mouvement rigo
245 vitalité plutôt qu’une souffrance physique, et va d’ un mouvement rigoureusement logique jusqu’au système de sa folie. Mais
246 mouvement rigoureusement logique jusqu’au système de sa folie. Mais l’irruption de cette « magie » est si violente qu’elle
247 ue jusqu’au système de sa folie. Mais l’irruption de cette « magie » est si violente qu’elle a certainement angoissé l’enf
248 devins un opéra fabuleux ». Il a brûlé les étapes de l’initiation. Mais on ne déchaîne pas de telles puissances impunément
249 s étapes de l’initiation. Mais on ne déchaîne pas de telles puissances impunément. « Ma santé fut menacée. La terreur vena
250  Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu pu sol, avec un devoir à chercher et la r
251 réalité rugueuse à étreindre. » C’est le cri même de Faust ! « Il faut être absolument moderne. » Travailler. Se donner à
252 r obsédé par ce travail. Ainsi cette vie est bien d’ un seul tenant ; une seule et unique expérience la remplit : l’envahis
253 et unique expérience la remplit : l’envahissement de la magie aboutissant au renoncement et à l’action. Le second Rimbaud
254 he-le et jette-le loin de toi ». Mais Rimbaud est d’ une autre trempe : il a déjà prouvé en écrivant les Illuminations qu’i
255 combiné tout cela avec un compte-rendu littéraire de l’aventure… Car il n’est pas donné à beaucoup d’hommes de devenir un
256 de l’aventure… Car il n’est pas donné à beaucoup d’ hommes de devenir un mythe à force de pureté dans la réalisation de le
257 nture… Car il n’est pas donné à beaucoup d’hommes de devenir un mythe à force de pureté dans la réalisation de leur destin
258 ir un mythe à force de pureté dans la réalisation de leur destin. Rimbaud est notre mythe occidental : mythe faustien. Il
259 nt comme Goethe les conditions réelles et données de son effort particulier. Ce renoncement à l’Orient évasif, c’est cela
260 onstitue notre Occident spirituel. C’est le refus de la « magie »6 qui fonde notre éthique, et ce dilemme est peut-être le
261 ’esprit occidental, dès qu’il atteint les régions de haute tension où la seule « orientation » qu’il adopte suffit à déter
262 tion » qu’il adopte suffit à déterminer une suite d’ actes. Dilemme, en son fond, religieux. C’est une forme dialectique, «
263 gieux. C’est une forme dialectique, « agonique », de la vie de l’âme, une forme cruciale, c’est-à-dire une de ces contradi
264 st une forme dialectique, « agonique », de la vie de l’âme, une forme cruciale, c’est-à-dire une de ces contradictions ess
265 ie de l’âme, une forme cruciale, c’est-à-dire une de ces contradictions essentielles, en signe de croix, qui sont la marqu
266 elles, en signe de croix, qui sont la marque même de la réalité dans une conscience occidentale. Supprimez l’un des termes
267 e mythe dialectique soit profondément constitutif de notre être, l’extension et la diversité de ses aspects le suggèrent.
268 itutif de notre être, l’extension et la diversité de ses aspects le suggèrent. C’est l’opposition du savoir et du pouvoir,
269 rent. C’est l’opposition du savoir et du pouvoir, de la connaissance et de la souffrance, de la spéculation et de l’existe
270 on du savoir et du pouvoir, de la connaissance et de la souffrance, de la spéculation et de l’existence, de l’au-delà myst
271 pouvoir, de la connaissance et de la souffrance, de la spéculation et de l’existence, de l’au-delà mystique et de l’imméd
272 issance et de la souffrance, de la spéculation et de l’existence, de l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et quels
273 souffrance, de la spéculation et de l’existence, de l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et quels sont les plus g
274 ation et de l’existence, de l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et quels sont les plus grands Occidentaux ? Ceux
275 ise instinctive qui ressemble à la chute soudaine de l’ivresse devant le mortel danger qui se lève à un pas. Tous deux réa
276 deux réalisent le renoncement, le deuxième temps de cette dialectique, dans un mouvement que sa violence rend unique : c’
277 e rend unique : c’est qu’ils reviennent tous deux de loin, d’un long abandon à l’erreur. Goethe n’a pas connu de tels déch
278 ique : c’est qu’ils reviennent tous deux de loin, d’ un long abandon à l’erreur. Goethe n’a pas connu de tels déchirements.
279 ’un long abandon à l’erreur. Goethe n’a pas connu de tels déchirements. C’est lui qui a su vivre cette maxime de la Saison
280 chirements. C’est lui qui a su vivre cette maxime de la Saison : « Pas de partis de salut violents ». Dès les premiers ins
281 qui a su vivre cette maxime de la Saison : « Pas de partis de salut violents ». Dès les premiers instants de son accessio
282 vivre cette maxime de la Saison : « Pas de partis de salut violents ». Dès les premiers instants de son accession au monde
283 is de salut violents ». Dès les premiers instants de son accession au monde spirituel, il s’est mis en état de défense et
284 ccession au monde spirituel, il s’est mis en état de défense et de lenteur. Il avance ainsi pas à pas, l’âme tendue dans u
285 nde spirituel, il s’est mis en état de défense et de lenteur. Il avance ainsi pas à pas, l’âme tendue dans une puissante c
286 s jamais s’abandonner aux bienheureuses violences de l’orage, au repos de la démesure. On rit de ses allures compassées, d
287 aux bienheureuses violences de l’orage, au repos de la démesure. On rit de ses allures compassées, des solennelles banali
288 ences de l’orage, au repos de la démesure. On rit de ses allures compassées, des solennelles banalités dont il gratifie le
289 oir dans ces façons que la distraction souveraine d’ une âme tout occupée à dompter ses dieux. Une haute menace, invisible
290 e à tout autre, l’accompagne sans trêve, et c’est d’ elle qu’il tire ses forces, toujours renouvelées. Mais il y faut une p
291 ment soutenue qu’elle informe peu à peu une sorte d’ instinct, libérant l’attention consciente. C’est ainsi que le voyant a
292 mystiques du Second Faust peut aussi faire figure de sage officiel parmi les philistins. Le somnambule est désormais proté
293 Le somnambule est désormais protégé par une cotte d’ invisible silence. Vous pouvez lui parler sans le troubler : les mots
294 du manteau qui rend invisible. ⁂ Cette similitude de forme dans le cours de la magie chez Goethe et chez Rimbaud, et d’aut
295 isible. ⁂ Cette similitude de forme dans le cours de la magie chez Goethe et chez Rimbaud, et d’autre part le contraste de
296 ons littéraires. « Mon esprit, prends garde ! Pas de partis de salut violents. Exerce-toi. » Objurgation que l’on croirait
297 aires. « Mon esprit, prends garde ! Pas de partis de salut violents. Exerce-toi. » Objurgation que l’on croirait tirée de
298 Exerce-toi. » Objurgation que l’on croirait tirée de quelque journal intime de Goethe des années ascétiques, à Weimar avan
299 que l’on croirait tirée de quelque journal intime de Goethe des années ascétiques, à Weimar avant l’Italie. Et le passage
300 es, à Weimar avant l’Italie. Et le passage fameux de la Saison : « Moi qui me suis dit mage ou ange… » ne rappelle-t-il p
301 me suis cru plus grand que le Chérubin… » « Point de cantiques : tenir le pas gagné… la réalité rugueuse à étreindre… » Ce
302 eindre… » Certes, les sentences du vieil Olympien de la légende ont peu de consonance avec ce pathétique. Mais quel écho n
303 n’eût-il pas éveillé dans l’âme du jeune ministre de 32 ans, adonné vers ce temps au plus dur effort d’organisation de son
304 e 32 ans, adonné vers ce temps au plus dur effort d’ organisation de son silence intérieur. Période de repliement et de ref
305 é vers ce temps au plus dur effort d’organisation de son silence intérieur. Période de repliement et de refus, si douloure
306 d’organisation de son silence intérieur. Période de repliement et de refus, si douloureuse que le signe en devient visibl
307 e son silence intérieur. Période de repliement et de refus, si douloureuse que le signe en devient visible sur ses traits.
308 evient visible sur ses traits. Je ne me lasse pas de méditer sur ce visage dont Klauer modela l’effigie passionnément tris
309 he aux lèvres serrées, l’inférieure creusée comme d’ un sanglot retenu, et relâchée aux commissures — tristesse et volupté.
310 commissures — tristesse et volupté. Mais le front d’ une plénitude royale s’avance fortement contre la lumière, et les yeux
311 les yeux, entre cette bouche et ce front, disent d’ un sombre et méditant regard le mot suprême de la Saison, ce cri sourd
312 ent d’un sombre et méditant regard le mot suprême de la Saison, ce cri sourd du plus lucide héroïsme : « Et allons ! » Goe
313 . Il y a dans tout désespoir à la fois l’angoisse de la catastrophe et la secrète, l’inavouable joie de la libération. Imp
314 e la catastrophe et la secrète, l’inavouable joie de la libération. Impossible d’isoler ces deux composantes dans l’aventu
315 e, l’inavouable joie de la libération. Impossible d’ isoler ces deux composantes dans l’aventure de Rimbaud. Mais chez Goet
316 ble d’isoler ces deux composantes dans l’aventure de Rimbaud. Mais chez Goethe, c’est la longueur du temps qui les dénonce
317 emps qui les dénoncera. Et cette fameuse sérénité de sa vieillesse, ce n’est rien d’autre, peut-être, que le triomphe de l
318 fameuse sérénité de sa vieillesse, ce n’est rien d’ autre, peut-être, que le triomphe de l’élément libérateur du désespoir
319 ce n’est rien d’autre, peut-être, que le triomphe de l’élément libérateur du désespoir. La longue peine de celui « qui tou
320 ’élément libérateur du désespoir. La longue peine de celui « qui toujours s’est efforcé » a purifié le corps, et l’âme est
321 le corps, et l’âme est prête à recevoir « l’amour d’ en haut ». Car telle est le yoga occidentale, dont le Second Faust res
322 pline libératrice comporte pour Rimbaud l’abandon de la poésie, alors qu’elle propose à Goethe, comme un exercice de choix
323 alors qu’elle propose à Goethe, comme un exercice de choix, l’écriture, — cela n’a rien que de logique, et résulte de la d
324 xercice de choix, l’écriture, — cela n’a rien que de logique, et résulte de la définition même d’un tel yoga. Tout savoir
325 iture, — cela n’a rien que de logique, et résulte de la définition même d’un tel yoga. Tout savoir doit être confirmé par
326 que de logique, et résulte de la définition même d’ un tel yoga. Tout savoir doit être confirmé par un faire, qui le tait
327 ire, qui le tait et l’exprime à la fois. Le faire de Rimbaud ne peut être la littérature, puisque écrire signifiait pour l
328 réel. Au contraire, l’on peut affirmer sans trop de paradoxe que la littérature de Goethe est un des moyens de silence do
329 affirmer sans trop de paradoxe que la littérature de Goethe est un des moyens de silence dont il dispose. Ni plus ni moins
330 xe que la littérature de Goethe est un des moyens de silence dont il dispose. Ni plus ni moins que l’étude des sciences na
331 ins que l’étude des sciences naturelles, la régie d’ un théâtre ou l’administration du Grand Duché. « J’ai toujours considé
332 mboliques, et au fond, il m’est assez indifférent d’ avoir fait des pots ou des assiettes. 7 » Si tout de même il a peiné s
333 7 » Si tout de même il a peiné sur la composition d’ Iphigénie ou des Ballades, c’est que l’art est pour lui la tentation l
334 que l’art est pour lui la tentation la plus aiguë de jouer avec les mystères, et par là même l’occasion de réaliser sans c
335 ouer avec les mystères, et par là même l’occasion de réaliser sans cesse à nouveau l’exigence dernière de la magie : son r
336 réaliser sans cesse à nouveau l’exigence dernière de la magie : son reniement au profit de l’action. Insistons sur ce term
337 ce dernière de la magie : son reniement au profit de l’action. Insistons sur ce terme de profit : il concerne ici, pour un
338 ent au profit de l’action. Insistons sur ce terme de profit : il concerne ici, pour une fois les fins les plus hautes de l
339 cerne ici, pour une fois les fins les plus hautes de l’existence terrestre. « Un fait de notre vie ne vaut pas en tant qu’
340 s plus hautes de l’existence terrestre. « Un fait de notre vie ne vaut pas en tant qu’il est vrai, mais en tant qu’il sign
341 t pourquoi l’on fait bien, dans la vie ordinaire, de garder ces choses-là pour soi et de n’en découvrir que juste ce qu’il
342 ie ordinaire, de garder ces choses-là pour soi et de n’en découvrir que juste ce qu’il faut pour qu’elles puissent être de
343 e juste ce qu’il faut pour qu’elles puissent être de quelque avantage aux autres 9 … L’homme n’est pas né pour résoudre le
344 … L’homme n’est pas né pour résoudre le problème de l’univers, mais bien pour rechercher où tend ce problème, et ensuite
345 oblème, et ensuite se maintenir entre les limites de l’intelligible. 10 » L’on découvre ici la source de l’étrange refus d
346 l’intelligible. 10 » L’on découvre ici la source de l’étrange refus de Goethe, dès qu’il s’agit de faire état des choses
347  » L’on découvre ici la source de l’étrange refus de Goethe, dès qu’il s’agit de faire état des choses premières, des fins
348 ce de l’étrange refus de Goethe, dès qu’il s’agit de faire état des choses premières, des fins dernières, en tant que tell
349 remières, des fins dernières, en tant que telles. De là ce rationalisme agressif qu’il oppose aux dévots : « S’occuper d’i
350 me agressif qu’il oppose aux dévots : « S’occuper d’ idées relatives à l’immortalité, poursuivit Goethe, cela convient aux
351 e. Mais un homme supérieur, qui a déjà conscience d’ être quelque chose ici-bas, et qui par conséquent doit tous les jours
352 gir, laisse en paix le monde futur et se contente d’ être actif et utile en celui-ci. 11 » À quoi nous saurons opposer cett
353 r tout ce que nous ferons, comme la douce lumière d’ un soleil caché 12 ». Écrire, tout en se taisant. Et ceux-là seuls ent
354 aust. Ce tempérament démoniaque, qu’on le libère de la maîtrise d’un caractère intéressé à la patience, et voici la confe
355 rament démoniaque, qu’on le libère de la maîtrise d’ un caractère intéressé à la patience, et voici la confession éruptive 
356 confession éruptive : les Illuminations naissent d’ une telle rupture. Elles sont le champ même13 où Rimbaud se livre à l’
357 lle il se rabat sur le travail « à mains » — rage de revanche — par son excès même est encore une évasion hors du réel. En
358 se précipitent vers un « au-delà » des conditions de vivre, vers un au-delà de ce temps. Mais notre époque veut-elle encor
359 u-delà » des conditions de vivre, vers un au-delà de ce temps. Mais notre époque veut-elle encore ces évasions ? Elle les
360  ? Elle les reproche au christianisme, avec moins de raison d’ailleurs (puisque le christianisme affirme que l’éternité es
361 ianisme. Plus goethéenne aussi. Mais gardons-nous de tirer de là je ne sais quel critère de jugement qui permettrait de pl
362 Plus goethéenne aussi. Mais gardons-nous de tirer de là je ne sais quel critère de jugement qui permettrait de placer Goet
363 rdons-nous de tirer de là je ne sais quel critère de jugement qui permettrait de placer Goethe « au-dessus » de Rimbaud. C
364 ne sais quel critère de jugement qui permettrait de placer Goethe « au-dessus » de Rimbaud. C’est la pureté démesurée de
365 nt qui permettrait de placer Goethe « au-dessus » de Rimbaud. C’est la pureté démesurée de Rimbaud qui nous juge, et la gr
366 au-dessus » de Rimbaud. C’est la pureté démesurée de Rimbaud qui nous juge, et la grandeur humaine de Goethe. Et qui voudr
367 de Rimbaud qui nous juge, et la grandeur humaine de Goethe. Et qui voudrait les opposer ? Que signifierait un choix dont
368 Celtes, il est d’autres recours, d’autres points de vision qu’humains. La révélation chrétienne déborde notre condition,
369 en bonne dialectique autoriserait à des jugements de valeur humains. Mais il faudrait alors mettre en balance une longue f
370 choix, jusque dans nos admirations, nous pressent d’ affecter toute chose, même spirituelle, d’une sorte de coefficient d’u
371 ressent d’affecter toute chose, même spirituelle, d’ une sorte de coefficient d’utilité. En ce jour de février 1932, dans c
372 fecter toute chose, même spirituelle, d’une sorte de coefficient d’utilité. En ce jour de février 1932, dans ce Francfort
373 ose, même spirituelle, d’une sorte de coefficient d’ utilité. En ce jour de février 1932, dans ce Francfort en proie au Car
374 d’une sorte de coefficient d’utilité. En ce jour de février 1932, dans ce Francfort en proie au Carnaval et à l’angoisse,
375 peut-être, pour cette bourgeoisie15 dont je viens d’ admirer les trésors patinés dans la haute demeure familiale des Goethe
376 e des Goethe. Aujourd’hui… Un immense glissement de la réalité hors des cadres d’une logique statique et cartésienne nous
377 immense glissement de la réalité hors des cadres d’ une logique statique et cartésienne nous porte en des régions nouvelle
378 t cartésienne nous porte en des régions nouvelles de l’esprit où l’action redevient notre seul critère de cohérence. C’est
379 l’esprit où l’action redevient notre seul critère de cohérence. C’est dire que nous demandons aux œuvres que nous aimons d
380 ire que nous demandons aux œuvres que nous aimons de témoigner d’une certaine force de révolte. Notre premier mouvement no
381 demandons aux œuvres que nous aimons de témoigner d’ une certaine force de révolte. Notre premier mouvement nous porte vers
382 que nous aimons de témoigner d’une certaine force de révolte. Notre premier mouvement nous porte vers Rimbaud, nous détour
383 mouvement nous porte vers Rimbaud, nous détourne de Goethe. Mais prenons garde de tomber dans un conformisme à rebours, v
384 baud, nous détourne de Goethe. Mais prenons garde de tomber dans un conformisme à rebours, victimes de valeurs sentimental
385 de tomber dans un conformisme à rebours, victimes de valeurs sentimentales héritées des temps révolus. Prenons garde de no
386 entales héritées des temps révolus. Prenons garde de nous laisser convaincre par les seuls éclats d’un fanatisme à vrai di
387 e de nous laisser convaincre par les seuls éclats d’ un fanatisme à vrai dire splendide. Plus que jamais, il faudra s’appli
388 à distinguer dans ce vertige la réelle puissance d’ une voix volontairement assourdie. Le silence de Goethe n’est pas moin
389 e d’une voix volontairement assourdie. Le silence de Goethe n’est pas moins dangereux, pour qui sait l’entendre, que l’imp
390 reux, pour qui sait l’entendre, que l’imprécation de Rimbaud ; et tous deux nous contraignent aux tâches immédiates, c’est
391 ches immédiates, c’est-à-dire : à l’actualisation de notre réalité. « Il faut être absolument moderne. » 2. Rimbaud a-t-
392 imbaud a-t-il lu Goethe ? En mai 1873, il écrivit de Roche à son ami E. Delahaye : « Prochainement, je t’enverrai des timb
393 oethe, biblioth. populaire. Ça doit coûter un sou de transport. » 3. Conversation avec Eckermann, 4 février, 1829. 4.
394 évrier, 1829. 4. Si je pouvais écarter la Magie de mon chemin, Oublier tout de ses enchantements. Je ne serais. Nature !
395 vais écarter la Magie de mon chemin, Oublier tout de ses enchantements. Je ne serais. Nature ! devant toi rien qu’un homme
396 rien qu’un homme. Alors il vaudrait bien la peine d’ être humain. 5. Celui qui toujours fait effort. Celui-là nous pouvo
397 itlérienne s’est accomplie en février 1933. (Note de 1944.)
4 1944, Les Personnes du drame. I. Sagesse et folie de la personne — 2. Goethe médiateur
398 2.Goethe médiateur Toute grandeur naît d’ un rapport, d’une tension entre plusieurs éléments mesurables. Il n’es
399 the médiateur Toute grandeur naît d’un rapport, d’ une tension entre plusieurs éléments mesurables. Il n’est pas de grand
400 entre plusieurs éléments mesurables. Il n’est pas de grandeur perceptible, là où n’existent pas de mesures. Mais où cherch
401 pas de grandeur perceptible, là où n’existent pas de mesures. Mais où chercher, chez Goethe, les éléments de tension et le
402 ures. Mais où chercher, chez Goethe, les éléments de tension et les mesures ? Où, sinon en lui-même, je veux dire entre ce
403 entre ce qui lui fut donné et ce qu’il sut tirer de ces données ? Car Goethe est en ceci un homme moderne, que ses mesure
404 ethe est grand par le rapport, pour nous visible, de sa vie et de son œuvre se donnant l’une à l’autre un sens et une mesu
405 d par le rapport, pour nous visible, de sa vie et de son œuvre se donnant l’une à l’autre un sens et une mesure. De nul ho
406 se donnant l’une à l’autre un sens et une mesure. De nul homme, peut-être, nous ne connaissons aussi bien la vie dans son
407 orescent. Sa vie plus que toute autre inséparable de ses œuvres ; ses œuvres qui, à tel moment nécessaire et imprévisible,
408 isible, viennent rétablir un équilibre compromis. De nulle vie, la loi de développement n’apparaît à nos yeux plus harmoni
409 blir un équilibre compromis. De nulle vie, la loi de développement n’apparaît à nos yeux plus harmonieuse et plus puissant
410 ux plus harmonieuse et plus puissante, au travers d’ une richesse incomparable de végétations et de poussées adventices. Il
411 puissante, au travers d’une richesse incomparable de végétations et de poussées adventices. Il semble que nous assistions
412 ers d’une richesse incomparable de végétations et de poussées adventices. Il semble que nous assistions au spectacle grand
413 semble que nous assistions au spectacle grandiose de la croissance d’un chêne géant. Tout ici est organe, tout est nature.
414 ssistions au spectacle grandiose de la croissance d’ un chêne géant. Tout ici est organe, tout est nature. Et Goethe l’a su
415 re. Et Goethe l’a su. Mais quand nous contemplons de loin cet arbre vénérable, aux basses branches parfois bizarrement tor
416 hes parfois bizarrement tordues, mais qui s’élève d’ une poussée si majestueuse vers l’épanouissement, vers cette espèce de
417 estueuse vers l’épanouissement, vers cette espèce de jeunesse des hautes ramures, n’allons pas oublier que les sucs dont i
418 fait cette splendeur au loin visible, il les tira d’ un sol germanique. ⁂ Constater que les données initiales, chez Goethe,
419 de. Rappelons cependant les composantes nordiques de la psychologie du jeune Goethe : le romantisme, le goût de la magie,
420 chologie du jeune Goethe : le romantisme, le goût de la magie, et cet élan qu’il nommera démoniaque et qui tisse un dessin
421 aque et qui tisse un dessin tortueux tout au long de sa vie secrète. Enfin, nourrie à ces trois sources, la volonté titani
422 on œuvre eût sans conteste mérité le qualificatif d’ allemande. Or s’il est vrai que Goethe ait suivi sa pente, il se trouv
423 it suivi sa pente, il se trouve que, selon le mot de Gide, c’est en la remontant. Du fait que Goethe a résisté à l’élément
424 us allemand ? Distinguons ici entre les résultats de l’effort goethéen et cet effort même. Il est facile de montrer ce qui
425 effort goethéen et cet effort même. Il est facile de montrer ce qui, dans l’œuvre écrite de Goethe, n’est pas typiquement
426 est facile de montrer ce qui, dans l’œuvre écrite de Goethe, n’est pas typiquement allemand, et peut être directement assi
427 r un latin par exemple. Mais la nature spécifique de l’effort goethéen, cette lutte contre ses données anarchiques et démo
428 te lutte contre quelque chose en lui qui ne cesse de renaître tout au long de sa vie et de menacer son équilibre si chèrem
429 hose en lui qui ne cesse de renaître tout au long de sa vie et de menacer son équilibre si chèrement conquis, cette lutte
430 ui ne cesse de renaître tout au long de sa vie et de menacer son équilibre si chèrement conquis, cette lutte enfin où rési
431 ethe à être plus qu’allemand. En regard du Goethe de la vingt-sixième année, du Goethe qui se détourne du romantisme, plaç
432 ces démoniques, au vertige des titans, au vertige de la hauteur : « On peut tomber dans la hauteur comme dans la profondeu
433 ethe comme devant Hölderlin, s’ouvre à tel moment de la vie spirituelle une carrière de démesure et de délire splendide. S
434 e à tel moment de la vie spirituelle une carrière de démesure et de délire splendide. S’il s’abandonne, il deviendra non p
435 de la vie spirituelle une carrière de démesure et de délire splendide. S’il s’abandonne, il deviendra non pas ce chêne tut
436 hêne tutélaire (peut-être un peu commun), mais un de ces arbres étranges qui poussent d’un jet, donnent une fleur unique,
437 mun), mais un de ces arbres étranges qui poussent d’ un jet, donnent une fleur unique, puis meurent : aussitôt. Mais il pré
438 durer, il veut guérir. Et ce sont ces dix années de silence et de repli, si émouvantes, si pures, c’est-à-dire si conform
439 t guérir. Et ce sont ces dix années de silence et de repli, si émouvantes, si pures, c’est-à-dire si conformes à la loi la
440 est-à-dire si conformes à la loi la plus profonde de sa nature. Ces dix années où, pour reprendre la comparaison du chêne,
441 e fait un tronc, une écorce. En face du titanisme de Hölderlin — Hölderlin ou l’Allemand exaspéré — Goethe figure l’Allema
442 more germanico pourrait-on dire. Car le nom même de la cure à laquelle il se soumet se trouve être difficilement traduisi
443 iscutable, le langage. Il serait très insuffisant de dire que le remède que Goethe s’applique est l’action. Nous sommes ob
444 obligés, si nous voulons éviter tout malentendu, de recourir, pour caractériser sa thérapeutique, à certains mots éminemm
445 Tätigkeit, la Tüchtigkeit de Hermann et Dorothée, de Wilhelm Meister, ou le Streben de Faust. Guérir de son germanisme irr
446 e Wilhelm Meister, ou le Streben de Faust. Guérir de son germanisme irrationnel par l’application d’un remède germanique,
447 r de son germanisme irrationnel par l’application d’ un remède germanique, et rendre ainsi utilisable et communicable ce qu
448 oethéen par excellence. Mais cette formule risque de rester assez vague si nous ne lui trouvons tout de suite une illustra
449 a vois nulle part plus évidente que dans le cours de la Magie chez Goethe. Dans l’ordre des vérités occultes, Goethe chois
450 choisit d’abord celle qui lui paraît susceptible d’ application vivante : la magie16. Ce serait ici le lieu de rappeler le
451 ation vivante : la magie16. Ce serait ici le lieu de rappeler les influences subies avant et après sa vingtième année, cel
452 subies avant et après sa vingtième année, celles de Paracelse, de Jacob Boehme, de Swedenborg. On sait qu’avec Mlle de Kl
453 et après sa vingtième année, celles de Paracelse, de Jacob Boehme, de Swedenborg. On sait qu’avec Mlle de Klettenberg il s
454 ième année, celles de Paracelse, de Jacob Boehme, de Swedenborg. On sait qu’avec Mlle de Klettenberg il se livra même à de
455 de Klettenberg il se livra même à des expériences d’ alchimie, ou, comme il le dit dans une lettre de cette époque, de « ch
456 s d’alchimie, ou, comme il le dit dans une lettre de cette époque, de « chimie cabalistique ». Je voudrais surtout retenir
457 comme il le dit dans une lettre de cette époque, de « chimie cabalistique ». Je voudrais surtout retenir le fait que la g
458 nt il souffrit à 18 ans fut guérie par un médecin de Francfort qui se vantait de connaître les remèdes des alchimistes. Te
459 guérie par un médecin de Francfort qui se vantait de connaître les remèdes des alchimistes. Tel est peut-être l’Erlebnis q
460 e une conception qu’on dirait presque pragmatique de l’occultisme. Par ailleurs, le problème de la magie ne se pose point
461 atique de l’occultisme. Par ailleurs, le problème de la magie ne se pose point à Goethe comme le problème technique d’une
462 e pose point à Goethe comme le problème technique d’ une science qu’il s’agirait d’approfondir. C’est bien plutôt pour lui
463 problème technique d’une science qu’il s’agirait d’ approfondir. C’est bien plutôt pour lui un problème moral : étant donn
464 e une connaissance secrète et des moyens occultes d’ agir sur les choses, quelle utilisation avons-nous le droit de faire d
465 es choses, quelle utilisation avons-nous le droit de faire de ces vérités ? En quoi la magie peut-elle contribuer au dével
466 , quelle utilisation avons-nous le droit de faire de ces vérités ? En quoi la magie peut-elle contribuer au développement
467 e peut-elle contribuer au développement organique de la personnalité ? C’est le problème posé par Faust dans la fameuse pr
468 cette scène. Mais, pour Goethe jamais la solution de principe n’est une solution réelle, existentielle. Tout le Faust va m
469 es intérioriser, les instruire dans le microcosme de son corps, pour ensuite les manifester en actes, en activité, en effo
470 yen Âge. Ce n’est plus pour lui un truc qui opère d’ une façon tout extérieure et impersonnelle. Mais c’est de plus en plus
471 plus une expérience intérieure, morale. La magie de Goethe se condense en paroles, en Zaubersprüche, qui deviennent tout
472 ement chez lui, et de plus en plus, des préceptes d’ action d’aspect purement pratique, je dirai même fastidieusement prati
473 z lui, et de plus en plus, des préceptes d’action d’ aspect purement pratique, je dirai même fastidieusement pratique, song
474 ngeant à l’agacement que la constante prédication de la Tüchtigkeit provoque souvent chez le lecteur du Wilhelm Meister. Q
475 Qu’on ne s’y trompe pas cependant : ces préceptes d’ allure si bourgeoise sont dirigés d’abord contre Goethe lui-même, cont
476 e, contre son démonisme ; ils constituent la cure de cette seule maladie morale à laquelle Goethe réduit toutes les autres
477 aquelle Goethe réduit toutes les autres maladies, de cette seule maladie qui tout ensemble nourrit la menace magique et tr
478 s le renoncement total, qu’il lui est enfin donné de voir, de contempler, de se reposer dans le savoir pur. Le Second Faus
479 ncement total, qu’il lui est enfin donné de voir, de contempler, de se reposer dans le savoir pur. Le Second Faust est un
480 qu’il lui est enfin donné de voir, de contempler, de se reposer dans le savoir pur. Le Second Faust est un anti-Goethe — o
481 un anti-Goethe — ou mieux : c’est la « personne » de Goethe triomphant de son « individu ». ⁂ Telle est la sagesse de Faus
482 ieux : c’est la « personne » de Goethe triomphant de son « individu ». ⁂ Telle est la sagesse de Faust : nous n’avons pas
483 phant de son « individu ». ⁂ Telle est la sagesse de Faust : nous n’avons pas besoin d’autres révélations que de celles-là
484 nous n’avons pas besoin d’autres révélations que de celles-là qui nous poussent à réaliser en action notre loi personnell
485 qui jamais ne mutile et qui jamais ne renie rien de ce qu’il y a dans l’être d’irréductiblement original ; sagesse dont l
486 jamais ne renie rien de ce qu’il y a dans l’être d’ irréductiblement original ; sagesse dont l’opération magistrale consis
487 istrale consiste à rendre utilisables pour la vie de tous, et de tous les jours, les seules valeurs réelles qui sont, à l’
488 iste à rendre utilisables pour la vie de tous, et de tous les jours, les seules valeurs réelles qui sont, à l’origine, dif
489 plus qu’en Allemagne cette grandeur particulière de Goethe ne peut être éprouvée avec plus de reconnaissance, nulle part
490 culière de Goethe ne peut être éprouvée avec plus de reconnaissance, nulle part elle ne peut être aussi tonique. Mais il y
491 ce qu’il sut réaliser en lui d’abord la médiation d’ une valeur irrationnelle et d’une utilité générale, il peut nous offri
492 ’abord la médiation d’une valeur irrationnelle et d’ une utilité générale, il peut nous offrir le modèle, la formule et com
493 le modèle, la formule et comme le thème dynamique d’ une médiation plus vaste : la médiation entre la valeur unique et irra
494 médiation entre la valeur unique et irrationnelle d’ une nation d’une part, et le bien commun universel d’autre part. Il n’
495 t le bien commun universel d’autre part. Il n’y a de valeur que personnelle et originale, c’est-à-dire à l’état premier, i
496 re à l’état premier, incommunicable. L’exaltation de ces valeurs en elles-mêmes, le nationalisme romantique, conduit à la
497 omantique, conduit à la guerre. L’affaiblissement de ces valeurs dans ce qu’elles ont de spécifique, par la multiplication
498 faiblissement de ces valeurs dans ce qu’elles ont de spécifique, par la multiplication inconsidérée des échanges, conduit
499 dérée des échanges, conduit à l’internationalisme de la médiocrité. Seule, la médiation, c’est-à-dire l’effort de surmonte
500 crité. Seule, la médiation, c’est-à-dire l’effort de surmonter en soi-même d’abord ses idiosyncrasies pour n’en offrir aux
501 valeur et la paix. Mais la médiation est l’office de la seule grandeur. C’est parce que Goethe est grand — et nous venons
502 rce que Goethe est grand — et nous venons de dire de quelle grandeur, nationale en son origine — qu’il vaut pour nous auss
503 qu’il a une valeur nationale que l’on peut parler de s ?, valeur internationale. Si une telle affirmation n’était réelleme
504 elle affirmation n’était réellement qu’un truisme de nos jours, le problème international se poserait d’une façon très dif
505 nos jours, le problème international se poserait d’ une façon très différente devant l’opinion publique. La paix par les p
506 a paix par les peuples est un leurre, une formule de journalistes. L’office des peuples modernes, en tant qu’ils se connai
507 qu’ils se connaissent distincts, paraît bien être de se haïr. L’office des élites est au contraire de se comprendre en tan
508 urtout qu’il faut entendre le grand vers gnomique de Goethe : Über allen Gipfeln ist Ruh.17 Les élites, en tant qu’éli
509 oi notre tâche — que Goethe eût approuvée — reste de fédérer des différences authentiques, et non pas d’uniformiser des mé
510 fédérer des différences authentiques, et non pas d’ uniformiser des médiocrités décolorées. L’harmonie d’un tableau naît d
511 niformiser des médiocrités décolorées. L’harmonie d’ un tableau naît de l’opposition des tons : c’est une harmonie fédérale
512 iocrités décolorées. L’harmonie d’un tableau naît de l’opposition des tons : c’est une harmonie fédérale. 16. Rappelons
513 culte des lois du monde ; la magie est la science de l’action sur les choses. 17. Sur tous les sommets réside la paix. 1
514 paix. 18. « Les haines nationales sont des vices de populace », disait Goethe. Je n’oublie pas, d’ailleurs, ce mot d’un b
515 isait Goethe. Je n’oublie pas, d’ailleurs, ce mot d’ un bon observateur des choses politiques, William Martin : « Les masse
516 les passions des masses (créées par la propagande de l’État) elles trahissent leur fonction de compréhension, et cessent d
517 pagande de l’État) elles trahissent leur fonction de compréhension, et cessent de mériter le nom d’élites. Par malheur, c’
518 issent leur fonction de compréhension, et cessent de mériter le nom d’élites. Par malheur, c’est cette trahison-là que l’o
519 on de compréhension, et cessent de mériter le nom d’ élites. Par malheur, c’est cette trahison-là que l’on baptise aujourd’
5 1944, Les Personnes du drame. I. Sagesse et folie de la personne — 3. Kierkegaard
520 t en 1855. Presque toute son œuvre, une vingtaine de volumes, à quoi nous pouvons ajouter dix-huit volumes de papiers post
521 mes, à quoi nous pouvons ajouter dix-huit volumes de papiers posthumes, fut composée en l’espace de douze années. Le père
522 es de papiers posthumes, fut composée en l’espace de douze années. Le père de Kierkegaard avait passé son enfance à garder
523 udit le Dieu tout-puissant qui le laissait mourir de faim. Ce blasphème assombrit toute sa vie, et la révélation qu’en eut
524 Et c’est ainsi que Kierkegaard reçut en héritage de son père, après une sévère éducation piétiste, un secret terrifiant e
525 l tira son œuvre. Sa fortune, il la confia à l’un de ses frères, ne voulant pas avoir affaire aux banques. Lorsqu’il mour
526 ’en subsistait presque rien. Cet argent provenait d’ une malédiction pensait-il, il l’avait donc dilapidé, surtout en dons.
527 ait très simple. Il travaillait une grande partie de la nuit. Georg Brandès rapporte qu’on pouvait le voir, de la rue, arp
528 it. Georg Brandès rapporte qu’on pouvait le voir, de la rue, arpenter longuement les pièces illuminées de ses appartements
529 la rue, arpenter longuement les pièces illuminées de ses appartements. Dans chaque chambre, il faisait disposer une écrito
530 idi, on le voyait parcourir la rue la plus animée de la ville, parler, rire et discuter avec des bourgeois, des jeunes fil
531 houette, ses plaisanteries, il avait sa légende «  d’ original ». On savait aussi qu’il était le meilleur écrivain de son pa
532 On savait aussi qu’il était le meilleur écrivain de son pays. Sa première œuvre eut un immense succès ; mais à mesure qu’
533 ta, effrayé. Lorsqu’en 1854, il se mit à attaquer de front, avec une extrême violence, le christianisme officiel et les év
534 plus tard, épuisé par la lutte, il tomba au cours d’ une promenade en ville. On le transporta à l’hôpital, où il mourut pai
535 nt tous les hommes ». Le seul événement extérieur de sa vie fut la rupture de ses fiançailles avec Régine Olsen. Mais l’ac
536 seul événement extérieur de sa vie fut la rupture de ses fiançailles avec Régine Olsen. Mais l’acte qui résume toute son œ
537 nce Hamlet — autre Danois — il put mourir certain d’ avoir accompli sa mission, ce fut son attaque contre le christianisme
538 Christ de l’Évangile. Il avait terminé ses études de théologie, mais il ne fut jamais pasteur. Il lui arriva pourtant de p
539 il ne fut jamais pasteur. Il lui arriva pourtant de prêcher, et ses sermons, réunis sous le titre général de Discours d’é
540 sermons, réunis sous le titre général de Discours d’ édification remplissent plusieurs volumes. Ce furent les seuls écrits
541 Tous ses ouvrages esthétiques et philosophiques, de la Répétition à l’Exercice du christianisme, en passant par la Maladi
542 en passant par la Maladie mortelle et le Concept d’ angoisse, parurent sous divers pseudonymes symboliques. Il voulait sig
543 ces ouvrages n’exprimaient pas encore la totalité de son message chrétien, et qu’il ne pouvait pas en assumer l’entière re
544 Dieu et devant les hommes. Ce ne fut qu’à la fin de sa vie qu’il s’offrit sans masque à la lutte contre l’Église établie,
545 à « tendance religieuse » et non pas un « témoin de la vérité » ; c’est qu’il se faisait du christianisme une idée si pur
546 deux grands maîtres Heidegger et Jaspers, procède de sa définition de l’« existence ». La théologie barthienne se réclame
547 es Heidegger et Jaspers, procède de sa définition de l’« existence ». La théologie barthienne se réclame de sa thèse princ
548 « existence ». La théologie barthienne se réclame de sa thèse principale : l’affirmation d’une « différence qualitative in
549 se réclame de sa thèse principale : l’affirmation d’ une « différence qualitative infinie entre Dieu et l’homme ». Le sens
550 entre Dieu et l’homme ». Le sens réel et profond de toute son œuvre réside dans sa protestation à la fois violente et hum
551 le… L’œuvre la plus profonde et la plus originale de Kierkegaard est son Concept de l’angoisse, auquel on ne peut trouver
552 la plus originale de Kierkegaard est son Concept de l’angoisse, auquel on ne peut trouver d’analogie que chez Dostoïevski
553 Concept de l’angoisse, auquel on ne peut trouver d’ analogie que chez Dostoïevski. Kierkegaard, d’ailleurs, ne peut être p
554 lacé qu’à côté du poète russe. Tous deux marchent de pair, et aucun autre esprit du siècle ne les dépasse. » Nul ne saurai
555 aujourd’hui le développement promis à l’influence de Kierkegaard sur notre temps, qui le redécouvre après cent ans. Ce qui
556 ent ans. Ce qui est sûr, c’est qu’à la différence d’ un Nietzsche même, personne ne parviendra jamais à « utiliser » Kierke
557 politiques et temporelles. Il se dresse au seuil de l’époque, comme la plus radicale dénonciation de nos lâchetés collect
558 de l’époque, comme la plus radicale dénonciation de nos lâchetés collectives, de nos compromis spirituels, de nos passion
559 adicale dénonciation de nos lâchetés collectives, de nos compromis spirituels, de nos passions courtes et agitées. Sur une
560 âchetés collectives, de nos compromis spirituels, de nos passions courtes et agitées. Sur une pierre de cimetière danois,
561 e nos passions courtes et agitées. Sur une pierre de cimetière danois, l’on peut lire cette inscription nue : « Le solitai
562 sion sévère, le ricanement puissant et le message d’ amour meurtri de Kierkegaard traversent notre âge comme cette pierre e
563 ricanement puissant et le message d’amour meurtri de Kierkegaard traversent notre âge comme cette pierre et ce mot gravé,
564 omme cette pierre et ce mot gravé, qui ne cessent de nous accuser dans leur silence d’éternité. Trois rapsodies sur des th
565 qui ne cessent de nous accuser dans leur silence d’ éternité. Trois rapsodies sur des thèmes empruntés à Kierkegaard IL
566 des thèmes empruntés à Kierkegaard ILa pureté de Kierkegaard La plupart des gens vivent dans une confusion impensab
567 une confusion impensable, et n’en conçoivent pas de malaise. D’autres qui s’essaient à penser en fin de semaine, comme on
568 malaise. D’autres qui s’essaient à penser en fin de semaine, comme on fait un peu d’ordre dans l’appartement, reculent bi
569 à penser en fin de semaine, comme on fait un peu d’ ordre dans l’appartement, reculent bientôt devant l’énormité — l’absen
570 t, reculent bientôt devant l’énormité — l’absence de norme — de la vie telle qu’ils la découvrent. Ils se rendorment, ou b
571 bientôt devant l’énormité — l’absence de norme — de la vie telle qu’ils la découvrent. Ils se rendorment, ou bien édifien
572 u bien édifient des systèmes (qu’ils se garderont d’ habiter). Ceux qui persistent cependant, s’aperçoivent que l’entrepris
573 tre mortellement compromettante. Aussi l’histoire de la pensée n’est-elle souvent que la chronique de ses retraites éloque
574 de la pensée n’est-elle souvent que la chronique de ses retraites éloquentes. Très peu vont jusqu’au bout de leur emporte
575 olie qui l’abat. Un seul parvint dans l’intégrité de sa force à une mort que toute son œuvre provoquait, et qui, vaincue p
576 ans les derniers instants le vrai sens, la valeur de destin de la pensée qui aboutissait là. Contempler dans sa mort la « 
577 rniers instants le vrai sens, la valeur de destin de la pensée qui aboutissait là. Contempler dans sa mort la « fin » de s
578 boutissait là. Contempler dans sa mort la « fin » de sa passion et l’accomplissement de sa foi, tel fut le sort de Kierkeg
579 ort la « fin » de sa passion et l’accomplissement de sa foi, tel fut le sort de Kierkegaard, son incommensurable grandeur.
580 n et l’accomplissement de sa foi, tel fut le sort de Kierkegaard, son incommensurable grandeur. Un acharnement sans pareil
581 à forcer l’esprit sur l’obstacle du désespoir et de l’absurdité de l’existence ; toute une vie tendue vers l’impossible,
582 rit sur l’obstacle du désespoir et de l’absurdité de l’existence ; toute une vie tendue vers l’impossible, toute une œuvre
583 une vie tendue vers l’impossible, toute une œuvre de sarcasme précis contre les innombrables tentations d’une religion qui
584 arcasme précis contre les innombrables tentations d’ une religion qui n’est pas Dieu ; et soudain, sur son lit de mort, cet
585 gion qui n’est pas Dieu ; et soudain, sur son lit de mort, cette phrase ingénument piétiste : « Je ne pense pas que ce soi
586 lleluia !19 » Deux documents éclairent le mystère de cette vie, vraiment « résolue » par cette mort. Le premier est de Kie
587 aiment « résolue » par cette mort. Le premier est de Kierkegaard : « Forcer les hommes à être attentifs et à juger, c’est
588 r son action, il a compris qu’elle faisait partie de son action, oui, que cette action ne commencerait vraiment qu’avec sa
589 20 » On trouve le second document dans le journal de l’hôpital où vint mourir Kierkegaard. Un interne a transcrit les décl
590 toutes ses forces spirituelles et toute son œuvre d’ écrivain… S’il ne meurt pas, dit-il, il poursuivra sa lutte religieuse
591 oit alors affaiblie. Au contraire sa mort donnera de la force à son attaque, et lui assurera, pense-t-il, la victoire.21 »
592 oit mort, atteste ce fait capital : que la pensée de la foi peut être irrémédiable. Tous les autres, sauf Empédocle et Nie
593 s autres, sauf Empédocle et Nietzsche, ont refusé de signer de leur sang le pacte qui lie le penseur à Méphisto ou à l’Esp
594 sauf Empédocle et Nietzsche, ont refusé de signer de leur sang le pacte qui lie le penseur à Méphisto ou à l’Esprit : expé
595 avant la décision mortelle. Concession, la raison de Pascal, et lors même qu’il y renonce ; concession, la pitié parfois p
596 ce ; concession, la pitié parfois presque sadique de Dostoïevski. Oui, même ceux-là. Même ces deux-là qui sont allés si lo
597 es deux-là qui sont allés si loin dans la passion de l’absolu chrétien, mais seul Kierkegaard en est mort. Une pureté pres
598 ieu. Et cependant, dans le pire désespoir, jamais de défi, ni d’hybris. Pureté du chrétien, non du surhomme. 2.« La pur
599 ndant, dans le pire désespoir, jamais de défi, ni d’ hybris. Pureté du chrétien, non du surhomme. 2.« La pureté du cœur,
600 r une seule chose »22 On m’a conté l’histoire d’ un jeune Français qui, par dégoût d’une vie qu’il juge absurde, consac
601 té l’histoire d’un jeune Français qui, par dégoût d’ une vie qu’il juge absurde, consacre désormais sa vie au jeu d’échecs.
602 il juge absurde, consacre désormais sa vie au jeu d’ échecs. Il n’a plus, ni ne veut avoir, aucun autre intérêt qui l’occup
603 et je voudrais que ce soit vrai. Je ne vois rien de comique dans l’attitude d’un tel homme, — si vraiment les figures du
604 vrai. Je ne vois rien de comique dans l’attitude d’ un tel homme, — si vraiment les figures du jeu ont envahi sa vision de
605 vraiment les figures du jeu ont envahi sa vision de la vie au point qu’il puisse les retrouver sans peine dans les action
606 ar nature pour que son exercice n’entraîne rien «  d’ impur ». S’il a la force de la pousser à bout, j’entends de l’incarner
607 cice n’entraîne rien « d’impur ». S’il a la force de la pousser à bout, j’entends de l’incarner jusqu’à la perfection, l’i
608 . S’il a la force de la pousser à bout, j’entends de l’incarner jusqu’à la perfection, l’issue ne peut faire aucun doute.
609 oit à un mat éclatant, symbolique. La supériorité d’ un tel homme tient en ceci, qu’il s’est rendu capable d’exprimer toute
610 el homme tient en ceci, qu’il s’est rendu capable d’ exprimer toute sa vie d’un seul coup. Et sa sagesse, peut-être aussi s
611 peut-être aussi son ironie secrète, est justement d’ avoir choisi de confondre son être avec un jeu, bien plus, avec ce jeu
612 son ironie secrète, est justement d’avoir choisi de confondre son être avec un jeu, bien plus, avec ce jeu où le hasard n
613 eu, bien plus, avec ce jeu où le hasard n’a point de part, et où l’échec final est l’œuvre d’une sévère réflexion. Cela su
614 ’a point de part, et où l’échec final est l’œuvre d’ une sévère réflexion. Cela suppose une vue du monde profondément amère
615 temps une élégance, on pourrait dire une propreté d’ assez grand style. Cet homme doit s’être purifié de cette espèce répug
616 ’assez grand style. Cet homme doit s’être purifié de cette espèce répugnante de « sérieux » qui s’attache à certains de no
617 me doit s’être purifié de cette espèce répugnante de « sérieux » qui s’attache à certains de nos contemporains, de ce « sé
618 épugnante de « sérieux » qui s’attache à certains de nos contemporains, de ce « sérieux » qui fait qu’on les salue comme s
619  » qui s’attache à certains de nos contemporains, de ce « sérieux » qui fait qu’on les salue comme s’ils étaient quelqu’un
620 u’ils ne sont rien que le support à peine comique d’ une fonction respectable, d’une fortune respectée. Mais pour notre man
621 pport à peine comique d’une fonction respectable, d’ une fortune respectée. Mais pour notre maniaque, rien n’est sérieux, s
622 en n’est sérieux, sinon le jeu, qui est l’affaire de sa vie. Et c’est pourquoi son aventure vaut la peine d’être méditée.
623 vie. Et c’est pourquoi son aventure vaut la peine d’ être méditée. Elle pourrait même définir le sérieux moral à l’état pur
624 ral à l’état pur : la faculté qu’un homme possède de rapporter ses actes à la fin qu’il poursuit avec la plus grande rigue
625 ns la foi, ou bien dans le néant. C’est le moment de confesser que je ne crois pas cette histoire aussi réelle qu’on m’aff
626 omme ne se pose jamais la question du but dernier de sa vie. Il peut sembler que ce soit pourtant le cas de la plupart. En
627 vie. Il peut sembler que ce soit pourtant le cas de la plupart. En vérité, la bassesse des réponses — ni la duperie qu’el
628 elles figurent souvent — ne doit pas faire douter de l’existence de la question. À plus forte raison, chez notre homme, do
629 souvent — ne doit pas faire douter de l’existence de la question. À plus forte raison, chez notre homme, dont l’exigence é
630 oment un sous-entendu extérieur aux seules règles de l’échiquier. Relativement à ce sous-entendu, dont je soupçonne la nat
631 nt je soupçonne la nature subversive23 la volonté de se consacrer au jeu d’échecs n’est plus alors qu’un défi, qu’un sarca
632 re subversive23 la volonté de se consacrer au jeu d’ échecs n’est plus alors qu’un défi, qu’un sarcasme, ou pire encore, n’
633 ra toujours une équivoque. Il ne peut pas y avoir de pureté décisive. Cent autres cas s’offrent à la même démonstration, m
634 est le moins ambigu. Songeons aux grands obsédés de l’Histoire, Don Juan, Alexandre et tous les conquérants, Loyola et to
635 us les sectaires, Caligula et tous les fanatiques de l’Unité, Néron qui brûla Rome pour nourrir sa tristesse, Sade qui cro
636 rtu, les grands collectionneurs, les grands chefs d’ entreprise et quelques dictateurs, tous ces « hommes d’une seule idée 
637 reprise et quelques dictateurs, tous ces « hommes d’ une seule idée », tous ces profonds maniaques, — si près qu’ils aient
638 es profonds maniaques, — si près qu’ils aient été de la folie et de la souveraineté totale de leur idée, je dis qu’ils n’o
639 iaques, — si près qu’ils aient été de la folie et de la souveraineté totale de leur idée, je dis qu’ils n’ont jamais connu
640 ient été de la folie et de la souveraineté totale de leur idée, je dis qu’ils n’ont jamais connu la pureté du cœur, celle
641 mais aussi et toujours autre chose, quelque chose d’ insignifiant peut-être, quelque chose qu’on n’eût pas osé comparer à l
642 elque chose qui fût juste assez grand pour servir de refuge, soit terrestre ou céleste, à leur vie individuelle, — à leur
643 vie malgré leur idée ; à leur vision particulière de cette idée. Pourquoi cela ? Parce qu’ils savaient que leur idée pouva
644 e pouvait mourir, — sans eux. L’amour, la volonté de puissance, la passion du malheur, le sacrifice à une divinité abstrai
645 ur, le sacrifice à une divinité abstraite, autant de principes de grandeur et de réduction du désordre ; mais ce sont des
646 ice à une divinité abstraite, autant de principes de grandeur et de réduction du désordre ; mais ce sont des principes hum
647 ité abstraite, autant de principes de grandeur et de réduction du désordre ; mais ce sont des principes humains, et par là
648 n grand style. Mais ils échouent toujours au cœur de l’homme même. Ils sont sans force contre sa division secrète. Ce que
649 nce qui subsiste indéfiniment. Je suis l’impureté de l’univers que j’ai créé. La pureté du cœur, c’est vouloir une seule c
650 ule chose. Il faut donc, pour l’atteindre, cesser d’ être soi-même ? L’échec final de toute grandeur humaine est prévisible
651 atteindre, cesser d’être soi-même ? L’échec final de toute grandeur humaine est prévisible dès l’instant où l’homme s’élan
652 n destin qu’il s’est choisi, et qui est le masque de son anxiété. Mais malheur à celui qui calcule et qui refuse de partir
653 é. Mais malheur à celui qui calcule et qui refuse de partir ! Le bénéfice de l’expérience est dans l’échec, non pas dans l
654 qui calcule et qui refuse de partir ! Le bénéfice de l’expérience est dans l’échec, non pas dans la sagesse (on touche ici
655 on pas dans la sagesse (on touche ici les limites d’ un Goethe), mais il y faut au moins cette imprudence sans laquelle on
656 ette imprudence sans laquelle on n’essaierait pas d’ expérimenter ses puissances. 3.Digression sur le sérieux et le jeu
657 init à un signal donné. Mais le sérieux le baigne de toute part ; le sérieux ne finit jamais, il est aussi long que la vie
658 te aucune « répétition », aucune reprise possible d’ un coup manqué. Toutefois l’effort irrépressible du péché consiste à r
659 ’effort irrépressible du péché consiste à refuser de connaître ce sérieux qui ne peut aboutir qu’à l’échec. Sans cesse, no
660 t aboutir qu’à l’échec. Sans cesse, nous essayons de « jouer » la vie, de la réduire à un système de conventions qui nous
661 c. Sans cesse, nous essayons de « jouer » la vie, de la réduire à un système de conventions qui nous rassurent, de la déco
662 s de « jouer » la vie, de la réduire à un système de conventions qui nous rassurent, de la découper en « parties » indépen
663 e à un système de conventions qui nous rassurent, de la découper en « parties » indépendantes les unes des autres. Que si
664 on vient à en perdre une, il est possible ou bien de la reprendre, ou bien de changer les règles, ou encore de tricher. Et
665 il est possible ou bien de la reprendre, ou bien de changer les règles, ou encore de tricher. Et par un tour habituel au
666 prendre, ou bien de changer les règles, ou encore de tricher. Et par un tour habituel au serpent, ce sont ces conventions,
667 ie sérieuse ». Aussi n’est-il plus guère possible de reconnaître et de séparer le sérieux et le jeu dans nos vies, ce qui
668 si n’est-il plus guère possible de reconnaître et de séparer le sérieux et le jeu dans nos vies, ce qui est vraiment de la
669 ieux et le jeu dans nos vies, ce qui est vraiment de la personne et ce qui n’est que masque ou personnage. Un écrivain fra
670 re le style, déclarait l’autre jour que le Palais de Versailles manque de sérieux. C’était bien vu. Mais en écrivant cela,
671 t l’autre jour que le Palais de Versailles manque de sérieux. C’était bien vu. Mais en écrivant cela, notre auteur était-i
672 e qui est sérieux reste seul important, mais tant d’ hommes font les importants, tant d’hommes « jouent » leur sérieux : où
673 ant, mais tant d’hommes font les importants, tant d’ hommes « jouent » leur sérieux : où est la différence ? « L’apôtre Pa
674 un emploi officiel. — Avait-il une autre manière de gagner beaucoup d’argent ? — Non, il ne gagnait en aucune manière de
675 . — Avait-il une autre manière de gagner beaucoup d’ argent ? — Non, il ne gagnait en aucune manière de l’argent. — Était-i
676 d’argent ? — Non, il ne gagnait en aucune manière de l’argent. — Était-il au moins marié ? — Non, Paul n’était pas marié.
677 érieux. » Ici paraît la dialectique du sérieux et de l’ironie. C’est en la reportant sur l’existence apparemment la moins
678 le dimanche, ou dans un certain secteur délimité de leur vie, dans une certaine « mesure » compatible avec la vie sociale
679 le avec la vie sociale, cette situation est celle d’ un jeu, non du sérieux. « Elle ne ressemble pas plus à la situation du
680 à la situation du Nouveau Testament que le salon d’ un petit-bourgeois ne ressemble aux décisions les plus terribles de la
681 ois ne ressemble aux décisions les plus terribles de la réalité la plus cruelle. » Et encore : « On a relégué le christian
682 e limite. Kierkegaard la déconsidère par l’ironie de l’éternité. Car en effet, l’éternité est une ironie sur le temps, une
683 ne ironie sur le temps, une ironie sous le regard de laquelle le temps finira bien par succomber : à notre mort, au jugeme
684 yant tué en lui toute autre vanité que celle même de haïr le temps — c’est là son dépit amoureux — Kierkegaard peut enfin
685 i rend l’éternité présente. Le seul fait accompli de l’acte de la foi jette sur tous nos sérieux, poses et amusettes, un s
686 ternité présente. Le seul fait accompli de l’acte de la foi jette sur tous nos sérieux, poses et amusettes, un soupçon d’i
687 tous nos sérieux, poses et amusettes, un soupçon d’ ironie infiniment plus grave qu’une ironie. Car peut-être que l’acte d
688 lus grave qu’une ironie. Car peut-être que l’acte de foi n’existe pas, n’est qu’une figure de rhétorique pieuse, une illus
689 e l’acte de foi n’existe pas, n’est qu’une figure de rhétorique pieuse, une illusion, un mythe, un saut dans le vide… Et a
690 n saut dans le vide… Et alors il n’y a nulle part de vrai sérieux. Mais peut-être aussi que cet acte existe quelque part,
691 t acte existe quelque part, et alors il n’y a pas de sérieux dans ma vie tant que je n’ai pas trouvé la foi, ou mieux : ta
692 a foi, ou mieux : tant que la foi, qui est le don de Dieu, ne m’a pas trouvé et vaincu… Avoir connu cela, c’est vouloir « 
693 er au fond des choses ? C’est toucher les limites de notre condition et des idéaux qu’elle invente, et c’est connaître aus
694 e, et c’est connaître aussi toutes nos puissances de désordre. Il n’y a de grandeur que dans une vie simple, oui, mais une
695 aussi toutes nos puissances de désordre. Il n’y a de grandeur que dans une vie simple, oui, mais une vie n’a rien de vraim
696 e dans une vie simple, oui, mais une vie n’a rien de vraiment simple qu’une décision n’ait ramené à la simplicité, jamais
697 e nouveau. Et la simplicité ne résulte jamais que d’ un refus de nous complaire dans nos données et dans nos virtualités rê
698 Et la simplicité ne résulte jamais que d’un refus de nous complaire dans nos données et dans nos virtualités rêvées. La gr
699 i-même, s’imposer un autre silence que le silence de la mort ? La raison s’y emploie, communément. On lui délègue volontie
700 , elle édicte des lois solennelles, et le plaisir de vivre est d’y contrevenir. On se fabrique, dans la sérénité ou la sou
701 des lois solennelles, et le plaisir de vivre est d’ y contrevenir. On se fabrique, dans la sérénité ou la souffrance, selo
702 ême une éthique héroïque. Mais tout cela, on sait de quoi c’est fait. On sait ce que vaut la menace. Une seule réalité peu
703 e vaut la menace. Une seule réalité peut advenir, de l’extérieur, et menacer tout le désordre et l’ordre humains avec un s
704 ieux décisif. Une seule réalité pour nous menacer de grandeur. Et c’est la foi, « qui ne vient pas de nous. » Tant que je
705 iction. D’une part, il y a l’éternelle vérité, et de l’autre, la diversité de l’existence, que l’homme en tant que tel, ne
706 a l’éternelle vérité, et de l’autre, la diversité de l’existence, que l’homme en tant que tel, ne peut pas pénétrer, — il
707 n, c’est donc la foi. (Journal). 5.« Le point d’ Archimède, hors du monde, c’est une chambre haute où l’homme prie en t
708 i fonde la personne humaine. Aucun autre principe d’ unité n’existe, au sens actif où Kierkegaard emploie ce mot. Si l’on n
709 plus seul à l’instant qu’il atteint le fond même de l’abîme de sa solitude. Car il s’y trouve en présence de Dieu, de cel
710 à l’instant qu’il atteint le fond même de l’abîme de sa solitude. Car il s’y trouve en présence de Dieu, de celui qui l’a
711 solitude. Car il s’y trouve en présence de Dieu, de celui qui l’a fait de rien mais qui l’a fait. Seul en face de lui-mêm
712 trouve en présence de Dieu, de celui qui l’a fait de rien mais qui l’a fait. Seul en face de lui-même, il douterait de son
713 l’a fait. Seul en face de lui-même, il douterait de son existence. Seul devant Dieu, il se voit condamné, questionné, som
714 vant Dieu, il se voit condamné, questionné, sommé de répondre, et incapable de répondre autre chose que le « Toi, tu peux
715 amné, questionné, sommé de répondre, et incapable de répondre autre chose que le « Toi, tu peux tout » qui devient aussitô
716 ient aussitôt : « Par toi, je puis ce que tu veux de moi ». C’est là le point de la plus grande simplicité. Mais aussi du
717 e puis ce que tu veux de moi ». C’est là le point de la plus grande simplicité. Mais aussi du plus grand paradoxe. Car la
718 our comble, suppose que l’homme a d’abord accepté d’ être zéro ! L’homme qui meurt devant Dieu, en tant qu’individu, renaît
719 out toutes nos contradictions dans le seul risque d’ une dignité ou d’une indignité dont la mesure n’est pas du monde, si p
720 ntradictions dans le seul risque d’une dignité ou d’ une indignité dont la mesure n’est pas du monde, si pourtant tout se j
721 n’est pas une solution, mais la mise en question de nos problèmes Simplement parce qu’elle introduit dans notre vie l’
722 troduit dans notre vie l’exigence incommensurable de l’acte. Ou encore, parce qu’à ce suprême degré d’accord avec soi-même
723 e plus son acte. C’est qu’il n’est plus différent de cet acte. Il n’est rien d’autre que cet acte, n’existant pas hors de
724 l n’est plus différent de cet acte. Il n’est rien d’ autre que cet acte, n’existant pas hors de sa vocation. Que craindrait
725 l marche dans sa liberté, et ne connaît plus rien de ce qui nous mesure. Cet homme qui marche dans le monde, contre le mon
726 nde est un penseur extrêmement confus qui à force d’ idées ne trouve plus le temps ni la patience de penser une idée 25 ».
727 ce d’idées ne trouve plus le temps ni la patience de penser une idée 25 ». Mais le croyant connaît cette « impériale volup
728 Mais le croyant connaît cette « impériale volupté de ne jamais sortir des voies d’une pensée, de ne jamais non plus s’en e
729 « impériale volupté de ne jamais sortir des voies d’ une pensée, de ne jamais non plus s’en effrayer 26 ». Et comment pourr
730 lupté de ne jamais sortir des voies d’une pensée, de ne jamais non plus s’en effrayer 26 ». Et comment pourrait-il avoir p
731 effrayer 26 ». Et comment pourrait-il avoir peur de l’idée, puisqu’il est cette idée, et cet ordre de Dieu ? Puisqu’il ne
732 de l’idée, puisqu’il est cette idée, et cet ordre de Dieu ? Puisqu’il ne se craint plus ? Puisque sa mort est derrière lui
733 elui-ci, isolé devant Dieu, seul dans l’immensité de son effort et de sa responsabilité : c’est là l’héroïsme chrétien… »
734 vant Dieu, seul dans l’immensité de son effort et de sa responsabilité : c’est là l’héroïsme chrétien… » Kierkegaard ajout
735 pourtant pas être tous des martyrs ! » — Réponse de Kierkegaard : « Ne vaudrait-il pas mieux que chacun dise pour soi-mêm
736 ce le martyr Jean Huss, tandis qu’il voit du haut de son bûcher une vieille femme courbée sous le faix, apporter, elle aus
737 cité n’est sainte qu’en lui, à cet instant. Celle de la vieille est innocence, religion naturelle et craintive. Elle appar
738 IL’acte selon Kierkegaard « Toute mon activité d’ auteur, nous dit Kierkegaard, se rapporte à ce seul problème : comment
739 le devenir. Et le problème, alors, devient celui de l’acte. Y a-t-il des actes ? L’homme d’aujourd’hui ne le croit pas. I
740 ent celui de l’acte. Y a-t-il des actes ? L’homme d’ aujourd’hui ne le croit pas. Il croit aux lois, et il se veut détermin
741 l’accepte ; mais dans cette mesure même, il cesse d’ être humain. Car l’homme n’a d’existence proprement humaine que lorsqu
742 ure même, il cesse d’être humain. Car l’homme n’a d’ existence proprement humaine que lorsqu’il participe à la transformati
743 aucun chemin. Comment marcher, s’il n’existe pas de chemin ? disent-ils dans leur suffisance, — car on appelle ainsi leur
744 prouver que l’acte est impossible et que le tout de l’homme est soumis au calcul, tout cet effort des sciences et des soc
745 qu’être la vérité est la seule explication vraie de la vérité… Être la vérité, c’est connaître la vérité, et le Christ n’
746 été la vérité ; et nul homme ne connaît davantage de vérité qu’il n’en incarne27 Voici donc le mystère : s’il n’y a pas
747 ncarne27 Voici donc le mystère : s’il n’y a pas de chemin nous ne pouvons marcher, mais si nous ne marchons pas, il n’y
748 rcher, mais si nous ne marchons pas, il n’y a pas de chemin. La foi au Christ nous permet seule de franchir ce cercle ench
749 pas de chemin. La foi au Christ nous permet seule de franchir ce cercle enchanté où nous maintient l’argument du démon — l
750 Christ est la condition nécessaire et suffisante de tout acte véritable, de toute marche, de toute création, de toute vic
751 nécessaire et suffisante de tout acte véritable, de toute marche, de toute création, de toute victoire sur la Nécessité.
752 ffisante de tout acte véritable, de toute marche, de toute création, de toute victoire sur la Nécessité. « Je suis le chem
753 te véritable, de toute marche, de toute création, de toute victoire sur la Nécessité. « Je suis le chemin ». Mais un chemi
754 n’est qu’un point de vue ; ou bien encore le lieu d’ un pur possible, et sur ces lieux règne le désespoir. Il nous faut don
755 t. Mais croire au Christ c’est croire au paradoxe de l’incarnation, c’est croire que Dieu a revêtu la forme de ce monde, c
756 arnation, c’est croire que Dieu a revêtu la forme de ce monde, c’est croire que cette forme peut être transformée. Certes,
757 règles, les morales et les lois qui nous disaient d’ agir dans le même temps qu’elles nous privaient de tout pouvoir, s’éva
758 d’agir dans le même temps qu’elles nous privaient de tout pouvoir, s’évanouissent et meurent aux pages des livres. Au prem
759 nous allons connaître maintenant que seul l’acte de foi est création, transformation, nouveauté pure dans le monde, vocat
760 e monde, vocation et personne attestée, prophétie de l’éternité qui vient à nous. 2.Il n’est d’action que prophétique
761 tie de l’éternité qui vient à nous. 2.Il n’est d’ action que prophétique Qu’est-ce que prophétiser, sinon dire la Par
762 « Sachez qu’à l’origine — lit-on dans un dialogue de Kassner30 —, toutes les créatures, le soleil, la terre, la lune, les
763 t et prophétisaient, pareils aux prophètes. C’est de ce commencement que chaque chose tire sa force et son temps ; toute c
764 n, possède son commencement. » Mais l’homme déchu de son origine éternelle a perdu la vision de sa fin. Le voici prisonnie
765 déchu de son origine éternelle a perdu la vision de sa fin. Le voici prisonnier des formes et des nombres, esclave des lo
766 nnier des formes et des nombres, esclave des lois d’ un monde sur lequel il devrait régner. Seule peut l’en délivrer la Par
767 pel dans les ténèbres. Certains reçoivent l’ordre de parler, et c’est là leur action, leur prophétie et leur salut. Cepend
768 ommes les frappent sur la bouche. Kierkegaard fut de ces croyants dont la vocation prophétique, pareille à celle des homme
769 vocation prophétique, pareille à celle des hommes de Dieu qui se lèvent sous l’Ancienne Alliance, se confond avec la parol
770 ur vérité et leur vie dans ce monde ; ils meurent de l’avoir dite, et n’ont pas d’autre tâche31. Le chemin est imprévisibl
771 monde ; ils meurent de l’avoir dite, et n’ont pas d’ autre tâche31. Le chemin est imprévisible ; le nôtre, disons-nous, n’e
772 évisible ; le nôtre, disons-nous, n’est pas celui de ces prophètes. Cependant la question demeure : comment agir, et comme
773 Ce que nous connaissons, c’est pourtant son point de départ. Le chemin commence à tout homme qui se met en devoir d’obéir
774 chemin commence à tout homme qui se met en devoir d’ obéir à l’ordre qu’il reçoit de Dieu, — n’importe où et n’importe qui,
775 i se met en devoir d’obéir à l’ordre qu’il reçoit de Dieu, — n’importe où et n’importe qui, à n’importe quel ordre reçu, e
776 « Tout simplement : prend n’importe quelle règle d’ action chrétienne, — ose la mettre en pratique. L’action que tu introd
777 troduiras ainsi dans la réalité portera la marque de l’absolu : c’est la marque de tout ce qui est véritablement chrétien.
778 é portera la marque de l’absolu : c’est la marque de tout ce qui est véritablement chrétien. » (Journal) Vend ton bien et
779 ux pauvres, par exemple, ou si tu ne possèdes pas de bien, cesse d’en désirer la possession, et vis comme un chrétien : au
780 exemple, ou si tu ne possèdes pas de bien, cesse d’ en désirer la possession, et vis comme un chrétien : au jour le jour,
781 , sans assurances et sans préparation, à la grâce de Dieu, dans la confiance et l’inquiétude — on pourrait dire dans une s
782 et l’inquiétude — on pourrait dire dans une sorte d’ humour —, dans l’aventure de celui que rien ne protège et la prudence
783 t dire dans une sorte d’humour —, dans l’aventure de celui que rien ne protège et la prudence de celui qui écoute, dans le
784 nture de celui que rien ne protège et la prudence de celui qui écoute, dans le tourment et dans la joie d’une découverte q
785 elui qui écoute, dans le tourment et dans la joie d’ une découverte quotidienne du chemin, ton chemin, sur lequel tu es seu
786 sur lequel tu es seul, parce qu’il est la parole de ta vie, sa mesure et sa vocation, son risque à chaque instant visible
787 Tant que nous considérons le Christ avec des yeux de moralistes, comme une personnalité morale de premier plan qu’il ne re
788 yeux de moralistes, comme une personnalité morale de premier plan qu’il ne resterait plus qu’à imiter, l’acte demeure un p
789 imiter, l’acte demeure un pur possible, un modèle d’ acte, une abstraction, c’est-à-dire quelque chose que nous pouvons con
790 ant nous transformer, et c’est bien la définition de « l’inactuel ». Se conformer à ce pieux idéal, non seulement ce n’est
791 r, non seulement c’est limiter par avance le rôle de la foi, c’est-à-dire refuser la foi, mais c’est peut-être simplement
792 n’y est pas engagé. Parce que c’est un blasphème de l’homme pieux, du moraliste, que de prétendre imiter le modèle que se
793 un blasphème de l’homme pieux, du moraliste, que de prétendre imiter le modèle que ses yeux voient et que sa chair perçoi
794 ) au lieu d’écouter l’ordre, au lieu de croire et de faire un pas dans la nuit, sur ce « chemin » qui est le Christ présen
795 s par la grâce. L’imitation suivra comme un fruit de la reconnaissance… Tout commence par la joie d’être aimé — et ensuite
796 t de la reconnaissance… Tout commence par la joie d’ être aimé — et ensuite vient l’effort de plaire, constamment exalté pa
797 r la joie d’être aimé — et ensuite vient l’effort de plaire, constamment exalté par la certitude que Ton est aimé maintena
798 ien du Christ, du « chemin », en dehors de l’acte de foi qui, supprimant toute distance historique, nous rend contemporain
799 oute distance historique, nous rend contemporains de son incarnation. Ainsi l’acte de foi détruit le temps où il a lieu, m
800 nd contemporains de son incarnation. Ainsi l’acte de foi détruit le temps où il a lieu, mais comme la plénitude détruit le
801 détruit le relatif. Il est ce contact impensable de l’éternité avec notre durée, et l’on n’en peut rien dire sinon qu’il
802 Dieu peut tout, à tout instant. C’est là la santé de la foi. 34 » Si nous vivions dans l’obéissance et dans la foi, il n’y
803 ’y aurait ni passé ni futur, mais le Jour éternel de la présence à Dieu et à soi-même régnerait sur le monde et l’unité du
804 foi, l’histoire s’arrêterait comme la respiration d’ un homme saisi par la beauté, et le temps immobile s’abîmerait dans l’
805 s qui viennent : c’est pourquoi nous n’avons plus d’ être que par la foi, « substance des choses espérées », et c’est pourq
806 i nous, n’est que promesse et vigilante prophétie de l’invisible. De Séir, une voix crie au prophète35 : « Sentinelle que
807 e promesse et vigilante prophétie de l’invisible. De Séir, une voix crie au prophète35 : « Sentinelle que dis-tu de la nui
808 voix crie au prophète35 : « Sentinelle que dis-tu de la nuit ? Sentinelle que dis-tu de la nuit ? — La sentinelle a répond
809 lle que dis-tu de la nuit ? Sentinelle que dis-tu de la nuit ? — La sentinelle a répondu : Le matin vient et la nuit aussi
810 e est durée, et c’est la forme du péché, du refus de l’instant éternel, — le temps, la succession et le désir36. C’est le
811 mps, la succession et le désir36. C’est le retard de l’acte et le retrait de Dieu, c’est le doute qui s’interpose entre le
812 désir36. C’est le retard de l’acte et le retrait de Dieu, c’est le doute qui s’interpose entre le savoir et le faire, et
813 entre le savoir et le faire, et c’est la lâcheté de l’homme qui se repose sur ses œuvres et qui les juge : son alliance a
814 s et qui les juge : son alliance avec le serpent. De quelles étranges et secrètes façons le temps est lié au péché, le péc
815 au péché, le pécheur seul le sait, dans l’instant de la foi, où par grâce il peut rompre ce lien. « Si vous voulez interro
816 st : « Convertissez-vous ! » À la lumière jaillie de l’acte de la foi, le mystère du temps se dévoile ; mais un temps nouv
817 vertissez-vous ! » À la lumière jaillie de l’acte de la foi, le mystère du temps se dévoile ; mais un temps nouveau prend
818 pardonné vit dans le temps comme à contre-courant de sa durée, vit d’acte en acte. Et son temps n’est plus son péché, mais
819 le temps comme à contre-courant de sa durée, vit d’ acte en acte. Et son temps n’est plus son péché, mais on pourrait dire
820 monde, mais il est ce qui la transforme. Vertige de la « vie chrétienne », cette histoire de Dieu dans le temps, cette hi
821 Vertige de la « vie chrétienne », cette histoire de Dieu dans le temps, cette histoire de l’éternité ! Il suffit d’un co
822 te histoire de Dieu dans le temps, cette histoire de l’éternité ! Il suffit d’un courage purement humain pour renoncer le
823 temps, cette histoire de l’éternité ! Il suffit d’ un courage purement humain pour renoncer le temps afin de gagner l’éte
824 gner l’éternité : car je la gagne et ne puis plus de toute éternité la renoncer ; et c’est le paradoxe ; mais il faut un c
825 en vertu de l’absurde37. Et ce courage est celui de la foi. Par la foi, Abraham ne perdit point Isaac ; c’est par la foi
826 la foi d’abord qu’il le reçut.38 5.Le temps de l’acte est renaissance, initiation Entre la naissance et la mort t
827 Entre la naissance et la mort toute la réalité de l’homme est dans son acte. Tout acte est passage et tension, — passag
828 acte. Tout acte est passage et tension, — passage de la mort à la vie, tension entre ce qui résiste et ce qui crée, victoi
829 ion entre ce qui résiste et ce qui crée, victoire de la Parole sur la chair, autorité de la personne sur l’anarchie indivi
830 rée, victoire de la Parole sur la chair, autorité de la personne sur l’anarchie individuelle. C’est ici qu’on touche au my
831 acte absolu serait création absolue, mais un acte de l’homme n’est jamais qu’une rédemption. Distinction de théologien, et
832 homme n’est jamais qu’une rédemption. Distinction de théologien, et qui veut prévenir l’orgueil. Mais la vision de celui q
833 n, et qui veut prévenir l’orgueil. Mais la vision de celui qui agit n’est point un jugement des résultats, des créatures ;
834 onséquence, il est toujours initiation. La vision de celui qui agit est tout entière absorbée par l’instant, par le passag
835 ut entière absorbée par l’instant, par le passage de ce qui meurt à ce qui naît, — par le réel. Celui qui doit agir, s’il
836 ar le réel. Celui qui doit agir, s’il veut juger de soi selon le succès qu’il remporte, n’arrivera jamais à rien entrepre
837 uccès pouvait réjouir le monde entier, il ne sert de rien au héros ; car le héros n’a connu son succès que lorsque tout ét
838 fut héros, mais par son entreprise.39 Le temps de l’acte vient s’inscrire sur les traits du visage héroïque. Dans cette
839 e. Dans cette chair qui peut vieillir, la tension de la mort et de la vie a mis des marques victorieuses. Qu’est-ce que la
840 chair qui peut vieillir, la tension de la mort et de la vie a mis des marques victorieuses. Qu’est-ce que la personne ? C’
841 sion à la parole dont elle procède, et si la face d’ un homme est belle, c’est parce qu’elle est un acte et un destin, une
842 ce qu’elle est un acte et un destin, une initiale de l’histoire, une effigie de la Parole créatrice. 6.Le contraire de
843 n destin, une initiale de l’histoire, une effigie de la Parole créatrice. 6.Le contraire de l’acte, c’est le désespoir
844 effigie de la Parole créatrice. 6.Le contraire de l’acte, c’est le désespoir Nous savons tout cela comme nous savons
845 y croire. À vrai dire, nous avons toutes raisons d’ en douter, s’il est vrai que le doute est révolte, et qu’il faut pour
846 , et qu’il faut pour se l’avouer la joie qui naît de l’acte de la foi. Lorsque Kierkegaard écrivit son traité de la Maladi
847 faut pour se l’avouer la joie qui naît de l’acte de la foi. Lorsque Kierkegaard écrivit son traité de la Maladie mortelle
848 de la foi. Lorsque Kierkegaard écrivit son traité de la Maladie mortelle 40, il venait justement de dépasser cette illusio
849 té de la Maladie mortelle 40, il venait justement de dépasser cette illusion du désespoir, qui consiste à s’imaginer que l
850 ui consiste à s’imaginer que l’acte est puissance de l’homme : d’où l’impossibilité de l’oser. Celui que la foi vient sais
851 s’imaginer que l’acte est puissance de l’homme : d’ où l’impossibilité de l’oser. Celui que la foi vient saisir sait maint
852 e est puissance de l’homme : d’où l’impossibilité de l’oser. Celui que la foi vient saisir sait maintenant que l’acte est
853 te est le contraire du désespoir. Mais il le sait d’ une tout autre façon que le désespéré ne l’imagine. Parce que le rappo
854 création irréversible. Et cela tient à la nature de l’acte, — mieux encore à son origine. Cela tient à l’absolu de la per
855 mieux encore à son origine. Cela tient à l’absolu de la personne qui l’initie. Le désespéré, le douteur, ou simplement l’h
856 spéré, le douteur, ou simplement l’homme dépourvu de foi, l’homme détendu, vague et fiévreux qui peuple nos cités, l’homme
857 ! — s’imagine que l’acte viendra comme un sursaut de joie, comme une révolte, comme une affirmation désespérée de son orgu
858 mme une révolte, comme une affirmation désespérée de son orgueil, comme la preuve enfin de son moi, — mais il sait bien qu
859 désespérée de son orgueil, comme la preuve enfin de son moi, — mais il sait bien qu’il n’en a pas, ou que son moi est dés
860 rd n’est pas une vision du réel, mais une manière de loucher vers les « autres », vers la coutume du bourg ou de la classe
861 vers les « autres », vers la coutume du bourg ou de la classe. Comment cet homme pourrait-il faire un acte ? Car l’acte e
862 péré est un calcul toujours faussé par la terreur de perdre ce qu’on n’a même pas… Ainsi l’acte absolu, s’il l’imagine ser
863 qui veut que l’acte soit puissance, il y a ce moi de désir qui veut que l’acte — l’instant ! — soit saisi… Mais l’absolu q
864 n ordre, une Parole reçue d’ailleurs, une rupture de tout drame humain que nous puissions prévoir, désirer et décrire ; un
865 décrire ; une rupture et une vision. La présence de l’absolu dans la sobriété parfaite et insensible de l’instant, c’est
866 l’absolu dans la sobriété parfaite et insensible de l’instant, c’est l’obéissance à la Parole de Dieu, — la prophétie dan
867 ible de l’instant, c’est l’obéissance à la Parole de Dieu, — la prophétie dans l’immédiat. Que s’est-il donc passé ? Me vo
868 s ne voyons aucun visage ailleurs que dans l’acte d’ aimer. 7.Toute vocation est sans précédent Car elle est prophéti
869 nt Car elle est prophétie justement — et c’est de la seule prophétie que relèvent la réalité et le sérieux, le risque e
870 réalité et le sérieux, le risque et la splendeur d’ une vie d’homme. L’homme se distingue du singe en ce qu’il prophétise,
871 t le sérieux, le risque et la splendeur d’une vie d’ homme. L’homme se distingue du singe en ce qu’il prophétise, uniquemen
872 t bien remarquable : Kierkegaard a très peu parlé de vocation42. C’est qu’il parle sa vocation et ne s’en distingue jamais
873 pendant il est hors de doute qu’il eut conscience de cet aspect particulier de son destin qui qualifie précisément la voca
874 te qu’il eut conscience de cet aspect particulier de son destin qui qualifie précisément la vocation : l’invraisemblable.
875 able. Ses plus amers reproches au « christianisme de la chrétienté » à cette « inconcevable illusion des sens » ne s’adres
876 s pas justement à la « vraisemblance » doctrinale d’ une religion mise à la portée de « la masse », alors que la foi vérita
877 ance » doctrinale d’une religion mise à la portée de « la masse », alors que la foi véritable est celle du solitaire que p
878 lus forte raison l’audace chrétienne, est au-delà de toute vraisemblance, là où précisément l’on renonce à la vraisemblanc
879 que l’acte est initiateur ; parce que la dignité de l’homme est de marcher dans l’invisible et de prophétiser « en vertu
880 initiateur ; parce que la dignité de l’homme est de marcher dans l’invisible et de prophétiser « en vertu de l’absurde. »
881 ité de l’homme est de marcher dans l’invisible et de prophétiser « en vertu de l’absurde. » L’homme ne peut être déterminé
882 qui marche dans la nouveauté ne prend mesure que de ce qu’il transforme. Sa connaissance est acte et vision prophétique.
883 st acte et vision prophétique. La mesure du temps de sa vie réside dans la seule vocation qu’il incarne. Sur le chemin qui
884 r et l’heure, mais il connaît l’instant, s’il vit de la Parole. À cause de l’instant éternel, le héros meurt toujours avan
885 avant qu’il ne meure 45. C’est le secret dernier de l’acte, et le sceau de l’amour chrétien. IIINécessité du solitair
886 5. C’est le secret dernier de l’acte, et le sceau de l’amour chrétien. IIINécessité du solitaire 1.On appelle l’e
887 ssité du solitaire 1.On appelle l’esprit… De quoi se plaint l’Intelligence ? Si l’on en croit les écrits les plus
888 nce ? Si l’on en croit les écrits les plus dignes de formuler son opinion, et qui sont pleins d’amères protestations contr
889 ignes de formuler son opinion, et qui sont pleins d’ amères protestations contre le règne de la masse et les outrages diver
890 ont pleins d’amères protestations contre le règne de la masse et les outrages divers encourus par l’individu, les Puissanc
891 issances anonymes et le Standard seraient en voie de triompher, et ce serait aux dépens de l’humain. Au sein de cette cris
892 -il produire à l’existence ? Car il est excellent de défendre son moi, surtout lorsqu’il détient plus de réalité que l’ano
893 défendre son moi, surtout lorsqu’il détient plus de réalité que l’anonyme. Mais encore : il faudrait que ce moi fût fondé
894 udrait que ce moi fût fondé. Ce n’est pas évident de soi, si l’on peut dire : marxistes et fascistes le nient avec plus de
895 dire : marxistes et fascistes le nient avec plus de passion que les bourgeois ne l’affirment. D’un côté nous voyons une f
896 plus de passion que les bourgeois ne l’affirment. D’ un côté nous voyons une foi, de l’autre une mauvaise humeur — et certa
897 is ne l’affirment. D’un côté nous voyons une foi, de l’autre une mauvaise humeur — et certains pensent : une mauvaise cons
898 nombre est plus précieux que le petit. Que la vie de l’esprit n’est possible que si l’on a d’abord assuré l’autre vie, les
899 bord assuré l’autre vie, les conditions physiques de l’existence. Que la justice est dans l’égalité de tous, et la vertu d
900 de l’existence. Que la justice est dans l’égalité de tous, et la vertu dans l’opinion publique. Que l’histoire « évolue »
901 volue » selon des lois fatales, et que la volonté de quelques-uns n’y changera rien. Que la révolte, enfin, d’un seul cont
902 ues-uns n’y changera rien. Que la révolte, enfin, d’ un seul contre la foule, serait la marque d’un affreux orgueil si d’ab
903 nfin, d’un seul contre la foule, serait la marque d’ un affreux orgueil si d’abord elle ne témoignait d’un ridicule défaut
904 ’un affreux orgueil si d’abord elle ne témoignait d’ un ridicule défaut de sens pratique. Et que disent nos auteurs depuis
905 i d’abord elle ne témoignait d’un ridicule défaut de sens pratique. Et que disent nos auteurs depuis le xixe siècle ? Les
906 par le fait qu’ils y croient. Il s’agirait alors de croire à quelque chose qui légitime ce scepticisme ou cette « mesure 
907 »… Sinon la foi des uns, fatalement, va triompher de la mauvaise humeur défensive des autres. Certes, on y a pensé. Les pl
908 es. Certes, on y a pensé. Les plus hardis parlent de rendre sa place à « l’esprit »… Mais, quel esprit ? Et qui l’a laissé
909 est plus grand que la foule anonyme ; que la vie de l’esprit n’est possible que si l’on a d’abord renoncé l’autre vie ; q
910 l’on a d’abord renoncé l’autre vie ; que les lois de l’histoire ne sont rien si l’acte de l’homme les dément ; que la foi
911 que les lois de l’histoire ne sont rien si l’acte de l’homme les dément ; que la foi d’un seul est plus forte, dans son hu
912 rien si l’acte de l’homme les dément ; que la foi d’ un seul est plus forte, dans son humilité et devant Dieu, — car c’est
913 si chacun n’est pas à sa place, là où la vocation de Dieu l’a mis. Supposez qu’un tel homme existe. Que va-t-on faire de l
914 upposez qu’un tel homme existe. Que va-t-on faire de lui, de ce héros, n’est-ce pas, des valeurs de l’esprit que justement
915 qu’un tel homme existe. Que va-t-on faire de lui, de ce héros, n’est-ce pas, des valeurs de l’esprit que justement l’on fa
916 re de lui, de ce héros, n’est-ce pas, des valeurs de l’esprit que justement l’on fait profession de défendre ? La biograph
917 rs de l’esprit que justement l’on fait profession de défendre ? La biographie de Kierkegaard va nous l’apprendre. On comme
918 l’on fait profession de défendre ? La biographie de Kierkegaard va nous l’apprendre. On commencera par mettre en doute so
919 octeur Søren Kierkegaard ? C’est l’homme dépourvu de sérieux » lit-on dans un journal du temps. On se moquera de son aspec
920  » lit-on dans un journal du temps. On se moquera de son aspect physique et de ses pantalons trop longs. On montrera sans
921 du temps. On se moquera de son aspect physique et de ses pantalons trop longs. On montrera sans trop de peine que ses idée
922 e ses pantalons trop longs. On montrera sans trop de peine que ses idées sont faites pour rendre la vie impossible, puisqu
923 rtyre des braves chrétiens, comme si la religion, de toute éternité, n’était pas au contraire la façon la plus sage de sup
924 é, n’était pas au contraire la façon la plus sage de supporter les maux de ce bas monde ! L’Église, par la voix de ses évê
925 raire la façon la plus sage de supporter les maux de ce bas monde ! L’Église, par la voix de ses évêques, tentera de prouv
926 les maux de ce bas monde ! L’Église, par la voix de ses évêques, tentera de prouver qu’il extravague ; on proposera de l’
927 e ! L’Église, par la voix de ses évêques, tentera de prouver qu’il extravague ; on proposera de l’interdire d’accès au tem
928 entera de prouver qu’il extravague ; on proposera de l’interdire d’accès au temple ; l’opinion unanime accablera son fol o
929 er qu’il extravague ; on proposera de l’interdire d’ accès au temple ; l’opinion unanime accablera son fol orgueil ; n’a-t-
930 ol orgueil ; n’a-t-il pas écrit que la presse est de nos jours l’obstacle décisif à la prédication du christianisme vérita
931 qu’elles sont au pire, mais il faut prendre garde de laisser croire à nos contemporains que ce pire ne puisse être aggravé
932 2.Qu’est-ce que l’esprit ? Donc, on nous parle de sauver l’esprit. Qu’est-ce que l’esprit ? « L’esprit, c’est la puissa
933 it ? « L’esprit, c’est la puissance que le savoir d’ un homme exerce sur sa vie 46 ». Ce n’est pas le savoir, ce n’est pas
934 être même au martyre. Ne soyez donc pas si pressé de défendre les « droits » de l’esprit : ce n’est pas une distinction. E
935 yez donc pas si pressé de défendre les « droits » de l’esprit : ce n’est pas une distinction. Et lequel d’entre nous peut
936 il a calculé la dépense ? Il faudrait bien savoir de quoi l’on parle, et ce n’est peut-être possible que si l’on sait bien
937 l’on sait bien où l’on va. À quoi tend la pensée de Kierkegaard ? Contre la presse et l’opinion publique, il proteste en
938 multitudes, il revendique la charité mystérieuse de l’ironie ; contre l’Histoire, il pose l’acte de l’homme responsable d
939 e de l’ironie ; contre l’Histoire, il pose l’acte de l’homme responsable de son destin. Mais tout cela va au martyre, dans
940 l’Histoire, il pose l’acte de l’homme responsable de son destin. Mais tout cela va au martyre, dans le monde qu’on nous pr
941 Il se peut, si pourtant Dieu le veut. L’exigence de Kierkegaard se limite à l’instant du choix, où l’homme s’engage « en
942 hemin que Dieu lui montre, — seul. Cette primauté de la foi sur les vérités qui font vivre, cette solitude première devant
943 en cela que revendiquent les défenseurs du primat de l’esprit ? L’esprit est drame, attaque et risque. Et l’on peut douter
944 rober, mais c’est une triste réponse à la révolte de ces pauvres qu’on redoute plus qu’on ne les aime… Si l’on voulait vra
945 ne les aime… Si l’on voulait vraiment un champion de l’esprit, on ferait bien d’aller le prendre parmi ceux-là pour qui l’
946 vraiment un champion de l’esprit, on ferait bien d’ aller le prendre parmi ceux-là pour qui l’esprit n’a pas à se défendre
947 prit n’a pas à se défendre, mais bien à témoigner de son incarnation ; on ferait bien d’aller à ceux pour qui l’esprit n’e
948 n à témoigner de son incarnation ; on ferait bien d’ aller à ceux pour qui l’esprit n’est pas une espèce de confort, mais u
949 ler à ceux pour qui l’esprit n’est pas une espèce de confort, mais une aventure absolue et comme un jugement de l’homme ;
950 t, mais une aventure absolue et comme un jugement de l’homme ; ainsi Pascal, Nietzsche, Dostoïevski. On pourrait en citer
951 ourrait en citer quelques autres. Qu’ont-ils donc de commun, génie à part ? Peut-être leur souffrance seulement. Mais s’il
952 re leur souffrance seulement. Mais s’il n’est pas de hiérarchie possible en ces parages, le sacrifice y tient lieu de mesu
953 elle est la nouvelle grandeur, la nouvelle mesure de l’esprit. Nous irons donc à ce grand solitaire, à ce témoin extrême e
954 n extrême et décisif dont la mort, comme un sceau d’ éternité, attesta dans sa plénitude la primauté de l’acte spirituel :
955 d’éternité, attesta dans sa plénitude la primauté de l’acte spirituel : Kierkegaard. Le grand mal de l’époque, et la terr
956 de l’acte spirituel : Kierkegaard. Le grand mal de l’époque, et la terreur que commencent d’y semer nos faux dieux, ont
957 and mal de l’époque, et la terreur que commencent d’ y semer nos faux dieux, ont réveillé quelques esprits, dont témoigne l
958 nce, ou pour mieux dire, la découverte parmi nous de cette pensée impitoyable. Remède du pire ? Il fallait bien qu’on se s
959 her le médecin sévère que la santé moins déprimée d’ un autre siècle avait tué. C’est aussi qu’il est devenu possible de sa
960 avait tué. C’est aussi qu’il est devenu possible de saisir dans le déploiement des faits les plus marquants de notre époq
961 dans le déploiement des faits les plus marquants de notre époque, la vérité de l’anathème dont Kierkegaard salua leur nai
962 its les plus marquants de notre époque, la vérité de l’anathème dont Kierkegaard salua leur naissance. Nous nous tournons
963 ur naissance. Nous nous tournons vers ce prophète de nos malheurs, nous retournons à l’origine où il se tient, nous metton
964 où il se tient, nous mettons en lui notre espoir de trouver un autre chemin : un chemin qui ne mène à Rome, ni à Berlin,
965 ren Kierkegaard est sans doute le penseur capital de notre époque, je veux dire : l’objection la plus absolue, la plus fon
966 presque insupportable à la présence dans ce temps de l’éternel. Car il ne suffit pas d’applaudir à ses thèses pour apaiser
967 dans ce temps de l’éternel. Car il ne suffit pas d’ applaudir à ses thèses pour apaiser ce regard qui nous perce ; et si n
968 es sourds à sa voix, comment étouffer le scandale de cette mort qui définit le destin de l’esprit parmi nous ? Si l’Opinio
969 r le scandale de cette mort qui définit le destin de l’esprit parmi nous ? Si l’Opinion publique a tué Kierkegaard, elle n
970 inion publique a tué Kierkegaard, elle n’a pas eu de prise sur les sarcasmes dont il l’a flétrie, plus charitables cependa
971 ours en l’honneur du Progrès : car tout l’honneur de notre temps sera peut-être, par une compensation mystérieuse, d’avoir
972 sera peut-être, par une compensation mystérieuse, d’ avoir compris mieux qu’aucun autre le message du « solitaire devant Di
973 , reparaître les traits ironiques du grand visage de Kierkegaard, il me vient à l’esprit une image dont le burlesque n’aur
974 ienne du philosophe danois. C’est l’image du chat d’ Alice in Wonderland. Souvenez-vous de ce Chat, immense et subversif, d
975 mage du chat d’Alice in Wonderland. Souvenez-vous de ce Chat, immense et subversif, dont le rire a le don d’exaspérer la R
976 Chat, immense et subversif, dont le rire a le don d’ exaspérer la Reine. Elle tempête et hurle son cri favori : « Qu’on lui
977 pose autour de cette angoissante mimique. Le rire de Kierkegaard sur notre temps ! Dans un monde où règne la masse, règne
978 evant le dictateur, ni dans les rangs des troupes d’ assaut. Ah ! si le rire est le propre de l’homme, nous voici devenus b
979 s troupes d’assaut. Ah ! si le rire est le propre de l’homme, nous voici devenus bien inhumains. Il semble que chacun port
980 blé par tous les malheurs du temps, dont il feint de se croire victime ou responsable47. Cet homme que l’Histoire fait tre
981 er dans un drame fictif, cet homme que la lecture de son journal effraie bien plus que les abîmes de son âme — Kierkegaard
982 e de son journal effraie bien plus que les abîmes de son âme — Kierkegaard en décrit « le comique infini ». Il faut risque
983 ini ». Il faut risquer cette expression : le rire de la charité. « Le christianisme a découvert une misère dont l’homme ig
984 rire scandaleux ? Parce que « la crainte infinie d’ un seul danger nous rendrait tous les autres inexistants. » Mais cette
985 tous les autres inexistants. » Mais cette crainte d’ un seul danger peut-elle encore, sérieusement, caractériser le chrétie
986 ore, sérieusement, caractériser le chrétien moyen de ce temps ? C’est ici que l’ironie de Kierkegaard tourne son aiguillon
987 rétien moyen de ce temps ? C’est ici que l’ironie de Kierkegaard tourne son aiguillon contre le monde chrétien, contre le
988 le monde chrétien, contre le monde qui se réclame de l’esprit, ou qui fait profession de l’appeler. « Le Nouveau Testament
989 ui se réclame de l’esprit, ou qui fait profession de l’appeler. « Le Nouveau Testament ressemble à une satire de l’homme.
990 er. « Le Nouveau Testament ressemble à une satire de l’homme. Il contient des consolations et encore des consolations pour
991 ine… » Et c’est la tragi-comédie du christianisme de la chrétienté. Pauvre chrétien moyen, qu’as-tu souffert pour ta doctr
992 endant choisir. Ou bien tu crois à la seule grâce de Dieu, dans l’abîme infini où tu te vois, — ou bien tu crois aussi à c
993 tu te vois, — ou bien tu crois aussi à ce sérieux de l’existence symbolisé par la cote de la Bourse. Ou bien tu joues tout
994 à ce sérieux de l’existence symbolisé par la cote de la Bourse. Ou bien tu joues toute ta vie sur le pardon, ou bien tu te
995 . Ou bien tu vois que la question brûlante, c’est de savoir si toi, tu es chrétien, — ou bien tu vitupères les sans-Dieu d
996 es chrétien, — ou bien tu vitupères les sans-Dieu de Russie. Mais sais-tu bien de quoi tu souffres ? De ton péché ou de ce
997 upères les sans-Dieu de Russie. Mais sais-tu bien de quoi tu souffres ? De ton péché ou de celui des autres ? Comique amer
998 e Russie. Mais sais-tu bien de quoi tu souffres ? De ton péché ou de celui des autres ? Comique amer et infini de ce « cro
999 ais-tu bien de quoi tu souffres ? De ton péché ou de celui des autres ? Comique amer et infini de ce « croyant » qui tremb
1000 é ou de celui des autres ? Comique amer et infini de ce « croyant » qui tremble pour le sort de l’esprit dans le monde, et
1001 infini de ce « croyant » qui tremble pour le sort de l’esprit dans le monde, et pour son sort dans le monde sans esprit, e
1002 craintifs ? Attendrons-nous toujours le « réveil de la masse » pour affirmer que tous ses dieux sont des faux dieux ? Mai
1003 t l’esprit ? — Mais non, nous appelons « le règne de l’esprit », c’est bien moins dangereux ; tous en seront… Deux questi
1004 x questions — dit encore Kierkegaard — témoignent de l’esprit : 1) ce qu’on nous prêche, est-ce possible ? 2) puis-je le f
1005 ? 2) puis-je le faire ? Deux questions témoignent de l’absence de l’esprit : 1) est-ce réel ? 2) mon voisin Christofersen
1006 le faire ? Deux questions témoignent de l’absence de l’esprit : 1) est-ce réel ? 2) mon voisin Christofersen l’a-t-il fait
1007 ur sa doctrine… (Mais non ! il souffre simplement de ce que tous ne l’ont pas admise)… et il apporte sa consolation, et su
1008 société ; il paraît devant une assemblée choisie d’ élus, et prêche avec émotion sur ce texte qu’il a choisi lui-même : Di
1009 rsonne ne rit.50 C’est alors que paraît le rire de Kierkegaard. Ce n’est pas le rire d’un Molière : Molière fait rire la
1010 raît le rire de Kierkegaard. Ce n’est pas le rire d’ un Molière : Molière fait rire la foule aux dépens de l’extravagant. M
1011 de l’extravagant. Mais Kierkegaard rit tout seul de la foule, de son sérieux théâtral et fervent, et de sa peur de toute
1012 gant. Mais Kierkegaard rit tout seul de la foule, de son sérieux théâtral et fervent, et de sa peur de toute extravagance.
1013 la foule, de son sérieux théâtral et fervent, et de sa peur de toute extravagance. « On peut leur faire faire tout ce qu’
1014 de son sérieux théâtral et fervent, et de sa peur de toute extravagance. « On peut leur faire faire tout ce qu’on veut, qu
1015 il veut l’originalité. « Voilà pourquoi la Parole de Dieu est telle qu’on y trouve toujours quelque passage qui dise le co
1016 ve toujours quelque passage qui dise le contraire d’ un autre. » Car l’apparence de la contradiction nous oblige à choisir,
1017 i dise le contraire d’un autre. » Car l’apparence de la contradiction nous oblige à choisir, fait à la foi sa place, et no
1018 ’imitation : c’est pourquoi ils sont unis en elle d’ une manière si touchante, et c’est ce qu’ils appellent l’amour 51. »
1019 e, qui ressemble peut-être à la pitié énigmatique d’ un Dostoïevski. Ici tout le visage de Kierkegaard se recompose. Et l’o
1020 énigmatique d’un Dostoïevski. Ici tout le visage de Kierkegaard se recompose. Et l’on voit que son rire n’est rien que la
1021 que son rire n’est rien que la douleur du témoin de l’Esprit, au milieu de la foule. 4.L’originalité Qu’entend-il p
1022 le. 4.L’originalité Qu’entend-il par ce mot d’ originalité ? Il faut en rapporter le sens au centre même de sa pensée
1023 ité ? Il faut en rapporter le sens au centre même de sa pensée, ou pour mieux dire : de son action. Ce centre est « la cat
1024 au centre même de sa pensée, ou pour mieux dire : de son action. Ce centre est « la catégorie du solitaire ». Bien des mal
1025 ut : anarchie, romantisme, individu. Il n’est que de les confronter à la réalité chrétienne de l’homme. Le solitaire que K
1026 est que de les confronter à la réalité chrétienne de l’homme. Le solitaire que Kierkegaard appelle, c’est l’homme isolé de
1027 is comment cela se pourrait-il, sinon par l’effet de la foi ? Il faut que Dieu l’appelle, qu’il le nomme et par là le sépa
1028 ui qui répond à la foi, cet appel. Quand on parle de romantisme, d’anarchie, d’individualisme, on ne parle jamais que de r
1029 la foi, cet appel. Quand on parle de romantisme, d’ anarchie, d’individualisme, on ne parle jamais que de révolte, mais d’
1030 appel. Quand on parle de romantisme, d’anarchie, d’ individualisme, on ne parle jamais que de révolte, mais d’une révolte
1031 narchie, d’individualisme, on ne parle jamais que de révolte, mais d’une révolte en fin de compte imaginaire. Car l’ordre
1032 dualisme, on ne parle jamais que de révolte, mais d’ une révolte en fin de compte imaginaire. Car l’ordre de ce monde est l
1033 révolte en fin de compte imaginaire. Car l’ordre de ce monde est lui-même en révolte contre l’ordre reçu de Dieu, qui ser
1034 monde est lui-même en révolte contre l’ordre reçu de Dieu, qui sera l’Ordre du Royaume. Et nier une négation, c’est s’enfo
1035 chrétien est position, obéissance. Et si l’appel de Dieu isole du monde un homme, c’est que le monde, dans sa forme déchu
1036 devant Dieu, c’est celui qui se tient à l’origine de sa réalité. Celui-là seul connaît sa fin, et l’ordre éternel de sa vi
1037 Celui-là seul connaît sa fin, et l’ordre éternel de sa vie. Celui-là peut juger ce monde, et s’y tenir comme n’étant pas
1038 et s’y tenir comme n’étant pas tenu. Il n’est pas d’ autre « réaction » contre le siècle, pas d’autre révolution créatrice.
1039 st pas d’autre « réaction » contre le siècle, pas d’ autre révolution créatrice. Et tous nos appels à l’esprit, s’ils ne so
1040 ciétés), à la Révolution, au Capital, au jugement de l’Opinion publique ; nous croyons au passé, au collectif, à l’avenir,
1041 istence qu’on leur prête : hélas ! il serait faux de dire qu’ils n’en ont pas. Mais encore une fois, ce n’est pas échapper
1042 ce n’est pas échapper aux chimères publiques que de les dénoncer éloquemment en vertu d’une idée de l’homme que la raison
1043 e de les dénoncer éloquemment en vertu d’une idée de l’homme que la raison païenne admet fort bien : nietzschéisme agressi
1044 r du démoniaque qui veut être soi-même « en haine de l’existence et selon sa misère ». Cette révolte n’est pas fondée dans
1045 rmation effective du monde. Elle participe encore de la dégradation. « Une objection vraiment méchante s’arcboute toujours
1046 i qui recourt à son moi révolté contre les forces d’ anéantissement, s’appuie sur le néant et précipite sa propre ruine. Le
1047 t il ne peut être lui-même que par le droit divin de la Parole qui le distingue. Suprême humilité du solitaire ! Il ne sau
1048 ce n’est point qu’il la craigne, ou qu’il craigne d’ y perdre le pauvre moi des psychologues. Son reproche à la foule, c’es
1049 n reproche à la foule, c’est qu’elle n’exige rien de lui. La foule nous veut tout simplement irresponsables ; par cela seu
1050 elle nous reconnaît pour siens. Elle est le lieu de rendez-vous des hommes qui se fuient, eux et leur vocation. Elle n’es
1051 eux et leur vocation. Elle n’est personne et tire de là son assurance dans le crime. « Il ne s’est pas trouvé un seul sold
1052 ité. Mais trois ou quatre femmes, dans l’illusion d’ être une foule et que personne peut-être ne saurait dire qui l’avait f
1053 ! Ô mensonge ! » La foule n’est rien que la fuite de chaque homme devant la responsabilité de son acte. « Car une foule es
1054 la fuite de chaque homme devant la responsabilité de son acte. « Car une foule est une abstraction, qui n’a pas de mains,
1055 « Car une foule est une abstraction, qui n’a pas de mains, mais chaque homme isolé a, dans la règle, deux mains, et lorsq
1056 x mains sur Marius, ce sont ses mains, non celles de son voisin et non celles de la foule qui n’a pas de mains. » Tout seu
1057 ses mains, non celles de son voisin et non celles de la foule qui n’a pas de mains. » Tout seul en face du Christ, un homm
1058 son voisin et non celles de la foule qui n’a pas de mains. » Tout seul en face du Christ, un homme oserait-il s’avancer e
1059 oserait-il s’avancer et cracher au visage du Fils de Dieu ? Mais qu’il soit foule, il aura ce « courage », — il l’a eu. Il
1060 rue seulement. Elle est dans la pensée des hommes de ce temps. Le génie réaliste de Kierkegaard a su la dénoncer au plus i
1061 pensée des hommes de ce temps. Le génie réaliste de Kierkegaard a su la dénoncer au plus intime de l’existence individuel
1062 te de Kierkegaard a su la dénoncer au plus intime de l’existence individuelle. Chaque fois que nous disons d’un de nos die
1063 istence individuelle. Chaque fois que nous disons d’ un de nos dieux qu’il est puissant, nous témoignons de notre démission
1064 ce individuelle. Chaque fois que nous disons d’un de nos dieux qu’il est puissant, nous témoignons de notre démission. La
1065 de nos dieux qu’il est puissant, nous témoignons de notre démission. La foule n’a pas d’autre existence et d’autre pouvoi
1066 s témoignons de notre démission. La foule n’a pas d’ autre existence et d’autre pouvoir que mon refus d’exister devant Dieu
1067 démission. La foule n’a pas d’autre existence et d’ autre pouvoir que mon refus d’exister devant Dieu et d’exercer le pouv
1068 ’autre existence et d’autre pouvoir que mon refus d’ exister devant Dieu et d’exercer le pouvoir que je suis. Elle n’est qu
1069 re pouvoir que mon refus d’exister devant Dieu et d’ exercer le pouvoir que je suis. Elle n’est que ma dégradation. Et tout
1070 riques ou sociologiques, sont comme une inversion de la théologie, — une théologie de la dégradation. L’opposition de Kier
1071 me une inversion de la théologie, — une théologie de la dégradation. L’opposition de Kierkegaard et de Hegel trouve ici so
1072 , — une théologie de la dégradation. L’opposition de Kierkegaard et de Hegel trouve ici son sens à la fois le plus profond
1073 de la dégradation. L’opposition de Kierkegaard et de Hegel trouve ici son sens à la fois le plus profond et le plus actuel
1074 annie la scandaleuse possibilité des actes libres de la Providence. L’entreprise pourrait être tenue pour grandiose si l’h
1075 oudrait se tenir dans l’instant, « sous le regard de Dieu », comme disent les chrétiens ? (Est-ce facile ? ou bien même po
1076 facile ? ou bien même possible ? Est-ce un effet de notre choix, ou un moment de notre vie ? Ils en parlent bien aisément
1077 le ? Est-ce un effet de notre choix, ou un moment de notre vie ? Ils en parlent bien aisément, les chrétiens…) Quelques at
1078 péril, mais sans voir l’homme dans l’ordre actuel de son péché, ni dans l’ordre à venir de la grâce. Ainsi Maurras, lorsqu
1079 râce. Ainsi Maurras, lorsqu’il dénonce les mythes de l’hégélianisme social. « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera d’
1080 hes de l’hégélianisme social. « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera d’en revoir l’origine. Pour voiler le présent ce
1081 cial. « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera d’ en revoir l’origine. Pour voiler le présent certain, ils hypothèquent
1082 , mais pour gagner ce dernier gage, les habitudes de l’esprit religieux leur font concevoir une Âme du Monde qu’ils se fig
1083 ais sans franchise ni précision) comme une espèce de vertébré monstre, invisible, mystérieusement répandu et vaporisé dans
1084 r (comment et pourquoi ?) nos désirs. Cette sorte de providence brute, tout à fait inintelligible, est le simple succédané
1085 ut à fait inintelligible, est le simple succédané de l’intelligible providence surnaturelle53 ». Mais qui ne voit que cett
1086 e vivre. Et comment vivrait-il, sinon par l’appel de la Providence ? Et comment se rendre à l’appel, si l’on pose ses cond
1087 s prétentions rationalistes ! « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera d’en revoir l’origine. » Seul, Kierkegaard sait
1088 tes ! « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera d’ en revoir l’origine. » Seul, Kierkegaard sait nous la désigner : elle
1089 nous la désigner : elle est dans le refus moderne de cette « catégorie du solitaire », de l’homme qui vit de la Parole seu
1090 efus moderne de cette « catégorie du solitaire », de l’homme qui vit de la Parole seulement, entre les temps, dans l’insta
1091 te « catégorie du solitaire », de l’homme qui vit de la Parole seulement, entre les temps, dans l’instant éternel. 6.Le
1092 ce hégélien, c’est l’objectivité : cette attitude de l’homme qui ne veut plus être sujet de son action, qui l’abandonne au
1093 e attitude de l’homme qui ne veut plus être sujet de son action, qui l’abandonne aux lois de l’Évolution. Kierkegaard au c
1094 tre sujet de son action, qui l’abandonne aux lois de l’Évolution. Kierkegaard au contraire nous répète : La subjectivité e
1095 ubjectivité est la vérité. La liberté, la dignité de l’homme, c’est qu’il soit le seul sujet de sa vie. Mais encore faut-i
1096 ignité de l’homme, c’est qu’il soit le seul sujet de sa vie. Mais encore faut-il se garder d’entendre l’expression au sens
1097 ul sujet de sa vie. Mais encore faut-il se garder d’ entendre l’expression au sens des romantiques. Je suis sujet, mais il
1098 omantiques. Je suis sujet, mais il reste à savoir d’ où vient ce je, comment il peut agir. S’agit-il d’un impérialisme du m
1099 d’où vient ce je, comment il peut agir. S’agit-il d’ un impérialisme du moi pur, tel que Fichte l’a follement rêvé ? Si c’e
1100 oi du choix concret. Maintenant, tu vas témoigner de la puissance que ton savoir exerce sur ta vie. Tu te croyais un moi :
1101 tombe du « héros », dernière insulte54. Il s’agit de savoir maintenant au nom de quoi tu agiras, si tu agis. Un « moi pur 
1102 u agis. Un « moi pur », son premier devoir, c’est de persévérer dans son être agissant : en cette extrémité, le compromis
1103 évoltante que rien au monde ne pourrait permettre d’ accepter, quand le martyr reçoit sa mort avec une sorte de sobriété…
1104 er, quand le martyr reçoit sa mort avec une sorte de sobriété… Le croyant seul agit et seul il peut être sujet de son act
1105 Le croyant seul agit et seul il peut être sujet de son action, mais c’est qu’il est, dans l’autre sens du terme, assujet
1106 qui vit en lui. C’est dans ce sens que la formule de Kierkegaard est vraie. Cette sujétion totale est seule active. Elle e
1107 . Elle est aussi présence au monde. Dans ce temps de la masse où nous vivons, le « solitaire devant Dieu » est aussi l’hom
1108 lui, il peut réellement et jusqu’au bout accepter de vivre hic et nunc, — quand la foule est ubiquité et fuite sans fin da
1109 l’avenir. 7.Un seul utile à tous La phrase de Carlyle est comme, résumant l’utilitarisme de Bentham : « Étant donné
1110 ase de Carlyle est comme, résumant l’utilitarisme de Bentham : « Étant donné un monde plein de coquins, montrer que la ver
1111 tarisme de Bentham : « Étant donné un monde plein de coquins, montrer que la vertu est le résultat de leurs aspirations co
1112 de coquins, montrer que la vertu est le résultat de leurs aspirations collectives. » Renversant ce rapport, il me restera
1113 Renversant ce rapport, il me resterait à montrer de Kierkegaard que sa « catégorie du solitaire » est le seul fondement p
1114 rie du solitaire » est le seul fondement pratique d’ une collectivité vraiment vivante. Cependant, il vaut mieux se garder
1115 iment vivante. Cependant, il vaut mieux se garder d’ insister sur un tel rétablissement. Pour deux raisons, je crois. Qui,
1116 considérer comme donnée ? La tentation est forte, de passer d’une critique des collectivités mensongères à l’utopie d’une
1117 comme donnée ? La tentation est forte, de passer d’ une critique des collectivités mensongères à l’utopie d’une communauté
1118 critique des collectivités mensongères à l’utopie d’ une communauté chrétienne, par l’artifice indispensable, mais peut-êtr
1119 indispensable, mais peut-être aussi tout formel, de l’isolement devant Dieu. D’autre part l’acte du « solitaire » n’est p
1120 u. D’autre part l’acte du « solitaire » n’est pas de ceux dont nous ayons à développer les conséquences. Ou bien il est, e
1121 les conséquences. Ou bien il est, et c’est l’acte de Dieu ; ou bien je l’imagine et mon discours est vain. À qui pressent
1122 rkegaard a témoigné, il ne paraît plus nécessaire de réfuter les objections du « sens social ». Plusieurs ouvrages de Kier
1123 objections du « sens social ». Plusieurs ouvrages de Kierkegaard portent cette dédicace fameuse : Au solitaire, que j’appe
1124 se sent atteint ; mais si l’on parle au solitaire de son angoisse, c’est de la mienne. Kierkegaard s’adresse au chrétien c
1125 si l’on parle au solitaire de son angoisse, c’est de la mienne. Kierkegaard s’adresse au chrétien comme au seul responsabl
1126 mi nous. Il sait bien qu’en tous temps le malheur de l’époque ne provient pas de ce qu’elle est « sans Dieu » — mais bien
1127 tous temps le malheur de l’époque ne provient pas de ce qu’elle est « sans Dieu » — mais bien plutôt de ce qu’elle est san
1128 e ce qu’elle est « sans Dieu » — mais bien plutôt de ce qu’elle est sans maîtres, c’est-à-dire sans martyrs pour l’enseign
1129 saveur, c’est à lui seul que l’on peut reprocher d’ être insipide. Rien ne sera jamais réel pour tous, si rien d’abord n’e
1130 us aider ? Ou bien seulement nous a-t-il délivrés de nos derniers prétextes, de nos dernières incertitudes sur la nature e
1131 t nous a-t-il délivrés de nos derniers prétextes, de nos dernières incertitudes sur la nature et sur les exigences concrèt
1132 udes sur la nature et sur les exigences concrètes de l’Esprit ? Mais ne fallait-il pas qu’il ait connu de grandes aides po
1133 l’Esprit ? Mais ne fallait-il pas qu’il ait connu de grandes aides pour oser nous montrer la vanité de toutes les nôtres ?
1134 de grandes aides pour oser nous montrer la vanité de toutes les nôtres ? Somnium narrare vigilantis est, dit Sénèque. L’av
1135 narrare vigilantis est, dit Sénèque. L’aveu total de notre désespoir témoigne seul de la consolation. 19. Alleluia : L
1136 ue. L’aveu total de notre désespoir témoigne seul de la consolation. 19. Alleluia : Louez l’Éternel ! — Kierkegaard av
1137 s auparavant : « Il n’y a pas eu, durant 1800 ans de christianisme, de tâche comparable à la mienne. Dans la « chrétienté 
1138 l n’y a pas eu, durant 1800 ans de christianisme, de tâche comparable à la mienne. Dans la « chrétienté », elle apparaît p
1139  ». 20. Point de vue explicatif sur ma carrière d’ auteur (1848). 21. Rapporté par Georges Brandès, dans Søren Kierkegaa
1140 nous imaginions si dépouillée, toute la confusion de l’époque. 24. Vie et règne de l’amour. 25. Vie et règne de l’amo
1141 oute la confusion de l’époque. 24. Vie et règne de l’amour. 25. Vie et règne de l’amour. 26. « Tristesse de Néron »
1142 24. Vie et règne de l’amour. 25. Vie et règne de l’amour. 26. « Tristesse de Néron » dans De deux choses l’une. 27.
1143 25. Vie et règne de l’amour. 26. « Tristesse de Néron » dans De deux choses l’une. 27. Apprentissage du christianis
1144 ègne de l’amour. 26. « Tristesse de Néron » dans De deux choses l’une. 27. Apprentissage du christianisme. 28. Dans ce
1145 rie récemment « découverte » par nos psychologues de ce qui « se fait se faisant » est une antilogie chrétienne au premier
1146 Chez les Hindous, elle n’est encore qu’une forme de l’agitation humaine. Pour le chrétien elle signifie une transformatio
1147 our l’Hindou, cette catégorie suppose la primauté d’ un Esprit sans contenu ; pour le chrétien, la primauté d’une Personne.
1148 prit sans contenu ; pour le chrétien, la primauté d’ une Personne. 29. « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière
1149 . Die Chimäre, trad. française dans les Éléments de la grandeur humaine (NRF). 31. « Le prophète se lève et tombe avec s
1150 tombe avec sa mission » (Karl Barth). Il n’a pas de biographie. Rien ne serait plus ridicule que de tenter de faire la ps
1151 s de biographie. Rien ne serait plus ridicule que de tenter de faire la psychologie d’un prophète, ou bien alors elle se r
1152 aphie. Rien ne serait plus ridicule que de tenter de faire la psychologie d’un prophète, ou bien alors elle se réduirait à
1153 us ridicule que de tenter de faire la psychologie d’ un prophète, ou bien alors elle se réduirait à la syntaxe et au style
1154 alors elle se réduirait à la syntaxe et au style de son message. 32. Journal, « L’imitation suivra », en allemand : « d
1155 retrouvons cette définition du temps comme refus de l’instant et de l’obéissance immédiate à la parole. Mais la ressembla
1156 e définition du temps comme refus de l’instant et de l’obéissance immédiate à la parole. Mais la ressemblance n’est que fo
1157 ré par l’angoisse du pécheur, tandis que le temps de Schopenhauer est l’« idéalité » du sujet connaissant, — une chimère s
1158 itualiste, une nostalgie. C’est pourquoi le temps de Kierkegaard peut connaître une rédemption par l’acte, quand celui de
1159 connaître une rédemption par l’acte, quand celui de Schopenhauer s’évanouit en pure absence. 37. K. entend : en vertu de
1160 ce paradoxe impensable, l’Incarnation historique de Dieu. Pas de réponse rationnelle au « Cur Deus Homo ? » de saint Anse
1161 impensable, l’Incarnation historique de Dieu. Pas de réponse rationnelle au « Cur Deus Homo ? » de saint Anselme. 38. Cr
1162 Pas de réponse rationnelle au « Cur Deus Homo ? » de saint Anselme. 38. Crainte et tremblement. 39. Actes de l’amour.
1163 nselme. 38. Crainte et tremblement. 39. Actes de l’amour. 40. Traduction française sous le titre de Traité du désespo
1164 l’amour. 40. Traduction française sous le titre de Traité du désespoir. C’est une laïcisation. Kierkegaard se rapportait
1165 C’est une laïcisation. Kierkegaard se rapportait de la façon la plus précise à Jean XI.4. 41. Richtet selbst. 42. Tout
1166 années 1846 à 1848, on trouve quelques notations de ce genre : « Grande sera ma responsabilité si je rejette une mission
1167 sera ma responsabilité si je rejette une mission de cette sorte » — c’est-à-dire s’il rejette sa mission d’écrivain relig
1168 te sorte » — c’est-à-dire s’il rejette sa mission d’ écrivain religieux pour se faire pasteur de campagne, par exemple. C’e
1169 ission d’écrivain religieux pour se faire pasteur de campagne, par exemple. C’est, dit-il, que sa consigne est de « tenir
1170 , par exemple. C’est, dit-il, que sa consigne est de « tenir bon en souffrant ». Le presbytère de campagne serait une solu
1171 est de « tenir bon en souffrant ». Le presbytère de campagne serait une solution commode, surtout au regard des souffranc
1172 une enquête « sur la rencontre la plus importante de votre vie », M. Clément Vautel, porte-parole du Bourgeois, répondit n
1173 ne est protestant », ajoute M. Benda qui, en fait de protestant, ne connaît guère que Renouvier. 48. Jean, XI.4. Jésus di
1174 t guère que Renouvier. 48. Jean, XI.4. Jésus dit de Lazare à l’agonie : « Cette maladie n’est point à la mort ». Or Jésus
1175 doutable est le péché. 49. Stades sur le chemin de la vie. 50. L’Instant. 51. Journal. 52. La Maladie mortelle. 5
1176 ussi exceptionnel que le martyre ? Pour la pureté de la vision. L’inévitable rappel aux nécessités quotidiennes n’est qu’u
1177 aux nécessités quotidiennes n’est qu’un prétexte de l’angoisse. Si la vie quotidienne est si peu dramatique, cela ne sign
1178 fameuse « vie quotidienne » n’est peut-être rien d’ autre qu’un dernier méfait de la « foule » dans notre existence morale
1179 n’est peut-être rien d’autre qu’un dernier méfait de la « foule » dans notre existence morale. Une question mal posée. Un
6 1944, Les Personnes du drame. I. Sagesse et folie de la personne — 4. Franz Kafka, ou l’aveu de la réalité
1180 4.Franz Kafka ou l’aveu de la réalité Franz Kafka naquit à Prague en 1883, et passa dans cette
1181 , et passa dans cette ville la plus grande partie de sa vie. Docteur en droit, il travailla d’abord au service d’une compa
1182 Docteur en droit, il travailla d’abord au service d’ une compagnie d’assurances générales, puis d’une compagnie d’assurance
1183 , il travailla d’abord au service d’une compagnie d’ assurances générales, puis d’une compagnie d’assurances ouvrières. Il
1184 vice d’une compagnie d’assurances générales, puis d’ une compagnie d’assurances ouvrières. Il s’essaya aussi dans un atelie
1185 gnie d’assurances générales, puis d’une compagnie d’ assurances ouvrières. Il s’essaya aussi dans un atelier de menuiserie,
1186 nces ouvrières. Il s’essaya aussi dans un atelier de menuiserie, et fit un stage prolongé dans une entreprise de jardinage
1187 rie, et fit un stage prolongé dans une entreprise de jardinage. Lorsqu’il voulut émigrer à Berlin, pour s’y vouer enfin à
1188 dont il mourut à Vienne en 1924. Kafka n’a publié de son vivant qu’un petit nombre de récits. Mais on trouva dans ses papi
1189 Kafka n’a publié de son vivant qu’un petit nombre de récits. Mais on trouva dans ses papiers les manuscrits presque comple
1190 dans ses papiers les manuscrits presque complets de trois romans : le Procès, le Château, et Amérique. Le regard qu’il y
1191 mérique. Le regard qu’il y porte sur le monde est d’ une précision proprement angoissante. Il considère notre vie quotidien
1192 vec une minutie qu’elle ne supporte guère. L’état d’ extrême lucidité que suscite en nous cette vision ressemble à s’y mépr
1193 e tant de poètes s’efforçaient, à la même époque, de délirer méthodiquement, Kafka nous ramène sans cesse, avec une sorte
1194 ent, Kafka nous ramène sans cesse, avec une sorte d’ humour inflexible, à la conscience la plus sobre de notre humaine cond
1195 ’humour inflexible, à la conscience la plus sobre de notre humaine condition. On dirait qu’il incite ses héros à pratiquer
1196 s à pratiquer contre la vie bourgeoise une espèce de « grève perlée » : c’est à force de conscience, de naturel, d’exactit
1197 e « grève perlée » : c’est à force de conscience, de naturel, d’exactitude dans l’exercice de leurs tâches banales et de l
1198 rlée » : c’est à force de conscience, de naturel, d’ exactitude dans l’exercice de leurs tâches banales et de leurs relatio
1199 science, de naturel, d’exactitude dans l’exercice de leurs tâches banales et de leurs relations sociales, qu’ils en découv
1200 titude dans l’exercice de leurs tâches banales et de leurs relations sociales, qu’ils en découvrent la foncière incohérenc
1201 fait-divers s’agrandit peu à peu aux proportions d’ une parabole de l’existence. Ou bien c’est le contraire : partant d’un
1202 agrandit peu à peu aux proportions d’une parabole de l’existence. Ou bien c’est le contraire : partant d’un fait inexplica
1203 l’existence. Ou bien c’est le contraire : partant d’ un fait inexplicable et monstrueux55 survenu dans la vie de son héros,
1204 inexplicable et monstrueux55 survenu dans la vie de son héros, Kafka nous amène à penser que le détail de l’existence ban
1205 on héros, Kafka nous amène à penser que le détail de l’existence banale, et le sentiment d’étrangeté qui par moments l’acc
1206 le détail de l’existence banale, et le sentiment d’ étrangeté qui par moments l’accompagne en sourdine, s’expliquent de la
1207 ar moments l’accompagne en sourdine, s’expliquent de la manière la plus « logique » sitôt qu’on les rapporte à ce fait ini
1208 ’on les rapporte à ce fait initial, mystérieux et d’ apparence extravagante. Derrière cette psychologie de l’angoisse quoti
1209 pparence extravagante. Derrière cette psychologie de l’angoisse quotidienne, l’on pressent chez Kafka des intentions relig
1210 intentions religieuses, et la recherche au moins d’ une théologie. Tout cela, non pas exprimé, mais voilé et seulement tra
1211 es plus fréquentes et les préoccupations sociales de Kafka, telles que nous les décrit son biographe Max Brod, peuvent nou
1212 Max Brod, peuvent nous aider à deviner la nature de son dessein énigmatique. Sa passion de l’absolu moral est typiquement
1213 la nature de son dessein énigmatique. Sa passion de l’absolu moral est typiquement israélite, mais sa psychologie de l’an
1214 al est typiquement israélite, mais sa psychologie de l’angoisse s’inspire visiblement de Kierkegaard, qu’il fut l’un des p
1215 a psychologie de l’angoisse s’inspire visiblement de Kierkegaard, qu’il fut l’un des premiers à découvrir au xxe siècle.
1216 écouvrir au xxe siècle. D’autre part, sa volonté de sobriété, d’éducation des forces spirituelles par l’activité pratique
1217 xe siècle. D’autre part, sa volonté de sobriété, d’ éducation des forces spirituelles par l’activité pratique et sociale,
1218 et sociale, volonté qui se manifeste tout au long de son existence, se rattache non moins certainement à son admiration po
1219 us suggestif que cette rencontre en un seul homme de deux influences aussi contradictoires, et à tant d’égards exclusives.
1220 deux influences aussi contradictoires, et à tant d’ égards exclusives. J’y vois une occasion privilégiée de confronter dan
1221 rds exclusives. J’y vois une occasion privilégiée de confronter dans le vif d’une existence les aventures spirituelles déc
1222 ne occasion privilégiée de confronter dans le vif d’ une existence les aventures spirituelles décrites dans les pages qui p
1223 Je ne sais pas si le Procès est le chef-d’œuvre de Kafka, mais il est difficile d’imaginer un livre plus profond. On a m
1224 t le chef-d’œuvre de Kafka, mais il est difficile d’ imaginer un livre plus profond. On a même l’impression, en le lisant,
1225 us profond. On a même l’impression, en le lisant, de lire pour la première fois un livre absolument profond. Non qu’il pré
1226 leur vie se justifiait en soi. Joseph K., fondé de pouvoir dans une banque, se voit arrêté un beau matin par deux inspec
1227 rennent qu’il est inculpé, mais ils ne savent pas de quoi, et n’ont pas qualité pour le savoir. Puis on lui rend la libert
1228 u procès, des démarches que tente l’accusé auprès d’ une justice insaisissable, infiniment pédante, au surplus corrompue et
1229 ter. L’histoire se passe dans la réalité blafarde d’ une ville moderne, à peine retouchée, çà et là, par une rapide griffur
1230 apide griffure expressionniste. Il faut se garder de croire que l’auteur s’est donné le bénéfice d’un mystère dont il s’am
1231 er de croire que l’auteur s’est donné le bénéfice d’ un mystère dont il s’amuserait à nous cacher la clé. Le Procès n’est n
1232 emment. Mais la justice qui le poursuit n’est pas de celles dont on se débarrasse en acceptant ou même en refusant ses exi
1233 asant. Il ressemble pas mal à la vie. Le réalisme de Kafka n’a rien de commun avec ce que les manuels ou les journaux nomm
1234 e pas mal à la vie. Le réalisme de Kafka n’a rien de commun avec ce que les manuels ou les journaux nomment réalisme. Il n
1235 exemple, que la goujaterie est le meilleur moyen de parvenir, ni à poser que les idées d’un manœuvre ont plus de réalité
1236 lleur moyen de parvenir, ni à poser que les idées d’ un manœuvre ont plus de réalité que les vapeurs d’une héroïne de roman
1237 , ni à poser que les idées d’un manœuvre ont plus de réalité que les vapeurs d’une héroïne de roman bourgeois. Le réalisme
1238 d’un manœuvre ont plus de réalité que les vapeurs d’ une héroïne de roman bourgeois. Le réalisme de Kafka réside dans la so
1239 ont plus de réalité que les vapeurs d’une héroïne de roman bourgeois. Le réalisme de Kafka réside dans la sobriété de sa v
1240 urs d’une héroïne de roman bourgeois. Le réalisme de Kafka réside dans la sobriété de sa vision, et c’est au fond, sa visi
1241 ois. Le réalisme de Kafka réside dans la sobriété de sa vision, et c’est au fond, sa vision même qui est le vrai sujet du
1242 ersations banales n’a pu être obtenue qu’au moyen d’ une suspension du jugement, qui est en elle-même tout le drame du Proc
1243 n elle-même tout le drame du Procès. Constatation de la réalité telle qu’elle est, et en même temps, au moment où la révol
1244 emps, au moment où la révolte point, constatation de la vanité absolue de toute appréciation, de toute prise de parti, — d
1245 révolte point, constatation de la vanité absolue de toute appréciation, de toute prise de parti, — de tout acte. Tous les
1246 ation de la vanité absolue de toute appréciation, de toute prise de parti, — de tout acte. Tous les efforts des hommes — y
1247 ité absolue de toute appréciation, de toute prise de parti, — de tout acte. Tous les efforts des hommes — y compris ceux d
1248 de toute appréciation, de toute prise de parti, —  de tout acte. Tous les efforts des hommes — y compris ceux des philosoph
1249 érils, tantôt subtils, pour éluder le sérieux fou de la vie réelle, pour l’assimiler à un jeu dont il serait possible de s
1250 pour l’assimiler à un jeu dont il serait possible de sortir, dans la mesure où l’on connaît ses règles. C’est ainsi que l’
1251 connaît ses règles. C’est ainsi que l’on a tenté d’ assimiler la vision de Kafka à celle du rêve. Et il est vrai que la co
1252 ’est ainsi que l’on a tenté d’assimiler la vision de Kafka à celle du rêve. Et il est vrai que la complicité qui, dans le
1253 ux prévenus, est un trait caractéristique du rêve d’ angoisse. Mais si Kafka ou son héros n’étaient que des rêveurs, il res
1254 une évasion : se réveiller. Et le sérieux dernier de la situation s’évanouirait. Je ne crois pas que Kafka ait vécu dans u
1255 s tous. Tout au plus dans une autre vision, celle de l’homme « arrêté », précisément, celle de l’homme qui pense et qui vi
1256 , celle de l’homme « arrêté », précisément, celle de l’homme qui pense et qui vit dans la suspension du jugement. Joseph K
1257 ension du jugement. Joseph K. a vu le monde avant d’ agir, et demeure prisonnier de cette vision, qui ne lui laissera plus
1258 a vu le monde avant d’agir, et demeure prisonnier de cette vision, qui ne lui laissera plus jamais qu’une liberté provisoi
1259 our avouer le sérieux dernier, le tragique absolu de notre condition, pour avouer qu’on ne peut pas se réveiller de ce cau
1260 ition, pour avouer qu’on ne peut pas se réveiller de ce cauchemar universel, il faut avoir, ne fût-ce qu’une fois, dans l’
1261 faut avoir, ne fût-ce qu’une fois, dans l’éclair d’ un pressentiment, dépassé le plan de cette vie. De même qu’on ne peut
1262 dans l’éclair d’un pressentiment, dépassé le plan de cette vie. De même qu’on ne peut juger toute l’étendue des ravages du
1263 er toute l’étendue des ravages du capitalisme que d’ un point de vue révolutionnaire, de même le scandale de vivre ne peut
1264 point de vue révolutionnaire, de même le scandale de vivre ne peut être apprécié sérieusement que d’un point de vue en que
1265 e de vivre ne peut être apprécié sérieusement que d’ un point de vue en quelque sorte antivital, ou transcendant. Il n’est
1266 uelque sorte antivital, ou transcendant. Il n’est d’ aveux que du passé, autrement dit : du dépassé. C’est pourquoi le roma
1267 trement dit : du dépassé. C’est pourquoi le roman de Kafka suppose, du seul fait qu’il existe, une sorte de révélation, un
1268 fka suppose, du seul fait qu’il existe, une sorte de révélation, un « ailleurs » au moins pressenti, qu’il s’agirait de re
1269 « ailleurs » au moins pressenti, qu’il s’agirait de retrouver au travers des lacunes du réel. De quelle nature était la t
1270 rait de retrouver au travers des lacunes du réel. De quelle nature était la transcendance qui a conditionné la vision de K
1271 tait la transcendance qui a conditionné la vision de Kafka ? ⁂ Dans un appendice au Procès, Max Brod nous dit comment il d
1272 lier — dont ce roman. Quels étaient les scrupules de Kafka ? « Il voulait son œuvre à l’échelle de ses préoccupations reli
1273 les de Kafka ? « Il voulait son œuvre à l’échelle de ses préoccupations religieuses », nous dit-on. Et la critique, gênée,
1274 t-on. Et la critique, gênée, passe outre, ou fait de la psychologie. Mais se taire équivaut ici à une complicité avec les
1275 in le dernier mot soit dit. Ignorant presque tout de Kafka, après une première lecture du Procès, j’en étais venu à me pos
1276 pur hasard si la théologie chrétienne rend compte de presque toutes les situations de ce livre ? Est-ce pur hasard si elle
1277 enne rend compte de presque toutes les situations de ce livre ? Est-ce pur hasard si elle nous offre les formules qui para
1278 mieux aptes à résumer les principales péripéties de cette vaste action judiciaire ? Je dis bien : résumer, car mille déta
1279 ’un souvenir global, cette inoubliable atmosphère de cauchemar poursuivi dans la veille, une sorte de schéma dogmatique tr
1280 de cauchemar poursuivi dans la veille, une sorte de schéma dogmatique transparaît. Tout homme qui a connu l’existence de
1281 e transparaît. Tout homme qui a connu l’existence de la Loi se connaît condamnable, quoi qu’il fasse : « Il n’y a pas un j
1282 mmes tous, virtuellement, des prévenus : ce point de départ du Procès se trouve dans les épîtres de saint Paul56. Quel est
1283 nt de départ du Procès se trouve dans les épîtres de saint Paul56. Quel est alors le Juge impitoyable ? C’est le Dieu qui
1284 e : l’instance suprême existe et délibère au-delà de toutes nos imaginations. Comment pourrions-nous lui parler, et que se
1285 s. Comment pourrions-nous lui parler, et que sert de se justifier ? Dans cet état d’impuissance tragique, nous sommes prêt
1286 rler, et que sert de se justifier ? Dans cet état d’ impuissance tragique, nous sommes prêts à saisir la moindre invite du
1287 avocats marrons qui disent connaître les secrets de la Justice. Ils n’inspirent pas précisément confiance, mais qui sait 
1288 fiance, mais qui sait ? Nous n’avons pas le droit de négliger cette chance minime et humiliante. Et peu à peu nous croyons
1289 Et peu à peu nous croyons pressentir qu’ils sont de mèche avec le Juge ! Du moins nous le laissent-ils entendre. C’est pe
1290 nouvelle imposture. Mais ils en tirent une sorte de prestige, et même d’autant plus envoûtant que nous n’avons aucun moye
1291 Mais ils en tirent une sorte de prestige, et même d’ autant plus envoûtant que nous n’avons aucun moyen de vérifier s’il es
1292 utant plus envoûtant que nous n’avons aucun moyen de vérifier s’il est fondé. Prêtres et mages, derniers appuis de l’homme
1293 s’il est fondé. Prêtres et mages, derniers appuis de l’homme contre Dieu ! À vrai dire, ils sont impuissants, prévenus eux
1294 plicité universelle, me fait songer à la « misère de l’homme » non pas « sans Dieu » mais livré à un Dieu dont il ne peut
1295 e que la colère, non la miséricorde. C’est l’état de l’homme qui sait que Dieu existe, mais qui ne peut plus lui obéir, et
1296 vement : et à partir du point précis où la vision de Kafka « l’arrêtait ». « Nul ne vient au Père que par moi ». C’est par
1297 Fils que Dieu devient pour nous le Père et cesse d’ être le Juge lointain. Mais alors l’acquittement est possible et la gr
1298 est bien l’issue, la possibilité donnée à l’homme de marcher, d’échapper à « l’arrêt ». Mais c’est aussi grâce à cette foi
1299 ssue, la possibilité donnée à l’homme de marcher, d’ échapper à « l’arrêt ». Mais c’est aussi grâce à cette foi que nous co
1300 onnaissons notre état — parce qu’elle nous permet d’ en sortir —, que nous mesurons le réel, et que nous pouvons l’avouer.
1301 iculté : je vois bien dans le Procès l’aveu voilé de notre état, je vois bien que cet aveu suppose au moins l’entrevision
1302 bien que cet aveu suppose au moins l’entrevision d’ une foi — et pourtant le roman se termine par le triomphe atroce de la
1303 urtant le roman se termine par le triomphe atroce de la Loi, c’est-à-dire dans le désespoir, qui est l’absence reconnue de
1304 ire dans le désespoir, qui est l’absence reconnue de la foi. Tout ce qui précède pourrait être compris comme une illustrat
1305 cède pourrait être compris comme une illustration de l’état de péché révélé par l’instant de la conversion. Cette vision d
1306 ait être compris comme une illustration de l’état de péché révélé par l’instant de la conversion. Cette vision de l’homme
1307 ustration de l’état de péché révélé par l’instant de la conversion. Cette vision de l’homme arrêté pourrait être un regard
1308 vélé par l’instant de la conversion. Cette vision de l’homme arrêté pourrait être un regard en arrière vers l’humanité en
1309 n révolte et qui a perdu le chemin. Quelque chose d’ analogue au moment négatif d’un élan — d’un saut dans la vie de la foi
1310 hemin. Quelque chose d’analogue au moment négatif d’ un élan — d’un saut dans la vie de la foi — le moment où le corps se r
1311 ue chose d’analogue au moment négatif d’un élan —  d’ un saut dans la vie de la foi — le moment où le corps se ramasse et fe
1312 moment négatif d’un élan — d’un saut dans la vie de la foi — le moment où le corps se ramasse et feint de refuser le saut
1313 a foi — le moment où le corps se ramasse et feint de refuser le saut pour mieux se détendre l’instant d’après… Mais non, K
1314 ter, mais au dernier moment, il ne croit plus que de l’autre côté, il retombera sur un terrain solide. Ainsi demeure-t-il
1315 e-t-il dans l’oppression du souffle et la fatigue de l’effort qu’aucun acte ne vient accomplir57. Voici alors mon hypothès
1316 ccomplir57. Voici alors mon hypothèse : la vision de Kafka traduirait la situation de l’homme qui n’est plus soutenu, mais
1317 hèse : la vision de Kafka traduirait la situation de l’homme qui n’est plus soutenu, mais au contraire obscurément troublé
1318 que Dieu et sa Justice existent, mais il le sait d’ une manière négative, ou plutôt, il pressent qu’il l’a su, et cela suf
1319 et cela suffit à réveiller en lui le sens obscur d’ une culpabilité ; mais il a perdu la confiance que les époques naïves
1320 is il a perdu la confiance que les époques naïves de l’histoire (ou de sa propre histoire individuelle) mettaient dans la
1321 onfiance que les époques naïves de l’histoire (ou de sa propre histoire individuelle) mettaient dans la Révélation. Incapa
1322 viduelle) mettaient dans la Révélation. Incapable d’ y croire, il la refoule. Et dès lors, elle n’est plus en lui ce qui éc
1323 ement inquiète la raison et aggrave la conscience de l’angoisse, ce vide où l’homme demeure et ne peut demeurer. Si la foi
1324 rait l’assurance du pardon. Alors, ce sens obscur d’ une culpabilité pourrait devenir conscience claire du péché, du vrai p
1325 , qui est bien moins la faute morale que le refus d’ aimer Dieu en Christ. Si la foi survenait, Josef K. renoncerait aux va
1326 survenait, Josef K. renoncerait aux vains efforts d’ une justification par ses propres moyens moraux : il connaîtrait que l
1327 justement la foi ne survient pas. Le sens obscur d’ une culpabilité qui ne cesse de persécuter le prévenu n’aboutit pas à
1328 as. Le sens obscur d’une culpabilité qui ne cesse de persécuter le prévenu n’aboutit pas à cette conscience claire du péch
1329 oseph K. reste donc enfermé dans le cercle mortel de la Loi. Il reconnaît, en toute honnêteté, que l’homme ne peut en sort
1330 ence qualitative infinie entre Dieu et l’homme », de telle sorte que nulle communication ne peut s’établir de l’homme à Di
1331 e sorte que nulle communication ne peut s’établir de l’homme à Dieu, si l’on ne croit pas qu’elle a été établie, en sens i
1332 croit pas qu’elle a été établie, en sens inverse, de Dieu à l’homme, par la venue du Christ dans l’histoire. Kafka savait
1333 fisait à lui faire prendre une conscience cruelle de « l’arrêt » ; mais il ne pouvait croire à la réalité de ce chemin, et
1334 ’arrêt » ; mais il ne pouvait croire à la réalité de ce chemin, et c’est pourquoi il refusait de s’y engager. Il exigeait
1335 alité de ce chemin, et c’est pourquoi il refusait de s’y engager. Il exigeait une certitude préalable, que son regard étra
1336 ie quotidienne. Car le chemin n’existe, en vérité de vie, que pour celui qui ose y faire un pas sans voir. Mais il se déro
1337 Mais il se dérobe au regard qui veut le vérifier d’ avance. Cette conscience au sein de l’angoisse est un moment spirituel
1338 gaard l’a décrit dialectiquement, du point de vue d’ un croyant-malgré-tout. Kafka l’isole et s’y arrête avec une sorte d’h
1339 -tout. Kafka l’isole et s’y arrête avec une sorte d’ honnêteté méticuleuse, ironique et désespérée. II Le Château, où la
1340 les données du Château, et qui empêche son action d’ aboutir. « K », cette fois-ci, est arpenteur. On l’a convoqué au châte
1341 On l’a convoqué au château qui domine un village de montagne, pour lui confier, probablement, des travaux relevant de sa
1342 r lui confier, probablement, des travaux relevant de sa science. Mais il ne parviendra jamais à rejoindre Monsieur le comt
1343 ne à décrire minutieusement les vaines tentatives de K. pour pénétrer dans le château ; puis pour obtenir, à tout le moins
1344 du château. Parfois il reçoit un message émanant d’ un de ces bureaux. On le félicite pour son travail, quand il en est à
1345 hâteau. Parfois il reçoit un message émanant d’un de ces bureaux. On le félicite pour son travail, quand il en est à se ro
1346 ite pour son travail, quand il en est à se ronger d’ inaction ; ou bien on lui fait espérer, en termes vagues, une solution
1347 tion lointaine. Tout se passe dans une atmosphère de méfiance paysanne et tatillonne. Et la neige molle qui couvre le pays
1348 se être interprété, beaucoup n’ayant probablement d’ autre raison que de créer une atmosphère à la fois réaliste et dépaysa
1349 beaucoup n’ayant probablement d’autre raison que de créer une atmosphère à la fois réaliste et dépaysante. Mais de cette
1350 atmosphère à la fois réaliste et dépaysante. Mais de cette atmosphère, et de l’évolution générale du récit, se dégage une
1351 liste et dépaysante. Mais de cette atmosphère, et de l’évolution générale du récit, se dégage une parabole. Au reste, le c
1352 se dégage une parabole. Au reste, le commentaire de Brod, publié en postface au Château, rapproche de la certitude mes hy
1353 de Brod, publié en postface au Château, rapproche de la certitude mes hypothèses théologiques : « Qu’est-ce en effet que c
1354 étranges dossiers, son indéchiffrable hiérarchie de fonctionnaires, ses caprices, ses ruses, son exigence d’un respect ab
1355 tionnaires, ses caprices, ses ruses, son exigence d’ un respect absolu, d’une obéissance aveugle ? Sans exclure les interpr
1356 ces, ses ruses, son exigence d’un respect absolu, d’ une obéissance aveugle ? Sans exclure les interprétations moins vastes
1357 closes dans celle-ci comme des tiroirs intérieurs d’ un coffret chinois dans le grand tiroir qui les contient tous, on peut
1358 que ce « Château », où K. n’obtient pas le droit d’ entrer et dont il ne peut même pas approcher comme il faut, est exacte
1359  grâce » au sens des théologiens, le gouvernement de Dieu qui dirige les destinées humaines (le « village »), la vertu des
1360 délibérations mystérieuses qui planent au-dessus de nous. Le Procès et Le Château nous présenteraient donc les deux forme
1361 oute peut-on préciser davantage certains éléments de l’allégorie : j’en vois la clé dans l’œuvre de Kierkegaard. Les messa
1362 ts de l’allégorie : j’en vois la clé dans l’œuvre de Kierkegaard. Les messages reçus du Château ont tous les caractères de
1363 messages reçus du Château ont tous les caractères de cet autre message qu’est la Bible, selon Kierkegaard : il sera toujou
1364 le, selon Kierkegaard : il sera toujours loisible de douter de leur authenticité, on ignore même leur date exacte, et pour
1365 Kierkegaard : il sera toujours loisible de douter de leur authenticité, on ignore même leur date exacte, et pourtant il ar
1366 n chacun puisse les lire comme s’il s’agissait là de lettres écrites précisément pour lui, encore que leur contenu demeure
1367 au cours duquel un fonctionnaire du Château tente de séduire une jeune fille, illustre une situation analysée par Kierkega
1368 gaard dans Crainte et Tremblement : la suspension de l’éthique par Dieu lui-même, en vue de certaines fins particulières.
1369 encore ce que Kierkegaard dit les contradictions de la Bible : nécessaires pour ménager la liberté de l’acte de foi, et p
1370 de la Bible : nécessaires pour ménager la liberté de l’acte de foi, et par là même, preuves paradoxales de la divine inspi
1371 e : nécessaires pour ménager la liberté de l’acte de foi, et par là même, preuves paradoxales de la divine inspiration des
1372 ’acte de foi, et par là même, preuves paradoxales de la divine inspiration des Écritures. Enfin, l’antagonisme entre l’aub
1373 âteau, et la Chaumière où vit la famille méprisée de Barnabé, me paraît correspondre à la lutte entre les Églises établies
1374 entre les Églises établies et les petits groupes de dissidents illuminés. L’auberge inspire le respect dû à la richesse e
1375 nications presque directes… Incertitudes, retards de transmission, cruels échecs de la bonne volonté, succès décevants dus
1376 ertitudes, retards de transmission, cruels échecs de la bonne volonté, succès décevants dus au hasard ou au caprice d’un f
1377 nté, succès décevants dus au hasard ou au caprice d’ un fonctionnaire généralement incompétent, fatigue morbide, résignatio
1378 ignation rusée, défis puérils, — tout cela relève d’ un même état spirituel : le doute. Non pas un doute sur l’existence de
1379 tuel : le doute. Non pas un doute sur l’existence de Dieu, ici encore, mais bien sur la réalité du pardon gratuit, de la G
1380 core, mais bien sur la réalité du pardon gratuit, de la Grâce, incarnée, accomplie dans l’Histoire. Et certes, ce doute-là
1381 Et certes, ce doute-là sera toujours inséparable de la foi, dans le concret d’une vie chrétienne. Ce cri d’une femme deva
1382 a toujours inséparable de la foi, dans le concret d’ une vie chrétienne. Ce cri d’une femme devant Jésus : « Je crois, Seig
1383 foi, dans le concret d’une vie chrétienne. Ce cri d’ une femme devant Jésus : « Je crois, Seigneur, subviens toi-même à mon
1384 bviens toi-même à mon incrédulité », c’est le cri de la foi vivante, toujours combattue par la vue, par la certitude natur
1385 certitude naturelle. Et même, il est si difficile de concevoir une foi vivante privée de doute, qu’on serait tenté de teni
1386 si difficile de concevoir une foi vivante privée de doute, qu’on serait tenté de tenir le doute pour une preuve dialectiq
1387 e foi vivante privée de doute, qu’on serait tenté de tenir le doute pour une preuve dialectique de la foi. L’extraordinair
1388 nté de tenir le doute pour une preuve dialectique de la foi. L’extraordinaire, chez Kafka, c’est qu’il ait pu souffrir si
1389 ailler avec une si patiente férocité les éléments d’ incertitude qui signalent chez d’autres la foi, — quand lui-même ne l’
1390 s il s’y sent mal à l’aise : tout est bien vu, et de quels yeux impitoyables aux illusions de la routine ou des morales, m
1391 n vu, et de quels yeux impitoyables aux illusions de la routine ou des morales, mais tout est vu à partir du vertige, et n
1392 mais tout est vu à partir du vertige, et non pas de l’amour accepté. Le « saut » dont parle Kierkegaard est constamment i
1393 nstamment imaginé, mais jamais fait. Il n’y a pas de fait accompli : il n’y a pas eu d’incarnation. Reste une clairvoyance
1394 . Il n’y a pas de fait accompli : il n’y a pas eu d’ incarnation. Reste une clairvoyance ironique et lassée, et peut-être u
1395 ronique et lassée, et peut-être un dernier espoir de s’en tirer malgré l’absence de Dieu, de se faire une vie à force d’ap
1396 un dernier espoir de s’en tirer malgré l’absence de Dieu, de se faire une vie à force d’application, d’honnêteté dans les
1397 er espoir de s’en tirer malgré l’absence de Dieu, de se faire une vie à force d’application, d’honnêteté dans les petits e
1398 ré l’absence de Dieu, de se faire une vie à force d’ application, d’honnêteté dans les petits efforts, — sur un grand fond
1399 Dieu, de se faire une vie à force d’application, d’ honnêteté dans les petits efforts, — sur un grand fond d’absurdité.
1400 teté dans les petits efforts, — sur un grand fond d’ absurdité. III« K. » Entre la folie de Kierkegaard et la sagesse de
1401 and fond d’absurdité. III« K. » Entre la folie de Kierkegaard et la sagesse de Goethe Il semble bien que le Château,
1402  K. » Entre la folie de Kierkegaard et la sagesse de Goethe Il semble bien que le Château, roman posthume, devait se te
1403 , roman posthume, devait se terminer sur un échec de K. qui serait mort d’épuisement sans avoir obtenu rien de certain. « 
1404 it se terminer sur un échec de K. qui serait mort d’ épuisement sans avoir obtenu rien de certain. « Autour de son lit de m
1405 i serait mort d’épuisement sans avoir obtenu rien de certain. « Autour de son lit de mort, la commune se rassemble, et c’e
1406 avoir obtenu rien de certain. « Autour de son lit de mort, la commune se rassemble, et c’est à ce moment qu’arrive du Chât
1407 écision déclarant que K. n’a pas réellement droit de cité au village, mais qu’on l’autorise tout de même à y vivre et à y
1408 müht Den können wir erlösen.59 Et la biographie de Kafka vient confirmer cette interprétation. N’est-il pas curieusement
1409 évoluer ou plutôt osciller, en toute conscience, de Kierkegaard à Goethe ? Ces deux noms ne désignent-ils pas les pôles d
1410 he ? Ces deux noms ne désignent-ils pas les pôles de la tension spirituelle la plus vertigineuse qu’il soit donné de vivre
1411 spirituelle la plus vertigineuse qu’il soit donné de vivre à un Occidental ? Oui, Kierkegaard et Goethe sont, à mes yeux,
1412 , à mes yeux, les plus géniales personnifications d’ une éthique fondée dans la transcendance pure et d’une éthique fondée
1413 ’une éthique fondée dans la transcendance pure et d’ une éthique fondée dans l’immanence pure. Ils s’excluent réciproquemen
1414 t même avec dégoût. Kierkegaard n’avait pas assez de sarcasmes pour la sagesse solennelle du ministre de Weimar, et celui-
1415 sarcasmes pour la sagesse solennelle du ministre de Weimar, et celui-ci n’eût pas manqué de condamner la « folie » et l’«
1416 ministre de Weimar, et celui-ci n’eût pas manqué de condamner la « folie » et l’« absurde » du Danois, au nom de l’équili
1417 onquis par Faust… C’est pourquoi il m’est capital de situer l’œuvre de Kafka par rapport aux deux maîtres qu’il s’était ch
1418 C’est pourquoi il m’est capital de situer l’œuvre de Kafka par rapport aux deux maîtres qu’il s’était choisis, et qu’il n’
1419 res qu’il s’était choisis, et qu’il n’a pas cessé de cultiver, semble-t-il, simultanément. ⁂ Dire que le sens du transcend
1420 hangé en apparences, tout y prend justement l’air d’ apparences, partout s’insinue l’air du doute. C’est le courant d’air l
1421 artout s’insinue l’air du doute. C’est le courant d’ air léger que la bête du Terrier croit entendre siffler par les fissur
1422 endre siffler par les fissures toujours rouvertes de sa demeure souterraine. Tout objet, toute pensée et toute rencontre,
1423 e et suppose autre chose ? Mais il est impossible de savoir quoi : personne n’a traversé le voile et les messages intercep
1424 rme négative : dans l’angoisse, dans le sentiment d’ un étrange défaut de sens dernier. Et en effet, l’Absurde dont parlait
1425 l’angoisse, dans le sentiment d’un étrange défaut de sens dernier. Et en effet, l’Absurde dont parlait Kierkegaard, en con
1426 , multiplie dans la vie quotidienne les occasions de surprendre l’incongru, le manque de signification satisfaisante, la n
1427 les occasions de surprendre l’incongru, le manque de signification satisfaisante, la nécessité « d’autre chose » — dont la
1428 ue de signification satisfaisante, la nécessité «  d’ autre chose » — dont la nature reste inimaginable. Ce sentiment d’ango
1429 — dont la nature reste inimaginable. Ce sentiment d’ angoisse métaphysique, mais ressenti négativement, dans le détail conc
1430 ais ressenti négativement, dans le détail concret de la vie défectueuse, est proprement intolérable. Ou plutôt il ne serai
1431 i aurait saisi, ne fût-ce qu’une fois la promesse de sa délivrance. De fait, on ne voit guère que les chrétiens pour avoue
1432 fût-ce qu’une fois la promesse de sa délivrance. De fait, on ne voit guère que les chrétiens pour avouer le péché du mond
1433 tant même où elle révèle le pardon. Selon l’image de Thérèse d’Avila, souvent réinventée par les grands spirituels, c’est
1434 rsant la pénombre qui nous fait voir les millions de poussières en suspension dans l’air qu’on croyait pur. Or la vision t
1435 r qu’on croyait pur. Or la vision très singulière de Kafka sait discerner toutes ces poussières, mais sans le rayon. Cas u
1436 signification suprême reste une énigme ! L’espèce de fureur méthodique et infiniment ralentie — comme par une pitié frater
1437 ourrait faire soupçonner chez Kafka une intention de catharsis, de délivrance par l’excès. S’il rend la situation de l’hom
1438 soupçonner chez Kafka une intention de catharsis, de délivrance par l’excès. S’il rend la situation de l’homme tel qu’il l
1439 de délivrance par l’excès. S’il rend la situation de l’homme tel qu’il le voit si physiquement insupportable, n’est-ce pas
1440 able, n’est-ce pas pour exciter en lui la volonté d’ une décision équivalant à l’acte de foi ? Si c’était le cas, il convie
1441 lui la volonté d’une décision équivalant à l’acte de foi ? Si c’était le cas, il conviendrait de préciser que les données
1442 ’acte de foi ? Si c’était le cas, il conviendrait de préciser que les données mêmes du conflit prédéterminent sa solution.
1443 s, ne saurait aboutir ailleurs que dans l’éthique de l’immanence, qui est l’éthique du Second Faust. Le héros du Procès, J
1444 osef K. s’était vu condamné par la Justice, faute d’ un avocat venu d’en haut. Dans le Château, K. va se résigner à vivre,
1445 u condamné par la Justice, faute d’un avocat venu d’ en haut. Dans le Château, K. va se résigner à vivre, malgré tout, de s
1446 Château, K. va se résigner à vivre, malgré tout, de ses efforts. Non point qu’il nie l’existence de la Grâce. Mais il rép
1447 , de ses efforts. Non point qu’il nie l’existence de la Grâce. Mais il répète avec les sages — lui, le fou — quæ super nos
1448 cantonne dans la « réalité rugueuse ». Il essaie de s’y acquérir des mérites suffisants non pas pour entrer au ciel mais
1449 er au ciel mais simplement pour n’être pas rejeté de la commune condition humaine. Il imitera les philistins dans tous leu
1450 les philistins dans tous leurs gestes, conscient de récupérer par cet effort un droit de cité qui pour d’autres va de soi
1451 s, conscient de récupérer par cet effort un droit de cité qui pour d’autres va de soi. Angoisse kierkegaardienne, dans sa
1452 kierkegaardienne, dans sa source, mais qui, faute d’ aboutir à un Alleluia ! se rabat sur un Et allons !… Solution goethéen
1453 héenne dans ses fins apparentes, mais sur un fond d’ absurdité hostile, et non pas de confiance en la Nature. ⁂ Le chevalie
1454 mais sur un fond d’absurdité hostile, et non pas de confiance en la Nature. ⁂ Le chevalier de la foi, chez Kierkegaard, e
1455 non pas de confiance en la Nature. ⁂ Le chevalier de la foi, chez Kierkegaard, exécutait sans cesse le « saut » dans l’abs
1456 l’absolu, ou dans l’absurde, mais il l’exécutait d’ une telle façon qu’il retombait les deux pieds sur la terre et pouvait
1457 pouvait dès lors y agir et s’y promener comme si de rien n’était. Il avait « l’air d’un percepteur » et il était un témoi
1458 omener comme si de rien n’était. Il avait « l’air d’ un percepteur » et il était un témoin de la foi, au nom de l’absurde a
1459 t « l’air d’un percepteur » et il était un témoin de la foi, au nom de l’absurde accepté, qui se muait alors en libre Amou
1460 nom d’un Absurde qu’il fuit, au nom de la crainte d’ un Dieu inaccessible, et qui se rit de notre lucidité, sans parler de
1461 la crainte d’un Dieu inaccessible, et qui se rit de notre lucidité, sans parler de nos efforts tragi-comiques pour le séd
1462 ble, et qui se rit de notre lucidité, sans parler de nos efforts tragi-comiques pour le séduire ou le duper. Le chevalier
1463 omiques pour le séduire ou le duper. Le chevalier de la foi, revenu sur la terre ferme, aurait pu accepter, lui aussi, la
1464 re ferme, aurait pu accepter, lui aussi, la leçon de morale du Second Faust : comme une éthique de l’Incarnation, comme un
1465 çon de morale du Second Faust : comme une éthique de l’Incarnation, comme une œuvre exprimant la foi dans l’ordre provisoi
1466 dre provisoire du monde déchu : comme une manière de renoncer à connaître Dieu autrement qu’en obéissant aux exigences act
1467 autrement qu’en obéissant aux exigences actuelles de son amour. Mais l’exemple de K. suggère un autre usage de la sagesse
1468 exigences actuelles de son amour. Mais l’exemple de K. suggère un autre usage de la sagesse goethéenne. Cette morale peut
1469 mour. Mais l’exemple de K. suggère un autre usage de la sagesse goethéenne. Cette morale peut sans doute être adoptée, dan
1470 ant ; mais elle peut aussi subsister sans contenu d’ espérance ou de foi, et sans autre fin que terrestre. École de la pers
1471 peut aussi subsister sans contenu d’espérance ou de foi, et sans autre fin que terrestre. École de la personne, elle peut
1472 ou de foi, et sans autre fin que terrestre. École de la personne, elle peut aussi devenir une simple école de personnalité
1473 ersonne, elle peut aussi devenir une simple école de personnalités… D’où la méfiance où beaucoup de chrétiens tiennent le
1474 aussi devenir une simple école de personnalités… D’ où la méfiance où beaucoup de chrétiens tiennent le sobre activisme de
1475 beaucoup de chrétiens tiennent le sobre activisme de Faust. Au lieu d’y voir une modestie virile, et un refus de la specul
1476 Au lieu d’y voir une modestie virile, et un refus de la speculatio maiestatis, ils y distinguent la tentation prométhéenne
1477 atis, ils y distinguent la tentation prométhéenne d’ un monde organisé sans Dieu, d’une autarcie de l’immanence. Mais en fi
1478 ation prométhéenne d’un monde organisé sans Dieu, d’ une autarcie de l’immanence. Mais en fin de compte, une telle ambiguït
1479 nne d’un monde organisé sans Dieu, d’une autarcie de l’immanence. Mais en fin de compte, une telle ambiguïté n’est-elle pa
1480 ompte, une telle ambiguïté n’est-elle pas le fait de toute morale, de toute sagesse, même chrétienne d’inspiration ? Et la
1481 ambiguïté n’est-elle pas le fait de toute morale, de toute sagesse, même chrétienne d’inspiration ? Et la personne kierkeg
1482 e toute morale, de toute sagesse, même chrétienne d’ inspiration ? Et la personne kierkegaardienne, fondée dans la pure tra
1483 lité, soumise à la seule immanence ? Le chevalier de la foi a l’air d’un percepteur : qui peut jurer qu’il est, en fait, a
1484 seule immanence ? Le chevalier de la foi a l’air d’ un percepteur : qui peut jurer qu’il est, en fait, autre chose qu’un p
1485 s ici dans un domaine où l’on ne saurait imaginer de certitude non équivoque. Car c’est là le domaine de la foi. Et la foi
1486 certitude non équivoque. Car c’est là le domaine de la foi. Et la foi seule — qui n’est pas vérifiable — peut vérifier l’
1487 nom de quoi nous agissons, malgré l’« absurdité » de notre action, ou ses apparences raisonnables. Le témoignage de bouche
1488 on, ou ses apparences raisonnables. Le témoignage de bouche, dont parle saint Paul, l’allégation des motifs derniers, voil
1489 , chez Kierkegaard et chez Kafka le rôle possible de la foi. Et certes, je ne les ai confrontés, dans ces pages, que par l
1490 s ai confrontés, dans ces pages, que par le biais de leurs expressions : là où leurs expériences deviennent comparables, s
1491 sans avoir pu donner l’équivalent des Entretiens de Goethe, ou de l’opuscule de Kierkegaard sur son activité d’auteur. Si
1492 donner l’équivalent des Entretiens de Goethe, ou de l’opuscule de Kierkegaard sur son activité d’auteur. Si donc nous fûm
1493 valent des Entretiens de Goethe, ou de l’opuscule de Kierkegaard sur son activité d’auteur. Si donc nous fûmes parfois ten
1494 ou de l’opuscule de Kierkegaard sur son activité d’ auteur. Si donc nous fûmes parfois tentés d’inférer de ces trois œuvre
1495 ivité d’auteur. Si donc nous fûmes parfois tentés d’ inférer de ces trois œuvres géniales je ne sais quel jugement de valeu
1496 teur. Si donc nous fûmes parfois tentés d’inférer de ces trois œuvres géniales je ne sais quel jugement de valeur sur l’ex
1497 es trois œuvres géniales je ne sais quel jugement de valeur sur l’expérience intime qu’elles traduisent ou trahissent, l’e
1498 time qu’elles traduisent ou trahissent, l’exemple de Kafka est le plus propre à nous rappeler l’avertissement apostolique 
1499 nnus. 55. Par exemple : la métamorphose subite d’ un jeune homme en une bête innommable et même indescriptible (dans la
1500 image fera-t-elle pressentir la cause spirituelle de l’état de lassitude et d’empêchement où sont maintenus les héros du P
1501 -t-elle pressentir la cause spirituelle de l’état de lassitude et d’empêchement où sont maintenus les héros du Procès. Il
1502 ir la cause spirituelle de l’état de lassitude et d’ empêchement où sont maintenus les héros du Procès. Il se peut que la t
1503 vre des auteurs atteints du même mal l’atmosphère d’ oppression du Procès, il resterait à expliquer pourquoi le seul Kafka
1504 iquer pourquoi le seul Kafka sut mettre en œuvre, d’ une manière à ce point signifiante, cette prédisposition physiologique
1505 ise bien K. et non Kafka. Il ne serait pas licite d’ assimiler l’expérience intime de l’auteur à celle qu’il fait subir à s
1506 serait pas licite d’assimiler l’expérience intime de l’auteur à celle qu’il fait subir à son héros. Je suis certain qu’en
1507 fka reste beaucoup plus proche de Kierkegaard que de Goethe. 61. Et je ne parle même pas du philistin, incapable de soupç
1508 . Et je ne parle même pas du philistin, incapable de soupçonner que sa morale de bipède puisse être un renoncement au vol
1509 philistin, incapable de soupçonner que sa morale de bipède puisse être un renoncement au vol d’Icare, cette folie ne l’ay
1510 orale de bipède puisse être un renoncement au vol d’ Icare, cette folie ne l’ayant jamais tenté le moins du monde.
7 1944, Les Personnes du drame. II. Liberté et fatum — 5. Luther et la liberté de la personne
1511 5.Luther et la liberté de la personne Dire qu’on ignore Luther en France serait exagérer, mai
1512 ance serait exagérer, mais dans le sens contraire de celui qu’on imagine. Car on fait pis que de l’ignorer et même que de
1513 raire de celui qu’on imagine. Car on fait pis que de l’ignorer et même que de le méconnaître : on prétend, sans l’avoir ja
1514 ine. Car on fait pis que de l’ignorer et même que de le méconnaître : on prétend, sans l’avoir jamais lu, savoir qui il fu
1515 fut, qui il est. Certains ont parcouru les Propos de table, présentés au public français comme un ouvrage capital : ils s’
1516 rançais comme un ouvrage capital : ils s’étonnent d’ y trouver si peu de substance théologique et tant de plaisanteries par
1517 ique et tant de plaisanteries parfois grossières, de platitudes, de contradictions. Est-ce avec cela que s’est faite la Ré
1518 plaisanteries parfois grossières, de platitudes, de contradictions. Est-ce avec cela que s’est faite la Réforme ? D’autre
1519 utenir que Luther fut un démagogue, un exploiteur de l’éternel ressentiment de la race allemande contre la civilisation ro
1520 émagogue, un exploiteur de l’éternel ressentiment de la race allemande contre la civilisation romaine. Au lieu de rapporte
1521 porter à son germanisme originel certains défauts de Luther, on rapporte au luthéranisme tout ce qui choque dans l’Allemag
1522 réé le germanisme. Comme s’il était l’ancêtre non de Niemöller, chrétien et luthérien, mais de Hitler, païen né catholique
1523 tre non de Niemöller, chrétien et luthérien, mais de Hitler, païen né catholique. Pour l’opinion moyenne sur Luther, je cr
1524 illies par des biographes amateurs, et à l’action de la polémique catholique (Denifle, Maritain, Grisar), mettent le publi
1525 tain, Grisar), mettent le public français en état d’ infériorité assez grave sur le plan de la culture générale. Car ignore
1526 ais en état d’infériorité assez grave sur le plan de la culture générale. Car ignorer ou méconnaître Luther, c’est ignorer
1527 méconnaître un des deux ou trois moments décisifs de la tradition d’Occident, c’est s’interdire de rien comprendre à la gr
1528 es deux ou trois moments décisifs de la tradition d’ Occident, c’est s’interdire de rien comprendre à la grande discussion
1529 ifs de la tradition d’Occident, c’est s’interdire de rien comprendre à la grande discussion millénaire, à la grande tensio
1530 u libre arbitre, opposant Érasme à Luther, permet de définir symboliquement les pôles : pensée « pure » et pensée « engagé
1531 s le plan théologique, ou mieux, dans la totalité de l’être, revient à celle d’un christianisme mitigé de respect humain,
1532 ieux, dans la totalité de l’être, revient à celle d’ un christianisme mitigé de respect humain, et d’un christianisme absol
1533 l’être, revient à celle d’un christianisme mitigé de respect humain, et d’un christianisme absolu, qu’on déclare volontier
1534 e d’un christianisme mitigé de respect humain, et d’ un christianisme absolu, qu’on déclare volontiers « inhumain » parce q
1535 re À la proposition qu’on lui faisait en 1537 d’ éditer ses œuvres complètes, le réformateur répondit : « Je ne reconna
1536 le réformateur répondit : « Je ne reconnais aucun de mes livres pour adéquat, si ce n’est peut-être le De servo arbitrio e
1537 mes livres pour adéquat, si ce n’est peut-être le De servo arbitrio et le Catéchisme. » Nous voici donc, avec le Serf arbi
1538 échisme. » Nous voici donc, avec le Serf arbitre, de l’aveu même de son auteur, au centre du débat de la Réforme et de son
1539 voici donc, avec le Serf arbitre, de l’aveu même de son auteur, au centre du débat de la Réforme et de son effort dogmati
1540 de l’aveu même de son auteur, au centre du débat de la Réforme et de son effort dogmatique. Mais nous touchons du même co
1541 e son auteur, au centre du débat de la Réforme et de son effort dogmatique. Mais nous touchons du même coup au centre du p
1542 tre du problème le plus ardu que pose l’autonomie de la personne : le problème de sa liberté et du fondement dernier de sa
1543 que pose l’autonomie de la personne : le problème de sa liberté et du fondement dernier de sa responsabilité. Car la perso
1544 le problème de sa liberté et du fondement dernier de sa responsabilité. Car la personne est dans la vie de l’individu à la
1545 a responsabilité. Car la personne est dans la vie de l’individu à la fois l’élément libérateur — par rapport aux données n
1546 ort à la vocation. En d’autres termes, la liberté de la personne n’est pas un attribut de l’individu en soi, mais elle lui
1547 , la liberté de la personne n’est pas un attribut de l’individu en soi, mais elle lui est attribuée par un appel gratuit d
1548 libre Esprit. Si l’homme naturel n’est pas libre d’ accéder à la liberté, cette liberté peut lui être donnée par la puissa
1549 té peut lui être donnée par la puissance vocative de Dieu62. Telle est la thèse fondamentale du De servo arbitrio, écrit e
1550 ive de Dieu62. Telle est la thèse fondamentale du De servo arbitrio, écrit en 1525 pour réfuter la Diatribe seu collatio d
1551 rit en 1525 pour réfuter la Diatribe seu collatio de libero arbitrio, publiée par Érasme un an auparavant. ⁂ On croit d’ab
1552 rsonnifiée) n’est en fait que le support apparent d’ une réflexion de plus grande envergure, d’un témoignage qui transcende
1553 pparent d’une réflexion de plus grande envergure, d’ un témoignage qui transcende toute dispute. Entraîné par sa fougue hab
1554 il le dit aux premières pages ) par les procédés de l’humaniste et du sceptique que se vantait d’être Érasme, Luther en v
1555 dés de l’humaniste et du sceptique que se vantait d’ être Érasme, Luther en vient, de proche en proche, à ressaisir et repo
1556 ue que se vantait d’être Érasme, Luther en vient, de proche en proche, à ressaisir et reposer avec puissance toutes les af
1557 c puissance toutes les affirmations fondamentales de la Réforme : justification par la foi, qui est don gratuit et œuvre d
1558 fication par la foi, qui est don gratuit et œuvre de Dieu seul ; opposition de cette justice de Dieu à la justice des homm
1559 st don gratuit et œuvre de Dieu seul ; opposition de cette justice de Dieu à la justice des hommes et de leurs œuvres ; op
1560 œuvre de Dieu seul ; opposition de cette justice de Dieu à la justice des hommes et de leurs œuvres ; opposition de la gr
1561 cette justice de Dieu à la justice des hommes et de leurs œuvres ; opposition de la grâce à la nature, selon les termes d
1562 ustice des hommes et de leurs œuvres ; opposition de la grâce à la nature, selon les termes de l’Apôtre ; opposition de la
1563 osition de la grâce à la nature, selon les termes de l’Apôtre ; opposition de la Parole vivante à la tradition codifiée ;
1564 nature, selon les termes de l’Apôtre ; opposition de la Parole vivante à la tradition codifiée ; sens de la décision total
1565 la Parole vivante à la tradition codifiée ; sens de la décision totale entre un oui et un non absolus, et refus de tout m
1566 n totale entre un oui et un non absolus, et refus de tout moyen terme ou médiation plus ou moins rationnelle entre les règ
1567 nnelle entre les règnes en guerre ouverte du Dieu de la foi et du Prince de ce monde ; nécessité du témoignage, et du témo
1568 en guerre ouverte du Dieu de la foi et du Prince de ce monde ; nécessité du témoignage, et du témoignage fidèle, certifié
1569 la Bible, et constituant la véritable « action » de l’homme « entre les mains de Dieu. » Tels sont les thèmes qu’illustre
1570 véritable « action » de l’homme « entre les mains de Dieu. » Tels sont les thèmes qu’illustre cet ouvrage. S’ils n’y sont
1571 étuelle question que nous posent toutes les pages de la Bible. Ils renvoient tous à une réalité dont ils ne sont que les r
1572 e crois, si tu as reçu la foi, il n’est plus rien de « difficile » dans les assertions de Luther, ni dans sa négation joye
1573 st plus rien de « difficile » dans les assertions de Luther, ni dans sa négation joyeuse du libre arbitre. Ses coups viole
1574 lui qu’il nous faut dépouiller. Mais il s’en faut de presque tout que les grandes thèses pauliniennes de la Réforme soient
1575 presque tout que les grandes thèses pauliniennes de la Réforme soient acceptées (ou simplement connues !) par nos contemp
1576 r nos contemporains, même chrétiens. Il s’en faut de beaucoup, de presque tout, que les arguments d’un Érasme nous apparai
1577 orains, même chrétiens. Il s’en faut de beaucoup, de presque tout, que les arguments d’un Érasme nous apparaissent comme a
1578 t de beaucoup, de presque tout, que les arguments d’ un Érasme nous apparaissent comme autant de sophismes. Non seulement t
1579 uments d’un Érasme nous apparaissent comme autant de sophismes. Non seulement tous les humanistes — des marxistes au vieux
1580 pole : tout catholique se doit, en bonne logique, de les faire siens, puisqu’il croit au mérite des œuvres ; et tous les p
1581 e Calvin et Luther ont fait leur temps — que dire de Paul, bien plus ancien ! — tous ceux qui tiennent la prédestination p
1582 ui traduisent : « Paix sur la terre, bénévolence ( de Dieu) envers les hommes » par « Paix aux hommes de bonne volonté », t
1583 e Dieu) envers les hommes » par « Paix aux hommes de bonne volonté », tous ceux-là sont, en fait, avec Érasme et son armée
1584 s ceux-là sont, en fait, avec Érasme et son armée de « grands docteurs de tous les siècles », pour soutenir le libre arbit
1585 it, avec Érasme et son armée de « grands docteurs de tous les siècles », pour soutenir le libre arbitre religieux, c’est-à
1586 ieux, c’est-à-dire : le pouvoir qu’aurait l’homme de contribuer à son salut par ses efforts et ses œuvres morales. Que tro
1587 u pittoresque ; l’élan génial, la violence loyale d’ une certitude pesante, vraiment « grave », d’une dialectique sobre et
1588 yale d’une certitude pesante, vraiment « grave », d’ une dialectique sobre et têtue, qui va droit au point décisif, envisag
1589 in conférer à son choix la force et la simplicité d’ une constatation évidente. D’un point de vue purement esthétique, ces
1590 rce et la simplicité d’une constatation évidente. D’ un point de vue purement esthétique, ces qualités sont assez rares et
1591 même attiré et subjugué par le style, par le ton de l’ouvrage. (Nous ne savons que trop bien, nous modernes, séparer le f
1592 ons que trop bien, nous modernes, séparer le fond de la forme ; admirer l’une quand nous condamnons l’autre, et vice versa
1593 ette maîtrise, qu’on attendait d’ailleurs du chef d’ un grand mouvement (comme dirait le jargon d’aujourd’hui), tout est fa
1594 chef d’un grand mouvement (comme dirait le jargon d’ aujourd’hui), tout est fait dans notre Traité pour heurter de front le
1595 ui), tout est fait dans notre Traité pour heurter de front le lecteur incroyant, ou celui qui ne partage pas la foi de Pau
1596 eur incroyant, ou celui qui ne partage pas la foi de Paul et des apôtres. D’abord le langage scolastique, qui n’est pas du
1597 pas du tout luthérien, mais que Luther est obligé d’ utiliser pour débrouiller et supprimer les faux problèmes où la Diatri
1598 refus total, ou mieux cette négligence tranquille de toute espèce de considération psychologique. (Un tel homme est bien t
1599 mieux cette négligence tranquille de toute espèce de considération psychologique. (Un tel homme est bien trop vivant pour
1600 ue. (Un tel homme est bien trop vivant pour faire de la psychologie, trop engagé dans le réel pour prendre au sérieux ses
1601 conscience du spectateur.) Ce qui ne manquera pas de faire crier au dogmatisme. Tous se passe ici à « l’intérieur » du chr
1602 se passe ici à « l’intérieur » du christianisme, de l’Église. L’humanisme laïque, autonome, est simplement nié comme une
1603 e, et doit suffire en droit à réfuter l’objection d’ un moderne, l’objection parfaitement anachronique, mais que je sais in
1604 isse écarter cette objection par un simple rappel de l’ordre dans lequel ce Traité fut pensé. Je tenterai donc d’esquisser
1605 dans lequel ce Traité fut pensé. Je tenterai donc d’ esquisser, tout au moins, le dialogue d’une « conscience moderne » dou
1606 erai donc d’esquisser, tout au moins, le dialogue d’ une « conscience moderne » douée d’exigence spirituelle, avec un parti
1607 s, le dialogue d’une « conscience moderne » douée d’ exigence spirituelle, avec un partisan du « serf arbitre » luthérien.
1608 qu’un tel dialogue se déroule à l’intérieur même de la pensée d’un homme qui veut honnêtement croire…) Dialogue Car
1609 alogue se déroule à l’intérieur même de la pensée d’ un homme qui veut honnêtement croire…) Dialogue Car Dieu peut to
1610 Dieu peut tout à tout instant. C’est là la santé de la foi. Kierkegaard. La Conscience moderne. — Selon Luther, nous n
1611 ce, mais l’omniscience et la prescience éternelle de Dieu, qui ne peut faillir dans sa promesse, et auquel nul obstacle ne
1612 Que devient alors notre effort ? Il ne sert plus de rien. Nous n’en ferons plus. Nous refusons de jouer si d’avance le va
1613 lus de rien. Nous n’en ferons plus. Nous refusons de jouer si d’avance le vainqueur a été désigné par un arbitre qui ne ti
1614 Nous n’en ferons plus. Nous refusons de jouer si d’ avance le vainqueur a été désigné par un arbitre qui ne tient pas comp
1615 té désigné par un arbitre qui ne tient pas compte de nos exploits ! Un luthérien. — Mais connais-tu seulement les vraies
1616 e sort, cette idole païenne ? C. M. — J’ai besoin de le croire pour agir. L. — Mais qu’est-ce qu’agir ? Est-ce vraiment to
1617 nt toi qui agis ? Ou n’es-tu pas toi-même agi par de puissantes forces sociales, historiques, et économiques ? Toute ta sc
1618  Certes, mais ma dignité consiste à lutter contre de telles forces, une fois que je les ai reconnues ; à m’affirmer dans m
1619 omie par un acte qui crée ma liberté, par un acte de révolte, s’il le faut ! L. — Tu crois donc détenir un tel pouvoir ? C
1620 onc détenir un tel pouvoir ? C. M. — Il me suffit de vouloir l’affirmer. L. — Soit, c’est une hypothèse de travail… Pour m
1621 ouloir l’affirmer. L. — Soit, c’est une hypothèse de travail… Pour moi, je crois que Dieu connaît la fin, la somme, la val
1622 Dieu connaît la fin, la somme, la valeur absolue de nos actions passées, présentes et futures ; car elles sont dans le te
1623 r ce Dieu qui prétend voir plus loin que le terme de mes actions, — ce qui, avouons-le, les ridiculise complètement et les
1624 prévues par un Dieu éternel, qui dès lors se joue de moi indignement ! Il faudra donc choisir ; Dieu ou Moi. Je dirai : mo
1625 : ce n’est que le « Dieu moral » qui est passible de réfutation. Mais tu affirmes que si Dieu prévoit tout, tu es alors di
1626 es que si Dieu prévoit tout, tu es alors dispensé d’ agir, et que ce n’est plus la peine de faire aucun effort. C’est peut-
1627 rs dispensé d’agir, et que ce n’est plus la peine de faire aucun effort. C’est peut-être mal raisonner. Si ton effort auss
1628 ieu n’est pas ! »64 qui t’assurerait que cet acte de révolte échappe à l’éternelle Prévision ? Qui t’assurerait qu’en pron
1629 ne prononcerais pas sur toi-même l’arrêt éternel de Dieu, te rejetant vers le néant, en sorte que Dieu, vraiment n’existe
1630 emps ? C. M. — Mais mon temps est vivant et plein de nouveauté, de création ! Ton éternité immobile c’est l’image même de
1631  Mais mon temps est vivant et plein de nouveauté, de création ! Ton éternité immobile c’est l’image même de la mort. L. — 
1632 éation ! Ton éternité immobile c’est l’image même de la mort. L. — Que savons-nous de l’éternité ? Les philosophes et la r
1633 est l’image même de la mort. L. — Que savons-nous de l’éternité ? Les philosophes et la raison ne peuvent l’imaginer que m
1634 Qui nous prouve que l’éternité est quelque chose d’ immobile, de statique ? Qui nous dit qu’elle n’est pas au contraire la
1635 ouve que l’éternité est quelque chose d’immobile, de statique ? Qui nous dit qu’elle n’est pas au contraire la source de t
1636 nous dit qu’elle n’est pas au contraire la source de tout acte et de toute création, une invention totale et perpétuelle,
1637 n’est pas au contraire la source de tout acte et de toute création, une invention totale et perpétuelle, une actualité pe
1638 elle le touche dans l’instant (dans un « atome » de temps, comme l’écrit Paul). Qui t’assure que notre raison, tout attac
1639 otre temps où elle s’est constituée, soit capable de concevoir ce paradoxe ou ce scandale d’une éternité seule actuelle ?
1640 t capable de concevoir ce paradoxe ou ce scandale d’ une éternité seule actuelle ? C’est un mystère plus profond que notre
1641 otre vie, et la raison n’est qu’un faible élément de notre vie. C’est un mystère que le croyant pressent et vit au seul mo
1642 ère que le croyant pressent et vit au seul moment de la prière. « Demandez et l’on vous donnera », dit le même Dieu qui no
1643 aux yeux de l’homme, sans que rien ne soit changé de ce qu’a décidé Dieu, de ce qu’il décide ou de ce qu’il décidera ? Car
1644 s que rien ne soit changé de ce qu’a décidé Dieu, de ce qu’il décide ou de ce qu’il décidera ? Car l’Éternel ne connaît pa
1645 ngé de ce qu’a décidé Dieu, de ce qu’il décide ou de ce qu’il décidera ? Car l’Éternel ne connaît pas de temps, il n’est p
1646 ce qu’il décidera ? Car l’Éternel ne connaît pas de temps, il n’est pas lié comme nous à une succession. Mais au contrair
1647 traire, nos divers temps et successions procèdent de l’Éternel et lui sont liés : nous venons de lui, nous retournons à lu
1648 range illusion nous ferait croire qu’une décision de l’Éternel est une décision dans le passé ! Alors que c’est elle seule
1649 e cas tu n’as rien prouvé. L. — On ne prouve rien de ce qui est essentiel, mais on l’accepte ou le refuse, en vertu d’une
1650 pure. Discuter ne peut nous conduire qu’au seuil de cette décision. Et nous n’aurons pas dialogué en vain, si nous avons
1651 rnel qui commande — ou c’est moi. Il n’y a pas là de difficultés intellectuelles. Il n’y a que la résistance du « vieil ho
1652 est Christ lui-même — il me paraît que l’opinion de Luther n’est pas sujette à de sérieuses objections. Et la démonstrati
1653 araît que l’opinion de Luther n’est pas sujette à de sérieuses objections. Et la démonstration purement biblique qu’on en
1654 bles, suffit à établir pour le chrétien la vérité d’ un paradoxe que Luther n’a pas inventé, mais qui est au cœur même de l
1655 Luther n’a pas inventé, mais qui est au cœur même de l’Évangile. L’apôtre Paul l’a formulé avant toute tradition ecclésias
1656 araît qu’à celui qui ose aller jusqu’aux extrêmes de la connaissance de soi-même et de la connaissance de la foi. Car la f
1657 i ose aller jusqu’aux extrêmes de la connaissance de soi-même et de la connaissance de la foi. Car la foi seule révèle la
1658 qu’aux extrêmes de la connaissance de soi-même et de la connaissance de la foi. Car la foi seule révèle la nature radicale
1659 la connaissance de soi-même et de la connaissance de la foi. Car la foi seule révèle la nature radicale du péché. Luther i
1660 trop portés à corriger et à humaniser, au risque d’ « évacuer la Croix ». Tant qu’on n’a pas envisagé la doctrine de la pu
1661 Croix ». Tant qu’on n’a pas envisagé la doctrine de la pure grâce jusque dans son sérieux dernier, on peut soutenir que l
1662 a grâce que Dieu nous fait. Toute l’argumentation de Luther vise le moment de la décision, et néglige les moyens termes où
1663 t. Toute l’argumentation de Luther vise le moment de la décision, et néglige les moyens termes où voulait se complaire Éra
1664 aire Érasme. Le problème du salut est un problème de vie ou de mort. Or ce problème est seul en cause pour le théologien f
1665 e. Le problème du salut est un problème de vie ou de mort. Or ce problème est seul en cause pour le théologien fidèle. Et
1666 er ne nie pas du tout notre faculté psychologique de vouloir, mais nie seulement qu’elle puisse suffire à nous obtenir le
1667 affirmer que Dieu damne qui il veut, — au mépris de tant de grands hommes de tous les temps. Et qui ne se scandaliserait
1668 qui il veut, — au mépris de tant de grands hommes de tous les temps. Et qui ne se scandaliserait pas ? » Ainsi parle Luthe
1669 râce ». Car en effet : « C’est le plus haut degré de la foi, de croire que ce Dieu est clément, qui sauve si peu d’hommes
1670 en effet : « C’est le plus haut degré de la foi, de croire que ce Dieu est clément, qui sauve si peu d’hommes et en damne
1671 croire que ce Dieu est clément, qui sauve si peu d’ hommes et en damne un si grand nombre ; et que ce Dieu est juste, dont
1672 oi ! si nous arrivions à comprendre par la raison de quelle manière Dieu est miséricordieux et juste, alors qu’il montre u
1673 rible colère et injustice, qu’aurions-nous besoin de la foi ?… Ce serait un Dieu stupide qui révélerait aux hommes (en Chr
1674 l’étincelle innée ». Ici, c’est la foi seule, don de la grâce, qui parle. Dans le conflit de cette révélation et des résis
1675 eule, don de la grâce, qui parle. Dans le conflit de cette révélation et des résistances naturelles — conflit victorieux p
1676 dent la tension proprement luthérienne et le sens de la vocation. La grandeur sans mesure de Luther, je la vois dans cette
1677 t le sens de la vocation. La grandeur sans mesure de Luther, je la vois dans cette volonté de se réduire à un absurde aux
1678 s mesure de Luther, je la vois dans cette volonté de se réduire à un absurde aux yeux de qui refuse sa décision. Mais alo
1679 re un catholique ; son humanisme mesuré l’empêche de voir le vrai tragique du débat. Mais le plus grand des adversaires du
1680 a poussé comme Luther jusqu’aux extrêmes limites de l’homme, jusqu’aux questions dernières que peut envisager notre pensé
1681 la fatalité inéluctable. C’est dans cette volonté de reconnaître notre irresponsabilité totale, qu’il croit trouver et reg
1682 u’il croit trouver et regagner la dignité suprême de l’homme sans Dieu. La similitude étonnante du paradoxe luthérien et d
1683 roblème dès qu’on en vient à une épreuve radicale de la vie. Au « tu dois » prononcé par Dieu, Nietzsche oppose le « je ve
1684 rononcé par Dieu, Nietzsche oppose le « je veux » de l’homme divinisé. Puis à l’existence de Dieu, il oppose sa propre exi
1685 je veux » de l’homme divinisé. Puis à l’existence de Dieu, il oppose sa propre existence. Mais la difficulté fondamentale
1686 a difficulté fondamentale que posent les rapports de notre volonté et de l’éternité souveraine, demeure entière. La différ
1687 ntale que posent les rapports de notre volonté et de l’éternité souveraine, demeure entière. La différence, c’est que Niet
1688 . La différence, c’est que Nietzsche nous propose d’ adorer un Destin muet, tandis que Luther adore une Providence dont la
1689 le vivante s’est incarnée. Renversement du devoir de la Loi — qui nous condamne, car nous sommes asservis — en un pouvoir
1690 ondamne, car nous sommes asservis — en un pouvoir d’ aimer qui nous libère, et qui est le contenu de la Grâce : « Emmanuel 
1691 ir d’aimer qui nous libère, et qui est le contenu de la Grâce : « Emmanuel ! Dieu avec nous ! » 62. Le paradoxe qui fai
1692 Le paradoxe qui faisait le sujet du court traité de libertate christiana (1520) exprime la dialectique non plus de l’indi
1693 christiana (1520) exprime la dialectique non plus de l’individu mais de la personne du chrétien : « Le chrétien est un maî
1694 xprime la dialectique non plus de l’individu mais de la personne du chrétien : « Le chrétien est un maître libre sur toute
1695 tien est en toutes choses un serviteur, et dépend de tout le monde ». L’édition française de ce petit traité, traduit par
1696 et dépend de tout le monde ». L’édition française de ce petit traité, traduit par l’abbé Christiani, porte à cet endroit u
1697 en que libre en tout je me suis fait le serviteur de tous. » L’antithèse « arbitraire et artificielle » est donc de saint
1698 antithèse « arbitraire et artificielle » est donc de saint Paul. 63. Luther avertit à chaque fois : « Nécessité condition
1699 akounine. 65. Voir les objections philosophiques de Jules Lequier contre la prescience de Dieu. Elles reposent toutes sur
1700 losophiques de Jules Lequier contre la prescience de Dieu. Elles reposent toutes sur cette idée : qu’une décision éternell
1701 toutes sur cette idée : qu’une décision éternelle de Dieu est une décision qui a été prise avant nos actes, — il y a très
1702 rise avant nos actes, — il y a très longtemps — «  de toute éternité, » comme on dit couramment… 66. Modiculum et minimum
1703 sitait pas à qualifier le christianisme luthérien de « religion du serf arbitre ». (Il s’appuyait, pour ce faire, sur Gris
1704 e faire, sur Grisar.) Autant dire que la religion de Luther serait la religion du péché ! Autant dire, d’autre part, que l
1705 confond avec l’idée rationaliste et toute moderne de contingence, que Luther n’envisage nulle part. Le même auteur donne d
1706 Le même auteur donne dans l’erreur impardonnable d’ assimiler le serf arbitre au déterminisme : c’est à seule fin d’attaqu
1707 serf arbitre au déterminisme : c’est à seule fin d’ attaquer le « Germanisme » destructeur de toute liberté ! Ce genre d’a
1708 eule fin d’attaquer le « Germanisme » destructeur de toute liberté ! Ce genre d’abus est trop fréquent pour que je puisse
1709 manisme » destructeur de toute liberté ! Ce genre d’ abus est trop fréquent pour que je puisse le passer sous silence. (Il
1710 puisse le passer sous silence. (Il s’agissait ici de M. Jacques Chevalier, devenu ministre du gouvernement de Vichy. Note
1711 acques Chevalier, devenu ministre du gouvernement de Vichy. Note de 1944.)
1712 r, devenu ministre du gouvernement de Vichy. Note de 1944.)
8 1944, Les Personnes du drame. III. Sincérité et authenticité — 6. Le Journal d’André Gide
1713 6.Le Journal d’ André Gide I Il ne serait guère honnête, et moins encore adroit de n
1714 l ne serait guère honnête, et moins encore adroit de ne point avouer l’incertitude où pareil livre entraîne le jugement. G
1715 al ; mais le malaise du critique commence au-delà de ce premier piège évité. Il naît de la difficulté que l’on éprouve à d
1716 mmence au-delà de ce premier piège évité. Il naît de la difficulté que l’on éprouve à découvrir l’intime hiérarchie qui tr
1717 t, dans ce complexe individuel la vraie personne. D’ autant plus que certains détails, certaines allusions et beaucoup de s
1718 ide subit ou entretient. (Jusqu’à masquer parfois de vraies fenêtres par excessive défiance d’une symétrie où l’on serait
1719 parfois de vraies fenêtres par excessive défiance d’ une symétrie où l’on serait tenté de s’arrêter…) Faute d’un « jugement
1720 sive défiance d’une symétrie où l’on serait tenté de s’arrêter…) Faute d’un « jugement » que ces 1300 pages s’appliquent à
1721 ymétrie où l’on serait tenté de s’arrêter…) Faute d’ un « jugement » que ces 1300 pages s’appliquent à dénoncer d’avance, r
1722 ment » que ces 1300 pages s’appliquent à dénoncer d’ avance, réduisons-nous à des notes de lecture, à quelques réactions im
1723 t à dénoncer d’avance, réduisons-nous à des notes de lecture, à quelques réactions impressionnistes. Ce qui séduit, ce qu
1724 tôt c’est la complexité secrètement significative de l’ensemble. Pour qualifier cette harmonie involontaire, je ne puis év
1725 ie involontaire, je ne puis évoquer que l’exemple de Goethe, dont ce n’est pas telle œuvre ou telle action que j’aime, mai
1726 ’espace et le temps, voilà qui donnerait une idée de l’espèce d’intérêt que l’on prend à lire le Journal d’André Gide. Il
1727 e temps, voilà qui donnerait une idée de l’espèce d’ intérêt que l’on prend à lire le Journal d’André Gide. Il est probable
1728 espèce d’intérêt que l’on prend à lire le Journal d’ André Gide. Il est probable que, du seul point de vue de l’art, cet in
1729 é Gide. Il est probable que, du seul point de vue de l’art, cet intérêt demeure impur : l’indiscrétion moderne va chercher
1730 rne va chercher derrière les formes et au-dessous d’ elles, dans le tout-venant de confidences fragmentaires, une vérité qu
1731 formes et au-dessous d’elles, dans le tout-venant de confidences fragmentaires, une vérité que les œuvres concertées avoua
1732 e conçois, comme œuvre d’art, que limité au récit d’ une crise, et soumis là même à une sorte d’unité qui fait nécessaireme
1733 récit d’une crise, et soumis là même à une sorte d’ unité qui fait nécessairement défaut à la chronique intermittente d’un
1734 écessairement défaut à la chronique intermittente d’ une existence. Malgré les pages plus élaborées que Gide a groupées çà
1735 ue, etc.), malgré la perfection presque constante de l’écriture, et toutes ces aquarelles et ces tableaux de genre où s’am
1736 criture, et toutes ces aquarelles et ces tableaux de genre où s’amuse et s’attarde la maîtrise, on peut prévoir que la val
1737 ttarde la maîtrise, on peut prévoir que la valeur d’ un tel ouvrage restera d’ordre essentiellement biographique. Mais ici
1738 ut prévoir que la valeur d’un tel ouvrage restera d’ ordre essentiellement biographique. Mais ici se pose le problème de la
1739 lement biographique. Mais ici se pose le problème de la vérité du portrait. Gide note lui-même dès 1924 : « Si plus tard o
1740 d on publie mon journal, je crains qu’il ne donne de moi une idée assez fausse. Je ne l’ai point tenu durant les longues p
1741 Je ne l’ai point tenu durant les longues périodes d’ équilibre, de santé, de bonheur ; mais bien durant ces périodes de dép
1742 int tenu durant les longues périodes d’équilibre, de santé, de bonheur ; mais bien durant ces périodes de dépression où j’
1743 urant les longues périodes d’équilibre, de santé, de bonheur ; mais bien durant ces périodes de dépression où j’avais beso
1744 santé, de bonheur ; mais bien durant ces périodes de dépression où j’avais besoin de lui pour me ressaisir, et où je me mo
1745 rant ces périodes de dépression où j’avais besoin de lui pour me ressaisir, et où je me montre dolent, geignant, pitoyable
1746 qu’il y pourvoit lui-même. Et cependant, « donner de soi une idée fausse », c’est bien ce que devait éviter Gide, plus jal
1747 rmes ? Mais ce serait un mauvais calcul. Aux yeux d’ un lecteur prévenu, tant de naturel pourrait encore passer pour une po
1748 lentendu l’entraîne à livrer au public 1300 pages d’ explications qui menacent d’aggraver l’équivoque. Mais alors, cela dev
1749 au public 1300 pages d’explications qui menacent d’ aggraver l’équivoque. Mais alors, cela devient exemplaire. L’effort gi
1750 ’est plus seulement émouvant : il revêt la valeur d’ une expérience cruciale sur les limites de la sincérité en général, et
1751 valeur d’une expérience cruciale sur les limites de la sincérité en général, et du journal intime en particulier. La pass
1752 , et du journal intime en particulier. La passion d’ être complètement vrai finit par altérer le naturel ; mais par son exc
1753 e, elle nous rend attentifs aux défauts réguliers de tout autoportrait. C’est nous donner le moyen d’y porter nos retouche
1754 de tout autoportrait. C’est nous donner le moyen d’ y porter nos retouches. ⁂ Parfois le secret d’une vie s’épuise dans l’
1755 yen d’y porter nos retouches. ⁂ Parfois le secret d’ une vie s’épuise dans l’œuvre : il ne reste pour le journal que les pl
1756 journal sont simplement des manières différentes de poursuivre une même confidence. On ne sait plus si le journal est en
1757 uvre, ou si l’œuvre n’est qu’un moment privilégié de ce journal. Alors le vrai portrait de l’auteur n’est plus dans l’œuvr
1758 privilégié de ce journal. Alors le vrai portrait de l’auteur n’est plus dans l’œuvre ni dans le journal, mais dans leur m
1759 ne grave lacune mutile l’image qu’il nous y livre de lui-même68 — il se peut qu’elles soient dites dans les Cahiers d’Andr
1760 il se peut qu’elles soient dites dans les Cahiers d’ André Walter, et surtout dans La Porte Étroite, ce roman janséniste et
1761 oman janséniste et « cathare »… ⁂ D’autres causes d’ erreur interviennent, faussant les proportions de l’autoportrait, si l
1762 d’erreur interviennent, faussant les proportions de l’autoportrait, si l’on se borne au seul journal. « Les choses les pl
1763 tant ses journées, comment ne serait-on pas tenté de dire surtout ce qui a frappé, ce qui est bizarre, ce qui fait excepti
1764 stement. Et comment ne céderait-on pas à l’invite d’ une formule, d’une épigramme, sur tel ami dont il semble inutile de ré
1765 ment ne céderait-on pas à l’invite d’une formule, d’ une épigramme, sur tel ami dont il semble inutile de répéter chaque fo
1766 une épigramme, sur tel ami dont il semble inutile de répéter chaque fois qu’on l’aime ? Ainsi l’on se peint plus rosse que
1767 e ne suis qu’un petit garçon qui s’amuse — doublé d’ un pasteur protestant qui l’ennuie ». Type de boutade dont certains, c
1768 ublé d’un pasteur protestant qui l’ennuie ». Type de boutade dont certains, contre lui, ne se priveront pas d’abuser. Voic
1769 de dont certains, contre lui, ne se priveront pas d’ abuser. Voici qui va fort loin dans la critique du genre : « Je ne pen
1770  Je ne pense pas qu’il y ait grand profit à tirer de ces examens de conscience où l’on parvient toujours à découvrir de me
1771 s qu’il y ait grand profit à tirer de ces examens de conscience où l’on parvient toujours à découvrir de mesquins ressorts
1772 conscience où l’on parvient toujours à découvrir de mesquins ressorts à n’importe quel comportement. On les inventerait m
1773 nt. On les inventerait même, pour la satisfaction de se paraître à soi-même plus perspicace, et l’on a grande tendance, pa
1774 ur de se surfaire, tout ce qui peut entrer en jeu de bonté naturelle ou de sociabilité, disons mieux : d’amabilité, ou mie
1775 t ce qui peut entrer en jeu de bonté naturelle ou de sociabilité, disons mieux : d’amabilité, ou mieux encore : de désir d
1776 bonté naturelle ou de sociabilité, disons mieux : d’ amabilité, ou mieux encore : de désir de paraître aimable. Mais à trop
1777 té, disons mieux : d’amabilité, ou mieux encore : de désir de paraître aimable. Mais à trop se regarder, on ne vit plus. L
1778 s mieux : d’amabilité, ou mieux encore : de désir de paraître aimable. Mais à trop se regarder, on ne vit plus. Le regard,
1779 cédé à la tentation qu’il décrit ? Cercle vicieux de la sincérité. Ou bien l’on est banal — pour rétablir les quotidiennes
1780 erait une discipline plus grande encore que celle de l’œuvre : il faudrait s’imposer un rythme égal et sans lacunes, une r
1781 des petits faits, situant exactement l’apparition de telle pensée ou de tel acte exceptionnel. Mais ne serait-ce pas alors
1782 ituant exactement l’apparition de telle pensée ou de tel acte exceptionnel. Mais ne serait-ce pas alors au détriment de to
1783 t-ce pas alors au détriment de tout élan lyrique, de tout grand style de vie surgi des profondeurs et simplifiant parfois,
1784 triment de tout élan lyrique, de tout grand style de vie surgi des profondeurs et simplifiant parfois, d’un large trait de
1785 vie surgi des profondeurs et simplifiant parfois, d’ un large trait de joie ou de colère, les méandres méticuleux d’une vér
1786 fondeurs et simplifiant parfois, d’un large trait de joie ou de colère, les méandres méticuleux d’une véracité stérile ? ⁂
1787 simplifiant parfois, d’un large trait de joie ou de colère, les méandres méticuleux d’une véracité stérile ? ⁂ Les journa
1788 ait de joie ou de colère, les méandres méticuleux d’ une véracité stérile ? ⁂ Les journaux d’écrivains sont toujours vrais,
1789 éticuleux d’une véracité stérile ? ⁂ Les journaux d’ écrivains sont toujours vrais, mais d’une vérité indirecte, et parfois
1790 es journaux d’écrivains sont toujours vrais, mais d’ une vérité indirecte, et parfois même négative. C’est moins la vie véc
1791 moins la vie vécue qui s’y traduit, que le désir de compenser ou de parfaire ce qui n’a pas été vécu. (« J’avais besoin d
1792 cue qui s’y traduit, que le désir de compenser ou de parfaire ce qui n’a pas été vécu. (« J’avais besoin de lui pour me re
1793 rfaire ce qui n’a pas été vécu. (« J’avais besoin de lui pour me ressaisir. ») La vie réelle n’y figure souvent qu’à la ma
1794 dans les rêves. Compensations, ratures, reprises d’ actes manqués… Il s’agirait de savoir si la vraie vie est dans ce qu’o
1795 , ratures, reprises d’actes manqués… Il s’agirait de savoir si la vraie vie est dans ce qu’on fait, ou dans ce qu’on pense
1796 ie est dans ce qu’on fait, ou dans ce qu’on pense de ses actions. ⁂ Mais voici qu’à mon tour je succombe au désir de marqu
1797 . ⁂ Mais voici qu’à mon tour je succombe au désir de marquer les seules différences, oubliant ce qui va de soi : l’autopor
1798 ences, oubliant ce qui va de soi : l’autoportrait de Gide est aussi ressemblant. On l’y retrouve aussi au naturel, avec to
1799 rable modestie et ses malices, son sens rythmique de la langue toujours si fermement articulée (habitude des lectures à ha
1800 (habitude des lectures à haute voix), ses sautes d’ humeur, et ce besoin de donner raison à l’adversaire69… On l’y retrouv
1801 à haute voix), ses sautes d’humeur, et ce besoin de donner raison à l’adversaire69… On l’y retrouve naturaliste à la mani
1802 in, et cela me paraît nouveau, constamment occupé de problèmes religieux. Mais d’une manière qu’il importerait de spécifie
1803 , constamment occupé de problèmes religieux. Mais d’ une manière qu’il importerait de spécifier. ⁂ A-t-on remarqué jusqu’à
1804 s religieux. Mais d’une manière qu’il importerait de spécifier. ⁂ A-t-on remarqué jusqu’à quel point « l’antichristianisme
1805 marqué jusqu’à quel point « l’antichristianisme » de Gide est chrétien dans ses déterminations ? Je crois qu’on s’est trop
1806 me. Du libre examen, Gide a conservé son exigence de vérité et de véracité « advienne que pourra ». Du moralisme, il a gar
1807 examen, Gide a conservé son exigence de vérité et de véracité « advienne que pourra ». Du moralisme, il a gardé sans doute
1808 on conformistes. Mais toute morale a bientôt fait de se muer à son tour en dogme, et la morale protestante succombe à ce d
1809 ce danger plus qu’aucune autre, dans les périodes de dépression théologique. D’où le ressentiment qu’à son égard conçoiven
1810 tre, dans les périodes de dépression théologique. D’ où le ressentiment qu’à son égard conçoivent beaucoup de protestants d
1811 qu’à son égard conçoivent beaucoup de protestants de naissance, devenus indifférents, et subissant seulement la coutume d’
1812 s indifférents, et subissant seulement la coutume d’ un milieu. Tout à fait justifiée en soi, cette réaction gauchit certai
1813 en soi, cette réaction gauchit certains jugements de Gide sur la Réforme : il la confond souvent, je crois, avec l’image c
1814 ouvent, je crois, avec l’image courante et fausse d’ un Calvin inhumain, presque manichéen. L’évangélisme anticonfessionne
1815 L’évangélisme anticonfessionnel, que Gide retient de cette première éducation chrétienne, l’a mis en garde contre certaine
1816 les plus fréquentes, du christianisme : le mépris de la nature, et d’autre part, le recours à l’orthodoxie comme à une ass
1817 au moins autant que sur le doute. (Il cite ce mot d’ un catholique à un pasteur : « Vous, vous croyez, mais nous savons ! »
1818 us savons ! ») Ceci explique que le souci central de Gide ait été de débarrasser son christianisme de toutes les adjonctio
1819 eci explique que le souci central de Gide ait été de débarrasser son christianisme de toutes les adjonctions « humaines — 
1820 de Gide ait été de débarrasser son christianisme de toutes les adjonctions « humaines — trop humaines » du moralisme néo-
1821 moralisme néo-protestant et du dogmatisme romain. D’ où son horreur congénitale des tours de passe-passe religieux. En somm
1822 me romain. D’où son horreur congénitale des tours de passe-passe religieux. En somme, tout son effort consiste à se délivr
1823 En somme, tout son effort consiste à se délivrer de cela même que certains chrétiens désireraient lui « révéler ». Le pro
1824 rétiens désireraient lui « révéler ». Le problème de la conversion devient pour lui le problème négatif de la fausse conve
1825 a conversion devient pour lui le problème négatif de la fausse conversion, ou de la conversion trop facile. « Le catholici
1826 i le problème négatif de la fausse conversion, ou de la conversion trop facile. « Le catholicisme est inadmissible. Le pro
1827 l’ai souvent dit à Claudel : — Ce qui me retient ( d’ entrer dans l’Église), ce n’est pas la libre-pensée, c’est l’Évangile.
1828 gile. » Mais n’y a-t-il pas chez Gide à l’origine de ce refus de la visibilité de toute église (tant réformée que romaine)
1829 n’y a-t-il pas chez Gide à l’origine de ce refus de la visibilité de toute église (tant réformée que romaine), un attache
1830 hez Gide à l’origine de ce refus de la visibilité de toute église (tant réformée que romaine), un attachement à sa vérité
1831 te, ou même rationaliste. Certes je m’en voudrais de critiquer une exigence d’honnêteté qui rappelle parfois Kierkegaard.
1832 Certes je m’en voudrais de critiquer une exigence d’ honnêteté qui rappelle parfois Kierkegaard. Gide répugne à paraître pl
1833 ffirmer plus qu’il ne croit. Il décrit X, « forcé de s’asseoir au culte de famille. Sa gêne. L’horreur du geste qui puisse
1834 croit. Il décrit X, « forcé de s’asseoir au culte de famille. Sa gêne. L’horreur du geste qui puisse dépasser son sentimen
1835 : je ne suis pas chrétien. Mais c’était par désir de sauver une conception pure de la foi, dont il ne s’estimait pas digne
1836 s c’était par désir de sauver une conception pure de la foi, dont il ne s’estimait pas digne, et qu’il confessait par là m
1837 ement, s’éprouve complexe et réticente. Et l’acte de foi consistera toujours à passer outre au doute naturel, à confesser
1838 ment pourrait se poser en termes nets le problème de l’église visible, de l’obéissance à une orthodoxie qui ne prétende pa
1839 r en termes nets le problème de l’église visible, de l’obéissance à une orthodoxie qui ne prétende pas s’emparer de l’Évan
1840 ce à une orthodoxie qui ne prétende pas s’emparer de l’Évangile, mais au contraire s’y ordonner. « Orthodoxie protestante
1841 n’ont pour moi aucun sens. Je ne reconnais point d’ autorité ; et si j’en reconnaissais une, ce serait celle de l’Église »
1842 é ; et si j’en reconnaissais une, ce serait celle de l’Église » (donc de Rome). Allons donc ! Pour un protestant, ce dilem
1843 naissais une, ce serait celle de l’Église » (donc de Rome). Allons donc ! Pour un protestant, ce dilemme est aussi choquan
1844 rtout, et même chez certains protestants détachés de la vie de leur église. Tout ce que je me sens le droit de dire ici, c
1845 même chez certains protestants détachés de la vie de leur église. Tout ce que je me sens le droit de dire ici, c’est que l
1846 e de leur église. Tout ce que je me sens le droit de dire ici, c’est que la Réforme a rejeté les prétentions du pape de Ro
1847 t que la Réforme a rejeté les prétentions du pape de Rome non par dégoût de l’autorité en soi, mais au contraire par grand
1848 té les prétentions du pape de Rome non par dégoût de l’autorité en soi, mais au contraire par grande fidélité à l’autorité
1849 ais au contraire par grande fidélité à l’autorité de l’Évangile, fondement unique et suffisant de la seule orthodoxie libé
1850 rité de l’Évangile, fondement unique et suffisant de la seule orthodoxie libératrice. II Retenons de ce qui précède et con
1851 t de la seule orthodoxie libératrice. II Retenons de ce qui précède et confrontons ces trois remarques : 1. Le Journal de
1852 t confrontons ces trois remarques : 1. Le Journal de Gide se présente comme une illustration de sa sincérité. Mais il nous
1853 ournal de Gide se présente comme une illustration de sa sincérité. Mais il nous donne de son auteur une image finalement d
1854 illustration de sa sincérité. Mais il nous donne de son auteur une image finalement déformée, faute de retouches « artifi
1855 rtificielles. » 2. Gide nous dit qu’il a supprimé de ses carnets les pages qu’il jugeait trop « écrites ». Entendons que l
1856 jugeait trop « écrites ». Entendons que l’effort de style y déformait la spontanéité, et se voit condamné comme insincère
1857 une certaine légèreté avec laquelle il lui arrive de prendre position — quoi qu’il en ait, et malgré son génie du scrupule
1858 aurait s’expliquer autrement que par une défiance d’ artiste à l’égard des idées en soi, de l’analyse méthodique, et de tou
1859 ne défiance d’artiste à l’égard des idées en soi, de l’analyse méthodique, et de tout ce qui peut alourdir la démarche de
1860 ard des idées en soi, de l’analyse méthodique, et de tout ce qui peut alourdir la démarche de la pensée. Insister, discute
1861 ique, et de tout ce qui peut alourdir la démarche de la pensée. Insister, discuter, citer sources et faits, ce serait enco
1862 iscuter, citer sources et faits, ce serait encore de la sincérité, face à l’objet ; mais cela nuirait à l’élan spontané du
1863 moins qu’à l’élégance du style. Tout cela relève d’ une conception de la sincérité qu’on pourrait nommer descriptive : ell
1864 gance du style. Tout cela relève d’une conception de la sincérité qu’on pourrait nommer descriptive : elle se borne en eff
1865 celer et constater les plus secrètes fluctuations de l’individu naturel. Elle se refuse aux simplifications convenues, aux
1866 se aux simplifications convenues, aux partis pris de la morale, à ses silences intéressés, bref aux censures qui tendent à
1867 ns spontanées. Elle voudrait adopter une attitude d’ accueillante impartialité vis-à-vis de l’individu. « Les autres formen
1868 une arrière-pensée polémique, certain désir aussi de justification : en somme, elle insinue que la morale est fausse, et q
1869 porte ainsi, malgré son intention, des jugements de valeur implicites. Sous le couvert desquels pourront s’avouer des rég
1870 desquels pourront s’avouer des régions nouvelles de l’humain… À cette sincérité qui entend décrire sans parti pris, et qu
1871 sans parti pris, et qui n’admet en fait rien que de spontané, j’oppose une sincérité qu’on pourrait nommer constructive.
1872 ste dans l’homme, dit-elle, mais tout n’y est pas d’ égale valeur. Et ce n’est pas hypocrisie, bien au contraire, que de dé
1873 t ce n’est pas hypocrisie, bien au contraire, que de déclarer ses valeurs. Nos contradictions sont réelles, nos hiérarchie
1874 les-ci tendent à réduire celles-là, par une série de choix vitaux où s’exprime l’être en action, c’est-à-dire sa tendance
1875 ion, c’est-à-dire sa tendance dominante, le style de son existence. C’est dans ce sens quelque peu élargi qu’il conviendra
1876 ans ce sens quelque peu élargi qu’il conviendrait de répéter que le style est de l’homme même. Il est en nous le trait rév
1877 gi qu’il conviendrait de répéter que le style est de l’homme même. Il est en nous le trait révélateur d’une unité intentio
1878 l’homme même. Il est en nous le trait révélateur d’ une unité intentionnelle, d’un parti pris aussi sincère, si ce n’est p
1879 s le trait révélateur d’une unité intentionnelle, d’ un parti pris aussi sincère, si ce n’est plus, que la pluralité des pu
1880 s. Fixer, en les notant, certaines contradictions d’ humeur, c’est parfois moins « se réciter » que se déformer. Car une in
1881 roduit dans les combinaisons à étudier un quantum de lucidité qui modifie les données naturelles. Or il est très curieux d
1882 ie les données naturelles. Or il est très curieux de remarquer que Gide adopte dans sa vie — telle que la révèle son Journ
1883 ue la révèle son Journal — la première conception de la sincérité, alors que toute son œuvre est dominée par la seconde. T
1884 re est dominée par la seconde. Toute l’esthétique de Gide — son style écrit — s’ordonne au choix le plus classique : conci
1885 plus classique : concision, raccourci, sacrifice de l’incident à l’essentiel et du foisonnement spontané à la ligne pure
1886 ntiel et du foisonnement spontané à la ligne pure de la phrase. C’est une discipline de l’esprit, mieux : une éthique de l
1887 la ligne pure de la phrase. C’est une discipline de l’esprit, mieux : une éthique de l’expression. Tantôt civilité très r
1888 t une discipline de l’esprit, mieux : une éthique de l’expression. Tantôt civilité très raffinée, ou stricte austérité du
1889 force dans le style du récit ! Étonnant paradoxe d’ une esthétique châtiée, réglant une œuvre dont le grand message est qu
1890 dait ce qu’est l’éthique, répond : Une dépendance de l’esthétique. Or non seulement l’exemple de sa vie ne confirme guère
1891 dance de l’esthétique. Or non seulement l’exemple de sa vie ne confirme guère cette boutade, mais l’exemple de son art ten
1892 e ne confirme guère cette boutade, mais l’exemple de son art tendrait à l’inverser : c’est dans son esthétique que se réfu
1893 point qu’on pourrait dire que la première dépend de la seconde. Cela va jusqu’à la casuistique : l’intérêt passionné de G
1894 a va jusqu’à la casuistique : l’intérêt passionné de Gide pour les détails les plus subtils de l’écriture est attesté par
1895 ssionné de Gide pour les détails les plus subtils de l’écriture est attesté par cent pages du Journal. Je n’oublie pas qu’
1896 t tromper. On ne se débarrasse pas si facilement de la morale, même déguisée en exigence sémantique. Un styliste a autant
1897 isée en exigence sémantique. Un styliste a autant de peine à « mal écrire » ou à « ne pas écrire » qu’un puritain à se lai
1898 laisser aller. Et si le puritain est un styliste de la morale, Gide reste un puritain du style. Peut-être tenons-nous ici
1899 n du style. Peut-être tenons-nous ici le principe de l’intime hiérarchie révélatrice de sa personne. Ce serait la tension
1900 ci le principe de l’intime hiérarchie révélatrice de sa personne. Ce serait la tension instituée entre une exigence esthét
1901 on finalement résolue au bénéfice — énigmatique — de la morale, c’est-à-dire de la règle et du choix. ⁂ Règles et choix — 
1902 néfice — énigmatique — de la morale, c’est-à-dire de la règle et du choix. ⁂ Règles et choix — convenir et créer — ce sont
1903 hoix — convenir et créer — ce sont les conditions de toute culture. Toutefois, j’ai dit la méfiance d’artiste que Gide nou
1904 de toute culture. Toutefois, j’ai dit la méfiance d’ artiste que Gide nourrit à l’endroit des « idées ». C’est par là que j
1905 ar là que je sens le mieux la distance qui sépare de la sienne ma génération littéraire. Notre culture est beaucoup plus p
1906 dans un domaine privilégié : celui des lettres et de leur morale, qui est l’esthétique. Les problèmes qui nous sont posés
1907 s davantage qu’ils ne servent nos goûts naturels. D’ où le danger de didactisme que nous courons tous plus ou moins. À cet
1908 ils ne servent nos goûts naturels. D’où le danger de didactisme que nous courons tous plus ou moins. À cet égard, il m’app
1909 ou moins. À cet égard, il m’apparaît que la leçon de Gide, pour ceux de mon âge, est moins urgente dans l’ordre de l’éthiq
1910 rd, il m’apparaît que la leçon de Gide, pour ceux de mon âge, est moins urgente dans l’ordre de l’éthique que dans celui d
1911 r ceux de mon âge, est moins urgente dans l’ordre de l’éthique que dans celui de l’esthétique. C’est le maître-artisan de
1912 urgente dans l’ordre de l’éthique que dans celui de l’esthétique. C’est le maître-artisan de la langue plus que l’immoral
1913 ns celui de l’esthétique. C’est le maître-artisan de la langue plus que l’immoraliste qui nous importe, et qui nous intére
9 1944, Les Personnes du drame. III. Sincérité et authenticité — 7. Vues sur Ramuz
1914 veut appréhender. Dans cette mesure, il est exact de dire qu’elle s’ordonne par avance à sa fin. On n’imagine pas d’aborde
1915 e s’ordonne par avance à sa fin. On n’imagine pas d’ aborder l’œuvre et la personne de Ramuz d’une façon systématique. Non
1916 On n’imagine pas d’aborder l’œuvre et la personne de Ramuz d’une façon systématique. Non que cette œuvre et cette personne
1917 ine pas d’aborder l’œuvre et la personne de Ramuz d’ une façon systématique. Non que cette œuvre et cette personne ne compo
1918 propriété réelle, sinon l’extension dans l’espace d’ une loi personnelle, de la loi du propriétaire ? (Toute autre forme de
1919 l’extension dans l’espace d’une loi personnelle, de la loi du propriétaire ? (Toute autre forme de propriété demeure à me
1920 e, de la loi du propriétaire ? (Toute autre forme de propriété demeure à mes yeux justiciable de la critique de Proudhon.)
1921 forme de propriété demeure à mes yeux justiciable de la critique de Proudhon.) Décrire le « pays » de Ramuz, c’est aussi d
1922 été demeure à mes yeux justiciable de la critique de Proudhon.) Décrire le « pays » de Ramuz, c’est aussi décrire sa perso
1923 de la critique de Proudhon.) Décrire le « pays » de Ramuz, c’est aussi décrire sa personne, à la manière du physiognomoni
1924 tune, si l’on songe qu’elle s’applique à l’auteur de cette phrase : « Authenticité, réalité, vérité, matière : autant de s
1925 « Authenticité, réalité, vérité, matière : autant de synonymes ou presque.70 » IRamuz mythologue « Qu’on n’aille pas
1926 e ce qui se manifeste ; rien ne se manifeste hors d’ un mouvement ; et tout mouvement provient de la lumière qui crée les f
1927 hors d’un mouvement ; et tout mouvement provient de la lumière qui crée les formes en même temps que notre œil. « La véri
1928 ait. 71 » Telle est la loi nouvelle et la réalité d’ une ère dominée par ce fait historique : l’incarnation de la Parole. L
1929 re dominée par ce fait historique : l’incarnation de la Parole. Les clercs s’écrient : Esprit ! Esprit ! Mais je regarde l
1930 ge. Si c’était vrai, ça se verrait… Ainsi la clé de toute création est dans le visage de l’homme. Qu’un homme détienne un
1931 Ainsi la clé de toute création est dans le visage de l’homme. Qu’un homme détienne un pouvoir créateur, c’est-à-dire un po
1932 enne un pouvoir créateur, c’est-à-dire un pouvoir d’ incarnation, vous le lirez toujours sur les traits de sa face. (Encore
1933 ncarnation, vous le lirez toujours sur les traits de sa face. (Encore faut-il avoir des yeux pour voir. Encore faut-il en
1934 oir. Encore faut-il en croire ses yeux…) Il n’est d’ esprit que dans l’action qui saisit une forme pour la transformer. L’e
1935 ns la cervelle. Ni dans le ciel. L’esprit n’a pas de siège : il est passage, prise et saisissement. L’esprit se manifeste
1936 la main qui réalise une vision. ⁂ Ouvrez un livre de Ramuz : les choses « viennent », le monde « vient » à nous, le ciel,
1937 ent » ; et on les voit venir ainsi à la rencontre d’ un regard qui les invente (invenire), les dénombre, et les connaît dan
1938 les connaît dans leur sens primitif, dans le sens de la création qui tout entière advient à l’homme. Ainsi l’Adam d’avant
1939 qui tout entière advient à l’homme. Ainsi l’Adam d’ avant le Temps vit venir à lui toutes les bêtes : elles s’approchaient
1940 l’on veut saisir la genèse et l’ambition secrète de cet art. Un personnage de Ramuz, c’est d’abord une apparition, — une
1941 e et l’ambition secrète de cet art. Un personnage de Ramuz, c’est d’abord une apparition, — une image venant à nous. « …On
1942 ls sont roses dans le ciel rose, avec des gouttes de rosée qui leur pendent à chaque poil et des souliers qui brillent. »
1943 rillent. » Il y en a dans presque tous les livres de Ramuz, de ces taupiers qui portent des bonnets de poil de lapin. On p
1944 Il y en a dans presque tous les livres de Ramuz, de ces taupiers qui portent des bonnets de poil de lapin. On pourrait s’
1945 de Ramuz, de ces taupiers qui portent des bonnets de poil de lapin. On pourrait s’amuser à recomposer le pays autour d’eux
1946 , de ces taupiers qui portent des bonnets de poil de lapin. On pourrait s’amuser à recomposer le pays autour d’eux. Et l’o
1947 On pourrait s’amuser à recomposer le pays autour d’ eux. Et l’on verrait alors que ces bonshommes ne sont point décrits « 
1948 alors que ces bonshommes ne sont point décrits «  de l’extérieur » — comme le voudrait certaine formule naturaliste — mais
1949 maine, si l’homme est authentique, est microcosme d’ un pays, d’un paysage et d’un ensemble de coutumes. Les rythmes du tem
1950 ’homme est authentique, est microcosme d’un pays, d’ un paysage et d’un ensemble de coutumes. Les rythmes du temps s’y insc
1951 ntique, est microcosme d’un pays, d’un paysage et d’ un ensemble de coutumes. Les rythmes du temps s’y inscrivent aussi bie
1952 crocosme d’un pays, d’un paysage et d’un ensemble de coutumes. Les rythmes du temps s’y inscrivent aussi bien que l’allure
1953 inscrivent aussi bien que l’allure des pentes. «  D’ où cette démarche qu’ils ont ; d’où encore la nécessité quelquefois de
1954 re des pentes. « D’où cette démarche qu’ils ont ; d’ où encore la nécessité quelquefois de refaire son pas, parce que la pe
1955 qu’ils ont ; d’où encore la nécessité quelquefois de refaire son pas, parce que la pente vous porte en arrière, parce qu’o
1956 ame entre la vision et l’objet, entre la position de l’homme et la proposition du monde. C’est la région de la rencontre e
1957 homme et la proposition du monde. C’est la région de la rencontre et de la forme. Et non point de la forme toute faite, ca
1958 tion du monde. C’est la région de la rencontre et de la forme. Et non point de la forme toute faite, cadre imposé aux jeux
1959 gion de la rencontre et de la forme. Et non point de la forme toute faite, cadre imposé aux jeux d’une invention prévue, m
1960 nt de la forme toute faite, cadre imposé aux jeux d’ une invention prévue, mais de la forme en devenir, expressive du dedan
1961 adre imposé aux jeux d’une invention prévue, mais de la forme en devenir, expressive du dedans et du dehors au lieu mouvan
1962 expressive du dedans et du dehors au lieu mouvant de leur confrontation. Ici le spirituel devient tangible, le matériel li
1963 e et significatif. Nous sommes au foyer permanent de l’incarnation des images — ou de la création imaginée. Il faut rendre
1964 foyer permanent de l’incarnation des images — ou de la création imaginée. Il faut rendre à ce mot son sens fort : imagine
1965 s du concret chez un homme.) ⁂ « Car le phénomène de l’art est un phénomène d’incarnation (ce que l’école ne comprend pas)
1966 .) ⁂ « Car le phénomène de l’art est un phénomène d’ incarnation (ce que l’école ne comprend pas) ». Toute l’esthétique de
1967 ue l’école ne comprend pas) ». Toute l’esthétique de Ramuz me paraît centrée sur cette phrase. Son vocabulaire tout d’abor
1968 se. Son vocabulaire tout d’abord. Cette abondance de noms de choses ! Comment ne point penser au livre de Job — dont Ramuz
1969 vocabulaire tout d’abord. Cette abondance de noms de choses ! Comment ne point penser au livre de Job — dont Ramuz nous a
1970 noms de choses ! Comment ne point penser au livre de Job — dont Ramuz nous a traduit quelques passages — où toute une théo
1971 par des choses, s’agît-il même du profond mystère de la liberté des humains en présence de « l’arbitraire » du Tout-Puissa
1972 le moins « lyrique » et le plus matériel, parler d’ un ciel au bleu de lessive plutôt que de l’azur du firmament, c’est, à
1973 e » et le plus matériel, parler d’un ciel au bleu de lessive plutôt que de l’azur du firmament, c’est, à vrai dire, le par
1974 l, parler d’un ciel au bleu de lessive plutôt que de l’azur du firmament, c’est, à vrai dire, le parti pris de tout vérita
1975 r du firmament, c’est, à vrai dire, le parti pris de tout véritable poète, mais c’est aussi ce qu’une certaine critique ne
1976 ut point pardonner à Ramuz. Un écrivain français, de tradition classique, comme ils le sont tous plus ou moins, s’excuse d
1977 e, comme ils le sont tous plus ou moins, s’excuse de l’emploi qu’il fait, par occasion, d’un terme roturier, non littérair
1978 s, s’excuse de l’emploi qu’il fait, par occasion, d’ un terme roturier, non littéraire. Ramuz c’est le contraire : « Autarc
1979 n problème, — comme on dit »… Il ne manque jamais de s’excuser des mots abstraits, des termes nobles auxquels il faut bien
1980 raits sont nécessaires à une certaine circulation d’ idées qui représentent les choses et le concret, comme les billets rep
1981 t le concret, comme les billets représentent l’or de la réserve. Le mot n’est rien qu’un droit de l’esprit aux choses. Mai
1982 l’or de la réserve. Le mot n’est rien qu’un droit de l’esprit aux choses. Mais s’il n’y a plus de choses, c’est une trompe
1983 roit de l’esprit aux choses. Mais s’il n’y a plus de choses, c’est une tromperie. C’est pourquoi nos journaux contiennent
1984 nt tant de mensonges, surtout lorsqu’ils essaient de dire la vérité. Contre cette inflation nominaliste, un seul recours :
1985 te inflation nominaliste, un seul recours : celui de l’étymologie. Car le sens étymologique est toujours lié à une chose (
1986 eur sens étymologique, c’est revenir au phénomène de l’incarnation, c’est retrouver la langue à son état naissant, dont la
1987 aissant, dont la chimie nous dit qu’il est l’état de virulence extrême. Les journalistes et l’école ont décontenancé le la
1988 ion du genre humain consisterait en une éducation de son langage. Un tribunal muni de pleins pouvoirs, institué pour juger
1989 en une éducation de son langage. Un tribunal muni de pleins pouvoirs, institué pour juger des cas de langage délictueux, i
1990 i de pleins pouvoirs, institué pour juger des cas de langage délictueux, inactuel, erroné, inutilement abstrait, ferait un
1991 bien meilleur travail — il faudrait qu’il donnât de fortes peines ! — qu’une cour d’assise occupée à juger des meurtres d
1992 ait qu’il donnât de fortes peines ! — qu’une cour d’ assise occupée à juger des meurtres dont le vol est le mobile. Je dis
1993 l porterait l’attention des hommes sur le concret de l’existence, les détournant de ce fameux « pratique » dont ils s’occu
1994 mes sur le concret de l’existence, les détournant de ce fameux « pratique » dont ils s’occupent si mal, et de plus en plus
1995 ens au crime en les hypnotisant sur la possession de l’argent et les bienfaits qui en découlent.) Si j’étais dictateur, je
1996 i j’étais dictateur, je nommerais Ramuz président de ce tribunal. Et nous aurions enfin un langage châtié, comme on disait
1997 nt redouté était celui du goût. (On le dit encore de nos jours, mais le goût n’est plus que poncif.) La même volonté d’inc
1998 s le goût n’est plus que poncif.) La même volonté d’ incarnation se manifeste dans l’allure de la phrase chez Ramuz. On a p
1999 volonté d’incarnation se manifeste dans l’allure de la phrase chez Ramuz. On a pu croire qu’il n’avait pas le sens du ryt
2000 mis dans la tête. Presque toutes les singularités de son style s’expliquent par cette seule intention de concentrer notre
2001 son style s’expliquent par cette seule intention de concentrer notre vision sur l’objet brut et sur le sentiment élémenta
2002 r le sentiment élémentaire. Ainsi ses changements de temps à l’intérieur d’une même phrase. Je ne crois pas qu’il soit pos
2003 ire. Ainsi ses changements de temps à l’intérieur d’ une même phrase. Je ne crois pas qu’il soit possible de les ramener à
2004 même phrase. Je ne crois pas qu’il soit possible de les ramener à une loi, ni même à un usage régulier ; ou plutôt, ils n
2005 me à un usage régulier ; ou plutôt, ils n’ont pas d’ autre loi que cette volonté de plier l’attention aux phases d’un geste
2006 utôt, ils n’ont pas d’autre loi que cette volonté de plier l’attention aux phases d’un geste, d’une action ou d’une pensée
2007 que cette volonté de plier l’attention aux phases d’ un geste, d’une action ou d’une pensée. ⁂ Il reste la fameuse psycholo
2008 lonté de plier l’attention aux phases d’un geste, d’ une action ou d’une pensée. ⁂ Il reste la fameuse psychologie des pers
2009 ’attention aux phases d’un geste, d’une action ou d’ une pensée. ⁂ Il reste la fameuse psychologie des personnages. Que peu
2010 ne connaît rien hors de la forme ? La psychologie d’ école, qui domina et qui domine encore tous les romans à la Bourget, c
2011 r par convention, presque par accident, une série d’ attitudes et de causes « morales » à une série à peu près parallèle d’
2012 n, presque par accident, une série d’attitudes et de causes « morales » à une série à peu près parallèle d’attitudes et de
2013 uses « morales » à une série à peu près parallèle d’ attitudes et de faits visibles ; l’accent étant porté sur la causalité
2014 » à une série à peu près parallèle d’attitudes et de faits visibles ; l’accent étant porté sur la causalité, et les faits
2015 lité, et les faits se réduisant peu à peu au rôle de simples vérifications. À mesure que cette psychologie s’assure davant
2016 À mesure que cette psychologie s’assure davantage de ses lois, elle tend à les substituer à l’imagination concrète du réel
2017 ts se raréfient : anecdotes ou exemples à l’appui d’ une approximative reconstruction des âmes. Il est entendu désormais qu
2018 dans la catégorie du roman policier : il n’a pas de psychologie. Et la critique parle beaucoup de subjectivité et d’objec
2019 Et la critique parle beaucoup de subjectivité et d’ objectivité… Dans le monde de Ramuz, ces deux mots n’ont plus aucun se
2020 p de subjectivité et d’objectivité… Dans le monde de Ramuz, ces deux mots n’ont plus aucun sens. Une forme donnée n’a pas
2021 iques à d’autres formes. Et c’est encore l’office de l’imagination, c’est-à-dire de l’activité qui préside à la formation
2022 st encore l’office de l’imagination, c’est-à-dire de l’activité qui préside à la formation du réel. Ici plus de concepts,
2023 vité qui préside à la formation du réel. Ici plus de concepts, plus d’idées générales. Tout est images et complexes d’imag
2024 la formation du réel. Ici plus de concepts, plus d’ idées générales. Tout est images et complexes d’images. Tout est mythe
2025 s d’idées générales. Tout est images et complexes d’ images. Tout est mythe. Ainsi la mythologie, chez Ramuz, déloge l’anal
2026 aite des psychologues. Et l’on découvre à chacune de ses œuvres une signification mythologique. C’est en général l’irrupti
2027 cation mythologique. C’est en général l’irruption d’ une forme d’imagination nouvelle dans un village ou une contrée, plus
2028 logique. C’est en général l’irruption d’une forme d’ imagination nouvelle dans un village ou une contrée, plus rarement che
2029 ent chez un individu, qui constitue le vrai sujet de ses romans. Passage du Poète, ou passage du diable (dans le Règne de
2030 age du Poète, ou passage du diable (dans le Règne de l’esprit malin), entrée du cinéma (L’Amour du Monde), approche de la
2031 n), entrée du cinéma (L’Amour du Monde), approche de la fin du monde (Présence de la mort, Les Signes parmi nous), mythe d
2032 du Monde), approche de la fin du monde (Présence de la mort, Les Signes parmi nous), mythe de l’or (Farinet), mythe du gé
2033 résence de la mort, Les Signes parmi nous), mythe de l’or (Farinet), mythe du génie racial (Séparation des races, Chant de
2034 ythe du génie racial (Séparation des races, Chant de notre Rhône), mythe de la rédemption par la souffrance d’une femme (L
2035 éparation des races, Chant de notre Rhône), mythe de la rédemption par la souffrance d’une femme (La Guérison des Maladies
2036 Rhône), mythe de la rédemption par la souffrance d’ une femme (La Guérison des Maladies). Et le roman n’a pas d’autre mouv
2037 e (La Guérison des Maladies). Et le roman n’a pas d’ autre mouvement que le mouvement même des images propagées par l’appar
2038 donnée, bien définie. Il ne saurait être question d’ une société bourgeoise et citadine : celle-ci reste, en principe, just
2039 tadine : celle-ci reste, en principe, justiciable d’ une analyse qui suppose le divorce entre idées et actions, croyances e
2040 ances et intérêts, instincts et conduite sociale. D’ où naît une littérature d’intrigues pour laquelle il est clair que Ram
2041 ts et conduite sociale. D’où naît une littérature d’ intrigues pour laquelle il est clair que Ramuz n’est par doué. Mais la
2042 ais la forme même que revêt chez Ramuz la faculté d’ imaginer et de penser dans l’ordre de l’incarnation, devait le conduir
2043 ême que revêt chez Ramuz la faculté d’imaginer et de penser dans l’ordre de l’incarnation, devait le conduire à créer un m
2044 z la faculté d’imaginer et de penser dans l’ordre de l’incarnation, devait le conduire à créer un milieu où tout être se t
2045 actère vaudois. On a loué cet « artiste raffiné » d’ avoir su « se ravaler au niveau des simples ». Mais non, Ramuz ne desc
2046 on art vient de plus bas, des origines créatrices de sa race. Il a cette lenteur qu’impose la nature physique du pays. Il
2047 u’impose la nature physique du pays. Il participe de cette lourdeur originelle d’un peuple en communion et en conflit vita
2048 u pays. Il participe de cette lourdeur originelle d’ un peuple en communion et en conflit vital avec les éléments. Ce n’est
2049 près le peuple », mais on dirait plus justement : d’ avant. Un art qui vient du fond mythologique de la race. (Si Ramuz par
2050  : d’avant. Un art qui vient du fond mythologique de la race. (Si Ramuz par exemple nous parle d’une Antiquité, il faut en
2051 ique de la race. (Si Ramuz par exemple nous parle d’ une Antiquité, il faut entendre qu’il s’agit de celle du pays de Vaud 
2052 le d’une Antiquité, il faut entendre qu’il s’agit de celle du pays de Vaud : non pas la grecque, qui est scolaire — pour e
2053 é, il faut entendre qu’il s’agit de celle du pays de Vaud : non pas la grecque, qui est scolaire — pour eux — mais la bibl
2054 ans la terre qu’ils travaillent. Tous participent de l’incarnation du mythe. ⁂ Voyez les Signes parmi nous. Dans la simpli
2055 ⁂ Voyez les Signes parmi nous. Dans la simplicité de son sujet, ce récit réalise d’une manière exemplaire l’accord des élé
2056 Dans la simplicité de son sujet, ce récit réalise d’ une manière exemplaire l’accord des éléments dont se nourrit l’art de
2057 laire l’accord des éléments dont se nourrit l’art de Ramuz. Voici Caille, le colporteur de bibles, qui s’avance dès le mat
2058 urrit l’art de Ramuz. Voici Caille, le colporteur de bibles, qui s’avance dès le matin à travers le pays, et offre à tous
2059 pays, et offre à tous la Parole « ayant l’aspect d’ une brochure à couverture bleue ». Et les événements actuels — cela se
2060 Et les événements actuels — cela se passe un jour d’ été de 1918 — sont expliqués à la lumière des Écritures. La Fin des te
2061 événements actuels — cela se passe un jour d’été de 1918 — sont expliqués à la lumière des Écritures. La Fin des temps es
2062 faut en témoigner. Caille pénètre dans les cours de ferme, dans les cafés. À tous il tend la Parole « morte aux pages » ;
2063 la journée, et l’angoisse grandit autour de lui. De partout l’orage s’amasse. Vers le soir il éclate tragiquement. Est-ce
2064 éclate tragiquement. Est-ce la Fin ? Grande heure de terreur et de prière… Puis, « la page du ciel a été tournée », ils se
2065 ement. Est-ce la Fin ? Grande heure de terreur et de prière… Puis, « la page du ciel a été tournée », ils se relèvent. « I
2066 Le monde renaît dans une soirée pure et le baiser d’ un couple heureux. Rarement la forme authentique de Ramuz atteignit un
2067 ’un couple heureux. Rarement la forme authentique de Ramuz atteignit une autorité comparable à celle qui éclate dans cet o
2068 end les choses à l’état naissant, rugueux, décapé de toute rhétorique scolaire et de toute explication intellectuelle, att
2069 , rugueux, décapé de toute rhétorique scolaire et de toute explication intellectuelle, atteignant une unité de style telle
2070 explication intellectuelle, atteignant une unité de style tellement têtue qu’elle évoque peu à peu on ne sait quelle puis
2071 terférences du récit, surimpressions, changements de temps, sont ici largement mis en œuvre ; mais avec une probité partic
2072 our Ramuz ce qu’elle fut pour d’autres : un moyen de créer du mystère en brouillant les plans du réel ; elle est au contra
2073 es plans du réel ; elle est au contraire un moyen de rendre plus totale la vision. Tout indique, chez Ramuz, la volonté de
2074 e la vision. Tout indique, chez Ramuz, la volonté de ne pas faire prendre une chose pour une autre, ni certain aspect conv
2075 e chose pour une autre, ni certain aspect convenu de la chose pour toute la chose. C’est pourquoi il s’attarde à décrire l
2076 C’est pourquoi il s’attarde à décrire le concret d’ une façon concrète ; ainsi le maniement d’un outil. D’où le reproche d
2077 concret d’une façon concrète ; ainsi le maniement d’ un outil. D’où le reproche de puérilité que lui adressent ceux qui par
2078 e façon concrète ; ainsi le maniement d’un outil. D’ où le reproche de puérilité que lui adressent ceux qui par exemple n’h
2079 ; ainsi le maniement d’un outil. D’où le reproche de puérilité que lui adressent ceux qui par exemple n’hésitent pas à pre
2080 le n’hésitent pas à prendre au sérieux l’intrigue d’ un roman bourgeois. On s’est trop arrêté à l’insolite du style chez Ra
2081 rêté à l’insolite du style chez Ramuz. Ce qu’il a d’ insolite, ce n’est point tant sa forme que les vertus qu’elle suppose 
2082 elle suppose : la sobriété, la solidité, le refus de l’ironie, la bonhommie sérieuse, l’absence de toute complaisance à so
2083 fus de l’ironie, la bonhommie sérieuse, l’absence de toute complaisance à soi, le « dévouement à l’objet ». Je vois bien l
2084  dévouement à l’objet ». Je vois bien les défauts de cette forme, et le poncif qu’elle peut instituer ; ces détails parfoi
2085 nt détaillés. Mais l’important, c’est qu’une page de Ramuz, — même pas très réussie, et il y en a, il faut le dire, qui on
2086 n a, il faut le dire, qui ont un air raté, un air de pastiche de Ramuz74 — c’est qu’une seule page de ce livre lue avec la
2087 le dire, qui ont un air raté, un air de pastiche de Ramuz74 — c’est qu’une seule page de ce livre lue avec la lenteur qu’
2088 de pastiche de Ramuz74 — c’est qu’une seule page de ce livre lue avec la lenteur qu’elle impose, nous replace dans une vi
2089 on grande et efficace des gestes les plus simples de la vie. Mais il faut dire aussi « l’actualité » singulière d’un tel l
2090 ais il faut dire aussi « l’actualité » singulière d’ un tel livre. Il est des sujets éternels, ou mieux, perpétuels — sujet
2091 es sujets éternels, ou mieux, perpétuels — sujets d’ étonnement perpétuel — et la Fin du Monde est l’un d’eux. Un vrai myth
2092 tonnement perpétuel — et la Fin du Monde est l’un d’ eux. Un vrai mythe, c’est-à-dire un événement perpétuellement possible
2093 marquent dans l’Histoire sont celles où la forme d’ un mythe affleure, s’incarne et devient visible75. Ce sont les période
2094 ncarne et devient visible75. Ce sont les périodes de crise. Or toute crise est un jugement, c’est-à-dire un arrêt dans une
2095 est l’arrêt absolu : le Jugement dernier. Le sens de notre crise du xxe siècle apparaît ainsi manifeste : un jugement sur
2096 amuz les pose, et que précisément, c’est l’esprit de ces Signes. L’affleurement mystérieux de la forme mythique, le poète
2097 l’esprit de ces Signes. L’affleurement mystérieux de la forme mythique, le poète en tout temps a le pouvoir de la susciter
2098 rme mythique, le poète en tout temps a le pouvoir de la susciter dans son œuvre, à la similitude du croyant dans sa prière
2099 sa vision — cet homme sera toujours en puissance d’ aujourd’hui, enraciné profondément dans une permanente actualité. I
2100 est remarquable que ceux dont la fonction serait d’ exprimer notre civilisation, en un temps où elle se trouve brutalement
2101 uestion, posent eux-mêmes si peu de questions, ou de si minimes. Un court essai de Ramuz (sur le Travail), débute ainsi :
2102 eu de questions, ou de si minimes. Un court essai de Ramuz (sur le Travail), débute ainsi : « Pourquoi est-ce qu’on travai
2103 étaphysique, qui se trouve être le dilemme urgent de l’heure. Et je m’inquiète ; non pas de ces questions, ni de la prise
2104 mme urgent de l’heure. Et je m’inquiète ; non pas de ces questions, ni de la prise de parti qu’elles déterminent chez Ramu
2105 . Et je m’inquiète ; non pas de ces questions, ni de la prise de parti qu’elles déterminent chez Ramuz, mais bien au contr
2106 quiète ; non pas de ces questions, ni de la prise de parti qu’elles déterminent chez Ramuz, mais bien au contraire de ceci
2107 me semble entendre pour la première fois la voix d’ un de nos aînés, interrogeant notre destin, lui poser en face des ques
2108 emble entendre pour la première fois la voix d’un de nos aînés, interrogeant notre destin, lui poser en face des questions
2109 ant notre destin, lui poser en face des questions d’ une accablante simplicité. Me tromperais-je ? Ai-je mal su lire tant d
2110 ais sur le monde actuel et futur ? Est-ce le fait d’ une disposition trop romantique que d’avoir cru distinguer dans ces œu
2111 -ce le fait d’une disposition trop romantique que d’ avoir cru distinguer dans ces œuvres je ne sais quelle complaisance qu
2112 e sais quelle complaisance qui les faisait éviter d’ instinct tout point de vue pratiquement bouleversant ? D’autre part, n
2113 uleversant ? D’autre part, n’est-ce point le fait d’ un certain manque de tact intellectuel que de poser des questions si r
2114 part, n’est-ce point le fait d’un certain manque de tact intellectuel que de poser des questions si rudimentaires, si peu
2115 fait d’un certain manque de tact intellectuel que de poser des questions si rudimentaires, si peu élaborées, des questions
2116 mporte qui pourrait poser et qui ne peuvent tirer de nous rien d’exquis ni d’original, mais qui bien au contraire nous plo
2117 urrait poser et qui ne peuvent tirer de nous rien d’ exquis ni d’original, mais qui bien au contraire nous plongent dans l’
2118 et qui ne peuvent tirer de nous rien d’exquis ni d’ original, mais qui bien au contraire nous plongent dans l’humiliation,
2119 cesse s’efforcer, ne connaissant que peu de repos de son adolescence à sa mort. » Je cherche : je ne trouve aucun écrivain
2120 mort. » Je cherche : je ne trouve aucun écrivain de ce temps plus naturellement libéré de l’idéologie bourgeoise que Ramu
2121 un écrivain de ce temps plus naturellement libéré de l’idéologie bourgeoise que Ramuz. Sa conception tragique du sort de l
2122 rgeoise que Ramuz. Sa conception tragique du sort de l’homme suffirait à l’attester. Mais plus sûrement encore son accepta
2123 ais plus sûrement encore son acceptation profonde d’ aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est le titre du journal grâce auquel, chaq
2124 nnées qui marquent dans son œuvre l’élargissement de la maturité, Ramuz engagea le dialogue avec son public et l’époque. Q
2125 tion, il faut admirer dans ces textes une volonté de sagesse à peu près unique aujourd’hui. On y trouve un Ramuz nullement
2126 ant (comme les marxistes), ni victime ni bourreau d’ une bourgeoisie à laquelle il échappe entièrement et de toutes les faç
2127 bourgeoisie à laquelle il échappe entièrement et de toutes les façons, n’étant pas même révolutionnaire, au sens politiqu
2128 étant pas même révolutionnaire, au sens politique de ce terme, parce qu’il est vraiment radical76. Et ce n’est pas qu’il a
2129 adical76. Et ce n’est pas qu’il ait jamais craint de tirer sur ces racines, mais il a vu qu’elles tenaient bon, qu’elles t
2130 vu qu’elles tenaient bon, qu’elles tenaient trop de terre embrassée, et par elle un pays et son peuple. Car « c’est ici l
2131 le un pays et son peuple. Car « c’est ici le pays de la solidité, parce que c’est le pays des ressemblances. Regarde, tout
2132 y tient ensemble fortement, comme dans le tableau d’ un grand peintre. » Il a fallu beaucoup de temps pour que Ramuz consen
2133 ns le domaine du général. Il lui a fallu le temps de se faire un langage, d’en éprouver les origines, et d’en autoriser l’
2134 . Il lui a fallu le temps de se faire un langage, d’ en éprouver les origines, et d’en autoriser l’emploi concret dans un o
2135 faire un langage, d’en éprouver les origines, et d’ en autoriser l’emploi concret dans un ordre élargi. Cette élaboration
2136 dans un ordre élargi. Cette élaboration n’est pas de celles dont un écrivain d’aujourd’hui puisse faire l’économie77. L’a-
2137 élaboration n’est pas de celles dont un écrivain d’ aujourd’hui puisse faire l’économie77. L’a-t-il menée à chef, on est f
2138 ’économie77. L’a-t-il menée à chef, on est frappé de voir que toute une idéologie s’y trouve incluse et déjà définie. Si b
2139 première fois en public, on éprouve le sentiment de savoir par avance tout ce qu’il doit en dire. Je n’ai pu me défendre
2140 out ce qu’il doit en dire. Je n’ai pu me défendre de cette impression à la lecture de Taille de l’homme, petit ouvrage con
2141 i pu me défendre de cette impression à la lecture de Taille de l’homme, petit ouvrage consacré à définir l’opposition cosm
2142 fendre de cette impression à la lecture de Taille de l’homme, petit ouvrage consacré à définir l’opposition cosmique du ch
2143 du christianisme et du marxisme. Le sens profond de la communauté qui anime l’œuvre de Ramuz put induire certains à le qu
2144 e sens profond de la communauté qui anime l’œuvre de Ramuz put induire certains à le qualifier d’« unanimiste ». Mais comm
2145 uvre de Ramuz put induire certains à le qualifier d’ « unanimiste ». Mais comment Ramuz croirait-il à cette âme sans visage
2146 érébral ? « Je ne distingue l’être qu’aux racines de l’élémentaire », écrivait-il dans Six Cahiers. Parlons plutôt du comm
2147 il dans Six Cahiers. Parlons plutôt du communisme de son œuvre, à condition qu’on entende le mot dans le sens littéral, or
2148 point vraiment commun, parce qu’il « est au-delà de la vie ». C’est le communisme qui règne au Jugement dernier et qui ré
2149 rd rajeuni, ces gestes rudimentaires, cette odeur de bois fraîchement coupé que dégageaient les premières œuvres des écriv
2150 ue dégageaient les premières œuvres des écrivains de l’URSS, je ne les retrouve que chez Ramuz. Mais purifiés de toute bru
2151 je ne les retrouve que chez Ramuz. Mais purifiés de toute brutalité, de ces traits forcenés, de ces ricanements d’intelle
2152 que chez Ramuz. Mais purifiés de toute brutalité, de ces traits forcenés, de ces ricanements d’intellectuels mal guéris. C
2153 ifiés de toute brutalité, de ces traits forcenés, de ces ricanements d’intellectuels mal guéris. Certes Ramuz a toujours b
2154 alité, de ces traits forcenés, de ces ricanements d’ intellectuels mal guéris. Certes Ramuz a toujours beaucoup attendu du
2155 amuz a toujours beaucoup attendu du peuple russe, de « cette immense et secrète réserve d’innocence », d’où peut-être un j
2156 uple russe, de « cette immense et secrète réserve d’ innocence », d’où peut-être un jour sortira le peuple-poète, « le peup
2157 « cette immense et secrète réserve d’innocence », d’ où peut-être un jour sortira le peuple-poète, « le peuple tous en un »
2158 ple tous en un ». Mais son œuvre est bien au-delà de l’ère machiniste où la Russie s’engage. Un trait profond de son art m
2159 achiniste où la Russie s’engage. Un trait profond de son art m’en convainc : le sens de la vénération, qui est aussi le se
2160 trait profond de son art m’en convainc : le sens de la vénération, qui est aussi le sens de la lenteur des choses. Person
2161 : le sens de la vénération, qui est aussi le sens de la lenteur des choses. Personne, en Occident, n’a salué la Révolution
2162 Printemps. Personne plus que lui ne serait digne de revendiquer la qualité de « communiste » si les mots conservaient un
2163 que lui ne serait digne de revendiquer la qualité de « communiste » si les mots conservaient un sens. Et cela donne à la c
2164 ation du collectivisme qu’il prononça dans Taille de l’homme une signification et une portée humaine dont les bourgeois eu
2165 aine dont les bourgeois eussent dû concevoir plus de crainte que de satisfaction. Ramuz fait au système soviétique certain
2166 ourgeois eussent dû concevoir plus de crainte que de satisfaction. Ramuz fait au système soviétique certains reproches que
2167 ant lui, avaient bien souvent formulés, avec plus de mordant peut-être, et plus de précision technique. Mais ce qu’il décr
2168 formulés, avec plus de mordant peut-être, et plus de précision technique. Mais ce qu’il décrit avec une véritable puissanc
2169 ’aboutissement du marxisme : l’isolement cosmique de l’homme. Quoi qu’il en dise, d’ailleurs, il dit plus que ses argument
2170 Soviets, il n’en resterait pas moins, par le fait de son être même, une protestation contre l’orthodoxie matérialiste. Qua
2171 matérialiste. Quand on possède comme lui le sens de la solitude et le sens de la communauté, — indissolubles — on est une
2172 ssède comme lui le sens de la solitude et le sens de la communauté, — indissolubles — on est une objection vivante à tout
2173 ulière des choses et des êtres, on n’a pas besoin d’ arguments pour faire sentir l’absurdité des « lois », qui pour certain
2174 Ève nous le fait voir tout aussi bien que Taille de l’homme : Ramuz est présent à ce monde, — eux, ils essaient de le rec
2175 Ramuz est présent à ce monde, — eux, ils essaient de le recomposer au sein de son absence insurmontable. À ceux qui croien
2176 e insurmontable. À ceux qui croient aux fatalités de l’Histoire, il faut dire simplement qu’elles sont vraies pour eux-mêm
2177 lles sont vraies pour eux-mêmes et pour tous ceux de leur croyance. On ne calcule pas avec la vie, mais avec des quantités
2178 is avec des quantités mortes. Ceux qui se vantent d’ être calculables ont très probablement raison : c’est une constatation
2179 très probablement raison : c’est une constatation de décès spirituel, à peine anticipée peut-être. Mais ils se trompent to
2180 ualistes bourgeois savaient la mépriser. (Dix ans de discussions, chez les philosophes de Moscou, ont abouti en 1932 à des
2181 er. (Dix ans de discussions, chez les philosophes de Moscou, ont abouti en 1932 à des définitions tellement abstruses de c
2182 uti en 1932 à des définitions tellement abstruses de cette fameuse « matière » sur laquelle tout se fonde, que Staline s’e
2183 e, que Staline s’est vu contraint, pour en finir, de fixer la saine doctrine par un ukase condamnant à la fois les mécanis
2184 s choses. Aussi bien n’éprouve-t-il pas le besoin de s’affirmer matérialiste. IIISur un croquis de Stravinsky L’aute
2185 de s’affirmer matérialiste. IIISur un croquis de Stravinsky L’auteur aux prises avec les choses dans son œuvre, l’a
2186 son œuvre, l’auteur aux prises avec certaine idée de l’homme dans sa tête, nous dirons que ce sont les deux moitiés d’une
2187 sa tête, nous dirons que ce sont les deux moitiés d’ une figure. Mais cette figure est un autoportrait. Comment les autres
2188 éelle du système. On a beaucoup écrit sur l’œuvre de Ramuz. Mais presque rien sur sa personne, au sens où je l’entends ici
2189 ui ressemble au sien, je la trouve dans un dessin de Stravinsky. Cette interprétation à la volée d’une figure, est à mes y
2190 in de Stravinsky. Cette interprétation à la volée d’ une figure, est à mes yeux plus significative dans sa déformation déli
2191 sur la syntaxe et sur la construction des romans de Ramuz. ⁂ Tout portrait représente un dialogue entre le peintre et son
2192 re et son modèle. Mais comment distinguer la part de chacun des interlocuteurs ? La signature de Stravinsky n’apparaît pas
2193 part de chacun des interlocuteurs ? La signature de Stravinsky n’apparaît pas seulement dans la marge de ce croquis. Elle
2194 Stravinsky n’apparaît pas seulement dans la marge de ce croquis. Elle est encore dans le beau trait qui ondule de l’œil dr
2195 is. Elle est encore dans le beau trait qui ondule de l’œil droit au menton de Ramuz. C’est une ligne mélodique dont on ret
2196 le beau trait qui ondule de l’œil droit au menton de Ramuz. C’est une ligne mélodique dont on retrouverait l’allure dans p
2197 n retrouverait l’allure dans plusieurs « traits » de Petrouchka. La moustache est noircie par une plume habituée à tracer
2198 par une plume habituée à tracer comme au pinceau d’ épaisses barres entre les portées, telles qu’on en voit sur le manuscr
2199 en voit sur le manuscrit des Noces. Quant au nez d’ aigle, ce n’est guère celui que les photos du modèle nous montrent. Le
2200 ue les photos du modèle nous montrent. Le nez est d’ ordinaire l’élément le plus impersonnel dans un visage, le plus racial
2201 l dans un visage, le plus racial ou animal. Celui de ce croquis n’est que l’indication d’un instinct prédateur peut-être r
2202 nimal. Celui de ce croquis n’est que l’indication d’ un instinct prédateur peut-être russe, nullement vaudois. Ceci marqué,
2203 eci marqué, nous restons en présence d’une espèce de symbole de Ramuz. Je dirai presque d’un rébus, c’est-à-dire d’un visa
2204 nous restons en présence d’une espèce de symbole de Ramuz. Je dirai presque d’un rébus, c’est-à-dire d’un visage qu’il s’
2205 ’une espèce de symbole de Ramuz. Je dirai presque d’ un rébus, c’est-à-dire d’un visage qu’il s’agit de déchiffrer dans un
2206 Ramuz. Je dirai presque d’un rébus, c’est-à-dire d’ un visage qu’il s’agit de déchiffrer dans un environnement d’objets qu
2207 d’un rébus, c’est-à-dire d’un visage qu’il s’agit de déchiffrer dans un environnement d’objets qui le délimitent. Le visa
2208 qu’il s’agit de déchiffrer dans un environnement d’ objets qui le délimitent. Le visage est vision et expression : œil et
2209 menton, la bouche aux yeux : la personne n’a pas d’ autre siège, elle est ce complexe de tensions, cette équation fondamen
2210 sonne n’a pas d’autre siège, elle est ce complexe de tensions, cette équation fondamentale de l’être. La première impressi
2211 complexe de tensions, cette équation fondamentale de l’être. La première impression qu’on reçoit de ce portrait serait tro
2212 le de l’être. La première impression qu’on reçoit de ce portrait serait trop faiblement traduite par le mot de méfiance :
2213 rtrait serait trop faiblement traduite par le mot de méfiance : il faudrait parler de dissimulation. « Méfiance » a d’aill
2214 duite par le mot de méfiance : il faudrait parler de dissimulation. « Méfiance » a d’ailleurs peu de sens en physiognomoni
2215 Stravinsky l’a souligné en exagérant l’importance de la moustache et le renflement de la paupière supérieure. Le regard de
2216 ant l’importance de la moustache et le renflement de la paupière supérieure. Le regard de Ramuz est direct, mais volontair
2217 e renflement de la paupière supérieure. Le regard de Ramuz est direct, mais volontairement limité, rabattu. Ce n’est pas l
2218 ntairement limité, rabattu. Ce n’est pas là l’œil d’ un idéaliste ; mais d’un homme qui choisit parmi les choses qui se tie
2219 attu. Ce n’est pas là l’œil d’un idéaliste ; mais d’ un homme qui choisit parmi les choses qui se tiennent à hauteur d’homm
2220 hoisit parmi les choses qui se tiennent à hauteur d’ homme, et qui résistent à la pénétration d’un regard ferme et appuyé :
2221 auteur d’homme, et qui résistent à la pénétration d’ un regard ferme et appuyé : œil de styliste volontaire, qui s’attache
2222 la pénétration d’un regard ferme et appuyé : œil de styliste volontaire, qui s’attache à l’architecture des solides, aux
2223 va s’exprimer cette vision ? La lèvre inférieure de cette large bouche que la moustache ne réussit pas à nous cacher, tra
2224 sensualité qui s’opposera chez Ramuz à tout excès d’ élaboration des images. Cet homme ne poussera jamais la volonté de sty
2225 s images. Cet homme ne poussera jamais la volonté de style jusqu’au système et à l’abstrait — jusqu’au cubisme. Pour le ph
2226 le physionomiste, le seul principe fécond, c’est d’ admettre que tout se voit sur un visage. Il n’existe, pour lui, aucun
2227 se manifeste par un signe apparent qu’il s’agira de distinguer. C’est ainsi que la formidable moustache dont s’orne ce vi
2228 he dont s’orne ce visage révèle exactement autant de choses qu’elle en cache. Et peut-être d’abord une certaine bonté, qui
2229 crois, cette bonté naturelle, dans le renflement de la joue au niveau de la bouche.) Quel est, en somme, le rôle de l’exp
2230 niveau de la bouche.) Quel est, en somme, le rôle de l’expression, sinon de montrer surtout ce qui se cache, et de le mont
2231 uel est, en somme, le rôle de l’expression, sinon de montrer surtout ce qui se cache, et de le montrer justement enrobé da
2232 ion, sinon de montrer surtout ce qui se cache, et de le montrer justement enrobé dans l’image et le signe physique ? Moust
2233 obé dans l’image et le signe physique ? Moustache de paysan, grosse ruse de paysan… Façons de parler tout à la fois carrée
2234 signe physique ? Moustache de paysan, grosse ruse de paysan… Façons de parler tout à la fois carrées et très prudemment me
2235 oustache de paysan, grosse ruse de paysan… Façons de parler tout à la fois carrées et très prudemment mesurées. Ainsi la d
2236 très prudemment mesurées. Ainsi la dissimulation de ce visage est style. Maintenant, les objets. Tout ce que le résumé cr
2237 enant, les objets. Tout ce que le résumé critique de la figure n’a pas su dire, nous le retrouvons indiqué dans le chapeau
2238 ourne la vie du pays recréé par Ramuz. Le « chant de notre Rhône », le vin blanc du Valais, des côtes de Laveaux et de la
2239 notre Rhône », le vin blanc du Valais, des côtes de Laveaux et de la vallée méridionale, une certaine mystique raciale :
2240 , le vin blanc du Valais, des côtes de Laveaux et de la vallée méridionale, une certaine mystique raciale : c’est tout cel
2241 du croquis. Et dans la lampe, il y a la mystique de l’objet utile : l’ustensile, si caractéristique d’un certain réalisme
2242 e l’objet utile : l’ustensile, si caractéristique d’ un certain réalisme populaire, dont Ramuz est peut-être le seul à avoi
2243 à avoir su montrer la nécessaire dignité. Le sens de l’objet, chez Ramuz, est lié à son sens goethéen du symbole. Il ne va
2244 r, qui est la substance du général. La partie n’a de sens et d’authenticité qu’autant qu’elle participe, c’est-à-dire init
2245 la substance du général. La partie n’a de sens et d’ authenticité qu’autant qu’elle participe, c’est-à-dire initie au tout.
2246 e domaine, faut-il comprendre le « régionalisme » de Ramuz : comme une introduction nécessaire à l’humain. (Si l’on veut v
2247 aire à l’humain. (Si l’on veut voir dans l’auteur d’ Adam et Ève une sorte de folkloriste, il faudra considérer l’auteur de
2248 n veut voir dans l’auteur d’Adam et Ève une sorte de folkloriste, il faudra considérer l’auteur de Phèdre comme un archéol
2249 rte de folkloriste, il faudra considérer l’auteur de Phèdre comme un archéologue, auteur de drames historiques.) Quant au
2250 r l’auteur de Phèdre comme un archéologue, auteur de drames historiques.) Quant au chapeau, ce n’est point par hasard que
2251 au sens agressif du terme. C’est le chapeau plat de feutre brun qu’arboraient les rédacteurs des Cahiers vaudois. Il trad
2252 cteurs des Cahiers vaudois. Il traduit cet aspect de « manifeste » qu’ont certaines pages trop volontaires de Ramuz, écrit
2253 nifeste » qu’ont certaines pages trop volontaires de Ramuz, écrites en réaction contre le bon goût helvétique. Il est la p
2254 part des contingences dans cette curieuse ellipse d’ un visage. IVFormule d’une personne Leur poésie ne commence pas
2255 cette curieuse ellipse d’un visage. IVFormule d’ une personne Leur poésie ne commence pas pour eux avec le commence
2256 sie ne commence pas pour eux avec le commencement de leur personne ; elle ne commence à vrai dire que là où leur personne
2257 sible avec l’objet ; elle est dans la suppression de tout contact avec l’objet. On croit voir transparaître dans ce passa
2258 re dans ce passage des Six Cahiers le « négatif » d’ un portrait de Ramuz. Essayons d’en tirer une épreuve positive : « Sa
2259 sage des Six Cahiers le « négatif » d’un portrait de Ramuz. Essayons d’en tirer une épreuve positive : « Sa poésie commenc
2260 s le « négatif » d’un portrait de Ramuz. Essayons d’ en tirer une épreuve positive : « Sa poésie commence avec le commencem
2261 itive : « Sa poésie commence avec le commencement de sa personne ; elle prend fin là où commence pour lui l’impersonnel. E
2262 du contact avec l’objet. » Mais on peut dire cela de Goethe aussi ? Et de bien d’autres réalistes de la forme ? De Goethe
2263 et. » Mais on peut dire cela de Goethe aussi ? Et de bien d’autres réalistes de la forme ? De Goethe surtout. Il y a pourt
2264 a de Goethe aussi ? Et de bien d’autres réalistes de la forme ? De Goethe surtout. Il y a pourtant cette différence capita
2265 ssi ? Et de bien d’autres réalistes de la forme ? De Goethe surtout. Il y a pourtant cette différence capitale que, chez G
2266 ues par l’estampe. Il lui faut les intermédiaires de la culture, les assurances d’une noble origine, un système délicat de
2267 les intermédiaires de la culture, les assurances d’ une noble origine, un système délicat de conventions et de prudences.
2268 ssurances d’une noble origine, un système délicat de conventions et de prudences. Ramuz commence là où tous les intermédia
2269 ble origine, un système délicat de conventions et de prudences. Ramuz commence là où tous les intermédiaires sont supprimé
2270 the cherche une économie des moyens, qui permette d’ aller au-delà de ce que la civilisation lui donne de plus achevé. Le m
2271 économie des moyens, qui permette d’aller au-delà de ce que la civilisation lui donne de plus achevé. Le mouvement de Ramu
2272 vilisation lui donne de plus achevé. Le mouvement de Ramuz paraît inverse : par la ligne de plus grande résistance, il fai
2273 ent un Goethe et un Ramuz déterminent deux formes d’ expérience apparemment incomparables. Tout l’appareil de la culture le
2274 rience apparemment incomparables. Tout l’appareil de la culture les sépare. Mais il ne faut pas oublier que la culture de
2275 épare. Mais il ne faut pas oublier que la culture de notre temps n’est plus du tout ce qu’elle était au temps de Goethe. P
2276 ontestable. Il se peut que l’effort réactionnaire de Ramuz, dans les contingences où nous sommes soit, plus qu’il n’y para
2277 n l’attaquant, plus que n’ont fait les défenseurs d’ une intelligence sans prises, d’une pensée sans risques, et d’un art s
2278 it les défenseurs d’une intelligence sans prises, d’ une pensée sans risques, et d’un art sans piété. Ramuz en veut à l’éco
2279 igence sans prises, d’une pensée sans risques, et d’ un art sans piété. Ramuz en veut à l’école, aux journaux, au langage n
2280 école, aux journaux, au langage noble, aux objets de vitrines, à la poésie poétique, à nos formes habituées. Il prétend qu
2281 ouvent le plus brutal des tintamarres, « un bruit de vitres cassées, de grincement pareils à ceux d’un clou sur un caillou
2282 al des tintamarres, « un bruit de vitres cassées, de grincement pareils à ceux d’un clou sur un caillou, un mélange de tou
2283 t de vitres cassées, de grincement pareils à ceux d’ un clou sur un caillou, un mélange de toux sèches ou rauques et de cou
2284 reils à ceux d’un clou sur un caillou, un mélange de toux sèches ou rauques et de coups de pioche ou de marteau. » Les gla
2285 caillou, un mélange de toux sèches ou rauques et de coups de pioche ou de marteau. » Les glaciers ne sont pas « sublimes 
2286 un mélange de toux sèches ou rauques et de coups de pioche ou de marteau. » Les glaciers ne sont pas « sublimes » comme o
2287 e toux sèches ou rauques et de coups de pioche ou de marteau. » Les glaciers ne sont pas « sublimes » comme on chante dans
2288 on chante dans les écoles suisses. Et il est faux de « chanter » la montagne : les montagnards l’appellent « le mauvais pa
2289 s l’appellent « le mauvais pays ». On a vite fait d’ expliquer cette esthétique de l’objet brut par une mauvaise humeur d’a
2290 ys ». On a vite fait d’expliquer cette esthétique de l’objet brut par une mauvaise humeur d’artiste en réaction contre l’a
2291 sthétique de l’objet brut par une mauvaise humeur d’ artiste en réaction contre l’académisme. Si puissantes que soient les
2292 ne réaction créatrice. Et ce n’est point en haine de la facilité qu’un homme recherchera jamais l’effort : mais par goût d
2293 homme recherchera jamais l’effort : mais par goût de l’effort. Si Ramuz tend à rejeter tous les intermédiaires culturels,
2294 il critique le machinisme, s’il raille le confort de ses concitoyens, leurs assurances, leur hygiène proprette, leur idéal
2295 e contact avec la matière résistante et le risque de l’homme créateur de sa forme. Si Ramuz n’aime pas les machines, s’il
2296 tière résistante et le risque de l’homme créateur de sa forme. Si Ramuz n’aime pas les machines, s’il refuse l’économie d’
2297 z n’aime pas les machines, s’il refuse l’économie d’ efforts qu’elles représentent, c’est que l’effort même, pour lui, gara
2298 lui, garantit la réalité. L’effort est le concret de l’homme79. Saisir les choses et les êtres, tels qu’ils sont et tels q
2299 nt, dégradés, désunis, informes ; et par l’effort d’ une imagination qui retrouve leur raison d’être, les pousser jusqu’à l
2300 effort d’une imagination qui retrouve leur raison d’ être, les pousser jusqu’à l’expression de leur nature primitive, produ
2301 r raison d’être, les pousser jusqu’à l’expression de leur nature primitive, produire au jour leur forme restaurée, — c’est
2302 leur forme restaurée, — c’est le mouvement unique de l’œuvre de Ramuz, et la définition de sa personne en exercice. « Je n
2303 restaurée, — c’est le mouvement unique de l’œuvre de Ramuz, et la définition de sa personne en exercice. « Je ne distingue
2304 ment unique de l’œuvre de Ramuz, et la définition de sa personne en exercice. « Je ne distingue l’être qu’aux racines de l
2305 exercice. « Je ne distingue l’être qu’aux racines de l’élémentaire ». Parce que le critère du réel c’est l’effort ; parce
2306 main là où les choses et les êtres attendent tout de son pouvoir restaurateur : leur nom, leur nombre et leur emploi. Parc
2307 nombre et leur emploi. Parce que le sens dernier de l’acte humain, c’est le retour au Paradis perdu. Il faut citer ici un
2308 e page des Souvenirs sur Stravinsky qui me paraît d’ une importance extrême, non seulement parce qu’elle est la plus clairv
2309 on œuvre, une perspective qui est je crois, celle de sa plénitude. Par-delà tous les pays, il y a peut-être le Pays (per
2310 un instant à l’homme des commencements, à l’homme d’ avant la malédiction, d’avant la grande première bifurcation dont chac
2311 commencements, à l’homme d’avant la malédiction, d’ avant la grande première bifurcation dont chacun des embranchements a
2312 rcation nouvelle, et celle-ci une autre, et ainsi de suite à l’infini, de sorte que pour finir on est chacun tout seul sur
2313 finir on est chacun tout seul sur son petit bout de sentier. Et il y a aussi cette malédiction, où on sent bien qu’on est
2314 out travail difficile, tout travail, toute espèce de travail se fait d’abord contre nous-mêmes et contre Quelqu’un, tout t
2315 on), — jusqu’à ce que tout à coup, par une espèce de renversement, la bénédiction intervienne, tout à coup il y ait cette
2316 ration avec Quelqu’un, il y ait cette possibilité de retour, ce retour, ce « retrouvement ». ⁂ Sobriété, assobrissement f
2317 été, assobrissement faudrait-il dire80, éducation de la vision par l’acte. Instauration de la personne dans la tension ent
2318 , éducation de la vision par l’acte. Instauration de la personne dans la tension entre l’objet et la volonté formatrice, r
2319 matrice, rédemption par l’effort créateur… Autant de formules d’un art dont la genèse se confond avec celle de la personne
2320 emption par l’effort créateur… Autant de formules d’ un art dont la genèse se confond avec celle de la personne. Dans un es
2321 les d’un art dont la genèse se confond avec celle de la personne. Dans un essai où je crois distinguer l’aveu de soi le pl
2322 onne. Dans un essai où je crois distinguer l’aveu de soi le plus direct qu’ait jamais consenti Ramuz (c’est Une Main) je l
2323 Mais à sa seule leçon, à l’équation fondamentale de sa vie, non point certes aux contingences et au décor de son appariti
2324 ie, non point certes aux contingences et au décor de son apparition. Aussi bien la suite du passage nous ramène au niveau
2325 comme par exemple une maison trop grande, un feu de bois vert qu’on s’ingénie à allumer dans une cheminée qui tire mal. J
2326 que je suis à la mienne. » ⁂ Je vois, j’ai tenté de faire voir comment Ramuz existe à sa façon. Je vois que son pouvoir e
2327 s oblige à être présent. Je vois ce grand exemple d’ une volonté tendue vers l’origine d’où procèdent à la fois les lois d’
2328 grand exemple d’une volonté tendue vers l’origine d’ où procèdent à la fois les lois d’un art, la coutume d’un peuple et l’
2329 vers l’origine d’où procèdent à la fois les lois d’ un art, la coutume d’un peuple et l’authentique raison d’être, l’ident
2330 procèdent à la fois les lois d’un art, la coutume d’ un peuple et l’authentique raison d’être, l’identité d’une personne. J
2331 t, la coutume d’un peuple et l’authentique raison d’ être, l’identité d’une personne. Je vois, j’apprends, j’entends la voi
2332 peuple et l’authentique raison d’être, l’identité d’ une personne. Je vois, j’apprends, j’entends la voix d’un homme. N’est
2333 personne. Je vois, j’apprends, j’entends la voix d’ un homme. N’est-ce pas assez ? Cette voix n’est-elle pas émouvante ? —
2334 le pas émouvante ? — Oui, c’est beaucoup, la voix d’ un homme. C’est assez rare dans la littérature. Qui voudrait exiger da
2335 Voici le temps où l’homme se voit mis en demeure de déclarer ses origines et ses fins. Voici le temps où l’homme est atta
2336 lus forte que tous nos idéals. Maintenant il y va de notre tout. La question dernière est posée : celle de notre origine d
2337 otre tout. La question dernière est posée : celle de notre origine décisive. Le silence perd alors son pouvoir ; mais la p
2338 la parole n’appartient plus à l’homme. Au comble de nous-mêmes il s’agit d’autre chose que de nous. « Tout notre embrasse
2339 plus à l’homme. Au comble de nous-mêmes il s’agit d’ autre chose que de nous. « Tout notre embrassement n’est qu’une questi
2340 comble de nous-mêmes il s’agit d’autre chose que de nous. « Tout notre embrassement n’est qu’une question81 ». Or une que
2341 présence au monde et à soi-même, — l’originalité de l’homme « radical ». Ramuz l’a fait plus qu’aucun de nos maîtres. De
2342 l’homme « radical ». Ramuz l’a fait plus qu’aucun de nos maîtres. De lui donc, plus que d’aucun autre, nous attendons qu’i
2343 l ». Ramuz l’a fait plus qu’aucun de nos maîtres. De lui donc, plus que d’aucun autre, nous attendons qu’il aille jusqu’au
2344 us qu’aucun de nos maîtres. De lui donc, plus que d’ aucun autre, nous attendons qu’il aille jusqu’au tenue. Le fondement d
2345 qu’il aille jusqu’au tenue. Le fondement dernier de la personne est témoignage. Témoigner, c’est risquer en dépit de tout
2346 age. Témoigner, c’est risquer en dépit de tout et de soi, ce qu’aucune sagesse n’a jamais justifié. 70. Le Grand Print
2347 me abstrait, insista puissamment sur la nécessité de « faire la volonté de Dieu », non de la dire. Mais le kantisme a dévi
2348 uissamment sur la nécessité de « faire la volonté de Dieu », non de la dire. Mais le kantisme a dévié ce mouvement, détour
2349 la nécessité de « faire la volonté de Dieu », non de la dire. Mais le kantisme a dévié ce mouvement, détournant l’attentio
2350 isme a dévié ce mouvement, détournant l’attention de l’acte — car tout acte est particulier — pour la porter sur l’intenti
2351 ût-il même un silence, laisse une trace au visage de l’homme, modifie sa forme existante. « La figure a été faite sur la v
2352 tre à l’abri du fisc. Ce qui est difficile, c’est de justifier une telle conduite… C’est alors que le psychologue entre en
2353 le psychologue entre en action. 73. C’est le ton de la musique de Stravinsky, du Sacre et des Noces. Un ton de création d
2354 entre en action. 73. C’est le ton de la musique de Stravinsky, du Sacre et des Noces. Un ton de création du monde. 74.
2355 ique de Stravinsky, du Sacre et des Noces. Un ton de création du monde. 74. Dans les essais de Ramuz, ses tics de langage
2356 Un ton de création du monde. 74. Dans les essais de Ramuz, ses tics de langage sont très apparents : excès de et, de il y
2357 du monde. 74. Dans les essais de Ramuz, ses tics de langage sont très apparents : excès de et, de il y a que, de singuliè
2358 , ses tics de langage sont très apparents : excès de et, de il y a que, de singulièrement (pris dans le sens de très), de
2359 ics de langage sont très apparents : excès de et, de il y a que, de singulièrement (pris dans le sens de très), de on veut
2360 sont très apparents : excès de et, de il y a que, de singulièrement (pris dans le sens de très), de on veut dire, etc. 75
2361 il y a que, de singulièrement (pris dans le sens de très), de on veut dire, etc. 75. On pourrait soutenir que l’époque 1
2362 e, de singulièrement (pris dans le sens de très), de on veut dire, etc. 75. On pourrait soutenir que l’époque 1900-1910 f
2363 1900-1910 fut « inactuelle » pour la grande masse de ceux qui la vécurent. Et qu’elle n’eut d’actualité véritable que par
2364 e masse de ceux qui la vécurent. Et qu’elle n’eut d’ actualité véritable que par et dans l’œuvre de Proust, par exemple, ou
2365 eut d’actualité véritable que par et dans l’œuvre de Proust, par exemple, ou, à un tout autre, point de vue, par et dans l
2366 un tout autre, point de vue, par et dans l’œuvre de Sorel et de Lénine. 76. Cette attitude est assez goethéenne. Un sens
2367 re, point de vue, par et dans l’œuvre de Sorel et de Lénine. 76. Cette attitude est assez goethéenne. Un sens puissant de
2368 e attitude est assez goethéenne. Un sens puissant de l’organique empêchera toujours certains hommes de travailler activeme
2369 de l’organique empêchera toujours certains hommes de travailler activement à consommer les ruptures nécessaires. Dans la m
2370 ommer les ruptures nécessaires. Dans la mesure où de tels hommes incarnent déjà les valeurs que la révolution veut instaur
2371 laudel pour avoir conduit consciemment ce travail d’ « autorisation » (Art poétique). Les philosophes y sont contraints pro
2372 anarchie sémantique. 78. Il dit des personnages de ses romans : « Je ne les aime pas en tant que « primitifs » comme on
2373 tendu, qu’il implique une création, qu’il résulte d’ une mise en présence effective de l’homme et de ce qui résiste à l’hom
2374 n, qu’il résulte d’une mise en présence effective de l’homme et de ce qui résiste à l’homme. C’est le contraire de l’activ
2375 te d’une mise en présence effective de l’homme et de ce qui résiste à l’homme. C’est le contraire de l’activisme au sens a
2376 t de ce qui résiste à l’homme. C’est le contraire de l’activisme au sens américain, qui cherche partout la ligne de plus g
10 1944, Les Personnes du drame. III. Sincérité et authenticité — L’Art poétique de Claudel
2377 L’Art poétique de Claudel La création tout entière est un discours adressé à la créa
2378 es dialectes. Hamann (Paraphrase du Psaume 19.) De l’Art poétique de Claudel, qui domine toute son œuvre ultérieure, je
2379 ann (Paraphrase du Psaume 19.) De l’Art poétique de Claudel, qui domine toute son œuvre ultérieure, je retiendrai d’abord
2380 à chaque page. La rumeur quotidienne tend à faire de « poète » une circonstance atténuante, au bénéfice du maladroit s’il
2381 adroit s’il est aimable. Ou bien c’est l’ornement de nos loisirs. Mais Claudel dit : l’art poétique est art de faire. Un g
2382 oisirs. Mais Claudel dit : l’art poétique est art de faire. Un gémissement célèbre, chez les clercs, déplore l’antipathie
2383 e, chez les clercs, déplore l’antipathie tragique de la Vie et de la connaissance. Ceci tuerait cela. Et de cette dialecti
2384 lercs, déplore l’antipathie tragique de la Vie et de la connaissance. Ceci tuerait cela. Et de cette dialectique, on a tir
2385 Vie et de la connaissance. Ceci tuerait cela. Et de cette dialectique, on a tiré quelques rayons d’in-octavos. Mais Claud
2386 t de cette dialectique, on a tiré quelques rayons d’ in-octavos. Mais Claudel : « Vivre c’est connaître », « Se connaître,
2387 ec soi. »… Il ne s’agit évidemment, ici et là, ni de la même poésie ni de la même connaissance. ⁂ Claudel choisit, contre
2388 it évidemment, ici et là, ni de la même poésie ni de la même connaissance. ⁂ Claudel choisit, contre le sens banal, le sen
2389 quent les étymologies. C’est-à-dire qu’il choisit de choisir, car l’étymologie est trop loin d’être une science pour que l
2390 hoisit de choisir, car l’étymologie est trop loin d’ être une science pour que l’adoption même d’une « origine » soit autre
2391 loin d’être une science pour que l’adoption même d’ une « origine » soit autre chose qu’un choix délibéré, — quand ce n’es
2392 as un profond calembour. « Il est permis à chacun de se servir de tel son qu’il lui plaît pour exprimer ses idées, pourvu
2393 calembour. « Il est permis à chacun de se servir de tel son qu’il lui plaît pour exprimer ses idées, pourvu qu’il en aver
2394 idées, pourvu qu’il en avertisse ». Cette phrase de la Logique de Port-Royal, dont Claudel s’il est réaliste doit récuser
2395 qu’il en avertisse ». Cette phrase de la Logique de Port-Royal, dont Claudel s’il est réaliste doit récuser la principale
2396 anmoins servir à préciser ce qui oppose la langue d’ un poète aux divers jargons de son temps ; c’est que l’une est une lan
2397 ui oppose la langue d’un poète aux divers jargons de son temps ; c’est que l’une est une langue « avertie », posant un per
2398 tissement, tandis que les autres ont plutôt l’air de résulter d’une série d’oublis d’avertir, d’une série de contravention
2399 andis que les autres ont plutôt l’air de résulter d’ une série d’oublis d’avertir, d’une série de contraventions dans l’imp
2400 s autres ont plutôt l’air de résulter d’une série d’ oublis d’avertir, d’une série de contraventions dans l’impunité généra
2401 ont plutôt l’air de résulter d’une série d’oublis d’ avertir, d’une série de contraventions dans l’impunité générale. Claud
2402 l’air de résulter d’une série d’oublis d’avertir, d’ une série de contraventions dans l’impunité générale. Claudel montre p
2403 ulter d’une série d’oublis d’avertir, d’une série de contraventions dans l’impunité générale. Claudel montre partout son p
2404 e. Claudel montre partout son parti pris, qui est de s’en tenir aux origines, et à cette origine, entre plusieurs probable
2405 , la plus proche de la chose et du geste. Poésie, de poiein, ce sera : faire. Connaître, de cognoscere, sera : co-naître.
2406 e. Poésie, de poiein, ce sera : faire. Connaître, de cognoscere, sera : co-naître. Il faut savoir ce que parler veut dire.
2407 -naître. Il faut savoir ce que parler veut dire. ( D’ où l’on vient, où l’on va : tel est le sens.) Car le langage, parmi d’
2408 le langage, parmi d’autres fonctions, a celle-là de permettre à nos pensées de circuler. Claudel se donne un règlement, e
2409 fonctions, a celle-là de permettre à nos pensées de circuler. Claudel se donne un règlement, et il observe les signaux. L
2410 us qu’à se laisser pousser dans le sens incertain de la masse. Or ce sens, tellement incertain qu’il en devient presque in
2411 te affaire, celui qui sait où il va risque encore d’ augmenter l’embarras, et de se faire copieusement houspiller. Et pourt
2412 où il va risque encore d’augmenter l’embarras, et de se faire copieusement houspiller. Et pourtant, c’est lui seul qui dét
2413 ’aille aussi s’embouteiller83. Ou encore essayons de la traduire. Les modes, l’usage, l’usure des mots, aggravés par la pr
2414 i à vrai dire, et dans le fait, ruinent les bases de la communauté. On convient de s’entendre sur des malentendus. Tout le
2415 , ruinent les bases de la communauté. On convient de s’entendre sur des malentendus. Tout le monde parle d’esprit sans nul
2416 entendre sur des malentendus. Tout le monde parle d’ esprit sans nulle définition, sans déclarer ce que le mot sous-entend
2417 racines. (Alors que toute communauté réelle naît d’ une entente passionnée sur le sens de certains maîtres-mots : esprit,
2418 réelle naît d’une entente passionnée sur le sens de certains maîtres-mots : esprit, nation, révolution, salut…) Et, comme
2419 es et abstraites qu’on le peut. Opération inverse de celle du poète : on s’arrête à l’acceptation neutre, la moins active,
2420 irement, mais : « Tel est le mystère qu’il s’agit de reporter sur le papier de l’encre la plus noire. » Au lieu de : Réflé
2421 le mystère qu’il s’agit de reporter sur le papier de l’encre la plus noire. » Au lieu de : Réfléchissons, analysons : « Ru
2422 urs une chose-image, au lieu d’une formule faite, d’ un terme abstrait. C’est le style du livre de Job. Cependant cet effor
2423 ite, d’un terme abstrait. C’est le style du livre de Job. Cependant cet effort de Claudel, restituant à chaque mot son sen
2424 st le style du livre de Job. Cependant cet effort de Claudel, restituant à chaque mot son sens le plus poignant, par là mê
2425 ble au très grand nombre. Rendre au mot sa valeur d’ appel, appeler sans cesse à grands cris l’univers (cette « version à l
2426 sion à l’unité »), la plénitude, le rassemblement de tous les êtres, le branle-bas de toute la création vers son achèvemen
2427 le rassemblement de tous les êtres, le branle-bas de toute la création vers son achèvement intelligible, c’est là vraiment
2428 là vraiment « poétiser », collaborer à l’ouvrage de Dieu, et recréer la catholicité. Mais c’est aussi dans le monde d’auj
2429 er la catholicité. Mais c’est aussi dans le monde d’ aujourd’hui, se condamner à n’être pas compris. Paradoxe d’un génie « 
2430 ’hui, se condamner à n’être pas compris. Paradoxe d’ un génie « catholique », isolé de la foule des hommes, par ce qui mani
2431 ompris. Paradoxe d’un génie « catholique », isolé de la foule des hommes, par ce qui manifeste, justement sa volonté de ca
2432 ommes, par ce qui manifeste, justement sa volonté de catholicité ! ⁂ Non qu’il soit méconnu, bien sûr. Mais parmi tant d’a
2433 Non qu’il soit méconnu, bien sûr. Mais parmi tant d’ admirateurs, combien connaissent à la raison de ses beautés, énoncées
2434 nt d’admirateurs, combien connaissent à la raison de ses beautés, énoncées dans l’Art poétique ? De cet ouvrage très sévèr
2435 on de ses beautés, énoncées dans l’Art poétique ? De cet ouvrage très sévère, et sublime en tant de passages, combien acce
2436 nquisition ? Qu’on ne dise pas que la philosophie d’ un grand poète importe moins que son humanité, que son lyrisme, ou que
2437 anité, que son lyrisme, ou que ce je ne sais quoi de bouleversant obscurément qui saisit l’auditeur le plus profane de Têt
2438 obscurément qui saisit l’auditeur le plus profane de Tête d’or. Ce serait aggraver d’une sottise cette Séparation, notre p
2439 ent qui saisit l’auditeur le plus profane de Tête d’ or. Ce serait aggraver d’une sottise cette Séparation, notre péché, co
2440 le plus profane de Tête d’or. Ce serait aggraver d’ une sottise cette Séparation, notre péché, contre laquelle toute l’œuv
2441 ation, notre péché, contre laquelle toute l’œuvre de Claudel se soulève à l’appel de la Joie. Le monde qu’interprète l’Art
2442 lle toute l’œuvre de Claudel se soulève à l’appel de la Joie. Le monde qu’interprète l’Art poétique ne connaît pas Descart
2443 connaît pas Descartes le diviseur, ne connaît pas de localisation du spirituel, ne connaît pas de lois mais seulement des
2444 pas de localisation du spirituel, ne connaît pas de lois mais seulement des formes. C’est un monde en recréation perpétue
2445 plément ou efférence, sa part dans la composition de l’image, le mot qui profère son sens. » C’est un univers du discours,
2446 puisqu’il ne tire ses règles et sa nécessité que de la fin totale qu’il glorifie. Ce n’est pas notre monde tel qu’il est
2447 ers elle, — le monde retrouvé dans l’anticipation de l’enthousiasme poétique. Diviser, séparer, isoler, faire scission, ce
2448 n’a fait qu’enregistrer les effets antipoétiques d’ un relâchement originel. Rompre le lien de l’homme avec son origine, c
2449 étiques d’un relâchement originel. Rompre le lien de l’homme avec son origine, c’est rompre aussi sa communion avec la fin
2450 t-à-dire qu’il s’isole et s’abstrait du mouvement de la Création. « Et c’est pourquoi une fin lui fut en effet donnée » — 
2451 i est sa mort. Mais l’œuvre du poète, la vocation de l’homme, la charité cosmique de la personne chrétienne identiquement,
2452 oète, la vocation de l’homme, la charité cosmique de la personne chrétienne identiquement, c’est alors d’embrasser d’un se
2453 la personne chrétienne identiquement, c’est alors d’ embrasser d’un seul geste, de réunir, de relancer vers sa vraie fin to
2454 chrétienne identiquement, c’est alors d’embrasser d’ un seul geste, de réunir, de relancer vers sa vraie fin tout ce qu’une
2455 quement, c’est alors d’embrasser d’un seul geste, de réunir, de relancer vers sa vraie fin tout ce qu’une durée mauvaise a
2456 est alors d’embrasser d’un seul geste, de réunir, de relancer vers sa vraie fin tout ce qu’une durée mauvaise a disjoint e
2457 ise a disjoint et altéré. « Car l’attente ardente de la Création, attend la révélation des enfants de Dieu, parce que ce n
2458 de la Création, attend la révélation des enfants de Dieu, parce que ce n’est pas de son propre gré qu’elle a été assujett
2459 ation des enfants de Dieu, parce que ce n’est pas de son propre gré qu’elle a été assujettie à vanité » (Rom. VIII, 19-20)
2460 d à la proposition universelle. Qu’on parle alors de procédé, si l’on y tient, mais il faut en comprendre l’office. Traite
2461 s plus exsangues, c’est rénover l’action cosmique de la parole. Comment cela ? « Le mot appelle, provoque en nous l’état d
2462 cela ? « Le mot appelle, provoque en nous l’état de co-naissance qui répond à la présence sensible des choses mêmes ». Le
2463 ». Le nom, qui désigne la chose, appelle un geste de l’homme pour cette chose. Le verbe, désignant ce geste appelle une ph
2464 désignant ce geste appelle une phrase, un rythme d’ actes concertés. Ainsi l’homme se trouve mis « en communication avec l
2465 a traduction, dans l’univers matériel, du sanglot de l’origine ». En même temps que la chose qui le provoque, le verbe exp
2466 i le provoque, le verbe exprime ainsi la vocation de l’homme qui le profère. « L’acte par lequel l’homme atteste la perman
2467 es dont la réunion donne à chaque chose son droit de devenir présente à l’esprit, par lequel il la conçoit dans son cœur,
2468 le la parole. » Nous voici donc « chargés du rôle d’ origine ». L’homme est le « sceau de l’authenticité ». Il est, par son
2469 argés du rôle d’origine ». L’homme est le « sceau de l’authenticité ». Il est, par son action recréatrice, une étymologie
2470 ar son action recréatrice, une étymologie vivante de tout ce qui est. Et maintenant, pour se connaître il lui suffit d’agi
2471 t. Et maintenant, pour se connaître il lui suffit d’ agir sa vocation. Dans l’acte conscient de la fin qui l’englobe, il n’
2472 suffit d’agir sa vocation. Dans l’acte conscient de la fin qui l’englobe, il n’y a plus de distinction du matériel et du
2473 conscient de la fin qui l’englobe, il n’y a plus de distinction du matériel et du spirituel. L’homme « se connaît donc à
2474 omme « se connaît donc à son pas et à l’extension de ses mains, à la facilité plusoumoindrea qu’il éprouve à se servir des
2475 lui est comme « un document où il suit les œuvres de l’esprit qui le remue ». Penser dans le train de la création, reforme
2476 de l’esprit qui le remue ». Penser dans le train de la création, reformer sans cesse toutes les formes selon l’intention
2477 proprement penser avec les mains. Au sixième jour de sa Semaine, Du Bartas parlant de ses mains les appelle, assez curieus
2478 Au sixième jour de sa Semaine, Du Bartas parlant de ses mains les appelle, assez curieusement, d’abord : « Singes de l’Ét
2479 s appelle, assez curieusement, d’abord : « Singes de l’Éternel » et aussitôt : « Ministres de l’esprit ». Ô singerie génia
2480 « Singes de l’Éternel » et aussitôt : « Ministres de l’esprit ». Ô singerie géniale et ministère manifeste ! Art poétique,
2481 éniale et ministère manifeste ! Art poétique, art de refaire le monde — tel que Dieu l’a connu de toute éternité ! 82. E
2482 art de refaire le monde — tel que Dieu l’a connu de toute éternité ! 82. En effet la citation du Cratyle qu’il donne da
2483 ller et nous entendre librement ? 84. Il importe de le souligner, précisément à propos de Claudel que sa théologie thomis
2484 l que sa théologie thomiste entraîne parfois dans de graves équivoques. Nulle magie, nulle poésie sacramentale, ne peut co
11 1944, Les Personnes du drame. IV. Une maladie de la personne — 8. Le romantisme allemand
2485 e spirituelle des hommes angoissés par le mystère d’ une Nature hostile et mouvante. La parole de raison qui distingue les
2486 stère d’une Nature hostile et mouvante. La parole de raison qui distingue les choses, les arrête et les identifie, apparaî
2487 est trop complète laisse l’homme sur un sentiment de déception et d’indicible appauvrissement. Le monde rationnel est rass
2488 e laisse l’homme sur un sentiment de déception et d’ indicible appauvrissement. Le monde rationnel est rassurant, mais beau
2489 ns réponse, et des faims ancestrales sans pâture. D’ où renaît peu à peu une angoisse nouvelle, une attraction comparable a
2490 ttraction comparable au vertige, vers ces régions de l’être obscur que le bon sens et la philosophie prétendaient mettre a
2491 sens et la philosophie prétendaient mettre au ban de l’humanité. Et tandis que dans sa panique l’homme primitif s’était to
2492 ison libératrice, au terme des époques appauvries de mystère, l’homme sceptique se rejette avec passion vers les « aspects
2493 jette avec passion vers les « aspects nocturnes » de sa nature. Ainsi naquit le romantisme allemand après le siècle des Lu
2494 nos soifs mystiques élémentaires après un siècle de science positiviste. Est-il vrai que la nuit et le rêve n’aient rien
2495 ntraire, nous propose des paradis et des terreurs d’ une intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée, d’une vérit
2496 sité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée, d’ une vérité supérieure ? Telle est la question que posèrent les premier
2497 . Quand nous rêvons « est-ce nous qui nous jouons de nous-mêmes, ou bien une main d’en haut brasse-t-elle les cartes ? » D
2498 s qui nous jouons de nous-mêmes, ou bien une main d’ en haut brasse-t-elle les cartes ? » Déjà E. T. A. Hoffman insinue la
2499 spirituel, étranger à nous-mêmes, était le mobile de ces irruptions soudaines d’images inconnues, qui se jettent à la trav
2500 êmes, était le mobile de ces irruptions soudaines d’ images inconnues, qui se jettent à la traverse de nos idées d’une mani
2501 d’images inconnues, qui se jettent à la traverse de nos idées d’une manière si brusque et si saisissante ? » De là à pens
2502 onnues, qui se jettent à la traverse de nos idées d’ une manière si brusque et si saisissante ? » De là à penser que le rêv
2503 es d’une manière si brusque et si saisissante ? » De là à penser que le rêve est un « vestige du divin », il n’y a que l’é
2504 un « vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur d’ un scrupule d’orthodoxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme
2505 u divin », il n’y a que l’épaisseur d’un scrupule d’ orthodoxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxl
2506 n’y a que l’épaisseur d’un scrupule d’orthodoxie, d’ une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxler esquive non
2507 ’un scrupule d’orthodoxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxler esquive non sans adresse la diffic
2508 utre », ou le moi sombre que l’on atteint au fond de l’inconscient, ils formulent le problème crucial qui se pose à tous l
2509 us les mystiques. C’est aussi le problème crucial de toute définition de la personne. Car nous sommes constamment tentés d
2510 est aussi le problème crucial de toute définition de la personne. Car nous sommes constamment tentés d’assimiler le Moi pr
2511 e la personne. Car nous sommes constamment tentés d’ assimiler le Moi profond et ses secrètes impulsions à la Parole qui vi
2512 et qui seule est vraiment vocation. Un philosophe de la personne verra donc le plus grand intérêt à préciser le parallèle
2513 s’empare avec avidité des plus furtives promesses de bonheur, de libération, d’aventure ! Toute la poésie romantique de mê
2514 c avidité des plus furtives promesses de bonheur, de libération, d’aventure ! Toute la poésie romantique de même que la su
2515 lus furtives promesses de bonheur, de libération, d’ aventure ! Toute la poésie romantique de même que la surréaliste, est
2516 urréaliste, est à l’affût des « surprises pleines de sens » dont nous parlent aussi les mystiques. Une autre analogie asse
2517 Une autre analogie assez frappante, c’est le rôle de la rhétorique chez les poètes du rêve et les mystiques. Le philosophe
2518 s constantes que celles qui le régissent à l’état de veille. D’autre part l’on sait bien que les mystiques hindous, musulm
2519 s mystiques hindous, musulmans, ou chrétiens, ont de tous temps réinventé les mêmes figures de langage pour traduire l’ine
2520 ns, ont de tous temps réinventé les mêmes figures de langage pour traduire l’ineffable qu’ils vivaient86. Et ceci nous amè
2521 6. Et ceci nous amène au problème central : celui de l’expression d’un indicible. Il nous faut dépasser ici le domaine cir
2522 amène au problème central : celui de l’expression d’ un indicible. Il nous faut dépasser ici le domaine circonscrit du rêve
2523 eurs, ont été bien au-delà, dans leur exploration de l’Inconscient. Le songe, pour eux, n’est que la « porte » ouvrant sur
2524 nce mystique ou romantique présuppose l’existence d’ un centre ou d’un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Ungrund de Jakob Bo
2525 romantique présuppose l’existence d’un centre ou d’ un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Ungrund de Jakob Boehme), dont on
2526 se l’existence d’un centre ou d’un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Ungrund de Jakob Boehme), dont on ne peut rien dire, e
2527 ne peut rien dire, et qui cependant est la source de tout ce que l’on dit. C’est l’ineffable, l’indicible, le royaume du S
2528 ssent leur vie à en parler, à en écrire, à tenter de le cerner par des figures, qui, n’étant jamais suffisantes, doivent ê
2529 ique allemand. Car l’un et l’autre ont l’ambition de communiquer par l’écrit ce qu’ils ne cessent de définir comme l’indic
2530 n de communiquer par l’écrit ce qu’ils ne cessent de définir comme l’indicible. Dès lors, la plainte sera la même, qu’il s
2531 Dès lors, la plainte sera la même, qu’il s’agisse d’ une Thérèse d’Avila ou simplement d’un Ludwig Tieck. Donnez-moi des « 
2532 u’il s’agisse d’une Thérèse d’Avila ou simplement d’ un Ludwig Tieck. Donnez-moi des « paroles nouvelles » pour exprimer l’
2533 ots pour dépeindre, même faiblement, la merveille de la vision qui s’offrit à moi, et qui transformant mon âme, m’entraîna
2534 et qui transformant mon âme, m’entraîna au-devant d’ une réalité invisible, divine, d’une ineffable splendeur. Un indicible
2535 traîna au-devant d’une réalité invisible, divine, d’ une ineffable splendeur. Un indicible ravissement me souleva tout enti
2536 ource inépuisable, le point originel et fascinant de tout jaillissement du langage, de toute expression littéraire. « Où t
2537 el et fascinant de tout jaillissement du langage, de toute expression littéraire. « Où trouver les mots ? », gémissent-ils
2538 La plainte est sincère et tragique, mais combien de mots leur fera-t-elle accumuler pour dire que rien ne saurait être di
2539 it une découverte importante, écrit Ritter, celle d’ une conscience passive de l’Involontaire. » Et sur cette base, la seco
2540 nte, écrit Ritter, celle d’une conscience passive de l’Involontaire. » Et sur cette base, la seconde génération du romanti
2541 tion du romantisme va formuler sa fameuse théorie de l’Inspiration — tellement vulgarisée de nos jours qu’on en oublie l’o
2542 e théorie de l’Inspiration — tellement vulgarisée de nos jours qu’on en oublie l’origine mystique. « Le poète et le rêveur
2543 t le rêveur sont passifs, ils écoutent le langage d’ une voix qui leur est intérieure et pourtant étrangère, qui s’élève da
2544 rtant étrangère, qui s’élève dans les profondeurs d’ eux-mêmes sans qu’ils puissent faire autre chose que de saluer là l’éc
2545 -mêmes sans qu’ils puissent faire autre chose que de saluer là l’écho d’un discours divin. »87 Alors le doute n’est plus
2546 uissent faire autre chose que de saluer là l’écho d’ un discours divin. »87 Alors le doute n’est plus permis : l’analogie
2547 ici devient une profonde identité. L’intervention de la catégorie « passivité » nous fait comprendre la nature du Silence
2548 té » nous fait comprendre la nature du Silence et de l’indicible dont nous parlaient mystiques et romantiques : c’est la n
2549 ymbole et le signe physique88. C’est « le royaume de l’Être qui se confond avec le royaume du Néant, l’éternité enfin conq
2550 de ne peut humainement s’exprimer que par l’image de l’Absence de toute créature, de toute forme. » Car nous ne percevons
2551 mainement s’exprimer que par l’image de l’Absence de toute créature, de toute forme. » Car nous ne percevons et n’exprimon
2552 r que par l’image de l’Absence de toute créature, de toute forme. » Car nous ne percevons et n’exprimons que le divers et
2553 u Tout. Et c’est cela qui constitue notre réalité de tous les jours. Pour rejoindre le Tout et l’Unité, il s’agit donc de
2554 Pour rejoindre le Tout et l’Unité, il s’agit donc de perdre le Divers, de perdre le réel, de se perdre soi-même, pour se c
2555 t et l’Unité, il s’agit donc de perdre le Divers, de perdre le réel, de se perdre soi-même, pour se confondre avec cet Ind
2556 agit donc de perdre le Divers, de perdre le réel, de se perdre soi-même, pour se confondre avec cet Indicible qui reste, a
2557 ux yeux de la chair, le pur Néant. Ainsi le terme de la quête romantique, à travers les images du rêve s’identifie avec le
2558 vers les images du rêve s’identifie avec le terme de toute expérience mystique : c’est « la pure présence ineffable », la
2559  contemplation sans objet ». Il est donc légitime de suivre Albert Béguin dans cette conclusion : « La grandeur du romanti
2560 conclusion : « La grandeur du romantisme restera d’ avoir reconnu et affirmé la profonde ressemblance des états poétiques
2561 ssemblance des états poétiques et des révélations d’ ordre religieux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et de s’
2562 s poétiques et des révélations d’ordre religieux, d’ avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et de s’être dévoué corps e
2563 , d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et de s’être dévoué corps et âme à la grande nostalgie de l’être en exil. »
2564 s’être dévoué corps et âme à la grande nostalgie de l’être en exil. » IIL’Être en exil Ce sentiment d’exil que nous
2565 re en exil. » IIL’Être en exil Ce sentiment d’ exil que nous trouvons à l’origine des expériences mystiques les plus
2566 gine des expériences mystiques les plus diverses, d’ où naît-il, dans quel souvenir d’une patrie heureuse et perdue ? On au
2567 s plus diverses, d’où naît-il, dans quel souvenir d’ une patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait de répondre en al
2568 patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait de répondre en alléguant notre double nature, corporelle et spirituelle.
2569 re double nature, corporelle et spirituelle. Mais d’ une constatation si générale, comment passer à l’élucidation de ce fai
2570 ation si générale, comment passer à l’élucidation de ce fait le plus singulier dans la vie de l’esprit humain, qui est l’e
2571 cidation de ce fait le plus singulier dans la vie de l’esprit humain, qui est l’engagement sur la via mystica ? S’il est p
2572 permis — comme on l’admet un peu trop facilement de nos jours — de tirer de l’étude des maladies une vue nouvelle sur les
2573 on l’admet un peu trop facilement de nos jours — de tirer de l’étude des maladies une vue nouvelle sur les structures de
2574 et un peu trop facilement de nos jours — de tirer de l’étude des maladies une vue nouvelle sur les structures de l’homme,
2575 des maladies une vue nouvelle sur les structures de l’homme, peut-être pouvons-nous demander à la biographie des romantiq
2576 out au moins sur les causes humaines du sentiment d’ exil où leur passion s’éveille. Prenons l’exemple de Karl Philip Morit
2577 exil où leur passion s’éveille. Prenons l’exemple de Karl Philip Moritz : il présente sur tout autre l’avantage d’une auto
2578 ip Moritz : il présente sur tout autre l’avantage d’ une autoélucidation étrangement désintéressée. Né dans un milieu quiét
2579 rêves. Il s’y trouvait prédisposé par l’habitude de l’examen de conscience en profondeur, tel que le pratiquaient autour
2580 ’y trouvait prédisposé par l’habitude de l’examen de conscience en profondeur, tel que le pratiquaient autour de lui les d
2581 l que le pratiquaient autour de lui les disciples de Mme Guyon89. Non content de publier une revue entièrement consacrée à
2582 er une revue entièrement consacrée à des analyses de rêves, Moritz écrivit deux romans autobiographiques qui nous permette
2583 deux romans autobiographiques qui nous permettent de pénétrer l’intimité d’une expérience prémystique. (Ou faut-il dire d’
2584 hiques qui nous permettent de pénétrer l’intimité d’ une expérience prémystique. (Ou faut-il dire d’une expérience mystique
2585 té d’une expérience prémystique. (Ou faut-il dire d’ une expérience mystique privée de la grâce, réduite à ses aspects pure
2586 (Ou faut-il dire d’une expérience mystique privée de la grâce, réduite à ses aspects purement humains ?) Le point de dépar
2587 éduite à ses aspects purement humains ?) Le point de départ paraît bien être une blessure qu’il reçut de la vie, un choc q
2588 départ paraît bien être une blessure qu’il reçut de la vie, un choc qui l’a laissé béant sur une contradiction irrémédiab
2589 ite le souvenir (ou le refoule comme dira Freud), de telle manière que la cause secrète de sa douleur en vient à se confon
2590 ira Freud), de telle manière que la cause secrète de sa douleur en vient à se confondre avec le fait de vivre en général.
2591 e sa douleur en vient à se confondre avec le fait de vivre en général. D’où l’idée qu’il doit expier la faute qu’il n’a co
2592 à se confondre avec le fait de vivre en général. D’ où l’idée qu’il doit expier la faute qu’il n’a commise que par son exi
2593 » Non sans lucidité, Moritz a su dépeindre l’état de conscience qui naît de cet obscur déchirement : « C’était comme si le
2594 ritz a su dépeindre l’état de conscience qui naît de cet obscur déchirement : « C’était comme si le poids de son existence
2595 obscur déchirement : « C’était comme si le poids de son existence l’eût accablé. Qu’il dût, jour pour jour, se lever avec
2596 enons-y garde : ce moi détesté, c’est la fatalité de l’être individuel, charnel, créé, et lié à toute la création. C’est p
2597 étester revient à détester le monde. L’incapacité d’ accepter le monde réel est signe d’une incapacité de s’accepter soi-mê
2598 . L’incapacité d’accepter le monde réel est signe d’ une incapacité de s’accepter soi-même, — à cause de cette blessure qu’
2599 accepter le monde réel est signe d’une incapacité de s’accepter soi-même, — à cause de cette blessure qu’il s’agit d’oubli
2600 oi-même, — à cause de cette blessure qu’il s’agit d’ oublier si l’on ne parvient pas à l’expier. Et en effet, à la faveur d
2601 parvient pas à l’expier. Et en effet, à la faveur de cet oubli, de ce refus, le moi perd peu à peu de sa réalité ; d’où le
2602 l’expier. Et en effet, à la faveur de cet oubli, de ce refus, le moi perd peu à peu de sa réalité ; d’où le sentiment si
2603 de cet oubli, de ce refus, le moi perd peu à peu de sa réalité ; d’où le sentiment si fréquent chez la plupart des romant
2604 e ce refus, le moi perd peu à peu de sa réalité ; d’ où le sentiment si fréquent chez la plupart des romantiques d’être mal
2605 iment si fréquent chez la plupart des romantiques d’ être mal assuré de sa propre identité, et d’avoir à la rechercher préc
2606 chez la plupart des romantiques d’être mal assuré de sa propre identité, et d’avoir à la rechercher précisément dans le pa
2607 iques d’être mal assuré de sa propre identité, et d’ avoir à la rechercher précisément dans le passé. Moritz décrit ainsi l
2608 ément dans le passé. Moritz décrit ainsi le héros d’ un de ses romans : « Il lui parut qu’il s’était échappé entièrement à
2609 dans le passé. Moritz décrit ainsi le héros d’un de ses romans : « Il lui parut qu’il s’était échappé entièrement à lui-m
2610 ute démarche se rechercher lui-même dans la série de ses souvenirs. Il sentait que l’existence n’a d’appui ferme que dans
2611 de ses souvenirs. Il sentait que l’existence n’a d’ appui ferme que dans la chaîne ininterrompue des souvenirs.90 » Mais,
2612 ndroit « tourne court, incapable une fois de plus de saisir la pensée salvatrice. » C’est qu’il est un souvenir interdit,
2613 à se ressaisir dans la mémoire, puisque la cause de sa maladie est justement ce qu’il ne peut se remémorer, cette blessur
2614 se remémorer, cette blessure qui est à l’origine de la conscience divisée. Comment alors sortir du cercle, comment guérir
2615 nous avons vu que le rêve, ou la descente au fond de l’inconscient, représentent pour les romantiques les voies d’un retou
2616 ient, représentent pour les romantiques les voies d’ un retour au monde perdu à la « vraie vie » qui est « ailleurs » comme
2617 vie » qui est « ailleurs » comme dit Rimbaud. Vie d’ expansion indéfinie dans l’Univers ou la divinité. Vie d’innocence ret
2618 sion indéfinie dans l’Univers ou la divinité. Vie d’ innocence retrouvée : car le moi, qui s’y perd, y perd aussi le sentim
2619 r le moi, qui s’y perd, y perd aussi le sentiment de sa culpabilité. Mais d’une autre manière encore, et plus précise, le
2620 y perd aussi le sentiment de sa culpabilité. Mais d’ une autre manière encore, et plus précise, le rêve ou la via mystica s
2621 récise, le rêve ou la via mystica sont des moyens de récupérer le monde perdu. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que la t
2622 a tendance à la dilatation panthéiste ou mystique de l’être revêt presque toujours la forme d’un vœu de mort. Le sommeil p
2623 ystique de l’être revêt presque toujours la forme d’ un vœu de mort. Le sommeil préfigure la mort pour le poète romantique 
2624 e l’être revêt presque toujours la forme d’un vœu de mort. Le sommeil préfigure la mort pour le poète romantique ; et la m
2625 et la mort progressive à soi-même est l’ambition de tous les vrais mystiques. Mais pourquoi voudrait-on mourir ? La biogr
2626 Mais pourquoi voudrait-on mourir ? La biographie de la plupart des romantiques fournit ici la même réponse. En effet, la
2627 rent est presque toujours symbolisée par la perte d’ un être aimé. Passer dans l’autre monde, c’est retrouver la morte ! « 
2628 r la morte ! « L’expérience typique qui est celle de Jean-Paul à la mort de ses amis, de Novalis perdant Sophie von Kuhn,
2629 ence typique qui est celle de Jean-Paul à la mort de ses amis, de Novalis perdant Sophie von Kuhn, de Guérin méditant sur
2630 qui est celle de Jean-Paul à la mort de ses amis, de Novalis perdant Sophie von Kuhn, de Guérin méditant sur la mort de Ma
2631 de ses amis, de Novalis perdant Sophie von Kuhn, de Guérin méditant sur la mort de Marie, ou de Nerval poursuivant l’imag
2632 t Sophie von Kuhn, de Guérin méditant sur la mort de Marie, ou de Nerval poursuivant l’image d’Aurélia, Anton Reiser (le h
2633 a mort de Marie, ou de Nerval poursuivant l’image d’ Aurélia, Anton Reiser (le héros de Moritz) la fait dès l’enfance, lors
2634 suivant l’image d’Aurélia, Anton Reiser (le héros de Moritz) la fait dès l’enfance, lorsqu’il s’interroge sur ce qu’est de
2635 oge sur ce qu’est devenue sa petite sœur : le vœu de retrouver la morte, de communier avec un autre univers, lui fait mépr
2636 ue sa petite sœur : le vœu de retrouver la morte, de communier avec un autre univers, lui fait mépriser cette vie, sentir
2637 imites, mettre tout son espoir dans une existence d’ outre-tombe91. » Le rêve ou la via mystica seront cette existence d’ou
2638 Le rêve ou la via mystica seront cette existence d’ outre-tombe, vécue dès ici-bas d’une manière indicible. Et peut-être p
2639 cette existence d’outre-tombe, vécue dès ici-bas d’ une manière indicible. Et peut-être pourrait-on dire que l’expérience
2640 e, qui guérisse, et qui leur rende alors la force d’ accepter leur moi coupable et le monde réel. La « contemplation sans o
2641 lation sans objet » à laquelle ils parviennent en de très rares instants n’est plus alors qu’un moyen de jouir d’une « sen
2642 très rares instants n’est plus alors qu’un moyen de jouir d’une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de sa propre
2643 es instants n’est plus alors qu’un moyen de jouir d’ une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de sa propre dissolut
2644 ’une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de sa propre dissolution ; un moyen détourné de revivre sa blessure, ou
2645 itz) de sa propre dissolution ; un moyen détourné de revivre sa blessure, ou plutôt l’élan même qu’elle a brisé, mais sans
2646 tre ou l’exprimer… C’est le mouvement fondamental de toute passion, le mouvement d’un amour qui préfère le néant aux limit
2647 vement fondamental de toute passion, le mouvement d’ un amour qui préfère le néant aux limitations de la vie, — la joie dev
2648 t d’un amour qui préfère le néant aux limitations de la vie, — la joie devant la mort de Tristan et d’Isolde… IIIMystiq
2649 x limitations de la vie, — la joie devant la mort de Tristan et d’Isolde… IIIMystique et personne L’exemple des roma
2650 de la vie, — la joie devant la mort de Tristan et d’ Isolde… IIIMystique et personne L’exemple des romantiques allema
2651 , c’est entretenir une équivoque dont il y a lieu de craindre qu’elle soit intéressée. Au contraire, s’exprimer, c’est tou
2652 ujours s’avouer, c’est se donner pour responsable de sa pensée et de ses actes. Mais voilà justement ce qui répugne aux ro
2653 c’est se donner pour responsable de sa pensée et de ses actes. Mais voilà justement ce qui répugne aux romantiques. D’où
2654 s voilà justement ce qui répugne aux romantiques. D’ où leur fuite dans un monde dont on ne peut rien dire. D’où encore le
2655 ur fuite dans un monde dont on ne peut rien dire. D’ où encore le besoin qu’ils éprouvent d’affirmer surabondamment que l’o
2656 rien dire. D’où encore le besoin qu’ils éprouvent d’ affirmer surabondamment que l’on n’en peut rien dire que par des allus
2657 faut reconnaître aussi que s’y révèle une maladie de la personne. Le paradoxe de l’expression d’un Indicible est tellement
2658 ’y révèle une maladie de la personne. Le paradoxe de l’expression d’un Indicible est tellement essentiel au romantisme qu’
2659 ladie de la personne. Le paradoxe de l’expression d’ un Indicible est tellement essentiel au romantisme qu’il explique, à n
2660 e qu’il explique, à n’en pas douter, l’incapacité de la plupart des jeunes contemporains de Goethe à donner des œuvres ach
2661 incapacité de la plupart des jeunes contemporains de Goethe à donner des œuvres achevées. En effet le mouvement de ces poè
2662 donner des œuvres achevées. En effet le mouvement de ces poètes est inverse de celui du créateur. Créer, c’est donner form
2663 . En effet le mouvement de ces poètes est inverse de celui du créateur. Créer, c’est donner forme, et ils voudraient nier
2664 itifs ou « illuminations », pareils aux souvenirs d’ un rêve qui s’efface. Cela dont ils voulaient parler, cet Indicible ou
2665 le ou ce discours sans mots entendus dans la nuit de la passivité, comment l’eussent-ils pu rendre au jour sans le trahir
2666 hir et se trahir ? Ainsi leur œuvre est à l’image de la contradiction vitale dont ils souffraient, et d’où naissait leur d
2667 la contradiction vitale dont ils souffraient, et d’ où naissait leur désir angoissé de perdre leur moi personnel. Mais le
2668 souffraient, et d’où naissait leur désir angoissé de perdre leur moi personnel. Mais le moi personnel est l’Ombre créatric
2669 nnel. Mais le moi personnel est l’Ombre créatrice de l’individu naturel. Revenons une dernière fois sur nos définitions. L
2670 ersonne est en nous l’être spirituel, responsable d’ une vocation, et trouvant là son unité en dépit des contradictions don
2671 erait à y échapper par des sublimations : au fond de la Nuit et de l’inconscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous d
2672 pper par des sublimations : au fond de la Nuit et de l’inconscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous des espèces méc
2673 s des espèces méconnaissables et qu’il sera tenté de croire divines. Et il est juste que les premières touches de l’Esprit
2674 ivines. Et il est juste que les premières touches de l’Esprit rendent le moi sensible à ses limitations, et lui inspirent
2675 à ses limitations, et lui inspirent la nostalgie de les dépasser. Mais seule une vocation lui en donnera la force. Qu’il
2676 n apparences une évolution fort semblable à celle de ces pseudo ou prémystiques que furent les poètes du rêve : il se dévo
2677 nne à une réalité qui souvent ne tient pas compte de nos raisons, il s’impose une sorte d’ascèse qui le libère des servitu
2678 pas compte de nos raisons, il s’impose une sorte d’ ascèse qui le libère des servitudes naturelles. Mais cette ascèse n’ab
2679 . Elle transforme et oriente à nouveau les forces de l’individu, plutôt qu’elle ne veut les détruire. Elle engage dans le
2680 c’est à quoi l’on peut reconnaître la légitimité d’ une vocation. Thérèse d’Avila ne voulait accepter que les révélations
2681 ’ascèse personnaliste » se distingue radicalement de la dissolution du moi des romantiques. C’est une activité, et qui ne
2682 C’est une activité, et qui ne commence qu’au-delà de la mort à soi-même, c’est-à-dire du renoncement au moi tourmenté par
2683 . Seule une telle vocation peut donner le courage de s’avouer en toute lucidité, de s’exprimer sans réticences, et d’assum
2684 donner le courage de s’avouer en toute lucidité, de s’exprimer sans réticences, et d’assumer son moi coupable — parce que
2685 toute lucidité, de s’exprimer sans réticences, et d’ assumer son moi coupable — parce que dorénavant ce n’est pas cela qui
2686 Alors le moi coupable et détesté ne cherche plus de vaine échappatoire dans l’indicible et l’Inconscient. Il ose enfin pa
2687 s croyants, mais au contraire il leur est demandé d’ agir et d’annoncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’on
2688 , mais au contraire il leur est demandé d’agir et d’ annoncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’on parvient a
2689 gir et d’annoncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’on parvient au salut », dit saint Paul. IVRépercussio
2690 nom de la foi du Solitaire, réalité fondamentale de toute existence dans le monde. Mais si la foi est la santé du Solitai
2691 munion avec son prochain devant Dieu. Si la santé de la foi fonde la vraie personne, elle doit fonder aussi la vraie commu
2692 a vraie communauté. Et à l’inverse, toute maladie de la personne doit affecter la collectivité. Ainsi décrire un phénomène
2693 ecter la collectivité. Ainsi décrire un phénomène de masses en termes d’étiologie de la personne, ce serait fournir la néc
2694 rire un phénomène de masses en termes d’étiologie de la personne, ce serait fournir la nécessaire contrepartie des analyse
2695 r, et qui signalent la maladie romantico-mystique de la personne. Le mouvement hitlérien, dans son essence, m’apparaît com
2696 olitique. Et je ne dis pas du tout que les écrits d’ un Novalis ou d’un Jean Paul soient à sa source, ce serait absurde et
2697 ne dis pas du tout que les écrits d’un Novalis ou d’ un Jean Paul soient à sa source, ce serait absurde et injurieux pour c
2698 er au niveau inférieur et collectif qui est celui de la psychologie naziste, des processus fort analogues à ceux que nous
2699 s à ceux que nous avons décrits. Il ne s’agit pas d’ influences, il ne s’agit que de reviviscences — vulgaires, simplistes,
2700 . Il ne s’agit pas d’influences, il ne s’agit que de reviviscences — vulgaires, simplistes, à bon marché — de certaines at
2701 viscences — vulgaires, simplistes, à bon marché — de certaines attitudes de l’homme en face de son destin et de sa personn
2702 simplistes, à bon marché — de certaines attitudes de l’homme en face de son destin et de sa personne. Le national-socialis
2703 nes attitudes de l’homme en face de son destin et de sa personne. Le national-socialisme apparut comme une réaction de déf
2704 Le national-socialisme apparut comme une réaction de défense à l’humiliation collective infligée aux Allemands par Versail
2705 out entière dans ses rapports avec le monde réel. D’ où le sentiment d’une culpabilité, inacceptable et inavouable (à cause
2706 es rapports avec le monde réel. D’où le sentiment d’ une culpabilité, inacceptable et inavouable (à cause de l’orgueil nati
2707 urtant sommes les fils des vertueux Germains ! Et de ce sentiment de culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié (to
2708 s fils des vertueux Germains ! Et de ce sentiment de culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié (tous les discours
2709 é avec force et bruyamment nié (tous les discours d’ Hitler proclament dès le début que les Allemands n’ont pas perdu la gu
2710 pas perdu la guerre), doit résulter un sentiment de manque d’assurance nationale. La vraie Allemagne ne peut pas être cel
2711 la guerre), doit résulter un sentiment de manque d’ assurance nationale. La vraie Allemagne ne peut pas être celle qui a s
2712 Il faut donc la chercher ailleurs : dans un rêve de puissance et de libération, dans l’avenir, cet Ersatz de l’au-delà. N
2713 chercher ailleurs : dans un rêve de puissance et de libération, dans l’avenir, cet Ersatz de l’au-delà. Nions donc cette
2714 sance et de libération, dans l’avenir, cet Ersatz de l’au-delà. Nions donc cette réalité qui nous opprime si méticuleuseme
2715 nd moyen oubliera ses misères et les humiliations de sa patrie en se perdant dans l’âme collective, dans l’hypnose des fêt
2716 que sa vraie vie était entre les mains du Parti, d’ un démiurge anonyme et obscur dont il n’a plus qu’à recevoir les ordre
2717 es comprendre, comme « passif ». Le voilà délivré de la terrible charge de sa conscience et de ses doutes. La discipline c
2718  passif ». Le voilà délivré de la terrible charge de sa conscience et de ses doutes. La discipline collective joue le rôle
2719 délivré de la terrible charge de sa conscience et de ses doutes. La discipline collective joue le rôle d’une ascèse. Les r
2720 ses doutes. La discipline collective joue le rôle d’ une ascèse. Les renoncements mêmes qu’elle impose deviennent les preuv
2721 ments mêmes qu’elle impose deviennent les preuves de sa transcendante vérité. Et c’est ainsi que la masse allemande, imita
2722 nt, où la passion peut s’épanouir, où l’intensité de l’émotion remplace la vérité mesquine des juristes. Et cela nous fait
2723 obligations, le culte des morts rétabli, le rêve d’ expansion indéfinie, mais aussi le goût de la guerre (préfiguration de
2724 le rêve d’expansion indéfinie, mais aussi le goût de la guerre (préfiguration de la mort, toujours rêvée par les grands pa
2725 e, mais aussi le goût de la guerre (préfiguration de la mort, toujours rêvée par les grands passionnés), et la volonté de
2726 s rêvée par les grands passionnés), et la volonté de s’enfermer dans une réalité impénétrable, indicible, incommunicable,
2727 able, indicible, incommunicable, et qui n’a point de « raisons » à donner : l’autarcie matérielle et morale. On ne dira ja
2728 pouvoir hypnotique sur les masses. Les apparences de Realpolitik maintenues par les cyniques et les habiles n’auront dissi
2729 Nous n’étions plus en présence de Bismarck, mais d’ un peuple envoûté par son rêve ; d’un peuple qui renonçait à la raison
2730 Bismarck, mais d’un peuple envoûté par son rêve ; d’ un peuple qui renonçait à la raison, qui renonçait à se justifier aux
2731 , parce qu’il trouvait dans sa passion une espèce d’ innocence exaltante, une occasion de sacrifier le moi coupable et déte
2732 on une espèce d’innocence exaltante, une occasion de sacrifier le moi coupable et détesté à quelque chose de plus vrai que
2733 ste… D’ailleurs notre politique est une politique d’ artistes. Le Führer est un artiste de la politique. Les autres hommes
2734 ne politique d’artistes. Le Führer est un artiste de la politique. Les autres hommes d’État sont seulement des manœuvres.
2735 ment des manœuvres. Son État à lui est le produit d’ une imagination géniale »92. Une politique « d’artistes », une politiq
2736 it d’une imagination géniale »92. Une politique «  d’ artistes », une politique de romantisme collectif, mais à l’usage des
2737  »92. Une politique « d’artistes », une politique de romantisme collectif, mais à l’usage des philistins, voilà le cauchem
2738 es causes doivent être recherchées au plus secret de la conscience allemande, dans le drame où se joue le sort de chaque p
2739 ience allemande, dans le drame où se joue le sort de chaque personne. Oui, qu’il s’agisse de l’homme seul ou des masses, c
2740 e le sort de chaque personne. Oui, qu’il s’agisse de l’homme seul ou des masses, ce drame sera toujours le même : c’est l’
2741 rame sera toujours le même : c’est l’affrontement d’ une religion de l’Inconscience collective et d’une foi qui veut témoig
2742 urs le même : c’est l’affrontement d’une religion de l’Inconscience collective et d’une foi qui veut témoigner par la Paro
2743 nt d’une religion de l’Inconscience collective et d’ une foi qui veut témoigner par la Parole et l’acte personnel. 85. D
2744 ce chapitre. 86. L’abus freudien me paraît être d’ individualiser le sens de ces symboles et d’en tirer une clé des songe
2745 freudien me paraît être d’individualiser le sens de ces symboles et d’en tirer une clé des songes purement sexuelle. C. G
2746 être d’individualiser le sens de ces symboles et d’ en tirer une clé des songes purement sexuelle. C. G. Jung est sans dou
2747 de la réalité quand il retrouve dans les figures de nos rêves les symboles religieux fondamentaux des époques les plus re
2748 s romantiques, « le sommeil est une préfiguration de la mort », et c’est uniquement dans la mort que nous pouvons rejoindr
2749 r sur l’importance du quiétisme pour la formation de la psychologie moderne, et en particulier de la psychologie de l’inco
2750 tion de la psychologie moderne, et en particulier de la psychologie de l’inconscient. 90. C’est la « Recherche du temps p
2751 ogie moderne, et en particulier de la psychologie de l’inconscient. 90. C’est la « Recherche du temps perdu » de Proust.
2752 cient. 90. C’est la « Recherche du temps perdu » de Proust. 91. A. Béguin, op. cit. 92. Discours du 18 juin 1939, à Dan