1
Note
de
l’auteur Ce livre allait être mis sous presse en mai 1940, lorsque
2
sse en mai 1940, lorsque se déclencha la bataille
de
France. Le manuscrit et la composition typographique ont disparu. Mai
3
disparu. Mais j’avais conservé par hasard un jeu
d’
épreuves, que j’emportai en Amérique. Plusieurs des chapitres de ce li
4
e j’emportai en Amérique. Plusieurs des chapitres
de
ce livre ont été publiés en première version par les revues suivantes
5
suivantes : Nouvelle Revue française , Bulletin
de
l’Union pour la vérité, Hermès, Foi et Vie , Esprit , La Revue de
6
vérité, Hermès, Foi et Vie , Esprit , La Revue
de
Paris . Tous ont été remaniés et souvent notablement augmentés pour c
7
ent augmentés pour cette édition. Le premier date
de
1932, les derniers de 1939. Si je me décide à les publier aujourd’hui
8
te édition. Le premier date de 1932, les derniers
de
1939. Si je me décide à les publier aujourd’hui, ce n’est point que j
9
urd’hui, ce n’est point que je ne me sois éloigné
de
certains des auteurs dont je m’inspirais alors — comme on quitte sa n
10
a nourrice au moment du sevrage. Mais la doctrine
de
la personne, que leurs œuvres et leur vie illustraient à mes yeux, m’
11
t plus valable que jamais. Elle est le vrai sujet
de
ce livre — comme de tous ceux que j’ai signés jusqu’à ce jour. New Yo
12
amais. Elle est le vrai sujet de ce livre — comme
de
tous ceux que j’ai signés jusqu’à ce jour. New York, 1944.
13
mme ou par l’auteur ? Il est déçu par la relation
de
l’un à l’autre. Par l’homme insuffisant qui se révèle dans l’auteur,
14
eur, donc par l’auteur aussi, qui révèle trop peu
d’
homme. On cite ordinairement la phrase des Pensées pour établir entre
15
mme en général ; qu’il est, dans l’homme, la part
de
l’artifice et des apparences trompeuses. Mais au fait, rien n’est moi
16
l’homme authentique, c’est-à-dire la combinaison
de
ce qu’il est et de ce qu’il se veut. L’homme sans son œuvre n’est pas
17
e, c’est-à-dire la combinaison de ce qu’il est et
de
ce qu’il se veut. L’homme sans son œuvre n’est pas vrai, de même que
18
c’est créer le type même du sophisme, un problème
de
la forme et du fond, un problème de la poule et de l’œuf : lequel des
19
, un problème de la forme et du fond, un problème
de
la poule et de l’œuf : lequel des deux a commencé ? Tenons-nous-en à
20
e la forme et du fond, un problème de la poule et
de
l’œuf : lequel des deux a commencé ? Tenons-nous-en à la réponse, tou
21
-en à la réponse, toute goethéenne en son humour,
de
l’essayiste Rudolf Kassner1 : « Je laisse le problème au stade du dra
22
ais pas chercher sous la forme — car il n’y a pas
de
drame sans forme et réciproquement. » Comment pourrait-on voir l’être
23
réciproquement. » Comment pourrait-on voir l’être
d’
un homme hors de ses manifestations ? Si donc je m’intéresse à ce qui
24
ut le chercher. Car toute œuvre est le témoignage
d’
un drame entre l’homme et lui-même, elle est ce drame, rendu visible,
25
et c’est dans le drame qu’existe la vérité totale
d’
un être. Dans ce témoignage des formes, chercher l’homme, c’est tenter
26
ignage des formes, chercher l’homme, c’est tenter
de
surprendre la personne. Voir des formes, épouser des rythmes — qu’ils
27
r des formes, épouser des rythmes — qu’ils soient
de
verbe ou de pensée — c’est percevoir les résultats momentanés et mesu
28
, épouser des rythmes — qu’ils soient de verbe ou
de
pensée — c’est percevoir les résultats momentanés et mesurer le degré
29
voir les résultats momentanés et mesurer le degré
de
tension du combat spirituel où l’homme devient personne, et « s’autor
30
el où l’homme devient personne, et « s’autorise »
d’
une vocation unique. Pourtant, ces témoignages visibles et tangibles r
31
ar là même, équivoques. Et cela tient à la nature
de
la personne qui s’y révèle. ⁂ S’il est vrai que la personne pure cons
32
a personne pure consiste dans la pure coïncidence
d’
une vocation et d’un individu ; et si notre personne toujours impure c
33
nsiste dans la pure coïncidence d’une vocation et
d’
un individu ; et si notre personne toujours impure consiste dans l’app
34
personne toujours impure consiste dans l’approche
d’
une vocation qui s’empare d’un individu pour orienter ses données natu
35
siste dans l’approche d’une vocation qui s’empare
d’
un individu pour orienter ses données naturelles vers des fins révélée
36
sera jamais visible en soi. Car des protagonistes
de
ce drame, l’un seulement tombe sous notre sens : c’est l’individu nat
37
’individu naturel. Encore n’est-il guère isolable
de
cette œuvre où l’« autre » l’engage. Finalement nous ne voyons que l’
38
ne voyons que l’œuvre, c’est-à-dire le champ clos
de
la lutte. Nous ne serions assurés de voir la personne intégrale dans
39
e champ clos de la lutte. Nous ne serions assurés
de
voir la personne intégrale dans ses actes, que si nous étions assurés
40
égrale dans ses actes, que si nous étions assurés
d’
une parfaite identité entre les gestes de l’individu et les appels de
41
assurés d’une parfaite identité entre les gestes
de
l’individu et les appels de sa vocation (encore faudrait-il croire ce
42
tité entre les gestes de l’individu et les appels
de
sa vocation (encore faudrait-il croire cette vocation…). Nous voyons
43
use, ou simplement une traduction en bon français
de
ce que Freud appelle le « surmoi » ? A-t-elle jamais existé dans l’hi
44
ire ? Un homme a-t-il jamais reçu le don terrible
d’
incarner sans le moindre défaut la Parole qui était sa vraie vie, sa v
45
nt et touchaient l’individu Jésus, le charpentier
de
Nazareth. Ils connaissaient aussi sa vocation, annoncée par les Écrit
46
on, annoncée par les Écritures et désignée du nom
de
Christ. Mais ce que « la chair ni le sang », ni la raison qui entend
47
croire et contempler, c’était l’identité parfaite
de
Jésus-Christ, en une Personne. À tout jamais, pour l’homme de chair e
48
ist, en une Personne. À tout jamais, pour l’homme
de
chair et de raison, ce trait d’union reste impensable, cette identité
49
Personne. À tout jamais, pour l’homme de chair et
de
raison, ce trait d’union reste impensable, cette identité scandaleuse
50
ais, pour l’homme de chair et de raison, ce trait
d’
union reste impensable, cette identité scandaleuse. Folie pour les Gre
51
la parole lui dit : « Tu es heureux, Simon, fils
de
Jonas, car ce ne sont pas la chair ni le sang qui t’ont révélé cela,
52
— et ce n’est qu’aux yeux de la foi que certains
de
nos actes apparaissent comme attestant notre obéissance à l’Éternel.
53
mystère et une promesse, qu’en sera-t-il aux yeux
d’
autrui ? Et de quel droit prétendrons-nous discerner dans une œuvre éc
54
promesse, qu’en sera-t-il aux yeux d’autrui ? Et
de
quel droit prétendrons-nous discerner dans une œuvre écrite les témoi
55
s discerner dans une œuvre écrite les témoignages
d’
une vocation qui reste, par essence, incomparable ? ⁂ Supposons le pro
56
le problème résolu. Connaître la grandeur unique
d’
une personne, c’est d’abord mesurer les tensions singulières au sein d
57
lles elle apparut ; c’est approfondir les données
de
l’individu qui la subit ou qui l’accepte, mimer en soi certains de se
58
la subit ou qui l’accepte, mimer en soi certains
de
ses efforts, entrer en sympathie, de préférence peut-être, avec ce qu
59
soi certains de ses efforts, entrer en sympathie,
de
préférence peut-être, avec ce qui nous déconcerte en ses démarches. E
60
inventer son jeu. Tâche impossible, si les œuvres
de
cet homme, et en particulier son œuvre écrite, ne venaient soutenir l
61
l’entreprise. Et c’est pourquoi, dans ces études
de
la personne, je m’attache à des écrivains. Il est clair qu’ils ne dét
62
s un privilège particulier, mais ils ont témoigné
de
leur identité par certains documents précis, dont le charme et l’auda
63
l’audace me guident : je connais bien les règles
de
ce jeu, ses difficultés sont les miennes. Je puis donc essayer quelqu
64
nt les miennes. Je puis donc essayer quelques-uns
de
leurs coups, les plus faciles parmi ceux qu’ils m’indiquent. Serait-c
65
é dans mon incertitude… Et cependant cet exercice
de
sympathie m’a rendu plus conscient de moi-même. J’ai reconnu, ici ou
66
et exercice de sympathie m’a rendu plus conscient
de
moi-même. J’ai reconnu, ici ou là, sous les espèces d’un tour de phra
67
i-même. J’ai reconnu, ici ou là, sous les espèces
d’
un tour de phrase ou de pensée, quelques moments d’un drame secrètemen
68
ai reconnu, ici ou là, sous les espèces d’un tour
de
phrase ou de pensée, quelques moments d’un drame secrètement familier
69
ci ou là, sous les espèces d’un tour de phrase ou
de
pensée, quelques moments d’un drame secrètement familier. Ces formes,
70
’un tour de phrase ou de pensée, quelques moments
d’
un drame secrètement familier. Ces formes, ces formules, elles me parl
71
t, m’expriment. Elles ont dû naître, sous la main
de
leur auteur, d’un mouvement de foi ou de doute analogue à ceux que je
72
Elles ont dû naître, sous la main de leur auteur,
d’
un mouvement de foi ou de doute analogue à ceux que je vis. L’Esprit s
73
ître, sous la main de leur auteur, d’un mouvement
de
foi ou de doute analogue à ceux que je vis. L’Esprit seul reconnaît l
74
la main de leur auteur, d’un mouvement de foi ou
de
doute analogue à ceux que je vis. L’Esprit seul reconnaît l’Esprit, m
75
té dans les contradictions qui trahit l’existence
de
la personne. ⁂ Il me semble que toute incarnation d’une pensée dans u
76
la personne. ⁂ Il me semble que toute incarnation
d’
une pensée dans une vie ou d’une vocation dans un individu « figure »
77
ue toute incarnation d’une pensée dans une vie ou
d’
une vocation dans un individu « figure » la synthèse en un seul être,
78
n seul être, en un seul acte, en une seule œuvre,
de
deux natures distinctes ou même contradictoires, d’une forme et d’un
79
deux natures distinctes ou même contradictoires,
d’
une forme et d’un agent transformateur, d’une résistance et d’une acti
80
istinctes ou même contradictoires, d’une forme et
d’
un agent transformateur, d’une résistance et d’une activité dont le co
81
toires, d’une forme et d’un agent transformateur,
d’
une résistance et d’une activité dont le conflit ne peut se résoudre q
82
et d’un agent transformateur, d’une résistance et
d’
une activité dont le conflit ne peut se résoudre que par le fait d’une
83
nt le conflit ne peut se résoudre que par le fait
d’
une création. La personne se connaît elle-même dans les actes par lesq
84
accompli, des incompatibles donnés. Cette manière
de
saisir et de créer des relations par nul autre prévues, voilà précisé
85
incompatibles donnés. Cette manière de saisir et
de
créer des relations par nul autre prévues, voilà précisément ce qu’on
86
ment ce qu’on peut appeler le style « personnel »
d’
un auteur, ou d’ailleurs de n’importe quel homme responsable de son ex
87
le style « personnel » d’un auteur, ou d’ailleurs
de
n’importe quel homme responsable de son existence. Il s’agit là d’un
88
ou d’ailleurs de n’importe quel homme responsable
de
son existence. Il s’agit là d’un phénomène qui déborde dès l’origine
89
homme responsable de son existence. Il s’agit là
d’
un phénomène qui déborde dès l’origine le fait d’écrire, le style au s
90
d’un phénomène qui déborde dès l’origine le fait
d’
écrire, le style au sens étroit. Il s’agit là d’une équation fondament
91
t d’écrire, le style au sens étroit. Il s’agit là
d’
une équation fondamentale de l’exister, dont la critique personnaliste
92
étroit. Il s’agit là d’une équation fondamentale
de
l’exister, dont la critique personnaliste a pour objet de rechercher
93
ster, dont la critique personnaliste a pour objet
de
rechercher les éléments dans toutes les formes élaborées, — éthiques,
94
ues… C’est ainsi que j’ai cherché dans les œuvres
d’
un Goethe, d’un Kierkegaard, ou d’un Luther, les données « personnelle
95
nsi que j’ai cherché dans les œuvres d’un Goethe,
d’
un Kierkegaard, ou d’un Luther, les données « personnelles » dont la m
96
dans les œuvres d’un Goethe, d’un Kierkegaard, ou
d’
un Luther, les données « personnelles » dont la mise en tension a pu p
97
’institue chez un homme l’information progressive
d’
une idée, c’est-à-dire son actualisation. Je crois que l’homme ne vaut
98
t manifeste ainsi son être véritable, l’intention
de
son existence. La magie et le germanisme surmontés, ordonnés et mis e
99
s, ordonnés et mis en valeur (au sens nietzschéen
de
ce terme) par une volonté d’agir dont la victoire est attestée dans F
100
(au sens nietzschéen de ce terme) par une volonté
d’
agir dont la victoire est attestée dans Faust, — c’est cela que j’appe
101
, — c’est cela que j’appelle Goethe. L’opposition
de
la forme du monde et de l’esprit qui la transforme ; l’opposition du
102
elle Goethe. L’opposition de la forme du monde et
de
l’esprit qui la transforme ; l’opposition du solitaire et de la foule
103
qui la transforme ; l’opposition du solitaire et
de
la foule, à l’intérieur même de l’individu ; l’attestation des exigen
104
n du solitaire et de la foule, à l’intérieur même
de
l’individu ; l’attestation des exigences d’une foi qui paraît incomme
105
même de l’individu ; l’attestation des exigences
d’
une foi qui paraît incommensurable avec la vie organisée par la sagess
106
sée par la sagesse goethéenne, — c’est le contenu
d’
un message qui ne pouvait trouver sa forme achevée que dans le fait ir
107
ver sa forme achevée que dans le fait irrécusable
d’
un martyre. Telle fut la vocation de Kierkegaard. L’angoisse devant un
108
t irrécusable d’un martyre. Telle fut la vocation
de
Kierkegaard. L’angoisse devant une culpabilité qui lui demeure indéch
109
frable, l’insupportable et trop lucide hésitation
de
l’homme placé devant « l’absurdité » du transcendant, c’est la person
110
nt, c’est la personne essentiellement énigmatique
de
Franz Kafka ; le négatif, en quelque sorte, d’une vocation. Le triomp
111
ue de Franz Kafka ; le négatif, en quelque sorte,
d’
une vocation. Le triomphe d’une parole mortelle et salutaire sur un in
112
if, en quelque sorte, d’une vocation. Le triomphe
d’
une parole mortelle et salutaire sur un individu puissamment naturel,
113
ment naturel, c’est l’acte autorisant la doctrine
de
Luther. La lutte d’un créateur contre l’automatisme, de l’authenticit
114
l’acte autorisant la doctrine de Luther. La lutte
d’
un créateur contre l’automatisme, de l’authenticité contre les convent
115
her. La lutte d’un créateur contre l’automatisme,
de
l’authenticité contre les conventions, et de l’élémentaire contre l’a
116
sme, de l’authenticité contre les conventions, et
de
l’élémentaire contre l’artificiel, c’est le langage et le visage de R
117
ontre l’artificiel, c’est le langage et le visage
de
Ramuz. C’est proprement, sa « raison d’être ». Ces cinq figures sont
118
le visage de Ramuz. C’est proprement, sa « raison
d’
être ». Ces cinq figures sont disparates, non seulement dans leurs app
119
raient être justifiées qu’à titre, si j’ose dire,
de
métaphores critiques, par là même significatives du vrai sujet de cet
120
itiques, par là même significatives du vrai sujet
de
cet ouvrage : « L’homme étant donné, dit Claudel, pour inventer une r
121
infiniment distants et multiples. » ⁂ « Un homme
d’
esprit — lit-on dans Kierkegaard — disait qu’on pouvait répartir l’hum
122
ous points préférable, parce qu’elle a l’avantage
de
mettre l’imagination en mouvement. » Voilà bien le seul avantage que
123
eul avantage que je sois raisonnablement en droit
d’
attendre de la publication d’un tel recueil. Et cependant, il me sembl
124
e que je sois raisonnablement en droit d’attendre
de
la publication d’un tel recueil. Et cependant, il me semble, après co
125
onnablement en droit d’attendre de la publication
d’
un tel recueil. Et cependant, il me semble, après coup, que tout n’est
126
écrivains dont la pensée a transformé les données
de
nos vies, je distingue deux grandes familles. Les uns n’agissent que
127
s. Les uns n’agissent que par le contenu objectif
de
leurs théories, non par leur style, indifférent. Tels sont Hegel, Mar
128
aard, un Rimbaud agissent bien moins par la vertu
de
leurs conclusions que par celle de leur drame personnel, rendu sensib
129
s par la vertu de leurs conclusions que par celle
de
leur drame personnel, rendu sensible par les tours et par l’allure de
130
nel, rendu sensible par les tours et par l’allure
de
leur pensée. Seuls, les auteurs de cette seconde famille m’ont arrêté
131
t par l’allure de leur pensée. Seuls, les auteurs
de
cette seconde famille m’ont arrêté, pour me faire repartir dans mon s
132
epartir dans mon sens. Et c’est l’une des raisons
de
mon choix. L’autre est, que tel un chevalier du Temple, je ne me suis
133
evalier du Temple, je ne me suis accordé le droit
de
chasser qu’un gibier léonin. Sans oublier d’ailleurs que, selon le mo
134
léonin. Sans oublier d’ailleurs que, selon le mot
de
Luther, nous croyons jouer à la chasse quand, bien souvent, c’est nou
135
ommes chassés ! ⁂ Et ceci sera plutôt une manière
de
postface : je n’ai pas fait de la critique dans cet ouvrage, mais des
136
plutôt une manière de postface : je n’ai pas fait
de
la critique dans cet ouvrage, mais des exercices spirituels. Qu’ils s
137
age, mais des exercices spirituels. Qu’ils soient
d’
un accès difficile appartient à la loi du genre. Que leur ton soit par
138
e n’offre au lecteur qu’un effort. Je lui demande
d’
éprouver certains rythmes dont l’ampleur ou l’élan propagent un pouvoi
139
Initiation au drame dont, maintenant c’est à nous
d’
être les personnes. Incipit tragœdia ! Août 1939 1. Rudolf Kassner :
140
ia ! Août 1939 1. Rudolf Kassner : Les Éléments
de
la grandeur humaine (trad. française, Gallimard 1932).
141
1.Le silence
de
Goethe « L’homme, dit Goethe, ne reconnaît et n’apprécie que ce qu’
142
t et n’apprécie que ce qu’il est lui-même en état
de
faire. » Telle est la cause du malentendu que soulèvera toujours l’ex
143
se du malentendu que soulèvera toujours l’exemple
de
cette vie. Ceux qui traitent Goethe de bourgeois ne prouvent rien de
144
l’exemple de cette vie. Ceux qui traitent Goethe
de
bourgeois ne prouvent rien de plus que leur propre rationalisme, sans
145
a domination des mystères. Ainsi se réclament-ils
de
Rimbaud. Peut-être la confrontation du Sage et du Fou permettra-t-ell
146
ud ne fut jamais un écrivain, ne se soucia jamais
de
l’être. Et Goethe ne fut qu’entre autres choses un écrivain. Ce n’est
147
n écrivain. Ce n’est donc pas l’aspect littéraire
de
ces expériences qui doit conditionner notre vision. Non point qu’il s
148
u’il soit un seul instant négligeable, s’agissant
de
deux êtres que l’on connaît par leurs écrits d’abord. Mais pour en te
149
rd. Mais pour en tenir un juste compte, il s’agit
de
le subordonner au problème personnel de ces vies, à leur équation d’e
150
il s’agit de le subordonner au problème personnel
de
ces vies, à leur équation d’existence. Or c’est, chez l’un comme chez
151
u problème personnel de ces vies, à leur équation
d’
existence. Or c’est, chez l’un comme chez l’autre, une révolution de l
152
est, chez l’un comme chez l’autre, une révolution
de
l’esprit dont procèdent à la fois le refus de la magie et le goût pas
153
ion de l’esprit dont procèdent à la fois le refus
de
la magie et le goût passionné de l’effort immédiat. Ce qui ne cesse d
154
la fois le refus de la magie et le goût passionné
de
l’effort immédiat. Ce qui ne cesse de provoquer dans mon esprit l’éto
155
t passionné de l’effort immédiat. Ce qui ne cesse
de
provoquer dans mon esprit l’étonnement du premier regard, c’est la si
156
étonnement du premier regard, c’est la similitude
de
forme, c’est-à-dire la similitude essentielle, hors du temps, qui par
157
ces deux expériences, à mesure qu’on les abstrait
de
toute la littérature dont elles enveloppèrent leurs manifestations, —
158
anifestations, — à quoi l’on ne s’est point privé
d’
ajouter quelques tomes depuis. Il convient de marquer toutefois qu’un
159
rivé d’ajouter quelques tomes depuis. Il convient
de
marquer toutefois qu’un pareil rapprochement eût exaspéré Goethe auta
160
une analogie universelle des réactions profondes
de
l’âme devant son destin m’autorise à cette confrontation, et me persu
161
m’autorise à cette confrontation, et me persuade
de
son intérêt humain. Et si tout cela reste absurde aux yeux de ceux po
162
te certaine originalité dans l’ordre — au mieux —
de
l’esthétique, je ne m’en étonnerai point. Il s’agit simplement, ici,
163
m’en étonnerai point. Il s’agit simplement, ici,
de
rendre plus concrète, grâce au recoupement de deux vies qui la réalis
164
ci, de rendre plus concrète, grâce au recoupement
de
deux vies qui la réalisèrent dans des styles opposés, une attitude hu
165
dan), l’on en trouve dans toutes ses œuvres assez
de
signes irrévocables pour n’avoir plus besoin de solliciter les biogra
166
z de signes irrévocables pour n’avoir plus besoin
de
solliciter les biographes. On a souvent rappelé l’amitié du jeune bou
167
On a souvent rappelé l’amitié du jeune bourgeois
de
Francfort et de la sage et très fervente Mlle de Klettenberg. Mais bi
168
ppelé l’amitié du jeune bourgeois de Francfort et
de
la sage et très fervente Mlle de Klettenberg. Mais bien plus que dans
169
une spiritualité facilement épurée, le mysticisme
de
celui qui, tout enfant, édifiait un autel à la Nature, trouvait son a
170
ose-croix, et qui le porta même à quelques essais
d’
alchimie. Coquetteries, a-t-on dit, — mais il n’est point de sentiment
171
. Coquetteries, a-t-on dit, — mais il n’est point
de
sentiments intermédiaires qui ne conduisent réellement vers une pléni
172
nt vers une plénitude, pour un esprit comme celui
de
Goethe. « On a peur que son feu ne le consume », écrit un de ses amis
173
« On a peur que son feu ne le consume », écrit un
de
ses amis, vers ce temps. « Goethe vit sur un perpétuel pied de guerre
174
vers ce temps. « Goethe vit sur un perpétuel pied
de
guerre et de révolte psychique ». Et lui-même gémit, avec une sombre
175
. « Goethe vit sur un perpétuel pied de guerre et
de
révolte psychique ». Et lui-même gémit, avec une sombre joie : « Sort
176
oie : « Sort misérable, qui ne me permet rien que
d’
extrême. » Jacob Boehme, Paracelse, Swedenborg, lectures de son adoles
177
. » Jacob Boehme, Paracelse, Swedenborg, lectures
de
son adolescence, figurent bel et bien dans son évolution une de ces c
178
ence, figurent bel et bien dans son évolution une
de
ces crises où l’être spirituel découvre sa forme véritable. Si, comme
179
malement se traduire que par une qualité nouvelle
de
silence. Encore faut-il que le destin favorise concrètement cette ass
180
ent cette assomption intérieure. Par l’instrument
de
quel « hasard » l’a-t-il donc provoquée chez Goethe ? Il est un fait
181
-t-il donc provoquée chez Goethe ? Il est un fait
de
sa jeunesse dont on ne saurait exagérer l’importance à la fois histor
182
historique et symbolique : les premiers contacts
de
Goethe avec le mysticisme précédèrent de très peu une grave maladie,
183
contacts de Goethe avec le mysticisme précédèrent
de
très peu une grave maladie, dont il ne fut sauvé que par l’interventi
184
adie, dont il ne fut sauvé que par l’intervention
d’
un médecin qui se donnait pour alchimiste. Retenons ceci : au seuil de
185
donnait pour alchimiste. Retenons ceci : au seuil
de
l’initiation, chez Goethe, il n’y a pas une révolte, il y a un péril
186
rop puissamment son âme », qu’il appelle les arts
d’
une magie maîtrisée. La question se pose pour lui, dès l’abord, en ter
187
rmes urgents et contraignants : il faut survivre.
De
là le sérieux avec lequel il accepte les conditions de l’initiation :
188
le sérieux avec lequel il accepte les conditions
de
l’initiation : d’abord la plus difficile, le silence. Ainsi, les prem
189
es premières séductions du dépaysement spirituel,
de
la connaissance ésotérique dans ce qu’elle peut avoir de purement « é
190
onnaissance ésotérique dans ce qu’elle peut avoir
de
purement « étrange » ont à peine enfiévré le jeune Goethe, que déjà l
191
a faiblesse du corps le ramène à l’aspect concret
de
notre condition. Et c’est seulement en passant par une application ma
192
qui figure en raccourci tout le drame dialectique
de
sa vie. Mais cette maladie, et la convalescence, ont éveillé dans son
193
les premières tentations créatrices. Conçue sous
de
tels auspices, c’est tout naturellement que la littérature prendra pl
194
ittérature prendra plus tard chez Goethe l’allure
d’
une discipline de l’âme. Un exercice, une activité organique à objecti
195
a plus tard chez Goethe l’allure d’une discipline
de
l’âme. Un exercice, une activité organique à objectifs limités et con
196
oncrètement conditionnée. Dès ce moment, le choix
de
Goethe a trouvé sa forme. Il lui faudra maintenant le renouveler perp
197
spéculative n’est, en fait, qu’un accomplissement
de
la magie réelle, le plus difficile et le seul humainement fécond. Car
198
ment fécond. Car un tel silence n’est pas absence
de
mots. Il est encore chez Goethe une activité, et même à double effet.
199
de plus agissant, dans une œuvre marquée du signe
de
la maturité, que cette présence rayonnante dont on devine chaque phra
200
rien ne saurait mieux trahir que la retenue même
de
l’expression. C’est pourquoi nous l’éprouvons plus vivement dans cert
201
t dans certains passages des Affinités électives,
d’
une apparente platitude mais translucide, que dans le conte du Serpent
202
s seule à le sauvegarder. Il y faudra le dressage
de
la souffrance. L’excès verbal de Werther couvre d’abord la voix intér
203
udra le dressage de la souffrance. L’excès verbal
de
Werther couvre d’abord la voix intérieure, la renie même bruyamment.
204
ieure, la renie même bruyamment. C’est là le fait
d’
une âme qui se refuse encore à la souffrance et la crie sur le toit. U
205
la souffrance et la crie sur le toit. Un peu plus
de
souffrance, et plus intimement ancrée, voici l’autre danger : la déle
206
e, l’obscurité glaciale des Mystères. Un peu plus
d’
humilité, c’est-à-dire le réel désir d’être « utile », et c’est le jus
207
n peu plus d’humilité, c’est-à-dire le réel désir
d’
être « utile », et c’est le juste point : les Affinités. L’alternance
208
’alternance des trois états, visible tout au long
de
l’œuvre, prouve d’ailleurs que la question se pose sans cesse à nouve
209
nsi que la magie, reniée extérieurement au profit
d’
une expression « utile », renaît comme libérée intérieurement au « jou
210
». L’âme pâment à cette connaissance, à cet acte
de
fécondation spirituelle par où l’homme pénètre dans la réalité mystiq
211
peut se produire que dans le plus profond silence
de
l’esprit, dans la région où seul accède celui qui sait préserver sa p
212
ent pur, mais aussi l’être sombre dans le mystère
de
la fureur » ? ⁂ Cette complexe dialectique de la magie, Goethe lui-mê
213
ère de la fureur » ? ⁂ Cette complexe dialectique
de
la magie, Goethe lui-même l’a stylisée en symboles concrets dans le F
214
concrets dans le Faust. Œuvre longue comme sa vie
de
créateur exactement, œuvre à tel point autobiographique qu’il fut ten
215
uvre à tel point autobiographique qu’il fut tenté
d’
incorporer le plan de certains actes à Vérité et Poésie. Le drame s’ou
216
biographique qu’il fut tenté d’incorporer le plan
de
certains actes à Vérité et Poésie. Le drame s’ouvre sur un réveil : l
217
cice sans frein des arts occultes laisse l’esprit
de
Faust béant sur le vide : « Moi qui me suis cru plus grand que le Ché
218
le Chérubin… qui pensais en créant pouvoir jouir
de
la vie des dieux et m’y égaler… combien je dois expier tout cela ! »
219
is expier tout cela ! » Faust se reprend au seuil
de
la mort. Mais la vie ne lui sera plus qu’un profond renoncement ; mêm
220
ccès réel pour Faust : la possession bienheureuse
de
l’instant. Et lorsque, épuisé mais pacifié, il va quitter son corps a
221
va quitter son corps aveugle pour d’autres formes
d’
existence que la Nature se voit pour ainsi dire contrainte d’assigner
222
que la Nature se voit pour ainsi dire contrainte
d’
assigner à l’homme actif 3, l’on découvre que c’est la magie encore qu
223
découvre que c’est la magie encore qui n’a cessé
de
l’entraver : Könnt ich Magie von meinem Pfad entfernen Die Zauberspr
224
ein Mensch zu sein.4 C’est tout le drame secret
de
l’œuvre qui s’avoue dans ce cri : chaque fois que Goethe invoque la c
225
s que Goethe invoque la catégorie pour lui sacrée
de
l’humain, comprenons qu’il y va de tout. Mais les anges enfin élèvent
226
our lui sacrée de l’humain, comprenons qu’il y va
de
tout. Mais les anges enfin élèvent Faust au-dessus de cette agonie sy
227
out. Mais les anges enfin élèvent Faust au-dessus
de
cette agonie symbolique de toute son existence, et c’est leur chœur q
228
lèvent Faust au-dessus de cette agonie symbolique
de
toute son existence, et c’est leur chœur qui chante une dernière fois
229
ière fois la loi, au moment qu’il reçoit la grâce
de
lui échapper : Wer immer strebend sich bemüht Den können wir erlösen
230
que Faust enfin rejoint dans la pleine possession
de
ses forces et l’assurance du regard. L’âme, purifiée de sa « vieille
231
forces et l’assurance du regard. L’âme, purifiée
de
sa « vieille dépouille » par l’effort aveuglant de la vie, pénètre da
232
e sa « vieille dépouille » par l’effort aveuglant
de
la vie, pénètre dans le Nouveau Jour et contemple l’indescriptible. S
233
contemple l’indescriptible. Si Faust est le drame
d’
une formidable patience sans cesse remise en question, la Saison en En
234
mise en question, la Saison en Enfer est le drame
d’
une pureté avide, et son destin se joue d’un coup. La grandeur de Goet
235
e drame d’une pureté avide, et son destin se joue
d’
un coup. La grandeur de Goethe est d’avoir su vieillir, celle de Rimba
236
ide, et son destin se joue d’un coup. La grandeur
de
Goethe est d’avoir su vieillir, celle de Rimbaud de s’y être refusé.
237
stin se joue d’un coup. La grandeur de Goethe est
d’
avoir su vieillir, celle de Rimbaud de s’y être refusé. Transportez l
238
grandeur de Goethe est d’avoir su vieillir, celle
de
Rimbaud de s’y être refusé. Transportez la dialectique faustienne da
239
Goethe est d’avoir su vieillir, celle de Rimbaud
de
s’y être refusé. Transportez la dialectique faustienne dans la vie d
240
Transportez la dialectique faustienne dans la vie
d’
un être jeune, et libre encore de toute contrainte sociale et culturel
241
enne dans la vie d’un être jeune, et libre encore
de
toute contrainte sociale et culturelle : le dessin se simplifiera jus
242
onnée initiale est bien la même : c’est l’attrait
d’
une vision qui transcende la vie médiocre. Rimbaud s’y lance avec l’em
243
ie médiocre. Rimbaud s’y lance avec l’emportement
d’
une révolte qui traduit d’abord un excès féroce de vitalité plutôt qu’
244
d’une révolte qui traduit d’abord un excès féroce
de
vitalité plutôt qu’une souffrance physique, et va d’un mouvement rigo
245
vitalité plutôt qu’une souffrance physique, et va
d’
un mouvement rigoureusement logique jusqu’au système de sa folie. Mais
246
mouvement rigoureusement logique jusqu’au système
de
sa folie. Mais l’irruption de cette « magie » est si violente qu’elle
247
ue jusqu’au système de sa folie. Mais l’irruption
de
cette « magie » est si violente qu’elle a certainement angoissé l’enf
248
devins un opéra fabuleux ». Il a brûlé les étapes
de
l’initiation. Mais on ne déchaîne pas de telles puissances impunément
249
s étapes de l’initiation. Mais on ne déchaîne pas
de
telles puissances impunément. « Ma santé fut menacée. La terreur vena
250
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé
de
toute morale, je suis rendu pu sol, avec un devoir à chercher et la r
251
réalité rugueuse à étreindre. » C’est le cri même
de
Faust ! « Il faut être absolument moderne. » Travailler. Se donner à
252
r obsédé par ce travail. Ainsi cette vie est bien
d’
un seul tenant ; une seule et unique expérience la remplit : l’envahis
253
et unique expérience la remplit : l’envahissement
de
la magie aboutissant au renoncement et à l’action. Le second Rimbaud
254
he-le et jette-le loin de toi ». Mais Rimbaud est
d’
une autre trempe : il a déjà prouvé en écrivant les Illuminations qu’i
255
combiné tout cela avec un compte-rendu littéraire
de
l’aventure… Car il n’est pas donné à beaucoup d’hommes de devenir un
256
de l’aventure… Car il n’est pas donné à beaucoup
d’
hommes de devenir un mythe à force de pureté dans la réalisation de le
257
nture… Car il n’est pas donné à beaucoup d’hommes
de
devenir un mythe à force de pureté dans la réalisation de leur destin
258
ir un mythe à force de pureté dans la réalisation
de
leur destin. Rimbaud est notre mythe occidental : mythe faustien. Il
259
nt comme Goethe les conditions réelles et données
de
son effort particulier. Ce renoncement à l’Orient évasif, c’est cela
260
onstitue notre Occident spirituel. C’est le refus
de
la « magie »6 qui fonde notre éthique, et ce dilemme est peut-être le
261
’esprit occidental, dès qu’il atteint les régions
de
haute tension où la seule « orientation » qu’il adopte suffit à déter
262
tion » qu’il adopte suffit à déterminer une suite
d’
actes. Dilemme, en son fond, religieux. C’est une forme dialectique, «
263
gieux. C’est une forme dialectique, « agonique »,
de
la vie de l’âme, une forme cruciale, c’est-à-dire une de ces contradi
264
st une forme dialectique, « agonique », de la vie
de
l’âme, une forme cruciale, c’est-à-dire une de ces contradictions ess
265
ie de l’âme, une forme cruciale, c’est-à-dire une
de
ces contradictions essentielles, en signe de croix, qui sont la marqu
266
elles, en signe de croix, qui sont la marque même
de
la réalité dans une conscience occidentale. Supprimez l’un des termes
267
e mythe dialectique soit profondément constitutif
de
notre être, l’extension et la diversité de ses aspects le suggèrent.
268
itutif de notre être, l’extension et la diversité
de
ses aspects le suggèrent. C’est l’opposition du savoir et du pouvoir,
269
rent. C’est l’opposition du savoir et du pouvoir,
de
la connaissance et de la souffrance, de la spéculation et de l’existe
270
on du savoir et du pouvoir, de la connaissance et
de
la souffrance, de la spéculation et de l’existence, de l’au-delà myst
271
pouvoir, de la connaissance et de la souffrance,
de
la spéculation et de l’existence, de l’au-delà mystique et de l’imméd
272
issance et de la souffrance, de la spéculation et
de
l’existence, de l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et quels
273
souffrance, de la spéculation et de l’existence,
de
l’au-delà mystique et de l’immédiat éthique. Et quels sont les plus g
274
ation et de l’existence, de l’au-delà mystique et
de
l’immédiat éthique. Et quels sont les plus grands Occidentaux ? Ceux
275
ise instinctive qui ressemble à la chute soudaine
de
l’ivresse devant le mortel danger qui se lève à un pas. Tous deux réa
276
deux réalisent le renoncement, le deuxième temps
de
cette dialectique, dans un mouvement que sa violence rend unique : c’
277
e rend unique : c’est qu’ils reviennent tous deux
de
loin, d’un long abandon à l’erreur. Goethe n’a pas connu de tels déch
278
ique : c’est qu’ils reviennent tous deux de loin,
d’
un long abandon à l’erreur. Goethe n’a pas connu de tels déchirements.
279
’un long abandon à l’erreur. Goethe n’a pas connu
de
tels déchirements. C’est lui qui a su vivre cette maxime de la Saison
280
chirements. C’est lui qui a su vivre cette maxime
de
la Saison : « Pas de partis de salut violents ». Dès les premiers ins
281
qui a su vivre cette maxime de la Saison : « Pas
de
partis de salut violents ». Dès les premiers instants de son accessio
282
vivre cette maxime de la Saison : « Pas de partis
de
salut violents ». Dès les premiers instants de son accession au monde
283
is de salut violents ». Dès les premiers instants
de
son accession au monde spirituel, il s’est mis en état de défense et
284
ccession au monde spirituel, il s’est mis en état
de
défense et de lenteur. Il avance ainsi pas à pas, l’âme tendue dans u
285
nde spirituel, il s’est mis en état de défense et
de
lenteur. Il avance ainsi pas à pas, l’âme tendue dans une puissante c
286
s jamais s’abandonner aux bienheureuses violences
de
l’orage, au repos de la démesure. On rit de ses allures compassées, d
287
aux bienheureuses violences de l’orage, au repos
de
la démesure. On rit de ses allures compassées, des solennelles banali
288
ences de l’orage, au repos de la démesure. On rit
de
ses allures compassées, des solennelles banalités dont il gratifie le
289
oir dans ces façons que la distraction souveraine
d’
une âme tout occupée à dompter ses dieux. Une haute menace, invisible
290
e à tout autre, l’accompagne sans trêve, et c’est
d’
elle qu’il tire ses forces, toujours renouvelées. Mais il y faut une p
291
ment soutenue qu’elle informe peu à peu une sorte
d’
instinct, libérant l’attention consciente. C’est ainsi que le voyant a
292
mystiques du Second Faust peut aussi faire figure
de
sage officiel parmi les philistins. Le somnambule est désormais proté
293
Le somnambule est désormais protégé par une cotte
d’
invisible silence. Vous pouvez lui parler sans le troubler : les mots
294
du manteau qui rend invisible. ⁂ Cette similitude
de
forme dans le cours de la magie chez Goethe et chez Rimbaud, et d’aut
295
isible. ⁂ Cette similitude de forme dans le cours
de
la magie chez Goethe et chez Rimbaud, et d’autre part le contraste de
296
ons littéraires. « Mon esprit, prends garde ! Pas
de
partis de salut violents. Exerce-toi. » Objurgation que l’on croirait
297
aires. « Mon esprit, prends garde ! Pas de partis
de
salut violents. Exerce-toi. » Objurgation que l’on croirait tirée de
298
Exerce-toi. » Objurgation que l’on croirait tirée
de
quelque journal intime de Goethe des années ascétiques, à Weimar avan
299
que l’on croirait tirée de quelque journal intime
de
Goethe des années ascétiques, à Weimar avant l’Italie. Et le passage
300
es, à Weimar avant l’Italie. Et le passage fameux
de
la Saison : « Moi qui me suis dit mage ou ange… » ne rappelle-t-il p
301
me suis cru plus grand que le Chérubin… » « Point
de
cantiques : tenir le pas gagné… la réalité rugueuse à étreindre… » Ce
302
eindre… » Certes, les sentences du vieil Olympien
de
la légende ont peu de consonance avec ce pathétique. Mais quel écho n
303
n’eût-il pas éveillé dans l’âme du jeune ministre
de
32 ans, adonné vers ce temps au plus dur effort d’organisation de son
304
e 32 ans, adonné vers ce temps au plus dur effort
d’
organisation de son silence intérieur. Période de repliement et de ref
305
é vers ce temps au plus dur effort d’organisation
de
son silence intérieur. Période de repliement et de refus, si douloure
306
d’organisation de son silence intérieur. Période
de
repliement et de refus, si douloureuse que le signe en devient visibl
307
e son silence intérieur. Période de repliement et
de
refus, si douloureuse que le signe en devient visible sur ses traits.
308
evient visible sur ses traits. Je ne me lasse pas
de
méditer sur ce visage dont Klauer modela l’effigie passionnément tris
309
he aux lèvres serrées, l’inférieure creusée comme
d’
un sanglot retenu, et relâchée aux commissures — tristesse et volupté.
310
commissures — tristesse et volupté. Mais le front
d’
une plénitude royale s’avance fortement contre la lumière, et les yeux
311
les yeux, entre cette bouche et ce front, disent
d’
un sombre et méditant regard le mot suprême de la Saison, ce cri sourd
312
ent d’un sombre et méditant regard le mot suprême
de
la Saison, ce cri sourd du plus lucide héroïsme : « Et allons ! » Goe
313
. Il y a dans tout désespoir à la fois l’angoisse
de
la catastrophe et la secrète, l’inavouable joie de la libération. Imp
314
e la catastrophe et la secrète, l’inavouable joie
de
la libération. Impossible d’isoler ces deux composantes dans l’aventu
315
e, l’inavouable joie de la libération. Impossible
d’
isoler ces deux composantes dans l’aventure de Rimbaud. Mais chez Goet
316
ble d’isoler ces deux composantes dans l’aventure
de
Rimbaud. Mais chez Goethe, c’est la longueur du temps qui les dénonce
317
emps qui les dénoncera. Et cette fameuse sérénité
de
sa vieillesse, ce n’est rien d’autre, peut-être, que le triomphe de l
318
fameuse sérénité de sa vieillesse, ce n’est rien
d’
autre, peut-être, que le triomphe de l’élément libérateur du désespoir
319
ce n’est rien d’autre, peut-être, que le triomphe
de
l’élément libérateur du désespoir. La longue peine de celui « qui tou
320
’élément libérateur du désespoir. La longue peine
de
celui « qui toujours s’est efforcé » a purifié le corps, et l’âme est
321
le corps, et l’âme est prête à recevoir « l’amour
d’
en haut ». Car telle est le yoga occidentale, dont le Second Faust res
322
pline libératrice comporte pour Rimbaud l’abandon
de
la poésie, alors qu’elle propose à Goethe, comme un exercice de choix
323
alors qu’elle propose à Goethe, comme un exercice
de
choix, l’écriture, — cela n’a rien que de logique, et résulte de la d
324
xercice de choix, l’écriture, — cela n’a rien que
de
logique, et résulte de la définition même d’un tel yoga. Tout savoir
325
iture, — cela n’a rien que de logique, et résulte
de
la définition même d’un tel yoga. Tout savoir doit être confirmé par
326
que de logique, et résulte de la définition même
d’
un tel yoga. Tout savoir doit être confirmé par un faire, qui le tait
327
ire, qui le tait et l’exprime à la fois. Le faire
de
Rimbaud ne peut être la littérature, puisque écrire signifiait pour l
328
réel. Au contraire, l’on peut affirmer sans trop
de
paradoxe que la littérature de Goethe est un des moyens de silence do
329
affirmer sans trop de paradoxe que la littérature
de
Goethe est un des moyens de silence dont il dispose. Ni plus ni moins
330
xe que la littérature de Goethe est un des moyens
de
silence dont il dispose. Ni plus ni moins que l’étude des sciences na
331
ins que l’étude des sciences naturelles, la régie
d’
un théâtre ou l’administration du Grand Duché. « J’ai toujours considé
332
mboliques, et au fond, il m’est assez indifférent
d’
avoir fait des pots ou des assiettes. 7 » Si tout de même il a peiné s
333
7 » Si tout de même il a peiné sur la composition
d’
Iphigénie ou des Ballades, c’est que l’art est pour lui la tentation l
334
que l’art est pour lui la tentation la plus aiguë
de
jouer avec les mystères, et par là même l’occasion de réaliser sans c
335
ouer avec les mystères, et par là même l’occasion
de
réaliser sans cesse à nouveau l’exigence dernière de la magie : son r
336
réaliser sans cesse à nouveau l’exigence dernière
de
la magie : son reniement au profit de l’action. Insistons sur ce term
337
ce dernière de la magie : son reniement au profit
de
l’action. Insistons sur ce terme de profit : il concerne ici, pour un
338
ent au profit de l’action. Insistons sur ce terme
de
profit : il concerne ici, pour une fois les fins les plus hautes de l
339
cerne ici, pour une fois les fins les plus hautes
de
l’existence terrestre. « Un fait de notre vie ne vaut pas en tant qu’
340
s plus hautes de l’existence terrestre. « Un fait
de
notre vie ne vaut pas en tant qu’il est vrai, mais en tant qu’il sign
341
t pourquoi l’on fait bien, dans la vie ordinaire,
de
garder ces choses-là pour soi et de n’en découvrir que juste ce qu’il
342
ie ordinaire, de garder ces choses-là pour soi et
de
n’en découvrir que juste ce qu’il faut pour qu’elles puissent être de
343
e juste ce qu’il faut pour qu’elles puissent être
de
quelque avantage aux autres 9 … L’homme n’est pas né pour résoudre le
344
… L’homme n’est pas né pour résoudre le problème
de
l’univers, mais bien pour rechercher où tend ce problème, et ensuite
345
oblème, et ensuite se maintenir entre les limites
de
l’intelligible. 10 » L’on découvre ici la source de l’étrange refus d
346
l’intelligible. 10 » L’on découvre ici la source
de
l’étrange refus de Goethe, dès qu’il s’agit de faire état des choses
347
» L’on découvre ici la source de l’étrange refus
de
Goethe, dès qu’il s’agit de faire état des choses premières, des fins
348
ce de l’étrange refus de Goethe, dès qu’il s’agit
de
faire état des choses premières, des fins dernières, en tant que tell
349
remières, des fins dernières, en tant que telles.
De
là ce rationalisme agressif qu’il oppose aux dévots : « S’occuper d’i
350
me agressif qu’il oppose aux dévots : « S’occuper
d’
idées relatives à l’immortalité, poursuivit Goethe, cela convient aux
351
e. Mais un homme supérieur, qui a déjà conscience
d’
être quelque chose ici-bas, et qui par conséquent doit tous les jours
352
gir, laisse en paix le monde futur et se contente
d’
être actif et utile en celui-ci. 11 » À quoi nous saurons opposer cett
353
r tout ce que nous ferons, comme la douce lumière
d’
un soleil caché 12 ». Écrire, tout en se taisant. Et ceux-là seuls ent
354
aust. Ce tempérament démoniaque, qu’on le libère
de
la maîtrise d’un caractère intéressé à la patience, et voici la confe
355
rament démoniaque, qu’on le libère de la maîtrise
d’
un caractère intéressé à la patience, et voici la confession éruptive
356
confession éruptive : les Illuminations naissent
d’
une telle rupture. Elles sont le champ même13 où Rimbaud se livre à l’
357
lle il se rabat sur le travail « à mains » — rage
de
revanche — par son excès même est encore une évasion hors du réel. En
358
se précipitent vers un « au-delà » des conditions
de
vivre, vers un au-delà de ce temps. Mais notre époque veut-elle encor
359
u-delà » des conditions de vivre, vers un au-delà
de
ce temps. Mais notre époque veut-elle encore ces évasions ? Elle les
360
? Elle les reproche au christianisme, avec moins
de
raison d’ailleurs (puisque le christianisme affirme que l’éternité es
361
ianisme. Plus goethéenne aussi. Mais gardons-nous
de
tirer de là je ne sais quel critère de jugement qui permettrait de pl
362
Plus goethéenne aussi. Mais gardons-nous de tirer
de
là je ne sais quel critère de jugement qui permettrait de placer Goet
363
rdons-nous de tirer de là je ne sais quel critère
de
jugement qui permettrait de placer Goethe « au-dessus » de Rimbaud. C
364
ne sais quel critère de jugement qui permettrait
de
placer Goethe « au-dessus » de Rimbaud. C’est la pureté démesurée de
365
nt qui permettrait de placer Goethe « au-dessus »
de
Rimbaud. C’est la pureté démesurée de Rimbaud qui nous juge, et la gr
366
au-dessus » de Rimbaud. C’est la pureté démesurée
de
Rimbaud qui nous juge, et la grandeur humaine de Goethe. Et qui voudr
367
de Rimbaud qui nous juge, et la grandeur humaine
de
Goethe. Et qui voudrait les opposer ? Que signifierait un choix dont
368
Celtes, il est d’autres recours, d’autres points
de
vision qu’humains. La révélation chrétienne déborde notre condition,
369
en bonne dialectique autoriserait à des jugements
de
valeur humains. Mais il faudrait alors mettre en balance une longue f
370
choix, jusque dans nos admirations, nous pressent
d’
affecter toute chose, même spirituelle, d’une sorte de coefficient d’u
371
ressent d’affecter toute chose, même spirituelle,
d’
une sorte de coefficient d’utilité. En ce jour de février 1932, dans c
372
fecter toute chose, même spirituelle, d’une sorte
de
coefficient d’utilité. En ce jour de février 1932, dans ce Francfort
373
ose, même spirituelle, d’une sorte de coefficient
d’
utilité. En ce jour de février 1932, dans ce Francfort en proie au Car
374
d’une sorte de coefficient d’utilité. En ce jour
de
février 1932, dans ce Francfort en proie au Carnaval et à l’angoisse,
375
peut-être, pour cette bourgeoisie15 dont je viens
d’
admirer les trésors patinés dans la haute demeure familiale des Goethe
376
e des Goethe. Aujourd’hui… Un immense glissement
de
la réalité hors des cadres d’une logique statique et cartésienne nous
377
immense glissement de la réalité hors des cadres
d’
une logique statique et cartésienne nous porte en des régions nouvelle
378
t cartésienne nous porte en des régions nouvelles
de
l’esprit où l’action redevient notre seul critère de cohérence. C’est
379
l’esprit où l’action redevient notre seul critère
de
cohérence. C’est dire que nous demandons aux œuvres que nous aimons d
380
ire que nous demandons aux œuvres que nous aimons
de
témoigner d’une certaine force de révolte. Notre premier mouvement no
381
demandons aux œuvres que nous aimons de témoigner
d’
une certaine force de révolte. Notre premier mouvement nous porte vers
382
que nous aimons de témoigner d’une certaine force
de
révolte. Notre premier mouvement nous porte vers Rimbaud, nous détour
383
mouvement nous porte vers Rimbaud, nous détourne
de
Goethe. Mais prenons garde de tomber dans un conformisme à rebours, v
384
baud, nous détourne de Goethe. Mais prenons garde
de
tomber dans un conformisme à rebours, victimes de valeurs sentimental
385
de tomber dans un conformisme à rebours, victimes
de
valeurs sentimentales héritées des temps révolus. Prenons garde de no
386
entales héritées des temps révolus. Prenons garde
de
nous laisser convaincre par les seuls éclats d’un fanatisme à vrai di
387
e de nous laisser convaincre par les seuls éclats
d’
un fanatisme à vrai dire splendide. Plus que jamais, il faudra s’appli
388
à distinguer dans ce vertige la réelle puissance
d’
une voix volontairement assourdie. Le silence de Goethe n’est pas moin
389
e d’une voix volontairement assourdie. Le silence
de
Goethe n’est pas moins dangereux, pour qui sait l’entendre, que l’imp
390
reux, pour qui sait l’entendre, que l’imprécation
de
Rimbaud ; et tous deux nous contraignent aux tâches immédiates, c’est
391
ches immédiates, c’est-à-dire : à l’actualisation
de
notre réalité. « Il faut être absolument moderne. » 2. Rimbaud a-t-
392
imbaud a-t-il lu Goethe ? En mai 1873, il écrivit
de
Roche à son ami E. Delahaye : « Prochainement, je t’enverrai des timb
393
oethe, biblioth. populaire. Ça doit coûter un sou
de
transport. » 3. Conversation avec Eckermann, 4 février, 1829. 4.
394
évrier, 1829. 4. Si je pouvais écarter la Magie
de
mon chemin, Oublier tout de ses enchantements. Je ne serais. Nature !
395
vais écarter la Magie de mon chemin, Oublier tout
de
ses enchantements. Je ne serais. Nature ! devant toi rien qu’un homme
396
rien qu’un homme. Alors il vaudrait bien la peine
d’
être humain. 5. Celui qui toujours fait effort. Celui-là nous pouvo
397
itlérienne s’est accomplie en février 1933. (Note
de
1944.)
398
2.Goethe médiateur Toute grandeur naît
d’
un rapport, d’une tension entre plusieurs éléments mesurables. Il n’es
399
the médiateur Toute grandeur naît d’un rapport,
d’
une tension entre plusieurs éléments mesurables. Il n’est pas de grand
400
entre plusieurs éléments mesurables. Il n’est pas
de
grandeur perceptible, là où n’existent pas de mesures. Mais où cherch
401
pas de grandeur perceptible, là où n’existent pas
de
mesures. Mais où chercher, chez Goethe, les éléments de tension et le
402
ures. Mais où chercher, chez Goethe, les éléments
de
tension et les mesures ? Où, sinon en lui-même, je veux dire entre ce
403
entre ce qui lui fut donné et ce qu’il sut tirer
de
ces données ? Car Goethe est en ceci un homme moderne, que ses mesure
404
ethe est grand par le rapport, pour nous visible,
de
sa vie et de son œuvre se donnant l’une à l’autre un sens et une mesu
405
d par le rapport, pour nous visible, de sa vie et
de
son œuvre se donnant l’une à l’autre un sens et une mesure. De nul ho
406
se donnant l’une à l’autre un sens et une mesure.
De
nul homme, peut-être, nous ne connaissons aussi bien la vie dans son
407
orescent. Sa vie plus que toute autre inséparable
de
ses œuvres ; ses œuvres qui, à tel moment nécessaire et imprévisible,
408
isible, viennent rétablir un équilibre compromis.
De
nulle vie, la loi de développement n’apparaît à nos yeux plus harmoni
409
blir un équilibre compromis. De nulle vie, la loi
de
développement n’apparaît à nos yeux plus harmonieuse et plus puissant
410
ux plus harmonieuse et plus puissante, au travers
d’
une richesse incomparable de végétations et de poussées adventices. Il
411
puissante, au travers d’une richesse incomparable
de
végétations et de poussées adventices. Il semble que nous assistions
412
ers d’une richesse incomparable de végétations et
de
poussées adventices. Il semble que nous assistions au spectacle grand
413
semble que nous assistions au spectacle grandiose
de
la croissance d’un chêne géant. Tout ici est organe, tout est nature.
414
ssistions au spectacle grandiose de la croissance
d’
un chêne géant. Tout ici est organe, tout est nature. Et Goethe l’a su
415
re. Et Goethe l’a su. Mais quand nous contemplons
de
loin cet arbre vénérable, aux basses branches parfois bizarrement tor
416
hes parfois bizarrement tordues, mais qui s’élève
d’
une poussée si majestueuse vers l’épanouissement, vers cette espèce de
417
estueuse vers l’épanouissement, vers cette espèce
de
jeunesse des hautes ramures, n’allons pas oublier que les sucs dont i
418
fait cette splendeur au loin visible, il les tira
d’
un sol germanique. ⁂ Constater que les données initiales, chez Goethe,
419
de. Rappelons cependant les composantes nordiques
de
la psychologie du jeune Goethe : le romantisme, le goût de la magie,
420
chologie du jeune Goethe : le romantisme, le goût
de
la magie, et cet élan qu’il nommera démoniaque et qui tisse un dessin
421
aque et qui tisse un dessin tortueux tout au long
de
sa vie secrète. Enfin, nourrie à ces trois sources, la volonté titani
422
on œuvre eût sans conteste mérité le qualificatif
d’
allemande. Or s’il est vrai que Goethe ait suivi sa pente, il se trouv
423
it suivi sa pente, il se trouve que, selon le mot
de
Gide, c’est en la remontant. Du fait que Goethe a résisté à l’élément
424
us allemand ? Distinguons ici entre les résultats
de
l’effort goethéen et cet effort même. Il est facile de montrer ce qui
425
effort goethéen et cet effort même. Il est facile
de
montrer ce qui, dans l’œuvre écrite de Goethe, n’est pas typiquement
426
est facile de montrer ce qui, dans l’œuvre écrite
de
Goethe, n’est pas typiquement allemand, et peut être directement assi
427
r un latin par exemple. Mais la nature spécifique
de
l’effort goethéen, cette lutte contre ses données anarchiques et démo
428
te lutte contre quelque chose en lui qui ne cesse
de
renaître tout au long de sa vie et de menacer son équilibre si chèrem
429
hose en lui qui ne cesse de renaître tout au long
de
sa vie et de menacer son équilibre si chèrement conquis, cette lutte
430
ui ne cesse de renaître tout au long de sa vie et
de
menacer son équilibre si chèrement conquis, cette lutte enfin où rési
431
ethe à être plus qu’allemand. En regard du Goethe
de
la vingt-sixième année, du Goethe qui se détourne du romantisme, plaç
432
ces démoniques, au vertige des titans, au vertige
de
la hauteur : « On peut tomber dans la hauteur comme dans la profondeu
433
ethe comme devant Hölderlin, s’ouvre à tel moment
de
la vie spirituelle une carrière de démesure et de délire splendide. S
434
e à tel moment de la vie spirituelle une carrière
de
démesure et de délire splendide. S’il s’abandonne, il deviendra non p
435
de la vie spirituelle une carrière de démesure et
de
délire splendide. S’il s’abandonne, il deviendra non pas ce chêne tut
436
hêne tutélaire (peut-être un peu commun), mais un
de
ces arbres étranges qui poussent d’un jet, donnent une fleur unique,
437
mun), mais un de ces arbres étranges qui poussent
d’
un jet, donnent une fleur unique, puis meurent : aussitôt. Mais il pré
438
durer, il veut guérir. Et ce sont ces dix années
de
silence et de repli, si émouvantes, si pures, c’est-à-dire si conform
439
t guérir. Et ce sont ces dix années de silence et
de
repli, si émouvantes, si pures, c’est-à-dire si conformes à la loi la
440
est-à-dire si conformes à la loi la plus profonde
de
sa nature. Ces dix années où, pour reprendre la comparaison du chêne,
441
e fait un tronc, une écorce. En face du titanisme
de
Hölderlin — Hölderlin ou l’Allemand exaspéré — Goethe figure l’Allema
442
more germanico pourrait-on dire. Car le nom même
de
la cure à laquelle il se soumet se trouve être difficilement traduisi
443
iscutable, le langage. Il serait très insuffisant
de
dire que le remède que Goethe s’applique est l’action. Nous sommes ob
444
obligés, si nous voulons éviter tout malentendu,
de
recourir, pour caractériser sa thérapeutique, à certains mots éminemm
445
Tätigkeit, la Tüchtigkeit de Hermann et Dorothée,
de
Wilhelm Meister, ou le Streben de Faust. Guérir de son germanisme irr
446
e Wilhelm Meister, ou le Streben de Faust. Guérir
de
son germanisme irrationnel par l’application d’un remède germanique,
447
r de son germanisme irrationnel par l’application
d’
un remède germanique, et rendre ainsi utilisable et communicable ce qu
448
oethéen par excellence. Mais cette formule risque
de
rester assez vague si nous ne lui trouvons tout de suite une illustra
449
a vois nulle part plus évidente que dans le cours
de
la Magie chez Goethe. Dans l’ordre des vérités occultes, Goethe chois
450
choisit d’abord celle qui lui paraît susceptible
d’
application vivante : la magie16. Ce serait ici le lieu de rappeler le
451
ation vivante : la magie16. Ce serait ici le lieu
de
rappeler les influences subies avant et après sa vingtième année, cel
452
subies avant et après sa vingtième année, celles
de
Paracelse, de Jacob Boehme, de Swedenborg. On sait qu’avec Mlle de Kl
453
et après sa vingtième année, celles de Paracelse,
de
Jacob Boehme, de Swedenborg. On sait qu’avec Mlle de Klettenberg il s
454
ième année, celles de Paracelse, de Jacob Boehme,
de
Swedenborg. On sait qu’avec Mlle de Klettenberg il se livra même à de
455
de Klettenberg il se livra même à des expériences
d’
alchimie, ou, comme il le dit dans une lettre de cette époque, de « ch
456
s d’alchimie, ou, comme il le dit dans une lettre
de
cette époque, de « chimie cabalistique ». Je voudrais surtout retenir
457
comme il le dit dans une lettre de cette époque,
de
« chimie cabalistique ». Je voudrais surtout retenir le fait que la g
458
nt il souffrit à 18 ans fut guérie par un médecin
de
Francfort qui se vantait de connaître les remèdes des alchimistes. Te
459
guérie par un médecin de Francfort qui se vantait
de
connaître les remèdes des alchimistes. Tel est peut-être l’Erlebnis q
460
e une conception qu’on dirait presque pragmatique
de
l’occultisme. Par ailleurs, le problème de la magie ne se pose point
461
atique de l’occultisme. Par ailleurs, le problème
de
la magie ne se pose point à Goethe comme le problème technique d’une
462
e pose point à Goethe comme le problème technique
d’
une science qu’il s’agirait d’approfondir. C’est bien plutôt pour lui
463
problème technique d’une science qu’il s’agirait
d’
approfondir. C’est bien plutôt pour lui un problème moral : étant donn
464
e une connaissance secrète et des moyens occultes
d’
agir sur les choses, quelle utilisation avons-nous le droit de faire d
465
es choses, quelle utilisation avons-nous le droit
de
faire de ces vérités ? En quoi la magie peut-elle contribuer au dével
466
, quelle utilisation avons-nous le droit de faire
de
ces vérités ? En quoi la magie peut-elle contribuer au développement
467
e peut-elle contribuer au développement organique
de
la personnalité ? C’est le problème posé par Faust dans la fameuse pr
468
cette scène. Mais, pour Goethe jamais la solution
de
principe n’est une solution réelle, existentielle. Tout le Faust va m
469
es intérioriser, les instruire dans le microcosme
de
son corps, pour ensuite les manifester en actes, en activité, en effo
470
yen Âge. Ce n’est plus pour lui un truc qui opère
d’
une façon tout extérieure et impersonnelle. Mais c’est de plus en plus
471
plus une expérience intérieure, morale. La magie
de
Goethe se condense en paroles, en Zaubersprüche, qui deviennent tout
472
ement chez lui, et de plus en plus, des préceptes
d’
action d’aspect purement pratique, je dirai même fastidieusement prati
473
z lui, et de plus en plus, des préceptes d’action
d’
aspect purement pratique, je dirai même fastidieusement pratique, song
474
ngeant à l’agacement que la constante prédication
de
la Tüchtigkeit provoque souvent chez le lecteur du Wilhelm Meister. Q
475
Qu’on ne s’y trompe pas cependant : ces préceptes
d’
allure si bourgeoise sont dirigés d’abord contre Goethe lui-même, cont
476
e, contre son démonisme ; ils constituent la cure
de
cette seule maladie morale à laquelle Goethe réduit toutes les autres
477
aquelle Goethe réduit toutes les autres maladies,
de
cette seule maladie qui tout ensemble nourrit la menace magique et tr
478
s le renoncement total, qu’il lui est enfin donné
de
voir, de contempler, de se reposer dans le savoir pur. Le Second Faus
479
ncement total, qu’il lui est enfin donné de voir,
de
contempler, de se reposer dans le savoir pur. Le Second Faust est un
480
qu’il lui est enfin donné de voir, de contempler,
de
se reposer dans le savoir pur. Le Second Faust est un anti-Goethe — o
481
un anti-Goethe — ou mieux : c’est la « personne »
de
Goethe triomphant de son « individu ». ⁂ Telle est la sagesse de Faus
482
ieux : c’est la « personne » de Goethe triomphant
de
son « individu ». ⁂ Telle est la sagesse de Faust : nous n’avons pas
483
phant de son « individu ». ⁂ Telle est la sagesse
de
Faust : nous n’avons pas besoin d’autres révélations que de celles-là
484
nous n’avons pas besoin d’autres révélations que
de
celles-là qui nous poussent à réaliser en action notre loi personnell
485
qui jamais ne mutile et qui jamais ne renie rien
de
ce qu’il y a dans l’être d’irréductiblement original ; sagesse dont l
486
jamais ne renie rien de ce qu’il y a dans l’être
d’
irréductiblement original ; sagesse dont l’opération magistrale consis
487
istrale consiste à rendre utilisables pour la vie
de
tous, et de tous les jours, les seules valeurs réelles qui sont, à l’
488
iste à rendre utilisables pour la vie de tous, et
de
tous les jours, les seules valeurs réelles qui sont, à l’origine, dif
489
plus qu’en Allemagne cette grandeur particulière
de
Goethe ne peut être éprouvée avec plus de reconnaissance, nulle part
490
culière de Goethe ne peut être éprouvée avec plus
de
reconnaissance, nulle part elle ne peut être aussi tonique. Mais il y
491
ce qu’il sut réaliser en lui d’abord la médiation
d’
une valeur irrationnelle et d’une utilité générale, il peut nous offri
492
’abord la médiation d’une valeur irrationnelle et
d’
une utilité générale, il peut nous offrir le modèle, la formule et com
493
le modèle, la formule et comme le thème dynamique
d’
une médiation plus vaste : la médiation entre la valeur unique et irra
494
médiation entre la valeur unique et irrationnelle
d’
une nation d’une part, et le bien commun universel d’autre part. Il n’
495
t le bien commun universel d’autre part. Il n’y a
de
valeur que personnelle et originale, c’est-à-dire à l’état premier, i
496
re à l’état premier, incommunicable. L’exaltation
de
ces valeurs en elles-mêmes, le nationalisme romantique, conduit à la
497
omantique, conduit à la guerre. L’affaiblissement
de
ces valeurs dans ce qu’elles ont de spécifique, par la multiplication
498
faiblissement de ces valeurs dans ce qu’elles ont
de
spécifique, par la multiplication inconsidérée des échanges, conduit
499
dérée des échanges, conduit à l’internationalisme
de
la médiocrité. Seule, la médiation, c’est-à-dire l’effort de surmonte
500
crité. Seule, la médiation, c’est-à-dire l’effort
de
surmonter en soi-même d’abord ses idiosyncrasies pour n’en offrir aux
501
valeur et la paix. Mais la médiation est l’office
de
la seule grandeur. C’est parce que Goethe est grand — et nous venons
502
rce que Goethe est grand — et nous venons de dire
de
quelle grandeur, nationale en son origine — qu’il vaut pour nous auss
503
qu’il a une valeur nationale que l’on peut parler
de
s ?, valeur internationale. Si une telle affirmation n’était réelleme
504
elle affirmation n’était réellement qu’un truisme
de
nos jours, le problème international se poserait d’une façon très dif
505
nos jours, le problème international se poserait
d’
une façon très différente devant l’opinion publique. La paix par les p
506
a paix par les peuples est un leurre, une formule
de
journalistes. L’office des peuples modernes, en tant qu’ils se connai
507
qu’ils se connaissent distincts, paraît bien être
de
se haïr. L’office des élites est au contraire de se comprendre en tan
508
urtout qu’il faut entendre le grand vers gnomique
de
Goethe : Über allen Gipfeln ist Ruh.17 Les élites, en tant qu’éli
509
oi notre tâche — que Goethe eût approuvée — reste
de
fédérer des différences authentiques, et non pas d’uniformiser des mé
510
fédérer des différences authentiques, et non pas
d’
uniformiser des médiocrités décolorées. L’harmonie d’un tableau naît d
511
niformiser des médiocrités décolorées. L’harmonie
d’
un tableau naît de l’opposition des tons : c’est une harmonie fédérale
512
iocrités décolorées. L’harmonie d’un tableau naît
de
l’opposition des tons : c’est une harmonie fédérale. 16. Rappelons
513
culte des lois du monde ; la magie est la science
de
l’action sur les choses. 17. Sur tous les sommets réside la paix. 1
514
paix. 18. « Les haines nationales sont des vices
de
populace », disait Goethe. Je n’oublie pas, d’ailleurs, ce mot d’un b
515
isait Goethe. Je n’oublie pas, d’ailleurs, ce mot
d’
un bon observateur des choses politiques, William Martin : « Les masse
516
les passions des masses (créées par la propagande
de
l’État) elles trahissent leur fonction de compréhension, et cessent d
517
pagande de l’État) elles trahissent leur fonction
de
compréhension, et cessent de mériter le nom d’élites. Par malheur, c’
518
issent leur fonction de compréhension, et cessent
de
mériter le nom d’élites. Par malheur, c’est cette trahison-là que l’o
519
on de compréhension, et cessent de mériter le nom
d’
élites. Par malheur, c’est cette trahison-là que l’on baptise aujourd’
520
t en 1855. Presque toute son œuvre, une vingtaine
de
volumes, à quoi nous pouvons ajouter dix-huit volumes de papiers post
521
mes, à quoi nous pouvons ajouter dix-huit volumes
de
papiers posthumes, fut composée en l’espace de douze années. Le père
522
es de papiers posthumes, fut composée en l’espace
de
douze années. Le père de Kierkegaard avait passé son enfance à garder
523
udit le Dieu tout-puissant qui le laissait mourir
de
faim. Ce blasphème assombrit toute sa vie, et la révélation qu’en eut
524
Et c’est ainsi que Kierkegaard reçut en héritage
de
son père, après une sévère éducation piétiste, un secret terrifiant e
525
l tira son œuvre. Sa fortune, il la confia à l’un
de
ses frères, ne voulant pas avoir affaire aux banques. Lorsqu’il mour
526
’en subsistait presque rien. Cet argent provenait
d’
une malédiction pensait-il, il l’avait donc dilapidé, surtout en dons.
527
ait très simple. Il travaillait une grande partie
de
la nuit. Georg Brandès rapporte qu’on pouvait le voir, de la rue, arp
528
it. Georg Brandès rapporte qu’on pouvait le voir,
de
la rue, arpenter longuement les pièces illuminées de ses appartements
529
la rue, arpenter longuement les pièces illuminées
de
ses appartements. Dans chaque chambre, il faisait disposer une écrito
530
idi, on le voyait parcourir la rue la plus animée
de
la ville, parler, rire et discuter avec des bourgeois, des jeunes fil
531
houette, ses plaisanteries, il avait sa légende «
d’
original ». On savait aussi qu’il était le meilleur écrivain de son pa
532
On savait aussi qu’il était le meilleur écrivain
de
son pays. Sa première œuvre eut un immense succès ; mais à mesure qu’
533
ta, effrayé. Lorsqu’en 1854, il se mit à attaquer
de
front, avec une extrême violence, le christianisme officiel et les év
534
plus tard, épuisé par la lutte, il tomba au cours
d’
une promenade en ville. On le transporta à l’hôpital, où il mourut pai
535
nt tous les hommes ». Le seul événement extérieur
de
sa vie fut la rupture de ses fiançailles avec Régine Olsen. Mais l’ac
536
seul événement extérieur de sa vie fut la rupture
de
ses fiançailles avec Régine Olsen. Mais l’acte qui résume toute son œ
537
nce Hamlet — autre Danois — il put mourir certain
d’
avoir accompli sa mission, ce fut son attaque contre le christianisme
538
Christ de l’Évangile. Il avait terminé ses études
de
théologie, mais il ne fut jamais pasteur. Il lui arriva pourtant de p
539
il ne fut jamais pasteur. Il lui arriva pourtant
de
prêcher, et ses sermons, réunis sous le titre général de Discours d’é
540
sermons, réunis sous le titre général de Discours
d’
édification remplissent plusieurs volumes. Ce furent les seuls écrits
541
Tous ses ouvrages esthétiques et philosophiques,
de
la Répétition à l’Exercice du christianisme, en passant par la Maladi
542
en passant par la Maladie mortelle et le Concept
d’
angoisse, parurent sous divers pseudonymes symboliques. Il voulait sig
543
ces ouvrages n’exprimaient pas encore la totalité
de
son message chrétien, et qu’il ne pouvait pas en assumer l’entière re
544
Dieu et devant les hommes. Ce ne fut qu’à la fin
de
sa vie qu’il s’offrit sans masque à la lutte contre l’Église établie,
545
à « tendance religieuse » et non pas un « témoin
de
la vérité » ; c’est qu’il se faisait du christianisme une idée si pur
546
deux grands maîtres Heidegger et Jaspers, procède
de
sa définition de l’« existence ». La théologie barthienne se réclame
547
es Heidegger et Jaspers, procède de sa définition
de
l’« existence ». La théologie barthienne se réclame de sa thèse princ
548
« existence ». La théologie barthienne se réclame
de
sa thèse principale : l’affirmation d’une « différence qualitative in
549
se réclame de sa thèse principale : l’affirmation
d’
une « différence qualitative infinie entre Dieu et l’homme ». Le sens
550
entre Dieu et l’homme ». Le sens réel et profond
de
toute son œuvre réside dans sa protestation à la fois violente et hum
551
le… L’œuvre la plus profonde et la plus originale
de
Kierkegaard est son Concept de l’angoisse, auquel on ne peut trouver
552
la plus originale de Kierkegaard est son Concept
de
l’angoisse, auquel on ne peut trouver d’analogie que chez Dostoïevski
553
Concept de l’angoisse, auquel on ne peut trouver
d’
analogie que chez Dostoïevski. Kierkegaard, d’ailleurs, ne peut être p
554
lacé qu’à côté du poète russe. Tous deux marchent
de
pair, et aucun autre esprit du siècle ne les dépasse. » Nul ne saurai
555
aujourd’hui le développement promis à l’influence
de
Kierkegaard sur notre temps, qui le redécouvre après cent ans. Ce qui
556
ent ans. Ce qui est sûr, c’est qu’à la différence
d’
un Nietzsche même, personne ne parviendra jamais à « utiliser » Kierke
557
politiques et temporelles. Il se dresse au seuil
de
l’époque, comme la plus radicale dénonciation de nos lâchetés collect
558
de l’époque, comme la plus radicale dénonciation
de
nos lâchetés collectives, de nos compromis spirituels, de nos passion
559
adicale dénonciation de nos lâchetés collectives,
de
nos compromis spirituels, de nos passions courtes et agitées. Sur une
560
âchetés collectives, de nos compromis spirituels,
de
nos passions courtes et agitées. Sur une pierre de cimetière danois,
561
e nos passions courtes et agitées. Sur une pierre
de
cimetière danois, l’on peut lire cette inscription nue : « Le solitai
562
sion sévère, le ricanement puissant et le message
d’
amour meurtri de Kierkegaard traversent notre âge comme cette pierre e
563
ricanement puissant et le message d’amour meurtri
de
Kierkegaard traversent notre âge comme cette pierre et ce mot gravé,
564
omme cette pierre et ce mot gravé, qui ne cessent
de
nous accuser dans leur silence d’éternité. Trois rapsodies sur des th
565
qui ne cessent de nous accuser dans leur silence
d’
éternité. Trois rapsodies sur des thèmes empruntés à Kierkegaard IL
566
des thèmes empruntés à Kierkegaard ILa pureté
de
Kierkegaard La plupart des gens vivent dans une confusion impensab
567
une confusion impensable, et n’en conçoivent pas
de
malaise. D’autres qui s’essaient à penser en fin de semaine, comme on
568
malaise. D’autres qui s’essaient à penser en fin
de
semaine, comme on fait un peu d’ordre dans l’appartement, reculent bi
569
à penser en fin de semaine, comme on fait un peu
d’
ordre dans l’appartement, reculent bientôt devant l’énormité — l’absen
570
t, reculent bientôt devant l’énormité — l’absence
de
norme — de la vie telle qu’ils la découvrent. Ils se rendorment, ou b
571
bientôt devant l’énormité — l’absence de norme —
de
la vie telle qu’ils la découvrent. Ils se rendorment, ou bien édifien
572
u bien édifient des systèmes (qu’ils se garderont
d’
habiter). Ceux qui persistent cependant, s’aperçoivent que l’entrepris
573
tre mortellement compromettante. Aussi l’histoire
de
la pensée n’est-elle souvent que la chronique de ses retraites éloque
574
de la pensée n’est-elle souvent que la chronique
de
ses retraites éloquentes. Très peu vont jusqu’au bout de leur emporte
575
olie qui l’abat. Un seul parvint dans l’intégrité
de
sa force à une mort que toute son œuvre provoquait, et qui, vaincue p
576
ans les derniers instants le vrai sens, la valeur
de
destin de la pensée qui aboutissait là. Contempler dans sa mort la «
577
rniers instants le vrai sens, la valeur de destin
de
la pensée qui aboutissait là. Contempler dans sa mort la « fin » de s
578
boutissait là. Contempler dans sa mort la « fin »
de
sa passion et l’accomplissement de sa foi, tel fut le sort de Kierkeg
579
ort la « fin » de sa passion et l’accomplissement
de
sa foi, tel fut le sort de Kierkegaard, son incommensurable grandeur.
580
n et l’accomplissement de sa foi, tel fut le sort
de
Kierkegaard, son incommensurable grandeur. Un acharnement sans pareil
581
à forcer l’esprit sur l’obstacle du désespoir et
de
l’absurdité de l’existence ; toute une vie tendue vers l’impossible,
582
rit sur l’obstacle du désespoir et de l’absurdité
de
l’existence ; toute une vie tendue vers l’impossible, toute une œuvre
583
une vie tendue vers l’impossible, toute une œuvre
de
sarcasme précis contre les innombrables tentations d’une religion qui
584
arcasme précis contre les innombrables tentations
d’
une religion qui n’est pas Dieu ; et soudain, sur son lit de mort, cet
585
gion qui n’est pas Dieu ; et soudain, sur son lit
de
mort, cette phrase ingénument piétiste : « Je ne pense pas que ce soi
586
lleluia !19 » Deux documents éclairent le mystère
de
cette vie, vraiment « résolue » par cette mort. Le premier est de Kie
587
aiment « résolue » par cette mort. Le premier est
de
Kierkegaard : « Forcer les hommes à être attentifs et à juger, c’est
588
r son action, il a compris qu’elle faisait partie
de
son action, oui, que cette action ne commencerait vraiment qu’avec sa
589
20 » On trouve le second document dans le journal
de
l’hôpital où vint mourir Kierkegaard. Un interne a transcrit les décl
590
toutes ses forces spirituelles et toute son œuvre
d’
écrivain… S’il ne meurt pas, dit-il, il poursuivra sa lutte religieuse
591
oit alors affaiblie. Au contraire sa mort donnera
de
la force à son attaque, et lui assurera, pense-t-il, la victoire.21 »
592
oit mort, atteste ce fait capital : que la pensée
de
la foi peut être irrémédiable. Tous les autres, sauf Empédocle et Nie
593
s autres, sauf Empédocle et Nietzsche, ont refusé
de
signer de leur sang le pacte qui lie le penseur à Méphisto ou à l’Esp
594
sauf Empédocle et Nietzsche, ont refusé de signer
de
leur sang le pacte qui lie le penseur à Méphisto ou à l’Esprit : expé
595
avant la décision mortelle. Concession, la raison
de
Pascal, et lors même qu’il y renonce ; concession, la pitié parfois p
596
ce ; concession, la pitié parfois presque sadique
de
Dostoïevski. Oui, même ceux-là. Même ces deux-là qui sont allés si lo
597
es deux-là qui sont allés si loin dans la passion
de
l’absolu chrétien, mais seul Kierkegaard en est mort. Une pureté pres
598
ieu. Et cependant, dans le pire désespoir, jamais
de
défi, ni d’hybris. Pureté du chrétien, non du surhomme. 2.« La pur
599
ndant, dans le pire désespoir, jamais de défi, ni
d’
hybris. Pureté du chrétien, non du surhomme. 2.« La pureté du cœur,
600
r une seule chose »22 On m’a conté l’histoire
d’
un jeune Français qui, par dégoût d’une vie qu’il juge absurde, consac
601
té l’histoire d’un jeune Français qui, par dégoût
d’
une vie qu’il juge absurde, consacre désormais sa vie au jeu d’échecs.
602
il juge absurde, consacre désormais sa vie au jeu
d’
échecs. Il n’a plus, ni ne veut avoir, aucun autre intérêt qui l’occup
603
et je voudrais que ce soit vrai. Je ne vois rien
de
comique dans l’attitude d’un tel homme, — si vraiment les figures du
604
vrai. Je ne vois rien de comique dans l’attitude
d’
un tel homme, — si vraiment les figures du jeu ont envahi sa vision de
605
vraiment les figures du jeu ont envahi sa vision
de
la vie au point qu’il puisse les retrouver sans peine dans les action
606
ar nature pour que son exercice n’entraîne rien «
d’
impur ». S’il a la force de la pousser à bout, j’entends de l’incarner
607
cice n’entraîne rien « d’impur ». S’il a la force
de
la pousser à bout, j’entends de l’incarner jusqu’à la perfection, l’i
608
. S’il a la force de la pousser à bout, j’entends
de
l’incarner jusqu’à la perfection, l’issue ne peut faire aucun doute.
609
oit à un mat éclatant, symbolique. La supériorité
d’
un tel homme tient en ceci, qu’il s’est rendu capable d’exprimer toute
610
el homme tient en ceci, qu’il s’est rendu capable
d’
exprimer toute sa vie d’un seul coup. Et sa sagesse, peut-être aussi s
611
peut-être aussi son ironie secrète, est justement
d’
avoir choisi de confondre son être avec un jeu, bien plus, avec ce jeu
612
son ironie secrète, est justement d’avoir choisi
de
confondre son être avec un jeu, bien plus, avec ce jeu où le hasard n
613
eu, bien plus, avec ce jeu où le hasard n’a point
de
part, et où l’échec final est l’œuvre d’une sévère réflexion. Cela su
614
’a point de part, et où l’échec final est l’œuvre
d’
une sévère réflexion. Cela suppose une vue du monde profondément amère
615
temps une élégance, on pourrait dire une propreté
d’
assez grand style. Cet homme doit s’être purifié de cette espèce répug
616
’assez grand style. Cet homme doit s’être purifié
de
cette espèce répugnante de « sérieux » qui s’attache à certains de no
617
me doit s’être purifié de cette espèce répugnante
de
« sérieux » qui s’attache à certains de nos contemporains, de ce « sé
618
épugnante de « sérieux » qui s’attache à certains
de
nos contemporains, de ce « sérieux » qui fait qu’on les salue comme s
619
» qui s’attache à certains de nos contemporains,
de
ce « sérieux » qui fait qu’on les salue comme s’ils étaient quelqu’un
620
u’ils ne sont rien que le support à peine comique
d’
une fonction respectable, d’une fortune respectée. Mais pour notre man
621
pport à peine comique d’une fonction respectable,
d’
une fortune respectée. Mais pour notre maniaque, rien n’est sérieux, s
622
en n’est sérieux, sinon le jeu, qui est l’affaire
de
sa vie. Et c’est pourquoi son aventure vaut la peine d’être méditée.
623
vie. Et c’est pourquoi son aventure vaut la peine
d’
être méditée. Elle pourrait même définir le sérieux moral à l’état pur
624
ral à l’état pur : la faculté qu’un homme possède
de
rapporter ses actes à la fin qu’il poursuit avec la plus grande rigue
625
ns la foi, ou bien dans le néant. C’est le moment
de
confesser que je ne crois pas cette histoire aussi réelle qu’on m’aff
626
omme ne se pose jamais la question du but dernier
de
sa vie. Il peut sembler que ce soit pourtant le cas de la plupart. En
627
vie. Il peut sembler que ce soit pourtant le cas
de
la plupart. En vérité, la bassesse des réponses — ni la duperie qu’el
628
elles figurent souvent — ne doit pas faire douter
de
l’existence de la question. À plus forte raison, chez notre homme, do
629
souvent — ne doit pas faire douter de l’existence
de
la question. À plus forte raison, chez notre homme, dont l’exigence é
630
oment un sous-entendu extérieur aux seules règles
de
l’échiquier. Relativement à ce sous-entendu, dont je soupçonne la nat
631
nt je soupçonne la nature subversive23 la volonté
de
se consacrer au jeu d’échecs n’est plus alors qu’un défi, qu’un sarca
632
re subversive23 la volonté de se consacrer au jeu
d’
échecs n’est plus alors qu’un défi, qu’un sarcasme, ou pire encore, n’
633
ra toujours une équivoque. Il ne peut pas y avoir
de
pureté décisive. Cent autres cas s’offrent à la même démonstration, m
634
est le moins ambigu. Songeons aux grands obsédés
de
l’Histoire, Don Juan, Alexandre et tous les conquérants, Loyola et to
635
us les sectaires, Caligula et tous les fanatiques
de
l’Unité, Néron qui brûla Rome pour nourrir sa tristesse, Sade qui cro
636
rtu, les grands collectionneurs, les grands chefs
d’
entreprise et quelques dictateurs, tous ces « hommes d’une seule idée
637
reprise et quelques dictateurs, tous ces « hommes
d’
une seule idée », tous ces profonds maniaques, — si près qu’ils aient
638
es profonds maniaques, — si près qu’ils aient été
de
la folie et de la souveraineté totale de leur idée, je dis qu’ils n’o
639
iaques, — si près qu’ils aient été de la folie et
de
la souveraineté totale de leur idée, je dis qu’ils n’ont jamais connu
640
ient été de la folie et de la souveraineté totale
de
leur idée, je dis qu’ils n’ont jamais connu la pureté du cœur, celle
641
mais aussi et toujours autre chose, quelque chose
d’
insignifiant peut-être, quelque chose qu’on n’eût pas osé comparer à l
642
elque chose qui fût juste assez grand pour servir
de
refuge, soit terrestre ou céleste, à leur vie individuelle, — à leur
643
vie malgré leur idée ; à leur vision particulière
de
cette idée. Pourquoi cela ? Parce qu’ils savaient que leur idée pouva
644
e pouvait mourir, — sans eux. L’amour, la volonté
de
puissance, la passion du malheur, le sacrifice à une divinité abstrai
645
ur, le sacrifice à une divinité abstraite, autant
de
principes de grandeur et de réduction du désordre ; mais ce sont des
646
ice à une divinité abstraite, autant de principes
de
grandeur et de réduction du désordre ; mais ce sont des principes hum
647
ité abstraite, autant de principes de grandeur et
de
réduction du désordre ; mais ce sont des principes humains, et par là
648
n grand style. Mais ils échouent toujours au cœur
de
l’homme même. Ils sont sans force contre sa division secrète. Ce que
649
nce qui subsiste indéfiniment. Je suis l’impureté
de
l’univers que j’ai créé. La pureté du cœur, c’est vouloir une seule c
650
ule chose. Il faut donc, pour l’atteindre, cesser
d’
être soi-même ? L’échec final de toute grandeur humaine est prévisible
651
atteindre, cesser d’être soi-même ? L’échec final
de
toute grandeur humaine est prévisible dès l’instant où l’homme s’élan
652
n destin qu’il s’est choisi, et qui est le masque
de
son anxiété. Mais malheur à celui qui calcule et qui refuse de partir
653
é. Mais malheur à celui qui calcule et qui refuse
de
partir ! Le bénéfice de l’expérience est dans l’échec, non pas dans l
654
qui calcule et qui refuse de partir ! Le bénéfice
de
l’expérience est dans l’échec, non pas dans la sagesse (on touche ici
655
on pas dans la sagesse (on touche ici les limites
d’
un Goethe), mais il y faut au moins cette imprudence sans laquelle on
656
ette imprudence sans laquelle on n’essaierait pas
d’
expérimenter ses puissances. 3.Digression sur le sérieux et le jeu
657
init à un signal donné. Mais le sérieux le baigne
de
toute part ; le sérieux ne finit jamais, il est aussi long que la vie
658
te aucune « répétition », aucune reprise possible
d’
un coup manqué. Toutefois l’effort irrépressible du péché consiste à r
659
’effort irrépressible du péché consiste à refuser
de
connaître ce sérieux qui ne peut aboutir qu’à l’échec. Sans cesse, no
660
t aboutir qu’à l’échec. Sans cesse, nous essayons
de
« jouer » la vie, de la réduire à un système de conventions qui nous
661
c. Sans cesse, nous essayons de « jouer » la vie,
de
la réduire à un système de conventions qui nous rassurent, de la déco
662
s de « jouer » la vie, de la réduire à un système
de
conventions qui nous rassurent, de la découper en « parties » indépen
663
e à un système de conventions qui nous rassurent,
de
la découper en « parties » indépendantes les unes des autres. Que si
664
on vient à en perdre une, il est possible ou bien
de
la reprendre, ou bien de changer les règles, ou encore de tricher. Et
665
il est possible ou bien de la reprendre, ou bien
de
changer les règles, ou encore de tricher. Et par un tour habituel au
666
prendre, ou bien de changer les règles, ou encore
de
tricher. Et par un tour habituel au serpent, ce sont ces conventions,
667
ie sérieuse ». Aussi n’est-il plus guère possible
de
reconnaître et de séparer le sérieux et le jeu dans nos vies, ce qui
668
si n’est-il plus guère possible de reconnaître et
de
séparer le sérieux et le jeu dans nos vies, ce qui est vraiment de la
669
ieux et le jeu dans nos vies, ce qui est vraiment
de
la personne et ce qui n’est que masque ou personnage. Un écrivain fra
670
re le style, déclarait l’autre jour que le Palais
de
Versailles manque de sérieux. C’était bien vu. Mais en écrivant cela,
671
t l’autre jour que le Palais de Versailles manque
de
sérieux. C’était bien vu. Mais en écrivant cela, notre auteur était-i
672
e qui est sérieux reste seul important, mais tant
d’
hommes font les importants, tant d’hommes « jouent » leur sérieux : où
673
ant, mais tant d’hommes font les importants, tant
d’
hommes « jouent » leur sérieux : où est la différence ? « L’apôtre Pa
674
un emploi officiel. — Avait-il une autre manière
de
gagner beaucoup d’argent ? — Non, il ne gagnait en aucune manière de
675
. — Avait-il une autre manière de gagner beaucoup
d’
argent ? — Non, il ne gagnait en aucune manière de l’argent. — Était-i
676
d’argent ? — Non, il ne gagnait en aucune manière
de
l’argent. — Était-il au moins marié ? — Non, Paul n’était pas marié.
677
érieux. » Ici paraît la dialectique du sérieux et
de
l’ironie. C’est en la reportant sur l’existence apparemment la moins
678
le dimanche, ou dans un certain secteur délimité
de
leur vie, dans une certaine « mesure » compatible avec la vie sociale
679
le avec la vie sociale, cette situation est celle
d’
un jeu, non du sérieux. « Elle ne ressemble pas plus à la situation du
680
à la situation du Nouveau Testament que le salon
d’
un petit-bourgeois ne ressemble aux décisions les plus terribles de la
681
ois ne ressemble aux décisions les plus terribles
de
la réalité la plus cruelle. » Et encore : « On a relégué le christian
682
e limite. Kierkegaard la déconsidère par l’ironie
de
l’éternité. Car en effet, l’éternité est une ironie sur le temps, une
683
ne ironie sur le temps, une ironie sous le regard
de
laquelle le temps finira bien par succomber : à notre mort, au jugeme
684
yant tué en lui toute autre vanité que celle même
de
haïr le temps — c’est là son dépit amoureux — Kierkegaard peut enfin
685
i rend l’éternité présente. Le seul fait accompli
de
l’acte de la foi jette sur tous nos sérieux, poses et amusettes, un s
686
ternité présente. Le seul fait accompli de l’acte
de
la foi jette sur tous nos sérieux, poses et amusettes, un soupçon d’i
687
tous nos sérieux, poses et amusettes, un soupçon
d’
ironie infiniment plus grave qu’une ironie. Car peut-être que l’acte d
688
lus grave qu’une ironie. Car peut-être que l’acte
de
foi n’existe pas, n’est qu’une figure de rhétorique pieuse, une illus
689
e l’acte de foi n’existe pas, n’est qu’une figure
de
rhétorique pieuse, une illusion, un mythe, un saut dans le vide… Et a
690
n saut dans le vide… Et alors il n’y a nulle part
de
vrai sérieux. Mais peut-être aussi que cet acte existe quelque part,
691
t acte existe quelque part, et alors il n’y a pas
de
sérieux dans ma vie tant que je n’ai pas trouvé la foi, ou mieux : ta
692
a foi, ou mieux : tant que la foi, qui est le don
de
Dieu, ne m’a pas trouvé et vaincu… Avoir connu cela, c’est vouloir «
693
er au fond des choses ? C’est toucher les limites
de
notre condition et des idéaux qu’elle invente, et c’est connaître aus
694
e, et c’est connaître aussi toutes nos puissances
de
désordre. Il n’y a de grandeur que dans une vie simple, oui, mais une
695
aussi toutes nos puissances de désordre. Il n’y a
de
grandeur que dans une vie simple, oui, mais une vie n’a rien de vraim
696
e dans une vie simple, oui, mais une vie n’a rien
de
vraiment simple qu’une décision n’ait ramené à la simplicité, jamais
697
e nouveau. Et la simplicité ne résulte jamais que
d’
un refus de nous complaire dans nos données et dans nos virtualités rê
698
Et la simplicité ne résulte jamais que d’un refus
de
nous complaire dans nos données et dans nos virtualités rêvées. La gr
699
i-même, s’imposer un autre silence que le silence
de
la mort ? La raison s’y emploie, communément. On lui délègue volontie
700
, elle édicte des lois solennelles, et le plaisir
de
vivre est d’y contrevenir. On se fabrique, dans la sérénité ou la sou
701
des lois solennelles, et le plaisir de vivre est
d’
y contrevenir. On se fabrique, dans la sérénité ou la souffrance, selo
702
ême une éthique héroïque. Mais tout cela, on sait
de
quoi c’est fait. On sait ce que vaut la menace. Une seule réalité peu
703
e vaut la menace. Une seule réalité peut advenir,
de
l’extérieur, et menacer tout le désordre et l’ordre humains avec un s
704
ieux décisif. Une seule réalité pour nous menacer
de
grandeur. Et c’est la foi, « qui ne vient pas de nous. » Tant que je
705
iction. D’une part, il y a l’éternelle vérité, et
de
l’autre, la diversité de l’existence, que l’homme en tant que tel, ne
706
a l’éternelle vérité, et de l’autre, la diversité
de
l’existence, que l’homme en tant que tel, ne peut pas pénétrer, — il
707
n, c’est donc la foi. (Journal). 5.« Le point
d’
Archimède, hors du monde, c’est une chambre haute où l’homme prie en t
708
i fonde la personne humaine. Aucun autre principe
d’
unité n’existe, au sens actif où Kierkegaard emploie ce mot. Si l’on n
709
plus seul à l’instant qu’il atteint le fond même
de
l’abîme de sa solitude. Car il s’y trouve en présence de Dieu, de cel
710
à l’instant qu’il atteint le fond même de l’abîme
de
sa solitude. Car il s’y trouve en présence de Dieu, de celui qui l’a
711
solitude. Car il s’y trouve en présence de Dieu,
de
celui qui l’a fait de rien mais qui l’a fait. Seul en face de lui-mêm
712
trouve en présence de Dieu, de celui qui l’a fait
de
rien mais qui l’a fait. Seul en face de lui-même, il douterait de son
713
l’a fait. Seul en face de lui-même, il douterait
de
son existence. Seul devant Dieu, il se voit condamné, questionné, som
714
vant Dieu, il se voit condamné, questionné, sommé
de
répondre, et incapable de répondre autre chose que le « Toi, tu peux
715
amné, questionné, sommé de répondre, et incapable
de
répondre autre chose que le « Toi, tu peux tout » qui devient aussitô
716
ient aussitôt : « Par toi, je puis ce que tu veux
de
moi ». C’est là le point de la plus grande simplicité. Mais aussi du
717
e puis ce que tu veux de moi ». C’est là le point
de
la plus grande simplicité. Mais aussi du plus grand paradoxe. Car la
718
our comble, suppose que l’homme a d’abord accepté
d’
être zéro ! L’homme qui meurt devant Dieu, en tant qu’individu, renaît
719
out toutes nos contradictions dans le seul risque
d’
une dignité ou d’une indignité dont la mesure n’est pas du monde, si p
720
ntradictions dans le seul risque d’une dignité ou
d’
une indignité dont la mesure n’est pas du monde, si pourtant tout se j
721
n’est pas une solution, mais la mise en question
de
nos problèmes Simplement parce qu’elle introduit dans notre vie l’
722
troduit dans notre vie l’exigence incommensurable
de
l’acte. Ou encore, parce qu’à ce suprême degré d’accord avec soi-même
723
e plus son acte. C’est qu’il n’est plus différent
de
cet acte. Il n’est rien d’autre que cet acte, n’existant pas hors de
724
l n’est plus différent de cet acte. Il n’est rien
d’
autre que cet acte, n’existant pas hors de sa vocation. Que craindrait
725
l marche dans sa liberté, et ne connaît plus rien
de
ce qui nous mesure. Cet homme qui marche dans le monde, contre le mon
726
nde est un penseur extrêmement confus qui à force
d’
idées ne trouve plus le temps ni la patience de penser une idée 25 ».
727
ce d’idées ne trouve plus le temps ni la patience
de
penser une idée 25 ». Mais le croyant connaît cette « impériale volup
728
Mais le croyant connaît cette « impériale volupté
de
ne jamais sortir des voies d’une pensée, de ne jamais non plus s’en e
729
« impériale volupté de ne jamais sortir des voies
d’
une pensée, de ne jamais non plus s’en effrayer 26 ». Et comment pourr
730
lupté de ne jamais sortir des voies d’une pensée,
de
ne jamais non plus s’en effrayer 26 ». Et comment pourrait-il avoir p
731
effrayer 26 ». Et comment pourrait-il avoir peur
de
l’idée, puisqu’il est cette idée, et cet ordre de Dieu ? Puisqu’il ne
732
de l’idée, puisqu’il est cette idée, et cet ordre
de
Dieu ? Puisqu’il ne se craint plus ? Puisque sa mort est derrière lui
733
elui-ci, isolé devant Dieu, seul dans l’immensité
de
son effort et de sa responsabilité : c’est là l’héroïsme chrétien… »
734
vant Dieu, seul dans l’immensité de son effort et
de
sa responsabilité : c’est là l’héroïsme chrétien… » Kierkegaard ajout
735
pourtant pas être tous des martyrs ! » — Réponse
de
Kierkegaard : « Ne vaudrait-il pas mieux que chacun dise pour soi-mêm
736
ce le martyr Jean Huss, tandis qu’il voit du haut
de
son bûcher une vieille femme courbée sous le faix, apporter, elle aus
737
cité n’est sainte qu’en lui, à cet instant. Celle
de
la vieille est innocence, religion naturelle et craintive. Elle appar
738
IL’acte selon Kierkegaard « Toute mon activité
d’
auteur, nous dit Kierkegaard, se rapporte à ce seul problème : comment
739
le devenir. Et le problème, alors, devient celui
de
l’acte. Y a-t-il des actes ? L’homme d’aujourd’hui ne le croit pas. I
740
ent celui de l’acte. Y a-t-il des actes ? L’homme
d’
aujourd’hui ne le croit pas. Il croit aux lois, et il se veut détermin
741
l’accepte ; mais dans cette mesure même, il cesse
d’
être humain. Car l’homme n’a d’existence proprement humaine que lorsqu
742
ure même, il cesse d’être humain. Car l’homme n’a
d’
existence proprement humaine que lorsqu’il participe à la transformati
743
aucun chemin. Comment marcher, s’il n’existe pas
de
chemin ? disent-ils dans leur suffisance, — car on appelle ainsi leur
744
prouver que l’acte est impossible et que le tout
de
l’homme est soumis au calcul, tout cet effort des sciences et des soc
745
qu’être la vérité est la seule explication vraie
de
la vérité… Être la vérité, c’est connaître la vérité, et le Christ n’
746
été la vérité ; et nul homme ne connaît davantage
de
vérité qu’il n’en incarne27 Voici donc le mystère : s’il n’y a pas
747
ncarne27 Voici donc le mystère : s’il n’y a pas
de
chemin nous ne pouvons marcher, mais si nous ne marchons pas, il n’y
748
rcher, mais si nous ne marchons pas, il n’y a pas
de
chemin. La foi au Christ nous permet seule de franchir ce cercle ench
749
pas de chemin. La foi au Christ nous permet seule
de
franchir ce cercle enchanté où nous maintient l’argument du démon — l
750
Christ est la condition nécessaire et suffisante
de
tout acte véritable, de toute marche, de toute création, de toute vic
751
nécessaire et suffisante de tout acte véritable,
de
toute marche, de toute création, de toute victoire sur la Nécessité.
752
ffisante de tout acte véritable, de toute marche,
de
toute création, de toute victoire sur la Nécessité. « Je suis le chem
753
te véritable, de toute marche, de toute création,
de
toute victoire sur la Nécessité. « Je suis le chemin ». Mais un chemi
754
n’est qu’un point de vue ; ou bien encore le lieu
d’
un pur possible, et sur ces lieux règne le désespoir. Il nous faut don
755
t. Mais croire au Christ c’est croire au paradoxe
de
l’incarnation, c’est croire que Dieu a revêtu la forme de ce monde, c
756
arnation, c’est croire que Dieu a revêtu la forme
de
ce monde, c’est croire que cette forme peut être transformée. Certes,
757
règles, les morales et les lois qui nous disaient
d’
agir dans le même temps qu’elles nous privaient de tout pouvoir, s’éva
758
d’agir dans le même temps qu’elles nous privaient
de
tout pouvoir, s’évanouissent et meurent aux pages des livres. Au prem
759
nous allons connaître maintenant que seul l’acte
de
foi est création, transformation, nouveauté pure dans le monde, vocat
760
e monde, vocation et personne attestée, prophétie
de
l’éternité qui vient à nous. 2.Il n’est d’action que prophétique
761
tie de l’éternité qui vient à nous. 2.Il n’est
d’
action que prophétique Qu’est-ce que prophétiser, sinon dire la Par
762
« Sachez qu’à l’origine — lit-on dans un dialogue
de
Kassner30 —, toutes les créatures, le soleil, la terre, la lune, les
763
t et prophétisaient, pareils aux prophètes. C’est
de
ce commencement que chaque chose tire sa force et son temps ; toute c
764
n, possède son commencement. » Mais l’homme déchu
de
son origine éternelle a perdu la vision de sa fin. Le voici prisonnie
765
déchu de son origine éternelle a perdu la vision
de
sa fin. Le voici prisonnier des formes et des nombres, esclave des lo
766
nnier des formes et des nombres, esclave des lois
d’
un monde sur lequel il devrait régner. Seule peut l’en délivrer la Par
767
pel dans les ténèbres. Certains reçoivent l’ordre
de
parler, et c’est là leur action, leur prophétie et leur salut. Cepend
768
ommes les frappent sur la bouche. Kierkegaard fut
de
ces croyants dont la vocation prophétique, pareille à celle des homme
769
vocation prophétique, pareille à celle des hommes
de
Dieu qui se lèvent sous l’Ancienne Alliance, se confond avec la parol
770
ur vérité et leur vie dans ce monde ; ils meurent
de
l’avoir dite, et n’ont pas d’autre tâche31. Le chemin est imprévisibl
771
monde ; ils meurent de l’avoir dite, et n’ont pas
d’
autre tâche31. Le chemin est imprévisible ; le nôtre, disons-nous, n’e
772
évisible ; le nôtre, disons-nous, n’est pas celui
de
ces prophètes. Cependant la question demeure : comment agir, et comme
773
Ce que nous connaissons, c’est pourtant son point
de
départ. Le chemin commence à tout homme qui se met en devoir d’obéir
774
chemin commence à tout homme qui se met en devoir
d’
obéir à l’ordre qu’il reçoit de Dieu, — n’importe où et n’importe qui,
775
i se met en devoir d’obéir à l’ordre qu’il reçoit
de
Dieu, — n’importe où et n’importe qui, à n’importe quel ordre reçu, e
776
« Tout simplement : prend n’importe quelle règle
d’
action chrétienne, — ose la mettre en pratique. L’action que tu introd
777
troduiras ainsi dans la réalité portera la marque
de
l’absolu : c’est la marque de tout ce qui est véritablement chrétien.
778
é portera la marque de l’absolu : c’est la marque
de
tout ce qui est véritablement chrétien. » (Journal) Vend ton bien et
779
ux pauvres, par exemple, ou si tu ne possèdes pas
de
bien, cesse d’en désirer la possession, et vis comme un chrétien : au
780
exemple, ou si tu ne possèdes pas de bien, cesse
d’
en désirer la possession, et vis comme un chrétien : au jour le jour,
781
, sans assurances et sans préparation, à la grâce
de
Dieu, dans la confiance et l’inquiétude — on pourrait dire dans une s
782
et l’inquiétude — on pourrait dire dans une sorte
d’
humour —, dans l’aventure de celui que rien ne protège et la prudence
783
t dire dans une sorte d’humour —, dans l’aventure
de
celui que rien ne protège et la prudence de celui qui écoute, dans le
784
nture de celui que rien ne protège et la prudence
de
celui qui écoute, dans le tourment et dans la joie d’une découverte q
785
elui qui écoute, dans le tourment et dans la joie
d’
une découverte quotidienne du chemin, ton chemin, sur lequel tu es seu
786
sur lequel tu es seul, parce qu’il est la parole
de
ta vie, sa mesure et sa vocation, son risque à chaque instant visible
787
Tant que nous considérons le Christ avec des yeux
de
moralistes, comme une personnalité morale de premier plan qu’il ne re
788
yeux de moralistes, comme une personnalité morale
de
premier plan qu’il ne resterait plus qu’à imiter, l’acte demeure un p
789
imiter, l’acte demeure un pur possible, un modèle
d’
acte, une abstraction, c’est-à-dire quelque chose que nous pouvons con
790
ant nous transformer, et c’est bien la définition
de
« l’inactuel ». Se conformer à ce pieux idéal, non seulement ce n’est
791
r, non seulement c’est limiter par avance le rôle
de
la foi, c’est-à-dire refuser la foi, mais c’est peut-être simplement
792
n’y est pas engagé. Parce que c’est un blasphème
de
l’homme pieux, du moraliste, que de prétendre imiter le modèle que se
793
un blasphème de l’homme pieux, du moraliste, que
de
prétendre imiter le modèle que ses yeux voient et que sa chair perçoi
794
) au lieu d’écouter l’ordre, au lieu de croire et
de
faire un pas dans la nuit, sur ce « chemin » qui est le Christ présen
795
s par la grâce. L’imitation suivra comme un fruit
de
la reconnaissance… Tout commence par la joie d’être aimé — et ensuite
796
t de la reconnaissance… Tout commence par la joie
d’
être aimé — et ensuite vient l’effort de plaire, constamment exalté pa
797
r la joie d’être aimé — et ensuite vient l’effort
de
plaire, constamment exalté par la certitude que Ton est aimé maintena
798
ien du Christ, du « chemin », en dehors de l’acte
de
foi qui, supprimant toute distance historique, nous rend contemporain
799
oute distance historique, nous rend contemporains
de
son incarnation. Ainsi l’acte de foi détruit le temps où il a lieu, m
800
nd contemporains de son incarnation. Ainsi l’acte
de
foi détruit le temps où il a lieu, mais comme la plénitude détruit le
801
détruit le relatif. Il est ce contact impensable
de
l’éternité avec notre durée, et l’on n’en peut rien dire sinon qu’il
802
Dieu peut tout, à tout instant. C’est là la santé
de
la foi. 34 » Si nous vivions dans l’obéissance et dans la foi, il n’y
803
’y aurait ni passé ni futur, mais le Jour éternel
de
la présence à Dieu et à soi-même régnerait sur le monde et l’unité du
804
foi, l’histoire s’arrêterait comme la respiration
d’
un homme saisi par la beauté, et le temps immobile s’abîmerait dans l’
805
s qui viennent : c’est pourquoi nous n’avons plus
d’
être que par la foi, « substance des choses espérées », et c’est pourq
806
i nous, n’est que promesse et vigilante prophétie
de
l’invisible. De Séir, une voix crie au prophète35 : « Sentinelle que
807
e promesse et vigilante prophétie de l’invisible.
De
Séir, une voix crie au prophète35 : « Sentinelle que dis-tu de la nui
808
voix crie au prophète35 : « Sentinelle que dis-tu
de
la nuit ? Sentinelle que dis-tu de la nuit ? — La sentinelle a répond
809
lle que dis-tu de la nuit ? Sentinelle que dis-tu
de
la nuit ? — La sentinelle a répondu : Le matin vient et la nuit aussi
810
e est durée, et c’est la forme du péché, du refus
de
l’instant éternel, — le temps, la succession et le désir36. C’est le
811
mps, la succession et le désir36. C’est le retard
de
l’acte et le retrait de Dieu, c’est le doute qui s’interpose entre le
812
désir36. C’est le retard de l’acte et le retrait
de
Dieu, c’est le doute qui s’interpose entre le savoir et le faire, et
813
entre le savoir et le faire, et c’est la lâcheté
de
l’homme qui se repose sur ses œuvres et qui les juge : son alliance a
814
s et qui les juge : son alliance avec le serpent.
De
quelles étranges et secrètes façons le temps est lié au péché, le péc
815
au péché, le pécheur seul le sait, dans l’instant
de
la foi, où par grâce il peut rompre ce lien. « Si vous voulez interro
816
st : « Convertissez-vous ! » À la lumière jaillie
de
l’acte de la foi, le mystère du temps se dévoile ; mais un temps nouv
817
vertissez-vous ! » À la lumière jaillie de l’acte
de
la foi, le mystère du temps se dévoile ; mais un temps nouveau prend
818
pardonné vit dans le temps comme à contre-courant
de
sa durée, vit d’acte en acte. Et son temps n’est plus son péché, mais
819
le temps comme à contre-courant de sa durée, vit
d’
acte en acte. Et son temps n’est plus son péché, mais on pourrait dire
820
monde, mais il est ce qui la transforme. Vertige
de
la « vie chrétienne », cette histoire de Dieu dans le temps, cette hi
821
Vertige de la « vie chrétienne », cette histoire
de
Dieu dans le temps, cette histoire de l’éternité ! Il suffit d’un co
822
te histoire de Dieu dans le temps, cette histoire
de
l’éternité ! Il suffit d’un courage purement humain pour renoncer le
823
temps, cette histoire de l’éternité ! Il suffit
d’
un courage purement humain pour renoncer le temps afin de gagner l’éte
824
gner l’éternité : car je la gagne et ne puis plus
de
toute éternité la renoncer ; et c’est le paradoxe ; mais il faut un c
825
en vertu de l’absurde37. Et ce courage est celui
de
la foi. Par la foi, Abraham ne perdit point Isaac ; c’est par la foi
826
la foi d’abord qu’il le reçut.38 5.Le temps
de
l’acte est renaissance, initiation Entre la naissance et la mort t
827
Entre la naissance et la mort toute la réalité
de
l’homme est dans son acte. Tout acte est passage et tension, — passag
828
acte. Tout acte est passage et tension, — passage
de
la mort à la vie, tension entre ce qui résiste et ce qui crée, victoi
829
ion entre ce qui résiste et ce qui crée, victoire
de
la Parole sur la chair, autorité de la personne sur l’anarchie indivi
830
rée, victoire de la Parole sur la chair, autorité
de
la personne sur l’anarchie individuelle. C’est ici qu’on touche au my
831
acte absolu serait création absolue, mais un acte
de
l’homme n’est jamais qu’une rédemption. Distinction de théologien, et
832
homme n’est jamais qu’une rédemption. Distinction
de
théologien, et qui veut prévenir l’orgueil. Mais la vision de celui q
833
n, et qui veut prévenir l’orgueil. Mais la vision
de
celui qui agit n’est point un jugement des résultats, des créatures ;
834
onséquence, il est toujours initiation. La vision
de
celui qui agit est tout entière absorbée par l’instant, par le passag
835
ut entière absorbée par l’instant, par le passage
de
ce qui meurt à ce qui naît, — par le réel. Celui qui doit agir, s’il
836
ar le réel. Celui qui doit agir, s’il veut juger
de
soi selon le succès qu’il remporte, n’arrivera jamais à rien entrepre
837
uccès pouvait réjouir le monde entier, il ne sert
de
rien au héros ; car le héros n’a connu son succès que lorsque tout ét
838
fut héros, mais par son entreprise.39 Le temps
de
l’acte vient s’inscrire sur les traits du visage héroïque. Dans cette
839
e. Dans cette chair qui peut vieillir, la tension
de
la mort et de la vie a mis des marques victorieuses. Qu’est-ce que la
840
chair qui peut vieillir, la tension de la mort et
de
la vie a mis des marques victorieuses. Qu’est-ce que la personne ? C’
841
sion à la parole dont elle procède, et si la face
d’
un homme est belle, c’est parce qu’elle est un acte et un destin, une
842
ce qu’elle est un acte et un destin, une initiale
de
l’histoire, une effigie de la Parole créatrice. 6.Le contraire de
843
n destin, une initiale de l’histoire, une effigie
de
la Parole créatrice. 6.Le contraire de l’acte, c’est le désespoir
844
effigie de la Parole créatrice. 6.Le contraire
de
l’acte, c’est le désespoir Nous savons tout cela comme nous savons
845
y croire. À vrai dire, nous avons toutes raisons
d’
en douter, s’il est vrai que le doute est révolte, et qu’il faut pour
846
, et qu’il faut pour se l’avouer la joie qui naît
de
l’acte de la foi. Lorsque Kierkegaard écrivit son traité de la Maladi
847
faut pour se l’avouer la joie qui naît de l’acte
de
la foi. Lorsque Kierkegaard écrivit son traité de la Maladie mortelle
848
de la foi. Lorsque Kierkegaard écrivit son traité
de
la Maladie mortelle 40, il venait justement de dépasser cette illusio
849
té de la Maladie mortelle 40, il venait justement
de
dépasser cette illusion du désespoir, qui consiste à s’imaginer que l
850
ui consiste à s’imaginer que l’acte est puissance
de
l’homme : d’où l’impossibilité de l’oser. Celui que la foi vient sais
851
s’imaginer que l’acte est puissance de l’homme :
d’
où l’impossibilité de l’oser. Celui que la foi vient saisir sait maint
852
e est puissance de l’homme : d’où l’impossibilité
de
l’oser. Celui que la foi vient saisir sait maintenant que l’acte est
853
te est le contraire du désespoir. Mais il le sait
d’
une tout autre façon que le désespéré ne l’imagine. Parce que le rappo
854
création irréversible. Et cela tient à la nature
de
l’acte, — mieux encore à son origine. Cela tient à l’absolu de la per
855
mieux encore à son origine. Cela tient à l’absolu
de
la personne qui l’initie. Le désespéré, le douteur, ou simplement l’h
856
spéré, le douteur, ou simplement l’homme dépourvu
de
foi, l’homme détendu, vague et fiévreux qui peuple nos cités, l’homme
857
! — s’imagine que l’acte viendra comme un sursaut
de
joie, comme une révolte, comme une affirmation désespérée de son orgu
858
mme une révolte, comme une affirmation désespérée
de
son orgueil, comme la preuve enfin de son moi, — mais il sait bien qu
859
désespérée de son orgueil, comme la preuve enfin
de
son moi, — mais il sait bien qu’il n’en a pas, ou que son moi est dés
860
rd n’est pas une vision du réel, mais une manière
de
loucher vers les « autres », vers la coutume du bourg ou de la classe
861
vers les « autres », vers la coutume du bourg ou
de
la classe. Comment cet homme pourrait-il faire un acte ? Car l’acte e
862
péré est un calcul toujours faussé par la terreur
de
perdre ce qu’on n’a même pas… Ainsi l’acte absolu, s’il l’imagine ser
863
qui veut que l’acte soit puissance, il y a ce moi
de
désir qui veut que l’acte — l’instant ! — soit saisi… Mais l’absolu q
864
n ordre, une Parole reçue d’ailleurs, une rupture
de
tout drame humain que nous puissions prévoir, désirer et décrire ; un
865
décrire ; une rupture et une vision. La présence
de
l’absolu dans la sobriété parfaite et insensible de l’instant, c’est
866
l’absolu dans la sobriété parfaite et insensible
de
l’instant, c’est l’obéissance à la Parole de Dieu, — la prophétie dan
867
ible de l’instant, c’est l’obéissance à la Parole
de
Dieu, — la prophétie dans l’immédiat. Que s’est-il donc passé ? Me vo
868
s ne voyons aucun visage ailleurs que dans l’acte
d’
aimer. 7.Toute vocation est sans précédent Car elle est prophéti
869
nt Car elle est prophétie justement — et c’est
de
la seule prophétie que relèvent la réalité et le sérieux, le risque e
870
réalité et le sérieux, le risque et la splendeur
d’
une vie d’homme. L’homme se distingue du singe en ce qu’il prophétise,
871
t le sérieux, le risque et la splendeur d’une vie
d’
homme. L’homme se distingue du singe en ce qu’il prophétise, uniquemen
872
t bien remarquable : Kierkegaard a très peu parlé
de
vocation42. C’est qu’il parle sa vocation et ne s’en distingue jamais
873
pendant il est hors de doute qu’il eut conscience
de
cet aspect particulier de son destin qui qualifie précisément la voca
874
te qu’il eut conscience de cet aspect particulier
de
son destin qui qualifie précisément la vocation : l’invraisemblable.
875
able. Ses plus amers reproches au « christianisme
de
la chrétienté » à cette « inconcevable illusion des sens » ne s’adres
876
s pas justement à la « vraisemblance » doctrinale
d’
une religion mise à la portée de « la masse », alors que la foi vérita
877
ance » doctrinale d’une religion mise à la portée
de
« la masse », alors que la foi véritable est celle du solitaire que p
878
lus forte raison l’audace chrétienne, est au-delà
de
toute vraisemblance, là où précisément l’on renonce à la vraisemblanc
879
que l’acte est initiateur ; parce que la dignité
de
l’homme est de marcher dans l’invisible et de prophétiser « en vertu
880
initiateur ; parce que la dignité de l’homme est
de
marcher dans l’invisible et de prophétiser « en vertu de l’absurde. »
881
ité de l’homme est de marcher dans l’invisible et
de
prophétiser « en vertu de l’absurde. » L’homme ne peut être déterminé
882
qui marche dans la nouveauté ne prend mesure que
de
ce qu’il transforme. Sa connaissance est acte et vision prophétique.
883
st acte et vision prophétique. La mesure du temps
de
sa vie réside dans la seule vocation qu’il incarne. Sur le chemin qui
884
r et l’heure, mais il connaît l’instant, s’il vit
de
la Parole. À cause de l’instant éternel, le héros meurt toujours avan
885
avant qu’il ne meure 45. C’est le secret dernier
de
l’acte, et le sceau de l’amour chrétien. IIINécessité du solitair
886
5. C’est le secret dernier de l’acte, et le sceau
de
l’amour chrétien. IIINécessité du solitaire 1.On appelle l’e
887
ssité du solitaire 1.On appelle l’esprit…
De
quoi se plaint l’Intelligence ? Si l’on en croit les écrits les plus
888
nce ? Si l’on en croit les écrits les plus dignes
de
formuler son opinion, et qui sont pleins d’amères protestations contr
889
ignes de formuler son opinion, et qui sont pleins
d’
amères protestations contre le règne de la masse et les outrages diver
890
ont pleins d’amères protestations contre le règne
de
la masse et les outrages divers encourus par l’individu, les Puissanc
891
issances anonymes et le Standard seraient en voie
de
triompher, et ce serait aux dépens de l’humain. Au sein de cette cris
892
-il produire à l’existence ? Car il est excellent
de
défendre son moi, surtout lorsqu’il détient plus de réalité que l’ano
893
défendre son moi, surtout lorsqu’il détient plus
de
réalité que l’anonyme. Mais encore : il faudrait que ce moi fût fondé
894
udrait que ce moi fût fondé. Ce n’est pas évident
de
soi, si l’on peut dire : marxistes et fascistes le nient avec plus de
895
dire : marxistes et fascistes le nient avec plus
de
passion que les bourgeois ne l’affirment. D’un côté nous voyons une f
896
plus de passion que les bourgeois ne l’affirment.
D’
un côté nous voyons une foi, de l’autre une mauvaise humeur — et certa
897
is ne l’affirment. D’un côté nous voyons une foi,
de
l’autre une mauvaise humeur — et certains pensent : une mauvaise cons
898
nombre est plus précieux que le petit. Que la vie
de
l’esprit n’est possible que si l’on a d’abord assuré l’autre vie, les
899
bord assuré l’autre vie, les conditions physiques
de
l’existence. Que la justice est dans l’égalité de tous, et la vertu d
900
de l’existence. Que la justice est dans l’égalité
de
tous, et la vertu dans l’opinion publique. Que l’histoire « évolue »
901
volue » selon des lois fatales, et que la volonté
de
quelques-uns n’y changera rien. Que la révolte, enfin, d’un seul cont
902
ues-uns n’y changera rien. Que la révolte, enfin,
d’
un seul contre la foule, serait la marque d’un affreux orgueil si d’ab
903
nfin, d’un seul contre la foule, serait la marque
d’
un affreux orgueil si d’abord elle ne témoignait d’un ridicule défaut
904
’un affreux orgueil si d’abord elle ne témoignait
d’
un ridicule défaut de sens pratique. Et que disent nos auteurs depuis
905
i d’abord elle ne témoignait d’un ridicule défaut
de
sens pratique. Et que disent nos auteurs depuis le xixe siècle ? Les
906
par le fait qu’ils y croient. Il s’agirait alors
de
croire à quelque chose qui légitime ce scepticisme ou cette « mesure
907
»… Sinon la foi des uns, fatalement, va triompher
de
la mauvaise humeur défensive des autres. Certes, on y a pensé. Les pl
908
es. Certes, on y a pensé. Les plus hardis parlent
de
rendre sa place à « l’esprit »… Mais, quel esprit ? Et qui l’a laissé
909
est plus grand que la foule anonyme ; que la vie
de
l’esprit n’est possible que si l’on a d’abord renoncé l’autre vie ; q
910
l’on a d’abord renoncé l’autre vie ; que les lois
de
l’histoire ne sont rien si l’acte de l’homme les dément ; que la foi
911
que les lois de l’histoire ne sont rien si l’acte
de
l’homme les dément ; que la foi d’un seul est plus forte, dans son hu
912
rien si l’acte de l’homme les dément ; que la foi
d’
un seul est plus forte, dans son humilité et devant Dieu, — car c’est
913
si chacun n’est pas à sa place, là où la vocation
de
Dieu l’a mis. Supposez qu’un tel homme existe. Que va-t-on faire de l
914
upposez qu’un tel homme existe. Que va-t-on faire
de
lui, de ce héros, n’est-ce pas, des valeurs de l’esprit que justement
915
qu’un tel homme existe. Que va-t-on faire de lui,
de
ce héros, n’est-ce pas, des valeurs de l’esprit que justement l’on fa
916
re de lui, de ce héros, n’est-ce pas, des valeurs
de
l’esprit que justement l’on fait profession de défendre ? La biograph
917
rs de l’esprit que justement l’on fait profession
de
défendre ? La biographie de Kierkegaard va nous l’apprendre. On comme
918
l’on fait profession de défendre ? La biographie
de
Kierkegaard va nous l’apprendre. On commencera par mettre en doute so
919
octeur Søren Kierkegaard ? C’est l’homme dépourvu
de
sérieux » lit-on dans un journal du temps. On se moquera de son aspec
920
» lit-on dans un journal du temps. On se moquera
de
son aspect physique et de ses pantalons trop longs. On montrera sans
921
du temps. On se moquera de son aspect physique et
de
ses pantalons trop longs. On montrera sans trop de peine que ses idée
922
e ses pantalons trop longs. On montrera sans trop
de
peine que ses idées sont faites pour rendre la vie impossible, puisqu
923
rtyre des braves chrétiens, comme si la religion,
de
toute éternité, n’était pas au contraire la façon la plus sage de sup
924
é, n’était pas au contraire la façon la plus sage
de
supporter les maux de ce bas monde ! L’Église, par la voix de ses évê
925
raire la façon la plus sage de supporter les maux
de
ce bas monde ! L’Église, par la voix de ses évêques, tentera de prouv
926
les maux de ce bas monde ! L’Église, par la voix
de
ses évêques, tentera de prouver qu’il extravague ; on proposera de l’
927
e ! L’Église, par la voix de ses évêques, tentera
de
prouver qu’il extravague ; on proposera de l’interdire d’accès au tem
928
entera de prouver qu’il extravague ; on proposera
de
l’interdire d’accès au temple ; l’opinion unanime accablera son fol o
929
er qu’il extravague ; on proposera de l’interdire
d’
accès au temple ; l’opinion unanime accablera son fol orgueil ; n’a-t-
930
ol orgueil ; n’a-t-il pas écrit que la presse est
de
nos jours l’obstacle décisif à la prédication du christianisme vérita
931
qu’elles sont au pire, mais il faut prendre garde
de
laisser croire à nos contemporains que ce pire ne puisse être aggravé
932
2.Qu’est-ce que l’esprit ? Donc, on nous parle
de
sauver l’esprit. Qu’est-ce que l’esprit ? « L’esprit, c’est la puissa
933
it ? « L’esprit, c’est la puissance que le savoir
d’
un homme exerce sur sa vie 46 ». Ce n’est pas le savoir, ce n’est pas
934
être même au martyre. Ne soyez donc pas si pressé
de
défendre les « droits » de l’esprit : ce n’est pas une distinction. E
935
yez donc pas si pressé de défendre les « droits »
de
l’esprit : ce n’est pas une distinction. Et lequel d’entre nous peut
936
il a calculé la dépense ? Il faudrait bien savoir
de
quoi l’on parle, et ce n’est peut-être possible que si l’on sait bien
937
l’on sait bien où l’on va. À quoi tend la pensée
de
Kierkegaard ? Contre la presse et l’opinion publique, il proteste en
938
multitudes, il revendique la charité mystérieuse
de
l’ironie ; contre l’Histoire, il pose l’acte de l’homme responsable d
939
e de l’ironie ; contre l’Histoire, il pose l’acte
de
l’homme responsable de son destin. Mais tout cela va au martyre, dans
940
l’Histoire, il pose l’acte de l’homme responsable
de
son destin. Mais tout cela va au martyre, dans le monde qu’on nous pr
941
Il se peut, si pourtant Dieu le veut. L’exigence
de
Kierkegaard se limite à l’instant du choix, où l’homme s’engage « en
942
hemin que Dieu lui montre, — seul. Cette primauté
de
la foi sur les vérités qui font vivre, cette solitude première devant
943
en cela que revendiquent les défenseurs du primat
de
l’esprit ? L’esprit est drame, attaque et risque. Et l’on peut douter
944
rober, mais c’est une triste réponse à la révolte
de
ces pauvres qu’on redoute plus qu’on ne les aime… Si l’on voulait vra
945
ne les aime… Si l’on voulait vraiment un champion
de
l’esprit, on ferait bien d’aller le prendre parmi ceux-là pour qui l’
946
vraiment un champion de l’esprit, on ferait bien
d’
aller le prendre parmi ceux-là pour qui l’esprit n’a pas à se défendre
947
prit n’a pas à se défendre, mais bien à témoigner
de
son incarnation ; on ferait bien d’aller à ceux pour qui l’esprit n’e
948
n à témoigner de son incarnation ; on ferait bien
d’
aller à ceux pour qui l’esprit n’est pas une espèce de confort, mais u
949
ler à ceux pour qui l’esprit n’est pas une espèce
de
confort, mais une aventure absolue et comme un jugement de l’homme ;
950
t, mais une aventure absolue et comme un jugement
de
l’homme ; ainsi Pascal, Nietzsche, Dostoïevski. On pourrait en citer
951
ourrait en citer quelques autres. Qu’ont-ils donc
de
commun, génie à part ? Peut-être leur souffrance seulement. Mais s’il
952
re leur souffrance seulement. Mais s’il n’est pas
de
hiérarchie possible en ces parages, le sacrifice y tient lieu de mesu
953
elle est la nouvelle grandeur, la nouvelle mesure
de
l’esprit. Nous irons donc à ce grand solitaire, à ce témoin extrême e
954
n extrême et décisif dont la mort, comme un sceau
d’
éternité, attesta dans sa plénitude la primauté de l’acte spirituel :
955
d’éternité, attesta dans sa plénitude la primauté
de
l’acte spirituel : Kierkegaard. Le grand mal de l’époque, et la terr
956
de l’acte spirituel : Kierkegaard. Le grand mal
de
l’époque, et la terreur que commencent d’y semer nos faux dieux, ont
957
and mal de l’époque, et la terreur que commencent
d’
y semer nos faux dieux, ont réveillé quelques esprits, dont témoigne l
958
nce, ou pour mieux dire, la découverte parmi nous
de
cette pensée impitoyable. Remède du pire ? Il fallait bien qu’on se s
959
her le médecin sévère que la santé moins déprimée
d’
un autre siècle avait tué. C’est aussi qu’il est devenu possible de sa
960
avait tué. C’est aussi qu’il est devenu possible
de
saisir dans le déploiement des faits les plus marquants de notre époq
961
dans le déploiement des faits les plus marquants
de
notre époque, la vérité de l’anathème dont Kierkegaard salua leur nai
962
its les plus marquants de notre époque, la vérité
de
l’anathème dont Kierkegaard salua leur naissance. Nous nous tournons
963
ur naissance. Nous nous tournons vers ce prophète
de
nos malheurs, nous retournons à l’origine où il se tient, nous metton
964
où il se tient, nous mettons en lui notre espoir
de
trouver un autre chemin : un chemin qui ne mène à Rome, ni à Berlin,
965
ren Kierkegaard est sans doute le penseur capital
de
notre époque, je veux dire : l’objection la plus absolue, la plus fon
966
presque insupportable à la présence dans ce temps
de
l’éternel. Car il ne suffit pas d’applaudir à ses thèses pour apaiser
967
dans ce temps de l’éternel. Car il ne suffit pas
d’
applaudir à ses thèses pour apaiser ce regard qui nous perce ; et si n
968
es sourds à sa voix, comment étouffer le scandale
de
cette mort qui définit le destin de l’esprit parmi nous ? Si l’Opinio
969
r le scandale de cette mort qui définit le destin
de
l’esprit parmi nous ? Si l’Opinion publique a tué Kierkegaard, elle n
970
inion publique a tué Kierkegaard, elle n’a pas eu
de
prise sur les sarcasmes dont il l’a flétrie, plus charitables cependa
971
ours en l’honneur du Progrès : car tout l’honneur
de
notre temps sera peut-être, par une compensation mystérieuse, d’avoir
972
sera peut-être, par une compensation mystérieuse,
d’
avoir compris mieux qu’aucun autre le message du « solitaire devant Di
973
, reparaître les traits ironiques du grand visage
de
Kierkegaard, il me vient à l’esprit une image dont le burlesque n’aur
974
ienne du philosophe danois. C’est l’image du chat
d’
Alice in Wonderland. Souvenez-vous de ce Chat, immense et subversif, d
975
mage du chat d’Alice in Wonderland. Souvenez-vous
de
ce Chat, immense et subversif, dont le rire a le don d’exaspérer la R
976
Chat, immense et subversif, dont le rire a le don
d’
exaspérer la Reine. Elle tempête et hurle son cri favori : « Qu’on lui
977
pose autour de cette angoissante mimique. Le rire
de
Kierkegaard sur notre temps ! Dans un monde où règne la masse, règne
978
evant le dictateur, ni dans les rangs des troupes
d’
assaut. Ah ! si le rire est le propre de l’homme, nous voici devenus b
979
s troupes d’assaut. Ah ! si le rire est le propre
de
l’homme, nous voici devenus bien inhumains. Il semble que chacun port
980
blé par tous les malheurs du temps, dont il feint
de
se croire victime ou responsable47. Cet homme que l’Histoire fait tre
981
er dans un drame fictif, cet homme que la lecture
de
son journal effraie bien plus que les abîmes de son âme — Kierkegaard
982
e de son journal effraie bien plus que les abîmes
de
son âme — Kierkegaard en décrit « le comique infini ». Il faut risque
983
ini ». Il faut risquer cette expression : le rire
de
la charité. « Le christianisme a découvert une misère dont l’homme ig
984
rire scandaleux ? Parce que « la crainte infinie
d’
un seul danger nous rendrait tous les autres inexistants. » Mais cette
985
tous les autres inexistants. » Mais cette crainte
d’
un seul danger peut-elle encore, sérieusement, caractériser le chrétie
986
ore, sérieusement, caractériser le chrétien moyen
de
ce temps ? C’est ici que l’ironie de Kierkegaard tourne son aiguillon
987
rétien moyen de ce temps ? C’est ici que l’ironie
de
Kierkegaard tourne son aiguillon contre le monde chrétien, contre le
988
le monde chrétien, contre le monde qui se réclame
de
l’esprit, ou qui fait profession de l’appeler. « Le Nouveau Testament
989
ui se réclame de l’esprit, ou qui fait profession
de
l’appeler. « Le Nouveau Testament ressemble à une satire de l’homme.
990
er. « Le Nouveau Testament ressemble à une satire
de
l’homme. Il contient des consolations et encore des consolations pour
991
ine… » Et c’est la tragi-comédie du christianisme
de
la chrétienté. Pauvre chrétien moyen, qu’as-tu souffert pour ta doctr
992
endant choisir. Ou bien tu crois à la seule grâce
de
Dieu, dans l’abîme infini où tu te vois, — ou bien tu crois aussi à c
993
tu te vois, — ou bien tu crois aussi à ce sérieux
de
l’existence symbolisé par la cote de la Bourse. Ou bien tu joues tout
994
à ce sérieux de l’existence symbolisé par la cote
de
la Bourse. Ou bien tu joues toute ta vie sur le pardon, ou bien tu te
995
. Ou bien tu vois que la question brûlante, c’est
de
savoir si toi, tu es chrétien, — ou bien tu vitupères les sans-Dieu d
996
es chrétien, — ou bien tu vitupères les sans-Dieu
de
Russie. Mais sais-tu bien de quoi tu souffres ? De ton péché ou de ce
997
upères les sans-Dieu de Russie. Mais sais-tu bien
de
quoi tu souffres ? De ton péché ou de celui des autres ? Comique amer
998
e Russie. Mais sais-tu bien de quoi tu souffres ?
De
ton péché ou de celui des autres ? Comique amer et infini de ce « cro
999
ais-tu bien de quoi tu souffres ? De ton péché ou
de
celui des autres ? Comique amer et infini de ce « croyant » qui tremb
1000
é ou de celui des autres ? Comique amer et infini
de
ce « croyant » qui tremble pour le sort de l’esprit dans le monde, et
1001
infini de ce « croyant » qui tremble pour le sort
de
l’esprit dans le monde, et pour son sort dans le monde sans esprit, e
1002
craintifs ? Attendrons-nous toujours le « réveil
de
la masse » pour affirmer que tous ses dieux sont des faux dieux ? Mai
1003
t l’esprit ? — Mais non, nous appelons « le règne
de
l’esprit », c’est bien moins dangereux ; tous en seront… Deux questi
1004
x questions — dit encore Kierkegaard — témoignent
de
l’esprit : 1) ce qu’on nous prêche, est-ce possible ? 2) puis-je le f
1005
? 2) puis-je le faire ? Deux questions témoignent
de
l’absence de l’esprit : 1) est-ce réel ? 2) mon voisin Christofersen
1006
le faire ? Deux questions témoignent de l’absence
de
l’esprit : 1) est-ce réel ? 2) mon voisin Christofersen l’a-t-il fait
1007
ur sa doctrine… (Mais non ! il souffre simplement
de
ce que tous ne l’ont pas admise)… et il apporte sa consolation, et su
1008
société ; il paraît devant une assemblée choisie
d’
élus, et prêche avec émotion sur ce texte qu’il a choisi lui-même : Di
1009
rsonne ne rit.50 C’est alors que paraît le rire
de
Kierkegaard. Ce n’est pas le rire d’un Molière : Molière fait rire la
1010
raît le rire de Kierkegaard. Ce n’est pas le rire
d’
un Molière : Molière fait rire la foule aux dépens de l’extravagant. M
1011
de l’extravagant. Mais Kierkegaard rit tout seul
de
la foule, de son sérieux théâtral et fervent, et de sa peur de toute
1012
gant. Mais Kierkegaard rit tout seul de la foule,
de
son sérieux théâtral et fervent, et de sa peur de toute extravagance.
1013
la foule, de son sérieux théâtral et fervent, et
de
sa peur de toute extravagance. « On peut leur faire faire tout ce qu’
1014
de son sérieux théâtral et fervent, et de sa peur
de
toute extravagance. « On peut leur faire faire tout ce qu’on veut, qu
1015
il veut l’originalité. « Voilà pourquoi la Parole
de
Dieu est telle qu’on y trouve toujours quelque passage qui dise le co
1016
ve toujours quelque passage qui dise le contraire
d’
un autre. » Car l’apparence de la contradiction nous oblige à choisir,
1017
i dise le contraire d’un autre. » Car l’apparence
de
la contradiction nous oblige à choisir, fait à la foi sa place, et no
1018
’imitation : c’est pourquoi ils sont unis en elle
d’
une manière si touchante, et c’est ce qu’ils appellent l’amour 51. »
1019
e, qui ressemble peut-être à la pitié énigmatique
d’
un Dostoïevski. Ici tout le visage de Kierkegaard se recompose. Et l’o
1020
énigmatique d’un Dostoïevski. Ici tout le visage
de
Kierkegaard se recompose. Et l’on voit que son rire n’est rien que la
1021
que son rire n’est rien que la douleur du témoin
de
l’Esprit, au milieu de la foule. 4.L’originalité Qu’entend-il p
1022
le. 4.L’originalité Qu’entend-il par ce mot
d’
originalité ? Il faut en rapporter le sens au centre même de sa pensée
1023
ité ? Il faut en rapporter le sens au centre même
de
sa pensée, ou pour mieux dire : de son action. Ce centre est « la cat
1024
au centre même de sa pensée, ou pour mieux dire :
de
son action. Ce centre est « la catégorie du solitaire ». Bien des mal
1025
ut : anarchie, romantisme, individu. Il n’est que
de
les confronter à la réalité chrétienne de l’homme. Le solitaire que K
1026
est que de les confronter à la réalité chrétienne
de
l’homme. Le solitaire que Kierkegaard appelle, c’est l’homme isolé de
1027
is comment cela se pourrait-il, sinon par l’effet
de
la foi ? Il faut que Dieu l’appelle, qu’il le nomme et par là le sépa
1028
ui qui répond à la foi, cet appel. Quand on parle
de
romantisme, d’anarchie, d’individualisme, on ne parle jamais que de r
1029
la foi, cet appel. Quand on parle de romantisme,
d’
anarchie, d’individualisme, on ne parle jamais que de révolte, mais d’
1030
appel. Quand on parle de romantisme, d’anarchie,
d’
individualisme, on ne parle jamais que de révolte, mais d’une révolte
1031
narchie, d’individualisme, on ne parle jamais que
de
révolte, mais d’une révolte en fin de compte imaginaire. Car l’ordre
1032
dualisme, on ne parle jamais que de révolte, mais
d’
une révolte en fin de compte imaginaire. Car l’ordre de ce monde est l
1033
révolte en fin de compte imaginaire. Car l’ordre
de
ce monde est lui-même en révolte contre l’ordre reçu de Dieu, qui ser
1034
monde est lui-même en révolte contre l’ordre reçu
de
Dieu, qui sera l’Ordre du Royaume. Et nier une négation, c’est s’enfo
1035
chrétien est position, obéissance. Et si l’appel
de
Dieu isole du monde un homme, c’est que le monde, dans sa forme déchu
1036
devant Dieu, c’est celui qui se tient à l’origine
de
sa réalité. Celui-là seul connaît sa fin, et l’ordre éternel de sa vi
1037
Celui-là seul connaît sa fin, et l’ordre éternel
de
sa vie. Celui-là peut juger ce monde, et s’y tenir comme n’étant pas
1038
et s’y tenir comme n’étant pas tenu. Il n’est pas
d’
autre « réaction » contre le siècle, pas d’autre révolution créatrice.
1039
st pas d’autre « réaction » contre le siècle, pas
d’
autre révolution créatrice. Et tous nos appels à l’esprit, s’ils ne so
1040
ciétés), à la Révolution, au Capital, au jugement
de
l’Opinion publique ; nous croyons au passé, au collectif, à l’avenir,
1041
istence qu’on leur prête : hélas ! il serait faux
de
dire qu’ils n’en ont pas. Mais encore une fois, ce n’est pas échapper
1042
ce n’est pas échapper aux chimères publiques que
de
les dénoncer éloquemment en vertu d’une idée de l’homme que la raison
1043
e de les dénoncer éloquemment en vertu d’une idée
de
l’homme que la raison païenne admet fort bien : nietzschéisme agressi
1044
r du démoniaque qui veut être soi-même « en haine
de
l’existence et selon sa misère ». Cette révolte n’est pas fondée dans
1045
rmation effective du monde. Elle participe encore
de
la dégradation. « Une objection vraiment méchante s’arcboute toujours
1046
i qui recourt à son moi révolté contre les forces
d’
anéantissement, s’appuie sur le néant et précipite sa propre ruine. Le
1047
t il ne peut être lui-même que par le droit divin
de
la Parole qui le distingue. Suprême humilité du solitaire ! Il ne sau
1048
ce n’est point qu’il la craigne, ou qu’il craigne
d’
y perdre le pauvre moi des psychologues. Son reproche à la foule, c’es
1049
n reproche à la foule, c’est qu’elle n’exige rien
de
lui. La foule nous veut tout simplement irresponsables ; par cela seu
1050
elle nous reconnaît pour siens. Elle est le lieu
de
rendez-vous des hommes qui se fuient, eux et leur vocation. Elle n’es
1051
eux et leur vocation. Elle n’est personne et tire
de
là son assurance dans le crime. « Il ne s’est pas trouvé un seul sold
1052
ité. Mais trois ou quatre femmes, dans l’illusion
d’
être une foule et que personne peut-être ne saurait dire qui l’avait f
1053
! Ô mensonge ! » La foule n’est rien que la fuite
de
chaque homme devant la responsabilité de son acte. « Car une foule es
1054
la fuite de chaque homme devant la responsabilité
de
son acte. « Car une foule est une abstraction, qui n’a pas de mains,
1055
« Car une foule est une abstraction, qui n’a pas
de
mains, mais chaque homme isolé a, dans la règle, deux mains, et lorsq
1056
x mains sur Marius, ce sont ses mains, non celles
de
son voisin et non celles de la foule qui n’a pas de mains. » Tout seu
1057
ses mains, non celles de son voisin et non celles
de
la foule qui n’a pas de mains. » Tout seul en face du Christ, un homm
1058
son voisin et non celles de la foule qui n’a pas
de
mains. » Tout seul en face du Christ, un homme oserait-il s’avancer e
1059
oserait-il s’avancer et cracher au visage du Fils
de
Dieu ? Mais qu’il soit foule, il aura ce « courage », — il l’a eu. Il
1060
rue seulement. Elle est dans la pensée des hommes
de
ce temps. Le génie réaliste de Kierkegaard a su la dénoncer au plus i
1061
pensée des hommes de ce temps. Le génie réaliste
de
Kierkegaard a su la dénoncer au plus intime de l’existence individuel
1062
te de Kierkegaard a su la dénoncer au plus intime
de
l’existence individuelle. Chaque fois que nous disons d’un de nos die
1063
istence individuelle. Chaque fois que nous disons
d’
un de nos dieux qu’il est puissant, nous témoignons de notre démission
1064
ce individuelle. Chaque fois que nous disons d’un
de
nos dieux qu’il est puissant, nous témoignons de notre démission. La
1065
de nos dieux qu’il est puissant, nous témoignons
de
notre démission. La foule n’a pas d’autre existence et d’autre pouvoi
1066
s témoignons de notre démission. La foule n’a pas
d’
autre existence et d’autre pouvoir que mon refus d’exister devant Dieu
1067
démission. La foule n’a pas d’autre existence et
d’
autre pouvoir que mon refus d’exister devant Dieu et d’exercer le pouv
1068
’autre existence et d’autre pouvoir que mon refus
d’
exister devant Dieu et d’exercer le pouvoir que je suis. Elle n’est qu
1069
re pouvoir que mon refus d’exister devant Dieu et
d’
exercer le pouvoir que je suis. Elle n’est que ma dégradation. Et tout
1070
riques ou sociologiques, sont comme une inversion
de
la théologie, — une théologie de la dégradation. L’opposition de Kier
1071
me une inversion de la théologie, — une théologie
de
la dégradation. L’opposition de Kierkegaard et de Hegel trouve ici so
1072
, — une théologie de la dégradation. L’opposition
de
Kierkegaard et de Hegel trouve ici son sens à la fois le plus profond
1073
de la dégradation. L’opposition de Kierkegaard et
de
Hegel trouve ici son sens à la fois le plus profond et le plus actuel
1074
annie la scandaleuse possibilité des actes libres
de
la Providence. L’entreprise pourrait être tenue pour grandiose si l’h
1075
oudrait se tenir dans l’instant, « sous le regard
de
Dieu », comme disent les chrétiens ? (Est-ce facile ? ou bien même po
1076
facile ? ou bien même possible ? Est-ce un effet
de
notre choix, ou un moment de notre vie ? Ils en parlent bien aisément
1077
le ? Est-ce un effet de notre choix, ou un moment
de
notre vie ? Ils en parlent bien aisément, les chrétiens…) Quelques at
1078
péril, mais sans voir l’homme dans l’ordre actuel
de
son péché, ni dans l’ordre à venir de la grâce. Ainsi Maurras, lorsqu
1079
râce. Ainsi Maurras, lorsqu’il dénonce les mythes
de
l’hégélianisme social. « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera d’
1080
hes de l’hégélianisme social. « Le meilleur moyen
de
s’en affranchir sera d’en revoir l’origine. Pour voiler le présent ce
1081
cial. « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera
d’
en revoir l’origine. Pour voiler le présent certain, ils hypothèquent
1082
, mais pour gagner ce dernier gage, les habitudes
de
l’esprit religieux leur font concevoir une Âme du Monde qu’ils se fig
1083
ais sans franchise ni précision) comme une espèce
de
vertébré monstre, invisible, mystérieusement répandu et vaporisé dans
1084
r (comment et pourquoi ?) nos désirs. Cette sorte
de
providence brute, tout à fait inintelligible, est le simple succédané
1085
ut à fait inintelligible, est le simple succédané
de
l’intelligible providence surnaturelle53 ». Mais qui ne voit que cett
1086
e vivre. Et comment vivrait-il, sinon par l’appel
de
la Providence ? Et comment se rendre à l’appel, si l’on pose ses cond
1087
s prétentions rationalistes ! « Le meilleur moyen
de
s’en affranchir sera d’en revoir l’origine. » Seul, Kierkegaard sait
1088
tes ! « Le meilleur moyen de s’en affranchir sera
d’
en revoir l’origine. » Seul, Kierkegaard sait nous la désigner : elle
1089
nous la désigner : elle est dans le refus moderne
de
cette « catégorie du solitaire », de l’homme qui vit de la Parole seu
1090
efus moderne de cette « catégorie du solitaire »,
de
l’homme qui vit de la Parole seulement, entre les temps, dans l’insta
1091
te « catégorie du solitaire », de l’homme qui vit
de
la Parole seulement, entre les temps, dans l’instant éternel. 6.Le
1092
ce hégélien, c’est l’objectivité : cette attitude
de
l’homme qui ne veut plus être sujet de son action, qui l’abandonne au
1093
e attitude de l’homme qui ne veut plus être sujet
de
son action, qui l’abandonne aux lois de l’Évolution. Kierkegaard au c
1094
tre sujet de son action, qui l’abandonne aux lois
de
l’Évolution. Kierkegaard au contraire nous répète : La subjectivité e
1095
ubjectivité est la vérité. La liberté, la dignité
de
l’homme, c’est qu’il soit le seul sujet de sa vie. Mais encore faut-i
1096
ignité de l’homme, c’est qu’il soit le seul sujet
de
sa vie. Mais encore faut-il se garder d’entendre l’expression au sens
1097
ul sujet de sa vie. Mais encore faut-il se garder
d’
entendre l’expression au sens des romantiques. Je suis sujet, mais il
1098
omantiques. Je suis sujet, mais il reste à savoir
d’
où vient ce je, comment il peut agir. S’agit-il d’un impérialisme du m
1099
d’où vient ce je, comment il peut agir. S’agit-il
d’
un impérialisme du moi pur, tel que Fichte l’a follement rêvé ? Si c’e
1100
oi du choix concret. Maintenant, tu vas témoigner
de
la puissance que ton savoir exerce sur ta vie. Tu te croyais un moi :
1101
tombe du « héros », dernière insulte54. Il s’agit
de
savoir maintenant au nom de quoi tu agiras, si tu agis. Un « moi pur
1102
u agis. Un « moi pur », son premier devoir, c’est
de
persévérer dans son être agissant : en cette extrémité, le compromis
1103
évoltante que rien au monde ne pourrait permettre
d’
accepter, quand le martyr reçoit sa mort avec une sorte de sobriété…
1104
er, quand le martyr reçoit sa mort avec une sorte
de
sobriété… Le croyant seul agit et seul il peut être sujet de son act
1105
Le croyant seul agit et seul il peut être sujet
de
son action, mais c’est qu’il est, dans l’autre sens du terme, assujet
1106
qui vit en lui. C’est dans ce sens que la formule
de
Kierkegaard est vraie. Cette sujétion totale est seule active. Elle e
1107
. Elle est aussi présence au monde. Dans ce temps
de
la masse où nous vivons, le « solitaire devant Dieu » est aussi l’hom
1108
lui, il peut réellement et jusqu’au bout accepter
de
vivre hic et nunc, — quand la foule est ubiquité et fuite sans fin da
1109
l’avenir. 7.Un seul utile à tous La phrase
de
Carlyle est comme, résumant l’utilitarisme de Bentham : « Étant donné
1110
ase de Carlyle est comme, résumant l’utilitarisme
de
Bentham : « Étant donné un monde plein de coquins, montrer que la ver
1111
tarisme de Bentham : « Étant donné un monde plein
de
coquins, montrer que la vertu est le résultat de leurs aspirations co
1112
de coquins, montrer que la vertu est le résultat
de
leurs aspirations collectives. » Renversant ce rapport, il me restera
1113
Renversant ce rapport, il me resterait à montrer
de
Kierkegaard que sa « catégorie du solitaire » est le seul fondement p
1114
rie du solitaire » est le seul fondement pratique
d’
une collectivité vraiment vivante. Cependant, il vaut mieux se garder
1115
iment vivante. Cependant, il vaut mieux se garder
d’
insister sur un tel rétablissement. Pour deux raisons, je crois. Qui,
1116
considérer comme donnée ? La tentation est forte,
de
passer d’une critique des collectivités mensongères à l’utopie d’une
1117
comme donnée ? La tentation est forte, de passer
d’
une critique des collectivités mensongères à l’utopie d’une communauté
1118
critique des collectivités mensongères à l’utopie
d’
une communauté chrétienne, par l’artifice indispensable, mais peut-êtr
1119
indispensable, mais peut-être aussi tout formel,
de
l’isolement devant Dieu. D’autre part l’acte du « solitaire » n’est p
1120
u. D’autre part l’acte du « solitaire » n’est pas
de
ceux dont nous ayons à développer les conséquences. Ou bien il est, e
1121
les conséquences. Ou bien il est, et c’est l’acte
de
Dieu ; ou bien je l’imagine et mon discours est vain. À qui pressent
1122
rkegaard a témoigné, il ne paraît plus nécessaire
de
réfuter les objections du « sens social ». Plusieurs ouvrages de Kier
1123
objections du « sens social ». Plusieurs ouvrages
de
Kierkegaard portent cette dédicace fameuse : Au solitaire, que j’appe
1124
se sent atteint ; mais si l’on parle au solitaire
de
son angoisse, c’est de la mienne. Kierkegaard s’adresse au chrétien c
1125
si l’on parle au solitaire de son angoisse, c’est
de
la mienne. Kierkegaard s’adresse au chrétien comme au seul responsabl
1126
mi nous. Il sait bien qu’en tous temps le malheur
de
l’époque ne provient pas de ce qu’elle est « sans Dieu » — mais bien
1127
tous temps le malheur de l’époque ne provient pas
de
ce qu’elle est « sans Dieu » — mais bien plutôt de ce qu’elle est san
1128
e ce qu’elle est « sans Dieu » — mais bien plutôt
de
ce qu’elle est sans maîtres, c’est-à-dire sans martyrs pour l’enseign
1129
saveur, c’est à lui seul que l’on peut reprocher
d’
être insipide. Rien ne sera jamais réel pour tous, si rien d’abord n’e
1130
us aider ? Ou bien seulement nous a-t-il délivrés
de
nos derniers prétextes, de nos dernières incertitudes sur la nature e
1131
t nous a-t-il délivrés de nos derniers prétextes,
de
nos dernières incertitudes sur la nature et sur les exigences concrèt
1132
udes sur la nature et sur les exigences concrètes
de
l’Esprit ? Mais ne fallait-il pas qu’il ait connu de grandes aides po
1133
l’Esprit ? Mais ne fallait-il pas qu’il ait connu
de
grandes aides pour oser nous montrer la vanité de toutes les nôtres ?
1134
de grandes aides pour oser nous montrer la vanité
de
toutes les nôtres ? Somnium narrare vigilantis est, dit Sénèque. L’av
1135
narrare vigilantis est, dit Sénèque. L’aveu total
de
notre désespoir témoigne seul de la consolation. 19. Alleluia : L
1136
ue. L’aveu total de notre désespoir témoigne seul
de
la consolation. 19. Alleluia : Louez l’Éternel ! — Kierkegaard av
1137
s auparavant : « Il n’y a pas eu, durant 1800 ans
de
christianisme, de tâche comparable à la mienne. Dans la « chrétienté
1138
l n’y a pas eu, durant 1800 ans de christianisme,
de
tâche comparable à la mienne. Dans la « chrétienté », elle apparaît p
1139
». 20. Point de vue explicatif sur ma carrière
d’
auteur (1848). 21. Rapporté par Georges Brandès, dans Søren Kierkegaa
1140
nous imaginions si dépouillée, toute la confusion
de
l’époque. 24. Vie et règne de l’amour. 25. Vie et règne de l’amo
1141
oute la confusion de l’époque. 24. Vie et règne
de
l’amour. 25. Vie et règne de l’amour. 26. « Tristesse de Néron »
1142
24. Vie et règne de l’amour. 25. Vie et règne
de
l’amour. 26. « Tristesse de Néron » dans De deux choses l’une. 27.
1143
25. Vie et règne de l’amour. 26. « Tristesse
de
Néron » dans De deux choses l’une. 27. Apprentissage du christianis
1144
ègne de l’amour. 26. « Tristesse de Néron » dans
De
deux choses l’une. 27. Apprentissage du christianisme. 28. Dans ce
1145
rie récemment « découverte » par nos psychologues
de
ce qui « se fait se faisant » est une antilogie chrétienne au premier
1146
Chez les Hindous, elle n’est encore qu’une forme
de
l’agitation humaine. Pour le chrétien elle signifie une transformatio
1147
our l’Hindou, cette catégorie suppose la primauté
d’
un Esprit sans contenu ; pour le chrétien, la primauté d’une Personne.
1148
prit sans contenu ; pour le chrétien, la primauté
d’
une Personne. 29. « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière
1149
. Die Chimäre, trad. française dans les Éléments
de
la grandeur humaine (NRF). 31. « Le prophète se lève et tombe avec s
1150
tombe avec sa mission » (Karl Barth). Il n’a pas
de
biographie. Rien ne serait plus ridicule que de tenter de faire la ps
1151
s de biographie. Rien ne serait plus ridicule que
de
tenter de faire la psychologie d’un prophète, ou bien alors elle se r
1152
aphie. Rien ne serait plus ridicule que de tenter
de
faire la psychologie d’un prophète, ou bien alors elle se réduirait à
1153
us ridicule que de tenter de faire la psychologie
d’
un prophète, ou bien alors elle se réduirait à la syntaxe et au style
1154
alors elle se réduirait à la syntaxe et au style
de
son message. 32. Journal, « L’imitation suivra », en allemand : « d
1155
retrouvons cette définition du temps comme refus
de
l’instant et de l’obéissance immédiate à la parole. Mais la ressembla
1156
e définition du temps comme refus de l’instant et
de
l’obéissance immédiate à la parole. Mais la ressemblance n’est que fo
1157
ré par l’angoisse du pécheur, tandis que le temps
de
Schopenhauer est l’« idéalité » du sujet connaissant, — une chimère s
1158
itualiste, une nostalgie. C’est pourquoi le temps
de
Kierkegaard peut connaître une rédemption par l’acte, quand celui de
1159
connaître une rédemption par l’acte, quand celui
de
Schopenhauer s’évanouit en pure absence. 37. K. entend : en vertu de
1160
ce paradoxe impensable, l’Incarnation historique
de
Dieu. Pas de réponse rationnelle au « Cur Deus Homo ? » de saint Anse
1161
impensable, l’Incarnation historique de Dieu. Pas
de
réponse rationnelle au « Cur Deus Homo ? » de saint Anselme. 38. Cr
1162
Pas de réponse rationnelle au « Cur Deus Homo ? »
de
saint Anselme. 38. Crainte et tremblement. 39. Actes de l’amour.
1163
nselme. 38. Crainte et tremblement. 39. Actes
de
l’amour. 40. Traduction française sous le titre de Traité du désespo
1164
l’amour. 40. Traduction française sous le titre
de
Traité du désespoir. C’est une laïcisation. Kierkegaard se rapportait
1165
C’est une laïcisation. Kierkegaard se rapportait
de
la façon la plus précise à Jean XI.4. 41. Richtet selbst. 42. Tout
1166
années 1846 à 1848, on trouve quelques notations
de
ce genre : « Grande sera ma responsabilité si je rejette une mission
1167
sera ma responsabilité si je rejette une mission
de
cette sorte » — c’est-à-dire s’il rejette sa mission d’écrivain relig
1168
te sorte » — c’est-à-dire s’il rejette sa mission
d’
écrivain religieux pour se faire pasteur de campagne, par exemple. C’e
1169
ission d’écrivain religieux pour se faire pasteur
de
campagne, par exemple. C’est, dit-il, que sa consigne est de « tenir
1170
, par exemple. C’est, dit-il, que sa consigne est
de
« tenir bon en souffrant ». Le presbytère de campagne serait une solu
1171
est de « tenir bon en souffrant ». Le presbytère
de
campagne serait une solution commode, surtout au regard des souffranc
1172
une enquête « sur la rencontre la plus importante
de
votre vie », M. Clément Vautel, porte-parole du Bourgeois, répondit n
1173
ne est protestant », ajoute M. Benda qui, en fait
de
protestant, ne connaît guère que Renouvier. 48. Jean, XI.4. Jésus di
1174
t guère que Renouvier. 48. Jean, XI.4. Jésus dit
de
Lazare à l’agonie : « Cette maladie n’est point à la mort ». Or Jésus
1175
doutable est le péché. 49. Stades sur le chemin
de
la vie. 50. L’Instant. 51. Journal. 52. La Maladie mortelle. 5
1176
ussi exceptionnel que le martyre ? Pour la pureté
de
la vision. L’inévitable rappel aux nécessités quotidiennes n’est qu’u
1177
aux nécessités quotidiennes n’est qu’un prétexte
de
l’angoisse. Si la vie quotidienne est si peu dramatique, cela ne sign
1178
fameuse « vie quotidienne » n’est peut-être rien
d’
autre qu’un dernier méfait de la « foule » dans notre existence morale
1179
n’est peut-être rien d’autre qu’un dernier méfait
de
la « foule » dans notre existence morale. Une question mal posée. Un
1180
4.Franz Kafka ou l’aveu
de
la réalité Franz Kafka naquit à Prague en 1883, et passa dans cette
1181
, et passa dans cette ville la plus grande partie
de
sa vie. Docteur en droit, il travailla d’abord au service d’une compa
1182
Docteur en droit, il travailla d’abord au service
d’
une compagnie d’assurances générales, puis d’une compagnie d’assurance
1183
, il travailla d’abord au service d’une compagnie
d’
assurances générales, puis d’une compagnie d’assurances ouvrières. Il
1184
vice d’une compagnie d’assurances générales, puis
d’
une compagnie d’assurances ouvrières. Il s’essaya aussi dans un atelie
1185
gnie d’assurances générales, puis d’une compagnie
d’
assurances ouvrières. Il s’essaya aussi dans un atelier de menuiserie,
1186
nces ouvrières. Il s’essaya aussi dans un atelier
de
menuiserie, et fit un stage prolongé dans une entreprise de jardinage
1187
rie, et fit un stage prolongé dans une entreprise
de
jardinage. Lorsqu’il voulut émigrer à Berlin, pour s’y vouer enfin à
1188
dont il mourut à Vienne en 1924. Kafka n’a publié
de
son vivant qu’un petit nombre de récits. Mais on trouva dans ses papi
1189
Kafka n’a publié de son vivant qu’un petit nombre
de
récits. Mais on trouva dans ses papiers les manuscrits presque comple
1190
dans ses papiers les manuscrits presque complets
de
trois romans : le Procès, le Château, et Amérique. Le regard qu’il y
1191
mérique. Le regard qu’il y porte sur le monde est
d’
une précision proprement angoissante. Il considère notre vie quotidien
1192
vec une minutie qu’elle ne supporte guère. L’état
d’
extrême lucidité que suscite en nous cette vision ressemble à s’y mépr
1193
e tant de poètes s’efforçaient, à la même époque,
de
délirer méthodiquement, Kafka nous ramène sans cesse, avec une sorte
1194
ent, Kafka nous ramène sans cesse, avec une sorte
d’
humour inflexible, à la conscience la plus sobre de notre humaine cond
1195
’humour inflexible, à la conscience la plus sobre
de
notre humaine condition. On dirait qu’il incite ses héros à pratiquer
1196
s à pratiquer contre la vie bourgeoise une espèce
de
« grève perlée » : c’est à force de conscience, de naturel, d’exactit
1197
e « grève perlée » : c’est à force de conscience,
de
naturel, d’exactitude dans l’exercice de leurs tâches banales et de l
1198
rlée » : c’est à force de conscience, de naturel,
d’
exactitude dans l’exercice de leurs tâches banales et de leurs relatio
1199
science, de naturel, d’exactitude dans l’exercice
de
leurs tâches banales et de leurs relations sociales, qu’ils en découv
1200
titude dans l’exercice de leurs tâches banales et
de
leurs relations sociales, qu’ils en découvrent la foncière incohérenc
1201
fait-divers s’agrandit peu à peu aux proportions
d’
une parabole de l’existence. Ou bien c’est le contraire : partant d’un
1202
agrandit peu à peu aux proportions d’une parabole
de
l’existence. Ou bien c’est le contraire : partant d’un fait inexplica
1203
l’existence. Ou bien c’est le contraire : partant
d’
un fait inexplicable et monstrueux55 survenu dans la vie de son héros,
1204
inexplicable et monstrueux55 survenu dans la vie
de
son héros, Kafka nous amène à penser que le détail de l’existence ban
1205
on héros, Kafka nous amène à penser que le détail
de
l’existence banale, et le sentiment d’étrangeté qui par moments l’acc
1206
le détail de l’existence banale, et le sentiment
d’
étrangeté qui par moments l’accompagne en sourdine, s’expliquent de la
1207
ar moments l’accompagne en sourdine, s’expliquent
de
la manière la plus « logique » sitôt qu’on les rapporte à ce fait ini
1208
’on les rapporte à ce fait initial, mystérieux et
d’
apparence extravagante. Derrière cette psychologie de l’angoisse quoti
1209
pparence extravagante. Derrière cette psychologie
de
l’angoisse quotidienne, l’on pressent chez Kafka des intentions relig
1210
intentions religieuses, et la recherche au moins
d’
une théologie. Tout cela, non pas exprimé, mais voilé et seulement tra
1211
es plus fréquentes et les préoccupations sociales
de
Kafka, telles que nous les décrit son biographe Max Brod, peuvent nou
1212
Max Brod, peuvent nous aider à deviner la nature
de
son dessein énigmatique. Sa passion de l’absolu moral est typiquement
1213
la nature de son dessein énigmatique. Sa passion
de
l’absolu moral est typiquement israélite, mais sa psychologie de l’an
1214
al est typiquement israélite, mais sa psychologie
de
l’angoisse s’inspire visiblement de Kierkegaard, qu’il fut l’un des p
1215
a psychologie de l’angoisse s’inspire visiblement
de
Kierkegaard, qu’il fut l’un des premiers à découvrir au xxe siècle.
1216
écouvrir au xxe siècle. D’autre part, sa volonté
de
sobriété, d’éducation des forces spirituelles par l’activité pratique
1217
xe siècle. D’autre part, sa volonté de sobriété,
d’
éducation des forces spirituelles par l’activité pratique et sociale,
1218
et sociale, volonté qui se manifeste tout au long
de
son existence, se rattache non moins certainement à son admiration po
1219
us suggestif que cette rencontre en un seul homme
de
deux influences aussi contradictoires, et à tant d’égards exclusives.
1220
deux influences aussi contradictoires, et à tant
d’
égards exclusives. J’y vois une occasion privilégiée de confronter dan
1221
rds exclusives. J’y vois une occasion privilégiée
de
confronter dans le vif d’une existence les aventures spirituelles déc
1222
ne occasion privilégiée de confronter dans le vif
d’
une existence les aventures spirituelles décrites dans les pages qui p
1223
Je ne sais pas si le Procès est le chef-d’œuvre
de
Kafka, mais il est difficile d’imaginer un livre plus profond. On a m
1224
t le chef-d’œuvre de Kafka, mais il est difficile
d’
imaginer un livre plus profond. On a même l’impression, en le lisant,
1225
us profond. On a même l’impression, en le lisant,
de
lire pour la première fois un livre absolument profond. Non qu’il pré
1226
leur vie se justifiait en soi. Joseph K., fondé
de
pouvoir dans une banque, se voit arrêté un beau matin par deux inspec
1227
rennent qu’il est inculpé, mais ils ne savent pas
de
quoi, et n’ont pas qualité pour le savoir. Puis on lui rend la libert
1228
u procès, des démarches que tente l’accusé auprès
d’
une justice insaisissable, infiniment pédante, au surplus corrompue et
1229
ter. L’histoire se passe dans la réalité blafarde
d’
une ville moderne, à peine retouchée, çà et là, par une rapide griffur
1230
apide griffure expressionniste. Il faut se garder
de
croire que l’auteur s’est donné le bénéfice d’un mystère dont il s’am
1231
er de croire que l’auteur s’est donné le bénéfice
d’
un mystère dont il s’amuserait à nous cacher la clé. Le Procès n’est n
1232
emment. Mais la justice qui le poursuit n’est pas
de
celles dont on se débarrasse en acceptant ou même en refusant ses exi
1233
asant. Il ressemble pas mal à la vie. Le réalisme
de
Kafka n’a rien de commun avec ce que les manuels ou les journaux nomm
1234
e pas mal à la vie. Le réalisme de Kafka n’a rien
de
commun avec ce que les manuels ou les journaux nomment réalisme. Il n
1235
exemple, que la goujaterie est le meilleur moyen
de
parvenir, ni à poser que les idées d’un manœuvre ont plus de réalité
1236
lleur moyen de parvenir, ni à poser que les idées
d’
un manœuvre ont plus de réalité que les vapeurs d’une héroïne de roman
1237
, ni à poser que les idées d’un manœuvre ont plus
de
réalité que les vapeurs d’une héroïne de roman bourgeois. Le réalisme
1238
d’un manœuvre ont plus de réalité que les vapeurs
d’
une héroïne de roman bourgeois. Le réalisme de Kafka réside dans la so
1239
ont plus de réalité que les vapeurs d’une héroïne
de
roman bourgeois. Le réalisme de Kafka réside dans la sobriété de sa v
1240
urs d’une héroïne de roman bourgeois. Le réalisme
de
Kafka réside dans la sobriété de sa vision, et c’est au fond, sa visi
1241
ois. Le réalisme de Kafka réside dans la sobriété
de
sa vision, et c’est au fond, sa vision même qui est le vrai sujet du
1242
ersations banales n’a pu être obtenue qu’au moyen
d’
une suspension du jugement, qui est en elle-même tout le drame du Proc
1243
n elle-même tout le drame du Procès. Constatation
de
la réalité telle qu’elle est, et en même temps, au moment où la révol
1244
emps, au moment où la révolte point, constatation
de
la vanité absolue de toute appréciation, de toute prise de parti, — d
1245
révolte point, constatation de la vanité absolue
de
toute appréciation, de toute prise de parti, — de tout acte. Tous les
1246
ation de la vanité absolue de toute appréciation,
de
toute prise de parti, — de tout acte. Tous les efforts des hommes — y
1247
ité absolue de toute appréciation, de toute prise
de
parti, — de tout acte. Tous les efforts des hommes — y compris ceux d
1248
de toute appréciation, de toute prise de parti, —
de
tout acte. Tous les efforts des hommes — y compris ceux des philosoph
1249
érils, tantôt subtils, pour éluder le sérieux fou
de
la vie réelle, pour l’assimiler à un jeu dont il serait possible de s
1250
pour l’assimiler à un jeu dont il serait possible
de
sortir, dans la mesure où l’on connaît ses règles. C’est ainsi que l’
1251
connaît ses règles. C’est ainsi que l’on a tenté
d’
assimiler la vision de Kafka à celle du rêve. Et il est vrai que la co
1252
’est ainsi que l’on a tenté d’assimiler la vision
de
Kafka à celle du rêve. Et il est vrai que la complicité qui, dans le
1253
ux prévenus, est un trait caractéristique du rêve
d’
angoisse. Mais si Kafka ou son héros n’étaient que des rêveurs, il res
1254
une évasion : se réveiller. Et le sérieux dernier
de
la situation s’évanouirait. Je ne crois pas que Kafka ait vécu dans u
1255
s tous. Tout au plus dans une autre vision, celle
de
l’homme « arrêté », précisément, celle de l’homme qui pense et qui vi
1256
, celle de l’homme « arrêté », précisément, celle
de
l’homme qui pense et qui vit dans la suspension du jugement. Joseph K
1257
ension du jugement. Joseph K. a vu le monde avant
d’
agir, et demeure prisonnier de cette vision, qui ne lui laissera plus
1258
a vu le monde avant d’agir, et demeure prisonnier
de
cette vision, qui ne lui laissera plus jamais qu’une liberté provisoi
1259
our avouer le sérieux dernier, le tragique absolu
de
notre condition, pour avouer qu’on ne peut pas se réveiller de ce cau
1260
ition, pour avouer qu’on ne peut pas se réveiller
de
ce cauchemar universel, il faut avoir, ne fût-ce qu’une fois, dans l’
1261
faut avoir, ne fût-ce qu’une fois, dans l’éclair
d’
un pressentiment, dépassé le plan de cette vie. De même qu’on ne peut
1262
dans l’éclair d’un pressentiment, dépassé le plan
de
cette vie. De même qu’on ne peut juger toute l’étendue des ravages du
1263
er toute l’étendue des ravages du capitalisme que
d’
un point de vue révolutionnaire, de même le scandale de vivre ne peut
1264
point de vue révolutionnaire, de même le scandale
de
vivre ne peut être apprécié sérieusement que d’un point de vue en que
1265
e de vivre ne peut être apprécié sérieusement que
d’
un point de vue en quelque sorte antivital, ou transcendant. Il n’est
1266
uelque sorte antivital, ou transcendant. Il n’est
d’
aveux que du passé, autrement dit : du dépassé. C’est pourquoi le roma
1267
trement dit : du dépassé. C’est pourquoi le roman
de
Kafka suppose, du seul fait qu’il existe, une sorte de révélation, un
1268
fka suppose, du seul fait qu’il existe, une sorte
de
révélation, un « ailleurs » au moins pressenti, qu’il s’agirait de re
1269
« ailleurs » au moins pressenti, qu’il s’agirait
de
retrouver au travers des lacunes du réel. De quelle nature était la t
1270
rait de retrouver au travers des lacunes du réel.
De
quelle nature était la transcendance qui a conditionné la vision de K
1271
tait la transcendance qui a conditionné la vision
de
Kafka ? ⁂ Dans un appendice au Procès, Max Brod nous dit comment il d
1272
lier — dont ce roman. Quels étaient les scrupules
de
Kafka ? « Il voulait son œuvre à l’échelle de ses préoccupations reli
1273
les de Kafka ? « Il voulait son œuvre à l’échelle
de
ses préoccupations religieuses », nous dit-on. Et la critique, gênée,
1274
t-on. Et la critique, gênée, passe outre, ou fait
de
la psychologie. Mais se taire équivaut ici à une complicité avec les
1275
in le dernier mot soit dit. Ignorant presque tout
de
Kafka, après une première lecture du Procès, j’en étais venu à me pos
1276
pur hasard si la théologie chrétienne rend compte
de
presque toutes les situations de ce livre ? Est-ce pur hasard si elle
1277
enne rend compte de presque toutes les situations
de
ce livre ? Est-ce pur hasard si elle nous offre les formules qui para
1278
mieux aptes à résumer les principales péripéties
de
cette vaste action judiciaire ? Je dis bien : résumer, car mille déta
1279
’un souvenir global, cette inoubliable atmosphère
de
cauchemar poursuivi dans la veille, une sorte de schéma dogmatique tr
1280
de cauchemar poursuivi dans la veille, une sorte
de
schéma dogmatique transparaît. Tout homme qui a connu l’existence de
1281
e transparaît. Tout homme qui a connu l’existence
de
la Loi se connaît condamnable, quoi qu’il fasse : « Il n’y a pas un j
1282
mmes tous, virtuellement, des prévenus : ce point
de
départ du Procès se trouve dans les épîtres de saint Paul56. Quel est
1283
nt de départ du Procès se trouve dans les épîtres
de
saint Paul56. Quel est alors le Juge impitoyable ? C’est le Dieu qui
1284
e : l’instance suprême existe et délibère au-delà
de
toutes nos imaginations. Comment pourrions-nous lui parler, et que se
1285
s. Comment pourrions-nous lui parler, et que sert
de
se justifier ? Dans cet état d’impuissance tragique, nous sommes prêt
1286
rler, et que sert de se justifier ? Dans cet état
d’
impuissance tragique, nous sommes prêts à saisir la moindre invite du
1287
avocats marrons qui disent connaître les secrets
de
la Justice. Ils n’inspirent pas précisément confiance, mais qui sait
1288
fiance, mais qui sait ? Nous n’avons pas le droit
de
négliger cette chance minime et humiliante. Et peu à peu nous croyons
1289
Et peu à peu nous croyons pressentir qu’ils sont
de
mèche avec le Juge ! Du moins nous le laissent-ils entendre. C’est pe
1290
nouvelle imposture. Mais ils en tirent une sorte
de
prestige, et même d’autant plus envoûtant que nous n’avons aucun moye
1291
Mais ils en tirent une sorte de prestige, et même
d’
autant plus envoûtant que nous n’avons aucun moyen de vérifier s’il es
1292
utant plus envoûtant que nous n’avons aucun moyen
de
vérifier s’il est fondé. Prêtres et mages, derniers appuis de l’homme
1293
s’il est fondé. Prêtres et mages, derniers appuis
de
l’homme contre Dieu ! À vrai dire, ils sont impuissants, prévenus eux
1294
plicité universelle, me fait songer à la « misère
de
l’homme » non pas « sans Dieu » mais livré à un Dieu dont il ne peut
1295
e que la colère, non la miséricorde. C’est l’état
de
l’homme qui sait que Dieu existe, mais qui ne peut plus lui obéir, et
1296
vement : et à partir du point précis où la vision
de
Kafka « l’arrêtait ». « Nul ne vient au Père que par moi ». C’est par
1297
Fils que Dieu devient pour nous le Père et cesse
d’
être le Juge lointain. Mais alors l’acquittement est possible et la gr
1298
est bien l’issue, la possibilité donnée à l’homme
de
marcher, d’échapper à « l’arrêt ». Mais c’est aussi grâce à cette foi
1299
ssue, la possibilité donnée à l’homme de marcher,
d’
échapper à « l’arrêt ». Mais c’est aussi grâce à cette foi que nous co
1300
onnaissons notre état — parce qu’elle nous permet
d’
en sortir —, que nous mesurons le réel, et que nous pouvons l’avouer.
1301
iculté : je vois bien dans le Procès l’aveu voilé
de
notre état, je vois bien que cet aveu suppose au moins l’entrevision
1302
bien que cet aveu suppose au moins l’entrevision
d’
une foi — et pourtant le roman se termine par le triomphe atroce de la
1303
urtant le roman se termine par le triomphe atroce
de
la Loi, c’est-à-dire dans le désespoir, qui est l’absence reconnue de
1304
ire dans le désespoir, qui est l’absence reconnue
de
la foi. Tout ce qui précède pourrait être compris comme une illustrat
1305
cède pourrait être compris comme une illustration
de
l’état de péché révélé par l’instant de la conversion. Cette vision d
1306
ait être compris comme une illustration de l’état
de
péché révélé par l’instant de la conversion. Cette vision de l’homme
1307
ustration de l’état de péché révélé par l’instant
de
la conversion. Cette vision de l’homme arrêté pourrait être un regard
1308
vélé par l’instant de la conversion. Cette vision
de
l’homme arrêté pourrait être un regard en arrière vers l’humanité en
1309
n révolte et qui a perdu le chemin. Quelque chose
d’
analogue au moment négatif d’un élan — d’un saut dans la vie de la foi
1310
hemin. Quelque chose d’analogue au moment négatif
d’
un élan — d’un saut dans la vie de la foi — le moment où le corps se r
1311
ue chose d’analogue au moment négatif d’un élan —
d’
un saut dans la vie de la foi — le moment où le corps se ramasse et fe
1312
moment négatif d’un élan — d’un saut dans la vie
de
la foi — le moment où le corps se ramasse et feint de refuser le saut
1313
a foi — le moment où le corps se ramasse et feint
de
refuser le saut pour mieux se détendre l’instant d’après… Mais non, K
1314
ter, mais au dernier moment, il ne croit plus que
de
l’autre côté, il retombera sur un terrain solide. Ainsi demeure-t-il
1315
e-t-il dans l’oppression du souffle et la fatigue
de
l’effort qu’aucun acte ne vient accomplir57. Voici alors mon hypothès
1316
ccomplir57. Voici alors mon hypothèse : la vision
de
Kafka traduirait la situation de l’homme qui n’est plus soutenu, mais
1317
hèse : la vision de Kafka traduirait la situation
de
l’homme qui n’est plus soutenu, mais au contraire obscurément troublé
1318
que Dieu et sa Justice existent, mais il le sait
d’
une manière négative, ou plutôt, il pressent qu’il l’a su, et cela suf
1319
et cela suffit à réveiller en lui le sens obscur
d’
une culpabilité ; mais il a perdu la confiance que les époques naïves
1320
is il a perdu la confiance que les époques naïves
de
l’histoire (ou de sa propre histoire individuelle) mettaient dans la
1321
onfiance que les époques naïves de l’histoire (ou
de
sa propre histoire individuelle) mettaient dans la Révélation. Incapa
1322
viduelle) mettaient dans la Révélation. Incapable
d’
y croire, il la refoule. Et dès lors, elle n’est plus en lui ce qui éc
1323
ement inquiète la raison et aggrave la conscience
de
l’angoisse, ce vide où l’homme demeure et ne peut demeurer. Si la foi
1324
rait l’assurance du pardon. Alors, ce sens obscur
d’
une culpabilité pourrait devenir conscience claire du péché, du vrai p
1325
, qui est bien moins la faute morale que le refus
d’
aimer Dieu en Christ. Si la foi survenait, Josef K. renoncerait aux va
1326
survenait, Josef K. renoncerait aux vains efforts
d’
une justification par ses propres moyens moraux : il connaîtrait que l
1327
justement la foi ne survient pas. Le sens obscur
d’
une culpabilité qui ne cesse de persécuter le prévenu n’aboutit pas à
1328
as. Le sens obscur d’une culpabilité qui ne cesse
de
persécuter le prévenu n’aboutit pas à cette conscience claire du péch
1329
oseph K. reste donc enfermé dans le cercle mortel
de
la Loi. Il reconnaît, en toute honnêteté, que l’homme ne peut en sort
1330
ence qualitative infinie entre Dieu et l’homme »,
de
telle sorte que nulle communication ne peut s’établir de l’homme à Di
1331
e sorte que nulle communication ne peut s’établir
de
l’homme à Dieu, si l’on ne croit pas qu’elle a été établie, en sens i
1332
croit pas qu’elle a été établie, en sens inverse,
de
Dieu à l’homme, par la venue du Christ dans l’histoire. Kafka savait
1333
fisait à lui faire prendre une conscience cruelle
de
« l’arrêt » ; mais il ne pouvait croire à la réalité de ce chemin, et
1334
’arrêt » ; mais il ne pouvait croire à la réalité
de
ce chemin, et c’est pourquoi il refusait de s’y engager. Il exigeait
1335
alité de ce chemin, et c’est pourquoi il refusait
de
s’y engager. Il exigeait une certitude préalable, que son regard étra
1336
ie quotidienne. Car le chemin n’existe, en vérité
de
vie, que pour celui qui ose y faire un pas sans voir. Mais il se déro
1337
Mais il se dérobe au regard qui veut le vérifier
d’
avance. Cette conscience au sein de l’angoisse est un moment spirituel
1338
gaard l’a décrit dialectiquement, du point de vue
d’
un croyant-malgré-tout. Kafka l’isole et s’y arrête avec une sorte d’h
1339
-tout. Kafka l’isole et s’y arrête avec une sorte
d’
honnêteté méticuleuse, ironique et désespérée. II Le Château, où la
1340
les données du Château, et qui empêche son action
d’
aboutir. « K », cette fois-ci, est arpenteur. On l’a convoqué au châte
1341
On l’a convoqué au château qui domine un village
de
montagne, pour lui confier, probablement, des travaux relevant de sa
1342
r lui confier, probablement, des travaux relevant
de
sa science. Mais il ne parviendra jamais à rejoindre Monsieur le comt
1343
ne à décrire minutieusement les vaines tentatives
de
K. pour pénétrer dans le château ; puis pour obtenir, à tout le moins
1344
du château. Parfois il reçoit un message émanant
d’
un de ces bureaux. On le félicite pour son travail, quand il en est à
1345
hâteau. Parfois il reçoit un message émanant d’un
de
ces bureaux. On le félicite pour son travail, quand il en est à se ro
1346
ite pour son travail, quand il en est à se ronger
d’
inaction ; ou bien on lui fait espérer, en termes vagues, une solution
1347
tion lointaine. Tout se passe dans une atmosphère
de
méfiance paysanne et tatillonne. Et la neige molle qui couvre le pays
1348
se être interprété, beaucoup n’ayant probablement
d’
autre raison que de créer une atmosphère à la fois réaliste et dépaysa
1349
beaucoup n’ayant probablement d’autre raison que
de
créer une atmosphère à la fois réaliste et dépaysante. Mais de cette
1350
atmosphère à la fois réaliste et dépaysante. Mais
de
cette atmosphère, et de l’évolution générale du récit, se dégage une
1351
liste et dépaysante. Mais de cette atmosphère, et
de
l’évolution générale du récit, se dégage une parabole. Au reste, le c
1352
se dégage une parabole. Au reste, le commentaire
de
Brod, publié en postface au Château, rapproche de la certitude mes hy
1353
de Brod, publié en postface au Château, rapproche
de
la certitude mes hypothèses théologiques : « Qu’est-ce en effet que c
1354
étranges dossiers, son indéchiffrable hiérarchie
de
fonctionnaires, ses caprices, ses ruses, son exigence d’un respect ab
1355
tionnaires, ses caprices, ses ruses, son exigence
d’
un respect absolu, d’une obéissance aveugle ? Sans exclure les interpr
1356
ces, ses ruses, son exigence d’un respect absolu,
d’
une obéissance aveugle ? Sans exclure les interprétations moins vastes
1357
closes dans celle-ci comme des tiroirs intérieurs
d’
un coffret chinois dans le grand tiroir qui les contient tous, on peut
1358
que ce « Château », où K. n’obtient pas le droit
d’
entrer et dont il ne peut même pas approcher comme il faut, est exacte
1359
grâce » au sens des théologiens, le gouvernement
de
Dieu qui dirige les destinées humaines (le « village »), la vertu des
1360
délibérations mystérieuses qui planent au-dessus
de
nous. Le Procès et Le Château nous présenteraient donc les deux forme
1361
oute peut-on préciser davantage certains éléments
de
l’allégorie : j’en vois la clé dans l’œuvre de Kierkegaard. Les messa
1362
ts de l’allégorie : j’en vois la clé dans l’œuvre
de
Kierkegaard. Les messages reçus du Château ont tous les caractères de
1363
messages reçus du Château ont tous les caractères
de
cet autre message qu’est la Bible, selon Kierkegaard : il sera toujou
1364
le, selon Kierkegaard : il sera toujours loisible
de
douter de leur authenticité, on ignore même leur date exacte, et pour
1365
Kierkegaard : il sera toujours loisible de douter
de
leur authenticité, on ignore même leur date exacte, et pourtant il ar
1366
n chacun puisse les lire comme s’il s’agissait là
de
lettres écrites précisément pour lui, encore que leur contenu demeure
1367
au cours duquel un fonctionnaire du Château tente
de
séduire une jeune fille, illustre une situation analysée par Kierkega
1368
gaard dans Crainte et Tremblement : la suspension
de
l’éthique par Dieu lui-même, en vue de certaines fins particulières.
1369
encore ce que Kierkegaard dit les contradictions
de
la Bible : nécessaires pour ménager la liberté de l’acte de foi, et p
1370
de la Bible : nécessaires pour ménager la liberté
de
l’acte de foi, et par là même, preuves paradoxales de la divine inspi
1371
e : nécessaires pour ménager la liberté de l’acte
de
foi, et par là même, preuves paradoxales de la divine inspiration des
1372
’acte de foi, et par là même, preuves paradoxales
de
la divine inspiration des Écritures. Enfin, l’antagonisme entre l’aub
1373
âteau, et la Chaumière où vit la famille méprisée
de
Barnabé, me paraît correspondre à la lutte entre les Églises établies
1374
entre les Églises établies et les petits groupes
de
dissidents illuminés. L’auberge inspire le respect dû à la richesse e
1375
nications presque directes… Incertitudes, retards
de
transmission, cruels échecs de la bonne volonté, succès décevants dus
1376
ertitudes, retards de transmission, cruels échecs
de
la bonne volonté, succès décevants dus au hasard ou au caprice d’un f
1377
nté, succès décevants dus au hasard ou au caprice
d’
un fonctionnaire généralement incompétent, fatigue morbide, résignatio
1378
ignation rusée, défis puérils, — tout cela relève
d’
un même état spirituel : le doute. Non pas un doute sur l’existence de
1379
tuel : le doute. Non pas un doute sur l’existence
de
Dieu, ici encore, mais bien sur la réalité du pardon gratuit, de la G
1380
core, mais bien sur la réalité du pardon gratuit,
de
la Grâce, incarnée, accomplie dans l’Histoire. Et certes, ce doute-là
1381
Et certes, ce doute-là sera toujours inséparable
de
la foi, dans le concret d’une vie chrétienne. Ce cri d’une femme deva
1382
a toujours inséparable de la foi, dans le concret
d’
une vie chrétienne. Ce cri d’une femme devant Jésus : « Je crois, Seig
1383
foi, dans le concret d’une vie chrétienne. Ce cri
d’
une femme devant Jésus : « Je crois, Seigneur, subviens toi-même à mon
1384
bviens toi-même à mon incrédulité », c’est le cri
de
la foi vivante, toujours combattue par la vue, par la certitude natur
1385
certitude naturelle. Et même, il est si difficile
de
concevoir une foi vivante privée de doute, qu’on serait tenté de teni
1386
si difficile de concevoir une foi vivante privée
de
doute, qu’on serait tenté de tenir le doute pour une preuve dialectiq
1387
e foi vivante privée de doute, qu’on serait tenté
de
tenir le doute pour une preuve dialectique de la foi. L’extraordinair
1388
nté de tenir le doute pour une preuve dialectique
de
la foi. L’extraordinaire, chez Kafka, c’est qu’il ait pu souffrir si
1389
ailler avec une si patiente férocité les éléments
d’
incertitude qui signalent chez d’autres la foi, — quand lui-même ne l’
1390
s il s’y sent mal à l’aise : tout est bien vu, et
de
quels yeux impitoyables aux illusions de la routine ou des morales, m
1391
n vu, et de quels yeux impitoyables aux illusions
de
la routine ou des morales, mais tout est vu à partir du vertige, et n
1392
mais tout est vu à partir du vertige, et non pas
de
l’amour accepté. Le « saut » dont parle Kierkegaard est constamment i
1393
nstamment imaginé, mais jamais fait. Il n’y a pas
de
fait accompli : il n’y a pas eu d’incarnation. Reste une clairvoyance
1394
. Il n’y a pas de fait accompli : il n’y a pas eu
d’
incarnation. Reste une clairvoyance ironique et lassée, et peut-être u
1395
ronique et lassée, et peut-être un dernier espoir
de
s’en tirer malgré l’absence de Dieu, de se faire une vie à force d’ap
1396
un dernier espoir de s’en tirer malgré l’absence
de
Dieu, de se faire une vie à force d’application, d’honnêteté dans les
1397
er espoir de s’en tirer malgré l’absence de Dieu,
de
se faire une vie à force d’application, d’honnêteté dans les petits e
1398
ré l’absence de Dieu, de se faire une vie à force
d’
application, d’honnêteté dans les petits efforts, — sur un grand fond
1399
Dieu, de se faire une vie à force d’application,
d’
honnêteté dans les petits efforts, — sur un grand fond d’absurdité.
1400
teté dans les petits efforts, — sur un grand fond
d’
absurdité. III« K. » Entre la folie de Kierkegaard et la sagesse de
1401
and fond d’absurdité. III« K. » Entre la folie
de
Kierkegaard et la sagesse de Goethe Il semble bien que le Château,
1402
K. » Entre la folie de Kierkegaard et la sagesse
de
Goethe Il semble bien que le Château, roman posthume, devait se te
1403
, roman posthume, devait se terminer sur un échec
de
K. qui serait mort d’épuisement sans avoir obtenu rien de certain. «
1404
it se terminer sur un échec de K. qui serait mort
d’
épuisement sans avoir obtenu rien de certain. « Autour de son lit de m
1405
i serait mort d’épuisement sans avoir obtenu rien
de
certain. « Autour de son lit de mort, la commune se rassemble, et c’e
1406
avoir obtenu rien de certain. « Autour de son lit
de
mort, la commune se rassemble, et c’est à ce moment qu’arrive du Chât
1407
écision déclarant que K. n’a pas réellement droit
de
cité au village, mais qu’on l’autorise tout de même à y vivre et à y
1408
müht Den können wir erlösen.59 Et la biographie
de
Kafka vient confirmer cette interprétation. N’est-il pas curieusement
1409
évoluer ou plutôt osciller, en toute conscience,
de
Kierkegaard à Goethe ? Ces deux noms ne désignent-ils pas les pôles d
1410
he ? Ces deux noms ne désignent-ils pas les pôles
de
la tension spirituelle la plus vertigineuse qu’il soit donné de vivre
1411
spirituelle la plus vertigineuse qu’il soit donné
de
vivre à un Occidental ? Oui, Kierkegaard et Goethe sont, à mes yeux,
1412
, à mes yeux, les plus géniales personnifications
d’
une éthique fondée dans la transcendance pure et d’une éthique fondée
1413
’une éthique fondée dans la transcendance pure et
d’
une éthique fondée dans l’immanence pure. Ils s’excluent réciproquemen
1414
t même avec dégoût. Kierkegaard n’avait pas assez
de
sarcasmes pour la sagesse solennelle du ministre de Weimar, et celui-
1415
sarcasmes pour la sagesse solennelle du ministre
de
Weimar, et celui-ci n’eût pas manqué de condamner la « folie » et l’«
1416
ministre de Weimar, et celui-ci n’eût pas manqué
de
condamner la « folie » et l’« absurde » du Danois, au nom de l’équili
1417
onquis par Faust… C’est pourquoi il m’est capital
de
situer l’œuvre de Kafka par rapport aux deux maîtres qu’il s’était ch
1418
C’est pourquoi il m’est capital de situer l’œuvre
de
Kafka par rapport aux deux maîtres qu’il s’était choisis, et qu’il n’
1419
res qu’il s’était choisis, et qu’il n’a pas cessé
de
cultiver, semble-t-il, simultanément. ⁂ Dire que le sens du transcend
1420
hangé en apparences, tout y prend justement l’air
d’
apparences, partout s’insinue l’air du doute. C’est le courant d’air l
1421
artout s’insinue l’air du doute. C’est le courant
d’
air léger que la bête du Terrier croit entendre siffler par les fissur
1422
endre siffler par les fissures toujours rouvertes
de
sa demeure souterraine. Tout objet, toute pensée et toute rencontre,
1423
e et suppose autre chose ? Mais il est impossible
de
savoir quoi : personne n’a traversé le voile et les messages intercep
1424
rme négative : dans l’angoisse, dans le sentiment
d’
un étrange défaut de sens dernier. Et en effet, l’Absurde dont parlait
1425
l’angoisse, dans le sentiment d’un étrange défaut
de
sens dernier. Et en effet, l’Absurde dont parlait Kierkegaard, en con
1426
, multiplie dans la vie quotidienne les occasions
de
surprendre l’incongru, le manque de signification satisfaisante, la n
1427
les occasions de surprendre l’incongru, le manque
de
signification satisfaisante, la nécessité « d’autre chose » — dont la
1428
ue de signification satisfaisante, la nécessité «
d’
autre chose » — dont la nature reste inimaginable. Ce sentiment d’ango
1429
— dont la nature reste inimaginable. Ce sentiment
d’
angoisse métaphysique, mais ressenti négativement, dans le détail conc
1430
ais ressenti négativement, dans le détail concret
de
la vie défectueuse, est proprement intolérable. Ou plutôt il ne serai
1431
i aurait saisi, ne fût-ce qu’une fois la promesse
de
sa délivrance. De fait, on ne voit guère que les chrétiens pour avoue
1432
fût-ce qu’une fois la promesse de sa délivrance.
De
fait, on ne voit guère que les chrétiens pour avouer le péché du mond
1433
tant même où elle révèle le pardon. Selon l’image
de
Thérèse d’Avila, souvent réinventée par les grands spirituels, c’est
1434
rsant la pénombre qui nous fait voir les millions
de
poussières en suspension dans l’air qu’on croyait pur. Or la vision t
1435
r qu’on croyait pur. Or la vision très singulière
de
Kafka sait discerner toutes ces poussières, mais sans le rayon. Cas u
1436
signification suprême reste une énigme ! L’espèce
de
fureur méthodique et infiniment ralentie — comme par une pitié frater
1437
ourrait faire soupçonner chez Kafka une intention
de
catharsis, de délivrance par l’excès. S’il rend la situation de l’hom
1438
soupçonner chez Kafka une intention de catharsis,
de
délivrance par l’excès. S’il rend la situation de l’homme tel qu’il l
1439
de délivrance par l’excès. S’il rend la situation
de
l’homme tel qu’il le voit si physiquement insupportable, n’est-ce pas
1440
able, n’est-ce pas pour exciter en lui la volonté
d’
une décision équivalant à l’acte de foi ? Si c’était le cas, il convie
1441
lui la volonté d’une décision équivalant à l’acte
de
foi ? Si c’était le cas, il conviendrait de préciser que les données
1442
’acte de foi ? Si c’était le cas, il conviendrait
de
préciser que les données mêmes du conflit prédéterminent sa solution.
1443
s, ne saurait aboutir ailleurs que dans l’éthique
de
l’immanence, qui est l’éthique du Second Faust. Le héros du Procès, J
1444
osef K. s’était vu condamné par la Justice, faute
d’
un avocat venu d’en haut. Dans le Château, K. va se résigner à vivre,
1445
u condamné par la Justice, faute d’un avocat venu
d’
en haut. Dans le Château, K. va se résigner à vivre, malgré tout, de s
1446
Château, K. va se résigner à vivre, malgré tout,
de
ses efforts. Non point qu’il nie l’existence de la Grâce. Mais il rép
1447
, de ses efforts. Non point qu’il nie l’existence
de
la Grâce. Mais il répète avec les sages — lui, le fou — quæ super nos
1448
cantonne dans la « réalité rugueuse ». Il essaie
de
s’y acquérir des mérites suffisants non pas pour entrer au ciel mais
1449
er au ciel mais simplement pour n’être pas rejeté
de
la commune condition humaine. Il imitera les philistins dans tous leu
1450
les philistins dans tous leurs gestes, conscient
de
récupérer par cet effort un droit de cité qui pour d’autres va de soi
1451
s, conscient de récupérer par cet effort un droit
de
cité qui pour d’autres va de soi. Angoisse kierkegaardienne, dans sa
1452
kierkegaardienne, dans sa source, mais qui, faute
d’
aboutir à un Alleluia ! se rabat sur un Et allons !… Solution goethéen
1453
héenne dans ses fins apparentes, mais sur un fond
d’
absurdité hostile, et non pas de confiance en la Nature. ⁂ Le chevalie
1454
mais sur un fond d’absurdité hostile, et non pas
de
confiance en la Nature. ⁂ Le chevalier de la foi, chez Kierkegaard, e
1455
non pas de confiance en la Nature. ⁂ Le chevalier
de
la foi, chez Kierkegaard, exécutait sans cesse le « saut » dans l’abs
1456
l’absolu, ou dans l’absurde, mais il l’exécutait
d’
une telle façon qu’il retombait les deux pieds sur la terre et pouvait
1457
pouvait dès lors y agir et s’y promener comme si
de
rien n’était. Il avait « l’air d’un percepteur » et il était un témoi
1458
omener comme si de rien n’était. Il avait « l’air
d’
un percepteur » et il était un témoin de la foi, au nom de l’absurde a
1459
t « l’air d’un percepteur » et il était un témoin
de
la foi, au nom de l’absurde accepté, qui se muait alors en libre Amou
1460
nom d’un Absurde qu’il fuit, au nom de la crainte
d’
un Dieu inaccessible, et qui se rit de notre lucidité, sans parler de
1461
la crainte d’un Dieu inaccessible, et qui se rit
de
notre lucidité, sans parler de nos efforts tragi-comiques pour le séd
1462
ble, et qui se rit de notre lucidité, sans parler
de
nos efforts tragi-comiques pour le séduire ou le duper. Le chevalier
1463
omiques pour le séduire ou le duper. Le chevalier
de
la foi, revenu sur la terre ferme, aurait pu accepter, lui aussi, la
1464
re ferme, aurait pu accepter, lui aussi, la leçon
de
morale du Second Faust : comme une éthique de l’Incarnation, comme un
1465
çon de morale du Second Faust : comme une éthique
de
l’Incarnation, comme une œuvre exprimant la foi dans l’ordre provisoi
1466
dre provisoire du monde déchu : comme une manière
de
renoncer à connaître Dieu autrement qu’en obéissant aux exigences act
1467
autrement qu’en obéissant aux exigences actuelles
de
son amour. Mais l’exemple de K. suggère un autre usage de la sagesse
1468
exigences actuelles de son amour. Mais l’exemple
de
K. suggère un autre usage de la sagesse goethéenne. Cette morale peut
1469
mour. Mais l’exemple de K. suggère un autre usage
de
la sagesse goethéenne. Cette morale peut sans doute être adoptée, dan
1470
ant ; mais elle peut aussi subsister sans contenu
d’
espérance ou de foi, et sans autre fin que terrestre. École de la pers
1471
peut aussi subsister sans contenu d’espérance ou
de
foi, et sans autre fin que terrestre. École de la personne, elle peut
1472
ou de foi, et sans autre fin que terrestre. École
de
la personne, elle peut aussi devenir une simple école de personnalité
1473
ersonne, elle peut aussi devenir une simple école
de
personnalités… D’où la méfiance où beaucoup de chrétiens tiennent le
1474
aussi devenir une simple école de personnalités…
D’
où la méfiance où beaucoup de chrétiens tiennent le sobre activisme de
1475
beaucoup de chrétiens tiennent le sobre activisme
de
Faust. Au lieu d’y voir une modestie virile, et un refus de la specul
1476
Au lieu d’y voir une modestie virile, et un refus
de
la speculatio maiestatis, ils y distinguent la tentation prométhéenne
1477
atis, ils y distinguent la tentation prométhéenne
d’
un monde organisé sans Dieu, d’une autarcie de l’immanence. Mais en fi
1478
ation prométhéenne d’un monde organisé sans Dieu,
d’
une autarcie de l’immanence. Mais en fin de compte, une telle ambiguït
1479
nne d’un monde organisé sans Dieu, d’une autarcie
de
l’immanence. Mais en fin de compte, une telle ambiguïté n’est-elle pa
1480
ompte, une telle ambiguïté n’est-elle pas le fait
de
toute morale, de toute sagesse, même chrétienne d’inspiration ? Et la
1481
ambiguïté n’est-elle pas le fait de toute morale,
de
toute sagesse, même chrétienne d’inspiration ? Et la personne kierkeg
1482
e toute morale, de toute sagesse, même chrétienne
d’
inspiration ? Et la personne kierkegaardienne, fondée dans la pure tra
1483
lité, soumise à la seule immanence ? Le chevalier
de
la foi a l’air d’un percepteur : qui peut jurer qu’il est, en fait, a
1484
seule immanence ? Le chevalier de la foi a l’air
d’
un percepteur : qui peut jurer qu’il est, en fait, autre chose qu’un p
1485
s ici dans un domaine où l’on ne saurait imaginer
de
certitude non équivoque. Car c’est là le domaine de la foi. Et la foi
1486
certitude non équivoque. Car c’est là le domaine
de
la foi. Et la foi seule — qui n’est pas vérifiable — peut vérifier l’
1487
nom de quoi nous agissons, malgré l’« absurdité »
de
notre action, ou ses apparences raisonnables. Le témoignage de bouche
1488
on, ou ses apparences raisonnables. Le témoignage
de
bouche, dont parle saint Paul, l’allégation des motifs derniers, voil
1489
, chez Kierkegaard et chez Kafka le rôle possible
de
la foi. Et certes, je ne les ai confrontés, dans ces pages, que par l
1490
s ai confrontés, dans ces pages, que par le biais
de
leurs expressions : là où leurs expériences deviennent comparables, s
1491
sans avoir pu donner l’équivalent des Entretiens
de
Goethe, ou de l’opuscule de Kierkegaard sur son activité d’auteur. Si
1492
donner l’équivalent des Entretiens de Goethe, ou
de
l’opuscule de Kierkegaard sur son activité d’auteur. Si donc nous fûm
1493
valent des Entretiens de Goethe, ou de l’opuscule
de
Kierkegaard sur son activité d’auteur. Si donc nous fûmes parfois ten
1494
ou de l’opuscule de Kierkegaard sur son activité
d’
auteur. Si donc nous fûmes parfois tentés d’inférer de ces trois œuvre
1495
ivité d’auteur. Si donc nous fûmes parfois tentés
d’
inférer de ces trois œuvres géniales je ne sais quel jugement de valeu
1496
teur. Si donc nous fûmes parfois tentés d’inférer
de
ces trois œuvres géniales je ne sais quel jugement de valeur sur l’ex
1497
es trois œuvres géniales je ne sais quel jugement
de
valeur sur l’expérience intime qu’elles traduisent ou trahissent, l’e
1498
time qu’elles traduisent ou trahissent, l’exemple
de
Kafka est le plus propre à nous rappeler l’avertissement apostolique
1499
nnus. 55. Par exemple : la métamorphose subite
d’
un jeune homme en une bête innommable et même indescriptible (dans la
1500
image fera-t-elle pressentir la cause spirituelle
de
l’état de lassitude et d’empêchement où sont maintenus les héros du P
1501
-t-elle pressentir la cause spirituelle de l’état
de
lassitude et d’empêchement où sont maintenus les héros du Procès. Il
1502
ir la cause spirituelle de l’état de lassitude et
d’
empêchement où sont maintenus les héros du Procès. Il se peut que la t
1503
vre des auteurs atteints du même mal l’atmosphère
d’
oppression du Procès, il resterait à expliquer pourquoi le seul Kafka
1504
iquer pourquoi le seul Kafka sut mettre en œuvre,
d’
une manière à ce point signifiante, cette prédisposition physiologique
1505
ise bien K. et non Kafka. Il ne serait pas licite
d’
assimiler l’expérience intime de l’auteur à celle qu’il fait subir à s
1506
serait pas licite d’assimiler l’expérience intime
de
l’auteur à celle qu’il fait subir à son héros. Je suis certain qu’en
1507
fka reste beaucoup plus proche de Kierkegaard que
de
Goethe. 61. Et je ne parle même pas du philistin, incapable de soupç
1508
. Et je ne parle même pas du philistin, incapable
de
soupçonner que sa morale de bipède puisse être un renoncement au vol
1509
philistin, incapable de soupçonner que sa morale
de
bipède puisse être un renoncement au vol d’Icare, cette folie ne l’ay
1510
orale de bipède puisse être un renoncement au vol
d’
Icare, cette folie ne l’ayant jamais tenté le moins du monde.
1511
5.Luther et la liberté
de
la personne Dire qu’on ignore Luther en France serait exagérer, mai
1512
ance serait exagérer, mais dans le sens contraire
de
celui qu’on imagine. Car on fait pis que de l’ignorer et même que de
1513
raire de celui qu’on imagine. Car on fait pis que
de
l’ignorer et même que de le méconnaître : on prétend, sans l’avoir ja
1514
ine. Car on fait pis que de l’ignorer et même que
de
le méconnaître : on prétend, sans l’avoir jamais lu, savoir qui il fu
1515
fut, qui il est. Certains ont parcouru les Propos
de
table, présentés au public français comme un ouvrage capital : ils s’
1516
rançais comme un ouvrage capital : ils s’étonnent
d’
y trouver si peu de substance théologique et tant de plaisanteries par
1517
ique et tant de plaisanteries parfois grossières,
de
platitudes, de contradictions. Est-ce avec cela que s’est faite la Ré
1518
plaisanteries parfois grossières, de platitudes,
de
contradictions. Est-ce avec cela que s’est faite la Réforme ? D’autre
1519
utenir que Luther fut un démagogue, un exploiteur
de
l’éternel ressentiment de la race allemande contre la civilisation ro
1520
émagogue, un exploiteur de l’éternel ressentiment
de
la race allemande contre la civilisation romaine. Au lieu de rapporte
1521
porter à son germanisme originel certains défauts
de
Luther, on rapporte au luthéranisme tout ce qui choque dans l’Allemag
1522
réé le germanisme. Comme s’il était l’ancêtre non
de
Niemöller, chrétien et luthérien, mais de Hitler, païen né catholique
1523
tre non de Niemöller, chrétien et luthérien, mais
de
Hitler, païen né catholique. Pour l’opinion moyenne sur Luther, je cr
1524
illies par des biographes amateurs, et à l’action
de
la polémique catholique (Denifle, Maritain, Grisar), mettent le publi
1525
tain, Grisar), mettent le public français en état
d’
infériorité assez grave sur le plan de la culture générale. Car ignore
1526
ais en état d’infériorité assez grave sur le plan
de
la culture générale. Car ignorer ou méconnaître Luther, c’est ignorer
1527
méconnaître un des deux ou trois moments décisifs
de
la tradition d’Occident, c’est s’interdire de rien comprendre à la gr
1528
es deux ou trois moments décisifs de la tradition
d’
Occident, c’est s’interdire de rien comprendre à la grande discussion
1529
ifs de la tradition d’Occident, c’est s’interdire
de
rien comprendre à la grande discussion millénaire, à la grande tensio
1530
u libre arbitre, opposant Érasme à Luther, permet
de
définir symboliquement les pôles : pensée « pure » et pensée « engagé
1531
s le plan théologique, ou mieux, dans la totalité
de
l’être, revient à celle d’un christianisme mitigé de respect humain,
1532
ieux, dans la totalité de l’être, revient à celle
d’
un christianisme mitigé de respect humain, et d’un christianisme absol
1533
l’être, revient à celle d’un christianisme mitigé
de
respect humain, et d’un christianisme absolu, qu’on déclare volontier
1534
e d’un christianisme mitigé de respect humain, et
d’
un christianisme absolu, qu’on déclare volontiers « inhumain » parce q
1535
re À la proposition qu’on lui faisait en 1537
d’
éditer ses œuvres complètes, le réformateur répondit : « Je ne reconna
1536
le réformateur répondit : « Je ne reconnais aucun
de
mes livres pour adéquat, si ce n’est peut-être le De servo arbitrio e
1537
mes livres pour adéquat, si ce n’est peut-être le
De
servo arbitrio et le Catéchisme. » Nous voici donc, avec le Serf arbi
1538
échisme. » Nous voici donc, avec le Serf arbitre,
de
l’aveu même de son auteur, au centre du débat de la Réforme et de son
1539
voici donc, avec le Serf arbitre, de l’aveu même
de
son auteur, au centre du débat de la Réforme et de son effort dogmati
1540
de l’aveu même de son auteur, au centre du débat
de
la Réforme et de son effort dogmatique. Mais nous touchons du même co
1541
e son auteur, au centre du débat de la Réforme et
de
son effort dogmatique. Mais nous touchons du même coup au centre du p
1542
tre du problème le plus ardu que pose l’autonomie
de
la personne : le problème de sa liberté et du fondement dernier de sa
1543
que pose l’autonomie de la personne : le problème
de
sa liberté et du fondement dernier de sa responsabilité. Car la perso
1544
le problème de sa liberté et du fondement dernier
de
sa responsabilité. Car la personne est dans la vie de l’individu à la
1545
a responsabilité. Car la personne est dans la vie
de
l’individu à la fois l’élément libérateur — par rapport aux données n
1546
ort à la vocation. En d’autres termes, la liberté
de
la personne n’est pas un attribut de l’individu en soi, mais elle lui
1547
, la liberté de la personne n’est pas un attribut
de
l’individu en soi, mais elle lui est attribuée par un appel gratuit d
1548
libre Esprit. Si l’homme naturel n’est pas libre
d’
accéder à la liberté, cette liberté peut lui être donnée par la puissa
1549
té peut lui être donnée par la puissance vocative
de
Dieu62. Telle est la thèse fondamentale du De servo arbitrio, écrit e
1550
ive de Dieu62. Telle est la thèse fondamentale du
De
servo arbitrio, écrit en 1525 pour réfuter la Diatribe seu collatio d
1551
rit en 1525 pour réfuter la Diatribe seu collatio
de
libero arbitrio, publiée par Érasme un an auparavant. ⁂ On croit d’ab
1552
rsonnifiée) n’est en fait que le support apparent
d’
une réflexion de plus grande envergure, d’un témoignage qui transcende
1553
pparent d’une réflexion de plus grande envergure,
d’
un témoignage qui transcende toute dispute. Entraîné par sa fougue hab
1554
il le dit aux premières pages ) par les procédés
de
l’humaniste et du sceptique que se vantait d’être Érasme, Luther en v
1555
dés de l’humaniste et du sceptique que se vantait
d’
être Érasme, Luther en vient, de proche en proche, à ressaisir et repo
1556
ue que se vantait d’être Érasme, Luther en vient,
de
proche en proche, à ressaisir et reposer avec puissance toutes les af
1557
c puissance toutes les affirmations fondamentales
de
la Réforme : justification par la foi, qui est don gratuit et œuvre d
1558
fication par la foi, qui est don gratuit et œuvre
de
Dieu seul ; opposition de cette justice de Dieu à la justice des homm
1559
st don gratuit et œuvre de Dieu seul ; opposition
de
cette justice de Dieu à la justice des hommes et de leurs œuvres ; op
1560
œuvre de Dieu seul ; opposition de cette justice
de
Dieu à la justice des hommes et de leurs œuvres ; opposition de la gr
1561
cette justice de Dieu à la justice des hommes et
de
leurs œuvres ; opposition de la grâce à la nature, selon les termes d
1562
ustice des hommes et de leurs œuvres ; opposition
de
la grâce à la nature, selon les termes de l’Apôtre ; opposition de la
1563
osition de la grâce à la nature, selon les termes
de
l’Apôtre ; opposition de la Parole vivante à la tradition codifiée ;
1564
nature, selon les termes de l’Apôtre ; opposition
de
la Parole vivante à la tradition codifiée ; sens de la décision total
1565
la Parole vivante à la tradition codifiée ; sens
de
la décision totale entre un oui et un non absolus, et refus de tout m
1566
n totale entre un oui et un non absolus, et refus
de
tout moyen terme ou médiation plus ou moins rationnelle entre les règ
1567
nnelle entre les règnes en guerre ouverte du Dieu
de
la foi et du Prince de ce monde ; nécessité du témoignage, et du témo
1568
en guerre ouverte du Dieu de la foi et du Prince
de
ce monde ; nécessité du témoignage, et du témoignage fidèle, certifié
1569
la Bible, et constituant la véritable « action »
de
l’homme « entre les mains de Dieu. » Tels sont les thèmes qu’illustre
1570
véritable « action » de l’homme « entre les mains
de
Dieu. » Tels sont les thèmes qu’illustre cet ouvrage. S’ils n’y sont
1571
étuelle question que nous posent toutes les pages
de
la Bible. Ils renvoient tous à une réalité dont ils ne sont que les r
1572
e crois, si tu as reçu la foi, il n’est plus rien
de
« difficile » dans les assertions de Luther, ni dans sa négation joye
1573
st plus rien de « difficile » dans les assertions
de
Luther, ni dans sa négation joyeuse du libre arbitre. Ses coups viole
1574
lui qu’il nous faut dépouiller. Mais il s’en faut
de
presque tout que les grandes thèses pauliniennes de la Réforme soient
1575
presque tout que les grandes thèses pauliniennes
de
la Réforme soient acceptées (ou simplement connues !) par nos contemp
1576
r nos contemporains, même chrétiens. Il s’en faut
de
beaucoup, de presque tout, que les arguments d’un Érasme nous apparai
1577
orains, même chrétiens. Il s’en faut de beaucoup,
de
presque tout, que les arguments d’un Érasme nous apparaissent comme a
1578
t de beaucoup, de presque tout, que les arguments
d’
un Érasme nous apparaissent comme autant de sophismes. Non seulement t
1579
uments d’un Érasme nous apparaissent comme autant
de
sophismes. Non seulement tous les humanistes — des marxistes au vieux
1580
pole : tout catholique se doit, en bonne logique,
de
les faire siens, puisqu’il croit au mérite des œuvres ; et tous les p
1581
e Calvin et Luther ont fait leur temps — que dire
de
Paul, bien plus ancien ! — tous ceux qui tiennent la prédestination p
1582
ui traduisent : « Paix sur la terre, bénévolence (
de
Dieu) envers les hommes » par « Paix aux hommes de bonne volonté », t
1583
e Dieu) envers les hommes » par « Paix aux hommes
de
bonne volonté », tous ceux-là sont, en fait, avec Érasme et son armée
1584
s ceux-là sont, en fait, avec Érasme et son armée
de
« grands docteurs de tous les siècles », pour soutenir le libre arbit
1585
it, avec Érasme et son armée de « grands docteurs
de
tous les siècles », pour soutenir le libre arbitre religieux, c’est-à
1586
ieux, c’est-à-dire : le pouvoir qu’aurait l’homme
de
contribuer à son salut par ses efforts et ses œuvres morales. Que tro
1587
u pittoresque ; l’élan génial, la violence loyale
d’
une certitude pesante, vraiment « grave », d’une dialectique sobre et
1588
yale d’une certitude pesante, vraiment « grave »,
d’
une dialectique sobre et têtue, qui va droit au point décisif, envisag
1589
in conférer à son choix la force et la simplicité
d’
une constatation évidente. D’un point de vue purement esthétique, ces
1590
rce et la simplicité d’une constatation évidente.
D’
un point de vue purement esthétique, ces qualités sont assez rares et
1591
même attiré et subjugué par le style, par le ton
de
l’ouvrage. (Nous ne savons que trop bien, nous modernes, séparer le f
1592
ons que trop bien, nous modernes, séparer le fond
de
la forme ; admirer l’une quand nous condamnons l’autre, et vice versa
1593
ette maîtrise, qu’on attendait d’ailleurs du chef
d’
un grand mouvement (comme dirait le jargon d’aujourd’hui), tout est fa
1594
chef d’un grand mouvement (comme dirait le jargon
d’
aujourd’hui), tout est fait dans notre Traité pour heurter de front le
1595
ui), tout est fait dans notre Traité pour heurter
de
front le lecteur incroyant, ou celui qui ne partage pas la foi de Pau
1596
eur incroyant, ou celui qui ne partage pas la foi
de
Paul et des apôtres. D’abord le langage scolastique, qui n’est pas du
1597
pas du tout luthérien, mais que Luther est obligé
d’
utiliser pour débrouiller et supprimer les faux problèmes où la Diatri
1598
refus total, ou mieux cette négligence tranquille
de
toute espèce de considération psychologique. (Un tel homme est bien t
1599
mieux cette négligence tranquille de toute espèce
de
considération psychologique. (Un tel homme est bien trop vivant pour
1600
ue. (Un tel homme est bien trop vivant pour faire
de
la psychologie, trop engagé dans le réel pour prendre au sérieux ses
1601
conscience du spectateur.) Ce qui ne manquera pas
de
faire crier au dogmatisme. Tous se passe ici à « l’intérieur » du chr
1602
se passe ici à « l’intérieur » du christianisme,
de
l’Église. L’humanisme laïque, autonome, est simplement nié comme une
1603
e, et doit suffire en droit à réfuter l’objection
d’
un moderne, l’objection parfaitement anachronique, mais que je sais in
1604
isse écarter cette objection par un simple rappel
de
l’ordre dans lequel ce Traité fut pensé. Je tenterai donc d’esquisser
1605
dans lequel ce Traité fut pensé. Je tenterai donc
d’
esquisser, tout au moins, le dialogue d’une « conscience moderne » dou
1606
erai donc d’esquisser, tout au moins, le dialogue
d’
une « conscience moderne » douée d’exigence spirituelle, avec un parti
1607
s, le dialogue d’une « conscience moderne » douée
d’
exigence spirituelle, avec un partisan du « serf arbitre » luthérien.
1608
qu’un tel dialogue se déroule à l’intérieur même
de
la pensée d’un homme qui veut honnêtement croire…) Dialogue Car
1609
alogue se déroule à l’intérieur même de la pensée
d’
un homme qui veut honnêtement croire…) Dialogue Car Dieu peut to
1610
Dieu peut tout à tout instant. C’est là la santé
de
la foi. Kierkegaard. La Conscience moderne. — Selon Luther, nous n
1611
ce, mais l’omniscience et la prescience éternelle
de
Dieu, qui ne peut faillir dans sa promesse, et auquel nul obstacle ne
1612
Que devient alors notre effort ? Il ne sert plus
de
rien. Nous n’en ferons plus. Nous refusons de jouer si d’avance le va
1613
lus de rien. Nous n’en ferons plus. Nous refusons
de
jouer si d’avance le vainqueur a été désigné par un arbitre qui ne ti
1614
Nous n’en ferons plus. Nous refusons de jouer si
d’
avance le vainqueur a été désigné par un arbitre qui ne tient pas comp
1615
té désigné par un arbitre qui ne tient pas compte
de
nos exploits ! Un luthérien. — Mais connais-tu seulement les vraies
1616
e sort, cette idole païenne ? C. M. — J’ai besoin
de
le croire pour agir. L. — Mais qu’est-ce qu’agir ? Est-ce vraiment to
1617
nt toi qui agis ? Ou n’es-tu pas toi-même agi par
de
puissantes forces sociales, historiques, et économiques ? Toute ta sc
1618
Certes, mais ma dignité consiste à lutter contre
de
telles forces, une fois que je les ai reconnues ; à m’affirmer dans m
1619
omie par un acte qui crée ma liberté, par un acte
de
révolte, s’il le faut ! L. — Tu crois donc détenir un tel pouvoir ? C
1620
onc détenir un tel pouvoir ? C. M. — Il me suffit
de
vouloir l’affirmer. L. — Soit, c’est une hypothèse de travail… Pour m
1621
ouloir l’affirmer. L. — Soit, c’est une hypothèse
de
travail… Pour moi, je crois que Dieu connaît la fin, la somme, la val
1622
Dieu connaît la fin, la somme, la valeur absolue
de
nos actions passées, présentes et futures ; car elles sont dans le te
1623
r ce Dieu qui prétend voir plus loin que le terme
de
mes actions, — ce qui, avouons-le, les ridiculise complètement et les
1624
prévues par un Dieu éternel, qui dès lors se joue
de
moi indignement ! Il faudra donc choisir ; Dieu ou Moi. Je dirai : mo
1625
: ce n’est que le « Dieu moral » qui est passible
de
réfutation. Mais tu affirmes que si Dieu prévoit tout, tu es alors di
1626
es que si Dieu prévoit tout, tu es alors dispensé
d’
agir, et que ce n’est plus la peine de faire aucun effort. C’est peut-
1627
rs dispensé d’agir, et que ce n’est plus la peine
de
faire aucun effort. C’est peut-être mal raisonner. Si ton effort auss
1628
ieu n’est pas ! »64 qui t’assurerait que cet acte
de
révolte échappe à l’éternelle Prévision ? Qui t’assurerait qu’en pron
1629
ne prononcerais pas sur toi-même l’arrêt éternel
de
Dieu, te rejetant vers le néant, en sorte que Dieu, vraiment n’existe
1630
emps ? C. M. — Mais mon temps est vivant et plein
de
nouveauté, de création ! Ton éternité immobile c’est l’image même de
1631
Mais mon temps est vivant et plein de nouveauté,
de
création ! Ton éternité immobile c’est l’image même de la mort. L. —
1632
éation ! Ton éternité immobile c’est l’image même
de
la mort. L. — Que savons-nous de l’éternité ? Les philosophes et la r
1633
est l’image même de la mort. L. — Que savons-nous
de
l’éternité ? Les philosophes et la raison ne peuvent l’imaginer que m
1634
Qui nous prouve que l’éternité est quelque chose
d’
immobile, de statique ? Qui nous dit qu’elle n’est pas au contraire la
1635
ouve que l’éternité est quelque chose d’immobile,
de
statique ? Qui nous dit qu’elle n’est pas au contraire la source de t
1636
nous dit qu’elle n’est pas au contraire la source
de
tout acte et de toute création, une invention totale et perpétuelle,
1637
n’est pas au contraire la source de tout acte et
de
toute création, une invention totale et perpétuelle, une actualité pe
1638
elle le touche dans l’instant (dans un « atome »
de
temps, comme l’écrit Paul). Qui t’assure que notre raison, tout attac
1639
otre temps où elle s’est constituée, soit capable
de
concevoir ce paradoxe ou ce scandale d’une éternité seule actuelle ?
1640
t capable de concevoir ce paradoxe ou ce scandale
d’
une éternité seule actuelle ? C’est un mystère plus profond que notre
1641
otre vie, et la raison n’est qu’un faible élément
de
notre vie. C’est un mystère que le croyant pressent et vit au seul mo
1642
ère que le croyant pressent et vit au seul moment
de
la prière. « Demandez et l’on vous donnera », dit le même Dieu qui no
1643
aux yeux de l’homme, sans que rien ne soit changé
de
ce qu’a décidé Dieu, de ce qu’il décide ou de ce qu’il décidera ? Car
1644
s que rien ne soit changé de ce qu’a décidé Dieu,
de
ce qu’il décide ou de ce qu’il décidera ? Car l’Éternel ne connaît pa
1645
ngé de ce qu’a décidé Dieu, de ce qu’il décide ou
de
ce qu’il décidera ? Car l’Éternel ne connaît pas de temps, il n’est p
1646
ce qu’il décidera ? Car l’Éternel ne connaît pas
de
temps, il n’est pas lié comme nous à une succession. Mais au contrair
1647
traire, nos divers temps et successions procèdent
de
l’Éternel et lui sont liés : nous venons de lui, nous retournons à lu
1648
range illusion nous ferait croire qu’une décision
de
l’Éternel est une décision dans le passé ! Alors que c’est elle seule
1649
e cas tu n’as rien prouvé. L. — On ne prouve rien
de
ce qui est essentiel, mais on l’accepte ou le refuse, en vertu d’une
1650
pure. Discuter ne peut nous conduire qu’au seuil
de
cette décision. Et nous n’aurons pas dialogué en vain, si nous avons
1651
rnel qui commande — ou c’est moi. Il n’y a pas là
de
difficultés intellectuelles. Il n’y a que la résistance du « vieil ho
1652
est Christ lui-même — il me paraît que l’opinion
de
Luther n’est pas sujette à de sérieuses objections. Et la démonstrati
1653
araît que l’opinion de Luther n’est pas sujette à
de
sérieuses objections. Et la démonstration purement biblique qu’on en
1654
bles, suffit à établir pour le chrétien la vérité
d’
un paradoxe que Luther n’a pas inventé, mais qui est au cœur même de l
1655
Luther n’a pas inventé, mais qui est au cœur même
de
l’Évangile. L’apôtre Paul l’a formulé avant toute tradition ecclésias
1656
araît qu’à celui qui ose aller jusqu’aux extrêmes
de
la connaissance de soi-même et de la connaissance de la foi. Car la f
1657
i ose aller jusqu’aux extrêmes de la connaissance
de
soi-même et de la connaissance de la foi. Car la foi seule révèle la
1658
qu’aux extrêmes de la connaissance de soi-même et
de
la connaissance de la foi. Car la foi seule révèle la nature radicale
1659
la connaissance de soi-même et de la connaissance
de
la foi. Car la foi seule révèle la nature radicale du péché. Luther i
1660
trop portés à corriger et à humaniser, au risque
d’
« évacuer la Croix ». Tant qu’on n’a pas envisagé la doctrine de la pu
1661
Croix ». Tant qu’on n’a pas envisagé la doctrine
de
la pure grâce jusque dans son sérieux dernier, on peut soutenir que l
1662
a grâce que Dieu nous fait. Toute l’argumentation
de
Luther vise le moment de la décision, et néglige les moyens termes où
1663
t. Toute l’argumentation de Luther vise le moment
de
la décision, et néglige les moyens termes où voulait se complaire Éra
1664
aire Érasme. Le problème du salut est un problème
de
vie ou de mort. Or ce problème est seul en cause pour le théologien f
1665
e. Le problème du salut est un problème de vie ou
de
mort. Or ce problème est seul en cause pour le théologien fidèle. Et
1666
er ne nie pas du tout notre faculté psychologique
de
vouloir, mais nie seulement qu’elle puisse suffire à nous obtenir le
1667
affirmer que Dieu damne qui il veut, — au mépris
de
tant de grands hommes de tous les temps. Et qui ne se scandaliserait
1668
qui il veut, — au mépris de tant de grands hommes
de
tous les temps. Et qui ne se scandaliserait pas ? » Ainsi parle Luthe
1669
râce ». Car en effet : « C’est le plus haut degré
de
la foi, de croire que ce Dieu est clément, qui sauve si peu d’hommes
1670
en effet : « C’est le plus haut degré de la foi,
de
croire que ce Dieu est clément, qui sauve si peu d’hommes et en damne
1671
croire que ce Dieu est clément, qui sauve si peu
d’
hommes et en damne un si grand nombre ; et que ce Dieu est juste, dont
1672
oi ! si nous arrivions à comprendre par la raison
de
quelle manière Dieu est miséricordieux et juste, alors qu’il montre u
1673
rible colère et injustice, qu’aurions-nous besoin
de
la foi ?… Ce serait un Dieu stupide qui révélerait aux hommes (en Chr
1674
l’étincelle innée ». Ici, c’est la foi seule, don
de
la grâce, qui parle. Dans le conflit de cette révélation et des résis
1675
eule, don de la grâce, qui parle. Dans le conflit
de
cette révélation et des résistances naturelles — conflit victorieux p
1676
dent la tension proprement luthérienne et le sens
de
la vocation. La grandeur sans mesure de Luther, je la vois dans cette
1677
t le sens de la vocation. La grandeur sans mesure
de
Luther, je la vois dans cette volonté de se réduire à un absurde aux
1678
s mesure de Luther, je la vois dans cette volonté
de
se réduire à un absurde aux yeux de qui refuse sa décision. Mais alo
1679
re un catholique ; son humanisme mesuré l’empêche
de
voir le vrai tragique du débat. Mais le plus grand des adversaires du
1680
a poussé comme Luther jusqu’aux extrêmes limites
de
l’homme, jusqu’aux questions dernières que peut envisager notre pensé
1681
la fatalité inéluctable. C’est dans cette volonté
de
reconnaître notre irresponsabilité totale, qu’il croit trouver et reg
1682
u’il croit trouver et regagner la dignité suprême
de
l’homme sans Dieu. La similitude étonnante du paradoxe luthérien et d
1683
roblème dès qu’on en vient à une épreuve radicale
de
la vie. Au « tu dois » prononcé par Dieu, Nietzsche oppose le « je ve
1684
rononcé par Dieu, Nietzsche oppose le « je veux »
de
l’homme divinisé. Puis à l’existence de Dieu, il oppose sa propre exi
1685
je veux » de l’homme divinisé. Puis à l’existence
de
Dieu, il oppose sa propre existence. Mais la difficulté fondamentale
1686
a difficulté fondamentale que posent les rapports
de
notre volonté et de l’éternité souveraine, demeure entière. La différ
1687
ntale que posent les rapports de notre volonté et
de
l’éternité souveraine, demeure entière. La différence, c’est que Niet
1688
. La différence, c’est que Nietzsche nous propose
d’
adorer un Destin muet, tandis que Luther adore une Providence dont la
1689
le vivante s’est incarnée. Renversement du devoir
de
la Loi — qui nous condamne, car nous sommes asservis — en un pouvoir
1690
ondamne, car nous sommes asservis — en un pouvoir
d’
aimer qui nous libère, et qui est le contenu de la Grâce : « Emmanuel
1691
ir d’aimer qui nous libère, et qui est le contenu
de
la Grâce : « Emmanuel ! Dieu avec nous ! » 62. Le paradoxe qui fai
1692
Le paradoxe qui faisait le sujet du court traité
de
libertate christiana (1520) exprime la dialectique non plus de l’indi
1693
christiana (1520) exprime la dialectique non plus
de
l’individu mais de la personne du chrétien : « Le chrétien est un maî
1694
xprime la dialectique non plus de l’individu mais
de
la personne du chrétien : « Le chrétien est un maître libre sur toute
1695
tien est en toutes choses un serviteur, et dépend
de
tout le monde ». L’édition française de ce petit traité, traduit par
1696
et dépend de tout le monde ». L’édition française
de
ce petit traité, traduit par l’abbé Christiani, porte à cet endroit u
1697
en que libre en tout je me suis fait le serviteur
de
tous. » L’antithèse « arbitraire et artificielle » est donc de saint
1698
antithèse « arbitraire et artificielle » est donc
de
saint Paul. 63. Luther avertit à chaque fois : « Nécessité condition
1699
akounine. 65. Voir les objections philosophiques
de
Jules Lequier contre la prescience de Dieu. Elles reposent toutes sur
1700
losophiques de Jules Lequier contre la prescience
de
Dieu. Elles reposent toutes sur cette idée : qu’une décision éternell
1701
toutes sur cette idée : qu’une décision éternelle
de
Dieu est une décision qui a été prise avant nos actes, — il y a très
1702
rise avant nos actes, — il y a très longtemps — «
de
toute éternité, » comme on dit couramment… 66. Modiculum et minimum
1703
sitait pas à qualifier le christianisme luthérien
de
« religion du serf arbitre ». (Il s’appuyait, pour ce faire, sur Gris
1704
e faire, sur Grisar.) Autant dire que la religion
de
Luther serait la religion du péché ! Autant dire, d’autre part, que l
1705
confond avec l’idée rationaliste et toute moderne
de
contingence, que Luther n’envisage nulle part. Le même auteur donne d
1706
Le même auteur donne dans l’erreur impardonnable
d’
assimiler le serf arbitre au déterminisme : c’est à seule fin d’attaqu
1707
serf arbitre au déterminisme : c’est à seule fin
d’
attaquer le « Germanisme » destructeur de toute liberté ! Ce genre d’a
1708
eule fin d’attaquer le « Germanisme » destructeur
de
toute liberté ! Ce genre d’abus est trop fréquent pour que je puisse
1709
manisme » destructeur de toute liberté ! Ce genre
d’
abus est trop fréquent pour que je puisse le passer sous silence. (Il
1710
puisse le passer sous silence. (Il s’agissait ici
de
M. Jacques Chevalier, devenu ministre du gouvernement de Vichy. Note
1711
acques Chevalier, devenu ministre du gouvernement
de
Vichy. Note de 1944.)
1712
r, devenu ministre du gouvernement de Vichy. Note
de
1944.)
1713
6.Le Journal
d’
André Gide I Il ne serait guère honnête, et moins encore adroit de n
1714
l ne serait guère honnête, et moins encore adroit
de
ne point avouer l’incertitude où pareil livre entraîne le jugement. G
1715
al ; mais le malaise du critique commence au-delà
de
ce premier piège évité. Il naît de la difficulté que l’on éprouve à d
1716
mmence au-delà de ce premier piège évité. Il naît
de
la difficulté que l’on éprouve à découvrir l’intime hiérarchie qui tr
1717
t, dans ce complexe individuel la vraie personne.
D’
autant plus que certains détails, certaines allusions et beaucoup de s
1718
ide subit ou entretient. (Jusqu’à masquer parfois
de
vraies fenêtres par excessive défiance d’une symétrie où l’on serait
1719
parfois de vraies fenêtres par excessive défiance
d’
une symétrie où l’on serait tenté de s’arrêter…) Faute d’un « jugement
1720
sive défiance d’une symétrie où l’on serait tenté
de
s’arrêter…) Faute d’un « jugement » que ces 1300 pages s’appliquent à
1721
ymétrie où l’on serait tenté de s’arrêter…) Faute
d’
un « jugement » que ces 1300 pages s’appliquent à dénoncer d’avance, r
1722
ment » que ces 1300 pages s’appliquent à dénoncer
d’
avance, réduisons-nous à des notes de lecture, à quelques réactions im
1723
t à dénoncer d’avance, réduisons-nous à des notes
de
lecture, à quelques réactions impressionnistes. Ce qui séduit, ce qu
1724
tôt c’est la complexité secrètement significative
de
l’ensemble. Pour qualifier cette harmonie involontaire, je ne puis év
1725
ie involontaire, je ne puis évoquer que l’exemple
de
Goethe, dont ce n’est pas telle œuvre ou telle action que j’aime, mai
1726
’espace et le temps, voilà qui donnerait une idée
de
l’espèce d’intérêt que l’on prend à lire le Journal d’André Gide. Il
1727
e temps, voilà qui donnerait une idée de l’espèce
d’
intérêt que l’on prend à lire le Journal d’André Gide. Il est probable
1728
espèce d’intérêt que l’on prend à lire le Journal
d’
André Gide. Il est probable que, du seul point de vue de l’art, cet in
1729
é Gide. Il est probable que, du seul point de vue
de
l’art, cet intérêt demeure impur : l’indiscrétion moderne va chercher
1730
rne va chercher derrière les formes et au-dessous
d’
elles, dans le tout-venant de confidences fragmentaires, une vérité qu
1731
formes et au-dessous d’elles, dans le tout-venant
de
confidences fragmentaires, une vérité que les œuvres concertées avoua
1732
e conçois, comme œuvre d’art, que limité au récit
d’
une crise, et soumis là même à une sorte d’unité qui fait nécessaireme
1733
récit d’une crise, et soumis là même à une sorte
d’
unité qui fait nécessairement défaut à la chronique intermittente d’un
1734
écessairement défaut à la chronique intermittente
d’
une existence. Malgré les pages plus élaborées que Gide a groupées çà
1735
ue, etc.), malgré la perfection presque constante
de
l’écriture, et toutes ces aquarelles et ces tableaux de genre où s’am
1736
criture, et toutes ces aquarelles et ces tableaux
de
genre où s’amuse et s’attarde la maîtrise, on peut prévoir que la val
1737
ttarde la maîtrise, on peut prévoir que la valeur
d’
un tel ouvrage restera d’ordre essentiellement biographique. Mais ici
1738
ut prévoir que la valeur d’un tel ouvrage restera
d’
ordre essentiellement biographique. Mais ici se pose le problème de la
1739
lement biographique. Mais ici se pose le problème
de
la vérité du portrait. Gide note lui-même dès 1924 : « Si plus tard o
1740
d on publie mon journal, je crains qu’il ne donne
de
moi une idée assez fausse. Je ne l’ai point tenu durant les longues p
1741
Je ne l’ai point tenu durant les longues périodes
d’
équilibre, de santé, de bonheur ; mais bien durant ces périodes de dép
1742
int tenu durant les longues périodes d’équilibre,
de
santé, de bonheur ; mais bien durant ces périodes de dépression où j’
1743
urant les longues périodes d’équilibre, de santé,
de
bonheur ; mais bien durant ces périodes de dépression où j’avais beso
1744
santé, de bonheur ; mais bien durant ces périodes
de
dépression où j’avais besoin de lui pour me ressaisir, et où je me mo
1745
rant ces périodes de dépression où j’avais besoin
de
lui pour me ressaisir, et où je me montre dolent, geignant, pitoyable
1746
qu’il y pourvoit lui-même. Et cependant, « donner
de
soi une idée fausse », c’est bien ce que devait éviter Gide, plus jal
1747
rmes ? Mais ce serait un mauvais calcul. Aux yeux
d’
un lecteur prévenu, tant de naturel pourrait encore passer pour une po
1748
lentendu l’entraîne à livrer au public 1300 pages
d’
explications qui menacent d’aggraver l’équivoque. Mais alors, cela dev
1749
au public 1300 pages d’explications qui menacent
d’
aggraver l’équivoque. Mais alors, cela devient exemplaire. L’effort gi
1750
’est plus seulement émouvant : il revêt la valeur
d’
une expérience cruciale sur les limites de la sincérité en général, et
1751
valeur d’une expérience cruciale sur les limites
de
la sincérité en général, et du journal intime en particulier. La pass
1752
, et du journal intime en particulier. La passion
d’
être complètement vrai finit par altérer le naturel ; mais par son exc
1753
e, elle nous rend attentifs aux défauts réguliers
de
tout autoportrait. C’est nous donner le moyen d’y porter nos retouche
1754
de tout autoportrait. C’est nous donner le moyen
d’
y porter nos retouches. ⁂ Parfois le secret d’une vie s’épuise dans l’
1755
yen d’y porter nos retouches. ⁂ Parfois le secret
d’
une vie s’épuise dans l’œuvre : il ne reste pour le journal que les pl
1756
journal sont simplement des manières différentes
de
poursuivre une même confidence. On ne sait plus si le journal est en
1757
uvre, ou si l’œuvre n’est qu’un moment privilégié
de
ce journal. Alors le vrai portrait de l’auteur n’est plus dans l’œuvr
1758
privilégié de ce journal. Alors le vrai portrait
de
l’auteur n’est plus dans l’œuvre ni dans le journal, mais dans leur m
1759
ne grave lacune mutile l’image qu’il nous y livre
de
lui-même68 — il se peut qu’elles soient dites dans les Cahiers d’Andr
1760
il se peut qu’elles soient dites dans les Cahiers
d’
André Walter, et surtout dans La Porte Étroite, ce roman janséniste et
1761
oman janséniste et « cathare »… ⁂ D’autres causes
d’
erreur interviennent, faussant les proportions de l’autoportrait, si l
1762
d’erreur interviennent, faussant les proportions
de
l’autoportrait, si l’on se borne au seul journal. « Les choses les pl
1763
tant ses journées, comment ne serait-on pas tenté
de
dire surtout ce qui a frappé, ce qui est bizarre, ce qui fait excepti
1764
stement. Et comment ne céderait-on pas à l’invite
d’
une formule, d’une épigramme, sur tel ami dont il semble inutile de ré
1765
ment ne céderait-on pas à l’invite d’une formule,
d’
une épigramme, sur tel ami dont il semble inutile de répéter chaque fo
1766
une épigramme, sur tel ami dont il semble inutile
de
répéter chaque fois qu’on l’aime ? Ainsi l’on se peint plus rosse que
1767
e ne suis qu’un petit garçon qui s’amuse — doublé
d’
un pasteur protestant qui l’ennuie ». Type de boutade dont certains, c
1768
ublé d’un pasteur protestant qui l’ennuie ». Type
de
boutade dont certains, contre lui, ne se priveront pas d’abuser. Voic
1769
de dont certains, contre lui, ne se priveront pas
d’
abuser. Voici qui va fort loin dans la critique du genre : « Je ne pen
1770
Je ne pense pas qu’il y ait grand profit à tirer
de
ces examens de conscience où l’on parvient toujours à découvrir de me
1771
s qu’il y ait grand profit à tirer de ces examens
de
conscience où l’on parvient toujours à découvrir de mesquins ressorts
1772
conscience où l’on parvient toujours à découvrir
de
mesquins ressorts à n’importe quel comportement. On les inventerait m
1773
nt. On les inventerait même, pour la satisfaction
de
se paraître à soi-même plus perspicace, et l’on a grande tendance, pa
1774
ur de se surfaire, tout ce qui peut entrer en jeu
de
bonté naturelle ou de sociabilité, disons mieux : d’amabilité, ou mie
1775
t ce qui peut entrer en jeu de bonté naturelle ou
de
sociabilité, disons mieux : d’amabilité, ou mieux encore : de désir d
1776
bonté naturelle ou de sociabilité, disons mieux :
d’
amabilité, ou mieux encore : de désir de paraître aimable. Mais à trop
1777
té, disons mieux : d’amabilité, ou mieux encore :
de
désir de paraître aimable. Mais à trop se regarder, on ne vit plus. L
1778
s mieux : d’amabilité, ou mieux encore : de désir
de
paraître aimable. Mais à trop se regarder, on ne vit plus. Le regard,
1779
cédé à la tentation qu’il décrit ? Cercle vicieux
de
la sincérité. Ou bien l’on est banal — pour rétablir les quotidiennes
1780
erait une discipline plus grande encore que celle
de
l’œuvre : il faudrait s’imposer un rythme égal et sans lacunes, une r
1781
des petits faits, situant exactement l’apparition
de
telle pensée ou de tel acte exceptionnel. Mais ne serait-ce pas alors
1782
ituant exactement l’apparition de telle pensée ou
de
tel acte exceptionnel. Mais ne serait-ce pas alors au détriment de to
1783
t-ce pas alors au détriment de tout élan lyrique,
de
tout grand style de vie surgi des profondeurs et simplifiant parfois,
1784
triment de tout élan lyrique, de tout grand style
de
vie surgi des profondeurs et simplifiant parfois, d’un large trait de
1785
vie surgi des profondeurs et simplifiant parfois,
d’
un large trait de joie ou de colère, les méandres méticuleux d’une vér
1786
fondeurs et simplifiant parfois, d’un large trait
de
joie ou de colère, les méandres méticuleux d’une véracité stérile ? ⁂
1787
simplifiant parfois, d’un large trait de joie ou
de
colère, les méandres méticuleux d’une véracité stérile ? ⁂ Les journa
1788
ait de joie ou de colère, les méandres méticuleux
d’
une véracité stérile ? ⁂ Les journaux d’écrivains sont toujours vrais,
1789
éticuleux d’une véracité stérile ? ⁂ Les journaux
d’
écrivains sont toujours vrais, mais d’une vérité indirecte, et parfois
1790
es journaux d’écrivains sont toujours vrais, mais
d’
une vérité indirecte, et parfois même négative. C’est moins la vie véc
1791
moins la vie vécue qui s’y traduit, que le désir
de
compenser ou de parfaire ce qui n’a pas été vécu. (« J’avais besoin d
1792
cue qui s’y traduit, que le désir de compenser ou
de
parfaire ce qui n’a pas été vécu. (« J’avais besoin de lui pour me re
1793
rfaire ce qui n’a pas été vécu. (« J’avais besoin
de
lui pour me ressaisir. ») La vie réelle n’y figure souvent qu’à la ma
1794
dans les rêves. Compensations, ratures, reprises
d’
actes manqués… Il s’agirait de savoir si la vraie vie est dans ce qu’o
1795
, ratures, reprises d’actes manqués… Il s’agirait
de
savoir si la vraie vie est dans ce qu’on fait, ou dans ce qu’on pense
1796
ie est dans ce qu’on fait, ou dans ce qu’on pense
de
ses actions. ⁂ Mais voici qu’à mon tour je succombe au désir de marqu
1797
. ⁂ Mais voici qu’à mon tour je succombe au désir
de
marquer les seules différences, oubliant ce qui va de soi : l’autopor
1798
ences, oubliant ce qui va de soi : l’autoportrait
de
Gide est aussi ressemblant. On l’y retrouve aussi au naturel, avec to
1799
rable modestie et ses malices, son sens rythmique
de
la langue toujours si fermement articulée (habitude des lectures à ha
1800
(habitude des lectures à haute voix), ses sautes
d’
humeur, et ce besoin de donner raison à l’adversaire69… On l’y retrouv
1801
à haute voix), ses sautes d’humeur, et ce besoin
de
donner raison à l’adversaire69… On l’y retrouve naturaliste à la mani
1802
in, et cela me paraît nouveau, constamment occupé
de
problèmes religieux. Mais d’une manière qu’il importerait de spécifie
1803
, constamment occupé de problèmes religieux. Mais
d’
une manière qu’il importerait de spécifier. ⁂ A-t-on remarqué jusqu’à
1804
s religieux. Mais d’une manière qu’il importerait
de
spécifier. ⁂ A-t-on remarqué jusqu’à quel point « l’antichristianisme
1805
marqué jusqu’à quel point « l’antichristianisme »
de
Gide est chrétien dans ses déterminations ? Je crois qu’on s’est trop
1806
me. Du libre examen, Gide a conservé son exigence
de
vérité et de véracité « advienne que pourra ». Du moralisme, il a gar
1807
examen, Gide a conservé son exigence de vérité et
de
véracité « advienne que pourra ». Du moralisme, il a gardé sans doute
1808
on conformistes. Mais toute morale a bientôt fait
de
se muer à son tour en dogme, et la morale protestante succombe à ce d
1809
ce danger plus qu’aucune autre, dans les périodes
de
dépression théologique. D’où le ressentiment qu’à son égard conçoiven
1810
tre, dans les périodes de dépression théologique.
D’
où le ressentiment qu’à son égard conçoivent beaucoup de protestants d
1811
qu’à son égard conçoivent beaucoup de protestants
de
naissance, devenus indifférents, et subissant seulement la coutume d’
1812
s indifférents, et subissant seulement la coutume
d’
un milieu. Tout à fait justifiée en soi, cette réaction gauchit certai
1813
en soi, cette réaction gauchit certains jugements
de
Gide sur la Réforme : il la confond souvent, je crois, avec l’image c
1814
ouvent, je crois, avec l’image courante et fausse
d’
un Calvin inhumain, presque manichéen. L’évangélisme anticonfessionne
1815
L’évangélisme anticonfessionnel, que Gide retient
de
cette première éducation chrétienne, l’a mis en garde contre certaine
1816
les plus fréquentes, du christianisme : le mépris
de
la nature, et d’autre part, le recours à l’orthodoxie comme à une ass
1817
au moins autant que sur le doute. (Il cite ce mot
d’
un catholique à un pasteur : « Vous, vous croyez, mais nous savons ! »
1818
us savons ! ») Ceci explique que le souci central
de
Gide ait été de débarrasser son christianisme de toutes les adjonctio
1819
eci explique que le souci central de Gide ait été
de
débarrasser son christianisme de toutes les adjonctions « humaines —
1820
de Gide ait été de débarrasser son christianisme
de
toutes les adjonctions « humaines — trop humaines » du moralisme néo-
1821
moralisme néo-protestant et du dogmatisme romain.
D’
où son horreur congénitale des tours de passe-passe religieux. En somm
1822
me romain. D’où son horreur congénitale des tours
de
passe-passe religieux. En somme, tout son effort consiste à se délivr
1823
En somme, tout son effort consiste à se délivrer
de
cela même que certains chrétiens désireraient lui « révéler ». Le pro
1824
rétiens désireraient lui « révéler ». Le problème
de
la conversion devient pour lui le problème négatif de la fausse conve
1825
a conversion devient pour lui le problème négatif
de
la fausse conversion, ou de la conversion trop facile. « Le catholici
1826
i le problème négatif de la fausse conversion, ou
de
la conversion trop facile. « Le catholicisme est inadmissible. Le pro
1827
l’ai souvent dit à Claudel : — Ce qui me retient (
d’
entrer dans l’Église), ce n’est pas la libre-pensée, c’est l’Évangile.
1828
gile. » Mais n’y a-t-il pas chez Gide à l’origine
de
ce refus de la visibilité de toute église (tant réformée que romaine)
1829
n’y a-t-il pas chez Gide à l’origine de ce refus
de
la visibilité de toute église (tant réformée que romaine), un attache
1830
hez Gide à l’origine de ce refus de la visibilité
de
toute église (tant réformée que romaine), un attachement à sa vérité
1831
te, ou même rationaliste. Certes je m’en voudrais
de
critiquer une exigence d’honnêteté qui rappelle parfois Kierkegaard.
1832
Certes je m’en voudrais de critiquer une exigence
d’
honnêteté qui rappelle parfois Kierkegaard. Gide répugne à paraître pl
1833
ffirmer plus qu’il ne croit. Il décrit X, « forcé
de
s’asseoir au culte de famille. Sa gêne. L’horreur du geste qui puisse
1834
croit. Il décrit X, « forcé de s’asseoir au culte
de
famille. Sa gêne. L’horreur du geste qui puisse dépasser son sentimen
1835
: je ne suis pas chrétien. Mais c’était par désir
de
sauver une conception pure de la foi, dont il ne s’estimait pas digne
1836
s c’était par désir de sauver une conception pure
de
la foi, dont il ne s’estimait pas digne, et qu’il confessait par là m
1837
ement, s’éprouve complexe et réticente. Et l’acte
de
foi consistera toujours à passer outre au doute naturel, à confesser
1838
ment pourrait se poser en termes nets le problème
de
l’église visible, de l’obéissance à une orthodoxie qui ne prétende pa
1839
r en termes nets le problème de l’église visible,
de
l’obéissance à une orthodoxie qui ne prétende pas s’emparer de l’Évan
1840
ce à une orthodoxie qui ne prétende pas s’emparer
de
l’Évangile, mais au contraire s’y ordonner. « Orthodoxie protestante
1841
n’ont pour moi aucun sens. Je ne reconnais point
d’
autorité ; et si j’en reconnaissais une, ce serait celle de l’Église »
1842
é ; et si j’en reconnaissais une, ce serait celle
de
l’Église » (donc de Rome). Allons donc ! Pour un protestant, ce dilem
1843
naissais une, ce serait celle de l’Église » (donc
de
Rome). Allons donc ! Pour un protestant, ce dilemme est aussi choquan
1844
rtout, et même chez certains protestants détachés
de
la vie de leur église. Tout ce que je me sens le droit de dire ici, c
1845
même chez certains protestants détachés de la vie
de
leur église. Tout ce que je me sens le droit de dire ici, c’est que l
1846
e de leur église. Tout ce que je me sens le droit
de
dire ici, c’est que la Réforme a rejeté les prétentions du pape de Ro
1847
t que la Réforme a rejeté les prétentions du pape
de
Rome non par dégoût de l’autorité en soi, mais au contraire par grand
1848
té les prétentions du pape de Rome non par dégoût
de
l’autorité en soi, mais au contraire par grande fidélité à l’autorité
1849
ais au contraire par grande fidélité à l’autorité
de
l’Évangile, fondement unique et suffisant de la seule orthodoxie libé
1850
rité de l’Évangile, fondement unique et suffisant
de
la seule orthodoxie libératrice. II Retenons de ce qui précède et con
1851
t de la seule orthodoxie libératrice. II Retenons
de
ce qui précède et confrontons ces trois remarques : 1. Le Journal de
1852
t confrontons ces trois remarques : 1. Le Journal
de
Gide se présente comme une illustration de sa sincérité. Mais il nous
1853
ournal de Gide se présente comme une illustration
de
sa sincérité. Mais il nous donne de son auteur une image finalement d
1854
illustration de sa sincérité. Mais il nous donne
de
son auteur une image finalement déformée, faute de retouches « artifi
1855
rtificielles. » 2. Gide nous dit qu’il a supprimé
de
ses carnets les pages qu’il jugeait trop « écrites ». Entendons que l
1856
jugeait trop « écrites ». Entendons que l’effort
de
style y déformait la spontanéité, et se voit condamné comme insincère
1857
une certaine légèreté avec laquelle il lui arrive
de
prendre position — quoi qu’il en ait, et malgré son génie du scrupule
1858
aurait s’expliquer autrement que par une défiance
d’
artiste à l’égard des idées en soi, de l’analyse méthodique, et de tou
1859
ne défiance d’artiste à l’égard des idées en soi,
de
l’analyse méthodique, et de tout ce qui peut alourdir la démarche de
1860
ard des idées en soi, de l’analyse méthodique, et
de
tout ce qui peut alourdir la démarche de la pensée. Insister, discute
1861
ique, et de tout ce qui peut alourdir la démarche
de
la pensée. Insister, discuter, citer sources et faits, ce serait enco
1862
iscuter, citer sources et faits, ce serait encore
de
la sincérité, face à l’objet ; mais cela nuirait à l’élan spontané du
1863
moins qu’à l’élégance du style. Tout cela relève
d’
une conception de la sincérité qu’on pourrait nommer descriptive : ell
1864
gance du style. Tout cela relève d’une conception
de
la sincérité qu’on pourrait nommer descriptive : elle se borne en eff
1865
celer et constater les plus secrètes fluctuations
de
l’individu naturel. Elle se refuse aux simplifications convenues, aux
1866
se aux simplifications convenues, aux partis pris
de
la morale, à ses silences intéressés, bref aux censures qui tendent à
1867
ns spontanées. Elle voudrait adopter une attitude
d’
accueillante impartialité vis-à-vis de l’individu. « Les autres formen
1868
une arrière-pensée polémique, certain désir aussi
de
justification : en somme, elle insinue que la morale est fausse, et q
1869
porte ainsi, malgré son intention, des jugements
de
valeur implicites. Sous le couvert desquels pourront s’avouer des rég
1870
desquels pourront s’avouer des régions nouvelles
de
l’humain… À cette sincérité qui entend décrire sans parti pris, et qu
1871
sans parti pris, et qui n’admet en fait rien que
de
spontané, j’oppose une sincérité qu’on pourrait nommer constructive.
1872
ste dans l’homme, dit-elle, mais tout n’y est pas
d’
égale valeur. Et ce n’est pas hypocrisie, bien au contraire, que de dé
1873
t ce n’est pas hypocrisie, bien au contraire, que
de
déclarer ses valeurs. Nos contradictions sont réelles, nos hiérarchie
1874
les-ci tendent à réduire celles-là, par une série
de
choix vitaux où s’exprime l’être en action, c’est-à-dire sa tendance
1875
ion, c’est-à-dire sa tendance dominante, le style
de
son existence. C’est dans ce sens quelque peu élargi qu’il conviendra
1876
ans ce sens quelque peu élargi qu’il conviendrait
de
répéter que le style est de l’homme même. Il est en nous le trait rév
1877
gi qu’il conviendrait de répéter que le style est
de
l’homme même. Il est en nous le trait révélateur d’une unité intentio
1878
l’homme même. Il est en nous le trait révélateur
d’
une unité intentionnelle, d’un parti pris aussi sincère, si ce n’est p
1879
s le trait révélateur d’une unité intentionnelle,
d’
un parti pris aussi sincère, si ce n’est plus, que la pluralité des pu
1880
s. Fixer, en les notant, certaines contradictions
d’
humeur, c’est parfois moins « se réciter » que se déformer. Car une in
1881
roduit dans les combinaisons à étudier un quantum
de
lucidité qui modifie les données naturelles. Or il est très curieux d
1882
ie les données naturelles. Or il est très curieux
de
remarquer que Gide adopte dans sa vie — telle que la révèle son Journ
1883
ue la révèle son Journal — la première conception
de
la sincérité, alors que toute son œuvre est dominée par la seconde. T
1884
re est dominée par la seconde. Toute l’esthétique
de
Gide — son style écrit — s’ordonne au choix le plus classique : conci
1885
plus classique : concision, raccourci, sacrifice
de
l’incident à l’essentiel et du foisonnement spontané à la ligne pure
1886
ntiel et du foisonnement spontané à la ligne pure
de
la phrase. C’est une discipline de l’esprit, mieux : une éthique de l
1887
la ligne pure de la phrase. C’est une discipline
de
l’esprit, mieux : une éthique de l’expression. Tantôt civilité très r
1888
t une discipline de l’esprit, mieux : une éthique
de
l’expression. Tantôt civilité très raffinée, ou stricte austérité du
1889
force dans le style du récit ! Étonnant paradoxe
d’
une esthétique châtiée, réglant une œuvre dont le grand message est qu
1890
dait ce qu’est l’éthique, répond : Une dépendance
de
l’esthétique. Or non seulement l’exemple de sa vie ne confirme guère
1891
dance de l’esthétique. Or non seulement l’exemple
de
sa vie ne confirme guère cette boutade, mais l’exemple de son art ten
1892
e ne confirme guère cette boutade, mais l’exemple
de
son art tendrait à l’inverser : c’est dans son esthétique que se réfu
1893
point qu’on pourrait dire que la première dépend
de
la seconde. Cela va jusqu’à la casuistique : l’intérêt passionné de G
1894
a va jusqu’à la casuistique : l’intérêt passionné
de
Gide pour les détails les plus subtils de l’écriture est attesté par
1895
ssionné de Gide pour les détails les plus subtils
de
l’écriture est attesté par cent pages du Journal. Je n’oublie pas qu’
1896
t tromper. On ne se débarrasse pas si facilement
de
la morale, même déguisée en exigence sémantique. Un styliste a autant
1897
isée en exigence sémantique. Un styliste a autant
de
peine à « mal écrire » ou à « ne pas écrire » qu’un puritain à se lai
1898
laisser aller. Et si le puritain est un styliste
de
la morale, Gide reste un puritain du style. Peut-être tenons-nous ici
1899
n du style. Peut-être tenons-nous ici le principe
de
l’intime hiérarchie révélatrice de sa personne. Ce serait la tension
1900
ci le principe de l’intime hiérarchie révélatrice
de
sa personne. Ce serait la tension instituée entre une exigence esthét
1901
on finalement résolue au bénéfice — énigmatique —
de
la morale, c’est-à-dire de la règle et du choix. ⁂ Règles et choix —
1902
néfice — énigmatique — de la morale, c’est-à-dire
de
la règle et du choix. ⁂ Règles et choix — convenir et créer — ce sont
1903
hoix — convenir et créer — ce sont les conditions
de
toute culture. Toutefois, j’ai dit la méfiance d’artiste que Gide nou
1904
de toute culture. Toutefois, j’ai dit la méfiance
d’
artiste que Gide nourrit à l’endroit des « idées ». C’est par là que j
1905
ar là que je sens le mieux la distance qui sépare
de
la sienne ma génération littéraire. Notre culture est beaucoup plus p
1906
dans un domaine privilégié : celui des lettres et
de
leur morale, qui est l’esthétique. Les problèmes qui nous sont posés
1907
s davantage qu’ils ne servent nos goûts naturels.
D’
où le danger de didactisme que nous courons tous plus ou moins. À cet
1908
ils ne servent nos goûts naturels. D’où le danger
de
didactisme que nous courons tous plus ou moins. À cet égard, il m’app
1909
ou moins. À cet égard, il m’apparaît que la leçon
de
Gide, pour ceux de mon âge, est moins urgente dans l’ordre de l’éthiq
1910
rd, il m’apparaît que la leçon de Gide, pour ceux
de
mon âge, est moins urgente dans l’ordre de l’éthique que dans celui d
1911
r ceux de mon âge, est moins urgente dans l’ordre
de
l’éthique que dans celui de l’esthétique. C’est le maître-artisan de
1912
urgente dans l’ordre de l’éthique que dans celui
de
l’esthétique. C’est le maître-artisan de la langue plus que l’immoral
1913
ns celui de l’esthétique. C’est le maître-artisan
de
la langue plus que l’immoraliste qui nous importe, et qui nous intére
1914
veut appréhender. Dans cette mesure, il est exact
de
dire qu’elle s’ordonne par avance à sa fin. On n’imagine pas d’aborde
1915
e s’ordonne par avance à sa fin. On n’imagine pas
d’
aborder l’œuvre et la personne de Ramuz d’une façon systématique. Non
1916
On n’imagine pas d’aborder l’œuvre et la personne
de
Ramuz d’une façon systématique. Non que cette œuvre et cette personne
1917
ine pas d’aborder l’œuvre et la personne de Ramuz
d’
une façon systématique. Non que cette œuvre et cette personne ne compo
1918
propriété réelle, sinon l’extension dans l’espace
d’
une loi personnelle, de la loi du propriétaire ? (Toute autre forme de
1919
l’extension dans l’espace d’une loi personnelle,
de
la loi du propriétaire ? (Toute autre forme de propriété demeure à me
1920
e, de la loi du propriétaire ? (Toute autre forme
de
propriété demeure à mes yeux justiciable de la critique de Proudhon.)
1921
forme de propriété demeure à mes yeux justiciable
de
la critique de Proudhon.) Décrire le « pays » de Ramuz, c’est aussi d
1922
été demeure à mes yeux justiciable de la critique
de
Proudhon.) Décrire le « pays » de Ramuz, c’est aussi décrire sa perso
1923
de la critique de Proudhon.) Décrire le « pays »
de
Ramuz, c’est aussi décrire sa personne, à la manière du physiognomoni
1924
tune, si l’on songe qu’elle s’applique à l’auteur
de
cette phrase : « Authenticité, réalité, vérité, matière : autant de s
1925
« Authenticité, réalité, vérité, matière : autant
de
synonymes ou presque.70 » IRamuz mythologue « Qu’on n’aille pas
1926
e ce qui se manifeste ; rien ne se manifeste hors
d’
un mouvement ; et tout mouvement provient de la lumière qui crée les f
1927
hors d’un mouvement ; et tout mouvement provient
de
la lumière qui crée les formes en même temps que notre œil. « La véri
1928
ait. 71 » Telle est la loi nouvelle et la réalité
d’
une ère dominée par ce fait historique : l’incarnation de la Parole. L
1929
re dominée par ce fait historique : l’incarnation
de
la Parole. Les clercs s’écrient : Esprit ! Esprit ! Mais je regarde l
1930
ge. Si c’était vrai, ça se verrait… Ainsi la clé
de
toute création est dans le visage de l’homme. Qu’un homme détienne un
1931
Ainsi la clé de toute création est dans le visage
de
l’homme. Qu’un homme détienne un pouvoir créateur, c’est-à-dire un po
1932
enne un pouvoir créateur, c’est-à-dire un pouvoir
d’
incarnation, vous le lirez toujours sur les traits de sa face. (Encore
1933
ncarnation, vous le lirez toujours sur les traits
de
sa face. (Encore faut-il avoir des yeux pour voir. Encore faut-il en
1934
oir. Encore faut-il en croire ses yeux…) Il n’est
d’
esprit que dans l’action qui saisit une forme pour la transformer. L’e
1935
ns la cervelle. Ni dans le ciel. L’esprit n’a pas
de
siège : il est passage, prise et saisissement. L’esprit se manifeste
1936
la main qui réalise une vision. ⁂ Ouvrez un livre
de
Ramuz : les choses « viennent », le monde « vient » à nous, le ciel,
1937
ent » ; et on les voit venir ainsi à la rencontre
d’
un regard qui les invente (invenire), les dénombre, et les connaît dan
1938
les connaît dans leur sens primitif, dans le sens
de
la création qui tout entière advient à l’homme. Ainsi l’Adam d’avant
1939
qui tout entière advient à l’homme. Ainsi l’Adam
d’
avant le Temps vit venir à lui toutes les bêtes : elles s’approchaient
1940
l’on veut saisir la genèse et l’ambition secrète
de
cet art. Un personnage de Ramuz, c’est d’abord une apparition, — une
1941
e et l’ambition secrète de cet art. Un personnage
de
Ramuz, c’est d’abord une apparition, — une image venant à nous. « …On
1942
ls sont roses dans le ciel rose, avec des gouttes
de
rosée qui leur pendent à chaque poil et des souliers qui brillent. »
1943
rillent. » Il y en a dans presque tous les livres
de
Ramuz, de ces taupiers qui portent des bonnets de poil de lapin. On p
1944
Il y en a dans presque tous les livres de Ramuz,
de
ces taupiers qui portent des bonnets de poil de lapin. On pourrait s’
1945
de Ramuz, de ces taupiers qui portent des bonnets
de
poil de lapin. On pourrait s’amuser à recomposer le pays autour d’eux
1946
, de ces taupiers qui portent des bonnets de poil
de
lapin. On pourrait s’amuser à recomposer le pays autour d’eux. Et l’o
1947
On pourrait s’amuser à recomposer le pays autour
d’
eux. Et l’on verrait alors que ces bonshommes ne sont point décrits «
1948
alors que ces bonshommes ne sont point décrits «
de
l’extérieur » — comme le voudrait certaine formule naturaliste — mais
1949
maine, si l’homme est authentique, est microcosme
d’
un pays, d’un paysage et d’un ensemble de coutumes. Les rythmes du tem
1950
’homme est authentique, est microcosme d’un pays,
d’
un paysage et d’un ensemble de coutumes. Les rythmes du temps s’y insc
1951
ntique, est microcosme d’un pays, d’un paysage et
d’
un ensemble de coutumes. Les rythmes du temps s’y inscrivent aussi bie
1952
crocosme d’un pays, d’un paysage et d’un ensemble
de
coutumes. Les rythmes du temps s’y inscrivent aussi bien que l’allure
1953
inscrivent aussi bien que l’allure des pentes. «
D’
où cette démarche qu’ils ont ; d’où encore la nécessité quelquefois de
1954
re des pentes. « D’où cette démarche qu’ils ont ;
d’
où encore la nécessité quelquefois de refaire son pas, parce que la pe
1955
qu’ils ont ; d’où encore la nécessité quelquefois
de
refaire son pas, parce que la pente vous porte en arrière, parce qu’o
1956
ame entre la vision et l’objet, entre la position
de
l’homme et la proposition du monde. C’est la région de la rencontre e
1957
homme et la proposition du monde. C’est la région
de
la rencontre et de la forme. Et non point de la forme toute faite, ca
1958
tion du monde. C’est la région de la rencontre et
de
la forme. Et non point de la forme toute faite, cadre imposé aux jeux
1959
gion de la rencontre et de la forme. Et non point
de
la forme toute faite, cadre imposé aux jeux d’une invention prévue, m
1960
nt de la forme toute faite, cadre imposé aux jeux
d’
une invention prévue, mais de la forme en devenir, expressive du dedan
1961
adre imposé aux jeux d’une invention prévue, mais
de
la forme en devenir, expressive du dedans et du dehors au lieu mouvan
1962
expressive du dedans et du dehors au lieu mouvant
de
leur confrontation. Ici le spirituel devient tangible, le matériel li
1963
e et significatif. Nous sommes au foyer permanent
de
l’incarnation des images — ou de la création imaginée. Il faut rendre
1964
foyer permanent de l’incarnation des images — ou
de
la création imaginée. Il faut rendre à ce mot son sens fort : imagine
1965
s du concret chez un homme.) ⁂ « Car le phénomène
de
l’art est un phénomène d’incarnation (ce que l’école ne comprend pas)
1966
.) ⁂ « Car le phénomène de l’art est un phénomène
d’
incarnation (ce que l’école ne comprend pas) ». Toute l’esthétique de
1967
ue l’école ne comprend pas) ». Toute l’esthétique
de
Ramuz me paraît centrée sur cette phrase. Son vocabulaire tout d’abor
1968
se. Son vocabulaire tout d’abord. Cette abondance
de
noms de choses ! Comment ne point penser au livre de Job — dont Ramuz
1969
vocabulaire tout d’abord. Cette abondance de noms
de
choses ! Comment ne point penser au livre de Job — dont Ramuz nous a
1970
noms de choses ! Comment ne point penser au livre
de
Job — dont Ramuz nous a traduit quelques passages — où toute une théo
1971
par des choses, s’agît-il même du profond mystère
de
la liberté des humains en présence de « l’arbitraire » du Tout-Puissa
1972
le moins « lyrique » et le plus matériel, parler
d’
un ciel au bleu de lessive plutôt que de l’azur du firmament, c’est, à
1973
e » et le plus matériel, parler d’un ciel au bleu
de
lessive plutôt que de l’azur du firmament, c’est, à vrai dire, le par
1974
l, parler d’un ciel au bleu de lessive plutôt que
de
l’azur du firmament, c’est, à vrai dire, le parti pris de tout vérita
1975
r du firmament, c’est, à vrai dire, le parti pris
de
tout véritable poète, mais c’est aussi ce qu’une certaine critique ne
1976
ut point pardonner à Ramuz. Un écrivain français,
de
tradition classique, comme ils le sont tous plus ou moins, s’excuse d
1977
e, comme ils le sont tous plus ou moins, s’excuse
de
l’emploi qu’il fait, par occasion, d’un terme roturier, non littérair
1978
s, s’excuse de l’emploi qu’il fait, par occasion,
d’
un terme roturier, non littéraire. Ramuz c’est le contraire : « Autarc
1979
n problème, — comme on dit »… Il ne manque jamais
de
s’excuser des mots abstraits, des termes nobles auxquels il faut bien
1980
raits sont nécessaires à une certaine circulation
d’
idées qui représentent les choses et le concret, comme les billets rep
1981
t le concret, comme les billets représentent l’or
de
la réserve. Le mot n’est rien qu’un droit de l’esprit aux choses. Mai
1982
l’or de la réserve. Le mot n’est rien qu’un droit
de
l’esprit aux choses. Mais s’il n’y a plus de choses, c’est une trompe
1983
roit de l’esprit aux choses. Mais s’il n’y a plus
de
choses, c’est une tromperie. C’est pourquoi nos journaux contiennent
1984
nt tant de mensonges, surtout lorsqu’ils essaient
de
dire la vérité. Contre cette inflation nominaliste, un seul recours :
1985
te inflation nominaliste, un seul recours : celui
de
l’étymologie. Car le sens étymologique est toujours lié à une chose (
1986
eur sens étymologique, c’est revenir au phénomène
de
l’incarnation, c’est retrouver la langue à son état naissant, dont la
1987
aissant, dont la chimie nous dit qu’il est l’état
de
virulence extrême. Les journalistes et l’école ont décontenancé le la
1988
ion du genre humain consisterait en une éducation
de
son langage. Un tribunal muni de pleins pouvoirs, institué pour juger
1989
en une éducation de son langage. Un tribunal muni
de
pleins pouvoirs, institué pour juger des cas de langage délictueux, i
1990
i de pleins pouvoirs, institué pour juger des cas
de
langage délictueux, inactuel, erroné, inutilement abstrait, ferait un
1991
bien meilleur travail — il faudrait qu’il donnât
de
fortes peines ! — qu’une cour d’assise occupée à juger des meurtres d
1992
ait qu’il donnât de fortes peines ! — qu’une cour
d’
assise occupée à juger des meurtres dont le vol est le mobile. Je dis
1993
l porterait l’attention des hommes sur le concret
de
l’existence, les détournant de ce fameux « pratique » dont ils s’occu
1994
mes sur le concret de l’existence, les détournant
de
ce fameux « pratique » dont ils s’occupent si mal, et de plus en plus
1995
ens au crime en les hypnotisant sur la possession
de
l’argent et les bienfaits qui en découlent.) Si j’étais dictateur, je
1996
i j’étais dictateur, je nommerais Ramuz président
de
ce tribunal. Et nous aurions enfin un langage châtié, comme on disait
1997
nt redouté était celui du goût. (On le dit encore
de
nos jours, mais le goût n’est plus que poncif.) La même volonté d’inc
1998
s le goût n’est plus que poncif.) La même volonté
d’
incarnation se manifeste dans l’allure de la phrase chez Ramuz. On a p
1999
volonté d’incarnation se manifeste dans l’allure
de
la phrase chez Ramuz. On a pu croire qu’il n’avait pas le sens du ryt
2000
mis dans la tête. Presque toutes les singularités
de
son style s’expliquent par cette seule intention de concentrer notre
2001
son style s’expliquent par cette seule intention
de
concentrer notre vision sur l’objet brut et sur le sentiment élémenta
2002
r le sentiment élémentaire. Ainsi ses changements
de
temps à l’intérieur d’une même phrase. Je ne crois pas qu’il soit pos
2003
ire. Ainsi ses changements de temps à l’intérieur
d’
une même phrase. Je ne crois pas qu’il soit possible de les ramener à
2004
même phrase. Je ne crois pas qu’il soit possible
de
les ramener à une loi, ni même à un usage régulier ; ou plutôt, ils n
2005
me à un usage régulier ; ou plutôt, ils n’ont pas
d’
autre loi que cette volonté de plier l’attention aux phases d’un geste
2006
utôt, ils n’ont pas d’autre loi que cette volonté
de
plier l’attention aux phases d’un geste, d’une action ou d’une pensée
2007
que cette volonté de plier l’attention aux phases
d’
un geste, d’une action ou d’une pensée. ⁂ Il reste la fameuse psycholo
2008
lonté de plier l’attention aux phases d’un geste,
d’
une action ou d’une pensée. ⁂ Il reste la fameuse psychologie des pers
2009
’attention aux phases d’un geste, d’une action ou
d’
une pensée. ⁂ Il reste la fameuse psychologie des personnages. Que peu
2010
ne connaît rien hors de la forme ? La psychologie
d’
école, qui domina et qui domine encore tous les romans à la Bourget, c
2011
r par convention, presque par accident, une série
d’
attitudes et de causes « morales » à une série à peu près parallèle d’
2012
n, presque par accident, une série d’attitudes et
de
causes « morales » à une série à peu près parallèle d’attitudes et de
2013
uses « morales » à une série à peu près parallèle
d’
attitudes et de faits visibles ; l’accent étant porté sur la causalité
2014
» à une série à peu près parallèle d’attitudes et
de
faits visibles ; l’accent étant porté sur la causalité, et les faits
2015
lité, et les faits se réduisant peu à peu au rôle
de
simples vérifications. À mesure que cette psychologie s’assure davant
2016
À mesure que cette psychologie s’assure davantage
de
ses lois, elle tend à les substituer à l’imagination concrète du réel
2017
ts se raréfient : anecdotes ou exemples à l’appui
d’
une approximative reconstruction des âmes. Il est entendu désormais qu
2018
dans la catégorie du roman policier : il n’a pas
de
psychologie. Et la critique parle beaucoup de subjectivité et d’objec
2019
Et la critique parle beaucoup de subjectivité et
d’
objectivité… Dans le monde de Ramuz, ces deux mots n’ont plus aucun se
2020
p de subjectivité et d’objectivité… Dans le monde
de
Ramuz, ces deux mots n’ont plus aucun sens. Une forme donnée n’a pas
2021
iques à d’autres formes. Et c’est encore l’office
de
l’imagination, c’est-à-dire de l’activité qui préside à la formation
2022
st encore l’office de l’imagination, c’est-à-dire
de
l’activité qui préside à la formation du réel. Ici plus de concepts,
2023
vité qui préside à la formation du réel. Ici plus
de
concepts, plus d’idées générales. Tout est images et complexes d’imag
2024
la formation du réel. Ici plus de concepts, plus
d’
idées générales. Tout est images et complexes d’images. Tout est mythe
2025
s d’idées générales. Tout est images et complexes
d’
images. Tout est mythe. Ainsi la mythologie, chez Ramuz, déloge l’anal
2026
aite des psychologues. Et l’on découvre à chacune
de
ses œuvres une signification mythologique. C’est en général l’irrupti
2027
cation mythologique. C’est en général l’irruption
d’
une forme d’imagination nouvelle dans un village ou une contrée, plus
2028
logique. C’est en général l’irruption d’une forme
d’
imagination nouvelle dans un village ou une contrée, plus rarement che
2029
ent chez un individu, qui constitue le vrai sujet
de
ses romans. Passage du Poète, ou passage du diable (dans le Règne de
2030
age du Poète, ou passage du diable (dans le Règne
de
l’esprit malin), entrée du cinéma (L’Amour du Monde), approche de la
2031
n), entrée du cinéma (L’Amour du Monde), approche
de
la fin du monde (Présence de la mort, Les Signes parmi nous), mythe d
2032
du Monde), approche de la fin du monde (Présence
de
la mort, Les Signes parmi nous), mythe de l’or (Farinet), mythe du gé
2033
résence de la mort, Les Signes parmi nous), mythe
de
l’or (Farinet), mythe du génie racial (Séparation des races, Chant de
2034
ythe du génie racial (Séparation des races, Chant
de
notre Rhône), mythe de la rédemption par la souffrance d’une femme (L
2035
éparation des races, Chant de notre Rhône), mythe
de
la rédemption par la souffrance d’une femme (La Guérison des Maladies
2036
Rhône), mythe de la rédemption par la souffrance
d’
une femme (La Guérison des Maladies). Et le roman n’a pas d’autre mouv
2037
e (La Guérison des Maladies). Et le roman n’a pas
d’
autre mouvement que le mouvement même des images propagées par l’appar
2038
donnée, bien définie. Il ne saurait être question
d’
une société bourgeoise et citadine : celle-ci reste, en principe, just
2039
tadine : celle-ci reste, en principe, justiciable
d’
une analyse qui suppose le divorce entre idées et actions, croyances e
2040
ances et intérêts, instincts et conduite sociale.
D’
où naît une littérature d’intrigues pour laquelle il est clair que Ram
2041
ts et conduite sociale. D’où naît une littérature
d’
intrigues pour laquelle il est clair que Ramuz n’est par doué. Mais la
2042
ais la forme même que revêt chez Ramuz la faculté
d’
imaginer et de penser dans l’ordre de l’incarnation, devait le conduir
2043
ême que revêt chez Ramuz la faculté d’imaginer et
de
penser dans l’ordre de l’incarnation, devait le conduire à créer un m
2044
z la faculté d’imaginer et de penser dans l’ordre
de
l’incarnation, devait le conduire à créer un milieu où tout être se t
2045
actère vaudois. On a loué cet « artiste raffiné »
d’
avoir su « se ravaler au niveau des simples ». Mais non, Ramuz ne desc
2046
on art vient de plus bas, des origines créatrices
de
sa race. Il a cette lenteur qu’impose la nature physique du pays. Il
2047
u’impose la nature physique du pays. Il participe
de
cette lourdeur originelle d’un peuple en communion et en conflit vita
2048
u pays. Il participe de cette lourdeur originelle
d’
un peuple en communion et en conflit vital avec les éléments. Ce n’est
2049
près le peuple », mais on dirait plus justement :
d’
avant. Un art qui vient du fond mythologique de la race. (Si Ramuz par
2050
: d’avant. Un art qui vient du fond mythologique
de
la race. (Si Ramuz par exemple nous parle d’une Antiquité, il faut en
2051
ique de la race. (Si Ramuz par exemple nous parle
d’
une Antiquité, il faut entendre qu’il s’agit de celle du pays de Vaud
2052
le d’une Antiquité, il faut entendre qu’il s’agit
de
celle du pays de Vaud : non pas la grecque, qui est scolaire — pour e
2053
é, il faut entendre qu’il s’agit de celle du pays
de
Vaud : non pas la grecque, qui est scolaire — pour eux — mais la bibl
2054
ans la terre qu’ils travaillent. Tous participent
de
l’incarnation du mythe. ⁂ Voyez les Signes parmi nous. Dans la simpli
2055
⁂ Voyez les Signes parmi nous. Dans la simplicité
de
son sujet, ce récit réalise d’une manière exemplaire l’accord des élé
2056
Dans la simplicité de son sujet, ce récit réalise
d’
une manière exemplaire l’accord des éléments dont se nourrit l’art de
2057
laire l’accord des éléments dont se nourrit l’art
de
Ramuz. Voici Caille, le colporteur de bibles, qui s’avance dès le mat
2058
urrit l’art de Ramuz. Voici Caille, le colporteur
de
bibles, qui s’avance dès le matin à travers le pays, et offre à tous
2059
pays, et offre à tous la Parole « ayant l’aspect
d’
une brochure à couverture bleue ». Et les événements actuels — cela se
2060
Et les événements actuels — cela se passe un jour
d’
été de 1918 — sont expliqués à la lumière des Écritures. La Fin des te
2061
événements actuels — cela se passe un jour d’été
de
1918 — sont expliqués à la lumière des Écritures. La Fin des temps es
2062
faut en témoigner. Caille pénètre dans les cours
de
ferme, dans les cafés. À tous il tend la Parole « morte aux pages » ;
2063
la journée, et l’angoisse grandit autour de lui.
De
partout l’orage s’amasse. Vers le soir il éclate tragiquement. Est-ce
2064
éclate tragiquement. Est-ce la Fin ? Grande heure
de
terreur et de prière… Puis, « la page du ciel a été tournée », ils se
2065
ement. Est-ce la Fin ? Grande heure de terreur et
de
prière… Puis, « la page du ciel a été tournée », ils se relèvent. « I
2066
Le monde renaît dans une soirée pure et le baiser
d’
un couple heureux. Rarement la forme authentique de Ramuz atteignit un
2067
’un couple heureux. Rarement la forme authentique
de
Ramuz atteignit une autorité comparable à celle qui éclate dans cet o
2068
end les choses à l’état naissant, rugueux, décapé
de
toute rhétorique scolaire et de toute explication intellectuelle, att
2069
, rugueux, décapé de toute rhétorique scolaire et
de
toute explication intellectuelle, atteignant une unité de style telle
2070
explication intellectuelle, atteignant une unité
de
style tellement têtue qu’elle évoque peu à peu on ne sait quelle puis
2071
terférences du récit, surimpressions, changements
de
temps, sont ici largement mis en œuvre ; mais avec une probité partic
2072
our Ramuz ce qu’elle fut pour d’autres : un moyen
de
créer du mystère en brouillant les plans du réel ; elle est au contra
2073
es plans du réel ; elle est au contraire un moyen
de
rendre plus totale la vision. Tout indique, chez Ramuz, la volonté de
2074
e la vision. Tout indique, chez Ramuz, la volonté
de
ne pas faire prendre une chose pour une autre, ni certain aspect conv
2075
e chose pour une autre, ni certain aspect convenu
de
la chose pour toute la chose. C’est pourquoi il s’attarde à décrire l
2076
C’est pourquoi il s’attarde à décrire le concret
d’
une façon concrète ; ainsi le maniement d’un outil. D’où le reproche d
2077
concret d’une façon concrète ; ainsi le maniement
d’
un outil. D’où le reproche de puérilité que lui adressent ceux qui par
2078
e façon concrète ; ainsi le maniement d’un outil.
D’
où le reproche de puérilité que lui adressent ceux qui par exemple n’h
2079
; ainsi le maniement d’un outil. D’où le reproche
de
puérilité que lui adressent ceux qui par exemple n’hésitent pas à pre
2080
le n’hésitent pas à prendre au sérieux l’intrigue
d’
un roman bourgeois. On s’est trop arrêté à l’insolite du style chez Ra
2081
rêté à l’insolite du style chez Ramuz. Ce qu’il a
d’
insolite, ce n’est point tant sa forme que les vertus qu’elle suppose
2082
elle suppose : la sobriété, la solidité, le refus
de
l’ironie, la bonhommie sérieuse, l’absence de toute complaisance à so
2083
fus de l’ironie, la bonhommie sérieuse, l’absence
de
toute complaisance à soi, le « dévouement à l’objet ». Je vois bien l
2084
dévouement à l’objet ». Je vois bien les défauts
de
cette forme, et le poncif qu’elle peut instituer ; ces détails parfoi
2085
nt détaillés. Mais l’important, c’est qu’une page
de
Ramuz, — même pas très réussie, et il y en a, il faut le dire, qui on
2086
n a, il faut le dire, qui ont un air raté, un air
de
pastiche de Ramuz74 — c’est qu’une seule page de ce livre lue avec la
2087
le dire, qui ont un air raté, un air de pastiche
de
Ramuz74 — c’est qu’une seule page de ce livre lue avec la lenteur qu’
2088
de pastiche de Ramuz74 — c’est qu’une seule page
de
ce livre lue avec la lenteur qu’elle impose, nous replace dans une vi
2089
on grande et efficace des gestes les plus simples
de
la vie. Mais il faut dire aussi « l’actualité » singulière d’un tel l
2090
ais il faut dire aussi « l’actualité » singulière
d’
un tel livre. Il est des sujets éternels, ou mieux, perpétuels — sujet
2091
es sujets éternels, ou mieux, perpétuels — sujets
d’
étonnement perpétuel — et la Fin du Monde est l’un d’eux. Un vrai myth
2092
tonnement perpétuel — et la Fin du Monde est l’un
d’
eux. Un vrai mythe, c’est-à-dire un événement perpétuellement possible
2093
marquent dans l’Histoire sont celles où la forme
d’
un mythe affleure, s’incarne et devient visible75. Ce sont les période
2094
ncarne et devient visible75. Ce sont les périodes
de
crise. Or toute crise est un jugement, c’est-à-dire un arrêt dans une
2095
est l’arrêt absolu : le Jugement dernier. Le sens
de
notre crise du xxe siècle apparaît ainsi manifeste : un jugement sur
2096
amuz les pose, et que précisément, c’est l’esprit
de
ces Signes. L’affleurement mystérieux de la forme mythique, le poète
2097
l’esprit de ces Signes. L’affleurement mystérieux
de
la forme mythique, le poète en tout temps a le pouvoir de la susciter
2098
rme mythique, le poète en tout temps a le pouvoir
de
la susciter dans son œuvre, à la similitude du croyant dans sa prière
2099
sa vision — cet homme sera toujours en puissance
d’
aujourd’hui, enraciné profondément dans une permanente actualité. I
2100
est remarquable que ceux dont la fonction serait
d’
exprimer notre civilisation, en un temps où elle se trouve brutalement
2101
uestion, posent eux-mêmes si peu de questions, ou
de
si minimes. Un court essai de Ramuz (sur le Travail), débute ainsi :
2102
eu de questions, ou de si minimes. Un court essai
de
Ramuz (sur le Travail), débute ainsi : « Pourquoi est-ce qu’on travai
2103
étaphysique, qui se trouve être le dilemme urgent
de
l’heure. Et je m’inquiète ; non pas de ces questions, ni de la prise
2104
mme urgent de l’heure. Et je m’inquiète ; non pas
de
ces questions, ni de la prise de parti qu’elles déterminent chez Ramu
2105
. Et je m’inquiète ; non pas de ces questions, ni
de
la prise de parti qu’elles déterminent chez Ramuz, mais bien au contr
2106
quiète ; non pas de ces questions, ni de la prise
de
parti qu’elles déterminent chez Ramuz, mais bien au contraire de ceci
2107
me semble entendre pour la première fois la voix
d’
un de nos aînés, interrogeant notre destin, lui poser en face des ques
2108
emble entendre pour la première fois la voix d’un
de
nos aînés, interrogeant notre destin, lui poser en face des questions
2109
ant notre destin, lui poser en face des questions
d’
une accablante simplicité. Me tromperais-je ? Ai-je mal su lire tant d
2110
ais sur le monde actuel et futur ? Est-ce le fait
d’
une disposition trop romantique que d’avoir cru distinguer dans ces œu
2111
-ce le fait d’une disposition trop romantique que
d’
avoir cru distinguer dans ces œuvres je ne sais quelle complaisance qu
2112
e sais quelle complaisance qui les faisait éviter
d’
instinct tout point de vue pratiquement bouleversant ? D’autre part, n
2113
uleversant ? D’autre part, n’est-ce point le fait
d’
un certain manque de tact intellectuel que de poser des questions si r
2114
part, n’est-ce point le fait d’un certain manque
de
tact intellectuel que de poser des questions si rudimentaires, si peu
2115
fait d’un certain manque de tact intellectuel que
de
poser des questions si rudimentaires, si peu élaborées, des questions
2116
mporte qui pourrait poser et qui ne peuvent tirer
de
nous rien d’exquis ni d’original, mais qui bien au contraire nous plo
2117
urrait poser et qui ne peuvent tirer de nous rien
d’
exquis ni d’original, mais qui bien au contraire nous plongent dans l’
2118
et qui ne peuvent tirer de nous rien d’exquis ni
d’
original, mais qui bien au contraire nous plongent dans l’humiliation,
2119
cesse s’efforcer, ne connaissant que peu de repos
de
son adolescence à sa mort. » Je cherche : je ne trouve aucun écrivain
2120
mort. » Je cherche : je ne trouve aucun écrivain
de
ce temps plus naturellement libéré de l’idéologie bourgeoise que Ramu
2121
un écrivain de ce temps plus naturellement libéré
de
l’idéologie bourgeoise que Ramuz. Sa conception tragique du sort de l
2122
rgeoise que Ramuz. Sa conception tragique du sort
de
l’homme suffirait à l’attester. Mais plus sûrement encore son accepta
2123
ais plus sûrement encore son acceptation profonde
d’
aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est le titre du journal grâce auquel, chaq
2124
nnées qui marquent dans son œuvre l’élargissement
de
la maturité, Ramuz engagea le dialogue avec son public et l’époque. Q
2125
tion, il faut admirer dans ces textes une volonté
de
sagesse à peu près unique aujourd’hui. On y trouve un Ramuz nullement
2126
ant (comme les marxistes), ni victime ni bourreau
d’
une bourgeoisie à laquelle il échappe entièrement et de toutes les faç
2127
bourgeoisie à laquelle il échappe entièrement et
de
toutes les façons, n’étant pas même révolutionnaire, au sens politiqu
2128
étant pas même révolutionnaire, au sens politique
de
ce terme, parce qu’il est vraiment radical76. Et ce n’est pas qu’il a
2129
adical76. Et ce n’est pas qu’il ait jamais craint
de
tirer sur ces racines, mais il a vu qu’elles tenaient bon, qu’elles t
2130
vu qu’elles tenaient bon, qu’elles tenaient trop
de
terre embrassée, et par elle un pays et son peuple. Car « c’est ici l
2131
le un pays et son peuple. Car « c’est ici le pays
de
la solidité, parce que c’est le pays des ressemblances. Regarde, tout
2132
y tient ensemble fortement, comme dans le tableau
d’
un grand peintre. » Il a fallu beaucoup de temps pour que Ramuz consen
2133
ns le domaine du général. Il lui a fallu le temps
de
se faire un langage, d’en éprouver les origines, et d’en autoriser l’
2134
. Il lui a fallu le temps de se faire un langage,
d’
en éprouver les origines, et d’en autoriser l’emploi concret dans un o
2135
faire un langage, d’en éprouver les origines, et
d’
en autoriser l’emploi concret dans un ordre élargi. Cette élaboration
2136
dans un ordre élargi. Cette élaboration n’est pas
de
celles dont un écrivain d’aujourd’hui puisse faire l’économie77. L’a-
2137
élaboration n’est pas de celles dont un écrivain
d’
aujourd’hui puisse faire l’économie77. L’a-t-il menée à chef, on est f
2138
’économie77. L’a-t-il menée à chef, on est frappé
de
voir que toute une idéologie s’y trouve incluse et déjà définie. Si b
2139
première fois en public, on éprouve le sentiment
de
savoir par avance tout ce qu’il doit en dire. Je n’ai pu me défendre
2140
out ce qu’il doit en dire. Je n’ai pu me défendre
de
cette impression à la lecture de Taille de l’homme, petit ouvrage con
2141
i pu me défendre de cette impression à la lecture
de
Taille de l’homme, petit ouvrage consacré à définir l’opposition cosm
2142
fendre de cette impression à la lecture de Taille
de
l’homme, petit ouvrage consacré à définir l’opposition cosmique du ch
2143
du christianisme et du marxisme. Le sens profond
de
la communauté qui anime l’œuvre de Ramuz put induire certains à le qu
2144
e sens profond de la communauté qui anime l’œuvre
de
Ramuz put induire certains à le qualifier d’« unanimiste ». Mais comm
2145
uvre de Ramuz put induire certains à le qualifier
d’
« unanimiste ». Mais comment Ramuz croirait-il à cette âme sans visage
2146
érébral ? « Je ne distingue l’être qu’aux racines
de
l’élémentaire », écrivait-il dans Six Cahiers. Parlons plutôt du comm
2147
il dans Six Cahiers. Parlons plutôt du communisme
de
son œuvre, à condition qu’on entende le mot dans le sens littéral, or
2148
point vraiment commun, parce qu’il « est au-delà
de
la vie ». C’est le communisme qui règne au Jugement dernier et qui ré
2149
rd rajeuni, ces gestes rudimentaires, cette odeur
de
bois fraîchement coupé que dégageaient les premières œuvres des écriv
2150
ue dégageaient les premières œuvres des écrivains
de
l’URSS, je ne les retrouve que chez Ramuz. Mais purifiés de toute bru
2151
je ne les retrouve que chez Ramuz. Mais purifiés
de
toute brutalité, de ces traits forcenés, de ces ricanements d’intelle
2152
que chez Ramuz. Mais purifiés de toute brutalité,
de
ces traits forcenés, de ces ricanements d’intellectuels mal guéris. C
2153
ifiés de toute brutalité, de ces traits forcenés,
de
ces ricanements d’intellectuels mal guéris. Certes Ramuz a toujours b
2154
alité, de ces traits forcenés, de ces ricanements
d’
intellectuels mal guéris. Certes Ramuz a toujours beaucoup attendu du
2155
amuz a toujours beaucoup attendu du peuple russe,
de
« cette immense et secrète réserve d’innocence », d’où peut-être un j
2156
uple russe, de « cette immense et secrète réserve
d’
innocence », d’où peut-être un jour sortira le peuple-poète, « le peup
2157
« cette immense et secrète réserve d’innocence »,
d’
où peut-être un jour sortira le peuple-poète, « le peuple tous en un »
2158
ple tous en un ». Mais son œuvre est bien au-delà
de
l’ère machiniste où la Russie s’engage. Un trait profond de son art m
2159
achiniste où la Russie s’engage. Un trait profond
de
son art m’en convainc : le sens de la vénération, qui est aussi le se
2160
trait profond de son art m’en convainc : le sens
de
la vénération, qui est aussi le sens de la lenteur des choses. Person
2161
: le sens de la vénération, qui est aussi le sens
de
la lenteur des choses. Personne, en Occident, n’a salué la Révolution
2162
Printemps. Personne plus que lui ne serait digne
de
revendiquer la qualité de « communiste » si les mots conservaient un
2163
que lui ne serait digne de revendiquer la qualité
de
« communiste » si les mots conservaient un sens. Et cela donne à la c
2164
ation du collectivisme qu’il prononça dans Taille
de
l’homme une signification et une portée humaine dont les bourgeois eu
2165
aine dont les bourgeois eussent dû concevoir plus
de
crainte que de satisfaction. Ramuz fait au système soviétique certain
2166
ourgeois eussent dû concevoir plus de crainte que
de
satisfaction. Ramuz fait au système soviétique certains reproches que
2167
ant lui, avaient bien souvent formulés, avec plus
de
mordant peut-être, et plus de précision technique. Mais ce qu’il décr
2168
formulés, avec plus de mordant peut-être, et plus
de
précision technique. Mais ce qu’il décrit avec une véritable puissanc
2169
’aboutissement du marxisme : l’isolement cosmique
de
l’homme. Quoi qu’il en dise, d’ailleurs, il dit plus que ses argument
2170
Soviets, il n’en resterait pas moins, par le fait
de
son être même, une protestation contre l’orthodoxie matérialiste. Qua
2171
matérialiste. Quand on possède comme lui le sens
de
la solitude et le sens de la communauté, — indissolubles — on est une
2172
ssède comme lui le sens de la solitude et le sens
de
la communauté, — indissolubles — on est une objection vivante à tout
2173
ulière des choses et des êtres, on n’a pas besoin
d’
arguments pour faire sentir l’absurdité des « lois », qui pour certain
2174
Ève nous le fait voir tout aussi bien que Taille
de
l’homme : Ramuz est présent à ce monde, — eux, ils essaient de le rec
2175
Ramuz est présent à ce monde, — eux, ils essaient
de
le recomposer au sein de son absence insurmontable. À ceux qui croien
2176
e insurmontable. À ceux qui croient aux fatalités
de
l’Histoire, il faut dire simplement qu’elles sont vraies pour eux-mêm
2177
lles sont vraies pour eux-mêmes et pour tous ceux
de
leur croyance. On ne calcule pas avec la vie, mais avec des quantités
2178
is avec des quantités mortes. Ceux qui se vantent
d’
être calculables ont très probablement raison : c’est une constatation
2179
très probablement raison : c’est une constatation
de
décès spirituel, à peine anticipée peut-être. Mais ils se trompent to
2180
ualistes bourgeois savaient la mépriser. (Dix ans
de
discussions, chez les philosophes de Moscou, ont abouti en 1932 à des
2181
er. (Dix ans de discussions, chez les philosophes
de
Moscou, ont abouti en 1932 à des définitions tellement abstruses de c
2182
uti en 1932 à des définitions tellement abstruses
de
cette fameuse « matière » sur laquelle tout se fonde, que Staline s’e
2183
e, que Staline s’est vu contraint, pour en finir,
de
fixer la saine doctrine par un ukase condamnant à la fois les mécanis
2184
s choses. Aussi bien n’éprouve-t-il pas le besoin
de
s’affirmer matérialiste. IIISur un croquis de Stravinsky L’aute
2185
de s’affirmer matérialiste. IIISur un croquis
de
Stravinsky L’auteur aux prises avec les choses dans son œuvre, l’a
2186
son œuvre, l’auteur aux prises avec certaine idée
de
l’homme dans sa tête, nous dirons que ce sont les deux moitiés d’une
2187
sa tête, nous dirons que ce sont les deux moitiés
d’
une figure. Mais cette figure est un autoportrait. Comment les autres
2188
éelle du système. On a beaucoup écrit sur l’œuvre
de
Ramuz. Mais presque rien sur sa personne, au sens où je l’entends ici
2189
ui ressemble au sien, je la trouve dans un dessin
de
Stravinsky. Cette interprétation à la volée d’une figure, est à mes y
2190
in de Stravinsky. Cette interprétation à la volée
d’
une figure, est à mes yeux plus significative dans sa déformation déli
2191
sur la syntaxe et sur la construction des romans
de
Ramuz. ⁂ Tout portrait représente un dialogue entre le peintre et son
2192
re et son modèle. Mais comment distinguer la part
de
chacun des interlocuteurs ? La signature de Stravinsky n’apparaît pas
2193
part de chacun des interlocuteurs ? La signature
de
Stravinsky n’apparaît pas seulement dans la marge de ce croquis. Elle
2194
Stravinsky n’apparaît pas seulement dans la marge
de
ce croquis. Elle est encore dans le beau trait qui ondule de l’œil dr
2195
is. Elle est encore dans le beau trait qui ondule
de
l’œil droit au menton de Ramuz. C’est une ligne mélodique dont on ret
2196
le beau trait qui ondule de l’œil droit au menton
de
Ramuz. C’est une ligne mélodique dont on retrouverait l’allure dans p
2197
n retrouverait l’allure dans plusieurs « traits »
de
Petrouchka. La moustache est noircie par une plume habituée à tracer
2198
par une plume habituée à tracer comme au pinceau
d’
épaisses barres entre les portées, telles qu’on en voit sur le manuscr
2199
en voit sur le manuscrit des Noces. Quant au nez
d’
aigle, ce n’est guère celui que les photos du modèle nous montrent. Le
2200
ue les photos du modèle nous montrent. Le nez est
d’
ordinaire l’élément le plus impersonnel dans un visage, le plus racial
2201
l dans un visage, le plus racial ou animal. Celui
de
ce croquis n’est que l’indication d’un instinct prédateur peut-être r
2202
nimal. Celui de ce croquis n’est que l’indication
d’
un instinct prédateur peut-être russe, nullement vaudois. Ceci marqué,
2203
eci marqué, nous restons en présence d’une espèce
de
symbole de Ramuz. Je dirai presque d’un rébus, c’est-à-dire d’un visa
2204
nous restons en présence d’une espèce de symbole
de
Ramuz. Je dirai presque d’un rébus, c’est-à-dire d’un visage qu’il s’
2205
’une espèce de symbole de Ramuz. Je dirai presque
d’
un rébus, c’est-à-dire d’un visage qu’il s’agit de déchiffrer dans un
2206
Ramuz. Je dirai presque d’un rébus, c’est-à-dire
d’
un visage qu’il s’agit de déchiffrer dans un environnement d’objets qu
2207
d’un rébus, c’est-à-dire d’un visage qu’il s’agit
de
déchiffrer dans un environnement d’objets qui le délimitent. Le visa
2208
qu’il s’agit de déchiffrer dans un environnement
d’
objets qui le délimitent. Le visage est vision et expression : œil et
2209
menton, la bouche aux yeux : la personne n’a pas
d’
autre siège, elle est ce complexe de tensions, cette équation fondamen
2210
sonne n’a pas d’autre siège, elle est ce complexe
de
tensions, cette équation fondamentale de l’être. La première impressi
2211
complexe de tensions, cette équation fondamentale
de
l’être. La première impression qu’on reçoit de ce portrait serait tro
2212
le de l’être. La première impression qu’on reçoit
de
ce portrait serait trop faiblement traduite par le mot de méfiance :
2213
rtrait serait trop faiblement traduite par le mot
de
méfiance : il faudrait parler de dissimulation. « Méfiance » a d’aill
2214
duite par le mot de méfiance : il faudrait parler
de
dissimulation. « Méfiance » a d’ailleurs peu de sens en physiognomoni
2215
Stravinsky l’a souligné en exagérant l’importance
de
la moustache et le renflement de la paupière supérieure. Le regard de
2216
ant l’importance de la moustache et le renflement
de
la paupière supérieure. Le regard de Ramuz est direct, mais volontair
2217
e renflement de la paupière supérieure. Le regard
de
Ramuz est direct, mais volontairement limité, rabattu. Ce n’est pas l
2218
ntairement limité, rabattu. Ce n’est pas là l’œil
d’
un idéaliste ; mais d’un homme qui choisit parmi les choses qui se tie
2219
attu. Ce n’est pas là l’œil d’un idéaliste ; mais
d’
un homme qui choisit parmi les choses qui se tiennent à hauteur d’homm
2220
hoisit parmi les choses qui se tiennent à hauteur
d’
homme, et qui résistent à la pénétration d’un regard ferme et appuyé :
2221
auteur d’homme, et qui résistent à la pénétration
d’
un regard ferme et appuyé : œil de styliste volontaire, qui s’attache
2222
la pénétration d’un regard ferme et appuyé : œil
de
styliste volontaire, qui s’attache à l’architecture des solides, aux
2223
va s’exprimer cette vision ? La lèvre inférieure
de
cette large bouche que la moustache ne réussit pas à nous cacher, tra
2224
sensualité qui s’opposera chez Ramuz à tout excès
d’
élaboration des images. Cet homme ne poussera jamais la volonté de sty
2225
s images. Cet homme ne poussera jamais la volonté
de
style jusqu’au système et à l’abstrait — jusqu’au cubisme. Pour le ph
2226
le physionomiste, le seul principe fécond, c’est
d’
admettre que tout se voit sur un visage. Il n’existe, pour lui, aucun
2227
se manifeste par un signe apparent qu’il s’agira
de
distinguer. C’est ainsi que la formidable moustache dont s’orne ce vi
2228
he dont s’orne ce visage révèle exactement autant
de
choses qu’elle en cache. Et peut-être d’abord une certaine bonté, qui
2229
crois, cette bonté naturelle, dans le renflement
de
la joue au niveau de la bouche.) Quel est, en somme, le rôle de l’exp
2230
niveau de la bouche.) Quel est, en somme, le rôle
de
l’expression, sinon de montrer surtout ce qui se cache, et de le mont
2231
uel est, en somme, le rôle de l’expression, sinon
de
montrer surtout ce qui se cache, et de le montrer justement enrobé da
2232
ion, sinon de montrer surtout ce qui se cache, et
de
le montrer justement enrobé dans l’image et le signe physique ? Moust
2233
obé dans l’image et le signe physique ? Moustache
de
paysan, grosse ruse de paysan… Façons de parler tout à la fois carrée
2234
signe physique ? Moustache de paysan, grosse ruse
de
paysan… Façons de parler tout à la fois carrées et très prudemment me
2235
oustache de paysan, grosse ruse de paysan… Façons
de
parler tout à la fois carrées et très prudemment mesurées. Ainsi la d
2236
très prudemment mesurées. Ainsi la dissimulation
de
ce visage est style. Maintenant, les objets. Tout ce que le résumé cr
2237
enant, les objets. Tout ce que le résumé critique
de
la figure n’a pas su dire, nous le retrouvons indiqué dans le chapeau
2238
ourne la vie du pays recréé par Ramuz. Le « chant
de
notre Rhône », le vin blanc du Valais, des côtes de Laveaux et de la
2239
notre Rhône », le vin blanc du Valais, des côtes
de
Laveaux et de la vallée méridionale, une certaine mystique raciale :
2240
, le vin blanc du Valais, des côtes de Laveaux et
de
la vallée méridionale, une certaine mystique raciale : c’est tout cel
2241
du croquis. Et dans la lampe, il y a la mystique
de
l’objet utile : l’ustensile, si caractéristique d’un certain réalisme
2242
e l’objet utile : l’ustensile, si caractéristique
d’
un certain réalisme populaire, dont Ramuz est peut-être le seul à avoi
2243
à avoir su montrer la nécessaire dignité. Le sens
de
l’objet, chez Ramuz, est lié à son sens goethéen du symbole. Il ne va
2244
r, qui est la substance du général. La partie n’a
de
sens et d’authenticité qu’autant qu’elle participe, c’est-à-dire init
2245
la substance du général. La partie n’a de sens et
d’
authenticité qu’autant qu’elle participe, c’est-à-dire initie au tout.
2246
e domaine, faut-il comprendre le « régionalisme »
de
Ramuz : comme une introduction nécessaire à l’humain. (Si l’on veut v
2247
aire à l’humain. (Si l’on veut voir dans l’auteur
d’
Adam et Ève une sorte de folkloriste, il faudra considérer l’auteur de
2248
n veut voir dans l’auteur d’Adam et Ève une sorte
de
folkloriste, il faudra considérer l’auteur de Phèdre comme un archéol
2249
rte de folkloriste, il faudra considérer l’auteur
de
Phèdre comme un archéologue, auteur de drames historiques.) Quant au
2250
r l’auteur de Phèdre comme un archéologue, auteur
de
drames historiques.) Quant au chapeau, ce n’est point par hasard que
2251
au sens agressif du terme. C’est le chapeau plat
de
feutre brun qu’arboraient les rédacteurs des Cahiers vaudois. Il trad
2252
cteurs des Cahiers vaudois. Il traduit cet aspect
de
« manifeste » qu’ont certaines pages trop volontaires de Ramuz, écrit
2253
nifeste » qu’ont certaines pages trop volontaires
de
Ramuz, écrites en réaction contre le bon goût helvétique. Il est la p
2254
part des contingences dans cette curieuse ellipse
d’
un visage. IVFormule d’une personne Leur poésie ne commence pas
2255
cette curieuse ellipse d’un visage. IVFormule
d’
une personne Leur poésie ne commence pas pour eux avec le commence
2256
sie ne commence pas pour eux avec le commencement
de
leur personne ; elle ne commence à vrai dire que là où leur personne
2257
sible avec l’objet ; elle est dans la suppression
de
tout contact avec l’objet. On croit voir transparaître dans ce passa
2258
re dans ce passage des Six Cahiers le « négatif »
d’
un portrait de Ramuz. Essayons d’en tirer une épreuve positive : « Sa
2259
sage des Six Cahiers le « négatif » d’un portrait
de
Ramuz. Essayons d’en tirer une épreuve positive : « Sa poésie commenc
2260
s le « négatif » d’un portrait de Ramuz. Essayons
d’
en tirer une épreuve positive : « Sa poésie commence avec le commencem
2261
itive : « Sa poésie commence avec le commencement
de
sa personne ; elle prend fin là où commence pour lui l’impersonnel. E
2262
du contact avec l’objet. » Mais on peut dire cela
de
Goethe aussi ? Et de bien d’autres réalistes de la forme ? De Goethe
2263
et. » Mais on peut dire cela de Goethe aussi ? Et
de
bien d’autres réalistes de la forme ? De Goethe surtout. Il y a pourt
2264
a de Goethe aussi ? Et de bien d’autres réalistes
de
la forme ? De Goethe surtout. Il y a pourtant cette différence capita
2265
ssi ? Et de bien d’autres réalistes de la forme ?
De
Goethe surtout. Il y a pourtant cette différence capitale que, chez G
2266
ues par l’estampe. Il lui faut les intermédiaires
de
la culture, les assurances d’une noble origine, un système délicat de
2267
les intermédiaires de la culture, les assurances
d’
une noble origine, un système délicat de conventions et de prudences.
2268
ssurances d’une noble origine, un système délicat
de
conventions et de prudences. Ramuz commence là où tous les intermédia
2269
ble origine, un système délicat de conventions et
de
prudences. Ramuz commence là où tous les intermédiaires sont supprimé
2270
the cherche une économie des moyens, qui permette
d’
aller au-delà de ce que la civilisation lui donne de plus achevé. Le m
2271
économie des moyens, qui permette d’aller au-delà
de
ce que la civilisation lui donne de plus achevé. Le mouvement de Ramu
2272
vilisation lui donne de plus achevé. Le mouvement
de
Ramuz paraît inverse : par la ligne de plus grande résistance, il fai
2273
ent un Goethe et un Ramuz déterminent deux formes
d’
expérience apparemment incomparables. Tout l’appareil de la culture le
2274
rience apparemment incomparables. Tout l’appareil
de
la culture les sépare. Mais il ne faut pas oublier que la culture de
2275
épare. Mais il ne faut pas oublier que la culture
de
notre temps n’est plus du tout ce qu’elle était au temps de Goethe. P
2276
ontestable. Il se peut que l’effort réactionnaire
de
Ramuz, dans les contingences où nous sommes soit, plus qu’il n’y para
2277
n l’attaquant, plus que n’ont fait les défenseurs
d’
une intelligence sans prises, d’une pensée sans risques, et d’un art s
2278
it les défenseurs d’une intelligence sans prises,
d’
une pensée sans risques, et d’un art sans piété. Ramuz en veut à l’éco
2279
igence sans prises, d’une pensée sans risques, et
d’
un art sans piété. Ramuz en veut à l’école, aux journaux, au langage n
2280
école, aux journaux, au langage noble, aux objets
de
vitrines, à la poésie poétique, à nos formes habituées. Il prétend qu
2281
ouvent le plus brutal des tintamarres, « un bruit
de
vitres cassées, de grincement pareils à ceux d’un clou sur un caillou
2282
al des tintamarres, « un bruit de vitres cassées,
de
grincement pareils à ceux d’un clou sur un caillou, un mélange de tou
2283
t de vitres cassées, de grincement pareils à ceux
d’
un clou sur un caillou, un mélange de toux sèches ou rauques et de cou
2284
reils à ceux d’un clou sur un caillou, un mélange
de
toux sèches ou rauques et de coups de pioche ou de marteau. » Les gla
2285
caillou, un mélange de toux sèches ou rauques et
de
coups de pioche ou de marteau. » Les glaciers ne sont pas « sublimes
2286
un mélange de toux sèches ou rauques et de coups
de
pioche ou de marteau. » Les glaciers ne sont pas « sublimes » comme o
2287
e toux sèches ou rauques et de coups de pioche ou
de
marteau. » Les glaciers ne sont pas « sublimes » comme on chante dans
2288
on chante dans les écoles suisses. Et il est faux
de
« chanter » la montagne : les montagnards l’appellent « le mauvais pa
2289
s l’appellent « le mauvais pays ». On a vite fait
d’
expliquer cette esthétique de l’objet brut par une mauvaise humeur d’a
2290
ys ». On a vite fait d’expliquer cette esthétique
de
l’objet brut par une mauvaise humeur d’artiste en réaction contre l’a
2291
sthétique de l’objet brut par une mauvaise humeur
d’
artiste en réaction contre l’académisme. Si puissantes que soient les
2292
ne réaction créatrice. Et ce n’est point en haine
de
la facilité qu’un homme recherchera jamais l’effort : mais par goût d
2293
homme recherchera jamais l’effort : mais par goût
de
l’effort. Si Ramuz tend à rejeter tous les intermédiaires culturels,
2294
il critique le machinisme, s’il raille le confort
de
ses concitoyens, leurs assurances, leur hygiène proprette, leur idéal
2295
e contact avec la matière résistante et le risque
de
l’homme créateur de sa forme. Si Ramuz n’aime pas les machines, s’il
2296
tière résistante et le risque de l’homme créateur
de
sa forme. Si Ramuz n’aime pas les machines, s’il refuse l’économie d’
2297
z n’aime pas les machines, s’il refuse l’économie
d’
efforts qu’elles représentent, c’est que l’effort même, pour lui, gara
2298
lui, garantit la réalité. L’effort est le concret
de
l’homme79. Saisir les choses et les êtres, tels qu’ils sont et tels q
2299
nt, dégradés, désunis, informes ; et par l’effort
d’
une imagination qui retrouve leur raison d’être, les pousser jusqu’à l
2300
effort d’une imagination qui retrouve leur raison
d’
être, les pousser jusqu’à l’expression de leur nature primitive, produ
2301
r raison d’être, les pousser jusqu’à l’expression
de
leur nature primitive, produire au jour leur forme restaurée, — c’est
2302
leur forme restaurée, — c’est le mouvement unique
de
l’œuvre de Ramuz, et la définition de sa personne en exercice. « Je n
2303
restaurée, — c’est le mouvement unique de l’œuvre
de
Ramuz, et la définition de sa personne en exercice. « Je ne distingue
2304
ment unique de l’œuvre de Ramuz, et la définition
de
sa personne en exercice. « Je ne distingue l’être qu’aux racines de l
2305
exercice. « Je ne distingue l’être qu’aux racines
de
l’élémentaire ». Parce que le critère du réel c’est l’effort ; parce
2306
main là où les choses et les êtres attendent tout
de
son pouvoir restaurateur : leur nom, leur nombre et leur emploi. Parc
2307
nombre et leur emploi. Parce que le sens dernier
de
l’acte humain, c’est le retour au Paradis perdu. Il faut citer ici un
2308
e page des Souvenirs sur Stravinsky qui me paraît
d’
une importance extrême, non seulement parce qu’elle est la plus clairv
2309
on œuvre, une perspective qui est je crois, celle
de
sa plénitude. Par-delà tous les pays, il y a peut-être le Pays (per
2310
un instant à l’homme des commencements, à l’homme
d’
avant la malédiction, d’avant la grande première bifurcation dont chac
2311
commencements, à l’homme d’avant la malédiction,
d’
avant la grande première bifurcation dont chacun des embranchements a
2312
rcation nouvelle, et celle-ci une autre, et ainsi
de
suite à l’infini, de sorte que pour finir on est chacun tout seul sur
2313
finir on est chacun tout seul sur son petit bout
de
sentier. Et il y a aussi cette malédiction, où on sent bien qu’on est
2314
out travail difficile, tout travail, toute espèce
de
travail se fait d’abord contre nous-mêmes et contre Quelqu’un, tout t
2315
on), — jusqu’à ce que tout à coup, par une espèce
de
renversement, la bénédiction intervienne, tout à coup il y ait cette
2316
ration avec Quelqu’un, il y ait cette possibilité
de
retour, ce retour, ce « retrouvement ». ⁂ Sobriété, assobrissement f
2317
été, assobrissement faudrait-il dire80, éducation
de
la vision par l’acte. Instauration de la personne dans la tension ent
2318
, éducation de la vision par l’acte. Instauration
de
la personne dans la tension entre l’objet et la volonté formatrice, r
2319
matrice, rédemption par l’effort créateur… Autant
de
formules d’un art dont la genèse se confond avec celle de la personne
2320
emption par l’effort créateur… Autant de formules
d’
un art dont la genèse se confond avec celle de la personne. Dans un es
2321
les d’un art dont la genèse se confond avec celle
de
la personne. Dans un essai où je crois distinguer l’aveu de soi le pl
2322
onne. Dans un essai où je crois distinguer l’aveu
de
soi le plus direct qu’ait jamais consenti Ramuz (c’est Une Main) je l
2323
Mais à sa seule leçon, à l’équation fondamentale
de
sa vie, non point certes aux contingences et au décor de son appariti
2324
ie, non point certes aux contingences et au décor
de
son apparition. Aussi bien la suite du passage nous ramène au niveau
2325
comme par exemple une maison trop grande, un feu
de
bois vert qu’on s’ingénie à allumer dans une cheminée qui tire mal. J
2326
que je suis à la mienne. » ⁂ Je vois, j’ai tenté
de
faire voir comment Ramuz existe à sa façon. Je vois que son pouvoir e
2327
s oblige à être présent. Je vois ce grand exemple
d’
une volonté tendue vers l’origine d’où procèdent à la fois les lois d’
2328
grand exemple d’une volonté tendue vers l’origine
d’
où procèdent à la fois les lois d’un art, la coutume d’un peuple et l’
2329
vers l’origine d’où procèdent à la fois les lois
d’
un art, la coutume d’un peuple et l’authentique raison d’être, l’ident
2330
procèdent à la fois les lois d’un art, la coutume
d’
un peuple et l’authentique raison d’être, l’identité d’une personne. J
2331
t, la coutume d’un peuple et l’authentique raison
d’
être, l’identité d’une personne. Je vois, j’apprends, j’entends la voi
2332
peuple et l’authentique raison d’être, l’identité
d’
une personne. Je vois, j’apprends, j’entends la voix d’un homme. N’est
2333
personne. Je vois, j’apprends, j’entends la voix
d’
un homme. N’est-ce pas assez ? Cette voix n’est-elle pas émouvante ? —
2334
le pas émouvante ? — Oui, c’est beaucoup, la voix
d’
un homme. C’est assez rare dans la littérature. Qui voudrait exiger da
2335
Voici le temps où l’homme se voit mis en demeure
de
déclarer ses origines et ses fins. Voici le temps où l’homme est atta
2336
lus forte que tous nos idéals. Maintenant il y va
de
notre tout. La question dernière est posée : celle de notre origine d
2337
otre tout. La question dernière est posée : celle
de
notre origine décisive. Le silence perd alors son pouvoir ; mais la p
2338
la parole n’appartient plus à l’homme. Au comble
de
nous-mêmes il s’agit d’autre chose que de nous. « Tout notre embrasse
2339
plus à l’homme. Au comble de nous-mêmes il s’agit
d’
autre chose que de nous. « Tout notre embrassement n’est qu’une questi
2340
comble de nous-mêmes il s’agit d’autre chose que
de
nous. « Tout notre embrassement n’est qu’une question81 ». Or une que
2341
présence au monde et à soi-même, — l’originalité
de
l’homme « radical ». Ramuz l’a fait plus qu’aucun de nos maîtres. De
2342
l’homme « radical ». Ramuz l’a fait plus qu’aucun
de
nos maîtres. De lui donc, plus que d’aucun autre, nous attendons qu’i
2343
l ». Ramuz l’a fait plus qu’aucun de nos maîtres.
De
lui donc, plus que d’aucun autre, nous attendons qu’il aille jusqu’au
2344
us qu’aucun de nos maîtres. De lui donc, plus que
d’
aucun autre, nous attendons qu’il aille jusqu’au tenue. Le fondement d
2345
qu’il aille jusqu’au tenue. Le fondement dernier
de
la personne est témoignage. Témoigner, c’est risquer en dépit de tout
2346
age. Témoigner, c’est risquer en dépit de tout et
de
soi, ce qu’aucune sagesse n’a jamais justifié. 70. Le Grand Print
2347
me abstrait, insista puissamment sur la nécessité
de
« faire la volonté de Dieu », non de la dire. Mais le kantisme a dévi
2348
uissamment sur la nécessité de « faire la volonté
de
Dieu », non de la dire. Mais le kantisme a dévié ce mouvement, détour
2349
la nécessité de « faire la volonté de Dieu », non
de
la dire. Mais le kantisme a dévié ce mouvement, détournant l’attentio
2350
isme a dévié ce mouvement, détournant l’attention
de
l’acte — car tout acte est particulier — pour la porter sur l’intenti
2351
ût-il même un silence, laisse une trace au visage
de
l’homme, modifie sa forme existante. « La figure a été faite sur la v
2352
tre à l’abri du fisc. Ce qui est difficile, c’est
de
justifier une telle conduite… C’est alors que le psychologue entre en
2353
le psychologue entre en action. 73. C’est le ton
de
la musique de Stravinsky, du Sacre et des Noces. Un ton de création d
2354
entre en action. 73. C’est le ton de la musique
de
Stravinsky, du Sacre et des Noces. Un ton de création du monde. 74.
2355
ique de Stravinsky, du Sacre et des Noces. Un ton
de
création du monde. 74. Dans les essais de Ramuz, ses tics de langage
2356
Un ton de création du monde. 74. Dans les essais
de
Ramuz, ses tics de langage sont très apparents : excès de et, de il y
2357
du monde. 74. Dans les essais de Ramuz, ses tics
de
langage sont très apparents : excès de et, de il y a que, de singuliè
2358
, ses tics de langage sont très apparents : excès
de
et, de il y a que, de singulièrement (pris dans le sens de très), de
2359
ics de langage sont très apparents : excès de et,
de
il y a que, de singulièrement (pris dans le sens de très), de on veut
2360
sont très apparents : excès de et, de il y a que,
de
singulièrement (pris dans le sens de très), de on veut dire, etc. 75
2361
il y a que, de singulièrement (pris dans le sens
de
très), de on veut dire, etc. 75. On pourrait soutenir que l’époque 1
2362
e, de singulièrement (pris dans le sens de très),
de
on veut dire, etc. 75. On pourrait soutenir que l’époque 1900-1910 f
2363
1900-1910 fut « inactuelle » pour la grande masse
de
ceux qui la vécurent. Et qu’elle n’eut d’actualité véritable que par
2364
e masse de ceux qui la vécurent. Et qu’elle n’eut
d’
actualité véritable que par et dans l’œuvre de Proust, par exemple, ou
2365
eut d’actualité véritable que par et dans l’œuvre
de
Proust, par exemple, ou, à un tout autre, point de vue, par et dans l
2366
un tout autre, point de vue, par et dans l’œuvre
de
Sorel et de Lénine. 76. Cette attitude est assez goethéenne. Un sens
2367
re, point de vue, par et dans l’œuvre de Sorel et
de
Lénine. 76. Cette attitude est assez goethéenne. Un sens puissant de
2368
e attitude est assez goethéenne. Un sens puissant
de
l’organique empêchera toujours certains hommes de travailler activeme
2369
de l’organique empêchera toujours certains hommes
de
travailler activement à consommer les ruptures nécessaires. Dans la m
2370
ommer les ruptures nécessaires. Dans la mesure où
de
tels hommes incarnent déjà les valeurs que la révolution veut instaur
2371
laudel pour avoir conduit consciemment ce travail
d’
« autorisation » (Art poétique). Les philosophes y sont contraints pro
2372
anarchie sémantique. 78. Il dit des personnages
de
ses romans : « Je ne les aime pas en tant que « primitifs » comme on
2373
tendu, qu’il implique une création, qu’il résulte
d’
une mise en présence effective de l’homme et de ce qui résiste à l’hom
2374
n, qu’il résulte d’une mise en présence effective
de
l’homme et de ce qui résiste à l’homme. C’est le contraire de l’activ
2375
te d’une mise en présence effective de l’homme et
de
ce qui résiste à l’homme. C’est le contraire de l’activisme au sens a
2376
t de ce qui résiste à l’homme. C’est le contraire
de
l’activisme au sens américain, qui cherche partout la ligne de plus g
2377
L’Art poétique
de
Claudel La création tout entière est un discours adressé à la créa
2378
es dialectes. Hamann (Paraphrase du Psaume 19.)
De
l’Art poétique de Claudel, qui domine toute son œuvre ultérieure, je
2379
ann (Paraphrase du Psaume 19.) De l’Art poétique
de
Claudel, qui domine toute son œuvre ultérieure, je retiendrai d’abord
2380
à chaque page. La rumeur quotidienne tend à faire
de
« poète » une circonstance atténuante, au bénéfice du maladroit s’il
2381
adroit s’il est aimable. Ou bien c’est l’ornement
de
nos loisirs. Mais Claudel dit : l’art poétique est art de faire. Un g
2382
oisirs. Mais Claudel dit : l’art poétique est art
de
faire. Un gémissement célèbre, chez les clercs, déplore l’antipathie
2383
e, chez les clercs, déplore l’antipathie tragique
de
la Vie et de la connaissance. Ceci tuerait cela. Et de cette dialecti
2384
lercs, déplore l’antipathie tragique de la Vie et
de
la connaissance. Ceci tuerait cela. Et de cette dialectique, on a tir
2385
Vie et de la connaissance. Ceci tuerait cela. Et
de
cette dialectique, on a tiré quelques rayons d’in-octavos. Mais Claud
2386
t de cette dialectique, on a tiré quelques rayons
d’
in-octavos. Mais Claudel : « Vivre c’est connaître », « Se connaître,
2387
ec soi. »… Il ne s’agit évidemment, ici et là, ni
de
la même poésie ni de la même connaissance. ⁂ Claudel choisit, contre
2388
it évidemment, ici et là, ni de la même poésie ni
de
la même connaissance. ⁂ Claudel choisit, contre le sens banal, le sen
2389
quent les étymologies. C’est-à-dire qu’il choisit
de
choisir, car l’étymologie est trop loin d’être une science pour que l
2390
hoisit de choisir, car l’étymologie est trop loin
d’
être une science pour que l’adoption même d’une « origine » soit autre
2391
loin d’être une science pour que l’adoption même
d’
une « origine » soit autre chose qu’un choix délibéré, — quand ce n’es
2392
as un profond calembour. « Il est permis à chacun
de
se servir de tel son qu’il lui plaît pour exprimer ses idées, pourvu
2393
calembour. « Il est permis à chacun de se servir
de
tel son qu’il lui plaît pour exprimer ses idées, pourvu qu’il en aver
2394
idées, pourvu qu’il en avertisse ». Cette phrase
de
la Logique de Port-Royal, dont Claudel s’il est réaliste doit récuser
2395
qu’il en avertisse ». Cette phrase de la Logique
de
Port-Royal, dont Claudel s’il est réaliste doit récuser la principale
2396
anmoins servir à préciser ce qui oppose la langue
d’
un poète aux divers jargons de son temps ; c’est que l’une est une lan
2397
ui oppose la langue d’un poète aux divers jargons
de
son temps ; c’est que l’une est une langue « avertie », posant un per
2398
tissement, tandis que les autres ont plutôt l’air
de
résulter d’une série d’oublis d’avertir, d’une série de contravention
2399
andis que les autres ont plutôt l’air de résulter
d’
une série d’oublis d’avertir, d’une série de contraventions dans l’imp
2400
s autres ont plutôt l’air de résulter d’une série
d’
oublis d’avertir, d’une série de contraventions dans l’impunité généra
2401
ont plutôt l’air de résulter d’une série d’oublis
d’
avertir, d’une série de contraventions dans l’impunité générale. Claud
2402
l’air de résulter d’une série d’oublis d’avertir,
d’
une série de contraventions dans l’impunité générale. Claudel montre p
2403
ulter d’une série d’oublis d’avertir, d’une série
de
contraventions dans l’impunité générale. Claudel montre partout son p
2404
e. Claudel montre partout son parti pris, qui est
de
s’en tenir aux origines, et à cette origine, entre plusieurs probable
2405
, la plus proche de la chose et du geste. Poésie,
de
poiein, ce sera : faire. Connaître, de cognoscere, sera : co-naître.
2406
e. Poésie, de poiein, ce sera : faire. Connaître,
de
cognoscere, sera : co-naître. Il faut savoir ce que parler veut dire.
2407
-naître. Il faut savoir ce que parler veut dire. (
D’
où l’on vient, où l’on va : tel est le sens.) Car le langage, parmi d’
2408
le langage, parmi d’autres fonctions, a celle-là
de
permettre à nos pensées de circuler. Claudel se donne un règlement, e
2409
fonctions, a celle-là de permettre à nos pensées
de
circuler. Claudel se donne un règlement, et il observe les signaux. L
2410
us qu’à se laisser pousser dans le sens incertain
de
la masse. Or ce sens, tellement incertain qu’il en devient presque in
2411
te affaire, celui qui sait où il va risque encore
d’
augmenter l’embarras, et de se faire copieusement houspiller. Et pourt
2412
où il va risque encore d’augmenter l’embarras, et
de
se faire copieusement houspiller. Et pourtant, c’est lui seul qui dét
2413
’aille aussi s’embouteiller83. Ou encore essayons
de
la traduire. Les modes, l’usage, l’usure des mots, aggravés par la pr
2414
i à vrai dire, et dans le fait, ruinent les bases
de
la communauté. On convient de s’entendre sur des malentendus. Tout le
2415
, ruinent les bases de la communauté. On convient
de
s’entendre sur des malentendus. Tout le monde parle d’esprit sans nul
2416
entendre sur des malentendus. Tout le monde parle
d’
esprit sans nulle définition, sans déclarer ce que le mot sous-entend
2417
racines. (Alors que toute communauté réelle naît
d’
une entente passionnée sur le sens de certains maîtres-mots : esprit,
2418
réelle naît d’une entente passionnée sur le sens
de
certains maîtres-mots : esprit, nation, révolution, salut…) Et, comme
2419
es et abstraites qu’on le peut. Opération inverse
de
celle du poète : on s’arrête à l’acceptation neutre, la moins active,
2420
irement, mais : « Tel est le mystère qu’il s’agit
de
reporter sur le papier de l’encre la plus noire. » Au lieu de : Réflé
2421
le mystère qu’il s’agit de reporter sur le papier
de
l’encre la plus noire. » Au lieu de : Réfléchissons, analysons : « Ru
2422
urs une chose-image, au lieu d’une formule faite,
d’
un terme abstrait. C’est le style du livre de Job. Cependant cet effor
2423
ite, d’un terme abstrait. C’est le style du livre
de
Job. Cependant cet effort de Claudel, restituant à chaque mot son sen
2424
st le style du livre de Job. Cependant cet effort
de
Claudel, restituant à chaque mot son sens le plus poignant, par là mê
2425
ble au très grand nombre. Rendre au mot sa valeur
d’
appel, appeler sans cesse à grands cris l’univers (cette « version à l
2426
sion à l’unité »), la plénitude, le rassemblement
de
tous les êtres, le branle-bas de toute la création vers son achèvemen
2427
le rassemblement de tous les êtres, le branle-bas
de
toute la création vers son achèvement intelligible, c’est là vraiment
2428
là vraiment « poétiser », collaborer à l’ouvrage
de
Dieu, et recréer la catholicité. Mais c’est aussi dans le monde d’auj
2429
er la catholicité. Mais c’est aussi dans le monde
d’
aujourd’hui, se condamner à n’être pas compris. Paradoxe d’un génie «
2430
’hui, se condamner à n’être pas compris. Paradoxe
d’
un génie « catholique », isolé de la foule des hommes, par ce qui mani
2431
ompris. Paradoxe d’un génie « catholique », isolé
de
la foule des hommes, par ce qui manifeste, justement sa volonté de ca
2432
ommes, par ce qui manifeste, justement sa volonté
de
catholicité ! ⁂ Non qu’il soit méconnu, bien sûr. Mais parmi tant d’a
2433
Non qu’il soit méconnu, bien sûr. Mais parmi tant
d’
admirateurs, combien connaissent à la raison de ses beautés, énoncées
2434
nt d’admirateurs, combien connaissent à la raison
de
ses beautés, énoncées dans l’Art poétique ? De cet ouvrage très sévèr
2435
on de ses beautés, énoncées dans l’Art poétique ?
De
cet ouvrage très sévère, et sublime en tant de passages, combien acce
2436
nquisition ? Qu’on ne dise pas que la philosophie
d’
un grand poète importe moins que son humanité, que son lyrisme, ou que
2437
anité, que son lyrisme, ou que ce je ne sais quoi
de
bouleversant obscurément qui saisit l’auditeur le plus profane de Têt
2438
obscurément qui saisit l’auditeur le plus profane
de
Tête d’or. Ce serait aggraver d’une sottise cette Séparation, notre p
2439
ent qui saisit l’auditeur le plus profane de Tête
d’
or. Ce serait aggraver d’une sottise cette Séparation, notre péché, co
2440
le plus profane de Tête d’or. Ce serait aggraver
d’
une sottise cette Séparation, notre péché, contre laquelle toute l’œuv
2441
ation, notre péché, contre laquelle toute l’œuvre
de
Claudel se soulève à l’appel de la Joie. Le monde qu’interprète l’Art
2442
lle toute l’œuvre de Claudel se soulève à l’appel
de
la Joie. Le monde qu’interprète l’Art poétique ne connaît pas Descart
2443
connaît pas Descartes le diviseur, ne connaît pas
de
localisation du spirituel, ne connaît pas de lois mais seulement des
2444
pas de localisation du spirituel, ne connaît pas
de
lois mais seulement des formes. C’est un monde en recréation perpétue
2445
plément ou efférence, sa part dans la composition
de
l’image, le mot qui profère son sens. » C’est un univers du discours,
2446
puisqu’il ne tire ses règles et sa nécessité que
de
la fin totale qu’il glorifie. Ce n’est pas notre monde tel qu’il est
2447
ers elle, — le monde retrouvé dans l’anticipation
de
l’enthousiasme poétique. Diviser, séparer, isoler, faire scission, ce
2448
n’a fait qu’enregistrer les effets antipoétiques
d’
un relâchement originel. Rompre le lien de l’homme avec son origine, c
2449
étiques d’un relâchement originel. Rompre le lien
de
l’homme avec son origine, c’est rompre aussi sa communion avec la fin
2450
t-à-dire qu’il s’isole et s’abstrait du mouvement
de
la Création. « Et c’est pourquoi une fin lui fut en effet donnée » —
2451
i est sa mort. Mais l’œuvre du poète, la vocation
de
l’homme, la charité cosmique de la personne chrétienne identiquement,
2452
oète, la vocation de l’homme, la charité cosmique
de
la personne chrétienne identiquement, c’est alors d’embrasser d’un se
2453
la personne chrétienne identiquement, c’est alors
d’
embrasser d’un seul geste, de réunir, de relancer vers sa vraie fin to
2454
chrétienne identiquement, c’est alors d’embrasser
d’
un seul geste, de réunir, de relancer vers sa vraie fin tout ce qu’une
2455
quement, c’est alors d’embrasser d’un seul geste,
de
réunir, de relancer vers sa vraie fin tout ce qu’une durée mauvaise a
2456
est alors d’embrasser d’un seul geste, de réunir,
de
relancer vers sa vraie fin tout ce qu’une durée mauvaise a disjoint e
2457
ise a disjoint et altéré. « Car l’attente ardente
de
la Création, attend la révélation des enfants de Dieu, parce que ce n
2458
de la Création, attend la révélation des enfants
de
Dieu, parce que ce n’est pas de son propre gré qu’elle a été assujett
2459
ation des enfants de Dieu, parce que ce n’est pas
de
son propre gré qu’elle a été assujettie à vanité » (Rom. VIII, 19-20)
2460
d à la proposition universelle. Qu’on parle alors
de
procédé, si l’on y tient, mais il faut en comprendre l’office. Traite
2461
s plus exsangues, c’est rénover l’action cosmique
de
la parole. Comment cela ? « Le mot appelle, provoque en nous l’état d
2462
cela ? « Le mot appelle, provoque en nous l’état
de
co-naissance qui répond à la présence sensible des choses mêmes ». Le
2463
». Le nom, qui désigne la chose, appelle un geste
de
l’homme pour cette chose. Le verbe, désignant ce geste appelle une ph
2464
désignant ce geste appelle une phrase, un rythme
d’
actes concertés. Ainsi l’homme se trouve mis « en communication avec l
2465
a traduction, dans l’univers matériel, du sanglot
de
l’origine ». En même temps que la chose qui le provoque, le verbe exp
2466
i le provoque, le verbe exprime ainsi la vocation
de
l’homme qui le profère. « L’acte par lequel l’homme atteste la perman
2467
es dont la réunion donne à chaque chose son droit
de
devenir présente à l’esprit, par lequel il la conçoit dans son cœur,
2468
le la parole. » Nous voici donc « chargés du rôle
d’
origine ». L’homme est le « sceau de l’authenticité ». Il est, par son
2469
argés du rôle d’origine ». L’homme est le « sceau
de
l’authenticité ». Il est, par son action recréatrice, une étymologie
2470
ar son action recréatrice, une étymologie vivante
de
tout ce qui est. Et maintenant, pour se connaître il lui suffit d’agi
2471
t. Et maintenant, pour se connaître il lui suffit
d’
agir sa vocation. Dans l’acte conscient de la fin qui l’englobe, il n’
2472
suffit d’agir sa vocation. Dans l’acte conscient
de
la fin qui l’englobe, il n’y a plus de distinction du matériel et du
2473
conscient de la fin qui l’englobe, il n’y a plus
de
distinction du matériel et du spirituel. L’homme « se connaît donc à
2474
omme « se connaît donc à son pas et à l’extension
de
ses mains, à la facilité plusoumoindrea qu’il éprouve à se servir des
2475
lui est comme « un document où il suit les œuvres
de
l’esprit qui le remue ». Penser dans le train de la création, reforme
2476
de l’esprit qui le remue ». Penser dans le train
de
la création, reformer sans cesse toutes les formes selon l’intention
2477
proprement penser avec les mains. Au sixième jour
de
sa Semaine, Du Bartas parlant de ses mains les appelle, assez curieus
2478
Au sixième jour de sa Semaine, Du Bartas parlant
de
ses mains les appelle, assez curieusement, d’abord : « Singes de l’Ét
2479
s appelle, assez curieusement, d’abord : « Singes
de
l’Éternel » et aussitôt : « Ministres de l’esprit ». Ô singerie génia
2480
« Singes de l’Éternel » et aussitôt : « Ministres
de
l’esprit ». Ô singerie géniale et ministère manifeste ! Art poétique,
2481
éniale et ministère manifeste ! Art poétique, art
de
refaire le monde — tel que Dieu l’a connu de toute éternité ! 82. E
2482
art de refaire le monde — tel que Dieu l’a connu
de
toute éternité ! 82. En effet la citation du Cratyle qu’il donne da
2483
ller et nous entendre librement ? 84. Il importe
de
le souligner, précisément à propos de Claudel que sa théologie thomis
2484
l que sa théologie thomiste entraîne parfois dans
de
graves équivoques. Nulle magie, nulle poésie sacramentale, ne peut co
2485
e spirituelle des hommes angoissés par le mystère
d’
une Nature hostile et mouvante. La parole de raison qui distingue les
2486
stère d’une Nature hostile et mouvante. La parole
de
raison qui distingue les choses, les arrête et les identifie, apparaî
2487
est trop complète laisse l’homme sur un sentiment
de
déception et d’indicible appauvrissement. Le monde rationnel est rass
2488
e laisse l’homme sur un sentiment de déception et
d’
indicible appauvrissement. Le monde rationnel est rassurant, mais beau
2489
ns réponse, et des faims ancestrales sans pâture.
D’
où renaît peu à peu une angoisse nouvelle, une attraction comparable a
2490
ttraction comparable au vertige, vers ces régions
de
l’être obscur que le bon sens et la philosophie prétendaient mettre a
2491
sens et la philosophie prétendaient mettre au ban
de
l’humanité. Et tandis que dans sa panique l’homme primitif s’était to
2492
ison libératrice, au terme des époques appauvries
de
mystère, l’homme sceptique se rejette avec passion vers les « aspects
2493
jette avec passion vers les « aspects nocturnes »
de
sa nature. Ainsi naquit le romantisme allemand après le siècle des Lu
2494
nos soifs mystiques élémentaires après un siècle
de
science positiviste. Est-il vrai que la nuit et le rêve n’aient rien
2495
ntraire, nous propose des paradis et des terreurs
d’
une intensité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée, d’une vérit
2496
sité séduisante. Serait-il le signe, ou l’entrée,
d’
une vérité supérieure ? Telle est la question que posèrent les premier
2497
. Quand nous rêvons « est-ce nous qui nous jouons
de
nous-mêmes, ou bien une main d’en haut brasse-t-elle les cartes ? » D
2498
s qui nous jouons de nous-mêmes, ou bien une main
d’
en haut brasse-t-elle les cartes ? » Déjà E. T. A. Hoffman insinue la
2499
spirituel, étranger à nous-mêmes, était le mobile
de
ces irruptions soudaines d’images inconnues, qui se jettent à la trav
2500
êmes, était le mobile de ces irruptions soudaines
d’
images inconnues, qui se jettent à la traverse de nos idées d’une mani
2501
d’images inconnues, qui se jettent à la traverse
de
nos idées d’une manière si brusque et si saisissante ? » De là à pens
2502
onnues, qui se jettent à la traverse de nos idées
d’
une manière si brusque et si saisissante ? » De là à penser que le rêv
2503
es d’une manière si brusque et si saisissante ? »
De
là à penser que le rêve est un « vestige du divin », il n’y a que l’é
2504
un « vestige du divin », il n’y a que l’épaisseur
d’
un scrupule d’orthodoxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme
2505
u divin », il n’y a que l’épaisseur d’un scrupule
d’
orthodoxie, d’une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxl
2506
n’y a que l’épaisseur d’un scrupule d’orthodoxie,
d’
une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu. Troxler esquive non
2507
’un scrupule d’orthodoxie, d’une dernière crainte
de
confondre l’homme et Dieu. Troxler esquive non sans adresse la diffic
2508
utre », ou le moi sombre que l’on atteint au fond
de
l’inconscient, ils formulent le problème crucial qui se pose à tous l
2509
us les mystiques. C’est aussi le problème crucial
de
toute définition de la personne. Car nous sommes constamment tentés d
2510
est aussi le problème crucial de toute définition
de
la personne. Car nous sommes constamment tentés d’assimiler le Moi pr
2511
e la personne. Car nous sommes constamment tentés
d’
assimiler le Moi profond et ses secrètes impulsions à la Parole qui vi
2512
et qui seule est vraiment vocation. Un philosophe
de
la personne verra donc le plus grand intérêt à préciser le parallèle
2513
s’empare avec avidité des plus furtives promesses
de
bonheur, de libération, d’aventure ! Toute la poésie romantique de mê
2514
c avidité des plus furtives promesses de bonheur,
de
libération, d’aventure ! Toute la poésie romantique de même que la su
2515
lus furtives promesses de bonheur, de libération,
d’
aventure ! Toute la poésie romantique de même que la surréaliste, est
2516
urréaliste, est à l’affût des « surprises pleines
de
sens » dont nous parlent aussi les mystiques. Une autre analogie asse
2517
Une autre analogie assez frappante, c’est le rôle
de
la rhétorique chez les poètes du rêve et les mystiques. Le philosophe
2518
s constantes que celles qui le régissent à l’état
de
veille. D’autre part l’on sait bien que les mystiques hindous, musulm
2519
s mystiques hindous, musulmans, ou chrétiens, ont
de
tous temps réinventé les mêmes figures de langage pour traduire l’ine
2520
ns, ont de tous temps réinventé les mêmes figures
de
langage pour traduire l’ineffable qu’ils vivaient86. Et ceci nous amè
2521
6. Et ceci nous amène au problème central : celui
de
l’expression d’un indicible. Il nous faut dépasser ici le domaine cir
2522
amène au problème central : celui de l’expression
d’
un indicible. Il nous faut dépasser ici le domaine circonscrit du rêve
2523
eurs, ont été bien au-delà, dans leur exploration
de
l’Inconscient. Le songe, pour eux, n’est que la « porte » ouvrant sur
2524
nce mystique ou romantique présuppose l’existence
d’
un centre ou d’un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Ungrund de Jakob Bo
2525
romantique présuppose l’existence d’un centre ou
d’
un tréfonds divin de l’âme (c’est l’Ungrund de Jakob Boehme), dont on
2526
se l’existence d’un centre ou d’un tréfonds divin
de
l’âme (c’est l’Ungrund de Jakob Boehme), dont on ne peut rien dire, e
2527
ne peut rien dire, et qui cependant est la source
de
tout ce que l’on dit. C’est l’ineffable, l’indicible, le royaume du S
2528
ssent leur vie à en parler, à en écrire, à tenter
de
le cerner par des figures, qui, n’étant jamais suffisantes, doivent ê
2529
ique allemand. Car l’un et l’autre ont l’ambition
de
communiquer par l’écrit ce qu’ils ne cessent de définir comme l’indic
2530
n de communiquer par l’écrit ce qu’ils ne cessent
de
définir comme l’indicible. Dès lors, la plainte sera la même, qu’il s
2531
Dès lors, la plainte sera la même, qu’il s’agisse
d’
une Thérèse d’Avila ou simplement d’un Ludwig Tieck. Donnez-moi des «
2532
u’il s’agisse d’une Thérèse d’Avila ou simplement
d’
un Ludwig Tieck. Donnez-moi des « paroles nouvelles » pour exprimer l’
2533
ots pour dépeindre, même faiblement, la merveille
de
la vision qui s’offrit à moi, et qui transformant mon âme, m’entraîna
2534
et qui transformant mon âme, m’entraîna au-devant
d’
une réalité invisible, divine, d’une ineffable splendeur. Un indicible
2535
traîna au-devant d’une réalité invisible, divine,
d’
une ineffable splendeur. Un indicible ravissement me souleva tout enti
2536
ource inépuisable, le point originel et fascinant
de
tout jaillissement du langage, de toute expression littéraire. « Où t
2537
el et fascinant de tout jaillissement du langage,
de
toute expression littéraire. « Où trouver les mots ? », gémissent-ils
2538
La plainte est sincère et tragique, mais combien
de
mots leur fera-t-elle accumuler pour dire que rien ne saurait être di
2539
it une découverte importante, écrit Ritter, celle
d’
une conscience passive de l’Involontaire. » Et sur cette base, la seco
2540
nte, écrit Ritter, celle d’une conscience passive
de
l’Involontaire. » Et sur cette base, la seconde génération du romanti
2541
tion du romantisme va formuler sa fameuse théorie
de
l’Inspiration — tellement vulgarisée de nos jours qu’on en oublie l’o
2542
e théorie de l’Inspiration — tellement vulgarisée
de
nos jours qu’on en oublie l’origine mystique. « Le poète et le rêveur
2543
t le rêveur sont passifs, ils écoutent le langage
d’
une voix qui leur est intérieure et pourtant étrangère, qui s’élève da
2544
rtant étrangère, qui s’élève dans les profondeurs
d’
eux-mêmes sans qu’ils puissent faire autre chose que de saluer là l’éc
2545
-mêmes sans qu’ils puissent faire autre chose que
de
saluer là l’écho d’un discours divin. »87 Alors le doute n’est plus
2546
uissent faire autre chose que de saluer là l’écho
d’
un discours divin. »87 Alors le doute n’est plus permis : l’analogie
2547
ici devient une profonde identité. L’intervention
de
la catégorie « passivité » nous fait comprendre la nature du Silence
2548
té » nous fait comprendre la nature du Silence et
de
l’indicible dont nous parlaient mystiques et romantiques : c’est la n
2549
ymbole et le signe physique88. C’est « le royaume
de
l’Être qui se confond avec le royaume du Néant, l’éternité enfin conq
2550
de ne peut humainement s’exprimer que par l’image
de
l’Absence de toute créature, de toute forme. » Car nous ne percevons
2551
mainement s’exprimer que par l’image de l’Absence
de
toute créature, de toute forme. » Car nous ne percevons et n’exprimon
2552
r que par l’image de l’Absence de toute créature,
de
toute forme. » Car nous ne percevons et n’exprimons que le divers et
2553
u Tout. Et c’est cela qui constitue notre réalité
de
tous les jours. Pour rejoindre le Tout et l’Unité, il s’agit donc de
2554
Pour rejoindre le Tout et l’Unité, il s’agit donc
de
perdre le Divers, de perdre le réel, de se perdre soi-même, pour se c
2555
t et l’Unité, il s’agit donc de perdre le Divers,
de
perdre le réel, de se perdre soi-même, pour se confondre avec cet Ind
2556
agit donc de perdre le Divers, de perdre le réel,
de
se perdre soi-même, pour se confondre avec cet Indicible qui reste, a
2557
ux yeux de la chair, le pur Néant. Ainsi le terme
de
la quête romantique, à travers les images du rêve s’identifie avec le
2558
vers les images du rêve s’identifie avec le terme
de
toute expérience mystique : c’est « la pure présence ineffable », la
2559
contemplation sans objet ». Il est donc légitime
de
suivre Albert Béguin dans cette conclusion : « La grandeur du romanti
2560
conclusion : « La grandeur du romantisme restera
d’
avoir reconnu et affirmé la profonde ressemblance des états poétiques
2561
ssemblance des états poétiques et des révélations
d’
ordre religieux, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et de s’
2562
s poétiques et des révélations d’ordre religieux,
d’
avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et de s’être dévoué corps e
2563
, d’avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et
de
s’être dévoué corps et âme à la grande nostalgie de l’être en exil. »
2564
s’être dévoué corps et âme à la grande nostalgie
de
l’être en exil. » IIL’Être en exil Ce sentiment d’exil que nous
2565
re en exil. » IIL’Être en exil Ce sentiment
d’
exil que nous trouvons à l’origine des expériences mystiques les plus
2566
gine des expériences mystiques les plus diverses,
d’
où naît-il, dans quel souvenir d’une patrie heureuse et perdue ? On au
2567
s plus diverses, d’où naît-il, dans quel souvenir
d’
une patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait de répondre en al
2568
patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait
de
répondre en alléguant notre double nature, corporelle et spirituelle.
2569
re double nature, corporelle et spirituelle. Mais
d’
une constatation si générale, comment passer à l’élucidation de ce fai
2570
ation si générale, comment passer à l’élucidation
de
ce fait le plus singulier dans la vie de l’esprit humain, qui est l’e
2571
cidation de ce fait le plus singulier dans la vie
de
l’esprit humain, qui est l’engagement sur la via mystica ? S’il est p
2572
permis — comme on l’admet un peu trop facilement
de
nos jours — de tirer de l’étude des maladies une vue nouvelle sur les
2573
on l’admet un peu trop facilement de nos jours —
de
tirer de l’étude des maladies une vue nouvelle sur les structures de
2574
et un peu trop facilement de nos jours — de tirer
de
l’étude des maladies une vue nouvelle sur les structures de l’homme,
2575
des maladies une vue nouvelle sur les structures
de
l’homme, peut-être pouvons-nous demander à la biographie des romantiq
2576
out au moins sur les causes humaines du sentiment
d’
exil où leur passion s’éveille. Prenons l’exemple de Karl Philip Morit
2577
exil où leur passion s’éveille. Prenons l’exemple
de
Karl Philip Moritz : il présente sur tout autre l’avantage d’une auto
2578
ip Moritz : il présente sur tout autre l’avantage
d’
une autoélucidation étrangement désintéressée. Né dans un milieu quiét
2579
rêves. Il s’y trouvait prédisposé par l’habitude
de
l’examen de conscience en profondeur, tel que le pratiquaient autour
2580
’y trouvait prédisposé par l’habitude de l’examen
de
conscience en profondeur, tel que le pratiquaient autour de lui les d
2581
l que le pratiquaient autour de lui les disciples
de
Mme Guyon89. Non content de publier une revue entièrement consacrée à
2582
er une revue entièrement consacrée à des analyses
de
rêves, Moritz écrivit deux romans autobiographiques qui nous permette
2583
deux romans autobiographiques qui nous permettent
de
pénétrer l’intimité d’une expérience prémystique. (Ou faut-il dire d’
2584
hiques qui nous permettent de pénétrer l’intimité
d’
une expérience prémystique. (Ou faut-il dire d’une expérience mystique
2585
té d’une expérience prémystique. (Ou faut-il dire
d’
une expérience mystique privée de la grâce, réduite à ses aspects pure
2586
(Ou faut-il dire d’une expérience mystique privée
de
la grâce, réduite à ses aspects purement humains ?) Le point de dépar
2587
éduite à ses aspects purement humains ?) Le point
de
départ paraît bien être une blessure qu’il reçut de la vie, un choc q
2588
départ paraît bien être une blessure qu’il reçut
de
la vie, un choc qui l’a laissé béant sur une contradiction irrémédiab
2589
ite le souvenir (ou le refoule comme dira Freud),
de
telle manière que la cause secrète de sa douleur en vient à se confon
2590
ira Freud), de telle manière que la cause secrète
de
sa douleur en vient à se confondre avec le fait de vivre en général.
2591
e sa douleur en vient à se confondre avec le fait
de
vivre en général. D’où l’idée qu’il doit expier la faute qu’il n’a co
2592
à se confondre avec le fait de vivre en général.
D’
où l’idée qu’il doit expier la faute qu’il n’a commise que par son exi
2593
» Non sans lucidité, Moritz a su dépeindre l’état
de
conscience qui naît de cet obscur déchirement : « C’était comme si le
2594
ritz a su dépeindre l’état de conscience qui naît
de
cet obscur déchirement : « C’était comme si le poids de son existence
2595
obscur déchirement : « C’était comme si le poids
de
son existence l’eût accablé. Qu’il dût, jour pour jour, se lever avec
2596
enons-y garde : ce moi détesté, c’est la fatalité
de
l’être individuel, charnel, créé, et lié à toute la création. C’est p
2597
étester revient à détester le monde. L’incapacité
d’
accepter le monde réel est signe d’une incapacité de s’accepter soi-mê
2598
. L’incapacité d’accepter le monde réel est signe
d’
une incapacité de s’accepter soi-même, — à cause de cette blessure qu’
2599
accepter le monde réel est signe d’une incapacité
de
s’accepter soi-même, — à cause de cette blessure qu’il s’agit d’oubli
2600
oi-même, — à cause de cette blessure qu’il s’agit
d’
oublier si l’on ne parvient pas à l’expier. Et en effet, à la faveur d
2601
parvient pas à l’expier. Et en effet, à la faveur
de
cet oubli, de ce refus, le moi perd peu à peu de sa réalité ; d’où le
2602
l’expier. Et en effet, à la faveur de cet oubli,
de
ce refus, le moi perd peu à peu de sa réalité ; d’où le sentiment si
2603
de cet oubli, de ce refus, le moi perd peu à peu
de
sa réalité ; d’où le sentiment si fréquent chez la plupart des romant
2604
e ce refus, le moi perd peu à peu de sa réalité ;
d’
où le sentiment si fréquent chez la plupart des romantiques d’être mal
2605
iment si fréquent chez la plupart des romantiques
d’
être mal assuré de sa propre identité, et d’avoir à la rechercher préc
2606
chez la plupart des romantiques d’être mal assuré
de
sa propre identité, et d’avoir à la rechercher précisément dans le pa
2607
iques d’être mal assuré de sa propre identité, et
d’
avoir à la rechercher précisément dans le passé. Moritz décrit ainsi l
2608
ément dans le passé. Moritz décrit ainsi le héros
d’
un de ses romans : « Il lui parut qu’il s’était échappé entièrement à
2609
dans le passé. Moritz décrit ainsi le héros d’un
de
ses romans : « Il lui parut qu’il s’était échappé entièrement à lui-m
2610
ute démarche se rechercher lui-même dans la série
de
ses souvenirs. Il sentait que l’existence n’a d’appui ferme que dans
2611
de ses souvenirs. Il sentait que l’existence n’a
d’
appui ferme que dans la chaîne ininterrompue des souvenirs.90 » Mais,
2612
ndroit « tourne court, incapable une fois de plus
de
saisir la pensée salvatrice. » C’est qu’il est un souvenir interdit,
2613
à se ressaisir dans la mémoire, puisque la cause
de
sa maladie est justement ce qu’il ne peut se remémorer, cette blessur
2614
se remémorer, cette blessure qui est à l’origine
de
la conscience divisée. Comment alors sortir du cercle, comment guérir
2615
nous avons vu que le rêve, ou la descente au fond
de
l’inconscient, représentent pour les romantiques les voies d’un retou
2616
ient, représentent pour les romantiques les voies
d’
un retour au monde perdu à la « vraie vie » qui est « ailleurs » comme
2617
vie » qui est « ailleurs » comme dit Rimbaud. Vie
d’
expansion indéfinie dans l’Univers ou la divinité. Vie d’innocence ret
2618
sion indéfinie dans l’Univers ou la divinité. Vie
d’
innocence retrouvée : car le moi, qui s’y perd, y perd aussi le sentim
2619
r le moi, qui s’y perd, y perd aussi le sentiment
de
sa culpabilité. Mais d’une autre manière encore, et plus précise, le
2620
y perd aussi le sentiment de sa culpabilité. Mais
d’
une autre manière encore, et plus précise, le rêve ou la via mystica s
2621
récise, le rêve ou la via mystica sont des moyens
de
récupérer le monde perdu. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que la t
2622
a tendance à la dilatation panthéiste ou mystique
de
l’être revêt presque toujours la forme d’un vœu de mort. Le sommeil p
2623
ystique de l’être revêt presque toujours la forme
d’
un vœu de mort. Le sommeil préfigure la mort pour le poète romantique
2624
e l’être revêt presque toujours la forme d’un vœu
de
mort. Le sommeil préfigure la mort pour le poète romantique ; et la m
2625
et la mort progressive à soi-même est l’ambition
de
tous les vrais mystiques. Mais pourquoi voudrait-on mourir ? La biogr
2626
Mais pourquoi voudrait-on mourir ? La biographie
de
la plupart des romantiques fournit ici la même réponse. En effet, la
2627
rent est presque toujours symbolisée par la perte
d’
un être aimé. Passer dans l’autre monde, c’est retrouver la morte ! «
2628
r la morte ! « L’expérience typique qui est celle
de
Jean-Paul à la mort de ses amis, de Novalis perdant Sophie von Kuhn,
2629
ence typique qui est celle de Jean-Paul à la mort
de
ses amis, de Novalis perdant Sophie von Kuhn, de Guérin méditant sur
2630
qui est celle de Jean-Paul à la mort de ses amis,
de
Novalis perdant Sophie von Kuhn, de Guérin méditant sur la mort de Ma
2631
de ses amis, de Novalis perdant Sophie von Kuhn,
de
Guérin méditant sur la mort de Marie, ou de Nerval poursuivant l’imag
2632
t Sophie von Kuhn, de Guérin méditant sur la mort
de
Marie, ou de Nerval poursuivant l’image d’Aurélia, Anton Reiser (le h
2633
a mort de Marie, ou de Nerval poursuivant l’image
d’
Aurélia, Anton Reiser (le héros de Moritz) la fait dès l’enfance, lors
2634
suivant l’image d’Aurélia, Anton Reiser (le héros
de
Moritz) la fait dès l’enfance, lorsqu’il s’interroge sur ce qu’est de
2635
oge sur ce qu’est devenue sa petite sœur : le vœu
de
retrouver la morte, de communier avec un autre univers, lui fait mépr
2636
ue sa petite sœur : le vœu de retrouver la morte,
de
communier avec un autre univers, lui fait mépriser cette vie, sentir
2637
imites, mettre tout son espoir dans une existence
d’
outre-tombe91. » Le rêve ou la via mystica seront cette existence d’ou
2638
Le rêve ou la via mystica seront cette existence
d’
outre-tombe, vécue dès ici-bas d’une manière indicible. Et peut-être p
2639
cette existence d’outre-tombe, vécue dès ici-bas
d’
une manière indicible. Et peut-être pourrait-on dire que l’expérience
2640
e, qui guérisse, et qui leur rende alors la force
d’
accepter leur moi coupable et le monde réel. La « contemplation sans o
2641
lation sans objet » à laquelle ils parviennent en
de
très rares instants n’est plus alors qu’un moyen de jouir d’une « sen
2642
très rares instants n’est plus alors qu’un moyen
de
jouir d’une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de sa propre
2643
es instants n’est plus alors qu’un moyen de jouir
d’
une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) de sa propre dissolut
2644
’une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz)
de
sa propre dissolution ; un moyen détourné de revivre sa blessure, ou
2645
itz) de sa propre dissolution ; un moyen détourné
de
revivre sa blessure, ou plutôt l’élan même qu’elle a brisé, mais sans
2646
tre ou l’exprimer… C’est le mouvement fondamental
de
toute passion, le mouvement d’un amour qui préfère le néant aux limit
2647
vement fondamental de toute passion, le mouvement
d’
un amour qui préfère le néant aux limitations de la vie, — la joie dev
2648
t d’un amour qui préfère le néant aux limitations
de
la vie, — la joie devant la mort de Tristan et d’Isolde… IIIMystiq
2649
x limitations de la vie, — la joie devant la mort
de
Tristan et d’Isolde… IIIMystique et personne L’exemple des roma
2650
de la vie, — la joie devant la mort de Tristan et
d’
Isolde… IIIMystique et personne L’exemple des romantiques allema
2651
, c’est entretenir une équivoque dont il y a lieu
de
craindre qu’elle soit intéressée. Au contraire, s’exprimer, c’est tou
2652
ujours s’avouer, c’est se donner pour responsable
de
sa pensée et de ses actes. Mais voilà justement ce qui répugne aux ro
2653
c’est se donner pour responsable de sa pensée et
de
ses actes. Mais voilà justement ce qui répugne aux romantiques. D’où
2654
s voilà justement ce qui répugne aux romantiques.
D’
où leur fuite dans un monde dont on ne peut rien dire. D’où encore le
2655
ur fuite dans un monde dont on ne peut rien dire.
D’
où encore le besoin qu’ils éprouvent d’affirmer surabondamment que l’o
2656
rien dire. D’où encore le besoin qu’ils éprouvent
d’
affirmer surabondamment que l’on n’en peut rien dire que par des allus
2657
faut reconnaître aussi que s’y révèle une maladie
de
la personne. Le paradoxe de l’expression d’un Indicible est tellement
2658
’y révèle une maladie de la personne. Le paradoxe
de
l’expression d’un Indicible est tellement essentiel au romantisme qu’
2659
ladie de la personne. Le paradoxe de l’expression
d’
un Indicible est tellement essentiel au romantisme qu’il explique, à n
2660
e qu’il explique, à n’en pas douter, l’incapacité
de
la plupart des jeunes contemporains de Goethe à donner des œuvres ach
2661
incapacité de la plupart des jeunes contemporains
de
Goethe à donner des œuvres achevées. En effet le mouvement de ces poè
2662
donner des œuvres achevées. En effet le mouvement
de
ces poètes est inverse de celui du créateur. Créer, c’est donner form
2663
. En effet le mouvement de ces poètes est inverse
de
celui du créateur. Créer, c’est donner forme, et ils voudraient nier
2664
itifs ou « illuminations », pareils aux souvenirs
d’
un rêve qui s’efface. Cela dont ils voulaient parler, cet Indicible ou
2665
le ou ce discours sans mots entendus dans la nuit
de
la passivité, comment l’eussent-ils pu rendre au jour sans le trahir
2666
hir et se trahir ? Ainsi leur œuvre est à l’image
de
la contradiction vitale dont ils souffraient, et d’où naissait leur d
2667
la contradiction vitale dont ils souffraient, et
d’
où naissait leur désir angoissé de perdre leur moi personnel. Mais le
2668
souffraient, et d’où naissait leur désir angoissé
de
perdre leur moi personnel. Mais le moi personnel est l’Ombre créatric
2669
nnel. Mais le moi personnel est l’Ombre créatrice
de
l’individu naturel. Revenons une dernière fois sur nos définitions. L
2670
ersonne est en nous l’être spirituel, responsable
d’
une vocation, et trouvant là son unité en dépit des contradictions don
2671
erait à y échapper par des sublimations : au fond
de
la Nuit et de l’inconscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous d
2672
pper par des sublimations : au fond de la Nuit et
de
l’inconscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous des espèces méc
2673
s des espèces méconnaissables et qu’il sera tenté
de
croire divines. Et il est juste que les premières touches de l’Esprit
2674
ivines. Et il est juste que les premières touches
de
l’Esprit rendent le moi sensible à ses limitations, et lui inspirent
2675
à ses limitations, et lui inspirent la nostalgie
de
les dépasser. Mais seule une vocation lui en donnera la force. Qu’il
2676
n apparences une évolution fort semblable à celle
de
ces pseudo ou prémystiques que furent les poètes du rêve : il se dévo
2677
nne à une réalité qui souvent ne tient pas compte
de
nos raisons, il s’impose une sorte d’ascèse qui le libère des servitu
2678
pas compte de nos raisons, il s’impose une sorte
d’
ascèse qui le libère des servitudes naturelles. Mais cette ascèse n’ab
2679
. Elle transforme et oriente à nouveau les forces
de
l’individu, plutôt qu’elle ne veut les détruire. Elle engage dans le
2680
c’est à quoi l’on peut reconnaître la légitimité
d’
une vocation. Thérèse d’Avila ne voulait accepter que les révélations
2681
’ascèse personnaliste » se distingue radicalement
de
la dissolution du moi des romantiques. C’est une activité, et qui ne
2682
C’est une activité, et qui ne commence qu’au-delà
de
la mort à soi-même, c’est-à-dire du renoncement au moi tourmenté par
2683
. Seule une telle vocation peut donner le courage
de
s’avouer en toute lucidité, de s’exprimer sans réticences, et d’assum
2684
donner le courage de s’avouer en toute lucidité,
de
s’exprimer sans réticences, et d’assumer son moi coupable — parce que
2685
toute lucidité, de s’exprimer sans réticences, et
d’
assumer son moi coupable — parce que dorénavant ce n’est pas cela qui
2686
Alors le moi coupable et détesté ne cherche plus
de
vaine échappatoire dans l’indicible et l’Inconscient. Il ose enfin pa
2687
s croyants, mais au contraire il leur est demandé
d’
agir et d’annoncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’on
2688
, mais au contraire il leur est demandé d’agir et
d’
annoncer leur foi. « C’est en confessant de la bouche qu’on parvient a
2689
gir et d’annoncer leur foi. « C’est en confessant
de
la bouche qu’on parvient au salut », dit saint Paul. IVRépercussio
2690
nom de la foi du Solitaire, réalité fondamentale
de
toute existence dans le monde. Mais si la foi est la santé du Solitai
2691
munion avec son prochain devant Dieu. Si la santé
de
la foi fonde la vraie personne, elle doit fonder aussi la vraie commu
2692
a vraie communauté. Et à l’inverse, toute maladie
de
la personne doit affecter la collectivité. Ainsi décrire un phénomène
2693
ecter la collectivité. Ainsi décrire un phénomène
de
masses en termes d’étiologie de la personne, ce serait fournir la néc
2694
rire un phénomène de masses en termes d’étiologie
de
la personne, ce serait fournir la nécessaire contrepartie des analyse
2695
r, et qui signalent la maladie romantico-mystique
de
la personne. Le mouvement hitlérien, dans son essence, m’apparaît com
2696
olitique. Et je ne dis pas du tout que les écrits
d’
un Novalis ou d’un Jean Paul soient à sa source, ce serait absurde et
2697
ne dis pas du tout que les écrits d’un Novalis ou
d’
un Jean Paul soient à sa source, ce serait absurde et injurieux pour c
2698
er au niveau inférieur et collectif qui est celui
de
la psychologie naziste, des processus fort analogues à ceux que nous
2699
s à ceux que nous avons décrits. Il ne s’agit pas
d’
influences, il ne s’agit que de reviviscences — vulgaires, simplistes,
2700
. Il ne s’agit pas d’influences, il ne s’agit que
de
reviviscences — vulgaires, simplistes, à bon marché — de certaines at
2701
viscences — vulgaires, simplistes, à bon marché —
de
certaines attitudes de l’homme en face de son destin et de sa personn
2702
simplistes, à bon marché — de certaines attitudes
de
l’homme en face de son destin et de sa personne. Le national-socialis
2703
nes attitudes de l’homme en face de son destin et
de
sa personne. Le national-socialisme apparut comme une réaction de déf
2704
Le national-socialisme apparut comme une réaction
de
défense à l’humiliation collective infligée aux Allemands par Versail
2705
out entière dans ses rapports avec le monde réel.
D’
où le sentiment d’une culpabilité, inacceptable et inavouable (à cause
2706
es rapports avec le monde réel. D’où le sentiment
d’
une culpabilité, inacceptable et inavouable (à cause de l’orgueil nati
2707
urtant sommes les fils des vertueux Germains ! Et
de
ce sentiment de culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié (to
2708
s fils des vertueux Germains ! Et de ce sentiment
de
culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié (tous les discours
2709
é avec force et bruyamment nié (tous les discours
d’
Hitler proclament dès le début que les Allemands n’ont pas perdu la gu
2710
pas perdu la guerre), doit résulter un sentiment
de
manque d’assurance nationale. La vraie Allemagne ne peut pas être cel
2711
la guerre), doit résulter un sentiment de manque
d’
assurance nationale. La vraie Allemagne ne peut pas être celle qui a s
2712
Il faut donc la chercher ailleurs : dans un rêve
de
puissance et de libération, dans l’avenir, cet Ersatz de l’au-delà. N
2713
chercher ailleurs : dans un rêve de puissance et
de
libération, dans l’avenir, cet Ersatz de l’au-delà. Nions donc cette
2714
sance et de libération, dans l’avenir, cet Ersatz
de
l’au-delà. Nions donc cette réalité qui nous opprime si méticuleuseme
2715
nd moyen oubliera ses misères et les humiliations
de
sa patrie en se perdant dans l’âme collective, dans l’hypnose des fêt
2716
que sa vraie vie était entre les mains du Parti,
d’
un démiurge anonyme et obscur dont il n’a plus qu’à recevoir les ordre
2717
es comprendre, comme « passif ». Le voilà délivré
de
la terrible charge de sa conscience et de ses doutes. La discipline c
2718
passif ». Le voilà délivré de la terrible charge
de
sa conscience et de ses doutes. La discipline collective joue le rôle
2719
délivré de la terrible charge de sa conscience et
de
ses doutes. La discipline collective joue le rôle d’une ascèse. Les r
2720
ses doutes. La discipline collective joue le rôle
d’
une ascèse. Les renoncements mêmes qu’elle impose deviennent les preuv
2721
ments mêmes qu’elle impose deviennent les preuves
de
sa transcendante vérité. Et c’est ainsi que la masse allemande, imita
2722
nt, où la passion peut s’épanouir, où l’intensité
de
l’émotion remplace la vérité mesquine des juristes. Et cela nous fait
2723
obligations, le culte des morts rétabli, le rêve
d’
expansion indéfinie, mais aussi le goût de la guerre (préfiguration de
2724
le rêve d’expansion indéfinie, mais aussi le goût
de
la guerre (préfiguration de la mort, toujours rêvée par les grands pa
2725
e, mais aussi le goût de la guerre (préfiguration
de
la mort, toujours rêvée par les grands passionnés), et la volonté de
2726
s rêvée par les grands passionnés), et la volonté
de
s’enfermer dans une réalité impénétrable, indicible, incommunicable,
2727
able, indicible, incommunicable, et qui n’a point
de
« raisons » à donner : l’autarcie matérielle et morale. On ne dira ja
2728
pouvoir hypnotique sur les masses. Les apparences
de
Realpolitik maintenues par les cyniques et les habiles n’auront dissi
2729
Nous n’étions plus en présence de Bismarck, mais
d’
un peuple envoûté par son rêve ; d’un peuple qui renonçait à la raison
2730
Bismarck, mais d’un peuple envoûté par son rêve ;
d’
un peuple qui renonçait à la raison, qui renonçait à se justifier aux
2731
, parce qu’il trouvait dans sa passion une espèce
d’
innocence exaltante, une occasion de sacrifier le moi coupable et déte
2732
on une espèce d’innocence exaltante, une occasion
de
sacrifier le moi coupable et détesté à quelque chose de plus vrai que
2733
ste… D’ailleurs notre politique est une politique
d’
artistes. Le Führer est un artiste de la politique. Les autres hommes
2734
ne politique d’artistes. Le Führer est un artiste
de
la politique. Les autres hommes d’État sont seulement des manœuvres.
2735
ment des manœuvres. Son État à lui est le produit
d’
une imagination géniale »92. Une politique « d’artistes », une politiq
2736
it d’une imagination géniale »92. Une politique «
d’
artistes », une politique de romantisme collectif, mais à l’usage des
2737
»92. Une politique « d’artistes », une politique
de
romantisme collectif, mais à l’usage des philistins, voilà le cauchem
2738
es causes doivent être recherchées au plus secret
de
la conscience allemande, dans le drame où se joue le sort de chaque p
2739
ience allemande, dans le drame où se joue le sort
de
chaque personne. Oui, qu’il s’agisse de l’homme seul ou des masses, c
2740
e le sort de chaque personne. Oui, qu’il s’agisse
de
l’homme seul ou des masses, ce drame sera toujours le même : c’est l’
2741
rame sera toujours le même : c’est l’affrontement
d’
une religion de l’Inconscience collective et d’une foi qui veut témoig
2742
urs le même : c’est l’affrontement d’une religion
de
l’Inconscience collective et d’une foi qui veut témoigner par la Paro
2743
nt d’une religion de l’Inconscience collective et
d’
une foi qui veut témoigner par la Parole et l’acte personnel. 85. D
2744
ce chapitre. 86. L’abus freudien me paraît être
d’
individualiser le sens de ces symboles et d’en tirer une clé des songe
2745
freudien me paraît être d’individualiser le sens
de
ces symboles et d’en tirer une clé des songes purement sexuelle. C. G
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être d’individualiser le sens de ces symboles et
d’
en tirer une clé des songes purement sexuelle. C. G. Jung est sans dou
2747
de la réalité quand il retrouve dans les figures
de
nos rêves les symboles religieux fondamentaux des époques les plus re
2748
s romantiques, « le sommeil est une préfiguration
de
la mort », et c’est uniquement dans la mort que nous pouvons rejoindr
2749
r sur l’importance du quiétisme pour la formation
de
la psychologie moderne, et en particulier de la psychologie de l’inco
2750
tion de la psychologie moderne, et en particulier
de
la psychologie de l’inconscient. 90. C’est la « Recherche du temps p
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ogie moderne, et en particulier de la psychologie
de
l’inconscient. 90. C’est la « Recherche du temps perdu » de Proust.
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cient. 90. C’est la « Recherche du temps perdu »
de
Proust. 91. A. Béguin, op. cit. 92. Discours du 18 juin 1939, à Dan