1 1946, Lettres sur la bombe atomique. I. La nouvelle
1 l de faucon et du dernier des Mohicans. L’onde en est bleue comme dans mes souvenirs des lacs de Suisse et du Tyrol. La gra
2 isse et du Tyrol. La grande galerie ouverte où je suis installé, à l’ombre d’un rideau de pins qui sépare seul la maison du
3 ient accoster en silence un canoë dont la rameuse est lasse. Vous ne sauriez imaginer lumière plus heureuse, ni plus paisib
4 vos yeux par les jours de chaleur. Tout le monde est accouru sur la galerie, à la nouvelle, et j’ai dû raconter l’histoire
5 e comme si je revenais d’Hiroshima, comme si j’en étais responsable… À minuit, nous en parlions encore. Le choc nous avait je
6 de explosion la hantait depuis son enfance. (Elle est née dans un tremblement de terre.) — C’est sacrilège, ce qu’on vient
7 bombe confirmait son point de vue : la science n’ est qu’une mythologie, ses lois et sa matière elle-même sont de purs myth
8 ’une mythologie, ses lois et sa matière elle-même sont de purs mythes, et n’ont ni plus ni moins de réalité que les conventi
9 e. Vous savez que c’est un de mes dadas. Ma thèse est simple. Qu’est-ce que l’homéopathie ? L’action d’un remède matérielle
10 ue c’est un de mes dadas. Ma thèse est simple. Qu’ est -ce que l’homéopathie ? L’action d’un remède matériellement absent. Qu
11  ? L’action d’un remède matériellement absent. Qu’ est -ce que la bombe atomique ? L’action d’un point de matière subitement
12 ais-je, tout comme les artilleurs et bombardiers, sont de l’avis qu’en augmentant les doses on augmente aussi les effets. Di
13 plus que de l’eau pure. Et cependant, cette eau n’ est pas semblable à celle qui coule du robinet. Elle est modifiée par l’a
14 pas semblable à celle qui coule du robinet. Elle est modifiée par l’absence, on dirait presque par le souvenir. Elle a pri
15 lui a retiré une substance qui d’abord lui avait été intimement mêlée. Vous voyez que l’homéopathie n’est pas un progrès s
16 intimement mêlée. Vous voyez que l’homéopathie n’ est pas un progrès sur la médication classique, mais un renversement tota
17 ouissement. De même pour la bombe atomique : ce n’ est pas une arme perfectionnée, c’est l’intrusion d’une manière toute nou
18 la plus grande explosion de l’Histoire n’ait pas été provoquée tout bêtement par la plus grande masse d’explosif jamais ré
19 té, et l’une des grandes dates de la terre : ce n’ est qu’un rien qui s’est défait. Le docteur n’avait pas attendu que j’en
20 des dates de la terre : ce n’est qu’un rien qui s’ est défait. Le docteur n’avait pas attendu que j’en fusse arrivé à cette
21 défait. Le docteur n’avait pas attendu que j’en fusse arrivé à cette formule frappante pour donner tous les signes d’une ir
22 ent pas lieu de le prendre de si haut, puisqu’ils sont notoirement incapables d’expliquer le rhume de cerveau, et bien enten
23 u, de le guérir. L’argument ne vaut rien, mais il était minuit, et les rieurs sont allés se coucher chacun de son côté, et su
24 ne vaut rien, mais il était minuit, et les rieurs sont allés se coucher chacun de son côté, et sur sa position. Ce matin, le
25 ez un nickel à chaque fois que cette plaisanterie sera publiée, lui ai-je dit, je vous parie mille dollars que je les gagne
26 qu’excités, et hilares par nervosité. Quelle que soit d’ailleurs l’attitude qu’on juge bon d’adopter en sa présence, il la
2 1946, Lettres sur la bombe atomique. II. La guerre est morte
27 IILa guerre est morte Lake George (N. Y.), le 12 août 1945. On nous parle d’armisti
28 août 1945. On nous parle d’armistice depuis hier. Est -ce encore une de ces fausses nouvelles comme cette guerre en a vu tan
29 x jours sur la réalité ? La libération de Paris a été fêtée un soir à New York, démentie le lendemain, confirmée quelques j
30 de la guerre. De même la victoire en Europe nous fut annoncée en deux temps, laissant la foule de Times Square perplexe. C
31 aissant la foule de Times Square perplexe. Cela n’ est pas sans conséquences pour le moral de la population. Rien de plus ma
32 ue les accidents de ce genre, dans divers ordres, sont souvent l’origine d’une névrose… Mais cette fois-ci, prématurée ou no
33 r de la Bombe, non de la paix, que l’ère nouvelle sera comptée. D’ailleurs, il s’agit moins de la naissance d’une paix que d
34 uerre. Car c’est la guerre en général qui vient d’ être atteinte en plein cœur. Voilà qui me frappe bien davantage que l’aspe
35 nus. La science ira beaucoup plus loin. Les morts seront oubliés dans une génération. Mais quelque chose d’irréparable s’est p
36 ne génération. Mais quelque chose d’irréparable s’ est produit. La principale victime de la bombe atomique a été la guerre,
37 uit. La principale victime de la bombe atomique a été la guerre, qui en est morte en trois jours. Sous sa forme militaire —
38 time de la bombe atomique a été la guerre, qui en est morte en trois jours. Sous sa forme militaire — c’était la guerre tou
39 lus qu’à se consacrer aux sports. Que la guerre n’ est plus leur métier. Et que par conséquent il n’y aura plus de guerre au
40 rres », nous disaient-ils. Sans doute, mais ce ne seront plus les leurs, les « vraies », les héroïques, costumées et casquées,
41 que post-einsteinienne. La question de compétence est tranchée sans réplique au détriment définitif des généraux, au bénéfi
42 entiment de vague et vaste frustration. (L’Europe sera plus touchée que l’Amérique.) On ne se guérit pas facilement de l’abl
43 » qui firent le principal de notre Histoire ? Tel est l’un des problèmes psychologiques que pose au siècle la bipartition d
44 e au siècle la bipartition d’un seul atome. Il en est d’autres, dont nous avons parlé abondamment ces derniers jours : les
45 leur seule défense imaginable — et la circulation sera dégorgée dans l’invisible stratosphère… Quant aux voyages ? Ils vont
3 1946, Lettres sur la bombe atomique. III. Le point de vue moral
46 ns cet « âge atomique » dont tout le monde parle. Est -ce que la paix serait morte en même temps que la guerre ? Vous me dem
47 ue » dont tout le monde parle. Est-ce que la paix serait morte en même temps que la guerre ? Vous me demandez comment a réagi
48 es lettres à leurs journaux. Leur opinion moyenne est qu’il est criminel non point tant de tuer, que de tuer en masses, et
49 à leurs journaux. Leur opinion moyenne est qu’il est criminel non point tant de tuer, que de tuer en masses, et par des pr
50 llion de vies. Voilà du beau travail américain. — Êtes -vous sûrs, répliquent les premiers, que c’est la Bombe qui a mis fin
51 qu’en se montrant. Les Japonais le nient, mais il est clair qu’ils ne cherchaient depuis des semaines qu’un prétexte honora
52 honorable pour capituler. L’état-major dit qu’ils étaient à bout de ressources, et sans défenses sérieuses contre un débarqueme
53 sérieuses contre un débarquement. Notre presse s’ est gardée d’insister sur les informations de ce genre. — Mais si la Bomb
54 , ont l’air de dire : — Parlez toujours ! Le fait est que nous l’avons, la Bombe ! Et nous sommes décidés à en garder le se
55 Le fait est que nous l’avons, la Bombe ! Et nous sommes décidés à en garder le secret. Le président, après quelques phrases p
56 ésident, après quelques phrases pieuses, semble s’ être rangé à cet avis. Ainsi discutent les moralistes, les réalistes, et l
57 e réaliste). Le fait brutal, c’est que ce débat n’ est pas à l’échelle de l’Histoire. Ce qui domine en vérité tous les espri
58 e. Ce qui domine en vérité tous les esprits, ce n’ est pas la question de ce qu’il eût fallu faire, mais bien de ce qui va n
59 r. Car personne, sérieusement, n’ose opiner qu’il était préférable de détruire la Bombe et tout le Manhattan Project. C’est p
60 is c’est ainsi : personne ne veut que l’événement soit oublié, supprimé, interdit à jamais. Nous sommes tous dans l’état du
61 nt soit oublié, supprimé, interdit à jamais. Nous sommes tous dans l’état du spectateur à l’approche du climax d’un bon film p
62 lm policier. Si l’on nous privait de la Bombe, je suis sûr que la déception surpasserait de beaucoup le soulagement. L’Histo
63 fait de se taire.) Bâtard ou non, l’âge atomique est né. Vous me dites que l’expression est ridicule. Simplement parce qu’
64 e atomique est né. Vous me dites que l’expression est ridicule. Simplement parce qu’elle s’est vulgarisée ? Je la trouve ju
65 pression est ridicule. Simplement parce qu’elle s’ est vulgarisée ? Je la trouve juste, utile et nécessaire. Un âge, oui, c’
66 nécessaire. Un âge, oui, c’est bien cela et ce n’ est pas trop dire, si l’on songe aux transformations presque inimaginable
67 oduire. Un âge de folie pure peut-être, mais c’en est fait, nous sommes embarqués. Et toutes nos discussions rétrospectives
68 de folie pure peut-être, mais c’en est fait, nous sommes embarqués. Et toutes nos discussions rétrospectives sont vaines. Il s
69 barqués. Et toutes nos discussions rétrospectives sont vaines. Il s’agit de faire face à ce qui vient, dans l’incompétence g
4 1946, Lettres sur la bombe atomique. IV. Utopies
70 s. On annonce au surplus que ce mode de transport sera rapidement supplanté par le catapultage stratosphérique. Paris détrui
71 ulation. L’idéal de nos contemporains paraît bien être de mourir sans le savoir, et sans avoir le temps de dire ouf. À quoi
72 du poète latin. Mais trêve de vains regrets. Nous sommes en pleine folie. Et je décide de m’y abandonner le temps de cette let
73 ne passion véritablement partagée, de celles où l’ être se consume et se consomme en s’engageant, nous donne Les Hauts de Hur
74 euil de l’ère des miracles précis. Le xxe siècle est abruti sous trois rapports : les sens, l’esprit, et l’imagination. Il
75 orts : les sens, l’esprit, et l’imagination. Il s’ est réduit à deux spécialités plutôt maniaques : le maniement de ses mach
76 ement de ses machines et de son argent. (Encore n’ est -il pas trop brillant sur le second chef.) La seule idée qui soit venu
77 p brillant sur le second chef.) La seule idée qui soit venue à nos experts en urbanisme, du moins la seule qu’ils aient osé
78 e, car il y a tout à parier que la première bombe serait pour New York, et mettrait hors d’usage en une seconde le mécanisme d
79 conde le mécanisme du rentrer sous terre. Je m’en tiens à la suggestion qui me venait à l’esprit dans une précédente lettre :
80 précédente lettre : la seule défense d’une ville est sa mobilité. J’entends bien : sa mobilité perpétuelle. Ainsi l’ennemi
81 ment les maisons se déplaceraient, au lieu que ce soient leurs habitants. C’est une question de rails ou d’hélices. Car je ne
82 ue toute l’évolution, à partir du xixe siècle, n’ est qu’un immense complot mondial pour couper nos racines paysannes ? La
83 s villes, dont nous pensions devenir les paysans, seront les premiers objectifs de la bombe. Nous ne les abandonnerons pas pou
84 esques : « Alamogordo (New Mexico). La population est très excitée par l’annonce que les vaches rouges de la contrée sont d
85 par l’annonce que les vaches rouges de la contrée sont devenues blanches à la suite de la première expérience d’explosion at
86 illet. » — « Carrizozo (New Mexico). Un chat noir est devenu à moitié blanc. Un cowboy du village de Brigham accuse l’Atome
87 uits et procédés industriels d’usage immédiat ont été inventés au cours des travaux sur la bombe atomique dans l’usine de O
88 ans l’usine de Oak Ridge, Tennessee. » Mais ce ne sont là que des « faits », comme disent la science et les politiciens cyni
89 la science et les politiciens cyniques. Les faits sont les déchets de l’imagination. Et ceux que nous voyons aujourd’hui, et
90 ns aujourd’hui, et que nous étudions et mesurons, sont en réalité déterminés par l’angle obtus sous lequel nous approchons l
91 ’écrire pour un livre en préparation. « Tout cela est très joli ! disait le Docteur, mais quoi, la science reste la science
92 se et qui progresse. Vous semblez croire que nous sommes libres désormais de penser n’importe quoi, et que cela changera tout.
93 science produit des preuves que les superstitions seraient bien en peine de réfuter ou d’égaler. Elle guérit ! Elle invente des
94 s. » — « Bien, dis-je, la preuve que la science n’ est pas folle, c’est qu’elle nous permet aujourd’hui d’aller beaucoup plu
95 beaucoup plus vite qu’il y a cent ans. Voilà qui est sérieux, me dites-vous. Et voilà qui est utile, au surplus. Personne
96 oilà qui est sérieux, me dites-vous. Et voilà qui est utile, au surplus. Personne n’osant le contester autour de moi, je cr
97 t. Supposez que leur plaisir nouveau et principal soit d’évoquer quelque chose comme les fées, et qu’ils y arrivent après de
98 t l’immobilité dont le sous-produit nommé lenteur est vénéré par quelques sectes populaires, font de la mort une plaisanter
99 plaisanterie d’un goût sublime qui perd son sel à être répétée, étouffent d’une seule pensée les explosions cosmiques, etc.
5 1946, Lettres sur la bombe atomique. V. Ni secret, ni défense
100 ustrielle de l’Amérique. C’est assez dire qu’il n’ est que temporaire. Quant au secret technique de la détonation, dans quel
101  », cependant que la même enquête révèle que 65 % sont persuadés que « le secret ne peut être gardé ». D’où je déduis que la
102 e que 65 % sont persuadés que « le secret ne peut être gardé ». D’où je déduis que la proportion des Américains raisonnables
103 deux idées et d’en tirer une conclusion logique) est au plus de 35 %. Est-ce peu ou beaucoup pour un peuple ? Je n’en juge
104 irer une conclusion logique) est au plus de 35 %. Est -ce peu ou beaucoup pour un peuple ? Je n’en jugerais qu’après un essa
105 Je n’en jugerais qu’après un essai en Europe. Il est clair que l’opinion publique est égarée par sa foi dans la Science, q
106 ai en Europe. Il est clair que l’opinion publique est égarée par sa foi dans la Science, que les savants sérieux ne partage
107 rre, tuerait la paix. Une partie de la population serait employée à surveiller le ciel, l’autre partie à fabriquer les instrum
108 nne ne vivrait. La situation présente, en vérité, est bien plus folle qu’on ne l’imagine. Car non seulement nous sommes san
109 folle qu’on ne l’imagine. Car non seulement nous sommes sans défense, mais encore le secret de la Bombe sera demain celui de
110 s sans défense, mais encore le secret de la Bombe sera demain celui de Polichinelle, et enfin si quelqu’un nous attaque, nou
111 Suisse, manufacture une douzaine de bombes. Ce n’ est pas une question d’argent comme on le croit — les grosses dépenses on
112 gent comme on le croit — les grosses dépenses ont été faites par l’Amérique, pendant les recherches — mais d’ingéniosité et
113 fait, c’est à l’École polytechnique de Zurich que sont nés les travaux d’Einstein. Supposez maintenant que ce petit pays, po
114 ant que les projectiles ne viennent de Russie. Il est trop tard pour échanger des notes et des coups de chapeau haut de for
115 cu. Un éclair tombant du ciel bleu — l’expression est devenue si vraie qu’elle a cessé de nous frapper. Une apathie étrange
116 comme chez ceux qui les mènent. Les trois Grands sont presque d’accord pour renouveler leurs petites discussions. M. Truman
117 sacré ». Le monde n’a pas de gouvernement. Je ne suis pas sûr que les nations en aient. Et nous restons les bras ballants,
6 1946, Lettres sur la bombe atomique. VI. Le savant et le général
118 1945. À une heure de New York, à Princeton où je suis en train de m’installer, tout respire une paix claustrale. Les bâtime
119 a petite fille. À quoi pense-t-il ? De ce cerveau est sortie l’équation qui est en train de bouleverser le monde. Je me la
120 se-t-il ? De ce cerveau est sortie l’équation qui est en train de bouleverser le monde. Je me la répète chaque fois que je
121 e chaque fois que je le vois : E = mc2. L’énergie est égale au produit de la masse par le carré de la vitesse lumineuse. On
122 a jamais tant dit en si peu de signes. Mais je ne suis pas un physicien, et n’ai d’autre spécialité que de réfléchir aux con
123 éfendent-ils tous l’idée que la guerre des bombes serait la fin des hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est un gouverne
124 in des hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est un gouvernement mondial. Ils partagent mon avis sur l’inutilité des a
125 service des recherches atomiques à Los Alamos, a été interrogé hier par un Comité du Sénat. À la question : “Est-il vraise
126 ogé hier par un Comité du Sénat. À la question : “ Est -il vraisemblable qu’un seul raid atomique contre les centres populeux
127 troupes partiront, un tiers de la population aura été tué. Pendant le voyage, un autre tiers subira probablement le même so
128 s humain. D’ailleurs l’île qu’ils iront conquérir sera déjà réduite en fine poussière, si l’ennemi n’est pas stupide. Suppos
129 era déjà réduite en fine poussière, si l’ennemi n’ est pas stupide. Supposez encore que la Russie attaque l’Amérique par la
130 ain. Mais dans le cas d’une guerre atomique, il n’ est pas sûr, ni même probable, que l’agresseur juge bien utile de venir d
131 ruines encore radioactives. De même, si la Russie est attaquée par l’Amérique, ou encore si l’une des deux attaque l’Europe
132 Américains pour débarquer en Europe, et leur pays était resté à l’abri des bombardements. Même s’il leur faut seulement deux
133 au monde, ait mystérieusement raison ; mais ce n’ est certainement pas pour les raisons qu’il donne. Et pourquoi n’en pas d
134 lus d’autres secrets que ceux de l’industrie, qui sont ceux de la science, qui n’a d’autre désir que de les publier. Je main
135 ir que de les publier. Je maintiens que la guerre est morte, la guerre des militaires, la vraie. Parce que nous avons passé
136 r il s’agit d’un problème dont la preuve, si elle était jamais administrée, ne pourrait plus intéresser qu’un auditoire brusq
7 1946, Lettres sur la bombe atomique. VII. Tout est changé, personne ne bouge
137 VIITout est changé, personne ne bouge Princeton (N. J.) le 28 octobre 1945. Vos
138 é d’avance. Mais je m’aperçois que votre attitude est plus sentimentale que réaliste, et qu’en vertu de cette disposition,
139 la même notion du sérieux et de la gravité. Vous êtes encore préatomique. Ce n’est pas seulement un océan, mais toute une è
140 de la gravité. Vous êtes encore préatomique. Ce n’ est pas seulement un océan, mais toute une ère qui nous sépare… Non, c’en
141 an, mais toute une ère qui nous sépare… Non, c’en est trop ! Écoutez-moi, venez ici et regardez avec moi. Quand je vois que
142 ici et regardez avec moi. Quand je vois que tout est changé dans notre monde depuis Hiroshima, et que cependant les respon
143 lieu de rebâtir des maisons et de vêtir ceux qui sont nus ; quand je vois la guerre et que chacun s’y prépare ; quand je vo
144 rlementaires, économistes, radoteurs à gages, ils sont tous fous, ne les écoutez plus ! — quand je vois que si je dis tout c
145 hère amie, je souris. C’est ma manière nouvelle d’ être sérieux. Voulez-vous que je pleure toute la journée, que je rugisse p
146 es articles mesurés sur la folie du siècle ? Ce n’ est pas une folie furieuse, hélas, il s’en faut de beaucoup. C’est une lé
147 clairement la situation. — C’est tout vu, nous y sommes , quel est votre système ? — Cherchons ensemble… — Oh l’ennuyeux ! Dep
148 a situation. — C’est tout vu, nous y sommes, quel est votre système ? — Cherchons ensemble… — Oh l’ennuyeux ! Depuis le tem
149 tion en gros de l’humanité ! — Je vois que vous n’ êtes pas trop sérieux. Notez que je flatte beaucoup, dans ces répliques, m
150 ai des rendez-vous urgents. Mon rendez-vous à moi est pris avec l’époque. Je vois que la mort en masse l’attend d’une heure
151 Je vous écris pour m’amuser. Je pense que si vous êtes encore sérieuse et me reprochez ce ton « badin » — merci — c’est que
152 que vous n’avez pas bien saisi la situation, qui est la suivante : Guerre. Les armées de terre et de mer seront privées d
153 suivante : Guerre. Les armées de terre et de mer seront privées de ravitaillement et immobilisées en moins d’une heure. Elles
154 t des bases qui ne peuvent servir à rien, si ce n’ est à faire la guerre. D’ailleurs, ils déplorent tous la dernière guerre,
155 e américain a posé récemment la question : « Quel est le but de la science ? Faire sauter le monde ? Si les savants pensent
156 nt ce qu’ils nous disent, le progrès scientifique est en vue de son terme. » Vous trouvez que c’est le moment d’être sérieu
157 e son terme. » Vous trouvez que c’est le moment d’ être sérieux ?
8 1946, Lettres sur la bombe atomique. VIII. Un salon atomique
158 nt, cherchant d’un œil anxieux l’Obélisque, qui n’ est même pas au centre. Faut-il vous donner toute la mesure du désespoir
159 a mesure du désespoir qui fond sur moi dès que je suis à Washington ? Je vous avouerai que je m’y réfugie dans les salons. L
160 e avait des salons littéraires. À Washington, ils sont tous politiques. Celui d’où je sors, qui est l’un des mieux courus, e
161 ils sont tous politiques. Celui d’où je sors, qui est l’un des mieux courus, est aussi le plus atomique. Parmi les sous-sec
162 elui d’où je sors, qui est l’un des mieux courus, est aussi le plus atomique. Parmi les sous-secrétaires d’État, les diplom
163 ins de mes collègues ont envisagé l’hypothèse, et sont de l’avis qu’elle n’est pas improbable. D’autres, comme moi, pensent
164 envisagé l’hypothèse, et sont de l’avis qu’elle n’ est pas improbable. D’autres, comme moi, pensent qu’on ne fera sauter que
165 estre, comme si vous peliez une orange. Les dames étaient ravies, les hommes pensifs. On eût dit qu’ils réfléchissaient. La con
166 ant se montrait plein d’humour. On n’avait jamais été plus plaisant à propos de massacres en masses. Ce que j’aime, dans le
167 st qu’on part quand on veut. À peine sorti, je me suis mis à réfléchir, et m’étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps
168 . À peine sorti, je me suis mis à réfléchir, et m’ étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps de trouver une ou deux concl
169 de mes hôtes, d’où je vous écris. En fait, nous sommes devant l’an mille. Tous les problèmes derniers nous sont posés, dans
170 vant l’an mille. Tous les problèmes derniers nous sont posés, dans des termes urgents et concrets. Quel est le sens de la vi
171 posés, dans des termes urgents et concrets. Quel est le sens de la vie si elle finit demain ? Qu’est-ce que cette mort de
172 l est le sens de la vie si elle finit demain ? Qu’ est -ce que cette mort de l’homme causée par son génie ? Pourquoi l’intell
173 dépassent l’imagination — et celui-ci ne saurait être dépassé lui-même — n’intéressent ou n’inquiètent que superficiellemen
174 mpagnes. Aucun d’eux ne donnait l’impression de s’ être battu pour l’idéal démocratique. Ils m’ont demandé le résultat du der
175 ernier match Armée-Marine. Je ne savais pas. Et j’ étais en civil ! Voilà comment l’arrière trahit !
9 1946, Lettres sur la bombe atomique. IX. Paralysie des hommes d’État
176 vembre 1945. Notre monde du milieu du xxe siècle est gouverné par ceux qu’on nomme les trois Grands. Ils se composent d’un
177 rçon, et de l’Esprit bourgeois, que la Bombe doit être administrée. Notez que si elle ne l’est pas, quelqu’un va nous l’admi
178 mbe doit être administrée. Notez que si elle ne l’ est pas, quelqu’un va nous l’administrer. L’alternative est entre ces deu
179 s, quelqu’un va nous l’administrer. L’alternative est entre ces deux sens du verbe. Et soudain je me demande pourquoi ces t
180 raines : que les chefs responsables de notre sort sont en réalité irresponsables ? Et qu’ils usurpent le nom de gouvernants 
181 drait la paix, car sa Russie blessée doit d’abord être reconstruite, mais il ne renonce pas aux plans de Pierre le Grand. At
182 and. Attlee voudrait la paix, car l’Empire blessé est en pleine expérience socialiste, mais il ne renonce pas à faire tuer
183 conflit) d’un conflit avec la Russie. Sans doute sont -ils tous les trois convaincus qu’ils aiment la paix en général, et po
184 comprendre avant de les traiter de criminels, qui est pourtant bien ce qu’ils ont l’air d’être, quand on voit ce qu’ils von
185 nels, qui est pourtant bien ce qu’ils ont l’air d’ être , quand on voit ce qu’ils vont faire ou laisser faire de nos vies. Irr
186 tige. Ils ne voient rien. Cette absence de pensée est plus dangereuse que n’importe quelle pensée fausse. Mais comment pour
187 u même trop pour un homme, tandis que le problème est mondial. La Bombe est un cas international, qui ne peut être résolu q
188 mme, tandis que le problème est mondial. La Bombe est un cas international, qui ne peut être résolu qu’à une échelle planét
189 l. La Bombe est un cas international, qui ne peut être résolu qu’à une échelle planétaire : or ces messieurs sont absorbés p
190 lu qu’à une échelle planétaire : or ces messieurs sont absorbés par la défense d’intérêts locaux dits nationaux, trente visi
191 naugurations, des banquets et des nominations. Il est clair que pour gouverner les nations, la première condition requise e
192 verner les nations, la première condition requise est de n’être pas le chef d’une grande nation. Mais qui l’a dit, jusqu’à
193 s nations, la première condition requise est de n’ être pas le chef d’une grande nation. Mais qui l’a dit, jusqu’à ce jour ?
194 ce jour ? Chacun sait que l’arbitre d’un match n’ est jamais le capitaine d’une des équipes. Qui l’a rappelé au sujet des t
195 Mais qui l’a dit au sujet de Truman ? L’Amérique est trop grande pour lui, et le voici chargé du monde en plus ! Ainsi d’A
196 e. Je les plains. Cependant s’ils s’obstinent, je serai forcé de les traiter d’usurpateurs. L’incompétence des commandants en
197 pateurs. L’incompétence des commandants en chef n’ est -elle pas jugée criminelle par l’opinion publique de leur patrie, et p
198 ar les gouverneurs des 48 États de l’Union ? — Ce serait absurde, me disent-ils. — Eh quoi, c’est pourtant ce que nous offre,
199 unissant leurs peuples et non leurs chefs qui se sont effacés, devant un pouvoir nouveau, sorti du peuple… Mais si l’on tou
200 qui se ferment, et les esprits en état de siège. Sommes -nous fous ? Allons-nous continuer ce jeu jusqu’à l’explosion de la Te
201 traiter de haut avec les chefs d’État… Mais c’en est trop pour aujourd’hui. Et cette lettre est déjà bien pesante. Avant q
202 s c’en est trop pour aujourd’hui. Et cette lettre est déjà bien pesante. Avant que vous n’en receviez la suite, puissent le
203 trois Grands ne pas perdre la boule ! Car le fait est qu’il n’y en a qu’une de Boule, comme disait à peu près le regretté W
10 1946, Lettres sur la bombe atomique. X. La tâche politique du siècle
204 , le 15 novembre 1945. Comme la paix, chère amie, serait monotone, s’il n’y avait pas les menaces de guerre ! Et que ferions-n
205 e longue torpeur stupéfiée. Le temps de réfléchir est revenu. S’il n’y a rien dans le journal, cherchons dans notre tête. N
206 ous y trouverons d’abord une grande question : qu’ est -il donc sorti de cette guerre ? Quelles nouveautés ? Aucune, réponden
207 t mondial court deux risques principaux : celui d’ être trop faible pour gouverner effectivement, et celui d’être trop fort p
208 p faible pour gouverner effectivement, et celui d’ être trop fort pour que survivent les libertés nationales ou régionales. M
209 e arme proportionnée à l’ampleur de sa tâche, qui est de faire la police des nations ; et d’une arme qui par nature serait
210 police des nations ; et d’une arme qui par nature serait démesurée pour un seul peuple, tandis qu’elle devient effective à l’é
211 ique d’un gouvernement fédéral de la planète nous sont apparues simultanément. Elles se proposent à l’esprit avec tant de cl
212 se proposent à l’esprit avec tant de clarté qu’on est tenté d’y voir l’indication d’une fatalité : il n’est pas d’autre voi
213 tenté d’y voir l’indication d’une fatalité : il n’ est pas d’autre voie praticable, la raison nous pousse à la suivre, nous
214 nous devons donc arriver très vite au but… Telles sont les perspectives théoriques. L’Histoire n’en a pas connu de plus vast
215 s. Mais l’Histoire nous apprend aussi que l’homme est stupide et mauvais, qu’il a peur de voir grand, et qu’il préfère en g
216 sion simple des possibilités d’union mondiale qui sont ouvertes désormais. Et il faut insister sans relâche sur le fait que
217 tôt ou tard elle s’imposera, malgré nous si ce n’ est par notre action. Ensuite, il s’agit de combattre les obstacles à cet
218 git de combattre les obstacles à cette union. Ils sont dans l’étroitesse de nos esprits, non pas dans la raison, ni dans les
11 1946, Lettres sur la bombe atomique. XI. Tous démocrates
219 iège. Vous me répondez avec sérénité que l’Europe est prête à faire le bien, mais que des propositions aussi simplistes que
220 er aussi complexes et irritantes qu’en Europe. Je fus ce soir visiter un ami qui aime à se dire « un anarchiste catholique 
221 èves ! Quant à l’évaporation atomique, eh bien, n’ est -ce pas le symbole même de l’idéalisme : tout monte et s’épanouit vers
222 s d’espoir sérieux nulle part. La faillite morale est universelle, chez les individus comme sur le plan international. Moi
223 espoir. Des trois régimes dont vous parliez, l’un est écrasé. Les deux qui restent, et qui se partagent le monde, se déclar
224 qui se disent démocrates dénoncent la Suisse, qui est la plus vieille démocratie du monde, et la traitent de « fasciste » p
225 es. Les Suisses peuvent répondre que cette mesure est précisément celle qui fut prise en premier lieu par les États fascist
226 pondre que cette mesure est précisément celle qui fut prise en premier lieu par les États fascistes, aussi bien que par les
227 s sourire diaboliquement, à votre tour. Mais nous sommes peut-être d’accord, en réalité. Puisque tous sont devenus « démocrate
228 mmes peut-être d’accord, en réalité. Puisque tous sont devenus « démocrates », dans le monde de 1945, nous pouvons parler d’
229 que ce terme symbolise et parfois dissimule : Qu’ est -ce que la liberté ? Et cela nous amènera bientôt à nous demander : Qu
230 Et cela nous amènera bientôt à nous demander : Qu’ est -ce que l’homme ? C’est le vrai débat. Si nous le reconnaissons, nous
231 fois les plus tyranniques. Moi. — Je l’avoue. Je suis sorti de là pour vous écrire. La prochaine fois, j’aurai sans doute r
232 is, j’aurai sans doute réfléchi sur la liberté. N’ est -ce pas le problème numéro un de notre temps ? Car les problèmes se po
12 1946, Lettres sur la bombe atomique. XII. Les quatre libertés
233 arfois les mêmes effets… Les Quatre Libertés n’en furent pas moins le but de guerre idéal des Nations unies, comme elles reste
234 aix. Mais j’ai remarqué qu’assez peu de personnes sont capables de les énumérer. Il semble qu’on se soit battu pour quelque
235 sont capables de les énumérer. Il semble qu’on se soit battu pour quelque chose qui n’était pas trop clair, ni bien facile à
236 mble qu’on se soit battu pour quelque chose qui n’ était pas trop clair, ni bien facile à retenir dans l’esprit… Vous rappelez
237 Donc les Nations unies ayant gagné la guerre, il est temps de nous demander quel est l’état présent des libertés qui faisa
238 gné la guerre, il est temps de nous demander quel est l’état présent des libertés qui faisaient l’enjeu de la lutte. La deu
239 au Mexique, mais, dans l’ensemble, la situation n’ est pas mauvaise. J’ignore d’ailleurs si ce progrès doit être attribué à
240 mauvaise. J’ignore d’ailleurs si ce progrès doit être attribué à moins de fanatisme de la part des masses religieuses, ou à
241 a, nous disent non sans raison les gouvernants, n’ est que le résultat déplorable mais fatal de la guerre. (Étrange activité
242 qu’elle avait pour seul but d’écraser. Mais ceci est une autre histoire.) Ma génération est-elle donc condamnée à subir au
243 Mais ceci est une autre histoire.) Ma génération est -elle donc condamnée à subir au double ou au triple tout ce qu’elle s’
244 à subir au double ou au triple tout ce qu’elle s’ est épuisée à combattre ? Doit-elle accepter de se passer d’au moins troi
245 fants les recevront plus tard — données par qui ? Sommes -nous voués à l’esclavage d’État par nécessité matérielle ? Vous m’en
246 t. Je propose donc que nous changions ce qui peut être immédiatement changé : notre idéal, en attendant le reste. Je propose
247 se préoccuper de leur subsistance ; quatre : ils sont solidement protégés contre tous les périls extérieurs. Ce sont les dé
248 nt protégés contre tous les périls extérieurs. Ce sont les détenus des prisons américaines. (On leur donne même des séances
249 e même des séances de cinéma.) La liberté ne peut être détaillée ni débitée en tranches : elle est vivante. Elle ne peut pas
250 peut être détaillée ni débitée en tranches : elle est vivante. Elle ne peut pas non plus être donnée. Elle exige d’être aff
251 hes : elle est vivante. Elle ne peut pas non plus être donnée. Elle exige d’être affirmée sur le champ, et coûte que coûte,
252 le ne peut pas non plus être donnée. Elle exige d’ être affirmée sur le champ, et coûte que coûte, quels que soient les obsta
253 irmée sur le champ, et coûte que coûte, quels que soient les obstacles. Il y aura toujours des obstacles. Ceux qui ont peur d’
254 aura toujours des obstacles. Ceux qui ont peur d’ être libres en feront leurs prétextes, comme l’ont fait les Allemands sous
255 ne comptent guère. Par elle seule, elles peuvent être conquises. Nous l’affirmons et nous la démontrons par notre lutte con
256 s » qui s’y opposent sans relâche. Et cette lutte est toujours possible. Cette Résistance ne fait que commencer. Mais si no
257 s que les obstacles à l’exercice de notre liberté sont fatals, nécessaires et surhumains, aussitôt nous les rendrons tels, a
258 nous les rendrons tels, aussitôt nous cesserons d’ être libres. Et l’État aura tous les droits, puisque nous lui laisserons t
259 serons tous les devoirs. Ce qu’il nous faut, ce n’ est pas d’abord un monde bien arrangé autour de nous. (Les prisons sont b
260 n monde bien arrangé autour de nous. (Les prisons sont bien arrangées.) Ce qu’il nous faut pour être libres, uniquement et t
261 ons sont bien arrangées.) Ce qu’il nous faut pour être libres, uniquement et tout simplement, c’est du courage. Car nous som
262 nt et tout simplement, c’est du courage. Car nous sommes libres, si nous sommes prêts à payer le prix de la liberté, qui sera
263 c’est du courage. Car nous sommes libres, si nous sommes prêts à payer le prix de la liberté, qui sera toujours : payer de sa
264 s sommes prêts à payer le prix de la liberté, qui sera toujours : payer de sa personne. Un homme libre, c’est un homme coura
265 atre ou trente-six libertés. On entend dire : « X est un esprit libre. » De qui tient-il sa liberté ? Ni de l’État, ni de l
266 n entend dire : « X est un esprit libre. » De qui tient -il sa liberté ? Ni de l’État, ni de la révolution, ni des soviets, ni
267 émocratie, et surtout pas de leurs experts. Il la tient de sa vision seule et de son courage à lutter pour la joindre. Lénine
268 à lutter pour la joindre. Lénine sous le tsarisme était plus libre qu’un membre du parti communiste sous Staline. Et George W
269 rti communiste sous Staline. Et George Washington était plus libre qu’un citoyen américain qui tourne le bouton de sa radio.
270 de sa radio. Ils combattaient. Et nous ? Nous ne serons libres dans la paix que si nous combattons encore.
13 1946, Lettres sur la bombe atomique. XIII. La pensée planétaire
271 s risquent de nous écraser. Mais vos critiques ne sont jamais perdues pour moi. Elles reflètent fidèlement les « mouvements
272 e féminise rapidement. La légèreté l’inquiète, ne serait -elle pas cynique ? Le sérieux l’endort vite. Mais il respecte la tech
273  Comme c’est profond ! » Dites-moi si tout cela n’ est pas très femme ? Et maintenant je vous parlerai de la planète. Le xxe
274 nt je vous parlerai de la planète. Le xxe siècle est en train de découvrir ce qu’on savait depuis un certain temps mais qu
275 t jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde. D’où il résulte, entre autres conséquences, que si vous tirez
276 le, pour une époque donnée, me paraissent pouvoir être mesurées à la portée des armes connues dans cette époque. (Vous avez
277 objet rond, pomme, sphère ou sceptre d’or, que ce soit l’Univers, ou l’Empire, ou l’atome. Ici les extrêmes se reflètent. Le
278 , en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’avaient été trop occupés dans le Pacifique. Les Anglais eussent peut-être voté di
279 idarité pratique des différentes parties du globe est un fait durement établi au niveau de notre existence matérielle. Avan
280 bablement passer par une étape intermédiaire, qui est celle du fait psychologique : la formation d’une conscience planétair
281 ce un peu, disons à quelques heures d’avion. Ce n’ est rien de traduire une langue : les problèmes nationaux restent intradu
282 ne peut y aller voir et sentir. Et notre époque n’ est pas celle des voyages, mais seulement celle des « missions » comme on
283 plus boucler leurs comptes parce que les noirs se seront révoltés en Caroline du Sud ou à Harlem ; et les mineurs du pays de G
284 dant des mois, parce que les péons d’Argentine se seront enfin organisés contre les grands estancieros. Vous pourrez toujours
285 yer d’expliquer aux victimes de la crise que ce n’ est pas la faute du député local ni de « l’hypocrisie américaine ». Que f
286 ges de leurs cartes de l’Europe. Et pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ail
287 sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi pour des lions.
288 pas de Persans pour se demander : Comment peut-on être Français ?) Je parlais d’une conscience planétaire. C’est sa nécessit
289 s de larges rubriques créant un appel d’air. Ce n’ est pas une question d’information d’abord, vous m’entendez, mais de sens
290 je dirais : c’est d’abord une question de poésie. Est -ce un hasard si, parmi tous nos écrivains, ceux que je vois manifeste
291 e plus direct et le plus contagieux de la planète sont précisément deux poètes : le Saint-John Perse de l’Anabase et de l’Ex
292 eur prose et dans leurs longs versets, quel qu’en soit le sujet allégué, nous avons pour la première fois senti, sous le dra
293 dire que j’oubliais ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex ». À Dieu ne plaise que j’oublie jamais celui qui le premi
14 1946, Lettres sur la bombe atomique. XIV. Problème curieux que pose le gouvernement mondial
294 . J.), le 6 décembre 1945. Vous me dites que ce n’ est point par mauvaise volonté, mais que vous avez grand-peine à vous rep
295 r ? Personne à qui répondre que l’honneur du pays est en jeu, qu’on ne cédera plus d’une ligne, etc. ? Pour tout dire, pas
296 ens ? Ne me dites pas non : votre première idée a été de supposer une guerre. Et cela pour essayer de vous mieux représente
297 isent les nations, et les unes sans les autres ne seraient pas imaginables. Si vous me dites maintenant que c’est mon gouverneme
298 us souffrons. Autrement, le bien — ou la paix — n’ est à nos yeux qu’une fumée, une abstraction, c’est-à-dire, soyons francs
299 yeux qu’une fumée, une abstraction, c’est-à-dire, soyons francs, le comble de l’ennui, si ce n’est pas une « utopie dangereuse
300 ire, soyons francs, le comble de l’ennui, si ce n’ est pas une « utopie dangereuse »… À propos de cette dernière expression,
301 ence pour dénigrer des projets de paix ? Pour qui sont -ils donc si dangereux ? Avez-vous également remarqué que les militair
302 ent de l’Europe. J’ai cru longtemps que la guerre était le pire désordre imaginable à notre époque ; et que ceux qui la tenai
303 re imaginable à notre époque ; et que ceux qui la tenaient encore pour une nécessité, voire pour une vertu, étaient les véritabl
304 encore pour une nécessité, voire pour une vertu, étaient les véritables éléments de désordre ; et que l’utopie la plus dangere
305 de désordre ; et que l’utopie la plus dangereuse était la théorie de la souveraineté sans limites des nations. C’était trop
306 a lettre sur la mort de la guerre3 m’écrit que je suis un primaire. Il m’assure que « à chaque guerre nous, cavaliers, avons
307 ons prouvé que nous savions nous battre », ce qui est bien la preuve que j’ai tort, et d’ailleurs de n’importe quoi. Il ajo
308 rte quoi. Il ajoute que ma lettre, dans sa forme, est « nettement péjorative vis-à-vis de l’armée, de la cavalerie en parti
309 s exception sauvé l’honneur en 40 » ; bref que je suis un « élément de désordre ». (Je joins ses lignes aux miennes, pour vo
310 l m’a donné une idée. En reposant sa lettre je me suis écrié : « Vivement la Bombe ! Suprême élément d’ordre ! » Et ne croye
311 la Bombe peut nous en délivrer de deux manières : soit en faisant sauter le tout, soit en nous forçant d’ici peu à fédérer l
312 e deux manières : soit en faisant sauter le tout, soit en nous forçant d’ici peu à fédérer les hommes au-delà des nations. V
313 humain ? Eh bien, madame, si j’ose le dire : vous êtes servie. 3. Voir page 25.
15 1946, Lettres sur la bombe atomique. XV. L’État-nation
314 ture y perdraient quelque chose de précieux. Nous serions tous fondus dans un magma informe de races, de langues, de religions
315 ’éviter, ou plutôt d’en sortir un peu, car nous y sommes déjà bien engagés. Ce sont les guerres qui le produisent. Et ce sont
316 r un peu, car nous y sommes déjà bien engagés. Ce sont les guerres qui le produisent. Et ce sont les nations qui produisent
317 gés. Ce sont les guerres qui le produisent. Et ce sont les nations qui produisent les guerres… Mais je vois que ce mot de na
318 ations, ce qui fait leur véritable originalité, n’ est pas défini par leur souveraineté absolue, n’est pas limité par leurs
319 n’est pas défini par leur souveraineté absolue, n’ est pas limité par leurs frontières, et ne saurait être défendu par leurs
320 st pas limité par leurs frontières, et ne saurait être défendu par leurs armées. En effet, supprimez ces trois éléments qui
321 nnement, et comme communautés de gens apparentés, soit par leurs traditions, soit par leurs idéaux, c’est-à-dire par destin
322 és de gens apparentés, soit par leurs traditions, soit par leurs idéaux, c’est-à-dire par destin ou par choix. Croyez-vous s
323 s rien d’autre à faire qu’administrer le pays, il sera un meilleur gouvernement ? (Je vous pose ces questions simplistes pou
324 és, de se rendre autarciques en vue de la guerre, soit qu’ils redoutent ou souhaitent cette éventualité. L’État détruit néce
325 ses énergies d’après un modèle uniforme, qu’elles soient latines ou anglo-saxonnes, socialistes ou capitalistes. Ce modèle est
326 -saxonnes, socialistes ou capitalistes. Ce modèle est celui de l’État totalitaire, qui est l’état de guerre en permanence.
327 s. Ce modèle est celui de l’État totalitaire, qui est l’état de guerre en permanence. Ainsi l’ennemi des nations, c’est l’É
328 mi des nations, c’est l’État ; et leur sauvegarde serait le gouvernement mondial. Ceux qui pensent que c’est tout le contraire
329 n carnages périodiques. Autre exemple. Pourquoi n’ est -il question que de « nationaliser » tout ce qui peut l’être à l’intér
330 estion que de « nationaliser » tout ce qui peut l’ être à l’intérieur des frontières, au lieu de multiplier les échanges inte
331 tives ? Vous me direz que la France, par exemple, est entrée dans la voie de l’étatisme parce qu’elle veut la justice socia
332 effets inéluctables. Le désir de justice sociale est une noble passion, la socialisation de l’industrie est une mesure éco
333 ne noble passion, la socialisation de l’industrie est une mesure économique partiellement souhaitable, mais je ne leur vois
334 erez me dire que le Social Register de New York n’ est qu’un Bottin mondain, je vous dénonce dans L’Humanité.) Vous sentez q
335 l. Introduisez dans cette broyeuse automatique qu’ est l’État-nation de la démocratie ou du marxisme, des idées libérales ou
336 belle passion de la justice sociale, le résultat sera le même : à l’autre bout, vous obtiendrez du totalitarisme en bâtons
337 totalitarisme en bâtons et une grêle de coups. Je suis sérieux. Le socialisme, non pas en soi, mais construit dans le cadre
338 re, donc à l’état de guerre larvé ou déclaré, qui est le pire des crimes sociaux. On ne sortira de ce cercle vicieux qu’en
339 s les nations, mais l’humanité. Car ceux-là seuls seront qualifiés pour arbitrer. Autrement ce n’est qu’un jeu de force, et le
340 ls seront qualifiés pour arbitrer. Autrement ce n’ est qu’un jeu de force, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit
341 orce, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit le mordant de l’infanterie ou la bravoure de votre colonel. (Il n’aur
16 1946, Lettres sur la bombe atomique. XVI. Le goût de la guerre
342 écembre 1945. Enfin ! Après quinze lettres nous y sommes . Je tiens l’aveu : « Que voulez-vous, j’aime l’armée ! », écrivez-vou
343 5. Enfin ! Après quinze lettres nous y sommes. Je tiens l’aveu : « Que voulez-vous, j’aime l’armée ! », écrivez-vous. Je m’en
344 si, comme presque tous les hommes parce qu’ils en sont , et les femmes parce qu’elles n’en sont pas. C’est le jeu par excelle
345 qu’ils en sont, et les femmes parce qu’elles n’en sont pas. C’est le jeu par excellence des grandes personnes, avec l’amour
346 xcellence des grandes personnes, avec l’amour qui est du même ordre, et qui lui emprunte d’ailleurs ses métaphores. En perd
347 puis que la cavalerie tout d’abord mise à pied, s’ est vue motorisée sans réplique, puis tractée, puis parachutée, en attend
348 ue, puis tractée, puis parachutée, en attendant d’ être catapultée et finalement atomisée, tout cela par les soins de simples
349 uer les formules d’intellectuels à lunettes. Tels sont les faits, ma chère, et peu importe à l’argument que je développe dan
350 abattra la bombe. (Quand chacun sait que la bombe sera catapultée, ou simplement envoyée par la poste.) Et tous en chœur pro
351 s en chœur proclament, comme votre colonel, qu’il est « inopportun et même prématuré de clamer que les armées ont fait leur
352 ainsi, dans les mêmes termes, depuis que le monde est monde et qu’ils y sont chargés d’assurer l’ordre. Le fait est que l’i
353 termes, depuis que le monde est monde et qu’ils y sont chargés d’assurer l’ordre. Le fait est que l’invention de la poudre,
354 qu’ils y sont chargés d’assurer l’ordre. Le fait est que l’invention de la poudre, loin de rendre inutiles leurs services,
355 e Saxe, a permis les campagnes de Napoléon. Et il est vrai que les bombardiers lourds ont tué beaucoup plus de civils que d
356 e l’argument suffit. Pourtant mon raisonnement se tient  : 1. Ce sont des savants, non des généraux, qui ont construit la bomb
357 uffit. Pourtant mon raisonnement se tient : 1. Ce sont des savants, non des généraux, qui ont construit la bombe. 2. Ces sav
358 as de parade imaginable, cette fois-ci. 3. Or ils seraient seuls capables d’en trouver. 4. Donc les généraux ont tort, même s’il
359 irer les conclusions urgentes ? Je sais pourquoi. Tenez -vous bien : c’est parce que la guerre nous plaît, et que nous sommes
360 c’est parce que la guerre nous plaît, et que nous sommes portés par cette passion à nous rendre sourds et aveugles devant tout
361 raine parce qu’au secret de notre conscience elle est liée à l’idée de guerre. Des millénaires de guerre nous ont intoxiqué
362 te sur ces derniers mots. Notre goût de la guerre est si bien refoulé que tous, sans exception, jurent qu’ils n’aiment que
363 ice ? Pour qui ? Pour quoi ? Jamais l’humanité ne fut moins préparée pour la paix, car jamais elle ne fut plus dépourvue de
364 t moins préparée pour la paix, car jamais elle ne fut plus dépourvue de respect pour les vertus que l’esprit seul sait port
365 t vivre s’il n’y a plus de paroxysmes ? La guerre était pour nous la grande permission, le grand ajournement de nos problèmes
366 ns sans le savoir, pour une raison précise : elle était l’état d’exception proclamé sur la terre entière et dans tous les dom
367 râce. Telle la Fête chez les primitifs, la guerre était le « Grand Temps » de l’humanité moderne, la seule excuse que notre e
368 plutôt nous allons l’avoir. Deux grands coups ont été frappés, annonçant le lever du rideau. Encore un, plus qu’un seul, — 
17 1946, Lettres sur la bombe atomique. XVII. La fin du monde
369 ien se produire avant la fin de l’an prochain. Je tiens ma petite information d’un physicien des plus remarquables. Il n’en f
370 presse que des essais de bombe atomique allaient être tentés sur l’Océan, notre savant a cru de son devoir d’avertir aussit
371 -de-marée que le Déluge, en comparaison, n’aurait été qu’un bain de pied. Le gouvernement américain ayant également annoncé
372 rit aussitôt que, d’après ses calculs, la réponse était simple : cela donnerait une idée fort approchée de la fin du monde. C
373 pprochée de la fin du monde. C’est à quoi nous en sommes , et c’est comique. On avait tout prévu sauf le comique, à propos de l
374 Personne non plus n’ose protester. Car ces essais seront faits « dans un but militaire ». Nous sommes donc dans le domaine du
375 sais seront faits « dans un but militaire ». Nous sommes donc dans le domaine du sacré. Glissez mortels, mourez sans insister…
376 ait là quelque consolation. L’amertume de mourir est aussi faite de l’idée qu’on manquera la suite de l’histoire. C’est pe
377 t-être pourquoi les tout premiers chrétiens, s’il est vrai qu’ils croyaient le Jugement imminent, mouraient avec une grande
378 stère : nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons changés, en un instant, en un clin d’œil, à la dernière trompette. »
379 onde se calcule désormais. Ses données immédiates sont dans tous nos journaux… Entre nous, qu’est-ce que cela nous ferait ?
380 iates sont dans tous nos journaux… Entre nous, qu’ est -ce que cela nous ferait ? Ce serait la fin de la douleur du monde. Ce
381 … Entre nous, qu’est-ce que cela nous ferait ? Ce serait la fin de la douleur du monde. Certains jours, il me semble que la fo
382 e a compris que la somme des souffrances humaines est devenue si grande, avec notre Progrès, qu’il y a bien plus de gens au
383 « Viens, douce mort ! » ce beau choral de Bach, n’ est -ce pas le soupir enfantin que l’on croit parfois distinguer, très bas
18 1946, Lettres sur la bombe atomique. XVIII. La paix ou la mort
384 Princeton (N. J.), fin d’année 1945. Notre monde est sans doute perdu, et c’est la raison de Noël. Dans cette nuit la plus
385 ce qu’il n’y avait plus qu’à désespérer, l’espoir est né. Démonstration d’une puissance indémontrable, et dont la touche ne
386 sance indémontrable, et dont la touche ne saurait être enregistrée que par le tout de l’homme qu’elle suscite : voilà pourqu
387 nts, et nos fonctions mentales ou sensorielles en seront toujours incapables. Ce drôle de petit cri dans la paille m’indique t
388 ent que les formules d’Einstein que notre univers est fini, et que les seuls messages d’espoir qui passent encore sont ceux
389 ue les seuls messages d’espoir qui passent encore sont ceux qui vont de personne à personne. Me voici libéré de mes dernière
390  : 1. Donner la Bombe aux petits pays pour qu’ils soient protégés contre les grands. Ces derniers fourniraient ainsi la preuve
391 la police des nations. Deux chambres universelles seraient élues, l’une formée de délégués des États, l’autre de députés des peu
392 tes : équilibrer les budgets de guerre, etc. Ce n’ est pas qu’une angoisse diffuse ne soit sensible dans les populations et
393 rre, etc. Ce n’est pas qu’une angoisse diffuse ne soit sensible dans les populations et chez beaucoup de bons esprits, mais
394 bons esprits, mais une paralysie sans précédent s’ est emparée des volontés. Vous-même, je le sens, je ne vous ai pas convai
395 c’est dans ce pays que la première Bombe vient d’ être construite. Exagérée sans doute et dépassant la mesure de ce que l’on
396 de ce que l’on connaissait avant le 6 août, elle est là, parce que l’homme l’a mise là. Et votre sens de la mesure peut se
397 rivent encore à se battre. Admettons que la Bombe soit moins puissante que les savants autorisés ne l’affirment. Admettons q
398 uerre militaire y prospère d’autant mieux qu’elle sera dotée d’une arme de plus. Admettons que l’on invente une parade à la
399 Pensez-vous que les effets de la prochaine guerre seront très différents de ceux que j’ai prévus ? La souffrance sera pire, l’
400 ifférents de ceux que j’ai prévus ? La souffrance sera pire, l’agonie de la terre un peu plus longue, la fin de l’humanité n
401 ’aura pas de lignes pures, parce que nos choix ne sont pas si francs, et que nos chefs savent à peine ce qu’ils jouent. Une
402 tables d’où sortiront quelques vœux incolores. Il est évident que les nations souveraines s’en moqueront. Il est évident qu
403 nt que les nations souveraines s’en moqueront. Il est évident que l’une d’entre elles, Bombe en main, essaiera d’imposer sa
404 outes les autres. (Inutile même de la nommer.) Il est évident que les peuples se révolteront contre cette nation et son rég
405 ontre cette nation et son régime, tôt ou tard. Il est évident que si l’on continue à penser comme on pense aujourd’hui, cel
406 d’hui, cela finira dans l’explosion totale. Et il est évident que la grande majorité des hommes se refuse à ces évidences.
407 n nous ressasse à longueur de journée qu’elle « n’ est pas prête pour un gouvernement mondial ». Est-ce qu’on lui demande si
408 « n’est pas prête pour un gouvernement mondial ». Est -ce qu’on lui demande si elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce
409 ement mondial ». Est-ce qu’on lui demande si elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce sont des gens comme vous et moi.
410 e si elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce sont des gens comme vous et moi. Quand vous me dites qu’elle n’est pas prê
411 comme vous et moi. Quand vous me dites qu’elle n’ est pas prête pour la paix, cela veut dire que vous d’abord, vous refusez
412 pour la mort, et vous en rendez responsable. Tout tient à chacun de nous. Et nous en sommes au point où il devient difficile
413 ponsable. Tout tient à chacun de nous. Et nous en sommes au point où il devient difficile de le cacher. Nos alibis ne trompent
414 e principe du pessimisme actif. Et comment ne m’y tiendrais -je pas, quand je sais que l’enjeu n’est point de ceux que la défaite,
415 m’y tiendrais-je pas, quand je sais que l’enjeu n’ est point de ceux que la défaite, mais la désertion seule puisse me faire
416 nous fassions sauter la Terre, elle sautera et ce sera très bien. Au-delà de ce « clin d’œil », il nous attend. P.-S. — Un d
417 mot, et dire que j’allais l’oublier ! La Bombe n’ est pas dangereuse du tout. C’est un objet. Ce qui est horriblement dange
418 st pas dangereuse du tout. C’est un objet. Ce qui est horriblement dangereux, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la Bombe
419 se prépare à l’employer. Le contrôle de la Bombe est une absurdité. On nomme des Comités pour la retenir ! C’est comme si
420 anquille, elle ne fera rien, c’est clair. Elle se tiendra bien coite dans sa caisse. Qu’on ne nous raconte donc pas d’histoires
19 1946, Lettres sur la bombe atomique. Appendice. Les cochons en uniforme, ou le nouveau déluge
421 au mois de mai ou de juillet, une ou deux bombes seraient jetées sur une flotte de cent bâtiments de guerre réunie dans la baie
422 artir pour l’île de Bikini. L’objet de la mission est d’établir un relevé complet de tous les êtres vivants sur l’île. C’es
423 ssion est d’établir un relevé complet de tous les êtres vivants sur l’île. C’est une mission fort analogue que Noé reçut du S
424 temps avant le Déluge. Cette fois-ci, les travaux seront filmés. Au jour J, les cent bâtiments de la flotte de guerre réunis d
425 ront leurs équipages complets. Mais ces équipages seront entièrement composés d’animaux. Deux-cents chèvres, deux-cents cochon
426 chèvres, deux-cents cochons et quatre-mille rats seront à leur poste de combat, sur les tourelles, dans les chambres de machi
427 e. Voici. L’on a remarqué que la peau des cochons est fort semblable à celle de l’homme. La sensibilité de l’une peut rense
428 utre. Aussi bien nos marins ou capitaines cochons seront -ils revêtus pour l’occasion d’uniformes réguliers de la marine, endui
429 r les rayons gamma. Ceux-ci, comme vous le savez, sont réputés mortels. On verra bien comment ces cochons-là se comportent s
430 omportent sous le feu, et savent mourir. Quel que soit le résultat de l’opération, sur lequel nos savants se perdent en conj
431 Pour la première fois dans l’Histoire, l’uniforme sera porté par des cochons, au sens le plus scientifique de ce terme. Quan
432 e de ce terme. Quand je vous disais que la guerre est morte, « la guerre des militaires, la vraie » ! Quand je vous disais
433 e » ! Quand je vous disais que ses règles sacrées sont toutes violées sans exception par l’usage de la bombe atomique… J’avo
434 aguère. Les savants, eux, ne l’ont pas raté. Ce n’ est pas ma faute, c’est fait. Et c’en est fait — même si l’on renonce à l
435 raté. Ce n’est pas ma faute, c’est fait. Et c’en est fait — même si l’on renonce à l’expérience. Avec la flotte sacrifiée
436 la peine de remarquer enfin que pas une voix ne s’ est élevée du côté des fervents de l’Armée, pour protester contre une pro
437 ment éclatante. Au contraire, toute la résistance est venue, si je puis dire, du côté opposé. C’est la Ligue protectrice de
438 navires les membres du Congrès et du Sénat qui se seront déclarés en faveur de l’expérience de Bikini…