1 Avertissement Le Journal d’ un intellectuel en chômage décrivait la France de l’entre-deux-guerre

2 d’un intellectuel en chômage décrivait la France de l’entre-deux-guerres. Le Journal d’Allemagne montrait l’hitlérisme

3 it la France de l’entre-deux-guerres. Le Journal d’ Allemagne montrait l’hitlérisme dressé contre elle et contre toute l’

4 l’hitlérisme dressé contre elle et contre toute l’ Europe . Ce troisième récit, qui se passe surtout en Suisse et en Amérique pe

5 non plus une nation, un régime, mais le désordre de l’époque, vu de près. Pas plus que les deux précédents, ce journal n’

6 tion, un régime, mais le désordre de l’époque, vu de près. Pas plus que les deux précédents, ce journal n’est vraiment « i

7 e journal n’est vraiment « intime ». (Il m’arrive d’ en tenir de ce genre, mais je les garde pour mon seul usage.) Dans tou

8 ’est vraiment « intime ». (Il m’arrive d’en tenir de ce genre, mais je les garde pour mon seul usage.) Dans toutes les not

9 s que j’estimais à tort ou à raison significatifs de l’époque. Si j’ai cependant pris soin d’indiquer çà et là, par de brè

10 ficatifs de l’époque. Si j’ai cependant pris soin d’ indiquer çà et là, par de brèves allusions tout au moins, certaines ci

11 j’ai cependant pris soin d’indiquer çà et là, par de brèves allusions tout au moins, certaines circonstances privées, c’es

12 tances privées, c’est qu’il est parfois important de situer le sujet qui décrit par rapport aux objets de sa description,

13 situer le sujet qui décrit par rapport aux objets de sa description, ne fût-ce que pour donner une clé de correction. Car

14 sa description, ne fût-ce que pour donner une clé de correction. Car selon que ce sujet se trouvera plus ou moins engagé d

15 ujet se trouvera plus ou moins engagé dans la vie d’ une nation, plus ou moins compromis ou façonné par une condition socia

16 jectif ou l’habitant sédentaire du pays. La ligne d’ horizon dépend à chaque instant de l’endroit où nous nous tenons, elle

17 pays. La ligne d’horizon dépend à chaque instant de l’endroit où nous nous tenons, elle se déplace et change, et l’on peu

18 on peut dire que nous la portons avec nous. Ainsi de la plupart de nos observations sur les faits réputés objectifs. Et c’

19 its réputés objectifs. Et c’est pourquoi l’effort de discrétion de l’auteur le plus décidé à ne jamais parler de lui se vo

20 jectifs. Et c’est pourquoi l’effort de discrétion de l’auteur le plus décidé à ne jamais parler de lui se voit déjoué par

21 ion de l’auteur le plus décidé à ne jamais parler de lui se voit déjoué par les descriptions mêmes qu’il nous propose, et

22 qu’il nous propose, et qui ne sont que les rébus de ce qu’il s’imaginait dissimuler. Finalement, quoi qu’on dise on dit t

23 tion vers des objets que l’on suppose plus dignes de retenir son intérêt : coutumes, anecdotes et paysages. Et c’est ce qu

24 est ce que l’on trouvera dans ce troisième volume de notes sur l’existence de mon temps, — celle dont l’Histoire ne parler

25 dans ce troisième volume de notes sur l’existence de mon temps, — celle dont l’Histoire ne parlera pas, la plus réelle.

26 Hradschin. » Après Vienne, avec Prague, c’est une Europe qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous

27 vec Prague, c’est une Europe qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romant

28 qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis

29 mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais

30 ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à

31 l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où somb

32 vois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée d’ un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirant

33 ever rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’ été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délic

34 déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastr

35 nn. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe e

36 in même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux

37 , ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encor

38 notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’ un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier,

39 is oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de s

40 mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen . Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, p

41 derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’el

42 ours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’ une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était n

43 parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis,

44 tait notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs pe

45 manière toute naturelle de respirer et de penser, d’ aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. C

46 le de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’ entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encor

47 enir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et s

48 sirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeon

49 ns une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrang

50 sé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin.

51 ais aussi bien chez les voisins qu’elles secouent d’ un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car ell

52 d’un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l

53 vec aisance, gardant parfois l’arrière-conscience d’ un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmos

54 r : il y faut ce climat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’une

55 mat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’ une entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance… C’est

56 espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’ une confiance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de

57 ît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’ une insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usu

58 lle et goûte encore quelques instants les délices d’ un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, le

59 ait bien que c’est fini. Brève dispense, le temps d’ un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans l

60 réservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d’ aimer, cette bonté humaine, plus inutile que jamais, dominatrice et ba

61 Journal d’ attente Pardigon, Côte des Maures, avril 1939 Ceux qui tiennent

62 1939 Ceux qui tiennent un journal intime sont d’ ordinaire des êtres qui se cherchent, ou qui pour mieux se posséder fi

63 e cherchent, ou qui pour mieux se posséder fixent d’ eux-mêmes quelques instantanés révélateurs. Pour moi, j’ai renoncé à m

64 à me vérifier curieusement. Mon vrai désir serait de me donner, à peu près dans le sens où l’on dirait : l’on verra bien c

65 rra bien ce que cela donne à l’usage. C’est faute d’ usage et d’occasion, faute d’une action vraiment totale et engageante,

66 que cela donne à l’usage. C’est faute d’usage et d’ occasion, faute d’une action vraiment totale et engageante, que je com

67 l’usage. C’est faute d’usage et d’occasion, faute d’ une action vraiment totale et engageante, que je commence ici, pour la

68 e commence ici, pour la première fois, une espèce de journal d’attente, — comme on parle d’une salle d’attente. Entre deux

69 ici, pour la première fois, une espèce de journal d’ attente, — comme on parle d’une salle d’attente. Entre deux trains, en

70 une espèce de journal d’attente, — comme on parle d’ une salle d’attente. Entre deux trains, entre deux œuvres, mais surtou

71 e journal d’attente, — comme on parle d’une salle d’ attente. Entre deux trains, entre deux œuvres, mais surtout : — entre

72 ntre deux œuvres, mais surtout : — entre l’espèce de paix que nous laissa l’hiver et la guerre qui revient nous avertir, a

73 r et la guerre qui revient nous avertir, au seuil de ce printemps qu’elle dénature. Envies d’écrire, sans contenus. Envies

74 au seuil de ce printemps qu’elle dénature. Envies d’ écrire, sans contenus. Envies de noter des idées détachées, des petits

75 dénature. Envies d’écrire, sans contenus. Envies de noter des idées détachées, des petits faits sans signification, ou pl

76 œuvre veut et crée son temps à elle, dans la vie de l’auteur qu’elle choisit. Mais aujourd’hui, je ne puis que subir le t

77 5 avril 1939 Ce chef d’État offre, dit-on, d’ évacuer une île dont il s’est emparé, à condition qu’on lui donne en é

78 Débarquement… fusillade… cuirassés… C’est le coup de force d’Albanie. — Voyez-vous, me dit-il, pour nous autres, qu’est-c

79 ent… fusillade… cuirassés… C’est le coup de force d’ Albanie. — Voyez-vous, me dit-il, pour nous autres, qu’est-ce que cel

80 guerre. Mais cette fois-ci, j’ai tout semé comme d’ habitude, et on verra ! — Croyez-vous donc qu’ils vous laisseront tran

81 qui gouvernent ? — Ils ne peuvent pas m’empêcher de travailler ! J’ai tout semé comme les autres années… M. Pin promène u

82 ultures. Médite et redresse sa casquette. Et tout d’ un coup, son regard s’assombrit : — Ha ! mais je vais vous dire : si l

83 is moi, je n’arrive même pas à défricher le champ d’ un gros ouvrage projeté. Toute œuvre humaine, tout acte humain, et mêm

84 née prochaine (s’il y en a une) que cette période de menaces de guerre aura vu concevoir moins de livres, mais aussi moins

85 ne (s’il y en a une) que cette période de menaces de guerre aura vu concevoir moins de livres, mais aussi moins d’enfants

86 iode de menaces de guerre aura vu concevoir moins de livres, mais aussi moins d’enfants et moins d’amours profondes. La gu

87 ra vu concevoir moins de livres, mais aussi moins d’ enfants et moins d’amours profondes. La guerre ne tue pas seulement pe

88 ns de livres, mais aussi moins d’enfants et moins d’ amours profondes. La guerre ne tue pas seulement pendant qu’elle sévit

89 939 Pour peu que les circonstances m’empêchent de m’absorber dans l’œuvre en cours, c’est un esprit d’autocritique qui

90 m’absorber dans l’œuvre en cours, c’est un esprit d’ autocritique qui prend la place, en moi, de l’effort créateur. J’imagi

91 esprit d’autocritique qui prend la place, en moi, de l’effort créateur. J’imagine un recueil de Contredits où je réfuterai

92 n moi, de l’effort créateur. J’imagine un recueil de Contredits où je réfuterais mes précédents ouvrages… Penser avec le

93 ins , par exemple : j’accusais la culture moderne de s’être « distinguée » abusivement du peuple, d’avoir ainsi perdu sa s

94 e de s’être « distinguée » abusivement du peuple, d’ avoir ainsi perdu sa sève active et livré les masses affamées au délir

95 aujourd’hui qu’au contraire, la vraie conscience de la vie ne s’est maintenue que chez les écrivains savants qui, à force

96 tenue que chez les écrivains savants qui, à force d’ ascèse intellectuelle et de raffinements affectifs, ont su capter quel

97 s savants qui, à force d’ascèse intellectuelle et de raffinements affectifs, ont su capter quelques secrets de notre exist

98 nements affectifs, ont su capter quelques secrets de notre existence ; cependant que les masses, créées par des puissances

99 qui ont trahi, mais plutôt les chrétiens indignes de leur nom : ils ont laissé trop de terrains en friche, que leur foi se

100 étiens indignes de leur nom : ils ont laissé trop de terrains en friche, que leur foi seule pouvait ensemencer. Alors les

101 er. Alors les dictateurs y lancent leurs machines de culture en série… De même, sous l’influence des événements récents (é

102 ments récents (état de siège proclamé par toute l’ Europe ), je suis tenté de prendre le contre-pied de mon Journal d’un intell

103 siège proclamé par toute l’Europe), je suis tenté de prendre le contre-pied de mon Journal d’un intellectuel en chômage ,

104 ’Europe), je suis tenté de prendre le contre-pied de mon Journal d’un intellectuel en chômage , et d’insister désormais d

105 s tenté de prendre le contre-pied de mon Journal d’ un intellectuel en chômage , et d’insister désormais davantage sur les

106 de mon Journal d’un intellectuel en chômage , et d’ insister désormais davantage sur les valeurs d’opposition que sur cell

107 et d’insister désormais davantage sur les valeurs d’ opposition que sur celles de communauté. Car s’il n’est de communion v

108 ntage sur les valeurs d’opposition que sur celles de communauté. Car s’il n’est de communion vraie que dans la vérité elle

109 tion que sur celles de communauté. Car s’il n’est de communion vraie que dans la vérité elle-même, cette vérité paraît néc

110 térique aux yeux des masses. Déjà, dans la moitié de l’Europe, elle est des Catacombes et non pas du Forum. On m’a loué de

111 ue aux yeux des masses. Déjà, dans la moitié de l’ Europe , elle est des Catacombes et non pas du Forum. On m’a loué de « penser

112 t des Catacombes et non pas du Forum. On m’a loué de « penser près de la vie ». Hélas ! je n’en suis que trop près, — et s

113 Hélas ! je n’en suis que trop près, — et surtout de la vie des autres ! On voudrait parfois être riche, à seule fin de ma

114 res ! On voudrait parfois être riche, à seule fin de maintenir certaines distances, — celles-là mêmes que, dans mon Journa

115 -là mêmes que, dans mon Journal, je me félicitais d’ avoir vu s’abolir… 16 avril 1939 Question : Dans quelle mesure

116 mesure un écrivain a-t-il le droit, ou le devoir, de se montrer publiquement objectif vis-à-vis de ses propres ouvrages ?

117 a-t-il une efficacité plus pénétrante ? Problème d’ une portée générale, dans un monde où s’installe peu à peu le régime d

118 , dans un monde où s’installe peu à peu le régime de l’union sacrée et de la discipline de l’opinion. Dans quelle mesure u

119 installe peu à peu le régime de l’union sacrée et de la discipline de l’opinion. Dans quelle mesure un citoyen a-t-il le d

120 u le régime de l’union sacrée et de la discipline de l’opinion. Dans quelle mesure un citoyen a-t-il le droit, ou le devoi

121 mesure un citoyen a-t-il le droit, ou le devoir, de se montrer publiquement objectif vis-à-vis de sa propre nation ? Le s

122 objectif vis-à-vis de sa propre nation ? Le sort de la démocratie dépend de la solution qui sera donnée en fait à ce prob

123 a propre nation ? Le sort de la démocratie dépend de la solution qui sera donnée en fait à ce problème, au cours des mois

124 Nuit blanche dans un train bondé dès le départ de Marseille. Une journée de rentrée à Paris. Et ce soir, me voici [venu

125 ain bondé dès le départ de Marseille. Une journée de rentrée à Paris. Et ce soir, me voici [venu] assister à un débat au c

126 des Nouveaux Cahiers sur la politique commerciale de la France. Tandis que des experts échangent leurs vues, je constate u

127 se transpose dans mon esprit en petits problèmes de langage. Il est sans cesse question d’achat et de vente, et je remarq

128 problèmes de langage. Il est sans cesse question d’ achat et de vente, et je remarque que l’acheteur et le vendeur sont né

129 de langage. Il est sans cesse question d’achat et de vente, et je remarque que l’acheteur et le vendeur sont nécessairemen

130 i-je noté ceci, qu’un des experts se met à parler de la « personnalité » d’un produit commercial et de son « prestige ». C

131 es experts se met à parler de la « personnalité » d’ un produit commercial et de son « prestige ». Curieuse dramatisation !

132 de la « personnalité » d’un produit commercial et de son « prestige ». Curieuse dramatisation ! À mesure que les hommes pe

133 ex-leader du Front populaire et conseiller privé de Daladier. Découragé, désabusé, mais en même temps décidé à « reconsid

134 n pleine cure morale, me dit-il, après quatre ans de fièvre. Mais je découvre qu’aujourd’hui, dans la vie politique ou int

135 e ou intellectuelle, plus personne n’est vraiment d’ aplomb. Nervosité, hystérie, fatigue excessive, ambitions délirantes,

136 ter souvent sur ce point, — et me donne un éclair d’ hésitation… 27 avril 1939 L’un me dit : « Pourquoi vous inquiéte

137 nquiéter ? Quand la guerre sera là, il sera temps d’ y penser. » C’est qu’il ne croit pas à la guerre. Un second : « Commen

138 rte pas, bien au contraire. Le premier devoir est de ne point se laisser surprendre. » C’est qu’il ne croit plus à la paix

139 qu’il ne croit plus à la paix. Tous les deux ont de bonnes raisons. Car il est vrai que la guerre n’est pas fatale ; vrai

140  ? 29 avril 1939 Comme il est des stratèges de Café du Commerce — généraux qui n’ont rien à commander —, il est des

141 excité, le belliciste, et pire : l’homme dépourvu de tact, que disait-il ? La France aime tant la paix qu’elle n’a pas hés

142 amers qui se tenaient dans le Paris du printemps de 1939. M’absoudras-tu de n’avoir su prendre parti entre ces deux ardeu

143 ans le Paris du printemps de 1939. M’absoudras-tu de n’avoir su prendre parti entre ces deux ardeurs montées jusqu’à la ha

144 t avouer que cette menace leur rend enfin le goût de vivre ? Privilégiés qui n’éprouvent de désir pour leurs biens qu’à la

145 in le goût de vivre ? Privilégiés qui n’éprouvent de désir pour leurs biens qu’à la veille de les perdre. Déshérités aussi

146 prouvent de désir pour leurs biens qu’à la veille de les perdre. Déshérités aussi, qui ne retrouvent l’espoir qu’au seuil

147 n connais qui ne parviennent à leur régime normal de vie (comme un moteur prend son régime à tant à l’heure) que dans le d

148 nt des habitudes où l’énergie s’enlise. Ce besoin d’ être provoqué pour montrer de quoi l’on est capable est si profond, pe

149 s’enlise. Ce besoin d’être provoqué pour montrer de quoi l’on est capable est si profond, peut-être si normal, que j’en v

150 rivain. Il est admis que ces gens-là ont le droit de dire — pour le soulagement général — ce qui ferait taxer l’homme de l

151 soulagement général — ce qui ferait taxer l’homme de la rue de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus cour

152 t général — ce qui ferait taxer l’homme de la rue de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus courageux ? Ma

153 qui ferait taxer l’homme de la rue de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus courageux ? Mais non. Ils so

154 ont pas ceux qui la feront qui peuvent avoir peur de la guerre. Car avoir peur d’un accident, c’est entrevoir, imaginer se

155 i peuvent avoir peur de la guerre. Car avoir peur d’ un accident, c’est entrevoir, imaginer ses conséquences, et la guerre

156 ses conséquences, et la guerre est la suppression de toute espèce de conséquences, la privation, d’ores et déjà, de tout a

157 , et la guerre est la suppression de toute espèce de conséquences, la privation, d’ores et déjà, de tout avenir imaginable

158 ce de conséquences, la privation, d’ores et déjà, de tout avenir imaginable, — pour ceux qui la feront à coup sûr… La guer

159 in cynisme. Peut-être aussi une certaine modestie de l’individu, qui se voit concrètement réduit à sa juste et minime impo

160 -Saint-Cloud, 12 mai 1939 Quatrième changement de domicile depuis le début de cette année. « Étranger et voyageur sur l

161 Quatrième changement de domicile depuis le début de cette année. « Étranger et voyageur sur la terre », ainsi pensais-je

162 ainsi pensais-je d’autres fois, dans ces périodes de nomadisme involontaire. Aujourd’hui, je songe plutôt à quelque état d

163 aire. Aujourd’hui, je songe plutôt à quelque état de mobilisation permanente, préventive… Militarisation de nos pensées, d

164 bilisation permanente, préventive… Militarisation de nos pensées, de nos images. Hier, dans l’autobus, une petite bourgeoi

165 nente, préventive… Militarisation de nos pensées, de nos images. Hier, dans l’autobus, une petite bourgeoise assise devant

166 se devant moi s’écrie, voyant s’abattre une pluie d’ orage sur la Concorde : « Et moi qui ai oublié mon masque à gaz ! C’ét

167 1939 La grande ville traversée dans la fatigue d’ un soir pluvieux, Paris, souffrance des visages et des corps, exercice

168 ance des visages et des corps, exercice perpétuel de charité dans une atmosphère exténuante, hâte, érotisme, énervement. P

169 t la vérité n’apparaît que dans cet environnement de lueurs fuyantes, d’activités apparemment désordonnées, de phrases ent

170 ît que dans cet environnement de lueurs fuyantes, d’ activités apparemment désordonnées, de phrases entendues au passage, d

171 s fuyantes, d’activités apparemment désordonnées, de phrases entendues au passage, d’infinis croisements d’existences étra

172 nt désordonnées, de phrases entendues au passage, d’ infinis croisements d’existences étrangères. Paris propose une liberté

173 rases entendues au passage, d’infinis croisements d’ existences étrangères. Paris propose une liberté et un danger, une rév

174 e une liberté et un danger, une révélation totale de l’humain dans tous ses risques matériels et spirituels, impossible ai

175 ques matériels et spirituels, impossible ailleurs de nos jours, et peut-être à toute autre époque. Imaginer là-dessus un

176 ait avoué, horreur et charme, à travers la vision d’ un saint qui vivrait sa vie consacrée dans les rues, les cafés, les mé

177 s rues, les cafés, les métros. Je le vois sortant de cette église ouverte, où passe le bruit des autobus ; ou de ce temple

178 glise ouverte, où passe le bruit des autobus ; ou de ce temple de Passy, un samedi soir, où la Sainte Cène est partagée da

179 , où passe le bruit des autobus ; ou de ce temple de Passy, un samedi soir, où la Sainte Cène est partagée dans un silence

180 r, où la Sainte Cène est partagée dans un silence de catacombes. Centres du monde ! Il s’en va, coudoyant la foule et trav

181 eillent sur son passage, il n’y a plus nulle part d’ indifférence possible ! Ici, le Christ reste le Scandale, l’Autre, l’A

182 l’être touchant, bizarre et pitoyable que chacun de nous dissimule. Alors on verrait le réel, alors on cesserait de haïr,

183 ule. Alors on verrait le réel, alors on cesserait de haïr, ou d’être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui g

184 n verrait le réel, alors on cesserait de haïr, ou d’ être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui glissent au t

185 cesserait de haïr, ou d’être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui glissent au travers de propos superficiel

186 rficiellement passionnés… Et l’on cesserait aussi de redouter la guerre, parce qu’on la verrait dans la paix, là où chacun

187 mbat. 17 mai 1939 Ce restaurant où j’achève de déjeuner — rive droite — est le type même du restaurant « moderne » c

188 rant « moderne » conçu par le délire matérialiste de l’après-guerre. Tout y est laid, désaccordé, géométrique, douloureux

189 bleuâtre qui sera, n’en doutons pas, l’éclairage de l’enfer… Les clients : demi-luxe et demi-monde. Des femmes qui ont vo

190 ui ont voulu ressembler aux trois ou quatre types de stars en vogue. Nanties de chiens qui sentent eux-mêmes le patchouli

191 trois ou quatre types de stars en vogue. Nanties de chiens qui sentent eux-mêmes le patchouli et qu’elles disposent sur l

192 patchouli et qu’elles disposent sur la banquette de velours grenat à côté du représentant calamistré d’une marque d’auto.

193 velours grenat à côté du représentant calamistré d’ une marque d’auto. Et ces rires, ces éclats de voix ! Mais il y a depu

194 at à côté du représentant calamistré d’une marque d’ auto. Et ces rires, ces éclats de voix ! Mais il y a depuis un moment

195 tré d’une marque d’auto. Et ces rires, ces éclats de voix ! Mais il y a depuis un moment une musique de radio on ne sait d

196 e voix ! Mais il y a depuis un moment une musique de radio on ne sait d’où venue, dominant tout. Des trompettes solennelle

197 depuis un moment une musique de radio on ne sait d’ où venue, dominant tout. Des trompettes solennelles au début, et maint

198 début, et maintenant, planante et pure, une voix de femme se détache… Tout d’un coup, cette ivresse ailée, tout d’un coup

199 nante et pure, une voix de femme se détache… Tout d’ un coup, cette ivresse ailée, tout d’un coup cette confiance envahissa

200 étache… Tout d’un coup, cette ivresse ailée, tout d’ un coup cette confiance envahissante dans le salut du monde malgré tou

201 onde malgré tout, cette beauté sensible au-dessus de toutes choses, à l’intérieur bientôt de toutes choses, oui, seules le

202 au-dessus de toutes choses, à l’intérieur bientôt de toutes choses, oui, seules les apparences étaient vulgaires ! Au-dess

203 ules les apparences étaient vulgaires ! Au-dessus d’ elles, à l’intérieur aussi, se fait entendre maintenant le chant profo

204 u, la respiration bienheureuse des anges gardiens de ce temps, dans l’enthousiasme déchirant les voiles, du salut qui nous

205 était fait montrer les fameuses photos en couleur d’ écrivains français et étrangers) et José Ortega y Gasset. Ortega spir

206 l hôte du Jardin des Plantes, et du dernier livre de Huizinga, qui nous parvint hier de Hollande. Nous avons passé deux be

207 dernier livre de Huizinga, qui nous parvint hier de Hollande. Nous avons passé deux belles heures dans la roseraie de Bag

208 s avons passé deux belles heures dans la roseraie de Bagatelle transfigurée par les rayons obliques d’une fin d’après-midi

209 de Bagatelle transfigurée par les rayons obliques d’ une fin d’après-midi dorée. Échangeant des nouvelles de nos amis commu

210 le transfigurée par les rayons obliques d’une fin d’ après-midi dorée. Échangeant des nouvelles de nos amis communs d’Argen

211 fin d’après-midi dorée. Échangeant des nouvelles de nos amis communs d’Argentine, d’Angleterre, d’Autriche, de Roumanie :

212 rée. Échangeant des nouvelles de nos amis communs d’ Argentine, d’Angleterre, d’Autriche, de Roumanie : la plupart vont ven

213 nt des nouvelles de nos amis communs d’Argentine, d’ Angleterre, d’Autriche, de Roumanie : la plupart vont venir à Paris ou

214 es de nos amis communs d’Argentine, d’Angleterre, d’ Autriche, de Roumanie : la plupart vont venir à Paris ou s’y trouvent

215 is communs d’Argentine, d’Angleterre, d’Autriche, de Roumanie : la plupart vont venir à Paris ou s’y trouvent déjà. Impres

216 ’y trouvent déjà. Impression soudaine, émouvante, d’ une société secrète que rassemblent l’appréhension des catastrophes pr

217 réhension des catastrophes prochaines et le désir d’ un ultime colloque, avant que ne se ferment les frontières, avant la s

218 les frontières, avant la solitude, avant la nuit de l’esprit. 24 mai 1939 Avant-hier, nous trouvâmes en rentrant un

219 nous trouvâmes en rentrant une prodigieuse gerbe de roses rouges que V. O. envoyait à ma femme. Plantée au milieu du stud

220 me. Plantée au milieu du studio, dans un gros pot de grès, elle règne comme la Beauté même, comme la Passion despotique et

221 intemps dans notre souvenir, le dernier printemps de la paix… 5 juin 1939 Le désarroi de l’époque — nous lisons cela

222 intemps de la paix… 5 juin 1939 Le désarroi de l’époque — nous lisons cela partout depuis vingt ans. Comme si rien d

223 sons cela partout depuis vingt ans. Comme si rien de pire n’était imaginable. Comme si le désordre était sans précédent et

224 rtes, l’anarchie des mœurs et des idées s’accroît d’ une anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause des crises sociale

225 ie des mœurs et des idées s’accroît d’une anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause des crises sociales et politique

226 miers à croire que notre époque est l’époque même de la crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’ell

227 que même de la crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’unique, dans sa réalité qui nous me

228 e et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’ unique, dans sa réalité qui nous met en question, n’oublions pas que t

229 n’oublions pas que toute réalité, à toute époque de l’histoire des hommes, est apparue comme une réalité sans précédent,

230 ux du moins qui osaient la vivre avec lucidité. L’ Europe a connu des paniques et des nuits plus terribles que les nôtres, au l

231 in des grandes invasions, du ve siècle au viiie de notre ère, avant l’an mille, pendant les pestes noires, pendant les g

232 e, pendant les pestes noires, pendant les guerres de religion qui obscurcissaient l’image du monde chrétien. Quel pouvait

233 tien. Quel pouvait être l’avenir pour un Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ?

234 uvait être l’avenir pour un Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ? On me dira qu

235 erre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ? On me dira que la mécanique des guerres modernes, cette te

236 a mécanique des guerres modernes, cette technique de la mort à grande distance, les moyens de propagande et de pression mo

237 echnique de la mort à grande distance, les moyens de propagande et de pression morale tels que radio, police et presse, in

238 rt à grande distance, les moyens de propagande et de pression morale tels que radio, police et presse, introduisent dans l

239 s le monde actuel des possibilités plus radicales d’ anéantir le genre humain. On me dira qu’autrefois les catastrophes éta

240 t qu’on massacrait jusqu’au dernier des habitants de Magdebourg, sous Wallenstein, le paysan et l’artisan français jouissa

241 tein, le paysan et l’artisan français jouissaient d’ une quiétude parfaite. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d

242 te. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d’ une certaine inconscience, d’une ignorance, dont la presse de nos jour

243 toujours l’avantage d’une certaine inconscience, d’ une ignorance, dont la presse de nos jours nous prive avec acharnement

244 ine inconscience, d’une ignorance, dont la presse de nos jours nous prive avec acharnement. Du moins voudrait-on rappeler

245 alheur des temps est une vieille expression. Oui, de tout temps, le sort du monde a été quasiment désespéré. Seulement, ma

246 aussi. L’homme n’est pas fait pour vivre en état de guerre, au sens moderne de l’expression. Mais il n’est pas fait davan

247 ait pour vivre en état de guerre, au sens moderne de l’expression. Mais il n’est pas fait davantage pour vivre en l’état d

248 il n’est pas fait davantage pour vivre en l’état d’ illusion qu’on nomme généralement la paix : cette ignorance satisfaite

249 nce satisfaite des injustices établies. La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait et devrait être le remède à cette p

250 vrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’usage que l’on en fait. Le même poison, selon la dose, paralyse ou

251 n la dose, paralyse ou tonifie. Dans l’atmosphère de catastrophes où nous vivons, une profonde ambiguïté se manifeste. Tou

252 tout », et c’est alors qu’il est vraiment le gage d’ une vie qui vaille d’être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent

253 s qu’il est vraiment le gage d’une vie qui vaille d’ être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent sans doute l’existen

254 ’une vie qui vaille d’être vécue. Les générations d’ avant-guerre eurent sans doute l’existence plus facile, mais de quel p

255 e eurent sans doute l’existence plus facile, mais de quel prix spirituel ont-elles payé l’illusion du Progrès ? Je songe à

256 ayé l’illusion du Progrès ? Je songe à la colombe de Kant qui croyait voler mieux dans le vide… L’homme n’est pas fait pou

257 dre et des périls inhérents au progrès, la chance d’ une grandeur qui, elle aussi, pourrait être sans précédent. Comme tout

258 Isaïe réveillait son peuple par le sublime oracle de Séir : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient, et la

259 sublime oracle de Séir : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient, et la nuit aussi ! » C’est toujours le mê

260 urs le même drame que nous vivons, qu’il s’agisse de flèches ou d’obus. Car ce qui compte, en fin de compte, ce n’est pas

261 ame que nous vivons, qu’il s’agisse de flèches ou d’ obus. Car ce qui compte, en fin de compte, ce n’est pas le sort matéri

262 e sort matériel et le bonheur plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre des hommes qui l’habitent. Ce n’es

263 plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre des hommes qui l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs souci

264 des hommes qui l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l

265 abitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l’existence, à la fa

266 sens qu’ils découvrent à l’existence, à la faveur de ces vicissitudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre une vie p

267 es vicissitudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre une vie plus consciente et réelle. Quoi qu’il advienne, sachons

268 atin et la nuit qui viennent, et qui ne cesseront de venir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régime de vie tendue : il

269 enir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régime de vie tendue : il suffit de savoir ce qui compte, et que la joie ne dép

270  ! Prenons notre régime de vie tendue : il suffit de savoir ce qui compte, et que la joie ne dépend pas de nos misères. J’

271 avoir ce qui compte, et que la joie ne dépend pas de nos misères. J’y songeais l’autre soir, à Orléans, en entendant la Je

272 à Orléans, en entendant la Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, cette bouleversante déclamation chor

273 dont nous vivrons ! 10 juin 1939 L’origine de toutes nos haines, l’origine de toute amertume, c’est un bien que nou

274 1939 L’origine de toutes nos haines, l’origine de toute amertume, c’est un bien que nous n’avons plus, c’est un amour p

275 éder. Nos haines… Pourquoi la haine, par exemple, de tel régime qui nous menace depuis des mois ? Serait-ce à cause de la

276 l n’y avait que du mal en lui, nous n’aurions pas de haine ni d’amertume : on ne hait pas les catastrophes, les incendies

277 que du mal en lui, nous n’aurions pas de haine ni d’ amertume : on ne hait pas les catastrophes, les incendies et les tremb

278 s catastrophes, les incendies et les tremblements de terre. Notre amertume et notre indignation devant le phénomène totali

279 ignation devant le phénomène totalitaire naissent d’ un désir secret, d’une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la

280 phénomène totalitaire naissent d’un désir secret, d’ une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée

281 aire naissent d’un désir secret, d’une tentation, d’ une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée par nous, mais s

282 d’un désir secret, d’une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée par nous, mais séduite et vio

283 , d’une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée par nous, mais séduite et violée par le voisin 

284 par nous, mais séduite et violée par le voisin ; d’ une nostalgie de cette communauté qu’ils disent avoir réinventée, dont

285 séduite et violée par le voisin ; d’une nostalgie de cette communauté qu’ils disent avoir réinventée, dont nous ne sommes

286 entons bien qu’ils nous excluent dans l’intention d’ en abuser. Ainsi l’Europe, en d’autres temps, avait haï les sans-culot

287 us excluent dans l’intention d’en abuser. Ainsi l’ Europe , en d’autres temps, avait haï les sans-culottes avec passion, quand i

288 désordonnée, incapable — du moins le croyait-on — d’ affronter les armées régulières. 19 juin 1939 « Notre Führer fai

289 19 juin 1939 « Notre Führer fait une politique d’ artiste ! », a proclamé M. Goebbels. Voilà qui définit l’idée de l’art

290 a proclamé M. Goebbels. Voilà qui définit l’idée de l’art que peut concevoir un petit-bourgeois allemand. L’hitlérisme, c

291 é. La lumière mûrit là-haut, sur le clocher roman de cette église mystérieusement demeurée, malgré la ville environnante,

292 du temps, pour vingt-quatre heures, une plénitude de l’attente. D’ici là, plus rien ne comptera que par rapport à ce plais

293 petits retards où s’alimente le désir. Les délais de ce genre nous sont-ils mesurés par la qualité de notre espoir ? Mais

294 de ce genre nous sont-ils mesurés par la qualité de notre espoir ? Mais quel espoir, alors, pourrait rythmer toute la dur

295 el espoir, alors, pourrait rythmer toute la durée de notre vie, jusqu’à la mort, — sinon l’espoir d’un rendez-vous au-delà

296 e de notre vie, jusqu’à la mort, — sinon l’espoir d’ un rendez-vous au-delà du monde, et l’entretien de son attente ardente

297 d’un rendez-vous au-delà du monde, et l’entretien de son attente ardente ? Si j’y croyais vraiment, sans cesse, je serais

298 ux sans cesse et en tout lieu ! Si tout dépendait d’ un avenir assez certain et assez glorieux pour disqualifier nos soucis

299 ous apporte — c’est probable — un nouveau serpent de mer des dictateurs, je mets ici un point final à ce journal de petite

300 ctateurs, je mets ici un point final à ce journal de petite attente. Il faut juger notre vie par sa fin, pour mesurer l’im

301 gros yeux. Joie du temps retrouvé, dans l’instant d’ un espoir qui fut pour moi la parabole salutaire ! Substance présente

302 ement qui nous délivrera ? Eh quoi ! suffisait-il d’ y penser ? Non, mais il suffira d’y croire. Il est dit : si tu crois,

303  ! suffisait-il d’y penser ? Non, mais il suffira d’ y croire. Il est dit : si tu crois, tu vivras.

304 Intermède Le soir du 28 août 1939, je finissais de dîner dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds, et comme je me préparais à

305 le Conservatoire pour y assister à une répétition de mon drame, Nicolas de Flue , mis en musique par Arthur Honegger, la

306 rrompit les conversations. Nous entendîmes la fin d’ une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hymne national. Le spea

307 néral en chef, mobilisation immédiate des troupes de couverture-frontières. Au Conservatoire, le grand chœur entonna le ré

308 — tremble dans l’attente orageuse — sous un ciel d’ angoisse et de haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil

309 s l’attente orageuse — sous un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’a

310 r sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’ armes martelées — meute folle, meurtrière — ô rumeur irréparable — que

311 la guerre ! Le directeur n’était pas satisfait de son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chante

312 le. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chanter ça ce soir. Les mots nous restent dans la gorge… » Le drame n

313 ave paysan vaudois, après la grêle, qui désignait d’ un doigt le ciel coupable : « Je n’accuse personne, mais c’est dégoûta

314 ous voilà faits, refaits par l’événement, plongés d’ un coup dans le détail technique de ces grandes choses terribles qu’on

315 ement, plongés d’un coup dans le détail technique de ces grandes choses terribles qu’on imaginait, qu’on redoutait, qu’on

316 l’instant qu’elles deviennent présentes, cessent d’ être imaginées, ou même imaginables. Tout de même, après huit jours, l

317 choses commencent à se situer. Les grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos fron

318 s commencent à se situer. Les grandes masses de l’ Europe , les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontières, d

319 es grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontières, des secteurs minuscules,

320 secteurs minuscules, comme au hasard, qu’on voit d’ un coup avec une précision quasi absurde. Cette chambre paysanne où j’

321 r quadrillé, tandis qu’Albert Mermoud, en travers de son lit, les bottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde du

322 lit, les bottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde du Livre… Je ne puis pas dire où cela se trouve sans contre

323 on écrase des pommes mal mûres, dans des cuisines de ferme, dans cette chambre boisée… Confort paysan, seul authentique. A

324 tique. Aux parois, des versets bibliques, lettres d’ argent et myosotis, autour de la photo jaunie du « Chœur mixte » de la

325 tis, autour de la photo jaunie du « Chœur mixte » de la paroisse, 1913. Deux bons lits de bois aux « duvets » écrasants. P

326 hœur mixte » de la paroisse, 1913. Deux bons lits de bois aux « duvets » écrasants. Pour le reste, un désordre exemplaire,

327 courroies, bandes molletières, cigarettes, boîtes de conserve, tuniques mouillées, paperasses. Revanche sur des journées d

328 mouillées, paperasses. Revanche sur des journées de discipline et de paquetages alignés au cordeau qu’il faut inspecter g

329 asses. Revanche sur des journées de discipline et de paquetages alignés au cordeau qu’il faut inspecter gravement. Partiro

330 passerons-nous l’hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous. C’est notre liberté. Les hommes sont à la soupe. Nous dînerons

331 quoi se fait la vie quotidienne, dans les débuts d’ une mobilisation. Les dames croient volontiers que c’est parades et bo

332 issant l’ordre social contre le mystérieux Esprit de Subversion. Ces dames sont en retard d’au moins deux guerres ou victi

333 ux Esprit de Subversion. Ces dames sont en retard d’ au moins deux guerres ou victimes d’expressions telles que « sous les

334 ont en retard d’au moins deux guerres ou victimes d’ expressions telles que « sous les drapeaux ». L’armée c’est tout d’abo

335 apeaux ». L’armée c’est tout d’abord un cliquetis de casques et d’ustensiles entrechoqués ; des mouvements brusques en tou

336 mée c’est tout d’abord un cliquetis de casques et d’ ustensiles entrechoqués ; des mouvements brusques en tous sens, tissan

337 trimballées dans une hâte hargneuse et fouaillée de jurons, précipitant des hommes mal réveillés vers des attentes inexpl

338 er, si toutefois la fatigue lui laisse la faculté de constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. E

339 culté de constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme.

340 stater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela préc

341 hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de no

342 her. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, q

343 égage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feu

344 cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feuilles et qu’on peut s

345 ique qu’un rassemblement dans la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de pas lourdement rythmés. Et, plus tar

346 assemblement dans la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de pas lourdement rythmés. Et, plus tard, au matin,

347 nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de pas lourdement rythmés. Et, plus tard, au matin, quand l’attaque se p

348 se prépare, un « à terre » prolongé à la lisière d’ un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive exi

349 un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive existence. Surtout quand il tombe une pluie fine. Ce n’

350 pas seulement à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vi

351 ent à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vie en unifo

352 ’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’ une profonde affinité entre la vie en uniforme et ce que l’on nomme pa

353 luie militaire, comment dire, c’est quelque chose d’ immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sen

354 e, comment dire, c’est quelque chose d’immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charne

355 elque chose d’immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charnel, on l’accepte avec tout

356 se et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charnel, on l’accepte avec toute la nature, sans p

357 me observe l’avant-terrain par-dessous la visière d’ acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les tr

358 r-dessous la visière d’acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les trous du casque. L’homme tire l

359 ravers les trous du casque. L’homme tire la toile de tente qui couvre ses épaules et cherche à la caler sous son coude dro

360 rche à la caler sous son coude droit. Il sait que d’ une seconde à l’autre peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pa

361 it que d’une seconde à l’autre peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’

362 peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’autre à faire pendant des heure

363 mpêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’ autre à faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il

364 à faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il est bien. Merveilleusement bien. Libéré. Sans passé, san

365 gts sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’un coup sur la gauche quand on lève un peu le n

366 fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’ un coup sur la gauche quand on lève un peu le nez pour voir si rien ne

367 rien ne vient. Grisaille, monotonie, envoûtement de l’esprit par le corps — pourvu que ça dure encore quelques secondes,

368 st ainsi, toujours ainsi, le bonheur : un instant de répit sous la menace. Alors on vit à plein. On sent le goût des chose

369 rce qu’on vient de remplir les limites du réel et d’ accomplir un seul instant parfait. 10 octobre 1939 Au mess des o

370 fait. 10 octobre 1939 Au mess des officiers de la compagnie, qui est la « chambre rangée » d’une ferme cossue, je vi

371 rs de la compagnie, qui est la « chambre rangée » d’ une ferme cossue, je viens de tourner le bouton de la radio et suis to

372 d’une ferme cossue, je viens de tourner le bouton de la radio et suis tombé sur un récital de chansons militaires du xviii

373 e bouton de la radio et suis tombé sur un récital de chansons militaires du xviiie siècle. Je note vite ces paroles charm

374 t pas. 31 octobre 1939 Il neigeait ce matin de gros flocons humides sur ce petit vallon du haut Jura où nous avons à

375 ge fondait dans la boue. J’arpentais mon secteur, d’ un groupe à l’autre, serrant contre mon harnachement de courroies une

376 groupe à l’autre, serrant contre mon harnachement de courroies une toile de tente raidie par l’humidité. À l’improviste, j

377 nt contre mon harnachement de courroies une toile de tente raidie par l’humidité. À l’improviste, je débouche en écartant

378 ’improviste, je débouche en écartant les branches de deux sapins pleureurs, et je constate que mes hommes ont cessé de cre

379 leureurs, et je constate que mes hommes ont cessé de creuser leur trou de mitrailleuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’

380 ate que mes hommes ont cessé de creuser leur trou de mitrailleuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’un feu de branches mo

381 de mitrailleuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’ un feu de branches mortes, à la lisière du bois, mornes et ronchonneur

382 illeuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’un feu de branches mortes, à la lisière du bois, mornes et ronchonneurs. J’essa

383 lisière du bois, mornes et ronchonneurs. J’essaie de les réconforter. Réprobation muette. L’un prétend que le sol est gelé

384 s je me suis dit à part moi : eh bien oui ! bande de rouspéteurs, vous avez bien raison de vous demander ça ! Je me le dem

385 oui ! bande de rouspéteurs, vous avez bien raison de vous demander ça ! Je me le demande encore devant ce papier blanc, où

386 ore devant ce papier blanc, où j’écris à la lueur d’ une lampe à pétrole. Pourquoi sommes-nous là, quelque part, loin de t

387 ut ce qui faisait notre vie ? Il faudrait essayer de répondre. L’homme n’est pas né pour faire n’importe quoi, sans rien c

388 uelques kilomètres d’ici commencent les tranchées de la guerre, et des hommes meurent. Pourquoi cette guerre, pourquoi ces

389 devoir s’imaginer ! — que le bonheur et la force d’ un peuple dépendent de sa grandeur physique, de sa mise au pas militai

390  que le bonheur et la force d’un peuple dépendent de sa grandeur physique, de sa mise au pas militaire, de son arrogance é

391 ce d’un peuple dépendent de sa grandeur physique, de sa mise au pas militaire, de son arrogance étatique. Nous sommes ici

392 a grandeur physique, de sa mise au pas militaire, de son arrogance étatique. Nous sommes ici à patauger parce que nos vois

393 s’unifier brutalement. Oui, cette guerre n’a pas d’ autre sens : elle marque la faillite retentissante des systèmes centra

394 lisme étatisé. C’est la guerre la plus antisuisse de toute l’histoire. C’est donc pour nous la pire menace. Mais en même t

395 la solution suisse et fédérale est seule capable de fonder la paix, puisque l’autre aboutit à la guerre. Ce n’est pas not

396 e nous avons à défendre : le seul avenir possible de l’Europe. Le seul lieu où cet avenir soit, d’ores et déjà, un présent

397 s avons à défendre : le seul avenir possible de l’ Europe . Le seul lieu où cet avenir soit, d’ores et déjà, un présent. Il ne

398 it, d’ores et déjà, un présent. Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait,

399 jà, un présent. Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes

400 . Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’ idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, ce n’est p

401 grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, ce n’est pas pour défendre des fr

402 ’est pas pour défendre des fromages, des conseils d’ administration, notre confort et nos hôtels. Les fascistes feraient ma

403  ! Ce n’est pas non plus pour protéger nos « lacs d’ azur » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagand

404 » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatsc

405 re de la propagande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatschutz.) Si nous sommes là, c’est pour exécuter l

406 gande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatschutz.) Si nous sommes là, c’est pour exécuter la mission dont

407 sommes responsables, depuis des siècles, devant l’ Europe . D’autres se sont chargés d’arrêter les brigands qui voulaient profit

408 iècles, devant l’Europe. D’autres se sont chargés d’ arrêter les brigands qui voulaient profiter de sa faiblesse. Nous somm

409 gés d’arrêter les brigands qui voulaient profiter de sa faiblesse. Nous sommes chargés de la défendre contre elle-même, de

410 ent profiter de sa faiblesse. Nous sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’affirmer sa san

411 s sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel

412 défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’ affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de la miss

413 me, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de la mission spéciale qui justifi

414 a santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de la mission spéciale qui justifie notre neutralité. Si nous trahissons

415 ’en gardons pas conscience, je ne donne pas lourd de notre indépendance. Berne, fin novembre 1939. (Au retour d’un voya

416 pendance. Berne, fin novembre 1939. (Au retour d’ un voyage en Hollande.) Je l’ai pourtant quittée, cette chambre pay

417 que j’y pense, et c’est souvent. Faites le compte de vos heures et vous découvrirez que tout homme rêve une bonne part de

418 us découvrirez que tout homme rêve une bonne part de sa vie. Mais il arrive aussi que certains rêves, et certains cauchema

419 ent vécus ; j’ai connu cela, dans une grande gare de cette Europe qui ne sait plus répondre aux menaces que par l’extincti

420  ; j’ai connu cela, dans une grande gare de cette Europe qui ne sait plus répondre aux menaces que par l’extinction des lumièr

421 aux menaces que par l’extinction des lumières, —  de toutes les lumières humaines. J’avais quitté mon train pendant l’arrê

422 quitté mon train pendant l’arrêt, à la recherche d’ un buffet quelconque, et je n’avais trouvé qu’un abri souterrain au bo

423 du quai. Pendant ce temps, l’express avait changé de voie. Dans la bleuâtre obscurité, nul écriteau lisible et nul visage

424 e dans le dédale des passages sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’étroits couloirs où je coudoyais des soldats

425 e dédale des passages sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’étroits couloirs où je coudoyais des soldats sourds

426 ges sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’ étroits couloirs où je coudoyais des soldats sourds et muets — tous le

427 is je l’avais quitté presque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulo

428 sque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de

429 est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — c

430 sques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible.

431 roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible. Je ne saurai jamais si

432 au matin, oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’ une fin d’alerte. ⁂ Paris, capitale engloutie dans l’épaisse nuit des

433 oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’une fin d’ alerte. ⁂ Paris, capitale engloutie dans l’épaisse nuit des campagnes.

434 reflet sur le macadam. Tout au bas, tout au fond de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’une civilisation qui d

435 d de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’ une civilisation qui déserte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’hôt

436 n qui déserte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’ hôtel et j’ai écrit pendant deux jours ces conférences que j’allais fa

437 a brume, à l’horizon des marécages, une confusion de silhouettes griffues : moulins, clochers, grues, cheminées, au-dessus

438  : moulins, clochers, grues, cheminées, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est

439 grues, cheminées, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renais

440 es, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renaissance américan

441 et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’ une Renaissance américanisée ! Le train passe au-dessus des ports, dan

442 au-dessus des ports, dans la puissante vibration d’ un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandio

443 des ports, dans la puissante vibration d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandiose activit

444 a puissante vibration d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandiose activité marchande. Les s

445 de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’ une grandiose activité marchande. Les sirènes, ici, n’annoncent encore

446 , n’annoncent encore que l’approche des richesses de la terre… ⁂ Une connaissance intime et personnelle de ce que l’on app

447 a terre… ⁂ Une connaissance intime et personnelle de ce que l’on appellera l’âme hollandaise, je doute qu’elle en apprenne

448 davantage qu’une vision intense du paysage urbain de la Hollande. Tout ce que je sais de ce pays, après deux semaines de v

449 aysage urbain de la Hollande. Tout ce que je sais de ce pays, après deux semaines de voyage, je puis le lire et le relire

450 ut ce que je sais de ce pays, après deux semaines de voyage, je puis le lire et le relire dans l’architecture d’Amsterdam,

451 je puis le lire et le relire dans l’architecture d’ Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites cités du centre. Je vois côte

452 ire et le relire dans l’architecture d’Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites cités du centre. Je vois côte à côte un pal

453 es cités du centre. Je vois côte à côte un palais de la Renaissance flamande, un hôtel du xviiie siècle, un gratte-ciel e

454 u xviiie siècle, un gratte-ciel et des entrepôts de marchandises venues des Indes. Cette même rue se prolonge par des vil

455 Indes. Cette même rue se prolonge par des villas d’ une incroyable variété de formes ultramodernes, puis se perd peu à peu

456 prolonge par des villas d’une incroyable variété de formes ultramodernes, puis se perd peu à peu dans la campagne, par de

457 pas que la lumière fauve et le grenat des façades de briques renversées dans l’eau jaune des canaux suffisent à expliquer

458 iquer cette harmonie solide, luxueusement nourrie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut

459 nie solide, luxueusement nourrie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces faç

460 ie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces façades à la fois patinées et tou

461 patinées et toujours neuves, c’est la continuité d’ une tradition et d’une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mes

462 rs neuves, c’est la continuité d’une tradition et d’ une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Po

463 olonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scissio

464 i n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et

465 a mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux c

466 Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréd

467 upure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et

468 de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et appauvris chacun

469 amps longuement irréductibles et appauvris chacun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancien et du moderne n’es

470 chacun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancien et du moderne n’est pas seulement une réussite technique, un

471 tte guerre est sortie, celle des deux conceptions de « l’ordre » qui se partagent notre Europe : harmonie intérieure ou un

472 conceptions de « l’ordre » qui se partagent notre Europe  : harmonie intérieure ou uniformité géométrique et militaire. Fédéral

473 totalitarisme. Je comprends et je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’e

474 je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où nais

475 a paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions dés

476 ire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions désespérées, les mises au p

477 ours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’ où naissent les réactions désespérées, les mises au pas brutalisantes

478 simplificateurs. Les petits peuples protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Diver

479 lificateurs. Les petits peuples protestants de l’ Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils on

480 es protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les s

481 ilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. ⁂ Autre chose est la Suis

482 ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. ⁂ Autre chose est la Suisse vue de loin, dans sa vérité sécu

483 antes de la paix. ⁂ Autre chose est la Suisse vue de loin, dans sa vérité séculaire, autre chose les bureaux où se décide

484 on évolution actuelle. La déprimante architecture de notre Palais fédéral — où je corrige ces notes de voyage, ayant fini

485 de notre Palais fédéral — où je corrige ces notes de voyage, ayant fini le travail de la journée — me décourage un peu, ce

486 orrige ces notes de voyage, ayant fini le travail de la journée — me décourage un peu, ce soir. C’est le contraire de ce q

487 me décourage un peu, ce soir. C’est le contraire de ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’être. Cette école p

488 e ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’ être. Cette école primaire démesurée, c’est l’image même, en pierre ve

489 émesurée, c’est l’image même, en pierre verdâtre, de l’esprit qu’il nous faut combattre si nous voulons mériter notre paix

490 aix. Janvier 1940 La section Armée et Foyer de l’état-major m’a chargé de composer un « bréviaire civique » à l’inte

491 section Armée et Foyer de l’état-major m’a chargé de composer un « bréviaire civique » à l’intention des troupes. Je passe

492 Rousseau, Gottfried Keller, et beaucoup d’autres de moindre envergure. (Frappé de constater qu’au sujet de la Suisse, de

493 t beaucoup d’autres de moindre envergure. (Frappé de constater qu’au sujet de la Suisse, de ses institutions, de sa neutra

494 e. (Frappé de constater qu’au sujet de la Suisse, de ses institutions, de sa neutralité, radicaux et conservateurs ou cath

495 er qu’au sujet de la Suisse, de ses institutions, de sa neutralité, radicaux et conservateurs ou catholiques et protestant

496 tte à glisser ensuite entre les deux une remarque de Napoléon sur la nature fédérative de notre État, et tous les trois di

497 une remarque de Napoléon sur la nature fédérative de notre État, et tous les trois disent la même chose.) Drôle d’occupat

498 , et tous les trois disent la même chose.) Drôle d’ occupation pour un militaire ? Pas si drôle si l’on songe que cette gu

499 a précisément pour enjeu non point la possession de quelque territoire, mais la défense de « nos libertés » — dont je vai

500 que chacun se batte à sa place. Et dans l’attente d’ un combat qui tarde encore, il faut que chacun travaille à renforcer l

501 ut que chacun travaille à renforcer les positions de défense de ce pays. Ainsi les uns creusent le sol aux frontières, et

502 ns ce que je me répète pour justifier ma mutation de la troupe à l’état-major. Elle a d’ailleurs coïncidé avec un accident

503 r 1940 Monté hier au Gothard, pour une affaire de service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m

504 othard, pour une affaire de service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché

505 service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché sans ressentir une émotion

506 ice. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’ Europe , je ne m’en suis jamais approché sans ressentir une émotion que j’ess

507 é sans ressentir une émotion que j’essaie en vain de qualifier ; elle ne ressemble à aucune autre. Je devais avoir treize

508 j’y vins pour la première fois, descendant à pied d’ Andermatt et passant par le pont du diable. Et ce qui me saisit ne fut

509 grandeur presque lugubre du paysage, mais au fond de la vallée cet express obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpenta

510 obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpentait d’ un flanc à l’autre, disparaissait, reparaissait, contournait la collin

511 sparaissait, reparaissait, contournait la colline de Wassen surmontée d’une église blanche, montait encore par des lacets

512 ssait, contournait la colline de Wassen surmontée d’ une église blanche, montait encore par des lacets immenses, passait en

513 courait s’engouffrer dans les rochers, à la base d’ une paroi verticale, noircie d’eau. J’avais pu lire sur les longs wago

514 rochers, à la base d’une paroi verticale, noircie d’ eau. J’avais pu lire sur les longs wagons bruns : Amsterdam-Basel-Mila

515 un poème. Pour la première fois, j’avais senti l’ Europe . Hier, j’étais dans ce train. Il neigeait, on ne voyait guère que que

516 Il neigeait, on ne voyait guère que quelques pans de rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai

517 lques pans de rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans

518 brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans une aire « sacrée », dans un territoire réservé pour qu

519 elle. Il est vrai qu’aujourd’hui, je sais pas mal de choses sur ce lieu et son rôle historique. (J’en ai même beaucoup écr

520 J’en ai même beaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul cou

521 eaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul coup le Nord et l

522 ci croisées, n’est pas seulement une position clé de l’Europe, mais aussi, et pour cette raison même, l’origine très préci

523 oisées, n’est pas seulement une position clé de l’ Europe , mais aussi, et pour cette raison même, l’origine très précise de nos

524 et pour cette raison même, l’origine très précise de nos libertés et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien,

525 n même, l’origine très précise de nos libertés et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de suppos

526 n fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de supposer que l’impression ne serait pas moins forte. Toutes les sourc

527 s ? Fin février 1940 Terminé ma prospection de textes pour le « Bréviaire du citoyen ». Des lectures que j’ai faites

528 s, je retiens surtout quelques phrases admirables d’ Alexandre Vinet (« La tyrannie est le souverain désordre » par exemple

529 le souverain désordre » par exemple), la brochure de Benjamin Constant sur l’Esprit de conquête, dont chaque mot pourrait

530 e), la brochure de Benjamin Constant sur l’Esprit de conquête, dont chaque mot pourrait être écrit d’Hitler avec plus de p

531 de conquête, dont chaque mot pourrait être écrit d’ Hitler avec plus de pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres

532 chaque mot pourrait être écrit d’Hitler avec plus de pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres de Jacob Burckhardt

533 écrit d’Hitler avec plus de pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres de Jacob Burckhardt. En 1871, il écrit à l’u

534 pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres de Jacob Burckhardt. En 1871, il écrit à l’un de ses amis : « Le sort de

535 res de Jacob Burckhardt. En 1871, il écrit à l’un de ses amis : « Le sort des ouvriers sera le plus étrange… L’État milita

536 ement leur misère et leur envie. Un certain degré de misère avec de l’avancement et des uniformes, des journées commencées

537 re et leur envie. Un certain degré de misère avec de l’avancement et des uniformes, des journées commencées et terminées p

538 journées commencées et terminées par un roulement de tambour, voilà ce qui doit logiquement se produire. » Et encore, en 1

539  » Et encore, en 1889 : « Les chefs futurs seront de terribles simplificateurs. Au surplus, ils ne seront pas toujours les

540 t cette guerre. Je ne pense pas qu’il soit normal de l’aimer, mais j’y trouve un moyen de dominer l’événement. Son détache

541 soit normal de l’aimer, mais j’y trouve un moyen de dominer l’événement. Son détachement serait étrange, voire haïssable,

542 ans un monde acceptable ou simplement à la mesure de notre action. Je vais à lui pour me défendre contre l’écœurement qui

543 qui me guette. Et dans sa volonté presque cynique de sagesse et de réalisme, je sens aussi une force subversive. C’est le

544 Et dans sa volonté presque cynique de sagesse et de réalisme, je sens aussi une force subversive. C’est le meilleur antid

545 rop souvent caractérisent notre opinion. Début de mars 1940 L’homme au poignard enguirlandé. — Découvert un autre a

546 n autre antidote : l’exposition des chefs-d’œuvre de la peinture suisse du xvie siècle, repliés de Bâle à Berne, avant d’

547 re de la peinture suisse du xvie siècle, repliés de Bâle à Berne, avant d’être cachés en lieu sûr, à l’abri des bombardem

548 e du xvie siècle, repliés de Bâle à Berne, avant d’ être cachés en lieu sûr, à l’abri des bombardements. Nicolas Manuel De

549 qui devraient nourrir, aujourd’hui, notre esprit de résistance. Ce réalisme libertaire, cette liberté d’allure et de juge

550 résistance. Ce réalisme libertaire, cette liberté d’ allure et de jugement qui tient compte des puissances de l’instinct, r

551 Ce réalisme libertaire, cette liberté d’allure et de jugement qui tient compte des puissances de l’instinct, reconnaît leu

552 re et de jugement qui tient compte des puissances de l’instinct, reconnaît leurs excès mortels — au lieu de les ignorer, n

553 Ah ! Nicolas Manuel Deutsch, on ne s’embêtait pas de ton temps ! On allait faire la guerre en Italie pour le plaisir d’un

554 allait faire la guerre en Italie pour le plaisir d’ un sang violent, et quand les lansquenets trichaient au jeu mortel, qu

555 t l’on exhalait sa colère dans un chant débordant d’ injures : « Tu mens plus largement que ta gueule n’est fendue !… Tu t’

556 n dans son fumier !… Ô toi mon doux petit faiseur de rimes, je te tire une crotte sur le nez, trois dans ta barbe ! »1 Mai

557 tter du même pas la planète… ⁂ Un vers du temps —  d’ un peu plus tard, sans doute, mais c’est encore le même rythme de vie 

558 ard, sans doute, mais c’est encore le même rythme de vie — vient mêler sa guirlande à mes images, comme la devise du table

559 a devise du tableau, tandis que je songe à la vie de Nicolas Manuel Deutsch. C’est un autre guerrier qui parle en ses Trag

560 ’est un autre guerrier qui parle en ses Tragiques d’ une nuit Où l’Amour et la Mort troquèrent de flambeaux. Par le pince

561 ques d’une nuit Où l’Amour et la Mort troquèrent de flambeaux. Par le pinceau, par l’épée et la plume, Manuel n’a cessé

562 pinceau, par l’épée et la plume, Manuel n’a cessé de provoquer la mort. Dans toute son œuvre, au cœur de son lyrisme, elle

563 provoquer la mort. Dans toute son œuvre, au cœur de son lyrisme, elle tient le lieu de la passion d’amour, et c’est elle

564 œuvre, au cœur de son lyrisme, elle tient le lieu de la passion d’amour, et c’est elle qu’il invite à la danse avec une fo

565 de son lyrisme, elle tient le lieu de la passion d’ amour, et c’est elle qu’il invite à la danse avec une fougue adolescen

566 tyrs et mort bourgeoise, mort soldatesque et mort de carnaval, vierge, paysanne, ou fille à lansquenets, c’est toujours el

567 rejoint ou qu’il poursuit dans les métamorphoses de sa vie : toujours vêtue aux couleurs de sa fièvre et de sa nouvelle a

568 morphoses de sa vie : toujours vêtue aux couleurs de sa fièvre et de sa nouvelle aventure. Pourquoi les hommes les plus v

569 vie : toujours vêtue aux couleurs de sa fièvre et de sa nouvelle aventure. Pourquoi les hommes les plus vivants de cette

570 e aventure. Pourquoi les hommes les plus vivants de cette époque où la vie s’exaspère ont-ils fait à la mort, dans leurs

571 itude : face au danger. Leur Suisse est au sommet de son élan vers la conquête et la richesse, au comble de sa gloire et d

572 n élan vers la conquête et la richesse, au comble de sa gloire et de son risque. Elle n’a jamais été moins neutre, moins c

573 onquête et la richesse, au comble de sa gloire et de son risque. Elle n’a jamais été moins neutre, moins confinée dans ses

574 moyennes, ni moins en garde contre les tentations de la grandeur. Elle est sérieuse parce qu’elle est menacée et menaçante

575 t menaçante ; parce qu’elle est tout le contraire d’ un pays d’« assurés ». Sérieuse et impétueuse comme ceux qui savent qu

576 e ; parce qu’elle est tout le contraire d’un pays d’ « assurés ». Sérieuse et impétueuse comme ceux qui savent que la vie n

577 comme ceux qui savent que la vie n’est pas le but de la vie, qu’elle ne mérite pas de majuscule, et qu’elle est quelque ch

578 n’est pas le but de la vie, qu’elle ne mérite pas de majuscule, et qu’elle est quelque chose qui doit brûler, flamber, et

579 contemporains savent et disent à leur manière que de demain rien n’est certain. Mais ce qu’ils sentent menacé, ce n’est po

580 et forte qui figure à leurs yeux le train normal de l’homme. Leur œuvre illustre la vision de l’Ecclésiaste, ce grand maî

581 normal de l’homme. Leur œuvre illustre la vision de l’Ecclésiaste, ce grand maître du vrai réalisme. « Jette ton pain sur

582 el malheur peut arriver sur la terre. » Le secret de la vie généreuse est la conscience de sa brève vanité. Dix-huit siècl

583 » Le secret de la vie généreuse est la conscience de sa brève vanité. Dix-huit siècles de chrétienté ont prêché sur le thè

584 a conscience de sa brève vanité. Dix-huit siècles de chrétienté ont prêché sur le thème du memento mori, mais nous préféro

585 nto mori, mais nous préférons aujourd’hui l’éloge de la vie au grand air. Et tout se passe comme si le souci de l’hygiène,

586 au grand air. Et tout se passe comme si le souci de l’hygiène, et celui de l’épargne dans tous les domaines, tuaient en n

587 se passe comme si le souci de l’hygiène, et celui de l’épargne dans tous les domaines, tuaient en nous le sens métaphysiqu

588 lus libre fantaisie, mais énergique : je ne cesse d’ admirer chez Manuel la plupart des vertus qui nous manquent. Böcklin m

589 part des vertus qui nous manquent. Böcklin manque de sobriété, Hodler aussi. D’où l’espèce de niaiserie qui affecte essent

590 nquent. Böcklin manque de sobriété, Hodler aussi. D’ où l’espèce de niaiserie qui affecte essentiellement les solennelles d

591 n manque de sobriété, Hodler aussi. D’où l’espèce de niaiserie qui affecte essentiellement les solennelles démonstrations

592 te essentiellement les solennelles démonstrations d’ art du premier, le gigantisme méthodique du second. Et quant à l’éléga

593 figures sans mystère. Manuel est un nerveux, mais de ferme écriture : un imaginatif, mais sans excitation ; un homme qui p

594 près ce que nous avons perdu par une longue suite de « libérations » qui ne laissent enfin subsister que la plus discutabl

595 sent enfin subsister que la plus discutable envie de peindre… ⁂ Son réalisme ne fait pas d’histoires, parce qu’il n’est pa

596 able envie de peindre… ⁂ Son réalisme ne fait pas d’ histoires, parce qu’il n’est pas une polémique mais une acceptation de

597 à toutes fins utiles ou spirituelles, à la volée d’ une imagination qui se soucie d’abord de composer. Entre une épaule et

598 la volée d’une imagination qui se soucie d’abord de composer. Entre une épaule et une arcade, vous découvrez un lac entou

599 aule et une arcade, vous découvrez un lac entouré de cultures, de beaux champs gras, des laboureurs et des bateaux, toute

600 rcade, vous découvrez un lac entouré de cultures, de beaux champs gras, des laboureurs et des bateaux, toute une nature à

601 eurs et des bateaux, toute une nature à la mesure de l’homme, portant les marques de l’usage, et dominée par quelques Alpe

602 ature à la mesure de l’homme, portant les marques de l’usage, et dominée par quelques Alpes qui sont des vagues à peine fi

603 ’opéra romantique, bien moins encore ces planches de minéralogie que nous bariolent les peintres d’Alpe. Ce qu’il peint, l

604 es de minéralogie que nous bariolent les peintres d’ Alpe. Ce qu’il peint, lui, c’est la terre des hommes, vue par les yeux

605 lui, c’est la terre des hommes, vue par les yeux de qui l’habite et l’utilise, et non point des « paysages » ou des « vue

606 e et bien suspect du terme. Un beau jour, fatigué de signer d’un poignard ses tumultueuses compositions, il se joint aux g

607 suspect du terme. Un beau jour, fatigué de signer d’ un poignard ses tumultueuses compositions, il se joint aux guerriers d

608 positions, il se joint aux guerriers du chevalier de Stein, va combattre à Novare et pille la cité, assiste à la défaite d

609 e à Novare et pille la cité, assiste à la défaite de la Bicoque, crie son indignation dans un furieux poème, et s’en revie

610 ur y faire la Réforme. Il écrira d’abord des jeux de carnaval qui sont en vérité bien plus que des satires « contre le pap

611 il joignait à son monogramme, enguirlandé au coin de ses tableaux ; ce sera l’arme réelle du guerrier suisse, signe des vi

612 est le sceau des poèmes qu’il dédie « à la gloire de Dieu ». ⁂ Quand on dit chez nous de quelqu’un « qu’il a fait un peu t

613 « à la gloire de Dieu ». ⁂ Quand on dit chez nous de quelqu’un « qu’il a fait un peu tous les métiers », ce n’est pas un é

614 un éloge, il s’en faut, c’est plutôt une manière de lui refuser cette considération bourgeoise qui s’attache aux carrière

615 attache aux carrières monotones. Mais la grandeur d’ un Manuel, et de plusieurs à son époque, est d’avoir su conduire leur

616 ières monotones. Mais la grandeur d’un Manuel, et de plusieurs à son époque, est d’avoir su conduire leur vie vers un but

617 ur d’un Manuel, et de plusieurs à son époque, est d’ avoir su conduire leur vie vers un but qui transcende toutes nos activ

618 e ordonna-t-il sa vie ? Peut-être à la recréation d’ une unité de rythme et de vision au sein d’un monde qui perdait ses me

619 il sa vie ? Peut-être à la recréation d’une unité de rythme et de vision au sein d’un monde qui perdait ses mesures. Et qu

620 eut-être à la recréation d’une unité de rythme et de vision au sein d’un monde qui perdait ses mesures. Et quand le lieu d

621 la victoire, homme d’État. Je vois ainsi l’unité de sa vie dans la recherche d’une forme et d’un sens. Si l’art n’y suffi

622 Je vois ainsi l’unité de sa vie dans la recherche d’ une forme et d’un sens. Si l’art n’y suffit pas, c’est que le mal est

623 ’unité de sa vie dans la recherche d’une forme et d’ un sens. Si l’art n’y suffit pas, c’est que le mal est profond : d’où

624 rt n’y suffit pas, c’est que le mal est profond : d’ où la nécessité d’agir sur la cité. Si la cité n’a plus de vraies mesu

625 c’est que le mal est profond : d’où la nécessité d’ agir sur la cité. Si la cité n’a plus de vraies mesures, c’est l’Églis

626 nécessité d’agir sur la cité. Si la cité n’a plus de vraies mesures, c’est l’Église qui doit les refaire. Qu’elle s’y refu

627 ebâtir un État… ⁂ La sagesse des manuels a le don de stériliser d’un seul mot l’exemple d’une vie trop ardente : « romanti

628 … ⁂ La sagesse des manuels a le don de stériliser d’ un seul mot l’exemple d’une vie trop ardente : « romantique » ou « ave

629 ls a le don de stériliser d’un seul mot l’exemple d’ une vie trop ardente : « romantique » ou « aventurier » ou mieux encor

630 tique » ou « aventurier » ou mieux encore « homme de la Renaissance ». Rappelons alors que ce guerrier fut bon époux, et b

631 alors que ce guerrier fut bon époux, et bon père de six enfants ; que cet artiste, l’un des plus grands de son pays, fut

632 x enfants ; que cet artiste, l’un des plus grands de son pays, fut aussi le plus raisonnable parmi les chefs de la Réforma

633 ys, fut aussi le plus raisonnable parmi les chefs de la Réformation. L’année même où pour divertir Zwingli et ses savants

634 ses savants collègues il leur envoie le manuscrit d’ une satire contre la messe, on vante à Berne la modération de ses disc

635 e contre la messe, on vante à Berne la modération de ses discours lors des débats de religion. Ce dernier trait achève de

636 rne la modération de ses discours lors des débats de religion. Ce dernier trait achève de peindre le sérieux de ce fantast

637 s des débats de religion. Ce dernier trait achève de peindre le sérieux de ce fantastique. Mais je m’aperçois un peu tard

638 on. Ce dernier trait achève de peindre le sérieux de ce fantastique. Mais je m’aperçois un peu tard que j’oubliais de cite

639 ue. Mais je m’aperçois un peu tard que j’oubliais de citer sa devise, inscrite au coin de quelques-uns de ses dessins : N.

640 e j’oubliais de citer sa devise, inscrite au coin de quelques-uns de ses dessins : N. K. A. W., ce qui veut dire : « Perso

641 citer sa devise, inscrite au coin de quelques-uns de ses dessins : N. K. A. W., ce qui veut dire : « Personne ne peut tout

642 it tout savoir, et que pourtant… C’est la passion de la Renaissance, si l’on veut. Je crois plutôt que c’est encore l’ango

643 Je crois plutôt que c’est encore l’angoisse avide d’ une unité de sens spirituel, inaccessible à tout « savoir » aussi vast

644 tôt que c’est encore l’angoisse avide d’une unité de sens spirituel, inaccessible à tout « savoir » aussi vaste qu’on l’im

645 30, Manuel parut pour la dernière fois à la Diète de Baden. Du 1er au 12 avril, il assiste chaque jour aux séances du Cons

646 il, il assiste chaque jour aux séances du Conseil de Berne. Le 16, il est signalé comme absent. Le 18, on le confirme dans

647 omme absent. Le 18, on le confirme dans sa charge de banneret. Le 20 avril, il n’est plus. « Pareil au cierge qui se consu

648 il n’est plus. « Pareil au cierge qui se consume d’ autant plus vite qu’il a mieux éclairé — écrit un chroniqueur du temps

649 -sixième année. Le seul autoportrait qui subsiste de lui nous montre, à la fin de sa vie, un regard doux et perspicace, un

650 ortrait qui subsiste de lui nous montre, à la fin de sa vie, un regard doux et perspicace, un visage aigu de malade, peint

651 vie, un regard doux et perspicace, un visage aigu de malade, peint avec la véracité d’un homme qui sait exactement ce que

652 un visage aigu de malade, peint avec la véracité d’ un homme qui sait exactement ce que vaut une vie d’homme devant Dieu.

653 ’un homme qui sait exactement ce que vaut une vie d’ homme devant Dieu. 9 mars 1940 Il nous est né hier une fille que

654 nous firent adopter ce prénom. C’est un souvenir de France et de la paix française, qui nous émeut comme un adieu à la do

655 adopter ce prénom. C’est un souvenir de France et de la paix française, qui nous émeut comme un adieu à la douceur de vivr

656 çaise, qui nous émeut comme un adieu à la douceur de vivre, à la confiance. Cela se passait dans l’autre monde, au début d

657 nce. Cela se passait dans l’autre monde, au début de l’été de 1938… Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un long village en b

658 se passait dans l’autre monde, au début de l’été de 1938… Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de

659 était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre el

660 nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’ un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaie

661 te. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de

662 une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’ un étage au-dessus des champs de roses et des blés, aux bords du plate

663 élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés, aux bords du plateau de la Brie. Nous montions ver

664 champs de roses et des blés, aux bords du plateau de la Brie. Nous montions vers Périgny par un sentier fort raide entre l

665 entier fort raide entre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on par

666 boutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle

667 ns la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ ardoise ne dépassent pas les façades nues, brunies par l’âge, patinées

668 même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les ro

669 nt ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’ une ferme au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’appar

670 n. Nous longions cette rue silencieuse, imaginant d’ y vivre un jour dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au r

671 ne route prend à droite, vers la plaine, escortée de quelques maisons ; l’autre s’incline lentement vers la vallée, dans l

672 blés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’ un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets

673 is là fasciné comme par la découverte d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imagi

674 e d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imaginant une idylle muette. Celui qui re

675 tils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ. En passant au carrefour il s’est dit : Peut-être est-elle

676 t : Peut-être est-elle à Mandres, c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du

677 a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffit. Nous sommes redescendus vers la

678 ne suffit. Nous sommes redescendus vers la vallée de l’Yerres, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il fais

679 iers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noi

680 dron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. Mars 1940

681 0 Entre le déclenchement précis des mécanismes de la catastrophe, et la catastrophe elle-même, un moment imprévu a pris

682 itaires. 1. Vers du Biccocalied. À la bataille de la Bicoque, les lansquenets s’étaient dissimulés dans des tranchées,

683 rie décimait les Suisses à bout portant. Le poème de Manuel répond à une chanson glorifiant la victoire des Allemands. 2.

684 sye lob ! La plupart des autres drames et satires de Manuel se terminent par la mention du « Schwyzerdegen » qui demeure s

685 r sa personne. Il y avait une coupure du Courrier de Saint-Étienne intitulée : « Le Führer a perdu la guerre des nerfs ».

686 . B. lui ayant demandé pourquoi il attachait tant d’ importance aux propos d’une feuille de province. « Pourquoi ? gémit le

687 ourquoi il attachait tant d’importance aux propos d’ une feuille de province. « Pourquoi ? gémit le Führer, mais parce que

688 achait tant d’importance aux propos d’une feuille de province. « Pourquoi ? gémit le Führer, mais parce que moi, je ne sui

689 ut ! Vous, monsieur B., vous pourriez vous moquer d’ un tel article. Mais moi je ne suis qu’un prolétaire ! » ⁂ La clé du

690 fficiel hitlérien est des plus simples. Il suffit de changer chaque terme en son contraire pour obtenir un texte raisonnab

691 ls rétablissent une armée pour tyranniser toute l’ Europe . (Le congrès de Nuremberg célébrant le réarmement du Reich s’intitula

692 armée pour tyranniser toute l’Europe. (Le congrès de Nuremberg célébrant le réarmement du Reich s’intitula « Tag der Freih

693 ie, cela veut dire qu’ils vont achever le travail de désorganisation entrepris par leur cinquième colonne. Et quand ils an

694 t quand ils annoncent que la Hollande fait partie de leur espace vital, cela trahit, je le crains, leur décision de transf

695 e vital, cela trahit, je le crains, leur décision de transformer ce pays en champ de bataille, c’est-à-dire en espace mort

696 ⁂ Je ne connais qu’un seul descendant authentique de Napoléon : il est objecteur de conscience. (C’est P. C., qui sort de

697 endant authentique de Napoléon : il est objecteur de conscience. (C’est P. C., qui sort de chez moi.) ⁂ À propos d’un réce

698 t objecteur de conscience. (C’est P. C., qui sort de chez moi.) ⁂ À propos d’un récent discours où Hitler assurait le peup

699 ent discours où Hitler assurait le peuple anglais de ses bonnes intentions, et le menaçait en même temps de raser Londres

700 s bonnes intentions, et le menaçait en même temps de raser Londres en cas de résistance, le jeune Lord D. me disait en ria

701 le menaçait en même temps de raser Londres en cas de résistance, le jeune Lord D. me disait en riant : « C’est comme dans

702 enne fou et descende tout nu dans la rue. Combien de temps faudra-t-il pour que son entourage admette qu’il est fou, et qu

703 qu’il est fou, et qu’il ne s’agit pas simplement d’ une « nouvelle politique » ou d’un « renversement dialectique » ? C’es

704 it pas simplement d’une « nouvelle politique » ou d’ un « renversement dialectique » ? C’est qu’on en a vu d’autres, et de

705 s graves, et personne n’a crié au fou. ⁂ R. vient d’ être reçu au palais de Venise et me raconte sa visite. Il pénètre dans

706 n’a crié au fou. ⁂ R. vient d’être reçu au palais de Venise et me raconte sa visite. Il pénètre dans le fameux cabinet où

707 nètre dans le fameux cabinet où le Duce a coutume de laisser ses interlocuteurs debout. « Suis-je reçu, dit-il, par le che

708 e, puis par la guerre, se nourrissent aujourd’hui de racines. L’orgie moderne finit en jeûne forcé, après le sacrifice san

709 cation totalitaire abaisse certainement le niveau de l’intelligence moyenne dans une nation. Mais je redoute parfois que l

710 s démocraties, ne réussisse qu’à élever le niveau de la bêtise moyenne. (Voir les magazines populaires, chez nous autant q

711 condamnent-ils que les excès, et jamais le défaut de grandes vertus ? Pourquoi disent-ils sans cesse de leur voisin : il b

712 e grandes vertus ? Pourquoi disent-ils sans cesse de leur voisin : il boit trop, il court trop, il parle trop, il en fait

713 est une petite nature, il est bien sec, il manque d’ esprit, il ne se passionne pour rien ? Pourquoi détestent-ils tout ce

714 leurs yeux, le péché c’est l’excès. Mais l’excès de médiocrité, même dans les vices, le voient-ils ? ⁂ Quand j’entends ce

715 au mot, s’ils étaient exaucés, si les puissances de l’esprit se réveillaient vraiment dans le monde, ces messieurs compre

716 re à un prophète : « C’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant ! » ⁂ Pourquoi l’époque présent

717 par la lutte contre Hitler. Or il est trop facile d’ être contre Hitler, trop facile de se sentir meilleur que les nazis. L

718 est trop facile d’être contre Hitler, trop facile de se sentir meilleur que les nazis. Les grandes époques spirituelles so

719 foi, grâce suffisante… Fin mars 1940 Au mois d’ août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fa

720 âce suffisante… Fin mars 1940 Au mois d’août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fait deux

721 s aérer. Secundo, j’ai envoyé à un certain nombre de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entrep

722 e de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entreprise par Julien l’Apostat contre les chrétiens,

723 assera. » La semaine passée, je reçois une lettre de « quelque part dans le Proche-Orient » et une autre des États-Unis. L

724 e raison à l’une ou à l’autre de ces lettres. Pas d’ importance. Ce qui est important, c’est la certitude « qu’il passera »

725 tude « qu’il passera ». Que sont nos petits accès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avant-printemps suffit à

726 cès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’ avant-printemps suffit à dissiper en cinq minutes ? Qu’est-ce que cela

727 e cela au regard de la menace énorme qui domine l’ Europe d’aujourd’hui ? Eh bien, cette menace, à son tour, n’est qu’un tout p

728 au regard de la menace énorme qui domine l’Europe d’ aujourd’hui ? Eh bien, cette menace, à son tour, n’est qu’un tout peti

729 niversels que sera notre jugement au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes : «

730 chrétiens, nous n’avons à redouter que le Prince de tous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de te

731 s, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militaire

732 vrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits personnages, ce combat, si “total” qu’il soit, ne saurait

733 doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et

734 traire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’

735 mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il pass

736 t nuage, il passera. » Ce mot me fut comme parole d’ Évangile quand je le lus l’année dernière. En voici un écho que je vi

737 ttu par ses anciens amis. Dans le refuge précaire d’ un Christliches Hospiz, il sent peser sur lui d’une manière insupporta

738 e d’un Christliches Hospiz, il sent peser sur lui d’ une manière insupportable le sombre avenir de son pays. « Dans mon dés

739 lui d’une manière insupportable le sombre avenir de son pays. « Dans mon désespoir, écrit-il, j’eus recours à l’Évangile

740 s à l’Évangile qu’on trouve sur toutes les tables de nuit de ces hospices. Je le feuilletai et mon premier regard tomba su

741 angile qu’on trouve sur toutes les tables de nuit de ces hospices. Je le feuilletai et mon premier regard tomba sur cette

742 de tous. » Berne, avril 1940 L’arme secrète de la démocratie, c’est la franchise. On nous répète : « Qui ne sait se

743 ais il y a des silences plus dangereux pour l’âme d’ un peuple que les paroles imprudentes… Il y a des cas où qui ne sait p

744 ce que j’ai développé hier matin devant le micro de Radio Berne, qui m’avait offert un quart d’heure, libre de toute cens

745 Berne, qui m’avait offert un quart d’heure, libre de toute censure préalable. 11 mai 1940 Nouvelle mobilisation géné

746 faire pendant les jours qui viennent. Accompagné d’ un de mes camarades, je vais donc m’annoncer auprès du chef de la poli

747 e pendant les jours qui viennent. Accompagné d’un de mes camarades, je vais donc m’annoncer auprès du chef de la police qu

748 camarades, je vais donc m’annoncer auprès du chef de la police qui a demandé quelques volontaires. Il nous expose notre tâ

749 he : prendre le commandement des pelotons chargés d’ arrêter en cas d’agression allemande, à la première heure, les quelque

750 ommandement des pelotons chargés d’arrêter en cas d’ agression allemande, à la première heure, les quelques dizaines de che

751 mande, à la première heure, les quelques dizaines de chefs de quartier nazis qui opèrent dans la ville fédérale. Des camio

752 la première heure, les quelques dizaines de chefs de quartier nazis qui opèrent dans la ville fédérale. Des camions sont a

753 ans la cour pour cette éventualité. Voici le plan de la ville, les maisons, les étages et les noms de ces messieurs, indiq

754 de la ville, les maisons, les étages et les noms de ces messieurs, indiqués avec précision. Forcer la porte, couper les f

755 avec précision. Forcer la porte, couper les fils de téléphone, prendre le type, ramasser les papiers… La légation alleman

756 La légation allemande, nous dit-il, est un dépôt d’ armes et un blockhaus bétonné. Mais nous avons installé un canon dans

757 Mais nous avons installé un canon dans la maison d’ en face. L’ordre récemment donné aux étrangers de déposer leurs armes

758 d’en face. L’ordre récemment donné aux étrangers de déposer leurs armes aux postes de police a permis d’observer le phéno

759 é aux étrangers de déposer leurs armes aux postes de police a permis d’observer le phénomène suivant : au jour fixé, tous

760 déposer leurs armes aux postes de police a permis d’ observer le phénomène suivant : au jour fixé, tous les employés de la

761 énomène suivant : au jour fixé, tous les employés de la légation nazie se sont rendus à leur bureau porteurs de petites va

762 ation nazie se sont rendus à leur bureau porteurs de petites valises et de serviettes anormalement gonflées. Une femme tra

763 ndus à leur bureau porteurs de petites valises et de serviettes anormalement gonflées. Une femme traînait un énorme filet

764 écrasée. Je traîne encore la jambe gauche, suite de cette déchirure du ménisque. On me renvoie à Berne. 24 mai 1940

765 à Berne. 24 mai 1940 Écouté la radio. Opéra de Mozart. Et dans une seule bouffée, toutes ces nuits de Vienne, élégan

766 zart. Et dans une seule bouffée, toutes ces nuits de Vienne, élégantes passions égarées, musique aux jardins jusqu’à l’aub

767 ées, musique aux jardins jusqu’à l’aube… Un quart de tour, nouvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’un commun

768 rdins jusqu’à l’aube… Un quart de tour, nouvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’un communiqué, régions perdu

769 uvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’ un communiqué, régions perdues encore, régions perdues dans le passé e

770 e rétrécissent vers la catastrophe. Il n’est plus d’ autre issue que la nuit, mais viendra-t-elle après ma mort ou avec ell

771 ore presque aussi vaste que la terre, se rétrécit de jour en jour et d’heure en heure, à chaque fois que j’allume cet œil

772 aste que la terre, se rétrécit de jour en jour et d’ heure en heure, à chaque fois que j’allume cet œil vert — pays perdus,

773 aurions-nous mieux le vivre, augmenté du souvenir de sa perte ? Mais le passé ne reviendra jamais, ce bon vieux temps que

774 us devions vivre encore… À quoi pensent-ils, ceux de la bataille ? Ont-ils de ces retours soudains vers des moments de ten

775 À quoi pensent-ils, ceux de la bataille ? Ont-ils de ces retours soudains vers des moments de tendresse banale ? Ils devie

776 Ont-ils de ces retours soudains vers des moments de tendresse banale ? Ils deviendraient fous de révolte… Ils en ont, ils

777 ents de tendresse banale ? Ils deviendraient fous de révolte… Ils en ont, ils en ont sûrement quand ils s’endorment épuisé

778 re encore : ils en ont au réveil, affreux bonheur d’ une illusion rapide, où suis-je ? Déjà tout recommence, sans relâche,

779 e désespoir en plein midi, — ou la reconnaissance de l’unique nécessaire ? 6 juin 1940 Hier soir, à Lausanne, ave

780 pour l’émission nationale à la radio. Il a parlé de la Suisse romande, moi de la Suisse allemande. En sortant du studio,

781 à la radio. Il a parlé de la Suisse romande, moi de la Suisse allemande. En sortant du studio, nous apprenons que Paris v

782 sortant du studio, nous apprenons que Paris vient d’ être bombardé pour la première fois. Dans le train qui nous ramenait c

783 lui ai dit : « Si la France est battue, le moral de la Suisse va flancher. Beaucoup seront tentés de céder à diverses pre

784 de la Suisse va flancher. Beaucoup seront tentés de céder à diverses pressions. Pourtant nous sommes les seuls à pouvoir

785 s années, je pense au Saint-Gothard comme au cœur de l’Europe, à son bastion sacré. C’est pour le garder libre que nos pre

786 ées, je pense au Saint-Gothard comme au cœur de l’ Europe , à son bastion sacré. C’est pour le garder libre que nos premiers can

787 ibre que nos premiers cantons ont reçu la liberté d’ Empire. Or il se trouve que providentiellement, le Gothard est le type

788 e providentiellement, le Gothard est le type même de la position imprenable dans la guerre actuelle. Il faudrait déclenche

789 sérieux.) Une bonne idée… Seulement ce n’est rien d’ en parler. Il faut le faire. J’ai senti, sous son regard direct, le da

790 re. J’ai senti, sous son regard direct, le danger d’ avoir une idée et de l’exprimer sans précautions, avant d’avoir calcul

791 son regard direct, le danger d’avoir une idée et de l’exprimer sans précautions, avant d’avoir calculé la dépense… 12

792 une idée et de l’exprimer sans précautions, avant d’ avoir calculé la dépense… 12 juin 1940 Débâcle française sur la

793 contacts sont pris à droite et à gauche. Vertige de sentir une idée qui s’incarne, qui « prend corps ». Dimanche, 16 j

794 reau, claque les talons, et m’annonce qu’on vient d’ entendre à la radio que les Allemands sont entrés dans Paris. — Merci.

795 Merci. Repos ! Il est sorti, me voyant incapable de rien dire de plus. Je suis resté immobile un long moment. Je n’avais

796 mobile un long moment. Je n’avais pas grand-chose d’ urgent à faire jusqu’à midi. J’ai écrit deux pages sur l’entrée d’Hitl

797 jusqu’à midi. J’ai écrit deux pages sur l’entrée d’ Hitler à Paris, les ai recopiées, et envoyées à la Gazette de Lausann

798 aris, les ai recopiées, et envoyées à la Gazette de Lausanne . « Voyez si les prescriptions de la censure vous permettent

799 azette de Lausanne . « Voyez si les prescriptions de la censure vous permettent de publier cela. » ⁂ Aujourd’hui, M. qui e

800 i les prescriptions de la censure vous permettent de publier cela. » ⁂ Aujourd’hui, M. qui est à la Censure, vient déjeune

801 la Censure, vient déjeuner. Je lui dis le contenu de mon article. Il pense que ça ne passera pas. Tant pis, j’ai fait ce q

802 ce qu’il fallait faire. Je recopie mon brouillon d’ une page et demie. À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’un

803 e. À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’ un nuage et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sento

804 sait : Si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’ être un Européen. La Ville lumière n’est pas détruite : elle s’est éte

805 Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’être un Européen . La Ville lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de

806 e n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur avait prophétisé :

807 devant le sentiment, devant ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues

808 ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde

809 nde : il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’ aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irre

810 d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais

811 es. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’ irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut co

812 é à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la fo

813 servants des « Panzerdivisionen ». Quelque chose d’ indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tr

814 appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant victorieux : tout ce qu’il veut saisir se change à son

815 u’il veut saisir se change à son approche — Midas de l’ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse. N’importe

816 du, en pierraille lépreuse. N’importe quel badaud d’ un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un coucha

817 rraille lépreuse. N’importe quel badaud d’un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant sur Sai

818 e juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’ un couchant sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la fo

819 sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de m

820 rmain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sa

821 isant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage

822 foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plu

823 rc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et pl

824 aux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu

825 e grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les t

826 s pas un conquérant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire com

827 ant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde

828 bles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois

829 s avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils

830 e. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que le jour de la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun tri

831 Faisons le point, bon exercice pour rester maître de soi-même. Petite maison louée à mi-pente du Gurten. Au-dessous, des c

832 e maison, des prairies montent jusqu’aux lisières de la forêt de sapins couronnant le Gurten. Toutes les demi-heures, des

833 s prairies montent jusqu’aux lisières de la forêt de sapins couronnant le Gurten. Toutes les demi-heures, des avions passe

834 Cette prairie dominant la ville serait un terrain d’ atterrissage tout désigné pour des parachutistes. Je la regarde de tem

835 out désigné pour des parachutistes. Je la regarde de temps à autre en écartant le rideau, mais rien encore. Au milieu de

836 illé par deux détonations qui semblaient provenir de la forêt. Me suis levé pensant que c’était commencé. D’une fenêtre do

837 forêt. Me suis levé pensant que c’était commencé. D’ une fenêtre donnant au nord, j’ai regardé longtemps la ville, apparemm

838 ux éteints, montant lentement vers le Gurten. Pas d’ autre bruit. Me suis recouché pensant que s’il se passait quelque chos

839 téléphone. Peu dormi, et levé à six heures. Avant d’ entrer à mon bureau, près de la gare, acheté comme chaque matin la Gaz

840 — je n’y pensais plus — en première page, à côté d’ un appel à se taire lancé par le gouvernement vaudois ! Je le relis ra

841 és. Cela passera donc sans histoires. Vers la fin de la matinée, téléphone de M. Oui, il y aura des histoires, paraît-il…

842 s histoires. Vers la fin de la matinée, téléphone de M. Oui, il y aura des histoires, paraît-il… Mais rien de nouveau jusq

843 à sortir. Sonnerie du téléphone. On va me parler de l’E.-M. du Général. C’est bien vous qui avez écrit l’article paru ce

844 , mon colonel. — Avez-vous demandé l’autorisation de vos supérieurs ? — Non, mon colonel. — Pourquoi ? — Je ne suis pas o

845 n colonel. — Pourquoi ? — Je ne suis pas officier de carrière. — Vous deviez le faire quand même. Vous êtes accusé d’injur

846 Vous deviez le faire quand même. Vous êtes accusé d’ injures à un chef d’État étranger. Vous mettez en danger la sécurité d

847 ’État étranger. Vous mettez en danger la sécurité de la Suisse. C’est grave, c’est… très grave ! Terminé. — Terminé. Bon.

848 jusqu’ici. Ce matin, on nous a informés au bureau de ce qui s’est passé la nuit dernière. C’était sérieux. Attaques de sab

849 passé la nuit dernière. C’était sérieux. Attaques de saboteurs contre nos aérodromes. Mais on veillait partout. À la nuit,

850 it, des barricades ont été dressées dans les rues de la ville. La troupe a arrêté des automobilistes munis de passeports f

851 ille. La troupe a arrêté des automobilistes munis de passeports français, mais aucun n’était français. La population, sort

852 n, sortie pour voir, avait l’air en fête. Raisons de croire que le coup nazi, raté cette nuit, sera suivi à bref délai de

853 up nazi, raté cette nuit, sera suivi à bref délai de manifestations plus énergiques… Mon genou est enflé. Handicap embêtan

854 écises au bureau. Sur ma table une note me priant de passer chez le colonel. — Bonjour, mon cher. Asseyez-vous. (Je me di

855 ’ai beaucoup aimé votre article… Mais la Légation d’ Allemagne a protesté hier matin. J’ai l’ordre de vous faire conduire c

856 n d’Allemagne a protesté hier matin. J’ai l’ordre de vous faire conduire chez vous pour y prendre les arrêts. Voulez-vous

857 pistolet sur le bureau. Je me sens tout nu. Faute de soldats baïonnette au canon — on n’en trouve point —, c’est le lieute

858 s êtes d’accord avec mon article. Il est question de me déférer au tribunal militaire. On me reconduit enfin chez moi. Éco

859 sommée, la Suisse cernée par l’Axe — les colonnes de Guderian descendent vers la Faucille. 19 juin 1940 Atmosphère d

860 t vers la Faucille. 19 juin 1940 Atmosphère d’ imminence, je ne puis la caractériser mieux. Tout est immédiat, concre

861 ccumule par petites touches précises les éléments d’ un énorme désastre, incroyable et vrai. Le téléphone m’apporte, heure

862 léphone m’apporte, heure par heure, les nouvelles de l’action entreprise pour notre « défense à tout prix ». (Beaucoup de

863 ises à faire. 20 juin 1940 Tourné le bouton de ma radio qui se trouvait arrêtée sur Londres. Une voix nasille, puis

864 fe. Je renforce. Quelle belle voix grave… Et tout d’ un coup, le coup au cœur ! « … moi, général de Gaulle, je vous dis… »

865 21 juin 1940 La justice militaire ne veut pas de mon cas. On m’a donc décerné, en lieu si haut qu’il n’y a pas de reco

866 m’a donc décerné, en lieu si haut qu’il n’y a pas de recours possible, quinze jours d’arrêts de rigueur, dans un fort. Poi

867 qu’il n’y a pas de recours possible, quinze jours d’ arrêts de rigueur, dans un fort. Point d’ordre écrit ni de motifs allé

868 a pas de recours possible, quinze jours d’arrêts de rigueur, dans un fort. Point d’ordre écrit ni de motifs allégués. J’a

869 ze jours d’arrêts de rigueur, dans un fort. Point d’ ordre écrit ni de motifs allégués. J’ai toujours été partisan des vaca

870 de rigueur, dans un fort. Point d’ordre écrit ni de motifs allégués. J’ai toujours été partisan des vacances payées, et n

871 ave. Céder à l’ennemi sur le point de la liberté d’ expression, n’est-ce point perdre avant même que de se battre, l’une d

872 ’expression, n’est-ce point perdre avant même que de se battre, l’une des raisons valables qu’on aurait de se battre, et l

873 e battre, l’une des raisons valables qu’on aurait de se battre, et l’une des marques de cette indépendance que l’armée jus

874 s qu’on aurait de se battre, et l’une des marques de cette indépendance que l’armée justement se trouve chargée de défendr

875 épendance que l’armée justement se trouve chargée de défendre à tout prix ?4 La première rencontre des dix « conjurés » a

876 e des dix « conjurés » aura lieu demain. Début de juillet 1940 Repris mon service à la section Armée et Foyer. Écri

877 à la section Armée et Foyer. Écrit le manifeste de la Ligue du Gothard. Il paraît sur une page entière dans soixante-qua

878 e X. : tout ce qu’il possède. On nous accuse déjà d’ être « fascistes », naturellement, et payés par la « grande industrie 

879 ois se composer de plus en plus nettement le plan de résistance civique, et le jeu des forces sociales et politiques qu’il

880 eu des forces sociales et politiques qu’il s’agit de coordonner, neutraliser ou utiliser. Mon immobilité forcée m’a donné

881 et plutôt fastidieux : téléphones, lettres, coups de sonnette, vérifications, petits retards, noms à retenir sans les note

882 on, c’est cela : elle n’est faite en réalité, que de détails qui se succèdent prosaïquement. Rien d’excitant, sinon l’idée

883 e de détails qui se succèdent prosaïquement. Rien d’ excitant, sinon l’idée d’ensemble quand on prend un peu de recul, au m

884 dent prosaïquement. Rien d’excitant, sinon l’idée d’ ensemble quand on prend un peu de recul, au moment de s’endormir, par

885 3. Hitler m’a dit, par H. Rauschning. 4. Note de 1946. Je lis dans les instructions données au général Guisan le 31 ao

886 ante (article premier) : « Vous avez pour mission de sauvegarder l’indépendance du pays et de maintenir l’intégrité du ter

887 mission de sauvegarder l’indépendance du pays et de maintenir l’intégrité du territoire. » Or il est clair que pour défen

888 ur défendre un territoire, il est parfois indiqué de céder du terrain : c’est ce qu’on nomme une retraite stratégique. On

889 indépendance. Cela se discute. Ce fut la tendance de Vichy. Par bonheur elle n’a pas prévalu en Suisse.

890 Sur la période qui suit, jusqu’au 20 août, date de mon départ pour l’Amérique, je ne retrouve dans mes papiers que des n

891 des notes décousues, des lettres, un gros paquet de coupures de journaux concernant la Ligue du Gothard, des plans d’orga

892 écousues, des lettres, un gros paquet de coupures de journaux concernant la Ligue du Gothard, des plans d’organisation, le

893 ournaux concernant la Ligue du Gothard, des plans d’ organisation, le programme de plusieurs rencontres avec des syndicalis

894 u Gothard, des plans d’organisation, le programme de plusieurs rencontres avec des syndicalistes, des industriels et des r

895 yndicalistes, des industriels et des responsables de groupements divers. Je revois cette maison de Berne à deux entrées, q

896 les de groupements divers. Je revois cette maison de Berne à deux entrées, qui nous servit parfois de rendez-vous ; des sé

897 de Berne à deux entrées, qui nous servit parfois de rendez-vous ; des séances enfumées du Directoire de la Ligue ; et pui

898 rendez-vous ; des séances enfumées du Directoire de la Ligue ; et puis, au sortir de l’une d’elles, vers midi, sur une ro

899 ectoire de la Ligue ; et puis, au sortir de l’une d’ elles, vers midi, sur une route au-dessus de Zurich, cette auto milita

900 l’une d’elles, vers midi, sur une route au-dessus de Zurich, cette auto militaire qui stoppe à côté de moi, ce jeune lieut

901 it rapidement : « Soyez prudent, quatre des chefs de la Ligue dans l’armée ont été arrêtés ce matin à six heures… » Mais p

902 tional 5 il se dressait vraiment comme le bastion de l’Europe dont nous avions rêvé, sans oser croire que quelques mois pl

903 l 5 il se dressait vraiment comme le bastion de l’ Europe dont nous avions rêvé, sans oser croire que quelques mois plus tard i

904 Notre Ligue du Gothard, fondée sur l’idée simple d’ organiser les volontés de résistance, voyait ainsi son premier objecti

905 fondée sur l’idée simple d’organiser les volontés de résistance, voyait ainsi son premier objectif atteint. Elle s’orienta

906 nt. Elle s’orientait vers un programme plus vaste d’ entraide sociale et de rénovation économique et politique. Elle avait

907 ers un programme plus vaste d’entraide sociale et de rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé le noy

908 ait au départ formé le noyau du premier mouvement de Résistance, au sens que ce mot devait prendre un peu plus tard dans l

909 nats et tortures en moins. Les mêmes peuvent rire de l’armée suisse parce qu’elle n’eut pas l’occasion de se battre. Pourt

910 l’armée suisse parce qu’elle n’eut pas l’occasion de se battre. Pourtant elle l’aurait eue, probablement, si les Allemands

911 e et moins bien alertée. Et notre petit mouvement de résistance, pour « théorique » et préventif qu’il soit resté, eût cer

912 e ce fût, voilà qui suffit à mes yeux. En ce mois d’ août de 1940, j’estimais qu’elle avait réussi dans la mesure précise o

913 t, voilà qui suffit à mes yeux. En ce mois d’août de 1940, j’estimais qu’elle avait réussi dans la mesure précise où elle

914 en Amérique. L’armée démobilisait les deux tiers de ses effectifs. La Ligue s’engageait dans une phase où j’étais loin de

915 ent, pas beaucoup dire. Me taire ou ne parler que de notre belle nature me semblait également intolérable, tant qu’Hitler

916 galement intolérable, tant qu’Hitler sévissait en Europe . Enfin, je pressentais que dans la lutte en cours, perdue sur notre c

917 ment décisif allait venir et ne pouvait venir que d’ Amérique. Peut-être bien était-ce là-bas qu’il me serait donné quoique

918 là-bas qu’il me serait donné quoique « neutre », de faire la guerre à ma façon, d’entrer « dans le coup ». Poussé dans le

919 uoique « neutre », de faire la guerre à ma façon, d’ entrer « dans le coup ». Poussé dans le dos, attiré en avant, je me dé

920 août, à sept heures du matin, je prenais la route de Lisbonne. 5. On se rappelle, en Suisse, que le 25 juillet, le génér

921 ral Guisan convoqua tous les officiers supérieurs de l’armée pour leur exposer son plan de défense à outrance autour du ma

922 supérieurs de l’armée pour leur exposer son plan de défense à outrance autour du massif du Gothard.

923 La route de Lisbonne Quinta da Fonte (Portugal), 28 août 1940 La « route d

924 a da Fonte (Portugal), 28 août 1940 La « route de Lisbonne » restera, aux yeux de l’historien futur, l’un des symboles

925 torien futur, l’un des symboles les plus typiques de l’an de grâce 1940. « An de grâce rationnée », comme le remarquait un

926 utur, l’un des symboles les plus typiques de l’an de grâce 1940. « An de grâce rationnée », comme le remarquait un spiritu

927 les les plus typiques de l’an de grâce 1940. « An de grâce rationnée », comme le remarquait un spirituel Anglais de mes am

928 onnée », comme le remarquait un spirituel Anglais de mes amis. Pour combien d’hommes le billet du Clipper ou d’un petit pa

929 it un spirituel Anglais de mes amis. Pour combien d’ hommes le billet du Clipper ou d’un petit paquebot américain n’est-il

930 is. Pour combien d’hommes le billet du Clipper ou d’ un petit paquebot américain n’est-il pas le dernier coupon de cette ca

931 paquebot américain n’est-il pas le dernier coupon de cette carte de bonheur que tous croient mériter ? Mais le Clipper et

932 ain n’est-il pas le dernier coupon de cette carte de bonheur que tous croient mériter ? Mais le Clipper et les paquebots n

933 s le Clipper et les paquebots ne partent plus que d’ un seul port européen. Et pour l’atteindre, il n’est plus qu’une seule

934 les paquebots ne partent plus que d’un seul port européen . Et pour l’atteindre, il n’est plus qu’une seule voie : celle qui sor

935 n’est plus qu’une seule voie : celle qui sortant de Genève par un étroit goulet entre les postes d’occupation allemands e

936 t de Genève par un étroit goulet entre les postes d’ occupation allemands et la Savoie où sont les Italiens, passe par le m

937 la Savoie où sont les Italiens, passe par le midi de la France, s’infiltre à grand-peine en Espagne, manque vingt fois de

938 iltre à grand-peine en Espagne, manque vingt fois de s’y perdre, et n’atteint finalement Lisbonne qu’en vertu, semble-t-il

939 int finalement Lisbonne qu’en vertu, semble-t-il, d’ un étrange caprice, ou d’une négligence ironique des dieux policiers d

940 u’en vertu, semble-t-il, d’un étrange caprice, ou d’ une négligence ironique des dieux policiers de l’Europe. Comme il sera

941 ou d’une négligence ironique des dieux policiers de l’Europe. Comme il serait facile de pincer, n’importe où, cette mince

942 ’une négligence ironique des dieux policiers de l’ Europe . Comme il serait facile de pincer, n’importe où, cette mince artère p

943 eux policiers de l’Europe. Comme il serait facile de pincer, n’importe où, cette mince artère par où notre vieux monde se

944 artère par où notre vieux monde se vide peu à peu de son élite en même temps que de ses parasites ! (Une élite qui se sent

945 se vide peu à peu de son élite en même temps que de ses parasites ! (Une élite qui se sent de trop, des parasites acharné

946 mps que de ses parasites ! (Une élite qui se sent de trop, des parasites acharnés à survivre…) On serait tenté de penser q

947 s parasites acharnés à survivre…) On serait tenté de penser que cette sorte d’omission fait partie d’un plan général qui n

948 vivre…) On serait tenté de penser que cette sorte d’ omission fait partie d’un plan général qui ne relève pas précisément d

949 de penser que cette sorte d’omission fait partie d’ un plan général qui ne relève pas précisément de la philanthropie. Mai

950 e d’un plan général qui ne relève pas précisément de la philanthropie. Mais peut-être est-ce trop d’optimisme que de suppo

951 t de la philanthropie. Mais peut-être est-ce trop d’ optimisme que de supposer qu’un plan quelconque préside aux modificati

952 ropie. Mais peut-être est-ce trop d’optimisme que de supposer qu’un plan quelconque préside aux modifications du monde que

953 de aux modifications du monde que nous commençons d’ entrevoir. Route de Lisbonne, route de l’émigration et des gros chèque

954 s du monde que nous commençons d’entrevoir. Route de Lisbonne, route de l’émigration et des gros chèques, des agents plus

955 commençons d’entrevoir. Route de Lisbonne, route de l’émigration et des gros chèques, des agents plus ou moins secrets, d

956 f, ni businessman, ni détrôné, voyageur ordinaire d’ une époque qui ne l’est point, mais qu’il m’importe de connaître de vi

957 e époque qui ne l’est point, mais qu’il m’importe de connaître de visu. Première journée À six heures du matin, rue

958 s rappelle les temps des diligences. Entassements de bagages et de plaids, voyageurs hétéroclites qui s’observent avant l’

959 temps des diligences. Entassements de bagages et de plaids, voyageurs hétéroclites qui s’observent avant l’aventure, surp

960 t, retards, enfin départ en trombe à grands coups de corne à travers la ville endormie. Tous les fauteuils sont occupés da

961 auteuils sont occupés dans notre voiture et point de couloir libre au milieu. Des bagages à main, des cartons à chapeaux e

962 tout cela et vous permettre après dix kilomètres d’ extraire de votre poche une cigarette. Douanes suisse et française san

963 et vous permettre après dix kilomètres d’extraire de votre poche une cigarette. Douanes suisse et française sans histoire 

964 se sans histoire : on s’en tire avec trois heures d’ attente. Et voici la France dite libre. Si l’on traverse en autocar la

965 pée du pays, on n’aperçoit que des traces infimes d’ un des plus grands désastres de l’histoire. Des ponts détruits dans un

966 des traces infimes d’un des plus grands désastres de l’histoire. Des ponts détruits dans une région où les Allemands ne vi

967 dans une lumière qui ne savent encore parler que de bonheur et de libre sagesse… Comment croire à la catastrophe lorsqu’o

968 ère qui ne savent encore parler que de bonheur et de libre sagesse… Comment croire à la catastrophe lorsqu’on descend dans

969 ’on descend dans ces contrées les plus humanisées de la planète, le long du Rhône, dans l’invincible euphorie des approche

970 oici quelques villages occupés par des formations de la légion tchèque désarmée. Et soudain, un peu avant Nîmes, deux moto

971 s sommes arrêtés pour déjeuner dans un restaurant de Grenoble. Menu pareil à ceux de Paris il y a un an, et les prix ont à

972 ans un restaurant de Grenoble. Menu pareil à ceux de Paris il y a un an, et les prix ont à peine augmenté. Mais à Valence,

973 t à peine augmenté. Mais à Valence, la tenancière d’ une épicerie où nous entrons nous tend d’abord la liste des articles q

974 n blanc et vin rouge… Le pain et le vin, symboles de la terre de France, marques sacrées d’une civilisation. Pour un Franç

975 in rouge… Le pain et le vin, symboles de la terre de France, marques sacrées d’une civilisation. Pour un Français, leur ab

976 , symboles de la terre de France, marques sacrées d’ une civilisation. Pour un Français, leur absence représente bien autre

977 une atteinte au moral du peuple, à la saveur même de la vie… À Nîmes, halte de dix minutes à la terrasse d’un grand café.

978 uple, à la saveur même de la vie… À Nîmes, halte de dix minutes à la terrasse d’un grand café. Beaucoup de monde, mais pe

979 vie… À Nîmes, halte de dix minutes à la terrasse d’ un grand café. Beaucoup de monde, mais peu d’animation. On nous sert,

980 asse d’un grand café. Beaucoup de monde, mais peu d’ animation. On nous sert, sous le nom de café noir, un breuvage au goût

981 , mais peu d’animation. On nous sert, sous le nom de café noir, un breuvage au goût d’encre additionné de jus de saccharin

982 rt, sous le nom de café noir, un breuvage au goût d’ encre additionné de jus de saccharine. Et les apéritifs sont interdits

983 café noir, un breuvage au goût d’encre additionné de jus de saccharine. Et les apéritifs sont interdits. Au moment de repa

984 ir, un breuvage au goût d’encre additionné de jus de saccharine. Et les apéritifs sont interdits. Au moment de repartir, u

985 dits. Au moment de repartir, une femme s’approche de la portière. « Vous venez de Suisse ? dit-elle anxieuse. Est-il vrai

986 es bombardés chaque nuit et que vous allez mourir de faim ? » Nous la rassurons. Tout se réduit à quelques bombes jetées p

987 urnaux lit-on donc ici ? Désir secret des peuples de l’Europe : se rassurer à la pensée que la catastrophe est générale, q

988 x lit-on donc ici ? Désir secret des peuples de l’ Europe  : se rassurer à la pensée que la catastrophe est générale, qu’il n’y

989 que la catastrophe est générale, qu’il n’y a plus de pays épargnés, et que le malheur est si total qu’on ne peut plus dist

990 alheur est si total qu’on ne peut plus distinguer de responsabilités… Deuxième journée Aube sur Sète et son cimetièr

991 n cimetière marin, célébré par le plus beau poème de Valéry. Entre les pins palpite, entre les tombes « la mer, la mer tou

992 urrait donc obscurcir ce spectacle et le souvenir de cette musique ivre d’intelligence ? Et pourtant, c’est encore Valéry

993 ce spectacle et le souvenir de cette musique ivre d’ intelligence ? Et pourtant, c’est encore Valéry qui écrivait prophétiq

994 Valéry qui écrivait prophétiquement, au lendemain de la victoire (celle de 1918) : « Nous autres civilisations, nous savon

995 ophétiquement, au lendemain de la victoire (celle de 1918) : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous

996 tuer ses guides spirituels, supprimer ses moyens d’ expression, éteindre Paris « ville lumière ». On peut aussi, tout simp

997 n peut aussi, tout simplement, ne plus réimprimer de livres en langue française : ceux qu’on faisait à Paris sur du mauvai

998 r du mauvais papier ne se conserveront guère plus d’ un demi-siècle. Il n’y aura même pas besoin de les brûler. Nous roulon

999 lus d’un demi-siècle. Il n’y aura même pas besoin de les brûler. Nous roulons maintenant vers l’Espagne, à travers un pays

1000 lons maintenant vers l’Espagne, à travers un pays de vignes dont le vin rouge sera bu par les Allemands. Voici Perpignan d

1001 les Allemands. Voici Perpignan dans un tourbillon de poussière jaune, des châteaux sarrazins, le camp désert d’Argelès où

1002 ère jaune, des châteaux sarrazins, le camp désert d’ Argelès où furent rassemblés les débris de l’armée rouge d’Espagne, — 

1003 désert d’Argelès où furent rassemblés les débris de l’armée rouge d’Espagne, — que c’est vieux, et ce n’était qu’un essai

1004 où furent rassemblés les débris de l’armée rouge d’ Espagne, — que c’est vieux, et ce n’était qu’un essai : mise au point

1005 vieux, et ce n’était qu’un essai : mise au point de la puissance des armes et du maniement des passions. L’Espagne a fait

1006 aniement des passions. L’Espagne a fait les frais d’ une expérience combinée dans ses moindres détails par Ribbentrop, Cian

1007 s’en remettait à la naïveté héroïque des requetes de droite et des démocrates de gauche… J’écris ceci à la frontière espag

1008 héroïque des requetes de droite et des démocrates de gauche… J’écris ceci à la frontière espagnole, sous le regard peu ras

1009 frontière espagnole, sous le regard peu rassurant de jeunes soldats qui représentent « l’ordre nouveau », en espadrilles e

1010 ois plus guère au départ. S’il y avait une goutte d’ eau à boire. Mais le car a stoppé dans une gorge aride, entre deux roc

1011 qui se poursuivent depuis je ne sais plus combien d’ heures, ressemblent de plus en plus à une torture chinoise, savamment

1012 uit court, parmi les voyageurs, que nous risquons d’ être refoulés à Perpignan lorsque tout sera terminé, le chiffre maximu

1013 seul pays par lequel ils peuvent encore quitter l’ Europe se trouve être précisément celui dont ils ont le moins de raison d’at

1014 ouve être précisément celui dont ils ont le moins de raison d’attendre quelque bienveillance… Un jeune soldat famélique et

1015 précisément celui dont ils ont le moins de raison d’ attendre quelque bienveillance… Un jeune soldat famélique et débraillé

1016 resque déserts, et, dans le port, un petit bateau de guerre coulé à quai, coupé en deux par une bombe et couvert d’une rou

1017 lé à quai, coupé en deux par une bombe et couvert d’ une rouille éclatante. Mon fils, âgé de 5 ans, me demande avec une ins

1018 et couvert d’une rouille éclatante. Mon fils, âgé de 5 ans, me demande avec une insistance harcelante, pourquoi on a coulé

1019 et pourquoi ces maisons des boulevards n’ont pas de fenêtres et des trous partout dans leurs murs… Je songe à ce que me d

1020 espagnol : « Je ne puis vous expliquer la guerre d’ Espagne, car c’est une querelle de famille à quoi les étrangers ne peu

1021 iquer la guerre d’Espagne, car c’est une querelle de famille à quoi les étrangers ne peuvent rien comprendre. » Mais que p

1022 dans ces villes à demi mortes ? Que penseront les Européens , d’ici quelques années, lorsqu’ils se retrouveront dans la même situa

1023 ront dans la même situation, sans plus de raisons de se réconcilier ? L’Europe de demain, la voici : c’est cette Espagne a

1024 ation, sans plus de raisons de se réconcilier ? L’ Europe de demain, la voici : c’est cette Espagne amère, ce mutisme du peuple

1025 sans plus de raisons de se réconcilier ? L’Europe de demain, la voici : c’est cette Espagne amère, ce mutisme du peuple, c

1026 epartir ce soir en train, mais en prenant l’avion de Madrid, demain matin, nous gagnerons une vingtaine d’heures. Curieuse

1027 adrid, demain matin, nous gagnerons une vingtaine d’ heures. Curieuse obstination des Espagnols à dire que tout est impossi

1028 à dire que tout est impossible : qu’il n’y a plus de place dans l’avion, par exemple. En insistant, on en trouve toujours.

1029 , mais ce qui paraît leur importer surtout, c’est de décourager les voyageurs forcés de passer par leur pays. Quatrième

1030 surtout, c’est de décourager les voyageurs forcés de passer par leur pays. Quatrième journée Madrid, quarante degrés

1031 le Prado, seul refuge, est fermé. Pourquoi parler de l’Espagne ? C’est un pays qui sait vous faire sentir qu’il n’a guère

1032 n pays qui se barricade — neuf heures à la douane d’ entrée, et l’on nous en prédit autant à la sortie — et qui ne s’inquiè

1033 it autant à la sortie — et qui ne s’inquiète plus de vous une fois que vous y êtes entré, comme absorbé qu’il est dans la

1034 es entré, comme absorbé qu’il est dans la stupeur de ruines qui semblent déjà permanentes. Traces de balles aux façades et

1035 r de ruines qui semblent déjà permanentes. Traces de balles aux façades et pas de maisons derrière, en pleine Avenida cent

1036 permanentes. Traces de balles aux façades et pas de maisons derrière, en pleine Avenida centrale. Ici, l’on n’essaie plus

1037 pleine Avenida centrale. Ici, l’on n’essaie plus de maquiller ! La couche de vernis pittoresque et brillante que décrivai

1038 Ici, l’on n’essaie plus de maquiller ! La couche de vernis pittoresque et brillante que décrivaient à satiété — l’un copi

1039 t à satiété — l’un copiant l’autre — les amateurs d’ espagnolisme, a été totalement décapée par ces années de guerre civile

1040 gnolisme, a été totalement décapée par ces années de guerre civile. Maintenant, on ne voit plus que le fond. Tristesse, ea

1041 binets du Ritz, rues étroites et fétides, pleines de mendiants, plus de cigarettes, ni d’allumettes, ni de taxis, mais que

1042 s étroites et fétides, pleines de mendiants, plus de cigarettes, ni d’allumettes, ni de taxis, mais quelques officiers all

1043 des, pleines de mendiants, plus de cigarettes, ni d’ allumettes, ni de taxis, mais quelques officiers allemands en uniforme

1044 endiants, plus de cigarettes, ni d’allumettes, ni de taxis, mais quelques officiers allemands en uniforme, dans une foule

1045 s allemands en uniforme, dans une foule dépourvue d’ élégance. Le totalitarisme ne sera jamais qu’une organisation de la mi

1046 totalitarisme ne sera jamais qu’une organisation de la misère. Mais je doute que les phalangistes soient capables à eux s

1047 que les phalangistes soient capables à eux seuls d’ organiser suffisamment cette misère-là. Il circule d’horribles histoir

1048 rganiser suffisamment cette misère-là. Il circule d’ horribles histoires sur la mise au pillage des campagnes par les chefs

1049 nes par les chefs locaux, et sur la colère sourde de la population. Si l’Espagne entre en guerre demain, ce sera sans dout

1050 emain, ce sera sans doute dans la seule intention de faire maintenir un certain « ordre » par les soins de l’armée alleman

1051 aire maintenir un certain « ordre » par les soins de l’armée allemande. Cinquième journée Départ de Madrid hier soir

1052 l’armée allemande. Cinquième journée Départ de Madrid hier soir dans un train archiplein — beaucoup de voyageurs n’o

1053 e voyageurs n’ont pu y trouver place et tenteront de prendre celui de demain soir — et sans avoir dîné, faute de restauran

1054 pu y trouver place et tenteront de prendre celui de demain soir — et sans avoir dîné, faute de restaurant dans la gare ou

1055 Durant toute la nuit, nous avons fait une moyenne de trente kilomètres à l’heure. Cet express s’arrête non seulement à tou

1056 te du parti. Comme en Italie, les gens ne cessent de circuler d’un bout à l’autre du train, enjambant des paysannes et des

1057 Comme en Italie, les gens ne cessent de circuler d’ un bout à l’autre du train, enjambant des paysannes et des soldats end

1058 mis dans le couloir au milieu de leurs paquets et de leurs cages à poules. Aux gares, ils reconnaissent des amis, les prie

1059 Aux gares, ils reconnaissent des amis, les prient de monter pour les accompagner jusqu’à la station prochaine, leur offren

1060 sur la tablette du compartiment, et nous arrosent de pépins crachés à la ronde. Ici au moins, il y a de la gaieté, et même

1061 e pépins crachés à la ronde. Ici au moins, il y a de la gaieté, et même une sorte de gentillesse, malheureusement vociféra

1062 au moins, il y a de la gaieté, et même une sorte de gentillesse, malheureusement vociférante. Nous atteignons la frontièr

1063 recommence. À midi, on nous ouvre enfin une sorte de buffet de gare, et nous nous ruons aveuglément sur des nourritures in

1064 . À midi, on nous ouvre enfin une sorte de buffet de gare, et nous nous ruons aveuglément sur des nourritures indéfinissab

1065 indéfinissables. Deux heures. Je demande au chef de train pourquoi nous restons là. « C’est, me dit-il, que le train a dé

1066 s wagons sont sur les rails. Parmi nos compagnons de voyage, tous ne sont pas encore très rassurés : il arrive en effet, n

1067 u destin le plus cruel qu’ait jamais mérité notre Europe . Vers trois heures du matin, si tout va bien, nous atteindrons Lisbon

1068 nous ? Le Portugal a vu passer déjà des centaines de milliers de réfugiés, et l’on ne trouve plus une chambre libre à cinq

1069 rtugal a vu passer déjà des centaines de milliers de réfugiés, et l’on ne trouve plus une chambre libre à cinquante kilomè

1070 kilomètres autour de la ville. Comme il n’y a pas de wagon-restaurant, le chef de train accepte de nous arrêter pour une h

1071 . Comme il n’y a pas de wagon-restaurant, le chef de train accepte de nous arrêter pour une heure dans un village. Nous dî

1072 pas de wagon-restaurant, le chef de train accepte de nous arrêter pour une heure dans un village. Nous dînons sur la place

1073 n merveilleux couchant. Des enfants aux tignasses d’ Arabes poursuivent des chiens et des chats sous les tables, et un supe

1074 des chats sous les tables, et un superbe troupeau de bœufs à grandes cornes traverse la place au dessert. À Lisbonne, nous

1075 tions accueillis dans cette Quinta toute hérissée de grilles et de cactus quand on arrive, mais fraîche et gaie à l’intéri

1076 is dans cette Quinta toute hérissée de grilles et de cactus quand on arrive, mais fraîche et gaie à l’intérieur de ses cou

1077 fraîche et gaie à l’intérieur de ses courettes et de ses chambres blanchies à la chaux, où l’on voudrait passer sa vie, où

1078 ublierait la guerre, sur ces terrasses incendiées de roses, à la piscine, dans la pinède qui vibre au vent chaud de la mer

1079 a piscine, dans la pinède qui vibre au vent chaud de la mer… Lisbonne, 10 septembre 1940 Blanche et bleue dans l’imm

1080 e 1940 Blanche et bleue dans l’immense lumière de la liberté atlantique, avec tous ses drapeaux claquant et ses rues dé

1081 ville aux sept collines renie la guerre, oublie l’ Europe . Demain nous embarquons pour l’Amérique. Mais ici je fais le serment

1082 uons pour l’Amérique. Mais ici je fais le serment d’ opposer une stricte mémoire à la candeur intarissable de la vie, toujo

1083 ser une stricte mémoire à la candeur intarissable de la vie, toujours pressée d’imaginer un monde où tout peut encore cont

1084 candeur intarissable de la vie, toujours pressée d’ imaginer un monde où tout peut encore continuer. Je viens de voir une

1085 il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le dém

1086 ait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’ esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le démoniaque et le

1087 ’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ai

1088 iaque et le surhumain. Et j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venant des terres abandonné

1089 bandonnées du Nord et que nos paysans s’efforcent d’ arrêter avant qu’elles n’étouffent leurs champs. J’ai vu renaître les

1090 renaître les paniques dévastatrices du ve siècle de notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève, nuit et jour, a

1091 rd, cœur mystérieux du continent, dernier symbole d’ une liberté qui ne peut plus vivre que sous la cuirasse. Hâtons-nous,

1092 ommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai de grâce ! À bord de l’Exeter, 11 septembre 1940 Les derniers barr

1093 on peut imaginer que la police renoncera au viol de notre vie privée. Pourtant, certains des passagers gardent encore l’a

1094 tant, certains des passagers gardent encore l’air de s’attendre au pire, tandis qu’ils font leur premier tour de pont. Ils

1095 dre au pire, tandis qu’ils font leur premier tour de pont. Ils se rappellent sans doute ce Polonais, tiré, jeté par la pol

1096 frontière — à deux-cents mètres — du Portugal et de la liberté. Car tel est le sadisme policier. De Genève à Lisbonne, no

1097 t de la liberté. Car tel est le sadisme policier. De Genève à Lisbonne, nous avons traversé sept contrôles différents de d

1098 ne, nous avons traversé sept contrôles différents de douane et de police. Secondés par la chance, nous n’y avons passé, si

1099 s traversé sept contrôles différents de douane et de police. Secondés par la chance, nous n’y avons passé, si je compte bi

1100 us n’y avons passé, si je compte bien, guère plus de vingt-deux heures, mais le total normal est d’au moins trente m’affir

1101 us de vingt-deux heures, mais le total normal est d’ au moins trente m’affirme-t-on, et les « accidents » sont fréquents. P

1102 l’homme à l’anonyme, pour le priver du sentiment de sa vocation, de sa différence personnelle, cependant qu’on lui demand

1103 nyme, pour le priver du sentiment de sa vocation, de sa différence personnelle, cependant qu’on lui demande à chaque pas d

1104 onnelle, cependant qu’on lui demande à chaque pas de prouver son identité. Or plus il en proteste et moins il s’en assure.

1105 t précisément à l’émigrant, à celui qui s’éloigne de ses bases, des réflexes de son milieu, de tout ce qui allait de soi a

1106 à celui qui s’éloigne de ses bases, des réflexes de son milieu, de tout ce qui allait de soi autour de lui et l’assurait

1107 éloigne de ses bases, des réflexes de son milieu, de tout ce qui allait de soi autour de lui et l’assurait quotidiennement

1108 u 14 au 15 septembre 1940 Les derniers bateaux de la dernière ligne reliant l’Europe à l’Amérique ont tous des noms en

1109 s derniers bateaux de la dernière ligne reliant l’ Europe à l’Amérique ont tous des noms en « Ex » : Exeter, Excalibur, Excambi

1110 lionnaires, ex-princes, vers leur exil. Mais moi, de quoi pourrais-je bien être l’« ex » ? Avec ma « mission de conférence

1111 ourrais-je bien être l’« ex » ? Avec ma « mission de conférences » (prétexte évidemment peu convaincant) je fais figure d’

1112 étexte évidemment peu convaincant) je fais figure d’ ex-voyageur normal. Touriste des catastrophes, scandaleux personnage,

1113 Je crois bien que cette image m’est venue à cause d’ une conversation entendue sur le pont cette nuit même. L’heure était f

1114 ui-même, avant la guerre, organisaient des dépôts de mitraillettes dans certaines rues stratégiques de Paris, T. ex-milita

1115 de mitraillettes dans certaines rues stratégiques de Paris, T. ex-militant de la gauche, lui répondit avec un demi-sourire

1116 taines rues stratégiques de Paris, T. ex-militant de la gauche, lui répondit avec un demi-sourire et sans retirer son mégo

1117 ec un demi-sourire et sans retirer son mégot, que de l’autre côté on savait tout cela, et qu’au surplus, on en faisait aut

1118 deux ex-adversaires, leurs astucieux préparatifs de guerre civile n’auraient été troublés que par l’attaque intempestive

1119 ait qu’on eût moins brillamment prévu les choses… De fait, les étrangers sont toujours surprenants. On ne s’entend vraimen

1120 e soir, les passagers se pressent devant la porte de la cabine du capitaine, avec l’espoir d’entendre la radio. Tout à l’h

1121 la porte de la cabine du capitaine, avec l’espoir d’ entendre la radio. Tout à l’heure, comme j’essayais de me faufiler, R.

1122 tendre la radio. Tout à l’heure, comme j’essayais de me faufiler, R. s’extrait du groupe, me cède sa place, et je l’entend

1123 est ce que répètent dix fois par jour les usagers de la radio. Le monde a changé de face sous nos yeux, mais nous le regar

1124 r jour les usagers de la radio. Le monde a changé de face sous nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’heure en

1125 gé de face sous nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’heure en heure, nous n’avons rien vu. C’est après coup,

1126 nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’ heure en heure, nous n’avons rien vu. C’est après coup, en nous retour

1127 es événements. Il a dit : « Rien de nouveau, rien d’ important… » Mais je crois avoir entendu dans le ronron nasillard qui

1128 voir entendu dans le ronron nasillard qui sortait de la petite chambre : « Cent-soixante-cinq avions allemands ont été aba

1129 Et c’est peut-être la nouvelle la plus importante de la guerre. Car tout tient aux Anglais, et si ce bulletin dit vrai, le

1130 . 18 septembre 1940 Comment prévoir l’issue de cette guerre, lorsqu’on a remarqué qu’elle n’oppose plus que deux nat

1131 lais, même battus, se comportent en propriétaires de droit divin de la victoire en général. La seule solution « possible »

1132 us, se comportent en propriétaires de droit divin de la victoire en général. La seule solution « possible » serait donc la

1133 bre 1940 Un journaliste américain, qui revient de Paris, s’appuie au bastingage, près de moi, et me dit en crachant dan

1134 les Boches sont corrects… Well… Quand un gangster de Chicago vous prend votre portefeuille, il vous donne quelquefois cinq

1135 er mon approbation. 20 septembre 1940, en rade de New York Je me suis éveillé dans ma cabine moite avec le sentiment

1136  ! Couru sur le pont. Nous sommes dans les passes de l’Hudson. Une brume de chaleur tropicale bleuit les rives. Je ne m’at

1137 ous sommes dans les passes de l’Hudson. Une brume de chaleur tropicale bleuit les rives. Je ne m’attendais pas à la nature

1138 à la nature américaine, à la voir la première et de si près, avant les gratte-ciel, la statue… Je n’ai jamais eu la sensa

1139 e-ciel, la statue… Je n’ai jamais eu la sensation d’ un paysage plus étranger, mais plus étrangement accueillant. Tous ces

1140 mense sécurité du continent qu’on imagine au-delà de ces falaises orangées, frangées de forêts d’un vert sombre de luxueus

1141 magine au-delà de ces falaises orangées, frangées de forêts d’un vert sombre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit

1142 delà de ces falaises orangées, frangées de forêts d’ un vert sombre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit et se peup

1143 ses orangées, frangées de forêts d’un vert sombre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit et se peuple de mâts. Au so

1144 use tapisserie… La rivière s’élargit et se peuple de mâts. Au sommet d’une falaise qui fuit obliquement éclate une longue

1145 rivière s’élargit et se peuple de mâts. Au sommet d’ une falaise qui fuit obliquement éclate une longue façade claire et ne

1146 . Tournant la tête vers l’avant, un peu au-dessus de la poupe, je viens de voir un groupe de tours serrées, presque diapha

1147 au-dessus de la poupe, je viens de voir un groupe de tours serrées, presque diaphanes dans la brume — Manhattan, comme une

1148 New York, fin septembre 1940 Ces histoires de visas et de passeports, j’y reviens, font rater l’arrivée la plus cél

1149 , fin septembre 1940 Ces histoires de visas et de passeports, j’y reviens, font rater l’arrivée la plus célèbre au mond

1150 ublots du petit salon où siégeaient ces messieurs d’ Ellis Island. Ils palpent nos passeports et les feuillettent avec une

1151 s, des coupables sans doute. Nous sommes tous des Européens , des gens qui viennent du pays de la guerre… Interrogatoires en angla

1152 tous des Européens, des gens qui viennent du pays de la guerre… Interrogatoires en anglais. Comme dans les « rêves d’exame

1153 nterrogatoires en anglais. Comme dans les « rêves d’ examen », où l’on se présente généralement tout nu et sans préparation

1154 te généralement tout nu et sans préparation. Reçu de justesse. Passez à l’épreuve suivante. Docile, j’ai repris ma place d

1155 st bien le mien qu’il tâte et saisit sur la pile, d’ une main apparemment distraite ? Qu’a-t-il donc de spécial, mon passep

1156 d’une main apparemment distraite ? Qu’a-t-il donc de spécial, mon passeport, pour qu’il le considère avec cette méfiance-l

1157 qu’on puisse jamais se mettre en règle avant tant d’ insondables exigences ! Eh bien, que vont-ils faire de moi, dans la pi

1158 sondables exigences ! Eh bien, que vont-ils faire de moi, dans la pire éventualité ? Ils ne peuvent pourtant pas me jeter

1159 urtant pas me jeter à la mer… Subitement, un coup de tampon, un bon sourire : — Thank you, Sir ! And good luck to you ! C’

1160 ni. Le monde s’ouvre et s’éclaire comme au sortir d’ un cauchemar. Mais c’est aussi comme un premier réveil désorienté dans

1161 onte sur le pont et ne le reconnais pas, encombré de bagages, noirci d’humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et

1162 ne le reconnais pas, encombré de bagages, noirci d’ humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et les dimensions ont

1163 e bagages, noirci d’humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et les dimensions ont changé… Tout le monde regarde du

1164 , noirci d’humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et les dimensions ont changé… Tout le monde regarde du même côt

1165 us défilons lentement près de leur base. Des pans de brique rosée, ocrée, légère, s’éclairent dans les profondeurs embuées

1166 es, de toutes parts. Et de nouveau la « sensation de reconnaissance » m’a saisi. Cette rumeur, cet élan vertical, cet élan

1167 t New York identique à son rêve. Premiers accords d’ une symphonie dont on savait les thèmes par cœur pour avoir étudié la

1168 du monde. Douze avenues parallèles, dans le sens de la longueur, qui est de vingt-cinq kilomètres environ — elles figuren

1169 parallèles, dans le sens de la longueur, qui est de vingt-cinq kilomètres environ — elles figurent assez bien les ascense

1170 nviron — elles figurent assez bien les ascenseurs d’ un grand building — et deux-cent-cinquante rues coupant les avenues à

1171 e rues coupant les avenues à angle droit : autant d’ étages. Au milieu, Central Park, rectangulaire. C’est tout, c’est la c

1172 al Park, rectangulaire. C’est tout, c’est la cité de Manhattan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson et de l’East River

1173 la cité de Manhattan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson et de l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur des e

1174 attan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson et de l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien plu

1175 es, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels, et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait d

1176 t plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels, et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non pl

1177 es par un immense réseau de ponts, de tunnels, et d’ autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New Yor

1178 ne ville alpestre ! Je l’ai senti le premier soir d’ octobre, quand le soleil couchant flambait les hauteurs des gratte-cie

1179 l couchant flambait les hauteurs des gratte-ciel, de cette couleur orangée, aérienne qu’on voit aux crêtes des parois roch

1180 des parois rocheuses alors que la vallée s’emplit d’ une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue

1181 mplit d’une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’ une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpr

1182 j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la m

1183 e mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventure, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empi

1184 Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’ aventure, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empire State,

1185 venture, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empire State, du Chrysler, du Centre Rockefeller, de vingt autres d

1186 Empire State, du Chrysler, du Centre Rockefeller, de vingt autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais vous désign

1187 Chrysler, du Centre Rockefeller, de vingt autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais vous désignent comme les Su

1188 ark, au milieu des prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici 

1189 s prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient

1190 s sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secre

1191 ’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capab

1192 plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporte

1193 de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-

1194 n : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les

1195 étaient capables de supporter le formidable poids d’ un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tra

1196 de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranches, polis et l

1197 ules des plus riches bâtiments, reliques scellées d’ une antiquité souterraine. À Chicago et Saint-Louis au contraire, sur

1198 cago et Saint-Louis au contraire, sur les plaines d’ alluvions ou dans les marécages, les gratte-ciel, déjà, me dit-on, men

1199 cages, les gratte-ciel, déjà, me dit-on, menacent de suivre l’inquiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien des aspe

1200 e dit-on, menacent de suivre l’inquiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la c

1201 de suivre l’inquiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’

1202 our de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la P

1203 . Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proc

1204 imat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’ extrême civilisation matérielle demeure hanté par on ne sait quelle sa

1205 sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’ extrême densité humaine demeure baigné dans une atmosphère irrémédiabl

1206 diablement désertique. Les Américains des plaines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanit

1207 laines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici les rapports quotidiens.

1208 st, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici les rapports quotidiens. Ils pensent, d

1209 , dans leur ignorance, que c’est une ville « trop européenne  »… Mais moi je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque ave

1210 p européenne »… Mais moi je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. Princeton (New Jersey),

1211 is moi je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. Princeton (New Jersey), mi-octobre 1940

1212 rinceton (New Jersey), mi-octobre 1940 Au long d’ un quai souterrain, après avoir traversé les parvis populeux surmontés

1213 près avoir traversé les parvis populeux surmontés d’ une coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon pre

1214 vis populeux surmontés d’une coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon premier train américain. Comme

1215 x surmontés d’une coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon premier train américain. Comme tout le mo

1216 ut le monde, j’ai glissé mon billet dans le ruban de mon chapeau, où le contrôleur l’a pris et replacé sans me déranger da

1217 pris et replacé sans me déranger dans la lecture de mon journal. Il n’y a que deux classes en Amérique : l’une où les fau

1218 s fauteuils au dossier très haut sont fixes (deux de chaque côté du couloir central), l’autre où les fauteuils sont espacé

1219 ù les fauteuils sont espacés et pivotent ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un c

1220 nt espacés et pivotent ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un coach. Je me suis e

1221 el. Dans l’ensemble, les femmes m’ont paru dignes de ce que le cinéma nous en promet — mais il suffit de trois ou quatre b

1222 ce que le cinéma nous en promet — mais il suffit de trois ou quatre beautés saines ou frappantes sur cinquante femmes qu’

1223 n peu trop vite à la circulation, comme ces autos de série, larges et confortables, mais dont il est prudent de vérifier s

1224 larges et confortables, mais dont il est prudent de vérifier si toutes les pièces tiennent bien ensemble… Soudain je n’ai

1225 ns. Le train surgissait du tunnel dans une plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjamb

1226 gissait du tunnel dans une plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les arche

1227 plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en

1228 récages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en pas croire se

1229 e de canaux et de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en pas croire ses yeux, qui porte l’autostrade pend

1230 naux et de digues, enjambée par les arches de fer d’ un pont à n’en pas croire ses yeux, qui porte l’autostrade pendant des

1231 dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’ avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s’enlisent, fuma

1232 angars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s’enlisent, fumants, des monstres antédiluviens. Une falais

1233 fumants, des monstres antédiluviens. Une falaise de granit se dresse près de la voie. Nous la passons. Sur son autre vers

1234 ssons. Sur son autre versant s’étale un cimetière d’ autos décarcassées, déchets du grand délire de construction qui enfièv

1235 ère d’autos décarcassées, déchets du grand délire de construction qui enfièvre tout le continent, et dont le pont de l’aut

1236 n qui enfièvre tout le continent, et dont le pont de l’autostrade au fond de l’horizon porte la’ gloire. Princeton, fin

1237 ontinent, et dont le pont de l’autostrade au fond de l’horizon porte la’ gloire. Princeton, fin d’octobre 1940 À une

1238 de l’horizon porte la’ gloire. Princeton, fin d’ octobre 1940 À une heure de New York, nous sommes en pleine campagn

1239 . Princeton, fin d’octobre 1940 À une heure de New York, nous sommes en pleine campagne, et l’on cesse de sentir l’A

1240 rk, nous sommes en pleine campagne, et l’on cesse de sentir l’Amérique. Forêts et plaines ondulées, quelques villages en b

1241 et plaines ondulées, quelques villages en bordure de la route avec leur église de bois blanc, mais peu de fermes isolées.

1242 villages en bordure de la route avec leur église de bois blanc, mais peu de fermes isolées. J’ai voulu me promener dans l

1243 r dans les bois. C’était la brousse. Peu ou point de chemins marqués, nulle trace de l’homme dès qu’on s’éloigne des grand

1244 sse. Peu ou point de chemins marqués, nulle trace de l’homme dès qu’on s’éloigne des grandes pistes cimentées. On m’avait

1245 ne plante à trois feuilles qui infeste les forêts de l’Est et que l’on nomme poison ivy. Son contact, ou parfois sa seule

1246 ou parfois sa seule proximité, produit une sorte d’ urticaire très virulente, dont on n’a pas encore trouvé le remède. Je

1247 térieusement, refuse à l’homme son intimité. Rien d’ étonnant si l’idéal du paysan américain est de se retirer à la ville !

1248 ien d’étonnant si l’idéal du paysan américain est de se retirer à la ville ! Washington, 30 octobre 1940 Depuis le t

1249 tobre 1940 Depuis le temps qu’on nous vante en Europe les autostrades fascistes et hitlériennes, qui semblent justifier (av

1250 pourquoi n’a-t-on jamais parlé des superhighways d’ Amérique ? Ici, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pend

1251 highways d’Amérique ? Ici, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pendre les récalcitrants, pour construire ces

1252 Amérique ? Ici, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pendre les récalcitrants, pour construire ces routes pro

1253 i, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pendre les récalcitrants, pour construire ces routes prodigieuses, au

1254 uelles les fameuses « réalisations » du Führer et de son Duce sont des sentiers. Trois pistes dans chaque sens, séparées p

1255 séparées par une large bande gazonnée et plantée d’ arbres, c’est une ivresse que de s’y laisser porter à cent-dix à l’heu

1256 zonnée et plantée d’arbres, c’est une ivresse que de s’y laisser porter à cent-dix à l’heure en moyenne, dans le déferleme

1257 sans ralentir Philadelphie puis Baltimore, cités de trente kilomètres de côté, dont on ne voit que les résidences de luxe

1258 elphie puis Baltimore, cités de trente kilomètres de côté, dont on ne voit que les résidences de luxe dans leurs parcs, et

1259 ètres de côté, dont on ne voit que les résidences de luxe dans leurs parcs, et quelques rues des quartiers nègres dont cha

1260 ques rues des quartiers nègres dont chaque maison de brique s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés lui

1261 rtiers nègres dont chaque maison de brique s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’enfant

1262 chaque maison de brique s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’enfants au crâne sphériq

1263 s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’enfants au crâne sphérique. Je n’aime guère Wash

1264 hes de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’ enfants au crâne sphérique. Je n’aime guère Washington, ville de null

1265 âne sphérique. Je n’aime guère Washington, ville de nulle part, peu convaincante, pareille à une cité d’exposition qu’on

1266 nulle part, peu convaincante, pareille à une cité d’ exposition qu’on aurait décidé de maintenir pour y loger ceux qui ne t

1267 eille à une cité d’exposition qu’on aurait décidé de maintenir pour y loger ceux qui ne trouvent pas de place ailleurs, le

1268 e maintenir pour y loger ceux qui ne trouvent pas de place ailleurs, les déracinés permanents, diplomates, fonctionnaires

1269 en anglais dinner jacket. Ce parc immense, enclos d’ épaisses murailles, est l’un des lieux les plus exclusifs de la terre.

1270 murailles, est l’un des lieux les plus exclusifs de la terre. Autour d’un lac d’un bleu violent où nagent des cygnes sous

1271 des lieux les plus exclusifs de la terre. Autour d’ un lac d’un bleu violent où nagent des cygnes sous les saules pleureur

1272 x les plus exclusifs de la terre. Autour d’un lac d’ un bleu violent où nagent des cygnes sous les saules pleureurs, s’élèv

1273 us les saules pleureurs, s’élèvent les résidences d’ été des « vieux » milliardaires de New York, — une cinquantaine de vil

1274 les résidences d’été des « vieux » milliardaires de New York, — une cinquantaine de villas blanches, de châteaux rouges o

1275 x » milliardaires de New York, — une cinquantaine de villas blanches, de châteaux rouges ou violets, sur des pelouses vert

1276 New York, — une cinquantaine de villas blanches, de châteaux rouges ou violets, sur des pelouses vert pomme aux opulents

1277 n y pénètre par un porche médiéval, où des agents de police arrêtent votre voiture, vous prient de dire où vous allez, et

1278 nts de police arrêtent votre voiture, vous prient de dire où vous allez, et téléphonent à votre hôtesse pour vérifier que

1279 nklin-D. Roosevelt que les républicains désignent de la sorte), si cet homme-là est réélu, je n’ai plus qu’à remplir ma ca

1280 e-là est réélu, je n’ai plus qu’à remplir ma cave de conserves, car je vous le dis, ce sera la famine ! Le bolchévisme ! L

1281 a Trente-troisième et la Soixantième rue, le cœur de Manhattan c’est la ville pure. Ici, tout ce que le regard touche et m

1282 regard touche et mesure dans les trois dimensions de l’espace, sauf un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homm

1283 s trois dimensions de l’espace, sauf un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homme sur table rase, imbriqué, con

1284 ace, sauf un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homme sur table rase, imbriqué, condensé, superposé, pour un u

1285 f un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’ homme sur table rase, imbriqué, condensé, superposé, pour un usage mas

1286 un usage massif, exactement prévu. Plus une trace de campagne primitive ne subsiste, plus un seul coin de terre à nu, et p

1287 campagne primitive ne subsiste, plus un seul coin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feu

1288 oin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’ eau qui court, ni de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de c

1289 t plus une ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de ciment armé, diversem

1290 i d’eau qui court, ni de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de ciment armé, diversement coupés et étagés, asphal

1291 i de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de ciment armé, diversement coupés et étagés, asphalte plane, parois de

1292 ersement coupés et étagés, asphalte plane, parois de verre et angles droits, circulation horizontale et verticale, intensi

1293 ation horizontale et verticale, intensité suprême de la présence humaine jusqu’à trois-cents mètres du sol. Pour la premiè

1294 a première fois, je vois une ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome,

1295 vois une ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont

1296 si purifiée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’immenses parcs

1297 iée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’immenses parcs semés de

1298 ts de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’ immenses parcs semés de groupes de monuments. Le site et le paysage y

1299 Rome, en comparaison, sont d’immenses parcs semés de groupes de monuments. Le site et le paysage y sont partout sensibles.

1300 mparaison, sont d’immenses parcs semés de groupes de monuments. Le site et le paysage y sont partout sensibles. Les rues m

1301 iaux, aux esplanades, aux terrains vagues envahis d’ herbes. Les arbres cachent les façades, moutonnent à la hauteur des to

1302 mmet des buildings, se perd dans un dernier éclat d’ avion fuyant, et c’est la ville alors qui s’empare du ciel, s’en fait

1303 ait un dôme à sa mesure et le referme sur sa nuit de ville. New York, 6 novembre 1940 Première victoire de la démoc

1304 New York, 6 novembre 1940 Première victoire de la démocratie. — Roosevelt est réélu, le peuple en joie. La dame de T

1305 conserves. Hier soir, je me suis mêlé à la foule de Times Square. Je n’avais vu tant d’hommes ensemble qu’en Allemagne, l

1306 lé à la foule de Times Square. Je n’avais vu tant d’ hommes ensemble qu’en Allemagne, lors des grands discours du Führer. N

1307 ent du Times, en lettres lumineuses qui couraient d’ une façade à l’autre. Vers onze heures, une rumeur d’océan s’éleva de

1308 ne façade à l’autre. Vers onze heures, une rumeur d’ océan s’éleva de la foule qui stationnait à l’ouest du building, se pr

1309 tre. Vers onze heures, une rumeur d’océan s’éleva de la foule qui stationnait à l’ouest du building, se propagea rapidemen

1310 evelt emporte l’État de New York par 247 810 voix de majorité. » C’était l’élection assurée. Des centaines de milliers de

1311 rité. » C’était l’élection assurée. Des centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèren

1312 ait l’élection assurée. Des centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèrent pendant di

1313 assurée. Des centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèrent pendant dix minutes. Des

1314 centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèrent pendant dix minutes. Des fenêtres de

1315 es la saluèrent pendant dix minutes. Des fenêtres de tous les bureaux neigeaient des pages d’annuaires lacérées, éclats d’

1316 fenêtres de tous les bureaux neigeaient des pages d’ annuaires lacérées, éclats d’or dans le feu des projecteurs. Puis ce f

1317 neigeaient des pages d’annuaires lacérées, éclats d’ or dans le feu des projecteurs. Puis ce fut la ruée vers les bars odor

1318 teurs. Puis ce fut la ruée vers les bars odorants de fritures et de bière à pleins bords. Vers une heure du matin, le squa

1319 fut la ruée vers les bars odorants de fritures et de bière à pleins bords. Vers une heure du matin, le square semblait dés

1320 , toute seule, à grands pas, soulevant des gerbes de papiers multicolores, et elle clamait le Star-Spangled Banner d’une v

1321 icolores, et elle clamait le Star-Spangled Banner d’ une voix de salutiste hallucinée… Cette réélection de Roosevelt sera s

1322 t elle clamait le Star-Spangled Banner d’une voix de salutiste hallucinée… Cette réélection de Roosevelt sera sans doute a

1323 ne voix de salutiste hallucinée… Cette réélection de Roosevelt sera sans doute aux yeux de l’histoire la première victoire

1324 ictoire sur Hitler. Ah ! pourvu qu’on le sache en Europe  ! Princeton, 10 novembre 1940 Religion. — Nous sommes en quête

1325 ovembre 1940 Religion. — Nous sommes en quête d’ une maison dans la banlieue de Manhattan. Les prospectus que je reçois

1326 ous sommes en quête d’une maison dans la banlieue de Manhattan. Les prospectus que je reçois ne manquent jamais de mention

1327 . Les prospectus que je reçois ne manquent jamais de mentionner, outre les écoles du quartier et les lignes de métro, de t

1328 onner, outre les écoles du quartier et les lignes de métro, de trams et d’autobus qui le desservent, la proximité d’une ég

1329 re les écoles du quartier et les lignes de métro, de trams et d’autobus qui le desservent, la proximité d’une église. À di

1330 s du quartier et les lignes de métro, de trams et d’ autobus qui le desservent, la proximité d’une église. À dire le vrai,

1331 rams et d’autobus qui le desservent, la proximité d’ une église. À dire le vrai, je n’ai jamais vu autant d’églises qu’à Ne

1332 église. À dire le vrai, je n’ai jamais vu autant d’ églises qu’à New York, dédiées à toutes les croyances du monde. C’est

1333 ident le plus fréquent à New York, c’est le grain de poussière que le vent vous plante dans l’œil. Au lieu de vous frotter

1334 rez dans la première pharmacie venue, et désignez d’ un doigt la cause de vos tourments. Un gentleman en blouse blanche s’e

1335 pharmacie venue, et désignez d’un doigt la cause de vos tourments. Un gentleman en blouse blanche s’en vient vers vous in

1336 se blanche s’en vient vers vous incontinent, armé d’ une sorte de cure-dent coiffé d’ouate, vous retourne d’un coup la paup

1337 ’en vient vers vous incontinent, armé d’une sorte de cure-dent coiffé d’ouate, vous retourne d’un coup la paupière, fait u

1338 incontinent, armé d’une sorte de cure-dent coiffé d’ ouate, vous retourne d’un coup la paupière, fait un geste précis, tout

1339 sorte de cure-dent coiffé d’ouate, vous retourne d’ un coup la paupière, fait un geste précis, tout est fini. Vous dites m

1340 te minutes — et garder autant que possible le ton de l’improvisation. Celles qu’on lit bien font moins d’effet que celles

1341 l’improvisation. Celles qu’on lit bien font moins d’ effet que celles qu’on bafouille en souriant. Les unes comme les autre

1342 confondues avec n’importe quoi, que n’importe qui d’ autre a pu dire le lendemain. Il est clair qu’on n’atteint le public a

1343 s à grand tirage, ou le théâtre. Pour m’acquitter de ma mission, je ne vois donc que deux solutions : écrire un livre dont

1344 x solutions : écrire un livre dont les fabricants de magazines puissent à loisir piller les arguments ou les informations

1345 rchant une maison ; car tout cela me prendra plus de temps que ceux qui m’envoient ne l’ont prévu. (J’ai reçu des fonds po

1346 l’ont prévu. (J’ai reçu des fonds pour un séjour de quatre mois, et le voyage aller et retour.) 14 novembre 1940 Ré

1347 aller et retour.) 14 novembre 1940 Réaction d’ Européen : je déteste qu’on m’offre, dans un magasin de tabac, une pip

1348 ler et retour.) 14 novembre 1940 Réaction d’ Européen  : je déteste qu’on m’offre, dans un magasin de tabac, une pipe neuve

1349 opéen : je déteste qu’on m’offre, dans un magasin de tabac, une pipe neuve mais « déjà culottée », au fourneau tapissé d’u

1350 neuve mais « déjà culottée », au fourneau tapissé d’ une couche de charbon lisse. Cela me rappelle le vieux débat sur les l

1351 déjà culottée », au fourneau tapissé d’une couche de charbon lisse. Cela me rappelle le vieux débat sur les livres qu’il f

1352 et nous nous installons demain, avec des meubles d’ occasion achetés pour un prix dérisoire, à la volée, dans un énorme br

1353 érisoire, à la volée, dans un énorme bric-à-brac. De quoi fournir les six pièces et cuisine d’un cottage entouré d’un jard

1354 à-brac. De quoi fournir les six pièces et cuisine d’ un cottage entouré d’un jardin, à Forest Hills (Long Island). La vie a

1355 ir les six pièces et cuisine d’un cottage entouré d’ un jardin, à Forest Hills (Long Island). La vie américaine commence à

1356 ande avec application ce que je pense du monde et de son train. C’est un garçon d’une quarantaine d’années. Le premier soi

1357 e pense du monde et de son train. C’est un garçon d’ une quarantaine d’années. Le premier soir, il m’a dit mon prénom, lui

1358 t de son train. C’est un garçon d’une quarantaine d’ années. Le premier soir, il m’a dit mon prénom, lui c’est Michaël, com

1359 et pourquoi sa femme le néglige. Il s’en va tout d’ un coup, sans adieu ni raison, en souhaitant, well, que la situation s

1360 mon anglais courant en écoutant les chroniqueurs de la radio. Il y faut une certaine patience. Chaque émission est financ

1361 paye très cher des journalistes qui vous parlent de Budapest ou de Chung-King, mais il se réserve le droit de les interro

1362 des journalistes qui vous parlent de Budapest ou de Chung-King, mais il se réserve le droit de les interrompre au beau mi

1363 est ou de Chung-King, mais il se réserve le droit de les interrompre au beau milieu d’une phrase, à six-mille kilomètres d

1364 éserve le droit de les interrompre au beau milieu d’ une phrase, à six-mille kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’u

1365 beau milieu d’une phrase, à six-mille kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’un de ses produits, ou lire la lettre

1366 -mille kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’ un de ses produits, ou lire la lettre d’un client touché aux larmes pa

1367 e kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’un de ses produits, ou lire la lettre d’un client touché aux larmes par la

1368 e l’éloge d’un de ses produits, ou lire la lettre d’ un client touché aux larmes par la qualité d’une soupe. Les chroniqueu

1369 ttre d’un client touché aux larmes par la qualité d’ une soupe. Les chroniqueurs les plus fameux s’arrêtent soudain dans le

1370 yse des nouvelles pour annoncer que leur bailleur de fonds a quelques mots à dire à ces messieurs, et c’est à propos d’un

1371 confessions religieuses, mais là encore, le Credo de Nicée, chanté par un chœur anglican, se voit coupé avant le Saint-Esp

1372 voit coupé avant le Saint-Esprit par la publicité d’ un laxatif. Décembre 1940 Point d’artisanat. — Inutile d’essaye

1373 ublicité d’un laxatif. Décembre 1940 Point d’ artisanat. — Inutile d’essayer de faire réparer une porte : toutes fer

1374 Décembre 1940 Point d’artisanat. — Inutile d’ essayer de faire réparer une porte : toutes ferment mal, et les Améric

1375 e 1940 Point d’artisanat. — Inutile d’essayer de faire réparer une porte : toutes ferment mal, et les Américains s’en

1376 es ouvriers qui sont venus tout à l’heure étaient d’ avis qu’il fallait remplacer celle qui sépare mon petit bureau du corr

1377 cer celle qui sépare mon petit bureau du corridor de la cuisine. J’ai proposé un simple coup de rabot. Ils ont pris un air

1378 rridor de la cuisine. J’ai proposé un simple coup de rabot. Ils ont pris un air écœuré. J’étais encore un de ces avares de

1379 ot. Ils ont pris un air écœuré. J’étais encore un de ces avares de petits bourgeois comme on n’en trouve plus qu’en Europe

1380 is un air écœuré. J’étais encore un de ces avares de petits bourgeois comme on n’en trouve plus qu’en Europe, il fallait r

1381 petits bourgeois comme on n’en trouve plus qu’en Europe , il fallait remplacer la porte. J’ai insisté pour le petit coup de ra

1382 mplacer la porte. J’ai insisté pour le petit coup de rabot. Maintenant, je vois un jeu d’au moins deux centimètres entre l

1383 e petit coup de rabot. Maintenant, je vois un jeu d’ au moins deux centimètres entre la porte et le chambranle, et je ne pu

1384 tiendrait-il ? Il est fondé chez nous sur le goût de l’objet, mais aussi, avouons-le, sur la disette et le besoin d’utilis

1385 is aussi, avouons-le, sur la disette et le besoin d’ utiliser les restes. 23 décembre 1940 Désespoir à Times Square.

1386  — Times Square après un dîner solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’un exercice spirituel : une véritable cen

1387 r solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’ un exercice spirituel : une véritable centrifugation de l’être. Mais p

1388 exercice spirituel : une véritable centrifugation de l’être. Mais peut-être me dis-je après coup, mais peut-être en poussa

1389 tre en poussant à l’extrême cette « distraction » de l’âme et de la volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable, et pa

1390 ant à l’extrême cette « distraction » de l’âme et de la volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable, et par la sensati

1391 on directe du monde tel que le crée l’homme privé de l’Esprit, l’une des entrées de la Voie Négative et du Désert dont par

1392 crée l’homme privé de l’Esprit, l’une des entrées de la Voie Négative et du Désert dont parlent les mystiques ? Homéopathi

1393 e désespoir, s’il est conscient, un dernier signe de la vie… Non, j’ai surtout senti le désespoir tout court, dans cette p

1394 nti le désespoir tout court, dans cette promenade de plusieurs heures, et c’est ici seulement, sur le papier, que je compr

1395 quare avec une acuité crispante : l’état du monde d’ où l’Esprit s’est retiré. Ce n’étaient pas « les péchés » de ces homme

1396 rit s’est retiré. Ce n’étaient pas « les péchés » de ces hommes et de ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger et

1397 Ce n’étaient pas « les péchés » de ces hommes et de ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger et qui peut-être n’e

1398 pas le froid, la pluie, la poisse aux pieds mêlée d’ essence sur l’asphalte des avenues, c’était ce vide. C’était le sens a

1399 tait le sens absent. Dans le milieu archihumanisé de la grande ville, connais le poids mortel de cette parole : « Si le se

1400 anisé de la grande ville, connais le poids mortel de cette parole : « Si le sel vient à perdre sa saveur… » La sensation m

1401 sel vient à perdre sa saveur… » La sensation même de l’irréparable. À moins qu’un seul, ici ou là, n’ouvre les yeux, d’ent

1402 0 Un vrai Noël. — À chaque porte une couronne de sapin enrubannée, dans chaque maison, près de la fenêtre, un petit ar

1403 carols ; dans chaque église ou presque, le Messie de Haendel. Et les cadeaux paraissent plus brillants, à cause de ces pap

1404 llants, à cause de ces papiers argentés et dorés, de ces vignettes, de ces rubans dont les orne la moindre boutique. Santa

1405 ces papiers argentés et dorés, de ces vignettes, de ces rubans dont les orne la moindre boutique. Santa Claus se promène

1406 orne la moindre boutique. Santa Claus se promène de porte en porte, et jamais mes enfants n’avaient eu un Noël aussi ress

1407 Mais les amis qui étaient venus parlaient du Noël de la France et nous mangions nos chocolats comme si nous les avions vol

1408 hocolats comme si nous les avions volés… Début de janvier 1941 Éditeurs. — Vu mon éditeur, et un autre. Tout s’est

1409 . — Vu mon éditeur, et un autre. Tout s’est passé de la même façon dans les deux cas. L’ascenseur s’ouvre sur un hall meub

1410 deux cas. L’ascenseur s’ouvre sur un hall meublé de grands fauteuils et de tables tubulaires. Vous attendez. Une secrétai

1411 s’ouvre sur un hall meublé de grands fauteuils et de tables tubulaires. Vous attendez. Une secrétaire aussi belle qu’à l’é

1412 ssi belle qu’à l’écran prend votre nom et s’en va d’ un pas souple, imitant la démarche de la star qu’elle préfère. À l’heu

1413 m et s’en va d’un pas souple, imitant la démarche de la star qu’elle préfère. À l’heure précise du rendez-vous, on vous co

1414 heure précise du rendez-vous, on vous conduit par de calmes bureaux jusqu’au bureau plus calme encore de l’éditeur. Vous d

1415 calmes bureaux jusqu’au bureau plus calme encore de l’éditeur. Vous dites et il dit ce qu’il y avait à dire. L’homme à lu

1416 otre plan lui paraît « fascinant » et les chances de vente raisonnables. Il ne vous reste plus qu’à vous retirer, avec une

1417 s, et vous sortez angoissé et honteux à la pensée d’ avoir jamais écrit, de vous être jamais livré à ces extravagances naïv

1418 issé et honteux à la pensée d’avoir jamais écrit, de vous être jamais livré à ces extravagances naïves qu’on nomme inspira

1419 tion, anxiété poétique, spéculations et scrupules d’ écritures, toutes choses si vagues et si peu convaincantes quand on y

1420 caisse toucher un petit chèque qu’on doit feindre d’ avoir mérité, bien qu’on sache qu’il n’a pas le moindre rapport avec c

1421 ’a pas le moindre rapport avec ce je ne sais quoi d’ inavouable, d’incertain par définition, de pas sérieux vraiment, qui v

1422 dre rapport avec ce je ne sais quoi d’inavouable, d’ incertain par définition, de pas sérieux vraiment, qui vous a fait « é

1423 is quoi d’inavouable, d’incertain par définition, de pas sérieux vraiment, qui vous a fait « écrire »… Petits bureaux mite

1424 eaux miteux et encombrés des plus grands éditeurs de Paris, où l’on renverse des dossiers en se retournant pour dire bonjo

1425 it l’acte le plus sérieux du monde, le plus digne de l’homme, le plus adulte ! 16 janvier 1941 « Highbrow ». — Les

1426 c’est highbrow, qui veut dire à peu près, parlant d’ un livre ou d’un article : qui vise trop haut, prétentieux, difficile,

1427 , qui veut dire à peu près, parlant d’un livre ou d’ un article : qui vise trop haut, prétentieux, difficile, bon pour les

1428 pense que c’est la seule église vraiment moderne de New York. La foule adore le music-hall parce que c’est une image du c

1429 Gloire du grand chœur final largement déployé sur de hauts escaliers évoquant l’infini, dans la nuée des plumages, et l’éc

1430 et hiver s’appelle The Wave of the Future. Il est d’ Elisabeth Lindbergh, la femme du célèbre aviateur. Mrs. Lindbergh, ave

1431 incérité frappante, recommande à ses compatriotes de se laisser emporter par la « vague de l’avenir » qui serait le mouvem

1432 ompatriotes de se laisser emporter par la « vague de l’avenir » qui serait le mouvement totalitaire, fasciste, nazi ou sov

1433 i qui s’y abandonne n’en retire qu’un sérieux mal de mer. Et peut-être oublie-t-elle aussi que l’Angleterre rules the wave

1434 re » dans ce pays. Et ce n’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’édition, ni un salon — rien de

1435 ’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’ une maison d’édition, ni un salon — rien de tout cela n’existe en Amér

1436 hambre d’une maison d’édition, ni un salon — rien de tout cela n’existe en Amérique — mais une party. Et cette party n’éta

1437 u la célébrité des invités, mais par les plateaux de cocktails que l’on passait continuellement d’un groupe à l’autre. Il

1438 aux de cocktails que l’on passait continuellement d’ un groupe à l’autre. Il y avait là bon nombre des « intellectuels » de

1439 e. Il y avait là bon nombre des « intellectuels » de vingt à quarante ans dont je retrouve les noms dans les petites revue

1440 dont je retrouve les noms dans les petites revues de l’avant-garde américaine. Peu de gaieté bruyante mais un humour bonho

1441 ’ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’ antan. La plupart sont trotskistes, ont lu Freud, ou en parlent. À lir

1442 es voir chez eux ou ensemble, j’éprouve une sorte de tristesse. Ils paraissent encore moins intégrés que leurs confrères e

1443 aissent encore moins intégrés que leurs confrères européens à la vie de leur propre nation. Cela tient sans doute à mille raisons

1444 s intégrés que leurs confrères européens à la vie de leur propre nation. Cela tient sans doute à mille raisons matérielles

1445 équentant les éditeurs d’ici. Atteindre le public d’ un si vaste pays suppose trop de compromissions visant au succès comme

1446 teindre le public d’un si vaste pays suppose trop de compromissions visant au succès commercial. Les meilleurs se voient d

1447 sition sans portée politique, spectateurs irrités de la vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’Europe, cherch

1448 irrités de la vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des f

1449 vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’ Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des fondements spir

1450 e américaine, disciples réticents de nos écoles d’ Europe , cherchant une méthode de pensée plutôt que des fondements spirituels

1451 nts de nos écoles d’Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des fondements spirituels, compensant par la brusqu

1452 ndements spirituels, compensant par la brusquerie de leurs jugements et un style tough (nous dirions « dur » ou « vache »)

1453 h (nous dirions « dur » ou « vache ») leur défaut de responsabilité. Tout cela ne les empêche pas, bien au contraire, de r

1454 Tout cela ne les empêche pas, bien au contraire, de rechercher surtout la « vie » dans leurs écrits, avec une sorte de no

1455 tout la « vie » dans leurs écrits, avec une sorte de nostalgie à la Lawrence. Ils jugent en général trop formalistes ou rh

1456 s. Une jeune romancière me disait : « Vous autres Européens , vous écrivez comme si vous étiez déjà morts. Oh ! ce n’est pas un re

1457 Je veux dire que l’on sent chez vous un tel souci de la forme durable… » Eux, c’est un certain dynamisme, une certaine app

1458 aine approche brute, instinctive, et parfois émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent-ils eux-mêmes ? L’exigence que

1459 ls eux-mêmes ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’expliciter un sens, leur apparaît vaguement suspecte ou en

1460  ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’ expliciter un sens, leur apparaît vaguement suspecte ou ennuyeuse, pro

1461 i leur font le plus peur. Mais quand ils décident de penser, ils tournent aussitôt au pédant germanique et jugent mundane

1462 en isme et le langage technique des ismes réputés d’ avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’être affranchis des tabous du

1463 mes réputés d’avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’être affranchis des tabous du puritanisme au prix d’une frustration

1464 être affranchis des tabous du puritanisme au prix d’ une frustration de l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de

1465 s tabous du puritanisme au prix d’une frustration de l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les

1466 u puritanisme au prix d’une frustration de l’âme, d’ un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les rend malad

1467 e l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les rend malades, leur paraît méchamment subversif, « r

1468 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragments de mon Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upto

1469 ème colonne. — Quelques fragments de mon Journal d’ Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Sinclair du fo

1470 n Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Sinclair du fond de la Californie alerte à leur sujet

1471 ans une revue de New York, Upton Sinclair du fond de la Californie alerte à leur sujet deux éditeurs. Sur leur demande pre

1472 ien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur les années 1935 et 1936. Or le public veut de l’actualité.

1473 er sur les années 1935 et 1936. Or le public veut de l’actualité. Le second m’a fait venir ce matin : — En tant que citoye

1474 tin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un

1475 t que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un suicide. — Co

1476 nt cela ? — Vous êtes trop objectif. On parlerait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous

1477 ait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste noire des Alle

1478 ivre est sur la liste noire des Allemands et même de l’organisation vichyssoise des libraires ? Savez-vous que la Gestapo

1479 ir ce qu’il juge, ni pourquoi. Quitte à rivaliser d’ intolérance brutale avec ceux qu’il croit condamner… N’est-ce pas cela

1480 nos démocraties, je vous le dis, c’est la paresse d’ esprit ! Cet éditeur doit publier le livre sur la Suisse que je proje

1481 e projette à l’usage des Américains. J’ai cru bon de l’avertir qu’il n’y serait question ni d’edelweiss, ni de cor des Alp

1482 cru bon de l’avertir qu’il n’y serait question ni d’ edelweiss, ni de cor des Alpes, ni d’horloges à coucou, ni de fromage

1483 rtir qu’il n’y serait question ni d’edelweiss, ni de cor des Alpes, ni d’horloges à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a

1484 question ni d’edelweiss, ni de cor des Alpes, ni d’ horloges à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a regardé d’un air scep

1485 , ni de cor des Alpes, ni d’horloges à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a regardé d’un air sceptique. Il fait fond sur

1486 s à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a regardé d’ un air sceptique. Il fait fond sur un reste de bon sens qu’il a cru dé

1487 rdé d’un air sceptique. Il fait fond sur un reste de bon sens qu’il a cru déceler dans mes manières polies. 27 janvier

1488 r, l’une des meilleures têtes du pays. Professeur de théologie, socialiste militant, polémiste sérieux et sarcastique, il

1489 sarcastique, il mène campagne pour l’intervention de l’Amérique dans le conflit. Une petite revue virulente et dense, Chri

1490 nity and Crisis, qu’il vient de fonder, s’efforce de combattre l’inertie des Églises, demeurées isolationnistes dans leur

1491 s’opposent à l’intervention, c’est par objection de conscience, pacifisme, antimilitarisme, crainte du régime tyrannique

1492 inte du régime tyrannique que toute guerre risque d’ instaurer. Mais c’est aussi parce qu’on ne croit plus au mal, en Améri

1493 trop affreux pour être vrai », dit-on des récits de réfugiés. Il en résulte qu’on collabore avec les partisans sournois d

1494 sulte qu’on collabore avec les partisans sournois d’ Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui

1495 n collabore avec les partisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui qui ne ve

1496 ec les partisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire

1497 ans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable tra

1498 ler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes «  d’ avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable travaille fatalement

1499 Le Mauvais Temps. — Il est vain, il est vain de bâtir ! Arrêtez-vous ! « There is no use in building a house » en ce

1500 vivent ici dans la paix se trompent, il n’y a pas de paix. Et ceux qui meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de

1501 il n’y a pas de paix. Et ceux qui meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de leur sacrifice, mauvais temps. « Que

1502 de paix. Et ceux qui meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de leur sacrifice, mauvais temps. « Que celui qui bâ

1503 meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de leur sacrifice, mauvais temps. « Que celui qui bâtissait s’arrête de

1504 mauvais temps. « Que celui qui bâtissait s’arrête de bâtir ! » Peu comprennent, et beaucoup ne veulent rien savoir… Beauco

1505 t leur pays et leur enfance, ils n’ont plus envie de bâtir. Beaucoup passent leurs nuits dans des salles d’attente, sachan

1506 tir. Beaucoup passent leurs nuits dans des salles d’ attente, sachant qu’il ne vient plus de trains, dormant le long des ja

1507 des salles d’attente, sachant qu’il ne vient plus de trains, dormant le long des jambes et des dos de voisins qui ne sente

1508 de trains, dormant le long des jambes et des dos de voisins qui ne sentent pas bon, mauvaise humeur et peu d’espoir de s’

1509 ns qui ne sentent pas bon, mauvaise humeur et peu d’ espoir de s’en aller. Beaucoup n’attendent plus rien, ayant recommencé

1510 sentent pas bon, mauvaise humeur et peu d’espoir de s’en aller. Beaucoup n’attendent plus rien, ayant recommencé de vivre

1511 Beaucoup n’attendent plus rien, ayant recommencé de vivre ailleurs, dans un pays où personne ne les attendait, eux, leurs

1512 pauvreté, leurs paquets mal ficelés dans la hâte de la fuite, leurs traits tirés, leur accent étranger… Gens d’ici, vous

1513 nquilles. La démocratie est chez vous la religion de ceux qui n’en ont point. Là-bas, ils ont des religions antiques et il

1514 nt tristes et méchants, ici vous avez la religion de la démocratie et la publicité à la radio, vous aimez cela, c’est votr

1515 ros et forts, nourris scientifiquement et vierges de complexes. La science et le progrès vous guident vers la richesse et

1516 e n’est pas votre affaire, invention des méchants Européens qui font la guerre. OK ! mais je vous le répéterai : ce n’est pas le

1517 mais je vous le répéterai : ce n’est pas le temps de bâtir. Déjà, vos gratte-ciel se vident au-dessus du cinquantième étag

1518 votre vie ! Je prophétise votre ruine et l’anémie de vos tours de Babel, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de

1519 e prophétise votre ruine et l’anémie de vos tours de Babel, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de vos énergies

1520 e et l’anémie de vos tours de Babel, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de vos énergies sans direction, et le

1521 l, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de vos énergies sans direction, et le dégonflement de vos crédits, et la

1522 e vos énergies sans direction, et le dégonflement de vos crédits, et la stupidité de vos banquiers, et le triomphe des sav

1523 t le dégonflement de vos crédits, et la stupidité de vos banquiers, et le triomphe des savants sur votre liberté sentiment

1524 Vous ne l’aurez pas volé, grosses dames des clubs de dames ! L’histoire de Superman finira par vous ennuyer, et vous regar

1525 lé, grosses dames des clubs de dames ! L’histoire de Superman finira par vous ennuyer, et vous regarderez dans la Cinquièm

1526 errez des hommes en bottes. Ce n’est pas le temps de bâtir. C’est le mauvais temps du silence et de l’ascèse purifiante av

1527 ps de bâtir. C’est le mauvais temps du silence et de l’ascèse purifiante avant la lutte ! Mais vous ne le savez pas, vous

1528 assurances, comme des enfants qui ont eu le droit de briser leurs jouets pour éviter les célèbres complexes, et qui n’ont

1529 éviter les célèbres complexes, et qui n’ont plus de jouets mais des complexes. 13 février 1941 Faisons le point. —

1530 vrier 1941 Faisons le point. — Essayer encore d’ écrire pour eux et de m’adapter, malgré tout ? Si seulement j’étais ro

1531 s le point. — Essayer encore d’écrire pour eux et de m’adapter, malgré tout ? Si seulement j’étais romancier ! Car les cat

1532 seulement j’étais romancier ! Car les catégories d’ un « moraliste français » sont les moins traduisibles dans leur langue

1533 ire ce livre sur la Suisse, ma première tentative de vulgarisation ? Mais il y faudra quelques mois, et comment tenir tout

1534 out ce temps-là ? Cercle vicieux. L’oratorio tiré de mon Nicolas de Flue ne peut être joué avant avril ou mai. Et l’on m

1535 eut être joué avant avril ou mai. Et l’on m’écrit de Suisse pour me presser de rentrer. Mais là-bas, que pourrai-je bien f

1536 ou mai. Et l’on m’écrit de Suisse pour me presser de rentrer. Mais là-bas, que pourrai-je bien faire ? La censure ne s’est

1537 bien faire ? La censure ne s’est pas relâchée, et d’ excellents amis la disent justifiée par notre situation précaire au cœ

1538 nt justifiée par notre situation précaire au cœur de l’Axe. S’ils ont raison, je leur serais une cause d’ennuis plus qu’un

1539 l’Axe. S’ils ont raison, je leur serais une cause d’ ennuis plus qu’un appui. Ou bien me taire ? Mettre une sourdine ? À qu

1540 si je ne suis pas moi ? D’autre part, nos chances de nous battre paraissent très faibles, sinon nulles… Commencé l’article

1541 , et il gèle ferme. Insomnies aggravées. Tous les Européens passent par là, m’assure-t-on, pendant les premiers mois d’un séjour

1542 par là, m’assure-t-on, pendant les premiers mois d’ un séjour à New York. Écrit une cinquantaine de pages, sans ratures, s

1543 is d’un séjour à New York. Écrit une cinquantaine de pages, sans ratures, sur les sujets les plus variés. En outre, termin

1544 monde une intrigue qui démarre dans le quelconque de la vie pour mener lentement vers la crise finale, pourquoi ne point p

1545 nt vers la crise finale, pourquoi ne point partir d’ une crise subite ? Car avant elle, il n’y a point d’histoire, à propre

1546 une crise subite ? Car avant elle, il n’y a point d’ histoire, à proprement parler, comme il n’y en eut point avant la Chut

1547 e chute, que l’homme se voit jeté dans la réalité de l’existence, c’est-à-dire dans le temps, et la souffrance, et l’avent

1548 ra par sa fin. Un pressentiment l’a fait se lever de son fauteuil, marcher comme un automate vers un tiroir qu’il fouille

1549 er comme un automate vers un tiroir qu’il fouille d’ une main aveugle. Il en retire un papier, il le lit. Comme on lirait l

1550 par le jeu ou la complicité des circonstances et de ses choix, vient de s’écrouler en quelques secondes. Subitement, il a

1551 ssé. Mais devant lui, ce n’est plus qu’un vertige de possibilités qui lui semblent cruelles, parce que chacune naît de la

1552 qui lui semblent cruelles, parce que chacune naît de la mort d’une habitude qu’il chérissait, ou dont il avait fait de néc

1553 blent cruelles, parce que chacune naît de la mort d’ une habitude qu’il chérissait, ou dont il avait fait de nécessité vert

1554 habitude qu’il chérissait, ou dont il avait fait de nécessité vertu. Situation véritablement romanesque : faites vos jeu

1555 , et tout ce qui surviendra trahira le vrai choix de votre être, malgré vous. » Cambridge (Mass.), 18 avril 1941 Qu

1556 s.), 18 avril 1941 Quinze jours dans ce refuge de l’esprit, l’Université de Harvard, au milieu de la petite ville de Ca

1557 ze jours dans ce refuge de l’esprit, l’Université de Harvard, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’est qu’un fa

1558 iversité de Harvard, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’est qu’un faubourg de Boston. Le premier soir en arri

1559 café. Il avait des questions à me poser au sujet d’ un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que

1560 . Il avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut

1561 n de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut-il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’il

1562 restaurant très bon marché où l’on doit se munir d’ un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, puis défiler

1563 ès bon marché où l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comp

1564 ù l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’ assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comptoir où l’on dé

1565 iler devant un comptoir où l’on désigne les plats de son choix, — je déjeune avec des étudiants et leurs amies, des profes

1566 to dans la campagne, vers les petits lacs secrets de New Hampshire, perdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ai

1567 secrets de New Hampshire, perdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et

1568 rêts de bouleaux ; à Concord où j’ai vu la maison d’ Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre

1569 et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’il avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’

1570 j’aime errer sur les quais, le long des bâtiments de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers

1571 s bâtiments de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent

1572 ose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent luxueux des moines ang

1573 de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’ or, devant le couvent luxueux des moines anglicans, et plus loin, à tr

1574 s et les fumées des feux qui les détruisent, lieu de désolation voluptueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de so

1575 uptueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de son Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’en ai jamais vu de

1576 omine, je n’en ai jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irré

1577 i jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’ allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irrégulièrement espa

1578 u de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irrégulièrement espacées. Ce p

1579 as la mort comme les Germains, et n’en fait point de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les cimetières les plu

1580 les plus heureux du monde. ⁂ Cambridge retient l’ Européen , parce qu’à la différence des autres bourgs de ce pays, l’on y trouve

1581 opéen, parce qu’à la différence des autres bourgs de ce pays, l’on y trouve une vraie place, au carrefour de trois rues, e

1582 pays, l’on y trouve une vraie place, au carrefour de trois rues, et des cafés où vers six heures du soir se groupent autou

1583 fés où vers six heures du soir se groupent autour d’ un verre et d’un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les l

1584 x heures du soir se groupent autour d’un verre et d’ un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les logiciens et le

1585 génie aux États-Unis, c’est une catégorie précise d’ étudiants. « Génie » n’est pas un éloge excité, dans leur bouche : cel

1586 par des signes certains et scientifiques. Le test d’ intelligence d’un génie (examen portant sur la mémoire, l’érudition, l

1587 certains et scientifiques. Le test d’intelligence d’ un génie (examen portant sur la mémoire, l’érudition, le sens logique,

1588 n par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels il appliquera les théor

1589 n sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels il appliquera les théories de la logistiq

1590 , à l’analyse desquels il appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en soci

1591 quels il appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en sociologue postmarxis

1592 ns le regarder, comme on résout un petit problème de logique pure. Il portait une mouche au menton. Le second était ivre.

1593 des génies. ⁂ Hier soir on m’a fait faire le tour d’ un des lacs voisins de la ville. Tout au long de la route assez étroit