1 Avertissement Le Journal d’ un intellectuel en chômage décrivait la France de l’entre-deux-guerre

2 d’un intellectuel en chômage décrivait la France de l’entre-deux-guerres. Le Journal d’Allemagne montrait l’hitlérisme

3 it la France de l’entre-deux-guerres. Le Journal d’ Allemagne montrait l’hitlérisme dressé contre elle et contre toute l’

4 non plus une nation, un régime, mais le désordre de l’époque, vu de près. Pas plus que les deux précédents, ce journal n’

5 tion, un régime, mais le désordre de l’époque, vu de près. Pas plus que les deux précédents, ce journal n’est vraiment « i

6 e journal n’est vraiment « intime ». (Il m’arrive d’ en tenir de ce genre, mais je les garde pour mon seul usage.) Dans tou

7 ’est vraiment « intime ». (Il m’arrive d’en tenir de ce genre, mais je les garde pour mon seul usage.) Dans toutes les not

8 s que j’estimais à tort ou à raison significatifs de l’époque. Si j’ai cependant pris soin d’indiquer çà et là, par de brè

9 ficatifs de l’époque. Si j’ai cependant pris soin d’ indiquer çà et là, par de brèves allusions tout au moins, certaines ci

10 j’ai cependant pris soin d’indiquer çà et là, par de brèves allusions tout au moins, certaines circonstances privées, c’es

11 tances privées, c’est qu’il est parfois important de situer le sujet qui décrit par rapport aux objets de sa description,

12 situer le sujet qui décrit par rapport aux objets de sa description, ne fût-ce que pour donner une clé de correction. Car

13 sa description, ne fût-ce que pour donner une clé de correction. Car selon que ce sujet se trouvera plus ou moins engagé d

14 ujet se trouvera plus ou moins engagé dans la vie d’ une nation, plus ou moins compromis ou façonné par une condition socia

15 jectif ou l’habitant sédentaire du pays. La ligne d’ horizon dépend à chaque instant de l’endroit où nous nous tenons, elle

16 pays. La ligne d’horizon dépend à chaque instant de l’endroit où nous nous tenons, elle se déplace et change, et l’on peu

17 on peut dire que nous la portons avec nous. Ainsi de la plupart de nos observations sur les faits réputés objectifs. Et c’

18 its réputés objectifs. Et c’est pourquoi l’effort de discrétion de l’auteur le plus décidé à ne jamais parler de lui se vo

19 jectifs. Et c’est pourquoi l’effort de discrétion de l’auteur le plus décidé à ne jamais parler de lui se voit déjoué par

20 ion de l’auteur le plus décidé à ne jamais parler de lui se voit déjoué par les descriptions mêmes qu’il nous propose, et

21 qu’il nous propose, et qui ne sont que les rébus de ce qu’il s’imaginait dissimuler. Finalement, quoi qu’on dise on dit t

22 tion vers des objets que l’on suppose plus dignes de retenir son intérêt : coutumes, anecdotes et paysages. Et c’est ce qu

23 est ce que l’on trouvera dans ce troisième volume de notes sur l’existence de mon temps, — celle dont l’Histoire ne parler

24 dans ce troisième volume de notes sur l’existence de mon temps, — celle dont l’Histoire ne parlera pas, la plus réelle.

25 qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis

26 mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais

27 ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à

28 l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où somb

29 vois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée d’ un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirant

30 ever rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’ été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délic

31 déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastr

32 nn. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe e

33 in même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux

34 , ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encor

35 notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’ un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier,

36 is oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de s

37 derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’el

38 ours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’ une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était n

39 parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis,

40 tait notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs pe

41 manière toute naturelle de respirer et de penser, d’ aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. C

42 le de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’ entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encor

43 enir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et s

44 sirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeon

45 ns une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrang

46 sé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin.

47 ais aussi bien chez les voisins qu’elles secouent d’ un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car ell

48 d’un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l

49 vec aisance, gardant parfois l’arrière-conscience d’ un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmos

50 r : il y faut ce climat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’une

51 mat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’ une entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance… C’est

52 espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’ une confiance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de

53 ît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’ une insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usu

54 lle et goûte encore quelques instants les délices d’ un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, le

55 ait bien que c’est fini. Brève dispense, le temps d’ un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans l

56 réservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d’ aimer, cette bonté humaine, plus inutile que jamais, dominatrice et ba

57 Journal d’ attente Pardigon, Côte des Maures, avril 1939 Ceux qui tiennent

58 1939 Ceux qui tiennent un journal intime sont d’ ordinaire des êtres qui se cherchent, ou qui pour mieux se posséder fi

59 e cherchent, ou qui pour mieux se posséder fixent d’ eux-mêmes quelques instantanés révélateurs. Pour moi, j’ai renoncé à m

60 à me vérifier curieusement. Mon vrai désir serait de me donner, à peu près dans le sens où l’on dirait : l’on verra bien c

61 rra bien ce que cela donne à l’usage. C’est faute d’ usage et d’occasion, faute d’une action vraiment totale et engageante,

62 que cela donne à l’usage. C’est faute d’usage et d’ occasion, faute d’une action vraiment totale et engageante, que je com

63 l’usage. C’est faute d’usage et d’occasion, faute d’ une action vraiment totale et engageante, que je commence ici, pour la

64 e commence ici, pour la première fois, une espèce de journal d’attente, — comme on parle d’une salle d’attente. Entre deux

65 ici, pour la première fois, une espèce de journal d’ attente, — comme on parle d’une salle d’attente. Entre deux trains, en

66 une espèce de journal d’attente, — comme on parle d’ une salle d’attente. Entre deux trains, entre deux œuvres, mais surtou

67 e journal d’attente, — comme on parle d’une salle d’ attente. Entre deux trains, entre deux œuvres, mais surtout : — entre

68 ntre deux œuvres, mais surtout : — entre l’espèce de paix que nous laissa l’hiver et la guerre qui revient nous avertir, a

69 r et la guerre qui revient nous avertir, au seuil de ce printemps qu’elle dénature. Envies d’écrire, sans contenus. Envies

70 au seuil de ce printemps qu’elle dénature. Envies d’ écrire, sans contenus. Envies de noter des idées détachées, des petits

71 dénature. Envies d’écrire, sans contenus. Envies de noter des idées détachées, des petits faits sans signification, ou pl

72 œuvre veut et crée son temps à elle, dans la vie de l’auteur qu’elle choisit. Mais aujourd’hui, je ne puis que subir le t

73 5 avril 1939 Ce chef d’État offre, dit-on, d’ évacuer une île dont il s’est emparé, à condition qu’on lui donne en é

74 Débarquement… fusillade… cuirassés… C’est le coup de force d’Albanie. — Voyez-vous, me dit-il, pour nous autres, qu’est-c

75 ent… fusillade… cuirassés… C’est le coup de force d’ Albanie. — Voyez-vous, me dit-il, pour nous autres, qu’est-ce que cel

76 guerre. Mais cette fois-ci, j’ai tout semé comme d’ habitude, et on verra ! — Croyez-vous donc qu’ils vous laisseront tran

77 qui gouvernent ? — Ils ne peuvent pas m’empêcher de travailler ! J’ai tout semé comme les autres années… M. Pin promène u

78 ultures. Médite et redresse sa casquette. Et tout d’ un coup, son regard s’assombrit : — Ha ! mais je vais vous dire : si l

79 is moi, je n’arrive même pas à défricher le champ d’ un gros ouvrage projeté. Toute œuvre humaine, tout acte humain, et mêm

80 née prochaine (s’il y en a une) que cette période de menaces de guerre aura vu concevoir moins de livres, mais aussi moins

81 ne (s’il y en a une) que cette période de menaces de guerre aura vu concevoir moins de livres, mais aussi moins d’enfants

82 iode de menaces de guerre aura vu concevoir moins de livres, mais aussi moins d’enfants et moins d’amours profondes. La gu

83 ra vu concevoir moins de livres, mais aussi moins d’ enfants et moins d’amours profondes. La guerre ne tue pas seulement pe

84 ns de livres, mais aussi moins d’enfants et moins d’ amours profondes. La guerre ne tue pas seulement pendant qu’elle sévit

85 939 Pour peu que les circonstances m’empêchent de m’absorber dans l’œuvre en cours, c’est un esprit d’autocritique qui

86 m’absorber dans l’œuvre en cours, c’est un esprit d’ autocritique qui prend la place, en moi, de l’effort créateur. J’imagi

87 esprit d’autocritique qui prend la place, en moi, de l’effort créateur. J’imagine un recueil de Contredits où je réfuterai

88 n moi, de l’effort créateur. J’imagine un recueil de Contredits où je réfuterais mes précédents ouvrages… Penser avec le

89 ins , par exemple : j’accusais la culture moderne de s’être « distinguée » abusivement du peuple, d’avoir ainsi perdu sa s

90 e de s’être « distinguée » abusivement du peuple, d’ avoir ainsi perdu sa sève active et livré les masses affamées au délir

91 aujourd’hui qu’au contraire, la vraie conscience de la vie ne s’est maintenue que chez les écrivains savants qui, à force

92 tenue que chez les écrivains savants qui, à force d’ ascèse intellectuelle et de raffinements affectifs, ont su capter quel

93 s savants qui, à force d’ascèse intellectuelle et de raffinements affectifs, ont su capter quelques secrets de notre exist

94 nements affectifs, ont su capter quelques secrets de notre existence ; cependant que les masses, créées par des puissances

95 qui ont trahi, mais plutôt les chrétiens indignes de leur nom : ils ont laissé trop de terrains en friche, que leur foi se

96 étiens indignes de leur nom : ils ont laissé trop de terrains en friche, que leur foi seule pouvait ensemencer. Alors les

97 er. Alors les dictateurs y lancent leurs machines de culture en série… De même, sous l’influence des événements récents (é

98 siège proclamé par toute l’Europe), je suis tenté de prendre le contre-pied de mon Journal d’un intellectuel en chômage ,

99 ’Europe), je suis tenté de prendre le contre-pied de mon Journal d’un intellectuel en chômage , et d’insister désormais d

100 s tenté de prendre le contre-pied de mon Journal d’ un intellectuel en chômage , et d’insister désormais davantage sur les

101 de mon Journal d’un intellectuel en chômage , et d’ insister désormais davantage sur les valeurs d’opposition que sur cell

102 et d’insister désormais davantage sur les valeurs d’ opposition que sur celles de communauté. Car s’il n’est de communion v

103 ntage sur les valeurs d’opposition que sur celles de communauté. Car s’il n’est de communion vraie que dans la vérité elle

104 tion que sur celles de communauté. Car s’il n’est de communion vraie que dans la vérité elle-même, cette vérité paraît néc

105 térique aux yeux des masses. Déjà, dans la moitié de l’Europe, elle est des Catacombes et non pas du Forum. On m’a loué de

106 t des Catacombes et non pas du Forum. On m’a loué de « penser près de la vie ». Hélas ! je n’en suis que trop près, — et s

107 Hélas ! je n’en suis que trop près, — et surtout de la vie des autres ! On voudrait parfois être riche, à seule fin de ma

108 res ! On voudrait parfois être riche, à seule fin de maintenir certaines distances, — celles-là mêmes que, dans mon Journa

109 -là mêmes que, dans mon Journal, je me félicitais d’ avoir vu s’abolir… 16 avril 1939 Question : Dans quelle mesure

110 mesure un écrivain a-t-il le droit, ou le devoir, de se montrer publiquement objectif vis-à-vis de ses propres ouvrages ?

111 a-t-il une efficacité plus pénétrante ? Problème d’ une portée générale, dans un monde où s’installe peu à peu le régime d

112 , dans un monde où s’installe peu à peu le régime de l’union sacrée et de la discipline de l’opinion. Dans quelle mesure u

113 installe peu à peu le régime de l’union sacrée et de la discipline de l’opinion. Dans quelle mesure un citoyen a-t-il le d

114 u le régime de l’union sacrée et de la discipline de l’opinion. Dans quelle mesure un citoyen a-t-il le droit, ou le devoi

115 mesure un citoyen a-t-il le droit, ou le devoir, de se montrer publiquement objectif vis-à-vis de sa propre nation ? Le s

116 objectif vis-à-vis de sa propre nation ? Le sort de la démocratie dépend de la solution qui sera donnée en fait à ce prob

117 a propre nation ? Le sort de la démocratie dépend de la solution qui sera donnée en fait à ce problème, au cours des mois

118 Nuit blanche dans un train bondé dès le départ de Marseille. Une journée de rentrée à Paris. Et ce soir, me voici [venu

119 ain bondé dès le départ de Marseille. Une journée de rentrée à Paris. Et ce soir, me voici [venu] assister à un débat au c

120 des Nouveaux Cahiers sur la politique commerciale de la France. Tandis que des experts échangent leurs vues, je constate u

121 se transpose dans mon esprit en petits problèmes de langage. Il est sans cesse question d’achat et de vente, et je remarq

122 problèmes de langage. Il est sans cesse question d’ achat et de vente, et je remarque que l’acheteur et le vendeur sont né

123 de langage. Il est sans cesse question d’achat et de vente, et je remarque que l’acheteur et le vendeur sont nécessairemen

124 i-je noté ceci, qu’un des experts se met à parler de la « personnalité » d’un produit commercial et de son « prestige ». C

125 es experts se met à parler de la « personnalité » d’ un produit commercial et de son « prestige ». Curieuse dramatisation !

126 de la « personnalité » d’un produit commercial et de son « prestige ». Curieuse dramatisation ! À mesure que les hommes pe

127 ex-leader du Front populaire et conseiller privé de Daladier. Découragé, désabusé, mais en même temps décidé à « reconsid

128 n pleine cure morale, me dit-il, après quatre ans de fièvre. Mais je découvre qu’aujourd’hui, dans la vie politique ou int

129 e ou intellectuelle, plus personne n’est vraiment d’ aplomb. Nervosité, hystérie, fatigue excessive, ambitions délirantes,

130 ter souvent sur ce point, — et me donne un éclair d’ hésitation… 27 avril 1939 L’un me dit : « Pourquoi vous inquiéte

131 nquiéter ? Quand la guerre sera là, il sera temps d’ y penser. » C’est qu’il ne croit pas à la guerre. Un second : « Commen

132 rte pas, bien au contraire. Le premier devoir est de ne point se laisser surprendre. » C’est qu’il ne croit plus à la paix

133 qu’il ne croit plus à la paix. Tous les deux ont de bonnes raisons. Car il est vrai que la guerre n’est pas fatale ; vrai

134  ? 29 avril 1939 Comme il est des stratèges de Café du Commerce — généraux qui n’ont rien à commander —, il est des

135 excité, le belliciste, et pire : l’homme dépourvu de tact, que disait-il ? La France aime tant la paix qu’elle n’a pas hés

136 amers qui se tenaient dans le Paris du printemps de 1939. M’absoudras-tu de n’avoir su prendre parti entre ces deux ardeu

137 ans le Paris du printemps de 1939. M’absoudras-tu de n’avoir su prendre parti entre ces deux ardeurs montées jusqu’à la ha

138 t avouer que cette menace leur rend enfin le goût de vivre ? Privilégiés qui n’éprouvent de désir pour leurs biens qu’à la

139 in le goût de vivre ? Privilégiés qui n’éprouvent de désir pour leurs biens qu’à la veille de les perdre. Déshérités aussi

140 prouvent de désir pour leurs biens qu’à la veille de les perdre. Déshérités aussi, qui ne retrouvent l’espoir qu’au seuil

141 n connais qui ne parviennent à leur régime normal de vie (comme un moteur prend son régime à tant à l’heure) que dans le d

142 nt des habitudes où l’énergie s’enlise. Ce besoin d’ être provoqué pour montrer de quoi l’on est capable est si profond, pe

143 s’enlise. Ce besoin d’être provoqué pour montrer de quoi l’on est capable est si profond, peut-être si normal, que j’en v

144 rivain. Il est admis que ces gens-là ont le droit de dire — pour le soulagement général — ce qui ferait taxer l’homme de l

145 soulagement général — ce qui ferait taxer l’homme de la rue de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus cour

146 t général — ce qui ferait taxer l’homme de la rue de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus courageux ? Ma

147 qui ferait taxer l’homme de la rue de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus courageux ? Mais non. Ils so

148 ont pas ceux qui la feront qui peuvent avoir peur de la guerre. Car avoir peur d’un accident, c’est entrevoir, imaginer se

149 i peuvent avoir peur de la guerre. Car avoir peur d’ un accident, c’est entrevoir, imaginer ses conséquences, et la guerre

150 ses conséquences, et la guerre est la suppression de toute espèce de conséquences, la privation, d’ores et déjà, de tout a

151 , et la guerre est la suppression de toute espèce de conséquences, la privation, d’ores et déjà, de tout avenir imaginable

152 ce de conséquences, la privation, d’ores et déjà, de tout avenir imaginable, — pour ceux qui la feront à coup sûr… La guer

153 in cynisme. Peut-être aussi une certaine modestie de l’individu, qui se voit concrètement réduit à sa juste et minime impo

154 -Saint-Cloud, 12 mai 1939 Quatrième changement de domicile depuis le début de cette année. « Étranger et voyageur sur l

155 Quatrième changement de domicile depuis le début de cette année. « Étranger et voyageur sur la terre », ainsi pensais-je

156 ainsi pensais-je d’autres fois, dans ces périodes de nomadisme involontaire. Aujourd’hui, je songe plutôt à quelque état d

157 aire. Aujourd’hui, je songe plutôt à quelque état de mobilisation permanente, préventive… Militarisation de nos pensées, d

158 bilisation permanente, préventive… Militarisation de nos pensées, de nos images. Hier, dans l’autobus, une petite bourgeoi

159 nente, préventive… Militarisation de nos pensées, de nos images. Hier, dans l’autobus, une petite bourgeoise assise devant

160 se devant moi s’écrie, voyant s’abattre une pluie d’ orage sur la Concorde : « Et moi qui ai oublié mon masque à gaz ! C’ét

161 1939 La grande ville traversée dans la fatigue d’ un soir pluvieux, Paris, souffrance des visages et des corps, exercice

162 ance des visages et des corps, exercice perpétuel de charité dans une atmosphère exténuante, hâte, érotisme, énervement. P

163 t la vérité n’apparaît que dans cet environnement de lueurs fuyantes, d’activités apparemment désordonnées, de phrases ent

164 ît que dans cet environnement de lueurs fuyantes, d’ activités apparemment désordonnées, de phrases entendues au passage, d

165 s fuyantes, d’activités apparemment désordonnées, de phrases entendues au passage, d’infinis croisements d’existences étra

166 nt désordonnées, de phrases entendues au passage, d’ infinis croisements d’existences étrangères. Paris propose une liberté

167 rases entendues au passage, d’infinis croisements d’ existences étrangères. Paris propose une liberté et un danger, une rév

168 e une liberté et un danger, une révélation totale de l’humain dans tous ses risques matériels et spirituels, impossible ai

169 ques matériels et spirituels, impossible ailleurs de nos jours, et peut-être à toute autre époque. Imaginer là-dessus un

170 ait avoué, horreur et charme, à travers la vision d’ un saint qui vivrait sa vie consacrée dans les rues, les cafés, les mé

171 s rues, les cafés, les métros. Je le vois sortant de cette église ouverte, où passe le bruit des autobus ; ou de ce temple

172 glise ouverte, où passe le bruit des autobus ; ou de ce temple de Passy, un samedi soir, où la Sainte Cène est partagée da

173 , où passe le bruit des autobus ; ou de ce temple de Passy, un samedi soir, où la Sainte Cène est partagée dans un silence

174 r, où la Sainte Cène est partagée dans un silence de catacombes. Centres du monde ! Il s’en va, coudoyant la foule et trav

175 eillent sur son passage, il n’y a plus nulle part d’ indifférence possible ! Ici, le Christ reste le Scandale, l’Autre, l’A

176 l’être touchant, bizarre et pitoyable que chacun de nous dissimule. Alors on verrait le réel, alors on cesserait de haïr,

177 ule. Alors on verrait le réel, alors on cesserait de haïr, ou d’être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui g

178 n verrait le réel, alors on cesserait de haïr, ou d’ être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui glissent au t

179 cesserait de haïr, ou d’être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui glissent au travers de propos superficiel

180 rficiellement passionnés… Et l’on cesserait aussi de redouter la guerre, parce qu’on la verrait dans la paix, là où chacun

181 mbat. 17 mai 1939 Ce restaurant où j’achève de déjeuner — rive droite — est le type même du restaurant « moderne » c

182 rant « moderne » conçu par le délire matérialiste de l’après-guerre. Tout y est laid, désaccordé, géométrique, douloureux

183 bleuâtre qui sera, n’en doutons pas, l’éclairage de l’enfer… Les clients : demi-luxe et demi-monde. Des femmes qui ont vo

184 ui ont voulu ressembler aux trois ou quatre types de stars en vogue. Nanties de chiens qui sentent eux-mêmes le patchouli

185 trois ou quatre types de stars en vogue. Nanties de chiens qui sentent eux-mêmes le patchouli et qu’elles disposent sur l

186 patchouli et qu’elles disposent sur la banquette de velours grenat à côté du représentant calamistré d’une marque d’auto.

187 velours grenat à côté du représentant calamistré d’ une marque d’auto. Et ces rires, ces éclats de voix ! Mais il y a depu

188 at à côté du représentant calamistré d’une marque d’ auto. Et ces rires, ces éclats de voix ! Mais il y a depuis un moment

189 tré d’une marque d’auto. Et ces rires, ces éclats de voix ! Mais il y a depuis un moment une musique de radio on ne sait d

190 e voix ! Mais il y a depuis un moment une musique de radio on ne sait d’où venue, dominant tout. Des trompettes solennelle

191 depuis un moment une musique de radio on ne sait d’ où venue, dominant tout. Des trompettes solennelles au début, et maint

192 début, et maintenant, planante et pure, une voix de femme se détache… Tout d’un coup, cette ivresse ailée, tout d’un coup

193 nante et pure, une voix de femme se détache… Tout d’ un coup, cette ivresse ailée, tout d’un coup cette confiance envahissa

194 étache… Tout d’un coup, cette ivresse ailée, tout d’ un coup cette confiance envahissante dans le salut du monde malgré tou

195 onde malgré tout, cette beauté sensible au-dessus de toutes choses, à l’intérieur bientôt de toutes choses, oui, seules le

196 au-dessus de toutes choses, à l’intérieur bientôt de toutes choses, oui, seules les apparences étaient vulgaires ! Au-dess

197 ules les apparences étaient vulgaires ! Au-dessus d’ elles, à l’intérieur aussi, se fait entendre maintenant le chant profo

198 u, la respiration bienheureuse des anges gardiens de ce temps, dans l’enthousiasme déchirant les voiles, du salut qui nous

199 était fait montrer les fameuses photos en couleur d’ écrivains français et étrangers) et José Ortega y Gasset. Ortega spir

200 l hôte du Jardin des Plantes, et du dernier livre de Huizinga, qui nous parvint hier de Hollande. Nous avons passé deux be

201 dernier livre de Huizinga, qui nous parvint hier de Hollande. Nous avons passé deux belles heures dans la roseraie de Bag

202 s avons passé deux belles heures dans la roseraie de Bagatelle transfigurée par les rayons obliques d’une fin d’après-midi

203 de Bagatelle transfigurée par les rayons obliques d’ une fin d’après-midi dorée. Échangeant des nouvelles de nos amis commu

204 le transfigurée par les rayons obliques d’une fin d’ après-midi dorée. Échangeant des nouvelles de nos amis communs d’Argen

205 fin d’après-midi dorée. Échangeant des nouvelles de nos amis communs d’Argentine, d’Angleterre, d’Autriche, de Roumanie :

206 rée. Échangeant des nouvelles de nos amis communs d’ Argentine, d’Angleterre, d’Autriche, de Roumanie : la plupart vont ven

207 nt des nouvelles de nos amis communs d’Argentine, d’ Angleterre, d’Autriche, de Roumanie : la plupart vont venir à Paris ou

208 es de nos amis communs d’Argentine, d’Angleterre, d’ Autriche, de Roumanie : la plupart vont venir à Paris ou s’y trouvent

209 is communs d’Argentine, d’Angleterre, d’Autriche, de Roumanie : la plupart vont venir à Paris ou s’y trouvent déjà. Impres

210 ’y trouvent déjà. Impression soudaine, émouvante, d’ une société secrète que rassemblent l’appréhension des catastrophes pr

211 réhension des catastrophes prochaines et le désir d’ un ultime colloque, avant que ne se ferment les frontières, avant la s

212 les frontières, avant la solitude, avant la nuit de l’esprit. 24 mai 1939 Avant-hier, nous trouvâmes en rentrant un

213 nous trouvâmes en rentrant une prodigieuse gerbe de roses rouges que V. O. envoyait à ma femme. Plantée au milieu du stud

214 me. Plantée au milieu du studio, dans un gros pot de grès, elle règne comme la Beauté même, comme la Passion despotique et

215 intemps dans notre souvenir, le dernier printemps de la paix… 5 juin 1939 Le désarroi de l’époque — nous lisons cela

216 intemps de la paix… 5 juin 1939 Le désarroi de l’époque — nous lisons cela partout depuis vingt ans. Comme si rien d

217 sons cela partout depuis vingt ans. Comme si rien de pire n’était imaginable. Comme si le désordre était sans précédent et

218 rtes, l’anarchie des mœurs et des idées s’accroît d’ une anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause des crises sociale

219 ie des mœurs et des idées s’accroît d’une anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause des crises sociales et politique

220 miers à croire que notre époque est l’époque même de la crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’ell

221 que même de la crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’unique, dans sa réalité qui nous me

222 e et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’ unique, dans sa réalité qui nous met en question, n’oublions pas que t

223 n’oublions pas que toute réalité, à toute époque de l’histoire des hommes, est apparue comme une réalité sans précédent,

224 in des grandes invasions, du ve siècle au viiie de notre ère, avant l’an mille, pendant les pestes noires, pendant les g

225 e, pendant les pestes noires, pendant les guerres de religion qui obscurcissaient l’image du monde chrétien. Quel pouvait

226 tien. Quel pouvait être l’avenir pour un Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ?

227 uvait être l’avenir pour un Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ? On me dira qu

228 erre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ? On me dira que la mécanique des guerres modernes, cette te

229 a mécanique des guerres modernes, cette technique de la mort à grande distance, les moyens de propagande et de pression mo

230 echnique de la mort à grande distance, les moyens de propagande et de pression morale tels que radio, police et presse, in

231 rt à grande distance, les moyens de propagande et de pression morale tels que radio, police et presse, introduisent dans l

232 s le monde actuel des possibilités plus radicales d’ anéantir le genre humain. On me dira qu’autrefois les catastrophes éta

233 t qu’on massacrait jusqu’au dernier des habitants de Magdebourg, sous Wallenstein, le paysan et l’artisan français jouissa

234 tein, le paysan et l’artisan français jouissaient d’ une quiétude parfaite. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d

235 te. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d’ une certaine inconscience, d’une ignorance, dont la presse de nos jour

236 toujours l’avantage d’une certaine inconscience, d’ une ignorance, dont la presse de nos jours nous prive avec acharnement

237 ine inconscience, d’une ignorance, dont la presse de nos jours nous prive avec acharnement. Du moins voudrait-on rappeler

238 alheur des temps est une vieille expression. Oui, de tout temps, le sort du monde a été quasiment désespéré. Seulement, ma

239 aussi. L’homme n’est pas fait pour vivre en état de guerre, au sens moderne de l’expression. Mais il n’est pas fait davan

240 ait pour vivre en état de guerre, au sens moderne de l’expression. Mais il n’est pas fait davantage pour vivre en l’état d

241 il n’est pas fait davantage pour vivre en l’état d’ illusion qu’on nomme généralement la paix : cette ignorance satisfaite

242 nce satisfaite des injustices établies. La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait et devrait être le remède à cette p

243 vrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’usage que l’on en fait. Le même poison, selon la dose, paralyse ou

244 n la dose, paralyse ou tonifie. Dans l’atmosphère de catastrophes où nous vivons, une profonde ambiguïté se manifeste. Tou

245 tout », et c’est alors qu’il est vraiment le gage d’ une vie qui vaille d’être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent

246 s qu’il est vraiment le gage d’une vie qui vaille d’ être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent sans doute l’existen

247 ’une vie qui vaille d’être vécue. Les générations d’ avant-guerre eurent sans doute l’existence plus facile, mais de quel p

248 e eurent sans doute l’existence plus facile, mais de quel prix spirituel ont-elles payé l’illusion du Progrès ? Je songe à

249 ayé l’illusion du Progrès ? Je songe à la colombe de Kant qui croyait voler mieux dans le vide… L’homme n’est pas fait pou

250 dre et des périls inhérents au progrès, la chance d’ une grandeur qui, elle aussi, pourrait être sans précédent. Comme tout

251 Isaïe réveillait son peuple par le sublime oracle de Séir : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient, et la

252 sublime oracle de Séir : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient, et la nuit aussi ! » C’est toujours le mê

253 urs le même drame que nous vivons, qu’il s’agisse de flèches ou d’obus. Car ce qui compte, en fin de compte, ce n’est pas

254 ame que nous vivons, qu’il s’agisse de flèches ou d’ obus. Car ce qui compte, en fin de compte, ce n’est pas le sort matéri

255 e sort matériel et le bonheur plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre des hommes qui l’habitent. Ce n’es

256 plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre des hommes qui l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs souci

257 des hommes qui l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l

258 abitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l’existence, à la fa

259 sens qu’ils découvrent à l’existence, à la faveur de ces vicissitudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre une vie p

260 es vicissitudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre une vie plus consciente et réelle. Quoi qu’il advienne, sachons

261 atin et la nuit qui viennent, et qui ne cesseront de venir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régime de vie tendue : il

262 enir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régime de vie tendue : il suffit de savoir ce qui compte, et que la joie ne dép

263  ! Prenons notre régime de vie tendue : il suffit de savoir ce qui compte, et que la joie ne dépend pas de nos misères. J’

264 avoir ce qui compte, et que la joie ne dépend pas de nos misères. J’y songeais l’autre soir, à Orléans, en entendant la Je

265 à Orléans, en entendant la Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, cette bouleversante déclamation chor

266 dont nous vivrons ! 10 juin 1939 L’origine de toutes nos haines, l’origine de toute amertume, c’est un bien que nou

267 1939 L’origine de toutes nos haines, l’origine de toute amertume, c’est un bien que nous n’avons plus, c’est un amour p

268 éder. Nos haines… Pourquoi la haine, par exemple, de tel régime qui nous menace depuis des mois ? Serait-ce à cause de la

269 l n’y avait que du mal en lui, nous n’aurions pas de haine ni d’amertume : on ne hait pas les catastrophes, les incendies

270 que du mal en lui, nous n’aurions pas de haine ni d’ amertume : on ne hait pas les catastrophes, les incendies et les tremb

271 s catastrophes, les incendies et les tremblements de terre. Notre amertume et notre indignation devant le phénomène totali

272 ignation devant le phénomène totalitaire naissent d’ un désir secret, d’une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la

273 phénomène totalitaire naissent d’un désir secret, d’ une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée

274 aire naissent d’un désir secret, d’une tentation, d’ une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée par nous, mais s

275 d’un désir secret, d’une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée par nous, mais séduite et vio

276 , d’une tentation, d’une espèce de dépit amoureux de la révolution manquée par nous, mais séduite et violée par le voisin 

277 par nous, mais séduite et violée par le voisin ; d’ une nostalgie de cette communauté qu’ils disent avoir réinventée, dont

278 séduite et violée par le voisin ; d’une nostalgie de cette communauté qu’ils disent avoir réinventée, dont nous ne sommes

279 entons bien qu’ils nous excluent dans l’intention d’ en abuser. Ainsi l’Europe, en d’autres temps, avait haï les sans-culot

280 désordonnée, incapable — du moins le croyait-on — d’ affronter les armées régulières. 19 juin 1939 « Notre Führer fai

281 19 juin 1939 « Notre Führer fait une politique d’ artiste ! », a proclamé M. Goebbels. Voilà qui définit l’idée de l’art

282 a proclamé M. Goebbels. Voilà qui définit l’idée de l’art que peut concevoir un petit-bourgeois allemand. L’hitlérisme, c

283 é. La lumière mûrit là-haut, sur le clocher roman de cette église mystérieusement demeurée, malgré la ville environnante,

284 du temps, pour vingt-quatre heures, une plénitude de l’attente. D’ici là, plus rien ne comptera que par rapport à ce plais

285 petits retards où s’alimente le désir. Les délais de ce genre nous sont-ils mesurés par la qualité de notre espoir ? Mais

286 de ce genre nous sont-ils mesurés par la qualité de notre espoir ? Mais quel espoir, alors, pourrait rythmer toute la dur

287 el espoir, alors, pourrait rythmer toute la durée de notre vie, jusqu’à la mort, — sinon l’espoir d’un rendez-vous au-delà

288 e de notre vie, jusqu’à la mort, — sinon l’espoir d’ un rendez-vous au-delà du monde, et l’entretien de son attente ardente

289 d’un rendez-vous au-delà du monde, et l’entretien de son attente ardente ? Si j’y croyais vraiment, sans cesse, je serais

290 ux sans cesse et en tout lieu ! Si tout dépendait d’ un avenir assez certain et assez glorieux pour disqualifier nos soucis

291 ous apporte — c’est probable — un nouveau serpent de mer des dictateurs, je mets ici un point final à ce journal de petite

292 ctateurs, je mets ici un point final à ce journal de petite attente. Il faut juger notre vie par sa fin, pour mesurer l’im

293 gros yeux. Joie du temps retrouvé, dans l’instant d’ un espoir qui fut pour moi la parabole salutaire ! Substance présente

294 ement qui nous délivrera ? Eh quoi ! suffisait-il d’ y penser ? Non, mais il suffira d’y croire. Il est dit : si tu crois,

295  ! suffisait-il d’y penser ? Non, mais il suffira d’ y croire. Il est dit : si tu crois, tu vivras.

296 Intermède Le soir du 28 août 1939, je finissais de dîner dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds, et comme je me préparais à

297 le Conservatoire pour y assister à une répétition de mon drame, Nicolas de Flue , mis en musique par Arthur Honegger, la

298 rrompit les conversations. Nous entendîmes la fin d’ une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hymne national. Le spea

299 néral en chef, mobilisation immédiate des troupes de couverture-frontières. Au Conservatoire, le grand chœur entonna le ré

300 — tremble dans l’attente orageuse — sous un ciel d’ angoisse et de haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil

301 s l’attente orageuse — sous un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’a

302 r sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’ armes martelées — meute folle, meurtrière — ô rumeur irréparable — que

303 la guerre ! Le directeur n’était pas satisfait de son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chante

304 le. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chanter ça ce soir. Les mots nous restent dans la gorge… » Le drame n

305 ave paysan vaudois, après la grêle, qui désignait d’ un doigt le ciel coupable : « Je n’accuse personne, mais c’est dégoûta

306 ous voilà faits, refaits par l’événement, plongés d’ un coup dans le détail technique de ces grandes choses terribles qu’on

307 ement, plongés d’un coup dans le détail technique de ces grandes choses terribles qu’on imaginait, qu’on redoutait, qu’on

308 l’instant qu’elles deviennent présentes, cessent d’ être imaginées, ou même imaginables. Tout de même, après huit jours, l

309 choses commencent à se situer. Les grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos fron

310 es grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontières, des secteurs minuscules,

311 secteurs minuscules, comme au hasard, qu’on voit d’ un coup avec une précision quasi absurde. Cette chambre paysanne où j’

312 r quadrillé, tandis qu’Albert Mermoud, en travers de son lit, les bottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde du

313 lit, les bottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde du Livre… Je ne puis pas dire où cela se trouve sans contre

314 on écrase des pommes mal mûres, dans des cuisines de ferme, dans cette chambre boisée… Confort paysan, seul authentique. A

315 tique. Aux parois, des versets bibliques, lettres d’ argent et myosotis, autour de la photo jaunie du « Chœur mixte » de la

316 tis, autour de la photo jaunie du « Chœur mixte » de la paroisse, 1913. Deux bons lits de bois aux « duvets » écrasants. P

317 hœur mixte » de la paroisse, 1913. Deux bons lits de bois aux « duvets » écrasants. Pour le reste, un désordre exemplaire,

318 courroies, bandes molletières, cigarettes, boîtes de conserve, tuniques mouillées, paperasses. Revanche sur des journées d

319 mouillées, paperasses. Revanche sur des journées de discipline et de paquetages alignés au cordeau qu’il faut inspecter g

320 asses. Revanche sur des journées de discipline et de paquetages alignés au cordeau qu’il faut inspecter gravement. Partiro

321 passerons-nous l’hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous. C’est notre liberté. Les hommes sont à la soupe. Nous dînerons

322 quoi se fait la vie quotidienne, dans les débuts d’ une mobilisation. Les dames croient volontiers que c’est parades et bo

323 issant l’ordre social contre le mystérieux Esprit de Subversion. Ces dames sont en retard d’au moins deux guerres ou victi

324 ux Esprit de Subversion. Ces dames sont en retard d’ au moins deux guerres ou victimes d’expressions telles que « sous les

325 ont en retard d’au moins deux guerres ou victimes d’ expressions telles que « sous les drapeaux ». L’armée c’est tout d’abo

326 apeaux ». L’armée c’est tout d’abord un cliquetis de casques et d’ustensiles entrechoqués ; des mouvements brusques en tou

327 mée c’est tout d’abord un cliquetis de casques et d’ ustensiles entrechoqués ; des mouvements brusques en tous sens, tissan

328 trimballées dans une hâte hargneuse et fouaillée de jurons, précipitant des hommes mal réveillés vers des attentes inexpl

329 er, si toutefois la fatigue lui laisse la faculté de constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. E

330 culté de constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme.

331 stater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela préc

332 hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de no

333 her. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, q

334 égage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feu

335 cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feuilles et qu’on peut s

336 ique qu’un rassemblement dans la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de pas lourdement rythmés. Et, plus tar

337 assemblement dans la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de pas lourdement rythmés. Et, plus tard, au matin,

338 nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de pas lourdement rythmés. Et, plus tard, au matin, quand l’attaque se p

339 se prépare, un « à terre » prolongé à la lisière d’ un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive exi

340 un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive existence. Surtout quand il tombe une pluie fine. Ce n’

341 pas seulement à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vi

342 ent à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vie en unifo

343 ’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’ une profonde affinité entre la vie en uniforme et ce que l’on nomme pa

344 luie militaire, comment dire, c’est quelque chose d’ immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sen

345 e, comment dire, c’est quelque chose d’immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charne

346 elque chose d’immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charnel, on l’accepte avec tout

347 se et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charnel, on l’accepte avec toute la nature, sans p

348 me observe l’avant-terrain par-dessous la visière d’ acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les tr

349 r-dessous la visière d’acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les trous du casque. L’homme tire l

350 ravers les trous du casque. L’homme tire la toile de tente qui couvre ses épaules et cherche à la caler sous son coude dro

351 rche à la caler sous son coude droit. Il sait que d’ une seconde à l’autre peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pa

352 it que d’une seconde à l’autre peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’

353 peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’autre à faire pendant des heure

354 mpêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’ autre à faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il

355 à faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il est bien. Merveilleusement bien. Libéré. Sans passé, san

356 gts sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’un coup sur la gauche quand on lève un peu le n

357 fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’ un coup sur la gauche quand on lève un peu le nez pour voir si rien ne

358 rien ne vient. Grisaille, monotonie, envoûtement de l’esprit par le corps — pourvu que ça dure encore quelques secondes,

359 st ainsi, toujours ainsi, le bonheur : un instant de répit sous la menace. Alors on vit à plein. On sent le goût des chose

360 rce qu’on vient de remplir les limites du réel et d’ accomplir un seul instant parfait. 10 octobre 1939 Au mess des o

361 fait. 10 octobre 1939 Au mess des officiers de la compagnie, qui est la « chambre rangée » d’une ferme cossue, je vi

362 rs de la compagnie, qui est la « chambre rangée » d’ une ferme cossue, je viens de tourner le bouton de la radio et suis to

363 d’une ferme cossue, je viens de tourner le bouton de la radio et suis tombé sur un récital de chansons militaires du xviii

364 e bouton de la radio et suis tombé sur un récital de chansons militaires du xviiie siècle. Je note vite ces paroles charm

365 t pas. 31 octobre 1939 Il neigeait ce matin de gros flocons humides sur ce petit vallon du haut Jura où nous avons à

366 ge fondait dans la boue. J’arpentais mon secteur, d’ un groupe à l’autre, serrant contre mon harnachement de courroies une

367 groupe à l’autre, serrant contre mon harnachement de courroies une toile de tente raidie par l’humidité. À l’improviste, j

368 nt contre mon harnachement de courroies une toile de tente raidie par l’humidité. À l’improviste, je débouche en écartant

369 ’improviste, je débouche en écartant les branches de deux sapins pleureurs, et je constate que mes hommes ont cessé de cre

370 leureurs, et je constate que mes hommes ont cessé de creuser leur trou de mitrailleuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’

371 ate que mes hommes ont cessé de creuser leur trou de mitrailleuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’un feu de branches mo

372 de mitrailleuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’ un feu de branches mortes, à la lisière du bois, mornes et ronchonneur

373 illeuse : ils préfèrent s’enfumer autour d’un feu de branches mortes, à la lisière du bois, mornes et ronchonneurs. J’essa

374 lisière du bois, mornes et ronchonneurs. J’essaie de les réconforter. Réprobation muette. L’un prétend que le sol est gelé

375 s je me suis dit à part moi : eh bien oui ! bande de rouspéteurs, vous avez bien raison de vous demander ça ! Je me le dem

376 oui ! bande de rouspéteurs, vous avez bien raison de vous demander ça ! Je me le demande encore devant ce papier blanc, où

377 ore devant ce papier blanc, où j’écris à la lueur d’ une lampe à pétrole. Pourquoi sommes-nous là, quelque part, loin de t

378 ut ce qui faisait notre vie ? Il faudrait essayer de répondre. L’homme n’est pas né pour faire n’importe quoi, sans rien c

379 uelques kilomètres d’ici commencent les tranchées de la guerre, et des hommes meurent. Pourquoi cette guerre, pourquoi ces

380 devoir s’imaginer ! — que le bonheur et la force d’ un peuple dépendent de sa grandeur physique, de sa mise au pas militai

381  que le bonheur et la force d’un peuple dépendent de sa grandeur physique, de sa mise au pas militaire, de son arrogance é

382 ce d’un peuple dépendent de sa grandeur physique, de sa mise au pas militaire, de son arrogance étatique. Nous sommes ici

383 a grandeur physique, de sa mise au pas militaire, de son arrogance étatique. Nous sommes ici à patauger parce que nos vois

384 s’unifier brutalement. Oui, cette guerre n’a pas d’ autre sens : elle marque la faillite retentissante des systèmes centra

385 lisme étatisé. C’est la guerre la plus antisuisse de toute l’histoire. C’est donc pour nous la pire menace. Mais en même t

386 la solution suisse et fédérale est seule capable de fonder la paix, puisque l’autre aboutit à la guerre. Ce n’est pas not

387 e nous avons à défendre : le seul avenir possible de l’Europe. Le seul lieu où cet avenir soit, d’ores et déjà, un présent

388 it, d’ores et déjà, un présent. Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait,

389 jà, un présent. Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes

390 . Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’ idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, ce n’est p

391 grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, ce n’est pas pour défendre des fr

392 ’est pas pour défendre des fromages, des conseils d’ administration, notre confort et nos hôtels. Les fascistes feraient ma

393  ! Ce n’est pas non plus pour protéger nos « lacs d’ azur » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagand

394 » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatsc

395 re de la propagande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatschutz.) Si nous sommes là, c’est pour exécuter l

396 gande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatschutz.) Si nous sommes là, c’est pour exécuter la mission dont

397 iècles, devant l’Europe. D’autres se sont chargés d’ arrêter les brigands qui voulaient profiter de sa faiblesse. Nous somm

398 gés d’arrêter les brigands qui voulaient profiter de sa faiblesse. Nous sommes chargés de la défendre contre elle-même, de

399 ent profiter de sa faiblesse. Nous sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’affirmer sa san

400 s sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel

401 défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’ affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de la miss

402 me, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de la mission spéciale qui justifi

403 a santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de la mission spéciale qui justifie notre neutralité. Si nous trahissons

404 ’en gardons pas conscience, je ne donne pas lourd de notre indépendance. Berne, fin novembre 1939. (Au retour d’un voya

405 pendance. Berne, fin novembre 1939. (Au retour d’ un voyage en Hollande.) Je l’ai pourtant quittée, cette chambre pay

406 que j’y pense, et c’est souvent. Faites le compte de vos heures et vous découvrirez que tout homme rêve une bonne part de

407 us découvrirez que tout homme rêve une bonne part de sa vie. Mais il arrive aussi que certains rêves, et certains cauchema

408 ent vécus ; j’ai connu cela, dans une grande gare de cette Europe qui ne sait plus répondre aux menaces que par l’extincti

409 aux menaces que par l’extinction des lumières, —  de toutes les lumières humaines. J’avais quitté mon train pendant l’arrê

410 quitté mon train pendant l’arrêt, à la recherche d’ un buffet quelconque, et je n’avais trouvé qu’un abri souterrain au bo

411 du quai. Pendant ce temps, l’express avait changé de voie. Dans la bleuâtre obscurité, nul écriteau lisible et nul visage

412 e dans le dédale des passages sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’étroits couloirs où je coudoyais des soldats

413 e dédale des passages sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’étroits couloirs où je coudoyais des soldats sourds

414 ges sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’ étroits couloirs où je coudoyais des soldats sourds et muets — tous le

415 is je l’avais quitté presque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulo

416 sque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de

417 est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — c

418 sques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible.

419 roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible. Je ne saurai jamais si

420 au matin, oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’ une fin d’alerte. ⁂ Paris, capitale engloutie dans l’épaisse nuit des

421 oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’une fin d’ alerte. ⁂ Paris, capitale engloutie dans l’épaisse nuit des campagnes.

422 reflet sur le macadam. Tout au bas, tout au fond de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’une civilisation qui d

423 d de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’ une civilisation qui déserte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’hôt

424 n qui déserte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’ hôtel et j’ai écrit pendant deux jours ces conférences que j’allais fa

425 a brume, à l’horizon des marécages, une confusion de silhouettes griffues : moulins, clochers, grues, cheminées, au-dessus

426  : moulins, clochers, grues, cheminées, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est

427 grues, cheminées, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renais

428 es, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renaissance américan

429 et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’ une Renaissance américanisée ! Le train passe au-dessus des ports, dan

430 au-dessus des ports, dans la puissante vibration d’ un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandio

431 des ports, dans la puissante vibration d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandiose activit

432 a puissante vibration d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandiose activité marchande. Les s

433 de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’ une grandiose activité marchande. Les sirènes, ici, n’annoncent encore

434 , n’annoncent encore que l’approche des richesses de la terre… ⁂ Une connaissance intime et personnelle de ce que l’on app

435 a terre… ⁂ Une connaissance intime et personnelle de ce que l’on appellera l’âme hollandaise, je doute qu’elle en apprenne

436 davantage qu’une vision intense du paysage urbain de la Hollande. Tout ce que je sais de ce pays, après deux semaines de v

437 aysage urbain de la Hollande. Tout ce que je sais de ce pays, après deux semaines de voyage, je puis le lire et le relire

438 ut ce que je sais de ce pays, après deux semaines de voyage, je puis le lire et le relire dans l’architecture d’Amsterdam,

439 je puis le lire et le relire dans l’architecture d’ Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites cités du centre. Je vois côte

440 ire et le relire dans l’architecture d’Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites cités du centre. Je vois côte à côte un pal

441 es cités du centre. Je vois côte à côte un palais de la Renaissance flamande, un hôtel du xviiie siècle, un gratte-ciel e

442 u xviiie siècle, un gratte-ciel et des entrepôts de marchandises venues des Indes. Cette même rue se prolonge par des vil

443 Indes. Cette même rue se prolonge par des villas d’ une incroyable variété de formes ultramodernes, puis se perd peu à peu

444 prolonge par des villas d’une incroyable variété de formes ultramodernes, puis se perd peu à peu dans la campagne, par de

445 pas que la lumière fauve et le grenat des façades de briques renversées dans l’eau jaune des canaux suffisent à expliquer

446 iquer cette harmonie solide, luxueusement nourrie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut

447 nie solide, luxueusement nourrie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces faç

448 ie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces façades à la fois patinées et tou

449 patinées et toujours neuves, c’est la continuité d’ une tradition et d’une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mes

450 rs neuves, c’est la continuité d’une tradition et d’ une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Po

451 olonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scissio

452 i n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et

453 a mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux c

454 Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréd

455 upure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et

456 de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et appauvris chacun

457 amps longuement irréductibles et appauvris chacun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancien et du moderne n’es

458 chacun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancien et du moderne n’est pas seulement une réussite technique, un

459 tte guerre est sortie, celle des deux conceptions de « l’ordre » qui se partagent notre Europe : harmonie intérieure ou un

460 totalitarisme. Je comprends et je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’e

461 je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où nais

462 a paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions dés

463 ire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions désespérées, les mises au p

464 ours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’ où naissent les réactions désespérées, les mises au pas brutalisantes

465 simplificateurs. Les petits peuples protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Diver

466 es protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les s

467 ilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. ⁂ Autre chose est la Suis

468 ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. ⁂ Autre chose est la Suisse vue de loin, dans sa vérité sécu

469 antes de la paix. ⁂ Autre chose est la Suisse vue de loin, dans sa vérité séculaire, autre chose les bureaux où se décide

470 on évolution actuelle. La déprimante architecture de notre Palais fédéral — où je corrige ces notes de voyage, ayant fini

471 de notre Palais fédéral — où je corrige ces notes de voyage, ayant fini le travail de la journée — me décourage un peu, ce

472 orrige ces notes de voyage, ayant fini le travail de la journée — me décourage un peu, ce soir. C’est le contraire de ce q

473 me décourage un peu, ce soir. C’est le contraire de ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’être. Cette école p

474 e ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’ être. Cette école primaire démesurée, c’est l’image même, en pierre ve

475 émesurée, c’est l’image même, en pierre verdâtre, de l’esprit qu’il nous faut combattre si nous voulons mériter notre paix

476 aix. Janvier 1940 La section Armée et Foyer de l’état-major m’a chargé de composer un « bréviaire civique » à l’inte

477 section Armée et Foyer de l’état-major m’a chargé de composer un « bréviaire civique » à l’intention des troupes. Je passe

478 Rousseau, Gottfried Keller, et beaucoup d’autres de moindre envergure. (Frappé de constater qu’au sujet de la Suisse, de

479 t beaucoup d’autres de moindre envergure. (Frappé de constater qu’au sujet de la Suisse, de ses institutions, de sa neutra

480 e. (Frappé de constater qu’au sujet de la Suisse, de ses institutions, de sa neutralité, radicaux et conservateurs ou cath

481 er qu’au sujet de la Suisse, de ses institutions, de sa neutralité, radicaux et conservateurs ou catholiques et protestant

482 tte à glisser ensuite entre les deux une remarque de Napoléon sur la nature fédérative de notre État, et tous les trois di

483 une remarque de Napoléon sur la nature fédérative de notre État, et tous les trois disent la même chose.) Drôle d’occupat

484 , et tous les trois disent la même chose.) Drôle d’ occupation pour un militaire ? Pas si drôle si l’on songe que cette gu

485 a précisément pour enjeu non point la possession de quelque territoire, mais la défense de « nos libertés » — dont je vai

486 que chacun se batte à sa place. Et dans l’attente d’ un combat qui tarde encore, il faut que chacun travaille à renforcer l

487 ut que chacun travaille à renforcer les positions de défense de ce pays. Ainsi les uns creusent le sol aux frontières, et

488 ns ce que je me répète pour justifier ma mutation de la troupe à l’état-major. Elle a d’ailleurs coïncidé avec un accident

489 r 1940 Monté hier au Gothard, pour une affaire de service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m

490 othard, pour une affaire de service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché

491 service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché sans ressentir une émotion

492 é sans ressentir une émotion que j’essaie en vain de qualifier ; elle ne ressemble à aucune autre. Je devais avoir treize

493 j’y vins pour la première fois, descendant à pied d’ Andermatt et passant par le pont du diable. Et ce qui me saisit ne fut

494 grandeur presque lugubre du paysage, mais au fond de la vallée cet express obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpenta

495 obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpentait d’ un flanc à l’autre, disparaissait, reparaissait, contournait la collin

496 sparaissait, reparaissait, contournait la colline de Wassen surmontée d’une église blanche, montait encore par des lacets

497 ssait, contournait la colline de Wassen surmontée d’ une église blanche, montait encore par des lacets immenses, passait en

498 courait s’engouffrer dans les rochers, à la base d’ une paroi verticale, noircie d’eau. J’avais pu lire sur les longs wago

499 rochers, à la base d’une paroi verticale, noircie d’ eau. J’avais pu lire sur les longs wagons bruns : Amsterdam-Basel-Mila

500 Il neigeait, on ne voyait guère que quelques pans de rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai

501 lques pans de rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans

502 brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans une aire « sacrée », dans un territoire réservé pour qu

503 elle. Il est vrai qu’aujourd’hui, je sais pas mal de choses sur ce lieu et son rôle historique. (J’en ai même beaucoup écr

504 J’en ai même beaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul cou

505 eaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul coup le Nord et l

506 ci croisées, n’est pas seulement une position clé de l’Europe, mais aussi, et pour cette raison même, l’origine très préci

507 et pour cette raison même, l’origine très précise de nos libertés et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien,

508 n même, l’origine très précise de nos libertés et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de suppos

509 n fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de supposer que l’impression ne serait pas moins forte. Toutes les sourc

510 s ? Fin février 1940 Terminé ma prospection de textes pour le « Bréviaire du citoyen ». Des lectures que j’ai faites

511 s, je retiens surtout quelques phrases admirables d’ Alexandre Vinet (« La tyrannie est le souverain désordre » par exemple

512 le souverain désordre » par exemple), la brochure de Benjamin Constant sur l’Esprit de conquête, dont chaque mot pourrait

513 e), la brochure de Benjamin Constant sur l’Esprit de conquête, dont chaque mot pourrait être écrit d’Hitler avec plus de p

514 de conquête, dont chaque mot pourrait être écrit d’ Hitler avec plus de pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres

515 chaque mot pourrait être écrit d’Hitler avec plus de pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres de Jacob Burckhardt

516 écrit d’Hitler avec plus de pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres de Jacob Burckhardt. En 1871, il écrit à l’u

517 pertinence encore que de Napoléon, et les Lettres de Jacob Burckhardt. En 1871, il écrit à l’un de ses amis : « Le sort de

518 res de Jacob Burckhardt. En 1871, il écrit à l’un de ses amis : « Le sort des ouvriers sera le plus étrange… L’État milita

519 ement leur misère et leur envie. Un certain degré de misère avec de l’avancement et des uniformes, des journées commencées

520 re et leur envie. Un certain degré de misère avec de l’avancement et des uniformes, des journées commencées et terminées p

521 journées commencées et terminées par un roulement de tambour, voilà ce qui doit logiquement se produire. » Et encore, en 1

522  » Et encore, en 1889 : « Les chefs futurs seront de terribles simplificateurs. Au surplus, ils ne seront pas toujours les

523 t cette guerre. Je ne pense pas qu’il soit normal de l’aimer, mais j’y trouve un moyen de dominer l’événement. Son détache

524 soit normal de l’aimer, mais j’y trouve un moyen de dominer l’événement. Son détachement serait étrange, voire haïssable,

525 ans un monde acceptable ou simplement à la mesure de notre action. Je vais à lui pour me défendre contre l’écœurement qui

526 qui me guette. Et dans sa volonté presque cynique de sagesse et de réalisme, je sens aussi une force subversive. C’est le

527 Et dans sa volonté presque cynique de sagesse et de réalisme, je sens aussi une force subversive. C’est le meilleur antid

528 rop souvent caractérisent notre opinion. Début de mars 1940 L’homme au poignard enguirlandé. — Découvert un autre a

529 n autre antidote : l’exposition des chefs-d’œuvre de la peinture suisse du xvie siècle, repliés de Bâle à Berne, avant d’

530 re de la peinture suisse du xvie siècle, repliés de Bâle à Berne, avant d’être cachés en lieu sûr, à l’abri des bombardem

531 e du xvie siècle, repliés de Bâle à Berne, avant d’ être cachés en lieu sûr, à l’abri des bombardements. Nicolas Manuel De

532 qui devraient nourrir, aujourd’hui, notre esprit de résistance. Ce réalisme libertaire, cette liberté d’allure et de juge

533 résistance. Ce réalisme libertaire, cette liberté d’ allure et de jugement qui tient compte des puissances de l’instinct, r

534 Ce réalisme libertaire, cette liberté d’allure et de jugement qui tient compte des puissances de l’instinct, reconnaît leu

535 re et de jugement qui tient compte des puissances de l’instinct, reconnaît leurs excès mortels — au lieu de les ignorer, n

536 Ah ! Nicolas Manuel Deutsch, on ne s’embêtait pas de ton temps ! On allait faire la guerre en Italie pour le plaisir d’un

537 allait faire la guerre en Italie pour le plaisir d’ un sang violent, et quand les lansquenets trichaient au jeu mortel, qu

538 t l’on exhalait sa colère dans un chant débordant d’ injures : « Tu mens plus largement que ta gueule n’est fendue !… Tu t’

539 n dans son fumier !… Ô toi mon doux petit faiseur de rimes, je te tire une crotte sur le nez, trois dans ta barbe ! »1 Mai

540 tter du même pas la planète… ⁂ Un vers du temps —  d’ un peu plus tard, sans doute, mais c’est encore le même rythme de vie 

541 ard, sans doute, mais c’est encore le même rythme de vie — vient mêler sa guirlande à mes images, comme la devise du table

542 a devise du tableau, tandis que je songe à la vie de Nicolas Manuel Deutsch. C’est un autre guerrier qui parle en ses Trag

543 ’est un autre guerrier qui parle en ses Tragiques d’ une nuit Où l’Amour et la Mort troquèrent de flambeaux. Par le pince

544 ques d’une nuit Où l’Amour et la Mort troquèrent de flambeaux. Par le pinceau, par l’épée et la plume, Manuel n’a cessé

545 pinceau, par l’épée et la plume, Manuel n’a cessé de provoquer la mort. Dans toute son œuvre, au cœur de son lyrisme, elle

546 provoquer la mort. Dans toute son œuvre, au cœur de son lyrisme, elle tient le lieu de la passion d’amour, et c’est elle

547 œuvre, au cœur de son lyrisme, elle tient le lieu de la passion d’amour, et c’est elle qu’il invite à la danse avec une fo

548 de son lyrisme, elle tient le lieu de la passion d’ amour, et c’est elle qu’il invite à la danse avec une fougue adolescen

549 tyrs et mort bourgeoise, mort soldatesque et mort de carnaval, vierge, paysanne, ou fille à lansquenets, c’est toujours el

550 rejoint ou qu’il poursuit dans les métamorphoses de sa vie : toujours vêtue aux couleurs de sa fièvre et de sa nouvelle a

551 morphoses de sa vie : toujours vêtue aux couleurs de sa fièvre et de sa nouvelle aventure. Pourquoi les hommes les plus v

552 vie : toujours vêtue aux couleurs de sa fièvre et de sa nouvelle aventure. Pourquoi les hommes les plus vivants de cette

553 e aventure. Pourquoi les hommes les plus vivants de cette époque où la vie s’exaspère ont-ils fait à la mort, dans leurs

554 itude : face au danger. Leur Suisse est au sommet de son élan vers la conquête et la richesse, au comble de sa gloire et d

555 n élan vers la conquête et la richesse, au comble de sa gloire et de son risque. Elle n’a jamais été moins neutre, moins c

556 onquête et la richesse, au comble de sa gloire et de son risque. Elle n’a jamais été moins neutre, moins confinée dans ses

557 moyennes, ni moins en garde contre les tentations de la grandeur. Elle est sérieuse parce qu’elle est menacée et menaçante

558 t menaçante ; parce qu’elle est tout le contraire d’ un pays d’« assurés ». Sérieuse et impétueuse comme ceux qui savent qu

559 e ; parce qu’elle est tout le contraire d’un pays d’ « assurés ». Sérieuse et impétueuse comme ceux qui savent que la vie n

560 comme ceux qui savent que la vie n’est pas le but de la vie, qu’elle ne mérite pas de majuscule, et qu’elle est quelque ch

561 n’est pas le but de la vie, qu’elle ne mérite pas de majuscule, et qu’elle est quelque chose qui doit brûler, flamber, et

562 contemporains savent et disent à leur manière que de demain rien n’est certain. Mais ce qu’ils sentent menacé, ce n’est po

563 et forte qui figure à leurs yeux le train normal de l’homme. Leur œuvre illustre la vision de l’Ecclésiaste, ce grand maî

564 normal de l’homme. Leur œuvre illustre la vision de l’Ecclésiaste, ce grand maître du vrai réalisme. « Jette ton pain sur

565 el malheur peut arriver sur la terre. » Le secret de la vie généreuse est la conscience de sa brève vanité. Dix-huit siècl

566 » Le secret de la vie généreuse est la conscience de sa brève vanité. Dix-huit siècles de chrétienté ont prêché sur le thè

567 a conscience de sa brève vanité. Dix-huit siècles de chrétienté ont prêché sur le thème du memento mori, mais nous préféro

568 nto mori, mais nous préférons aujourd’hui l’éloge de la vie au grand air. Et tout se passe comme si le souci de l’hygiène,

569 au grand air. Et tout se passe comme si le souci de l’hygiène, et celui de l’épargne dans tous les domaines, tuaient en n

570 se passe comme si le souci de l’hygiène, et celui de l’épargne dans tous les domaines, tuaient en nous le sens métaphysiqu

571 lus libre fantaisie, mais énergique : je ne cesse d’ admirer chez Manuel la plupart des vertus qui nous manquent. Böcklin m

572 part des vertus qui nous manquent. Böcklin manque de sobriété, Hodler aussi. D’où l’espèce de niaiserie qui affecte essent

573 nquent. Böcklin manque de sobriété, Hodler aussi. D’ où l’espèce de niaiserie qui affecte essentiellement les solennelles d

574 n manque de sobriété, Hodler aussi. D’où l’espèce de niaiserie qui affecte essentiellement les solennelles démonstrations

575 te essentiellement les solennelles démonstrations d’ art du premier, le gigantisme méthodique du second. Et quant à l’éléga

576 figures sans mystère. Manuel est un nerveux, mais de ferme écriture : un imaginatif, mais sans excitation ; un homme qui p

577 près ce que nous avons perdu par une longue suite de « libérations » qui ne laissent enfin subsister que la plus discutabl

578 sent enfin subsister que la plus discutable envie de peindre… ⁂ Son réalisme ne fait pas d’histoires, parce qu’il n’est pa

579 able envie de peindre… ⁂ Son réalisme ne fait pas d’ histoires, parce qu’il n’est pas une polémique mais une acceptation de

580 à toutes fins utiles ou spirituelles, à la volée d’ une imagination qui se soucie d’abord de composer. Entre une épaule et

581 la volée d’une imagination qui se soucie d’abord de composer. Entre une épaule et une arcade, vous découvrez un lac entou

582 aule et une arcade, vous découvrez un lac entouré de cultures, de beaux champs gras, des laboureurs et des bateaux, toute

583 rcade, vous découvrez un lac entouré de cultures, de beaux champs gras, des laboureurs et des bateaux, toute une nature à

584 eurs et des bateaux, toute une nature à la mesure de l’homme, portant les marques de l’usage, et dominée par quelques Alpe

585 ature à la mesure de l’homme, portant les marques de l’usage, et dominée par quelques Alpes qui sont des vagues à peine fi

586 ’opéra romantique, bien moins encore ces planches de minéralogie que nous bariolent les peintres d’Alpe. Ce qu’il peint, l

587 es de minéralogie que nous bariolent les peintres d’ Alpe. Ce qu’il peint, lui, c’est la terre des hommes, vue par les yeux

588 lui, c’est la terre des hommes, vue par les yeux de qui l’habite et l’utilise, et non point des « paysages » ou des « vue

589 e et bien suspect du terme. Un beau jour, fatigué de signer d’un poignard ses tumultueuses compositions, il se joint aux g

590 suspect du terme. Un beau jour, fatigué de signer d’ un poignard ses tumultueuses compositions, il se joint aux guerriers d

591 positions, il se joint aux guerriers du chevalier de Stein, va combattre à Novare et pille la cité, assiste à la défaite d

592 e à Novare et pille la cité, assiste à la défaite de la Bicoque, crie son indignation dans un furieux poème, et s’en revie

593 ur y faire la Réforme. Il écrira d’abord des jeux de carnaval qui sont en vérité bien plus que des satires « contre le pap

594 il joignait à son monogramme, enguirlandé au coin de ses tableaux ; ce sera l’arme réelle du guerrier suisse, signe des vi

595 est le sceau des poèmes qu’il dédie « à la gloire de Dieu ». ⁂ Quand on dit chez nous de quelqu’un « qu’il a fait un peu t

596 « à la gloire de Dieu ». ⁂ Quand on dit chez nous de quelqu’un « qu’il a fait un peu tous les métiers », ce n’est pas un é

597 un éloge, il s’en faut, c’est plutôt une manière de lui refuser cette considération bourgeoise qui s’attache aux carrière

598 attache aux carrières monotones. Mais la grandeur d’ un Manuel, et de plusieurs à son époque, est d’avoir su conduire leur

599 ières monotones. Mais la grandeur d’un Manuel, et de plusieurs à son époque, est d’avoir su conduire leur vie vers un but

600 ur d’un Manuel, et de plusieurs à son époque, est d’ avoir su conduire leur vie vers un but qui transcende toutes nos activ

601 e ordonna-t-il sa vie ? Peut-être à la recréation d’ une unité de rythme et de vision au sein d’un monde qui perdait ses me

602 il sa vie ? Peut-être à la recréation d’une unité de rythme et de vision au sein d’un monde qui perdait ses mesures. Et qu

603 eut-être à la recréation d’une unité de rythme et de vision au sein d’un monde qui perdait ses mesures. Et quand le lieu d

604 la victoire, homme d’État. Je vois ainsi l’unité de sa vie dans la recherche d’une forme et d’un sens. Si l’art n’y suffi

605 Je vois ainsi l’unité de sa vie dans la recherche d’ une forme et d’un sens. Si l’art n’y suffit pas, c’est que le mal est

606 ’unité de sa vie dans la recherche d’une forme et d’ un sens. Si l’art n’y suffit pas, c’est que le mal est profond : d’où

607 rt n’y suffit pas, c’est que le mal est profond : d’ où la nécessité d’agir sur la cité. Si la cité n’a plus de vraies mesu

608 c’est que le mal est profond : d’où la nécessité d’ agir sur la cité. Si la cité n’a plus de vraies mesures, c’est l’Églis

609 nécessité d’agir sur la cité. Si la cité n’a plus de vraies mesures, c’est l’Église qui doit les refaire. Qu’elle s’y refu

610 ebâtir un État… ⁂ La sagesse des manuels a le don de stériliser d’un seul mot l’exemple d’une vie trop ardente : « romanti

611 … ⁂ La sagesse des manuels a le don de stériliser d’ un seul mot l’exemple d’une vie trop ardente : « romantique » ou « ave

612 ls a le don de stériliser d’un seul mot l’exemple d’ une vie trop ardente : « romantique » ou « aventurier » ou mieux encor

613 tique » ou « aventurier » ou mieux encore « homme de la Renaissance ». Rappelons alors que ce guerrier fut bon époux, et b

614 alors que ce guerrier fut bon époux, et bon père de six enfants ; que cet artiste, l’un des plus grands de son pays, fut

615 x enfants ; que cet artiste, l’un des plus grands de son pays, fut aussi le plus raisonnable parmi les chefs de la Réforma

616 ys, fut aussi le plus raisonnable parmi les chefs de la Réformation. L’année même où pour divertir Zwingli et ses savants

617 ses savants collègues il leur envoie le manuscrit d’ une satire contre la messe, on vante à Berne la modération de ses disc

618 e contre la messe, on vante à Berne la modération de ses discours lors des débats de religion. Ce dernier trait achève de

619 rne la modération de ses discours lors des débats de religion. Ce dernier trait achève de peindre le sérieux de ce fantast

620 s des débats de religion. Ce dernier trait achève de peindre le sérieux de ce fantastique. Mais je m’aperçois un peu tard

621 on. Ce dernier trait achève de peindre le sérieux de ce fantastique. Mais je m’aperçois un peu tard que j’oubliais de cite

622 ue. Mais je m’aperçois un peu tard que j’oubliais de citer sa devise, inscrite au coin de quelques-uns de ses dessins : N.

623 e j’oubliais de citer sa devise, inscrite au coin de quelques-uns de ses dessins : N. K. A. W., ce qui veut dire : « Perso

624 citer sa devise, inscrite au coin de quelques-uns de ses dessins : N. K. A. W., ce qui veut dire : « Personne ne peut tout

625 it tout savoir, et que pourtant… C’est la passion de la Renaissance, si l’on veut. Je crois plutôt que c’est encore l’ango

626 Je crois plutôt que c’est encore l’angoisse avide d’ une unité de sens spirituel, inaccessible à tout « savoir » aussi vast

627 tôt que c’est encore l’angoisse avide d’une unité de sens spirituel, inaccessible à tout « savoir » aussi vaste qu’on l’im

628 30, Manuel parut pour la dernière fois à la Diète de Baden. Du 1er au 12 avril, il assiste chaque jour aux séances du Cons

629 il, il assiste chaque jour aux séances du Conseil de Berne. Le 16, il est signalé comme absent. Le 18, on le confirme dans

630 omme absent. Le 18, on le confirme dans sa charge de banneret. Le 20 avril, il n’est plus. « Pareil au cierge qui se consu

631 il n’est plus. « Pareil au cierge qui se consume d’ autant plus vite qu’il a mieux éclairé — écrit un chroniqueur du temps

632 -sixième année. Le seul autoportrait qui subsiste de lui nous montre, à la fin de sa vie, un regard doux et perspicace, un

633 ortrait qui subsiste de lui nous montre, à la fin de sa vie, un regard doux et perspicace, un visage aigu de malade, peint

634 vie, un regard doux et perspicace, un visage aigu de malade, peint avec la véracité d’un homme qui sait exactement ce que

635 un visage aigu de malade, peint avec la véracité d’ un homme qui sait exactement ce que vaut une vie d’homme devant Dieu.

636 ’un homme qui sait exactement ce que vaut une vie d’ homme devant Dieu. 9 mars 1940 Il nous est né hier une fille que

637 nous firent adopter ce prénom. C’est un souvenir de France et de la paix française, qui nous émeut comme un adieu à la do

638 adopter ce prénom. C’est un souvenir de France et de la paix française, qui nous émeut comme un adieu à la douceur de vivr

639 çaise, qui nous émeut comme un adieu à la douceur de vivre, à la confiance. Cela se passait dans l’autre monde, au début d

640 nce. Cela se passait dans l’autre monde, au début de l’été de 1938… Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un long village en b

641 se passait dans l’autre monde, au début de l’été de 1938… Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de

642 était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre el

643 nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’ un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaie

644 te. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de

645 une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’ un étage au-dessus des champs de roses et des blés, aux bords du plate

646 élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés, aux bords du plateau de la Brie. Nous montions ver

647 champs de roses et des blés, aux bords du plateau de la Brie. Nous montions vers Périgny par un sentier fort raide entre l

648 entier fort raide entre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on par

649 boutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle

650 ns la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ ardoise ne dépassent pas les façades nues, brunies par l’âge, patinées

651 même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les ro

652 nt ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’ une ferme au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’appar

653 n. Nous longions cette rue silencieuse, imaginant d’ y vivre un jour dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au r

654 ne route prend à droite, vers la plaine, escortée de quelques maisons ; l’autre s’incline lentement vers la vallée, dans l

655 blés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’ un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets

656 is là fasciné comme par la découverte d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imagi

657 e d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imaginant une idylle muette. Celui qui re

658 tils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ. En passant au carrefour il s’est dit : Peut-être est-elle

659 t : Peut-être est-elle à Mandres, c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du

660 a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffit. Nous sommes redescendus vers la

661 ne suffit. Nous sommes redescendus vers la vallée de l’Yerres, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il fais

662 iers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noi

663 dron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. Mars 1940

664 0 Entre le déclenchement précis des mécanismes de la catastrophe, et la catastrophe elle-même, un moment imprévu a pris

665 itaires. 1. Vers du Biccocalied. À la bataille de la Bicoque, les lansquenets s’étaient dissimulés dans des tranchées,

666 rie décimait les Suisses à bout portant. Le poème de Manuel répond à une chanson glorifiant la victoire des Allemands. 2.

667 sye lob ! La plupart des autres drames et satires de Manuel se terminent par la mention du « Schwyzerdegen » qui demeure s

668 r sa personne. Il y avait une coupure du Courrier de Saint-Étienne intitulée : « Le Führer a perdu la guerre des nerfs ».

669 . B. lui ayant demandé pourquoi il attachait tant d’ importance aux propos d’une feuille de province. « Pourquoi ? gémit le

670 ourquoi il attachait tant d’importance aux propos d’ une feuille de province. « Pourquoi ? gémit le Führer, mais parce que

671 achait tant d’importance aux propos d’une feuille de province. « Pourquoi ? gémit le Führer, mais parce que moi, je ne sui

672 ut ! Vous, monsieur B., vous pourriez vous moquer d’ un tel article. Mais moi je ne suis qu’un prolétaire ! » ⁂ La clé du

673 fficiel hitlérien est des plus simples. Il suffit de changer chaque terme en son contraire pour obtenir un texte raisonnab

674 armée pour tyranniser toute l’Europe. (Le congrès de Nuremberg célébrant le réarmement du Reich s’intitula « Tag der Freih

675 ie, cela veut dire qu’ils vont achever le travail de désorganisation entrepris par leur cinquième colonne. Et quand ils an

676 t quand ils annoncent que la Hollande fait partie de leur espace vital, cela trahit, je le crains, leur décision de transf

677 e vital, cela trahit, je le crains, leur décision de transformer ce pays en champ de bataille, c’est-à-dire en espace mort

678 ⁂ Je ne connais qu’un seul descendant authentique de Napoléon : il est objecteur de conscience. (C’est P. C., qui sort de

679 endant authentique de Napoléon : il est objecteur de conscience. (C’est P. C., qui sort de chez moi.) ⁂ À propos d’un réce

680 t objecteur de conscience. (C’est P. C., qui sort de chez moi.) ⁂ À propos d’un récent discours où Hitler assurait le peup

681 ent discours où Hitler assurait le peuple anglais de ses bonnes intentions, et le menaçait en même temps de raser Londres

682 s bonnes intentions, et le menaçait en même temps de raser Londres en cas de résistance, le jeune Lord D. me disait en ria

683 le menaçait en même temps de raser Londres en cas de résistance, le jeune Lord D. me disait en riant : « C’est comme dans

684 enne fou et descende tout nu dans la rue. Combien de temps faudra-t-il pour que son entourage admette qu’il est fou, et qu

685 qu’il est fou, et qu’il ne s’agit pas simplement d’ une « nouvelle politique » ou d’un « renversement dialectique » ? C’es

686 it pas simplement d’une « nouvelle politique » ou d’ un « renversement dialectique » ? C’est qu’on en a vu d’autres, et de

687 s graves, et personne n’a crié au fou. ⁂ R. vient d’ être reçu au palais de Venise et me raconte sa visite. Il pénètre dans

688 n’a crié au fou. ⁂ R. vient d’être reçu au palais de Venise et me raconte sa visite. Il pénètre dans le fameux cabinet où

689 nètre dans le fameux cabinet où le Duce a coutume de laisser ses interlocuteurs debout. « Suis-je reçu, dit-il, par le che

690 e, puis par la guerre, se nourrissent aujourd’hui de racines. L’orgie moderne finit en jeûne forcé, après le sacrifice san

691 cation totalitaire abaisse certainement le niveau de l’intelligence moyenne dans une nation. Mais je redoute parfois que l

692 s démocraties, ne réussisse qu’à élever le niveau de la bêtise moyenne. (Voir les magazines populaires, chez nous autant q

693 condamnent-ils que les excès, et jamais le défaut de grandes vertus ? Pourquoi disent-ils sans cesse de leur voisin : il b

694 e grandes vertus ? Pourquoi disent-ils sans cesse de leur voisin : il boit trop, il court trop, il parle trop, il en fait

695 est une petite nature, il est bien sec, il manque d’ esprit, il ne se passionne pour rien ? Pourquoi détestent-ils tout ce

696 leurs yeux, le péché c’est l’excès. Mais l’excès de médiocrité, même dans les vices, le voient-ils ? ⁂ Quand j’entends ce

697 au mot, s’ils étaient exaucés, si les puissances de l’esprit se réveillaient vraiment dans le monde, ces messieurs compre

698 re à un prophète : « C’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant ! » ⁂ Pourquoi l’époque présent

699 par la lutte contre Hitler. Or il est trop facile d’ être contre Hitler, trop facile de se sentir meilleur que les nazis. L

700 est trop facile d’être contre Hitler, trop facile de se sentir meilleur que les nazis. Les grandes époques spirituelles so

701 foi, grâce suffisante… Fin mars 1940 Au mois d’ août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fa

702 âce suffisante… Fin mars 1940 Au mois d’août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fait deux

703 s aérer. Secundo, j’ai envoyé à un certain nombre de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entrep

704 e de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entreprise par Julien l’Apostat contre les chrétiens,

705 assera. » La semaine passée, je reçois une lettre de « quelque part dans le Proche-Orient » et une autre des États-Unis. L

706 e raison à l’une ou à l’autre de ces lettres. Pas d’ importance. Ce qui est important, c’est la certitude « qu’il passera »

707 tude « qu’il passera ». Que sont nos petits accès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avant-printemps suffit à

708 cès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’ avant-printemps suffit à dissiper en cinq minutes ? Qu’est-ce que cela

709 au regard de la menace énorme qui domine l’Europe d’ aujourd’hui ? Eh bien, cette menace, à son tour, n’est qu’un tout peti

710 niversels que sera notre jugement au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes : «

711 chrétiens, nous n’avons à redouter que le Prince de tous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de te

712 s, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militaire

713 vrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits personnages, ce combat, si “total” qu’il soit, ne saurait

714 doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et

715 traire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’

716 mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il pass

717 t nuage, il passera. » Ce mot me fut comme parole d’ Évangile quand je le lus l’année dernière. En voici un écho que je vi

718 ttu par ses anciens amis. Dans le refuge précaire d’ un Christliches Hospiz, il sent peser sur lui d’une manière insupporta

719 e d’un Christliches Hospiz, il sent peser sur lui d’ une manière insupportable le sombre avenir de son pays. « Dans mon dés

720 lui d’une manière insupportable le sombre avenir de son pays. « Dans mon désespoir, écrit-il, j’eus recours à l’Évangile

721 s à l’Évangile qu’on trouve sur toutes les tables de nuit de ces hospices. Je le feuilletai et mon premier regard tomba su

722 angile qu’on trouve sur toutes les tables de nuit de ces hospices. Je le feuilletai et mon premier regard tomba sur cette

723 de tous. » Berne, avril 1940 L’arme secrète de la démocratie, c’est la franchise. On nous répète : « Qui ne sait se

724 ais il y a des silences plus dangereux pour l’âme d’ un peuple que les paroles imprudentes… Il y a des cas où qui ne sait p

725 ce que j’ai développé hier matin devant le micro de Radio Berne, qui m’avait offert un quart d’heure, libre de toute cens

726 Berne, qui m’avait offert un quart d’heure, libre de toute censure préalable. 11 mai 1940 Nouvelle mobilisation géné

727 faire pendant les jours qui viennent. Accompagné d’ un de mes camarades, je vais donc m’annoncer auprès du chef de la poli

728 e pendant les jours qui viennent. Accompagné d’un de mes camarades, je vais donc m’annoncer auprès du chef de la police qu

729 camarades, je vais donc m’annoncer auprès du chef de la police qui a demandé quelques volontaires. Il nous expose notre tâ

730 he : prendre le commandement des pelotons chargés d’ arrêter en cas d’agression allemande, à la première heure, les quelque

731 ommandement des pelotons chargés d’arrêter en cas d’ agression allemande, à la première heure, les quelques dizaines de che

732 mande, à la première heure, les quelques dizaines de chefs de quartier nazis qui opèrent dans la ville fédérale. Des camio

733 la première heure, les quelques dizaines de chefs de quartier nazis qui opèrent dans la ville fédérale. Des camions sont a

734 ans la cour pour cette éventualité. Voici le plan de la ville, les maisons, les étages et les noms de ces messieurs, indiq

735 de la ville, les maisons, les étages et les noms de ces messieurs, indiqués avec précision. Forcer la porte, couper les f

736 avec précision. Forcer la porte, couper les fils de téléphone, prendre le type, ramasser les papiers… La légation alleman

737 La légation allemande, nous dit-il, est un dépôt d’ armes et un blockhaus bétonné. Mais nous avons installé un canon dans

738 Mais nous avons installé un canon dans la maison d’ en face. L’ordre récemment donné aux étrangers de déposer leurs armes

739 d’en face. L’ordre récemment donné aux étrangers de déposer leurs armes aux postes de police a permis d’observer le phéno

740 é aux étrangers de déposer leurs armes aux postes de police a permis d’observer le phénomène suivant : au jour fixé, tous

741 déposer leurs armes aux postes de police a permis d’ observer le phénomène suivant : au jour fixé, tous les employés de la

742 énomène suivant : au jour fixé, tous les employés de la légation nazie se sont rendus à leur bureau porteurs de petites va

743 ation nazie se sont rendus à leur bureau porteurs de petites valises et de serviettes anormalement gonflées. Une femme tra

744 ndus à leur bureau porteurs de petites valises et de serviettes anormalement gonflées. Une femme traînait un énorme filet

745 écrasée. Je traîne encore la jambe gauche, suite de cette déchirure du ménisque. On me renvoie à Berne. 24 mai 1940

746 à Berne. 24 mai 1940 Écouté la radio. Opéra de Mozart. Et dans une seule bouffée, toutes ces nuits de Vienne, élégan

747 zart. Et dans une seule bouffée, toutes ces nuits de Vienne, élégantes passions égarées, musique aux jardins jusqu’à l’aub

748 ées, musique aux jardins jusqu’à l’aube… Un quart de tour, nouvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’un commun

749 rdins jusqu’à l’aube… Un quart de tour, nouvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’un communiqué, régions perdu

750 uvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’ un communiqué, régions perdues encore, régions perdues dans le passé e

751 e rétrécissent vers la catastrophe. Il n’est plus d’ autre issue que la nuit, mais viendra-t-elle après ma mort ou avec ell

752 ore presque aussi vaste que la terre, se rétrécit de jour en jour et d’heure en heure, à chaque fois que j’allume cet œil

753 aste que la terre, se rétrécit de jour en jour et d’ heure en heure, à chaque fois que j’allume cet œil vert — pays perdus,

754 aurions-nous mieux le vivre, augmenté du souvenir de sa perte ? Mais le passé ne reviendra jamais, ce bon vieux temps que

755 us devions vivre encore… À quoi pensent-ils, ceux de la bataille ? Ont-ils de ces retours soudains vers des moments de ten

756 À quoi pensent-ils, ceux de la bataille ? Ont-ils de ces retours soudains vers des moments de tendresse banale ? Ils devie

757 Ont-ils de ces retours soudains vers des moments de tendresse banale ? Ils deviendraient fous de révolte… Ils en ont, ils

758 ents de tendresse banale ? Ils deviendraient fous de révolte… Ils en ont, ils en ont sûrement quand ils s’endorment épuisé

759 re encore : ils en ont au réveil, affreux bonheur d’ une illusion rapide, où suis-je ? Déjà tout recommence, sans relâche,

760 e désespoir en plein midi, — ou la reconnaissance de l’unique nécessaire ? 6 juin 1940 Hier soir, à Lausanne, ave

761 pour l’émission nationale à la radio. Il a parlé de la Suisse romande, moi de la Suisse allemande. En sortant du studio,

762 à la radio. Il a parlé de la Suisse romande, moi de la Suisse allemande. En sortant du studio, nous apprenons que Paris v

763 sortant du studio, nous apprenons que Paris vient d’ être bombardé pour la première fois. Dans le train qui nous ramenait c

764 lui ai dit : « Si la France est battue, le moral de la Suisse va flancher. Beaucoup seront tentés de céder à diverses pre

765 de la Suisse va flancher. Beaucoup seront tentés de céder à diverses pressions. Pourtant nous sommes les seuls à pouvoir

766 s années, je pense au Saint-Gothard comme au cœur de l’Europe, à son bastion sacré. C’est pour le garder libre que nos pre

767 ibre que nos premiers cantons ont reçu la liberté d’ Empire. Or il se trouve que providentiellement, le Gothard est le type

768 e providentiellement, le Gothard est le type même de la position imprenable dans la guerre actuelle. Il faudrait déclenche

769 sérieux.) Une bonne idée… Seulement ce n’est rien d’ en parler. Il faut le faire. J’ai senti, sous son regard direct, le da

770 re. J’ai senti, sous son regard direct, le danger d’ avoir une idée et de l’exprimer sans précautions, avant d’avoir calcul

771 son regard direct, le danger d’avoir une idée et de l’exprimer sans précautions, avant d’avoir calculé la dépense… 12

772 une idée et de l’exprimer sans précautions, avant d’ avoir calculé la dépense… 12 juin 1940 Débâcle française sur la

773 contacts sont pris à droite et à gauche. Vertige de sentir une idée qui s’incarne, qui « prend corps ». Dimanche, 16 j

774 reau, claque les talons, et m’annonce qu’on vient d’ entendre à la radio que les Allemands sont entrés dans Paris. — Merci.

775 Merci. Repos ! Il est sorti, me voyant incapable de rien dire de plus. Je suis resté immobile un long moment. Je n’avais

776 mobile un long moment. Je n’avais pas grand-chose d’ urgent à faire jusqu’à midi. J’ai écrit deux pages sur l’entrée d’Hitl

777 jusqu’à midi. J’ai écrit deux pages sur l’entrée d’ Hitler à Paris, les ai recopiées, et envoyées à la Gazette de Lausann

778 aris, les ai recopiées, et envoyées à la Gazette de Lausanne . « Voyez si les prescriptions de la censure vous permettent

779 azette de Lausanne . « Voyez si les prescriptions de la censure vous permettent de publier cela. » ⁂ Aujourd’hui, M. qui e

780 i les prescriptions de la censure vous permettent de publier cela. » ⁂ Aujourd’hui, M. qui est à la Censure, vient déjeune

781 la Censure, vient déjeuner. Je lui dis le contenu de mon article. Il pense que ça ne passera pas. Tant pis, j’ai fait ce q

782 ce qu’il fallait faire. Je recopie mon brouillon d’ une page et demie. À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’un

783 e. À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’ un nuage et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sento

784 sait : Si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’ être un Européen. La Ville lumière n’est pas détruite : elle s’est éte

785 e n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur avait prophétisé :

786 devant le sentiment, devant ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues

787 ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde

788 nde : il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’ aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irre

789 d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais

790 es. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’ irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut co

791 é à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la fo

792 servants des « Panzerdivisionen ». Quelque chose d’ indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tr

793 appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant victorieux : tout ce qu’il veut saisir se change à son

794 u’il veut saisir se change à son approche — Midas de l’ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse. N’importe

795 du, en pierraille lépreuse. N’importe quel badaud d’ un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un coucha

796 rraille lépreuse. N’importe quel badaud d’un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant sur Sai

797 e juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’ un couchant sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la fo

798 sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de m

799 rmain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sa

800 isant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage

801 foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plu

802 rc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et pl

803 aux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu

804 e grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les t

805 s pas un conquérant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire com

806 ant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde

807 bles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois

808 s avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils

809 e. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que le jour de la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun tri

810 Faisons le point, bon exercice pour rester maître de soi-même. Petite maison louée à mi-pente du Gurten. Au-dessous, des c

811 e maison, des prairies montent jusqu’aux lisières de la forêt de sapins couronnant le Gurten. Toutes les demi-heures, des

812 s prairies montent jusqu’aux lisières de la forêt de sapins couronnant le Gurten. Toutes les demi-heures, des avions passe

813 Cette prairie dominant la ville serait un terrain d’ atterrissage tout désigné pour des parachutistes. Je la regarde de tem

814 out désigné pour des parachutistes. Je la regarde de temps à autre en écartant le rideau, mais rien encore. Au milieu de

815 illé par deux détonations qui semblaient provenir de la forêt. Me suis levé pensant que c’était commencé. D’une fenêtre do

816 forêt. Me suis levé pensant que c’était commencé. D’ une fenêtre donnant au nord, j’ai regardé longtemps la ville, apparemm

817 ux éteints, montant lentement vers le Gurten. Pas d’ autre bruit. Me suis recouché pensant que s’il se passait quelque chos

818 téléphone. Peu dormi, et levé à six heures. Avant d’ entrer à mon bureau, près de la gare, acheté comme chaque matin la Gaz

819 — je n’y pensais plus — en première page, à côté d’ un appel à se taire lancé par le gouvernement vaudois ! Je le relis ra

820 és. Cela passera donc sans histoires. Vers la fin de la matinée, téléphone de M. Oui, il y aura des histoires, paraît-il…

821 s histoires. Vers la fin de la matinée, téléphone de M. Oui, il y aura des histoires, paraît-il… Mais rien de nouveau jusq

822 à sortir. Sonnerie du téléphone. On va me parler de l’E.-M. du Général. C’est bien vous qui avez écrit l’article paru ce

823 , mon colonel. — Avez-vous demandé l’autorisation de vos supérieurs ? — Non, mon colonel. — Pourquoi ? — Je ne suis pas o

824 n colonel. — Pourquoi ? — Je ne suis pas officier de carrière. — Vous deviez le faire quand même. Vous êtes accusé d’injur

825 Vous deviez le faire quand même. Vous êtes accusé d’ injures à un chef d’État étranger. Vous mettez en danger la sécurité d

826 ’État étranger. Vous mettez en danger la sécurité de la Suisse. C’est grave, c’est… très grave ! Terminé. — Terminé. Bon.

827 jusqu’ici. Ce matin, on nous a informés au bureau de ce qui s’est passé la nuit dernière. C’était sérieux. Attaques de sab

828 passé la nuit dernière. C’était sérieux. Attaques de saboteurs contre nos aérodromes. Mais on veillait partout. À la nuit,

829 it, des barricades ont été dressées dans les rues de la ville. La troupe a arrêté des automobilistes munis de passeports f

830 ille. La troupe a arrêté des automobilistes munis de passeports français, mais aucun n’était français. La population, sort

831 n, sortie pour voir, avait l’air en fête. Raisons de croire que le coup nazi, raté cette nuit, sera suivi à bref délai de

832 up nazi, raté cette nuit, sera suivi à bref délai de manifestations plus énergiques… Mon genou est enflé. Handicap embêtan

833 écises au bureau. Sur ma table une note me priant de passer chez le colonel. — Bonjour, mon cher. Asseyez-vous. (Je me di

834 ’ai beaucoup aimé votre article… Mais la Légation d’ Allemagne a protesté hier matin. J’ai l’ordre de vous faire conduire c

835 n d’Allemagne a protesté hier matin. J’ai l’ordre de vous faire conduire chez vous pour y prendre les arrêts. Voulez-vous

836 pistolet sur le bureau. Je me sens tout nu. Faute de soldats baïonnette au canon — on n’en trouve point —, c’est le lieute

837 s êtes d’accord avec mon article. Il est question de me déférer au tribunal militaire. On me reconduit enfin chez moi. Éco

838 sommée, la Suisse cernée par l’Axe — les colonnes de Guderian descendent vers la Faucille. 19 juin 1940 Atmosphère d

839 t vers la Faucille. 19 juin 1940 Atmosphère d’ imminence, je ne puis la caractériser mieux. Tout est immédiat, concre

840 ccumule par petites touches précises les éléments d’ un énorme désastre, incroyable et vrai. Le téléphone m’apporte, heure

841 léphone m’apporte, heure par heure, les nouvelles de l’action entreprise pour notre « défense à tout prix ». (Beaucoup de

842 ises à faire. 20 juin 1940 Tourné le bouton de ma radio qui se trouvait arrêtée sur Londres. Une voix nasille, puis

843 fe. Je renforce. Quelle belle voix grave… Et tout d’ un coup, le coup au cœur ! « … moi, général de Gaulle, je vous dis… »

844 21 juin 1940 La justice militaire ne veut pas de mon cas. On m’a donc décerné, en lieu si haut qu’il n’y a pas de reco

845 m’a donc décerné, en lieu si haut qu’il n’y a pas de recours possible, quinze jours d’arrêts de rigueur, dans un fort. Poi

846 qu’il n’y a pas de recours possible, quinze jours d’ arrêts de rigueur, dans un fort. Point d’ordre écrit ni de motifs allé

847 a pas de recours possible, quinze jours d’arrêts de rigueur, dans un fort. Point d’ordre écrit ni de motifs allégués. J’a

848 ze jours d’arrêts de rigueur, dans un fort. Point d’ ordre écrit ni de motifs allégués. J’ai toujours été partisan des vaca

849 de rigueur, dans un fort. Point d’ordre écrit ni de motifs allégués. J’ai toujours été partisan des vacances payées, et n

850 ave. Céder à l’ennemi sur le point de la liberté d’ expression, n’est-ce point perdre avant même que de se battre, l’une d

851 ’expression, n’est-ce point perdre avant même que de se battre, l’une des raisons valables qu’on aurait de se battre, et l

852 e battre, l’une des raisons valables qu’on aurait de se battre, et l’une des marques de cette indépendance que l’armée jus

853 s qu’on aurait de se battre, et l’une des marques de cette indépendance que l’armée justement se trouve chargée de défendr

854 épendance que l’armée justement se trouve chargée de défendre à tout prix ?4 La première rencontre des dix « conjurés » a

855 e des dix « conjurés » aura lieu demain. Début de juillet 1940 Repris mon service à la section Armée et Foyer. Écri

856 à la section Armée et Foyer. Écrit le manifeste de la Ligue du Gothard. Il paraît sur une page entière dans soixante-qua

857 e X. : tout ce qu’il possède. On nous accuse déjà d’ être « fascistes », naturellement, et payés par la « grande industrie 

858 ois se composer de plus en plus nettement le plan de résistance civique, et le jeu des forces sociales et politiques qu’il

859 eu des forces sociales et politiques qu’il s’agit de coordonner, neutraliser ou utiliser. Mon immobilité forcée m’a donné

860 et plutôt fastidieux : téléphones, lettres, coups de sonnette, vérifications, petits retards, noms à retenir sans les note

861 on, c’est cela : elle n’est faite en réalité, que de détails qui se succèdent prosaïquement. Rien d’excitant, sinon l’idée

862 e de détails qui se succèdent prosaïquement. Rien d’ excitant, sinon l’idée d’ensemble quand on prend un peu de recul, au m

863 dent prosaïquement. Rien d’excitant, sinon l’idée d’ ensemble quand on prend un peu de recul, au moment de s’endormir, par

864 3. Hitler m’a dit, par H. Rauschning. 4. Note de 1946. Je lis dans les instructions données au général Guisan le 31 ao

865 ante (article premier) : « Vous avez pour mission de sauvegarder l’indépendance du pays et de maintenir l’intégrité du ter

866 mission de sauvegarder l’indépendance du pays et de maintenir l’intégrité du territoire. » Or il est clair que pour défen

867 ur défendre un territoire, il est parfois indiqué de céder du terrain : c’est ce qu’on nomme une retraite stratégique. On

868 indépendance. Cela se discute. Ce fut la tendance de Vichy. Par bonheur elle n’a pas prévalu en Suisse.

869 Sur la période qui suit, jusqu’au 20 août, date de mon départ pour l’Amérique, je ne retrouve dans mes papiers que des n

870 des notes décousues, des lettres, un gros paquet de coupures de journaux concernant la Ligue du Gothard, des plans d’orga

871 écousues, des lettres, un gros paquet de coupures de journaux concernant la Ligue du Gothard, des plans d’organisation, le

872 ournaux concernant la Ligue du Gothard, des plans d’ organisation, le programme de plusieurs rencontres avec des syndicalis

873 u Gothard, des plans d’organisation, le programme de plusieurs rencontres avec des syndicalistes, des industriels et des r

874 yndicalistes, des industriels et des responsables de groupements divers. Je revois cette maison de Berne à deux entrées, q

875 les de groupements divers. Je revois cette maison de Berne à deux entrées, qui nous servit parfois de rendez-vous ; des sé

876 de Berne à deux entrées, qui nous servit parfois de rendez-vous ; des séances enfumées du Directoire de la Ligue ; et pui

877 rendez-vous ; des séances enfumées du Directoire de la Ligue ; et puis, au sortir de l’une d’elles, vers midi, sur une ro

878 ectoire de la Ligue ; et puis, au sortir de l’une d’ elles, vers midi, sur une route au-dessus de Zurich, cette auto milita

879 l’une d’elles, vers midi, sur une route au-dessus de Zurich, cette auto militaire qui stoppe à côté de moi, ce jeune lieut

880 it rapidement : « Soyez prudent, quatre des chefs de la Ligue dans l’armée ont été arrêtés ce matin à six heures… » Mais p

881 tional 5 il se dressait vraiment comme le bastion de l’Europe dont nous avions rêvé, sans oser croire que quelques mois pl

882 Notre Ligue du Gothard, fondée sur l’idée simple d’ organiser les volontés de résistance, voyait ainsi son premier objecti

883 fondée sur l’idée simple d’organiser les volontés de résistance, voyait ainsi son premier objectif atteint. Elle s’orienta

884 nt. Elle s’orientait vers un programme plus vaste d’ entraide sociale et de rénovation économique et politique. Elle avait

885 ers un programme plus vaste d’entraide sociale et de rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé le noy

886 ait au départ formé le noyau du premier mouvement de Résistance, au sens que ce mot devait prendre un peu plus tard dans l

887 nats et tortures en moins. Les mêmes peuvent rire de l’armée suisse parce qu’elle n’eut pas l’occasion de se battre. Pourt

888 l’armée suisse parce qu’elle n’eut pas l’occasion de se battre. Pourtant elle l’aurait eue, probablement, si les Allemands

889 e et moins bien alertée. Et notre petit mouvement de résistance, pour « théorique » et préventif qu’il soit resté, eût cer

890 e ce fût, voilà qui suffit à mes yeux. En ce mois d’ août de 1940, j’estimais qu’elle avait réussi dans la mesure précise o

891 t, voilà qui suffit à mes yeux. En ce mois d’août de 1940, j’estimais qu’elle avait réussi dans la mesure précise où elle

892 en Amérique. L’armée démobilisait les deux tiers de ses effectifs. La Ligue s’engageait dans une phase où j’étais loin de

893 ent, pas beaucoup dire. Me taire ou ne parler que de notre belle nature me semblait également intolérable, tant qu’Hitler

894 ment décisif allait venir et ne pouvait venir que d’ Amérique. Peut-être bien était-ce là-bas qu’il me serait donné quoique

895 là-bas qu’il me serait donné quoique « neutre », de faire la guerre à ma façon, d’entrer « dans le coup ». Poussé dans le

896 uoique « neutre », de faire la guerre à ma façon, d’ entrer « dans le coup ». Poussé dans le dos, attiré en avant, je me dé

897 août, à sept heures du matin, je prenais la route de Lisbonne. 5. On se rappelle, en Suisse, que le 25 juillet, le génér

898 ral Guisan convoqua tous les officiers supérieurs de l’armée pour leur exposer son plan de défense à outrance autour du ma

899 supérieurs de l’armée pour leur exposer son plan de défense à outrance autour du massif du Gothard.

900 La route de Lisbonne Quinta da Fonte (Portugal), 28 août 1940 La « route d

901 a da Fonte (Portugal), 28 août 1940 La « route de Lisbonne » restera, aux yeux de l’historien futur, l’un des symboles

902 torien futur, l’un des symboles les plus typiques de l’an de grâce 1940. « An de grâce rationnée », comme le remarquait un

903 utur, l’un des symboles les plus typiques de l’an de grâce 1940. « An de grâce rationnée », comme le remarquait un spiritu

904 les les plus typiques de l’an de grâce 1940. « An de grâce rationnée », comme le remarquait un spirituel Anglais de mes am

905 onnée », comme le remarquait un spirituel Anglais de mes amis. Pour combien d’hommes le billet du Clipper ou d’un petit pa

906 it un spirituel Anglais de mes amis. Pour combien d’ hommes le billet du Clipper ou d’un petit paquebot américain n’est-il

907 is. Pour combien d’hommes le billet du Clipper ou d’ un petit paquebot américain n’est-il pas le dernier coupon de cette ca

908 paquebot américain n’est-il pas le dernier coupon de cette carte de bonheur que tous croient mériter ? Mais le Clipper et

909 ain n’est-il pas le dernier coupon de cette carte de bonheur que tous croient mériter ? Mais le Clipper et les paquebots n

910 s le Clipper et les paquebots ne partent plus que d’ un seul port européen. Et pour l’atteindre, il n’est plus qu’une seule

911 n’est plus qu’une seule voie : celle qui sortant de Genève par un étroit goulet entre les postes d’occupation allemands e

912 t de Genève par un étroit goulet entre les postes d’ occupation allemands et la Savoie où sont les Italiens, passe par le m

913 la Savoie où sont les Italiens, passe par le midi de la France, s’infiltre à grand-peine en Espagne, manque vingt fois de

914 iltre à grand-peine en Espagne, manque vingt fois de s’y perdre, et n’atteint finalement Lisbonne qu’en vertu, semble-t-il

915 int finalement Lisbonne qu’en vertu, semble-t-il, d’ un étrange caprice, ou d’une négligence ironique des dieux policiers d

916 u’en vertu, semble-t-il, d’un étrange caprice, ou d’ une négligence ironique des dieux policiers de l’Europe. Comme il sera

917 ou d’une négligence ironique des dieux policiers de l’Europe. Comme il serait facile de pincer, n’importe où, cette mince

918 eux policiers de l’Europe. Comme il serait facile de pincer, n’importe où, cette mince artère par où notre vieux monde se

919 artère par où notre vieux monde se vide peu à peu de son élite en même temps que de ses parasites ! (Une élite qui se sent

920 se vide peu à peu de son élite en même temps que de ses parasites ! (Une élite qui se sent de trop, des parasites acharné

921 mps que de ses parasites ! (Une élite qui se sent de trop, des parasites acharnés à survivre…) On serait tenté de penser q

922 s parasites acharnés à survivre…) On serait tenté de penser que cette sorte d’omission fait partie d’un plan général qui n

923 vivre…) On serait tenté de penser que cette sorte d’ omission fait partie d’un plan général qui ne relève pas précisément d

924 de penser que cette sorte d’omission fait partie d’ un plan général qui ne relève pas précisément de la philanthropie. Mai

925 e d’un plan général qui ne relève pas précisément de la philanthropie. Mais peut-être est-ce trop d’optimisme que de suppo

926 t de la philanthropie. Mais peut-être est-ce trop d’ optimisme que de supposer qu’un plan quelconque préside aux modificati

927 ropie. Mais peut-être est-ce trop d’optimisme que de supposer qu’un plan quelconque préside aux modifications du monde que

928 de aux modifications du monde que nous commençons d’ entrevoir. Route de Lisbonne, route de l’émigration et des gros chèque

929 s du monde que nous commençons d’entrevoir. Route de Lisbonne, route de l’émigration et des gros chèques, des agents plus

930 commençons d’entrevoir. Route de Lisbonne, route de l’émigration et des gros chèques, des agents plus ou moins secrets, d

931 f, ni businessman, ni détrôné, voyageur ordinaire d’ une époque qui ne l’est point, mais qu’il m’importe de connaître de vi

932 e époque qui ne l’est point, mais qu’il m’importe de connaître de visu. Première journée À six heures du matin, rue

933 s rappelle les temps des diligences. Entassements de bagages et de plaids, voyageurs hétéroclites qui s’observent avant l’

934 temps des diligences. Entassements de bagages et de plaids, voyageurs hétéroclites qui s’observent avant l’aventure, surp

935 t, retards, enfin départ en trombe à grands coups de corne à travers la ville endormie. Tous les fauteuils sont occupés da

936 auteuils sont occupés dans notre voiture et point de couloir libre au milieu. Des bagages à main, des cartons à chapeaux e

937 tout cela et vous permettre après dix kilomètres d’ extraire de votre poche une cigarette. Douanes suisse et française san

938 et vous permettre après dix kilomètres d’extraire de votre poche une cigarette. Douanes suisse et française sans histoire 

939 se sans histoire : on s’en tire avec trois heures d’ attente. Et voici la France dite libre. Si l’on traverse en autocar la

940 pée du pays, on n’aperçoit que des traces infimes d’ un des plus grands désastres de l’histoire. Des ponts détruits dans un

941 des traces infimes d’un des plus grands désastres de l’histoire. Des ponts détruits dans une région où les Allemands ne vi

942 dans une lumière qui ne savent encore parler que de bonheur et de libre sagesse… Comment croire à la catastrophe lorsqu’o

943 ère qui ne savent encore parler que de bonheur et de libre sagesse… Comment croire à la catastrophe lorsqu’on descend dans

944 ’on descend dans ces contrées les plus humanisées de la planète, le long du Rhône, dans l’invincible euphorie des approche

945 oici quelques villages occupés par des formations de la légion tchèque désarmée. Et soudain, un peu avant Nîmes, deux moto

946 s sommes arrêtés pour déjeuner dans un restaurant de Grenoble. Menu pareil à ceux de Paris il y a un an, et les prix ont à

947 ans un restaurant de Grenoble. Menu pareil à ceux de Paris il y a un an, et les prix ont à peine augmenté. Mais à Valence,

948 t à peine augmenté. Mais à Valence, la tenancière d’ une épicerie où nous entrons nous tend d’abord la liste des articles q

949 n blanc et vin rouge… Le pain et le vin, symboles de la terre de France, marques sacrées d’une civilisation. Pour un Franç

950 in rouge… Le pain et le vin, symboles de la terre de France, marques sacrées d’une civilisation. Pour un Français, leur ab

951 , symboles de la terre de France, marques sacrées d’ une civilisation. Pour un Français, leur absence représente bien autre

952 une atteinte au moral du peuple, à la saveur même de la vie… À Nîmes, halte de dix minutes à la terrasse d’un grand café.

953 uple, à la saveur même de la vie… À Nîmes, halte de dix minutes à la terrasse d’un grand café. Beaucoup de monde, mais pe

954 vie… À Nîmes, halte de dix minutes à la terrasse d’ un grand café. Beaucoup de monde, mais peu d’animation. On nous sert,

955 asse d’un grand café. Beaucoup de monde, mais peu d’ animation. On nous sert, sous le nom de café noir, un breuvage au goût

956 , mais peu d’animation. On nous sert, sous le nom de café noir, un breuvage au goût d’encre additionné de jus de saccharin

957 rt, sous le nom de café noir, un breuvage au goût d’ encre additionné de jus de saccharine. Et les apéritifs sont interdits

958 café noir, un breuvage au goût d’encre additionné de jus de saccharine. Et les apéritifs sont interdits. Au moment de repa

959 ir, un breuvage au goût d’encre additionné de jus de saccharine. Et les apéritifs sont interdits. Au moment de repartir, u

960 dits. Au moment de repartir, une femme s’approche de la portière. « Vous venez de Suisse ? dit-elle anxieuse. Est-il vrai

961 es bombardés chaque nuit et que vous allez mourir de faim ? » Nous la rassurons. Tout se réduit à quelques bombes jetées p

962 urnaux lit-on donc ici ? Désir secret des peuples de l’Europe : se rassurer à la pensée que la catastrophe est générale, q

963 que la catastrophe est générale, qu’il n’y a plus de pays épargnés, et que le malheur est si total qu’on ne peut plus dist

964 alheur est si total qu’on ne peut plus distinguer de responsabilités… Deuxième journée Aube sur Sète et son cimetièr

965 n cimetière marin, célébré par le plus beau poème de Valéry. Entre les pins palpite, entre les tombes « la mer, la mer tou

966 urrait donc obscurcir ce spectacle et le souvenir de cette musique ivre d’intelligence ? Et pourtant, c’est encore Valéry

967 ce spectacle et le souvenir de cette musique ivre d’ intelligence ? Et pourtant, c’est encore Valéry qui écrivait prophétiq

968 Valéry qui écrivait prophétiquement, au lendemain de la victoire (celle de 1918) : « Nous autres civilisations, nous savon

969 ophétiquement, au lendemain de la victoire (celle de 1918) : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous

970 tuer ses guides spirituels, supprimer ses moyens d’ expression, éteindre Paris « ville lumière ». On peut aussi, tout simp

971 n peut aussi, tout simplement, ne plus réimprimer de livres en langue française : ceux qu’on faisait à Paris sur du mauvai

972 r du mauvais papier ne se conserveront guère plus d’ un demi-siècle. Il n’y aura même pas besoin de les brûler. Nous roulon

973 lus d’un demi-siècle. Il n’y aura même pas besoin de les brûler. Nous roulons maintenant vers l’Espagne, à travers un pays

974 lons maintenant vers l’Espagne, à travers un pays de vignes dont le vin rouge sera bu par les Allemands. Voici Perpignan d

975 les Allemands. Voici Perpignan dans un tourbillon de poussière jaune, des châteaux sarrazins, le camp désert d’Argelès où

976 ère jaune, des châteaux sarrazins, le camp désert d’ Argelès où furent rassemblés les débris de l’armée rouge d’Espagne, — 

977 désert d’Argelès où furent rassemblés les débris de l’armée rouge d’Espagne, — que c’est vieux, et ce n’était qu’un essai

978 où furent rassemblés les débris de l’armée rouge d’ Espagne, — que c’est vieux, et ce n’était qu’un essai : mise au point

979 vieux, et ce n’était qu’un essai : mise au point de la puissance des armes et du maniement des passions. L’Espagne a fait

980 aniement des passions. L’Espagne a fait les frais d’ une expérience combinée dans ses moindres détails par Ribbentrop, Cian

981 s’en remettait à la naïveté héroïque des requetes de droite et des démocrates de gauche… J’écris ceci à la frontière espag

982 héroïque des requetes de droite et des démocrates de gauche… J’écris ceci à la frontière espagnole, sous le regard peu ras

983 frontière espagnole, sous le regard peu rassurant de jeunes soldats qui représentent « l’ordre nouveau », en espadrilles e

984 ois plus guère au départ. S’il y avait une goutte d’ eau à boire. Mais le car a stoppé dans une gorge aride, entre deux roc

985 qui se poursuivent depuis je ne sais plus combien d’ heures, ressemblent de plus en plus à une torture chinoise, savamment

986 uit court, parmi les voyageurs, que nous risquons d’ être refoulés à Perpignan lorsque tout sera terminé, le chiffre maximu

987 ouve être précisément celui dont ils ont le moins de raison d’attendre quelque bienveillance… Un jeune soldat famélique et

988 précisément celui dont ils ont le moins de raison d’ attendre quelque bienveillance… Un jeune soldat famélique et débraillé

989 resque déserts, et, dans le port, un petit bateau de guerre coulé à quai, coupé en deux par une bombe et couvert d’une rou

990 lé à quai, coupé en deux par une bombe et couvert d’ une rouille éclatante. Mon fils, âgé de 5 ans, me demande avec une ins

991 et couvert d’une rouille éclatante. Mon fils, âgé de 5 ans, me demande avec une insistance harcelante, pourquoi on a coulé

992 et pourquoi ces maisons des boulevards n’ont pas de fenêtres et des trous partout dans leurs murs… Je songe à ce que me d

993 espagnol : « Je ne puis vous expliquer la guerre d’ Espagne, car c’est une querelle de famille à quoi les étrangers ne peu

994 iquer la guerre d’Espagne, car c’est une querelle de famille à quoi les étrangers ne peuvent rien comprendre. » Mais que p

995 ront dans la même situation, sans plus de raisons de se réconcilier ? L’Europe de demain, la voici : c’est cette Espagne a

996 sans plus de raisons de se réconcilier ? L’Europe de demain, la voici : c’est cette Espagne amère, ce mutisme du peuple, c

997 epartir ce soir en train, mais en prenant l’avion de Madrid, demain matin, nous gagnerons une vingtaine d’heures. Curieuse

998 adrid, demain matin, nous gagnerons une vingtaine d’ heures. Curieuse obstination des Espagnols à dire que tout est impossi

999 à dire que tout est impossible : qu’il n’y a plus de place dans l’avion, par exemple. En insistant, on en trouve toujours.

1000 , mais ce qui paraît leur importer surtout, c’est de décourager les voyageurs forcés de passer par leur pays. Quatrième

1001 surtout, c’est de décourager les voyageurs forcés de passer par leur pays. Quatrième journée Madrid, quarante degrés

1002 le Prado, seul refuge, est fermé. Pourquoi parler de l’Espagne ? C’est un pays qui sait vous faire sentir qu’il n’a guère

1003 n pays qui se barricade — neuf heures à la douane d’ entrée, et l’on nous en prédit autant à la sortie — et qui ne s’inquiè

1004 it autant à la sortie — et qui ne s’inquiète plus de vous une fois que vous y êtes entré, comme absorbé qu’il est dans la

1005 es entré, comme absorbé qu’il est dans la stupeur de ruines qui semblent déjà permanentes. Traces de balles aux façades et

1006 r de ruines qui semblent déjà permanentes. Traces de balles aux façades et pas de maisons derrière, en pleine Avenida cent

1007 permanentes. Traces de balles aux façades et pas de maisons derrière, en pleine Avenida centrale. Ici, l’on n’essaie plus

1008 pleine Avenida centrale. Ici, l’on n’essaie plus de maquiller ! La couche de vernis pittoresque et brillante que décrivai

1009 Ici, l’on n’essaie plus de maquiller ! La couche de vernis pittoresque et brillante que décrivaient à satiété — l’un copi

1010 t à satiété — l’un copiant l’autre — les amateurs d’ espagnolisme, a été totalement décapée par ces années de guerre civile

1011 gnolisme, a été totalement décapée par ces années de guerre civile. Maintenant, on ne voit plus que le fond. Tristesse, ea

1012 binets du Ritz, rues étroites et fétides, pleines de mendiants, plus de cigarettes, ni d’allumettes, ni de taxis, mais que

1013 s étroites et fétides, pleines de mendiants, plus de cigarettes, ni d’allumettes, ni de taxis, mais quelques officiers all

1014 des, pleines de mendiants, plus de cigarettes, ni d’ allumettes, ni de taxis, mais quelques officiers allemands en uniforme

1015 endiants, plus de cigarettes, ni d’allumettes, ni de taxis, mais quelques officiers allemands en uniforme, dans une foule

1016 s allemands en uniforme, dans une foule dépourvue d’ élégance. Le totalitarisme ne sera jamais qu’une organisation de la mi

1017 totalitarisme ne sera jamais qu’une organisation de la misère. Mais je doute que les phalangistes soient capables à eux s

1018 que les phalangistes soient capables à eux seuls d’ organiser suffisamment cette misère-là. Il circule d’horribles histoir

1019 rganiser suffisamment cette misère-là. Il circule d’ horribles histoires sur la mise au pillage des campagnes par les chefs

1020 nes par les chefs locaux, et sur la colère sourde de la population. Si l’Espagne entre en guerre demain, ce sera sans dout

1021 emain, ce sera sans doute dans la seule intention de faire maintenir un certain « ordre » par les soins de l’armée alleman

1022 aire maintenir un certain « ordre » par les soins de l’armée allemande. Cinquième journée Départ de Madrid hier soir

1023 l’armée allemande. Cinquième journée Départ de Madrid hier soir dans un train archiplein — beaucoup de voyageurs n’o

1024 e voyageurs n’ont pu y trouver place et tenteront de prendre celui de demain soir — et sans avoir dîné, faute de restauran

1025 pu y trouver place et tenteront de prendre celui de demain soir — et sans avoir dîné, faute de restaurant dans la gare ou

1026 Durant toute la nuit, nous avons fait une moyenne de trente kilomètres à l’heure. Cet express s’arrête non seulement à tou

1027 te du parti. Comme en Italie, les gens ne cessent de circuler d’un bout à l’autre du train, enjambant des paysannes et des

1028 Comme en Italie, les gens ne cessent de circuler d’ un bout à l’autre du train, enjambant des paysannes et des soldats end

1029 mis dans le couloir au milieu de leurs paquets et de leurs cages à poules. Aux gares, ils reconnaissent des amis, les prie

1030 Aux gares, ils reconnaissent des amis, les prient de monter pour les accompagner jusqu’à la station prochaine, leur offren

1031 sur la tablette du compartiment, et nous arrosent de pépins crachés à la ronde. Ici au moins, il y a de la gaieté, et même

1032 e pépins crachés à la ronde. Ici au moins, il y a de la gaieté, et même une sorte de gentillesse, malheureusement vociféra

1033 au moins, il y a de la gaieté, et même une sorte de gentillesse, malheureusement vociférante. Nous atteignons la frontièr

1034 recommence. À midi, on nous ouvre enfin une sorte de buffet de gare, et nous nous ruons aveuglément sur des nourritures in

1035 . À midi, on nous ouvre enfin une sorte de buffet de gare, et nous nous ruons aveuglément sur des nourritures indéfinissab

1036 indéfinissables. Deux heures. Je demande au chef de train pourquoi nous restons là. « C’est, me dit-il, que le train a dé

1037 s wagons sont sur les rails. Parmi nos compagnons de voyage, tous ne sont pas encore très rassurés : il arrive en effet, n

1038 nous ? Le Portugal a vu passer déjà des centaines de milliers de réfugiés, et l’on ne trouve plus une chambre libre à cinq

1039 rtugal a vu passer déjà des centaines de milliers de réfugiés, et l’on ne trouve plus une chambre libre à cinquante kilomè

1040 kilomètres autour de la ville. Comme il n’y a pas de wagon-restaurant, le chef de train accepte de nous arrêter pour une h

1041 . Comme il n’y a pas de wagon-restaurant, le chef de train accepte de nous arrêter pour une heure dans un village. Nous dî

1042 pas de wagon-restaurant, le chef de train accepte de nous arrêter pour une heure dans un village. Nous dînons sur la place

1043 n merveilleux couchant. Des enfants aux tignasses d’ Arabes poursuivent des chiens et des chats sous les tables, et un supe

1044 des chats sous les tables, et un superbe troupeau de bœufs à grandes cornes traverse la place au dessert. À Lisbonne, nous

1045 tions accueillis dans cette Quinta toute hérissée de grilles et de cactus quand on arrive, mais fraîche et gaie à l’intéri

1046 is dans cette Quinta toute hérissée de grilles et de cactus quand on arrive, mais fraîche et gaie à l’intérieur de ses cou

1047 fraîche et gaie à l’intérieur de ses courettes et de ses chambres blanchies à la chaux, où l’on voudrait passer sa vie, où

1048 ublierait la guerre, sur ces terrasses incendiées de roses, à la piscine, dans la pinède qui vibre au vent chaud de la mer

1049 a piscine, dans la pinède qui vibre au vent chaud de la mer… Lisbonne, 10 septembre 1940 Blanche et bleue dans l’imm

1050 e 1940 Blanche et bleue dans l’immense lumière de la liberté atlantique, avec tous ses drapeaux claquant et ses rues dé

1051 uons pour l’Amérique. Mais ici je fais le serment d’ opposer une stricte mémoire à la candeur intarissable de la vie, toujo

1052 ser une stricte mémoire à la candeur intarissable de la vie, toujours pressée d’imaginer un monde où tout peut encore cont

1053 candeur intarissable de la vie, toujours pressée d’ imaginer un monde où tout peut encore continuer. Je viens de voir une

1054 il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le dém

1055 ait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’ esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le démoniaque et le

1056 ’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ai

1057 iaque et le surhumain. Et j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venant des terres abandonné

1058 bandonnées du Nord et que nos paysans s’efforcent d’ arrêter avant qu’elles n’étouffent leurs champs. J’ai vu renaître les

1059 renaître les paniques dévastatrices du ve siècle de notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève, nuit et jour, a

1060 rd, cœur mystérieux du continent, dernier symbole d’ une liberté qui ne peut plus vivre que sous la cuirasse. Hâtons-nous,

1061 ommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai de grâce ! À bord de l’Exeter, 11 septembre 1940 Les derniers barr

1062 on peut imaginer que la police renoncera au viol de notre vie privée. Pourtant, certains des passagers gardent encore l’a

1063 tant, certains des passagers gardent encore l’air de s’attendre au pire, tandis qu’ils font leur premier tour de pont. Ils

1064 dre au pire, tandis qu’ils font leur premier tour de pont. Ils se rappellent sans doute ce Polonais, tiré, jeté par la pol

1065 frontière — à deux-cents mètres — du Portugal et de la liberté. Car tel est le sadisme policier. De Genève à Lisbonne, no

1066 t de la liberté. Car tel est le sadisme policier. De Genève à Lisbonne, nous avons traversé sept contrôles différents de d

1067 ne, nous avons traversé sept contrôles différents de douane et de police. Secondés par la chance, nous n’y avons passé, si

1068 s traversé sept contrôles différents de douane et de police. Secondés par la chance, nous n’y avons passé, si je compte bi

1069 us n’y avons passé, si je compte bien, guère plus de vingt-deux heures, mais le total normal est d’au moins trente m’affir

1070 us de vingt-deux heures, mais le total normal est d’ au moins trente m’affirme-t-on, et les « accidents » sont fréquents. P

1071 l’homme à l’anonyme, pour le priver du sentiment de sa vocation, de sa différence personnelle, cependant qu’on lui demand

1072 nyme, pour le priver du sentiment de sa vocation, de sa différence personnelle, cependant qu’on lui demande à chaque pas d

1073 onnelle, cependant qu’on lui demande à chaque pas de prouver son identité. Or plus il en proteste et moins il s’en assure.

1074 t précisément à l’émigrant, à celui qui s’éloigne de ses bases, des réflexes de son milieu, de tout ce qui allait de soi a

1075 à celui qui s’éloigne de ses bases, des réflexes de son milieu, de tout ce qui allait de soi autour de lui et l’assurait

1076 éloigne de ses bases, des réflexes de son milieu, de tout ce qui allait de soi autour de lui et l’assurait quotidiennement

1077 u 14 au 15 septembre 1940 Les derniers bateaux de la dernière ligne reliant l’Europe à l’Amérique ont tous des noms en

1078 lionnaires, ex-princes, vers leur exil. Mais moi, de quoi pourrais-je bien être l’« ex » ? Avec ma « mission de conférence

1079 ourrais-je bien être l’« ex » ? Avec ma « mission de conférences » (prétexte évidemment peu convaincant) je fais figure d’

1080 étexte évidemment peu convaincant) je fais figure d’ ex-voyageur normal. Touriste des catastrophes, scandaleux personnage,

1081 Je crois bien que cette image m’est venue à cause d’ une conversation entendue sur le pont cette nuit même. L’heure était f

1082 ui-même, avant la guerre, organisaient des dépôts de mitraillettes dans certaines rues stratégiques de Paris, T. ex-milita

1083 de mitraillettes dans certaines rues stratégiques de Paris, T. ex-militant de la gauche, lui répondit avec un demi-sourire

1084 taines rues stratégiques de Paris, T. ex-militant de la gauche, lui répondit avec un demi-sourire et sans retirer son mégo

1085 ec un demi-sourire et sans retirer son mégot, que de l’autre côté on savait tout cela, et qu’au surplus, on en faisait aut

1086 deux ex-adversaires, leurs astucieux préparatifs de guerre civile n’auraient été troublés que par l’attaque intempestive

1087 ait qu’on eût moins brillamment prévu les choses… De fait, les étrangers sont toujours surprenants. On ne s’entend vraimen

1088 e soir, les passagers se pressent devant la porte de la cabine du capitaine, avec l’espoir d’entendre la radio. Tout à l’h

1089 la porte de la cabine du capitaine, avec l’espoir d’ entendre la radio. Tout à l’heure, comme j’essayais de me faufiler, R.

1090 tendre la radio. Tout à l’heure, comme j’essayais de me faufiler, R. s’extrait du groupe, me cède sa place, et je l’entend

1091 est ce que répètent dix fois par jour les usagers de la radio. Le monde a changé de face sous nos yeux, mais nous le regar

1092 r jour les usagers de la radio. Le monde a changé de face sous nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’heure en

1093 gé de face sous nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’heure en heure, nous n’avons rien vu. C’est après coup,

1094 nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’ heure en heure, nous n’avons rien vu. C’est après coup, en nous retour

1095 es événements. Il a dit : « Rien de nouveau, rien d’ important… » Mais je crois avoir entendu dans le ronron nasillard qui

1096 voir entendu dans le ronron nasillard qui sortait de la petite chambre : « Cent-soixante-cinq avions allemands ont été aba

1097 Et c’est peut-être la nouvelle la plus importante de la guerre. Car tout tient aux Anglais, et si ce bulletin dit vrai, le

1098 . 18 septembre 1940 Comment prévoir l’issue de cette guerre, lorsqu’on a remarqué qu’elle n’oppose plus que deux nat

1099 lais, même battus, se comportent en propriétaires de droit divin de la victoire en général. La seule solution « possible »

1100 us, se comportent en propriétaires de droit divin de la victoire en général. La seule solution « possible » serait donc la

1101 bre 1940 Un journaliste américain, qui revient de Paris, s’appuie au bastingage, près de moi, et me dit en crachant dan

1102 les Boches sont corrects… Well… Quand un gangster de Chicago vous prend votre portefeuille, il vous donne quelquefois cinq

1103 er mon approbation. 20 septembre 1940, en rade de New York Je me suis éveillé dans ma cabine moite avec le sentiment

1104  ! Couru sur le pont. Nous sommes dans les passes de l’Hudson. Une brume de chaleur tropicale bleuit les rives. Je ne m’at

1105 ous sommes dans les passes de l’Hudson. Une brume de chaleur tropicale bleuit les rives. Je ne m’attendais pas à la nature

1106 à la nature américaine, à la voir la première et de si près, avant les gratte-ciel, la statue… Je n’ai jamais eu la sensa

1107 e-ciel, la statue… Je n’ai jamais eu la sensation d’ un paysage plus étranger, mais plus étrangement accueillant. Tous ces

1108 mense sécurité du continent qu’on imagine au-delà de ces falaises orangées, frangées de forêts d’un vert sombre de luxueus

1109 magine au-delà de ces falaises orangées, frangées de forêts d’un vert sombre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit

1110 delà de ces falaises orangées, frangées de forêts d’ un vert sombre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit et se peup

1111 ses orangées, frangées de forêts d’un vert sombre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit et se peuple de mâts. Au so

1112 use tapisserie… La rivière s’élargit et se peuple de mâts. Au sommet d’une falaise qui fuit obliquement éclate une longue

1113 rivière s’élargit et se peuple de mâts. Au sommet d’ une falaise qui fuit obliquement éclate une longue façade claire et ne

1114 . Tournant la tête vers l’avant, un peu au-dessus de la poupe, je viens de voir un groupe de tours serrées, presque diapha

1115 au-dessus de la poupe, je viens de voir un groupe de tours serrées, presque diaphanes dans la brume — Manhattan, comme une

1116 New York, fin septembre 1940 Ces histoires de visas et de passeports, j’y reviens, font rater l’arrivée la plus cél

1117 , fin septembre 1940 Ces histoires de visas et de passeports, j’y reviens, font rater l’arrivée la plus célèbre au mond

1118 ublots du petit salon où siégeaient ces messieurs d’ Ellis Island. Ils palpent nos passeports et les feuillettent avec une

1119 tous des Européens, des gens qui viennent du pays de la guerre… Interrogatoires en anglais. Comme dans les « rêves d’exame

1120 nterrogatoires en anglais. Comme dans les « rêves d’ examen », où l’on se présente généralement tout nu et sans préparation

1121 te généralement tout nu et sans préparation. Reçu de justesse. Passez à l’épreuve suivante. Docile, j’ai repris ma place d

1122 st bien le mien qu’il tâte et saisit sur la pile, d’ une main apparemment distraite ? Qu’a-t-il donc de spécial, mon passep

1123 d’une main apparemment distraite ? Qu’a-t-il donc de spécial, mon passeport, pour qu’il le considère avec cette méfiance-l

1124 qu’on puisse jamais se mettre en règle avant tant d’ insondables exigences ! Eh bien, que vont-ils faire de moi, dans la pi

1125 sondables exigences ! Eh bien, que vont-ils faire de moi, dans la pire éventualité ? Ils ne peuvent pourtant pas me jeter

1126 urtant pas me jeter à la mer… Subitement, un coup de tampon, un bon sourire : — Thank you, Sir ! And good luck to you ! C’

1127 ni. Le monde s’ouvre et s’éclaire comme au sortir d’ un cauchemar. Mais c’est aussi comme un premier réveil désorienté dans

1128 onte sur le pont et ne le reconnais pas, encombré de bagages, noirci d’humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et

1129 ne le reconnais pas, encombré de bagages, noirci d’ humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et les dimensions ont

1130 e bagages, noirci d’humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et les dimensions ont changé… Tout le monde regarde du

1131 , noirci d’humidité (il fait une chaleur de salle de bain) et les dimensions ont changé… Tout le monde regarde du même côt

1132 us défilons lentement près de leur base. Des pans de brique rosée, ocrée, légère, s’éclairent dans les profondeurs embuées

1133 es, de toutes parts. Et de nouveau la « sensation de reconnaissance » m’a saisi. Cette rumeur, cet élan vertical, cet élan

1134 t New York identique à son rêve. Premiers accords d’ une symphonie dont on savait les thèmes par cœur pour avoir étudié la

1135 du monde. Douze avenues parallèles, dans le sens de la longueur, qui est de vingt-cinq kilomètres environ — elles figuren

1136 parallèles, dans le sens de la longueur, qui est de vingt-cinq kilomètres environ — elles figurent assez bien les ascense

1137 nviron — elles figurent assez bien les ascenseurs d’ un grand building — et deux-cent-cinquante rues coupant les avenues à

1138 e rues coupant les avenues à angle droit : autant d’ étages. Au milieu, Central Park, rectangulaire. C’est tout, c’est la c

1139 al Park, rectangulaire. C’est tout, c’est la cité de Manhattan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson et de l’East River

1140 la cité de Manhattan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson et de l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur des e

1141 attan. Mais les faubourgs, au-delà de l’Hudson et de l’East River qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien plu

1142 es, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels, et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait d

1143 t plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels, et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non pl

1144 es par un immense réseau de ponts, de tunnels, et d’ autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New Yor

1145 ne ville alpestre ! Je l’ai senti le premier soir d’ octobre, quand le soleil couchant flambait les hauteurs des gratte-cie

1146 l couchant flambait les hauteurs des gratte-ciel, de cette couleur orangée, aérienne qu’on voit aux crêtes des parois roch

1147 des parois rocheuses alors que la vallée s’emplit d’ une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue

1148 mplit d’une ombre froide. Et j’étais bien au fond d’ une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpr

1149 j’étais bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la m

1150 e mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventure, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empi

1151 Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’ aventure, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empire State,

1152 venture, viennent frapper les « faces » argentées de l’Empire State, du Chrysler, du Centre Rockefeller, de vingt autres d

1153 Empire State, du Chrysler, du Centre Rockefeller, de vingt autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais vous désign

1154 Chrysler, du Centre Rockefeller, de vingt autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais vous désignent comme les Su

1155 ark, au milieu des prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici 

1156 s prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient

1157 s sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secre

1158 ’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capab

1159 plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporte

1160 de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-

1161 n : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les

1162 étaient capables de supporter le formidable poids d’ un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tra

1163 de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranches, polis et l

1164 ules des plus riches bâtiments, reliques scellées d’ une antiquité souterraine. À Chicago et Saint-Louis au contraire, sur

1165 cago et Saint-Louis au contraire, sur les plaines d’ alluvions ou dans les marécages, les gratte-ciel, déjà, me dit-on, men

1166 cages, les gratte-ciel, déjà, me dit-on, menacent de suivre l’inquiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien des aspe

1167 e dit-on, menacent de suivre l’inquiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la c

1168 de suivre l’inquiétant exemple de la célèbre tour de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’

1169 our de Pise. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la P

1170 . Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proc

1171 imat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’ extrême civilisation matérielle demeure hanté par on ne sait quelle sa

1172 sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’ extrême densité humaine demeure baigné dans une atmosphère irrémédiabl

1173 diablement désertique. Les Américains des plaines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanit

1174 laines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici les rapports quotidiens.

1175 st, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici les rapports quotidiens. Ils pensent, d

1176 p européenne »… Mais moi je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. Princeton (New Jersey),

1177 is moi je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. Princeton (New Jersey), mi-octobre 1940

1178 rinceton (New Jersey), mi-octobre 1940 Au long d’ un quai souterrain, après avoir traversé les parvis populeux surmontés

1179 près avoir traversé les parvis populeux surmontés d’ une coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon pre

1180 vis populeux surmontés d’une coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon premier train américain. Comme

1181 x surmontés d’une coupole astronomique de la gare de Pennsylvanie, j’ai pris mon premier train américain. Comme tout le mo

1182 ut le monde, j’ai glissé mon billet dans le ruban de mon chapeau, où le contrôleur l’a pris et replacé sans me déranger da

1183 pris et replacé sans me déranger dans la lecture de mon journal. Il n’y a que deux classes en Amérique : l’une où les fau

1184 s fauteuils au dossier très haut sont fixes (deux de chaque côté du couloir central), l’autre où les fauteuils sont espacé

1185 ù les fauteuils sont espacés et pivotent ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un c

1186 nt espacés et pivotent ; classe de luxe et classe de grand luxe, coaches et pullman cars. J’ai pris un coach. Je me suis e

1187 el. Dans l’ensemble, les femmes m’ont paru dignes de ce que le cinéma nous en promet — mais il suffit de trois ou quatre b

1188 ce que le cinéma nous en promet — mais il suffit de trois ou quatre beautés saines ou frappantes sur cinquante femmes qu’

1189 n peu trop vite à la circulation, comme ces autos de série, larges et confortables, mais dont il est prudent de vérifier s

1190 larges et confortables, mais dont il est prudent de vérifier si toutes les pièces tiennent bien ensemble… Soudain je n’ai

1191 ns. Le train surgissait du tunnel dans une plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjamb

1192 gissait du tunnel dans une plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les arche

1193 plaine de marécages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en

1194 récages et de roseaux géants, coupée de canaux et de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en pas croire se

1195 e de canaux et de digues, enjambée par les arches de fer d’un pont à n’en pas croire ses yeux, qui porte l’autostrade pend

1196 naux et de digues, enjambée par les arches de fer d’ un pont à n’en pas croire ses yeux, qui porte l’autostrade pendant des

1197 dessus des usines, des feux rouges et des hangars d’ avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s’enlisent, fuma

1198 angars d’avions aux coupoles surbaissées. Paysage de déluge où s’enlisent, fumants, des monstres antédiluviens. Une falais

1199 fumants, des monstres antédiluviens. Une falaise de granit se dresse près de la voie. Nous la passons. Sur son autre vers

1200 ssons. Sur son autre versant s’étale un cimetière d’ autos décarcassées, déchets du grand délire de construction qui enfièv

1201 ère d’autos décarcassées, déchets du grand délire de construction qui enfièvre tout le continent, et dont le pont de l’aut

1202 n qui enfièvre tout le continent, et dont le pont de l’autostrade au fond de l’horizon porte la’ gloire. Princeton, fin

1203 ontinent, et dont le pont de l’autostrade au fond de l’horizon porte la’ gloire. Princeton, fin d’octobre 1940 À une

1204 de l’horizon porte la’ gloire. Princeton, fin d’ octobre 1940 À une heure de New York, nous sommes en pleine campagn

1205 . Princeton, fin d’octobre 1940 À une heure de New York, nous sommes en pleine campagne, et l’on cesse de sentir l’A

1206 rk, nous sommes en pleine campagne, et l’on cesse de sentir l’Amérique. Forêts et plaines ondulées, quelques villages en b

1207 et plaines ondulées, quelques villages en bordure de la route avec leur église de bois blanc, mais peu de fermes isolées.

1208 villages en bordure de la route avec leur église de bois blanc, mais peu de fermes isolées. J’ai voulu me promener dans l

1209 r dans les bois. C’était la brousse. Peu ou point de chemins marqués, nulle trace de l’homme dès qu’on s’éloigne des grand

1210 sse. Peu ou point de chemins marqués, nulle trace de l’homme dès qu’on s’éloigne des grandes pistes cimentées. On m’avait

1211 ne plante à trois feuilles qui infeste les forêts de l’Est et que l’on nomme poison ivy. Son contact, ou parfois sa seule

1212 ou parfois sa seule proximité, produit une sorte d’ urticaire très virulente, dont on n’a pas encore trouvé le remède. Je

1213 térieusement, refuse à l’homme son intimité. Rien d’ étonnant si l’idéal du paysan américain est de se retirer à la ville !

1214 ien d’étonnant si l’idéal du paysan américain est de se retirer à la ville ! Washington, 30 octobre 1940 Depuis le t

1215 pourquoi n’a-t-on jamais parlé des superhighways d’ Amérique ? Ici, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pend

1216 highways d’Amérique ? Ici, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pendre les récalcitrants, pour construire ces

1217 Amérique ? Ici, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pendre les récalcitrants, pour construire ces routes pro

1218 i, l’on n’a pas eu besoin de changer de régime et de pendre les récalcitrants, pour construire ces routes prodigieuses, au

1219 uelles les fameuses « réalisations » du Führer et de son Duce sont des sentiers. Trois pistes dans chaque sens, séparées p

1220 séparées par une large bande gazonnée et plantée d’ arbres, c’est une ivresse que de s’y laisser porter à cent-dix à l’heu

1221 zonnée et plantée d’arbres, c’est une ivresse que de s’y laisser porter à cent-dix à l’heure en moyenne, dans le déferleme

1222 sans ralentir Philadelphie puis Baltimore, cités de trente kilomètres de côté, dont on ne voit que les résidences de luxe

1223 elphie puis Baltimore, cités de trente kilomètres de côté, dont on ne voit que les résidences de luxe dans leurs parcs, et

1224 ètres de côté, dont on ne voit que les résidences de luxe dans leurs parcs, et quelques rues des quartiers nègres dont cha

1225 ques rues des quartiers nègres dont chaque maison de brique s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés lui

1226 rtiers nègres dont chaque maison de brique s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’enfant

1227 chaque maison de brique s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’enfants au crâne sphériq

1228 s’orne de quatre marches de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’enfants au crâne sphérique. Je n’aime guère Wash

1229 hes de bois blanc, couvertes de bébés luisants et d’ enfants au crâne sphérique. Je n’aime guère Washington, ville de null

1230 âne sphérique. Je n’aime guère Washington, ville de nulle part, peu convaincante, pareille à une cité d’exposition qu’on

1231 nulle part, peu convaincante, pareille à une cité d’ exposition qu’on aurait décidé de maintenir pour y loger ceux qui ne t

1232 eille à une cité d’exposition qu’on aurait décidé de maintenir pour y loger ceux qui ne trouvent pas de place ailleurs, le

1233 e maintenir pour y loger ceux qui ne trouvent pas de place ailleurs, les déracinés permanents, diplomates, fonctionnaires

1234 en anglais dinner jacket. Ce parc immense, enclos d’ épaisses murailles, est l’un des lieux les plus exclusifs de la terre.

1235 murailles, est l’un des lieux les plus exclusifs de la terre. Autour d’un lac d’un bleu violent où nagent des cygnes sous

1236 des lieux les plus exclusifs de la terre. Autour d’ un lac d’un bleu violent où nagent des cygnes sous les saules pleureur

1237 x les plus exclusifs de la terre. Autour d’un lac d’ un bleu violent où nagent des cygnes sous les saules pleureurs, s’élèv

1238 us les saules pleureurs, s’élèvent les résidences d’ été des « vieux » milliardaires de New York, — une cinquantaine de vil

1239 les résidences d’été des « vieux » milliardaires de New York, — une cinquantaine de villas blanches, de châteaux rouges o

1240 x » milliardaires de New York, — une cinquantaine de villas blanches, de châteaux rouges ou violets, sur des pelouses vert

1241 New York, — une cinquantaine de villas blanches, de châteaux rouges ou violets, sur des pelouses vert pomme aux opulents

1242 n y pénètre par un porche médiéval, où des agents de police arrêtent votre voiture, vous prient de dire où vous allez, et

1243 nts de police arrêtent votre voiture, vous prient de dire où vous allez, et téléphonent à votre hôtesse pour vérifier que

1244 nklin-D. Roosevelt que les républicains désignent de la sorte), si cet homme-là est réélu, je n’ai plus qu’à remplir ma ca

1245 e-là est réélu, je n’ai plus qu’à remplir ma cave de conserves, car je vous le dis, ce sera la famine ! Le bolchévisme ! L

1246 a Trente-troisième et la Soixantième rue, le cœur de Manhattan c’est la ville pure. Ici, tout ce que le regard touche et m

1247 regard touche et mesure dans les trois dimensions de l’espace, sauf un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homm

1248 s trois dimensions de l’espace, sauf un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homme sur table rase, imbriqué, con

1249 ace, sauf un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’homme sur table rase, imbriqué, condensé, superposé, pour un u

1250 f un découpage de ciel mat, tout est fait de main d’ homme sur table rase, imbriqué, condensé, superposé, pour un usage mas

1251 un usage massif, exactement prévu. Plus une trace de campagne primitive ne subsiste, plus un seul coin de terre à nu, et p

1252 campagne primitive ne subsiste, plus un seul coin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feu

1253 oin de terre à nu, et plus une ligne indécise, ni d’ eau qui court, ni de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de c

1254 t plus une ligne indécise, ni d’eau qui court, ni de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de ciment armé, diversem

1255 i d’eau qui court, ni de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de ciment armé, diversement coupés et étagés, asphal

1256 i de feuillage. Tout est pans de brique peinte et de ciment armé, diversement coupés et étagés, asphalte plane, parois de

1257 ersement coupés et étagés, asphalte plane, parois de verre et angles droits, circulation horizontale et verticale, intensi

1258 ation horizontale et verticale, intensité suprême de la présence humaine jusqu’à trois-cents mètres du sol. Pour la premiè

1259 a première fois, je vois une ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome,

1260 vois une ville aussi purifiée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont

1261 si purifiée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’immenses parcs

1262 iée de nature que l’est de prose un objet de mots de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’immenses parcs semés de

1263 ts de Mallarmé. Paris, Rome, en comparaison, sont d’ immenses parcs semés de groupes de monuments. Le site et le paysage y

1264 Rome, en comparaison, sont d’immenses parcs semés de groupes de monuments. Le site et le paysage y sont partout sensibles.

1265 mparaison, sont d’immenses parcs semés de groupes de monuments. Le site et le paysage y sont partout sensibles. Les rues m

1266 iaux, aux esplanades, aux terrains vagues envahis d’ herbes. Les arbres cachent les façades, moutonnent à la hauteur des to

1267 mmet des buildings, se perd dans un dernier éclat d’ avion fuyant, et c’est la ville alors qui s’empare du ciel, s’en fait

1268 ait un dôme à sa mesure et le referme sur sa nuit de ville. New York, 6 novembre 1940 Première victoire de la démoc

1269 New York, 6 novembre 1940 Première victoire de la démocratie. — Roosevelt est réélu, le peuple en joie. La dame de T

1270 conserves. Hier soir, je me suis mêlé à la foule de Times Square. Je n’avais vu tant d’hommes ensemble qu’en Allemagne, l

1271 lé à la foule de Times Square. Je n’avais vu tant d’ hommes ensemble qu’en Allemagne, lors des grands discours du Führer. N

1272 ent du Times, en lettres lumineuses qui couraient d’ une façade à l’autre. Vers onze heures, une rumeur d’océan s’éleva de

1273 ne façade à l’autre. Vers onze heures, une rumeur d’ océan s’éleva de la foule qui stationnait à l’ouest du building, se pr

1274 tre. Vers onze heures, une rumeur d’océan s’éleva de la foule qui stationnait à l’ouest du building, se propagea rapidemen

1275 evelt emporte l’État de New York par 247 810 voix de majorité. » C’était l’élection assurée. Des centaines de milliers de

1276 rité. » C’était l’élection assurée. Des centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèren

1277 ait l’élection assurée. Des centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèrent pendant di

1278 assurée. Des centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèrent pendant dix minutes. Des

1279 centaines de milliers de crécelles, de sifflets, de petites trompettes la saluèrent pendant dix minutes. Des fenêtres de

1280 es la saluèrent pendant dix minutes. Des fenêtres de tous les bureaux neigeaient des pages d’annuaires lacérées, éclats d’

1281 fenêtres de tous les bureaux neigeaient des pages d’ annuaires lacérées, éclats d’or dans le feu des projecteurs. Puis ce f

1282 neigeaient des pages d’annuaires lacérées, éclats d’ or dans le feu des projecteurs. Puis ce fut la ruée vers les bars odor

1283 teurs. Puis ce fut la ruée vers les bars odorants de fritures et de bière à pleins bords. Vers une heure du matin, le squa

1284 fut la ruée vers les bars odorants de fritures et de bière à pleins bords. Vers une heure du matin, le square semblait dés

1285 , toute seule, à grands pas, soulevant des gerbes de papiers multicolores, et elle clamait le Star-Spangled Banner d’une v

1286 icolores, et elle clamait le Star-Spangled Banner d’ une voix de salutiste hallucinée… Cette réélection de Roosevelt sera s

1287 t elle clamait le Star-Spangled Banner d’une voix de salutiste hallucinée… Cette réélection de Roosevelt sera sans doute a

1288 ne voix de salutiste hallucinée… Cette réélection de Roosevelt sera sans doute aux yeux de l’histoire la première victoire

1289 ovembre 1940 Religion. — Nous sommes en quête d’ une maison dans la banlieue de Manhattan. Les prospectus que je reçois

1290 ous sommes en quête d’une maison dans la banlieue de Manhattan. Les prospectus que je reçois ne manquent jamais de mention

1291 . Les prospectus que je reçois ne manquent jamais de mentionner, outre les écoles du quartier et les lignes de métro, de t

1292 onner, outre les écoles du quartier et les lignes de métro, de trams et d’autobus qui le desservent, la proximité d’une ég

1293 re les écoles du quartier et les lignes de métro, de trams et d’autobus qui le desservent, la proximité d’une église. À di

1294 s du quartier et les lignes de métro, de trams et d’ autobus qui le desservent, la proximité d’une église. À dire le vrai,

1295 rams et d’autobus qui le desservent, la proximité d’ une église. À dire le vrai, je n’ai jamais vu autant d’églises qu’à Ne

1296 église. À dire le vrai, je n’ai jamais vu autant d’ églises qu’à New York, dédiées à toutes les croyances du monde. C’est

1297 ident le plus fréquent à New York, c’est le grain de poussière que le vent vous plante dans l’œil. Au lieu de vous frotter

1298 rez dans la première pharmacie venue, et désignez d’ un doigt la cause de vos tourments. Un gentleman en blouse blanche s’e

1299 pharmacie venue, et désignez d’un doigt la cause de vos tourments. Un gentleman en blouse blanche s’en vient vers vous in

1300 se blanche s’en vient vers vous incontinent, armé d’ une sorte de cure-dent coiffé d’ouate, vous retourne d’un coup la paup

1301 ’en vient vers vous incontinent, armé d’une sorte de cure-dent coiffé d’ouate, vous retourne d’un coup la paupière, fait u

1302 incontinent, armé d’une sorte de cure-dent coiffé d’ ouate, vous retourne d’un coup la paupière, fait un geste précis, tout

1303 sorte de cure-dent coiffé d’ouate, vous retourne d’ un coup la paupière, fait un geste précis, tout est fini. Vous dites m

1304 te minutes — et garder autant que possible le ton de l’improvisation. Celles qu’on lit bien font moins d’effet que celles

1305 l’improvisation. Celles qu’on lit bien font moins d’ effet que celles qu’on bafouille en souriant. Les unes comme les autre

1306 confondues avec n’importe quoi, que n’importe qui d’ autre a pu dire le lendemain. Il est clair qu’on n’atteint le public a

1307 s à grand tirage, ou le théâtre. Pour m’acquitter de ma mission, je ne vois donc que deux solutions : écrire un livre dont

1308 x solutions : écrire un livre dont les fabricants de magazines puissent à loisir piller les arguments ou les informations

1309 rchant une maison ; car tout cela me prendra plus de temps que ceux qui m’envoient ne l’ont prévu. (J’ai reçu des fonds po

1310 l’ont prévu. (J’ai reçu des fonds pour un séjour de quatre mois, et le voyage aller et retour.) 14 novembre 1940 Ré

1311 aller et retour.) 14 novembre 1940 Réaction d’ Européen : je déteste qu’on m’offre, dans un magasin de tabac, une pip

1312 opéen : je déteste qu’on m’offre, dans un magasin de tabac, une pipe neuve mais « déjà culottée », au fourneau tapissé d’u

1313 neuve mais « déjà culottée », au fourneau tapissé d’ une couche de charbon lisse. Cela me rappelle le vieux débat sur les l

1314 déjà culottée », au fourneau tapissé d’une couche de charbon lisse. Cela me rappelle le vieux débat sur les livres qu’il f

1315 et nous nous installons demain, avec des meubles d’ occasion achetés pour un prix dérisoire, à la volée, dans un énorme br

1316 érisoire, à la volée, dans un énorme bric-à-brac. De quoi fournir les six pièces et cuisine d’un cottage entouré d’un jard

1317 à-brac. De quoi fournir les six pièces et cuisine d’ un cottage entouré d’un jardin, à Forest Hills (Long Island). La vie a

1318 ir les six pièces et cuisine d’un cottage entouré d’ un jardin, à Forest Hills (Long Island). La vie américaine commence à

1319 ande avec application ce que je pense du monde et de son train. C’est un garçon d’une quarantaine d’années. Le premier soi

1320 e pense du monde et de son train. C’est un garçon d’ une quarantaine d’années. Le premier soir, il m’a dit mon prénom, lui

1321 t de son train. C’est un garçon d’une quarantaine d’ années. Le premier soir, il m’a dit mon prénom, lui c’est Michaël, com

1322 et pourquoi sa femme le néglige. Il s’en va tout d’ un coup, sans adieu ni raison, en souhaitant, well, que la situation s

1323 mon anglais courant en écoutant les chroniqueurs de la radio. Il y faut une certaine patience. Chaque émission est financ

1324 paye très cher des journalistes qui vous parlent de Budapest ou de Chung-King, mais il se réserve le droit de les interro

1325 des journalistes qui vous parlent de Budapest ou de Chung-King, mais il se réserve le droit de les interrompre au beau mi

1326 est ou de Chung-King, mais il se réserve le droit de les interrompre au beau milieu d’une phrase, à six-mille kilomètres d

1327 éserve le droit de les interrompre au beau milieu d’ une phrase, à six-mille kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’u

1328 beau milieu d’une phrase, à six-mille kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’un de ses produits, ou lire la lettre

1329 -mille kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’ un de ses produits, ou lire la lettre d’un client touché aux larmes pa

1330 e kilomètres de distance, pour faire l’éloge d’un de ses produits, ou lire la lettre d’un client touché aux larmes par la

1331 e l’éloge d’un de ses produits, ou lire la lettre d’ un client touché aux larmes par la qualité d’une soupe. Les chroniqueu

1332 ttre d’un client touché aux larmes par la qualité d’ une soupe. Les chroniqueurs les plus fameux s’arrêtent soudain dans le

1333 yse des nouvelles pour annoncer que leur bailleur de fonds a quelques mots à dire à ces messieurs, et c’est à propos d’un

1334 confessions religieuses, mais là encore, le Credo de Nicée, chanté par un chœur anglican, se voit coupé avant le Saint-Esp

1335 voit coupé avant le Saint-Esprit par la publicité d’ un laxatif. Décembre 1940 Point d’artisanat. — Inutile d’essaye

1336 ublicité d’un laxatif. Décembre 1940 Point d’ artisanat. — Inutile d’essayer de faire réparer une porte : toutes fer

1337 Décembre 1940 Point d’artisanat. — Inutile d’ essayer de faire réparer une porte : toutes ferment mal, et les Améric

1338 e 1940 Point d’artisanat. — Inutile d’essayer de faire réparer une porte : toutes ferment mal, et les Américains s’en

1339 es ouvriers qui sont venus tout à l’heure étaient d’ avis qu’il fallait remplacer celle qui sépare mon petit bureau du corr

1340 cer celle qui sépare mon petit bureau du corridor de la cuisine. J’ai proposé un simple coup de rabot. Ils ont pris un air

1341 rridor de la cuisine. J’ai proposé un simple coup de rabot. Ils ont pris un air écœuré. J’étais encore un de ces avares de

1342 ot. Ils ont pris un air écœuré. J’étais encore un de ces avares de petits bourgeois comme on n’en trouve plus qu’en Europe

1343 is un air écœuré. J’étais encore un de ces avares de petits bourgeois comme on n’en trouve plus qu’en Europe, il fallait r

1344 mplacer la porte. J’ai insisté pour le petit coup de rabot. Maintenant, je vois un jeu d’au moins deux centimètres entre l

1345 e petit coup de rabot. Maintenant, je vois un jeu d’ au moins deux centimètres entre la porte et le chambranle, et je ne pu

1346 tiendrait-il ? Il est fondé chez nous sur le goût de l’objet, mais aussi, avouons-le, sur la disette et le besoin d’utilis

1347 is aussi, avouons-le, sur la disette et le besoin d’ utiliser les restes. 23 décembre 1940 Désespoir à Times Square.

1348  — Times Square après un dîner solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’un exercice spirituel : une véritable cen

1349 r solitaire, un soir de pluie, c’est le contraire d’ un exercice spirituel : une véritable centrifugation de l’être. Mais p

1350 exercice spirituel : une véritable centrifugation de l’être. Mais peut-être me dis-je après coup, mais peut-être en poussa

1351 tre en poussant à l’extrême cette « distraction » de l’âme et de la volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable, et pa

1352 ant à l’extrême cette « distraction » de l’âme et de la volonté, rejoindrait-on quelque réalité valable, et par la sensati

1353 on directe du monde tel que le crée l’homme privé de l’Esprit, l’une des entrées de la Voie Négative et du Désert dont par

1354 crée l’homme privé de l’Esprit, l’une des entrées de la Voie Négative et du Désert dont parlent les mystiques ? Homéopathi

1355 e désespoir, s’il est conscient, un dernier signe de la vie… Non, j’ai surtout senti le désespoir tout court, dans cette p

1356 nti le désespoir tout court, dans cette promenade de plusieurs heures, et c’est ici seulement, sur le papier, que je compr

1357 quare avec une acuité crispante : l’état du monde d’ où l’Esprit s’est retiré. Ce n’étaient pas « les péchés » de ces homme

1358 rit s’est retiré. Ce n’étaient pas « les péchés » de ces hommes et de ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger et

1359 Ce n’étaient pas « les péchés » de ces hommes et de ces femmes, ni les miens, dont nul ne peut juger et qui peut-être n’e

1360 pas le froid, la pluie, la poisse aux pieds mêlée d’ essence sur l’asphalte des avenues, c’était ce vide. C’était le sens a

1361 tait le sens absent. Dans le milieu archihumanisé de la grande ville, connais le poids mortel de cette parole : « Si le se

1362 anisé de la grande ville, connais le poids mortel de cette parole : « Si le sel vient à perdre sa saveur… » La sensation m

1363 sel vient à perdre sa saveur… » La sensation même de l’irréparable. À moins qu’un seul, ici ou là, n’ouvre les yeux, d’ent

1364 0 Un vrai Noël. — À chaque porte une couronne de sapin enrubannée, dans chaque maison, près de la fenêtre, un petit ar

1365 carols ; dans chaque église ou presque, le Messie de Haendel. Et les cadeaux paraissent plus brillants, à cause de ces pap

1366 llants, à cause de ces papiers argentés et dorés, de ces vignettes, de ces rubans dont les orne la moindre boutique. Santa

1367 ces papiers argentés et dorés, de ces vignettes, de ces rubans dont les orne la moindre boutique. Santa Claus se promène

1368 orne la moindre boutique. Santa Claus se promène de porte en porte, et jamais mes enfants n’avaient eu un Noël aussi ress

1369 Mais les amis qui étaient venus parlaient du Noël de la France et nous mangions nos chocolats comme si nous les avions vol

1370 hocolats comme si nous les avions volés… Début de janvier 1941 Éditeurs. — Vu mon éditeur, et un autre. Tout s’est

1371 . — Vu mon éditeur, et un autre. Tout s’est passé de la même façon dans les deux cas. L’ascenseur s’ouvre sur un hall meub

1372 deux cas. L’ascenseur s’ouvre sur un hall meublé de grands fauteuils et de tables tubulaires. Vous attendez. Une secrétai

1373 s’ouvre sur un hall meublé de grands fauteuils et de tables tubulaires. Vous attendez. Une secrétaire aussi belle qu’à l’é

1374 ssi belle qu’à l’écran prend votre nom et s’en va d’ un pas souple, imitant la démarche de la star qu’elle préfère. À l’heu

1375 m et s’en va d’un pas souple, imitant la démarche de la star qu’elle préfère. À l’heure précise du rendez-vous, on vous co

1376 heure précise du rendez-vous, on vous conduit par de calmes bureaux jusqu’au bureau plus calme encore de l’éditeur. Vous d

1377 calmes bureaux jusqu’au bureau plus calme encore de l’éditeur. Vous dites et il dit ce qu’il y avait à dire. L’homme à lu

1378 otre plan lui paraît « fascinant » et les chances de vente raisonnables. Il ne vous reste plus qu’à vous retirer, avec une

1379 s, et vous sortez angoissé et honteux à la pensée d’ avoir jamais écrit, de vous être jamais livré à ces extravagances naïv

1380 issé et honteux à la pensée d’avoir jamais écrit, de vous être jamais livré à ces extravagances naïves qu’on nomme inspira

1381 tion, anxiété poétique, spéculations et scrupules d’ écritures, toutes choses si vagues et si peu convaincantes quand on y

1382 caisse toucher un petit chèque qu’on doit feindre d’ avoir mérité, bien qu’on sache qu’il n’a pas le moindre rapport avec c

1383 ’a pas le moindre rapport avec ce je ne sais quoi d’ inavouable, d’incertain par définition, de pas sérieux vraiment, qui v

1384 dre rapport avec ce je ne sais quoi d’inavouable, d’ incertain par définition, de pas sérieux vraiment, qui vous a fait « é

1385 is quoi d’inavouable, d’incertain par définition, de pas sérieux vraiment, qui vous a fait « écrire »… Petits bureaux mite

1386 eaux miteux et encombrés des plus grands éditeurs de Paris, où l’on renverse des dossiers en se retournant pour dire bonjo

1387 it l’acte le plus sérieux du monde, le plus digne de l’homme, le plus adulte ! 16 janvier 1941 « Highbrow ». — Les

1388 c’est highbrow, qui veut dire à peu près, parlant d’ un livre ou d’un article : qui vise trop haut, prétentieux, difficile,

1389 , qui veut dire à peu près, parlant d’un livre ou d’ un article : qui vise trop haut, prétentieux, difficile, bon pour les

1390 pense que c’est la seule église vraiment moderne de New York. La foule adore le music-hall parce que c’est une image du c

1391 Gloire du grand chœur final largement déployé sur de hauts escaliers évoquant l’infini, dans la nuée des plumages, et l’éc

1392 et hiver s’appelle The Wave of the Future. Il est d’ Elisabeth Lindbergh, la femme du célèbre aviateur. Mrs. Lindbergh, ave

1393 incérité frappante, recommande à ses compatriotes de se laisser emporter par la « vague de l’avenir » qui serait le mouvem

1394 ompatriotes de se laisser emporter par la « vague de l’avenir » qui serait le mouvement totalitaire, fasciste, nazi ou sov

1395 i qui s’y abandonne n’en retire qu’un sérieux mal de mer. Et peut-être oublie-t-elle aussi que l’Angleterre rules the wave

1396 re » dans ce pays. Et ce n’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’édition, ni un salon — rien de

1397 ’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’ une maison d’édition, ni un salon — rien de tout cela n’existe en Amér

1398 hambre d’une maison d’édition, ni un salon — rien de tout cela n’existe en Amérique — mais une party. Et cette party n’éta

1399 u la célébrité des invités, mais par les plateaux de cocktails que l’on passait continuellement d’un groupe à l’autre. Il

1400 aux de cocktails que l’on passait continuellement d’ un groupe à l’autre. Il y avait là bon nombre des « intellectuels » de

1401 e. Il y avait là bon nombre des « intellectuels » de vingt à quarante ans dont je retrouve les noms dans les petites revue

1402 dont je retrouve les noms dans les petites revues de l’avant-garde américaine. Peu de gaieté bruyante mais un humour bonho

1403 ’ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’ antan. La plupart sont trotskistes, ont lu Freud, ou en parlent. À lir

1404 es voir chez eux ou ensemble, j’éprouve une sorte de tristesse. Ils paraissent encore moins intégrés que leurs confrères e

1405 s intégrés que leurs confrères européens à la vie de leur propre nation. Cela tient sans doute à mille raisons matérielles

1406 équentant les éditeurs d’ici. Atteindre le public d’ un si vaste pays suppose trop de compromissions visant au succès comme

1407 teindre le public d’un si vaste pays suppose trop de compromissions visant au succès commercial. Les meilleurs se voient d

1408 sition sans portée politique, spectateurs irrités de la vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’Europe, cherch

1409 irrités de la vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des f

1410 vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’ Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des fondements spir

1411 nts de nos écoles d’Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des fondements spirituels, compensant par la brusqu

1412 ndements spirituels, compensant par la brusquerie de leurs jugements et un style tough (nous dirions « dur » ou « vache »)

1413 h (nous dirions « dur » ou « vache ») leur défaut de responsabilité. Tout cela ne les empêche pas, bien au contraire, de r

1414 Tout cela ne les empêche pas, bien au contraire, de rechercher surtout la « vie » dans leurs écrits, avec une sorte de no

1415 tout la « vie » dans leurs écrits, avec une sorte de nostalgie à la Lawrence. Ils jugent en général trop formalistes ou rh

1416 Je veux dire que l’on sent chez vous un tel souci de la forme durable… » Eux, c’est un certain dynamisme, une certaine app

1417 aine approche brute, instinctive, et parfois émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent-ils eux-mêmes ? L’exigence que

1418 ls eux-mêmes ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’expliciter un sens, leur apparaît vaguement suspecte ou en

1419  ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’ expliciter un sens, leur apparaît vaguement suspecte ou ennuyeuse, pro

1420 i leur font le plus peur. Mais quand ils décident de penser, ils tournent aussitôt au pédant germanique et jugent mundane

1421 en isme et le langage technique des ismes réputés d’ avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’être affranchis des tabous du

1422 mes réputés d’avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’être affranchis des tabous du puritanisme au prix d’une frustration

1423 être affranchis des tabous du puritanisme au prix d’ une frustration de l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de

1424 s tabous du puritanisme au prix d’une frustration de l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les

1425 u puritanisme au prix d’une frustration de l’âme, d’ un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les rend malad

1426 e l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les rend malades, leur paraît méchamment subversif, « r

1427 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragments de mon Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upto

1428 ème colonne. — Quelques fragments de mon Journal d’ Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Sinclair du fo

1429 n Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Sinclair du fond de la Californie alerte à leur sujet

1430 ans une revue de New York, Upton Sinclair du fond de la Californie alerte à leur sujet deux éditeurs. Sur leur demande pre

1431 ien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur les années 1935 et 1936. Or le public veut de l’actualité.

1432 er sur les années 1935 et 1936. Or le public veut de l’actualité. Le second m’a fait venir ce matin : — En tant que citoye

1433 tin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un

1434 t que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un suicide. — Co

1435 nt cela ? — Vous êtes trop objectif. On parlerait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous

1436 ait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste noire des Alle

1437 ivre est sur la liste noire des Allemands et même de l’organisation vichyssoise des libraires ? Savez-vous que la Gestapo

1438 ir ce qu’il juge, ni pourquoi. Quitte à rivaliser d’ intolérance brutale avec ceux qu’il croit condamner… N’est-ce pas cela

1439 nos démocraties, je vous le dis, c’est la paresse d’ esprit ! Cet éditeur doit publier le livre sur la Suisse que je proje

1440 e projette à l’usage des Américains. J’ai cru bon de l’avertir qu’il n’y serait question ni d’edelweiss, ni de cor des Alp

1441 cru bon de l’avertir qu’il n’y serait question ni d’ edelweiss, ni de cor des Alpes, ni d’horloges à coucou, ni de fromage

1442 rtir qu’il n’y serait question ni d’edelweiss, ni de cor des Alpes, ni d’horloges à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a

1443 question ni d’edelweiss, ni de cor des Alpes, ni d’ horloges à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a regardé d’un air scep

1444 , ni de cor des Alpes, ni d’horloges à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a regardé d’un air sceptique. Il fait fond sur

1445 s à coucou, ni de fromage à trous. Il m’a regardé d’ un air sceptique. Il fait fond sur un reste de bon sens qu’il a cru dé

1446 rdé d’un air sceptique. Il fait fond sur un reste de bon sens qu’il a cru déceler dans mes manières polies. 27 janvier

1447 r, l’une des meilleures têtes du pays. Professeur de théologie, socialiste militant, polémiste sérieux et sarcastique, il

1448 sarcastique, il mène campagne pour l’intervention de l’Amérique dans le conflit. Une petite revue virulente et dense, Chri

1449 nity and Crisis, qu’il vient de fonder, s’efforce de combattre l’inertie des Églises, demeurées isolationnistes dans leur

1450 s’opposent à l’intervention, c’est par objection de conscience, pacifisme, antimilitarisme, crainte du régime tyrannique

1451 inte du régime tyrannique que toute guerre risque d’ instaurer. Mais c’est aussi parce qu’on ne croit plus au mal, en Améri

1452 trop affreux pour être vrai », dit-on des récits de réfugiés. Il en résulte qu’on collabore avec les partisans sournois d

1453 sulte qu’on collabore avec les partisans sournois d’ Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui

1454 n collabore avec les partisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui qui ne ve

1455 ec les partisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire

1456 ans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable tra

1457 ler, de Mussolini, de Franco et de leur régimes «  d’ avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable travaille fatalement

1458 Le Mauvais Temps. — Il est vain, il est vain de bâtir ! Arrêtez-vous ! « There is no use in building a house » en ce

1459 vivent ici dans la paix se trompent, il n’y a pas de paix. Et ceux qui meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de

1460 il n’y a pas de paix. Et ceux qui meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de leur sacrifice, mauvais temps. « Que

1461 de paix. Et ceux qui meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de leur sacrifice, mauvais temps. « Que celui qui bâ

1462 meurent doutent de l’utilité de leurs efforts et de leur sacrifice, mauvais temps. « Que celui qui bâtissait s’arrête de

1463 mauvais temps. « Que celui qui bâtissait s’arrête de bâtir ! » Peu comprennent, et beaucoup ne veulent rien savoir… Beauco

1464 t leur pays et leur enfance, ils n’ont plus envie de bâtir. Beaucoup passent leurs nuits dans des salles d’attente, sachan

1465 tir. Beaucoup passent leurs nuits dans des salles d’ attente, sachant qu’il ne vient plus de trains, dormant le long des ja

1466 des salles d’attente, sachant qu’il ne vient plus de trains, dormant le long des jambes et des dos de voisins qui ne sente

1467 de trains, dormant le long des jambes et des dos de voisins qui ne sentent pas bon, mauvaise humeur et peu d’espoir de s’

1468 ns qui ne sentent pas bon, mauvaise humeur et peu d’ espoir de s’en aller. Beaucoup n’attendent plus rien, ayant recommencé

1469 sentent pas bon, mauvaise humeur et peu d’espoir de s’en aller. Beaucoup n’attendent plus rien, ayant recommencé de vivre

1470 Beaucoup n’attendent plus rien, ayant recommencé de vivre ailleurs, dans un pays où personne ne les attendait, eux, leurs

1471 pauvreté, leurs paquets mal ficelés dans la hâte de la fuite, leurs traits tirés, leur accent étranger… Gens d’ici, vous

1472 nquilles. La démocratie est chez vous la religion de ceux qui n’en ont point. Là-bas, ils ont des religions antiques et il

1473 nt tristes et méchants, ici vous avez la religion de la démocratie et la publicité à la radio, vous aimez cela, c’est votr

1474 ros et forts, nourris scientifiquement et vierges de complexes. La science et le progrès vous guident vers la richesse et

1475 mais je vous le répéterai : ce n’est pas le temps de bâtir. Déjà, vos gratte-ciel se vident au-dessus du cinquantième étag

1476 votre vie ! Je prophétise votre ruine et l’anémie de vos tours de Babel, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de

1477 e prophétise votre ruine et l’anémie de vos tours de Babel, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de vos énergies

1478 e et l’anémie de vos tours de Babel, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de vos énergies sans direction, et le

1479 l, et l’idiotie de vos enfants, et la déperdition de vos énergies sans direction, et le dégonflement de vos crédits, et la

1480 e vos énergies sans direction, et le dégonflement de vos crédits, et la stupidité de vos banquiers, et le triomphe des sav

1481 t le dégonflement de vos crédits, et la stupidité de vos banquiers, et le triomphe des savants sur votre liberté sentiment

1482 Vous ne l’aurez pas volé, grosses dames des clubs de dames ! L’histoire de Superman finira par vous ennuyer, et vous regar

1483 lé, grosses dames des clubs de dames ! L’histoire de Superman finira par vous ennuyer, et vous regarderez dans la Cinquièm

1484 errez des hommes en bottes. Ce n’est pas le temps de bâtir. C’est le mauvais temps du silence et de l’ascèse purifiante av

1485 ps de bâtir. C’est le mauvais temps du silence et de l’ascèse purifiante avant la lutte ! Mais vous ne le savez pas, vous

1486 assurances, comme des enfants qui ont eu le droit de briser leurs jouets pour éviter les célèbres complexes, et qui n’ont

1487 éviter les célèbres complexes, et qui n’ont plus de jouets mais des complexes. 13 février 1941 Faisons le point. —

1488 vrier 1941 Faisons le point. — Essayer encore d’ écrire pour eux et de m’adapter, malgré tout ? Si seulement j’étais ro

1489 s le point. — Essayer encore d’écrire pour eux et de m’adapter, malgré tout ? Si seulement j’étais romancier ! Car les cat

1490 seulement j’étais romancier ! Car les catégories d’ un « moraliste français » sont les moins traduisibles dans leur langue

1491 ire ce livre sur la Suisse, ma première tentative de vulgarisation ? Mais il y faudra quelques mois, et comment tenir tout

1492 out ce temps-là ? Cercle vicieux. L’oratorio tiré de mon Nicolas de Flue ne peut être joué avant avril ou mai. Et l’on m

1493 eut être joué avant avril ou mai. Et l’on m’écrit de Suisse pour me presser de rentrer. Mais là-bas, que pourrai-je bien f

1494 ou mai. Et l’on m’écrit de Suisse pour me presser de rentrer. Mais là-bas, que pourrai-je bien faire ? La censure ne s’est

1495 bien faire ? La censure ne s’est pas relâchée, et d’ excellents amis la disent justifiée par notre situation précaire au cœ

1496 nt justifiée par notre situation précaire au cœur de l’Axe. S’ils ont raison, je leur serais une cause d’ennuis plus qu’un

1497 l’Axe. S’ils ont raison, je leur serais une cause d’ ennuis plus qu’un appui. Ou bien me taire ? Mettre une sourdine ? À qu

1498 si je ne suis pas moi ? D’autre part, nos chances de nous battre paraissent très faibles, sinon nulles… Commencé l’article

1499 par là, m’assure-t-on, pendant les premiers mois d’ un séjour à New York. Écrit une cinquantaine de pages, sans ratures, s

1500 is d’un séjour à New York. Écrit une cinquantaine de pages, sans ratures, sur les sujets les plus variés. En outre, termin

1501 monde une intrigue qui démarre dans le quelconque de la vie pour mener lentement vers la crise finale, pourquoi ne point p

1502 nt vers la crise finale, pourquoi ne point partir d’ une crise subite ? Car avant elle, il n’y a point d’histoire, à propre

1503 une crise subite ? Car avant elle, il n’y a point d’ histoire, à proprement parler, comme il n’y en eut point avant la Chut

1504 e chute, que l’homme se voit jeté dans la réalité de l’existence, c’est-à-dire dans le temps, et la souffrance, et l’avent

1505 ra par sa fin. Un pressentiment l’a fait se lever de son fauteuil, marcher comme un automate vers un tiroir qu’il fouille

1506 er comme un automate vers un tiroir qu’il fouille d’ une main aveugle. Il en retire un papier, il le lit. Comme on lirait l

1507 par le jeu ou la complicité des circonstances et de ses choix, vient de s’écrouler en quelques secondes. Subitement, il a

1508 ssé. Mais devant lui, ce n’est plus qu’un vertige de possibilités qui lui semblent cruelles, parce que chacune naît de la

1509 qui lui semblent cruelles, parce que chacune naît de la mort d’une habitude qu’il chérissait, ou dont il avait fait de néc

1510 blent cruelles, parce que chacune naît de la mort d’ une habitude qu’il chérissait, ou dont il avait fait de nécessité vert

1511 habitude qu’il chérissait, ou dont il avait fait de nécessité vertu. Situation véritablement romanesque : faites vos jeu

1512 , et tout ce qui surviendra trahira le vrai choix de votre être, malgré vous. » Cambridge (Mass.), 18 avril 1941 Qu

1513 s.), 18 avril 1941 Quinze jours dans ce refuge de l’esprit, l’Université de Harvard, au milieu de la petite ville de Ca

1514 ze jours dans ce refuge de l’esprit, l’Université de Harvard, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’est qu’un fa

1515 iversité de Harvard, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’est qu’un faubourg de Boston. Le premier soir en arri

1516 café. Il avait des questions à me poser au sujet d’ un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que

1517 . Il avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut

1518 n de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut-il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’il

1519 restaurant très bon marché où l’on doit se munir d’ un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, puis défiler

1520 ès bon marché où l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comp

1521 ù l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’ assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comptoir où l’on dé

1522 iler devant un comptoir où l’on désigne les plats de son choix, — je déjeune avec des étudiants et leurs amies, des profes

1523 to dans la campagne, vers les petits lacs secrets de New Hampshire, perdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ai

1524 secrets de New Hampshire, perdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et

1525 rêts de bouleaux ; à Concord où j’ai vu la maison d’ Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre

1526 et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’il avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’

1527 j’aime errer sur les quais, le long des bâtiments de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers

1528 s bâtiments de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent

1529 ose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent luxueux des moines ang

1530 de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’ or, devant le couvent luxueux des moines anglicans, et plus loin, à tr

1531 s et les fumées des feux qui les détruisent, lieu de désolation voluptueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de so

1532 uptueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de son Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’en ai jamais vu de

1533 omine, je n’en ai jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irré

1534 i jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’ allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irrégulièrement espa

1535 u de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irrégulièrement espacées. Ce p

1536 as la mort comme les Germains, et n’en fait point de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les cimetières les plu

1537 opéen, parce qu’à la différence des autres bourgs de ce pays, l’on y trouve une vraie place, au carrefour de trois rues, e

1538 pays, l’on y trouve une vraie place, au carrefour de trois rues, et des cafés où vers six heures du soir se groupent autou

1539 fés où vers six heures du soir se groupent autour d’ un verre et d’un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les l

1540 x heures du soir se groupent autour d’un verre et d’ un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les logiciens et le

1541 génie aux États-Unis, c’est une catégorie précise d’ étudiants. « Génie » n’est pas un éloge excité, dans leur bouche : cel

1542 par des signes certains et scientifiques. Le test d’ intelligence d’un génie (examen portant sur la mémoire, l’érudition, l

1543 certains et scientifiques. Le test d’intelligence d’ un génie (examen portant sur la mémoire, l’érudition, le sens logique,

1544 n par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels il appliquera les théor

1545 n sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels il appliquera les théories de la logistiq

1546 , à l’analyse desquels il appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en soci

1547 quels il appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en sociologue postmarxis

1548 ns le regarder, comme on résout un petit problème de logique pure. Il portait une mouche au menton. Le second était ivre.

1549 des génies. ⁂ Hier soir on m’a fait faire le tour d’ un des lacs voisins de la ville. Tout au long de la route assez étroit

1550 r on m’a fait faire le tour d’un des lacs voisins de la ville. Tout au long de la route assez étroite, nos phares illuminè

1551 r d’un des lacs voisins de la ville. Tout au long de la route assez étroite, nos phares illuminèrent des files d’autos arr

1552 assez étroite, nos phares illuminèrent des files d’ autos arrêtées au bord du talus, tous feux éteints. Dans chaque voitur

1553 ser dans une auto ne compte pas. C’est la chambre d’ hôtel qui serait compromettante. Et pas une de ces filles n’est mariée

1554 bre d’hôtel qui serait compromettante. Et pas une de ces filles n’est mariée. Telles sont les conventions de leur morale,

1555 filles n’est mariée. Telles sont les conventions de leur morale, et ils s’y tiennent ; sans plus d’hypocrisie que nous au

1556 s de leur morale, et ils s’y tiennent ; sans plus d’ hypocrisie que nous aux nôtres. ⁂ Visite à Wellesley College, univers

1557 nôtres. ⁂ Visite à Wellesley College, université de jeunes filles. Elles ne sont pas toutes belles, mais presque toutes o

1558 utes belles, mais presque toutes ont une démarche de libre animal. Et je ne sais pourquoi je dis « presque ». ⁂ Les Madrig

1559 sais pourquoi je dis « presque ». ⁂ Les Madrigaux de Monteverde, chantés par un petit ensemble que dirige Nadia Boulanger

1560 la police. Je suis prêt à me battre pour le droit de pleurer devant la beauté. ⁂ Ce fleuve mauve et ces clochers d’or pâle

1561 vant la beauté. ⁂ Ce fleuve mauve et ces clochers d’ or pâle sur le ciel enfumé de Cambridge, ce fut un soir, adieu. Demain

1562 auve et ces clochers d’or pâle sur le ciel enfumé de Cambridge, ce fut un soir, adieu. Demain la vie précieuse mourra, dan

1563 as de Flue à Carnegie-Hall, la plus grande salle de concerts de la ville. Triomphe de la musique d’Honegger. Salué pour l

1564 à Carnegie-Hall, la plus grande salle de concerts de la ville. Triomphe de la musique d’Honegger. Salué pour lui. 15 ma

1565 us grande salle de concerts de la ville. Triomphe de la musique d’Honegger. Salué pour lui. 15 mai 1941 Recette pou

1566 e de concerts de la ville. Triomphe de la musique d’ Honegger. Salué pour lui. 15 mai 1941 Recette pour vivre de peu

1567 é pour lui. 15 mai 1941 Recette pour vivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellect

1568 1 Recette pour vivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chômage . Je disai

1569 r vivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chômage . Je disais simplement : « 

1570 — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’ un intellectuel en chômage . Je disais simplement : « Gagner peu ». Et

1571 s libertés américaines ; non sans angoisse. Point de bohème en Amérique. C’est la misère totale ou le niveau bourgeois, ce

1572 qu’en parler. Mais les intellectuels ? Ils n’ont de choix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répugne à l’un

1573 à Central-Park. J’étais devant le Zoo. Au-dessus d’ une forêt de tous les continents, vert électrique sur un ciel noir, se

1574 ark. J’étais devant le Zoo. Au-dessus d’une forêt de tous les continents, vert électrique sur un ciel noir, se dressaient

1575 ïmans se sont mis à produire un bruit que nul mot d’ aucune langue à tout jamais ne saurait exprimer. À ma droite, les gira

1576 octobre, traduit, truffé et adapté par les soins d’ une amie américaine qui adore mon pays et qui connaît le sien7. 28

1577 ie. Imaginer une solution quand il n’en est point de visible. La créer. C’est dur, me semble-t-il, et chaque fois davantag

1578 antage. Et cependant ? N’est-ce pas le même genre de décisions entre deux mots, deux titres ou deux plans, et d’imaginatio

1579 ns entre deux mots, deux titres ou deux plans, et d’ imagination d’une situation ou d’un angle de vue inédit, et de créatio

1580 mots, deux titres ou deux plans, et d’imagination d’ une situation ou d’un angle de vue inédit, et de création d’une réalit

1581 u deux plans, et d’imagination d’une situation ou d’ un angle de vue inédit, et de création d’une réalité neuve qui s’impos

1582 s, et d’imagination d’une situation ou d’un angle de vue inédit, et de création d’une réalité neuve qui s’imposera comme l

1583 n d’une situation ou d’un angle de vue inédit, et de création d’une réalité neuve qui s’imposera comme la plus naturelle,

1584 ation ou d’un angle de vue inédit, et de création d’ une réalité neuve qui s’imposera comme la plus naturelle, ainsi l’œuf

1585 i s’imposera comme la plus naturelle, ainsi l’œuf de Christophe Colomb ; n’est-ce pas enfin le même genre d’opérations aux

1586 istophe Colomb ; n’est-ce pas enfin le même genre d’ opérations auxquelles je suis rompu par métier d’écrivain ? Il y a cep

1587 d’opérations auxquelles je suis rompu par métier d’ écrivain ? Il y a cependant une différence de quantité dans l’énergie

1588 tier d’écrivain ? Il y a cependant une différence de quantité dans l’énergie qu’il s’agit de mettre en jeu. Mais comme on

1589 ifférence de quantité dans l’énergie qu’il s’agit de mettre en jeu. Mais comme on les sent bien, en pareil cas, comme on l

1590 mes circonstances, apparaît la nécessité urgente d’ une péripétie. Envoyé un long câble à V. O., à Buenos Aires. 17 jui

1591 sont prêts à le payer. 6. Voir l’introduction de La Part du diable . Le livre est né de cet article, un an plus tard.

1592 roduction de La Part du diable . Le livre est né de cet article, un an plus tard. 7. Cf. The Heart of Europe by Denis