1 1946, Journal des deux mondes. Avertissement
1 d’horizon dépend à chaque instant de l’endroit où nous nous tenons, elle se déplace et change, et l’on peut dire que nous la
2 izon dépend à chaque instant de l’endroit où nous nous tenons, elle se déplace et change, et l’on peut dire que nous la port
3 elle se déplace et change, et l’on peut dire que nous la portons avec nous. Ainsi de la plupart de nos observations sur les
4 hange, et l’on peut dire que nous la portons avec nous . Ainsi de la plupart de nos observations sur les faits réputés object
5 nous la portons avec nous. Ainsi de la plupart de nos observations sur les faits réputés objectifs. Et c’est pourquoi l’eff
6 i se voit déjoué par les descriptions mêmes qu’il nous propose, et qui ne sont que les rébus de ce qu’il s’imaginait dissimu
2 1946, Journal des deux mondes. Le bon vieux temps présent
7 un âge, un climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux temps » de plus, tout près de no
8 ise. Un « bon vieux temps » de plus, tout près de nous … Le bon vieux temps, pour nos ancêtres, c’était très loin dans le pas
9 plus, tout près de nous… Le bon vieux temps, pour nos ancêtres, c’était très loin dans le passé, dans la légende, si loin q
10 , ne l’avait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous , ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et
11 e fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus
12 est-ce — aujourd’hui ? Mais oui, peut-être vivons- nous , ici, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux tem
13 emps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute na
14 us avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, e
15 r et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de
16 er, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pou
17 ien de temps encore, combien de semaines pourrons- nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos
18 ines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ?
19 et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde
20 que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où c
21 et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accab
22 t plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra chang
23 que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer le rythme et rectifier la tenue,
24 n. Et dès lors qu’il l’a mis en question et qu’il nous force au réalisme à sa manière, le charme est détruit dans nos vies.
25 réalisme à sa manière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelq
26 sa manière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instant
27 n temps sa loi, en préservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d’aimer, cette bonté humaine, plus inutile que jamais
3 1946, Journal des deux mondes. Journal d’attente
28 vres, mais surtout : — entre l’espèce de paix que nous laissa l’hiver et la guerre qui revient nous avertir, au seuil de ce
29 que nous laissa l’hiver et la guerre qui revient nous avertir, au seuil de ce printemps qu’elle dénature. Envies d’écrire,
30 ité, à la terre ocrée, sous les pins. Pendant que nous choisissons ensemble quelques choux-fleurs — « N’allez pas couper les
31 s ! Il faut les cuire avec, c’est succulent ! » —  nous entendons la TSF monologuer dans sa maisonnette blanche aux volets bl
32 e force d’Albanie. — Voyez-vous, me dit-il, pour nous autres, qu’est-ce que cela fait, ceux qui gouvernent ? Ça peut bien ê
33 nglais, ou tout ce que vous voudrez, pourvu qu’on nous laisse travailler. Qu’est-ce que cela change ? J’ai semé et taillé co
34 lus élémentaires, exigent et supposent un avenir. Nous l’oublions souvent, dans notre vie individuelle. Les statistiques nou
35 upposent un avenir. Nous l’oublions souvent, dans notre vie individuelle. Les statistiques nous le rappelleront. On constater
36 nt, dans notre vie individuelle. Les statistiques nous le rappelleront. On constatera l’année prochaine (s’il y en a une) qu
37 ents affectifs, ont su capter quelques secrets de notre existence ; cependant que les masses, créées par des puissances inhum
38 quelle mesure un écrivain a-t-il le droit, ou le devoir , de se montrer publiquement objectif vis-à-vis de ses propres ouvrage
39 s quelle mesure un citoyen a-t-il le droit, ou le devoir , de se montrer publiquement objectif vis-à-vis de sa propre nation ?
40 he ne l’écarte pas, bien au contraire. Le premier devoir est de ne point se laisser surprendre. » C’est qu’il ne croit plus à
41 si normal, que j’en viens à me demander si toutes nos crises ne seraient pas machinées par nous-mêmes, dans notre inconscie
42 es ne seraient pas machinées par nous-mêmes, dans notre inconscient collectif. Je puis l’avouer parce que je suis un écrivain
43 ont à coup sûr… La guerre qui vient n’augmente en nous ni le courage ni la peur, mais plutôt un certain cynisme. Peut-être a
44 isation permanente, préventive… Militarisation de nos pensées, de nos images. Hier, dans l’autobus, une petite bourgeoise a
45 te, préventive… Militarisation de nos pensées, de nos images. Hier, dans l’autobus, une petite bourgeoise assise devant moi
46 s matériels et spirituels, impossible ailleurs de nos jours, et peut-être à toute autre époque. Imaginer là-dessus un livr
47 être touchant, bizarre et pitoyable que chacun de nous dissimule. Alors on verrait le réel, alors on cesserait de haïr, ou d
48 l’enthousiasme déchirant les voiles, du salut qui nous est promis ! 21 mai 1939 Promenade au Bois avec Victoria Ocampo
49 des Plantes, et du dernier livre de Huizinga, qui nous parvint hier de Hollande. Nous avons passé deux belles heures dans la
50 e de Huizinga, qui nous parvint hier de Hollande. Nous avons passé deux belles heures dans la roseraie de Bagatelle transfig
51 n d’après-midi dorée. Échangeant des nouvelles de nos amis communs d’Argentine, d’Angleterre, d’Autriche, de Roumanie : la
52 a nuit de l’esprit. 24 mai 1939 Avant-hier, nous trouvâmes en rentrant une prodigieuse gerbe de roses rouges que V. O.
53 té même, comme la Passion despotique et fervente. Nous sentons bien qu’elle marquera tout ce printemps dans notre souvenir,
54 tons bien qu’elle marquera tout ce printemps dans notre souvenir, le dernier printemps de la paix… 5 juin 1939 Le désar
55 paix… 5 juin 1939 Le désarroi de l’époque —  nous lisons cela partout depuis vingt ans. Comme si rien de pire n’était i
56 Et pourtant le désordre dure. Il se confond avec notre vie même, avec la Vie ! Certes, l’anarchie des mœurs et des idées s’a
57 se des crises sociales et politiques. Et pourtant nous vivons ! Et notre vie, loin de se replier dans la crainte, s’exalte a
58 iales et politiques. Et pourtant nous vivons ! Et notre vie, loin de se replier dans la crainte, s’exalte aux approches du pé
59 ourrit plus qu’on n’oserait l’avouer. Après tout, nous ne sommes pas les premiers à croire que notre époque est l’époque mêm
60 out, nous ne sommes pas les premiers à croire que notre époque est l’époque même de la crise. S’il est juste et salutaire de
61 r dans ce qu’elle a d’unique, dans sa réalité qui nous met en question, n’oublions pas que toute réalité, à toute époque de
62 onnu des paniques et des nuits plus terribles que les nôtres , au lendemain des grandes invasions, du ve siècle au viiie de notre
63 des grandes invasions, du ve siècle au viiie de notre ère, avant l’an mille, pendant les pestes noires, pendant les guerres
64 inconscience, d’une ignorance, dont la presse de nos jours nous prive avec acharnement. Du moins voudrait-on rappeler à to
65 nce, d’une ignorance, dont la presse de nos jours nous prive avec acharnement. Du moins voudrait-on rappeler à tous ces fron
66 Voilà la grande et la seule différence. Et voilà notre chance aussi. L’homme n’est pas fait pour vivre en état de guerre, au
67 stices établies. La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait et devrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’
68 La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait et devrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’usage que l’on en fa
69 ou tonifie. Dans l’atmosphère de catastrophes où nous vivons, une profonde ambiguïté se manifeste. Tout invite à désespérer
70 e sans menaces, sans résistances, sans vigilance. Notre génération trouve, au contraire, dans la connaissance du désordre et
71 a nuit aussi ! » C’est toujours le même drame que nous vivons, qu’il s’agisse de flèches ou d’obus. Car ce qui compte, en fi
72 a faveur de ces vicissitudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre une vie plus consciente et réelle. Quoi qu’il advienn
73 esseront de venir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régime de vie tendue : il suffit de savoir ce qui compte, et que la j
74 ir ce qui compte, et que la joie ne dépend pas de nos misères. J’y songeais l’autre soir, à Orléans, en entendant la Jeanne
75 évidence, la délivrance, le « malgré tout » dont nous vivrons ! 10 juin 1939 L’origine de toutes nos haines, l’origin
76 vivrons ! 10 juin 1939 L’origine de toutes nos haines, l’origine de toute amertume, c’est un bien que nous n’avons p
77 s, l’origine de toute amertume, c’est un bien que nous n’avons plus, c’est un amour perdu, allé ailleurs. Mais qu’il existe
78 sa perte insupportable à qui croyait le posséder. Nos haines… Pourquoi la haine, par exemple, de tel régime qui nous menace
79 Pourquoi la haine, par exemple, de tel régime qui nous menace depuis des mois ? Serait-ce à cause de la menace ? Je ne le cr
80 ’y avait pas un bien, dans ce régime, un bien que nous avons perdu, et qu’il séquestre, s’il n’y avait que du mal en lui, no
81 u’il séquestre, s’il n’y avait que du mal en lui, nous n’aurions pas de haine ni d’amertume : on ne hait pas les catastrophe
82 phes, les incendies et les tremblements de terre. Notre amertume et notre indignation devant le phénomène totalitaire naissen
83 s et les tremblements de terre. Notre amertume et notre indignation devant le phénomène totalitaire naissent d’un désir secre
84 ce de dépit amoureux de la révolution manquée par nous , mais séduite et violée par le voisin ; d’une nostalgie de cette comm
85 e communauté qu’ils disent avoir réinventée, dont nous ne sommes pas, et dont nous sentons bien qu’ils nous excluent dans l’
86 voir réinventée, dont nous ne sommes pas, et dont nous sentons bien qu’ils nous excluent dans l’intention d’en abuser. Ainsi
87 s ne sommes pas, et dont nous sentons bien qu’ils nous excluent dans l’intention d’en abuser. Ainsi l’Europe, en d’autres te
88 onter les armées régulières. 19 juin 1939 «  Notre Führer fait une politique d’artiste ! », a proclamé M. Goebbels. Voil
89 ds où s’alimente le désir. Les délais de ce genre nous sont-ils mesurés par la qualité de notre espoir ? Mais quel espoir, a
90 ce genre nous sont-ils mesurés par la qualité de notre espoir ? Mais quel espoir, alors, pourrait rythmer toute la durée de
91 espoir, alors, pourrait rythmer toute la durée de notre vie, jusqu’à la mort, — sinon l’espoir d’un rendez-vous au-delà du mo
92 assez certain et assez glorieux pour disqualifier nos soucis, tout serait à chaque instant libre et allègre, ouvert sur la
93 … À l’œuvre donc, advienne que pourra ! Que l’été nous apporte — c’est probable — un nouveau serpent de mer des dictateurs,
94 nal à ce journal de petite attente. Il faut juger notre vie par sa fin, pour mesurer l’importance relative des événements qui
95 mesurer l’importance relative des événements qui nous font les gros yeux. Joie du temps retrouvé, dans l’instant d’un espoi
96 uand le seul terme redoutable est le Jugement qui nous délivrera ? Eh quoi ! suffisait-il d’y penser ? Non, mais il suffira
4 1946, Journal des deux mondes. Intermède
97 radio brusquement interrompit les conversations. Nous entendîmes la fin d’une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hy
98 us un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous  ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’armes martelées — meute foll
99 « C’est difficile de chanter ça ce soir. Les mots nous restent dans la gorge… » Le drame ne put être joué, la plupart des ac
5 1946, Journal des deux mondes. Puisque je suis un militaire…
100 sûr on y est ! L’impression générale, c’est qu’on nous a « mis dedans ». (Je dis on, je ne sais pas qui c’est. Comme le brav
101 « Je n’accuse personne, mais c’est dégoûtant ! ») Nous voilà faits, refaits par l’événement, plongés d’un coup dans le détai
102 , qu’on redoutait, qu’on croyait préparer, et qui nous trouvent sans peur et sans préparation dès l’instant qu’elles devienn
103 es grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontières, des secteurs minuscules, comme au hasard, qu’on voit d’un
104 les plus stricts, mais c’est très bien ainsi, car nous sommes n’importe où, sans raison prévisible. J’aime beaucoup les adre
105 cordeau qu’il faut inspecter gravement. Partirons- nous au milieu de la nuit ? Ou passerons-nous l’hiver ici ? Plus rien ne d
106 artirons-nous au milieu de la nuit ? Ou passerons- nous l’hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous. C’est notre liberté. Les h
107 sserons-nous l’hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous . C’est notre liberté. Les hommes sont à la soupe. Nous dînerons dans
108 l’hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous. C’est notre liberté. Les hommes sont à la soupe. Nous dînerons dans une heure au
109 C’est notre liberté. Les hommes sont à la soupe. Nous dînerons dans une heure au café du village. Une heure creuse à l’armé
110 eau vide, ou quelle plénitude du loisir ! Amusons- nous à dire un peu de quoi se fait la vie quotidienne, dans les débuts d’u
111 bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive existence. Surtout quand il tombe une pluie fine. Ce n’est pa
112 en, avant longtemps, dans ces champs et forêts où nous marchons sans suivre les chemins. (À ce petit signe nous sentons la d
113 rchons sans suivre les chemins. (À ce petit signe nous sentons la différence d’avec la vie civile, dans le pays des règlemen
114 vec la vie civile, dans le pays des règlements.) Nous vivons à côté de la population, mêlés à elle, et cependant hors de sa
115 ocons humides sur ce petit vallon du haut Jura où nous avons à préparer des positions. Et la neige fondait dans la boue. J’a
116 la lueur d’une lampe à pétrole. Pourquoi sommes- nous là, quelque part, loin de tout ce qui faisait notre vie ? Il faudrait
117 ous là, quelque part, loin de tout ce qui faisait notre vie ? Il faudrait essayer de répondre. L’homme n’est pas né pour fair
118 pu ? Parce que tous ils s’imaginent — ou croient devoir s’imaginer ! — que le bonheur et la force d’un peuple dépendent de sa
119 mise au pas militaire, de son arrogance étatique. Nous sommes ici à patauger parce que nos voisins se font la guerre, et s’i
120 ce étatique. Nous sommes ici à patauger parce que nos voisins se font la guerre, et s’ils la font, c’est parce qu’ils n’ont
121 s antisuisse de toute l’histoire. C’est donc pour nous la pire menace. Mais en même temps, la plus belle promesse ! Maintena
122 puisque l’autre aboutit à la guerre. Ce n’est pas notre orgueil qui l’imagine, ce sont les faits qui nous obligent à le recon
123 otre orgueil qui l’imagine, ce sont les faits qui nous obligent à le reconnaître avec une tragique évidence. Et c’est cela q
124 tre avec une tragique évidence. Et c’est cela que nous avons à défendre : le seul avenir possible de l’Europe. Le seul lieu
125 ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, ce n’est pas pour défendre des fromages, des conseils d’ad
126 ndre des fromages, des conseils d’administration, notre confort et nos hôtels. Les fascistes feraient marcher cela aussi bien
127 , des conseils d’administration, notre confort et nos hôtels. Les fascistes feraient marcher cela aussi bien que nous, peut
128 es fascistes feraient marcher cela aussi bien que nous , peut-être mieux ! Ce n’est pas non plus pour protéger nos « lacs d’a
129 -être mieux ! Ce n’est pas non plus pour protéger nos « lacs d’azur » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la
130 pas non plus pour protéger nos « lacs d’azur » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagande se chargera
131 rès volontiers de ce travail de Heimatschutz.) Si nous sommes là, c’est pour exécuter la mission dont nous sommes responsabl
132 us sommes là, c’est pour exécuter la mission dont nous sommes responsables, depuis des siècles, devant l’Europe. D’autres se
133 brigands qui voulaient profiter de sa faiblesse. Nous sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor,
134 l est le sens de la mission spéciale qui justifie notre neutralité. Si nous trahissons cette mission, si nous n’en gardons pa
135 ission spéciale qui justifie notre neutralité. Si nous trahissons cette mission, si nous n’en gardons pas conscience, je ne
136 neutralité. Si nous trahissons cette mission, si nous n’en gardons pas conscience, je ne donne pas lourd de notre indépenda
137 gardons pas conscience, je ne donne pas lourd de notre indépendance. Berne, fin novembre 1939. (Au retour d’un voyage en
138 débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres
139 deux conceptions de « l’ordre » qui se partagent notre Europe : harmonie intérieure ou uniformité géométrique et militaire.
140 évolution actuelle. La déprimante architecture de notre Palais fédéral — où je corrige ces notes de voyage, ayant fini le tra
141 peu, ce soir. C’est le contraire de ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’être. Cette école primaire démesurée
142 e contraire de ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’être. Cette école primaire démesurée, c’est l’image même, en
143 image même, en pierre verdâtre, de l’esprit qu’il nous faut combattre si nous voulons mériter notre paix. Janvier 1940
144 erdâtre, de l’esprit qu’il nous faut combattre si nous voulons mériter notre paix. Janvier 1940 La section Armée et Fo
145 qu’il nous faut combattre si nous voulons mériter notre paix. Janvier 1940 La section Armée et Foyer de l’état-major m’
146 remarque de Napoléon sur la nature fédérative de notre État, et tous les trois disent la même chose.) Drôle d’occupation po
147 ssion de quelque territoire, mais la défense de «  nos libertés » — dont je vais faire le titre du bréviaire. Il faut que ch
148 qualifier ; elle ne ressemble à aucune autre. Je devais avoir treize ou quinze ans lorsque j’y vins pour la première fois, de
149 t encore par des lacets immenses, passait enfin à notre hauteur, puis courait s’engouffrer dans les rochers, à la base d’une
150 pour cette raison même, l’origine très précise de nos libertés et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai
151 ême, l’origine très précise de nos libertés et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de supposer que
152 rminées par un roulement de tambour, voilà ce qui doit logiquement se produire. » Et encore, en 1889 : « Les chefs futurs se
153 n détachement serait étrange, voire haïssable, si nous vivions dans un monde acceptable ou simplement à la mesure de notre a
154 un monde acceptable ou simplement à la mesure de notre action. Je vais à lui pour me défendre contre l’écœurement qui me gue
155 naïveté politique qui trop souvent caractérisent notre opinion. Début de mars 1940 L’homme au poignard enguirlandé. —
156 onne n’a mieux traduit et illustré les vertus qui devraient nourrir, aujourd’hui, notre esprit de résistance. Ce réalisme liberta
157 ré les vertus qui devraient nourrir, aujourd’hui, notre esprit de résistance. Ce réalisme libertaire, cette liberté d’allure
158 crotte sur le nez, trois dans ta barbe ! »1 Mais nous voici mieux muselés que ces ours du duc de Milan ramenés en laisse, a
159 ils fait à la mort, dans leurs rêves, la part que nous fîmes à l’amour ? Urs Graf, Holbein, Hans Kluber, Grünewald, et tant
160 as de majuscule, et qu’elle est quelque chose qui doit brûler, flamber, et non pas rapporter du trois pour cent. Sérieuse co
161 nté ont prêché sur le thème du memento mori, mais nous préférons aujourd’hui l’éloge de la vie au grand air. Et tout se pass
162 i de l’épargne dans tous les domaines, tuaient en nous le sens métaphysique… ⁂ Sobre dans la plus libre fantaisie, mais éner
163 e d’admirer chez Manuel la plupart des vertus qui nous manquent. Böcklin manque de sobriété, Hodler aussi. D’où l’espèce de
164 architecture théologique, c’est à peu près ce que nous avons perdu par une longue suite de « libérations » qui ne laissent e
165 bien moins encore ces planches de minéralogie que nous bariolent les peintres d’Alpe. Ce qu’il peint, lui, c’est la terre de
166 édie « à la gloire de Dieu ». ⁂ Quand on dit chez nous de quelqu’un « qu’il a fait un peu tous les métiers », ce n’est pas u
167 nduire leur vie vers un but qui transcende toutes nos activités. Fougueux et appliqué dans sa peinture, Manuel n’hésite pas
168 té n’a plus de vraies mesures, c’est l’Église qui doit les refaire. Qu’elle s’y refuse, il faut la réformer. Après quoi l’on
169 pour s’excuser, comme s’il croyait au fond qu’on devrait tout savoir, et que pourtant… C’est la passion de la Renaissance, si
170 a mieux éclairé — écrit un chroniqueur du temps — notre banneret Manuel apparut parmi nous comme un flambeau brûlant et éclat
171 ur du temps — notre banneret Manuel apparut parmi nous comme un flambeau brûlant et éclatant. Survint alors la maladie qui n
172 brûlant et éclatant. Survint alors la maladie qui nous l’arrache dans sa quarante-sixième année. Le seul autoportrait qui su
173 e année. Le seul autoportrait qui subsiste de lui nous montre, à la fin de sa vie, un regard doux et perspicace, un visage a
174 une vie d’homme devant Dieu. 9 mars 1940 Il nous est né hier une fille que nous avons nommée Martine. J’inscris ici, p
175 9 mars 1940 Il nous est né hier une fille que nous avons nommée Martine. J’inscris ici, pour qu’elle les lise plus tard,
176 pour qu’elle les lise plus tard, les raisons qui nous firent adopter ce prénom. C’est un souvenir de France et de la paix f
177 n souvenir de France et de la paix française, qui nous émeut comme un adieu à la douceur de vivre, à la confiance. Cela se p
178 ses et des blés, aux bords du plateau de la Brie. Nous montions vers Périgny par un sentier fort raide entre les ronces, abo
179 uceur du ciel, retrait des âmes dans leur destin. Nous longions cette rue silencieuse, imaginant d’y vivre un jour dans une
180 cline lentement vers la vallée, dans les vergers. Nous nous étions arrêtés là, hésitant sur le chemin à prendre. Et soudain
181 lentement vers la vallée, dans les vergers. Nous nous étions arrêtés là, hésitant sur le chemin à prendre. Et soudain nous
182 là, hésitant sur le chemin à prendre. Et soudain nous vîmes à nos pieds, tracé à la craie sur le sol, un grand cercle entou
183 sur le chemin à prendre. Et soudain nous vîmes à nos pieds, tracé à la craie sur le sol, un grand cercle entourant une ins
184 s choses de toujours. Et le moindre signe suffit. Nous sommes redescendus vers la vallée de l’Yerres, qui coule entre des sa
185 changé, la guerre est là, mais rien n’arrive. Et nous vivons dans le suspens. À moins que ce ne soit dans une chute prolong
6 1946, Journal des deux mondes. Anecdotes et aphorismes
186 redoute parfois que l’instruction publique, dans nos démocraties, ne réussisse qu’à élever le niveau de la bêtise moyenne.
187 ise moyenne. (Voir les magazines populaires, chez nous autant qu’en Amérique.) ⁂ Pourquoi les Suisses ne condamnent-ils que
188 « Le petit nuage n’est pas passé. Il passera, et nous serons encore une fois assis au café des Deux Magots. La vie reprendr
189 econde me dit : « Le petit nuage passera, oui… et nous avec ! » Selon l’humeur du jour, je donne raison à l’une ou à l’autre
190 t, c’est la certitude « qu’il passera ». Que sont nos petits accès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avant-pr
191 gard du Règlement des comptes universels que sera notre jugement au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait
192 ent au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes : « Comme chrétiens, nous n’avons à
193 sait l’autre jour à Tavannes : « Comme chrétiens, nous n’avons à redouter que le Prince de tous les démons, et non pas tel o
194 ous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engage
195 u’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits per
196 nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits personnages
197 t, si “total” qu’il soit, ne saurait figurer pour nous qu’un exercice, une première escarmouche, un entraînement pour le “co
198 ment pour le “combat final” où Christ seul pourra nous sauver, lorsque le Malin en personne nous accusera au Jugement dernie
199 pourra nous sauver, lorsque le Malin en personne nous accusera au Jugement dernier. » Voilà les dimensions réelles qu’il fa
200 er envisager. Elles ne sont pas démesurées. Elles doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos miséra
201 e sont pas démesurées. Elles doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de n
202 ivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesq
203 ire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est
204 sure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il passera.
205 ue je viens de trouver dans un livre interdit par nos censeurs3. L’auteur fut l’un des chefs du parti hitlérien ; écœuré, i
206 secrète de la démocratie, c’est la franchise. On nous répète : « Qui ne sait se taire nuit à son pays. » Fort bien. Mais il
207 Nouvelle mobilisation générale. Il m’apparaît que notre section Armée et Foyer n’aura plus rien à faire pendant les jours qui
208 la police qui a demandé quelques volontaires. Il nous expose notre tâche : prendre le commandement des pelotons chargés d’a
209 ui a demandé quelques volontaires. Il nous expose notre tâche : prendre le commandement des pelotons chargés d’arrêter en cas
210 ype, ramasser les papiers… La légation allemande, nous dit-il, est un dépôt d’armes et un blockhaus bétonné. Mais nous avons
211 st un dépôt d’armes et un blockhaus bétonné. Mais nous avons installé un canon dans la maison d’en face. L’ordre récemment d
212 que part dans l’Évangile. Ou faudra-t-il enterrer nos secrets pour d’autres, qui peut-être ne viendront jamais ? Car la car
213 r au passé. Vaudrait-il mieux qu’alors ? Saurions- nous mieux le vivre, augmenté du souvenir de sa perte ? Mais le passé ne r
214 — même si la guerre était gagnée, même si demain nous devions vivre encore… À quoi pensent-ils, ceux de la bataille ? Ont-i
215 me si la guerre était gagnée, même si demain nous devions vivre encore… À quoi pensent-ils, ceux de la bataille ? Ont-ils de ce
216 -ci ça y est !… Vivant un cauchemar qui est vrai, nous allons en désordre au réveil. La mort, le désespoir en plein midi, — 
217 moi de la Suisse allemande. En sortant du studio, nous apprenons que Paris vient d’être bombardé pour la première fois. Dans
218 bombardé pour la première fois. Dans le train qui nous ramenait ce matin à Berne, je lui ai dit : « Si la France est battue,
219 nt tentés de céder à diverses pressions. Pourtant nous sommes les seuls à pouvoir nous défendre. Depuis plusieurs années, je
220 essions. Pourtant nous sommes les seuls à pouvoir nous défendre. Depuis plusieurs années, je pense au Saint-Gothard comme au
221 son bastion sacré. C’est pour le garder libre que nos premiers cantons ont reçu la liberté d’Empire. Or il se trouve que pr
222 12 juin 1940 Débâcle française sur la Seine. Notre projet me travaille. Spoerri insiste, agit, et des contacts sont pris
223 t se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints. Quelqu’un disait : Si Par
224 il soit le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints. Quelqu’un disait : Si Paris est détruit, j’en p
225 visionen ». Quelque chose d’indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant vi
226 du Jura, et au-delà se passe la guerre. Derrière notre maison, des prairies montent jusqu’aux lisières de la forêt de sapins
227 s’il est bien à la mesure du tragique dans lequel nous baignons… L’ai fait lire au lieutenant-colonel et aux autres camarade
228 i ? — Je ne suis pas officier de carrière. — Vous deviez le faire quand même. Vous êtes accusé d’injures à un chef d’État étra
229 ave, c’est… très grave ! Terminé. — Terminé. Bon. Nous verrons cela demain matin. Arriver à sept heures tapantes au bureau,
230 rriver à sept heures tapantes au bureau, surtout. Notre projet du 6 juin se précise. Ph. est en train de convoquer pour le 22
231 e convoquer pour le 22 juin les dix personnes que nous avons « contactées » ces jours derniers. Secret bien gardé jusqu’ici.
232 rniers. Secret bien gardé jusqu’ici. Ce matin, on nous a informés au bureau de ce qui s’est passé la nuit dernière. C’était
233 re. C’était sérieux. Attaques de saboteurs contre nos aérodromes. Mais on veillait partout. À la nuit, des barricades ont é
234 heure, les nouvelles de l’action entreprise pour notre « défense à tout prix ». (Beaucoup de précautions sont nécessaires, c
235 ux du pays. Frais payés sur les 50.000 francs que nous a remis le capitaine X. : tout ce qu’il possède. On nous accuse déjà
236 remis le capitaine X. : tout ce qu’il possède. On nous accuse déjà d’être « fascistes », naturellement, et payés par la « gr
7 1946, Journal des deux mondes. Intermède
237 revois cette maison de Berne à deux entrées, qui nous servit parfois de rendez-vous ; des séances enfumées du Directoire de
238 essait vraiment comme le bastion de l’Europe dont nous avions rêvé, sans oser croire que quelques mois plus tard il serait u
239 serait une réalité. L’opinion s’était ressaisie. Notre Ligue du Gothard, fondée sur l’idée simple d’organiser les volontés d
240 emier mouvement de Résistance, au sens que ce mot devait prendre un peu plus tard dans les pays occupés par Hitler. Je suis co
241 litairement moins forte et moins bien alertée. Et notre petit mouvement de résistance, pour « théorique » et préventif qu’il
242 , pas beaucoup dire. Me taire ou ne parler que de notre belle nature me semblait également intolérable, tant qu’Hitler séviss
243 ressentais que dans la lutte en cours, perdue sur notre continent, l’élément décisif allait venir et ne pouvait venir que d’A
8 1946, Journal des deux mondes. La route de Lisbonne
244 e pincer, n’importe où, cette mince artère par où notre vieux monde se vide peu à peu de son élite en même temps que de ses p
245 quelconque préside aux modifications du monde que nous commençons d’entrevoir. Route de Lisbonne, route de l’émigration et d
246 le endormie. Tous les fauteuils sont occupés dans notre voiture et point de couloir libre au milieu. Des bagages à main, des
247 allemands. Tout le monde s’est tu dans l’autobus. Nous nous sommes arrêtés pour déjeuner dans un restaurant de Grenoble. Men
248 ands. Tout le monde s’est tu dans l’autobus. Nous nous sommes arrêtés pour déjeuner dans un restaurant de Grenoble. Menu par
249 . Mais à Valence, la tenancière d’une épicerie où nous entrons nous tend d’abord la liste des articles qu’on ne peut plus ve
250 nce, la tenancière d’une épicerie où nous entrons nous tend d’abord la liste des articles qu’on ne peut plus vendre : café,
251 café. Beaucoup de monde, mais peu d’animation. On nous sert, sous le nom de café noir, un breuvage au goût d’encre additionn
252 chaque nuit et que vous allez mourir de faim ? » Nous la rassurons. Tout se réduit à quelques bombes jetées par erreur sur
253 , au lendemain de la victoire (celle de 1918) : «  Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelle
254 re (celle de 1918) : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Oui, nous savons maint
255 autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Oui, nous savons maintenant que c’est possible :
256 vons maintenant que nous sommes mortelles. » Oui, nous savons maintenant que c’est possible : on peut détruire une grande na
257 iècle. Il n’y aura même pas besoin de les brûler. Nous roulons maintenant vers l’Espagne, à travers un pays de vignes dont l
258 uveau », en espadrilles et uniformes dépareillés. Nous sommes ici depuis midi, la nuit approche et je ne crois plus guère au
259 cinq-cents mètres du bâtiment des douanes dont on nous interdit l’approche, sauf pour le contrôle des devises et des visas,
260 our le contrôle des devises et des visas, où l’on nous conduit par petits groupes. Ces opérations, qui se poursuivent depuis
261 pérante. Le bruit court, parmi les voyageurs, que nous risquons d’être refoulés à Perpignan lorsque tout sera terminé, le ch
262 r-ci ayant été atteint dès le matin. Il y a, dans notre convoi, quelques antifascistes notoires qui ne paraissent pas rassuré
263 a ramassée en vitesse et s’est éloigné. Partirons- nous  ? Troisième journée Barcelone sans taxis, les Ramblas presque d
264 s et sans avenir que j’ai déjà surpris en France… Nous devions repartir ce soir en train, mais en prenant l’avion de Madrid,
265 sans avenir que j’ai déjà surpris en France… Nous devions repartir ce soir en train, mais en prenant l’avion de Madrid, demain
266 mais en prenant l’avion de Madrid, demain matin, nous gagnerons une vingtaine d’heures. Curieuse obstination des Espagnols
267 icade — neuf heures à la douane d’entrée, et l’on nous en prédit autant à la sortie — et qui ne s’inquiète plus de vous une
268 s la gare ou aux alentours. Durant toute la nuit, nous avons fait une moyenne de trente kilomètres à l’heure. Cet express s’
269 ’un seul coup sur la tablette du compartiment, et nous arrosent de pépins crachés à la ronde. Ici au moins, il y a de la gai
270 orte de gentillesse, malheureusement vociférante. Nous atteignons la frontière vers huit heures du matin, exténués et assoif
271 t le petit jeu des douanes recommence. À midi, on nous ouvre enfin une sorte de buffet de gare, et nous nous ruons aveugléme
272 nous ouvre enfin une sorte de buffet de gare, et nous nous ruons aveuglément sur des nourritures indéfinissables. Deux heur
273 ouvre enfin une sorte de buffet de gare, et nous nous ruons aveuglément sur des nourritures indéfinissables. Deux heures. J
274 Deux heures. Je demande au chef de train pourquoi nous restons là. « C’est, me dit-il, que le train a déraillé. » Et il sour
275 ier que tous les wagons sont sur les rails. Parmi nos compagnons de voyage, tous ne sont pas encore très rassurés : il arri
276 nt pas encore très rassurés : il arrive en effet, nous dit-on, qu’à la dernière minute la police retienne certaines personne
277 t est propre et gai, et les visages se détendent. Nous venons de quitter les terres où s’étend l’ombre du destin le plus cru
278 mbre du destin le plus cruel qu’ait jamais mérité notre Europe. Vers trois heures du matin, si tout va bien, nous atteindrons
279 ope. Vers trois heures du matin, si tout va bien, nous atteindrons Lisbonne. Où coucherons-nous ? Le Portugal a vu passer dé
280 va bien, nous atteindrons Lisbonne. Où coucherons- nous  ? Le Portugal a vu passer déjà des centaines de milliers de réfugiés,
281 de wagon-restaurant, le chef de train accepte de nous arrêter pour une heure dans un village. Nous dînons sur la place, à d
282 e de nous arrêter pour une heure dans un village. Nous dînons sur la place, à des tables rapidement dressées. Toute la popul
283 cornes traverse la place au dessert. À Lisbonne, nous avons trouvé une chambre immense pour nous quatre. Et le lendemain no
284 bonne, nous avons trouvé une chambre immense pour nous quatre. Et le lendemain nous étions accueillis dans cette Quinta tout
285 chambre immense pour nous quatre. Et le lendemain nous étions accueillis dans cette Quinta toute hérissée de grilles et de c
286 collines renie la guerre, oublie l’Europe. Demain nous embarquons pour l’Amérique. Mais ici je fais le serment d’opposer une
287 ages venant des terres abandonnées du Nord et que nos paysans s’efforcent d’arrêter avant qu’elles n’étouffent leurs champs
288 aître les paniques dévastatrices du ve siècle de notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève, nuit et jour, autour
289 i ne peut plus vivre que sous la cuirasse. Hâtons- nous , car tout peut périr. Nous qui sommes encore épargnés, ne perdons pas
290 us la cuirasse. Hâtons-nous, car tout peut périr. Nous qui sommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai de grâce !
291 . Nous qui sommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai de grâce ! À bord de l’Exeter, 11 septembre 1940 Les dern
292 ers barrages traversés, la passerelle relevée, et nos papiers enfin déposés chez le purser, nous n’avons plus devant nous q
293 vée, et nos papiers enfin déposés chez le purser, nous n’avons plus devant nous qu’un océan sans douanes ! Dix jours vierges
294 déposés chez le purser, nous n’avons plus devant nous qu’un océan sans douanes ! Dix jours vierges, dix jours durant lesque
295 peut imaginer que la police renoncera au viol de notre vie privée. Pourtant, certains des passagers gardent encore l’air de
296 el est le sadisme policier. De Genève à Lisbonne, nous avons traversé sept contrôles différents de douane et de police. Seco
297 s de douane et de police. Secondés par la chance, nous n’y avons passé, si je compte bien, guère plus de vingt-deux heures,
298 agers de la radio. Le monde a changé de face sous nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’heure en heure, nous n
299 io. Le monde a changé de face sous nos yeux, mais nous le regardions de trop près : d’heure en heure, nous n’avons rien vu.
300 us le regardions de trop près : d’heure en heure, nous n’avons rien vu. C’est après coup, en nous retournant, que nous avons
301 heure, nous n’avons rien vu. C’est après coup, en nous retournant, que nous avons entrevu l’ampleur et la rapidité des événe
302 ien vu. C’est après coup, en nous retournant, que nous avons entrevu l’ampleur et la rapidité des événements. Il a dit : « R
303 t. L’autre jour à Lisbonne une lady me disait : «  Nous ne serons jamais battus, parce que nous sommes un peuple qui ne sait
304 isait : « Nous ne serons jamais battus, parce que nous sommes un peuple qui ne sait pas quand il est battu. » J’ai pensé aux
305 proches défilaient au hublot ! Couru sur le pont. Nous sommes dans les passes de l’Hudson. Une brume de chaleur tropicale bl
306 de claire et neuve : la première rue américaine ! Nous approchons. Tournant la tête vers l’avant, un peu au-dessus de la pou
307 s, font rater l’arrivée la plus célèbre au monde. Nous remontions donc l’Hudson, guettant New York avec une émotion croissan
308 s haut-parleurs impérieux et lugubres ont réclamé notre attention. Nous n’avons plus rien vu que des grues et des mâts, penda
309 mpérieux et lugubres ont réclamé notre attention. Nous n’avons plus rien vu que des grues et des mâts, pendant deux heures a
310 geaient ces messieurs d’Ellis Island. Ils palpent nos passeports et les feuillettent avec une lenteur taciturne. Nous somme
311 s et les feuillettent avec une lenteur taciturne. Nous sommes tous des prévenus, des coupables sans doute. Nous sommes tous
312 mmes tous des prévenus, des coupables sans doute. Nous sommes tous des Européens, des gens qui viennent du pays de la guerre
313 euse. Tous les yeux sont fixés sur cette table où nos passeports attendent, près des tampons sacrés. C’est bien le mien qu’
314 es découpent l’espace aussi haut qu’on peut voir. Nous défilons lentement près de leur base. Des pans de brique rosée, ocrée
9 1946, Journal des deux mondes. Premiers contacts avec le Nouveau Monde
315 urs bleu sombre, et j’ai regardé mes voisins, car nous roulions dans un tunnel. Dans l’ensemble, les femmes m’ont paru digne
316 les femmes m’ont paru dignes de ce que le cinéma nous en promet — mais il suffit de trois ou quatre beautés saines ou frapp
317 Une falaise de granit se dresse près de la voie. Nous la passons. Sur son autre versant s’étale un cimetière d’autos décarc
318 n, fin d’octobre 1940 À une heure de New York, nous sommes en pleine campagne, et l’on cesse de sentir l’Amérique. Forêts
319 hington, 30 octobre 1940 Depuis le temps qu’on nous vante en Europe les autostrades fascistes et hitlériennes, qui semble
320 avaient raison, puisque Tuxedo Park existe, sous nos yeux. On y pénètre par un porche médiéval, où des agents de police ar
321 sera la famine ! Le bolchévisme ! Les gens comme nous seront liquidés ! » New York, 3 novembre 1940 Ville pure. — En
322 en Allemagne, lors des grands discours du Führer. Nous étions un million, disent les journaux, et trois-cents agents à cheva
323  ! Princeton, 10 novembre 1940 Religion. —  Nous sommes en quête d’une maison dans la banlieue de Manhattan. Les prosp
324 nt. 13 novembre 1940 Conférences. — Elles doivent être courtes — cinquante minutes — et garder autant que possible le t
325 gnés à la machine, dans tous les pays non latins. Nous autres vieux maniaques tenons au coupe-papier. 15 novembre 1940
326 Trouvé la maison, signé le bail sur l’heure et nous nous installons demain, avec des meubles d’occasion achetés pour un p
327 ouvé la maison, signé le bail sur l’heure et nous nous installons demain, avec des meubles d’occasion achetés pour un prix d
328 ser en 1940. Forest Hills, 30 novembre 1940 Notre propriétaire est un médecin des chiens. Il vient sonner vers les huit
329 se chargent eux-mêmes du message. Le dimanche, on nous transmet les cultes des principales confessions religieuses, mais là
330 artisanat se maintiendrait-il ? Il est fondé chez nous sur le goût de l’objet, mais aussi, avouons-le, sur la disette et le
331 i étaient venus parlaient du Noël de la France et nous mangions nos chocolats comme si nous les avions volés… Début de ja
332 s parlaient du Noël de la France et nous mangions nos chocolats comme si nous les avions volés… Début de janvier 1941
333 la France et nous mangions nos chocolats comme si nous les avions volés… Début de janvier 1941 Éditeurs. — Vu mon édi
334 allant à la caisse toucher un petit chèque qu’on doit feindre d’avoir mérité, bien qu’on sache qu’il n’a pas le moindre rap
335 ités de la vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des fonde
336 brusquerie de leurs jugements et un style tough ( nous dirions « dur » ou « vache ») leur défaut de responsabilité. Tout cel
337 jugent en général trop formalistes ou rhétoriques nos poèmes et nos essais. Une jeune romancière me disait : « Vous autres
338 ral trop formalistes ou rhétoriques nos poèmes et nos essais. Une jeune romancière me disait : « Vous autres Européens, vou
339 it trop. Le savent-ils eux-mêmes ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’expliciter un sens, leur apparaît vaguem
340  En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un suicide. —
341 inion gouverne ? La vraie Cinquième Colonne, dans nos démocraties, je vous le dis, c’est la paresse d’esprit ! Cet éditeur
342 le dis, c’est la paresse d’esprit ! Cet éditeur doit publier le livre sur la Suisse que je projette à l’usage des Américai
343 Vous savez traiter vos affaires sans canons. Vous nous avez admis, et nous avons, bien entendu, à nous tenir bien tranquille
344 os affaires sans canons. Vous nous avez admis, et nous avons, bien entendu, à nous tenir bien tranquilles. La démocratie est
345 s nous avez admis, et nous avons, bien entendu, à nous tenir bien tranquilles. La démocratie est chez vous la religion de ce
346 hée, et d’excellents amis la disent justifiée par notre situation précaire au cœur de l’Axe. S’ils ont raison, je leur serais
347 s-je utile, si je ne suis pas moi ? D’autre part, nos chances de nous battre paraissent très faibles, sinon nulles… Commenc
348 je ne suis pas moi ? D’autre part, nos chances de nous battre paraissent très faibles, sinon nulles… Commencé l’article prom
349 ns à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut-il donc savoir ? Simplem
350 cafétéria — un restaurant très bon marché où l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, p
351 sens logique, la rapidité du raisonnement, etc.) doit donner un chiffre total supérieur à 135. Le génie, s’il est physicien
352 la ville. Tout au long de la route assez étroite, nos phares illuminèrent des files d’autos arrêtées au bord du talus, tous
353 et ils s’y tiennent ; sans plus d’hypocrisie que nous aux nôtres. ⁂ Visite à Wellesley College, université de jeunes fille
10 1946, Journal des deux mondes. Voyage en Argentine
354 du pont, sinon dans les hauts draps de brume qui nous serrent, le reflet de nos propres lueurs. Je me suis enfermé dans ma
355 uts draps de brume qui nous serrent, le reflet de nos propres lueurs. Je me suis enfermé dans ma cabine. Je constate que j’
356 pense rester seul pendant les dix-sept jours que doit durer la traversée. Les fils qui me liaient aux autres et que les aut
357 inavouable de libération. Avouons-la, et couchons- nous . 21 juillet 1941, en mer Nuit des tropiques. Tout à l’avant du
358 r se ferme. Une irrésistible euphorie règne parmi notre communauté d’inconnus d’hier, plongés dans tous les charmes de la pai
359 be, — à cette même heure en France, et en Russie… Nous le savons tous. Que sert de comparer ? Quel sens ? Il y a des roses d
360 la machine où l’on joue par quarters (25 cents). Nous décidons de partager profits et pertes. Je joue deux pièces et gagne
361 rd. Sur les trois tours, elle en a gagné deux, et nous étions plus d’une centaine de joueurs. Or elle n’est pas seulement la
362 es catalogues de timbres-poste de mon enfance. On nous y montre des maisonnettes coupées en deux du faîte au sol, les moitié
363 par milliers, pendant toute une nuit d’insomnie. Nous entrons dans l’hiver du Sud. Sur le pont déserté, un couple passe et
364 antos. Je les retrouve au bar. Et de quoi parlons- nous  ? De Neuchâtel, bien entendu, où ils étaient il y a trois mois, et de
365 il l’avertir ou me taire ? D’après ses signes, il doit avoir un accident entre le 28 et le 31 de ce mois. » J’ai décidé de n
366 stingue Ortega, et ce grand écrivain que l’Europe doit connaître, J.-L. Borgès, et tant d’autres du groupe de Sur, l’honneur
367 ’avant-veille de ma conférence sur le diable dans notre siècle, un reporter américain chez qui je dînais me proposa d’aller v
368 r le directeur d’El Mundo, grand journal du soir. Nous entrons à minuit dans son bureau. Il me tend un verre de whisky et un
369 et une coupure de journal : c’est un article qui doit paraître le lendemain, où l’on discute mes idées sur le diable. — Qu
370 ous ? Je n’ai pas encore écrit ma conférence ? — Nous savons tout, prenez ce fauteuil. — Vous en savez donc plus que moi.
371 irculation l’objet que vous voyez. Chaque employé doit le toucher et signer la feuille de contrôle. Et sitôt la chose faite,
372 bien, monsieur, c’était pire que sans rien ! J’ai les jeter par la fenêtre. Il me raconte encore quelques histoires du
373 re quelques histoires du diable. Je prends congé, nous déjeunerons ensemble, c’est convenu, et j’exprime le souhait de l’ent
374 e. — Non, monsieur, je ne crois pas, je regrette… Nous parlerons encore du diable. C’est ainsi. Entre nous, rien n’est plus
375 us parlerons encore du diable. C’est ainsi. Entre nous , rien n’est plus important ! ⁂ Nueva Helvecia. — Dans la pampa à que
376 t dans une très vaste halle décorée d’écussons de nos vingt-deux cantons, et le banquet commence incontinent. Nous sommes u
377 deux cantons, et le banquet commence incontinent. Nous sommes une bonne centaine, assis à trois longues tables qu’on a dress
378 ût un village de ce nom-là) où il est né en 1847. Nous nous comprenons par sourires, aidés des quelques mots de schwyzer düt
379 village de ce nom-là) où il est né en 1847. Nous nous comprenons par sourires, aidés des quelques mots de schwyzer dütsch d
380 ersement des saisons paraît si confondant dès que nous dépassons le Tropique du Capricorne. Ici, Noël tombe en été, le Midi
381 e américain atteint ici son paroxysme. Mais c’est nous qui l’appelons gaspillage. Pour eux, c’est un usage normal de l’abond
382 nsieur avait vu, du temps des parents de Madame ! Nous ne faisons que pour une personne, mais dans ce temps-là, c’était pour
383 tiennent l’école de l’estancia. Ces jeunes filles nous ont accueillis avec une aimable réserve, un maté et des disques de ja
384 sont eux-mêmes qui refusent les améliorations que nous leur proposons. Ils sont heureux dans leur état. ») Le premier meneur
385 presque désert, et ses stewards qui me rappellent notre croisière du mois d’août, restée fameuse. Ils ont l’air de penser, ma
386 t. Le petit gratte-ciel du Retiro va disparaître. Nous montons vers l’hiver américain. 7 novembre 1941, en mer Saudad
11 1946, Journal des deux mondes. Solitudes et amitiés
387 de m’est donné, par cette chambre d’hôtel, dirons- nous (comme une tranchée peut signifier la guerre, sinon ses causes). J’ai
388 Si cet Hitler gagnait la guerre, pensez-vous que notre vie américaine en serait vraiment fort changée ? — Madame, il faudra
389 erchait une maison à vendre, et dans une ferme où nous entrons pour quêter quelque information, on nous dit : « Pas la peine
390 nous entrons pour quêter quelque information, on nous dit : « Pas la peine, c’est la guerre. Les Japonais attaquent à Pearl
391 a guerre. Les Japonais attaquent à Pearl Harbour. Nous venons de l’entendre à la radio. » Une fois de plus, la vie qui chang
392 eune Européen. Le « premier jour de guerre » pour nous , c’est déjà presque une routine… 1er août 1914, 2 septembre 1939. L’a
393 9. L’alerte de Munich, aussi. Et quel jour sommes- nous , aujourd’hui ? Eh bien ce sera le 7 décembre 1941. Si vous voulez sav
394 n rentrant à New York, à la gare de Pennsylvanie. Nous y fûmes. La bannière étoilée pendait immensément du dôme perdu dans l
395 livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller chez des amis après le dîner. J’entre au hasard dans un petit r
396 nue. La salle étroite et profonde paraît vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-on me
397 es de suie s’écrasent sur mon papier, la verrière doit être fendue ou mal jointe. Raccommodé avec un ligament de ficelle ver
398 mme le monde est une vitrine, en bonne partie, il doit être possible de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d’un a
399 et le dimanche matin j’annonce subitement que je dois rentrer en ville pour une affaire pressante. En vérité j’ignorais que
400 usant de noter, pour plus tard, la composition de notre équipe en termes de gazette littéraire. L’ancien rédacteur en chef de
401 cinq heures au fond de la grande salle. Il vient nous prêter sa voix noble, agrémentée d’un léger sifflement, mais il garde
402 à la polycopie, avant d’être remis aux speakers, nous trouvons un moment pour causer. Et souvent nous parlons des fêtes que
403 , nous trouvons un moment pour causer. Et souvent nous parlons des fêtes que nous rêvons d’organiser. Celle par exemple qui
404 our causer. Et souvent nous parlons des fêtes que nous rêvons d’organiser. Celle par exemple qui devrait durer trois jours d
405 ue nous rêvons d’organiser. Celle par exemple qui devrait durer trois jours dans une vaste demeure aux portes condamnées, où ch
406 êve de compensation, si l’on voit dans quel cadre nous sommes en train de causer. Trente machines à écrire dans cette salle,
407 le avions, et la promesse du général Marshall : «  Nous débarquerons en France. » Juillet 1942 Saint-John Perse 12. — 
408 semaine dernière, il gelait presque. L’Américain doit conserver sa garde-robe entière et tout son équipement d’appareils él
409 ungles qui couvrent neuf dixièmes des continents… Notre terre est à peine habitable, dans l’ensemble ! Et dans les régions pl
410 et la révolution. Seul pays dont tous les manuels nous apprennent dès l’enfance — et nul ne s’en étonne — qu’il possède un c
411 nète, est une exception surprenante. Tout ce que nos pères considéraient comme simple, typique, évident et « normal », la
412 ds le mot puissance au sens de potentiel. Si elle doit cesser demain de tirer d’un privilège unique les créations qu’on atte
413 eut être qu’une plage, un loisir sur la plage, et nous l’avons ici. New York, 2 septembre 1942 Quoi de plus sale qu’un
414 ? Il faut être fou pour rentrer… Mais à l’Office, notre travail s’intensifie, et les échos nous en reviennent de France. Leur
415 ’Office, notre travail s’intensifie, et les échos nous en reviennent de France. Leur dire là-bas, dire à la Résistance, que
416 ine… Mais dire aussi les revers et les défaites : notre consigne de véracité est absolue. Washington part de l’idée juste qu’
417 en montrant ce dessin : c’est moi ! » Le soir, il nous lit les fragments d’un livre énorme (« Je vais vous lire mon œuvre po
418 s beau. Tard dans la nuit je me retire épuisé (je dois rentrer pour neuf heures à New York), mais il vient encore dans ma ch
419 re 1942 Débarquement allié en Afrique du Nord. Nous n’avons pas quitté le bureau pendant une trentaine d’heures. Émotion
420 r la France, à l’instant même où le GQG américain nous fait savoir qu’on peut y aller. Bevin House, fin octobre 1942 D
421 ais libre encore de remonter la rue. L’occupation doit achever la ressemblance et la pousser jusqu’à l’identité. 9. Quarti
422 s’agit du livre intitulé La Part du diable , qui devait paraître à New York à la fin de 1942, dans une première version. La s
423 0, auteur d’Éloges, d’Anabase et de l’Exil. 13. Nous annoncions chaque semaine, à cette époque, le résultat de l’effort sp
12 1946, Journal des deux mondes. Intermède
424 Intermède … mais sachez-le : nous n’étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occ
425 s plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la
426 au pire moment, à l’heure de moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous encore le même langage au j
427 tance. Notre angoisse était de penser : parlerons- nous encore le même langage au jour de ce retour en France,— dans quelle F
428 nce,— dans quelle France, et dans quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus
429 vous ré êtes plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout
430 s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, no
431 eux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, nous trouvions qu’il y avait trop de juifs réfugiés. Des gens frappés par
432 ù que ce soit, il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviable, à juste titre. Les pires tourments de
433 . Autant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous étions mal placés pour discuter cela, donc en somme pour défendre l’e
434 ait pourtant tout ce qu’il restait à défendre par nous , dans l’exil…
13 1946, Journal des deux mondes. L’Amérique en guerre
435 oles de l’âme que forment les châteaux au fond de nos mémoires. L’idéal de l’Américain serait sans doute la maison d’une se
436 s le comportement américain, et de le comparer au nôtre  : car il n’y a guère moins d’Européens que d’Américains dans nos bure
437 y a guère moins d’Européens que d’Américains dans nos bureaux. La correction soigneuse de l’exposé et le méthodisme un peu
438 se m’est fournie par les dactylos et secrétaires. Nos Françaises, avec naturel, font des prodiges de vitesse précise, et tr
439 e vitesse précise, et trouvent encore le temps de nous signaler les tours de phrase qui leur paraissent fautifs. Les América
440 gence mais la mémoire. Faute de mémoire, le singe doit chaque matin redécouvrir ce qu’il apprit la veille. Il se voit condam
441 es de la mémorisation, — l’Amérique où les livres durent six mois ; où l’on néglige l’enseignement de l’Histoire ; où l’actual
442 des frigidaires ou vers des comptes en banque qui doivent être remplis. Comment supporterait-elle l’épreuve d’une guerre qui ra
443 garants infaillibles d’un bonheur qui lui serait . L’échec pour lui — guerre, privations, retards — n’est pas une décep
444 ’au saisissement du suprême. De fait, qu’opposons- nous à l’exaltation totalitaire ? Pas une idée, ni même un rêve. Pas une v
445 rfois la crainte vague de perdre une liberté dont nous ne savons plus formuler les conditions… Avril 1943 Restriction
446 révèlent souples et disciplinées. Il est vrai que nous manquons de peu de choses encore. Mais la disette se produit par à-co
447 seulement leur nom, vous pensez aussitôt qu’elles doivent être jolies, jeunes et riches. Je croyais à un bluff, mais non : je v
448 le Pacifique ou en Europe me semblent minces. Je devrais passer un an dans un camp d’entraînement, et d’ici là… Ou bien l’on m
449 ent à toutes ces coquetteries de style imitées de nos auteurs anciens qu’on trouvait à chaque ligne chez Valéry, chez Gide
450 nce à des modèles anciens. (Que de pastiches dans nos lettres modernes !) Bien écrire, c’est régler ses moyens sur la fin q
451 er, selon les cas. ⁂ Défaut commun à presque tous nos bons auteurs français contemporains : n’importe qui dira qu’ils « écr
452 blanc. On y est fort sensible à Paris. Cependant nous vivons au xxe siècle, et je voudrais un style qui supporte le transp
453 ou d’un Goethe ; d’un Valéry et d’un Gide, parmi nous . La gloire est devenue le droit d’énoncer des banalités mais qui ne p
454 sont les réalités d’un monde tout artificiel que nous , les hommes, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raiso
455 artificiel que nous, les hommes, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jo
456 nous, les hommes, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et
457 s, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce
458 caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerai
14 1946, Journal des deux mondes. Virginie
459 ’alléger sur des terres plus nues, j’ai senti que nous passions un seuil, comme on le sent un peu après Valence quand on des
460 on descend vers le Midi. Pendant une heure encore nous avons traversé des plateaux légèrement vallonnés où galopaient des tr
461 et quelques cavaliers en redingote rouge. Et puis nous avons ralenti pour prendre une petite route sinueuse où l’on croisait
462 de posséder mettons deux-cents fois plus qu’un de nos grands millionnaires se traduit par certains avantages sensibles, ou
463 nt cette forme d’imagination qui manque le plus à nos élites : l’intuition des mythes de notre âge et de leur dynamisme pro
464 le plus à nos élites : l’intuition des mythes de notre âge et de leur dynamisme profond. Existe-t-il une seule femme en Euro
465 moyens pareils au service d’une si ferme vision ? Nous répétons que l’Amérique est barbare. Mais qu’avons-nous fait de la fo
466 épétons que l’Amérique est barbare. Mais qu’avons- nous fait de la force ? Nous la laissons à la brute hitlérienne. Et qu’avo
467 st barbare. Mais qu’avons-nous fait de la force ? Nous la laissons à la brute hitlérienne. Et qu’avons-nous fait de l’esprit
468 s la laissons à la brute hitlérienne. Et qu’avons- nous fait de l’esprit ? L’inefficacité par excellence. « Trop intelligent
469 Londres et même à Berlin. Or la langue française nous apprend que celui qui ne peut rien, fût-il un grand esprit, s’appelle
470 supprime les droits de recours et de révolte qui nous sont encore impartis : il prétend distribuer lui-même les vocations,
471 ur la réalité et sur la liberté des vocations. Je dois mon œuvre à la communauté, c’est un service qu’on ne saurait chiffrer
472 ait chiffrer, je le lui donne. En retour, elle me doit les moyens de mon travail. Si j’exige trop, j’en serai le premier gên
473 moins cher que vos guerres. 21 octobre 1943 Nous avons inventé un jeu de cartes — une manière entièrement nouvelle de
474 que personne ne voit plus sur les cartes à jouer. Nous nous sommes inspirés librement des recherches — non encore publiées —
475 ersonne ne voit plus sur les cartes à jouer. Nous nous sommes inspirés librement des recherches — non encore publiées — de C
476 usqu’à l’horizon bleu des Appalaches. Pendant que nous roulons sur une route de campagne, au creux des haies, le ciel se cou
477 nt de la porte dont un battant s’entrouvre devant nous . Trois grands longs chiens sortent, le museau bas, et l’un vient vomi
478 ens sortent, le museau bas, et l’un vient vomir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés. Une servante les poursuit armé
479 Georges Washington. (C’est une pièce de musée que nous allons voir, remisée sous la colonnade des écuries.) Nous pénétrons d
480 ons voir, remisée sous la colonnade des écuries.) Nous pénétrons dans un vestibule sombre. La maîtresse de maison est sortie
481 aîtresse de maison est sortie à cheval. Promenons- nous en l’attendant. L’odeur des chiens imprègne les corridors. Dans un fu
482 s blondes boivent des whiskies, sans se déranger. Nous traversons toute la maison, puis une large galerie ouverte, encombrée
483 ceaux, les coussins de velours rouge sont moisis. Nous redescendons. Le ciel est devenu noir. Du portique, entre les hautes
484 n coup de vent violent a jeté contre la façade et nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques. Ent
485 s décapitées, ou renversées dans les branchages — nous arrivons au coin d’un bâtiment de ferme. C’est le chenil. Le parc s’a
486 s loin, en silhouette sur la crête d’une colline, nous voyons deux chevaux au galop. Ils disparaissent dans un vallonnement,
487 ans un vallonnement, et maintenant remontent vers nous sans ralentir. Une femme en jaune, suivie d’un homme. Comme ils s’app
488 n fin sweater jaune. Elle rit, jette la pomme, et nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval, nous
489 n. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval, nous considère avec hostilité. Il a les yeux d’un bleu très pâle et dur. I
490 u très pâle et dur. Il n’a pas salué. Son silence nous supprime. C’est sans doute le nouvel intendant. — « Je vous retrouve
491 des entrent et vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On le renvoie chercher des
492 bien ? m’ont demandé mes amis dans la voiture qui nous emporte sous la pluie, qu’en pensez-vous ? — Well… pour la première f
493 Chacun s’imagine que la guerre va faire surgir de nos décombres quelques œuvres de premier plan, beaucoup d’idées nouvelles
494 un souhaite que l’épreuve balaye les préjugés qui nous encombraient l’âme, paralysaient le cœur, faussaient l’intelligence.
495 elligence. Je crains qu’il n’en soit rien, voyant nos émigrés et lisant quelques-uns de leurs écrits. Quant à l’Europe, si
496 resque automatique. « Un monde nouveau surgira de nos ruines » — un monde meilleur, bien entendu. C’est un rêve de compensa
497 par une évolution fatale au défaut d’invention de nos esprits. Et qui donc parmi nous se soucie d’inventer ? Une atonie mon
498 aut d’invention de nos esprits. Et qui donc parmi nous se soucie d’inventer ? Une atonie mondiale répond à l’événement. Nous
499 enter ? Une atonie mondiale répond à l’événement. Nous aurons peu pensé, pendant la guerre. Les hommes politiques de ce temp
500 mal à pousser leurs efforts au maximum. La guerre nous porte. Elle est le temps de l’effort aisé parce qu’imposé. Nous auro
501 e est le temps de l’effort aisé parce qu’imposé. Nous aurons peu pensé, pendant la guerre. Le principal de nos conversation
502 ons peu pensé, pendant la guerre. Le principal de nos conversations était fourni par les journaux et la radio. Heureux celu
503 rs, ce n’était qu’aux dépens de sa signification. Nous aurons peu senti, peu réfléchi. Nous attendions, dans la rumeur des c
504 gnification. Nous aurons peu senti, peu réfléchi. Nous attendions, dans la rumeur des commentaires et des regrets, et des vi
505 e. Ceux qui sont morts n’en savaient pas plus que nous . Les héros. Et moi ? Si je ne suis pas héros, c’est que je suis père
506 foi de ses vedettes. À leurs yeux, tout Français devait ressembler aux types d’humanité que représentaient dans le monde les
507 hui, dans sa véritable grandeur. Les journaux qui nous donnent à New York des nouvelles de la Résistance nous parlent du peu
508 donnent à New York des nouvelles de la Résistance nous parlent du peuple de France ; les récits et les témoignages clandesti
509 e ; les récits et les témoignages clandestins qui nous parviennent de plus en plus nombreux nous parlent du peuple de France
510 ins qui nous parviennent de plus en plus nombreux nous parlent du peuple de France ; et des films tournés à Hollywood ou à L
511 Londres sur l’épopée secrète de la Résistance ne nous montrent encore que le peuple de France, pour la première fois à l’ét
15 1946, Journal des deux mondes. Intermède. Mémoire de l’Europe
512 parmi les signes. Sédiments séculaires, socles de nos patries ! Monuments que l’on ne voit plus, mais qui renvoient l’écho
513 voit plus, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’ar
514 stionnait, répondait. La force était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans la contemp
515 ’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au sil
516 il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au silence. La force éta
517 e enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au silence. La force était chanson fredonnée sur le seuil,
16 1946, Journal des deux mondes. Le choc de la paix
518 rte secousse. Enfin la certitude de l’arrêt, mais nous étions encore tout étourdis. Je n’ai vraiment « réalisé » que ça y ét
519 es grandes manchettes après douze ans ? Qu’allons- nous devenir ? Maintenant que de nouveau les choses anciennes sont là, non
520 ertes, mais celle-ci en tout cas : que de nouveau notre avenir dépend de nous. Et notre mort. La mort était si simple et absu
521 tout cas : que de nouveau notre avenir dépend de nous . Et notre mort. La mort était si simple et absurde en série. Elle ten
522  : que de nouveau notre avenir dépend de nous. Et notre mort. La mort était si simple et absurde en série. Elle tenait de la
523 la loterie, non plus de la tragédie intime. Elle nous était distribuée à la volée. Il va falloir se remettre à la mûrir cha
524 sérieuse et lente, et chargée d’un sens inconnu. Nous roulions tous ensemble dans une descente aux vertiges variés et passi
525 ir. Et plus d’Ennemi numéro Un, après douze ans. Nous étions « conditionnés » pour la mort en grande série et soudain, nous
526 ionnés » pour la mort en grande série et soudain, nous trouvons le tiroir vide — la vie à faire. Sommes-nous donc une généra
527 trouvons le tiroir vide — la vie à faire. Sommes- nous donc une génération sacrifiée, qui aura perdu ses belles années à s’a
528 ru ? Oui, si le danger a vraiment disparu ; et si nous ne savons rien tirer de cette épreuve de nos forces. Or presque aucun
529 si nous ne savons rien tirer de cette épreuve de nos forces. Or presque aucun danger n’a vraiment disparu. Et je ne vois p
530 ns. Tout ce qu’il paraît sensé de dire, c’est que notre génération n’aura lutté en vain que si elle cesse de lutter. Lake
531 méthodiste. Un curé canadien prêche en français : nous sommes ici un peu plus près de Montréal que de New York. L’hôtel se n
532 er dans l’État, la pancarte porte aujourd’hui : «  Nous sommes catholiques et protestants. » Les rives, les îles s’ornent de
533 isémitisme. — Un voisin de l’été dernier est venu nous rendre visite et nous conter les événements de la région. (Je ne dis
534 n de l’été dernier est venu nous rendre visite et nous conter les événements de la région. (Je ne dis pas les potins, car sa
535 rmi ces événements locaux, le plus marquant, pour notre ami, paraît être la vente d’un grand hôtel à une nouvelle direction j
536 cher aux chrétiens qui s’égarent chez eux ? Pour nous , c’est dix dollars de plus que pour un Juif ! — Mais cet hôtel, si je
537 l’État, extrêmement bien fréquenté. — C’est donc nous qui avons commencé. Et les mesures prises par ce Juif sont de bonne g
538 nt conformes au génie juif, tel que l’ont façonné nos persécutions. Au lieu d’interdire brutalement l’entrée de l’hôtel à c
539 l’entrée de l’hôtel à ceux de l’autre race, comme nous le faisons, il se borne à les écœurer tout en tirant son petit profit
540 le ridicule ; quand on les tue. Mais le fait que notre ami l’ait cependant dite aussi spontanément prouve qu’un effort est e
541 « bon Allemand », dit-il, est le plus dangereux. Nous avons en commun, par ailleurs, quelques très bons amis allemands réfu
542 ugiés à New York depuis la guerre ou depuis 1933. Nous n’en sortirons donc jamais par ce biais-là. Abandonnons toute prétent
543 en Allemagne et aujourd’hui, aux yeux de ceux qui doivent en décider. Une anecdote la résumera, que je viens de voir citée par
544 régime hitlérien, par d’écrasantes majorités ? Il doit donc bien y avoir des nazis en Allemagne et même en assez grande quan
545 l’ai observé : les Allemands ne mentent pas comme nous . Et c’est un fait fondamental dont il convient de tenir compte quand
546 oblème allemand ». Ils mentent avec sincérité, et nous mentons avec mauvaise conscience. Quand nous mentons, nous savons bie
547 , et nous mentons avec mauvaise conscience. Quand nous mentons, nous savons bien que la vérité ne change pas pour si peu. El
548 ons avec mauvaise conscience. Quand nous mentons, nous savons bien que la vérité ne change pas pour si peu. Elle subsiste in
549 change pas pour si peu. Elle subsiste intacte et nous juge. Eux croient, s’ils changent d’avis par « intérêt vital », que t
550 e du village, et que j’en paraissais fort ennuyé, nos voisins vinrent un soir nous en offrir, et c’est ainsi que nous avons
551 raissais fort ennuyé, nos voisins vinrent un soir nous en offrir, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance. Deux femm
552 inrent un soir nous en offrir, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance. Deux femmes d’âge moyen et leurs maris se pa
553 leurs maris se partagent une maison que les pins nous cachent, à deux-cents pas, plus petite que la nôtre, donc plus commod
554 ous cachent, à deux-cents pas, plus petite que la nôtre , donc plus commode et plus confortable à leur sens. (Seuls les Europé
555 ais Américains moyens, concluent-ils en souriant. Nous leur avons offert des boissons, et nous nous appelons par nos prénoms
556 souriant. Nous leur avons offert des boissons, et nous nous appelons par nos prénoms, sans avoir jamais bien compris nos nom
557 ant. Nous leur avons offert des boissons, et nous nous appelons par nos prénoms, sans avoir jamais bien compris nos noms de
558 ns offert des boissons, et nous nous appelons par nos prénoms, sans avoir jamais bien compris nos noms de famille. L’autre
559 s par nos prénoms, sans avoir jamais bien compris nos noms de famille. L’autre jour, Robert m’a conduit à Albany, pour m’év
560 s doute d’origine indienne. « Personne ne connaît notre ville, me dit Robert, et pourtant elle avait les plus grandes filatur
561 e rappelle la Souabe, le Wurtemberg. Et justement nous arrivons devant une maison de bois peinte en jaune clair, ornée de gé
562 le West, et de la partie nord de la Pennsylvanie. Nous traversons maintenant la ville pour aller au bureau de Robert. Plusie
563 une église orthodoxe ? Oui, dit Robert, l’une de nos deux églises ukrainiennes. La moitié de la population de Cohoes est s
564 sie ? Non, il y a trop d’autos. Robert revient et nous roulons vers Albany. À la sortie de la ville il me montre un terrain
565 un terrain d’aviation : — C’est moi qui ai fondé notre Air-Club, il y a quinze ans, j’étais tout jeune. J’ai eu jusqu’à tren
566 ohoes à une ville du même nombre d’habitants chez nous  ; de comparer Robert à un Robert d’Europe, de même niveau social et d
567 rope, de même niveau social et de même éducation. Nous ne manquons pas de petits bourgeois pieux et honnêtes, mais ils n’ont
568 ils n’ont pas le sens du risque et de la vitesse. Nous avons bien des fanatiques de l’aviation, mais ce ne sont pas des agen
569 te ville, aux images que par Hollywood l’Amérique nous propose d’elle-même, et qu’elle s’efforce d’imiter. 8 août 1945
570 de la terre en est changée, mais combien de temps nous faudra-t-il pour le comprendre ? Si nous n’y arrivons pas très vite,
571 de temps nous faudra-t-il pour le comprendre ? Si nous n’y arrivons pas très vite, nous n’y arriverons sans doute jamais : n
572 comprendre ? Si nous n’y arrivons pas très vite, nous n’y arriverons sans doute jamais : nous sauterons comme des imbéciles
573 rès vite, nous n’y arriverons sans doute jamais : nous sauterons comme des imbéciles. Il ne nous reste qu’une alternative :
574 mais : nous sauterons comme des imbéciles. Il ne nous reste qu’une alternative : le Monde uni ou l’Autre monde. Le dire tou
575 ires cessantes — si l’on veut simplement qu’elles durent ensuite17. 12 août 1945 C’était l’heure du cocktail sur notre g
576 12 août 1945 C’était l’heure du cocktail sur notre grande galerie, une fin d’après-midi dorée. Le lac n’avait jamais été
577 rée. Le lac n’avait jamais été plus pur et calme. Nous parlions peu et nous étions heureux. À sept heures une sourde explosi
578 amais été plus pur et calme. Nous parlions peu et nous étions heureux. À sept heures une sourde explosion s’est longuement r
579 pleurait. Et le jeune capitaine parachutiste qui devait repartir pour l’attaque du Japon : — Je vivrai donc !… Les autres se
580 Mon appartement ayant été vendu pendant l’été, je dois le quitter dans quelques jours. Il n’y a rien à louer dans toute la v
581 e.) Les boîtes à lettres portent des noms en cek, nous sommes dans le quartier slovaque. Je gravis l’escalier jusqu’au trois
582 … — Pourquoi jeune ? Elle a dit son âge ? — Oh ! nous savons, nous avons l’habitude. Le 4, un jeune homme qui arrivait de C
583 jeune ? Elle a dit son âge ? — Oh ! nous savons, nous avons l’habitude. Le 4, un jeune homme qui arrivait de Chicago. C’est
584 git d’une ivrogne ou d’une évangéliste qui maudit nos vices… 15 décembre 1945 Saison de Noël à New York. — Le 1er dé
585 nt officiellement le Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà presque vides à New Yo
586 istoire de l’hôtel — à partir de $ 20 la place ». Nous fûmes hier chez Schwartz, grand magasin de jouets de la Cinquième Ave
587 puis ses yeux s’écarquillèrent largement : devant nous venait d’apparaître une jeune femme au visage anguleux et couvert de
588 , dit-elle en lui pinçant la joue, et la vendeuse nous planta là. Il neigeait sur la Cinquième Avenue, sur les paquets enrub
589 d meeting. Sur le coup de minuit, le 31 décembre, nous perdrons le meilleur maire de New York. Tammany reviendra au pouvoir.
590 l », qualités préférées de l’Américain. Déjà l’on nous annonce de Hollywood un superfilm sur la bombe atomique, où le love i
591 e, et de l’antiaméricanisme de l’Europe, pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bonne volonté ? La plupart
592 reportages sur l’Amérique que publient en Europe nos journalistes me paraissent arbitraires et contestables, même s’ils so
593 intime ou d’un visage bien-aimé. Prenons-en donc notre parti. Sauf si l’on se borne à la géographie, ces entités ne souffren
17 1946, Journal des deux mondes. Journal d’un retour
594 me contenter de répondre : c’est plutôt vous qui devriez sortir, sous peine de ne pas comprendre la réalité mondiale. Après to
595 semaines encore, du côté où les jeunes Européens devraient aller s’il s’agissait pour eux de partir. Je vois les avantages de l’
596 remment, puisqu’on pose le problème. Supposez que nous soyons libres de circuler à notre guise. Je répondrais sans hésiter :
597 me. Supposez que nous soyons libres de circuler à notre guise. Je répondrais sans hésiter : il ne s’agit ni de choisir une te
598 au xxe siècle, en tenant compte des réalités que nous avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité des transports, par
599 vite que c’est un faux dilemme. Le fait est là : nous allons en dix heures de Lisbonne à New York, ou de New York au Pacifi
600 ork au Pacifique. Un très long voyage aujourd’hui nous ramènerait nécessairement au point de départ, après un petit tour de
601 point de départ, après un petit tour de planète. Nous changeons de continent comme on part en week-end. Le mot partir a don
602 vécu. Mais ce qui naît, ce qui peut naître parmi nous , c’est un amour plus large de l’humain, une conception de la fidélité
603 on des visas, de ces anachronismes scandaleux qui nous empêchent de rejoindre le siècle, de l’habiter et d’user de ses dons.
604 et d’user de ses dons. Forçons les gouvernants à nous répondre : à quoi servent ces barrages de tampons ? Comment peut-on l
605 nts. Ils rendent vains les progrès matériels dont notre basse époque pourrait encore s’enorgueillir. Ils représentent dans l’
606 la Fatalité Imbécile. Pourquoi donc les acceptons- nous , comme des moutons, sans qu’une voix ne proteste ? Février 1946
607 rridors et dans le vestibule qui sent le fruit de notre ancienne maison de campagne, et mon pied reconnaît cette brique près
608 ’était déjà presque l’été. Cinq heures plus tard, nous avons rejoint l’hiver, un ouragan de neige horizontale, sur le désert
609 le désert des forêts canadiennes aux lacs gelés. Nous dûmes passer toute une nuit dans les lugubres baraquements de la base
610 ésert des forêts canadiennes aux lacs gelés. Nous dûmes passer toute une nuit dans les lugubres baraquements de la base de Ga
611 ase de Gander, à Terre-Neuve. Une aurore boréale nous avait arrêtés, non point que sa beauté nous eût cloués sur place, mai
612 réale nous avait arrêtés, non point que sa beauté nous eût cloués sur place, mais parce qu’elle provoquait des tempêtes magn
613 ement dénouée dans les hauteurs du ciel arctique, nous montâmes en spirale à 5000 mètres, au-dessus d’une mer morte de glace
614 on s’élance pour franchir l’Océan d’un seul bond. Nous volons à tire-d’aile vers l’Irlande ». Mais ce cliché et ces jolies s
615 d de l’avion, attendre que la boule au-dessous de nous ait tourné jusqu’au point désiré, pour y descendre et s’y poser. Rien
616 t qui en est à la troisième journée du trajet que nous ferons à rebours en trois heures. Nous sommes partis tout au début d
617 rajet que nous ferons à rebours en trois heures. Nous sommes partis tout au début de la matinée. Voici déjà l’après-midi, v
618 matinée. Voici déjà l’après-midi, voici le soir, nous volons contre le soleil et le temps coule deux fois plus vite. La str
619 feu sur l’horizon follement lointain, tandis que nous survolons des profondeurs multipliées, cavernes d’ombre et gonflement
620 ux approches de l’Irlande vient la nuit. Derrière nous , tout est flamme et or. Mais un toit d’ombre épaisse descend obliquem
621 bliquement, rejoint la mer, ferme le monde devant nous . En deux minutes nous sommes passés de la gloire aux ténèbres denses.
622 mer, ferme le monde devant nous. En deux minutes nous sommes passés de la gloire aux ténèbres denses. Il n’y a plus que, to
623 ténèbres denses. Il n’y a plus que, tout près sur nos têtes, les lampes en veilleuses, et le ronron assourdi des moteurs. U
624 nent. 2 avril 1946 Les oiseaux de Paris. —  Nous roulons dans un petit autobus, du terrain d’Orly vers Paris. Sept ans
625 epuis que je l’ai quitté… Par quelle porte allons- nous entrer ? Je ne puis pas distinguer les noms des rues sur ces maisons
626 quand je me croyais encore dans la banlieue… Déjà nous descendons une rue déserte et provinciale. C’était cela, le boulevard
627 vard Saint-Michel ? Mais sur les quais, où le car nous dépose, j’ai retrouvé les grandes mesures de Paris. Dans quel silence
628 uel silence, à quatre heures du matin. Trouverons- nous quelques chambres pour le reste de la nuit ? Deux jeunes Américains d
629 is pas à Paris. Et c’est bien un de ces tours que nous jouent les cauchemars, de rapetisser méchamment tous les êtres, d’eff
630 . L’Europe ancienne s’est rétrécie à la mesure de nos frontières. En une semaine, aux deux bouts de mon voyage, je viens de
631 iciels, ne se risquait à prononcer : « Messieurs, nous voici réunis pour célébrer une défaite victorieuse. On a parlé de fun
632 attendant une vraie Ligue des Peuples, préparons- nous à de nombreux voyages. La SDN ressemble à l’ONU comme le négatif d’un
633 ché au positif de la photo que l’on va proposer à notre admiration. Elle tient ses dernières assises dans le pays qui lui off
634 cène ne sont pas représentés dans cette enceinte. Nous laissons à la Suisse minuscule un gigantesque palais vide, pour nous
635 Suisse minuscule un gigantesque palais vide, pour nous ruer vers la grande Amérique où l’on ne trouve pas une chambre à loue
636 doxe de la crise des logements ! Mais qu’importe. Notre idée se « développe » comme on le dit en photographie. Nous partons p
637 se « développe » comme on le dit en photographie. Nous partons pour une ligue meilleure. Et plus heureux que Moïse, nous nou
638 r une ligue meilleure. Et plus heureux que Moïse, nous nous sentons certains d’entrer dans l’ère de la Terre unifiée, qui ét
639 ligue meilleure. Et plus heureux que Moïse, nous nous sentons certains d’entrer dans l’ère de la Terre unifiée, qui était l
640 ns l’ère de la Terre unifiée, qui était le but de nos travaux diserts. Nous y touchons, messieurs, vraiment — il ne s’en fa
641 unifiée, qui était le but de nos travaux diserts. Nous y touchons, messieurs, vraiment — il ne s’en faut que d’un atome… »
18 1946, Journal des deux mondes. Le mauvais temps qui vient
642 dans ma vie, sinon dans l’histoire du monde ; car nous sommes loin d’avoir quitté la guerre. « Journal d’un habitant de la p
643 u sien : car le même sort paradoxal a décrété que nous fussions au centre du conflit tout en restant en marge des batailles.
644 r sérieusement pour la suite, pour l’heure où ils devront « donner ». Le premier devoir d’une réserve est de maintenir ses forc
645 our l’heure où ils devront « donner ». Le premier devoir d’une réserve est de maintenir ses forces intactes et alertées. Intac
646 aintenir ses forces intactes et alertées. Intacts nous le sommes, relativement. Alertés, je n’en suis pas sûr. L’ennui, avec
647 pparences, les subsistances de l’ordre masquent à nos vues immédiates toute l’ampleur de la catastrophe. Il y a des trains
648 es et des paroles tenues, la poste fonctionne, on nous promet un peu plus de charbon pour cet hiver ; des millions de femmes
649 fois… La couche est mince et partout déchirée qui nous sépare du désordre profond. Mais ce n’est pas en Suisse qu’on voit ce