1 1947, Doctrine fabuleuse. Orientation
1 e se ramène un beau jour à la première, dont elle serait un cas particulier. Les vrais mythes sont universels. L’histoire de C
2 elle serait un cas particulier. Les vrais mythes sont universels. L’histoire de Cendrillon peut être retrouvée chez les peu
3 es sont universels. L’histoire de Cendrillon peut être retrouvée chez les peuples les plus divers de tous les temps. (On en
4 s d’où remontent aux moments décisifs, quand nous sommes comme on dit remis en jeu, les archétypes de nos émotions les plus si
5 à tel verset de l’Évangile du jour, dont l’usage est alors mythique, au sens où je l’entends ici. Il m’a semblé que le rap
6 nt de ces trois mots : mythe, événement, réalité, était de nature à orienter le lecteur mieux qu’un discours d’apparence méth
7 aurait eu le tort, au seuil de cet ouvrage, de n’ être pas lui-même fabuleux.
2 1947, Doctrine fabuleuse. Premier dialogue sur la carte postale. La pluie et le beau temps
8 ssez grave. Une question qui signifie, en somme : êtes -vous un être capable d’aimer, ou seulement une apparence adorable ? V
9 ne question qui signifie, en somme : êtes-vous un être capable d’aimer, ou seulement une apparence adorable ? Voici ma quest
10 -vous la pluie ou le beau temps ? Sonnette. Vous êtes drôle. C’est moi qui fais la pluie et le beau temps ! Lord Artur. Ce
11 t le beau temps ! Lord Artur. Certes, la réponse serait sage, si seulement vous saviez ce que vous dites. Mais, en vérité, qu
12 signifient pour vous le beau temps et la pluie ? Est -ce que c’est rire et pleurer ? Est-ce que c’est le bonheur et la tris
13 et la pluie ? Est-ce que c’est rire et pleurer ? Est -ce que c’est le bonheur et la tristesse ? Est-ce que vous préférez l’
14 r ? Est-ce que c’est le bonheur et la tristesse ? Est -ce que vous préférez l’un à l’autre ? Sonnette. Comme vous êtes un p
15 s préférez l’un à l’autre ? Sonnette. Comme vous êtes un profond pédant, dans cinq minutes je ne saurai plus voir s’il fait
16 le bonheur ou la tristesse. Vous ne savez pas où est votre bien. Et c’est pourquoi les mots vous paraissent simples, évide
17 indifférents. Vous admettez que le « beau » temps est le contraire du « mauvais » temps, et vous n’avez jamais cherché ce q
18 temps, et vous n’avez jamais cherché ce que doit être le « bon » temps, ni si les tempêtes sont « belles ». Et vous pensez
19 ue doit être le « bon » temps, ni si les tempêtes sont « belles ». Et vous pensez encore que le bonheur peut exister en deho
20 ster en dehors de notre souffrance, ou même qu’il est le contraire de la souffrance, petite fille ! Et vos rêves composent
21 ttes vernies, quand il pleut ? Sonnette. Quand j’ étais petite fille, j’aimais me promener à la lisière des forêts, les jambe
22 es forêts, les jambes nues sous la pluie. L’herbe était pleine de limaces et de petits escargots, et les framboises humides a
23 . Lord Artur. On dit souvent des femmes qu’elles sont naturellement païennes. Mais les peuples païens sont toujours religie
24 t naturellement païennes. Mais les peuples païens sont toujours religieux, alors que les femmes de ce temps sont seulement s
25 jours religieux, alors que les femmes de ce temps sont seulement sournoises. Sonnette. Lord Artur, vous m’amusez beaucoup.
26 tur, vous m’amusez beaucoup. Vraiment, vous devez être jaloux, ce soir. Quand vous cédez à votre manie de remuer des métaphy
27 ore un peu, vous finirez par démontrer qu’il faut être chrétien pour parler sagement de la pluie et du beau temps. Lord Art
28 d Artur. J’ai toujours estimé, Sonnette, que vous étiez extrêmement intelligente. Je regrette profondément que vous n’ayez pa
29 pas plus de sens qu’un oiseau. Sonnette, si vous étiez païenne ou si vous étiez chrétienne, vous sauriez ce que c’est que le
30 iseau. Sonnette, si vous étiez païenne ou si vous étiez chrétienne, vous sauriez ce que c’est que le beau temps. Si vous étie
31 s sauriez ce que c’est que le beau temps. Si vous étiez païenne et que vous adoriez la lumière, le beau temps vous serait un
32 t que vous adoriez la lumière, le beau temps vous serait un dieu rendu visible et le « bonheur » serait le nom de sa présence.
33 us serait un dieu rendu visible et le « bonheur » serait le nom de sa présence. Mais un jour, la lumière est morte autour de n
34 t le nom de sa présence. Mais un jour, la lumière est morte autour de nous, elle est morte à la surface des choses pour ren
35 n jour, la lumière est morte autour de nous, elle est morte à la surface des choses pour renaître au centre de l’homme. Et
36 ui dans le même temps se passe à l’intérieur d’un être . Ainsi tout est changé, mais peu le savent. Peu savent le chemin qui
37 emps se passe à l’intérieur d’un être. Ainsi tout est changé, mais peu le savent. Peu savent le chemin qui va du signe à l’
38 savent. Peu savent le chemin qui va du signe à l’ être , le chemin de l’incarnation. Longues pluies de printemps sur la campa
39 s ? Lord Artur. … le beau mot : courtisane… Ce n’ est pas qu’elle soit belle, peut-être, mais qu’elle pleure, qui me réchau
40 … le beau mot : courtisane… Ce n’est pas qu’elle soit belle, peut-être, mais qu’elle pleure, qui me réchauffe. Parce qu’ell
41 u’elle pleure, qui me réchauffe. Parce qu’elle se tient là, vêtue de son péché — comme une courtisane. Mais vous n’êtes qu’un
42 de son péché — comme une courtisane. Mais vous n’ êtes qu’une petite fille.
3 1947, Doctrine fabuleuse. Deuxième dialogue sur la carte postale. La beauté physique
43 t ses écailles oculaires de critique d’art : Ça n’ est pas étonnant que votre Léda en soit réduite à se faire aimer par son
44 e d’art : Ça n’est pas étonnant que votre Léda en soit réduite à se faire aimer par son cygne. Quel homme voudrait d’une fem
45 Léda, après tout, c’est une femme au cygne. Elle est faite pour lui. Je n’en dirais pas autant d’Ellen. Pas faite pour un
46 Mais je pensais, en les voyant ensemble : ma Léda est bien plus « morale » en embrassant son cygne que beaucoup de femmes e
47 en parlant de votre Léda comme si elle n’eût pas été dans un cadre, et que vous vous trompez pareillement en parlant de le
48 pareillement en parlant de leur couple comme s’il était un tableau. Le peintre. Bien ! Dois-je en déduire qu’il existe une m
49 ais pas à vous voir faire. Le mari. Aussi bien n’ est -elle pas dans mon esprit, mais dans le vôtre. S’il existe une morale
50 thétique — naturelle, je suppose que son principe est unique. Mais il porte en lui-même toute la diversité du monde. Car la
51 r la morale concerne la façon d’exister de chaque être , et non sa classification, l’homme de chair et non pas son concept.
52 açon d’exister particulière et concrète de chaque être , une morale qui non seulement tienne compte de cette façon d’exister,
53 ! Revenons à notre Léda. J’essaie de voir. Quelle est , selon vous, sa façon d’exister particulière et concrète ? Quel est s
54 a façon d’exister particulière et concrète ? Quel est son risque ? Le mari. Vous avez répondu vous-même à la première ques
55 z répondu vous-même à la première question : Léda est faite pour le cygne, elle n’existe que par rapport au cygne. C’est là
56 sa morale, son esthétique et son existence. Elle est dans le tableau, elle ne peut en sortir, elle ne peut pas se déplier
57 eut donc la juger. Le peintre. Juger ! Tout cela est bel et bon, mais si l’esthétique et la morale ne sont qu’une seule et
58 bel et bon, mais si l’esthétique et la morale ne sont qu’une seule et même réalité, je sais bien ce que ça signifie ! Le m
59 endra ou ça ne se vendra pas. Notez que ce risque tient à la bêtise du public, ce n’est pas un problème esthétique. Le mari.
60 z que ce risque tient à la bêtise du public, ce n’ est pas un problème esthétique. Le mari. Bien, calmez-vous, nous sommes
61 ème esthétique. Le mari. Bien, calmez-vous, nous sommes d’accord. Maintenant, si vous m’écoutez, il n’y aura plus de malenten
62 lieu où vous créez vous-même vos mesures, où vous êtes à la fois le créateur et le juge de vos difficultés ou de vos succès,
63 juge de vos difficultés ou de vos succès, ou vous êtes votre vérité, index sui et falsi… Ainsi vous existez vraiment et vous
64 i et falsi… Ainsi vous existez vraiment et vous n’ êtes justiciable d’aucune règle extérieure à votre action. Je dirai plus.
65 e du tableau, afin de la laisser agir en lui, qui est la laisser entrer avec lui-même dans un rapport vivant, et donc impré
66 imprévisible. Naturellement ce rapport à son tour est un risque. Et alors, mais alors seulement, le jugement peut interveni
67 ais alors seulement, le jugement peut intervenir. Est -il moral ou esthétique ? Il est réel. Il intervient en vertu d’une ré
68 peut intervenir. Est-il moral ou esthétique ? Il est réel. Il intervient en vertu d’une réalité qui n’est ni dans le table
69 réel. Il intervient en vertu d’une réalité qui n’ est ni dans le tableau ni dans mon œil, ni même précisément dans leur ren
70 m’avez suivi, vous devez voir que cette réalité n’ est pas quelque modèle académique ni un canon universel… Le peintre. Je
71 i un canon universel… Le peintre. Je vois : ce n’ est pas une carte postale. Pour moi, je vous l’ai dit, tout ce qui est ac
72 postale. Pour moi, je vous l’ai dit, tout ce qui est académique se rapporte plus ou moins à une carte postale. Notre criti
73 moins à une carte postale. Notre critique d’hier, tenez , nul besoin de gratter beaucoup pour trouver la carte postale au fond
74 Trois ! Pourquoi dites-vous d’une femme : « Elle est jolie » ?…D’une femme comme Ellen, par exemple, d’une femme qui n’est
75 femme comme Ellen, par exemple, d’une femme qui n’ est pas la vôtre, en aucune manière… Le peintre, après un moment de réfl
76 me on dit ? Son « type de femme » ? D’ailleurs ce sont les peintres qui créent ces types. Rubens ou Renoir, Ingres, que sais
77 e vous les avez illustrées vous-même ! Elles n’en sont pas moins des cartes postales, « en couleur ». Et vous jugez à partir
78 aise humeur, s’ils ont du caractère ; ou s’ils en sont privés, dans la confusion permanente et la dégradation de tous leurs
79 ’ignore en tant que sujet. Il croit que la beauté est réellement dans le corps qu’il considère, et qui lui offre, ou lui re
80 la souffrance des hommes-à-la-carte-postale. Elle est inconsciente aussi, naturellement, mais non point sans effets. Chez l
81 parce qu’il l’a complètement brouillée et qu’il s’ est habitué à ce qu’il a, renonçant à toute exigence ? Le mari. Je vous
82 nt d’une façon absurde. Et comment pourrait-il en être autrement ? Ils persistent à juger de toutes les femmes, de toutes le
83 ’art, que l’idéal n’existe pas, que le beau idéal est une farce, que la beauté enfin n’est pas une image mais un acte, et u
84 e beau idéal est une farce, que la beauté enfin n’ est pas une image mais un acte, et un acte spirituel. N’allez pas même le
85 moyens le poitrail affligeant de Mme Dupont. Vous seriez dénoncé, on sourirait avec aigreur à votre approche, peut-être même v
86 nt pas de quoi vous leur parlez. L’homme du bourg est ainsi fait : tout ce qu’il ne comprend pas lui paraît attenter par qu
87 e voie secrète à la sécurité de son état. Mais il est trop facile de les railler, c’est déprimant, on tape dans le vide. Je
88 s sur la relativité de la beauté physique, et qui est cependant l’époux d’une jolie femme, permettez-moi de le dire… Le ma
89 ets pas. Je ne le permets à personne ! Ma femme n’ est pas jolie ! Elle n’est pas non plus laide ! Elle n’est pas non plus i
90 ts à personne ! Ma femme n’est pas jolie ! Elle n’ est pas non plus laide ! Elle n’est pas non plus indifférente ! Simplemen
91 as jolie ! Elle n’est pas non plus laide ! Elle n’ est pas non plus indifférente ! Simplement, je ne puis souffrir que vous
92 , je ne puis souffrir que vous disiez quoi que ce soit sur sa beauté. Je vous le répète : la beauté n’est pas le fait d’une
93 it sur sa beauté. Je vous le répète : la beauté n’ est pas le fait d’une image ou d’une comparaison d’images, mais d’un acte
94 rit, d’un acte tout à fait personnel. La beauté n’ est jamais donnée hors d’une situation totale, du rapport d’un je à un to
95 concrète. Si vous ne m’avez pas compris, je vais être obligé de vous considérer à mon tour comme dangereux, insensé et sans
96 mme dangereux, insensé et sans pudeur. Car vous n’ êtes pas de ceux qui renoncent. Vous êtes tout à fait moderne. Les barrièr
97 . Car vous n’êtes pas de ceux qui renoncent. Vous êtes tout à fait moderne. Les barrières sont faites pour que vous sautiez
98 ent. Vous êtes tout à fait moderne. Les barrières sont faites pour que vous sautiez par-dessus. Le peintre. Et vos théories
99 sautiez par-dessus. Le peintre. Et vos théories sont faites pour vous rendre la vie impossible ! Le mari. C’est peut-être
100 le ! Le mari. C’est peut-être la preuve qu’elles sont vraies, qu’elles rendent possible la grandeur, alors que notre vie n’
101 ndent possible la grandeur, alors que notre vie n’ est qu’une confusion. Oui, je vous le demande maintenant, quelle est cett
102 usion. Oui, je vous le demande maintenant, quelle est cette façon de séparer un mari de sa femme ? Où prenez-vous le droit
103 ien allez-vous soutenir que la beauté d’un couple est simplement la somme des deux beautés unies pour le former ? Ce serait
104 somme des deux beautés unies pour le former ? Ce serait déraisonner. Non, la beauté d’un couple est un acte, comme le mariage
105 Ce serait déraisonner. Non, la beauté d’un couple est un acte, comme le mariage ; elle est absolument d’une autre essence q
106 d’un couple est un acte, comme le mariage ; elle est absolument d’une autre essence que la beauté de l’homme seul et de la
107 is voilà ce qui se passe entre nous, voilà ce qui est réel et unique entre nous : quand je regarde ma femme et quand je l’a
108 aime, c’est-à-dire quand je la comprends dans son être et dans son existence, je me sens tout entier orienté vers une réalit
109 mple et plus urgente, plus réelle. Cette beauté n’ est pas dans le visage de ma femme ; pourtant, sans ce visage, je ne la c
110 e visage, je ne la concevrais pas. Cette beauté n’ est pas en moi, et pourtant si j’étais différent, elle n’existerait pas p
111 . Cette beauté n’est pas en moi, et pourtant si j’ étais différent, elle n’existerait pas pour moi. Elle nous dépasse et elle
112 Elle nous dépasse et elle a besoin de nous. Elle est tout autre que ce que nous sommes ensemble, mais nous ne pouvons y ac
113 soin de nous. Elle est tout autre que ce que nous sommes ensemble, mais nous ne pouvons y accéder qu’ensemble. Elle n’est pas
114 ais nous ne pouvons y accéder qu’ensemble. Elle n’ est pas notre union, mais seule notre union nous l’indique, nous la désig
115 -même, et nous ordonne à sa Réalité. Et s’il n’en était pas ainsi, serions-nous véritablement mariés ? 1. Le peintre fait i
116 donne à sa Réalité. Et s’il n’en était pas ainsi, serions -nous véritablement mariés ? 1. Le peintre fait ici allusion à une c
117 nversation au cours de laquelle le mari et lui se sont mis d’accord sur ce point : que la morale et l’esthétique ne sont pas
118 d sur ce point : que la morale et l’esthétique ne sont pas deux réalités opposables, et qu’au sens plein de ces deux mots, o
4 1947, Doctrine fabuleuse. Troisième dialogue sur la carte postale. L’homme sans ressemblance
119 s : The Man of Distinction, l’homme distingué. Je suis venu solliciter l’honneur de vous photographier pour cette série. X.
120 euil, croiser les jambes, regarder l’objectif, et tenir à la main un grand verre de whiskey ? L’agent. Précisément… Veuillez
121 sément… Veuillez me permettre… Ces six bouteilles sont un présent de notre maison. Il y a longtemps que nous désirions vous
122 pour nous. Un coup d’œil va vous assurer que vous êtes en bonne compagnie. X. Vous publiez donc ces portraits pour la publi
123 tout le monde adopte votre marque. Elle cessera d’ être une marque de distinction. Vous serez perdu. L’agent. Pas du tout. S
124 le cessera d’être une marque de distinction. Vous serez perdu. L’agent. Pas du tout. Si ce jour béni arrive jamais, nous cha
125 ngerons simplement de slogan. Au lieu de dire : «  Soyez distingué, buvez le Nelson », nous dirons : « Faites comme tout le mo
126 aites comme tout le monde, buvez le Nelson. » Tel est notre art, et je me fais fort de vous en faire bénéficier bon gré mal
127 gré mal gré. X. Ainsi vos hommes de distinction seront devenus des hommes de la vulgarité, des cartes postales en couleurs m
128 u’ici avec bonne grâce, et d’ailleurs le danger n’ est pas grand. Prenez le vieil empereur d’Autriche, François-Joseph : tou
129 tement distingué. X. On affirme, en effet, qu’il était fort poli. La politesse est la seule qualité que je connaisse qui ren
130 me, en effet, qu’il était fort poli. La politesse est la seule qualité que je connaisse qui rende un homme à la fois distin
131 distingué et conforme au modèle admis. Encore ne suis -je pas sûr du second point. Car la conformité aux bons modèles relève
132 tion et surtout du courage, dont le premier degré est la maîtrise de soi. C’est en somme le début de l’héroïsme… À propos,
133 ngués, avez-vous aussi des héros ? L’agent. Nous sommes fiers d’avoir pris les portraits du fameux amiral Grandisson et du gé
134 andisson et du général MacAlfred. Mais comme nous sommes dans un pays démocratique, nous avons aussi pris quelques GI tout cou
135 s. C’était encore une contradiction. Car le héros est l’homme du grand courage, mais le plus grand courage cesse aussitôt d
136 e, mais le plus grand courage cesse aussitôt de l’ être s’il est officiellement prescrit. J’ajoute qu’il est rarement bien vu
137 plus grand courage cesse aussitôt de l’être s’il est officiellement prescrit. J’ajoute qu’il est rarement bien vu. Peut-êt
138 s’il est officiellement prescrit. J’ajoute qu’il est rarement bien vu. Peut-être même faut-il aller plus loin, et déclarer
139 e même faut-il aller plus loin, et déclarer qu’il est de son essence d’être mal vu. Ou pire encore, de n’être jamais vu du
140 plus loin, et déclarer qu’il est de son essence d’ être mal vu. Ou pire encore, de n’être jamais vu du tout, étant toujours u
141 e son essence d’être mal vu. Ou pire encore, de n’ être jamais vu du tout, étant toujours unique, incomparable, et très secre
142 vu. Ou pire encore, de n’être jamais vu du tout, étant toujours unique, incomparable, et très secret dans ses motivations, p
143 rtainement s’il recourait à un modèle déjà connu, fût -ce le plus grand. L’agent. Je vois que vous êtes un amateur de parad
144 fût-ce le plus grand. L’agent. Je vois que vous êtes un amateur de paradoxes. Quel est selon vous le héros de l’époque ?
145 vois que vous êtes un amateur de paradoxes. Quel est selon vous le héros de l’époque ? X. Quelqu’un, Monsieur, dont vous
146 que des têtes de série, tandis que le héros vrai serait inimitable, hors série par définition, sans précédent et sans avenir,
147 e qu’il aurait lui-même produite. S’il existe, il est l’homme qui ne ressemble à rien, par conséquent l’homme invisible en
148 -dire remarqué justement pour quelque trait qui n’ est pas lui et qui détourne l’attention. C’est peut-être celui qui n’a pa
149 lutôt d’un raté ou d’un orgueilleux qui refuse de tenir son rôle social. Si le héros n’est pas glorieux, qui le sera ? L’atte
150 ui refuse de tenir son rôle social. Si le héros n’ est pas glorieux, qui le sera ? L’attente des masses sera trompée, nous s
151 le social. Si le héros n’est pas glorieux, qui le sera  ? L’attente des masses sera trompée, nous savons bien qu’elles ont be
152 pas glorieux, qui le sera ? L’attente des masses sera trompée, nous savons bien qu’elles ont besoin d’admiration. Et à mon
153 oute que c’est lui probablement qui aura le mieux tenu son rôle social. L’agent. Avouez que votre idée du héros manque tota
154 e nommerai plus simplement le Méconnu, vous devez être assez malheureux ? X. Attaque trop simple, et je garde le point. Tou
155 éconnu dans son dessein profond, à moins qu’il ne soit très vulgaire et ne tire vanité d’une gloire usurpée, plaquée sur lui
156 pas d’opposition, ni de difficulté sérieuse. Si j’ étais philosophe ou prêtre, j’essaierais de convaincre le public que le vra
157 le vrai bonheur se trouve dans le salut. Le tour serait joué. X. Mais ceux qui vous croiraient seraient peut-être perdus, et
158 ur serait joué. X. Mais ceux qui vous croiraient seraient peut-être perdus, et en tous cas seraient eux-mêmes joués… Je vois qu
159 iraient seraient peut-être perdus, et en tous cas seraient eux-mêmes joués… Je vois que vous ne me comprenez pas. Je vous donner
160 ux, l’autre jour, me demandait son adresse. Je me suis fait un plaisir de la donner. C’est une pierre plate dans un cimetièr
161 croyait pas non plus que ce courage personnel pût être enseigné à une masse par la presse, la radio et la publicité, tant et
162 itent qui dit non dans son coin, avec passion. Il était tellement « distingué » qu’on affirme qu’il en est mort. On ne peut d
163 it tellement « distingué » qu’on affirme qu’il en est mort. On ne peut donc plus l’interviewer, voilà sa chance. Car tel qu
164 pour qu’il explique aux masses sa grande idée qui est que rien d’important ne peut être dit aux masses. Et le programme du
165 grande idée qui est que rien d’important ne peut être dit aux masses. Et le programme du Solitaire à la radio serait écouté
166 x masses. Et le programme du Solitaire à la radio serait écouté chaque dimanche par quarante millions de personnes avides de f
167 ême d’une ironie désespérée : « Faites comme moi, soyez tous l’Exception ! » L’agent. Quelle merveilleuse idée d’article ! J
168 erveilleuse idée d’article ! Je sens que la photo sera bonne, nous l’avons prise pendant que vous parliez de votre sujet pré
169 ant que vous parliez de votre sujet préféré. Vous étiez animé, dynamique, tout à fait informal — ce sera parfait ! X., ivre
170 étiez animé, dynamique, tout à fait informal — ce sera parfait ! X., ivre d’une rage subite, saisit une bouteille de whiske
171 our sortir.) Attendez un instant, je crois que je tiens mon titre : Le Héros de l’Incognito ! X. fait un geste vers la secon
172 un geste vers la seconde bouteille, mais l’agent est déjà sorti. Il ne lui reste plus qu’à boire, pour oublier.
5 1947, Doctrine fabuleuse. Quatrième dialogue sur la carte postale. Ars prophetica, ou. D’un langage qui ne veut pas être clair
173 e Ars prophetica ou D’un langage qui ne veut pas être clair Un critique. J’ai lu vos trois dialogues sur la Carte Posta
174 ur la Carte Postale, je les aime bien… Enfin il n’ est pas exact que je les aime bien. Ils m’irritent et m’agacent. Mais je
175 es oublie pas. L’auteur. La mémoire des offenses est la plus sûre. Il me semble parfois qu’il n’est pas de louange préféra
176 es est la plus sûre. Il me semble parfois qu’il n’ est pas de louange préférable à celle-ci : qu’on me fasse grief de mes éc
177 i me gênait, je crois, c’est qu’à mon sens vous n’ êtes pas encore assez clair. L’auteur. Et pourquoi, je vous prie, être cl
178 ssez clair. L’auteur. Et pourquoi, je vous prie, être clair ? Vous n’allez pas me dire que c’est la bonne manière de se fai
179 e se faire comprendre ? Le critique. On voudrait être sûr que vous vous comprenez assez. L’auteur. Assez pour quoi ? Le c
180 eur. Assez pour quoi ? Le critique. Assez pour n’ être point la dupe de vos phrases. Écrire, et surtout en français, ce n’es
181 vos phrases. Écrire, et surtout en français, ce n’ est pas jouer du violon. Tout d’un coup vous le prenez à double corde, et
182 un peu trop tôt, qui nous surprend… L’auteur. N’ est -ce pas toujours ainsi ? Je veux dire : tout écrivain n’est-il pas d’a
183 s toujours ainsi ? Je veux dire : tout écrivain n’ est -il pas d’abord séduit, ou au contraire vexé par ses images ou ses idé
184 entrées. Il faudrait nous persuader que vos goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous fa
185 s goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous faites de la poésie, et alors vous jouez sur
186 deux précédents dialogues. Le critique. Du moins serez -vous en garde contre votre obscurité ? L’auteur. C’est justement ce
187 ne davantage qu’une feinte aimable. Au reste nous sommes entre nous et vous n’abuserez pas de mes aveux… D’autant qu’ils seron
188 vous n’abuserez pas de mes aveux… D’autant qu’ils seront probablement exagérés. Le critique. Que de précautions ! Vous êtes e
189 exagérés. Le critique. Que de précautions ! Vous êtes en train d’imiter ce héros de je ne sais quel album de Tœpffer, qui f
190 qui feint de feindre afin de mieux dissimuler. Qu’ est -ce qu’être clair, à votre avis ? L’auteur. Dès que l’on pose cette q
191 de feindre afin de mieux dissimuler. Qu’est-ce qu’ être clair, à votre avis ? L’auteur. Dès que l’on pose cette question, il
192 amné à des réponses ou plates ou mystérieuses. Ne serait -ce pas que la clarté n’est qu’une convention de langage ? J’entends :
193 ou mystérieuses. Ne serait-ce pas que la clarté n’ est qu’une convention de langage ? J’entends : un mot de passe de la trib
194 ique. Hé quoi ! vous savez que tout notre langage est un système conventionnel ! L’auteur. Notre langage courant sans aucu
195 le souci de contrôler ses conventions. Mais ce n’ est pas là le seul mode d’expression possible. Le critique. Précisément
196 ons, si vous le voulez, sur le plan du langage. N’ est -ce pas la cohérence des raisons et à la fois l’exact ajustement de ce
197 hode du discours. La fin dernière d’un discours n’ est autre que la cohérence, la vérité elle-même s’y trouvant ordonnée à l
198 dit, le discours cartésien n’a pas de fin qui lui soit transcendante. Il part de ce qu’il suppose clair et facile, et sa mar
199 de ce qu’il suppose clair et facile, et sa marche est une déduction. La convention d’un tel langage, c’est que tout est don
200 n. La convention d’un tel langage, c’est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit de ne rien introduire dans la chaîne
201 introduire dans la chaîne des arguments qui n’ait été d’abord jaugé, chiffré, et défini en termes simples. À mon tour de me
202 nne. Car enfin où prend-on dans le monde rien qui soit « clair, simple et facile » en soi ? Le monde dans lequel nous vivons
203 i ? Le monde dans lequel nous vivons et parlons n’ est -il pas, comme l’a dit un Russe, « le monde de l’imprécis et du non-ré
204 d’une raison sans parti pris à ce monde tel qu’il est donné, n’a-t-elle pas pour effet immédiat de multiplier le mystère et
205 au choix de ces données dites premières. Encore n’ est -il pas très exact de recourir ici à l’expression d’arrière-pensée. C’
206 ère-image » qu’il faudrait dire. Le critique. Ne serait -il pas trop cartésien de vous demander de préciser ? L’auteur. J’ess
207 par un exemple. La méthode inventée par Descartes est donc devenue celle de la science. C’est elle dont usent nos physicien
208 aduisant les résultats acquis. Or ces phrases ont été choisies par le savant en vertu d’une double exigence : d’une part el
209 formule mathématique ; d’autre part, et voilà qui est remarquable, il est sous-entendu qu’elles correspondent au langage du
210  ; d’autre part, et voilà qui est remarquable, il est sous-entendu qu’elles correspondent au langage du sens commun, aux im
211 ur les propriétés de la matière. Et ce discours n’ est qu’un certain système d’images. S’il se distingue du parler quotidien
212 ge, vidées de leurs sens particuliers. Ce procédé est sans danger quand il est appliqué par les savants, la science légale
213 particuliers. Ce procédé est sans danger quand il est appliqué par les savants, la science légale n’étant, c’est entendu, q
214 est appliqué par les savants, la science légale n’ étant , c’est entendu, qu’une manière de parler du réel, et sans cesse corri
215 prétendent partir de vérités élémentaires qui ne sont autres que des abstractions opérées sur nos formes de langage. Je vou
216 le tout, quand la fin nous échappent ! Comme s’il était licite, et même possible, de partir de certains éléments et de les dé
217 thodiquement l’ensemble dont ils dépendent et qui est leur seule mesure. Le critique. J’avoue que je vous suivrais mieux s
218 n de l’esprit : c’est une maxime populaire. On la tient pour tellement évidente que son rappel, au cours d’une discussion, fi
219 vant cet autre exploit : poser que le plus simple est aussi le plus proche, et qu’il faut commencer par là. C’est sans dout
220 lle absurdité, la magnifique carte postale ! S’il est une chose que l’expérience humaine me paraît avoir établie — je dirai
221 e davantage aux développements d’une pensée qui m’ est curieusement étrangère. Vous parliez d’une vision totale ?… L’auteur
222 chemin parcouru : elle ignore tout de son but et tiendrait même pour une prévention fâcheuse la croyance que ce but existe en to
223 ’est presque le contraire. Voilà : je sais que je suis dans la nuit. Je ne puis marcher que dans la confusion. Mais, si je m
224 ne peut la comprendre qu’à partir de son but. Il est très juste qu’elle paraisse absurde à l’observateur raisonnable. Le
225 e. Le propre d’une vision pareille, c’est qu’elle est incommuniquable, j’imagine ? L’auteur. Il vaut mieux dire indescript
226 uteur. Il vaut mieux dire indescriptible, et cela tient à sa vérité même, je veux dire à sa plénitude instantanée qui découra
227 urquoi le langage de la vision ou de la foi, s’il était pur, serait absolument inexplicable, et évident. Il n’y aurait plus q
228 angage de la vision ou de la foi, s’il était pur, serait absolument inexplicable, et évident. Il n’y aurait plus qu’à méditer
229 et pourtant exclusifs l’un de l’autre. Le premier serait la loi scientifique. Ses conventions sont la clarté et l’absence de c
230 emier serait la loi scientifique. Ses conventions sont la clarté et l’absence de contradiction. La seconde forme d’expressio
231 contradiction. La seconde forme d’expression, ce serait celle dont j’essayais de vous faire pressentir la limite, en parlant
232 ieux cette forme-là de la première, dont l’office est évidemment d’expliquer. Oui, cette opposition va nous aider : impliqu
233 précède. Voilà pourquoi le discours d’un prophète est le contraire d’un discours. L’événement seul lui rendra sa raison. Ai
234 ment seul lui rendra sa raison. Ainsi la parabole est une énigme dont le sens est dans la vision. Le critique. Comment exp
235 on. Ainsi la parabole est une énigme dont le sens est dans la vision. Le critique. Comment expliquez-vous le plaisir que j
236 ous ? Qui a le droit de parler en paraboles, et d’ être obscur à la manière des prophètes ? L’auteur. Le droit ? Personne, b
237 n peut toutefois imaginer une autre attitude de l’ être , et qui soit telle que la question du droit ne se pose plus. C’est l’
238 ois imaginer une autre attitude de l’être, et qui soit telle que la question du droit ne se pose plus. C’est l’attitude de l
239 et de phrases qui puissent, comme par une ironie, être compris en soi et dans leur lettre, mais dont le sens dernier ne puis
240 leur lettre, mais dont le sens dernier ne puisse être aperçu sous un angle de vision quelconque. Je dis que l’homme qui a v
241 ètes et composer des paraboles. Si ses prophéties sont décevantes et ses paraboles sans fruit, il n’en est pas moins un prop
242 t décevantes et ses paraboles sans fruit, il n’en est pas moins un prophète. Mais alors on le jugera selon sa fin. Vous m’a
243 naïveté très singulière pour endosser le risque d’ être obscur. Passe encore pour l’homme de Patmos, qui avait vu la fin de n
244 stoire : l’ampleur de sa vision le sauve. Mais il est des visions moins illustres, qui n’embrassent pas le monde de haut en
245 rant inventaire. Je parle de visions furtives qui sont à celle de l’apôtre comme le Petit Monde au Grand Monde, signes du To
246 parler prophétique. C’est le même risque, et ce n’ est pas la même grandeur… Les « sentinelles de Juda », les grands prophèt
247  sentinelles de Juda », les grands prophètes, ont été justifiés dans leur délire, mais un prophète des choses d’ici-bas, un
248 divine, quelle défense osera-t-il produire qui ne soit pas aussi son jugement ?
6 1947, Doctrine fabuleuse. Miroirs, ou Comment on perd Eurydice et soi-même
249 Comment on perd Eurydice et soi-même Stéphane est maniaque, comme tous les jeunes gens de sa génération. Seulement chez
250 s de sa génération. Seulement chez lui, cela ne s’ est pas porté sur les voitures. Il préfère s’intéresser aux divers types
251 On lui sait peu de grés de sa curiosité. Cela ne serait rien, si elle-même ne le décevait. Sans doute est-il trop impatient,
252 ait rien, si elle-même ne le décevait. Sans doute est -il trop impatient, demande-t-il aux êtres plus qu’ils ne peuvent donn
253 ans doute est-il trop impatient, demande-t-il aux êtres plus qu’ils ne peuvent donner… D’ailleurs on ne lui doit rien, n’est-
254 peuvent donner… D’ailleurs on ne lui doit rien, n’ est -ce pas ? Il ne tombe d’accord ; accepte d’attendre comme un enfant sa
255 s classiques. Repoussé par le monde parce qu’il n’ est pas encore quelqu’un, Stéphane cherche à savoir ce qu’il peut être. C
256 uelqu’un, Stéphane cherche à savoir ce qu’il peut être . C’est une autre manie de sa génération. Mais là encore il se singula
257 as exister. Non : il a remarqué que l’époque peut être définie par l’abondance des autobiographies, mais aussi bien par cell
258 enre, qui l’intriguent à n’en pas finir. Quand il est très fatigué, il veut voir encore cette fatigue dans son regard : app
259 meil l’en délivre. Au matin il court se voir : il est laid. Lâchement il se prend en pitié. Ces séances lui font du mal, l’
260 sse qu’il la recherche. Il veut se voir tel qu’il est parmi les autres. Mais dès qu’il lui arrive par jeu de considérer son
261 à soi-même qui pourrait lui rendre la certitude d’ être . Mais il s’épuise dans une perspective de reflets qui vont en diminua
262 sonne se dissout dans l’eau des miroirs. Stéphane est en train de se perdre pour avoir voulu se constater. Va-t-il découvri
263 dans l’homme moderne un besoin de vérifier qui n’ est plus légitime dès l’instant où il se traduit par la négation de ce qu
264 e. Stéphane n’a pas eu confiance. Or la personne est un acte de foi : Stéphane ne sait plus ce qu’il est. Semblablement, i
265 t un acte de foi : Stéphane ne sait plus ce qu’il est . Semblablement, il ne sait plus aimer. (Ces jeunes gens ne veulent pa
266 ogique d’une aventure cependant plus profonde. Il est bon que le lecteur troublé par la crainte de n’avoir pas saisi le sen
267 un miroir, nous perdons une Eurydice. Les miroirs sont peut-être la mort. La mort absolue, celle qui n’est pas une vie nouve
268 t peut-être la mort. La mort absolue, celle qui n’ est pas une vie nouvelle. La mort dans la transparence glaciale de l’évid
269 dans la transparence glaciale de l’évidence, qui est celle du moi séparé. Un jour, Stéphane pense avec fièvre : « Il faudr
270 t-on sous un autre visage. Oublier son visage, ne serait -ce pas devenir un centre de pur esprit ?… Ou plutôt — et bien mieux —
271 ir dans un regard de cette femme l’écho de ce qui serait lui. Et déjà il se perd dans ces yeux, mais comme on meurt dans une n
272 pète à plusieurs reprises : « Je ne sais pas : je suis  !… Je ne sais plus… mais tu es là ! » Un peu plus tard, ce fut un jou
273 ne sais pas : je suis !… Je ne sais plus… mais tu es là ! » Un peu plus tard, ce fut un jour de grand soleil sur toutes le
274 sais plus… mais tu es là ! » Un peu plus tard, ce fut un jour de grand soleil sur toutes les verreries de la capitale. Les
7 1947, Doctrine fabuleuse. L’ombre perdue
275 nt Chamisso, c’est peut-être poussé par l’envie d’ être enfin reconnu, expliqué. Car Chamisso est Français de naissance. Une
276 nvie d’être enfin reconnu, expliqué. Car Chamisso est Français de naissance. Une excentricité du sort a fait de lui un poèt
277 sans le savoir. Chamisso, lui, s’en étonnera. Tel est le calcul de l’homme sans ombre. Surprendre ce Français, c’est passer
278 un étranger s’initiant aux croyances d’un peuple, soit le premier saisi par ce frisson d’absurdité que l’on baptise inspirat
279 ayé de formuler le symbole enfermé dans le mythe. Serait -ce pudeur d’artistes ? Pudeur tout court ? Ou faut-il croire qu’ils o
280 ns d’un tel accident, dont à vrai dire les suites sont assez pittoresques pour qu’un « poète » (au sens banal) préfère en ig
281 l, et bien d’autres imitateurs, dont le moindre n’ est pas Hoffmann… L’énigme commença de m’inquiéter lors d’un séjour allem
282 ntes fois la popularité du bonhomme Schlemihl. Je fus à l’Opéra. On y donnait du Strauss. Je ne connaissais pas le livret d
283 rd, j’ai lu le livre, qui me parut splendide.) Qu’ est -ce qu’une ombre ? me demandais-je. Quelque chose d’assez méprisable.
284 lisent ! C’est pour eux l’irréalité même. (« Il n’ est plus que l’ombre de lui-même… Ce n’est rien, dit-on, c’est une ombre…
285 e. (« Il n’est plus que l’ombre de lui-même… Ce n’ est rien, dit-on, c’est une ombre… ») Mais je vois bien qu’ils exagèrent 
286 … ») Mais je vois bien qu’ils exagèrent : si nous étions de purs esprits, nous ne projetterions pas d’ombre. L’ombre est la pr
287 prits, nous ne projetterions pas d’ombre. L’ombre est la preuve humiliante de la chair humiliante pour ceux, du moins, qui,
288 a Raison dans le monde des dieux, voudraient bien être pris pour des gens raisonnables. Voilà pourquoi, pensais-je, ils mépr
289 ela ? Rien qu’une évidence assez pauvre : l’ombre est le fait, en nous, de notre chair. Mais perdre sa chair, c’est mourir,
290 spiritualismes, et cet « infortuné Schlemihl » n’ était pas mort d’avoir perdu son ombre… Il était même si vivant et sa prése
291 hl » n’était pas mort d’avoir perdu son ombre… Il était même si vivant et sa présence si gênante, que je tentai de le contrai
292 cœur. Psychologie de Peter Schlemihl Peter est un naïf : il croit à la fortune. Il croit surtout qu’elle seule assur
293 urgeois riches. D’où vient le sentiment qu’il a d’ être inférieur. Le diable sait cela : c’est par là qu’il le tient. Peter l
294 ieur. Le diable sait cela : c’est par là qu’il le tient . Peter lui donne son ombre contre une bourse magique, d’où il pourra
295 ment, contre lui. Je dis bien le secret, car c’en est un pour eux, comme toutes les choses trop naturelles que l’on possède
296 nnaît, comme Adam et Ève l’innocence ?) Schlemihl est donc le type classique de l’homme qui perd le contact social. L’or mê
297 e : on aime Schlemihl pour tout ce qu’il a, qui n’ est pas lui. Ce sont les femmes, bien entendu, qui le devinent. Quel est
298 emihl pour tout ce qu’il a, qui n’est pas lui. Ce sont les femmes, bien entendu, qui le devinent. Quel est le rapport social
299 t les femmes, bien entendu, qui le devinent. Quel est le rapport social le plus réel ? Admettons que ce soit le mariage, su
300 le rapport social le plus réel ? Admettons que ce soit le mariage, surtout pour ce philistin-là. Toutes les ruses de Peter é
301 e reste-t-il à un tel homme ? Le suicide ? Rien n’ est plus loin de sa pensée. Sa vision du monde serait exactement celle d’
302 n’est plus loin de sa pensée. Sa vision du monde serait exactement celle d’un philistin sympathique, d’un philistin sans exig
303 reil aux autres, sauf en ce je ne sais quoi qui n’ est rien et qui est l’essentiel, notre philistin méconnu se voit chassé d
304 sauf en ce je ne sais quoi qui n’est rien et qui est l’essentiel, notre philistin méconnu se voit chassé de la communauté
305 de bottes usagées. Mais voilà bien sa chance, ce sont des bottes de sept lieues ! Désormais il échappe à la vie, au voisina
306 er une espèce d’activité, purement descriptive il est vrai, solitaire, presque mécanique : il dresse un vaste catalogue de
307 maniaque (ou universitaire érudite.) Nul doute n’ est plus permis : Schlemihl est « schizoïde ». Chamisso, heureusement pou
308 érudite.) Nul doute n’est plus permis : Schlemihl est « schizoïde ». Chamisso, heureusement pour lui, n’en savait rien. Il
309 les symboles. Car, pour la vie spirituelle, il n’ est pas de lieux séparés ; l’on peut toujours passer de l’un à l’autre pa
310 l’autre par quelque ruse de la métamorphose, qui est l’acte même de la vie. Et pourquoi dire, dès lors : ceci est cause de
311 même de la vie. Et pourquoi dire, dès lors : ceci est cause de cela ? Quand l’inverse est au moins aussi probable ? Et quan
312 s lors : ceci est cause de cela ? Quand l’inverse est au moins aussi probable ? Et quand rien ne dépend à coup sûr que du t
313 tation : « Celui qui, dans un domaine quelconque, est considéré comme anormal au point de vue social et moral, celui-là peu
314 al au point de vue social et moral, celui-là peut être considéré comme anormal dans sa vie sexuelle.3 » Nous venons de voir
315 ie sexuelle.3 » Nous venons de voir que Schlemihl est le type même de l’inadapté, — celui qui ne peut « trouver sa place au
316 entiellement des états d’âme d’un homme sain ? Ne sont -ils pas plutôt de simples fixations d’état qui, normalement, ne tarde
317 e ? Plus précisément, l’état de Peter Schlemihl n’ est -il pas comparable à celui d’un esprit ou d’un corps sains après l’amo
318 légèreté et en même temps de lourdeur, comme s’il était un peu en arrière des choses, lent à démêler le monde où il revient,
319 s choses à jour, et lui-même, d’où l’impression d’ être mal défendu contre les regards qu’il rencontre ; transparent, dirait-
320 pouvait exprimer qu’un fait humain élémentaire. J’ étais déçu de le voir se réduire à quelque chose d’aussi précis, et que mil
321 vient de l’homme et se forme d’après lui : telle est aussi la Liquor, qui est microcosme, elle est l’ombre intérieure. » U
322 orme d’après lui : telle est aussi la Liquor, qui est microcosme, elle est l’ombre intérieure. » Une étude plus poussée de
323 lle est aussi la Liquor, qui est microcosme, elle est l’ombre intérieure. » Une étude plus poussée de Paracelse devait bien
324 rieuses et profondes, que la portée de ce passage était en vérité beaucoup plus vaste que tout ce que permettait d’imaginer l
325 iroir auquel la nature se regarde en nous ». Elle est ainsi l’agent microcosmique, la puissance même de créativité dans tou
326 nce même de créativité dans tous les ordres. Elle est « ce qu’il y a de plus noble dans le corps tout entier et dans l’homm
327 a créativité : c’est à quoi se ramène tout ce qui est vraiment grave dans notre vie ; et la fameuse question sexuelle ne ti
328 son importance démesurée que du seul fait qu’elle est une image physique du pouvoir créateur en général. Comme on peut le
329 mme on peut le voir par l’examen de la pudeur, ne serait -ce point pour la raison qu’en beaucoup d’hommes la créativité paraît
330 voir son siège dans le seul sexe, que la pudeur s’ est localisée là ? Ne serait-ce point pour cette raison que l’homme cherc
331 seul sexe, que la pudeur s’est localisée là ? Ne serait -ce point pour cette raison que l’homme cherche à le dissimuler comme
332 une excessive sincérité dans ses écrits. (Il peut être , d’ailleurs, au sens courant du mot, le plus « pudibond » des bourgeo
333 he son secret le plus profond, le plus sacré, qui est le pouvoir de création que l’on possède, c’est naturel, mais non qu’o
334 ue le corps et l’âme se distinguent, et cessent d’ être reflets l’un de l’autre. Alors le corps a honte de sa pensée, et cell
335 r cesse-t-elle d’exister, normalement, quand deux êtres s’aiment ? Parce que le sexe reprend alors sa « propriété » symboliqu
336 eprend alors sa « propriété » symbolique. (Ce qui est honteux, douteux, non propre, c’est ce qui en moi m’est étranger.) Re
337 nteux, douteux, non propre, c’est ce qui en moi m’ est étranger.) Revenons alors à notre mythe : la transparence, c’est l’ab
338 e d’ombre, donc de secret. Or le secret « sacré » étant le lien de la créativité de l’homme, celui qui a perdu son ombre se p
339 . Spirituellement ou de quelque autre sorte, il n’ est plus un homme créateur. À l’inverse, la chasteté (corporelle et spiri
340 ue l’on appellera plus tard le vague à l’âme, qui est aussi bien le vague au corps. Le roman d’Hofmannsthal — contre-épreuv
341 doute que l’art de Chamisso ne « signifie » et ne soit au sens propre un grand art, tout effort digne de ce nom étant d’abor
342 propre un grand art, tout effort digne de ce nom étant d’abord une mise en ordre, un sens donné… C’est par là que Chamisso s
343 ordre, un sens donné… C’est par là que Chamisso s’ est sauvé de lui-même : s’il a fait Schlemihl, comme on sait, en grande p
344 s de sept lieues qui traverse encore notre vie, n’ est -ce pas l’ombre de Chamisso ? Une ombre qui a perdu son homme, cette f
345 , il n’en veut plus, il veut du vraisemblable… Il est retombé dans le roman insignifiant.6 3. Trois Essais sur la Thé
346 Théorie de la Sexualité. La définition de normal est donc ici : adapté au milieu. Vérité d’expérience, nous dit Freud, et
347 insistant sur son contraire : « l’anormal » peut être créateur d’un nouveau type de rapports sociaux, c’est-à-dire d’une no
348 ide, comme dans Schlemihl. Aussi bien le diable n’ est -il pas à l’origine de l’affaire, cette fois. 5. Selon Paracelse, la
349 en l’appelle-t-il libido ? 6. Cette petite étude était écrite depuis un an lorsque je découvris dans les Cahiers de Barrès (
350 nt, une désespérance perpétuelle. Peter Schlemihl est certainement, sinon une autobiographie, au moins un essai moral que s
351 Le qualificatif « d’homme ayant perdu son ombre » fut trouvé par M. de Rubulles qui, le voyant dans un de ses noirs habitue
352 rde) n’explique aucune particularité du conte, il est permis de penser que « l’état d’âme » de Chamisso a joué dans cette a
8 1947, Doctrine fabuleuse. Angérone
353 r recours à ces remèdes, car définir l’amour ce n’ est point le connaître, mais limiter sa part dans notre vie, et nul amour
354 tte méfiance ou à cette avarice anxieuse. Mais il est une manière imaginable de parler de l’amour sans malice : c’est de fo
355 oments une espèce d’émotion ou de gêne, non qu’il soit dit ni même décrit par allusions ou par symboles, mais sa présence so
356 ions ou par symboles, mais sa présence souveraine est annoncée par certain frémissement de l’assemblée des mots qui font la
357 font la cour : le Roi s’approche. Toute éloquence est amoureuse, excitée par l’amour qui la rend fleurissante. Mais l’amour
358 amour qui la rend fleurissante. Mais l’amour même est chose du silence. Cela dont je ne puis parler sans l’offenser dans sa
359 r, c’est ce qui m’enflamme à parler. Rien ne peut être dit de l’amour même, mais rien non plus n’est dit que par l’amour, si
360 ut être dit de l’amour même, mais rien non plus n’ est dit que par l’amour, si toutefois quelque chose est vraiment dite. La
361 t dit que par l’amour, si toutefois quelque chose est vraiment dite. La Fable nous apprend à sa manière que l’amour est le
362 e. La Fable nous apprend à sa manière que l’amour est le lieu d’un mutisme sacré. Angérone, déesse du Silence : on croit qu
363 temple de la Volupté. Et certains pensent qu’elle est la même que la déesse Volupie. Promenons-nous aux alentours de ce col
364 s-nous aux alentours de ce colloque. La Volupté n’ est pas le plaisir même, mais l’imagination active du désir qui lentement
365 ec le « terme » où l’esprit se libère. La volupté serait un phénomène analogue à celui de l’hypnose : un état de l’âme ou de l
366 un, par l’abandon chez l’autre. Que cette hypnose soit en quelque mesure — celle de l’esprit — indépendante de l’instinct, c
367 ns fond où elle se penche… Maintenant un seul œil est visible dans ce visage décomposé en ombres et lueurs lentement mouvan
368 me s’il doutait… Adolescence ! Le charme du désir est celui du silence : il éloigne sans fin le terme. Tu n’entends que ce
369 rompt. Tu ne sais rien que tu ne perdes. Car ce n’ est pas le savoir que tu veux, mais la divine connaissance du présent. Or
370 ne connaissance du présent. Or cette connaissance est interdite. Et c’est l’approche du viol de l’interdit qui impose aux a
371 ’accomplissement du plus violent amour qu’il nous est accordé de concevoir un absolu, mais sous la forme de l’inaccessible.
372 mes ? Deux corps s’endorment dans leur paix, et l’ être enfin comblé ne sait plus où se prendre. Il se ramène en soi, se divi
373 qui s’égalerait à l’Infini. Se fondre en un seul être , mais que cet être accède ensuite au commerce de ses semblables, qu’à
374 l’Infini. Se fondre en un seul être, mais que cet être accède ensuite au commerce de ses semblables, qu’à son tour il les ai
375 sance imaginaire et désespérément consciente de l’ Être . L’aube point. L’esprit se tourne vers les choses et les dénomme d’un
376 s-mêmes. Mais dans cette défaite de l’étreinte, n’ est -ce point le souvenir du seul désert que désormais nous chercherons ?
377 celui seul qui l’éprouve jusqu’à l’épouvante : l’ être que nous formons au sommet de l’amour, et qui meurt dans l’instant où
378 on, change de signe. On voit soudain que le désir était le dialogue des corps, tandis que le plaisir est solitaire, instant o
379 tait le dialogue des corps, tandis que le plaisir est solitaire, instant où les amants sont le plus séparés, arrachés, reti
380 e le plaisir est solitaire, instant où les amants sont le plus séparés, arrachés, retirés en soi. Le plaisir est la fin du d
381 lus séparés, arrachés, retirés en soi. Le plaisir est la fin du dialogue et non pas cette fusion rêvée. Alors paraissent la
382 le sérieux, et la réalité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y a que deux philosophies : celle du désir et celle de l’a
383 umain. L’amour rêvé meurt au seuil de l’amour qui sera notre tâche sérieuse. Quittons ce temple où dorment deux idoles, et p
9 1947, Doctrine fabuleuse. Contribution à l’étude du coup de foudre
384 t les voilà fixés, cloués sur place, comme le coq est cloué sur la ligne de craie tirée devant son bec. Ce serait trop bête
385 ué sur la ligne de craie tirée devant son bec. Ce serait trop bête si ce n’était trop beau. Mais rien ne sert de n’y pas croir
386 tirée devant son bec. Ce serait trop bête si ce n’ était trop beau. Mais rien ne sert de n’y pas croire. C’est un fait, nous l
387 n termes de grâce et de prédestination. Mais s’il est vain de nier le fait, il ne l’est point de mettre en doute son caract
388 tion. Mais s’il est vain de nier le fait, il ne l’ est point de mettre en doute son caractère de destinée fatale. Cette espè
389 e. Cette espèce de passivité que l’on allègue, ne serait -elle point un alibi ? Je ne parle que du vrai coup de foudre, celui q
390 Je ne parle que du vrai coup de foudre, celui qui est suivi d’incendie. Car pour ceux que l’on attend, que l’on appelle, il
391 ur ceux que l’on attend, que l’on appelle, ils ne sont qu’éclairs de chaleur dans l’aura d’un cœur orageux. Aux portières d’
392 ai, j’aurais su t’arrêter. Le monde entier en eût été changé à l’instant même, sans que nul ne s’en doute. J’étais sceptiqu
393 é à l’instant même, sans que nul ne s’en doute. J’ étais sceptique, en ce temps-là. Je disais à ce romancier (l’un des meilleu
394 l’Allemagne d’alors) : Le mythe du coup de foudre est sans doute une astucieuse invention de Don Juan pour impressionner se
395 sir que vous entretenez par vos romans… Mais ce n’ est pas assez que d’une complaisance acquise. Il faut encore une rencontr
396 ntres fameuses : Tristan devant la cour d’Irlande est reçu par la fille du roi selon l’usage et l’étiquette. Siegfried et B
397 ent l’un vers l’autre, dans la scène du hanap, ce sont des officiants… Tout se passe comme si les deux amants se trouvaient
398 raire par la profonde convenance des rôles qu’ils tiennent dans la société, sous l’égide des plus intangibles hiérarchies. Et Do
399 st. Le président de l’organisation qui m’invitait était un grand banquier, ami des lettres. Il vint m’attendre au débarqué de
400 ons à table. Mon hôte bientôt s’inquiète : « Vous êtes pâle et vous ne mangez rien ! Vous sentiriez-vous indisposé ? » Je ba
401 éserver un dîner : bref, vous vous rappelez ce qu’ était la Hongrie, cette hospitalité incomparable, cette liberté lyrique dan
402 en n’y fait. Je ne puis avaler une seule bouchée. Est -ce vraiment l’effet de l’avion ? J’allais m’en persuader quand je m’a
403 s que mon hôte ait paru remarquer que mon malaise est contagieux. Il bavarde encore en prenant le café, puis s’excuse d’avo
404 iture et descendons vers la ville. Soudain, je me suis décidé et j’articule : « Vous n’avez rien mangé au déjeuner, Madame.
405 e ne pouvons toucher à rien. Tout d’un coup je me suis mis debout. Je fais le tour de la table, je m’arrête devant elle, les
406 ant elle, les bras en arrière, comme cela — je me suis retenu de lui toucher l’épaule — et je m’entends prononcer : « Puisqu
407 e m’entends prononcer : « Puisqu’il faut que cela soit , eh bien… que cela soit ! » Elle se lève et me suit. Nous allons chez
408 « Puisqu’il faut que cela soit, eh bien… que cela soit  ! » Elle se lève et me suit. Nous allons chez elle. Un vertige, un so
409 , un sombre délire, et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout mon séjour à Budapest. L’après
410 et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout mon séjour à Budapest. L’après-midi, je vous le ré
411 erlin, que je fréquentais à l’insu de ma femme. J’ étais dans un état d’exaltation extrême, à peu près incapable de dormir, sa
412 iet de mon sort. Il y avait de quoi d’ailleurs, j’ étais inscrit, à cette époque, au parti communiste dissident. Je m’informe 
413 a regarde longuement, bien en face. Aucun doute n’ est possible. Elle sait. Monsieur, je puis garder un secret d’État, vous
414 arder un secret d’État, vous le savez, mais je ne suis pas de ceux qui peuvent supporter un mensonge dans leur vie intime. J
415 peu près : « Donne-moi vite de tes nouvelles, je suis inquiet, je n’oublierai jamais les nuits extraordinaires que nous avo
416 semble, à la veille de ce cataclysme. » La lettre était signée « Maria ». « Un vrai drame du destin ! » fis-je après un momen
417 on mystère si l’on songe que la femme du banquier était lectrice de romans — et sans doute de vos propres romans ?… Et ce cou
418 de vos propres romans ?… Et ce coup de foudre, n’ est -il pas tombé d’un ciel qu’il convient de nommer Littérature ?
10 1947, Doctrine fabuleuse. Don Juan
419 soie, dressé sur ses ergots de grand ténor, l’on est tenté de ne voir en lui que le feu naturel du désir, une espèce d’ani
420 andeur, dans le dernier acte de Mozart. Non, ce n’ est pas l’animal, mais l’homme, et non d’avant, mais d’après la morale. P
421 s son rang. Son naturel, c’est le mépris ; rien n’ est plus loin de la nature. Voyez comme il se sert des femmes : incapable
422 seule cette inconstance forcenée ? Alors Don Juan serait l’homme de la première rencontre, de la plus excitante victoire ? « L
423 e, de la plus excitante victoire ? « La nouveauté est le tyran de notre âme », écrit le vieux Casanova. Mais déjà ce n’est
424 re âme », écrit le vieux Casanova. Mais déjà ce n’ est plus l’homme du plaisir qui parle ainsi. La volupté du vrai sensuel c
425 Ils ne l’ont pas manqué. Pour eux aussi, Don Juan serait le contraire de ce que l’on croit, il souffrirait d’une anxiété secrè
426 iété secrète déjà voisine de l’impuissance. Et il est vrai que celui qui cède à cet attrait superficiel que presque toutes
427 e plus loin, à des critères spirituels ? Don Juan serait par exemple le type de l’homme qui n’atteint pas au plan de la person
428 rrait se manifester ce qu’il y a d’unique dans un être . Pourquoi ne peut-il désirer que la nouveauté dans la femme ? Et pour
429 on du nouveau, du nouveau à tout prix, quel qu’il soit  ? Celui qui cherche, c’est qu’il n’a pas ; mais peut-être aussi qu’il
430 ’est qu’il n’a pas ; mais peut-être aussi qu’il n’ est pas ? Celui qui a, vit de sa possession et ne l’abandonne pas pour l’
431 ain, — entendez : s’il possède vraiment. Don Juan serait l’homme qui ne peut pas aimer, parce qu’aimer c’est d’abord choisir,
432 ’est d’abord choisir, et pour choisir il faudrait être , et il n’est pas. Mais le contraire n’est pas moins vraisemblable : D
433 hoisir, et pour choisir il faudrait être, et il n’ est pas. Mais le contraire n’est pas moins vraisemblable : Don Juan cherc
434 udrait être, et il n’est pas. Mais le contraire n’ est pas moins vraisemblable : Don Juan cherchant partout son idéal, son «
435 n l’image de Tristan. Mais il ne trouvera pas. Il est Don Juan parce qu’on sait qu’il ne peut pas trouver, soit impuissance
436 Juan parce qu’on sait qu’il ne peut pas trouver, soit impuissance à se fixer, soit impuissance à se déprendre d’une image à
437 ne peut pas trouver, soit impuissance à se fixer, soit impuissance à se déprendre d’une image à lui-même secrète. Et de là v
438 , son rythme dionysiaque… Or, si le don juanisme est une passion de l’esprit, et non pas comme nous aimions le croire une
439 stinct, tout porte à supposer que cette passion n’ est pas toujours liée au sexe. Et même il faut se demander si la sensuali
440 aut se demander si la sensualité, précisément, ne serait pas le domaine où Don Juan se révèle le moins dangereux. (Appelons ic
441 es mœurs ont pour but de maintenir, cet équilibre étant d’ailleurs bon ou mauvais.) C’est que le désir de nouveauté et de cha
442 ffrir d’une dépense improductive. Certes Don Juan est un tricheur, et même il ne vit que de cela. (La banque de pharaon éta
443 même il ne vit que de cela. (La banque de pharaon était la source unique des revenus de Casanova : symbole dont il nous donne
444 aintes fois la clé.) Mais une tricherie constante est moins dangereuse que les faiblesses subites d’un honnête homme. On es
445 que les faiblesses subites d’un honnête homme. On est en garde, et l’on connaît le système, entièrement relatif aux règles
446 u d’espèces sonnantes. Alors la tricherie cesse d’ être une habileté vulgaire et profitable. Elle peut devenir l’acte héroïqu
447 re, par décret de rigueur subversive. Nietzsche s’ est dressé face au siècle. Et l’adversaire qu’il s’est choisi, c’est l’es
448 st dressé face au siècle. Et l’adversaire qu’il s’ est choisi, c’est l’esprit de lourdeur, notre poids naturel, notre facult
449 lle de retombement dans la coutume. L’immoraliste est comme le moraliste un ennemi vigilant de l’instinct : car s’il le glo
450 caprice de l’esprit : il n’y a plus de vérité qui tienne . Les hommes se rendent ou tombent dans le doute à la première séducti
451 t tuer pour une vertu dont on ne sait plus quelle est la fin ? Et toutes ces vérités qu’ils respectaient, voyez comme elles
452 rendre à Dieu et à son Fils. Déjà « le Dieu moral est réfuté ». Que va dire l’Autre ? C’est, dans la vie du Don Juan des vé
453 core l’aube de la terre. Personne n’a parlé. Dieu est mort ! De chaque idée, de chaque croyance, de chaque valeur, Nietzsch
454 e possession. Pourquoi s’attarderait-il ? Elles n’ étaient excitantes pour l’esprit que par la fausse vertu qu’on leur prêtait.
455 abuser de ses victimes… Mille et trois vérités se sont rendues, et pas une seule n’a su le retenir. Qu’importent les « contr
456 tenir. Qu’importent les « contradictions » ! Ce n’ est pas pour bâtir un système qu’il réfute, dénonce et détruit, c’est pou
457 horisme — fulgurations toujours décevantes : ce n’ est pas elle qu’il vient de posséder… Ô haine de leurs vérités faibles !
458 der… Ô haine de leurs vérités faibles ! La Vérité est morte ! Revivra-t-elle ? Car si ce Dieu est mort, à tout jamais, il n
459 érité est morte ! Revivra-t-elle ? Car si ce Dieu est mort, à tout jamais, il n’y a plus d’amour possible. Il faut inventer
460 sur le temps… Mais dans le temps, disait-il, Dieu est mort. Si Dieu est mort, c’est donc qu’il a vécu ? Dieu revivra éterne
461 dans le temps, disait-il, Dieu est mort. Si Dieu est mort, c’est donc qu’il a vécu ? Dieu revivra éternellement ! Ainsi Ni
462 amour. S’il gagne, c’est en violant la vérité des êtres . Nietzsche pose des valeurs qui détruisent les règles anciennes, mais
463 pourrons jamais que perdre. Alors : ou bien nous serons condamnés, ou bien nous recevrons notre grâce. Mais Nietzsche et Don
464 nu, me dit-elle, un homme marié avec lequel ayant été coquette en vain, il me dit en me quittant : Je vous ajoute à ma list
465 n’avait pas eues, par fidélité à la sienne. » Où est la tricherie ? Dans le défi, installé au cœur de la règle ?
11 1947, Doctrine fabuleuse. La gloire
466 ut-être le secret d’une différence aussi curieuse est -il caché dans les passages de ces cahiers que nous allons transcrire
467 i profondément ambiguë, vis-à-vis de la gloire, n’ est pas sans entretenir les plus curieux malentendus entre un auteur et
468 e un auteur et ses lecteurs. Or il se peut que ce soit l’attitude de la plupart des écrivains modernes. « J’ai vécu pour la
469 i vécu pour la gloire, dit le prince André, et qu’ est -ce que la gloire, si ce n’est aussi l’amour du prochain, le désir de
470 prince André, et qu’est-ce que la gloire, si ce n’ est aussi l’amour du prochain, le désir de lui être utile et de mériter s
471 n’est aussi l’amour du prochain, le désir de lui être utile et de mériter ses louanges ? J’ai donc vécu pour les autres, et
472 J’ai donc vécu pour les autres, et mon existence est perdue, perdue sans retour ; depuis que je vis pour moi, je suis plus
473 rdue sans retour ; depuis que je vis pour moi, je suis plus calme… Les autres, c’est le prochain, comme la princesse Marie e
474 e d’iniquité et de mal ! Le prochain, sais-tu, ce sont les paysans de Kiew, que tu rêves de combler de bienfaits. » (Tolstoï
475 n’y vois plus que sophismes. Non, la gloire, ce n’ est pas l’amour mais au contraire le mépris du prochain. Le prince André
476 triomphal, s’incline et prononce à mi-voix : « Je suis le serviteur du public, cela va sans dire. » C’est à cela qu’on donne
477 même excessif pour le talent qu’on a. La foule ne tient pour glorieux que ceux qui prennent le soin de parler de leur gloire.
478 l’on change le jugement sur la gloire. La gloire est donc un mythe : j’entends que son pouvoir et sa grandeur ne dépendent
479 cit eundo ; minuit praesentia famam. Toute gloire est donc aliénée. Celle d’un Chateaubriand n’est pas à lui, ni à son œuvr
480 oire est donc aliénée. Celle d’un Chateaubriand n’ est pas à lui, ni à son œuvre, mais au public qui la lui prête parce que
481 c qui la lui prête parce que d’abord l’auteur s’y est prêté. Quant à moi, je suis trop égoïste pour me laisser aller à ce j
482 e d’abord l’auteur s’y est prêté. Quant à moi, je suis trop égoïste pour me laisser aller à ce jeu-là. Je me sentirais dépos
483 -là. Je me sentirais dépossédé. C’est que je veux être aimé pour moi-même, tel que je suis et non point tel que me désire le
484 t que je veux être aimé pour moi-même, tel que je suis et non point tel que me désire leur goût sentimental de « l’Art ». Ma
485 plique et se retourne ! Celui qui veut la gloire, est -ce qu’il manquerait d’orgueil ? Serait-il plus humble que moi ? Et l’
486 ut la gloire, est-ce qu’il manquerait d’orgueil ? Serait -il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis, ne donne-t-il
487 -il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis , ne donne-t-il pas une preuve d’amour à son audience en exigeant d’el
488 e, puisque je vous veux moins vulgaire que vous n’ êtes . Celui qui ne veut pas la gloire telle que la donne une foule à qui l
489 e telle que la donne une foule à qui la flatte, n’ est -ce pas qu’il veut la gloire telle que lui seul serait capable de se l
490 st-ce pas qu’il veut la gloire telle que lui seul serait capable de se la décerner ? L’idée moderne de la gloire nous vient, d
491 e nous vient, dit-on, de la Renaissance. Glorieux est celui qui s’affirme en différant, bien plus qu’en excellant. C’est do
492 l’Italie du xve siècle.) Le besoin de la gloire est donc né d’une sorte de maladie du sens social. C’est le contraire de
493 cherche des admirateurs, des confirmateurs de son être . C’est que l’acte de s’écarter d’une communion ou d’une communauté éc
494 ngerait pas à rechercher la gloire. Car la gloire est ce qui sépare. Mais il chercherait l’excellence, à son rang et selon
495 et selon ses astres. Ainsi les héros et les rois sont les auteurs de leur éclat. Ils donnent et ne demandent rien. Et ce qu
496 qui fait la gloire d’un homme.) La gloire antique était virile, comme le don. Alexandre exemplaire, plus beau que tous, plus
497 u que tous, plus fort et plus heureux que tous, n’ était pas séparé, mais au sommet. Sa gloire était dans son destin, gagée pa
498 us, n’était pas séparé, mais au sommet. Sa gloire était dans son destin, gagée par une mesure universelle que ses actions com
499 mblaient exactement. Mais notre gloire ne saurait être mesurée : c’est une rumeur, c’est une publicité, une espèce d’inflati
500 licité, une espèce d’inflation provisoire. Elle n’ est pas grande, mais exagérée, mobile, nerveuse, sentimentale. Et voici q
501 rée, mobile, nerveuse, sentimentale. Et voici qui est encore plus grave : elle est ressentie comme flatteuse. C’est donc qu
502 entale. Et voici qui est encore plus grave : elle est ressentie comme flatteuse. C’est donc quelque chose de vulgaire. De f
503 dont on ne puisse démontrer par quels moyens elle fut acquise : toujours au prix d’une vulgarité. (Zones de bassesse chez d
504 st là, non pas dans la beauté de son œuvre, que s’ est constituée sa gloire.) Et cependant, je me suis surpris à désirer une
505 s’est constituée sa gloire.) Et cependant, je me suis surpris à désirer une gloire qui ne m’ennuierait pas. Non point la le
506 n d’adorateurs pour rayonner et se réjouir de son être . Oui, c’est bien là le privilège d’un dieu. Et la vraie gloire. Qu’es
507 là le privilège d’un dieu. Et la vraie gloire. Qu’ est -ce que l’incognito ? Il y a là quelqu’un qui a de la valeur ; on ne l
508 oire moderne, c’est à peu près l’inverse. Mais ne serait -ce pas aussi le meilleur moyen de sauver son incognito en se donnant
509 e avantage de la gloire : elle confère le droit d’ être banal. Tant pis si beaucoup en abusent… Hypothèse : l’expérience inti
510 isse avouer sa vanité, ou bien ils croient que ce serait naïf ; et si l’on avoue son orgueil, ils croient que c’est par vanité
511 son orgueil, ils croient que c’est par vanité… Je suis homme : donc vaniteux, naïf, retors, orgueilleux, etc. Quel avantage
512 c. Quel avantage à feindre ? La plus sotte vanité étant assurément d’essayer de faire croire qu’on n’en a point. Si l’on cond
513 sa propre vanité, le mieux pour s’en débarrasser serait d’en parler ouvertement. Comme un menteur qui dirait : « Je vous aver
514 r telle et telle raison aisément vérifiable. » Ce serait instructif et amusant. Je veux ma gloire, et je ne l’avoue jamais — j
515 j’aime et qui me connaissez. Vous savez ce que je suis , et si vous appreniez un jour que j’ai de la gloire, que sauriez-vous
516 es — mais non comme une erreur — je veux cela. Qu’ est -ce donc que « gloire », dont la prononciation, pour peu d’emphase que
517 triomphal accord clamé, ou cet instant plutôt qui est au seuil de sa résolution fondamentale — quel est ce seuil, et que no
518 est au seuil de sa résolution fondamentale — quel est ce seuil, et que nous ouvrent, sur quel ciel, les symphonies ? Je n’o
519 l, les symphonies ? Je n’ose pas dire que je veux être Dieu. Ce serait là, pourtant, ma vérité, la vérité de mon mensonge. E
520 ies ? Je n’ose pas dire que je veux être Dieu. Ce serait là, pourtant, ma vérité, la vérité de mon mensonge. Est-ce à cause qu
521 , pourtant, ma vérité, la vérité de mon mensonge. Est -ce à cause que mon nom est : mensonge, que je voudrais la gloire et n
522 érité de mon mensonge. Est-ce à cause que mon nom est  : mensonge, que je voudrais la gloire et ne sais pas pourquoi ? Ou n’
523 e pas savoir pourquoi… Ce que je n’ose pas savoir est angoisse. Angoisse est le nom du secret que je sers sans oser le serv
524 Ce que je n’ose pas savoir est angoisse. Angoisse est le nom du secret que je sers sans oser le servir, parce que je sais q
525 ans oser le servir, parce que je sais que son nom est mensonge, et que c’est moi — qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon ad
526 e son nom est mensonge, et que c’est moi — qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon adversaire. C’est lui seul qui s’oppose à m
527 et que c’est moi — qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon adversaire. C’est lui seul qui s’oppose à ma gloire, et qui me sa
528 omphe. Il n’y a qu’un seul Dieu, celui qui dit Je suis . Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’es
529 n’y a qu’un seul Dieu, celui qui dit Je suis. Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, j
530 Dieu, celui qui dit Je suis. Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, je ne serai rien.
531 Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, je ne serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout,
532 c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, je ne serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout, et tout sera. Ainsi, ô Dieu, déli
533 c’est Dieu, je ne serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout, et tout sera. Ainsi, ô Dieu, délivrez-moi de la gloire ! Mais c
534 serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout, et tout sera . Ainsi, ô Dieu, délivrez-moi de la gloire ! Mais cette prière m’émeut
12 1947, Doctrine fabuleuse. Le nœud gordien renoué
535 nœud gordien renoué Un oracle avait annoncé que serait roi celui qui, debout sur son char, pénétrerait au grand galop dans l
536 mple de Jupiter. Les quelques-uns qui le savaient étaient exclus de la compétition par leur science même : on exigeait l’innoce
537 dénouer ce chef-d’œuvre brut, par Jupiter ! il n’ est pas encore né ! On ne sait rien du règne de Gordius. Mais le nœud qu’
538 sant le nœud d’après nature, l’aimant parce qu’il était dans sa nature… Celui qui prévoyait la science de nos jours, et me di
539 it la science de nos jours, et me disait : « Il n’ est de science que des phénomènes que l’on peut reproduire à volonté. Que
540 énomènes que l’on peut reproduire à volonté. Quel est ce nœud, réel, unique, inimitable, cet objet devant moi indubitable,
541 Elle n’en veut pas. Et si personne n’en veut, il est à moi ! Je le prends : il est ma liberté… » Celui qui murmurait parfo
542 sonne n’en veut, il est à moi ! Je le prends : il est ma liberté… » Celui qui murmurait parfois : C’est consolant ! (par al
543 nt le nœud, après un long regard, elle dit : Ce n’ est pas si ressemblant que cela ! (Elle croyait que son mari ne s’occupai
544 t nul ne s’en allait qu’enrichi d’un mystère. Tel était le culte de Gordium, religion de l’inextricable. Alexandre impatient
545 du nœud-le-plus-simple-du-monde. La guerre civile était près d’éclater entre les Suisses, au xve siècle. Un messager fut env
546 er entre les Suisses, au xve siècle. Un messager fut envoyé à l’Ermite qui vivait dans les Alpes et qui détenait, sans nul
13 1947, Doctrine fabuleuse. Le supplice de Tantale
547 n du Tartare, où la pesante logique de la matière est abolie pour peu que l’homme se manifeste. Serait-ce un pur lieu de l’
548 ère est abolie pour peu que l’homme se manifeste. Serait -ce un pur lieu de l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale est
549 e l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale est ému, où il forme un projet, où il agit, les lois de la chute des corp
550 ois de la chute des corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mort, font place aux lois des dieux, qui sont cell
551 es de la mort, font place aux lois des dieux, qui sont celles de l’esprit ; et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dir
552 et de sa convoitise, emblèmes ou signes, car tout tient ici à des événements intérieurs. Tout tient à l’homme et tout illustr
553 tout tient ici à des événements intérieurs. Tout tient à l’homme et tout illustre une des structures fondamentales de son êt
554 illustre une des structures fondamentales de son être . Tantale avait commis deux crimes, dit la Fable. Admis à la table des
555 air à la table divine. Les liqueurs d’immortalité sont ici comme des signes de la Grâce, dont un homme chercherait à s’empar
556 philanthropie préside au vol de Tantale, quand il est assez clair qu’il jalouse les dieux, leur divination, leur puissance,
557 ensuite aux dieux comme nourriture meilleure, il est surprenant d’observer qu’elle invertit exactement le sacrifice du Fil
558 ils en meurent — s’ils perdent leur divinité de s’ être une fois laissé surprendre et abuser. À cette double infraction aux g
559 répond un châtiment dont on croit deviner qu’il n’ est qu’une double réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu’il a
560 , ou d’un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’ étant , en fait, que ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice de Ta
561 ’histoire du supplice de Tantale, cet automatisme est si sûr qu’il autorise à des spéculations précises, encore que fantast
562 instant où il veut les atteindre, et tout cela ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions de son âme : c’est que celles-
563 t un instant de pur abandon — payé de sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préfère subir le sup
564 la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le désir même douloureux,
565 e nous, préfère le désir même douloureux, d’avoir été mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc lui-même
566 à la proie qu’il ne posséderait qu’en acceptant d’ être changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde s’i
567 l, de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd toujours
568 ividu qui aurait désiré si longtemps que tout son être en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait néce
569 i aurait désiré si longtemps que tout son être en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait nécessairem
570 e en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être -là mourrait nécessairement, et par définition, du don reçu. Ou encore
571 t, et par définition, du don reçu. Ou encore : un être nouveau surgirait dans l’instant du don, pour le recevoir en son lieu
572 entifie à l’une de ses tendances, celui qui gagne est donc toujours un autre. Et celui qui désire ne gagnera jamais. C’est
573 ais. C’est le sophisme de l’empereur : Napoléon n’ est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un qui s’est substitué, sous le
574 est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un qui s’ est substitué, sous le manteau d’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui
575 ’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui rêvait d’ être empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos
576 naparte. Le romantique qui rêvait d’être empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos actes sans do
577 ment. Tous nos succès, tous nos actes sans doute, sont ainsi à quelque degré des modifications de notre identité, des aliéna
578 , des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils sont autant d’usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, et tran
579 rouve ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’ils sont et vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Nev
580 era le protocole. Si tous restent secs, mes biens seront donnés au légataire universel dont le nom va suivre. » À ce point, le
581 qu’il y a d’émouvant dans les livres. Klitte, qui est alsacien, jure que pour tout l’or du monde, une plaisanterie de ce ge
582 ue s’il parvient à pleurer à force de rire, ce ne sera qu’un vol pur et simple, mais l’Alsacien proteste que s’il rit, « c’e
583 rien ne vient. Le jeune prédicateur Flachs, lui, serait tout disposé à se lamenter ecclésiastiquement, mais la vision de la m
584 on de l’oncle, s’avançant vers lui sur ces flots, est bien trop réjouissante… Glanz, le conseiller d’église, se met à faire
585 puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’ êtres , les souffrances du jeune Werther, un petit champ de bataille, lui-mê
586 ra pas : car la vision de la proie qui s’approche sera « bien trop réjouissante » pour son cœur, et le Royaume convoité s’él
587 ives fuiront ses lèvres ; car il faudrait, pour y être immergé, accepter de mourir d’abord à ses propres désirs et à soi-mêm
588 soi-même. (Et c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse de l’Amour insondable. Admirons-en la précision miraculeuse !
14 1947, Doctrine fabuleuse. La fin du monde
589 ruit ; l’idée que vous, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabre » désigne assez bien l’étra
590 us, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabre » désigne assez bien l’étrangeté de la mort des
591 avant midi, pour moi ? Je ne sens pas que l’idée soit tragique : elle m’appartient, je puis en disposer, feindre assez faci
592 poser, feindre assez facilement d’en rire. Elle n’ est pas plus forte que moi. Peut-être même n’est-elle qu’une ruse cousue
593 le n’est pas plus forte que moi. Peut-être même n’ est -elle qu’une ruse cousue de fil blanc de ma vitalité : la seule pensée
594 jamais pu penser notre mort. Contester là-dessus serait fournir l’aveu d’une impuissance à comprendre le mot penser dans son
595 son sens fort. Car penser sa mort réellement, ce serait aussitôt mourir. Peut-être avons-nous là le seul critère d’une perfec
596 le, et l’on conçoit que son application ne puisse être ni rapportée ni répétée. Perfection et Mort en ceci se confondent, qu
597 erfection et Mort en ceci se confondent, qu’elles sont absolument tragiques, c’est-à-dire sans appel. Ontologie de la fin
598 e mort dans le vif, ce phénomène doit normalement être aperçu comme négligeable ; et s’y attarder serait le fait d’une sophi
599 t être aperçu comme négligeable ; et s’y attarder serait le fait d’une sophistique assez gratuite. Ma nature crie à l’utopie d
600 jour, tel jour ordinaire, l’homme meurt. Pourquoi suis -je donc ici à remuer ces choses ? Il est vrai que ce sont les seules
601 ourquoi suis-je donc ici à remuer ces choses ? Il est vrai que ce sont les seules dont l’intérêt grandisse avec le temps, s
602 donc ici à remuer ces choses ? Il est vrai que ce sont les seules dont l’intérêt grandisse avec le temps, si l’on admet que
603 de son but. Si l’homme savait un jour ce qu’il en est de son destin et de sa liberté, s’il voyait à l’œil nu leur sens dern
604 ensée, l’impuissance à choisir sans retour. Vivre est impur, qu’on sache ou non où va la vie, et c’est pourquoi les bonnes
605 sée de la Fin a les meilleures raisons du monde d’ être pensée ; toutefois l’effort entier de notre vie la neutralise. D’où v
606 in, et l’atteste. La crise Le Bas-Empire ne fut « bas », en son temps, qu’aux yeux de ceux qu’une réalité nouvelle il
607 urée ? Mais tout se mêle encore confusément. Nous sommes là comme en rêve, empêtrés dans le sentiment d’une urgence que nous n
608 décret de crise qui sévit au cœur de ce siècle n’ est qu’une première parole, ambiguë, de la Fin. Une première demande d’in
609 nce obscure d’un danger proche, ce crépuscule qui est peut-être une aube, et la frange de cet éclat qui doit consumer toute
610 avons-nous du sens de notre civilisation ? Quelle est sa fin, dès l’origine, quel est son rêve ? La grandeur ? Nous avons d
611 lisation ? Quelle est sa fin, dès l’origine, quel est son rêve ? La grandeur ? Nous avons détruit toute mesure, et plus rie
612 ? Nous avons détruit toute mesure, et plus rien n’ est grand ni petit, mais toute chose sans répit nous provoque à la dépass
613 protéger sa course. L’amour ? La solidarité ? Ce sont des idéaux de ligues, des mots qu’on n’ose plus employer qu’au desser
614 oyer qu’au dessert. La richesse ? Voici qu’elle n’ est plus à la portée des mains humaines, elle n’est plus qu’un symbole ch
615 n’est plus à la portée des mains humaines, elle n’ est plus qu’un symbole chiffré désignant des puissances lointaines. Toute
616 due de la conscience humaine… Car notre volonté n’ est plus de conquérir, mais seulement d’assurer la vie du plus grand nomb
617 renons à vivre, et non plus à mourir : cet effort est contre nature. Il naît au déclin de la vie, et fatalement se retourne
618 se les commandes pour accomplir le Temps… Et nous serons pris au dépourvu, comme nulle autre génération. Car, tandis que le te
619 fense nationale. Avertissement Votre refuge est dans la masse et son Histoire. Vous vous dites en secret qu’elle ne p
620 dites en secret qu’elle ne peut pas mourir, et il est vrai qu’elle ne possède pas de vie réelle, et ne peut donc penser sa
621 ne peut donc penser sa fin, ni rien. Elle ne peut être en soi pensée, et l’homme en elle reste à peu près dénué de réalité,
622 à son tragique et l’humour de la Fin. Tout ce qui est réel, tout ce qui manifeste la présence éternelle de la Fin, tout ce
623 ez-moi : s’il se trouvait que le monde réellement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuas
624 uvait que le monde réellement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuasion où vous vous entr
625 ue vous ? S’il se trouvait que la vérité actuelle fût totalement démesurée ? Qui périrait dans la honte et la rage ? Ceux q
626 utes pentes. Car celui seul qui accepte la mort n’ est pas le jouet du vertige. Le temps vient où les hommes n’auront plus à
627 défendre, mais seulement à se révéler tels qu’ils sont , où qu’ils soient. Plus d’évasions spirituelles. L’homme fuyant la Te
628 eulement à se révéler tels qu’ils sont, où qu’ils soient . Plus d’évasions spirituelles. L’homme fuyant la Terre où le diable s
629 e réfugie sur les hauteurs et découvre que Dieu y est plus dangereux encore, d’une autre sorte, fulgurante. Péripétie
630 aut croire, aujourd’hui, que cela se peut. Cela s’ est produit comme un rêve, ou comme la colère soudain là, ou le printemps
631 ps, ou chaque soir la nuit. (Une première lampe s’ est allumée. Quelqu’un dit : « Elle est là. ») Premier jugement, par l
632 mière lampe s’est allumée. Quelqu’un dit : « Elle est là. ») Premier jugement, par la lumière La fin du monde, irréfu
633 nexprimable. Depuis bientôt mille ans, l’An Mille était passé — « et toutes ses prières perdues ! » — mais ils savaient que r
634 et à jamais qu’au prix de cela justement qu’il n’ était point permis d’imaginer. Celui dont les belles manières sont apprises
635 permis d’imaginer. Celui dont les belles manières sont apprises souffre mal qu’on y passe outre, et très peu d’entre eux pos
636 d’entre eux possédaient la pleine assurance de l’ être . L’Institut de l’opinion planétaire publia les premiers résultats d’u
637 mme, intelligence et belle âme comprises. Et ce n’ est point que nous aimions la mort comme telle. Bien au contraire, ce qu’
638 ultivez, qui conduit à la mort et la mérite. Nous sommes tout simplement au jour du Jugement. Il sera porté aussi bien sur vot
639 us sommes tout simplement au jour du Jugement. Il sera porté aussi bien sur votre élan vital que sur l’élan mortel. Car il n
640 En Face. Ici le futur nous attend, ce futur qui n’ était pour nous qu’un recul devant le présent. Ici le temps dit oui pour la
641 nt qui le juge et l’accomplit, notre temps, qui n’ était pour nous qu’un refus de l’instant éternel. Et l’Histoire tout entièr
642 lons voir paraître enfin leur justification, leur être . Voici l’instant où les hommes s’aperçoivent que leurs efforts et leu
643 forts et leurs soucis se tournaient vers ce qui n’ est rien, vers une Absence douloureuse, alors que c’est la seule Présence
644 ouloureuse, alors que c’est la seule Présence qui est terrible en sa splendeur et difficile à supporter, le seul Amour appa
645 upporter, le seul Amour apparaissant qui menace d’ être insoutenable : il nous trouve sans préparation. L’on ne s’était défen
646 able : il nous trouve sans préparation. L’on ne s’ était défendu que de l’autre côté, du côté de ce monde mal fait… Parut un s
647 lus vaste et blanc dans l’univers entier. Ils se sont tout d’abord sentis gênés, balourds, ne sachant trop quelle contenanc
648 ù tout œil rend ce qu’il reçoit, où le grand jour est tout en tous. Ce premier Jugement fut la Salutation. Second jugeme
649 grand jour est tout en tous. Ce premier Jugement fut la Salutation. Second jugement ou sommation Voici le principe d
650 es aveuglements, de sa tendresse. C’est ainsi que fut déclarée l’incomparable qualité de son péché et mesuré le degré d’êtr
651 parable qualité de son péché et mesuré le degré d’ être de son être tel qu’il l’avait librement fait en le vivant. L’examen d
652 ité de son péché et mesuré le degré d’être de son être tel qu’il l’avait librement fait en le vivant. L’examen des raisons d
653 cupa moins de temps qu’on n’imagine. La procédure était , en effet, des plus simples. — Témoignez, disait-on, de la vie que v
654 nez, disait-on, de la vie que vous possédez. Quel est votre plus vrai désir ? Les sages répondaient : — Nul ne possède vrai
655 des joies qu’il rencontrait ; et son désir ainsi fut exaucé. Un autre voulait vivre abondamment au sein d’une perpétuelle
656 ’une perpétuelle pauvreté. Devint soleil. Et quel est celui qui s’approche avec son parapluie mal fermé sous le bras, et de
657 dessus du sourire de la plus fervente ironie ? Qu’ est -ce qu’il grommelle sous son chapeau de paille8 ? « Qu’il voudrait sub
658 ablement de Celui qui d’un choix me créa. » (Nous fûmes tous saisis d’un vertige à ce discours d’une furieuse démesure, mais
659 e angélique hilarité. Et nous sûmes que cet homme était très grand.) Troisième jugement ou le pardon Toute chose a son
660 essor. Et chacun de nous accède au destin qu’il s’ est fait, à la parfaite possession de soi-même, à son enfer ou à son ciel
661 r ou à son ciel, dans la consommation de tout son être , au faîte inconcevable du désir comblé, et comblé pour l’éternité. « 
662 te avec soi la rétribution de nos œuvres » — elle est en Lui, non dans nos œuvres. Commence l’œuvre du Pardon. « Et que cel
663 au de la vie, gratuitement. » Car maintenant tout est payé. Tout est gratuit. Et c’est alors que toutes les voix des juste
664 ratuitement. » Car maintenant tout est payé. Tout est gratuit. Et c’est alors que toutes les voix des justes confondues cl
15 1947, Doctrine fabuleuse. L’eau ou L’esprit de la tempête
665 l’Esprit descendit sur les eaux, et que sa danse fut noyée dans la substance sous-marine, la Tempête devint l’âme des eaux
666 hommes qui voulaient encore la danse pour danser furent noyés : ils allèrent la chercher dans cette profondeur où l’Esprit po
667 le psalmiste, la douleur l’a noyé, et son salut n’ est plus que dans la mort par l’eau. L’amertume acceptée jusqu’à la mort
668 fie et le rend à l’Esprit. 5. — L’eau du Baptiste est l’eau mortelle de l’Esprit, la danse de l’Esprit dans l’âme des enfan
669 re. Et l’homme s’y noie et y meurt de douleur, il est noyé par l’amertume non par l’eau. C’est la saveur d’une vie nouvelle
670 . C’est la saveur d’une vie nouvelle. 6. — « Vous êtes le sel de la Terre », leur fut-il dit. Mais l’Esprit danse dans les e
671 elle. 6. — « Vous êtes le sel de la Terre », leur fut -il dit. Mais l’Esprit danse dans les eaux salées. Méditez le symbole
672 ertume et dans la danse. 7. — Les grandes eaux ne sont pas pour nos soifs, car l’assoiffé n’y trouve qu’un désert. C’est com
673 de soif dans l’eau de l’amertume, là où l’ivresse est impossible, et où le sel a sa saveur de mort, c’est la vie même de l’
674 uitement. L’amertume acceptée, la mort par l’eau, est le prix du Royaume, un don pur. 9. — Ainsi pour l’homme deux fois né,
675 ns la danse, mais ressuscité par l’Eau vive, il n’ est plus d’obole de péage. L’Esprit le porte sur les eaux, vol de colombe
16 1947, Doctrine fabuleuse. Antée ou La terre
676 hampion du monde, subit la hantise des forts, qui est de ne point faire honneur constamment à sa force. Noblesse oblige au
677 oblige au tout ou rien : s’il perd une fois, c’en est fini. Jamais il ne se sent plus angoissé qu’à la veille d’une épreuve
678 il s’éprouve cependant chargé d’une fièvre. Ce n’ est pas l’impatience de combattre, mais au contraire un besoin obsédant d
679 e. Ces dispositions, bien connues du manager, ont été qualifiées par lui, devant les journalistes, de « tendance névrotique
680 du champion. La foule moderne adore que ses héros soient un peu détraqués, ces faiblesses les rendant plus humains, selon le l
681 t plus humains, selon le langage courant. Le fait est qu’Antée, jusqu’ici, déployant des trésors d’astuce à faire pâlir tou
682 répétée du manager.) « … … …Complexe d’Œdipe : me suis vu contraint de renoncer à cette hypothèse, après deux ans de travail
683 stère. Lors d’une de nos dernières séances, je me suis risqué à une allusion courtoise à sa légende bien connue. Il est entr
684 e allusion courtoise à sa légende bien connue. Il est entré dans une fureur terrible, a cassé le canapé en deux comme une a
685 e de tout ». Au cours des séances suivantes, il s’ est expliqué plus posément. Je déplore, pour la clarté de ces notes, que
686 es notes, que l’appareil conceptuel de mon client soit aussi nettement déficient, mais mon devoir est de consigner ou de rés
687 t soit aussi nettement déficient, mais mon devoir est de consigner ou de résumer ses paroles (plusieurs expressions argotiq
688 i de la terre sur les doigts, s’ils disent que je suis sale, je l’ai sec. Je me lave. Avec la terre je me lave… C’est le con
689 ne. Quand j’ai mes humeurs, je me sens faible. Je suis tout chargé. Ça me donne sur les nerfs. Plus qu’il m’isole dans mes b
690 fermente dans le sang. Les humeurs, comme on dit, est -ce qu’on sait seulement ce que c’est, les humeurs ? C’est toujours da
691 re. Je me dis : tu ne pourras plus cette fois, tu es trop nerveux. Je deviens comme fou ! Mais le bon Dieu m’aime, je fini
692 me elle vous les nettoie, la terre ! » 9. Antée est le fils de Poséidon et de la Terre. Depuis la séparation des Eaux, le
693 rottements. Les rapports entre la Terre et le Feu sont beaucoup plus dramatiques.
17 1947, Doctrine fabuleuse. Le feu
694 stoire, car il met le vide sur les têtes. Le vide est quelque chose d’insatiable… Alors elle se mit à conter : « Les Indien
695 . Sauf le Sommeil, le plus profond Oubli, où l’on était en n’étant pas. Pour le joindre, il fallait se jeter dans l’Abîme. To
696 ommeil, le plus profond Oubli, où l’on était en n’ étant pas. Pour le joindre, il fallait se jeter dans l’Abîme. Tout ce qui n
697 , il fallait se jeter dans l’Abîme. Tout ce qui n’ était que précipice était admis. Mais bientôt ils ont vu que le vide, et l’
698 r dans l’Abîme. Tout ce qui n’était que précipice était admis. Mais bientôt ils ont vu que le vide, et l’abîme, et le précipi
699 ient pas se rejoindre vraiment dans l’Oubli. Ce n’ était pas le vrai commencement de tout. Alors des prêtres leur ont dit que
700 l’on pouvait admettre la Lumière. Que la Lumière était comme le Vide. Puis d’autres prêtres ont trouvé que la lumière signif
701 corps et ne les veut pas, c’est le Vide. L’Eau a été admise. Et de l’Eau est sorti le Monstre-qui-sort-de-l’Eau, insatiabl
702 s, c’est le Vide. L’Eau a été admise. Et de l’Eau est sorti le Monstre-qui-sort-de-l’Eau, insatiable, et qui veut tout mang
703 qui veut tout manger. C’était le Vide, le Monstre fut admis. Et le Monstre leur fit craindre le Feu, l’ennemi de l’Eau, en
704 Feu, l’ennemi de l’Eau, en leur disant que le Feu était le plus puissant de tous, dévorant tout, voulant que rien n’existe ou
705 s : c’était le Néant le plus fort. Et la prière a été inventée, avec des chants, pour apprivoiser Flamme et Feu. Les femmes
706 r cuire les aliments sous les Tropiques. Le Feu n’ était que l’invité qui détruisait forêts, gens et maisons, étant admis… » N
707 l’invité qui détruisait forêts, gens et maisons, étant admis… » Nous regardions le feu dans la cheminée. Je pensais à l’amou
708 us, la voie qui mène au Commencement de tout, qui est la vraie Fin.