1
. Et leurs fables illustrent les drames réguliers
de
la vie affective et spirituelle, c’est-à-dire proprement humaine, tan
2
dire proprement humaine, tandis que les équations
de
la physique traduisent les structures de l’énergie considérée comme o
3
quations de la physique traduisent les structures
de
l’énergie considérée comme objective. Ces deux approches du réel, l’u
4
ier. Les vrais mythes sont universels. L’histoire
de
Cendrillon peut être retrouvée chez les peuples les plus divers de to
5
t être retrouvée chez les peuples les plus divers
de
tous les temps. (On en a réuni cent-trente-et-une versions.) Ces peup
6
niqué entre eux mais avec la réalité constitutive
de
notre condition humaine, profond trésor de formes dynamiques d’où rem
7
tutive de notre condition humaine, profond trésor
de
formes dynamiques d’où remontent aux moments décisifs, quand nous som
8
tion humaine, profond trésor de formes dynamiques
d’
où remontent aux moments décisifs, quand nous sommes comme on dit remi
9
sommes comme on dit remis en jeu, les archétypes
de
nos émotions les plus sincères et les plus surprenantes. Enfin les my
10
tes. Enfin les mythes révèlent les thèmes communs
de
situations bien différentes en apparences. C’est ainsi que l’on décou
11
insi que l’on découvre Don Juan dans le mouvement
de
la pensée de Nietzsche, le Supplice de Tantale dans un récit de Jean-
12
découvre Don Juan dans le mouvement de la pensée
de
Nietzsche, le Supplice de Tantale dans un récit de Jean-Paul. De même
13
mouvement de la pensée de Nietzsche, le Supplice
de
Tantale dans un récit de Jean-Paul. De même nous appliquons les dicto
14
e Nietzsche, le Supplice de Tantale dans un récit
de
Jean-Paul. De même nous appliquons les dictons et proverbes aux occas
15
ns les dictons et proverbes aux occasions variées
de
la vie quotidienne, identifiées par cette algèbre populaire. Et les p
16
es prédicateurs ramènent l’actualité à tel verset
de
l’Évangile du jour, dont l’usage est alors mythique, au sens où je l’
17
l’entends ici. Il m’a semblé que le rapprochement
de
ces trois mots : mythe, événement, réalité, était de nature à oriente
18
ces trois mots : mythe, événement, réalité, était
de
nature à orienter le lecteur mieux qu’un discours d’apparence méthodi
19
nature à orienter le lecteur mieux qu’un discours
d’
apparence méthodique mais qui aurait eu le tort, au seuil de cet ouvra
20
e méthodique mais qui aurait eu le tort, au seuil
de
cet ouvrage, de n’être pas lui-même fabuleux.
21
s qui aurait eu le tort, au seuil de cet ouvrage,
de
n’être pas lui-même fabuleux.
22
ui signifie, en somme : êtes-vous un être capable
d’
aimer, ou seulement une apparence adorable ? Voici ma question : préfé
23
notre souffrance, ou même qu’il est le contraire
de
la souffrance, petite fille ! Et vos rêves composent toujours le même
24
! Et vos rêves composent toujours le même paysage
de
carte postale en couleurs, idéal inévitable de ceux qui n’ont pas de
25
ge de carte postale en couleurs, idéal inévitable
de
ceux qui n’ont pas de point de vue sur le beau temps. Écoutez-moi, So
26
couleurs, idéal inévitable de ceux qui n’ont pas
de
point de vue sur le beau temps. Écoutez-moi, Sonnette : vos actions,
27
, Sonnette : vos actions, vos pensées, votre idée
de
l’amour se réfèrent en vérité à une carte postale en couleurs. Et non
28
. (Un silence.) Sans doute, Sonnette, portez-vous
de
ces courtes bottes vernies, quand il pleut ? Sonnette. Quand j’étais
29
s jambes nues sous la pluie. L’herbe était pleine
de
limaces et de petits escargots, et les framboises humides avaient un
30
sous la pluie. L’herbe était pleine de limaces et
de
petits escargots, et les framboises humides avaient un délicieux goût
31
t un délicieux goût fade. Je rentrais toute fière
de
mes genoux griffés comme ceux des garçons, et le soir quand quelqu’un
32
ens sont toujours religieux, alors que les femmes
de
ce temps sont seulement sournoises. Sonnette. Lord Artur, vous m’amu
33
e jaloux, ce soir. Quand vous cédez à votre manie
de
remuer des métaphysiques à propos de petits riens, c’est toujours par
34
rer qu’il faut être chrétien pour parler sagement
de
la pluie et du beau temps. Lord Artur. J’ai toujours estimé, Sonnett
35
Je regrette profondément que vous n’ayez pas plus
de
sens qu’un oiseau. Sonnette, si vous étiez païenne ou si vous étiez c
36
ieu rendu visible et le « bonheur » serait le nom
de
sa présence. Mais un jour, la lumière est morte autour de nous, elle
37
e à la surface des choses pour renaître au centre
de
l’homme. Et désormais, de tous les événements qui paraissent autour d
38
pour renaître au centre de l’homme. Et désormais,
de
tous les événements qui paraissent autour de nous, aucun n’importe, s
39
lui qui dans le même temps se passe à l’intérieur
d’
un être. Ainsi tout est changé, mais peu le savent. Peu savent le chem
40
ent le chemin qui va du signe à l’être, le chemin
de
l’incarnation. Longues pluies de printemps sur la campagne recueillie
41
’être, le chemin de l’incarnation. Longues pluies
de
printemps sur la campagne recueillie, tempêtes sur les hautes pentes
42
es hautes pentes — c’est mon beau temps, le temps
de
la présence. Car je sais pour quel « bien » désiré je les aime. Pourt
43
situe leur lieu, j’établis en ce lieu la demeure
de
mes pensées. Ainsi, nous dit la Fable, fit Myscille, habitant d’Argo
44
Ainsi, nous dit la Fable, fit Myscille, habitant
d’
Argos. N’ayant pu débrouiller le sens de l’Oracle qui lui avait dit d’
45
habitant d’Argos. N’ayant pu débrouiller le sens
de
l’Oracle qui lui avait dit d’aller bâtir une ville là où il trouverai
46
débrouiller le sens de l’Oracle qui lui avait dit
d’
aller bâtir une ville là où il trouverait la pluie et le beau temps, i
47
tisane qui pleurait, et en ce lieu bâtit la ville
de
Crotone. Sonnette. Dites-moi, Lord Artur, si je pleurais, quel temp
48
ui me réchauffe. Parce qu’elle se tient là, vêtue
de
son péché — comme une courtisane. Mais vous n’êtes qu’une petite fill
49
et il disait en rajustant ses écailles oculaires
de
critique d’art : Ça n’est pas étonnant que votre Léda en soit réduite
50
se faire aimer par son cygne. Quel homme voudrait
d’
une femme pareille ? Un mari. Vous lui avez répondu ?… Le peintre. N
51
t, je lui ai dit que mon cygne n’avait pas besoin
de
lunettes. Le mari. Vous auriez pu lui faire observer que votre Léda
52
lle est faite pour lui. Je n’en dirais pas autant
d’
Ellen. Pas faite pour un critique ! Jolie, oui. Mais je pensais, en le
53
sant leur légitime et monstrueux époux ! Question
de
convenance comme nous le disions hier1. Je trouve leur union déplaisa
54
lez dire ? Le mari. Qu’il se trompait en parlant
de
votre Léda comme si elle n’eût pas été dans un cadre, et que vous vou
55
et que vous vous trompez pareillement en parlant
de
leur couple comme s’il était un tableau. Le peintre. Bien ! Dois-je
56
ste une morale du cadre, et une autre, une espèce
de
morale sans cadre, qui concernerait par exemple ce critique et sa fem
57
versité du monde. Car la morale concerne la façon
d’
exister de chaque être, et non sa classification, l’homme de chair et
58
monde. Car la morale concerne la façon d’exister
de
chaque être, et non sa classification, l’homme de chair et non pas so
59
de chaque être, et non sa classification, l’homme
de
chair et non pas son concept. Le peintre. Pardonnez-moi, je ne compr
60
z-moi. Le mari. Une morale qui concerne la façon
d’
exister particulière et concrète de chaque être, une morale qui non se
61
cerne la façon d’exister particulière et concrète
de
chaque être, une morale qui non seulement tienne compte de cette faço
62
être, une morale qui non seulement tienne compte
de
cette façon d’exister, mais encore ait pour seul principe de l’assure
63
le qui non seulement tienne compte de cette façon
d’
exister, mais encore ait pour seul principe de l’assurer — ou plutôt d
64
çon d’exister, mais encore ait pour seul principe
de
l’assurer — ou plutôt d’assurer son risque permanent, si je puis dire
65
e ait pour seul principe de l’assurer — ou plutôt
d’
assurer son risque permanent, si je puis dire… Mais il faudrait expliq
66
endez, attendez ! Revenons à notre Léda. J’essaie
de
voir. Quelle est, selon vous, sa façon d’exister particulière et conc
67
’essaie de voir. Quelle est, selon vous, sa façon
d’
exister particulière et concrète ? Quel est son risque ? Le mari. Vou
68
le ne peut en sortir, elle ne peut pas se déplier
de
ce riche accroupissement que j’admirais tout à l’heure. Et celui qui
69
e et se comporte en moraliste, non point en homme
de
sens. Au contraire, celui qui la considère dans son existence propre,
70
ans son rapport avec le cygne et dans les limites
de
ce cadre, celui-là la considère aussi dans son risque propre, et peut
71
la peinture au nom de vos dogmes, nous fabriquer
de
l’allégorie, du bergsonisme de Prix de Rome, une métaphysique pictura
72
es, nous fabriquer de l’allégorie, du bergsonisme
de
Prix de Rome, une métaphysique picturale et une picturalité pataphysi
73
fabriquer de l’allégorie, du bergsonisme de Prix
de
Rome, une métaphysique picturale et une picturalité pataphysique ! Mo
74
une picturalité pataphysique ! Moi, j’appelle ça
de
l’académisme. … Je me moque du beau idéal comme du bien moral. Ça ne
75
e correspond à aucune couleur connue. Je m’occupe
de
rapports de tons et de masses, je n’en sors pas, et il en sortira ce
76
à aucune couleur connue. Je m’occupe de rapports
de
tons et de masses, je n’en sors pas, et il en sortira ce qu’il en pou
77
ouleur connue. Je m’occupe de rapports de tons et
de
masses, je n’en sors pas, et il en sortira ce qu’il en pourra sortir,
78
z comme vous l’entendrez. Ce qui m’importe, c’est
de
faire jouer des valeurs et des lignes. Je ne vois là qu’un seul risqu
79
. Maintenant, si vous m’écoutez, il n’y aura plus
de
malentendu. Vos couleurs existent dans leurs rapports sur une toile :
80
le tableau que vous faites. C’est là votre morale
de
peintre, et c’est aussi le lieu de votre risque, j’entends le lieu où
81
à votre morale de peintre, et c’est aussi le lieu
de
votre risque, j’entends le lieu où vous créez vous-même vos mesures,
82
es, où vous êtes à la fois le créateur et le juge
de
vos difficultés ou de vos succès, ou vous êtes votre vérité, index su
83
fois le créateur et le juge de vos difficultés ou
de
vos succès, ou vous êtes votre vérité, index sui et falsi… Ainsi vous
84
vous existez vraiment et vous n’êtes justiciable
d’
aucune règle extérieure à votre action. Je dirai plus. L’amateur d’art
85
térieure à votre action. Je dirai plus. L’amateur
d’
art, en présence de votre tableau, bien loin de le juger selon quelque
86
rapports singuliers qui manifestent la loi intime
de
ce tableau. Il doit commencer, dis-je, par se soumettre à l’existence
87
plus ou moins à une carte postale. Notre critique
d’
hier, tenez, nul besoin de gratter beaucoup pour trouver la carte post
88
postale. Notre critique d’hier, tenez, nul besoin
de
gratter beaucoup pour trouver la carte postale au fond de son esprit.
89
er beaucoup pour trouver la carte postale au fond
de
son esprit. Le mari. Je vais vous étonner. Le peintre. Essayez. Le
90
e mari. Tel le prestidigitateur, je vais extraire
de
votre tête à vous une magnifique carte postale ! Le peintre. Je comp
91
e ! deux !… Le mari. Trois ! Pourquoi dites-vous
d’
une femme : « Elle est jolie » ?…D’une femme comme Ellen, par exemple,
92
t jolie » ?…D’une femme comme Ellen, par exemple,
d’
une femme qui n’est pas la vôtre, en aucune manière… Le peintre, aprè
93
, en aucune manière… Le peintre, après un moment
de
réflexion. Difficile, à vrai dire. Ne pensez-vous pas que chacun a «
94
chacun a « son type », comme on dit ? Son « type
de
femme » ? D’ailleurs ce sont les peintres qui créent ces types. Ruben
95
ur ». Et vous jugez à partir de Renoir à peu près
de
la même façon que votre coiffeur à partir d’une de ces cartes qui rep
96
près de la même façon que votre coiffeur à partir
d’
une de ces cartes qui représentent un amoureux au teint de cire penché
97
e la même façon que votre coiffeur à partir d’une
de
ces cartes qui représentent un amoureux au teint de cire penché sur u
98
ces cartes qui représentent un amoureux au teint
de
cire penché sur une beauté bleuâtre, le tout sur fond bistré et artis
99
fond bistré et artistique. Je parle bien entendu
de
vos jugements désintéressés. Quand il s’agit de faire l’amour, ou seu
100
u de vos jugements désintéressés. Quand il s’agit
de
faire l’amour, ou seulement de faire un portrait, j’aime à croire que
101
s. Quand il s’agit de faire l’amour, ou seulement
de
faire un portrait, j’aime à croire que vous usez d’une mesure plus ré
102
faire un portrait, j’aime à croire que vous usez
d’
une mesure plus réelle. Mais sans doute ne pourriez-vous pas la formul
103
Le peintre. Peut-être aussi n’ai-je pas du tout
de
« mesure réelle » ? Le mari. Il y a ainsi des hommes qui croient n’a
104
s, dans la confusion permanente et la dégradation
de
tous leurs préjugés. La beauté, par exemple. La beauté physique n’exi
105
i s’établit entre un sujet d’une part et un objet
de
l’autre, entre un homme et une femme, par exemple. Si le sujet n’a da
106
éal. Mais il n’a pas conscience, encore une fois,
de
projeter sur les objets cet idéal. Il constate seulement qu’aucune fe
107
’a plus aucune exigence. Le peintre. Qui n’a pas
de
carte postale dans l’esprit ? ou mieux encore, quelle différence voye
108
différence voyez-vous entre un homme qui n’a pas
de
carte postale dans l’esprit, et n’en a jamais eu, et un homme qui n’a
109
it, et n’en a jamais eu, et un homme qui n’a plus
de
carte postale dans l’esprit parce qu’il l’a complètement brouillée et
110
seul homme qui n’a pas une carte postale au fond
de
sa vision, c’est celui qui, devant une femme, non seulement méprise d
111
elui qui, devant une femme, non seulement méprise
de
juger — belle ou laide — non seulement se tait, mais encore se tait f
112
t jusqu’à ce qu’il comprenne et juge le vrai sens
de
son trouble. Le peintre. Et alors ? Le mari. Et alors il se tait pe
113
pour eux-mêmes ? Naturellement, ils se conduisent
d’
une façon absurde. Et comment pourrait-il en être autrement ? Ils pers
114
ait-il en être autrement ? Ils persistent à juger
de
toutes les femmes, de toutes les autres femmes, selon les canons esth
115
nt ? Ils persistent à juger de toutes les femmes,
de
toutes les autres femmes, selon les canons esthétiques de la masse, s
116
s les autres femmes, selon les canons esthétiques
de
la masse, selon le préjugé académique en cours, selon cette espèce de
117
e préjugé académique en cours, selon cette espèce
de
type statistique composé des traits raciaux les plus marquants et qu’
118
r même. N’allez pas dire au citoyen Durand, époux
d’
une femme obèse mais rajeunie par les soins de l’art, que l’idéal n’ex
119
oux d’une femme obèse mais rajeunie par les soins
de
l’art, que l’idéal n’existe pas, que le beau idéal est une farce, que
120
duire par les mêmes moyens le poitrail affligeant
de
Mme Dupont. Vous seriez dénoncé, on sourirait avec aigreur à votre ap
121
re approche, peut-être même vous soupçonnerait-on
de
sadisme, ou de quelque horrible projet de subversion sociale… Le pei
122
ut-être même vous soupçonnerait-on de sadisme, ou
de
quelque horrible projet de subversion sociale… Le peintre. Et l’on n
123
rait-on de sadisme, ou de quelque horrible projet
de
subversion sociale… Le peintre. Et l’on n’aurait pas tort. Voyez-vou
124
approche, c’est plutôt parce qu’ils ne savent pas
de
quoi vous leur parlez. L’homme du bourg est ainsi fait : tout ce qu’i
125
t attenter par quelque voie secrète à la sécurité
de
son état. Mais il est trop facile de les railler, c’est déprimant, on
126
la sécurité de son état. Mais il est trop facile
de
les railler, c’est déprimant, on tape dans le vide. Je sais un cas bi
127
s intéressant : le vôtre. Le cas peut-être unique
de
l’homme qui soutient vos théories sur la relativité de la beauté phys
128
homme qui soutient vos théories sur la relativité
de
la beauté physique, et qui est cependant l’époux d’une jolie femme, p
129
la beauté physique, et qui est cependant l’époux
d’
une jolie femme, permettez-moi de le dire… Le mari. Je ne vous le per
130
ependant l’époux d’une jolie femme, permettez-moi
de
le dire… Le mari. Je ne vous le permets pas. Je ne le permets à pers
131
. Je vous le répète : la beauté n’est pas le fait
d’
une image ou d’une comparaison d’images, mais d’un acte de notre espri
132
pète : la beauté n’est pas le fait d’une image ou
d’
une comparaison d’images, mais d’un acte de notre esprit, d’un acte to
133
’est pas le fait d’une image ou d’une comparaison
d’
images, mais d’un acte de notre esprit, d’un acte tout à fait personne
134
t d’une image ou d’une comparaison d’images, mais
d’
un acte de notre esprit, d’un acte tout à fait personnel. La beauté n’
135
age ou d’une comparaison d’images, mais d’un acte
de
notre esprit, d’un acte tout à fait personnel. La beauté n’est jamais
136
araison d’images, mais d’un acte de notre esprit,
d’
un acte tout à fait personnel. La beauté n’est jamais donnée hors d’un
137
ait personnel. La beauté n’est jamais donnée hors
d’
une situation totale, du rapport d’un je à un toi au cœur d’une présen
138
is donnée hors d’une situation totale, du rapport
d’
un je à un toi au cœur d’une présence concrète. Si vous ne m’avez pas
139
ation totale, du rapport d’un je à un toi au cœur
d’
une présence concrète. Si vous ne m’avez pas compris, je vais être obl
140
i vous ne m’avez pas compris, je vais être obligé
de
vous considérer à mon tour comme dangereux, insensé et sans pudeur. C
141
reux, insensé et sans pudeur. Car vous n’êtes pas
de
ceux qui renoncent. Vous êtes tout à fait moderne. Les barrières sont
142
ous le demande maintenant, quelle est cette façon
de
séparer un mari de sa femme ? Où prenez-vous le droit de juger l’un c
143
tenant, quelle est cette façon de séparer un mari
de
sa femme ? Où prenez-vous le droit de juger l’un comme s’il ne formai
144
rer un mari de sa femme ? Où prenez-vous le droit
de
juger l’un comme s’il ne formait pas avec l’autre « une seule chair »
145
air » ? Ou bien allez-vous soutenir que la beauté
d’
un couple est simplement la somme des deux beautés unies pour le forme
146
le former ? Ce serait déraisonner. Non, la beauté
d’
un couple est un acte, comme le mariage ; elle est absolument d’une au
147
t un acte, comme le mariage ; elle est absolument
d’
une autre essence que la beauté de l’homme seul et de la femme seule,
148
est absolument d’une autre essence que la beauté
de
l’homme seul et de la femme seule, elle les anéantit et les remplace
149
ne autre essence que la beauté de l’homme seul et
de
la femme seule, elle les anéantit et les remplace une fois pour toute
150
eux, c’est aussi mon métier, on ne se permet plus
de
parler des conjoints comme de deux célibataires arbitrairement juxtap
151
n ne se permet plus de parler des conjoints comme
de
deux célibataires arbitrairement juxtaposés. C’est pourtant ce que vo
152
lus réelle. Cette beauté n’est pas dans le visage
de
ma femme ; pourtant, sans ce visage, je ne la concevrais pas. Cette b
153
pas pour moi. Elle nous dépasse et elle a besoin
de
nous. Elle est tout autre que ce que nous sommes ensemble, mais nous
154
tre union nous l’indique, nous la désigne au-delà
d’
elle-même, et nous ordonne à sa Réalité. Et s’il n’en était pas ainsi,
155
pas deux réalités opposables, et qu’au sens plein
de
ces deux mots, on les peut employer l’un pour l’autre. Dans l’un et l
156
pour l’autre. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit
de
savoir « ce qui convient ». Mais cette convenance embrasse-t-elle des
157
s connaissez, Monsieur, sans aucun doute la série
de
portraits en couleurs que publient nos grands magazines : The Man of
158
omme distingué. Je suis venu solliciter l’honneur
de
vous photographier pour cette série. X., une célébrité du jour. Je s
159
der l’objectif, et tenir à la main un grand verre
de
whiskey ? L’agent. Précisément… Veuillez me permettre… Ces six boute
160
me permettre… Ces six bouteilles sont un présent
de
notre maison. Il y a longtemps que nous désirions vous voir, et seuls
161
ous un homme distingué ? L’agent. Voici la liste
de
ceux qui ont bien voulu poser pour nous. Un coup d’œil va vous assure
162
Vous publiez donc ces portraits pour la publicité
de
votre boisson ? Bien. L’idée générale me paraît simple. On incite le
163
guer en imitant ? Devenir distinct en s’efforçant
de
ressembler ? Supposez que votre effort aboutisse, et que tout le mond
164
e tout le monde adopte votre marque. Elle cessera
d’
être une marque de distinction. Vous serez perdu. L’agent. Pas du tou
165
opte votre marque. Elle cessera d’être une marque
de
distinction. Vous serez perdu. L’agent. Pas du tout. Si ce jour béni
166
ur béni arrive jamais, nous changerons simplement
de
slogan. Au lieu de dire : « Soyez distingué, buvez le Nelson », nous
167
e Nelson. » Tel est notre art, et je me fais fort
de
vous en faire bénéficier bon gré mal gré. X. Ainsi vos hommes de dis
168
bénéficier bon gré mal gré. X. Ainsi vos hommes
de
distinction seront devenus des hommes de la vulgarité, des cartes pos
169
s hommes de distinction seront devenus des hommes
de
la vulgarité, des cartes postales en couleurs montrant les modèles mê
170
danger n’est pas grand. Prenez le vieil empereur
d’
Autriche, François-Joseph : tous les cochers d’opérettes viennoises, t
171
ur d’Autriche, François-Joseph : tous les cochers
d’
opérettes viennoises, tels qu’on les voit encore dans nos films, copia
172
taient les mêmes favoris. Cela ne l’empêchait pas
de
rester l’empereur, et un homme parfaitement distingué. X. On affirme
173
Car la conformité aux bons modèles relève plutôt
de
la correction. Mais la politesse véritable relève de l’invention et s
174
la correction. Mais la politesse véritable relève
de
l’invention et surtout du courage, dont le premier degré est la maîtr
175
du courage, dont le premier degré est la maîtrise
de
soi. C’est en somme le début de l’héroïsme… À propos, dans votre gale
176
é est la maîtrise de soi. C’est en somme le début
de
l’héroïsme… À propos, dans votre galerie d’hommes distingués, avez-vo
177
début de l’héroïsme… À propos, dans votre galerie
d’
hommes distingués, avez-vous aussi des héros ? L’agent. Nous sommes f
178
ous aussi des héros ? L’agent. Nous sommes fiers
d’
avoir pris les portraits du fameux amiral Grandisson et du général Mac
179
, nous avons aussi pris quelques GI tout couverts
de
décorations. X. Bien entendu, ces portraits ont paru pendant la guer
180
vers les sportifs, les stars et les grands hommes
d’
affaires. X. En un mot, ceux qu’on peut imiter. Pendant la guerre, on
181
rendu cet héroïsme obligatoire pour des millions
de
nos contemporains. C’était encore une contradiction. Car le héros est
182
ourage, mais le plus grand courage cesse aussitôt
de
l’être s’il est officiellement prescrit. J’ajoute qu’il est rarement
183
me faut-il aller plus loin, et déclarer qu’il est
de
son essence d’être mal vu. Ou pire encore, de n’être jamais vu du tou
184
r plus loin, et déclarer qu’il est de son essence
d’
être mal vu. Ou pire encore, de n’être jamais vu du tout, étant toujou
185
est de son essence d’être mal vu. Ou pire encore,
de
n’être jamais vu du tout, étant toujours unique, incomparable, et trè
186
t justement à l’instant où un homme se voit privé
de
toute assurance exemplaire, jeté dans un destin sans précédent, auque
187
grand. L’agent. Je vois que vous êtes un amateur
de
paradoxes. Quel est selon vous le héros de l’époque ? X. Quelqu’un,
188
mateur de paradoxes. Quel est selon vous le héros
de
l’époque ? X. Quelqu’un, Monsieur, dont vous ne prendrez jamais le p
189
a même pas. Car l’époque ne connaît que des têtes
de
série, tandis que le héros vrai serait inimitable, hors série par déf
190
ant sans que rien en parût au-dehors, avec l’aide
de
la seule énergie qu’il aurait lui-même produite. S’il existe, il est
191
nt tout le tentait, la raison, la morale, le bien
de
son peuple… L’agent. Dans ce cas, je parlerais plutôt d’un raté ou d
192
euple… L’agent. Dans ce cas, je parlerais plutôt
d’
un raté ou d’un orgueilleux qui refuse de tenir son rôle social. Si le
193
nt. Dans ce cas, je parlerais plutôt d’un raté ou
d’
un orgueilleux qui refuse de tenir son rôle social. Si le héros n’est
194
s plutôt d’un raté ou d’un orgueilleux qui refuse
de
tenir son rôle social. Si le héros n’est pas glorieux, qui le sera ?
195
era trompée, nous savons bien qu’elles ont besoin
d’
admiration. Et à mon tour, je me permettrai de signaler une contradict
196
oin d’admiration. Et à mon tour, je me permettrai
de
signaler une contradiction dans les termes, quand vous parlez d’un hé
197
contradiction dans les termes, quand vous parlez
d’
un héros inconnu… X. C’est bien ici que je vous attendais. Toutes cho
198
ont trouvé tous les deux, le même jour, le secret
de
la bombe atomique. Mais l’un renonce à l’exploiter, brûle ses papiers
199
apiers, et s’en va tranquillement faire sa partie
de
billard, tandis que le second saisit sa chance de gloire et devient u
200
de billard, tandis que le second saisit sa chance
de
gloire et devient un héros national : vous avez publié récemment son
201
connu, mais c’est pour la raison précise qui fait
de
lui le héros véritable. Et j’ajoute que c’est lui probablement qui au
202
Avouez que votre idée du héros manque totalement
de
sex-appeal ! De plus, si vous avez vraiment comme idéal celui que vou
203
ins qu’il ne soit très vulgaire et ne tire vanité
d’
une gloire usurpée, plaquée sur lui par la publicité. Mais laissons de
204
, plaquée sur lui par la publicité. Mais laissons
de
côté ces nuances de scrupule. La différence capitale entre celui que
205
r la publicité. Mais laissons de côté ces nuances
de
scrupule. La différence capitale entre celui que vous irez voir parce
206
oit au salut. L’agent. Là encore, je ne vois pas
d’
opposition, ni de difficulté sérieuse. Si j’étais philosophe ou prêtre
207
agent. Là encore, je ne vois pas d’opposition, ni
de
difficulté sérieuse. Si j’étais philosophe ou prêtre, j’essaierais de
208
se. Si j’étais philosophe ou prêtre, j’essaierais
de
convaincre le public que le vrai bonheur se trouve dans le salut. Le
209
onnerai donc un exemple. Vous avez entendu parler
de
Kierkegaard, ce philosophe danois que tous vos magazines se croient o
210
danois que tous vos magazines se croient obligés
de
citer, et quelques-uns déjà se permettent d’en parler. L’un d’entre e
211
igés de citer, et quelques-uns déjà se permettent
d’
en parler. L’un d’entre eux, l’autre jour, me demandait son adresse. J
212
demandait son adresse. Je me suis fait un plaisir
de
la donner. C’est une pierre plate dans un cimetière danois, sur laque
213
l en masse, et qu’il devienne possible en général
de
mélanger toutes choses impunément. Voyez-vous, cet homme Kierkegaard,
214
vous, cet homme Kierkegaard, c’était le type même
de
l’inadapté, du rebut social, de la vipère lubrique, du résistant qui
215
tait le type même de l’inadapté, du rebut social,
de
la vipère lubrique, du résistant qui refuse de comprendre, et du néga
216
l, de la vipère lubrique, du résistant qui refuse
de
comprendre, et du négativiste impénitent qui dit non dans son coin, a
217
e. Car tel que je vous connais, vous n’auriez pas
de
cesse que vous ne l’ayez traîné devant un micro pour qu’il explique a
218
plique aux masses sa grande idée qui est que rien
d’
important ne peut être dit aux masses. Et le programme du Solitaire à
219
rait écouté chaque dimanche par quarante millions
de
personnes avides de faire comme le voisin… Imaginez ce cri suprême d’
220
imanche par quarante millions de personnes avides
de
faire comme le voisin… Imaginez ce cri suprême d’une ironie désespéré
221
de faire comme le voisin… Imaginez ce cri suprême
d’
une ironie désespérée : « Faites comme moi, soyez tous l’Exception ! »
222
’Exception ! » L’agent. Quelle merveilleuse idée
d’
article ! Je sens que la photo sera bonne, nous l’avons prise pendant
223
onne, nous l’avons prise pendant que vous parliez
de
votre sujet préféré. Vous étiez animé, dynamique, tout à fait informa
224
out à fait informal — ce sera parfait ! X., ivre
d’
une rage subite, saisit une bouteille de whiskey et fracasse l’apparei
225
X., ivre d’une rage subite, saisit une bouteille
de
whiskey et fracasse l’appareil de photo. L’agent. Je vous tire mon c
226
t une bouteille de whiskey et fracasse l’appareil
de
photo. L’agent. Je vous tire mon chapeau, Monsieur ! Et je parie que
227
stant, je crois que je tiens mon titre : Le Héros
de
l’Incognito ! X. fait un geste vers la seconde bouteille, mais l’age
228
dialogue sur la carte postale Ars prophetica ou
D’
un langage qui ne veut pas être clair Un critique. J’ai lu vos tro
229
a plus sûre. Il me semble parfois qu’il n’est pas
de
louange préférable à celle-ci : qu’on me fasse grief de mes écrits. J
230
ange préférable à celle-ci : qu’on me fasse grief
de
mes écrits. J’y voudrais voir la preuve d’une certaine grièveté qu’il
231
grief de mes écrits. J’y voudrais voir la preuve
d’
une certaine grièveté qu’ils présentent, comme cela se dit d’une bless
232
ine grièveté qu’ils présentent, comme cela se dit
d’
une blessure… Le critique. Oui, oui… Mais ne tirez pas argument d’une
233
Le critique. Oui, oui… Mais ne tirez pas argument
d’
une exagération de ma critique. Ce qui me gênait, je crois, c’est qu’à
234
oui… Mais ne tirez pas argument d’une exagération
de
ma critique. Ce qui me gênait, je crois, c’est qu’à mon sens vous n’ê
235
us n’allez pas me dire que c’est la bonne manière
de
se faire comprendre ? Le critique. On voudrait être sûr que vous vou
236
i ? Le critique. Assez pour n’être point la dupe
de
vos phrases. Écrire, et surtout en français, ce n’est pas jouer du vi
237
t en français, ce n’est pas jouer du violon. Tout
d’
un coup vous le prenez à double corde, et l’on distingue mal les passa
238
et l’on distingue mal les passages, vous changez
de
ton et l’on voudrait savoir que vous le savez… Il me semble que vous
239
que vous le savez… Il me semble que vous manquez
de
méchanceté pour vos idées. Elles vous séduisent de loin et quand vous
240
e méchanceté pour vos idées. Elles vous séduisent
de
loin et quand vous nous les présentez, elles ont déjà votre complicit
241
es ont déjà votre complicité, je ne sais quel air
de
passion, un peu trop tôt, qui nous surprend… L’auteur. N’est-ce pas
242
ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous faites
de
la poésie, et alors vous jouez sur des surprises, ou bien vous nous p
243
jouez sur des surprises, ou bien vous nous parlez
d’
idées, et dans ce cas, il faut que nous pensions à chaque instant : «
244
icherie. L’auteur. Voulez-vous que nous parlions
de
la clarté ? Je crois deviner que cela nous ramènera dans les environs
245
que cela nous ramènera dans les environs du sujet
de
mes deux précédents dialogues. Le critique. Du moins serez-vous en g
246
curité ? L’auteur. C’est justement ce parti pris
de
clarté que je voudrais proposer maintenant à votre réflexion méfiante
247
. Si vous le permettez, je m’offrirai le ridicule
de
défendre mon propre point de vue. Il se peut que cette maladresse m’e
248
ste nous sommes entre nous et vous n’abuserez pas
de
mes aveux… D’autant qu’ils seront probablement exagérés. Le critique
249
s seront probablement exagérés. Le critique. Que
de
précautions ! Vous êtes en train d’imiter ce héros de je ne sais quel
250
récautions ! Vous êtes en train d’imiter ce héros
de
je ne sais quel album de Tœpffer, qui feint de feindre afin de mieux
251
train d’imiter ce héros de je ne sais quel album
de
Tœpffer, qui feint de feindre afin de mieux dissimuler. Qu’est-ce qu’
252
os de je ne sais quel album de Tœpffer, qui feint
de
feindre afin de mieux dissimuler. Qu’est-ce qu’être clair, à votre av
253
rait-ce pas que la clarté n’est qu’une convention
de
langage ? J’entends : un mot de passe de la tribu, ou une espèce de s
254
qu’une convention de langage ? J’entends : un mot
de
passe de la tribu, ou une espèce de style garanti par l’usage… Le cr
255
nvention de langage ? J’entends : un mot de passe
de
la tribu, ou une espèce de style garanti par l’usage… Le critique. H
256
ends : un mot de passe de la tribu, ou une espèce
de
style garanti par l’usage… Le critique. Hé quoi ! vous savez que tou
257
qui se distingue du langage courant par le souci
de
contrôler ses conventions. Mais ce n’est pas là le seul mode d’expres
258
es conventions. Mais ce n’est pas là le seul mode
d’
expression possible. Le critique. Précisément je souhaitais de vous v
259
possible. Le critique. Précisément je souhaitais
de
vous voir choisir entre un langage franchement poétique et ce langage
260
faudrait s’entendre tout d’abord sur la nécessité
de
cette clarté. Pour ma part je ne saurais concevoir ni respecter d’aut
261
Pour ma part je ne saurais concevoir ni respecter
d’
autre nécessité en général que celle qu’impose la fin de toute pensée.
262
e nécessité en général que celle qu’impose la fin
de
toute pensée. Le critique. Restons, si vous le voulez, sur le plan d
263
rence des raisons et à la fois l’exact ajustement
de
ces raisons à la réalité, qui constitue la fin de l’expression ? L’a
264
de ces raisons à la réalité, qui constitue la fin
de
l’expression ? L’auteur. Oui, dans un monde cartésien, c’est-à-dire
265
à-dire dans le monde du discours. Car le Discours
de
la méthode ne définit en somme qu’une méthode du discours. La fin der
266
somme qu’une méthode du discours. La fin dernière
d’
un discours n’est autre que la cohérence, la vérité elle-même s’y trou
267
rité elle-même s’y trouvant ordonnée à la logique
de
l’enchaînement des phrases. Autrement dit, le discours cartésien n’a
268
ses. Autrement dit, le discours cartésien n’a pas
de
fin qui lui soit transcendante. Il part de ce qu’il suppose clair et
269
’a pas de fin qui lui soit transcendante. Il part
de
ce qu’il suppose clair et facile, et sa marche est une déduction. La
270
le, et sa marche est une déduction. La convention
d’
un tel langage, c’est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit de
271
est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit
de
ne rien introduire dans la chaîne des arguments qui n’ait été d’abord
272
chiffré, et défini en termes simples. À mon tour
de
me défier d’une convention aussi commode. Le critique. Il me semble
273
défini en termes simples. À mon tour de me défier
d’
une convention aussi commode. Le critique. Il me semble qu’il faut y
274
’il faut y voir une garantie contre les illusions
de
la rhétorique flamboyante. Le romantisme a pu s’impatienter d’une all
275
que flamboyante. Le romantisme a pu s’impatienter
d’
une allure aussi scrupuleuse, mais c’est qu’il a le goût de se tromper
276
ure aussi scrupuleuse, mais c’est qu’il a le goût
de
se tromper et de tromper. L’auteur. Pour moi, je crains une duperie
277
euse, mais c’est qu’il a le goût de se tromper et
de
tromper. L’auteur. Pour moi, je crains une duperie moins naïve dans
278
n’est-il pas, comme l’a dit un Russe, « le monde
de
l’imprécis et du non-résolu » ? Ou comme l’écrit Descartes lui-même,
279
nde des choses « mal compassées » ? L’application
d’
une raison sans parti pris à ce monde tel qu’il est donné, n’a-t-elle
280
’il est donné, n’a-t-elle pas pour effet immédiat
de
multiplier le mystère et les absurdités logiques ? Voyez Kafka… Je me
281
i, je vous en prie ? — la clarté et la simplicité
d’
un certain nombre de postulats abstraits. Ma méfiance porte sur l’arri
282
— la clarté et la simplicité d’un certain nombre
de
postulats abstraits. Ma méfiance porte sur l’arrière-pensée qui prési
283
e porte sur l’arrière-pensée qui présida au choix
de
ces données dites premières. Encore n’est-il pas très exact de recour
284
s dites premières. Encore n’est-il pas très exact
de
recourir ici à l’expression d’arrière-pensée. C’est sans doute une «
285
-il pas très exact de recourir ici à l’expression
d’
arrière-pensée. C’est sans doute une « arrière-image » qu’il faudrait
286
re. Le critique. Ne serait-il pas trop cartésien
de
vous demander de préciser ? L’auteur. J’essaierai de le faire par un
287
Ne serait-il pas trop cartésien de vous demander
de
préciser ? L’auteur. J’essaierai de le faire par un exemple. La méth
288
ous demander de préciser ? L’auteur. J’essaierai
de
le faire par un exemple. La méthode inventée par Descartes est donc d
289
ode inventée par Descartes est donc devenue celle
de
la science. C’est elle dont usent nos physiciens, chimistes et mathém
290
dira-t-on. Je n’en crois rien. Ouvrez un ouvrage
de
science : vous y trouverez au terme de chaque analyse un certain nomb
291
un ouvrage de science : vous y trouverez au terme
de
chaque analyse un certain nombre de phrases traduisant les résultats
292
erez au terme de chaque analyse un certain nombre
de
phrases traduisant les résultats acquis. Or ces phrases ont été chois
293
ble exigence : d’une part elles doivent permettre
de
passer, par une espèce de symbolisme abstrait — si j’ose dire — à la
294
elles doivent permettre de passer, par une espèce
de
symbolisme abstrait — si j’ose dire — à la formule mathématique ; d’a
295
composent un discours cohérent sur les propriétés
de
la matière. Et ce discours n’est qu’un certain système d’images. S’il
296
tière. Et ce discours n’est qu’un certain système
d’
images. S’il se distingue du parler quotidien, c’est avant tout par ce
297
r cette cohérence, c’est-à-dire par cette volonté
d’
exclure les sens ordinairement contradictoires des mots. Ainsi les loi
298
si les lois formulées par la science, ces modèles
d’
expression claire, se réfèrent en réalité à des formes courantes du la
299
réalité à des formes courantes du langage, vidées
de
leurs sens particuliers. Ce procédé est sans danger quand il est appl
300
nce légale n’étant, c’est entendu, qu’une manière
de
parler du réel, et sans cesse corrigée par les faits. Mais où je crie
301
uits par la clarté axiomatique, prétendent partir
de
vérités élémentaires qui ne sont autres que des abstractions opérées
302
utres que des abstractions opérées sur nos formes
de
langage. Je voudrais dire cela plus simplement… La tricherie d’une dé
303
voudrais dire cela plus simplement… La tricherie
d’
une déduction claire consiste en ce qu’elle prétend partir d’un nombre
304
tion claire consiste en ce qu’elle prétend partir
d’
un nombre limité de faits acquis, quand le tout, quand la fin nous éch
305
e en ce qu’elle prétend partir d’un nombre limité
de
faits acquis, quand le tout, quand la fin nous échappent ! Comme s’il
306
pent ! Comme s’il était licite, et même possible,
de
partir de certains éléments et de les déclarer connus, quand on ignor
307
me s’il était licite, et même possible, de partir
de
certains éléments et de les déclarer connus, quand on ignore méthodiq
308
même possible, de partir de certains éléments et
de
les déclarer connus, quand on ignore méthodiquement l’ensemble dont i
309
vous pouviez me montrer chez Descartes un exemple
de
ce recours aux formes du langage courant. L’auteur. Prenons la 3e rè
310
u langage courant. L’auteur. Prenons la 3e règle
de
sa méthode : « Conduire par ordre mes pensées en commençant par les o
311
t, derrière ce jugement, la plus étrange illusion
de
l’esprit : c’est une maxime populaire. On la tient pour tellement évi
312
pour tellement évidente que son rappel, au cours
d’
une discussion, figure presque une insolence. Cette maxime affirme en
313
tte maxime affirme en effet la nécessité générale
de
« commencer par le commencement ». Descartes qui vient d’assimiler sa
314
mencer par le commencement ». Descartes qui vient
d’
assimiler sans sourciller la simplicité d’un objet avec l’aisance à le
315
i vient d’assimiler sans sourciller la simplicité
d’
un objet avec l’aisance à le connaître — c’est encore un tour du langa
316
le plus mauvais tour qu’on ait joué aux écrivains
d’
idées ! Commencer par le commencement ! Aller du simple au compliqué !
317
er du simple au compliqué ! Que cela paraît plein
de
bon sens ! Le beau cliché, la belle absurdité, la magnifique carte po
318
ans vous interrompre davantage aux développements
d’
une pensée qui m’est curieusement étrangère. Vous parliez d’une vision
319
ée qui m’est curieusement étrangère. Vous parliez
d’
une vision totale ?… L’auteur. L’expression vous apparaît privée de s
320
e ?… L’auteur. L’expression vous apparaît privée
de
sens ? Mesurez donc, une bonne fois, toute l’ampleur de ma déraison.
321
s ? Mesurez donc, une bonne fois, toute l’ampleur
de
ma déraison. Laissez-moi parler sans contrainte mon sabir eschatologi
322
rs l’inconnu, les yeux toujours fixés sur son jeu
d’
évidences. On conçoit dès lors qu’elle se meuve avec tellement de préc
323
conçoit dès lors qu’elle se meuve avec tellement
de
précautions, vérifiant à chaque pas le chemin parcouru : elle ignore
324
chaque pas le chemin parcouru : elle ignore tout
de
son but et tiendrait même pour une prévention fâcheuse la croyance qu
325
cheuse la croyance que ce but existe en tout état
de
cause. Pour moi, c’est presque le contraire. Voilà : je sais que je s
326
autres, je les risque dans le noir, dans la nuit
de
la foi ou du pressentiment, soutenu par l’espoir d’une vision renouve
327
la foi ou du pressentiment, soutenu par l’espoir
d’
une vision renouvelée. Voilà le sens, l’orientation de ma démarche, et
328
e vision renouvelée. Voilà le sens, l’orientation
de
ma démarche, et c’est pourquoi je vous disais qu’on ne peut la compre
329
’observateur raisonnable. Le critique. Le propre
d’
une vision pareille, c’est qu’elle est incommuniquable, j’imagine ? L
330
vant les sept couleurs. C’est pourquoi le langage
de
la vision ou de la foi, s’il était pur, serait absolument inexplicabl
331
uleurs. C’est pourquoi le langage de la vision ou
de
la foi, s’il était pur, serait absolument inexplicable, et évident. I
332
er sans fin cette forme significative du tout, et
de
chaque partie dans le tout. Bien entendu, je ne puis avancer aucun ex
333
t. Bien entendu, je ne puis avancer aucun exemple
d’
une telle perfection. Mais il fallait indiquer cette limite pour éclai
334
er — précisément — tout l’entre-deux, la pénombre
de
ce débat. Je vois maintenant deux espèces de langage. Ramenons-les po
335
mbre de ce débat. Je vois maintenant deux espèces
de
langage. Ramenons-les pour simplifier à deux modes d’expression égale
336
angage. Ramenons-les pour simplifier à deux modes
d’
expression également rigoureux et pourtant exclusifs l’un de l’autre.
337
on également rigoureux et pourtant exclusifs l’un
de
l’autre. Le premier serait la loi scientifique. Ses conventions sont
338
ique. Ses conventions sont la clarté et l’absence
de
contradiction. La seconde forme d’expression, ce serait celle dont j’
339
é et l’absence de contradiction. La seconde forme
d’
expression, ce serait celle dont j’essayais de vous faire pressentir l
340
rme d’expression, ce serait celle dont j’essayais
de
vous faire pressentir la limite, en parlant d’un langage inexplicable
341
is de vous faire pressentir la limite, en parlant
d’
un langage inexplicable et pourtant évident. C’est peut-être le verbe
342
impliquer qui distinguera le mieux cette forme-là
de
la première, dont l’office est évidemment d’expliquer. Oui, cette opp
343
e-là de la première, dont l’office est évidemment
d’
expliquer. Oui, cette opposition va nous aider : impliquer le réel com
344
omme tel, et non pas expliquer certaines manières
de
le réduire aux exigences d’un discours cohérent, voilà sans doute le
345
er certaines manières de le réduire aux exigences
d’
un discours cohérent, voilà sans doute le rôle du langage parabolique.
346
voilà sans doute le rôle du langage parabolique.
De
là vient son obscurité. Parler en paraboles, c’est tenter d’exprimer
347
son obscurité. Parler en paraboles, c’est tenter
d’
exprimer un fait ou des idées, en tenant compte du tout qui les englob
348
les englobe. Ou c’est encore se garder avec soin
de
les définir autrement qu’en vue de cette fin dernière vers quoi l’on
349
les faits ou les idées à quelques éléments isolés
de
mesure. Il s’organise tout naturellement en discours, en phrases liée
350
urellement en discours, en phrases liées par voie
de
conséquence. Mais si je parle en paraboles, je n’ai souci que d’une c
351
Mais si je parle en paraboles, je n’ai souci que
d’
une certaine orientation. C’est à partir du terme, encore une fois, qu
352
s’éclairent et se résolvent, et non pas à partir
d’
éléments que j’aurais distingués dès le départ. Une parabole se compre
353
rabole se comprend par la fin. Comme l’expédition
de
Colomb partant pour reconnaître une Amérique de vision. Et cette fin,
354
n de Colomb partant pour reconnaître une Amérique
de
vision. Et cette fin, ce terme, ce télos, tous les hiatus, toutes les
355
ismes du langage doivent l’indiquer comme au-delà
d’
eux-mêmes… ce que ne sauraient faire des arguments toujours fondés sur
356
ur ce qui les précède. Voilà pourquoi le discours
d’
un prophète est le contraire d’un discours. L’événement seul lui rendr
357
urquoi le discours d’un prophète est le contraire
d’
un discours. L’événement seul lui rendra sa raison. Ainsi la parabole
358
liquez-vous le plaisir que je prends à la lecture
de
certaines paraboles dont le sens eschatologique m’échappe, je le supp
359
une petite question, voulez-vous ? Qui a le droit
de
parler en paraboles, et d’être obscur à la manière des prophètes ? L
360
-vous ? Qui a le droit de parler en paraboles, et
d’
être obscur à la manière des prophètes ? L’auteur. Le droit ? Personn
361
t ? Personne, bien sûr ! Personne n’a aucun droit
de
ce genre, si l’on nomme droit la garantie formelle d’un usage. Mais i
362
e genre, si l’on nomme droit la garantie formelle
d’
un usage. Mais il arrive assez souvent que l’on oublie les grandes et
363
on oublie les grandes et graves raisons qu’il y a
de
se taire, ou de parler seulement selon le droit et la décence, en tou
364
andes et graves raisons qu’il y a de se taire, ou
de
parler seulement selon le droit et la décence, en toute clarté. Il ar
365
es ou esprits relâchés, s’abandonnent aux hasards
de
tricheries qui les flattent. Ils appellent cela poésie. On peut toute
366
ie. On peut toutefois imaginer une autre attitude
de
l’être, et qui soit telle que la question du droit ne se pose plus. C
367
estion du droit ne se pose plus. C’est l’attitude
de
l’homme qui a vu quelque chose, ou simplement qui a cru voir, et qui
368
Une vision ne se transmet pas, c’est le contraire
d’
une carte postale. Il s’agit donc de disposer l’esprit dans une certai
369
le contraire d’une carte postale. Il s’agit donc
de
disposer l’esprit dans une certaine orientation au moyen de mots et d
370
dans une certaine orientation au moyen de mots et
de
phrases qui puissent, comme par une ironie, être compris en soi et da
371
sens dernier ne puisse être aperçu sous un angle
de
vision quelconque. Je dis que l’homme qui a vu quelque chose doit par
372
vouerez que dans ces conditions il faut une sorte
de
naïveté très singulière pour endosser le risque d’être obscur. Passe
373
e naïveté très singulière pour endosser le risque
d’
être obscur. Passe encore pour l’homme de Patmos, qui avait vu la fin
374
e risque d’être obscur. Passe encore pour l’homme
de
Patmos, qui avait vu la fin de notre Histoire : l’ampleur de sa visio
375
ncore pour l’homme de Patmos, qui avait vu la fin
de
notre Histoire : l’ampleur de sa vision le sauve. Mais il est des vis
376
qui avait vu la fin de notre Histoire : l’ampleur
de
sa vision le sauve. Mais il est des visions moins illustres, qui n’em
377
ut en bas, dans un fulgurant inventaire. Je parle
de
visions furtives qui sont à celle de l’apôtre comme le Petit Monde au
378
re. Je parle de visions furtives qui sont à celle
de
l’apôtre comme le Petit Monde au Grand Monde, signes du Tout et de la
379
le Petit Monde au Grand Monde, signes du Tout et
de
la Fin, mais signes seulement, résumés, prises partielles et signific
380
’Apocalypse, comme Cuvier la préhistoire à partir
d’
une vertèbre isolée. Mais l’oubli vient avec le premier doute… Petites
381
avec le premier doute… Petites visions des hommes
de
peu de foi, visions de la fin de nos courtes passions : la possession
382
Petites visions des hommes de peu de foi, visions
de
la fin de nos courtes passions : la possession, la beauté, la puissan
383
sions des hommes de peu de foi, visions de la fin
de
nos courtes passions : la possession, la beauté, la puissance ; il n’
384
ce n’est pas la même grandeur… Les « sentinelles
de
Juda », les grands prophètes, ont été justifiés dans leur délire, mai
385
iés dans leur délire, mais un prophète des choses
d’
ici-bas, un prophète sans mission divine, quelle défense osera-t-il pr
386
Stéphane est maniaque, comme tous les jeunes gens
de
sa génération. Seulement chez lui, cela ne s’est pas porté sur les vo
387
aux divers types humains. On lui sait peu de grés
de
sa curiosité. Cela ne serait rien, si elle-même ne le décevait. Sans
388
en, n’est-ce pas ? Il ne tombe d’accord ; accepte
d’
attendre comme un enfant sage que le monde lui donne, en son temps, sa
389
lui a expliqué qu’il fallait la mériter et tâcher
de
devenir quelqu’un. Il ne lui reste plus qu’à rentrer en lui-même. « I
390
soi, n’ayant plus où se prendre ». Ainsi parle un
de
nos classiques. Repoussé par le monde parce qu’il n’est pas encore qu
391
savoir ce qu’il peut être. C’est une autre manie
de
sa génération. Mais là encore il se singularise : il n’écrit pas de l
392
Mais là encore il se singularise : il n’écrit pas
de
livre pour y pourchasser un moi qui feint toujours de se cacher derri
393
ivre pour y pourchasser un moi qui feint toujours
de
se cacher derrière le feuillet suivant, entraîne le lecteur par ruse
394
rs. C’est pourquoi il en installe un sur sa table
de
travail, de façon à pouvoir s’y surprendre à tout instant. Cet exerci
395
r dans les yeux. Il varie sur son visage les jeux
de
lumière et de sentiments. Il découvre une sorte de rire au coin de sa
396
x. Il varie sur son visage les jeux de lumière et
de
sentiments. Il découvre une sorte de rire au coin de sa bouche dans l
397
e lumière et de sentiments. Il découvre une sorte
de
rire au coin de sa bouche dans les moments de pire découragement ; et
398
sentiments. Il découvre une sorte de rire au coin
de
sa bouche dans les moments de pire découragement ; et beaucoup d’autr
399
rte de rire au coin de sa bouche dans les moments
de
pire découragement ; et beaucoup d’autres hiatus de ce genre, qui l’i
400
pire découragement ; et beaucoup d’autres hiatus
de
ce genre, qui l’intriguent à n’en pas finir. Quand il est très fatigu
401
on aventure. Nous vivons dans un décor flamboyant
de
glaces. À chaque pas, on offre à Stéphane sa tête, son portrait en pi
402
ête, son portrait en pied. Il se voit dans l’acte
de
se raser, de se baigner ; son image descend en face de lui par l’asce
403
rait en pied. Il se voit dans l’acte de se raser,
de
se baigner ; son image descend en face de lui par l’ascenseur, elle l
404
lise chez le coiffeur. Déjà, c’est avec une sorte
d’
angoisse qu’il la recherche. Il veut se voir tel qu’il est parmi les a
405
rmi les autres. Mais dès qu’il lui arrive par jeu
de
considérer son image comme celle d’un quelconque passant, il se sent
406
rrive par jeu de considérer son image comme celle
d’
un quelconque passant, il se sent aussitôt séparé de soi-même, et si p
407
un quelconque passant, il se sent aussitôt séparé
de
soi-même, et si profondément différent de son apparence, qu’il doute
408
séparé de soi-même, et si profondément différent
de
son apparence, qu’il doute de sa réalité. Le mystère de voir ses yeux
409
fondément différent de son apparence, qu’il doute
de
sa réalité. Le mystère de voir ses yeux l’épouvante. Il y cherche une
410
apparence, qu’il doute de sa réalité. Le mystère
de
voir ses yeux l’épouvante. Il y cherche une révélation et n’y trouve
411
cherche une révélation et n’y trouve que le désir
d’
une révélation. Peut-on s’hypnotiser par son propre regard ? Il n’y a
412
n à soi-même qui pourrait lui rendre la certitude
d’
être. Mais il s’épuise dans une perspective de reflets qui vont en dim
413
ude d’être. Mais il s’épuise dans une perspective
de
reflets qui vont en diminuant vertigineusement et l’égarent dans sa n
414
ans sa nuit. Je saute quelques délires et pas mal
de
superstitions. Enfin cette expérience folle le mène à une découverte
415
folle le mène à une découverte sur les sept sens
de
laquelle il conviendra de méditer : la personne se dissout dans l’eau
416
verte sur les sept sens de laquelle il conviendra
de
méditer : la personne se dissout dans l’eau des miroirs. Stéphane est
417
comprend que ce qu’on dépasse ? Qu’il faut sortir
de
soi pour se voir en entier ? Qu’il y faut enfin du courage, et non pa
418
omplaisance, ce désir impatient et pourtant vague
d’
une consolation2 gratuite. Il y a dans l’homme moderne un besoin de vé
419
2 gratuite. Il y a dans l’homme moderne un besoin
de
vérifier qui n’est plus légitime dès l’instant où il se traduit par l
420
me dès l’instant où il se traduit par la négation
de
ce qui reste invérifiable. Stéphane n’a pas eu confiance. Or la pers
421
n’a pas eu confiance. Or la personne est un acte
de
foi : Stéphane ne sait plus ce qu’il est. Semblablement, il ne sait p
422
vraie, se borne à décrire l’aspect psychologique
d’
une aventure cependant plus profonde. Il est bon que le lecteur troubl
423
Il est bon que le lecteur troublé par la crainte
de
n’avoir pas saisi le sens véritable d’un texte, trouve parfois de son
424
la crainte de n’avoir pas saisi le sens véritable
d’
un texte, trouve parfois de son incompréhension des marques significat
425
aisi le sens véritable d’un texte, trouve parfois
de
son incompréhension des marques significatives. Si le rapport intime
426
es t’échappe, ô mon lecteur, veuille y voir l’une
de
ces marques. Stéphane a oublié jusqu’au mot de prière. Orphée perd Eu
427
ne de ces marques. Stéphane a oublié jusqu’au mot
de
prière. Orphée perd Eurydice par scepticisme faible, par esprit scien
428
sprit scientifique, par doute méthodique, — manie
de
définir, défiance envers les dieux, avarice du cœur. À chaque regard
429
e nouvelle. La mort dans la transparence glaciale
de
l’évidence, qui est celle du moi séparé. Un jour, Stéphane pense avec
430
er son visage, ne serait-ce pas devenir un centre
de
pur esprit ?… Ou plutôt — et bien mieux — une pure réponse ? » C’est
431
ux — une pure réponse ? » C’est un premier filet
d’
eau vive qui perce le sol aride : mais Stéphane n’entend pas encore gr
432
d pas encore gronder les eaux profondes. Le désir
de
s’hypnotiser l’irrite, toujours vaguement. Mais il fuit son propre re
433
es. Un soir, après quelques alcools et un échange
de
pensées au même titre avec une amie d’une beauté de plus en plus frap
434
un échange de pensées au même titre avec une amie
d’
une beauté de plus en plus frappante, il croit saisir dans un regard d
435
en plus frappante, il croit saisir dans un regard
de
cette femme l’écho de ce qui serait lui. Et déjà il se perd dans ces
436
croit saisir dans un regard de cette femme l’écho
de
ce qui serait lui. Et déjà il se perd dans ces yeux, mais comme on me
437
’ont envahi, bâillonnent sa raison et l’empêchent
de
protester contre le miracle. Parmi tous ses mots fous, noms, baisers,
438
ais tu es là ! » Un peu plus tard, ce fut un jour
de
grand soleil sur toutes les verreries de la capitale. Les fenêtres ba
439
un jour de grand soleil sur toutes les verreries
de
la capitale. Les fenêtres battaient. Le soleil et « la mort » se conj
440
, un personnage assez hagard aborde l’imagination
de
Chamisso, décline son nom, déclare avoir perdu son ombre. Le second r
441
rôdait depuis longtemps dans les régions obscures
de
la légende populaire. S’il se risque à paraître devant Chamisso, c’es
442
vant Chamisso, c’est peut-être poussé par l’envie
d’
être enfin reconnu, expliqué. Car Chamisso est Français de naissance.
443
nfin reconnu, expliqué. Car Chamisso est Français
de
naissance. Une excentricité du sort a fait de lui un poète allemand.
444
ais de naissance. Une excentricité du sort a fait
de
lui un poète allemand. Les autres ont toujours cru à cette fable, mai
445
. Chamisso, lui, s’en étonnera. Tel est le calcul
de
l’homme sans ombre. Surprendre ce Français, c’est passer au soleil :
446
e souvent qu’un étranger s’initiant aux croyances
d’
un peuple, soit le premier saisi par ce frisson d’absurdité que l’on b
447
d’un peuple, soit le premier saisi par ce frisson
d’
absurdité que l’on baptise inspiration lorsqu’il excite ou crée chez c
448
excite ou crée chez celui qui l’éprouve, le désir
de
s’en délivrer en l’exprimant. Et c’est ainsi que Chamisso introduisit
449
o introduisit dans la conscience moderne le mythe
de
l’homme qui a perdu son ombre, sous les traits pathétiques et naïfs d
450
pathétiques et naïfs du célèbre Peter Schlemihl.
De
Chamisso à Hofmannsthal, plusieurs ont repris cette histoire. Le dern
451
mystère qui reste entier. Cependant, à voir tant
d’
auteurs s’exercer l’imagination sur un sujet qui défie l’expérience, l
452
ier. L’on s’étonne qu’aucun non plus n’ait essayé
de
formuler le symbole enfermé dans le mythe. Serait-ce pudeur d’artiste
453
e symbole enfermé dans le mythe. Serait-ce pudeur
d’
artistes ? Pudeur tout court ? Ou faut-il croire qu’ils ont écrit leur
454
u’ils ont écrit leurs contes sans jamais se poser
de
questions sur le sens d’un tel accident, dont à vrai dire les suites
455
tes sans jamais se poser de questions sur le sens
d’
un tel accident, dont à vrai dire les suites sont assez pittoresques p
456
préfère en ignorer la cause ? L’on s’étonne enfin
de
ce lien entre le domaine germanique et l’expression littéraire du myt
457
le moindre n’est pas Hoffmann… L’énigme commença
de
m’inquiéter lors d’un séjour allemand, au cours duquel j’observai mai
458
s Hoffmann… L’énigme commença de m’inquiéter lors
d’
un séjour allemand, au cours duquel j’observai maintes fois la popular
459
nnait du Strauss. Je ne connaissais pas le livret
d’
Hofmannsthal, et compris mal l’intrigue de la Femme sans ombre. Je voy
460
livret d’Hofmannsthal, et compris mal l’intrigue
de
la Femme sans ombre. Je voyais une actrice parcourir la scène en hurl
461
n hurlant. Elle tirait après soi un grand morceau
d’
étoffe qui figurait son ombre, et qui l’embarrassait. Aux entractes, o
462
et qui l’embarrassait. Aux entractes, on parlait
de
Freud. La musique m’ennuyait, indéfinie. (Plus tard, j’ai lu le livre
463
-ce qu’une ombre ? me demandais-je. Quelque chose
d’
assez méprisable. Les Latins la ridiculisent ! C’est pour eux l’irréal
464
ux l’irréalité même. (« Il n’est plus que l’ombre
de
lui-même… Ce n’est rien, dit-on, c’est une ombre… ») Mais je vois bie
465
is je vois bien qu’ils exagèrent : si nous étions
de
purs esprits, nous ne projetterions pas d’ombre. L’ombre est la preuv
466
étions de purs esprits, nous ne projetterions pas
d’
ombre. L’ombre est la preuve humiliante de la chair humiliante pour ce
467
ons pas d’ombre. L’ombre est la preuve humiliante
de
la chair humiliante pour ceux, du moins, qui, plaçant la Raison dans
468
ux-là qui déplorent qu’elle se fasse, aux regards
de
la convoitise, « opaque ». Que pouvais-je tirer de tout cela ? Rien q
469
e la convoitise, « opaque ». Que pouvais-je tirer
de
tout cela ? Rien qu’une évidence assez pauvre : l’ombre est le fait,
470
ence assez pauvre : l’ombre est le fait, en nous,
de
notre chair. Mais perdre sa chair, c’est mourir, n’en déplaise aux sp
471
, et cet « infortuné Schlemihl » n’était pas mort
d’
avoir perdu son ombre… Il était même si vivant et sa présence si gênan
472
i vivant et sa présence si gênante, que je tentai
de
le contraindre, malgré l’auteur, aux suprêmes aveux. Il y avait la ps
473
mes aveux. Il y avait la psychanalyse. Mais avant
d’
en venir à cette extrémité, on pouvait essayer d’un pédantisme moins b
474
d’en venir à cette extrémité, on pouvait essayer
d’
un pédantisme moins barbare. Je rédigeai la note que voici, en m’appli
475
que voici, en m’appliquant à écarter les conseils
de
pitié que me dictait mon cœur. Psychologie de Peter Schlemihl P
476
de pitié que me dictait mon cœur. Psychologie
de
Peter Schlemihl Peter est un naïf : il croit à la fortune. Il croi
477
assure à l’homme une dignité. C’est un bourgeois,
de
la plus dangereuse espèce : le bourgeois pauvre qui envie les bourgeo
478
bourgeois pauvre qui envie les bourgeois riches.
D’
où vient le sentiment qu’il a d’être inférieur. Le diable sait cela :
479
bourgeois riches. D’où vient le sentiment qu’il a
d’
être inférieur. Le diable sait cela : c’est par là qu’il le tient. Pet
480
er lui donne son ombre contre une bourse magique,
d’
où il pourra tirer un or inépuisable. Désormais riche, mais privé d’om
481
er un or inépuisable. Désormais riche, mais privé
d’
ombre, il se croit le maître du monde. Point du tout : on se moque de
482
t le maître du monde. Point du tout : on se moque
de
lui. Comblé, le voici plus qu’avant inadmissible. Le complexe d’infér
483
le voici plus qu’avant inadmissible. Le complexe
d’
infériorité à peine défait par la fortune subite, se renoue, cette foi
484
sans remède. Il ne tarde pas à tourner au délire
de
persécution. Tout effraye Peter et le moleste en mille manières. Les
485
re, surtout la lumière du jour, et même la clarté
de
la lune. Il recherche la solitude pour y mener des réflexions désespé
486
late en sanglots à l’idée du plus simple bonheur,
de
ce bonheur dont tous les autres semblent détenir le secret, jalouseme
487
innocence ?) Schlemihl est donc le type classique
de
l’homme qui perd le contact social. L’or même ne suffit pas à rétabli
488
e, surtout pour ce philistin-là. Toutes les ruses
de
Peter échouent devant cet obstacle dernier. Il a beau n’aller que de
489
evant cet obstacle dernier. Il a beau n’aller que
de
nuit aux rendez-vous avec la belle Mina. Le jour venu de signer le co
490
! Oui, je le savais depuis longtemps, il n’a pas
d’
ombre ! » Que reste-t-il à un tel homme ? Le suicide ? Rien n’est plus
491
ensée. Sa vision du monde serait exactement celle
d’
un philistin sympathique, d’un philistin sans exigences, et qui veut c
492
rait exactement celle d’un philistin sympathique,
d’
un philistin sans exigences, et qui veut croire à la vertu, s’il n’y a
493
veut croire à la vertu, s’il n’y avait, au centre
de
lui-même, cette absence. En tout pareil aux autres, sauf en ce je ne
494
essentiel, notre philistin méconnu se voit chassé
de
la communauté des siens. Et par sa faute ! C’est là son amertume. Ici
495
Ici intervient l’évasion. Il achète — par esprit
d’
économie — une paire de bottes usagées. Mais voilà bien sa chance, ce
496
on. Il achète — par esprit d’économie — une paire
de
bottes usagées. Mais voilà bien sa chance, ce sont des bottes de sept
497
es. Mais voilà bien sa chance, ce sont des bottes
de
sept lieues ! Désormais il échappe à la vie, au voisinage et au dialo
498
qu’il imagine. Il peut même retrouver une espèce
d’
activité, purement descriptive il est vrai, solitaire, presque mécaniq
499
presque mécanique : il dresse un vaste catalogue
de
toutes les plantes de la terre. C’est à cela qu’il s’occupe, en Théba
500
l dresse un vaste catalogue de toutes les plantes
de
la terre. C’est à cela qu’il s’occupe, en Thébaïde, lorsque l’auteur
501
l’auteur et le lecteur perdent sa trace. Complexe
d’
infériorité, délire de persécution, perte du contact social, sentiment
502
perdent sa trace. Complexe d’infériorité, délire
de
persécution, perte du contact social, sentiment de culpabilité, besoi
503
e persécution, perte du contact social, sentiment
de
culpabilité, besoin d’évasion, activité maniaque (ou universitaire ér
504
contact social, sentiment de culpabilité, besoin
d’
évasion, activité maniaque (ou universitaire érudite.) Nul doute n’est
505
en. Il savait peut-être autre chose. Tentative
d’
interprétation Je reproche pour ma part à la psychanalyse de flatte
506
ion Je reproche pour ma part à la psychanalyse
de
flatter notre propension à localiser les symboles. Car, pour la vie s
507
boles. Car, pour la vie spirituelle, il n’est pas
de
lieux séparés ; l’on peut toujours passer de l’un à l’autre par quelq
508
pas de lieux séparés ; l’on peut toujours passer
de
l’un à l’autre par quelque ruse de la métamorphose, qui est l’acte mê
509
oujours passer de l’un à l’autre par quelque ruse
de
la métamorphose, qui est l’acte même de la vie. Et pourquoi dire, dès
510
lque ruse de la métamorphose, qui est l’acte même
de
la vie. Et pourquoi dire, dès lors : ceci est cause de cela ? Quand l
511
vie. Et pourquoi dire, dès lors : ceci est cause
de
cela ? Quand l’inverse est au moins aussi probable ? Et quand rien ne
512
s donner des descriptions utiles. Je retiens donc
de
Freud cette constatation : « Celui qui, dans un domaine quelconque, e
513
ous venons de voir que Schlemihl est le type même
de
l’inadapté, — celui qui ne peut « trouver sa place au soleil », et qu
514
au soleil », et qui ne subsiste dans la compagnie
de
ses semblables que par un subterfuge toujours menacé. D’une incompati
515
semblables que par un subterfuge toujours menacé.
D’
une incompatibilité sociale aussi parfaite, nous pourrions déduire, se
516
ximum. Pour confirmer notre soupçon sur la nature
de
cette aberration, il conviendrait de rappeler ceci : Peter parvient à
517
ur la nature de cette aberration, il conviendrait
de
rappeler ceci : Peter parvient à la cacher à tous sauf aux deux femme
518
. Mais n’allons pas conclure trop vite. Les états
d’
âme d’un malade ou d’un fou diffèrent-ils essentiellement des états d’
519
n’allons pas conclure trop vite. Les états d’âme
d’
un malade ou d’un fou diffèrent-ils essentiellement des états d’âme d’
520
onclure trop vite. Les états d’âme d’un malade ou
d’
un fou diffèrent-ils essentiellement des états d’âme d’un homme sain ?
521
d’un fou diffèrent-ils essentiellement des états
d’
âme d’un homme sain ? Ne sont-ils pas plutôt de simples fixations d’ét
522
fou diffèrent-ils essentiellement des états d’âme
d’
un homme sain ? Ne sont-ils pas plutôt de simples fixations d’état qui
523
ts d’âme d’un homme sain ? Ne sont-ils pas plutôt
de
simples fixations d’état qui, normalement, ne tarderaient pas à se mu
524
ain ? Ne sont-ils pas plutôt de simples fixations
d’
état qui, normalement, ne tarderaient pas à se muer en leur contraire
525
muer en leur contraire ? Plus précisément, l’état
de
Peter Schlemihl n’est-il pas comparable à celui d’un esprit ou d’un c
526
e Peter Schlemihl n’est-il pas comparable à celui
d’
un esprit ou d’un corps sains après l’amour ? Durant quelques moments,
527
hl n’est-il pas comparable à celui d’un esprit ou
d’
un corps sains après l’amour ? Durant quelques moments, l’homme éprouv
528
t quelques moments, l’homme éprouve une sensation
de
vide, de légèreté et en même temps de lourdeur, comme s’il était un p
529
s moments, l’homme éprouve une sensation de vide,
de
légèreté et en même temps de lourdeur, comme s’il était un peu en arr
530
e sensation de vide, de légèreté et en même temps
de
lourdeur, comme s’il était un peu en arrière des choses, lent à démêl
531
démêler le monde où il revient, et qui l’accable
de
présences bizarres, parfois douces mais parfois hostiles. (Et cela pe
532
. (Et cela peut-être comme une première influence
de
ce qu’on nommera chez un malade, folie de la persécution.) Il arrive
533
fluence de ce qu’on nommera chez un malade, folie
de
la persécution.) Il arrive aussi que cet homme se sente trop lucide,
534
ucide, perçant toutes choses à jour, et lui-même,
d’
où l’impression d’être mal défendu contre les regards qu’il rencontre
535
tes choses à jour, et lui-même, d’où l’impression
d’
être mal défendu contre les regards qu’il rencontre ; transparent, dir
536
es réserves qu’on voudra4, mais en nous souvenant
de
la question que nous posait l’origine germanique du mythe. Dès le dé
537
rimer qu’un fait humain élémentaire. J’étais déçu
de
le voir se réduire à quelque chose d’aussi précis, et que mille préju
538
’étais déçu de le voir se réduire à quelque chose
d’
aussi précis, et que mille préjugés, français surtout, concourent à ri
539
is surtout, concourent à ridiculiser. Un fragment
de
Paracelse lu par hasard à cette époque, vint heureusement me donner l
540
cette époque, vint heureusement me donner la clé
d’
une interprétation autrement riche et inquiétante. Je le traduis litté
541
est l’ombre intérieure. » Une étude plus poussée
de
Paracelse devait bientôt m’apprendre, avec bien d’autres choses curie
542
tres choses curieuses et profondes, que la portée
de
ce passage était en vérité beaucoup plus vaste que tout ce que permet
543
té beaucoup plus vaste que tout ce que permettait
d’
imaginer l’obtus physiologisme de ce siècle. La Liquor Vitae, selon Pa
544
e que permettait d’imaginer l’obtus physiologisme
de
ce siècle. La Liquor Vitae, selon Paracelse, c’est en effet le princi
545
itae, selon Paracelse, c’est en effet le principe
d’
activité vitale répandu dans tous nos organes. Elle figure « le miroir
546
st ainsi l’agent microcosmique, la puissance même
de
créativité dans tous les ordres. Elle est « ce qu’il y a de plus nobl
547
t entier et dans l’homme ». Je la rapproche alors
de
ce Selbst ou Soi-même dont parle Chamisso à la fin de son conte. Voil
548
e Selbst ou Soi-même dont parle Chamisso à la fin
de
son conte. Voilà qui peut enfin situer le vrai problème5. La créativi
549
r en général. Comme on peut le voir par l’examen
de
la pudeur, ne serait-ce point pour la raison qu’en beaucoup d’hommes
550
ne serait-ce point pour la raison qu’en beaucoup
d’
hommes la créativité paraît avoir son siège dans le seul sexe, que la
551
homme cherche à le dissimuler comme quelque chose
de
sacré, et que les fds de Noé couvrirent la nudité de leur père ivre e
552
uler comme quelque chose de sacré, et que les fds
de
Noé couvrirent la nudité de leur père ivre en marchant vers lui à rec
553
sacré, et que les fds de Noé couvrirent la nudité
de
leur père ivre en marchant vers lui à reculons ? Mais chez l’homme qu
554
? Mais chez l’homme qui parvient à la conscience
de
sa mission spirituelle, le centre de la créativité paraît se déplacer
555
a conscience de sa mission spirituelle, le centre
de
la créativité paraît se déplacer dans le cerveau ou dans le cœur. La
556
tôt affecte la pensée, les sentiments. On parle «
d’
étalage impudique » lorsqu’un auteur exhibe une excessive sincérité da
557
e plus profond, le plus sacré, qui est le pouvoir
de
création que l’on possède, c’est naturel, mais non qu’on en ait honte
558
emble-t-il. En vérité la mauvaise pudeur provient
de
ce que le corps et l’âme se distinguent, et cessent d’être reflets l’
559
que le corps et l’âme se distinguent, et cessent
d’
être reflets l’un de l’autre. Alors le corps a honte de sa pensée, et
560
me se distinguent, et cessent d’être reflets l’un
de
l’autre. Alors le corps a honte de sa pensée, et celle-ci des désirs
561
e reflets l’un de l’autre. Alors le corps a honte
de
sa pensée, et celle-ci des désirs de son corps, comme d’un embrasseme
562
orps a honte de sa pensée, et celle-ci des désirs
de
son corps, comme d’un embrassement sans amour ou d’un amour qui se re
563
ensée, et celle-ci des désirs de son corps, comme
d’
un embrassement sans amour ou d’un amour qui se refuse à l’étreinte. E
564
son corps, comme d’un embrassement sans amour ou
d’
un amour qui se refuse à l’étreinte. Et pourquoi la pudeur cesse-t-ell
565
à l’étreinte. Et pourquoi la pudeur cesse-t-elle
d’
exister, normalement, quand deux êtres s’aiment ? Parce que le sexe re
566
à notre mythe : la transparence, c’est l’absence
d’
ombre, donc de secret. Or le secret « sacré » étant le lien de la créa
567
: la transparence, c’est l’absence d’ombre, donc
de
secret. Or le secret « sacré » étant le lien de la créativité de l’ho
568
c de secret. Or le secret « sacré » étant le lien
de
la créativité de l’homme, celui qui a perdu son ombre se promène parm
569
e secret « sacré » étant le lien de la créativité
de
l’homme, celui qui a perdu son ombre se promène parmi les hommes avec
570
ombre se promène parmi les hommes avec l’angoisse
de
voir révélée au grand jour non son secret, mais justement l’absence e
571
r non son secret, mais justement l’absence en lui
de
son secret : sa transparence. Spirituellement ou de quelque autre sor
572
son secret : sa transparence. Spirituellement ou
de
quelque autre sorte, il n’est plus un homme créateur. À l’inverse, la
573
e son élan vers le monde. Elle le porte au-devant
de
tout, comme un peu en avant de lui-même, là où il peut dominer sa vie
574
et la construire avec tout son instinct à l’image
d’
une vision de l’esprit. Le corps et l’âme chantent alors à l’unisson.
575
ire avec tout son instinct à l’image d’une vision
de
l’esprit. Le corps et l’âme chantent alors à l’unisson. L’esprit offe
576
Et l’homme a retrouvé son ombre. Suite et fin
de
la fable Peter Schlemihl nous apparaît maintenant une émouvante e
577
ntenant une émouvante et très précise description
de
l’individu romantique, dans ce qu’il a de démissionnaire, d’impuissan
578
ription de l’individu romantique, dans ce qu’il a
de
démissionnaire, d’impuissant à saisir le monde pour le former à son i
579
du romantique, dans ce qu’il a de démissionnaire,
d’
impuissant à saisir le monde pour le former à son image, et d’évasif d
580
à saisir le monde pour le former à son image, et
d’
évasif devant sa vocation : le mystère de l’incarnation. Chamisso a do
581
mage, et d’évasif devant sa vocation : le mystère
de
l’incarnation. Chamisso a donné à son Peter tous les traits physiques
582
é à son Peter tous les traits physiques et moraux
de
ce que l’on appellera plus tard le vague à l’âme, qui est aussi bien
583
e, qui est aussi bien le vague au corps. Le roman
d’
Hofmannsthal — contre-épreuve — décrit le tourment d’une femme stérile
584
ofmannsthal — contre-épreuve — décrit le tourment
d’
une femme stérile, l’impératrice qui a perdu son ombre et qui emprunte
585
trice qui a perdu son ombre et qui emprunte celle
d’
une fille du peuple. Mais Andersen, comme on pouvait s’y attendre, fai
586
ominer l’aspect « spirituel » du mythe. Son conte
de
L’Ombre, c’est le symbole de la puissance de création qui vient à se
587
du mythe. Son conte de L’Ombre, c’est le symbole
de
la puissance de création qui vient à se détacher de l’auteur pour pre
588
onte de L’Ombre, c’est le symbole de la puissance
de
création qui vient à se détacher de l’auteur pour prendre corps dans
589
la puissance de création qui vient à se détacher
de
l’auteur pour prendre corps dans l’œuvre poétique. Et le poème ensuit
590
C’est une des gloires du romantisme allemand que
d’
avoir su élever les faiblesses de l’homme, et quelques-unes de ses plu
591
sme allemand que d’avoir su élever les faiblesses
de
l’homme, et quelques-unes de ses plus folles illusions, à la hauteur
592
lever les faiblesses de l’homme, et quelques-unes
de
ses plus folles illusions, à la hauteur du mythe, ou de la Fable, plu
593
plus folles illusions, à la hauteur du mythe, ou
de
la Fable, plus profondément vrais que la vie (plus riches d’enseignem
594
, plus profondément vrais que la vie (plus riches
d’
enseignements concrets, et d’invites à la métamorphose). Mettre en for
595
la vie (plus riches d’enseignements concrets, et
d’
invites à la métamorphose). Mettre en forme ce qui nous défait, c’est
596
oxe génial, l’audace comme malgré soi recréatrice
d’
un Chamisso. Les historiens de la littérature devraient se garder d’af
597
gré soi recréatrice d’un Chamisso. Les historiens
de
la littérature devraient se garder d’affadir une telle œuvre, n’y adm
598
historiens de la littérature devraient se garder
d’
affadir une telle œuvre, n’y admirant à leur coutume qu’une fantaisie
599
rant à leur coutume qu’une fantaisie « gratuite »
de
l’imagination. Nul doute que l’art de Chamisso ne « signifie » et ne
600
gratuite » de l’imagination. Nul doute que l’art
de
Chamisso ne « signifie » et ne soit au sens propre un grand art, tout
601
it au sens propre un grand art, tout effort digne
de
ce nom étant d’abord une mise en ordre, un sens donné… C’est par là q
602
sens donné… C’est par là que Chamisso s’est sauvé
de
lui-même : s’il a fait Schlemihl, comme on sait, en grande partie à s
603
ère toutefois par ceci qu’il l’a fait, témoignant
d’
un pouvoir d’invention dont la nouveauté reste entière. Et j’y songe :
604
par ceci qu’il l’a fait, témoignant d’un pouvoir
d’
invention dont la nouveauté reste entière. Et j’y songe : ce Schlemihl
605
onge : ce Schlemihl éternel, ce symbole en bottes
de
sept lieues qui traverse encore notre vie, n’est-ce pas l’ombre de Ch
606
i traverse encore notre vie, n’est-ce pas l’ombre
de
Chamisso ? Une ombre qui a perdu son homme, cette fois, mais non pas
607
es profonds. C’est le siècle présent qui n’a plus
d’
ombre : il ne sait même plus écrire sa Fable, il n’en veut plus, il ve
608
signifiant.6 3. Trois Essais sur la Théorie
de
la Sexualité. La définition de normal est donc ici : adapté au milieu
609
ais sur la Théorie de la Sexualité. La définition
de
normal est donc ici : adapté au milieu. Vérité d’expérience, nous dit
610
de normal est donc ici : adapté au milieu. Vérité
d’
expérience, nous dit Freud, et à ce titre elle a sa valeur. Mais qui n
611
ismes « totalitaires », si l’on faisait une règle
de
cette constatation. On ne doit accepter une vérité de ce genre qu’en
612
ette constatation. On ne doit accepter une vérité
de
ce genre qu’en insistant sur son contraire : « l’anormal » peut être
613
son contraire : « l’anormal » peut être créateur
d’
un nouveau type de rapports sociaux, c’est-à-dire d’une nouvelle norma
614
l’anormal » peut être créateur d’un nouveau type
de
rapports sociaux, c’est-à-dire d’une nouvelle normalité. 4. Dans le
615
un nouveau type de rapports sociaux, c’est-à-dire
d’
une nouvelle normalité. 4. Dans le conte intitulé L’Ombre, Andersen
616
à force de rêver à une jeune femme qu’il aperçoit
de
sa fenêtre. « Mais dans ces climats chauds, dit Andersen, les choses
617
, à sa grande joie, qu’une nouvelle ombre partant
de
ses pieds commençait à croître lorsqu’il se promenait dans le soleil.
618
u’il se promenait dans le soleil. » Ici donc, pas
de
fixation morbide, comme dans Schlemihl. Aussi bien le diable n’est-il
619
hl. Aussi bien le diable n’est-il pas à l’origine
de
l’affaire, cette fois. 5. Selon Paracelse, la semence se distingue d
620
ois. 5. Selon Paracelse, la semence se distingue
de
la Liquor vitae « comme l’écume d’une soupe ». La créativité se purif
621
e se distingue de la Liquor vitae « comme l’écume
d’
une soupe ». La créativité se purifie en l’écartant. Il paraît donc qu
622
. Il paraît donc que le freudisme ne s’occupe que
de
l’écume d’une soupe ? Ou bien l’appelle-t-il libido ? 6. Cette petit
623
donc que le freudisme ne s’occupe que de l’écume
d’
une soupe ? Ou bien l’appelle-t-il libido ? 6. Cette petite étude éta
624
epuis un an lorsque je découvris dans les Cahiers
de
Barrès (tome VIII, p. 86) deux lettres d’un petit-neveu de Chamisso q
625
Cahiers de Barrès (tome VIII, p. 86) deux lettres
d’
un petit-neveu de Chamisso qui paraissait infirmer par avance mon inte
626
(tome VIII, p. 86) deux lettres d’un petit-neveu
de
Chamisso qui paraissait infirmer par avance mon interprétation. Leur
627
l, Chamisso « laisse deviner sa destinée tragique
d’
homme incomplet et sans patrie ». Voici quelques souvenirs curieux sur
628
le grand-oncle : « C’était, paraît-il, un paquet
de
nerfs, impressionnable à l’excès, avec un fond de tristesse en quelqu
629
de nerfs, impressionnable à l’excès, avec un fond
de
tristesse en quelque sorte permanent, une désespérance perpétuelle. P
630
’âme, dirions-nous aujourd’hui. Le qualificatif «
d’
homme ayant perdu son ombre » fut trouvé par M. de Rubulles qui, le vo
631
trouvé par M. de Rubulles qui, le voyant dans un
de
ses noirs habituels, lui dit en riant qu’il ressemblait à un chevalie
632
ait à un chevalier ayant tout perdu, même l’ombre
de
lui-même. Le mot le frappa et le retint. » — Outre que cette interpré
633
ique aucune particularité du conte, il est permis
de
penser que « l’état d’âme » de Chamisso a joué dans cette affaire un
634
nte, il est permis de penser que « l’état d’âme »
de
Chamisso a joué dans cette affaire un rôle plus décisif que « l’à peu
635
e polémique avec le mystère, il arrive à certains
de
s’oublier jusqu’à donner de l’amour une ou plusieurs définitions. Ah
636
il arrive à certains de s’oublier jusqu’à donner
de
l’amour une ou plusieurs définitions. Ah ! puissions-nous aimer l’amo
637
rice anxieuse. Mais il est une manière imaginable
de
parler de l’amour sans malice : c’est de former quelques rythmes de p
638
use. Mais il est une manière imaginable de parler
de
l’amour sans malice : c’est de former quelques rythmes de phrases où
639
aginable de parler de l’amour sans malice : c’est
de
former quelques rythmes de phrases où l’indicible jette par moments u
640
ur sans malice : c’est de former quelques rythmes
de
phrases où l’indicible jette par moments une espèce d’émotion ou de g
641
rases où l’indicible jette par moments une espèce
d’
émotion ou de gêne, non qu’il soit dit ni même décrit par allusions ou
642
dicible jette par moments une espèce d’émotion ou
de
gêne, non qu’il soit dit ni même décrit par allusions ou par symboles
643
souveraine est annoncée par certain frémissement
de
l’assemblée des mots qui font la cour : le Roi s’approche. Toute éloq
644
ce qui m’enflamme à parler. Rien ne peut être dit
de
l’amour même, mais rien non plus n’est dit que par l’amour, si toutef
645
nous apprend à sa manière que l’amour est le lieu
d’
un mutisme sacré. Angérone, déesse du Silence : on croit qu’elle avait
646
: on croit qu’elle avait sa statue dans le temple
de
la Volupté. Et certains pensent qu’elle est la même que la déesse Vol
647
e la déesse Volupie. Promenons-nous aux alentours
de
ce colloque. La Volupté n’est pas le plaisir même, mais l’imagination
648
gination active du désir qui lentement s’approche
de
son terme. Quand le désir s’empare d’un homme, il arrive qu’il le ren
649
s’approche de son terme. Quand le désir s’empare
d’
un homme, il arrive qu’il le rende muet. Il arrive même que le désir s
650
me. À tel point que l’homme ne retrouvera l’usage
de
la parole qu’avec le « terme » où l’esprit se libère. La volupté sera
651
. La volupté serait un phénomène analogue à celui
de
l’hypnose : un état de l’âme ou de l’esprit rétrécissant le champ des
652
phénomène analogue à celui de l’hypnose : un état
de
l’âme ou de l’esprit rétrécissant le champ des facultés vers un objet
653
alogue à celui de l’hypnose : un état de l’âme ou
de
l’esprit rétrécissant le champ des facultés vers un objet unique et d
654
Que cette hypnose soit en quelque mesure — celle
de
l’esprit — indépendante de l’instinct, c’est ce qu’induisent à suppos
655
quelque mesure — celle de l’esprit — indépendante
de
l’instinct, c’est ce qu’induisent à supposer les deux observations su
656
observations suivantes : l’extrême concentration
de
l’attention sur un objet non corporel, œuvre d’art ou pensée d’un ord
657
sur un objet non corporel, œuvre d’art ou pensée
d’
un ordre difficile, peut échouer comme par un court-circuit dans le pl
658
le plaisir ; tandis qu’un débauché vulgaire gémit
d’
avoir perdu la volupté. L’homme du désir : il ne peut aimer qu’indéfin
659
e des yeux, dès qu’ils ont accepté tout le regard
de
l’autre : sentiment comparable au vertige. Le jugement peut rester li
660
ndes, elle dépasse le temps, s’approche des bords
d’
une immobilité sans fond où elle se penche… Maintenant un seul œil est
661
il vient à perdre toute expression, regard absolu
de
l’angoisse. Si l’un s’écarte à ce moment, les voici vacillants comme
662
arte à ce moment, les voici vacillants comme hors
d’
eux-mêmes. Alors il lui saisit la tête entre ses bras, et la contemple
663
ssance est interdite. Et c’est l’approche du viol
de
l’interdit qui impose aux amants leur silence, fascination de l’horre
664
t qui impose aux amants leur silence, fascination
de
l’horreur sacrée, attirance de l’effroi mortel. Dans le silence du d
665
lence, fascination de l’horreur sacrée, attirance
de
l’effroi mortel. Dans le silence du désir, la possession a fait une
666
du désir, la possession a fait une brusque rumeur
de
vagues affrontées et hostiles. Maintenant, l’onde lisse et basse d’un
667
es et hostiles. Maintenant, l’onde lisse et basse
d’
un temps nouveau nous environne. Ceux qui n’aiment point la femme qu’i
668
ment du plus violent amour qu’il nous est accordé
de
concevoir un absolu, mais sous la forme de l’inaccessible. Atteintes
669
ccordé de concevoir un absolu, mais sous la forme
de
l’inaccessible. Atteintes enfin les limites de la puissance du désir,
670
me de l’inaccessible. Atteintes enfin les limites
de
la puissance du désir, sur la solitude égarée du couple, Éros pose en
671
ne un désespoir glacial : vous n’irez pas au-delà
de
votre union. Ô silence des astres ! Fondues nos âmes ? Deux corps s’e
672
se divise en ses ombres. Ainsi passent les heures
d’
avant l’aube, dans le dépaysement de l’âme et les métamorphoses indici
673
nt les heures d’avant l’aube, dans le dépaysement
de
l’âme et les métamorphoses indicibles. Lui s’éveille parfois tout à f
674
tre, mais que cet être accède ensuite au commerce
de
ses semblables, qu’à son tour il les aime, les possède ! Ainsi par un
675
ur il les aime, les possède ! Ainsi par une suite
de
vertiges, multipliant la splendeur amoureuse, par mille étreintes suc
676
jouissance imaginaire et désespérément consciente
de
l’Être. L’aube point. L’esprit se tourne vers les choses et les dénom
677
L’esprit se tourne vers les choses et les dénomme
d’
un regard. Un corps auprès du mien respire, mémoire pesante de l’incom
678
Un corps auprès du mien respire, mémoire pesante
de
l’incommensurable nuit. Nous n’irons pas au-delà de nous-mêmes. Mais
679
l’incommensurable nuit. Nous n’irons pas au-delà
de
nous-mêmes. Mais dans cette défaite de l’étreinte, n’est-ce point le
680
as au-delà de nous-mêmes. Mais dans cette défaite
de
l’étreinte, n’est-ce point le souvenir du seul désert que désormais n
681
désert que désormais nous chercherons ? Au terme
de
la fuite, nous ne toucherons jamais qu’un impossible fascinant. Et no
682
scinant. Et nous vivrons dès lors dans le vertige
de
nous détruire au contact de cet infini, plus puissant que la joie et
683
lors dans le vertige de nous détruire au contact
de
cet infini, plus puissant que la joie et la douleur. Dans le vertige
684
issant que la joie et la douleur. Dans le vertige
de
revenir toucher cet absolu, sensible à celui seul qui l’éprouve jusqu
685
à l’épouvante : l’être que nous formons au sommet
de
l’amour, et qui meurt dans l’instant où il naît. Tout notre platonism
686
naît. Tout notre platonisme échoue dans l’instant
de
l’étreinte dénouée. Alors l’amour, dirait-on, change de signe. On voi
687
treinte dénouée. Alors l’amour, dirait-on, change
de
signe. On voit soudain que le désir était le dialogue des corps, tand
688
a que deux philosophies : celle du désir et celle
de
l’acte ; ou encore, il n’y a que deux doctrines : celle du silence et
689
a que deux doctrines : celle du silence et celle
de
la parole. La négation du désir amoureux par l’acte même qui l’accomp
690
i l’accomplit, c’est le signe physique, originel,
de
l’infinie contradiction que nous souffrons. Le désir divinise, l’acte
691
acte rend à l’humain. L’amour rêvé meurt au seuil
de
l’amour qui sera notre tâche sérieuse. Quittons ce temple où dorment
692
és sur place, comme le coq est cloué sur la ligne
de
craie tirée devant son bec. Ce serait trop bête si ce n’était trop be
693
p bête si ce n’était trop beau. Mais rien ne sert
de
n’y pas croire. C’est un fait, nous l’avons subi, et nous avons tous
694
us avons tous dit : je n’y puis rien. Avec autant
de
sincérité, nous semblait-il, qu’un croyant décrivant sa conversion en
695
ant décrivant sa conversion en termes de grâce et
de
prédestination. Mais s’il est vain de nier le fait, il ne l’est point
696
de grâce et de prédestination. Mais s’il est vain
de
nier le fait, il ne l’est point de mettre en doute son caractère de d
697
s’il est vain de nier le fait, il ne l’est point
de
mettre en doute son caractère de destinée fatale. Cette espèce de pas
698
l ne l’est point de mettre en doute son caractère
de
destinée fatale. Cette espèce de passivité que l’on allègue, ne serai
699
te son caractère de destinée fatale. Cette espèce
de
passivité que l’on allègue, ne serait-elle point un alibi ? Je ne par
700
e que du vrai coup de foudre, celui qui est suivi
d’
incendie. Car pour ceux que l’on attend, que l’on appelle, ils ne sont
701
attend, que l’on appelle, ils ne sont qu’éclairs
de
chaleur dans l’aura d’un cœur orageux. Aux portières d’un train que l
702
le, ils ne sont qu’éclairs de chaleur dans l’aura
d’
un cœur orageux. Aux portières d’un train que l’on croise, entre deux
703
leur dans l’aura d’un cœur orageux. Aux portières
d’
un train que l’on croise, entre deux stations de métro, dans la foule
704
s d’un train que l’on croise, entre deux stations
de
métro, dans la foule où se cherchent des yeux — ils se détournent aus
705
-là. Je disais à ce romancier (l’un des meilleurs
de
l’Allemagne d’alors) : Le mythe du coup de foudre est sans doute une
706
à ce romancier (l’un des meilleurs de l’Allemagne
d’
alors) : Le mythe du coup de foudre est sans doute une astucieuse inve
707
de foudre est sans doute une astucieuse invention
de
Don Juan pour impressionner ses victimes. Il en a tant parlé, et vous
708
apparition fait naître en elles. Très facile que
de
les persuader, une fois si bien intéressées ! Car rien ne flatte comm
709
mme l’idée que l’on va vivre à son tour une scène
de
roman. Oui, l’idée seule a fait tous ces ravages, et non pas quelque
710
quelque dieu, ni le Destin. Il n’y aurait jamais
de
coup de foudre sans ce désir que vous entretenez par vos romans… Mais
711
tenez par vos romans… Mais ce n’est pas assez que
d’
une complaisance acquise. Il faut encore une rencontre ménagée à la re
712
les rencontres fameuses : Tristan devant la cour
d’
Irlande est reçu par la fille du roi selon l’usage et l’étiquette. Sie
713
ue cela se produise à l’improviste, comme au coin
d’
un bois… Il me vient une image dont la netteté pourra faire excuser le
714
la pose… Tandis que je parlais ainsi, une espèce
de
gêne me vint, le sentiment de mal tomber. Il me sembla que mes propos
715
s ainsi, une espèce de gêne me vint, le sentiment
de
mal tomber. Il me sembla que mes propos touchaient mon interlocuteur
716
embla que mes propos touchaient mon interlocuteur
d’
une manière un peu trop personnelle, et — comment dire ? — qu’il savai
717
en conclure pour ou contre vos théories. Au début
de
1933, au moment où Hitler arrivait au pouvoir, on m’offrit de donner
718
moment où Hitler arrivait au pouvoir, on m’offrit
de
donner des conférences à Budapest. Le président de l’organisation qui
719
e donner des conférences à Budapest. Le président
de
l’organisation qui m’invitait était un grand banquier, ami des lettre
720
, ami des lettres. Il vint m’attendre au débarqué
de
l’avion et me conduisit à sa demeure. C’était l’heure du déjeuner. No
721
depuis quelques instants dans sa bibliothèque, où
d’
un coup d’œil furtif j’avais remarqué mes livres, lorsque sa femme ent
722
es livres, lorsque sa femme entra en nous saluant
d’
une mélodieuse formule hongroise. La présentation faite, cette dame no
723
faite, cette dame nous offrit la rituelle liqueur
de
pêche dont on vide trois verres d’un seul trait, en se regardant dans
724
tuelle liqueur de pêche dont on vide trois verres
d’
un seul trait, en se regardant dans les yeux. Je me sentis pâlir viole
725
el public j’aurai, et quelles personnes me prient
de
leur réserver un dîner : bref, vous vous rappelez ce qu’était la Hong
726
avaler une seule bouchée. Est-ce vraiment l’effet
de
l’avion ? J’allais m’en persuader quand je m’aperçois, et cette fois-
727
bavarde encore en prenant le café, puis s’excuse
d’
avoir à regagner sa banque : d’ailleurs sa femme me promènera dans Bud
728
e Musée, — à ce soir ! Il s’en va, très satisfait
de
lui, et de moi aussi, je crois. Nous voici seuls. Silence. Silence en
729
à ce soir ! Il s’en va, très satisfait de lui, et
de
moi aussi, je crois. Nous voici seuls. Silence. Silence encore dans l
730
sque rageuse. Nous traversons les grandes artères
de
Pest, le pont des Chaînes sur les eaux jaunes du Danube, puis ces rue
731
s sur les eaux jaunes du Danube, puis ces ruelles
de
Buda, qui montent sur les flancs d’un énorme rocher en pleine ville,
732
s ces ruelles de Buda, qui montent sur les flancs
d’
un énorme rocher en pleine ville, que domine la statue de saint Geller
733
orme rocher en pleine ville, que domine la statue
de
saint Gellert, les bras en croix. Elle arrête la voiture près d’une b
734
t, les bras en croix. Elle arrête la voiture près
d’
une barrière de parc public, descend, s’éloigne dans la neige bien gel
735
croix. Elle arrête la voiture près d’une barrière
de
parc public, descend, s’éloigne dans la neige bien gelée où ses pas l
736
s’enfoncent et se marquent. Je la rejoins. Alors
d’
un geste elle désigne la ville à nos pieds : « Mon mari m’a demandé de
737
gne la ville à nos pieds : « Mon mari m’a demandé
de
vous montrer Budapest. Voilà, c’est Budapest. » Il n’y a rien d’autr
738
Budapest. Voilà, c’est Budapest. » Il n’y a rien
d’
autre à dire. Nous remontons en voiture et descendons vers la ville. S
739
se dans un restaurant ? — Bonne idée », fait-elle
d’
une voix basse, sans me regarder. Nous voici attablés devant des sandw
740
i l’un ni l’autre ne pouvons toucher à rien. Tout
d’
un coup je me suis mis debout. Je fais le tour de la table, je m’arrêt
741
d’un coup je me suis mis debout. Je fais le tour
de
la table, je m’arrête devant elle, les bras en arrière, comme cela —
742
s bras en arrière, comme cela — je me suis retenu
de
lui toucher l’épaule — et je m’entends prononcer : « Puisqu’il faut q
743
s conférences ou un dîner. Et je passais le reste
de
la nuit dans un bar, en compagnie d’un peintre réfugié, nommé Maria.
744
ais le reste de la nuit dans un bar, en compagnie
d’
un peintre réfugié, nommé Maria. Je l’avais connu quelques années aupa
745
politique, à Berlin, que je fréquentais à l’insu
de
ma femme. J’étais dans un état d’exaltation extrême, à peu près incap
746
entais à l’insu de ma femme. J’étais dans un état
d’
exaltation extrême, à peu près incapable de dormir, sauf quelques heur
747
n état d’exaltation extrême, à peu près incapable
de
dormir, sauf quelques heures pendant la matinée. Nous parlions, avec
748
pendant la matinée. Nous parlions, avec mon ami,
d’
art, de religion, de politique, des perspectives du nouveau régime, et
749
t la matinée. Nous parlions, avec mon ami, d’art,
de
religion, de politique, des perspectives du nouveau régime, et pas du
750
Nous parlions, avec mon ami, d’art, de religion,
de
politique, des perspectives du nouveau régime, et pas du tout de mes
751
es perspectives du nouveau régime, et pas du tout
de
mes après-midi. Bien entendu. La veille de mon départ, comme nous sor
752
u tout de mes après-midi. Bien entendu. La veille
de
mon départ, comme nous sortions du bar, Maria et moi, une édition du
753
n nous apprend l’incendie du Reichstag. Je décide
de
rentrer le jour même à Berlin, et prends congé de mon ami qui se mont
754
de rentrer le jour même à Berlin, et prends congé
de
mon ami qui se montrait fort inquiet de mon sort. Il y avait de quoi
755
nds congé de mon ami qui se montrait fort inquiet
de
mon sort. Il y avait de quoi d’ailleurs, j’étais inscrit, à cette épo
756
se montrait fort inquiet de mon sort. Il y avait
de
quoi d’ailleurs, j’étais inscrit, à cette époque, au parti communiste
757
oir. J’arrive à Berlin le lendemain. Sur le seuil
de
notre villa de Zehlendorf, ma femme m’attend, grave et presque sévère
758
je l’interroge avec nervosité sur les événements
de
l’avant-veille. Elle répond à peine. Qu’y a-t-il ? « Avec qui m’as-tu
759
le. Elle sait. Monsieur, je puis garder un secret
d’
État, vous le savez, mais je ne suis pas de ceux qui peuvent supporter
760
secret d’État, vous le savez, mais je ne suis pas
de
ceux qui peuvent supporter un mensonge dans leur vie intime. J’ai tou
761
leur vie intime. J’ai tout avoué sans me chercher
d’
excuse. Et comme elle se taisait encore, je lui ai demandé comment ell
762
e matin même et qu’elle avait ouverte par crainte
d’
un malheur. Quelques lignes sur une feuille portant l’en-tête d’un bar
763
Quelques lignes sur une feuille portant l’en-tête
d’
un bar de Budapest, et disant à peu près : « Donne-moi vite de tes nou
764
lignes sur une feuille portant l’en-tête d’un bar
de
Budapest, et disant à peu près : « Donne-moi vite de tes nouvelles, j
765
Budapest, et disant à peu près : « Donne-moi vite
de
tes nouvelles, je suis inquiet, je n’oublierai jamais les nuits extra
766
nous avons encore pu passer ensemble, à la veille
de
ce cataclysme. » La lettre était signée « Maria ». « Un vrai drame du
767
s… Mais le destin aveugle qui présida aux fastes
de
votre rencontre ne perd-il pas un peu de son mystère si l’on songe qu
768
’on songe que la femme du banquier était lectrice
de
romans — et sans doute de vos propres romans ?… Et ce coup de foudre,
769
banquier était lectrice de romans — et sans doute
de
vos propres romans ?… Et ce coup de foudre, n’est-il pas tombé d’un c
770
omans ?… Et ce coup de foudre, n’est-il pas tombé
d’
un ciel qu’il convient de nommer Littérature ?
771
udre, n’est-il pas tombé d’un ciel qu’il convient
de
nommer Littérature ?
772
Don Juan Lorsqu’il paraît brillant
d’
or et de soie, dressé sur ses ergots de grand ténor, l’on est tenté de
773
Don Juan Lorsqu’il paraît brillant d’or et
de
soie, dressé sur ses ergots de grand ténor, l’on est tenté de ne voir
774
t brillant d’or et de soie, dressé sur ses ergots
de
grand ténor, l’on est tenté de ne voir en lui que le feu naturel du d
775
ssé sur ses ergots de grand ténor, l’on est tenté
de
ne voir en lui que le feu naturel du désir, une espèce d’animalité vé
776
ir en lui que le feu naturel du désir, une espèce
d’
animalité véhémente, et comme innocente… Mais jamais la Nature n’a rie
777
innocente… Mais jamais la Nature n’a rien produit
de
pareil. Vous sentez bien qu’il y a du démoniaque dans son cas, une so
778
n qu’il y a du démoniaque dans son cas, une sorte
de
polémique anxieuse, de méchanceté et de défi : la main tendue au Comm
779
ue dans son cas, une sorte de polémique anxieuse,
de
méchanceté et de défi : la main tendue au Commandeur, dans le dernier
780
une sorte de polémique anxieuse, de méchanceté et
de
défi : la main tendue au Commandeur, dans le dernier acte de Mozart.
781
a main tendue au Commandeur, dans le dernier acte
de
Mozart. Non, ce n’est pas l’animal, mais l’homme, et non d’avant, mai
782
Non, ce n’est pas l’animal, mais l’homme, et non
d’
avant, mais d’après la morale. Point de Don Juan ni chez les « bons sa
783
me, et non d’avant, mais d’après la morale. Point
de
Don Juan ni chez les « bons sauvages » ni chez les « primitifs » qu’o
784
us décrit. Don Juan suppose une société encombrée
de
règles précises dont elle rêve moins de se délivrer que d’abuser. Dan
785
encombrée de règles précises dont elle rêve moins
de
se délivrer que d’abuser. Dans le vertige de l’anarchie où il se plaî
786
précises dont elle rêve moins de se délivrer que
d’
abuser. Dans le vertige de l’anarchie où il se plaît, ce grand seigneu
787
oins de se délivrer que d’abuser. Dans le vertige
de
l’anarchie où il se plaît, ce grand seigneur n’oublie jamais son rang
788
re. Voyez comme il se sert des femmes : incapable
de
les posséder, il les viole d’abord moralement pour s’imposer à l’anim
789
par le bon et le juste — contre eux. Si les lois
de
la morale n’existaient pas, il les inventerait pour les violer. Et c’
790
la qui nous fait pressentir la nature spirituelle
de
son secret, si bien masqué par le prétexte de l’instinct. Aux sommets
791
lle de son secret, si bien masqué par le prétexte
de
l’instinct. Aux sommets de l’esprit révolté, on verra Nietzsche, cent
792
masqué par le prétexte de l’instinct. Aux sommets
de
l’esprit révolté, on verra Nietzsche, cent ans plus tard, renouveler
793
aller si haut ? La recherche « toute naturelle »
de
l’intensité du désir ne peut-elle expliquer à elle seule cette incons
794
onstance forcenée ? Alors Don Juan serait l’homme
de
la première rencontre, de la plus excitante victoire ? « La nouveauté
795
Don Juan serait l’homme de la première rencontre,
de
la plus excitante victoire ? « La nouveauté est le tyran de notre âme
796
excitante victoire ? « La nouveauté est le tyran
de
notre âme », écrit le vieux Casanova. Mais déjà ce n’est plus l’homme
797
insi. La volupté du vrai sensuel commence au-delà
de
ces moments que Don Juan fuit à peine atteints. Faudra-t-il se résoud
798
soudre à soumettre le cas aux docteurs indiscrets
de
l’école viennoise ? Le beau sujet ! Ils ne l’ont pas manqué. Pour eux
799
qué. Pour eux aussi, Don Juan serait le contraire
de
ce que l’on croit, il souffrirait d’une anxiété secrète déjà voisine
800
le contraire de ce que l’on croit, il souffrirait
d’
une anxiété secrète déjà voisine de l’impuissance. Et il est vrai que
801
il souffrirait d’une anxiété secrète déjà voisine
de
l’impuissance. Et il est vrai que celui qui cède à cet attrait superf
802
ur presque tous les hommes, n’évoque pas une idée
de
santé. Mais dans cette furie insolente, dans cette jactance batailleu
803
spirituels ? Don Juan serait par exemple le type
de
l’homme qui n’atteint pas au plan de la personne où pourrait se manif
804
mple le type de l’homme qui n’atteint pas au plan
de
la personne où pourrait se manifester ce qu’il y a d’unique dans un ê
805
a personne où pourrait se manifester ce qu’il y a
d’
unique dans un être. Pourquoi ne peut-il désirer que la nouveauté dans
806
eut-être aussi qu’il n’est pas ? Celui qui a, vit
de
sa possession et ne l’abandonne pas pour l’incertain, — entendez : s’
807
on Juan cherchant partout son idéal, son « type »
de
beauté féminine (souvenir inconscient de la mère) — trop vite séduit
808
« type » de beauté féminine (souvenir inconscient
de
la mère) — trop vite séduit par la plus fugitive ressemblance, toujou
809
angoissé et cruel… S’il le trouvait, ce « type »
de
femme rêvé ! J’imagine cette métamorphose. On le voit interrompre sa
810
On le voit interrompre sa course, changer soudain
de
contenance, baisser la tête, s’assombrir, comme saisi d’une timidité,
811
enance, baisser la tête, s’assombrir, comme saisi
d’
une timidité, et fasciné pour la première fois par la révélation d’amo
812
t fasciné pour la première fois par la révélation
d’
amour, se muer en l’image de Tristan. Mais il ne trouvera pas. Il est
813
ois par la révélation d’amour, se muer en l’image
de
Tristan. Mais il ne trouvera pas. Il est Don Juan parce qu’on sait qu
814
sance à se fixer, soit impuissance à se déprendre
d’
une image à lui-même secrète. Et de là vient sa puissance apparente, s
815
à se déprendre d’une image à lui-même secrète. Et
de
là vient sa puissance apparente, sa furia, son rythme dionysiaque… O
816
nysiaque… Or, si le don juanisme est une passion
de
l’esprit, et non pas comme nous aimions le croire une exultation de l
817
n pas comme nous aimions le croire une exultation
de
l’instinct, tout porte à supposer que cette passion n’est pas toujour
818
rtain équilibre social que les mœurs ont pour but
de
maintenir, cet équilibre étant d’ailleurs bon ou mauvais.) C’est que
819
nt d’ailleurs bon ou mauvais.) C’est que le désir
de
nouveauté et de changement perpétuel, dès que l’esprit insatiable l’e
820
n ou mauvais.) C’est que le désir de nouveauté et
de
changement perpétuel, dès que l’esprit insatiable l’excite, devient u
821
isent, sans que l’ordre des choses ait à souffrir
d’
une dépense improductive. Certes Don Juan est un tricheur, et même il
822
s Don Juan est un tricheur, et même il ne vit que
de
cela. (La banque de pharaon était la source unique des revenus de Cas
823
icheur, et même il ne vit que de cela. (La banque
de
pharaon était la source unique des revenus de Casanova : symbole dont
824
que de pharaon était la source unique des revenus
de
Casanova : symbole dont il nous donne maintes fois la clé.) Mais une
825
e est moins dangereuse que les faiblesses subites
d’
un honnête homme. On est en garde, et l’on connaît le système, entière
826
Imaginons un don juanisme plus secret, une table
de
pharaon où l’on mette sur les cartes des « valeurs » invisibles au li
827
ieu d’espèces sonnantes. Alors la tricherie cesse
d’
être une habileté vulgaire et profitable. Elle peut devenir l’acte hér
828
et profitable. Elle peut devenir l’acte héroïque
d’
une loyauté sans scrupules, toutefois considérée comme criminelle du f
829
fait qu’elle institue un nouvel ordre, par décret
de
rigueur subversive. Nietzsche s’est dressé face au siècle. Et l’adver
830
t l’adversaire qu’il s’est choisi, c’est l’esprit
de
lourdeur, notre poids naturel, notre faculté naturelle de retombement
831
eur, notre poids naturel, notre faculté naturelle
de
retombement dans la coutume. L’immoraliste est comme le moraliste un
832
raliste est comme le moraliste un ennemi vigilant
de
l’instinct : car s’il le glorifie, c’est par esprit de polémique, c’e
833
instinct : car s’il le glorifie, c’est par esprit
de
polémique, c’est qu’il veut forcer la nature autrement qu’on ne l’a f
834
erminé par le bon et le juste — contre eux. Il va
de
défi en défi, excité puis exaspéré par le silence ou les lâchetés de
835
cité puis exaspéré par le silence ou les lâchetés
de
l’adversaire. Les idées se retournent au caprice de l’esprit : il n’y
836
l’adversaire. Les idées se retournent au caprice
de
l’esprit : il n’y a plus de vérité qui tienne. Les hommes se rendent
837
retournent au caprice de l’esprit : il n’y a plus
de
vérité qui tienne. Les hommes se rendent ou tombent dans le doute à l
838
ou tombent dans le doute à la première séduction
d’
une hypothèse scientifique. Il n’y a plus de foi qui affirme et qui ma
839
ction d’une hypothèse scientifique. Il n’y a plus
de
foi qui affirme et qui maintienne en vertu de l’absurde. Ah ! comme o
840
nne en vertu de l’absurde. Ah ! comme on se lasse
de
gagner à tout coup pour peu qu’on ait l’envie de nier des règles que
841
de gagner à tout coup pour peu qu’on ait l’envie
de
nier des règles que personne n’ose plus dire inviolables ! Qui donc s
842
est, dans la vie du Don Juan des vérités, l’heure
de
l’invitation au Commandeur ! Or Dieu se tait. Il ne relève pas le déf
843
des hauteurs. Une aube vient. C’est encore l’aube
de
la terre. Personne n’a parlé. Dieu est mort ! De chaque idée, de chaq
844
de la terre. Personne n’a parlé. Dieu est mort !
De
chaque idée, de chaque croyance, de chaque valeur, Nietzsche a voulu
845
rsonne n’a parlé. Dieu est mort ! De chaque idée,
de
chaque croyance, de chaque valeur, Nietzsche a voulu violer le secret
846
eu est mort ! De chaque idée, de chaque croyance,
de
chaque valeur, Nietzsche a voulu violer le secret ; et leur défaite r
847
Il faut rejeter avec dégoût ce que l’on désirait
de
toute sa fougue ; et se rire des suiveurs, des successeurs, de ces di
848
ougue ; et se rire des suiveurs, des successeurs,
de
ces disciples enhardis par le triomphe ardent d’un autre, et qui déjà
849
de ces disciples enhardis par le triomphe ardent
d’
un autre, et qui déjà croient pouvoir abuser de ses victimes… Mille et
850
nt d’un autre, et qui déjà croient pouvoir abuser
de
ses victimes… Mille et trois vérités se sont rendues, et pas une seul
851
joie du viol intellectuel. Comme Don Juan l’image
de
la Mère, Nietzsche poursuit l’image obscure, et à lui-même infiniment
852
’image obscure, et à lui-même infiniment secrète,
d’
une Vérité qui ne se rendrait point, mais qui le posséderait à tout ja
853
ais qui le posséderait à tout jamais, digne enfin
de
sa vraie Passion ! Il traque sans relâche tout ce qui bouge, tout ce
854
ouge, tout ce qui s’arrête, tout ce qui fait mine
de
résister… Voluptés brèves — le temps d’un aphorisme — fulgurations to
855
fait mine de résister… Voluptés brèves — le temps
d’
un aphorisme — fulgurations toujours décevantes : ce n’est pas elle qu
856
e n’est pas elle qu’il vient de posséder… Ô haine
de
leurs vérités faibles ! La Vérité est morte ! Revivra-t-elle ? Car si
857
si ce Dieu est mort, à tout jamais, il n’y a plus
d’
amour possible. Il faut inventer un amour qui permette au moins de haï
858
. Il faut inventer un amour qui permette au moins
de
haïr tout ce qui passe, tout ce qui cède, toute l’impudeur et la lour
859
’impudeur et la lourdeur du monde. C’est au point
de
fureur dionysiaque où la joie de détruire devient douleur, et dans l’
860
. C’est au point de fureur dionysiaque où la joie
de
détruire devient douleur, et dans l’angoisse d’une puissance anéantie
861
e de détruire devient douleur, et dans l’angoisse
d’
une puissance anéantie par son succès, que Nietzsche a rencontré souda
862
fascinante idée du Retour éternel. Devant le roc
de
Sils-Maria on le voit interrompre sa course, changer de contenance, e
863
s-Maria on le voit interrompre sa course, changer
de
contenance, et pour la première fois baisser la tête et adorer. Tout
864
ternellement ! Ainsi Nietzsche devient le Tristan
d’
un Destin qu’il ne peut posséder que par l’amour éternellement lointai
865
uan ne gagnait qu’en trichant, et s’il n’y a plus
de
règles, on ne peut plus tricher). Voici peut-être la clé du mystère :
866
s notre grâce. Mais Nietzsche et Don Juan doutent
de
leur grâce. Les voici donc contraints de gagner dans le temps de leur
867
doutent de leur grâce. Les voici donc contraints
de
gagner dans le temps de leur vie — d’où la tricherie ; ou bien il leu
868
Les voici donc contraints de gagner dans le temps
de
leur vie — d’où la tricherie ; ou bien il leur faut nier la fin des t
869
contraints de gagner dans le temps de leur vie —
d’
où la tricherie ; ou bien il leur faut nier la fin des temps, le règle
870
in des temps, le règlement, le jugement dernier —
d’
où l’idée du Retour éternel. Comme je parlais de ces choses à une amie
871
— d’où l’idée du Retour éternel. Comme je parlais
de
ces choses à une amie : « J’ai connu, me dit-elle, un homme marié ave
872
est la tricherie ? Dans le défi, installé au cœur
de
la règle ?
873
ions un peu, et pensions le connaître. La lecture
de
ses papiers posthumes nous le révèle bien différent. Il fallait certe
874
ue trahit son journal intime. Peut-être le secret
d’
une différence aussi curieuse est-il caché dans les passages de ces ca
875
nce aussi curieuse est-il caché dans les passages
de
ces cahiers que nous allons transcrire ici. De ces fragments de dates
876
es de ces cahiers que nous allons transcrire ici.
De
ces fragments de dates diverses, l’on ne verra point se dégager de co
877
que nous allons transcrire ici. De ces fragments
de
dates diverses, l’on ne verra point se dégager de conclusions tout à
878
de dates diverses, l’on ne verra point se dégager
de
conclusions tout à fait claires : il y a trop de contradictions. Mais
879
de conclusions tout à fait claires : il y a trop
de
contradictions. Mais c’est ce qui peut intéresser. Une attitude aussi
880
es lecteurs. Or il se peut que ce soit l’attitude
de
la plupart des écrivains modernes. « J’ai vécu pour la gloire, dit l
881
, si ce n’est aussi l’amour du prochain, le désir
de
lui être utile et de mériter ses louanges ? J’ai donc vécu pour les a
882
’amour du prochain, le désir de lui être utile et
de
mériter ses louanges ? J’ai donc vécu pour les autres, et mon existen
883
vous l’appelez, le prochain, cette grande source
d’
iniquité et de mal ! Le prochain, sais-tu, ce sont les paysans de Kiew
884
z, le prochain, cette grande source d’iniquité et
de
mal ! Le prochain, sais-tu, ce sont les paysans de Kiew, que tu rêves
885
e mal ! Le prochain, sais-tu, ce sont les paysans
de
Kiew, que tu rêves de combler de bienfaits. » (Tolstoï, La Guerre et
886
ais-tu, ce sont les paysans de Kiew, que tu rêves
de
combler de bienfaits. » (Tolstoï, La Guerre et la Paix.) Cette page m
887
sont les paysans de Kiew, que tu rêves de combler
de
bienfaits. » (Tolstoï, La Guerre et la Paix.) Cette page m’avait sédu
888
épris du prochain. Le prince André n’a pas trouvé
de
prochains, car il n’a cherché qu’un public. C’est le public qui donne
889
qui a vraiment aimé son prochain, n’en a pas reçu
de
gloire et n’en demandait point. Aussi ne pense-t-elle pas qu’elle a «
890
e pas qu’elle a « perdu sa vie ». Liszt, à la fin
d’
un concert triomphal, s’incline et prononce à mi-voix : « Je suis le s
891
e. Et ceux qui ne la briguent point risquent fort
de
se rendre antipathiques. Jamais la foule n’a jugé ridicule que l’on a
892
foule n’a jugé ridicule que l’on affiche un amour
de
la gloire même excessif pour le talent qu’on a. La foule ne tient pou
893
glorieux que ceux qui prennent le soin de parler
de
leur gloire. Chateaubriand eut de la gloire, mais non Stendhal. Mme d
894
soin de parler de leur gloire. Chateaubriand eut
de
la gloire, mais non Stendhal. Mme de Staël en eut, mais non Constant
895
tends que son pouvoir et sa grandeur ne dépendent
d’
aucune raison, et paraissent même n’en point souffrir. Fama crescit eu
896
entia famam. Toute gloire est donc aliénée. Celle
d’
un Chateaubriand n’est pas à lui, ni à son œuvre, mais au public qui l
897
non point tel que me désire leur goût sentimental
de
« l’Art ». Mais comme tout se complique et se retourne ! Celui qui ve
898
Celui qui veut la gloire, est-ce qu’il manquerait
d’
orgueil ? Serait-il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis
899
eilleux que je suis, ne donne-t-il pas une preuve
d’
amour à son audience en exigeant d’elle plus de noblesse ? Dire : je n
900
pas une preuve d’amour à son audience en exigeant
d’
elle plus de noblesse ? Dire : je néglige la gloire, c’est dire : je v
901
ve d’amour à son audience en exigeant d’elle plus
de
noblesse ? Dire : je néglige la gloire, c’est dire : je vous néglige,
902
vous néglige, vous qui donnez la gloire pour prix
d’
une complaisance. Mais c’est dire aussi : je vous aime, puisque je vou
903
veut la gloire telle que lui seul serait capable
de
se la décerner ? L’idée moderne de la gloire nous vient, dit-on, de l
904
serait capable de se la décerner ? L’idée moderne
de
la gloire nous vient, dit-on, de la Renaissance. Glorieux est celui q
905
? L’idée moderne de la gloire nous vient, dit-on,
de
la Renaissance. Glorieux est celui qui s’affirme en différant, bien p
906
réquents dans l’Italie du xve siècle.) Le besoin
de
la gloire est donc né d’une sorte de maladie du sens social. C’est le
907
xve siècle.) Le besoin de la gloire est donc né
d’
une sorte de maladie du sens social. C’est le contraire de l’amour du
908
.) Le besoin de la gloire est donc né d’une sorte
de
maladie du sens social. C’est le contraire de l’amour du prochain. L’
909
rte de maladie du sens social. C’est le contraire
de
l’amour du prochain. L’individu qui cherche la gloire n’a plus souci
910
er. Il cherche des admirateurs, des confirmateurs
de
son être. C’est que l’acte de s’écarter d’une communion ou d’une comm
911
, des confirmateurs de son être. C’est que l’acte
de
s’écarter d’une communion ou d’une communauté écarte aussi de soi, et
912
ateurs de son être. C’est que l’acte de s’écarter
d’
une communion ou d’une communauté écarte aussi de soi, et l’on éprouve
913
C’est que l’acte de s’écarter d’une communion ou
d’
une communauté écarte aussi de soi, et l’on éprouve alors le besoin de
914
d’une communion ou d’une communauté écarte aussi
de
soi, et l’on éprouve alors le besoin de se faire confirmer. Un homme
915
rte aussi de soi, et l’on éprouve alors le besoin
de
se faire confirmer. Un homme en communion active avec les hommes qui
916
res. Ainsi les héros et les rois sont les auteurs
de
leur éclat. Ils donnent et ne demandent rien. Et ce qu’ils donnent fa
917
: c’est ce que donne la foule qui fait la gloire
d’
un homme.) La gloire antique était virile, comme le don. Alexandre exe
918
c’est une rumeur, c’est une publicité, une espèce
d’
inflation provisoire. Elle n’est pas grande, mais exagérée, mobile, ne
919
ssentie comme flatteuse. C’est donc quelque chose
de
vulgaire. De fait, je ne connais pas de gloire moderne dont on ne pui
920
flatteuse. C’est donc quelque chose de vulgaire.
De
fait, je ne connais pas de gloire moderne dont on ne puisse démontrer
921
que chose de vulgaire. De fait, je ne connais pas
de
gloire moderne dont on ne puisse démontrer par quels moyens elle fut
922
quels moyens elle fut acquise : toujours au prix
d’
une vulgarité. (Zones de bassesse chez d’Annunzio : c’est là, non pas
923
cquise : toujours au prix d’une vulgarité. (Zones
de
bassesse chez d’Annunzio : c’est là, non pas dans la beauté de son œu
924
au prix d’une vulgarité. (Zones de bassesse chez
d’
Annunzio : c’est là, non pas dans la beauté de son œuvre, que s’est co
925
hez d’Annunzio : c’est là, non pas dans la beauté
de
son œuvre, que s’est constituée sa gloire.) Et cependant, je me suis
926
depuis toujours, moi seul. Un dieu n’a pas besoin
d’
adorateurs pour rayonner et se réjouir de son être. Oui, c’est bien là
927
s besoin d’adorateurs pour rayonner et se réjouir
de
son être. Oui, c’est bien là le privilège d’un dieu. Et la vraie gloi
928
ouir de son être. Oui, c’est bien là le privilège
d’
un dieu. Et la vraie gloire. Qu’est-ce que l’incognito ? Il y a là que
929
st-ce que l’incognito ? Il y a là quelqu’un qui a
de
la valeur ; on ne le sait pas. La gloire moderne, c’est à peu près l’
930
se. Mais ne serait-ce pas aussi le meilleur moyen
de
sauver son incognito en se donnant l’air précisément d’y renoncer ? A
931
ver son incognito en se donnant l’air précisément
d’
y renoncer ? Autre avantage de la gloire : elle confère le droit d’êtr
932
t l’air précisément d’y renoncer ? Autre avantage
de
la gloire : elle confère le droit d’être banal. Tant pis si beaucoup
933
tre avantage de la gloire : elle confère le droit
d’
être banal. Tant pis si beaucoup en abusent… Hypothèse : l’expérience
934
ucoup en abusent… Hypothèse : l’expérience intime
de
la gloire précède toujours sa manifestation. L’ambitieux ne vaut rien
935
peut aboutir qu’au succès. Il reste sous l’empire
de
la comparaison. Beaucoup d’hommes n’imaginent pas qu’on puisse avouer
936
l reste sous l’empire de la comparaison. Beaucoup
d’
hommes n’imaginent pas qu’on puisse avouer sa vanité, ou bien ils croi
937
à feindre ? La plus sotte vanité étant assurément
d’
essayer de faire croire qu’on n’en a point. Si l’on condamne sa propre
938
? La plus sotte vanité étant assurément d’essayer
de
faire croire qu’on n’en a point. Si l’on condamne sa propre vanité, l
939
pre vanité, le mieux pour s’en débarrasser serait
d’
en parler ouvertement. Comme un menteur qui dirait : « Je vous avertis
940
e, et je ne l’avoue jamais — je fais le modeste —
d’
où vient cette pudeur ? Je ne veux pas la gloire pour vous éblouir, vo
941
ue je suis, et si vous appreniez un jour que j’ai
de
la gloire, que sauriez-vous alors d’essentiel que dès maintenant vous
942
our que j’ai de la gloire, que sauriez-vous alors
d’
essentiel que dès maintenant vous ne sachiez ? Ou c’est que vous vous
943
c que « gloire », dont la prononciation, pour peu
d’
emphase que j’y prête, me fait venir les larmes aux yeux ? Gloire et l
944
ord clamé, ou cet instant plutôt qui est au seuil
de
sa résolution fondamentale — quel est ce seuil, et que nous ouvrent,
945
ieu. Ce serait là, pourtant, ma vérité, la vérité
de
mon mensonge. Est-ce à cause que mon nom est : mensonge, que je voudr
946
s’oppose à ma gloire, et qui me sauve malgré moi
de
mon triomphe. Il n’y a qu’un seul Dieu, celui qui dit Je suis. Ce ser
947
a tout, et tout sera. Ainsi, ô Dieu, délivrez-moi
de
la gloire ! Mais cette prière m’émeut encore comme la gloire !
948
n char, pénétrerait au grand galop dans le temple
de
Jupiter. Les quelques-uns qui le savaient étaient exclus de la compét
949
. Les quelques-uns qui le savaient étaient exclus
de
la compétition par leur science même : on exigeait l’innocence de l’â
950
n par leur science même : on exigeait l’innocence
de
l’âme. Quant au peuple, il vaquait à ses travaux. Un jour, un paysan
951
jour, un paysan nommé Gordius vient à cette ville
de
Phrygie. Il déclare qu’il voudrait visiter les curiosités de l’endroi
952
Il déclare qu’il voudrait visiter les curiosités
de
l’endroit. On lui indique le temple et la mairie. Sans hésiter, il en
953
nous attendions ! Devenu roi par hasard et grâce
d’
innocence, Gordius voulut le rester par astucieuse appropriation d’art
954
ius voulut le rester par astucieuse appropriation
d’
artisan. Il saute à terre, bien décidé à montrer aux gens de la ville
955
Il saute à terre, bien décidé à montrer aux gens
de
la ville ce qu’il sait faire. Entre les cornes de l’autel et le timon
956
de la ville ce qu’il sait faire. Entre les cornes
de
l’autel et le timon du char, le voilà qui se met à nouer le plus beau
957
ait jamais rêvé. Il y passe des heures indicibles
d’
intensité et de concentration. C’est le temps de sa vie ! Ce nœud l’at
958
. Il y passe des heures indicibles d’intensité et
de
concentration. C’est le temps de sa vie ! Ce nœud l’attestera. L’inno
959
s d’intensité et de concentration. C’est le temps
de
sa vie ! Ce nœud l’attestera. L’innocence du prédestiné et la malice
960
et la malice du paysan s’y mêlent dans un vertige
de
trouvailles, dans une embrouille de génie. Les tours les plus retors
961
ns un vertige de trouvailles, dans une embrouille
de
génie. Les tours les plus retors de cette corde nouent à la grâce l’a
962
ne embrouille de génie. Les tours les plus retors
de
cette corde nouent à la grâce l’ambition, marient au luxe fou l’avari
963
u l’avarice ingénieuse, resserrent dans les liens
d’
un calcul instinctif l’enthousiasme de la grandeur, et son angoisse. A
964
s les liens d’un calcul instinctif l’enthousiasme
de
la grandeur, et son angoisse. Ah ! le compère assez malin pour dénoue
965
il n’est pas encore né ! On ne sait rien du règne
de
Gordius. Mais le nœud qu’il noua devint célèbre. Un oracle nouveau ne
966
sie. Car un nœud, c’est d’abord un anneau : signe
d’
alliance et de prise du pouvoir. Cercle magique et couronne royale. Si
967
ud, c’est d’abord un anneau : signe d’alliance et
de
prise du pouvoir. Cercle magique et couronne royale. Signe aussi de f
968
r. Cercle magique et couronne royale. Signe aussi
de
fécondité. Qu’une intrigue se noue, elle gouverne aussitôt les person
969
e se noue, une amitié se noue. Quand on peut dire
d’
un fruit qu’il a noué, il devient graine. Celui qui sait comment se fa
970
et le refaire : il détient le secret du pouvoir.
De
tous les pays de la Grèce, les rêveurs de couronnes vinrent contemple
971
il détient le secret du pouvoir. De tous les pays
de
la Grèce, les rêveurs de couronnes vinrent contempler l’objet. Ils ve
972
ouvoir. De tous les pays de la Grèce, les rêveurs
de
couronnes vinrent contempler l’objet. Ils venaient s’asseoir devant l
973
pendant des heures, des jours, des mois. Combien
de
grandes pensées se nouèrent dans ce piège à méditations symboliques !
974
dans ce piège à méditations symboliques ! Combien
de
regards aussi, apparemment stupides, apprirent à déchiffrer les circo
975
pides, apprirent à déchiffrer les circonvolutions
de
cet emblème d’un cerveau, né d’une pensée unique et vraiment souverai
976
t à déchiffrer les circonvolutions de cet emblème
d’
un cerveau, né d’une pensée unique et vraiment souveraine : la royauté
977
s circonvolutions de cet emblème d’un cerveau, né
d’
une pensée unique et vraiment souveraine : la royauté dans son état na
978
iens. J’allais m’asseoir au temple, par les jours
de
colère intraitable. Je dardais un regard de flèche vers ce nœud de vi
979
jours de colère intraitable. Je dardais un regard
de
flèche vers ce nœud de vipères impassible. Des vengeances profondes s
980
able. Je dardais un regard de flèche vers ce nœud
de
vipères impassible. Des vengeances profondes se lovaient dans les tor
981
inées à l’intérieur de cet objet monstrueux, fait
d’
une seule corde. Et je passais des heures à contempler ceux qui, à mon
982
it dans sa nature… Celui qui prévoyait la science
de
nos jours, et me disait : « Il n’est de science que des phénomènes qu
983
a science de nos jours, et me disait : « Il n’est
de
science que des phénomènes que l’on peut reproduire à volonté. Quel e
984
: C’est consolant ! (par allusion à ses malheurs
d’
amour, si simples…) Et la femme de Gordius vint un jour s’acquitter d
985
à ses malheurs d’amour, si simples…) Et la femme
de
Gordius vint un jour s’acquitter de ses dévotions. Devant le nœud, ap
986
Et la femme de Gordius vint un jour s’acquitter
de
ses dévotions. Devant le nœud, après un long regard, elle dit : Ce n’
987
la ! (Elle croyait que son mari ne s’occupait que
d’
elle.) Et tant d’autres qui vinrent, et qui restaient longtemps. Et nu
988
aient longtemps. Et nul ne s’en allait qu’enrichi
d’
un mystère. Tel était le culte de Gordium, religion de l’inextricable.
989
llait qu’enrichi d’un mystère. Tel était le culte
de
Gordium, religion de l’inextricable. Alexandre impatient et tricheur
990
mystère. Tel était le culte de Gordium, religion
de
l’inextricable. Alexandre impatient et tricheur pénétra dans le templ
991
emple au jour dit par ses astres, trancha le nœud
d’
un coup d’épée, ramassa le prix pour la durée de la saison. (Tous les
992
d d’un coup d’épée, ramassa le prix pour la durée
de
la saison. (Tous les joueurs perdent.) Ce coup d’épée a fondé le mond
993
.) Ce coup d’épée a fondé le monde moderne. Monde
de
la simplification hâtive ; de l’expérience qui détruit son objet ; de
994
onde moderne. Monde de la simplification hâtive ;
de
l’expérience qui détruit son objet ; de l’action efficace au détrimen
995
hâtive ; de l’expérience qui détruit son objet ;
de
l’action efficace au détriment du sens ; de la tricherie ; de la rupt
996
jet ; de l’action efficace au détriment du sens ;
de
la tricherie ; de la rupture des liens. Et depuis lors, je vais crian
997
efficace au détriment du sens ; de la tricherie ;
de
la rupture des liens. Et depuis lors, je vais criant : Renouez-le ! R
998
is criant : Renouez-le ! Renouez-le ! Car il y va
de
tout, du sens même de nos vies ! Car vous mourez, nous mourons tous d
999
! Renouez-le ! Car il y va de tout, du sens même
de
nos vies ! Car vous mourez, nous mourons tous d’ennui, dans un monde
1000
de nos vies ! Car vous mourez, nous mourons tous
d’
ennui, dans un monde où rien ne se noue. Car vous mourez, nous mourons
1001
ie précieuse. Elle n’existe que prise au complexe
d’
une âme, dans les détours du plus profond secret noué. Et si vous simp
1002
s simplifiez vous gagnerez le monde, mais au prix
d’
une âme, la vôtre. Car vous mourez, nous mourons tous à l’amour qui ne
1003
sur sa structure, mais détruit à jamais l’espoir
de
le refaire, de le comprendre ou de s’y laisser prendre, c’est-à-dire
1004
re, mais détruit à jamais l’espoir de le refaire,
de
le comprendre ou de s’y laisser prendre, c’est-à-dire de connaître ou
1005
amais l’espoir de le refaire, de le comprendre ou
de
s’y laisser prendre, c’est-à-dire de connaître ou d’aimer. On ne peut
1006
omprendre ou de s’y laisser prendre, c’est-à-dire
de
connaître ou d’aimer. On ne peut opposer au mythe du nœud gordien que
1007
s’y laisser prendre, c’est-à-dire de connaître ou
d’
aimer. On ne peut opposer au mythe du nœud gordien que l’histoire du n
1008
plus-simple-du-monde. La guerre civile était près
d’
éclater entre les Suisses, au xve siècle. Un messager fut envoyé à l’
1009
icitait son conseil. Il prit la corde qui servait
de
ceinture à sa pauvre robe. Il en fit une boucle simple et la tendit a
1010
pée pour le trancher, si chacun tire par un bout,
de
son côté. Quelle histoire édifiante ! dit Alexandre.
1011
Le supplice
de
Tantale L’eau fuit ses lèvres, la branche fuit sa main, et le roche
1012
teur non prévenu, tout se passe comme si le désir
de
Tantale suffisait à repousser les objets qu’il désire, et sa crainte
1013
qu’il redoute. Quand il se penche vers la surface
de
la rivière où il baigne à mi-corps, quand il lève le bras vers ces fr
1014
fruits mûrs qui font ployer la branche au-dessus
de
son front, on dirait que son geste même déclenche un mécanisme qui l’
1015
ieu que ce coin du Tartare, où la pesante logique
de
la matière est abolie pour peu que l’homme se manifeste. Serait-ce un
1016
u que l’homme se manifeste. Serait-ce un pur lieu
de
l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale est ému, où il forme
1017
ému, où il forme un projet, où il agit, les lois
de
la chute des corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mo
1018
et, où il agit, les lois de la chute des corps et
de
leur inertie, qui sont celles mêmes de la mort, font place aux lois d
1019
s corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes
de
la mort, font place aux lois des dieux, qui sont celles de l’esprit ;
1020
t, font place aux lois des dieux, qui sont celles
de
l’esprit ; et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dire d’un esp
1021
et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dire
d’
un esprit coupable. Regardons bien ce paysage imaginaire, cette compos
1022
iée comme un arcane du Tarot et non moins chargée
de
symboles : un corps, une eau, une branche et un rocher. C’est l’homme
1023
r. C’est l’homme coupable, environné des emblèmes
de
sa peur et de sa convoitise, emblèmes ou signes, car tout tient ici à
1024
me coupable, environné des emblèmes de sa peur et
de
sa convoitise, emblèmes ou signes, car tout tient ici à des événement
1025
et tout illustre une des structures fondamentales
de
son être. Tantale avait commis deux crimes, dit la Fable. Admis à la
1026
r les faire goûter aux mortels. Puis, dans l’idée
de
défier l’Olympe et d’éprouver son omniscience, il avait tué son propr
1027
mortels. Puis, dans l’idée de défier l’Olympe et
d’
éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour fa
1028
e servir sa chair à la table divine. Les liqueurs
d’
immortalité sont ici comme des signes de la Grâce, dont un homme cherc
1029
liqueurs d’immortalité sont ici comme des signes
de
la Grâce, dont un homme chercherait à s’emparer par subterfuge, afin
1030
stre. Doutons que la philanthropie préside au vol
de
Tantale, quand il est assez clair qu’il jalouse les dieux, leur divin
1031
eux comme nourriture meilleure, il est surprenant
d’
observer qu’elle invertit exactement le sacrifice du Fils de Dieu. Au
1032
qu’elle invertit exactement le sacrifice du Fils
de
Dieu. Au lieu du Père livrant son Fils aux hommes pour qu’ils le tuen
1033
pour qu’ensuite ils revivent par la consommation
de
son corps spirituel, un homme tue lui-même son fils, et donne sa chai
1034
r qu’ils en meurent — s’ils perdent leur divinité
de
s’être une fois laissé surprendre et abuser. À cette double infractio
1035
e et abuser. À cette double infraction aux grâces
de
l’esprit (comme je voudrais nommer les lois spirituelles), répond un
1036
n menace suspendue. Le monde païen ne conçoit pas
de
pardon par amour et de salut gratuit, et c’est pourquoi les châtiment
1037
monde païen ne conçoit pas de pardon par amour et
de
salut gratuit, et c’est pourquoi les châtiments qu’infligent les dieu
1038
ligent les dieux revêtent en général un caractère
de
revanche pure et simple, et comme automatique. C’est autant dire que
1039
seul avec lui-même et se ferme aux interventions
d’
une transcendance, ou d’un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’éta
1040
e ferme aux interventions d’une transcendance, ou
d’
un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’étant, en fait, que ses pro
1041
ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice
de
Tantale, cet automatisme est si sûr qu’il autorise à des spéculations
1042
u sur sa tête, l’onde et la branche ne s’écartant
de
lui qu’à l’instant où il veut les atteindre, et tout cela ne tient vr
1043
a ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions
de
son âme : c’est que celles-ci n’ont pas changé depuis ses crimes. Nou
1044
strent ces désirs et qui retardent, ironiquement,
d’
écraser cet orgueil. Imaginons, maintenant, par impossible, que Tantal
1045
s’abandonne, et qu’il préfère soudain à son amour
d’
un moi coupable et torturé, l’expiation libératrice et son délire. À l
1046
u pardon, ni au salut que lui vaudrait un instant
de
pur abandon — payé de sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptibl
1047
que lui vaudrait un instant de pur abandon — payé
de
sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préf
1048
iptible renaissance ! — préfère subir le supplice
de
Tantale. C’est son orgueil et sa dignité d’homme : il se révolte cont
1049
plice de Tantale. C’est son orgueil et sa dignité
d’
homme : il se révolte contre tout, sauf soi. C’est pourquoi rien ne ch
1050
f et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun
de
nous, préfère le désir même douloureux, d’avoir été mille et mille fo
1051
chacun de nous, préfère le désir même douloureux,
d’
avoir été mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc
1052
— à la proie qu’il ne posséderait qu’en acceptant
d’
être changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde
1053
re changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il,
de
gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa maniè
1054
voir en son lieu. À la limite, et dans la logique
d’
un mythe où l’homme s’identifie à l’une de ses tendances, celui qui ga
1055
logique d’un mythe où l’homme s’identifie à l’une
de
ses tendances, celui qui gagne est donc toujours un autre. Et celui q
1056
i qui désire ne gagnera jamais. C’est le sophisme
de
l’empereur : Napoléon n’est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un q
1057
is quelqu’un qui s’est substitué, sous le manteau
d’
hermine, à Bonaparte. Le romantique qui rêvait d’être empereur est mor
1058
d’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui rêvait
d’
être empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous
1059
ute, sont ainsi à quelque degré des modifications
de
notre identité, des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils sont
1060
modifications de notre identité, des aliénations
de
nous-mêmes. À la limite, ils sont autant d’usurpations. Changeons mai
1061
tions de nous-mêmes. À la limite, ils sont autant
d’
usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, et transposons le
1062
s sont autant d’usurpations. Changeons maintenant
de
plan spirituel, et transposons le mythe de Tantale dans un monde où l
1063
tenant de plan spirituel, et transposons le mythe
de
Tantale dans un monde où l’instant d’abandon ne signifie plus la mort
1064
ns le mythe de Tantale dans un monde où l’instant
d’
abandon ne signifie plus la mort mais la vie et l’héritage de la vie é
1065
e signifie plus la mort mais la vie et l’héritage
de
la vie éternelle. J’emprunte à Jean-Paul7 une histoire étrangement pa
1066
étrangement parabolique et qui, dans le registre
de
l’humour profond, reproduit notre fable grecque, mais la conduit à un
1067
nt reviendront et appartiendront à celui des sept
de
MM. mes Neveux qui, durant la demi-heure qui suivra la lecture de la
1068
x qui, durant la demi-heure qui suivra la lecture
de
la présente clause, versera avant tous les autres, une ou quelques la
1069
e marchand Neupeter se demande s’il ne s’agit que
d’
une mauvaise farce, indigne d’un homme de sens. Le fiscal Knol se sent
1070
s’il ne s’agit que d’une mauvaise farce, indigne
d’
un homme de sens. Le fiscal Knol se sent prêt à pleurer de colère. Pas
1071
agit que d’une mauvaise farce, indigne d’un homme
de
sens. Le fiscal Knol se sent prêt à pleurer de colère. Pasvogel, le r
1072
me de sens. Le fiscal Knol se sent prêt à pleurer
de
colère. Pasvogel, le rusé libraire, essaie de se remémorer tout ce qu
1073
rer de colère. Pasvogel, le rusé libraire, essaie
de
se remémorer tout ce qu’il y a d’émouvant dans les livres. Klitte, qu
1074
ibraire, essaie de se remémorer tout ce qu’il y a
d’
émouvant dans les livres. Klitte, qui est alsacien, jure que pour tout
1075
ure que pour tout l’or du monde, une plaisanterie
de
ce genre ne le ferait pas pleurer. Sur quoi l’inspecteur de police Ha
1076
une intention plus sérieuse. » L’inspecteur ouvre
de
gros yeux fixes, où rien ne vient. Le jeune prédicateur Flachs, lui,
1077
à se lamenter ecclésiastiquement, mais la vision
de
la maison de l’oncle, s’avançant vers lui sur ces flots, est bien tro
1078
r ecclésiastiquement, mais la vision de la maison
de
l’oncle, s’avançant vers lui sur ces flots, est bien trop réjouissant
1079
est bien trop réjouissante… Glanz, le conseiller
d’
église, se met à faire une allocution, car il sait que cela le fait pl
1080
ngotes grises, puis Lazare et ses chiens, la tête
de
beaucoup d’êtres, les souffrances du jeune Werther, un petit champ de
1081
s, puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup
d’
êtres, les souffrances du jeune Werther, un petit champ de bataille, l
1082
toyablement à cause du testament, et il s’en faut
de
bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son discours… Soudai
1083
ment. Son émotion dûment enregistrée, il héritera
de
tous les biens de l’oncle, pour lui avoir dédié, entre tant d’autres,
1084
dûment enregistrée, il héritera de tous les biens
de
l’oncle, pour lui avoir dédié, entre tant d’autres, une seule pensée
1085
voir dédié, entre tant d’autres, une seule pensée
d’
amour pur et gratuit. L’auteur du nouveau Testament n’en demande pas d
1086
nde pas davantage à l’homme pour le faire hériter
de
son royaume : il demande un instant de foi. Un instant d’abandon de s
1087
re hériter de son royaume : il demande un instant
de
foi. Un instant d’abandon de soi-même, et d’amour désintéressé. Toute
1088
oyaume : il demande un instant de foi. Un instant
d’
abandon de soi-même, et d’amour désintéressé. Toute autre tentative po
1089
l demande un instant de foi. Un instant d’abandon
de
soi-même, et d’amour désintéressé. Toute autre tentative pour mériter
1090
tant de foi. Un instant d’abandon de soi-même, et
d’
amour désintéressé. Toute autre tentative pour mériter la Vie et le Ro
1091
clenche irrésistiblement le mécanisme du supplice
de
Tantale, c’est-à-dire qu’elle s’annule de soi-même. Si un homme croit
1092
upplice de Tantale, c’est-à-dire qu’elle s’annule
de
soi-même. Si un homme croit pouvoir s’autoriser du mérite de ses œuvr
1093
. Si un homme croit pouvoir s’autoriser du mérite
de
ses œuvres, il ne pleurera pas : car la vision de la proie qui s’appr
1094
de ses œuvres, il ne pleurera pas : car la vision
de
la proie qui s’approche sera « bien trop réjouissante » pour son cœur
1095
éloignera tout aussitôt, comme la branche chargée
de
fruits. Si un homme veut la Vie éternelle par seule crainte de mourir
1096
un homme veut la Vie éternelle par seule crainte
de
mourir à cette vie temporelle, les eaux vives fuiront ses lèvres ; ca
1097
; car il faudrait, pour y être immergé, accepter
de
mourir d’abord à ses propres désirs et à soi-même. (Et c’est le symbo
1098
t c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse
de
l’Amour insondable. Admirons-en la précision miraculeuse ! Pour si pe
1099
dmirons-en la précision miraculeuse ! Pour si peu
d’
égoïsme qu’il subsiste dans l’acte de porter les lèvres ou la main ver
1100
Pour si peu d’égoïsme qu’il subsiste dans l’acte
de
porter les lèvres ou la main vers cette eau, vers ces fruits offerts,
1101
vers cette eau, vers ces fruits offerts, l’amour
de
soi domine encore le pur Amour, et le plaisir anticipé suffit encore
1102
rtés que la pensée se donne lorsque, se dégageant
de
notre condition, elle imagine des idées qui détruisent l’homme, l’on
1103
qui détruisent l’homme, l’on rencontre sans trop
d’
effroi l’idée de l’homme détruit ; l’idée de l’homme qui pense cette i
1104
l’homme, l’on rencontre sans trop d’effroi l’idée
de
l’homme détruit ; l’idée de l’homme qui pense cette idée, détruit ; l
1105
trop d’effroi l’idée de l’homme détruit ; l’idée
de
l’homme qui pense cette idée, détruit ; l’idée que vous, et qui pense
1106
rt. Si « macabre » désigne assez bien l’étrangeté
de
la mort des autres, cela ne saurait en aucun cas se dire de sa propre
1107
des autres, cela ne saurait en aucun cas se dire
de
sa propre mort, de la mienne. Et non plus, à mon sens, de la méditati
1108
e saurait en aucun cas se dire de sa propre mort,
de
la mienne. Et non plus, à mon sens, de la méditation que je poursuis
1109
opre mort, de la mienne. Et non plus, à mon sens,
de
la méditation que je poursuis entre ces phrases, dans cette matinée b
1110
nt, je puis en disposer, feindre assez facilement
d’
en rire. Elle n’est pas plus forte que moi. Peut-être même n’est-elle
1111
moi. Peut-être même n’est-elle qu’une ruse cousue
de
fil blanc de ma vitalité : la seule pensée que mon souffle puisse, da
1112
e même n’est-elle qu’une ruse cousue de fil blanc
de
ma vitalité : la seule pensée que mon souffle puisse, dans quelques i
1113
e mort. Contester là-dessus serait fournir l’aveu
d’
une impuissance à comprendre le mot penser dans son sens fort. Car pen
1114
t mourir. Peut-être avons-nous là le seul critère
d’
une perfection intellectuelle, et l’on conçoit que son application ne
1115
t tragiques, c’est-à-dire sans appel. Ontologie
de
la fin Pour que nous apparaisse parfois l’étrangeté d’une telle si
1116
n Pour que nous apparaisse parfois l’étrangeté
d’
une telle situation — la nôtre à tous — ne faut-il pas qu’une instance
1117
omme négligeable ; et s’y attarder serait le fait
d’
une sophistique assez gratuite. Ma nature crie à l’utopie devant ma mo
1118
atuite. Ma nature crie à l’utopie devant ma mort.
De
là vient que l’humanité, dans son ensemble, résiste instinctivement à
1119
son ensemble, résiste instinctivement à la pensée
de
la Fin, refuse de toutes ses forces de la « réaliser », bien plus, s’
1120
ste instinctivement à la pensée de la Fin, refuse
de
toutes ses forces de la « réaliser », bien plus, s’applique à la disq
1121
la pensée de la Fin, refuse de toutes ses forces
de
la « réaliser », bien plus, s’applique à la disqualifier, à la rendre
1122
asser à tout jamais dans un futur indéfini. Ainsi
de
l’homme, ainsi de l’humanité. Pourtant un jour, tel jour ordinaire, l
1123
s dans un futur indéfini. Ainsi de l’homme, ainsi
de
l’humanité. Pourtant un jour, tel jour ordinaire, l’homme meurt. Pour
1124
mps nous endort bien plutôt qu’il ne nous avertit
de
son but. Si l’homme savait un jour ce qu’il en est de son destin et d
1125
on but. Si l’homme savait un jour ce qu’il en est
de
son destin et de sa liberté, s’il voyait à l’œil nu leur sens dernier
1126
e savait un jour ce qu’il en est de son destin et
de
sa liberté, s’il voyait à l’œil nu leur sens dernier et l’enjeu vérit
1127
à l’œil nu leur sens dernier et l’enjeu véritable
de
ses choix, à qui reviendrait l’empire de ce monde ? À l’Ecclésiaste o
1128
éritable de ses choix, à qui reviendrait l’empire
de
ce monde ? À l’Ecclésiaste ou au Jeune Homme ? Le sage ne rallierait
1129
eune Homme ? Le sage ne rallierait pas avec moins
d’
envie le débauché, dont il faudrait encore plaindre l’arrière-pensée,
1130
is seulement ce qui la condamne. Ainsi, la pensée
de
la Fin a les meilleures raisons du monde d’être pensée ; toutefois l’
1131
ensée de la Fin a les meilleures raisons du monde
d’
être pensée ; toutefois l’effort entier de notre vie la neutralise. D’
1132
u monde d’être pensée ; toutefois l’effort entier
de
notre vie la neutralise. D’où vient alors cette prise de conscience,
1133
efois l’effort entier de notre vie la neutralise.
D’
où vient alors cette prise de conscience, d’une menace, mais aussi de
1134
lise. D’où vient alors cette prise de conscience,
d’
une menace, mais aussi de l’incapacité où se trouve l’homme à penser c
1135
tte prise de conscience, d’une menace, mais aussi
de
l’incapacité où se trouve l’homme à penser concrètement sa fin ? D’où
1136
se trouve l’homme à penser concrètement sa fin ?
D’
où vient qu’imperceptible encore au plus grand nombre, à tous les lett
1137
nombre, à tous les lettrés sans esprit, la pensée
de
la catastrophe s’acclimate lentement parmi nous ? D’où, sinon de la F
1138
la catastrophe s’acclimate lentement parmi nous ?
D’
où, sinon de la Fin qui déjà nous pénètre, sinon de la Réalité qui m’a
1139
he s’acclimate lentement parmi nous ? D’où, sinon
de
la Fin qui déjà nous pénètre, sinon de la Réalité qui m’a pressé d’éc
1140
’où, sinon de la Fin qui déjà nous pénètre, sinon
de
la Réalité qui m’a pressé d’écrire ces pages et qui pourrait suspendr
1141
nous pénètre, sinon de la Réalité qui m’a pressé
d’
écrire ces pages et qui pourrait suspendre ici ma phrase, me jetant da
1142
tant dans mon jugement ? S’il nous vient à l’idée
de
penser notre mort, c’est la Mort en nous qui se pense, c’est la Crise
1143
e, c’est la Crise déjà qui affleure, nous avertit
de
la Fin, et l’atteste. La crise Le Bas-Empire ne fut « bas », en
1144
éalité nouvelle illuminait. Sans la vie, que dire
de
la mort ? Et sans la Fin, que dire de la durée ? Mais tout se mêle en
1145
e, que dire de la mort ? Et sans la Fin, que dire
de
la durée ? Mais tout se mêle encore confusément. Nous sommes là comme
1146
mmes là comme en rêve, empêtrés dans le sentiment
d’
une urgence que nous ne parvenons pas à distinguer avec des yeux bien
1147
isse et trop peu pour agir. Ainsi le grand décret
de
crise qui sévit au cœur de ce siècle n’est qu’une première parole, am
1148
Ainsi le grand décret de crise qui sévit au cœur
de
ce siècle n’est qu’une première parole, ambiguë, de la Fin. Une premi
1149
ce siècle n’est qu’une première parole, ambiguë,
de
la Fin. Une première demande d’informer. Non pas encore l’Arrêt derni
1150
parole, ambiguë, de la Fin. Une première demande
d’
informer. Non pas encore l’Arrêt dernier, mais déjà ce ralentissement
1151
ent qui nous fait accéder à la conscience obscure
d’
un danger proche, ce crépuscule qui est peut-être une aube, et la fran
1152
épuscule qui est peut-être une aube, et la frange
de
cet éclat qui doit consumer toute chair. Dans cette lueur suspecte, r
1153
chair. Dans cette lueur suspecte, risque un jour
d’
apparaître la face réelle de la Terre. Et déjà, par intermittence, cer
1154
pecte, risque un jour d’apparaître la face réelle
de
la Terre. Et déjà, par intermittence, certains ont entrevu et tenté d
1155
par intermittence, certains ont entrevu et tenté
de
juger les buts réels de notre marche séculaire. Que savons-nous du se
1156
ains ont entrevu et tenté de juger les buts réels
de
notre marche séculaire. Que savons-nous du sens de notre civilisation
1157
e notre marche séculaire. Que savons-nous du sens
de
notre civilisation ? Quelle est sa fin, dès l’origine, quel est son r
1158
La liberté ? Nous avons encombré la terre entière
de
barrières destinées à protéger sa course. L’amour ? La solidarité ? C
1159
rse. L’amour ? La solidarité ? Ce sont des idéaux
de
ligues, des mots qu’on n’ose plus employer qu’au dessert. La richesse
1160
es lointaines. Toutefois, elle reste liée au rêve
d’
activité qui tourmente l’Occident depuis des siècles. Mais ce rêve à s
1161
e ; il faiblit, il ne couvre plus toute l’étendue
de
la conscience humaine… Car notre volonté n’est plus de conquérir, mai
1162
conscience humaine… Car notre volonté n’est plus
de
conquérir, mais seulement d’assurer la vie du plus grand nombre contr
1163
e volonté n’est plus de conquérir, mais seulement
d’
assurer la vie du plus grand nombre contre les créations catastrophiqu
1164
epuis peu. Nous essayons, mais en phrases banales
de
moralistes tardivement ressaisis, d’évaluer les conquêtes futures. Si
1165
ases banales de moralistes tardivement ressaisis,
d’
évaluer les conquêtes futures. Signe évident que nous les redoutons. (
1166
r à la mort, comme à tout acte créateur, le moins
de
chances. Un vaste système d’assurances s’étend sur toutes nos activit
1167
e créateur, le moins de chances. Un vaste système
d’
assurances s’étend sur toutes nos activités : plans et pactes, statist
1168
tes nos activités : plans et pactes, statistiques
de
l’imprévu, eugénisme et longévité, clercs au pas ou stérilisés, guerr
1169
: cet effort est contre nature. Il naît au déclin
de
la vie, et fatalement se retourne contre elle. Nous voulons échapper
1170
mais c’est peut-être le meilleur ou le seul moyen
d’
anticiper sa fin : la fin du temps, la Fin du Monde. Car il se peut qu
1171
se peut que l’assurance mondiale que nous tentons
d’
organiser, aménage notre ruine collective : lorsque la terre entière s
1172
tière soumise au seul pouvoir du chiffre dépendra
d’
une centrale unique, il suffira que l’Ange de la Fin saisisse les comm
1173
ndra d’une centrale unique, il suffira que l’Ange
de
la Fin saisisse les commandes pour accomplir le Temps… Et nous serons
1174
re attente faiblit. La primitive Église, au début
de
notre ère, vivait dans la pensée de la fin imminente. Mais parmi nous
1175
ise, au début de notre ère, vivait dans la pensée
de
la fin imminente. Mais parmi nous, qui avons cru pouvoir éliminer cet
1176
ons cru pouvoir éliminer cette dimension tragique
de
notre vie, voici qu’un destin ironique se charge de l’approfondir. No
1177
notre vie, voici qu’un destin ironique se charge
de
l’approfondir. Non pas le temps, mais notre œuvre elle-même. Pour la
1178
’histoire du monde, nous pouvons calculer le prix
de
revient d’une destruction de l’humanité : la somme de nos budgets de
1179
u monde, nous pouvons calculer le prix de revient
d’
une destruction de l’humanité : la somme de nos budgets de Défense nat
1180
ons calculer le prix de revient d’une destruction
de
l’humanité : la somme de nos budgets de Défense nationale. Avertis
1181
evient d’une destruction de l’humanité : la somme
de
nos budgets de Défense nationale. Avertissement Votre refuge es
1182
struction de l’humanité : la somme de nos budgets
de
Défense nationale. Avertissement Votre refuge est dans la masse
1183
pas mourir, et il est vrai qu’elle ne possède pas
de
vie réelle, et ne peut donc penser sa fin, ni rien. Elle ne peut être
1184
pensée, et l’homme en elle reste à peu près dénué
de
réalité, jusqu’au jour où la Fin le pense. Et c’est là son tragique e
1185
in le pense. Et c’est là son tragique et l’humour
de
la Fin. Tout ce qui est réel, tout ce qui manifeste la présence étern
1186
réel, tout ce qui manifeste la présence éternelle
de
la Fin, tout ce qui donne un sens d’éternité à vos singeries, vous l’
1187
ce éternelle de la Fin, tout ce qui donne un sens
d’
éternité à vos singeries, vous l’appelez exagéré, démesuré. Écoutez-mo
1188
révéler tels qu’ils sont, où qu’ils soient. Plus
d’
évasions spirituelles. L’homme fuyant la Terre où le diable sévit, se
1189
et découvre que Dieu y est plus dangereux encore,
d’
une autre sorte, fulgurante. Péripétie La scène du monde vient d
1190
du monde vient de passer à une vaste conversation
de
la mort, sur les places et dans les grands cafés, aux lieux de popula
1191
ur les places et dans les grands cafés, aux lieux
de
populace et de parole rapide. Peut-être le soleil éteint se promène-t
1192
t dans les grands cafés, aux lieux de populace et
de
parole rapide. Peut-être le soleil éteint se promène-t-il depuis quel
1193
ité méprisante… Mais la majorité sut garder l’air
de
ne pas croire à sa mort proche, cet air petit. On en reviendrait bien
1194
rt proche, cet air petit. On en reviendrait bien,
de
cette fin du monde ! Car sinon tout apparaissait d’une indécence inex
1195
cette fin du monde ! Car sinon tout apparaissait
d’
une indécence inexprimable. Depuis bientôt mille ans, l’An Mille était
1196
prix de cela justement qu’il n’était point permis
d’
imaginer. Celui dont les belles manières sont apprises souffre mal qu’
1197
s peu d’entre eux possédaient la pleine assurance
de
l’être. L’Institut de l’opinion planétaire publia les premiers résult
1198
édaient la pleine assurance de l’être. L’Institut
de
l’opinion planétaire publia les premiers résultats d’une enquête-écla
1199
’opinion planétaire publia les premiers résultats
d’
une enquête-éclair : il s’agissait d’une névrose collective, d’une pou
1200
rs résultats d’une enquête-éclair : il s’agissait
d’
une névrose collective, d’une poussée subite de l’instinct de mort. On
1201
-éclair : il s’agissait d’une névrose collective,
d’
une poussée subite de l’instinct de mort. On proposait une cure des ma
1202
it d’une névrose collective, d’une poussée subite
de
l’instinct de mort. On proposait une cure des masses et la nationalis
1203
se collective, d’une poussée subite de l’instinct
de
mort. On proposait une cure des masses et la nationalisation des écol
1204
cure des masses et la nationalisation des écoles
de
psychanalyse. Un théologien répondit : « L’affection de la chair, c’e
1205
chanalyse. Un théologien répondit : « L’affection
de
la chair, c’est la mort. Saint Paul l’a vu bien avant Freud, et mieux
1206
eud, et mieux. Il entendait par « chair » le tout
de
l’homme, intelligence et belle âme comprises. Et ce n’est point que n
1207
e la chair, c’est ce qui, croit-elle, la détourne
de
la mort. C’est la vie telle que vous la cultivez, qui conduit à la mo
1208
l’élan mortel. Car il ne vient pas de nous, mais
d’
En Face. Ici le futur nous attend, ce futur qui n’était pour nous qu’u
1209
t, notre temps, qui n’était pour nous qu’un refus
de
l’instant éternel. Et l’Histoire tout entière dans l’acte de ce oui,
1210
t éternel. Et l’Histoire tout entière dans l’acte
de
ce oui, se manifeste au Jour de tous les jours. » Comme il parlait en
1211
tière dans l’acte de ce oui, se manifeste au Jour
de
tous les jours. » Comme il parlait encore, une lueur d’aube apparut e
1212
s les jours. » Comme il parlait encore, une lueur
d’
aube apparut et grandit autour d’eux. Toutes choses replongées dans la
1213
ncore, une lueur d’aube apparut et grandit autour
d’
eux. Toutes choses replongées dans la stupeur originelle, toutes créat
1214
es créatures livrées d’un seul coup à la violence
de
l’acte décisif, nous allons voir paraître enfin leur justification, l
1215
supporter, le seul Amour apparaissant qui menace
d’
être insoutenable : il nous trouve sans préparation. L’on ne s’était d
1216
uve sans préparation. L’on ne s’était défendu que
de
l’autre côté, du côté de ce monde mal fait… Parut un soleil nouveau.
1217
yeux devenaient forts et s’attendaient à l’éclat
d’
une lueur encore plus vive. Par degré le Grand Jour éclatait, toujours
1218
quelle contenance prendre. Et la lumière ne cesse
de
grandir. Ils tombent déjà par rangs entiers, aveuglés et cloués sur p
1219
iers, aveuglés et cloués sur place par l’évidence
de
l’amour éclatant. Quelques-uns cependant continuent de marcher, riant
1220
amour éclatant. Quelques-uns cependant continuent
de
marcher, riant de joie aux paliers du matin, s’avançant vers Midi ave
1221
elques-uns cependant continuent de marcher, riant
de
joie aux paliers du matin, s’avançant vers Midi avec le naturel de ce
1222
rs du matin, s’avançant vers Midi avec le naturel
de
ceux qui ont la coutume de la Cour. Bien peu soutinrent les derniers
1223
s Midi avec le naturel de ceux qui ont la coutume
de
la Cour. Bien peu soutinrent les derniers soleils et l’agrandissement
1224
utinrent les derniers soleils et l’agrandissement
de
la lumière jusqu’aux limites de sa perfection, où tout ce qui voit éc
1225
l’agrandissement de la lumière jusqu’aux limites
de
sa perfection, où tout ce qui voit éclaire aussi, où tout œil rend ce
1226
second jugement. Chaque homme poussé à la limite
de
son expression, et chaque homme forcé à l’extrémité de son choix, cri
1227
n expression, et chaque homme forcé à l’extrémité
de
son choix, cria le « terme » de sa vie, la proféra tout entière dans
1228
rcé à l’extrémité de son choix, cria le « terme »
de
sa vie, la proféra tout entière dans ce cri, réponse unique à l’étern
1229
nse unique à l’éternelle sommation, somme absolue
de
ses journées et de ses nuits, de ses pensées et de ses gestes, de son
1230
nelle sommation, somme absolue de ses journées et
de
ses nuits, de ses pensées et de ses gestes, de son savoir, de ses ref
1231
n, somme absolue de ses journées et de ses nuits,
de
ses pensées et de ses gestes, de son savoir, de ses refus, de ses ave
1232
e ses journées et de ses nuits, de ses pensées et
de
ses gestes, de son savoir, de ses refus, de ses aveuglements, de sa t
1233
et de ses nuits, de ses pensées et de ses gestes,
de
son savoir, de ses refus, de ses aveuglements, de sa tendresse. C’est
1234
, de ses pensées et de ses gestes, de son savoir,
de
ses refus, de ses aveuglements, de sa tendresse. C’est ainsi que fut
1235
es et de ses gestes, de son savoir, de ses refus,
de
ses aveuglements, de sa tendresse. C’est ainsi que fut déclarée l’inc
1236
de son savoir, de ses refus, de ses aveuglements,
de
sa tendresse. C’est ainsi que fut déclarée l’incomparable qualité de
1237
est ainsi que fut déclarée l’incomparable qualité
de
son péché et mesuré le degré d’être de son être tel qu’il l’avait lib
1238
omparable qualité de son péché et mesuré le degré
d’
être de son être tel qu’il l’avait librement fait en le vivant. L’exam
1239
le qualité de son péché et mesuré le degré d’être
de
son être tel qu’il l’avait librement fait en le vivant. L’examen des
1240
librement fait en le vivant. L’examen des raisons
de
survivre et leur introduction au titre de l’éternité occupa moins de
1241
raisons de survivre et leur introduction au titre
de
l’éternité occupa moins de temps qu’on n’imagine. La procédure était,
1242
introduction au titre de l’éternité occupa moins
de
temps qu’on n’imagine. La procédure était, en effet, des plus simples
1243
effet, des plus simples. — Témoignez, disait-on,
de
la vie que vous possédez. Quel est votre plus vrai désir ? Les sages
1244
ient en présence de la banalité soudain flagrante
de
leurs vœux, et, finalement, murmuraient d’une voix faible : — Vous sa
1245
grante de leurs vœux, et, finalement, murmuraient
d’
une voix faible : — Vous savez sans doute mieux que moi. Ils renaîtrai
1246
. Ils renaîtraient plantes heureuses, par l’effet
de
quelque pitié. Un homme vint, comme viennent les somnambules, le corp
1247
sement nu. Il désirait un palais vide à la mesure
de
sa tristesse. Il devint donc une tristesse errante, empruntant la for
1248
as, et des lunettes bourrues au-dessus du sourire
de
la plus fervente ironie ? Qu’est-ce qu’il grommelle sous son chapeau
1249
onie ? Qu’est-ce qu’il grommelle sous son chapeau
de
paille8 ? « Qu’il voudrait subsister dans ce moment du choix qu’on lu
1250
sein d’un tel choix, je m’approche insondablement
de
Celui qui d’un choix me créa. » (Nous fûmes tous saisis d’un vertige
1251
choix, je m’approche insondablement de Celui qui
d’
un choix me créa. » (Nous fûmes tous saisis d’un vertige à ce discours
1252
qui d’un choix me créa. » (Nous fûmes tous saisis
d’
un vertige à ce discours d’une furieuse démesure, mais il y eut alors
1253
Nous fûmes tous saisis d’un vertige à ce discours
d’
une furieuse démesure, mais il y eut alors comme un silence qui s’impo
1254
nant seul et purifié, l’on put entendre le choral
d’
une angélique hilarité. Et nous sûmes que cet homme était très grand.)
1255
air a son temps, tout esprit son essor. Et chacun
de
nous accède au destin qu’il s’est fait, à la parfaite possession de s
1256
destin qu’il s’est fait, à la parfaite possession
de
soi-même, à son enfer ou à son ciel, dans la consommation de tout son
1257
, à son enfer ou à son ciel, dans la consommation
de
tout son être, au faîte inconcevable du désir comblé, et comblé pour
1258
Viens ! à celui qui porte avec soi la rétribution
de
nos œuvres » — elle est en Lui, non dans nos œuvres. Commence l’œuvre
1259
elui qui a soif vienne, que celui qui veut prenne
de
l’eau de la vie, gratuitement. » Car maintenant tout est payé. Tout e
1260
a soif vienne, que celui qui veut prenne de l’eau
de
la vie, gratuitement. » Car maintenant tout est payé. Tout est gratui
1261
armonie violente et bienheureuse du mot sacrement
de
toute la création, son terme monumental à la gloire du Dieu Tout-Puis
1262
L’eau ou L’esprit
de
la tempête 1. — L’Esprit dansait à la surface des eaux, car la Temp
1263
Les grandes eaux portaient à leur surface l’Arche
de
Paix, mais les hommes qui voulaient encore la danse pour danser furen
1264
Esprit. 5. — L’eau du Baptiste est l’eau mortelle
de
l’Esprit, la danse de l’Esprit dans l’âme des enfants, l’eau-mère. Et
1265
Baptiste est l’eau mortelle de l’Esprit, la danse
de
l’Esprit dans l’âme des enfants, l’eau-mère. Et l’homme s’y noie et y
1266
fants, l’eau-mère. Et l’homme s’y noie et y meurt
de
douleur, il est noyé par l’amertume non par l’eau. C’est la saveur d’
1267
oyé par l’amertume non par l’eau. C’est la saveur
d’
une vie nouvelle. 6. — « Vous êtes le sel de la Terre », leur fut-il d
1268
aveur d’une vie nouvelle. 6. — « Vous êtes le sel
de
la Terre », leur fut-il dit. Mais l’Esprit danse dans les eaux salées
1269
y trouve qu’un désert. C’est comme un feu. Mourir
de
soif dans l’eau de l’amertume, là où l’ivresse est impossible, et où
1270
rt. C’est comme un feu. Mourir de soif dans l’eau
de
l’amertume, là où l’ivresse est impossible, et où le sel a sa saveur
1271
’ivresse est impossible, et où le sel a sa saveur
de
mort, c’est la vie même de l’Esprit, mort de la vie, et vie de la dan
1272
où le sel a sa saveur de mort, c’est la vie même
de
l’Esprit, mort de la vie, et vie de la danse profonde. Puis il faut v
1273
veur de mort, c’est la vie même de l’Esprit, mort
de
la vie, et vie de la danse profonde. Puis il faut vivre sur la Terre
1274
t la vie même de l’Esprit, mort de la vie, et vie
de
la danse profonde. Puis il faut vivre sur la Terre au sel aigu. 8. —
1275
se, mais ressuscité par l’Eau vive, il n’est plus
d’
obole de péage. L’Esprit le porte sur les eaux, vol de colombes.
1276
ressuscité par l’Eau vive, il n’est plus d’obole
de
péage. L’Esprit le porte sur les eaux, vol de colombes.
1277
ole de péage. L’Esprit le porte sur les eaux, vol
de
colombes.
1278
ion du monde, subit la hantise des forts, qui est
de
ne point faire honneur constamment à sa force. Noblesse oblige au tou
1279
Jamais il ne se sent plus angoissé qu’à la veille
d’
une épreuve mondiale, au terme du plus rigoureux des entraînements. So
1280
pendant des mois, ni vin, ni femmes, ni journées
de
paresse ou de promenade à l’aventure. Vie à l’horaire, chronométrée,
1281
ois, ni vin, ni femmes, ni journées de paresse ou
de
promenade à l’aventure. Vie à l’horaire, chronométrée, sans rien d’im
1282
venture. Vie à l’horaire, chronométrée, sans rien
d’
impur. Et pourtant il se sent impur et affaibli. Allégé physiquement p
1283
ct et sa vue nette, il s’éprouve cependant chargé
d’
une fièvre. Ce n’est pas l’impatience de combattre, mais au contraire
1284
nt chargé d’une fièvre. Ce n’est pas l’impatience
de
combattre, mais au contraire un besoin obsédant d’abandon à quelque d
1285
e combattre, mais au contraire un besoin obsédant
d’
abandon à quelque délire et de dissolution incontrôlée. Ces dispositio
1286
un besoin obsédant d’abandon à quelque délire et
de
dissolution incontrôlée. Ces dispositions, bien connues du manager, o
1287
été qualifiées par lui, devant les journalistes,
de
« tendance névrotique due à l’hypersensibilité de notre ami », déclar
1288
de « tendance névrotique due à l’hypersensibilité
de
notre ami », déclaration qui n’a pas peu contribué à la popularité du
1289
it est qu’Antée, jusqu’ici, déployant des trésors
d’
astuce à faire pâlir tous ses triomphes musculaires, a toujours réussi
1290
ssi à s’évader, pour quelques heures, à la veille
d’
une épreuve décisive. Mais le lendemain il reparaît peu avant le match
1291
u avant le match, affreux à voir, le visage taché
de
boue, les vêtements en loques, les mains couvertes d’éraflures et les
1292
oue, les vêtements en loques, les mains couvertes
d’
éraflures et les ongles rognés ou cassés. Épuisé, semble-t-il, haletan
1293
ur. (Nous donnons ici quelques Extraits des notes
de
l’analyste qui a bien voulu se charger du cas, sur la demande répétée
1294
r la demande répétée du manager.) « … … …Complexe
d’
Œdipe : me suis vu contraint de renoncer à cette hypothèse, après deux
1295
.) « … … …Complexe d’Œdipe : me suis vu contraint
de
renoncer à cette hypothèse, après deux ans de travail acharné… Vie de
1296
int de renoncer à cette hypothèse, après deux ans
de
travail acharné… Vie des parents normale, je dirai même exemplaire9…
1297
xuelle du patient normale, sauf quelques périodes
d’
abstinence prolongée, coïncidant avec les périodes d’entraînement… Lég
1298
bstinence prolongée, coïncidant avec les périodes
d’
entraînement… Légère répugnance pour les géantes qu’on voudrait lui fa
1299
béton armé, des constructions métalliques… Phobie
de
perdre pied… Tout cela ne m’eût pas mené très loin. Mais comme il nou
1300
mené très loin. Mais comme il nous arrive parfois
de
le constater, c’est le patient lui-même qui a fini par me donner la c
1301
patient lui-même qui a fini par me donner la clé
de
son mystère. Lors d’une de nos dernières séances, je me suis risqué à
1302
a fini par me donner la clé de son mystère. Lors
d’
une de nos dernières séances, je me suis risqué à une allusion courtoi
1303
i par me donner la clé de son mystère. Lors d’une
de
nos dernières séances, je me suis risqué à une allusion courtoise à s
1304
! C’est tout juste le contraire ! — Le contraire
de
quoi ? — Le contraire de ce qu’ils disent depuis qu’ils parlent de mo
1305
ntraire ! — Le contraire de quoi ? — Le contraire
de
ce qu’ils disent depuis qu’ils parlent de moi, le contraire de ce qu’
1306
ntraire de ce qu’ils disent depuis qu’ils parlent
de
moi, le contraire de ce qu’il dit, le Petit Larousse, le contraire de
1307
disent depuis qu’ils parlent de moi, le contraire
de
ce qu’il dit, le Petit Larousse, le contraire de vous autres, le cont
1308
de ce qu’il dit, le Petit Larousse, le contraire
de
vous autres, le contraire de vos idées, le contraire de tout ! Je n’a
1309
rousse, le contraire de vous autres, le contraire
de
vos idées, le contraire de tout ! Je n’ai pas discuté ces derniers mo
1310
s autres, le contraire de vos idées, le contraire
de
tout ! Je n’ai pas discuté ces derniers mots, qui choquent mon sens d
1311
discuté ces derniers mots, qui choquent mon sens
de
la logique, mais j’ai quelques meubles de prix. J’ai même feint d’app
1312
on sens de la logique, mais j’ai quelques meubles
de
prix. J’ai même feint d’approuver ce « contraire de tout ». Au cours
1313
is j’ai quelques meubles de prix. J’ai même feint
d’
approuver ce « contraire de tout ». Au cours des séances suivantes, il
1314
prix. J’ai même feint d’approuver ce « contraire
de
tout ». Au cours des séances suivantes, il s’est expliqué plus poséme
1315
xpliqué plus posément. Je déplore, pour la clarté
de
ces notes, que l’appareil conceptuel de mon client soit aussi netteme
1316
la clarté de ces notes, que l’appareil conceptuel
de
mon client soit aussi nettement déficient, mais mon devoir est de con
1317
it aussi nettement déficient, mais mon devoir est
de
consigner ou de résumer ses paroles (plusieurs expressions argotiques
1318
nt déficient, mais mon devoir est de consigner ou
de
résumer ses paroles (plusieurs expressions argotiques m’ont échappé)
1319
son manager)… Veut pas que je me saoule. Veut pas
de
vadrouille. Rien de rien. Toujours propre, qu’il me veut. Moi, quand
1320
as que je me saoule. Veut pas de vadrouille. Rien
de
rien. Toujours propre, qu’il me veut. Moi, quand j’ai de la terre sur
1321
. Toujours propre, qu’il me veut. Moi, quand j’ai
de
la terre sur les doigts, s’ils disent que je suis sale, je l’ai sec.
1322
C’est pas vrai. Ça ne coule pas comme qui dirait
de
la terre vers moi, c’est le contraire. C’est les saletés qui vont dan
1323
ut se décrasser le dedans, c’est pas une question
de
savonnette et d’eau de Cologne. Quand j’ai mes humeurs, je me sens fa
1324
e dedans, c’est pas une question de savonnette et
d’
eau de Cologne. Quand j’ai mes humeurs, je me sens faible. Je suis tou
1325
ns, c’est pas une question de savonnette et d’eau
de
Cologne. Quand j’ai mes humeurs, je me sens faible. Je suis tout char
1326
e dors par terre, et quand je me réveille couvert
de
terre, le lendemain matin, je me sens propre ! La forêt, le fouillis,
1327
, pendant la nuit. Vous voyez, c’est le contraire
de
ce qu’on dit. Regardez les morts et toutes leurs maladies — comme ell
1328
les nettoie, la terre ! » 9. Antée est le fils
de
Poséidon et de la Terre. Depuis la séparation des Eaux, leurs dispute
1329
a terre ! » 9. Antée est le fils de Poséidon et
de
la Terre. Depuis la séparation des Eaux, leurs disputes se réduisent
1330
éparation des Eaux, leurs disputes se réduisent à
de
légers frottements. Les rapports entre la Terre et le Feu sont beauco
1331
le vide sur les têtes. Le vide est quelque chose
d’
insatiable… Alors elle se mit à conter : « Les Indiens n’admettaient r
1332
dans l’Oubli. Ce n’était pas le vrai commencement
de
tout. Alors des prêtres leur ont dit que l’on pouvait admettre la Lum
1333
s veut pas, c’est le Vide. L’Eau a été admise. Et
de
l’Eau est sorti le Monstre-qui-sort-de-l’Eau, insatiable, et qui veut
1334
Et le Monstre leur fit craindre le Feu, l’ennemi
de
l’Eau, en leur disant que le Feu était le plus puissant de tous, dévo
1335
en leur disant que le Feu était le plus puissant
de
tous, dévorant tout, voulant que rien n’existe ou n’apparaisse. Et qu
1336
Vide parmi nous, la voie qui mène au Commencement
de
tout, qui est la vraie Fin.