1 1947, Doctrine fabuleuse. Orientation
1 ué entre eux mais avec la réalité constitutive de notre condition humaine, profond trésor de formes dynamiques d’où remontent
2 miques d’où remontent aux moments décisifs, quand nous sommes comme on dit remis en jeu, les archétypes de nos émotions les
3 mmes comme on dit remis en jeu, les archétypes de nos émotions les plus sincères et les plus surprenantes. Enfin les mythes
4 ce de Tantale dans un récit de Jean-Paul. De même nous appliquons les dictons et proverbes aux occasions variées de la vie q
2 1947, Doctrine fabuleuse. Premier dialogue sur la carte postale. La pluie et le beau temps
5 ais » temps, et vous n’avez jamais cherché ce que doit être le « bon » temps, ni si les tempêtes sont « belles ». Et vous pe
6 z encore que le bonheur peut exister en dehors de notre souffrance, ou même qu’il est le contraire de la souffrance, petite f
7 ord Artur, vous m’amusez beaucoup. Vraiment, vous devez être jaloux, ce soir. Quand vous cédez à votre manie de remuer des mé
8 nce. Mais un jour, la lumière est morte autour de nous , elle est morte à la surface des choses pour renaître au centre de l’
9 , de tous les événements qui paraissent autour de nous , aucun n’importe, sinon celui qui dans le même temps se passe à l’int
10 lis en ce lieu la demeure de mes pensées. Ainsi, nous dit la Fable, fit Myscille, habitant d’Argos. N’ayant pu débrouiller
3 1947, Doctrine fabuleuse. Deuxième dialogue sur la carte postale. La beauté physique
11 que pour le cygne, et avec lui. Un critique d’art devrait comprendre au moins cela… Que disait la charmante Ellen ? Le peintre
12 t monstrueux époux ! Question de convenance comme nous le disions hier1. Je trouve leur union déplaisante. Le mari. Vous co
13 comme s’il était un tableau. Le peintre. Bien ! Dois -je en déduire qu’il existe une morale du cadre, et une autre, une esp
14 ses… Le peintre. Attendez, attendez ! Revenons à notre Léda. J’essaie de voir. Quelle est, selon vous, sa façon d’exister pa
15 allez régenter la peinture au nom de vos dogmes, nous fabriquer de l’allégorie, du bergsonisme de Prix de Rome, une métaphy
16 problème esthétique. Le mari. Bien, calmez-vous, nous sommes d’accord. Maintenant, si vous m’écoutez, il n’y aura plus de m
17 bleau, bien loin de le juger selon quelque canon, doit commencer par découvrir les rapports singuliers qui manifestent la lo
18 s qui manifestent la loi intime de ce tableau. Il doit commencer, dis-je, par se soumettre à l’existence propre du tableau,
19 tence et sa proximité. Si vous m’avez suivi, vous devez voir que cette réalité n’est pas quelque modèle académique ni un cano
20 ue se rapporte plus ou moins à une carte postale. Notre critique d’hier, tenez, nul besoin de gratter beaucoup pour trouver l
21 ou d’une comparaison d’images, mais d’un acte de notre esprit, d’un acte tout à fait personnel. La beauté n’est jamais donné
22 qu’elles rendent possible la grandeur, alors que notre vie n’est qu’une confusion. Oui, je vous le demande maintenant, quell
23 l’ai rencontrée. Mais voilà ce qui se passe entre nous , voilà ce qui est réel et unique entre nous : quand je regarde ma fem
24 entre nous, voilà ce qui est réel et unique entre nous  : quand je regarde ma femme et quand je l’aime, c’est-à-dire quand je
25 s différent, elle n’existerait pas pour moi. Elle nous dépasse et elle a besoin de nous. Elle est tout autre que ce que nous
26 s pour moi. Elle nous dépasse et elle a besoin de nous . Elle est tout autre que ce que nous sommes ensemble, mais nous ne po
27 a besoin de nous. Elle est tout autre que ce que nous sommes ensemble, mais nous ne pouvons y accéder qu’ensemble. Elle n’e
28 tout autre que ce que nous sommes ensemble, mais nous ne pouvons y accéder qu’ensemble. Elle n’est pas notre union, mais se
29 ne pouvons y accéder qu’ensemble. Elle n’est pas notre union, mais seule notre union nous l’indique, nous la désigne au-delà
30 ’ensemble. Elle n’est pas notre union, mais seule notre union nous l’indique, nous la désigne au-delà d’elle-même, et nous or
31 lle n’est pas notre union, mais seule notre union nous l’indique, nous la désigne au-delà d’elle-même, et nous ordonne à sa
32 tre union, mais seule notre union nous l’indique, nous la désigne au-delà d’elle-même, et nous ordonne à sa Réalité. Et s’il
33 ’indique, nous la désigne au-delà d’elle-même, et nous ordonne à sa Réalité. Et s’il n’en était pas ainsi, serions-nous véri
34 sa Réalité. Et s’il n’en était pas ainsi, serions- nous véritablement mariés ? 1. Le peintre fait ici allusion à une conver
4 1947, Doctrine fabuleuse. Troisième dialogue sur la carte postale. L’homme sans ressemblance
35 te la série de portraits en couleurs que publient nos grands magazines : The Man of Distinction, l’homme distingué. Je suis
36 ie. X., une célébrité du jour. Je suppose que je devrais m’asseoir dans un fauteuil, croiser les jambes, regarder l’objectif,
37 permettre… Ces six bouteilles sont un présent de notre maison. Il y a longtemps que nous désirions vous voir, et seuls les n
38 un présent de notre maison. Il y a longtemps que nous désirions vous voir, et seuls les nombreux déplacements que nécessite
39 ci la liste de ceux qui ont bien voulu poser pour nous . Un coup d’œil va vous assurer que vous êtes en bonne compagnie. X.
40 gent. Pas du tout. Si ce jour béni arrive jamais, nous changerons simplement de slogan. Au lieu de dire : « Soyez distingué,
41 u de dire : « Soyez distingué, buvez le Nelson », nous dirons : « Faites comme tout le monde, buvez le Nelson. » Tel est not
42 s comme tout le monde, buvez le Nelson. » Tel est notre art, et je me fais fort de vous en faire bénéficier bon gré mal gré.
43 ettes viennoises, tels qu’on les voit encore dans nos films, copiaient sa tête comme vous le savez, et portaient les mêmes
44 distingués, avez-vous aussi des héros ? L’agent. Nous sommes fiers d’avoir pris les portraits du fameux amiral Grandisson e
45 al Grandisson et du général MacAlfred. Mais comme nous sommes dans un pays démocratique, nous avons aussi pris quelques GI t
46 Mais comme nous sommes dans un pays démocratique, nous avons aussi pris quelques GI tout couverts de décorations. X. Bien e
47 guerre ? L’agent. C’est naturel. Depuis la paix, nous nous tournons plutôt vers les sportifs, les stars et les grands homme
48 e ? L’agent. C’est naturel. Depuis la paix, nous nous tournons plutôt vers les sportifs, les stars et les grands hommes d’a
49 ndu cet héroïsme obligatoire pour des millions de nos contemporains. C’était encore une contradiction. Car le héros est l’h
50 qui le sera ? L’attente des masses sera trompée, nous savons bien qu’elles ont besoin d’admiration. Et à mon tour, je me pe
51 que je nommerai plus simplement le Méconnu, vous devez être assez malheureux ? X. Attaque trop simple, et je garde le point
52 idée d’article ! Je sens que la photo sera bonne, nous l’avons prise pendant que vous parliez de votre sujet préféré. Vous é
53 icité que la photo pleine page et en couleurs que nous prendrons une autre fois. (Il va pour sortir.) Attendez un instant, j
5 1947, Doctrine fabuleuse. Quatrième dialogue sur la carte postale. Ars prophetica, ou. D’un langage qui ne veut pas être clair
54 idées. Elles vous séduisent de loin et quand vous nous les présentez, elles ont déjà votre complicité, je ne sais quel air d
55 ne sais quel air de passion, un peu trop tôt, qui nous surprend… L’auteur. N’est-ce pas toujours ainsi ? Je veux dire : tou
56 ais il faudrait composer les entrées. Il faudrait nous persuader que vos goûts sont bien des raisons, et que ces raisons son
57 ts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres . Ou bien vous faites de la poésie, et alors vous jouez sur des surpri
58 alors vous jouez sur des surprises, ou bien vous nous parlez d’idées, et dans ce cas, il faut que nous pensions à chaque in
59 nous parlez d’idées, et dans ce cas, il faut que nous pensions à chaque instant : « J’allais le dire ! » Mais ne mêlez pas
60 era quelque tricherie. L’auteur. Voulez-vous que nous parlions de la clarté ? Je crois deviner que cela nous ramènera dans
61 parlions de la clarté ? Je crois deviner que cela nous ramènera dans les environs du sujet de mes deux précédents dialogues.
62 pprenne davantage qu’une feinte aimable. Au reste nous sommes entre nous et vous n’abuserez pas de mes aveux… D’autant qu’il
63 qu’une feinte aimable. Au reste nous sommes entre nous et vous n’abuserez pas de mes aveux… D’autant qu’ils seront probablem
64 sage… Le critique. Hé quoi ! vous savez que tout notre langage est un système conventionnel ! L’auteur. Notre langage coura
65 langage est un système conventionnel ! L’auteur. Notre langage courant sans aucun doute. Et plus rigoureusement encore notre
66 t sans aucun doute. Et plus rigoureusement encore notre langage intellectuel et scientifique, qui se distingue du langage cou
67 simple et facile » en soi ? Le monde dans lequel nous vivons et parlons n’est-il pas, comme l’a dit un Russe, « le monde de
68 Kafka… Je me demande alors si le cartésianisme ne nous a pas trompés une fois pour toutes, à l’origine, en décrétant — au no
69 evenue celle de la science. C’est elle dont usent nos physiciens, chimistes et mathématiciens, pour formuler ce qu’ils appe
70 en vertu d’une double exigence : d’une part elles doivent permettre de passer, par une espèce de symbolisme abstrait — si j’ose
71 i ne sont autres que des abstractions opérées sur nos formes de langage. Je voudrais dire cela plus simplement… La tricheri
72 mité de faits acquis, quand le tout, quand la fin nous échappent ! Comme s’il était licite, et même possible, de partir de c
73 évidemment d’expliquer. Oui, cette opposition va nous aider : impliquer le réel comme tel, et non pas expliquer certaines m
74 les obscurités, tous les paralogismes du langage doivent l’indiquer comme au-delà d’eux-mêmes… ce que ne sauraient faire des a
75 conque. Je dis que l’homme qui a vu quelque chose doit parler la langue des prophètes et composer des paraboles. Si ses prop
76 re pour l’homme de Patmos, qui avait vu la fin de notre Histoire : l’ampleur de sa vision le sauve. Mais il est des visions m
77 ns des hommes de peu de foi, visions de la fin de nos courtes passions : la possession, la beauté, la puissance ; il n’en f
78 ssance ; il n’en faut pourtant pas davantage pour nous réduire au parler prophétique. C’est le même risque, et ce n’est pas
6 1947, Doctrine fabuleuse. Miroirs, ou Comment on perd Eurydice et soi-même
79 us qu’ils ne peuvent donner… D’ailleurs on ne lui doit rien, n’est-ce pas ? Il ne tombe d’accord ; accepte d’attendre comme
80 , n’ayant plus où se prendre ». Ainsi parle un de nos classiques. Repoussé par le monde parce qu’il n’est pas encore quelqu
81 onsent l’attache plus secrètement à son aventure. Nous vivons dans un décor flamboyant de glaces. À chaque pas, on offre à S
82 avarice du cœur. À chaque regard dans un miroir, nous perdons une Eurydice. Les miroirs sont peut-être la mort. La mort abs
7 1947, Doctrine fabuleuse. L’ombre perdue
83 ombre… ») Mais je vois bien qu’ils exagèrent : si nous étions de purs esprits, nous ne projetterions pas d’ombre. L’ombre es
84 u’ils exagèrent : si nous étions de purs esprits, nous ne projetterions pas d’ombre. L’ombre est la preuve humiliante de la
85 e évidence assez pauvre : l’ombre est le fait, en nous , de notre chair. Mais perdre sa chair, c’est mourir, n’en déplaise au
86 e assez pauvre : l’ombre est le fait, en nous, de notre chair. Mais perdre sa chair, c’est mourir, n’en déplaise aux spiritua
87 sais quoi qui n’est rien et qui est l’essentiel, notre philistin méconnu se voit chassé de la communauté des siens. Et par s
88 eproche pour ma part à la psychanalyse de flatter notre propension à localiser les symboles. Car, pour la vie spirituelle, il
89 sûr que du tout ? Ceci dit, la psychanalyse peut nous donner des descriptions utiles. Je retiens donc de Freud cette consta
90 considéré comme anormal dans sa vie sexuelle.3 » Nous venons de voir que Schlemihl est le type même de l’inadapté, — celui
91 cé. D’une incompatibilité sociale aussi parfaite, nous pourrions déduire, semble-t-il, une aberration maximum. Pour confirme
92 mble-t-il, une aberration maximum. Pour confirmer notre soupçon sur la nature de cette aberration, il conviendrait de rappele
93 e à des Nordiques qu’à des Méridionaux, pourrions- nous ajouter, avec toutes les réserves qu’on voudra4, mais en nous souvena
94 , avec toutes les réserves qu’on voudra4, mais en nous souvenant de la question que nous posait l’origine germanique du myth
95 oudra4, mais en nous souvenant de la question que nous posait l’origine germanique du mythe. Dès le début, j’avais pressent
96 intérieure. » Une étude plus poussée de Paracelse devait bientôt m’apprendre, avec bien d’autres choses curieuses et profondes
97 t le principe d’activité vitale répandu dans tous nos organes. Elle figure « le miroir auquel la nature se regarde en nous 
98 figure « le miroir auquel la nature se regarde en nous  ». Elle est ainsi l’agent microcosmique, la puissance même de créativ
99 uoi se ramène tout ce qui est vraiment grave dans notre vie ; et la fameuse question sexuelle ne tire son importance démesuré
100 t ce qui en moi m’est étranger.) Revenons alors à notre mythe : la transparence, c’est l’absence d’ombre, donc de secret. Or
101 . Suite et fin de la fable Peter Schlemihl nous apparaît maintenant une émouvante et très précise description de l’in
102 nvites à la métamorphose). Mettre en forme ce qui nous défait, c’est le paradoxe génial, l’audace comme malgré soi recréatri
103 e d’un Chamisso. Les historiens de la littérature devraient se garder d’affadir une telle œuvre, n’y admirant à leur coutume qu’u
104 bole en bottes de sept lieues qui traverse encore notre vie, n’est-ce pas l’ombre de Chamisso ? Une ombre qui a perdu son hom
105 donc ici : adapté au milieu. Vérité d’expérience, nous dit Freud, et à ce titre elle a sa valeur. Mais qui ne voit ce que po
106 on faisait une règle de cette constatation. On ne doit accepter une vérité de ce genre qu’en insistant sur son contraire : «
107 entiments avaient inspiré. Un état d’âme, dirions- nous aujourd’hui. Le qualificatif « d’homme ayant perdu son ombre » fut tr
8 1947, Doctrine fabuleuse. Angérone
108 mour une ou plusieurs définitions. Ah ! puissions- nous aimer l’amour assez pour ne jamais avoir recours à ces remèdes, car d
109 est point le connaître, mais limiter sa part dans notre vie, et nul amour ne peut survivre à cette méfiance ou à cette avaric
110 utefois quelque chose est vraiment dite. La Fable nous apprend à sa manière que l’amour est le lieu d’un mutisme sacré. Angé
111 elle est la même que la déesse Volupie. Promenons- nous aux alentours de ce colloque. La Volupté n’est pas le plaisir même, m
112 ntenant, l’onde lisse et basse d’un temps nouveau nous environne. Ceux qui n’aiment point la femme qu’ils viennent de posséd
113 ans l’accomplissement du plus violent amour qu’il nous est accordé de concevoir un absolu, mais sous la forme de l’inaccessi
114 là de votre union. Ô silence des astres ! Fondues nos âmes ? Deux corps s’endorment dans leur paix, et l’être enfin comblé
115 spire, mémoire pesante de l’incommensurable nuit. Nous n’irons pas au-delà de nous-mêmes. Mais dans cette défaite de l’étrei
116 ce point le souvenir du seul désert que désormais nous chercherons ? Au terme de la fuite, nous ne toucherons jamais qu’un i
117 ésormais nous chercherons ? Au terme de la fuite, nous ne toucherons jamais qu’un impossible fascinant. Et nous vivrons dès
118 toucherons jamais qu’un impossible fascinant. Et nous vivrons dès lors dans le vertige de nous détruire au contact de cet i
119 nant. Et nous vivrons dès lors dans le vertige de nous détruire au contact de cet infini, plus puissant que la joie et la do
120 ul qui l’éprouve jusqu’à l’épouvante : l’être que nous formons au sommet de l’amour, et qui meurt dans l’instant où il naît.
121 our, et qui meurt dans l’instant où il naît. Tout notre platonisme échoue dans l’instant de l’étreinte dénouée. Alors l’amour
122 e, et le sérieux, et la réalité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y a que deux philosophies : celle du désir et celle
123 hysique, originel, de l’infinie contradiction que nous souffrons. Le désir divinise, l’acte rend à l’humain. L’amour rêvé me
124 . L’amour rêvé meurt au seuil de l’amour qui sera notre tâche sérieuse. Quittons ce temple où dorment deux idoles, et parlons
9 1947, Doctrine fabuleuse. Contribution à l’étude du coup de foudre
125 is rien ne sert de n’y pas croire. C’est un fait, nous l’avons subi, et nous avons tous dit : je n’y puis rien. Avec autant
126 pas croire. C’est un fait, nous l’avons subi, et nous avons tous dit : je n’y puis rien. Avec autant de sincérité, nous sem
127 dit : je n’y puis rien. Avec autant de sincérité, nous semblait-il, qu’un croyant décrivant sa conversion en termes de grâce
128 duisit à sa demeure. C’était l’heure du déjeuner. Nous causions depuis quelques instants dans sa bibliothèque, où d’un coup
129 is remarqué mes livres, lorsque sa femme entra en nous saluant d’une mélodieuse formule hongroise. La présentation faite, ce
130 mule hongroise. La présentation faite, cette dame nous offrit la rituelle liqueur de pêche dont on vide trois verres d’un se
131 ant dans les yeux. Je me sentis pâlir violemment. Nous passons à table. Mon hôte bientôt s’inquiète : « Vous êtes pâle et vo
132 très satisfait de lui, et de moi aussi, je crois. Nous voici seuls. Silence. Silence encore dans la voiture qu’elle conduit
133 avec une expression concentrée, presque rageuse. Nous traversons les grandes artères de Pest, le pont des Chaînes sur les e
134 rejoins. Alors d’un geste elle désigne la ville à nos pieds : « Mon mari m’a demandé de vous montrer Budapest. Voilà, c’est
135 c’est Budapest. » Il n’y a rien d’autre à dire. Nous remontons en voiture et descendons vers la ville. Soudain, je me suis
136 ous non plus… » Je poursuis non sans peine : « Si nous allions prendre quelque chose dans un restaurant ? — Bonne idée », fa
137  », fait-elle d’une voix basse, sans me regarder. Nous voici attablés devant des sandwiches au caviar rouge. Et là, tout rec
138 bien… que cela soit ! » Elle se lève et me suit. Nous allons chez elle. Un vertige, un sombre délire, et sans qu’un mot de
139 jour à Budapest. L’après-midi, je vous le répète, nous ne parlions jamais. Le soir, j’avais mes conférences ou un dîner. Et
140 dormir, sauf quelques heures pendant la matinée. Nous parlions, avec mon ami, d’art, de religion, de politique, des perspec
141 idi. Bien entendu. La veille de mon départ, comme nous sortions du bar, Maria et moi, une édition du matin nous apprend l’in
142 rtions du bar, Maria et moi, une édition du matin nous apprend l’incendie du Reichstag. Je décide de rentrer le jour même à
143 . J’arrive à Berlin le lendemain. Sur le seuil de notre villa de Zehlendorf, ma femme m’attend, grave et presque sévère. Moi,
144 . Moi, je ne pensais qu’à la situation politique. Nous nous mettons à table, je l’interroge avec nervosité sur les événement
145 , je ne pensais qu’à la situation politique. Nous nous mettons à table, je l’interroge avec nervosité sur les événements de
146 n’oublierai jamais les nuits extraordinaires que nous avons encore pu passer ensemble, à la veille de ce cataclysme. » La l
10 1947, Doctrine fabuleuse. Don Juan
147 « bons sauvages » ni chez les « primitifs » qu’on nous décrit. Don Juan suppose une société encombrée de règles précises don
148 es inventerait pour les violer. Et c’est cela qui nous fait pressentir la nature spirituelle de son secret, si bien masqué p
149 citante victoire ? « La nouveauté est le tyran de notre âme », écrit le vieux Casanova. Mais déjà ce n’est plus l’homme du pl
150 sme est une passion de l’esprit, et non pas comme nous aimions le croire une exultation de l’instinct, tout porte à supposer
151 unique des revenus de Casanova : symbole dont il nous donne maintes fois la clé.) Mais une tricherie constante est moins da
152 e qu’il s’est choisi, c’est l’esprit de lourdeur, notre poids naturel, notre faculté naturelle de retombement dans la coutume
153 c’est l’esprit de lourdeur, notre poids naturel, notre faculté naturelle de retombement dans la coutume. L’immoraliste est c
154 stère : c’est qu’en respectant toutes les règles, nous ne pourrons jamais que perdre. Alors : ou bien nous serons condamnés,
155 us ne pourrons jamais que perdre. Alors : ou bien nous serons condamnés, ou bien nous recevrons notre grâce. Mais Nietzsche
156 e. Alors : ou bien nous serons condamnés, ou bien nous recevrons notre grâce. Mais Nietzsche et Don Juan doutent de leur grâ
157 ien nous serons condamnés, ou bien nous recevrons notre grâce. Mais Nietzsche et Don Juan doutent de leur grâce. Les voici do
11 1947, Doctrine fabuleuse. La gloire
158 La gloire Nous le connaissions un peu, et pensions le connaître. La lecture de ses p
159 le connaître. La lecture de ses papiers posthumes nous le révèle bien différent. Il fallait certes s’y attendre, et pourtant
160 est-il caché dans les passages de ces cahiers que nous allons transcrire ici. De ces fragments de dates diverses, l’on ne ve
161 e de se la décerner ? L’idée moderne de la gloire nous vient, dit-on, de la Renaissance. Glorieux est celui qui s’affirme en
162 selle que ses actions comblaient exactement. Mais notre gloire ne saurait être mesurée : c’est une rumeur, c’est une publicit
163 solution fondamentale — quel est ce seuil, et que nous ouvrent, sur quel ciel, les symphonies ? Je n’ose pas dire que je veu
12 1947, Doctrine fabuleuse. Le nœud gordien renoué
164 nt en chœur : C’est lui le Roi ! Voici le Roi que nous attendions ! Devenu roi par hasard et grâce d’innocence, Gordius vou
165 tre deux séances subrepticement s’accroupir parmi nous , renouant par cette fascination tout ce que le prêtre avait dénoué en
166 dans sa nature… Celui qui prévoyait la science de nos jours, et me disait : « Il n’est de science que des phénomènes que l’
167 Renouez-le ! Car il y va de tout, du sens même de nos vies ! Car vous mourez, nous mourons tous d’ennui, dans un monde où r
168 tout, du sens même de nos vies ! Car vous mourez, nous mourons tous d’ennui, dans un monde où rien ne se noue. Car vous mour
169 ans un monde où rien ne se noue. Car vous mourez, nous mourons tous à la vie spirituelle, la vie précieuse. Elle n’existe qu
170 ais au prix d’une âme, la vôtre. Car vous mourez, nous mourons tous à l’amour qui ne tranche rien, mais qui épouse, qui acce
13 1947, Doctrine fabuleuse. Le supplice de Tantale
171 t à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous , préfère le désir même douloureux, d’avoir été mille et mille fois dé
172 e empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos actes sans doute, sont ainsi à quelque degré des mod
173 rt le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos actes sans doute, sont ainsi à quelque degré des modifications de not
174 , sont ainsi à quelque degré des modifications de notre identité, des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils sont autant
175 , dans le registre de l’humour profond, reproduit notre fable grecque, mais la conduit à une heureuse fin. L’oncle van der Ka
14 1947, Doctrine fabuleuse. La fin du monde
176 s que la pensée se donne lorsque, se dégageant de notre condition, elle imagine des idées qui détruisent l’homme, l’on rencon
177 ère ma respiration. Et cela ne signifie point que nous n’ayons jamais pensé à notre mort avec une rapide angoisse — nous y p
178 ne signifie point que nous n’ayons jamais pensé à notre mort avec une rapide angoisse — nous y pensons bien plus que nous n’o
179 ais pensé à notre mort avec une rapide angoisse —  nous y pensons bien plus que nous n’osons le croire, sans doute ne pensons
180 ne rapide angoisse — nous y pensons bien plus que nous n’osons le croire, sans doute ne pensons-nous qu’à elle — mais nous n
181 que nous n’osons le croire, sans doute ne pensons- nous qu’à elle — mais nous n’avons jamais pu penser notre mort. Contester
182 oire, sans doute ne pensons-nous qu’à elle — mais nous n’avons jamais pu penser notre mort. Contester là-dessus serait fourn
183 us qu’à elle — mais nous n’avons jamais pu penser notre mort. Contester là-dessus serait fournir l’aveu d’une impuissance à c
184 ement, ce serait aussitôt mourir. Peut-être avons- nous là le seul critère d’une perfection intellectuelle, et l’on conçoit q
185 ire sans appel. Ontologie de la fin Pour que nous apparaisse parfois l’étrangeté d’une telle situation — la nôtre à tou
186 se parfois l’étrangeté d’une telle situation — la nôtre à tous — ne faut-il pas qu’une instance mystérieuse aimante notre méd
187 e faut-il pas qu’une instance mystérieuse aimante notre méditation et qu’elle la fixe sur cela que le naturel se refuse à pre
188 e naturel se refuse à prendre au sérieux ? Car si nous restons impuissants à penser notre mort dans le vif, ce phénomène doi
189 érieux ? Car si nous restons impuissants à penser notre mort dans le vif, ce phénomène doit normalement être aperçu comme nég
190 nts à penser notre mort dans le vif, ce phénomène doit normalement être aperçu comme négligeable ; et s’y attarder serait le
191 insi, mesuré par les saisons régulières, le temps nous endort bien plutôt qu’il ne nous avertit de son but. Si l’homme savai
192 lières, le temps nous endort bien plutôt qu’il ne nous avertit de son but. Si l’homme savait un jour ce qu’il en est de son
193 ’est pourquoi les bonnes raisons n’expliquent pas notre réalité, mais seulement ce qui la condamne. Ainsi, la pensée de la Fi
194 onde d’être pensée ; toutefois l’effort entier de notre vie la neutralise. D’où vient alors cette prise de conscience, d’une
195 sée de la catastrophe s’acclimate lentement parmi nous  ? D’où, sinon de la Fin qui déjà nous pénètre, sinon de la Réalité qu
196 ement parmi nous ? D’où, sinon de la Fin qui déjà nous pénètre, sinon de la Réalité qui m’a pressé d’écrire ces pages et qui
197 ici ma phrase, me jetant dans mon jugement ? S’il nous vient à l’idée de penser notre mort, c’est la Mort en nous qui se pen
198 mon jugement ? S’il nous vient à l’idée de penser notre mort, c’est la Mort en nous qui se pense, c’est la Crise déjà qui aff
199 t à l’idée de penser notre mort, c’est la Mort en nous qui se pense, c’est la Crise déjà qui affleure, nous avertit de la Fi
200 s qui se pense, c’est la Crise déjà qui affleure, nous avertit de la Fin, et l’atteste. La crise Le Bas-Empire ne fut
201 la durée ? Mais tout se mêle encore confusément. Nous sommes là comme en rêve, empêtrés dans le sentiment d’une urgence que
202 êve, empêtrés dans le sentiment d’une urgence que nous ne parvenons pas à distinguer avec des yeux bien dessillés. C’est ass
203 l’Arrêt dernier, mais déjà ce ralentissement qui nous fait accéder à la conscience obscure d’un danger proche, ce crépuscul
204 peut-être une aube, et la frange de cet éclat qui doit consumer toute chair. Dans cette lueur suspecte, risque un jour d’app
205 s ont entrevu et tenté de juger les buts réels de notre marche séculaire. Que savons-nous du sens de notre civilisation ? Que
206 buts réels de notre marche séculaire. Que savons- nous du sens de notre civilisation ? Quelle est sa fin, dès l’origine, que
207 otre marche séculaire. Que savons-nous du sens de notre civilisation ? Quelle est sa fin, dès l’origine, quel est son rêve ?
208 dès l’origine, quel est son rêve ? La grandeur ? Nous avons détruit toute mesure, et plus rien n’est grand ni petit, mais t
209 n’est grand ni petit, mais toute chose sans répit nous provoque à la dépasser. La liberté ? Nous avons encombré la terre ent
210 s répit nous provoque à la dépasser. La liberté ? Nous avons encombré la terre entière de barrières destinées à protéger sa
211 lus toute l’étendue de la conscience humaine… Car notre volonté n’est plus de conquérir, mais seulement d’assurer la vie du p
212 Héros ou des grands Névrosés. Un doute règne sur nous , depuis peu. Nous essayons, mais en phrases banales de moralistes tar
213 ds Névrosés. Un doute règne sur nous, depuis peu. Nous essayons, mais en phrases banales de moralistes tardivement ressaisis
214 ’évaluer les conquêtes futures. Signe évident que nous les redoutons. (Si le temps, désormais, travaillait contre nous ?) Et
215 tons. (Si le temps, désormais, travaillait contre nous  ?) Et le monde entier s’organise à ce niveau de vie moyenne qui paraî
216 Un vaste système d’assurances s’étend sur toutes nos activités : plans et pactes, statistiques de l’imprévu, eugénisme et
217 stérilisés, guerre hors la loi, sécurité d’abord. Nous apprenons à vivre, et non plus à mourir : cet effort est contre natur
218 de la vie, et fatalement se retourne contre elle. Nous voulons échapper au temps, à sa menace, mais c’est peut-être le meill
219 onde. Car il se peut que l’assurance mondiale que nous tentons d’organiser, aménage notre ruine collective : lorsque la terr
220 ce mondiale que nous tentons d’organiser, aménage notre ruine collective : lorsque la terre entière soumise au seul pouvoir d
221 aisisse les commandes pour accomplir le Temps… Et nous serons pris au dépourvu, comme nulle autre génération. Car, tandis qu
222 e temps s’écoule, à mesure que sa fin s’approche, notre foi diminue, notre attente faiblit. La primitive Église, au début de
223 mesure que sa fin s’approche, notre foi diminue, notre attente faiblit. La primitive Église, au début de notre ère, vivait d
224 attente faiblit. La primitive Église, au début de notre ère, vivait dans la pensée de la fin imminente. Mais parmi nous, qui
225 it dans la pensée de la fin imminente. Mais parmi nous , qui avons cru pouvoir éliminer cette dimension tragique de notre vie
226 cru pouvoir éliminer cette dimension tragique de notre vie, voici qu’un destin ironique se charge de l’approfondir. Non pas
227 e charge de l’approfondir. Non pas le temps, mais notre œuvre elle-même. Pour la première fois dans l’histoire du monde, nous
228 . Pour la première fois dans l’histoire du monde, nous pouvons calculer le prix de revient d’une destruction de l’humanité :
229 ent d’une destruction de l’humanité : la somme de nos budgets de Défense nationale. Avertissement Votre refuge est da
230 nce et belle âme comprises. Et ce n’est point que nous aimions la mort comme telle. Bien au contraire, ce qu’affectionne la
231 la cultivez, qui conduit à la mort et la mérite. Nous sommes tout simplement au jour du Jugement. Il sera porté aussi bien
232 tal que sur l’élan mortel. Car il ne vient pas de nous , mais d’En Face. Ici le futur nous attend, ce futur qui n’était pour
233 e vient pas de nous, mais d’En Face. Ici le futur nous attend, ce futur qui n’était pour nous qu’un recul devant le présent.
234 i le futur nous attend, ce futur qui n’était pour nous qu’un recul devant le présent. Ici le temps dit oui pour la première
235 ière fois à l’Instant qui le juge et l’accomplit, notre temps, qui n’était pour nous qu’un refus de l’instant éternel. Et l’H
236 uge et l’accomplit, notre temps, qui n’était pour nous qu’un refus de l’instant éternel. Et l’Histoire tout entière dans l’a
237 s d’un seul coup à la violence de l’acte décisif, nous allons voir paraître enfin leur justification, leur être. Voici l’ins
238 apparaissant qui menace d’être insoutenable : il nous trouve sans préparation. L’on ne s’était défendu que de l’autre côté,
239 nsondablement de Celui qui d’un choix me créa. » ( Nous fûmes tous saisis d’un vertige à ce discours d’une furieuse démesure,
240 il y eut alors comme un silence qui s’imposa sur nous et jusqu’assez haut dans les cieux, en sorte que plus haut, régnant s
241 t entendre le choral d’une angélique hilarité. Et nous sûmes que cet homme était très grand.) Troisième jugement ou le pa
242 a son temps, tout esprit son essor. Et chacun de nous accède au destin qu’il s’est fait, à la parfaite possession de soi-mê
243 ns ! à celui qui porte avec soi la rétribution de nos œuvres » — elle est en Lui, non dans nos œuvres. Commence l’œuvre du
244 ution de nos œuvres » — elle est en Lui, non dans nos œuvres. Commence l’œuvre du Pardon. « Et que celui qui a soif vienne,
15 1947, Doctrine fabuleuse. L’eau ou L’esprit de la tempête
245 la danse. 7. — Les grandes eaux ne sont pas pour nos soifs, car l’assoiffé n’y trouve qu’un désert. C’est comme un feu. Mo
16 1947, Doctrine fabuleuse. Antée ou La terre
246 devant les journalistes, de « tendance névrotique due à l’hypersensibilité de notre ami », déclaration qui n’a pas peu cont
247 « tendance névrotique due à l’hypersensibilité de notre ami », déclaration qui n’a pas peu contribué à la popularité du champ
248 il se jette dans la lutte et le voici vainqueur. ( Nous donnons ici quelques Extraits des notes de l’analyste qui a bien voul
249 t cela ne m’eût pas mené très loin. Mais comme il nous arrive parfois de le constater, c’est le patient lui-même qui a fini
250 ar me donner la clé de son mystère. Lors d’une de nos dernières séances, je me suis risqué à une allusion courtoise à sa lé
251 n client soit aussi nettement déficient, mais mon devoir est de consigner ou de résumer ses paroles (plusieurs expressions arg
17 1947, Doctrine fabuleuse. Le feu
252 étruisait forêts, gens et maisons, étant admis… » Nous regardions le feu dans la cheminée. Je pensais à l’amour insatiable a
253 oie négative des mystiques, témoins du Vide parmi nous , la voie qui mène au Commencement de tout, qui est la vraie Fin.