1 On se trompe en croyant qu’un voyageur à longueur de chemin perd sa patrie : c’est souvent elle qu’il découvre le mieux qu

2 jamais fait en y restant. Dans sa cité, il était d’ une famille, et pour sa famille un prénom ; à l’étranger, il devient t

3 n’est plus curieux des apparences et des secrets de son pays. Il songe : c’est là-bas que le mystère m’attend, et que ne

4   On lui dit : — Vous êtes Suisse ? Vous en avez de la chance ! Mais vous avez si peu l’air suisse. — C’est qu’il n’y a p

5 avez si peu l’air suisse. — C’est qu’il n’y a pas d’ air suisse, ou qu’il y en a vingt-deux. — De quelle région de la Suiss

6 a pas d’air suisse, ou qu’il y en a vingt-deux. — De quelle région de la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuch

7 e, ou qu’il y en a vingt-deux. — De quelle région de la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuchâtel, rappelez-mo

8 deux. — De quelle région de la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuchâtel, rappelez-moi…   Ainsi je me demandai

9 oi…   Ainsi je me demandais parfois ce qu’on sait de Neuchâtel dans le vaste monde. Je trouvais à peu près ceci : la Bible

10 ste monde. Je trouvais à peu près ceci : la Bible d’ Ostervald, le chocolat Suchard, les montres, et le séjour de Rousseau.

11 d, le chocolat Suchard, les montres, et le séjour de Rousseau. Certains ont entendu parler du juriste Emer de Vattel, ou d

12 parler du juriste Emer de Vattel, ou des travaux de Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant. Le seul vin suisse qui se

13 ou des travaux de Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant. Le seul vin suisse qui se vende à New York, mais à quel pri

14 Neuchâtel blanc. (On voit sur l’étiquette le Trou de Bourgogne et la descente des vignes vers le lac. Je pouvais dire à me

15 is dire à mes amis : là, dans ces arbres, au pied de cette colline, j’ai passé mon adolescence.) Voilà donc ce qui atteint

16 s épars ne font pas un portrait. Dès qu’on essaie de définir l’originalité de notre canton, tout devient si complexe et so

17 rtrait. Dès qu’on essaie de définir l’originalité de notre canton, tout devient si complexe et souvent si bizarre aux yeux

18 raditions aristocratiques à peine éteintes (moins de cent ans) dans la plus vieille démocratie du monde ; tant de culture

19 peu de littérature ; tant de bon sens professé et de fous à soigner ; tout un petit monde de contrastes intenses, entre l’

20 ofessé et de fous à soigner ; tout un petit monde de contrastes intenses, entre l’austérité des montagnes au nord et les r

21 — tout un petit monde si bien cerné, si conscient de lui-même, et si distinct… Je me disais qu’un jour je voudrais en écri

22 ecret du « Service étranger ». Ceux qui ont envie de se battre avec la vie s’en vont ailleurs brasser leur sang, plutôt qu

23 s’en vont ailleurs brasser leur sang, plutôt que de troubler la pax helvetica, merveille inaperçue du monde moderne.   Le

24 r en son cœur le cirque proche des crêtes dentées de sapins noirs, fermer les yeux pendant les treize tunnels, dans le lon

25 pendant les treize tunnels, dans le long courant d’ air des gorges, sentir qu’on descendait vers la lumière, vers le grand

26 et secrets, vers tout un monde intimidant, peuplé d’ angoisses et de facilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’a

27 s tout un monde intimidant, peuplé d’angoisses et de facilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’aventure, sur le

28 acilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’ aventure, sur lequel je repasse en express, n’est plus que les quinze

29 s quinze dernières minutes, la dernière cigarette d’ une nuit mal dormie, le moment de refermer les valises entre deux coup

30 rnière cigarette d’une nuit mal dormie, le moment de refermer les valises entre deux coups d’œil par la fenêtre. Tout va t

31 ite pour le souvenir. Voici les toits, le clocher de Couvet, la petite gare qu’on traverse en trois secondes — disparus sa

32 raverse en trois secondes — disparus sans laisser de traces, sans rejoindre en moi leur image. Un jour, il faudra s’arrête

33 i vient. Et voici les brumes sur le lac, les murs de vignes séculaires, et ce toit qui demande aux voyageurs, en grandes l

34 oit qui demande aux voyageurs, en grandes lettres de tuiles blanches : ÊTES-VOUS SAUVÉS DU PÉCHÉ ? Tout de suite les quest

35 de suite les questions personnelles, et ce besoin de réformer le prochain… Est-ce que ceux qui vivent sous ce toit sont te

36 ceux qui vivent sous ce toit sont tellement sûrs de leur affaire ?  

37 ption du souvenir est aussi mystérieuse que celle de l’invention, dans notre esprit. Peu s’en faut, si j’y pense, que je n

38 it soudain quelque forme que vient emplir le flot de l’émotion, mais n’est-ce pas le même piège que posera l’invention, en

39 ournant dans l’autre sens, comme pour se souvenir de ce qui vient ? D’où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce

40 re sens, comme pour se souvenir de ce qui vient ? D’ où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud d’idées, où

41 enir de ce qui vient ? D’où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud d’idées, où je ne reconnais rien de déj

42 tent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud d’ idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et de quel ciel me tombent

43 pithète, ce nœud d’idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et de quel ciel me tombent ces visions surprenantes, où je

44 d’idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et de quel ciel me tombent ces visions surprenantes, où je reconnais bientô

45 cas, c’est moi que je découvre, puisqu’il s’agit d’ un souvenir, d’une invention, sans autre précédent que moi. Mais la vo

46 que je découvre, puisqu’il s’agit d’un souvenir, d’ une invention, sans autre précédent que moi. Mais la volonté n’y peut

47 onc fait par mégarde, qui m’accorde à la longueur d’ ondes d’un passé, d’un avenir toujours présents ? Proust a surpris le

48 par mégarde, qui m’accorde à la longueur d’ondes d’ un passé, d’un avenir toujours présents ? Proust a surpris le mécanism

49 , qui m’accorde à la longueur d’ondes d’un passé, d’ un avenir toujours présents ? Proust a surpris le mécanisme du souveni

50 ascule sous la semelle. Mais les grands accidents de la vie raniment de tout autres mystères. Ils nous font découvrir plus

51 lle. Mais les grands accidents de la vie raniment de tout autres mystères. Ils nous font découvrir plus que nous-mêmes.  

52 êmes.   Je l’ignorais encore quand on m’a proposé d’ écrire ces pages sur mon pays natal. On insistait amicalement : je ven

53 tout en moi se tourne vers ses origines, au-delà de ma propre mémoire. Ces mouvements les plus profonds de l’être nous se

54 propre mémoire. Ces mouvements les plus profonds de l’être nous semblent déclenchés par un destin absurde, et nous les su

55 i survivra ; quelque chose que l’on peut désigner d’ un mot simple, et qui figure dans l’ordre naturel comme un reflet de l

56 t qui figure dans l’ordre naturel comme un reflet de la communion des saints : notre histoire, le passé qui passe en chacu

57 ts : notre histoire, le passé qui passe en chacun de nous ; qui par nous, maintenant, se passe, lié à toute l’histoire des

58 tres hommes ; et sans lequel il n’y aurait jamais de plénitude du présent. Dans le silence d’une vaste pièce où j’étais se

59 t jamais de plénitude du présent. Dans le silence d’ une vaste pièce où j’étais seul devant l’admirable visage, debout au p

60 u lit, prolongeant le gisant, j’ai su que j’étais d’ une lignée.  

61 III C’est l’un des traits les moins connus de notre pays que la continuité de ses familles, ailleurs rompue par des

62 les moins connus de notre pays que la continuité de ses familles, ailleurs rompue par des révolutions ou de fréquents cha

63 familles, ailleurs rompue par des révolutions ou de fréquents changements de condition sociale. Nos archives sont intacte

64 e par des révolutions ou de fréquents changements de condition sociale. Nos archives sont intactes, minutieusement tenues

65 siècles pour une beaucoup plus grande proportion d’ habitants que dans d’autres nations de l’Europe. La plupart des citoye

66 proportion d’habitants que dans d’autres nations de l’Europe. La plupart des citoyens suisses, qu’ils soient bourgeois, o

67 ortion d’habitants que dans d’autres nations de l’ Europe . La plupart des citoyens suisses, qu’ils soient bourgeois, ouvriers o

68 n’atteignent, chez nos voisins, que les familles de la noblesse. La Suisse n’est pas démocratique pour avoir tardivement

69 u plus grand nombre.   Le « Rôle des Bourgeois » de Neuchâtel illustre cette continuité jusqu’au xvie , et pour beaucoup

70 ez plutôt ces noms relevés au hasard dans le rôle de 1353 : Malifer, Conoz Bazin, Rollin d’Orouse, Perrod Tornarre, Jeanni

71 quyrily, Quicu… On dirait des injures en patois ! De tous ces noms si proches du latin populaire, un seul subsistera cent

72 ard, tandis que la grande majorité des patronymes de consonance moderne et francisée, qui figurent sur le rôle de 1580, on

73 ce moderne et francisée, qui figurent sur le rôle de 1580, ont subsisté jusqu’à nos jours. Beaucoup d’autres s’y sont ajou

74 pudeur…   Le gouvernement et la structure sociale de la Principauté de Neuchâtel, du xve siècle jusqu’aux débuts du xixe

75 rnement et la structure sociale de la Principauté de Neuchâtel, du xve siècle jusqu’aux débuts du xixe , ne manquent pas

76 siècle jusqu’aux débuts du xixe , ne manquent pas d’ évoquer un mouvement d’horlogerie, par leur extrême complication dans

77 du xixe , ne manquent pas d’évoquer un mouvement d’ horlogerie, par leur extrême complication dans un espace aussi réduit

78 possible. William Coxe, voyageur anglais, auteur de Lettres sur l’état politique, civil et naturel de la Suisse, écrit en

79 de Lettres sur l’état politique, civil et naturel de la Suisse, écrit en 1776 : « La constitution de Neuchâtel est une mon

80 l de la Suisse, écrit en 1776 : « La constitution de Neuchâtel est une monarchie limitée, dont la machine est mise en mouv

81 et des rouages si compliqués, qu’il est difficile de distinguer avec quelque exactitude les prérogatives du Souverain des

82  » Voici ce qu’il a cru démêler, en une vingtaine de pages où perce l’étonnement. « Le Prince se fait représenter en son a

83 fait il vit à Berlin] par un Gouverneur qui jouit d’ une très-grande considération, et d’une très-petite autorité… Les Troi

84 eur qui jouit d’une très-grande considération, et d’ une très-petite autorité… Les Trois États de Neuchâtel sont le tribuna

85 sont le tribunal suprême du pays. Il est composé de douze Juges partagés en trois divisions… Les quatre conseillers d’Éta

86 rtagés en trois divisions… Les quatre conseillers d’ État les plus anciens forment la première division ; ces conseillers s

87 Nobles. La seconde comprend les quatre Châtelains de Landeron Boudry, Valtravers et Thielle… Enfin la troisième division e

88 Thielle… Enfin la troisième division est composée de quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à par

89 sième division est composée de quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à parler régulièrement, qu’

90 on est composée de quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à parler régulièrement, qu’une Cour sup

91 ’est, à parler régulièrement, qu’une Cour suprême de Justice… » Le Conseil d’État saisi de l’administration ordinaire du g

92 ent, qu’une Cour suprême de Justice… » Le Conseil d’ État saisi de l’administration ordinaire du gouvernement, a l’exercice

93 our suprême de Justice… » Le Conseil d’État saisi de l’administration ordinaire du gouvernement, a l’exercice de la Puissa

94 istration ordinaire du gouvernement, a l’exercice de la Puissance exécutrice. Ses membres sont à la nomination du Prince…

95 a nomination du Prince… » Nulle ordonnance émanée de ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant d’avoir été soumise à

96 nance émanée de ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant d’avoir été soumise à l’examen d’un Comité composé du Cons

97 e ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant d’ avoir été soumise à l’examen d’un Comité composé du Conseil de Ville e

98 orce de loi, avant d’avoir été soumise à l’examen d’ un Comité composé du Conseil de Ville et des Députés de Vallengin… » L

99 soumise à l’examen d’un Comité composé du Conseil de Ville et des Députés de Vallengin… » La ville de Neuchâtel jouit de p

100 Comité composé du Conseil de Ville et des Députés de Vallengin… » La ville de Neuchâtel jouit de privilèges très considéra

101 de Ville et des Députés de Vallengin… » La ville de Neuchâtel jouit de privilèges très considérables. Elle a la police de

102 putés de Vallengin… » La ville de Neuchâtel jouit de privilèges très considérables. Elle a la police de son territoire, et

103 e privilèges très considérables. Elle a la police de son territoire, et n’est gouvernée que par ses propres magistrats, di

104 cuperai point du détail des diverses subdivisions de ces deux Tribunaux, mais je ne puis m’empêcher de faire mention du co

105 de ces deux Tribunaux, mais je ne puis m’empêcher de faire mention du corps des Ministraux qui forme le Tiers État toutes

106 forme le Tiers État toutes les fois qu’il s’agit d’ établir quelque loi nouvelle, ou de faire des changemens aux anciennes

107 s qu’il s’agit d’établir quelque loi nouvelle, ou de faire des changemens aux anciennes. Ce corps est une sorte de Comité

108 changemens aux anciennes. Ce corps est une sorte de Comité chargé de l’administration de la police, et dont les membres s

109 nciennes. Ce corps est une sorte de Comité chargé de l’administration de la police, et dont les membres sont choisis dans

110 st une sorte de Comité chargé de l’administration de la police, et dont les membres sont choisis dans le Conseil de Ville.

111 et dont les membres sont choisis dans le Conseil de Ville. Il est composé de deux Présidens de ce conseil, de quatre Maît

112 choisis dans le Conseil de Ville. Il est composé de deux Présidens de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis par

113 onseil de Ville. Il est composé de deux Présidens de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis par le petit Sénat, e

114 . Il est composé de deux Présidens de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis par le petit Sénat, et du Banneret o

115  La Puissance législative est divisée et répartie d’ une manière si compliquée qu’il serait très-difficile de dire précisém

116 manière si compliquée qu’il serait très-difficile de dire précisément où elle réside. Le détail suivant… servira peut-être

117 le résider « à la fois dans le Prince, le Conseil d’ État, et la ville de Neuchâtel, conjointement considérés  ; que le Val

118 is dans le Prince, le Conseil d’État, et la ville de Neuchâtel, conjointement considérés  ; que le Vallengin a une sorte d

119 tement considérés  ; que le Vallengin a une sorte de voix négative ; et enfin, que c’est aux Trois États qu’il appartient

120 enfin, que c’est aux Trois États qu’il appartient de proposer et de promulguer une loi ». Quant à l’esprit des lois pénale

121 t aux Trois États qu’il appartient de proposer et de promulguer une loi ». Quant à l’esprit des lois pénales, Coxe l’estim

122 uant à l’esprit des lois pénales, Coxe l’estime «  d’ une extrême douceur », et les peines sont appliquées aux différents dé

123 Juges… En un mot, et pour m’exprimer sur l’esprit de cette législation dans les termes qui l’honorent le plus, je vous dir

124 a liberté des individus est protégée par les loix de ce pays avec autant de sollicitude et d’efficacité que par celles de

125 est protégée par les loix de ce pays avec autant de sollicitude et d’efficacité que par celles de notre inestimable const

126 les loix de ce pays avec autant de sollicitude et d’ efficacité que par celles de notre inestimable constitution. » Qu’atte

127 ant de sollicitude et d’efficacité que par celles de notre inestimable constitution. » Qu’attendre de plus d’un Anglais ?

128 e inestimable constitution. » Qu’attendre de plus d’ un Anglais ?   N’oublions pas que les Trois États, le Conseil d’État,

129   N’oublions pas que les Trois États, le Conseil d’ État, le Grand Conseil, le Petit Conseil, les Quatre-Ministraux, les M

130 considérés » avec les Trois États et les députés de Valangin, les vingt et une Cours de justice locales, les Châtelains e

131 t les députés de Valangin, les vingt et une Cours de justice locales, les Châtelains et les Maires de districts, et cent a

132 de justice locales, les Châtelains et les Maires de districts, et cent autres emplois ou dignités, exerçaient leurs pouvo

133 rés mais jalousement distincts, dans une capitale de trois-mille habitants, un pays de quarante mille bons et fidèles suje

134 ns une capitale de trois-mille habitants, un pays de quarante mille bons et fidèles sujets…   « En 1818 déjà — écrit M. A

135 rit M. Arthur Piaget dans sa remarquable Histoire de la révolution neuchâteloise — le Procureur général de Rougemont… cons

136 242). « Il jugeait ridicule et dangereux l’esprit de caste et de famille qui régnait à Neuchâtel. Dieu nous préserve, écri

137 ugeait ridicule et dangereux l’esprit de caste et de famille qui régnait à Neuchâtel. Dieu nous préserve, écrivait-il, des

138 ous préserve, écrivait-il, des parvenus par droit de naissance et de fortune qui clabaudent contre ceux qui parviennent pa

139 rivait-il, des parvenus par droit de naissance et de fortune qui clabaudent contre ceux qui parviennent par droits de tale

140 clabaudent contre ceux qui parviennent par droits de talents et de vertus. Il estimait ces prétentions déplacées dans un p

141 tre ceux qui parviennent par droits de talents et de vertus. Il estimait ces prétentions déplacées dans un pays où la plus

142 oblesse n’est pas chapitrale, où les trois quarts de la noblesse trouvent des paysans aux quatrième et cinquième échelons

143 l’un des principaux artisans du « cantonnement » de Neuchâtel, c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer de régime

144 ns du « cantonnement » de Neuchâtel, c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer de régime, dans le Corps helvétique.

145 c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer de régime, dans le Corps helvétique.   Dès la chute de Napoléon, et malg

146 régime, dans le Corps helvétique.   Dès la chute de Napoléon, et malgré la Restauration, l’on s’aperçut que ce beau mouve

147 estauration, l’on s’aperçut que ce beau mouvement d’ horlogerie fine retardait sans espoir sur l’heure du siècle, avancée p

148 poir sur l’heure du siècle, avancée pour le reste de l’Europe par la Révolution, puis par l’Empire, dans le sens des droit

149 sur l’heure du siècle, avancée pour le reste de l’ Europe par la Révolution, puis par l’Empire, dans le sens des droits individ

150 l’Empire, dans le sens des droits individuels et de la tyrannie collective. La population s’accroissait, le commerce pros

151 les radicaux triomphaient partout. Il était temps d’ adopter l’heure de Berne. Et ce fut 1848.  

152 phaient partout. Il était temps d’adopter l’heure de Berne. Et ce fut 1848.  

153 famille parmi d’autres, et qui n’a guère cherché d’ illustration en dehors des limites de la communauté qu’elle a servie p

154 uère cherché d’illustration en dehors des limites de la communauté qu’elle a servie pendant cinq siècles. Dans l’ascendanc

155 e pendant cinq siècles. Dans l’ascendance directe de mon père, je trouve d’abord, dès la Réforme, deux « ministres du sain

156 es Assises, membres du Petit Conseil, conseillers d’ État, enfin Procureur général de la Principauté. Puis survient la révo

157 centenaire, et le dessaisissement du patriciat ; de là cette notice symbolique : Denis-François-Henry, rentier. (Un renti

158 hômeur riche.) Suivent mon grand-père, professeur de théologie, et mon père, pasteur. Cela fait, au début et à la fin, pas

159 pasteur. Cela fait, au début et à la fin, pas mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps p

160 a fait, au début et à la fin, pas mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux

161 et à la fin, pas mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de parti

162 mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’ église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation continue

163 t de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation continuelle au gouvernement du pays. Au

164 it d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation continuelle au gouvernement du pays. Au xixe siècle, N

165 t du pays. Au xixe siècle, Neuchâtel ayant cessé d’ être ce qu’il conviendrait de nommer une aristocratie républicaine au

166 euchâtel ayant cessé d’être ce qu’il conviendrait de nommer une aristocratie républicaine au Prince lointain, cette dynast

167 e républicaine au Prince lointain, cette dynastie de conseillers d’État se tourne vers la vie intellectuelle. D’où septant

168 au Prince lointain, cette dynastie de conseillers d’ État se tourne vers la vie intellectuelle. D’où septante-six ouvrages

169 lers d’État se tourne vers la vie intellectuelle. D’ où septante-six ouvrages publiés par des Rougemont en Suisse, en Franc

170 e et en Allemagne, entre 1830 et 1900. Et cela va d’ un essai sur Socrate et Jésus-Christ jusqu’à des Observations sur l’or

171 du Brachinus crepitans, en passant par un Précis de géographie comparée et Quelques mots sur les nombres rythmiques de la

172 parée et Quelques mots sur les nombres rythmiques de la prophétie…   « L’ennui que j’aime à trouver au fond de l’histoire

173 phétie…   « L’ennui que j’aime à trouver au fond de l’histoire n’est pas du goût de chacun », notait Chateaubriand dans s

174 à trouver au fond de l’histoire n’est pas du goût de chacun », notait Chateaubriand dans ses Mémoires. Mais c’est par le d

175 n connaît une famille, par une famille l’histoire d’ un pays, et surtout d’un petit pays. Ainsi l’on répète volontiers que

176 par une famille l’histoire d’un pays, et surtout d’ un petit pays. Ainsi l’on répète volontiers que la Suisse est le « car

177 épète volontiers que la Suisse est le « carrefour de l’Europe ». Pour vérifier ce lieu commun, examinons deux prises micro

178 volontiers que la Suisse est le « carrefour de l’ Europe  ». Pour vérifier ce lieu commun, examinons deux prises microscopiques

179 prises microscopiques prélevées dans les archives de ma famille. Sur les trente-deux ancêtres de mon père à la cinquième g

180 hives de ma famille. Sur les trente-deux ancêtres de mon père à la cinquième génération, je compte quatorze Neuchâtelois,

181 puis une Allemande. Et des trois autres branches de leur famille, au début du xixe siècle, deux sont en train de devenir

182 t en commun presque toutes les anciennes familles de ce pays manque à la mienne : point de militaires parmi les ascendants

183 es familles de ce pays manque à la mienne : point de militaires parmi les ascendants directs du nom de mon père. Par les f

184 de militaires parmi les ascendants directs du nom de mon père. Par les femmes, on en trouve quelques-uns, mais là encore l

185 a petite-fille du « grand Ostervald », traducteur de la Bible admiré par Fénelon, auteur de vingt traités sur la morale, l

186 traducteur de la Bible admiré par Fénelon, auteur de vingt traités sur la morale, la liturgie et la théologie qui furent t

187 et la théologie qui furent traduits dans toute l’ Europe , et qui le firent appeler par Newton « le plus chrétien de tous les h

188 i le firent appeler par Newton « le plus chrétien de tous les hommes », vir omnium christianissimus. Mon trisaïeul, le Pro

189 pouse Charlotte d’Ostervald, arrière-petite-fille de l’illustre pasteur. Le fils du Procureur épouse Marie-Philippine du B

190 arie-Philippine du Buat-Nançay, dans l’ascendance de laquelle je trouve deux mathématiciens et ingénieurs, un diplomate et

191 iplomate et historien, une alliance avec la fille de Corneille, et plus haut, dès le xiie siècle, de fréquents donateurs

192 de Corneille, et plus haut, dès le xiie siècle, de fréquents donateurs à l’Abbaye de la Trappe.   « N’oublie jamais », m

193 e xiie siècle, de fréquents donateurs à l’Abbaye de la Trappe.   « N’oublie jamais », me disait un de mes oncles, « que p

194 de la Trappe.   « N’oublie jamais », me disait un de mes oncles, « que plus l’ancêtre dont on se réclame est éloigné, moin

195 ncêtre dont on se réclame est éloigné, moins on a de chances de tenir de lui. » Et que valent en effet ces noms, ces souve

196 on se réclame est éloigné, moins on a de chances de tenir de lui. » Et que valent en effet ces noms, ces souvenirs, ces a

197 clame est éloigné, moins on a de chances de tenir de lui. » Et que valent en effet ces noms, ces souvenirs, ces ascendance

198 s arbres les plus nobles, au lieu d’un demi-dieu, d’ un héros ou d’un saint, un singe au naturel, en guise d’armes parlante

199 lus nobles, au lieu d’un demi-dieu, d’un héros ou d’ un saint, un singe au naturel, en guise d’armes parlantes du beau myth

200 naturel, en guise d’armes parlantes du beau mythe de l’Égalité… Et pourtant si le « grand Ostervald », si Corneille, si la

201 sont — que dire du Singe ? Je me répète la phrase de mon oncle.   En revanche, comment ne pas croire à l’influence des pro

202 es fonctions ecclésiastiques, l’idée du serviteur de la cité, c’est qu’en lui durait toute une race consacrée à la chose p

203 né toutes les « preuves » qui n’étaient pas celle de l’obligation. Je crois que toute autre considération sur ce sujet sem

204 ur ce sujet semblait aux yeux de mon père indigne d’ une pensée. Et certes, il n’en parlait jamais. Le peu que j’en dis l’e

205 Mais ce sens naturel du service, il lui fut donné de l’exercer dans d’autres dimensions humaines que celles du petit État

206 tres dimensions humaines que celles du petit État de ses aïeux, aussi riche en coutumes fort sages qu’en préjugés invétéré

207 vétérés. Il trouvait dans son héritage des vertus de prudence, d’ordre et d’autorité, un goût marqué pour l’argumentation

208 rouvait dans son héritage des vertus de prudence, d’ ordre et d’autorité, un goût marqué pour l’argumentation et la dialect

209 s son héritage des vertus de prudence, d’ordre et d’ autorité, un goût marqué pour l’argumentation et la dialectique légali

210 ent conduit, en d’autres temps, vers une carrière d’ homme politique ou d’homme de loi, dans un style dignified à l’anglais

211 res temps, vers une carrière d’homme politique ou d’ homme de loi, dans un style dignified à l’anglaise. Le ministère pasto

212 s, vers une carrière d’homme politique ou d’homme de loi, dans un style dignified à l’anglaise. Le ministère pastoral le c

213 tâches, en Dieu plus grandes, et vers la liberté de l’esprit. Sa première allégeance était l’Église, et par là même l’uni

214 eut le comprendre. Sa tradition, cependant, était d’ autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction sec

215 endre. Sa tradition, cependant, était d’autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction secrète de sa v

216 ndant, était d’autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction secrète de sa vie et source de sa vraie

217 rtions et de raison gardée. Contradiction secrète de sa vie et source de sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, s

218 gardée. Contradiction secrète de sa vie et source de sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, sa tolérance acquise

219 secrète de sa vie et source de sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, sa tolérance acquise non sans luttes, mais

220 brusques indignations. Il avait le goût classique de la claire ordonnance, mais non moins de la justice sociale, et quand

221 classique de la claire ordonnance, mais non moins de la justice sociale, et quand il le fallait, de la protestation, sobre

222 ns de la justice sociale, et quand il le fallait, de la protestation, sobre, efficace et désintéressée. Toujours saisi d’u

223 sobre, efficace et désintéressée. Toujours saisi d’ un mouvement de retrait devant une charge honorifique, jamais devant l

224 e et désintéressée. Toujours saisi d’un mouvement de retrait devant une charge honorifique, jamais devant les risques et l

225 ifique, jamais devant les risques et les déboires d’ un témoignage vigilant ; père, citoyen, pasteur de ses troupeaux, et v

226 d’un témoignage vigilant ; père, citoyen, pasteur de ses troupeaux, et vibrant défenseur de l’honneur protestant, il était

227 n, pasteur de ses troupeaux, et vibrant défenseur de l’honneur protestant, il était au plein sens du mot l’homme engagé, c

228 ause », comme il aimait à dire. Quand il m’arrive de louer dans mes ouvrages le civisme des protestants, c’est à l’exemple

229 l’exemple de mon père que j’ai pensé ; et ce mot d’ engagement, dont on abuse, d’où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie

230 ai pensé ; et ce mot d’engagement, dont on abuse, d’ où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies

231 dont on abuse, d’où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies d’homme que j’ai connues de près,

232 si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies d’ homme que j’ai connues de près, qui commandât mon absolu respect.   Au

233 ’une des très rares vies d’homme que j’ai connues de près, qui commandât mon absolu respect.   Au-delà de l’exemple vivant

234 près, qui commandât mon absolu respect.   Au-delà de l’exemple vivant, du destin vécu de mon père, qu’irais-je encore cher

235 ct.   Au-delà de l’exemple vivant, du destin vécu de mon père, qu’irais-je encore chercher dans le passé ? Si j’y suis rem

236 remonté, c’était pour mieux saisir l’enseignement d’ une vie où s’est fondée ma vie. Sur le fond d’une tradition qui la rel

237 ent d’une vie où s’est fondée ma vie. Sur le fond d’ une tradition qui la reliait à notre histoire et à l’ancienne communau

238 encore comme il disait jour après jour : « Aller de l’avant ! ») L’honneur à rendre au père, selon le Décalogue, n’est pa

239 r mourir centenaire !) Prolongés vers cet au-delà de la mémoire individuelle, le passé qui se passe en nous, et sans leque

240 asse en nous, et sans lequel il n’y aurait jamais de plénitude du présent. Jours prolongés comme un accord qui réveille au

241 avenir aussi, parce qu’il ouvre l’attente ardente de sa résolution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute ét

242 qu’il ouvre l’attente ardente de sa résolution —  de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolon

243 e ardente de sa résolution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de pié

244 ution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de piété à la durée des siè

245 ptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de piété à la durée des siècles écoulés et futurs de ce « pays que Dieu

246 de piété à la durée des siècles écoulés et futurs de ce « pays que Dieu nous donne ».  

247 s, comme à l’écoute clandestine, l’oreille au son d’ un passé qui faiblit mais qui n’a pas terminé son message. Il me parle

248 né son message. Il me parle ce soir de plus loin, d’ au-delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps d’une plus vaste

249 sage. Il me parle ce soir de plus loin, d’au-delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps d’une plus vaste patrie. Le

250 delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps d’ une plus vaste patrie. Les perspectives changent à vue, vertige et gri

251 ns son canton ; mais dans la Suisse ; mais dans l’ Europe , que devient ce fil rouge que je croyais tenir ? Où vont se perdre le

252 je croyais tenir ? Où vont se perdre les sentiers de la mémoire, ces voies ouvertes à l’imagination ?   Il y a la petite p

253 u’on peut parcourir en une journée et chaque jour de la vie sans se lasser, celle qu’un regard embrasse et détaille à lois

254 ’un regard embrasse et détaille à loisir. Au-delà de ses paysages et de sa proche histoire, il n’y a que l’imaginaire. Les

255 et détaille à loisir. Au-delà de ses paysages et de sa proche histoire, il n’y a que l’imaginaire. Les nations, les plus

256 ntre l’autre, et qu’entre ces amours il n’est que de la haine. Comment un Suisse le croirait-il ? Si je me sens presque pa

257 l ? Si je me sens presque partout chez moi dans l’ Europe franco-germanique, c’est que d’abord je l’ai trouvée dans ma famille,

258 Pour moi comme pour tant d’autres Suisses, passer de la petite patrie à la plus vaste, ce n’est pas infidélité à ma race,

259 s loin dans le même sens.   Ainsi, pour me sentir Européen , nul besoin de quitter ce salon campagnard où je suis revenu m’asseoi

260 ens.   Ainsi, pour me sentir Européen, nul besoin de quitter ce salon campagnard où je suis revenu m’asseoir : il me suffi

261 agnard où je suis revenu m’asseoir : il me suffit de méditer sur ses images, de remonter par elles à des sources lointaine

262 asseoir : il me suffit de méditer sur ses images, de remonter par elles à des sources lointaines. Grands portraits un peu

263 , gravures piquées et daguerréotypes. Que sais-je d’ eux, qui me regardent ? Cette aïeule au visage émacié, coiffé de longu

264 regardent ? Cette aïeule au visage émacié, coiffé de longues boucles noires, j’ai lu ses lettres. Dernière d’une lignée tr

265 ues boucles noires, j’ai lu ses lettres. Dernière d’ une lignée très catholique, elle cachait ses messages au fiancé suisse

266 chait ses messages au fiancé suisse dans l’écorce d’ un arbre, au fond du parc, et devenait protestante en secret. J’ai lu

267 devenait protestante en secret. J’ai lu ces pages de confidences pudiques, pleines d’idéal et de mélancolie, mais sans y r

268 ’ai lu ces pages de confidences pudiques, pleines d’ idéal et de mélancolie, mais sans y retrouver la trace des larmes dont

269 pages de confidences pudiques, pleines d’idéal et de mélancolie, mais sans y retrouver la trace des larmes dont elle écrit

270 s furent baignées. L’on était vers 1830. Portrait de son grand-père, un chevalier de Malte, membre correspondant de l’Inst

271 rs 1830. Portrait de son grand-père, un chevalier de Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils fut décap

272 père, un chevalier de Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire d

273 e Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la

274 titut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la Terreur, deux ans après que sa petite

275 e ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la Terreur, deux ans après que sa petite cousine Charl

276 né à Boudry, tout près d’ici. Que sais-je encore de cette famille éteinte ? Du fond des âges et de la forêt normande, il

277 re de cette famille éteinte ? Du fond des âges et de la forêt normande, il m’en revient un nom de Table ronde : Lucrèce d’

278 s et de la forêt normande, il m’en revient un nom de Table ronde : Lucrèce d’Aubray, Dame de l’Aigle et du Lac… Cette autr

279 re aïeule qui me sourit dans sa mantille, retenue d’ une main sur la gorge opulente, vint de Béziers au temps des dragonnad

280 agonnades. Parmi ses ancêtres : Mirman, défenseur de la foi huguenote ; et plus haut des seigneurs dont certains furent ca

281 cathares, Miramont, Cabrol et Vestric… Portrait d’ un général de la Garde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et d

282 éral de la Garde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et de Bavière…   On se trompe en croyant qu’un voyageur, à lon

283 rde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et de Bavière…   On se trompe en croyant qu’un voyageur, à longueur de chem

284 n se trompe en croyant qu’un voyageur, à longueur de chemin, perd ses ancêtres : c’est eux parfois qu’il s’en va visiter,

285 il s’interroge : comment l’eussent-ils reçu, gens de leur terre, lui le nomade ? Qu’y a-t-il encore entre eux et lui ? Peu

286 et lui ? Peu de chose, ou rien si l’on veut. Rien d’ autre qu’un pouvoir sans doute fictif, et que peut-être ils négligèren

287 e fictif, et que peut-être ils négligèrent, celui de se sentir chez soi dans leurs légendes. Les forêts enchantées où chev

288 où chevauchait Lancelot, sous les ciels méditants de l’Ouest celtique ; le Midi sec et enfiévré des troubadours ; et de l’

289 ue ; le Midi sec et enfiévré des troubadours ; et de l’autre côté de l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la

290 et enfiévré des troubadours ; et de l’autre côté de l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la Prusse-Oriental

291 nfiévré des troubadours ; et de l’autre côté de l’ Europe , aux marches slaves, ces burgs secrets de la Prusse-Orientale, — tant

292 e l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la Prusse-Orientale, — tant de générations aux fortunes diverses ne m

293 ’elles ne m’y lient ? Nous ne savons presque rien de l’hérédité. Mais quand on m’aura démontré que le sentiment d’obscure

294 é. Mais quand on m’aura démontré que le sentiment d’ obscure reconnaissance qui m’a toujours saisi dans ces provinces ne do

295 mystères du sang, une idée chimérique ne cessera de me plaire : sur ces lieux où jadis des hommes dont je descends exercè

296 s hommes dont je descends exercèrent leurs droits de seigneurs, je garde encore un droit de rêve, d’imaginaire intimité. V

297 urs droits de seigneurs, je garde encore un droit de rêve, d’imaginaire intimité. Voilà un privilège qui ne peut gêner per

298 s de seigneurs, je garde encore un droit de rêve, d’ imaginaire intimité. Voilà un privilège qui ne peut gêner personne ! P

299 i ceux qui vivent pour l’avenir et dans les voies de l’ambition jalouseraient-ils ceux qui parfois se plaisent à remonter

300 VI Ces retours sur l’histoire d’ un pays, où je cherchais à mieux situer les miens, m’ont proposé chemi

301 roposé chemin faisant quelques énigmes, et permis d’ entrevoir quelques réponses. Voici pourtant un fait que je m’explique

302 nt de culture, pour tant de livres lus, relus, et de bon choix, accumulés depuis des siècles dans les maisons publiques et

303 roduit qui marque dans la langue, à part la Bible d’ Ostervald. Les ouvrages distingués ne manquent pas. Mais les seuls qui

304 les seuls qui aient franchi nos limites sont ceux de nos théologiens, Ostervald encore, puis Godet ; et le Droit des gens

305 tervald encore, puis Godet ; et le Droit des gens de Vattel. Nous avons eu d’excellents historiens : l’auteur de la Chroni

306 t ; et le Droit des gens de Vattel. Nous avons eu d’ excellents historiens : l’auteur de la Chronique des Chanoines (apocry

307 Nous avons eu d’excellents historiens : l’auteur de la Chronique des Chanoines (apocryphe), Chambrier pour l’ancien régim

308 it du terme — le roman, le poème, l’essai, le jeu d’ idées — est restée chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré d

309 chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’émouvant d’une culture solide et variée, d’une nature cont

310 uvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’ émouvant d’une culture solide et variée, d’une nature contrastée de ch

311 le. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’émouvant d’ une culture solide et variée, d’une nature contrastée de charme et de

312 and ou d’émouvant d’une culture solide et variée, d’ une nature contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension

313 culture solide et variée, d’une nature contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension des contraintes morales

314 e et variée, d’une nature contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension des contraintes morales, dont vécut

315 ure contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension des contraintes morales, dont vécut le roman victorien. Fa

316 s ? J’ai vu percer quelques poètes à nos vitrines de libraires…   Les Vaudois ont produit ou toléré Constant, Alexandre Vi

317 nt, Alexandre Vinet, Ramuz ; les Genevois Calvin, de Bèze, Rousseau, Madame de Staël, Töpffer, Amiel… Je ne parle pas des

318 cite que ceux dont un homme cultivé, dans toute l’ Europe , connaît au moins le nom. Nous n’avons rien de ce rang-là. Les visite

319 urope, connaît au moins le nom. Nous n’avons rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Colo

320 m. Nous n’avons rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éc

321 ns rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éclatants et pa

322 Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éclatants et parfois scandaleux. Mais

323 de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éclatants et parfois scandaleux. Mais la « petite hi

324 e se borne à mentionner chez nous des rendez-vous de voyageurs discrets, inaperçus et bientôt disparus. Un seul s’est fait

325 marquer, ce fut le premier en date, et les gamins de Môtiers lui jetèrent des cailloux. Avertis par ce précédent, dont le

326 tis par ce précédent, dont le bruit s’élargit à l’ Europe , les successeurs de l’Arménien ne sont venus chez nous qu’à pas feutr

327 nt le bruit s’élargit à l’Europe, les successeurs de l’Arménien ne sont venus chez nous qu’à pas feutrés. Certains d’aille

328 ous qu’à pas feutrés. Certains d’ailleurs avaient de bonnes raisons de ne point publier leur séjour. Benjamin Constant s’e

329 és. Certains d’ailleurs avaient de bonnes raisons de ne point publier leur séjour. Benjamin Constant s’enfermait dans le m

330 our. Benjamin Constant s’enfermait dans le manoir de Madame de Charrière, pour échapper aux cousines de Lausanne et à son

331 e Madame de Charrière, pour échapper aux cousines de Lausanne et à son mariage en Allemagne. Chateaubriand, qui se souvena

332 magne. Chateaubriand, qui se souvenait sans doute d’ avoir été jadis, pour la police française, un dénommé « Lassagne, Neuc

333 gne, Neuchâtelois », vint s’enfermer au lendemain de sa chute « dans une cabane au bord du lac ». Brève retraite, dont une

334 c ». Brève retraite, dont une phrase des Mémoires d’ outre-tombe lui suffit pour décrire l’ennui : « Un maigre chat noir, d

335 « Un maigre chat noir, demi-sauvage, qui pêchait de petits poissons en plongeant sa patte dans un grand seau rempli de l’

336 s en plongeant sa patte dans un grand seau rempli de l’eau du lac, était toute ma distraction. » Au même endroit de la vil

337 ac, était toute ma distraction. » Au même endroit de la ville, neuf ans plus tard, Balzac rencontrera cette inconnue qui v

338 nie. Et l’on dit qu’Andersen écrivit quelques-uns de ses plus beaux contes pendant le séjour qu’il fit au Locle, dans la n

339 t, à ces conjonctions clandestines, à l’incognito de la gloire. Je voudrais qu’on y élève un monument dédié à l’Illustre I

340 Il serait en forme de banc. Qui sait quel Balzac de l’avenir, quelle Étrangère venue du bout du monde, ne seraient point

341 venue du bout du monde, ne seraient point tentés de s’y asseoir un jour, pour quelques heures, en face du lac ? Et certes

342 ac ? Et certes, j’ai pensé à Gide, le plus fidèle de tous nos hôtes, en écrivant ces phrases sur le banc. Je viens de repr

343 prendre son Journal, pour vérifier s’il y parlait de Neuchâtel. Et je tombe sur ce court passage, à la date de 1913 : « Co

344 âtel. Et je tombe sur ce court passage, à la date de 1913 : « Combien j’aime ce lac tranquille aux rives basses, peuplé de

345 j’aime ce lac tranquille aux rives basses, peuplé de mouettes, où mon regard ni ma pensée ne se heurte à rien d’accidentel

346 s, où mon regard ni ma pensée ne se heurte à rien d’ accidentel ou d’étranger. Comment, moi si frileux, n’éprouvai-je ce ma

347 ni ma pensée ne se heurte à rien d’accidentel ou d’ étranger. Comment, moi si frileux, n’éprouvai-je ce matin que bien-êtr

348 à peine au-dessus du gel, n’ayant devant moi que de l’eau et de la brume ? J’habiterais ici volontiers. » Il a fallu le p

349 dessus du gel, n’ayant devant moi que de l’eau et de la brume ? J’habiterais ici volontiers. » Il a fallu le prix Nobel po

350 s. Puis on lit à haute voix les deux papiers. Jeu de hasard, ou de télépathie. J’avais écrit, dernière question : — Qu’est

351 à haute voix les deux papiers. Jeu de hasard, ou de télépathie. J’avais écrit, dernière question : — Qu’est-ce que le sty

352  : — Qu’est-ce que le style ? Catherine, la fille de Gide, lut sa dernière réponse : — L’originalité de mon père. Gide s’é

353 e Gide, lut sa dernière réponse : — L’originalité de mon père. Gide s’éclaircit la voix pour observer que le jeu devenait

354 ien j’aimai ce lac aux rives glauques ! sans rien d’ alpestre, et dont les eaux, comme celles d’un marécage, longtemps se m

355 s rien d’alpestre, et dont les eaux, comme celles d’ un marécage, longtemps se mêlent à la terre, et filtrent entre les ros

356 Et depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’eau — pour toute la vie », écrivait un Paysan du Danube , et vingt

357 nheur à ces souvenirs. Non qu’ils me parlent tous de jours heureux, mais la mémoire des plus amers ou des plus seuls a gar

358 c n’est jamais sans quelque douceur ?   Cherchant d’ où vient cet agrément, et pourquoi dans le monde lacustre on ressent l

359 ux ciels changeants, et si profonds ses lointains de lumière. La pente derrière moi, l’horizon des collines, sont le cadre

360 où les cris des oiseaux dans la brume s’occupent d’ une vie bien différente… Enfin la variété des objets, des lumières, de

361 satisfait comme nul autre paysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’

362 me nul autre paysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, d

363 ysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de

364 rofond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de bo

365 oser, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux,

366 ler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler

367 couvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l

368 plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconn

369 née, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il

370 rter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il aime à s’y r

371 à Baveno dans l’eau tiède et dorée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux

372 ée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux,

373 -midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, passagers immobiles, un bra

374 ella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, passagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac de Garde un

375 assagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac de Garde un palais délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de

376 bite au lac de Garde un palais délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneu

377 délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneux du village viennent donner la

378 brusque sauvagerie des hautes pentes, échevelées de châtaigniers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige,

379 ers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige, sur l’autre rive, un orage s’illumine par moments, et dans l’é

380 où l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nou

381 hare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nous allions ramer vers minuit, heure où le crép

382 n se meurt dans l’aube, à l’horizon des landes et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient

383 des et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plai

384 ù tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plaine aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses au

385 Balaton, lac de plaine aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses aux jardins publics — là j’étais seul…

386 aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par un b

387 alses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par un beau temps cruel, qui faisait fête à des adieux… Petits

388 es adieux… Petits déjeuners suisses sur un balcon d’ hôtel à Vevey, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air

389 y, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scintillement d

390 e le monde venait de s’éveiller, luisant et neuf, de la première nuit… Et ces deux grands étés américains, dans les demeur

391 lac du Saint-Sacrement « pour la pureté lustrale de ses eaux »… Il me rappelait un peu de tous mes autres lacs, mais il é

392 tous mes autres lacs, mais il était surtout celui d’ Œil de faucon et du Dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvai

393 es autres lacs, mais il était surtout celui d’Œil de faucon et du Dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien

394 celui d’Œil de faucon et du Dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pourquoi l’ai-je quitté ? … Et

395 l’ai-je quitté ? … Et nous n’irons jamais au lac d’ Amatitlán, au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte

396 is au lac d’Amatitlán, au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte avec les autres sans remords, s’il est v

397 e avec les autres sans remords, s’il est vrai que d’ aucun je n’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes sec

398 emords, s’il est vrai que d’aucun je n’ai su tant d’ histoires et qu’il détient certains de mes secrets.   Je dénombre mes

399 ’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes secrets.   Je dénombre mes lacs, et la mémoire encore investit d

400 ce même, aux chagrins taciturnes. Souffrir auprès d’ un lac n’est jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar

401 que mon cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’i

402 cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation

403 . Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’une socié

404 t de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’ initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant

405 nversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’ une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout

406 ens de subir l’épreuve d’initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonnea

407 itiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonneau comme le veut la coutume,

408 r un tonneau comme le veut la coutume, l’histoire de mes Premières Amours. On m’a conspué. J’ai seize ans. C’est horrible.

409 descend dans le cortège des jeunes filles sortant de l’école des Terreaux. Nous les garçons tenons notre « colloque » sur

410 es garçons tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de

411 lace de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’ un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais

412 de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’ un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois veni

413 Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois venir de loin

414 nir de loin. Elle porte un grand chapeau flottant d’ un rose sombre. Tout la distingue infiniment du troupeau bavardant de

415 out la distingue infiniment du troupeau bavardant de ses compagnes. Si je rencontrais ses yeux, que deviendrais-je, et si

416 semaine prochaine, l’épreuve recommencera. Odeur de l’eau qui dort, pénétrante, amicale. Un poisson saute et ride un mome

417 out à fait comme avant.) Ce soir, elle est encore d’ une présence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bou

418 nvoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague

419 ourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague vers l’autre rive. Elle caresse en passant l’épaule de

420 des collines, elle monte, elle embrase longtemps d’ une sereine incandescence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets

421 ence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets d’ où l’on voit l’Italie… Et le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de

422 horizon. Paysage emphatique et sombre, tout cerné de prodiges sévères, et l’œil ne s’en évade au bas du ciel — vers l’oues

423 r lointain que l’eau n’a point doublé, déjà prise de nuit, rêvant jusqu’à mes pieds.   Par une chaude soirée du mois d’aoû

424 usqu’à mes pieds.   Par une chaude soirée du mois d’ août 192., un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle g

425 mois d’août 192., un jeune homme, simplement vêtu d’ un pantalon de flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à

426 2., un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à longues pesées

427 implement vêtu d’un pantalon de flanelle grise et d’ un chandail au col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la

428 col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage est imminent. No

429 L’orage est imminent. Notre héros, qui paraît âgé d’ une vingtaine d’années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les

430 nent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine d’ années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les peupliers, et d

431 ues limoneuses accablent sans relâche les roseaux de la baie. Des nuées menaçantes courent très bas, tirant des pluies au

432 Il roule maintenant dans l’ombre tiède et abritée d’ un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés p

433 aintenant dans l’ombre tiède et abritée d’un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés par le crép

434 Quelle est cette hâte inconnue, qu’il se flattait de n’éprouver jamais, bien au contraire, avant un rendez-vous ? Cette en

435 au contraire, avant un rendez-vous ? Cette envie de crier : « J’accours ! Attends !… » Ah ! mais qu’est-ce qu’il m’arrive

436 cœur net. (Tout son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pie

437 t son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol,

438 en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la ma

439 Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’at

440 pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’ un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’attente du pays sous l

441 œur, le sang plus vite, le soulèvement plus ample de la respiration. Tout ce que disent les poètes qu’il dédaigne, tous le

442 quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’ un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient d

443 t d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient dans la nue, et le jeune homme savait en repartan

444 à des lieux plus sévères. Mais plutôt il convient d’ alterner ces agréments et ces vertus. Qui nous parlera des forêts ? Po

445 s sont celles où l’on naît à l’amour. Un portrait de notre pays, peint de là-haut, ne ressemblerait guère à mes esquisses.

446 naît à l’amour. Un portrait de notre pays, peint de là-haut, ne ressemblerait guère à mes esquisses. Au lieu de la lumièr

447 cru, des ombres longues et givrées, des couchants d’ incendie sur les menées moroses des hauts plateaux boisés de noir. Ils

448 sur les menées moroses des hauts plateaux boisés de noir. Ils vont jusqu’au Tibet, me disait un jour Ramuz (dont la géogr

449 un jour Ramuz (dont la géographie se passait bien d’ atlas). C’est la même civilisation, les mêmes fumées sur les tourbière

450 uedoc sont en réalité des musulmans, qu’il suffit de les voir, tout noirs dans leurs cuisines, fatalistes et irréductibles

451 ent des voies. Je garde ma méfiance pour l’espèce de mensonge qui rend la vie plus petite que nature, sous prétexte d’exac

452 rend la vie plus petite que nature, sous prétexte d’ exactitude. Pays des horlogers à domicile, des longues veillées, des i

453 es longues veillées, des inventions pratiques, et de beaucoup de dignité cordiale dans le commerce quotidien, c’est le Nor

454 kounine présida, me dit-on, les réunions secrètes d’ où devait sortir la Première Internationale, aussitôt confisquée par M

455 e Internationale, aussitôt confisquée par Marx.   De cette enfance il me reste un cauchemar, l’école primaire, dont j’ai p

456 ressemble à aucun autre ; une connaissance intime de la neige ; le désir des pays chauds ; et un petit lièvre. Je me souvi

457 pays chauds ; et un petit lièvre. Je me souviens de ce retour du Creux-du-Van, à travers les grands pâturages parsemés de

458 x-du-Van, à travers les grands pâturages parsemés de sapins majestueux et coupés çà et là de murs bas faits de grosses pie

459 parsemés de sapins majestueux et coupés çà et là de murs bas faits de grosses pierres entassées avec art. Nous passions l

460 s majestueux et coupés çà et là de murs bas faits de grosses pierres entassées avec art. Nous passions les clédars (beau m

461 soin, pour que les vaches n’aillent point changer de propriétaire. Nous marchions à grandes enjambées, joyeux de sentir no

462 taire. Nous marchions à grandes enjambées, joyeux de sentir nos gros talons cloutés mordre dans le sol élastique. Soudain

463 ndis mon pas : au bout de mon pied, dans un creux d’ herbe, un petit lièvre frémissait, immobile et terrorisé. Nous nous so

464 t terrorisé. Nous nous sommes regardés un moment, de tout près. Un seul geste rapide eût suffi pour l’attraper par les ore

465 ant. C’était trop beau… Le lièvre détala. Combien d’ occasions merveilleuses ai-je laissées détaler depuis ! Ce sont peut-ê

466 Chaque fois qu’une chance offerte un instant fuit d’ un bond parce qu’un scrupule ou un respect, ou quelque obscure sagesse

467 cent. J’entends les mêmes allures, le même accent de l’âme, du cœur et de la poignée de main ; mais hélas ! aussi du langa

468 êmes allures, le même accent de l’âme, du cœur et de la poignée de main ; mais hélas ! aussi du langage. Et à ce propos… L

469 i du langage. Et à ce propos… L’opinion publique, de nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les

470 on publique, de nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les loue sans aucune retenue, et cette v

471 nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les loue sans aucune retenue, et cette vanité collectiv

472 it pourquoi, patriotisme ; mais que si l’on parle de soi, on confesse uniquement ses faiblesses, et cela s’appelle sincéri

473 es, et cela s’appelle sincérité. (Quand il s’agit de la famille, ce moyen terme entre l’individu et la patrie, on ne sait

474 r quel pied danser.) Pour moi, j’ai pris le parti de laisser les étrangers vanter nos vertus bien connues et découvrir cel

475 me borne à l’autocritique. Et par exemple, il est de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’élever une solennell

476 utocritique. Et par exemple, il est de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’élever une solennelle protestation

477 de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’ élever une solennelle protestation contre l’accent de mes compatriotes

478 lever une solennelle protestation contre l’accent de mes compatriotes, celui qu’ils ont pris de nos jours et que leurs pèr

479 accent de mes compatriotes, celui qu’ils ont pris de nos jours et que leurs pères n’ont pas connu, l’accent le plus navran

480 s pères n’ont pas connu, l’accent le plus navrant de tout le domaine français, de Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou

481 cent le plus navrant de tout le domaine français, de Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de

482 de tout le domaine français, de Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de franç

483 de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de français, elles sont moins graves, et je ne crois pas q

484 Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de français, elles sont moins graves, et je ne crois pas que nous en com

485 tu t’encoubles, il aurait meilleur temps, on veut d’ jà bien ça faire, vous voyez pas jour, ils n’en peuvent rien ; dans le

486 e moque à l’occasion des Auvergnats, mais grimace de douleur à nous entendre. Écoutez les jeunes gens dans la rue (« sur l

487 ns une bouillasse verbale, où l’on se traîne avec de lourdes brusqueries, pour s’enliser régulièrement avant d’avoir attei

488 s brusqueries, pour s’enliser régulièrement avant d’ avoir atteint la fin d’une phrase. Je sais bien que l’influence du sui

489 nliser régulièrement avant d’avoir atteint la fin d’ une phrase. Je sais bien que l’influence du suisse allemand y est pour

490 beaucoup, et qu’on ne peut pas déplacer le canton de Berne. Mais je me souviens aussi de l’état d’esprit qui entretient ce

491 cer le canton de Berne. Mais je me souviens aussi de l’état d’esprit qui entretient cet état de choses et qui ne cesse de

492 qui entretient cet état de choses et qui ne cesse de l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et de la caserne, où l’o

493 hoses et qui ne cesse de l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et de la caserne, où l’on se moque sans pitié des ga

494 e l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et de la caserne, où l’on se moque sans pitié des garçons qui « raffinent »

495 i « raffinent », c’est-à-dire parlent avec un peu d’ aisance. Cette émulation par le bas pourrait être arrêtée par les inst

496 t être arrêtée par les instituteurs. Il suffirait de renverser la mode, et de statuer qu’à partir d’aujourd’hui l’on va se

497 stituteurs. Il suffirait de renverser la mode, et de statuer qu’à partir d’aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux

498 t de renverser la mode, et de statuer qu’à partir d’ aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux qui parlent mal, au li

499 partir d’aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux qui parlent mal, au lieu de tourner en ridicule ceux qui essaien

500 au lieu de tourner en ridicule ceux qui essaient de bien dire, d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’express

501 urner en ridicule ceux qui essaient de bien dire, d’ articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’expression. Le vers f

502 qui essaient de bien dire, d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’expression. Le vers fameux de Valéry : « Hon

503 d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’ expression. Le vers fameux de Valéry : « Honneur des Hommes, Saint Lan

504 îtriser leurs moyens d’expression. Le vers fameux de Valéry : « Honneur des Hommes, Saint Langage ! » serait la devise de

505 ur des Hommes, Saint Langage ! » serait la devise de cette croisade, dont le succès embellirait notre existence mieux qu’u

506 arques un peu vives si elles attirent l’attention de nos éducateurs sur une disgrâce que l’habitude risque de rendre insen

507 éducateurs sur une disgrâce que l’habitude risque de rendre insensible à certains. Dans ce domaine, faire attention suffir

508 à prévenir et à guérir. Il convenait qu’au terme de ces pages j’apporte aussi ma petite contribution au centenaire que l’

509 oilà qui est fait selon mes moyens, qui sont ceux d’ un monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage. Cadeau

510 es moyens, qui sont ceux d’un monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage. Cadeau modeste mais peut-être u

511 monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage. Cadeau modeste mais peut-être utile, si l’on songe que ce ce

512 utile, si l’on songe que ce centenaire est celui d’ une libération, et qu’un peuple n’est vraiment libre que s’il possède

513 d, dans la force et la grâce du terme, la liberté de l’expression.