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Livre premierLe mythe
de
Tristan 1.Triomphe du roman, et ce qu’il cache « Seigneurs, vo
2
, et ce qu’il cache « Seigneurs, vous plaît-il
d’
entendre un beau conte d’amour et de mort ?… » Rien au monde ne saurai
3
Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte
d’
amour et de mort ?… » Rien au monde ne saurait nous plaire davantage.
4
vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et
de
mort ?… » Rien au monde ne saurait nous plaire davantage. À tel point
5
Tristan de Bédier doit passer pour le type idéal
de
la première phrase d’un roman. C’est le trait d’un art infaillible qu
6
t passer pour le type idéal de la première phrase
d’
un roman. C’est le trait d’un art infaillible qui nous jette dès le se
7
de la première phrase d’un roman. C’est le trait
d’
un art infaillible qui nous jette dès le seuil du conte dans l’état pa
8
jette dès le seuil du conte dans l’état passionné
d’
attente où naît l’illusion romanesque. D’où vient ce charme ? Et quell
9
assionné d’attente où naît l’illusion romanesque.
D’
où vient ce charme ? Et quelles complicités cet artifice de « rhétoriq
10
t ce charme ? Et quelles complicités cet artifice
de
« rhétorique profonde » sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’acco
11
» sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord
d’
amour et de mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus
12
ejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord d’amour et
de
mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus profondes,
13
du roman. Il est d’autres raisons, plus secrètes,
d’
y voir comme une définition de la conscience occidentale… Amour et mor
14
ons, plus secrètes, d’y voir comme une définition
de
la conscience occidentale… Amour et mort, amour mortel : si ce n’est
15
toute la poésie, c’est du moins tout ce qu’il y a
de
populaire, tout ce qu’il y a d’universellement émouvant dans nos litt
16
tout ce qu’il y a de populaire, tout ce qu’il y a
d’
universellement émouvant dans nos littératures ; et dans nos plus viei
17
nos plus belles chansons. L’amour heureux n’a pas
d’
histoire. Il n’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’a
18
ons. L’amour heureux n’a pas d’histoire. Il n’est
de
roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condam
19
heureux n’a pas d’histoire. Il n’est de roman que
de
l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condamné par la vie
20
’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire
de
l’amour menacé et condamné par la vie même. Ce qui exalte le lyrisme
21
couple. C’est moins l’amour comblé que la passion
d’
amour. Et passion signifie souffrance. Voilà le fait fondamental. Mais
22
otre éducation, dans les images qui font le décor
de
nos vies ; enfin le besoin d’évasion exaspéré par l’ennui mécanique,
23
s qui font le décor de nos vies ; enfin le besoin
d’
évasion exaspéré par l’ennui mécanique, tout en nous et autour de nous
24
nous en sommes venus à voir en elle une promesse
de
vie plus vivante, une puissance qui transfigure, quelque chose qui se
25
e, quelque chose qui serait au-delà du bonheur et
de
la souffrance, une béatitude ardente. Dans « passion » nous ne senton
26
ce qui est passionnant ». Et pourtant, la passion
d’
amour signifie, de fait, un malheur. La société où nous vivons et dont
27
nant ». Et pourtant, la passion d’amour signifie,
de
fait, un malheur. La société où nous vivons et dont les mœurs n’ont g
28
ur-passion, neuf fois sur dix, à revêtir la forme
de
l’adultère. Et j’entends bien que les amants invoqueront tous les cas
29
ends bien que les amants invoqueront tous les cas
d’
exception, mais la statistique est cruelle : elle réfute notre poésie.
30
us exalte à ce qui semblerait combler notre idéal
de
vie harmonieuse ? Serrons de plus près cette contradiction, par un ef
31
illusion. Affirmer que l’amour-passion signifie,
de
fait, l’adultère, c’est insister sur la réalité que notre culte de l’
32
re, c’est insister sur la réalité que notre culte
de
l’amour masque et transfigure à la fois ; c’est mettre au jour ce que
33
our ce que ce culte dissimule, refoule, et refuse
de
nommer pour nous permettre un abandon ardent à ce que nous n’osions p
34
ui est la nôtre, n’est-ce pas une première preuve
de
ce fait paradoxal : que nous voulons la passion et le malheur à condi
35
e seraient toutes nos littératures ? Elles vivent
de
la « crise du mariage ». Il est probable aussi qu’elles l’entretienne
36
, et qu’elles en tirent un répertoire inépuisable
de
situations comiques ou cyniques. Droit divin de la passion, psycholog
37
e de situations comiques ou cyniques. Droit divin
de
la passion, psychologie mondaine, succès du trio au théâtre — soit qu
38
n’est trahir le tourment innombrable et obsédant
de
l’amour en rupture de loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader
39
ent innombrable et obsédant de l’amour en rupture
de
loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réali
40
e loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader
de
son affreuse réalité ? Tourner la situation en mystique ou en farce,
41
ns le remords ou dans la crainte, dans le plaisir
de
la révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’hommes qui ne s
42
ainte, dans le plaisir de la révolte ou l’anxiété
de
la tentation, il est peu d’hommes qui ne se reconnaissent dans l’une
43
révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu
d’
hommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catégories.
44
ommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins
de
ces catégories. Renoncements, compromis, ruptures, neurasthénies, con
45
neurasthénies, confusions irritantes et mesquines
de
rêves, d’obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheu
46
ies, confusions irritantes et mesquines de rêves,
d’
obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheur humain s
47
irritantes et mesquines de rêves, d’obligations,
de
complaisances secrètes — la moitié du malheur humain se résume dans l
48
la moitié du malheur humain se résume dans le mot
d’
adultère. Malgré toutes nos littératures — ou peut-être à cause d’elle
49
ré toutes nos littératures — ou peut-être à cause
d’
elles justement — il peut sembler parfois qu’on n’ait encore rien dit
50
arfois qu’on n’ait encore rien dit sur la réalité
de
ce malheur. Et que certaines questions des plus naïves, en ce domaine
51
, sur « quelque chose » qui la ruine au cœur même
de
nos ambitions ? Est-ce vraiment, comme beaucoup le pensent, la concep
52
tourment, ou au contraire, est-ce une conception
de
l’amour dont on n’a peut-être pas vu qu’elle rend ce lien, dès le pri
53
truit que ce qui assure « le bonheur des époux ».
D’
où peut venir une telle contradiction ? Si le secret de la crise du ma
54
peut venir une telle contradiction ? Si le secret
de
la crise du mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous
55
t de la crise du mariage est simplement l’attrait
de
l’interdit, d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amo
56
u mariage est simplement l’attrait de l’interdit,
d’
où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amour trahit-il ?
57
d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée
de
l’amour trahit-il ? Quel secret de notre existence, de notre esprit,
58
? Quelle idée de l’amour trahit-il ? Quel secret
de
notre existence, de notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.
59
amour trahit-il ? Quel secret de notre existence,
de
notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il exist
60
Quel secret de notre existence, de notre esprit,
de
notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il existe un grand mythe
61
2.Le mythe Il existe un grand mythe européen
de
l’adultère : le Roman de Tristan et Iseut. Au travers du désordre ext
62
un grand mythe européen de l’adultère : le Roman
de
Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême de nos mœurs, dans l
63
Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême
de
nos mœurs, dans la confusion des morales et des immoralismes qui en v
64
ralismes qui en vivent, aux moments les plus purs
d’
un drame, il arrive qu’on voie transparaître en filigrane cette forme
65
e. Comme une grande image simple, comme une sorte
de
type primitif de nos tourments les plus complexes. Et de même que pou
66
de image simple, comme une sorte de type primitif
de
nos tourments les plus complexes. Et de même que pour se tirer des co
67
exes. Et de même que pour se tirer des confusions
de
notre langue, les poètes ont coutume de rapporter les mots à leurs or
68
onfusions de notre langue, les poètes ont coutume
de
rapporter les mots à leurs origines lointaines, c’est-à-dire à la cho
69
oudrais rapporter à ce mythe certaines confusions
de
nos mœurs. Étymologie des passions, moins décevante que celle des mot
70
ais d’abord, dira-t-on, est-il exact que le roman
de
Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’est-ce pas détruire son cha
71
dans ce cas, n’est-ce pas détruire son charme que
d’
essayer de l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est s
72
s, n’est-ce pas détruire son charme que d’essayer
de
l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’
73
n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme
d’
irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une pui
74
us à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou
d’
illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une puissance trop inc
75
ythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop
de
mythes manifestent parmi nous une puissance trop incontestable. Mais
76
it du mot oblige à le redéfinir. On pourrait dire
d’
une manière générale qu’un mythe est une histoire, une fable symboliqu
77
e, simple et frappante, résumant un nombre infini
de
situations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d’un co
78
tuations plus ou moins analogues. Le mythe permet
de
saisir d’un coup d’œil certains types de relations constantes, et de
79
lus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir
d’
un coup d’œil certains types de relations constantes, et de les dégage
80
e permet de saisir d’un coup d’œil certains types
de
relations constantes, et de les dégager du fouillis des apparences qu
81
d’œil certains types de relations constantes, et
de
les dégager du fouillis des apparences quotidiennes. Dans un sens plu
82
ens plus étroit, les mythes traduisent les règles
de
conduite d’un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élé
83
oit, les mythes traduisent les règles de conduite
d’
un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élément sacré a
84
un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc
de
l’élément sacré autour duquel s’est constitué le groupe. (Récits symb
85
el s’est constitué le groupe. (Récits symboliques
de
la vie et de la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou
86
titué le groupe. (Récits symboliques de la vie et
de
la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou l’origine de
87
etc.). On l’a remarqué souvent : un mythe n’a pas
d’
auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l’est en parti
88
e. Il se présente comme l’expression tout anonyme
de
réalités collectives, ou plus exactement : communes. L’œuvre d’art —
89
mythe. Sa valeur ne relève en effet que du talent
de
son créateur. Ce qui importe en elle, c’est justement ce qui n’import
90
, ou sa « vraisemblance », et toutes ses qualités
de
réussite singulière (originalité, habileté, style, etc.). Mais le ca
91
mme telle, n’a pas à proprement parler un pouvoir
de
contrainte sur le public. Si belle et puissante qu’elle soit, on peut
92
ut au moins, la rend inefficace. Or je me propose
d’
envisager Tristan non point comme œuvre littéraire, mais comme type de
93
e œuvre littéraire, mais comme type des relations
de
l’homme et de la femme dans un groupe historique donné : l’élite soci
94
aire, mais comme type des relations de l’homme et
de
la femme dans un groupe historique donné : l’élite sociale, la sociét
95
l’élite sociale, la société courtoise et pénétrée
de
chevalerie du xiie et du xiiie siècle. Ce groupe est à vrai dire di
96
ngtemps. Pourtant ses lois sont encore les nôtres
d’
une manière secrète et diffuse. Profanées et reniées par nos codes off
97
iées par nos codes officiels, elles sont devenues
d’
autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir que sur nos
98
d’autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus
de
pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan
99
s de pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits
de
la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord
100
ue sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende
de
Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l
101
. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont
de
ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l’auteur — à supp
102
ui nous restent sont des remaniements artistiques
d’
un archétype dont on n’a pu trouver la moindre trace2. Un autre aspect
103
ouver la moindre trace2. Un autre aspect mythique
de
la légende de Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise3. Le pro
104
re trace2. Un autre aspect mythique de la légende
de
Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise3. Le progrès de l’acti
105
’est l’élément sacré qu’elle utilise3. Le progrès
de
l’action, et les effets qu’elle devait exercer sur l’auditeur, dépend
106
une certaine mesure (que nous aurons à préciser)
d’
un ensemble de règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume
107
mesure (que nous aurons à préciser) d’un ensemble
de
règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevaler
108
ous aurons à préciser) d’un ensemble de règles et
de
cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevalerie médiévale.
109
s et de cérémonies qui n’est autre que la coutume
de
la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie furent souve
110
ume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres »
de
chevalerie furent souvent appelés « religions ». Chastellain, chroniq
111
t appelés « religions ». Chastellain, chroniqueur
de
la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison d’or (dernier en date)
112
chroniqueur de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre
de
la Toison d’or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère s
113
de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison
d’
or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère sacré, en un s
114
ison d’or (dernier en date), et il en parle comme
d’
un mystère sacré, en un siècle où pourtant la chevalerie n’était plus
115
us guère qu’une survivance4. Enfin la nature même
de
l’obscurité que nous découvrirons dans la légende, dénote sa parenté
116
é du mythe en général ne réside pas dans sa forme
d’
expression5. Elle tient d’une part au mystère de son origine, et d’aut
117
e d’expression5. Elle tient d’une part au mystère
de
son origine, et d’autre part à l’importance vitale des faits que le m
118
oustraire à la critique, il n’y aurait pas besoin
de
mythe. On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité de morale, ou
119
ait pas besoin de mythe. On pourrait se contenter
d’
une loi, d’un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rô
120
oin de mythe. On pourrait se contenter d’une loi,
d’
un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résum
121
. On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité
de
morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechn
122
ntenter d’une loi, d’un traité de morale, ou même
d’
une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point de myth
123
morale, ou même d’une historiette jouant le rôle
de
résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en
124
te jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point
de
mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les e
125
technique. Point de mythe tant qu’il est loisible
de
s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste o
126
qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et
de
les exprimer d’une manière manifeste ou directe. Au contraire, le myt
127
le de s’en tenir aux évidences et de les exprimer
d’
une manière manifeste ou directe. Au contraire, le mythe paraît lorsqu
128
e paraît lorsqu’il serait dangereux ou impossible
d’
avouer clairement un certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou
129
impossible d’avouer clairement un certain nombre
de
faits sociaux ou religieux, ou de relations affectives, que l’on tien
130
certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou
de
relations affectives, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il
131
nt cependant à conserver, ou qu’il est impossible
de
détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemple, pour expri
132
impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin
de
mythes, par exemple, pour exprimer les vérités de la science : nous l
133
de mythes, par exemple, pour exprimer les vérités
de
la science : nous les considérons en effet d’une manière parfaitement
134
tés de la science : nous les considérons en effet
d’
une manière parfaitement « profane », et elles ont donc tout à gagner
135
la critique individuelle. Mais nous avons besoin
d’
un mythe pour exprimer le fait obscur et inavouable que la passion est
136
aîne la destruction pour ceux qui s’y abandonnent
de
toutes leurs forces. C’est que nous voulons sauver cette passion, et
137
ent. L’obscurité du mythe nous met donc en mesure
d’
accueillir son contenu déguisé et d’en jouir par l’imagination, sans e
138
onc en mesure d’accueillir son contenu déguisé et
d’
en jouir par l’imagination, sans en prendre toutefois une conscience a
139
a contradiction. Ainsi se trouvent mises à l’abri
de
la critique certaines réalités humaines que nous sentons ou pressento
140
ù le grand jour et la raison6 les menaceraient. ⁂
D’
origine inconnue ou mal connue — de caractère primitivement sacré — vo
141
enaceraient. ⁂ D’origine inconnue ou mal connue —
de
caractère primitivement sacré — voilant le secret qu’il exprime, le R
142
oilant le secret qu’il exprime, le Roman mythique
de
Tristan posséderait-il au même degré les qualités contraignantes d’un
143
rait-il au même degré les qualités contraignantes
d’
un vrai mythe ? Cette question ne peut être esquivée. Elle nous porte
144
esquivée. Elle nous porte au cœur du problème et
de
son actualité. Précisons que les règles chevaleresques qui jouaient b
145
qui jouaient bel et bien au xiiie siècle un rôle
de
contrainte absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre d’obstac
146
absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre
d’
obstacle mythique et de figures rituelles de rhétorique. Sans elles, l
147
t dans le roman qu’à titre d’obstacle mythique et
de
figures rituelles de rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas tr
148
titre d’obstacle mythique et de figures rituelles
de
rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas trouvé ses prétextes à
149
r que ces « cérémonies » sociales sont des moyens
de
faire admettre un contenu antisocial, qui est la passion. Le mot « co
150
« contenu » prend ici toute sa force : la passion
de
Tristan et d’Iseut est littéralement « contenue » par les règles de l
151
end ici toute sa force : la passion de Tristan et
d’
Iseut est littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie.
152
eut est littéralement « contenue » par les règles
de
la chevalerie. C’est à cette condition seulement qu’elle pourra s’exp
153
t donc que les groupes constitués soient capables
de
lui opposer une structure fortement charpentée, pour qu’elle trouve l
154
tement charpentée, pour qu’elle trouve l’occasion
de
s’extérioriser sans causer les pires dégâts. Que, par la suite, le li
155
ou que le groupe soit dissocié, le mythe cessera
d’
être un mythe au sens strict. Mais ce qu’il aura perdu en force contra
156
il aura perdu en force contraignante et en moyens
de
se communiquer sous une forme voilée et admissible, il le retrouvera
157
re que la chevalerie, même sous sa forme profanée
de
savoir-vivre - les usages qu’il faut observer si l’on veut être un ge
158
quotidienne, envahira le subconscient, appellera
de
nouvelles contraintes, se les inventera au besoin… Car nous verrons q
159
nous verrons que ce n’est pas seulement la nature
de
la société, mais l’ardeur même de la sombre passion qui exige un aveu
160
ement la nature de la société, mais l’ardeur même
de
la sombre passion qui exige un aveu masqué. Le mythe, au sens strict
161
e période où les élites faisaient un vaste effort
de
mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait de « contenir », préci
162
de mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait
de
« contenir », précisément, les poussées de l’instinct destructeur : c
163
issait de « contenir », précisément, les poussées
de
l’instinct destructeur : car la religion, en l’attaquant, l’exaspérai
164
ait. Les chroniqueurs, les sermons et les satires
de
ce siècle nous révèlent qu’il connut une première « crise du mariage
165
le appelait une réaction vive. Le succès du Roman
de
Tristan fut donc d’ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’ex
166
tion vive. Le succès du Roman de Tristan fut donc
d’
ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’exprimer en satisfacti
167
s. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie
de
la société. Elle tend toujours à provoquer, de la part de la société,
168
art de la société, une mise en ordre équivalente.
D’
où la permanence historique non point du mythe sous sa forme première,
169
e non point du mythe sous sa forme première, mais
de
l’exigence mythique à laquelle répondait le Roman. Élargissant notre
170
us appellerons mythe, désormais, cette permanence
d’
un type de relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tris
171
rons mythe, désormais, cette permanence d’un type
de
relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tristan et Ise
172
lations et des réactions qu’il provoque. Le mythe
de
Tristan et Iseut, ce ne sera plus seulement le Roman, mais le phénomè
173
qu’il illustre, et dont l’influence n’a pas cessé
de
s’étendre jusqu’à nos jours. Passion de la nature obscure, dynamisme
174
pas cessé de s’étendre jusqu’à nos jours. Passion
de
la nature obscure, dynamisme excité par l’esprit, possibilité préform
175
ar l’esprit, possibilité préformée à la recherche
d’
une contrainte qui l’exalte, charme, terreur ou idéal : tel est le myt
176
arle Nietzsche. 3.Actualité du mythe ; raisons
de
notre analyse Nul besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui
177
du mythe ; raisons de notre analyse Nul besoin
d’
avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni d’avoir enten
178
besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui
de
M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la v
179
u le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni
d’
avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’
180
ou celui de M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra
de
Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique d’un
181
ubir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique
d’
un tel mythe. Il se trahit dans la plupart de nos romans et de nos fil
182
he. Il se trahit dans la plupart de nos romans et
de
nos films, dans leurs succès auprès des masses, dans les complaisance
183
poètes, des mal mariés, des midinettes qui rêvent
d’
amours miraculeuses. Le mythe agit partout où la passion est rêvée com
184
rophe, et non point comme une catastrophe. Il vit
de
la vie même de ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était
185
oint comme une catastrophe. Il vit de la vie même
de
ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était le philtre du
186
d sur l’homme impuissant et ravi pour le consumer
d’
un feu pur ; et qu’il est plus fort et plus vrai que le bonheur, la so
187
i que le bonheur, la société et la morale. Il vit
de
la vie même du romantisme en nous ; il est le grand mystère de cette
188
e du romantisme en nous ; il est le grand mystère
de
cette religion dont les poètes du siècle passé se firent les prêtres
189
ècle passé se firent les prêtres et les inspirés.
De
cette influence et de sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs im
190
es prêtres et les inspirés. De cette influence et
de
sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous ser
191
nance du lecteur à envisager mon projet. Le Roman
de
Tristan nous est « sacré » dans la mesure exacte où l’on estimera que
192
timera que je commets un « sacrilège » en tentant
de
l’analyser. Certes, ce reproche de sacrilège revêt alors un sens bien
193
e » en tentant de l’analyser. Certes, ce reproche
de
sacrilège revêt alors un sens bien anodin, si l’on songe qu’il se tra
194
nce obscure et déprimée. Je ne courrai donc guère
d’
autre risque que celui de voir le lecteur fermer le volume à cette pag
195
Je ne courrai donc guère d’autre risque que celui
de
voir le lecteur fermer le volume à cette page. (Et certes, le sens in
196
ume à cette page. (Et certes, le sens inconscient
d’
un tel geste n’est rien moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant
197
’un tel geste n’est rien moins que la mise à mort
de
l’auteur. Pourtant il demeure sans effets.) Mais si tu m’épargnes, ô
198
nt sacrée pour toi ? Ou simplement que les hommes
d’
aujourd’hui ne sont pas moins débiles dans leurs passions que dans leu
199
débiles dans leurs passions que dans leurs gestes
de
réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, où sera le courage que l’o
200
s que dans leurs gestes de réprobation ? À défaut
d’
ennemis déclarés, où sera le courage que l’on réclame des écrivains ?
201
me éprouvé du dépit à voir l’un des commentateurs
de
la légende de Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La for
202
dépit à voir l’un des commentateurs de la légende
de
Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La formule est sans
203
de la légende de Tristan la définir « une épopée
de
l’adultère ». La formule est sans doute exacte, si l’on se borne à co
204
on soutenir que la faute morale est le vrai sujet
de
la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opé
205
n de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opéra
de
l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’est-ce que cela ? Un vilain mot
206
, n’est-ce que cela ? Un vilain mot ? Une rupture
de
contrat ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop de cas ; mais
207
t ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop
de
cas ; mais c’est souvent bien davantage : une atmosphère tragique et
208
lème s’élargit magnifiquement — et mon cas empire
d’
autant. Je dirai mes raisons de persévérer, et l’on jugera si elles so
209
et mon cas empire d’autant. Je dirai mes raisons
de
persévérer, et l’on jugera si elles sont diaboliques. La première est
210
La première est que nous sommes parvenus au point
de
désordre social où l’immoralisme se révèle plus exténuant que les mor
211
lus exténuant que les morales anciennes. Le culte
de
l’amour-passion s’est tellement démocratisé qu’il perd ses vertus est
212
sé qu’il perd ses vertus esthétiques et sa valeur
de
tragédie spirituelle. Reste une confuse et diffuse souffrance, quelqu
213
une confuse et diffuse souffrance, quelque chose
d’
impur et de triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner
214
e et diffuse souffrance, quelque chose d’impur et
de
triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner les causes
215
les causes faussement sacrées : cette littérature
de
la passion, cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue » d’allure
216
, cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue »
d’
allure commerciale de ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaqu
217
on lui fait, cette « vogue » d’allure commerciale
de
ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût-c
218
t cela, fût-ce même pour sauver le mythe des abus
de
son extrême vulgarisation. Et tant pis pour le sacrilège. La poésie a
219
e a d’autres chances. Ma seconde raison n’est pas
d’
un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût
220
ances. Ma seconde raison n’est pas d’un défenseur
de
la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair
221
s d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais
d’
un homme qui a le goût d’y voir clair, de prendre conscience de sa vie
222
auté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût
d’
y voir clair, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses cont
223
te, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair,
de
prendre conscience de sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je
224
i a le goût d’y voir clair, de prendre conscience
de
sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de
225
’y voir clair, de prendre conscience de sa vie et
de
la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’e
226
air, de prendre conscience de sa vie et de la vie
de
ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il p
227
ie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe
de
Tristan, c’est qu’il permet de dégager une raison simple de notre con
228
m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il permet
de
dégager une raison simple de notre confusion présente. C’est qu’il pe
229
, c’est qu’il permet de dégager une raison simple
de
notre confusion présente. C’est qu’il permet aussi de formuler certai
230
otre confusion présente. C’est qu’il permet aussi
de
formuler certaines relations permanentes noyées sous les vulgarités m
231
ermanentes noyées sous les vulgarités minutieuses
de
nos psychologies. C’est enfin qu’il permet de mettre à nu certain dil
232
ses de nos psychologies. C’est enfin qu’il permet
de
mettre à nu certain dilemme dont notre vie hâtive, notre culture et l
233
dont notre vie hâtive, notre culture et le ronron
de
nos morales sont en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dr
234
culture et le ronron de nos morales sont en passe
de
nous faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de la passion
235
faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe
de
la passion dans sa violence primitive et sacrée, dans sa pureté monum
236
vaillamment entre la Norme du Jour et la Passion
de
la Nuit ; dresser cette figure de la Mort des Amants qu’exalte l’ango
237
r et la Passion de la Nuit ; dresser cette figure
de
la Mort des Amants qu’exalte l’angoissant et vampirique crescendo du
238
angoissant et vampirique crescendo du second acte
de
Wagner, tel est le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il
239
u second acte de Wagner, tel est le premier objet
de
cet ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est d’amener un lecteu
240
et ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est
d’
amener un lecteur au seuil du choix : « J’ai voulu cela ! » ou bien :
241
suis pas sûr que la conscience claire soit utile
d’
une manière générale, et en soi. Ni que les vérités utiles soient avou
242
sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité »
de
mon entreprise, notre sort n’en demeure pas moins, à nous autres Occi
243
’en demeure pas moins, à nous autres Occidentaux,
de
devenir de plus en plus conscients des illusions dont nous vivons. Et
244
fonction du philosophe, du moraliste, du créateur
de
formes idéales, est simplement d’accroître la conscience, donc la mau
245
te, du créateur de formes idéales, est simplement
d’
accroître la conscience, donc la mauvaise conscience des hommes… Qui s
246
où cela peut nous mener ? Là-dessus, il est temps
de
passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite est sans d
247
ps de passer à l’opération annoncée. La condition
de
sa réussite est sans doute une certaine froideur avec laquelle nous l
248
ds et aveugles aux « charmes » du récit, essayons
de
résumer « objectivement » les faits qu’il nous rapporte et les raison
249
qu’il en propose, ou qu’il omet très curieusement
de
nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman de Tristan7 Amo
250
nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman
de
Tristan7 Amors par force vos demeine ! (Béroul.) Tristan naît d
251
a mère Blanchefleur ne survit pas à sa naissance.
D’
où le nom du héros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas d’orag
252
aissance. D’où le nom du héros, la couleur sombre
de
sa vie, et le ciel bas d’orage qui couvre la légende. Le roi Marc de
253
éros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas
d’
orage qui couvre la légende. Le roi Marc de Cornouailles, frère de Bla
254
e. Première prouesse ou performance : la victoire
de
Tristan sur le Morholt. Ce géant irlandais vient, comme le Minotaure,
255
dais vient, comme le Minotaure, exiger son tribut
de
jeunes filles ou de jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la p
256
Minotaure, exiger son tribut de jeunes filles ou
de
jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la permission de le comb
257
ger son tribut de jeunes filles ou de jeunes gens
de
Cornouailles. Tristan obtient la permission de le combattre, au momen
258
ns de Cornouailles. Tristan obtient la permission
de
le combattre, au moment où il pourrait être armé chevalier, donc peu
259
en a reçu un coup d’épée empoisonnée. Sans espoir
de
survivre à son mal, Tristan s’embarque à l’aventure dans un bateau sa
260
t le sauver. Mais le géant Morholt était le frère
de
cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origin
261
frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il
d’
avouer son nom et l’origine de son mal. Iseut, princesse royale, le so
262
istan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origine
de
son mal. Iseut, princesse royale, le soigne et le guérit. C’est le Pr
263
ue. Quelques années plus tard, le roi Marc décide
d’
épouser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu d’or. C’est Tris
264
ser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu
d’
or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête » de l’inconnue. Une tempê
265
u d’or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête »
de
l’inconnue. Une tempête rejette le héros vers l’Irlande. Là, il comba
266
ui menaçait la capitale. (C’est le motif consacré
de
la vierge délivrée par un jeune paladin.) Blessé par le monstre, Tris
267
couvre que le blessé n’est autre que le meurtrier
de
son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace de le tuer dans so
268
que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée
de
Tristan et menace de le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la m
269
on oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace
de
le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la mission dont le roi Ma
270
) Tristan et la princesse voguent vers les terres
de
Marc. En haute mer, le vent tombe, la chaleur est pesante. Ils ont so
271
. Ils le boivent. Les voici entrés dans les voies
d’
une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour de leurs vies, car ils
272
d’une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour
de
leurs vies, car ils ont beu leur destruction et leur mort ». Ils s’av
273
’efficacité du philtre à trois ans8. Thomas, imbu
de
fine psychologie, et plein de méfiance pour le merveilleux, qu’il jug
274
ans8. Thomas, imbu de fine psychologie, et plein
de
méfiance pour le merveilleux, qu’il juge grossier, réduit autant que
275
ible l’importance du philtre, et présente l’amour
de
Tristan et d’Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scèn
276
nce du philtre, et présente l’amour de Tristan et
d’
Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scène du bain. Eil
277
nt des barons « félons » dénoncent au roi l’amour
de
Tristan et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvell
278
« félons » dénoncent au roi l’amour de Tristan et
d’
Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvelle ruse (scène
279
n et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur
d’
une nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc de son innocence
280
nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc
de
son innocence et revient à la cour. Le nain Frocine, complice des bar
281
re les amants et leur tend un piège. Entre le lit
de
Tristan et celui de la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan
282
r tend un piège. Entre le lit de Tristan et celui
de
la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé
283
e le lit de Tristan et celui de la reine, il sème
de
la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle missio
284
istan et celui de la reine, il sème de la « fleur
de
blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle mission, veut rejoin
285
e la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé
d’
une nouvelle mission, veut rejoindre une dernière fois son amie, penda
286
ndant la nuit qui précède son départ. Il franchit
d’
un saut l’espace qui sépare les deux lits. Mais une blessure récente q
287
irruption dans le dortoir. Ils voient des traces
de
sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Is
288
rtoir. Ils voient des traces de sang sur la fleur
de
blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une
289
des traces de sang sur la fleur de blé. La preuve
de
l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux
290
e est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe
de
lépreux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène de la chapelle)
291
eux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène
de
la chapelle). Il délivre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt
292
livre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt
de
Morois. Trois ans durant, ils y mènent une vie « aspre et dure ». Un
293
on épée nue. Ému par ce qu’il prend pour un signe
de
chasteté, le roi les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée de
294
les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée
de
Tristan et dépose à sa place l’épée royale. Les trois ans écoulés, l
295
royale. Les trois ans écoulés, le philtre cesse
d’
agir (selon Béroul et l’ancêtre commun des cinq versions). Alors seule
296
grin, par l’entremise duquel Tristan offre au roi
de
lui rendre sa femme. Marc promet son pardon. Les amants se séparent à
297
he du cortège royal. Iseut supplie encore Tristan
de
demeurer dans le pays jusqu’à ce qu’il soit certain que Marc la trait
298
qu’elle rejoindra le chevalier au premier signal
de
sa part, et sans que rien puisse la retenir, « ni tour, ni mur, ni fo
299
ins. Mais les barons félons veillent sur la vertu
de
la reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement de Dieu » pour pr
300
reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement
de
Dieu » pour prouver son innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomp
301
n innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomphe
de
l’épreuve : avant de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main d
302
de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main
de
qui n’a pas menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’aucun
303
menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras
d’
aucun homme, hors ceux du roi son maître et du manant qui vient de l’a
304
tre et du manant qui vient de l’aider à descendre
de
sa barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais de nouvelles aventu
305
sa barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais
de
nouvelles aventures entraînent au loin le chevalier. Il croit que la
306
loin le chevalier. Il croit que la reine a cessé
de
l’aimer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà de la mer, « po
307
mer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà
de
la mer, « pour son nom et pour sa beauté »9, une autre Iseut, l’Iseut
308
, et son vaisseau arbore une voile blanche, signe
d’
espoir. Iseut aux blanches mains guettait son arrivée. Tourmentée par
309
ourmentée par la jalousie, elle s’en vient au lit
de
Tristan et lui annonce que la voile est noire. Tristan meurt. Iseut l
310
cet instant, monte au château, embrasse le corps
de
son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé de la sorte, et tout « ch
311
ps de son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé
de
la sorte, et tout « charme » détruit, à considérer froidement le plus
312
it que sa donnée ni son progrès ne sont dépourvus
d’
équivoque. J’ai passé quantité d’épisodes accessoires, mais aucun des
313
e sont dépourvus d’équivoque. J’ai passé quantité
d’
épisodes accessoires, mais aucun des motifs allégués de l’action centr
314
sodes accessoires, mais aucun des motifs allégués
de
l’action centrale du Roman. Et je les ai même soulignés. On a pu voir
315
années dans la forêt, parce que le philtre cesse
d’
agir ; — Tristan épouse Iseut aux blanches mains « pour son nom et pou
316
« raisons » mises à part — nous aurons l’occasion
d’
y revenir — on s’aperçoit que le Roman repose sur une série de contrad
317
— on s’aperçoit que le Roman repose sur une série
de
contradictions énigmatiques. Une première remarque m’a frappé, faite
318
é, faite en passant par l’un des éditeurs récents
de
la légende : tout au long du Roman, Tristan paraît physiquement supér
319
ucune force extérieure ne saurait donc l’empêcher
d’
enlever Iseut et d’obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent
320
ure ne saurait donc l’empêcher d’enlever Iseut et
d’
obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent le droit du plus f
321
oindre scrupule ; et surtout s’il s’agit du droit
d’
un homme sur une femme : c’est l’enjeu habituel des tournois. Pourquoi
322
uel des tournois. Pourquoi Tristan n’use-t-il pas
de
ce droit ? Mise en éveil par cette première question, notre méfiance
323
non moins curieuses et obscures. Pourquoi l’épée
de
chasteté entre les corps dans la forêt ? Les amants ont déjà péché ;
324
forêt ? Les amants ont déjà péché ; ils refusent
de
se repentir, à ce moment-là ; enfin ils ne prévoient nullement que le
325
ans les différentes versions, qui donne la raison
de
cet acte10. Pourquoi Tristan rend-il la reine à Marc, et cela même d
326
ela même dans les versions où le philtre continue
d’
agir ? Si, comme certains le disent, c’est une repentance sincère qui
327
motive la séparation, pourquoi se promettent-ils
de
se revoir au moment même où ils acceptent de se quitter ? Pourquoi Tr
328
-ils de se revoir au moment même où ils acceptent
de
se quitter ? Pourquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir de n
329
urquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir
de
nouvelles aventures, alors qu’ils ont un rendez-vous dans la forêt ?
330
oi la reine coupable propose-t-elle un « jugement
de
Dieu » ? Elle sait bien que cette épreuve doit la perdre. Elle n’en t
331
pposerait à son retour auprès du roi, donc auprès
d’
Iseut… D’autre part, n’est-il pas fort étrange que les poètes du xiiie
332
s du xiiie siècle, si exigeants dès qu’il s’agit
d’
honneur, de fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de comme
333
siècle, si exigeants dès qu’il s’agit d’honneur,
de
fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de commentaire tant
334
fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot
de
commentaire tant d’actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-il
335
, laissent passer sans un mot de commentaire tant
d’
actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-ils nous présenter tel
336
mment peuvent-ils nous présenter tel qu’un modèle
de
chevalerie ce Tristan qui a trompé son roi par les ruses les plus cyn
337
de « félons » les barons qui défendent l’honneur
de
Marc ? Même si la jalousie les meut, ils n’ont du moins ni menti ni t
338
moins ni menti ni trompé, et ce n’est pas le cas
de
Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même des rares mot
339
s le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter
de
la valeur même des rares motifs allégués. En effet, si la morale de l
340
des rares motifs allégués. En effet, si la morale
de
la fidélité au suzerain exige que Tristan livre à Marc la fiancée qu’
341
iancée qu’il alla quérir12, on ne peut s’empêcher
de
penser que ces scrupules sont bien tardifs et peu sincères, puisque T
342
bien tardifs et peu sincères, puisque Tristan n’a
de
cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui ce
343
an n’a de cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès
d’
Iseut… Et ce philtre qui cesse d’agir, n’était-il pas destiné aux épou
344
la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui cesse
d’
agir, n’était-il pas destiné aux époux ? Alors, pourquoi limiter sa du
345
durée ? Trois ans, ce n’est guère pour le bonheur
d’
un couple. Et quand Tristan épouse l’autre Iseut « pour son nom et pou
346
ieuse, et qu’il se met dans une situation qui n’a
d’
autre issue que la mort ? 6.Chevalerie contre Mariage Un moderne
347
ontre Mariage Un moderne commentateur du Roman
de
Tristan et Iseut veut y voir un « conflit cornélien entre l’amour et
348
t le devoir ». Cette interprétation classique est
d’
un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle paraît
349
st d’un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse
de
Corneille, elle paraît ignorer l’un de ces faits dont l’envergure éch
350
elle abuse de Corneille, elle paraît ignorer l’un
de
ces faits dont l’envergure échappe souvent aux prises de l’érudition
351
faits dont l’envergure échappe souvent aux prises
de
l’érudition scrupuleuse. Je veux parler de l’opposition qui se manife
352
prises de l’érudition scrupuleuse. Je veux parler
de
l’opposition qui se manifeste dès la seconde moitié du xiie siècle e
353
es premiers auteurs qui en parlent ont l’habitude
de
déplorer sa décadence : mais ils oublient que, telle qu’ils la souhai
354
à peine de naître dans leurs rêves. N’est-il pas
de
l’essence d’un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même o
355
aître dans leurs rêves. N’est-il pas de l’essence
d’
un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même où il essaie m
356
ence à l’instant même où il essaie maladroitement
de
se réaliser ? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas d’oppos
357
? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas
d’
opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités tyranniques
358
ance du roman n’est-elle pas d’opposer la fiction
d’
un certain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme q
359
-elle pas d’opposer la fiction d’un certain idéal
de
vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme que nous pose le Rom
360
tain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus
d’
une énigme que nous pose le Roman nous incite à chercher de ce côté le
361
gme que nous pose le Roman nous incite à chercher
de
ce côté les éléments d’une première solution. Si l’on admet que l’ave
362
an nous incite à chercher de ce côté les éléments
d’
une première solution. Si l’on admet que l’aventure de Tristan devait
363
e première solution. Si l’on admet que l’aventure
de
Tristan devait servir à illustrer le conflit de la chevalerie et de l
364
e de Tristan devait servir à illustrer le conflit
de
la chevalerie et de la société féodale — donc le conflit de deux devo
365
servir à illustrer le conflit de la chevalerie et
de
la société féodale — donc le conflit de deux devoirs ou même, nous l’
366
alerie et de la société féodale — donc le conflit
de
deux devoirs ou même, nous l’avons vu page 16, le conflit de deux « r
367
oirs ou même, nous l’avons vu page 16, le conflit
de
deux « religions » —, l’on s’aperçoit que bien des épisodes s’éclaire
368
tes les difficultés, elle en repousse la solution
d’
une manière significative. En quoi le roman breton se distingue-t-il d
369
cative. En quoi le roman breton se distingue-t-il
de
la chanson de geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie s
370
i le roman breton se distingue-t-il de la chanson
de
geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie siècle avec une
371
le troubadour méridional, se reconnaît le vassal
d’
une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur. D’où
372
une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal
d’
un seigneur. D’où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre
373
Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur.
D’
où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre plus d’un exemp
374
vassal d’un seigneur. D’où naîtront des conflits
de
droit, dont le Roman offre plus d’un exemple. Reprenons l’épisode des
375
t des conflits de droit, dont le Roman offre plus
d’
un exemple. Reprenons l’épisode des trois barons « félons ». Selon la
376
ns ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu
de
dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : il e
377
» et loyaux. Et si l’auteur les traite cependant
de
félons, c’est en vertu d’un autre code évidemment, qui ne peut être q
378
autre code évidemment, qui ne peut être que celui
de
la chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de la Gascogne e
379
i de la chevalerie du Midi. La décision des cours
d’
amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les
380
chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour
de
la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets
381
connue : félon sera celui qui révèle les secrets
de
l’amour courtois. Ce seul exemple suffirait à démontrer que les auteu
382
le droit féodal. Mais nous avons d’autres raisons
de
le croire. La conception de la fidélité et du mariage, selon l’amour
383
vons d’autres raisons de le croire. La conception
de
la fidélité et du mariage, selon l’amour courtois, est seule capable
384
ariage, selon l’amour courtois, est seule capable
d’
expliquer certaines contradictions frappantes du récit. Selon la thèse
385
se officiellement admise, l’amour courtois est né
d’
une réaction à l’anarchie brutale des mœurs féodales. On sait que le m
386
nu pour les seigneurs une pure et simple occasion
de
s’enrichir, et d’annexer des terres données en dot ou espérées en hér
387
urs une pure et simple occasion de s’enrichir, et
d’
annexer des terres données en dot ou espérées en héritage. Quand l’« a
388
tournait mal, on répudiait sa femme. Le prétexte
de
l’inceste, curieusement exploité, trouvait l’Église sans résistance :
389
trouvait l’Église sans résistance : il suffisait
d’
alléguer sans trop de preuves, une parenté au quatrième degré, pour ob
390
ns résistance : il suffisait d’alléguer sans trop
de
preuves, une parenté au quatrième degré, pour obtenir l’annulation. À
391
our obtenir l’annulation. À ces abus, générateurs
de
querelles infinies et de guerres, l’amour courtois oppose une fidélit
392
À ces abus, générateurs de querelles infinies et
de
guerres, l’amour courtois oppose une fidélité indépendante du mariage
393
e sont pas compatibles : c’est le fameux jugement
d’
une cour d’amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) S
394
compatibles : c’est le fameux jugement d’une cour
d’
amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) Si Tristan,
395
et l’auteur du Roman, partagent une telle manière
de
voir, la félonie et l’adultère sont excusés, et plus qu’excusés, magn
396
élité à la loi supérieure du donnoi, c’est-à-dire
de
l’amour courtois. (Donnoi, ou domnei en provençal, désigne la relatio
397
nnoi, ou domnei en provençal, désigne la relation
de
vasselage instituée entre l’amant-chevalier et sa Dame, ou domina). F
398
e, on l’a vu, le Roman ne manque pas une occasion
de
rabaisser l’institution sociale, d’humilier le mari — roi aux oreille
399
une occasion de rabaisser l’institution sociale,
d’
humilier le mari — roi aux oreilles de cheval, toujours si facilement
400
on sociale, d’humilier le mari — roi aux oreilles
de
cheval, toujours si facilement dupé — et de glorifier la vertu de ceu
401
illes de cheval, toujours si facilement dupé — et
de
glorifier la vertu de ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui
402
urs si facilement dupé — et de glorifier la vertu
de
ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui. Mais cette fidélité
403
pose, autant qu’au mariage, à la « satisfaction »
de
l’amour. « Il ne sait de donnoi vraiment rien celui qui désire l’enti
404
e, à la « satisfaction » de l’amour. « Il ne sait
de
donnoi vraiment rien celui qui désire l’entière possession de sa dame
405
aiment rien celui qui désire l’entière possession
de
sa dame. Cela n’est plus amour, qui tourne à la réalité 13. » Voilà q
406
à la réalité 13. » Voilà qui nous met sur la voie
d’
une première explication d’épisodes tels que ceux de l’épée de chastet
407
i nous met sur la voie d’une première explication
d’
épisodes tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son
408
une première explication d’épisodes tels que ceux
de
l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite da
409
re explication d’épisodes tels que ceux de l’épée
de
chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite dans le Moro
410
es tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour
d’
Iseut à son mari après la retraite dans le Morois, ou même du mariage
411
retraite dans le Morois, ou même du mariage blanc
de
Tristan. En effet, le « droit de la passion » au sens où l’entendent
412
du mariage blanc de Tristan. En effet, le « droit
de
la passion » au sens où l’entendent les modernes, permettrait à Trist
413
ù l’entendent les modernes, permettrait à Tristan
d’
enlever Iseut, après qu’ils ont bu le philtre. Cependant il la livre à
414
Cependant il la livre à Marc : c’est que la règle
de
l’amour courtois s’oppose à ce qu’une telle passion « tourne à la réa
415
, c’est-à-dire aboutisse à l’« entière possession
de
sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas, d’observer la fidélité
416
de sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas,
d’
observer la fidélité féodale, masque et complice énigmatique de la fid
417
fidélité féodale, masque et complice énigmatique
de
la fidélité courtoise. Il choisit en toute liberté, car nous avons ma
418
e plan féodal qu’il adopte, faire valoir le droit
de
la force… Étrange amour, va-t-on penser, qui se conforme aux lois qui
419
s qui le condamnent, afin de mieux se conserver !
D’
où peut venir cette préférence pour ce qui entrave la passion, pour ce
420
t pas encore répondre sur le fonds, car il s’agit
de
savoir pourquoi l’on préfère cet amour à l’autre, à celui qui se « ré
421
t vraisemblable, que le Roman illustre un conflit
de
« religions », nous avons pu préciser et cerner les principales diffi
422
pu préciser et cerner les principales difficultés
de
l’intrigue : mais en fin de compte, la solution se trouve simplement
423
our du roman Si l’on se reporte à notre résumé
de
la légende, on ne peut manquer d’être frappé de ce fait : les deux lo
424
à notre résumé de la légende, on ne peut manquer
d’
être frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie
425
é de la légende, on ne peut manquer d’être frappé
de
ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie et morale féod
426
es seules situations où elles permettent au roman
de
rebondir 14. Cette remarque à son tour ne saurait constituer par elle
427
nstituer par elle-même une explication. À chacune
de
nos questions, il serait évidemment facile de répondre : les choses s
428
une de nos questions, il serait évidemment facile
de
répondre : les choses se passent ainsi parce qu’autrement il n’y aura
429
ssent ainsi parce qu’autrement il n’y aurait plus
de
roman. Mais cette réponse ne paraît convaincante qu’en vertu d’une co
430
convaincante qu’en vertu d’une coutume paresseuse
de
notre critique littéraire. En vérité, elle ne répond à rien. Elle nou
431
t pas sans danger. Elle nous met en effet au cœur
de
tout le problème — et sa portée dépasse sans aucun doute le cas parti
432
ortée dépasse sans aucun doute le cas particulier
de
notre mythe. Pour qui se place, par un effort d’abstraction, à l’exté
433
de notre mythe. Pour qui se place, par un effort
d’
abstraction, à l’extérieur du phénomène commun au romancier et au lect
434
aît qu’une convention tacite, ou mieux, une sorte
de
complicité les lie : la volonté que le roman continue, ou comme on di
435
ndisse. Supprimez cette volonté, il n’y aura plus
de
vraisemblance qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas de l’His
436
ce qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas
de
l’Histoire scientifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera d’
437
ns le cas de l’Histoire scientifique. (Le lecteur
d’
un ouvrage « sérieux » sera d’autant plus exigeant qu’il sait que le d
438
ifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera
d’
autant plus exigeant qu’il sait que le déroulement des faits ne doit d
439
que le déroulement des faits ne doit dépendre ni
de
son désir ni des fantaisies de l’auteur.) Supposez au contraire cette
440
e doit dépendre ni de son désir ni des fantaisies
de
l’auteur.) Supposez au contraire cette volonté toute pure, il n’y aur
441
traire cette volonté toute pure, il n’y aura plus
d’
invraisemblance possible : c’est le cas du conte. Entre ces deux extrê
442
du conte. Entre ces deux extrêmes, il est autant
de
niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemb
443
Entre ces deux extrêmes, il est autant de niveaux
de
vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépen
444
es, il est autant de niveaux de vraisemblance que
de
sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépend, pour un ouvrage ro
445
mblance dépend, pour un ouvrage romanesque donné,
de
la nature des passions qu’il veut flatter. C’est dire que l’on accept
446
flatter. C’est dire que l’on acceptera le « coup
de
pouce » du créateur, et les entorses qu’il fait subir à la « logique
447
et les entorses qu’il fait subir à la « logique »
d’
observation courante, dans la mesure exacte où ces licences fourniront
448
on que l’on désire éprouver. Ainsi, le vrai sujet
d’
une œuvre est révélé par la nature des « trucs » que l’auteur fait int
449
les obstacles extérieurs qui s’opposent à l’amour
de
Tristan sont dans un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne so
450
dre, que des artifices romanesques. Or il résulte
de
nos remarques au sujet de la vraisemblance, que la gratuité même des
451
des obstacles invoqués peut révéler le vrai sujet
d’
une œuvre, la vraie nature de la passion qu’elle met en jeu. Il faut s
452
évéler le vrai sujet d’une œuvre, la vraie nature
de
la passion qu’elle met en jeu. Il faut sentir qu’ici tout est symbole
453
pose à la manière d’un rêve, et non point à celle
de
nos vies : les prétextes du romancier, les actions de ses deux héros,
454
os vies : les prétextes du romancier, les actions
de
ses deux héros, et les préférences secrètes qu’il suppose chez son le
455
faits » ne sont que les images ou les projections
d’
un désir, de ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplemen
456
ont que les images ou les projections d’un désir,
de
ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire d
457
les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose,
de
ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire durer. Tout manifeste,
458
t manifeste, dans le comportement du chevalier et
de
la princesse, une exigence ignorée d’eux — et peut-être du romancier
459
hevalier et de la princesse, une exigence ignorée
d’
eux — et peut-être du romancier — mais plus profonde que celle de leur
460
-être du romancier — mais plus profonde que celle
de
leur bonheur. Pas un des obstacles qu’ils rencontrent ne se révèle, o
461
! On peut dire qu’ils ne perdent pas une occasion
de
se séparer. Quand il n’y a pas d’obstacle, ils en inventent : l’épée
462
as une occasion de se séparer. Quand il n’y a pas
d’
obstacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage de Tristan. Ils en
463
stacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage
de
Tristan. Ils en inventent comme à plaisir, — bien qu’ils en souffrent
464
et du lecteur ? Mais c’est tout un, car le démon
de
l’amour courtois qui inspire au cœur des amants les ruses d’où naît l
465
courtois qui inspire au cœur des amants les ruses
d’
où naît leur souffrance, c’est le démon même du roman tel que l’aiment
466
l’aiment les Occidentaux. Quel est le vrai sujet
de
la légende ? La séparation des amants ? Oui, mais au nom de la passio
467
? Oui, mais au nom de la passion, et pour l’amour
de
l’amour même qui les tourmente, pour l’exalter, pour le transfigurer
468
le transfigurer — au détriment de leur bonheur et
de
leur vie même… ⁂ Nous commençons à distinguer le sens secret et inqui
469
ressemble au vertige… Mais ce n’est plus l’heure
de
se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le charme, nous co
470
e. Mais la passion du philosophe n’est-elle point
de
méditer dans le vertige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien
471
ige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien
d’
autre que l’effort d’un esprit qui résiste à la chute, et qui se défen
472
la connaissance ne soit rien d’autre que l’effort
d’
un esprit qui résiste à la chute, et qui se défend au sein de la tenta
473
i se défend au sein de la tentation… 8.L’amour
de
l’amour De tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me ré
474
sein de la tentation… 8.L’amour de l’amour
De
tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis de lui ;
475
ux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis
de
lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vo
476
x et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas
de
quoi je me plains, car mon mal me vient de ma volonté ; c’est mon vou
477
mon vouloir qui devient mon mal ; mais j’ai tant
d’
aise à vouloir ainsi que je souffre agréablement, et tant de joie dans
478
ces. Chrétien de Troyes. Il faut avoir l’audace
de
poser la question : Tristan aime-t-il Iseut ? Est-il aimé par elle ?
479
est point, comme l’a dit à peu près Valéry.) Rien
d’
humain ne paraît rapprocher nos amants, bien au contraire. Lors de leu
480
ur première rencontre, ils n’ont que des rapports
de
politesse conventionnelle. Et quand Tristan revient en quête d’Iseut,
481
onventionnelle. Et quand Tristan revient en quête
d’
Iseut, on se souvient que cette politesse fait place à la plus franche
482
ndresse va-t-elle naître et les unir, à la faveur
de
ce destin magique ? Dans tout le Roman, dans ces milliers de vers, je
483
n magique ? Dans tout le Roman, dans ces milliers
de
vers, je n’en ai trouvé qu’une seule trace. C’est quand ils vivent da
484
seule trace. C’est quand ils vivent dans la forêt
de
Morois, après l’évasion de Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant
485
s vivent dans la forêt de Morois, après l’évasion
de
Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment de bonne amo
486
. Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment
de
bonne amor L’un par l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes
487
l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes
de
cette époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus,
488
es devenus, et qu’ils n’éprouvaient pas le besoin
d’
insister sur ce qui va de soi ? Qu’on lise alors, attentivement, le ré
489
lles, qui sont peut-être aussi les plus profondes
de
la légende, ce sont les deux visites que les amants font à l’ermite O
490
se confesser. Mais au lieu d’avouer leur péché et
de
demander l’absolution, ils s’efforcent de démontrer qu’ils n’ont aucu
491
éché et de demander l’absolution, ils s’efforcent
de
démontrer qu’ils n’ont aucune responsabilité dans l’aventure, puisqu’
492
! Q’el m’aime, c’est par la poison Ge ne me pus
de
lié partir, N’ele de moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui :
493
t par la poison Ge ne me pus de lié partir, N’ele
de
moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui : Sire, por Dieu omnip
494
is « par-delà le bien et le mal », dans une sorte
de
transcendance de nos communes conditions, dans un absolu indicible, i
495
bien et le mal », dans une sorte de transcendance
de
nos communes conditions, dans un absolu indicible, incompatible avec
496
du bien et du mal ; elle les conduit même au-delà
de
l’origine de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souf
497
mal ; elle les conduit même au-delà de l’origine
de
toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souffrance, au-de
498
de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et
de
la souffrance, au-delà du domaine où l’on distingue, et où les contra
499
n’appartient ni à l’un ni à l’autre, mais relève
d’
une puissance étrangère, indépendante de leurs qualités, de leurs dési
500
is relève d’une puissance étrangère, indépendante
de
leurs qualités, de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être
501
ssance étrangère, indépendante de leurs qualités,
de
leurs désirs, au moins conscients, et de leur être tel qu’ils le conn
502
ualités, de leurs désirs, au moins conscients, et
de
leur être tel qu’ils le connaissent. Les traits physiques et psycholo
503
nnaissent. Les traits physiques et psychologiques
de
cet homme et de cette femme sont parfaitement conventionnels et rhéto
504
raits physiques et psychologiques de cet homme et
de
cette femme sont parfaitement conventionnels et rhétoriques. Lui, c’e
505
à propos de la durée du philtre est le contraire
d’
une amitié réelle. Bien plus, si l’amitié morale se fait jour, ce n’es
506
moment où la passion faiblit. Et le premier effet
de
cette amitié naissante n’est pas du tout d’unir davantage les amants,
507
effet de cette amitié naissante n’est pas du tout
d’
unir davantage les amants, mais au contraire de leur montrer qu’ils on
508
ls ont tout intérêt à se quitter. Voyons ce point
d’
un peu plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li troi
509
. Voyons ce point d’un peu plus près. L’endemain
de
la saint Jehan Aconpli furent li troi an. Tristan chassait dans la f
510
. Il regrette « le vair et le gris » et l’apparat
de
chevalerie, et le haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons d
511
haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons
de
son oncle. Il songe aussi à son amie, — pour la première fois semble-
512
lle pourrait être « en beles chambres… portendües
de
dras de soie ». Iseut de son côté, à la même heure conçoit les mêmes
513
rait être « en beles chambres… portendües de dras
de
soie ». Iseut de son côté, à la même heure conçoit les mêmes regrets.
514
les chambres… portendües de dras de soie ». Iseut
de
son côté, à la même heure conçoit les mêmes regrets. Le soir venu, il
515
ent : « En mal uson notre jovente… ». La décision
de
se séparer est bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretag
516
de se séparer est bientôt prise. Tristan propose
de
« gerpir » en Bretagne. Auparavant, ils iront voir Ogrin l’ermite pou
517
oignante définition qu’un poète ait jamais donnée
de
la passion ! À lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force de l
518
lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force
de
langage qui fait pâlir le romantisme tout entier ! Qui nous rendra ce
519
stan reçoit la réponse favorable du roi acceptant
de
reprendre Iseut : Dex ! dist Tristan, quel departie ! Mot est dolenz
520
auprès de son ami ; plus heureuse dans le malheur
d’
amour que dans leur vie commune du Morois… ⁂ On sait d’ailleurs que pa
521
lui par elle, elle par lui… » L’égoïsme apparent
d’
un tel amour expliquerait à lui seul bien des « hasards », bien des ma
522
qu’ils aiment, c’est l’amour, c’est le fait même
d’
aimer. Et ils agissent comme s’ils avaient compris que tout ce qui s’o
523
ur cœur, pour l’exalter à l’infini dans l’instant
de
l’obstacle absolu, qui est la mort. Tristan aime se sentir aimer, bie
524
. Et Iseut ne fait rien pour retenir Tristan près
d’
elle : il lui suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’aut
525
pour retenir Tristan près d’elle : il lui suffit
d’
un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais no
526
i suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un
de
l’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non de la
527
ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais non
de
l’autre tel qu’il est ; et non de la présence de l’autre, mais bien p
528
rûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non
de
la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparat
529
de l’autre tel qu’il est ; et non de la présence
de
l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparation des amants
530
t non de la présence de l’autre, mais bien plutôt
de
son absence ! La séparation des amants résulte ainsi de leur passion
531
absence ! La séparation des amants résulte ainsi
de
leur passion même, et de l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt
532
des amants résulte ainsi de leur passion même, et
de
l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt qu’à son contentement, p
533
à son contentement, plutôt qu’à son vivant objet.
D’
où les obstacles multipliés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnan
534
jet. D’où les obstacles multipliés par le Roman ;
d’
où l’indifférence étonnante de ces complices d’un même rêve au sein du
535
liés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnante
de
ces complices d’un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ;
536
; d’où l’indifférence étonnante de ces complices
d’
un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ; d’où le crescend
537
es complices d’un même rêve au sein duquel chacun
d’
eux reste seul ; d’où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose
538
ême rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ;
d’
où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose. Dualité irrémédia
539
» soupire Tristan. Pourtant il sent déjà, au fond
de
la nuit qui vient, poindre la flamme secrète, ravivée par l’absence.
540
amme secrète, ravivée par l’absence. 9.L’amour
de
la Mort Mais il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare d’Aug
541
s il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare
d’
Augustin est une émouvante formule dont lui-même ne s’est pas satisfai
542
cle dont nous avons souvent parlé, et la création
de
l’obstacle par la passion des deux héros (confondant ici ses effets a
543
s deux héros (confondant ici ses effets avec ceux
de
l’exigence romanesque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’es
544
ses effets avec ceux de l’exigence romanesque et
de
l’attente du lecteur) — cet obstacle n’est-il qu’un prétexte, nécessa
545
le n’est-il qu’un prétexte, nécessaire au progrès
de
la passion, ou n’est-il pas lié à la passion d’une manière beaucoup p
546
s de la passion, ou n’est-il pas lié à la passion
d’
une manière beaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même de la p
547
eaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même
de
la passion, — si l’on descend au fond du mythe ? ⁂ Nous avons vu que
548
es revoirs successifs des amants15. Or les causes
de
séparation sont de deux sortes : circonstances extérieures adverses,
549
fs des amants15. Or les causes de séparation sont
de
deux sortes : circonstances extérieures adverses, entraves inventées
550
ventées par Tristan. Tristan ne se comportera pas
de
la même manière dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt de dé
551
e dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt
de
dégager cette dialectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce son
552
est pas sans intérêt de dégager cette dialectique
de
l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce sont les circonstances sociales
553
tances sociales qui menacent les amants (présence
de
Marc, méfiance des barons, jugement de Dieu, etc.), Tristan bondit pa
554
(présence de Marc, méfiance des barons, jugement
de
Dieu, etc.), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut d’un lit à
555
.), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut
d’
un lit à l’autre en est le symbole). Quitte à souffrir (sa blessure se
556
’il oublie la douleur et le danger dans l’ivresse
de
son « déduit ». Pourtant, le sang de sa blessure le trahit. C’est la
557
ns l’ivresse de son « déduit ». Pourtant, le sang
de
sa blessure le trahit. C’est la « marque rouge » qui met le roi sur l
558
t la « marque rouge » qui met le roi sur la trace
de
l’adultère. Quant à nous, elle nous met sur la trace du dessein secre
559
laquelle Tristan le surmonte est une affirmation
de
la vie. En tout cela, Tristan n’obéit qu’à la coutume féodale des che
560
u’à la coutume féodale des chevaliers : il s’agit
de
faire preuve de « valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus
561
éodale des chevaliers : il s’agit de faire preuve
de
« valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avon
562
l s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit
d’
être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avons vu que cela le conduira
563
ut autre est l’attitude du chevalier lorsque rien
d’
extérieur à eux-mêmes ne sépare plus les amants. C’est même l’inverse
564
leurs corps demeurés vêtus, c’est encore occasion
de
prouesse, mais cette fois-ci contre lui-même, à ses dépens. Puisqu’il
565
ement la hiérarchie des préférences du conteur et
de
son lecteur. L’obstacle le plus grave, c’est donc celui que l’on préf
566
n. Notons aussi qu’en cette extrémité, la volonté
de
se séparer revêt une valeur affective plus forte que la passion même.
567
orte que la passion même. La mort, qui est le but
de
la passion, la tue. Mais l’épée nue n’est pas encore l’expression déc
568
pas encore l’expression décisive du désir sombre,
de
la fin même de la passion (au double sens du mot fin). L’admirable ép
569
pression décisive du désir sombre, de la fin même
de
la passion (au double sens du mot fin). L’admirable épisode des épées
570
l’on se rappelle qu’il substitue son arme à celle
de
son rival. Cela signifie qu’à l’obstacle désiré et librement créé par
571
rement créé par les amants, il substitue le signe
de
son pouvoir social, l’obstacle légal, objectif. Tristan relève ce déf
572
bstacle légal, objectif. Tristan relève ce défi :
d’
où le rebondissement de l’action. Et ici le mot prend un sens symboliq
573
. Tristan relève ce défi : d’où le rebondissement
de
l’action. Et ici le mot prend un sens symbolique : l’action empêche l
574
sens symbolique : l’action empêche la « passion »
d’
être totale, car la passion, c’est « ce que l’on subit » — à la limite
575
d’autres termes cette action est un nouveau délai
de
la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂ On retrouvera la mêm
576
uveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard
de
la Mort. ⁂ On retrouvera la même dialectique entre les deux mariages
577
lectique entre les deux mariages du Roman : celui
d’
Iseut la Blonde avec le Roi, et celui d’Iseut aux blanches mains avec
578
n : celui d’Iseut la Blonde avec le Roi, et celui
d’
Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier de ces mariages est
579
Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier
de
ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence
580
ristan. Le premier de ces mariages est l’obstacle
de
fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé par
581
e du mari, méprisé par l’amour courtois. Occasion
de
prouesse classique et de rebondissements faciles. L’existence du mari
582
amour courtois. Occasion de prouesse classique et
de
rebondissements faciles. L’existence du mari, l’obstacle de l’adultèr
583
ssements faciles. L’existence du mari, l’obstacle
de
l’adultère, c’est le premier prétexte venu, le plus naturellement ima
584
ue à plaisir ! Sans le mari, je ne donne pas plus
de
trois ans à l’amour de Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sages
585
mari, je ne donne pas plus de trois ans à l’amour
de
Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’e
586
n effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’est
d’
avoir limité à cette durée l’action du philtre : « La mère Iseut qui l
587
re : « La mère Iseut qui le bollit. — À trois anz
d’
amistié le fist. » Sans le mari, il ne resterait aux deux amants qu’à
588
tan puisse jamais épouser Iseut. Elle est le type
de
femme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l’aimer, puisqu
589
emme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait
de
l’aimer, puisqu’elle cesserait d’être ce qu’elle est. Imaginez cela :
590
rs on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait
d’
être ce qu’elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négatio
591
maginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation
de
la passion, au moins de celle dont nous nous occupons. L’ardeur amour
592
istan ! C’est la négation de la passion, au moins
de
celle dont nous nous occupons. L’ardeur amoureuse spontanée, couronné
593
st une flambée qui ne peut pas survivre à l’éclat
de
sa consommation. Mais sa brûlure demeure inoubliable, et c’est elle q
594
mants veulent prolonger et renouveler à l’infini.
D’
où les périls nouveaux qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier
595
surmontés. C’est alors qu’il s’éloigne, en quête
d’
aventures plus secrètes et plus profondes, l’on dirait même : plus int
596
d’Iseut aux blanches mains croit son ami amoureux
de
sa sœur. Cette erreur — provoquée par le nom des deux femmes — est la
597
deux femmes — est la seule « raison » du mariage
de
Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé de s’expliquer. Mais une foi
598
riage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé
de
s’expliquer. Mais une fois de plus, l’honneur interviendra, et au seu
599
de plus, l’honneur interviendra, et au seul titre
de
prétexte, pour empêcher Tristan de se dédire. C’est que l’amant press
600
au seul titre de prétexte, pour empêcher Tristan
de
se dédire. C’est que l’amant pressent, dans cette nouvelle épreuve qu
601
cette nouvelle épreuve qu’il s’impose, l’occasion
d’
un progrès décisif. Ce mariage blanc avec une femme qu’il trouve belle
602
hasteté du chevalier marié répond à la déposition
de
l’épée nue entre les corps. Mais une chasteté volontaire, c’est un su
603
n suicide symbolique — (on voit ici le sens caché
de
l’épée). C’est une victoire de l’idéal courtois sur la robuste tradit
604
ici le sens caché de l’épée). C’est une victoire
de
l’idéal courtois sur la robuste tradition celtique qui affirmait l’or
605
obuste tradition celtique qui affirmait l’orgueil
de
vivre. C’est une manière de purification de ce qui subsistait, dans l
606
i affirmait l’orgueil de vivre. C’est une manière
de
purification de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’anim
607
gueil de vivre. C’est une manière de purification
de
ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et d’actif. V
608
purification de ce qui subsistait, dans le désir,
de
spontané, d’animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le dési
609
de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané,
d’
animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe d
610
bsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et
d’
actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort su
611
désir, de spontané, d’animal et d’actif. Victoire
de
la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort sur la vie. ⁂ Ainsi
612
Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe
de
la mort sur la vie. ⁂ Ainsi donc cette préférence accordée à l’obstac
613
ccordée à l’obstacle voulu, c’était l’affirmation
de
la mort, c’était un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort d’amour
614
tait un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort
d’
amour, vers une mort volontaire au terme d’une série d’épreuves dont T
615
e mort d’amour, vers une mort volontaire au terme
d’
une série d’épreuves dont Tristan sortira purifié ; vers une mort qui
616
ur, vers une mort volontaire au terme d’une série
d’
épreuves dont Tristan sortira purifié ; vers une mort qui soit une tra
617
non pas un hasard brutal. Il s’agit donc toujours
de
ramener la fatalité extérieure à une fatalité interne, librement assu
618
librement assumée par les amants. C’est le rachat
de
leur destin qu’ils accomplissent en mourant par amour : c’est une rev
619
e. Et l’on assiste, in extremis, au renversement
de
la dialectique passion-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’obstacle qu
620
iment ce n’est plus l’obstacle qui est au service
de
la passion fatale, mais au contraire il est devenu le but, la fin dés
621
elle-même. Et la passion n’a donc joué qu’un rôle
d’
épreuve purificatrice on dirait presque de pénitence au service de cet
622
un rôle d’épreuve purificatrice on dirait presque
de
pénitence au service de cette mort qui transfigure. Nous touchons au
623
catrice on dirait presque de pénitence au service
de
cette mort qui transfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour
624
sfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour
de
l’amour même dissimulait une passion beaucoup plus terrible, une volo
625
que se « trahir » par des symboles tels que celui
de
l’épée nue ou de la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants m
626
par des symboles tels que celui de l’épée nue ou
de
la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants malgré eux n’ont j
627
n’ont jamais cherché que le rachat et la revanche
de
« ce qu’ils subissaient » — la passion initiée par le philtre. Au fon
628
on initiée par le philtre. Au fond le plus secret
de
leur cœur, c’était la volonté de la mort, la passion active de la Nui
629
d le plus secret de leur cœur, c’était la volonté
de
la mort, la passion active de la Nuit qui leur dictait ses décisions
630
c’était la volonté de la mort, la passion active
de
la Nuit qui leur dictait ses décisions fatales. 10.Le philtre E
631
the, la nécessité même qui l’a créé. Le sens réel
de
la passion est tellement effrayant et inavouable, que non seulement c
632
la vivent ne sauraient prendre aucune conscience
de
sa fin, mais que ceux qui la veulent dépeindre dans sa merveilleuse v
633
ans sa merveilleuse violence se voient contraints
de
recourir au langage trompeur des symboles. Laissons de côté, pour le
634
courir au langage trompeur des symboles. Laissons
de
côté, pour le moment, la question de savoir si les auteurs des cinq p
635
es. Laissons de côté, pour le moment, la question
de
savoir si les auteurs des cinq poèmes primitifs étaient ou non consci
636
s cinq poèmes primitifs étaient ou non conscients
de
la portée de leur œuvre. En tout état de cause, il convient de précis
637
primitifs étaient ou non conscients de la portée
de
leur œuvre. En tout état de cause, il convient de préciser le sens du
638
nscients de la portée de leur œuvre. En tout état
de
cause, il convient de préciser le sens du mot « trompeur » que nous v
639
de leur œuvre. En tout état de cause, il convient
de
préciser le sens du mot « trompeur » que nous venons d’utiliser. La v
640
ciser le sens du mot « trompeur » que nous venons
d’
utiliser. La vulgarisation de la psychanalyse nous habitue à concevoir
641
ur » que nous venons d’utiliser. La vulgarisation
de
la psychanalyse nous habitue à concevoir qu’un désir refoulé « s’expr
642
terdite, l’amour inavouable, se créent un système
de
symboles, un langage hiéroglyphique, dont la conscience n’a pas la cl
643
me ce qu’il veut dire sans le dire. Il lui arrive
de
composer en un seul geste ou une seule métaphore à la fois l’expressi
644
ste ou une seule métaphore à la fois l’expression
de
l’objet désiré et l’expression de ce qui condamne ce désir. Ainsi l’i
645
is l’expression de l’objet désiré et l’expression
de
ce qui condamne ce désir. Ainsi l’interdiction reste affirmée, et l’o
646
ibles se voient du même coup satisfaites : besoin
de
parler de ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour
647
oient du même coup satisfaites : besoin de parler
de
ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour du risque
648
tes : besoin de parler de ce qu’on aime et besoin
de
le soustraire au jugement, amour du risque et instinct de prudence. I
649
ustraire au jugement, amour du risque et instinct
de
prudence. Interrogez celui qui use d’un tel langage, demandez-lui rai
650
et instinct de prudence. Interrogez celui qui use
d’
un tel langage, demandez-lui raison de sa prédilection, pour telle ou
651
lui qui use d’un tel langage, demandez-lui raison
de
sa prédilection, pour telle ou telle image d’apparence bizarre, il ré
652
son de sa prédilection, pour telle ou telle image
d’
apparence bizarre, il répondra que « c’est tout naturel », « qu’il n’e
653
« qu’il n’en sait rien », « qu’il n’y attache pas
d’
importance ». S’il est poète, il parlera d’inspiration, ou au contrair
654
he pas d’importance ». S’il est poète, il parlera
d’
inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court
655
ontraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court
de
bonnes raisons pour démontrer qu’il n’est responsable de rien… Imagin
656
es raisons pour démontrer qu’il n’est responsable
de
rien… Imaginons maintenant le problème qui se posait à l’auteur du Ro
657
blème qui se posait à l’auteur du Roman primitif.
De
quel matériel symbolique — apte à cacher ce qu’il fallait traduire —
658
fallait traduire — disposait-il au xiie siècle ?
De
la magie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d
659
e — disposait-il au xiie siècle ? De la magie et
de
la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d’expression sau
660
gie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage
de
ces modes d’expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner
661
rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes
d’
expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner de raisons, v
662
ion saute aux yeux. La magie persuade sans donner
de
raisons, voire dans la mesure où elle n’en donne point. Et la rhétori
663
, comme d’ailleurs toute rhétorique, est le moyen
de
faire passer pour « naturelles » les plus obscures propositions. Masq
664
us obscures propositions. Masque idéal ! Garantie
de
secret, mais aussi garantie d’approbation sans condition de la part d
665
e idéal ! Garantie de secret, mais aussi garantie
d’
approbation sans condition de la part du lecteur de roman. La chevaler
666
’approbation sans condition de la part du lecteur
de
roman. La chevalerie, c’est la règle sociale que les élites du siècle
667
la règle sociale que les élites du siècle rêvent
d’
opposer aux pires « folies » dont elles se sentent menacées. La coutum
668
lies » dont elles se sentent menacées. La coutume
de
la chevalerie fournira donc le cadre du Roman. Et nous avons marqué,
669
nous avons marqué, en maint endroit, le caractère
de
« prétexte rêvé » des interdictions qu’elle impose. Pour la magie, vo
670
our la magie, voici quel sera son rôle. Il s’agit
de
dépeindre une passion dont la violence fascinante ne peut être accept
671
ra donc l’admirer qu’en tant qu’on l’aura libérée
de
toute espèce de lien visible avec l’humaine responsabilité. L’interve
672
r qu’en tant qu’on l’aura libérée de toute espèce
de
lien visible avec l’humaine responsabilité. L’intervention du philtre
673
sponsabilité. L’intervention du philtre, agissant
d’
une manière fatale, et mieux encore bu par erreur, se révèle désormais
674
6. Qu’est-ce alors que le philtre ? C’est l’alibi
de
la passion. C’est ce qui permet aux malheureux amants de dire : « Vou
675
assion. C’est ce qui permet aux malheureux amants
de
dire : « Vous voyez que je n’y suis pour rien, vous voyez que c’est p
676
. » Et cependant, nous voyons bien qu’à la faveur
de
cette fatalité trompeuse, tous leurs actes sont orientés vers le dest
677
rs le destin mortel qu’ils aiment, avec une sorte
d’
astucieuse résolution, avec une ruse d’autant plus infaillible qu’elle
678
une sorte d’astucieuse résolution, avec une ruse
d’
autant plus infaillible qu’elle peut agir à l’abri du jugement. Nos ac
679
it ce but, mais la conscience n’a pas eu le temps
d’
intervenir et de gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus
680
la conscience n’a pas eu le temps d’intervenir et
de
gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus belles scènes d
681
ent comme en toute innocence. ⁂ Il n’y aurait pas
de
mythe, il n’y aurait pas de roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire
682
. ⁂ Il n’y aurait pas de mythe, il n’y aurait pas
de
roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire quelle est la fin qu’ils se
683
vaient dire quelle est la fin qu’ils se préparent
de
toute leur volonté profonde, et plus que profonde, abyssale. Qui donc
684
déteste le Jour qui l’offusque ? et qu’il attend
de
tout son être l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucou
685
et qu’il attend de tout son être l’anéantissement
de
son être ? Certains poètes, beaucoup plus tard, ont osé cet aveu supr
686
romancier désire flatter chez l’auditeur paraît,
d’
ordinaire, plus débile. Il y a peu de chance qu’elle soit jamais pouss
687
ndubitable, par une mort qui la manifeste au-delà
de
tout repentir possible ! Certains mystiques ont fait plus qu’avouer :
688
, une force aveugle ou le Néant, qui s’emparaient
de
leur secret vouloir, mais le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive f
689
le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive flamme
d’
amour » éclose aux « déserts » de la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien
690
la « vive flamme d’amour » éclose aux « déserts »
de
la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien avouer. Il veut comme s’il ne vou
691
sa fuite désespérée, dans la sublime coquetterie
de
sa fuite ! Et qu’il l’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplair
692
’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplaire
de
sa vie. Les raisons de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne s
693
l à la grandeur exemplaire de sa vie. Les raisons
de
la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables a
694
Elles le méprisent. Tristan s’est fait prisonnier
d’
un délire auprès duquel pâlissent toute sagesse, toute « vérité », et
695
toute « vérité », et la vie même. Il est au-delà
de
nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême
696
, et la vie même. Il est au-delà de nos bonheurs,
de
nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême où la totale joui
697
ers l’instant suprême où la totale jouissance est
de
sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent décrire la Nuit, mais la « mus
698
sir dont elle procède. Levez-vous, orages sonores
de
la mort de Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le hér
699
le procède. Levez-vous, orages sonores de la mort
de
Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes son
700
vez-vous, orages sonores de la mort de Tristan et
d’
Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes sons lamentables
701
en plus inquiète, lorsque le fils apprit le sort
de
la mère… Quand mon père m’engendra et mourut, quand ma mère me donna
702
ète : — Pour désirer et pour mourir ! Pour mourir
de
désirer ! Il peut maudire ses astres, sa naissance, mais la musique e
703
me qui l’ai composé… Et je l’ai bu à longs traits
de
délice !… 11.L’amour réciproque malheureux Passion veut dire so
704
re et responsable. Aimer l’amour plus que l’objet
de
l’amour, aimer la passion pour elle-même, de l’amabam amare d’Augusti
705
bjet de l’amour, aimer la passion pour elle-même,
de
l’amabam amare d’Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et
706
imer la passion pour elle-même, de l’amabam amare
d’
Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et chercher la souff
707
et chercher la souffrance. Amour-passion : désir
de
ce qui nous blesse, et nous anéantit par son triomphe. C’est un secre
708
n’a jamais toléré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé
de
refouler, — de préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa per
709
éré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé de refouler, —
de
préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa persistance nous i
710
sa persistance nous invite à porter sur l’avenir
de
l’Europe un jugement très pessimiste. Marquons ici une incidence qui
711
développement : c’est la liaison ou la complicité
de
la passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mod
712
a liaison ou la complicité de la passion, du goût
de
la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode de connaître qui défi
713
passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et
d’
un certain mode de connaître qui définirait à lui seul notre psyché oc
714
e la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode
de
connaître qui définirait à lui seul notre psyché occidentale. Pourquo
715
i seul notre psyché occidentale. Pourquoi l’homme
d’
Occident veut-il subir cette passion qui le blesse et que toute sa rai
716
C’est qu’il se connaît et s’éprouve sous le coup
de
menaces vitales, dans la souffrance et au seuil de la mort. Le troisi
717
e menaces vitales, dans la souffrance et au seuil
de
la mort. Le troisième acte du drame de Wagner décrit bien davantage q
718
t au seuil de la mort. Le troisième acte du drame
de
Wagner décrit bien davantage qu’une catastrophe romanesque : il décri
719
romanesque : il décrit l’essentielle catastrophe
de
notre sadique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût de se connaî
720
tastrophe de notre sadique génie, ce goût réprimé
de
la mort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût de la collision
721
adique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût
de
se connaître à la limite, ce goût de la collision révélatrice qui est
722
ort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût
de
la collision révélatrice qui est sans doute la plus inarrachable des
723
i est sans doute la plus inarrachable des racines
de
l’instinct de la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illus
724
te la plus inarrachable des racines de l’instinct
de
la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illustrée, avouée e
725
des racines de l’instinct de la guerre en nous. ⁂
De
cette extrémité tragique, illustrée, avouée et constatée par la puret
726
té du mythe originel, redescendons à l’expérience
de
la passion telle que la vivent les hommes d’aujourd’hui. Le succès pr
727
ence de la passion telle que la vivent les hommes
d’
aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman de Tristan révèle en nous,
728
mmes d’aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman
de
Tristan révèle en nous, que nous le voulions ou non, une préférence i
729
e pour le malheur. Que ce malheur, selon la force
de
notre âme, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décade
730
me, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen
de
la décadence, ou la souffrance qui transfigure, ou le défi que l’espr
731
Ce ciel aux nuées exaltées, crépuscule empourpré
d’
héroïsme, n’annonce pas le Jour, mais la Nuit ! La « vraie vie est ail
732
illeurs », dit Rimbaud. Elle n’est qu’un des noms
de
la Mort, le seul nom par lequel nous osions l’appeler — tout en feign
733
r lequel nous osions l’appeler — tout en feignant
de
la repousser. Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui d’un a
734
Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui
d’
un amour impossible ? C’est que nous aimons la brûlure, et la conscien
735
’est que nous aimons la brûlure, et la conscience
de
ce qui brûle en nous. Liaison profonde de la souffrance et du savoir.
736
science de ce qui brûle en nous. Liaison profonde
de
la souffrance et du savoir. Complicité de la conscience et de la mort
737
rofonde de la souffrance et du savoir. Complicité
de
la conscience et de la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explica
738
ance et du savoir. Complicité de la conscience et
de
la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explication générale de not
739
gel a pu fonder sur elle une explication générale
de
notre esprit et même de notre Histoire.) Je définirais volontiers le
740
une explication générale de notre esprit et même
de
notre Histoire.) Je définirais volontiers le romantique occidental co
741
ent la douleur amoureuse, est un moyen privilégié
de
connaissance. Certes, cela vaut pour les meilleurs. Le grand nombre s
742
s. Le grand nombre se soucie peu de connaître, et
de
se connaître. Il cherche simplement l’amour le plus sensible. Mais c’
743
. Il me paraît que cela explique une bonne partie
de
notre psychologie. Sans traverses à l’amour, point de « roman ». Or c
744
otre psychologie. Sans traverses à l’amour, point
de
« roman ». Or c’est le roman qu’on aime, c’est-à-dire la conscience,
745
ience, l’intensité, les variations et les retards
de
la passion, son crescendo jusqu’à la catastrophe — et non point sa ra
746
du malheur qui le guette. Il y faut cette menace
de
la vie et des hostiles réalités qui l’éloignent dans quelque au-delà.
747
e durée sensible, elle ne peut être qu’un instant
de
grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une id
748
elle ne peut être qu’un instant de grâce — le duo
de
Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle de carte post
749
an et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle
de
carte postale. L’amour heureux n’a pas d’histoire dans la littérature
750
idylle de carte postale. L’amour heureux n’a pas
d’
histoire dans la littérature occidentale. Et l’amour qui n’est pas réc
751
ur un amour vrai. La grande trouvaille des poètes
de
l’Europe, ce qui les distingue avant tout dans la littérature mondial
752
, ce qui exprime le plus profondément l’obsession
de
l’Européen : connaître à travers la douleur, c’est le secret du mythe
753
re à travers la douleur, c’est le secret du mythe
de
Tristan, l’amour-passion à la fois partagé et combattu, anxieux d’un
754
ur-passion à la fois partagé et combattu, anxieux
d’
un bonheur qu’il repousse, magnifié par sa catastrophe, — l’amour réci
755
Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre,
d’
une fidélité exemplaire. Mais le malheur, c’est que l’amour qui les «
756
que l’amour qui les « demeine » n’est pas l’amour
de
l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’entr’aiment, ma
757
ais chacun n’aime l’autre qu’à partir de soi, non
de
l’autre. Leur malheur prend ainsi sa source dans une fausse réciproci
758
nsi sa source dans une fausse réciprocité, masque
d’
un double narcissisme. À tel point qu’à certains moments, on sent perc
759
u’à certains moments, on sent percer dans l’excès
de
leur passion une espèce de haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avan
760
nt percer dans l’excès de leur passion une espèce
de
haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psy
761
dans l’excès de leur passion une espèce de haine
de
l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psychologues
762
is, le vent souffle vers la terre natale. Ô fille
d’
Irlande, où t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile, sont-ce tes soupir
763
e, souffle, ô vent ! Malheur, ah ! malheur, fille
d’
Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur de la passion qui fuit
764
d’Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur
de
la passion qui fuit le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel de
765
it le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel
de
l’amour : ce que l’on désire, on ne l’a pas encore — c’est la Mort —
766
— et l’on perd ce que l’on avait — la jouissance
de
la vie. Mais cette perte n’est pas sentie comme un appauvrissement, b
767
sement, plus magnifiquement. C’est que l’approche
de
la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens
768
. C’est que l’approche de la mort est l’aiguillon
de
la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, le désir. Elle l
769
désir. Elle l’aggrave même parfois jusqu’au désir
de
tuer l’autre, ou de se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage. Ô
770
e même parfois jusqu’au désir de tuer l’autre, ou
de
se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait enco
771
jusqu’au désir de tuer l’autre, ou de se tuer, ou
de
sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait encore Isolde, seco
772
ents, clamait encore Isolde, secouez la léthargie
de
cette mer rêveuse, ressuscitez des profondeurs l’implacable convoitis
773
oin de la vie qui les pousse, proies voluptueuses
de
forces contradictoires mais qui les précipitent au même vertige, les
774
e rejoindre qu’à l’instant qui les prive à jamais
de
tout espoir humain, de tout amour possible, au sein de l’obstacle abs
775
ant qui les prive à jamais de tout espoir humain,
de
tout amour possible, au sein de l’obstacle absolu et d’une suprême ex
776
t amour possible, au sein de l’obstacle absolu et
d’
une suprême exaltation qui se détruit par son accomplissement. 12.U
777
pressentir certaines contradictions. L’hypothèse
d’
une opposition, que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi de ch
778
ypothèse d’une opposition, que l’auteur eût tenté
d’
illustrer, entre la loi de chevalerie et les coutumes féodales, nous a
779
que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi
de
chevalerie et les coutumes féodales, nous a permis de surprendre le m
780
hevalerie et les coutumes féodales, nous a permis
de
surprendre le mécanisme de ces contradictions. Alors a commencé notre
781
éodales, nous a permis de surprendre le mécanisme
de
ces contradictions. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet de
782
s. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet
de
la légende. Derrière la préférence accordée par l’auteur à la règle d
783
re la préférence accordée par l’auteur à la règle
de
chevalerie, il y a le goût du romanesque. Derrière le goût du romanes
784
que. Derrière le goût du romanesque, il y a celui
de
l’amour pour lui-même. Et cela suppose une recherche secrète de l’obs
785
r lui-même. Et cela suppose une recherche secrète
de
l’obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque
786
à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque
d’
un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, q
787
Mais ce n’est encore là que le masque d’un amour
de
l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, qui se révèl
788
le suprême, c’est la mort, qui se révèle au terme
de
l’aventure comme la vraie fin, le désir désiré dès le début de la pas
789
comme la vraie fin, le désir désiré dès le début
de
la passion, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin r
790
doit renier l’intime évidence. Que la sécheresse
d’
une description réduite à suivre en ses détours la logique interne du
791
peine devant les preuves ; mais quoi qu’on pense
d’
une interprétation que j’ai stylisée à dessein, il demeure qu’elle nou
792
lisée à dessein, il demeure qu’elle nous a permis
de
surprendre à l’état naissant quelques relations fondamentales qui sou
793
est une ascèse. Elle s’oppose à la vie terrestre
d’
une manière d’autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et
794
e. Elle s’oppose à la vie terrestre d’une manière
d’
autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et que ce désir,
795
amour n’est pas sans lien profond avec notre goût
de
la guerre. Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin de la pa
796
Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin
de
la passion sont des aspects de notre mode occidental de connaissance,
797
sion, et le besoin de la passion sont des aspects
de
notre mode occidental de connaissance, il faut en venir — au moins so
798
passion sont des aspects de notre mode occidental
de
connaissance, il faut en venir — au moins sous forme de question — à
799
peut-être, en fin de compte, la plus fondamentale
de
toutes. Connaître à travers la souffrance, n’est-ce pas l’acte même,
800
ouffrance, n’est-ce pas l’acte même, et l’audace,
de
nos mystiques les plus lucides ? Érotique au sens noble, et mystique
801
? Érotique au sens noble, et mystique : que l’une
de
l’autre soit cause ou effet, ou qu’elles aient une commune origine —
802
ieille et grave mélodie » orchestrée par le drame
de
Wagner : Elle m’a interrogé un jour, et voici qu’elle me parle encore
803
répète : — Pour désirer et pour mourir. ⁂ Partant
d’
un examen « physionomique » des formes et des structures du Roman, nou
804
nous venons de dégager. 2. Il est assez facile
d’
éliminer, par une comparaison critique, les fantaisies individuelles d
805
elles des cinq auteurs. Dans l’analyse du contenu
de
la légende qu’on trouvera au chapitre 5, ces variantes seront négligé
806
circonstances passagères, ou des goûts personnels
de
l’auteur. 3. Voir Appendice 1. 4. Appendice 2. 5. Ce serait ici le
807
’individu. Que le rationalisme soit passé au rang
de
doctrine officielle ne doit pas nous faire oublier son efficacité pro
808
par M. Joseph Bédier (dans son étude sur le poème
de
Thomas) entre les cinq versions du xiie siècle : Béroul, Thomas, Eil
809
an et le Roman en prose. Les versions ultérieures
de
Gottfried de Strasbourg et de tous les imitateurs allemands, italiens
810
ersions ultérieures de Gottfried de Strasbourg et
de
tous les imitateurs allemands, italiens, danois, russes, tchèques, et
811
mpte également des travaux critiques plus récents
de
MM. E. Muret et E. Vinaver. 8. Vers 1412-1415 : A conbien fu déter
812
erbez : La mere Yseut, qui le bollit, A trois anz
d’
amistié le fist. 9. Pur belté e pur nun d’Isolt (Thomas). 10. Tout
813
anz d’amistié le fist. 9. Pur belté e pur nun
d’
Isolt (Thomas). 10. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème de Thom
814
). 10. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème
de
Thomas (t. I, p. 240), nous lisons que le veneur du roi, pénétrant da
815
s la retraite des amants « vit Tristan couché, et
de
l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour s
816
s amants « vit Tristan couché, et de l’autre côté
de
la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour se reposer à caus
817
la forte chaleur, et dormaient ainsi séparés l’un
de
l’autre parce que… » Ici le texte est interrompu ! Et Bédier dit en n
818
e étoffe dont on s’habille — … Il se prête au gré
de
tous — Soit à la sincérité soit à la tromperie — II est toujours ce q
819
veut qu’il soit… » 12. Et qu’il avait conquise
de
plein droit pour lui-même en la délivrant du dragon — comme ne manque
820
e en la délivrant du dragon — comme ne manque pas
de
le souligner Thomas. 13. Fauriel, Histoire de la poésie provençale,
821
s de le souligner Thomas. 13. Fauriel, Histoire
de
la poésie provençale, I, p. 512. 14. Précisons que : 1° elles sont o
822
’un calcul secret ; car si l’on choisissait l’une
d’
elles à l’exclusion totale de l’autre, la situation se dénouerait trop
823
on choisissait l’une d’elles à l’exclusion totale
de
l’autre, la situation se dénouerait trop vite ; 2° elles ne sont pas
824
Mais sans cette faute initiale, il n’y aurait pas
de
roman du tout. 15. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour de Tri
825
. 15. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour
de
Tristan en Irlande. Ils se séparent sans s’aimer. — Second séjour : e
826
e, péché consommé ; Iseut livrée. — Tristan banni
de
la cour. Rendez-vous sous l’arbre. — Tristan revient à la cour. Le «
827
en fou ; s’éloigne. — Longue séparation, mariage
de
Tristan. — Iseut approche et Tristan meurt. Puis mort d’Iseut. Résumo
828
tan. — Iseut approche et Tristan meurt. Puis mort
d’
Iseut. Résumons encore : une seule longue période de réunion (l’aspre
829
Iseut. Résumons encore : une seule longue période
de
réunion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période de séparation (
830
ion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période
de
séparation (le mariage de Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fi
831
épond la longue période de séparation (le mariage
de
Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fin : la double Mort ; entre
832
hiltre ; à la fin : la double Mort ; entre-temps,
de
furtives rencontres. 16. Thomas, qui cherche à diminuer le rôle de
833
res. 16. Thomas, qui cherche à diminuer le rôle
de
cette « emprise » magique, se verra condamné à rendre la passion moin
834
r en ceci à Béroul il sera le premier responsable
de
la dégradation du mythe. 17. Dans le drame de Wagner, quand le roi s
835
le de la dégradation du mythe. 17. Dans le drame
de
Wagner, quand le roi surprend les amants, Tristan répond à ses questi
836
, et là où j’irai pour toujours : le vaste empire
de
l’éternelle nuit. Là-bas, une science unique nous est donnée : le div
837
ure, ou dans l’instinct, les esquisses grossières
de
faits « spirituels », aussitôt nous croyons tenir une explication de
838
ls », aussitôt nous croyons tenir une explication
de
ces faits. Le plus bas nous paraît le plus vrai. C’est la superstitio
839
us vrai. C’est la superstition du temps, la manie
de
« ramener » le sublime à l’infime, l’étrange erreur qui prend pour ca
840
s spiritualistes. Mais je distingue mal l’intérêt
d’
un affranchissement qui consiste à « expliquer » Dostoïevski par le ha
841
l, et Nietzsche par la syphilis. Curieuse manière
de
libérer l’esprit, qui se « ramène » à le nier. Mais j’ai beau dire et
842
ène » à le nier. Mais j’ai beau dire et protester
d’
avance : si je constate que l’instinct et le sexe connaissent une dial
843
ue spontanée, analogue à certains égards, à celle
de
la passion dans notre mythe, beaucoup penseront que voilà qui suffit…
844
que voilà qui suffit… Donnons une page à ce genre
d’
objections. ⁂ L’obstacle dont on a vu le jeu au cours de notre analyse
845
au cours de notre analyse du mythe, n’est-il pas
d’
origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’est-ce pas la ruse la
846
l s’impose parfois une certaine continence, quasi
d’
instinct, dans l’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur de S
847
continence, quasi d’instinct, dans l’intérêt même
de
l’espèce ? Lycurgue, législateur de Sparte, imposait aux jeunes marié
848
’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur
de
Sparte, imposait aux jeunes mariés une abstinence prolongée. « C’est
849
que — qu’ils soient toujours plus forts et dispos
de
leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir d’aimer à cœur saoul
850
leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir
d’
aimer à cœur saoul, leur amour en demeure toujours frais, et que leurs
851
obstacle instinctif à l’instinct, ayant pour fin
de
rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu d’une telle discipli
852
rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu
d’
une telle discipline est relative à la vie même, non à l’esprit. Elle
853
obtenu. Elle ne cherche rien au-delà. L’eugénisme
d’
un Lycurgue n’est nullement ascétique, puisqu’il vise au contraire à l
854
u’il vise au contraire à la meilleure propagation
de
l’espèce. On ne saurait voir dans ces processus vitaux autre chose qu
855
s vitaux autre chose que le support physiologique
de
la dialectique passionnelle. Il faut bien que la passion se serve des
856
on des lois du corps n’explique nullement l’amour
d’
un Tristan, par exemple. Elle rend d’autant plus évidente l’interventi
857
ment l’amour d’un Tristan, par exemple. Elle rend
d’
autant plus évidente l’intervention d’un facteur « étranger » seul cap
858
. Elle rend d’autant plus évidente l’intervention
d’
un facteur « étranger » seul capable de détourner l’instinct de son bu
859
tervention d’un facteur « étranger » seul capable
de
détourner l’instinct de son but naturel et de transformer le désir en
860
« étranger » seul capable de détourner l’instinct
de
son but naturel et de transformer le désir en une aspiration indéfini
861
ble de détourner l’instinct de son but naturel et
de
transformer le désir en une aspiration indéfinie, c’est-à-dire sans f
862
s chez les peuplades primitives. C’est un jeu que
de
retrouver l’« origine » sacrée des motifs caractéristiques du Roman.
863
ée des motifs caractéristiques du Roman. La quête
de
la fiancée lointaine, par exemple, se rattache au cérémonial du rapt
864
t nuptial, chez les tribus exogamiques. La morale
de
la prouesse est une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plu
865
e de la prouesse est une sublimation non déguisée
de
coutumes beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité d’une sélect
866
s beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité
d’
une sélection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir de la mort qu
867
ection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir
de
la mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct de mort décrit pa
868
mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct
de
mort décrit par Freud et par les plus récents biologistes. Mais on ne
869
e histoire européenne… L’antiquité n’a rien connu
de
semblable à l’amour de Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les
870
L’antiquité n’a rien connu de semblable à l’amour
de
Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains,
871
a rien connu de semblable à l’amour de Tristan et
d’
Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains, l’amour est un
872
ux, il leur faut pardonner comme étant malades… »
D’
où vient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce
873
t malades… » D’où vient alors cette glorification
de
la passion, qui est justement ce qui nous touche dans le Roman ? Parl
874
stement ce qui nous touche dans le Roman ? Parler
de
déviation de l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoi
875
i nous touche dans le Roman ? Parler de déviation
de
l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoir, précisémen
876
e l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit
de
savoir, précisément, quel est le facteur qui a pu causer cette déviat
877
.) Platon nous parle dans Phèdre et le Banquet
d’
une fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler d’humeurs maligne
878
fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler
d’
humeurs malignes. Ce n’est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est
879
r tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce
de
fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni
880
loue. Mais il est une autre espèce de fureur, ou
de
délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni ne se crée da
881
agit du dehors, un emportement, un rapt indéfini
de
la raison et du sens naturel. On l’appellera donc enthousiasme, ce qu
882
signifie « endieusement », car ce délire procède
de
la divinité et porte notre élan vers Dieu. Tel est l’amour platonicie
883
l’amour platonicien : « délire divin », transport
de
l’âme, folie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’être aimé
884
l », car l’amour est la voie qui monte par degrés
d’
extase vers l’origine unique de tout ce qui existe, loin des corps et
885
i monte par degrés d’extase vers l’origine unique
de
tout ce qui existe, loin des corps et de la matière, loin de ce qui d
886
e unique de tout ce qui existe, loin des corps et
de
la matière, loin de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’
887
de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur
d’
être soi et d’être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir tota
888
se et distingue, au-delà du malheur d’être soi et
d’
être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c’est l’Asp
889
é à sa plus haute puissance, à l’extrême exigence
de
pureté qui est l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est
890
ême exigence de pureté qui est l’extrême exigence
d’
Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’être actuel, dans sa so
891
gence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation
de
l’être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’élan suprême
892
ir aboutit à ce qui est non-désir. La dialectique
d’
Éros introduit dans la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes
893
ctique d’Éros introduit dans la vie quelque chose
de
tout étranger aux rythmes de l’attrait sexuel : un désir qui ne retom
894
la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes
de
l’attrait sexuel : un désir qui ne retombe plus, que plus rien ne peu
895
atisfaire, qui repousse même et fuit la tentation
de
s’accomplir dans notre monde, parce qu’il ne veut embrasser que le To
896
le Tout. C’est le dépassement infini, l’ascension
de
l’homme vers son dieu. Et ce mouvement est sans retour. ⁂ Les origine
897
nsi l’Orient vint rêver dans nos vies, réveillant
de
très vieux souvenirs. Car au fond de notre Occident, la voix des bard
898
, réveillant de très vieux souvenirs. Car au fond
de
notre Occident, la voix des bardes celtes lui répondait. Je ne sais s
899
armonie ancestrale — toutes nos races sont venues
d’
Orient — ou simplement si la nature humaine n’est point portée en tous
900
ques à ceux des Grecs — la quête du Graal à celle
de
la Toison d’or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration
901
es Grecs — la quête du Graal à celle de la Toison
d’
or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration des âmes à ce
902
raal à celle de la Toison d’or — et les doctrines
de
Pythagore sur la transmigration des âmes à celles des druides sur l’i
903
agent des travaux récents, renforçant l’hypothèse
d’
une communauté originelle des croyances religieuses en Orient et en Oc
904
ome, les Celtes avaient conquis une grande partie
de
l’Europe actuelle. Venus du Sud-Ouest de la Germanie et du Nord-Est d
905
à sac Rome et Delphes, et soumis tous les peuples
de
l’Atlantique à la mer Noire. Ils poussèrent même jusqu’en Ukraine et
906
alates), préfigurant assez exactement l’extension
de
l’Empire romain. Or les Celtes n’étaient pas une nation. Ils n’avaien
907
eltes n’étaient pas une nation. Ils n’avaient pas
d’
autre « unité » que celle d’une civilisation, dont le principe spiritu
908
on. Ils n’avaient pas d’autre « unité » que celle
d’
une civilisation, dont le principe spirituel était maintenu par le col
909
orte internationale », commune à tous les peuples
d’
origine celtique, du fond de la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Ital
910
ne à tous les peuples d’origine celtique, du fond
de
la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les v
911
les d’origine celtique, du fond de la Bretagne et
de
l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les voyages et les renc
912
ent l’union des peuples celtiques et le sentiment
de
leur parenté19 ». Les druides formaient des confréries religieuses do
913
uides formaient des confréries religieuses douées
de
pouvoirs très étendus. Ils étaient à la fois devins, magiciens, médec
914
ecins, prêtres, confesseurs. Ils n’écrivaient pas
de
livres, mais donnaient un enseignement oral, en vers gnomiques, à des
915
s gnomiques, à des élèves qu’ils gardaient auprès
d’
eux pendant vingt ans20. On a pu rapprocher ce collège sacerdotal d’in
916
t ans20. On a pu rapprocher ce collège sacerdotal
d’
institutions tout à fait identiques chez les autres peuples indo-europ
917
euples indo-européens : mages iraniens, brahmanes
de
l’Inde, pontifes et flamines de Rome. Le flamen porte d’ailleurs le m
918
aniens, brahmanes de l’Inde, pontifes et flamines
de
Rome. Le flamen porte d’ailleurs le même nom que le brahmane 21. Il e
919
la mort. Vie aventureuse, très semblable à celle
de
la terre, mais épurée, et dont certains héros pouvaient revenir, sous
920
se mêler aux vivants. Par cette doctrine centrale
de
la survie des âmes, les Celtes s’apparentent aux Grecs. Mais toute do
921
ltes s’apparentent aux Grecs. Mais toute doctrine
de
l’immortalité suppose une préoccupation tragique de la mort. Les Celt
922
l’immortalité suppose une préoccupation tragique
de
la mort. Les Celtes, écrit Hubert, « ont cultivé certainement la méta
923
ubert, « ont cultivé certainement la métaphysique
de
la mort… Ils ont beaucoup rêvé sur la mort. C’était une compagne fami
924
iétant. » De même, dans leur mythologie, « l’idée
de
mort domine tout, et tout la découvre »22. Et cela n’est pas sans inc
925
précis avec ce que l’on a dit plus haut du mythe
de
Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir de mort. D’autre par
926
Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir
de
mort. D’autre part, les dieux celtiques forment deux séries opposées
927
dieux lumineux et dieux sombres. Il nous importe
de
souligner ce fait du dualisme fondamental de la religion des druides.
928
orte de souligner ce fait du dualisme fondamental
de
la religion des druides. Car c’est ici que se révèle la convergence d
929
ues, et hindouistes avec la religion fondamentale
de
l’Europe. De l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprim
930
uistes avec la religion fondamentale de l’Europe.
De
l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les f
931
ion fondamentale de l’Europe. De l’Inde aux rives
de
l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les formes les plus diver
932
mes les plus diverses, ce même mystère du Jour et
de
la Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lu
933
verses, ce même mystère du Jour et de la Nuit, et
de
leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lumière incréée,
934
leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu
de
Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, auteur du mal,
935
dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu
de
Ténèbres, auteur du mal, qui domine toute la Création visible. Des si
936
Création visible. Des siècles avant l’apparition
de
Mani, on peut déceler la même opposition dans les mythologies indo-eu
937
dont l’un au moins intéresse directement l’objet
de
ce livre : la conception de la femme chez les Celtes n’est pas sans r
938
e directement l’objet de ce livre : la conception
de
la femme chez les Celtes n’est pas sans rappeler la dialectique plato
939
st pas sans rappeler la dialectique platonicienne
de
l’Amour. La femme figure aux yeux des druides un être divin et prophé
940
s fée ? », dit-elle. Éros a revêtu les apparences
de
la Femme, symbole de l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mé
941
Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole
de
l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terr
942
s apparences de la Femme, symbole de l’au-delà et
de
cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terrestres. Mais sym
943
sans fin. L’Essylt des légendes sacrées, « objet
de
contemplation, spectacle mystérieux », c’était l’invitation à désirer
944
, dira Goethe. Et Novalis : « La femme est le but
de
l’homme. » Ainsi l’aspiration vers la lumière prend pour symbole l’at
945
qui réside par-delà les étoiles, c’est le royaume
de
Dispater, le père des Ombres. Et de même, le Tristan de Wagner veut s
946
agner veut sombrer, mais pour renaître en un ciel
de
Lumière. La « Nuit » qu’il chante, c’est le Jour incréé. Et sa passio
947
est le Jour incréé. Et sa passion, c’est le culte
d’
Éros, le Désir qui méprise Vénus, même quand il souffre volupté, même
948
même quand il croit aimer un être… On parle trop
de
nirvana ou de bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le f
949
croit aimer un être… On parle trop de nirvana ou
de
bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen de l
950
opos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen
de
l’Occident n’avait pas pu fournir au magicien les éléments les plus a
951
fournir au magicien les éléments les plus actifs
de
son philtre ! Il est frappant de constater d’ailleurs à quel point le
952
les plus actifs de son philtre ! Il est frappant
de
constater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de l’Europe a
953
ater d’ailleurs à quel point le celtisme originel
de
l’Europe a survécu à la conquête romaine et aux invasions germaniques
954
man et les langues romanes attestent l’importance
de
l’héritage celtique. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et de
955
éritage celtique. Plus tard, ce furent des moines
d’
Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conse
956
que. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et
de
Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conservées justeme
957
culte des lettres. Et ceci nous amène aux abords
de
l’époque où se forma notre mythe… ⁂ Mais plus près de nous que Platon
958
près de nous que Platon et les druides, une sorte
d’
unité mystique du monde indo-européen se dessine comme en filigrane à
959
sons le domaine géographique et historique qui va
de
l’Inde à la Bretagne, nous constatons qu’une religion s’y est répandu
960
nous constatons qu’une religion s’y est répandue,
d’
une manière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle de notre ère,
961
ière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle
de
notre ère, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et de la Nuit t
962
re, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et
de
la Nuit tels qu’ils s’étaient élaborés en Perse d’abord, puis dans le
963
nichéenne. Les difficultés mêmes que l’on éprouve
de
nos jours à définir cette religion ne sont pas sans nous renseigner s
964
e par les pouvoirs ou les orthodoxies. On affecta
de
voir en elle la pire menace sociale. Ses fidèles furent massacrés, le
965
e jusqu’à nos jours émanent presque exclusivement
de
ses adversaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine de Mani (qui
966
ersaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine
de
Mani (qui était originaire de l’Iran) a pris, selon les peuples et le
967
ien que la doctrine de Mani (qui était originaire
de
l’Iran) a pris, selon les peuples et leurs croyances, des formes très
968
(Zarathustra ou Zoroastre). De plus il est permis
de
penser que les survivances celtiques dans le Midi languedocien offrir
969
ut doivent être retenus : 1° Le dogme fondamental
de
toutes les sectes manichéennes, c’est la nature divine ou angélique d
970
manichéennes, c’est la nature divine ou angélique
de
l’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit de la matière. Is
971
élique de l’âme, prisonnière des formes créées et
de
la nuit de la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en e
972
’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit
de
la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en exil et sépa
973
formes créées et de la nuit de la matière. Issu
de
la lumière et des dieux Me voici en exil et séparé d’eux. Je suis u
974
a lumière et des dieux Me voici en exil et séparé
d’
eux. Je suis un dieu, et né des dieux Mais maintenant réduit à souff
975
éduit à souffrir. Ainsi lamente le Moi spirituel
d’
un disciple du sauveur Mani, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan d
976
disciple du sauveur Mani, dans l’hymne du Destin
de
l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une p
977
eur Mani, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan
de
l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une part la « réminisc
978
e revenu du Ciel sur la terre, et qui se souvient
de
l’île des immortels. Mais cet élan est sans cesse entravé par la jalo
979
s cet élan est sans cesse entravé par la jalousie
de
Vénus (Dîbat dans le premier hymne cité) qui veut retenir dans la som
980
ant en proie au lumineux Désir. Tel est le combat
de
l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale d
981
eux Désir. Tel est le combat de l’amour sexuel et
de
l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale des anges déchus dans
982
° Il est très important et significatif pour nous
de
remarquer à la suite d’un travail récent25 que la structure de la foi
983
et significatif pour nous de remarquer à la suite
d’
un travail récent25 que la structure de la foi manichéenne « est essen
984
à la suite d’un travail récent25 que la structure
de
la foi manichéenne « est essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu
985
sentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est
de
la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition rati
986
». Autrement dit, qu’il est de la nature profonde
de
cette foi de se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnell
987
dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi
de
se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnelle et « object
988
is angoissée et enthousiasmante (au sens littéral
de
ce terme), d’ordre essentiellement poétique. La « vérité » de la cosm
989
t enthousiasmante (au sens littéral de ce terme),
d’
ordre essentiellement poétique. La « vérité » de la cosmogonie et de l
990
, d’ordre essentiellement poétique. La « vérité »
de
la cosmogonie et de la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans
991
ement poétique. La « vérité » de la cosmogonie et
de
la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans la certitude attest
992
le récitatif du psaume. » Et l’on songe au secret
de
Tristan, qu’il ne peut « dire » mais seulement chanter… ⁂ Toute conce
993
même ; et dans la mort le bien dernier, le rachat
de
la faute d’être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse i
994
ns la mort le bien dernier, le rachat de la faute
d’
être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse indistinction
995
olontaire que représente l’ascèse (aspect négatif
de
l’illumination), nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin de l’
996
), nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin
de
l’esprit, son but, c’est aussi la fin de la vie limitée, obscurcie pa
997
s la fin de l’esprit, son but, c’est aussi la fin
de
la vie limitée, obscurcie par la mutiplicité immédiate. Éros, notre D
998
désirs que pour les sacrifier. L’accomplissement
de
l’Amour nie tout amour terrestre. Et son Bonheur nie tout bonheur ter
999
tout bonheur terrestre. Considéré du point de vue
de
la vie, un tel Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le
1000
ccidental sur lequel se détache notre mythe. Mais
d’
où vient qu’il s’en soit « détaché » justement ? Quelle menace, quelle
1001
duire que par le charme et la secrète incantation
d’
un mythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile de
1002
ythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue
de
l’Évangile de Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole ét
1003
apè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile
de
Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu,
1004
éternel, sans rémission, l’irrévocable hostilité
de
la Nuit terrestre et du Jour transcendant ? Non, car voici la suite d
1005
faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine
de
grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire co
1006
, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et
de
vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloir
1007
s unique venu du Père. (I, 14-15.) L’incarnation
de
la Parole dans le monde — de la Lumière dans les Ténèbres —, tel est
1008
-15.) L’incarnation de la Parole dans le monde —
de
la Lumière dans les Ténèbres —, tel est l’événement inouï qui nous dé
1009
est l’événement inouï qui nous délivre du malheur
de
vivre. Tel est le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’a
1010
us délivre du malheur de vivre. Tel est le centre
de
tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien que l’Écriture
1011
t le centre de tout le christianisme, et le foyer
de
l’amour chrétien que l’Écriture nomme Agapè. Événement sans précédent
1012
ent, et « naturellement » incroyable. Car le fait
de
l’Incarnation est la négation radicale de toute espèce de religion. I
1013
le fait de l’Incarnation est la négation radicale
de
toute espèce de religion. Il est le suprême scandale, non seulement p
1014
arnation est la négation radicale de toute espèce
de
religion. Il est le suprême scandale, non seulement pour notre raison
1015
ison qui n’admet point cette impensable confusion
de
l’infini et du fini, mais surtout pour l’esprit religieux naturel. To
1016
ésir unique, qui aboutit à les nier. Le but final
de
cette dialectique, c’est la non-vie, la mort du corps. La Nuit et le
1017
me créé qui appartient à la Nuit, ne peut trouver
de
salut qu’en cessant d’être, en se « perdant » au sein de la divinité.
1018
à la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant
d’
être, en se « perdant » au sein de la divinité. Mais le christianisme,
1019
la divinité. Mais le christianisme, par son dogme
de
l’incarnation du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique de fon
1020
du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique
de
fond en comble. Au lieu que la mort soit le terme dernier, elle devie
1021
ngile appelle « mort à soi-même », c’est le début
d’
une vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite de l’esprit hors
1022
vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite
de
l’esprit hors du monde, mais son retour en force au sein du monde ! U
1023
nde ! Une recréation immédiate. Une réaffirmation
de
la vie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas de la vie idéal
1024
iate. Une réaffirmation de la vie, non pas certes
de
la vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais de la vie présente
1025
ie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas
de
la vie idéale, mais de la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu —
1026
a vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais
de
la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu — le vrai Dieu — s’est f
1027
— s’est fait homme, et vrai homme. En la personne
de
Jésus-Christ, les ténèbres vraiment ont « reçu » la lumière. Et tout
1028
raiment ont « reçu » la lumière. Et tout homme né
de
femme qui croit cela, renaît de l’esprit dès maintenant : mort à soi-
1029
Et tout homme né de femme qui croit cela, renaît
de
l’esprit dès maintenant : mort à soi-même et mort au monde en tant qu
1030
mais, l’amour n’est plus fuite et perpétuel refus
de
l’acte. Il commence au-delà de la mort, mais il se retourne vers la v
1031
et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà
de
la mort, mais il se retourne vers la vie. Et cette conversion de l’am
1032
s il se retourne vers la vie. Et cette conversion
de
l’amour fait apparaître le prochain. Pour l’Éros, la créature n’était
1033
re n’était qu’un prétexte illusoire, une occasion
de
s’enflammer ; et il fallait aussitôt s’en déprendre, puisque le but é
1034
ait aussitôt s’en déprendre, puisque le but était
de
brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulie
1035
re, puisque le but était de brûler toujours plus,
de
brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulier n’était guère qu’un déf
1036
n’était guère qu’un défaut et un obscurcissement
de
l’Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n
1037
été jusqu’à les revêtir. Et revêtant la condition
de
l’homme pécheur et séparé, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amo
1038
aré, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amour
de
Dieu nous a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle de la sanct
1039
s a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle
de
la sanctification. Le contraire de la sublimation, qui n’était que fu
1040
uvelle : celle de la sanctification. Le contraire
de
la sublimation, qui n’était que fuite illusoire au-delà du concret de
1041
ui n’était que fuite illusoire au-delà du concret
de
la vie. Aimer devient alors une action positive, une action de transf
1042
mer devient alors une action positive, une action
de
transformation. Éros cherchait le dépassement à l’infini. L’amour chr
1043
r aimer Dieu, c’est obéir à Dieu qui nous ordonne
de
nous aimer les uns les autres. Que signifie : Aimez vos ennemis ? C’e
1044
ue signifie : Aimez vos ennemis ? C’est l’abandon
de
l’égoïsme, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme i
1045
os ennemis ? C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi
de
désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est auss
1046
C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi de désir et
d’
angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est aussi la naissan
1047
me, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort
de
l’homme isolé, mais c’est aussi la naissance du prochain. À ceux qui
1048
chain ? Jésus répond : c’est l’homme qui a besoin
de
vous. Tous les rapports humains, dès cet instant, changent de sens. L
1049
s les rapports humains, dès cet instant, changent
de
sens. Le nouveau symbole de l’Amour, ce n’est plus la passion infinie
1050
cet instant, changent de sens. Le nouveau symbole
de
l’Amour, ce n’est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumièr
1051
bole de l’Amour, ce n’est plus la passion infinie
de
l’âme en quête de lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Ég
1052
e n’est plus la passion infinie de l’âme en quête
de
lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Église. L’amour huma
1053
te de lumière, mais c’est le mariage du Christ et
de
l’Église. L’amour humain lui-même s’en trouve transformé. Tandis que
1054
r le mariage. Un tel amour, étant conçu à l’image
de
l’amour du Christ pour son Église (Éph., 5, 25), peut être vraiment r
1055
me l’autre tel qu’il est — au lieu d’aimer l’idée
de
l’amour ou sa mortelle et délicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se mar
1056
élicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se marier que
de
brûler », écrit saint Paul aux Corinthiens.) De plus, c’est un amour
1057
naît dès ici-bas, dans l’obéissance, la plénitude
de
son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et de la Nuit, poussé à son extrême
1058
plénitude de son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et
de
la Nuit, poussé à son extrême logique, aboutissait, du point de vue d
1059
son extrême logique, aboutissait, du point de vue
de
la vie, au malheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’est un
1060
e n’est un malheur mortel que pour l’homme séparé
de
Dieu, mais un malheur recréateur et bienheureux dès cette vie pour le
1061
lut ». 4.Orient et Occident Est-il possible
de
définir l’Orient et l’Occident en dehors de la géographie ? En présen
1062
nce d’un problème aussi complexe, et en l’absence
de
toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que de s
1063
de toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté
d’
un écrivain que de se borner à déclarer son système personnel de référ
1064
atisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que
de
se borner à déclarer son système personnel de références. Ce que j’ap
1065
que de se borner à déclarer son système personnel
de
références. Ce que j’appelle Orient, dans cet ouvrage, c’est une tend
1066
elle Orient, dans cet ouvrage, c’est une tendance
de
l’esprit humain qui a trouvé du côté de l’Asie ses plus hautes et pur
1067
lus hautes et pures expressions. J’entends parler
d’
une forme de mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et m
1068
t pures expressions. J’entends parler d’une forme
de
mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et moniste dans
1069
ntale » ? À la négation du divers, à l’absorption
de
tous en Un, à la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas de die
1070
la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas
de
dieu, comme dans le bouddhisme, avec l’Être-Un universel. Tout cela s
1071
sel. Tout cela suppose une Sagesse, une technique
de
l’illumination progressive — les yogas par exemple — une montée de l’
1072
progressive — les yogas par exemple — une montée
de
l’individu vers l’Unité, où il se perd. Et j’appellerai « occidentale
1073
une différence qualitative infinie ». Donc point
de
fusion possible, ni d’union substantielle. Mais seulement une communi
1074
tive infinie ». Donc point de fusion possible, ni
d’
union substantielle. Mais seulement une communion, dont le modèle est
1075
une communion, dont le modèle est dans le mariage
de
l’Église et de son Seigneur. Cela suppose une illumination subite, ou
1076
dont le modèle est dans le mariage de l’Église et
de
son Seigneur. Cela suppose une illumination subite, ou conversion, un
1077
illumination subite, ou conversion, une descente
de
la Grâce venant de Dieu à l’homme. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l
1078
e, ou conversion, une descente de la Grâce venant
de
Dieu à l’homme. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas de p
1079
Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas
de
peine à démontrer qu’il existe en Orient de nombreuses tendances occi
1080
a pas de peine à démontrer qu’il existe en Orient
de
nombreuses tendances occidentales ; et l’inverse. (Mais je ne fais pa
1081
veut l’union, c’est-à-dire la fusion essentielle
de
l’individu dans le dieu. L’individu distinct — cette erreur douloureu
1082
ticulières, elles ne représentent que des défauts
de
l’Être. Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amo
1083
ue des défauts de l’Être. Nous n’avons donc point
de
prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera en même temps son ascèse, l
1084
s n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation
de
l’Amour sera en même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la
1085
n même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà
de
la vie. Agapè au contraire ne cherche pas l’union qui s’opérerait au
1086
re ne cherche pas l’union qui s’opérerait au-delà
de
la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort
1087
» Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas
d’
être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne tro
1088
joue ici-bas. Le péché n’est pas d’être né, mais
d’
avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne trouverons pas Dieu
1089
e trouverons pas Dieu par une élévation indéfinie
de
notre désir. Nous aurons beau sublimer notre Éros, il ne sera jamais
1090
re Éros, il ne sera jamais que nous-mêmes ! Point
d’
illusions ni d’optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais
1091
sera jamais que nous-mêmes ! Point d’illusions ni
d’
optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais alors, c’est l
1092
. Dieu nous cherche et nous a trouvés par l’amour
de
son Fils abaissé jusqu’à nous. L’Incarnation est le signe historique
1093
squ’à nous. L’Incarnation est le signe historique
d’
une création renouvelée, où le croyant se trouve réintégré par l’acte
1094
où le croyant se trouve réintégré par l’acte même
de
sa foi. Désormais, pardonné et sanctifié, c’est-à-dire réconcilié, l’
1095
et s’aime lui-même en vérité. Pour l’Agapè, point
de
fusion ni d’exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’o
1096
-même en vérité. Pour l’Agapè, point de fusion ni
d’
exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine d’une
1097
ution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine
d’
une vie nouvelle, dont l’acte créateur s’appelle la communion. Et pour
1098
e à s’exalter, mais tel qu’il est dans la réalité
de
sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain —
1099
s tel qu’il est dans la réalité de sa détresse et
de
son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain — n’est-on pas en dr
1100
tresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas
de
prochain — n’est-on pas en droit de conclure que cette forme d’amour
1101
’Éros n’a pas de prochain — n’est-on pas en droit
de
conclure que cette forme d’amour nommée passion doit normalement se d
1102
n’est-on pas en droit de conclure que cette forme
d’
amour nommée passion doit normalement se développer au sein des peuple
1103
es peuples chrétiens — historiquement les peuples
d’
Occident — ne devraient pas connaître la passion, ou tout au moins la
1104
connaître la passion, ou tout au moins la traiter
d’
incroyance ? Or l’Histoire nous oblige à le constater : c’est l’invers
1105
ns qu’en Orient26, et dans la Grèce contemporaine
de
Platon, l’amour humain est très généralement conçu comme le plaisir,
1106
où elle exerce ses ravages aux dépens du monde et
de
soi. L’identification des éléments religieux dont nous avions décelé
1107
s et les mœurs. Serait-ce alors dans le fait même
de
cette contradiction flagrante que résiderait l’explication du mythe ?
1108
ns les mœurs occidentales Pour introduire plus
de
clarté dans ce dédale dialectique, je proposerai le schéma suivant :
1109
rare et méprisée. Christianisme Communion (pas
d’
union essentielle). Amour du prochain. (Mariage heureux.) Conflits dou
1110
nflits douloureux, passion exaltée. Le principe
d’
explication de ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de
1111
eux, passion exaltée. Le principe d’explication
de
ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de Platon et dur
1112
triompha. La primitive Église fut une communauté
de
faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereu
1113
primitive Église fut une communauté de faibles et
de
méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereurs carolingien
1114
ui les imposèrent par la force à tous les peuples
d’
Occident. Dès lors, les vieilles croyances païennes refoulées devinren
1115
ui dans un cadre chrétien, mais privé des secours
d’
une foi réelle, un tel homme, fatalement, devait sentir en lui s’exalt
1116
bare. Il était prêt à accueillir, sous le couvert
de
formes catholiques, toutes les reviviscences des mystiques païennes c
1117
les reviviscences des mystiques païennes capables
de
le « libérer ». C’est ainsi que les doctrines secrètes, dont nous avo
1118
nsi que l’amour-passion, forme terrestre du culte
de
l’Éros, envahit la psyché des élites mal converties et souffrant du m
1119
rmes ésotériques, se déguisa en hérésies secrètes
d’
apparences plus ou moins orthodoxes. Ces hérésies se propagèrent très
1120
où nous les retrouverons un peu plus tard mêlées
de
la manière la plus complexe à la grande renaissance mystique. D’autre
1121
sait pas toujours l’origine et la portée mystique
de
valeurs qu’elle prenait pour une mode et qu’elle accommodait à ses pl
1122
ne devait pas tarder à matérialiser les préceptes
d’
une religion qui pourtant s’opposait au christianisme par son refus de
1123
ourtant s’opposait au christianisme par son refus
de
l’Incarnation, précisément ! Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul
1124
Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul exemple
de
ce processus si typiquement occidental, et qui consiste à garder le s
1125
ental, et qui consiste à garder le signe matériel
d’
une religion dont on trahit l’esprit. Platon liait l’Amour à la Beauté
1126
tendait, c’était d’abord l’essence intellectuelle
de
la perfection incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’est deven
1127
llectuelle de la perfection incréée : l’idée même
de
toute excellence. Qu’est devenue cette doctrine parmi nous ? « Person
1128
ne saurait dire jusqu’à quelles couches profondes
de
l’humanité d’Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’h
1129
e jusqu’à quelles couches profondes de l’humanité
d’
Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’homme le plus s
1130
oniciennes. L’homme le plus simple use couramment
d’
expressions et de notions qui remontent à Platon28. » Mais il en abuse
1131
me le plus simple use couramment d’expressions et
de
notions qui remontent à Platon28. » Mais il en abuse dans le sens où
1132
s il en abuse dans le sens où l’incline sa nature
d’
Occidental. C’est ainsi que le platonisme vulgaire nous a conduits à u
1133
sion : à cette idée que l’amour dépend avant tout
de
la beauté physique — alors qu’en fait cette beauté même n’est que l’a
1134
’est que l’attribut conféré par l’amant à l’objet
de
son choix d’amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour
1135
tribut conféré par l’amant à l’objet de son choix
d’
amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour embellit son
1136
et que la beauté « officielle » n’est pas un gage
d’
être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède, nous rend ave
1137
qui nous obsède, nous rend aveugles à la réalité
de
l’objet tel qu’il est dans sa vérité — ou bien nous la rend peu aimab
1138
rend peu aimable. Et il nous jette à la poursuite
de
chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore, d’où vient ce succès
1139
chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore,
d’
où vient ce succès et cette permanence invincible de l’erreur héritée
1140
où vient ce succès et cette permanence invincible
de
l’erreur héritée d’un Platon mal compris ? C’est qu’elle trouve dans
1141
t cette permanence invincible de l’erreur héritée
d’
un Platon mal compris ? C’est qu’elle trouve dans le cœur de tout homm
1142
n mal compris ? C’est qu’elle trouve dans le cœur
de
tout homme — et spécialement de tout Occidental — de très obscures co
1143
ouve dans le cœur de tout homme — et spécialement
de
tout Occidental — de très obscures complicités. Souvenons-nous du cul
1144
tout homme — et spécialement de tout Occidental —
de
très obscures complicités. Souvenons-nous du culte druidique pour la
1145
mme, être prophétique, « éternel féminin », « but
de
l’homme ». Les Celtes, déjà, tendaient donc à matérialiser l’élan div
1146
y a plus, nous le savons depuis Freud : le « type
de
femme » que chaque homme porte dans son cœur et qu’il assimile d’inst
1147
haque homme porte dans son cœur et qu’il assimile
d’
instinct à la définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la
1148
cœur et qu’il assimile d’instinct à la définition
de
la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoi
1149
définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir
de
la mère « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les
1150
émoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les causes
de
la curieuse contradiction qui apparaît au xiie siècle entre les doct
1151
des contrecoups du christianisme (et spécialement
de
sa doctrine du mariage) dans les âmes où vivait encore un paganisme n
1152
que et contestable si nous n’étions pas en mesure
de
retracer les voies et moyens historiques de cette renaissance de l’Ér
1153
esure de retracer les voies et moyens historiques
de
cette renaissance de l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers l
1154
voies et moyens historiques de cette renaissance
de
l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers le début du xiie sièc
1155
xé sa date : vers le début du xiie siècle. (Date
de
naissance de l’amour-passion !)29 Et nous allons montrer qu’elle port
1156
vers le début du xiie siècle. (Date de naissance
de
l’amour-passion !)29 Et nous allons montrer qu’elle porte un nom par
1157
ares Que toute la poésie européenne soit issue
de
la poésie des troubadours au xiie siècle, c’est ce dont personne ne
1158
« Oui, entre les xie et xiie siècles, la poésie
d’
où qu’elle fût (hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienn
1159
poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu
de
parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du trou
1160
nt être que troubadour, était tenu de parler — et
de
l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du troubadour, qui n’a
1161
t-ce que la poésie des troubadours ? L’exaltation
de
l’amour malheureux. « Il n’y a dans toute la lyrique occitane et la l
1162
qui toujours dit non31. » L’Europe n’a pas connu
de
poésie plus profondément rhétorique : non seulement dans ses formes v
1163
que celle-ci prend sa source dans un système fixe
de
lois, qui seront codifiées sous le nom de leys d’amors. Mais il faut
1164
me fixe de lois, qui seront codifiées sous le nom
de
leys d’amors. Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut pl
1165
de lois, qui seront codifiées sous le nom de leys
d’
amors. Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut plus exalt
1166
Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement
de
l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour possible en cette
1167
ancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà
de
tout amour possible en cette vie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la c
1168
ie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la chasteté. E
d’
amor mou castitaz (d’amour vient chasteté) chante le troubadour toulou
1169
Amour suppose la chasteté. E d’amor mou castitaz (
d’
amour vient chasteté) chante le troubadour toulousain Guilhem Montanha
1170
amoureux. Le poète a gagné sa dame par la beauté
de
son hommage musical. Il lui jure à genoux une éternelle fidélité, com
1171
le fidélité, comme on fait à un suzerain. En gage
d’
amour, la dame donnait à son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoign
1172
ur, la dame donnait à son paladin-poète un anneau
d’
or, lui enjoignait de se lever, et lui déposait un baiser sur le front
1173
son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoignait
de
se lever, et lui déposait un baiser sur le front. Désormais, ces aman
1174
t. Désormais, ces amants seront liés par les lois
de
la cortezia : le secret, la patience, et la mesure, qui n’est pas tou
1175
et la mesure, qui n’est pas tout à fait synonyme
de
la chasteté, nous le verrons, mais plutôt de la retenue… Et surtout,
1176
nyme de la chasteté, nous le verrons, mais plutôt
de
la retenue… Et surtout, l’homme sera le servant de la femme. D’où vie
1177
e la retenue… Et surtout, l’homme sera le servant
de
la femme. D’où vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuel
1178
Et surtout, l’homme sera le servant de la femme.
D’
où vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuellement insati
1179
de la femme. D’où vient cette conception nouvelle
de
l’amour « perpétuellement insatisfait », et cette louange enthousiast
1180
ait », et cette louange enthousiaste et plaintive
d’
« une belle qui toujours dit non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme q
1181
aintive d’« une belle qui toujours dit non » ? Et
d’
où vient ce savant lyrisme qui tout d’un coup se trouve là pour tradui
1182
non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme qui tout
d’
un coup se trouve là pour traduire la passion nouvelle ? On ne saurait
1183
ne saurait trop souligner le caractère miraculeux
de
cette double naissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine d’ann
1184
e cette double naissance, si rapide : en l’espace
d’
une vingtaine d’années, naissance d’une vision de la femme entièrement
1185
aissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine
d’
années, naissance d’une vision de la femme entièrement contraire aux m
1186
: en l’espace d’une vingtaine d’années, naissance
d’
une vision de la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles
1187
d’une vingtaine d’années, naissance d’une vision
de
la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles — la femme s
1188
aditionnelles — la femme se voit élevée au-dessus
de
l’homme, dont elle devient l’idéal nostalgique — et naissance d’une p
1189
t elle devient l’idéal nostalgique — et naissance
d’
une poésie à formes fixes, très compliquées et raffinées, sans précéde
1190
ns toute l’Antiquité ni dans les quelques siècles
de
culture romane qui succèdent à la renaissance carolingienne. Ou bien
1191
tout cela « tombe du ciel », c’est-à-dire jaillit
d’
une inspiration subite et collective — mais encore faudrait-il expliqu
1192
els lieux bien définis ; ou bien tout cela relève
d’
une cause historique précise — mais alors il s’agit de savoir pour que
1193
e cause historique précise — mais alors il s’agit
de
savoir pour quelles raisons elle est demeurée obscure jusqu’à nos jou
1194
estion, et la facilité avec laquelle ils décident
de
n’y point répondre. Tout le monde admet aujourd’hui que la poésie pro
1195
d’hui que la poésie provençale et les conceptions
de
l’amour qu’elle illustre, « loin de s’expliquer par les conditions où
1196
le ne reflète aucunement la réalité, la condition
de
la femme n’ayant pas été, dans les institutions féodales du Midi, moi
1197
« évident » que les troubadours ne tiraient rien
de
la réalité sociale, il paraît non moins évident que leur conception d
1198
, il paraît non moins évident que leur conception
de
l’amour venait d’ailleurs. Quel pouvait être cet ailleurs ? La même q
1199
», écrit M. Jeanroy (quitte à reprocher à chacun
de
ces poètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce d’originalité
1200
te à reprocher à chacun de ces poètes pris à part
de
n’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’être borné à raffi
1201
oètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce
d’
originalité et de s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieu
1202
de n’avoir montré aucune espèce d’originalité et
de
s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieux communs : mais
1203
se risque à formuler une hypothèse sur l’origine
de
la rhétorique courtoise, les spécialistes l’accablent des plus aigres
1204
tte énormité33 ». Diez a montré des ressemblances
de
forme (rythmes et coupes) entre la lyrique arabe et la lyrique proven
1205
peu de culture pour connaître cette poésie. Ainsi
de
chaque réponse proposée : le « sérieux » des savants paraissant consi
1206
consister surtout dans une propension à qualifier
d’
énormité ou de fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phéno
1207
out dans une propension à qualifier d’énormité ou
de
fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phénomène qu’ils pa
1208
ier d’énormité ou de fantaisie tout ce qui menace
de
donner un sens au phénomène qu’ils passent leur vie à étudier. Il est
1209
ru pouvoir tout éclaircir en décelant à l’origine
de
la lyrique provençale des influences religieuses, néo-platoniciennes
1210
ies » ont aussitôt dressé contre elles l’ensemble
de
nos érudits. Wechssler s’est vu traiter de « doctrinaire » — suprême
1211
semble de nos érudits. Wechssler s’est vu traiter
de
« doctrinaire » — suprême injure — et plusieurs ont insinué que la qu
1212
injure — et plusieurs ont insinué que la qualité
d’
Allemand de ce professeur les dispensait de réfuter un système incompa
1213
t plusieurs ont insinué que la qualité d’Allemand
de
ce professeur les dispensait de réfuter un système incompatible avec
1214
ualité d’Allemand de ce professeur les dispensait
de
réfuter un système incompatible avec le clair génie de notre race. Il
1215
futer un système incompatible avec le clair génie
de
notre race. Il reste donc d’une part un phénomène étrange, et d’autre
1216
d’une part un phénomène étrange, et d’autre part,
de
fort savantes réfutations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il es
1217
ge, et d’autre part, de fort savantes réfutations
de
tout ce qui prétend l’expliquer. « Il est également impossible — écri
1218
pliquer. « Il est également impossible — écrit un
de
nos professeurs — de voir dans ces chansons d’amour, qui forment les
1219
lement impossible — écrit un de nos professeurs —
de
voir dans ces chansons d’amour, qui forment les trois quarts de la po
1220
un de nos professeurs — de voir dans ces chansons
d’
amour, qui forment les trois quarts de la poésie provençale, une image
1221
es chansons d’amour, qui forment les trois quarts
de
la poésie provençale, une image fidèle de la réalité et un pur assemb
1222
quarts de la poésie provençale, une image fidèle
de
la réalité et un pur assemblage de formules vides de sens ». Certes.
1223
e image fidèle de la réalité et un pur assemblage
de
formules vides de sens ». Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu
1224
la réalité et un pur assemblage de formules vides
de
sens ». Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu’« en historien sc
1225
qu’« en historien scrupuleux », il se garde bien
de
se prononcer. Ce qui revient à dire que la lyrique courtoise dont il
1226
eux et jusqu’à plus ample informé « un assemblage
de
formules vides de sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un
1227
s ample informé « un assemblage de formules vides
de
sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un philologue qui se
1228
liciter » les textes, fût-ce par le moindre essai
de
les comprendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part, d’une hypot
1229
rendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part,
d’
une hypothèse à tel point scrupuleuse. Je me refuse à supposer un seul
1230
ul instant que les troubadours furent des faibles
d’
esprit, tout juste bons à répéter sans se lasser des formules apprises
1231
me demande, après Aroux et Péladan, si le secret
de
toute cette poésie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près d’e
1232
ie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près
d’
elle qu’on ne l’a fait — tout près : sur place, dans le milieu même où
1233
se trouvait déterminer les formes, même sociales,
de
ce milieu35. Partant de là, constatons qu’un grand fait historique do
1234
es formes, même sociales, de ce milieu35. Partant
de
là, constatons qu’un grand fait historique domine le xiie siècle pro
1235
ne hérésie puissante se répandait. L’on a pu dire
de
la religion cathare qu’elle représenta pour l’Église un péril aussi g
1236
enta pour l’Église un péril aussi grave que celui
de
l’arianisme. Certains ne vont-ils pas jusqu’à prétendre qu’elle fit e
1237
’à prétendre qu’elle fit en Occident des millions
de
fidèles secrets, malgré la très sanglante croisade des albigeois, au
1238
e précise à l’hérésie les sectes néo-manichéennes
d’
Asie Mineure et les églises bogomiles de Dalmatie et de Bulgarie. Les
1239
ichéennes d’Asie Mineure et les églises bogomiles
de
Dalmatie et de Bulgarie. Les « purs » ou cathares36 se rattachaient a
1240
e Mineure et les églises bogomiles de Dalmatie et
de
Bulgarie. Les « purs » ou cathares36 se rattachaient aux grands coura
1241
ait assez que la Gnose, de même que les doctrines
de
Mani ou Manès, plonge des racines dans la religion dualiste de l’Iran
1242
nès, plonge des racines dans la religion dualiste
de
l’Iran. Quelle était la doctrine des cathares ? On a répété très long
1243
son que l’Inquisition avait brûlé tous les livres
de
culte et traités de doctrine de l’Hérésie, et que les seuls témoignag
1244
n avait brûlé tous les livres de culte et traités
de
doctrine de l’Hérésie, et que les seuls témoignages subsistants étaie
1245
é tous les livres de culte et traités de doctrine
de
l’Hérésie, et que les seuls témoignages subsistants étaient les inter
1246
és » par les juges et déformés par les greffiers.
De
fait, la découverte et la publication, en 1939, d’un ouvrage théologi
1247
e fait, la découverte et la publication, en 1939,
d’
un ouvrage théologique (tardif il est vrai) le Livre des deux Principe
1248
des deux Principes 37 s’ajoutant à la restitution
d’
un Nouveau Testament et de rituels utilisés par les Hérétiques38, perm
1249
outant à la restitution d’un Nouveau Testament et
de
rituels utilisés par les Hérétiques38, permet aujourd’hui de connaîtr
1250
utilisés par les Hérétiques38, permet aujourd’hui
de
connaître dans leur ensemble et dans certaines de leurs variations, l
1251
de connaître dans leur ensemble et dans certaines
de
leurs variations, les dogmes de l’« Église d’Amour », nom que l’on a
1252
et dans certaines de leurs variations, les dogmes
de
l’« Église d’Amour », nom que l’on a donné parfois à l’hérésie aussi
1253
nes de leurs variations, les dogmes de l’« Église
d’
Amour », nom que l’on a donné parfois à l’hérésie aussi dite « albigeo
1254
gine permanente et toujours tragiquement actuelle
de
l’attitude cathare, ou d’une manière plus générale du dualisme, dans
1255
s tragiquement actuelle de l’attitude cathare, ou
d’
une manière plus générale du dualisme, dans les religions les plus div
1256
ligions les plus diverses comme dans la réflexion
de
millions d’individus fut et demeure le problème du Mal, tel que l’hom
1257
plus diverses comme dans la réflexion de millions
d’
individus fut et demeure le problème du Mal, tel que l’homme spirituel
1258
ectique et paradoxale qui se résume dans les mots
de
liberté et de grâce. Plus pessimiste et d’une logique plus massive, l
1259
adoxale qui se résume dans les mots de liberté et
de
grâce. Plus pessimiste et d’une logique plus massive, le dualisme sta
1260
s mots de liberté et de grâce. Plus pessimiste et
d’
une logique plus massive, le dualisme statue l’existence absolument hé
1261
lument hétérogène du Bien et du Mal, c’est-à-dire
de
deux mondes et de deux créations. En effet : Dieu est Amour, mais le
1262
du Bien et du Mal, c’est-à-dire de deux mondes et
de
deux créations. En effet : Dieu est Amour, mais le monde est mauvais.
1263
ais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde,
de
ses ténèbres et du péché qui nous enserre. Sa création première dans
1264
duire les âmes, Lucifer leur a montré « une femme
d’
une beauté éclatante, qui les a enflammées de désir ». Puis il a quitt
1265
emme d’une beauté éclatante, qui les a enflammées
de
désir ». Puis il a quitté le Ciel avec elle, pour descendre dans la m
1266
le. Les âmes-Anges, ayant suivi Satan et la femme
d’
une beauté éclatante, ont été prises dans des corps matériels, qui leu
1267
airer un sentiment fondamental chez l’homme, même
de
nos jours.) L’âme, dès lors, se trouve séparée de son esprit, qui res
1268
de nos jours.) L’âme, dès lors, se trouve séparée
de
son esprit, qui reste au Ciel. Tentée par la liberté, elle devient en
1269
par la liberté, elle devient en fait prisonnière
d’
un corps aux appétits terrestres, soumis aux lois de la procréation et
1270
un corps aux appétits terrestres, soumis aux lois
de
la procréation et de la mort. Mais le Christ est venu parmi nous, pou
1271
terrestres, soumis aux lois de la procréation et
de
la mort. Mais le Christ est venu parmi nous, pour nous montrer le che
1272
rist, en cela semblable à celui des gnostiques et
de
Manès, ne s’est pas vraiment incarné : il n’a pris que l’apparence d’
1273
as vraiment incarné : il n’a pris que l’apparence
d’
un homme. C’est ici la grande hérésie docétiste (du grec dokesis, appa
1274
résie docétiste (du grec dokesis, apparence) qui,
de
Marcion jusqu’à nos jours, traduit notre refus tout « naturel » d’adm
1275
à nos jours, traduit notre refus tout « naturel »
d’
admettre le scandale d’un Dieu-Homme. Les cathares rejettent donc le d
1276
tre refus tout « naturel » d’admettre le scandale
d’
un Dieu-Homme. Les cathares rejettent donc le dogme de l’Incarnation,
1277
Dieu-Homme. Les cathares rejettent donc le dogme
de
l’Incarnation, et a fortiori sa traduction romaine dans le sacrement
1278
fortiori sa traduction romaine dans le sacrement
de
la messe : ils le remplacent par une cène fraternelle, symbolisant de
1279
olateur : ce consolamentum devient le rite majeur
de
leur Église. Il se donnait, lors des cérémonies d’initiation, aux frè
1280
e leur Église. Il se donnait, lors des cérémonies
d’
initiation, aux frères qui acceptaient de renoncer le monde, et s’enga
1281
rémonies d’initiation, aux frères qui acceptaient
de
renoncer le monde, et s’engageaient solennellement à se consacrer à D
1282
ne tuer ni manger nul animal, enfin à s’abstenir
de
tout contact avec leur femme, s’ils étaient mariés. Il semble qu’un j
1283
emme, s’ils étaient mariés. Il semble qu’un jeûne
de
quarante jours41 précédait l’initiation et qu’un autre d’égale durée
1284
nte jours41 précédait l’initiation et qu’un autre
d’
égale durée lui succédait. (Plus tard, au xive siècle, ce jeûne ritue
1285
purs » jusqu’à la mort volontaire, mort par amour
de
Dieu, consommation du détachement suprême de toute loi matérielle.) L
1286
mour de Dieu, consommation du détachement suprême
de
toute loi matérielle.) Le Consolamentum était administré par les évêq
1287
au milieu du cercle des « purs », puis le baiser
de
paix échangé par les frères. Après quoi, l’initié devenait objet de v
1288
r les frères. Après quoi, l’initié devenait objet
de
vénération pour les simples croyants non encore « consolés » : il ava
1289
st-à-dire à trois « révérences ». On a vu le rôle
de
la Femme, appât du diable pour entraîner les âmes dans les corps. En
1290
dans le catharisme un rôle tout analogue à celui
de
la Pistis-Sophia chez les gnostiques. À la Femme instrument de la per
1291
Sophia chez les gnostiques. À la Femme instrument
de
la perdition des âmes, répond Marie, symbole de pure Lumière salvatri
1292
t de la perdition des âmes, répond Marie, symbole
de
pure Lumière salvatrice, Mère intacte (immatérielle) de Jésus, et sem
1293
e Lumière salvatrice, Mère intacte (immatérielle)
de
Jésus, et semble-t-il, Juge plein de douceur des esprits délivrés. Le
1294
mmatérielle) de Jésus, et semble-t-il, Juge plein
de
douceur des esprits délivrés. Les manichéens connaissaient depuis des
1295
les cathares : l’imposition des mains, le baiser
de
paix, et la vénération des Élus (ou « purs »). Il est important de me
1296
nération des Élus (ou « purs »). Il est important
de
mentionner ici la vénération manichéenne s’adressant à la « forme de
1297
a vénération manichéenne s’adressant à la « forme
de
lumière » qui dans chaque homme représente son propre esprit (demeuré
1298
s de la manifestation) et qui accueille l’hommage
de
son âme par un salut et un baiser. L’enfer étant la prison de la mati
1299
ar un salut et un baiser. L’enfer étant la prison
de
la matière, Lucifer, l’ange révolté, n’y peut régner que pour le temp
1300
e durera « l’erreur » des âmes. Au terme du cycle
de
leurs épreuves — comportant plusieurs vies, physiques ou autres, pour
1301
uminés — la création sera réintégrée dans l’unité
de
l’Esprit originel, les pécheurs entraînés par Satan seront sauvés, et
1302
à l’encontre du manichéisme, elle professe l’idée
d’
une création unique, toute divine et toute bonne aux origines. Notons
1303
rait : comme ce fut le cas pour tant de sectes et
de
religions orientales — jaïnisme, bouddhisme, essénisme, gnosticisme c
1304
u imperfecti). Seuls les seconds avaient le droit
de
se marier et de vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’ast
1305
euls les seconds avaient le droit de se marier et
de
vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’astreindre à tous l
1306
les purs, sans s’astreindre à tous les préceptes
de
la morale ésotérique : mortifications corporelles, mépris de la créat
1307
e ésotérique : mortifications corporelles, mépris
de
la création, dissolution de tous les liens mondains. Saint Bernard de
1308
s corporelles, mépris de la création, dissolution
de
tous les liens mondains. Saint Bernard de Clairvaux (cité par Rahn) a
1309
a pu dire des cathares, qu’il combattit pourtant
de
toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas de sermons plus chrét
1310
e toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas
de
sermons plus chrétiens que les leurs, et leurs mœurs étaient pures… »
1311
es… » Ce jugement rachète en partie les calomnies
de
l’Inquisition. Mais on s’étonne de voir ce saint docteur qualifier de
1312
les calomnies de l’Inquisition. Mais on s’étonne
de
voir ce saint docteur qualifier de « chrétienne » une prédication qui
1313
is on s’étonne de voir ce saint docteur qualifier
de
« chrétienne » une prédication qui nie plusieurs des dogmes fondament
1314
ication qui nie plusieurs des dogmes fondamentaux
de
son Église. Quant à la pureté de mœurs des cathares, nous avons vu qu
1315
mes fondamentaux de son Église. Quant à la pureté
de
mœurs des cathares, nous avons vu qu’elle traduisait des croyances fo
1316
qu’elle traduisait des croyances fort différentes
de
celles qui fondent la morale chrétienne orthodoxe. La condamnation de
1317
t la morale chrétienne orthodoxe. La condamnation
de
la chair, où certains croient voir aujourd’hui une caractéristique ch
1318
d’hui une caractéristique chrétienne, est en fait
d’
origine manichéenne et « hérétique ». Car il est essentiel de le rappe
1319
anichéenne et « hérétique ». Car il est essentiel
de
le rappeler ici : la « chair » dont parle saint Paul n’est pas le cor
1320
nt Paul n’est pas le corps physique, mais le tout
de
l’homme incroyant, corps, raison, facultés, désirs — donc l’âme aussi
1321
ires et leur dernier haut lieu, le château-temple
de
Montségur43 — enfin saccagea brutalement la civilisation très raffiné
1322
aient été l’âme austère et secrète. Et cependant,
de
cette culture et de ses doctrines fondamentales, nous sommes encore t
1323
ère et secrète. Et cependant, de cette culture et
de
ses doctrines fondamentales, nous sommes encore tributaires, au-delà
1324
mentales, nous sommes encore tributaires, au-delà
de
ce que l’on imagine… (Comme j’espère le montrer par ce livre.) 7.H
1325
considérer les troubadours comme des « croyants »
de
l’Église cathare, et comme des chantres de son hérésie ? Cette thèse,
1326
ants » de l’Église cathare, et comme des chantres
de
son hérésie ? Cette thèse, que je qualifierai de maxima par contraste
1327
de son hérésie ? Cette thèse, que je qualifierai
de
maxima par contraste avec celle où je crois pouvoir m’arrêter44, fut
1328
t stimulantes : car il semble également difficile
de
la rejeter et de l’accepter, de la démontrer et de n’y pas croire du
1329
ar il semble également difficile de la rejeter et
de
l’accepter, de la démontrer et de n’y pas croire du tout, et cela tie
1330
alement difficile de la rejeter et de l’accepter,
de
la démontrer et de n’y pas croire du tout, et cela tient à l’essence
1331
e la rejeter et de l’accepter, de la démontrer et
de
n’y pas croire du tout, et cela tient à l’essence même du phénomène d
1332
nt à l’essence même du phénomène dont elle essaie
de
rendre compte : à la fois historique et archétypique, psychique et my
1333
t croire que ces deux mouvements soient dépourvus
de
toute espèce de liens ? S’ils étaient demeurés sans nul rapport, ne s
1334
deux mouvements soient dépourvus de toute espèce
de
liens ? S’ils étaient demeurés sans nul rapport, ne serait-ce pas plu
1335
trange que tout ? Mais en revanche, quelle espèce
de
liens peut-on imaginer entre ces noirs cathares, que leur ascétisme c
1336
ts romanistes dans leur conclusion unanime : rien
de
commun entre cathares et troubadours ! Mais l’irrépressible intuition
1337
e révolution psychique du xiie siècle ! Le refus
de
comprendre l’un par l’autre et par un même mouvement de l’esprit l’hé
1338
prendre l’un par l’autre et par un même mouvement
de
l’esprit l’hérésie et l’amour courtois, n’équivaut-il pas au refus de
1339
e et l’amour courtois, n’équivaut-il pas au refus
de
les comprendre isolément ? ⁂ Voyons les présomptions en faveur de la
1340
nt en ruines… Les personnages les plus importants
de
ma terre se sont laissé corrompre. La foule a suivi leur exemple et a
1341
vécu et chanté dans ce monde-là, sans se soucier
de
ce que pensaient, croyaient et sentaient les seigneurs aux dépens des
1342
rs limousins (comme elle le sera bientôt par ceux
de
bien d’autres régions de l’Europe), se trouve être la langue du comté
1343
le sera bientôt par ceux de bien d’autres régions
de
l’Europe), se trouve être la langue du comté de Toulouse ! On a dit a
1344
ervation n’est pas toujours exacte — il s’en faut
de
beaucoup, comme on va voir ! — et de plus il se peut très bien que le
1345
révèle tout au contraire les tendances hérétiques
de
ces cours. Voici le début d’une chanson de Peire Vidal : Mon cœur se
1346
tendances hérétiques de ces cours. Voici le début
d’
une chanson de Peire Vidal : Mon cœur se réjouit à cause du renouveau
1347
tiques de ces cours. Voici le début d’une chanson
de
Peire Vidal : Mon cœur se réjouit à cause du renouveau si agréable et
1348
eau si agréable et si doux, et à cause du château
de
Fanjeaux, qui me semble le Paradis ; car amour et joie s’y enferment,
1349
n son « cathare » ? Mais qu’est-ce que ce château
de
Fanjeaux ? L’une des maisons-mères des cathares ! Le plus fameux des
1350
1193 (notre poème pouvant être daté des environs
de
1190), et c’est là qu’Esclarmonde de Foix, la plus grande Dame de l’h
1351
st là qu’Esclarmonde de Foix, la plus grande Dame
de
l’hérésie, recevra le consolamentum ! La seconde strophe ne parle que
1352
strophe ne parle que des « dames » : Je n’ai pas
d’
ennemi si mortel dont je ne devienne l’ami loyal, s’il me parle des da
1353
Est-il vraiment possible, se demande le lecteur,
d’
imaginer que Peire Vidal soit autre chose qu’un galant amuseur, un fla
1354
oit autre chose qu’un galant amuseur, un flatteur
de
femmes riches — celles qui forment son public ? Mais la suite du poèm
1355
ter pour aller en Provence : ce sont les châteaux
de
Laurac, de Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés de
1356
ler en Provence : ce sont les châteaux de Laurac,
de
Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés de l’Albigeoi
1357
nce : ce sont les châteaux de Laurac, de Gaillac,
de
Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés de l’Albigeois et du Carc
1358
les châteaux de Laurac, de Gaillac, de Saissac et
de
Montréal ; ce sont les comtés de l’Albigeois et du Carcassès « où les
1359
c, de Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés
de
l’Albigeois et du Carcassès « où les chevaliers et les femmes du pays
1360
vons que tous ces châteaux sont des foyers connus
de
l’hérésie, ou même des « maisons d’hérétiques » (sortes de couvents)
1361
foyers connus de l’hérésie, ou même des « maisons
d’
hérétiques » (sortes de couvents) ; que ces comtés sont notoirement ca
1362
sie, ou même des « maisons d’hérétiques » (sortes
de
couvents) ; que ces comtés sont notoirement cathares ; et que cette «
1363
intitule en toute innocence « remerciements pour
de
gracieuses hospitalités », prend ainsi le caractère imprévu d’une sor
1364
hospitalités », prend ainsi le caractère imprévu
d’
une sorte de lettre pastorale ! Et pourtant, je le relis et je me frot
1365
s », prend ainsi le caractère imprévu d’une sorte
de
lettre pastorale ! Et pourtant, je le relis et je me frotte les yeux…
1366
yeux… Comment croire que ce ton badin, ces potins
de
milieu littéraire… S’agirait-il vraiment de « pures coïncidences » ?
1367
otins de milieu littéraire… S’agirait-il vraiment
de
« pures coïncidences » ? Ce doute et cette question renaissent à l’in
1368
s glorifient — sans toujours l’exercer — la vertu
de
chasteté ? Est-ce pure coïncidence si, comme les « purs », ils ne reç
1369
ncidence si, comme les « purs », ils ne reçoivent
de
leur Dame qu’un seul baiser d’initiation ? Et s’ils distinguent deux
1370
, ils ne reçoivent de leur Dame qu’un seul baiser
d’
initiation ? Et s’ils distinguent deux degrés dans le domnei (le prega
1371
et l’entendeire) comme on distingue dans l’Église
d’
Amour les « croyants » et les « parfaits » ? Et s’ils raillent les lie
1372
outes ? Et si l’on retrouve, enfin, dans certains
de
leurs vers, des expressions tirées de la liturgie cathare ? Il ne ser
1373
ns certains de leurs vers, des expressions tirées
de
la liturgie cathare ? Il ne serait que trop facile de multiplier ces
1374
a liturgie cathare ? Il ne serait que trop facile
de
multiplier ces questions. Voyons plutôt les arguments adverses. Tous
1375
roubadours, dira-t-on, ne furent pas dans le camp
de
l’hérésie. Plusieurs finirent leurs jours dans des couvents. Certes,
1376
jour où il fut accusé devant le pape Innocent III
d’
avoir causé la mort de cinq-cents personnes ! D’ailleurs, quand on dém
1377
devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort
de
cinq-cents personnes ! D’ailleurs, quand on démontrerait, à supposer
1378
d’entre les troubadours ignoraient les analogies
de
leur lyrisme et du dogme cathare, on n’aurait pas encore démontré que
1379
re, on n’aurait pas encore démontré que l’origine
de
ce lyrisme n’est pas hérétique. N’oublions pas qu’ils composaient leu
1380
leurs coblas et leurs sirventés selon les canons
d’
une rhétorique admirablement invariable. On peut concevoir une poésie
1381
r une poésie — même très belle — qui serait faite
de
lieux communs dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’est-ce pa
1382
t faite de lieux communs dont le poète ne saurait
d’
où ils viennent. N’est-ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si
1383
Et si l’on dit : ces troubadours ne parlent point
de
leurs croyances dans les poésies qui nous restent — il suffit de rapp
1384
ces dans les poésies qui nous restent — il suffit
de
rappeler que les cathares promettaient, lors de l’initiation, de ne j
1385
les cathares promettaient, lors de l’initiation,
de
ne jamais trahir leur foi, et cela quelle que fût la mort dont ils se
1386
verraient menacés. C’est ainsi que les registres
de
l’Inquisition ne portent pas un seul aveu concernant la minesola (ou
1387
uprême initiation des « purs ». La fréquence même
de
cette question débattue dans les cours d’amour : « Un chevalier peut-
1388
ce même de cette question débattue dans les cours
d’
amour : « Un chevalier peut-il être à la fois marié et fidèle à sa dam
1389
aient subir un apparent « mariage » avec l’Église
de
Rome dont ils étaient les clercs, tout en servant dans leurs « pensée
1390
t dans leurs « pensées » une autre Dame, l’Église
d’
Amour… Bernard Gui, dans son Manuel de l’Inquisiteur, n’affirme-t-il p
1391
f qu’elle représentait pour eux non pas une femme
de
chair, mère de Jésus, mais leur Église ? Mais certains abjurèrent l’
1392
rons-les dans la très pure nudité et transparence
de
leur rhétorique amoureuse. ⁂ Thème de la mort, que l’on préfère aux d
1393
ransparence de leur rhétorique amoureuse. ⁂ Thème
de
la mort, que l’on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc de m
1394
on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc
de
mourir Que de joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pou
1395
dons du monde : Plus m’agrée donc de mourir Que
de
joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit
1396
Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit
de
me plaire tant. Ainsi chante Aimeric de Belenoi. La « joie vilaine »
1397
i. La « joie vilaine », c’est ce qui le guérirait
de
son désir, si justement l’amour sans fin n’était le mal qu’il aime, l
1398
mour sans fin n’était le mal qu’il aime, la « joy
d’
amor », le délire qui prévaut : … en fait, ce fou désir M’occ
1399
t … et ce désir Prévaut — bien que fait
de
délire – Sur tout autre… S’il ne veut pas mourir encore, c’est qu’il
1400
st pas assez détaché du désir, c’est qu’il craint
de
quitter son corps par désespoir, « mortel péché », enfin, c’est qu’il
1401
’il ignore encore à quoi lui peut servir
De
laisser en extase son âme ravir. La doctrine n’exigeait-elle pas qu’
1402
ssitude ni par peur ou douleur, mais dans un état
de
parfait détachement de la matière…48 ». Voici le thème de la séparati
1403
douleur, mais dans un état de parfait détachement
de
la matière…48 ». Voici le thème de la séparation, le leitmotiv de tou
1404
it détachement de la matière…48 ». Voici le thème
de
la séparation, le leitmotiv de tout l’amour courtois : Dieu ! commen
1405
». Voici le thème de la séparation, le leitmotiv
de
tout l’amour courtois : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’e
1406
: cette aube qui doit le réunir à son « copain »
de
route, et donc d’épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », serai
1407
doit le réunir à son « copain » de route, et donc
d’
épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », seraient-ce l’âme et le
1408
ais désirant l’esprit ? Mais souvenons-nous aussi
de
la coutume des missionnaires cheminant deux par deux) : Roi glorieux
1409
Et bientôt viendra l’aube. Mais à la fin
de
la chanson, le troubadour a-t-il trahi ses vœux ? Ou bien a-t-il trou
1410
lus voir aube ni jour Car la plus belle fille qui
de
mère naquit La tient dedans mes bras, donc plus ne me soucie
1411
edans mes bras, donc plus ne me soucie Ni
de
jaloux ni d’aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille
1412
s, donc plus ne me soucie Ni de jaloux ni
d’
aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille dont Wagner
1413
de lancer le trille dont Wagner au deuxième acte
de
Tristan, fera le cri sublime de Brengaine : « Habet acht ! Habet acht
1414
au deuxième acte de Tristan, fera le cri sublime
de
Brengaine : « Habet acht ! Habet acht ! Schon weicht dem Tag die Nach
1415
nuit nous enveloppe ! » Tout comme dans ce début
d’
une autre « aube »50 anonyme : En un verger, sous une loge d’aubépine,
1416
« aube »50 anonyme : En un verger, sous une loge
d’
aubépine, la dame a tenu son ami dans ses bras jusqu’à ce que le guett
1417
oi, et que jamais le guetteur n’annonçât le lever
de
l’aube ! Dieu ! c’est l’aube. Qu’elle vient donc vite ! » Mais cette
1418
ous à jurer que jamais ils ne trahiront le secret
de
leur grande passion — comme s’il s’agissait d’une foi, et d’une foi i
1419
et de leur grande passion — comme s’il s’agissait
d’
une foi, et d’une foi initiatique ? Renoncez, je vous le dis, au nom
1420
nde passion — comme s’il s’agissait d’une foi, et
d’
une foi initiatique ? Renoncez, je vous le dis, au nom d’Amour et au
1421
us le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt que
de
faillir en un seul mot… Quelle est la « dame » qui mériterait ce sac
1422
« dame » qui mériterait ce sacrifice ? Ou ce cri
de
Guillaume de Poitiers : Par elle seule je serai sauvé ! Ou cette in
1423
elle seule je serai sauvé ! Ou cette invocation
d’
Uc de Saint-Circ à une Dame sans merci : Je ne désire pas que Dieu m’
1424
ou bonheur, sinon par vous ! S’il ne s’agit que
de
figures de rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? E
1425
, sinon par vous ! S’il ne s’agit que de figures
de
rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? Et quel Amou
1426
platonicienne ? Dans sa chanson Du moindre tiers
d’
Amour — celui des femmes — Guiraut de Calanson dit des deux autres tie
1427
conviennent Noblesse et Merci ; et le premier est
de
telle élévation qu’au-dessus du ciel plane son pouvoir. Cet Amour un
1428
en soi des grands mystiques hétérodoxes, le Dieu
d’
avant la Trinité dont nous parlent la Gnose et Maître Eckhart, et plus
1429
— est l’émanation intellectuelle et féminine ? Et
d’
où viendrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment d’équivoque don
1430
endrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment
d’
équivoque dont on ne peut se départir à la lecture de ces poèmes amour
1431
quivoque dont on ne peut se départir à la lecture
de
ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien d’une femme réelle51 — le prétex
1432
a lecture de ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien
d’
une femme réelle51 — le prétexte physique est là — mais comme dans le
1433
n’y aurait là, « tout simplement », qu’une manie
d’
idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais d’où provient donc cette m
1434
nie d’idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais
d’
où provient donc cette manie ? D’une « humeur idéalisante » ? Lisons p
1435
ur naturel. Mais d’où provient donc cette manie ?
D’
une « humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique de Peire de Rog
1436
humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique
de
Peire de Rogiers : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin d’ell
1437
rs : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin
d’
elle que j’ai si grand Mon cœur ne s’en doit point défaire Ni jamais j
1438
is rien, car ne sais vouloir qu’ELLE ! Et ce cri
de
Bernart de Ventadour : Elle m’a pris mon cœur, elle m’a pris moi-mêm
1439
ésir et mon cœur assoiffé ! Et ces deux strophes
d’
Arnaut Daniel — un noble qui se fit jongleur errant, et dont les roman
1440
s romanistes assurent que les poèmes sont « vides
de
pensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la mystique nég
1441
ensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise
de
la mystique négative, et ses métaphores invariables ? Je l’aime et l
1442
taphores invariables ? Je l’aime et la recherche
de
si grand cœur que, par excès de désir, je crois que je m’enlèverai to
1443
e et la recherche de si grand cœur que, par excès
de
désir, je crois que je m’enlèverai tout désir si l’on peut rien perdr
1444
aimer. Car son cœur submerge le mien tout entier
d’
un flot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire de Rome, ni qu’o
1445
lot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire
de
Rome, ni qu’on m’en nomme le pape, si je ne dois pas faire retour ver
1446
ruit et elle se damne. ⁂ Il est temps maintenant
de
pousser à l’extrême l’intuition directrice de cette recherche. Si la
1447
ant de pousser à l’extrême l’intuition directrice
de
cette recherche. Si la Dame n’est pas simplement l’Église d’Amour des
1448
cherche. Si la Dame n’est pas simplement l’Église
d’
Amour des cathares (comme ont pu le croire Aroux et Péladan), ni la Ma
1449
phia des hérésies gnostiques (le Principe féminin
de
la divinité), ne serait-elle pas l’Anima, ou plus précisément encore
1450
ou plus précisément encore : la part spirituelle
de
l’homme, celle que son âme emprisonnée dans le corps appelle d’un amo
1451
lle que son âme emprisonnée dans le corps appelle
d’
un amour nostalgique que la mort seule pourra combler ? Dans les Képha
1452
pourra combler ? Dans les Képhalaïa ou Chapitres
de
Manès52, on peut lire au chapitre X comment l’élu qui a renoncé au mo
1453
le consolamentum, généralement donné à l’approche
de
la mort), comment il se voit de la sorte « ordonné » dans l’Esprit de
1454
onné à l’approche de la mort), comment il se voit
de
la sorte « ordonné » dans l’Esprit de Lumière ; comment enfin, au mom
1455
il se voit de la sorte « ordonné » dans l’Esprit
de
Lumière ; comment enfin, au moment de sa mort, la forme de Lumière, q
1456
e ; comment enfin, au moment de sa mort, la forme
de
Lumière, qui est son Esprit, lui apparaît et le console par un baiser
1457
nge lui tend la main droite et le salue également
d’
un baiser d’amour ; comment enfin l’élu vénère sa propre forme de lumi
1458
la main droite et le salue également d’un baiser
d’
amour ; comment enfin l’élu vénère sa propre forme de lumière, sa salv
1459
mour ; comment enfin l’élu vénère sa propre forme
de
lumière, sa salvatrice. Or, qu’attendait de la « Dame de ses pensées
1460
forme de lumière, sa salvatrice. Or, qu’attendait
de
la « Dame de ses pensées », inaccessible par essence, toujours placée
1461
ère, sa salvatrice. Or, qu’attendait de la « Dame
de
ses pensées », inaccessible par essence, toujours placée « en trop ha
1462
p haut lieu » pour lui53, le troubadour souffrant
de
l’amour vrai ? Un seul baiser, un seul regard, un seul salut. Jaufré
1463
eul regard, un seul salut. Jaufré Rudel, au terme
d’
un amour conçu pour une femme qu’il n’a jamais vue, rejoignant enfin c
1464
, rejoignant enfin cette image après la traversée
d’
une mer, meurt dans les bras de la comtesse de Tripoli dès qu’il en a
1465
après la traversée d’une mer, meurt dans les bras
de
la comtesse de Tripoli dès qu’il en a reçu un seul baiser de paix et
1466
sse de Tripoli dès qu’il en a reçu un seul baiser
de
paix et le salut. Il s’agit d’une légende, mais tirée des poèmes qui
1467
eçu un seul baiser de paix et le salut. Il s’agit
d’
une légende, mais tirée des poèmes qui chantent bel et bien « l’amour
1468
rée des poèmes qui chantent bel et bien « l’amour
de
loin ». Il y eut aussi des dames « réelles »… Mais le furent-elles, e
1469
es, en vérité, plus que cet événement psychique ?
De
l’énigme historique, dont plusieurs ont cru voir la solution dans l’h
1470
voir la solution dans l’hypothèse fort excitante
d’
une clandestinité de l’Église hérétique, dont les poètes eussent été l
1471
ns l’hypothèse fort excitante d’une clandestinité
de
l’Église hérétique, dont les poètes eussent été les agents, nous pass
1472
té les agents, nous passons maintenant au mystère
d’
une passion proprement religieuse, d’une conception mystique de l’homm
1473
t au mystère d’une passion proprement religieuse,
d’
une conception mystique de l’homme, fortement attestée dans la vie mêm
1474
proprement religieuse, d’une conception mystique
de
l’homme, fortement attestée dans la vie même des âmes. Essayons à nou
1475
tée dans la vie même des âmes. Essayons à nouveau
de
repérer, entre les pointes et les oscillations extrêmes de cette rech
1476
r, entre les pointes et les oscillations extrêmes
de
cette recherche, la réalité généralement intermédiaire, donc moins «
1477
gré moi, des conclusions dont l’importance risque
de
se mesurer au nombre d’objections qu’elles soulèveront. Je ne songe p
1478
dont l’importance risque de se mesurer au nombre
d’
objections qu’elles soulèveront. Je ne songe pas à esquiver des critiq
1479
e j’espère fécondes. Mais le lecteur me saura gré
de
tenir compte des doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et d’ind
1480
es doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et
d’
indiquer en bref par quelles raisons je crois pouvoir les surmonter. O
1481
e mal connue et qu’il est donc au moins prématuré
d’
y voir la source (ou l’une des sources principales) du lyrisme courtoi
1482
t qu’ils suivaient cette religion, ou que c’était
d’
elle qu’ils parlaient ; 3° Qu’au contraire, l’amour qu’ils exaltent n’
1483
du désir sexuel ; 4° Qu’on distingue mal comment,
de
la confuse combinaison de doctrines manichéennes et néo-platonicienne
1484
distingue mal comment, de la confuse combinaison
de
doctrines manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond de traditio
1485
s manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond
de
traditions celtibériques, aurait pu naître une rhétorique aussi préci
1486
çal resterait totalement obscur, comme il ressort
de
l’aveu même des romanistes. Or je le répète, je me refuse, pour ma pa
1487
sidérer comme absurde une poétique et une éthique
de
l’amour d’où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles
1488
me absurde une poétique et une éthique de l’amour
d’
où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de l
1489
dans les siècles suivants, les plus belles œuvres
de
la littérature occidentale. D’autre part, ce que l’on connaît aujourd
1490
contestations possibles les origines manichéennes
de
l’hérésie. Or, si l’on se reporte à ce qui fut dit plus haut (II, 2)
1491
nichéens en général, il apparaît qu’un supplément
d’
information sur telle ou telle nuance ou altération qu’auraient reçues
1492
dogme catholique ; à quoi s’ajoutent des éléments
de
vocabulaire et de syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On
1493
à quoi s’ajoutent des éléments de vocabulaire et
de
syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On peut imaginer que
1494
tretiennent avec le néo-manichéisme des relations
d’
un type analogue54. Au surplus, la tonalité hérétique des lieux commun
1495
surplus, la tonalité hérétique des lieux communs
de
la rhétorique courtoise devient sensible dès que l’on compare ces lie
1496
ble dès que l’on compare ces lieux communs à ceux
de
la poésie cléricale de l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que J
1497
e ces lieux communs à ceux de la poésie cléricale
de
l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que Jeanroy n’a pas été sans
1498
ue Jeanroy n’a pas été sans le remarquer. Parlant
de
la lyrique abstraite des troubadours du xiiie siècle et de la confus
1499
que abstraite des troubadours du xiiie siècle et
de
la confusion qu’elle favorise, de Dieu et de la Dame des pensées, il
1500
iiie siècle et de la confusion qu’elle favorise,
de
Dieu et de la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on,
1501
e et de la confusion qu’elle favorise, de Dieu et
de
la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures
1502
il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures
de
rhétorique sans conséquences. Soit. Mais les théories que les troubad
1503
ourquoi n’y a-t-il dans leurs œuvres aucune trace
de
ce déchirement intérieur, de ce dissidio qui rend si pathétiques cert
1504
œuvres aucune trace de ce déchirement intérieur,
de
ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers de Pétrarque55 » ?
1505
ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers
de
Pétrarque55 » ? 2. Les troubadours gardent le secret. À la thèse du c
1506
t supposer chez l’homme du xiie siècle une forme
de
conscience qui ne pouvait être la sienne. Si l’on essaie de se replac
1507
nce qui ne pouvait être la sienne. Si l’on essaie
de
se replacer dans l’atmosphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absen
1508
osphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absence
de
signification symbolique d’une poésie serait un fait beaucoup plus sc
1509
perçoit que l’absence de signification symbolique
d’
une poésie serait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut être à
1510
peut être à nos yeux, par exemple, le symbolisme
de
la Dame. Dans l’optique de l’homme médiéval, toute chose signifie aut
1511
s rêves, et cela sans qu’intervienne aucun effort
de
traduction conceptuelle. En d’autres termes, le médiéval n’a pas beso
1512
e. En d’autres termes, le médiéval n’a pas besoin
de
se formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni d’en prendre une c
1513
e formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni
d’
en prendre une conscience distincte. Il est indemne de ce rationalisme
1514
prendre une conscience distincte. Il est indemne
de
ce rationalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et
1515
onalisme qui nous permet, à nous autres modernes,
d’
isoler et d’abstraire de toute ambiance significative les objets que n
1516
nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et
d’
abstraire de toute ambiance significative les objets que nous considér
1517
, à nous autres modernes, d’isoler et d’abstraire
de
toute ambiance significative les objets que nous considérons56. L’un
1518
celui, entre autres, du mystique Suso : « La vie
de
la chrétienté médiévale est, dans toutes ses manifestations, saturée
1519
vale est, dans toutes ses manifestations, saturée
de
représentations religieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaire
1520
ions, saturée de représentations religieuses. Pas
de
choses ou d’actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche c
1521
de représentations religieuses. Pas de choses ou
d’
actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche constamment à
1522
e rapport avec la foi. Mais dans cette atmosphère
de
saturation, la tension religieuse, l’idée transcendantale, l’élan ver
1523
banalité, en choquant matérialisme à prétentions
d’
au-delà. Même chez un mystique de l’envergure d’un Henri Suso, le subl
1524
me à prétentions d’au-delà. Même chez un mystique
de
l’envergure d’un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le
1525
s d’au-delà. Même chez un mystique de l’envergure
d’
un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le ridicule. Il e
1526
uvresse. Sublime encore, quand il suit les usages
de
l’amour profane et célèbre le jour de l’an et le premier mai en offra
1527
ser du reste ? À table, il mange les trois quarts
d’
une pomme en l’honneur de la Trinité, et le dernier quart par amour po
1528
l mange les trois quarts d’une pomme en l’honneur
de
la Trinité, et le dernier quart par amour pour la Mère céleste qui do
1529
il double la cinquième gorgée parce que du flanc
de
Jésus, coula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification de la vie p
1530
gée parce que du flanc de Jésus, coula du sang et
de
l’eau. Voilà la sanctification de la vie poussée à ses extrêmes limit
1531
oula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification
de
la vie poussée à ses extrêmes limites57. » Dira-t-on que l’on tombe i
1532
eu plus loin que « la naïve conscience religieuse
de
la multitude n’avait pas besoin de preuves intellectuelles en matière
1533
nce religieuse de la multitude n’avait pas besoin
de
preuves intellectuelles en matière de foi : la seule présence d’une i
1534
llectuelles en matière de foi : la seule présence
d’
une image visible des choses saintes suffisait à en démontrer la vérit
1535
bolique aux yeux des initiés et des sympathisants
de
l’Église d’Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idé
1536
yeux des initiés et des sympathisants de l’Église
d’
Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idée, stricteme
1537
tre valables, dussent être commentés et expliqués
d’
une manière non symbolique… Une objection inverse a été faite : commen
1538
n’ait dénoncé les troubadours comme propagateurs
de
l’hérésie ? La réponse me paraît aisée. Il est clair que les troubado
1539
me des « croyants », et plus souvent encore comme
de
simples sympathisants. Ces distinctions, d’ailleurs, étaient bien moi
1540
ient bien moins tranchées qu’elles ne le seraient
de
nos jours. Ils chantaient, pour un public en majorité favorable à l’h
1541
blic en majorité favorable à l’hérésie, une forme
d’
amour qui se trouvait correspondre (et répondre) à la situation morale
1542
tuation morale très difficile résultant à la fois
de
la condamnation religieuse portée sur la sexualité par les Parfaits,
1543
euse portée sur la sexualité par les Parfaits, et
de
la révolte naturelle contre la conception orthodoxe du mariage, récem
1544
allait de soi. Dans ce cas, le symbole se double
d’
une allégorie, et prend un sens cryptographique. Je veux parler de l’é
1545
et prend un sens cryptographique. Je veux parler
de
l’école du trobar clus, déjà citée, et que M. Jeanroy définit en ces
1546
onsistait alors à recouvrir une pensée religieuse
d’
un vêtement profane, à appliquer à l’amour divin les formules consacré
1547
es formules consacrées par l’usage à l’expression
de
l’amour humain58. » Le trobar clus ne serait ainsi qu’un jeu littérai
1548
avoir d’autres causes » qu’on « ne se flatte pas
de
débrouiller ». (Op. cit., II, p. 16). Mais le troubadour Alegret l’a
1549
avance et je lui dirai comment il me fut possible
d’
y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette manière d’embr
1550
me fut possible d’y mettre deux (var. trois) mots
de
sens divers. » Cette manière d’embrouiller les sens (entrebescar disa
1551
(var. trois) mots de sens divers. » Cette manière
d’
embrouiller les sens (entrebescar disaient les Provençaux : entrelacer
1552
trelacer) s’expliquerait-elle par une « intention
d’
intriguer l’auditeur et de lui poser une énigme » ? On peut penser que
1553
lle par une « intention d’intriguer l’auditeur et
de
lui poser une énigme » ? On peut penser que les troubadours étaient m
1554
dours entendaient-ils leurs propres symboles ? Et
d’
une manière plus générale, quelle espèce de conscience avons-nous des
1555
s ? Et d’une manière plus générale, quelle espèce
de
conscience avons-nous des métaphores que nous utilisons dans nos écri
1556
poésie baignait dans l’atmosphère la plus chargée
de
passions. Les actions que nous rapportent les chroniqueurs du temps s
1557
s plus « surréalistes » qu’ait connues l’histoire
de
nos mœurs… Qu’on se rappelle ce seigneur jaloux qui tue le troubadour
1558
e ce seigneur jaloux qui tue le troubadour favori
de
sa femme, et fait servir le cœur de la victime sur un plat. La dame l
1559
badour favori de sa femme, et fait servir le cœur
de
la victime sur un plat. La dame le mange sans savoir ce que c’est. Le
1560
ets si savoureux que jamais plus ne mangerai rien
d’
autre ! » et elle se jette par la fenêtre du donjon. On admettra que c
1561
gine. 3. L’Amour courtois serait une idéalisation
de
l’amour charnel. C’est la thèse la plus courante. On pourrait se born
1562
me médiéval procède généralement de haut en bas —
de
ciel en terre — ce qui réfute les conclusions modernes déduites du pr
1563
i aussi, dans la lyrique courtoise une expression
de
sentiments religieux de l’époque60, Jeanroy écrit : « Dans ces affirm
1564
courtoise une expression de sentiments religieux
de
l’époque60, Jeanroy écrit : « Dans ces affirmations hardies, il y a d
1565
affirmations hardies, il y a du reste une erreur
de
fait aisée à relever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée de so
1566
elever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée
de
son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules creuses o
1567
e son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu
de
formules creuses on le peut admettre. Mais au début et jusqu’à la fin
1568
siècle, il n’en était pas ainsi : chez les poètes
de
cette époque, l’expression du désir charnel est si vive et parfois si
1569
parfois si brutale qu’il est vraiment impossible
de
se tromper sur la nature de leurs aspirations. » Si c’est le cas, on
1570
t vraiment impossible de se tromper sur la nature
de
leurs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande d’où vient la gên
1571
urs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande
d’
où vient la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé d
1572
se demande d’où vient la gêne et l’« agacement »
de
l’auteur lorsqu’il est obligé de reconnaître l’équivoque des expressi
1573
l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé
de
reconnaître l’équivoque des expressions courtoises et leurs résonance
1574
tain — doit-il avouer — que les idées religieuses
d’
une époque influent généralement sur la conception qu’on se fait de l’
1575
uent généralement sur la conception qu’on se fait
de
l’amour, et surtout que le vocabulaire de la galanterie se règle sur
1576
se fait de l’amour, et surtout que le vocabulaire
de
la galanterie se règle sur celui de la dévotion. Du jour où adorer de
1577
e vocabulaire de la galanterie se règle sur celui
de
la dévotion. Du jour où adorer devient synonyme d’aimer, cette métaph
1578
e la dévotion. Du jour où adorer devient synonyme
d’
aimer, cette métaphore en entraîne une quantité d’autres. » Mais alors
1579
alors pourquoi rejeter sans discussion l’ouvrage
de
Wechssler, qui soutient que les « théories amoureuses du Moyen Âge ne
1580
ries amoureuses du Moyen Âge ne sont qu’un reflet
de
ses idées religieuses ? » Et pourquoi vouloir à tout prix que les poè
1581
ations « réalistes » et des descriptions précises
de
la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche de ne recourir jama
1582
la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche
de
ne recourir jamais, qu’à des épithètes stéréotypées ? Jaufré Rudel, p
1583
, dit très nettement que sa Dame est une création
de
son esprit, et qu’elle s’évanouit avec l’aube. Ailleurs, c’est la « p
1584
qu’il veut aimer. Cependant M. Jeanroy s’inquiète
de
trouver dans ses poèmes « des détails qui paraissent nous plonger dan
1585
». Exemples donnés : « Je suis en doute au sujet
d’
une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est que tout ce que le f
1586
t que toute la poésie des troubadours fût l’œuvre
d’
un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette expression
1587
Où est alors cette expression « vive et brutale »
d’
un désir évidemment charnel ? Dans la crudité de certains termes ? Mai
1588
» d’un désir évidemment charnel ? Dans la crudité
de
certains termes ? Mais elle était courante et naturelle avant le puri
1589
nt est anachronique. Voici par contre un document
de
poids à l’appui de la thèse symboliste. Raimbaut d’Orange écrit un po
1590
e, dit-il, soyez brutaux, « donnez-leur des coups
de
poing sur le nez » (est-ce assez « cru » ?), forcez-les : car c’est c
1591
comporte autrement, c’est que je ne me soucie pas
d’
aimer. Je ne veux pas me gêner pour les femmes, pas plus que si toutes
1592
op parler est pis que péché mortel. Or nous avons
de
ce même Raimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange de la Dame
1593
ortel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange
d’
admirables poèmes à la louange de la Dame. Et nous savons par ailleurs
1594
aimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange
de
la Dame. Et nous savons par ailleurs que l’anneau (échangé par Trista
1595
nneau (échangé par Tristan et Iseut) est le signe
d’
une fidélité qui justement n’est pas celle des corps. Soulignons enfin
1596
Soulignons enfin ce fait capital : que les vertus
de
la cortezia : humilité, loyauté, respect et fidélité envers la Dame,
1597
a Dame, sont ici rapportées expressément au refus
de
l’amour physique. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes de Da
1598
ue. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes
de
Dante être d’autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs image
1599
, nous verrons plus tard les poèmes de Dante être
d’
autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs images que Béatrice
1600
Béatrice s’élèvera davantage dans une hiérarchie
d’
abstractions mystiques, figurant d’abord la philosophie, puis la Scien
1601
ardents parmi les troubadours à louer les beautés
de
leur Dame, Arnaut Daniel et l’italien Guinizelli sont placés au chant
1602
us amène à reconnaître enfin la réelle complexité
d’
un problème dont nous avons souligné jusqu’ici, non sans une volontair
1603
cru que la cortezia était une simple idéalisation
de
l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif de soutenir que l’
1604
’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif
de
soutenir que l’idéal mystique sur quoi elle se fondait à l’origine fû
1605
ervé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltation
de
la chasteté produit presque toujours des excès luxurieux. Sans nous a
1606
cès luxurieux. Sans nous attarder aux accusations
de
débauche que beaucoup ont portées contre les troubadours — l’on sait
1607
les troubadours — l’on sait au vrai peu de choses
de
leur vie — nous rappellerons l’exemple des sectes gnostiques, qui con
1608
particulier l’attrait des sexes, mais déduisaient
de
cette condamnation une morale étrangement débridée. Les carpocratiens
1609
saient le sperme62. Il est probable que des excès
de
ce genre se produisirent aussi chez les cathares, et plus encore chez
1610
rifiantes figurent à cet égard dans les registres
de
l’Inquisition. Notons toutefois qu’elles sont souvent contradictoires
1611
cepter le christianisme primitif. Et il est juste
de
citer ici le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de fouiller
1612
rimitif. Et il est juste de citer ici le jugement
d’
un dominicain qui eut l’occasion de fouiller dans les archives du sain
1613
ci le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion
de
fouiller dans les archives du saint Office, et qui s’exprime ainsi au
1614
ice, et qui s’exprime ainsi au sujet des cathares
d’
Italie, ou patarins : « Malgré toutes mes recherches, dans les procédu
1615
à tout, leurs erreurs étaient plutôt des erreurs
d’
intelligence que de sensualité 63. » Retenons donc ceci, qui nuance no
1616
urs étaient plutôt des erreurs d’intelligence que
de
sensualité 63. » Retenons donc ceci, qui nuance notre schéma : si les
1617
nc ceci, qui nuance notre schéma : si les erreurs
de
la passion — au sens précis que je donne à ce mot — sont d’origine re
1618
ion — au sens précis que je donne à ce mot — sont
d’
origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent fl
1619
, ou comme dit Platon dans le Banquet : « l’amour
de
gauche. » ⁂ Tout ceci m’amène à conclure — quels qu’aient pu être mes
1620
Pour nous faciliter une représentation analogique
de
ce processus minimum d’inspiration et d’influence, prenons un exemple
1621
représentation analogique de ce processus minimum
d’
inspiration et d’influence, prenons un exemple moderne. Un exemple don
1622
alogique de ce processus minimum d’inspiration et
d’
influence, prenons un exemple moderne. Un exemple dont je crois pouvoi
1623
ment connues (au sens total) par plusieurs hommes
de
ma génération : je veux parler du surréalisme et de l’influence de Fr
1624
ma génération : je veux parler du surréalisme et
de
l’influence de Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de
1625
: je veux parler du surréalisme et de l’influence
de
Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de notre civilisa
1626
eud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur
de
notre civilisation détruite : il a devant les yeux quelques poèmes su
1627
ration sémite. Du moins sait-on par les pamphlets
de
ses adversaires que cette école proposait une théorie érotique des rê
1628
araissent présenter aucun sens, et l’on se plaint
de
leur monotonie ; toujours les mêmes images érotiques et sanglantes, l
1629
érateur « peu sérieux » imagine alors l’hypothèse
d’
une influence de la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïnc
1630
rieux » imagine alors l’hypothèse d’une influence
de
la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïncidence des dates
1631
du surréalisme : coïncidence des dates, analogie
de
thèmes fondamentaux… Les spécialistes du xxe siècle haussent les épa
1632
u’il n’en existe plus. — Dans ce cas, il convient
de
surseoir à toute hypothèse cohérente. En attendant, le bon sens suffi
1633
montrer : 1° que le peu de choses que nous savons
de
la psychanalyse n’autorise pas à faire de cette doctrine la source de
1634
savons de la psychanalyse n’autorise pas à faire
de
cette doctrine la source des textes connus. (Il semble bien que Freud
1635
nt tout un savant ; qu’il ait soutenu une théorie
de
la libido ; et qu’il ait pris une attitude déterministe : or le surré
1636
e littéraire avant tout ; on ne retrouve le terme
de
libido dans aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont de tend
1637
aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont
de
tendance idéaliste-anarchisante) ; 2° que les surréalistes n’ont jama
1638
alystes ; 4° qu’enfin l’on distingue mal comment,
d’
une science qui se donnait pour objet l’analyse et la cure des névrose
1639
ure des névroses, aurait pu naître une rhétorique
de
la folie, c’est-à-dire un défi à toute science en général et à toute
1640
vaient nul besoin et n’avaient pas la possibilité
de
parler de libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la
1641
besoin et n’avaient pas la possibilité de parler
de
libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur d’u
1642
s poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur
d’
une erreur initiale sur la portée exacte de la doctrine de Freud (déte
1643
faveur d’une erreur initiale sur la portée exacte
de
la doctrine de Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tire
1644
reur initiale sur la portée exacte de la doctrine
de
Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments
1645
-positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments
de
leur lyrisme (ce dernier trait me paraît capital pour l’analogie que
1646
ns enfin qu’il a suffi que quelques-uns des chefs
de
cette école lisent Freud : les disciples se sont bornés à imiter la r
1647
outre, on aperçoit, par cet exemple, que l’action
d’
une doctrine sur des poètes s’exerce moins par influence directe qu’à
1648
exerce moins par influence directe qu’à la faveur
d’
une certaine ambiance de scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée
1649
ce directe qu’à la faveur d’une certaine ambiance
de
scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux.
1650
’à la faveur d’une certaine ambiance de scandale,
de
snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui expli
1651
une certaine ambiance de scandale, de snobisme et
d’
intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal d’e
1652
par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal
d’
erreurs, variations et contradictions chez les poètes influencés. D’où
1653
ons et contradictions chez les poètes influencés.
D’
où résulte qu’un surcroît d’informations sur la nature exacte des théo
1654
es poètes influencés. D’où résulte qu’un surcroît
d’
informations sur la nature exacte des théories de Freud, loin de fourn
1655
d’informations sur la nature exacte des théories
de
Freud, loin de fournir aux savants futurs les apaisements qu’ils, ser
1656
ts futurs les apaisements qu’ils, seront en droit
d’
attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur « peu sérieu
1657
en droit d’attendre, paraîtra contredire la thèse
de
mon littérateur « peu sérieux ». (Eppur ! C’est lui qui aura raison c
1658
ra raison contre les « vingtiémistes » chevronnés
de
son temps.) On a remarqué qu’à l’objection n° 4, je n’ai répondu jusq
1659
à l’objection n° 4, je n’ai répondu jusqu’ici que
d’
une manière tout indirecte et allusive. C’est qu’elle mérite un traite
1660
au chapitre. 9.Les mystiques arabes Comment
de
la confuse combinaison de doctrines plus ou moins chrétiennes, manich
1661
iques arabes Comment de la confuse combinaison
de
doctrines plus ou moins chrétiennes, manichéennes et néo-platonicienn
1662
? C’est l’argument que les romanistes ont coutume
d’
opposer à l’interprétation religieuse de l’art courtois. Or il se trou
1663
t coutume d’opposer à l’interprétation religieuse
de
l’art courtois. Or il se trouve que dès le ixe siècle, une synthèse
1664
xe siècle, une synthèse non moins « improbable »
de
manichéisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et
1665
non moins « improbable » de manichéisme iranien,
de
néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et bien opérée en Arabie, e
1666
le » de manichéisme iranien, de néo-platonisme et
d’
islamisme s’était bel et bien opérée en Arabie, et de plus, s’était ex
1667
courtoises. ⁂ Lorsque Sismondi avança l’hypothèse
d’
une influence arabe sur la lyrique provençale, A. W. Schlegel lui répo
1668
utenir un pareil paradoxe. Mais Schlegel prouvait
de
la sorte que cette double ignorance était précisément son fait. On l’
1669
it. On l’excusera d’ailleurs si l’on tient compte
de
l’état des études arabisantes à son époque. Des travaux plus récents
1670
ire et l’œuvre, dès le ixe siècle, dans l’islam,
d’
une école de mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour princi
1671
re, dès le ixe siècle, dans l’islam, d’une école
de
mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour principales illust
1672
laj, Al-Ghazali et Sohrawardi d’Alep, troubadours
de
l’Amour suprême, chantres courtois de l’Idée voilée, objet aimé mais
1673
troubadours de l’Amour suprême, chantres courtois
de
l’Idée voilée, objet aimé mais en même temps symbole du Désir divin.
1674
qu’il connaissait par Plotin, Proclus et l’école
d’
Athènes — un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme était par a
1675
n, Proclus et l’école d’Athènes — un continuateur
de
Zoroastre. Son néo-platonisme était par ailleurs très fortement pénét
1676
tonisme était par ailleurs très fortement pénétré
de
représentations mythiques iraniennes. En particulier, il empruntait a
1677
ont s’était inspiré Manès — l’opposition du monde
de
la Lumière et du monde des Ténèbres, dont on a vu qu’elle est fondame
1678
rique amoureuse et chevaleresque, dont les titres
de
quelques traités mystiques de cette école donnent une idée : le Famil
1679
ue, dont les titres de quelques traités mystiques
de
cette école donnent une idée : le Familier des Amants, le Roman des S
1680
Roman des Sept Beautés… Il y a plus. À l’occasion
de
ces traités, les mêmes disputes théologiques se produisirent, qui dev
1681
mer Dieu (comme l’ordonne le sommaire évangélique
de
la Loi). Une créature finie ne peut aimer que le fini. Il en résulta
1682
i. Il en résulta que les mystiques furent obligés
de
recourir à des symboles dont le sens restait secret. (Ainsi la louang
1683
n, dont l’usage était interdit, devint le symbole
de
la divine ivresse d’amour.) Mais compte tenu de cette difficulté part
1684
interdit, devint le symbole de la divine ivresse
d’
amour.) Mais compte tenu de cette difficulté particulière — qui n’est
1685
e de la divine ivresse d’amour.) Mais compte tenu
de
cette difficulté particulière — qui n’est d’ailleurs pas sans rapport
1686
part divine dont l’exaltation aboutît à la fusion
de
l’âme et de la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes m
1687
dont l’exaltation aboutît à la fusion de l’âme et
de
la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes mystiques ten
1688
tendait à établir cette confusion du Créateur et
de
la créature. Et l’on accusa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la
1689
teur et de la créature. Et l’on accusa ces poètes
de
manichéisme déguisé, sur la foi de leur langage symbolique. Al-Hallaj
1690
usa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la foi
de
leur langage symbolique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer
1691
ique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer
de
leur vie cette accusation d’hérésie65. Il est bien émouvant de consta
1692
devaient même payer de leur vie cette accusation
d’
hérésie65. Il est bien émouvant de constater que tous les termes d’une
1693
ette accusation d’hérésie65. Il est bien émouvant
de
constater que tous les termes d’une pareille polémique s’appliquent a
1694
st bien émouvant de constater que tous les termes
d’
une pareille polémique s’appliquent au cas des troubadours, et plus ta
1695
utandis, au cas des grands mystiques occidentaux,
de
Maître Eckhardt à Jean de la Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « co
1696
Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « courtois »
de
la mystique arabe fera sentir à quelles profondeurs le parallélisme t
1697
dent ainsi une communauté — comparable à l’Église
d’
Amour des cathares. b) selon le manichéisme iranien, dont s’inspiraien
1698
chéisme iranien, dont s’inspiraient les mystiques
de
l’école illuminative de Sohrawardi une jeune fille éblouissante atten
1699
inspiraient les mystiques de l’école illuminative
de
Sohrawardi une jeune fille éblouissante attend le fidèle à la sortie
1700
e suis toi-même ! » Or selon certains interprètes
de
la mystique des troubadours, la Dame des pensées ne serait autre que
1701
serait autre que la part spirituelle et angélique
de
l’homme, son vrai moi. Ce qui pourrait nous orienter vers une compréh
1702
ait nous orienter vers une compréhension nouvelle
de
ce que nous appelions le « narcissisme de la passion » (à propos de T
1703
ouvelle de ce que nous appelions le « narcissisme
de
la passion » (à propos de Tristan, chap. viii du Livre Ier). c) Le F
1704
Amants est construit sur l’allégorie du « Château
de
l’Âme » et de ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges
1705
struit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et
de
ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges habite un per
1706
et de ses différents étages et loges. Dans l’une
de
ces loges habite un personnage qui se nomme l’Idée voilée. Elle « con
1707
lle « connaît les secrets qui guérissent et c’est
d’
elle que l’on apprend la magie ». (L’Iseut celtique était aussi une ma
1708
seut celtique était aussi une magicienne, « objet
de
contemplation, spectacle mystérieux ».) Dans le Château de l’Âme habi
1709
plation, spectacle mystérieux ».) Dans le Château
de
l’Âme habitent d’autres personnages allégoriques, tels que Beauté, Dé
1710
r, le Bien connu : comment ne pas songer au Roman
de
la Rose ? Et le symbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage d
1711
mbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage
de
Nizam de Ganja : le Roman des Sept Beautés, qui conte les aventures d
1712
e Roman des Sept Beautés, qui conte les aventures
de
sept jeunes filles vêtues aux couleurs des planètes et que visite un
1713
te un roi-chevalier. Nous retrouverons le Château
de
l’Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et d’une sainte Thér
1714
s le Château de l’Âme parmi les symboles préférés
d’
un Ruysbroek et d’une sainte Thérèse… d) Dans un poème du « sultan de
1715
Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et
d’
une sainte Thérèse… d) Dans un poème du « sultan des amoureux », Omar
1716
errible qui l’envoûte : Mes concitoyens, étonnés
de
me voir esclave, ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris de
1717
ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris
de
folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe de Nou’
1718
-t-il été pris de folie ? Et que peuvent-ils dire
de
moi, sinon que je m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de
1719
ue peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe
de
Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie
1720
e m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe
de
Nou’m. Quand Nou’m me gratifie d’un regard, cela m’est égal que Sou’d
1721
té, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie
d’
un regard, cela m’est égal que Sou’da ne soit pas complaisante67. » «
1722
laisante67. » « Nou’m » est le nom conventionnel
de
la femme aimée, et signifie ici Dieu. Or les troubadours nommaient au
1723
Dieu. Or les troubadours nommaient aussi la Dame
de
leurs pensées d’un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos é
1724
ubadours nommaient aussi la Dame de leurs pensées
d’
un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos érudits s’épuisent
1725
nt, donne le premier (Sohrawardi : le Bruissement
de
l’aile de Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des trou
1726
le premier (Sohrawardi : le Bruissement de l’aile
de
Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des troubadours, p
1727
thèmes constants du lyrisme des troubadours, puis
de
Dante et enfin de Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » d
1728
u lyrisme des troubadours, puis de Dante et enfin
de
Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » de la Dame une impo
1729
Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut »
de
la Dame une importance apparemment démesurée, mais qui s’explique for
1730
) Les mystiques arabes insistent sur la nécessité
de
garder le secret de l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les ind
1731
es insistent sur la nécessité de garder le secret
de
l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les indiscrets qui voudraie
1732
draient s’enquérir des mystères sans y participer
de
toute leur foi. À l’interrogation d’un impatient : « Qu’est-ce que le
1733
y participer de toute leur foi. À l’interrogation
d’
un impatient : « Qu’est-ce que le soufisme ? », al-Hallaj répond : « N
1734
amants. » De plus, les indiscrets sont soupçonnés
d’
intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les amants à l’autori
1735
provençaux apparaissent des personnages qualifiés
de
losengiers (médisants, indiscrets, espions) et que le troubadour couv
1736
indiscrets, espions) et que le troubadour couvre
d’
invectives. Nos savants commentateurs ne savent trop que faire de ces
1737
os savants commentateurs ne savent trop que faire
de
ces encombrants losengiers, et tentent de s’en débarrasser en affirma
1738
e faire de ces encombrants losengiers, et tentent
de
s’en débarrasser en affirmant que les amants du xiie siècle tenaient
1739
nts du xiie siècle tenaient énormément au secret
de
leurs liaisons (ce qui les distinguerait, sans doute, des amants de t
1740
(ce qui les distinguerait, sans doute, des amants
de
tous les autres siècles) ? g) Enfin, la louange de la mort d’amour e
1741
tous les autres siècles) ? g) Enfin, la louange
de
la mort d’amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-
1742
utres siècles) ? g) Enfin, la louange de la mort
d’
amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh :
1743
me mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repos
de
l’amour est une fatigue, son commencement une maladie, sa fin la mort
1744
mour est une vie ; je rends grâce à ma Bien-aimée
de
me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas de son amour ne peut en vi
1745
mée de me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas
de
son amour ne peut en vivre. C’est ici le cri même de la mystique occ
1746
on amour ne peut en vivre. C’est ici le cri même
de
la mystique occidentale mais aussi du lyrisme provençal. C’est l’orai
1747
du lyrisme provençal. C’est l’oraison jaculatoire
de
sainte Thérèse : Je meurs de ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En m
1748
’oraison jaculatoire de sainte Thérèse : Je meurs
de
ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En me tuant vous me ferez vivre,
1749
ous me ferez vivre, car pour moi c’est mourir que
de
vivre, et vivre que de mourir. La vie, c’est en effet le jour terrest
1750
pour moi c’est mourir que de vivre, et vivre que
de
mourir. La vie, c’est en effet le jour terrestre des êtres contingent
1751
ur terrestre des êtres contingents et le tourment
de
la matière ; mais la mort, c’est la nuit de l’illumination, l’évanoui
1752
rment de la matière ; mais la mort, c’est la nuit
de
l’illumination, l’évanouissement des formes illusoires, l’union de l’
1753
, l’évanouissement des formes illusoires, l’union
de
l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-
1754
sement des formes illusoires, l’union de l’Âme et
de
l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-il pour les
1755
du plus grand Amant, puisqu’en exprimant le désir
de
voir Dieu sur le Sinaï, il exprima le désir de sa mort. Et l’on conço
1756
ir de voir Dieu sur le Sinaï, il exprima le désir
de
sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire de la voie illuminat
1757
sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire
de
la voie illuminative d’un Sohrawardi, d’un Hallaj, ait été le martyre
1758
t que le terme nécessaire de la voie illuminative
d’
un Sohrawardi, d’un Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de
1759
cessaire de la voie illuminative d’un Sohrawardi,
d’
un Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’amour :
1760
un Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet
de
la joy d’amour : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui d
1761
ait été le martyre religieux au sommet de la joy
d’
amour : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui dis : Maîtr
1762
est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie
de
la Beauté attirant à elle les amoureux68. ⁂ On sait enfin que l’amour
1763
onde arabe, celle des Banou Ohdri où l’on mourait
d’
amour à force d’exalter le désir chaste, selon le verset du Coran : «
1764
e des Banou Ohdri où l’on mourait d’amour à force
d’
exalter le désir chaste, selon le verset du Coran : « Celui qui aime,
1765
erset du Coran : « Celui qui aime, qui s’abstient
de
tout ce qui est interdit, qui garde son amour secret, et qui meurt de
1766
nterdit, qui garde son amour secret, et qui meurt
de
son secret, celui-là meurt martyr. » « L’amour ohdri » devint, jusqu’
1767
ohdri » devint, jusqu’en Andalousie, le nom même
de
l’amour qui va s’appeler courtois dans le Midi, puis remonter vers le
1768
is remonter vers le nord celtique, à la rencontre
de
Tristan… ⁂ Peut-on prouver que la poétique arabe a réellement influen
1769
en 1863 : « Un abîme sépare la forme et l’esprit
de
la poésie romane de la forme et de l’esprit de la poésie arabe. » Un
1770
e sépare la forme et l’esprit de la poésie romane
de
la forme et de l’esprit de la poésie arabe. » Un autre savant, Dozy,
1771
me et l’esprit de la poésie romane de la forme et
de
l’esprit de la poésie arabe. » Un autre savant, Dozy, déclare à cette
1772
it de la poésie romane de la forme et de l’esprit
de
la poésie arabe. » Un autre savant, Dozy, déclare à cette époque qu’o
1773
prouvera pas. » Ce ton péremptoire fait sourire.
De
Bagdad à l’Andalousie, la poésie arabe est une, par la langue et l’éc
1774
llaume de Poitiers, dans cinq sur onze des poèmes
de
lui qui nous restent. Les « preuves » de l’influence andalouse sur le
1775
s poèmes de lui qui nous restent. Les « preuves »
de
l’influence andalouse sur les poètes courtois ne sont plus à faire69.
1776
s à faire69. Et je pourrais ici remplir des pages
de
citations d’Arabes et de Provençaux dont nos grands spécialistes de «
1777
Et je pourrais ici remplir des pages de citations
d’
Arabes et de Provençaux dont nos grands spécialistes de « l’abîme qui
1778
is ici remplir des pages de citations d’Arabes et
de
Provençaux dont nos grands spécialistes de « l’abîme qui sépare » aur
1779
bes et de Provençaux dont nos grands spécialistes
de
« l’abîme qui sépare » auraient parfois peine à deviner de quel côté
1780
îme qui sépare » auraient parfois peine à deviner
de
quel côté des Pyrénées elles furent écrites. La cause est entendue. M
1781
des plus extraordinaires confluences spirituelles
de
l’Histoire. D’une part, un grand courant religieux manichéen, qui ava
1782
ie et la France, apportant sa doctrine ésotérique
de
la Sophia-Maria et de l’amour pour la « forme de lumière ». D’autre p
1783
tant sa doctrine ésotérique de la Sophia-Maria et
de
l’amour pour la « forme de lumière ». D’autre part, une rhétorique ha
1784
de la Sophia-Maria et de l’amour pour la « forme
de
lumière ». D’autre part, une rhétorique hautement raffinée, avec ses
1785
aux mêmes endroits, son symbolisme enfin, remonte
de
l’Irak des soufis platonisants et manichéisants jusqu’à l’Espagne ara
1786
qui, semble-t-il, n’attendait plus que ces moyens
de
langage pour dire ce qu’elle n’osait et ne pouvait avouer ni dans la
1787
s le parler vulgaire. La poésie courtoise est née
de
cette rencontre. Et c’est ainsi qu’au dernier confluent des « hérésie
1788
st ainsi qu’au dernier confluent des « hérésies »
de
l’âme et de celles du désir, venues du même Orient par les deux rives
1789
au dernier confluent des « hérésies » de l’âme et
de
celles du désir, venues du même Orient par les deux rives de la mer c
1790
u désir, venues du même Orient par les deux rives
de
la mer civilisatrice, naquit le grand modèle occidental du langage de
1791
ice, naquit le grand modèle occidental du langage
de
l’amour-passion. 10.Vue d’ensemble du phénomène courtois Revena
1792
cidental du langage de l’amour-passion. 10.Vue
d’
ensemble du phénomène courtois Revenant après de longues années sur
1793
’ensemble du phénomène courtois Revenant après
de
longues années sur les problèmes soulevés par les pages qui précèdent
1794
par les pages qui précèdent, j’éprouve le besoin
de
rassembler ici tout un faisceau d’observations nouvelles. Le lecteur
1795
ouve le besoin de rassembler ici tout un faisceau
d’
observations nouvelles. Le lecteur va juger si elles infirment, ou si
1796
conception religieuse, ou simplement une théorie
de
l’homme — et une forme lyrique déterminée. (Rapports entre le soufism
1797
sme et la poésie courtoise des Arabes ; influence
de
Freud sur l’école surréaliste). Les polémiques parfois fort vives pro
1798
ultipliées depuis quinze ans par les spécialistes
de
l’amour courtois, du catharisme et du manichéisme, et peut-être l’exp
1799
éisme, et peut-être l’expérience vécue autant que
de
nouvelles recherches personnelles, tout cela m’amène aujourd’hui à un
1800
s, tout cela m’amène aujourd’hui à une conception
de
la cortezia à peine moins « historique » que celle que j’esquissais p
1801
oute plus psychologique. Je rappelais la relation
de
fait (lieux et dates remarquablement identiques) entre cathares et tr
1802
is à dire : il y a là quelque chose, et l’absence
de
rapports entre ces gens me paraîtrait plus étonnante encore que n’imp
1803
lle hypothèse, « sérieuse » ou non, sur la nature
de
ces rapports. Mais je me gardais de démontrer le détail précis des in
1804
sur la nature de ces rapports. Mais je me gardais
de
démontrer le détail précis des influences, à la manière de beaucoup d
1805
l précis des influences, à la manière de beaucoup
d’
historiens pour qui le réel n’est défini que par des documents écrits.
1806
le leur. Je ne prétends pas fonder sur pièces une
de
ces solutions textuelles et « scientifiques » après quoi, comme le di
1807
isant autant qu’il est possible, la problématique
de
l’amour courtois — parce que je la crois vitale pour l’Occident moder
1808
lques faits, comme un piège. J’éviterai à la fois
d’
indiquer des relations de cause à effet, et de formuler expressément d
1809
ge. J’éviterai à la fois d’indiquer des relations
de
cause à effet, et de formuler expressément des conclusions que l’on p
1810
ois d’indiquer des relations de cause à effet, et
de
formuler expressément des conclusions que l’on pourrait citer hors du
1811
s condamnant le mariage mais fondant une « Église
d’
Amour », opposée à l’Église de Rome71, envahit rapidement la France, d
1812
ondant une « Église d’Amour », opposée à l’Église
de
Rome71, envahit rapidement la France, de Reims au Nord et des confins
1813
l’Église de Rome71, envahit rapidement la France,
de
Reims au Nord et des confins de l’Italie jusqu’à l’Espagne, pour rayo
1814
dement la France, de Reims au Nord et des confins
de
l’Italie jusqu’à l’Espagne, pour rayonner de là sur toute l’Europe. D
1815
fins de l’Italie jusqu’à l’Espagne, pour rayonner
de
là sur toute l’Europe. Dans le même temps, d’autres mouvements hétéro
1816
sant aux prélats ambitieux et aux pompes sacrales
de
l’Église un spiritualisme épuré, ils aboutissent parfois, plus ou moi
1817
nt Bernard de Clairvaux et Abélard sont les pôles
de
ce drame dans l’Église, et au niveau de la spéculation. Mais hors de
1818
incompréhensibles, les oscillations s’amplifient.
D’
Henri de Lausanne et Pierre de Bruys jusqu’à un Amaury de Bène et aux
1819
squ’à un Amaury de Bène et aux frères ortliebiens
de
Strasbourg, tous condamnent le mariage, — que par ailleurs, le pape-m
1820
ue par ailleurs, le pape-moine Grégoire VII vient
d’
interdire aux prêtres. En revanche, beaucoup professent que l’homme ét
1821
beaucoup professent que l’homme étant divin, rien
de
ce qu’il fait avec son corps — cette part du diable — ne saurait enga
1822
ette part du diable — ne saurait engager le salut
de
son âme : « Point de péché au-dessous du nombril ! » précise un évêqu
1823
ne saurait engager le salut de son âme : « Point
de
péché au-dessous du nombril ! » précise un évêque dualiste, excusant
1824
ée par plusieurs sectes. Une forme toute nouvelle
de
poésie naît dans le Midi de la France, patrie cathare : elle célèbre
1825
’idée platonicienne du principe féminin, le culte
de
l’Amour contre le mariage, en même temps que la chasteté. Saint Berna
1826
u Parfaits, puis oppose à la cortezia la mystique
de
l’Amour divin. De nombreux commentaires du Cantique des Cantiques son
1827
ppose à la cortezia la mystique de l’Amour divin.
De
nombreux commentaires du Cantique des Cantiques sont écrits pour les
1828
sont écrits pour les nonnes des premiers couvents
de
femmes, de l’abbaye de Fontevrault si proche du premier troubadour —
1829
pour les nonnes des premiers couvents de femmes,
de
l’abbaye de Fontevrault si proche du premier troubadour — c’est le co
1830
nnes des premiers couvents de femmes, de l’abbaye
de
Fontevrault si proche du premier troubadour — c’est le comte Guillaum
1831
e comte Guillaume de Poitiers — jusqu’au Paraclet
d’
Héloïse. Cette mystique épithalamique se retrouve à la fois chez Berna
1832
es courtois et en lettres, le premier grand roman
d’
amour-passion de notre histoire. Jaufré Rudel va mourir dans les bras
1833
n lettres, le premier grand roman d’amour-passion
de
notre histoire. Jaufré Rudel va mourir dans les bras de la comtesse d
1834
re histoire. Jaufré Rudel va mourir dans les bras
de
la comtesse de Tripoli, « princesse lointaine » qu’il aime sans l’avo
1835
x et au temps où se nouent la légende et le mythe
de
la passion mortelle : Tristan. À cette montée puissante et comme univ
1836
an. À cette montée puissante et comme universelle
de
l’Amour et du culte de la Femme idéalisée, l’Église et le clergé ne p
1837
sante et comme universelle de l’Amour et du culte
de
la Femme idéalisée, l’Église et le clergé ne pouvaient manquer d’oppo
1838
lisée, l’Église et le clergé ne pouvaient manquer
d’
opposer une croyance et un culte qui répondissent au même désir profon
1839
lte qui répondissent au même désir profond, surgi
de
l’âme collective. Il fallait « convertir » ce désir, tout en se laiss
1840
mme pour mieux le capter dans le courant puissant
de
l’orthodoxie72. De là les tentatives multipliées, dès le début du xii
1841
apter dans le courant puissant de l’orthodoxie72.
De
là les tentatives multipliées, dès le début du xiie siècle, pour ins
1842
le début du xiie siècle, pour instituer un culte
de
la Vierge. Marie reçoit généralement, dès cette époque, le titre de r
1843
e reçoit généralement, dès cette époque, le titre
de
regina cœli, et c’est en Reine désormais que l’art va la représenter.
1844
’art va la représenter. À la « Dame des Pensées »
de
la cortezia, on substituera « Notre-Dame ». Et les ordres monastiques
1845
ordres chevaleresques : le moine est « chevalier
de
Marie ». En 1140, à Lyon, les chanoines établissent une fête de l’Imm
1846
1140, à Lyon, les chanoines établissent une fête
de
l’Immaculée-Conception de Notre-Dame. Saint Bernard de Clairvaux eut
1847
fameuse contre « cette fête nouvelle que l’usage
de
l’Église ignore, que la raison n’approuve pas, que la tradition n’aut
1848
torise point… et qui introduit la nouveauté, sœur
de
la superstition, fille de l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau,
1849
duit la nouveauté, sœur de la superstition, fille
de
l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire
1850
saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire
de
la manière la plus précise : « Si Marie eût été conçue sans péché, el
1851
té conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin
d’
être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à un
1852
soin d’être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte
de
la Vierge répondait à une nécessité d’ordre vital pour l’Église menac
1853
» Le culte de la Vierge répondait à une nécessité
d’
ordre vital pour l’Église menacée et entraînée… La papauté, plusieurs
1854
ier trait dont on verra qu’il est tout impossible
de
le rattacher latéralement aux précédents. C’est au xiie siècle que s
1855
tteste en Europe une modification radicale du jeu
d’
échecs, originaire de l’Inde. Au lieu des quatre rois qui dominaient l
1856
modification radicale du jeu d’échecs, originaire
de
l’Inde. Au lieu des quatre rois qui dominaient le jeu primitif, on vo
1857
trouvant d’ailleurs réduit à sa moindre puissance
d’
action réelle, tout en demeurant l’enjeu final et le personnage sacré.
1858
é. 2. Œdipe et les dieux. — Freud désigne du nom
d’
Œdipe le complexe composé dans l’inconscient par l’agressivité du fils
1859
tacle à l’amour pour la mère) et par le sentiment
de
culpabilité qui en résulte. Le poids de l’autorité patriarcale réduit
1860
sentiment de culpabilité qui en résulte. Le poids
de
l’autorité patriarcale réduit le fils au conformisme social et moral
1861
le fils au conformisme social et moral ; le poids
de
l’interdit lié à la mère (donc au principe féminin) inhibe l’amour :
1862
ui touche à la femme reste « impur ». Ce complexe
de
sentiments œdipiens est d’autant plus contraignant que la structure s
1863
« impur ». Ce complexe de sentiments œdipiens est
d’
autant plus contraignant que la structure sociale est plus solide, la
1864
ouvoirs plus révéré. Imaginons maintenant un état
de
la société où le principe de cohésion se relâche ; où la puissance éc
1865
s maintenant un état de la société où le principe
de
cohésion se relâche ; où la puissance économique détenue par le père
1866
divine se divise elle-même, soit en une pluralité
de
dieux, comme en Grèce, soit en un couple dieu-déesse, comme en Égypte
1867
compulsion qui créait le complexe œdipien faiblit
d’
autant. La haine pour le père se concentre sur le démiurge et sur son
1868
sexualité procréatrice, — tandis qu’un sentiment
d’
adoration purifiée peut se porter sur le Dieu-Esprit. En même temps, l
1869
ent libéré : il peut enfin s’avouer sous la forme
d’
un culte rendu à l’archétype divin de la femme, à condition que cette
1870
ous la forme d’un culte rendu à l’archétype divin
de
la femme, à condition que cette Déesse-Mère ne cesse pas d’être virgi
1871
e, à condition que cette Déesse-Mère ne cesse pas
d’
être virginale, qu’elle échappe donc à l’interdit maintenu sur la femm
1872
e échappe donc à l’interdit maintenu sur la femme
de
chair. L’union mystique avec cette divinité féminine devient alors un
1873
des domaines entre tous les fils, ou « pariage »,
d’
où perte d’autorité du Suzerain) ; à une sorte de pré-Renaissance indi
1874
s entre tous les fils, ou « pariage », d’où perte
d’
autorité du Suzerain) ; à une sorte de pré-Renaissance individualiste
1875
d’où perte d’autorité du Suzerain) ; à une sorte
de
pré-Renaissance individualiste ; à l’invasion d’une religion dualiste
1876
de pré-Renaissance individualiste ; à l’invasion
d’
une religion dualiste ; enfin, à cette montée puissante du culte de l’
1877
aliste ; enfin, à cette montée puissante du culte
de
l’Amour, dont je viens de rappeler les manifestations. Nous voici don
1878
nie dans l’Histoire) du phénomène que nous venons
d’
imaginer au paragraphe précédent. Si nous cherchons à nous représenter
1879
ous représenter la situation psychique et éthique
de
l’homme en ce temps-là, nous constatons d’abord qu’il se trouve impli
1880
és dans le cas des simples croyants, c’est-à-dire
de
l’immense majorité des hérétiques. Du côté catholique, le mariage est
1881
ent, cependant qu’il repose en fait sur des bases
d’
intérêt matériel et social, et se voit imposé aux époux sans qu’il soi
1882
voit imposé aux époux sans qu’il soit tenu compte
de
leurs sentiments. En même temps, le relâchement de l’autorité et des
1883
e leurs sentiments. En même temps, le relâchement
de
l’autorité et des pouvoirs ménage, comme nous l’avons vu, une possibi
1884
, comme nous l’avons vu, une possibilité nouvelle
d’
admettre la femme, mais sous le couvert d’une idéalisation, voire d’un
1885
ouvelle d’admettre la femme, mais sous le couvert
d’
une idéalisation, voire d’une divinisation du principe féminin. Ce qui
1886
e, mais sous le couvert d’une idéalisation, voire
d’
une divinisation du principe féminin. Ce qui ne peut qu’aviver la cont
1887
ies dans leur fascinante nouveauté… C’est au cœur
de
cette situation inextricable, c’est comme une résultante de tant de c
1888
ituation inextricable, c’est comme une résultante
de
tant de confusions qui devaient s’y nouer, qu’apparaît la cortezia, «
1889
qu’apparaît la cortezia, « religion » littéraire
de
l’Amour chaste, de la femme idéalisée, avec sa « piété » particulière
1890
tezia, « religion » littéraire de l’Amour chaste,
de
la femme idéalisée, avec sa « piété » particulière, la joy d’amors, s
1891
idéalisée, avec sa « piété » particulière, la joy
d’
amors, ses « rites » précis, la rhétorique des troubadours, sa morale
1892
précis, la rhétorique des troubadours, sa morale
de
l’hommage et du service, sa « théologie » et ses disputes théologique
1893
ans toute l’Europe. Or nous voyons cette religion
de
l’amour ennoblissant célébrée par les mêmes hommes qui persistent à t
1894
vent dans le même poète un adorateur enthousiaste
de
la Dame, qu’il exalte, et un contempteur de la femme, qu’il rabaisse
1895
iaste de la Dame, qu’il exalte, et un contempteur
de
la femme, qu’il rabaisse : qu’on se rappelle seulement les vers d’un
1896
l rabaisse : qu’on se rappelle seulement les vers
d’
un Marcabru ou ceux d’un Raimbaut d’Orange cités plus haut74. Chose cu
1897
rappelle seulement les vers d’un Marcabru ou ceux
d’
un Raimbaut d’Orange cités plus haut74. Chose curieuse, les troubadour
1898
gnent pas ! On dirait qu’ils ont trouvé le secret
d’
une conciliation vivante des inconciliables. Ils semblent refléter, ma
1899
a division des consciences (elle-même productrice
de
mauvaise conscience) dans la grande masse d’une société partagée non
1900
rice de mauvaise conscience) dans la grande masse
d’
une société partagée non seulement entre la chair et l’esprit, mais en
1901
entre l’hérésie et l’orthodoxie, et au sein même
de
l’hérésie, entre l’exigence des Parfaits et la vie réelle des Croyant
1902
ssus l’un des plus sensibles interprètes modernes
de
la cortezia, René Nelli : « Presque toutes les dames du Carcassès, du
1903
s les dames du Carcassès, du Toulousain, du Foix,
de
l’Albigeois étaient « croyantes » et savaient — bien qu’elles fussent
1904
et qui leur demandaient non pas tant une illusion
d’
amour sincère qu’un antipode spirituel au mariage où elles avaient été
1905
eur ajoute qu’à son avis, « il n’est pas question
de
voir dans la chasteté, ainsi feinte, une habitude réelle ni un reflet
1906
morale des Parfaits. Mais enfin, dit le sceptique
d’
aujourd’hui, que peut bien signifier au concret cette « chasteté » prô
1907
gleurs ? Et comment expliquer le succès si rapide
d’
une prétendue morale à ce point ambiguë, dans un Languedoc, une Italie
1908
logie n’occupaient tout de même pas le plus clair
de
la vie, et n’avaient tout de même pas supprimé toute espèce d’impulsi
1909
n’avaient tout de même pas supprimé toute espèce
d’
impulsions naturelles ? Les modernes, en effet, depuis Rousseau, croie
1910
, depuis Rousseau, croient qu’il existe une sorte
de
nature normale, à laquelle la culture et la religion seraient venues
1911
que nous sommes, sans le savoir, menons nos vies
de
civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais
1912
civilisés dans une confusion proprement insensée
de
religions jamais tout à fait mortes, et rarement tout à fait comprise
1913
et rarement tout à fait comprises et pratiquées ;
de
morales jadis exclusives mais qui se superposent ou se combinent à l’
1914
i se superposent ou se combinent à l’arrière-plan
de
nos conduites élémentaires ; de complexes ignorés mais d’autant plus
1915
à l’arrière-plan de nos conduites élémentaires ;
de
complexes ignorés mais d’autant plus actifs ; et d’instincts hérités
1916
onduites élémentaires ; de complexes ignorés mais
d’
autant plus actifs ; et d’instincts hérités bien moins de quelque natu
1917
complexes ignorés mais d’autant plus actifs ; et
d’
instincts hérités bien moins de quelque nature animale que de coutumes
1918
t plus actifs ; et d’instincts hérités bien moins
de
quelque nature animale que de coutumes totalement oubliées, devenues
1919
hérités bien moins de quelque nature animale que
de
coutumes totalement oubliées, devenues traces ou cicatrices mentales,
1920
es ou cicatrices mentales, tout inconscientes et,
de
ce fait, aisément confondues avec l’instinct. Elles furent tantôt des
1921
dans le temps et dans l’espace. 4. Une technique
de
la « chasteté ». — À partir du vie siècle se répand rapidement dans
1922
ipe cosmique féminin ; la méditation tient compte
de
ses « pouvoirs », la délivrance devient possible par la shakti… Dans
1923
vient elle-même une chose sacrée, une incarnation
de
la Mère. L’apothéose religieuse de la femme est commune d’ailleurs à
1924
ne incarnation de la Mère. L’apothéose religieuse
de
la femme est commune d’ailleurs à tous les courants mystiques du Moye
1925
it, par le cérémonial du yoga tantrique (contrôle
de
la respiration, répétitions de mantras ou formules sacrées, méditatio
1926
antrique (contrôle de la respiration, répétitions
de
mantras ou formules sacrées, méditation sur des mandalas ou images en
1927
ges enfermant les symboles du monde et des dieux)
de
transcender la condition humaine. Le tantrisme bouddhique trouve des
1928
ha yoga hindou, technique du contrôle du corps et
de
l’énergie vitale. C’est ainsi que certaines postures (mudras) décrite
1929
mudras) décrites par le hatha yoga ont pour but «
d’
utiliser comme moyen de divinisation et ensuite d’intégration, d’unifi
1930
hatha yoga ont pour but « d’utiliser comme moyen
de
divinisation et ensuite d’intégration, d’unification finale, la fonct
1931
d’utiliser comme moyen de divinisation et ensuite
d’
intégration, d’unification finale, la fonction par excellence humaine,
1932
e moyen de divinisation et ensuite d’intégration,
d’
unification finale, la fonction par excellence humaine, celle-là même
1933
a77 : « Pour mes dévots, je vais décrire le geste
de
l’Éclair (vajroli mudra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit être
1934
onnées par le texte font allusion à une technique
de
l’acte sexuel sans consommation, car « celui qui garde (ou reprend) s
1935
a semence dans son corps, qu’aurait-il à craindre
de
la mort ? » comme le dit un upanishad. Dans le tantrisme, la maithuna
1936
ecret, obscur, à double sens, dans lequel un état
de
conscience est exprimé par un terme érotique78 » — ou l’inverse aussi
1937
a est un acte réel ou simplement une allégorie ».
De
toute manière, le but est le « suprême grand bonheur… la joie de l’an
1938
e, le but est le « suprême grand bonheur… la joie
de
l’anéantissement du moi ». Et cette « béatitude érotique », obtenue p
1939
otique », obtenue par l’arrêt non du plaisir mais
de
son effet physique, est utilisée comme expérience immédiate pour obte
1940
rappellent les textes, le dévot devient la proie
de
la triste loi karmique, comme n’importe quel débauché. » Mais la femm
1941
Mais la femme, dans tout cela ? Elle reste objet
d’
un culte. Considérée comme « source unique de joie et de repos, l’aman
1942
bjet d’un culte. Considérée comme « source unique
de
joie et de repos, l’amante synthétise toute la nature féminine, elle
1943
ulte. Considérée comme « source unique de joie et
de
repos, l’amante synthétise toute la nature féminine, elle est mère, s
1944
isme, symbolise l’état par excellence du péché et
de
la mort : l’acte sexuel80. » Mais l’acte est toujours décrit comme ét
1945
Mais l’acte est toujours décrit comme étant celui
de
l’homme. La femme reste passive, impersonnelle, pur principe, sans vi
1946
On y accorde une grande importance à toute sorte
d’
« amour » et le rituel de maithuna apparaît comme le couronnement d’un
1947
importance à toute sorte d’« amour » et le rituel
de
maithuna apparaît comme le couronnement d’un lent et difficile appren
1948
rituel de maithuna apparaît comme le couronnement
d’
un lent et difficile apprentissage ascétique… Le néophyte doit servir
1949
s préliminaires ont pour but « l’autonomisation »
de
la volupté — considérée comme l’unique expérience humaine qui peut ré
1950
vie en économisant le principe vital, plutôt que
de
conquérir la liberté spirituelle par la déification du corps. La « ch
1951
e et la béatitude à travers une Elle qu’il s’agit
de
« servir » en posture humiliée, mais en gardant cette maîtrise de soi
1952
posture humiliée, mais en gardant cette maîtrise
de
soi dont la perte pourrait se traduire par un acte de procréation, le
1953
oi dont la perte pourrait se traduire par un acte
de
procréation, lequel ferait retomber le chevalier servant dans la réal
1954
vant dans la réalité fatale du Karma. 5. La joie
d’
amour. — En contraste indéniable avec ces textes mystiques et cette ab
1955
hysiologique, citons maintenant quelques chansons
de
« légers troubadours méridionaux », grands seigneurs amateurs ou jong
1956
que les romanistes unanimes nous décrivent comme
de
purs « rhétoriqueurs82 ». D’Amour, je sais qu’il donne aisément gran
1957
ous décrivent comme de purs « rhétoriqueurs82 ».
D’
Amour, je sais qu’il donne aisément grande joie à celui qui observe se
1958
en 1127. Dès le début du xiie siècle, ces « lois
d’
Amour » sont donc déjà fixées, comme un rituel. Ce sont Mesure, Servic
1959
s conduisent à la Joie, qui est signe et garantie
de
Vray Amor. Voici Mesure et Patience : De courtoisie peut se vanter ce
1960
garantie de Vray Amor. Voici Mesure et Patience :
De
courtoisie peut se vanter celui qui sait garder Mesure… Le bien-être
1961
me fasse longtemps attendre et que je n’aie point
d’
elle ce qu’elle m’a promis. (Marcabru.) Voici le Service de la Dame :
1962
qu’elle m’a promis. (Marcabru.) Voici le Service
de
la Dame : Prenez ma vie en hommage, belle et dure merci, pourvu que v
1963
« La soumission à l’aimée est la marque naturelle
d’
un homme courtois. ») Voici la Chasteté : Celui qui se dispose à aimer
1964
Voici la Chasteté : Celui qui se dispose à aimer
d’
amour sensuel se met en guerre avec lui-même, car le sot après avoir v
1965
iste contenance ! (Marcabru.) Écoutez ! Sa voix (
d’
Amour) paraîtra douce comme le chant de la lyre, si seulement vous lui
1966
! Sa voix (d’Amour) paraîtra douce comme le chant
de
la lyre, si seulement vous lui coupez la queue !83. (Marcabru.) Chas
1967
oupez la queue !83. (Marcabru.) Chasteté délivre
de
la tyrannie du désir en portant le Désir (courtois) à l’extrême : Par
1968
rtant le Désir (courtois) à l’extrême : Par excès
de
désir, je crois que je me l’enlèverai, si l’on peut rien perdre à for
1969
Ibn Dawoud louait la chasteté pour son pouvoir «
d’
éterniser le désir ».) C’est au comble de l’amour (vrai) et de sa « jo
1970
ouvoir « d’éterniser le désir ».) C’est au comble
de
l’amour (vrai) et de sa « joie » que Jaufré Rudel se sent le plus élo
1971
le désir ».) C’est au comble de l’amour (vrai) et
de
sa « joie » que Jaufré Rudel se sent le plus éloigné de l’amour coupa
1972
« joie » que Jaufré Rudel se sent le plus éloigné
de
l’amour coupable et de son « angoisse ». Il va plus loin dans la libé
1973
el se sent le plus éloigné de l’amour coupable et
de
son « angoisse ». Il va plus loin dans la libération : la présence ph
1974
us loin dans la libération : la présence physique
de
l’objet aimé lui deviendra bientôt indifférente : J’ai une amie, mais
1975
… Nulle joie ne me plaît autant que la possession
de
cet amour lointain. La « joie d’Amour » n’est pas seulement libératri
1976
ue la possession de cet amour lointain. La « joie
d’
Amour » n’est pas seulement libératrice du désir dominé par Mesure et
1977
é par Mesure et Prouesse, elle est aussi fontaine
de
Jouvence : Je veux garder (ma dame) pour me rafraîchir le cœur et ren
1978
là vivra cent ans qui réussira à posséder la joie
de
son amour. (Guillaume de Poitiers.) Je n’ai cité que des poètes de l
1979
llaume de Poitiers.) Je n’ai cité que des poètes
de
la première et de la seconde génération des troubadours (1120 à 1180
1980
.) Je n’ai cité que des poètes de la première et
de
la seconde génération des troubadours (1120 à 1180 environ). Au xiiie
1981
urs (1120 à 1180 environ). Au xiiie siècle, ceux
de
la dernière génération expliciteront ce que leurs modèles avaient cha
1982
que leurs modèles avaient chanté. « Ce n’est plus
de
l’amour courtois, si on le matérialise ou si la Dame se rend comme ré
1983
crit Daude de Prades, qui cependant ne craint pas
de
donner des précisions sur les gestes érotiques que l’on peut se perme
1984
ément les trois autres, mais il lui est difficile
d’
en sortir, il vit dans la joie, celui qui peut y rester. On y accède p
1985
à sont logés dans le faubourg, lequel occupe plus
de
la moitié du monde. Celui que l’on nomme parfois le dernier troubadou
1986
s le dernier troubadour, Guiraut Riquier, donnera
de
ces vers le commentaire suivant : « Les cinq portes sont Désir, Prièr
1987
qui peuvent éclairer indirectement sur la nature
de
l’amour vrai ou du moins sur certains de ces aspects. Et tout d’abord
1988
a nature de l’amour vrai ou du moins sur certains
de
ces aspects. Et tout d’abord, dit Marcabru, « Il lie partie avec le d
1989
r ». (Et en effet, le diable n’est-il pas le père
de
la création matérielle… et de la procréation, selon le catharisme ?)
1990
’est-il pas le père de la création matérielle… et
de
la procréation, selon le catharisme ?) Les adversaires du vrai Amour
1991
entation des désespérés. Ah ! noble Amour, source
de
bonté, par qui le monde entier est illuminé, je te crie merci. Contre
1992
ci. Contre ces clameurs gémissantes, défends-moi,
de
peur que je ne sois retenu là-bas (en enfer) ; en tous lieux je me ti
1993
ouvent des ambiguïtés ménagées par le « service »
d’
amour courtois, Cercamon n’hésite pas à écrire en mettant les points s
1994
femmes et les époux. Ils vous disent qu’Amour va
de
travers, et c’est pourquoi les maris deviennent jaloux et les dames s
1995
u’un grand nombre abandonnent Mérite et éloignent
d’
eux Jeunesse. » Quelles que soient les réalités ou l’absence de réalit
1996
e. » Quelles que soient les réalités ou l’absence
de
réalités « matérielles » qui aient pu correspondre, en ces temps, à d
1997
lles » qui aient pu correspondre, en ces temps, à
de
telles précisions de langage, la rhétorique courtoise et son système
1998
orrespondre, en ces temps, à de telles précisions
de
langage, la rhétorique courtoise et son système de vertus, de péchés,
1999
e langage, la rhétorique courtoise et son système
de
vertus, de péchés, de louanges et d’interdits, demeure un fait patent
2000
la rhétorique courtoise et son système de vertus,
de
péchés, de louanges et d’interdits, demeure un fait patent : il suffi
2001
ue courtoise et son système de vertus, de péchés,
de
louanges et d’interdits, demeure un fait patent : il suffit de lire.
2002
son système de vertus, de péchés, de louanges et
d’
interdits, demeure un fait patent : il suffit de lire. Elle va servir
2003
t d’interdits, demeure un fait patent : il suffit
de
lire. Elle va servir aux romanciers du Nord, ceux du cycle d’Arthur,
2004
e va servir aux romanciers du Nord, ceux du cycle
d’
Arthur, du Graal, et de Tristan, pour décrire des actions et des drame
2005
ers du Nord, ceux du cycle d’Arthur, du Graal, et
de
Tristan, pour décrire des actions et des drames, et non plus seulemen
2006
téressent dans cet ouvrage. Je lui laisse le soin
d’
affirmer que telle « filiation » reste indémontrable « dans l’état act
2007
iation » reste indémontrable « dans l’état actuel
de
nos connaissances », reste donc incroyable jusqu’à nouvel avis. Je ch
2008
ujourd’hui pour établis. Simplement, je les crois
de
nature à nourrir l’imagination. Voici deux de ces faits sur quoi l’on
2009
ois de nature à nourrir l’imagination. Voici deux
de
ces faits sur quoi l’on peut rêver. La Pantcha Tantra, recueil de con
2010
quoi l’on peut rêver. La Pantcha Tantra, recueil
de
contes bouddhistes, fut traduite au vie siècle du sanscrit en pehlev
2011
ie siècle du sanscrit en pehlevi, par un médecin
de
Chosroès Ier, roi de Perse. De là, on peut suivre son progrès rapide
2012
vi, par un médecin de Chosroès Ier, roi de Perse.
De
là, on peut suivre son progrès rapide vers l’Europe à travers une sér
2013
progrès rapide vers l’Europe à travers une série
de
traductions en syriaque, en arabe, en latin, en espagnol, etc. Au xvi
2014
r une ancienne version arabe. Le périple du Roman
de
Barlaam et Josaphat est encore plus surprenant. Sous sa forme connue
2015
est encore plus surprenant. Sous sa forme connue
de
nos jours, c’est l’histoire romancée de l’évolution spirituelle qui c
2016
me connue de nos jours, c’est l’histoire romancée
de
l’évolution spirituelle qui conduit Josaphat, prince indien, à découv
2017
es grandes lignes, porte des traces indiscutables
de
manichéisme. Selon l’école néo-cathare française, les hérétiques du x
2018
nichéenne du Roman est attestée par les fragments
de
son texte original (en langage ouigour du viiie siècle) retrouvés da
2019
» (var. Yudhâsaf). Innombrables sont les exemples
de
relations entre l’Orient et l’Occident médiéval. J’ai choisi ces deux
2020
r courtois ressemble à l’amour encore chaste — et
d’
autant plus brûlant — de la première adolescence. Il ressemble aussi à
2021
’amour encore chaste — et d’autant plus brûlant —
de
la première adolescence. Il ressemble aussi à l’amour chanté par les
2022
ront repris par presque tous les grands mystiques
de
l’Occident. Il nous semble parfois se réduire à des fadaises sophisti
2023
i les réalités précises, mais non moins ambiguës,
d’
une certaine discipline érotico-mystique dont l’Inde, la Chine et le P
2024
ai » aux divers sens du mot, et simultanément, et
de
plusieurs manières. Tout cela nous aide à mieux comprendre — si rien
2025
it à l’« expliquer » — l’amour courtois. Au terme
de
l’espèce de contre-enquête à laquelle je viens de me livrer, et compt
2026
liquer » — l’amour courtois. Au terme de l’espèce
de
contre-enquête à laquelle je viens de me livrer, et compte tenu des o
2027
ensées que firent à ma thèse minima les partisans
d’
écoles au moins diverses, me voici ramené par une sorte de spirale au-
2028
au moins diverses, me voici ramené par une sorte
de
spirale au-dessus de mes premières constatations : l’amour courtois e
2029
e voici ramené par une sorte de spirale au-dessus
de
mes premières constatations : l’amour courtois est né au xiie siècle
2030
tois est né au xiie siècle, en pleine révolution
de
la psyché occidentale. Il a surgi du même mouvement qui fit remonter
2031
i du même mouvement qui fit remonter au demi-jour
de
la conscience et de l’expression lyrique de l’âme, le Principe Fémini
2032
qui fit remonter au demi-jour de la conscience et
de
l’expression lyrique de l’âme, le Principe Féminin de la shakti, le c
2033
-jour de la conscience et de l’expression lyrique
de
l’âme, le Principe Féminin de la shakti, le culte de la Femme, de la
2034
’expression lyrique de l’âme, le Principe Féminin
de
la shakti, le culte de la Femme, de la Mère, de la Vierge. Il partici
2035
l’âme, le Principe Féminin de la shakti, le culte
de
la Femme, de la Mère, de la Vierge. Il participe de cette épiphanie d
2036
ncipe Féminin de la shakti, le culte de la Femme,
de
la Mère, de la Vierge. Il participe de cette épiphanie de l’Anima, qu
2037
n de la shakti, le culte de la Femme, de la Mère,
de
la Vierge. Il participe de cette épiphanie de l’Anima, qui figure à m
2038
la Femme, de la Mère, de la Vierge. Il participe
de
cette épiphanie de l’Anima, qui figure à mes yeux, dans l’homme occid
2039
re, de la Vierge. Il participe de cette épiphanie
de
l’Anima, qui figure à mes yeux, dans l’homme occidental, le retour d’
2040
re à mes yeux, dans l’homme occidental, le retour
d’
un Orient symbolique. Il nous devient intelligible par certaines de se
2041
lique. Il nous devient intelligible par certaines
de
ses marques historiques : sa relation littéralement congénitale avec
2042
thurien — une transposition romanesque des règles
de
l’amour courtois et de sa rhétorique à double sens. « C’est du contac
2043
tion romanesque des règles de l’amour courtois et
de
sa rhétorique à double sens. « C’est du contact des légendes exotique
2044
ul ou un Chrétien de Troyes, et quelques éléments
de
mythologie grecque. On a longtemps polémisé sur l’autonomie relative
2045
e Midi roman qui a donné son style et sa doctrine
de
l’amour aux « romanciers » du cycle de la Table ronde. Et l’on peut s
2046
a doctrine de l’amour aux « romanciers » du cycle
de
la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies de cette transmission d
2047
de la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies
de
cette transmission dans les documents historiques. Aliénor de Poitier
2048
istoriques. Aliénor de Poitiers, quittant sa cour
d’
amour languedocienne, avait épousé Louis VII, puis en l’an 1154, Henri
2049
ères anglo-normands reçurent le code et le secret
de
l’amour courtois87. Chrétien de Troyes déclare tenir le fond et l’esp
2050
étien de Troyes déclare tenir le fond et l’esprit
de
ses romans de la comtesse Marie de Champagne, fille d’Aliénor, célèbr
2051
s déclare tenir le fond et l’esprit de ses romans
de
la comtesse Marie de Champagne, fille d’Aliénor, célèbre par sa cour
2052
s romans de la comtesse Marie de Champagne, fille
d’
Aliénor, célèbre par sa cour d’amour où le mariage fut condamné. Chrét
2053
e Champagne, fille d’Aliénor, célèbre par sa cour
d’
amour où le mariage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tri
2054
riage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman
de
Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas
2055
d, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende
de
Tristan se répandit très largement dans le Midi. Cette interaction si
2056
bretons. Nous avons vu que la religion druidique,
d’
où sont issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doc
2057
ardes et filids, enseignait une doctrine dualiste
de
l’Univers, et faisait de la femme un symbole du divin. Et c’est dans
2058
it une doctrine dualiste de l’Univers, et faisait
de
la femme un symbole du divin. Et c’est dans le fonds celtibérique que
2059
e chrétienne des « purs » a puisé certains traits
de
sa mythologie. Que celle-ci ait revêtu chez les poètes du Nord des co
2060
la doctrine courtoise rejoignît et fît ressurgir
d’
anciennes traditions autochtones, elle n’en était pas moins pour les t
2061
pas moins pour les trouvères une chose apprise :
d’
où les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il est d’ailleurs extrêm
2062
en souvent. Il est d’ailleurs extrêmement délicat
de
préciser les causes et l’importance exacte de ces erreurs. Est-ce un
2063
cat de préciser les causes et l’importance exacte
de
ces erreurs. Est-ce un défaut d’initiation ? Est-ce une tradition imp
2064
mportance exacte de ces erreurs. Est-ce un défaut
d’
initiation ? Est-ce une tradition imparfaite ? Ou encore une tendance
2065
de l’hérésie même, un essai plus ou moins sincère
de
retour vers l’orthodoxie88 ? Ou simplement, une « profanation » des t
2066
’autres fins que les troubadours ? Dans l’attente
de
recherches plus approfondies sur tous ces points, bornons-nous à rema
2067
des troubadours, dont ils sont cependant inspirés
de
la manière la plus incontestable. Nous ne savons si Chrétien de Troye
2068
ons si Chrétien de Troyes a bien compris les lois
d’
amour que lui enseignait Marie de Champagne. Nous ne savons dans quell
2069
lu que ses romans fussent des chroniques secrètes
de
l’Église persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples a
2070
chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse
de
Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples allégories illustrant la morale
2071
e persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou
de
simples allégories illustrant la morale et la mystique courtoise (com
2072
Toutes les hypothèses sont permises en l’absence
de
documents dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop d’intérêt
2073
dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop
d’
intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion de l’hérésie, sans p
2074
intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion
de
l’hérésie, sans parler de sa volonté de demeurer ésotérique. Quoi qu’
2075
ués contre la diffusion de l’hérésie, sans parler
de
sa volonté de demeurer ésotérique. Quoi qu’il en soit, Chrétien de Tr
2076
diffusion de l’hérésie, sans parler de sa volonté
de
demeurer ésotérique. Quoi qu’il en soit, Chrétien de Troyes a notable
2077
chronique déguisée des cathares. (Parzival, fils
d’
Herzeloïde, femme du Castis, chez Wolfram d’Eschenbach, serait le comt
2078
bach, serait le comte Ramon Roger Trencavel, fils
d’
Adélaïde de Carcassonne et d’Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trenc
2079
oger Trencavel, fils d’Adélaïde de Carcassonne et
d’
Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trencavel signifie : « qui tranche
2080
ui tranche bellement », et Wolfram traduit le nom
de
Parzival par « Schneid mitten durch » : « perce bellement ».) Ces deu
2081
ne se complètent89. Elles ont l’avantage décisif
de
rendre compte de bien des bizarreries de la légende et de son attirai
2082
89. Elles ont l’avantage décisif de rendre compte
de
bien des bizarreries de la légende et de son attirail symbolique. Fau
2083
décisif de rendre compte de bien des bizarreries
de
la légende et de son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un tra
2084
e compte de bien des bizarreries de la légende et
de
son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un transcripteur modern
2085
oyes n’était pas instruit du sens païen et secret
de
ces traits mystérieux qu’il rapportait90 » ? Ou bien se vit-il contra
2086
u’il rapportait90 » ? Ou bien se vit-il contraint
de
déguiser ce sens, en sorte que seuls les initiés pussent démêler la f
2087
du Graal le vase qui reçut le sang du Christ, et
de
la Table ronde une sorte d’autel pour la Sainte Cène. Cependant, même
2088
le sang du Christ, et de la Table ronde une sorte
d’
autel pour la Sainte Cène. Cependant, même dans le grand roman de Lanc
2089
Sainte Cène. Cependant, même dans le grand roman
de
Lancelot (qui date de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont
2090
t, même dans le grand roman de Lancelot (qui date
de
1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont évidents, si saugrenu
2091
auteur lui-même, après chaque épisode. Il est une
de
ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine cathar
2092
est une de ces interprétations que je crois utile
de
citer, car l’origine cathare y transparaît nettement, malgré l’ignora
2093
thare y transparaît nettement, malgré l’ignorance
de
l’auteur. Lancelot errant par la haute forêt parvient à un carrefour.
2094
arvient à un carrefour. Il hésite entre le chemin
de
gauche et celui de droite. Il s’engage dans celui de gauche, malgré l
2095
our. Il hésite entre le chemin de gauche et celui
de
droite. Il s’engage dans celui de gauche, malgré l’avertissement grav
2096
gauche et celui de droite. Il s’engage dans celui
de
gauche, malgré l’avertissement gravé sur une croix qui se dresse deva
2097
t un chevalier à l’armure blanche qui le renverse
de
son cheval et le dépouille de sa couronne. Lancelot tout déconfit ren
2098
che qui le renverse de son cheval et le dépouille
de
sa couronne. Lancelot tout déconfit rencontre un prêtre et se confess
2099
re et se confesse. « Je vous dirai la signifiance
de
ce qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous
2100
e qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie
de
droite que vous avez dédaignée au carrefour, était celle de la cheval
2101
que vous avez dédaignée au carrefour, était celle
de
la chevalerie terrienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle de g
2102
errienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle
de
gauche était la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit pl
2103
ongtemps triomphé ; celle de gauche était la voie
de
la chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes
2104
a chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là
de
tuer des hommes et d’abattre des champions par forces d’armes : il s’
2105
le, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes et
d’
abattre des champions par forces d’armes : il s’agit des choses spirit
2106
des hommes et d’abattre des champions par forces
d’
armes : il s’agit des choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronn
2107
choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronne
d’
orgueil : c’est pourquoi le chevalier vous renversa si facilement, car
2108
de commettre91. » Libre après cela aux historiens
de
la littérature de parler d’aventures incroyables, de merveilleux faci
2109
Libre après cela aux historiens de la littérature
de
parler d’aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés to
2110
s cela aux historiens de la littérature de parler
d’
aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes,
2111
la littérature de parler d’aventures incroyables,
de
merveilleux facile, de naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, e
2112
r d’aventures incroyables, de merveilleux facile,
de
naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérent
2113
s, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes,
de
fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérents, personnages sans cara
2114
des aventures s’enchaînent à l’infini », nous dit
de
ces légendes l’un de leurs meilleurs adaptateurs modernes ! Ainsi s’e
2115
înent à l’infini », nous dit de ces légendes l’un
de
leurs meilleurs adaptateurs modernes ! Ainsi s’est répandue l’opinion
2116
notre esprit si pénétrant et averti. Un peu plus
de
pénétration nous ferait voir au contraire que la vraie barbarie est d
2117
conception moderne du roman, photographie truquée
de
faits insignifiants, alors que le roman breton procède d’une cohérenc
2118
insignifiants, alors que le roman breton procède
d’
une cohérence intime dont nous avons perdu jusqu’au pressentiment. En
2119
s erreurs. Ils ont traité un thème nouveau, celui
de
l’amour physique, c’est-à-dire de la faute. (Et j’entends bien la fau
2120
nouveau, celui de l’amour physique, c’est-à-dire
de
la faute. (Et j’entends bien la faute au sens « courtois », non pas a
2121
en la faute au sens « courtois », non pas au sens
de
la morale chrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne sont pas
2122
as au sens de la morale chrétienne.) Les ouvrages
de
Chrétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes d’amour, comme on
2123
rétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes
d’
amour, comme on le répète, mais de véritables romans. C’est qu’à la di
2124
ment des poèmes d’amour, comme on le répète, mais
de
véritables romans. C’est qu’à la différence des poèmes provençaux, il
2125
ovençaux, ils s’attachent à décrire les trahisons
de
l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan de la passion dans sa pu
2126
s de l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan
de
la passion dans sa pureté mystique. Le point de départ de Lancelot —
2127
n de la passion dans sa pureté mystique. Le point
de
départ de Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour
2128
ssion dans sa pureté mystique. Le point de départ
de
Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois,
2129
mystique. Le point de départ de Lancelot — comme
de
Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois, la possession physi
2130
é contre l’amour courtois, la possession physique
d’
une femme réelle, la « profanation » de l’amour. Et c’est à cause de c
2131
n physique d’une femme réelle, la « profanation »
de
l’amour. Et c’est à cause de cette faute initiale que Lancelot ne tro
2132
t à l’initiation. Il est clair que la description
de
ces errements et de leurs punitions exigeait la forme du récit, et no
2133
est clair que la description de ces errements et
de
leurs punitions exigeait la forme du récit, et non plus de la simple
2134
punitions exigeait la forme du récit, et non plus
de
la simple chanson. Dans Tristan, la faute initiale est douloureusemen
2135
C’est pourquoi le roman finit « bien » — au sens
de
la mystique cathare — c’est-à-dire aboutit à la double mort volontair
2136
xplique par des raisons spirituelles la formation
d’
un genre nouveau — le roman — qui ne deviendra proprement littéraire q
2137
au minimum, tandis que le développement tragique
de
la doctrine religieuse détermine à lui seul la courbe puissante et si
2138
ve incorporés des éléments religieux et mythiques
d’
origine très nettement celtique, bien plus nombreux et plus exactement
2139
plus exactement identifiables que dans les romans
de
la Table ronde. ⁂ Hubert note très bien à propos de la littérature ga
2140
« c’est un miracle qu’elle contienne des éléments
de
religion brittonique : elle s’est formée dans un pays chrétien, roman
2141
miracle est cependant attesté par un grand nombre
d’
incidents mis en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent d’expl
2142
en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent
d’
explication que dans les récentes découvertes de l’archéologie celtiqu
2143
t d’explication que dans les récentes découvertes
de
l’archéologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique de ces éléme
2144
ologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique
de
ces éléments religieux était tel qu’on s’explique assez bien leur sur
2145
avait perdu la foi des druides, et oublié le sens
de
leurs mystères. Dans le cycle des légendes irlandaises, nous trouvons
2146
gendes irlandaises, nous trouvons un grand nombre
de
récits qui racontent le voyage d’un héros au pays des morts. Ce héros
2147
un grand nombre de récits qui racontent le voyage
d’
un héros au pays des morts. Ce héros, Bran, Cuchulainn, ou Oisin, « es
2148
à une terre merveilleuse. « Il se lasse à la fin
de
ce séjour, veut revenir. C’est finalement pour mourir »94. Nous avons
2149
pour mourir »94. Nous avons là l’origine évidente
de
la première navigation à l’aventure de Tristan malade, en quête du ba
2150
e évidente de la première navigation à l’aventure
de
Tristan malade, en quête du baume magique. D’autre part, plusieurs ré
2151
du baume magique. D’autre part, plusieurs récits
de
ce cycle irlandais figurent les prototypes assez exacts des situation
2152
s prototypes assez exacts des situations du Roman
de
Tristan. Far exemple, dans l’idylle tragique de Diarmaid et Grainne,
2153
n de Tristan. Far exemple, dans l’idylle tragique
de
Diarmaid et Grainne, les deux amants se sauvent dans la forêt où le m
2154
rt, pour ne jamais se séparer »95. Il serait aisé
de
multiplier ces comparaisons littéraires. Mais certains traits de mœur
2155
es comparaisons littéraires. Mais certains traits
de
mœurs nous incitent à des rapprochements plus précis. On se rappelle
2156
précis. On se rappelle que Tristan, après la mort
de
ses parents, fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était f
2157
Celtes, que l’on confiât les enfants « à la garde
d’
un personnage qualifié dans une grande maison, la maison des hommes ».
2158
son des hommes ». Ils y recevaient l’enseignement
d’
un druide, et se trouvaient mis à l’abri des femmes. « Cette instituti
2159
n qu’on appelle généralement du nom anglo-normand
de
fosterage s’est maintenue en pays celtique : nous trouvons les enfant
2160
s nourriciers, à l’égard desquels ils contractent
de
véritables liens de parenté, attestés par le fait qu’un certain nombr
2161
gard desquels ils contractent de véritables liens
de
parenté, attestés par le fait qu’un certain nombre de personnages por
2162
arenté, attestés par le fait qu’un certain nombre
de
personnages portent dans l’indication de leur filiation le nom de leu
2163
n nombre de personnages portent dans l’indication
de
leur filiation le nom de leur père nourricier… On recherchait comme p
2164
ortent dans l’indication de leur filiation le nom
de
leur père nourricier… On recherchait comme pères nourriciers soit les
2165
herchait comme pères nourriciers soit les membres
de
la famille maternelle, soit… des druides96. » Tristan élevé par Marc,
2166
s » du roi. (Les psychanalystes ne manqueront pas
de
voir dans la liaison malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat d’
2167
anqueront pas de voir dans la liaison malheureuse
de
Tristan et d’Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppos
2168
de voir dans la liaison malheureuse de Tristan et
d’
Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le
2169
son malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat
d’
un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le fait que les « père
2170
ez bien toléré chez les Celtes, comme l’attestent
de
nombreux documents.) La coutume du potlatch, don rituel ou plutôt éch
2171
coutume du potlatch, don rituel ou plutôt échange
de
dons ostentatoires, accompagné de surenchère, subsiste également dans
2172
plutôt échange de dons ostentatoires, accompagné
de
surenchère, subsiste également dans Tristan et les romans de la Table
2173
re, subsiste également dans Tristan et les romans
de
la Table ronde. On y voit un grand nombre d’aventures débuter par une
2174
mans de la Table ronde. On y voit un grand nombre
d’
aventures débuter par une promesse « en blanc » faite par le roi à que
2175
de un don, sans dire lequel. Il s’agit en général
d’
un service très périlleux. « Les tournois, note Hubert, font certainem
2176
s tournois, note Hubert, font certainement partie
de
ce vaste système de concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enf
2177
ert, font certainement partie de ce vaste système
de
concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que le
2178
ment partie de ce vaste système de concurrence et
de
surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que les jeunes Celtes au
2179
es hommes, devaient accomplir un exploit (meurtre
d’
un étranger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit de se marier :
2180
anger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit
de
se marier : le combat contre le Morholt, dans Tristan, illustre exact
2181
ous ces faits rendent vraisemblable la conclusion
d’
Hubert : à savoir que la mythologie celtique s’est transmise au cycle
2182
uses, mais par le culte plus profane des héros et
de
leurs prouesses, remplaçant peu à peu les dieux dans les légendes pop
2183
ton Paris remarquait avec profondeur que le roman
de
Tristan et d’Iseut rend un son particulier, qui ne se trouve guère da
2184
rquait avec profondeur que le roman de Tristan et
d’
Iseut rend un son particulier, qui ne se trouve guère dans la littérat
2185
en Âge, et il l’expliquait par l’origine celtique
de
ces poèmes. C’est par Tristan et par Arthur que le plus clair et le p
2186
édier sut faire rendre à sa moderne transcription
de
la légende, est si nettement sensible à notre cœur qu’il nous met en
2187
nt sensible à notre cœur qu’il nous met en mesure
d’
isoler l’élément non celtique, donc proprement courtois qui provoqua,
2188
is qui provoqua, au xiie siècle, la constitution
de
notre mythe. Qu’on lise l’une après l’autre une légende irlandaise et
2189
près l’autre une légende irlandaise et la légende
de
Béroul ou de Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité
2190
une légende irlandaise et la légende de Béroul ou
de
Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité tout extérie
2191
égende de Béroul ou de Thomas : et l’on verra que
d’
un côté, c’est une fatalité tout extérieure qui provoque la catastroph
2192
xtérieure qui provoque la catastrophe, tandis que
de
l’autre, c’est la volonté secrète, mais infaillible, des deux amants
2193
r celtique (en dépit de la sublimation religieuse
de
la femme par les druides) est avant tout l’amour sensuel97. Le fait q
2194
ur religieux orthodoxe, et se voit donc contraint
de
s’exprimer par des symboles ésotériques, aide à comprendre que le fon
2195
e favoriser la confusion moderne entre la passion
de
Tristan et la pure sensualité. Quelques citations de Thomas, le plus
2196
Tristan et la pure sensualité. Quelques citations
de
Thomas, le plus conscient des cinq auteurs de la légende primitive, s
2197
ons de Thomas, le plus conscient des cinq auteurs
de
la légende primitive, suffiront à faire concevoir l’originalité du my
2198
mmenté en termes étonnamment modernes le principe
de
cohésion qu’apporte la mystique courtoise aux éléments religieux, soc
2199
du vieux fond breton. Ce principe, c’est l’amour
de
la douleur considérée comme une ascèse, le « mal aimé » des troubadou
2200
istan livré au plus cruel conflit, lorsqu’au soir
de
ses noces avec Iseut aux blanches mains, il ne peut se résoudre à pos
2201
, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le désir
de
Tristan ne s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa doul
2202
e s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger
de
sa douleur et de ses peines, et contre son mal, il avise un remède do
2203
té. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et
de
ses peines, et contre son mal, il avise un remède dont il doublera so
2204
nd en aversion que le bonheur qu’il est contraint
d’
avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa recherche, pensan
2205
a !… Ainsi en advient-il à beaucoup de gens. Dans
d’
amers déboires d’amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’
2206
ient-il à beaucoup de gens. Dans d’amers déboires
d’
amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’ils font pour s’y
2207
aire, s’en affranchir et s’en venger les asservit
d’
un lien plus inextricable encore. D’irréalisables désirs, d’impossible
2208
les asservit d’un lien plus inextricable encore.
D’
irréalisables désirs, d’impossibles convoitises les conduisent à ne ri
2209
plus inextricable encore. D’irréalisables désirs,
d’
impossibles convoitises les conduisent à ne rien faire dans leur détre
2210
ir98. » (Encontre désir fait volier, dit le texte
de
Thomas.) ⁂ Un fonds celtique de légendes religieuses — d’ailleurs trè
2211
ier, dit le texte de Thomas.) ⁂ Un fonds celtique
de
légendes religieuses — d’ailleurs très anciennement commun au Midi la
2212
que et au Nord irlandais et breton ; des coutumes
de
chevalerie féodale ; des apparences d’orthodoxie chrétienne ; une sen
2213
s coutumes de chevalerie féodale ; des apparences
d’
orthodoxie chrétienne ; une sensualité parfois très complaisante ; enf
2214
e les éléments sur lesquels la doctrine hérétique
de
l’Amour, profondément manichéenne dans son esprit, opéra ses transmut
2215
, opéra ses transmutations. Ainsi naquit le mythe
de
Tristan. Loin de moi la tentation d’analyser le processus de cette mé
2216
uit le mythe de Tristan. Loin de moi la tentation
d’
analyser le processus de cette métamorphose : il nous échappe doubleme
2217
Loin de moi la tentation d’analyser le processus
de
cette métamorphose : il nous échappe doublement, étant poétique et my
2218
poétique et mystique. Mais nous savons maintenant
d’
où vient le mythe, et où il mène. Et peut-être pressentons-nous — mais
2219
du mythe, par un esprit remarquablement conscient
de
ses implications théologiques, fut le fait de Gottfried de Strasbourg
2220
ent de ses implications théologiques, fut le fait
de
Gottfried de Strasbourg, vers le début du xiiie siècle. Gottfried ét
2221
qui lisait le français (il cite souvent des vers
de
Thomas dans son texte), et qui se passionnait pour les grandes polémi
2222
vaux et les cathares, mais aussi Abélard, l’école
de
Chartres, et plusieurs hérétiques très dangereusement voisins de la «
2223
plusieurs hérétiques très dangereusement voisins
de
la « mystique du cœur » de l’abbé de Cluny. Théologien, poète, et con
2224
dangereusement voisins de la « mystique du cœur »
de
l’abbé de Cluny. Théologien, poète, et conscient de ses choix, Gottfr
2225
l’abbé de Cluny. Théologien, poète, et conscient
de
ses choix, Gottfried révèle beaucoup mieux que ses modèles l’importan
2226
mportance proprement religieuse du mythe dualiste
de
Tristan. Mais aussi, pour la même raison, il avoue mieux que tous les
2227
res cet élément fondamental du mythe : l’angoisse
de
la sensualité, et l’orgueil « humaniste » qui la compense. Angoisse :
2228
ant l’homme contre Dieu — sitôt qu’on aura décidé
de
lui céder. (Ce paradoxe annonce l’amor fati de Nietzsche.) Quand Béro
2229
dé de lui céder. (Ce paradoxe annonce l’amor fati
de
Nietzsche.) Quand Béroul limitait à trois ans l’action du philtre, et
2230
quand Thomas faisait du « vin herbé » un symbole
de
l’ivresse amoureuse, Gottfried y voit le signe d’un destin, d’une for
2231
de l’ivresse amoureuse, Gottfried y voit le signe
d’
un destin, d’une force aveugle, étrangère aux personnes, d’une volonté
2232
amoureuse, Gottfried y voit le signe d’un destin,
d’
une force aveugle, étrangère aux personnes, d’une volonté de la Déesse
2233
in, d’une force aveugle, étrangère aux personnes,
d’
une volonté de la Déesse Minne, reviviscence de la Grande Mère des plu
2234
e aveugle, étrangère aux personnes, d’une volonté
de
la Déesse Minne, reviviscence de la Grande Mère des plus vieilles rel
2235
s, d’une volonté de la Déesse Minne, reviviscence
de
la Grande Mère des plus vieilles religions de l’humanité. Mais sitôt
2236
nce de la Grande Mère des plus vieilles religions
de
l’humanité. Mais sitôt absorbé, le philtre de la passion place ses vi
2237
ons de l’humanité. Mais sitôt absorbé, le philtre
de
la passion place ses victimes dans un au-delà de toute morale, qui ne
2238
de la passion place ses victimes dans un au-delà
de
toute morale, qui ne saurait être que divin. Ainsi le philtre à la fo
2239
re à la fois rive à la sexualité, qui est une loi
de
la vie, et contraint à la dépasser dans un hybris libérateur, au-delà
2240
ans un hybris libérateur, au-delà du seuil mortel
de
la dualité, de la distinction des personnes. Ce paradoxe essentiellem
2241
ibérateur, au-delà du seuil mortel de la dualité,
de
la distinction des personnes. Ce paradoxe essentiellement manichéen s
2242
nous dressons l’oreille — trois moments décisifs
de
l’action : a) il met en relief, non sans férocité, le caractère évid
2243
férocité, le caractère évidemment blasphématoire
de
l’épisode du Jugement par le fer rouge ; b) il remplace la forêt du
2244
) il remplace la forêt du Morois par une « Grotte
d’
Amour », la Minnegrotte, qui lui permet de comparer l’architecture d’u
2245
Grotte d’Amour », la Minnegrotte, qui lui permet
de
comparer l’architecture d’une église chrétienne et celle du temple de
2246
grotte, qui lui permet de comparer l’architecture
d’
une église chrétienne et celle du temple de l’amour ; c) il décide qu
2247
ecture d’une église chrétienne et celle du temple
de
l’amour ; c) il décide que le mariage de Tristan avec Iseut aux blan
2248
temple de l’amour ; c) il décide que le mariage
de
Tristan avec Iseut aux blanches mains ne fut pas « blanc », mais cons
2249
à la fois plus religieux et plus sensuel que ceux
de
Béroul et de Thomas. Et surtout, il dit et commente ce que les Breton
2250
s religieux et plus sensuel que ceux de Béroul et
de
Thomas. Et surtout, il dit et commente ce que les Bretons montraient
2251
veloppe et révèle ainsi tout le catharisme latent
de
la légende sans auteur99. a) Le « jugement de Dieu » est une coutum
2252
t de la légende sans auteur99. a) Le « jugement
de
Dieu » est une coutume barbare, mais l’Église l’admettait au xiie si
2253
venait de l’appliquer, précisément, à des femmes
de
Cologne et de Strasbourg, à juste titre soupçonnées de catharisme. L’
2254
ppliquer, précisément, à des femmes de Cologne et
de
Strasbourg, à juste titre soupçonnées de catharisme. L’épreuve consis
2255
logne et de Strasbourg, à juste titre soupçonnées
de
catharisme. L’épreuve consistait à saisir à main nue une barre de fer
2256
’épreuve consistait à saisir à main nue une barre
de
fer portée au rouge : seuls les menteurs ou les parjures étaient brûl
2257
ures étaient brûlés. On sait qu’Iseut, soupçonnée
de
trahir sa fidélité au roi Marc, s’offre au jugement par un mouvement
2258
au roi Marc, s’offre au jugement par un mouvement
d’
orgueil et de défi démesuré. Elle jure n’avoir jamais été dans les bra
2259
s’offre au jugement par un mouvement d’orgueil et
de
défi démesuré. Elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’un autre
2260
esuré. Elle jure n’avoir jamais été dans les bras
d’
un autre homme que son mari, si ce n’est, ajoute-t-elle en riant, dans
2261
e : or c’était Tristan déguisé. Elle sort intacte
de
l’épreuve. Gottfried commente : « Ce fut ainsi chose manifeste et avé
2262
fe… Il se prête et s’adapte à tout, selon le cœur
de
chacun, à la sincérité comme à la tromperie… Il est toujours ce que l
2263
u poète qu’il imite bien souvent leur dialectique
de
la souffrance, du désir et de l’extase, quitte à en inverser les conc
2264
nt leur dialectique de la souffrance, du désir et
de
l’extase, quitte à en inverser les conclusions : l’extase finale n’ab
2265
lusions : l’extase finale n’aboutit point au jour
de
Dieu mais à la nuit de la passion, non point au salut de la personne
2266
le n’aboutit point au jour de Dieu mais à la nuit
de
la passion, non point au salut de la personne mais bien à sa dissolut
2267
mais à la nuit de la passion, non point au salut
de
la personne mais bien à sa dissolution. Tout le passage cité trahit d
2268
ndamnent, aux yeux de Gottfried et des hérétiques
de
son temps, l’Évangile « pur » et la gnose dualiste : le monde manifes
2269
ec une science réelle du symbolisme liturgique et
de
l’architecture gothique naissante. Mais sur le lit substitué à l’aute
2270
ssion. En lieu et place du miracle eucharistique,
de
la transsubstantiation des espèces matérielles et de la divinisation
2271
la transsubstantiation des espèces matérielles et
de
la divinisation de celui qui les reçoit, c’est la chair qui se fond a
2272
ion des espèces matérielles et de la divinisation
de
celui qui les reçoit, c’est la chair qui se fond avec l’esprit en uni
2273
sique ? l’ambiguïté profonde subsiste ici encore)
de
la substance de l’Amour. Or cet Amour s’oppose à la ferveur du cœur d
2274
ïté profonde subsiste ici encore) de la substance
de
l’Amour. Or cet Amour s’oppose à la ferveur du cœur des clunisiens da
2275
e sans amour, et que les cathares n’ont pas cessé
de
dénoncer comme jurata fornicatio. Il paraît au surplus possible de re
2276
jurata fornicatio. Il paraît au surplus possible
de
retrouver dans l’épisode de la Minnegrotte toute la dialectique qui s
2277
t au surplus possible de retrouver dans l’épisode
de
la Minnegrotte toute la dialectique qui sera celle des grands mystiqu
2278
ties par l’attitude dualiste et même gnostique101
de
Gottfried. c) Le mariage « consommé » avec la seconde Iseut rétablit
2279
e — évité par Thomas — avec le mariage sans amour
d’
Iseut la Blonde et du roi Marc. L’un et l’autre se voient stigmatisés
2280
n et l’autre se voient stigmatisés comme relevant
de
la nécessité temporelle et physiologique, c’est-à-dire de l’exil des
2281
cessité temporelle et physiologique, c’est-à-dire
de
l’exil des âmes captives dans la prison des corps. C’est ici le jugem
2282
s dans la prison des corps. C’est ici le jugement
de
la morale courtoise, dans toute la virulence de son manichéisme, qui
2283
t de la morale courtoise, dans toute la virulence
de
son manichéisme, qui triomphe du jugement de l’Église et du siècle, c
2284
ence de son manichéisme, qui triomphe du jugement
de
l’Église et du siècle, complices aux yeux de Gottfried et des cathare
2285
is ceci jette un jour assez étrange sur la nature
de
la « consommation » érotico-eucharistique opérée dans la Minnegrotte.
2286
originel, dans une vision cathare du monde. Aimer
de
passion pure, même sans contact physique (l’épée entre les corps et l
2287
religieux du xiie siècle, toutes les confusions
de
l’amour deviennent mieux que possibles : inévitables. Nous n’en somme
2288
rtis au xxe siècle, sinon ce livre n’aurait plus
d’
objet. Mais on peut poser des repères. Il est bien évident que Gottfri
2289
ried de Strasbourg utilise à son gré la « matière
de
Bretagne », et catharise le mythe de l’amour-pour-la-mort avec une li
2290
la « matière de Bretagne », et catharise le mythe
de
l’amour-pour-la-mort avec une liberté dont on ignore si elle ne lui a
2291
hèmes directeurs, se prêtaient au projet du poète
d’
une manière que l’on doit qualifier de proprement congénitale. Dans so
2292
et du poète d’une manière que l’on doit qualifier
de
proprement congénitale. Dans son essence, dans sa structure intime, d
2293
me, non moins que dans son enseignement, le mythe
de
Tristan se révèle comme foncièrement hérétique et dualiste. Il n’y a
2294
iste. Il reste que Gottfried explicite la légende
d’
une manière toute nouvelle et grosse de conséquences. Il préfigure l’e
2295
la légende d’une manière toute nouvelle et grosse
de
conséquences. Il préfigure l’espèce de trahison géniale opérée par Wa
2296
et grosse de conséquences. Il préfigure l’espèce
de
trahison géniale opérée par Wagner six siècles et demi plus tard. Mêm
2297
mi plus tard. Même si l’on ignorait que la source
de
Wagner fut le poème de Gottfried, la seule comparaison des textes l’é
2298
’on ignorait que la source de Wagner fut le poème
de
Gottfried, la seule comparaison des textes l’établirait : les petits
2299
essés, antithétiques, haletants, du deuxième acte
de
l’opéra imitent Gottfried jusqu’au pastiche102. Le célèbre duo de Tri
2300
nt Gottfried jusqu’au pastiche102. Le célèbre duo
de
Tristan et d’Isolde mêlant leurs noms, niant leurs noms, chantant le
2301
usqu’au pastiche102. Le célèbre duo de Tristan et
d’
Isolde mêlant leurs noms, niant leurs noms, chantant le dépassement du
2302
hantant le dépassement du moi distinct, du temps,
de
l’espace et du malheur terrestre, est emprunté presque littéralement
2303
st le contenu philosophique et religieux du poème
de
Gottfried que Wagner va ressusciter par l’opération musicale. Le mond
2304
onde créé appartient au démon. Tout ce qui dépend
de
son empire est donc voué à la nécessité, et les corps sont voués au d
2305
et les corps sont voués au désir, dont le philtre
d’
amour symbolise l’inéluctable tyrannie. L’homme n’est pas libre. Il es
2306
terminé par le démon. Mais s’il assume son destin
de
malheur jusqu’à la mort, qui le libère du corps, il peut atteindre au
2307
e du corps, il peut atteindre au-delà du temps et
de
l’espace la réalité de l’Amour, cette fusion de deux « moi » cessant
2308
eindre au-delà du temps et de l’espace la réalité
de
l’Amour, cette fusion de deux « moi » cessant de souffrir l’amour : l
2309
t de l’espace la réalité de l’Amour, cette fusion
de
deux « moi » cessant de souffrir l’amour : la Joie suprême. Ce que Wa
2310
de l’Amour, cette fusion de deux « moi » cessant
de
souffrir l’amour : la Joie suprême. Ce que Wagner a repris à Gottfrie
2311
pas su dire, et s’étaient curieusement contentés
d’
illustrer en actions romanesques : la nostalgie religieuse-hérétique d
2312
s romanesques : la nostalgie religieuse-hérétique
d’
une évasion hors de ce monde mauvais, la sensualité condamnée en même
2313
é condamnée en même temps que divinisée, l’effort
de
l’âme pour échapper à l’inordinatio fondamentale du Siècle, à la cont
2314
le monde créé. Ce que Wagner, en somme, a repris
de
Gottfried, c’est son dualisme foncier. Et c’est par là que son œuvre
2315
notre sensibilité que la restauration esthétique
d’
un Bédier. 14.Premières conclusions Compte tenu du changement de
2316
remières conclusions Compte tenu du changement
de
registre qui s’opère dans les expressions poétiques de l’amour courto
2317
gistre qui s’opère dans les expressions poétiques
de
l’amour courtois, lorsqu’on passe du Midi des troubadours au Nord plu
2318
plus barbare des trouvères, nous sommes en mesure
de
voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul, Thomas et Gottfried d
2319
en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre
de
Béroul, Thomas et Gottfried de Strasbourg, l’aboutissement de toutes
2320
homas et Gottfried de Strasbourg, l’aboutissement
de
toutes nos pérégrinations. Les religions antiques, certaines mystique
2321
e qui les fit revivre en Languedoc, le contrecoup
de
cette hérésie dans la conscience occidentale et dans les coutumes féo
2322
r dans le mythe. Nous avons donc rejoint le Roman
de
Tristan et situé sa nécessité à telle date, à l’intersection de telle
2323
situé sa nécessité à telle date, à l’intersection
de
telles traditions hérétiques et de telles institutions qui les condam
2324
l’intersection de telles traditions hérétiques et
de
telles institutions qui les condamnaient farouchement, les obligeant
2325
imer en symboles équivoques et à revêtir la forme
d’
un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la
2326
oles équivoques et à revêtir la forme d’un mythe.
De
l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion :
2327
s et à revêtir la forme d’un mythe. De l’ensemble
de
ces convergences, il est temps de tirer la conclusion : L’amour-passi
2328
. De l’ensemble de ces convergences, il est temps
de
tirer la conclusion : L’amour-passion glorifié par le mythe fut réell
2329
par le mythe fut réellement au xiie siècle, date
de
son apparition, une religion dans toute la force de ce terme, et spéc
2330
son apparition, une religion dans toute la force
de
ce terme, et spécialement une hérésie chrétienne historiquement déter
2331
ne hérésie chrétienne historiquement déterminée.
D’
où l’on pourra déduire : 1° que la passion, vulgarisée de nos jours pa
2332
on pourra déduire : 1° que la passion, vulgarisée
de
nos jours par les romans et par le film, n’est rien d’autre que le re
2333
s jours par les romans et par le film, n’est rien
d’
autre que le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’une hérés
2334
le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies
d’
une hérésie spiritualiste dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’or
2335
dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’origine
de
notre crise du mariage, il n’y a pas moins que le conflit de deux tra
2336
ise du mariage, il n’y a pas moins que le conflit
de
deux traditions religieuses, c’est-à-dire une décision que nous preno
2337
esque toujours inconsciemment, en toute ignorance
de
cause, de fins et de risques encourus, en faveur d’une morale surviva
2338
ours inconsciemment, en toute ignorance de cause,
de
fins et de risques encourus, en faveur d’une morale survivante que no
2339
ciemment, en toute ignorance de cause, de fins et
de
risques encourus, en faveur d’une morale survivante que nous ne savon
2340
savons plus justifier. ⁂ Il s’en faut d’ailleurs
de
beaucoup que la passion et le mythe de la passion n’agissent que dans
2341
d’ailleurs de beaucoup que la passion et le mythe
de
la passion n’agissent que dans nos vies privées. La mystique d’Occide
2342
n’agissent que dans nos vies privées. La mystique
d’
Occident est une autre passion dont le langage métaphorique est parfoi
2343
horique est parfois étrangement semblable à celui
de
l’amour courtois. Nos grandes littératures sont pour une bonne partie
2344
réfère le dire : des « profanations » successives
de
son contenu et de sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes
2345
es « profanations » successives de son contenu et
de
sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes les formes militai
2346
litaires, jusque vers 1914, ont gardé par le fait
de
leur origine chevaleresque — et pour d’autres raisons peut-être — un
2347
lélisme constant avec l’évolution du mythe. C’est
de
quoi l’on traitera dans les livres qui viennent. 18. Traduction d’
2348
a dans les livres qui viennent. 18. Traduction
d’
Amyot. 19. H. Hubert, les Celtes, II, p. 227, 229, 274. (Le meilleur
2349
eltes, II, p. 227, 229, 274. (Le meilleur ouvrage
d’
ensemble sur la civilisation, l’histoire et l’archéologie celtique.)
2350
celtique.) 20. H. d’Arbois de Jubainville, Cours
de
littérature celtique, I, p. 1-65. 21. J. Vendryes, Mémoires de la so
2351
celtique, I, p. 1-65. 21. J. Vendryes, Mémoires
de
la société linguistique, XX, 6, 265. 22. Op. cit., I, p. 18, et II,
2352
5 août 1937.) 26. Voir l’Appendice 4. 27. Droit
d’
user et d’abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour
2353
7.) 26. Voir l’Appendice 4. 27. Droit d’user et
d’
abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour le droit r
2354
on le verra bien par la suite. Le premier couple
d’
amants « passionnés » dont l’histoire soit venue jusqu’à nous, c’est H
2355
5. On a tenté quelques explications sociologiques
de
la courtoisie. Elles se ramènent à des suppositions — souvent contrad
2356
ions — souvent contradictoires — sur la condition
de
la femme en Languedoc. Vernon Lee, par exemple, dans un essai intitul
2357
s il y avait « une énorme prépondérance numérique
d’
hommes » dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet
2358
umérique d’hommes » dont peu pouvaient se marier.
D’
où l’idéalisation de l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire.
2359
dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation
de
l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte
2360
uvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet
d’
un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte du renseig
2361
u renseignement, mais il n’explique en somme rien
de
précis quant à la rhétorique courtoise. 36. Cathare vient du grec ca
2362
Cathare vient du grec catharoi, purs. 37. Liber
de
duobus principiis, publié par A. Dondaine, O. P., Rome 1939. Dondaine
2363
ome 1939. Dondaine et Arno Borst datent ce traité
de
la seconde moitié du xiiie siècle. 38. Cf. La Cène secrète, publiée
2364
Catharisme, par René Nelli, Charles Bru, chanoine
De
Lagger, D. Roché, L. Sommariva (1953) ; Die Katharer par Arno Borst (
2365
e exacte comme sur l’évolution et les complexités
de
l’hérésie. 40. Cf. Prière cathare, citée par Döllinger. Notons que l
2366
thare, citée par Döllinger. Notons que la liberté
de
l’homme, le pouvoir de faire le mal ou le bien, aurait ainsi pour ori
2367
ger. Notons que la liberté de l’homme, le pouvoir
de
faire le mal ou le bien, aurait ainsi pour origine non point Dieu, ma
2368
rre promise. Le Déluge est provoqué par une pluie
de
quarante jours. Dans le tantrisme bouddhique, le « service » de la Fe
2369
urs. Dans le tantrisme bouddhique, le « service »
de
la Femme est divisé en épreuves de quarante jours, etc., etc. Quarant
2370
le « service » de la Femme est divisé en épreuves
de
quarante jours, etc., etc. Quarante est le nombre de l’Épreuve. 42.
2371
quarante jours, etc., etc. Quarante est le nombre
de
l’Épreuve. 42. L’expression de « parfaits » ne se trouve d’ailleurs
2372
nte est le nombre de l’Épreuve. 42. L’expression
de
« parfaits » ne se trouve d’ailleurs que dans les registres de l’Inqu
2373
» ne se trouve d’ailleurs que dans les registres
de
l’Inquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement de chrétiens) pa
2374
que dans les registres de l’Inquisition. Le terme
de
bonshommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir été utilisé par
2375
nquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement
de
chrétiens) paraît avoir été utilisé par les cathares eux-mêmes, et «
2376
» serait ironique. 43. Voir l’excellent ouvrage
de
Fernand Niel, Montségur, la montagne inspirée, 1955. « Si Montségur n
2377
’ajouterai que les adversaires les plus virulents
de
cette hypothèse sont ceux qui n’ont pas vu le site de Montségur. Le c
2378
ette hypothèse sont ceux qui n’ont pas vu le site
de
Montségur. Le choc émotif profond provoqué par l’apparition formidabl
2379
ion formidable du pic sacré comporte une évidence
d’
un tout autre ordre que celle que pourraient proposer des « preuves »
2380
e Poitiers, meurt en 1127. Les premières mentions
d’
une Église cathare organisée et publique datent de 1160. Mais dès 1145
2381
d’une Église cathare organisée et publique datent
de
1160. Mais dès 1145, selon Borst, le catharisme s’est répandu de la B
2382
ès 1145, selon Borst, le catharisme s’est répandu
de
la Bulgarie à l’Angleterre ! Le nom apparaît cette année-là en Allema
2383
dours ! 47. Au point que les Parfaits refusaient
de
s’asseoir sur un banc que venait de quitter une femme. Et cependant,
2384
quitter une femme. Et cependant, un grand nombre
de
femmes de la noblesse étaient cathares, et les troubadours leur dédia
2385
ne femme. Et cependant, un grand nombre de femmes
de
la noblesse étaient cathares, et les troubadours leur dédiaient leurs
2386
harisme, 1938), insiste lui aussi sur « le danger
d’
une envolée trop rapide vers le ciel », selon les cathares, et oppose
2387
ieu, Lumière, Foi, Église, est un indice probable
de
catharisme chez un troubadour. Les cathares s’appliquaient à parler l
2388
ision du monde dominée par l’hostilité du Jour et
de
la Nuit. 51. Désignée généralement par un nom symbolique ou senhal,
2389
en 1935. 53. On sait que l’un des lieux communs
de
la rhétorique courtoise consiste à se plaindre « d’aimer en lieu trop
2390
la rhétorique courtoise consiste à se plaindre «
d’
aimer en lieu trop élevé ». Les érudits commentent : le pauvre troubad
2391
». Les érudits commentent : le pauvre troubadour,
de
basse extraction sociale en général, s’est épris de la femme d’un hau
2392
basse extraction sociale en général, s’est épris
de
la femme d’un haut baron, qui le dédaigne. Certes, cela se vérifie da
2393
ction sociale en général, s’est épris de la femme
d’
un haut baron, qui le dédaigne. Certes, cela se vérifie dans quelques
2394
haut pour lui, c’est évident, s’il ne s’agit que
de
ce monde. En vérité, la question se ramène à savoir pourquoi le poète
2395
tion se ramène à savoir pourquoi le poète choisit
d’
aimer si haut, choisit l’Inaccessible. 54. On peut aussi penser que d
2396
adours (Peire Cardinal était-il hérétique ? Revue
d’
Histoire des Religions, juin 1938) va jusqu’à proposer que l’on prenne
2397
nne certains poèmes des troubadours comme sources
d’
études sur l’hérésie. Elle cite, à l’appui, des vers de Peire Cardenal
2398
des sur l’hérésie. Elle cite, à l’appui, des vers
de
Peire Cardenal qui reproduisent les termes exacts d’une Prière cathar
2399
Peire Cardenal qui reproduisent les termes exacts
d’
une Prière cathare publiée par Döllinger. Exemple : « Donne-moi de pou
2400
hare publiée par Döllinger. Exemple : « Donne-moi
de
pouvoir aimer ceux que tu aimes » (Cardenal) et « Donne-nous d’aimer
2401
er ceux que tu aimes » (Cardenal) et « Donne-nous
d’
aimer ceux que Tu aimes » (Prière). Mais il faut également relever que
2402
ans un poème où il dit : « Je ne me livre point à
de
stupides exploits… j’ai échappé à l’amour. » Je reviendrai sur la sit
2403
tuation paradoxale des poètes courtois contraints
de
louvoyer entre la double condamnation portée contre l’amour sexuel pa
2404
l jugerait absurde, c’est-à-dire qui n’aurait pas
de
sens religieux et de situation précise dans l’ensemble des valeurs qu
2405
’est-à-dire qui n’aurait pas de sens religieux et
de
situation précise dans l’ensemble des valeurs qu’il connaît. 57. J.
2406
uis quand ? Rudel utilisait ce procédé, et il est
de
la première moitié du xiie siècle, c’est-à-dire de la première génér
2407
la première moitié du xiie siècle, c’est-à-dire
de
la première génération des troubadours ! Donc l’un des inventeurs de
2408
ration des troubadours ! Donc l’un des inventeurs
de
ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple d’anachronisme tenda
2409
ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple
d’
anachronisme tendancieux. On veut à tout prix que le langage des troub
2410
e langage des troubadours soit le langage naturel
de
l’amour humain, transposé à l’amour divin. Alors qu’historiquement, c
2411
e et authentique ? Ceci pour répondre au reproche
d’
insincérité fait aux troubadours par nos érudits — reproche lui-même s
2412
eproche lui-même stéréotypé… 60. Mais catholique
d’
origine, non hérétique. 61. Faudrait-il rapprocher ceci du fait que l
2413
alier courtois donnait souvent à sa Dame le titre
de
seigneur au masculin : mi dons (mi dominas) et en Espagne : senhor (n
2414
symbole religieux, autant ou plus que traduction
de
relations humaines. Toutefois, le narcissisme inhérent à tout amour d
2415
n sexuel, des déviations dont il serait difficile
de
nier que certains troubadours n’aient été victimes. 62. Textes tradu
2416
aussi l’Appendice 5. 65. Voici le chef principal
d’
accusation, selon Massignon (Passion de al-Hallaj, p. 161) : « Adorer
2417
principal d’accusation, selon Massignon (Passion
de
al-Hallaj, p. 161) : « Adorer Dieu par amour seulement est le crime d
2418
agnétique du fer pour le fer, et leurs particules
de
lumière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer de lumière dont
2419
ière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer
de
lumière dont elles sont venues. » 66. H. Corbin : Introduction au Fa
2420
aj, texte relatif à la prédication et au supplice
de
al-Hallaj. 69. Cf. les travaux d’un auteur américain. A. R. Nykl, sa
2421
et au supplice de al-Hallaj. 69. Cf. les travaux
d’
un auteur américain. A. R. Nykl, sa traduction du Collier de la colomb
2422
r américain. A. R. Nykl, sa traduction du Collier
de
la colombe d’Ibn Hazm — qui est une théorie de l’amour courtois arabe
2423
. R. Nykl, sa traduction du Collier de la colombe
d’
Ibn Hazm — qui est une théorie de l’amour courtois arabe — et son ouvr
2424
er de la colombe d’Ibn Hazm — qui est une théorie
de
l’amour courtois arabe — et son ouvrage d’ensemble, Hispano-Arabic Po
2425
héorie de l’amour courtois arabe — et son ouvrage
d’
ensemble, Hispano-Arabic Poetry and its relations with the old Provenc
2426
badours, Baltimore, 1946. Voir aussi les ouvrages
de
Louis Massignon, d’Henry Pérès, d’Émile Dermenghem, de Menendez Pidal
2427
1946. Voir aussi les ouvrages de Louis Massignon,
d’
Henry Pérès, d’Émile Dermenghem, de Menendez Pidal, de Karl Appel, etc
2428
i les ouvrages de Louis Massignon, d’Henry Pérès,
d’
Émile Dermenghem, de Menendez Pidal, de Karl Appel, etc., etc. 70. Il
2429
uis Massignon, d’Henry Pérès, d’Émile Dermenghem,
de
Menendez Pidal, de Karl Appel, etc., etc. 70. Il faut avouer que les
2430
nry Pérès, d’Émile Dermenghem, de Menendez Pidal,
de
Karl Appel, etc., etc. 70. Il faut avouer que les réfutations les pl
2431
le hypothèse que j’avais mentionnée au chapitre 7
de
ce Livre, à savoir que les poèmes des troubadours pouvaient être — se
2432
t être — selon Rahn, Aroux et Péladan — une sorte
de
langage secret du catharisme. Une relecture des chapitres 8 et 9 suff
2433
ables que moi — en dépit de certaines imprudences
d’
expression. (Ce sont elles, par malheur, qui ont le plus fait pour ass
2434
heur, qui ont le plus fait pour assurer le succès
de
l’ouvrage dans un large public pressé. Comme il arrive.) 71. Comme A
2435
Les hérétiques reprochaient à l’Église catholique
d’
avoir inverti le nom même du Dieu qui est Amour. 72. Ce qui n’empêche
2436
i est Amour. 72. Ce qui n’empêchera pas l’Église
de
Rome, en la personne du pape Innocent III qui rêvait de « l’empire du
2437
e, en la personne du pape Innocent III qui rêvait
de
« l’empire du monde » et ne pouvait tolérer la défection de l’Italie
2438
ire du monde » et ne pouvait tolérer la défection
de
l’Italie du Nord et du Languedoc, de déclencher en 1209 la Croisade c
2439
la défection de l’Italie du Nord et du Languedoc,
de
déclencher en 1209 la Croisade contre les cathares : le premier génoc
2440
es : le premier génocide ou massacre systématique
d’
un peuple, enregistré par notre histoire « chrétienne » de l’Occident.
2441
ple, enregistré par notre histoire « chrétienne »
de
l’Occident. 73. Consoler vient de consolari, formée de cum et de so
2442
cident. 73. Consoler vient de consolari, formée
de
cum et de solus (qui veut dire proprement : entier). Consoler signifi
2443
3. Consoler vient de consolari, formée de cum et
de
solus (qui veut dire proprement : entier). Consoler signifie donc éty
2444
nq sens équivalents pour un seul terme ». 79. L.
De
la Vallée-Poussin, Bouddhisme, Études et matériaux, 1898. 80. Eliad
2445
p. 210 et 212. 81. Id., ibid. 82. Je m’excuse
de
ne pouvoir citer ici que des fragments de chansons — de paroles de ch
2446
’excuse de ne pouvoir citer ici que des fragments
de
chansons — de paroles de chansons ! — souvent très pauvrement traduit
2447
pouvoir citer ici que des fragments de chansons —
de
paroles de chansons ! — souvent très pauvrement traduites, et privées
2448
er ici que des fragments de chansons — de paroles
de
chansons ! — souvent très pauvrement traduites, et privées de toute b
2449
! — souvent très pauvrement traduites, et privées
de
toute beauté proprement poétique et rythmique par cette double trahis
2450
n entendu que je n’épingle ici que des dépouilles
de
sens… 83. Note du professeur Jeanroy : « C’est-à-dire, si vous parve
2451
ce » selon l’école Sahajiya. Cette interprétation
de
Guiraut Riquier est exacte. On peut s’en assurer en lisant cette phra
2452
acte. On peut s’en assurer en lisant cette phrase
d’
Ælius Donatus (commentaire sur Térence, ive siècle) : Quinque lineœ s
2453
e — et Servir à tactus.) Le thème des Cinq lignes
d’
amour peut être suivi à travers toute la poésie latine du Moyen Âge, j
2454
an Lemaire de Belges écrit dans ses Illustrations
de
Gaule : « Les nobles poètes disent que cinq lignes y a en amours… le
2455
ion, c’est celui qu’on nomme par honnêteté le don
de
mercy. » Le contraste avec l’amour courtois est clair. Et non moins l
2456
es cathares condamnaient la guerre et toute forme
d’
homicide, légal ou non. Et en place de faux juges, faux prêtres, faux
2457
toute forme d’homicide, légal ou non. Et en place
de
faux juges, faux prêtres, faux reclus, et de maris trompeurs, les Inq
2458
lace de faux juges, faux prêtres, faux reclus, et
de
maris trompeurs, les Inquisiteurs du siècle suivant n’eussent pas man
2459
quisiteurs du siècle suivant n’eussent pas manqué
de
lire simplement : juges, prêtres, reclus et maris ! 86. Aliénor d’Aq
2460
édigé au commencement du xiiie siècle : c’est le
De
arte honeste amandi d’André Le Chapelain. 88. Chez Chrétien de Troye
2461
u xiiie siècle : c’est le De arte honeste amandi
d’
André Le Chapelain. 88. Chez Chrétien de Troyes en particulier. 89.
2462
le rattachait le Graal aux rites secrets du culte
d’
Adonis. Ce qui est certain, c’est qu’un symbole comme celui du roi péc
2463
Celtes peut se confondre facilement avec la coupe
de
la Cène. Et la lance elle-même revêt les significations les plus dive
2464
interprétation. Il s’est produit toute une série
de
fusions et de confusions de symboles. 90. Les Romans de la Table ro
2465
n. Il s’est produit toute une série de fusions et
de
confusions de symboles. 90. Les Romans de la Table ronde, nouvellem
2466
oduit toute une série de fusions et de confusions
de
symboles. 90. Les Romans de la Table ronde, nouvellement rédigés pa
2467
ns et de confusions de symboles. 90. Les Romans
de
la Table ronde, nouvellement rédigés par J. Boulenger, IV, p. 238. 9
2468
communié se donnent les uns aux autres le baiser
de
paix, selon le rite oriental, que les cathares paraissent avoir repri
2469
doivent traverser n’est autre que le pont Chinvat
de
la mythologie manichéenne, pont jeté sur la rivière infernale, et que
2470
ue seuls les élus peuvent franchir. « Il y a lieu
d’
appeler manichéisant le milieu créateur de la matière de Bretagne », é
2471
a lieu d’appeler manichéisant le milieu créateur
de
la matière de Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291)
2472
ler manichéisant le milieu créateur de la matière
de
Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291) après avoir in
2473
le du Graal (dans Lumière du Graal, 1951, recueil
d’
une vingtaine d’études par des auteurs divers), René Nelli formule que
2474
s Lumière du Graal, 1951, recueil d’une vingtaine
d’
études par des auteurs divers), René Nelli formule quelques observatio
2475
ions qui seront utilement rapprochées du chap. 10
de
ce livre II : « Cette magie érotique avait sa source d’abord dans la
2476
te, dans la foi en une force occulte qui naissait
de
l’élan charnel réprimé… L’amour pur, c’est celui qui reste tel dans d
2477
périlleuses, provoquées, et qui utilise l’énergie
de
ce Désir pour des fins plus hautes que l’accouplement. Il admettait t
2478
e »… L’amour contenu est bien le moteur intérieur
de
cette Quête, qui a bien tous les caractères d’une initiation à la Fém
2479
ur de cette Quête, qui a bien tous les caractères
d’
une initiation à la Féminité insaisissable aux sens charnels. » L’aute
2480
94. Hubert, op. cit., Il, p. 298. 95. Histoire
de
Bailé au doux langage, trad. G. Dottin (L’Épopée irlandaise, Paris, 1
2481
., II, p. 243-244. 97. Voir l’intéressante étude
de
M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende de « Tannhäuser » (Mercur
2482
de de M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende
de
« Tannhäuser » (Mercure de France, juin 1938). Le Tannhäuser du xvie
2483
xvie siècle est une tardive adaptation allemande
de
légendes irlando-écossaises ; il ne doit rien aux influences courtois
2484
re à ce sujet les deux gros volumes parus en 1953
de
Gottfried Weber, Tristan und die Krise des Hochmittelalterlichen Welt
2485
nfiniment méticuleux (aux répétitions épuisantes)
d’
un savant philologue allemand, apporte sur chacun des points touchés d
2486
ts touchés dans le présent chapitre une abondance
de
« preuves scientifiques » dont je m’étais fort bien passé en écrivant
2487
s fort bien passé en écrivant la première édition
de
ce livre, mais qui certes ne gâtent rien ! La comparaison poursuivie
2488
! La comparaison poursuivie pendant des centaines
de
pages entre les conceptions religieuses de Gottfried et les doctrines
2489
taines de pages entre les conceptions religieuses
de
Gottfried et les doctrines d’Augustin, de Bernard, d’Hughes de Saint-
2490
eptions religieuses de Gottfried et les doctrines
d’
Augustin, de Bernard, d’Hughes de Saint-Victor et d’Abélard, fait écla
2491
gieuses de Gottfried et les doctrines d’Augustin,
de
Bernard, d’Hughes de Saint-Victor et d’Abélard, fait éclater le catha
2492
ottfried et les doctrines d’Augustin, de Bernard,
d’
Hughes de Saint-Victor et d’Abélard, fait éclater le catharisme profon
2493
Augustin, de Bernard, d’Hughes de Saint-Victor et
d’
Abélard, fait éclater le catharisme profond de Gottfried, et son antic
2494
et d’Abélard, fait éclater le catharisme profond
de
Gottfried, et son anticatholicisme (annonciateur de la Renaissance pl
2495
Gottfried, et son anticatholicisme (annonciateur
de
la Renaissance plus que de Luther, à mes yeux). 100. Vers 15.733 à 1
2496
olicisme (annonciateur de la Renaissance plus que
de
Luther, à mes yeux). 100. Vers 15.733 à 15.747 du poème de Gottfried
2497
à mes yeux). 100. Vers 15.733 à 15.747 du poème
de
Gottfried. 101. Gnosticisme de Gottfried : comme les carpocratiens,
2498
à 15.747 du poème de Gottfried. 101. Gnosticisme
de
Gottfried : comme les carpocratiens, il semble croire que la « purgat
2499
rpocratiens, il semble croire que la « purgatio »
de
l’instinct tyrannique ne peut être obtenue qu’en cédant d’abord à l’i
2500
ue qu’en cédant d’abord à l’instinct, mais en vue
d’
arriver à l’extase illuminative, qui conduit à l’union essentielle (no
2501
02. Et Gottfried n’a-t-il pas imité le sic et non
d’
Abélard ? L’exemple de l’amour du docteur pour la Nonne n’a cessé de h
2502
-il pas imité le sic et non d’Abélard ? L’exemple
de
l’amour du docteur pour la Nonne n’a cessé de hanter l’auteur de la p
2503
ple de l’amour du docteur pour la Nonne n’a cessé
de
hanter l’auteur de la plus théologique des versions de Tristan. 103.
2504
octeur pour la Nonne n’a cessé de hanter l’auteur
de
la plus théologique des versions de Tristan. 103. Un seul exemple :
2505
nter l’auteur de la plus théologique des versions
de
Tristan. 103. Un seul exemple : Gottfried v. 18352 à 57 « Tristan un
2506
tan und ein Isot » et Wagner, II, 2, toute la fin
de
la scène : « nicht mehr Tristan !… nicht mehr Isolde ! »
2507
1.Position du problème On a souvent tenté
d’
expliquer le mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation de l’am
2508
mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation
de
l’amour humain, c’est-à-dire en fin de compte : à la sexualité. Or l’
2509
de compte : à la sexualité. Or l’examen du Roman
de
Tristan et de ses sources historiques nous a conduit à renverser le r
2510
la sexualité. Or l’examen du Roman de Tristan et
de
ses sources historiques nous a conduit à renverser le rapport. C’est
2511
es conclusions générales. Mais il permet au moins
de
reposer un problème que le xixe siècle matérialiste s’était cru en m
2512
e xixe siècle matérialiste s’était cru en mesure
de
trancher au détriment de la mystique. À vrai dire, je ne suis pas trè
2513
définitive et simple. Mais il me paraît important
de
reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou de la
2514
de reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte
de
la passion ou de la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre,
2515
moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou
de
la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet
2516
parte de la passion ou de la mystique pour tenter
de
ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet implicitement, c’est l’exi
2517
e que l’on admet implicitement, c’est l’existence
d’
un rapport quelconque entre ces deux réalités. Reste à savoir dans que
2518
ogie des métaphores mystiques et amoureuses. Mais
d’
une entière analogie des mots, peut-on conclure à une entière analogie
2519
sommes-nous pas jusqu’à un certain point victimes
d’
une illusion verbale ? d’une sorte de « calembour continué » ? Quand b
2520
n certain point victimes d’une illusion verbale ?
d’
une sorte de « calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas
2521
int victimes d’une illusion verbale ? d’une sorte
de
« calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas, le problèm
2522
otre sens. a) S’il n’y avait en jeu, dans le cas
de
la passion, que des facteurs physiologiques, on ne comprendrait plus
2523
iologiques, on ne comprendrait plus rien au mythe
de
Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim
2524
de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est
de
la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle
2525
La sexualité est une faim. Or il est de la nature
d’
une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, mo
2526
é est une faim. Or il est de la nature d’une faim
de
chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, moins elle se
2527
yons ici une passion dont la nature est justement
de
refuser tout ce qui pourrait la satisfaire et la guérir. Nous ne somm
2528
sommes donc pas en présence d’une faim, mais bien
d’
une intoxication. Et l’on a soutenu récemment, par les preuves les plu
2529
morale, toute intoxication suppose l’intervention
d’
un agent étranger, que l’instinct livré à lui-même éliminerait aussi v
2530
ement, la mystique à elle seule, rend-elle compte
de
la passion ? Il faudrait alors expliquer pourquoi c’est dans l’amour
2531
est toujours à l’instinct sexuel que l’on a tenté
de
« ramener » la mystique, et cela bien avant Freud et son école. Voici
2532
e que pose l’amour-passion : si l’on n’y voit que
de
la sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas de quoi l’on par
2533
sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas
de
quoi l’on parle. Si au contraire on rapporte cet amour à quelque chos
2534
u contraire on rapporte cet amour à quelque chose
d’
étranger au sexe — il en résulte des choses bizarres, comme disait à p
2535
qu’il se posait au xiie siècle. C’est en partant
d’
un exemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor de la grande mys
2536
siècle. C’est en partant d’un exemple précis et
d’
une œuvre antérieure à l’essor de la grande mystique orthodoxe, que no
2537
xemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor
de
la grande mystique orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances
2538
orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances
de
surprendre à l’état naissant la dialectique des « choses bizarres »…
2539
ture mystique Nous avons constaté que le Roman
de
Tristan est, à bien des égards, une première « profanation » de la my
2540
, à bien des égards, une première « profanation »
de
la mystique courtoise et de ses sources (néo-platonisme, manichéisme,
2541
mière « profanation » de la mystique courtoise et
de
ses sources (néo-platonisme, manichéisme, soufisme). La mythification
2542
des complaisances bien explicables envers le goût
de
leurs auditeurs, moins policés que ceux du Midi. Le caractère distinc
2543
di. Le caractère distinctif du Roman est en effet
de
reposer sur une faute contre les lois d’amour courtois, puisque tout
2544
en effet de reposer sur une faute contre les lois
d’
amour courtois, puisque tout le drame vient de l’adultère consommé. De
2545
isque tout le drame vient de l’adultère consommé.
De
là que nous ayons un « roman » selon la formule moderne du genre, et
2546
et si l’on considère surtout le principe interne
de
l’action, Tristan évoque par la plupart de ses situations romanesques
2547
part de ses situations romanesques la progression
d’
une vie mystique. Certains « moments » relèvent de la pure tradition c
2548
d’une vie mystique. Certains « moments » relèvent
de
la pure tradition cathare, d’autres peuvent être rapprochés d’une exp
2549
adition cathare, d’autres peuvent être rapprochés
d’
une expérience mystique plus générale, et qu’on retrouve identique, da
2550
niens et Arabes, voire bouddhistes). En tout état
de
cause, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman d’adultère : l’i
2551
En tout état de cause, on ne saurait plus parler
d’
un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité d’Iseut, c’est l’hérésie,
2552
se, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman
d’
adultère : l’infidélité d’Iseut, c’est l’hérésie, c’est la vertu mysti
2553
ler d’un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité
d’
Iseut, c’est l’hérésie, c’est la vertu mystique des « purs », c’est un
2554
des « purs », c’est une vertu, selon les auteurs
de
la légende. Et la faute n’est pas dans l’amour, mais dans sa « réalis
2555
que se révèle toute comparaison entre deux formes
de
mystique — et d’autant plus qu’ici l’un des termes en présence se tro
2556
te comparaison entre deux formes de mystique — et
d’
autant plus qu’ici l’un des termes en présence se trouve dénaturé par
2557
nacelle sans gouvernail ni voile, muni seulement
de
son épée et de sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qu
2558
ouvernail ni voile, muni seulement de son épée et
de
sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qui chassera le p
2559
cherche du baume salutaire qui chassera le poison
de
son sang. C’est le type même du départ mystique, de l’abandon à l’ave
2560
son sang. C’est le type même du départ mystique,
de
l’abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête de l’âme pécheres
2561
abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête
de
l’âme pécheresse, c’est-à-dire blessée mortellement, qui renonce aux
2562
inconnue. La poésie moderne nous a montré combien
d’
exemples de ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents
2563
a poésie moderne nous a montré combien d’exemples
de
ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiment
2564
ure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiments
d’
une recherche mystique, qui ne laisse oublier ni la lyre ni l’épée sym
2565
analyse du mythe, que cette fatalité joue le rôle
d’
un alibi : les amants ne se veulent responsables de rien, leur passion
2566
’un alibi : les amants ne se veulent responsables
de
rien, leur passion étant inavouable tant aux yeux de la société (qui
2567
les fait mourir). C’est là l’aspect psychologique
de
l’aventure. Mais voici l’aspect religieux : ce hasard aussitôt irrévo
2568
p que tout semblait le préparer, c’est l’élection
d’
une âme par l’Amour tout-puissant, la vocation qui la surprend comme m
2569
conduire à l’endura. Mais emporté par la violence
de
la première révélation, qui parfois embrase le sang, il enfreint la r
2570
le, souffle ô vent ! Malheur ! ah malheur ! fille
d’
Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie de pénitence devra mai
2571
d’Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie
de
pénitence devra maintenant racheter le sacrilège. Mais le malheur ess
2572
racheter le sacrilège. Mais le malheur essentiel
de
cet amour n’est pas seulement la rançon du péché. L’ascèse qui rachèt
2573
it aussi et surtout délivrer l’homme du fait même
d’
être né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement f
2574
vrer l’homme du fait même d’être né dans ce monde
de
ténèbres. Elle doit conduire au détachement final et bienheureux, à l
2575
nitence a donc une signification toute différente
de
celle du repentir chrétien. Et bien que l’orthodoxie et l’hérésie sem
2576
onfondues dans le Roman, il est toujours possible
de
reconnaître, à de tels traits, la tendance réellement dominante — cel
2577
Roman, il est toujours possible de reconnaître, à
de
tels traits, la tendance réellement dominante — celle qui s’épanouira
2578
a mort des amants. Reprenons par exemple le récit
de
l’« aspre vie » dans la forêt de Morois. « Nous avons perdu le monde,
2579
exemple le récit de l’« aspre vie » dans la forêt
de
Morois. « Nous avons perdu le monde, et le monde nous », gémit Iseut
2580
gémit Iseut (dans le Roman en prose). Et Tristan
de
répondre : « Si le monde entier était orendroit avec nous, je ne verr
2581
, je ne verrois fors vous seule. » Il s’agit bien
d’
une endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes de
2582
e endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une
de
ces périodes de jeûne et de macération dont nous connaissons le but c
2583
retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes
de
jeûne et de macération dont nous connaissons le but chez les cathares
2584
s la forêt, c’est une de ces périodes de jeûne et
de
macération dont nous connaissons le but chez les cathares : l’absorpt
2585
nnaissons le but chez les cathares : l’absorption
de
toutes les facultés dans la contemplation de l’amour seul. Un trait p
2586
tion de toutes les facultés dans la contemplation
de
l’amour seul. Un trait profond de la passion — et de la mystique en g
2587
a contemplation de l’amour seul. Un trait profond
de
la passion — et de la mystique en général — paraît ici. « On est seul
2588
l’amour seul. Un trait profond de la passion — et
de
la mystique en général — paraît ici. « On est seul avec tout ce qu’on
2589
’on aime », écrira plus tard Novalis, ce mystique
de
la Nuit et de la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, pa
2590
rira plus tard Novalis, ce mystique de la Nuit et
de
la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, parmi tant d’aut
2591
eurs, parmi tant d’autres sens possibles, un fait
d’
observation purement psychologique : la passion n’est nullement cette
2592
lescents ; elle est, bien au contraire, une sorte
d’
intensité nue et dénuante, oui vraiment, un amer dénuement, un appauvr
2593
i vraiment, un amer dénuement, un appauvrissement
de
la conscience vidée de toute diversité, une obsession de l’imaginatio
2594
uement, un appauvrissement de la conscience vidée
de
toute diversité, une obsession de l’imagination concentrée sur une se
2595
onscience vidée de toute diversité, une obsession
de
l’imagination concentrée sur une seule image, — et dès lors le monde
2596
lors le monde s’évanouit, « les autres » cessent
d’
être présents, il n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tien
2597
les choses créées. Vraiment, comment se défendre
de
songer ici aux « déserts » de la Nuit obscure que décrit saint Jean d
2598
comment se défendre de songer ici aux « déserts »
de
la Nuit obscure que décrit saint Jean de la Croix ? « Éloigne les cho
2599
vait que Dieu et elle au monde ». A-t-on le droit
d’
opérer ce rapprochement entre un génie religieux du premier ordre et u
2600
plus rudimentaires ? Certes, ce serait une sorte
de
blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion d’amour
2601
de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que
d’
une passion d’amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici su
2602
’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion
d’
amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici sur la via mysti
2603
es « parfaits ». C’est alors le contenu des états
d’
âme et leur objet, mais non leur forme, qui diffère107. (Nous allons y
2604
dissiper toute équivoque.) ⁂ Voici un autre point
de
comparaison. On sait combien les mystiques espagnols ont coutume d’in
2605
sait combien les mystiques espagnols ont coutume
d’
insister sur le récit de leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour
2606
ues espagnols ont coutume d’insister sur le récit
de
leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour divin sont vifs, plus l
2607
morales qu’entraîne la mortification des sens et
de
la volonté, mais l’âme souffre séparation et réjection, dans le temps
2608
uffre séparation et réjection, dans le temps même
de
la plus vive ardeur de son amour. Il y aurait à citer cent pages où r
2609
ection, dans le temps même de la plus vive ardeur
de
son amour. Il y aurait à citer cent pages où revient la même plainte
2610
ait à citer cent pages où revient la même plainte
de
l’âme sur « l’abandon divin, tourment suprême ». Sur « ce vide profon
2611
ce vide profond… cruelle disette des trois sortes
de
biens qui peuvent consoler l’âme, savoir les temporels, les naturels,
2612
les spirituels » ; enfin, « sur cette impression
de
rejet qui compte parmi les peines les plus dures de l’état de purific
2613
rejet qui compte parmi les peines les plus dures
de
l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et par
2614
compte parmi les peines les plus dures de l’état
de
purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et parfois équiv
2615
est qu’une impure et parfois équivoque traduction
de
la mystique courtoise. (Il arrive que les situations les plus apparem
2616
gravement à partir de l’amour humain, et par voie
de
sublimation, non par la voie inverse, allant de l’Amour divin aux mét
2617
e de sublimation, non par la voie inverse, allant
de
l’Amour divin aux métaphores, qui convient pour les grands mystiques.
2618
ci dit, nous pouvons retrouver dans le mythe plus
d’
un aspect des souffrances mystiques. On se souvient de la plainte du t
2619
aspect des souffrances mystiques. On se souvient
de
la plainte du troubadour : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus
2620
mme Tristan si follement que lorsqu’il est séparé
de
sa « dame ». La psychologie la plus simple rendrait compte de ce phén
2621
». La psychologie la plus simple rendrait compte
de
ce phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et d’image matériel
2622
t compte de ce phénomène. Mais il ne sert ici que
de
prétexte et d’image matérielle pour représenter les tourments de l’as
2623
phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et
d’
image matérielle pour représenter les tourments de l’ascèse purificatr
2624
d’image matérielle pour représenter les tourments
de
l’ascèse purificatrice. Nous avons vu que les séparations des deux am
2625
Roman, répondent à une nécessité tout intérieure
de
la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chos
2626
imée, mais elle est aussi autre chose, le symbole
de
l’Amour lumineux. Quand Tristan erre au loin, il l’aime davantage, et
2627
l’aime davantage, et plus il aime, plus il endure
de
souffrances. Mais nous savons que c’est la souffrance qui est le vrai
2628
avons que c’est la souffrance qui est le vrai but
de
la séparation voulue… Nous rejoignons alors la situation mystique (pa
2629
e rejeté par l’amour. Au point qu’il doutera même
de
l’« amitié » d’Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’i
2630
mour. Au point qu’il doutera même de l’« amitié »
d’
Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’il acceptera le «
2631
ovisoirement. C’est quand, le philtre ayant cessé
d’
agir, Tristan et Iseut vont trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Re
2632
trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Rencontre
de
celui qui souffre pour son Dieu, et des amants qui souffrent pour un
2633
ais tandis que le roi s’approche avec son cortège
de
barons, les amants échangent l’anneau de l’éternelle fidélité et du s
2634
cortège de barons, les amants échangent l’anneau
de
l’éternelle fidélité et du secret. La soumission ne sera donc qu’appa
2635
⁂ Pour extérieures et formelles qu’elles soient,
de
telles correspondances ne sauraient être, en toute honnêteté, réduite
2636
es. Mais si les formes sont pareilles, il importe
de
définir en quoi les contenus restent incompatibles, et quelle est la
2637
us restent incompatibles, et quelle est la nature
de
l’abus qui par la suite a voulu les confondre. L’on pourrait tout ram
2638
ramener à une grossière confusion du Créateur et
de
la créature, dans le Roman : la fameuse « divinisation de la femme »
2639
éature, dans le Roman : la fameuse « divinisation
de
la femme » selon la formule des manuels. Dans le cas où Iseut ne sera
2640
s que nous venons de dégager ne seraient plus que
de
l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je ne songe pas
2641
t plus que de l’ordre du langage, et spécialement
de
la métaphore. Je ne songe pas à nier cet aspect du problème, il sera
2642
la, ce serait alors tout l’arrière-plan religieux
de
la légende qu’il faudrait nier ou négliger, en dépit de l’évidence hi
2643
e qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait
d’
être un roman courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’être ce
2644
man courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait
d’
être ce qu’il fut, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits co
2645
s, ce qui se trouve en question, c’est la passion
d’
amour, et non l’amour purement profane et naturel. Voici, me semble-t-
2646
rel. Voici, me semble-t-il, le principe véritable
de
l’opposition des deux mystiques. L’orthodoxe aboutit au « mariage spi
2647
ues. L’orthodoxe aboutit au « mariage spirituel »
de
Dieu et de l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’unio
2648
odoxe aboutit au « mariage spirituel » de Dieu et
de
l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’union et la fus
2649
espère l’union et la fusion totale, mais au-delà
de
la mort des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas de rachat poss
2650
rt des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas
de
rachat possible de ce monde. Il s’en suivait — théoriquement — que l’
2651
les cathares, il n’y avait pas de rachat possible
de
ce monde. Il s’en suivait — théoriquement — que l’amour profane était
2652
s mystiques du Roman chercheront donc l’intensité
de
la passion et non son apaisement heureux. Plus leur passion est vive
2653
voient dans les actes et les œuvres qui découlent
de
l’état mystique les critères de sa vérité109. C’est du moins le mouve
2654
res qui découlent de l’état mystique les critères
de
sa vérité109. C’est du moins le mouvement constant de ceux qui ont co
2655
a vérité109. C’est du moins le mouvement constant
de
ceux qui ont concentré leur oraison sur le Christ incarné réellement.
2656
’Incarnation, et ne pouvaient connaître ce retour
de
l’âme à une vie rénovée. « Je meurs de ne pas mourir », dit sainte Th
2657
ce retour de l’âme à une vie rénovée. « Je meurs
de
ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est de ne pas mourir asse
2658
e ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est
de
ne pas mourir assez pour vivre toute la vie nouvelle, et pour obéir s
2659
Jean de la Croix. Les amants se plaignent parfois
de
leur passion et maudissent le poison fatal, cause de leurs terribles
2660
leur passion et maudissent le poison fatal, cause
de
leurs terribles souffrances. « Amor par force les demeine. » Mais fin
2661
comme la révélation dernière, dans la mort. Ainsi
de
leur attitude envers les créatures : ils ne les retrouvent pas au-del
2662
les créatures : ils ne les retrouvent pas au-delà
de
leur passion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au
2663
ne les retrouvent pas au-delà de leur passion et
de
son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au monde si caractéri
2664
ssion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement
de
retour au monde si caractéristique du christianisme. Jean de la Croix
2665
qu’on mortifie les passions, l’âme ne reçoit plus
d’
aliment des créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’obscurit
2666
l’âme ne reçoit plus d’aliment des créatures ; et
de
cette façon, elle est remplie d’obscurité, et destituée des objets qu
2667
s créatures ; et de cette façon, elle est remplie
d’
obscurité, et destituée des objets que les passions lui présentaient.
2668
III). (Et l’on peut certes rapprocher ce passage
de
l’admirable cri de Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris
2669
t certes rapprocher ce passage de l’admirable cri
de
Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris moi-même, elle m’a
2670
e mon désir et mon cœur assoiffé. ») Au-delà même
de
cet état, Jean de la Croix connut la viduité totale, où non seulement
2671
n, et l’amour avec son objet, mais jusqu’au désir
de
l’amour semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide de toute con
2672
au désir de l’amour semblent se dérober au comble
de
l’élan : « Vide de toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut,
2673
semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide
de
toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l’attire
2674
ximes.) Le troubadour Arnaut Daniel parlait aussi
de
cet « excès de désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théop
2675
badour Arnaut Daniel parlait aussi de cet « excès
de
désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théopathique n’about
2676
en termes magnifiques que l’âme pure est le lieu
de
rédemption des créatures dénaturées par le péché. « Toutes les créatu
2677
rées par le péché. « Toutes les créatures passent
de
leur vie à leur être. Toutes les créatures se portent dans ma raison
2678
l faut indiquer la dernière limite, qui est celle
de
l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le mystère
2679
qui est celle de l’humilité. Et là encore, la clé
de
l’opposition est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baign
2680
ncore, la clé de l’opposition est dans le mystère
de
l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique de l’org
2681
on. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique
de
l’orgueil chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui est le mo
2682
tique de l’orgueil chevaleresque : c’est le désir
de
la prouesse qui est le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous
2683
de la prouesse qui est le moteur des hauts faits
de
Tristan. Comme tous les passionnés, il aime avec témérité la sensatio
2684
es passionnés, il aime avec témérité la sensation
de
puissance qu’il éprouve dans le risque. D’où le désir final du risque
2685
sation de puissance qu’il éprouve dans le risque.
D’
où le désir final du risque pour lui-même, la passion de la passion sa
2686
e désir final du risque pour lui-même, la passion
de
la passion sans terme, la volonté de la mort sans retour. L’on s’aper
2687
, la passion de la passion sans terme, la volonté
de
la mort sans retour. L’on s’aperçoit, à cette limite, que la prouesse
2688
e limite, que la prouesse était le signe matériel
d’
un processus de divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire,
2689
a prouesse était le signe matériel d’un processus
de
divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire, sont la prudenc
2690
Ainsi le chrétien ne se jette pas dans l’illusion
d’
une mort d’amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites
2691
rétien ne se jette pas dans l’illusion d’une mort
d’
amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites de sa terr
2692
sfigurante, mais au contraire accepte les limites
de
sa terrestre vocation. « Rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l
2693
a Croix, et cela « parce qu’il se tient au centre
de
son humilité ». 3.Transpositions curieuses, mais inévitables To
2694
ns curieuses, mais inévitables Toute la poésie
d’
Occident procède de l’amour courtois et du roman breton qui en dérive.
2695
inévitables Toute la poésie d’Occident procède
de
l’amour courtois et du roman breton qui en dérive. C’est à cette orig
2696
e ; et c’est dans ce vocabulaire que les amoureux
d’
aujourd’hui puisent encore, en toute inconscience, leurs métaphores le
2697
le mythe romanesque avait utilisé un « matériel »
d’
images, de noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, d
2698
omanesque avait utilisé un « matériel » d’images,
de
noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une
2699
vait utilisé un « matériel » d’images, de noms et
de
situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une religion dé
2700
tuations tiré du fonds religieux des Celtes, donc
d’
une religion déjà morte, de même notre littérature et nos passions uti
2701
seule mystique définissait le sens valable. Plus
d’
une fois, l’ambiguïté du mythe nous a fait hésiter en présence de tel
2702
ésiter en présence de tel épisode : s’agissait-il
d’
amour profane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole de l’Éros l
2703
l d’amour profane — selon la lettre du Roman — ou
d’
un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit
2704
fane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole
de
l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit donc que par
2705
Roman — ou d’un symbole de l’Éros lumineux, voire
de
l’Église d’Amour ? On conçoit donc que par la suite, le lecteur ignor
2706
’un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église
d’
Amour ? On conçoit donc que par la suite, le lecteur ignorant des myst
2707
s ces allégories trop bien voilées. Il est facile
d’
imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : « Je te che
2708
troubadour ait exprimé la même prière en feignant
de
l’adresser à sa Dame. L’amant habitué aux métaphores mystiques, qu’il
2709
ues, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté
de
voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il aime : c
2710
tenté de voir dans cette même phrase l’expression
de
la passion qu’il aime : celle qu’on goûte et savoure en soi, dans une
2711
lle qu’on goûte et savoure en soi, dans une sorte
d’
indifférence à son objet vivant et extérieur. Ainsi nous avons vu que
2712
our-passion tend à se confondre avec l’exaltation
d’
un narcissisme… Dans cette transposition objectivement mais non pas co
2713
de des métaphores utilisées dans les deux cas. Or
d’
où venaient ces métaphores ? D’une mystique, comme nous l’avons vu — m
2714
s les deux cas. Or d’où venaient ces métaphores ?
D’
une mystique, comme nous l’avons vu — mais déguisée, persécutée, puis
2715
te donc valable à condition qu’on change le signe
de
chacune de ses propositions. Par exemple, là où la science proclame q
2716
able à condition qu’on change le signe de chacune
de
ses propositions. Par exemple, là où la science proclame que la mysti
2717
là où la science proclame que la mystique résulte
d’
une sublimation de l’instinct, il suffira de changer le sens de la rel
2718
roclame que la mystique résulte d’une sublimation
de
l’instinct, il suffira de changer le sens de la relation constatée, e
2719
sulte d’une sublimation de l’instinct, il suffira
de
changer le sens de la relation constatée, et d’écrire que « l’instinc
2720
tion de l’instinct, il suffira de changer le sens
de
la relation constatée, et d’écrire que « l’instinct » en question rés
2721
a de changer le sens de la relation constatée, et
d’
écrire que « l’instinct » en question résulte d’une profanation de la
2722
t d’écrire que « l’instinct » en question résulte
d’
une profanation de la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience m
2723
’instinct » en question résulte d’une profanation
de
la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience moderne montre une
2724
épugnance à opérer ce renversement, qu’il est bon
d’
entrer plus avant dans le mécanisme des transpositions, et même de rec
2725
ant dans le mécanisme des transpositions, et même
de
reconnaître la valeur de certaines objections courantes. Car enfin, d
2726
transpositions, et même de reconnaître la valeur
de
certaines objections courantes. Car enfin, dira-t-on, la mystique, au
2727
enfin, dira-t-on, la mystique, au moins dans une
de
ses tendances, ne s’est-elle pas prêtée à toutes les confusions ? N’a
2728
ons ? N’a-t-elle pas abusé la première du langage
de
l’Éros païen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage de la pass
2729
ïen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage
de
la passion Le fait central de toute vie religieuse de forme et de
2730
es et le langage de la passion Le fait central
de
toute vie religieuse de forme et de contenu chrétiens, c’est l’événem
2731
assion Le fait central de toute vie religieuse
de
forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dè
2732
fait central de toute vie religieuse de forme et
de
contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dès que l’on s
2733
forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement
de
l’Incarnation. Dès que l’on s’écarte un tant soit peu de ce foyer, l’
2734
oit peu de ce foyer, l’on encourt le double péril
de
l’humanisme et de l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à id
2735
r, l’on encourt le double péril de l’humanisme et
de
l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à idéaliser tout l’Éva
2736
enthousiasme » — cette transgression des limites
de
l’humain, finalement irréalisable, devait se traduire, et se trahir d
2737
nt irréalisable, devait se traduire, et se trahir
d’
une manière fatale, par une exaltation en termes divins de l’amour sex
2738
nière fatale, par une exaltation en termes divins
de
l’amour sexuel. À l’inverse, on peut observer chez les mystiques les
2739
im et soif, volonté. Exaltation en termes humains
de
l’amour de Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous ret
2740
volonté. Exaltation en termes humains de l’amour
de
Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous retrouverons d
2741
ée. Même chez les représentants les plus typiques
de
l’une et de l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût
2742
z les représentants les plus typiques de l’une et
de
l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût-ce qu’à la
2743
anière dont la tentation coexiste avec la volonté
d’
obéissance chez le croyant. Historiquement parlant, il est donc malais
2744
yant. Historiquement parlant, il est donc malaisé
de
les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire. Le premier cou
2745
la chose est claire. Le premier courant est celui
de
la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et de la di
2746
la mystique unitive : il tend à la fusion totale
de
l’âme et de la divinité. Le second courant peut être appelé celui de
2747
unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et
de
la divinité. Le second courant peut être appelé celui de la mystique
2748
ivinité. Le second courant peut être appelé celui
de
la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’âme et de Dieu, e
2749
de la mystique épithalamique : il tend au mariage
de
l’âme et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est ma
2750
ue épithalamique : il tend au mariage de l’âme et
de
Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est maintenue entr
2751
me et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction
d’
essence est maintenue entre la créature et le Créateur. Quelques exemp
2752
euls valables en ce domaine110 — nous permettront
de
préciser tout cela sans excessives simplifications. Ils nous permettr
2753
excessives simplifications. Ils nous permettront
d’
entrevoir les raisons de ce curieux phénomène : « l’abus » du langage
2754
ons. Ils nous permettront d’entrevoir les raisons
de
ce curieux phénomène : « l’abus » du langage amoureux en religion doi
2755
e. J’emprunterai mon premier exemple à l’ouvrage
de
Rudolf Otto intitulé Mystique occidentale-orientale111. L’auteur comp
2756
le111. L’auteur compare, puis oppose le fondateur
de
la mystique allemande au xive siècle, Maître Eckhart, et le mystique
2757
e objet, c’est que Rudolf Otto distingue l’Orient
de
l’Occident en ramenant leurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Ag
2758
eurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Agapè,
d’
une manière assez analogue à celle que nous proposions ci-dessus (voir
2759
n tant que, par l’âme du croyant, elles « passent
de
leur vie à leur être ». La confrontation est rendue possible par le f
2760
oyen Âge une tradition mystique parallèle à celle
de
Sankara. « Mystique de l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la fav
2761
mystique parallèle à celle de Sankara. « Mystique
de
l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur de laquelle le Je e
2762
l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur
de
laquelle le Je et le Tu des êtres unis par une forte émotion coulent
2763
l’un dans l’autre, donnant naissance à une unité
d’
être. Eckhart ne connaît ni cette ivresse ni cet amour « pathologique
2764
e ». L’amour, pour lui, c’est la vertu chrétienne
de
l’Agapè, forte comme la mort, mais non point ivre ; intime, mais humb
2765
, tout particulièrement, que Eckhart se distingue
d’
une manière radicale de Plotin, dont on persiste à faire son maître. P
2766
, que Eckhart se distingue d’une manière radicale
de
Plotin, dont on persiste à faire son maître. Plotin lui aussi prêche
2767
st l’Éros grec, qui est jouissance, et jouissance
d’
une naturelle et surnaturelle Beauté… gardant jusqu’en ses plus subtil
2768
u’en ses plus subtiles sublimations quelque chose
de
l’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur de l
2769
’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui,
de
la ferveur de l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la
2770
sium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur
de
l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divin
2771
en, grand Daimon qui, de la ferveur de l’instinct
de
procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divine, mais n’en c
2772
divine, mais n’en conserve pas moins les éléments
de
l’homme fervent. Pour Eckhart, la vraie voie mystique n’est pas celle
2773
raie voie mystique n’est pas celle qui, s’élevant
d’
un état de sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un éla
2774
mystique n’est pas celle qui, s’élevant d’un état
de
sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan d’amour
2775
entiment, mènerait à une union suprême, au sommet
d’
un élan d’amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une
2776
mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan
d’
amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une œuvre, non
2777
t plutôt comme fournissant d’abord la possibilité
d’
une Agapè authentique. Non seulement son Agapè n’a pas le moindre trai
2778
simplicité élémentaires, sans exaltation ni ajout
d’
aucune sorte. » Et de cette union résultent « la confiance, la foi, l’
2779
es, sans exaltation ni ajout d’aucune sorte. » Et
de
cette union résultent « la confiance, la foi, l’abandon, le service »
2780
service ». Il s’agit donc plutôt, me semble-t-il,
d’
une communion que d’une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart
2781
donc plutôt, me semble-t-il, d’une communion que
d’
une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart, l’âme reste l’âme,
2782
l’âme reste l’âme, et Dieu reste Dieu113. L’acte
d’
amour spirituel est initial, et non final. Pour le chrétien, la mort à
2783
Pour le chrétien, la mort à soi-même est le début
d’
une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce monde. D’ailleur
2784
d’une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe
de
ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart où il est questio
2785
ophe de ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage
d’
Eckhart où il est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’â
2786
un passage d’Eckhart où il est question non plus
d’
union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’
2787
art où il est question non plus d’union mais bien
d’
égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et av
2788
est question non plus d’union mais bien d’égalité
de
l’âme et de Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un es
2789
non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et
de
Dieu : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un est source et
2790
d’égalité de l’âme et de Dieu : Et cette égalité
de
l’un dans l’un et avec l’un est source et origine du fleurissant resp
2791
qui figure pour Eckhart l’expression authentique
de
l’union divine, mais bien l’Agapè, dont ne parlent et que ne connaiss
2792
n ni Sankara. Voici donc, semble-t-il, deux pôles
de
la mystique universelle très nettement caractérisés. L’Orient (c’est-
2793
ns les termes mêmes par lesquels nous avons tenté
de
distinguer la mystique des cathares et la doctrine chrétienne de l’am
2794
a mystique des cathares et la doctrine chrétienne
de
l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur de sainteté. Le pape Jean
2795
ne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur
de
sainteté. Le pape Jean xxii condamna même ses thèses les plus hardies
2796
a même ses thèses les plus hardies dans une bulle
de
1329. L’une des thèses condamnées, la dixième, est ainsi reproduite d
2797
alement en Dieu et nous nous convertissons en lui
de
la même manière que le pain dans le sacrement se change en corps du C
2798
e distinction. » Cette thèse, extraite des œuvres
d’
Eckhart, paraît contredire formellement l’interprétation précédente. E
2799
art du côté de « l’Orient », c’est-à-dire du côté
d’
une mystique essentiellement unitive, et par cela même hérétique… Ce q
2800
ecticien par excellence, et qu’il est trop facile
d’
extraire de ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui,
2801
r excellence, et qu’il est trop facile d’extraire
de
ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui, a-t-on pu
2802
n sont inséparables, n’étant que les deux aspects
d’
une même vérité115. » Il n’en est pas moins significatif de constater
2803
e vérité115. » Il n’en est pas moins significatif
de
constater que Eckhart souleva dans la mystique flamande une oppositio
2804
l’abandon des œuvres. On est toujours à l’Orient
de
quelqu’un ! C’est ainsi que Maître Eckhart figura l’hérésie que j’app
2805
gens qui ne veulent pas seulement être les égaux
de
Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus maudits que
2806
r… Voilà ce qu’ils appellent la parfaite pauvreté
d’
esprit… Mais ceux qui sont nés du Saint-Esprit et chantent ses louange
2807
s agissent. On le voit : Ruysbroek accuse Eckhart
de
quiétisme. Il revendique contre lui un certain activisme de l’amour.
2808
me. Il revendique contre lui un certain activisme
de
l’amour. C’est qu’il ne croit nullement que toute distinction entre l
2809
blable à Dieu. Elle contemple Dieu dans le miroir
d’
un esprit entièrement purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes e
2810
contemplons ; car notre essence, sans rien perdre
de
sa propre personnalité, est unie à la vérité divine qui respecte la d
2811
nction. » Et ailleurs : « L’abîme qui nous sépare
de
Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est l
2812
urs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu est perçu
de
nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distance essenti
2813
de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret
de
nous-mêmes. Il est la distance essentielle… » ⁂ Or voici le point qu’
2814
ssentielle… » ⁂ Or voici le point qu’il importait
de
mettre en lumière. Si l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amo
2815
l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amour
de
l’âme pour Dieu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera p
2816
—, je ne sais si l’on rencontre jamais le langage
de
l’amour humain. » À l’inverse, si l’âme ne peut s’unir essentiellemen
2817
’orthodoxie chrétienne, il en résulte que l’amour
de
l’âme pour Dieu est, dans ce sens précis, un amour réciproque malheur
2818
langage passionnel, c’est-à-dire dans le langage
de
l’hérésie cathare « profanisé » par la littérature et adopté par les
2819
it. Là encore, les textes confirment l’exactitude
de
notre schéma. C’est bien avec Ruysbroek et sa doctrine de la distinct
2820
schéma. C’est bien avec Ruysbroek et sa doctrine
de
la distinction essentielle qu’apparaît, dans la mystique du Nord, le
2821
l’irrésistible désir. S’efforcer continuellement
de
saisir l’insaisissable… Et l’objet du désir ne peut être ni abandonné
2822
onner est chose intolérable, et il est impossible
de
le conserver. Le silence même n’a pas assez de force pour l’étreindre
2823
le de le conserver. Le silence même n’a pas assez
de
force pour l’étreindre de ses mains. » Et toutes les métaphores de l’
2824
ence même n’a pas assez de force pour l’étreindre
de
ses mains. » Et toutes les métaphores de l’amour-passion se déversent
2825
treindre de ses mains. » Et toutes les métaphores
de
l’amour-passion se déversent dans la prose enflammée de Ruysbroek : i
2826
mour-passion se déversent dans la prose enflammée
de
Ruysbroek : immersion dans l’amour, défaillements, embrassements, our
2827
s l’amour, défaillements, embrassements, ouragans
de
l’impatience, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour,
2828
embrassements, ouragans de l’impatience, brûlure
d’
amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour, délices ruisselantes, iv
2829
e, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie
d’
amour, délices ruisselantes, ivresses, meurtrissures… « Il m’a bu l’es
2830
l’esprit et le cœur » fait dire Ruysbroek à l’une
de
ses béguines parlant du Christ. « Je me suis perdue dans sa bouche »,
2831
une autre. Et une troisième : « Boire les regards
de
l’amour et s’y engloutir enivrée… » Je me suis arrêté à l’exemple de
2832
arrêté à l’exemple de Ruysbroek pour la commodité
de
l’exposé : le fait historique que Maître Eckhart et son disciple se s
2833
on disciple se soient opposés sur le point précis
de
l’union divine, rendait possible une confrontation. Mais la lecture d
2834
us eût fourni un autre exemple non moins frappant
de
l’usage des thèmes courtois. On sait que saint François d’Assise avai
2835
ais dans sa jeunesse et qu’il faisait ses délices
de
nos romans de chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalie
2836
unesse et qu’il faisait ses délices de nos romans
de
chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalier du monde » o
2837
es délices de nos romans de chevalerie. Il rêvait
de
devenir le « meilleur chevalier du monde » ou, selon ses propres paro
2838
é du monde entier118. » Et l’on sait d’autre part
de
quelle manière il inaugura son ministère : sur la grande place d’Assi
2839
e il inaugura son ministère : sur la grande place
d’
Assise, en présence de l’évêque et d’une foule immense, il se dépouill
2840
grande place d’Assise, en présence de l’évêque et
d’
une foule immense, il se dépouilla de tous ses vêtements et se dressan
2841
l’évêque et d’une foule immense, il se dépouilla
de
tous ses vêtements et se dressant tout nu devant son père richement h
2842
es vers français… Le parfait dénuement avait fait
de
son corps l’humble serviteur de son âme ; plus d’obstacles à ses élan
2843
uement avait fait de son corps l’humble serviteur
de
son âme ; plus d’obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se s
2844
de son corps l’humble serviteur de son âme ; plus
d’
obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se souvenant des roman
2845
!… Se souvenant des romans français, François fit
de
la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’être son « chevalier »119. Cet
2846
nçois fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora
d’
être son « chevalier »119. Cette forme de « dénuement », physique mais
2847
s’honora d’être son « chevalier »119. Cette forme
de
« dénuement », physique mais symbolique, est encore pratiquée de nos
2848
», physique mais symbolique, est encore pratiquée
de
nos jours par la secte des Doukhobors (« combattants spirituels ») do
2849
s au Canada voulant protester contre l’obligation
de
faire élever leurs enfants à l’école d’État « parcoururent les campag
2850
bligation de faire élever leurs enfants à l’école
d’
État « parcoururent les campagnes complètement dévêtus et chantant des
2851
ymnes religieux120 ». On les accusa naturellement
d’
exhibitionnisme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était mo
2852
On les accusa naturellement d’exhibitionnisme et
de
communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était moins obtus. La chevale
2853
di de la France : par les routes, sur les places,
de
village en château. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur de Die
2854
sur les places, de village en château. Les poèmes
de
Jacopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes de ses imitateurs,
2855
âteau. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur
de
Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine
2856
acopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes
de
ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre d
2857
Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres
de
sainte Catherine de Sienne, le Livre de la bienheureuse Angèle de Fol
2858
s lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre
de
la bienheureuse Angèle de Foligno, et tant de récits des Fioretti 121
2859
ou à son entourage, et cet « angélisme » rappelle
d’
une manière précise celui des cathares. D’autres laudes, pour être plu
2860
res laudes, pour être plus évidemment catholiques
d’
inspiration, n’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises » de lan
2861
’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises »
de
langage : Mon cœur se fond comme la glace au feu lorsque étroitement
2862
itement j’embrasse mon Seigneur, criant : L’amour
de
l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré d’amour. Dans les fla
2863
e l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré
d’
amour. Dans les flammes, je brûle et je languis, en criant ; en vivant
2864
, je vis. Pourtant, je n’aime pas, mais j’ai soif
d’
aimer, et j’ai faim de m’unir à l’Amour122. 5.La Rhétorique courto
2865
n’aime pas, mais j’ai soif d’aimer, et j’ai faim
de
m’unir à l’Amour122. 5.La Rhétorique courtoise chez les mystiques
2866
uances les plus précieuses, la rhétorique entière
de
l’amour courtois. À défaut d’une anthologie qui tiendrait décidément
2867
rhétorique entière de l’amour courtois. À défaut
d’
une anthologie qui tiendrait décidément trop de place123, bornons-nous
2868
ut d’une anthologie qui tiendrait décidément trop
de
place123, bornons-nous à énumérer les principaux thèmes communs aux t
2869
oubadours et aux mystiques orthodoxes : « Mourir
de
ne pas mourir124. » La « brûlure suave ». Le « dard d’amour » qui ble
2870
pas mourir124. » La « brûlure suave ». Le « dard
d’
amour » qui blesse sans tuer. Le « salut » de l’amour. La passion qui
2871
dard d’amour » qui blesse sans tuer. Le « salut »
de
l’amour. La passion qui « isole » du monde et des êtres. La passion q
2872
assion qui décolore tout autre amour. Se plaindre
d’
un mal que l’on préfère cependant à toute joie et à tout bien terrestr
2873
i purifie et chasse toute pensée vile. Le vouloir
de
l’amour se substituant au vouloir propre. Le « combat » d’amour, dont
2874
r se substituant au vouloir propre. Le « combat »
d’
amour, dont il faut sortir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », hav
2875
ir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », havres
de
l’amour. Le symbolisme du « miroir », amour imparfait renvoyant à l’a
2876
cœur volé », l’« entendement ravi », le « rapt »
d’
amour. L’amour considéré comme « connaissance » suprême (canoscenza en
2877
). Sur quoi le psychologue matérialiste (cela va
de
Voltaire à Freud) conclut avec une bizarre assurance, et sur la foi d
2878
sur la foi du seul langage, que tout cela relève
d’
une déviation sexuelle. Et l’on sait que les conclusions des savants d
2879
atérialiste sur les mystiques est plus révélateur
de
l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le po
2880
les mystiques est plus révélateur de l’obsession
de
ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le porte, il repose
2881
élateur de l’obsession de ceux qui le portent que
de
l’objet sur lequel on le porte, il repose sur une double erreur histo
2882
historique et psychologique. Car : 1° le langage
de
la passion — tel qu’on le retrouve chez les mystiques — n’est pas, à
2883
iques — n’est pas, à l’origine, celui des sens et
de
la nature, mais il est au contraire la rhétorique d’une ascèse étroit
2884
la nature, mais il est au contraire la rhétorique
d’
une ascèse étroitement liée à l’hérésie méridionale du xiie siècle ;
2885
e étaient mieux avertis que quiconque des dangers
de
la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression de saint Jean de la Cr
2886
de la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression
de
saint Jean de la Croix.) Or tous les deux en parlent avec une liberté
2887
ait signifier, dans leur cas, le soupçon habituel
de
« refoulement ». ⁂ Reprenons ces deux arguments. Et tout d’abord, sou
2888
ne saurait être confondu avec la nature profonde
de
l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit de sainte Thérèse : «
2889
de l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit
de
sainte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre de ses images… M
2890
rit de sainte Thérèse : « On a démêlé les sources
de
nombre de ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines
2891
nte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre
de
ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines de ce lang
2892
s… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines
de
ce langage psychologique où se traduit sans doute, le plus purement,
2893
ques, et sainte Thérèse la première, se plaignent
de
n’avoir pas de mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres
2894
Thérèse la première, se plaignent de n’avoir pas
de
mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres de Dieu telles
2895
nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres
de
Dieu telles qu’ils les vivent dans leur âme. Et leurs silences furent
2896
ls que leurs paroles. Il ne s’agit donc, ici, que
de
tenir compte des éléments hérités de leur langage littéraire. Or s’il
2897
nc, ici, que de tenir compte des éléments hérités
de
leur langage littéraire. Or s’il faut se borner à un exemple qui est
2898
t même raffine la rhétorique courtoise. S’agit-il
d’
influences littéraires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou d’
2899
ourtoise. S’agit-il d’influences littéraires ? Ou
de
courants hérétiques souterrains ? Ou d’une recréation autonome, qui p
2900
ires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou
d’
une recréation autonome, qui pourrait s’expliquer en partie sur la bas
2901
e recomposée126 ? » Je ne pense pas que personne,
de
nos jours, soit en mesure de trancher toutes ces questions. Les spéci
2902
se pas que personne, de nos jours, soit en mesure
de
trancher toutes ces questions. Les spécialistes les mieux informés hé
2903
s mieux informés hésitent encore lorsqu’il s’agit
d’
attribuer à tel mystique fort bien connu, et orthodoxe par-dessus le m
2904
uysbroek ou sainte Thérèse par exemple) l’origine
de
termes précis dont Jean de la Croix fait usage. Nous pouvons cependan
2905
nte Thérèse raffolait dans sa jeunesse des romans
de
chevalerie (voir sa Vie par elle-même, chap. ii) ; elle eut même, par
2906
ême, chap. ii) ; elle eut même, paraît-il, l’idée
d’
en composer un en collaboration avec son frère Rodrigue127. » Nous sav
2907
iture intellectuelle étaient tous fortement imbus
de
rhétorique courtoise et chevaleresque. La question a d’ailleurs été t
2908
itée par un auteur qui offre toutes les garanties
de
sérieux et d’information128, et en des termes qui me paraissent trop
2909
teur qui offre toutes les garanties de sérieux et
d’
information128, et en des termes qui me paraissent trop significatifs
2910
es reproduire : Si l’on se borne à la conception
de
l’amour dans les romans de chevalerie et dans les traités spirituels
2911
borne à la conception de l’amour dans les romans
de
chevalerie et dans les traités spirituels du xvie siècle, on observe
2912
es traités spirituels du xvie siècle, on observe
d’
intéressantes analogies de fond et de forme. a) le noble langage d’Am
2913
vie siècle, on observe d’intéressantes analogies
de
fond et de forme. a) le noble langage d’Amadis, ses métaphores éroti
2914
, on observe d’intéressantes analogies de fond et
de
forme. a) le noble langage d’Amadis, ses métaphores érotiques, ses s
2915
alogies de fond et de forme. a) le noble langage
d’
Amadis, ses métaphores érotiques, ses subtiles préciosités se retrouve
2916
, Bernardino de Laredo et Malou de Chaide [maître
de
sainte Thérèse], aussi bien que dans les Exclamations et le Château i
2917
le Château intérieur. b) En Espagne, les auteurs
de
romans de chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisen
2918
intérieur. b) En Espagne, les auteurs de romans
de
chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisent par le m
2919
ls sacrifient le sentiment du merveilleux à celui
d’
une intimité plus familière et plus émouvante, comme ils tendent à met
2920
l’un et l’autre dans la même conception héroïque
de
l’obligation morale, de l’action et de la foi. La devise d’Amadis des
2921
même conception héroïque de l’obligation morale,
de
l’action et de la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle de sain
2922
n héroïque de l’obligation morale, de l’action et
de
la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle de sainte Thérèse pour
2923
ation morale, de l’action et de la foi. La devise
d’
Amadis des Gaules et celle de sainte Thérèse pourraient être également
2924
de la foi. La devise d’Amadis des Gaules et celle
de
sainte Thérèse pourraient être également « aimer pour agir ». [Ici, j
2925
est pas dans les pauvres extravagances des romans
de
chevalerie mystique (la Gallarda Espirituel, El divino Escarraman) qu
2926
ivino Escarraman) qu’il faut chercher la synthèse
de
l’amour divin et de l’amour courtois, mais chez les troubadours prove
2927
’il faut chercher la synthèse de l’amour divin et
de
l’amour courtois, mais chez les troubadours provençaux du xiie siècl
2928
ençaux du xiie siècle. Les plus féconds éléments
de
leur doctrine, de leur symbolisme et de leur terminologie passent dan
2929
ècle. Les plus féconds éléments de leur doctrine,
de
leur symbolisme et de leur terminologie passent dans la mystique du x
2930
éléments de leur doctrine, de leur symbolisme et
de
leur terminologie passent dans la mystique du xiiie siècle par l’int
2931
t François d’Assise. En se limitant à l’évolution
de
sainte Thérèse, on constate que les romans de chevalerie ont eu sur e
2932
ion de sainte Thérèse, on constate que les romans
de
chevalerie ont eu sur elle une influence psychologique, et une influe
2933
intérieur. Extraordinaire retour et assomption
de
l’hérésie, par le détour d’une rhétorique qu’elle a créée contre l’Ég
2934
retour et assomption de l’hérésie, par le détour
d’
une rhétorique qu’elle a créée contre l’Église, et que l’Église lui re
2935
lui reprend par ses saints ! Résumons les étapes
de
l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend de l’Éros à Vénus, el
2936
e l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend
de
l’Éros à Vénus, elle va jusqu’à se confondre avec la poésie d’un amou
2937
énus, elle va jusqu’à se confondre avec la poésie
d’
un amour qui serait tout profane ; les confusions qu’elle entretient d
2938
tout profane ; les confusions qu’elle entretient
de
la sorte flattent trop bien les désirs naturels ; peu à peu, l’hérési
2939
x yeux des mondains abusés par le charme trompeur
de
l’art : ils n’en gardent que la poésie ; et voici que cent ans et tro
2940
à mon avis, cette propension moderne est le signe
d’
un ressentiment profond à l’endroit de la poésie, et en général, de to
2941
profond à l’endroit de la poésie, et en général,
de
toute activité créatrice « donc risquée — de l’esprit. Mais il convie
2942
ral, de toute activité créatrice « donc risquée —
de
l’esprit. Mais il convient de préciser encore : que pour les hommes d
2943
ce « donc risquée — de l’esprit. Mais il convient
de
préciser encore : que pour les hommes du xvie siècle, le langage éro
2944
vrosés, héritiers du « puritanisme » embourgeoisé
d’
un xixe siècle incroyant. Saint Jean de la Croix, qui décrivit en une
2945
de la Croix, qui décrivit en une page remarquable
de
pénétration psychologique les mouvements de la chair attirée par l’él
2946
uable de pénétration psychologique les mouvements
de
la chair attirée par l’élan mystique en ses débuts (Nuit obscure, I,
2947
plus qu’il ne se la dissimule la gravité relative
de
pareils accidents. Réciter ici les formules « sublimation » et « refo
2948
on » et « refoulement », c’est simplement refuser
de
savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure,
2949
refoulement », c’est simplement refuser de savoir
de
quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Th
2950
orsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint
de
ressentir une émotion des sens chaque fois qu’il entre en oraison : «
2951
est indifférent à l’oraison, et que le mieux est
de
n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne po
2952
de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un
de
ses frères qui ne pouvait communier sans éprouver l’émoi sexuel, et à
2953
xuel, et à qui l’on avait ordonné en conséquence,
de
ne plus communier qu’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille
2954
u’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille
de
ne pas s’inquiéter, de recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’
2955
Jean de la Croix conseille de ne pas s’inquiéter,
de
recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’il advienne — et le frè
2956
— et le frère se trouve guéri, parce qu’il cesse
de
craindre à l’excès. S’il faut parler encore de psychanalyse, reconnai
2957
se de craindre à l’excès. S’il faut parler encore
de
psychanalyse, reconnaissons que Jean de la Croix joue ici le rôle du
2958
le Cantique des Cantiques auraient pu s’exprimer
d’
une autre manière. Vu notre grossièreté, je ne serais pas surprise que
2959
ndu dire à certaines personnes qu’elles évitaient
de
les entendre. Ô Dieu ! que notre misère est grande ! Il nous arrive c
2960
ui changent en poison tout ce qu’ils mangent… » ⁂
De
la comparaison formelle des écrits d’un Eckhart, avec ceux d’un Ruysb
2961
angent… » ⁂ De la comparaison formelle des écrits
d’
un Eckhart, avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la
2962
aison formelle des écrits d’un Eckhart, avec ceux
d’
un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons mai
2963
es écrits d’un Eckhart, avec ceux d’un Ruysbroek,
d’
une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer ce
2964
khart, avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et
d’
un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer cette conclusion :
2965
langage courant par les mystiques n’est pas sans
d’
étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur foi dans l’In
2966
pas sans d’étroites relations avec leur doctrine
de
l’union ou leur foi dans l’Incarnation. Ruysbroek, Thérèse et Jean de
2967
christocentriques ». Tout chez eux part du drame
de
la séparation instituée par le péché entre l’homme et son Créateur ;
2968
mme et son Créateur ; tout aboutit à des instants
de
communion active dans la Grâce, et c’est cela qu’ils appellent « mari
2969
la qu’ils appellent « mariage » — cette communion
de
l’âme élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie de l’homme sé
2970
cette communion de l’âme élue et du Christ époux
de
l’Église. Mais la voie de l’homme séparé, c’est la passion — et la pa
2971
élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie
de
l’homme séparé, c’est la passion — et la passion est partout dans leu
2972
out dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente
de
celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la mo
2973
eurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles
d’
Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspec
2974
ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspecte
de
troubles complaisances ! — qui se vit portée par l’objet même de sa f
2975
plaisances ! — qui se vit portée par l’objet même
de
sa foi à user, et parfois à abuser, du langage de l’amour-passion. Us
2976
de sa foi à user, et parfois à abuser, du langage
de
l’amour-passion. Usage et abus dont la psychologie moderne devait néc
2977
a question, et dire : le langage passionnel vient
d’
une littérature courtoise née dans l’ambiance d’une certaine hérésie ;
2978
t d’une littérature courtoise née dans l’ambiance
d’
une certaine hérésie ; mais cette hérésie à son tour, ne se ramène-t-e
2979
sitions physiologiques sublimées ? Rien ne permet
de
l’affirmer historiquement. En théorie cependant l’objection reste pos
2980
n se repose, non moins insoluble, quand il s’agit
de
savoir, en fin de compte, si c’est l’« esprit » ou la « matière » qui
2981
serait alors la cause première — ou au contraire
d’
une sublimation de phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la b
2982
ause première — ou au contraire d’une sublimation
de
phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la base de ce qui se t
2983
mènes physiologiques, lesquels seraient à la base
de
ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu’on donnera,
2984
térialiste, tranche toujours le débat au bénéfice
de
ce qui est le plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’un g
2985
plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit
d’
un goût qu’il est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est am
2986
n dit d’un goût qu’il est amer mais on dira aussi
d’
une douleur qu’elle est amère. Comment cela peut-il s’expliquer ? Tout
2987
e monde répond, sans hésiter, que lorsqu’on parle
d’
une douleur amère, on s’exprime par métaphore, au figuré. Le sens prop
2988
physique, tenue pour primitive. Il se peut. Mais
d’
où le sait-on ? Les personnes qui croient cela, le croient-elles pour
2989
elles pour des raisons qu’elles seraient capables
de
donner ? Ont-elles donc recherché si, chronologiquement, le sens « ma
2990
erché si, chronologiquement, le sens « matériel »
d’
un mot précède toujours le « spirituel », qui ne serait qu’une transpo
2991
se livre à ces recherches : on affirme sur la foi
d’
un préjugé que l’on baptise bon sens ou évidence. Ce préjugé consiste
2992
réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base
de
tout ; que c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme de ce préj
2993
e c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme
de
ce préjugé a été défini et critiqué par le Dr Minkowski131 et Arnaud
2994
critiqué par le Dr Minkowski131 et Arnaud Dandieu
d’
une manière pertinente et nuancée. Selon ces deux auteurs, le sens dit
2995
ènes aussi divers ? En vérité, il n’y a pas moins
d’
amertume dans la douleur que dans le goût du sel, mais ce que nous dés
2996
t l’autre par le même mot, c’est une même manière
d’
être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité
2997
ar les sens, soit par la pensée, dans la totalité
de
notre existence. Ainsi de nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hés
2998
ensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi
de
nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hésite pas à tenir ce raisonn
2999
trait sexuel — or sainte Thérèse parle sans cesse
d’
amour — donc cette mystique est une érotomane qui s’ignore. » Mais nou
3000
istorique. Résumons-le encore une fois, pour plus
de
clarté. Notre langage passionnel nous vient de la rhétorique des trou
3001
une dogmatique manichéenne y compose des symboles
d’
attrait sexuel. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant de la re
3002
el. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant
de
la religion qui l’a créée, passe dans les mœurs, et devient langage c
3003
imer ses expériences ineffables, il est contraint
de
se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’e
3004
riences ineffables, il est contraint de se servir
de
métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’elles sont, qu
3005
iie siècle, les métaphores courantes sont celles
de
la rhétorique courtoise. Que les mystiques s’en emparent sans hésiter
3006
lles, mais simplement que l’expression habituelle
de
ces passions, créée d’ailleurs par une mystique, convient à l’express
3007
illeurs par une mystique, convient à l’expression
de
l’amour spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même d’autant plus
3008
ur spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même
d’
autant plus à l’expression des rapports « malheureux » entretenus par
3009
lus complètement humanisée, c’est-à-dire détachée
de
l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et de l’âme,
3010
l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible
de
Dieu et de l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de
3011
Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et
de
l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de tout amour
3012
ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur
de
tout amour humain ; tandis que l’orthodoxie pose que l’union est impo
3013
n et rend l’amour humain possible en ses limites.
D’
où il résulte que le langage de la passion humaine selon l’hérésie cor
3014
le en ses limites. D’où il résulte que le langage
de
la passion humaine selon l’hérésie correspond au langage de la passio
3015
ion humaine selon l’hérésie correspond au langage
de
la passion divine selon l’orthodoxie. On se trouve donc en présence d
3016
ision tout arbitraire isolerait tel ou tel moment
de
cette dialectique permanente pour en faire la donnée première. 7.L
3017
s Cette décision tout arbitraire, il est temps
de
la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire
3018
ut arbitraire, il est temps de la prendre ici, et
de
la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’ell
3019
de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire
de
sa primauté. Qu’elle soit arbitraire en fin de compte, ou ce qui revi
3020
e, avant tout compte, n’exclut pas qu’on l’appuie
de
raisons. J’en marquerai trois. 1° Le langage passionnel me paraît s’e
3021
esprit, en ceci qu’il exprime non pas le triomphe
de
la nature sur l’esprit132, mais l’excès de l’esprit sur l’instinct. «
3022
iomphe de la nature sur l’esprit132, mais l’excès
de
l’esprit sur l’instinct. « L’amour existe lorsque le désir est si gra
3023
e le désir est si grand qu’il dépasse les limites
de
l’amour naturel », disait le troubadour Guido Cavalcanti, au xiiie s
3024
ur Guido Cavalcanti, au xiiie siècle. Or le fait
de
dépasser les limites de l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit
3025
xiiie siècle. Or le fait de dépasser les limites
de
l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit. C’est ce fait seul qui
3026
ant qu’esprit. C’est ce fait seul qui nous permet
de
parler. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir auta
3027
r. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir
de
mentir autant que le pouvoir d’exprimer ce qui est. Un animal est inc
3028
ffet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvoir
d’
exprimer ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que
3029
ir d’exprimer ce qui est. Un animal est incapable
de
mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du néc
3030
er ce qui est. Un animal est incapable de mentir,
de
dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du nécessaire et
3031
de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas,
d’
aller au-delà du nécessaire et au-delà de la satisfaction. La passion,
3032
ait pas, d’aller au-delà du nécessaire et au-delà
de
la satisfaction. La passion, l’amour de l’amour, c’est au contraire l
3033
t au-delà de la satisfaction. La passion, l’amour
de
l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà de l’instinct et qu
3034
l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà
de
l’instinct et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable d’un tel
3035
et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable
d’
un tel mensonge ne saurait être que « l’esprit ». (On sent ici à quell
3036
songe se trouvent liés. Et n’est-elle pas typique
de
toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se décrire comme pour
3037
-elle pas typique de toute passion, cette volonté
de
s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais a
3038
ue de toute passion, cette volonté de s’exprimer,
de
se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais aussi cette conv
3039
s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir
de
soi-même ? Mais aussi cette conviction que les autres ne comprendront
3040
peut alors que mentir pour sauver l’essence même
de
la passion !) 2° Si Jean de la Croix, et même Ruysbroek, et saint Fra
3041
ançois sont évidemment postérieurs à la naissance
de
l’amour-passion, il n’en reste pas moins que celui-ci est postérieur
3042
ais il est certain que l’érotomanie est une forme
d’
intoxication, et tout nous prouve que les Eckhart, Ruysbroek, Thérèse,
3043
e, Jean de la Croix, sont exactement le contraire
de
ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non de sa p
3044
me des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non
de
sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter.
3045
’intoxiqué est la victime non de sa passion, mais
de
l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine de cett
3046
riel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine
de
cette passion est un désir, conscient ou non, d’échapper à la conditi
3047
de cette passion est un désir, conscient ou non,
d’
échapper à la condition terrestre insupportable, et si l’on est en dro
3048
terrestre insupportable, et si l’on est en droit
d’
y voir le rudiment d’un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’
3049
ble, et si l’on est en droit d’y voir le rudiment
d’
un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’intoxiqué est avant t
3050
as moins que l’intoxiqué est avant tout l’esclave
de
sa drogue. Psychologiquement, c’est un être déchu, dont les sens s’ém
3051
es, tout au contraire, insistent sur la nécessité
de
dépasser l’état de transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pur
3052
re, insistent sur la nécessité de dépasser l’état
de
transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de
3053
nt sur la nécessité de dépasser l’état de transe,
d’
accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de vérifier m
3054
à une lucidité toujours plus pure et audacieuse,
de
vérifier même les plus hautes grâces par leurs répercussions dans la
3055
les grands mystiques s’accordent à voir le terme
de
leur ascension dans la liberté souveraine de l’âme. Saint Jean de la
3056
erme de leur ascension dans la liberté souveraine
de
l’âme. Saint Jean de la Croix et Maître Eckhart disent en termes diff
3057
er Dieu sans plus sentir son amour. C’est un état
d’
indifférence parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point de perf
3058
parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point
de
perfection d’un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédi
3059
rait-on ; en vérité, c’est le point de perfection
d’
un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédiatement active
3060
nt de perfection d’un équilibre durement conquis,
d’
une connaissance immédiatement active. Au-delà des transes et au-delà
3061
édiatement active. Au-delà des transes et au-delà
de
l’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état d’extrême « désint
3062
’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état
d’
extrême « désintoxication » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possessi
3063
ulmine dans un état d’extrême « désintoxication »
de
l’âme. Dans la plus rigoureuse possession de soi-même. Et c’est alors
3064
on » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possession
de
soi-même. Et c’est alors que le mariage devient possible, qui signifi
3065
evient possible, qui signifie non plus jouissance
de
l’Éros, mais fécondité de l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe appara
3066
fie non plus jouissance de l’Éros, mais fécondité
de
l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe apparaît-elle enfin comme la voi
3067
llence, la meilleure discipline qui nous permette
de
transcender l’amour-passion jusque dans ses formes sublimées. Le cycl
3068
assion jusque dans ses formes sublimées. Le cycle
de
l’ascèse chrétienne ramène l’âme à l’obéissance heureuse, c’est-à-dir
3069
eureuse, c’est-à-dire à l’acceptation des limites
de
la créature, mais dans un esprit renouvelé, dans une liberté reconqui
3070
elé, dans une liberté reconquise. 8.Crépuscule
de
l’amour-passion C’est le dogme de l’Incarnation qui distingue radi
3071
8.Crépuscule de l’amour-passion C’est le dogme
de
l’Incarnation qui distingue radicalement la mystique orthodoxe de l’h
3072
qui distingue radicalement la mystique orthodoxe
de
l’hérétique. C’est lui qui donne un sens tout différent au mot amour
3073
opposent la Nuit au Jour comme le fait l’Évangile
de
Jean. Mais la Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme de la
3074
Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme
de
la Nuit : elle n’a pas « été faite chair ». Ils ne veulent pas que le
3075
eulent aller tout droit à l’Amour par l’amour, et
de
la Nuit au Jour sans nul intermédiaire. Sombrant alors, comme Icare e
3076
4. Mais ils ignorent que la Nuit, c’est la Colère
de
Dieu — répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre d’un obscur dém
3077
— répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre
d’
un obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine de la Bible.) Refu
3078
obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine
de
la Bible.) Refusant que le Jour les enseigne dans cette vie et par le
3079
Jour les enseigne dans cette vie et par le moyen
de
la « matière », méconnaissant une Agapè qui sanctifie la créature, ig
3080
ctifie la créature, ignorant donc la vraie nature
de
ce qu’ils tiennent pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre
3081
ils tiennent pour le péché, ils courent le risque
de
s’y perdre sans retour au moment même qu’ils croient lui échapper. Et
3082
ur au moment même qu’ils croient lui échapper. Et
de
là vient que la confusion était fatale entre l’Éros divinisant et l’É
3083
tale entre l’Éros divinisant et l’Éros prisonnier
de
l’instinct. De là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amo
3084
os divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct.
De
là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amor des troubadou
3085
là vient que la passion « enthousiaste », la joy
d’
amor des troubadours, devait fatalement aboutir à la passion humaine m
3086
mort seule pouvait éteindre : ce fut la « torture
d’
amour » qu’ils se mirent à aimer pour elle-même. La passion des « parf
3087
ort que la suprême sensation. Et de même, l’amour
de
la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole de l’union avec le Jour
3088
Et de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera
d’
être un symbole de l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole d
3089
r de la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole
de
l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole de l’impossible uni
3090
l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole
de
l’impossible union avec la femme ; gardant de ses origines mystiques
3091
ole de l’impossible union avec la femme ; gardant
de
ses origines mystiques on ne sait quoi de divin, de faussement transc
3092
gardant de ses origines mystiques on ne sait quoi
de
divin, de faussement transcendant — une illusion de gloire libératric
3093
ses origines mystiques on ne sait quoi de divin,
de
faussement transcendant — une illusion de gloire libératrice dont la
3094
divin, de faussement transcendant — une illusion
de
gloire libératrice dont la douleur serait encore le signe ! Ainsi s’o
3095
sentiment. Intoxication par l’esprit. L’histoire
de
la passion d’amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie s
3096
toxication par l’esprit. L’histoire de la passion
d’
amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie siècle jusqu’à
3097
, du xiiie siècle jusqu’à nous, c’est l’histoire
de
la déchéance du mythe courtois dans la vie « profanée ». C’est le réc
3098
s figures du discours passionné, les « couleurs »
de
sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, p
3099
a rhétorique ne seront jamais que les exaltations
d’
un crépuscule, promesses de gloire jamais tenues… 104. Philippe de
3100
is que les exaltations d’un crépuscule, promesses
de
gloire jamais tenues… 104. Philippe de Félice, Poisons sacrés, ivr
3101
es divines, essai sur quelques formes inférieures
de
la mystique, Paris, 1936. 105. Il y a bien l’exemple de la formica s
3102
ystique, Paris, 1936. 105. Il y a bien l’exemple
de
la formica sanguinea. Cet insecte entretient dans sa fourmilière un p
3103
. 107. Voir Appendice 8. 108. La Nuit obscure,
de
saint Jean de la Croix, II, 1, 1er verset. Trad. Hoornaert. 109. Ce
3104
ute occasion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir
de
lui de grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâc
3105
asion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir de lui
de
grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâces pass
3106
sa volonté, que ces grâces passent par les mains
de
cette humanité sacrée en laquelle il a déclaré lui-même prendre sa co
3107
(Saint Jean de la Croix, p. 613) si nous tentions
de
prendre une vue générale des diverses mystiques connues, « l’expérien
3108
nnues, « l’expérience mystique ne nous semblerait
d’
un type homogène que dans la mesure où elle serait banale, dans la mes
3109
saisir. » 111. Gotha 1929. Seul le livre célèbre
de
R. Otto sur le Sacré a paru jusqu’ici en traduction française. 112.
3110
ent si totalement un seul être qu’il ne reste pas
d’
autre distinction que celle-ci : Lui demeure Dieu et elle demeure âme.
3111
bien dire que l’on se heurte dans tous les écrits
d’
Eckhart, à une équivoque sur le sens qu’il attribue à l’union (Einung)
3112
it à croire, avec Otto, qu’il ne s’agit nullement
d’
une fusion essentielle. 114. - Und diese Gleichheit aus dem Einen in
3113
e être proposée comme un critère lorsqu’il s’agit
de
savoir si tel mystique croyait ou non à l’union essentielle ? Dans ce
3114
à l’union essentielle ? Dans ce cas, la remarque
de
l’abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse d’Otto, et nous i
3115
s ce cas, la remarque de l’abbé Paquier servirait
d’
argument contre la thèse d’Otto, et nous induirait à ranger Maître Eck
3116
abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse
d’
Otto, et nous induirait à ranger Maître Eckhart parmi les hérétiques.
3117
nthologie). 119. ID., ibid., et P. Sabatier, Vie
de
saint François d’Assise. 120. B. de Ligt, la Paix créatrice, II, p.
3118
int François nommait le frère Gilles « un paladin
de
sa Table ronde », et les miracles du saint — comme la conversion du l
3119
s miracles du saint — comme la conversion du loup
de
Gubbio — se produisent dans les mêmes circonstances que les prouesses
3120
rs du xiiie siècle. 122. Ciascun amante, danse
de
l’amour mystique. Voir aussi l’Appendice 9. 123. On en trouvera d’ai
3121
livre II et III-V, livre IV. 124. Ce cri célèbre
de
sainte Thérèse fait écho à celui de la franciscaine Angèle de Foligno
3122
e cri célèbre de sainte Thérèse fait écho à celui
de
la franciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir de mourir. »
3123
nciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir
de
mourir. » 125. J. Baruzi, Introduction à des recherches sur le langa
3124
Etchegoyen, L’Amour divin, essai sur les sources
de
sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression de l’amour divin. 129. Tra
3125
rces de sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression
de
l’amour divin. 129. Travaux de Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, L
3126
ie : l’Expression de l’amour divin. 129. Travaux
de
Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, Leuba, Freud, pour s’en tenir aux
3127
ntes telles que « aveuglé par la passion », « fou
d’
amour ». 133. Surtout les épigones féminins : une Marguerite-Marie Al
3128
uiétant exemple (sa description du lit nuptial et
de
ce qui s’y passe !). 134. Karl Jaspers a magnifiquement exprimé cett
3129
a magnifiquement exprimé cette assomption finale
de
la Nuit par le Jour dans sa Philosophie. (Cf. trad. française par H.
3130
péché. C’est lorsque la volonté humaine se sépare
de
Dieu pour être une volonté à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et
3131
à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et brûle
de
sa propre affection, ardeur qui lui est propre et qui n’a rien à voir
3132
ivine. Jacob Boehme. 1.D’une influence précise
de
la littérature sur les mœurs D’une manière générale, il est bien d
3133
luence précise de la littérature sur les mœurs
D’
une manière générale, il est bien difficile de vérifier l’influence de
3134
D’une manière générale, il est bien difficile
de
vérifier l’influence des arts sur la vie quotidienne d’une époque. «
3135
ifier l’influence des arts sur la vie quotidienne
d’
une époque. « La musique adoucit les mœurs ? » Je n’en sais rien, et p
3136
ouvons l’habiter, mais là n’est pas son caractère
d’
art. De même pour telle ou telle philosophie. Mais le cas est tout dif
3137
. Mais le cas est tout différent lorsqu’il s’agit
d’
une littérature dont on peut démontrer, historiquement, qu’elle a donn
3138
ue à la passion. Si la littérature peut se vanter
d’
avoir agi sur les mœurs de l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu
3139
térature peut se vanter d’avoir agi sur les mœurs
de
l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit. D’une maniè
3140
, c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit.
D’
une manière plus précise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage de
3141
récise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage
de
l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire de supposer ici quelque po
3142
age de l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire
de
supposer ici quelque pouvoir magique des sons et du langage sur nos a
3143
des sons et du langage sur nos actes. L’adoption
d’
un certain langage conventionnel entraîne et favorise naturellement l’
3144
tents qui se trouvent les plus aptes à s’exprimer
de
la sorte. C’est dans ce sens que l’on peut dire après La Rochefoucaul
3145
s que l’on peut dire après La Rochefoucauld : peu
d’
hommes seraient amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour
3146
nt amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler
d’
amour. ⁂ Passion et expression ne sont guère séparables. La passion pr
3147
arables. La passion prend sa source dans cet élan
de
l’esprit qui par ailleurs fait naître le langage. Dès qu’elle dépasse
3148
ens est significatif.) En ce domaine, il est aisé
de
vérifier. Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les masses par im
3149
e certaine rhétorique est la condition suffisante
de
leur aveu, donc de leur prise de conscience. À défaut de cette rhétor
3150
ue est la condition suffisante de leur aveu, donc
de
leur prise de conscience. À défaut de cette rhétorique, ces sentiment
3151
que, ces sentiments existeraient sans doute, mais
d’
une manière accidentelle, non reconnue, à titre d’étrangetés inavouabl
3152
d’une manière accidentelle, non reconnue, à titre
d’
étrangetés inavouables, en contrebande. Mais on a toujours vu que l’in
3153
ontrebande. Mais on a toujours vu que l’invention
d’
une rhétorique faisait foisonner rapidement certaines puissances laten
3154
rtaines puissances latentes du cœur. L’apparition
de
Werther par exemple a produit une vague de suicides. Rousseau fit boi
3155
rition de Werther par exemple a produit une vague
de
suicides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour de France, et Re
3156
cides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour
de
France, et René désola plusieurs générations. C’est que pour admirer
3157
t même pour se suicider, il faut être en mesure «
d’
expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est
3158
sent. Plus un homme est sentimental, plus il y a
de
chances qu’il soit verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme
3159
de même, plus un homme est passionné, plus il y a
de
chances qu’il réinvente les figures de la rhétorique ; qu’il redécouv
3160
lus il y a de chances qu’il réinvente les figures
de
la rhétorique ; qu’il redécouvre leur nécessité ; qu’il se modèle spo
3161
tion du mythe courtois dans la morale des peuples
d’
Occident : l’on peut admettre qu’elle est parallèle à ses métamorphose
3162
ards et simplifications.) En esquissant la courbe
de
la mystique classique, nous avons pu décrire une assomption du mythe.
3163
ntenant. 2.Les deux Roses Le meilleur point
de
départ nous est donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années
3164
lleur point de départ nous est donné par le Roman
de
la Rose, écrit entre les années 1237 et 1280 environ. Il y a cent ans
3165
sque, que Béroul et Thomas ont composé la légende
de
Tristan. La croisade des albigeois a saccagé la civilisation courtois
3166
derniers troubadours. Que va devenir la tradition
d’
Amour ? Il semble bien que dès le xive siècle, les hérétiques répandu
3167
ute l’Europe, où l’Église les traque, aient cessé
de
recourir à l’expression littéraire de leur religion. Le catharisme se
3168
aient cessé de recourir à l’expression littéraire
de
leur religion. Le catharisme se cachera désormais dans les couches pr
3169
formes nobles, ne fournit plus les beaux symboles
de
la grande féodalité. Ce mutisme, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès
3170
e, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès. L’Église
d’
Amour donnera naissance à d’innombrables sectes plus ou moins secrètes
3171
son progrès. L’Église d’Amour donnera naissance à
d’
innombrables sectes plus ou moins secrètes, plus ou moins révolutionna
3172
onnaires, et dont les traits constants témoignent
d’
une origine commune, d’une tradition fidèlement conservée. Toutes ces
3173
raits constants témoignent d’une origine commune,
d’
une tradition fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont ca
3174
par leur spiritualisme exalté ; par leur doctrine
de
la « joie rayonnante » ; par leur refus des sacrements et du mariage
3175
nts et du mariage ; par leur condamnation absolue
de
toute participation aux guerres ; par leur anticléricalisme ; par leu
3176
erres ; par leur anticléricalisme ; par leur goût
de
la pauvreté et de l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égal
3177
nticléricalisme ; par leur goût de la pauvreté et
de
l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égalitaire, allant par
3178
un communisme total. Nous retrouvons cet ensemble
de
traits non seulement chez les frères du Libre-Esprit et les ortliebie
3179
nt chez les Vaudois eux-mêmes, chez les disciples
de
Joachim de Flore, chez les béguines et les béguards des Pays-Bas136,
3180
dents avec une violence qui rappelle les procédés
de
Rome contre ses propres sectes. Mais ils ne purent ou ne voulurent le
3181
purent ou ne voulurent les anéantir totalement :
de
nos jours, on retrouve çà et là des communautés mennonites mêlées d’é
3182
trouve çà et là des communautés mennonites mêlées
d’
éléments russes — doukhobors et khlystis — au Canada et jusqu’au Parag
3183
— au Canada et jusqu’au Paraguay. Leur conception
de
l’amour n’a pas varié. Plusieurs auteurs ont supposé qu’une élite clé
3184
pensent-ils expliquer mieux certaines obscurités
de
la littérature émanée des cercles franciscains et même parfois domini
3185
vons vu à propos des mystiques. Mais en l’absence
de
preuves presque impossibles à établir, je m’en tiendrai à un jugement
3186
siècle, la littérature courtoise s’est détachée
de
ses racines mystiques ; elle s’est alors trouvée réduite à une simple
3187
le s’est alors trouvée réduite à une simple forme
d’
expression, c’est-à-dire à une rhétorique. Mais automatiquement, cette
3188
dite « réaliste ». Double mouvement dont le Roman
de
la Rose nous donne l’illustre témoignage. La Rose de Guillaume de Lor
3189
e partie du roman, dite courtoise — c’est l’amour
de
la femme idéale, vraie femme déjà mais femme inaccessible dans son ja
3190
éjà mais femme inaccessible dans son jardin givré
d’
allégories. Danger, Male-Bouche et Honte défendent Bel Accueil contre
3191
est plus une ascèse mystique, mais un raffinement
de
l’esprit, qui doit amener l’amant à mériter le don. Au contraire, pou
3192
e. Le réalisme le plus franc succède aux fadaises
de
Lorris, le sensualisme au platonisme, le cynisme à l’exaltation. La R
3193
, le cynisme à l’exaltation. La Rose est emportée
de
haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison de la passi
3194
e est emportée de haute lutte. La Nature triomphe
de
l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune de ces parties aura sa
3195
tte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison
de
la passion. Chacune de ces parties aura sa descendance. De Lorris, no
3196
de l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune
de
ces parties aura sa descendance. De Lorris, nous irons par Dante — qu
3197
sion. Chacune de ces parties aura sa descendance.
De
Lorris, nous irons par Dante — qui peut-être le traduisit — jusqu’à P
3198
celle qui condamne la passion comme une « maladie
de
l’âme » — se transmettra aux parties basses de la littérature françai
3199
ie de l’âme » — se transmettra aux parties basses
de
la littérature française : gauloiserie, gaillardise, rationalisme, po
3200
curieusement exaspérée, naturalisme et réduction
de
l’homme au sexe. C’est la défense normale que l’homme païen oppose au
3201
défense normale que l’homme païen oppose au mythe
de
l’amour malheureux. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche d’
3202
x. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche
d’
une vision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion d’y revenir.)
3203
ision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion
d’
y revenir.) 3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour de l’
3204
3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour
de
l’an 1200, une solide amitié se noue entre Rambaut de Vaqueiras, trou
3205
laspina. Il semble bien qu’un courant très direct
d’
échanges « littéraires » — si l’on veut — unisse le Midi de la France
3206
à la Lombardo-Vénétie. Une fois de plus, la carte
de
l’influence des troubadours se confond avec celle des hérésies. Un pe
3207
Un peu plus tard, le mouvement franciscain naîtra
d’
une conjonction semblable entre les « spirituels » (mais dans l’Église
3208
estion est encore obscure. On ne trouve à la cour
de
Palerme qu’un seul poète provençal, et Frédéric persécute l’hérésie.
3209
que le procédé mystifiant ? On serait assez tenté
de
le croire, lorsqu’on voit Dante et son ami Cavalcanti s’élever contre
3210
d’Arezzo, et railler ses disciples : « Sectateurs
de
l’ignorance, aveugles qui veulent juger des couleurs, oies essayant d
3211
les qui veulent juger des couleurs, oies essayant
de
rivaliser avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un de ces pa
3212
avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un
de
ces pasticheurs infatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion d
3213
fatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion
de
définir le dolce stil nuovo, le style savant et caressant que l’école
3214
ombés dans un douteux allégorisme : ils parlaient
de
la dame comme d’une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais
3215
teux allégorisme : ils parlaient de la dame comme
d’
une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais froide et stéréo
3216
et Cavalcanti, d’autres encore, demandaient plus
de
sincérité et plus de chaleur amoureuse, mais en même temps, ils saven
3217
res encore, demandaient plus de sincérité et plus
de
chaleur amoureuse, mais en même temps, ils savent et disent (dans ce
3218
purement symbolique. Tel est le secret paradoxal
de
l’amour courtois : guindé et froid quand il ne vante que la femme, ma
3219
quand il ne vante que la femme, mais tout ardent
de
sincérité quand il célèbre la Sagesse d’amour : c’est là vraiment que
3220
t ardent de sincérité quand il célèbre la Sagesse
d’
amour : c’est là vraiment que bat son cœur. Et Dante n’est jamais plus
3221
ns son Banquet, comme le secret qu’il faut voiler
d’
un « beau mensonge ». Les cathares savaient bien tout cela. Mais noton
3222
jour faisait une seule lumière, trompeuse à force
d’
évidence. Maintenant nous pouvons distinguer les thèmes que le trobar
3223
s que le trobar mêlait dans la naïve transparence
de
ses symboles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte de Jacques
3224
oles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte
de
Jacques de Lentino : Mon cœur souvent meurt, et plus douloureusement
3225
n cœur souvent meurt, et plus douloureusement que
de
mort naturelle, pour vous Dame qu’il désire et aime plus que lui-même
3226
nte de même : Amour qui, dans ma pensée, me parle
de
ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient de choses telles qu’à
3227
de ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient
de
choses telles qu’à leur sujet mon intelligence s’égare. Son langage r
3228
Malheureuse que je suis ! Je ne suis pas capable
de
répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore de
3229
suis pas capable de répéter ce que j’entends dire
de
ma Dame ! Et qui douterait encore de la signification symbolique de l
3230
entends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore
de
la signification symbolique de la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en
3231
i douterait encore de la signification symbolique
de
la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe de « n
3232
qu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe
de
« notre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et de no
3233
notre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine
de
grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue
3234
: Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et
de
noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue [auquel ell
3235
de grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil
de
celui qu’elle salue [auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà
3236
[auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà
de
notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’est qu’un blasphémat
3237
’est qu’un blasphémateur lorsqu’il écrit au seuil
de
la Vita Nuova, cette strophe au sublime départ : Un ange crie en l’In
3238
monde se voit une merveille en l’acte qui procède
d’
une âme qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose
3239
qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que
d’
une chose — c’est de l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les
3240
e. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose — c’est
de
l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les Saints implorent ce
3241
, Pitié prend notre parti, car Dieu dit, et c’est
de
ma Dame qu’il entend parler : — Mes bien-aimés, ores souffrez en paix
3242
ure, autant qu’il me plaira, là où se trouve plus
d’
un qui s’attend à la perdre et qui dira dans l’enfer : — Ô maudits, j’
3243
i vu l’espérance des bienheureux ! S’agit-il donc
de
Béatrice comme femme ? Est-ce sa présence que tous les saints implore
3244
espérance des bienheureux » ? Ou s’agit-il plutôt
de
l’Esprit saint soutenant son Église par la charité du Christ — (la Pi
3245
matoire, c’est l’équivoque malgré tout maintenue.
D’
où le débat qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait de définir
3246
t qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait
de
définir enfin ce dont on parle. « Cet Amour est-il vie ou mort ? » de
3247
nt le premier. Et le second répond : « Du pouvoir
de
l’amour provient souvent la mort… L’amour existe lorsque le désir est
3248
e le désir est si grand qu’il dépasse les limites
de
l’amour naturel… Comme il ne provient point de la qualité, il réfléch
3249
es de l’amour naturel… Comme il ne provient point
de
la qualité, il réfléchit perpétuellement sur lui-même son propre effe
3250
ion mystique. Mais encore faut-il définir le rôle
de
l’amour naturel dans cette perspective céleste. C’est ce qu’a fait Da
3251
, exprimant dans une petite fable la vraie nature
de
l’amour qu’il chante et le danger de s’arrêter aux formes terrestres
3252
vraie nature de l’amour qu’il chante et le danger
de
s’arrêter aux formes terrestres qui n’en sont qu’un reflet : De même
3253
ge en regardant un miroir et croit y voir l’image
de
ses petits qu’elle va cherchant : par ce plaisir elle oublie le chass
3254
ne poursuit point ; de même celui qui est pénétré
d’
amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ainsi il soul
3255
énétré d’amour puise la vie dans la contemplation
de
sa dame, car ainsi il soulage sa grande peine… Mais la dame n’a point
3256
l’Amour à son profit. Dans un Bestiaire moralisé
de
cette époque, je trouve la même fable, avec cette conclusion : Ce fau
3257
st le démon, qui nous fait voir ce qui n’est pas.
De
là vient que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’aller vers l
3258
ent que bien des hommes ont péri pour avoir tardé
d’
aller vers le Seigneur. Le temps venait où les poètes succomberaient a
3259
es poètes succomberaient aux charmes du miroir et
de
la rhétorique profanée. Nous allons voir Pétrarque se laisser prendre
3260
re « à ce qui n’est pas », c’est-à-dire à l’image
de
sa Laure, qui trop longtemps — comme il gémit plus tard — le retiendr
3261
ngtemps — comme il gémit plus tard — le retiendra
d’
« aller vers le Seigneur ». 4.Pétrarque, ou le rhéteur converti
3262
ment amoureux et c’est Pétrarque. Et ce qu’il y a
de
mieux, c’est que c’est vrai… Qu’appelle-t-on un homme simplement amou
3263
’appelle-t-on un homme simplement amoureux ? Rien
d’
analogue. Lui l’était d’une façon extraordinaire, incendiaire, solaire
3264
implement amoureux ? Rien d’analogue. Lui l’était
d’
une façon extraordinaire, incendiaire, solaire139. » Voilà ce qui doit
3265
our la première fois les symboles des troubadours
d’
un souffle parfaitement païen, et non plus du tout hérétique ! On est
3266
ut s’est volatilisé : il ne joue plus. Le langage
de
l’Amour est enfin devenu la rhétorique du cœur humain. Cette « profan
3267
ique orthodoxe. Et cette dernière ne manquera pas
d’
y puiser ses meilleures métaphores. En vérité, la tentation était trop
3268
hasard.) Voici le Sonnet du premier anniversaire
de
l’amour de Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heur
3269
oici le Sonnet du premier anniversaire de l’amour
de
Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heure Où si hau
3270
e faut rendre grâce Toi qui fus jugée digne alors
d’
un tel honneur. D’Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le
3271
e Toi qui fus jugée digne alors d’un tel honneur.
D’
Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le suis, au plus hau
3272
ène Et te fait mépriser ce que l’homme désire140.
D’
Elle te vient la grâce généreuse Qui te pousse au ciel par un droit se
3273
l par un droit sentier Et fait que je marche fier
de
mon espérance. Où Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe
3274
Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe
de
Tristan141, c’est dans le cri de la « torture délicieuse », du mal ai
3275
l prend la harpe de Tristan141, c’est dans le cri
de
la « torture délicieuse », du mal aimé, du plaisir qui consume : Ô t
3276
e : Ô tendres, angéliques étincelles, béatitudes
De
ma vie où s’allume le plaisir Qui doucement me consume et détruit. (L
3277
ir Qui doucement me consume et détruit. (Les Yeux
de
ma dame.) Ô mort vivante, ô mal délicieux142 Comment as-tu sur moi
3278
le je nais…143. (Sonnet 164.) Ailleurs, il parle
de
Laure comme de sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se sé
3279
(Sonnet 164.) Ailleurs, il parle de Laure comme
de
sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant d’Iseut
3280
imée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant
d’
Iseut lorsqu’il la rend à son époux : Ô dure départie Pourquo
3281
époux : Ô dure départie Pourquoi m’as-tu
de
mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux de Laure présente
3282
de mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux
de
Laure présente … allumés d’une lueur céleste M’enflamment de
3283
Car les yeux de Laure présente … allumés
d’
une lueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît de brûler144. (
3284
… allumés d’une lueur céleste M’enflamment
de
façon qu’il me plaît de brûler144. (Triomphe de l’amour.) Mais prése
3285
ueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît
de
brûler144. (Triomphe de l’amour.) Mais présente ou absente — ici enc
3286
t de façon qu’il me plaît de brûler144. (Triomphe
de
l’amour.) Mais présente ou absente — ici encore —, la femme ne sera
3287
encore —, la femme ne sera jamais que l’occasion
d’
une torture qu’il préfère à tout : Je sais, suivant mon feu partout o
3288
is, suivant mon feu partout où il me fuit, Brûler
de
loin — de près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier ve
3289
t mon feu partout où il me fuit, Brûler de loin —
de
près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier vers. Et le
3290
romantique est dans ce dernier vers. Et le secret
de
cette mélancolie, Pétrarque a su l’analyser mieux que les plus lucide
3291
su l’analyser mieux que les plus lucides victimes
de
ce que l’on baptisera plus tard le mal du siècle : Des autres passion
3292
eut appeler le comble des misères !) je me repais
de
ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignan
3293
mble des misères !) je me repais de ces peines et
de
ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignante que, si l’on v
3294
e ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte
de
volupté si poignante que, si l’on vient m’en arracher, c’est malgré m
3295
iste à ce point ? Est-ce bien le cours des choses
de
ce monde ? Est-ce une douleur physique, ou bien quelque rigueur injus
3296
douleur physique, ou bien quelque rigueur injuste
de
fortune ? Pétrarque. — Rien de tout cela en particulier. C’est le «
3297
ue rigueur injuste de fortune ? Pétrarque. — Rien
de
tout cela en particulier. C’est le « vague des passions » préromanti
3298
l se peut faire qu’il vive encore, quoique séparé
de
sa dame : Mais Amour me répond : ne te souvient-il pas que c’est là
3299
l pas que c’est là le privilège des amants déliés
de
toutes les qualités de l’homme146 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse as
3300
rivilège des amants déliés de toutes les qualités
de
l’homme146 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse ascension au Ventoux, qui
3301
et voilà qui rappelle au poète que ses « qualités
d’
homme » le lient de fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit
3302
le au poète que ses « qualités d’homme » le lient
de
fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson de
3303
ion pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson
de
la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen de conscience : Je
3304
Chanson de la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé
de
l’examen de conscience : Je vais pensant — et en pensant m’assaille
3305
la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen
de
conscience : Je vais pensant — et en pensant m’assaille une pitié de
3306
vais pensant — et en pensant m’assaille une pitié
de
moi-même si forte qu’elle me conduit souvent à d’autres pleurs que ce
3307
nds ton parti avec prudence ! Prends ! Et arrache
de
ton cœur toute racine De ce plaisir qui heureux ne le peut jamais ren
3308
ce ! Prends ! Et arrache de ton cœur toute racine
De
ce plaisir qui heureux ne le peut jamais rendre… Il n’a que trop lon
3309
r à cet amour blasphématoire, à ce besoin dément
d’
un plaisir que l’usage en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace d
3310
age en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace
de
négocier avec la mort ! La lucidité même d’un tel cri, où s’avoue le
3311
dace de négocier avec la mort ! La lucidité même
d’
un tel cri, où s’avoue le dernier secret du mythe courtois, c’est le s
3312
dernier secret du mythe courtois, c’est le signe
d’
une grâce reçue. Ce qui peut arracher à l’espoir vain, c’est la foi se
3313
la foi seule dans le pardon. Voici la conversion
de
l’espérance qui trouve enfin son objet véritable : Or lève-toi vers
3314
et paré ! S’il est vrai — qu’ici-bas tant joyeux
de
son mal votre désir s’apaise par un coup d’œil, une parole, une chans
3315
Imposer un style à la vie des passions — ce rêve
de
tout le Moyen Âge païen tourmenté par la loi chrétienne —, c’est la s
3316
vait donner naissance au mythe. Mais la confusion
de
la foi, « qui à Dieu seul est due et à lui seul convient », avec l’am
3317
ul est due et à lui seul convient », avec l’amour
d’
« une chose mortelle », en fut la conséquence inévitable. Et c’est bie
3318
, en fut la conséquence inévitable. Et c’est bien
de
cette confusion — non de la doctrine orthodoxe — que devait résulter
3319
névitable. Et c’est bien de cette confusion — non
de
la doctrine orthodoxe — que devait résulter l’opposition tragique du
3320
devait résulter l’opposition tragique du corps et
de
l’âme. C’est la tendance ascétique, orientale — le monachisme vient d
3321
ndance ascétique, orientale — le monachisme vient
d’
Orient — c’est la tendance hérétique des « parfaits » qui inspira la p
3322
bien elle, qui, peu à peu, contamina par le moyen
d’
une littérature idéalisante, l’élite de la société médiévale. D’où la
3323
r le moyen d’une littérature idéalisante, l’élite
de
la société médiévale. D’où la réaction « réaliste » qui ne pouvait ma
3324
ure idéalisante, l’élite de la société médiévale.
D’
où la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle
3325
ù la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer
de
s’ensuivre. Elle fut surtout sensible dans la bourgeoisie. Dès le déb
3326
. Dès le début du xiie siècle, en plein triomphe
de
l’amour courtois, l’on voit paraître cette tendance contraire, celle
3327
contre poésie, cynisme contre idéalisme. Le Débat
de
l’âme et du corps qui date précisément de cette époque est le premier
3328
e Débat de l’âme et du corps qui date précisément
de
cette époque est le premier témoignage d’un conflit que le mariage ch
3329
isément de cette époque est le premier témoignage
d’
un conflit que le mariage chrétien était censé résoudre. On y voit l’â
3330
censé résoudre. On y voit l’âme récemment séparée
de
son corps adresser à son compagnon les reproches les plus amers : c’e
3331
t trop tard, au-devant du supplice éternel. Issus
de
ce ressentiment du corps, les fabliaux eurent un immense succès (aupr
3332
annoncent le roman comique, qui annonce le roman
de
mœurs, qui annonce le naturalisme polémique du dernier siècle. Mais j
3333
soient engendrés en ligne directe. Chaque moment
de
cette progression vers le « vrai » se trouve lié, plus étroitement qu
3334
tement qu’au précédent, à un moment correspondant
de
la progression vers le « précieux », et c’est de cela qu’il naît, par
3335
de la progression vers le « précieux », et c’est
de
cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît de l’Astrée, non de
3336
cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît
de
l’Astrée, non des fabliaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédie
3337
liaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédies
de
Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantis
3338
ne de Marivaux naît des comédies de Marivaux, non
de
Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantisme, au moins auta
3339
comédies de Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît
de
la décomposition du romantisme, au moins autant, si ce n’est beaucoup
3340
, au moins autant, si ce n’est beaucoup plus, que
de
Balzac (considéré alors comme réaliste). Pour en revenir au xiiie si
3341
J. Huizinga147 — l’esprit gaulois aux conventions
de
l’amour courtois et à y voir la conception naturaliste de l’amour, en
3342
ur courtois et à y voir la conception naturaliste
de
l’amour, en opposition avec la conception romantique. Or la gauloiser
3343
que. La pensée érotique, pour acquérir une valeur
de
culture, doit être stylisée. Elle doit représenter la réalité complex
3344
a gauloiserie : la licence fantaisiste, le dédain
de
toutes les complications naturelles et sociales de l’amour, l’indulge
3345
e toutes les complications naturelles et sociales
de
l’amour, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes de la vie se
3346
, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes
de
la vie sexuelle, la vision d’une jouissance infinie, tout cela ne fai
3347
ges et les égoïsmes de la vie sexuelle, la vision
d’
une jouissance infinie, tout cela ne fait que donner satisfaction au b
3348
ne fait que donner satisfaction au besoin humain
de
substituer à la réalité le rêve d’une vie plus heureuse. C’est encore
3349
besoin humain de substituer à la réalité le rêve
d’
une vie plus heureuse. C’est encore une aspiration à la vie sublime, t
3350
du côté animal. C’est un idéal quand même : celui
de
la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et de l’amour alambiqu
3351
uand même : celui de la luxure. » Ce lien profond
de
la gauloiserie et de l’amour alambiqué, on le surprend dans une satir
3352
la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et
de
l’amour alambiqué, on le surprend dans une satire du xiiie siècle in
3353
intitulée l’Évangile des femmes : c’est une suite
de
quatrains dont les trois premiers vers exaltent la femme selon le mod
3354
le mode courtois, tandis que le quatrième réfute
d’
un trait brutal ces éloges. Autre complicité : la gauloiserie démolit
3355
r en bas, alors que la chevalerie le ridiculisait
d’
en haut, comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit de Chiceface
3356
comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit
de
Chiceface. Chiceface est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de
3357
ace est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que
de
femmes fidèles, aussi est-il d’une maigreur effroyable, tandis que so
3358
ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi est-il
d’
une maigreur effroyable, tandis que son confrère Bigorne, lequel ne ma
3359
igorne, lequel ne mange que les maris soumis, est
d’
un embonpoint sans pareil. Parallèlement à ces deux courants issus du
3360
e, en consacrant ses derniers chants à la louange
de
la Vierge — Notre Dame opposée à « ma » dame — mais sans varier le mo
3361
s sans varier le moins du monde ses lieux communs
de
poésie courtoise148. Dante a vengé d’avance les troubadours en mettan
3362
eux communs de poésie courtoise148. Dante a vengé
d’
avance les troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers de Marie »
3363
troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers
de
Marie », moines italiens appelés aussi « chevaliers joyeux » à cause
3364
solue, et malgré leur saint patronage. 6.Suite
de
la chevalerie, jusqu’à Cervantès L’influence du roman breton est a
3365
ce du roman breton est attestée par des centaines
de
textes à travers les xiiie , xive et xve siècles. Elle couvre la mê
3366
rs : l’Europe entière. Les minnesänger (chanteurs
de
l’Amour) en Allemagne sont nourris de légendes cathares149 et par ail
3367
(chanteurs de l’Amour) en Allemagne sont nourris
de
légendes cathares149 et par ailleurs ne font qu’adapter du français l
3368
illeurs ne font qu’adapter du français les récits
de
Chrétien de Troyes. On traduit le roman de Tristan dans toutes les la
3369
récits de Chrétien de Troyes. On traduit le roman
de
Tristan dans toutes les langues d’Occident. L’Anglais Thomas Malory,
3370
aduit le roman de Tristan dans toutes les langues
d’
Occident. L’Anglais Thomas Malory, à la fin du xve siècle, en refait
3371
se. Dante considère le cycle épique et romanesque
de
la France du Nord comme le modèle universel de toute prose narrative,
3372
ue de la France du Nord comme le modèle universel
de
toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait de Tristan (dans sa
3373
toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait
de
Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale. De là, j
3374
trait de Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait
de
la femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de
3375
ns sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale.
De
là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des E
3376
portrait de la femme idéale. De là, jusqu’au fond
de
la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrabl
3377
femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège,
de
la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations,
3378
De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie,
de
la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations, dont les Amadi
3379
ège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes,
d’
innombrables imitations, dont les Amadis portugais (puis espagnols, pu
3380
is auquel on pouvait s’attendre, certains auteurs
de
ces imitations se trouvent amenés à redécouvrir le sens original des
3381
ystiques. Mais alors ils ne peuvent se servir que
d’
une mythologie toute catholique — soit prudence ou incompréhension — a
3382
n primitive. En 1554, en Espagne, paraît un livre
de
Hyeronimo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro de cavalieri
3383
mo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro
de
cavalieria celestial del pié de la rosa fragante. Le Christ y devient
3384
lamboyant : Libro de cavalieria celestial del pié
de
la rosa fragante. Le Christ y devient le chevalier du Lion, Satan le
3385
r du Désert, et les apôtres, les douze chevaliers
de
la Table ronde. L’ésotérisme manichéisant, toujours latent dans le cy
3386
Cervantès ne cite point les très nombreux romans
de
« chevalerie célestielle » qu’on lisait de son temps avec passion150.
3387
romans de « chevalerie célestielle » qu’on lisait
de
son temps avec passion150. Il ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’a
3388
ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’aux romans
d’
aventures profanes. Cette omission est mystérieuse. Elle militerait en
3389
lle Cervantès connaissait la signification réelle
de
la littérature courtoise, et raillait non sans désespoir les rêveries
3390
oise, et raillait non sans désespoir les rêveries
de
ses contemporains, adonnés à une illusion dont ils avaient perdu le s
3391
des temps rend totalement impraticable. L’Église
de
Rome a triomphé. Mieux vaut dès lors se mettre du bon côté avec l’hon
3392
ngage moderne. Et en Irlande, elles vivent encore
de
nos jours. Je ne puis examiner ici le problème des rapports entre ce
3393
miner ici le problème des rapports entre ce fonds
de
légendes celtiques et la littérature anglaise populaire et savante. M
3394
ste, ait écrit un traité sur les fées, sans trace
de
scepticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare —
3395
traité sur les fées, sans trace de scepticisme ou
d’
ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare — mais nous avons l
3396
pticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien
de
Shakespeare — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit
3397
ue rien de Shakespeare — mais nous avons le Songe
d’
une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons R
3398
Shakespeare — mais nous avons le Songe d’une Nuit
d’
été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Jul
3399
stan de Wagner. Tant qu’on ignore à peu près tout
de
la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demande
3400
ant qu’on ignore à peu près tout de la vie, voire
de
l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissai
3401
re à peu près tout de la vie, voire de l’identité
de
Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissait la tradition
3402
, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain
de
se demander s’il connaissait la tradition secrète des troubadours. Ma
3403
beaucoup plus grand nombre… Comment les légendes
de
ce temps n’auraient-elles point gardé de traces des luttes violentes
3404
légendes de ce temps n’auraient-elles point gardé
de
traces des luttes violentes qui opposèrent dans la cité les « patarin
3405
plus profonde que jamais, la tragédie des Amants
de
Vérone, c’est le voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir de
3406
voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir
de
nos yeux que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir de la méla
3407
sant au souvenir de nos yeux que l’image négative
d’
un éclat, « le soleil noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs d
3408
que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir
de
la mélancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide de tortures tra
3409
il noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs
de
l’âme avide de tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’écl
3410
élancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide
de
tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair de l’amour
3411
deurs de l’âme avide de tortures transfigurantes,
de
la nuit abyssale où l’éclair de l’amour illumine parfois une face imm
3412
transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair
de
l’amour illumine parfois une face immobile et fascinante — ce nous-mê
3413
is une face immobile et fascinante — ce nous-même
d’
horreur et de divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ress
3414
mmobile et fascinante — ce nous-même d’horreur et
de
divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité d’un c
3415
el s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité
d’
un coup dans sa pleine stature, comme étourdi de sa jeunesse provocant
3416
é d’un coup dans sa pleine stature, comme étourdi
de
sa jeunesse provocante et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau
3417
omme étourdi de sa jeunesse provocante et enivrée
de
rhétorique, au seuil du tombeau de Mantoue voici le mythe de nouveau
3418
nte et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau
de
Mantoue voici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur d’une tor
3419
ici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur
d’
une torche que tient Roméo. Juliette repose, endormie par le philtre.
3420
Juliette repose, endormie par le philtre. Le fils
de
Montaigu est entré, et il parle : Combien souvent les hommes sur le
3421
r ? Ô mon amour, ma femme, La mort a sucé le miel
de
ton haleine Et n’a pas eu de prise encore sur ta beauté Et tu n’es pa
3422
mort a sucé le miel de ton haleine Et n’a pas eu
de
prise encore sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de bea
3423
sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne
de
beauté Est encore cramoisie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle dra
3424
sie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle drapeau
de
la mort n’est pas avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi es-
3425
rainte de cela je demeure avec toi Et plus jamais
de
ce palais de la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Av
3426
a je demeure avec toi Et plus jamais de ce palais
de
la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Avec les vers q
3427
ecouer l’influence des étoiles funestes Et sortir
de
cette chair lasse du monde. Mes yeux regardez une dernière fois ! Mes
3428
Sur les récifs brisants ta barque épuisée, malade
de
la mer ! Voilà pour mon amour ! (Il boit.) … Honnête apothicaire Ta d
3429
st rapide. En un baiser je meurs. Le consolament
de
la Mort vient de sceller le seul mariage qu’ait jamais pu vouloir l’É
3430
sombrie… Séparons-nous pour nous entretenir encor
de
ces tristesses151. ⁂ Il est certain que Milton quoique puritain subi
3431
ain que Milton quoique puritain subit l’influence
de
doctrines cabalistiques aussi peu « spiritualistes » que possible. Ma
3432
» contre la féodalité et le clergé ? Deux poèmes
de
Milton, qu’il écrivit dans sa jeunesse, l’Allegro et le Penseroso exp
3433
et le Penseroso expriment l’opposition du Jour et
de
la Nuit, et le choix nécessaire qu’il n’a pas encore fait. (Il ne le
3434
ne le fera sans doute jamais : du moins pas sans
de
telles réticences qu’il serait vain de conclure sur ce point plus net
3435
s pas sans de telles réticences qu’il serait vain
de
conclure sur ce point plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même
3436
nt plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même
d’
embrasser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet d’épopée avait
3437
ser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet
d’
épopée avait envisagé parfois le thème de la légende celtique d’Arthur
3438
un sujet d’épopée avait envisagé parfois le thème
de
la légende celtique d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dan
3439
envisagé parfois le thème de la légende celtique
d’
Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge
3440
de la légende celtique d’Arthur et des chevaliers
de
la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge de la Mélancolie nocturne,
3441
iers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge
de
la Mélancolie nocturne, s’adressant à cette « Vierge sérieuse », il l
3442
adressant à cette « Vierge sérieuse », il la prie
d’
évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bag
3443
rge sérieuse », il la prie d’évoquer encore l’âme
d’
Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiq
3444
la prie d’évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux
de
Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiques, et finalement
3445
alement les « illustres bardes », qui chantèrent
d’
une voix grave et solennelle tournois et trophées remportés, forêts, e
3446
eets the ear »… Il avait étudié pour son Histoire
de
Bretagne la chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le De doct
3447
chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le
De
doctrina christiana, il s’était insurgé « contre la puissance créatri
3448
l s’était insurgé « contre la puissance créatrice
de
Dieu, contre les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation… répudiant
3449
la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes
de
la Trinité et de l’Incarnation… répudiant les définitions théologique
3450
trice de Dieu, contre les dogmes de la Trinité et
de
l’Incarnation… répudiant les définitions théologiques traditionnelles
3451
nd lyrisme passionnel ? Quant au « matérialisme »
de
Milton, il s’oppose moins qu’on pourrait le croire à une doctrine « c
3452
n pourrait le croire à une doctrine « courtoise »
de
l’amour. Entre un monisme qui assimile l’esprit à la matière (ou l’in
3453
me n’est pas infranchissable, surtout sur le plan
de
l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont d’importants présupposé
3454
de l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont
d’
importants présupposés communs. L’extrême de la luxure touche parfois
3455
e ont d’importants présupposés communs. L’extrême
de
la luxure touche parfois l’extrême de la chasteté exaltée. Et la néga
3456
. L’extrême de la luxure touche parfois l’extrême
de
la chasteté exaltée. Et la négation de la mort, chez Milton, le condu
3457
l’extrême de la chasteté exaltée. Et la négation
de
la mort, chez Milton, le conduit à des conclusions bien proches de ce
3458
Milton, le conduit à des conclusions bien proches
de
celles des cathares. Comme eux, Milton croit que le bon désir procède
3459
rincipes intellectuels, et qu’il doit nous purger
de
notre mauvais désir, de la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son ma
3460
et qu’il doit nous purger de notre mauvais désir,
de
la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son maître en occultisme, ense
3461
atière divine… Il reste cependant que la doctrine
de
Milton est bien plus « rationnelle » et sociale que celle des hérétiq
3462
vait-elle point favoriser les confusions extrêmes
de
la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les
3463
favoriser les confusions extrêmes de la chair et
de
l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les sectes néo-man
3464
de la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas
de
se produire dans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée : de la
3465
ans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée :
de
la mystique à la psychologie L’histoire du mythe dans le Roman, au
3466
ade en pure psychologie. Le Roman devient l’objet
d’
une littérature raffinée. D’Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Sc
3467
Roman devient l’objet d’une littérature raffinée.
D’
Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Scudéry n’ont plus la moindre
3468
éry n’ont plus la moindre idée du sens ésotérique
de
la chevalerie légendaire. La nature symbolique des sujets qu’ils repr
3469
u’ils reprennent les induit simplement à composer
d’
interminables romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le G
3470
c. Le sujet du roman demeure les « contrariétés »
de
l’amour mais l’obstacle n’est plus la volonté de mort, si secrète et
3471
de l’amour mais l’obstacle n’est plus la volonté
de
mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’est simplement le p
3472
physique dans Tristan : c’est simplement le point
d’
honneur, manie sociale. C’est l’héroïne, ici, qui est la plus astucieu
3473
ici, qui est la plus astucieuse lorsqu’il s’agit
d’
imaginer des prétextes de séparation. Elle terrorise avec délices son
3474
ucieuse lorsqu’il s’agit d’imaginer des prétextes
de
séparation. Elle terrorise avec délices son chevaleresque soupirant,
3475
soupirant, et l’on voit Polexandre, dans le roman
de
Gomberville, parcourir comme un fou les cinq parties du monde pour ap
3476
nq parties du monde pour apaiser un regard irrité
de
sa maîtresse. Au dénouement, il est encore à se demander si cette « r
3477
s échos mélancoliques. Il y a bien les douze lois
d’
Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge de la chasteté, voire les
3478
ois d’Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge
de
la chasteté, voire les défis à une mort libératrice. Mais la dialecti
3479
une mort libératrice. Mais la dialectique sauvage
de
Tristan n’est plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la
3480
plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et
de
la Nuit se ramène à des jeux de pénombre. Entre le corps des deux ama
3481
combat du Jour et de la Nuit se ramène à des jeux
de
pénombre. Entre le corps des deux amants plus d’épée nue, mais la hou
3482
de pénombre. Entre le corps des deux amants plus
d’
épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur de la b
3483
ux amants plus d’épée nue, mais la houlette dorée
de
Céladon ornée d’une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolis
3484
épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée
d’
une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste.
3485
s la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur
de
la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste. Au cinquième
3486
ise tout le reste. Au cinquième et dernier volume
de
ce roman que l’on n’ose nommer un roman-fleuve, puisqu’il n’est parco
3487
, puisqu’il n’est parcouru que par les sinuosités
d’
un modeste ruisseau, le Lignon, Céladon désespéré appelle la mort ; As
3488
gnon, Céladon désespéré appelle la mort ; Astrée,
de
son côté conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin de leurs ma
3489
conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin
de
leurs maux à la Fontaine de Vérité, gardée par des lions et des licor
3490
vont demander la fin de leurs maux à la Fontaine
de
Vérité, gardée par des lions et des licornes : cette fontaine ne sera
3491
l’oracle, que par la mort du plus fidèle amant et
de
la plus fidèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat de la fata
3492
fidèle amant et de la plus fidèle amante. (Thème
de
Tristan : c’est le rachat de la fatalité du philtre.) Céladon s’avanc
3493
idèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat
de
la fatalité du philtre.) Céladon s’avance, mais ô miracle, les lions
3494
le ciel s’obscurcit, le tonnerre gronde, le génie
de
l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin de l’enchantement. Ast
3495
de l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin
de
l’enchantement. Astrée et Céladon évanouis (c’est une mort métaphoriq
3496
ils se réveillent, puis s’épousent. On a coutume
de
déclarer inexplicable le succès prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses
3497
ume de déclarer inexplicable le succès prodigieux
de
l’Astrée. Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux de nos ré
3498
Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux
de
nos récents romans féeriques. Et la psychologie des écrivains françai
3499
psychologie des écrivains français n’a pas cessé
de
se complaire dans l’élégance allégorique : voir Giraudoux. La Fontain
3500
ine adorait « cette œuvre exquise ». Et Rousseau,
de
passage à Lyon, voulut aller visiter le Forez et rechercher sur les r
3501
esse, elle lui dit que le Forez était un bon pays
de
forges et qu’on y travaillait fort bien le fer. « Cette bonne femme,
3502
serrurier. » ⁂ En vérité je me sens fort capable
d’
entreprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue de l’art littérair
3503
é je me sens fort capable d’entreprendre un éloge
de
l’Astrée : du point de vue de l’art littéraire, c’est une réussite ca
3504
treprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue
de
l’art littéraire, c’est une réussite capitale. Jamais les ressources
3505
’est une réussite capitale. Jamais les ressources
d’
une rhétorique plus savante n’ont été à ce point harmonisées. L’on n’i
3506
nt été à ce point harmonisées. L’on n’imagine pas
de
roman mieux écrit ; plus strictement réglé, dans son progrès, sur les
3507
strictement réglé, dans son progrès, sur les lois
d’
une plus sûre esthétique. L’emploi de « personnages constants » — le b
3508
sur les lois d’une plus sûre esthétique. L’emploi
de
« personnages constants » — le berger, la bergère, le volage, la coqu
3509
dialectique des sentiments sa meilleure garantie
de
précision, et disons même de vérité. Ici c’est l’art et non « la vie
3510
a meilleure garantie de précision, et disons même
de
vérité. Ici c’est l’art et non « la vie » qui mène le jeu. Nous somme
3511
i mène le jeu. Nous sommes en face d’une création
de
l’esprit, et non d’une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou
3512
sommes en face d’une création de l’esprit, et non
d’
une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et
3513
’une création de l’esprit, et non d’une confusion
de
reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immé
3514
prit, et non d’une confusion de reflets troubles,
d’
aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immérités (comme sont les
3515
ets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et
de
hasards immérités (comme sont les romans d’aujourd’hui). En un mot, l
3516
ts et de hasards immérités (comme sont les romans
d’
aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle suppose un métie
3517
Elle suppose un métier savant, et vingt-cinq ans
d’
application. Le snobisme qui lui fit un succès était mieux averti que
3518
ieux averti que le nôtre. Mais aussi ce caractère
d’
achèvement nous permet de poser une question nette : que vaut le succè
3519
Mais aussi ce caractère d’achèvement nous permet
de
poser une question nette : que vaut le succès même de l’effort littér
3520
oser une question nette : que vaut le succès même
de
l’effort littéraire ? Si l’on songe au mythe primitif, dont l’Astrée
3521
l’Astrée reprend tous les thèmes, l’on est frappé
de
constater que chez d’Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le de
3522
les thèmes, l’on est frappé de constater que chez
d’
Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le destin en machine romane
3523
e la littérature la plus parfaite, en raison même
de
sa perfection, n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices de f
3524
n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices
de
formes et de mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever e
3525
ous-produit des mystiques créatrices de formes et
de
mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever en tant qu’œuv
3526
e qu’une résistance à peu près nulle aux attaques
de
l’esprit réaliste et de ce qu’on nomme l’intérêt civique comme il app
3527
u près nulle aux attaques de l’esprit réaliste et
de
ce qu’on nomme l’intérêt civique comme il apparaît de nos jours ? Alo
3528
e qu’on nomme l’intérêt civique comme il apparaît
de
nos jours ? Alors que les mystiques et les religions prennent au cont
3529
ns et railleries qu’on leur oppose ? Ce fut assez
d’
un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de
3530
ries qu’on leur oppose ? Ce fut assez d’un décret
de
l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de Roman – pour
3531
ficieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros
de
Roman – pour réduire au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels
3532
au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels
de
notre siècle, la féerie romanesque née de l’Astrée, et le roman comiq
3533
manuels de notre siècle, la féerie romanesque née
de
l’Astrée, et le roman comique, son parasite153. Il n’y eut plus qu’un
3534
est dans le théâtre classique — donc au cœur même
d’
un ordre intolérant — que la passion devait trouver sa revanche la plu
3535
he la plus éclatante. On connaît le curieux sujet
de
la Place royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant d’Angélique
3536
royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant
d’
Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’atta
3537
désobligeante. Alidor amant d’Angélique, et aimé
d’
elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’attache trop » et il veut
3538
’Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé
d’
un amour qui l’attache trop » et il veut faire en sorte que sa maîtres
3539
rte que sa maîtresse se donne à son ami Cléandre.
D’
où l’on conclut généralement que Corneille est le premier auteur qui a
3540
qui ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut
d’
être analysé. Voici comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’est
3541
m’aimant trop qu’elle me fait mourir : Un moment
de
froideur, et je pourrais guérir ; Une mauvaise œillade, un peu de jal
3542
parfaite, et sa perfection N’approche point encor
de
son affection ; Point de refus pour moi, point d’heures inégales : Ac
3543
n N’approche point encor de son affection ; Point
de
refus pour moi, point d’heures inégales : Accablé de faveurs à mon re
3544
de son affection ; Point de refus pour moi, point
d’
heures inégales : Accablé de faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ic
3545
refus pour moi, point d’heures inégales : Accablé
de
faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ici la tirade : les premiers v
3546
Quoi, c’est le bonheur qui serait fatal au repos
de
cet étrange amant ? Et le malheur d’être trahi par Angélique le guéri
3547
tal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur
d’
être trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait
3548
e malheur d’être trahi par Angélique le guérirait
de
son amour ? Cet Alidor serait un curieux monstre ! Disons plutôt qu’o
3549
isons plutôt qu’on voit trop bien ce qu’il essaie
de
nous dissimuler. Lui aussi, il ne veut que « brûler » ! Mais il ne pe
3550
le goût du malheur, à cette époque. « J’ai honte
de
souffrir les maux dont je me plains », dit-il plus bas. C’est donc la
3551
it-il plus bas. C’est donc la honte qui est cause
de
son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstacle entre
3552
est cause de son mensonge. En vérité, il souffre
de
l’absence d’un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même
3553
son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence
d’
un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même. Il manque u
3554
ns passés dans la forêt. Tristan avait le recours
de
rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint d’inventer un rival. So
3555
de rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint
d’
inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare d’Angéli
3556
idor est contraint d’inventer un rival. Souffrant
de
ce que plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux d’avouer cett
3557
rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare
d’
Angélique, mais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine de se pl
3558
plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux
d’
avouer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’être trop enchaîn
3559
ais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine
de
se plaindre d’être trop enchaîné par cette fidélité — alors qu’on voi
3560
vouer cette souffrance, il imagine de se plaindre
d’
être trop enchaîné par cette fidélité — alors qu’on voit tout au contr
3561
lors qu’on voit tout au contraire qu’il désespère
de
ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’être libre qui traduit
3562
e de ne point l’être assez. Il proclame un besoin
d’
être libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de
3563
besoin d’être libre qui traduit un profond désir
de
n’être plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se p
3564
duit un profond désir de n’être plus même en état
de
désirer aucune liberté. C’est ce qui se passerait si Angélique faisai
3565
est ce qui se passerait si Angélique faisait mine
de
lui échapper. Mais voyez comme il est habile : Cléandre Vit-on jamai
3566
mme il est habile : Cléandre Vit-on jamais amant
de
la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alidor
3567
s’arrête aux sentiments vulgaires ? Il le prend
de
haut : méfions-nous. C’est qu’il se dispose à mentir. Il ne faut poi
3568
’il se dispose à mentir. Il ne faut point servir
d’
objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir d’amour qui ne nous
3569
objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir
d’
amour qui ne nous cède : Je le hais s’il me force : et quand j’aime, j
3570
hais s’il me force : et quand j’aime, je veux Que
de
ma volonté dépendent tous mes vœux ; Que mon feu m’obéisse, au lieu d
3571
e classique, pensera-t-on : la volonté triomphant
de
la passion. Mais la suite de la comédie, même si nous ignorions les r
3572
a volonté triomphant de la passion. Mais la suite
de
la comédie, même si nous ignorions les ruses du mythe, nous ferait bi
3573
hautaines déclarations. « Il ne faut point servir
d’
objet qui nous possède » signifie en réalité : « Le seul objet qui vai
3574
signifie en réalité : « Le seul objet qui vaille
d’
être servi, c’est celui qui nous posséderait totalement et qui, par sa
3575
ers mots : « … et l’éteindre » étant pur artifice
de
rhétorique, destiné à persuader le lecteur, ou Cléandre, ou Corneille
3576
Corneille a tout fait pour cela. Dans la dédicace
de
sa pièce, il s’adresse en ces termes à un personnage inconnu : « C’es
3577
e en ces termes à un personnage inconnu : « C’est
de
vous que j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujour
3578
nnu : « C’est de vous que j’ai appris que l’amour
d’
un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais
3579
t qu’enfin la personne aimée nous a beaucoup plus
d’
obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre
3580
personne aimée nous a beaucoup plus d’obligation
de
notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de
3581
e notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet
de
notre choix et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination
3582
rs qu’elle est toujours l’effet de notre choix et
de
son mérite, que quand elle vient d’une inclination aveugle, et forcée
3583
otre choix et de son mérite, que quand elle vient
d’
une inclination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance
3584
lination aveugle, et forcée par quelque ascendant
de
naissance à qui nous ne pouvons résister… On ne donne point ce qu’on
3585
bel et bon. Mais nous n’oublions pas que ce refus
de
la contrainte fatale, cette liberté qui fait le prix du don, c’est un
3586
rix du don, c’est une des exigences fondamentales
de
l’amour courtois (l’un des articles des Leys d’Amors). Et que cette e
3587
te trop fidèle se trouvent malgré eux dans l’état
de
mariés, à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour de la liber
3588
à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour
de
la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour de la passion. À tel
3589
de la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour
de
la passion. À tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes De cr
3590
tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes
De
crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît d’un amour par force
3591
e crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît
d’
un amour par force un amour par devoir. C’est le plus pur langage cou
3592
rai chez elle encor le moindre accès Mes desseins
de
guérir n’auront point de succès. Ces « desseins de guérir » (entendo
3593
indre accès Mes desseins de guérir n’auront point
de
succès. Ces « desseins de guérir » (entendons : de brûler donc en fa
3594
guérir n’auront point de succès. Ces « desseins
de
guérir » (entendons : de brûler donc en fait : sa crainte de guérir !
3595
succès. Ces « desseins de guérir » (entendons :
de
brûler donc en fait : sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés
3596
(entendons : de brûler donc en fait : sa crainte
de
guérir !) sont en effet couronnés de succès au cinquième acte. Cornei
3597
: sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés
de
succès au cinquième acte. Corneille l’avoue plus tard, tout en feigna
3598
te. Corneille l’avoue plus tard, tout en feignant
de
s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen de sa pièce : « Cet am
3599
de s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen
de
sa pièce : « Cet amour de son repos n’empêche point qu’au cinquième a
3600
se doit, dans un Examen de sa pièce : « Cet amour
de
son repos n’empêche point qu’au cinquième acte (Alidor) ne se montre
3601
maîtresse, malgré la résolution qu’il avait prise
de
s’en défaire, et les trahisons qu’il lui a faites ; de sorte qu’il se
3602
ommencer à l’aimer que quand il lui a donné sujet
de
le haïr. » L’aveu est complet cette fois-ci. Mais dans le plan pureme
3603
e logique. « Cela fait, conclut-il, une inégalité
de
mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement d
3604
mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point
de
cet aveuglement de l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfait
3605
euse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement
de
l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfaitement mené à chef.
3606
t si parfaitement mené à chef. L’essence du mythe
de
l’amour malheureux, nous le savons, c’est une passion inavouable. L’o
3607
vons, c’est une passion inavouable. L’originalité
de
Corneille demeure d’avoir voulu combattre et nier cette passion dont
3608
on inavouable. L’originalité de Corneille demeure
d’
avoir voulu combattre et nier cette passion dont il vivait, et ce myth
3609
et le Cid. Il a voulu sauver au moins le principe
de
la liberté, c’est-à-dire de la personne — sans lui sacrifier toutefoi
3610
au moins le principe de la liberté, c’est-à-dire
de
la personne — sans lui sacrifier toutefois les effets délicieux et to
3611
» (ici métaphorique). Bien mieux : cette volonté
de
liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle pr
3612
é de liberté est devenue l’agent le plus efficace
de
la passion qu’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée de ce
3613
efficace de la passion qu’elle prétendait guérir.
D’
où la tension inégalée de ce « théâtre du devoir » — comme le récitent
3614
’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée
de
ce « théâtre du devoir » — comme le récitent et le réciteront toujour
3615
citeront toujours ceux qui ne sont guère capables
de
l’aimer… 10.Racine, ou le mythe déchaîné L’opposition classique
3616
e, ou le mythe déchaîné L’opposition classique
de
Racine et de Corneille se réduit à ceci, touchant le mythe : Racine p
3617
e déchaîné L’opposition classique de Racine et
de
Corneille se réduit à ceci, touchant le mythe : Racine part du philtr
3618
touchant le mythe : Racine part du philtre comme
d’
un fait indiscutable privant ses victimes de toute espèce de responsab
3619
comme d’un fait indiscutable privant ses victimes
de
toute espèce de responsabilité : « C’est Vénus tout entière à sa proi
3620
indiscutable privant ses victimes de toute espèce
de
responsabilité : « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée », —
3621
qu’« une tyrannie dont il faut secouer le joug ».
D’
où l’harmonie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue de l’autre
3622
ut secouer le joug ». D’où l’harmonie voluptueuse
de
l’un, et la dialectique tendue de l’autre ; l’un s’abandonnant au cou
3623
nie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue
de
l’autre ; l’un s’abandonnant au courant, l’autre lui résistant, bien
3624
ntraîné…) L’invitus invitam 154 qui fait le sujet
de
Bérénice, c’est une formule antique interprétée par un « moderne » da
3625
par un « moderne » dans la perspective courtoise
de
l’amour réciproque malheureux. Ainsi devient-elle la formule même de
3626
ue malheureux. Ainsi devient-elle la formule même
de
notre mythe. Mais Racine, dans ses premières pièces, raccourcit la po
3627
pièces, raccourcit la portée du mythe à la mesure
d’
une psychologie exagérément « admissible ». « Je n’ai point poussé Bér
3628
it avec Énée, elle n’est pas obligée, comme elle,
de
renoncer à la vie. » L’on sent tout l’artifice et la faiblesse du « r
3629
« raisonnement » qui se voit opposé à la passion
de
la Nuit ! « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des m
3630
sions y soient excitées, et que tout s’y ressente
de
cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.
3631
te tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir
de
la tragédie. » Or cette « tristesse majestueuse qui fait tout le plai
3632
« tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir
de
la tragédie », ce n’est que la moitié du mythe, son aspect diurne, so
3633
on aspect diurne, son reflet moral dans notre vie
de
créatures finies. Il y manque l’aspect nocturne, l’épanouissement mys
3634
ne, l’épanouissement mystique dans la vie infinie
de
la Nuit. Il y manque ce que l’on pourrait appeler, symétriquement, «
3635
sans un appauvrissement métaphysique, générateur
de
confusions incalculables. Car enfin cette « tristesse » racinienne, s
3636
est dans le monde du jour, et qualifiée néanmoins
de
« plaisir », l’on ne voit pas en quoi ce serait davantage qu’une moro
3637
es, l’on est fondé à contester la vérité dernière
de
la croyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine de la passion
3638
oyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine
de
la passion et de son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que ce
3639
manichéenne) qui est à l’origine de la passion et
de
son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que cette croyance donn
3640
ui en résulte, c’est que l’obstacle est un masque
de
la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguration, l’instant
3641
un masque de la mort, et que la mort est le gage
d’
une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se révèle le Jo
3642
tait la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute
d’
atteindre cette limite, un Racine se condamne et nous condamne à goûte
3643
condamne et nous condamne à goûter une mélancolie
de
nature essentiellement trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer
3644
ent trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer
de
la vie matérielle par la mort ; et l’Agapè chrétienne veut sanctifier
3645
sait quel « plaisir », cela révèle en définitive
d’
assez morbides complaisances à la défaite de l’esprit, à la résignatio
3646
itive d’assez morbides complaisances à la défaite
de
l’esprit, à la résignation des sens. Et déjà l’on pressent que cet ab
3647
cet abandon au « mal du siècle » (sécularisation
de
la passion) ne peut conduire Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à
3648
Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à la forme
de
mortification morose — d’autopunition dira Freud — qui se trouve la m
3649
c’est-à-dire à la forme de mortification morose —
d’
autopunition dira Freud — qui se trouve la mieux adaptée au tempéramen
3650
e conversion-là ne pourra s’opérer qu’à la faveur
d’
une crise révélant à Racine lui-même la vraie nature de son délire. Ph
3651
crise révélant à Racine lui-même la vraie nature
de
son délire. Phèdre est un moment décisif non seulement dans la vie du
3652
is dans l’évolution du mythe à travers l’histoire
de
l’Europe. 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort
3653
. 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème
de
la mort est écarté dans Bérénice par une « censure » morale évidemmen
3654
par une « censure » morale évidemment chrétienne
d’
origine. Racine ne peut ni ne veut être pleinement lucide. Car sa luci
3655
e plus secret, et sans se l’avouer. Mais la crise
de
sa passion pour une femme qui fut peut-être la Champmeslé, et les pre
3656
ut-être la Champmeslé, et les premières atteintes
d’
une vraie foi vont le pousser comme malgré lui, et plus qu’il n’espéra
3657
algré lui, et plus qu’il n’espérait, aux extrêmes
de
l’aveu. Phèdre, c’est la revanche de la mort. Oui, Racine le sait ma
3658
ux extrêmes de l’aveu. Phèdre, c’est la revanche
de
la mort. Oui, Racine le sait maintenant, c’est une nécessité qu’il y
3659
arti du jour, la mort n’est plus que le châtiment
de
ses trop longues complaisances. C’est la passion, c’est sa propre pas
3660
assion, qu’il châtie en vouant à la mort la fille
de
Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert de son sujet antique,
3661
de Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert
de
son sujet antique, se punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisan
3662
punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisant
de
l’obstacle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’est plus admi
3663
st-à-dire une entrave qu’il n’est plus admissible
de
vouloir vaincre. L’opinion — à laquelle Racine se montre si sensible
3664
ar personnes interposées en refusant à la passion
de
Phèdre toute réciprocité de la part d’Hippolyte. Or Phèdre était écri
3665
était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle
de
la reine. Et Hippolyte, c’est Racine tel que maintenant il se souhait
3666
ondant Phèdre et la femme qu’il aime, il se venge
de
l’objet de sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion
3667
re et la femme qu’il aime, il se venge de l’objet
de
sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion est condam
3668
e sans appel. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque
de
Phèdre est encore en pleine crise, balançant devant la décision. D’où
3669
re en pleine crise, balançant devant la décision.
D’
où la duplicité profonde de la pièce. La loi morale, la loi du jour qu
3670
nt devant la décision. D’où la duplicité profonde
de
la pièce. La loi morale, la loi du jour qu’il veut servir désormais,
3671
ine à rendre le jeune prince insensible à l’amour
de
Phèdre. Il déclare donc cet amour incestueux, encore que cette reine
3672
encore que cette reine ne soit que la belle-mère
d’
Hippolyte. Mais le vieil homme, le Racine naturel, cherche à tourner c
3673
ment il s’y prend : en rendant Hippolyte amoureux
d’
Aricie, dont on va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est t
3674
est très subtil. « Pour ce qui est du personnage
d’
Hippolyte, écrit-il dans la Préface, j’avais remarqué dans les anciens
3675
rqué dans les anciens qu’on reprochait à Euripide
de
l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection :
3676
de l’avoir représenté comme un philosophe exempt
de
toute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince ca
3677
e toute imperfection : ce qui faisait que la mort
de
ce jeune prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié. J’a
3678
la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus
d’
indignation que de pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse
3679
ne prince causait beaucoup plus d’indignation que
de
pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait u
3680
able envers son père, sans pourtant lui rien ôter
de
cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et
3681
re, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur
d’
âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprime
3682
grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur
de
Phèdre, et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle faiblesse la
3683
, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels
de
son père. » Ainsi donc, Aricie, c’est « l’amour que le Père interdit
3684
amour que le Père interdit » — un substitut voilé
de
l’amour incestueux155. (La psychanalyse nous a accoutumés à des dégui
3685
. Ici, comme dans le mythe, le « Destin » servira
d’
alibi à la responsabilité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle
3686
le « Destin » servira d’alibi à la responsabilité
de
ceux qui aiment, et du même coup, à celle de l’auteur. Ah ! Seigneur
3687
lité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle
de
l’auteur. Ah ! Seigneur ! si notre heure est une fois marquée Le cie
3688
eur ! si notre heure est une fois marquée Le ciel
de
nos raisons ne sait point s’informer. (I, 1) Ce n’est pas ce ciel-là
3689
à tel point essentielle à la pièce, constitutive
de
la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire re
3690
ntielle à la pièce, constitutive de la crise même
d’
où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son aute
3691
se même d’où elle est née, qu’il serait bien vain
d’
en faire reproche à son auteur. Il fallait Phèdre. Il fallait cet affl
3692
the au jour. Il fallait cette douloureuse poussée
de
la volonté de mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossib
3693
l fallait cette douloureuse poussée de la volonté
de
mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossible aveu, se re
3694
sée de la volonté de mort cherchant à se délivrer
d’
elle-même par l’impossible aveu, se retenant, s’avouant enfin à l’inst
3695
tant où elle y renonçait — avec le mouvement même
de
la reine, à trois reprises156. Il fallait cela pour que l’amour-passi
3696
s l’apparition du mythe au xiie siècle, triomphe
de
la mort de l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de
3697
ion du mythe au xiie siècle, triomphe de la mort
de
l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de Roméo : E
3698
mort de l’amante, renversant toute la dialectique
de
Tristan et de Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté Rend
3699
te, renversant toute la dialectique de Tristan et
de
Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté Rend au jour qu’il
3700
ient toute sa pureté. — Elle expire, Seigneur ! —
D’
une action si noire Que ne peut avec elle expirer la mémoire ! Malgr
3701
que je puis assurer, c’est que je n’ai point fait
de
tragédie où la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci ; les m
3702
seule pensée du crime y est regardée avec autant
d’
horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour d
3703
tant d’horreur que le crime même ; les faiblesses
de
l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont p
3704
e même ; les faiblesses de l’amour y passent pour
de
vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pou
3705
e dont elles sont cause… » On est loin du dessein
d’
« exciter les passions » pour « plaire » à un besoin de « tristesse ma
3706
xciter les passions » pour « plaire » à un besoin
de
« tristesse majestueuse ». On est tout près de Port-Royal. Racine, co
3707
rès de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était
de
la race des troubadours qui trahissent l’Amour pour l’amour : presque
3708
i en religion. Mais notons-le : dans une religion
de
retraite — dernière injure peut-être au jour intolérable… 12.Éclip
3709
e français souffre ou bénéficie, comme on voudra,
d’
une première éclipse du mythe dans les mœurs et la philosophie. La mis
3710
. La mise en ordre (pour ne pas dire mise au pas)
de
la société féodale par l’État-roi, entraîne des modifications assez p
3711
les coutumes. Le mariage redevient l’institution
de
base : il atteint un point d’équilibre où les siècles suivants auront
3712
vient l’institution de base : il atteint un point
d’
équilibre où les siècles suivants auront grand-peine à se maintenir, e
3713
réelle ou supposée n’y ajoute guère qu’un élément
d’
exquise perfection, de luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie q
3714
ajoute guère qu’un élément d’exquise perfection,
de
luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie qui sent presque l’impe
3715
uise perfection, de luxe heureux, dernière touche
d’
une fantaisie qui sent presque l’impertinence. (Le xviiie la jugera v
3716
resque l’impertinence. (Le xviiie la jugera vite
de
mauvais goût.) La convenance des rangs et la conformité des « qualité
3717
bon mariage : curieuse analogie avec la Chine. Et
de
fait, c’est à partir de ce xviie siècle « rationnel » que nos mœurs
3718
nul paraisse y prendre garde, se rangent aux lois
de
la raison du siècle, reniant l’absolu chrétien. Les « mérites » et no
3719
non plus la grâce imprévisible décident désormais
d’
une union, et rendront seuls « aimable » un parti soigneusement raison
3720
mable » un parti soigneusement raisonné. Triomphe
de
la morale jésuite. C’est le baroque classique qui vient emprisonner,
3721
classique qui vient emprisonner, dans l’artifice
de
ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse de la passion telle q
3722
e ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse
de
la passion telle que la conduit un Descartes, sa réduction à des caté
3723
tement distinctes, à des hiérarchies rationnelles
de
qualités, mérites et facultés, devait-elle aboutir nécessairement à l
3724
outir nécessairement à la dissolution du mythe et
de
son dynamisme originel. C’est que le mythe ne déploie son empire que
3725
nsgression du domaine où vaut la morale. ⁂ Le cas
de
Spinoza mériterait un chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s
3726
iècles plus tard. (Il a fallu que les philosophes
de
Sturm und Drang le traduisissent en allemand pour les poètes, qui l’o
3727
dimanche.) Spinoza définit l’amour : un sentiment
de
joie accompagné de l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un s
3728
définit l’amour : un sentiment de joie accompagné
de
l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs
3729
amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée
d’
une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs le seul p
3730
ine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’est pas
de
cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa cause e
3731
hé, la vertu, notre corps, notre moi distinct. Et
de
là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union
3732
orps, notre moi distinct. Et de là vient l’ardeur
de
la passion. Et de là vient que le désir d’union totale se lie indisso
3733
stinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et
de
là vient que le désir d’union totale se lie indissolublement au désir
3734
ardeur de la passion. Et de là vient que le désir
d’
union totale se lie indissolublement au désir de la mort qui libère. C
3735
r d’union totale se lie indissolublement au désir
de
la mort qui libère. C’est parce que la passion n’existe pas sans la d
3736
e qui l’a séduite : « Je vous rends grâce du fond
de
mon cœur pour la désespérance où vous m’avez jetée, et méprise le rep
3737
eu ! Aimez-moi donc toujours, faites-moi souffrir
de
pires douleurs encore ! » Vers la fin du xviiie siècle, c’est une au
3738
u, c’est vraiment l’éclipse totale du Soleil noir
de
la Mélancolie. Les « qualités » et les « mérites » qui rendent « aima
3739
érites » qui rendent « aimable », selon les roués
de
la Régence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral,
3740
able », selon les roués de la Régence et du règne
de
Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral, mais intellectuel et physi
3741
égence et du règne de Louis XV, ne sont plus même
d’
ordre moral, mais intellectuel et physique. La distinction de l’esprit
3742
al, mais intellectuel et physique. La distinction
de
l’esprit et de la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de
3743
ectuel et physique. La distinction de l’esprit et
de
la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de l’âme croyante,
3744
’esprit et de la chair, succédant à la séparation
de
l’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligen
3745
a chair, succédant à la séparation de l’esprit et
de
l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligence et en sexe.
3746
la passion n’a plus où se prendre. Et l’on parle
de
« passionnettes ». Le dieu d’Amour n’est plus un dur destin mais un e
3747
ndre. Et l’on parle de « passionnettes ». Le dieu
d’
Amour n’est plus un dur destin mais un enfant impertinent. Presque plu
3748
ant impertinent. Presque plus rien n’est défendu.
De
la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour la rhétoriqu
3749
hétorique du désir, mais non plus même pour celle
de
l’amour. « Belle vertu, dit Mme d’Épinay, qu’on s’attache avec des ép
3750
re qu’à la « guerre en dentelles ».) Or ce siècle
de
la Volupté n’est pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guéri
3751
es ».) Or ce siècle de la Volupté n’est pas celui
de
la santé sensuelle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes de ce
3752
elle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes
de
ce temps n’aiment pas avec le cœur, elles aiment avec la tête », dit
3753
c la tête », dit l’abbé Galiani. Des « débauchées
de
l’esprit », ajoute Walpole, donnant peut-être la meilleure formule du
3754
des Richelieu et des Casanova, je suis moins sûr
de
leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncou
3755
s Casanova, je suis moins sûr de leur réalité que
de
celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncourt l’ont très bien a
3756
iècle : « Au lieu de lui donner les satisfactions
de
l’amour sensuel et de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’
3757
ui donner les satisfactions de l’amour sensuel et
de
la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’inquiétudes, la pousse
3758
t de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit
d’
inquiétudes, la pousse d’essai en essai, de tentatives en tentatives,
3759
upté, l’amour la remplit d’inquiétudes, la pousse
d’
essai en essai, de tentatives en tentatives, agitant devant elle, à me
3760
emplit d’inquiétudes, la pousse d’essai en essai,
de
tentatives en tentatives, agitant devant elle, à mesure qu’elle fait
3761
ntation des corruptions spirituelles, un mensonge
d’
idéal, le caprice insaisissable des rêves de la débauche. » Un « menso
3762
songe d’idéal, le caprice insaisissable des rêves
de
la débauche. » Un « mensonge d’idéal », c’est bien à quoi se résumera
3763
issable des rêves de la débauche. » Un « mensonge
d’
idéal », c’est bien à quoi se résumera toujours la réaction cynique co
3764
cynique contre le mythe. Nous en avons donné plus
d’
un exemple. Le xviiie est trop poli pour admettre la gauloiserie : il
3765
gauloiserie : il la remplace par une affectation
de
facilité voluptueuse. Cette boutade, qui réduit tout l’amour au conta
3766
Cette boutade, qui réduit tout l’amour au contact
de
deux épidermes, j’y vois bien moins l’affirmation d’un matérialisme i
3767
deux épidermes, j’y vois bien moins l’affirmation
d’
un matérialisme inhumain qu’une preuve de la secrète persistance du my
3768
irmation d’un matérialisme inhumain qu’une preuve
de
la secrète persistance du mythe au cœur des hommes du xviiie . Il fal
3769
viiie . Il fallait bien que subsistât quelque peu
d’
illusion amoureuse et d’idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu jug
3770
que subsistât quelque peu d’illusion amoureuse et
d’
idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant » de noter
3771
iffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant »
de
noter cette maxime et de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce
3772
ait pu juger « piquant » de noter cette maxime et
de
la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce n’était encore, et ce ne
3773
mythe devait faire apparaître l’antithèse absolue
de
Tristan. Si Don Juan n’est pas, historiquement, une invention du xvii
3774
il joué par rapport à ce personnage le rôle exact
de
Lucifer par rapport à la Création, dans la doctrine manichéenne : c’e
3775
imprimé pour toujours ces deux traits si typiques
de
l’époque : la noirceur et la scélératesse. Antithèse vraiment parfait
3776
esse. Antithèse vraiment parfaite des deux vertus
de
l’amour chevaleresque : la candeur et la courtoisie. ⁂ Il me semble q
3777
qu’exerce sur le cœur des femmes et sur l’esprit
de
certains hommes le personnage mythique de Don Juan peut s’expliquer p
3778
’esprit de certains hommes le personnage mythique
de
Don Juan peut s’expliquer par sa nature infiniment contradictoire. Do
3779
an, c’est à la fois l’espèce pure, la spontanéité
de
l’instinct, et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus de la mer
3780
, et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus
de
la mer des possibles. C’est l’infidélité perpétuelle, mais c’est auss
3781
tuelle, mais c’est aussi la perpétuelle recherche
d’
une femme unique, jamais rejointe par l’erreur inlassable du désir. C’
3782
ur inlassable du désir. C’est l’insolente avidité
d’
une jeunesse renouvelée à chaque rencontre, et c’est aussi la secrète
3783
ue rencontre, et c’est aussi la secrète faiblesse
de
celui qui ne peut pas posséder, parce qu’il n’est pas assez pour avoi
3784
le Don Juan du théâtre159 comme le reflet inversé
de
Tristan. Le contraste est d’abord dans l’allure extérieure des person
3785
u contraire, Tristan vient en scène avec l’espèce
de
lenteur somnambulique de celui qu’hypnotise un objet merveilleux, don
3786
t en scène avec l’espèce de lenteur somnambulique
de
celui qu’hypnotise un objet merveilleux, dont il n’aura jamais épuisé
3787
n, toujours aimé, ne peut jamais aimer en retour.
D’
où son angoisse et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte d’amo
3788
et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte
d’
amour la volupté d’une profanation, l’autre accomplit en restant chast
3789
ue. L’un recherche dans l’acte d’amour la volupté
d’
une profanation, l’autre accomplit en restant chaste la « prouesse » d
3790
t chaste la « prouesse » divinisante. La tactique
de
Don Juan, c’est le viol, et aussitôt remportée la victoire, il abando
3791
il abandonne le terrain, il s’enfuit. Or la règle
de
l’amour courtois faisait du viol précisément le crime des crimes, la
3792
crime des crimes, la félonie sans rémission ; et
de
l’hommage un engagement jusqu’à la mort. Mais Don Juan aime le crime
3793
ime le crime en soi, et par là se rend tributaire
de
la morale dont il abuse. Il a grand besoin qu’elle existe pour trouve
3794
es règles, des péchés et des vertus, par la grâce
d’
une vertu qui transcende le monde de la Loi. Enfin tout se ramène à ce
3795
par la grâce d’une vertu qui transcende le monde
de
la Loi. Enfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan est le dém
3796
ramène à cette opposition : Don Juan est le démon
de
l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde, le martyr de
3797
le prisonnier des apparences du monde, le martyr
de
la sensation de plus en plus décevante et méprisable — quand Tristan
3798
e et méprisable — quand Tristan est le prisonnier
d’
un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mu
3799
Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et
de
la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mue en joie pure à la mort
3800
ier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr
d’
un ravissement qui se mue en joie pure à la mort. On peut noter encore
3801
e le Commandeur lui tend la main, au dernier acte
de
Mozart, rachetant par cet ultime défi des lâchetés qui eussent déshon
3802
’abdique au contraire son orgueil qu’à l’approche
de
la mort lumineuse. Je ne leur vois qu’un trait commun : tous deux ont
3803
trait commun : tous deux ont l’épée à la main. ⁂
De
la Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve d’une aristocrat
3804
Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve
d’
une aristocratie déchue de l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzu
3805
uan a régné sur le rêve d’une aristocratie déchue
de
l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzun dans la plus haute socié
3806
te, tels sont les parangons qui prennent la place
de
l’idéal détruit par le xviie siècle. Ce refoulement du mythe par l’i
3807
s plus étranges retours. Parmi tant de facilités,
de
raffinements intellectuels ou voluptueux, de satiétés, l’un des besoi
3808
tés, de raffinements intellectuels ou voluptueux,
de
satiétés, l’un des besoins les plus profonds de l’homme demeure privé
3809
, de satiétés, l’un des besoins les plus profonds
de
l’homme demeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin de souffri
3810
esoins les plus profonds de l’homme demeure privé
d’
assouvissement, et c’est le besoin de souffrir. Un corps social qui le
3811
emeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin
de
souffrir. Un corps social qui le cultive, s’alanguit, comme l’a montr
3812
uté active les souffrances qu’il interdit au cœur
de
subir. Point de bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd l
3813
ouffrances qu’il interdit au cœur de subir. Point
de
bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd le contact vital,
3814
fantaisie perd le contact vital, et tout pouvoir
de
« sympathie ». La femme n’est plus pour l’homme du xviiie qu’un « ob
3815
’autre ces extrêmes : la femme-idéal, pur symbole
d’
un Amour qui entraîne l’amour au-delà des formes visibles ; et la femm
3816
r au-delà des formes visibles ; et la femme-objet
de
plaisir, instrument plus ou moins aimable d’une sensation qui enferme
3817
bjet de plaisir, instrument plus ou moins aimable
d’
une sensation qui enferme l’homme en soi… Je distingue dans la contrad
3818
’homme en soi… Je distingue dans la contradiction
de
Don Juan et de Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui
3819
Je distingue dans la contradiction de Don Juan et
de
Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui vit cette cont
3820
Juan et de Tristan, dans la tension insupportable
de
l’esprit qui vit cette contradiction parce qu’il subit la sensualité
3821
ensualité et désire l’idéal courtois, les données
de
l’œuvre de Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans le
3822
t désire l’idéal courtois, les données de l’œuvre
de
Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes de
3823
nnées de l’œuvre de Sade, et les raisons précises
de
sa révolte. C’est dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle de s
3824
ons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes
de
l’amour que Sade nous parle de son admiration pour la poésie de Pétra
3825
st dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle
de
son admiration pour la poésie de Pétrarque. Admiration traditionnelle
3826
Sade nous parle de son admiration pour la poésie
de
Pétrarque. Admiration traditionnelle dans sa famille, depuis le maria
3827
ent l’existence du désir et des corps, la réalité
d’
un « objet ». Sade, qui est un homme du xviiie , connaît trop bien sa
3828
sera la souffrance, et la souffrance est le signe
d’
un rachat. Purification par le mal : péchons jusqu’à détruire les dern
3829
négliger l’objet, détruisons-le par des tortures
d’
où nous tirerons encore quelque plaisir, et cela fait partie de notre
3830
erons encore quelque plaisir, et cela fait partie
de
notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare de Sade. Le meurtre se
3831
de notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare
de
Sade. Le meurtre seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre de ce
3832
re seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre
de
ce qu’on aime, puisque c’est cela qui nous enchaîne. On ne tue bien q
3833
amour, parce que lui seul est souverain. Le crime
d’
amour impur sauvera la pureté. Lisons maintenant avec cette clé la déf
3834
re scrupule les ennemis qui nuisent à ses projets
de
grandeur ? Des lois cruelles, arbitraires, impérieuses, pourront de m
3835
ont de même assassiner chaque siècle des millions
d’
individus, et nous, faibles et malheureux particuliers, nous ne pourro
3836
à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien
de
si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous l
3837
es ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare,
de
si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous le voile du plus
3838
le du plus profond mystère, nous venger amplement
de
cette ineptie ? » (C’est moi qui ai souligné.) Si le marquis de Sade
3839
Sade avait été interrogé sur les mobiles secrets
de
sa morale, il se fût sans nul doute réfugié derrière un verbiage cyni
3840
nts : ils signifient avec exactitude le contraire
de
leur sens littéral161. Cette glorification du sexe est une constante
3841
sexe est une constante et rationnelle profanation
de
la morale profanée du xviiie . C’est la « voie négative » d’un athée
3842
e profanée du xviiie . C’est la « voie négative »
d’
un athée qui désespère d’échapper à ses liens, et qui défie l’amour sp
3843
est la « voie négative » d’un athée qui désespère
d’
échapper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel de se manifester
3844
apper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel
de
se manifester en tuant le criminel162. Car là seulement serait la dél
3845
roubadours… 14. La Nouvelle Héloïse Paysan
de
Genève, Rousseau échappe à l’influence du don-juanisme citadin, mais
3846
et qui n’est autre que le pétrarquisme. Le roman
de
Rousseau à proprement parler n’est pas une renaissance du mythe primi
3847
arler n’est pas une renaissance du mythe primitif
de
Tristan. Il n’a pas la violence sauvage de la légende, et encore moin
3848
imitif de Tristan. Il n’a pas la violence sauvage
de
la légende, et encore moins son arrière-plan ésotérique. Ce qui revit
3849
edia, l’heureuse mélancolie cultivée par l’ermite
de
Vaucluse. Qu’on relise les sommaires analytiques joints par un éditeu
3850
retrouve les situations que prévoyaient les leys
de
cortezia. C’est le Canzoniere mis en prose — et quelque peu embourgeo
3851
(Çà et là une citation, une allusion, témoignent
de
la connaissance que Rousseau avait de Pétrarque, véritable inventeur
3852
témoignent de la connaissance que Rousseau avait
de
Pétrarque, véritable inventeur du sentiment de la nature et du lyrism
3853
it de Pétrarque, véritable inventeur du sentiment
de
la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie a
3854
inventeur du sentiment de la nature et du lyrisme
de
la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique
3855
de la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec
d’
Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique profane. Chez Rousseau
3856
ue profane. Chez Rousseau, elle devient une sorte
de
piétisme raffiné. Ici encore, la décadence est manifeste. L’Héloïse q
3857
’après un renoncement à la passion, et cette mort
de
Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il in
3858
Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre
de
Rousseau. (Il insiste longuement, dans une lettre à son éditeur, sur
3859
re à son éditeur, sur son protestantisme et celui
de
ses héros : mais malgré sa sincérité, l’on ne peut que suspecter un «
3860
ne peut que suspecter un « calvinisme » qui parle
de
l’Être suprême et paraît ignorer le Christ.) Tout cela ne m’empêchera
3861
gnorer le Christ.) Tout cela ne m’empêchera point
de
confesser un goût très vif pour le style de ce roman — seul comparabl
3862
point de confesser un goût très vif pour le style
de
ce roman — seul comparable à l’Astrée sous ce rapport — et une admira
3863
l en attribuant à l’auteur du roman les croyances
de
ses personnages. Si Rousseau fut le premier à décrire ces erreurs, c’
3864
qu’il en souffrit plus que d’autres et avec plus
de
résolution de s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conc
3865
frit plus que d’autres et avec plus de résolution
de
s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conclusions de l’œ
3866
e. Mais on néglige habituellement les conclusions
de
l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et de cer
3867
de l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton,
de
l’émotion et de certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesq
3868
ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et
de
certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesque. Il est visib
3869
ble que Rousseau, pas plus que Pétrarque à la fin
de
sa vie, n’est dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande
3870
plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’est dupe
de
la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie marié
3871
à la fin de sa vie, n’est dupe de la « religion »
d’
amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie mariée (IIIe partie, le
3872
religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre
de
Julie mariée (IIIe partie, lettre XVIII), analysant le passé des ama
3873
ssé des amants : on ne saurait dépister avec plus
de
rigueur, quoique féminine, les confusions intéressées de l’Éros et de
3874
eur, quoique féminine, les confusions intéressées
de
l’Éros et de l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, q
3875
féminine, les confusions intéressées de l’Éros et
de
l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, quand on a une
3876
tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est
de
notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat »
3877
st de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort
d’
attribuer au « climat » de la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xvi
3878
fois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat »
de
la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté d
3879
e, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté
de
contagion contre laquelle les conclusions de l’auteur ne pouvaient ri
3880
ulté de contagion contre laquelle les conclusions
de
l’auteur ne pouvaient rien. Et là, c’est bien le mythe qui reparaît,
3881
je ne t’aime plus ? Quel doute !… » Il s’effraye
de
l’équivoque du soupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte de
3882
oupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte
de
dépit à peine voilé : « J’ai pris pour toi des sentiments plus paisib
3883
les, il est vrai, mais plus affectueux et de plus
de
différentes espèces… Les douceurs de l’amitié tempèrent les emporteme
3884
x et de plus de différentes espèces… Les douceurs
de
l’amitié tempèrent les emportements de l’amour… » Le Tristan qui se r
3885
s douceurs de l’amitié tempèrent les emportements
de
l’amour… » Le Tristan qui se réveille en lui après la « faute » de la
3886
Tristan qui se réveille en lui après la « faute »
de
la possession, se passerait bien de ces douceurs paisibles… Lui aussi
3887
la « faute » de la possession, se passerait bien
de
ces douceurs paisibles… Lui aussi désirait brûler, et non pas rassasi
3888
er les obstacles les plus gratuits, les prétextes
de
séparation, les situations voluptueusement inextricables. D’où l’insi
3889
on, les situations voluptueusement inextricables.
D’
où l’insistance pénible et, dès cette date, quelque peu excessive me s
3890
elque peu excessive me semble-t-il, sur la roture
de
Saint-Preux, laquelle est censée interdire toute possibilité d’union
3891
, laquelle est censée interdire toute possibilité
d’
union légale. D’où encore l’assimilation du préjugé social et des exig
3892
ensée interdire toute possibilité d’union légale.
D’
où encore l’assimilation du préjugé social et des exigences d’une vert
3893
l’assimilation du préjugé social et des exigences
d’
une vertu déclarée religieuse par opportunité. Mais on distingue les m
3894
portunité. Mais on distingue les mobiles inavoués
de
la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi de courtoisie qui impos
3895
de la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi
de
courtoisie qui imposait la chasteté ; ici, c’est la coutume bourgeois
3896
c’est la coutume bourgeoise. Mais sous le couvert
de
l’une et de l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre
3897
tume bourgeoise. Mais sous le couvert de l’une et
de
l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre déjà citée
3898
vertu bourgeoise trop souvent invoquée. Et ainsi
de
suite : il serait aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse,
3899
vent invoquée. Et ainsi de suite : il serait aisé
de
reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse de Tr
3900
ropos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse
de
Tristan, notre dialectique de l’obstacle. Il y a pourtant cette diffé
3901
toute notre exégèse de Tristan, notre dialectique
de
l’obstacle. Il y a pourtant cette différence capitale que Rousseau ab
3902
âme sentimental — et non mystique164 — des amants
de
la Nouvelle Héloïse, que le romantisme va tâcher de rejoindre une mys
3903
la Nouvelle Héloïse, que le romantisme va tâcher
de
rejoindre une mystique primitive qu’il ignore, mais dont il redécouvr
3904
se dégrader, s’humaniser, s’analyser en éléments
de
moins en moins mystérieux ; enfin Racine l’abat, non sans avoir reçu
3905
reuse blessure. Et Don Juan bondit sur la scène :
de
Molière à Mozart, c’est la grande éclipse du mythe. Mais à partir du
3906
a grande éclipse du mythe. Mais à partir du roman
de
Rousseau, qui naît comme en marge du siècle, nous allons parcourir le
3907
min en sens inverse : par Werther, cette réplique
d’
Héloïse mais qui finit beaucoup plus mal — se rapprochant du modèle pr
3908
ean-Paul, à Hölderlin, à Novalis. Dans la panique
de
la Révolution, de la Terreur, des guerres européennes, certains aveux
3909
lin, à Novalis. Dans la panique de la Révolution,
de
la Terreur, des guerres européennes, certains aveux deviennent possib
3910
ouffrances osent enfin dire leur nom. L’adoration
de
la Nuit et de la Mort accède pour la première fois au plan de la cons
3911
nt enfin dire leur nom. L’adoration de la Nuit et
de
la Mort accède pour la première fois au plan de la conscience lyrique
3912
t de la Mort accède pour la première fois au plan
de
la conscience lyrique. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement
3913
e. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement
de
l’Europe par une plus insidieuse tyrannie. Jusqu’au jour où Wagner, d
3914
dire l’indicible, elle a forcé le dernier mystère
de
Tristan. Mon propos n’est point de recenser les innombrables manifest
3915
ernier mystère de Tristan. Mon propos n’est point
de
recenser les innombrables manifestations du mythe dans nos littératur
3916
os littératures, surtout modernes, mais seulement
de
poser des jalons et de réduire certaines contradictions tout apparent
3917
t modernes, mais seulement de poser des jalons et
de
réduire certaines contradictions tout apparentes. On me pardonnera de
3918
contradictions tout apparentes. On me pardonnera
de
ne point multiplier les preuves de l’évidente renaissance du thème co
3919
me pardonnera de ne point multiplier les preuves
de
l’évidente renaissance du thème courtois — donc de l’amour réciproque
3920
e l’évidente renaissance du thème courtois — donc
de
l’amour réciproque malheureux — chez tous les romantiques allemands s
3921
ur nudité même, je sens trop bien qu’ils risquent
de
prendre figure d’arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fa
3922
sens trop bien qu’ils risquent de prendre figure
d’
arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fait de leur trop pa
3923
uent de prendre figure d’arguments, à cet endroit
de
notre voyage, du seul fait de leur trop parfaite convenance à nos déf
3924
ents, à cet endroit de notre voyage, du seul fait
de
leur trop parfaite convenance à nos définitions du mythe…) Lettre de
3925
e convenance à nos définitions du mythe…) Lettre
de
Diotima à Hölderlin : Hier soir, j’ai longuement réfléchi sur la pas
3926
t réfléchi sur la passion. Sans doute, la passion
de
l’amour suprême ne trouve jamais son accomplissement ici-bas ! Compre
3927
’autre et la foi dans la toute-puissante divinité
de
l’Amour qui à jamais nous guidera, invisible, et renforcera sans cess
3928
cera sans cesse notre union166. Journal intime
de
Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m’
3929
time de Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [
de
sa fiancée] la pensée m’est venue que ma mort donnerait à l’humanité
3930
nue que ma mort donnerait à l’humanité un exemple
de
fidélité éternelle, et qu’elle instaurerait, en quelque sorte, la pos
3931
le instaurerait, en quelque sorte, la possibilité
d’
aimer comme je l’ai fait. Lorsqu’on fuit la douleur, c’est qu’on ne ve
3932
gement n’était pas pris pour ce monde… Maximes
de
Novalis : Toutes les passions finissent comme une tragédie, tout ce q
3933
é finit par la mort, toute poésie a quelque chose
de
tragique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage
3934
plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit
de
noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut
3935
vivant, la mort est une nuit de noces, un secret
de
doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut-être à l’amour comm
3936
eu n’a rien à faire avec la Nature, il est le but
de
la Nature, l’élément avec lequel elle doit un jour s’harmoniser. Nous
3937
jour s’harmoniser. Nous sommes des esprits émanés
de
Dieu, des germes divins. Un jour nous deviendrons ce que notre Père e
3938
ptiale ! Et l’on devrait citer toutes les œuvres
de
Tieck, définissant l’amour comme « une maladie du désir, une divine l
3939
du désir, une divine langueur168… » L’exaltation
de
la mort volontaire, amoureuse et divinisante, voilà le thème religieu
3940
nisante, voilà le thème religieux le plus profond
de
cette nouvelle hérésie albigeoise que fut le romantisme allemand. La
3941
d. La mort est le but idéal des « hommes élevés »
de
la Loge invisible de Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Nov
3942
idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible
de
Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Novalis. Elle fut pour K
3943
pour Kleist « le seul accomplissement » possible
d’
une « passion d’amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais
3944
e seul accomplissement » possible d’une « passion
d’
amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais les poètes ne s
3945
ilosophe comme Schubert spécule sur le Nachtseite
de
l’existence. Fichte lui-même donne la définition de l’amour-par-essen
3946
l’existence. Fichte lui-même donne la définition
de
l’amour-par-essence-impossible, le vrai amour qui repousse tout objet
3947
r s’élancer à l’infini. C’est, dit-il, « le désir
de
quelque chose d’entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un
3948
nfini. C’est, dit-il, « le désir de quelque chose
d’
entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un besoin, par un ma
3949
soin, par un malaise, par un vide, à la recherche
de
ce qui le comblerait, mais ignorant d’où cela peut venir… » Hoffmann
3950
recherche de ce qui le comblerait, mais ignorant
d’
où cela peut venir… » Hoffmann ne dit pas autre chose lorsqu’il baptis
3951
claire sans consumer, toute la félicité ineffable
de
la vie supérieure, germée au plus secret de l’âme. L’esprit déploie m
3952
fable de la vie supérieure, germée au plus secret
de
l’âme. L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes de désir, tis
3953
L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes
de
désir, tisse son filet autour de celle qui est apparue, et elle est à
3954
st à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif
de
son aspiration est à jamais insatiable. » C’est toute l’aventure des
3955
elle hérésie passionnelle, la transgression rêvée
de
toutes limites, et le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent
3956
le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent
de
tous côtés et se rassemblent les éléments épars du mythe, que Wagner
3957
our le recréer dans une synthèse définitive. Rien
d’
étonnant si le premier poème inspiré par le souvenir des cathares et d
3958
ier poème inspiré par le souvenir des cathares et
de
leur mystique fut composé par l’un des plus purs romantiques : c’est
3959
s purs romantiques : c’est l’épopée des albigeois
de
Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte de profession de fo
3960
Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte
de
profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et se
3961
y lire ces vers qui sont une sorte de profession
de
foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle
3962
ces vers qui sont une sorte de profession de foi
de
la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle aussi,
3963
ieu ! ce cri puissant retentira Comme un tonnerre
de
joie à travers la nuit de printemps ! 16.Intériorisation du mythe
3964
ntira Comme un tonnerre de joie à travers la nuit
de
printemps ! 16.Intériorisation du mythe Le rythme intime du ro
3965
du romantisme allemand, la diastole et la systole
de
son cœur, c’est l’enthousiasme et la tristesse métaphysique. C’est la
3966
tesse métaphysique. C’est la dialectique abyssale
de
l’hérésie manichéenne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et d
3967
nne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et
de
la nuit en Jour. Le même élan qui portait l’âme vers la lumière et l’
3968
ière et l’unité divine, considéré du point de vue
de
ce monde n’est plus qu’un élan vers la mort, une séparation essentiel
3969
, une séparation essentielle. Tel est le tragique
de
l’Ironie transcendantale, ce mouvement perpétuel du romantisme, cette
3970
ours, l’endiosada des mystiques espagnols, la joy
d’
amor dans son délire dionysiaque. Il en jaillit perpétuellement, au po
3971
. Il en jaillit perpétuellement, au point suprême
de
son élévation, des fantaisies extravagantes. Il y a une gaieté romant
3972
ntique, comme il y a un attendrissement : moments
de
détente, entre deux élancements contradictoires, retours au monde… C’
3973
ontradictoires, retours au monde… C’est ce moment
de
joie bizarre, né de l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romanti
3974
urs au monde… C’est ce moment de joie bizarre, né
de
l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romantisme français. Ici, l
3975
a trop vite au but. La France de la Révolution et
de
l’Empire n’a plus d’énergie disponible pour la spéculation spirituell
3976
a France de la Révolution et de l’Empire n’a plus
d’
énergie disponible pour la spéculation spirituelle : elle n’a point de
3977
pour la spéculation spirituelle : elle n’a point
de
« religion nouvelle », point de philosophes romantiques169, peu ou po
3978
: elle n’a point de « religion nouvelle », point
de
philosophes romantiques169, peu ou point de métaphysique, et peu ou p
3979
point de philosophes romantiques169, peu ou point
de
métaphysique, et peu ou point de fantaisie — cette surabondance de l’
3980
69, peu ou point de métaphysique, et peu ou point
de
fantaisie — cette surabondance de l’esprit exalté par son propre dram
3981
et peu ou point de fantaisie — cette surabondance
de
l’esprit exalté par son propre drame. ⁂ Le romantisme en France n’aur
3982
omantisme en France n’aura guère débordé le champ
de
la psychologie individuelle. Il y gagne une lucidité qui le conduit p
3983
un vrai romantique : L’enthousiasme errant, fils
de
la pâle Nuit. Et la célèbre invocation : « Levez-vous vite, orages dé
3984
désirés qui devez emporter René dans les espaces
d’
une autre vie », c’est le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il
3985
les espaces d’une autre vie », c’est le chant pur
de
la passion de la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizo
3986
une autre vie », c’est le chant pur de la passion
de
la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizon spirituel, n
3987
pur de la passion de la Nuit. Mais il n’est point
d’
aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’amour au s
3988
t point d’aube mystique à l’horizon spirituel, ni
de
véritable joie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jam
3989
tique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie
d’
amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il
3990
spirituel, ni de véritable joie d’amour au sommet
de
ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il se refuse à l’ill
3991
is transcendé, il se refuse à l’illusion dernière
d’
une libération cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse de sa tr
3992
on cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse
de
sa tristesse et de son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé,
3993
ombe, désenchanté, à l’analyse de sa tristesse et
de
son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même t
3994
Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même tenté
de
dire : trop rigoureux… Auprès de lui, Jean-Paul et Novalis feront tou
3995
lui, Jean-Paul et Novalis feront toujours figure
d’
adolescents. Le goût de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur
3996
lis feront toujours figure d’adolescents. Le goût
de
la mort, chez les Allemands, exalte la saveur de vivre : c’est peut-ê
3997
de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur
de
vivre : c’est peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré de la ré
3998
st peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré
de
la réalité de son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux form
3999
u’il est plus « naïf », plus assuré de la réalité
de
son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux formes désirables
4000
les se reprendre sans cesse aux formes désirables
de
la terre, oublier, plaisanter follement, tout ardents de curiosité ;
4001
erre, oublier, plaisanter follement, tout ardents
de
curiosité ; d’une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le rom
4002
plaisanter follement, tout ardents de curiosité ;
d’
une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le romantique françai
4003
70. René s’amuse un jour à effeuiller une branche
de
saule sur un ruisseau, attachant une idée à chaque feuille que le cou
4004
s’intéresse aux accidents qui menacent les débris
de
son rameau… On croit lire un poète allemand, on va retrouver la riche
4005
e et se juge ridicule : « Voilà donc à quel degré
de
puérilité notre superbe raison peut descendre ! » Et c’est la « super
4006
n des hommes attachent leur destinée à des choses
d’
aussi peu de valeur que mes feuilles de saule ». (Le reste de la page,
4007
des choses d’aussi peu de valeur que mes feuilles
de
saule ». (Le reste de la page, admirable, jusqu’aux fameux orages dés
4008
de valeur que mes feuilles de saule ». (Le reste
de
la page, admirable, jusqu’aux fameux orages désirés171.) ⁂ « Pour ces
4009
l’amour ne sera pas longtemps félicité ineffable
de
la vie supérieure » dont parle E. T. A. Hoffmann ; mais plutôt cet am
4010
aciturne et toujours menacé » des plus beaux vers
de
Vigny. Cette absence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes de l
4011
acé » des plus beaux vers de Vigny. Cette absence
d’
intérêt naïf pour les formes quotidiennes de la vie facilitera le déta
4012
sence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes
de
la vie facilitera le détachement de l’esprit, la purification abstrai
4013
quotidiennes de la vie facilitera le détachement
de
l’esprit, la purification abstraite du sentiment. Les êtres et les ch
4014
percés par un regard désabusé, cesseront bientôt
d’
être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieu
4015
d’être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri
de
ses formes extérieures, deviendra ce qu’il est en son principe : une
4016
ené ; il reste encore des désirs et l’on n’a plus
d’
illusions… On habite, avec un cœur plein, un monde vide. » Alors la fe
4017
, un monde vide. » Alors la femme elle-même cesse
d’
être le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Oberm
4018
e elle-même cesse d’être le symbole indispensable
de
la nostalgie passionnée. Dans l’Obermann de Sénancour, l’« obstacle »
4019
Iseut pour elle-même, mais seulement pour l’amour
de
l’Amour dont sa beauté lui offrait une image. Lui pourtant l’ignorait
4020
ame se passe en eux, entre les lois inacceptables
de
la vie terrestre et finie, et le désir d’une transgression de nos lim
4021
ptables de la vie terrestre et finie, et le désir
d’
une transgression de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares son
4022
rrestre et finie, et le désir d’une transgression
de
nos limites, mortelle mais divinisante. Rares sont toutefois les roma
4023
, exacte, et plus proche qu’on ne pourrait croire
de
la mystique négative. La plupart reviendront aux illusions de l’amour
4024
ue négative. La plupart reviendront aux illusions
de
l’amour humain, sans retrouver pourtant la forte naïveté du mythe. Il
4025
ir social, ou la vertu, ou le secret mélancolique
de
l’amant, ou quelque scrupule religieux, enfin le narcissisme avoué… I
4026
rdissent, et que tout élément « sacré » disparaît
de
la vie sociale. 17.Stendhal, ou le fiasco du sublime Homme du x
4027
dhal nous offre un exemple parfait pour l’analyse
de
la profanation du mythe. Voici un homme que le besoin de la passion t
4028
rofanation du mythe. Voici un homme que le besoin
de
la passion tourmente : il a découvert dans son « âme », c’est-à-dire
4029
mer passionnément, ce serait vivre ! Il s’imagine
de
très bonne foi qu’un tel besoin relève de la nature physique. (Et il
4030
imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève
de
la nature physique. (Et il a même là-dessus sa petite explication mat
4031
te du mythe dans son esprit, une habitude héritée
de
la culture, et spécialement de la littérature, puisque mystique et re
4032
e habitude héritée de la culture, et spécialement
de
la littérature, puisque mystique et religion, pour lui, sont mortes.
4033
ligion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé
de
constater que ce désir de passion, et la passion elle-même dans le mo
4034
tes. Mais il est obligé de constater que ce désir
de
passion, et la passion elle-même dans le monde où il vit, sont condam
4035
mnés par la raison et par le scepticisme général.
D’
où le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin : d’où son fameux tr
4036
scepticisme général. D’où le besoin qu’il éprouve
de
justifier ce besoin : d’où son fameux traité De l’Amour. Aux première
4037
le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin :
d’
où son fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes de la préface vo
4038
e de justifier ce besoin : d’où son fameux traité
De
l’Amour. Aux premières lignes de la préface vous le sentez en pleine
4039
on fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes
de
la préface vous le sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite de
4040
e sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite
de
l’amour, ce petit volume n’est point un roman, et surtout n’est pas a
4041
ut uniment une description exacte et scientifique
d’
une sorte de folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie
4042
ne description exacte et scientifique d’une sorte
de
folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie : l’amour-p
4043
assion, l’amour-goût, l’amour physique et l’amour
de
vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie
4044
de vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux
de
l’auteur. La théorie de la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que
4045
eul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie
de
la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que j’appelle cristallisati
4046
que j’appelle cristallisation, c’est l’opération
de
l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’obje
4047
llisation, c’est l’opération de l’esprit qui tire
de
tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles
4048
qui se présente la découverte que l’objet aimé a
de
nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel de Salzburg, lorsqu’o
4049
imé a de nouvelles perfections. » Ainsi aux mines
de
sel de Salzburg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on le
4050
e nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel
de
Salzburg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on le retrou
4051
profonde, on le retrouve trois mois après « garni
d’
une infinité de diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, d
4052
retrouve trois mois après « garni d’une infinité
de
diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, dans cette théor
4053
ement. Et pourquoi cela ? Parce que l’on a besoin
d’
aimer, et qu’on ne peut aimer que la beauté. Disons plus simplement qu
4054
mier172 que cette célèbre théorie revient à faire
de
l’amour passionné une simple erreur. « Non point que la passion se tr
4055
ur… Le cas Stendhal n’est pas douteux : il s’agit
d’
un homme qui n’aimait pas réellement, et qui surtout ne fut pas réelle
4056
voit amené à définir l’amour comme « une maladie
de
l’esprit » — dans la pure tradition antique, sauf qu’il s’affirme heu
4057
e tradition antique, sauf qu’il s’affirme heureux
d’
être malade. Le voici donc dans la situation d’un médecin qui étudie s
4058
ux d’être malade. Le voici donc dans la situation
d’
un médecin qui étudie sur lui-même les progrès et les singularités d’u
4059
udie sur lui-même les progrès et les singularités
d’
un mal qu’il ne croit pas mortel173. Une chose me frappe : sa descript
4060
ne chose me frappe : sa description est admirable
de
vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalem
4061
rappe : sa description est admirable de vivacité,
d’
exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalement pessimist
4062
est admirable de vivacité, d’exactitude, parfois
de
profondeur ; mais elle est totalement pessimiste — puisque aussi bien
4063
alement pessimiste — puisque aussi bien il s’agit
d’
une erreur et dont il se désole d’être tiré. D’où peut provenir ce pes
4064
bien il s’agit d’une erreur et dont il se désole
d’
être tiré. D’où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conce
4065
it d’une erreur et dont il se désole d’être tiré.
D’
où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conception de la v
4066
nir ce pessimisme incompatible avec la conception
de
la vie qu’il s’était faite ? C’est la question qu’il ne se pose jamai
4067
en : « Le plaisir ne produit pas la moitié autant
d’
impression que la douleur, ensuite, outre ce désagrément dans la quant
4068
r, ensuite, outre ce désagrément dans la quantité
d’
émotion, la sympathie est au moins la moitié moins excitée par la pein
4069
excitée par la peinture du bonheur que par celle
de
l’infortune. » Et encore : « Une âme faite pour les passions sent d’a
4070
Un Grec ressuscité ne s’en étonnerait pas moins.
D’
où nous viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne sont-ils pas
4071
ne se pose pas la question, n’étant pas en mesure
de
la résoudre. En matérialiste grossier — c’est la bonne espèce, la plu
4072
rime simplement tout problème, grâce à sa théorie
de
la cristallisation, donc de l’erreur. Ce qui explique la passion, à s
4073
e, grâce à sa théorie de la cristallisation, donc
de
l’erreur. Ce qui explique la passion, à son avis, c’est une erreur fa
4074
ène, dit-il, vient de la nature qui nous commande
d’
avoir du plaisir et qui nous envoie le sang au cerveau. » Voilà donc l
4075
n amour qui, loin de se tromper, est seul capable
de
découvrir dans l’être aimé les qualités réelles qui s’y cachent. De p
4076
i s’y cachent. De plus, n’est-ce point là le type
d’
une solution verbale ? Car dire que la passion est une erreur — elle l
4077
erreur. L’instinct ou la nature n’ont pas coutume
de
se tromper de la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’
4078
inct ou la nature n’ont pas coutume de se tromper
de
la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’esprit. La vér
4079
la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que
de
l’esprit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime d’un phénomène
4080
rit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime
d’
un phénomène spirituel que ses croyances matérialistes ne sont plus en
4081
es croyances matérialistes ne sont plus en mesure
de
justifier. Victime heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher d
4082
heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher
de
pousser plus avant son enquête. Qu’est-ce que ce livre qu’il nous lai
4083
ce que ce livre qu’il nous laisse ? Le témoignage
d’
une inquiétude qu’éprouve l’esprit lucide devant le mythe : non qu’il
4084
en Provence au xiie siècle, et reproduit le code
d’
amour courtois en appendice. (Raynouard et Fauriel venaient de provoqu
4085
t conduite entre les deux sexes sur les principes
de
la justice… » Il finira, bien entendu, par les citer, ces anecdotes.
4086
seule qui remplis toute mon âme, suprême volupté
d’
amour ! » L’homme qui a écrit cela (dans Tristan et Isolde) savait q
4087
l’erreur : qu’elle est une décision fondamentale
de
l’être, un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d
4088
n faveur de la Mort, si la Mort est la libération
d’
un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celle
4089
tion d’un monde ordonné par le mal. Mais l’audace
de
cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur
4090
onné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est
de
celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale mépri
4091
elles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur
d’
une totale méprise, organisée et entretenue par une sorte de consensus
4092
le méprise, organisée et entretenue par une sorte
de
consensus social, d’aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À
4093
et entretenue par une sorte de consensus social,
d’
aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À force de l’entendre
4094
es, voilà qui est significatif au plus haut point
de
la nécessité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense d’une socié
4095
nt de la nécessité sociale des mythes. (Mensonges
d’
autodéfense d’une société qui veut sauver sa forme, tandis que les ind
4096
sité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense
d’
une société qui veut sauver sa forme, tandis que les individus qui la
4097
composent se prêtent obscurément, sous le couvert
d’
un refus, aux passions qui tendent à sa perte.) En composant Tristan,
4098
tabou : il a tout dit, tout avoué par les paroles
de
son livret, et plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit de la
4099
t plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit
de
la dissolution des formes et des êtres, la libération du désir, l’ana
4100
pusculaire, immensément plaintive et bienheureuse
de
l’âme sauvée par la blessure mortelle du corps. Mais le sens maléfiqu
4101
lessure mortelle du corps. Mais le sens maléfique
de
ce message, il fallait le nier pour pouvoir l’accueillir, il fallait
4102
l fallait à tout prix le travestir, l’interpréter
d’
une manière tolérable, c’est-à-dire au nom du bon sens. Du mystère bou
4103
-dire au nom du bon sens. Du mystère bouleversant
de
la Nuit et de la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation
4104
u bon sens. Du mystère bouleversant de la Nuit et
de
la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation » d’un pauvre
4105
ruction des corps, l’on a fait la « sublimation »
d’
un pauvre secret du plein jour : l’attrait des sexes, la loi tout anim
4106
t et complètement ne saurait d’ailleurs témoigner
d’
une vitalité sociale exceptionnelle ; c’est plutôt la frivolité du pub
4107
ourd, et pour tout dire sa faculté exceptionnelle
de
ne pas entendre ce qu’on lui chante, qui ont facilité l’opération. Ai
4108
nde du jour : haine, orgueil, et violence barbare
de
l’honneur féodal, jusqu’au crime. Isolde veut venger l’affront subi.
4109
re à Tristan est destiné à le faire mourir : mais
d’
une mort que l’Amour condamne, d’une mort selon les lois du jour et de
4110
re mourir : mais d’une mort que l’Amour condamne,
d’
une mort selon les lois du jour et de la vengeance, brutale, accidente
4111
ur condamne, d’une mort selon les lois du jour et
de
la vengeance, brutale, accidentelle, privée de sens mystique. Or la M
4112
et de la vengeance, brutale, accidentelle, privée
de
sens mystique. Or la Minne suprême inspire à Brangaine l’erreur qui d
4113
aine l’erreur qui doit sauver l’Amour. Au philtre
de
mort, elle substitue le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte uniqu
4114
r. Au philtre de mort, elle substitue le breuvage
d’
initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et d’Isolde, aussitôt q
4115
le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte unique
de
Tristan et d’Isolde, aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique d
4116
initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et
d’
Isolde, aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique du sacrement ca
4117
rs cœurs. Les initiés pénètrent au monde nocturne
de
l’extase libératrice. Et le jour qui revient avec le cortège royal et
4118
, le jour ne pourra plus les ressaisir : au terme
de
l’épreuve qu’il va leur imposer — c’est la passion — ils ont déjà pre
4119
autre mort, celle qui est le seul accomplissement
de
leur amour. Le deuxième acte est le chant de la passion des âmes pris
4120
ment de leur amour. Le deuxième acte est le chant
de
la passion des âmes prisonnières des formes. Tous les obstacles surmo
4121
surmontés, quand les amants sont seuls enveloppés
de
ténèbres, c’est le désir charnel qui les sépare encore. Ils sont ense
4122
ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et
de
Tristan « et » Isolde qui signifie leur dualité créée. À ce moment la
4123
seule peut exprimer la certitude et la substance
de
cette double nostalgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir d
4124
rtitude et la substance de cette double nostalgie
d’
être un. Car seule elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de
4125
lgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir
d’
harmoniser la plainte de deux voix, et d’en faire une plainte unique o
4126
e elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte
de
deux voix, et d’en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité
4127
pouvoir d’harmoniser la plainte de deux voix, et
d’
en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité d’un indicible au
4128
faire une plainte unique où déjà vibre la réalité
d’
un indicible au-delà d’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du du
4129
e où déjà vibre la réalité d’un indicible au-delà
d’
espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celu
4130
’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo
d’
amour est déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le
4131
urquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celui
de
la mort. Encore une fois revient le jour : le traître Mélot174 blesse
4132
aincu, elle vole au jour son apparente victoire :
de
cette blessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage de la suprêm
4133
lessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage
de
la suprême guérison, celle que chantera Isolde agonisante sur le cada
4134
lle que chantera Isolde agonisante sur le cadavre
de
Tristan, dans l’extase de la « joie la plus haute ». Initiation, pass
4135
onisante sur le cadavre de Tristan, dans l’extase
de
la « joie la plus haute ». Initiation, passion, accomplissement morte
4136
asquée dans les légendes médiévales par une foule
d’
éléments épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme d’art que Wagne
4137
nts épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme
d’
art que Wagner a choisie n’est pas sans recréer des possibilités de «
4138
a choisie n’est pas sans recréer des possibilités
de
« méprise ». Il fallait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui ti
4139
mythe. De même que le péché du premier homme, et
de
chaque homme, introduit dans le monde le temps ; de même que la faute
4140
e la faute des amants légendaires contre les lois
de
l’amour chaste transforme l’hymne des troubadours en un roman175 — ai
4141
Mais le drame ne peut pas tout dire, la religion
de
la passion étant « essentiellement lyrique ». Dès lors la musique seu
4142
lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable
d’
exprimer la dialectique transcendantale, le caractère éperdument contr
4143
ractère éperdument contradictoire, contrapuntique
de
la passion de la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition
4144
ment contradictoire, contrapuntique de la passion
de
la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition même de la mu
4145
ui est l’appel au Jour incréé. La définition même
de
la musique occidentale, c’est l’accord émouvant des contraires ; en t
4146
; en termes de l’art : le contrepoint. Expression
d’
un dualisme douloureux, permanent au niveau de la vie, mais qui s’évan
4147
is qui s’évanouit dans la grâce lumineuse au-delà
de
la mort physique. Or le drame achevé par la musique, c’est l’opéra. A
4148
péra. Ainsi, ce n’est point un hasard si le mythe
de
Tristan et celui de Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevé
4149
t point un hasard si le mythe de Tristan et celui
de
Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevée que dans la forme
4150
ecevoir leur expression achevée que dans la forme
de
l’opéra. Si Mozart et Wagner nous ont donné les chefs-d’œuvre du dram
4151
s chefs-d’œuvre du drame musical, c’est en vertu,
de
l’affinité originelle de ce mode d’expression et des sujets qu’ils su
4152
musical, c’est en vertu, de l’affinité originelle
de
ce mode d’expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique
4153
est en vertu, de l’affinité originelle de ce mode
d’
expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique seule peut
4154
surent choisir. La musique seule peut bien parler
de
la tragédie, dont elle est la mère et la fille. Toutefois, dans le ca
4155
e est la mère et la fille. Toutefois, dans le cas
de
Tristan, l’élément plastique inhérent à toute mise en scène théâtrale
4156
« jour », contredisent fatalement le sens profond
de
l’action. Tant qu’on regarde la scène, on est victime de l’illusion d
4157
tion. Tant qu’on regarde la scène, on est victime
de
l’illusion des formes — et des plus ridicules. Il n’y a là, « visible
4158
ire ! L’orchestre décrit largement les dimensions
d’
une tragédie tout intérieure. La morbidesse bouleversante des mélodies
4159
nière et impure langueur dans l’âme qui se guérit
de
vivre. Seule la lumière douloureuse du troisième acte — l’obsession j
4160
fiévreux — peut traduire à ma vue le sens profond
de
l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel, de trop
4161
e l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a
d’
artificiel, de trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt,
4162
mants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel,
de
trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt, et que déjà l’
4163
puscule vainement exalté. ⁂ Un second lieu commun
de
la critique — d’ailleurs absolument contradictoire avec celui qui fai
4164
absolument contradictoire avec celui qui faisait
de
Tristan la glorification du désir sensuel — c’est le rappel de l’infl
4165
glorification du désir sensuel — c’est le rappel
de
l’influence de Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Ni
4166
du désir sensuel — c’est le rappel de l’influence
de
Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Nietzsche, et Wag
4167
e influence est fortement surestimée. Un créateur
de
la taille de Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait tr
4168
st fortement surestimée. Un créateur de la taille
de
Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait trouvé chez Sch
4169
minations, voilà sans doute ce qu’il faut retenir
de
la rencontre, et ce n’est pas d’un immense intérêt. L’ascèse, la néga
4170
’il faut retenir de la rencontre, et ce n’est pas
d’
un immense intérêt. L’ascèse, la négation du monde créé, l’identificat
4171
cèse, la négation du monde créé, l’identification
de
l’attrait sexuel avec le vouloir-vivre obscurcissant la connaissance,
4172
issance, toute cette mystique que l’on s’empresse
de
qualifier de bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parc
4173
e cette mystique que l’on s’empresse de qualifier
de
bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parce qu’il la po
4174
oles des minnesänger, dans la légende manichéenne
de
Parsival, et par-dessous l’imagerie chrétienne, dans le Saint-Graal,
4175
rre sacrée des Iraniens et des cathares, la coupe
de
Gwyon177, divinité celtique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu
4176
eltique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu
de
la légende, dans sa virulence intégrale, ce n’est point là une thèse
4177
largement déclarée par la musique et les paroles
de
l’opéra. Par l’opéra, le mythe connaît son achèvement. Mais ce « term
4178
es — comme presque tous les termes du vocabulaire
de
l’existence, décrivant l’être en situation d’agir, non les objets. Ac
4179
ire de l’existence, décrivant l’être en situation
d’
agir, non les objets. Achèvement désigne l’expression totale d’un être
4180
es objets. Achèvement désigne l’expression totale
d’
un être, d’un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort.
4181
Achèvement désigne l’expression totale d’un être,
d’
un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le my
4182
igne l’expression totale d’un être, d’un mythe ou
d’
une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le mythe « achevé »
4183
r Wagner a vécu. Vixit Tristan ! Et s’ouvre l’ère
de
ses fantômes. 19.Vulgarisation du mythe Il y eut la voie poétiq
4184
jeunes Parques, des apparences à peine féminines
de
fuites — comme on dit que l’eau fuit d’un bassin : fissures dans le r
4185
féminines de fuites — comme on dit que l’eau fuit
d’
un bassin : fissures dans le réel, fuites de rêves. C’est la tradition
4186
fuit d’un bassin : fissures dans le réel, fuites
de
rêves. C’est la tradition alanguie, intellectualisée, sophistiquée. V
4187
passer les belles autos, et s’indigner des excès
de
vitesse. Le Lys dans la Vallée, Adolphe, Dominique, Madame Bovary, T
4188
ovary, Thérèse Raquin, La Porte étroite, Un amour
de
Swann : étapes françaises de la dissociation psychologique, de la dég
4189
te étroite, Un amour de Swann : étapes françaises
de
la dissociation psychologique, de la dégradation de « l’obstacle » ex
4190
apes françaises de la dissociation psychologique,
de
la dégradation de « l’obstacle » extérieur, et de la reconnaissance l
4191
la dissociation psychologique, de la dégradation
de
« l’obstacle » extérieur, et de la reconnaissance lucide — par là mêm
4192
de la dégradation de « l’obstacle » extérieur, et
de
la reconnaissance lucide — par là même, antiromanesque — de sa nature
4193
nnaissance lucide — par là même, antiromanesque —
de
sa nature purement intime et subjective. (Religieuse dans le cas de G
4194
ent intime et subjective. (Religieuse dans le cas
de
Gide, quasi physique dans celui de Proust.) Parallèlement, il convien
4195
se dans le cas de Gide, quasi physique dans celui
de
Proust.) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe de la Mort d
4196
dans celui de Proust.) Parallèlement, il convient
de
citer le Triomphe de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de
4197
) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe
de
la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karéni
4198
ment, il convient de citer le Triomphe de la Mort
de
d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et pres
4199
t, il convient de citer le Triomphe de la Mort de
d’
Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et presque
4200
de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable
de
Wagner — Anna Karénine, et presque tous les grands romans de l’ère vi
4201
Anna Karénine, et presque tous les grands romans
de
l’ère victorienne, et surtout des Tess d’Urberville et Jude l’Obscur
4202
rtout des Tess d’Urberville et Jude l’Obscur ; et
de
nos jours les romans platonisants d’un Charles Morgan. ⁂ Mais les che
4203
’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants
d’
un Charles Morgan. ⁂ Mais les chefs-d’œuvre, désormais, nous en appren
4204
descente du mythe dans les mœurs, que les romans
de
série, le théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique de notre
4205
théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique
de
notre époque est diffus dans la médiocrité. Le vrai sérieux dès lors,
4206
plique la connaissance, le rejet ou l’acceptation
de
ce qui meut ou émeut les masses, et de l’anonymat des grands courants
4207
cceptation de ce qui meut ou émeut les masses, et
de
l’anonymat des grands courants qui roulent les individus détachés, av
4208
’esprit répugne encore à mesurer. L’envahissement
de
nos littératures, tant bourgeoises que « prolétariennes », par le rom
4209
que « prolétariennes », par le roman, et le roman
d’
amour s’entend, traduit exactement l’envahissement de notre conscience
4210
mour s’entend, traduit exactement l’envahissement
de
notre conscience par le contenu totalement profané du mythe. Celui-ci
4211
ement profané du mythe. Celui-ci cesse d’ailleurs
d’
être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et q
4212
rs d’être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé
de
son cadre sacral, et que le secret mystique qu’il exprimait en le voi
4213
des romantiques devient alors la vague obsession
de
luxe et d’aventures exotiques que les romans d’un Dekobra suffisent à
4214
iques devient alors la vague obsession de luxe et
d’
aventures exotiques que les romans d’un Dekobra suffisent à satisfaire
4215
n de luxe et d’aventures exotiques que les romans
d’
un Dekobra suffisent à satisfaire symboliquement. Que cela n’ait plus
4216
symboliquement. Que cela n’ait plus aucune espèce
de
sens valable, il suffit pour s’en assurer d’imaginer l’impuissance ab
4217
pèce de sens valable, il suffit pour s’en assurer
d’
imaginer l’impuissance absolue où se trouvent les clients de cette lit
4218
l’impuissance absolue où se trouvent les clients
de
cette littérature à concevoir une réalité mystique, une ascèse, un ef
4219
evoir une réalité mystique, une ascèse, un effort
de
l’esprit pour s’affranchir des liens sensuels : or la passion courtoi
4220
ns sensuels : or la passion courtoise n’avait pas
d’
autre but, et son langage n’avait pas d’autre clé. Perdus et oubliés c
4221
avait pas d’autre but, et son langage n’avait pas
d’
autre clé. Perdus et oubliés cette clé et ce but, la passion dont le b
4222
revient nous tourmenter n’est plus qu’une maladie
de
l’instinct, rarement mortelle, régulièrement toxique et déprimante, t
4223
ussi dégradée et dégradante, par rapport au mythe
de
Tristan, que le serait par exemple l’alcoolisme par rapport à l’ivres
4224
taient les mystiques arabes. L’exemple du théâtre
d’
avant-guerre détient une signification plus riche pour notre objet. La
4225
et. La bourgeoisie du Second Empire eut le mérite
de
faire une dernière tentative pour régulariser dans son cadre social l
4226
er dans son cadre social l’influence anarchisante
de
la passion. Car celle-ci survivait à toute mystique, par la grâce équ
4227
ns une certaine jeunesse tout au moins, le besoin
d’
une brûlure nostalgique ; et tout cela composait une sorte de complexe
4228
re nostalgique ; et tout cela composait une sorte
de
complexe que l’on prenait pour la « nature » elle-même, bien qu’il ne
4229
psychologique, voire physiologique. La tentative
de
normalisation bourgeoise de la passion, visant à recréer une expressi
4230
logique. La tentative de normalisation bourgeoise
de
la passion, visant à recréer une expression conventionnelle, donc adm
4231
admissible par l’ordre social — ce fut le théâtre
de
Dumas à Bataille. La fameuse « pièce à trois personnages », modèle de
4232
La fameuse « pièce à trois personnages », modèle
de
presque tous les auteurs dramatiques d’avant-guerre, c’est simplement
4233
», modèle de presque tous les auteurs dramatiques
d’
avant-guerre, c’est simplement l’adaptation du mythe de Tristan à la m
4234
nt-guerre, c’est simplement l’adaptation du mythe
de
Tristan à la mesure d’une société moderne. Le roi Marc est devenu le
4235
ment l’adaptation du mythe de Tristan à la mesure
d’
une société moderne. Le roi Marc est devenu le Cocu ; Tristan, le jeun
4236
Iseut, l’épouse insatisfaite, oisive et lectrice
de
romans. Ici encore, deux morales s’affrontent. Les barons félons de l
4237
ore, deux morales s’affrontent. Les barons félons
de
la légende sont figurés par les tenants de la morale « conformiste ».
4238
félons de la légende sont figurés par les tenants
de
la morale « conformiste ». Ils défendent le mariage bourgeois, l’héri
4239
contraire triomphe régulièrement — fût-ce au prix
d’
un coup de pistolet. C’est la morale du romantisme, des droits impresc
4240
morale du romantisme, des droits imprescriptibles
de
l’amour, et elle implique la supériorité « spirituelle » de la maître
4241
, et elle implique la supériorité « spirituelle »
de
la maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi de la responsabili
4242
a maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi
de
la responsabilité, on lui donne le nom romantique de « fatalité de la
4243
la responsabilité, on lui donne le nom romantique
de
« fatalité de la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas t
4244
ité, on lui donne le nom romantique de « fatalité
de
la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort de l’assim
4245
n ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort
de
l’assimiler à la « littérature » en général, terme de mépris vouant à
4246
’assimiler à la « littérature » en général, terme
de
mépris vouant à une exécration globale les « tendances dissolvantes »
4247
impossibles ». Bientôt, l’on n’essaiera plus même
de
nier la complaisance que réclame de ses propres victimes l’élaboratio
4248
era plus même de nier la complaisance que réclame
de
ses propres victimes l’élaboration du vieux philtre. Elle est minutie
4249
ue dans ses ruses inconscientes, en des centaines
de
pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour de Swann.) Littératu
4250
pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour
de
Swann.) Littérature bourgeoise ai-je dit : ses conclusions régulièrem
4251
ulièrement antibourgeoises font partie intégrante
de
l’ordre social établi. L’instinct de conservation rend en effet cet o
4252
e intégrante de l’ordre social établi. L’instinct
de
conservation rend en effet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui fei
4253
ffet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui feint
de
le renier, mais qui en vit. Le calcul est très simple, et bien entend
4254
n rêveries voluptueuses les tendances subversives
de
l’esprit. La morale du mariage en souffre évidemment, mais cela n’est
4255
ariage en souffre évidemment, mais cela n’est pas
d’
une gravité urgente, puisqu’on sait bien que l’institution matrimonial
4256
qui entraînent une dilapidation du « patrimoine »
de
la famille. (Patrimoine ne signifiant plus que fortune et propriétés.
4257
plus que fortune et propriétés.) ⁂ Cette volonté
de
jouir du mythe mais sans le payer trop cher, on la voit s’exprimer en
4258
riques que le film américain des premières années
de
l’entre-deux-guerres. C’était l’époque du happy end : tout devait abo
4259
tout devait aboutir au long baiser final sur fond
de
roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sa
4260
aboutir au long baiser final sur fond de roses ou
de
tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sans relations
4261
e roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure
de
style n’est pas sans relations avec le mythe au dernier stade de sa d
4262
pas sans relations avec le mythe au dernier stade
de
sa déchéance. Elle exprime à la perfection la synthèse idéale de deux
4263
. Elle exprime à la perfection la synthèse idéale
de
deux désirs contradictoires : désir que rien ne s’arrange et désir qu
4264
ovient précisément du fait qu’il libère le public
de
ses contradictions intimes. En effet : point de roman sans obstacles.
4265
c de ses contradictions intimes. En effet : point
de
roman sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci d’une invrais
4266
sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci
d’
une invraisemblance que le désir de romantisme rend insensible. Ainsi,
4267
nc, sans souci d’une invraisemblance que le désir
de
romantisme rend insensible. Ainsi, pendant une heure ou deux le roman
4268
, dès que cela nous devient clair. Il s’agit donc
de
supprimer l’obstacle à temps, ce qui amène par définition la fin du r
4269
in du roman et du film ; « et ils eurent beaucoup
d’
enfants » signifie qu’il n’y a plus rien à raconter ou bien c’est le b
4270
os plan, bouchant l’écran et refermant la fenêtre
de
l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera de donner à cette fin une
4271
tre de l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera
de
donner à cette fin une atmosphère « poétique » qui dissimule le passa
4272
lus qu’une nostalgie assez vulgaire, idéalisation
de
désirs anodins, d’ailleurs ramenés vers la jouissance des choses, c’e
4273
l’instinct, qu’elle excitait par sa volonté même
de
le nier. L’ambiguïté du langage mystique de l’hérésie devait faire na
4274
même de le nier. L’ambiguïté du langage mystique
de
l’hérésie devait faire naître, dès le xiiie siècle, une rhétorique p
4275
tre, dès le xiiie siècle, une rhétorique profane
de
la passion. Et c’est la diffusion de ce langage par la littérature ro
4276
ique profane de la passion. Et c’est la diffusion
de
ce langage par la littérature romanesque qui aboutit, au cours du der
4277
t des rôles : l’instinct devenant le vrai support
d’
une rhétorique dont les figures lui prêtent désormais un semblant d’id
4278
ont les figures lui prêtent désormais un semblant
d’
idéalité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose de Guillaume de
4279
ité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose
de
Guillaume de Lorris répond la rose de Jean de Meung, comme à la rhéto
4280
e à la rose de Guillaume de Lorris répond la rose
de
Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline de Pétrarque s’oppos
4281
Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline
de
Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle de Boccace, le romantis
4282
de Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle
de
Boccace, le romantisme a provoqué de nos jours une révolte qui se veu
4283
ie sensuelle de Boccace, le romantisme a provoqué
de
nos jours une révolte qui se veut « primitive ». Ce n’est plus le sen
4284
, c’est l’instinct. Je songe à une certaine école
de
romanciers anglo-américains, qui fleurit dans l’entre-deux-guerres, u
4285
nous disaient ces hommes : « Nous en avons assez
de
souffrir pour des idées, des idéaux, des petites hypocrisies idéalisé
4286
lles personne ne sait plus croire. Vous avez fait
de
la femme une espèce de divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos
4287
lus croire. Vous avez fait de la femme une espèce
de
divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos femmes fatales, et vos
4288
et vos femmes adultères, et vos femmes desséchées
de
vertu, nous ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos « d
4289
femmes desséchées de vertu, nous ont gâté la joie
de
vivre. Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme est d’abord u
4290
us ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons
de
vos « divines ». La femme est d’abord une femelle. Nous la ferons se
4291
rit. Et la grande innocence bestiale nous guérira
de
votre goût du péché, cette maladie de l’instinct génésique. Ce que vo
4292
ous guérira de votre goût du péché, cette maladie
de
l’instinct génésique. Ce que vous appelez morale, c’est ce qui nous r
4293
ui est la Vie. Et la vie, c’est l’instinct libéré
de
l’esprit, la grande puissance solaire qui broie et magnifie l’individ
4294
idu fécond, la belle brute déchaînée, etc. » L’un
de
ces prophètes est allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de v
4295
st allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant
de
vitalité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique de la « Vie » a pu
4296
italité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique
de
la « Vie » a pu donner naissance à de belles œuvres littéraires. Mais
4297
le mystique de la « Vie » a pu donner naissance à
de
belles œuvres littéraires. Mais elle porte un nom « politique ». Je l
4298
ve, étrangement identique, aux origines profondes
d’
un mouvement que nous n’avons plus à étudier ni à convaincre. Disons p
4299
xtes économiques ou doctrinaux qui lui ont permis
de
s’emparer du pouvoir). C’est une négation de l’au-delà dont le but n’
4300
rmis de s’emparer du pouvoir). C’est une négation
de
l’au-delà dont le but n’est pas de supprimer les dieux mais de s’empa
4301
t une négation de l’au-delà dont le but n’est pas
de
supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divinisant l
4302
dont le but n’est pas de supprimer les dieux mais
de
s’emparer de leur pouvoir en divinisant l’ici-bas. Perdre sa personna
4303
’est pas de supprimer les dieux mais de s’emparer
de
leur pouvoir en divinisant l’ici-bas. Perdre sa personnalité morale e
4304
lité morale et se retremper dans le flux cosmique
de
l’instinct, c’est l’idéal de nos poètes du primitivisme solaire, mais
4305
ans le flux cosmique de l’instinct, c’est l’idéal
de
nos poètes du primitivisme solaire, mais la pratique de cette croyanc
4306
poètes du primitivisme solaire, mais la pratique
de
cette croyance n’est pas de nature à nous tromper un seul instant : i
4307
ire, mais la pratique de cette croyance n’est pas
de
nature à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « belles » br
4308
ure à nous tromper un seul instant : il n’y a pas
de
« belles » brutes, il y a des brutes. L’idée de beauté, qu’un Lawrenc
4309
s de « belles » brutes, il y a des brutes. L’idée
de
beauté, qu’un Lawrence croit encore consistante, c’est l’héritage d’u
4310
wrence croit encore consistante, c’est l’héritage
d’
une époque en faillite — une dette que plus personne, là-bas, n’est di
4311
là-bas, n’est disposé à reconnaître. On n’a plus
de
comptes à rendre à cet « esprit » platonicien. Il était cause de tout
4312
ndre à cet « esprit » platonicien. Il était cause
de
toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est clair. Ma
4313
était cause de toute la confusion, et il l’a payé
de
sa vie, voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins
4314
» — l’on prétend s’enfoncer dans le flot primitif
de
l’instinct, dans le larvaire, dans le non-fait, dans l’« infait », c’
4315
dans l’infect, l’on croit retrouver l’authentique
de
la vie, et l’on ne fait pourtant que s’abandonner au torrent des déch
4316
pourtant que s’abandonner au torrent des déchets
de
l’ancienne culture et de ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a plu
4317
r au torrent des déchets de l’ancienne culture et
de
ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujourd
4318
désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme
d’
aujourd’hui, d’authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, d
4319
est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujourd’hui,
d’
authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon d
4320
ive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon
de
notre siècle, ce que l’Église appelle péché originel, cela désigne la
4321
dessous de nos morales, ce n’est pas nous libérer
de
leurs interdictions, mais nous livrer à une folie qui répugnerait aux
4322
t pas revenir au réel, mais s’égarer dans la zone
de
terreur et dans les terrains vagues où se sont déversés tous les rebu
4323
rrains vagues où se sont déversés tous les rebuts
d’
une civilisation intoxiquée. L’« authentique » dont le désir nous obsè
4324
pourrons pas le retrouver. Il n’est pas au terme
d’
un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la ch
4325
e retrouver. Il n’est pas au terme d’un mouvement
d’
abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’est p
4326
d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment
de
la chair. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être recréé pa
4327
r à la sobriété. Agir, ce n’est pas s’évader hors
d’
un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce corps gênant. Mais c
4328
conditions qui nous sont faites, dans le conflit
de
l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus e
4329
nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et
de
la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus en détruisant ma
4330
flit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter
de
les surmonter non plus en détruisant mais en mariant les deux puissan
4331
nces antagonistes. Que l’esprit vienne au secours
de
la chair et retrouve en elle son appui, et que la chair se soumette à
4332
tel, Éros vital — l’un appelle l’autre, et chacun
d’
eux n’a pour fin véritable et pour terminaison réelle que l’autre, qu’
4333
ait détruire ! À l’infini, jusqu’à la consomption
de
toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se p
4334
l’infini, jusqu’à la consomption de toute vie et
de
tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se prend pour son di
4335
e prend pour son dieu. Voilà le mouvement dernier
de
la passion, dont l’exaspération s’appelle la guerre. 21.La passion
4336
passion dans tous les domaines Le mythe sacré
de
l’amour courtois, au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale d’o
4337
, au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale
d’
ordonner et de purifier les puissances anarchiques de la passion. Une
4338
cle, avait eu pour fonction sociale d’ordonner et
de
purifier les puissances anarchiques de la passion. Une mystique trans
4339
rdonner et de purifier les puissances anarchiques
de
la passion. Une mystique transcendante orientait secrètement, polaris
4340
ètement, polarisait vers l’au-delà les nostalgies
de
l’humanité souffrante. C’était sans doute une hérésie, mais pacifique
4341
oute une hérésie, mais pacifique, et par certains
de
ses aspects, très favorable à l’équilibre civilisateur. Cependant, du
4342
du seul fait qu’elle s’opposait à la propagation
de
l’espèce et à la guerre, la société devait la persécuter. Ce fut Rome
4343
ée, l’hérésie ne devait pas tarder à se dénaturer
de
mille manières. Les confusions qu’elle favorisait malgré elle, cette
4344
’elle favorisait malgré elle, cette glorification
de
l’amour humain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’une am
4345
lorification de l’amour humain qui était l’envers
de
sa doctrine, ce langage d’une ambiguïté à la fois essentielle et oppo
4346
ain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage
d’
une ambiguïté à la fois essentielle et opportune, qui permettait tous
4347
bus, c’est cela qui allait échapper aux tribunaux
de
l’Inquisition, puis envahir la conscience européenne, même orthodoxe,
4348
ence européenne, même orthodoxe, et par une sorte
d’
ironie, donner sa rhétorique passionnelle au mysticisme des plus grand
4349
squ’il n’avait pu se traduire que dans les termes
de
l’amour humain, bien qu’entendus au sens mystique. Ce sens évanoui, r
4350
plus en plus mystérieux, apte à séduire le besoin
d’
idéal qu’avait laissé dans la conscience une connaissance mystique rép
4351
tique réprouvée, puis perdue. Telle fut la chance
de
la littérature en Occident ; et cela seul peut expliquer l’empire, un
4352
r les masses. Toutefois, le classicisme s’efforça
d’
imposer tout au moins une forme d’art à ces puissances obscures privée
4353
cisme s’efforça d’imposer tout au moins une forme
d’
art à ces puissances obscures privées de leur forme sacrée. C’est à ce
4354
une forme d’art à ces puissances obscures privées
de
leur forme sacrée. C’est à ces vestiges de rites que s’attaqua le rom
4355
rivées de leur forme sacrée. C’est à ces vestiges
de
rites que s’attaqua le romantisme. D’où la violente exaltation dès la
4356
es vestiges de rites que s’attaqua le romantisme.
D’
où la violente exaltation dès la fin du xviiie siècle, de tout ce qu’
4357
violente exaltation dès la fin du xviiie siècle,
de
tout ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel de Tristan, puis
4358
ut ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel
de
Tristan, puis ses substituts littéraires. Le xixe siècle bourgeois v
4359
répandre dans la conscience profane l’« instinct
de
mort » longtemps refoulé dans l’inconscient ou canalisé dès sa source
4360
ce par un art aristocratique. Et quand les cadres
de
la société vinrent à craquer — sous l’effet de poussées d’un tout aut
4361
es de la société vinrent à craquer — sous l’effet
de
poussées d’un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inond
4362
iété vinrent à craquer — sous l’effet de poussées
d’
un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inonda notre vie
4363
s plus ce que signifiait cette diffuse exaltation
de
l’amour. Nous la prenions pour un printemps de l’instinct et pour une
4364
on de l’amour. Nous la prenions pour un printemps
de
l’instinct et pour une renaissance des forces dionysiaques persécutée
4365
sme. Toute la littérature moderne entonna l’hymne
de
la « libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton de désespoir ? Co
4366
oderne entonna l’hymne de la « libération ». Mais
d’
où lui vient alors ce ton de désespoir ? Comment se fait-il que le rom
4367
« libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton
de
désespoir ? Comment se fait-il que le roman qui triompha pendant tren
4368
qui triompha pendant trente ans, au xxe siècle,
de
toutes les autres formes littéraires, aboutisse à cette analyse maréc
4369
ittéraires, aboutisse à cette analyse marécageuse
de
nos doutes et de notre vide ? Que signifie cette libération qui nous
4370
isse à cette analyse marécageuse de nos doutes et
de
notre vide ? Que signifie cette libération qui nous laisse tellement
4371
virulence provisoire qu’en se mettant au service
de
mystiques partisanes ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle
4372
s ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle
de
nos mœurs n’autorise pas cette conclusion. Car la crise actuelle du m
4373
nt que l’on voudra, mais tout de même le triomphe
d’
une passion profanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine de la
4374
fanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine
de
la sexualité proprement dite, le contenu du mythe et ses fantômes env
4375
iques ». C’est que nous sommes devenus incapables
de
faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de distinguer leur natur
4376
ommes devenus incapables de faire la part du feu,
d’
ordonner nos désirs, de distinguer leur nature et leur fin, d’imposer
4377
s de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs,
de
distinguer leur nature et leur fin, d’imposer une mesure à leurs diva
4378
os désirs, de distinguer leur nature et leur fin,
d’
imposer une mesure à leurs divagations — de les exprimer en figures. L
4379
r fin, d’imposer une mesure à leurs divagations —
de
les exprimer en figures. Les dernières formes de l’amour ont été bala
4380
de les exprimer en figures. Les dernières formes
de
l’amour ont été balayées par la guerre. Et j’insisterai sur cet exemp
4381
sur cet exemple symbolique : nous ne faisons plus
de
« déclarations d’amour » dans le même temps que nous admettons la gue
4382
mbolique : nous ne faisons plus de « déclarations
d’
amour » dans le même temps que nous admettons la guerre sans « déclara
4383
sa conversion en rhétorique, puis la dissolution
de
cette rhétorique et la totale vulgarisation de son contenu, l’on peut
4384
on de cette rhétorique et la totale vulgarisation
de
son contenu, l’on peut en suivre les étapes dans un domaine en appare
4385
x que nous venons de parcourir : dans l’évolution
de
la guerre et de ses méthodes en Occident. 135. Je rappelle que j’e
4386
s de parcourir : dans l’évolution de la guerre et
de
ses méthodes en Occident. 135. Je rappelle que j’emploie toujours
4387
elle que j’emploie toujours ce mot au double sens
de
sacrilège et de laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas rec
4388
ie toujours ce mot au double sens de sacrilège et
de
laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas recourir à « profan
4389
isté, et Dante l’a certainement aimée. C’est donc
d’
une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse de ce qui se passe chez
4390
c d’une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse
de
ce qui se passe chez de nombreux troubadours. Béatrice deviendra succ
4391
l s’agit ici, à l’inverse de ce qui se passe chez
de
nombreux troubadours. Béatrice deviendra successivement la Philosophi
4392
. Sainte Thérèse : « Ces grâces sont accompagnées
d’
un entier détachement des créatures, quant à l’esprit… On se sent alor
4393
n se sent alors beaucoup plus étranger aux choses
de
la terre » et passim ! 141. Il connaissait le roman et le cite plus
4394
cite plusieurs fois. Par exemple dans le Triomphe
de
l’amour : « Voici ceux qui remplissent de rêverie des livres — Trista
4395
riomphe de l’amour : « Voici ceux qui remplissent
de
rêverie des livres — Tristan et Lancelot et les autres errants — auxq
4396
supplice, elle voudrait y passer ce qui lui reste
de
vie. » 144. Saint Jean de la Croix : « Ô brûlure suave ! » et tout l
4397
ix : « Ô brûlure suave ! » et tout le commentaire
de
ce vers dans la Vive flamme d’amour (II, 1). 145. Sainte Thérèse : «
4398
out le commentaire de ce vers dans la Vive flamme
d’
amour (II, 1). 145. Sainte Thérèse : « De ce désir qui en un instant
4399
flamme d’amour (II, 1). 145. Sainte Thérèse : «
De
ce désir qui en un instant pénètre l’âme entière naît une douleur qui
4400
ière naît une douleur qui la transporte au-dessus
d’
elle-même et de tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette sol
4401
ouleur qui la transporte au-dessus d’elle-même et
de
tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette solitude. Qu’on lu
4402
Sainte Thérèse : « Quelle souveraineté que celle
d’
une âme qui portée à cette hauteur par Dieu lui-même, considère toutes
4403
u xiiie siècle. 149. Voir la Croisade du Graal,
d’
Otto Rahn, pour l’idée ou l’intuition, et Tristan de Gottfried Weber,
4404
d Weber, pour la démonstration dans le cas précis
de
Gottfried de Strasbourg. 150. Nous avons déjà relevé l’influence de
4405
asbourg. 150. Nous avons déjà relevé l’influence
de
cette littérature sur sainte Thérèse et les mystiques espagnols en gé
4406
ystiques espagnols en général. 151. La Tragédie
de
Roméo et Juliette, traduction P.-J. Jouve et G. Pitoëff. 152. Floris
4407
à Samson Agonistes.) 153. Charles Sorel, auteur
de
Francion, avait écrit l’Anti-Roman ou le Berger extravagant, reprenan
4408
éaliste », toutes les situations conventionnelles
de
l’Astrée. De même Scarron, etc. 154. « Titus, qui aimait passionnéme
4409
et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis
de
l’épouser, la renvoya de Rome malgré lui et malgré elle, dès les prem
4410
royait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya
de
Rome malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire.
4411
malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours
de
son empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface de Bérénice.) 15
4412
n empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface
de
Bérénice.) 155. Hippolyte parlant d’Aricie, acte Ier, scène 1re : «
4413
ne, préface de Bérénice.) 155. Hippolyte parlant
d’
Aricie, acte Ier, scène 1re : « Dois-je épouser ses droits contre un p
4414
nnais donc Phèdre et toute sa fureur… » et l’aveu
de
Thésée, au cinquième acte. 157. Nouvelle vérification de ce que nous
4415
e, au cinquième acte. 157. Nouvelle vérification
de
ce que nous disions à propos d’Eckhart : la mystique unitive ignore l
4416
Doctrine fabuleuse, publié en 1947. 159. Celui
de
Mozart plutôt que celui de Molière, beaucoup moins significatif à mon
4417
é en 1947. 159. Celui de Mozart plutôt que celui
de
Molière, beaucoup moins significatif à mon avis, et qui d’ailleurs n’
4418
bé de Sade, propre oncle du marquis, est l’auteur
d’
un ouvrage intitulé : Remarques sur les premiers poètes français et le
4419
s premiers poètes français et les troubadours, et
de
trois volumes (anonymes) de Mémoires sur Pétrarque. 161. « On a de S
4420
t les troubadours, et de trois volumes (anonymes)
de
Mémoires sur Pétrarque. 161. « On a de Sade : Juliette ou les malheu
4421
anonymes) de Mémoires sur Pétrarque. 161. « On a
de
Sade : Juliette ou les malheurs de la vertu (1791), puis Justine ou l
4422
. 161. « On a de Sade : Juliette ou les malheurs
de
la vertu (1791), puis Justine ou les prospérités du vice. C’est le co
4423
ctement (donc en psychanalyse, le contraire aussi
de
ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fort
4424
yse, le contraire aussi de ce contraire, et ainsi
de
suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A.
4425
i de ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes
de
l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.)
4426
de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune
de
Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.) 162. Voir Appendice 11. 1
4427
Appendice 11. 163. Rappelons que l’amour fameux
d’
Abélard et Héloïse est le premier exemple historique de la passion don
4428
lard et Héloïse est le premier exemple historique
de
la passion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre d’Héloïse co
4429
ion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre
d’
Héloïse composé (par elle-même ?) en vers latins (cité par Rémusat : A
4430
: Abélard, t. I). L’amante supplie : Soulage-moi
de
ma croix, Conduis vers la lumière Mon âme délivrée ! Et le chœur des
4431
œur des religieuses reprend : Qu’ils se reposent
de
leur labeur Et de leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des
4432
s reprend : Qu’ils se reposent de leur labeur Et
de
leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des habitants des cie
4433
hérétique, se rapproche sur des points essentiels
de
la doctrine spiritualiste des cathares. Et dans ses Lamentations, il
4434
il laisse échapper le grand cri du romantisme et
de
Tristan : « Amoris impulsio, culpæ justificatio. » 164. Est-ce la f
4435
eau ? Ou plutôt au symbolisme ? Beaucoup de dames
d’
aujourd’hui croient que « mystique » signifie sentimental. Vitraux, pé
4436
tal. Vitraux, pénombre bleue, arpèges, somnolence
de
l’esprit, rêverie des sens… 165. W. Schlegel commença en 1808 une ré
4437
chlegel commença en 1808 une rédaction modernisée
de
Tristan. Puis Rückert, Immermann, Platen, bien d’autres, esquissèrent
4438
issèrent des Tristan (poèmes et drames). Le poème
de
Platen débute ainsi : « Celui dont les yeux ont une fois contemplé la
4439
re Saisons, devait représenter les quatre saisons
de
l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité de l’univers ; le j
4440
l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité
de
l’univers ; le jour, forme illimitée de la créature ; le soir, négati
4441
illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée
de
la créature ; le soir, négation illimitée de l’existence à l’origine
4442
itée de la créature ; le soir, négation illimitée
de
l’existence à l’origine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée
4443
ir, négation illimitée de l’existence à l’origine
de
l’univers ; la nuit, profondeur illimitée de la connaissance de Dieu,
4444
gine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée
de
la connaissance de Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, les Ro
4445
la nuit, profondeur illimitée de la connaissance
de
Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, les Romantiques allemands
4446
dre un siècle pour en voir un : Bergson, disciple
de
Schelling. 170. Voir le Journal de Novalis, et le portrait qu’il don
4447
son, disciple de Schelling. 170. Voir le Journal
de
Novalis, et le portrait qu’il donne de sa fiancée perdue, Sophie von
4448
le Journal de Novalis, et le portrait qu’il donne
de
sa fiancée perdue, Sophie von Kühn, morte à 16 ans. Il note « ses pla
4449
s du vin ». Le Français hausse les épaules devant
de
tels enfantillages. 171. On lit dans le Cantique des Cantiques : « L
4450
s en scène s’obstinent à conserver (la décoration
de
la tente au premier acte, le lierre peint sur les murailles du burg a
4451
ques, et non pas cette interminable gesticulation
de
Tristan essoufflé sur sa couche, d’Isolde entravée par ses voiles… No
4452
gesticulation de Tristan essoufflé sur sa couche,
d’
Isolde entravée par ses voiles… Note de 1954 : la mise en scène nouvel
4453
sa couche, d’Isolde entravée par ses voiles… Note
de
1954 : la mise en scène nouvelle de Tristan à Bayreuth, œuvre de Wiel
4454
voiles… Note de 1954 : la mise en scène nouvelle
de
Tristan à Bayreuth, œuvre de Wieland Wagner, comble les vœux que j’ex
4455
se en scène nouvelle de Tristan à Bayreuth, œuvre
de
Wieland Wagner, comble les vœux que j’exprimais dans la première édit
4456
les vœux que j’exprimais dans la première édition
de
ce livre ; elle permet d’assister les yeux ouverts au deuxième acte.
4457
ans la première édition de ce livre ; elle permet
d’
assister les yeux ouverts au deuxième acte. 177. Guyon (d’où guyon :
4458
les yeux ouverts au deuxième acte. 177. Guyon (
d’
où guyon : guide, en vieux français) c’est le Führer qui détient les s
4459
français) c’est le Führer qui détient les secrets
d’
initiation à la voix divinisante. 178. Héritage, dot, « situation » d
4460
tage, dot, « situation » des conjoints, relations
d’
affaires, etc. 179. Scène d’un roman de Caldwell intitulé la Route au
4461
conjoints, relations d’affaires, etc. 179. Scène
d’
un roman de Caldwell intitulé la Route au tabac. 180. On connaît la p
4462
relations d’affaires, etc. 179. Scène d’un roman
de
Caldwell intitulé la Route au tabac. 180. On connaît la phrase d’un
4463
ulé la Route au tabac. 180. On connaît la phrase
d’
un officier hitlérien : « Chaque fois que j’entends prononcer le mot G
4464
ommes tributaires — inconsciemment bien entendu —
d’
un ensemble de mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé
4465
res — inconsciemment bien entendu — d’un ensemble
de
mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles.
4466
ciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et
de
coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles. Or passion s
4467
les. Or passion signifie souffrance. Notre notion
de
l’amour, enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc
4468
tion de l’amour, enveloppant celle que nous avons
de
la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde q
4469
ons de la femme, se trouve donc liée à une notion
de
la souffrance féconde qui flatte ou légitime obscurément, au plus sec
4470
ui flatte ou légitime obscurément, au plus secret
de
la conscience occidentale, le goût de la guerre. Cette liaison singul
4471
plus secret de la conscience occidentale, le goût
de
la guerre. Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme e
4472
e, le goût de la guerre. Cette liaison singulière
d’
une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerr
4473
rre. Cette liaison singulière d’une certaine idée
de
la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entr
4474
son singulière d’une certaine idée de la femme et
d’
une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne de profond
4475
ine idée de la femme et d’une idée correspondante
de
la guerre, en Occident, entraîne de profondes conséquences pour la mo
4476
orrespondante de la guerre, en Occident, entraîne
de
profondes conséquences pour la morale, l’éducation, la politique. Un
4477
n, la politique. Un fort gros livre ne serait pas
de
trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit
4478
rit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté
de
la tâche. Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséde
4479
Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait
de
posséder à fond la matière rapidement explorée dans les pages qui pré
4480
ntreprises depuis le xixe siècle sur la question
de
l’« instinct combatif » dans ses relations avec l’instinct sexuel181.
4481
ns ses relations avec l’instinct sexuel181. Faute
de
quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et su
4482
quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre
de
questions, et surtout à le situer dans la logique du mythe, qui est m
4483
ins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple
de
recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerr
4484
s nécessaire par exemple de recourir aux théories
de
Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fond
4485
x théories de Freud pour constater que l’instinct
de
guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés : les figures courant
4486
gures courantes du langage le font voir avec plus
d’
évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeante
4487
le font voir avec plus d’évidence. Laissant donc
de
côté les hypothèses multiples et changeantes relatives à la genèse de
4488
à quelques rapprochements formels entre les arts
d’
aimer et de guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos ét
4489
rapprochements formels entre les arts d’aimer et
de
guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplem
4490
le jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement
de
marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de
4491
lélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution
de
la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’a
4492
’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs
de
la priorité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour
4493
a guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité
de
l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiqu
4494
ns préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou
de
l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiquité, les poè
4495
ité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier
de
l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrièr
4496
de l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé
de
métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le
4497
de métaphores guerrières pour décrire les effets
de
l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèche
4498
ur décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu
d’
amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se ren
4499
ert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu
de
la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus an
4500
il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre
de
Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans
4501
. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession
d’
une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous possédions, le Thé
4502
’Héliodore (iiie siècle) parle déjà des « luttes
d’
amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les
4503
iie siècle) parle déjà des « luttes d’amour » et
de
la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévit
4504
luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite »
de
celui « qui tombe sous les traits inévitables d’Éros ». Plutarque fai
4505
de celui « qui tombe sous les traits inévitables
d’
Éros ». Plutarque fait voir que la morale sexuelle des Spartiates s’or
4506
des Spartiates s’ordonnait au rendement militaire
de
ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant l
4507
au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme
de
Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant les relations des époux, n’
4508
inutieuses réglant les relations des époux, n’ont
d’
autre but que d’augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirm
4509
nt les relations des époux, n’ont d’autre but que
d’
augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirme la liaison nat
4510
la liaison naturelle, c’est-à-dire physiologique,
de
l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de c
4511
est-à-dire physiologique, de l’instinct sexuel et
de
l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblance
4512
el et de l’instinct combatif. Mais il serait vain
de
chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et leur conc
4513
entre la tactique des Anciens et leur conception
de
l’amour. Les deux domaines restent soumis à des lois tout à fait dist
4514
mis à des lois tout à fait distinctes, et privées
de
commune mesure. Il n’en va plus de même dans notre histoire à partir
4515
les. On voit alors le langage amoureux s’enrichir
de
tournures qui ne désignent plus seulement les gestes élémentaires du
4516
lémentaires du guerrier, mais qui sont empruntées
d’
une façon très précise à l’art des batailles, à la tactique militaire
4517
se à l’art des batailles, à la tactique militaire
de
l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’une origine commune plus ou
4518
itaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais,
d’
une origine commune plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’u
4519
ne plus ou moins obscurément ressentie, mais bien
d’
un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre
4520
’un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège
de
sa Dame. Il livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près,
4521
lisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre
d’
amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il c
4522
livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre
de
près, il la poursuit, il cherche à vaincre les dernières défenses de
4523
suit, il cherche à vaincre les dernières défenses
de
sa pudeur, et à les tourner par surprise ; enfin la dame se rend à me
4524
is alors, par une curieuse inversion bien typique
de
la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps qu
4525
e temps que son vainqueur. Il deviendra le vassal
de
cette suzeraine, selon la règle des guerres féodales, tout comme si c
4526
ite182. Il ne lui reste plus qu’à faire la preuve
de
sa vaillance, etc. Tout ceci pour le beau langage. Mais l’argot solda
4527
oldatesque et civil nous fournirait une profusion
d’
exemples d’une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’intr
4528
et civil nous fournirait une profusion d’exemples
d’
une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’introduction de
4529
introduction des armes à feu devait donner lieu à
d’
innombrables plaisanteries à double sens. Ce parallélisme d’ailleurs e
4530
amment exploité par les écrivains. C’est un thème
de
rhétorique inépuisable, « Ô ! trop heureux capitaine, écrit Brantôme1
4531
écrit Brantôme183, qui avez combattu et tué tant
d’
hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop h
4532
3, qui avez combattu et tué tant d’hommes ennemis
de
Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop heureux encore une
4533
vez combattu et vaincu à tant d’autres assauts et
de
reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit ! » Il ne
4534
de reprises une si belle Dame entre les pavillons
de
votre lit ! » Il ne faudra pas s’étonner si les auteurs mystiques rep
4535
on le processus décrit plus haut, dans le domaine
de
l’amour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérès
4536
mour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres
de
sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son
4537
l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus
de
rhétorique courtoise) écrit dans son Ley de Amor : « Ne pense pas que
4538
ns son Ley de Amor : « Ne pense pas que le combat
de
l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’u
4539
me les autres batailles où la fureur et le fracas
d’
une guerre épouvantable sévit des deux côtés, car l’amour ne combat qu
4540
bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre
de
grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise de
4541
é. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise
de
possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l
4542
de possession est un embrassement. Sa tuerie est
de
donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a vu que la rhétorique courtoise tr
4543
urtoise traduit, à l’origine, la lutte du Jour et
de
la Nuit. La mort y joue un rôle central : elle est la défaite du mond
4544
ral : elle est la défaite du monde et la victoire
de
la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l
4545
, ni cette complicité physiologique des instincts
de
combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des
4546
mplicité physiologique des instincts de combat et
de
procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des expressions
4547
pressions guerrières dans la littérature érotique
d’
Occident. Ce qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge d’une r
4548
qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge
d’
une règle effectivement commune à l’art d’aimer et à l’art militaire,
4549
yen Âge d’une règle effectivement commune à l’art
d’
aimer et à l’art militaire, et qui s’appelle la chevalerie. 3.La ch
4550
s’appelle la chevalerie. 3.La chevalerie, loi
de
l’amour et de la guerre « Donner un style à l’amour », telle est,
4551
chevalerie. 3.La chevalerie, loi de l’amour et
de
la guerre « Donner un style à l’amour », telle est, selon J. Huizi
4552
elle est, selon J. Huizinga, l’aspiration suprême
de
la société médiévale dans l’ordre éthique. « C’est une nécessité soci
4553
éthique. « C’est une nécessité sociale, un besoin
d’
autant plus impérieux que les mœurs sont plus féroces. Il faut élever
4554
plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur
d’
un rite, la violence débordante de la passion l’exige. À moins que les
4555
ur à la hauteur d’un rite, la violence débordante
de
la passion l’exige. À moins que les émotions ne se laissent encadrer
4556
les, c’est la barbarie. L’Église avait pour tâche
de
réprimer la brutalité et la licence du peuple, mais elle n’y suffisai
4557
sait pas. L’aristocratie, en dehors des préceptes
de
la religion, avait sa culture à elle, à savoir la courtoisie, et elle
4558
avoir la courtoisie, et elle y puisait les normes
de
sa conduite184. » (Nous savons en effet que la courtoisie non seuleme
4559
éviser bien des jugements sur l’unité spirituelle
de
la société médiévale !) Or s’il est vrai que cette morale courtoise n
4560
mœurs privées des hautes classes, qui demeuraient
d’
« une rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal cré
4561
rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle
d’
un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérat
4562
du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal créateur
de
belles apparences. Elle triompha dans la littérature. Et par ailleurs
4563
ser à la réalité la plus violente du temps, celle
de
la guerre. Exemple unique d’un ars amandi, qui donne naissance à un a
4564
ente du temps, celle de la guerre. Exemple unique
d’
un ars amandi, qui donne naissance à un ars bellandi. Ce n’est pas seu
4565
Ce n’est pas seulement dans le détail des règles
de
combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresqu
4566
de combat individuel que se fait sentir l’action
de
l’idéal chevaleresque, mais dans la conduite même des batailles, et j
4567
malisme militaire revêt à cette époque une valeur
d’
absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter
4568
’on se laisse tuer pour respecter des conventions
d’
une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Étoile
4569
d’une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers
de
l’ordre de l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamai
4570
illeuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre
de
l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamais de plus d
4571
e dans le combat ils ne reculeront jamais de plus
de
quatre arpents ; sinon ils devront mourir ou se rendre. Et cette règl
4572
on en croit Froissart, coûta la vie, dès le début
de
l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessit
4573
rt, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus
de
quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités de la stratégie
4574
tre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités
de
la stratégie sont sacrifiées à celles de l’esthétique ou de l’honneur
4575
cessités de la stratégie sont sacrifiées à celles
de
l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterr
4576
tégie sont sacrifiées à celles de l’esthétique ou
de
l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterre va à la rencontre
4577
va à la rencontre des Français avant la bataille
d’
Azincourt. Par erreur, le soir, il dépasse le village que les fourrage
4578
« comme celuy qui gardoit le plus les cérémonies
d’
honneur très loable » vient justement d’ordonner que les chevaliers en
4579
érémonies d’honneur très loable » vient justement
d’
ordonner que les chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’a
4580
chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte
d’
armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtement
4581
d’armes afin de ne pas être, en revenant, obligés
de
reculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’arme
4582
eculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu
de
sa cotte d’armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la n
4583
tements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte
d’
armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la nuit dans l’e
4584
mément à ce nouveau plan. » Les exemples abondent
de
carnages inutiles provoqués par des vœux d’une folle outrecuidance et
4585
ndent de carnages inutiles provoqués par des vœux
d’
une folle outrecuidance et que l’on tente d’accomplir au plus grand de
4586
vœux d’une folle outrecuidance et que l’on tente
d’
accomplir au plus grand des périls possibles. C’est bien le péril qu’o
4587
es engagements. La casuistique courtoise en offre
d’
excellents. Cette casuistique « ne régit pas seulement la morale et le
4588
nte sur le droit des gens à sa naissance. « Droit
de
butin, droit d’attaque — fidélité à la parole donnée sont régis par d
4589
des gens à sa naissance. « Droit de butin, droit
d’
attaque — fidélité à la parole donnée sont régis par des règles sembla
4590
tournoi et la chasse185 ». L’Arbre des Batailles
d’
Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discu
4591
tailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit
de
guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques
4592
guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups
de
textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce
4593
iscutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et
d’
articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd
4594
le-mêle à coups de textes bibliques et d’articles
de
droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mê
4595
es et d’articles de droit canonique des questions
de
ce genre : « Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on
4596
d dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu
de
la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Va
4597
untée, est-on tenu de la rendre ? — Est-il permis
de
livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se battre après les
4598
ndre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour
de
fête ? — Vaut-il mieux se battre après les repas ou à jeun ? — Dans q
4599
pas ou à jeun ? — Dans quels cas peut-on s’évader
de
captivité ? » Dans un autre ouvrage, on voit deux capitaines se dispu
4600
iverselle basée sur l’union des rois, la conquête
de
Jérusalem et l’expulsion des Turcs. Idées chimériques mais dont l’emp
4601
. Idées chimériques mais dont l’empire ne cessera
de
s’exercer sur les princes jusqu’au xve siècle, en dépit des transfor
4602
usqu’au xve siècle, en dépit des transformations
de
tous ordres survenues entre-temps en Europe, et à l’encontre des inté
4603
i que se marque le mieux le caractère particulier
de
l’idéal courtois, radicalement contradictoire avec la « dure réalité
4604
icalement contradictoire avec la « dure réalité »
de
l’époque : il représente un pôle d’attraction pour les aspirations sp
4605
ure réalité » de l’époque : il représente un pôle
d’
attraction pour les aspirations spirituelles brimées. C’est une forme
4606
aspirations spirituelles brimées. C’est une forme
d’
évasion romantique, en même temps qu’un frein aux instincts. Le formal
4607
u’un frein aux instincts. Le formalisme minutieux
de
la guerre s’oppose aux violences du sang féodal comme le culte de la
4608
ppose aux violences du sang féodal comme le culte
de
la chasteté, chez les troubadours, s’oppose à l’exaltation érotique d
4609
nsi dire l’une à côté de l’autre deux conceptions
de
la vie : la conception pieuse, ascétique, attire à elle tous les sent
4610
iable, se venge terriblement. Que l’un ou l’autre
de
ces penchants prédomine, nous avons le saint ou le pécheur ; mais en
4611
néral, ils se tiennent en équilibre instable avec
d’
énormes écarts de la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte
4612
nnent en équilibre instable avec d’énormes écarts
de
la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte Il est pourta
4613
parfaite des instincts érotiques et guerriers et
de
la règle courtoise idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de
4614
e idéale : c’est le terrain nettement circonscrit
de
la lice où se jouent les tournois. Là, les fureurs du sang se donnent
4615
mais sous l’égide et dans les cadres symboliques
d’
une cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction myth
4616
ne cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif
de
la fonction mythique du Tristan telle que nous la définissions : expr
4617
nt, de manière à la rendre acceptable au jugement
de
la société. Le tournoi « joue » le mythe, physiquement : — « Les tran
4618
oue » le mythe, physiquement : — « Les transports
de
l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous form
4619
amatique et le sport. Celui-ci est, au Moyen Âge,
de
beaucoup le plus important. Le drame ne traitait encore, en général,
4620
haut point et contenait, en outre, une forte dose
d’
érotisme. Partout et toujours, le sport a associé ces deux facteurs :
4621
que retournés à la simplicité grecque, le tournoi
de
la fin du Moyen Âge, avec ses riches ornements et sa mise en scène, p
4622
ne me paraît plus propre à restituer l’atmosphère
de
rêve du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut
4623
propre à restituer l’atmosphère de rêve du Roman
de
Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les œuv
4624
de rêve du Roman de Tristan que les descriptions
de
tournois qu’on peut lire dans les œuvres de Chastellain et les mémoir
4625
tions de tournois qu’on peut lire dans les œuvres
de
Chastellain et les mémoires d’Olivier de la Marche, tous deux histori
4626
re dans les œuvres de Chastellain et les mémoires
d’
Olivier de la Marche, tous deux historiographes du fastueux et chevale
4627
istoriographes du fastueux et chevaleresque duché
de
Bourgogne au xve siècle. L’amour et la mort s’y marient dans un pays
4628
marient dans un paysage artificiel et symbolique
de
très haute mélancolie. « L’héroïsme par amour — voilà le motif romane
4629
mation immédiate du désir sensuel en un sacrifice
de
soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expressio
4630
ce de soi-même qui semble faire partie du domaine
de
l’éthique… L’expression et la satisfaction du désir, qui paraissent t
4631
complissement du désir, et la délivrance est donc
de
toute manière assurée. » La mise en scène des tournois emprunte ses i
4632
scène des tournois emprunte ses idées aux romans
de
la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit de la Fonta
4633
de la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas
d’
Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesq
4634
ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit
de
la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginair
4635
les conditions décrites par les chapitres du pas
d’
armes. C’est à cheval qu’il faut toucher les boucliers : les chevalier
4636
er à la pèlerine » ; parfois il apparaît en héros
de
roman et s’appelle le chevalier au cygne, ou porte les armes de Lance
4637
appelle le chevalier au cygne, ou porte les armes
de
Lancelot, de Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mé
4638
evalier au cygne, ou porte les armes de Lancelot,
de
Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est
4639
ne, ou porte les armes de Lancelot, de Tristan ou
de
Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est répandu sur to
4640
ristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile
de
mélancolie est répandu sur toute l’action : le nom de la Fontaine des
4641
élancolie est répandu sur toute l’action : le nom
de
la Fontaine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs
4642
if. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés
de
larmes blanches ; on les touche par pitié pour la « Dame des pleurs »
4643
emprise du Dragon, célébré à l’occasion du départ
de
sa fille Marguerite, devenue reine d’Angleterre, le roi René apparaît
4644
apparaît en noir, sur un cheval noir caparaçonné
de
noir, avec une lance noire et un écu de sable aux larmes d’argent… Po
4645
paraçonné de noir, avec une lance noire et un écu
de
sable aux larmes d’argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont no
4646
vec une lance noire et un écu de sable aux larmes
d’
argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont noirs et violets aux l
4647
rnoi apparaît encore dans la coutume du chevalier
de
porter le voile ou une pièce du vêtement de sa dame, qu’il lui remet
4648
alier de porter le voile ou une pièce du vêtement
de
sa dame, qu’il lui remet parfois, après le combat, tout maculé de son
4649
l lui remet parfois, après le combat, tout maculé
de
son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans de la Table ronde.) «
4650
de son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans
de
la Table ronde.) « L’atmosphère de passion qui entourait les tournois
4651
ans les romans de la Table ronde.) « L’atmosphère
de
passion qui entourait les tournois explique l’hostilité de l’Église p
4652
n qui entourait les tournois explique l’hostilité
de
l’Église pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois d’éclatants ad
4653
ise pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois
d’
éclatants adultères, comme le témoigne à propos du tournois de 1389, l
4654
adultères, comme le témoigne à propos du tournois
de
1389, le Religieux de Saint-Denis, et sur la foi de celui-ci Jean Juv
4655
moigne à propos du tournois de 1389, le Religieux
de
Saint-Denis, et sur la foi de celui-ci Jean Juvénal des Ursins. » ⁂ C
4656
1389, le Religieux de Saint-Denis, et sur la foi
de
celui-ci Jean Juvénal des Ursins. » ⁂ Cependant, la grande vogue des
4657
endant, la grande vogue des tournois est l’indice
d’
un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve si
4658
rande vogue des tournois est l’indice d’un déclin
de
la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve siècle (batail
4659
i se heurte dès le début du xve siècle (bataille
d’
Azincourt) à des réalités de plus en plus brutales et matérielles qui
4660
la guerre, aux xive et xve siècles, était faite
d’
approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « vers l’an
4661
t xve siècles, était faite d’approches furtives,
d’
incursions et de raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimie
4662
était faite d’approches furtives, d’incursions et
de
raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimiers et les blason
4663
cimiers et les blasons, les bannières et les cris
de
guerre conservent aux combats un caractère individuel et l’apparence
4664
ux combats un caractère individuel et l’apparence
d’
un noble sport. » Mais dans le courant du xve siècle, l’on se met à c
4665
les lansquenets introduisent l’usage du tambour,
d’
origine orientale. « Avec son effet hypnotique et inharmonieux, le tam
4666
le tambour symbolise la transition entre l’époque
de
la chevalerie et celle de l’art militaire moderne ; il est un élément
4667
ansition entre l’époque de la chevalerie et celle
de
l’art militaire moderne ; il est un élément dans la mécanisation de l
4668
moderne ; il est un élément dans la mécanisation
de
la guerre. » Enfin le coup de grâce sera porté à la chevalerie par l’
4669
ans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup
de
grâce sera porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « E
4670
grâce sera porté à la chevalerie par l’invention
de
l’artillerie. « Et n’est-ce pas une ironie du sort qui fit que cette
4671
que cette fleur des chevaliers errants à la mode
de
Bourgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet de canon ? » ⁂ I
4672
rgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet
de
canon ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions de la guerre
4673
? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions
de
la guerre et de l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales
4674
ste pas moins que les conventions de la guerre et
de
l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales d’une empreinte
4675
our courtois ont marqué les coutumes occidentales
d’
une empreinte qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée de val
4676
qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée
de
valeur individuelle, ou d’exploit guerrier, représenté par le duel et
4677
au xxe siècle. L’idée de valeur individuelle, ou
d’
exploit guerrier, représenté par le duel et la « prouesse » (tournoi,
4678
at singulier des deux chefs en présence) ; l’idée
de
régler les batailles d’après un protocole quasi sacral ; la conceptio
4679
protocole quasi sacral ; la conception ascétique
de
la vie militaire (jeûnes prolongés avant l’épreuve des armes) ; les c
4680
l’épreuve des armes) ; les conventions permettant
de
déterminer le vainqueur (c’est par exemple celui qui passe la nuit su
4681
rotiques et militaires — tout cela ne cessera pas
de
déterminer les modes de guerroyer à travers les siècles suivants. Si
4682
tout cela ne cessera pas de déterminer les modes
de
guerroyer à travers les siècles suivants. Si bien que l’on pourra con
4683
omme relatif à un changement dans les conceptions
de
l’amour, ou inversement. 5.Condottieri et canons « L’Italie n’a
4684
s ; riche, bien peuplée et ne reconnaissant point
de
domination étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre de la magn
4685
n étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre
de
la magnificence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand
4686
irait encore un nouveau lustre de la magnificence
de
plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes cé
4687
un nouveau lustre de la magnificence de plusieurs
de
ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de
4688
e de la magnificence de plusieurs de ses Princes,
de
la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Si
4689
ficence de plusieurs de ses Princes, de la beauté
d’
un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Siège de la Rel
4690
rs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre
de
villes célèbres et de la majesté du Siège de la Religion. Les Science
4691
la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et
de
la majesté du Siège de la Religion. Les Sciences et les Arts fleuriss
4692
Arts fleurissaient dans son sein, elle possédait
de
grands hommes d’État, et même d’excellents capitaines pour ce temps-l
4693
, elle possédait de grands hommes d’État, et même
d’
excellents capitaines pour ce temps-là187. » Ces capitaines, c’étaient
4694
es capitaines, c’étaient les condottieri. Soldats
de
métier au service des Princes et des papes, ils avaient pour coutume
4695
et des papes, ils avaient pour coutume bien moins
de
faire la guerre que d’empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers
4696
nt pour coutume bien moins de faire la guerre que
d’
empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout d’a
4697
tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout
d’
avisés diplomates, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un
4698
enturiers étaient avant tout d’avisés diplomates,
d’
astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un soldat. Leur tactique
4699
es, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix
d’
un soldat. Leur tactique consistait essentiellement à faire des prison
4700
réussite — ils parvenaient à battre l’adversaire
d’
une manière vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble de ses for
4701
e vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble
de
ses forces en achetant d’un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient
4702
détruisaient l’ensemble de ses forces en achetant
d’
un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient pas, il fallait se résoudr
4703
n danger : « On combat toujours à cheval, couvert
d’
armes et assuré de la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vai
4704
mbat toujours à cheval, couvert d’armes et assuré
de
la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vaincus est presque t
4705
propriétés ; tout ce qu’ils ont à craindre, c’est
de
payer une contribution188. » Cet art de guerre exprimait dans son pla
4706
re, c’est de payer une contribution188. » Cet art
de
guerre exprimait dans son plan — alors considéré comme inférieur — un
4707
une « civilisation » profonde, donc le contraire
d’
une « militarisation ». L’État était devenu une œuvre d’art, selon l’e
4708
était devenu une œuvre d’art, selon l’expression
de
Burckhardt. La guerre elle-même s’était civilisée dans toute la mesur
4709
mpagne. (Ce n’était plus d’ailleurs un « jugement
de
Dieu », mais le triomphe d’une personnalité.) On réprouvait l’usage d
4710
illeurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe
d’
une personnalité.) On réprouvait l’usage des armes à feu comme contrai
4711
sage des armes à feu comme contraire à la dignité
de
l’individu. (Le condottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’
4712
ondottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux
d’
un de ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la lég
4713
tiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’un
de
ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la légitimi
4714
que le misérable avait osé soutenir la légitimité
de
l’emploi des canons.) Et comment concevait-on l’amour ? Burckhardt in
4715
que les mariages se concluaient sans drame, après
de
très courtes fiançailles, et que le droit du mari à la fidélité de l’
4716
iançailles, et que le droit du mari à la fidélité
de
l’épouse ne revêtait pas ce caractère absolu qu’il avait pris dans le
4717
il avait pris dans les pays nordiques. Les femmes
de
la haute société recevaient une éducation aussi complète que celle de
4718
ssi complète que celle des hommes, et jouissaient
d’
une entière égalité morale, à l’inverse de ce qui se passait en France
4719
ssaient d’une entière égalité morale, à l’inverse
de
ce qui se passait en France et dans les Allemagnes. Si par ailleurs,
4720
et vénale dans la pratique, il en allait de même
de
l’amour. Semblables aux hétaïres de la Grèce antique, les courtisanes
4721
llait de même de l’amour. Semblables aux hétaïres
de
la Grèce antique, les courtisanes jouaient un rôle parfois considérab
4722
eur culture, récitant et faisant des vers, jouant
d’
un instrument, tenant conversation. Cette paganisation de la vie sexue
4723
strument, tenant conversation. Cette paganisation
de
la vie sexuelle dénote un recul sensible des influences courtoises, u
4724
niste. La « courtoisie » prenait son sens moderne
de
politesse et de civilité. Il n’était plus question de condamner la vi
4725
toisie » prenait son sens moderne de politesse et
de
civilité. Il n’était plus question de condamner la vie. Et « l’instin
4726
olitesse et de civilité. Il n’était plus question
de
condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait neutralisé. ⁂ C’
4727
lus question de condamner la vie. Et « l’instinct
de
mort » semblait neutralisé. ⁂ C’est sur cette Italie heureuse, immora
4728
ue190 qu’allaient se jeter les troupes françaises
de
Charles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons de bronze provoq
4729
s troupes françaises de Charles VIII. Le tonnerre
de
leurs trente-six canons de bronze provoqua dans la péninsule une pani
4730
rles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons
de
bronze provoqua dans la péninsule une panique de fin du monde. « Le p
4731
de bronze provoqua dans la péninsule une panique
de
fin du monde. « Le passage de ce prince en Italie, dit Guichardin, fu
4732
ninsule une panique de fin du monde. « Le passage
de
ce prince en Italie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité de
4733
e prince en Italie, dit Guichardin, fut la source
d’
une infinité de maux et de révolutions. Les États changèrent tout à co
4734
lie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité
de
maux et de révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les
4735
ichardin, fut la source d’une infinité de maux et
de
révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les provinces
4736
les villes détruites, et tout le pays fut inondé
de
sang… L’Italie apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode de fa
4737
apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode
de
faire la guerre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie de nos p
4738
erre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie
de
nos provinces qu’il fut depuis impossible d’y rétablir l’ordre et la
4739
onie de nos provinces qu’il fut depuis impossible
d’
y rétablir l’ordre et la tranquillité191. » Ce n’était pas que les Ita
4740
était pas que les Italiens eussent ignoré l’usage
de
l’artillerie jusqu’à cette date, mais ils la méprisaient, comme je l’
4741
i dit, et comme le prouvent encore les invectives
de
l’Arioste contre les armes à feu. Au surplus, dit Guichardin, « les F
4742
es pièces qu’ils appelaient canons étaient toutes
de
bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu’elles fai
4743
ns les combats que dans les sièges… » Autre sujet
d’
effroi pour l’Italie : tandis que dans la milice des condottieri « la
4744
la milice des condottieri « la plupart des hommes
d’
armes étaient ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours suje
4745
plupart des hommes d’armes étaient ou paysans ou
de
la lie du peuple, presque toujours sujets d’un autre prince que celui
4746
s ou de la lie du peuple, presque toujours sujets
d’
un autre prince que celui pour lequel ils faisaient la guerre », et n’
4747
et n’étaient donc animés « ni par aucun sentiment
de
gloire ni par aucun motif extérieur », l’armée française se présentai
4748
présentait comme une armée nationale : « Les gens
d’
armes étaient presque tous sujets du Roi et gentilshommes » ce qui les
4749
ts du Roi et gentilshommes » ce qui les empêchait
de
« changer de maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès
4750
gentilshommes » ce qui les empêchait de « changer
de
maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors d’inévit
4751
ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors
d’
inévitables carnages. Et en effet au combat de Rappallo, tout au début
4752
ors d’inévitables carnages. Et en effet au combat
de
Rappallo, tout au début de la campagne, sur les 3000 hommes engagés,
4753
Et en effet au combat de Rappallo, tout au début
de
la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de 100 furent tués : «
4754
de la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus
de
100 furent tués : « Nombre considérable par rapport à la manière dont
4755
les Espagnols « chez lesquels peut-être un apport
de
sang non-occidental, ou peut-être l’habitude des spectacles de l’Inqu
4756
ccidental, ou peut-être l’habitude des spectacles
de
l’Inquisition avaient déchaîné les instincts démoniaques ». Artilleri
4757
linées et uniformes. Évolution qui devait aboutir
de
nos jours à l’annihilation de toute passion guerrière, à mesure que l
4758
qui devait aboutir de nos jours à l’annihilation
de
toute passion guerrière, à mesure que les hommes desservant les machi
4759
êmes des machines, n’exécutant qu’un petit nombre
de
mouvements automatiques, destinés à donner la mort à distance, sans c
4760
. 6.La guerre classique L’effort des hommes
de
guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera de dominer le monstre méc
4761
es de guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera
de
dominer le monstre mécanique, afin de sauver autant que possible le c
4762
de sauver autant que possible le caractère humain
de
la guerre. On ne peut pas renoncer aux inventions techniques, à l’art
4763
fications. Du moins va-t-on multiplier les règles
de
la tactique et de la stratégie, afin que l’intelligence, et la « vale
4764
s va-t-on multiplier les règles de la tactique et
de
la stratégie, afin que l’intelligence, et la « valeur » des chefs gar
4765
nt apparemment le premier rang parmi les facteurs
de
la lutte. La chevalerie représentait un effort pour donner un style à
4766
nserver et recréer ce style malgré l’intervention
de
facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire de
4767
tyle malgré l’intervention de facteurs inhumains.
D’
où le formalisme étonnant de l’art militaire de ces siècles192. Avec V
4768
e facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant
de
l’art militaire de ces siècles192. Avec Vauban, le siège d’une place
4769
s. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire
de
ces siècles192. Avec Vauban, le siège d’une place forte devient une s
4770
ilitaire de ces siècles192. Avec Vauban, le siège
d’
une place forte devient une sorte d’opération de l’esprit dont les pér
4771
ban, le siège d’une place forte devient une sorte
d’
opération de l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien di
4772
e d’une place forte devient une sorte d’opération
de
l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien dit, comme les
4773
déroulent, on l’a bien dit, comme les cinq actes
d’
une tragédie classique. « C’est alors que la guerre ressemble vraiment
4774
ors que la guerre ressemble vraiment à une partie
d’
échecs. Lorsque après des manœuvres compliquées, un des adversaires a
4775
rtes — alors vient la grande bataille : du sommet
de
quelque coteau, où lui apparaît tout le terrain du combat, tout l’éch
4776
leur boîte ou les régiments dans leurs quartiers
d’
hiver, et chacun va à ses petites affaires en attendant la partie ou l
4777
suivante193. » Chaque fois que reparaît l’élément
de
jeu dans la guerre, on peut en déduire que la société et sa culture f
4778
t sa culture font un effort pour recréer le mythe
de
la passion, c’est-à-dire pour rendre à la puissance anarchique un cad
4779
à la puissance anarchique un cadre et des moyens
d’
expression rituels. Et c’est bien ce qui se vérifie dans le cas du xvi
4780
viiie siècle194. Mot étonnant, d’ailleurs repris
de
von der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine de citer : « L’err
4781
on der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine
de
citer : « L’erreur (des généraux « formalistes ») consistait à placer
4782
raux « formalistes ») consistait à placer l’objet
de
la guerre dans l’exécution de manœuvres finement combinées et non dan
4783
it à placer l’objet de la guerre dans l’exécution
de
manœuvres finement combinées et non dans l’anéantissement des forces
4784
combinées et non dans l’anéantissement des forces
de
l’adversaire. Le monde militaire est toujours tombé dans ces erreurs
4785
à abandonner la notion droite et simple des lois
de
la guerre, à spiritualiser la matière, en négligeant le sens naturel
4786
» est peut-être excessif : il ne s’agissait guère
de
rationaliser. Mais l’expression (méprisante !) est bien typique de la
4787
Mais l’expression (méprisante !) est bien typique
de
la psychologie qui apparaîtra dès la Révolution française — ce déchaî
4788
ue reprochent les stratèges modernes aux généraux
de
Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en
4789
s stratèges modernes aux généraux de Louis XIV et
de
Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins
4790
aux généraux de Louis XIV et de Louis XV ? C’est
d’
avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouv
4791
e Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé
de
faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouvaient. Or c’éta
4792
avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins
d’
hommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe d’une civilisation
4793
ommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe
d’
une civilisation dont tout l’effort tendait à ordonner la Nature, la m
4794
Nature, la matière, et leurs fatalités, aux lois
de
la raison humaine et de l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, m
4795
leurs fatalités, aux lois de la raison humaine et
de
l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, mais sans laquelle nulle
4796
pouvait faire des tragédies sans crime. Le refus
de
trouver belles les catastrophes, voilà qui peut définir l’âge classiq
4797
d’ailleurs secrètement désirés ; mais la grandeur
de
l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utilise
4798
ètement désirés ; mais la grandeur de l’homme est
de
limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait mê
4799
la grandeur de l’homme est de limiter leur champ,
de
les canaliser et de les utiliser, on dirait même de les subordonner à
4800
me est de limiter leur champ, de les canaliser et
de
les utiliser, on dirait même de les subordonner à une diplomatie, art
4801
les canaliser et de les utiliser, on dirait même
de
les subordonner à une diplomatie, art de civils. Louis XIV déclare la
4802
ait même de les subordonner à une diplomatie, art
de
civils. Louis XIV déclare la guerre sous des prétextes juridiques et
4803
où l’honneur national n’a rien à voir. Querelles
de
gendre et de beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même q
4804
national n’a rien à voir. Querelles de gendre et
de
beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même que l’on « tra
4805
iècle est le plus propre à illustrer le parallèle
de
l’amour et de la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiqu
4806
lus propre à illustrer le parallèle de l’amour et
de
la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiquer. Don Juan s
4807
parallèle de l’amour et de la guerre. Il suffira
de
quelques touches pour l’indiquer. Don Juan succède à Tristan, la volu
4808
re en même temps se « profanise » : aux Jugements
de
Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée de fer, ascétique et sanglante,
4809
Jugements de Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée
de
fer, ascétique et sanglante, succède une diplomatie retorse, une armé
4810
, libertins et bien décidés à sauver « la douceur
de
vivre ». Les légendes épiques et les romans de la Table ronde multipl
4811
ur de vivre ». Les légendes épiques et les romans
de
la Table ronde multiplient les récits de tueries inouïes ; la gloire
4812
s romans de la Table ronde multiplient les récits
de
tueries inouïes ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre de ses
4813
iplient les récits de tueries inouïes ; la gloire
d’
un chevalier est faite du nombre de ses adversaires pourfendus et déca
4814
es ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre
de
ses adversaires pourfendus et décapités, et si possible tranchés en d
4815
dus et décapités, et si possible tranchés en deux
de
la tête aux pieds d’un formidable coup d’épée. Les exagérations sauva
4816
si possible tranchés en deux de la tête aux pieds
d’
un formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages de ces récits ne
4817
formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages
de
ces récits ne laissent pas de doute sur ce qui flatte la vraie passio
4818
agérations sauvages de ces récits ne laissent pas
de
doute sur ce qui flatte la vraie passion de l’homme du Moyen Âge. Glo
4819
t pas de doute sur ce qui flatte la vraie passion
de
l’homme du Moyen Âge. Gloire du sang ! Mais le xviiie siècle considé
4820
ie siècle considéra comme une réussite glorieuse
d’
avoir pris une ville assiégée en ne faisant de part et d’autre que tro
4821
use d’avoir pris une ville assiégée en ne faisant
de
part et d’autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honne
4822
pris une ville assiégée en ne faisant de part et
d’
autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honneur. Maurice
4823
e suis point pour les batailles, surtout au début
d’
une guerre. Je suis persuadé qu’un bon général pourra la faire toute s
4824
t parmi les troupes ennemies — en véritable héros
de
l’Astrée qu’il fut. Et cette suprême politesse devant la mort, à Font
4825
Fontenoy. ⁂ Mais voici la totale « profanation »
de
la guerre et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Rég
4826
s voici la totale « profanation » de la guerre et
de
sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Régence qui la prop
4827
et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier
de
la Régence qui la propose, reprenant, et sans doute à son insu, la mé
4828
2 milliards pour vingt ans. Nous n’avons pas plus
de
cinq ans de guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous m
4829
pour vingt ans. Nous n’avons pas plus de cinq ans
de
guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous met en arrièr
4830
incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer
de
détruire 150 000 ennemis par le feu, le fer, l’eau, la faim, les fati
4831
adies. Ainsi, la destruction directe ou indirecte
d’
un soldat allemand nous coûte 20 000 livres sans compter la perte sur
4832
cet attirail dispendieux, incommode et dangereux,
d’
une armée permanente, ne vaudrait-il pas mieux en épargner les frais e
4833
e actuel, on perd celui qu’on avait sans profiter
de
celui qu’on a détruit si dispendieusement. » ⁂ Les Goncourt ont très
4834
rès bien senti l’identité foncière des phénomènes
de
la guerre et de l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décri
4835
’identité foncière des phénomènes de la guerre et
de
l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décrivent la « tactiq
4836
ls termes ils décrivent la « tactique » des roués
de
l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu de l’amour, que le siè
4837
de l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu
de
l’amour, que le siècle révèle peut-être ses qualités les plus profond
4838
s ressources les plus secrètes, et comme un génie
de
duplicité tout inattendu du caractère français. Que de grands diploma
4839
plicité tout inattendu du caractère français. Que
de
grands diplomates, que de grands politiques sans nom, plus habiles qu
4840
caractère français. Que de grands diplomates, que
de
grands politiques sans nom, plus habiles que Dubois, plus insinuants
4841
s insinuants que Bernis, parmi cette petite bande
d’
hommes qui font de la séduction de la femme le but de leurs pensées et
4842
ernis, parmi cette petite bande d’hommes qui font
de
la séduction de la femme le but de leurs pensées et la grande affaire
4843
te petite bande d’hommes qui font de la séduction
de
la femme le but de leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Qu
4844
ommes qui font de la séduction de la femme le but
de
leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Que de combinaisons d
4845
emme le but de leurs pensées et la grande affaire
de
leur vie… Que de combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un
4846
urs pensées et la grande affaire de leur vie… Que
de
combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une fe
4847
a grande affaire de leur vie… Que de combinaisons
de
romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir f
4848
de leur vie… Que de combinaisons de romancier et
de
stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir fait ce qu’on app
4849
u dissimulé… « N’omettre rien » c’est le précepte
de
l’un d’eux195. » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’o
4850
ulé… « N’omettre rien » c’est le précepte de l’un
d’
eux195. » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaien
4851
en » c’est le précepte de l’un d’eux195. » Devise
de
général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaient guère que sur le
4852
, il y a la Révolution française et les campagnes
de
Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre de la passion catast
4853
Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre
de
la passion catastrophique. Du point de vue proprement militaire, qu’a
4854
e, qu’apportait la Révolution ? « Un déchaînement
de
passion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie de l’ancienne éc
4855
sion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie
de
l’ancienne école, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire de la g
4856
érésie de l’ancienne école, précise-t-il, c’était
d’
avoir voulu « faire de la guerre une science exacte, méconnaissant sa
4857
cole, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire
de
la guerre une science exacte, méconnaissant sa nature même de drame e
4858
une science exacte, méconnaissant sa nature même
de
drame effrayant et passionné (Jomini) ». On sait par ailleurs quelle
4859
(Jomini) ». On sait par ailleurs quelle explosion
de
sentimentalisme précéda et accompagna la Révolution, phénomène beauco
4860
96. Longtemps contenue dans les formes classiques
de
la guerre, la violence, après le meurtre du Roi — action sacrée et ri
4861
les sociétés primitives — redevient quelque chose
d’
horrifiant et d’attirant à la fois. C’est le culte et le mystère sangl
4862
mitives — redevient quelque chose d’horrifiant et
d’
attirant à la fois. C’est le culte et le mystère sanglant autour duque
4863
la Nation. Or la Nation, c’est la transposition
de
la passion sur le plan collectif. À vrai dire, il est plus facile de
4864
e plan collectif. À vrai dire, il est plus facile
de
le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-o
4865
À vrai dire, il est plus facile de le sentir que
de
l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-on, suppose deux ê
4866
r la Nation… Nous savons toutefois que la passion
d’
amour, par exemple, est en son fond un narcissisme, autoexaltation de
4867
e, est en son fond un narcissisme, autoexaltation
de
l’amant, bien plus que relation avec l’aimée. Ce que désire Tristan,
4868
l’aimée. Ce que désire Tristan, c’est la brûlure
d’
amour plus que la possession d’Iseut. Car la brûlure intense et dévora
4869
, c’est la brûlure d’amour plus que la possession
d’
Iseut. Car la brûlure intense et dévorante de la passion le divinise,
4870
sion d’Iseut. Car la brûlure intense et dévorante
de
la passion le divinise, et comme Wagner l’a vu, l’égale au monde. « M
4871
t que Dieu. Elle veut (sans le savoir) qu’au-delà
de
cette gloire, sa mort soit véritablement la fin de tout. L’ardeur nat
4872
e cette gloire, sa mort soit véritablement la fin
de
tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est une autoexaltation, un a
4873
premier lieu, et qu’on proclame. Mais cette haine
de
l’autre, n’est-elle pas toujours présente dans les transports de l’am
4874
st-elle pas toujours présente dans les transports
de
l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement d’accent. Ensuite,
4875
l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement
d’
accent. Ensuite, que veut la passion nationale ? L’exaltation de la fo
4876
ite, que veut la passion nationale ? L’exaltation
de
la force collective ne peut mener qu’à ce dilemme : ou l’impérialisme
4877
e : ou l’impérialisme triomphe — c’est l’ambition
de
s’égaler au monde — ou le voisin s’y oppose énergiquement, et c’est l
4878
ainsi sans se l’avouer qu’elle préfère le risque
de
mort, et la mort même, à l’abandon de sa passion. « La liberté ou la
4879
e le risque de mort, et la mort même, à l’abandon
de
sa passion. « La liberté ou la mort », hurlaient les jacobins à l’heu
4880
s, à l’heure où liberté et mort étaient bien près
d’
avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont liées comme l’Am
4881
sormais le fait national sera le facteur dominant
de
la guerre. « Celui qui écrit sur la stratégie et sur la tactique devr
4882
e et une tactique nationales, seules susceptibles
d’
être profitables à la nation pour laquelle il écrit ». Ainsi s’exprime
4883
insi s’exprime le général von der Goltz, disciple
de
Clausewitz, lequel n’a cessé d’affirmer que toute la théorie prussien
4884
r Goltz, disciple de Clausewitz, lequel n’a cessé
d’
affirmer que toute la théorie prussienne de la guerre devait se fonder
4885
cessé d’affirmer que toute la théorie prussienne
de
la guerre devait se fonder sur l’expérience des campagnes de la Révol
4886
e devait se fonder sur l’expérience des campagnes
de
la Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la
4887
ur l’expérience des campagnes de la Révolution et
de
l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la passion contre la «
4888
gnes de la Révolution et de l’Empire. La bataille
de
Valmy fut gagnée par la passion contre la « science exacte ». C’est a
4889
assion contre la « science exacte ». C’est au cri
de
Vive la Nation ! que les sans-culottes repoussèrent l’armée « classiq
4890
armée « classique » des alliés. On connaît le mot
de
Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une è
4891
des alliés. On connaît le mot de Goethe, au soir
de
la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’
4892
naît le mot de Goethe, au soir de la bataille : «
De
ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde.
4893
de Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu,
de
ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde. » Et Foch co
4894
laient consacrer à la lutte toutes les ressources
de
la nation ; parce qu’elles allaient se donner comme but non un intérê
4895
êt dynastique, mais la conquête ou la propagation
d’
idées philosophiques… d’avantages immatériels… parce qu’elles allaient
4896
onquête ou la propagation d’idées philosophiques…
d’
avantages immatériels… parce qu’elles allaient mettre en jeu des senti
4897
ntiments, des passions, c’est-à-dire des éléments
de
force jusqu’alors inexploités. » ⁂ Il serait assez curieux de précise
4898
qu’alors inexploités. » ⁂ Il serait assez curieux
de
préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte puis de Napoléon
4899
curieux de préciser le parallèle entre les amours
de
Bonaparte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis
4900
r le parallèle entre les amours de Bonaparte puis
de
Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis d’Autriche, d’aut
4901
rte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes
d’
Italie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille corr
4902
poléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis
d’
Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille correspond à la sé
4903
ie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type
de
bataille correspond à la séduction de Joséphine — c’est le coup d’aud
4904
ertain type de bataille correspond à la séduction
de
Joséphine — c’est le coup d’audace de l’inférieur qui jette toutes se
4905
spond à la séduction de Joséphine — c’est le coup
d’
audace de l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et
4906
a séduction de Joséphine — c’est le coup d’audace
de
l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et bluffe ;
4907
orces au point décisif, et bluffe ; un autre type
de
bataille correspond au mariage dynastique avec l’archiduchesse Marie-
4908
e, brutale… Et il n’est pas sans intérêt non plus
de
noter que Waterloo fut une bataille perdue par excès de science, peut
4909
er que Waterloo fut une bataille perdue par excès
de
science, peut-être, ou par défaut d’élan national-révolutionnaire… Ce
4910
ue par excès de science, peut-être, ou par défaut
d’
élan national-révolutionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon
4911
acteur passionnel dans la conduite des batailles.
D’
où ce cri d’un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’
4912
onnel dans la conduite des batailles. D’où ce cri
d’
un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’est pas poss
4913
ait de battre en Italie : « Il n’est pas possible
de
méconnaître, comme ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires
4914
ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires
de
l’art de guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolut
4915
rte, les principes les plus élémentaires de l’art
de
guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolution, l’on
4916
battre « avec le cœur des soldats » c’est-à-dire
d’
une façon « farouche et tragique » (Foch). Il faudrait préciser : ce n
4917
och). Il faudrait préciser : ce n’est pas le cœur
de
chaque soldat considéré comme un héros qui décidera du sort d’une gue
4918
dat considéré comme un héros qui décidera du sort
d’
une guerre, mais bien le cœur collectif, si l’on ose dire, la puissanc
4919
ctif, si l’on ose dire, la puissance passionnelle
de
la Nation. Les poètes romantiques jouèrent un rôle notable dans les g
4920
ntiques jouèrent un rôle notable dans les guerres
de
libération que mena la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies d’
4921
na la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies
d’
essence passionnelle d’un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent le
4922
oléon. Et les philosophies d’essence passionnelle
d’
un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du na
4923
hilosophies d’essence passionnelle d’un Fichte et
d’
un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du nationalisme alle
4924
ent les premiers appuis du nationalisme allemand.
D’
où le caractère de plus en plus sanglant des guerres du xixe siècle.
4925
nt des guerres du xixe siècle. Il ne s’agit plus
d’
intérêts, mais de « religions » antagonistes. Or les religions ne tran
4926
xixe siècle. Il ne s’agit plus d’intérêts, mais
de
« religions » antagonistes. Or les religions ne transigent point, à l
4927
des intérêts : elles préfèrent la mort héroïque. (
De
tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus viole
4928
rent la mort héroïque. (De tous temps les guerres
de
religion ont été de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les
4929
e. (De tous temps les guerres de religion ont été
de
beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les trois premiers quart
4930
siècle et particulièrement pour la période qui va
de
1848 à 1870. Après quoi, les passions nationales, provisoirement apai
4931
italisme et du commerce. La violence ne cesse pas
de
s’exercer au nom de la Nation, mais ce sont bel et bien des intérêts
4932
bien marqué le maréchal Foch, dans ses Principes
de
la guerre : La guerre fut nationale au début pour conquérir et gara
4933
et garantir l’indépendance des peuples : Français
de
1792-93, Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, E
4934
ance des peuples : Français de 1792-93, Espagnols
de
1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comp
4935
ançais de 1792-93, Espagnols de 1804-1814, Russes
de
1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manife
4936
Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands
de
1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses
4937
4-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe
de
1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses et puissantes d
4938
alors ces manifestations glorieuses et puissantes
de
la passion des peuples qui s’appellent : Valmy, Saragosse, Tarancon,
4939
ité. C’est la thèse des Italiens et des Prussiens
de
1866, 1870. Ce sera la thèse au nom de laquelle le roi de Prusse deve
4940
nom de laquelle le roi de Prusse devenu empereur
d’
Allemagne, revendiquera les provinces allemandes de l’Autriche. Mais n
4941
’Allemagne, revendiquera les provinces allemandes
de
l’Autriche. Mais nous la voyons maintenant (1903) encore nationale, e
4942
r conquérir des avantages commerciaux des traités
de
commerce avantageux. Après avoir été le moyen violent que les peuples
4943
) que cette période, du point de vue des mœurs et
de
leur littérature, se définit par une dernière tentative de mythificat
4944
ittérature, se définit par une dernière tentative
de
mythification de la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer
4945
finit par une dernière tentative de mythification
de
la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer à la chevalerie,
4946
emplît la même fonction sociale (mais à la mesure
de
notre société). Ce n’était plus, en effet, un principe spirituel qui
4947
s « formes » et les conventions, mais des calculs
d’
intérêts privés, incapables de fournir les bases d’une communauté soli
4948
s, mais des calculs d’intérêts privés, incapables
de
fournir les bases d’une communauté solide. La nation même que l’on in
4949
’intérêts privés, incapables de fournir les bases
d’
une communauté solide. La nation même que l’on invoquait avait perdu d
4950
de. La nation même que l’on invoquait avait perdu
de
son prestige romantique : le pavillon couvrait les intérêts de l’État
4951
ge romantique : le pavillon couvrait les intérêts
de
l’État, non les passions ou l’honneur des élites. Et l’État ne jouait
4952
État ne jouait plus guère que le rôle honorifique
d’
un conseil d’administration, faisant la guerre pour des motifs bancair
4953
ant la guerre pour des motifs bancaires (conquête
de
Madagascar). La guerre coloniale n’est en somme que la continuation d
4954
erre coloniale n’est en somme que la continuation
de
la concurrence capitaliste par des moyens plus onéreux pour le pays,
4955
les classes bourgeoises, un bien bizarre mélange
de
sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et de dots
4956
n bien bizarre mélange de sentimentalisme à fleur
de
nerfs et d’histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’
4957
re mélange de sentimentalisme à fleur de nerfs et
d’
histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd
4958
e sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires
de
rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans le
4959
isme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et
de
dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans les annonces ma
4960
res de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé
d’
être aujourd’hui dans les annonces matrimoniales. La sexualité pure n’
4961
» ces petits calculs et ces « beaux sentiments »
de
série. (Comme une goutte d’eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourq
4962
« beaux sentiments » de série. (Comme une goutte
d’
eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourquoi Jarry dit que l’eau est
4963
u est impure.) De même la guerre était un composé
d’
excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sin
4964
De même la guerre était un composé d’excitations
de
l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sinon un sentimen
4965
anche », sinon un sentimentalisme national ? — et
de
plans commerciaux ou financiers. L’élément proprement guerrier n’y tr
4966
ir liquider sans dommages le formidable potentiel
de
frénésie et de grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident d
4967
s dommages le formidable potentiel de frénésie et
de
grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident des siècles de c
4968
antes qu’avaient accumulé en Occident des siècles
de
culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les p
4969
aient accumulé en Occident des siècles de culture
de
la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les plus notable
4970
t des siècles de culture de la passion. La guerre
de
1914 fut l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance
4971
de 1914 fut l’un des résultats les plus notables
de
cette méconnaissance du mythe. 10.La guerre totale À partir de
4972
lisme institué par la chevalerie entre les formes
de
l’amour et de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la gue
4973
par la chevalerie entre les formes de l’amour et
de
la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujou
4974
de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret
de
la guerre fut toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant
4975
Certes, le but concret de la guerre fut toujours
de
forcer la résistance ennemie, en détruisant sa force armée. (Forcer l
4976
détruisant sa force armée. (Forcer la résistance
de
la femme par la séduction, c’est la paix ; par le viol, c’est la guer
4977
re ses défenses. Bataille rangée contre une armée
de
métier, siège des ouvrages fortifiés, capture du chef : un système de
4978
ouvrages fortifiés, capture du chef : un système
de
règles précises, donc un art, désignait le vainqueur. Et ce vainqueur
4979
ésignait le vainqueur. Et ce vainqueur triomphait
d’
un vivant, d’un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention
4980
ainqueur. Et ce vainqueur triomphait d’un vivant,
d’
un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention d’une techniq
4981
ce vainqueur triomphait d’un vivant, d’un pays ou
d’
un peuple encore désirables. L’intervention d’une technique inhumaine,
4982
ou d’un peuple encore désirables. L’intervention
d’
une technique inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces d’un État,
4983
que inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces
d’
un État, changea la face de la guerre à Verdun. Car dès que la guerre
4984
uvre toutes les forces d’un État, changea la face
de
la guerre à Verdun. Car dès que la guerre devient « totale » — et non
4985
armées signifie l’anéantissement des forces vives
de
l’ennemi : des ouvriers embrigadés dans les usines, des mères qui pro
4986
usines, des mères qui procréent des soldats, bref
de
tous les « moyens de production », choses et personnes assimilées. La
4987
procréent des soldats, bref de tous les « moyens
de
production », choses et personnes assimilées. La guerre n’est plus un
4988
. La guerre n’est plus un viol mais un assassinat
de
l’objet convoité et hostile — c’est-à-dire un acte « total », détruis
4989
emparer. Verdun ne fut d’ailleurs qu’un prodrome
de
cette guerre nouvelle, puisque le procédé se limita à la destruction
4990
le procédé se limita à la destruction méthodique
d’
un million de soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de met
4991
e limita à la destruction méthodique d’un million
de
soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point
4992
struction méthodique d’un million de soldats, non
de
civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point un instrument qu
4993
soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit
de
mettre au point un instrument qui, par la suite, devait se trouver en
4994
nt qui, par la suite, devait se trouver en mesure
d’
opérer sur des étendues bien plus vastes, comme Londres et Berlin ; no
4995
comme Londres et Berlin ; non plus seulement sur
de
la chair à canon, mais sur la chair qui fabrique les canons, ce qui e
4996
ce qui est évidemment plus efficace. La technique
de
la mort à grande distance ne trouve son équivalent dans nulle éthique
4997
ouve son équivalent dans nulle éthique imaginable
de
l’amour. C’est que la guerre échappe à l’homme et à l’instinct ; elle
4998
contact avec la civilisation technique. Une sorte
de
visite dirigée de l’exposition universelle des industries et arts app
4999
vilisation technique. Une sorte de visite dirigée
de
l’exposition universelle des industries et arts appliqués de la mort,
5000
tion universelle des industries et arts appliqués
de
la mort, avec démonstrations quotidiennes sur le vif. b) Cette colle
5001
des moyens destructifs, mécanisés, eut pour effet
de
neutraliser la passion proprement belliqueuse des combattants. Il ne
5002
elliqueuse des combattants. Il ne s’agissait plus
de
violence du sang, mais de brutalité quantitative, de masses lancées l
5003
. Il ne s’agissait plus de violence du sang, mais
de
brutalité quantitative, de masses lancées les unes contre les autres
5004
violence du sang, mais de brutalité quantitative,
de
masses lancées les unes contre les autres non plus par des mouvements
5005
nes contre les autres non plus par des mouvements
de
délire passionnel, mais bien par des intelligences calculatrices d’in
5006
el, mais bien par des intelligences calculatrices
d’
ingénieurs. Désormais, l’homme n’est plus que le servant du matériel ;
5007
servant du matériel ; il passe lui-même à l’état
de
matériel, d’autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réf
5008
atériel ; il passe lui-même à l’état de matériel,
d’
autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réflexes individ
5009
nde, la victoire dépend en fin de compte des lois
de
la mécanique plutôt que des prévisions, de la psychologie. L’instinct
5010
s lois de la mécanique plutôt que des prévisions,
de
la psychologie. L’instinct combatif est déçu. De 1914 à 1918, l’explo
5011
de la psychologie. L’instinct combatif est déçu.
De
1914 à 1918, l’explosion habituelle de sexualité qui accompagnait les
5012
est déçu. De 1914 à 1918, l’explosion habituelle
de
sexualité qui accompagnait les grands conflits ne s’est guère produit
5013
iviles. En dépit des efforts du lyrisme officiel,
d’
une certaine littérature et de l’imagerie populaire, le retour du perm
5014
u lyrisme officiel, d’une certaine littérature et
de
l’imagerie populaire, le retour du permissionnaire ne ressemble à rie
5015
mâle longtemps privé. Des témoignages sans nombre
de
médecins et de soldats prouvent que. la guerre du matériel s’est trad
5016
privé. Des témoignages sans nombre de médecins et
de
soldats prouvent que. la guerre du matériel s’est traduite en réalité
5017
et homosexualité, tel fut le résultat statistique
de
quatre années passées dans les tranchées. Et de là vient que pour la
5018
e de quatre années passées dans les tranchées. Et
de
là vient que pour la première fois, l’on ait assisté à une révolte gé
5019
rant plus l’exutoire des passions, mais une sorte
d’
immense castration de l’Europe. c) La guerre totale suppose la destru
5020
des passions, mais une sorte d’immense castration
de
l’Europe. c) La guerre totale suppose la destruction de toutes les f
5021
rope. c) La guerre totale suppose la destruction
de
toutes les formes conventionnelles de la lutte. À partir de 1920, on
5022
destruction de toutes les formes conventionnelles
de
la lutte. À partir de 1920, on ne se soumettra plus aux « simagrées d
5023
se soumettra plus aux « simagrées diplomatiques »
de
l’ultimatum et de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront
5024
aux « simagrées diplomatiques » de l’ultimatum et
de
la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront plus la solennell
5025
atiques » de l’ultimatum et de la « déclaration »
de
guerre. Les traités ne seront plus la solennelle conclusion des hosti
5026
t villes fortifiées, civils et militaires, moyens
de
destruction permis ou condamnés, tomberont. D’où résulte que la défai
5027
ns de destruction permis ou condamnés, tomberont.
D’
où résulte que la défaite d’un pays ne sera plus symbolique, métaphori
5028
condamnés, tomberont. D’où résulte que la défaite
d’
un pays ne sera plus symbolique, métaphorique, c’est-à-dire limitée à
5029
s signes convenus, mais sera concrètement la mort
de
ce pays. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée de règles, la
5030
s. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée
de
règles, la guerre ne traduit plus l’acte du viol sur le plan des nati
5031
mais bien l’acte du crime sadique, la possession
d’
une victime morte, donc en fait la non-possession. Elle n’exprime plus
5032
et le transcende, mais seulement cette perversion
de
la passion — d’ailleurs fatale, nous l’avons vu ailleurs — qu’est le
5033
, nous l’avons vu ailleurs — qu’est le « complexe
de
castration ». 11.La passion transportée dans la politique Chass
5034
transportée dans la politique Chassée du champ
de
la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’être clos comme doi
5035
e la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse
d’
être clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une
5036
mp cesse d’être clos comme doit l’être un terrain
de
jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles, mais un secteu
5037
rain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée
de
symboles, mais un secteur de bombardement — la passion a cherché et t
5038
lus une lice décorée de symboles, mais un secteur
de
bombardement — la passion a cherché et trouvé d’autres modes d’expres
5039
t — la passion a cherché et trouvé d’autres modes
d’
expression en actes. Elle y était d’ailleurs contrainte par la dépréci
5040
les et privées, non moins que par la dénaturation
de
la guerre. D’une part, dans les pays démocratiques, les mœurs se sont
5041
lies à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus
d’
obstacles absolus, donc exaltants pour la passion ; d’autre part, dans
5042
le dressage des jeunes par l’État tend à éliminer
de
la vie privée toute espèce de tragique intime et de problématique sen
5043
tat tend à éliminer de la vie privée toute espèce
de
tragique intime et de problématique sentimentale. L’anarchie des mœur
5044
la vie privée toute espèce de tragique intime et
de
problématique sentimentale. L’anarchie des mœurs et l’hygiène autorit
5045
rès dans le même sens : elles déçoivent le besoin
de
passion, héréditaire ou acquis par la culture ; elles détendent ses r
5046
dans l’entre-deux-guerres, fut un curieux mélange
d’
intellectualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et de l’anarchi
5047
mélange d’intellectualisme angoissé (littérature
de
l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste
5048
tualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et
de
l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit
5049
e de l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et
de
cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit des Allemands). L’on vit bien
5050
t bien que la passion romantique ne trouvait plus
de
quoi se composer un mythe ; ne trouvait plus de résistances choisies
5051
s de quoi se composer un mythe ; ne trouvait plus
de
résistances choisies au sein d’une atmosphère d’orageuse et secrète d
5052
de résistances choisies au sein d’une atmosphère
d’
orageuse et secrète dévotion. La crainte morbide des entraînements « n
5053
s « duperies du cœur », alliée à un désir fébrile
d’
aventure, voilà le climat des principaux romans de cette période. Et c
5054
d’aventure, voilà le climat des principaux romans
de
cette période. Et cela signifie sans équivoque que les relations indi
5055
e les relations individuelles des sexes ont cessé
d’
être le lieu par excellence où se réalise la passion. Celle-ci paraît
5056
e réalise la passion. Celle-ci paraît se détacher
de
son support. Nous sommes entrés dans l’ère des libidos errantes, en q
5057
entrés dans l’ère des libidos errantes, en quête
d’
un théâtre nouveau. Et le premier qui s’est offert, c’est le théâtre p
5058
offert, c’est le théâtre politique. La politique
de
masses, telle qu’on l’a pratiquée depuis 1917, n’est que la continuat
5059
pratiquée depuis 1917, n’est que la continuation
de
la guerre totale par d’autres moyens (pour reprendre une fois de plus
5060
fois de plus, en l’inversant, la célèbre formule
de
Clausewitz). Le terme de « fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs,
5061
sant, la célèbre formule de Clausewitz). Le terme
de
« fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs, l’État totalitaire n’est
5062
par ailleurs, l’État totalitaire n’est que l’état
de
guerre prolongé, ou recréé, et entretenu en permanence dans la nation
5063
is si la guerre totale anéantit toute possibilité
de
passion, la politique ne fait que transposer les passions individuell
5064
elle (ou lui) qui assume désormais la dialectique
de
l’obstacle exaltant, de l’ascèse et de la course inconsciente à la mo
5065
désormais la dialectique de l’obstacle exaltant,
de
l’ascèse et de la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante
5066
ialectique de l’obstacle exaltant, de l’ascèse et
de
la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante. Tandis qu’à l
5067
rsonnels, à l’extérieur et au sommet le potentiel
de
passion s’accroît de jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la moral
5068
ur et au sommet le potentiel de passion s’accroît
de
jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la morale qui concerne les ci
5069
yens : et l’eugénisme est la négation rationnelle
de
toute espèce d’aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la ten
5070
nisme est la négation rationnelle de toute espèce
d’
aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension de l’ensemb
5071
privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension
de
l’ensemble, personnifié dans la Nation. De 1933 à 1939, l’État-nation
5072
ension de l’ensemble, personnifié dans la Nation.
De
1933 à 1939, l’État-nation d’Hitler dit aux Allemands : Procréez ! —
5073
ux Allemands : Procréez ! — et c’est une négation
de
la passion ; mais il dit aux peuples voisins : — Nous sommes trop nom
5074
muler au sommet. Or il est clair que ces volontés
de
puissance affrontées — il y a déjà plusieurs États totalitaires — ne
5075
r l’autre l’obstacle. Le but réel, tacite, fatal,
de
ces exaltations totalitaires est donc la guerre, qui signifie la mort
5076
signifie la mort. Et comme on le voit dans le cas
de
la passion d’amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les
5077
rt. Et comme on le voit dans le cas de la passion
d’
amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les intéressés, m
5078
’on exalte y trouve son sens réel. Il serait aisé
de
multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la politique
5079
ns réel. Il serait aisé de multiplier les preuves
de
ce nouveau parallélisme entre la politique et la passion. L’ascèse co
5080
ules réagissent au dictateur, dans un pays donné,
de
la même manière que la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations
5081
la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations
de
l’homme. J’écrivais en 1938 : « Le Français s’étonne des succès d’Hit
5082
ivais en 1938 : « Le Français s’étonne des succès
d’
Hitler auprès de la masse germanique, mais il ne s’étonnerait pas moin
5083
atins, faire la cour à une femme c’est l’étourdir
de
paroles flatteuses : ainsi nos hommes politiques quand ils courtisent
5084
e enfin le destin et affirme qu’il est ce destin…
De
la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de ses actes, donc
5085
l est ce destin… De la sorte, il délivre la foule
de
la responsabilité de ses actes, donc du sentiment oppressant de sa cu
5086
a sorte, il délivre la foule de la responsabilité
de
ses actes, donc du sentiment oppressant de sa culpabilité morale. Ell
5087
bilité de ses actes, donc du sentiment oppressant
de
sa culpabilité morale. Elle se rend au sauveur terrible et le nomme s
5088
le terme populaire désignant en Allemagne l’acte
d’
épouser, c’est freien, verbe qui signifie littéralement : libérer… Hit
5089
a plus facilement dans le domaine des sentiments…
De
tous temps, la force qui a mis en mouvement les révolutions les plus
5090
iolentes a résidé bien moins dans la proclamation
d’
une idée scientifique qui s’emparait des foules que dans un fanatisme
5091
qui les emballait follement. (Mein Kampf). Oui, «
de
tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est qu
5092
« de tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté
de
notre temps, c’est que l’action passionnelle sur les masses, telle qu
5093
telle que la définit Hitler, se double désormais
d’
une action rationalisante sur les individus. En outre, cette action n’
5094
elconque, mais par le chef qui incarne la Nation.
D’
où la puissance sans précédent du transfert qui s’opère du privé au pu
5095
public. Quel Wagner surhumain sera donc en mesure
d’
orchestrer la grandiose catastrophe de la passion devenue totalitaire
5096
c en mesure d’orchestrer la grandiose catastrophe
de
la passion devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil d’une conc
5097
n devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil
d’
une conclusion que j’étais loin de prévoir en commençant ce livre. Que
5098
e. Que l’on suive l’évolution du mythe occidental
de
la passion dans l’histoire de la littérature ou dans l’histoire des m
5099
du mythe occidental de la passion dans l’histoire
de
la littérature ou dans l’histoire des méthodes de la guerre, c’est la
5100
de la littérature ou dans l’histoire des méthodes
de
la guerre, c’est la même courbe qui apparaît. Et l’on aboutit pareill
5101
’on aboutit pareillement à cet aspect trop ignoré
de
la crise de notre époque, qui est la dissolution des formes instituée
5102
pareillement à cet aspect trop ignoré de la crise
de
notre époque, qui est la dissolution des formes instituées par la che
5103
stituées par la chevalerie. C’est dans le domaine
de
la guerre, où toute évolution est pratiquement irréversible — alors q
5104
a des « retours » littéraires — que la nécessité
d’
une solution nouvelle est apparue en premier lieu. Cette solution s’ap
5105
totalitaire. C’est la réponse du xxe siècle, né
de
la guerre, à la menace permanente que la passion et l’instinct de mor
5106
la menace permanente que la passion et l’instinct
de
mort font peser sur toute société. La réponse du xiie siècle avait é
5107
lassique200. La réponse du xviiie fut le cynisme
de
Don Juan et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme ne fut pas une
5108
ces nocturnes du mythe n’ait été un dernier moyen
de
le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soit, cette défense éta
5109
se répandirent dans les domaines les plus divers,
d’
où résulta une dissociation, au sens précis de relâchement des liens s
5110
rs, d’où résulta une dissociation, au sens précis
de
relâchement des liens sociaux. La première guerre européenne fut le j
5111
ux. La première guerre européenne fut le jugement
d’
un monde qui avait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer d’une
5112
ait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer
d’
une manière anarchique le « contenu » mortel du mythe. Cependant, je n
5113
mythe. Cependant, je ne pense pas que le drainage
de
toute passion par la nation soit autre chose qu’une mesure de détress
5114
sion par la nation soit autre chose qu’une mesure
de
détresse. C’est repousser la menace immédiate, mais l’aggraver alors
5115
omplexe des hommes, même militarisés. Des mesures
de
police ne font pas une culture, des slogans ne font pas une morale. E
5116
e quotidienne des hommes, il subsiste encore trop
de
jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résol
5117
des hommes, il subsiste encore trop de jeu, trop
d’
angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors :
5118
siste encore trop de jeu, trop d’angoisse et trop
de
possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la
5119
désintégration physique et morale, et le problème
de
la passion sera supprimé avec la civilisation qui l’a fait naître ; O
5120
tra dans les pays totalitaires, comme il ne cesse
de
nous travailler dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité de l
5121
dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité
de
la paix que j’envisagerai dans les deux livres terminaux : le premier
5122
181. On en aura un aperçu en lisant les ouvrages
de
Freud, et L’Instinct combatif de Pierre Bovet. 182. Défaite se dit
5123
ant les ouvrages de Freud, et L’Instinct combatif
de
Pierre Bovet. 182. Défaite se dit en allemand Niederlage, littérale
5124
en allemand Niederlage, littéralement : position
de
qui gît à terre, de qui est couché au-dessous. (Cf. l’expression « av
5125
age, littéralement : position de qui gît à terre,
de
qui est couché au-dessous. (Cf. l’expression « avoir le dessous ».) R
5126
voir le dessous ».) Rappelons aussi le symbolisme
de
la Tour assiégée dans le Roman de la Rose, et l’expression « se faire
5127
i le symbolisme de la Tour assiégée dans le Roman
de
la Rose, et l’expression « se faire des alliés dans la place ». 183.
5128
ion autant que par l’intelligence et la fécondité
de
ses vues critiques renouvelle notre conception du Moyen Âge en nous f
5129
ns la vie quotidienne des bourgeois et des nobles
de
l’époque. Les passages entre guillemets de ce chapitre et du suivant
5130
nobles de l’époque. Les passages entre guillemets
de
ce chapitre et du suivant sont des citations de la traduction françai
5131
s de ce chapitre et du suivant sont des citations
de
la traduction française (Paris, 1932). 185. Qu’on se reporte à notre
5132
. 185. Qu’on se reporte à notre analyse du mythe
de
Tristan : on y trouvera quelques illustrations typiques de ce passage
5133
n : on y trouvera quelques illustrations typiques
de
ce passage (barons « félons », jugement par le fer, justification tan
5134
lons », jugement par le fer, justification tantôt
de
l’adultère tantôt de la séparation des amants). 186. Je serais assez
5135
le fer, justification tantôt de l’adultère tantôt
de
la séparation des amants). 186. Je serais assez tenté de voir dans l
5136
paration des amants). 186. Je serais assez tenté
de
voir dans la fonction dramatique du tournoi l’une des origines de la
5137
fonction dramatique du tournoi l’une des origines
de
la tragédie moderne. Celle-ci s’est constituée précisément à l’époque
5138
précisément à l’époque où les tournois passaient
de
mode, et où se dissociaient leurs éléments guerrier, sportif et théât
5139
ique que comportait le tournoi, mais satisfaisant
d’
autant mieux le besoin d’émotion sentimentale et spirituelle. 187. G
5140
urnoi, mais satisfaisant d’autant mieux le besoin
d’
émotion sentimentale et spirituelle. 187. Guichardin, Histoire des G
5141
rituelle. 187. Guichardin, Histoire des Guerres
d’
Italie, I, p. 2. 188. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance
5142
8. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance
de
l’esprit. 189. Die Kultur der Renaissance, VI, p. 1. 190. Il est j
5143
naissance, VI, p. 1. 190. Il est juste toutefois
de
rappeler qu’on tuait facilement dans ce pays. Mais le meurtre y resta
5144
ans le monde militarisé, l’individu se voit privé
de
cette possibilité passionnelle, transférée à la seule collectivité. C
5145
a suite des dévastations qui marquèrent la guerre
de
Trente Ans, les armées s’imposèrent « des règles et des limites qui r
5146
oral et à une nécessité pratique ». Il s’agissait
d’
éviter des dépenses excessives — les hommes coûtant cher — et de ne pa
5147
épenses excessives — les hommes coûtant cher — et
de
ne pas effrayer les peuples au point de rendre impossible tout recrut
5148
cher — et de ne pas effrayer les peuples au point
de
rendre impossible tout recrutement des volontaires… 193. J. Boulenge
5149
r, Le Grand Siècle. 194. F. Foch , les Principes
de
la Guerre (1903, réédité en 1929). 195. E. et J. de Goncourt, la Fem
5150
compagna la Terreur, voir le très curieux ouvrage
d’
André Monglond, le Préromantisme français. 197. Je parle de cette cho
5151
nglond, le Préromantisme français. 197. Je parle
de
cette chose abstraite et frappante, irréelle mais signifiante, qu’est
5152
iante, qu’est la moyenne des expressions typiques
de
l’amour à une époque donnée — aussi irréelle et aussi signifiante dan
5153
ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a
de
tout — mais qui sont d’une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis r
5154
que — dans chacune il y a de tout — mais qui sont
d’
une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien de m
5155
a de tout — mais qui sont d’une époque plutôt que
d’
une autre. Je ne dis rien de plus ni rien de moins. 198. Conclusion d
5156
t que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien
de
moins. 198. Conclusion de l’enquête menée sous la conduite de Magnus
5157
s rien de plus ni rien de moins. 198. Conclusion
de
l’enquête menée sous la conduite de Magnus Hirschfeld par une douzain
5158
8. Conclusion de l’enquête menée sous la conduite
de
Magnus Hirschfeld par une douzaine de savants allemands et autrichien
5159
la conduite de Magnus Hirschfeld par une douzaine
de
savants allemands et autrichiens, et publiée sous le titre de Sitteng
5160
llemands et autrichiens, et publiée sous le titre
de
Sittengeschichte des Weltkriegs (Histoire des mœurs pendant la guerre
5161
, éprouvant que la guerre totale est une négation
de
la passion guerrière, se jette alors dans des aventures absurdes, qu’
5162
Guerre notre mère d’Ernst Jünger et les Réprouvés
d’
Ernst von Salomon). On va se battre pour le plaisir, ou plutôt pour le
5163
e, Chine). C’est la débauche désespérée et vénale
de
celui qu’a déçu la passion. Revanche sadique. 200. Bachofen (auteur
5164
Deux morales s’affrontaient au Moyen Âge : celle
de
la société christianisée, et celle de la courtoisie hérétique. L’une
5165
Âge : celle de la société christianisée, et celle
de
la courtoisie hérétique. L’une impliquait le mariage, dont elle fit m
5166
même un sacrement ; l’autre exaltait un ensemble
de
valeurs d’où résultait — en principe tout au moins — la condamnation
5167
crement ; l’autre exaltait un ensemble de valeurs
d’
où résultait — en principe tout au moins — la condamnation du mariage.
5168
rouvait donc sanctifier les intérêts fondamentaux
de
l’espèce et les intérêts de la cité. Celui qui contrevenait à ce trip
5169
intérêts fondamentaux de l’espèce et les intérêts
de
la cité. Celui qui contrevenait à ce triple engagement ne se rendait
5170
ou méprisable. La synthèse catholique s’efforçait
de
marier l’eau et le feu, car on pouvait tirer des Écritures et des Pèr
5171
s thèses les plus contradictoires sur la sainteté
de
la procréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté de la virginité
5172
dictoires sur la sainteté de la procréation — loi
de
l’espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi de l’esprit. Pour
5173
rocréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté
de
la virginité — loi de l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple,
5174
espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi
de
l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple, une descendance nombr
5175
par exemple, une descendance nombreuse est signe
d’
élection, tandis que pour saint Paul, celui qui reste vierge « fait mi
5176
nt, comme n’étant établi par aucun texte univoque
de
l’Évangile201. Elle condamnait la procréation comme relevant de la lo
5177
01. Elle condamnait la procréation comme relevant
de
la loi du Prince des ténèbres, c’est-à-dire du Démiurge auteur du mon
5178
du vouloir-vivre collectif202. Mais le fondement
de
ces trois refus était en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire
5179
nt de ces trois refus était en vérité la doctrine
de
l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant, en conflit éternel et ang
5180
it en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire
de
l’Éros divinisant, en conflit éternel et angoissé avec la créature de
5181
, en conflit éternel et angoissé avec la créature
de
chair et ses instincts asservissants. L’apparition de la passion d’Am
5182
hair et ses instincts asservissants. L’apparition
de
la passion d’Amour devait donc transformer radicalement le jugement p
5183
stincts asservissants. L’apparition de la passion
d’
Amour devait donc transformer radicalement le jugement porté sur l’adu
5184
é. Mais nous avons montré que le symbole courtois
de
l’amour pour une Dame (spirituelle), amour évidemment incompatible av
5185
èmes provençaux et des romans bretons, l’adultère
de
Tristan reste une faute203, mais il se trouve revêtir en même temps l
5186
mais il se trouve revêtir en même temps l’aspect
d’
une aventure plus belle que la morale. Ce qui, pour le croyant maniché
5187
anichéen, était l’expression dramatique du combat
de
la foi et du monde, devient alors pour le lecteur une « poésie » équi
5188
sie » équivoque et brûlante. Poésie toute profane
d’
apparences, dont la puissance de séduction s’accroît encore du fait qu
5189
sie toute profane d’apparences, dont la puissance
de
séduction s’accroît encore du fait que l’on ignore la signification m
5190
du fait que l’on ignore la signification mystique
de
ses symboles, et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que d’un
5191
et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que
d’
un mystère vague et flatteur. Comment expliquer autrement qu’à partir
5192
ieu qu’à des commentaires édifiants sur le danger
de
pécher et le remords, devient soudain vertu mystique (dans le symbole
5193
rectement la crise actuelle du mariage au conflit
de
l’orthodoxie et d’une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme te
5194
actuelle du mariage au conflit de l’orthodoxie et
d’
une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme telle, n’existe plus
5195
r qu’elle ne joue plus un rôle direct dans la vie
de
nos sociétés, qu’elle a tant contribué à former. Ce qui explique, à m
5196
rmer. Ce qui explique, à mon sens, l’état présent
de
dé-moralisation générale, c’est la confuse dissension au sein de laqu
5197
onfuse dissension au sein de laquelle nous vivons
de
deux morales, dont l’une est héritée de l’orthodoxie religieuse, mais
5198
us vivons de deux morales, dont l’une est héritée
de
l’orthodoxie religieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi vivante, e
5199
plus sur une foi vivante, et dont l’autre dérive
d’
une hérésie dont l’expression « essentiellement lyrique » nous parvien
5200
i les forces en présence : d’une part, une morale
de
l’espèce et de la société en général, mais plus ou moins empreinte de
5201
présence : d’une part, une morale de l’espèce et
de
la société en général, mais plus ou moins empreinte de religion — c’e
5202
société en général, mais plus ou moins empreinte
de
religion — c’est ce que l’on nomme la morale bourgeoise ; d’autre par
5203
passionnelle ou romanesque. Tous les adolescents
de
la bourgeoisie occidentale sont élevés dans l’idée du mariage, mais e
5204
es. Leurs origines et leurs finalités s’excluent.
De
leur coexistence dans nos vies surgissent sans fin des problèmes inso
5205
n d’autres temps, ce fut la fonction du mythe que
d’
ordonner cette anarchie latente et de la composer symboliquement dans
5206
du mythe que d’ordonner cette anarchie latente et
de
la composer symboliquement dans nos catégories morales. Rôle d’exutoi
5207
symboliquement dans nos catégories morales. Rôle
d’
exutoire, rôle civilisateur. Mais le mythe s’est déprimé et profané en
5208
ses éléments plastiques. Si maintenant il tentait
de
se recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus de résistances as
5209
recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus
de
résistances assez solides pour lui servir de masque et de prétexte. U
5210
plus de résistances assez solides pour lui servir
de
masque et de prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur
5211
tances assez solides pour lui servir de masque et
de
prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur la « crise d
5212
Mais je doute fort qu’il en résulte aucune espèce
de
solution pratique : car seul le mythe, c’est-à-dire l’inconscience, p
5213
science, pourrait fournir à la passion une espèce
de
modus vivendi, et tous ces livres, aggravant au contraire notre consc
5214
ibuent à le rendre insoluble. Ils sont les signes
de
la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire dans les cadre
5215
uble. Ils sont les signes de la crise, mais aussi
de
notre impuissance à la réduire dans les cadres actuels. L’institution
5216
atrimoniale se fondait en effet sur trois groupes
de
valeurs qui lui fournissaient ses « contraintes » — et c’est précisém
5217
contraintes » — et c’est précisément dans le jeu
de
ces contraintes que le mythe puisait ses moyens d’expression (comme o
5218
e ces contraintes que le mythe puisait ses moyens
d’
expression (comme on l’a vu au livre I). Or voici que ces contraintes
5219
, chez les peuples païens, s’est toujours entouré
d’
un rituel dont nos institutions gardèrent longtemps les éléments : rit
5220
itutions gardèrent longtemps les éléments : rites
de
l’achat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, l
5221
ngtemps les éléments : rites de l’achat, du rapt,
de
la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son imp
5222
ments : rites de l’achat, du rapt, de la quête et
de
l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son importance, par su
5223
hat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais
de
nos jours, la dot perd de son importance, par suite de l’instabilité
5224
et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd
de
son importance, par suite de l’instabilité économique. Les coutumes r
5225
es paysannes. La demande en mariage, avec échange
de
visites en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi dém
5226
mande en mariage, avec échange de visites en haut
de
forme et « déclaration » officielle, est aussi démodée que les crinol
5227
s n’éprouve plus même le besoin « superstitieux »
d’
aller se faire bénir par un prêtre. 2. — Contraintes sociales. — Les
5228
être. 2. — Contraintes sociales. — Les questions
de
rang, de sang, d’intérêts familiaux et même d’argent, sont en train d
5229
— Contraintes sociales. — Les questions de rang,
de
sang, d’intérêts familiaux et même d’argent, sont en train de passer
5230
intes sociales. — Les questions de rang, de sang,
d’
intérêts familiaux et même d’argent, sont en train de passer au second
5231
ns de rang, de sang, d’intérêts familiaux et même
d’
argent, sont en train de passer au second plan dans les pays démocrati
5232
e plus en plus le choix réciproque des conjoints.
D’
où le nombre croissant des divorces. En même temps, les cérémonies épi
5233
s se simplifient ou disparaissent. Il est curieux
de
noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telles que la «
5234
aissent. Il est curieux de noter que des coutumes
d’
origine lointaine et sacrée telles que la « quasi-publicité du lit nup
5235
es originels, mais les rites gardaient pour effet
de
socialiser l’acte du mariage, de l’intégrer dans l’existence communau
5236
aient pour effet de socialiser l’acte du mariage,
de
l’intégrer dans l’existence communautaire. À partir du xviiie siècle
5237
À partir du xviiie siècle, le thème du « Coucher
de
la mariée » n’est plus qu’une occasion d’anodines galanteries pictura
5238
Coucher de la mariée » n’est plus qu’une occasion
d’
anodines galanteries picturales. De nos jours enfin, le « voyage de no
5239
u’une occasion d’anodines galanteries picturales.
De
nos jours enfin, le « voyage de noces », pour autant qu’il subsiste e
5240
eries picturales. De nos jours enfin, le « voyage
de
noces », pour autant qu’il subsiste et garde une signification, repré
5241
signification, représente bien plutôt une volonté
de
s’évader de l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de
5242
n, représente bien plutôt une volonté de s’évader
de
l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de ce qu’on app
5243
une volonté de s’évader de l’ambiance sociale et
de
souligner le caractère privé de ce qu’on appelle le bonheur des époux
5244
biance sociale et de souligner le caractère privé
de
ce qu’on appelle le bonheur des époux. 3. — Contraintes religieuses.
5245
à-dire qu’il ne tient aucun compte des variations
de
tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne
5246
tient aucun compte des variations de tempérament,
de
caractère, de goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas d
5247
mpte des variations de tempérament, de caractère,
de
goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas de se produire
5248
iations de tempérament, de caractère, de goûts et
de
conditions externes qui ne manqueront pas de se produire un jour ou l
5249
s et de conditions externes qui ne manqueront pas
de
se produire un jour ou l’autre dans la vie du couple. Or c’est de tou
5250
n jour ou l’autre dans la vie du couple. Or c’est
de
tout cela, justement, que les modernes font dépendre leur « bonheur »
5251
des obstacles institutionnels entraîne une chute
de
tension morale d’où résulte une immense confusion. L’adultère devient
5252
titutionnels entraîne une chute de tension morale
d’
où résulte une immense confusion. L’adultère devient un sujet de délic
5253
ne immense confusion. L’adultère devient un sujet
de
délicates analyses psychologiques, ou de plaisanteries vaudevillesque
5254
un sujet de délicates analyses psychologiques, ou
de
plaisanteries vaudevillesques. La fidélité dans le mariage paraît lég
5255
ge paraît légèrement ridicule : elle prend figure
de
conformisme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit de deux mora
5256
isme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit
de
deux morales hostiles — et par suite plus de mythe possible — mais on
5257
flit de deux morales hostiles — et par suite plus
de
mythe possible — mais on approche d’un état de neutralisation mutuell
5258
r suite plus de mythe possible — mais on approche
d’
un état de neutralisation mutuelle au terme de la consomption des viei
5259
us de mythe possible — mais on approche d’un état
de
neutralisation mutuelle au terme de la consomption des vieilles valeu
5260
che d’un état de neutralisation mutuelle au terme
de
la consomption des vieilles valeurs non transcendées mais déprimées.
5261
2.Idée moderne du bonheur Le mariage cessant
d’
être garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fo
5262
Le mariage cessant d’être garanti par un système
de
contraintes sociales ne peut plus se fonder, désormais, que sur des d
5263
as le plus favorable. Or s’il est assez difficile
de
définir en général le bonheur, le problème devient insoluble dès que
5264
t insoluble dès que s’y ajoute la volonté moderne
d’
être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de
5265
ue s’y ajoute la volonté moderne d’être le maître
de
son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir de quoi i
5266
son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même,
de
sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pou
5267
r, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir
de
quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’amé
5268
peut-être au même, de sentir de quoi il est fait,
de
l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouc
5269
, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et
de
le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouches bien calculée
5270
nheur, répètent les prêches des magazines, dépend
de
ceci, exige cela — et ceci ou cela, c’est toujours quelque chose qu’i
5271
t toujours quelque chose qu’il faut acquérir, par
de
l’argent le plus souvent. Le résultat de cette propagande est à la fo
5272
rir, par de l’argent le plus souvent. Le résultat
de
cette propagande est à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheu
5273
nt. Le résultat de cette propagande est à la fois
de
nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup de nous
5274
opagande est à la fois de nous obséder par l’idée
d’
un bonheur facile, et du même coup de nous rendre inaptes à le posséde
5275
r par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup
de
nous rendre inaptes à le posséder. Car tout ce qu’on nous propose nou
5276
e qu’on nous propose nous introduit dans le monde
de
la comparaison, où nul bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme
5277
t meurt dans la revendication. C’est qu’il dépend
de
l’être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont rép
5278
evendication. C’est qu’il dépend de l’être et non
de
l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et notre tem
5279
pend de l’être et non de l’avoir : les moralistes
de
tous les temps l’ont répété, et notre temps n’apporte rien qui doive
5280
temps n’apporte rien qui doive nous faire changer
d’
avis. Tout bonheur que l’on veut sentir, que l’on veut tenir à sa merc
5281
ur » suppose de la part des modernes une capacité
d’
ennui presque morbide — ou l’intention secrète de tricher. Il est prob
5282
d’ennui presque morbide — ou l’intention secrète
de
tricher. Il est probable que cette intention ou cet espoir expliquent
5283
lle on se marie encore « sans y croire ». Le rêve
de
la passion possible agit comme une distraction permanente, anesthésia
5284
distraction permanente, anesthésiant les révoltes
de
l’ennui. On n’ignore pas que la passion serait un malheur — mais on p
5285
dans nos vies l’idée moderne du bonheur. Cela va
de
toute manière à la ruine du mariage en tant qu’institution sociale dé
5286
qui les traitait comme des égaux. C’est peut-être
de
là que nous vient, par le canal de la littérature, cette idée toute m
5287
’est peut-être de là que nous vient, par le canal
de
la littérature, cette idée toute moderne et romantique que la passion
5288
u-dessus des lois et des coutumes. Celui qui aime
de
passion accède à une humanité plus haute, où les barrières sociales s
5289
e mécano épouser l’héritière204. De même, le Prix
de
Beauté a quelque chance de devenir comtesse ou milliardaire. C’est un
5290
e204. De même, le Prix de Beauté a quelque chance
de
devenir comtesse ou milliardaire. C’est une « adaptation » moderne —
5291
langage du cinéma, seul adéquat en l’occurrence —
de
la primauté de l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion prof
5292
ma, seul adéquat en l’occurrence — de la primauté
de
l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion profane soit une ab
5293
la passion profane soit une absurdité, une forme
d’
intoxication, une « maladie de l’âme », comme pensaient les Anciens, t
5294
bsurdité, une forme d’intoxication, une « maladie
de
l’âme », comme pensaient les Anciens, tout le monde est prêt à le rec
5295
et cette nuance est décisive. Le moderne, l’homme
de
la passion, attend de l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même
5296
cisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend
de
l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même ou la vie en général :
5297
ur lui-même ou la vie en général : dernier relent
de
la mystique primitive. De la poésie à l’anecdote piquante, la passion
5298
énéral : dernier relent de la mystique primitive.
De
la poésie à l’anecdote piquante, la passion c’est toujours l’aventure
5299
nture. C’est ce qui va changer ma vie, l’enrichir
d’
imprévu, de risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes
5300
t ce qui va changer ma vie, l’enrichir d’imprévu,
de
risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes ou flatteus
5301
vie, l’enrichir d’imprévu, de risques exaltants,
de
jouissances toujours plus violentes ou flatteuses. C’est tout le poss
5302
? — la plus « naturelle » pensera-t-on… Illusion
de
liberté. Et illusion de plénitude. Je nommerai libre un homme qui se
5303
» pensera-t-on… Illusion de liberté. Et illusion
de
plénitude. Je nommerai libre un homme qui se possède. Mais l’homme de
5304
merai libre un homme qui se possède. Mais l’homme
de
la passion cherche au contraire à être possédé, dépossédé, jeté hors
5305
é, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et
de
fait, c’est déjà sa nostalgie qui le « démeine » — dont il ignore l’o
5306
dont il ignore l’origine et la fin. Son illusion
de
liberté repose sur cette double ignorance. Le passionné, c’est l’homm
5307
sionné, c’est l’homme qui veut trouver son « type
de
femme » et n’aimer qu’elle. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’appari
5308
le. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’apparition
d’
une noble Dame dans le paysage des souvenirs d’enfance : Blonde, aux
5309
on d’une noble Dame dans le paysage des souvenirs
d’
enfance : Blonde, aux yeux noirs, en ses habits anciens Que dans une
5310
tre J’ai déjà vue, et dont je me souviens… Image
de
la mère, sans nul doute, et la psychanalyse nous apprend quels empêch
5311
nts tragiques cela peut signifier. Mais l’exemple
d’
un poète ne vaut rien ou vaut trop. J’entends décrire une illusion app
5312
ommes du xxe siècle : or plus encore que l’image
de
la Mère, ce qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ». De nos j
5313
qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ».
De
nos jours — et ce n’est qu’un début — un homme qui se prend de passio
5314
— et ce n’est qu’un début — un homme qui se prend
de
passion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est présumé neura
5315
ra soigner.) Certes, la standardisation des types
de
femmes admis pour « beaux » se produit normalement dans chaque généra
5316
dans chaque génération, de même que chaque époque
de
la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la
5317
e sportive. Mais le panurgisme esthétique atteint
de
nos jours une puissance inconnue, développée par tous les moyens tech
5318
ues, et parfois politiques, en sorte que le choix
d’
un type de femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se t
5319
rfois politiques, en sorte que le choix d’un type
de
femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se trouve déte
5320
é par Hollywood — ou par l’État. Double influence
de
la beauté-standard : elle définit d’avance l’objet de la passion — dé
5321
le influence de la beauté-standard : elle définit
d’
avance l’objet de la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et d
5322
a beauté-standard : elle définit d’avance l’objet
de
la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et disqualifie le mar
5323
à la star la plus obsédante. Ainsi la « liberté »
de
la passion relève des statistiques publicitaires. L’homme qui croit d
5324
icitaires. L’homme qui croit désirer « son » type
de
femme se trouve intimement déterminé par des facteurs de mode ou de c
5325
e se trouve intimement déterminé par des facteurs
de
mode ou de commerce, c’est-à-dire par la nouveauté. 4.Épouser Iseu
5326
intimement déterminé par des facteurs de mode ou
de
commerce, c’est-à-dire par la nouveauté. 4.Épouser Iseut ? Supp
5327
entre ce qu’il aime et ce que le film le persuade
d’
aimer. Il rencontre cette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme
5328
ette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme
de
son désir et, de sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve205 ; elle
5329
reconnaît. C’est elle, la femme de son désir et,
de
sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve205 ; elle est mariée, natu
5330
e sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement
de
ce Tristan qu’il porte en soi comme son génie caché ! Et plus rien ne
5331
a couronne s’il est roi.) Voilà le vrai « mariage
d’
amour » moderne : le mariage avec la passion ! Mais aussitôt paraît un
5332
eut, c’est toujours l’étrangère, l’étrangeté même
de
la femme, et tout ce qu’il y a d’éternellement fuyant, évanouissant e
5333
’étrangeté même de la femme, et tout ce qu’il y a
d’
éternellement fuyant, évanouissant et presque hostile dans un être, ce
5334
ui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité
de
posséder, plus délicieuse que toute possession au cœur de l’homme en
5335
der, plus délicieuse que toute possession au cœur
de
l’homme en proie au mythe. C’est la femme-dont-on-est-séparé : on la
5336
désirer et pour exalter ce désir aux proportions
d’
une passion consciente, intense, infiniment intéressante… Or c’est la
5337
, où plus rien ne s’oppose à leur union, le génie
de
la passion dépose entre leurs corps une épée nue. Descendons quelques
5338
endons quelques siècles et toute l’échelle qui va
de
l’héroïsme religieux à la confusion sans grandeur où se débattent les
5339
emme perd son « attrait », parce qu’il n’est plus
d’
obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe dont l’hor
5340
’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes
d’
un mythe dont l’horizon mystique s’est refermé depuis longtemps. Pour
5341
espace et le temps sans lesquelles il n’est point
de
« créatures » — alors que le seul but de l’amour infini ne peut être
5342
st point de « créatures » — alors que le seul but
de
l’amour infini ne peut être que le divin : Dieu, notre idée de Dieu,
5343
fini ne peut être que le divin : Dieu, notre idée
de
Dieu, ou le Moi déifié. Mais pour celui que le mythe vient tourmenter
5344
tourmenter sans lui révéler son secret, il n’est
d’
au-delà de la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourment
5345
r sans lui révéler son secret, il n’est d’au-delà
de
la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourment nouveau d
5346
s une passion nouvelle — dans le tourment nouveau
de
la poursuite d’apparences toujours plus fugitives. Il était de la nat
5347
uvelle — dans le tourment nouveau de la poursuite
d’
apparences toujours plus fugitives. Il était de la nature essentielle
5348
te d’apparences toujours plus fugitives. Il était
de
la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin – et c’e
5349
plus fugitives. Il était de la nature essentielle
de
la passion mystique d’être sans fin – et c’est par là que cette passi
5350
t de la nature essentielle de la passion mystique
d’
être sans fin – et c’est par là que cette passion se détachait des ryt
5351
moderne, ce n’est plus que le retour sempiternel
d’
une ardeur constamment déçue. Le mythe décrivait une fatalité dont ses
5352
dénoue en infidélité. Qui ne sent la dégradation
d’
un Tristan qui a plusieurs Iseut ? Pourtant ce n’est pas lui qu’il con
5353
Iseut ? Pourtant ce n’est pas lui qu’il convient
d’
accuser, mais il est la victime d’un ordre social où les obstacles se
5354
qu’il convient d’accuser, mais il est la victime
d’
un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vit
5355
. Sans cesse, il faut recommencer cette ascension
de
l’âme dressée contre le monde. Mais alors le Tristan moderne glisse v
5356
oderne glisse vers le type contraire du Don Juan,
de
l’homme aux amours successives. Les catégories se détruisent, l’avent
5357
à cette consomption. Mais Don Juan ne connaît pas
d’
Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déch
5358
omption. Mais Don Juan ne connaît pas d’Iseut, ni
de
passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déchirements vol
5359
nnaît pas d’Iseut, ni de passion inaccessible, ni
de
passé ni d’avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dan
5360
Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni
d’
avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat
5361
passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni
de
déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat, il n’a jama
5362
toujours dans l’immédiat, il n’a jamais le temps
d’
aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne l
5363
dans l’immédiat, il n’a jamais le temps d’aimer —
d’
attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste
5364
t, il n’a jamais le temps d’aimer — d’attendre et
de
se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’
5365
d’aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien
de
ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’aime pas ce qui lui résis
5366
l n’aime pas ce qui lui résiste. ⁂ Aimer, au sens
de
la passion, c’est alors le contraire de vivre ! C’est un appauvrissem
5367
, au sens de la passion, c’est alors le contraire
de
vivre ! C’est un appauvrissement de l’être, une ascèse sans au-delà,
5368
le contraire de vivre ! C’est un appauvrissement
de
l’être, une ascèse sans au-delà, une impuissance à aimer le présent s
5369
t, une fuite sans fin devant la possession. Aimer
d’
amour-passion signifiait « vivre » pour Tristan, car la vraie vie qu’i
5370
et du film apparaissent comme les signes certains
d’
une décadence de la personne chez les modernes, et d’une espèce de mal
5371
aissent comme les signes certains d’une décadence
de
la personne chez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’être.
5372
ne décadence de la personne chez les modernes, et
d’
une espèce de maladie de l’être. Presque toutes les complications qui
5373
de la personne chez les modernes, et d’une espèce
de
maladie de l’être. Presque toutes les complications qui servent d’int
5374
nne chez les modernes, et d’une espèce de maladie
de
l’être. Presque toutes les complications qui servent d’intrigues à no
5375
tre. Presque toutes les complications qui servent
d’
intrigues à nos auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses de la
5376
auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses
de
la passion pour s’« entretenir », — des ruses d’une passion débile po
5377
de la passion pour s’« entretenir », — des ruses
d’
une passion débile pour s’inventer de plus secrets obstacles. Je songe
5378
plus secrets obstacles. Je songe à la psychologie
de
la jalousie, qui envahit nos analyses : jalousie désirée, provoquée,
5379
n — n’aboutit pas. On retombe sans cesse au monde
de
la comparaison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes d
5380
esse au monde de la comparaison, qui est le monde
de
la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur seuil souffre
5381
et femmes dès qu’ils passent leur seuil souffrent
de
jalousie », dit un poème tibétain206. C’est que, passant « leur seuil
5382
in206. C’est que, passant « leur seuil », sortant
de
leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d
5383
t du présent tel qu’il leur est donné, incapables
d’
accepter l’autre tel qu’il est, parce qu’il faudrait tout d’abord s’ac
5384
r, qualités dont ils se sentent privés, et motifs
de
comparaisons qui toujours tournent à leur détriment. Le mari souffre
5385
l. Il a perdu la seule chose nécessaire : le sens
de
la fidélité. Car voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’u
5386
voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive
d’
un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à
5387
non comme prétexte à s’exalter, ou comme « objet
de
contemplation », mais comme une existence incomparable et autonome à
5388
incomparable et autonome à son côté, une exigence
d’
amour actif. ⁂ Je n’entends pas ici attaquer la passion : je me borne
5389
comment cette passion développe un certain nombre
de
fatalités psychologiques dont les effets ne sont plus contestables. Q
5390
ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan
de
l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée mêm
5391
contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou
de
l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée même du mariage
5392
mariage dans une époque où l’on tente la gageure
de
fonder le mariage, précisément, sur les valeurs élaborées par une éth
5393
sément, sur les valeurs élaborées par une éthique
de
la passion. Certes, il serait excessif d’estimer que la plupart de no
5394
éthique de la passion. Certes, il serait excessif
d’
estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie au délire de
5395
part de nos contemporains sont en proie au délire
de
Tristan. Bien peu ont assez soif pour boire le philtre, et j’en vois
5396
ythe primitif, c’est pourtant là qu’est le secret
de
l’inquiétude qui tourmente aujourd’hui les couples. Rien ne répugne a
5397
ne répugne autant à un esprit moderne que l’idée
d’
une limitation volontairement assumée ; et rien ne le flatte davantage
5398
ée ; et rien ne le flatte davantage que le mirage
d’
infini dépassement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer de pren
5399
ement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer
de
prendre conscience de la nature du phénomène, c’est à quoi se résume
5400
souvenir du mythe. Essayer de prendre conscience
de
la nature du phénomène, c’est à quoi se résume l’ambition des analyse
5401
spirituel que fait courir à la personne l’éthique
de
l’évasion, qui est née du mythe.) D’où les multiples tentatives de «
5402
ne l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe.)
D’
où les multiples tentatives de « restauration » du mariage auxquelles
5403
est née du mythe.) D’où les multiples tentatives
de
« restauration » du mariage auxquelles nous avons assisté depuis la P
5404
assisté depuis la Première Guerre mondiale, début
de
l’ère totalitaire. Les Églises font un honorable effort de redéfiniti
5405
totalitaire. Les Églises font un honorable effort
de
redéfinition de l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique2
5406
Églises font un honorable effort de redéfinition
de
l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique207. Les humanist
5407
lique207. Les humanistes reprennent les arguments
d’
un Goethe ou d’un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il f
5408
umanistes reprennent les arguments d’un Goethe ou
d’
un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il faut y voir la g
5409
lon le premier, il faut y voir la grande conquête
de
la culture occidentale, et le fondement solide de toute vie personnel
5410
de la culture occidentale, et le fondement solide
de
toute vie personnelle ; selon le second, l’union monogamique serait l
5411
s sexes, dans une société libérée des contraintes
de
classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science
5412
une société libérée des contraintes de classes et
d’
argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science des rapports
5413
e classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent
de
fonder une science des rapports conjugaux. Jung analyse le « conflit
5414
les « névroses » qui seraient à l’origine du mal (
d’
où l’on déduit que la médecine mentale guérirait tout). Van de Velde o
5415
lgarisée des phénomènes sexuels. L’abondance même
de
ces recherches208 et de ces recettes me rend sceptique quant à leur e
5416
sexuels. L’abondance même de ces recherches208 et
de
ces recettes me rend sceptique quant à leur efficacité : elle révèle
5417
l’étendue du désastre, sans apporter les éléments
d’
une révolution à sa mesure. En outre, il est frappant de constater que
5418
révolution à sa mesure. En outre, il est frappant
de
constater que presque tous ces sages auteurs donnent quelques lignes
5419
ages auteurs donnent quelques lignes à la louange
de
la passion, ou tout au moins affectent de la tolérer : pour des raiso
5420
louange de la passion, ou tout au moins affectent
de
la tolérer : pour des raisons trop faciles à concevoir, on craint d’a
5421
r des raisons trop faciles à concevoir, on craint
d’
attaquer le lecteur dans ses croyances les plus intimes et les plus so
5422
intimes et les plus solidement ancrées. On a peur
de
paraître « puritain ». On s’efforce de faire la part du feu, et l’on
5423
On a peur de paraître « puritain ». On s’efforce
de
faire la part du feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe de
5424
feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe
de
présenter la passion amoureuse comme le couronnement d’un hymen idéal
5425
senter la passion amoureuse comme le couronnement
d’
un hymen idéalement réalisé (d’après les recettes). Personne, que je s
5426
a encore osé dire que l’amour tel qu’on l’imagine
de
nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend
5427
e sait pas au juste ce qu’est l’amour-passion, ni
d’
où il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose d’in
5428
où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose
d’
inquiétant, mais on a peur, en le combattant, de parler comme un phili
5429
e d’inquiétant, mais on a peur, en le combattant,
de
parler comme un philistin. (Ce qui se produirait fatalement !) Ainsi
5430
agner la confiance ; on ne remonte pas le courant
de
toute l’époque ; la passion a toujours existé, elle existera donc tou
5431
C’est même à cause de cela que vous ne ferez rien
de
sérieux. Et comme il faut pourtant que quelque chose se fasse, la seu
5432
n qui se pose à l’historien, au sociologue, c’est
de
savoir quel mécanisme va se déclencher pour rétablir la situation — o
5433
tion — ou quel réflexe collectif. ⁂ Deux exemples
de
grande envergure nous indiquent un type de réponse, une solution peut
5434
emples de grande envergure nous indiquent un type
de
réponse, une solution peut-être inévitable. La Russie de la Révolutio
5435
e la Révolution connut un « déchaînement » sexuel
de
la jeunesse que l’on serait tenté de juger sans précédent dans notre
5436
ent » sexuel de la jeunesse que l’on serait tenté
de
juger sans précédent dans notre histoire européenne209. Quant au mari
5437
traduisit dans la réalité par une généralisation
de
l’union libre, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tou
5438
réalité par une généralisation de l’union libre,
de
l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait
5439
généralisation de l’union libre, de l’avortement,
de
l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait contraire aux pr
5440
, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref
de
tout ce qu’on croyait contraire aux préjugés réactionnaires, qu’on se
5441
re des mœurs, et il proteste avec toute l’énergie
d’
un « révolutionnaire professionnel » — donc puritain — contre cette an
5442
n — contre cette anarchie sexuelle qu’il qualifie
de
« petite-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste de l’express
5443
e-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste
de
l’expression.) Vingt ans plus tard, le « redressement des mœurs » s’e
5444
ar quelque sursaut vertueux, non par l’initiative
d’
une ligue philanthropique, mais par les soins d’une dictature exacteme
5445
e d’une ligue philanthropique, mais par les soins
d’
une dictature exactement consciente des conditions de sa durée. Stalin
5446
ne dictature exactement consciente des conditions
de
sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain de refaire des cadr
5447
sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain
de
refaire des cadres à sa nation. Car sans cadres, l’économie périclita
5448
sion précisément que l’on entendait « liquider ».
D’
où l’absolue nécessité de restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l
5449
entendait « liquider ». D’où l’absolue nécessité
de
restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l’élément statique et stab
5450
emier chef qu’est la famille. Ce fut le mécanisme
de
la dictature productiviste qui contraignit l’État dit socialiste à éd
5451
raignit l’État dit socialiste à édicter une série
de
lois contre le divorce (qu’on rendit beaucoup plus onéreux), contre l
5452
n des enfants nés hors mariage. La rigueur subite
de
ces lois, le choc psychologique qu’elles provoquèrent, la propagande,
5453
elles provoquèrent, la propagande, et les mesures
de
contrôle policier de la vie privée, changèrent notablement l’ambiance
5454
a propagande, et les mesures de contrôle policier
de
la vie privée, changèrent notablement l’ambiance morale de la Russie
5455
privée, changèrent notablement l’ambiance morale
de
la Russie aux environs de l’année 1936. Le mariage se trouva restauré
5456
ement l’ambiance morale de la Russie aux environs
de
l’année 1936. Le mariage se trouva restauré sur des bases strictement
5457
lèmes individuels tendaient à perdre toute espèce
de
dignité, de légitimité, de virulence anarchisante. L’Allemagne d’avan
5458
duels tendaient à perdre toute espèce de dignité,
de
légitimité, de virulence anarchisante. L’Allemagne d’avant Hitler att
5459
à perdre toute espèce de dignité, de légitimité,
de
virulence anarchisante. L’Allemagne d’avant Hitler atteignit-elle un
5460
égitimité, de virulence anarchisante. L’Allemagne
d’
avant Hitler atteignit-elle un stade d’anarchie sexuelle comparable à
5461
’Allemagne d’avant Hitler atteignit-elle un stade
d’
anarchie sexuelle comparable à celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le
5462
e un stade d’anarchie sexuelle comparable à celui
de
la Russie jusqu’à Staline ? Le processus de ruine des obstacles socia
5463
celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le processus
de
ruine des obstacles sociaux, pour s’y être développé sans violences e
5464
it que plus gravement miné l’éthique matrimoniale
de
la jeunesse. La décadence du mythe de la passion dans la patrie du ro
5465
atrimoniale de la jeunesse. La décadence du mythe
de
la passion dans la patrie du romantisme entraînait d’autre part des c
5466
onséquences bien plus complexes que chez nous, et
d’
apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide de l’après-guerre all
5467
’apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide
de
l’après-guerre allemande, la Neue Sachlichkeit des avant-gardes litté
5468
rimes dits « politiques » exécutés par des ligues
de
jeunes gens, certaines formes de naturisme, les « fiançailles d’essai
5469
s par des ligues de jeunes gens, certaines formes
de
naturisme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang de coutume nor
5470
certaines formes de naturisme, les « fiançailles
d’
essai » élevées au rang de coutume normale parmi les étudiants, le sér
5471
isme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang
de
coutume normale parmi les étudiants, le sérieux accordé aux conflits
5472
sionnels « à trois » ou « à quatre » — renouvelés
de
la Lucinde de Schlegel — autant de signes de la panique sexuelle prov
5473
» — renouvelés de la Lucinde de Schlegel — autant
de
signes de la panique sexuelle provoquée par la décadence des contrain
5474
elés de la Lucinde de Schlegel — autant de signes
de
la panique sexuelle provoquée par la décadence des contraintes matrim
5475
cadence des contraintes matrimoniales et du mythe
de
l’amour mortel. Déjà l’on voyait affleurer le fond du désespoir et d’
5476
éjà l’on voyait affleurer le fond du désespoir et
d’
anarchie intime que suppose toute morale du « bonheur » strictement in
5477
t militaire, devait se donner pour première tâche
de
surmonter cette crise de mœurs. On commença par opposer à l’idéal ant
5478
nner pour première tâche de surmonter cette crise
de
mœurs. On commença par opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et
5479
urs. On commença par opposer à l’idéal antisocial
de
« bonheur » et de « vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnu
5480
ar opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et
de
« vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnutz geht vor Eigenn
5481
ul objet légitime et possible à la passion l’idée
de
nation symbolisée par le Führer. D’abord on priva la femme de son aur
5482
mbolisée par le Führer. D’abord on priva la femme
de
son auréole romantique : on la réduisit à sa fonction matrimoniale :
5483
uatre ou cinq ans). Puis on en vint à des mesures
d’
ordre eugénique. On ouvrit une « école de fiancées » pour les futures
5484
mesures d’ordre eugénique. On ouvrit une « école
de
fiancées » pour les futures femmes des S. S. (Schutz Staffeln : escou
5485
res femmes des S. S. (Schutz Staffeln : escouades
de
protection du régime, troupe sélectionnée incarnant l’idéal racial).
5486
’idéal racial). Ces femmes devaient être blondes,
de
sang aryen, et mesurer au moins 1 m. 73. Ainsi le « type de femme » s
5487
yen, et mesurer au moins 1 m. 73. Ainsi le « type
de
femme » se trouva prescrit non par les souvenirs inconscients, ni par
5488
res mais par la section scientifique du ministère
de
la propagande. En 1938, on institua des écoles analogues pour toutes
5489
s dorénavant « au nom de l’État ». Le but dernier
de
l’entreprise ne faisait pas de doute : on en viendrait à n’autoriser
5490
». Le but dernier de l’entreprise ne faisait pas
de
doute : on en viendrait à n’autoriser plus que les unions contractées
5491
dividuels, donc des passions. À chacun sa « fiche
de
mariage ». Alors la science matrimoniale eût trouvé sa juste applicat
5492
ale eût trouvé sa juste application dans l’esprit
de
Lycurgue et de Sparte : on en eût fait l’un des chapitres de la prépa
5493
sa juste application dans l’esprit de Lycurgue et
de
Sparte : on en eût fait l’un des chapitres de la préparation militair
5494
et de Sparte : on en eût fait l’un des chapitres
de
la préparation militaire. ⁂ L’expérience stalinienne a échoué, si l’o
5495
ienne a échoué, si l’on en croit les descriptions
de
l’état présent des mœurs de la jeunesse en URSS. Le nazisme appartien
5496
roit les descriptions de l’état présent des mœurs
de
la jeunesse en URSS. Le nazisme appartient au passé. Pourtant la tent
5497
ation totalitaire subsiste. Il n’est pas interdit
d’
imaginer qu’un jour nos démocraties y succombent, au nom d’une « scien
5498
craties y succombent, au nom d’une « science » ou
d’
une hygiène sociologique. La pratique forcée de l’eugénisme peut réuss
5499
ou d’une hygiène sociologique. La pratique forcée
de
l’eugénisme peut réussir, là où toutes nos morales échouent, entraîna
5500
tion du besoin « spirituel », et donc artificiel,
de
la passion. Alors le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe d
5501
et donc artificiel, de la passion. Alors le cycle
de
l’amour courtois sera fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occ
5502
le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe
de
la passion aura vécu. Un Occident nouveau, imprévisible, naîtra dans
5503
évisible, naîtra dans les laboratoires. 6.Sens
de
la crise Pour mieux voir notre état, regardons l’Amérique — cette
5504
tat, regardons l’Amérique — cette Europe délivrée
de
ses routines, mais aussi de ses freins traditionnels. Nulle autre civ
5505
cette Europe délivrée de ses routines, mais aussi
de
ses freins traditionnels. Nulle autre civilisation connue, depuis prè
5506
vec cette naïve assurance l’entreprise périlleuse
de
faire coïncider le mariage et « l’amour » ainsi compris, et de baser
5507
cider le mariage et « l’amour » ainsi compris, et
de
baser le premier sur le second. Pendant une grève des téléphones, en
5508
ne grève des téléphones, en 1947, les opératrices
de
la petite ville de White Plains reçurent l’appel suivant : « Mon amie
5509
ones, en 1947, les opératrices de la petite ville
de
White Plains reçurent l’appel suivant : « Mon amie et moi voulons nou
5510
on amie et moi voulons nous marier. Nous essayons
de
trouver un juge de paix. N’est-ce pas une urgence »211 ? Les opératri
5511
ire l’intitula : L’Amour est classé parmi les cas
d’
urgence. Ce petit fait banal illustre des croyances toutes naturelles
5512
là qu’il nous intéresse. Il montre que les termes
d’
« amour » et de mariage sont pratiquement équivalents ; que si l’on «
5513
ntéresse. Il montre que les termes d’« amour » et
de
mariage sont pratiquement équivalents ; que si l’on « aime » il faut
5514
; qu’enfin « l’amour » doit normalement triompher
de
tous les obstacles, ainsi que le font voir journellement films, roman
5515
voir journellement films, romans et comic-strips.
De
fait, si l’amour romanesque triomphe d’une quantité d’obstacles, il e
5516
c-strips. De fait, si l’amour romanesque triomphe
d’
une quantité d’obstacles, il en est un contre lequel il se brisera pre
5517
it, si l’amour romanesque triomphe d’une quantité
d’
obstacles, il en est un contre lequel il se brisera presque toujours :
5518
une institution faite pour durer — ou il n’a pas
de
sens. Voilà le premier secret de la crise actuelle, crise qui peut se
5519
— ou il n’a pas de sens. Voilà le premier secret
de
la crise actuelle, crise qui peut se mesurer simplement par les stati
5520
i peut se mesurer simplement par les statistiques
de
divorce, où l’Amérique tient le premier rang. Vouloir fonder le maria
5521
ier rang. Vouloir fonder le mariage sur une forme
d’
amour instable par définition, c’est travailler en fait pour l’État de
5522
travailler en fait pour l’État de Nevada. Exiger
de
n’importe quel film, fût-il sur la bombe atomique, qu’il tienne une c
5523
la bombe atomique, qu’il tienne une certaine dose
de
la drogue romanesque (plus encore qu’érotique) nommé love interest, c
5524
ore qu’érotique) nommé love interest, c’est faire
de
la publicité pour les microbes, non pour le remède, de la maladie du
5525
publicité pour les microbes, non pour le remède,
de
la maladie du mariage. La romance se nourrit d’obstacles, de brèves e
5526
, de la maladie du mariage. La romance se nourrit
d’
obstacles, de brèves excitations et de séparations ; le mariage, au co
5527
ie du mariage. La romance se nourrit d’obstacles,
de
brèves excitations et de séparations ; le mariage, au contraire, est
5528
se nourrit d’obstacles, de brèves excitations et
de
séparations ; le mariage, au contraire, est fait d’accoutumance, de p
5529
séparations ; le mariage, au contraire, est fait
d’
accoutumance, de proximité quotidienne. La romance veut « l’amour de l
5530
e mariage, au contraire, est fait d’accoutumance,
de
proximité quotidienne. La romance veut « l’amour de loin » des trouba
5531
proximité quotidienne. La romance veut « l’amour
de
loin » des troubadours ; le mariage, l’amour du « prochain ». Si donc
5532
du « prochain ». Si donc l’on s’est marié à cause
d’
une romance, une fois celle-ci évaporée, il est normal qu’à la premièr
5533
orée, il est normal qu’à la première constatation
d’
un conflit de caractères ou de goûts, l’on se demande : pourquoi suis-
5534
normal qu’à la première constatation d’un conflit
de
caractères ou de goûts, l’on se demande : pourquoi suis-je marié ? Et
5535
emière constatation d’un conflit de caractères ou
de
goûts, l’on se demande : pourquoi suis-je marié ? Et il est non moins
5536
our la romance, l’on admette la première occasion
de
tomber amoureux de quelqu’un d’autre. Et il est parfaitement logique
5537
n admette la première occasion de tomber amoureux
de
quelqu’un d’autre. Et il est parfaitement logique qu’on décide aussit
5538
première occasion de tomber amoureux de quelqu’un
d’
autre. Et il est parfaitement logique qu’on décide aussitôt de divorce
5539
il est parfaitement logique qu’on décide aussitôt
de
divorcer pour trouver dans le nouvel « amour », qui entraîne un nouve
5540
ntraîne un nouveau mariage, une nouvelle promesse
de
bonheur ; les trois mots étant synonymes. Ainsi, guérissant son ennui
5541
serment. Il le cherche au contraire par le moyen
d’
une nouvelle « expérience », considérée comme telle, et d’ailleurs aff
5542
’ailleurs affectée dès le départ des mêmes motifs
d’
échec que celles qui ont précédé. C’est pourquoi le divorce revêt en A
5543
ne rupture créant un désordre social, et la perte
d’
un capital de souvenirs et d’expériences communes, l’Américain a plutô
5544
éant un désordre social, et la perte d’un capital
de
souvenirs et d’expériences communes, l’Américain a plutôt l’impressio
5545
social, et la perte d’un capital de souvenirs et
d’
expériences communes, l’Américain a plutôt l’impression qu’il met de l
5546
unes, l’Américain a plutôt l’impression qu’il met
de
l’ordre dans sa vie et qu’il s’ouvre un nouvel avenir. L’économie de
5547
vie et qu’il s’ouvre un nouvel avenir. L’économie
de
l’épargne, une fois de plus, s’oppose ici à celle du gaspillage, comm
5548
’oppose ici à celle du gaspillage, comme le souci
de
préserver le passé à celui de faire table rase pour construire quelqu
5549
age, comme le souci de préserver le passé à celui
de
faire table rase pour construire quelque chose de plus net, sans comp
5550
n est ennemi des compromis, il est contradictoire
de
se marier. Et si l’on veut tirer une traite sur son avenir, il est fo
5551
une traite sur son avenir, il est fort imprudent
de
suggérer d’avance qu’on se réserve le droit de ne point l’honorer ; c
5552
sur son avenir, il est fort imprudent de suggérer
d’
avance qu’on se réserve le droit de ne point l’honorer ; comme le fit
5553
nt de suggérer d’avance qu’on se réserve le droit
de
ne point l’honorer ; comme le fit cette jeune milliardaire disant aux
5554
e milliardaire disant aux journalistes, la veille
de
son mariage : « C’est merveilleux de se marier pour la première fois
5555
s, la veille de son mariage : « C’est merveilleux
de
se marier pour la première fois ! » (Un an plus tard, elle divorçait.
5556
d, elle divorçait.) Sur quoi, plusieurs proposent
d’
interdire le divorce, ou de le rendre au moins très difficile. Mais c’
5557
i, plusieurs proposent d’interdire le divorce, ou
de
le rendre au moins très difficile. Mais c’est le mariage, à mon avis,
5558
r le conclure, au dédain des convenances démodées
de
milieu social et religieux, d’éducation et de fortune. On pourrait ce
5559
nvenances démodées de milieu social et religieux,
d’
éducation et de fortune. On pourrait certes imaginer de nouvelles cond
5560
ées de milieu social et religieux, d’éducation et
de
fortune. On pourrait certes imaginer de nouvelles conditions à rempli
5561
cation et de fortune. On pourrait certes imaginer
de
nouvelles conditions à remplir par les candidats au mariage — cette v
5562
e à toute alliance humaine ses meilleures chances
de
durer : buts et rythmes de vie, vocations comparées, caractères et te
5563
ses meilleures chances de durer : buts et rythmes
de
vie, vocations comparées, caractères et tempéraments. Si l’on veut le
5564
mariage, c’est-à-dire la durée, il serait normal
d’
en assurer les conditions. Mais ces réformes n’auraient que peu d’effe
5565
conditions. Mais ces réformes n’auraient que peu
d’
effet dans un monde qui a gardé, sinon la vraie passion, du moins la n
5566
dé, sinon la vraie passion, du moins la nostalgie
de
la passion, devenue congénitale à l’homme occidental. Le mariage qui
5567
ur les convenances sociales, donc du point de vue
de
l’individu, sur le hasard, avait au moins autant de chances que le ma
5568
l’individu, sur le hasard, avait au moins autant
de
chances que le mariage fondé sur « l’amour » seul. Mais toute l’évolu
5569
ondé sur « l’amour » seul. Mais toute l’évolution
de
l’Occident va de la sagesse tribale au risque individuel ; elle est i
5570
r » seul. Mais toute l’évolution de l’Occident va
de
la sagesse tribale au risque individuel ; elle est irréversible et il
5571
du mariage, en Europe comme en Amérique, résulte
d’
une pluralité de causes profondes ou prochaines, dont le culte de la r
5572
Europe comme en Amérique, résulte d’une pluralité
de
causes profondes ou prochaines, dont le culte de la romance n’est qu’
5573
de causes profondes ou prochaines, dont le culte
de
la romance n’est qu’un exemple. (Mais je me devais de le souligner da
5574
a romance n’est qu’un exemple. (Mais je me devais
de
le souligner dans cet ouvrage.) La recherche du bonheur individuel pr
5575
l primant sur la stabilité sociale, et le respect
de
l’évolution psychologique primant sur le sens du serment, peuvent êtr
5576
et dans d’autres domaines, ou à d’autres niveaux
de
la réalité, tantôt sociale, tantôt psychique. L’émancipation de la fe
5577
tantôt sociale, tantôt psychique. L’émancipation
de
la femme (son entrée dans la vie professionnelle et sa revendication
5578
e dans la vie professionnelle et sa revendication
d’
égalité) est un facteur non négligeable de la crise. La vulgarisation
5579
ication d’égalité) est un facteur non négligeable
de
la crise. La vulgarisation des connaissances psychologiques en est un
5580
e du xxe siècle, même très sommairement informés
de
l’existence des complexes freudiens, du jeu des refoulements et de l’
5581
s complexes freudiens, du jeu des refoulements et
de
l’origine des névroses, sont portés à plus d’exigence que leurs ancêt
5582
et de l’origine des névroses, sont portés à plus
d’
exigence que leurs ancêtres quant au mariage et à la vie matrimoniale.
5583
dont les premiers balbutiements ont déjà modifié
d’
une manière perceptible la conscience de l’Occidental. Enfin, certains
5584
à modifié d’une manière perceptible la conscience
de
l’Occidental. Enfin, certains signes annoncent un phénomène plus prof
5585
du xiie siècle, et que je qualifiais au livre II
de
« remontée de la shakti ». Le puissant renouveau de la mariologie dan
5586
e, et que je qualifiais au livre II de « remontée
de
la shakti ». Le puissant renouveau de la mariologie dans l’Église cat
5587
« remontée de la shakti ». Le puissant renouveau
de
la mariologie dans l’Église catholique et ses masses populaires ; les
5588
ses masses populaires ; les travaux tout récents
de
C. G. Jung et de son école sur la Sophia, Sagesse et Vierge-Mère éter
5589
aires ; les travaux tout récents de C. G. Jung et
de
son école sur la Sophia, Sagesse et Vierge-Mère éternelle212 ; et par
5590
ailleurs (vraiment ailleurs !) dans l’avant-garde
de
la littérature européenne, le regain d’intérêt pour le catharisme, l’
5591
ant-garde de la littérature européenne, le regain
d’
intérêt pour le catharisme, l’exaltation de la « Femme-Enfant » salvat
5592
regain d’intérêt pour le catharisme, l’exaltation
de
la « Femme-Enfant » salvatrice de l’homme rationnel, ou l’annonce rép
5593
e, l’exaltation de la « Femme-Enfant » salvatrice
de
l’homme rationnel, ou l’annonce répétée d’une revanche imminente du p
5594
atrice de l’homme rationnel, ou l’annonce répétée
d’
une revanche imminente du principe féminin sur le patriarcat213 — tout
5595
cat213 — tout cela fait pressentir la possibilité
d’
une vaste évolution de la psyché moderne, dont le principe et le sens
5596
t pressentir la possibilité d’une vaste évolution
de
la psyché moderne, dont le principe et le sens nous demeurent cachés,
5597
mais qui donnera peut-être aux historiens futurs
de
notre société occidentale, la clé d’une crise dont nous ne voyons enc
5598
riens futurs de notre société occidentale, la clé
d’
une crise dont nous ne voyons encore que les symptômes superficiels, s
5599
« résoudre » les contradictions qu’endurent tant
d’
hommes et de femmes dans leur mariage. Des synthèses se préparent, peu
5600
» les contradictions qu’endurent tant d’hommes et
de
femmes dans leur mariage. Des synthèses se préparent, peut-être, obsc
5601
individuelle. Toute solution que je serais tenté
de
proposer, fût-elle jugée « la bonne » par le siècle à venir, serait a
5602
par le siècle à venir, serait aujourd’hui frappée
d’
inefficacité, ou si elle pouvait agir, ferait plus de mal que de bien.
5603
nefficacité, ou si elle pouvait agir, ferait plus
de
mal que de bien. Si je l’avais trouvée, et si j’avais le pouvoir de l
5604
, ou si elle pouvait agir, ferait plus de mal que
de
bien. Si je l’avais trouvée, et si j’avais le pouvoir de l’imposer à
5605
. Si je l’avais trouvée, et si j’avais le pouvoir
de
l’imposer à mes contemporains, je me garderais d’en rien faire. C’est
5606
de l’imposer à mes contemporains, je me garderais
d’
en rien faire. C’est qu’une crise de cet ordre n’est pas un accident.
5607
me garderais d’en rien faire. C’est qu’une crise
de
cet ordre n’est pas un accident. Tenter de la couper, comme on le fai
5608
crise de cet ordre n’est pas un accident. Tenter
de
la couper, comme on le fait d’une fièvre, serait bien moins la guérir
5609
n accident. Tenter de la couper, comme on le fait
d’
une fièvre, serait bien moins la guérir que nous priver de nos chances
5610
èvre, serait bien moins la guérir que nous priver
de
nos chances d’en comprendre un jour le secret. Et ce serait en même t
5611
en moins la guérir que nous priver de nos chances
d’
en comprendre un jour le secret. Et ce serait en même temps une sorte
5612
r le secret. Et ce serait en même temps une sorte
de
tricherie, soit que la solution n’apporte en vérité qu’en essai de re
5613
t que la solution n’apporte en vérité qu’en essai
de
retour à l’équilibre ancien, dont la crise même dénonce toute la préc
5614
e sauraient être évalués tant que le sens général
de
la crise nous échappe. Il s’agit bien plutôt de déchiffrer le message
5615
l de la crise nous échappe. Il s’agit bien plutôt
de
déchiffrer le message et de décoder patiemment les nouvelles ambiguës
5616
Il s’agit bien plutôt de déchiffrer le message et
de
décoder patiemment les nouvelles ambiguës que la crise nous apporte s
5617
voltes, nos illusions naïves, nos péchés. Essayer
de
résoudre notre crise du mariage par des mesures morales, sociales ou
5618
sociales ou scientifiques, déduites du seul désir
d’
arrêter les dégâts, ne serait-ce pas lui dénier arbitrairement le cara
5619
nt le caractère qu’elle semble bien avoir : celui
de
la recherche, presque aveugle encore, d’un nouvel équilibre du couple
5620
: celui de la recherche, presque aveugle encore,
d’
un nouvel équilibre du couple. Équilibre tendu entre les exigences tou
5621
es toujours simultanées, contraires et légitimes,
de
la stabilité et de l’évolution, de l’espèce et de l’individu, enfin d
5622
nées, contraires et légitimes, de la stabilité et
de
l’évolution, de l’espèce et de l’individu, enfin de l’accomplissement
5623
et légitimes, de la stabilité et de l’évolution,
de
l’espèce et de l’individu, enfin de l’accomplissement de la personne
5624
de la stabilité et de l’évolution, de l’espèce et
de
l’individu, enfin de l’accomplissement de la personne et de l’Absolu
5625
l’évolution, de l’espèce et de l’individu, enfin
de
l’accomplissement de la personne et de l’Absolu qui seul la juge et l
5626
pèce et de l’individu, enfin de l’accomplissement
de
la personne et de l’Absolu qui seul la juge et la suscite. 201. Vo
5627
idu, enfin de l’accomplissement de la personne et
de
l’Absolu qui seul la juge et la suscite. 201. Voir sur ce point :
5628
ique se justifierait soit par le récit du miracle
de
Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) ; soit par le passage où Jé
5629
parer ce que Dieu a uni ; soit par des entretiens
de
Jésus ressuscité et de ses disciples « que les évangélistes et les Ac
5630
; soit par des entretiens de Jésus ressuscité et
de
ses disciples « que les évangélistes et les Actes mentionnent sans le
5631
hares, nous l’avons vu, le véritable crime, c’est
d’
avoir « consommé » dans la chair cet adultère. 204. L’aventure fameus
5632
s la chair cet adultère. 204. L’aventure fameuse
de
la princesse de C… donna lieu au début du siècle à toute une littérat
5633
toute une littérature romanesque. Quant au thème
de
l’ouvrier ou du chauffeur qui « mérite » la fille du patron, il fut a
5634
film allemand, sous l’hitlérisme. 205. Le titre
d’
un roman de Max Brod, Die Frau nach der man sichsehnt (la femme que l’
5635
and, sous l’hitlérisme. 205. Le titre d’un roman
de
Max Brod, Die Frau nach der man sichsehnt (la femme que l’on désire,
5636
man sichsehnt (la femme que l’on désire, la femme
de
notre nostalgie) est la meilleure définition d’Iseut. L’amour-passion
5637
e de notre nostalgie) est la meilleure définition
d’
Iseut. L’amour-passion veut « la Princesse lointaine » tandis que l’am
5638
répondu à la décision des évêques anglicans dite
de
Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et d’Oxford (toutes les
5639
nglicans dite de Lambeth. Les Congrès œcuméniques
de
Stockholm et d’Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également
5640
Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et
d’
Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également touché le probl
5641
ement touché le problème. 208. Il serait curieux
de
retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a parlé le pre
5642
eur — évidemment moderne — qui a parlé le premier
d’
un « problème sexuel ». Fourier peut-être ? Ou Proudhon ? Cela doit se
5643
aux environs des années 1820-1830, pour une série
de
raisons sociologiques et économiques que je ne saurais exposer ici.
5644
désigne. C’est une combinaison à doses variables
de
sentimentalisme et de sexualité, de jeu et de tragique à bon marché,
5645
mbinaison à doses variables de sentimentalisme et
de
sexualité, de jeu et de tragique à bon marché, de glamour et de désir
5646
ses variables de sentimentalisme et de sexualité,
de
jeu et de tragique à bon marché, de glamour et de désir instinctif, d
5647
les de sentimentalisme et de sexualité, de jeu et
de
tragique à bon marché, de glamour et de désir instinctif, de morale c
5648
de sexualité, de jeu et de tragique à bon marché,
de
glamour et de désir instinctif, de morale conformiste et d’aventure p
5649
de jeu et de tragique à bon marché, de glamour et
de
désir instinctif, de morale conformiste et d’aventure personnelle. C’
5650
à bon marché, de glamour et de désir instinctif,
de
morale conformiste et d’aventure personnelle. C’est Hollywood. 211.
5651
et de désir instinctif, de morale conformiste et
d’
aventure personnelle. C’est Hollywood. 211. - My girl and I want to
5652
fied as an emergency. 212. Cf. Antwort auf Hiob,
de
C. G. Jung (1952), ouvrage dans lequel l’auteur n’hésite pas à écrire
5653
pas à écrire que la proclamation en 1950 du dogme
de
l’Assomption de la Vierge marque l’événement religieux le plus import
5654
la proclamation en 1950 du dogme de l’Assomption
de
la Vierge marque l’événement religieux le plus important depuis la Ré
5655
s important depuis la Réforme. Voir aussi l’étude
d’
Henry Corbin sur la Sophia éternelle, in Revue de Culture européenne,
5656
d’Henry Corbin sur la Sophia éternelle, in Revue
de
Culture européenne, 5, 1953. 213. Voir notamment, outre les ouvrages
5657
e et l’amour courtois, des livres comme Arcane 17
d’
André Breton, les romans lyriques de Julien Gracq, les recherches de R
5658
mme Arcane 17 d’André Breton, les romans lyriques
de
Julien Gracq, les recherches de Robert Graves sur la Grande Déesse, e
5659
s romans lyriques de Julien Gracq, les recherches
de
Robert Graves sur la Grande Déesse, et d’Adrian Turel sur le matriarc
5660
herches de Robert Graves sur la Grande Déesse, et
d’
Adrian Turel sur le matriarcat.
5661
Livre VIIL’amour action, ou
de
la fidélité 1.Nécessité d’un parti pris À l’heure où cet ouvra
5662
L’amour action, ou de la fidélité 1.Nécessité
d’
un parti pris À l’heure où cet ouvrage touche à sa conclusion, il m
5663
core. L’aveu sera jugé insolite. Mais je pressens
d’
assez profondes raisons de le consentir. J’ai voulu décrire la passion
5664
olite. Mais je pressens d’assez profondes raisons
de
le consentir. J’ai voulu décrire la passion comme une entité historiq
5665
n décrire la passion ? On ne décrit pas une forme
d’
existence sans y participer, fût-ce même par une révolte contre la déc
5666
ui se définirait elle-même comme une condamnation
de
la passion : il suffit, pour l’apercevoir, d’observer que la passion,
5667
ion de la passion : il suffit, pour l’apercevoir,
d’
observer que la passion, quelle qu’elle soit, ne peut ni ne veut « avo
5668
on, dès l’instant qu’on parle raison. Car l’homme
de
la passion est justement celui qui choisit d’être dans son tort, aux
5669
mme de la passion est justement celui qui choisit
d’
être dans son tort, aux yeux du monde — et dans ce tort majeur, irrévo
5670
e tort majeur, irrévocable, que signifie le choix
de
la mort contre la vie. Et comment échapper au démon que l’on fixe ? P
5671
iolence spirituelle qui tuât mieux que la passion
d’
amour : celle au moins de l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mai
5672
uât mieux que la passion d’amour : celle au moins
de
l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mais encore plus agressive,
5673
ns doute, puisqu’il n’est plus question pour nous
de
recourir au bras séculier. (Sans compter que la Croisade, au total, f
5674
avant tout et après tout, à l’origine et à la fin
de
la passion, il n’y a pas une « erreur » sur l’homme ou Dieu — a forti
5675
rreur « morale » — mais une décision fondamentale
de
l’homme, qui veut être lui-même son dieu214. La passion brûle dans no
5676
eté du moraliste qui prétendait détourner l’homme
de
cette voie mortelle, divinisante, en lui « prouvant » qu’elle débouch
5677
dans sa perte, en lui opposant toutes les raisons
de
la terre, et les conseils de tous nos arts de vivre, quand c’est la t
5678
t toutes les raisons de la terre, et les conseils
de
tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la
5679
ons de la terre, et les conseils de tous nos arts
de
vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la fa
5680
e tuer autrement qu’il ne veut l’être, c’est bien
de
cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion.
5681
trement qu’il ne veut l’être, c’est bien de cela,
de
cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion. Quant à s
5682
era, c’est son hygiène. Il y a toutes les raisons
de
le prévoir, dans une époque où l’on confond thérapeutique et sotériol
5683
l’on confond thérapeutique et sotériologie (lois
de
l’hygiène et doctrine du salut). À vues humaines, la guérison de nos
5684
doctrine du salut). À vues humaines, la guérison
de
nos passions viendra de l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le po
5685
l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le poids
de
toutes nos fautes, et de la faute initiale de vivre, pour les glorifi
5686
me qui assumera le poids de toutes nos fautes, et
de
la faute initiale de vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom
5687
ids de toutes nos fautes, et de la faute initiale
de
vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom de l’innocence du Peu
5688
i, ici et maintenant, le problème ne comporte pas
d’
échappatoire dans le temps à venir. S’il n’est peut-être pas possible
5689
e pas possible à l’homme — à un homme déterminé —
de
connaître ses propres désirs et de sonder en vérité ses préférences l
5690
me déterminé — de connaître ses propres désirs et
de
sonder en vérité ses préférences les plus secrètes, du moins peut-il
5691
c un parti pris tout personnel que je vais tenter
de
définir maintenant, et après coup, tel que je le reconnais dans ma vi
5692
ce. 2.Critique du mariage Si je ne vois pas
de
raison qui tienne contre la passion véritable, il m’apparaît en secon
5693
meilleurs esprits demeurent absolument valables.
De
tout temps, les raisons du philistin ont eu mauvaise conscience devan
5694
use « paix du foyer » n’existe guère qu’au niveau
d’
une certaine éloquence moyenne, politicienne, bourgeoise ou édifiante.
5695
iale, vous verrez que cela va, neuf fois sur dix,
de
l’agitation des petits soins à la criaillerie délirante. Enregistrez
5696
délirante. Enregistrez sur disque, au hasard, un
de
ces entretiens « paisibles » qui agrémentent le « foyer domestique »
5697
isibles » qui agrémentent le « foyer domestique »
d’
un bourgeois ou d’un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se
5698
mentent le « foyer domestique » d’un bourgeois ou
d’
un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se justifier. Oui, l
5699
larent au nom de leur vocation qu’il faut choisir
de
faire des livres ou des enfants : aut liberi aut libri disait Nietzsc
5700
e étant la suprême valeur du « stade esthétique »
de
la vie ; puis la surmonte en exaltant le mariage, suprême valeur du «
5701
et le romantique, et leur donner raison au point
de
leur faire honte d’avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin, i
5702
t leur donner raison au point de leur faire honte
d’
avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin, il n’écrase pas seule
5703
u point de leur faire honte d’avoir parfois douté
d’
eux-mêmes ; mais à la fin, il n’écrase pas seulement ce philistin qui
5704
écrase pas seulement ce philistin qui se contente
d’
épouser la veuve du brasseur, ou ce jeune fou qui aime la fille du roi
5705
re leur moralisme ; et les croyants aux arguments
de
saint Paul, qui valent contre leur humanisme. Que dit l’Apôtre ? Je p
5706
it l’Apôtre ? Je pense qu’il est bon pour l’homme
de
ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que c
5707
se qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher
de
femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme e
5708
rps, mais c’est la femme. Ne vous privez pas l’un
de
l’autre, si ce n’est d’un commun accord pour un temps, afin de vaquer
5709
. Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est
d’
un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis reto
5710
n de vaquer à la prière ; puis retournez ensemble
de
peur que Satan ne vous tente par votre incontinence. Je dis cela par
5711
ais pas un ordre… Car il vaut mieux se marier que
de
brûler… Que chacun marche selon la part que le Seigneur lui a faite,
5712
Seigneur lui a faite, selon l’appel qu’il a reçu
de
Dieu… Que chacun, frères, demeure devant Dieu dans l’état où il était
5713
sant du monde comme n’en usant pas, car la figure
de
ce monde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup de grâce : Celu
5714
onde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup
de
grâce : Celui qui n’est pas marié s’inquiète des choses du Seigneur,
5715
rié s’inquiète des choses du Seigneur, des moyens
de
plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du m
5716
marié s’inquiète des choses du monde, des moyens
de
plaire à sa femme. (V. 32) ⁂ Tout ce qu’on peut dire contre le maria
5717
r, pour ceux qui croient. Il n’est possible alors
d’
affirmer le mariage qu’au-delà des deux premières critiques et en chem
5718
intenant sans cesse présente l’exigence inhumaine
de
perfection, comme une question perpétuelle, un aiguillon qui empêche
5719
ne question perpétuelle, un aiguillon qui empêche
de
retomber sous le coup des objections humaines. Si j’oublie cet au-del
5720
s. Si j’oublie cet au-delà du mariage, mais aussi
de
tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume de Dieu : (« Il n’y aura
5721
si de tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume
de
Dieu : (« Il n’y aura plus ni hommes ni femmes »), je borne ma vision
5722
il ne me reste que la révolte contre ma condition
de
créature ; et au contraire, si je l’atteins trop aisément, je deviend
5723
ris dans les rets sociaux, et incapable désormais
de
concevoir les vérités « cruelles » de l’esprit, dont parle Nietzsche.
5724
e désormais de concevoir les vérités « cruelles »
de
l’esprit, dont parle Nietzsche. Mais si je sais que l’Apôtre a raison
5725
ision Si l’on songe à ce que signifie le choix
d’
une femme pour toute la vie, l’on en vient à cette conclusion : choisi
5726
populaire et bourgeoise recommande au jeune homme
de
« réfléchir » avant de prendre une décision : elle l’entretient ainsi
5727
e l’entretient ainsi dans l’illusion que le choix
d’
une femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible
5728
i dans l’illusion que le choix d’une femme dépend
d’
un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette err
5729
e le choix d’une femme dépend d’un certain nombre
de
raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est
5730
n certain nombre de raisons qu’il serait possible
de
peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous aurez
5731
est tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter
de
mettre au départ toutes les chances de votre côté — et je suppose que
5732
eau tenter de mettre au départ toutes les chances
de
votre côté — et je suppose que la vie vous laisse le temps de calcule
5733
é — et je suppose que la vie vous laisse le temps
de
calculer — jamais vous ne pourrez prévoir votre future évolution, et
5734
oir votre future évolution, et encore moins celle
de
l’épouse choisie, encore bien moins celle du couple formé. Les facteu
5735
si leur nombre était fini) et que vous disposiez
d’
une telle science de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et
5736
t fini) et que vous disposiez d’une telle science
de
l’humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évi
5737
e évidente, encore ne sauriez-vous prévoir la fin
d’
une union faite en connaissance de causes. Il a fallu, dit-on, plusieu
5738
prévoir la fin d’une union faite en connaissance
de
causes. Il a fallu, dit-on, plusieurs centaines de millénaires à la n
5739
e causes. Il a fallu, dit-on, plusieurs centaines
de
millénaires à la nature pour sélectionner les espèces qui nous parais
5740
araissent adaptées. Et nous aurions la prétention
de
résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de
5741
aptées. Et nous aurions la prétention de résoudre
d’
un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres p
5742
résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème
de
l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement org
5743
up, en une seule vie, le problème de l’adaptation
de
deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est
5744
qu’un troisième essai le rapprochera sensiblement
de
son « bonheur ». Alors que tout nous montre que cent-mille essais ne
5745
remiers éléments, tout balbutiants et empiriques,
d’
une science du « mariage heureux ». Il faut le reconnaître honnêtement
5746
osé par la nécessité pratique du mariage apparaît
d’
autant plus insoluble que l’on tient davantage à le « résoudre » au se
5747
ent davantage à le « résoudre » au sens rationnel
de
ce terme. Certes, il y a du sophisme dans mon raisonnement : car tout
5748
ophisme dans mon raisonnement : car tout se passe
d’
ordinaire comme si le bonheur des époux dépendait en réalité d’un nomb
5749
omme si le bonheur des époux dépendait en réalité
d’
un nombre fini de facteurs : caractère, physique, fortune, rang social
5750
r des époux dépendait en réalité d’un nombre fini
de
facteurs : caractère, physique, fortune, rang social… Mais pour peu q
5751
ncite les jeunes fiancés à calculer leurs chances
de
bonheur, on détourne leur attention du problème proprement éthique. E
5752
ention du problème proprement éthique. En tentant
de
réduire ou de dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement
5753
lème proprement éthique. En tentant de réduire ou
de
dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement un choix de c
5754
tentant de réduire ou de dissimuler le caractère
de
pari que revêt objectivement un choix de cet ordre, on donne à croire
5755
aractère de pari que revêt objectivement un choix
de
cet ordre, on donne à croire que tout se ramène à une sagesse, à un s
5756
e qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler
d’
une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la
5757
Et la seule garantie concevable est dans la force
de
la décision en vertu de laquelle on s’engage pour toute la vie « advi
5758
esure où l’on se persuade qu’il s’agit avant tout
de
calcul. D’où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mar
5759
on se persuade qu’il s’agit avant tout de calcul.
D’
où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au
5760
plus conforme à l’essence du mariage, et au réel,
d’
enseigner aux jeunes gens que leur choix relève toujours d’une sorte d
5761
er aux jeunes gens que leur choix relève toujours
d’
une sorte d’arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heur
5762
s gens que leur choix relève toujours d’une sorte
d’
arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heureuses ou non
5763
reuses ou non. Ce n’est pas là un éloge du « coup
de
tête » : car tant que l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide
5764
ue l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide
de
s’en priver. Mais je dis que la garantie d’une union raisonnable dans
5765
upide de s’en priver. Mais je dis que la garantie
d’
une union raisonnable dans les apparences n’est jamais dans ces appare
5766
apparences. Elle est dans l’événement irrationnel
d’
une décision prise en dépit de tout, et qui fonde une nouvelle existen
5767
n’est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal
de
mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l’Iseut
5768
êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie
d’
une dot adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là me
5769
il faut n’avoir connu que peu de solitude et peu
d’
angoisse, très peu de solitaire angoisse.) Seule une décision de cet o
5770
ès peu de solitaire angoisse.) Seule une décision
de
cet ordre, irrationnelle mais non sentimentale, sobre mais sans aucun
5771
ntale, sobre mais sans aucun cynisme, peut servir
de
point de départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidéli
5772
bre mais sans aucun cynisme, peut servir de point
de
départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui so
5773
je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette
de
« bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’étant pas
5774
lité On fausse l’éthique du mariage en faisant
de
la promesse de fidélité un problème, alors que le problème ne devrait
5775
se l’éthique du mariage en faisant de la promesse
de
fidélité un problème, alors que le problème ne devrait se poser qu’à
5776
e on fausse la théologie en partant du « problème
de
Dieu » — exactement comme si l’on ne croyait pas — alors que le seul
5777
croyait pas — alors que le seul vrai problème est
de
savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle
5778
le n’est pas — comme tout ce qui porte une chance
de
grandeur. (Comme la passion !) Les moralistes et certains sociologues
5779
Les moralistes et certains sociologues ont essayé
de
prouver que la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est saluta
5780
la raison et l’intérêt : quand ils n’auront plus
de
passions, quand ils cesseront de préférer l’erreur comme telle, quand
5781
ls n’auront plus de passions, quand ils cesseront
de
préférer l’erreur comme telle, quand ils cesseront de mériter cet inq
5782
référer l’erreur comme telle, quand ils cesseront
de
mériter cet inquiétant nom d’homme, au sens actuel. Car pour ceux du
5783
quand ils cesseront de mériter cet inquiétant nom
d’
homme, au sens actuel. Car pour ceux du siècle présent, je pense que l
5784
leur langage, la fidélité conjugale est le succès
d’
un effort « inhumain ». Leur revendication fondamentale, leur religion
5785
». Leur revendication fondamentale, leur religion
de
la Vie, s’y oppose diamétralement. Ils considèrent la fidélité comme
5786
stention prudente… Ou encore ils y voient l’effet
d’
une impuissance à vivre largement ; d’un goût mesquin pour le confort
5787
ent l’effet d’une impuissance à vivre largement ;
d’
un goût mesquin pour le confort et le conforme ; d’un défaut d’imagina
5788
’un goût mesquin pour le confort et le conforme ;
d’
un défaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’in
5789
quin pour le confort et le conforme ; d’un défaut
d’
imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordid
5790
fort et le conforme ; d’un défaut d’imagination ;
d’
une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordide… L’habitude de
5791
éfaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ;
d’
un calcul d’intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acqu
5792
ination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul
d’
intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acquise, c’est d
5793
habitude des modernes, leur nature acquise, c’est
d’
exploiter chaque situation au maximum et pour elle-même, sans plus se
5794
jouissance qu’on en tire. Seul un respect acquis
de
l’ordre social soutient encore en fait, l’idée de fidélité. Mais l’ob
5795
de l’ordre social soutient encore en fait, l’idée
de
fidélité. Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne de tous les
5796
. Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne
de
tous les côtés. Voyez les excuses invoquées par le mari qui trompe sa
5797
trompe sa femme ; il dit tantôt : « Cela n’a pas
d’
importance, cela ne change rien à nos rapports, c’est une passade, une
5798
rtant que toutes vos petites morales et garanties
de
bonheur bourgeois ! » Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas
5799
» Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas
de
contradiction profonde, nous l’avons vu216. Dans les deux cas, il s’a
5800
nous l’avons vu216. Dans les deux cas, il s’agit
de
s’évader hors de tout engagement concret, considéré comme une odieuse
5801
gie rationaliste ou hédoniste, je ne parlerai que
d’
une fidélité observée en vertu de l’absurde, parce qu’on s’y est engag
5802
e commune en la valeur révélatrice du spontané et
de
la multiplicité des expériences. Elle nie que l’être aimé doive réuni
5803
être ou pour rester aimable, le plus grand nombre
de
qualités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur
5804
nombre de qualités possible. Elle nie que le but
de
la fidélité soit le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c’est a
5805
rité que l’on croit, et en second lieu la volonté
de
faire une œuvre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce de cons
5806
vre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce
de
conservatisme. Elle est plutôt une construction. « Absurde » au moins
5807
au moins autant que la passion, elle se distingue
de
la passion par un refus constant de subir ses rêves, par un besoin co
5808
se distingue de la passion par un refus constant
de
subir ses rêves, par un besoin constant d’agir pour l’être aimé, par
5809
nstant de subir ses rêves, par un besoin constant
d’
agir pour l’être aimé, par une constante prise sur le réel, qu’elle ch
5810
le s’édifie à la manière d’une œuvre, à la faveur
d’
une œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à
5811
osent un parti pris217, une attitude fondamentale
de
créateur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse de fidélité int
5812
teur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse
de
fidélité introduit une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan
5813
vie, la promesse de fidélité introduit une chance
de
faire œuvre, et de s’élever au plan de la personne. (À condition bien
5814
fidélité introduit une chance de faire œuvre, et
de
s’élever au plan de la personne. (À condition bien entendu que cette
5815
une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan
de
la personne. (À condition bien entendu que cette promesse ne soit pas
5816
as faite pour des « raisons » que l’on se réserve
de
répudier un jour, quand elles cesseront de paraître raisonnables ! Si
5817
éserve de répudier un jour, quand elles cesseront
de
paraître raisonnables ! Si la promesse du mariage est le type même de
5818
bles ! Si la promesse du mariage est le type même
de
l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est faite une fois pour
5819
e la plus déshéritée, détient sa chance immédiate
de
grandeur, et c’est dans la fidélité « absurde » qu’elle pourra la réa
5820
r : quand il y aurait toutes les raisons du monde
de
dire oui à cette passion éblouissante, — dire non en vertu de l’absur
5821
u de l’absurde, en vertu d’une promesse ancienne,
d’
une déraison humaine, d’une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu
5822
d’une promesse ancienne, d’une déraison humaine,
d’
une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et pe
5823
se ancienne, d’une déraison humaine, d’une raison
de
foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus
5824
nne, d’une déraison humaine, d’une raison de foi,
d’
une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus tard, a
5825
compense la perte : nous sommes ici dans un ordre
de
grandeur où nos mesures et nos équivalences n’ont plus cours). Mais s
5826
-nous encore imaginer une grandeur qui n’ait rien
de
romantique ? Et qui soit le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidél
5827
ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire
d’
une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une folie, mais la
5828
lie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie
de
sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’est pas un héroïsme
5829
èle. (Pour ne rien dire des successives fidélités
de
nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des
5830
des successives fidélités de nos « liaisons », et
de
tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti.) O
5831
econnu dans sa femme une Iseut ? Lorsque l’amant
de
la légende manichéenne a traversé les grandes épreuves d’initiation,
5832
gende manichéenne a traversé les grandes épreuves
d’
initiation, souvenez-vous de la « jeune fille éblouissante » qui l’acc
5833
les grandes épreuves d’initiation, souvenez-vous
de
la « jeune fille éblouissante » qui l’accueille par ces paroles : « J
5834
le par ces paroles : « Je suis toi-même ! » Ainsi
de
la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un narcissisme mystique, m
5835
is toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et
de
Tristan. C’est un narcissisme mystique, mais qui s’ignore, naturellem
5836
an n’aime pas Iseut mais l’amour même, et au-delà
de
cet amour, la mort, c’est-à-dire la seule délivrance du moi coupable
5837
us profonde et secrète passion. Le mythe s’empare
de
l’« instinct de mort » inséparable de toute vie créée, et il le trans
5838
ecrète passion. Le mythe s’empare de l’« instinct
de
mort » inséparable de toute vie créée, et il le transfigure en lui do
5839
he s’empare de l’« instinct de mort » inséparable
de
toute vie créée, et il le transfigure en lui donnant un but essentiel
5840
re, mépriser son bonheur, c’est alors une manière
de
se sauver et d’accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Is
5841
bonheur, c’est alors une manière de se sauver et
d’
accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Isolde agonisante.
5842
accéder à une vie supérieure, la « joie suprême »
d’
Isolde agonisante. Fidélité qui consume la vie, mais qui consume aussi
5843
faute, et divinise un moi purifié, « innocent » !
De
ces origines mystiques, la « fidélité passionnée » n’a gardé parmi no
5844
passionnée » n’a gardé parmi nous que l’illusion
d’
accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire de cette illusion trahit
5845
n d’accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire
de
cette illusion trahit encore l’obscure survivance de la religion prim
5846
cette illusion trahit encore l’obscure survivance
de
la religion primitive. Religion antérieure à notre « instinct » moder
5847
nstinct » moderne, et qui détient l’intime secret
de
la passion, au-delà de ce que les psychologues peuvent y lire. « Not
5848
ui détient l’intime secret de la passion, au-delà
de
ce que les psychologues peuvent y lire. « Notre engagement n’était p
5849
nt à sa fiancée perdue. C’est l’émouvante formule
de
la fidélité courtoise ; une négation sans retour de la vie. Mais la f
5850
la fidélité courtoise ; une négation sans retour
de
la vie. Mais la fidélité dans le mariage est au contraire un engageme
5851
ntraire un engagement pris pour ce monde. Partant
d’
une déraison « mystique » (si l’on veut), indifférente, sinon hostile
5852
aime voue sa fidélité. Et tandis que la fidélité
de
Tristan était un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la
5853
de Tristan était un perpétuel refus, une volonté
d’
exclure et de nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde
5854
tait un perpétuel refus, une volonté d’exclure et
de
nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde d’envahir l’â
5855
exclure et de nier la création dans sa diversité,
d’
empêcher le monde d’envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil
5856
a création dans sa diversité, d’empêcher le monde
d’
envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil de la créature, la
5857
nvahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil
de
la créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est, dans son in
5858
es époux est l’accueil de la créature, la volonté
d’
accepter l’autre tel qu’il est, dans son intime singularité. Insistons
5859
t ; elle ne peut être qu’une action. Se contenter
de
ne pas tromper sa femme serait une preuve d’indigence et non d’amour.
5860
nter de ne pas tromper sa femme serait une preuve
d’
indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bi
5861
per sa femme serait une preuve d’indigence et non
d’
amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’être aimé,
5862
r. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien
de
l’être aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle
5863
l’autre, que le moi rejoint sa personne — au-delà
de
son propre bonheur. Ainsi la personne des époux est une mutuelle créa
5864
tuelle création, elle est le double aboutissement
de
« l’amour-action ». Ce qui niait l’individu et son naturel égoïsme, c
5865
uvrira que la fidélité dans le mariage est la loi
d’
une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la poly
5866
iage est la loi d’une vie nouvelle ; et non point
de
la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pou
5867
naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus
de
la vie pour la mort (c’était la passion de Tristan). L’amour de Trist
5868
n plus de la vie pour la mort (c’était la passion
de
Tristan). L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deu
5869
la mort (c’était la passion de Tristan). L’amour
de
Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissem
5870
ait la passion de Tristan). L’amour de Tristan et
d’
Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissement suprême, c
5871
L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse
d’
être deux ; et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illi
5872
les visages, les destins singuliers : « Non plus
d’
Isolde, plus de Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut qu
5873
es destins singuliers : « Non plus d’Isolde, plus
de
Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse
5874
nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse
d’
être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir
5875
être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse
de
me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus que « moi-le-monde » ! Mais
5876
i-le-monde » ! Mais l’amour du mariage est la fin
de
l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’il m’appell
5877
u mariage est la fin de l’angoisse, l’acceptation
de
l’être limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tou
5878
(Il y a toujours une telle menace dans l’échange
de
plaisir d’une « liaison »). Mais combien d’hommes savent-ils la diffé
5879
ujours une telle menace dans l’échange de plaisir
d’
une « liaison »). Mais combien d’hommes savent-ils la différence entre
5880
hange de plaisir d’une « liaison »). Mais combien
d’
hommes savent-ils la différence entre une obsession que l’on subit et
5881
age ne saurait honnêtement s’appliquer à l’avenir
d’
un état où l’on se trouve aujourd’hui ; mais il peut et il doit impliq
5882
’hui ; mais il peut et il doit impliquer l’avenir
d’
actes conscients que l’on assume : aimer, rester fidèle, éduquer ses e
5883
nt différents les sens du mot aimer dans le monde
de
l’Éros et dans le monde de l’Agapè. On le voit mieux encore si l’on c
5884
ot aimer dans le monde de l’Éros et dans le monde
de
l’Agapè. On le voit mieux encore si l’on constate que le Dieu de l’Éc
5885
n constate que le Dieu de l’Écriture nous ordonne
d’
aimer. Le premier commandement du Décalogue : « Tu aimeras le Seigneur
5886
du Décalogue : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de
tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée » ne saurait co
5887
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de
toute ton âme et de toute ta pensée » ne saurait concerner que des ac
5888
ur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et
de
toute ta pensée » ne saurait concerner que des actes. Il serait total
5889
erner que des actes. Il serait totalement absurde
d’
exiger de l’homme un état de sentiment. L’impératif : « Aime Dieu et t
5890
des actes. Il serait totalement absurde d’exiger
de
l’homme un état de sentiment. L’impératif : « Aime Dieu et ton procha
5891
it totalement absurde d’exiger de l’homme un état
de
sentiment. L’impératif : « Aime Dieu et ton prochain comme toi-même »
5892
ton prochain comme toi-même » crée des structures
de
relations actives. L’impératif : « Sois amoureux ! » serait vide de s
5893
es. L’impératif : « Sois amoureux ! » serait vide
de
sens ; ou s’il était réalisable, priverait l’homme de sa liberté.
5894
ens ; ou s’il était réalisable, priverait l’homme
de
sa liberté. 5.Éros sauvé par Agapè Alors l’amour de charité, l’
5895
berté. 5.Éros sauvé par Agapè Alors l’amour
de
charité, l’amour chrétien, qui est Agapè, paraît enfin, dans sa plein
5896
in, dans sa pleine stature : il est l’affirmation
de
l’être en acte. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a
5897
i a répandu dans notre monde occidental le poison
de
l’ascèse idéaliste — tout ce qu’un Nietzsche injustement reproche au
5898
, et non pas Agapè, qui a glorifié notre instinct
de
mort, et qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge d’Éros en l
5899
qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge
d’
Éros en le sauvant. Car Agapè ne sait pas détruire et ne veut même pas
5900
la mort parce qu’il veut exalter la vie au-dessus
de
notre condition finie et limitée de créatures. Ainsi le même mouvemen
5901
vie au-dessus de notre condition finie et limitée
de
créatures. Ainsi le même mouvement qui fait que nous adorons la vie n
5902
négation. C’est la profonde misère, le désespoir
d’
Éros, sa servitude inexprimable : — en l’exprimant, Agapè l’en délivre
5903
que la vie terrestre et temporelle ne mérite pas
d’
être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à
5904
à la mort. Mais l’homme qui croit à la révélation
de
l’Agapè voit soudain le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi d
5905
in le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi
de
sa religion naturelle. Il peut maintenant espérer autre chose, il sai
5906
hé. Et voici que l’Éros à son tour se voit relevé
de
sa fonction mortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’être
5907
se voit relevé de sa fonction mortelle et délivré
de
son destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’être un démon
5908
ortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse
d’
être un dieu, il cesse d’être un démon 218. Et il retrouve sa juste pl
5909
destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse
d’
être un démon 218. Et il retrouve sa juste place dans l’économie provi
5910
etrouve sa juste place dans l’économie provisoire
de
la Création, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire
5911
place dans l’économie provisoire de la Création,
de
l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire un dieu de l’Éro
5912
n, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que
de
faire un dieu de l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus d
5913
e païen ne pouvait autrement que de faire un dieu
de
l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus dangereux et le pl
5914
plus mystérieux, le plus profondément lié au fait
de
vivre. Toutes les religions païennes divinisent le Désir. Toutes cher
5915
devient aussitôt, et par là même, le pire ennemi
de
la vie, la séduction du Rien. Mais dès lors que le Verbe s’est fait c
5916
eu qui l’a aimé le premier, et qui s’est approché
de
lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus haut dans l’ascension
5917
? Il perd sa puissance absolue quand nous cessons
de
le diviniser. Et c’est ce qu’atteste l’expérience de la fidélité dans
5918
le diviniser. Et c’est ce qu’atteste l’expérience
de
la fidélité dans le mariage. Car cette fidélité se fonde justement su
5919
é se fonde justement sur le refus initial et juré
de
« cultiver » les illusions de la passion, de leur rendre un culte sec
5920
fus initial et juré de « cultiver » les illusions
de
la passion, de leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mysté
5921
juré de « cultiver » les illusions de la passion,
de
leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît
5922
de la passion, de leur rendre un culte secret, et
d’
en attendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai de le faire con
5923
e secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît
de
vie. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen d’un fait connu.
5924
tendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai
de
le faire concevoir par l’examen d’un fait connu. Le christianisme a p
5925
e. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen
d’
un fait connu. Le christianisme a proclamé l’égalité parfaite des sexe
5926
a proclamé l’égalité parfaite des sexes, et cela
de
la manière la plus précise : La femme n’a pas autorité sur son propre
5927
t la femme. (I. Cor., 7.) La femme étant l’égale
de
l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme219 ». En même tem
5928
égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but
de
l’homme219 ». En même temps, elle échappe à l’abaissement bestial qui
5929
abaissement bestial qui tôt ou tard est la rançon
d’
une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne doit pas être e
5930
qui tôt ou tard est la rançon d’une divinisation
de
la créature. Mais cette égalité ne doit pas être entendue au sens mod
5931
moderne et revendicateur. Elle procède du mystère
de
l’amour. Elle n’est que le signe et la démonstration du triomphe d’Ag
5932
’est que le signe et la démonstration du triomphe
d’
Agapè sur Éros. Car l’amour réellement réciproque exige et crée l’égal
5933
our réellement réciproque exige et crée l’égalité
de
ceux qui s’aiment. Dieu manifeste son amour pour l’homme en exigeant
5934
t saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne
de
son amour pour une femme en la traitant comme une personne humaine to
5935
e une personne humaine totale — non comme une fée
de
la légende, mi-déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons de c
5936
déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons
de
ces prémisses générales à la psychologie la plus concrète de la relat
5937
isses générales à la psychologie la plus concrète
de
la relation des égaux. L’exercice de la fidélité envers une femme acc
5938
lus concrète de la relation des égaux. L’exercice
de
la fidélité envers une femme accoutume à considérer les autres femmes
5939
ne femme accoutume à considérer les autres femmes
d’
une manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde de l’Éros : comme
5940
e manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde
de
l’Éros : comme des personnes, non plus comme des reflets ou des objet
5941
xercice spirituel » développe des facultés neuves
de
jugement, de possession de soi et de respect220. Au contraire de l’ho
5942
tuel » développe des facultés neuves de jugement,
de
possession de soi et de respect220. Au contraire de l’homme érotique,
5943
pe des facultés neuves de jugement, de possession
de
soi et de respect220. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la
5944
ultés neuves de jugement, de possession de soi et
de
respect220. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la fidélité
5945
ect220. Au contraire de l’homme érotique, l’homme
de
la fidélité ne cherche plus à voir dans une femme seulement ce corps
5946
ent, à peine tenté, le mystère difficile et grave
d’
une existence autonome, étrangère, d’une vie totale dont il n’a désiré
5947
ile et grave d’une existence autonome, étrangère,
d’
une vie totale dont il n’a désiré vraiment qu’un illusoire ou fugitif
5948
dité qu’elle développe. L’empire du mythe faiblit
d’
autant ; et s’il reste improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser
5949
e improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser
de
traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué d’images — du moins
5950
olisse jamais sans laisser de traces dans le cœur
d’
un homme moderne, intoxiqué d’images — du moins perd-il son efficace :
5951
traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué
d’
images — du moins perd-il son efficace : ce n’est plus lui qui détermi
5952
up de foudre », et encore moins à la « fatalité »
de
la passion. Le « coup de foudre » est sans doute une légende accrédit
5953
de accréditée par Don Juan, comme la « fatalité »
de
la passion est accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent
5954
rompé, parce qu’il y trouve son intérêt ; figures
de
rhétorique romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il serait a
5955
ables à ce titre, mais qu’il serait assez absurde
de
confondre avec des vérités psychologiques. Notre analyse du mythe nou
5956
i l’on aime croire à la fatalité, qui est l’alibi
de
la culpabilité : « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute, je n’y ét
5957
ce de ma personne. » Pieux mensonge221 du servant
d’
Éros. Mais de combien de complaisances secrètes se compose une « fatal
5958
onne. » Pieux mensonge221 du servant d’Éros. Mais
de
combien de complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant
5959
ux mensonge221 du servant d’Éros. Mais de combien
de
complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant au coup de
5960
coup de foudre, il est censé justifier les écarts
de
Don Juan. Toute la littérature nous engage à y voir la preuve d’une t
5961
ute la littérature nous engage à y voir la preuve
d’
une très puissante nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups de fo
5962
nte nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups
de
foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de su
5963
nsuelle. Don Juan, l’homme des coups de foudre et
de
la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe
5964
oudre et de la vie « orageuse », serait une sorte
de
surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine l
5965
a vie « orageuse », serait une sorte de surhomme,
de
surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine les contingenc
5966
, serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe
d’
une puissance indéfinie et qui domine les contingences morales. Mais a
5967
s, on peut être certain qu’un pareil mythe est né
de
rêves compensateurs — soit d’une fidélité contrainte et détestée, soi
5968
pareil mythe est né de rêves compensateurs — soit
d’
une fidélité contrainte et détestée, soit d’une jalousie masochiste, s
5969
soit d’une fidélité contrainte et détestée, soit
d’
une jalousie masochiste, soit enfin d’un début d’impuissance. Et en ef
5970
estée, soit d’une jalousie masochiste, soit enfin
d’
un début d’impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien
5971
d’une jalousie masochiste, soit enfin d’un début
d’
impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien typique d’u
5972
’un début d’impuissance. Et en effet, la conduite
de
Don Juan est bien typique d’une certaine déficience sexuelle. C’est d
5973
n effet, la conduite de Don Juan est bien typique
d’
une certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de fatigue général
5974
e certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état
de
fatigue générale, et sexuellement localisée, que le corps se voit por
5975
iots. Par contre, dans un état normal du corps et
de
l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il appa
5976
un état normal du corps et de l’esprit, le risque
de
coup de foudre est à peu près éliminé. Il apparaît ainsi que la monog
5977
st la meilleure garantie du plaisir, c’est-à-dire
de
l’Éros purement charnel, et non du tout divinisé222. ⁂ On objecte alo
5978
rs que le mariage ne serait plus que le « tombeau
de
l’amour ». Mais c’est encore le mythe, naturellement, qui nous le fai
5979
ment, qui nous le fait croire, avec son obsession
de
l’amour contrarié. Il serait plus vrai de dire après Benedetto Croce
5980
session de l’amour contrarié. Il serait plus vrai
de
dire après Benedetto Croce que « le mariage est le tombeau de l’amour
5981
s Benedetto Croce que « le mariage est le tombeau
de
l’amour sauvage223 » (et plus communément du sentimentalisme). L’amou
5982
uvage et naturel se manifeste par le viol, preuve
d’
amour chez tous les barbares. Mais le viol, comme la polygamie, révèle
5983
ie, révèle que l’homme n’est pas encore en mesure
de
concevoir la réalité de la personne chez la femme. C’est autant dire
5984
’est pas encore en mesure de concevoir la réalité
de
la personne chez la femme. C’est autant dire qu’il ne sait pas encore
5985
e aimer. Le viol et la polygamie privent la femme
de
sa qualité d’égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépe
5986
ol et la polygamie privent la femme de sa qualité
d’
égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépersonnalise les
5987
omine, ce n’est pas faute de « passion » (au sens
de
tempérament) mais c’est qu’il aime, justement, et qu’en vertu de cet
5988
justement, et qu’en vertu de cet amour, il refuse
de
s’imposer, il se refuse à une violence qui nie et détruit la personne
5989
sonne. Il prouve ainsi qu’il veut d’abord le bien
de
l’autre. Son égoïsme passe par l’autre. On admettra que c’est une rév
5990
t dépasser la formule toute négative et privative
de
Croce, et définir enfin le mariage comme cette institution qui contie
5991
r la morale, mais par l’amour. 6.Les paradoxes
de
l’Occident Ces quelques remarques sur la passion et le mariage met
5992
iage mettent en lumière l’opposition fondamentale
de
l’Éros et de l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputen
5993
en lumière l’opposition fondamentale de l’Éros et
de
l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputent notre Occid
5994
qui se disputent notre Occident. La connaissance
de
ce conflit, de ses origines historiques et psychologiques, de son enj
5995
nt notre Occident. La connaissance de ce conflit,
de
ses origines historiques et psychologiques, de son enjeu spirituel, m
5996
t, de ses origines historiques et psychologiques,
de
son enjeu spirituel, me paraît devoir entraîner la révision d’un cert
5997
spirituel, me paraît devoir entraîner la révision
d’
un certain nombre de jugements courants, dans le domaine de l’éthique
5998
devoir entraîner la révision d’un certain nombre
de
jugements courants, dans le domaine de l’éthique d’abord, mais aussi
5999
ain nombre de jugements courants, dans le domaine
de
l’éthique d’abord, mais aussi dans celui de la culture et de sa philo
6000
maine de l’éthique d’abord, mais aussi dans celui
de
la culture et de sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira
6001
e d’abord, mais aussi dans celui de la culture et
de
sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute de dég
6002
elui de la culture et de sa philosophie. Au terme
de
cet ouvrage, il suffira sans doute de dégager le principe de correcti
6003
e. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute
de
dégager le principe de correction que nos recherches sur la passion p
6004
age, il suffira sans doute de dégager le principe
de
correction que nos recherches sur la passion peuvent établir. ⁂ Les O
6005
y voient l’héritage du christianisme et le secret
de
notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme,
6006
namisme, correspondent aux trois traits dominants
de
la psyché occidentale. De là vient l’impression d’évidence qu’entraîn
6007
trois traits dominants de la psyché occidentale.
De
là vient l’impression d’évidence qu’entraînent de pareils jugements.
6008
e la psyché occidentale. De là vient l’impression
d’
évidence qu’entraînent de pareils jugements. Cependant, si les conclus
6009
De là vient l’impression d’évidence qu’entraînent
de
pareils jugements. Cependant, si les conclusions de notre examen du m
6010
pareils jugements. Cependant, si les conclusions
de
notre examen du mythe courtois sont justes, il faudra corriger sensib
6011
justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma
de
l’Occident chrétien. Tout d’abord : ce n’est pas le christianisme qui
6012
a fait naître la passion, mais c’est une hérésie
d’
origine orientale. Cette hérésie s’est répandue d’abord dans les contr
6013
ous-produit du christianisme » ou le « changement
d’
adresse d’une force que le christianisme a réveillée et orientée vers
6014
t du christianisme » ou le « changement d’adresse
d’
une force que le christianisme a réveillée et orientée vers Dieu224. »
6015
tée vers Dieu224. » Il est plutôt le sous-produit
de
la religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité
6016
religion manichéenne. Plus exactement, il est né
de
la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyances, et
6017
enne. Plus exactement, il est né de la complicité
de
cette religion avec nos plus vieilles croyances, et du conflit de l’h
6018
n avec nos plus vieilles croyances, et du conflit
de
l’hérésie qui en résulta avec l’orthodoxie chrétienne. Première corre
6019
avec l’orthodoxie chrétienne. Première correction
d’
importance. Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynamis
6020
e correction d’importance. Ensuite, il est urgent
de
rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de deux sourc
6021
er que le fameux « dynamisme occidental » procède
de
deux sources distinctes. Si c’est notre délire guerrier que l’on ente
6022
ner par ce terme, nous avons vu qu’il se rattache
de
la manière la plus précise, historiquement, à la passion. Comme la pa
6023
iquement, à la passion. Comme la passion, le goût
de
la guerre procède d’une conception de la vie ardente qui est un masqu
6024
n. Comme la passion, le goût de la guerre procède
d’
une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. D
6025
on, le goût de la guerre procède d’une conception
de
la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti,
6026
tion de la vie ardente qui est un masque du désir
de
mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Mais l’autre aspect du d
6027
itude humaine qu’il révèle est l’antithèse exacte
de
la passion : c’est une affirmation de la valeur des choses créées, de
6028
hèse exacte de la passion : c’est une affirmation
de
la valeur des choses créées, de la matière, et une application de l’e
6029
t une affirmation de la valeur des choses créées,
de
la matière, et une application de l’esprit au monde visible. La passi
6030
choses créées, de la matière, et une application
de
l’esprit au monde visible. La passion ni la foi hérétique dont elle e
6031
raient proposer comme but à notre vie la maîtrise
de
la Nature, puisque c’est là le but et la fonction originelle du Démiu
6032
le du Démiurge, et puisque le salut est justement
d’
échapper à sa loi démoniaque225. Faut-il voir à la source de cet aspec
6033
à sa loi démoniaque225. Faut-il voir à la source
de
cet aspect le plus réel de l’activisme européen une sorte de tempéram
6034
ut-il voir à la source de cet aspect le plus réel
de
l’activisme européen une sorte de tempérament continental ? Ou quelqu
6035
ct le plus réel de l’activisme européen une sorte
de
tempérament continental ? Ou quelque influence indirecte de l’ambitio
6036
ment continental ? Ou quelque influence indirecte
de
l’ambition chrétienne définie par l’Apôtre (Romains, 8), et qui tendr
6037
ve, troublée par le péché ? La volonté chrétienne
de
transformer le pécheur dans son âme et dans sa conduite a entraîné en
6038
et dans sa conduite a entraîné en Occident l’idée
de
transformer le milieu humain (d’où le mythe de la révolution), et l’i
6039
Occident l’idée de transformer le milieu humain (
d’
où le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu natu
6040
ée de transformer le milieu humain (d’où le mythe
de
la révolution), et l’idée de transformer le milieu naturel (d’où la t
6041
umain (d’où le mythe de la révolution), et l’idée
de
transformer le milieu naturel (d’où la technique). Reste à savoir si
6042
ion), et l’idée de transformer le milieu naturel (
d’
où la technique). Reste à savoir si le christianisme, accueilli par le
6043
ais la réponse n’importe pas ici : il nous suffit
de
marquer que les éléments occidentaux-chrétiens (c’est-à-dire créateur
6044
ntés par une volonté exactement contraire à celle
de
la passion. Ce qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit de f
6045
qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit
de
fait une fatale erreur dans l’activisme moderne, c’est la collusion d
6046
reur dans l’activisme moderne, c’est la collusion
de
la guerre et de notre génie technique. À partir de la Révolution, la
6047
visme moderne, c’est la collusion de la guerre et
de
notre génie technique. À partir de la Révolution, la guerre devenant
6048
rre devenant « nationale » exige la collaboration
de
toutes les forces créatrices, et en particulier de la technique. C’es
6049
e toutes les forces créatrices, et en particulier
de
la technique. C’est alors la passion (guerrière) qui va devenir le pr
6050
on (guerrière) qui va devenir le principal moteur
de
la recherche mécanique : on l’a bien vu depuis 1915. Mais cette union
6051
is cette union tout à fait monstrueuse des forces
de
mort et des forces créatrices va dénaturer à la fois la guerre, et le
6052
épètent tant de publicistes — qui est responsable
de
la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’est pas chrét
6053
nsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique
de
l’Occident n’est pas chrétien226. Il est tout au contraire manichéen.
6054
s cultivé la religion para ou même antichrétienne
de
la passion. ⁂ Faut-il conclure que la passion serait la tentation ori
6055
lure que la passion serait la tentation orientale
de
l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est développée dans notre his
6056
e et xiiie siècles, et par l’impulsion décisive
de
l’hérésie méridionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et de l
6057
ionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et
de
l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos « mo
6058
du Proche-Orient et de l’Iran, sources certaines
de
l’hérésie, que nous sont venues nos « mortelles » croyances. Mais dir
6059
nt pas produit les mêmes effets parmi les peuples
de
l’Orient ? C’est qu’elles n’y ont pas trouvé les mêmes obstacles. Ai
6060
mes obstacles. Ainsi notre chance dramatique est
d’
avoir résisté à la passion par des moyens prédestinés à l’exalter. Tel
6061
és à l’exalter. Telle fut la tentation permanente
d’
où jaillirent nos plus belles créations. Mais ce qui produit la vie pr
6062
un accent se déplace pour que le dynamisme change
de
signe. ⁂ C’est en fin de compte dans l’attitude religieuse des Occide
6063
ccidentaux, et dans l’institution la plus typique
de
leur morale : le mariage, qu’il sera désormais possible de repérer av
6064
orale : le mariage, qu’il sera désormais possible
de
repérer avec assez de précision ce déplacement d’accent dont tout dép
6065
’il sera désormais possible de repérer avec assez
de
précision ce déplacement d’accent dont tout dépend. Il est certain qu
6066
de repérer avec assez de précision ce déplacement
d’
accent dont tout dépend. Il est certain que l’Occidental christianisé
6067
ertain que l’Occidental christianisé se distingue
de
l’Oriental par son pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a
6068
ianisé se distingue de l’Oriental par son pouvoir
d’
approfondir l’être créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le
6069
pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a
de
particulier. C’est tout le secret de notre fidélité. La sagesse orien
6070
s ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret
de
notre fidélité. La sagesse orientale cherche la connaissance dans l’a
6071
essive du divers. Nous, nous cherchons la densité
de
l’être dans la personne distincte, sans cesse approfondie comme telle
6072
distincte, sans cesse approfondie comme telle. «
D’
autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
6073
t plus nous connaissons les choses particulières,
d’
autant plus nous connaissons Dieu », dit Spinoza. Cette attitude, qui
6074
t, définit en même temps les conditions profondes
de
la fidélité, de la personne, du mariage — et du refus de la passion.
6075
me temps les conditions profondes de la fidélité,
de
la personne, du mariage — et du refus de la passion. Elle suppose l’a
6076
idélité, de la personne, du mariage — et du refus
de
la passion. Elle suppose l’acceptation du différent, et donc de l’inc
6077
Elle suppose l’acceptation du différent, et donc
de
l’incomplet, la prise sur le concret dans ses limitations. Le chrétie
6078
moderne du mariage est le signe le moins trompeur
d’
une décadence occidentale. Il en est d’autres, certes, dans les domain
6079
s les plus divers : le culte du nombre, la poésie
de
l’évasion, l’envahissement de la culture par les passions nationalist
6080
u nombre, la poésie de l’évasion, l’envahissement
de
la culture par les passions nationalistes : tout ce qui tend à ruiner
6081
appent souvent aux prises individuelles. Le signe
de
la crise du mariage nous parle et nous avertit mieux : aucun n’est pl
6082
otidien, plus intimement vérifiable. 7.Au-delà
de
la tragédie Cet ouvrage, à bien des égards, peut apparaître comme
6083
à bien des égards, peut apparaître comme le bilan
d’
une décadence : mythe dégradé, mariage en crise, formes et conventions
6084
aux domaines où il peut entraîner la destruction
de
notre civilisation. Tout cela est, tout cela nous menace, et d’autant
6085
isation. Tout cela est, tout cela nous menace, et
d’
autant plus qu’on voudrait le nier. Cependant, à plusieurs reprises, l
6086
Cependant, à plusieurs reprises, la connaissance
de
ces périls nous a fait entrevoir des possibilités de les surmonter. P
6087
ces périls nous a fait entrevoir des possibilités
de
les surmonter. Par exemple, il se peut que l’Europe, après une crise
6088
osé qu’elle n’y succombe point), retrouve le sens
d’
une fidélité gagée au moins sur des institutions solides, à la mesure
6089
u moins sur des institutions solides, à la mesure
de
la personne. Il se peut que les excès mêmes de la passion provoquent
6090
re de la personne. Il se peut que les excès mêmes
de
la passion provoquent des résistances, c’est-à-dire des formes nouvel
6091
ais après tout, n’est-ce pas encore une tentation
de
la passion que ce souci des lendemains qui obsède aujourd’hui tant de
6092
monde nous importe bien moins que la connaissance
de
nos devoirs présents. Car « la figure de ce monde passe », mais notre
6093
aissance de nos devoirs présents. Car « la figure
de
ce monde passe », mais notre vocation est toujours hic et nunc, dans
6094
re vocation est toujours hic et nunc, dans l’acte
de
l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes de réflexions, amor
6095
l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes
de
réflexions, amorcés çà et là dans ces pages, pourront en constituer l
6096
t en constituer la conclusion ouverte. J’ai tenté
de
débrouiller certains problèmes posés en termes d’histoire et de psych
6097
certains problèmes posés en termes d’histoire et
de
psychologie : mais les constatations tout objectives auxquelles je me
6098
lemme passion-fidélité peut nous le faire croire.
De
fait, on ne connaît jamais que les problèmes dont on pressent au moin
6099
au moins la solution, le dépassement. Or le moyen
de
dépasser notre dilemme ne saurait être la pure et simple négation de
6100
ilemme ne saurait être la pure et simple négation
de
l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la
6101
e saurait être la pure et simple négation de l’un
de
ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la passion
6102
ncipe, ce serait vouloir supprimer l’un des pôles
de
notre tension créatrice. De fait cela n’est pas possible. Le philisti
6103
primer l’un des pôles de notre tension créatrice.
De
fait cela n’est pas possible. Le philistin qui « condamne » de la sor
6104
n’est pas possible. Le philistin qui « condamne »
de
la sorte et à priori toute passion, c’est qu’il n’en a connu aucune,
6105
e-là le seul progrès concevable est dans la crise
de
sa sécurité, c’est-à-dire dans le drame passionnel227. Mais au-delà d
6106
-à-dire dans le drame passionnel227. Mais au-delà
de
la passion vécue jusqu’à l’impasse mortelle, que pouvons-nous désorma
6107
thèmes que je vais esquisser indiquent deux voies
de
dépassement, dans la ligne de cet ouvrage, mais au-delà du schématism
6108
ndiquent deux voies de dépassement, dans la ligne
de
cet ouvrage, mais au-delà du schématisme inhérent à tout exposé. ⁂ Le
6109
l’événement qui devint pour Kierkegaard le point
de
départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec
6110
nt qui devint pour Kierkegaard le point de départ
de
toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec Régine. La
6111
t de départ de toute sa réflexion, fut la rupture
de
ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette rupture nous de
6112
e de ses fiançailles avec Régine. La cause intime
de
cette rupture nous demeure en partie mystérieuse : c’est « le secret
6113
de. Ici l’obstacle indispensable à la passion est
d’
une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’on n
6114
ait en pressentir la gravité sans invoquer la foi
de
Kierkegaard. Selon lui, l’homme fini et pécheur ne saurait entretenir
6115
qui est l’Éternel et le Saint — que des relations
d’
amour mortellement malheureux. « Dieu crée tout ex nihilo » et celui q
6116
le réduire à néant ». Du point de vue du monde et
de
la vie naturelle, Dieu apparaît alors comme « mon ennemi mortel ». No
6117
heurtons ici à l’extrême limite, à l’origine pure
de
la passion — mais du même coup nous sommes jetés au cœur même de la f
6118
mais du même coup nous sommes jetés au cœur même
de
la foi chrétienne ! Car voici : cet homme mort au monde, tué par l’am
6119
ant et vivre dans le monde comme s’il n’avait pas
d’
autre tâche ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier de la foi »,
6120
che ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier
de
la foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien de surhumain : « i
6121
ier de la foi », quand on le rencontre, n’a l’air
de
rien de surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit co
6122
a foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien
de
surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit comme n’im
6123
suite, c’est en vertu de l’absurde (c’est-à-dire
de
la foi). Il fait sans cesse le saut dans l’infini, mais avec une tell
6124
ans le fini, et qu’on ne remarque en lui rien que
de
fini228 »… Ainsi l’extrême de la passion, la mort d’amour, initie une
6125
que en lui rien que de fini228 »… Ainsi l’extrême
de
la passion, la mort d’amour, initie une vie nouvelle, où la passion n
6126
fini228 »… Ainsi l’extrême de la passion, la mort
d’
amour, initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’être présente
6127
, initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse
d’
être présente, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bie
6128
s que royale, elle est divine. Et dans l’analogie
de
la foi, l’on peut alors concevoir que la passion — quel que soit l’or
6129
au-delà réel, et son salut, que par cette action
d’
obéissance qui est la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le mon
6130
que par cette action d’obéissance qui est la vie
de
fidélité. Vivre alors « comme tout le monde », mais « en vertu de l’a
6131
ressaisir » le monde fini que dans la conscience
de
sa perte, infiniment féconde pour son génie ; il ne recouvra pas Régi
6132
; il ne recouvra pas Régine, mais ne cessa jamais
de
l’aimer et de lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cett
6133
ra pas Régine, mais ne cessa jamais de l’aimer et
de
lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre était
6134
Et c’est peut-être que cette œuvre était le lieu
de
sa fidélité la plus réelle. Pourquoi chercher ailleurs que dans la vo
6135
vocation vraiment unique du Solitaire, le secret
de
son échec humain ? D’autres reçoivent une autre vocation, épousent Ré
6136
rtu de l’absurde ». Et ils s’étonnent chaque jour
de
leur bonheur. (Ces choses-là sont trop simples et totales pour qu’un
6137
re la question qu’elles nous posent et la réponse
de
notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’est peut-être pas d
6138
econd thème que j’esquisserai n’est peut-être pas
d’
une nature essentiellement hétérogène. Peut-être même doit-il être con
6139
re conçu comme un aspect particulier du mouvement
de
retour de la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’
6140
omme un aspect particulier du mouvement de retour
de
la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’ascension
6141
assion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet
de
l’ascension spirituelle qu’il nous raconte dans le langage de la plus
6142
on spirituelle qu’il nous raconte dans le langage
de
la plus ardente passion, saint Jean de la Croix connaît que l’âme att
6143
ean de la Croix connaît que l’âme atteint un état
de
présence parfaite à l’objet aimant de l’amour, et c’est ce qu’il nomm
6144
int un état de présence parfaite à l’objet aimant
de
l’amour, et c’est ce qu’il nomme le mariage mystique. L’âme se compor
6145
rte alors à l’endroit de son amour avec une sorte
d’
indifférence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinct
6146
érence quasi divine. Elle est au-delà du doute et
de
la distinction ressentie comme un déchirement ; elle ne désire plus r
6147
ui dans la dualité, qui n’est plus qu’un dialogue
de
grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit a
6148
ualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce et
d’
obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit alors comblé
6149
un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir
de
la plus haute passion se voit alors comblé sans cesse dans l’acte mêm
6150
se voit alors comblé sans cesse dans l’acte même
d’
obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même de consc
6151
même d’obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme
de
brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seulement la sobriété
6152
rte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même
de
conscience de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir.
6153
t plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience
de
l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analog
6154
e de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse
de
l’agir. Dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que la p
6155
t la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analogie
de
la foi, l’on peut alors concevoir que la passion, née du mortel désir
6156
ors concevoir que la passion, née du mortel désir
d’
union mystique, ne saurait être dépassée et accomplie que par la renco
6157
t être dépassée et accomplie que par la rencontre
d’
un autre, par l’admission de sa vie étrangère, de sa personne à tout j
6158
que par la rencontre d’un autre, par l’admission
de
sa vie étrangère, de sa personne à tout jamais distincte, mais qui of
6159
d’un autre, par l’admission de sa vie étrangère,
de
sa personne à tout jamais distincte, mais qui offre une alliance sans
6160
nse, la nostalgie comblée par la présence cessent
d’
appeler un bonheur sensible, cessent de souffrir, acceptent notre jour
6161
ce cessent d’appeler un bonheur sensible, cessent
de
souffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage est possible. Nou
6162
dernière fois pourtant nous reprendrons un parti
de
sobriété. Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’est pas co
6163
ure. Nous sommes sans fin ni cesse dans le combat
de
la nature et de la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux.
6164
sans fin ni cesse dans le combat de la nature et
de
la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horizon
6165
on n’est plus le même. Une fidélité gardée au Nom
de
ce qui ne change pas comme nous, révèle peu a peu son mystère : c’est
6166
, révèle peu a peu son mystère : c’est qu’au-delà
de
la tragédie, il y a de nouveau le bonheur. Un bonheur qui ressemble à
6167
ion : 1954.) 214. Je m’en tiens au cas-limite
de
Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage chrétien ; et des
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en tiens au cas-limite de Tristan. Il y a des cas
de
passion dans le mariage chrétien ; et des états de mariage dans la pa
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e passion dans le mariage chrétien ; et des états
de
mariage dans la passion… 215. Plus on s’écarte de l’espèce pour se r
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e mariage dans la passion… 215. Plus on s’écarte
de
l’espèce pour se rapprocher de la personne, plus le choix devient sin
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. Plus on s’écarte de l’espèce pour se rapprocher
de
la personne, plus le choix devient singulier. À cette personnalisatio
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choix devient singulier. À cette personnalisation
de
l’être aimé correspond d’ailleurs une spécification croissante de l’i
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orrespond d’ailleurs une spécification croissante
de
l’instinct, à mesure que l’homme se virilise : c’est l’argument du Dr
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ue la passion une évasion hors du réel, une façon
de
l’idéaliser. 217. J’emploie ce terme au sens actif et littéral, par
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littéral, par opposition au sens devenu courant,
de
« préjugé », de « parti imité ». 218. Voir le remarquable essai de R
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pposition au sens devenu courant, de « préjugé »,
de
« parti imité ». 218. Voir le remarquable essai de R. de Pury, Éros
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« parti imité ». 218. Voir le remarquable essai
de
R. de Pury, Éros et Agapè dans le recueil collectif intitulé Problème
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gapè dans le recueil collectif intitulé Problèmes
de
la sexualité (collection « Présences ») : « Un chrétien peut et doit
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’est pas le péché ; le péché c’est la sublimation
d’
Éros ». 219. Comme le croira cependant Novalis, renouvelant la mystiq
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En ce que l’on reconnaît dans un être la totalité
d’
une personne. La personne, selon la fameuse définition kantienne, c’es
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ent. 221. Sur la liaison absolument fondamentale
de
la passion et du mensonge, voir supra chap. 10, livre I et p. 143. 2
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riage ne saurait être fondé sur des « arguments »
de
ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait d’observation qui réfu
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guments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement,
d’
un fait d’observation qui réfute les croyances courantes, nées du myth
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de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait
d’
observation qui réfute les croyances courantes, nées du mythe de Trist
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qui réfute les croyances courantes, nées du mythe
de
Tristan et de son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tou
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croyances courantes, nées du mythe de Tristan et
de
son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tout à fait ineff
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i préfère le mythe et veut croire aux révélations
de
la passion. 223. B. Croce, Etica e Politica. 224. Léo Ferrero, Dése
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itica. 224. Léo Ferrero, Désespoirs. Le problème
de
la passion est admirablement défini par ce petit livre dans ses donné
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ice 4.) 225. « L’idée antique du travail indigne
de
l’homme libre se retrouve dans la chevalerie », écrit Henri Pirenne,
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ns la chevalerie », écrit Henri Pirenne, Histoire
de
l’Europe, p. 113. 226. Il y a l’Apocalypse, dira-t-on. Mais les cata
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la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte
de
la grâce fait par Dieu. 227. Faut-il aller encore plus loin que Kie
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le dépassement du « stade éthique » ? Il m’arrive
de
le pressentir, et de penser : du point de vue de la foi, il n’y a san
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tade éthique » ? Il m’arrive de le pressentir, et
de
penser : du point de vue de la foi, il n’y a sans doute aucun profit
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de le pressentir, et de penser : du point de vue
de
la foi, il n’y a sans doute aucun profit au « règlement des mœurs » p
6195
s mœurs » pour les non-chrétiens. C’est une façon
de
les mettre, au contraire, à l’abri du désespoir réel, humain, qui les
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el, humain, qui les conduirait à la foi. Une cure
d’
âme comprise non pas au sens d’une hygiène morale bourgeoise, mais au
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à la foi. Une cure d’âme comprise non pas au sens
d’
une hygiène morale bourgeoise, mais au sens chrétien — la guérison à o
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e non chrétien qu’il traverse tout le « bonheur »
de
la passion. Or on s’efforce de le retenir en deçà. Si bien que le seu
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out le « bonheur » de la passion. Or on s’efforce
de
le retenir en deçà. Si bien que le seul au-delà concret qu’il soit en
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en que le seul au-delà concret qu’il soit en état
de
désirer, d’imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voil
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ul au-delà concret qu’il soit en état de désirer,
d’
imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voilà ce qu’il f
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Tremblement, traduit d’après la version allemande
de
E. Geismar et R. Marx.