1
dans nos cœurs ? Que l’accord d’amour et de mort
soit
celui qui émeuve en nous les résonances les plus profondes, c’est un
2
à première vue le succès prodigieux du roman. Il
est
d’autres raisons, plus secrètes, d’y voir comme une définition de la
3
ccidentale… Amour et mort, amour mortel : si ce n’
est
pas toute la poésie, c’est du moins tout ce qu’il y a de populaire, t
4
hansons. L’amour heureux n’a pas d’histoire. Il n’
est
de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et con
5
e même. Ce qui exalte le lyrisme occidental, ce n’
est
pas le plaisir des sens, ni la paix féconde du couple. C’est moins l’
6
nous glorifie à tel point la passion que nous en
sommes
venus à voir en elle une promesse de vie plus vivante, une puissance
7
une puissance qui transfigure, quelque chose qui
serait
au-delà du bonheur et de la souffrance, une béatitude ardente. Dans «
8
ne sentons plus « ce qui souffre » mais « ce qui
est
passionnant ». Et pourtant, la passion d’amour signifie, de fait, un
9
ont tous les cas d’exception, mais la statistique
est
cruelle : elle réfute notre poésie. Vivons-nous dans une telle illusi
10
se confondent le plus souvent dans la société qui
est
la nôtre, n’est-ce pas une première preuve de ce fait paradoxal : que
11
plus souvent dans la société qui est la nôtre, n’
est
-ce pas une première preuve de ce fait paradoxal : que nous voulons la
12
un devoir et une commodité. Sans l’adultère, que
seraient
toutes nos littératures ? Elles vivent de la « crise du mariage ». Il
13
res ? Elles vivent de la « crise du mariage ». Il
est
probable aussi qu’elles l’entretiennent, soit qu’elles « chantent » e
14
. Il est probable aussi qu’elles l’entretiennent,
soit
qu’elles « chantent » en prose et en vers ce que la religion tient po
15
chantent » en prose et en vers ce que la religion
tient
pour un crime, et la Loi pour une contravention, soit au contraire qu
16
pour un crime, et la Loi pour une contravention,
soit
au contraire qu’elles s’en amusent, et qu’elles en tirent un répertoi
17
psychologie mondaine, succès du trio au théâtre —
soit
qu’on idéalise, ou subtilise, ou ironise, que fait-on si ce n’est tra
18
se, ou subtilise, ou ironise, que fait-on si ce n’
est
trahir le tourment innombrable et obsédant de l’amour en rupture de l
19
ble et obsédant de l’amour en rupture de loi ? Ne
serait
-ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réalité ? Tourner la
20
stique ou en farce, c’est toujours avouer qu’elle
est
insupportable… Mal mariés, déçus, révoltés, exaltés ou cyniques, infi
21
xaltés ou cyniques, infidèles ou trompés : que ce
soit
en fait ou en rêve, dans le remords ou dans la crainte, dans le plais
22
ir de la révolte ou l’anxiété de la tentation, il
est
peu d’hommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catég
23
s questions des plus naïves, en ce domaine, aient
été
plus souvent résolues que posées… Par exemple, le mal constaté, faut-
24
se » qui la ruine au cœur même de nos ambitions ?
Est
-ce vraiment, comme beaucoup le pensent, la conception dite « chrétien
25
e qui cause tout notre tourment, ou au contraire,
est
-ce une conception de l’amour dont on n’a peut-être pas vu qu’elle ren
26
ntradiction ? Si le secret de la crise du mariage
est
simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous vient ce goût du malheu
27
mmédiate vérification. ⁂ Mais d’abord, dira-t-on,
est
-il exact que le roman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’es
28
, dira-t-on, est-il exact que le roman de Tristan
soit
un mythe ? Et dans ce cas, n’est-ce pas détruire son charme que d’ess
29
oman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’
est
-ce pas détruire son charme que d’essayer de l’analyser ? Nous n’en so
30
on charme que d’essayer de l’analyser ? Nous n’en
sommes
plus à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop
31
alyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe
est
synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi
32
pourrait dire d’une manière générale qu’un mythe
est
une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un
33
procèdent donc de l’élément sacré autour duquel s’
est
constitué le groupe. (Récits symboliques de la vie et de la mort des
34
ent : un mythe n’a pas d’auteur. Son origine doit
être
obscure. Et son sens même l’est en partie. Il se présente comme l’exp
35
Son origine doit être obscure. Et son sens même l’
est
en partie. Il se présente comme l’expression tout anonyme de réalités
36
inte sur le public. Si belle et puissante qu’elle
soit
, on peut toujours la critiquer, ou la goûter pour des raisons individ
37
hevalerie du xiie et du xiiie siècle. Ce groupe
est
à vrai dire dissous depuis longtemps. Pourtant ses lois sont encore l
38
dire dissous depuis longtemps. Pourtant ses lois
sont
encore les nôtres d’une manière secrète et diffuse. Profanées et reni
39
ofanées et reniées par nos codes officiels, elles
sont
devenues d’autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir
40
rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan
sont
de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l’auteur — à s
41
— à supposer qu’il y en eût un, et un seul — nous
est
totalement inconnu. Les cinq versions « originales » qui nous restent
42
Les cinq versions « originales » qui nous restent
sont
des remaniements artistiques d’un archétype dont on n’a pu trouver la
43
r) d’un ensemble de règles et de cérémonies qui n’
est
autre que la coutume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de
44
alerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie
furent
souvent appelés « religions ». Chastellain, chroniqueur de la Bourgog
45
e sacré, en un siècle où pourtant la chevalerie n’
était
plus guère qu’une survivance4. Enfin la nature même de l’obscurité qu
46
l ne réside pas dans sa forme d’expression5. Elle
tient
d’une part au mystère de son origine, et d’autre part à l’importance
47
des faits que le mythe symbolise. Si ces faits n’
étaient
pas obscurs, ou s’il n’y avait quelque intérêt à obscurcir leur origi
48
résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il
est
loisible de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière
49
e. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en
tenir
aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste ou directe.
50
directe. Au contraire, le mythe paraît lorsqu’il
serait
dangereux ou impossible d’avouer clairement un certain nombre de fait
51
u religieux, ou de relations affectives, que l’on
tient
cependant à conserver, ou qu’il est impossible de détruire. Nous n’av
52
s, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il
est
impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemp
53
rimer le fait obscur et inavouable que la passion
est
liée à la mort, et qu’elle entraîne la destruction pour ceux qui s’y
54
ignantes d’un vrai mythe ? Cette question ne peut
être
esquivée. Elle nous porte au cœur du problème et de son actualité. Pr
55
Il faut bien voir que ces « cérémonies » sociales
sont
des moyens de faire admettre un contenu antisocial, qui est la passio
56
yens de faire admettre un contenu antisocial, qui
est
la passion. Le mot « contenu » prend ici toute sa force : la passion
57
toute sa force : la passion de Tristan et d’Iseut
est
littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie. C’est à c
58
olérable. Il faut donc que les groupes constitués
soient
capables de lui opposer une structure fortement charpentée, pour qu’e
59
le lien social vienne à faiblir, ou que le groupe
soit
dissocié, le mythe cessera d’être un mythe au sens strict. Mais ce qu
60
u que le groupe soit dissocié, le mythe cessera d’
être
un mythe au sens strict. Mais ce qu’il aura perdu en force contraigna
61
vre - les usages qu’il faut observer si l’on veut
être
un gentleman — perdra ses dernières vertus, la passion « contenue » d
62
es inventera au besoin… Car nous verrons que ce n’
est
pas seulement la nature de la société, mais l’ardeur même de la sombr
63
une réaction vive. Le succès du Roman de Tristan
fut
donc d’ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’exprimer en sa
64
raît, cette passion n’en subsiste pas moins. Elle
est
toujours aussi dangereuse pour la vie de la société. Elle tend toujou
65
’il provoque. Le mythe de Tristan et Iseut, ce ne
sera
plus seulement le Roman, mais le phénomène qu’il illustre, et dont l’
66
inte qui l’exalte, charme, terreur ou idéal : tel
est
le mythe qui nous tourmente. Qu’il ait perdu sa forme primitive voilà
67
miraculeuses. Le mythe agit partout où la passion
est
rêvée comme un idéal, non point redoutée comme une fièvre maligne ; p
68
comme une fièvre maligne ; partout où sa fatalité
est
appelée, invoquée, imaginée comme une belle et désirable catastrophe,
69
it de la vie même de ceux qui croient que l’amour
est
une destinée (c’était le philtre du Roman) ; qu’il fond sur l’homme i
70
et ravi pour le consumer d’un feu pur ; et qu’il
est
plus fort et plus vrai que le bonheur, la société et la morale. Il vi
71
Il vit de la vie même du romantisme en nous ; il
est
le grand mystère de cette religion dont les poètes du siècle passé se
72
tte influence et de sa nature mythique, la preuve
est
d’ailleurs immédiate. Elle nous sera donnée ici même par une certaine
73
ue, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous
sera
donnée ici même par une certaine répugnance du lecteur à envisager mo
74
à envisager mon projet. Le Roman de Tristan nous
est
« sacré » dans la mesure exacte où l’on estimera que je commets un «
75
mort du coupable. Le sacré qui entre ici en jeu n’
est
plus qu’une survivance obscure et déprimée. Je ne courrai donc guère
76
(Et certes, le sens inconscient d’un tel geste n’
est
rien moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant il demeure sans e
77
faut-il croire que cela signifie que la passion n’
est
point sacrée pour toi ? Ou simplement que les hommes d’aujourd’hui ne
78
i ? Ou simplement que les hommes d’aujourd’hui ne
sont
pas moins débiles dans leurs passions que dans leurs gestes de réprob
79
de réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, où
sera
le courage que l’on réclame des écrivains ? Faudra-t-il qu’ils l’exer
80
définir « une épopée de l’adultère ». La formule
est
sans doute exacte, si l’on se borne à considérer la donnée sèche du R
81
restrictive. Peut-on soutenir que la faute morale
est
le vrai sujet de la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne se
82
la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne
serait
-il qu’un opéra de l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’est-ce que cel
83
’un opéra de l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’
est
-ce que cela ? Un vilain mot ? Une rupture de contrat ? C’est cela aus
84
? Une rupture de contrat ? C’est cela aussi, ce n’
est
que cela dans trop de cas ; mais c’est souvent bien davantage : une a
85
es raisons de persévérer, et l’on jugera si elles
sont
diaboliques. La première est que nous sommes parvenus au point de dés
86
’on jugera si elles sont diaboliques. La première
est
que nous sommes parvenus au point de désordre social où l’immoralisme
87
elles sont diaboliques. La première est que nous
sommes
parvenus au point de désordre social où l’immoralisme se révèle plus
88
morales anciennes. Le culte de l’amour-passion s’
est
tellement démocratisé qu’il perd ses vertus esthétiques et sa valeur
89
t, cette « vogue » d’allure commerciale de ce qui
fut
un secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût-ce même pour
90
secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela,
fût
-ce même pour sauver le mythe des abus de son extrême vulgarisation. E
91
La poésie a d’autres chances. Ma seconde raison n’
est
pas d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a
92
hâtive, notre culture et le ronron de nos morales
sont
en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de
93
ampirique crescendo du second acte de Wagner, tel
est
le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’es
94
ela ! » ou bien : « Que Dieu m’en garde ! » Je ne
suis
pas sûr que la conscience claire soit utile d’une manière générale, e
95
e ! » Je ne suis pas sûr que la conscience claire
soit
utile d’une manière générale, et en soi. Ni que les vérités utiles so
96
re générale, et en soi. Ni que les vérités utiles
soient
avouables sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité » de mon ent
97
es soient avouables sur la place. Mais quelle que
soit
« l’utilité » de mon entreprise, notre sort n’en demeure pas moins, à
98
phe, du moraliste, du créateur de formes idéales,
est
simplement d’accroître la conscience, donc la mauvaise conscience des
99
Qui sait où cela peut nous mener ? Là-dessus, il
est
temps de passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite e
100
l’opération annoncée. La condition de sa réussite
est
sans doute une certaine froideur avec laquelle nous la mènerons. Sour
101
mission de le combattre, au moment où il pourrait
être
armé chevalier, donc peu après sa puberté. Il le tue, mais il en a re
102
remède qui peut le sauver. Mais le géant Morholt
était
le frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’avouer son nom
103
un jeune paladin.) Blessé par le monstre, Tristan
est
soigné de nouveau par Iseut. Un jour, cette princesse découvre que le
104
Un jour, cette princesse découvre que le blessé n’
est
autre que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et
105
’a chargé. Et Iseut lui fait grâce, car elle veut
être
reine. (Selon certains auteurs, c’est aussi qu’elle admire la beauté
106
de Marc. En haute mer, le vent tombe, la chaleur
est
pesante. Ils ont soif. La servante Brangien leur donne à boire. Mais
107
e ces variantes, comme nous le verrons.) La faute
est
donc consommée. Mais Tristan reste lié par la mission qu’il a reçue d
108
ent au roi l’amour de Tristan et d’Iseut. Tristan
est
banni. Mais à la faveur d’une nouvelle ruse (scène du verger), il con
109
sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère
est
ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux et Tristan con
110
é. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut
sera
livrée à une troupe de lépreux et Tristan condamné à mort. Il s’évade
111
Tristan de demeurer dans le pays jusqu’à ce qu’il
soit
certain que Marc la traite bien. Puis, par une dernière ruse féminine
112
in de qui n’a pas menti, elle jure n’avoir jamais
été
dans les bras d’aucun homme, hors ceux du roi son maître et du manant
113
ent au lit de Tristan et lui annonce que la voile
est
noire. Tristan meurt. Iseut la blonde débarque à cet instant, monte a
114
es, on s’aperçoit que sa donnée ni son progrès ne
sont
dépourvus d’équivoque. J’ai passé quantité d’épisodes accessoires, ma
115
choses : Tristan conduit Iseut au roi parce qu’il
est
lié par la fidélité du chevalier ; — les amants se séparent, au terme
116
e que par une ruse improvisée in extremis, et qui
est
donnée comme trompant Dieu lui-même, puisque le miracle s’opère11 ! E
117
puisque le miracle s’opère11 ! Enfin, ce jugement
étant
acquis, la reine passe pour innocente. Tristan l’est donc aussi, et l
118
acquis, la reine passe pour innocente. Tristan l’
est
donc aussi, et l’on ne voit plus du tout ce qui s’opposerait à son re
119
près du roi, donc auprès d’Iseut… D’autre part, n’
est
-il pas fort étrange que les poètes du xiiie siècle, si exigeants dès
120
t, ils n’ont du moins ni menti ni trompé, et ce n’
est
pas le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même
121
on ne peut s’empêcher de penser que ces scrupules
sont
bien tardifs et peu sincères, puisque Tristan n’a de cesse qu’il ne r
122
auprès d’Iseut… Et ce philtre qui cesse d’agir, n’
était
-il pas destiné aux époux ? Alors, pourquoi limiter sa durée ? Trois a
123
lors, pourquoi limiter sa durée ? Trois ans, ce n’
est
guère pour le bonheur d’un couple. Et quand Tristan épouse l’autre Is
124
ur sa beauté » mais cependant la laisse vierge, n’
est
-il pas évident que rien ne l’oblige à ce mariage et à cette chasteté
125
ur et le devoir ». Cette interprétation classique
est
d’un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle par
126
s romans bretons la reflètent et la cultivent. Il
est
probable que la chevalerie courtoise ne fut guère qu’un idéal. Les pr
127
t. Il est probable que la chevalerie courtoise ne
fut
guère qu’un idéal. Les premiers auteurs qui en parlent ont l’habitude
128
elle vient à peine de naître dans leurs rêves. N’
est
-il pas de l’essence d’un idéal que l’on déplore sa décadence à l’inst
129
se réaliser ? D’autre part, la chance du roman n’
est
-elle pas d’opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités
130
ns « félons ». Selon la morale féodale, le vassal
est
tenu de dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneu
131
félons ». Selon la morale féodale, le vassal est
tenu
de dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : i
132
ur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : il
est
« félon » s’il ne le fait pas. Or, dans Tristan, les barons dénoncent
133
en vertu d’un autre code évidemment, qui ne peut
être
que celui de la chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de
134
idi. La décision des cours d’amour de la Gascogne
est
bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets de l’amour cour
135
rs d’amour de la Gascogne est bien connue : félon
sera
celui qui révèle les secrets de l’amour courtois. Ce seul exemple suf
136
a fidélité et du mariage, selon l’amour courtois,
est
seule capable d’expliquer certaines contradictions frappantes du réci
137
la thèse officiellement admise, l’amour courtois
est
né d’une réaction à l’anarchie brutale des mœurs féodales. On sait qu
138
éodales. On sait que le mariage, au xiie siècle,
était
devenu pour les seigneurs une pure et simple occasion de s’enrichir,
139
ient même à déclarer que l’amour et le mariage ne
sont
pas compatibles : c’est le fameux jugement d’une cour d’amour tenue c
140
e telle manière de voir, la félonie et l’adultère
sont
excusés, et plus qu’excusés, magnifiés comme exprimant une intrépide
141
ui désire l’entière possession de sa dame. Cela n’
est
plus amour, qui tourne à la réalité 13. » Voilà qui nous met sur la v
142
toute liberté, car nous avons marqué plus haut qu’
étant
plus fort que le Roi et les barons, il pourrait, dans le plan féodal
143
? Répondre : ainsi le veut l’amour courtois, ce n’
est
pas encore répondre sur le fonds, car il s’agit de savoir pourquoi l’
144
notre résumé de la légende, on ne peut manquer d’
être
frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie et m
145
entrent en jeu, chevalerie et morale féodale, ne
sont
observées par l’auteur que dans les seules situations où elles permet
146
e une explication. À chacune de nos questions, il
serait
évidemment facile de répondre : les choses se passent ainsi parce qu’
147
nsciente sagesse : c’est qu’on pressent qu’elle n’
est
pas sans danger. Elle nous met en effet au cœur de tout le problème —
148
te volonté, il n’y aura plus de vraisemblance qui
tienne
: c’est ce qui se passe dans le cas de l’Histoire scientifique. (Le l
149
cientifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux »
sera
d’autant plus exigeant qu’il sait que le déroulement des faits ne doi
150
’est le cas du conte. Entre ces deux extrêmes, il
est
autant de niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : l
151
désire éprouver. Ainsi, le vrai sujet d’une œuvre
est
révélé par la nature des « trucs » que l’auteur fait intervenir, et q
152
es extérieurs qui s’opposent à l’amour de Tristan
sont
dans un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne sont, à tout pr
153
un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne
sont
, à tout prendre, que des artifices romanesques. Or il résulte de nos
154
on qu’elle met en jeu. Il faut sentir qu’ici tout
est
symbole, tout se tient, tout se compose à la manière d’un rêve, et no
155
. Il faut sentir qu’ici tout est symbole, tout se
tient
, tout se compose à la manière d’un rêve, et non point à celle de nos
156
qu’il suppose chez son lecteur. Les « faits » ne
sont
que les images ou les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose, d
157
tent comme à plaisir, — bien qu’ils en souffrent.
Serait
-ce alors pour le plaisir du romancier et du lecteur ? Mais c’est tout
158
e du roman tel que l’aiment les Occidentaux. Quel
est
le vrai sujet de la légende ? La séparation des amants ? Oui, mais au
159
cette passion qui ressemble au vertige… Mais ce n’
est
plus l’heure de se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le
160
Mais ce n’est plus l’heure de se détourner. Nous
sommes
atteints, nous subissons le charme, nous connaissons au « tourment dé
161
ons au « tourment délicieux ». Toute condamnation
serait
vaine : on ne condamne pas le vertige. Mais la passion du philosophe
162
e pas le vertige. Mais la passion du philosophe n’
est
-elle point de méditer dans le vertige ? Il se peut que la connaissanc
163
ns le vertige ? Il se peut que la connaissance ne
soit
rien d’autre que l’effort d’un esprit qui résiste à la chute, et qui
164
re ; il me plaît ; je me réjouis de lui ; mon mal
est
ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas de quo
165
de lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur
est
ma santé. Je ne vois donc pas de quoi je me plains, car mon mal me vi
166
éablement, et tant de joie dans ma douleur que je
suis
malade avec délices. Chrétien de Troyes. Il faut avoir l’audace de
167
de poser la question : Tristan aime-t-il Iseut ?
Est
-il aimé par elle ? (Seules les questions « stupides » peuvent nous in
168
i passe pour évident cache quelque chose qui ne l’
est
point, comme l’a dit à peu près Valéry.) Rien d’humain ne paraît rapp
169
lité. Tout porte à croire que librement ils ne se
fussent
jamais choisis. Mais ils ont bu le philtre, et voici la passion. Une
170
dolor. Dira-t-on que les poètes de cette époque
furent
moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus, et qu’ils n’éprouva
171
e époque furent moins sentimentaux que nous ne le
sommes
devenus, et qu’ils n’éprouvaient pas le besoin d’insister sur ce qui
172
ns la forêt. Ses deux scènes les plus belles, qui
sont
peut-être aussi les plus profondes de la légende, ce sont les deux vi
173
t-être aussi les plus profondes de la légende, ce
sont
les deux visites que les amants font à l’ermite Ogrin. La première fo
174
hiez. La situation dans laquelle ils se trouvent
est
donc passionnément contradictoire : ils aiment, mais ils ne s’aiment
175
mais ils ne peuvent s’en repentir, puisqu’ils ne
sont
pas responsables ; ils se confessent, mais ne veulent pas guérir, ni
176
gue, et où les contraires s’excluent. L’aveu n’en
est
pas moins formel : « Il ne m’aime pas, ne je lui. » Tout se passe com
177
de leurs désirs, au moins conscients, et de leur
être
tel qu’ils le connaissent. Les traits physiques et psychologiques de
178
et psychologiques de cet homme et de cette femme
sont
parfaitement conventionnels et rhétoriques. Lui, c’est « le plus fort
179
pes à ce point simplifiés ? L’« amistié » dont il
est
question à propos de la durée du philtre est le contraire d’une amiti
180
t il est question à propos de la durée du philtre
est
le contraire d’une amitié réelle. Bien plus, si l’amitié morale se fa
181
Bien plus, si l’amitié morale se fait jour, ce n’
est
qu’au moment où la passion faiblit. Et le premier effet de cette amit
182
. Et le premier effet de cette amitié naissante n’
est
pas du tout d’unir davantage les amants, mais au contraire de leur mo
183
plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli
furent
li troi an. Tristan chassait dans la forêt. Soudain, il se souvient
184
! Il songe que dans cette aventure, elle pourrait
être
« en beles chambres… portendües de dras de soie ». Iseut de son côté,
185
uson notre jovente… ». La décision de se séparer
est
bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretagne. Auparavant,
186
Iseut : Dex ! dist Tristan, quel departie ! Mot
est
dolenz qui pert s’amie… C’est sur sa propre peine qu’il s’apitoie. I
187
et bien que le philtre n’agisse plus, les amants
seront
repris par la passion, jusqu’au point qu’ils en perdront la vie, « lu
188
l’infini dans l’instant de l’obstacle absolu, qui
est
la mort. Tristan aime se sentir aimer, bien plus qu’il n’aime Iseut l
189
’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il
est
; et non de la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence !
190
pothéose. Dualité irrémédiable et désirée ! « Mot
est
dolenz qui pert s’amie » soupire Tristan. Pourtant il sent déjà, au f
191
aut pousser plus loin : l’amabam amare d’Augustin
est
une émouvante formule dont lui-même ne s’est pas satisfait. L’obstacl
192
stin est une émouvante formule dont lui-même ne s’
est
pas satisfait. L’obstacle dont nous avons souvent parlé, et la créati
193
sque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’
est
-il qu’un prétexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’est-il p
194
étexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’
est
-il pas lié à la passion d’une manière beaucoup plus profonde ? N’est-
195
passion d’une manière beaucoup plus profonde ? N’
est
-il pas l’objet même de la passion, — si l’on descend au fond du mythe
196
cessifs des amants15. Or les causes de séparation
sont
de deux sortes : circonstances extérieures adverses, entraves inventé
197
pas de la même manière dans les deux cas. Et il n’
est
pas sans intérêt de dégager cette dialectique de l’obstacle dans le R
198
alectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce
sont
les circonstances sociales qui menacent les amants (présence de Marc,
199
-dessus l’obstacle (le saut d’un lit à l’autre en
est
le symbole). Quitte à souffrir (sa blessure se rouvre) et à risquer s
200
risquer sa vie (il se sait épié). Mais la passion
est
alors si violente, si animale pourrait-on dire, qu’il oublie la doule
201
du péril pour lui-même. Mais tant que le péril n’
est
qu’une menace tout extérieure, la prouesse par laquelle Tristan le su
202
ure, la prouesse par laquelle Tristan le surmonte
est
une affirmation de la vie. En tout cela, Tristan n’obéit qu’à la cout
203
s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit d’
être
le plus fort, ou le plus rusé. Nous avons vu que cela le conduirait à
204
ever la reine à son roi. Et que le droit établi n’
est
soudain respecté, à ce moment, que parce qu’il fournit un prétexte à
205
un prétexte à faire rebondir le roman. Tout autre
est
l’attitude du chevalier lorsque rien d’extérieur à eux-mêmes ne sépar
206
is-ci contre lui-même, à ses dépens. Puisqu’il en
est
lui-même le fauteur, c’est un obstacle qu’il ne peut plus vaincre !
207
tive plus forte que la passion même. La mort, qui
est
le but de la passion, la tue. Mais l’épée nue n’est pas encore l’expr
208
t le but de la passion, la tue. Mais l’épée nue n’
est
pas encore l’expression décisive du désir sombre, de la fin même de l
209
ns symbolique : l’action empêche la « passion » d’
être
totale, car la passion, c’est « ce que l’on subit » — à la limite, c’
210
e, c’est la mort. En d’autres termes cette action
est
un nouveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂
211
es mains avec Tristan. Le premier de ces mariages
est
l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari
212
remier de ces mariages est l’obstacle de fait. Il
est
symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé par l’amour court
213
pas que Tristan puisse jamais épouser Iseut. Elle
est
le type de femme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l’ai
214
on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait d’
être
ce qu’elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation de
215
l’aimer, puisqu’elle cesserait d’être ce qu’elle
est
. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation de la passion, au
216
amoureuse spontanée, couronnée et non combattue,
est
par essence peu durable. C’est une flambée qui ne peut pas survivre à
217
x qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier
est
telle qu’il les aura bientôt tous surmontés. C’est alors qu’il s’éloi
218
e erreur — provoquée par le nom des deux femmes —
est
la seule « raison » du mariage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait
219
ison » du mariage de Tristan. L’on voit qu’il lui
serait
aisé de s’expliquer. Mais une fois de plus, l’honneur interviendra, e
220
il ruine ainsi par l’intérieur). Prouesse dont il
est
la victime ! La chasteté du chevalier marié répond à la déposition de
221
dont Tristan sortira purifié ; vers une mort qui
soit
une transfiguration, et non pas un hasard brutal. Il s’agit donc touj
222
de la dialectique passion-obstacle. Vraiment ce n’
est
plus l’obstacle qui est au service de la passion fatale, mais au cont
223
n-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’obstacle qui
est
au service de la passion fatale, mais au contraire il est devenu le b
224
ervice de la passion fatale, mais au contraire il
est
devenu le but, la fin désirée pour elle-même. Et la passion n’a donc
225
ité même qui l’a créé. Le sens réel de la passion
est
tellement effrayant et inavouable, que non seulement ceux qui la vive
226
e savoir si les auteurs des cinq poèmes primitifs
étaient
ou non conscients de la portée de leur œuvre. En tout état de cause,
227
et l’objet reste inavoué, mais tout de même il y
est
fait allusion, et par là, dans une certaine mesure, des exigences inc
228
n », « qu’il n’y attache pas d’importance ». S’il
est
poète, il parlera d’inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne
229
inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne
sera
jamais à court de bonnes raisons pour démontrer qu’il n’est responsab
230
à court de bonnes raisons pour démontrer qu’il n’
est
responsable de rien… Imaginons maintenant le problème qui se posait à
231
chevaleresque, comme d’ailleurs toute rhétorique,
est
le moyen de faire passer pour « naturelles » les plus obscures propos
232
ictions qu’elle impose. Pour la magie, voici quel
sera
son rôle. Il s’agit de dépeindre une passion dont la violence fascina
233
e une passion dont la violence fascinante ne peut
être
acceptée sans scrupules. Elle apparaît barbare dans ses effets. Elle
234
ules. Elle apparaît barbare dans ses effets. Elle
est
proscrite par l’Église comme un péché ; par la raison comme un excès
235
par erreur, se révèle désormais nécessaire16. Qu’
est
-ce alors que le philtre ? C’est l’alibi de la passion. C’est ce qui p
236
lheureux amants de dire : « Vous voyez que je n’y
suis
pour rien, vous voyez que c’est plus fort que moi. » Et cependant, no
237
eur de cette fatalité trompeuse, tous leurs actes
sont
orientés vers le destin mortel qu’ils aiment, avec une sorte d’astuci
238
abri du jugement. Nos actions les moins calculées
sont
parfois les plus efficaces. La pierre qu’on lance « sans viser » va d
239
Et c’est pourquoi les plus belles scènes du Roman
sont
celles que les auteurs n’ont pas su commenter, et qu’ils décrivent co
240
roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire quelle
est
la fin qu’ils se préparent de toute leur volonté profonde, et plus qu
241
Jour qui l’offusque ? et qu’il attend de tout son
être
l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucoup plus tard, o
242
l attend de tout son être l’anéantissement de son
être
? Certains poètes, beaucoup plus tard, ont osé cet aveu suprême. Mais
243
ont osé cet aveu suprême. Mais la foule dit : ce
sont
des fous. Et la passion que le romancier désire flatter chez l’audite
244
inaire, plus débile. Il y a peu de chance qu’elle
soit
jamais poussée à s’avouer par son excès indubitable, par une mort qui
245
tiques ont fait plus qu’avouer : ils ont su et se
sont
expliqués. Mais s’ils ont affronté « la Nuit obscure » avec la plus s
246
et « lumineuse » se substituerait à la leur. Ce n’
était
pas le dieu sans nom du philtre, une force aveugle ou le Néant, qui s
247
dont il rejette avec horreur la connaissance. Il
tient
son excuse toute prête, et elle le trompe mieux que quiconque : c’est
248
r exemplaire de sa vie. Les raisons de la Nuit ne
sont
pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables au Jour17. Elles
249
s de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne
sont
pas communicables au Jour17. Elles le méprisent. Tristan s’est fait p
250
nicables au Jour17. Elles le méprisent. Tristan s’
est
fait prisonnier d’un délire auprès duquel pâlissent toute sagesse, to
251
ute sagesse, toute « vérité », et la vie même. Il
est
au-delà de nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’insta
252
ce vers l’instant suprême où la totale jouissance
est
de sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent décrire la Nuit, mais la «
253
soir, lorsqu’en un temps lointain la mort du père
fut
annoncée au fils. Dans l’aube sinistre, tu me cherchais, de plus en p
254
t voici qu’elle me parle encore. Pour quel destin
suis
-je né ? Pour quel destin ? La vieille mélodie me répète : — Pour dési
255
maudire ses astres, sa naissance, mais la musique
est
savante, vraiment, et elle nous chante immensément le beau secret : c
256
n’a pas cessé de refouler, — de préserver ! Il en
est
peu de plus tragiques, et sa persistance nous invite à porter sur l’a
257
? Pourquoi veut-il cet amour dont l’éclat ne peut
être
que son suicide ? C’est qu’il se connaît et s’éprouve sous le coup de
258
a limite, ce goût de la collision révélatrice qui
est
sans doute la plus inarrachable des racines de l’instinct de la guerr
259
eur. Que ce malheur, selon la force de notre âme,
soit
la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décadence, ou la souff
260
nnonce pas le Jour, mais la Nuit ! La « vraie vie
est
ailleurs », dit Rimbaud. Elle n’est qu’un des noms de la Mort, le seu
261
a « vraie vie est ailleurs », dit Rimbaud. Elle n’
est
qu’un des noms de la Mort, le seul nom par lequel nous osions l’appel
262
la douleur, et spécialement la douleur amoureuse,
est
un moyen privilégié de connaissance. Certes, cela vaut pour les meill
263
vient retarder l’heureux accomplissement. Ainsi,
soit
qu’on désire l’amour le plus conscient, ou simplement l’amour le plus
264
t non pas la présence, nous émeuvent. La présence
est
inexprimable, elle ne possède aucune durée sensible, elle ne peut êtr
265
le ne possède aucune durée sensible, elle ne peut
être
qu’un instant de grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on
266
dans la littérature occidentale. Et l’amour qui n’
est
pas réciproque ne passe point pour un amour vrai. La grande trouvaill
267
t Iseut « s’entr’aiment », ou du moins, qu’ils en
sont
persuadés. Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre, d’une fid
268
t », ou du moins, qu’ils en sont persuadés. Et il
est
vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre, d’une fidélité exemplaire. Mai
269
, qu’ils en sont persuadés. Et il est vrai qu’ils
sont
, l’un envers l’autre, d’une fidélité exemplaire. Mais le malheur, c’e
270
malheur, c’est que l’amour qui les « demeine » n’
est
pas l’amour de l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’
271
demeine » n’est pas l’amour de l’autre tel qu’il
est
dans sa réalité concrète. Ils s’entr’aiment, mais chacun n’aime l’aut
272
lande, où t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile,
sont
-ce tes soupirs ? Souffle, souffle, ô vent ! Malheur, ah ! malheur, fi
273
ait — la jouissance de la vie. Mais cette perte n’
est
pas sentie comme un appauvrissement, bien au contraire. On s’imagine
274
s magnifiquement. C’est que l’approche de la mort
est
l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, l
275
rète de l’obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’
est
encore là que le masque d’un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacl
276
ébut de la passion, la revanche sur le destin qui
fut
subi et qui est enfin racheté. Cette analyse du mythe primitif livre
277
on, la revanche sur le destin qui fut subi et qui
est
enfin racheté. Cette analyse du mythe primitif livre quelques secrets
278
primitif livre quelques secrets dont l’importance
est
appréciable — mais dont la conscience commune doit renier l’intime év
279
je le sens bien, et m’en console si les résultats
sont
exacts ; que certaines conjectures soient discutables, je l’admettrai
280
résultats sont exacts ; que certaines conjectures
soient
discutables, je l’admettrai sans peine devant les preuves ; mais quoi
281
Nous savons, par la fin du mythe, que la passion
est
une ascèse. Elle s’oppose à la vie terrestre d’une manière d’autant p
282
Incidemment, nous avons indiqué qu’un tel amour n’
est
pas sans lien profond avec notre goût de la guerre. Enfin, s’il est v
283
profond avec notre goût de la guerre. Enfin, s’il
est
vrai que la passion, et le besoin de la passion sont des aspects de n
284
t vrai que la passion, et le besoin de la passion
sont
des aspects de notre mode occidental de connaissance, il faut en veni
285
e de toutes. Connaître à travers la souffrance, n’
est
-ce pas l’acte même, et l’audace, de nos mystiques les plus lucides ?
286
au sens noble, et mystique : que l’une de l’autre
soit
cause ou effet, ou qu’elles aient une commune origine — ces deux « pa
287
t voici qu’elle me parle encore. Pour quel destin
suis
-je né ? Pour quel destin ? La vieille mélodie me répète : — Pour dési
288
es relations que nous venons de dégager. 2. Il
est
assez facile d’éliminer, par une comparaison critique, les fantaisies
289
gende qu’on trouvera au chapitre 5, ces variantes
seront
négligées pour autant qu’elles s’expliquent trop aisément par des cir
290
ur. 3. Voir Appendice 1. 4. Appendice 2. 5. Ce
serait
ici le langage du poème : or on sait qu’il est des plus simples. 6.
291
serait ici le langage du poème : or on sait qu’il
est
des plus simples. 6. La raison dont je parle ici étant l’activité pr
292
des plus simples. 6. La raison dont je parle ici
étant
l’activité profanatrice qui s’exerce aux dépens du sacré collectif et
293
et qui en libère l’individu. Que le rationalisme
soit
passé au rang de doctrine officielle ne doit pas nous faire oublier s
294
de l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’
étaient
couchés pour se reposer à cause de la forte chaleur, et dormaient ain
295
séparés l’un de l’autre parce que… » Ici le texte
est
interrompu ! Et Bédier dit en note : « Passage inintelligible. » Quel
296
sage inintelligible. » Quelle puissance maléfique
est
donc intervenue pour brouiller le seul texte qui pût éclaircir le mys
297
ttfried de Strasbourg insiste avec cynisme : « Ce
fut
ainsi chose manifeste — Et avérée devant tous — Que le très glorieux
298
ont on s’habille — … Il se prête au gré de tous —
Soit
à la sincérité soit à la tromperie — II est toujours ce qu’on veut qu
299
Il se prête au gré de tous — Soit à la sincérité
soit
à la tromperie — II est toujours ce qu’on veut qu’il soit… » 12. Et
300
us — Soit à la sincérité soit à la tromperie — II
est
toujours ce qu’on veut qu’il soit… » 12. Et qu’il avait conquise de
301
a tromperie — II est toujours ce qu’on veut qu’il
soit
… » 12. Et qu’il avait conquise de plein droit pour lui-même en la d
302
vençale, I, p. 512. 14. Précisons que : 1° elles
sont
observées tour à tour, en vertu d’un calcul secret ; car si l’on choi
303
a situation se dénouerait trop vite ; 2° elles ne
sont
pas toujours observées : ainsi le péché consommé dès que les amants o
304
ché consommé dès que les amants ont bu le philtre
est
un péché aux yeux de l’amour courtois non moins qu’aux yeux de la mor
305
tan revient à la cour. Le « flagrant délit ». Ils
sont
séparés. — Ils se retrouvent et passent trois ans dans la forêt, puis
306
yeux du moraliste. Inférieur en ceci à Béroul il
sera
le premier responsable de la dégradation du mythe. 17. Dans le drame
307
emandes. » Et plus tard, quand il meurt : « Je ne
suis
pas resté au lieu de mon réveil. Mais où ai-je fait séjour ? Je ne sa
308
séjour ? Je ne saurais le dire… C’était là où je
fus
toujours, et là où j’irai pour toujours : le vaste empire de l’éterne
309
l’éternelle nuit. Là-bas, une science unique nous
est
donnée : le divin, l’éternel, l’originel oubli… Oh ! si je pouvais le
310
the 1.L’« obstacle » naturel et sacré Nous
sommes
tous plus ou moins matérialistes, nous autres héritiers du xixe . Qu’
311
es de faits « spirituels », aussitôt nous croyons
tenir
une explication de ces faits. Le plus bas nous paraît le plus vrai. C
312
a vu le jeu au cours de notre analyse du mythe, n’
est
-il pas d’origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’est-ce pas
313
’origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’
est
-ce pas la ruse la plus élémentaire du désir ? Et l’homme n’est-il pas
314
ruse la plus élémentaire du désir ? Et l’homme n’
est
-il pas « ainsi fait » qu’il s’impose parfois une certaine continence,
315
. « C’est afin — lui fait dire Plutarque — qu’ils
soient
toujours plus forts et dispos de leur corps, et qu’en ne jouissant pa
316
lus valeureux. Or la vertu d’une telle discipline
est
relative à la vie même, non à l’esprit. Elle cède au succès obtenu. E
317
cherche rien au-delà. L’eugénisme d’un Lycurgue n’
est
nullement ascétique, puisqu’il vise au contraire à la meilleure propa
318
les tribus exogamiques. La morale de la prouesse
est
une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plus anciennes trad
319
la nécessité d’une sélection biologique. Et il n’
est
pas jusqu’au désir de la mort que l’on ne puisse « ramener » à l’inst
320
assez que pour les Grecs et les Romains, l’amour
est
une maladie (Ménandre) dans la mesure où il transcende la volupté qui
321
e) dans la mesure où il transcende la volupté qui
est
sa fin naturelle. C’est une « frénésie », dit Plutarque. « Aucuns ont
322
ont pensé que c’était une rage… Ainsi à ceux qui
sont
amoureux, il leur faut pardonner comme étant malades… » D’où vient al
323
x qui sont amoureux, il leur faut pardonner comme
étant
malades… » D’où vient alors cette glorification de la passion, qui es
324
ient alors cette glorification de la passion, qui
est
justement ce qui nous touche dans le Roman ? Parler de déviation de l
325
ire puisqu’il s’agit de savoir, précisément, quel
est
le facteur qui a pu causer cette déviation. 2.Éros, ou le Désir sa
326
l’âme, pour la troubler d’humeurs malignes. Ce n’
est
pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce de fureur
327
. Ce n’est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il
est
une autre espèce de fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans
328
de la divinité et porte notre élan vers Dieu. Tel
est
l’amour platonicien : « délire divin », transport de l’âme, folie et
329
ort de l’âme, folie et suprême raison. Et l’amant
est
auprès de l’être aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie
330
lie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’
être
aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie qui monte par de
331
e l’être aimé « comme dans le ciel », car l’amour
est
la voie qui monte par degrés d’extase vers l’origine unique de tout c
332
ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’
être
soi et d’être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c
333
et distingue, au-delà du malheur d’être soi et d’
être
deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c’est l’Aspirat
334
ute puissance, à l’extrême exigence de pureté qui
est
l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’ê
335
l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière
est
négation de l’être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’é
336
d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’
être
actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’élan suprême du dési
337
é. Ainsi l’élan suprême du désir aboutit à ce qui
est
non-désir. La dialectique d’Éros introduit dans la vie quelque chose
338
cension de l’homme vers son dieu. Et ce mouvement
est
sans retour. ⁂ Les origines iraniennes et orphiques du platonisme son
339
es origines iraniennes et orphiques du platonisme
sont
encore mal connues mais certaines. Et par Plotin et l’Aréopagite, cet
340
. Et par Plotin et l’Aréopagite, cette doctrine s’
est
transmise au monde médiéval. Ainsi l’Orient vint rêver dans nos vies,
341
ou quelque harmonie ancestrale — toutes nos races
sont
venues d’Orient — ou simplement si la nature humaine n’est point port
342
s d’Orient — ou simplement si la nature humaine n’
est
point portée en tous lieux et tous temps à diviniser son Désir dans d
343
druides sur l’immortalité. La mythologie comparée
est
la plus périlleuse des sciences, si l’on excepte l’étymologie dont el
344
merci du calembour le plus tentant… Quoi qu’il en
soit
, certaines convergences générales se dégagent des travaux récents, re
345
t l’extension de l’Empire romain. Or les Celtes n’
étaient
pas une nation. Ils n’avaient pas d’autre « unité » que celle d’une c
346
le d’une civilisation, dont le principe spirituel
était
maintenu par le collège sacerdotal des druides. Ce collège à son tour
347
e sacerdotal des druides. Ce collège à son tour n’
était
nullement l’émanation des petits peuples ou tribus, mais « une instit
348
religieuses douées de pouvoirs très étendus. Ils
étaient
à la fois devins, magiciens, médecins, prêtres, confesseurs. Ils n’éc
349
rte d’ailleurs le même nom que le brahmane 21. Il
est
certain que les Celtes croyaient à une vie après la mort. Vie aventur
350
mort. C’était une compagne familière dont ils se
sont
plu à déguiser le caractère inquiétant. » De même, dans leur mytholog
351
t domine tout, et tout la découvre »22. Et cela n’
est
pas sans inciter à des rapprochements très précis avec ce que l’on a
352
Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il
est
un dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, aut
353
vre : la conception de la femme chez les Celtes n’
est
pas sans rappeler la dialectique platonicienne de l’Amour. La femme f
354
l’Amour. La femme figure aux yeux des druides un
être
divin et prophétique. C’est la Velléda des Martyrs, le fantôme lumine
355
perdu dans sa rêverie nocturne : « Sais-tu que je
suis
fée ? », dit-elle. Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole
356
stérieux », c’était l’invitation à désirer ce qui
est
au-delà des formes incarnées. Mais elle est belle et désirable en soi
357
e qui est au-delà des formes incarnées. Mais elle
est
belle et désirable en soi… Et pourtant sa nature est fuyante. « L’Éte
358
belle et désirable en soi… Et pourtant sa nature
est
fuyante. « L’Éternel féminin nous entraîne », dira Goethe. Et Novalis
359
entraîne », dira Goethe. Et Novalis : « La femme
est
le but de l’homme. » Ainsi l’aspiration vers la lumière prend pour sy
360
es. Le grand Jour incréé, aux yeux de la chair, n’
est
que la Nuit. Mais notre jour, aux yeux du dieu qui réside par-delà le
361
il souffre volupté, même quand il croit aimer un
être
… On parle trop de nirvana ou de bouddhisme à propos de l’opéra wagnér
362
les éléments les plus actifs de son philtre ! Il
est
frappant de constater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de
363
et aux invasions germaniques. « Les Gallo-Romains
sont
restés pour la plupart des Celtes déguisés. Si bien qu’après les inva
364
aître en Gaule des modes et des goûts qui avaient
été
ceux des Celtes23. » L’art roman et les langues romanes attestent l’i
365
’importance de l’héritage celtique. Plus tard, ce
furent
des moines d’Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes b
366
la Bretagne, nous constatons qu’une religion s’y
est
répandue, d’une manière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle
367
le des mythes du Jour et de la Nuit tels qu’ils s’
étaient
élaborés en Perse d’abord, puis dans les sectes gnostiques et orphiqu
368
éprouve de nos jours à définir cette religion ne
sont
pas sans nous renseigner sur sa nature profonde et sa portée humaine.
369
ature profonde et sa portée humaine. D’abord elle
fut
partout persécutée avec une violence inouïe par les pouvoirs ou les o
370
voir en elle la pire menace sociale. Ses fidèles
furent
massacrés, leurs écrits dispersés et brûlés. Si bien que les témoigna
371
. Si bien que les témoignages sur lesquels elle a
été
jugée jusqu’à nos jours émanent presque exclusivement de ses adversai
372
uite, il semble bien que la doctrine de Mani (qui
était
originaire de l’Iran) a pris, selon les peuples et leurs croyances, d
373
n hymne manichéen récemment retrouvé et traduit24
sont
invoqués et loués successivement Jésus, Mani, Ormuzd, Çakyamouni, et
374
in Zarhust (Zarathustra ou Zoroastre). De plus il
est
permis de penser que les survivances celtiques dans le Midi languedoc
375
ppements qui suivront, deux faits surtout doivent
être
retenus : 1° Le dogme fondamental de toutes les sectes manichéennes,
376
des dieux Me voici en exil et séparé d’eux. Je
suis
un dieu, et né des dieux Mais maintenant réduit à souffrir. Ainsi la
377
estin de l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’
est
pas sans évoquer d’une part la « réminiscence du Beau » dont parlent
378
se souvient de l’île des immortels. Mais cet élan
est
sans cesse entravé par la jalousie de Vénus (Dîbat dans le premier hy
379
e matière l’amant en proie au lumineux Désir. Tel
est
le combat de l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse f
380
s anges déchus dans des corps trop humains… 2° Il
est
très important et significatif pour nous de remarquer à la suite d’un
381
récent25 que la structure de la foi manichéenne «
est
essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est de la nature prof
382
t essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il
est
de la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition r
383
la mort le bien dernier, le rachat de la faute d’
être
né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse indistinction. Dè
384
u point de vue de la vie, un tel Amour ne saurait
être
qu’un malheur total. Tel est le grand fond du paganisme oriental-occi
385
el Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel
est
le grand fond du paganisme oriental-occidental sur lequel se détache
386
e détache notre mythe. Mais d’où vient qu’il s’en
soit
« détaché » justement ? Quelle menace, quelle interdiction a contrain
387
Prologue de l’Évangile de Jean : Au commencement
était
la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… en
388
n : Au commencement était la Parole, et la Parole
était
avec Dieu, et la Parole était Dieu… en elle était la vie, et la vie é
389
arole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole
était
Dieu… en elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La
390
était avec Dieu, et la Parole était Dieu… en elle
était
la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans l
391
arole était Dieu… en elle était la vie, et la vie
était
la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténè
392
s, et les ténèbres ne l’ont pas reçue. (I, 1-5.)
Est
-ce encore le dualisme éternel, sans rémission, l’irrévocable hostilit
393
n, car voici la suite du passage : Et la Parole a
été
faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérit
394
le monde — de la Lumière dans les Ténèbres —, tel
est
l’événement inouï qui nous délivre du malheur de vivre. Tel est le ce
395
t inouï qui nous délivre du malheur de vivre. Tel
est
le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien q
396
lement » incroyable. Car le fait de l’Incarnation
est
la négation radicale de toute espèce de religion. Il est le suprême s
397
négation radicale de toute espèce de religion. Il
est
le suprême scandale, non seulement pour notre raison qui n’admet poin
398
la non-vie, la mort du corps. La Nuit et le Jour
étant
incompatibles, l’homme créé qui appartient à la Nuit, ne peut trouver
399
la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant d’
être
, en se « perdant » au sein de la divinité. Mais le christianisme, par
400
ialectique de fond en comble. Au lieu que la mort
soit
le terme dernier, elle devient la première condition. Ce que l’Évangi
401
st le début d’une vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’
est
pas la fuite de l’esprit hors du monde, mais son retour en force au s
402
e que l’Esprit ressaisit. Dieu — le vrai Dieu — s’
est
fait homme, et vrai homme. En la personne de Jésus-Christ, les ténèbr
403
e et mort au monde en tant que le moi et le monde
sont
pécheurs, mais rendu à soi-même et au monde en tant que l’Esprit veut
404
ue l’Esprit veut les sauver. Désormais, l’amour n’
est
plus fuite et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà de la mo
405
pparaître le prochain. Pour l’Éros, la créature n’
était
qu’un prétexte illusoire, une occasion de s’enflammer ; et il fallait
406
l fallait aussitôt s’en déprendre, puisque le but
était
de brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particu
407
er toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’
être
particulier n’était guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’Êtr
408
e brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulier n’
était
guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’Être unique. Comment l’
409
ait guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’
Être
unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n’étant
410
’Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il
était
? Le salut n’étant qu’au-delà, l’homme religieux se détournait des cr
411
nt l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n’
étant
qu’au-delà, l’homme religieux se détournait des créatures ignorées pa
412
eul, parmi tous les dieux que l’on connaît — ne s’
est
pas détourné, au contraire : « Il nous a aimés le premier » dans notr
413
emier » dans notre forme et nos limitations. Il a
été
jusqu’à les revêtir. Et revêtant la condition de l’homme pécheur et s
414
tification. Le contraire de la sublimation, qui n’
était
que fuite illusoire au-delà du concret de la vie. Aimer devient alors
415
chait le dépassement à l’infini. L’amour chrétien
est
obéissance dans le présent. Car aimer Dieu, c’est obéir à Dieu qui no
416
in. À ceux qui lui demandaient ironiquement : Qui
est
mon prochain ? Jésus répond : c’est l’homme qui a besoin de vous. Tou
417
gent de sens. Le nouveau symbole de l’Amour, ce n’
est
plus la passion infinie de l’âme en quête de lumière, mais c’est le m
418
et là, le sanctifie par le mariage. Un tel amour,
étant
conçu à l’image de l’amour du Christ pour son Église (Éph., 5, 25), p
419
our du Christ pour son Église (Éph., 5, 25), peut
être
vraiment réciproque. Car il aime l’autre tel qu’il est — au lieu d’ai
420
raiment réciproque. Car il aime l’autre tel qu’il
est
— au lieu d’aimer l’idée de l’amour ou sa mortelle et délicieuse brûl
421
du point de vue de la vie, au malheur absolu, qui
est
la mort. Le christianisme n’est un malheur mortel que pour l’homme sé
422
lheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’
est
un malheur mortel que pour l’homme séparé de Dieu, mais un malheur re
423
e « saisit le salut ». 4.Orient et Occident
Est
-il possible de définir l’Orient et l’Occident en dehors de la géograp
424
» une conception religieuse qui à vrai dire nous
est
venue du Proche-Orient mais qui n’a triomphé qu’en Occident : celle q
425
lle. Mais seulement une communion, dont le modèle
est
dans le mariage de l’Église et de son Seigneur. Cela suppose une illu
426
ières, elles ne représentent que des défauts de l’
Être
. Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera
427
onc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour
sera
en même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la vie. Agapè
428
l’union qui s’opérerait au-delà de la vie. « Dieu
est
au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le
429
au-delà de la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu
es
sur la terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas d’êtr
430
terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’
est
pas d’être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous
431
Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas d’
être
né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne trouver
432
ésir. Nous aurons beau sublimer notre Éros, il ne
sera
jamais que nous-mêmes ! Point d’illusions ni d’optimisme humain, dans
433
me orthodoxe. Mais alors, c’est le désespoir ? Ce
serait
le désespoir, s’il n’y avait pas la Bonne Nouvelle ; et cette nouvell
434
r de son Fils abaissé jusqu’à nous. L’Incarnation
est
le signe historique d’une création renouvelée, où le croyant se trouv
435
’est-à-dire réconcilié, l’homme reste un homme (n’
est
pas divinisé) mais un homme qui ne vit plus pour lui seul. « Tu aimer
436
exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin
est
l’origine d’une vie nouvelle, dont l’acte créateur s’appelle la commu
437
, il faut bien qu’il y ait deux sujets, et qu’ils
soient
présents l’un à l’autre : donc l’un pour l’autre le prochain. Si l’Ag
438
lus comme un prétexte à s’exalter, mais tel qu’il
est
dans la réalité de sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a
439
espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain — n’
est
-on pas en droit de conclure que cette forme d’amour nommée passion do
440
ous oblige à le constater : c’est l’inverse qui s’
est
réalisé. Nous voyons qu’en Orient26, et dans la Grèce contemporaine d
441
la Grèce contemporaine de Platon, l’amour humain
est
très généralement conçu comme le plaisir, la simple volupté physique.
442
au sens tragique et douloureux — non seulement y
est
rare, mais encore et surtout y est méprisée par la morale courante co
443
on seulement y est rare, mais encore et surtout y
est
méprisée par la morale courante comme une maladie frénétique. « Aucun
444
n Occident, au xiie siècle, c’est le mariage qui
est
en butte au mépris, tandis que la passion est glorifiée dans la mesur
445
qui est en butte au mépris, tandis que la passion
est
glorifiée dans la mesure même où elle est déraisonnable, où elle fait
446
passion est glorifiée dans la mesure même où elle
est
déraisonnable, où elle fait souffrir, où elle exerce ses ravages aux
447
ction flagrante entre les doctrines et les mœurs.
Serait
-ce alors dans le fait même de cette contradiction flagrante que résid
448
xaltée. Le principe d’explication de ce tableau
est
assez simple. Le platonisme, au temps de Platon et durant les siècles
449
emps de Platon et durant les siècles suivants, ne
fut
jamais une doctrine populaire, mais une sagesse ésotérique. Il en all
450
oi le christianisme triompha. La primitive Église
fut
une communauté de faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin
451
r en lui s’exalter la révolte du sang barbare. Il
était
prêt à accueillir, sous le couvert de formes catholiques, toutes les
452
ion incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’
est
devenue cette doctrine parmi nous ? « Personne ne saurait dire jusqu’
453
é physique — alors qu’en fait cette beauté même n’
est
que l’attribut conféré par l’amant à l’objet de son choix d’amour. L’
454
it son objet », et que la beauté « officielle » n’
est
pas un gage d’être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède
455
que la beauté « officielle » n’est pas un gage d’
être
aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède, nous rend aveugle
456
s rend aveugles à la réalité de l’objet tel qu’il
est
dans sa vérité — ou bien nous la rend peu aimable. Et il nous jette à
457
Souvenons-nous du culte druidique pour la Femme,
être
prophétique, « éternel féminin », « but de l’homme ». Les Celtes, déj
458
simile d’instinct à la définition de la beauté, n’
est
-ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si
459
re « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si telles
sont
bien les causes de la curieuse contradiction qui apparaît au xiie si
460
trines et les mœurs, une première conclusion peut
être
formulée dès à présent : L’amour-passion est apparu en Occident comme
461
eut être formulée dès à présent : L’amour-passion
est
apparu en Occident comme l’un des contrecoups du christianisme (et sp
462
resterait bien théorique et contestable si nous n’
étions
pas en mesure de retracer les voies et moyens historiques de cette re
463
urs et cathares Que toute la poésie européenne
soit
issue de la poésie des troubadours au xiie siècle, c’est ce dont per
464
les xie et xiie siècles, la poésie d’où qu’elle
fût
(hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienne, toscane, gé
465
, picarde, champenoise, flamande, anglaise, etc.)
était
au préalable languedocienne, c’est-à-dire que le poète, ne pouvant êt
466
uedocienne, c’est-à-dire que le poète, ne pouvant
être
que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le s
467
ire que le poète, ne pouvant être que troubadour,
était
tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage
468
e le poète, ne pouvant être que troubadour, était
tenu
de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du t
469
it pas — le langage du troubadour, qui n’a jamais
été
que le provençal30. » Qu’est-ce que la poésie des troubadours ? L’exa
470
dour, qui n’a jamais été que le provençal30. » Qu’
est
-ce que la poésie des troubadours ? L’exaltation de l’amour malheureux
471
prend sa source dans un système fixe de lois, qui
seront
codifiées sous le nom de leys d’amors. Mais il faut dire aussi que ja
472
Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne
fut
plus exaltante et fervente. Ce qu’elle exalte, c’est l’amour hors du
473
que l’union des corps, tandis que l’« Amor », qui
est
l’Éros suprême, est l’élancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-
474
s, tandis que l’« Amor », qui est l’Éros suprême,
est
l’élancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour p
475
ait un baiser sur le front. Désormais, ces amants
seront
liés par les lois de la cortezia : le secret, la patience, et la mesu
476
zia : le secret, la patience, et la mesure, qui n’
est
pas tout à fait synonyme de la chasteté, nous le verrons, mais plutôt
477
s, mais plutôt de la retenue… Et surtout, l’homme
sera
le servant de la femme. D’où vient cette conception nouvelle de l’amo
478
mais encore faudrait-il expliquer pourquoi elle s’
est
produite à tel moment et dans tels lieux bien définis ; ou bien tout
479
ors il s’agit de savoir pour quelles raisons elle
est
demeurée obscure jusqu’à nos jours. Ce qui est curieux au plus haut p
480
le est demeurée obscure jusqu’à nos jours. Ce qui
est
curieux au plus haut point, c’est l’embarras des romanistes les plus
481
ntradiction absolue avec ces conditions32 ». « Il
est
évident qu’elle ne reflète aucunement la réalité, la condition de la
482
la réalité, la condition de la femme n’ayant pas
été
, dans les institutions féodales du Midi, moins humble et dépendante q
483
et dépendante que dans celles du Nord. » Or, s’il
est
à ce point « évident » que les troubadours ne tiraient rien de la réa
484
eption de l’amour venait d’ailleurs. Quel pouvait
être
cet ailleurs ? La même question se pose pour leur art, j’entends pour
485
’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’
être
borné à raffiner des formes fixes et des lieux communs : mais encore
486
la lyrique arabe et la lyrique provençale : ce n’
est
pas sérieux, nous dit-on. Brinkmann et d’autres ont supposé que la po
487
ournir des modèles : tout compte fait, cela ne se
tient
pas, car les troubadours, paraît-il, avaient trop peu de culture pour
488
u phénomène qu’ils passent leur vie à étudier. Il
est
vrai que Wechssler, dans un ouvrage fameux34, a cru pouvoir tout écla
489
ntre elles l’ensemble de nos érudits. Wechssler s’
est
vu traiter de « doctrinaire » — suprême injure — et plusieurs ont ins
490
utations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il
est
également impossible — écrit un de nos professeurs — de voir dans ces
491
rmules vides de sens ». Excellent « matériel » il
est
vrai, pour un philologue qui se respecte et n’entend pas « solliciter
492
specte et n’entend pas « solliciter » les textes,
fût
-ce par le moindre essai de les comprendre. Je ne saurais me contenter
493
se à supposer un seul instant que les troubadours
furent
des faibles d’esprit, tout juste bons à répéter sans se lasser des fo
494
si le secret de toute cette poésie ne devrait pas
être
cherché beaucoup plus près d’elle qu’on ne l’a fait — tout près : sur
495
out près : sur place, dans le milieu même où elle
est
née. Et non pas dans le milieu purement « social » au sens moderne, m
496
cines dans la religion dualiste de l’Iran. Quelle
était
la doctrine des cathares ? On a répété très longtemps qu’« on ne le s
497
Hérésie, et que les seuls témoignages subsistants
étaient
les interrogatoires des accusés, probablement « sollicités » par les
498
ion, en 1939, d’un ouvrage théologique (tardif il
est
vrai) le Livre des deux Principes 37 s’ajoutant à la restitution d’un
499
s comme dans la réflexion de millions d’individus
fut
et demeure le problème du Mal, tel que l’homme spirituel l’expériment
500
deux mondes et de deux créations. En effet : Dieu
est
Amour, mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur
501
éations. En effet : Dieu est Amour, mais le monde
est
mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde, de ses ténèbres
502
, mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait
être
l’auteur du monde, de ses ténèbres et du péché qui nous enserre. Sa c
503
première dans l’ordre spirituel, puis animique, a
été
achevée dans l’ordre matériel par l’Ange révolté, le Grand Arrogant,
504
anges, en leur disant : « Qu’il leur valait mieux
être
en bas, où ils pourraient faire le mal et le bien, qu’en haut, où Die
505
ivi Satan et la femme d’une beauté éclatante, ont
été
prises dans des corps matériels, qui leur étaient et leur demeurent é
506
ont été prises dans des corps matériels, qui leur
étaient
et leur demeurent étrangers. (Cette idée me paraît éclairer un sentim
507
s de la procréation et de la mort. Mais le Christ
est
venu parmi nous, pour nous montrer le chemin du retour à la Lumière.
508
emblable à celui des gnostiques et de Manès, ne s’
est
pas vraiment incarné : il n’a pris que l’apparence d’un homme. C’est
509
s’abstenir de tout contact avec leur femme, s’ils
étaient
mariés. Il semble qu’un jeûne de quarante jours41 précédait l’initiat
510
uprême de toute loi matérielle.) Le Consolamentum
était
administré par les évêques, et comportait l’imposition des mains, au
511
paix, et la vénération des Élus (ou « purs »). Il
est
important de mentionner ici la vénération manichéenne s’adressant à l
512
age de son âme par un salut et un baiser. L’enfer
étant
la prison de la matière, Lucifer, l’ange révolté, n’y peut régner que
513
our les hommes non encore illuminés — la création
sera
réintégrée dans l’unité de l’Esprit originel, les pécheurs entraînés
514
Esprit originel, les pécheurs entraînés par Satan
seront
sauvés, et Satan lui-même rentrera dans l’obéissance du Très-Haut. Le
515
rigines. Notons enfin ce dernier trait : comme ce
fut
le cas pour tant de sectes et de religions orientales — jaïnisme, bou
516
mons plus chrétiens que les leurs, et leurs mœurs
étaient
pures… » Ce jugement rachète en partie les calomnies de l’Inquisition
517
voir aujourd’hui une caractéristique chrétienne,
est
en fait d’origine manichéenne et « hérétique ». Car il est essentiel
518
it d’origine manichéenne et « hérétique ». Car il
est
essentiel de le rappeler ici : la « chair » dont parle saint Paul n’e
519
ppeler ici : la « chair » dont parle saint Paul n’
est
pas le corps physique, mais le tout de l’homme incroyant, corps, rais
520
nt la civilisation très raffinée dont ils avaient
été
l’âme austère et secrète. Et cependant, de cette culture et de ses do
521
e culture et de ses doctrines fondamentales, nous
sommes
encore tributaires, au-delà de ce que l’on imagine… (Comme j’espère l
522
raste avec celle où je crois pouvoir m’arrêter44,
fut
avancée par des esprits aventureux comme Otto Rahn45, qui l’ont, à mo
523
a démontrer et de n’y pas croire du tout, et cela
tient
à l’essence même du phénomène dont elle essaie de rendre compte : à l
524
littéraire et religieux. Les données du problème
sont
, en gros, les suivantes. D’une part, l’hérésie cathare et l’amour cou
525
France)46. Comment croire que ces deux mouvements
soient
dépourvus de toute espèce de liens ? S’ils étaient demeurés sans nul
526
soient dépourvus de toute espèce de liens ? S’ils
étaient
demeurés sans nul rapport, ne serait-ce pas plus étrange que tout ? M
527
ens ? S’ils étaient demeurés sans nul rapport, ne
serait
-ce pas plus étrange que tout ? Mais en revanche, quelle espèce de lie
528
tres eux-mêmes cèdent à la tentation. Les églises
sont
désertes et tombent en ruines… Les personnages les plus importants de
529
es personnages les plus importants de ma terre se
sont
laissé corrompre. La foule a suivi leur exemple et abandonné la foi (
530
fait que je n’ose ni ne puis rien entreprendre. »
Est
-il imaginable que les troubadours aient vécu et chanté dans ce monde-
531
On a rétorqué à cela que les premiers troubadours
sont
apparus dans le Poitou et le Limousin, tandis que l’hérésie avait son
532
ébut par les troubadours limousins (comme elle le
sera
bientôt par ceux de bien d’autres régions de l’Europe), se trouve êtr
533
de bien d’autres régions de l’Europe), se trouve
être
la langue du comté de Toulouse ! On a dit aussi que les cours les plu
534
troubadours comme particulièrement accueillantes,
étaient
celles des seigneurs demeurés orthodoxes : mais cette observation n’e
535
rs demeurés orthodoxes : mais cette observation n’
est
pas toujours exacte — il s’en faut de beaucoup, comme on va voir ! —
536
que ces vers rendent un son « cathare » ? Mais qu’
est
-ce que ce château de Fanjeaux ? L’une des maisons-mères des cathares
537
dirigea en personne dès 1193 (notre poème pouvant
être
daté des environs de 1190), et c’est là qu’Esclarmonde de Foix, la pl
538
es et m’en dit honneur et louange. Et comme je ne
suis
pas au milieu d’elles et que je vais dans un autre pays, je me plains
539
tre pays, je me plains, je soupire et je languis.
Est
-il vraiment possible, se demande le lecteur, d’imaginer que Peire Vid
540
se demande le lecteur, d’imaginer que Peire Vidal
soit
autre chose qu’un galant amuseur, un flatteur de femmes riches — cell
541
s qui forment son public ? Mais la suite du poème
est
troublante. Peire Vidal énumère les maisons qui l’ont bien reçu et le
542
las ! il doit quitter pour aller en Provence : ce
sont
les châteaux de Laurac, de Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce so
543
aurac, de Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce
sont
les comtés de l’Albigeois et du Carcassès « où les chevaliers et les
544
rcassès « où les chevaliers et les femmes du pays
sont
courtois », et c’est aussi « Dame Louve, qui m’a si bien conquis que,
545
mon cœur ! » Or nous savons que tous ces châteaux
sont
des foyers connus de l’hérésie, ou même des « maisons d’hérétiques »
546
érétiques » (sortes de couvents) ; que ces comtés
sont
notoirement cathares ; et que cette « Louve » est la comtesse Stéphan
547
ont notoirement cathares ; et que cette « Louve »
est
la comtesse Stéphanie, dite la Loba, qui fait partie du groupe des hé
548
Ce doute et cette question renaissent à l’infini.
Est
-ce pure coïncidence, si les troubadours comme les cathares glorifient
549
sans toujours l’exercer — la vertu de chasteté ?
Est
-ce pure coïncidence si, comme les « purs », ils ne reçoivent de leur
550
expressions tirées de la liturgie cathare ? Il ne
serait
que trop facile de multiplier ces questions. Voyons plutôt les argume
551
nts adverses. Tous les troubadours, dira-t-on, ne
furent
pas dans le camp de l’hérésie. Plusieurs finirent leurs jours dans de
552
i passa-t-il pour un traître, jusqu’au jour où il
fut
accusé devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort de cinq-cent
553
illeurs, quand on démontrerait, à supposer que ce
fût
possible en soi, que tels d’entre les troubadours ignoraient les anal
554
pas encore démontré que l’origine de ce lyrisme n’
est
pas hérétique. N’oublions pas qu’ils composaient leurs coblas et leur
555
peut concevoir une poésie — même très belle — qui
serait
faite de lieux communs dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’
556
uns dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’
est
-ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si l’on dit : ces troubad
557
de ne jamais trahir leur foi, et cela quelle que
fût
la mort dont ils se verraient menacés. C’est ainsi que les registres
558
e dans les cours d’amour : « Un chevalier peut-il
être
à la fois marié et fidèle à sa dame ? » — Voilà qui nous donne à pens
559
parent « mariage » avec l’Église de Rome dont ils
étaient
les clercs, tout en servant dans leurs « pensées » une autre Dame, l’
560
e d’Auvergne fit pénitence ? Preuve de plus qu’il
fut
hérétique. Mais venons-en aux textes, et considérons-les dans la très
561
ait de son désir, si justement l’amour sans fin n’
était
le mal qu’il aime, la « joy d’amor », le délire qui prévaut :
562
e… S’il ne veut pas mourir encore, c’est qu’il n’
est
pas assez détaché du désir, c’est qu’il craint de quitter son corps p
563
ois : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’
est
loin, plus la désire ? Et voici Guiraut de Bornheil qui prie la vrai
564
d’épreuves dans le monde. (Ces deux « copains »,
seraient
-ce l’âme et le corps ? L’âme liée au corps, mais désirant l’esprit ?
565
eu, Seigneur, s’il vous agrée À mon copain fidèle
soit
aide et bienvenue Car ne l’ai plus revu depuis la nuit venue
566
e faut se séparer ? Beau doux copain, tant riche
est
ce séjour Que ne veux jamais plus voir aube ni jour Car la plus belle
567
our Car la plus belle fille qui de mère naquit La
tient
dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni de jaloux ni d’aub
568
En un verger, sous une loge d’aubépine, la dame a
tenu
son ami dans ses bras jusqu’à ce que le guetteur ait crié : Dieu ! c’
569
encore que bien souvent le doute s’insinue — qui
est
-elle, femme ou symbole ? Pourquoi sont-ils tous à jurer que jamais il
570
sinue — qui est-elle, femme ou symbole ? Pourquoi
sont
-ils tous à jurer que jamais ils ne trahiront le secret de leur grande
571
s, accomplis en toute malice, à demander qui elle
est
, et quel est son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai
572
en toute malice, à demander qui elle est, et quel
est
son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché.
573
demander qui elle est, et quel est son pays, s’il
est
loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt
574
t son pays, s’il est loin ou près, car je vous le
tiendrai
bien caché. Je mourrais plutôt que de faillir en un seul mot… Quelle
575
ais plutôt que de faillir en un seul mot… Quelle
est
la « dame » qui mériterait ce sacrifice ? Ou ce cri de Guillaume de P
576
cri de Guillaume de Poitiers : Par elle seule je
serai
sauvé ! Ou cette invocation d’Uc de Saint-Circ à une Dame sans merci
577
S’il ne s’agit que de figures de rhétorique, quel
est
l’esprit qui leur donna naissance ? Et quel Amour en fut l’idée plato
578
sprit qui leur donna naissance ? Et quel Amour en
fut
l’idée platonicienne ? Dans sa chanson Du moindre tiers d’Amour — cel
579
ers conviennent Noblesse et Merci ; et le premier
est
de telle élévation qu’au-dessus du ciel plane son pouvoir. Cet Amour
580
en trois, ce principe féminin (Amor en provençal
est
du genre féminin) qui chez Dante va « mouvoir le ciel et toutes les é
581
nous dit ici qu’il plane « au-dessus du ciel », n’
est
-ce point déjà la Divinité en soi des grands mystiques hétérodoxes, le
582
us des cieux, » et dont « Noys » — le Noûs grec —
est
l’émanation intellectuelle et féminine ? Et d’où viendrait, sinon, l’
583
bien d’une femme réelle51 — le prétexte physique
est
là — mais comme dans le Cantique des Cantiques, le ton est réellement
584
mais comme dans le Cantique des Cantiques, le ton
est
réellement mystique. Les érudits nous ressassent leur formule : il n’
585
ris moi-même, elle m’a pris le monde, puis elle s’
est
elle-même dérobée à moi, ne me laissant que mon désir et mon cœur ass
586
t, et dont les romanistes assurent que les poèmes
sont
« vides de pensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la m
587
ouvel An, elle me détruit et elle se damne. ⁂ Il
est
temps maintenant de pousser à l’extrême l’intuition directrice de cet
588
ition directrice de cette recherche. Si la Dame n’
est
pas simplement l’Église d’Amour des cathares (comme ont pu le croire
589
ostiques (le Principe féminin de la divinité), ne
serait
-elle pas l’Anima, ou plus précisément encore : la part spirituelle de
590
enoncé au monde reçoit l’imposition des mains (ce
sera
chez les cathares le consolamentum, généralement donné à l’approche d
591
n, au moment de sa mort, la forme de Lumière, qui
est
son Esprit, lui apparaît et le console par un baiser ; comment son an
592
». Il y eut aussi des dames « réelles »… Mais le
furent
-elles, en vérité, plus que cet événement psychique ? De l’énigme hist
593
té de l’Église hérétique, dont les poètes eussent
été
les agents, nous passons maintenant au mystère d’une passion propreme
594
on me dira : 1° Que la religion des cathares nous
est
encore mal connue et qu’il est donc au moins prématuré d’y voir la so
595
des cathares nous est encore mal connue et qu’il
est
donc au moins prématuré d’y voir la source (ou l’une des sources prin
596
t ; 3° Qu’au contraire, l’amour qu’ils exaltent n’
est
que l’idéalisation ou la sublimation du désir sexuel ; 4° Qu’on disti
597
ces critiques. 1. Religion mal connue. Si elle n’
était
pas connue du tout, le problème du lyrisme provençal resterait totale
598
surde une poétique et une éthique de l’amour d’où
sont
issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de la litté
599
nes de l’hérésie. Or, si l’on se reporte à ce qui
fut
dit plus haut (II, 2) sur la nature essentiellement lyrique des dogme
600
it pas grand-chose pour ou contre ma thèse. Ce ne
sont
pas des équivalences rationnelles et exactes du dogme qu’il faut cher
601
chrétien » que l’on reconnaît chez un Baudelaire
est
autre chose qu’une transposition terme à terme des dogmes catholiques
602
utôt une certaine sensibilité (même formelle) qui
serait
inconcevable sans le dogme catholique ; à quoi s’ajoutent des élément
603
ments de vocabulaire et de syntaxe dont l’origine
est
nettement liturgique. On peut imaginer que les thèmes que nous avons
604
n spécialiste aussi sceptique que Jeanroy n’a pas
été
sans le remarquer. Parlant de la lyrique abstraite des troubadours du
605
-on, que figures de rhétorique sans conséquences.
Soit
. Mais les théories que les troubadours développaient avec une si grav
606
s développaient avec une si grave application, ne
sont
-elles pas aux antipodes du christianisme ? Ne devaient-ils pas s’en a
607
ie siècle une forme de conscience qui ne pouvait
être
la sienne. Si l’on essaie de se replacer dans l’atmosphère du Moyen Â
608
’absence de signification symbolique d’une poésie
serait
un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut être à nos yeux, par exe
609
rait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut
être
à nos yeux, par exemple, le symbolisme de la Dame. Dans l’optique de
610
oie, ni d’en prendre une conscience distincte. Il
est
indemne de ce rationalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d
611
stique Suso : « La vie de la chrétienté médiévale
est
, dans toutes ses manifestations, saturée de représentations religieus
612
ieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaires
soient
-elles, dont on ne cherche constamment à établir le rapport avec la fo
613
anscendantale, l’élan vers le sublime, ne peuvent
être
toujours présents. Viennent-ils à manquer, tout ce qui était destiné
614
urs présents. Viennent-ils à manquer, tout ce qui
était
destiné à stimuler la conscience religieuse dégénère en profane banal
615
ublime nous semble parfois frôler le ridicule. Il
est
sublime quand, par piété envers la Vierge, il rend hommage à toutes l
616
as leurs pommes. Après Noël, au temps où l’Enfant
est
trop jeune pour manger des fruits, Suso ne mange pas ce dernier quart
617
99). C’est dire que le « secret » des troubadours
était
en somme une évidence symbolique aux yeux des initiés et des sympathi
618
athisants de l’Église d’Amour. Normalement, il ne
serait
venu à personne cette idée, strictement moderne, que les symboles, po
619
idée, strictement moderne, que les symboles, pour
être
valables, dussent être commentés et expliqués d’une manière non symbo
620
ne, que les symboles, pour être valables, dussent
être
commentés et expliqués d’une manière non symbolique… Une objection in
621
e manière non symbolique… Une objection inverse a
été
faite : comment se peut-il que jamais un cathare converti n’ait dénon
622
urs de l’hérésie ? La réponse me paraît aisée. Il
est
clair que les troubadours n’étaient nullement considérés comme des pr
623
paraît aisée. Il est clair que les troubadours n’
étaient
nullement considérés comme des prédicateurs ni comme des militants ;
624
ples sympathisants. Ces distinctions, d’ailleurs,
étaient
bien moins tranchées qu’elles ne le seraient de nos jours. Ils chanta
625
eurs, étaient bien moins tranchées qu’elles ne le
seraient
de nos jours. Ils chantaient, pour un public en majorité favorable à
626
pression de l’amour humain58. » Le trobar clus ne
serait
ainsi qu’un jeu littéraire, un « tarabiscotage », « une perversion du
627
ers, qu’il s’avance et je lui dirai comment il me
fut
possible d’y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette ma
628
une énigme » ? On peut penser que les troubadours
étaient
mus par des passions moins puériles… « J’entrelace des mots rares, so
629
t Raimbaut d’Orange. Et Marcabru : « Pour sage je
tiens
sans nul doute celui qui dans mon chant devine ce que chaque mot sign
630
mon chant devine ce que chaque mot signifie. » Il
est
vrai qu’il ajoute — boutade ou précaution ? — « car moi-même je suis
631
ute — boutade ou précaution ? — « car moi-même je
suis
embarrassé pour éclaircir ma parole obscure. » Ici se poserait la plu
632
ent » symbolique des médiévaux : leurs symboles n’
étaient
pas traduisibles en concepts prosaïques et rationnels. Ce n’est donc
633
sibles en concepts prosaïques et rationnels. Ce n’
est
donc que sur le double sens allégorique que devrait porter la questio
634
ons que nous rapportent les chroniqueurs du temps
sont
parmi les plus folles, les plus « surréalistes » qu’ait connues l’his
635
même dogmatique à l’origine. 3. L’Amour courtois
serait
une idéalisation de l’amour charnel. C’est la thèse la plus courante.
636
t aisée à relever : qu’à la longue, la chanson se
soit
vidée de son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules
637
se soit vidée de son contenu initial, n’ait plus
été
qu’un tissu de formules creuses on le peut admettre. Mais au début et
638
début et jusqu’à la fin du xiie siècle, il n’en
était
pas ainsi : chez les poètes de cette époque, l’expression du désir ch
639
es de cette époque, l’expression du désir charnel
est
si vive et parfois si brutale qu’il est vraiment impossible de se tro
640
r charnel est si vive et parfois si brutale qu’il
est
vraiment impossible de se tromper sur la nature de leurs aspirations.
641
la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il
est
obligé de reconnaître l’équivoque des expressions courtoises et leurs
642
ns courtoises et leurs résonances mystiques. « Il
est
certain — doit-il avouer — que les idées religieuses d’une époque inf
643
ent que les « théories amoureuses du Moyen Âge ne
sont
qu’un reflet de ses idées religieuses ? » Et pourquoi vouloir à tout
644
, prince de Blaye, dit très nettement que sa Dame
est
une création de son esprit, et qu’elle s’évanouit avec l’aube. Ailleu
645
et que rien n’explique ». Exemples donnés : « Je
suis
en doute au sujet d’une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est
646
Je suis en doute au sujet d’une chose et mon cœur
est
dans l’angoisse : c’est que tout ce que le frère me refuse, j’entends
647
car il y a d’autres sens encore que celui-ci, qui
est
franciscain avant la lettre). Et quant aux épithètes « réalistes » qu
648
il semblerait que toute la poésie des troubadours
fût
l’œuvre d’un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette
649
vre d’un seul auteur louant une Dame unique !) Où
est
alors cette expression « vive et brutale » d’un désir évidemment char
650
? Dans la crudité de certains termes ? Mais elle
était
courante et naturelle avant le puritanisme bourgeois. L’argument est
651
urelle avant le puritanisme bourgeois. L’argument
est
anachronique. Voici par contre un document de poids à l’appui de la t
652
mmes. Si vous voulez faire leur conquête, dit-il,
soyez
brutaux, « donnez-leur des coups de poing sur le nez » (est-ce assez
653
x, « donnez-leur des coups de poing sur le nez » (
est
-ce assez « cru » ?), forcez-les : car c’est cela qu’elles aiment. Qua
654
me gêner pour les femmes, pas plus que si toutes
étaient
mes sœurs ; c’est pourquoi je suis envers elles humble, complaisant,
655
e si toutes étaient mes sœurs ; c’est pourquoi je
suis
envers elles humble, complaisant, loyal et doux, tendre, respectueux
656
et fidèle… Je n’aime rien, sauf cet anneau qui m’
est
cher, parce qu’il a été au doigt… Mais je m’aventure trop : assez, ma
657
en, sauf cet anneau qui m’est cher, parce qu’il a
été
au doigt… Mais je m’aventure trop : assez, ma langue ! Car trop parle
658
venture trop : assez, ma langue ! Car trop parler
est
pis que péché mortel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange d’ad
659
leurs que l’anneau (échangé par Tristan et Iseut)
est
le signe d’une fidélité qui justement n’est pas celle des corps. Soul
660
seut) est le signe d’une fidélité qui justement n’
est
pas celle des corps. Soulignons enfin ce fait capital : que les vertu
661
ité, loyauté, respect et fidélité envers la Dame,
sont
ici rapportées expressément au refus de l’amour physique. Au surplus,
662
rplus, nous verrons plus tard les poèmes de Dante
être
d’autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs images que Béatr
663
leur Dame, Arnaut Daniel et l’italien Guinizelli
sont
placés au chant XXIV du Purgatoire dans le cercle des sodomistes61 !
664
contesté. On a trop longtemps cru que la cortezia
était
une simple idéalisation de l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait
665
déalisation de l’instinct sexuel. À l’inverse, il
serait
excessif de soutenir que l’idéal mystique sur quoi elle se fondait à
666
éal mystique sur quoi elle se fondait à l’origine
fût
toujours et partout observé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltat
667
rigine fût toujours et partout observé ; ou qu’il
fût
en soi univoque. L’exaltation de la chasteté produit presque toujours
668
n, mais par ailleurs divinisaient le sperme62. Il
est
probable que des excès de ce genre se produisirent aussi chez les cat
669
stres de l’Inquisition. Notons toutefois qu’elles
sont
souvent contradictoires. Ainsi l’on affirme tantôt que les cathares t
670
oires. Ainsi l’on affirme tantôt que les cathares
tiennent
pour innocentes les voluptés les plus grossières, tantôt qu’ils répro
671
l, licite ou non. Mais des accusations semblables
furent
portées contre toutes les religions nouvelles, sans excepter le chris
672
s, sans excepter le christianisme primitif. Et il
est
juste de citer ici le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de
673
), des excès sensuels. Or, si les religieux ne se
sont
pas tus par modestie, ce qui ne me paraît pas croyable de la part d’h
674
mes qui faisaient attention à tout, leurs erreurs
étaient
plutôt des erreurs d’intelligence que de sensualité 63. » Retenons do
675
passion — au sens précis que je donne à ce mot —
sont
d’origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent
676
e mot — sont d’origine religieuse et mystique, il
est
certain qu’elles se trouvent flatter, par cela même qu’elles veulent
677
Tout ceci m’amène à conclure — quels qu’aient pu
être
mes scrupules à l’origine — que le lyrisme courtois fut au moins insp
678
s scrupules à l’origine — que le lyrisme courtois
fut
au moins inspiré par l’atmosphère religieuse du catharisme64. C’est l
679
xemple dont je crois pouvoir dire que les données
sont
entièrement énumérables et très profondément connues (au sens total)
680
des textes connus. (Il semble bien que Freud ait
été
avant tout un savant ; qu’il ait soutenu une théorie de la libido ; e
681
ris une attitude déterministe : or le surréalisme
fut
une école littéraire avant tout ; on ne retrouve le terme de libido d
682
dans aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes
sont
de tendance idéaliste-anarchisante) ; 2° que les surréalistes n’ont j
683
alistes n’ont jamais dit dans leurs poèmes qu’ils
étaient
les disciples du freudisme ; 3° qu’au contraire, la liberté qu’ils ex
684
; 3° qu’au contraire, la liberté qu’ils exaltent
est
celle que devaient nier tous les psychanalystes ; 4° qu’enfin l’on di
685
siècle, comment toutes ces choses improbables se
sont
réellement produites ; nous savons que les initiateurs du mouvement s
686
sans lui, leurs théories et leur lyrisme eussent
été
tout différents ; nous savons que ces poètes n’éprouvaient nul besoin
687
fs de cette école lisent Freud : les disciples se
sont
bornés à imiter la rhétorique des maîtres… En outre, on aperçoit, par
688
ournir aux savants futurs les apaisements qu’ils,
seront
en droit d’attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur
689
éisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’
était
bel et bien opérée en Arabie, et de plus, s’était exprimée par une po
690
était bel et bien opérée en Arabie, et de plus, s’
était
exprimée par une poésie religieuse dont les métaphores érotiques offr
691
l prouvait de la sorte que cette double ignorance
était
précisément son fait. On l’excusera d’ailleurs si l’on tient compte d
692
un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme
était
par ailleurs très fortement pénétré de représentations mythiques iran
693
, il empruntait aux doctrines avestiques — dont s’
était
inspiré Manès — l’opposition du monde de la Lumière et du monde des T
694
re et du monde des Ténèbres, dont on a vu qu’elle
est
fondamentale pour les cathares. Et tout cela se traduisait — tout com
695
imer que le fini. Il en résulta que les mystiques
furent
obligés de recourir à des symboles dont le sens restait secret. (Ains
696
it secret. (Ainsi la louange du vin, dont l’usage
était
interdit, devint le symbole de la divine ivresse d’amour.) Mais compt
697
ymbole de la divine ivresse d’amour.) Mais compte
tenu
de cette difficulté particulière — qui n’est d’ailleurs pas sans rapp
698
pte tenu de cette difficulté particulière — qui n’
est
d’ailleurs pas sans rapport avec la situation courtoise —, nous retro
699
ayer de leur vie cette accusation d’hérésie65. Il
est
bien émouvant de constater que tous les termes d’une pareille polémiq
700
à la sortie du pont Chinvat et lui déclare : « Je
suis
toi-même ! » Or selon certains interprètes de la mystique des troubad
701
mystique des troubadours, la Dame des pensées ne
serait
autre que la part spirituelle et angélique de l’homme, son vrai moi.
702
p. viii du Livre Ier). c) Le Familier des Amants
est
construit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et de ses différent
703
le que l’on apprend la magie ». (L’Iseut celtique
était
aussi une magicienne, « objet de contemplation, spectacle mystérieux
704
esclave, ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il
été
pris de folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe
705
ou’m. Quand Nou’m me gratifie d’un regard, cela m’
est
égal que Sou’da ne soit pas complaisante67. » « Nou’m » est le nom c
706
atifie d’un regard, cela m’est égal que Sou’da ne
soit
pas complaisante67. » « Nou’m » est le nom conventionnel de la femme
707
e Sou’da ne soit pas complaisante67. » « Nou’m »
est
le nom conventionnel de la femme aimée, et signifie ici Dieu. Or les
708
er des personnages historiques… e) La salutation
est
le salut que l’initié voulait donner au Sage, mais que celui-ci, prév
709
leur foi. À l’interrogation d’un impatient : « Qu’
est
-ce que le soufisme ? », al-Hallaj répond : « Ne t’attaque pas à Nous,
710
ans le sang des amants. » De plus, les indiscrets
sont
soupçonnés d’intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les ama
711
crets sont soupçonnés d’intentions mauvaises : ce
sont
eux qui dénoncent les amants à l’autorité orthodoxe, c’est-à-dire qui
712
asser en affirmant que les amants du xiie siècle
tenaient
énormément au secret de leurs liaisons (ce qui les distinguerait, san
713
ècles) ? g) Enfin, la louange de la mort d’amour
est
le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repo
714
des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repos de l’amour
est
une fatigue, son commencement une maladie, sa fin la mort. Pour moi c
715
fin la mort. Pour moi cependant la mort par amour
est
une vie ; je rends grâce à ma Bien-aimée de me l’avoir offerte. Celui
716
rir. La vie, c’est en effet le jour terrestre des
êtres
contingents et le tourment de la matière ; mais la mort, c’est la nui
717
’union de l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’
Être
absolu. Aussi Moïse est-il pour les mystiques arabes le symbole du pl
718
imé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse
est
-il pour les mystiques arabes le symbole du plus grand Amant, puisqu’e
719
ie illuminative d’un Sohrawardi, d’un Hallaj, ait
été
le martyre religieux au sommet de la joy d’amour : Al-Hallaj se rend
720
dait au supplice en riant. Je lui dis : Maître qu’
est
cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie de la Beauté attirant à
721
ui dis : Maître qu’est cela ? Il répondit : Telle
est
la coquetterie de la Beauté attirant à elle les amoureux68. ⁂ On sait
722
moureux68. ⁂ On sait enfin que l’amour platonique
fut
révéré par une tribu dont le prestige était grand dans le monde arabe
723
tonique fut révéré par une tribu dont le prestige
était
grand dans le monde arabe, celle des Banou Ohdri où l’on mourait d’am
724
: « Celui qui aime, qui s’abstient de tout ce qui
est
interdit, qui garde son amour secret, et qui meurt de son secret, cel
725
ourire. De Bagdad à l’Andalousie, la poésie arabe
est
une, par la langue et l’échange continu. L’Andalousie touche aux roya
726
t du lyrisme andalou aux xe et xie siècles nous
est
aujourd’hui bien connu. La prosodie précise du zadjal est celle-là mê
727
urd’hui bien connu. La prosodie précise du zadjal
est
celle-là même que reproduit le premier troubadour, Guillaume de Poiti
728
l’influence andalouse sur les poètes courtois ne
sont
plus à faire69. Et je pourrais ici remplir des pages de citations d’A
729
s peine à deviner de quel côté des Pyrénées elles
furent
écrites. La cause est entendue. Mais voici ce qui m’importe. L’on ass
730
côté des Pyrénées elles furent écrites. La cause
est
entendue. Mais voici ce qui m’importe. L’on assiste au xiie siècle d
731
, ni dans le parler vulgaire. La poésie courtoise
est
née de cette rencontre. Et c’est ainsi qu’au dernier confluent des «
732
nière de beaucoup d’historiens pour qui le réel n’
est
défini que par des documents écrits. J’irai maintenant un peu plus lo
733
re approfondir, tout en la précisant autant qu’il
est
possible, la problématique de l’amour courtois — parce que je la croi
734
ologiques : saint Bernard de Clairvaux et Abélard
sont
les pôles de ce drame dans l’Église, et au niveau de la spéculation.
735
res. En revanche, beaucoup professent que l’homme
étant
divin, rien de ce qu’il fait avec son corps — cette part du diable —
736
e nombreux commentaires du Cantique des Cantiques
sont
écrits pour les nonnes des premiers couvents de femmes, de l’abbaye d
737
m de Flore annonce que l’Esprit Saint, dont l’ère
est
imminente, s’incarnera dans une Femme. Tout cela se passe dans la réa
738
Et les ordres monastiques qui apparaissent alors
sont
des répliques aux ordres chevaleresques : le moine est « chevalier de
739
es répliques aux ordres chevaleresques : le moine
est
« chevalier de Marie ». En 1140, à Lyon, les chanoines établissent un
740
re de la manière la plus précise : « Si Marie eût
été
conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’être rachetée par Jé
741
conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’
être
rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à une né
742
Enfin, voici un dernier trait dont on verra qu’il
est
tout impossible de le rattacher latéralement aux précédents. C’est au
743
ste « impur ». Ce complexe de sentiments œdipiens
est
d’autant plus contraignant que la structure sociale est plus solide,
744
autant plus contraignant que la structure sociale
est
plus solide, la puissance du père plus assurée, et le dieu dont le pè
745
nce du père plus assurée, et le dieu dont le père
tient
ses pouvoirs plus révéré. Imaginons maintenant un état de la société
746
sée ; où la puissance divine se divise elle-même,
soit
en une pluralité de dieux, comme en Grèce, soit en un couple dieu-dée
747
, soit en une pluralité de dieux, comme en Grèce,
soit
en un couple dieu-déesse, comme en Égypte, soit enfin comme dans le m
748
, soit en un couple dieu-déesse, comme en Égypte,
soit
enfin comme dans le manichéisme, en un Dieu bon qui est pur esprit et
749
fin comme dans le manichéisme, en un Dieu bon qui
est
pur esprit et un Démiurge qui domine la matière et la chair. La compu
750
à condition que cette Déesse-Mère ne cesse pas d’
être
virginale, qu’elle échappe donc à l’interdit maintenu sur la femme de
751
ttéralement un enthousiasme libérateur unifiant l’
être
, le « consolant73 ». 3. Une illustration. — Au xiie siècle, l’on as
752
èche. Du côté cathare, le mariage et la sexualité
sont
condamnés sans rémission par les Parfaits ou « consolés », mais demeu
753
té des hérétiques. Du côté catholique, le mariage
est
tenu pour sacrement, cependant qu’il repose en fait sur des bases d’i
754
es hérétiques. Du côté catholique, le mariage est
tenu
pour sacrement, cependant qu’il repose en fait sur des bases d’intérê
755
et social, et se voit imposé aux époux sans qu’il
soit
tenu compte de leurs sentiments. En même temps, le relâchement de l’a
756
nt célébrée par les mêmes hommes qui persistent à
tenir
la sexualité pour « vilaine » ; et nous voyons souvent dans le même p
757
Carcassès, du Toulousain, du Foix, de l’Albigeois
étaient
« croyantes » et savaient — bien qu’elles fussent mariées — que le ma
758
étaient « croyantes » et savaient — bien qu’elles
fussent
mariées — que le mariage était condamné par leur Église. Beaucoup de
759
— bien qu’elles fussent mariées — que le mariage
était
condamné par leur Église. Beaucoup de troubadours — cela n’est pas do
760
par leur Église. Beaucoup de troubadours — cela n’
est
pas douteux — étaient cathares ou, du moins, très au courant des idée
761
eaucoup de troubadours — cela n’est pas douteux —
étaient
cathares ou, du moins, très au courant des idées qui étaient dans l’a
762
hares ou, du moins, très au courant des idées qui
étaient
dans l’air depuis deux-cents ans. Dans tous les cas, ils chantaient p
763
un antipode spirituel au mariage où elles avaient
été
contraintes. » Le même auteur ajoute qu’à son avis, « il n’est pas qu
764
es. » Le même auteur ajoute qu’à son avis, « il n’
est
pas question de voir dans la chasteté, ainsi feinte, une habitude rée
765
ure normale, à laquelle la culture et la religion
seraient
venues surajouter leurs faux problèmes… Cette illusion touchante peut
766
as à comprendre leur vie. Car tous, tant que nous
sommes
, sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion prop
767
fait, aisément confondues avec l’instinct. Elles
furent
tantôt des artifices cruels, tantôt des rites sacrés ou des gestes ma
768
ent les dieux (en premier lieu Shiva et Bouddha)…
est
fortement personnifiée : c’est la Déesse, Épouse et Mère… Le dynamism
769
on de la Mère. L’apothéose religieuse de la femme
est
commune d’ailleurs à tous les courants mystiques du Moyen Âge indien…
770
rants mystiques du Moyen Âge indien… Le tantrisme
est
par excellence une technique, bien que fondamentalement il soit une m
771
lence une technique, bien que fondamentalement il
soit
une métaphysique et une mystique… La méditation éveille certaines for
772
li mudra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit
être
tenu pour le secret des secrets. » Les précisions données par le text
773
dra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit être
tenu
pour le secret des secrets. » Les précisions données par le texte fon
774
ue. Mais la plupart des textes qui la décrivent «
sont
écrits dans un langage intentionnel, secret, obscur, à double sens, d
775
à double sens, dans lequel un état de conscience
est
exprimé par un terme érotique78 » — ou l’inverse aussi bien. À tel po
776
point « qu’on ne peut jamais préciser si maithuna
est
un acte réel ou simplement une allégorie ». De toute manière, le but
777
plement une allégorie ». De toute manière, le but
est
le « suprême grand bonheur… la joie de l’anéantissement du moi ». Et
778
’arrêt non du plaisir mais de son effet physique,
est
utilisée comme expérience immédiate pour obtenir l’état nirvanique. «
779
’amante synthétise toute la nature féminine, elle
est
mère, sœur, épouse, fille… elle est le chemin du salut79 ». Ainsi le
780
éminine, elle est mère, sœur, épouse, fille… elle
est
le chemin du salut79 ». Ainsi le tantrisme apporte cette nouveauté qu
781
hé et de la mort : l’acte sexuel80. » Mais l’acte
est
toujours décrit comme étant celui de l’homme. La femme reste passive,
782
sexuel80. » Mais l’acte est toujours décrit comme
étant
celui de l’homme. La femme reste passive, impersonnelle, pur principe
783
e. l’arrêt séminal81 ». Des pratiques similaires
sont
prescrites par le taoïsme, mais en vue de prolonger la jeunesse et la
784
ès le début du xiie siècle, ces « lois d’Amour »
sont
donc déjà fixées, comme un rituel. Ce sont Mesure, Service, Prouesse,
785
mour » sont donc déjà fixées, comme un rituel. Ce
sont
Mesure, Service, Prouesse, Longue Attente, Chasteté, Secret et Merci,
786
et Merci, et ces vertus conduisent à la Joie, qui
est
signe et garantie de Vray Amor. Voici Mesure et Patience : De courtoi
787
abe Ibn Dawoud disait : « La soumission à l’aimée
est
la marque naturelle d’un homme courtois. ») Voici la Chasteté : Celui
788
férente : J’ai une amie, mais je ne sais qui elle
est
, car jamais de par ma foi je ne la vis… et je l’aime fort… Nulle joie
789
sion de cet amour lointain. La « joie d’Amour » n’
est
pas seulement libératrice du désir dominé par Mesure et Prouesse, ell
790
rice du désir dominé par Mesure et Prouesse, elle
est
aussi fontaine de Jouvence : Je veux garder (ma dame) pour me rafraîc
791
eront ce que leurs modèles avaient chanté. « Ce n’
est
plus de l’amour courtois, si on le matérialise ou si la Dame se rend
792
Calenson : Dans le palais où elle siège (la Dame)
sont
cinq portes : celui qui peut ouvrir les deux premières passe aisément
793
ères passe aisément les trois autres, mais il lui
est
difficile d’en sortir, il vit dans la joie, celui qui peut y rester.
794
là n’entrent ni vilains ni malotrus, ces gens-là
sont
logés dans le faubourg, lequel occupe plus de la moitié du monde. Cel
795
s vers le commentaire suivant : « Les cinq portes
sont
Désir, Prière, Servir, Baiser et Faire, par où Amour périt. » Les qua
796
et Faire, par où Amour périt. » Les quatre degrés
sont
« honorer, dissimuler, bien servir, patiemment attendre84 ». Quant à
797
qui couve Faux Amour ». (Et en effet, le diable n’
est
-il pas le père de la création matérielle… et de la procréation, selon
798
on le catharisme ?) Les adversaires du vrai Amour
sont
les « homicides, traîtres, simoniaques, enchanteurs, luxurieux, usuri
799
x abbés, fausses recluses et faux reclus85 ». Ils
seront
détruits, « soumis à toute ruine », et tourmentés en enfer. Noble Am
800
urmentés en enfer. Noble Amour a promis qu’il en
serait
ainsi, là sera la lamentation des désespérés. Ah ! noble Amour, sourc
801
. Noble Amour a promis qu’il en serait ainsi, là
sera
la lamentation des désespérés. Ah ! noble Amour, source de bonté, par
802
e Amour, source de bonté, par qui le monde entier
est
illuminé, je te crie merci. Contre ces clameurs gémissantes, défends-
803
meurs gémissantes, défends-moi, de peur que je ne
sois
retenu là-bas (en enfer) ; en tous lieux je me tiens pour ton prisonn
804
is retenu là-bas (en enfer) ; en tous lieux je me
tiens
pour ton prisonnier et, réconforté par toi sur toutes choses, j’espèr
805
nforté par toi sur toutes choses, j’espère que tu
seras
mon guide. Enfin, contre certains des troubadours qui sans doute abu
806
pourquoi les maris deviennent jaloux et les dames
sont
dans l’angoisse… Ces faux servants font qu’un grand nombre abandonnen
807
Mérite et éloignent d’eux Jeunesse. » Quelles que
soient
les réalités ou l’absence de réalités « matérielles » qui aient pu co
808
eulement pour chanter ce que l’on pourrait encore
tenir
, chez les troubadours du Midi, pour une pure fantasmagorie sentimenta
809
ur sur certains faits que la « science sérieuse »
tient
aujourd’hui pour établis. Simplement, je les crois de nature à nourri
810
La Pantcha Tantra, recueil de contes bouddhistes,
fut
traduite au vie siècle du sanscrit en pehlevi, par un médecin de Cho
811
arabe. Le périple du Roman de Barlaam et Josaphat
est
encore plus surprenant. Sous sa forme connue de nos jours, c’est l’hi
812
t adopter le christianisme, dont les mystères lui
sont
communiqués par le « bonhomme » Barlaam. La version qui nous est rest
813
par le « bonhomme » Barlaam. La version qui nous
est
restée, en provençal du xive siècle, quoique orthodoxe dans les gran
814
et plus proche de l’original. Que cette hypothèse
soit
un jour vérifiée ou non, il n’en reste pas moins que l’origine manich
815
este pas moins que l’origine manichéenne du Roman
est
attestée par les fragments de son texte original (en langage ouigour
816
awhar va Budhâsaf » (var. Yudhâsaf). Innombrables
sont
les exemples de relations entre l’Orient et l’Occident médiéval. J’ai
817
tes arabes, homosexuels pour la plupart, comme le
furent
plusieurs troubadours. Il s’exprime dans des termes qui seront repris
818
urs troubadours. Il s’exprime dans des termes qui
seront
repris par presque tous les grands mystiques de l’Occident. Il nous s
819
s le goût des petites cours du Moyen Âge. Il peut
être
purement rêvé, et beaucoup se refusent à y voir autre chose qu’un tou
820
Tout cela me paraît vraisemblable, tout cela peut
être
« vrai » aux divers sens du mot, et simultanément, et de plusieurs ma
821
quête à laquelle je viens de me livrer, et compte
tenu
des objections les plus sensées que firent à ma thèse minima les part
822
de mes premières constatations : l’amour courtois
est
né au xiie siècle, en pleine révolution de la psyché occidentale. Il
823
u Nord et du Midi. Il semble bien que la question
soit
actuellement résolue : c’est bien le Midi roman qui a donné son style
824
de l’amour courtois87. Chrétien de Troyes déclare
tenir
le fond et l’esprit de ses romans de la comtesse Marie de Champagne,
825
liénor, célèbre par sa cour d’amour où le mariage
fut
condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tristan dont les manuscrit
826
ait écrit un Roman de Tristan dont les manuscrits
sont
perdus. Béroul était Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la
827
e Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul
était
Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende de Tristan se
828
uscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas
était
Anglais. Et en retour, la légende de Tristan se répandit très largeme
829
ns. Nous avons vu que la religion druidique, d’où
sont
issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doctrine d
830
gir d’anciennes traditions autochtones, elle n’en
était
pas moins pour les trouvères une chose apprise : d’où les erreurs qu’
831
’où les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il
est
d’ailleurs extrêmement délicat de préciser les causes et l’importance
832
les causes et l’importance exacte de ces erreurs.
Est
-ce un défaut d’initiation ? Est-ce une tradition imparfaite ? Ou enco
833
e de ces erreurs. Est-ce un défaut d’initiation ?
Est
-ce une tradition imparfaite ? Ou encore une tendance hérétique au sei
834
, bornons-nous à remarquer que les romans bretons
sont
tantôt plus « chrétiens » et tantôt plus « barbares » que les poèmes
835
rbares » que les poèmes des troubadours, dont ils
sont
cependant inspirés de la manière la plus incontestable. Nous ne savon
836
vons dans quelle mesure il a voulu que ses romans
fussent
des chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse de Rahn, Pélada
837
j’inclinerais à le penser). Toutes les hypothèses
sont
permises en l’absence de documents dont on voit bien pourquoi ils fon
838
sa volonté de demeurer ésotérique. Quoi qu’il en
soit
, Chrétien de Troyes a notablement déformé la signification des mythes
839
oïde, femme du Castis, chez Wolfram d’Eschenbach,
serait
le comte Ramon Roger Trencavel, fils d’Adélaïde de Carcassonne et d’A
840
il penser, avec un transcripteur moderne, qu’« il
est
fort vraisemblable que Chrétien de Troyes n’était pas instruit du sen
841
l est fort vraisemblable que Chrétien de Troyes n’
était
pas instruit du sens païen et secret de ces traits mystérieux qu’il r
842
rnement romanesque et la chronique réelle ? Si ce
fut
le cas, il n’y réussit que trop bien, puisque Robert de Boron, son co
843
ate de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie
sont
évidents, si saugrenues que puissent paraître les interprétations que
844
donne l’auteur lui-même, après chaque épisode. Il
est
une de ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine
845
se. « Je vous dirai la signifiance de ce qui vous
est
advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous avez dédaignée
846
e de droite que vous avez dédaignée au carrefour,
était
celle de la chevalerie terrienne, où vous avez longtemps triomphé ; c
847
où vous avez longtemps triomphé ; celle de gauche
était
la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer
848
de leurs meilleurs adaptateurs modernes ! Ainsi s’
est
répandue l’opinion fort étrange que les poètes bretons n’étaient en s
849
e l’opinion fort étrange que les poètes bretons n’
étaient
en somme que des amuseurs un peu niais, dont le succès demeure incomp
850
us ferait voir au contraire que la vraie barbarie
est
dans la conception moderne du roman, photographie truquée de faits in
851
ignifie », dans ces aventures merveilleuses, tout
est
symbole ou délicate allégorie, et seuls les ignorants s’arrêtent à l’
852
, non avertis. Mais quand bien même les trouvères
seraient
inférieurs aux troubadours dans la connaissance mystique, ils n’ont p
853
hrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne
sont
pas seulement des poèmes d’amour, comme on le répète, mais de véritab
854
nitiale que Lancelot ne trouvera pas le Graal, et
sera
cent fois humilié quand il errera dans la voie céleste. Il a choisi l
855
voie terrienne, il a trahi l’Amour mystique, il n’
est
pas « pur ». Seuls les « purs » et les vrais « sauvages » comme Bohor
856
erceval et Galaad parviendront à l’initiation. Il
est
clair que la description de ces errements et de leurs punitions exige
857
a simple chanson. Dans Tristan, la faute initiale
est
douloureusement rachetée par une longue pénitence des amants. C’est p
858
ens que la part épique — combats et intrigues — y
est
réduite au minimum, tandis que le développement tragique de la doctri
859
e et simple du récit. Mais en même temps, Tristan
est
le plus « breton » des romans courtois, en ce sens qu’on y trouve inc
860
nne des éléments de religion brittonique : elle s’
est
formée dans un pays chrétien, romanisé, puis colonisé par les Irlanda
861
, puis colonisé par les Irlandais93 ». Le miracle
est
cependant attesté par un grand nombre d’incidents mis en œuvre par Bé
862
re, le pouvoir poétique de ces éléments religieux
était
tel qu’on s’explique assez bien leur survivance, même dans un monde q
863
es morts. Ce héros, Bran, Cuchulainn, ou Oisin, «
est
attiré par une mystérieuse beauté : il s’embarque sur une barque magi
864
mort les précède, empêchant leur réunion « car il
était
prédit par les druides qu’ils ne se rencontreraient pas dans leur vie
865
après la mort, pour ne jamais se séparer »95. Il
serait
aisé de multiplier ces comparaisons littéraires. Mais certains traits
866
ppelle que Tristan, après la mort de ses parents,
fut
élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était fréquent, chez les
867
fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il
était
fréquent, chez les plus anciens Celtes, que l’on confiât les enfants
868
généralement du nom anglo-normand de fosterage s’
est
maintenue en pays celtique : nous trouvons les enfants confiés à des
869
ourricier… On recherchait comme pères nourriciers
soit
les membres de la famille maternelle, soit… des druides96. » Tristan
870
iciers soit les membres de la famille maternelle,
soit
… des druides96. » Tristan élevé par Marc, son oncle maternel, devient
871
ouvent jusqu’à cinquante fils juridiques (le lien
était
donc assez faible), et surtout le fait que l’inceste était assez bien
872
c assez faible), et surtout le fait que l’inceste
était
assez bien toléré chez les Celtes, comme l’attestent de nombreux docu
873
d’Hubert : à savoir que la mythologie celtique s’
est
transmise au cycle courtois non par des voies proprement religieuses,
874
lus clair et le plus précieux du génie celtique s’
est
incorporé à l’esprit européen. (Hubert, II, p. 336.) Ce « son particu
875
rendre à sa moderne transcription de la légende,
est
si nettement sensible à notre cœur qu’il nous met en mesure d’isoler
876
blimation religieuse de la femme par les druides)
est
avant tout l’amour sensuel97. Le fait que dans certaines légendes cet
877
tériques, aide à comprendre que le fond breton se
soit
si aisément adapté au symbolisme du roman courtois. Mais cette analog
878
our son nom et pour sa beauté, car, quelle qu’eût
été
sa beauté sans ce nom, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le dési
879
lle qu’eût été sa beauté sans ce nom, quel qu’eût
été
ce nom sans sa beauté, le désir de Tristan ne s’y fût pas porté. Ains
880
ce nom sans sa beauté, le désir de Tristan ne s’y
fût
pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et de ses peine
881
rment. » Du seul fait qu’Iseut aux blanches mains
est
devenue sa femme légitime, il ne doit plus et ne peut plus la désirer
882
il n’eût méprisé le bien qu’il a, s’il n’eût pas
été
le sien : son cœur ne prend en aversion que le bonheur qu’il est cont
883
on cœur ne prend en aversion que le bonheur qu’il
est
contraint d’avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa rech
884
st contraint d’avoir. Le lui eût-on refusé, il se
serait
lancé à sa recherche, pensant toujours trouver mieux, parce qu’il n’a
885
enfin la fantaisie individuelle des poètes : tels
sont
donc en fin de compte les éléments sur lesquels la doctrine hérétique
886
cette métamorphose : il nous échappe doublement,
étant
poétique et mystique. Mais nous savons maintenant d’où vient le mythe
887
ement conscient de ses implications théologiques,
fut
le fait de Gottfried de Strasbourg, vers le début du xiiie siècle. G
888
sbourg, vers le début du xiiie siècle. Gottfried
était
un clerc, qui lisait le français (il cite souvent des vers de Thomas
889
e » qui la compense. Angoisse : l’instinct sexuel
est
ressenti comme un destin cruel, une tyrannie ; orgueil : cette tyrann
890
in cruel, une tyrannie ; orgueil : cette tyrannie
sera
conçue comme une force divinisante — c’est-à-dire dressant l’homme co
891
s dans un au-delà de toute morale, qui ne saurait
être
que divin. Ainsi le philtre à la fois rive à la sexualité, qui est un
892
nsi le philtre à la fois rive à la sexualité, qui
est
une loi de la vie, et contraint à la dépasser dans un hybris libérate
893
riage de Tristan avec Iseut aux blanches mains ne
fut
pas « blanc », mais consommé. Son long poème inachevé — il nous en re
894
rs, mais la mort des amants, quoique annoncée, ne
fut
jamais écrite — est à la fois plus religieux et plus sensuel que ceux
895
amants, quoique annoncée, ne fut jamais écrite —
est
à la fois plus religieux et plus sensuel que ceux de Béroul et de Tho
896
gende sans auteur99. a) Le « jugement de Dieu »
est
une coutume barbare, mais l’Église l’admettait au xiie siècle et ven
897
tée au rouge : seuls les menteurs ou les parjures
étaient
brûlés. On sait qu’Iseut, soupçonnée de trahir sa fidélité au roi Mar
898
eil et de défi démesuré. Elle jure n’avoir jamais
été
dans les bras d’un autre homme que son mari, si ce n’est, ajoute-t-el
899
s les bras d’un autre homme que son mari, si ce n’
est
, ajoute-t-elle en riant, dans les bras du pauvre passeur qui vient de
900
t intacte de l’épreuve. Gottfried commente : « Ce
fut
ainsi chose manifeste et avérée devant tous que le très vertueux Chri
901
e chacun, à la sincérité comme à la tromperie… Il
est
toujours ce que l’on veut qu’il soit 100. » L’allusion au « cœur » es
902
tromperie… Il est toujours ce que l’on veut qu’il
soit
100. » L’allusion au « cœur » est nettement dirigée contre Bernard de
903
’on veut qu’il soit 100. » L’allusion au « cœur »
est
nettement dirigée contre Bernard de Clairvaux, dont les écrits étaien
904
igée contre Bernard de Clairvaux, dont les écrits
étaient
si familiers au poète qu’il imite bien souvent leur dialectique de la
905
ans cet ordre le mariage. b) La Minnegrotte nous
est
décrite comme une église, avec une science réelle du symbolisme litur
906
ond avec l’esprit en unité transcendantale. Et ce
sont
les amants, non les croyants, qui vont être divinisés par la « consom
907
Et ce sont les amants, non les croyants, qui vont
être
divinisés par la « consommation » (spirituelle ou physique ? l’ambigu
908
pisode de la Minnegrotte toute la dialectique qui
sera
celle des grands mystiques du xiiie et du xviie siècles : les trois
909
es trois voies purgative, illuminative et unitive
sont
ici très précisément préfigurées, quoique infléchies ou inverties par
910
nent mieux que possibles : inévitables. Nous n’en
sommes
pas sortis au xxe siècle, sinon ce livre n’aurait plus d’objet. Mais
911
plus d’objet. Mais on peut poser des repères. Il
est
bien évident que Gottfried de Strasbourg utilise à son gré la « matiè
912
ignore si elle ne lui a pas coûté la vie. Mais il
est
non moins clair que le cadre du roman, son intrigue et ses thèmes dir
913
semblent confondre avec la « science ». Tristan
est
un roman bien plus profondément et plus indiscutablement manichéen qu
914
ndiscutablement manichéen que la Divine Comédie n’
est
thomiste. Il reste que Gottfried explicite la légende d’une manière t
915
rd. Même si l’on ignorait que la source de Wagner
fut
le poème de Gottfried, la seule comparaison des textes l’établirait :
916
t, du temps, de l’espace et du malheur terrestre,
est
emprunté presque littéralement à divers passages du poème103. Mais bi
917
rtient au démon. Tout ce qui dépend de son empire
est
donc voué à la nécessité, et les corps sont voués au désir, dont le p
918
empire est donc voué à la nécessité, et les corps
sont
voués au désir, dont le philtre d’amour symbolise l’inéluctable tyran
919
amour symbolise l’inéluctable tyrannie. L’homme n’
est
pas libre. Il est déterminé par le démon. Mais s’il assume son destin
920
inéluctable tyrannie. L’homme n’est pas libre. Il
est
déterminé par le démon. Mais s’il assume son destin de malheur jusqu’
921
ns n’avaient pas voulu dire, ou pas su dire, et s’
étaient
curieusement contentés d’illustrer en actions romanesques : la nostal
922
ontradiction tragique entre le Bien — qui ne peut
être
que l’Amour — et le Mal triomphant dans le monde créé. Ce que Wagner,
923
’un Bédier. 14.Premières conclusions Compte
tenu
du changement de registre qui s’opère dans les expressions poétiques
924
ubadours au Nord plus barbare des trouvères, nous
sommes
en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul, Thomas e
925
d’un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il
est
temps de tirer la conclusion : L’amour-passion glorifié par le mythe
926
onclusion : L’amour-passion glorifié par le mythe
fut
réellement au xiie siècle, date de son apparition, une religion dans
927
sée de nos jours par les romans et par le film, n’
est
rien d’autre que le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’u
928
que dans nos vies privées. La mystique d’Occident
est
une autre passion dont le langage métaphorique est parfois étrangemen
929
st une autre passion dont le langage métaphorique
est
parfois étrangement semblable à celui de l’amour courtois. Nos grande
930
lui de l’amour courtois. Nos grandes littératures
sont
pour une bonne partie des laïcisations du mythe, ou comme je préfère
931
27. Droit d’user et d’abuser des esclaves, qui ne
sont
pas des « personnes » pour le droit romain : persona est sui juris ;
932
des « personnes » pour le droit romain : persona
est
sui juris ; servus non est persona. 28. J. Ortega y Gasset, Uber di
933
droit romain : persona est sui juris ; servus non
est
persona. 28. J. Ortega y Gasset, Uber die Liebe. 29. Ceci n’est pa
934
. J. Ortega y Gasset, Uber die Liebe. 29. Ceci n’
est
pas une boutade, on le verra bien par la suite. Le premier couple d’a
935
er couple d’amants « passionnés » dont l’histoire
soit
venue jusqu’à nous, c’est Héloïse et Abélard dont la rencontre se sit
936
e non point Dieu, mais le diable. 41. Ce chiffre
est
archétypique. Jésus est demeuré quarante jours au Désert. Les Hébreux
937
e diable. 41. Ce chiffre est archétypique. Jésus
est
demeuré quarante jours au Désert. Les Hébreux ont erré pendant quaran
938
ans entre l’Égypte et la Terre promise. Le Déluge
est
provoqué par une pluie de quarante jours. Dans le tantrisme bouddhiqu
939
tantrisme bouddhique, le « service » de la Femme
est
divisé en épreuves de quarante jours, etc., etc. Quarante est le nomb
940
n épreuves de quarante jours, etc., etc. Quarante
est
le nombre de l’Épreuve. 42. L’expression de « parfaits » ne se trouv
941
shommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir
été
utilisé par les cathares eux-mêmes, et « parfaits » serait ironique.
942
ilisé par les cathares eux-mêmes, et « parfaits »
serait
ironique. 43. Voir l’excellent ouvrage de Fernand Niel, Montségur, l
943
a montagne inspirée, 1955. « Si Montségur n’a pas
été
le château du Graal [comme l’affirmait Rahn] aucun autre en Europe ne
944
adversaires les plus virulents de cette hypothèse
sont
ceux qui n’ont pas vu le site de Montségur. Le choc émotif profond pr
945
1160. Mais dès 1145, selon Borst, le catharisme s’
est
répandu de la Bulgarie à l’Angleterre ! Le nom apparaît cette année-l
946
pendant, un grand nombre de femmes de la noblesse
étaient
cathares, et les troubadours leur dédiaient leurs chansons ! 48. Déo
947
mot « vraie » devant Dieu, Lumière, Foi, Église,
est
un indice probable de catharisme chez un troubadour. Les cathares s’a
948
n significative pour l’initié. 50. Les « aubes »
étaient
un genre régulier. On conçoit sa nécessité dans une vision du monde d
949
badour, de basse extraction sociale en général, s’
est
épris de la femme d’un haut baron, qui le dédaigne. Certes, cela se v
950
xhalé dans ses poèmes cette même plainte ? Rien n’
est
trop haut pour lui, c’est évident, s’il ne s’agit que de ce monde. En
951
nces entre doctrine cathare et poétique courtoise
sont
précises. Lucie Varga, dans une étude sur Peire Cardenal (ou Cardinal
952
l), l’un des derniers troubadours (Peire Cardinal
était
-il hérétique ? Revue d’Histoire des Religions, juin 1938) va jusqu’à
953
adours, II, p. 306. 56. Par exemple, le médiéval
serait
trop « naïf » pour étudier une matière qu’il jugerait absurde, c’est-
954
Depuis quand ? Rudel utilisait ce procédé, et il
est
de la première moitié du xiie siècle, c’est-à-dire de la première gé
955
onc l’un des inventeurs de ces « formules ». Nous
tenons
ici un bel exemple d’anachronisme tendancieux. On veut à tout prix qu
956
n veut à tout prix que le langage des troubadours
soit
le langage naturel de l’amour humain, transposé à l’amour divin. Alor
957
Alors qu’historiquement, c’est le contraire qui s’
est
produit. 59. Un amoureux peu lettré qui écrit à sa fiancée des épîtr
958
e crois qu’ici encore, au moins à l’origine, tout
est
symbole religieux, autant ou plus que traduction de relations humaine
959
ment, dans le plan sexuel, des déviations dont il
serait
difficile de nier que certains troubadours n’aient été victimes. 62.
960
ifficile de nier que certains troubadours n’aient
été
victimes. 62. Textes traduits et commentés dans Wolfgang Schultz, Do
961
llaj, p. 161) : « Adorer Dieu par amour seulement
est
le crime des manichéens… (ceux-ci) adorent Dieu par amour physique, p
962
, comme un aimant, le foyer de lumière dont elles
sont
venues. » 66. H. Corbin : Introduction au Familier des Amants. 67.
963
duction du Collier de la colombe d’Ibn Hazm — qui
est
une théorie de l’amour courtois arabe — et son ouvrage d’ensemble, Hi
964
que les réfutations les plus virulentes qui aient
été
publiées portaient beaucoup moins sur cette thèse que sur sa réductio
965
à savoir que les poèmes des troubadours pouvaient
être
— selon Rahn, Aroux et Péladan — une sorte de langage secret du catha
966
ication tout à fait abusive, dont mes adversaires
sont
plus responsables que moi — en dépit de certaines imprudences d’expre
967
dépit de certaines imprudences d’expression. (Ce
sont
elles, par malheur, qui ont le plus fait pour assurer le succès de l’
968
atholique d’avoir inverti le nom même du Dieu qui
est
Amour. 72. Ce qui n’empêchera pas l’Église de Rome, en la personne d
969
que et rythmique par cette double trahison. Qu’il
soit
bien entendu que je n’épingle ici que des dépouilles de sens… 83. No
970
Sahajiya. Cette interprétation de Guiraut Riquier
est
exacte. On peut s’en assurer en lisant cette phrase d’Ælius Donatus (
971
à tactus.) Le thème des Cinq lignes d’amour peut
être
suivi à travers toute la poésie latine du Moyen Âge, jusqu’à la Renai
972
le retrouve chez Marot et Ronsard. Les variations
sont
très légères. Mais en 1510, Jean Lemaire de Belges écrit dans ses Ill
973
ler, l’attouchement, le baiser, et le dernier qui
est
plus désiré, et auquel tous les autres tendent pour leur finale résol
974
on de mercy. » Le contraste avec l’amour courtois
est
clair. Et non moins le sens donné à mercy, que plusieurs auteurs assi
975
xotérique » le plus complet que nous connaissions
fut
rédigé au commencement du xiiie siècle : c’est le De arte honeste am
976
Graal aux rites secrets du culte d’Adonis. Ce qui
est
certain, c’est qu’un symbole comme celui du roi pécheur (Amfortas che
977
m d’Eschenbach « le roi Pescière » chez Chrétien)
est
commun aux orphiques, aux manichéens, et même aux premiers chrétiens
978
elon les cultes. Je ne pense pas qu’on doive s’en
tenir
à une seule interprétation. Il s’est produit toute une série de fusio
979
doive s’en tenir à une seule interprétation. Il s’
est
produit toute une série de fusions et de confusions de symboles. 90.
980
» que les chevaliers du Graal doivent traverser n’
est
autre que le pont Chinvat de la mythologie manichéenne, pont jeté sur
981
rs), René Nelli formule quelques observations qui
seront
utilement rapprochées du chap. 10 de ce livre II : « Cette magie érot
982
vres charnelles, sauf « l’acte »… L’amour contenu
est
bien le moteur intérieur de cette Quête, qui a bien tous les caractèr
983
France, juin 1938). Le Tannhäuser du xvie siècle
est
une tardive adaptation allemande de légendes irlando-écossaises ; il
984
toises. Le Montsalvat des chastes (ou cathares) y
est
remplacé par le Venusberg ! 98. Le Tristan et Iseut de Thomas, tradu
985
abondance de « preuves scientifiques » dont je m’
étais
fort bien passé en écrivant la première édition de ce livre, mais qui
986
la « purgatio » de l’instinct tyrannique ne peut
être
obtenue qu’en cédant d’abord à l’instinct, mais en vue d’arriver à l’
987
mystique, plus ou moins consciente et précise. Il
est
certain que ce seul exemple n’autorise pas à des conclusions générale
988
er un problème que le xixe siècle matérialiste s’
était
cru en mesure de trancher au détriment de la mystique. À vrai dire, j
989
r au détriment de la mystique. À vrai dire, je ne
suis
pas très sûr que ce problème comporte une solution définitive et simp
990
avoir dans quelle mesure ce rapprochement ne nous
est
pas suggéré par la seule nature du langage. On a remarqué depuis long
991
tière analogie des réalités qu’ils désignent ? Ne
sommes
-nous pas jusqu’à un certain point victimes d’une illusion verbale ? d
992
te de « calembour continué » ? Quand bien même ce
serait
le cas, le problème ressurgit ailleurs. Marquons tout de suite ce qui
993
drait plus rien au mythe de Tristan. La sexualité
est
une faim. Or il est de la nature d’une faim de chercher à tout prix l
994
ythe de Tristan. La sexualité est une faim. Or il
est
de la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus el
995
m de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle
est
forte, moins elle se montre difficile quant aux objets qui peuvent la
996
. Mais nous voyons ici une passion dont la nature
est
justement de refuser tout ce qui pourrait la satisfaire et la guérir.
997
qui pourrait la satisfaire et la guérir. Nous ne
sommes
donc pas en présence d’une faim, mais bien d’une intoxication. Et l’o
998
reuves les plus convaincantes, que tout intoxiqué
est
un mystique qui s’ignore104. Or, qu’elle soit physique, ou morale, to
999
iqué est un mystique qui s’ignore104. Or, qu’elle
soit
physique, ou morale, toute intoxication suppose l’intervention d’un a
1000
ue Nous avons constaté que le Roman de Tristan
est
, à bien des égards, une première « profanation » de la mystique court
1001
, soufisme). La mythification a trop bien réussi,
soit
que Béroul, Thomas, et leur prédécesseur n’aient pas toujours très bi
1002
ien saisi l’enseignement courtois dans sa pureté,
soit
qu’ils aient été entraînés par l’ardeur proprement « romanesque » (au
1003
nement courtois dans sa pureté, soit qu’ils aient
été
entraînés par l’ardeur proprement « romanesque » (au sens moderne et
1004
ue ceux du Midi. Le caractère distinctif du Roman
est
en effet de reposer sur une faute contre les lois d’amour courtois, p
1005
nt de la pure tradition cathare, d’autres peuvent
être
rapprochés d’une expérience mystique plus générale, et qu’on retrouve
1006
u, selon les auteurs de la légende. Et la faute n’
est
pas dans l’amour, mais dans sa « réalisation »… ⁂ Si délicate et péri
1007
épée symbolique du défi à la société constituée !
Est
-il beaucoup de nos poètes qui aient trouvé leur « amour mortel » ? Po
1008
ne se veulent responsables de rien, leur passion
étant
inavouable tant aux yeux de la société (qui la réprouve comme un crim
1009
crilège. Mais le malheur essentiel de cet amour n’
est
pas seulement la rançon du péché. L’ascèse qui rachètera la faute com
1010
aussi et surtout délivrer l’homme du fait même d’
être
né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement final
1011
parfois étrangement confondues dans le Roman, il
est
toujours possible de reconnaître, à de tels traits, la tendance réell
1012
e). Et Tristan de répondre : « Si le monde entier
était
orendroit avec nous, je ne verrois fors vous seule. » Il s’agit bien
1013
— et de la mystique en général — paraît ici. « On
est
seul avec tout ce qu’on aime », écrira plus tard Novalis, ce mystique
1014
observation purement psychologique : la passion n’
est
nullement cette vie plus riche dont rêvent les adolescents ; elle est
1015
vie plus riche dont rêvent les adolescents ; elle
est
, bien au contraire, une sorte d’intensité nue et dénuante, oui vraime
1016
ors le monde s’évanouit, « les autres » cessent d’
être
présents, il n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tiennent
1017
l n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui
tiennent
, ni terre ni ciel : on est seul avec tout ce que l’on aime. « Nous av
1018
irs, ni liens qui tiennent, ni terre ni ciel : on
est
seul avec tout ce que l’on aime. « Nous avons perdu le monde, et le m
1019
a Croix ? « Éloigne les choses, amant ! — Ma voie
est
fuite. » Et Thérèse d’Avila disait, plusieurs siècles avant Novalis,
1020
êt les formes les plus rudimentaires ? Certes, ce
serait
une sorte de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que d’une pas
1021
sion d’amour sensuel : mais tout indique que nous
sommes
ici sur la via mystica des « parfaits ». C’est alors le contenu des é
1022
urs souffrances. Plus la lumière et l’amour divin
sont
vifs, plus l’âme se voit souillée et misérable en sorte qu’« elle se
1023
ouillée et misérable en sorte qu’« elle se figure
être
persécutée par Dieu comme son ennemie ». Cette impression provoque un
1024
Dieu, m’as-tu fait contraire à toi-même, pourquoi
suis
-je devenu à charge à moi-même108 ? » Or il ne s’agit plus ici des sou
1025
s de l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’
est
qu’une impure et parfois équivoque traduction de la mystique courtois
1026
s plus apparemment « mystiques » du Roman doivent
être
interprétées — si l’on ne veut pas errer gravement à partir de l’amou
1027
our : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’
est
loin plus la désire ? Jamais l’amour n’enflamme Tristan si follement
1028
our n’enflamme Tristan si follement que lorsqu’il
est
séparé de sa « dame ». La psychologie la plus simple rendrait compte
1029
ne nécessité tout intérieure de la passion. Iseut
est
une femme aimée, mais elle est aussi autre chose, le symbole de l’Amo
1030
la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle
est
aussi autre chose, le symbole de l’Amour lumineux. Quand Tristan erre
1031
ces. Mais nous savons que c’est la souffrance qui
est
le vrai but de la séparation voulue… Nous rejoignons alors la situati
1032
il doutera même de l’« amitié » d’Iseut, qu’il la
tiendra
un temps pour ennemie, et qu’il acceptera le « mariage blanc » avec l
1033
éternelle fidélité et du secret. La soumission ne
sera
donc qu’apparente. Et le jugement par le fer rouge qu’exige la reine,
1034
e jugement par le fer rouge qu’exige la reine, ce
sera
sa vengeance contre le Dieu du roi, deux fois trompé. ⁂ Pour extérieu
1035
trompé. ⁂ Pour extérieures et formelles qu’elles
soient
, de telles correspondances ne sauraient être, en toute honnêteté, réd
1036
es soient, de telles correspondances ne sauraient
être
, en toute honnêteté, réduites à des coïncidences. Mais si les formes
1037
, réduites à des coïncidences. Mais si les formes
sont
pareilles, il importe de définir en quoi les contenus restent incompa
1038
uoi les contenus restent incompatibles, et quelle
est
la nature de l’abus qui par la suite a voulu les confondre. L’on pour
1039
n la formule des manuels. Dans le cas où Iseut ne
serait
qu’une belle femme — comme le croiront les siècles à venir —, les sim
1040
militudes mystiques que nous venons de dégager ne
seraient
plus que de l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je n
1041
Je ne songe pas à nier cet aspect du problème, il
sera
traité en son lieu. Mais je crois qu’il y a bien autre chose. Car s’i
1042
bien autre chose. Car s’il n’y avait que cela, ce
serait
alors tout l’arrière-plan religieux de la légende qu’il faudrait nier
1043
istorique. On reviendrait donc à zéro pour ce qui
est
du sens du mythe, et le Roman cesserait d’être un roman courtois ; ou
1044
qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait d’
être
un roman courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’être ce qu’i
1045
n courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’
être
ce qu’il fut, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits conçoi
1046
u bien l’amour courtois cesserait d’être ce qu’il
fut
, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits conçoivent qu’il fu
1047
ressembler à ce que nos érudits conçoivent qu’il
fut
. C’est autant dire qu’on ne comprendrait plus rien à rien. Encore une
1048
’en suivait — théoriquement — que l’amour profane
était
le malheur absolu, l’attachement impossible et condamnable à la créat
1049
aite ; tandis que pour le chrétien, l’amour divin
est
un malheur recréateur. Loin de nier l’amour profane, il aboutit à le
1050
et non son apaisement heureux. Plus leur passion
est
vive et plus elle les détache des choses créées, et plus facilement i
1051
d’aliment des créatures ; et de cette façon, elle
est
remplie d’obscurité, et destituée des objets que les passions lui pré
1052
m’a pris moi-même, elle m’a pris le monde, puis s’
est
elle-même dérobée à moi, ne me laissant rien que mon désir et mon cœu
1053
damnation des créatures. Maître Eckhart, que l’on
tient
cependant — à tort peut-être — pour platonicien, sait dire en termes
1054
n, sait dire en termes magnifiques que l’âme pure
est
le lieu de rédemption des créatures dénaturées par le péché. « Toutes
1055
« Toutes les créatures passent de leur vie à leur
être
. Toutes les créatures se portent dans ma raison afin d’être en moi ra
1056
es les créatures se portent dans ma raison afin d’
être
en moi raisonnables. Moi seul, je ramène toutes les créatures à Dieu.
1057
ux. Mais il faut indiquer la dernière limite, qui
est
celle de l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le
1058
l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition
est
dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphèr
1059
on est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman
est
baigné par l’atmosphère celtique de l’orgueil chevaleresque : c’est l
1060
chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui
est
le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous les passionnés, il a
1061
L’on s’aperçoit, à cette limite, que la prouesse
était
le signe matériel d’un processus de divinisation. Les vrais mystiques
1062
nisation. Les vrais mystiques, tout au contraire,
sont
la prudence même, la rigueur même, l’obéissance même dans la lucidité
1063
’obéissance même dans la lucidité. Si « la mort m’
est
un gain », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’est incarné,
1064
Si « la mort m’est un gain », c’est que « Christ
est
ma vie », et Christ s’est incarné, c’est-à-dire abaissé. Ainsi le chr
1065
n », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’
est
incarné, c’est-à-dire abaissé. Ainsi le chrétien ne se jette pas dans
1066
saint Jean de la Croix, et cela « parce qu’il se
tient
au centre de son humilité ». 3.Transpositions curieuses, mais inév
1067
ue par la suite, le lecteur ignorant des mystères
fut
presque fatalement amené à transposer dans notre vie profane toutes c
1068
ofane toutes ces allégories trop bien voilées. Il
est
facile d’imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : «
1069
rs de moi, et je ne te trouvais pas, parce que tu
étais
en moi. » Il parle à Dieu, à l’amour éternel. Mais supposez qu’un tro
1070
ores mystiques, qu’il entend à leur sens profane,
sera
tenté de voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il
1071
non pas consciemment blasphématoire, et qui ne s’
est
accomplie qu’après le xiie siècle, la conscience moderne a cru voir
1072
t ses métaphores devenues profanes comme si elles
étaient
toutes naturelles. Et nous ferons de même ensuite, et nos savants. No
1073
grande répugnance à opérer ce renversement, qu’il
est
bon d’entrer plus avant dans le mécanisme des transpositions, et même
1074
ystique, au moins dans une de ses tendances, ne s’
est
-elle pas prêtée à toutes les confusions ? N’a-t-elle pas abusé la pre
1075
t de l’Incarnation. Dès que l’on s’écarte un tant
soit
peu de ce foyer, l’on encourt le double péril de l’humanisme et de l’
1076
us retrouverons dans la mystique universelle. Ils
seront
d’ailleurs rarement purs dans telle ou telle œuvre donnée. Même chez
1077
tre tendance, ils coexistent presque toujours, ne
fût
-ce qu’à la manière dont la tentation coexiste avec la volonté d’obéis
1078
sance chez le croyant. Historiquement parlant, il
est
donc malaisé de les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire
1079
isé de les isoler. Mais théologiquement, la chose
est
claire. Le premier courant est celui de la mystique unitive : il tend
1080
iquement, la chose est claire. Le premier courant
est
celui de la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et
1081
e l’âme et de la divinité. Le second courant peut
être
appelé celui de la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’â
1082
ieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence
est
maintenue entre la créature et le Créateur. Quelques exemples individ
1083
: « l’abus » du langage amoureux en religion doit
être
rattaché, historiquement, au courant le plus orthodoxe. J’empruntera
1084
re Eckhart, et le mystique hindou Sankara. Ce qui
est
intéressant pour notre objet, c’est que Rudolf Otto distingue l’Orien
1085
l : le nirvana ne peut accueillir le samsara (qui
est
la vie diverse, infiniment mouvante). Au contraire, Eckhart verra Die
1086
me du croyant, elles « passent de leur vie à leur
être
». La confrontation est rendue possible par le fait qu’il existe au M
1087
ssent de leur vie à leur être ». La confrontation
est
rendue possible par le fait qu’il existe au Moyen Âge une tradition m
1088
Otto — à la faveur de laquelle le Je et le Tu des
êtres
unis par une forte émotion coulent l’un dans l’autre, donnant naissan
1089
’un dans l’autre, donnant naissance à une unité d’
être
. Eckhart ne connaît ni cette ivresse ni cet amour « pathologique ». L
1090
prêche l’amour mystique, mais l’amour plotinien n’
est
nullement l’Agapè chrétienne : c’est l’Éros grec, qui est jouissance,
1091
ement l’Agapè chrétienne : c’est l’Éros grec, qui
est
jouissance, et jouissance d’une naturelle et surnaturelle Beauté… gar
1092
e fervent. Pour Eckhart, la vraie voie mystique n’
est
pas celle qui, s’élevant d’un état de sentiment, mènerait à une union
1093
, et Dieu reste Dieu113. L’acte d’amour spirituel
est
initial, et non final. Pour le chrétien, la mort à soi-même est le dé
1094
t non final. Pour le chrétien, la mort à soi-même
est
le début d’une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce mond
1095
. D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart où il
est
question non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : E
1096
: Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un
est
source et origine du fleurissant resplendissant amour114. Ce n’est do
1097
gine du fleurissant resplendissant amour114. Ce n’
est
donc pas, conclut Otto, la plus haute joie mystique qui figure pour E
1098
doctrine chrétienne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne
fut
pas en odeur de sainteté. Le pape Jean xxii condamna même ses thèses
1099
de 1329. L’une des thèses condamnées, la dixième,
est
ainsi reproduite dans la bulle : « Nous nous métamorphosons totalemen
1100
ns le sacrement se change en corps du Christ : je
suis
ainsi changé en lui parce que lui-même me fait être sien. Unité et no
1101
is ainsi changé en lui parce que lui-même me fait
être
sien. Unité et non similitude. Par le Dieu vivant, il est vrai qu’il
1102
. Unité et non similitude. Par le Dieu vivant, il
est
vrai qu’il n’y a plus là aucune distinction. » Cette thèse, extraite
1103
ement unitive, et par cela même hérétique… Ce qui
est
certain, c’est que Maître Eckhart est le dialecticien par excellence,
1104
que… Ce qui est certain, c’est que Maître Eckhart
est
le dialecticien par excellence, et qu’il est trop facile d’extraire d
1105
hart est le dialecticien par excellence, et qu’il
est
trop facile d’extraire de ses œuvres les vérités les plus contradicto
1106
firmation forment à elles deux la vérité. L’une n’
est
pas vraie sans l’autre, et ne se peut concevoir que par rapport à l’a
1107
ue par rapport à l’autre. Affirmation et négation
sont
inséparables, n’étant que les deux aspects d’une même vérité115. » Il
1108
tre. Affirmation et négation sont inséparables, n’
étant
que les deux aspects d’une même vérité115. » Il n’en est pas moins si
1109
les deux aspects d’une même vérité115. » Il n’en
est
pas moins significatif de constater que Eckhart souleva dans la mysti
1110
r l’union essentielle et l’abandon des œuvres. On
est
toujours à l’Orient de quelqu’un ! C’est ainsi que Maître Eckhart fig
1111
Ruysbroek se montre impitoyable contre celui qui
fut
son maître. Dans son Livre des douze béguines, il dénonce « ces faux
1112
khart et ses disciples — qui « s’imaginent qu’ils
sont
Dieu par nature ». « Quant à ces gens qui ne veulent pas seulement êt
1113
. « Quant à ces gens qui ne veulent pas seulement
être
les égaux de Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus
1114
t être les égaux de Dieu, mais Dieu lui-même, ils
sont
plus méchants et plus maudits que Lucifer et ses séides. » Et encore
1115
lent la parfaite pauvreté d’esprit… Mais ceux qui
sont
nés du Saint-Esprit et chantent ses louanges, pratiquent toutes les v
1116
que toute distinction entre l’âme et Dieu puisse
être
abolie : l’âme ne peut se faire divine, mais seulement semblable à Di
1117
tièrement purifié. « Nous contemplons ce que nous
sommes
et sommes ce que nous contemplons ; car notre essence, sans rien perd
1118
purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes et
sommes
ce que nous contemplons ; car notre essence, sans rien perdre de sa p
1119
ence, sans rien perdre de sa propre personnalité,
est
unie à la vérité divine qui respecte la distinction. » Et ailleurs :
1120
» Et ailleurs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu
est
perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distanc
1121
de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il
est
la distance essentielle… » ⁂ Or voici le point qu’il importait de met
1122
ssentiellement à Dieu, l’amour de l’âme pour Dieu
est
un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera pas porté à s’exprime
1123
eu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne
sera
pas porté à s’exprimer en termes de passion. Et c’est bien ce que l’H
1124
nne, il en résulte que l’amour de l’âme pour Dieu
est
, dans ce sens précis, un amour réciproque malheureux. On peut alors p
1125
s humaines. Car c’est sa rhétorique qui se trouve
être
la plus apte à traduire et à communiquer l’essence tout ineffable du
1126
isir l’insaisissable… Et l’objet du désir ne peut
être
ni abandonné ni saisi117. L’abandonner est chose intolérable, et il e
1127
peut être ni abandonné ni saisi117. L’abandonner
est
chose intolérable, et il est impossible de le conserver. Le silence m
1128
isi117. L’abandonner est chose intolérable, et il
est
impossible de le conserver. Le silence même n’a pas assez de force po
1129
l’une de ses béguines parlant du Christ. « Je me
suis
perdue dans sa bouche », dit une autre. Et une troisième : « Boire le
1130
rds de l’amour et s’y engloutir enivrée… » Je me
suis
arrêté à l’exemple de Ruysbroek pour la commodité de l’exposé : le fa
1131
historique que Maître Eckhart et son disciple se
soient
opposés sur le point précis de l’union divine, rendait possible une c
1132
ichement habillé, déclara que désormais Dieu seul
serait
son Père. « L’évêque lui jeta sur les épaules son propre manteau, et
1133
ois fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’
être
son « chevalier »119. Cette forme de « dénuement », physique mais sym
1134
forme de « dénuement », physique mais symbolique,
est
encore pratiquée de nos jours par la secte des Doukhobors (« combatta
1135
s (« combattants spirituels ») dont les croyances
sont
liées à celles des cathares et gnostiques. En 1929, les doukhobors ré
1136
sme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on
était
moins obtus. La chevalerie errante des Franciscains se répandit en It
1137
ins se répandit en Italie comme les troubadours s’
étaient
répandus dans le Midi de la France : par les routes, sur les places,
1138
rhétorique des troubadours et des romans courtois
sont
les sources directes du lyrisme franciscain, lequel à son tour devait
1139
suivants. Souviens-toi, ô créature, que ta nature
est
celle des anges. Si plus longtemps tu demeures en cette boue, tu devr
1140
précise celui des cathares. D’autres laudes, pour
être
plus évidemment catholiques d’inspiration, n’en sont que plus « éroti
1141
e plus évidemment catholiques d’inspiration, n’en
sont
que plus « érotiques » ou « courtoises » de langage : Mon cœur se fo
1142
e l’amour courtois. À défaut d’une anthologie qui
tiendrait
décidément trop de place123, bornons-nous à énumérer les principaux t
1143
l’amour. La passion qui « isole » du monde et des
êtres
. La passion qui décolore tout autre amour. Se plaindre d’un mal que l
1144
t que les conclusions des savants du xixe siècle
sont
devenues nos préjugés courants. Mais sans compter que le jugement mat
1145
er que le jugement matérialiste sur les mystiques
est
plus révélateur de l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet
1146
on — tel qu’on le retrouve chez les mystiques — n’
est
pas, à l’origine, celui des sens et de la nature, mais il est au cont
1147
’origine, celui des sens et de la nature, mais il
est
au contraire la rhétorique d’une ascèse étroitement liée à l’hérésie
1148
es comme saint Jean de la Croix et sainte Thérèse
étaient
mieux avertis que quiconque des dangers de la « luxure spirituelle ».
1149
nons bien que le langage des mystiques ne saurait
être
confondu avec la nature profonde de l’expérience qu’ils ont vécue. J.
1150
u’ils les vivent dans leur âme. Et leurs silences
furent
plus réels que leurs paroles. Il ne s’agit donc, ici, que de tenir co
1151
ttéraire. Or s’il faut se borner à un exemple qui
est
à la fois le plus fameux, le mieux connu, et celui qui a le plus égar
1152
et celui qui a le plus égaré nos savants, le fait
est
que sainte Thérèse utilise constamment, et même raffine la rhétorique
1153
an de la Croix emprunte au Cantique des Cantiques
sont
extraites uniquement du poème biblique, ou ne sont pas en même temps
1154
ont extraites uniquement du poème biblique, ou ne
sont
pas en même temps des images retrouvées, vérifiées pour ainsi dire, t
1155
6 ? » Je ne pense pas que personne, de nos jours,
soit
en mesure de trancher toutes ces questions. Les spécialistes les mieu
1156
ux dont elle faisait sa nourriture intellectuelle
étaient
tous fortement imbus de rhétorique courtoise et chevaleresque. La que
1157
rtoise et chevaleresque. La question a d’ailleurs
été
traitée par un auteur qui offre toutes les garanties de sérieux et d’
1158
t à mettre l’humain et le divin sur le même plan,
soit
en contemplant le divin avec des yeux profanes, soit en considérant l
1159
t en contemplant le divin avec des yeux profanes,
soit
en considérant l’humain sous une interprétation divine. [C’est moi qu
1160
des Gaules et celle de sainte Thérèse pourraient
être
également « aimer pour agir ». [Ici, je ferai quelques réserves : l’a
1161
re, aime pour souffrir, pour « pâtir »…] d) Ce n’
est
pas dans les pauvres extravagances des romans de chevalerie mystique
1162
usqu’à se confondre avec la poésie d’un amour qui
serait
tout profane ; les confusions qu’elle entretient de la sorte flattent
1163
tte préférence pour le langage passionnel, elle a
été
interprétée généralement selon la superstition matérialiste129. On a
1164
l « dévoyé ». Le xixe siècle, dans l’ensemble, n’
est
jamais plus heureux que lorsqu’il peut « ramener » le supérieur à l’i
1165
. Et c’est ce qu’il appelle « expliquer ». Que ce
soit
, la plupart du temps, au prix des pires dénis du sens critique, je n’
1166
lleurs130 qu’à mon avis, cette propension moderne
est
le signe d’un ressentiment profond à l’endroit de la poésie, et en gé
1167
r les hommes du xvie siècle, le langage érotique
était
plus innocent qu’à nos yeux. C’est nous qui sommes des névrosés, héri
1168
était plus innocent qu’à nos yeux. C’est nous qui
sommes
des névrosés, héritiers du « puritanisme » embourgeoisé d’un xixe si
1169
mplement refuser de savoir de quoi l’on parle. Où
est
le refoulement, où est la censure, lorsque Thérèse écrit à un religie
1170
oir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où
est
la censure, lorsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint de res
1171
ois qu’il entre en oraison : « Je trouve que cela
est
indifférent à l’oraison, et que le mieux est de n’y faire aucune atte
1172
cela est indifférent à l’oraison, et que le mieux
est
de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne
1173
d’une autre manière. Vu notre grossièreté, je ne
serais
pas surprise que cela nous vînt à l’esprit. J’ai même entendu dire à
1174
taient de les entendre. Ô Dieu ! que notre misère
est
grande ! Il nous arrive comme à ces animaux venimeux qui changent en
1175
empruntées au langage courant par les mystiques n’
est
pas sans d’étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur f
1176
carnation. Ruysbroek, Thérèse et Jean de la Croix
sont
très nettement « christocentriques ». Tout chez eux part du drame de
1177
l’homme séparé, c’est la passion — et la passion
est
partout dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles d’Eck
1178
ion est partout dans leurs œuvres, tandis qu’elle
est
absente de celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthod
1179
st absente de celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce
fut
la mystique orthodoxe — la moins suspecte de troubles complaisances !
1180
re. 6.Note sur la métaphore Pourtant tout n’
est
pas expliqué par ces considérations historiques. Car on peut reculer
1181
mpte, si c’est l’« esprit » ou la « matière » qui
sont
la cause des phénomènes où tous les deux sont impliqués. Par exemple,
1182
qui sont la cause des phénomènes où tous les deux
sont
impliqués. Par exemple, dans le cas du langage mystique : sommes-nous
1183
s. Par exemple, dans le cas du langage mystique :
sommes
-nous en présence d’une matérialisation du spirituel — et celui-ci ser
1184
d’une matérialisation du spirituel — et celui-ci
serait
alors la cause première — ou au contraire d’une sublimation de phénom
1185
ublimation de phénomènes physiologiques, lesquels
seraient
à la base de ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu
1186
la base de ce qui se trouve exprimé ? Quelle que
soit
la réponse qu’on donnera, une chose demeure certaine : c’est que nous
1187
nera, une chose demeure certaine : c’est que nous
sommes
en présence de deux facteurs qui n’existent jamais l’un sans l’autre.
1188
ais l’un sans l’autre. On pourrait fort bien s’en
tenir
à cette constatation empirique. Mais en fait, personne ne s’y tient.
1189
tatation empirique. Mais en fait, personne ne s’y
tient
. La conscience moderne, par exemple, victime des réflexes que lui a d
1190
, tranche toujours le débat au bénéfice de ce qui
est
le plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’un goût qu’il e
1191
ns le cas des métaphores : on dit d’un goût qu’il
est
amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est amère. Comment cela
1192
est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle
est
amère. Comment cela peut-il s’expliquer ? Tout le monde répond, sans
1193
aphore, au figuré. Le sens propre du mot « amer »
serait
alors celui qui concerne la sensation physique, tenue pour primitive.
1194
cela, le croient-elles pour des raisons qu’elles
seraient
capables de donner ? Ont-elles donc recherché si, chronologiquement,
1195
’un mot précède toujours le « spirituel », qui ne
serait
qu’une transposition, un à peu près, une erreur tolérée ? En vérité,
1196
nce. Ce préjugé consiste à croire que le physique
est
plus vrai et plus réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base de
1197
t plus vrai et plus réel que le spirituel ; qu’il
est
donc à la base de tout ; que c’est par lui que tout s’explique. Le mé
1198
que tout s’explique. Le mécanisme de ce préjugé a
été
défini et critiqué par le Dr Minkowski131 et Arnaud Dandieu d’une man
1199
« propre » et le sens dit « figuré » ne sauraient
être
« ramenés » l’un à l’autre, car tous les deux traduisent « proprement
1200
l’autre par le même mot, c’est une même manière d’
être
affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de n
1201
même mot, c’est une même manière d’être affecté,
soit
par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de notre existence
1202
e même manière d’être affecté, soit par les sens,
soit
par la pensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi de nos méta
1203
métaphores amoureuses. Le moderne n’hésite pas à
tenir
ce raisonnement : « Amour désigne pour moi l’attrait sexuel — or sain
1204
se parle sans cesse d’amour — donc cette mystique
est
une érotomane qui s’ignore. » Mais nous avons vu que sainte Thérèse n
1205
en, et qu’au contraire, les amants « passionnés »
sont
sans doute des mystiques qui s’ignorent… Ainsi les arguments s’annule
1206
ique veut exprimer ses expériences ineffables, il
est
contraint de se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve e
1207
Il les prend où il les trouve et telles qu’elles
sont
, quitte à les modifier par la suite. Or à partir du xiie siècle, les
1208
partir du xiie siècle, les métaphores courantes
sont
celles de la rhétorique courtoise. Que les mystiques s’en emparent sa
1209
eux » entretenus par l’âme et son Dieu, qu’elle s’
est
plus complètement humanisée, c’est-à-dire détachée de l’hérésie. Car
1210
humain ; tandis que l’orthodoxie pose que l’union
est
impossible, ce qui entraîne le malheur divin et rend l’amour humain p
1211
s mystiques Cette décision tout arbitraire, il
est
temps de la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’es
1212
de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’elle
soit
arbitraire en fin de compte, ou ce qui revient au même, avant tout co
1213
sur l’instinct. « L’amour existe lorsque le désir
est
si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel », disait le tr
1214
C’est ce fait seul qui nous permet de parler. Qu’
est
-ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvo
1215
de mentir autant que le pouvoir d’exprimer ce qui
est
. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait
1216
t que le pouvoir d’exprimer ce qui est. Un animal
est
incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller a
1217
inct. Le responsable d’un tel mensonge ne saurait
être
que « l’esprit ». (On sent ici à quelle profondeur l’amour-passion, l
1218
’expression et le mensonge se trouvent liés. Et n’
est
-elle pas typique de toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se
1219
de la Croix, et même Ruysbroek, et saint François
sont
évidemment postérieurs à la naissance de l’amour-passion, il n’en res
1220
our-passion, il n’en reste pas moins que celui-ci
est
postérieur à la mystique pseudo-chrétienne des cathares. 3° C’est san
1221
ute à tort qu’à la proposition : « Tout érotomane
est
un mystique qui s’ignore », on a cru pouvoir répondre : « Ou l’invers
1222
fois comme des érotomanes qui s’ignorent. Mais il
est
certain que l’érotomanie est une forme d’intoxication, et tout nous p
1223
s’ignorent. Mais il est certain que l’érotomanie
est
une forme d’intoxication, et tout nous prouve que les Eckhart, Ruysbr
1224
es Eckhart, Ruysbroek, Thérèse, Jean de la Croix,
sont
exactement le contraire de ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué
1225
ire de ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué
est
la victime non de sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilis
1226
ise pour s’exalter. Si l’origine de cette passion
est
un désir, conscient ou non, d’échapper à la condition terrestre insup
1227
la condition terrestre insupportable, et si l’on
est
en droit d’y voir le rudiment d’un appel mystique, il n’en reste pas
1228
mystique, il n’en reste pas moins que l’intoxiqué
est
avant tout l’esclave de sa drogue. Psychologiquement, c’est un être d
1229
esclave de sa drogue. Psychologiquement, c’est un
être
déchu, dont les sens s’émoussent, dont la lucidité s’affaiblit, et qu
1230
ssions dans la vie quotidienne. Sainte Thérèse ne
tenait
pour bonnes que les visions qui la poussaient à mieux agir, à mieux a
1231
a pas revêtu la forme de la Nuit : elle n’a pas «
été
faite chair ». Ils ne veulent pas que le Jour parfait se communique à
1232
ns nul intermédiaire. Sombrant alors, comme Icare
est
tombé. (Celui qui veut aller à Dieu sans passer par le Christ qui est
1233
i veut aller à Dieu sans passer par le Christ qui
est
« le chemin », celui-là va au diable, disait énergiquement Luther.) I
1234
nergiquement Luther.) Ils pressentent que la Nuit
est
un mystère du Jour, dont le Jour seul détient le secret dernier134. M
1235
— et non pas l’œuvre d’un obscur démiurge. (Telle
est
du moins la doctrine de la Bible.) Refusant que le Jour les enseigne
1236
ature, ignorant donc la vraie nature de ce qu’ils
tiennent
pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre sans retour au mom
1237
ent lui échapper. Et de là vient que la confusion
était
fatale entre l’Éros divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct. De
1238
une soif que la mort seule pouvait éteindre : ce
fut
la « torture d’amour » qu’ils se mirent à aimer pour elle-même. La pa
1239
de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera d’
être
un symbole de l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole de l’
1240
ne illusion de gloire libératrice dont la douleur
serait
encore le signe ! Ainsi s’opère le renversement tragique : se dépasse
1241
er jusqu’à s’unir au transcendant, quand le but n’
est
plus la Lumière, et quand on ignore le « chemin », c’est se précipite
1242
cipiter dans la Nuit. Le dépassement, dès lors, n’
est
plus qu’exaltation du narcissisme. Il ne vise plus à la libération de
1243
s passionné, les « couleurs » de sa rhétorique ne
seront
jamais que les exaltations d’un crépuscule, promesses de gloire jamai
1244
s fourmis ne parleront pas, toutes les hypothèses
sont
possibles ! 106. Voir Appendice 7. 107. Voir Appendice 8. 108. La
1245
x, II, 1, 1er verset. Trad. Hoornaert. 109. Ce n’
est
pas évident pour Eckhart (voir plus bas, chap. 3) mais bien pour sain
1246
evoir de lui de grandes grâces, il faut, et telle
est
sa volonté, que ces grâces passent par les mains de cette humanité sa
1247
ait d’un type homogène que dans la mesure où elle
serait
banale, dans la mesure où nous échouerions à la saisir. » 111. Gotha
1248
anum frumenti… « L’âme échappe à sa nature, à son
être
et à sa vie, et naît dans la Divinité. C’est là qu’est son devenir. E
1249
t à sa vie, et naît dans la Divinité. C’est là qu’
est
son devenir. Elle devient si totalement un seul être qu’il ne reste p
1250
t son devenir. Elle devient si totalement un seul
être
qu’il ne reste pas d’autre distinction que celle-ci : Lui demeure Die
1251
bsence du langage « épithalamique » pourrait-elle
être
proposée comme un critère lorsqu’il s’agit de savoir si tel mystique
1252
ces que les prouesses des chevaliers errants. Ils
sont
d’ailleurs rapportés par les auteurs des Fioretti sous une forme narr
1253
, Krafft-Ebing, Murisier, Leuba, Freud, pour s’en
tenir
aux plus célèbres. 130. Dans Penser avec les mains , Ie partie. 13
1254
la littérature On reconnaîtra maintenant ce qu’
est
le péché ou comment procède le péché. C’est lorsque la volonté humain
1255
lorsque la volonté humaine se sépare de Dieu pour
être
une volonté à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et brûle de sa pr
1256
r et brûle de sa propre affection, ardeur qui lui
est
propre et qui n’a rien à voir avec l’ardeur divine. Jacob Boehme.
1257
ature sur les mœurs D’une manière générale, il
est
bien difficile de vérifier l’influence des arts sur la vie quotidienn
1258
it le démontrer. Et la peinture, quelle peut bien
être
son action ? L’architecture, au moins, nous pouvons l’habiter, mais l
1259
ture, au moins, nous pouvons l’habiter, mais là n’
est
pas son caractère d’art. De même pour telle ou telle philosophie. Mai
1260
même pour telle ou telle philosophie. Mais le cas
est
tout différent lorsqu’il s’agit d’une littérature dont on peut démont
1261
que du mythe, héritage de l’amour provençal. Il n’
est
pas nécessaire de supposer ici quelque pouvoir magique des sons et du
1262
n peut dire après La Rochefoucauld : peu d’hommes
seraient
amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour. ⁂ Passion et
1263
ntendu parler d’amour. ⁂ Passion et expression ne
sont
guère séparables. La passion prend sa source dans cet élan de l’espri
1264
du même mouvement à se raconter elle-même, que ce
soit
pour se justifier, pour s’exalter, ou simplement pour s’entretenir. (
1265
ou simplement pour s’entretenir. (Le double sens
est
significatif.) En ce domaine, il est aisé de vérifier. Les sentiments
1266
double sens est significatif.) En ce domaine, il
est
aisé de vérifier. Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les masse
1267
éprouvent l’élite, puis les masses par imitation,
sont
des créations littéraires en ce sens qu’une certaine rhétorique est l
1268
littéraires en ce sens qu’une certaine rhétorique
est
la condition suffisante de leur aveu, donc de leur prise de conscienc
1269
es mélancolies, et même pour se suicider, il faut
être
en mesure « d’expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plu
1270
i-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme
est
sentimental, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant
1271
mme est sentimental, plus il y a de chances qu’il
soit
verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme est passionné, plus
1272
verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme
est
passionné, plus il y a de chances qu’il réinvente les figures de la r
1273
s peuples d’Occident : l’on peut admettre qu’elle
est
parallèle à ses métamorphoses littéraires. (Moyennant, cela va de soi
1274
rice du « charme ». La littérature, au contraire,
est
la voie qui descend aux mœurs. C’est donc la vulgarisation du mythe,
1275
es deux Roses Le meilleur point de départ nous
est
donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années 1237 et 1280 en
1276
fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet
sont
caractérisées par leur opposition au dogme trinitaire (du moins sous
1277
du Libre-Esprit et les ortliebiens rhénans — qui
furent
peut-être en rapport avec les Vaudois, voisins des cathares — non seu
1278
s ont supposé qu’une élite cléricale du Moyen Âge
fut
initiée à ces doctrines. Ainsi pensent-ils expliquer mieux certaines
1279
de preuves presque impossibles à établir, je m’en
tiendrai
à un jugement certainement vrai pour la plupart des cas ; dès le xive
1280
; dès le xive siècle, la littérature courtoise s’
est
détachée de ses racines mystiques ; elle s’est alors trouvée réduite
1281
s’est détachée de ses racines mystiques ; elle s’
est
alors trouvée réduite à une simple forme d’expression, c’est-à-dire à
1282
rises des galants. L’obstacle à l’union amoureuse
est
figuré par l’exigence morale, et non plus du tout religieuse. Ce n’es
1283
ence morale, et non plus du tout religieuse. Ce n’
est
plus une ascèse mystique, mais un raffinement de l’esprit, qui doit a
1284
Jean de Meung, qui terminera le Roman, la Rose n’
est
plus que la volupté physique. Le réalisme le plus franc succède aux f
1285
au platonisme, le cynisme à l’exaltation. La Rose
est
emportée de haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison
1286
de l’amour malheureux. (Peut-être, pratiquement,
est
-elle bien proche d’une vision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occa
1287
s. Cependant qu’autour de Palerme, où Frédéric II
tient
sa cour, fleurit l’école dite des Siciliens. Dans quelle mesure cette
1288
ud s’inspira-t-elle des troubadours ? La question
est
encore obscure. On ne trouve à la cour de Palerme qu’un seul poète pr
1289
le mesure les Siciliens « savaient » encore ce qu’
est
l’Amour. N’avaient-ils retenu du trobar clus que le procédé mystifian
1290
enu du trobar clus que le procédé mystifiant ? On
serait
assez tenté de le croire, lorsqu’on voit Dante et son ami Cavalcanti
1291
nes valables — oppose à ces rhétoriqueurs. Ce qui
est
frappant dans cette nouvelle école, c’est qu’elle rénove consciemment
1292
langage symbolique des troubadours. Les Siciliens
étaient
tombés dans un douteux allégorisme : ils parlaient de la dame comme d
1293
rlaient de la dame comme d’une femme réelle, ce n’
était
plus que galanterie mais froide et stéréotypée. Dante et Cavalcanti,
1294
en même temps, ils savent et disent (dans ce dire
est
la nouveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel est le secret
1295
isent (dans ce dire est la nouveauté) que la Dame
est
purement symbolique. Tel est le secret paradoxal de l’amour courtois
1296
uveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel
est
le secret paradoxal de l’amour courtois : guindé et froid quand il ne
1297
: c’est là vraiment que bat son cœur. Et Dante n’
est
jamais plus passionné qu’en chantant la Philosophie, si ce n’est quan
1298
passionné qu’en chantant la Philosophie, si ce n’
est
quand elle devient la Science sacrée. Sincérité bien propre aux troub
1299
jamais dit137. C’est parce que Dante et ses amis
sont
amenés à définir leur art, qu’on surprend mieux qu’ailleurs chez les
1300
écoute et l’entend s’écrie : — Malheureuse que je
suis
! Je ne suis pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame
1301
ntend s’écrie : — Malheureuse que je suis ! Je ne
suis
pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui dout
1302
le salue [auquel elle donne son salut] et, s’il n’
est
déjà de notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’est qu’un bl
1303
notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’
est
qu’un blasphémateur lorsqu’il écrit au seuil de la Vita Nuova, cette
1304
eureux ! S’agit-il donc de Béatrice comme femme ?
Est
-ce sa présence que tous les saints implorent et qui serait « l’espéra
1305
sa présence que tous les saints implorent et qui
serait
« l’espérance des bienheureux » ? Ou s’agit-il plutôt de l’Esprit sai
1306
it de définir enfin ce dont on parle. « Cet Amour
est
-il vie ou mort ? » demande courageusement le premier. Et le second ré
1307
souvent la mort… L’amour existe lorsque le désir
est
si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel… Comme il ne pr
1308
rpétuellement sur lui-même son propre effet. Il n’
est
point un plaisir, mais une contemplation. » Aucun doute ne demeure po
1309
tion. » Aucun doute ne demeure possible : l’Amour
est
la passion mystique. Mais encore faut-il définir le rôle de l’amour n
1310
anger de s’arrêter aux formes terrestres qui n’en
sont
qu’un reflet : De même que la tigresse, dans sa grande douleur, se so
1311
este là, et ne poursuit point ; de même celui qui
est
pénétré d’amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ai
1312
oint le cœur pitoyable, le jour passe et l’espoir
est
déçu ! Ici la Dame au cœur impitoyable est bien la femme qui détourne
1313
espoir est déçu ! Ici la Dame au cœur impitoyable
est
bien la femme qui détourne l’Amour à son profit. Dans un Bestiaire mo
1314
nous ; ses petits, qu’un chasseur lui a pris, ce
sont
les vertus, et le chasseur c’est le démon, qui nous fait voir ce qui
1315
sseur c’est le démon, qui nous fait voir ce qui n’
est
pas. De là vient que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’alle
1316
ns voir Pétrarque se laisser prendre « à ce qui n’
est
pas », c’est-à-dire à l’image de sa Laure, qui trop longtemps — comme
1317
une chose mortelle avec une foi Qui à Dieu seul
est
due et à lui seul convient… « Tout le monde, et sur le moindre roch
1318
ndre rocher que trempe la mer, sait qu’un homme a
été
superlativement amoureux et c’est Pétrarque. Et ce qu’il y a de mieux
1319
omme simplement amoureux ? Rien d’analogue. Lui l’
était
d’une façon extraordinaire, incendiaire, solaire139. » Voilà ce qui d
1320
itement païen, et non plus du tout hérétique ! On
est
aux antipodes du Dante, mais aussi des rhéteurs qu’il attaquait. Le «
1321
aquait. Le « secret » dont je parlais plus haut s’
est
volatilisé : il ne joue plus. Le langage de l’Amour est enfin devenu
1322
latilisé : il ne joue plus. Le langage de l’Amour
est
enfin devenu la rhétorique du cœur humain. Cette « profanation » radi
1323
es meilleures métaphores. En vérité, la tentation
était
trop forte. (On en jugera par quelques exemples mis en note, et à vra
1324
dis : Ô mon âme, il te faut rendre grâce Toi qui
fus
jugée digne alors d’un tel honneur. D’Elle te vient cet amoureux pens
1325
e te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le
suis
, au plus haut Bien te mène Et te fait mépriser ce que l’homme désire1
1326
s présente ou absente — ici encore —, la femme ne
sera
jamais que l’occasion d’une torture qu’il préfère à tout : Je sais,
1327
de loin — de près geler. Tout l’amour romantique
est
dans ce dernier vers. Et le secret de cette mélancolie, Pétrarque a s
1328
i !145 » Et saint Augustin, avec lequel Pétrarque
tient
ce dialogue fictif, lui répond : « Tu connais très bien ton mal. Tou
1329
ut à l’heure, tu en sauras la cause. Dis-moi : qu’
est
-ce qui te rend triste à ce point ? Est-ce bien le cours des choses de
1330
s-moi : qu’est-ce qui te rend triste à ce point ?
Est
-ce bien le cours des choses de ce monde ? Est-ce une douleur physique
1331
t ? Est-ce bien le cours des choses de ce monde ?
Est
-ce une douleur physique, ou bien quelque rigueur injuste de fortune ?
1332
el à la mort : « Que s’ouvre donc la geôle où je
suis
enfermé Qui me clôt le chemin vers une telle vie ! » (Chanson 72.) L
1333
on espoir en « cette fausse douceur fugitive » qu’
est
l’amour idéalisé. Et je me sens au cœur venir, heure par heure, une
1334
une chose mortelle, avec une foi qui à Dieu seul
est
due et à lui seul convient est plus interdit à qui plus désire honneu
1335
oi qui à Dieu seul est due et à lui seul convient
est
plus interdit à qui plus désire honneur ! Mais comment s’arracher à
1336
qui tourne autour de toi Immortel et paré ! S’il
est
vrai — qu’ici-bas tant joyeux de son mal votre désir s’apaise par un
1337
up d’œil, une parole, une chanson – si ce plaisir
est
jà si grand… quel sera l’autre ! 5.Un idéal à rebours : la gauloi
1338
une chanson – si ce plaisir est jà si grand… quel
sera
l’autre ! 5.Un idéal à rebours : la gauloiserie Imposer un sty
1339
e. Mais la confusion de la foi, « qui à Dieu seul
est
due et à lui seul convient », avec l’amour d’« une chose mortelle »,
1340
ient », avec l’amour d’« une chose mortelle », en
fut
la conséquence inévitable. Et c’est bien de cette confusion — non de
1341
iste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle
fut
surtout sensible dans la bourgeoisie. Dès le début du xiie siècle, e
1342
et du corps qui date précisément de cette époque
est
le premier témoignage d’un conflit que le mariage chrétien était cens
1343
r témoignage d’un conflit que le mariage chrétien
était
censé résoudre. On y voit l’âme récemment séparée de son corps adress
1344
du dernier siècle. Mais je ne crois pas qu’ils se
soient
engendrés en ligne directe. Chaque moment de cette progression vers l
1345
mposition du romantisme, au moins autant, si ce n’
est
beaucoup plus, que de Balzac (considéré alors comme réaliste). Pour e
1346
ourtoises ? Il me paraît que la « gauloiserie » n’
est
qu’un pétrarquisme à rebours. « On aime à opposer — écrit J. Huizinga
1347
Or la gauloiserie, aussi bien que la courtoisie,
est
une fiction romantique. La pensée érotique, pour acquérir une valeur
1348
otique, pour acquérir une valeur de culture, doit
être
stylisée. Elle doit représenter la réalité complexe et pénible sous u
1349
entre autres, dans le Dit de Chiceface. Chiceface
est
le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi es
1350
ux qui ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi
est
-il d’une maigreur effroyable, tandis que son confrère Bigorne, lequel
1351
re Bigorne, lequel ne mange que les maris soumis,
est
d’un embonpoint sans pareil. Parallèlement à ces deux courants issus
1352
jusqu’à Cervantès L’influence du roman breton
est
attestée par des centaines de textes à travers les xiiie , xive et x
1353
s minnesänger (chanteurs de l’Amour) en Allemagne
sont
nourris de légendes cathares149 et par ailleurs ne font qu’adapter du
1354
se servir que d’une mythologie toute catholique —
soit
prudence ou incompréhension — assez incompatible, on l’a bien vu, ave
1355
u’aux romans d’aventures profanes. Cette omission
est
mystérieuse. Elle militerait en faveur de la thèse selon laquelle Cer
1356
ont ils avaient perdu le secret. Don Quichotte ne
serait
grotesque que parce qu’il veut imiter une scène à laquelle il n’est p
1357
parce qu’il veut imiter une scène à laquelle il n’
est
pas initié, et suivre une voie que le malheur des temps rend totaleme
1358
on Cependant Rome n’a pas triomphé partout. Il
est
une île où son pouvoir est contesté. C’est la dernière patrie des bar
1359
s triomphé partout. Il est une île où son pouvoir
est
contesté. C’est la dernière patrie des bardes. En Cornouailles et en
1360
ittérature anglaise populaire et savante. Mais il
est
significatif qu’à la fin du xviie siècle, un bon lettré comme Robert
1361
akespeare — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’
été
. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Juliet
1362
vons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il
était
catholique — mais nous avons Roméo et Juliette qui est la seule tragé
1363
atholique — mais nous avons Roméo et Juliette qui
est
la seule tragédie courtoise, et la plus belle résurrection du mythe a
1364
de la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il
est
vain de se demander s’il connaissait la tradition secrète des troubad
1365
adours. Mais on peut relever ce fait : que Vérone
fut
un des principaux centres du catharisme en Italie. Selon le moine Ran
1366
me en Italie. Selon le moine Ranieri Saccone, qui
fut
dix-sept ans hérétique, il y avait à Vérone près de cinq-cents « parf
1367
ouveau qui se dresse, à la lueur d’une torche que
tient
Roméo. Juliette repose, endormie par le philtre. Le fils de Montaigu
1368
ose, endormie par le philtre. Le fils de Montaigu
est
entré, et il parle : Combien souvent les hommes sur le point de mour
1369
bien souvent les hommes sur le point de mourir Se
sont
sentis joyeux ! Ceux qui veillent sur eux Disent : l’éclair avant la
1370
n’a pas eu de prise encore sur ta beauté Et tu n’
es
pas conquise. L’enseigne de beauté Est encore cramoisie sur tes lèvre
1371
uté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de beauté
Est
encore cramoisie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle drapeau de la
1372
èvres, tes joues, Et le pâle drapeau de la mort n’
est
pas avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi es-tu si belle en
1373
s avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi
es
-tu si belle encore ? Dois-je penser Que la mort non substantielle est
1374
re ? Dois-je penser Que la mort non substantielle
est
amoureuse Et que le monstre maigre te conserve Ici pour être ton aman
1375
use Et que le monstre maigre te conserve Ici pour
être
ton amant dans la ténèbre ? Par crainte de cela je demeure avec toi E
1376
repartirai ; ici je veux rester Avec les vers qui
sont
tes serviteurs ; ici, ici Je vais fixer mon repos éternel, Secouer l’
1377
mour ! (Il boit.) … Honnête apothicaire Ta drogue
est
rapide. En un baiser je meurs. Le consolament de la Mort vient de sc
1378
nous entretenir encor de ces tristesses151. ⁂ Il
est
certain que Milton quoique puritain subit l’influence de doctrines ca
1379
is : du moins pas sans de telles réticences qu’il
serait
vain de conclure sur ce point plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Ava
1380
légendes. Et dans le De doctrina christiana, il s’
était
insurgé « contre la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes de
1381
qui malgré tout rattache Milton à la Réforme : n’
est
-ce point la même et unique hérésie que nous trouvons partout et en to
1382
stiques et manichéennes montre bien que l’abîme n’
est
pas infranchissable, surtout sur le plan de l’éthique. L’idéalisme et
1383
n maître en occultisme, enseignait que la lumière
est
la matière divine… Il reste cependant que la doctrine de Milton est b
1384
ine… Il reste cependant que la doctrine de Milton
est
bien plus « rationnelle » et sociale que celle des hérétiques du Midi
1385
omposer d’interminables romans à clef. Polexandre
est
Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc
1386
s romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus
est
le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc. Le sujet du roman de
1387
e est Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane
est
Marie de Médicis, etc. Le sujet du roman demeure les « contrariétés »
1388
les « contrariétés » de l’amour mais l’obstacle n’
est
plus la volonté de mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’
1389
honneur, manie sociale. C’est l’héroïne, ici, qui
est
la plus astucieuse lorsqu’il s’agit d’imaginer des prétextes de sépar
1390
regard irrité de sa maîtresse. Au dénouement, il
est
encore à se demander si cette « reine de l’Île inaccessible » ne va p
1391
retardé jusqu’à la dix-millième lorsque l’auteur
est
un champion du genre. C’est le roman allégorique du xviie siècle qui
1392
l’emporte, et dès lors la fin du roman ne saurait
être
qu’un retour à ce qui n’est plus le roman : au bonheur. Les grands th
1393
du roman ne saurait être qu’un retour à ce qui n’
est
plus le roman : au bonheur. Les grands thèmes tragiques du mythe n’év
1394
ratrice. Mais la dialectique sauvage de Tristan n’
est
plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la Nuit se ramèn
1395
ue l’on n’ose nommer un roman-fleuve, puisqu’il n’
est
parcouru que par les sinuosités d’un modeste ruisseau, le Lignon, Cél
1396
par des lions et des licornes : cette fontaine ne
sera
désenchantée, selon l’oracle, que par la mort du plus fidèle amant et
1397
et Céladon évanouis (c’est une mort métaphorique)
sont
transportés chez le druide Adamas où ils se réveillent, puis s’épouse
1398
s prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses charmes ne
sont
point inégaux à ceux de nos récents romans féeriques. Et la psycholog
1399
auprès de son hôtesse, elle lui dit que le Forez
était
un bon pays de forges et qu’on y travaillait fort bien le fer. « Cett
1400
es ressources d’une rhétorique plus savante n’ont
été
à ce point harmonisées. L’on n’imagine pas de roman mieux écrit ; plu
1401
est l’art et non « la vie » qui mène le jeu. Nous
sommes
en face d’une création de l’esprit, et non d’une confusion de reflets
1402
u moins indiscrets et de hasards immérités (comme
sont
les romans d’aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle su
1403
nt les romans d’aujourd’hui). En un mot, l’Astrée
est
une œuvre. Elle suppose un métier savant, et vingt-cinq ans d’applica
1404
d’application. Le snobisme qui lui fit un succès
était
mieux averti que le nôtre. Mais aussi ce caractère d’achèvement nous
1405
itif, dont l’Astrée reprend tous les thèmes, l’on
est
frappé de constater que chez d’Urfé le tragique se dégrade en émotion
1406
plus parfaite, en raison même de sa perfection, n’
est
qu’un sous-produit des mystiques créatrices de formes et de mythes ?
1407
l’épuisement temporaire des sources profondes ? N’
est
-ce point pour cette cause que la littérature, si fort qu’elle flatte
1408
réfutations et railleries qu’on leur oppose ? Ce
fut
assez d’un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les
1409
dre. D’où l’on conclut généralement que Corneille
est
le premier auteur qui ait voulu soumettre la passion à la raison, sin
1410
tre la passion à la raison, sinon à la morale. Il
serait
donc le premier qui ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut d’ê
1411
i ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut d’
être
analysé. Voici comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’est qu’
1412
ci comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’
est
qu’en m’aimant trop qu’elle me fait mourir : Un moment de froideur, e
1413
rais soudain passé ma fantaisie : Mais las ! elle
est
parfaite, et sa perfection N’approche point encor de son affection ;
1414
ttirer notre méfiance. Quoi, c’est le bonheur qui
serait
fatal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’être trahi par
1415
l au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’
être
trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait un
1416
Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor
serait
un curieux monstre ! Disons plutôt qu’on voit trop bien ce qu’il essa
1417
lains », dit-il plus bas. C’est donc la honte qui
est
cause de son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstac
1418
ait le recours de rendre Iseut à son mari. Alidor
est
contraint d’inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sé
1419
uer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’
être
trop enchaîné par cette fidélité — alors qu’on voit tout au contraire
1420
t tout au contraire qu’il désespère de ne point l’
être
assez. Il proclame un besoin d’être libre qui traduit un profond dési
1421
de ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’
être
libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de dés
1422
in d’être libre qui traduit un profond désir de n’
être
plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se passerai
1423
faisait mine de lui échapper. Mais voyez comme il
est
habile : Cléandre Vit-on jamais amant de la sorte enflammé Qui se tî
1424
e Vit-on jamais amant de la sorte enflammé Qui se
tînt
malheureux pour être trop aimé ? Alidor Comptes-tu mon esprit entre l
1425
de la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour
être
trop aimé ? Alidor Comptes-tu mon esprit entre les ordinaires ? Pense
1426
rait bien voir que la vraie volonté du personnage
est
exactement opposée à ces hautaines déclarations. « Il ne faut point s
1427
ignifie en réalité : « Le seul objet qui vaille d’
être
servi, c’est celui qui nous posséderait totalement et qui, par sa fui
1428
e. » Les deux derniers mots : « … et l’éteindre »
étant
pur artifice de rhétorique, destiné à persuader le lecteur, ou Cléand
1429
, ou Corneille lui-même, que c’est la liberté qui
est
désirée, alors que c’est évidemment le « feu » ; et non pas le feu «
1430
e j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit
être
toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne
1431
p plus d’obligation de notre amour, alors qu’elle
est
toujours l’effet de notre choix et de son mérite, que quand elle vien
1432
int ce qu’on ne saurait nous refuser. » Voici qui
est
bel et bon. Mais nous n’oublions pas que ce refus de la contrainte fa
1433
articles des Leys d’Amors). Et que cette exigence
est
polémique, dirigée contre le mariage. Or Alidor et son amante trop fi
1434
is pour l’amour de la passion. À tel prix que ce
soit
, il faut rompre mes chaînes De crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pou
1435
de brûler donc en fait : sa crainte de guérir !)
sont
en effet couronnés de succès au cinquième acte. Corneille l’avoue plu
1436
e quand il lui a donné sujet de le haïr. » L’aveu
est
complet cette fois-ci. Mais dans le plan purement psychologique où Co
1437
Cela fait, conclut-il, une inégalité de mœurs qui
est
vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement de l’auteur sur
1438
aphorique). Bien mieux : cette volonté de liberté
est
devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle prétendait gué
1439
le récitent et le réciteront toujours ceux qui ne
sont
guère capables de l’aimer… 10.Racine, ou le mythe déchaîné L’op
1440
ers engagements que Didon avait avec Énée, elle n’
est
pas obligée, comme elle, de renoncer à la vie. » L’on sent tout l’art
1441
i se voit opposé à la passion de la Nuit ! « Ce n’
est
point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédi
1442
ragédie, ajoute Racine, il suffit que l’action en
soit
grande, que, les acteurs en soient héroïques, que les passions y soie
1443
que l’action en soit grande, que, les acteurs en
soient
héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressen
1444
s acteurs en soient héroïques, que les passions y
soient
excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui
1445
e qui fait tout le plaisir de la tragédie », ce n’
est
que la moitié du mythe, son aspect diurne, son reflet moral dans notr
1446
renversement dans la joie, acceptée telle qu’elle
est
dans le monde du jour, et qualifiée néanmoins de « plaisir », l’on ne
1447
moins de « plaisir », l’on ne voit pas en quoi ce
serait
davantage qu’une morosa delectatio. Certes, l’on est fondé à conteste
1448
davantage qu’une morosa delectatio. Certes, l’on
est
fondé à contester la vérité dernière de la croyance mystique (maniché
1449
ernière de la croyance mystique (manichéenne) qui
est
à l’origine de la passion et de son mythe : du moins faut-il bien rec
1450
le tourment qui en résulte, c’est que l’obstacle
est
un masque de la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguratio
1451
obstacle est un masque de la mort, et que la mort
est
le gage d’une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se r
1452
e gage d’une transfiguration, l’instant où ce qui
était
la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute d’atteindre cette limite
1453
ne lui-même la vraie nature de son délire. Phèdre
est
un moment décisif non seulement dans la vie du poète, mais dans l’évo
1454
èdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort
est
écarté dans Bérénice par une « censure » morale évidemment chrétienne
1455
t chrétienne d’origine. Racine ne peut ni ne veut
être
pleinement lucide. Car sa lucidité l’obligerait à condamner ce qu’il
1456
r. Mais la crise de sa passion pour une femme qui
fut
peut-être la Champmeslé, et les premières atteintes d’une vraie foi v
1457
iguration : il a pris le parti du jour, la mort n’
est
plus que le châtiment de ses trop longues complaisances. C’est la pas
1458
acle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’
est
plus admissible de vouloir vaincre. L’opinion — à laquelle Racine se
1459
laquelle Racine se montre si sensible — l’opinion
est
toujours avec Tristan contre le roi Marc, avec le séducteur contre le
1460
avec le séducteur contre le mari trompé ; elle n’
est
jamais avec les amants incestueux. Ensuite, Racine se punit par perso
1461
ute réciprocité de la part d’Hippolyte. Or Phèdre
était
écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle de la reine. Et Hippolyte,
1462
te. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y
tint
le rôle de la reine. Et Hippolyte, c’est Racine tel que maintenant il
1463
n, et il se démontre à lui-même que cette passion
est
condamnable sans appel. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque de Phèdre
1464
el. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque de Phèdre
est
encore en pleine crise, balançant devant la décision. D’où la duplici
1465
c cet amour incestueux, encore que cette reine ne
soit
que la belle-mère d’Hippolyte. Mais le vieil homme, le Racine naturel
1466
polyte amoureux d’Aricie, dont on va voir qu’elle
est
une Phèdre déguisée. Le tour est très subtil. « Pour ce qui est du pe
1467
va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour
est
très subtil. « Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, écrit-il da
1468
déguisée. Le tour est très subtil. « Pour ce qui
est
du personnage d’Hippolyte, écrit-il dans la Préface, j’avais remarqué
1469
passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui
est
la fille et la sœur des ennemis mortels de son père. » Ainsi donc, Ar
1470
umés à des déguisements plus savants !) Mais ce n’
est
pas l’inceste, c’est la passion qui intéresse — au sens fort — Racine
1471
elle de l’auteur. Ah ! Seigneur ! si notre heure
est
une fois marquée Le ciel de nos raisons ne sait point s’informer. (I,
1472
os raisons ne sait point s’informer. (I, 1) Ce n’
est
pas ce ciel-là qu’eût adoré Corneille ! Ni ces dieux que l’on dupe, e
1473
t sur qui l’on rejette la faute : Les dieux m’en
sont
témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout
1474
on sang. (II, 3.) Et voici la servante Œnone qui
tient
à Phèdre le même langage que la servante Brangaine à Isolde : Vous a
1475
ut vaincre sa destinée ; Par un charme fatal vous
fûtes
entraînée… (IV, 6.) Duplicité, ai-je dit, mais à tel point essentiel
1476
la pièce, constitutive de la crise même d’où elle
est
née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son auteur. Il fall
1477
itutive de la crise même d’où elle est née, qu’il
serait
bien vain d’en faire reproche à son auteur. Il fallait Phèdre. Il fal
1478
acine a su faire mentir j’en viens à croire qu’il
est
sincère dans sa Préface lorsqu’il écrit : « Ce que je puis assurer, c
1479
st que je n’ai point fait de tragédie où la vertu
soit
plus mise au jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévè
1480
au jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y
sont
sévèrement punies : la seule pensée du crime y est regardée avec auta
1481
nt sévèrement punies : la seule pensée du crime y
est
regardée avec autant d’horreur que le crime même ; les faiblesses de
1482
sent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y
sont
présentées aux yeux que pour démontrer tout le désordre dont elles so
1483
ux que pour démontrer tout le désordre dont elles
sont
cause… » On est loin du dessein d’« exciter les passions » pour « pla
1484
trer tout le désordre dont elles sont cause… » On
est
loin du dessein d’« exciter les passions » pour « plaire » à un besoi
1485
re » à un besoin de « tristesse majestueuse ». On
est
tout près de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était de la race de
1486
tout près de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque,
était
de la race des troubadours qui trahissent l’Amour pour l’amour : pres
1487
n chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s’
est
guère fait sentir que deux siècles plus tard. (Il a fallu que les phi
1488
ul prévu par ce mystique : si la cause extérieure
est
un Dieu auquel notre âme pourrait s’identifier157. Mais Spinoza négli
1489
l’obstacle ». Dans le fait, nos passions humaines
sont
toujours liées à des passions contraires, notre amour toujours lié à
1490
notre haine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’
est
pas de cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa
1491
s roués de la Régence et du règne de Louis XV, ne
sont
plus même d’ordre moral, mais intellectuel et physique. La distinctio
1492
’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’
être
en intelligence et en sexe. À vrai dire, tout obstacle détruit, la pa
1493
’on parle de « passionnettes ». Le dieu d’Amour n’
est
plus un dur destin mais un enfant impertinent. Presque plus rien n’es
1494
n mais un enfant impertinent. Presque plus rien n’
est
défendu. De la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour
1495
es épingles ! » (Il me semble que ces épingles ne
sont
point citées par hasard : « Amour vous point », disait la rhétorique.
1496
le sang coulera sous la Terreur ; mais nous n’en
sommes
encore qu’à la « guerre en dentelles ».) Or ce siècle de la Volupté n
1497
rre en dentelles ».) Or ce siècle de la Volupté n’
est
pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les
1498
ncarner ce rêve des Richelieu et des Casanova, je
suis
moins sûr de leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce dési
1499
Nous en avons donné plus d’un exemple. Le xviiie
est
trop poli pour admettre la gauloiserie : il la remplace par une affec
1500
de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce n’
était
encore, et ce ne sera jamais, qu’un idéalisme à rebours. 13.Don Ju
1501
uvait encore étonner. Ce n’était encore, et ce ne
sera
jamais, qu’un idéalisme à rebours. 13.Don Juan et Sade Comme on
1502
tre l’antithèse absolue de Tristan. Si Don Juan n’
est
pas, historiquement, une invention du xviiie , du moins ce siècle a-t
1503
de celui qui ne peut pas posséder, parce qu’il n’
est
pas assez pour avoir… Mais cela nous entraînerait à quelques développ
1504
comme le reflet inversé de Tristan. Le contraste
est
d’abord dans l’allure extérieure des personnages, dans leur rythme. O
1505
e une seule femme. Mais c’est la multiplicité qui
est
pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se conce
1506
a multiplicité qui est pauvre, tandis que dans un
être
unique et possédé à l’infini se concentre le monde entier. Tristan n’
1507
nfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan
est
le démon de l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde,
1508
s en plus décevante et méprisable — quand Tristan
est
le prisonnier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravi
1509
Casanova au niveau de l’aventure scélérate, tels
sont
les parangons qui prennent la place de l’idéal détruit par le xviie
1510
tal, et tout pouvoir de « sympathie ». La femme n’
est
plus pour l’homme du xviiie qu’un « objet ». Mesurons l’un à l’autre
1511
t des corps, la réalité d’un « objet ». Sade, qui
est
un homme du xviiie , connaît trop bien sa monotone tyrannie. Ce que P
1512
t, c’est lui qui détient le plaisir et le plaisir
est
une fatalité. Comment s’en libérer, si ce n’est par l’excès, car tout
1513
r est une fatalité. Comment s’en libérer, si ce n’
est
par l’excès, car tout excès vient de l’esprit ! Rien de plus glaciale
1514
euses » multipliées par la rage du Marquis. Là où
est
le plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’un
1515
par la rage du Marquis. Là où est le plaisir, là
sera
la souffrance, et la souffrance est le signe d’un rachat. Purificatio
1516
plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance
est
le signe d’un rachat. Purification par le mal : péchons jusqu’à détru
1517
On ne tue bien que son amour, parce que lui seul
est
souverain. Le crime d’amour impur sauvera la pureté. Lisons maintenan
1518
ticuliers, nous ne pourrons pas sacrifier un seul
être
à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare, de si
1519
un seul être à nos vengeances ou à nos caprices ?
Est
-il rien de si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous
1520
moi qui ai souligné.) Si le marquis de Sade avait
été
interrogé sur les mobiles secrets de sa morale, il se fût sans nul do
1521
rrogé sur les mobiles secrets de sa morale, il se
fût
sans nul doute réfugié derrière un verbiage cynique. Mais tous ses ar
1522
ière un verbiage cynique. Mais tous ses arguments
sont
transparents : ils signifient avec exactitude le contraire de leur se
1523
eur sens littéral161. Cette glorification du sexe
est
une constante et rationnelle profanation de la morale profanée du xvi
1524
ifester en tuant le criminel162. Car là seulement
serait
la délivrance — selon la foi des troubadours… 14. La Nouvelle Hélo
1525
mpérament des complicités bien profondes et qui n’
est
autre que le pétrarquisme. Le roman de Rousseau à proprement parler n
1526
uisme. Le roman de Rousseau à proprement parler n’
est
pas une renaissance du mythe primitif de Tristan. Il n’a pas la viole
1527
rte de piétisme raffiné. Ici encore, la décadence
est
manifeste. L’Héloïse qui vécut au xiie siècle163 et dont nous posséd
1528
renoncement à la passion, et cette mort de Julie
est
chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il insiste long
1529
ut que suspecter un « calvinisme » qui parle de l’
Être
suprême et paraît ignorer le Christ.) Tout cela ne m’empêchera point
1530
man les croyances de ses personnages. Si Rousseau
fut
le premier à décrire ces erreurs, c’est qu’il en souffrit plus que d’
1531
complaisances qu’entraîne le genre romanesque. Il
est
visible que Rousseau, pas plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’es
1532
eau, pas plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’
est
dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Jul
1533
s intéressées de l’Éros et de l’Agapè. « La vertu
est
si nécessaire à nos cœurs que, quand on a une fois abandonné la vérit
1534
le, on s’en fait ensuite une à sa mode, et l’on y
tient
plus fortement peut-être, parce qu’elle est de notre choix. » Toutefo
1535
n y tient plus fortement peut-être, parce qu’elle
est
de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « clima
1536
) qu’il se met à douter sombrement : « Non, ce ne
sont
point ces transports que je regrette le plus : ah non ! retire s’il l
1537
onnerais mille vies, mais rends-moi tout ce qui n’
était
point elles, et les effaçait mille fois. Rends-moi cette étroite unio
1538
i pris pour toi des sentiments plus paisibles, il
est
vrai, mais plus affectueux et de plus de différentes espèces… Les dou
1539
mble-t-il, sur la roture de Saint-Preux, laquelle
est
censée interdire toute possibilité d’union légale. D’où encore l’assi
1540
r » l’amour chaste qui les ravissait — bien qu’il
fût
dès ce moment condamnable — et « crime », « horreurs », « corruption
1541
ise trop souvent invoquée. Et ainsi de suite : il
serait
aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégè
1542
forcé le dernier mystère de Tristan. Mon propos n’
est
point de recenser les innombrables manifestations du mythe dans nos l
1543
bien mon sentiment : chercher cette satisfaction
serait
folie. Mourir ensemble ! (Mais silence ! ceci paraît exalté, et pourt
1544
nion166. Journal intime de Novalis : Lorsque j’
étais
sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m’est venue que ma mort donn
1545
’étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m’
est
venue que ma mort donnerait à l’humanité un exemple de fidélité étern
1546
ouverte. Que Dieu me conserve cette douleur qui m’
est
indiciblement chère… Notre engagement n’était pas pris pour ce monde…
1547
qui m’est indiciblement chère… Notre engagement n’
était
pas pris pour ce monde… Maximes de Novalis : Toutes les passions f
1548
assions finissent comme une tragédie, tout ce qui
est
limité finit par la mort, toute poésie a quelque chose de tragique. U
1549
poésie a quelque chose de tragique. Une union qui
est
conclue même pour la mort est un mariage qui nous donne une compagne
1550
ique. Une union qui est conclue même pour la mort
est
un mariage qui nous donne une compagne pour la Nuit. C’est dans la mo
1551
agne pour la Nuit. C’est dans la mort que l’amour
est
le plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit de noces, un secr
1552
’amour est le plus doux ; pour le vivant, la mort
est
une nuit de noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens app
1553
ut-être à l’amour comme le sommeil à la vie. Ce n’
est
pas la plus noble part, et l’homme vigoureux préférera toujours veill
1554
Nature, Dieu n’a rien à faire avec la Nature, il
est
le but de la Nature, l’élément avec lequel elle doit un jour s’harmon
1555
avec lequel elle doit un jour s’harmoniser. Nous
sommes
des esprits émanés de Dieu, des germes divins. Un jour nous deviendro
1556
ivins. Un jour nous deviendrons ce que notre Père
est
lui-même167. Et dans les Hymnes à la Nuit, où l’Éros ténébreux suppl
1557
profond de cette nouvelle hérésie albigeoise que
fut
le romantisme allemand. La mort est le but idéal des « hommes élevés
1558
lbigeoise que fut le romantisme allemand. La mort
est
le but idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible de Jean-Paul.
1559
. Elle se confond avec l’amour chez Novalis. Elle
fut
pour Kleist « le seul accomplissement » possible d’une « passion d’am
1560
aquelle se refusait son corps. Mais les poètes ne
sont
plus les seuls à tenter l’au-delà nocturne : un philosophe comme Schu
1561
tes de désir, tisse son filet autour de celle qui
est
apparue, et elle est à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif d
1562
on filet autour de celle qui est apparue, et elle
est
à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif de son aspiration est
1563
lle qui est apparue, et elle est à lui… et elle n’
est
jamais à lui, car la soif de son aspiration est à jamais insatiable.
1564
n’est jamais à lui, car la soif de son aspiration
est
à jamais insatiable. » C’est toute l’aventure des mystiques unitives
1565
par le souvenir des cathares et de leur mystique
fut
composé par l’un des plus purs romantiques : c’est l’épopée des albig
1566
s albigeois de Lenau. On peut y lire ces vers qui
sont
une sorte de profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par
1567
ue Dieu nous voile, Passera, la Nouvelle Alliance
sera
rompue ; Alors nous concevrons Dieu comme l’Esprit. Alors se célébrer
1568
lors se célébrera l’Alliance éternelle. L’Esprit
est
Dieu ! ce cri puissant retentira Comme un tonnerre de joie à travers
1569
é divine, considéré du point de vue de ce monde n’
est
plus qu’un élan vers la mort, une séparation essentielle. Tel est le
1570
lan vers la mort, une séparation essentielle. Tel
est
le tragique de l’Ironie transcendantale, ce mouvement perpétuel du ro
1571
s qu’elle peut concevoir et désirer (la nature, l’
être
aimé, le moi), tout ce qui n’est pas l’Unité incréée, la dissolution
1572
r (la nature, l’être aimé, le moi), tout ce qui n’
est
pas l’Unité incréée, la dissolution sans retour. Mais cet enthousiasm
1573
la dissolution sans retour. Mais cet enthousiasme
est
réel, c’est l’« endieusement » des troubadours, l’endiosada des mysti
1574
t défaut au romantisme français. Ici, les données
sont
les mêmes mais le rythme est moins ample et l’esprit va trop vite au
1575
s. Ici, les données sont les mêmes mais le rythme
est
moins ample et l’esprit va trop vite au but. La France de la Révoluti
1576
le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il n’
est
point d’aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’a
1577
ie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’
est
jamais transcendé, il se refuse à l’illusion dernière d’une libératio
1578
puissance lucide. Romantisme mûri, désabusé, l’on
serait
même tenté de dire : trop rigoureux… Auprès de lui, Jean-Paul et Nova
1579
exalte la saveur de vivre : c’est peut-être qu’il
est
plus « naïf », plus assuré de la réalité de son au-delà. Voyez-les se
1580
son » qui conclut sur une épigramme : « Et encore
est
-il vrai que bien des hommes attachent leur destinée à des choses d’au
1581
à leurs chimères les plus consolantes, l’amour ne
sera
pas longtemps félicité ineffable de la vie supérieure » dont parle E.
1582
prit, la purification abstraite du sentiment. Les
êtres
et les choses, ces prétextes, percés par un regard désabusé, cesseron
1583
ercés par un regard désabusé, cesseront bientôt d’
être
les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieures,
1584
vri de ses formes extérieures, deviendra ce qu’il
est
en son principe : une autodestruction voluptueuse du moi. « On est dé
1585
pe : une autodestruction voluptueuse du moi. « On
est
détrompé sans avoir joui, dit René ; il reste encore des désirs et l’
1586
un monde vide. » Alors la femme elle-même cesse d’
être
le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Obermann
1587
née. Dans l’Obermann de Sénancour, l’« obstacle »
est
purement intérieur, il est dans la dualité du moi qui ne peut ni s’af
1588
ancour, l’« obstacle » est purement intérieur, il
est
dans la dualité du moi qui ne peut ni s’affirmer ni se dissoudre, ni
1589
ni s’affirmer ni se dissoudre, ni se posséder ni
être
possédé. Nous savions que Tristan n’aimait pas Iseut pour elle-même,
1590
une image. Lui pourtant l’ignorait, et sa passion
était
naïve et forte. René et surtout Obermann ne peuvent même plus croire
1591
de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares
sont
toutefois les romantiques français qui atteignirent cette connaissanc
1592
ourrait seule le combler. Aimer passionnément, ce
serait
vivre ! Il s’imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève de la
1593
te.) Il rirait bien si je lui démontrais que ce n’
est
là que l’empreinte du mythe dans son esprit, une habitude héritée de
1594
térature, puisque mystique et religion, pour lui,
sont
mortes. Mais il est obligé de constater que ce désir de passion, et l
1595
tique et religion, pour lui, sont mortes. Mais il
est
obligé de constater que ce désir de passion, et la passion elle-même
1596
et la passion elle-même dans le monde où il vit,
sont
condamnés par la raison et par le scepticisme général. D’où le besoin
1597
« Quoiqu’il traite de l’amour, ce petit volume n’
est
point un roman, et surtout n’est pas amusant comme un roman. C’est to
1598
e petit volume n’est point un roman, et surtout n’
est
pas amusant comme un roman. C’est tout uniment une description exacte
1599
assion se trompe souvent, précise-t-il, mais elle
est
en soi une erreur… Le cas Stendhal n’est pas douteux : il s’agit d’un
1600
ais elle est en soi une erreur… Le cas Stendhal n’
est
pas douteux : il s’agit d’un homme qui n’aimait pas réellement, et qu
1601
me qui n’aimait pas réellement, et qui surtout ne
fut
pas réellement aimé. » Tristan aimait, Don Juan était aimé ; mais cel
1602
t pas réellement aimé. » Tristan aimait, Don Juan
était
aimé ; mais celui qui n’a du premier que la nostalgie, et du second q
1603
tradition antique, sauf qu’il s’affirme heureux d’
être
malade. Le voici donc dans la situation d’un médecin qui étudie sur l
1604
s mortel173. Une chose me frappe : sa description
est
admirable de vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais ell
1605
, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle
est
totalement pessimiste — puisque aussi bien il s’agit d’une erreur et
1606
ien il s’agit d’une erreur et dont il se désole d’
être
tiré. D’où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conceptio
1607
incompatible avec la conception de la vie qu’il s’
était
faite ? C’est la question qu’il ne se pose jamais. Il note très bien
1608
agrément dans la quantité d’émotion, la sympathie
est
au moins la moitié moins excitée par la peinture du bonheur que par c
1609
« Il y a peu de peines morales dans la vie qui ne
soient
rendues chères par l’émotion qu’elles excitent. » Voilà qui est vrai
1610
ères par l’émotion qu’elles excitent. » Voilà qui
est
vrai : nous aimons la douleur, et le bonheur nous ennuie un peu… Cela
1611
viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne
sont
-ils pas contre nature ? Encore une fois, Stendhal ne se pose pas la q
1612
une fois, Stendhal ne se pose pas la question, n’
étant
pas en mesure de la résoudre. En matérialiste grossier — c’est la bon
1613
rois, comme Ortega, que la solution stendhalienne
est
d’abord inexacte, au regard des faits. Il existe un amour qui, loin d
1614
aits. Il existe un amour qui, loin de se tromper,
est
seul capable de découvrir dans l’être aimé les qualités réelles qui s
1615
se tromper, est seul capable de découvrir dans l’
être
aimé les qualités réelles qui s’y cachent. De plus, n’est-ce point là
1616
les qualités réelles qui s’y cachent. De plus, n’
est
-ce point là le type d’une solution verbale ? Car dire que la passion
1617
d’une solution verbale ? Car dire que la passion
est
une erreur — elle l’est parfois —, ce n’est pas encore expliquer cett
1618
? Car dire que la passion est une erreur — elle l’
est
parfois —, ce n’est pas encore expliquer cette erreur. L’instinct ou
1619
ssion est une erreur — elle l’est parfois —, ce n’
est
pas encore expliquer cette erreur. L’instinct ou la nature n’ont pas
1620
ir que de l’esprit. La vérité, c’est que Stendhal
est
la victime d’un phénomène spirituel que ses croyances matérialistes n
1621
mène spirituel que ses croyances matérialistes ne
sont
plus en mesure de justifier. Victime heureuse d’ailleurs, et cela suf
1622
l’empêcher de pousser plus avant son enquête. Qu’
est
-ce que ce livre qu’il nous laisse ? Le témoignage d’une inquiétude qu
1623
nt s’en libérer, mais il en a perdu la clé. Ce n’
est
pas qu’au cours de sa recherche, Stendhal n’ait plusieurs fois « brûl
1624
la (dans Tristan et Isolde) savait que la passion
est
quelque chose de plus que l’erreur : qu’elle est une décision fondame
1625
est quelque chose de plus que l’erreur : qu’elle
est
une décision fondamentale de l’être, un choix en faveur de la Mort, s
1626
reur : qu’elle est une décision fondamentale de l’
être
, un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d’un mon
1627
l’être, un choix en faveur de la Mort, si la Mort
est
la libération d’un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œ
1628
ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre
est
de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale mé
1629
udace de cette œuvre est de celles qui ne peuvent
être
tolérées qu’à la faveur d’une totale méprise, organisée et entretenue
1630
es, on a fini par croire que le Tristan de Wagner
est
un drame du désir sensuel. Qu’un tel jugement ait pu s’accréditer en
1631
diter en dépit de flagrantes évidences, voilà qui
est
significatif au plus haut point de la nécessité sociale des mythes. (
1632
hanté la Nuit de la dissolution des formes et des
êtres
, la libération du désir, l’anathème sur le désir, la gloire crépuscul
1633
faut au bourgeois pour ressentir sa vie… Qu’on y
soit
parvenu si rapidement et complètement ne saurait d’ailleurs témoigner
1634
lité l’opération. Ainsi le Tristan de Wagner peut
être
impunément repris devant des salles émues en toute sécurité ; si fort
1635
ant des salles émues en toute sécurité ; si forte
est
la certitude générale que personne ne croira son message. ⁂ Le drame
1636
’affront subi. Le philtre qu’elle offre à Tristan
est
destiné à le faire mourir : mais d’une mort que l’Amour condamne, d’u
1637
lois du jour, la haine, l’honneur et la vengeance
sont
devenues sans force sur leurs cœurs. Les initiés pénètrent au monde n
1638
— ils ont déjà pressenti l’autre mort, celle qui
est
le seul accomplissement de leur amour. Le deuxième acte est le chant
1639
l accomplissement de leur amour. Le deuxième acte
est
le chant de la passion des âmes prisonnières des formes. Tous les obs
1640
s. Tous les obstacles surmontés, quand les amants
sont
seuls enveloppés de ténèbres, c’est le désir charnel qui les sépare e
1641
c’est le désir charnel qui les sépare encore. Ils
sont
ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et de Tristan « et » Is
1642
sépare encore. Ils sont ensemble et pourtant ils
sont
deux. Il y a ce et de Tristan « et » Isolde qui signifie leur dualité
1643
itude et la substance de cette double nostalgie d’
être
un. Car seule elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de deux
1644
ce. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’amour
est
déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le traître M
1645
⁂ Cependant la forme d’art que Wagner a choisie n’
est
pas sans recréer des possibilités de « méprise ». Il fallait que ce f
1646
es possibilités de « méprise ». Il fallait que ce
fût
un opéra, pour deux raisons qui tiennent à l’essence même du mythe. D
1647
allait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui
tiennent
à l’essence même du mythe. De même que le péché du premier homme, et
1648
mier acte, introduisent la lutte et la durée, qui
sont
les éléments du drame. Mais le drame ne peut pas tout dire, la religi
1649
ne peut pas tout dire, la religion de la passion
étant
« essentiellement lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable d
1650
entiellement lyrique ». Dès lors la musique seule
sera
capable d’exprimer la dialectique transcendantale, le caractère éperd
1651
re, contrapuntique de la passion de la Nuit — qui
est
l’appel au Jour incréé. La définition même de la musique occidentale,
1652
achevé par la musique, c’est l’opéra. Ainsi, ce n’
est
point un hasard si le mythe de Tristan et celui de Don Juan n’ont pu
1653
seule peut bien parler de la tragédie, dont elle
est
la mère et la fille. Toutefois, dans le cas de Tristan, l’élément pla
1654
fond de l’action. Tant qu’on regarde la scène, on
est
victime de l’illusion des formes — et des plus ridicules. Il n’y a là
1655
es mélodies révèle un monde où le désir charnel n’
est
plus qu’une dernière et impure langueur dans l’âme qui se guérit de v
1656
e annonce que le jour meurt, et que déjà l’aube n’
est
plus qu’un crépuscule vainement exalté. ⁂ Un second lieu commun de la
1657
Wagner lui-même, il me paraît que cette influence
est
fortement surestimée. Un créateur de la taille de Wagner ne met pas d
1658
te ce qu’il faut retenir de la rencontre, et ce n’
est
pas d’un immense intérêt. L’ascèse, la négation du monde créé, l’iden
1659
C’est parce qu’il la portait vivante en lui qu’il
fut
le premier à retrouver sa trace dans les symboles des minnesänger, da
1660
de la légende, dans sa virulence intégrale, ce n’
est
point là une thèse à faire admettre, c’est l’évidence largement décla
1661
termes du vocabulaire de l’existence, décrivant l’
être
en situation d’agir, non les objets. Achèvement désigne l’expression
1662
jets. Achèvement désigne l’expression totale d’un
être
, d’un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi l
1663
, enfin le film. Le vrai tragique de notre époque
est
diffus dans la médiocrité. Le vrai sérieux dès lors, implique la conn
1664
ent profané du mythe. Celui-ci cesse d’ailleurs d’
être
un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et que l
1665
passion dont le besoin revient nous tourmenter n’
est
plus qu’une maladie de l’instinct, rarement mortelle, régulièrement t
1666
gradante, par rapport au mythe de Tristan, que le
serait
par exemple l’alcoolisme par rapport à l’ivresse divine que chantaien
1667
ionnelle, donc admissible par l’ordre social — ce
fut
le théâtre de Dumas à Bataille. La fameuse « pièce à trois personnage
1668
an à la mesure d’une société moderne. Le roi Marc
est
devenu le Cocu ; Tristan, le jeune premier, ou gigolo ; Iseut, l’épou
1669
les s’affrontent. Les barons félons de la légende
sont
figurés par les tenants de la morale « conformiste ». Ils défendent l
1670
eois, l’héritage, les convenances et l’Ordre. Ils
sont
du côté du mari, et donc légèrement ridicules. Mais la morale contrai
1671
Mais la morale contraire triomphe régulièrement —
fût
-ce au prix d’un coup de pistolet. C’est la morale du romantisme, des
1672
res victimes l’élaboration du vieux philtre. Elle
est
minutieusement décrite, jusque dans ses ruses inconscientes, en des c
1673
ui feint de le renier, mais qui en vit. Le calcul
est
très simple, et bien entendu inconscient. L’idéal glorifié par la lit
1674
ale du mariage en souffre évidemment, mais cela n’
est
pas d’une gravité urgente, puisqu’on sait bien que l’institution matr
1675
i, les seuls écarts considérés comme intolérables
sont
ceux qui entraînent une dilapidation du « patrimoine » de la famille.
1676
de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’
est
pas sans relations avec le mythe au dernier stade de sa déchéance. El
1677
à trois, l’idéalisme tragique du mythe originel n’
est
plus qu’une nostalgie assez vulgaire, idéalisation de désirs anodins,
1678
jours une révolte qui se veut « primitive ». Ce n’
est
plus le sentiment que l’on idéalise, c’est l’instinct. Je songe à une
1679
Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme
est
d’abord une femelle. Nous la ferons se traîner sur le ventre vers le
1680
dure, voilà ce qui peut nous purifier. Vos tabous
sont
des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la vie, c
1681
sont des sacrilèges contre la vraie divinité, qui
est
la Vie. Et la vie, c’est l’instinct libéré de l’esprit, la grande pui
1682
lle brute déchaînée, etc. » L’un de ces prophètes
est
allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de vitalité qu’une vac
1683
r). C’est une négation de l’au-delà dont le but n’
est
pas de supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divin
1684
sme solaire, mais la pratique de cette croyance n’
est
pas de nature à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « bell
1685
faillite — une dette que plus personne, là-bas, n’
est
disposé à reconnaître. On n’a plus de comptes à rendre à cet « esprit
1686
comptes à rendre à cet « esprit » platonicien. Il
était
cause de toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est
1687
la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui
est
clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins clair : quand sous pr
1688
, voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui
est
non moins clair : quand sous prétexte de détruire l’artificiel — rhét
1689
lors, redescendre au-dessous de nos morales, ce n’
est
pas nous libérer de leurs interdictions, mais nous livrer à une folie
1690
is, nous engageait dans les voies irréelles) ce n’
est
pas revenir au réel, mais s’égarer dans la zone de terreur et dans le
1691
zone de terreur et dans les terrains vagues où se
sont
déversés tous les rebuts d’une civilisation intoxiquée. L’« authentiq
1692
s obsède, nous ne pourrons pas le retrouver. Il n’
est
pas au terme d’un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au resse
1693
tinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’
est
pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être recréé par un effort contrai
1694
air. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’
être
recréé par un effort contraire à la passion, c’est-à-dire par une act
1695
urification — un retour à la sobriété. Agir, ce n’
est
pas s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce
1696
s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’
est
pas tuer ce corps gênant. Mais ce n’est pas non plus tirer son revolv
1697
que. Ce n’est pas tuer ce corps gênant. Mais ce n’
est
pas non plus tirer son revolver contre l’esprit sous prétexte qu’il n
1698
en vérité, c’est accepter les conditions qui nous
sont
faites, dans le conflit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter
1699
tte à l’esprit et retrouve par lui sa paix. Telle
est
la voie. Éros mortel, Éros vital — l’un appelle l’autre, et chacun d’
1700
à la guerre, la société devait la persécuter. Ce
fut
Rome qui porta le fer et le feu dans les provinces gagnées à l’hérési
1701
é elle, cette glorification de l’amour humain qui
était
l’envers de sa doctrine, ce langage d’une ambiguïté à la fois essenti
1702
nnaissance mystique réprouvée, puis perdue. Telle
fut
la chance de la littérature en Occident ; et cela seul peut expliquer
1703
n se mettant au service de mystiques partisanes ?
Serait
-ce la fin du romantisme ? Le spectacle de nos mœurs n’autorise pas ce
1704
et déjà s’exalte en « mystiques ». C’est que nous
sommes
devenus incapables de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de
1705
r en figures. Les dernières formes de l’amour ont
été
balayées par la guerre. Et j’insisterai sur cet exemple symbolique :
1706
a, Pétrarque. 140. Sainte Thérèse : « Ces grâces
sont
accompagnées d’un entier détachement des créatures, quant à l’esprit…
1707
r par Dieu lui-même, considère toutes choses sans
être
enchaînée par aucune. » 147. Le Déclin du Moyen Âge. 148. Selon A.
1708
e. 160. L’abbé de Sade, propre oncle du marquis,
est
l’auteur d’un ouvrage intitulé : Remarques sur les premiers poètes fr
1709
Rappelons que l’amour fameux d’Abélard et Héloïse
est
le premier exemple historique de la passion dont nous parlons ici. Vo
1710
daient l’union des habitants des cieux : Déjà ils
sont
entrés dans le sanctuaire du Sauveur. Abélard répondit assez mal à c
1711
: « Amoris impulsio, culpæ justificatio. » 164.
Est
-ce la faute à Rousseau ? Ou plutôt au symbolisme ? Beaucoup de dames
1712
ui dont les yeux ont une fois contemplé la beauté
est
déjà voué à la mort… » 166. Les italiques sont dans le texte origina
1713
té est déjà voué à la mort… » 166. Les italiques
sont
dans le texte original. 167. Autre vision manichéenne du monde : la
1714
er les quatre saisons de l’esprit : le matin, qui
est
l’éclairage illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée de la cr
1715
re la cristallisation et l’idéalisation courtoise
tient
en ceci : Stendhal sait qu’il y aura décristallisation (retour à la l
1716
lozengier. 175. Cf. chap. 11 livre II. Le roman
est
un poème qui n’exprime plus l’instant mais la durée. 176. Surtout l
1717
ormes Du désir à la mort par la passion, telle
est
la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour
1718
est la voie du romantisme occidental ; et nous y
sommes
tous engagés pour autant que nous sommes tributaires — inconsciemment
1719
t nous y sommes tous engagés pour autant que nous
sommes
tributaires — inconsciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et
1720
l’éducation, la politique. Un fort gros livre ne
serait
pas de trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce liv
1721
mêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre
soit
écrit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté de la tâche. Car
1722
surtout à le situer dans la logique du mythe, qui
est
mon vrai sujet. On peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’e
1723
peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’
est
pas moins instructif, en ce domaine, que la recherche des causes, et
1724
ce domaine, que la recherche des causes, et qu’il
est
certainement moins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple de r
1725
s, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’
est
pas nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour con
1726
constater que l’instinct de guerre et l’érotisme
sont
fondamentalement liés : les figures courantes du langage le font voir
1727
ntes relatives à la genèse des instincts, je m’en
tiendrai
à quelques rapprochements formels entre les arts d’aimer et de guerro
1728
yer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos
étant
simplement de marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l
1729
re les effets de l’amour naturel. Le dieu d’amour
est
un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se rend à l’hom
1730
me se rend à l’homme qui la conquiert parce qu’il
est
le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession
1731
meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie
est
la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous p
1732
nstinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il
serait
vain de chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et l
1733
ent les gestes élémentaires du guerrier, mais qui
sont
empruntées d’une façon très précise à l’art des batailles, à la tacti
1734
bien typique de la courtoisie, c’est l’amant qui
sera
son prisonnier en même temps que son vainqueur. Il deviendra le vassa
1735
nteries à double sens. Ce parallélisme d’ailleurs
est
complaisamment exploité par les écrivains. C’est un thème de rhétoriq
1736
de Amor : « Ne pense pas que le combat de l’amour
soit
comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’une guerre épo
1737
que ses tendres paroles. Ses flèches et ses coups
sont
les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande effic
1738
oups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre
est
une offre de grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie.
1739
composent son artillerie. Sa prise de possession
est
un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a
1740
rise de possession est un embrassement. Sa tuerie
est
de donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a vu que la rhétorique courtoise
1741
de la Nuit. La mort y joue un rôle central : elle
est
la défaite du monde et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort
1742
et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort
sont
reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre
1743
rt sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct
sont
reliés désir et guerre. Mais ni cette origine religieuse, ni cette co
1744
la guerre « Donner un style à l’amour », telle
est
, selon J. Huizinga, l’aspiration suprême de la société médiévale dans
1745
, un besoin d’autant plus impérieux que les mœurs
sont
plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur d’un rite, la viole
1746
té spirituelle de la société médiévale !) Or s’il
est
vrai que cette morale courtoise ne parvint guère à transformer les mœ
1747
andi, qui donne naissance à un ars bellandi. Ce n’
est
pas seulement dans le détail des règles de combat individuel que se f
1748
à cette époque une valeur d’absolu religieux. Il
est
fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter des conventions d’une me
1749
re eux. » De même, les nécessités de la stratégie
sont
sacrifiées à celles de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 14
1750
sance abandonnent la cotte d’armes afin de ne pas
être
, en revenant, obligés de reculer en vêtements guerriers. Maintenant,
1751
r ses pas ; il passe la nuit dans l’endroit où il
est
, et fait se ranger l’avant-garde conformément à ce nouveau plan. » Le
1752
le péril qu’on recherche pour lui-même, car on n’
est
pas inapte en d’autres cas à trouver des prétextes pour esquiver ses
1753
étend à tous les domaines où le style et la forme
sont
choses essentielles : les cérémonies, l’étiquette, les tournois, la c
1754
in, droit d’attaque — fidélité à la parole donnée
sont
régis par des règles semblables à celles qui gouvernent le tournoi et
1755
chasse185 ». L’Arbre des Batailles d’Honoré Bonet
est
un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à
1756
Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée,
est
-on tenu de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de
1757
n perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on
tenu
de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? —
1758
ne armure empruntée, est-on tenu de la rendre ? —
Est
-il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se bat
1759
au Moyen Âge par la conception chevaleresque, ce
sont
essentiellement, selon Huizinga : la lutte pour la paix universelle b
1760
le saint ou le pécheur ; mais en général, ils se
tiennent
en équilibre instable avec d’énormes écarts de la balance. » 4.Les
1761
e. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte Il
est
pourtant un domaine où s’opère la synthèse à peu près parfaite des in
1762
s de l’amour romanesque ne devaient pas seulement
être
présentés sous forme de lecture, mais surtout donnés en spectacle. Ce
1763
a représentation dramatique et le sport. Celui-ci
est
, au Moyen Âge, de beaucoup le plus important. Le drame ne traitait en
1764
que la matière sacrée ; l’aventure amoureuse n’y
était
qu’exceptionnelle. Le sport médiéval, au contraire, et surtout le tou
1765
rt médiéval, au contraire, et surtout le tournoi,
était
lui-même dramatique au plus haut point et contenait, en outre, une fo
1766
et amoureux ; mais tandis que les sports modernes
sont
presque retournés à la simplicité grecque, le tournoi de la fin du Mo
1767
ve à l’accomplissement du désir, et la délivrance
est
donc de toute manière assurée. » La mise en scène des tournois emprun
1768
cle, le Pas d’Armes dit de la Fontaine des Pleurs
est
basé sur une aventure romanesque imaginaire. « La fontaine est constr
1769
une aventure romanesque imaginaire. « La fontaine
est
construite à cet effet. Pendant une année entière, tous les premiers
1770
oyer, devant la fontaine, une tente dans laquelle
est
assise une dame (en effigie naturellement) ; celle-ci tient une licor
1771
se une dame (en effigie naturellement) ; celle-ci
tient
une licorne qui porte trois écus. Tout chevalier qui touche l’écu s’e
1772
s des chevaux prêts à cet usage. » « Le chevalier
est
toujours inconnu ; c’est « le blanc chevalier », « le chevalier mesco
1773
alamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie
est
répandu sur toute l’action : le nom de la Fontaine des Pleurs est émi
1774
toute l’action : le nom de la Fontaine des Pleurs
est
éminemment suggestif. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés d
1775
ine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus
sont
blancs, violets et noirs, semés de larmes blanches ; on les touche pa
1776
rmes d’argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus
sont
noirs et violets aux larmes noires ou or. » L’élément érotique du tou
1777
sins. » ⁂ Cependant, la grande vogue des tournois
est
l’indice d’un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le débu
1778
. « En tant que principe militaire, la chevalerie
était
devenue insuffisante ; la tactique avait depuis longtemps renoncé à s
1779
es règles : la guerre, aux xive et xve siècles,
était
faite d’approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « v
1780
evalerie et celle de l’art militaire moderne ; il
est
un élément dans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup de grâc
1781
canisation de la guerre. » Enfin le coup de grâce
sera
porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « Et n’est-ce
1782
hevalerie par l’invention de l’artillerie. « Et n’
est
-ce pas une ironie du sort qui fit que cette fleur des chevaliers erra
1783
rants à la mode de Bourgogne, Jacques de Lalaing,
fut
tué par un boulet de canon ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conv
1784
ondottieri et canons « L’Italie n’avait jamais
été
si florissante ni si paisible qu’elle l’était vers l’année 1490. Une
1785
amais été si florissante ni si paisible qu’elle l’
était
vers l’année 1490. Une paix profonde régnait dans ses provinces : les
1786
dans ses provinces : les montagnes et les plaines
étaient
également fertiles ; riche, bien peuplée et ne reconnaissant point de
1787
d’empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers
étaient
avant tout d’avisés diplomates, d’astucieux commerçants. Ils savaient
1788
lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vaincus
est
presque toujours respectée. Ils ne sont pas longtemps prisonniers et
1789
es vaincus est presque toujours respectée. Ils ne
sont
pas longtemps prisonniers et ils recouvrent très aisément la liberté.
1790
. Une ville a beau se révolter vingt fois, elle n’
est
jamais détruite ; les habitants conservent toutes leurs propriétés ;
1791
onc le contraire d’une « militarisation ». L’État
était
devenu une œuvre d’art, selon l’expression de Burckhardt. La guerre e
1792
l’expression de Burckhardt. La guerre elle-même s’
était
civilisée dans toute la mesure où le paradoxe est soutenable. Le duel
1793
ait civilisée dans toute la mesure où le paradoxe
est
soutenable. Le duel des chefs était fort en honneur, et suffisait à t
1794
où le paradoxe est soutenable. Le duel des chefs
était
fort en honneur, et suffisait à terminer une campagne. (Ce n’était pl
1795
neur, et suffisait à terminer une campagne. (Ce n’
était
plus d’ailleurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe d’une perso
1796
t dans les Allemagnes. Si par ailleurs, la guerre
était
devenue diplomatique dans les hautes sphères, et vénale dans la prati
1797
on sens moderne de politesse et de civilité. Il n’
était
plus question de condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait
1798
e passage de ce prince en Italie, dit Guichardin,
fut
la source d’une infinité de maux et de révolutions. Les États changèr
1799
ats changèrent tout à coup de face, les provinces
furent
ravagées, les villes détruites, et tout le pays fut inondé de sang… L
1800
t ravagées, les villes détruites, et tout le pays
fut
inondé de sang… L’Italie apprit aussi une nouvelle mais sanglante mét
1801
ment la paix et l’harmonie de nos provinces qu’il
fut
depuis impossible d’y rétablir l’ordre et la tranquillité191. » Ce n’
1802
’y rétablir l’ordre et la tranquillité191. » Ce n’
était
pas que les Italiens eussent ignoré l’usage de l’artillerie jusqu’à c
1803
gère, et dont les pièces qu’ils appelaient canons
étaient
toutes de bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu
1804
nt canons étaient toutes de bronze… Les décharges
étaient
si fréquentes et si fortes qu’elles faisaient en peu de temps ce qu’o
1805
s ; enfin cette machine plus infernale qu’humaine
était
aussi utile aux Français dans les combats que dans les sièges… » Autr
1806
e des condottieri « la plupart des hommes d’armes
étaient
ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours sujets d’un autre
1807
celui pour lequel ils faisaient la guerre », et n’
étaient
donc animés « ni par aucun sentiment de gloire ni par aucun motif ext
1808
it comme une armée nationale : « Les gens d’armes
étaient
presque tous sujets du Roi et gentilshommes » ce qui les empêchait de
1809
ampagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de 100
furent
tués : « Nombre considérable par rapport à la manière dont on faisait
1810
a guerre en Italie » remarque Guichardin. Et ce n’
était
vraiment qu’un début ! Burckhardt affirme que les dévastations frança
1811
urckhardt affirme que les dévastations françaises
furent
peu de choses en comparaison de celles commises un peu plus tard par
1812
hommes de guerre, aux xviie et xviiie siècles,
sera
de dominer le monstre mécanique, afin de sauver autant que possible l
1813
donner un style à l’instinct. La guerre classique
est
un effort pour conserver et recréer ce style malgré l’intervention de
1814
nt des forces de l’adversaire. Le monde militaire
est
toujours tombé dans ces erreurs quand il s’est mis à abandonner la no
1815
re est toujours tombé dans ces erreurs quand il s’
est
mis à abandonner la notion droite et simple des lois de la guerre, à
1816
les résolutions des hommes. » — « Spiritualiser »
est
peut-être excessif : il ne s’agissait guère de rationaliser. Mais l’e
1817
de rationaliser. Mais l’expression (méprisante !)
est
bien typique de la psychologie qui apparaîtra dès la Révolution franç
1818
s laquelle nulle civilisation et nulle culture ne
sont
proprement concevables. Racine aussi, nous l’avons vu, croyait qu’on
1819
secrètement désirés ; mais la grandeur de l’homme
est
de limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait
1820
uerre en dentelles L’exemple du xviiie siècle
est
le plus propre à illustrer le parallèle de l’amour et de la guerre. I
1821
its de tueries inouïes ; la gloire d’un chevalier
est
faite du nombre de ses adversaires pourfendus et décapités, et si pos
1822
t d’autre que trois morts. C’est l’art savant qui
est
à l’honneur. Maurice de Saxe écrit : « Je ne suis point pour les bata
1823
est à l’honneur. Maurice de Saxe écrit : « Je ne
suis
point pour les batailles, surtout au début d’une guerre. Je suis pers
1824
les batailles, surtout au début d’une guerre. Je
suis
persuadé qu’un bon général pourra la faire toute sa vie sans s’y voir
1825
igé. » S’il faut cependant en venir aux mains, ce
sera
du moins pour une bataille « rangée », un siège « en règle », et la t
1826
s ennemies — en véritable héros de l’Astrée qu’il
fut
. Et cette suprême politesse devant la mort, à Fontenoy. ⁂ Mais voici
1827
il nous en coûte pour guerroyer cinq ans. Quel en
est
le résultat ? Car le succès définitif est incertain. Avec bien du bon
1828
Quel en est le résultat ? Car le succès définitif
est
incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer de détruire 150 000
1829
sans compter la perte sur notre population, qui n’
est
réparée qu’au bout de vingt-cinq ans. Au lieu de cet attirail dispend
1830
erling. C’est la plus forte évaluation, et ils ne
sont
pas tous aussi chers, comme on sait ; mais enfin, il y aurait encore
1831
etourner la position… Et l’attaque commencée, ils
sont
jusqu’au bout ces comédiens étonnants, pareils à ces livres du temps
1832
lesquels il n’y a pas un sentiment exprimé qui ne
soit
feint ou dissimulé… « N’omettre rien » c’est le précepte de l’un d’eu
1833
la passion sur le plan collectif. À vrai dire, il
est
plus facile de le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute pa
1834
nellement. Toute passion, dira-t-on, suppose deux
êtres
, et l’on ne voit pas à qui s’adresse la passion assumée par la Nation
1835
ns toutefois que la passion d’amour, par exemple,
est
en son fond un narcissisme, autoexaltation de l’amant, bien plus que
1836
le au monde. « Mon regard ravi s’aveugle… Seul je
suis
— Moi le monde… » La passion veut que le moi devienne plus grand que
1837
ns le savoir) qu’au-delà de cette gloire, sa mort
soit
véritablement la fin de tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est
1838
a fin de tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi,
est
une autoexaltation, un amour narcissiste du Soi collectif. Il est vra
1839
tation, un amour narcissiste du Soi collectif. Il
est
vrai que sa relation avec autrui s’avoue rarement comme un amour : pr
1840
et qu’on proclame. Mais cette haine de l’autre, n’
est
-elle pas toujours présente dans les transports de l’amour-passion ? I
1841
gt fois supérieures, à l’heure où liberté et mort
étaient
bien près d’avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont lié
1842
’avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre
sont
liées comme l’Amour et la Mort. Désormais le fait national sera le fa
1843
me l’Amour et la Mort. Désormais le fait national
sera
le facteur dominant de la guerre. « Celui qui écrit sur la stratégie
1844
et une tactique nationales, seules susceptibles d’
être
profitables à la nation pour laquelle il écrit ». Ainsi s’exprime le
1845
a Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy
fut
gagnée par la passion contre la « science exacte ». C’est au cri de V
1846
ainsi cette phrase fameuse : « Une ère nouvelle s’
était
ouverte, celle des guerres nationales aux allures déchaînées parce qu
1847
éléments de force jusqu’alors inexploités. » ⁂ Il
serait
assez curieux de préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte
1848
étorique et la surprise massive, brutale… Et il n’
est
pas sans intérêt non plus de noter que Waterloo fut une bataille perd
1849
t pas sans intérêt non plus de noter que Waterloo
fut
une bataille perdue par excès de science, peut-être, ou par défaut d’
1850
ar défaut d’élan national-révolutionnaire… Ce qui
est
certain, c’est que Napoléon fut le premier à tenir compte du facteur
1851
tionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon
fut
le premier à tenir compte du facteur passionnel dans la conduite des
1852
énéraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’
est
pas possible de méconnaître, comme ce Bonaparte, les principes les pl
1853
et tragique » (Foch). Il faudrait préciser : ce n’
est
pas le cœur de chaque soldat considéré comme un héros qui décidera du
1854
sionnelle d’un Fichte et d’un Hegel, par exemple,
furent
les premiers appuis du nationalisme allemand. D’où le caractère de pl
1855
oïque. (De tous temps les guerres de religion ont
été
de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les trois premiers qu
1856
sse pas de s’exercer au nom de la Nation, mais ce
sont
bel et bien des intérêts qui mènent le jeu, ainsi que l’a fort bien m
1857
ch, dans ses Principes de la guerre : La guerre
fut
nationale au début pour conquérir et garantir l’indépendance des peup
1858
, Saragosse, Tarancon, Moscou, Leipzig, etc. Elle
fut
nationale par la suite pour conquérir l’unité des races, la nationali
1859
e des Italiens et des Prussiens de 1866, 1870. Ce
sera
la thèse au nom de laquelle le roi de Prusse devenu empereur d’Allema
1860
x des traités de commerce avantageux. Après avoir
été
le moyen violent que les peuples employaient pour se faire une place
1861
commerce suit le drapeau, disent les Anglais. Ce
fut
la période coloniale, la dernière « paix » méritée par l’Europe. On a
1862
sociale (mais à la mesure de notre société). Ce n’
était
plus, en effet, un principe spirituel qui inspirait les « formes » et
1863
s (conquête de Madagascar). La guerre coloniale n’
est
en somme que la continuation de la concurrence capitaliste par des mo
1864
mpagnies. Vers la fin du xixe siècle, l’amour197
était
devenu, dans les classes bourgeoises, un bien bizarre mélange de sent
1865
s de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’
être
aujourd’hui dans les annonces matrimoniales. La sexualité pure n’inte
1866
l’absinthe, et c’est pourquoi Jarry dit que l’eau
est
impure.) De même la guerre était un composé d’excitations de l’opinio
1867
arry dit que l’eau est impure.) De même la guerre
était
un composé d’excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « r
1868
composé d’excitations de l’opinion publique — qu’
est
-ce que la « revanche », sinon un sentimentalisme national ? — et de p
1869
ècles de culture de la passion. La guerre de 1914
fut
l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance du mythe
1870
erie entre les formes de l’amour et de la guerre,
soit
rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujours de forcer la
1871
, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre
fut
toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant sa force armé
1872
on », choses et personnes assimilées. La guerre n’
est
plus un viol mais un assassinat de l’objet convoité et hostile — c’es
1873
sant cet objet au lieu de s’en emparer. Verdun ne
fut
d’ailleurs qu’un prodrome de cette guerre nouvelle, puisque le procéd
1874
mais sur la chair qui fabrique les canons, ce qui
est
évidemment plus efficace. La technique de la mort à grande distance n
1875
elle se retourne contre la passion même dont elle
est
née. Et c’est cela, non l’envergure des massacres, qui est nouveau da
1876
Et c’est cela, non l’envergure des massacres, qui
est
nouveau dans l’histoire du monde. Là-dessus, trois remarques dont on
1877
dessus, trois remarques dont on verra qu’elles ne
sont
pas sans liens : a) La guerre est née dans les campagnes : elle a mê
1878
a qu’elles ne sont pas sans liens : a) La guerre
est
née dans les campagnes : elle a même porté leur nom jusqu’à nos jours
1879
des masses paysannes, la Première Guerre mondiale
fut
un premier contact avec la civilisation technique. Une sorte de visit
1880
calculatrices d’ingénieurs. Désormais, l’homme n’
est
plus que le servant du matériel ; il passe lui-même à l’état de matér
1881
l’état de matériel, d’autant plus efficace qu’il
sera
moins humain dans ses réflexes individuels. Ainsi, malgré le dopage e
1882
révisions, de la psychologie. L’instinct combatif
est
déçu. De 1914 à 1918, l’explosion habituelle de sexualité qui accompa
1883
xualité qui accompagnait les grands conflits ne s’
est
guère produite qu’à l’arrière dans les populations civiles. En dépit
1884
de soldats prouvent que. la guerre du matériel s’
est
traduite en réalité par une « catastrophe sexuelle198 ». L’impuissanc
1885
tels qu’onanisme chronique et homosexualité, tel
fut
le résultat statistique de quatre années passées dans les tranchées.
1886
t de la « déclaration » de guerre. Les traités ne
seront
plus la solennelle conclusion des hostilités. Les distinctions arbitr
1887
mberont. D’où résulte que la défaite d’un pays ne
sera
plus symbolique, métaphorique, c’est-à-dire limitée à certains signes
1888
t-à-dire limitée à certains signes convenus, mais
sera
concrètement la mort de ce pays. Encore une fois, dès que l’on abando
1889
d’ailleurs fatale, nous l’avons vu ailleurs — qu’
est
le « complexe de castration ». 11.La passion transportée dans la p
1890
la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’
être
clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une lic
1891
, lorsque ce champ cesse d’être clos comme doit l’
être
un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles,
1892
s comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’
est
plus une lice décorée de symboles, mais un secteur de bombardement —
1893
ouvé d’autres modes d’expression en actes. Elle y
était
d’ailleurs contrainte par la dépréciation des résistances morales et
1894
e part, dans les pays démocratiques, les mœurs se
sont
assouplies à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus d’obstacles a
1895
t personnels. L’amour, dans l’entre-deux-guerres,
fut
un curieux mélange d’intellectualisme angoissé (littérature de l’inqu
1896
les relations individuelles des sexes ont cessé d’
être
le lieu par excellence où se réalise la passion. Celle-ci paraît se d
1897
Celle-ci paraît se détacher de son support. Nous
sommes
entrés dans l’ère des libidos errantes, en quête d’un théâtre nouveau
1898
n quête d’un théâtre nouveau. Et le premier qui s’
est
offert, c’est le théâtre politique. La politique de masses, telle qu’
1899
masses, telle qu’on l’a pratiquée depuis 1917, n’
est
que la continuation de la guerre totale par d’autres moyens (pour rep
1900
dique déjà. Et par ailleurs, l’État totalitaire n’
est
que l’état de guerre prolongé, ou recréé, et entretenu en permanence
1901
nsposer les passions individuelles au niveau de l’
être
collectif. Tout ce que l’éducation totalitaire refuse aux individus i
1902
morale qui concerne les citoyens : et l’eugénisme
est
la négation rationnelle de toute espèce d’aventure privée. Mais cela
1903
assion ; mais il dit aux peuples voisins : — Nous
sommes
trop nombreux dans nos frontières, j’exige donc des terres nouvelles
1904
s à la base viennent s’accumuler au sommet. Or il
est
clair que ces volontés de puissance affrontées — il y a déjà plusieur
1905
l, tacite, fatal, de ces exaltations totalitaires
est
donc la guerre, qui signifie la mort. Et comme on le voit dans le cas
1906
le voit dans le cas de la passion d’amour, ce but
est
non seulement nié avec vigueur par les intéressés, mais il est réelle
1907
ment nié avec vigueur par les intéressés, mais il
est
réellement inconscient. Personne n’ose dire : je veux la guerre ; non
1908
out ce que l’on exalte y trouve son sens réel. Il
serait
aisé de multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la po
1909
litique et la passion. L’ascèse collectivisée, ce
sont
les restrictions que l’État impose au nom de la grandeur nationale. L
1910
d ils courtisent une assemblée électorale. Hitler
est
plus brutal : il se fâche et se plaint en même temps ; il ne persuade
1911
ûte ; il invoque enfin le destin et affirme qu’il
est
ce destin… De la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de s
1912
tel point féminins que ses opinions et ses actes
sont
déterminés beaucoup plus par l’impression produite sur les sens que p
1913
sur les sens que par la pure réflexion. La masse
est
peu accessible aux idées abstraites. Par contre, on l’empoignera plus
1914
ollement. (Mein Kampf). Oui, « de tous temps » ce
fut
ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est que l’action passionne
1915
sante sur les individus. En outre, cette action n’
est
plus exercée par un meneur quelconque, mais par le chef qui incarne l
1916
s’opère du privé au public. Quel Wagner surhumain
sera
donc en mesure d’orchestrer la grandiose catastrophe de la passion de
1917
⁂ Ceci nous mène au seuil d’une conclusion que j’
étais
loin de prévoir en commençant ce livre. Que l’on suive l’évolution du
1918
pect trop ignoré de la crise de notre époque, qui
est
la dissolution des formes instituées par la chevalerie. C’est dans le
1919
dans le domaine de la guerre, où toute évolution
est
pratiquement irréversible — alors qu’il y a des « retours » littérair
1920
raires — que la nécessité d’une solution nouvelle
est
apparue en premier lieu. Cette solution s’appelle l’État totalitaire.
1921
r toute société. La réponse du xiie siècle avait
été
la chevalerie courtoise, son éthique et ses mythes romanesques. La ré
1922
e la tragédie classique200. La réponse du xviiie
fut
le cynisme de Don Juan et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme n
1923
n et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme ne
fut
pas une réponse, à moins que l’on admette — et c’est possible — que s
1924
t abandon aux puissances nocturnes du mythe n’ait
été
un dernier moyen de le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soi
1925
de le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en
soit
, cette défense était faible en regard du péril déchaîné. Les forces a
1926
un excès voulu. Quoi qu’il en soit, cette défense
était
faible en regard du péril déchaîné. Les forces antivitales longtemps
1927
des liens sociaux. La première guerre européenne
fut
le jugement d’un monde qui avait cru pouvoir abandonner les formes, e
1928
as que le drainage de toute passion par la nation
soit
autre chose qu’une mesure de détresse. C’est repousser la menace immé
1929
les ainsi constitués en blocs. L’État totalitaire
est
bien une forme recréée, mais une forme trop vaste, trop rigide et tro
1930
jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’
est
réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la guerre atomique tota
1931
en n’est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce
sera
la guerre atomique totale, la désintégration physique et morale, et l
1932
physique et morale, et le problème de la passion
sera
supprimé avec la civilisation qui l’a fait naître ; Ou bien ce sera l
1933
la civilisation qui l’a fait naître ; Ou bien ce
sera
la paix, et le problème renaîtra dans les pays totalitaires, comme il
1934
ttéralement : position de qui gît à terre, de qui
est
couché au-dessous. (Cf. l’expression « avoir le dessous ».) Rappelons
1935
ges entre guillemets de ce chapitre et du suivant
sont
des citations de la traduction française (Paris, 1932). 185. Qu’on s
1936
ère tantôt de la séparation des amants). 186. Je
serais
assez tenté de voir dans la fonction dramatique du tournoi l’une des
1937
e des origines de la tragédie moderne. Celle-ci s’
est
constituée précisément à l’époque où les tournois passaient de mode,
1938
éments guerrier, sportif et théâtral. La tragédie
serait
ainsi une « action » privée du risque physique que comportait le tour
1939
. Die Kultur der Renaissance, VI, p. 1. 190. Il
est
juste toutefois de rappeler qu’on tuait facilement dans ce pays. Mais
1940
raite et frappante, irréelle mais signifiante, qu’
est
la moyenne des expressions typiques de l’amour à une époque donnée —
1941
rand Siècle », pour le vice que pour la vertu. Il
est
des « signes » qui ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a d
1942
e que pour la vertu. Il est des « signes » qui ne
sont
pas toute l’époque — dans chacune il y a de tout — mais qui sont d’un
1943
l’époque — dans chacune il y a de tout — mais qui
sont
d’une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien d
1944
ansquenet moderne, éprouvant que la guerre totale
est
une négation de la passion guerrière, se jette alors dans des aventur
1945
en l’opposition. Aux yeux de l’Église, l’adultère
était
tout à la fois un sacrilège, un crime contre l’ordre naturel et un cr
1946
Testament, par exemple, une descendance nombreuse
est
signe d’élection, tandis que pour saint Paul, celui qui reste vierge
1947
er. Elle niait tout d’abord le sacrement, comme n’
étant
établi par aucun texte univoque de l’Évangile201. Elle condamnait la
1948
ollectif202. Mais le fondement de ces trois refus
était
en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant,
1949
que la morale. Ce qui, pour le croyant manichéen,
était
l’expression dramatique du combat de la foi et du monde, devient alor
1950
Iseut, vit un roman, et se rend admirable… Ce qui
était
« faute » et ne pouvait donner lieu qu’à des commentaires édifiants s
1951
laquelle nous vivons de deux morales, dont l’une
est
héritée de l’orthodoxie religieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi
1952
ous les adolescents de la bourgeoisie occidentale
sont
élevés dans l’idée du mariage, mais en même temps se trouvent baignés
1953
ille allusions quotidiennes, dont le sous-entendu
est
à peu près : que la passion est l’épreuve suprême, que tout homme doi
1954
t le sous-entendu est à peu près : que la passion
est
l’épreuve suprême, que tout homme doit un jour connaître, et que la v
1955
doit un jour connaître, et que la vie ne saurait
être
à plein vécue que par ceux qui « ont passé par là ». Or la passion et
1956
« ont passé par là ». Or la passion et le mariage
sont
par essence incompatibles. Leurs origines et leurs finalités s’exclue
1957
nos « sécurités » sociales. En d’autres temps, ce
fut
la fonction du mythe que d’ordonner cette anarchie latente et de la c
1958
le d’exutoire, rôle civilisateur. Mais le mythe s’
est
déprimé et profané en même temps que les formes sociales dont il tira
1959
problème, contribuent à le rendre insoluble. Ils
sont
les signes de la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire
1960
sacrées. — Le mariage, chez les peuples païens, s’
est
toujours entouré d’un rituel dont nos institutions gardèrent longtemp
1961
s en haut de forme et « déclaration » officielle,
est
aussi démodée que les crinolines. Et la majorité des couples n’éprouv
1962
, de sang, d’intérêts familiaux et même d’argent,
sont
en train de passer au second plan dans les pays démocratiques, et par
1963
pithalamiques se simplifient ou disparaissent. Il
est
curieux de noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telle
1964
e siècle, le thème du « Coucher de la mariée » n’
est
plus qu’une occasion d’anodines galanteries picturales. De nos jours
1965
repousse avec horreur. Car l’engagement religieux
est
pris « pour le temps et l’éternité », c’est-à-dire qu’il ne tient auc
1966
r le temps et l’éternité », c’est-à-dire qu’il ne
tient
aucun compte des variations de tempérament, de caractère, de goûts et
1967
2.Idée moderne du bonheur Le mariage cessant d’
être
garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fonder
1968
conjoints dans le cas le plus favorable. Or s’il
est
assez difficile de définir en général le bonheur, le problème devient
1969
insoluble dès que s’y ajoute la volonté moderne d’
être
le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sen
1970
i revient peut-être au même, de sentir de quoi il
est
fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par d
1971
le plus souvent. Le résultat de cette propagande
est
à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même
1972
bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme ne
sera
pas Dieu. Le bonheur est une Eurydice : on l’a perdu dès qu’on veut l
1973
ir, tant que l’homme ne sera pas Dieu. Le bonheur
est
une Eurydice : on l’a perdu dès qu’on veut le saisir. Il ne peut vivr
1974
rt dans la revendication. C’est qu’il dépend de l’
être
et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et
1975
Tout bonheur que l’on veut sentir, que l’on veut
tenir
à sa merci — au lieu d’y être comme par grâce — se transforme instant
1976
tir, que l’on veut tenir à sa merci — au lieu d’y
être
comme par grâce — se transforme instantanément en une absence insuppo
1977
e morbide — ou l’intention secrète de tricher. Il
est
probable que cette intention ou cet espoir expliquent en partie la fa
1978
voltes de l’ennui. On n’ignore pas que la passion
serait
un malheur — mais on pressent que ce serait un malheur plus beau et p
1979
ssion serait un malheur — mais on pressent que ce
serait
un malheur plus beau et plus « vivant » que la vie normale, plus exal
1980
bonheur »… Ou l’ennui résigné ou la passion : tel
est
le dilemme qu’introduit dans nos vies l’idée moderne du bonheur. Cela
1981
vre ! » Dès le xiie siècle provençal, l’amour
était
considéré comme noble. Non seulement il ennoblissait mais encore il a
1982
e idée toute moderne et romantique que la passion
est
une noblesse morale, qu’elle nous met au-dessus des lois et des coutu
1983
sur l’ordre social établi. Que la passion profane
soit
une absurdité, une forme d’intoxication, une « maladie de l’âme », co
1984
âme », comme pensaient les Anciens, tout le monde
est
prêt à le reconnaître, c’est un des lieux communs les plus usés des m
1985
lus le croire, à l’âge du film et du roman — nous
sommes
tous plus ou moins intoxiqués — et cette nuance est décisive. Le mode
1986
s tous plus ou moins intoxiqués — et cette nuance
est
décisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend de l’amour fatal
1987
r ! Je vais y entrer, je vais y monter, je vais y
être
« transporté » ! La sempiternelle illusion, la plus naïve et — j’ai b
1988
Mais l’homme de la passion cherche au contraire à
être
possédé, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et de fait, c’es
1989
st la « beauté standard ». De nos jours — et ce n’
est
qu’un début — un homme qui se prend de passion pour une femme qu’il e
1990
omme qui se prend de passion pour une femme qu’il
est
seul à voir belle, est présumé neurasthénique. (Dans x années, on le
1991
ssion pour une femme qu’il est seul à voir belle,
est
présumé neurasthénique. (Dans x années, on le fera soigner.) Certes,
1992
ion, de même que chaque époque de la mode préfère
soit
la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais
1993
ue chaque époque de la mode préfère soit la tête,
soit
le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme
1994
e de la mode préfère soit la tête, soit le buste,
soit
la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme esthétique atte
1995
fère soit la tête, soit le buste, soit la croupe,
soit
la ligne sportive. Mais le panurgisme esthétique atteint de nos jours
1996
plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve205 ; elle
est
mariée, naturellement. Qu’elle divorce, et il l’épousera ! Avec elle,
1997
Qu’elle divorce, et il l’épousera ! Avec elle, ce
sera
la « vraie vie », ce sera l’épanouissement de ce Tristan qu’il porte
1998
pousera ! Avec elle, ce sera la « vraie vie », ce
sera
l’épanouissement de ce Tristan qu’il porte en soi comme son génie cac
1999
a révélation mythique. (Pas même la couronne s’il
est
roi.) Voilà le vrai « mariage d’amour » moderne : le mariage avec la
2000
fois épousée ? Une nostalgie que l’on chérissait
est
-elle encore désirable une fois rejointe ? Car Iseut, c’est toujours l
2001
t fuyant, évanouissant et presque hostile dans un
être
, cela même qui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité de poss
2002
e combat. On imagine différente la femme que l’on
tient
dans ses bras, on la déguise et on l’éloigne en rêve, on s’acharne à
2003
rêve, on s’acharne à dépayser les sentiments qui
sont
en train de se nouer dans une durée étale et trop sereine. C’est qu’i
2004
s où la femme perd son « attrait », parce qu’il n’
est
plus d’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe do
2005
les victimes d’un mythe dont l’horizon mystique s’
est
refermé depuis longtemps. Pour Tristan, Iseut n’était rien que le sym
2006
t refermé depuis longtemps. Pour Tristan, Iseut n’
était
rien que le symbole du Désir lumineux : son au-delà, c’était la mort
2007
ce des liens terrestres. Il fallait donc qu’Iseut
fût
l’Impossible, car tout amour possible nous ramène à ces liens, nous r
2008
es dans l’espace et le temps sans lesquelles il n’
est
point de « créatures » — alors que le seul but de l’amour infini ne p
2009
— alors que le seul but de l’amour infini ne peut
être
que le divin : Dieu, notre idée de Dieu, ou le Moi déifié. Mais pour
2010
ient tourmenter sans lui révéler son secret, il n’
est
d’au-delà de la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourm
2011
oursuite d’apparences toujours plus fugitives. Il
était
de la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin – et
2012
de la nature essentielle de la passion mystique d’
être
sans fin – et c’est par là que cette passion se détachait des rythmes
2013
la conscience douloureuse — pour le moderne, ce n’
est
plus que le retour sempiternel d’une ardeur constamment déçue. Le myt
2014
où se complaisent les modernes, ne sait plus même
être
fidèle, puisqu’elle n’a plus pour fin la transcendance. Elle épuise l
2015
’un Tristan qui a plusieurs Iseut ? Pourtant ce n’
est
pas lui qu’il convient d’accuser, mais il est la victime d’un ordre s
2016
e n’est pas lui qu’il convient d’accuser, mais il
est
la victime d’un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils c
2017
la victime d’un ordre social où les obstacles se
sont
dégradés. Ils cèdent trop vite, ils cèdent avant que l’expérience ait
2018
sives. Les catégories se détruisent, l’aventure n’
est
plus même exemplaire. Seul, le Don Juan mythique échappait à cette co
2019
ontraire de vivre ! C’est un appauvrissement de l’
être
, une ascèse sans au-delà, une impuissance à aimer le présent sans l’i
2020
Mais nous avons perdu la transcendance. La mort n’
est
plus qu’une lente consomption. À cette lumière, que jette sur nos ps
2021
hez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’
être
. Presque toutes les complications qui servent d’intrigues à nos auteu
2022
non plus chez l’autre seulement — la coquetterie
est
un peu simple — mais on en vient à désirer que l’être aimé soit infid
2023
un peu simple — mais on en vient à désirer que l’
être
aimé soit infidèle pour qu’on puisse de nouveau le poursuivre et « re
2024
mple — mais on en vient à désirer que l’être aimé
soit
infidèle pour qu’on puisse de nouveau le poursuivre et « ressentir »
2025
fois de plus, que le mythe des amants « ravis » s’
est
dégradé en perdant sa mystique. Le ravissement n’est plus qu’une sens
2026
dégradé en perdant sa mystique. Le ravissement n’
est
plus qu’une sensation — n’aboutit pas. On retombe sans cesse au monde
2027
etombe sans cesse au monde de la comparaison, qui
est
le monde de la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur s
2028
’est que, passant « leur seuil », sortant de leur
être
propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d’accepter
2029
de leur être propre et du présent tel qu’il leur
est
donné, incapables d’accepter l’autre tel qu’il est, parce qu’il faudr
2030
st donné, incapables d’accepter l’autre tel qu’il
est
, parce qu’il faudrait tout d’abord s’accepter, ils ne voient de toute
2031
i la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’un
être
en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à s’exalt
2032
re de fatalités psychologiques dont les effets ne
sont
plus contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou de l’autre, il
2033
nt les effets ne sont plus contestables. Que l’on
soit
partisan de l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruin
2034
aborées par une éthique de la passion. Certes, il
serait
excessif d’estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie
2035
sif d’estimer que la plupart de nos contemporains
sont
en proie au délire de Tristan. Bien peu ont assez soif pour boire le
2036
pour boire le philtre, et j’en vois moins encore
être
élus par le sort pour succomber au tourment exemplaire. Mais tous ou
2037
en rêvassent. Et si brouillée, et défraîchie que
soit
l’empreinte du mythe primitif, c’est pourtant là qu’est le secret de
2038
empreinte du mythe primitif, c’est pourtant là qu’
est
le secret de l’inquiétude qui tourmente aujourd’hui les couples. Rien
2039
t intolérables pour tout ordre social, quel qu’il
soit
. (Et je ne parle même pas du danger spirituel que fait courir à la pe
2040
courir à la personne l’éthique de l’évasion, qui
est
née du mythe.) D’où les multiples tentatives de « restauration » du m
2041
ersonnelle ; selon le second, l’union monogamique
serait
la forme la plus rationnelle des relations entre les sexes, dans une
2042
« conflit psychologique » et les « névroses » qui
seraient
à l’origine du mal (d’où l’on déduit que la médecine mentale guérirai
2043
éments d’une révolution à sa mesure. En outre, il
est
frappant de constater que presque tous ces sages auteurs donnent quel
2044
dire que l’amour tel qu’on l’imagine de nos jours
est
la négation pure et simple du mariage que l’on prétend fonder sur lui
2045
r sur lui. C’est qu’on ne sait pas au juste ce qu’
est
l’amour-passion, ni d’où il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y
2046
s existé, elle existera donc toujours, et nous ne
sommes
pas des Don Quichotte… » Je le crois bien ! C’est même à cause de cel
2047
n « déchaînement » sexuel de la jeunesse que l’on
serait
tenté de juger sans précédent dans notre histoire européenne209. Quan
2048
otre histoire européenne209. Quant au mariage, il
fut
en principe balayé durant la période des Soviets. La morale des intel
2049
gt ans plus tard, le « redressement des mœurs » s’
est
opéré, non par quelque sursaut vertueux, non par l’initiative d’une l
2050
consciente des conditions de sa durée. Staline s’
est
assigné pour but prochain de refaire des cadres à sa nation. Car sans
2051
ment statique et stabilisateur au premier chef qu’
est
la famille. Ce fut le mécanisme de la dictature productiviste qui con
2052
abilisateur au premier chef qu’est la famille. Ce
fut
le mécanisme de la dictature productiviste qui contraignit l’État dit
2053
rocessus de ruine des obstacles sociaux, pour s’y
être
développé sans violences extérieures, n’avait que plus gravement miné
2054
ée incarnant l’idéal racial). Ces femmes devaient
être
blondes, de sang aryen, et mesurer au moins 1 m. 73. Ainsi le « type
2055
mmes allemandes. Et l’on décréta que les mariages
seraient
contractés dorénavant « au nom de l’État ». Le but dernier de l’entre
2056
Pourtant la tentation totalitaire subsiste. Il n’
est
pas interdit d’imaginer qu’un jour nos démocraties y succombent, au n
2057
de la passion. Alors le cycle de l’amour courtois
sera
fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occident nouveau, imprévi
2058
rier. Nous essayons de trouver un juge de paix. N’
est
-ce pas une urgence »211 ? Les opératrices décidèrent aussitôt que c’e
2059
11 ? Les opératrices décidèrent aussitôt que c’en
était
une. Et le journal qui rapportait l’histoire l’intitula : L’Amour est
2060
al qui rapportait l’histoire l’intitula : L’Amour
est
classé parmi les cas d’urgence. Ce petit fait banal illustre des croy
2061
l montre que les termes d’« amour » et de mariage
sont
pratiquement équivalents ; que si l’on « aime » il faut se marier sur
2062
nesque triomphe d’une quantité d’obstacles, il en
est
un contre lequel il se brisera presque toujours : c’est la durée. Or
2063
presque toujours : c’est la durée. Or le mariage
est
une institution faite pour durer — ou il n’a pas de sens. Voilà le pr
2064
nt par les statistiques de divorce, où l’Amérique
tient
le premier rang. Vouloir fonder le mariage sur une forme d’amour inst
2065
l’État de Nevada. Exiger de n’importe quel film,
fût
-il sur la bombe atomique, qu’il tienne une certaine dose de la drogue
2066
te quel film, fût-il sur la bombe atomique, qu’il
tienne
une certaine dose de la drogue romanesque (plus encore qu’érotique) n
2067
ons et de séparations ; le mariage, au contraire,
est
fait d’accoutumance, de proximité quotidienne. La romance veut « l’am
2068
mariage, l’amour du « prochain ». Si donc l’on s’
est
marié à cause d’une romance, une fois celle-ci évaporée, il est norma
2069
use d’une romance, une fois celle-ci évaporée, il
est
normal qu’à la première constatation d’un conflit de caractères ou de
2070
aractères ou de goûts, l’on se demande : pourquoi
suis
-je marié ? Et il est non moins naturel qu’obsédé par la propagande un
2071
l’on se demande : pourquoi suis-je marié ? Et il
est
non moins naturel qu’obsédé par la propagande universelle pour la rom
2072
on de tomber amoureux de quelqu’un d’autre. Et il
est
parfaitement logique qu’on décide aussitôt de divorcer pour trouver d
2073
une nouvelle promesse de bonheur ; les trois mots
étant
synonymes. Ainsi, guérissant son ennui par une fièvre passagère, « lu
2074
e chose de plus net, sans compromis. Mais si l’on
est
ennemi des compromis, il est contradictoire de se marier. Et si l’on
2075
promis. Mais si l’on est ennemi des compromis, il
est
contradictoire de se marier. Et si l’on veut tirer une traite sur son
2076
si l’on veut tirer une traite sur son avenir, il
est
fort imprudent de suggérer d’avance qu’on se réserve le droit de ne p
2077
i l’on veut le mariage, c’est-à-dire la durée, il
serait
normal d’en assurer les conditions. Mais ces réformes n’auraient que
2078
de la sagesse tribale au risque individuel ; elle
est
irréversible et il faut l’approuver, dans la mesure où elle tend à or
2079
ollectif ou natif à la décision personnelle. ⁂ Il
est
clair que la crise présente du mariage, en Europe comme en Amérique,
2080
ndes ou prochaines, dont le culte de la romance n’
est
qu’un exemple. (Mais je me devais de le souligner dans cet ouvrage.)
2081
hologique primant sur le sens du serment, peuvent
être
rattachés au complexe romanesque. Mais il y a plus, et dans d’autres
2082
ie professionnelle et sa revendication d’égalité)
est
un facteur non négligeable de la crise. La vulgarisation des connaiss
2083
vulgarisation des connaissances psychologiques en
est
un autre : l’homme et la femme du xxe siècle, même très sommairement
2084
eu des refoulements et de l’origine des névroses,
sont
portés à plus d’exigence que leurs ancêtres quant au mariage et à la
2085
ls, sporadiques et incohérents. ⁂ On sent combien
serait
vaine toute tentative actuelle pour « résoudre » les contradictions q
2086
la conscience individuelle. Toute solution que je
serais
tenté de proposer, fût-elle jugée « la bonne » par le siècle à venir,
2087
. Toute solution que je serais tenté de proposer,
fût
-elle jugée « la bonne » par le siècle à venir, serait aujourd’hui fra
2088
ût-elle jugée « la bonne » par le siècle à venir,
serait
aujourd’hui frappée d’inefficacité, ou si elle pouvait agir, ferait p
2089
’en rien faire. C’est qu’une crise de cet ordre n’
est
pas un accident. Tenter de la couper, comme on le fait d’une fièvre,
2090
nter de la couper, comme on le fait d’une fièvre,
serait
bien moins la guérir que nous priver de nos chances d’en comprendre u
2091
chances d’en comprendre un jour le secret. Et ce
serait
en même temps une sorte de tricherie, soit que la solution n’apporte
2092
t ce serait en même temps une sorte de tricherie,
soit
que la solution n’apporte en vérité qu’en essai de retour à l’équilib
2093
, dont la crise même dénonce toute la précarité ;
soit
qu’elle projette sur l’avenir collectif une théorie ou des préceptes
2094
bles, mais dont les effets lointains ne sauraient
être
évalués tant que le sens général de la crise nous échappe. Il s’agit
2095
, déduites du seul désir d’arrêter les dégâts, ne
serait
-ce pas lui dénier arbitrairement le caractère qu’elle semble bien avo
2096
, p. 186. Le sacrement catholique se justifierait
soit
par le récit du miracle de Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur)
2097
le de Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) ;
soit
par le passage où Jésus proclame que l’homme ne doit pas séparer ce q
2098
e l’homme ne doit pas séparer ce que Dieu a uni ;
soit
par des entretiens de Jésus ressuscité et de ses disciples « que les
2099
ont souvent exprimé cette opinion : « Les crimes
sont
un tribut payé à la vie. » (Carpocrates, cf. Schultz, Dokumente der G
2100
Dokumente der Gnosis.) 203. Encore que la faute
soit
alors considérée moins par rapport à la morale en soi, que sous l’asp
2101
u chauffeur qui « mérite » la fille du patron, il
fut
abondamment exploité par le film allemand, sous l’hitlérisme. 205. L
2102
mme que l’on désire, la femme de notre nostalgie)
est
la meilleure définition d’Iseut. L’amour-passion veut « la Princesse
2103
aines) ont également touché le problème. 208. Il
serait
curieux de retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a p
2104
oblème. 208. Il serait curieux de retrouver quel
est
l’auteur — évidemment moderne — qui a parlé le premier d’un « problèm
2105
des pays bourgeois après la guerre. La différence
est
qu’en Russie on affichait des principes « émancipés » — qu’ailleurs o
2106
n dessein le plus secret m’échappe encore. L’aveu
sera
jugé insolite. Mais je pressens d’assez profondes raisons de le conse
2107
ieux déterminés, et sous les astres dont le cours
est
calculable. J’ai cru cerner le secret du mythe. La découverte n’est p
2108
ai cru cerner le secret du mythe. La découverte n’
est
pas négligeable. Mais peut-on décrire la passion ? On ne décrit pas u
2109
crit pas une forme d’existence sans y participer,
fût
-ce même par une révolte contre la décision dont elle est née. Et pour
2110
même par une révolte contre la décision dont elle
est
née. Et pour tout dire, j’ignore encore si cela peut avoir un sens :
2111
n sens : approuver ou rejeter la passion. Combien
serait
vaine l’attitude intellectuelle qui se définirait elle-même comme une
2112
cevoir, d’observer que la passion, quelle qu’elle
soit
, ne peut ni ne veut « avoir raison ». Contre elle, on a toujours rais
2113
ant qu’on parle raison. Car l’homme de la passion
est
justement celui qui choisit d’être dans son tort, aux yeux du monde —
2114
e de la passion est justement celui qui choisit d’
être
dans son tort, aux yeux du monde — et dans ce tort majeur, irrévocabl
2115
is encore plus agressive, sans doute, puisqu’il n’
est
plus question pour nous de recourir au bras séculier. (Sans compter q
2116
éculier. (Sans compter que la Croisade, au total,
fut
un échec dont la passion sut profiter.) C’est qu’avant tout et après
2117
is une décision fondamentale de l’homme, qui veut
être
lui-même son dieu214. La passion brûle dans notre cœur sitôt que le s
2118
tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui
est
méprisée, et la vie qui est la faute à racheter ! Mais tuer l’homme a
2119
nd c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui
est
la faute à racheter ! Mais tuer l’homme avant qu’il ne se tue, et le
2120
l ne se tue, et le tuer autrement qu’il ne veut l’
être
, c’est bien de cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpass
2121
ieu culturel où la passion plonge ses racines, il
est
probable que l’État s’en chargera, c’est son hygiène. Il y a toutes l
2122
pas d’échappatoire dans le temps à venir. S’il n’
est
peut-être pas possible à l’homme — à un homme déterminé — de connaîtr
2123
oup, tel que je le reconnais dans ma vie. Et ce n’
est
à aucun degré une solution que je propose. Car outre qu’une telle sol
2124
on probablement n’existe pas, si elle existait ce
serait
pour moi seul : on ne se décide jamais que pour son compte — et le re
2125
e décide jamais que pour son compte — et le reste
est
indiscrétion. Mais je ne pouvais écrire un livre entier sur la passio
2126
la passion ne peut exister — et alors en parler n’
est
qu’un jeu — mais dans le choix qui détermine une existence. 2.Crit
2127
que du mariage Si je ne vois pas de raison qui
tienne
contre la passion véritable, il m’apparaît en second lieu que la rais
2128
ble, il m’apparaît en second lieu que la raison n’
est
guère plus efficace pour légitimer le mariage ; et que les arguments
2129
ence devant les ironies du romantique. Mais elles
sont
mises en pleine déroute par la simple véracité. La fameuse « paix du
2130
« enfer ». Et je lui fais un plus large crédit !
Étant
donné que les humains des deux sexes, pris un à un, sont généralement
2131
nné que les humains des deux sexes, pris un à un,
sont
généralement des coquins, ou des névrosés, pourquoi seraient-ils des
2132
néralement des coquins, ou des névrosés, pourquoi
seraient
-ils des anges une fois appariés ? Ignore-t-on la réalité, ou n’a-t-on
2133
la première porte venue ! Ce silence que l’épouse
est
censée ménager autour du vaillant travailleur qui rentre le soir, har
2134
ux tous, lui qui d’abord exalte la passion, comme
étant
la suprême valeur du « stade esthétique » de la vie ; puis la surmont
2135
l’homme pieux qui estimait que la religion devait
être
un amour heureux, un mariage avec sa vertu. Car l’amour du pécheur po
2136
e avec sa vertu. Car l’amour du pécheur pour Dieu
est
« essentiellement malheureux », et cette passion chrétienne est la se
2137
llement malheureux », et cette passion chrétienne
est
la seule vérité, et tous nos « devoirs » humains (dont le bonheur) ne
2138
!) Et comment réfuter ce furieux ? Les incroyants
sont
renvoyés aux arguments des romantiques, qui valent contre leur morali
2139
leur humanisme. Que dit l’Apôtre ? Je pense qu’il
est
bon pour l’homme de ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter
2140
emme. Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’
est
d’un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis r
2141
un, frères, demeure devant Dieu dans l’état où il
était
lorsqu’il a été appelé (vierge ou marié)… usant du monde comme n’en u
2142
e devant Dieu dans l’état où il était lorsqu’il a
été
appelé (vierge ou marié)… usant du monde comme n’en usant pas, car la
2143
, 1-32.) Et voici le coup de grâce : Celui qui n’
est
pas marié s’inquiète des choses du Seigneur, des moyens de plaire au
2144
r, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui
est
marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme
2145
32) ⁂ Tout ce qu’on peut dire contre le mariage
est
vrai, par conséquent doit être dit, soit du point de vue des romantiq
2146
e contre le mariage est vrai, par conséquent doit
être
dit, soit du point de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut — s
2147
e mariage est vrai, par conséquent doit être dit,
soit
du point de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut — soit du poi
2148
de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut —
soit
du point de vue du clerc parfait — si l’on croit à son œuvre — soit d
2149
ue du clerc parfait — si l’on croit à son œuvre —
soit
du point de vue spirituel pur, pour ceux qui croient. Il n’est possib
2150
de vue spirituel pur, pour ceux qui croient. Il n’
est
possible alors d’affirmer le mariage qu’au-delà des deux premières cr
2151
femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il
serait
possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière
2152
erait possible de peser. Cette erreur du bon sens
est
tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter de mettre au départ tou
2153
ns celle du couple formé. Les facteurs mis en jeu
sont
trop hétéroclites. À supposer que vous puissiez les calculer dans le
2154
es calculer dans le présent (comme si leur nombre
était
fini) et que vous disposiez d’une telle science de l’humain que leurs
2155
telle science de l’humain que leurs valeurs vous
soient
connues et leur hiérarchie évidente, encore ne sauriez-vous prévoir l
2156
ne seule vie, le problème de l’adaptation de deux
êtres
physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est pourtant à
2157
ors que tout nous montre que cent-mille essais ne
seraient
pas encore assez pour constituer les premiers éléments, tout balbutia
2158
le reconnaître honnêtement : le problème qui nous
est
posé par la nécessité pratique du mariage apparaît d’autant plus inso
2159
mariage apparaît d’autant plus insoluble que l’on
tient
davantage à le « résoudre » au sens rationnel de ce terme. Certes, il
2160
es impondérables deviennent décisifs. Le sophisme
est
alors du côté du bon sens, qui recommandait un choix mûri et raisonné
2161
selon des critères impersonnels. Mais enfin ce n’
est
pas l’erreur logique qui est grave, c’est l’erreur morale qu’elle sup
2162
els. Mais enfin ce n’est pas l’erreur logique qui
est
grave, c’est l’erreur morale qu’elle suppose. Lorsqu’on incite les je
2163
t non pas à une décision. Or ce savoir ne pouvant
être
qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler d’une garantie. Et la
2164
r d’une garantie. Et la seule garantie concevable
est
dans la force de la décision en vertu de laquelle on s’engage pour to
2165
’agit avant tout de calcul. D’où je conclus qu’il
serait
plus conforme à l’essence du mariage, et au réel, d’enseigner aux jeu
2166
gent à assumer les suites, heureuses ou non. Ce n’
est
pas là un éloge du « coup de tête » : car tant que l’on peut calculer
2167
: car tant que l’on peut calculer, j’admets qu’il
est
stupide de s’en priver. Mais je dis que la garantie d’une union raiso
2168
tie d’une union raisonnable dans les apparences n’
est
jamais dans ces apparences. Elle est dans l’événement irrationnel d’u
2169
apparences n’est jamais dans ces apparences. Elle
est
dans l’événement irrationnel d’une décision prise en dépit de tout, e
2170
Choisir une femme pour en faire son épouse, ce n’
est
pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal de mes rêves, vous comble
2171
n épouse, ce n’est pas dire à Mlle Untel : « Vous
êtes
l’idéal de mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous ê
2172
es, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous
êtes
l’Iseut toute belle et désirable — et munie d’une dot adéquate — dont
2173
able — et munie d’une dot adéquate — dont je veux
être
le Tristan. » Car ce serait là mentir et l’on ne peut rien fonder qui
2174
adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce
serait
là mentir et l’on ne peut rien fonder qui dure sur le mensonge. Il n’
2175
Untel : « Je veux vivre avec vous telle que vous
êtes
. » Car cela signifie en vérité : c’est vous que je choisis pour parta
2176
uve que je vous aime. (Vraiment, pour dire : Ce n’
est
que cela ! — comme le diront beaucoup de jeunes gens qui s’attendent,
2177
lité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui
soit
une recette de « bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possibl
2178
ette de « bonheur », mais bien à une fidélité qui
soit
possible, n’étant pas compromise en germe par un calcul forcément ine
2179
», mais bien à une fidélité qui soit possible, n’
étant
pas compromise en germe par un calcul forcément inexact. 4.Sur la
2180
érée comme absolue. La problématique du mariage n’
est
pas du cur, mais du quomodo. « L’éthique ne commence pas, dit Kierkeg
2181
s dans un savoir qui exige sa réalisation. » Ce n’
est
pas l’engagement qui est problématique, mais les conséquences qu’il e
2182
e sa réalisation. » Ce n’est pas l’engagement qui
est
problématique, mais les conséquences qu’il entraîne. (De même on faus
2183
ne croyait pas — alors que le seul vrai problème
est
de savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou e
2184
est de savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité
est
sans raisons — ou elle n’est pas — comme tout ce qui porte une chance
2185
ir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle n’
est
pas — comme tout ce qui porte une chance de grandeur. (Comme la passi
2186
ociologues ont essayé de prouver que la monogamie
est
naturelle, et de plus qu’elle est salutaire. Cela se discute à l’infi
2187
ue la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle
est
salutaire. Cela se discute à l’infini… Et cela nous sera des plus uti
2188
lutaire. Cela se discute à l’infini… Et cela nous
sera
des plus utiles dès que les hommes se régleront sur la raison et l’in
2189
yeux et dans leur langage, la fidélité conjugale
est
le succès d’un effort « inhumain ». Leur revendication fondamentale,
2190
re en fait, l’idée de fidélité. Mais l’obstacle n’
est
pas sérieux, on le tourne de tous les côtés. Voyez les excuses invoqu
2191
é observée en vertu de l’absurde, parce qu’on s’y
est
engagé, simplement, et que c’est un fait absolu, sur quoi se fonde la
2192
e des époux. Il faut bien voir que cette fidélité
est
à contre courant des valeurs aujourd’hui vénérées par presque tous. E
2193
e la multiplicité des expériences. Elle nie que l’
être
aimé doive réunir, pour être ou pour rester aimable, le plus grand no
2194
nces. Elle nie que l’être aimé doive réunir, pour
être
ou pour rester aimable, le plus grand nombre de qualités possible. El
2195
ités possible. Elle nie que le but de la fidélité
soit
le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c’est avant tout l’obéis
2196
la volonté de faire une œuvre. Car la fidélité n’
est
pas du tout une espèce de conservatisme. Elle est plutôt une construc
2197
est pas du tout une espèce de conservatisme. Elle
est
plutôt une construction. « Absurde » au moins autant que la passion,
2198
r ses rêves, par un besoin constant d’agir pour l’
être
aimé, par une constante prise sur le réel, qu’elle cherche à dominer,
2199
œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première
est
la fidélité à quelque chose qui n’était pas, mais que l’on crée. Pers
2200
la première est la fidélité à quelque chose qui n’
était
pas, mais que l’on crée. Personne, œuvre et fidélité : les trois mots
2201
. Personne, œuvre et fidélité : les trois mots ne
sont
point séparables ou concevables isolément. Et tous les trois supposen
2202
. (À condition bien entendu que cette promesse ne
soit
pas faite pour des « raisons » que l’on se réserve de répudier un jou
2203
paraître raisonnables ! Si la promesse du mariage
est
le type même de l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est fait
2204
e de l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle
est
faite une fois pour toutes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vi
2205
st faite une fois pour toutes. Seul l’irrévocable
est
sérieux.) Toute vie, fût-elle la plus déshéritée, détient sa chance i
2206
utes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vie,
fût
-elle la plus déshéritée, détient sa chance immédiate de grandeur, et
2207
homme découvre que la folie du sacrifice consenti
était
la plus grande sagesse ; et que le bonheur qu’il a renoncé lui est re
2208
e sagesse ; et que le bonheur qu’il a renoncé lui
est
rendu, comme Isaac fut rendu à Abraham. Mais alors il n’y songeait pa
2209
onheur qu’il a renoncé lui est rendu, comme Isaac
fut
rendu à Abraham. Mais alors il n’y songeait pas ! Et il se peut aussi
2210
e peut aussi que rien ne compense la perte : nous
sommes
ici dans un ordre de grandeur où nos mesures et nos équivalences n’on
2211
ne grandeur qui n’ait rien de romantique ? Et qui
soit
le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une
2212
d’une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle
est
une folie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie de sobriété q
2213
sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’
est
pas un héroïsme, ni un défi, mais une patiente et tendre application.
2214
tiente et tendre application. ⁂ Cependant, tout n’
est
pas encore clair. Tristan lui aussi fut fidèle ! Et toute passion vér
2215
t, tout n’est pas encore clair. Tristan lui aussi
fut
fidèle ! Et toute passion véritable est fidèle. (Pour ne rien dire de
2216
lui aussi fut fidèle ! Et toute passion véritable
est
fidèle. (Pour ne rien dire des successives fidélités de nos « liaison
2217
nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne
sont
au vrai que des Don Juan au ralenti.) Où est alors la différence ? Et
2218
ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti.) Où
est
alors la différence ? Et le mari fidèle, ne serait-ce pas simplement
2219
ù est alors la différence ? Et le mari fidèle, ne
serait
-ce pas simplement celui qui a reconnu dans sa femme une Iseut ? Lors
2220
uissante » qui l’accueille par ces paroles : « Je
suis
toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un n
2221
e, mais qui s’ignore, naturellement, et qui croit
être
un vrai amour pour l’autre. L’analyse des légendes courtoises nous a
2222
délivrance du moi coupable et asservi. Tristan n’
est
pas fidèle à une promesse, ni à cet être symbolique, ce beau prétexte
2223
Tristan n’est pas fidèle à une promesse, ni à cet
être
symbolique, ce beau prétexte, qui s’appelle Iseut, mais à sa plus pro
2224
sychologues peuvent y lire. « Notre engagement n’
était
pas pris pour ce monde », écrivait Novalis songeant à sa fiancée perd
2225
etour de la vie. Mais la fidélité dans le mariage
est
au contraire un engagement pris pour ce monde. Partant d’une déraison
2226
sa fidélité. Et tandis que la fidélité de Tristan
était
un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la création dans
2227
r le monde d’envahir l’âme, la fidélité des époux
est
l’accueil de la créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est
2228
créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il
est
, dans son intime singularité. Insistons : la fidélité dans le mariage
2229
sistons : la fidélité dans le mariage ne peut pas
être
cette attitude négative qu’on imagine habituellement ; elle ne peut ê
2230
ative qu’on imagine habituellement ; elle ne peut
être
qu’une action. Se contenter de ne pas tromper sa femme serait une pre
2231
e action. Se contenter de ne pas tromper sa femme
serait
une preuve d’indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : e
2232
fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’
être
aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle le proc
2233
e son propre bonheur. Ainsi la personne des époux
est
une mutuelle création, elle est le double aboutissement de « l’amour-
2234
ersonne des époux est une mutuelle création, elle
est
le double aboutissement de « l’amour-action ». Ce qui niait l’individ
2235
me, on découvrira que la fidélité dans le mariage
est
la loi d’une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce sera
2236
e nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce
serait
la polygamie) — et non plus de la vie pour la mort (c’était la passio
2237
’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’
être
deux ; et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illimité
2238
m qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse d’
être
l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et
2239
Il faut que l’autre cesse d’être l’autre, donc ne
soit
plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus qu
2240
us que « moi-le-monde » ! Mais l’amour du mariage
est
la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’i
2241
iage est la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’
être
limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tourne ave
2242
r afin d’attester notre alliance. ⁂ Une vie qui m’
est
alliée — pour toute la vie, voilà le miracle du mariage. Une vie qui
2243
qui veut mon bien autant que le sien, parce qu’il
est
confondu avec le sien : et si ce n’était pour toute la vie, ce serait
2244
arce qu’il est confondu avec le sien : et si ce n’
était
pour toute la vie, ce serait encore une menace. (Il y a toujours une
2245
le sien : et si ce n’était pour toute la vie, ce
serait
encore une menace. (Il y a toujours une telle menace dans l’échange d
2246
? Il faut donc la marquer par un exemple simple.
Être
amoureux n’est pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état ;
2247
a marquer par un exemple simple. Être amoureux n’
est
pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état ; aimer, un acte.
2248
e. Être amoureux n’est pas nécessairement aimer.
Être
amoureux est un état ; aimer, un acte. On subit un état, mais on déci
2249
eux n’est pas nécessairement aimer. Être amoureux
est
un état ; aimer, un acte. On subit un état, mais on décide un acte. O
2250
fidèle, éduquer ses enfants. On voit ici combien
sont
différents les sens du mot aimer dans le monde de l’Éros et dans le m
2251
a pensée » ne saurait concerner que des actes. Il
serait
totalement absurde d’exiger de l’homme un état de sentiment. L’impéra
2252
structures de relations actives. L’impératif : «
Sois
amoureux ! » serait vide de sens ; ou s’il était réalisable, priverai
2253
ations actives. L’impératif : « Sois amoureux ! »
serait
vide de sens ; ou s’il était réalisable, priverait l’homme de sa libe
2254
« Sois amoureux ! » serait vide de sens ; ou s’il
était
réalisable, priverait l’homme de sa liberté. 5.Éros sauvé par Agap
2255
Alors l’amour de charité, l’amour chrétien, qui
est
Agapè, paraît enfin, dans sa pleine stature : il est l’affirmation de
2256
Agapè, paraît enfin, dans sa pleine stature : il
est
l’affirmation de l’être en acte. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’am
2257
ans sa pleine stature : il est l’affirmation de l’
être
en acte. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a répandu
2258
ue la vie terrestre et temporelle ne mérite pas d’
être
adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à l’É
2259
mérite pas d’être adorée, ni même tuée, mais peut
être
acceptée dans l’obéissance à l’Éternel. Car après tout c’est ici-bas
2260
ur. L’homme naturel ne pouvait pas l’imaginer. Il
était
condamné à croire Éros, à se confier dans son désir le plus puissant,
2261
n de l’Agapè voit soudain le cercle s’ouvrir : il
est
délivré par la foi de sa religion naturelle. Il peut maintenant espér
2262
eut maintenant espérer autre chose, il sait qu’il
est
une autre délivrance du péché. Et voici que l’Éros à son tour se voit
2263
telle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’
être
un dieu, il cesse d’être un démon 218. Et il retrouve sa juste place
2264
estin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’
être
un démon 218. Et il retrouve sa juste place dans l’économie provisoir
2265
a séduction du Rien. Mais dès lors que le Verbe s’
est
fait chair et qu’il nous a parlé en mots humains, nous avons appris c
2266
humains, nous avons appris cette nouvelle : ce n’
est
pas l’homme qui doit se délivrer lui-même, c’est Dieu qui l’a aimé le
2267
ême, c’est Dieu qui l’a aimé le premier, et qui s’
est
approché de lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus haut dans
2268
premier, et qui s’est approché de lui. Le salut n’
est
plus au-delà, toujours plus haut dans l’ascension interminable du Dés
2269
rps, mais c’est la femme. (I. Cor., 7.) La femme
étant
l’égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme219 ».
2270
femme étant l’égale de l’homme, elle ne peut donc
être
« le but de l’homme219 ». En même temps, elle échappe à l’abaissement
2271
e échappe à l’abaissement bestial qui tôt ou tard
est
la rançon d’une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne do
2272
on de la créature. Mais cette égalité ne doit pas
être
entendue au sens moderne et revendicateur. Elle procède du mystère de
2273
ateur. Elle procède du mystère de l’amour. Elle n’
est
que le signe et la démonstration du triomphe d’Agapè sur Éros. Car l’
2274
te son amour pour l’homme en exigeant que l’homme
soit
saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une
2275
mme en exigeant que l’homme soit saint comme Dieu
est
saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une femme en la traitant
2276
é d’images — du moins perd-il son efficace : ce n’
est
plus lui qui détermine la personne. En d’autres termes, on pourrait d
2277
Car si le désir va vite et n’importe où, l’amour
est
lent et difficile, il engage vraiment toute une vie, et il n’exige pa
2278
« fatalité » de la passion. Le « coup de foudre »
est
sans doute une légende accréditée par Don Juan, comme la « fatalité »
2279
par Don Juan, comme la « fatalité » de la passion
est
accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent tromper que ce
2280
t alibi qui ne peuvent tromper que celui qui veut
être
trompé, parce qu’il y trouve son intérêt ; figures de rhétorique roma
2281
romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il
serait
assez absurde de confondre avec des vérités psychologiques. Notre ana
2282
voir pourquoi l’on aime croire à la fatalité, qui
est
l’alibi de la culpabilité : « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute
2283
alité, qui est l’alibi de la culpabilité : « Ce n’
est
pas moi qui ai commis la faute, je n’y étais pas, c’est cette puissan
2284
« Ce n’est pas moi qui ai commis la faute, je n’y
étais
pas, c’est cette puissance fatale qui agissait en lieu et place de ma
2285
se une « fatalité » ! Quant au coup de foudre, il
est
censé justifier les écarts de Don Juan. Toute la littérature nous eng
2286
me des coups de foudre et de la vie « orageuse »,
serait
une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et
2287
ine les contingences morales. Mais alors, on peut
être
certain qu’un pareil mythe est né de rêves compensateurs — soit d’une
2288
is alors, on peut être certain qu’un pareil mythe
est
né de rêves compensateurs — soit d’une fidélité contrainte et détesté
2289
u’un pareil mythe est né de rêves compensateurs —
soit
d’une fidélité contrainte et détestée, soit d’une jalousie masochiste
2290
urs — soit d’une fidélité contrainte et détestée,
soit
d’une jalousie masochiste, soit enfin d’un début d’impuissance. Et en
2291
inte et détestée, soit d’une jalousie masochiste,
soit
enfin d’un début d’impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan
2292
impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan
est
bien typique d’une certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de
2293
corps et de l’esprit, le risque de coup de foudre
est
à peu près éliminé. Il apparaît ainsi que la monogamie, normalisant l
2294
e la monogamie, normalisant les rapports sexuels,
est
la meilleure garantie du plaisir, c’est-à-dire de l’Éros purement cha
2295
divinisé222. ⁂ On objecte alors que le mariage ne
serait
plus que le « tombeau de l’amour ». Mais c’est encore le mythe, natur
2296
oire, avec son obsession de l’amour contrarié. Il
serait
plus vrai de dire après Benedetto Croce que « le mariage est le tombe
2297
ai de dire après Benedetto Croce que « le mariage
est
le tombeau de l’amour sauvage223 » (et plus communément du sentimenta
2298
le viol, comme la polygamie, révèle que l’homme n’
est
pas encore en mesure de concevoir la réalité de la personne chez la f
2299
humaines. Par contre, l’homme qui se domine, ce n’
est
pas faute de « passion » (au sens de tempérament) mais c’est qu’il ai
2300
istianisme et le secret de notre dynamisme. Et il
est
vrai que ces trois termes : christianisme, passion, dynamisme, corres
2301
les conclusions de notre examen du mythe courtois
sont
justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma de l’Occident chrét
2302
chéma de l’Occident chrétien. Tout d’abord : ce n’
est
pas le christianisme qui a fait naître la passion, mais c’est une hér
2303
une hérésie d’origine orientale. Cette hérésie s’
est
répandue d’abord dans les contrées les moins christianisées, précisém
2304
enaient encore une vie secrète. L’amour-passion n’
est
pas l’amour chrétien, ni même le « sous-produit du christianisme » ou
2305
anisme a réveillée et orientée vers Dieu224. » Il
est
plutôt le sous-produit de la religion manichéenne. Plus exactement, i
2306
t de la religion manichéenne. Plus exactement, il
est
né de la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyance
2307
ne. Première correction d’importance. Ensuite, il
est
urgent de rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de
2308
re procède d’une conception de la vie ardente qui
est
un masque du désir de mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Ma
2309
ntal, j’entends notre génie technique, ne saurait
être
un seul instant ramené à la passion. L’attitude humaine qu’il révèle
2310
ené à la passion. L’attitude humaine qu’il révèle
est
l’antithèse exacte de la passion : c’est une affirmation de la valeur
2311
visible. La passion ni la foi hérétique dont elle
est
née ne sauraient proposer comme but à notre vie la maîtrise de la Nat
2312
ction originelle du Démiurge, et puisque le salut
est
justement d’échapper à sa loi démoniaque225. Faut-il voir à la source
2313
s (c’est-à-dire créateurs) du dynamisme européen,
sont
orientés par une volonté exactement contraire à celle de la passion.
2314
devenant mortelle, trahit les ambitions dont elle
est
née. Il se peut que l’Occident succombe à ce destin qu’il s’est forgé
2315
peut que l’Occident succombe à ce destin qu’il s’
est
forgé. Mais il est clair que ce n’est pas le christianisme — comme le
2316
t succombe à ce destin qu’il s’est forgé. Mais il
est
clair que ce n’est pas le christianisme — comme le répètent tant de p
2317
tin qu’il s’est forgé. Mais il est clair que ce n’
est
pas le christianisme — comme le répètent tant de publicistes — qui es
2318
sme — comme le répètent tant de publicistes — qui
est
responsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident
2319
astrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’
est
pas chrétien226. Il est tout au contraire manichéen. C’est ce qu’igno
2320
trophique de l’Occident n’est pas chrétien226. Il
est
tout au contraire manichéen. C’est ce qu’ignorent communément ceux qu
2321
stianisme et l’Occident, comme si tout l’Occident
était
chrétien. Si donc l’Europe succombe à son mauvais génie, ce sera pour
2322
Si donc l’Europe succombe à son mauvais génie, ce
sera
pour avoir trop longtemps cultivé la religion para ou même antichréti
2323
de la passion. ⁂ Faut-il conclure que la passion
serait
la tentation orientale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est
2324
erait la tentation orientale de l’Occident ? S’il
est
vrai qu’elle ne s’est développée dans notre histoire et nos cultures
2325
entale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’
est
développée dans notre histoire et nos cultures qu’à partir des xiie
2326
l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous
sont
venues nos « mortelles » croyances. Mais dira-t-on, ces mêmes croyanc
2327
s mêmes obstacles. Ainsi notre chance dramatique
est
d’avoir résisté à la passion par des moyens prédestinés à l’exalter.
2328
ion par des moyens prédestinés à l’exalter. Telle
fut
la tentation permanente d’où jaillirent nos plus belles créations. Ma
2329
a plus typique de leur morale : le mariage, qu’il
sera
désormais possible de repérer avec assez de précision ce déplacement
2330
sion ce déplacement d’accent dont tout dépend. Il
est
certain que l’Occidental christianisé se distingue de l’Oriental par
2331
gue de l’Oriental par son pouvoir d’approfondir l’
être
créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret de notre fi
2332
e du divers. Nous, nous cherchons la densité de l’
être
dans la personne distincte, sans cesse approfondie comme telle. « D’a
2333
limitations. Le chrétien prend le monde tel qu’il
est
, et non point tel qu’il peut le rêver. Son activité « créatrice » con
2334
rt. Et c’est pourquoi la crise moderne du mariage
est
le signe le moins trompeur d’une décadence occidentale. Il en est d’a
2335
moins trompeur d’une décadence occidentale. Il en
est
d’autres, certes, dans les domaines les plus divers : le culte du nom
2336
: tout ce qui tend à ruiner la personne. Mais ce
sont
là des phénomènes complexes et collectifs, qui échappent souvent aux
2337
ariage nous parle et nous avertit mieux : aucun n’
est
plus sensible et quotidien, plus intimement vérifiable. 7.Au-delà
2338
r la destruction de notre civilisation. Tout cela
est
, tout cela nous menace, et d’autant plus qu’on voudrait le nier. Cepe
2339
menant alors un âge classique… Mais après tout, n’
est
-ce pas encore une tentation de la passion que ce souci des lendemains
2340
a figure de ce monde passe », mais notre vocation
est
toujours hic et nunc, dans l’acte de l’Éternel où notre espoir se fon
2341
es constatations tout objectives auxquelles je me
suis
vu conduit ne sont pas suffisantes en soi. Elles commandent certaines
2342
ut objectives auxquelles je me suis vu conduit ne
sont
pas suffisantes en soi. Elles commandent certaines décisions. Elles i
2343
troduisent à une problématique nouvelle, et qui n’
est
pas toujours aussi simpliste que le dilemme passion-fidélité peut nou
2344
Or le moyen de dépasser notre dilemme ne saurait
être
la pure et simple négation de l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y
2345
ste encore : condamner la passion en principe, ce
serait
vouloir supprimer l’un des pôles de notre tension créatrice. De fait
2346
pôles de notre tension créatrice. De fait cela n’
est
pas possible. Le philistin qui « condamne » de la sorte et à priori t
2347
assion, c’est qu’il n’en a connu aucune, et qu’il
est
en deçà du conflit. Pour cet homme-là le seul progrès concevable est
2348
lit. Pour cet homme-là le seul progrès concevable
est
dans la crise de sa sécurité, c’est-à-dire dans le drame passionnel22
2349
e inhérent à tout exposé. ⁂ Le premier thème peut
être
situé par rapport à un drame personnel dont les données biographiques
2350
ame personnel dont les données biographiques nous
sont
suffisamment connues. On sait que l’événement qui devint pour Kierkeg
2351
kegaard le point de départ de toute sa réflexion,
fut
la rupture de ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette r
2352
monde. Ici l’obstacle indispensable à la passion
est
d’une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’o
2353
pécheur ne saurait entretenir avec son Dieu — qui
est
l’Éternel et le Saint — que des relations d’amour mortellement malheu
2354
igine pure de la passion — mais du même coup nous
sommes
jetés au cœur même de la foi chrétienne ! Car voici : cet homme mort
2355
initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’
être
présente, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bien pl
2356
, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle
est
bien plus que royale, elle est divine. Et dans l’analogie de la foi,
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jaloux : car elle est bien plus que royale, elle
est
divine. Et dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que l
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on peut alors concevoir que la passion — quel que
soit
l’ordre où elle se manifeste — ne trouve son au-delà réel, et son sal
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son salut, que par cette action d’obéissance qui
est
la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le monde », mais « en ve
2360
hose qu’une « solution », pour qui croit que Dieu
est
fidèle, et que l’amour ne trompe jamais l’aimé. Certes, Kierkegaard n
2361
ute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre
était
le lieu de sa fidélité la plus réelle. Pourquoi chercher ailleurs que
2362
nnent chaque jour de leur bonheur. (Ces choses-là
sont
trop simples et totales pour qu’un discours vienne mettre ses délais
2363
notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’
est
peut-être pas d’une nature essentiellement hétérogène. Peut-être même
2364
ssentiellement hétérogène. Peut-être même doit-il
être
conçu comme un aspect particulier du mouvement de retour de la passio
2365
avec une sorte d’indifférence quasi divine. Elle
est
au-delà du doute et de la distinction ressentie comme un déchirement
2366
e désire plus rien que son amour ne veuille, elle
est
une avec lui dans la dualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce
2367
lle, elle est une avec lui dans la dualité, qui n’
est
plus qu’un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus
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cesse dans l’acte même d’obéir, en sorte qu’il n’
est
plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seul
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née du mortel désir d’union mystique, ne saurait
être
dépassée et accomplie que par la rencontre d’un autre, par l’admissio
2370
uffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage
est
possible. Nous sommes deux dans le contentement. ⁂ Une dernière fois
2371
otre jour. Et alors le mariage est possible. Nous
sommes
deux dans le contentement. ⁂ Une dernière fois pourtant nous reprendr
2372
s reprendrons un parti de sobriété. Les mariés ne
sont
pas des saints, et le péché n’est pas comme une erreur à laquelle on
2373
Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’
est
pas comme une erreur à laquelle on renoncerait un beau jour pour adop
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beau jour pour adopter une vérité meilleure. Nous
sommes
sans fin ni cesse dans le combat de la nature et de la grâce. Sans fi
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cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horizon n’
est
plus le même. Une fidélité gardée au Nom de ce qui ne change pas comm
2376
21 juin 1938 (Révision : 1954.) 214. Je m’en
tiens
au cas-limite de Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage c
2377
devient singulier. À cette personnalisation de l’
être
aimé correspond d’ailleurs une spécification croissante de l’instinct
2378
en faveur de la monogamie. 216. La gauloiserie n’
étant
pas moins que la passion une évasion hors du réel, une façon de l’idé
2379
et justement pas en tant qu’Éros sublimé. Éros n’
est
pas le péché ; le péché c’est la sublimation d’Éros ». 219. Comme le
2380
le prends ici ? En ce que l’on reconnaît dans un
être
la totalité d’une personne. La personne, selon la fameuse définition
2381
ameuse définition kantienne, c’est ce qui ne peut
être
utilisé par l’homme comme une chose, comme un instrument. 221. Sur l
2382
22. Je répète toutefois que le mariage ne saurait
être
fondé sur des « arguments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d
2383
e son négatif donjuanesque. Mais cette « raison »
est
tout à fait inefficace aux yeux de qui préfère le mythe et veut croir
2384
éo Ferrero, Désespoirs. Le problème de la passion
est
admirablement défini par ce petit livre dans ses données actuelles ps
2385
notre châtiment et non pas notre délivrance. Ce n’
est
pas la mort, la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte de la
2386
nce. Ce n’est pas la mort, la désincarnation, qui
est
le salut ; mais l’acte de la grâce fait par Dieu. 227. Faut-il alle
2387
n deçà. Si bien que le seul au-delà concret qu’il
soit
en état de désirer, d’imaginer, c’est le « dérèglement des passions »
2388
e peut très bien lui apparaître : la loi. Or ce n’
est
que le renoncement à la loi ainsi comprise qui peut nous conduire à l