1 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre premier. Le mythe de Tristan
1 dans nos cœurs ? Que l’accord d’amour et de mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus profondes, c’est un
2 à première vue le succès prodigieux du roman. Il est d’autres raisons, plus secrètes, d’y voir comme une définition de la
3 ccidentale… Amour et mort, amour mortel : si ce n’ est pas toute la poésie, c’est du moins tout ce qu’il y a de populaire, t
4 hansons. L’amour heureux n’a pas d’histoire. Il n’ est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et con
5 e même. Ce qui exalte le lyrisme occidental, ce n’ est pas le plaisir des sens, ni la paix féconde du couple. C’est moins l’
6 nous glorifie à tel point la passion que nous en sommes venus à voir en elle une promesse de vie plus vivante, une puissance
7 une puissance qui transfigure, quelque chose qui serait au-delà du bonheur et de la souffrance, une béatitude ardente. Dans «
8 ne sentons plus « ce qui souffre » mais « ce qui est passionnant ». Et pourtant, la passion d’amour signifie, de fait, un
9 ont tous les cas d’exception, mais la statistique est cruelle : elle réfute notre poésie. Vivons-nous dans une telle illusi
10 se confondent le plus souvent dans la société qui est la nôtre, n’est-ce pas une première preuve de ce fait paradoxal : que
11 plus souvent dans la société qui est la nôtre, n’ est -ce pas une première preuve de ce fait paradoxal : que nous voulons la
12 un devoir et une commodité. Sans l’adultère, que seraient toutes nos littératures ? Elles vivent de la « crise du mariage ». Il
13 res ? Elles vivent de la « crise du mariage ». Il est probable aussi qu’elles l’entretiennent, soit qu’elles « chantent » e
14 . Il est probable aussi qu’elles l’entretiennent, soit qu’elles « chantent » en prose et en vers ce que la religion tient po
15 chantent » en prose et en vers ce que la religion tient pour un crime, et la Loi pour une contravention, soit au contraire qu
16 pour un crime, et la Loi pour une contravention, soit au contraire qu’elles s’en amusent, et qu’elles en tirent un répertoi
17 psychologie mondaine, succès du trio au théâtre —  soit qu’on idéalise, ou subtilise, ou ironise, que fait-on si ce n’est tra
18 se, ou subtilise, ou ironise, que fait-on si ce n’ est trahir le tourment innombrable et obsédant de l’amour en rupture de l
19 ble et obsédant de l’amour en rupture de loi ? Ne serait -ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réalité ? Tourner la
20 stique ou en farce, c’est toujours avouer qu’elle est insupportable… Mal mariés, déçus, révoltés, exaltés ou cyniques, infi
21 xaltés ou cyniques, infidèles ou trompés : que ce soit en fait ou en rêve, dans le remords ou dans la crainte, dans le plais
22 ir de la révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’hommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catég
23 s questions des plus naïves, en ce domaine, aient été plus souvent résolues que posées… Par exemple, le mal constaté, faut-
24 se » qui la ruine au cœur même de nos ambitions ? Est -ce vraiment, comme beaucoup le pensent, la conception dite « chrétien
25 e qui cause tout notre tourment, ou au contraire, est -ce une conception de l’amour dont on n’a peut-être pas vu qu’elle ren
26 ntradiction ? Si le secret de la crise du mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous vient ce goût du malheu
27 mmédiate vérification. ⁂ Mais d’abord, dira-t-on, est -il exact que le roman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’es
28 , dira-t-on, est-il exact que le roman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’est-ce pas détruire son charme que d’ess
29 oman de Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’ est -ce pas détruire son charme que d’essayer de l’analyser ? Nous n’en so
30 on charme que d’essayer de l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop
31 alyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi
32 pourrait dire d’une manière générale qu’un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un
33 procèdent donc de l’élément sacré autour duquel s’ est constitué le groupe. (Récits symboliques de la vie et de la mort des
34 ent : un mythe n’a pas d’auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l’est en partie. Il se présente comme l’exp
35 Son origine doit être obscure. Et son sens même l’ est en partie. Il se présente comme l’expression tout anonyme de réalités
36 inte sur le public. Si belle et puissante qu’elle soit , on peut toujours la critiquer, ou la goûter pour des raisons individ
37 hevalerie du xiie et du xiiie siècle. Ce groupe est à vrai dire dissous depuis longtemps. Pourtant ses lois sont encore l
38 dire dissous depuis longtemps. Pourtant ses lois sont encore les nôtres d’une manière secrète et diffuse. Profanées et reni
39 ofanées et reniées par nos codes officiels, elles sont devenues d’autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir
40 rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l’auteur — à s
41 — à supposer qu’il y en eût un, et un seul — nous est totalement inconnu. Les cinq versions « originales » qui nous restent
42 Les cinq versions « originales » qui nous restent sont des remaniements artistiques d’un archétype dont on n’a pu trouver la
43 r) d’un ensemble de règles et de cérémonies qui n’ est autre que la coutume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de
44 alerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie furent souvent appelés « religions ». Chastellain, chroniqueur de la Bourgog
45 e sacré, en un siècle où pourtant la chevalerie n’ était plus guère qu’une survivance4. Enfin la nature même de l’obscurité qu
46 l ne réside pas dans sa forme d’expression5. Elle tient d’une part au mystère de son origine, et d’autre part à l’importance
47 des faits que le mythe symbolise. Si ces faits n’ étaient pas obscurs, ou s’il n’y avait quelque intérêt à obscurcir leur origi
48 résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière
49 e. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste ou directe.
50 directe. Au contraire, le mythe paraît lorsqu’il serait dangereux ou impossible d’avouer clairement un certain nombre de fait
51 u religieux, ou de relations affectives, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il est impossible de détruire. Nous n’av
52 s, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il est impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemp
53 rimer le fait obscur et inavouable que la passion est liée à la mort, et qu’elle entraîne la destruction pour ceux qui s’y
54 ignantes d’un vrai mythe ? Cette question ne peut être esquivée. Elle nous porte au cœur du problème et de son actualité. Pr
55 Il faut bien voir que ces « cérémonies » sociales sont des moyens de faire admettre un contenu antisocial, qui est la passio
56 yens de faire admettre un contenu antisocial, qui est la passion. Le mot « contenu » prend ici toute sa force : la passion
57 toute sa force : la passion de Tristan et d’Iseut est littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie. C’est à c
58 olérable. Il faut donc que les groupes constitués soient capables de lui opposer une structure fortement charpentée, pour qu’e
59 le lien social vienne à faiblir, ou que le groupe soit dissocié, le mythe cessera d’être un mythe au sens strict. Mais ce qu
60 u que le groupe soit dissocié, le mythe cessera d’ être un mythe au sens strict. Mais ce qu’il aura perdu en force contraigna
61 vre - les usages qu’il faut observer si l’on veut être un gentleman — perdra ses dernières vertus, la passion « contenue » d
62 es inventera au besoin… Car nous verrons que ce n’ est pas seulement la nature de la société, mais l’ardeur même de la sombr
63 une réaction vive. Le succès du Roman de Tristan fut donc d’ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’exprimer en sa
64 raît, cette passion n’en subsiste pas moins. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie de la société. Elle tend toujou
65 ’il provoque. Le mythe de Tristan et Iseut, ce ne sera plus seulement le Roman, mais le phénomène qu’il illustre, et dont l’
66 inte qui l’exalte, charme, terreur ou idéal : tel est le mythe qui nous tourmente. Qu’il ait perdu sa forme primitive voilà
67 miraculeuses. Le mythe agit partout où la passion est rêvée comme un idéal, non point redoutée comme une fièvre maligne ; p
68 comme une fièvre maligne ; partout où sa fatalité est appelée, invoquée, imaginée comme une belle et désirable catastrophe,
69 it de la vie même de ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était le philtre du Roman) ; qu’il fond sur l’homme i
70 et ravi pour le consumer d’un feu pur ; et qu’il est plus fort et plus vrai que le bonheur, la société et la morale. Il vi
71 Il vit de la vie même du romantisme en nous ; il est le grand mystère de cette religion dont les poètes du siècle passé se
72 tte influence et de sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous sera donnée ici même par une certaine
73 ue, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous sera donnée ici même par une certaine répugnance du lecteur à envisager mo
74 à envisager mon projet. Le Roman de Tristan nous est « sacré » dans la mesure exacte où l’on estimera que je commets un « 
75 mort du coupable. Le sacré qui entre ici en jeu n’ est plus qu’une survivance obscure et déprimée. Je ne courrai donc guère
76 (Et certes, le sens inconscient d’un tel geste n’ est rien moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant il demeure sans e
77 faut-il croire que cela signifie que la passion n’ est point sacrée pour toi ? Ou simplement que les hommes d’aujourd’hui ne
78 i ? Ou simplement que les hommes d’aujourd’hui ne sont pas moins débiles dans leurs passions que dans leurs gestes de réprob
79 de réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, où sera le courage que l’on réclame des écrivains ? Faudra-t-il qu’ils l’exer
80 définir « une épopée de l’adultère ». La formule est sans doute exacte, si l’on se borne à considérer la donnée sèche du R
81 restrictive. Peut-on soutenir que la faute morale est le vrai sujet de la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne se
82 la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne serait -il qu’un opéra de l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’est-ce que cel
83 ’un opéra de l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’ est -ce que cela ? Un vilain mot ? Une rupture de contrat ? C’est cela aus
84 ? Une rupture de contrat ? C’est cela aussi, ce n’ est que cela dans trop de cas ; mais c’est souvent bien davantage : une a
85 es raisons de persévérer, et l’on jugera si elles sont diaboliques. La première est que nous sommes parvenus au point de dés
86 ’on jugera si elles sont diaboliques. La première est que nous sommes parvenus au point de désordre social où l’immoralisme
87 elles sont diaboliques. La première est que nous sommes parvenus au point de désordre social où l’immoralisme se révèle plus
88 morales anciennes. Le culte de l’amour-passion s’ est tellement démocratisé qu’il perd ses vertus esthétiques et sa valeur
89 t, cette « vogue » d’allure commerciale de ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût-ce même pour
90 secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût -ce même pour sauver le mythe des abus de son extrême vulgarisation. E
91 La poésie a d’autres chances. Ma seconde raison n’ est pas d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a
92 hâtive, notre culture et le ronron de nos morales sont en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de
93 ampirique crescendo du second acte de Wagner, tel est le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’es
94 ela ! » ou bien : « Que Dieu m’en garde ! » Je ne suis pas sûr que la conscience claire soit utile d’une manière générale, e
95 e ! » Je ne suis pas sûr que la conscience claire soit utile d’une manière générale, et en soi. Ni que les vérités utiles so
96 re générale, et en soi. Ni que les vérités utiles soient avouables sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité » de mon ent
97 es soient avouables sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité » de mon entreprise, notre sort n’en demeure pas moins, à
98 phe, du moraliste, du créateur de formes idéales, est simplement d’accroître la conscience, donc la mauvaise conscience des
99 Qui sait où cela peut nous mener ? Là-dessus, il est temps de passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite e
100 l’opération annoncée. La condition de sa réussite est sans doute une certaine froideur avec laquelle nous la mènerons. Sour
101 mission de le combattre, au moment où il pourrait être armé chevalier, donc peu après sa puberté. Il le tue, mais il en a re
102 remède qui peut le sauver. Mais le géant Morholt était le frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’avouer son nom
103 un jeune paladin.) Blessé par le monstre, Tristan est soigné de nouveau par Iseut. Un jour, cette princesse découvre que le
104 Un jour, cette princesse découvre que le blessé n’ est autre que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et
105 ’a chargé. Et Iseut lui fait grâce, car elle veut être reine. (Selon certains auteurs, c’est aussi qu’elle admire la beauté
106 de Marc. En haute mer, le vent tombe, la chaleur est pesante. Ils ont soif. La servante Brangien leur donne à boire. Mais
107 e ces variantes, comme nous le verrons.) La faute est donc consommée. Mais Tristan reste lié par la mission qu’il a reçue d
108 ent au roi l’amour de Tristan et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvelle ruse (scène du verger), il con
109 sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux et Tristan con
110 é. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux et Tristan condamné à mort. Il s’évade
111 Tristan de demeurer dans le pays jusqu’à ce qu’il soit certain que Marc la traite bien. Puis, par une dernière ruse féminine
112 in de qui n’a pas menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’aucun homme, hors ceux du roi son maître et du manant
113 ent au lit de Tristan et lui annonce que la voile est noire. Tristan meurt. Iseut la blonde débarque à cet instant, monte a
114 es, on s’aperçoit que sa donnée ni son progrès ne sont dépourvus d’équivoque. J’ai passé quantité d’épisodes accessoires, ma
115 choses : Tristan conduit Iseut au roi parce qu’il est lié par la fidélité du chevalier ; — les amants se séparent, au terme
116 e que par une ruse improvisée in extremis, et qui est donnée comme trompant Dieu lui-même, puisque le miracle s’opère11 ! E
117 puisque le miracle s’opère11 ! Enfin, ce jugement étant acquis, la reine passe pour innocente. Tristan l’est donc aussi, et l
118 acquis, la reine passe pour innocente. Tristan l’ est donc aussi, et l’on ne voit plus du tout ce qui s’opposerait à son re
119 près du roi, donc auprès d’Iseut… D’autre part, n’ est -il pas fort étrange que les poètes du xiiie siècle, si exigeants dès
120 t, ils n’ont du moins ni menti ni trompé, et ce n’ est pas le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même
121 on ne peut s’empêcher de penser que ces scrupules sont bien tardifs et peu sincères, puisque Tristan n’a de cesse qu’il ne r
122 auprès d’Iseut… Et ce philtre qui cesse d’agir, n’ était -il pas destiné aux époux ? Alors, pourquoi limiter sa durée ? Trois a
123 lors, pourquoi limiter sa durée ? Trois ans, ce n’ est guère pour le bonheur d’un couple. Et quand Tristan épouse l’autre Is
124 ur sa beauté » mais cependant la laisse vierge, n’ est -il pas évident que rien ne l’oblige à ce mariage et à cette chasteté
125 ur et le devoir ». Cette interprétation classique est d’un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle par
126 s romans bretons la reflètent et la cultivent. Il est probable que la chevalerie courtoise ne fut guère qu’un idéal. Les pr
127 t. Il est probable que la chevalerie courtoise ne fut guère qu’un idéal. Les premiers auteurs qui en parlent ont l’habitude
128 elle vient à peine de naître dans leurs rêves. N’ est -il pas de l’essence d’un idéal que l’on déplore sa décadence à l’inst
129 se réaliser ? D’autre part, la chance du roman n’ est -elle pas d’opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités
130 ns « félons ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu de dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneu
131  félons ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu de dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : i
132 ur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : il est « félon » s’il ne le fait pas. Or, dans Tristan, les barons dénoncent
133 en vertu d’un autre code évidemment, qui ne peut être que celui de la chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de
134 idi. La décision des cours d’amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets de l’amour cour
135 rs d’amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets de l’amour courtois. Ce seul exemple suf
136 a fidélité et du mariage, selon l’amour courtois, est seule capable d’expliquer certaines contradictions frappantes du réci
137 la thèse officiellement admise, l’amour courtois est né d’une réaction à l’anarchie brutale des mœurs féodales. On sait qu
138 éodales. On sait que le mariage, au xiie siècle, était devenu pour les seigneurs une pure et simple occasion de s’enrichir,
139 ient même à déclarer que l’amour et le mariage ne sont pas compatibles : c’est le fameux jugement d’une cour d’amour tenue c
140 e telle manière de voir, la félonie et l’adultère sont excusés, et plus qu’excusés, magnifiés comme exprimant une intrépide
141 ui désire l’entière possession de sa dame. Cela n’ est plus amour, qui tourne à la réalité 13. » Voilà qui nous met sur la v
142 toute liberté, car nous avons marqué plus haut qu’ étant plus fort que le Roi et les barons, il pourrait, dans le plan féodal
143 ? Répondre : ainsi le veut l’amour courtois, ce n’ est pas encore répondre sur le fonds, car il s’agit de savoir pourquoi l’
144 notre résumé de la légende, on ne peut manquer d’ être frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie et m
145 entrent en jeu, chevalerie et morale féodale, ne sont observées par l’auteur que dans les seules situations où elles permet
146 e une explication. À chacune de nos questions, il serait évidemment facile de répondre : les choses se passent ainsi parce qu’
147 nsciente sagesse : c’est qu’on pressent qu’elle n’ est pas sans danger. Elle nous met en effet au cœur de tout le problème —
148 te volonté, il n’y aura plus de vraisemblance qui tienne  : c’est ce qui se passe dans le cas de l’Histoire scientifique. (Le l
149 cientifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera d’autant plus exigeant qu’il sait que le déroulement des faits ne doi
150 ’est le cas du conte. Entre ces deux extrêmes, il est autant de niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : l
151 désire éprouver. Ainsi, le vrai sujet d’une œuvre est révélé par la nature des « trucs » que l’auteur fait intervenir, et q
152 es extérieurs qui s’opposent à l’amour de Tristan sont dans un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne sont, à tout pr
153 un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne sont , à tout prendre, que des artifices romanesques. Or il résulte de nos
154 on qu’elle met en jeu. Il faut sentir qu’ici tout est symbole, tout se tient, tout se compose à la manière d’un rêve, et no
155 . Il faut sentir qu’ici tout est symbole, tout se tient , tout se compose à la manière d’un rêve, et non point à celle de nos
156 qu’il suppose chez son lecteur. Les « faits » ne sont que les images ou les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose, d
157 tent comme à plaisir, — bien qu’ils en souffrent. Serait -ce alors pour le plaisir du romancier et du lecteur ? Mais c’est tout
158 e du roman tel que l’aiment les Occidentaux. Quel est le vrai sujet de la légende ? La séparation des amants ? Oui, mais au
159 cette passion qui ressemble au vertige… Mais ce n’ est plus l’heure de se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le
160 Mais ce n’est plus l’heure de se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le charme, nous connaissons au « tourment dé
161 ons au « tourment délicieux ». Toute condamnation serait vaine : on ne condamne pas le vertige. Mais la passion du philosophe
162 e pas le vertige. Mais la passion du philosophe n’ est -elle point de méditer dans le vertige ? Il se peut que la connaissanc
163 ns le vertige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien d’autre que l’effort d’un esprit qui résiste à la chute, et qui
164 re ; il me plaît ; je me réjouis de lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas de quo
165 de lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas de quoi je me plains, car mon mal me vi
166 éablement, et tant de joie dans ma douleur que je suis malade avec délices. Chrétien de Troyes. Il faut avoir l’audace de
167 de poser la question : Tristan aime-t-il Iseut ? Est -il aimé par elle ? (Seules les questions « stupides » peuvent nous in
168 i passe pour évident cache quelque chose qui ne l’ est point, comme l’a dit à peu près Valéry.) Rien d’humain ne paraît rapp
169 lité. Tout porte à croire que librement ils ne se fussent jamais choisis. Mais ils ont bu le philtre, et voici la passion. Une
170 dolor. Dira-t-on que les poètes de cette époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus, et qu’ils n’éprouva
171 e époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus, et qu’ils n’éprouvaient pas le besoin d’insister sur ce qui
172 ns la forêt. Ses deux scènes les plus belles, qui sont peut-être aussi les plus profondes de la légende, ce sont les deux vi
173 t-être aussi les plus profondes de la légende, ce sont les deux visites que les amants font à l’ermite Ogrin. La première fo
174 hiez. La situation dans laquelle ils se trouvent est donc passionnément contradictoire : ils aiment, mais ils ne s’aiment
175 mais ils ne peuvent s’en repentir, puisqu’ils ne sont pas responsables ; ils se confessent, mais ne veulent pas guérir, ni
176 gue, et où les contraires s’excluent. L’aveu n’en est pas moins formel : « Il ne m’aime pas, ne je lui. » Tout se passe com
177 de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être tel qu’ils le connaissent. Les traits physiques et psychologiques de
178 et psychologiques de cet homme et de cette femme sont parfaitement conventionnels et rhétoriques. Lui, c’est « le plus fort
179 pes à ce point simplifiés ? L’« amistié » dont il est question à propos de la durée du philtre est le contraire d’une amiti
180 t il est question à propos de la durée du philtre est le contraire d’une amitié réelle. Bien plus, si l’amitié morale se fa
181 Bien plus, si l’amitié morale se fait jour, ce n’ est qu’au moment où la passion faiblit. Et le premier effet de cette amit
182 . Et le premier effet de cette amitié naissante n’ est pas du tout d’unir davantage les amants, mais au contraire de leur mo
183 plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li troi an. Tristan chassait dans la forêt. Soudain, il se souvient
184 ! Il songe que dans cette aventure, elle pourrait être « en beles chambres… portendües de dras de soie ». Iseut de son côté,
185 uson notre jovente… ». La décision de se séparer est bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretagne. Auparavant,
186 Iseut : Dex ! dist Tristan, quel departie ! Mot est dolenz qui pert s’amie… C’est sur sa propre peine qu’il s’apitoie. I
187 et bien que le philtre n’agisse plus, les amants seront repris par la passion, jusqu’au point qu’ils en perdront la vie, « lu
188 l’infini dans l’instant de l’obstacle absolu, qui est la mort. Tristan aime se sentir aimer, bien plus qu’il n’aime Iseut l
189 ’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il est  ; et non de la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence !
190 pothéose. Dualité irrémédiable et désirée ! « Mot est dolenz qui pert s’amie » soupire Tristan. Pourtant il sent déjà, au f
191 aut pousser plus loin : l’amabam amare d’Augustin est une émouvante formule dont lui-même ne s’est pas satisfait. L’obstacl
192 stin est une émouvante formule dont lui-même ne s’ est pas satisfait. L’obstacle dont nous avons souvent parlé, et la créati
193 sque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’ est -il qu’un prétexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’est-il p
194 étexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’ est -il pas lié à la passion d’une manière beaucoup plus profonde ? N’est-
195 passion d’une manière beaucoup plus profonde ? N’ est -il pas l’objet même de la passion, — si l’on descend au fond du mythe
196 cessifs des amants15. Or les causes de séparation sont de deux sortes : circonstances extérieures adverses, entraves inventé
197 pas de la même manière dans les deux cas. Et il n’ est pas sans intérêt de dégager cette dialectique de l’obstacle dans le R
198 alectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce sont les circonstances sociales qui menacent les amants (présence de Marc,
199 -dessus l’obstacle (le saut d’un lit à l’autre en est le symbole). Quitte à souffrir (sa blessure se rouvre) et à risquer s
200 risquer sa vie (il se sait épié). Mais la passion est alors si violente, si animale pourrait-on dire, qu’il oublie la doule
201 du péril pour lui-même. Mais tant que le péril n’ est qu’une menace tout extérieure, la prouesse par laquelle Tristan le su
202 ure, la prouesse par laquelle Tristan le surmonte est une affirmation de la vie. En tout cela, Tristan n’obéit qu’à la cout
203 s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit d’ être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avons vu que cela le conduirait à
204 ever la reine à son roi. Et que le droit établi n’ est soudain respecté, à ce moment, que parce qu’il fournit un prétexte à
205 un prétexte à faire rebondir le roman. Tout autre est l’attitude du chevalier lorsque rien d’extérieur à eux-mêmes ne sépar
206 is-ci contre lui-même, à ses dépens. Puisqu’il en est lui-même le fauteur, c’est un obstacle qu’il ne peut plus vaincre !
207 tive plus forte que la passion même. La mort, qui est le but de la passion, la tue. Mais l’épée nue n’est pas encore l’expr
208 t le but de la passion, la tue. Mais l’épée nue n’ est pas encore l’expression décisive du désir sombre, de la fin même de l
209 ns symbolique : l’action empêche la « passion » d’ être totale, car la passion, c’est « ce que l’on subit » — à la limite, c’
210 e, c’est la mort. En d’autres termes cette action est un nouveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂
211 es mains avec Tristan. Le premier de ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari
212 remier de ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé par l’amour court
213 pas que Tristan puisse jamais épouser Iseut. Elle est le type de femme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l’ai
214 on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait d’ être ce qu’elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation de
215 l’aimer, puisqu’elle cesserait d’être ce qu’elle est . Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation de la passion, au
216 amoureuse spontanée, couronnée et non combattue, est par essence peu durable. C’est une flambée qui ne peut pas survivre à
217 x qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier est telle qu’il les aura bientôt tous surmontés. C’est alors qu’il s’éloi
218 e erreur — provoquée par le nom des deux femmes — est la seule « raison » du mariage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait
219 ison » du mariage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé de s’expliquer. Mais une fois de plus, l’honneur interviendra, e
220 il ruine ainsi par l’intérieur). Prouesse dont il est la victime ! La chasteté du chevalier marié répond à la déposition de
221 dont Tristan sortira purifié ; vers une mort qui soit une transfiguration, et non pas un hasard brutal. Il s’agit donc touj
222 de la dialectique passion-obstacle. Vraiment ce n’ est plus l’obstacle qui est au service de la passion fatale, mais au cont
223 n-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’obstacle qui est au service de la passion fatale, mais au contraire il est devenu le b
224 ervice de la passion fatale, mais au contraire il est devenu le but, la fin désirée pour elle-même. Et la passion n’a donc
225 ité même qui l’a créé. Le sens réel de la passion est tellement effrayant et inavouable, que non seulement ceux qui la vive
226 e savoir si les auteurs des cinq poèmes primitifs étaient ou non conscients de la portée de leur œuvre. En tout état de cause,
227 et l’objet reste inavoué, mais tout de même il y est fait allusion, et par là, dans une certaine mesure, des exigences inc
228 n », « qu’il n’y attache pas d’importance ». S’il est poète, il parlera d’inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne
229 inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court de bonnes raisons pour démontrer qu’il n’est responsab
230 à court de bonnes raisons pour démontrer qu’il n’ est responsable de rien… Imaginons maintenant le problème qui se posait à
231 chevaleresque, comme d’ailleurs toute rhétorique, est le moyen de faire passer pour « naturelles » les plus obscures propos
232 ictions qu’elle impose. Pour la magie, voici quel sera son rôle. Il s’agit de dépeindre une passion dont la violence fascina
233 e une passion dont la violence fascinante ne peut être acceptée sans scrupules. Elle apparaît barbare dans ses effets. Elle
234 ules. Elle apparaît barbare dans ses effets. Elle est proscrite par l’Église comme un péché ; par la raison comme un excès
235 par erreur, se révèle désormais nécessaire16. Qu’ est -ce alors que le philtre ? C’est l’alibi de la passion. C’est ce qui p
236 lheureux amants de dire : « Vous voyez que je n’y suis pour rien, vous voyez que c’est plus fort que moi. » Et cependant, no
237 eur de cette fatalité trompeuse, tous leurs actes sont orientés vers le destin mortel qu’ils aiment, avec une sorte d’astuci
238 abri du jugement. Nos actions les moins calculées sont parfois les plus efficaces. La pierre qu’on lance « sans viser » va d
239 Et c’est pourquoi les plus belles scènes du Roman sont celles que les auteurs n’ont pas su commenter, et qu’ils décrivent co
240 roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire quelle est la fin qu’ils se préparent de toute leur volonté profonde, et plus qu
241 Jour qui l’offusque ? et qu’il attend de tout son être l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucoup plus tard, o
242 l attend de tout son être l’anéantissement de son être  ? Certains poètes, beaucoup plus tard, ont osé cet aveu suprême. Mais
243 ont osé cet aveu suprême. Mais la foule dit : ce sont des fous. Et la passion que le romancier désire flatter chez l’audite
244 inaire, plus débile. Il y a peu de chance qu’elle soit jamais poussée à s’avouer par son excès indubitable, par une mort qui
245 tiques ont fait plus qu’avouer : ils ont su et se sont expliqués. Mais s’ils ont affronté « la Nuit obscure » avec la plus s
246 et « lumineuse » se substituerait à la leur. Ce n’ était pas le dieu sans nom du philtre, une force aveugle ou le Néant, qui s
247 dont il rejette avec horreur la connaissance. Il tient son excuse toute prête, et elle le trompe mieux que quiconque : c’est
248 r exemplaire de sa vie. Les raisons de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables au Jour17. Elles
249 s de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables au Jour17. Elles le méprisent. Tristan s’est fait p
250 nicables au Jour17. Elles le méprisent. Tristan s’ est fait prisonnier d’un délire auprès duquel pâlissent toute sagesse, to
251 ute sagesse, toute « vérité », et la vie même. Il est au-delà de nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’insta
252 ce vers l’instant suprême où la totale jouissance est de sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent décrire la Nuit, mais la « 
253 soir, lorsqu’en un temps lointain la mort du père fut annoncée au fils. Dans l’aube sinistre, tu me cherchais, de plus en p
254 t voici qu’elle me parle encore. Pour quel destin suis -je né ? Pour quel destin ? La vieille mélodie me répète : — Pour dési
255 maudire ses astres, sa naissance, mais la musique est savante, vraiment, et elle nous chante immensément le beau secret : c
256 n’a pas cessé de refouler, — de préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa persistance nous invite à porter sur l’a
257 ? Pourquoi veut-il cet amour dont l’éclat ne peut être que son suicide ? C’est qu’il se connaît et s’éprouve sous le coup de
258 a limite, ce goût de la collision révélatrice qui est sans doute la plus inarrachable des racines de l’instinct de la guerr
259 eur. Que ce malheur, selon la force de notre âme, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décadence, ou la souff
260 nnonce pas le Jour, mais la Nuit ! La « vraie vie est ailleurs », dit Rimbaud. Elle n’est qu’un des noms de la Mort, le seu
261 a « vraie vie est ailleurs », dit Rimbaud. Elle n’ est qu’un des noms de la Mort, le seul nom par lequel nous osions l’appel
262 la douleur, et spécialement la douleur amoureuse, est un moyen privilégié de connaissance. Certes, cela vaut pour les meill
263 vient retarder l’heureux accomplissement. Ainsi, soit qu’on désire l’amour le plus conscient, ou simplement l’amour le plus
264 t non pas la présence, nous émeuvent. La présence est inexprimable, elle ne possède aucune durée sensible, elle ne peut êtr
265 le ne possède aucune durée sensible, elle ne peut être qu’un instant de grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on
266 dans la littérature occidentale. Et l’amour qui n’ est pas réciproque ne passe point pour un amour vrai. La grande trouvaill
267 t Iseut « s’entr’aiment », ou du moins, qu’ils en sont persuadés. Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre, d’une fid
268 t », ou du moins, qu’ils en sont persuadés. Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre, d’une fidélité exemplaire. Mai
269 , qu’ils en sont persuadés. Et il est vrai qu’ils sont , l’un envers l’autre, d’une fidélité exemplaire. Mais le malheur, c’e
270 malheur, c’est que l’amour qui les « demeine » n’ est pas l’amour de l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’
271  demeine » n’est pas l’amour de l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’entr’aiment, mais chacun n’aime l’aut
272 lande, où t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile, sont -ce tes soupirs ? Souffle, souffle, ô vent ! Malheur, ah ! malheur, fi
273 ait — la jouissance de la vie. Mais cette perte n’ est pas sentie comme un appauvrissement, bien au contraire. On s’imagine
274 s magnifiquement. C’est que l’approche de la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, l
275 rète de l’obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’ est encore là que le masque d’un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacl
276 ébut de la passion, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin racheté. Cette analyse du mythe primitif livre
277 on, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin racheté. Cette analyse du mythe primitif livre quelques secrets
278 primitif livre quelques secrets dont l’importance est appréciable — mais dont la conscience commune doit renier l’intime év
279 je le sens bien, et m’en console si les résultats sont exacts ; que certaines conjectures soient discutables, je l’admettrai
280 résultats sont exacts ; que certaines conjectures soient discutables, je l’admettrai sans peine devant les preuves ; mais quoi
281 Nous savons, par la fin du mythe, que la passion est une ascèse. Elle s’oppose à la vie terrestre d’une manière d’autant p
282 Incidemment, nous avons indiqué qu’un tel amour n’ est pas sans lien profond avec notre goût de la guerre. Enfin, s’il est v
283 profond avec notre goût de la guerre. Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin de la passion sont des aspects de n
284 t vrai que la passion, et le besoin de la passion sont des aspects de notre mode occidental de connaissance, il faut en veni
285 e de toutes. Connaître à travers la souffrance, n’ est -ce pas l’acte même, et l’audace, de nos mystiques les plus lucides ?
286 au sens noble, et mystique : que l’une de l’autre soit cause ou effet, ou qu’elles aient une commune origine — ces deux « pa
287 t voici qu’elle me parle encore. Pour quel destin suis -je né ? Pour quel destin ? La vieille mélodie me répète : — Pour dési
288 es relations que nous venons de dégager. 2. Il est assez facile d’éliminer, par une comparaison critique, les fantaisies
289 gende qu’on trouvera au chapitre 5, ces variantes seront négligées pour autant qu’elles s’expliquent trop aisément par des cir
290 ur. 3. Voir Appendice 1. 4. Appendice 2. 5. Ce serait ici le langage du poème : or on sait qu’il est des plus simples. 6.
291 serait ici le langage du poème : or on sait qu’il est des plus simples. 6. La raison dont je parle ici étant l’activité pr
292 des plus simples. 6. La raison dont je parle ici étant l’activité profanatrice qui s’exerce aux dépens du sacré collectif et
293 et qui en libère l’individu. Que le rationalisme soit passé au rang de doctrine officielle ne doit pas nous faire oublier s
294 de l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’ étaient couchés pour se reposer à cause de la forte chaleur, et dormaient ain
295 séparés l’un de l’autre parce que… » Ici le texte est interrompu ! Et Bédier dit en note : « Passage inintelligible. » Quel
296 sage inintelligible. » Quelle puissance maléfique est donc intervenue pour brouiller le seul texte qui pût éclaircir le mys
297 ttfried de Strasbourg insiste avec cynisme : « Ce fut ainsi chose manifeste — Et avérée devant tous — Que le très glorieux
298 ont on s’habille — … Il se prête au gré de tous —  Soit à la sincérité soit à la tromperie — II est toujours ce qu’on veut qu
299  Il se prête au gré de tous — Soit à la sincérité soit à la tromperie — II est toujours ce qu’on veut qu’il soit… » 12. Et
300 us — Soit à la sincérité soit à la tromperie — II est toujours ce qu’on veut qu’il soit… » 12. Et qu’il avait conquise de
301 a tromperie — II est toujours ce qu’on veut qu’il soit … » 12. Et qu’il avait conquise de plein droit pour lui-même en la d
302 vençale, I, p. 512. 14. Précisons que : 1° elles sont observées tour à tour, en vertu d’un calcul secret ; car si l’on choi
303 a situation se dénouerait trop vite ; 2° elles ne sont pas toujours observées : ainsi le péché consommé dès que les amants o
304 ché consommé dès que les amants ont bu le philtre est un péché aux yeux de l’amour courtois non moins qu’aux yeux de la mor
305 tan revient à la cour. Le « flagrant délit ». Ils sont séparés. — Ils se retrouvent et passent trois ans dans la forêt, puis
306 yeux du moraliste. Inférieur en ceci à Béroul il sera le premier responsable de la dégradation du mythe. 17. Dans le drame
307 emandes. » Et plus tard, quand il meurt : « Je ne suis pas resté au lieu de mon réveil. Mais où ai-je fait séjour ? Je ne sa
308 séjour ? Je ne saurais le dire… C’était là où je fus toujours, et là où j’irai pour toujours : le vaste empire de l’éterne
309 l’éternelle nuit. Là-bas, une science unique nous est donnée : le divin, l’éternel, l’originel oubli… Oh ! si je pouvais le
2 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre II. Les origines religieuses du mythe
310 the 1.L’« obstacle » naturel et sacré Nous sommes tous plus ou moins matérialistes, nous autres héritiers du xixe . Qu’
311 es de faits « spirituels », aussitôt nous croyons tenir une explication de ces faits. Le plus bas nous paraît le plus vrai. C
312 a vu le jeu au cours de notre analyse du mythe, n’ est -il pas d’origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’est-ce pas
313 ’origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’ est -ce pas la ruse la plus élémentaire du désir ? Et l’homme n’est-il pas
314 ruse la plus élémentaire du désir ? Et l’homme n’ est -il pas « ainsi fait » qu’il s’impose parfois une certaine continence,
315 . « C’est afin — lui fait dire Plutarque — qu’ils soient toujours plus forts et dispos de leur corps, et qu’en ne jouissant pa
316 lus valeureux. Or la vertu d’une telle discipline est relative à la vie même, non à l’esprit. Elle cède au succès obtenu. E
317 cherche rien au-delà. L’eugénisme d’un Lycurgue n’ est nullement ascétique, puisqu’il vise au contraire à la meilleure propa
318 les tribus exogamiques. La morale de la prouesse est une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plus anciennes trad
319 la nécessité d’une sélection biologique. Et il n’ est pas jusqu’au désir de la mort que l’on ne puisse « ramener » à l’inst
320 assez que pour les Grecs et les Romains, l’amour est une maladie (Ménandre) dans la mesure où il transcende la volupté qui
321 e) dans la mesure où il transcende la volupté qui est sa fin naturelle. C’est une « frénésie », dit Plutarque. « Aucuns ont
322 ont pensé que c’était une rage… Ainsi à ceux qui sont amoureux, il leur faut pardonner comme étant malades… » D’où vient al
323 x qui sont amoureux, il leur faut pardonner comme étant malades… » D’où vient alors cette glorification de la passion, qui es
324 ient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce qui nous touche dans le Roman ? Parler de déviation de l
325 ire puisqu’il s’agit de savoir, précisément, quel est le facteur qui a pu causer cette déviation. 2.Éros, ou le Désir sa
326 l’âme, pour la troubler d’humeurs malignes. Ce n’ est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce de fureur
327 . Ce n’est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce de fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans
328 de la divinité et porte notre élan vers Dieu. Tel est l’amour platonicien : « délire divin », transport de l’âme, folie et
329 ort de l’âme, folie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’être aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie
330 lie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’ être aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie qui monte par de
331 e l’être aimé « comme dans le ciel », car l’amour est la voie qui monte par degrés d’extase vers l’origine unique de tout c
332 ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’ être soi et d’être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c
333 et distingue, au-delà du malheur d’être soi et d’ être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c’est l’Aspirat
334 ute puissance, à l’extrême exigence de pureté qui est l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’ê
335 l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’é
336 d’Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’ être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’élan suprême du dési
337 é. Ainsi l’élan suprême du désir aboutit à ce qui est non-désir. La dialectique d’Éros introduit dans la vie quelque chose
338 cension de l’homme vers son dieu. Et ce mouvement est sans retour. ⁂ Les origines iraniennes et orphiques du platonisme son
339 es origines iraniennes et orphiques du platonisme sont encore mal connues mais certaines. Et par Plotin et l’Aréopagite, cet
340 . Et par Plotin et l’Aréopagite, cette doctrine s’ est transmise au monde médiéval. Ainsi l’Orient vint rêver dans nos vies,
341 ou quelque harmonie ancestrale — toutes nos races sont venues d’Orient — ou simplement si la nature humaine n’est point port
342 s d’Orient — ou simplement si la nature humaine n’ est point portée en tous lieux et tous temps à diviniser son Désir dans d
343 druides sur l’immortalité. La mythologie comparée est la plus périlleuse des sciences, si l’on excepte l’étymologie dont el
344 merci du calembour le plus tentant… Quoi qu’il en soit , certaines convergences générales se dégagent des travaux récents, re
345 t l’extension de l’Empire romain. Or les Celtes n’ étaient pas une nation. Ils n’avaient pas d’autre « unité » que celle d’une c
346 le d’une civilisation, dont le principe spirituel était maintenu par le collège sacerdotal des druides. Ce collège à son tour
347 e sacerdotal des druides. Ce collège à son tour n’ était nullement l’émanation des petits peuples ou tribus, mais « une instit
348 religieuses douées de pouvoirs très étendus. Ils étaient à la fois devins, magiciens, médecins, prêtres, confesseurs. Ils n’éc
349 rte d’ailleurs le même nom que le brahmane 21. Il est certain que les Celtes croyaient à une vie après la mort. Vie aventur
350 mort. C’était une compagne familière dont ils se sont plu à déguiser le caractère inquiétant. » De même, dans leur mytholog
351 t domine tout, et tout la découvre »22. Et cela n’ est pas sans inciter à des rapprochements très précis avec ce que l’on a
352 Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, aut
353 vre : la conception de la femme chez les Celtes n’ est pas sans rappeler la dialectique platonicienne de l’Amour. La femme f
354 l’Amour. La femme figure aux yeux des druides un être divin et prophétique. C’est la Velléda des Martyrs, le fantôme lumine
355 perdu dans sa rêverie nocturne : « Sais-tu que je suis fée ? », dit-elle. Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole
356 stérieux », c’était l’invitation à désirer ce qui est au-delà des formes incarnées. Mais elle est belle et désirable en soi
357 e qui est au-delà des formes incarnées. Mais elle est belle et désirable en soi… Et pourtant sa nature est fuyante. « L’Éte
358 belle et désirable en soi… Et pourtant sa nature est fuyante. « L’Éternel féminin nous entraîne », dira Goethe. Et Novalis
359 entraîne », dira Goethe. Et Novalis : « La femme est le but de l’homme. » Ainsi l’aspiration vers la lumière prend pour sy
360 es. Le grand Jour incréé, aux yeux de la chair, n’ est que la Nuit. Mais notre jour, aux yeux du dieu qui réside par-delà le
361 il souffre volupté, même quand il croit aimer un être … On parle trop de nirvana ou de bouddhisme à propos de l’opéra wagnér
362 les éléments les plus actifs de son philtre ! Il est frappant de constater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de
363 et aux invasions germaniques. « Les Gallo-Romains sont restés pour la plupart des Celtes déguisés. Si bien qu’après les inva
364 aître en Gaule des modes et des goûts qui avaient été ceux des Celtes23. » L’art roman et les langues romanes attestent l’i
365 ’importance de l’héritage celtique. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes b
366 la Bretagne, nous constatons qu’une religion s’y est répandue, d’une manière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle
367 le des mythes du Jour et de la Nuit tels qu’ils s’ étaient élaborés en Perse d’abord, puis dans les sectes gnostiques et orphiqu
368 éprouve de nos jours à définir cette religion ne sont pas sans nous renseigner sur sa nature profonde et sa portée humaine.
369 ature profonde et sa portée humaine. D’abord elle fut partout persécutée avec une violence inouïe par les pouvoirs ou les o
370 voir en elle la pire menace sociale. Ses fidèles furent massacrés, leurs écrits dispersés et brûlés. Si bien que les témoigna
371 . Si bien que les témoignages sur lesquels elle a été jugée jusqu’à nos jours émanent presque exclusivement de ses adversai
372 uite, il semble bien que la doctrine de Mani (qui était originaire de l’Iran) a pris, selon les peuples et leurs croyances, d
373 n hymne manichéen récemment retrouvé et traduit24 sont invoqués et loués successivement Jésus, Mani, Ormuzd, Çakyamouni, et
374 in Zarhust (Zarathustra ou Zoroastre). De plus il est permis de penser que les survivances celtiques dans le Midi languedoc
375 ppements qui suivront, deux faits surtout doivent être retenus : 1° Le dogme fondamental de toutes les sectes manichéennes,
376 des dieux Me voici en exil et séparé d’eux. Je suis un dieu, et né des dieux Mais maintenant réduit à souffrir. Ainsi la
377 estin de l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’ est pas sans évoquer d’une part la « réminiscence du Beau » dont parlent
378 se souvient de l’île des immortels. Mais cet élan est sans cesse entravé par la jalousie de Vénus (Dîbat dans le premier hy
379 e matière l’amant en proie au lumineux Désir. Tel est le combat de l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse f
380 s anges déchus dans des corps trop humains… 2° Il est très important et significatif pour nous de remarquer à la suite d’un
381 récent25 que la structure de la foi manichéenne «  est essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est de la nature prof
382 t essentiellement lyrique ». Autrement dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition r
383 la mort le bien dernier, le rachat de la faute d’ être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse indistinction. Dè
384 u point de vue de la vie, un tel Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le grand fond du paganisme oriental-occi
385 el Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le grand fond du paganisme oriental-occidental sur lequel se détache
386 e détache notre mythe. Mais d’où vient qu’il s’en soit « détaché » justement ? Quelle menace, quelle interdiction a contrain
387 Prologue de l’Évangile de Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… en
388 n : Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… en elle était la vie, et la vie é
389 arole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu… en elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La
390 était avec Dieu, et la Parole était Dieu… en elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans l
391 arole était Dieu… en elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténè
392 s, et les ténèbres ne l’ont pas reçue. (I, 1-5.) Est -ce encore le dualisme éternel, sans rémission, l’irrévocable hostilit
393 n, car voici la suite du passage : Et la Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérit
394 le monde — de la Lumière dans les Ténèbres —, tel est l’événement inouï qui nous délivre du malheur de vivre. Tel est le ce
395 t inouï qui nous délivre du malheur de vivre. Tel est le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien q
396 lement » incroyable. Car le fait de l’Incarnation est la négation radicale de toute espèce de religion. Il est le suprême s
397 négation radicale de toute espèce de religion. Il est le suprême scandale, non seulement pour notre raison qui n’admet poin
398 la non-vie, la mort du corps. La Nuit et le Jour étant incompatibles, l’homme créé qui appartient à la Nuit, ne peut trouver
399 la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant d’ être , en se « perdant » au sein de la divinité. Mais le christianisme, par
400 ialectique de fond en comble. Au lieu que la mort soit le terme dernier, elle devient la première condition. Ce que l’Évangi
401 st le début d’une vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’ est pas la fuite de l’esprit hors du monde, mais son retour en force au s
402 e que l’Esprit ressaisit. Dieu — le vrai Dieu — s’ est fait homme, et vrai homme. En la personne de Jésus-Christ, les ténèbr
403 e et mort au monde en tant que le moi et le monde sont pécheurs, mais rendu à soi-même et au monde en tant que l’Esprit veut
404 ue l’Esprit veut les sauver. Désormais, l’amour n’ est plus fuite et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà de la mo
405 pparaître le prochain. Pour l’Éros, la créature n’ était qu’un prétexte illusoire, une occasion de s’enflammer ; et il fallait
406 l fallait aussitôt s’en déprendre, puisque le but était de brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particu
407 er toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’ être particulier n’était guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’Êtr
408 e brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulier n’ était guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’Être unique. Comment l’
409 ait guère qu’un défaut et un obscurcissement de l’ Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n’étant
410 ’Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était  ? Le salut n’étant qu’au-delà, l’homme religieux se détournait des cr
411 nt l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n’ étant qu’au-delà, l’homme religieux se détournait des créatures ignorées pa
412 eul, parmi tous les dieux que l’on connaît — ne s’ est pas détourné, au contraire : « Il nous a aimés le premier » dans notr
413 emier » dans notre forme et nos limitations. Il a été jusqu’à les revêtir. Et revêtant la condition de l’homme pécheur et s
414 tification. Le contraire de la sublimation, qui n’ était que fuite illusoire au-delà du concret de la vie. Aimer devient alors
415 chait le dépassement à l’infini. L’amour chrétien est obéissance dans le présent. Car aimer Dieu, c’est obéir à Dieu qui no
416 in. À ceux qui lui demandaient ironiquement : Qui est mon prochain ? Jésus répond : c’est l’homme qui a besoin de vous. Tou
417 gent de sens. Le nouveau symbole de l’Amour, ce n’ est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumière, mais c’est le m
418 et là, le sanctifie par le mariage. Un tel amour, étant conçu à l’image de l’amour du Christ pour son Église (Éph., 5, 25), p
419 our du Christ pour son Église (Éph., 5, 25), peut être vraiment réciproque. Car il aime l’autre tel qu’il est — au lieu d’ai
420 raiment réciproque. Car il aime l’autre tel qu’il est — au lieu d’aimer l’idée de l’amour ou sa mortelle et délicieuse brûl
421 du point de vue de la vie, au malheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’est un malheur mortel que pour l’homme sé
422 lheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’ est un malheur mortel que pour l’homme séparé de Dieu, mais un malheur re
423 e « saisit le salut ». 4.Orient et Occident Est -il possible de définir l’Orient et l’Occident en dehors de la géograp
424  » une conception religieuse qui à vrai dire nous est venue du Proche-Orient mais qui n’a triomphé qu’en Occident : celle q
425 lle. Mais seulement une communion, dont le modèle est dans le mariage de l’Église et de son Seigneur. Cela suppose une illu
426 ières, elles ne représentent que des défauts de l’ Être . Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera
427 onc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera en même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la vie. Agapè
428 l’union qui s’opérerait au-delà de la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le
429 au-delà de la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas d’êtr
430 terre. » Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’ est pas d’être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous
431 Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas d’ être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne trouver
432 ésir. Nous aurons beau sublimer notre Éros, il ne sera jamais que nous-mêmes ! Point d’illusions ni d’optimisme humain, dans
433 me orthodoxe. Mais alors, c’est le désespoir ? Ce serait le désespoir, s’il n’y avait pas la Bonne Nouvelle ; et cette nouvell
434 r de son Fils abaissé jusqu’à nous. L’Incarnation est le signe historique d’une création renouvelée, où le croyant se trouv
435 ’est-à-dire réconcilié, l’homme reste un homme (n’ est pas divinisé) mais un homme qui ne vit plus pour lui seul. « Tu aimer
436 exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine d’une vie nouvelle, dont l’acte créateur s’appelle la commu
437 , il faut bien qu’il y ait deux sujets, et qu’ils soient présents l’un à l’autre : donc l’un pour l’autre le prochain. Si l’Ag
438 lus comme un prétexte à s’exalter, mais tel qu’il est dans la réalité de sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a
439 espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain — n’ est -on pas en droit de conclure que cette forme d’amour nommée passion do
440 ous oblige à le constater : c’est l’inverse qui s’ est réalisé. Nous voyons qu’en Orient26, et dans la Grèce contemporaine d
441 la Grèce contemporaine de Platon, l’amour humain est très généralement conçu comme le plaisir, la simple volupté physique.
442  au sens tragique et douloureux — non seulement y est rare, mais encore et surtout y est méprisée par la morale courante co
443 on seulement y est rare, mais encore et surtout y est méprisée par la morale courante comme une maladie frénétique. « Aucun
444 n Occident, au xiie siècle, c’est le mariage qui est en butte au mépris, tandis que la passion est glorifiée dans la mesur
445 qui est en butte au mépris, tandis que la passion est glorifiée dans la mesure même où elle est déraisonnable, où elle fait
446 passion est glorifiée dans la mesure même où elle est déraisonnable, où elle fait souffrir, où elle exerce ses ravages aux
447 ction flagrante entre les doctrines et les mœurs. Serait -ce alors dans le fait même de cette contradiction flagrante que résid
448 xaltée. Le principe d’explication de ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de Platon et durant les siècles
449 emps de Platon et durant les siècles suivants, ne fut jamais une doctrine populaire, mais une sagesse ésotérique. Il en all
450 oi le christianisme triompha. La primitive Église fut une communauté de faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin
451 r en lui s’exalter la révolte du sang barbare. Il était prêt à accueillir, sous le couvert de formes catholiques, toutes les
452 ion incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’ est devenue cette doctrine parmi nous ? « Personne ne saurait dire jusqu’
453 é physique — alors qu’en fait cette beauté même n’ est que l’attribut conféré par l’amant à l’objet de son choix d’amour. L’
454 it son objet », et que la beauté « officielle » n’ est pas un gage d’être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède
455 que la beauté « officielle » n’est pas un gage d’ être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède, nous rend aveugle
456 s rend aveugles à la réalité de l’objet tel qu’il est dans sa vérité — ou bien nous la rend peu aimable. Et il nous jette à
457 Souvenons-nous du culte druidique pour la Femme, être prophétique, « éternel féminin », « but de l’homme ». Les Celtes, déj
458 simile d’instinct à la définition de la beauté, n’ est -ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si
459 re « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les causes de la curieuse contradiction qui apparaît au xiie si
460 trines et les mœurs, une première conclusion peut être formulée dès à présent : L’amour-passion est apparu en Occident comme
461 eut être formulée dès à présent : L’amour-passion est apparu en Occident comme l’un des contrecoups du christianisme (et sp
462 resterait bien théorique et contestable si nous n’ étions pas en mesure de retracer les voies et moyens historiques de cette re
463 urs et cathares Que toute la poésie européenne soit issue de la poésie des troubadours au xiie siècle, c’est ce dont per
464 les xie et xiie siècles, la poésie d’où qu’elle fût (hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienne, toscane, gé
465 , picarde, champenoise, flamande, anglaise, etc.) était au préalable languedocienne, c’est-à-dire que le poète, ne pouvant êt
466 uedocienne, c’est-à-dire que le poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le s
467 ire que le poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage
468 e le poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu de parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du t
469 it pas — le langage du troubadour, qui n’a jamais été que le provençal30. » Qu’est-ce que la poésie des troubadours ? L’exa
470 dour, qui n’a jamais été que le provençal30. » Qu’ est -ce que la poésie des troubadours ? L’exaltation de l’amour malheureux
471 prend sa source dans un système fixe de lois, qui seront codifiées sous le nom de leys d’amors. Mais il faut dire aussi que ja
472 Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut plus exaltante et fervente. Ce qu’elle exalte, c’est l’amour hors du
473 que l’union des corps, tandis que l’« Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-
474 s, tandis que l’« Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour p
475 ait un baiser sur le front. Désormais, ces amants seront liés par les lois de la cortezia : le secret, la patience, et la mesu
476 zia : le secret, la patience, et la mesure, qui n’ est pas tout à fait synonyme de la chasteté, nous le verrons, mais plutôt
477 s, mais plutôt de la retenue… Et surtout, l’homme sera le servant de la femme. D’où vient cette conception nouvelle de l’amo
478 mais encore faudrait-il expliquer pourquoi elle s’ est produite à tel moment et dans tels lieux bien définis ; ou bien tout
479 ors il s’agit de savoir pour quelles raisons elle est demeurée obscure jusqu’à nos jours. Ce qui est curieux au plus haut p
480 le est demeurée obscure jusqu’à nos jours. Ce qui est curieux au plus haut point, c’est l’embarras des romanistes les plus
481 ntradiction absolue avec ces conditions32 ». « Il est évident qu’elle ne reflète aucunement la réalité, la condition de la
482 la réalité, la condition de la femme n’ayant pas été , dans les institutions féodales du Midi, moins humble et dépendante q
483 et dépendante que dans celles du Nord. » Or, s’il est à ce point « évident » que les troubadours ne tiraient rien de la réa
484 eption de l’amour venait d’ailleurs. Quel pouvait être cet ailleurs ? La même question se pose pour leur art, j’entends pour
485 ’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’ être borné à raffiner des formes fixes et des lieux communs : mais encore
486 la lyrique arabe et la lyrique provençale : ce n’ est pas sérieux, nous dit-on. Brinkmann et d’autres ont supposé que la po
487 ournir des modèles : tout compte fait, cela ne se tient pas, car les troubadours, paraît-il, avaient trop peu de culture pour
488 u phénomène qu’ils passent leur vie à étudier. Il est vrai que Wechssler, dans un ouvrage fameux34, a cru pouvoir tout écla
489 ntre elles l’ensemble de nos érudits. Wechssler s’ est vu traiter de « doctrinaire » — suprême injure — et plusieurs ont ins
490 utations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il est également impossible — écrit un de nos professeurs — de voir dans ces
491 rmules vides de sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un philologue qui se respecte et n’entend pas « solliciter
492 specte et n’entend pas « solliciter » les textes, fût -ce par le moindre essai de les comprendre. Je ne saurais me contenter
493 se à supposer un seul instant que les troubadours furent des faibles d’esprit, tout juste bons à répéter sans se lasser des fo
494 si le secret de toute cette poésie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près d’elle qu’on ne l’a fait — tout près : sur
495 out près : sur place, dans le milieu même où elle est née. Et non pas dans le milieu purement « social » au sens moderne, m
496 cines dans la religion dualiste de l’Iran. Quelle était la doctrine des cathares ? On a répété très longtemps qu’« on ne le s
497 Hérésie, et que les seuls témoignages subsistants étaient les interrogatoires des accusés, probablement « sollicités » par les
498 ion, en 1939, d’un ouvrage théologique (tardif il est vrai) le Livre des deux Principes 37 s’ajoutant à la restitution d’un
499 s comme dans la réflexion de millions d’individus fut et demeure le problème du Mal, tel que l’homme spirituel l’expériment
500 deux mondes et de deux créations. En effet : Dieu est Amour, mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur
501 éations. En effet : Dieu est Amour, mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde, de ses ténèbres
502 , mais le monde est mauvais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde, de ses ténèbres et du péché qui nous enserre. Sa c
503 première dans l’ordre spirituel, puis animique, a été achevée dans l’ordre matériel par l’Ange révolté, le Grand Arrogant,
504 anges, en leur disant : « Qu’il leur valait mieux être en bas, où ils pourraient faire le mal et le bien, qu’en haut, où Die
505 ivi Satan et la femme d’une beauté éclatante, ont été prises dans des corps matériels, qui leur étaient et leur demeurent é
506 ont été prises dans des corps matériels, qui leur étaient et leur demeurent étrangers. (Cette idée me paraît éclairer un sentim
507 s de la procréation et de la mort. Mais le Christ est venu parmi nous, pour nous montrer le chemin du retour à la Lumière.
508 emblable à celui des gnostiques et de Manès, ne s’ est pas vraiment incarné : il n’a pris que l’apparence d’un homme. C’est
509 s’abstenir de tout contact avec leur femme, s’ils étaient mariés. Il semble qu’un jeûne de quarante jours41 précédait l’initiat
510 uprême de toute loi matérielle.) Le Consolamentum était administré par les évêques, et comportait l’imposition des mains, au
511 paix, et la vénération des Élus (ou « purs »). Il est important de mentionner ici la vénération manichéenne s’adressant à l
512 age de son âme par un salut et un baiser. L’enfer étant la prison de la matière, Lucifer, l’ange révolté, n’y peut régner que
513 our les hommes non encore illuminés — la création sera réintégrée dans l’unité de l’Esprit originel, les pécheurs entraînés
514 Esprit originel, les pécheurs entraînés par Satan seront sauvés, et Satan lui-même rentrera dans l’obéissance du Très-Haut. Le
515 rigines. Notons enfin ce dernier trait : comme ce fut le cas pour tant de sectes et de religions orientales — jaïnisme, bou
516 mons plus chrétiens que les leurs, et leurs mœurs étaient pures… » Ce jugement rachète en partie les calomnies de l’Inquisition
517 voir aujourd’hui une caractéristique chrétienne, est en fait d’origine manichéenne et « hérétique ». Car il est essentiel
518 it d’origine manichéenne et « hérétique ». Car il est essentiel de le rappeler ici : la « chair » dont parle saint Paul n’e
519 ppeler ici : la « chair » dont parle saint Paul n’ est pas le corps physique, mais le tout de l’homme incroyant, corps, rais
520 nt la civilisation très raffinée dont ils avaient été l’âme austère et secrète. Et cependant, de cette culture et de ses do
521 e culture et de ses doctrines fondamentales, nous sommes encore tributaires, au-delà de ce que l’on imagine… (Comme j’espère l
522 raste avec celle où je crois pouvoir m’arrêter44, fut avancée par des esprits aventureux comme Otto Rahn45, qui l’ont, à mo
523 a démontrer et de n’y pas croire du tout, et cela tient à l’essence même du phénomène dont elle essaie de rendre compte : à l
524 littéraire et religieux. Les données du problème sont , en gros, les suivantes. D’une part, l’hérésie cathare et l’amour cou
525 France)46. Comment croire que ces deux mouvements soient dépourvus de toute espèce de liens ? S’ils étaient demeurés sans nul
526 soient dépourvus de toute espèce de liens ? S’ils étaient demeurés sans nul rapport, ne serait-ce pas plus étrange que tout ? M
527 ens ? S’ils étaient demeurés sans nul rapport, ne serait -ce pas plus étrange que tout ? Mais en revanche, quelle espèce de lie
528 tres eux-mêmes cèdent à la tentation. Les églises sont désertes et tombent en ruines… Les personnages les plus importants de
529 es personnages les plus importants de ma terre se sont laissé corrompre. La foule a suivi leur exemple et abandonné la foi (
530 fait que je n’ose ni ne puis rien entreprendre. » Est -il imaginable que les troubadours aient vécu et chanté dans ce monde-
531 On a rétorqué à cela que les premiers troubadours sont apparus dans le Poitou et le Limousin, tandis que l’hérésie avait son
532 ébut par les troubadours limousins (comme elle le sera bientôt par ceux de bien d’autres régions de l’Europe), se trouve êtr
533 de bien d’autres régions de l’Europe), se trouve être la langue du comté de Toulouse ! On a dit aussi que les cours les plu
534 troubadours comme particulièrement accueillantes, étaient celles des seigneurs demeurés orthodoxes : mais cette observation n’e
535 rs demeurés orthodoxes : mais cette observation n’ est pas toujours exacte — il s’en faut de beaucoup, comme on va voir ! — 
536 que ces vers rendent un son « cathare » ? Mais qu’ est -ce que ce château de Fanjeaux ? L’une des maisons-mères des cathares 
537 dirigea en personne dès 1193 (notre poème pouvant être daté des environs de 1190), et c’est là qu’Esclarmonde de Foix, la pl
538 es et m’en dit honneur et louange. Et comme je ne suis pas au milieu d’elles et que je vais dans un autre pays, je me plains
539 tre pays, je me plains, je soupire et je languis. Est -il vraiment possible, se demande le lecteur, d’imaginer que Peire Vid
540 se demande le lecteur, d’imaginer que Peire Vidal soit autre chose qu’un galant amuseur, un flatteur de femmes riches — cell
541 s qui forment son public ? Mais la suite du poème est troublante. Peire Vidal énumère les maisons qui l’ont bien reçu et le
542 las ! il doit quitter pour aller en Provence : ce sont les châteaux de Laurac, de Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce so
543 aurac, de Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés de l’Albigeois et du Carcassès « où les chevaliers et les
544 rcassès « où les chevaliers et les femmes du pays sont courtois », et c’est aussi « Dame Louve, qui m’a si bien conquis que,
545 mon cœur ! » Or nous savons que tous ces châteaux sont des foyers connus de l’hérésie, ou même des « maisons d’hérétiques »
546 érétiques » (sortes de couvents) ; que ces comtés sont notoirement cathares ; et que cette « Louve » est la comtesse Stéphan
547 ont notoirement cathares ; et que cette « Louve » est la comtesse Stéphanie, dite la Loba, qui fait partie du groupe des hé
548 Ce doute et cette question renaissent à l’infini. Est -ce pure coïncidence, si les troubadours comme les cathares glorifient
549  sans toujours l’exercer — la vertu de chasteté ? Est -ce pure coïncidence si, comme les « purs », ils ne reçoivent de leur
550 expressions tirées de la liturgie cathare ? Il ne serait que trop facile de multiplier ces questions. Voyons plutôt les argume
551 nts adverses. Tous les troubadours, dira-t-on, ne furent pas dans le camp de l’hérésie. Plusieurs finirent leurs jours dans de
552 i passa-t-il pour un traître, jusqu’au jour où il fut accusé devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort de cinq-cent
553 illeurs, quand on démontrerait, à supposer que ce fût possible en soi, que tels d’entre les troubadours ignoraient les anal
554 pas encore démontré que l’origine de ce lyrisme n’ est pas hérétique. N’oublions pas qu’ils composaient leurs coblas et leur
555 peut concevoir une poésie — même très belle — qui serait faite de lieux communs dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’
556 uns dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’ est -ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si l’on dit : ces troubad
557 de ne jamais trahir leur foi, et cela quelle que fût la mort dont ils se verraient menacés. C’est ainsi que les registres
558 e dans les cours d’amour : « Un chevalier peut-il être à la fois marié et fidèle à sa dame ? » — Voilà qui nous donne à pens
559 parent « mariage » avec l’Église de Rome dont ils étaient les clercs, tout en servant dans leurs « pensées » une autre Dame, l’
560 e d’Auvergne fit pénitence ? Preuve de plus qu’il fut hérétique. Mais venons-en aux textes, et considérons-les dans la très
561 ait de son désir, si justement l’amour sans fin n’ était le mal qu’il aime, la « joy d’amor », le délire qui prévaut :       
562 e… S’il ne veut pas mourir encore, c’est qu’il n’ est pas assez détaché du désir, c’est qu’il craint de quitter son corps p
563 ois : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’ est loin, plus la désire ? Et voici Guiraut de Bornheil qui prie la vrai
564 d’épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », seraient -ce l’âme et le corps ? L’âme liée au corps, mais désirant l’esprit ?
565 eu, Seigneur, s’il vous agrée À mon copain fidèle soit aide et bienvenue Car ne l’ai plus revu depuis la nuit venue         
566 e faut se séparer ? Beau doux copain, tant riche est ce séjour Que ne veux jamais plus voir aube ni jour Car la plus belle
567 our Car la plus belle fille qui de mère naquit La tient dedans mes bras, donc plus ne me soucie         Ni de jaloux ni d’aub
568 En un verger, sous une loge d’aubépine, la dame a tenu son ami dans ses bras jusqu’à ce que le guetteur ait crié : Dieu ! c’
569  encore que bien souvent le doute s’insinue — qui est -elle, femme ou symbole ? Pourquoi sont-ils tous à jurer que jamais il
570 sinue — qui est-elle, femme ou symbole ? Pourquoi sont -ils tous à jurer que jamais ils ne trahiront le secret de leur grande
571 s, accomplis en toute malice, à demander qui elle est , et quel est son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai
572 en toute malice, à demander qui elle est, et quel est son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché.
573 demander qui elle est, et quel est son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt
574 t son pays, s’il est loin ou près, car je vous le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt que de faillir en un seul mot… Quelle
575 ais plutôt que de faillir en un seul mot… Quelle est la « dame » qui mériterait ce sacrifice ? Ou ce cri de Guillaume de P
576 cri de Guillaume de Poitiers : Par elle seule je serai sauvé ! Ou cette invocation d’Uc de Saint-Circ à une Dame sans merci
577 S’il ne s’agit que de figures de rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? Et quel Amour en fut l’idée plato
578 sprit qui leur donna naissance ? Et quel Amour en fut l’idée platonicienne ? Dans sa chanson Du moindre tiers d’Amour — cel
579 ers conviennent Noblesse et Merci ; et le premier est de telle élévation qu’au-dessus du ciel plane son pouvoir. Cet Amour
580 en trois, ce principe féminin (Amor en provençal est du genre féminin) qui chez Dante va « mouvoir le ciel et toutes les é
581 nous dit ici qu’il plane « au-dessus du ciel », n’ est -ce point déjà la Divinité en soi des grands mystiques hétérodoxes, le
582 us des cieux, » et dont « Noys » — le Noûs grec — est l’émanation intellectuelle et féminine ? Et d’où viendrait, sinon, l’
583 bien d’une femme réelle51 — le prétexte physique est là — mais comme dans le Cantique des Cantiques, le ton est réellement
584 mais comme dans le Cantique des Cantiques, le ton est réellement mystique. Les érudits nous ressassent leur formule : il n’
585 ris moi-même, elle m’a pris le monde, puis elle s’ est elle-même dérobée à moi, ne me laissant que mon désir et mon cœur ass
586 t, et dont les romanistes assurent que les poèmes sont « vides de pensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la m
587 ouvel An, elle me détruit et elle se damne. ⁂ Il est temps maintenant de pousser à l’extrême l’intuition directrice de cet
588 ition directrice de cette recherche. Si la Dame n’ est pas simplement l’Église d’Amour des cathares (comme ont pu le croire
589 ostiques (le Principe féminin de la divinité), ne serait -elle pas l’Anima, ou plus précisément encore : la part spirituelle de
590 enoncé au monde reçoit l’imposition des mains (ce sera chez les cathares le consolamentum, généralement donné à l’approche d
591 n, au moment de sa mort, la forme de Lumière, qui est son Esprit, lui apparaît et le console par un baiser ; comment son an
592  ». Il y eut aussi des dames « réelles »… Mais le furent -elles, en vérité, plus que cet événement psychique ? De l’énigme hist
593 té de l’Église hérétique, dont les poètes eussent été les agents, nous passons maintenant au mystère d’une passion propreme
594 on me dira : 1° Que la religion des cathares nous est encore mal connue et qu’il est donc au moins prématuré d’y voir la so
595 des cathares nous est encore mal connue et qu’il est donc au moins prématuré d’y voir la source (ou l’une des sources prin
596 t ; 3° Qu’au contraire, l’amour qu’ils exaltent n’ est que l’idéalisation ou la sublimation du désir sexuel ; 4° Qu’on disti
597 ces critiques. 1. Religion mal connue. Si elle n’ était pas connue du tout, le problème du lyrisme provençal resterait totale
598 surde une poétique et une éthique de l’amour d’où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de la litté
599 nes de l’hérésie. Or, si l’on se reporte à ce qui fut dit plus haut (II, 2) sur la nature essentiellement lyrique des dogme
600 it pas grand-chose pour ou contre ma thèse. Ce ne sont pas des équivalences rationnelles et exactes du dogme qu’il faut cher
601 chrétien » que l’on reconnaît chez un Baudelaire est autre chose qu’une transposition terme à terme des dogmes catholiques
602 utôt une certaine sensibilité (même formelle) qui serait inconcevable sans le dogme catholique ; à quoi s’ajoutent des élément
603 ments de vocabulaire et de syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On peut imaginer que les thèmes que nous avons
604 n spécialiste aussi sceptique que Jeanroy n’a pas été sans le remarquer. Parlant de la lyrique abstraite des troubadours du
605 -on, que figures de rhétorique sans conséquences. Soit . Mais les théories que les troubadours développaient avec une si grav
606 s développaient avec une si grave application, ne sont -elles pas aux antipodes du christianisme ? Ne devaient-ils pas s’en a
607 ie siècle une forme de conscience qui ne pouvait être la sienne. Si l’on essaie de se replacer dans l’atmosphère du Moyen Â
608 ’absence de signification symbolique d’une poésie serait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut être à nos yeux, par exe
609 rait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut être à nos yeux, par exemple, le symbolisme de la Dame. Dans l’optique de
610 oie, ni d’en prendre une conscience distincte. Il est indemne de ce rationalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d
611 stique Suso : « La vie de la chrétienté médiévale est , dans toutes ses manifestations, saturée de représentations religieus
612 ieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaires soient -elles, dont on ne cherche constamment à établir le rapport avec la fo
613 anscendantale, l’élan vers le sublime, ne peuvent être toujours présents. Viennent-ils à manquer, tout ce qui était destiné
614 urs présents. Viennent-ils à manquer, tout ce qui était destiné à stimuler la conscience religieuse dégénère en profane banal
615 ublime nous semble parfois frôler le ridicule. Il est sublime quand, par piété envers la Vierge, il rend hommage à toutes l
616 as leurs pommes. Après Noël, au temps où l’Enfant est trop jeune pour manger des fruits, Suso ne mange pas ce dernier quart
617 99). C’est dire que le « secret » des troubadours était en somme une évidence symbolique aux yeux des initiés et des sympathi
618 athisants de l’Église d’Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idée, strictement moderne, que les symboles, po
619 idée, strictement moderne, que les symboles, pour être valables, dussent être commentés et expliqués d’une manière non symbo
620 ne, que les symboles, pour être valables, dussent être commentés et expliqués d’une manière non symbolique… Une objection in
621 e manière non symbolique… Une objection inverse a été faite : comment se peut-il que jamais un cathare converti n’ait dénon
622 urs de l’hérésie ? La réponse me paraît aisée. Il est clair que les troubadours n’étaient nullement considérés comme des pr
623 paraît aisée. Il est clair que les troubadours n’ étaient nullement considérés comme des prédicateurs ni comme des militants ;
624 ples sympathisants. Ces distinctions, d’ailleurs, étaient bien moins tranchées qu’elles ne le seraient de nos jours. Ils chanta
625 eurs, étaient bien moins tranchées qu’elles ne le seraient de nos jours. Ils chantaient, pour un public en majorité favorable à
626 pression de l’amour humain58. » Le trobar clus ne serait ainsi qu’un jeu littéraire, un « tarabiscotage », « une perversion du
627 ers, qu’il s’avance et je lui dirai comment il me fut possible d’y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette ma
628 une énigme » ? On peut penser que les troubadours étaient mus par des passions moins puériles… « J’entrelace des mots rares, so
629 t Raimbaut d’Orange. Et Marcabru : « Pour sage je tiens sans nul doute celui qui dans mon chant devine ce que chaque mot sign
630 mon chant devine ce que chaque mot signifie. » Il est vrai qu’il ajoute — boutade ou précaution ? — « car moi-même je suis
631 ute — boutade ou précaution ? — « car moi-même je suis embarrassé pour éclaircir ma parole obscure. » Ici se poserait la plu
632 ent » symbolique des médiévaux : leurs symboles n’ étaient pas traduisibles en concepts prosaïques et rationnels. Ce n’est donc
633 sibles en concepts prosaïques et rationnels. Ce n’ est donc que sur le double sens allégorique que devrait porter la questio
634 ons que nous rapportent les chroniqueurs du temps sont parmi les plus folles, les plus « surréalistes » qu’ait connues l’his
635 même dogmatique à l’origine. 3. L’Amour courtois serait une idéalisation de l’amour charnel. C’est la thèse la plus courante.
636 t aisée à relever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée de son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules
637 se soit vidée de son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules creuses on le peut admettre. Mais au début et
638 début et jusqu’à la fin du xiie siècle, il n’en était pas ainsi : chez les poètes de cette époque, l’expression du désir ch
639 es de cette époque, l’expression du désir charnel est si vive et parfois si brutale qu’il est vraiment impossible de se tro
640 r charnel est si vive et parfois si brutale qu’il est vraiment impossible de se tromper sur la nature de leurs aspirations.
641 la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé de reconnaître l’équivoque des expressions courtoises et leurs
642 ns courtoises et leurs résonances mystiques. « Il est certain — doit-il avouer — que les idées religieuses d’une époque inf
643 ent que les « théories amoureuses du Moyen Âge ne sont qu’un reflet de ses idées religieuses ? » Et pourquoi vouloir à tout
644 , prince de Blaye, dit très nettement que sa Dame est une création de son esprit, et qu’elle s’évanouit avec l’aube. Ailleu
645 et que rien n’explique ». Exemples donnés : « Je suis en doute au sujet d’une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est
646 Je suis en doute au sujet d’une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est que tout ce que le frère me refuse, j’entends
647 car il y a d’autres sens encore que celui-ci, qui est franciscain avant la lettre). Et quant aux épithètes « réalistes » qu
648 il semblerait que toute la poésie des troubadours fût l’œuvre d’un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette
649 vre d’un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette expression « vive et brutale » d’un désir évidemment char
650  ? Dans la crudité de certains termes ? Mais elle était courante et naturelle avant le puritanisme bourgeois. L’argument est
651 urelle avant le puritanisme bourgeois. L’argument est anachronique. Voici par contre un document de poids à l’appui de la t
652 mmes. Si vous voulez faire leur conquête, dit-il, soyez brutaux, « donnez-leur des coups de poing sur le nez » (est-ce assez
653 x, « donnez-leur des coups de poing sur le nez » ( est -ce assez « cru » ?), forcez-les : car c’est cela qu’elles aiment. Qua
654 me gêner pour les femmes, pas plus que si toutes étaient mes sœurs ; c’est pourquoi je suis envers elles humble, complaisant,
655 e si toutes étaient mes sœurs ; c’est pourquoi je suis envers elles humble, complaisant, loyal et doux, tendre, respectueux
656 et fidèle… Je n’aime rien, sauf cet anneau qui m’ est cher, parce qu’il a été au doigt… Mais je m’aventure trop : assez, ma
657 en, sauf cet anneau qui m’est cher, parce qu’il a été au doigt… Mais je m’aventure trop : assez, ma langue ! Car trop parle
658 venture trop : assez, ma langue ! Car trop parler est pis que péché mortel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange d’ad
659 leurs que l’anneau (échangé par Tristan et Iseut) est le signe d’une fidélité qui justement n’est pas celle des corps. Soul
660 seut) est le signe d’une fidélité qui justement n’ est pas celle des corps. Soulignons enfin ce fait capital : que les vertu
661 ité, loyauté, respect et fidélité envers la Dame, sont ici rapportées expressément au refus de l’amour physique. Au surplus,
662 rplus, nous verrons plus tard les poèmes de Dante être d’autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs images que Béatr
663 leur Dame, Arnaut Daniel et l’italien Guinizelli sont placés au chant XXIV du Purgatoire dans le cercle des sodomistes61 !
664 contesté. On a trop longtemps cru que la cortezia était une simple idéalisation de l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait
665 déalisation de l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif de soutenir que l’idéal mystique sur quoi elle se fondait à
666 éal mystique sur quoi elle se fondait à l’origine fût toujours et partout observé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltat
667 rigine fût toujours et partout observé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltation de la chasteté produit presque toujours
668 n, mais par ailleurs divinisaient le sperme62. Il est probable que des excès de ce genre se produisirent aussi chez les cat
669 stres de l’Inquisition. Notons toutefois qu’elles sont souvent contradictoires. Ainsi l’on affirme tantôt que les cathares t
670 oires. Ainsi l’on affirme tantôt que les cathares tiennent pour innocentes les voluptés les plus grossières, tantôt qu’ils répro
671 l, licite ou non. Mais des accusations semblables furent portées contre toutes les religions nouvelles, sans excepter le chris
672 s, sans excepter le christianisme primitif. Et il est juste de citer ici le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de
673 ), des excès sensuels. Or, si les religieux ne se sont pas tus par modestie, ce qui ne me paraît pas croyable de la part d’h
674 mes qui faisaient attention à tout, leurs erreurs étaient plutôt des erreurs d’intelligence que de sensualité 63. » Retenons do
675 passion — au sens précis que je donne à ce mot — sont d’origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent
676 e mot — sont d’origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent flatter, par cela même qu’elles veulent
677 Tout ceci m’amène à conclure — quels qu’aient pu être mes scrupules à l’origine — que le lyrisme courtois fut au moins insp
678 s scrupules à l’origine — que le lyrisme courtois fut au moins inspiré par l’atmosphère religieuse du catharisme64. C’est l
679 xemple dont je crois pouvoir dire que les données sont entièrement énumérables et très profondément connues (au sens total)
680 des textes connus. (Il semble bien que Freud ait été avant tout un savant ; qu’il ait soutenu une théorie de la libido ; e
681 ris une attitude déterministe : or le surréalisme fut une école littéraire avant tout ; on ne retrouve le terme de libido d
682 dans aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont de tendance idéaliste-anarchisante) ; 2° que les surréalistes n’ont j
683 alistes n’ont jamais dit dans leurs poèmes qu’ils étaient les disciples du freudisme ; 3° qu’au contraire, la liberté qu’ils ex
684  ; 3° qu’au contraire, la liberté qu’ils exaltent est celle que devaient nier tous les psychanalystes ; 4° qu’enfin l’on di
685 siècle, comment toutes ces choses improbables se sont réellement produites ; nous savons que les initiateurs du mouvement s
686 sans lui, leurs théories et leur lyrisme eussent été tout différents ; nous savons que ces poètes n’éprouvaient nul besoin
687 fs de cette école lisent Freud : les disciples se sont bornés à imiter la rhétorique des maîtres… En outre, on aperçoit, par
688 ournir aux savants futurs les apaisements qu’ils, seront en droit d’attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur
689 éisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’ était bel et bien opérée en Arabie, et de plus, s’était exprimée par une po
690 était bel et bien opérée en Arabie, et de plus, s’ était exprimée par une poésie religieuse dont les métaphores érotiques offr
691 l prouvait de la sorte que cette double ignorance était précisément son fait. On l’excusera d’ailleurs si l’on tient compte d
692 un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme était par ailleurs très fortement pénétré de représentations mythiques iran
693 , il empruntait aux doctrines avestiques — dont s’ était inspiré Manès — l’opposition du monde de la Lumière et du monde des T
694 re et du monde des Ténèbres, dont on a vu qu’elle est fondamentale pour les cathares. Et tout cela se traduisait — tout com
695 imer que le fini. Il en résulta que les mystiques furent obligés de recourir à des symboles dont le sens restait secret. (Ains
696 it secret. (Ainsi la louange du vin, dont l’usage était interdit, devint le symbole de la divine ivresse d’amour.) Mais compt
697 ymbole de la divine ivresse d’amour.) Mais compte tenu de cette difficulté particulière — qui n’est d’ailleurs pas sans rapp
698 pte tenu de cette difficulté particulière — qui n’ est d’ailleurs pas sans rapport avec la situation courtoise —, nous retro
699 ayer de leur vie cette accusation d’hérésie65. Il est bien émouvant de constater que tous les termes d’une pareille polémiq
700 à la sortie du pont Chinvat et lui déclare : « Je suis toi-même ! » Or selon certains interprètes de la mystique des troubad
701 mystique des troubadours, la Dame des pensées ne serait autre que la part spirituelle et angélique de l’homme, son vrai moi.
702 p. viii du Livre Ier). c) Le Familier des Amants est construit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et de ses différent
703 le que l’on apprend la magie ». (L’Iseut celtique était aussi une magicienne, « objet de contemplation, spectacle mystérieux 
704 esclave, ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris de folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe
705 ou’m. Quand Nou’m me gratifie d’un regard, cela m’ est égal que Sou’da ne soit pas complaisante67. » « Nou’m » est le nom c
706 atifie d’un regard, cela m’est égal que Sou’da ne soit pas complaisante67. » « Nou’m » est le nom conventionnel de la femme
707 e Sou’da ne soit pas complaisante67. » « Nou’m » est le nom conventionnel de la femme aimée, et signifie ici Dieu. Or les
708 er des personnages historiques… e) La salutation est le salut que l’initié voulait donner au Sage, mais que celui-ci, prév
709 leur foi. À l’interrogation d’un impatient : « Qu’ est -ce que le soufisme ? », al-Hallaj répond : « Ne t’attaque pas à Nous,
710 ans le sang des amants. » De plus, les indiscrets sont soupçonnés d’intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les ama
711 crets sont soupçonnés d’intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les amants à l’autorité orthodoxe, c’est-à-dire qui
712 asser en affirmant que les amants du xiie siècle tenaient énormément au secret de leurs liaisons (ce qui les distinguerait, san
713 ècles) ? g) Enfin, la louange de la mort d’amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repo
714 des Arabes. Ibn-al-Faridh : Le repos de l’amour est une fatigue, son commencement une maladie, sa fin la mort. Pour moi c
715 fin la mort. Pour moi cependant la mort par amour est une vie ; je rends grâce à ma Bien-aimée de me l’avoir offerte. Celui
716 rir. La vie, c’est en effet le jour terrestre des êtres contingents et le tourment de la matière ; mais la mort, c’est la nui
717 ’union de l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’ Être absolu. Aussi Moïse est-il pour les mystiques arabes le symbole du pl
718 imé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est -il pour les mystiques arabes le symbole du plus grand Amant, puisqu’e
719 ie illuminative d’un Sohrawardi, d’un Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’amour : Al-Hallaj se rend
720 dait au supplice en riant. Je lui dis : Maître qu’ est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie de la Beauté attirant à
721 ui dis : Maître qu’est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie de la Beauté attirant à elle les amoureux68. ⁂ On sait
722 moureux68. ⁂ On sait enfin que l’amour platonique fut révéré par une tribu dont le prestige était grand dans le monde arabe
723 tonique fut révéré par une tribu dont le prestige était grand dans le monde arabe, celle des Banou Ohdri où l’on mourait d’am
724 : « Celui qui aime, qui s’abstient de tout ce qui est interdit, qui garde son amour secret, et qui meurt de son secret, cel
725 ourire. De Bagdad à l’Andalousie, la poésie arabe est une, par la langue et l’échange continu. L’Andalousie touche aux roya
726 t du lyrisme andalou aux xe et xie siècles nous est aujourd’hui bien connu. La prosodie précise du zadjal est celle-là mê
727 urd’hui bien connu. La prosodie précise du zadjal est celle-là même que reproduit le premier troubadour, Guillaume de Poiti
728 l’influence andalouse sur les poètes courtois ne sont plus à faire69. Et je pourrais ici remplir des pages de citations d’A
729 s peine à deviner de quel côté des Pyrénées elles furent écrites. La cause est entendue. Mais voici ce qui m’importe. L’on ass
730 côté des Pyrénées elles furent écrites. La cause est entendue. Mais voici ce qui m’importe. L’on assiste au xiie siècle d
731 , ni dans le parler vulgaire. La poésie courtoise est née de cette rencontre. Et c’est ainsi qu’au dernier confluent des « 
732 nière de beaucoup d’historiens pour qui le réel n’ est défini que par des documents écrits. J’irai maintenant un peu plus lo
733 re approfondir, tout en la précisant autant qu’il est possible, la problématique de l’amour courtois — parce que je la croi
734 ologiques : saint Bernard de Clairvaux et Abélard sont les pôles de ce drame dans l’Église, et au niveau de la spéculation.
735 res. En revanche, beaucoup professent que l’homme étant divin, rien de ce qu’il fait avec son corps — cette part du diable —
736 e nombreux commentaires du Cantique des Cantiques sont écrits pour les nonnes des premiers couvents de femmes, de l’abbaye d
737 m de Flore annonce que l’Esprit Saint, dont l’ère est imminente, s’incarnera dans une Femme. Tout cela se passe dans la réa
738 Et les ordres monastiques qui apparaissent alors sont des répliques aux ordres chevaleresques : le moine est « chevalier de
739 es répliques aux ordres chevaleresques : le moine est « chevalier de Marie ». En 1140, à Lyon, les chanoines établissent un
740 re de la manière la plus précise : « Si Marie eût été conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’être rachetée par Jé
741 conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’ être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à une né
742 Enfin, voici un dernier trait dont on verra qu’il est tout impossible de le rattacher latéralement aux précédents. C’est au
743 ste « impur ». Ce complexe de sentiments œdipiens est d’autant plus contraignant que la structure sociale est plus solide,
744 autant plus contraignant que la structure sociale est plus solide, la puissance du père plus assurée, et le dieu dont le pè
745 nce du père plus assurée, et le dieu dont le père tient ses pouvoirs plus révéré. Imaginons maintenant un état de la société
746 sée ; où la puissance divine se divise elle-même, soit en une pluralité de dieux, comme en Grèce, soit en un couple dieu-dée
747 , soit en une pluralité de dieux, comme en Grèce, soit en un couple dieu-déesse, comme en Égypte, soit enfin comme dans le m
748 , soit en un couple dieu-déesse, comme en Égypte, soit enfin comme dans le manichéisme, en un Dieu bon qui est pur esprit et
749 fin comme dans le manichéisme, en un Dieu bon qui est pur esprit et un Démiurge qui domine la matière et la chair. La compu
750 à condition que cette Déesse-Mère ne cesse pas d’ être virginale, qu’elle échappe donc à l’interdit maintenu sur la femme de
751 ttéralement un enthousiasme libérateur unifiant l’ être , le « consolant73 ». 3. Une illustration. — Au xiie siècle, l’on as
752 èche. Du côté cathare, le mariage et la sexualité sont condamnés sans rémission par les Parfaits ou « consolés », mais demeu
753 té des hérétiques. Du côté catholique, le mariage est tenu pour sacrement, cependant qu’il repose en fait sur des bases d’i
754 es hérétiques. Du côté catholique, le mariage est tenu pour sacrement, cependant qu’il repose en fait sur des bases d’intérê
755 et social, et se voit imposé aux époux sans qu’il soit tenu compte de leurs sentiments. En même temps, le relâchement de l’a
756 nt célébrée par les mêmes hommes qui persistent à tenir la sexualité pour « vilaine » ; et nous voyons souvent dans le même p
757 Carcassès, du Toulousain, du Foix, de l’Albigeois étaient « croyantes » et savaient — bien qu’elles fussent mariées — que le ma
758 étaient « croyantes » et savaient — bien qu’elles fussent mariées — que le mariage était condamné par leur Église. Beaucoup de
759 — bien qu’elles fussent mariées — que le mariage était condamné par leur Église. Beaucoup de troubadours — cela n’est pas do
760 par leur Église. Beaucoup de troubadours — cela n’ est pas douteux — étaient cathares ou, du moins, très au courant des idée
761 eaucoup de troubadours — cela n’est pas douteux — étaient cathares ou, du moins, très au courant des idées qui étaient dans l’a
762 hares ou, du moins, très au courant des idées qui étaient dans l’air depuis deux-cents ans. Dans tous les cas, ils chantaient p
763 un antipode spirituel au mariage où elles avaient été contraintes. » Le même auteur ajoute qu’à son avis, « il n’est pas qu
764 es. » Le même auteur ajoute qu’à son avis, « il n’ est pas question de voir dans la chasteté, ainsi feinte, une habitude rée
765 ure normale, à laquelle la culture et la religion seraient venues surajouter leurs faux problèmes… Cette illusion touchante peut
766 as à comprendre leur vie. Car tous, tant que nous sommes , sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion prop
767 fait, aisément confondues avec l’instinct. Elles furent tantôt des artifices cruels, tantôt des rites sacrés ou des gestes ma
768 ent les dieux (en premier lieu Shiva et Bouddha)… est fortement personnifiée : c’est la Déesse, Épouse et Mère… Le dynamism
769 on de la Mère. L’apothéose religieuse de la femme est commune d’ailleurs à tous les courants mystiques du Moyen Âge indien…
770 rants mystiques du Moyen Âge indien… Le tantrisme est par excellence une technique, bien que fondamentalement il soit une m
771 lence une technique, bien que fondamentalement il soit une métaphysique et une mystique… La méditation éveille certaines for
772 li mudra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit être tenu pour le secret des secrets. » Les précisions données par le text
773 dra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit être tenu pour le secret des secrets. » Les précisions données par le texte fon
774 ue. Mais la plupart des textes qui la décrivent «  sont écrits dans un langage intentionnel, secret, obscur, à double sens, d
775 à double sens, dans lequel un état de conscience est exprimé par un terme érotique78 » — ou l’inverse aussi bien. À tel po
776 point « qu’on ne peut jamais préciser si maithuna est un acte réel ou simplement une allégorie ». De toute manière, le but
777 plement une allégorie ». De toute manière, le but est le « suprême grand bonheur… la joie de l’anéantissement du moi ». Et
778 ’arrêt non du plaisir mais de son effet physique, est utilisée comme expérience immédiate pour obtenir l’état nirvanique. «
779 ’amante synthétise toute la nature féminine, elle est mère, sœur, épouse, fille… elle est le chemin du salut79 ». Ainsi le
780 éminine, elle est mère, sœur, épouse, fille… elle est le chemin du salut79 ». Ainsi le tantrisme apporte cette nouveauté qu
781 hé et de la mort : l’acte sexuel80. » Mais l’acte est toujours décrit comme étant celui de l’homme. La femme reste passive,
782 sexuel80. » Mais l’acte est toujours décrit comme étant celui de l’homme. La femme reste passive, impersonnelle, pur principe
783  e. l’arrêt séminal81 ». Des pratiques similaires sont prescrites par le taoïsme, mais en vue de prolonger la jeunesse et la
784 ès le début du xiie siècle, ces « lois d’Amour » sont donc déjà fixées, comme un rituel. Ce sont Mesure, Service, Prouesse,
785 mour » sont donc déjà fixées, comme un rituel. Ce sont Mesure, Service, Prouesse, Longue Attente, Chasteté, Secret et Merci,
786 et Merci, et ces vertus conduisent à la Joie, qui est signe et garantie de Vray Amor. Voici Mesure et Patience : De courtoi
787 abe Ibn Dawoud disait : « La soumission à l’aimée est la marque naturelle d’un homme courtois. ») Voici la Chasteté : Celui
788 férente : J’ai une amie, mais je ne sais qui elle est , car jamais de par ma foi je ne la vis… et je l’aime fort… Nulle joie
789 sion de cet amour lointain. La « joie d’Amour » n’ est pas seulement libératrice du désir dominé par Mesure et Prouesse, ell
790 rice du désir dominé par Mesure et Prouesse, elle est aussi fontaine de Jouvence : Je veux garder (ma dame) pour me rafraîc
791 eront ce que leurs modèles avaient chanté. « Ce n’ est plus de l’amour courtois, si on le matérialise ou si la Dame se rend
792 Calenson : Dans le palais où elle siège (la Dame) sont cinq portes : celui qui peut ouvrir les deux premières passe aisément
793 ères passe aisément les trois autres, mais il lui est difficile d’en sortir, il vit dans la joie, celui qui peut y rester.
794 là n’entrent ni vilains ni malotrus, ces gens-là sont logés dans le faubourg, lequel occupe plus de la moitié du monde. Cel
795 s vers le commentaire suivant : « Les cinq portes sont Désir, Prière, Servir, Baiser et Faire, par où Amour périt. » Les qua
796 et Faire, par où Amour périt. » Les quatre degrés sont « honorer, dissimuler, bien servir, patiemment attendre84 ». Quant à
797 qui couve Faux Amour ». (Et en effet, le diable n’ est -il pas le père de la création matérielle… et de la procréation, selon
798 on le catharisme ?) Les adversaires du vrai Amour sont les « homicides, traîtres, simoniaques, enchanteurs, luxurieux, usuri
799 x abbés, fausses recluses et faux reclus85 ». Ils seront détruits, « soumis à toute ruine », et tourmentés en enfer. Noble Am
800 urmentés en enfer. Noble Amour a promis qu’il en serait ainsi, là sera la lamentation des désespérés. Ah ! noble Amour, sourc
801 . Noble Amour a promis qu’il en serait ainsi, là sera la lamentation des désespérés. Ah ! noble Amour, source de bonté, par
802 e Amour, source de bonté, par qui le monde entier est illuminé, je te crie merci. Contre ces clameurs gémissantes, défends-
803 meurs gémissantes, défends-moi, de peur que je ne sois retenu là-bas (en enfer) ; en tous lieux je me tiens pour ton prisonn
804 is retenu là-bas (en enfer) ; en tous lieux je me tiens pour ton prisonnier et, réconforté par toi sur toutes choses, j’espèr
805 nforté par toi sur toutes choses, j’espère que tu seras mon guide. Enfin, contre certains des troubadours qui sans doute abu
806 pourquoi les maris deviennent jaloux et les dames sont dans l’angoisse… Ces faux servants font qu’un grand nombre abandonnen
807 Mérite et éloignent d’eux Jeunesse. » Quelles que soient les réalités ou l’absence de réalités « matérielles » qui aient pu co
808 eulement pour chanter ce que l’on pourrait encore tenir , chez les troubadours du Midi, pour une pure fantasmagorie sentimenta
809 ur sur certains faits que la « science sérieuse » tient aujourd’hui pour établis. Simplement, je les crois de nature à nourri
810 La Pantcha Tantra, recueil de contes bouddhistes, fut traduite au vie siècle du sanscrit en pehlevi, par un médecin de Cho
811 arabe. Le périple du Roman de Barlaam et Josaphat est encore plus surprenant. Sous sa forme connue de nos jours, c’est l’hi
812 t adopter le christianisme, dont les mystères lui sont communiqués par le « bonhomme » Barlaam. La version qui nous est rest
813 par le « bonhomme » Barlaam. La version qui nous est restée, en provençal du xive siècle, quoique orthodoxe dans les gran
814 et plus proche de l’original. Que cette hypothèse soit un jour vérifiée ou non, il n’en reste pas moins que l’origine manich
815 este pas moins que l’origine manichéenne du Roman est attestée par les fragments de son texte original (en langage ouigour
816 awhar va Budhâsaf » (var. Yudhâsaf). Innombrables sont les exemples de relations entre l’Orient et l’Occident médiéval. J’ai
817 tes arabes, homosexuels pour la plupart, comme le furent plusieurs troubadours. Il s’exprime dans des termes qui seront repris
818 urs troubadours. Il s’exprime dans des termes qui seront repris par presque tous les grands mystiques de l’Occident. Il nous s
819 s le goût des petites cours du Moyen Âge. Il peut être purement rêvé, et beaucoup se refusent à y voir autre chose qu’un tou
820 Tout cela me paraît vraisemblable, tout cela peut être « vrai » aux divers sens du mot, et simultanément, et de plusieurs ma
821 quête à laquelle je viens de me livrer, et compte tenu des objections les plus sensées que firent à ma thèse minima les part
822 de mes premières constatations : l’amour courtois est né au xiie siècle, en pleine révolution de la psyché occidentale. Il
823 u Nord et du Midi. Il semble bien que la question soit actuellement résolue : c’est bien le Midi roman qui a donné son style
824 de l’amour courtois87. Chrétien de Troyes déclare tenir le fond et l’esprit de ses romans de la comtesse Marie de Champagne,
825 liénor, célèbre par sa cour d’amour où le mariage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tristan dont les manuscrit
826 ait écrit un Roman de Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la
827 e Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende de Tristan se
828 uscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende de Tristan se répandit très largeme
829 ns. Nous avons vu que la religion druidique, d’où sont issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doctrine d
830 gir d’anciennes traditions autochtones, elle n’en était pas moins pour les trouvères une chose apprise : d’où les erreurs qu’
831 ’où les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il est d’ailleurs extrêmement délicat de préciser les causes et l’importance
832 les causes et l’importance exacte de ces erreurs. Est -ce un défaut d’initiation ? Est-ce une tradition imparfaite ? Ou enco
833 e de ces erreurs. Est-ce un défaut d’initiation ? Est -ce une tradition imparfaite ? Ou encore une tendance hérétique au sei
834 , bornons-nous à remarquer que les romans bretons sont tantôt plus « chrétiens » et tantôt plus « barbares » que les poèmes
835 rbares » que les poèmes des troubadours, dont ils sont cependant inspirés de la manière la plus incontestable. Nous ne savon
836 vons dans quelle mesure il a voulu que ses romans fussent des chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse de Rahn, Pélada
837 j’inclinerais à le penser). Toutes les hypothèses sont permises en l’absence de documents dont on voit bien pourquoi ils fon
838 sa volonté de demeurer ésotérique. Quoi qu’il en soit , Chrétien de Troyes a notablement déformé la signification des mythes
839 oïde, femme du Castis, chez Wolfram d’Eschenbach, serait le comte Ramon Roger Trencavel, fils d’Adélaïde de Carcassonne et d’A
840 il penser, avec un transcripteur moderne, qu’« il est fort vraisemblable que Chrétien de Troyes n’était pas instruit du sen
841 l est fort vraisemblable que Chrétien de Troyes n’ était pas instruit du sens païen et secret de ces traits mystérieux qu’il r
842 rnement romanesque et la chronique réelle ? Si ce fut le cas, il n’y réussit que trop bien, puisque Robert de Boron, son co
843 ate de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont évidents, si saugrenues que puissent paraître les interprétations que
844 donne l’auteur lui-même, après chaque épisode. Il est une de ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine
845 se. « Je vous dirai la signifiance de ce qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous avez dédaignée
846 e de droite que vous avez dédaignée au carrefour, était celle de la chevalerie terrienne, où vous avez longtemps triomphé ; c
847 où vous avez longtemps triomphé ; celle de gauche était la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer
848 de leurs meilleurs adaptateurs modernes ! Ainsi s’ est répandue l’opinion fort étrange que les poètes bretons n’étaient en s
849 e l’opinion fort étrange que les poètes bretons n’ étaient en somme que des amuseurs un peu niais, dont le succès demeure incomp
850 us ferait voir au contraire que la vraie barbarie est dans la conception moderne du roman, photographie truquée de faits in
851 ignifie », dans ces aventures merveilleuses, tout est symbole ou délicate allégorie, et seuls les ignorants s’arrêtent à l’
852 , non avertis. Mais quand bien même les trouvères seraient inférieurs aux troubadours dans la connaissance mystique, ils n’ont p
853 hrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes d’amour, comme on le répète, mais de véritab
854 nitiale que Lancelot ne trouvera pas le Graal, et sera cent fois humilié quand il errera dans la voie céleste. Il a choisi l
855 voie terrienne, il a trahi l’Amour mystique, il n’ est pas « pur ». Seuls les « purs » et les vrais « sauvages » comme Bohor
856 erceval et Galaad parviendront à l’initiation. Il est clair que la description de ces errements et de leurs punitions exige
857 a simple chanson. Dans Tristan, la faute initiale est douloureusement rachetée par une longue pénitence des amants. C’est p
858 ens que la part épique — combats et intrigues — y est réduite au minimum, tandis que le développement tragique de la doctri
859 e et simple du récit. Mais en même temps, Tristan est le plus « breton » des romans courtois, en ce sens qu’on y trouve inc
860 nne des éléments de religion brittonique : elle s’ est formée dans un pays chrétien, romanisé, puis colonisé par les Irlanda
861 , puis colonisé par les Irlandais93 ». Le miracle est cependant attesté par un grand nombre d’incidents mis en œuvre par Bé
862 re, le pouvoir poétique de ces éléments religieux était tel qu’on s’explique assez bien leur survivance, même dans un monde q
863 es morts. Ce héros, Bran, Cuchulainn, ou Oisin, «  est attiré par une mystérieuse beauté : il s’embarque sur une barque magi
864 mort les précède, empêchant leur réunion « car il était prédit par les druides qu’ils ne se rencontreraient pas dans leur vie
865 après la mort, pour ne jamais se séparer »95. Il serait aisé de multiplier ces comparaisons littéraires. Mais certains traits
866 ppelle que Tristan, après la mort de ses parents, fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était fréquent, chez les
867 fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était fréquent, chez les plus anciens Celtes, que l’on confiât les enfants
868 généralement du nom anglo-normand de fosterage s’ est maintenue en pays celtique : nous trouvons les enfants confiés à des
869 ourricier… On recherchait comme pères nourriciers soit les membres de la famille maternelle, soit… des druides96. » Tristan
870 iciers soit les membres de la famille maternelle, soit … des druides96. » Tristan élevé par Marc, son oncle maternel, devient
871 ouvent jusqu’à cinquante fils juridiques (le lien était donc assez faible), et surtout le fait que l’inceste était assez bien
872 c assez faible), et surtout le fait que l’inceste était assez bien toléré chez les Celtes, comme l’attestent de nombreux docu
873 d’Hubert : à savoir que la mythologie celtique s’ est transmise au cycle courtois non par des voies proprement religieuses,
874 lus clair et le plus précieux du génie celtique s’ est incorporé à l’esprit européen. (Hubert, II, p. 336.) Ce « son particu
875 rendre à sa moderne transcription de la légende, est si nettement sensible à notre cœur qu’il nous met en mesure d’isoler
876 blimation religieuse de la femme par les druides) est avant tout l’amour sensuel97. Le fait que dans certaines légendes cet
877 tériques, aide à comprendre que le fond breton se soit si aisément adapté au symbolisme du roman courtois. Mais cette analog
878 our son nom et pour sa beauté, car, quelle qu’eût été sa beauté sans ce nom, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le dési
879 lle qu’eût été sa beauté sans ce nom, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le désir de Tristan ne s’y fût pas porté. Ains
880 ce nom sans sa beauté, le désir de Tristan ne s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et de ses peine
881 rment. » Du seul fait qu’Iseut aux blanches mains est devenue sa femme légitime, il ne doit plus et ne peut plus la désirer
882 il n’eût méprisé le bien qu’il a, s’il n’eût pas été le sien : son cœur ne prend en aversion que le bonheur qu’il est cont
883 on cœur ne prend en aversion que le bonheur qu’il est contraint d’avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa rech
884 st contraint d’avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa recherche, pensant toujours trouver mieux, parce qu’il n’a
885 enfin la fantaisie individuelle des poètes : tels sont donc en fin de compte les éléments sur lesquels la doctrine hérétique
886 cette métamorphose : il nous échappe doublement, étant poétique et mystique. Mais nous savons maintenant d’où vient le mythe
887 ement conscient de ses implications théologiques, fut le fait de Gottfried de Strasbourg, vers le début du xiiie siècle. G
888 sbourg, vers le début du xiiie siècle. Gottfried était un clerc, qui lisait le français (il cite souvent des vers de Thomas
889 e » qui la compense. Angoisse : l’instinct sexuel est ressenti comme un destin cruel, une tyrannie ; orgueil : cette tyrann
890 in cruel, une tyrannie ; orgueil : cette tyrannie sera conçue comme une force divinisante — c’est-à-dire dressant l’homme co
891 s dans un au-delà de toute morale, qui ne saurait être que divin. Ainsi le philtre à la fois rive à la sexualité, qui est un
892 nsi le philtre à la fois rive à la sexualité, qui est une loi de la vie, et contraint à la dépasser dans un hybris libérate
893 riage de Tristan avec Iseut aux blanches mains ne fut pas « blanc », mais consommé. Son long poème inachevé — il nous en re
894 rs, mais la mort des amants, quoique annoncée, ne fut jamais écrite — est à la fois plus religieux et plus sensuel que ceux
895 amants, quoique annoncée, ne fut jamais écrite — est à la fois plus religieux et plus sensuel que ceux de Béroul et de Tho
896 gende sans auteur99. a) Le « jugement de Dieu » est une coutume barbare, mais l’Église l’admettait au xiie siècle et ven
897 tée au rouge : seuls les menteurs ou les parjures étaient brûlés. On sait qu’Iseut, soupçonnée de trahir sa fidélité au roi Mar
898 eil et de défi démesuré. Elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’un autre homme que son mari, si ce n’est, ajoute-t-el
899 s les bras d’un autre homme que son mari, si ce n’ est , ajoute-t-elle en riant, dans les bras du pauvre passeur qui vient de
900 t intacte de l’épreuve. Gottfried commente : « Ce fut ainsi chose manifeste et avérée devant tous que le très vertueux Chri
901 e chacun, à la sincérité comme à la tromperie… Il est toujours ce que l’on veut qu’il soit 100. » L’allusion au « cœur » es
902 tromperie… Il est toujours ce que l’on veut qu’il soit 100. » L’allusion au « cœur » est nettement dirigée contre Bernard de
903 ’on veut qu’il soit 100. » L’allusion au « cœur » est nettement dirigée contre Bernard de Clairvaux, dont les écrits étaien
904 igée contre Bernard de Clairvaux, dont les écrits étaient si familiers au poète qu’il imite bien souvent leur dialectique de la
905 ans cet ordre le mariage. b) La Minnegrotte nous est décrite comme une église, avec une science réelle du symbolisme litur
906 ond avec l’esprit en unité transcendantale. Et ce sont les amants, non les croyants, qui vont être divinisés par la « consom
907 Et ce sont les amants, non les croyants, qui vont être divinisés par la « consommation » (spirituelle ou physique ? l’ambigu
908 pisode de la Minnegrotte toute la dialectique qui sera celle des grands mystiques du xiiie et du xviie siècles : les trois
909 es trois voies purgative, illuminative et unitive sont ici très précisément préfigurées, quoique infléchies ou inverties par
910 nent mieux que possibles : inévitables. Nous n’en sommes pas sortis au xxe siècle, sinon ce livre n’aurait plus d’objet. Mais
911 plus d’objet. Mais on peut poser des repères. Il est bien évident que Gottfried de Strasbourg utilise à son gré la « matiè
912 ignore si elle ne lui a pas coûté la vie. Mais il est non moins clair que le cadre du roman, son intrigue et ses thèmes dir
913 semblent confondre avec la « science ». Tristan est un roman bien plus profondément et plus indiscutablement manichéen qu
914 ndiscutablement manichéen que la Divine Comédie n’ est thomiste. Il reste que Gottfried explicite la légende d’une manière t
915 rd. Même si l’on ignorait que la source de Wagner fut le poème de Gottfried, la seule comparaison des textes l’établirait :
916 t, du temps, de l’espace et du malheur terrestre, est emprunté presque littéralement à divers passages du poème103. Mais bi
917 rtient au démon. Tout ce qui dépend de son empire est donc voué à la nécessité, et les corps sont voués au désir, dont le p
918 empire est donc voué à la nécessité, et les corps sont voués au désir, dont le philtre d’amour symbolise l’inéluctable tyran
919 amour symbolise l’inéluctable tyrannie. L’homme n’ est pas libre. Il est déterminé par le démon. Mais s’il assume son destin
920 inéluctable tyrannie. L’homme n’est pas libre. Il est déterminé par le démon. Mais s’il assume son destin de malheur jusqu’
921 ns n’avaient pas voulu dire, ou pas su dire, et s’ étaient curieusement contentés d’illustrer en actions romanesques : la nostal
922 ontradiction tragique entre le Bien — qui ne peut être que l’Amour — et le Mal triomphant dans le monde créé. Ce que Wagner,
923 ’un Bédier. 14.Premières conclusions Compte tenu du changement de registre qui s’opère dans les expressions poétiques
924 ubadours au Nord plus barbare des trouvères, nous sommes en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul, Thomas e
925 d’un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion : L’amour-passion glorifié par le mythe
926 onclusion : L’amour-passion glorifié par le mythe fut réellement au xiie siècle, date de son apparition, une religion dans
927 sée de nos jours par les romans et par le film, n’ est rien d’autre que le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’u
928 que dans nos vies privées. La mystique d’Occident est une autre passion dont le langage métaphorique est parfois étrangemen
929 st une autre passion dont le langage métaphorique est parfois étrangement semblable à celui de l’amour courtois. Nos grande
930 lui de l’amour courtois. Nos grandes littératures sont pour une bonne partie des laïcisations du mythe, ou comme je préfère
931 27. Droit d’user et d’abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour le droit romain : persona est sui juris ;
932 des « personnes » pour le droit romain : persona est sui juris ; servus non est persona. 28. J. Ortega y Gasset, Uber di
933 droit romain : persona est sui juris ; servus non est persona. 28. J. Ortega y Gasset, Uber die Liebe. 29. Ceci n’est pa
934 . J. Ortega y Gasset, Uber die Liebe. 29. Ceci n’ est pas une boutade, on le verra bien par la suite. Le premier couple d’a
935 er couple d’amants « passionnés » dont l’histoire soit venue jusqu’à nous, c’est Héloïse et Abélard dont la rencontre se sit
936 e non point Dieu, mais le diable. 41. Ce chiffre est archétypique. Jésus est demeuré quarante jours au Désert. Les Hébreux
937 e diable. 41. Ce chiffre est archétypique. Jésus est demeuré quarante jours au Désert. Les Hébreux ont erré pendant quaran
938 ans entre l’Égypte et la Terre promise. Le Déluge est provoqué par une pluie de quarante jours. Dans le tantrisme bouddhiqu
939 tantrisme bouddhique, le « service » de la Femme est divisé en épreuves de quarante jours, etc., etc. Quarante est le nomb
940 n épreuves de quarante jours, etc., etc. Quarante est le nombre de l’Épreuve. 42. L’expression de « parfaits » ne se trouv
941 shommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir été utilisé par les cathares eux-mêmes, et « parfaits » serait ironique.
942 ilisé par les cathares eux-mêmes, et « parfaits » serait ironique. 43. Voir l’excellent ouvrage de Fernand Niel, Montségur, l
943 a montagne inspirée, 1955. « Si Montségur n’a pas été le château du Graal [comme l’affirmait Rahn] aucun autre en Europe ne
944 adversaires les plus virulents de cette hypothèse sont ceux qui n’ont pas vu le site de Montségur. Le choc émotif profond pr
945 1160. Mais dès 1145, selon Borst, le catharisme s’ est répandu de la Bulgarie à l’Angleterre ! Le nom apparaît cette année-l
946 pendant, un grand nombre de femmes de la noblesse étaient cathares, et les troubadours leur dédiaient leurs chansons ! 48. Déo
947 mot « vraie » devant Dieu, Lumière, Foi, Église, est un indice probable de catharisme chez un troubadour. Les cathares s’a
948 n significative pour l’initié. 50. Les « aubes » étaient un genre régulier. On conçoit sa nécessité dans une vision du monde d
949 badour, de basse extraction sociale en général, s’ est épris de la femme d’un haut baron, qui le dédaigne. Certes, cela se v
950 xhalé dans ses poèmes cette même plainte ? Rien n’ est trop haut pour lui, c’est évident, s’il ne s’agit que de ce monde. En
951 nces entre doctrine cathare et poétique courtoise sont précises. Lucie Varga, dans une étude sur Peire Cardenal (ou Cardinal
952 l), l’un des derniers troubadours (Peire Cardinal était -il hérétique ? Revue d’Histoire des Religions, juin 1938) va jusqu’à
953 adours, II, p. 306. 56. Par exemple, le médiéval serait trop « naïf » pour étudier une matière qu’il jugerait absurde, c’est-
954 Depuis quand ? Rudel utilisait ce procédé, et il est de la première moitié du xiie siècle, c’est-à-dire de la première gé
955 onc l’un des inventeurs de ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple d’anachronisme tendancieux. On veut à tout prix qu
956 n veut à tout prix que le langage des troubadours soit le langage naturel de l’amour humain, transposé à l’amour divin. Alor
957 Alors qu’historiquement, c’est le contraire qui s’ est produit. 59. Un amoureux peu lettré qui écrit à sa fiancée des épîtr
958 e crois qu’ici encore, au moins à l’origine, tout est symbole religieux, autant ou plus que traduction de relations humaine
959 ment, dans le plan sexuel, des déviations dont il serait difficile de nier que certains troubadours n’aient été victimes. 62.
960 ifficile de nier que certains troubadours n’aient été victimes. 62. Textes traduits et commentés dans Wolfgang Schultz, Do
961 llaj, p. 161) : « Adorer Dieu par amour seulement est le crime des manichéens… (ceux-ci) adorent Dieu par amour physique, p
962 , comme un aimant, le foyer de lumière dont elles sont venues. » 66. H. Corbin : Introduction au Familier des Amants. 67.
963 duction du Collier de la colombe d’Ibn Hazm — qui est une théorie de l’amour courtois arabe — et son ouvrage d’ensemble, Hi
964 que les réfutations les plus virulentes qui aient été publiées portaient beaucoup moins sur cette thèse que sur sa réductio
965 à savoir que les poèmes des troubadours pouvaient être — selon Rahn, Aroux et Péladan — une sorte de langage secret du catha
966 ication tout à fait abusive, dont mes adversaires sont plus responsables que moi — en dépit de certaines imprudences d’expre
967 dépit de certaines imprudences d’expression. (Ce sont elles, par malheur, qui ont le plus fait pour assurer le succès de l’
968 atholique d’avoir inverti le nom même du Dieu qui est Amour. 72. Ce qui n’empêchera pas l’Église de Rome, en la personne d
969 que et rythmique par cette double trahison. Qu’il soit bien entendu que je n’épingle ici que des dépouilles de sens… 83. No
970 Sahajiya. Cette interprétation de Guiraut Riquier est exacte. On peut s’en assurer en lisant cette phrase d’Ælius Donatus (
971 à tactus.) Le thème des Cinq lignes d’amour peut être suivi à travers toute la poésie latine du Moyen Âge, jusqu’à la Renai
972 le retrouve chez Marot et Ronsard. Les variations sont très légères. Mais en 1510, Jean Lemaire de Belges écrit dans ses Ill
973 ler, l’attouchement, le baiser, et le dernier qui est plus désiré, et auquel tous les autres tendent pour leur finale résol
974 on de mercy. » Le contraste avec l’amour courtois est clair. Et non moins le sens donné à mercy, que plusieurs auteurs assi
975 xotérique » le plus complet que nous connaissions fut rédigé au commencement du xiiie siècle : c’est le De arte honeste am
976 Graal aux rites secrets du culte d’Adonis. Ce qui est certain, c’est qu’un symbole comme celui du roi pécheur (Amfortas che
977 m d’Eschenbach « le roi Pescière » chez Chrétien) est commun aux orphiques, aux manichéens, et même aux premiers chrétiens 
978 elon les cultes. Je ne pense pas qu’on doive s’en tenir à une seule interprétation. Il s’est produit toute une série de fusio
979 doive s’en tenir à une seule interprétation. Il s’ est produit toute une série de fusions et de confusions de symboles. 90.
980 » que les chevaliers du Graal doivent traverser n’ est autre que le pont Chinvat de la mythologie manichéenne, pont jeté sur
981 rs), René Nelli formule quelques observations qui seront utilement rapprochées du chap. 10 de ce livre II : « Cette magie érot
982 vres charnelles, sauf « l’acte »… L’amour contenu est bien le moteur intérieur de cette Quête, qui a bien tous les caractèr
983 France, juin 1938). Le Tannhäuser du xvie siècle est une tardive adaptation allemande de légendes irlando-écossaises ; il
984 toises. Le Montsalvat des chastes (ou cathares) y est remplacé par le Venusberg ! 98. Le Tristan et Iseut de Thomas, tradu
985 abondance de « preuves scientifiques » dont je m’ étais fort bien passé en écrivant la première édition de ce livre, mais qui
986 la « purgatio » de l’instinct tyrannique ne peut être obtenue qu’en cédant d’abord à l’instinct, mais en vue d’arriver à l’
3 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre III. Passion et mystique
987 mystique, plus ou moins consciente et précise. Il est certain que ce seul exemple n’autorise pas à des conclusions générale
988 er un problème que le xixe siècle matérialiste s’ était cru en mesure de trancher au détriment de la mystique. À vrai dire, j
989 r au détriment de la mystique. À vrai dire, je ne suis pas très sûr que ce problème comporte une solution définitive et simp
990 avoir dans quelle mesure ce rapprochement ne nous est pas suggéré par la seule nature du langage. On a remarqué depuis long
991 tière analogie des réalités qu’ils désignent ? Ne sommes -nous pas jusqu’à un certain point victimes d’une illusion verbale ? d
992 te de « calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas, le problème ressurgit ailleurs. Marquons tout de suite ce qui
993 drait plus rien au mythe de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim de chercher à tout prix l
994 ythe de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus el
995 m de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, moins elle se montre difficile quant aux objets qui peuvent la
996 . Mais nous voyons ici une passion dont la nature est justement de refuser tout ce qui pourrait la satisfaire et la guérir.
997 qui pourrait la satisfaire et la guérir. Nous ne sommes donc pas en présence d’une faim, mais bien d’une intoxication. Et l’o
998 reuves les plus convaincantes, que tout intoxiqué est un mystique qui s’ignore104. Or, qu’elle soit physique, ou morale, to
999 iqué est un mystique qui s’ignore104. Or, qu’elle soit physique, ou morale, toute intoxication suppose l’intervention d’un a
1000 ue Nous avons constaté que le Roman de Tristan est , à bien des égards, une première « profanation » de la mystique court
1001 , soufisme). La mythification a trop bien réussi, soit que Béroul, Thomas, et leur prédécesseur n’aient pas toujours très bi
1002 ien saisi l’enseignement courtois dans sa pureté, soit qu’ils aient été entraînés par l’ardeur proprement « romanesque » (au
1003 nement courtois dans sa pureté, soit qu’ils aient été entraînés par l’ardeur proprement « romanesque » (au sens moderne et
1004 ue ceux du Midi. Le caractère distinctif du Roman est en effet de reposer sur une faute contre les lois d’amour courtois, p
1005 nt de la pure tradition cathare, d’autres peuvent être rapprochés d’une expérience mystique plus générale, et qu’on retrouve
1006 u, selon les auteurs de la légende. Et la faute n’ est pas dans l’amour, mais dans sa « réalisation »… ⁂ Si délicate et péri
1007 épée symbolique du défi à la société constituée ! Est -il beaucoup de nos poètes qui aient trouvé leur « amour mortel » ? Po
1008 ne se veulent responsables de rien, leur passion étant inavouable tant aux yeux de la société (qui la réprouve comme un crim
1009 crilège. Mais le malheur essentiel de cet amour n’ est pas seulement la rançon du péché. L’ascèse qui rachètera la faute com
1010 aussi et surtout délivrer l’homme du fait même d’ être né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement final
1011 parfois étrangement confondues dans le Roman, il est toujours possible de reconnaître, à de tels traits, la tendance réell
1012 e). Et Tristan de répondre : « Si le monde entier était orendroit avec nous, je ne verrois fors vous seule. » Il s’agit bien
1013 — et de la mystique en général — paraît ici. « On est seul avec tout ce qu’on aime », écrira plus tard Novalis, ce mystique
1014 observation purement psychologique : la passion n’ est nullement cette vie plus riche dont rêvent les adolescents ; elle est
1015 vie plus riche dont rêvent les adolescents ; elle est , bien au contraire, une sorte d’intensité nue et dénuante, oui vraime
1016 ors le monde s’évanouit, « les autres » cessent d’ être présents, il n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tiennent
1017 l n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tiennent , ni terre ni ciel : on est seul avec tout ce que l’on aime. « Nous av
1018 irs, ni liens qui tiennent, ni terre ni ciel : on est seul avec tout ce que l’on aime. « Nous avons perdu le monde, et le m
1019 a Croix ? « Éloigne les choses, amant ! — Ma voie est fuite. » Et Thérèse d’Avila disait, plusieurs siècles avant Novalis,
1020 êt les formes les plus rudimentaires ? Certes, ce serait une sorte de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que d’une pas
1021 sion d’amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici sur la via mystica des « parfaits ». C’est alors le contenu des é
1022 urs souffrances. Plus la lumière et l’amour divin sont vifs, plus l’âme se voit souillée et misérable en sorte qu’« elle se
1023 ouillée et misérable en sorte qu’« elle se figure être persécutée par Dieu comme son ennemie ». Cette impression provoque un
1024 Dieu, m’as-tu fait contraire à toi-même, pourquoi suis -je devenu à charge à moi-même108 ? » Or il ne s’agit plus ici des sou
1025 s de l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’ est qu’une impure et parfois équivoque traduction de la mystique courtois
1026 s plus apparemment « mystiques » du Roman doivent être interprétées — si l’on ne veut pas errer gravement à partir de l’amou
1027 our : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’ est loin plus la désire ? Jamais l’amour n’enflamme Tristan si follement
1028 our n’enflamme Tristan si follement que lorsqu’il est séparé de sa « dame ». La psychologie la plus simple rendrait compte
1029 ne nécessité tout intérieure de la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chose, le symbole de l’Amo
1030 la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chose, le symbole de l’Amour lumineux. Quand Tristan erre
1031 ces. Mais nous savons que c’est la souffrance qui est le vrai but de la séparation voulue… Nous rejoignons alors la situati
1032 il doutera même de l’« amitié » d’Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’il acceptera le « mariage blanc » avec l
1033 éternelle fidélité et du secret. La soumission ne sera donc qu’apparente. Et le jugement par le fer rouge qu’exige la reine,
1034 e jugement par le fer rouge qu’exige la reine, ce sera sa vengeance contre le Dieu du roi, deux fois trompé. ⁂ Pour extérieu
1035 trompé. ⁂ Pour extérieures et formelles qu’elles soient , de telles correspondances ne sauraient être, en toute honnêteté, réd
1036 es soient, de telles correspondances ne sauraient être , en toute honnêteté, réduites à des coïncidences. Mais si les formes
1037 , réduites à des coïncidences. Mais si les formes sont pareilles, il importe de définir en quoi les contenus restent incompa
1038 uoi les contenus restent incompatibles, et quelle est la nature de l’abus qui par la suite a voulu les confondre. L’on pour
1039 n la formule des manuels. Dans le cas où Iseut ne serait qu’une belle femme — comme le croiront les siècles à venir —, les sim
1040 militudes mystiques que nous venons de dégager ne seraient plus que de l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je n
1041 Je ne songe pas à nier cet aspect du problème, il sera traité en son lieu. Mais je crois qu’il y a bien autre chose. Car s’i
1042 bien autre chose. Car s’il n’y avait que cela, ce serait alors tout l’arrière-plan religieux de la légende qu’il faudrait nier
1043 istorique. On reviendrait donc à zéro pour ce qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait d’être un roman courtois ; ou
1044 qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait d’ être un roman courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’être ce qu’i
1045 n courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’ être ce qu’il fut, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits conçoi
1046 u bien l’amour courtois cesserait d’être ce qu’il fut , pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits conçoivent qu’il fu
1047 ressembler à ce que nos érudits conçoivent qu’il fut . C’est autant dire qu’on ne comprendrait plus rien à rien. Encore une
1048 ’en suivait — théoriquement — que l’amour profane était le malheur absolu, l’attachement impossible et condamnable à la créat
1049 aite ; tandis que pour le chrétien, l’amour divin est un malheur recréateur. Loin de nier l’amour profane, il aboutit à le
1050 et non son apaisement heureux. Plus leur passion est vive et plus elle les détache des choses créées, et plus facilement i
1051 d’aliment des créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’obscurité, et destituée des objets que les passions lui pré
1052 m’a pris moi-même, elle m’a pris le monde, puis s’ est elle-même dérobée à moi, ne me laissant rien que mon désir et mon cœu
1053 damnation des créatures. Maître Eckhart, que l’on tient cependant — à tort peut-être — pour platonicien, sait dire en termes
1054 n, sait dire en termes magnifiques que l’âme pure est le lieu de rédemption des créatures dénaturées par le péché. « Toutes
1055 « Toutes les créatures passent de leur vie à leur être . Toutes les créatures se portent dans ma raison afin d’être en moi ra
1056 es les créatures se portent dans ma raison afin d’ être en moi raisonnables. Moi seul, je ramène toutes les créatures à Dieu.
1057 ux. Mais il faut indiquer la dernière limite, qui est celle de l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le
1058 l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphèr
1059 on est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique de l’orgueil chevaleresque : c’est l
1060 chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui est le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous les passionnés, il a
1061 L’on s’aperçoit, à cette limite, que la prouesse était le signe matériel d’un processus de divinisation. Les vrais mystiques
1062 nisation. Les vrais mystiques, tout au contraire, sont la prudence même, la rigueur même, l’obéissance même dans la lucidité
1063 ’obéissance même dans la lucidité. Si « la mort m’ est un gain », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’est incarné,
1064 Si « la mort m’est un gain », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’est incarné, c’est-à-dire abaissé. Ainsi le chr
1065 n », c’est que « Christ est ma vie », et Christ s’ est incarné, c’est-à-dire abaissé. Ainsi le chrétien ne se jette pas dans
1066 saint Jean de la Croix, et cela « parce qu’il se tient au centre de son humilité ». 3.Transpositions curieuses, mais inév
1067 ue par la suite, le lecteur ignorant des mystères fut presque fatalement amené à transposer dans notre vie profane toutes c
1068 ofane toutes ces allégories trop bien voilées. Il est facile d’imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : «
1069 rs de moi, et je ne te trouvais pas, parce que tu étais en moi. » Il parle à Dieu, à l’amour éternel. Mais supposez qu’un tro
1070 ores mystiques, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté de voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il
1071 non pas consciemment blasphématoire, et qui ne s’ est accomplie qu’après le xiie siècle, la conscience moderne a cru voir
1072 t ses métaphores devenues profanes comme si elles étaient toutes naturelles. Et nous ferons de même ensuite, et nos savants. No
1073 grande répugnance à opérer ce renversement, qu’il est bon d’entrer plus avant dans le mécanisme des transpositions, et même
1074 ystique, au moins dans une de ses tendances, ne s’ est -elle pas prêtée à toutes les confusions ? N’a-t-elle pas abusé la pre
1075 t de l’Incarnation. Dès que l’on s’écarte un tant soit peu de ce foyer, l’on encourt le double péril de l’humanisme et de l’
1076 us retrouverons dans la mystique universelle. Ils seront d’ailleurs rarement purs dans telle ou telle œuvre donnée. Même chez
1077 tre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût -ce qu’à la manière dont la tentation coexiste avec la volonté d’obéis
1078 sance chez le croyant. Historiquement parlant, il est donc malaisé de les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire
1079 isé de les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire. Le premier courant est celui de la mystique unitive : il tend
1080 iquement, la chose est claire. Le premier courant est celui de la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et
1081 e l’âme et de la divinité. Le second courant peut être appelé celui de la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’â
1082 ieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est maintenue entre la créature et le Créateur. Quelques exemples individ
1083 : « l’abus » du langage amoureux en religion doit être rattaché, historiquement, au courant le plus orthodoxe. J’empruntera
1084 re Eckhart, et le mystique hindou Sankara. Ce qui est intéressant pour notre objet, c’est que Rudolf Otto distingue l’Orien
1085 l : le nirvana ne peut accueillir le samsara (qui est la vie diverse, infiniment mouvante). Au contraire, Eckhart verra Die
1086 me du croyant, elles « passent de leur vie à leur être  ». La confrontation est rendue possible par le fait qu’il existe au M
1087 ssent de leur vie à leur être ». La confrontation est rendue possible par le fait qu’il existe au Moyen Âge une tradition m
1088 Otto — à la faveur de laquelle le Je et le Tu des êtres unis par une forte émotion coulent l’un dans l’autre, donnant naissan
1089 ’un dans l’autre, donnant naissance à une unité d’ être . Eckhart ne connaît ni cette ivresse ni cet amour « pathologique ». L
1090 prêche l’amour mystique, mais l’amour plotinien n’ est nullement l’Agapè chrétienne : c’est l’Éros grec, qui est jouissance,
1091 ement l’Agapè chrétienne : c’est l’Éros grec, qui est jouissance, et jouissance d’une naturelle et surnaturelle Beauté… gar
1092 e fervent. Pour Eckhart, la vraie voie mystique n’ est pas celle qui, s’élevant d’un état de sentiment, mènerait à une union
1093 , et Dieu reste Dieu113. L’acte d’amour spirituel est initial, et non final. Pour le chrétien, la mort à soi-même est le dé
1094 t non final. Pour le chrétien, la mort à soi-même est le début d’une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce mond
1095 . D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart où il est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : E
1096 : Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un est source et origine du fleurissant resplendissant amour114. Ce n’est do
1097 gine du fleurissant resplendissant amour114. Ce n’ est donc pas, conclut Otto, la plus haute joie mystique qui figure pour E
1098 doctrine chrétienne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur de sainteté. Le pape Jean xxii condamna même ses thèses
1099 de 1329. L’une des thèses condamnées, la dixième, est ainsi reproduite dans la bulle : « Nous nous métamorphosons totalemen
1100 ns le sacrement se change en corps du Christ : je suis ainsi changé en lui parce que lui-même me fait être sien. Unité et no
1101 is ainsi changé en lui parce que lui-même me fait être sien. Unité et non similitude. Par le Dieu vivant, il est vrai qu’il
1102 . Unité et non similitude. Par le Dieu vivant, il est vrai qu’il n’y a plus là aucune distinction. » Cette thèse, extraite
1103 ement unitive, et par cela même hérétique… Ce qui est certain, c’est que Maître Eckhart est le dialecticien par excellence,
1104 que… Ce qui est certain, c’est que Maître Eckhart est le dialecticien par excellence, et qu’il est trop facile d’extraire d
1105 hart est le dialecticien par excellence, et qu’il est trop facile d’extraire de ses œuvres les vérités les plus contradicto
1106 firmation forment à elles deux la vérité. L’une n’ est pas vraie sans l’autre, et ne se peut concevoir que par rapport à l’a
1107 ue par rapport à l’autre. Affirmation et négation sont inséparables, n’étant que les deux aspects d’une même vérité115. » Il
1108 tre. Affirmation et négation sont inséparables, n’ étant que les deux aspects d’une même vérité115. » Il n’en est pas moins si
1109 les deux aspects d’une même vérité115. » Il n’en est pas moins significatif de constater que Eckhart souleva dans la mysti
1110 r l’union essentielle et l’abandon des œuvres. On est toujours à l’Orient de quelqu’un ! C’est ainsi que Maître Eckhart fig
1111 Ruysbroek se montre impitoyable contre celui qui fut son maître. Dans son Livre des douze béguines, il dénonce « ces faux
1112 khart et ses disciples — qui « s’imaginent qu’ils sont Dieu par nature ». « Quant à ces gens qui ne veulent pas seulement êt
1113 . « Quant à ces gens qui ne veulent pas seulement être les égaux de Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus
1114 t être les égaux de Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus maudits que Lucifer et ses séides. » Et encore 
1115 lent la parfaite pauvreté d’esprit… Mais ceux qui sont nés du Saint-Esprit et chantent ses louanges, pratiquent toutes les v
1116 que toute distinction entre l’âme et Dieu puisse être abolie : l’âme ne peut se faire divine, mais seulement semblable à Di
1117 tièrement purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes et sommes ce que nous contemplons ; car notre essence, sans rien perd
1118 purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes et sommes ce que nous contemplons ; car notre essence, sans rien perdre de sa p
1119 ence, sans rien perdre de sa propre personnalité, est unie à la vérité divine qui respecte la distinction. » Et ailleurs :
1120 » Et ailleurs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distanc
1121 de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distance essentielle… » ⁂ Or voici le point qu’il importait de met
1122 ssentiellement à Dieu, l’amour de l’âme pour Dieu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera pas porté à s’exprime
1123 eu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera pas porté à s’exprimer en termes de passion. Et c’est bien ce que l’H
1124 nne, il en résulte que l’amour de l’âme pour Dieu est , dans ce sens précis, un amour réciproque malheureux. On peut alors p
1125 s humaines. Car c’est sa rhétorique qui se trouve être la plus apte à traduire et à communiquer l’essence tout ineffable du
1126 isir l’insaisissable… Et l’objet du désir ne peut être ni abandonné ni saisi117. L’abandonner est chose intolérable, et il e
1127 peut être ni abandonné ni saisi117. L’abandonner est chose intolérable, et il est impossible de le conserver. Le silence m
1128 isi117. L’abandonner est chose intolérable, et il est impossible de le conserver. Le silence même n’a pas assez de force po
1129 l’une de ses béguines parlant du Christ. « Je me suis perdue dans sa bouche », dit une autre. Et une troisième : « Boire le
1130 rds de l’amour et s’y engloutir enivrée… » Je me suis arrêté à l’exemple de Ruysbroek pour la commodité de l’exposé : le fa
1131 historique que Maître Eckhart et son disciple se soient opposés sur le point précis de l’union divine, rendait possible une c
1132 ichement habillé, déclara que désormais Dieu seul serait son Père. « L’évêque lui jeta sur les épaules son propre manteau, et
1133 ois fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’ être son « chevalier »119. Cette forme de « dénuement », physique mais sym
1134 forme de « dénuement », physique mais symbolique, est encore pratiquée de nos jours par la secte des Doukhobors (« combatta
1135 s (« combattants spirituels ») dont les croyances sont liées à celles des cathares et gnostiques. En 1929, les doukhobors ré
1136 sme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était moins obtus. La chevalerie errante des Franciscains se répandit en It
1137 ins se répandit en Italie comme les troubadours s’ étaient répandus dans le Midi de la France : par les routes, sur les places,
1138 rhétorique des troubadours et des romans courtois sont les sources directes du lyrisme franciscain, lequel à son tour devait
1139 suivants. Souviens-toi, ô créature, que ta nature est celle des anges. Si plus longtemps tu demeures en cette boue, tu devr
1140 précise celui des cathares. D’autres laudes, pour être plus évidemment catholiques d’inspiration, n’en sont que plus « éroti
1141 e plus évidemment catholiques d’inspiration, n’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises » de langage : Mon cœur se fo
1142 e l’amour courtois. À défaut d’une anthologie qui tiendrait décidément trop de place123, bornons-nous à énumérer les principaux t
1143 l’amour. La passion qui « isole » du monde et des êtres . La passion qui décolore tout autre amour. Se plaindre d’un mal que l
1144 t que les conclusions des savants du xixe siècle sont devenues nos préjugés courants. Mais sans compter que le jugement mat
1145 er que le jugement matérialiste sur les mystiques est plus révélateur de l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet
1146 on — tel qu’on le retrouve chez les mystiques — n’ est pas, à l’origine, celui des sens et de la nature, mais il est au cont
1147 ’origine, celui des sens et de la nature, mais il est au contraire la rhétorique d’une ascèse étroitement liée à l’hérésie
1148 es comme saint Jean de la Croix et sainte Thérèse étaient mieux avertis que quiconque des dangers de la « luxure spirituelle ».
1149 nons bien que le langage des mystiques ne saurait être confondu avec la nature profonde de l’expérience qu’ils ont vécue. J.
1150 u’ils les vivent dans leur âme. Et leurs silences furent plus réels que leurs paroles. Il ne s’agit donc, ici, que de tenir co
1151 ttéraire. Or s’il faut se borner à un exemple qui est à la fois le plus fameux, le mieux connu, et celui qui a le plus égar
1152 et celui qui a le plus égaré nos savants, le fait est que sainte Thérèse utilise constamment, et même raffine la rhétorique
1153 an de la Croix emprunte au Cantique des Cantiques sont extraites uniquement du poème biblique, ou ne sont pas en même temps
1154 ont extraites uniquement du poème biblique, ou ne sont pas en même temps des images retrouvées, vérifiées pour ainsi dire, t
1155 6 ? » Je ne pense pas que personne, de nos jours, soit en mesure de trancher toutes ces questions. Les spécialistes les mieu
1156 ux dont elle faisait sa nourriture intellectuelle étaient tous fortement imbus de rhétorique courtoise et chevaleresque. La que
1157 rtoise et chevaleresque. La question a d’ailleurs été traitée par un auteur qui offre toutes les garanties de sérieux et d’
1158 t à mettre l’humain et le divin sur le même plan, soit en contemplant le divin avec des yeux profanes, soit en considérant l
1159 t en contemplant le divin avec des yeux profanes, soit en considérant l’humain sous une interprétation divine. [C’est moi qu
1160 des Gaules et celle de sainte Thérèse pourraient être également « aimer pour agir ». [Ici, je ferai quelques réserves : l’a
1161 re, aime pour souffrir, pour « pâtir »…] d) Ce n’ est pas dans les pauvres extravagances des romans de chevalerie mystique
1162 usqu’à se confondre avec la poésie d’un amour qui serait tout profane ; les confusions qu’elle entretient de la sorte flattent
1163 tte préférence pour le langage passionnel, elle a été interprétée généralement selon la superstition matérialiste129. On a
1164 l « dévoyé ». Le xixe siècle, dans l’ensemble, n’ est jamais plus heureux que lorsqu’il peut « ramener » le supérieur à l’i
1165 . Et c’est ce qu’il appelle « expliquer ». Que ce soit , la plupart du temps, au prix des pires dénis du sens critique, je n’
1166 lleurs130 qu’à mon avis, cette propension moderne est le signe d’un ressentiment profond à l’endroit de la poésie, et en gé
1167 r les hommes du xvie siècle, le langage érotique était plus innocent qu’à nos yeux. C’est nous qui sommes des névrosés, héri
1168 était plus innocent qu’à nos yeux. C’est nous qui sommes des névrosés, héritiers du « puritanisme » embourgeoisé d’un xixe si
1169 mplement refuser de savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Thérèse écrit à un religie
1170 oir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint de res
1171 ois qu’il entre en oraison : « Je trouve que cela est indifférent à l’oraison, et que le mieux est de n’y faire aucune atte
1172 cela est indifférent à l’oraison, et que le mieux est de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne
1173 d’une autre manière. Vu notre grossièreté, je ne serais pas surprise que cela nous vînt à l’esprit. J’ai même entendu dire à
1174 taient de les entendre. Ô Dieu ! que notre misère est grande ! Il nous arrive comme à ces animaux venimeux qui changent en
1175 empruntées au langage courant par les mystiques n’ est pas sans d’étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur f
1176 carnation. Ruysbroek, Thérèse et Jean de la Croix sont très nettement « christocentriques ». Tout chez eux part du drame de
1177 l’homme séparé, c’est la passion — et la passion est partout dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles d’Eck
1178 ion est partout dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthod
1179 st absente de celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspecte de troubles complaisances !
1180 re. 6.Note sur la métaphore Pourtant tout n’ est pas expliqué par ces considérations historiques. Car on peut reculer
1181 mpte, si c’est l’« esprit » ou la « matière » qui sont la cause des phénomènes où tous les deux sont impliqués. Par exemple,
1182 qui sont la cause des phénomènes où tous les deux sont impliqués. Par exemple, dans le cas du langage mystique : sommes-nous
1183 s. Par exemple, dans le cas du langage mystique : sommes -nous en présence d’une matérialisation du spirituel — et celui-ci ser
1184 d’une matérialisation du spirituel — et celui-ci serait alors la cause première — ou au contraire d’une sublimation de phénom
1185 ublimation de phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la base de ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu
1186 la base de ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu’on donnera, une chose demeure certaine : c’est que nous
1187 nera, une chose demeure certaine : c’est que nous sommes en présence de deux facteurs qui n’existent jamais l’un sans l’autre.
1188 ais l’un sans l’autre. On pourrait fort bien s’en tenir à cette constatation empirique. Mais en fait, personne ne s’y tient.
1189 tatation empirique. Mais en fait, personne ne s’y tient . La conscience moderne, par exemple, victime des réflexes que lui a d
1190 , tranche toujours le débat au bénéfice de ce qui est le plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’un goût qu’il e
1191 ns le cas des métaphores : on dit d’un goût qu’il est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est amère. Comment cela
1192 est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est amère. Comment cela peut-il s’expliquer ? Tout le monde répond, sans
1193 aphore, au figuré. Le sens propre du mot « amer » serait alors celui qui concerne la sensation physique, tenue pour primitive.
1194 cela, le croient-elles pour des raisons qu’elles seraient capables de donner ? Ont-elles donc recherché si, chronologiquement,
1195 ’un mot précède toujours le « spirituel », qui ne serait qu’une transposition, un à peu près, une erreur tolérée ? En vérité,
1196 nce. Ce préjugé consiste à croire que le physique est plus vrai et plus réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base de
1197 t plus vrai et plus réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base de tout ; que c’est par lui que tout s’explique. Le mé
1198 que tout s’explique. Le mécanisme de ce préjugé a été défini et critiqué par le Dr Minkowski131 et Arnaud Dandieu d’une man
1199 « propre » et le sens dit « figuré » ne sauraient être « ramenés » l’un à l’autre, car tous les deux traduisent « proprement
1200 l’autre par le même mot, c’est une même manière d’ être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de n
1201 même mot, c’est une même manière d’être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de notre existence
1202 e même manière d’être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi de nos méta
1203 métaphores amoureuses. Le moderne n’hésite pas à tenir ce raisonnement : « Amour désigne pour moi l’attrait sexuel — or sain
1204 se parle sans cesse d’amour — donc cette mystique est une érotomane qui s’ignore. » Mais nous avons vu que sainte Thérèse n
1205 en, et qu’au contraire, les amants « passionnés » sont sans doute des mystiques qui s’ignorent… Ainsi les arguments s’annule
1206 ique veut exprimer ses expériences ineffables, il est contraint de se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve e
1207 Il les prend où il les trouve et telles qu’elles sont , quitte à les modifier par la suite. Or à partir du xiie siècle, les
1208 partir du xiie siècle, les métaphores courantes sont celles de la rhétorique courtoise. Que les mystiques s’en emparent sa
1209 eux » entretenus par l’âme et son Dieu, qu’elle s’ est plus complètement humanisée, c’est-à-dire détachée de l’hérésie. Car
1210 humain ; tandis que l’orthodoxie pose que l’union est impossible, ce qui entraîne le malheur divin et rend l’amour humain p
1211 s mystiques Cette décision tout arbitraire, il est temps de la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’es
1212 de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’elle soit arbitraire en fin de compte, ou ce qui revient au même, avant tout co
1213 sur l’instinct. « L’amour existe lorsque le désir est si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel », disait le tr
1214 C’est ce fait seul qui nous permet de parler. Qu’ est -ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvo
1215 de mentir autant que le pouvoir d’exprimer ce qui est . Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait
1216 t que le pouvoir d’exprimer ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller a
1217 inct. Le responsable d’un tel mensonge ne saurait être que « l’esprit ». (On sent ici à quelle profondeur l’amour-passion, l
1218 ’expression et le mensonge se trouvent liés. Et n’ est -elle pas typique de toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se
1219 de la Croix, et même Ruysbroek, et saint François sont évidemment postérieurs à la naissance de l’amour-passion, il n’en res
1220 our-passion, il n’en reste pas moins que celui-ci est postérieur à la mystique pseudo-chrétienne des cathares. 3° C’est san
1221 ute à tort qu’à la proposition : « Tout érotomane est un mystique qui s’ignore », on a cru pouvoir répondre : « Ou l’invers
1222 fois comme des érotomanes qui s’ignorent. Mais il est certain que l’érotomanie est une forme d’intoxication, et tout nous p
1223 s’ignorent. Mais il est certain que l’érotomanie est une forme d’intoxication, et tout nous prouve que les Eckhart, Ruysbr
1224 es Eckhart, Ruysbroek, Thérèse, Jean de la Croix, sont exactement le contraire de ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué
1225 ire de ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non de sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilis
1226 ise pour s’exalter. Si l’origine de cette passion est un désir, conscient ou non, d’échapper à la condition terrestre insup
1227 la condition terrestre insupportable, et si l’on est en droit d’y voir le rudiment d’un appel mystique, il n’en reste pas
1228 mystique, il n’en reste pas moins que l’intoxiqué est avant tout l’esclave de sa drogue. Psychologiquement, c’est un être d
1229 esclave de sa drogue. Psychologiquement, c’est un être déchu, dont les sens s’émoussent, dont la lucidité s’affaiblit, et qu
1230 ssions dans la vie quotidienne. Sainte Thérèse ne tenait pour bonnes que les visions qui la poussaient à mieux agir, à mieux a
1231 a pas revêtu la forme de la Nuit : elle n’a pas «  été faite chair ». Ils ne veulent pas que le Jour parfait se communique à
1232 ns nul intermédiaire. Sombrant alors, comme Icare est tombé. (Celui qui veut aller à Dieu sans passer par le Christ qui est
1233 i veut aller à Dieu sans passer par le Christ qui est « le chemin », celui-là va au diable, disait énergiquement Luther.) I
1234 nergiquement Luther.) Ils pressentent que la Nuit est un mystère du Jour, dont le Jour seul détient le secret dernier134. M
1235 — et non pas l’œuvre d’un obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine de la Bible.) Refusant que le Jour les enseigne
1236 ature, ignorant donc la vraie nature de ce qu’ils tiennent pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre sans retour au mom
1237 ent lui échapper. Et de là vient que la confusion était fatale entre l’Éros divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct. De
1238 une soif que la mort seule pouvait éteindre : ce fut la « torture d’amour » qu’ils se mirent à aimer pour elle-même. La pa
1239 de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera d’ être un symbole de l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole de l’
1240 ne illusion de gloire libératrice dont la douleur serait encore le signe ! Ainsi s’opère le renversement tragique : se dépasse
1241 er jusqu’à s’unir au transcendant, quand le but n’ est plus la Lumière, et quand on ignore le « chemin », c’est se précipite
1242 cipiter dans la Nuit. Le dépassement, dès lors, n’ est plus qu’exaltation du narcissisme. Il ne vise plus à la libération de
1243 s passionné, les « couleurs » de sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, promesses de gloire jamai
1244 s fourmis ne parleront pas, toutes les hypothèses sont possibles ! 106. Voir Appendice 7. 107. Voir Appendice 8. 108. La
1245 x, II, 1, 1er verset. Trad. Hoornaert. 109. Ce n’ est pas évident pour Eckhart (voir plus bas, chap. 3) mais bien pour sain
1246 evoir de lui de grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâces passent par les mains de cette humanité sa
1247 ait d’un type homogène que dans la mesure où elle serait banale, dans la mesure où nous échouerions à la saisir. » 111. Gotha
1248 anum frumenti… « L’âme échappe à sa nature, à son être et à sa vie, et naît dans la Divinité. C’est là qu’est son devenir. E
1249 t à sa vie, et naît dans la Divinité. C’est là qu’ est son devenir. Elle devient si totalement un seul être qu’il ne reste p
1250 t son devenir. Elle devient si totalement un seul être qu’il ne reste pas d’autre distinction que celle-ci : Lui demeure Die
1251 bsence du langage « épithalamique » pourrait-elle être proposée comme un critère lorsqu’il s’agit de savoir si tel mystique
1252 ces que les prouesses des chevaliers errants. Ils sont d’ailleurs rapportés par les auteurs des Fioretti sous une forme narr
1253 , Krafft-Ebing, Murisier, Leuba, Freud, pour s’en tenir aux plus célèbres. 130. Dans Penser avec les mains , Ie partie. 13
4 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre IV. Le mythe dans la littérature
1254 la littérature On reconnaîtra maintenant ce qu’ est le péché ou comment procède le péché. C’est lorsque la volonté humain
1255 lorsque la volonté humaine se sépare de Dieu pour être une volonté à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et brûle de sa pr
1256 r et brûle de sa propre affection, ardeur qui lui est propre et qui n’a rien à voir avec l’ardeur divine. Jacob Boehme.
1257 ature sur les mœurs D’une manière générale, il est bien difficile de vérifier l’influence des arts sur la vie quotidienn
1258 it le démontrer. Et la peinture, quelle peut bien être son action ? L’architecture, au moins, nous pouvons l’habiter, mais l
1259 ture, au moins, nous pouvons l’habiter, mais là n’ est pas son caractère d’art. De même pour telle ou telle philosophie. Mai
1260 même pour telle ou telle philosophie. Mais le cas est tout différent lorsqu’il s’agit d’une littérature dont on peut démont
1261 que du mythe, héritage de l’amour provençal. Il n’ est pas nécessaire de supposer ici quelque pouvoir magique des sons et du
1262 n peut dire après La Rochefoucauld : peu d’hommes seraient amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour. ⁂ Passion et
1263 ntendu parler d’amour. ⁂ Passion et expression ne sont guère séparables. La passion prend sa source dans cet élan de l’espri
1264 du même mouvement à se raconter elle-même, que ce soit pour se justifier, pour s’exalter, ou simplement pour s’entretenir. (
1265 ou simplement pour s’entretenir. (Le double sens est significatif.) En ce domaine, il est aisé de vérifier. Les sentiments
1266 double sens est significatif.) En ce domaine, il est aisé de vérifier. Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les masse
1267 éprouvent l’élite, puis les masses par imitation, sont des créations littéraires en ce sens qu’une certaine rhétorique est l
1268 littéraires en ce sens qu’une certaine rhétorique est la condition suffisante de leur aveu, donc de leur prise de conscienc
1269 es mélancolies, et même pour se suicider, il faut être en mesure « d’expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plu
1270 i-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est sentimental, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant
1271 mme est sentimental, plus il y a de chances qu’il soit verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme est passionné, plus
1272 verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme est passionné, plus il y a de chances qu’il réinvente les figures de la r
1273 s peuples d’Occident : l’on peut admettre qu’elle est parallèle à ses métamorphoses littéraires. (Moyennant, cela va de soi
1274 rice du « charme ». La littérature, au contraire, est la voie qui descend aux mœurs. C’est donc la vulgarisation du mythe,
1275 es deux Roses Le meilleur point de départ nous est donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années 1237 et 1280 en
1276 fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont caractérisées par leur opposition au dogme trinitaire (du moins sous
1277 du Libre-Esprit et les ortliebiens rhénans — qui furent peut-être en rapport avec les Vaudois, voisins des cathares — non seu
1278 s ont supposé qu’une élite cléricale du Moyen Âge fut initiée à ces doctrines. Ainsi pensent-ils expliquer mieux certaines
1279 de preuves presque impossibles à établir, je m’en tiendrai à un jugement certainement vrai pour la plupart des cas ; dès le xive
1280 ; dès le xive siècle, la littérature courtoise s’ est détachée de ses racines mystiques ; elle s’est alors trouvée réduite
1281 s’est détachée de ses racines mystiques ; elle s’ est alors trouvée réduite à une simple forme d’expression, c’est-à-dire à
1282 rises des galants. L’obstacle à l’union amoureuse est figuré par l’exigence morale, et non plus du tout religieuse. Ce n’es
1283 ence morale, et non plus du tout religieuse. Ce n’ est plus une ascèse mystique, mais un raffinement de l’esprit, qui doit a
1284 Jean de Meung, qui terminera le Roman, la Rose n’ est plus que la volupté physique. Le réalisme le plus franc succède aux f
1285 au platonisme, le cynisme à l’exaltation. La Rose est emportée de haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison
1286 de l’amour malheureux. (Peut-être, pratiquement, est -elle bien proche d’une vision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occa
1287 s. Cependant qu’autour de Palerme, où Frédéric II tient sa cour, fleurit l’école dite des Siciliens. Dans quelle mesure cette
1288 ud s’inspira-t-elle des troubadours ? La question est encore obscure. On ne trouve à la cour de Palerme qu’un seul poète pr
1289 le mesure les Siciliens « savaient » encore ce qu’ est l’Amour. N’avaient-ils retenu du trobar clus que le procédé mystifian
1290 enu du trobar clus que le procédé mystifiant ? On serait assez tenté de le croire, lorsqu’on voit Dante et son ami Cavalcanti
1291 nes valables — oppose à ces rhétoriqueurs. Ce qui est frappant dans cette nouvelle école, c’est qu’elle rénove consciemment
1292 langage symbolique des troubadours. Les Siciliens étaient tombés dans un douteux allégorisme : ils parlaient de la dame comme d
1293 rlaient de la dame comme d’une femme réelle, ce n’ était plus que galanterie mais froide et stéréotypée. Dante et Cavalcanti,
1294 en même temps, ils savent et disent (dans ce dire est la nouveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel est le secret
1295 isent (dans ce dire est la nouveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel est le secret paradoxal de l’amour courtois 
1296 uveauté) que la Dame est purement symbolique. Tel est le secret paradoxal de l’amour courtois : guindé et froid quand il ne
1297  : c’est là vraiment que bat son cœur. Et Dante n’ est jamais plus passionné qu’en chantant la Philosophie, si ce n’est quan
1298 passionné qu’en chantant la Philosophie, si ce n’ est quand elle devient la Science sacrée. Sincérité bien propre aux troub
1299 jamais dit137. C’est parce que Dante et ses amis sont amenés à définir leur art, qu’on surprend mieux qu’ailleurs chez les
1300 écoute et l’entend s’écrie : — Malheureuse que je suis  ! Je ne suis pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame 
1301 ntend s’écrie : — Malheureuse que je suis ! Je ne suis pas capable de répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui dout
1302 le salue [auquel elle donne son salut] et, s’il n’ est déjà de notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’est qu’un bl
1303 notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’ est qu’un blasphémateur lorsqu’il écrit au seuil de la Vita Nuova, cette
1304 eureux ! S’agit-il donc de Béatrice comme femme ? Est -ce sa présence que tous les saints implorent et qui serait « l’espéra
1305 sa présence que tous les saints implorent et qui serait « l’espérance des bienheureux » ? Ou s’agit-il plutôt de l’Esprit sai
1306 it de définir enfin ce dont on parle. « Cet Amour est -il vie ou mort ? » demande courageusement le premier. Et le second ré
1307 souvent la mort… L’amour existe lorsque le désir est si grand qu’il dépasse les limites de l’amour naturel… Comme il ne pr
1308 rpétuellement sur lui-même son propre effet. Il n’ est point un plaisir, mais une contemplation. » Aucun doute ne demeure po
1309 tion. » Aucun doute ne demeure possible : l’Amour est la passion mystique. Mais encore faut-il définir le rôle de l’amour n
1310 anger de s’arrêter aux formes terrestres qui n’en sont qu’un reflet : De même que la tigresse, dans sa grande douleur, se so
1311 este là, et ne poursuit point ; de même celui qui est pénétré d’amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ai
1312 oint le cœur pitoyable, le jour passe et l’espoir est déçu ! Ici la Dame au cœur impitoyable est bien la femme qui détourne
1313 espoir est déçu ! Ici la Dame au cœur impitoyable est bien la femme qui détourne l’Amour à son profit. Dans un Bestiaire mo
1314 nous ; ses petits, qu’un chasseur lui a pris, ce sont les vertus, et le chasseur c’est le démon, qui nous fait voir ce qui
1315 sseur c’est le démon, qui nous fait voir ce qui n’ est pas. De là vient que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’alle
1316 ns voir Pétrarque se laisser prendre « à ce qui n’ est pas », c’est-à-dire à l’image de sa Laure, qui trop longtemps — comme
1317 une chose mortelle avec une foi Qui à Dieu seul est due et à lui seul convient… « Tout le monde, et sur le moindre roch
1318 ndre rocher que trempe la mer, sait qu’un homme a été superlativement amoureux et c’est Pétrarque. Et ce qu’il y a de mieux
1319 omme simplement amoureux ? Rien d’analogue. Lui l’ était d’une façon extraordinaire, incendiaire, solaire139. » Voilà ce qui d
1320 itement païen, et non plus du tout hérétique ! On est aux antipodes du Dante, mais aussi des rhéteurs qu’il attaquait. Le «
1321 aquait. Le « secret » dont je parlais plus haut s’ est volatilisé : il ne joue plus. Le langage de l’Amour est enfin devenu
1322 latilisé : il ne joue plus. Le langage de l’Amour est enfin devenu la rhétorique du cœur humain. Cette « profanation » radi
1323 es meilleures métaphores. En vérité, la tentation était trop forte. (On en jugera par quelques exemples mis en note, et à vra
1324 dis : Ô mon âme, il te faut rendre grâce Toi qui fus jugée digne alors d’un tel honneur. D’Elle te vient cet amoureux pens
1325 e te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le suis , au plus haut Bien te mène Et te fait mépriser ce que l’homme désire1
1326 s présente ou absente — ici encore —, la femme ne sera jamais que l’occasion d’une torture qu’il préfère à tout : Je sais,
1327 de loin — de près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier vers. Et le secret de cette mélancolie, Pétrarque a s
1328 i !145 » Et saint Augustin, avec lequel Pétrarque tient ce dialogue fictif, lui répond : « Tu connais très bien ton mal. Tou
1329 ut à l’heure, tu en sauras la cause. Dis-moi : qu’ est -ce qui te rend triste à ce point ? Est-ce bien le cours des choses de
1330 s-moi : qu’est-ce qui te rend triste à ce point ? Est -ce bien le cours des choses de ce monde ? Est-ce une douleur physique
1331 t ? Est-ce bien le cours des choses de ce monde ? Est -ce une douleur physique, ou bien quelque rigueur injuste de fortune ?
1332 el à la mort : « Que s’ouvre donc la geôle où je suis enfermé Qui me clôt le chemin vers une telle vie ! » (Chanson 72.) L
1333 on espoir en « cette fausse douceur fugitive » qu’ est l’amour idéalisé. Et je me sens au cœur venir, heure par heure, une
1334 une chose mortelle, avec une foi qui à Dieu seul est due et à lui seul convient est plus interdit à qui plus désire honneu
1335 oi qui à Dieu seul est due et à lui seul convient est plus interdit à qui plus désire honneur ! Mais comment s’arracher à
1336 qui tourne autour de toi Immortel et paré ! S’il est vrai — qu’ici-bas tant joyeux de son mal votre désir s’apaise par un
1337 up d’œil, une parole, une chanson – si ce plaisir est jà si grand… quel sera l’autre ! 5.Un idéal à rebours : la gauloi
1338 une chanson – si ce plaisir est jà si grand… quel sera l’autre ! 5.Un idéal à rebours : la gauloiserie Imposer un sty
1339 e. Mais la confusion de la foi, « qui à Dieu seul est due et à lui seul convient », avec l’amour d’« une chose mortelle »,
1340 ient », avec l’amour d’« une chose mortelle », en fut la conséquence inévitable. Et c’est bien de cette confusion — non de
1341 iste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle fut surtout sensible dans la bourgeoisie. Dès le début du xiie siècle, e
1342 et du corps qui date précisément de cette époque est le premier témoignage d’un conflit que le mariage chrétien était cens
1343 r témoignage d’un conflit que le mariage chrétien était censé résoudre. On y voit l’âme récemment séparée de son corps adress
1344 du dernier siècle. Mais je ne crois pas qu’ils se soient engendrés en ligne directe. Chaque moment de cette progression vers l
1345 mposition du romantisme, au moins autant, si ce n’ est beaucoup plus, que de Balzac (considéré alors comme réaliste). Pour e
1346 ourtoises ? Il me paraît que la « gauloiserie » n’ est qu’un pétrarquisme à rebours. « On aime à opposer — écrit J. Huizinga
1347 Or la gauloiserie, aussi bien que la courtoisie, est une fiction romantique. La pensée érotique, pour acquérir une valeur
1348 otique, pour acquérir une valeur de culture, doit être stylisée. Elle doit représenter la réalité complexe et pénible sous u
1349 entre autres, dans le Dit de Chiceface. Chiceface est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi es
1350 ux qui ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi est -il d’une maigreur effroyable, tandis que son confrère Bigorne, lequel
1351 re Bigorne, lequel ne mange que les maris soumis, est d’un embonpoint sans pareil. Parallèlement à ces deux courants issus
1352 jusqu’à Cervantès L’influence du roman breton est attestée par des centaines de textes à travers les xiiie , xive et x
1353 s minnesänger (chanteurs de l’Amour) en Allemagne sont nourris de légendes cathares149 et par ailleurs ne font qu’adapter du
1354 se servir que d’une mythologie toute catholique —  soit prudence ou incompréhension — assez incompatible, on l’a bien vu, ave
1355 u’aux romans d’aventures profanes. Cette omission est mystérieuse. Elle militerait en faveur de la thèse selon laquelle Cer
1356 ont ils avaient perdu le secret. Don Quichotte ne serait grotesque que parce qu’il veut imiter une scène à laquelle il n’est p
1357 parce qu’il veut imiter une scène à laquelle il n’ est pas initié, et suivre une voie que le malheur des temps rend totaleme
1358 on Cependant Rome n’a pas triomphé partout. Il est une île où son pouvoir est contesté. C’est la dernière patrie des bar
1359 s triomphé partout. Il est une île où son pouvoir est contesté. C’est la dernière patrie des bardes. En Cornouailles et en
1360 ittérature anglaise populaire et savante. Mais il est significatif qu’à la fin du xviie siècle, un bon lettré comme Robert
1361 akespeare — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’ été . Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Juliet
1362 vons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Juliette qui est la seule tragé
1363 atholique — mais nous avons Roméo et Juliette qui est la seule tragédie courtoise, et la plus belle résurrection du mythe a
1364 de la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissait la tradition secrète des troubad
1365 adours. Mais on peut relever ce fait : que Vérone fut un des principaux centres du catharisme en Italie. Selon le moine Ran
1366 me en Italie. Selon le moine Ranieri Saccone, qui fut dix-sept ans hérétique, il y avait à Vérone près de cinq-cents « parf
1367 ouveau qui se dresse, à la lueur d’une torche que tient Roméo. Juliette repose, endormie par le philtre. Le fils de Montaigu
1368 ose, endormie par le philtre. Le fils de Montaigu est entré, et il parle : Combien souvent les hommes sur le point de mour
1369 bien souvent les hommes sur le point de mourir Se sont sentis joyeux ! Ceux qui veillent sur eux Disent : l’éclair avant la
1370 n’a pas eu de prise encore sur ta beauté Et tu n’ es pas conquise. L’enseigne de beauté Est encore cramoisie sur tes lèvre
1371 uté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de beauté Est encore cramoisie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle drapeau de la
1372 èvres, tes joues, Et le pâle drapeau de la mort n’ est pas avancé.         … Ah ! chère Juliette Pourquoi es-tu si belle en
1373 s avancé.         … Ah ! chère Juliette Pourquoi es -tu si belle encore ? Dois-je penser Que la mort non substantielle est
1374 re ? Dois-je penser Que la mort non substantielle est amoureuse Et que le monstre maigre te conserve Ici pour être ton aman
1375 use Et que le monstre maigre te conserve Ici pour être ton amant dans la ténèbre ? Par crainte de cela je demeure avec toi E
1376 repartirai ; ici je veux rester Avec les vers qui sont tes serviteurs ; ici, ici Je vais fixer mon repos éternel, Secouer l’
1377 mour ! (Il boit.) … Honnête apothicaire Ta drogue est rapide. En un baiser je meurs. Le consolament de la Mort vient de sc
1378 nous entretenir encor de ces tristesses151. ⁂ Il est certain que Milton quoique puritain subit l’influence de doctrines ca
1379 is : du moins pas sans de telles réticences qu’il serait vain de conclure sur ce point plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Ava
1380 légendes. Et dans le De doctrina christiana, il s’ était insurgé « contre la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes de
1381 qui malgré tout rattache Milton à la Réforme : n’ est -ce point la même et unique hérésie que nous trouvons partout et en to
1382 stiques et manichéennes montre bien que l’abîme n’ est pas infranchissable, surtout sur le plan de l’éthique. L’idéalisme et
1383 n maître en occultisme, enseignait que la lumière est la matière divine… Il reste cependant que la doctrine de Milton est b
1384 ine… Il reste cependant que la doctrine de Milton est bien plus « rationnelle » et sociale que celle des hérétiques du Midi
1385 omposer d’interminables romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc
1386 s romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc. Le sujet du roman de
1387 e est Louis XIII, Cyrus est le Grand Condé, Diane est Marie de Médicis, etc. Le sujet du roman demeure les « contrariétés »
1388 les « contrariétés » de l’amour mais l’obstacle n’ est plus la volonté de mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’
1389 honneur, manie sociale. C’est l’héroïne, ici, qui est la plus astucieuse lorsqu’il s’agit d’imaginer des prétextes de sépar
1390 regard irrité de sa maîtresse. Au dénouement, il est encore à se demander si cette « reine de l’Île inaccessible » ne va p
1391 retardé jusqu’à la dix-millième lorsque l’auteur est un champion du genre. C’est le roman allégorique du xviie siècle qui
1392 l’emporte, et dès lors la fin du roman ne saurait être qu’un retour à ce qui n’est plus le roman : au bonheur. Les grands th
1393 du roman ne saurait être qu’un retour à ce qui n’ est plus le roman : au bonheur. Les grands thèmes tragiques du mythe n’év
1394 ratrice. Mais la dialectique sauvage de Tristan n’ est plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la Nuit se ramèn
1395 ue l’on n’ose nommer un roman-fleuve, puisqu’il n’ est parcouru que par les sinuosités d’un modeste ruisseau, le Lignon, Cél
1396 par des lions et des licornes : cette fontaine ne sera désenchantée, selon l’oracle, que par la mort du plus fidèle amant et
1397 et Céladon évanouis (c’est une mort métaphorique) sont transportés chez le druide Adamas où ils se réveillent, puis s’épouse
1398 s prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux de nos récents romans féeriques. Et la psycholog
1399 auprès de son hôtesse, elle lui dit que le Forez était un bon pays de forges et qu’on y travaillait fort bien le fer. « Cett
1400 es ressources d’une rhétorique plus savante n’ont été à ce point harmonisées. L’on n’imagine pas de roman mieux écrit ; plu
1401 est l’art et non « la vie » qui mène le jeu. Nous sommes en face d’une création de l’esprit, et non d’une confusion de reflets
1402 u moins indiscrets et de hasards immérités (comme sont les romans d’aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle su
1403 nt les romans d’aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle suppose un métier savant, et vingt-cinq ans d’applica
1404 d’application. Le snobisme qui lui fit un succès était mieux averti que le nôtre. Mais aussi ce caractère d’achèvement nous
1405 itif, dont l’Astrée reprend tous les thèmes, l’on est frappé de constater que chez d’Urfé le tragique se dégrade en émotion
1406 plus parfaite, en raison même de sa perfection, n’ est qu’un sous-produit des mystiques créatrices de formes et de mythes ?
1407 l’épuisement temporaire des sources profondes ? N’ est -ce point pour cette cause que la littérature, si fort qu’elle flatte
1408 réfutations et railleries qu’on leur oppose ? Ce fut assez d’un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les
1409 dre. D’où l’on conclut généralement que Corneille est le premier auteur qui ait voulu soumettre la passion à la raison, sin
1410 tre la passion à la raison, sinon à la morale. Il serait donc le premier qui ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut d’ê
1411 i ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut d’ être analysé. Voici comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’est qu’
1412 ci comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’ est qu’en m’aimant trop qu’elle me fait mourir : Un moment de froideur, e
1413 rais soudain passé ma fantaisie : Mais las ! elle est parfaite, et sa perfection N’approche point encor de son affection ;
1414 ttirer notre méfiance. Quoi, c’est le bonheur qui serait fatal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’être trahi par
1415 l au repos de cet étrange amant ? Et le malheur d’ être trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait un
1416 Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait un curieux monstre ! Disons plutôt qu’on voit trop bien ce qu’il essa
1417 lains », dit-il plus bas. C’est donc la honte qui est cause de son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstac
1418 ait le recours de rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint d’inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sé
1419 uer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’ être trop enchaîné par cette fidélité — alors qu’on voit tout au contraire
1420 t tout au contraire qu’il désespère de ne point l’ être assez. Il proclame un besoin d’être libre qui traduit un profond dési
1421 de ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’ être libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de dés
1422 in d’être libre qui traduit un profond désir de n’ être plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se passerai
1423 faisait mine de lui échapper. Mais voyez comme il est habile : Cléandre Vit-on jamais amant de la sorte enflammé Qui se tî
1424 e Vit-on jamais amant de la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alidor Comptes-tu mon esprit entre l
1425 de la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alidor Comptes-tu mon esprit entre les ordinaires ? Pense
1426 rait bien voir que la vraie volonté du personnage est exactement opposée à ces hautaines déclarations. « Il ne faut point s
1427 ignifie en réalité : « Le seul objet qui vaille d’ être servi, c’est celui qui nous posséderait totalement et qui, par sa fui
1428 e. » Les deux derniers mots : « … et l’éteindre » étant pur artifice de rhétorique, destiné à persuader le lecteur, ou Cléand
1429 , ou Corneille lui-même, que c’est la liberté qui est désirée, alors que c’est évidemment le « feu » ; et non pas le feu « 
1430 e j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne
1431 p plus d’obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de son mérite, que quand elle vien
1432 int ce qu’on ne saurait nous refuser. » Voici qui est bel et bon. Mais nous n’oublions pas que ce refus de la contrainte fa
1433 articles des Leys d’Amors). Et que cette exigence est polémique, dirigée contre le mariage. Or Alidor et son amante trop fi
1434 is pour l’amour de la passion. À tel prix que ce soit , il faut rompre mes chaînes De crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pou
1435 de brûler donc en fait : sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés de succès au cinquième acte. Corneille l’avoue plu
1436 e quand il lui a donné sujet de le haïr. » L’aveu est complet cette fois-ci. Mais dans le plan purement psychologique où Co
1437 Cela fait, conclut-il, une inégalité de mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement de l’auteur sur
1438 aphorique). Bien mieux : cette volonté de liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle prétendait gué
1439 le récitent et le réciteront toujours ceux qui ne sont guère capables de l’aimer… 10.Racine, ou le mythe déchaîné L’op
1440 ers engagements que Didon avait avec Énée, elle n’ est pas obligée, comme elle, de renoncer à la vie. » L’on sent tout l’art
1441 i se voit opposé à la passion de la Nuit ! « Ce n’ est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédi
1442 ragédie, ajoute Racine, il suffit que l’action en soit grande, que, les acteurs en soient héroïques, que les passions y soie
1443 que l’action en soit grande, que, les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressen
1444 s acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui
1445 e qui fait tout le plaisir de la tragédie », ce n’ est que la moitié du mythe, son aspect diurne, son reflet moral dans notr
1446 renversement dans la joie, acceptée telle qu’elle est dans le monde du jour, et qualifiée néanmoins de « plaisir », l’on ne
1447 moins de « plaisir », l’on ne voit pas en quoi ce serait davantage qu’une morosa delectatio. Certes, l’on est fondé à conteste
1448 davantage qu’une morosa delectatio. Certes, l’on est fondé à contester la vérité dernière de la croyance mystique (maniché
1449 ernière de la croyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine de la passion et de son mythe : du moins faut-il bien rec
1450 le tourment qui en résulte, c’est que l’obstacle est un masque de la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguratio
1451 obstacle est un masque de la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se r
1452 e gage d’une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute d’atteindre cette limite
1453 ne lui-même la vraie nature de son délire. Phèdre est un moment décisif non seulement dans la vie du poète, mais dans l’évo
1454 èdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort est écarté dans Bérénice par une « censure » morale évidemment chrétienne
1455 t chrétienne d’origine. Racine ne peut ni ne veut être pleinement lucide. Car sa lucidité l’obligerait à condamner ce qu’il
1456 r. Mais la crise de sa passion pour une femme qui fut peut-être la Champmeslé, et les premières atteintes d’une vraie foi v
1457 iguration : il a pris le parti du jour, la mort n’ est plus que le châtiment de ses trop longues complaisances. C’est la pas
1458 acle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’ est plus admissible de vouloir vaincre. L’opinion — à laquelle Racine se
1459 laquelle Racine se montre si sensible — l’opinion est toujours avec Tristan contre le roi Marc, avec le séducteur contre le
1460 avec le séducteur contre le mari trompé ; elle n’ est jamais avec les amants incestueux. Ensuite, Racine se punit par perso
1461 ute réciprocité de la part d’Hippolyte. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle de la reine. Et Hippolyte,
1462 te. Or Phèdre était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle de la reine. Et Hippolyte, c’est Racine tel que maintenant il
1463 n, et il se démontre à lui-même que cette passion est condamnable sans appel. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque de Phèdre
1464 el. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque de Phèdre est encore en pleine crise, balançant devant la décision. D’où la duplici
1465 c cet amour incestueux, encore que cette reine ne soit que la belle-mère d’Hippolyte. Mais le vieil homme, le Racine naturel
1466 polyte amoureux d’Aricie, dont on va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est très subtil. « Pour ce qui est du pe
1467 va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est très subtil. « Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, écrit-il da
1468 déguisée. Le tour est très subtil. « Pour ce qui est du personnage d’Hippolyte, écrit-il dans la Préface, j’avais remarqué
1469 passion qu’il ressent malgré lui pour Aricie, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père. » Ainsi donc, Ar
1470 umés à des déguisements plus savants !) Mais ce n’ est pas l’inceste, c’est la passion qui intéresse — au sens fort — Racine
1471 elle de l’auteur. Ah ! Seigneur ! si notre heure est une fois marquée Le ciel de nos raisons ne sait point s’informer. (I,
1472 os raisons ne sait point s’informer. (I, 1) Ce n’ est pas ce ciel-là qu’eût adoré Corneille ! Ni ces dieux que l’on dupe, e
1473 t sur qui l’on rejette la faute : Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout
1474 on sang. (II, 3.) Et voici la servante Œnone qui tient à Phèdre le même langage que la servante Brangaine à Isolde : Vous a
1475 ut vaincre sa destinée ; Par un charme fatal vous fûtes entraînée… (IV, 6.) Duplicité, ai-je dit, mais à tel point essentiel
1476 la pièce, constitutive de la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son auteur. Il fall
1477 itutive de la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son auteur. Il fallait Phèdre. Il fal
1478 acine a su faire mentir j’en viens à croire qu’il est sincère dans sa Préface lorsqu’il écrit : « Ce que je puis assurer, c
1479 st que je n’ai point fait de tragédie où la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévè
1480 au jour que dans celle-ci ; les moindres fautes y sont sévèrement punies : la seule pensée du crime y est regardée avec auta
1481 nt sévèrement punies : la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même ; les faiblesses de
1482 sent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pour démontrer tout le désordre dont elles so
1483 ux que pour démontrer tout le désordre dont elles sont cause… » On est loin du dessein d’« exciter les passions » pour « pla
1484 trer tout le désordre dont elles sont cause… » On est loin du dessein d’« exciter les passions » pour « plaire » à un besoi
1485 re » à un besoin de « tristesse majestueuse ». On est tout près de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était de la race de
1486 tout près de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était de la race des troubadours qui trahissent l’Amour pour l’amour : pres
1487 n chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s’ est guère fait sentir que deux siècles plus tard. (Il a fallu que les phi
1488 ul prévu par ce mystique : si la cause extérieure est un Dieu auquel notre âme pourrait s’identifier157. Mais Spinoza négli
1489 l’obstacle ». Dans le fait, nos passions humaines sont toujours liées à des passions contraires, notre amour toujours lié à
1490 notre haine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’ est pas de cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa
1491 s roués de la Régence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral, mais intellectuel et physique. La distinctio
1492 ’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’ être en intelligence et en sexe. À vrai dire, tout obstacle détruit, la pa
1493 ’on parle de « passionnettes ». Le dieu d’Amour n’ est plus un dur destin mais un enfant impertinent. Presque plus rien n’es
1494 n mais un enfant impertinent. Presque plus rien n’ est défendu. De la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour
1495 es épingles ! » (Il me semble que ces épingles ne sont point citées par hasard : « Amour vous point », disait la rhétorique.
1496 le sang coulera sous la Terreur ; mais nous n’en sommes encore qu’à la « guerre en dentelles ».) Or ce siècle de la Volupté n
1497 rre en dentelles ».) Or ce siècle de la Volupté n’ est pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les
1498 ncarner ce rêve des Richelieu et des Casanova, je suis moins sûr de leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce dési
1499 Nous en avons donné plus d’un exemple. Le xviiie est trop poli pour admettre la gauloiserie : il la remplace par une affec
1500 de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce n’ était encore, et ce ne sera jamais, qu’un idéalisme à rebours. 13.Don Ju
1501 uvait encore étonner. Ce n’était encore, et ce ne sera jamais, qu’un idéalisme à rebours. 13.Don Juan et Sade Comme on
1502 tre l’antithèse absolue de Tristan. Si Don Juan n’ est pas, historiquement, une invention du xviiie , du moins ce siècle a-t
1503 de celui qui ne peut pas posséder, parce qu’il n’ est pas assez pour avoir… Mais cela nous entraînerait à quelques développ
1504 comme le reflet inversé de Tristan. Le contraste est d’abord dans l’allure extérieure des personnages, dans leur rythme. O
1505 e une seule femme. Mais c’est la multiplicité qui est pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se conce
1506 a multiplicité qui est pauvre, tandis que dans un être unique et possédé à l’infini se concentre le monde entier. Tristan n’
1507 nfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan est le démon de l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde,
1508 s en plus décevante et méprisable — quand Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravi
1509 Casanova au niveau de l’aventure scélérate, tels sont les parangons qui prennent la place de l’idéal détruit par le xviie
1510 tal, et tout pouvoir de « sympathie ». La femme n’ est plus pour l’homme du xviiie qu’un « objet ». Mesurons l’un à l’autre
1511 t des corps, la réalité d’un « objet ». Sade, qui est un homme du xviiie , connaît trop bien sa monotone tyrannie. Ce que P
1512 t, c’est lui qui détient le plaisir et le plaisir est une fatalité. Comment s’en libérer, si ce n’est par l’excès, car tout
1513 r est une fatalité. Comment s’en libérer, si ce n’ est par l’excès, car tout excès vient de l’esprit ! Rien de plus glaciale
1514 euses » multipliées par la rage du Marquis. Là où est le plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’un
1515 par la rage du Marquis. Là où est le plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’un rachat. Purificatio
1516 plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe d’un rachat. Purification par le mal : péchons jusqu’à détru
1517 On ne tue bien que son amour, parce que lui seul est souverain. Le crime d’amour impur sauvera la pureté. Lisons maintenan
1518 ticuliers, nous ne pourrons pas sacrifier un seul être à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare, de si
1519 un seul être à nos vengeances ou à nos caprices ? Est -il rien de si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous
1520 moi qui ai souligné.) Si le marquis de Sade avait été interrogé sur les mobiles secrets de sa morale, il se fût sans nul do
1521 rrogé sur les mobiles secrets de sa morale, il se fût sans nul doute réfugié derrière un verbiage cynique. Mais tous ses ar
1522 ière un verbiage cynique. Mais tous ses arguments sont transparents : ils signifient avec exactitude le contraire de leur se
1523 eur sens littéral161. Cette glorification du sexe est une constante et rationnelle profanation de la morale profanée du xvi
1524 ifester en tuant le criminel162. Car là seulement serait la délivrance — selon la foi des troubadours… 14. La Nouvelle Hélo
1525 mpérament des complicités bien profondes et qui n’ est autre que le pétrarquisme. Le roman de Rousseau à proprement parler n
1526 uisme. Le roman de Rousseau à proprement parler n’ est pas une renaissance du mythe primitif de Tristan. Il n’a pas la viole
1527 rte de piétisme raffiné. Ici encore, la décadence est manifeste. L’Héloïse qui vécut au xiie siècle163 et dont nous posséd
1528 renoncement à la passion, et cette mort de Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il insiste long
1529 ut que suspecter un « calvinisme » qui parle de l’ Être suprême et paraît ignorer le Christ.) Tout cela ne m’empêchera point
1530 man les croyances de ses personnages. Si Rousseau fut le premier à décrire ces erreurs, c’est qu’il en souffrit plus que d’
1531 complaisances qu’entraîne le genre romanesque. Il est visible que Rousseau, pas plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’es
1532 eau, pas plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’ est dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Jul
1533 s intéressées de l’Éros et de l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, quand on a une fois abandonné la vérit
1534 le, on s’en fait ensuite une à sa mode, et l’on y tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est de notre choix. » Toutefo
1535 n y tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « clima
1536 ) qu’il se met à douter sombrement : « Non, ce ne sont point ces transports que je regrette le plus : ah non ! retire s’il l
1537 onnerais mille vies, mais rends-moi tout ce qui n’ était point elles, et les effaçait mille fois. Rends-moi cette étroite unio
1538 i pris pour toi des sentiments plus paisibles, il est vrai, mais plus affectueux et de plus de différentes espèces… Les dou
1539 mble-t-il, sur la roture de Saint-Preux, laquelle est censée interdire toute possibilité d’union légale. D’où encore l’assi
1540 r » l’amour chaste qui les ravissait — bien qu’il fût dès ce moment condamnable — et « crime », « horreurs », « corruption 
1541 ise trop souvent invoquée. Et ainsi de suite : il serait aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégè
1542 forcé le dernier mystère de Tristan. Mon propos n’ est point de recenser les innombrables manifestations du mythe dans nos l
1543 bien mon sentiment : chercher cette satisfaction serait folie. Mourir ensemble ! (Mais silence ! ceci paraît exalté, et pourt
1544 nion166. Journal intime de Novalis : Lorsque j’ étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m’est venue que ma mort donn
1545 ’étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m’ est venue que ma mort donnerait à l’humanité un exemple de fidélité étern
1546 ouverte. Que Dieu me conserve cette douleur qui m’ est indiciblement chère… Notre engagement n’était pas pris pour ce monde…
1547 qui m’est indiciblement chère… Notre engagement n’ était pas pris pour ce monde… Maximes de Novalis : Toutes les passions f
1548 assions finissent comme une tragédie, tout ce qui est limité finit par la mort, toute poésie a quelque chose de tragique. U
1549 poésie a quelque chose de tragique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage qui nous donne une compagne
1550 ique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage qui nous donne une compagne pour la Nuit. C’est dans la mo
1551 agne pour la Nuit. C’est dans la mort que l’amour est le plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit de noces, un secr
1552 ’amour est le plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit de noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens app
1553 ut-être à l’amour comme le sommeil à la vie. Ce n’ est pas la plus noble part, et l’homme vigoureux préférera toujours veill
1554 Nature, Dieu n’a rien à faire avec la Nature, il est le but de la Nature, l’élément avec lequel elle doit un jour s’harmon
1555 avec lequel elle doit un jour s’harmoniser. Nous sommes des esprits émanés de Dieu, des germes divins. Un jour nous deviendro
1556 ivins. Un jour nous deviendrons ce que notre Père est lui-même167. Et dans les Hymnes à la Nuit, où l’Éros ténébreux suppl
1557 profond de cette nouvelle hérésie albigeoise que fut le romantisme allemand. La mort est le but idéal des « hommes élevés 
1558 lbigeoise que fut le romantisme allemand. La mort est le but idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible de Jean-Paul.
1559 . Elle se confond avec l’amour chez Novalis. Elle fut pour Kleist « le seul accomplissement » possible d’une « passion d’am
1560 aquelle se refusait son corps. Mais les poètes ne sont plus les seuls à tenter l’au-delà nocturne : un philosophe comme Schu
1561 tes de désir, tisse son filet autour de celle qui est apparue, et elle est à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif d
1562 on filet autour de celle qui est apparue, et elle est à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif de son aspiration est
1563 lle qui est apparue, et elle est à lui… et elle n’ est jamais à lui, car la soif de son aspiration est à jamais insatiable. 
1564 n’est jamais à lui, car la soif de son aspiration est à jamais insatiable. » C’est toute l’aventure des mystiques unitives
1565 par le souvenir des cathares et de leur mystique fut composé par l’un des plus purs romantiques : c’est l’épopée des albig
1566 s albigeois de Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte de profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par
1567 ue Dieu nous voile, Passera, la Nouvelle Alliance sera rompue ; Alors nous concevrons Dieu comme l’Esprit. Alors se célébrer
1568 lors se célébrera l’Alliance éternelle. L’Esprit est Dieu ! ce cri puissant retentira Comme un tonnerre de joie à travers
1569 é divine, considéré du point de vue de ce monde n’ est plus qu’un élan vers la mort, une séparation essentielle. Tel est le
1570 lan vers la mort, une séparation essentielle. Tel est le tragique de l’Ironie transcendantale, ce mouvement perpétuel du ro
1571 s qu’elle peut concevoir et désirer (la nature, l’ être aimé, le moi), tout ce qui n’est pas l’Unité incréée, la dissolution
1572 r (la nature, l’être aimé, le moi), tout ce qui n’ est pas l’Unité incréée, la dissolution sans retour. Mais cet enthousiasm
1573 la dissolution sans retour. Mais cet enthousiasme est réel, c’est l’« endieusement » des troubadours, l’endiosada des mysti
1574 t défaut au romantisme français. Ici, les données sont les mêmes mais le rythme est moins ample et l’esprit va trop vite au
1575 s. Ici, les données sont les mêmes mais le rythme est moins ample et l’esprit va trop vite au but. La France de la Révoluti
1576 le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il n’ est point d’aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’a
1577 ie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’ est jamais transcendé, il se refuse à l’illusion dernière d’une libératio
1578 puissance lucide. Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même tenté de dire : trop rigoureux… Auprès de lui, Jean-Paul et Nova
1579 exalte la saveur de vivre : c’est peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré de la réalité de son au-delà. Voyez-les se
1580 son » qui conclut sur une épigramme : « Et encore est -il vrai que bien des hommes attachent leur destinée à des choses d’au
1581 à leurs chimères les plus consolantes, l’amour ne sera pas longtemps félicité ineffable de la vie supérieure » dont parle E.
1582 prit, la purification abstraite du sentiment. Les êtres et les choses, ces prétextes, percés par un regard désabusé, cesseron
1583 ercés par un regard désabusé, cesseront bientôt d’ être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieures,
1584 vri de ses formes extérieures, deviendra ce qu’il est en son principe : une autodestruction voluptueuse du moi. « On est dé
1585 pe : une autodestruction voluptueuse du moi. « On est détrompé sans avoir joui, dit René ; il reste encore des désirs et l’
1586 un monde vide. » Alors la femme elle-même cesse d’ être le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Obermann
1587 née. Dans l’Obermann de Sénancour, l’« obstacle » est purement intérieur, il est dans la dualité du moi qui ne peut ni s’af
1588 ancour, l’« obstacle » est purement intérieur, il est dans la dualité du moi qui ne peut ni s’affirmer ni se dissoudre, ni
1589 ni s’affirmer ni se dissoudre, ni se posséder ni être possédé. Nous savions que Tristan n’aimait pas Iseut pour elle-même,
1590 une image. Lui pourtant l’ignorait, et sa passion était naïve et forte. René et surtout Obermann ne peuvent même plus croire
1591 de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares sont toutefois les romantiques français qui atteignirent cette connaissanc
1592 ourrait seule le combler. Aimer passionnément, ce serait vivre ! Il s’imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève de la
1593 te.) Il rirait bien si je lui démontrais que ce n’ est là que l’empreinte du mythe dans son esprit, une habitude héritée de
1594 térature, puisque mystique et religion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé de constater que ce désir de passion, et l
1595 tique et religion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé de constater que ce désir de passion, et la passion elle-même
1596 et la passion elle-même dans le monde où il vit, sont condamnés par la raison et par le scepticisme général. D’où le besoin
1597 « Quoiqu’il traite de l’amour, ce petit volume n’ est point un roman, et surtout n’est pas amusant comme un roman. C’est to
1598 e petit volume n’est point un roman, et surtout n’ est pas amusant comme un roman. C’est tout uniment une description exacte
1599 assion se trompe souvent, précise-t-il, mais elle est en soi une erreur… Le cas Stendhal n’est pas douteux : il s’agit d’un
1600 ais elle est en soi une erreur… Le cas Stendhal n’ est pas douteux : il s’agit d’un homme qui n’aimait pas réellement, et qu
1601 me qui n’aimait pas réellement, et qui surtout ne fut pas réellement aimé. » Tristan aimait, Don Juan était aimé ; mais cel
1602 t pas réellement aimé. » Tristan aimait, Don Juan était aimé ; mais celui qui n’a du premier que la nostalgie, et du second q
1603 tradition antique, sauf qu’il s’affirme heureux d’ être malade. Le voici donc dans la situation d’un médecin qui étudie sur l
1604 s mortel173. Une chose me frappe : sa description est admirable de vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais ell
1605 , d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalement pessimiste — puisque aussi bien il s’agit d’une erreur et
1606 ien il s’agit d’une erreur et dont il se désole d’ être tiré. D’où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conceptio
1607 incompatible avec la conception de la vie qu’il s’ était faite ? C’est la question qu’il ne se pose jamais. Il note très bien 
1608 agrément dans la quantité d’émotion, la sympathie est au moins la moitié moins excitée par la peinture du bonheur que par c
1609 « Il y a peu de peines morales dans la vie qui ne soient rendues chères par l’émotion qu’elles excitent. » Voilà qui est vrai 
1610 ères par l’émotion qu’elles excitent. » Voilà qui est vrai : nous aimons la douleur, et le bonheur nous ennuie un peu… Cela
1611 viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne sont -ils pas contre nature ? Encore une fois, Stendhal ne se pose pas la q
1612 une fois, Stendhal ne se pose pas la question, n’ étant pas en mesure de la résoudre. En matérialiste grossier — c’est la bon
1613 rois, comme Ortega, que la solution stendhalienne est d’abord inexacte, au regard des faits. Il existe un amour qui, loin d
1614 aits. Il existe un amour qui, loin de se tromper, est seul capable de découvrir dans l’être aimé les qualités réelles qui s
1615 se tromper, est seul capable de découvrir dans l’ être aimé les qualités réelles qui s’y cachent. De plus, n’est-ce point là
1616 les qualités réelles qui s’y cachent. De plus, n’ est -ce point là le type d’une solution verbale ? Car dire que la passion
1617 d’une solution verbale ? Car dire que la passion est une erreur — elle l’est parfois —, ce n’est pas encore expliquer cett
1618 ? Car dire que la passion est une erreur — elle l’ est parfois —, ce n’est pas encore expliquer cette erreur. L’instinct ou
1619 ssion est une erreur — elle l’est parfois —, ce n’ est pas encore expliquer cette erreur. L’instinct ou la nature n’ont pas
1620 ir que de l’esprit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime d’un phénomène spirituel que ses croyances matérialistes n
1621 mène spirituel que ses croyances matérialistes ne sont plus en mesure de justifier. Victime heureuse d’ailleurs, et cela suf
1622 l’empêcher de pousser plus avant son enquête. Qu’ est -ce que ce livre qu’il nous laisse ? Le témoignage d’une inquiétude qu
1623 nt s’en libérer, mais il en a perdu la clé. Ce n’ est pas qu’au cours de sa recherche, Stendhal n’ait plusieurs fois « brûl
1624 la (dans Tristan et Isolde) savait que la passion est quelque chose de plus que l’erreur : qu’elle est une décision fondame
1625 est quelque chose de plus que l’erreur : qu’elle est une décision fondamentale de l’être, un choix en faveur de la Mort, s
1626 reur : qu’elle est une décision fondamentale de l’ être , un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d’un mon
1627 l’être, un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d’un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œ
1628 ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale mé
1629 udace de cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale méprise, organisée et entretenue
1630 es, on a fini par croire que le Tristan de Wagner est un drame du désir sensuel. Qu’un tel jugement ait pu s’accréditer en
1631 diter en dépit de flagrantes évidences, voilà qui est significatif au plus haut point de la nécessité sociale des mythes. (
1632 hanté la Nuit de la dissolution des formes et des êtres , la libération du désir, l’anathème sur le désir, la gloire crépuscul
1633 faut au bourgeois pour ressentir sa vie… Qu’on y soit parvenu si rapidement et complètement ne saurait d’ailleurs témoigner
1634 lité l’opération. Ainsi le Tristan de Wagner peut être impunément repris devant des salles émues en toute sécurité ; si fort
1635 ant des salles émues en toute sécurité ; si forte est la certitude générale que personne ne croira son message. ⁂ Le drame
1636 ’affront subi. Le philtre qu’elle offre à Tristan est destiné à le faire mourir : mais d’une mort que l’Amour condamne, d’u
1637 lois du jour, la haine, l’honneur et la vengeance sont devenues sans force sur leurs cœurs. Les initiés pénètrent au monde n
1638  — ils ont déjà pressenti l’autre mort, celle qui est le seul accomplissement de leur amour. Le deuxième acte est le chant
1639 l accomplissement de leur amour. Le deuxième acte est le chant de la passion des âmes prisonnières des formes. Tous les obs
1640 s. Tous les obstacles surmontés, quand les amants sont seuls enveloppés de ténèbres, c’est le désir charnel qui les sépare e
1641 c’est le désir charnel qui les sépare encore. Ils sont ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et de Tristan « et » Is
1642 sépare encore. Ils sont ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et de Tristan « et » Isolde qui signifie leur dualité
1643 itude et la substance de cette double nostalgie d’ être un. Car seule elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de deux
1644 ce. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le traître M
1645 ⁂ Cependant la forme d’art que Wagner a choisie n’ est pas sans recréer des possibilités de « méprise ». Il fallait que ce f
1646 es possibilités de « méprise ». Il fallait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui tiennent à l’essence même du mythe. D
1647 allait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui tiennent à l’essence même du mythe. De même que le péché du premier homme, et
1648 mier acte, introduisent la lutte et la durée, qui sont les éléments du drame. Mais le drame ne peut pas tout dire, la religi
1649 ne peut pas tout dire, la religion de la passion étant « essentiellement lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable d
1650 entiellement lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable d’exprimer la dialectique transcendantale, le caractère éperd
1651 re, contrapuntique de la passion de la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition même de la musique occidentale,
1652 achevé par la musique, c’est l’opéra. Ainsi, ce n’ est point un hasard si le mythe de Tristan et celui de Don Juan n’ont pu
1653 seule peut bien parler de la tragédie, dont elle est la mère et la fille. Toutefois, dans le cas de Tristan, l’élément pla
1654 fond de l’action. Tant qu’on regarde la scène, on est victime de l’illusion des formes — et des plus ridicules. Il n’y a là
1655 es mélodies révèle un monde où le désir charnel n’ est plus qu’une dernière et impure langueur dans l’âme qui se guérit de v
1656 e annonce que le jour meurt, et que déjà l’aube n’ est plus qu’un crépuscule vainement exalté. ⁂ Un second lieu commun de la
1657 Wagner lui-même, il me paraît que cette influence est fortement surestimée. Un créateur de la taille de Wagner ne met pas d
1658 te ce qu’il faut retenir de la rencontre, et ce n’ est pas d’un immense intérêt. L’ascèse, la négation du monde créé, l’iden
1659 C’est parce qu’il la portait vivante en lui qu’il fut le premier à retrouver sa trace dans les symboles des minnesänger, da
1660 de la légende, dans sa virulence intégrale, ce n’ est point là une thèse à faire admettre, c’est l’évidence largement décla
1661 termes du vocabulaire de l’existence, décrivant l’ être en situation d’agir, non les objets. Achèvement désigne l’expression
1662 jets. Achèvement désigne l’expression totale d’un être , d’un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi l
1663 , enfin le film. Le vrai tragique de notre époque est diffus dans la médiocrité. Le vrai sérieux dès lors, implique la conn
1664 ent profané du mythe. Celui-ci cesse d’ailleurs d’ être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et que l
1665 passion dont le besoin revient nous tourmenter n’ est plus qu’une maladie de l’instinct, rarement mortelle, régulièrement t
1666 gradante, par rapport au mythe de Tristan, que le serait par exemple l’alcoolisme par rapport à l’ivresse divine que chantaien
1667 ionnelle, donc admissible par l’ordre social — ce fut le théâtre de Dumas à Bataille. La fameuse « pièce à trois personnage
1668 an à la mesure d’une société moderne. Le roi Marc est devenu le Cocu ; Tristan, le jeune premier, ou gigolo ; Iseut, l’épou
1669 les s’affrontent. Les barons félons de la légende sont figurés par les tenants de la morale « conformiste ». Ils défendent l
1670 eois, l’héritage, les convenances et l’Ordre. Ils sont du côté du mari, et donc légèrement ridicules. Mais la morale contrai
1671 Mais la morale contraire triomphe régulièrement —  fût -ce au prix d’un coup de pistolet. C’est la morale du romantisme, des
1672 res victimes l’élaboration du vieux philtre. Elle est minutieusement décrite, jusque dans ses ruses inconscientes, en des c
1673 ui feint de le renier, mais qui en vit. Le calcul est très simple, et bien entendu inconscient. L’idéal glorifié par la lit
1674 ale du mariage en souffre évidemment, mais cela n’ est pas d’une gravité urgente, puisqu’on sait bien que l’institution matr
1675 i, les seuls écarts considérés comme intolérables sont ceux qui entraînent une dilapidation du « patrimoine » de la famille.
1676 de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’ est pas sans relations avec le mythe au dernier stade de sa déchéance. El
1677 à trois, l’idéalisme tragique du mythe originel n’ est plus qu’une nostalgie assez vulgaire, idéalisation de désirs anodins,
1678 jours une révolte qui se veut « primitive ». Ce n’ est plus le sentiment que l’on idéalise, c’est l’instinct. Je songe à une
1679 Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme est d’abord une femelle. Nous la ferons se traîner sur le ventre vers le
1680 dure, voilà ce qui peut nous purifier. Vos tabous sont des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la vie, c
1681 sont des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la vie, c’est l’instinct libéré de l’esprit, la grande pui
1682 lle brute déchaînée, etc. » L’un de ces prophètes est allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de vitalité qu’une vac
1683 r). C’est une négation de l’au-delà dont le but n’ est pas de supprimer les dieux mais de s’emparer de leur pouvoir en divin
1684 sme solaire, mais la pratique de cette croyance n’ est pas de nature à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « bell
1685 faillite — une dette que plus personne, là-bas, n’ est disposé à reconnaître. On n’a plus de comptes à rendre à cet « esprit
1686 comptes à rendre à cet « esprit » platonicien. Il était cause de toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est
1687 la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins clair : quand sous pr
1688 , voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins clair : quand sous prétexte de détruire l’artificiel — rhét
1689 lors, redescendre au-dessous de nos morales, ce n’ est pas nous libérer de leurs interdictions, mais nous livrer à une folie
1690 is, nous engageait dans les voies irréelles) ce n’ est pas revenir au réel, mais s’égarer dans la zone de terreur et dans le
1691 zone de terreur et dans les terrains vagues où se sont déversés tous les rebuts d’une civilisation intoxiquée. L’« authentiq
1692 s obsède, nous ne pourrons pas le retrouver. Il n’ est pas au terme d’un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au resse
1693 tinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’ est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être recréé par un effort contrai
1694 air. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’ être recréé par un effort contraire à la passion, c’est-à-dire par une act
1695 urification — un retour à la sobriété. Agir, ce n’ est pas s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce
1696 s’évader hors d’un monde déclaré diabolique. Ce n’ est pas tuer ce corps gênant. Mais ce n’est pas non plus tirer son revolv
1697 que. Ce n’est pas tuer ce corps gênant. Mais ce n’ est pas non plus tirer son revolver contre l’esprit sous prétexte qu’il n
1698 en vérité, c’est accepter les conditions qui nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter
1699 tte à l’esprit et retrouve par lui sa paix. Telle est la voie. Éros mortel, Éros vital — l’un appelle l’autre, et chacun d’
1700 à la guerre, la société devait la persécuter. Ce fut Rome qui porta le fer et le feu dans les provinces gagnées à l’hérési
1701 é elle, cette glorification de l’amour humain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’une ambiguïté à la fois essenti
1702 nnaissance mystique réprouvée, puis perdue. Telle fut la chance de la littérature en Occident ; et cela seul peut expliquer
1703 n se mettant au service de mystiques partisanes ? Serait -ce la fin du romantisme ? Le spectacle de nos mœurs n’autorise pas ce
1704 et déjà s’exalte en « mystiques ». C’est que nous sommes devenus incapables de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de
1705 r en figures. Les dernières formes de l’amour ont été balayées par la guerre. Et j’insisterai sur cet exemple symbolique :
1706 a, Pétrarque. 140. Sainte Thérèse : « Ces grâces sont accompagnées d’un entier détachement des créatures, quant à l’esprit…
1707 r par Dieu lui-même, considère toutes choses sans être enchaînée par aucune. » 147. Le Déclin du Moyen Âge. 148. Selon A. 
1708 e. 160. L’abbé de Sade, propre oncle du marquis, est l’auteur d’un ouvrage intitulé : Remarques sur les premiers poètes fr
1709 Rappelons que l’amour fameux d’Abélard et Héloïse est le premier exemple historique de la passion dont nous parlons ici. Vo
1710 daient l’union des habitants des cieux : Déjà ils sont entrés dans le sanctuaire du Sauveur. Abélard répondit assez mal à c
1711 : « Amoris impulsio, culpæ justificatio. » 164. Est -ce la faute à Rousseau ? Ou plutôt au symbolisme ? Beaucoup de dames
1712 ui dont les yeux ont une fois contemplé la beauté est déjà voué à la mort… » 166. Les italiques sont dans le texte origina
1713 té est déjà voué à la mort… » 166. Les italiques sont dans le texte original. 167. Autre vision manichéenne du monde : la
1714 er les quatre saisons de l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée de la cr
1715 re la cristallisation et l’idéalisation courtoise tient en ceci : Stendhal sait qu’il y aura décristallisation (retour à la l
1716 lozengier. 175. Cf. chap. 11 livre II. Le roman est un poème qui n’exprime plus l’instant mais la durée. 176. Surtout l
5 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre V. Amour et guerre
1717 ormes Du désir à la mort par la passion, telle est la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour
1718 est la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour autant que nous sommes tributaires — inconsciemment
1719 t nous y sommes tous engagés pour autant que nous sommes tributaires — inconsciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et
1720 l’éducation, la politique. Un fort gros livre ne serait pas de trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce liv
1721 mêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit écrit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté de la tâche. Car
1722 surtout à le situer dans la logique du mythe, qui est mon vrai sujet. On peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’e
1723 peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’ est pas moins instructif, en ce domaine, que la recherche des causes, et
1724 ce domaine, que la recherche des causes, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple de r
1725 s, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’ est pas nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour con
1726 constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés : les figures courantes du langage le font voir
1727 ntes relatives à la genèse des instincts, je m’en tiendrai à quelques rapprochements formels entre les arts d’aimer et de guerro
1728 yer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement de marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l
1729 re les effets de l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se rend à l’hom
1730 me se rend à l’homme qui la conquiert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession
1731 meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous p
1732 nstinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et l
1733 ent les gestes élémentaires du guerrier, mais qui sont empruntées d’une façon très précise à l’art des batailles, à la tacti
1734 bien typique de la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps que son vainqueur. Il deviendra le vassa
1735 nteries à double sens. Ce parallélisme d’ailleurs est complaisamment exploité par les écrivains. C’est un thème de rhétoriq
1736 de Amor : « Ne pense pas que le combat de l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’une guerre épo
1737 que ses tendres paroles. Ses flèches et ses coups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande effic
1738 oups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie.
1739 composent son artillerie. Sa prise de possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a
1740 rise de possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a vu que la rhétorique courtoise
1741 de la Nuit. La mort y joue un rôle central : elle est la défaite du monde et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort
1742 et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre
1743 rt sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre. Mais ni cette origine religieuse, ni cette co
1744 la guerre « Donner un style à l’amour », telle est , selon J. Huizinga, l’aspiration suprême de la société médiévale dans
1745 , un besoin d’autant plus impérieux que les mœurs sont plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur d’un rite, la viole
1746 té spirituelle de la société médiévale !) Or s’il est vrai que cette morale courtoise ne parvint guère à transformer les mœ
1747 andi, qui donne naissance à un ars bellandi. Ce n’ est pas seulement dans le détail des règles de combat individuel que se f
1748 à cette époque une valeur d’absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter des conventions d’une me
1749 re eux. » De même, les nécessités de la stratégie sont sacrifiées à celles de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 14
1750 sance abandonnent la cotte d’armes afin de ne pas être , en revenant, obligés de reculer en vêtements guerriers. Maintenant,
1751 r ses pas ; il passe la nuit dans l’endroit où il est , et fait se ranger l’avant-garde conformément à ce nouveau plan. » Le
1752 le péril qu’on recherche pour lui-même, car on n’ est pas inapte en d’autres cas à trouver des prétextes pour esquiver ses
1753 étend à tous les domaines où le style et la forme sont choses essentielles : les cérémonies, l’étiquette, les tournois, la c
1754 in, droit d’attaque — fidélité à la parole donnée sont régis par des règles semblables à celles qui gouvernent le tournoi et
1755 chasse185 ». L’Arbre des Batailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à
1756  Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est -on tenu de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de
1757 n perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu de la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? —
1758 ne armure empruntée, est-on tenu de la rendre ? —  Est -il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se bat
1759 au Moyen Âge par la conception chevaleresque, ce sont essentiellement, selon Huizinga : la lutte pour la paix universelle b
1760 le saint ou le pécheur ; mais en général, ils se tiennent en équilibre instable avec d’énormes écarts de la balance. » 4.Les
1761 e. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte Il est pourtant un domaine où s’opère la synthèse à peu près parfaite des in
1762 s de l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous forme de lecture, mais surtout donnés en spectacle. Ce
1763 a représentation dramatique et le sport. Celui-ci est , au Moyen Âge, de beaucoup le plus important. Le drame ne traitait en
1764 que la matière sacrée ; l’aventure amoureuse n’y était qu’exceptionnelle. Le sport médiéval, au contraire, et surtout le tou
1765 rt médiéval, au contraire, et surtout le tournoi, était lui-même dramatique au plus haut point et contenait, en outre, une fo
1766 et amoureux ; mais tandis que les sports modernes sont presque retournés à la simplicité grecque, le tournoi de la fin du Mo
1767 ve à l’accomplissement du désir, et la délivrance est donc de toute manière assurée. » La mise en scène des tournois emprun
1768 cle, le Pas d’Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginaire. « La fontaine est constr
1769 une aventure romanesque imaginaire. « La fontaine est construite à cet effet. Pendant une année entière, tous les premiers
1770 oyer, devant la fontaine, une tente dans laquelle est assise une dame (en effigie naturellement) ; celle-ci tient une licor
1771 se une dame (en effigie naturellement) ; celle-ci tient une licorne qui porte trois écus. Tout chevalier qui touche l’écu s’e
1772 s des chevaux prêts à cet usage. » « Le chevalier est toujours inconnu ; c’est « le blanc chevalier », « le chevalier mesco
1773 alamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est répandu sur toute l’action : le nom de la Fontaine des Pleurs est émi
1774 toute l’action : le nom de la Fontaine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés d
1775 ine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés de larmes blanches ; on les touche pa
1776 rmes d’argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont noirs et violets aux larmes noires ou or. » L’élément érotique du tou
1777 sins. » ⁂ Cependant, la grande vogue des tournois est l’indice d’un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le débu
1778 . « En tant que principe militaire, la chevalerie était devenue insuffisante ; la tactique avait depuis longtemps renoncé à s
1779 es règles : la guerre, aux xive et xve siècles, était faite d’approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « v
1780 evalerie et celle de l’art militaire moderne ; il est un élément dans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup de grâc
1781 canisation de la guerre. » Enfin le coup de grâce sera porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « Et n’est-ce
1782 hevalerie par l’invention de l’artillerie. « Et n’ est -ce pas une ironie du sort qui fit que cette fleur des chevaliers erra
1783 rants à la mode de Bourgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet de canon ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conv
1784 ondottieri et canons « L’Italie n’avait jamais été si florissante ni si paisible qu’elle l’était vers l’année 1490. Une
1785 amais été si florissante ni si paisible qu’elle l’ était vers l’année 1490. Une paix profonde régnait dans ses provinces : les
1786 dans ses provinces : les montagnes et les plaines étaient également fertiles ; riche, bien peuplée et ne reconnaissant point de
1787 d’empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout d’avisés diplomates, d’astucieux commerçants. Ils savaient
1788 lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vaincus est presque toujours respectée. Ils ne sont pas longtemps prisonniers et
1789 es vaincus est presque toujours respectée. Ils ne sont pas longtemps prisonniers et ils recouvrent très aisément la liberté.
1790 . Une ville a beau se révolter vingt fois, elle n’ est jamais détruite ; les habitants conservent toutes leurs propriétés ;
1791 onc le contraire d’une « militarisation ». L’État était devenu une œuvre d’art, selon l’expression de Burckhardt. La guerre e
1792 l’expression de Burckhardt. La guerre elle-même s’ était civilisée dans toute la mesure où le paradoxe est soutenable. Le duel
1793 ait civilisée dans toute la mesure où le paradoxe est soutenable. Le duel des chefs était fort en honneur, et suffisait à t
1794 où le paradoxe est soutenable. Le duel des chefs était fort en honneur, et suffisait à terminer une campagne. (Ce n’était pl
1795 neur, et suffisait à terminer une campagne. (Ce n’ était plus d’ailleurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe d’une perso
1796 t dans les Allemagnes. Si par ailleurs, la guerre était devenue diplomatique dans les hautes sphères, et vénale dans la prati
1797 on sens moderne de politesse et de civilité. Il n’ était plus question de condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait
1798 e passage de ce prince en Italie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité de maux et de révolutions. Les États changèr
1799 ats changèrent tout à coup de face, les provinces furent ravagées, les villes détruites, et tout le pays fut inondé de sang… L
1800 t ravagées, les villes détruites, et tout le pays fut inondé de sang… L’Italie apprit aussi une nouvelle mais sanglante mét
1801 ment la paix et l’harmonie de nos provinces qu’il fut depuis impossible d’y rétablir l’ordre et la tranquillité191. » Ce n’
1802 ’y rétablir l’ordre et la tranquillité191. » Ce n’ était pas que les Italiens eussent ignoré l’usage de l’artillerie jusqu’à c
1803 gère, et dont les pièces qu’ils appelaient canons étaient toutes de bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu
1804 nt canons étaient toutes de bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu’elles faisaient en peu de temps ce qu’o
1805 s ; enfin cette machine plus infernale qu’humaine était aussi utile aux Français dans les combats que dans les sièges… » Autr
1806 e des condottieri « la plupart des hommes d’armes étaient ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours sujets d’un autre
1807 celui pour lequel ils faisaient la guerre », et n’ étaient donc animés « ni par aucun sentiment de gloire ni par aucun motif ext
1808 it comme une armée nationale : « Les gens d’armes étaient presque tous sujets du Roi et gentilshommes » ce qui les empêchait de
1809 ampagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de 100 furent tués : « Nombre considérable par rapport à la manière dont on faisait
1810 a guerre en Italie » remarque Guichardin. Et ce n’ était vraiment qu’un début ! Burckhardt affirme que les dévastations frança
1811 urckhardt affirme que les dévastations françaises furent peu de choses en comparaison de celles commises un peu plus tard par
1812 hommes de guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera de dominer le monstre mécanique, afin de sauver autant que possible l
1813 donner un style à l’instinct. La guerre classique est un effort pour conserver et recréer ce style malgré l’intervention de
1814 nt des forces de l’adversaire. Le monde militaire est toujours tombé dans ces erreurs quand il s’est mis à abandonner la no
1815 re est toujours tombé dans ces erreurs quand il s’ est mis à abandonner la notion droite et simple des lois de la guerre, à
1816 les résolutions des hommes. » — « Spiritualiser » est peut-être excessif : il ne s’agissait guère de rationaliser. Mais l’e
1817 de rationaliser. Mais l’expression (méprisante !) est bien typique de la psychologie qui apparaîtra dès la Révolution franç
1818 s laquelle nulle civilisation et nulle culture ne sont proprement concevables. Racine aussi, nous l’avons vu, croyait qu’on
1819 secrètement désirés ; mais la grandeur de l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait
1820 uerre en dentelles L’exemple du xviiie siècle est le plus propre à illustrer le parallèle de l’amour et de la guerre. I
1821 its de tueries inouïes ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre de ses adversaires pourfendus et décapités, et si pos
1822 t d’autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honneur. Maurice de Saxe écrit : « Je ne suis point pour les bata
1823 est à l’honneur. Maurice de Saxe écrit : « Je ne suis point pour les batailles, surtout au début d’une guerre. Je suis pers
1824 les batailles, surtout au début d’une guerre. Je suis persuadé qu’un bon général pourra la faire toute sa vie sans s’y voir
1825 igé. » S’il faut cependant en venir aux mains, ce sera du moins pour une bataille « rangée », un siège « en règle », et la t
1826 s ennemies — en véritable héros de l’Astrée qu’il fut . Et cette suprême politesse devant la mort, à Fontenoy. ⁂ Mais voici
1827 il nous en coûte pour guerroyer cinq ans. Quel en est le résultat ? Car le succès définitif est incertain. Avec bien du bon
1828 Quel en est le résultat ? Car le succès définitif est incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer de détruire 150 000
1829 sans compter la perte sur notre population, qui n’ est réparée qu’au bout de vingt-cinq ans. Au lieu de cet attirail dispend
1830 erling. C’est la plus forte évaluation, et ils ne sont pas tous aussi chers, comme on sait ; mais enfin, il y aurait encore
1831 etourner la position… Et l’attaque commencée, ils sont jusqu’au bout ces comédiens étonnants, pareils à ces livres du temps
1832 lesquels il n’y a pas un sentiment exprimé qui ne soit feint ou dissimulé… « N’omettre rien » c’est le précepte de l’un d’eu
1833 la passion sur le plan collectif. À vrai dire, il est plus facile de le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute pa
1834 nellement. Toute passion, dira-t-on, suppose deux êtres , et l’on ne voit pas à qui s’adresse la passion assumée par la Nation
1835 ns toutefois que la passion d’amour, par exemple, est en son fond un narcissisme, autoexaltation de l’amant, bien plus que
1836 le au monde. « Mon regard ravi s’aveugle… Seul je suis — Moi le monde… » La passion veut que le moi devienne plus grand que
1837 ns le savoir) qu’au-delà de cette gloire, sa mort soit véritablement la fin de tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est
1838 a fin de tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est une autoexaltation, un amour narcissiste du Soi collectif. Il est vra
1839 tation, un amour narcissiste du Soi collectif. Il est vrai que sa relation avec autrui s’avoue rarement comme un amour : pr
1840 et qu’on proclame. Mais cette haine de l’autre, n’ est -elle pas toujours présente dans les transports de l’amour-passion ? I
1841 gt fois supérieures, à l’heure où liberté et mort étaient bien près d’avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont lié
1842 ’avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont liées comme l’Amour et la Mort. Désormais le fait national sera le fa
1843 me l’Amour et la Mort. Désormais le fait national sera le facteur dominant de la guerre. « Celui qui écrit sur la stratégie
1844 et une tactique nationales, seules susceptibles d’ être profitables à la nation pour laquelle il écrit ». Ainsi s’exprime le
1845 a Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la passion contre la « science exacte ». C’est au cri de V
1846 ainsi cette phrase fameuse : « Une ère nouvelle s’ était ouverte, celle des guerres nationales aux allures déchaînées parce qu
1847 éléments de force jusqu’alors inexploités. » ⁂ Il serait assez curieux de préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte
1848 étorique et la surprise massive, brutale… Et il n’ est pas sans intérêt non plus de noter que Waterloo fut une bataille perd
1849 t pas sans intérêt non plus de noter que Waterloo fut une bataille perdue par excès de science, peut-être, ou par défaut d’
1850 ar défaut d’élan national-révolutionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon fut le premier à tenir compte du facteur
1851 tionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon fut le premier à tenir compte du facteur passionnel dans la conduite des
1852 énéraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’ est pas possible de méconnaître, comme ce Bonaparte, les principes les pl
1853 et tragique » (Foch). Il faudrait préciser : ce n’ est pas le cœur de chaque soldat considéré comme un héros qui décidera du
1854 sionnelle d’un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du nationalisme allemand. D’où le caractère de pl
1855 oïque. (De tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les trois premiers qu
1856 sse pas de s’exercer au nom de la Nation, mais ce sont bel et bien des intérêts qui mènent le jeu, ainsi que l’a fort bien m
1857 ch, dans ses Principes de la guerre : La guerre fut nationale au début pour conquérir et garantir l’indépendance des peup
1858 , Saragosse, Tarancon, Moscou, Leipzig, etc. Elle fut nationale par la suite pour conquérir l’unité des races, la nationali
1859 e des Italiens et des Prussiens de 1866, 1870. Ce sera la thèse au nom de laquelle le roi de Prusse devenu empereur d’Allema
1860 x des traités de commerce avantageux. Après avoir été le moyen violent que les peuples employaient pour se faire une place
1861 commerce suit le drapeau, disent les Anglais. Ce fut la période coloniale, la dernière « paix » méritée par l’Europe. On a
1862 sociale (mais à la mesure de notre société). Ce n’ était plus, en effet, un principe spirituel qui inspirait les « formes » et
1863 s (conquête de Madagascar). La guerre coloniale n’ est en somme que la continuation de la concurrence capitaliste par des mo
1864 mpagnies. Vers la fin du xixe siècle, l’amour197 était devenu, dans les classes bourgeoises, un bien bizarre mélange de sent
1865 s de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’ être aujourd’hui dans les annonces matrimoniales. La sexualité pure n’inte
1866 l’absinthe, et c’est pourquoi Jarry dit que l’eau est impure.) De même la guerre était un composé d’excitations de l’opinio
1867 arry dit que l’eau est impure.) De même la guerre était un composé d’excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « r
1868 composé d’excitations de l’opinion publique — qu’ est -ce que la « revanche », sinon un sentimentalisme national ? — et de p
1869 ècles de culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance du mythe
1870 erie entre les formes de l’amour et de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujours de forcer la
1871 , soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant sa force armé
1872 on », choses et personnes assimilées. La guerre n’ est plus un viol mais un assassinat de l’objet convoité et hostile — c’es
1873 sant cet objet au lieu de s’en emparer. Verdun ne fut d’ailleurs qu’un prodrome de cette guerre nouvelle, puisque le procéd
1874 mais sur la chair qui fabrique les canons, ce qui est évidemment plus efficace. La technique de la mort à grande distance n
1875 elle se retourne contre la passion même dont elle est née. Et c’est cela, non l’envergure des massacres, qui est nouveau da
1876 Et c’est cela, non l’envergure des massacres, qui est nouveau dans l’histoire du monde. Là-dessus, trois remarques dont on
1877 dessus, trois remarques dont on verra qu’elles ne sont pas sans liens : a) La guerre est née dans les campagnes : elle a mê
1878 a qu’elles ne sont pas sans liens : a) La guerre est née dans les campagnes : elle a même porté leur nom jusqu’à nos jours
1879 des masses paysannes, la Première Guerre mondiale fut un premier contact avec la civilisation technique. Une sorte de visit
1880 calculatrices d’ingénieurs. Désormais, l’homme n’ est plus que le servant du matériel ; il passe lui-même à l’état de matér
1881 l’état de matériel, d’autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réflexes individuels. Ainsi, malgré le dopage e
1882 révisions, de la psychologie. L’instinct combatif est déçu. De 1914 à 1918, l’explosion habituelle de sexualité qui accompa
1883 xualité qui accompagnait les grands conflits ne s’ est guère produite qu’à l’arrière dans les populations civiles. En dépit
1884 de soldats prouvent que. la guerre du matériel s’ est traduite en réalité par une « catastrophe sexuelle198 ». L’impuissanc
1885 tels qu’onanisme chronique et homosexualité, tel fut le résultat statistique de quatre années passées dans les tranchées.
1886 t de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront plus la solennelle conclusion des hostilités. Les distinctions arbitr
1887 mberont. D’où résulte que la défaite d’un pays ne sera plus symbolique, métaphorique, c’est-à-dire limitée à certains signes
1888 t-à-dire limitée à certains signes convenus, mais sera concrètement la mort de ce pays. Encore une fois, dès que l’on abando
1889  d’ailleurs fatale, nous l’avons vu ailleurs — qu’ est le « complexe de castration ». 11.La passion transportée dans la p
1890 la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’ être clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une lic
1891 , lorsque ce champ cesse d’être clos comme doit l’ être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles,
1892 s comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’ est plus une lice décorée de symboles, mais un secteur de bombardement — 
1893 ouvé d’autres modes d’expression en actes. Elle y était d’ailleurs contrainte par la dépréciation des résistances morales et
1894 e part, dans les pays démocratiques, les mœurs se sont assouplies à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus d’obstacles a
1895 t personnels. L’amour, dans l’entre-deux-guerres, fut un curieux mélange d’intellectualisme angoissé (littérature de l’inqu
1896 les relations individuelles des sexes ont cessé d’ être le lieu par excellence où se réalise la passion. Celle-ci paraît se d
1897 Celle-ci paraît se détacher de son support. Nous sommes entrés dans l’ère des libidos errantes, en quête d’un théâtre nouveau
1898 n quête d’un théâtre nouveau. Et le premier qui s’ est offert, c’est le théâtre politique. La politique de masses, telle qu’
1899 masses, telle qu’on l’a pratiquée depuis 1917, n’ est que la continuation de la guerre totale par d’autres moyens (pour rep
1900 dique déjà. Et par ailleurs, l’État totalitaire n’ est que l’état de guerre prolongé, ou recréé, et entretenu en permanence
1901 nsposer les passions individuelles au niveau de l’ être collectif. Tout ce que l’éducation totalitaire refuse aux individus i
1902 morale qui concerne les citoyens : et l’eugénisme est la négation rationnelle de toute espèce d’aventure privée. Mais cela
1903 assion ; mais il dit aux peuples voisins : — Nous sommes trop nombreux dans nos frontières, j’exige donc des terres nouvelles 
1904 s à la base viennent s’accumuler au sommet. Or il est clair que ces volontés de puissance affrontées — il y a déjà plusieur
1905 l, tacite, fatal, de ces exaltations totalitaires est donc la guerre, qui signifie la mort. Et comme on le voit dans le cas
1906 le voit dans le cas de la passion d’amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les intéressés, mais il est réelle
1907 ment nié avec vigueur par les intéressés, mais il est réellement inconscient. Personne n’ose dire : je veux la guerre ; non
1908 out ce que l’on exalte y trouve son sens réel. Il serait aisé de multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la po
1909 litique et la passion. L’ascèse collectivisée, ce sont les restrictions que l’État impose au nom de la grandeur nationale. L
1910 d ils courtisent une assemblée électorale. Hitler est plus brutal : il se fâche et se plaint en même temps ; il ne persuade
1911 ûte ; il invoque enfin le destin et affirme qu’il est ce destin… De la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de s
1912 tel point féminins que ses opinions et ses actes sont déterminés beaucoup plus par l’impression produite sur les sens que p
1913 sur les sens que par la pure réflexion. La masse est peu accessible aux idées abstraites. Par contre, on l’empoignera plus
1914 ollement. (Mein Kampf). Oui, « de tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est que l’action passionne
1915 sante sur les individus. En outre, cette action n’ est plus exercée par un meneur quelconque, mais par le chef qui incarne l
1916 s’opère du privé au public. Quel Wagner surhumain sera donc en mesure d’orchestrer la grandiose catastrophe de la passion de
1917 ⁂ Ceci nous mène au seuil d’une conclusion que j’ étais loin de prévoir en commençant ce livre. Que l’on suive l’évolution du
1918 pect trop ignoré de la crise de notre époque, qui est la dissolution des formes instituées par la chevalerie. C’est dans le
1919 dans le domaine de la guerre, où toute évolution est pratiquement irréversible — alors qu’il y a des « retours » littérair
1920 raires — que la nécessité d’une solution nouvelle est apparue en premier lieu. Cette solution s’appelle l’État totalitaire.
1921 r toute société. La réponse du xiie siècle avait été la chevalerie courtoise, son éthique et ses mythes romanesques. La ré
1922 e la tragédie classique200. La réponse du xviiie fut le cynisme de Don Juan et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme n
1923 n et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme ne fut pas une réponse, à moins que l’on admette — et c’est possible — que s
1924 t abandon aux puissances nocturnes du mythe n’ait été un dernier moyen de le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soi
1925 de le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soit , cette défense était faible en regard du péril déchaîné. Les forces a
1926 un excès voulu. Quoi qu’il en soit, cette défense était faible en regard du péril déchaîné. Les forces antivitales longtemps
1927 des liens sociaux. La première guerre européenne fut le jugement d’un monde qui avait cru pouvoir abandonner les formes, e
1928 as que le drainage de toute passion par la nation soit autre chose qu’une mesure de détresse. C’est repousser la menace immé
1929 les ainsi constitués en blocs. L’État totalitaire est bien une forme recréée, mais une forme trop vaste, trop rigide et tro
1930 jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’ est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la guerre atomique tota
1931 en n’est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la guerre atomique totale, la désintégration physique et morale, et l
1932 physique et morale, et le problème de la passion sera supprimé avec la civilisation qui l’a fait naître ; Ou bien ce sera l
1933 la civilisation qui l’a fait naître ; Ou bien ce sera la paix, et le problème renaîtra dans les pays totalitaires, comme il
1934 ttéralement : position de qui gît à terre, de qui est couché au-dessous. (Cf. l’expression « avoir le dessous ».) Rappelons
1935 ges entre guillemets de ce chapitre et du suivant sont des citations de la traduction française (Paris, 1932). 185. Qu’on s
1936 ère tantôt de la séparation des amants). 186. Je serais assez tenté de voir dans la fonction dramatique du tournoi l’une des
1937 e des origines de la tragédie moderne. Celle-ci s’ est constituée précisément à l’époque où les tournois passaient de mode,
1938 éments guerrier, sportif et théâtral. La tragédie serait ainsi une « action » privée du risque physique que comportait le tour
1939 . Die Kultur der Renaissance, VI, p. 1. 190. Il est juste toutefois de rappeler qu’on tuait facilement dans ce pays. Mais
1940 raite et frappante, irréelle mais signifiante, qu’ est la moyenne des expressions typiques de l’amour à une époque donnée — 
1941 rand Siècle », pour le vice que pour la vertu. Il est des « signes » qui ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a d
1942 e que pour la vertu. Il est des « signes » qui ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a de tout — mais qui sont d’un
1943 l’époque — dans chacune il y a de tout — mais qui sont d’une époque plutôt que d’une autre. Je ne dis rien de plus ni rien d
1944 ansquenet moderne, éprouvant que la guerre totale est une négation de la passion guerrière, se jette alors dans des aventur
6 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre VI. Le mythe contre le mariage
1945 en l’opposition. Aux yeux de l’Église, l’adultère était tout à la fois un sacrilège, un crime contre l’ordre naturel et un cr
1946 Testament, par exemple, une descendance nombreuse est signe d’élection, tandis que pour saint Paul, celui qui reste vierge
1947 er. Elle niait tout d’abord le sacrement, comme n’ étant établi par aucun texte univoque de l’Évangile201. Elle condamnait la
1948 ollectif202. Mais le fondement de ces trois refus était en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant,
1949 que la morale. Ce qui, pour le croyant manichéen, était l’expression dramatique du combat de la foi et du monde, devient alor
1950 Iseut, vit un roman, et se rend admirable… Ce qui était « faute » et ne pouvait donner lieu qu’à des commentaires édifiants s
1951 laquelle nous vivons de deux morales, dont l’une est héritée de l’orthodoxie religieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi
1952 ous les adolescents de la bourgeoisie occidentale sont élevés dans l’idée du mariage, mais en même temps se trouvent baignés
1953 ille allusions quotidiennes, dont le sous-entendu est à peu près : que la passion est l’épreuve suprême, que tout homme doi
1954 t le sous-entendu est à peu près : que la passion est l’épreuve suprême, que tout homme doit un jour connaître, et que la v
1955 doit un jour connaître, et que la vie ne saurait être à plein vécue que par ceux qui « ont passé par là ». Or la passion et
1956 « ont passé par là ». Or la passion et le mariage sont par essence incompatibles. Leurs origines et leurs finalités s’exclue
1957 nos « sécurités » sociales. En d’autres temps, ce fut la fonction du mythe que d’ordonner cette anarchie latente et de la c
1958 le d’exutoire, rôle civilisateur. Mais le mythe s’ est déprimé et profané en même temps que les formes sociales dont il tira
1959 problème, contribuent à le rendre insoluble. Ils sont les signes de la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire
1960 sacrées. — Le mariage, chez les peuples païens, s’ est toujours entouré d’un rituel dont nos institutions gardèrent longtemp
1961 s en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi démodée que les crinolines. Et la majorité des couples n’éprouv
1962 , de sang, d’intérêts familiaux et même d’argent, sont en train de passer au second plan dans les pays démocratiques, et par
1963 pithalamiques se simplifient ou disparaissent. Il est curieux de noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telle
1964 e siècle, le thème du « Coucher de la mariée » n’ est plus qu’une occasion d’anodines galanteries picturales. De nos jours
1965 repousse avec horreur. Car l’engagement religieux est pris « pour le temps et l’éternité », c’est-à-dire qu’il ne tient auc
1966 r le temps et l’éternité », c’est-à-dire qu’il ne tient aucun compte des variations de tempérament, de caractère, de goûts et
1967 2.Idée moderne du bonheur Le mariage cessant d’ être garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fonder
1968 conjoints dans le cas le plus favorable. Or s’il est assez difficile de définir en général le bonheur, le problème devient
1969 insoluble dès que s’y ajoute la volonté moderne d’ être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sen
1970 i revient peut-être au même, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par d
1971 le plus souvent. Le résultat de cette propagande est à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même
1972 bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme ne sera pas Dieu. Le bonheur est une Eurydice : on l’a perdu dès qu’on veut l
1973 ir, tant que l’homme ne sera pas Dieu. Le bonheur est une Eurydice : on l’a perdu dès qu’on veut le saisir. Il ne peut vivr
1974 rt dans la revendication. C’est qu’il dépend de l’ être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et
1975 Tout bonheur que l’on veut sentir, que l’on veut tenir à sa merci — au lieu d’y être comme par grâce — se transforme instant
1976 tir, que l’on veut tenir à sa merci — au lieu d’y être comme par grâce — se transforme instantanément en une absence insuppo
1977 e morbide — ou l’intention secrète de tricher. Il est probable que cette intention ou cet espoir expliquent en partie la fa
1978 voltes de l’ennui. On n’ignore pas que la passion serait un malheur — mais on pressent que ce serait un malheur plus beau et p
1979 ssion serait un malheur — mais on pressent que ce serait un malheur plus beau et plus « vivant » que la vie normale, plus exal
1980 bonheur »… Ou l’ennui résigné ou la passion : tel est le dilemme qu’introduit dans nos vies l’idée moderne du bonheur. Cela
1981 vre ! » Dès le xiie siècle provençal, l’amour était considéré comme noble. Non seulement il ennoblissait mais encore il a
1982 e idée toute moderne et romantique que la passion est une noblesse morale, qu’elle nous met au-dessus des lois et des coutu
1983 sur l’ordre social établi. Que la passion profane soit une absurdité, une forme d’intoxication, une « maladie de l’âme », co
1984 âme », comme pensaient les Anciens, tout le monde est prêt à le reconnaître, c’est un des lieux communs les plus usés des m
1985 lus le croire, à l’âge du film et du roman — nous sommes tous plus ou moins intoxiqués — et cette nuance est décisive. Le mode
1986 s tous plus ou moins intoxiqués — et cette nuance est décisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend de l’amour fatal
1987 r ! Je vais y entrer, je vais y monter, je vais y être « transporté » ! La sempiternelle illusion, la plus naïve et — j’ai b
1988 Mais l’homme de la passion cherche au contraire à être possédé, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et de fait, c’es
1989 st la « beauté standard ». De nos jours — et ce n’ est qu’un début — un homme qui se prend de passion pour une femme qu’il e
1990 omme qui se prend de passion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est présumé neurasthénique. (Dans x années, on le
1991 ssion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est présumé neurasthénique. (Dans x années, on le fera soigner.) Certes,
1992 ion, de même que chaque époque de la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais
1993 ue chaque époque de la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme
1994 e de la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme esthétique atte
1995 fère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la ligne sportive. Mais le panurgisme esthétique atteint de nos jours
1996 plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve205 ; elle est mariée, naturellement. Qu’elle divorce, et il l’épousera ! Avec elle,
1997 Qu’elle divorce, et il l’épousera ! Avec elle, ce sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement de ce Tristan qu’il porte
1998 pousera ! Avec elle, ce sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement de ce Tristan qu’il porte en soi comme son génie cac
1999 a révélation mythique. (Pas même la couronne s’il est roi.) Voilà le vrai « mariage d’amour » moderne : le mariage avec la
2000 fois épousée ? Une nostalgie que l’on chérissait est -elle encore désirable une fois rejointe ? Car Iseut, c’est toujours l
2001 t fuyant, évanouissant et presque hostile dans un être , cela même qui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité de poss
2002 e combat. On imagine différente la femme que l’on tient dans ses bras, on la déguise et on l’éloigne en rêve, on s’acharne à
2003 rêve, on s’acharne à dépayser les sentiments qui sont en train de se nouer dans une durée étale et trop sereine. C’est qu’i
2004 s où la femme perd son « attrait », parce qu’il n’ est plus d’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe do
2005 les victimes d’un mythe dont l’horizon mystique s’ est refermé depuis longtemps. Pour Tristan, Iseut n’était rien que le sym
2006 t refermé depuis longtemps. Pour Tristan, Iseut n’ était rien que le symbole du Désir lumineux : son au-delà, c’était la mort
2007 ce des liens terrestres. Il fallait donc qu’Iseut fût l’Impossible, car tout amour possible nous ramène à ces liens, nous r
2008 es dans l’espace et le temps sans lesquelles il n’ est point de « créatures » — alors que le seul but de l’amour infini ne p
2009 — alors que le seul but de l’amour infini ne peut être que le divin : Dieu, notre idée de Dieu, ou le Moi déifié. Mais pour
2010 ient tourmenter sans lui révéler son secret, il n’ est d’au-delà de la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourm
2011 oursuite d’apparences toujours plus fugitives. Il était de la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin – et
2012 de la nature essentielle de la passion mystique d’ être sans fin – et c’est par là que cette passion se détachait des rythmes
2013 la conscience douloureuse — pour le moderne, ce n’ est plus que le retour sempiternel d’une ardeur constamment déçue. Le myt
2014 où se complaisent les modernes, ne sait plus même être fidèle, puisqu’elle n’a plus pour fin la transcendance. Elle épuise l
2015 ’un Tristan qui a plusieurs Iseut ? Pourtant ce n’ est pas lui qu’il convient d’accuser, mais il est la victime d’un ordre s
2016 e n’est pas lui qu’il convient d’accuser, mais il est la victime d’un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils c
2017 la victime d’un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vite, ils cèdent avant que l’expérience ait
2018 sives. Les catégories se détruisent, l’aventure n’ est plus même exemplaire. Seul, le Don Juan mythique échappait à cette co
2019 ontraire de vivre ! C’est un appauvrissement de l’ être , une ascèse sans au-delà, une impuissance à aimer le présent sans l’i
2020 Mais nous avons perdu la transcendance. La mort n’ est plus qu’une lente consomption. À cette lumière, que jette sur nos ps
2021 hez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’ être . Presque toutes les complications qui servent d’intrigues à nos auteu
2022 non plus chez l’autre seulement — la coquetterie est un peu simple — mais on en vient à désirer que l’être aimé soit infid
2023 un peu simple — mais on en vient à désirer que l’ être aimé soit infidèle pour qu’on puisse de nouveau le poursuivre et « re
2024 mple — mais on en vient à désirer que l’être aimé soit infidèle pour qu’on puisse de nouveau le poursuivre et « ressentir »
2025 fois de plus, que le mythe des amants « ravis » s’ est dégradé en perdant sa mystique. Le ravissement n’est plus qu’une sens
2026 dégradé en perdant sa mystique. Le ravissement n’ est plus qu’une sensation — n’aboutit pas. On retombe sans cesse au monde
2027 etombe sans cesse au monde de la comparaison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur s
2028 ’est que, passant « leur seuil », sortant de leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d’accepter
2029 de leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d’accepter l’autre tel qu’il est, parce qu’il faudr
2030 st donné, incapables d’accepter l’autre tel qu’il est , parce qu’il faudrait tout d’abord s’accepter, ils ne voient de toute
2031 i la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à s’exalt
2032 re de fatalités psychologiques dont les effets ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou de l’autre, il
2033 nt les effets ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruin
2034 aborées par une éthique de la passion. Certes, il serait excessif d’estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie
2035 sif d’estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie au délire de Tristan. Bien peu ont assez soif pour boire le
2036 pour boire le philtre, et j’en vois moins encore être élus par le sort pour succomber au tourment exemplaire. Mais tous ou
2037 en rêvassent. Et si brouillée, et défraîchie que soit l’empreinte du mythe primitif, c’est pourtant là qu’est le secret de
2038 empreinte du mythe primitif, c’est pourtant là qu’ est le secret de l’inquiétude qui tourmente aujourd’hui les couples. Rien
2039 t intolérables pour tout ordre social, quel qu’il soit . (Et je ne parle même pas du danger spirituel que fait courir à la pe
2040 courir à la personne l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe.) D’où les multiples tentatives de « restauration » du m
2041 ersonnelle ; selon le second, l’union monogamique serait la forme la plus rationnelle des relations entre les sexes, dans une
2042 « conflit psychologique » et les « névroses » qui seraient à l’origine du mal (d’où l’on déduit que la médecine mentale guérirai
2043 éments d’une révolution à sa mesure. En outre, il est frappant de constater que presque tous ces sages auteurs donnent quel
2044 dire que l’amour tel qu’on l’imagine de nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend fonder sur lui
2045 r sur lui. C’est qu’on ne sait pas au juste ce qu’ est l’amour-passion, ni d’où il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y
2046 s existé, elle existera donc toujours, et nous ne sommes pas des Don Quichotte… » Je le crois bien ! C’est même à cause de cel
2047 n « déchaînement » sexuel de la jeunesse que l’on serait tenté de juger sans précédent dans notre histoire européenne209. Quan
2048 otre histoire européenne209. Quant au mariage, il fut en principe balayé durant la période des Soviets. La morale des intel
2049 gt ans plus tard, le « redressement des mœurs » s’ est opéré, non par quelque sursaut vertueux, non par l’initiative d’une l
2050 consciente des conditions de sa durée. Staline s’ est assigné pour but prochain de refaire des cadres à sa nation. Car sans
2051 ment statique et stabilisateur au premier chef qu’ est la famille. Ce fut le mécanisme de la dictature productiviste qui con
2052 abilisateur au premier chef qu’est la famille. Ce fut le mécanisme de la dictature productiviste qui contraignit l’État dit
2053 rocessus de ruine des obstacles sociaux, pour s’y être développé sans violences extérieures, n’avait que plus gravement miné
2054 ée incarnant l’idéal racial). Ces femmes devaient être blondes, de sang aryen, et mesurer au moins 1 m. 73. Ainsi le « type
2055 mmes allemandes. Et l’on décréta que les mariages seraient contractés dorénavant « au nom de l’État ». Le but dernier de l’entre
2056 Pourtant la tentation totalitaire subsiste. Il n’ est pas interdit d’imaginer qu’un jour nos démocraties y succombent, au n
2057 de la passion. Alors le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occident nouveau, imprévi
2058 rier. Nous essayons de trouver un juge de paix. N’ est -ce pas une urgence »211 ? Les opératrices décidèrent aussitôt que c’e
2059 11 ? Les opératrices décidèrent aussitôt que c’en était une. Et le journal qui rapportait l’histoire l’intitula : L’Amour est
2060 al qui rapportait l’histoire l’intitula : L’Amour est classé parmi les cas d’urgence. Ce petit fait banal illustre des croy
2061 l montre que les termes d’« amour » et de mariage sont pratiquement équivalents ; que si l’on « aime » il faut se marier sur
2062 nesque triomphe d’une quantité d’obstacles, il en est un contre lequel il se brisera presque toujours : c’est la durée. Or
2063 presque toujours : c’est la durée. Or le mariage est une institution faite pour durer — ou il n’a pas de sens. Voilà le pr
2064 nt par les statistiques de divorce, où l’Amérique tient le premier rang. Vouloir fonder le mariage sur une forme d’amour inst
2065 l’État de Nevada. Exiger de n’importe quel film, fût -il sur la bombe atomique, qu’il tienne une certaine dose de la drogue
2066 te quel film, fût-il sur la bombe atomique, qu’il tienne une certaine dose de la drogue romanesque (plus encore qu’érotique) n
2067 ons et de séparations ; le mariage, au contraire, est fait d’accoutumance, de proximité quotidienne. La romance veut « l’am
2068 mariage, l’amour du « prochain ». Si donc l’on s’ est marié à cause d’une romance, une fois celle-ci évaporée, il est norma
2069 use d’une romance, une fois celle-ci évaporée, il est normal qu’à la première constatation d’un conflit de caractères ou de
2070 aractères ou de goûts, l’on se demande : pourquoi suis -je marié ? Et il est non moins naturel qu’obsédé par la propagande un
2071 l’on se demande : pourquoi suis-je marié ? Et il est non moins naturel qu’obsédé par la propagande universelle pour la rom
2072 on de tomber amoureux de quelqu’un d’autre. Et il est parfaitement logique qu’on décide aussitôt de divorcer pour trouver d
2073 une nouvelle promesse de bonheur ; les trois mots étant synonymes. Ainsi, guérissant son ennui par une fièvre passagère, « lu
2074 e chose de plus net, sans compromis. Mais si l’on est ennemi des compromis, il est contradictoire de se marier. Et si l’on
2075 promis. Mais si l’on est ennemi des compromis, il est contradictoire de se marier. Et si l’on veut tirer une traite sur son
2076 si l’on veut tirer une traite sur son avenir, il est fort imprudent de suggérer d’avance qu’on se réserve le droit de ne p
2077 i l’on veut le mariage, c’est-à-dire la durée, il serait normal d’en assurer les conditions. Mais ces réformes n’auraient que
2078 de la sagesse tribale au risque individuel ; elle est irréversible et il faut l’approuver, dans la mesure où elle tend à or
2079 ollectif ou natif à la décision personnelle. ⁂ Il est clair que la crise présente du mariage, en Europe comme en Amérique,
2080 ndes ou prochaines, dont le culte de la romance n’ est qu’un exemple. (Mais je me devais de le souligner dans cet ouvrage.)
2081 hologique primant sur le sens du serment, peuvent être rattachés au complexe romanesque. Mais il y a plus, et dans d’autres
2082 ie professionnelle et sa revendication d’égalité) est un facteur non négligeable de la crise. La vulgarisation des connaiss
2083 vulgarisation des connaissances psychologiques en est un autre : l’homme et la femme du xxe siècle, même très sommairement
2084 eu des refoulements et de l’origine des névroses, sont portés à plus d’exigence que leurs ancêtres quant au mariage et à la
2085 ls, sporadiques et incohérents. ⁂ On sent combien serait vaine toute tentative actuelle pour « résoudre » les contradictions q
2086 la conscience individuelle. Toute solution que je serais tenté de proposer, fût-elle jugée « la bonne » par le siècle à venir,
2087 . Toute solution que je serais tenté de proposer, fût -elle jugée « la bonne » par le siècle à venir, serait aujourd’hui fra
2088 ût-elle jugée « la bonne » par le siècle à venir, serait aujourd’hui frappée d’inefficacité, ou si elle pouvait agir, ferait p
2089 ’en rien faire. C’est qu’une crise de cet ordre n’ est pas un accident. Tenter de la couper, comme on le fait d’une fièvre,
2090 nter de la couper, comme on le fait d’une fièvre, serait bien moins la guérir que nous priver de nos chances d’en comprendre u
2091 chances d’en comprendre un jour le secret. Et ce serait en même temps une sorte de tricherie, soit que la solution n’apporte
2092 t ce serait en même temps une sorte de tricherie, soit que la solution n’apporte en vérité qu’en essai de retour à l’équilib
2093 , dont la crise même dénonce toute la précarité ; soit qu’elle projette sur l’avenir collectif une théorie ou des préceptes
2094 bles, mais dont les effets lointains ne sauraient être évalués tant que le sens général de la crise nous échappe. Il s’agit
2095 , déduites du seul désir d’arrêter les dégâts, ne serait -ce pas lui dénier arbitrairement le caractère qu’elle semble bien avo
2096 , p. 186. Le sacrement catholique se justifierait soit par le récit du miracle de Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) 
2097 le de Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) ; soit par le passage où Jésus proclame que l’homme ne doit pas séparer ce q
2098 e l’homme ne doit pas séparer ce que Dieu a uni ; soit par des entretiens de Jésus ressuscité et de ses disciples « que les
2099 ont souvent exprimé cette opinion : « Les crimes sont un tribut payé à la vie. » (Carpocrates, cf. Schultz, Dokumente der G
2100 Dokumente der Gnosis.) 203. Encore que la faute soit alors considérée moins par rapport à la morale en soi, que sous l’asp
2101 u chauffeur qui « mérite » la fille du patron, il fut abondamment exploité par le film allemand, sous l’hitlérisme. 205. L
2102 mme que l’on désire, la femme de notre nostalgie) est la meilleure définition d’Iseut. L’amour-passion veut « la Princesse
2103 aines) ont également touché le problème. 208. Il serait curieux de retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a p
2104 oblème. 208. Il serait curieux de retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a parlé le premier d’un « problèm
2105 des pays bourgeois après la guerre. La différence est qu’en Russie on affichait des principes « émancipés » — qu’ailleurs o
7 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre VII. L’amour action, ou de la fidélité
2106 n dessein le plus secret m’échappe encore. L’aveu sera jugé insolite. Mais je pressens d’assez profondes raisons de le conse
2107 ieux déterminés, et sous les astres dont le cours est calculable. J’ai cru cerner le secret du mythe. La découverte n’est p
2108 ai cru cerner le secret du mythe. La découverte n’ est pas négligeable. Mais peut-on décrire la passion ? On ne décrit pas u
2109 crit pas une forme d’existence sans y participer, fût -ce même par une révolte contre la décision dont elle est née. Et pour
2110 même par une révolte contre la décision dont elle est née. Et pour tout dire, j’ignore encore si cela peut avoir un sens :
2111 n sens : approuver ou rejeter la passion. Combien serait vaine l’attitude intellectuelle qui se définirait elle-même comme une
2112 cevoir, d’observer que la passion, quelle qu’elle soit , ne peut ni ne veut « avoir raison ». Contre elle, on a toujours rais
2113 ant qu’on parle raison. Car l’homme de la passion est justement celui qui choisit d’être dans son tort, aux yeux du monde —
2114 e de la passion est justement celui qui choisit d’ être dans son tort, aux yeux du monde — et dans ce tort majeur, irrévocabl
2115 is encore plus agressive, sans doute, puisqu’il n’ est plus question pour nous de recourir au bras séculier. (Sans compter q
2116 éculier. (Sans compter que la Croisade, au total, fut un échec dont la passion sut profiter.) C’est qu’avant tout et après
2117 is une décision fondamentale de l’homme, qui veut être lui-même son dieu214. La passion brûle dans notre cœur sitôt que le s
2118 tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la faute à racheter ! Mais tuer l’homme a
2119 nd c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la faute à racheter ! Mais tuer l’homme avant qu’il ne se tue, et le
2120 l ne se tue, et le tuer autrement qu’il ne veut l’ être , c’est bien de cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpass
2121 ieu culturel où la passion plonge ses racines, il est probable que l’État s’en chargera, c’est son hygiène. Il y a toutes l
2122 pas d’échappatoire dans le temps à venir. S’il n’ est peut-être pas possible à l’homme — à un homme déterminé — de connaîtr
2123 oup, tel que je le reconnais dans ma vie. Et ce n’ est à aucun degré une solution que je propose. Car outre qu’une telle sol
2124 on probablement n’existe pas, si elle existait ce serait pour moi seul : on ne se décide jamais que pour son compte — et le re
2125 e décide jamais que pour son compte — et le reste est indiscrétion. Mais je ne pouvais écrire un livre entier sur la passio
2126 la passion ne peut exister — et alors en parler n’ est qu’un jeu — mais dans le choix qui détermine une existence. 2.Crit
2127 que du mariage Si je ne vois pas de raison qui tienne contre la passion véritable, il m’apparaît en second lieu que la rais
2128 ble, il m’apparaît en second lieu que la raison n’ est guère plus efficace pour légitimer le mariage ; et que les arguments
2129 ence devant les ironies du romantique. Mais elles sont mises en pleine déroute par la simple véracité. La fameuse « paix du
2130 « enfer ». Et je lui fais un plus large crédit ! Étant donné que les humains des deux sexes, pris un à un, sont généralement
2131 nné que les humains des deux sexes, pris un à un, sont généralement des coquins, ou des névrosés, pourquoi seraient-ils des
2132 néralement des coquins, ou des névrosés, pourquoi seraient -ils des anges une fois appariés ? Ignore-t-on la réalité, ou n’a-t-on
2133 la première porte venue ! Ce silence que l’épouse est censée ménager autour du vaillant travailleur qui rentre le soir, har
2134 ux tous, lui qui d’abord exalte la passion, comme étant la suprême valeur du « stade esthétique » de la vie ; puis la surmont
2135 l’homme pieux qui estimait que la religion devait être un amour heureux, un mariage avec sa vertu. Car l’amour du pécheur po
2136 e avec sa vertu. Car l’amour du pécheur pour Dieu est « essentiellement malheureux », et cette passion chrétienne est la se
2137 llement malheureux », et cette passion chrétienne est la seule vérité, et tous nos « devoirs » humains (dont le bonheur) ne
2138 !) Et comment réfuter ce furieux ? Les incroyants sont renvoyés aux arguments des romantiques, qui valent contre leur morali
2139 leur humanisme. Que dit l’Apôtre ? Je pense qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter
2140 emme. Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’ est d’un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis r
2141 un, frères, demeure devant Dieu dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé (vierge ou marié)… usant du monde comme n’en u
2142 e devant Dieu dans l’état où il était lorsqu’il a été appelé (vierge ou marié)… usant du monde comme n’en usant pas, car la
2143 , 1-32.) Et voici le coup de grâce : Celui qui n’ est pas marié s’inquiète des choses du Seigneur, des moyens de plaire au
2144 r, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme
2145  32) ⁂ Tout ce qu’on peut dire contre le mariage est vrai, par conséquent doit être dit, soit du point de vue des romantiq
2146 e contre le mariage est vrai, par conséquent doit être dit, soit du point de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut — s
2147 e mariage est vrai, par conséquent doit être dit, soit du point de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut — soit du poi
2148 de vue des romantiques — si l’on croit à Iseut — soit du point de vue du clerc parfait — si l’on croit à son œuvre — soit d
2149 ue du clerc parfait — si l’on croit à son œuvre — soit du point de vue spirituel pur, pour ceux qui croient. Il n’est possib
2150 de vue spirituel pur, pour ceux qui croient. Il n’ est possible alors d’affirmer le mariage qu’au-delà des deux premières cr
2151 femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière
2152 erait possible de peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter de mettre au départ tou
2153 ns celle du couple formé. Les facteurs mis en jeu sont trop hétéroclites. À supposer que vous puissiez les calculer dans le
2154 es calculer dans le présent (comme si leur nombre était fini) et que vous disposiez d’une telle science de l’humain que leurs
2155 telle science de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évidente, encore ne sauriez-vous prévoir l
2156 ne seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est pourtant à
2157 ors que tout nous montre que cent-mille essais ne seraient pas encore assez pour constituer les premiers éléments, tout balbutia
2158 le reconnaître honnêtement : le problème qui nous est posé par la nécessité pratique du mariage apparaît d’autant plus inso
2159 mariage apparaît d’autant plus insoluble que l’on tient davantage à le « résoudre » au sens rationnel de ce terme. Certes, il
2160 es impondérables deviennent décisifs. Le sophisme est alors du côté du bon sens, qui recommandait un choix mûri et raisonné
2161 selon des critères impersonnels. Mais enfin ce n’ est pas l’erreur logique qui est grave, c’est l’erreur morale qu’elle sup
2162 els. Mais enfin ce n’est pas l’erreur logique qui est grave, c’est l’erreur morale qu’elle suppose. Lorsqu’on incite les je
2163 t non pas à une décision. Or ce savoir ne pouvant être qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler d’une garantie. Et la
2164 r d’une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la décision en vertu de laquelle on s’engage pour to
2165 ’agit avant tout de calcul. D’où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au réel, d’enseigner aux jeu
2166 gent à assumer les suites, heureuses ou non. Ce n’ est pas là un éloge du « coup de tête » : car tant que l’on peut calculer
2167 : car tant que l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide de s’en priver. Mais je dis que la garantie d’une union raiso
2168 tie d’une union raisonnable dans les apparences n’ est jamais dans ces apparences. Elle est dans l’événement irrationnel d’u
2169 apparences n’est jamais dans ces apparences. Elle est dans l’événement irrationnel d’une décision prise en dépit de tout, e
2170 Choisir une femme pour en faire son épouse, ce n’ est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal de mes rêves, vous comble
2171 n épouse, ce n’est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal de mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous ê
2172 es, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie d’une dot adéquate — dont
2173 able — et munie d’une dot adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là mentir et l’on ne peut rien fonder qui
2174 adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là mentir et l’on ne peut rien fonder qui dure sur le mensonge. Il n’
2175  Untel : « Je veux vivre avec vous telle que vous êtes . » Car cela signifie en vérité : c’est vous que je choisis pour parta
2176 uve que je vous aime. (Vraiment, pour dire : Ce n’ est que cela ! — comme le diront beaucoup de jeunes gens qui s’attendent,
2177 lité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette de « bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possibl
2178 ette de « bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’étant pas compromise en germe par un calcul forcément ine
2179  », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’ étant pas compromise en germe par un calcul forcément inexact. 4.Sur la
2180 érée comme absolue. La problématique du mariage n’ est pas du cur, mais du quomodo. « L’éthique ne commence pas, dit Kierkeg
2181 s dans un savoir qui exige sa réalisation. » Ce n’ est pas l’engagement qui est problématique, mais les conséquences qu’il e
2182 e sa réalisation. » Ce n’est pas l’engagement qui est problématique, mais les conséquences qu’il entraîne. (De même on faus
2183 ne croyait pas — alors que le seul vrai problème est de savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou e
2184 est de savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle n’est pas — comme tout ce qui porte une chance
2185 ir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle n’ est pas — comme tout ce qui porte une chance de grandeur. (Comme la passi
2186 ociologues ont essayé de prouver que la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est salutaire. Cela se discute à l’infi
2187 ue la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est salutaire. Cela se discute à l’infini… Et cela nous sera des plus uti
2188 lutaire. Cela se discute à l’infini… Et cela nous sera des plus utiles dès que les hommes se régleront sur la raison et l’in
2189 yeux et dans leur langage, la fidélité conjugale est le succès d’un effort « inhumain ». Leur revendication fondamentale,
2190 re en fait, l’idée de fidélité. Mais l’obstacle n’ est pas sérieux, on le tourne de tous les côtés. Voyez les excuses invoqu
2191 é observée en vertu de l’absurde, parce qu’on s’y est engagé, simplement, et que c’est un fait absolu, sur quoi se fonde la
2192 e des époux. Il faut bien voir que cette fidélité est à contre courant des valeurs aujourd’hui vénérées par presque tous. E
2193 e la multiplicité des expériences. Elle nie que l’ être aimé doive réunir, pour être ou pour rester aimable, le plus grand no
2194 nces. Elle nie que l’être aimé doive réunir, pour être ou pour rester aimable, le plus grand nombre de qualités possible. El
2195 ités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c’est avant tout l’obéis
2196 la volonté de faire une œuvre. Car la fidélité n’ est pas du tout une espèce de conservatisme. Elle est plutôt une construc
2197 est pas du tout une espèce de conservatisme. Elle est plutôt une construction. « Absurde » au moins autant que la passion,
2198 r ses rêves, par un besoin constant d’agir pour l’ être aimé, par une constante prise sur le réel, qu’elle cherche à dominer,
2199 œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à quelque chose qui n’était pas, mais que l’on crée. Pers
2200 la première est la fidélité à quelque chose qui n’ était pas, mais que l’on crée. Personne, œuvre et fidélité : les trois mots
2201 . Personne, œuvre et fidélité : les trois mots ne sont point séparables ou concevables isolément. Et tous les trois supposen
2202 . (À condition bien entendu que cette promesse ne soit pas faite pour des « raisons » que l’on se réserve de répudier un jou
2203 paraître raisonnables ! Si la promesse du mariage est le type même de l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est fait
2204 e de l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est faite une fois pour toutes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vi
2205 st faite une fois pour toutes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vie, fût-elle la plus déshéritée, détient sa chance i
2206 utes. Seul l’irrévocable est sérieux.) Toute vie, fût -elle la plus déshéritée, détient sa chance immédiate de grandeur, et
2207 homme découvre que la folie du sacrifice consenti était la plus grande sagesse ; et que le bonheur qu’il a renoncé lui est re
2208 e sagesse ; et que le bonheur qu’il a renoncé lui est rendu, comme Isaac fut rendu à Abraham. Mais alors il n’y songeait pa
2209 onheur qu’il a renoncé lui est rendu, comme Isaac fut rendu à Abraham. Mais alors il n’y songeait pas ! Et il se peut aussi
2210 e peut aussi que rien ne compense la perte : nous sommes ici dans un ordre de grandeur où nos mesures et nos équivalences n’on
2211 ne grandeur qui n’ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une
2212 d’une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une folie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie de sobriété q
2213 sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’ est pas un héroïsme, ni un défi, mais une patiente et tendre application.
2214 tiente et tendre application. ⁂ Cependant, tout n’ est pas encore clair. Tristan lui aussi fut fidèle ! Et toute passion vér
2215 t, tout n’est pas encore clair. Tristan lui aussi fut fidèle ! Et toute passion véritable est fidèle. (Pour ne rien dire de
2216 lui aussi fut fidèle ! Et toute passion véritable est fidèle. (Pour ne rien dire des successives fidélités de nos « liaison
2217 nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti.) Où est alors la différence ? Et
2218 ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti.) Où est alors la différence ? Et le mari fidèle, ne serait-ce pas simplement
2219 ù est alors la différence ? Et le mari fidèle, ne serait -ce pas simplement celui qui a reconnu dans sa femme une Iseut ? Lors
2220 uissante » qui l’accueille par ces paroles : « Je suis toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un n
2221 e, mais qui s’ignore, naturellement, et qui croit être un vrai amour pour l’autre. L’analyse des légendes courtoises nous a
2222 délivrance du moi coupable et asservi. Tristan n’ est pas fidèle à une promesse, ni à cet être symbolique, ce beau prétexte
2223 Tristan n’est pas fidèle à une promesse, ni à cet être symbolique, ce beau prétexte, qui s’appelle Iseut, mais à sa plus pro
2224 sychologues peuvent y lire. « Notre engagement n’ était pas pris pour ce monde », écrivait Novalis songeant à sa fiancée perd
2225 etour de la vie. Mais la fidélité dans le mariage est au contraire un engagement pris pour ce monde. Partant d’une déraison
2226 sa fidélité. Et tandis que la fidélité de Tristan était un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la création dans
2227 r le monde d’envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil de la créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est
2228 créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est , dans son intime singularité. Insistons : la fidélité dans le mariage
2229 sistons : la fidélité dans le mariage ne peut pas être cette attitude négative qu’on imagine habituellement ; elle ne peut ê
2230 ative qu’on imagine habituellement ; elle ne peut être qu’une action. Se contenter de ne pas tromper sa femme serait une pre
2231 e action. Se contenter de ne pas tromper sa femme serait une preuve d’indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : e
2232 fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’ être aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle le proc
2233 e son propre bonheur. Ainsi la personne des époux est une mutuelle création, elle est le double aboutissement de « l’amour-
2234 ersonne des époux est une mutuelle création, elle est le double aboutissement de « l’amour-action ». Ce qui niait l’individ
2235 me, on découvrira que la fidélité dans le mariage est la loi d’une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce sera
2236 e nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pour la mort (c’était la passio
2237 ’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’ être deux ; et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illimité
2238 m qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse d’ être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et
2239 Il faut que l’autre cesse d’être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus qu
2240 us que « moi-le-monde » ! Mais l’amour du mariage est la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’i
2241 iage est la fin de l’angoisse, l’acceptation de l’ être limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tourne ave
2242 r afin d’attester notre alliance. ⁂ Une vie qui m’ est alliée — pour toute la vie, voilà le miracle du mariage. Une vie qui
2243 qui veut mon bien autant que le sien, parce qu’il est confondu avec le sien : et si ce n’était pour toute la vie, ce serait
2244 arce qu’il est confondu avec le sien : et si ce n’ était pour toute la vie, ce serait encore une menace. (Il y a toujours une
2245 le sien : et si ce n’était pour toute la vie, ce serait encore une menace. (Il y a toujours une telle menace dans l’échange d
2246 ? Il faut donc la marquer par un exemple simple. Être amoureux n’est pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état ;
2247 a marquer par un exemple simple. Être amoureux n’ est pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état ; aimer, un acte.
2248 e. Être amoureux n’est pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état ; aimer, un acte. On subit un état, mais on déci
2249 eux n’est pas nécessairement aimer. Être amoureux est un état ; aimer, un acte. On subit un état, mais on décide un acte. O
2250 fidèle, éduquer ses enfants. On voit ici combien sont différents les sens du mot aimer dans le monde de l’Éros et dans le m
2251 a pensée » ne saurait concerner que des actes. Il serait totalement absurde d’exiger de l’homme un état de sentiment. L’impéra
2252 structures de relations actives. L’impératif : «  Sois amoureux ! » serait vide de sens ; ou s’il était réalisable, priverai
2253 ations actives. L’impératif : « Sois amoureux ! » serait vide de sens ; ou s’il était réalisable, priverait l’homme de sa libe
2254 « Sois amoureux ! » serait vide de sens ; ou s’il était réalisable, priverait l’homme de sa liberté. 5.Éros sauvé par Agap
2255 Alors l’amour de charité, l’amour chrétien, qui est Agapè, paraît enfin, dans sa pleine stature : il est l’affirmation de
2256 Agapè, paraît enfin, dans sa pleine stature : il est l’affirmation de l’être en acte. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’am
2257 ans sa pleine stature : il est l’affirmation de l’ être en acte. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a répandu
2258 ue la vie terrestre et temporelle ne mérite pas d’ être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à l’É
2259 mérite pas d’être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à l’Éternel. Car après tout c’est ici-bas
2260 ur. L’homme naturel ne pouvait pas l’imaginer. Il était condamné à croire Éros, à se confier dans son désir le plus puissant,
2261 n de l’Agapè voit soudain le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi de sa religion naturelle. Il peut maintenant espér
2262 eut maintenant espérer autre chose, il sait qu’il est une autre délivrance du péché. Et voici que l’Éros à son tour se voit
2263 telle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’ être un dieu, il cesse d’être un démon 218. Et il retrouve sa juste place
2264 estin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’ être un démon 218. Et il retrouve sa juste place dans l’économie provisoir
2265 a séduction du Rien. Mais dès lors que le Verbe s’ est fait chair et qu’il nous a parlé en mots humains, nous avons appris c
2266 humains, nous avons appris cette nouvelle : ce n’ est pas l’homme qui doit se délivrer lui-même, c’est Dieu qui l’a aimé le
2267 ême, c’est Dieu qui l’a aimé le premier, et qui s’ est approché de lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus haut dans
2268 premier, et qui s’est approché de lui. Le salut n’ est plus au-delà, toujours plus haut dans l’ascension interminable du Dés
2269 rps, mais c’est la femme. (I. Cor., 7.) La femme étant l’égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme219 ».
2270 femme étant l’égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme219 ». En même temps, elle échappe à l’abaissement
2271 e échappe à l’abaissement bestial qui tôt ou tard est la rançon d’une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne do
2272 on de la créature. Mais cette égalité ne doit pas être entendue au sens moderne et revendicateur. Elle procède du mystère de
2273 ateur. Elle procède du mystère de l’amour. Elle n’ est que le signe et la démonstration du triomphe d’Agapè sur Éros. Car l’
2274 te son amour pour l’homme en exigeant que l’homme soit saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une
2275 mme en exigeant que l’homme soit saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une femme en la traitant
2276 é d’images — du moins perd-il son efficace : ce n’ est plus lui qui détermine la personne. En d’autres termes, on pourrait d
2277 Car si le désir va vite et n’importe où, l’amour est lent et difficile, il engage vraiment toute une vie, et il n’exige pa
2278 « fatalité » de la passion. Le « coup de foudre » est sans doute une légende accréditée par Don Juan, comme la « fatalité »
2279 par Don Juan, comme la « fatalité » de la passion est accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent tromper que ce
2280 t alibi qui ne peuvent tromper que celui qui veut être trompé, parce qu’il y trouve son intérêt ; figures de rhétorique roma
2281 romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il serait assez absurde de confondre avec des vérités psychologiques. Notre ana
2282 voir pourquoi l’on aime croire à la fatalité, qui est l’alibi de la culpabilité : « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute
2283 alité, qui est l’alibi de la culpabilité : « Ce n’ est pas moi qui ai commis la faute, je n’y étais pas, c’est cette puissan
2284 « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute, je n’y étais pas, c’est cette puissance fatale qui agissait en lieu et place de ma
2285 se une « fatalité » ! Quant au coup de foudre, il est censé justifier les écarts de Don Juan. Toute la littérature nous eng
2286 me des coups de foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et
2287 ine les contingences morales. Mais alors, on peut être certain qu’un pareil mythe est né de rêves compensateurs — soit d’une
2288 is alors, on peut être certain qu’un pareil mythe est né de rêves compensateurs — soit d’une fidélité contrainte et détesté
2289 u’un pareil mythe est né de rêves compensateurs —  soit d’une fidélité contrainte et détestée, soit d’une jalousie masochiste
2290 urs — soit d’une fidélité contrainte et détestée, soit d’une jalousie masochiste, soit enfin d’un début d’impuissance. Et en
2291 inte et détestée, soit d’une jalousie masochiste, soit enfin d’un début d’impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan
2292 impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien typique d’une certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de
2293 corps et de l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il apparaît ainsi que la monogamie, normalisant l
2294 e la monogamie, normalisant les rapports sexuels, est la meilleure garantie du plaisir, c’est-à-dire de l’Éros purement cha
2295 divinisé222. ⁂ On objecte alors que le mariage ne serait plus que le « tombeau de l’amour ». Mais c’est encore le mythe, natur
2296 oire, avec son obsession de l’amour contrarié. Il serait plus vrai de dire après Benedetto Croce que « le mariage est le tombe
2297 ai de dire après Benedetto Croce que « le mariage est le tombeau de l’amour sauvage223 » (et plus communément du sentimenta
2298 le viol, comme la polygamie, révèle que l’homme n’ est pas encore en mesure de concevoir la réalité de la personne chez la f
2299 humaines. Par contre, l’homme qui se domine, ce n’ est pas faute de « passion » (au sens de tempérament) mais c’est qu’il ai
2300 istianisme et le secret de notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme, passion, dynamisme, corres
2301 les conclusions de notre examen du mythe courtois sont justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma de l’Occident chrét
2302 chéma de l’Occident chrétien. Tout d’abord : ce n’ est pas le christianisme qui a fait naître la passion, mais c’est une hér
2303 une hérésie d’origine orientale. Cette hérésie s’ est répandue d’abord dans les contrées les moins christianisées, précisém
2304 enaient encore une vie secrète. L’amour-passion n’ est pas l’amour chrétien, ni même le « sous-produit du christianisme » ou
2305 anisme a réveillée et orientée vers Dieu224. » Il est plutôt le sous-produit de la religion manichéenne. Plus exactement, i
2306 t de la religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyance
2307 ne. Première correction d’importance. Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de
2308 re procède d’une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Ma
2309 ntal, j’entends notre génie technique, ne saurait être un seul instant ramené à la passion. L’attitude humaine qu’il révèle
2310 ené à la passion. L’attitude humaine qu’il révèle est l’antithèse exacte de la passion : c’est une affirmation de la valeur
2311 visible. La passion ni la foi hérétique dont elle est née ne sauraient proposer comme but à notre vie la maîtrise de la Nat
2312 ction originelle du Démiurge, et puisque le salut est justement d’échapper à sa loi démoniaque225. Faut-il voir à la source
2313 s (c’est-à-dire créateurs) du dynamisme européen, sont orientés par une volonté exactement contraire à celle de la passion.
2314 devenant mortelle, trahit les ambitions dont elle est née. Il se peut que l’Occident succombe à ce destin qu’il s’est forgé
2315 peut que l’Occident succombe à ce destin qu’il s’ est forgé. Mais il est clair que ce n’est pas le christianisme — comme le
2316 t succombe à ce destin qu’il s’est forgé. Mais il est clair que ce n’est pas le christianisme — comme le répètent tant de p
2317 tin qu’il s’est forgé. Mais il est clair que ce n’ est pas le christianisme — comme le répètent tant de publicistes — qui es
2318 sme — comme le répètent tant de publicistes — qui est responsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident
2319 astrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’ est pas chrétien226. Il est tout au contraire manichéen. C’est ce qu’igno
2320 trophique de l’Occident n’est pas chrétien226. Il est tout au contraire manichéen. C’est ce qu’ignorent communément ceux qu
2321 stianisme et l’Occident, comme si tout l’Occident était chrétien. Si donc l’Europe succombe à son mauvais génie, ce sera pour
2322 Si donc l’Europe succombe à son mauvais génie, ce sera pour avoir trop longtemps cultivé la religion para ou même antichréti
2323 de la passion. ⁂ Faut-il conclure que la passion serait la tentation orientale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est
2324 erait la tentation orientale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est développée dans notre histoire et nos cultures
2325 entale de l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’ est développée dans notre histoire et nos cultures qu’à partir des xiie
2326 l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos « mortelles » croyances. Mais dira-t-on, ces mêmes croyanc
2327 s mêmes obstacles. Ainsi notre chance dramatique est d’avoir résisté à la passion par des moyens prédestinés à l’exalter.
2328 ion par des moyens prédestinés à l’exalter. Telle fut la tentation permanente d’où jaillirent nos plus belles créations. Ma
2329 a plus typique de leur morale : le mariage, qu’il sera désormais possible de repérer avec assez de précision ce déplacement
2330 sion ce déplacement d’accent dont tout dépend. Il est certain que l’Occidental christianisé se distingue de l’Oriental par
2331 gue de l’Oriental par son pouvoir d’approfondir l’ être créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret de notre fi
2332 e du divers. Nous, nous cherchons la densité de l’ être dans la personne distincte, sans cesse approfondie comme telle. « D’a
2333 limitations. Le chrétien prend le monde tel qu’il est , et non point tel qu’il peut le rêver. Son activité « créatrice » con
2334 rt. Et c’est pourquoi la crise moderne du mariage est le signe le moins trompeur d’une décadence occidentale. Il en est d’a
2335 moins trompeur d’une décadence occidentale. Il en est d’autres, certes, dans les domaines les plus divers : le culte du nom
2336  : tout ce qui tend à ruiner la personne. Mais ce sont là des phénomènes complexes et collectifs, qui échappent souvent aux
2337 ariage nous parle et nous avertit mieux : aucun n’ est plus sensible et quotidien, plus intimement vérifiable. 7.Au-delà
2338 r la destruction de notre civilisation. Tout cela est , tout cela nous menace, et d’autant plus qu’on voudrait le nier. Cepe
2339 menant alors un âge classique… Mais après tout, n’ est -ce pas encore une tentation de la passion que ce souci des lendemains
2340 a figure de ce monde passe », mais notre vocation est toujours hic et nunc, dans l’acte de l’Éternel où notre espoir se fon
2341 es constatations tout objectives auxquelles je me suis vu conduit ne sont pas suffisantes en soi. Elles commandent certaines
2342 ut objectives auxquelles je me suis vu conduit ne sont pas suffisantes en soi. Elles commandent certaines décisions. Elles i
2343 troduisent à une problématique nouvelle, et qui n’ est pas toujours aussi simpliste que le dilemme passion-fidélité peut nou
2344 Or le moyen de dépasser notre dilemme ne saurait être la pure et simple négation de l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y
2345 ste encore : condamner la passion en principe, ce serait vouloir supprimer l’un des pôles de notre tension créatrice. De fait
2346 pôles de notre tension créatrice. De fait cela n’ est pas possible. Le philistin qui « condamne » de la sorte et à priori t
2347 assion, c’est qu’il n’en a connu aucune, et qu’il est en deçà du conflit. Pour cet homme-là le seul progrès concevable est
2348 lit. Pour cet homme-là le seul progrès concevable est dans la crise de sa sécurité, c’est-à-dire dans le drame passionnel22
2349 e inhérent à tout exposé. ⁂ Le premier thème peut être situé par rapport à un drame personnel dont les données biographiques
2350 ame personnel dont les données biographiques nous sont suffisamment connues. On sait que l’événement qui devint pour Kierkeg
2351 kegaard le point de départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette r
2352 monde. Ici l’obstacle indispensable à la passion est d’une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’o
2353 pécheur ne saurait entretenir avec son Dieu — qui est l’Éternel et le Saint — que des relations d’amour mortellement malheu
2354 igine pure de la passion — mais du même coup nous sommes jetés au cœur même de la foi chrétienne ! Car voici : cet homme mort
2355 initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’ être présente, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bien pl
2356 , mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bien plus que royale, elle est divine. Et dans l’analogie de la foi,
2357 jaloux : car elle est bien plus que royale, elle est divine. Et dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que l
2358 on peut alors concevoir que la passion — quel que soit l’ordre où elle se manifeste — ne trouve son au-delà réel, et son sal
2359 son salut, que par cette action d’obéissance qui est la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le monde », mais « en ve
2360 hose qu’une « solution », pour qui croit que Dieu est fidèle, et que l’amour ne trompe jamais l’aimé. Certes, Kierkegaard n
2361 ute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre était le lieu de sa fidélité la plus réelle. Pourquoi chercher ailleurs que
2362 nnent chaque jour de leur bonheur. (Ces choses-là sont trop simples et totales pour qu’un discours vienne mettre ses délais
2363 notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’ est peut-être pas d’une nature essentiellement hétérogène. Peut-être même
2364 ssentiellement hétérogène. Peut-être même doit-il être conçu comme un aspect particulier du mouvement de retour de la passio
2365 avec une sorte d’indifférence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinction ressentie comme un déchirement 
2366 e désire plus rien que son amour ne veuille, elle est une avec lui dans la dualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce
2367 lle, elle est une avec lui dans la dualité, qui n’ est plus qu’un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus
2368 cesse dans l’acte même d’obéir, en sorte qu’il n’ est plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seul
2369 née du mortel désir d’union mystique, ne saurait être dépassée et accomplie que par la rencontre d’un autre, par l’admissio
2370 uffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage est possible. Nous sommes deux dans le contentement. ⁂ Une dernière fois
2371 otre jour. Et alors le mariage est possible. Nous sommes deux dans le contentement. ⁂ Une dernière fois pourtant nous reprendr
2372 s reprendrons un parti de sobriété. Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’est pas comme une erreur à laquelle on
2373 Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’ est pas comme une erreur à laquelle on renoncerait un beau jour pour adop
2374 beau jour pour adopter une vérité meilleure. Nous sommes sans fin ni cesse dans le combat de la nature et de la grâce. Sans fi
2375 cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horizon n’ est plus le même. Une fidélité gardée au Nom de ce qui ne change pas comm
2376 21 juin 1938 (Révision : 1954.) 214. Je m’en tiens au cas-limite de Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage c
2377 devient singulier. À cette personnalisation de l’ être aimé correspond d’ailleurs une spécification croissante de l’instinct
2378 en faveur de la monogamie. 216. La gauloiserie n’ étant pas moins que la passion une évasion hors du réel, une façon de l’idé
2379 et justement pas en tant qu’Éros sublimé. Éros n’ est pas le péché ; le péché c’est la sublimation d’Éros ». 219. Comme le
2380 le prends ici ? En ce que l’on reconnaît dans un être la totalité d’une personne. La personne, selon la fameuse définition
2381 ameuse définition kantienne, c’est ce qui ne peut être utilisé par l’homme comme une chose, comme un instrument. 221. Sur l
2382 22. Je répète toutefois que le mariage ne saurait être fondé sur des « arguments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d
2383 e son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tout à fait inefficace aux yeux de qui préfère le mythe et veut croir
2384 éo Ferrero, Désespoirs. Le problème de la passion est admirablement défini par ce petit livre dans ses données actuelles ps
2385 notre châtiment et non pas notre délivrance. Ce n’ est pas la mort, la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte de la
2386 nce. Ce n’est pas la mort, la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte de la grâce fait par Dieu. 227. Faut-il alle
2387 n deçà. Si bien que le seul au-delà concret qu’il soit en état de désirer, d’imaginer, c’est le « dérèglement des passions »
2388 e peut très bien lui apparaître : la loi. Or ce n’ est que le renoncement à la loi ainsi comprise qui peut nous conduire à l