1 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre premier. Le mythe de Tristan
1 le seuil du conte dans l’état passionné d’attente naît l’illusion romanesque. D’où vient ce charme ? Et quelles complic
2 sionné d’attente où naît l’illusion romanesque. D’ vient ce charme ? Et quelles complicités cet artifice de « rhétorique
3 d’amour signifie, de fait, un malheur. La société nous vivons et dont les mœurs n’ont guère changé, sous ce rapport, de
4 uit que ce qui assure « le bonheur des époux ». D’ peut venir une telle contradiction ? Si le secret de la crise du mari
5 mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’ nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amour trahit-il ? Qu
6 l en parle comme d’un mystère sacré, en un siècle pourtant la chevalerie n’était plus guère qu’une survivance4. Enfin l
7 es. Le mythe exprime ces réalités, dans la mesure notre instinct l’exige, mais il les voile aussi dans la mesure où le
8 t l’exige, mais il les voile aussi dans la mesure le grand jour et la raison6 les menaceraient. ⁂ D’origine inconnue ou
9 ua au xiie siècle, c’est-à-dire dans une période les élites faisaient un vaste effort de mise en ordre sociale et mora
10 stan fut donc d’ordonner la passion dans un cadre elle pût s’exprimer en satisfactions symboliques. (Ainsi l’Église ava
11 t de la société, une mise en ordre équivalente. D’ la permanence historique non point du mythe sous sa forme première, m
12 vent d’amours miraculeuses. Le mythe agit partout la passion est rêvée comme un idéal, non point redoutée comme une fiè
13 point redoutée comme une fièvre maligne ; partout sa fatalité est appelée, invoquée, imaginée comme une belle et désira
14 Tristan nous est « sacré » dans la mesure exacte l’on estimera que je commets un « sacrilège » en tentant de l’analyse
15 tes de réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, sera le courage que l’on réclame des écrivains ? Faudra-t-il qu’ils l
16 nous sommes parvenus au point de désordre social l’immoralisme se révèle plus exténuant que les morales anciennes. Le
17 donc la mauvaise conscience des hommes… Qui sait cela peut nous mener ? Là-dessus, il est temps de passer à l’opératio
18 mère Blanchefleur ne survit pas à sa naissance. D’ le nom du héros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel bas d’orage
19 l la reine à Marc, et cela même dans les versions le philtre continue d’agir ? Si, comme certains le disent, c’est une
20 uoi se promettent-ils de se revoir au moment même ils acceptent de se quitter ? Pourquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite
21 al que l’on déplore sa décadence à l’instant même il essaie maladroitement de se réaliser ? D’autre part, la chance du
22 is en fait, il demeure le vassal d’un seigneur. D’ naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre plus d’un exemple
23 tan. En effet, le « droit de la passion » au sens l’entendent les modernes, permettrait à Tristan d’enlever Iseut, aprè
24 qui le condamnent, afin de mieux se conserver ! D’ peut venir cette préférence pour ce qui entrave la passion, pour ce q
25 rvées par l’auteur que dans les seules situations elles permettent au roman de rebondir 14. Cette remarque à son tour n
26 e » d’observation courante, dans la mesure exacte ces licences fourniront les prétextes nécessaires à la passion que l’
27 tervenir, et qu’on pardonne dans la mesure exacte l’on partage ses intentions. Nous avons vu que les obstacles extérieu
28 urtois qui inspire au cœur des amants les ruses d’ naît leur souffrance, c’est le démon même du roman tel que l’aiment l
29 u plaisir et de la souffrance, au-delà du domaine l’on distingue, et où les contraires s’excluent. L’aveu n’en est pas
30 ffrance, au-delà du domaine où l’on distingue, et les contraires s’excluent. L’aveu n’en est pas moins formel : « Il ne
31 son contentement, plutôt qu’à son vivant objet. D’ les obstacles multipliés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnante
32 t. D’où les obstacles multipliés par le Roman ; d’ l’indifférence étonnante de ces complices d’un même rêve au sein duqu
33 e rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ; d’ le crescendo romanesque et la mortelle apothéose. Dualité irrémédiabl
34 tacle légal, objectif. Tristan relève ce défi : d’ le rebondissement de l’action. Et ici le mot prend un sens symbolique
35 nts veulent prolonger et renouveler à l’infini. D’ les périls nouveaux qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier e
36 uade sans donner de raisons, voire dans la mesure elle n’en donne point. Et la rhétorique chevaleresque, comme d’ailleu
37 s souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême la totale jouissance est de sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent dé
38 souffle vers la terre natale. Ô fille d’Irlande, t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile, sont-ce tes soupirs ? Souffle
39  Je ne suis pas resté au lieu de mon réveil. Mais ai-je fait séjour ? Je ne saurais le dire… C’était là où je fus toujo
40 e fait séjour ? Je ne saurais le dire… C’était là je fus toujours, et là où j’irai pour toujours : le vaste empire de l
41 ais le dire… C’était là où je fus toujours, et là j’irai pour toujours : le vaste empire de l’éternelle nuit. Là-bas, u
2 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre II. Les origines religieuses du mythe
42 l’amour est une maladie (Ménandre) dans la mesure il transcende la volupté qui est sa fin naturelle. C’est une « frénés
43 , il leur faut pardonner comme étant malades… » D’ vient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce q
44 ettres. Et ceci nous amène aux abords de l’époque se forma notre mythe… ⁂ Mais plus près de nous que Platon et les drui
45 idental sur lequel se détache notre mythe. Mais d’ vient qu’il s’en soit « détaché » justement ? Quelle menace, quelle i
46 exemple — une montée de l’individu vers l’Unité, il se perd. Et j’appellerai « occidentale » une conception religieuse
47 st le signe historique d’une création renouvelée, le croyant se trouve réintégré par l’acte même de sa foi. Désormais,
48 que la passion est glorifiée dans la mesure même elle est déraisonnable, où elle fait souffrir, où elle exerce ses rav
49 ée dans la mesure même où elle est déraisonnable, elle fait souffrir, où elle exerce ses ravages aux dépens du monde et
50 où elle est déraisonnable, où elle fait souffrir, elle exerce ses ravages aux dépens du monde et de soi. L’identificati
51 rgement vivantes en Occident que dans les siècles elles se virent condamnées par le christianisme officiel. Et c’est ai
52 e. Elles s’insinuèrent d’une part dans le clergé, nous les retrouverons un peu plus tard mêlées de la manière la plus c
53 ntent à Platon28. » Mais il en abuse dans le sens l’incline sa nature d’Occidental. C’est ainsi que le platonisme vulga
54 himères qui n’existent qu’en nous. Mais encore, d’ vient ce succès et cette permanence invincible de l’erreur héritée d’
55 ialement de sa doctrine du mariage) dans les âmes vivait encore un paganisme naturel ou hérité. Mais tout cela resterai
56 Oui, entre les xie et xiie siècles, la poésie d’ qu’elle fût (hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienne,
57 t surtout, l’homme sera le servant de la femme. D’ vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuellement insatisf
58 ntive d’« une belle qui toujours dit non » ? Et d’ vient ce savant lyrisme qui tout d’un coup se trouve là pour traduire
59 llustre, « loin de s’expliquer par les conditions elle naquit, semble en contradiction absolue avec ces conditions32 ».
60 r sans se lasser des formules apprises on ne sait . Et je me demande, après Aroux et Péladan, si le secret de toute cett
61 fait — tout près : sur place, dans le milieu même elle est née. Et non pas dans le milieu purement « social » au sens m
62 r disant : « Qu’il leur valait mieux être en bas, ils pourraient faire le mal et le bien, qu’en haut, où Dieu ne leur p
63 s pourraient faire le mal et le bien, qu’en haut, Dieu ne leur permettait que le bien40. » Pour mieux séduire les âmes,
64 hrétienne orthodoxe. La condamnation de la chair, certains croient voir aujourd’hui une caractéristique chrétienne, est
65 je qualifierai de maxima par contraste avec celle je crois pouvoir m’arrêter44, fut avancée par des esprits aventureux
66 sont les comtés de l’Albigeois et du Carcassès «  les chevaliers et les femmes du pays sont courtois », et c’est aussi
67 s aussi passa-t-il pour un traître, jusqu’au jour il fut accusé devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort de ci
68 faite de lieux communs dont le poète ne saurait d’ ils viennent. N’est-ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si l’
69 est l’émanation intellectuelle et féminine ? Et d’ viendrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment d’équivoque dont
70 e d’idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais d’ provient donc cette manie ? D’une « humeur idéalisante » ? Lisons plu
71 absurde une poétique et une éthique de l’amour d’ sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de la
72 ne pèlent pas leurs pommes. Après Noël, au temps l’Enfant est trop jeune pour manger des fruits, Suso ne mange pas ce
73 s aspirations. » Si c’est le cas, on se demande d’ vient la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé de
74 nterie se règle sur celui de la dévotion. Du jour adorer devient synonyme d’aimer, cette métaphore en entraîne une quan
75 s « gras, delgat et gen ». Or la première phrase, Jeanroy veut voir un trait biographique, détient un sens mystique évi
76 ’œuvre d’un seul auteur louant une Dame unique !) est alors cette expression « vive et brutale » d’un désir évidemment
77 s et contradictions chez les poètes influencés. D’ résulte qu’un surcroît d’informations sur la nature exacte des théori
78 grand dans le monde arabe, celle des Banou Ohdri l’on mourait d’amour à force d’exalter le désir chaste, selon le vers
79 inations qui la conforment, aux lieux et au temps se nouent la légende et le mythe de la passion mortelle : Tristan. À
80 évéré. Imaginons maintenant un état de la société le principe de cohésion se relâche ; où la puissance économique déten
81 a société où le principe de cohésion se relâche ; la puissance économique détenue par le père se voit divisée ; où la p
82 économique détenue par le père se voit divisée ; la puissance divine se divise elle-même, soit en une pluralité de die
83 s domaines entre tous les fils, ou « pariage », d’ perte d’autorité du Suzerain) ; à une sorte de pré-Renaissance indivi
84 amour sincère qu’un antipode spirituel au mariage elles avaient été contraintes. » Le même auteur ajoute qu’à son avis,
85 Germanie rhénane, une Europe tout entière enfin, les passions « religieuses » et la théologie n’occupaient tout de mêm
86 tte Dame. Et Guiraut de Calenson : Dans le palais elle siège (la Dame) sont cinq portes : celui qui peut ouvrir les deu
87 sont Désir, Prière, Servir, Baiser et Faire, par Amour périt. » Les quatre degrés sont « honorer, dissimuler, bien ser
88 gne, fille d’Aliénor, célèbre par sa cour d’amour le mariage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tristan don
89 etons. Nous avons vu que la religion druidique, d’ sont issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doctr
90 as moins pour les trouvères une chose apprise : d’ les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il est d’ailleurs extrêmem
91 arrefour, était celle de la chevalerie terrienne, vous avez longtemps triomphé ; celle de gauche était la voie de la ch
92 Grainne, les deux amants se sauvent dans la forêt le mari les poursuit. Dans Bailé et Aillinn, ils se donnent rendez-vo
93 nn, ils se donnent rendez-vous en un lieu désert, la mort les précède, empêchant leur réunion « car il était prédit par
94 étique et mystique. Mais nous savons maintenant d’ vient le mythe, et où il mène. Et peut-être pressentons-nous — mais a
95 is nous savons maintenant d’où vient le mythe, et il mène. Et peut-être pressentons-nous — mais alors c’est intraduisib
96 et qui se passionnait pour les grandes polémiques venaient de s’affronter Bernard de Clairvaux et les cathares, mais au
97 hérésie chrétienne historiquement déterminée. D’ l’on pourra déduire : 1° que la passion, vulgarisée de nos jours par
98 érique d’hommes » dont peu pouvaient se marier. D’ l’idéalisation de l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire. On
99 ne, c’est-à-dire, notons-le déjà, aux lieux mêmes paraissent les premiers troubadours ! 47. Au point que les Parfaits
100 ontre sévère pour la « courtoisie » dans un poème il dit : « Je ne me livre point à de stupides exploits… j’ai échappé
101 ésie latine du Moyen Âge, jusqu’à la Renaissance, on le retrouve chez Marot et Ronsard. Les variations sont très légère
3 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre III. Passion et mystique
102 fier par la suite les conclusions trop téméraires nous pourrions induire un lecteur non prévenu. Tristan blessé s’embar
103 e un génie religieux du premier ordre et un poème l’élément mystique revêt les formes les plus rudimentaires ? Certes,
104 deur de son amour. Il y aurait à citer cent pages revient la même plainte de l’âme sur « l’abandon divin, tourment supr
105 femme » selon la formule des manuels. Dans le cas Iseut ne serait qu’une belle femme — comme le croiront les siècles à
106 état, Jean de la Croix connut la viduité totale, non seulement le monde et le prochain, et l’amour avec son objet, mai
107 tion de puissance qu’il éprouve dans le risque. D’ le désir final du risque pour lui-même, la passion de la passion sans
108 des métaphores utilisées dans les deux cas. Or d’ venaient ces métaphores ? D’une mystique, comme nous l’avons vu — mai
109 e de chacune de ses propositions. Par exemple, là la science proclame que la mystique résulte d’une sublimation de l’in
110 monde. D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart il est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et de D
111 sûrement les origines de ce langage psychologique se traduit sans doute, le plus purement, sa nature125 ? » Tous les my
112 simplement refuser de savoir de quoi l’on parle. est le refoulement, où est la censure, lorsque Thérèse écrit à un rel
113 savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, est la censure, lorsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint de
114 u la « matière » qui sont la cause des phénomènes tous les deux sont impliqués. Par exemple, dans le cas du langage mys
115 hysique, tenue pour primitive. Il se peut. Mais d’ le sait-on ? Les personnes qui croient cela, le croient-elles pour de
116 ontraint de se servir de métaphores. Il les prend il les trouve et telles qu’elles sont, quitte à les modifier par la s
117 et rend l’amour humain possible en ses limites. D’ il résulte que le langage de la passion humaine selon l’hérésie corre
118 semblerait d’un type homogène que dans la mesure elle serait banale, dans la mesure où nous échouerions à la saisir. »
119 s la mesure où elle serait banale, dans la mesure nous échouerions à la saisir. » 111. Gotha 1929. Seul le livre célèb
4 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre IV. Le mythe dans la littérature
120 érétiques répandus désormais dans toute l’Europe, l’Église les traque, aient cessé de recourir à l’expression littérair
121 les couches profondes et muettes des peuples, là la vie sociale ne se prête plus aux formes nobles, ne fournit plus le
122 e) et les poètes. Cependant qu’autour de Palerme, Frédéric II tient sa cour, fleurit l’école dite des Siciliens. Dans q
123 tre espérance demeure, autant qu’il me plaira, là se trouve plus d’un qui s’attend à la perdre et qui dira dans l’enfer
124 toire, c’est l’équivoque malgré tout maintenue. D’ le débat qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait de définir e
125 r tardé d’aller vers le Seigneur. Le temps venait les poètes succomberaient aux charmes du miroir et de la rhétorique p
126 pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heure si haut visèrent mes yeux, Et je dis : Ô mon âme, il te faut rendre g
127 ier Et fait que je marche fier de mon espérance. Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe de Tristan141, c’es
128 dres, angéliques étincelles, béatitudes De ma vie s’allume le plaisir Qui doucement me consume et détruit. (Les Yeux de
129 Sonnet 132) Nous connaissons bien cette barque —  comme l’autre il emporte sa lyre — et ce « pouvoir » dont il se plain
130 réfère à tout : Je sais, suivant mon feu partout il me fuit, Brûler de loin — de près geler. Tout l’amour romantique
131 l’appel à la mort : « Que s’ouvre donc la geôle je suis enfermé Qui me clôt le chemin vers une telle vie ! » (Chanson
132 it que tout penser secret monte droit à mon front tous le voient : aimer une chose mortelle, avec une foi qui à Dieu se
133 er avec la mort ! La lucidité même d’un tel cri, s’avoue le dernier secret du mythe courtois, c’est le signe d’une grâ
134 e idéalisante, l’élite de la société médiévale. D’ la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle f
135 ant Rome n’a pas triomphé partout. Il est une île son pouvoir est contesté. C’est la dernière patrie des bardes. En Cor
136 rs traditions resteront vivantes jusqu’à l’époque Macpherson les transcrira en langage moderne. Et en Irlande, elles vi
137 de tortures transfigurantes, de la nuit abyssale l’éclair de l’amour illumine parfois une face immobile et fascinante
138 aphorique) sont transportés chez le druide Adamas ils se réveillent, puis s’épousent. On a coutume de déclarer inexplic
139 e que sa maîtresse se donne à son ami Cléandre. D’ l’on conclut généralement que Corneille est le premier auteur qui ait
140 fois-ci. Mais dans le plan purement psychologique Corneille se place, le sens du mythe qui gouverne cette action ne peu
141 ficace de la passion qu’elle prétendait guérir. D’ la tension inégalée de ce « théâtre du devoir » — comme le récitent e
142 ’« une tyrannie dont il faut secouer le joug ». D’ l’harmonie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue de l’autre ;
143 mort est le gage d’une transfiguration, l’instant ce qui était la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute d’atteindre
144 en pleine crise, balançant devant la décision. D’ la duplicité profonde de la pièce. La loi morale, la loi du jour qu’i
145 ielle à la pièce, constitutive de la crise même d’ elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son auteur
146 le aveu, se retenant, s’avouant enfin à l’instant elle y renonçait — avec le mouvement même de la reine, à trois repris
147 assurer, c’est que je n’ai point fait de tragédie la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci ; les moindres faut
148 itution de base : il atteint un point d’équilibre les siècles suivants auront grand-peine à se maintenir, et que les si
149 le mythe ne déploie son empire que là précisément s’évanouissent toutes les catégories morales — par-delà le Bien et le
150 le transport, et dans la transgression du domaine vaut la morale. ⁂ Le cas de Spinoza mériterait un chapitre, mais son
151 ds grâce du fond de mon cœur pour la désespérance vous m’avez jetée, et méprise le repos où je vivais, avant de vous av
152 pérance où vous m’avez jetée, et méprise le repos je vivais, avant de vous avoir connu… Adieu ! Aimez-moi donc toujours
153 dire, tout obstacle détruit, la passion n’a plus se prendre. Et l’on parle de « passionnettes ». Le dieu d’Amour n’est
154 toujours aimé, ne peut jamais aimer en retour. D’ son angoisse et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte d’amour
155 ptueuses » multipliées par la rage du Marquis. Là est le plaisir, là sera la souffrance, et la souffrance est le signe
156 égliger l’objet, détruisons-le par des tortures d’ nous tirerons encore quelque plaisir, et cela fait partie de notre as
157 , les situations voluptueusement inextricables. D’ l’insistance pénible et, dès cette date, quelque peu excessive me sem
158 sée interdire toute possibilité d’union légale. D’ encore l’assimilation du préjugé social et des exigences d’une vertu
159 ours le mythe qui agit. Dans la lettre déjà citée elle récapitule leurs épreuves, Julie appelle « sainte ardeur » l’amo
160 e par une plus insidieuse tyrannie. Jusqu’au jour Wagner, d’un seul coup, dressera le mythe dans sa pleine stature et d
161 e est lui-même167. Et dans les Hymnes à la Nuit, l’Éros ténébreux supplie que le matin ne renaisse plus (thème des « a
162 echerche de ce qui le comblerait, mais ignorant d’ cela peut venir… » Hoffmann ne dit pas autre chose lorsqu’il baptise
163 de passion, et la passion elle-même dans le monde il vit, sont condamnés par la raison et par le scepticisme général. D
164 és par la raison et par le scepticisme général. D’ le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin : d’où son fameux trai
165 e besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin : d’ son fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes de la préface vous
166 implement que la cristallisation, c’est le moment l’on idéalise la femme aimée. Je crois que c’est Ortega qui a soulign
167 d’une erreur et dont il se désole d’être tiré. D’ peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conception de la vie
168 n Grec ressuscité ne s’en étonnerait pas moins. D’ nous viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne sont-ils pas co
169 te de deux voix, et d’en faire une plainte unique déjà vibre la réalité d’un indicible au-delà d’espérance. Et c’est po
170 ur son apparente victoire : de cette blessure par la vie s’écoule, elle fait le gage de la suprême guérison, celle que
171 idesse bouleversante des mélodies révèle un monde le désir charnel n’est plus qu’une dernière et impure langueur dans l
172 re à déboucher sur une route nationale encombrée, l’on se promène le dimanche en famille pour voir passer les belles au
173 our s’en assurer d’imaginer l’impuissance absolue se trouvent les clients de cette littérature à concevoir une réalité
174 ns la zone de terreur et dans les terrains vagues se sont déversés tous les rebuts d’une civilisation intoxiquée. L’« a
175 vestiges de rites que s’attaqua le romantisme. D’ la violente exaltation dès la fin du xviiie siècle, de tout ce qu’av
176 erne entonna l’hymne de la « libération ». Mais d’ lui vient alors ce ton de désespoir ? Comment se fait-il que le roman
177 es yeux ouverts au deuxième acte. 177. Guyon (d’ guyon : guide, en vieux français) c’est le Führer qui détient les sec
5 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre V. Amour et guerre
178 combat de l’amour soit comme les autres batailles la fureur et le fracas d’une guerre épouvantable sévit des deux côtés
179 nir sur ses pas ; il passe la nuit dans l’endroit il est, et fait se ranger l’avant-garde conformément à ce nouveau pla
180 le et le droit ; elle s’étend à tous les domaines le style et la forme sont choses essentielles : les cérémonies, l’éti
181 Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et d’arti
182 ou le mythe en acte Il est pourtant un domaine s’opère la synthèse à peu près parfaite des instincts érotiques et gu
183 c’est le terrain nettement circonscrit de la lice se jouent les tournois. Là, les fureurs du sang se donnent libre cour
184 elle-même s’était civilisée dans toute la mesure le paradoxe est soutenable. Le duel des chefs était fort en honneur,
185 le malgré l’intervention de facteurs inhumains. D’ le formalisme étonnant de l’art militaire de ces siècles192. Avec Vau
186 la grande bataille : du sommet de quelque coteau, lui apparaît tout le terrain du combat, tout l’échiquier, le maréchal
187 erre sous des prétextes juridiques et personnels, l’honneur national n’a rien à voir. Querelles de gendre et de beau-pè
188 té ou la mort », hurlaient les jacobins à l’heure les forces ennemies paraissaient vingt fois supérieures, à l’heure où
189 es paraissaient vingt fois supérieures, à l’heure liberté et mort étaient bien près d’avoir le même sens… Ainsi la nati
190 teur passionnel dans la conduite des batailles. D’ ce cri d’un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’es
191 t les premiers appuis du nationalisme allemand. D’ le caractère de plus en plus sanglant des guerres du xixe siècle. Il
192 de destruction permis ou condamnés, tomberont. D’ résulte que la défaite d’un pays ne sera plus symbolique, métaphoriqu
193 des sexes ont cessé d’être le lieu par excellence se réalise la passion. Celle-ci paraît se détacher de son support. No
194 conque, mais par le chef qui incarne la Nation. D’ la puissance sans précédent du transfert qui s’opère du privé au publ
195 a chevalerie. C’est dans le domaine de la guerre, toute évolution est pratiquement irréversible — alors qu’il y a des «
196 répandirent dans les domaines les plus divers, d’ résulta une dissociation, au sens précis de relâchement des liens soc
197 Celle-ci s’est constituée précisément à l’époque les tournois passaient de mode, et où se dissociaient leurs éléments
198 à l’époque où les tournois passaient de mode, et se dissociaient leurs éléments guerrier, sportif et théâtral. La trag
6 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre VI. Le mythe contre le mariage
199 ement ; l’autre exaltait un ensemble de valeurs d’ résultait — en principe tout au moins — la condamnation du mariage. L
200 plus en plus le choix réciproque des conjoints. D’ le nombre croissant des divorces. En même temps, les cérémonies épith
201 . 3. — Contraintes religieuses. — Dans la mesure la conscience moderne comme telle sait encore distinguer le christian
202 tutionnels entraîne une chute de tension morale d’ résulte une immense confusion. L’adultère devient un sujet de délicat
203 e nous introduit dans le monde de la comparaison, nul bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme ne sera pas Dieu.
204 aime de passion accède à une humanité plus haute, les barrières sociales s’évanouissent. Le Tzigane peut enlever la pri
205 frir. Lorsque Tristan emmène Iseut dans la forêt, plus rien ne s’oppose à leur union, le génie de la passion dépose ent
206 l’héroïsme religieux à la confusion sans grandeur se débattent les hommes du temps profane : au lieu de l’épée du cheva
207 « platitude », le train-train des liens légitimes la femme perd son « attrait », parce qu’il n’est plus d’obstacles ent
208 ur Tristan l’infini, c’est l’éternité sans retour s’évanouit la conscience douloureuse — pour le moderne, ce n’est plus
209 Mais la passion dite « fatale » — c’est l’alibi — se complaisent les modernes, ne sait plus même être fidèle, puisqu’el
210 accuser, mais il est la victime d’un ordre social les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vite, ils cèdent avan
211 sion ruine l’idée même du mariage dans une époque l’on tente la gageure de fonder le mariage, précisément, sur les vale
212 l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe.) D’ les multiples tentatives de « restauration » du mariage auxquelles no
213 s « névroses » qui seraient à l’origine du mal (d’ l’on déduit que la médecine mentale guérirait tout). Van de Velde ou
214 sait pas au juste ce qu’est l’amour-passion, ni d’ il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose d’inqu
215 e ce qu’est l’amour-passion, ni d’où il vient, ni il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose d’inquiétant, mais on
216 on précisément que l’on entendait « liquider ». D’ l’absolue nécessité de restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l’é
217 lectivistes et eugéniques, et dans une atmosphère les problèmes individuels tendaient à perdre toute espèce de dignité,
218 a pratique forcée de l’eugénisme peut réussir, là toutes nos morales échouent, entraînant l’effective abolition du beso
219 surer simplement par les statistiques de divorce, l’Amérique tient le premier rang. Vouloir fonder le mariage sur une f
220 s désastreux et même plus normal qu’en Europe. Là l’Européen voit surtout une rupture créant un désordre social, et la
221 réversible et il faut l’approuver, dans la mesure elle tend à ordonner le destin collectif ou natif à la décision perso
222 hypothèse », dit l’auteur) ; soit par le passage Jésus proclame que l’homme ne doit pas séparer ce que Dieu a uni ; so
7 1939, L’Amour et l’Occident (1956). Livre VII. L’amour action, ou de la fidélité
223 lité 1.Nécessité d’un parti pris À l’heure cet ouvrage touche à sa conclusion, il me semble que son dessein le p
224 la passion. Quant à stériliser le milieu culturel la passion plonge ses racines, il est probable que l’État s’en charge
225 toutes les raisons de le prévoir, dans une époque l’on confond thérapeutique et sotériologie (lois de l’hygiène et doct
226 ce trait qui enfin la situe, non dans l’abstrait la passion ne peut exister — et alors en parler n’est qu’un jeu — mai
227 e chacun, frères, demeure devant Dieu dans l’état il était lorsqu’il a été appelé (vierge ou marié)… usant du monde com
228 lle paraît secondaire ou superflue dans la mesure l’on se persuade qu’il s’agit avant tout de calcul. D’où je conclus q
229 se persuade qu’il s’agit avant tout de calcul. D’ je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au r
230 type même de l’acte sérieux, c’est dans la mesure elle est faite une fois pour toutes. Seul l’irrévocable est sérieux.)
231 perte : nous sommes ici dans un ordre de grandeur nos mesures et nos équivalences n’ont plus cours). Mais savons-nous e
232 qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti.) est alors la différence ? Et le mari fidèle, ne serait-ce pas simplem
233 tait la chute dans l’illimité, au sein de la Nuit s’effacent les formes, les visages, les destins singuliers : « Non pl
234 rait honnêtement s’appliquer à l’avenir d’un état l’on se trouve aujourd’hui ; mais il peut et il doit impliquer l’aven
235 et l’amour. Car si le désir va vite et n’importe , l’amour est lent et difficile, il engage vraiment toute une vie, et
236 ontrées les moins christianisées, précisément, là les religions païennes menaient encore une vie secrète. L’amour-passi
237 ccident l’idée de transformer le milieu humain (d’ le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu nature
238 n), et l’idée de transformer le milieu naturel (d’ la technique). Reste à savoir si le christianisme, accueilli par les
239 à l’exalter. Telle fut la tentation permanente d’ jaillirent nos plus belles créations. Mais ce qui produit la vie prod
240 iées, extension du délire passionnel aux domaines il peut entraîner la destruction de notre civilisation. Tout cela est
241 st toujours hic et nunc, dans l’acte de l’Éternel notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes de réflexions, amorcés çà et là
242 assion, la mort d’amour, initie une vie nouvelle, la passion ne cesse d’être présente, mais sous l’incognito le plus ja
243 concevoir que la passion — quel que soit l’ordre elle se manifeste — ne trouve son au-delà réel, et son salut, que par
244 iques. 220. En quoi consiste le respect, au sens je le prends ici ? En ce que l’on reconnaît dans un être la totalité