1 1962, Les Chances de l’Europe. Avertissement
1 Les conférences réunies dans ce petit volume ont été prononcées à l’aula de l’Université de Genève, dans le cadre des cour
2 acultés et ouverts au public. Le thème m’en avait été proposé par le professeur Éric Martin, recteur de l’Université, auque
3 ont je croyais connaître certaines tendances à ne tenir pour sérieux que les constats de crise sans issue, exprimés dans le j
2 1962, Les Chances de l’Europe. I. L’aventure mondiale des Européens
4 partie-là du monde qui a fait « le Monde », ayant été le foyer de l’idée de « genre humain », ayant été aussi la condition
5 été le foyer de l’idée de « genre humain », ayant été aussi la condition instrumentale et nécessaire d’une véritable histoi
6 ne véritable histoire universelle — celle où nous sommes bel et bien engagés dans cette seconde moitié du xxe siècle, en sort
7 gée sans prudence ni plan d’ensemble, dont elle n’ est plus propriétaire, mais dont elle garde encore certains secrets vitau
8 phénomène européen par ses effets, alors qu’on s’ est toujours efforcé jusqu’ici de l’expliquer par certaines causes, qui s
9 usqu’ici de l’expliquer par certaines causes, qui seraient tantôt, selon les auteurs et selon les modes, géographiques ou climat
10 urope a découvert la terre entière, et personne n’ est jamais venu la découvrir. 2. L’Europe a dominé sur tous les continen
11 tous les continents successivement, et n’a jamais été dominée jusqu’ici par une seule puissance d’outre-mer. 3. L’Europe a
12 pe a produit une civilisation que le monde entier est en train d’imiter, tandis que l’inverse ne s’est jamais produit. Le p
13 est en train d’imiter, tandis que l’inverse ne s’ est jamais produit. Le phénomène unique au monde que dénotent ces constat
14 mettant une économie d’énergies fondamentales, ce sont là des atouts, mais qui sont loin d’inscrire dans notre sol l’histoir
15 es fondamentales, ce sont là des atouts, mais qui sont loin d’inscrire dans notre sol l’histoire mondiale qui sera la nôtre.
16 d’inscrire dans notre sol l’histoire mondiale qui sera la nôtre. On ne peut y lire un destin. Chaque géographe en tire d’ail
17 aris en 1816, reconnaît que l’Europe historique n’ est pas née de sa géographie. Je me plais à citer sa description de l’Eur
18 ription de l’Europe, dont Valéry me paraît bien s’ être inspiré dans le passage fameux où il parle de l’Europe comme « d’une
19 un appendice occidental de l’Asie » mais qui n’en serait pas moins « la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de l
20 sède le moins de richesses territoriales… nous ne sommes riches que d’emprunts. Tel est néanmoins le pouvoir de l’esprit humai
21 riales… nous ne sommes riches que d’emprunts. Tel est néanmoins le pouvoir de l’esprit humain : cette région que la nature
22 la nature n’avait ornée que de forêts immenses, s’ est peuplée de nations puissantes, s’est couverte de cités magnifiques, s
23 immenses, s’est peuplée de nations puissantes, s’ est couverte de cités magnifiques, s’est enrichie du butin des deux monde
24 uissantes, s’est couverte de cités magnifiques, s’ est enrichie du butin des deux mondes ; cette étroite presqu’île, qui ne
25 re sur le globe que comme un appendice de l’Asie, est devenue la métropole du genre humain.3 Voilà donc l’importance de l
26 géographie et du climat minimisée, presque niée. Serait -ce alors à la démographie qu’il faudrait aller demander le secret de
27 ement de la Terre nous fait voir que l’humanité s’ est concentrée depuis longtemps dans trois régions privilégiées à cet éga
28 xe siècle entre 500 et 600 millions d’habitants ( soit ensemble à peu près 60 % de la population du globe, sur 15 % de sa su
29 rtes précisément et de l’expansion vers le monde, était bien moins peuplée que la Chine et que l’Inde, et ne subissait aucune
30 omprise ? Comment se fait-il que les Chinois, qui étaient pourtant le tiers de l’humanité vers 1850, et qui en sont encore près
31 rtant le tiers de l’humanité vers 1850, et qui en sont encore près du quart aujourd’hui (ils n’en seront sans doute plus que
32 n sont encore près du quart aujourd’hui (ils n’en seront sans doute plus que moins du cinquième en l’an 2000, selon les démogr
33 leur chercher des causes spirituelles ? L’Europe serait -elle, par exemple, une création du christianisme, comme le soutient u
34 ansion colonialiste, du xviiie au xxe siècle, a été , de toute évidence, plus européenne que chrétienne. Assimiler l’Europ
35 prétention universelle du christianisme, et ce n’ est pas définir l’Europe, puisque ce serait la définir par une vérité éte
36 sme, et ce n’est pas définir l’Europe, puisque ce serait la définir par une vérité éternelle, qu’elle n’a pas mérité d’incarne
37 ’égalité, de liberté et de justice ont sans doute été décisifs dans l’aventure mondiale de l’Europe. Retenons donc, de cett
38 laisser sans réponse : pourquoi l’Europe a-t-elle été la seule ou la première partie du monde qui ait adopté cette religion
39 phénomène tel qu’il apparaît dans les faits. Ce n’ est pas le déroulement logique d’une série de causes naturelles produisan
40 produisant des effets où elles s’épuisent : ce n’ est pas le déroulement d’un plan, dont nul ne voit qui l’aurait calculé e
41 l ne voit qui l’aurait calculé et imposé. Et ce n’ est pas l’incarnation de quelque idée platonicienne, ni la démonstration
42 un phénomène, individuel ou collectif, ne pouvait être bien saisi que dans son mouvement créateur, dans son archétype, dans
43 rmé en taureau, traduit l’Histoire : notre Europe est effectivement venue du Proche-Orient. Après la disparition presque to
44 es rupestres de Lascaux et d’Altamira, l’Europe a été lentement repeuplée par des colons venus d’une part de l’Asie Mineure
45 ance du Nord, peut-être en Grande-Bretagne8. Elle est née à la civilisation par l’effet d’apports successifs intellectuels,
46 le plus proche de ce rivage phénicien d’où avait été enlevée l’héroïne éponyme, celle qui donna son nom au continent. On s
47 art, la plus grande importance symbolique. Europe était la fille d’Agénor, roi de Tyr. Celui-ci donna l’ordre à ses cinq fils
48 ne au Caucase. Cadmus enfin, le plus fameux, s’en fut à Rhodes, puis en Thrace ; et comme il désespérait de retrouver sa sœ
49 Asie, il alla demander à l’oracle de Delphes : Où est Europe ? — « Tu ne la trouveras pas, répondit la Pythie. Suis plutôt
50 ? — « Tu ne la trouveras pas, répondit la Pythie. Suis plutôt une vache et pousse-la devant toi sans lui laisser de répit :
51 est aussi en renonçant à la trouver telle qu’elle était dans son souvenir que Cadmus entreprit de la construire. On voit comb
52 emps fabuleux, il semble difficile de savoir « où est l’Europe », si l’on entend seulement la ramener un beau jour toute fa
53 , et c’est ce que je nomme : Aventure. Mais elle est autre chose encore, si l’on en croit la seconde légende relative à se
54 s techniques et les rudiments de la science, tout est venu de l’est vers l’Europe, tout s’est lentement concentré dans cett
55 t les rudiments de la science, tout est venu de l’ est vers l’Europe, tout s’est lentement concentré dans cette sorte d’impa
56 nce, tout est venu de l’est vers l’Europe, tout s’ est lentement concentré dans cette sorte d’impasse au-delà de laquelle on
57 en Âge, sous Charlemagne, la péninsule européenne est donc devenue le lieu de rencontre de sept ou huit traditions différen
58 alité — si on la compare aux cultures de l’Asie — est justement d’être un mélange dynamique d’éléments de provenances diver
59 compare aux cultures de l’Asie — est justement d’ être un mélange dynamique d’éléments de provenances diverses et de tendanc
60 nsmutations les plus imprévues. Vraiment, le four est bien scellé. Car l’islam s’est dressé à l’Est, barrant les routes ver
61 Vraiment, le four est bien scellé. Car l’islam s’ est dressé à l’Est, barrant les routes vers l’Orient. Les Européens se vo
62 our est bien scellé. Car l’islam s’est dressé à l’ Est , barrant les routes vers l’Orient. Les Européens se voient coupés de
63 missionnaire des croyants ? Les voies terrestres sont barrées. Restent les voies de l’Océan. C’est ici que l’aventure mondi
64 les de Colomb. La période des grandes découvertes fut une sorte d’explosion du composé Europe, macéré depuis près de mille
65 ccidental, au surplus rétrécies par les Turcs à l’ est et par les Arabes au sud-ouest. Christophe Colomb n’est pas parti pou
66 ’autres… Tout en lui, et d’abord son vrai nom qui est Colón, et son prénom Christophe, porteur du Christ — en vérité, porte
67 titres prestigieux de « vice-roi des Îles qui ont été découvertes dans les Indes » et de « Grand amiral de la mer Océane »,
68 iral de la mer Océane », il fallait que Jason eût été en Colchide à la poursuite d’une chimère dorée, que le continent de l
69 d’une chimère dorée, que le continent de l’Ouest fût lié plus qu’un autre aux mers, que son sol fût pauvre en métaux, que
70 st fût lié plus qu’un autre aux mers, que son sol fût pauvre en métaux, que l’islam occupât Byzance après Jérusalem, barran
71 fet la découverte par erreur des Amériques, et ce fut le début de l’expansion séculaire, économique, politique et religieus
72 rapide vers le sol. Mais ce retour du satellite n’ est pas un échec ! D’innombrables connaissances ont été récoltées en rout
73 t pas un échec ! D’innombrables connaissances ont été récoltées en route, elles font désormais partie non seulement de la s
74 ier tour du monde, accompli par Magellan, puis ce sont la conquête de l’Amérique du Sud, le peuplement de l’Amérique du Nord
75 ivilisation. Mais les étages de la fusée porteuse sont retombés l’un après l’autre : c’étaient la conquête militaire, la pri
76 es continents découverts et régis par l’Europe se sont libérés de sa tutelle : l’Amérique du Nord la première, dès la fin du
77 té, l’idée même de genre humain — genus humanum — sont des créations de l’Europe chrétienne, puis de l’Europe technicienne.
78 e monde fait par elle, elle l’a perdu. Le monde s’ est révolté contre elle au nom même des valeurs de liberté, de justice et
79 et pas plus grande, notons-le bien, qu’elle ne le fut au Moyen Âge. Elle reste le cœur d’un Occident né de ses œuvres, mais
80 urs forces renaissantes contre l’Occident divisé. Serait -ce la fin de l’Aventure occidentale, qui aurait donc consisté, dans l
81 de la beauté, préfigure l’idéal missionnaire qui sera , quinze à vingt siècles plus tard, celui de l’Église primitive, envoy
82 envoyant ses évangélistes jusqu’en Chine, vers l’ est  ; et vers l’ouest, jusqu’en Islande et aux côtes atlantiques de l’Amé
83 assionnant vagabondage, cette longue errance, qui est aussi une longue « erreur », selon le sens latin du mot. Tout se pass
84 rybdes et les Scyllas des excès contraires, telle est la passion maîtresse d’Ulysse et ce sera, identiquement, la passion d
85 es, telle est la passion maîtresse d’Ulysse et ce sera , identiquement, la passion des grands créateurs de la culture occiden
86 créateurs de la culture occidentale. L’Occidental est l’homme qui va toujours plus loin, au-delà des conditions données par
87 . Il trouva le pays que Dieu lui réservait, et ce fut là le terme de son aventure, mais le début d’une autre histoire, dont
88 re, mais le début d’une autre histoire, dont nous sommes bien loin d’être quittes. Christophe Colomb, le père des Découvreurs,
89 ’une autre histoire, dont nous sommes bien loin d’ être quittes. Christophe Colomb, le père des Découvreurs, croyait savoir o
90 et ce qu’il cherchait : il avait calculé qu’il y serait en trente jours. Mais tous ses calculs étaient faux, il trouva les An
91 l y serait en trente jours. Mais tous ses calculs étaient faux, il trouva les Antilles au lieu de Xipango ; et finalement c’est
92 nant l’islam et financer la dernière croisade, ne furent pas résolus par son expédition. Il trouva d’autres terres, d’autres î
93 ciens équilibres, oblige à repenser tout ce qu’on tenait pour acquis, et à chercher toujours plus loin, au prix de risques tou
94 utant de risques qu’on résout de problèmes, telle est , je crois, la vraie formule du Progrès, dans sa définition occidental
95 s sa définition occidentale. Et l’on voit qu’elle est ambiguë : qu’il suffise de citer, pour l’illustrer, l’ambiguïté de no
96 uoi ? Nous augmentons notre puissance, mais qu’en est -il de nos moyens de la maîtriser et de la faire servir au bonheur, à
97 iastole peut succéder au mouvement de systole qui est en train de s’achever sous nos yeux — l’indépendance de l’Algérie en
98 is vivre, car j’ai besoin de toi. 1. Hippocrate est le premier auteur, à notre connaissance, qui ait décrit l’Europe comm
99 date de la fin du ve siècle avant J.-C., et qui fut peut-être rédigé par l’un de ses disciples. Un demi-siècle plus tard,
100 rise de l’Esprit », Paris, 1924. 4. Ces chiffres sont nécessairement imprécis et ne peuvent indiquer que des ordres de gran
101 is XIV ». 6. La population de la Chine vers 1850 était estimée à 400 millions, celle du globe à 1200 millions, donc la Chine
102 ers du genre humain. En admettant que les Chinois sont aujourd’hui 650 millions, la population totale du globe étant de 2800
103 d’hui 650 millions, la population totale du globe étant de 2800 millions, cela donne pour la Chine un peu moins d’un quart. E
104 de la matière. 8. Cf. André Varagnac, « Comment est née l’Europe ? », La Table ronde, n° 113, Paris, 1957, et L’Homme ava
105 ue de la légende de l’Enlèvement d’Europe vient d’ être corroborée une fois de plus par le déchiffrement des inscriptions cré
106 n, 1957. 12. Les titres de Colomb (ou Colón) lui furent donnés dans une lettre écrite de Barcelone par Ferdinand et Isabelle
107 ifiques portugaises, italiennes et allemandes qui sont à la base de ses calculs, et sur le « fantastique édifice biblico-cos
108 ve relatée par les chroniques remonte à 870. Elle est le fait de Norvégiens fuyant la tyrannie d’un roi local, Harald aux c
109 ’ils baptisent Vinland, « pays de la vigne » ; ce sont les côtes du Maine. Une pierre runique, découverte en 1898 dans le Mi
3 1962, Les Chances de l’Europe. II. Secret du dynamisme européen
110 iècle. Et je vous ai laissés sur cette question : serait -ce la fin de l’Aventure ? Tout pronostic relatif à l’Europe doit se b
111 ion. Pour aujourd’hui, le premier point : quelles sont les chances permanentes de l’Europe, et quels sont les secrets du dyn
112 ont les chances permanentes de l’Europe, et quels sont les secrets du dynamisme unique dans l’histoire de l’humanité, qui a
113 venture mondiale ? Ces secrets de notre expansion sont -ils encore vivants et agissants ? Examinons pour commencer la situati
114 monde. Nous allons découvrir que cette situation est plus centrale que jamais, si bizarre que puisse paraître l’expression
115 e), contre l’illusion provinciale qui nous ferait tenir l’Europe pour le centre du monde. De tels avertissements relèvent san
116 te d’une saine morale, car la vanité collective n’ est pas moins condamnable que l’orgueil individuel, et comme lui va (parf
117 trop grand nombre d’intellectuels occidentaux. Il est ridicule et condamnable de se croire le centre du monde quand on ne l
118 ble de se croire le centre du monde quand on ne l’ est pas. Mais s’il se trouve qu’on l’est, il serait ridicule et condamnab
119 uand on ne l’est pas. Mais s’il se trouve qu’on l’ est , il serait ridicule et condamnable de le nier au seul nom d’une très
120 ne l’est pas. Mais s’il se trouve qu’on l’est, il serait ridicule et condamnable de le nier au seul nom d’une très hypocrite h
121 r au seul nom d’une très hypocrite humilité — qui serait alors le masque d’un orgueil refoulé et transformé en masochisme, mau
122 des habitants et 2 % de la production du monde, n’ étant guère occupée que par les océans, le continent antarctique, la Patago
123 mappemondes et cartes économiques, en attendant d’ être photographiées par quelque satellite artificiel : l’Europe est bel et
124 hiées par quelque satellite artificiel : l’Europe est bel et bien le centre du monde humain, le lieu géométrique, le carref
125 . Que signifie ce fait, dont on voit bien qu’il n’ est pas simplement physique, mais humain, et pas seulement géographique m
126 el ? Il suggère une correspondance qui ne saurait être accidentelle entre la position de l’Europe dans le monde et sa foncti
127 e et sa fonction particulière. Certes, l’Europe n’ est pas devenue ce qu’elle est du seul fait de cette position au centre d
128 re. Certes, l’Europe n’est pas devenue ce qu’elle est du seul fait de cette position au centre des terres habitées et des v
129 es voies maritimes qui les relient, puisqu’elle s’ est constituée en tant qu’Europe à une époque — disons le Moyen Âge — où
130 la distribution des hommes et de leur production était tout à fait différente de ce qu’elle est devenue de nos jours. Il sem
131 uction était tout à fait différente de ce qu’elle est devenue de nos jours. Il semble bien que ce soit, au contraire, à par
132 e est devenue de nos jours. Il semble bien que ce soit , au contraire, à partir de l’Europe et par l’action des Européens que
133 tion des Européens que l’hémisphère privilégié se soit constitué. Et je rejoins ici ma thèse initiale : c’est l’Europe qui a
134 Nations ou aux Nations unies : ces organisations sont nées du droit des peuples, qui fut créé par des Européens dès les xvi
135 organisations sont nées du droit des peuples, qui fut créé par des Européens dès les xvie et xviie siècles, on l’oublie t
136 e, la fonction mondiale de l’Europe. Et voilà qui est déterminant, pour qui suppute les chances futures de l’Occident et de
137 nt nous désirons voir comment ces alternances ont été liées aux données de la géographie mais surtout à l’action des hommes
138 ue l’Europe actuelle, amputée des plaines russes, tiendrait près de neuf fois dans l’Asie, et six fois dans l’Afrique. En revanch
139 s l’Afrique. En revanche, ce plus petit continent est le plus complexe de tous : le plus profondément découpé par les mers
140 altitude et des fleuves aisément traversables. Il est fait de presqu’îles et de compartiments, mais ni trop grands ni trop
141 rdez à la loupe cette photo d’une région qui peut être rhénane ou mosellane, luxembourgeoise, belge ou suisse : vous y disti
142 rope, vous n’en trouverez pas deux dont les plans soient superposables. S’ils se ressemblent, c’est par leur complication, ou
143 ’est par leur complication, ou par leur manière d’ être différents : première formule de l’unité paradoxale qui permettra de
144 es formes, de complexité des structures. L’Europe est née de la multiplicité de ses communes, épousant la nature tout en l’
145 militaires, agricoles, commerciales, après avoir été souvent sacrées. Une vallée ou un socle rocheux, une embouchure, un c
146 ong des routes frayées par les pionniers : ils ne sont guère enracinés, ils sont en marche. Ces maisons boisées, espacées, b
147 les pionniers : ils ne sont guère enracinés, ils sont en marche. Ces maisons boisées, espacées, bordant une route, on dirai
148 lectuelles de principes et de doctrines — dont il serait toujours facile de dire qu’elles n’ont guère été mises en pratique, q
149 rait toujours facile de dire qu’elles n’ont guère été mises en pratique, qu’elles décrivent une Europe idéale, qu’on refuse
150 e Europe idéale, qu’on refuse de reconnaître, qui est celle des autres, de l’autre école ou de l’autre parti — mais à parti
151 à partir des réalités visibles et tangibles, qui sont le cadre de nos vies. Essayons de présenter l’Europe non point par sa
152 a place communale. Nos villes et nos villages ne sont pas nés autour de places préalablement dessinées, mais bien plutôt au
153 ent de notre civilisation. On sent bien que ce ne sont pas des masses informes, ni des masses militarisées — la populace ni
154 aire, la place centrale de nos villes et villages est rarement régulière, hors des périodes de relâchement civique, précisé
155 de ville, le municipio, le Rathaus, le Town-Hall) soit ou non bâtie sur la place — et il se trouve qu’elle l’est en général 
156 on bâtie sur la place — et il se trouve qu’elle l’ est en général — c’est bien de là qu’elle tire son sens originel. Les par
157 , formant le Ring sur la place principale.) Il n’ est pas de démocratie, au sens européen du terme, qui ne repose sur la li
158 moderne de l’Europe ; et la presse, dès le début, fut étroitement liée à cet autre élément nécessaire de toute place digne
159 le peuple répond, et le chœur chante. Et ce chœur est formé de voix diverses mais unies par les lois de l’harmonie, du ryth
160 définit l’Europe, sa grandeur et son drame17. Il serait tentant, partant de là, de reconstituer toute la philosophie de la pe
161 mon sujet. Je signale simplement qu’elle pourrait être faite presque aussi bien en partant de l’école, autre bâtiment de la
162 t de l’école, autre bâtiment de la place. L’école est issue de l’Église, au Moyen Âge ; puis de la Réforme et des Ordres, à
163 hui ses instituteurs, qui dépendent de la mairie, sont souvent plus sensibles aux débats du café qu’aux objurgations de la c
164 nsion qui s’institue. Mais la fonction de l’école est demeurée la même : elle doit d’une part communiquer les connaissances
165 ion entre le particulier sous toutes ses formes —  fussent -elles nationales — et l’universel dans toutes ses exigences — fussent
166 ales — et l’universel dans toutes ses exigences —  fussent -elles représentées par la révolte d’un seul, d’un génie ou d’un saint
167 e, et non pas unitaire dans son principe comme le furent les grandes civilisations traditionnelles et statiques de l’Asie, et
168 de l’Amérique précolombienne, et comme veulent l’ être les régimes totalitaires de notre temps. Civilisation à base d’antago
169 ntestation, dont la passion maîtresse paraît bien être la remise en question permanente des données naturelles et des relati
170 s la mesure où cet immense complexe de tensions n’ est pas trop déprimé ou dévasté par les guerres, les dictatures et les na
171 urts-circuits ; dans la mesure où se développe ne fût -ce qu’une part du potentiel accumulé par ces tensions, on conçoit qu’
172 yer d’une expansion énergétique irrésistible. Tel est le secret du dynamisme européen et des périodes de diastole planétair
173 s de diastole planétaire de notre civilisation. ⁂ Sommes -nous au seuil d’une telle période ? Ou au contraire, l’état de santé
174 de ? Ou au contraire, l’état de santé de l’Europe est -il aussi mauvais que le proclament une bonne partie de nos intellectu
175 pris réactionnaires ou progressistes — pourraient être fournis par une auscultation des organes principaux de la cité, c’est
176 lises d’abord, par ordre d’ancienneté. La plupart sont aux trois quarts vides dans nos villages, qui n’en possèdent pourtant
177 ule, le plus souvent, alors qu’en Amérique, elles sont pleines chaque dimanche, et on en trouve en général quatre ou cinq po
178 ne, de 2 à 3000 habitants. L’église, en Amérique, est restée, mieux que chez nous, le centre de la vie sociale d’un village
179 t aujourd’hui la pensée religieuse de l’Amérique, sont ceux de Jacques Maritain, de Paul Tillich et de Karl Barth, un França
180 ècle. Mais le mouvement général vers l’œcuménisme est sans doute le symptôme le plus frappant d’une renaissance spirituelle
181 ent le modèle d’un meilleur équilibre, si relatif soit -il, entre les exigences immédiates de l’instruction de techniciens, e
182 . Passons à la mairie, symbole de la commune, qui est le cadre concret du civisme. Elle a survécu, tant bien que mal, à plu
183 pays. On pouvait croire que l’ère technique, qui est celle des plans à grande échelle, allait lui porter le coup de grâce.
184 d’arrière-garde contre l’État, mais au contraire sont les pionniers d’un renouveau de l’autonomie municipale20. Quant au ma
185 e le centre de la place, on sait qu’il n’a jamais été plus prospère qu’aujourd’hui, et cela dans tous nos pays, qu’il s’agi
186 es. Quant à la presse enfin, et au café dont elle est née, je me bornerai à une constatation élémentaire. L’absence de tout
187 afés littéraires et politiques aux États-Unis, ne sont pas seulement déplorées par quelques voyageurs européens, vexés de ne
188 s secrets de l’Europe. L’Europe sans sa culture n’ est qu’un cap de l’Asie, assez pauvre en richesses naturelles, et moins p
189 uiétude religieuse, par des formes de pensée d’où sont issues la science et la technique, et des arts florissants, et des in
190 appelle l’équation la plus célèbre du siècle, qui est celle d’Einstein : E = mc2 où E signifie l’énergie, m la masse, c la
191 rte entre tradition et innovation, que l’Europe s’ est montrée capable d’intégrer un peu mieux que d’autres la technique. Ai
192 rieuses, et comme sur table rase. En Europe, elle est née dans un contexte serré de principes vénérés et de droits garantis
193 toujours joué à temps, et la conscience sociale a été lente à s’éveiller dans les élites responsables. La première révoluti
194 ent, la presse n’en parlait pas, et ses effets se sont étalés sur un siècle.) Mais en développant la technique par la scienc
195 ement rapproché la technique de sa vraie fin, qui est de libérer l’homme du travail servile, elle a pris conscience la prem
196 t le problème fondamental de notre temps. Or elle est seule à disposer, pour le résoudre, d’une expérience séculaire. Car l
197 nent de l’Europe et dans ce sens, notre Moyen Âge est aussi le leur. Mais nous avons chez nous, au centre de nos villes, le
198 rucción de las Indias, publiée à Séville en 1552, est le premier acte d’accusation contre le colonialisme, et fonde une lon
199 5), partant de bases d’ailleurs très différentes, sont considérés, avec Vitoria, comme les fondateurs du ius gentium occiden
200 s bandes dessinées, journal illustré de l’époque, sont l’œuvre d’Albert Dürer (1471-1528). Il les gravait, les tirait et les
201 des villes et des pouvoirs locaux, dont le siège est à La Haye, a organisé de nombreux congrès de maires et publié quelque
202 pe, plus nettement fédéraliste par sa doctrine, s’ est fondé à Genève en 1951 et groupe environ 40 000 communes. Son siège e
203 1951 et groupe environ 40 000 communes. Son siège est à Paris, et ses principaux animateurs sont Français (MM. J. Chaban-De
204 n siège est à Paris, et ses principaux animateurs sont Français (MM. J. Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, et G. Deferre, mai
205 du CCE, de très nombreux jumelages de villes ont été réalisés, donnant lieu a des manifestations populaires de solidarité
206 , une Commission européenne des pouvoirs locaux a été constituée au Conseil de l’Europe, à Strasbourg.
4 1962, Les Chances de l’Europe. III. L’Europe s’unit
207 ante pour remplir les fonctions nouvelles qui lui sont assignées désormais, dans le monde. Je voudrais vous montrer aujourd’
208 internes ou contre un péril extérieur. L’union n’ est pas un but en soi, c’est le moyen d’un but qui est de survivre ou de
209 st pas un but en soi, c’est le moyen d’un but qui est de survivre ou de mieux vivre ; c’est même pratiquement un remède ; o
210 ; or qui parle de remède parle de maladie. Quelle est alors la maladie qui affecte cette Europe dont les organes sont bons 
211 maladie qui affecte cette Europe dont les organes sont bons ? Je la crois d’origine psychique. Dans l’ensemble, elle consist
212 onnelle et créatrice. En bref, cette maladie peut être désignée par le terme de nationalisme, qui est la prétention des État
213 t être désignée par le terme de nationalisme, qui est la prétention des États à la souveraineté absolue, dans laquelle ils
214 mal et sain de nos diversités. La volonté d’union sera le signe d’une santé renouvelée du corps européen, dans la mesure où
215 issait proliférer sans freins. La volonté d’union sera saine si elle tend à éliminer le virus du nationalisme et non pas à l
216 super-nation et doté d’un super-nationalisme. Je tenais à placer en exergue à mon exposé d’aujourd’hui ces définitions de l’u
217 expression foncièrement impropre —, voudrait s’en tenir à une alliance des États nationaux, gardant intactes leurs souveraine
218 etés. C’est la position minimaliste. L’autre, qui est en gros celle du Marché commun, voudrait unifier les nations sur la b
219 de la fédération, sortirait de mon propos, qui n’ est pas politique, et du cadre de ces leçons. Il me paraît en revanche in
220 son île et les États-Unis tout récemment.) Car il est impossible de comprendre l’enjeu et les motifs des grands débats en c
221 proposées. L’idée d’unir ou de fédérer l’Europe n’ est pas née d’hier. Elle remonte très précisément au début du xive siècl
222 récisément au début du xive siècle, si l’on s’en tient aux documents connus. Et il est très remarquable que ses motifs soien
223 e, si l’on s’en tient aux documents connus. Et il est très remarquable que ses motifs soient demeurés presque les mêmes au
224 connus. Et il est très remarquable que ses motifs soient demeurés presque les mêmes au cours des siècles. Ce qui est en passe
225 és presque les mêmes au cours des siècles. Ce qui est en passe de se réaliser sous nos yeux, d’une manière encore bien impa
226 nos yeux, d’une manière encore bien imparfaite il est vrai, c’est ce que préconisaient en vain, depuis exactement six siècl
227 nt indispensable pour éveiller le besoin d’union, est souvent invoqué au cours des âges — le rôle d’épouvantail étant tenu
228 invoqué au cours des âges — le rôle d’épouvantail étant tenu par les Turcs jusqu’au xviiie siècle, puis par les Russes et pa
229 é au cours des âges — le rôle d’épouvantail étant tenu par les Turcs jusqu’au xviiie siècle, puis par les Russes et par le
230 i-ont-la-bombe. Mais en fait, ce motif de la peur est accessoire, et se révèle d’ailleurs inopérant dans notre histoire. So
231 révèle d’ailleurs inopérant dans notre histoire. Soit contre les Turcs soit contre les Soviets, il sert de prétexte opportu
232 pérant dans notre histoire. Soit contre les Turcs soit contre les Soviets, il sert de prétexte opportun, il permet de dramat
233 aix, communauté spirituelle, prospérité, défense) sont , je le répète, tous présents à l’esprit de tous les promoteurs que je
234 que l’on observe au cours des siècles, et qu’il n’ est pas sans intérêt de retracer. Je passerai donc rapidement en revue le
235 eux premiers datent des années 1306 et 1308. L’un est l’œuvre de Dante, c’est le De Monarchia, l’autre d’un conseiller de P
236 flit entre le pape et l’empereur. L’idée de Dante est simple : il préconise l’établissement d’une monarchie universelle, se
237 ant pas de pouvoir l’un sur l’autre. Chacun d’eux serait maître de son domaine, et chaque royaume ou ville retiendrait ses « l
238 ui intéressent tous les hommes », le genre humain serait gouverné par un seul monarque, et « orienté vers la paix par une seul
239 econnaissent pas de supérieurs au monde, et s’ils sont en conflit, devant qui doivent-ils plaider ? », Dubois répond : non p
240 erait de sanctions pénales : le pays récalcitrant serait cerné, isolé, et réduit par la faim ; quant aux trouble-paix individu
241 la faim ; quant aux trouble-paix individuels, ils seraient déportés : on les enverrait se battre contre les infidèles en Terre s
242 u contraire, comme l’écrit un commentateur : « Il était trop réaliste pour son époque, qui ne l’était guère. »24 Tel est le
243  Il était trop réaliste pour son époque, qui ne l’ était guère. »24 Tel est le refrain qui saluera désormais toutes les propo
244 e pour son époque, qui ne l’était guère. »24 Tel est le refrain qui saluera désormais toutes les propositions de paix et d
245 es et leurs chefs découvrent enfin qu’il pourrait être plus réaliste de s’entraider que de s’entretuer, et que par suite, le
246 que par suite, les promoteurs de plans d’union ne sont pas tous, nécessairement, de doux rêveurs ou de dangereux imbéciles.)
247 ces chrétiens et au pape un Traité d’alliance qui est , en vérité, un plan de fédération25 : car il limite expressément les
248 ressiste et moderne, on le voit, qu’un projet qui sera proposé cinq-cents ans plus tard, exactement, sous le nom d’Europe de
249 son principe, et dont on peut craindre qu’elle ne soit guère plus facile à réaliser qu’une amicale des misanthropes. Refusé
250 iebrad n’eut aucune suite. Et pourtant, ce pape n’ était autre que le grand Æneas Silvius Piccolomini, qui essayait vainement,
251 nait de tomber aux mains des Turcs — et qui avait été le premier à parler de l’Europe comme d’une patrie commune, dans sa m
252 notre patrie, dans notre propre maison, que nous sommes attaqués et tués. »26 Deux siècles passent, et la face de l’Europe a
253 ge — notamment, la guerre de Trente Ans. Le temps est venu de repenser les relations entre les nations, c’est-à-dire entre
254 ont contribuer à cet effort de mise en ordre, qui est la devise du xviie siècle. Tous les quatre expriment avec force la v
255 us. Ces quatre plans, dans l’ordre chronologique, sont  : le Nouveau Cynée d’Émeric Crucé, moine parisien, 1623 ; le Grand de
256 t, respectivement. Le plus moderne sans nul doute est celui qui parut le premier et qui resta le moins connu : celui d’Émer
257 elui d’Émeric Crucé, dont on sait seulement qu’il fut un obscur « moine pédagogue » dans un collège de Paris27. Il se signa
258 « Seul un esprit borné, écrit-il, croit que tous sont tenus de vivre comme lui, et ne prise que ses [propres] coutumes, à l
259 ul un esprit borné, écrit-il, croit que tous sont tenus de vivre comme lui, et ne prise que ses [propres] coutumes, à la faço
260 que le duc de Sully feint d’attribuer à Henri IV, est moins original mais beaucoup plus célèbre : toujours cité, jamais lu,
261 e : toujours cité, jamais lu, et pour cause. Ce n’ est en réalité, à l’origine, qu’un projet purement politique de pacte sup
262 contre la maison de Habsbourg ; mais ses éléments sont épars dans les milliers de pages des Mémoires des sages et royales oe
263 nne du pluriel — vous arrivâtes, vous dîtes, vous fûtes reçu… — et qui lui racontent ainsi sa propre vie. Le plan prévoit — a
264 ant la liberté du commerce. Son mérite historique est d’avoir attaché le prestige d’un grand roi à un beau titre, « le Gran
265 nd roi à un beau titre, « le Grand Dessein », qui sera repris et invoqué par d’innombrables partisans de l’union, de William
266 citons cette phrase mémorable : « La lumière doit être apportée aux autres peuples au nom de notre patrie européenne ; et c’
267 re nous ; car, nous autres Européens, nous devons être considérés comme des voyageurs embarqués sur un seul et même navire. 
268 urs embarqués sur un seul et même navire. » (Ceci fut écrit, je le rappelle, il y a plus de trois-cents ans.) De l’Essay de
269 et agréables, et la connaissance du monde où ils sont nés », plutôt que le maniement des armes. Il demande un passeport eur
270 e que la salle des séances de la Diète européenne soit ronde, et non carrée, et percée d’autant de portes qu’il y aura de dé
271 eau : « Si le projet demeure sans exécution, ce n’ est pas qu’il soit chimérique ; c’est que les hommes sont insensés, et qu
272 projet demeure sans exécution, ce n’est pas qu’il soit chimérique ; c’est que les hommes sont insensés, et que c’est une sor
273 pas qu’il soit chimérique ; c’est que les hommes sont insensés, et que c’est une sorte de folie que d’être sage au milieu d
274 t insensés, et que c’est une sorte de folie que d’ être sage au milieu des fous. »32 Certains de ces plans devinrent célèbre
275 evinrent célèbres, comme celui de Sully, certains furent beaucoup lus, comme celui de Saint-Pierre, mais aucun n’entraîna la m
276 t Wieland croient l’Europe faite, parce qu’elle l’ est dans leurs esprits et doit donc exister en raison — et passons à la R
277 e République universelle dont la commune de Paris serait le centre omnipotent. Curieuse réplique laïque de la monarchie univer
278 te, à la différence près que cette utopie devrait être imposée au genre humain, précise Cloots, par « la guerre ! la guerre 
279 ce de l’Europe ». À cette croisade dont la devise serait « Les jacobins partout ! », répond le projet tout contraire d’un Angl
280 des grands travaux industriels — le canal de Suez sera fait par ses disciples — propose lui aussi dans son projet d’Organisa
281 e tous les gouvernements nationaux ». Saint-Simon est le véritable ancêtre du Marché commun, en ceci que, pour lui, l’union
282 ts solides ». Mais le siècle, une fois de plus, n’ est pas assez réaliste pour comprendre un message aussi précis, un messag
283 ainte-Alliance des peuples » de Béranger. Mais ce sont les États-nations qui mangeront les marrons ainsi tirés du feu par le
284 Ces trois révolutions qui n’en font qu’une, ce n’ est pas une révolution locale, c’est la révolution humaine… Après de long
285 — Les États-Unis d’Europe ! C’est trop fort. Hugo est fou. M. Molé. — Les États-Unis d’Europe ! Voilà une idée ! Quelle ext
286 us tôt, au congrès de la Paix réuni à Paris, il s’ était écrié : Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vo
287 e, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres
288 ées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par l
289 éritable arbitrage d’un grand sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la diète es
290 souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la diète est à l’Allemagne, ce que l’assemblée
291 le parlement est à l’Angleterre, ce que la diète est à l’Allemagne, ce que l’assemblée législative est à la France !… Un j
292 est à l’Allemagne, ce que l’assemblée législative est à la France !… Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immense
293 il y aura une nation extraordinaire. Cette nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre. Elle sera illustre, r
294 e nation sera grande, ce qui ne l’empêchera pas d’ être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au re
295 nde, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité
296 s Propos datés de 1912 : L’Europe, ce cimetière, est peuplée par des peuples qui chantent avant d’aller s’entretuer. Les F
297 mondiale, Paul Valéry pouvait écrire : Tout ne s’ est pas perdu, mais tout s’est senti périr… Nous autres civilisations, no
298 it écrire : Tout ne s’est pas perdu, mais tout s’ est senti périr… Nous autres civilisations, nous savons maintenant que no
299 es civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.41 L’Europe avait touché le fond, une première fois. C’es
300 les. Le temps des plans qui n’ont pas eu de suite est révolu. Désormais, tout s’enchaîne et s’entraîne : chaque pas nouveau
301 eurs pays et ils déclarent : Ces buts ne peuvent être atteints que si les divers pays du monde acceptent de dépasser le dog
302 unique organisation fédérale. La paix européenne est la clé de voûte de la paix du monde. En effet, dans l’espace d’une se
303 dans l’espace d’une seule génération, l’Europe a été l’épicentre de deux conflits mondiaux qui ont eu avant tout pour orig
304 que j’ai cités. Rien de nouveau, sinon ceci, qui est décisif : nous n’avons plus affaire à des voix isolées, à vingt ou ce
305 e le dira jamais assez. Car le congrès de La Haye est la synthèse vivante des grands motifs traditionnels d’union représent
306 , au-delà des frontières et des nationalismes. Il est remarquable que le quatrième motif, presque toujours invoqué jusque-l
307 s invoqué jusque-là, celui de la défense commune, soit totalement absent des débats et du Manifeste final47. Tout est parti
308 e sortira qu’un échec, celui de la CED, en 1954. ( Soit dit en passant : s’il était vrai que la peur de Staline et de l’impér
309 i de la CED, en 1954. (Soit dit en passant : s’il était vrai que la peur de Staline et de l’impérialisme communiste ait été,
310 ur de Staline et de l’impérialisme communiste ait été , comme on le répète, le vrai moteur de notre union, son fédérateur pa
311 , la première institution européenne acceptée eût été , eût dû être logiquement la CED : or c’est en fait la seule qui ait é
312 e institution européenne acceptée eût été, eût dû être logiquement la CED : or c’est en fait la seule qui ait été refusée.)
313 uement la CED : or c’est en fait la seule qui ait été refusée.) Voici donc ce qui s’est réalisé. La commission politique d
314 a seule qui ait été refusée.) Voici donc ce qui s’ est réalisé. La commission politique de La Haye avait demandé l’institut
315 mois plus tard, le Conseil de l’Europe et la Cour sont créés. Puis l’Assemblée (seulement consultative, hélas) est inaugurée
316 Puis l’Assemblée (seulement consultative, hélas) est inaugurée à Strasbourg. La commission économique avait demandé la cré
317 adres. Demain, l’Europe des peuples ! Tout ceci s’ est passé en une quinzaine d’années, durant lesquelles les militants de l
318 des progrès vers la fédération ! Cette impatience est nécessaire. C’est l’une des conditions vitales de l’action et de la v
319 on et de la volonté d’action. Une autre condition est de savoir où l’on va, donc de mesurer d’où l’on vient. J’ai tenté de
320 tions des plans européens qu’on trouvera plus bas sont toutes empruntées à cet ouvrage, auquel on pourra se reporter pour le
321 . 25. Le traité de Georges Podiebrad (1420-1471) fut écrit en latin, l’an 1463. Son texte est reproduit dans les mémoires
322 20-1471) fut écrit en latin, l’an 1463. Son texte est reproduit dans les mémoires de Philippe de Comines, où il est annoncé
323 t dans les mémoires de Philippe de Comines, où il est annoncé par ce titre français : Traité d’alliance et confédération en
324 condamner le projet de Podiebrad, qui d’ailleurs est anticlérical. 27. Émeric Crucé († 1648), Le Nouveau Cynée ou discour
325 sel en 1645 et la publia en 1666. La phrase citée est extraite de la « Praefatio ad Europeos ». 30. L’Essay towards the Pr
326 ay towards the Present and Future Peace of Europe fut composé de 1692 à 1694, pendant une interruption de la carrière de Wi
327 le W. Churchill fait entendre que l’Angleterre ne sera pas membre de l’Union qu’il propose : « … de ce travail urgent, la Fr
328 mpire britannique, la puissante Amérique, et j’en suis sûr, la Russie soviétique — car alors tout irait bien — doivent être
329 soviétique — car alors tout irait bien — doivent être amis et garants de la nouvelle Europe et défendre son droit à la vie 
330 nière, Neuchâtel, 1948. Le congrès de l’Europe se tint du 7 au 11 mai à La Haye, sous la présidence d’honneur (effective) de
331 ’honneur (effective) de W. Churchill, le chairman étant Duncan Sandys. Les présidents et rapporteurs des trois commissions ét
332 s présidents et rapporteurs des trois commissions étaient , pour la politique Paul Ramadier, René Courtin et R. W. G. Mackay ; p
333 prix européens, etc. Bien d’autres instituts ont été créés depuis lors.
5 1962, Les Chances de l’Europe. IV. Les nouvelles chances de l’Europe
334 Les nouvelles chances de l’Europe Donc l’Europe est en train de s’unir, nous avons vu pour quelles raisons, à la fois séc
335 la fois séculaires et modernes. Trois écoles, il est vrai, s’opposent encore quand il s’agit d’en venir à l’union politiqu
336 à la hauteur de notre vocation universelle. S’il est vrai que la fonction crée l’organe, c’est de cette vocation elle-même
337 d’un groupe ou d’une culture, c’est cela qui les tient debout, c’est cela qui leur permet de transcender leurs données natur
338 nos États ont perdu leurs empires, que l’Europe s’ est mise à s’unir. Les dates de la décolonisation successive du Proche-Or
339 de l’Inde, du Sud-Est asiatique, et de l’Afrique, sont les mêmes dates, exactement, que celles de nos premières étapes vers
340 d’eux-mêmes, idée au nom de laquelle les Alliés s’ étaient battus, et avaient conclu les traités de 1919, et ceci devait amener
341 s guerres ont fait comprendre aux Européens qu’il était temps de juguler leurs sanglants chauvinismes, et cela devait amener,
342 réveil des projets d’union. Accessoirement, il ne serait pas sans intérêt de souligner que les défaitistes européens, national
343 i soutenaient depuis cinquante ans que l’Europe n’ était riche que de l’exploitation des colonies, disaient les uns, de leur p
344 nt les uns, de leur pillage, disaient les autres, sont en train de recevoir un démenti tel que l’histoire en offre peu d’exe
345 plus contagieuses, comme le nationalisme, ils se sont mis à revendiquer les avantages de notre civilisation et la souverain
346 que de bienfaits. Mais ceci n’empêche pas qu’elle soit la seule qui ait su se rendre transportable et intégrable hors du con
347 et religieuses. Nous savons tous aussi comment s’ est opérée sa diffusion mondiale dès la Renaissance, et par quels procédé
348 dès la Renaissance, et par quels procédés, qui ne furent pas tous chrétiens ! Animés par les ambitions les plus diverses : mis
349 imes et de cupidité, d’une aventure dont le bilan est encore très loin d’être fait. Et rien ne prouve que ce bilan sera fin
350 une aventure dont le bilan est encore très loin d’ être fait. Et rien ne prouve que ce bilan sera finalement négatif : c’est
351 loin d’être fait. Et rien ne prouve que ce bilan sera finalement négatif : c’est en somme celui du Progrès, selon les conce
352 cent l’Occident. Nulle autre civilisation n’avait été mondiale de cette manière. Là-dessus, l’historien Toynbee m’arrête :
353 mettre à l’abri de ce genre d’illusion. La Terre est connue désormais dans toutes ses dimensions physiques, nous ne pouvon
354 ’erreurs de cette taille ; son histoire également est explorée dans toutes ses grandes lignes, et l’archéologie occidentale
355 sif de cette « européisation » de la planète ? Il est difficile d’en juger, puisque le retrait s’achève à peine. Mais tous
356 ibérées. Le retrait des Anglais de l’Inde n’a pas été suivi par le rejet du parlementarisme britannique, aussitôt adopté te
357 t bien plus anglaise, donc plus occidentale que n’ était l’Inde colonisée. Elle a peut-être tort, mais c’est ainsi. En Afrique
358 rend plus le français dans ces pays parce qu’on y est obligé, mais parce qu’on a besoin de cette langue, qu’elle est devenu
359 ais parce qu’on a besoin de cette langue, qu’elle est devenue un facteur de cohésion nationale, qu’elle constitue en outre
360 teurs civils et militaires s’en aillent, pour que soit décrétée l’adoption immédiate de mesures politiques et sociales, hygi
361 ième grand fait : nos idéaux et nos pratiques ont été diffusés en désordre, sans aucun plan, sans nulle sagesse régulatrice
362 ésulte deux séries de conséquences qui risquent d’ être aussi fâcheuses pour nous, Européens, que pour les peuples du tiers-m
363 tiers-monde. Fâcheuses pour nous d’abord. Car il est évident que notre civilisation ne s’est rendue assimilable et transpo
364 d. Car il est évident que notre civilisation ne s’ est rendue assimilable et transportable qu’au prix d’une périlleuse disjo
365 t pas les scrupules et la mauvaise conscience qui étaient le fait des élites européennes pendant les derniers temps de la colon
366 à court terme, il peut sembler que leurs chances soient meilleures que les nôtres. Le tiers-monde les accueille sans méfiance
367 ne assez bonne liste de nos vices, tels qu’ils se sont manifestés, du moins à partir des débuts de l’ère industrielle. Il se
368 ins à partir des débuts de l’ère industrielle. Il serait trop facile de répondre à ceux qui nous tiennent ce langage : pourquo
369 Il serait trop facile de répondre à ceux qui nous tiennent ce langage : pourquoi n’avez-vous pas adopté nos vertus, dont la list
370 n’avez-vous pas adopté nos vertus, dont la liste est aussi facile à faire ? Et pourquoi nous imitez-vous, en général ? Pou
371 et pas du tout nos missionnaires ? Cette réponse serait trop facile, car nous sommes largement responsables des erreurs que c
372 ires ? Cette réponse serait trop facile, car nous sommes largement responsables des erreurs que commet le tiers-monde quand il
373 e commet le tiers-monde quand il nous juge. Ce ne sont pas nos meilleurs représentants, les plus conscients des vraies valeu
374 ct ni pour leurs cultures ni pour la nôtre. Telle est la situation concrète de l’Europe dans le monde actuel. Je la résume 
375 esponsabilités mondiales. La question qui se pose est dès lors la suivante : l’Europe va-t-elle être évincée par ses produi
376 ose est dès lors la suivante : l’Europe va-t-elle être évincée par ses produits les plus vendables, par ses slogans les plus
377 itants ou exploiteurs, plus efficaces ? Va-t-elle être évincée du tiers-monde par ses vices, au détriment de ses valeurs aut
378 persuadé nos élites comme nos masses que l’Europe est une pauvre chose écrasée entre deux colosses. Cette conviction, ou ce
379 ’Occident ; et nous autres, peuple du noyau, nous serons trop dégradés, trop avilis, pour savoir autrement que par une vague e
380 une vague et stupide tradition, ce que nous avons été .52 En 1847, Sainte-Beuve résume ainsi l’opinion de l’historien Adol
381 tre jeunesse, c’est l’Amérique… L’avenir du monde est là, entre ces deux grands mondes.53 Et vingt autres ainsi, y compri
382 rasée entre les deux colosses encore à venir. Ils sont là. Mesurons leur taille réelle. J’ai inventé un petit jeu graphique,
383 oite 22 carrés, et celui du milieu 43 carrés : il est donc à lui seul plus grand que les deux autres additionnés. Question 
384 raphique les qualités humaines de l’Européen, qui est encore le meilleur ouvrier, le meilleur philosophe et le meilleur art
385 ophe et le meilleur artiste — vous avouerez qu’il est au moins curieux que l’Europe se sente écrasée entre deux colosses pl
386 e en montant l’un sur l’autre et qui, au surplus, sont très loin d’additionner leurs forces contre nous : ils sont plutôt ri
387 loin d’additionner leurs forces contre nous : ils sont plutôt rivaux, et l’un est notre allié. Mais vous me direz que la pui
388 ces contre nous : ils sont plutôt rivaux, et l’un est notre allié. Mais vous me direz que la puissance réelle de l’Europe n
389 us me direz que la puissance réelle de l’Europe n’ est pas à proportion de sa population ? C’est exact, en ce sens que, par
390 celle de l’Europe. Mais le rythme d’accroissement est beaucoup plus rapide en Europe qu’aux États-Unis. Et quant aux chiffr
391 a quantité. Pour la qualité, l’évaluation précise est évidemment plus malaisée. Voici cependant un exemple chiffré, et qui
392 : 855. Mais vous me direz encore : « Ces chiffres sont abstraits ! Je persiste à me sentir écrasé… » C’est vrai ! C’est que
393 n petit État de 5, de 10 ou de 50 millions, qui n’ est plus à l’échelle du monde nouveau. C’est que l’Europe unie n’est pas
394 helle du monde nouveau. C’est que l’Europe unie n’ est pas faite et qu’il faut donc absolument la faire, pour que notre capa
395 re conscience. L’Europe a tout ce qu’il faut pour être encore la première puissance de la Terre, non par ses dimensions mais
396 science de cette vocation assumée par ceux qui en sont les responsables — et d’autre part de la puissance d’autres cultures
397 ’Europe en train de s’unir, et les États-Unis. Il est courant d’entendre dire que l’Occident est en pleine décadence morale
398 is. Il est courant d’entendre dire que l’Occident est en pleine décadence morale, et surtout qu’il n’a plus d’idéal à oppos
399 s d’entraîner le monde et de lui rendre un idéal, sont celles que représente le communisme russe. Je demande à voir — et je
400 e demande à voir — et je ne vois rien de neuf. Qu’ est -ce au total que le communisme soviétique ? Un mélange de 50 % de trad
401 us ou moins fidèlement appliqué. Or le marxisme n’ est tout de même pas d’invention russe. Ce n’est pas Popov qui l’a créé,
402 me n’est tout de même pas d’invention russe. Ce n’ est pas Popov qui l’a créé, mais c’est Karl Marx. Et qui était Karl Marx 
403 Popov qui l’a créé, mais c’est Karl Marx. Et qui était Karl Marx ? Un juif allemand, dont le père s’était fait protestant, e
404 tait Karl Marx ? Un juif allemand, dont le père s’ était fait protestant, et qui écrivait en Angleterre des articles pour le N
405 ni de nombreux chapitres de Das Kapital 57.) Marx est l’un des produits les plus typiques des débats philosophiques, théolo
406 définissent l’esprit européen au xixe siècle. Ce sont donc des valeurs qui nous sont propres que les Russes nous renvoient
407 u xixe siècle. Ce sont donc des valeurs qui nous sont propres que les Russes nous renvoient aujourd’hui, fort simplifiées e
408 leurs, sous le nom de marxisme dialectique. Qu’en serait -il alors d’un autre successeur, hypothétique, reprenant de nos mains
409 a nôtre, foncièrement différente de la nôtre, qui serait mieux capable que nous d’exercer la fonction planétaire unifiante qui
410 us d’exercer la fonction planétaire unifiante qui sera désormais, dans l’ère technique, l’obligation première d’une civilisa
411 ans qu’elle fera mieux que l’Amérique — laquelle est , après tout, une création de l’Europe ! Le cycle se referme, nous ram
412 crimes d’un passé récent dont le tiers-monde nous tient pour responsables. Car cette faiblesse, je l’ai montré, ne traduit ri
413 duit rien qu’une division de nos forces — et nous sommes en bon train de les unir — mai non pas une absence de force potentiel
414 absence de force potentielle. Et ces crimes, qui furent ceux de nos nationalismes, du racisme, et dans une certaine mesure du
415 t que seules les techniques qu’elle a su inventer sont en mesure de les entretenir. L’Europe reste le cœur de tout système d
416 celui de l’URSS. La vocation mondiale de l’Europe est inscrite dans des faits de ce genre : nos exportations représentent à
417 5 % au maximum de leur produit national. Le monde est vital pour l’Europe, il ne l’est guère pour les États-Unis, bien moin
418 tional. Le monde est vital pour l’Europe, il ne l’ est guère pour les États-Unis, bien moins encore pour la Russie actuelle.
419 nt aux échanges culturels, voire spirituels, il m’ est permis de vous en parler en praticien : tout désigne l’Europe pour le
420 et parfois surtout, différentes des nôtres : ce n’ est point par hasard que l’Europe a créé l’ethnographie et l’archéologie,
421 apporte une aide puissante, mais les initiatives sont venues de l’Europe, et c’est vers elle, naturellement, que je vois se
422 s entre elles. Équilibrer les créations humaines est le second aspect de la vocation de l’Europe. Équilibrer technique et
423 s formes d’équilibre entre les extrêmes, que j’ai été amené à citer en touchant les domaines les plus divers de l’existence
424 au troisième verbe typique de notre vocation, qui est fédérer. Défendre et illustrer le fédéralisme, c’est peut-être la plu
425 st peut-être la plus grande tâche dont l’Occident soit responsable à l’égard du tiers-monde comme de lui-même. Car c’est l’E
426 et finalement des dictatures totalitaires qui en sont l’aboutissement logique dans notre siècle, c’est l’attitude et la pra
427 des droits « souverains » qu’aucun de nos pays n’ est plus en mesure d’exercer à lui seul, dans le monde actuel. La vocatio
428 , dans cette génération, si l’Europe, d’où le mal est venu, réussit à s’unir librement, achevant ainsi son aventure et fais
429 sant. Le nouvel idéal que réclame la jeunesse, il est là, dans l’Europe fédérée, modèle mondial. Le temps n’est plus de dou
430 dans l’Europe fédérée, modèle mondial. Le temps n’ est plus de douter sans vergogne de nos valeurs occidentales. Au contrair
431 nos valeurs occidentales. Au contraire, le temps est venu de les prendre nous-mêmes au sérieux. Nous n’avons simplement pa
432 t, par un tardif et impuissant mea culpa. Nous ne sommes pas seuls en cause dans cette affaire. Nous sommes pour les autres un
433 ommes pas seuls en cause dans cette affaire. Nous sommes pour les autres un espoir, qu’il s’agit de ne pas frustrer. Et je con
434 pas frustrer. Et je conclus. L’avenir de l’Europe est gagé sur de grands faits géoéconomiques d’une portée désormais mondia
435 t de l’esprit, agissant par nos mains. Le temps n’ est plus pour nous de chercher anxieusement à deviner le cours prochain d
436 ain de notre histoire : c’est à la faire que nous sommes appelés. 49. En 1916, Lénine déclarait, dans L’Impérialisme, stade
437 isme, stade suprême du capitalisme, que la Russie était la deuxième puissance coloniale du monde par la superficie de son emp
438 té de première puissance coloniale du monde. Elle sera bientôt, aussi, quoique dans un autre sens, la seule et dernière. 50
439 ngrès que la Fondation européenne de la culture a tenu en avril 1962 à Bruxelles, dans Caractère et culture de l’Europe, n° 
440 1953. — Georges Sorel disait en 1908 : « L’Europe est par excellence la terre des cataclysmes guerriers… Elle n’a pas de ch
441 te ans plus tard, J.-P. Sartre écrit : « L’Europe est foutue… Elle est en grand danger de crever… Elle fait eau de toutes p
442 J.-P. Sartre écrit : « L’Europe est foutue… Elle est en grand danger de crever… Elle fait eau de toutes parts… C’est la fi
443 deux grands peuples… chacun d’eux semble appelé à tenir un jour dans ses mains les destinées de la moitié du monde. »), cf. p
444 ffres de population donnés pour les USA et l’URSS sont de 179,5 et de 220 millions. 55. Cf. Léo Moulin, « La nationalité de
445 cation des esprits : « Ici, les esprits eux-mêmes sont tirés au cordeau… Ici mentir c’est protéger la société, dire la vérit
446 le New York Herald Tribune — de 1851 à 1861, ont été réédités en 1897 sous le titre The Eastern Question, et viennent de f
6 1962, Les Chances de l’Europe. Appendice : Sartre contre l’Europe
447 répondre à la violente attaque contre l’Europe qu’ est la préface de J.-P. Sartre au livre de Frantz Fanon, Les Damnés de la
448 ’Europe unie. À les entendre, on croirait qu’elle est faite. La candidature anglaise au Marché commun les a subitement aler
449 mière étape d’une organisation mondiale dont elle serait à la fois le centre d’animation et l’organe d’équilibre. Je reviens e
450 » — comme disait Æneas Silvius au xve siècle. Qu’ est -ce qu’on y écrit sur ce sujet ? Je trouve plusieurs dizaines d’ouvrag
451 contredit tout le reste. Il proclame que l’Europe est « foutue », qu’elle est « en grand danger de crever », qu’elle « agon
452 Il proclame que l’Europe est « foutue », qu’elle est « en grand danger de crever », qu’elle « agonise », qu’elle « fait ea
453  », qu’elle « fait eau de toutes parts », qu’elle est « au plus bas », que « c’est la fin » et que nous voici tous « enchaî
454 us « enchaînés, humiliés, malades de peur ». Ce n’ est pas un expert, esclave des faits, qui nous dit cela, mais un éloquent
455 nom du raisonnement suivant : tous les Européens sont complices du colonialisme criminel ; donc cette lecture leur fera hon
456 sant, « ils font l’histoire de l’homme », et nous serons ainsi du bon côté. Je n’invente pas : je cite et je condense cette di
457 des guerres. Ce nouveau plan de paix perpétuelle est fait pour éblouir par sa logique brutale certaine jeunesse dégoûtée d
458 tre la cite et il ajoute, impressionné : « Ce ton est neuf ». Moi, ce qui m’impressionne, ce n’est pas le ton, guère plus n
459 ton est neuf ». Moi, ce qui m’impressionne, ce n’ est pas le ton, guère plus neuf que la propagande communiste depuis une q
460 nées, mais c’est le contenu de la phrase : tout y est faux. La colonisation par les Blancs n’a pas duré « des siècles » en
461 dixièmes du continent. Cette colonisation n’a pas été faite « au nom d’une prétendue aventure spirituelle » — nullement « p
462 pour d’autres raisons plus grossières, et qui ne sont pas toutes honteuses pour nous. La première et la plus importante éta
463 uses pour nous. La première et la plus importante étant tout simplement un état de fait que l’Europe n’avait pas créé, et qui
464 cles d’immobilité ou de continuelle décadence. Qu’ est -ce que l’Europe a « étouffé » dans le tiers-monde colonisé ? (Qui est
465 a « étouffé » dans le tiers-monde colonisé ? (Qui est fort loin de représenter « la quasi-totalité de l’humanité », mais un
466 si l’état du pays : Le sol, extrêmement fertile, est couvert de forêts. Malheureusement, l’industrie et l’agriculture sont
467 ts. Malheureusement, l’industrie et l’agriculture sont étouffées par l’effrayant despotisme auquel le pays est soumis. Le ro
468 ouffées par l’effrayant despotisme auquel le pays est soumis. Le roi, qui est l’objet d’une espèce d’adoration, se signale
469 despotisme auquel le pays est soumis. Le roi, qui est l’objet d’une espèce d’adoration, se signale par d’horribles sacrific
470 ’a pas 1 million d’habitants, dont 20 000 à peine sont libres. La France y a un établissement sur la côte. La colonisation
471 plus de 2 millions d’habitants, dont le président est reçu en grande pompe à l’Élysée en 1961. Je laisse à MM. Sartre et Fa
472 le royaume de Ghana et l’empire du Mali n’ont pas été détruits par les Arabes almoravides puis par les sultans marocains, m
473 aits et leur passion veut la mort du pécheur, qui est uniquement l’Européen, comme chacun sait. La vérité, selon les faits
474 onalisme et la fureur idéologique, ces peuples se sont mis à revendiquer les avantages de notre civilisation et la souverain
475 elles ont, l’une après l’autre, « décroché ». Qu’ est -il advenu de l’Europe considérée dans son ensemble ? L’Europe est li
476 l’Europe considérée dans son ensemble ? L’Europe est littéralement la création du tiers-monde, écrit Fanon. Ses richesses
477 que : or, métaux, pétrole, caoutchouc. (Le paysan serait -il la création de sa terre et des richesses qu’elle contient ?) Sartr
478 mme qu’en fabriquant des esclaves ». (Eh quoi ! n’ était -il pas humain avant le xvie siècle !) En quittant le tiers-monde, l’
479 n ? Les adversaires du colonialisme auraient donc été les avocats du suicide de l’Europe ? Mais au nom de quelles valeurs p
480 e aussitôt une prospérité stupéfiante. L’Europe n’ est pas « finie », n’en déplaise à nos furieux, mais elle commence à pein
481 isme — d’ailleurs emprunté à l’Europe. Mais qu’en est -il de Sartre en cette lugubre affaire ? Il nous faut expliquer l’anac
482 re notre nation » voudrait-on lui répéter et ce n’ est pas ma faute si cette phrase est de Michel Debré dans son Projet de p
483 répéter et ce n’est pas ma faute si cette phrase est de Michel Debré dans son Projet de pacte pour une union des États d’E
484 rder, Fichte, Bentham. À l’encontre de Hegel, qui tenait l’Europe pour « la vraie fin de l’histoire », et d’Auguste Comte qui
485 onde, devant la crise morale de l’URSS, l’heure n’ est pas de cracher sur nos valeurs, mais de les prendre nous-mêmes au sér
486 s devons offrir au monde et à nos fils, non, ce n’ est pas notre mauvaise conscience, notre rage autopunitive ou l’alliance
487 x qui perdront la face aux yeux de l’histoire, ce seront ceux qui auront dit que l’Europe était finie, quand il s’agissait de
488 toire, ce seront ceux qui auront dit que l’Europe était finie, quand il s’agissait de la faire.