1
I. « Toute culture
est
création de diversité » J’aime beaucoup les anniversaires. Ils nous
2
prises de conscience renouvelées de ce qu’ils ont
été
et de ce que l’on attend d’eux. L’anniversaire qui nous réunit aujour
3
u’il m’offre l’occasion — et l’honneur, auquel je
suis
très sensible — de vous entretenir d’un sujet qui depuis bien des ann
4
beaucoup craignent que cette union de l’Europe ne
soit
acquise qu’au prix d’une uniformisation de nos cultures diverses et d
5
poserait pour arriver à ces fins criminelles, qui
étaient
plutôt si je ne me trompe, celles d’un Staline, ou d’un Hitler, avec
6
françaises successives, non seulement n’a jamais
été
proposée par personne, par aucun des promoteurs de l’union de nos pay
7
États (vrai nom de « l’Europe des patries »), ce
serait
pratiquement un système d’alliances entre les grands pays qui se dise
8
Car ces nations qui se disent encore « grandes »,
sont
en réalité déjà trop petites pour assurer dorénavant à elles seules l
9
ou leur prospérité économique, c’est-à-dire pour
être
effectivement souveraines, tandis qu’elles sont trop grandes pour ass
10
r être effectivement souveraines, tandis qu’elles
sont
trop grandes pour assurer encore la vitalité culturelle de leurs régi
11
core la vitalité culturelle de leurs régions : ce
sont
elles que l’on peut accuser, à bon droit, d’avoir délibérément unifor
12
éservé l’autonomie de ses vingt-deux cantons, qui
étaient
et sont encore, selon la Constitution, vingt-deux États souverains ;
13
tonomie de ses vingt-deux cantons, qui étaient et
sont
encore, selon la Constitution, vingt-deux États souverains ; ils se s
14
onstitution, vingt-deux États souverains ; ils se
sont
librement fédérés pour créer une force commune, après des siècles de
15
les de dissensions et de guerres civiles. Ils ont
été
sauvés par leur union, et non pas uniformisés. Eh bien, pour nos État
16
h bien, pour nos États européens, qui se trouvent
être
au nombre de vingt-cinq, comme nos cantons et demi-cantons, cette for
17
u encore des universités autonomes, comme elles l’
étaient
toutes aux origines de notre culture commune, Padoue, Bologne, la Sor
18
la Sorbonne, Oxford, Coimbra ou Cracovie. Or s’il
est
vrai que la vitalité de notre culture dépend de celle de ces foyers l
19
ée souffre au xxe siècle du double désavantage d’
être
à la fois trop petite et trop grande, la formule fédérale offrirait à
20
conservant les bénéfices sociaux et culturels qui
sont
ceux du petit État. Elle offrirait ainsi à nos régions et foyers foca
21
e suisse — à mesure que les frontières nationales
seront
dévalorisées (comme elles le sont déjà, progressivement, entre les Si
22
es nationales seront dévalorisées (comme elles le
sont
déjà, progressivement, entre les Six du Marché commun), les régions s
23
de vue de la culture en Europe. Car toute culture
est
création de diversité, de différences de niveau, toute culture est lu
24
iversité, de différences de niveau, toute culture
est
lutte permanente contre ce que les physiciens ont baptisé la loi de l
25
s énergies les plus hautes en simple chaleur, qui
est
la forme la plus basse de l’énergie, et qui entraîne ainsi le cosmos
26
nciateur de la fin. Toute culture digne de ce nom
est
une victoire sur l’entropie, sur l’uniformité des goûts et des couleu
27
mêmes émotions télécommandées, et cela quels que
soient
leur milieu, leur éducation, leurs croyances, leur condition sociale,
28
idée des forces de malaxage moral et affectif qui
sont
à l’œuvre dans notre société occidentale. Ah certes ! ce n’est pas le
29
dans notre société occidentale. Ah certes ! ce n’
est
pas le Marché commun qui aura jamais un tel pouvoir sur nos désirs, n
30
exes ! Et notez bien que je ne me plains pas — ce
serait
d’ailleurs tout à fait vain — des moyens que la technique moderne met
31
nstances réelles dans lesquelles chacun vit — qui
sont
locales, nécessairement, ou régionales. La TV actuellement au service
32
ent dans les manuels parisiens que leurs ancêtres
étaient
gaulois et blonds. Et l’on sait ce qu’a produit ce système : le titre
33
e désert français. Les régions, jadis créatrices,
sont
devenues la province, synonyme de l’ennui et de la médiocrité sans es
34
importe ses dimensions, ou mieux vaut qu’elles ne
soient
pas trop vastes — d’une région qui possède, comme le dit Valéry dans
35
omme le vôtre — comme le nôtre dirai-je, car j’en
suis
membre.
36
le. Il me paraît utile, pour nous tous — car nous
sommes
tous fédéralistes, je pense, tout au moins à l’échelle du canton et d
37
enracinement local, des racines que tout individu
serait
censé plonger dans un terroir natal, sous peine de devenir un affreux
38
l’offre et de la demande. Toute une littérature s’
est
développée autour de cette notion de racines, d’enracinement, et cont
39
’abord, une observation tout à fait simple : s’il
est
vrai que la culture au sens actuel dérive son nom de l’agriculture, c
40
e de la culture des produits de la terre, il n’en
est
pas moins vrai que son progrès consiste à dépasser ce stade humain de
41
e ». Sans aller jusqu’au paradoxe, je crois qu’il
est
loisible d’affirmer que nous ne tenons pas nos valeurs culturelles de
42
e crois qu’il est loisible d’affirmer que nous ne
tenons
pas nos valeurs culturelles de la terre, du terroir natal, mais plutô
43
s sciences, ou les styles majeurs de nos arts, ne
sont
pas des produits tirés de notre sol par le moyen de racines imaginair
44
n de racines imaginaires ou symboliques. Ils nous
sont
venus de loin, portés par de grands vents qui ont fait le tour du con
45
ontinent, et parfois de la terre entière. L’homme
est
un animal, et non pas un légume ! Il est nomade, depuis Adam, c’est s
46
L’homme est un animal, et non pas un légume ! Il
est
nomade, depuis Adam, c’est sa nature, « errant et voyageur sur la ter
47
nature, « errant et voyageur sur la terre », qui
est
à la fois le lieu de son exil et sa patrie partout où il ira, comme d
48
er que le légume qui a la plus grosse racine, qui
est
tout racine, pourrait-on dire, est justement celui qui a la pire répu
49
se racine, qui est tout racine, pourrait-on dire,
est
justement celui qui a la pire réputation en littérature : le navet. L
50
art pour y réaliser ce qu’elle apporte, mais ce n’
est
pas dans un terroir physique, c’est dans certains milieux humains, et
51
dans un milieu qui les attend, qui les accueille.
Serait
-ce à cause de la nature de son sol et de son terroir ? Non, c’est à c
52
le génie du lieu. La région de Sienne, dira-t-on,
est
un paysage qui porte à peindre. Mais si l’une des couleurs de la pale
53
es qui ont illustré cette petite ville, et qui ne
sont
pas nés d’un paysage, mais de la rencontre de maîtres errants, d’infl
54
ruire du gothique : c’est après coup que le terme
est
apparu, pour désigner (d’ailleurs en dérision) l’admirable école fran
55
ntre, Cézanne, tandis que les van Loo, avant lui,
étaient
venus de la Hollande par accident, et ne se fixèrent pas à Aix, mais
56
eux peintres qui vivent près d’Aix de nos jours y
sont
attirés par le souvenir de Cézanne, et par le climat. Et puis, la pei
57
lvinistes, dans le cas typique de Rembrandt. Ce n’
est
pas dans la terre, dans les racines, ni dans les éléments physiques,
58
pensée qui ont illustré notre culture européenne
sont
tous nés aux points d’intersection de grands courants européens et de
59
le romantisme, le symbolisme et l’existentialisme
sont
des phénomènes internationaux par excellence, comme le gothique ou le
60
othique ou le baroque. Le nationalisme lui-même n’
est
pas lié au fait national, puisqu’il a sévi en même temps dans les plu
61
tout neufs et à peine finis du tiers-monde. Or ce
sont
bel et bien ces grands courants d’idées qui ont nourri la vie culture
62
saveur particulières, à certaines époques. Qu’en
est
-il, dans ces conditions, de l’expression devenue courante : Rester so
63
e : Rester soi-même ? La question qui se pose ici
est
si simple qu’elle est difficile à résoudre : à quel moment de l’histo
64
La question qui se pose ici est si simple qu’elle
est
difficile à résoudre : à quel moment de l’histoire serions-nous deven
65
ifficile à résoudre : à quel moment de l’histoire
serions
-nous devenus « nous-mêmes » une fois pour toutes ? Quel nous-mêmes, e
66
, où faut-il s’arrêter avec l’intention de nous y
tenir
? Aux nobles troubadours de Grandson et de Neuchâtel ? À Guillaume Te
67
Grandson et de Neuchâtel ? À Guillaume Tell, qui
est
très probablement un personnage mythique, et qui n’est sûrement pas d
68
rès probablement un personnage mythique, et qui n’
est
sûrement pas de nos ancêtres ? À la chronique apocryphe dite des Chan
69
it rien, en principe. Car à partir de quel moment
est
-on soi-même ? 2 ans ? 15 ans ? 25 ans ? 60 ans ? On loue parfois un é
70
ligne : encore faut-il qu’à un certain moment il
soit
devenu quelqu’un — lui-même. Mais était-ce alors suffisant ? N’a-t-il
71
moment il soit devenu quelqu’un — lui-même. Mais
était
-ce alors suffisant ? N’a-t-il pas le droit et le devoir d’aller plus
72
enir chaque jour, un peu moins mal, ce qu’il peut
être
? S’il ne bouge pas, on dit à juste titre qu’il se répète, qu’il est
73
pas, on dit à juste titre qu’il se répète, qu’il
est
« fini ». Ainsi en va-t-il d’une culture — nationale, régionale, cant
74
c’est de la prolonger et non de la singer. Elle a
été
créée ? Il faut créer plus loin. La vraie question qui se pose aux cr
75
ux créateurs de la culture et de ses moyens, ce n’
est
donc pas de rester nous-mêmes, mais bien de devenir nous-mêmes, selon
76
ietzsche : Werde, was du bist ! Deviens ce que tu
es
. Avec quoi nous passons aux aspects positifs et créateurs des express
77
es racines, j’oppose celle de l’implantation, qui
est
une action délibérée de l’homme, et non pas un destin subi. On peut s
78
t un trait fondamental de notre État fédéraliste.
Étant
citoyen d’une commune après une bonne douzaine d’années de séjour on
79
après une bonne douzaine d’années de séjour on l’
est
du même coup d’un canton, c’est-à-dire d’un État souverain, membre de
80
ion, de signification. Le but final de la culture
est
, en effet, de donner un sens à la vie, plus de sens à la vie de plus
81
et d’abord de chacun de nous, et ce sens ne peut
être
abstrait. De même que l’on ne peut devenir un Suisse en général, mais
82
enir un Suisse en général, mais seulement si l’on
est
d’une commune, de même on ne saurait être un bon Européen, un bon par
83
si l’on est d’une commune, de même on ne saurait
être
un bon Européen, un bon participant de cette unité grandiose dans la
84
é grandiose dans la richesse de ses diversités qu’
est
la culture européenne, si l’on n’est pas d’abord de quelque part. Tou
85
iversités qu’est la culture européenne, si l’on n’
est
pas d’abord de quelque part. Tout de même qu’il faut produire quelque
86
ncret, de vendable et de bien défini si l’on veut
tenir
sa place sur le marché. Tout de même qu’il faut trouver sa vocation s
87
C’est au sein de la personne, au plus intime de l’
être
de chaque individu qu’inquiète une vocation — il l’entrevoit, il la r
88
sons Dieu. » Avec cela, je pourrais dire que tout
est
dit. Baissons un peu le ton, rapprochons-nous des humbles conditions
89
L’originalité d’une existence culturelle locale n’
est
pas un but en soi, et ne saurait être une préoccupation première. On
90
lle locale n’est pas un but en soi, et ne saurait
être
une préoccupation première. On ne peut exiger de chaque petite cité d
91
uvres comparables à celles des plus grandes — qui
étaient
plus petites par le nombre — Florence, Sienne, Assise, Bruges, Gand,
92
ont prime sur le marché mondial. Je crois qu’elle
tient
bien plus encore à la densité culturelle, aux facultés d’accueil et d
93
ants en tous domaines, et souvent à tous risques,
fût
-ce au risque majeur qui est celui d’être désintéressé. Ce sont les co
94
uvent à tous risques, fût-ce au risque majeur qui
est
celui d’être désintéressé. Ce sont les conditions de base d’une vraie
95
risques, fût-ce au risque majeur qui est celui d’
être
désintéressé. Ce sont les conditions de base d’une vraie culture. Que
96
sque majeur qui est celui d’être désintéressé. Ce
sont
les conditions de base d’une vraie culture. Que faut-il pour les réal
97
sité de Neuchâtel l’enseignement direct (car nous
étions
très peu nombreux) : un Max Niedermann, un Arnold Reymond, un Alfred
98
is pour l’Exposition nationale de 1939, celle qui
fut
interrompue par la guerre. Mon ami Arthur Honegger, sur ma demande, e
99
n touche par le cœur, par la sagesse du cœur, qui
est
la vraie culture.