1 1965, Fédéralisme culturel (1965). I. « Toute culture est création de diversité »
1 I. « Toute culture est création de diversité » J’aime beaucoup les anniversaires. Ils nous
2 prises de conscience renouvelées de ce qu’ils ont été et de ce que l’on attend d’eux. L’anniversaire qui nous réunit aujour
3 u’il m’offre l’occasion — et l’honneur, auquel je suis très sensible — de vous entretenir d’un sujet qui depuis bien des ann
4 beaucoup craignent que cette union de l’Europe ne soit acquise qu’au prix d’une uniformisation de nos cultures diverses et d
5 poserait pour arriver à ces fins criminelles, qui étaient plutôt si je ne me trompe, celles d’un Staline, ou d’un Hitler, avec
6 françaises successives, non seulement n’a jamais été proposée par personne, par aucun des promoteurs de l’union de nos pay
7 États (vrai nom de « l’Europe des patries »), ce serait pratiquement un système d’alliances entre les grands pays qui se dise
8 Car ces nations qui se disent encore « grandes », sont en réalité déjà trop petites pour assurer dorénavant à elles seules l
9 ou leur prospérité économique, c’est-à-dire pour être effectivement souveraines, tandis qu’elles sont trop grandes pour ass
10 r être effectivement souveraines, tandis qu’elles sont trop grandes pour assurer encore la vitalité culturelle de leurs régi
11 core la vitalité culturelle de leurs régions : ce sont elles que l’on peut accuser, à bon droit, d’avoir délibérément unifor
12 éservé l’autonomie de ses vingt-deux cantons, qui étaient et sont encore, selon la Constitution, vingt-deux États souverains ;
13 tonomie de ses vingt-deux cantons, qui étaient et sont encore, selon la Constitution, vingt-deux États souverains ; ils se s
14 onstitution, vingt-deux États souverains ; ils se sont librement fédérés pour créer une force commune, après des siècles de
15 les de dissensions et de guerres civiles. Ils ont été sauvés par leur union, et non pas uniformisés. Eh bien, pour nos État
16 h bien, pour nos États européens, qui se trouvent être au nombre de vingt-cinq, comme nos cantons et demi-cantons, cette for
17 u encore des universités autonomes, comme elles l’ étaient toutes aux origines de notre culture commune, Padoue, Bologne, la Sor
18 la Sorbonne, Oxford, Coimbra ou Cracovie. Or s’il est vrai que la vitalité de notre culture dépend de celle de ces foyers l
19 ée souffre au xxe siècle du double désavantage d’ être à la fois trop petite et trop grande, la formule fédérale offrirait à
20 conservant les bénéfices sociaux et culturels qui sont ceux du petit État. Elle offrirait ainsi à nos régions et foyers foca
21 e suisse — à mesure que les frontières nationales seront dévalorisées (comme elles le sont déjà, progressivement, entre les Si
22 es nationales seront dévalorisées (comme elles le sont déjà, progressivement, entre les Six du Marché commun), les régions s
23 de vue de la culture en Europe. Car toute culture est création de diversité, de différences de niveau, toute culture est lu
24 iversité, de différences de niveau, toute culture est lutte permanente contre ce que les physiciens ont baptisé la loi de l
25 s énergies les plus hautes en simple chaleur, qui est la forme la plus basse de l’énergie, et qui entraîne ainsi le cosmos
26 nciateur de la fin. Toute culture digne de ce nom est une victoire sur l’entropie, sur l’uniformité des goûts et des couleu
27 mêmes émotions télécommandées, et cela quels que soient leur milieu, leur éducation, leurs croyances, leur condition sociale,
28 idée des forces de malaxage moral et affectif qui sont à l’œuvre dans notre société occidentale. Ah certes ! ce n’est pas le
29 dans notre société occidentale. Ah certes ! ce n’ est pas le Marché commun qui aura jamais un tel pouvoir sur nos désirs, n
30 exes ! Et notez bien que je ne me plains pas — ce serait d’ailleurs tout à fait vain — des moyens que la technique moderne met
31 nstances réelles dans lesquelles chacun vit — qui sont locales, nécessairement, ou régionales. La TV actuellement au service
32 ent dans les manuels parisiens que leurs ancêtres étaient gaulois et blonds. Et l’on sait ce qu’a produit ce système : le titre
33 e désert français. Les régions, jadis créatrices, sont devenues la province, synonyme de l’ennui et de la médiocrité sans es
34 importe ses dimensions, ou mieux vaut qu’elles ne soient pas trop vastes — d’une région qui possède, comme le dit Valéry dans
35 omme le vôtre — comme le nôtre dirai-je, car j’en suis membre.
2 1965, Fédéralisme culturel (1965). II. « Devenons nous-mêmes ! »
36 le. Il me paraît utile, pour nous tous — car nous sommes tous fédéralistes, je pense, tout au moins à l’échelle du canton et d
37 enracinement local, des racines que tout individu serait censé plonger dans un terroir natal, sous peine de devenir un affreux
38 l’offre et de la demande. Toute une littérature s’ est développée autour de cette notion de racines, d’enracinement, et cont
39 ’abord, une observation tout à fait simple : s’il est vrai que la culture au sens actuel dérive son nom de l’agriculture, c
40 e de la culture des produits de la terre, il n’en est pas moins vrai que son progrès consiste à dépasser ce stade humain de
41 e ». Sans aller jusqu’au paradoxe, je crois qu’il est loisible d’affirmer que nous ne tenons pas nos valeurs culturelles de
42 e crois qu’il est loisible d’affirmer que nous ne tenons pas nos valeurs culturelles de la terre, du terroir natal, mais plutô
43 s sciences, ou les styles majeurs de nos arts, ne sont pas des produits tirés de notre sol par le moyen de racines imaginair
44 n de racines imaginaires ou symboliques. Ils nous sont venus de loin, portés par de grands vents qui ont fait le tour du con
45 ontinent, et parfois de la terre entière. L’homme est un animal, et non pas un légume ! Il est nomade, depuis Adam, c’est s
46 L’homme est un animal, et non pas un légume ! Il est nomade, depuis Adam, c’est sa nature, « errant et voyageur sur la ter
47 nature, « errant et voyageur sur la terre », qui est à la fois le lieu de son exil et sa patrie partout où il ira, comme d
48 er que le légume qui a la plus grosse racine, qui est tout racine, pourrait-on dire, est justement celui qui a la pire répu
49 se racine, qui est tout racine, pourrait-on dire, est justement celui qui a la pire réputation en littérature : le navet. L
50 art pour y réaliser ce qu’elle apporte, mais ce n’ est pas dans un terroir physique, c’est dans certains milieux humains, et
51 dans un milieu qui les attend, qui les accueille. Serait -ce à cause de la nature de son sol et de son terroir ? Non, c’est à c
52 le génie du lieu. La région de Sienne, dira-t-on, est un paysage qui porte à peindre. Mais si l’une des couleurs de la pale
53 es qui ont illustré cette petite ville, et qui ne sont pas nés d’un paysage, mais de la rencontre de maîtres errants, d’infl
54 ruire du gothique : c’est après coup que le terme est apparu, pour désigner (d’ailleurs en dérision) l’admirable école fran
55 ntre, Cézanne, tandis que les van Loo, avant lui, étaient venus de la Hollande par accident, et ne se fixèrent pas à Aix, mais
56 eux peintres qui vivent près d’Aix de nos jours y sont attirés par le souvenir de Cézanne, et par le climat. Et puis, la pei
57 lvinistes, dans le cas typique de Rembrandt. Ce n’ est pas dans la terre, dans les racines, ni dans les éléments physiques,
58 pensée qui ont illustré notre culture européenne sont tous nés aux points d’intersection de grands courants européens et de
59 le romantisme, le symbolisme et l’existentialisme sont des phénomènes internationaux par excellence, comme le gothique ou le
60 othique ou le baroque. Le nationalisme lui-même n’ est pas lié au fait national, puisqu’il a sévi en même temps dans les plu
61 tout neufs et à peine finis du tiers-monde. Or ce sont bel et bien ces grands courants d’idées qui ont nourri la vie culture
62 saveur particulières, à certaines époques. Qu’en est -il, dans ces conditions, de l’expression devenue courante : Rester so
63 e : Rester soi-même ? La question qui se pose ici est si simple qu’elle est difficile à résoudre : à quel moment de l’histo
64 La question qui se pose ici est si simple qu’elle est difficile à résoudre : à quel moment de l’histoire serions-nous deven
65 ifficile à résoudre : à quel moment de l’histoire serions -nous devenus « nous-mêmes » une fois pour toutes ? Quel nous-mêmes, e
66 , où faut-il s’arrêter avec l’intention de nous y tenir  ? Aux nobles troubadours de Grandson et de Neuchâtel ? À Guillaume Te
67 Grandson et de Neuchâtel ? À Guillaume Tell, qui est très probablement un personnage mythique, et qui n’est sûrement pas d
68 rès probablement un personnage mythique, et qui n’ est sûrement pas de nos ancêtres ? À la chronique apocryphe dite des Chan
69 it rien, en principe. Car à partir de quel moment est -on soi-même ? 2 ans ? 15 ans ? 25 ans ? 60 ans ? On loue parfois un é
70 ligne : encore faut-il qu’à un certain moment il soit devenu quelqu’un — lui-même. Mais était-ce alors suffisant ? N’a-t-il
71 moment il soit devenu quelqu’un — lui-même. Mais était -ce alors suffisant ? N’a-t-il pas le droit et le devoir d’aller plus
72 enir chaque jour, un peu moins mal, ce qu’il peut être  ? S’il ne bouge pas, on dit à juste titre qu’il se répète, qu’il est
73 pas, on dit à juste titre qu’il se répète, qu’il est « fini ». Ainsi en va-t-il d’une culture — nationale, régionale, cant
74 c’est de la prolonger et non de la singer. Elle a été créée ? Il faut créer plus loin. La vraie question qui se pose aux cr
75 ux créateurs de la culture et de ses moyens, ce n’ est donc pas de rester nous-mêmes, mais bien de devenir nous-mêmes, selon
76 ietzsche : Werde, was du bist ! Deviens ce que tu es . Avec quoi nous passons aux aspects positifs et créateurs des express
77 es racines, j’oppose celle de l’implantation, qui est une action délibérée de l’homme, et non pas un destin subi. On peut s
78 t un trait fondamental de notre État fédéraliste. Étant citoyen d’une commune après une bonne douzaine d’années de séjour on
79 après une bonne douzaine d’années de séjour on l’ est du même coup d’un canton, c’est-à-dire d’un État souverain, membre de
80 ion, de signification. Le but final de la culture est , en effet, de donner un sens à la vie, plus de sens à la vie de plus
81 et d’abord de chacun de nous, et ce sens ne peut être abstrait. De même que l’on ne peut devenir un Suisse en général, mais
82 enir un Suisse en général, mais seulement si l’on est d’une commune, de même on ne saurait être un bon Européen, un bon par
83 si l’on est d’une commune, de même on ne saurait être un bon Européen, un bon participant de cette unité grandiose dans la
84 é grandiose dans la richesse de ses diversités qu’ est la culture européenne, si l’on n’est pas d’abord de quelque part. Tou
85 iversités qu’est la culture européenne, si l’on n’ est pas d’abord de quelque part. Tout de même qu’il faut produire quelque
86 ncret, de vendable et de bien défini si l’on veut tenir sa place sur le marché. Tout de même qu’il faut trouver sa vocation s
87 C’est au sein de la personne, au plus intime de l’ être de chaque individu qu’inquiète une vocation — il l’entrevoit, il la r
88 sons Dieu. » Avec cela, je pourrais dire que tout est dit. Baissons un peu le ton, rapprochons-nous des humbles conditions
89 L’originalité d’une existence culturelle locale n’ est pas un but en soi, et ne saurait être une préoccupation première. On
90 lle locale n’est pas un but en soi, et ne saurait être une préoccupation première. On ne peut exiger de chaque petite cité d
91 uvres comparables à celles des plus grandes — qui étaient plus petites par le nombre — Florence, Sienne, Assise, Bruges, Gand,
92 ont prime sur le marché mondial. Je crois qu’elle tient bien plus encore à la densité culturelle, aux facultés d’accueil et d
93 ants en tous domaines, et souvent à tous risques, fût -ce au risque majeur qui est celui d’être désintéressé. Ce sont les co
94 uvent à tous risques, fût-ce au risque majeur qui est celui d’être désintéressé. Ce sont les conditions de base d’une vraie
95 risques, fût-ce au risque majeur qui est celui d’ être désintéressé. Ce sont les conditions de base d’une vraie culture. Que
96 sque majeur qui est celui d’être désintéressé. Ce sont les conditions de base d’une vraie culture. Que faut-il pour les réal
97 sité de Neuchâtel l’enseignement direct (car nous étions très peu nombreux) : un Max Niedermann, un Arnold Reymond, un Alfred
98 is pour l’Exposition nationale de 1939, celle qui fut interrompue par la guerre. Mon ami Arthur Honegger, sur ma demande, e
99 n touche par le cœur, par la sagesse du cœur, qui est la vraie culture.