1 1972, Les Dirigeants et les finalités de la société occidentale (1972). « Un monde fini »
1 ’elle garderait le dernier mot et que ce pourrait être aux dépens de la vie même, non seulement de la vie végétale, mais de
2 ée — labourée, fécondée, cultivée —, l’initiative fut assumée au nom de l’espèce par quelques héros légendaires, Prométhée
3 s naturelles, neutralisées en bonne partie : il n’ est plus guère que les tremblements de terre et les typhons que nous ayon
4 i de nos efforts individuels, la réponse ancienne était  : survivre. Au vers quoi de notre action collective, la réponse moder
5 ive, la réponse moderne, dès le xviiie siècle, a été le Progrès — un progrès que nous pensions indéfini. Or nous découvron
6 ndéfini. Or nous découvrons, depuis peu, que nous sommes devenus plus forts que la Nature, ici et là, sectoriellement ou local
7 temps nous découvrons que le Progrès ne peut pas être « indéfini ». À cela, une raison décisive, indiscutable : la finitude
8 s émergées, c’est beaucoup, direz-vous, mais ce n’ est pas élastique. Et bientôt, dans cent ans, ce ne sera plus assez pour
9 t pas élastique. Et bientôt, dans cent ans, ce ne sera plus assez pour une population humaine toujours plus dense et toujour
10 ensemble des terres arables et des terres à bâtir est limité une fois pour toutes, et il n’offre à la boulimie sans cesse a
11 des ressources naturelles. Cette notion de limite est neuve, et demeure presque aussi scandaleuse pour l’homme moderne qu’à
12 entielle. Mais il suffit que la notion de limite soit posée, imposée par les faits, pour qu’aussitôt surgissent les grandes
13 , ou vers l’Apocalypse ? a. Les sous-titres ont été rajoutés pour cette édition en ligne afin d’en établir le sommaire.
2 1972, Les Dirigeants et les finalités de la société occidentale (1972). « La religion du Progrès »
14 rte aux gens heureux, et qui ont bien raison de l’ être et Vive la société de consommation ! Les auteurs de cette seconde éco
15 re destinée à faire vendre sa dextrose — dextrose étant synonyme, je le rappelle, de glucose, liquide sucré qui facilite le s
16 aux produits de notre industrie. Ces sept plaies sont la pollution de l’air, des eaux, des sols et des aliments, et la poll
17 paiseurs ! Hélas ! Faire confiance au Progrès, ce serait faire confiance au virus pour nous tirer de la maladie qu’il cause, a
18 oserait la mettre en doute un seul instant, qu’il soit anathème ! anathema sit ! Faire confiance aux « leçons du Passé » ne
19 la fameuse intuition ? Je reste convaincu qu’elle est la voie royale de la recherche fondamentale et de la création tant sc
20 exe des interactions dont dépend notre avenir. Il est trop clair qu’on ne peut pas conduire un Boeing 747 en faisant confia
21 747 en faisant confiance à l’intuition, et qu’il est préférable d’analyser d’abord les effets combinés que l’on obtient en
22 s : les facteurs dynamiques de notre civilisation sont devenus tellement interdépendants qu’il est fréquent qu’une action do
23 tion sont devenus tellement interdépendants qu’il est fréquent qu’une action donnée entraîne, outre l’effet désiré et prévu
3 1972, Les Dirigeants et les finalités de la société occidentale (1972). « Passer de la croissance à l’équilibre »
24 re à un système global d’interrégulations. Compte tenu du fantastique enchevêtrement des interactions que je viens de rappel
25 ppuyé par les fondations Volkswagen et Agnelli, s’ est adressé en 1970 à un économiste américain, J. W. Forrester, qui étudi
26 araître en un volume intitulé World Dynamics. Je tiens beaucoup à vous donner au moins un aperçu de ce travail — dont il me
27 exagérer la portée pour notre siècle, quelles que soient les réserves que l’on puisse formuler sur sa démarche. S’étant donné
28 erves que l’on puisse formuler sur sa démarche. S’ étant donné pour objectif général de répondre au défi du monde moderne, qui
29 général de répondre au défi du monde moderne, qui est , dit-il, de passer de la croissance à l’équilibre, M. Forrester a com
30 ollution et qualité de vie. (Ce dernier paramètre étant dérivé à la fois du niveau de vie matériel, de l’alimentation et des
31 es cinq paramètres, si les tendances actuelles ne sont pas contrariées ou modifiées, donc si on les laisse au libre jeu de l
32 ns l’histoire ; après quoi la qualité de vie, qui était tombée très bas, fait une remontée en flèche pour les 2 milliards de
33 ni le bon sens, ni l’expérience acquise n’eussent été capables d’imaginer et encore moins de nous faire accepter : — Si nou
34 la transition de la croissance à l’équilibre, qui serait le seul salut de notre société, il faudra tout réduire, et simultaném
35 t-à-dire la stabilisation des courbes, ne saurait être obtenu selon le modèle que par les taux de réduction suivants, appliq
36 20 % Ces conditions — évidemment draconiennes — seront -elles acceptables et acceptées ? se demande Forrester. Il paraît excl
37 amais à les imposer par la force. Et puisqu’elles sont , comme l’auteur le répète, « contre-intuitives », elles demanderaient
38 ète, « contre-intuitives », elles demanderaient à être étudiées, testées, et surtout expliquées à tous pendant des années, «
39 de conclure par ces mots : « Un équilibre mondial est théoriquement concevable. Savoir s’il pourra se réaliser est une autr
40 uement concevable. Savoir s’il pourra se réaliser est une autre histoire… Probablement, une pression accrue de l’environnem
41 pression accrue de l’environnement sur l’humanité sera-t -elle nécessaire avant que l’on prenne conscience du sérieux de la sit
42 . Mais alors, le temps qui nous restera pour agir sera encore plus court… » Ces conclusions relativement pessimistes, et si
43 s irritées. J’entends dire, par exemple (et je me suis dit à moi-même) : comment croire à des prédictions basées sur une réd
44 nt, Forrester répond lui-même que si son modèle n’ était pas simplifié à l’extrême il ne serait pas utilisable : le propre d’u
45 on modèle n’était pas simplifié à l’extrême il ne serait pas utilisable : le propre d’un modèle est d’être infiniment plus sim
46 ne serait pas utilisable : le propre d’un modèle est d’être infiniment plus simple que la réalité infiniment complexe dont
47 rait pas utilisable : le propre d’un modèle est d’ être infiniment plus simple que la réalité infiniment complexe dont il ne
48 tends dire aussi qu’après tout les ordinateurs ne sont pas infaillibles et qu’il serait dangereux de les croire quand ils co
49 les ordinateurs ne sont pas infaillibles et qu’il serait dangereux de les croire quand ils contredisent diamétralement les exp
50 et l’intuition. À quoi l’on peut répondre qu’il n’ est pas de domaine où l’intuition trompe davantage que celui de la prospe
51 ompe davantage que celui de la prospective ; on y est plus que partout ailleurs en danger de prendre ses désirs ou ses crai
52 trompent, c’est précisément dans la mesure où ils sont informés selon nos intuitions ; mais à égalité d’information il y a t
53 iger des facteurs psychosociologiques qui peuvent être décisifs, tels que la peur de l’avenir en général, ou du chômage en p
54 de liberté ou de manque de liberté (« La liberté est une sensation. Cela se respire », écrivait Paul Valéry — donc cela ne
55 ance, je veux parler de la menace de guerre. Elle est de nature à modifier tous nos paramètres : c’est en son nom que tel m
56 ander si le dogme de la croissance industrielle n’ est pas devenu sacro-saint dans la mesure même où il participait de la fi
57 tats-nations de modèle napoléonien… Quoi qu’il en soit d’ailleurs de ces critiques, des améliorations de méthode et des corr
58 nis Meadows et son équipe du MIT3, Forrester aura été le premier à montrer l’interdépendance des paramètres de base de notr
59 e pour tous. » 2. Les trois figures reproduites sont empruntées à un Rapport demeuré inédit qui date de 1970. Elles ne pré
60 orld Dynamics. 3. Depuis que cette conférence a été prononcée, l’ouvrage de Dennis L. Meadows et de ses collaborateurs, T
61 et de ses collaborateurs, The Limits to Growth, a été publié à New York (Universe Books) et doit paraître incessamment en f
4 1972, Les Dirigeants et les finalités de la société occidentale (1972). « L’homme se voit contraint de choisir librement son avenir »
62 abilité de son action sur la Nature, et qu’elle y est contrainte par la grandeur même des pouvoirs qu’elle s’est acquis grâ
63 ainte par la grandeur même des pouvoirs qu’elle s’ est acquis grâce à la science et à la technologie. Ou encore, pour exprim
64 personnel et celui de l’espèce humaine — et il y est contraint du seul fait qu’il en a, pour la première fois, la liberté.
65 ne politique, au sens le plus large du terme, qui est aussi le sens originel : l’aménagement des rapports humains dans la c
66 se son lecteur, aux dernières pages de son livre, est celui-ci : « Définir de nouveaux Buts humains — de nouvelles finalité
67 s résultant des analyses de Forrester ne pourront être démenties que si d’abord nous y croyons, et si nous adoptons en consé
68 treprise, une société, un groupe ou une Nation, n’ est plus : comment devenir plus fort que mes voisins ? mais bien : que fa
69 : que faire ensemble contre l’Apocalypse ? Elle n’ est plus : comment croître à tout prix et s’assurer le plus de profit, ma
70 ibre entre l’homme, la Société et la Nature. Nous sommes socialisés par le danger commun. La seule politique impossible serait
71 r le danger commun. La seule politique impossible serait alors de n’en pas avoir, c’est-à-dire de renoncer à contrôler ensembl
72 … Je voudrais bien que vous ne pensiez pas que je suis en train de noyer le poisson ou de perdre de vue mon sujet, en engage
73 otre attention dans ces perspectives globales. Je suis conscient de parler ici à des dirigeants d’entreprises, c’est-à-dire
74 oûteront très cher, c’est entendu, et la question sera de savoir si on leur sacrifie le profit, ou l’inverse ; ou à tout le
75 t appeler bénéficiaire une société dont le profit serait acquis aux dépens de la santé des citoyens et de l’équilibre de l’env
5 1972, Les Dirigeants et les finalités de la société occidentale (1972). « Gagner le monde ou sauver son âme »
76 (et sauver la Nature du même coup). Bien sûr, il est plus facile de mesurer la croissance d’un PNB que de déterminer les c
77 ls, nous forcent à choisir un cours nouveau. Nous sommes libres de notre choix, mais nous sommes contraints de choisir. Or ce
78 eau. Nous sommes libres de notre choix, mais nous sommes contraints de choisir. Or ce choix global désormais entre Puissance,
79 et Liberté, Service, Équilibre d’autre part, qui est le choix politique par excellence, nous découvrons maintenant qu’il s
80 l se confond avec le choix écologique. L’Écologie est l’axe ou le carrefour par lequel passent toutes les options fondament
81 umérer comportent un enjeu écologique. Mais si ce fut l’erreur tragique de l’ère industrielle que de prendre le PNB pour in
82 our indicateur unique et suffisant du Progrès, ce serait une erreur utopique que de vouloir éliminer totalement le motif du pr
83 r éliminer totalement le motif du profit : ce qui est requis d’urgence, c’est d’accorder la priorité aux facteurs d’équilib
84 des fleuves comme le Rhin et le Rhône, ne peuvent être traités qu’au niveau continental et appellent un Pouvoir européen, un
85 spondent plus aux réalités de la société moderne, étant à la fois trop petits pour se charger des tâches de dimensions contin
86 res d’équilibre écologique nécessaires pourraient être adoptées, en l’absence d’un pouvoir mondial ou même continental capab
87 ules possibilités qui subsistent, me semble-t-il, sont celles de l’information massive et de l’éducation, c’est-à-dire des m
88 e principe qu’il faudrait inculquer dès l’enfance est que l’économie n’a pas sa fin en soi, mais au service de l’homme, et
89 t Tinbergen (mais je persiste à penser que le N y est de trop, et empêche tout). À quoi j’ose ajouter que l’économie me par
90 conduite aux soins des seuls économistes, qu’ils soient d’ailleurs marxistes ou libéraux : elle doit être au service de final
91 ient d’ailleurs marxistes ou libéraux : elle doit être au service de finalités humaines que les économistes spécialisés n’on
92 par les seuls impératifs de l’équilibre. Je m’en suis tenu aujourd’hui, en ma qualité de généraliste, et sans prétendre abo
93 les seuls impératifs de l’équilibre. Je m’en suis tenu aujourd’hui, en ma qualité de généraliste, et sans prétendre aborder
94 au niveau où la politique préconisée peut et doit être mise en œuvre. J’ai voulu poser le problème de la nécessité d’une pol
95 aration des fins globales de notre société. Je me suis gardé, je l’espère, d’un alarmisme exagéré, malgré la mode. Et j’imag
96 gré la mode. Et j’imagine que mon propos pourrait être résumé par un seul signe : un de ces grands points d’exclamation qui
6 1972, Les Dirigeants et les finalités de la société occidentale (1972). Post-scriptum
97 Post-scriptum Depuis que cette conférence a été prononcée, à Lausanne en octobre 1971, et à Bruxelles en mars 1972, l
98 pour virulentes et parfois même sincères qu’elles soient , nous apprennent que le « modèle Forrester » n’est conforme aux schém
99 nt, nous apprennent que le « modèle Forrester » n’ est conforme aux schémas ni de la gauche, ni de la droite : on s’en douta
100 e, ni de la droite : on s’en doutait. Savoir s’il est conforme aux réalités du siècle n’intéresse pas ces partisans : on de
101 a presse dans son ensemble estime qu’il faut s’en tenir à « un juste milieu » entre les dangers objectifs signalés par Forres
102 u refusent d’en penser) la droite, la gauche et l’ Est enfin réunis dans une alliance littéralement contre-Nature. Que peut
103 plus en plus clairement que le salut de l’Europe est dans la recherche d’une politique d’équilibre dynamique entre l’Homme
104 ique de la croissance matérielle à tout prix, qui est le contraire d’une politique. D. de R. Avril 1972 P.P.S. : Sur l’i