1
J’ai appelé « livres » les différentes parties
de
cet ouvrage, parce que chacune esquisse le contenu d’un volume de dim
2
et ouvrage, parce que chacune esquisse le contenu
d’
un volume de dimensions ordinaires. Le grand nombre des faits et des t
3
parce que chacune esquisse le contenu d’un volume
de
dimensions ordinaires. Le grand nombre des faits et des textes cités,
4
e jeu des « leitmotive » entrelacés, risqueraient
d’
égarer certains lecteurs si je ne donnais ici la clef de ma compositio
5
er certains lecteurs si je ne donnais ici la clef
de
ma composition. Le premier livre expose le contenu caché de la légend
6
osition. Le premier livre expose le contenu caché
de
la légende ou du mythe de Tristan. C’est une descente aux cercles suc
7
expose le contenu caché de la légende ou du mythe
de
Tristan. C’est une descente aux cercles successifs de la passion. Le
8
ristan. C’est une descente aux cercles successifs
de
la passion. Le dernier livre indique une attitude humaine diamétralem
9
ement opposée, et par là il achève la description
de
la passion, car on ne connaît que les choses dépassées, ou du moins c
10
ant aux livres intermédiaires : le deuxième tente
de
remonter aux origines religieuses du mythe, tandis que les suivants d
11
ines les plus divers : mystique, littérature, art
de
la guerre, morale du mariage. ⁂ L’agrément de parler des choses de l’
12
art de la guerre, morale du mariage. ⁂ L’agrément
de
parler des choses de l’amour est un prétexte assez peu convaincant, l
13
ale du mariage. ⁂ L’agrément de parler des choses
de
l’amour est un prétexte assez peu convaincant, lorsqu’il s’agit d’un
14
prétexte assez peu convaincant, lorsqu’il s’agit
d’
un volume aussi dense. Douteux avantage d’ailleurs : on rougirait de l
15
dense. Douteux avantage d’ailleurs : on rougirait
de
le partager avec tant d’auteurs à succès. Aussi me suis-je donné quel
16
’ailleurs : on rougirait de le partager avec tant
d’
auteurs à succès. Aussi me suis-je donné quelques difficultés. Je n’ai
17
Stendhal nommait l’amour-passion, mais j’ai tenté
de
le décrire comme un phénomène historique, d’origine proprement religi
18
enté de le décrire comme un phénomène historique,
d’
origine proprement religieuse. Or les hommes, et les femmes, tolèrent
19
et les femmes, tolèrent fort bien que l’on parle
d’
amour, et même ils ne s’en lassent jamais, si commun que soit le disco
20
s plaisirs, s’il devait leur en coûter la fatigue
d’
une réflexion ». Il s’ensuit que ce livre montrera sa nécessité dans l
21
s la mesure où d’abord il déplaira ; et il n’aura
d’
utilité que s’il convainc ceux qui auront pris conscience, en le lisan
22
en le lisant, des raisons qu’ils pouvaient avoir
de
le trouver d’abord déplaisant. Cette manière me vaudra bien des repro
23
n’ont jamais connu la vraie passion s’étonneront
de
m’y voir consacrer tout un livre. Les uns diront qu’à définir l’amour
24
voir, peut-être, ou même guérir ? ⁂ Je suis parti
d’
un type de la passion telle que la vivent les Occidentaux, d’une forme
25
-être, ou même guérir ? ⁂ Je suis parti d’un type
de
la passion telle que la vivent les Occidentaux, d’une forme extrême,
26
e la passion telle que la vivent les Occidentaux,
d’
une forme extrême, exceptionnelle en apparence : le mythe de Tristan e
27
e extrême, exceptionnelle en apparence : le mythe
de
Tristan et Iseut. Il nous faut ce repère fabuleux, cet exemple éclata
28
cet exemple éclatant et « banal » — comme on dit
d’
un four qu’il est banal, donc unique — si nous voulons comprendre dans
29
oulons comprendre dans nos vies le sens et la fin
de
la passion. Il est donc entendu que j’ai simplifié. Pourquoi perdre s
30
is dogmatisé, je n’en demanderai pardon qu’à ceux
de
mes lecteurs qui estimeront que mes stylisations font tort au sens pr
31
raîné par mes analyses dans des domaines réservés
d’
ordinaire aux « spécialistes », j’ai profité autant que je l’ai pu des
32
que je l’ai pu des travaux réputés classiques, et
de
quelques autres ; et si je n’en ai cité qu’un nombre assez restreint,
33
n’est pas toujours par ignorance, mais par souci
de
m’en tenir à l’essentiel. Les spécialistes me pardonneront-ils d’avoi
34
l’essentiel. Les spécialistes me pardonneront-ils
d’
avoir tenté un effort de synthèse que toute leur formation technique c
35
istes me pardonneront-ils d’avoir tenté un effort
de
synthèse que toute leur formation technique condamne ? À défaut d’une
36
oute leur formation technique condamne ? À défaut
d’
une science universelle qu’il faudrait plusieurs vies pour maîtriser,
37
qu’il n’était besoin, et n’ai livré qu’un résumé
de
mes recherches. Ce compromis m’expose à un double péril. J’aurais peu
38
l’estime des spécialistes si je n’avais pas tiré
de
leurs travaux des conclusions… Dans cette situation fâcheuse, il ne m
39
ion fâcheuse, il ne me reste qu’un espoir : celui
d’
instruire les lectrices tout en amusant les savants. ⁂ J’ai vécu ce li
40
escence et ma jeunesse ; je l’ai conçu sous forme
d’
œuvre écrite, et nourri de quelques lectures, depuis deux ans ; enfin
41
e l’ai conçu sous forme d’œuvre écrite, et nourri
de
quelques lectures, depuis deux ans ; enfin je l’ai rédigé en quatre m
42
ai rédigé en quatre mois. Ceci me rappelle le mot
de
Vernet, à propos d’un tableau qu’il vendait assez cher : « Il m’a dem
43
l vendait assez cher : « Il m’a demandé une heure
de
travail, et toute la vie. » D. de R. 21 juin 1938.
44
mandé une heure de travail, et toute la vie. » D.
de
R. 21 juin 1938.
45
Préface à l’édition
de
1956 C’est à la suggestion de mon éditeur anglais — qui par une cha
46
éface à l’édition de 1956 C’est à la suggestion
de
mon éditeur anglais — qui par une chance dont je m’honore se trouve ê
47
m’honore se trouve être T. S. Eliot — que je dois
d’
avoir entrepris la révision de cet ouvrage. Trois lustres ont passé de
48
Eliot — que je dois d’avoir entrepris la révision
de
cet ouvrage. Trois lustres ont passé depuis sa parution, une guerre a
49
, dans cette nouvelle version, quelques outrances
de
plume par quelques analyses dont je sens qu’elles aggravent mon cas.
50
de « preuves » suffisantes. Plusieurs théologiens
de
tradition romaine ou grecque m’ont amicalement reproché de contraster
51
ion romaine ou grecque m’ont amicalement reproché
de
contraster l’Éros et l’Agapè d’une manière trop irrémédiable1, et qui
52
calement reproché de contraster l’Éros et l’Agapè
d’
une manière trop irrémédiable1, et qui ne laisse point de place aux fo
53
anière trop irrémédiable1, et qui ne laisse point
de
place aux formes de passage sans lesquelles nous ne saurions vivre. A
54
able1, et qui ne laisse point de place aux formes
de
passage sans lesquelles nous ne saurions vivre. Aux historiens, je ré
55
e répondrai simplement que j’étais à la recherche
d’
un sens existentiel. Je ne songeais donc nullement à chasser sur leurs
56
xiie siècle, du catharisme, des troubadours, et
de
Tristan. C’est là le principal de cette nouvelle version. Pour ceux d
57
troubadours, et de Tristan. C’est là le principal
de
cette nouvelle version. Pour ceux dont la critique s’attachait au sen
58
même que j’ai cru pouvoir dégager, je suis tenté
de
leur donner raison sur plus d’un point : j’avais à déblayer le terrai
59
ger, je suis tenté de leur donner raison sur plus
d’
un point : j’avais à déblayer le terrain, à marquer les contrastes, et
60
er le tableau. Un chapitre ajouté au livre VI, et
d’
innombrables corrections de détail, témoignent, je l’espère, d’un réal
61
ajouté au livre VI, et d’innombrables corrections
de
détail, témoignent, je l’espère, d’un réalisme accru. Décrire le conf
62
s corrections de détail, témoignent, je l’espère,
d’
un réalisme accru. Décrire le conflit nécessaire de la passion et du m
63
’un réalisme accru. Décrire le conflit nécessaire
de
la passion et du mariage en Occident, tel était mon dessein central ;
64
la reste à mes yeux le vrai sujet, la vraie thèse
de
mon livre tel qu’il est devenu. Quant à l’actualité de ma recherche,
65
n livre tel qu’il est devenu. Quant à l’actualité
de
ma recherche, après la Deuxième Guerre mondiale, je ne la crois nulle
66
la fin du livre V, en particulier, l’éventualité
d’
un conflit qui mettrait fin aux problèmes que j’étudiais. Cette craint
67
uis que la reporter sur les résultats prévisibles
d’
une guerre atomique intercontinentale. De plus, un séjour de sept ans
68
re atomique intercontinentale. De plus, un séjour
de
sept ans en Amérique m’a fait voir que le mythe de la Passion — dégra
69
e sept ans en Amérique m’a fait voir que le mythe
de
la Passion — dégradée en simple romance — n’est pas près d’épuiser se
70
ion — dégradée en simple romance — n’est pas près
d’
épuiser ses effets ; le cinéma les propage au monde entier, et les sta
71
les propage au monde entier, et les statistiques
de
divorce permettent d’en mesurer l’ampleur. Si notre civilisation doit
72
entier, et les statistiques de divorce permettent
d’
en mesurer l’ampleur. Si notre civilisation doit subsister, il faudra
73
’autres fondements qu’une belle fièvre. Les voies
de
cette révolution nous sont encore imprévisibles ; je m’en explique au
74
Mon ambition se borne à sensibiliser l’attention
de
mes lecteurs à la présence du mythe ; par suite, à les mettre en mesu
75
ence du mythe ; par suite, à les mettre en mesure
de
détecter ses radiations dans la vie comme dans l’œuvre d’art. Amener
76
ter ses radiations dans la vie comme dans l’œuvre
d’
art. Amener quelques esprits à cette prise de conscience ne peut être
77
’opèrent dans l’inconscient, elles datent en fait
de
leur épiphanie dans l’expression écrite, plastique ou picturale — com
78
n écrite, plastique ou picturale — comme un amour
de
son premier aveu. D. de R. 1. Voir en particulier le bel ouvrage du
79
icturale — comme un amour de son premier aveu. D.
de
R. 1. Voir en particulier le bel ouvrage du P. M. C. d’Arcy S. J.,
80
Livre premierLe mythe
de
Tristan 1.Triomphe du roman, et ce qu’il cache « Seigneurs, vo
81
, et ce qu’il cache « Seigneurs, vous plaît-il
d’
entendre un beau conte d’amour et de mort ?… » Rien au monde ne saurai
82
Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte
d’
amour et de mort ?… » Rien au monde ne saurait nous plaire davantage.
83
vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et
de
mort ?… » Rien au monde ne saurait nous plaire davantage. À tel point
84
Tristan de Bédier doit passer pour le type idéal
de
la première phrase d’un roman. C’est le trait d’un art infaillible qu
85
t passer pour le type idéal de la première phrase
d’
un roman. C’est le trait d’un art infaillible qui nous jette dès le se
86
de la première phrase d’un roman. C’est le trait
d’
un art infaillible qui nous jette dès le seuil du conte dans l’état pa
87
jette dès le seuil du conte dans l’état passionné
d’
attente où naît l’illusion romanesque. D’où vient ce charme ? Et quell
88
assionné d’attente où naît l’illusion romanesque.
D’
où vient ce charme ? Et quelles complicités cet artifice de « rhétoriq
89
t ce charme ? Et quelles complicités cet artifice
de
« rhétorique profonde » sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’acco
90
» sait-il rejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord
d’
amour et de mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus
91
ejoindre dans nos cœurs ? Que l’accord d’amour et
de
mort soit celui qui émeuve en nous les résonances les plus profondes,
92
du roman. Il est d’autres raisons, plus secrètes,
d’
y voir comme une définition de la conscience occidentale… Amour et mor
93
ons, plus secrètes, d’y voir comme une définition
de
la conscience occidentale… Amour et mort, amour mortel : si ce n’est
94
toute la poésie, c’est du moins tout ce qu’il y a
de
populaire, tout ce qu’il y a d’universellement émouvant dans nos litt
95
tout ce qu’il y a de populaire, tout ce qu’il y a
d’
universellement émouvant dans nos littératures ; et dans nos plus viei
96
nos plus belles chansons. L’amour heureux n’a pas
d’
histoire. Il n’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’a
97
ons. L’amour heureux n’a pas d’histoire. Il n’est
de
roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condam
98
heureux n’a pas d’histoire. Il n’est de roman que
de
l’amour mortel, c’est-à-dire de l’amour menacé et condamné par la vie
99
’est de roman que de l’amour mortel, c’est-à-dire
de
l’amour menacé et condamné par la vie même. Ce qui exalte le lyrisme
100
couple. C’est moins l’amour comblé que la passion
d’
amour. Et passion signifie souffrance. Voilà le fait fondamental. Mais
101
otre éducation, dans les images qui font le décor
de
nos vies ; enfin le besoin d’évasion exaspéré par l’ennui mécanique,
102
s qui font le décor de nos vies ; enfin le besoin
d’
évasion exaspéré par l’ennui mécanique, tout en nous et autour de nous
103
nous en sommes venus à voir en elle une promesse
de
vie plus vivante, une puissance qui transfigure, quelque chose qui se
104
e, quelque chose qui serait au-delà du bonheur et
de
la souffrance, une béatitude ardente. Dans « passion » nous ne senton
105
ce qui est passionnant ». Et pourtant, la passion
d’
amour signifie, de fait, un malheur. La société où nous vivons et dont
106
nant ». Et pourtant, la passion d’amour signifie,
de
fait, un malheur. La société où nous vivons et dont les mœurs n’ont g
107
ur-passion, neuf fois sur dix, à revêtir la forme
de
l’adultère. Et j’entends bien que les amants invoqueront tous les cas
108
ends bien que les amants invoqueront tous les cas
d’
exception, mais la statistique est cruelle : elle réfute notre poésie.
109
us exalte à ce qui semblerait combler notre idéal
de
vie harmonieuse ? Serrons de plus près cette contradiction, par un ef
110
illusion. Affirmer que l’amour-passion signifie,
de
fait, l’adultère, c’est insister sur la réalité que notre culte de l’
111
re, c’est insister sur la réalité que notre culte
de
l’amour masque et transfigure à la fois ; c’est mettre au jour ce que
112
our ce que ce culte dissimule, refoule, et refuse
de
nommer pour nous permettre un abandon ardent à ce que nous n’osions p
113
ui est la nôtre, n’est-ce pas une première preuve
de
ce fait paradoxal : que nous voulons la passion et le malheur à condi
114
e seraient toutes nos littératures ? Elles vivent
de
la « crise du mariage ». Il est probable aussi qu’elles l’entretienne
115
, et qu’elles en tirent un répertoire inépuisable
de
situations comiques ou cyniques. Droit divin de la passion, psycholog
116
e de situations comiques ou cyniques. Droit divin
de
la passion, psychologie mondaine, succès du trio au théâtre — soit qu
117
n’est trahir le tourment innombrable et obsédant
de
l’amour en rupture de loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader
118
ent innombrable et obsédant de l’amour en rupture
de
loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader de son affreuse réali
119
e loi ? Ne serait-ce pas qu’on cherche à s’évader
de
son affreuse réalité ? Tourner la situation en mystique ou en farce,
120
ns le remords ou dans la crainte, dans le plaisir
de
la révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu d’hommes qui ne s
121
ainte, dans le plaisir de la révolte ou l’anxiété
de
la tentation, il est peu d’hommes qui ne se reconnaissent dans l’une
122
révolte ou l’anxiété de la tentation, il est peu
d’
hommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins de ces catégories.
123
ommes qui ne se reconnaissent dans l’une au moins
de
ces catégories. Renoncements, compromis, ruptures, neurasthénies, con
124
neurasthénies, confusions irritantes et mesquines
de
rêves, d’obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheu
125
ies, confusions irritantes et mesquines de rêves,
d’
obligations, de complaisances secrètes — la moitié du malheur humain s
126
irritantes et mesquines de rêves, d’obligations,
de
complaisances secrètes — la moitié du malheur humain se résume dans l
127
la moitié du malheur humain se résume dans le mot
d’
adultère. Malgré toutes nos littératures — ou peut-être à cause d’elle
128
ré toutes nos littératures — ou peut-être à cause
d’
elles justement — il peut sembler parfois qu’on n’ait encore rien dit
129
arfois qu’on n’ait encore rien dit sur la réalité
de
ce malheur. Et que certaines questions des plus naïves, en ce domain
130
, sur « quelque chose » qui la ruine au cœur même
de
nos ambitions ? Est-ce vraiment, comme beaucoup le pensent, la concep
131
tourment, ou au contraire, est-ce une conception
de
l’amour dont on n’a peut-être pas vu qu’elle rend ce lien, dès le pri
132
truit que ce qui assure « le bonheur des époux ».
D’
où peut venir une telle contradiction ? Si le secret de la crise du ma
133
peut venir une telle contradiction ? Si le secret
de
la crise du mariage est simplement l’attrait de l’interdit, d’où nous
134
t de la crise du mariage est simplement l’attrait
de
l’interdit, d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amo
135
u mariage est simplement l’attrait de l’interdit,
d’
où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée de l’amour trahit-il ?
136
d’où nous vient ce goût du malheur ? Quelle idée
de
l’amour trahit-il ? Quel secret de notre existence, de notre esprit,
137
? Quelle idée de l’amour trahit-il ? Quel secret
de
notre existence, de notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.
138
amour trahit-il ? Quel secret de notre existence,
de
notre esprit, de notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il exist
139
Quel secret de notre existence, de notre esprit,
de
notre histoire peut-être ? 2.Le mythe Il existe un grand mythe
140
2.Le mythe Il existe un grand mythe européen
de
l’adultère : le Roman de Tristan et Iseut. Au travers du désordre ext
141
un grand mythe européen de l’adultère : le Roman
de
Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême de nos mœurs, dans l
142
Tristan et Iseut. Au travers du désordre extrême
de
nos mœurs, dans la confusion des morales et des immoralismes qui en v
143
ralismes qui en vivent, aux moments les plus purs
d’
un drame, il arrive qu’on voie transparaître en filigrane cette forme
144
e. Comme une grande image simple, comme une sorte
de
type primitif de nos tourments les plus complexes. Et de même que pou
145
de image simple, comme une sorte de type primitif
de
nos tourments les plus complexes. Et de même que pour se tirer des co
146
exes. Et de même que pour se tirer des confusions
de
notre langue, les poètes ont coutume de rapporter les mots à leurs or
147
onfusions de notre langue, les poètes ont coutume
de
rapporter les mots à leurs origines lointaines, c’est-à-dire à la cho
148
oudrais rapporter à ce mythe certaines confusions
de
nos mœurs. Étymologie des passions, moins décevante que celle des mot
149
ais d’abord, dira-t-on, est-il exact que le roman
de
Tristan soit un mythe ? Et dans ce cas, n’est-ce pas détruire son cha
150
dans ce cas, n’est-ce pas détruire son charme que
d’
essayer de l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est s
151
s, n’est-ce pas détruire son charme que d’essayer
de
l’analyser ? Nous n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme d’
152
n’en sommes plus à croire que mythe est synonyme
d’
irréalité ou d’illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une pui
153
us à croire que mythe est synonyme d’irréalité ou
d’
illusion. Trop de mythes manifestent parmi nous une puissance trop inc
154
ythe est synonyme d’irréalité ou d’illusion. Trop
de
mythes manifestent parmi nous une puissance trop incontestable. Mais
155
it du mot oblige à le redéfinir. On pourrait dire
d’
une manière générale qu’un mythe est une histoire, une fable symboliqu
156
e, simple et frappante, résumant un nombre infini
de
situations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d’un co
157
tuations plus ou moins analogues. Le mythe permet
de
saisir d’un coup d’œil certains types de relations constantes, et de
158
lus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir
d’
un coup d’œil certains types de relations constantes, et de les dégage
159
e permet de saisir d’un coup d’œil certains types
de
relations constantes, et de les dégager du fouillis des apparences qu
160
d’œil certains types de relations constantes, et
de
les dégager du fouillis des apparences quotidiennes. Dans un sens plu
161
ens plus étroit, les mythes traduisent les règles
de
conduite d’un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élé
162
oit, les mythes traduisent les règles de conduite
d’
un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l’élément sacré a
163
un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc
de
l’élément sacré autour duquel s’est constitué le groupe. (Récits symb
164
el s’est constitué le groupe. (Récits symboliques
de
la vie et de la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou
165
titué le groupe. (Récits symboliques de la vie et
de
la mort des dieux, légendes expliquant les sacrifices ou l’origine de
166
etc.) On l’a remarqué souvent : un mythe n’a pas
d’
auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l’est en parti
167
e. Il se présente comme l’expression tout anonyme
de
réalités collectives, ou plus exactement : communes. L’œuvre d’art —
168
mythe. Sa valeur ne relève en effet que du talent
de
son créateur. Ce qui importe en elle, c’est justement ce qui n’import
169
, ou sa « vraisemblance », et toutes ses qualités
de
réussite singulière (originalité, habileté, style, etc.). Mais le ca
170
mme telle, n’a pas à proprement parler un pouvoir
de
contrainte sur le public. Si belle et puissante qu’elle soit, on peut
171
ut au moins, la rend inefficace. Or je me propose
d’
envisager Tristan non point comme œuvre littéraire, mais comme type de
172
e œuvre littéraire, mais comme type des relations
de
l’homme et de la femme dans un groupe historique donné : l’élite soci
173
aire, mais comme type des relations de l’homme et
de
la femme dans un groupe historique donné : l’élite sociale, la sociét
174
l’élite sociale, la société courtoise et pénétrée
de
chevalerie du xiie et du xiiie siècle. Ce groupe est à vrai dire di
175
ngtemps. Pourtant ses lois sont encore les nôtres
d’
une manière secrète et diffuse. Profanées et reniées par nos codes off
176
iées par nos codes officiels, elles sont devenues
d’
autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus de pouvoir que sur nos
177
d’autant plus contraignantes qu’elles n’ont plus
de
pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan
178
s de pouvoir que sur nos rêves. ⁂ Bien des traits
de
la légende de Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord
179
ue sur nos rêves. ⁂ Bien des traits de la légende
de
Tristan sont de ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l
180
. ⁂ Bien des traits de la légende de Tristan sont
de
ceux qui signalent un mythe. Et d’abord le fait que l’auteur — à supp
181
ui nous restent sont des remaniements artistiques
d’
un archétype dont on n’a pu trouver la moindre trace. Un autre aspect
182
rouver la moindre trace. Un autre aspect mythique
de
la légende de Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise (Appendi
183
dre trace. Un autre aspect mythique de la légende
de
Tristan, c’est l’élément sacré qu’elle utilise (Appendice 1). Le prog
184
t sacré qu’elle utilise (Appendice 1). Le progrès
de
l’action, et les effets qu’elle devait exercer sur l’auditeur, dépend
185
une certaine mesure (que nous aurons à préciser)
d’
un ensemble de règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume
186
mesure (que nous aurons à préciser) d’un ensemble
de
règles et de cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevaler
187
ous aurons à préciser) d’un ensemble de règles et
de
cérémonies qui n’est autre que la coutume de la chevalerie médiévale.
188
s et de cérémonies qui n’est autre que la coutume
de
la chevalerie médiévale. Or les « ordres » de chevalerie furent souve
189
ume de la chevalerie médiévale. Or les « ordres »
de
chevalerie furent souvent appelés « religions ». Chastellain, chroniq
190
t appelés « religions ». Chastellain, chroniqueur
de
la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison d’or (dernier en date)
191
chroniqueur de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre
de
la Toison d’or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère s
192
de la Bourgogne, nomme ainsi l’ordre de la Toison
d’
or (dernier en date), et il en parle comme d’un mystère sacré, en un s
193
ison d’or (dernier en date), et il en parle comme
d’
un mystère sacré, en un siècle où pourtant la chevalerie n’était plus
194
ne survivance (Appendice 2). Enfin la nature même
de
l’obscurité que nous découvrirons dans la légende, dénote sa parenté
195
é du mythe en général ne réside pas dans sa forme
d’
expression. (Ce serait ici le langage du poème : or on sait qu’il est
196
s plus simples.) Elle tient d’une part au mystère
de
son origine, et d’autre part à l’importance vitale des faits que le m
197
oustraire à la critique, il n’y aurait pas besoin
de
mythe. On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité de morale, ou
198
ait pas besoin de mythe. On pourrait se contenter
d’
une loi, d’un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rô
199
oin de mythe. On pourrait se contenter d’une loi,
d’
un traité de morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résum
200
. On pourrait se contenter d’une loi, d’un traité
de
morale, ou même d’une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechn
201
ntenter d’une loi, d’un traité de morale, ou même
d’
une historiette jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point de myth
202
morale, ou même d’une historiette jouant le rôle
de
résumé mnémotechnique. Point de mythe tant qu’il est loisible de s’en
203
te jouant le rôle de résumé mnémotechnique. Point
de
mythe tant qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et de les e
204
technique. Point de mythe tant qu’il est loisible
de
s’en tenir aux évidences et de les exprimer d’une manière manifeste o
205
qu’il est loisible de s’en tenir aux évidences et
de
les exprimer d’une manière manifeste ou directe. Au contraire, le myt
206
le de s’en tenir aux évidences et de les exprimer
d’
une manière manifeste ou directe. Au contraire, le mythe paraît lorsqu
207
e paraît lorsqu’il serait dangereux ou impossible
d’
avouer clairement un certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou
208
impossible d’avouer clairement un certain nombre
de
faits sociaux ou religieux, ou de relations affectives, que l’on tien
209
certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou
de
relations affectives, que l’on tient cependant à conserver, ou qu’il
210
nt cependant à conserver, ou qu’il est impossible
de
détruire. Nous n’avons plus besoin de mythes, par exemple, pour expri
211
impossible de détruire. Nous n’avons plus besoin
de
mythes, par exemple, pour exprimer les vérités de la science : nous l
212
de mythes, par exemple, pour exprimer les vérités
de
la science : nous les considérons en effet d’une manière parfaitement
213
tés de la science : nous les considérons en effet
d’
une manière parfaitement « profane », et elles ont donc tout à gagner
214
la critique individuelle. Mais nous avons besoin
d’
un mythe pour exprimer le fait obscur et inavouable que la passion est
215
aîne la destruction pour ceux qui s’y abandonnent
de
toutes leurs forces. C’est que nous voulons sauver cette passion, et
216
ent. L’obscurité du mythe nous met donc en mesure
d’
accueillir son contenu déguisé et d’en jouir par l’imagination, sans e
217
onc en mesure d’accueillir son contenu déguisé et
d’
en jouir par l’imagination, sans en prendre toutefois une conscience a
218
a contradiction. Ainsi se trouvent mises à l’abri
de
la critique certaines réalités humaines que nous sentons ou pressento
219
l les voile aussi dans la mesure où le grand jour
de
la raison les menacerait2. ⁂ D’origine inconnue ou mal connue — de ca
220
où le grand jour de la raison les menacerait2. ⁂
D’
origine inconnue ou mal connue — de caractère primitivement sacré — vo
221
menacerait2. ⁂ D’origine inconnue ou mal connue —
de
caractère primitivement sacré — voilant le secret qu’il exprime, le r
222
oilant le secret qu’il exprime, le roman mythique
de
Tristan posséderait-il au même degré les qualités contraignantes d’un
223
rait-il au même degré les qualités contraignantes
d’
un vrai mythe ? Cette question ne peut être esquivée. Elle nous porte
224
esquivée. Elle nous porte au cœur du problème et
de
son actualité. Précisons que les règles chevaleresques qui jouaient b
225
qui jouaient bel et bien au xiiie siècle un rôle
de
contrainte absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre d’obstac
226
absolue, n’interviennent dans le roman qu’à titre
d’
obstacle mythique et de figures rituelles de rhétorique. Sans elles, l
227
t dans le roman qu’à titre d’obstacle mythique et
de
figures rituelles de rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas tr
228
titre d’obstacle mythique et de figures rituelles
de
rhétorique. Sans elles, la fable n’aurait pas trouvé ses prétextes à
229
r que ces « cérémonies » sociales sont des moyens
de
faire admettre un contenu antisocial, qui est la passion. Le mot « co
230
« contenu » prend ici toute sa force : la passion
de
Tristan et d’Iseut est littéralement « contenue » par les règles de l
231
end ici toute sa force : la passion de Tristan et
d’
Iseut est littéralement « contenue » par les règles de la chevalerie.
232
eut est littéralement « contenue » par les règles
de
la chevalerie. C’est à cette condition seulement qu’elle pourra s’exp
233
t donc que les groupes constitués soient capables
de
lui opposer une structure fortement charpentée, pour qu’elle trouve l
234
tement charpentée, pour qu’elle trouve l’occasion
de
s’extérioriser sans causer les pires dégâts. Que, par la suite, le li
235
ou que le groupe soit dissocié, le mythe cessera
d’
être un mythe au sens strict. Mais ce qu’il aura perdu en force contra
236
il aura perdu en force contraignante et en moyens
de
se communiquer sous une forme voilée et admissible, il le retrouvera
237
re que la chevalerie, même sous sa forme profanée
de
savoir-vivre — les usages qu’il faut observer si l’on veut être un ge
238
quotidienne, envahira le subconscient, appellera
de
nouvelles contraintes, se les inventera au besoin… Car nous verrons q
239
nous verrons que ce n’est pas seulement la nature
de
la société, mais l’ardeur même de la sombre passion qui exige un aveu
240
ement la nature de la société, mais l’ardeur même
de
la sombre passion qui exige un aveu masqué. Le mythe, au sens strict
241
e période où les élites faisaient un vaste effort
de
mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait de « contenir », préci
242
de mise en ordre sociale et morale. Il s’agissait
de
« contenir », précisément, les poussées de l’instinct destructeur : c
243
issait de « contenir », précisément, les poussées
de
l’instinct destructeur : car la religion, en l’attaquant, l’exaspérai
244
ait. Les chroniqueurs, les sermons et les satires
de
ce siècle nous révèlent qu’il connut une première « crise du mariage
245
le appelait une réaction vive. Le succès du Roman
de
Tristan fut donc d’ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’ex
246
tion vive. Le succès du Roman de Tristan fut donc
d’
ordonner la passion dans un cadre où elle pût s’exprimer en satisfacti
247
s. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie
de
la société. Elle tend toujours à provoquer, de la part de la société,
248
art de la société, une mise en ordre équivalente.
D’
où la permanence historique non point du mythe sous sa forme première,
249
e non point du mythe sous sa forme première, mais
de
l’exigence mythique à laquelle répondait le Roman. Élargissant notre
250
us appellerons mythe, désormais, cette permanence
d’
un type de relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tris
251
rons mythe, désormais, cette permanence d’un type
de
relations et des réactions qu’il provoque. Le mythe de Tristan et Ise
252
lations et des réactions qu’il provoque. Le mythe
de
Tristan et Iseut, ce ne sera plus seulement le Roman, mais le phénomè
253
qu’il illustre, et dont l’influence n’a pas cessé
de
s’étendre jusqu’à nos jours. Passion de la nature obscure, dynamisme
254
pas cessé de s’étendre jusqu’à nos jours. Passion
de
la nature obscure, dynamisme excité par l’esprit, possibilité préform
255
ar l’esprit, possibilité préformée à la recherche
d’
une contrainte qui l’exalte, charme, terreur ou idéal : tel est le myt
256
arle Nietzsche. 3.Actualité du mythe ; raisons
de
notre analyse Nul besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui
257
du mythe ; raisons de notre analyse Nul besoin
d’
avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni d’avoir enten
258
besoin d’avoir lu le Tristan de Béroul, ou celui
de
M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la v
259
u le Tristan de Béroul, ou celui de M. Bédier, ni
d’
avoir entendu l’opéra de Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’
260
ou celui de M. Bédier, ni d’avoir entendu l’opéra
de
Wagner, pour subir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique d’un
261
ubir dans la vie quotidienne l’empire nostalgique
d’
un tel mythe. Il se trahit dans la plupart de nos romans et de nos fil
262
he. Il se trahit dans la plupart de nos romans et
de
nos films, dans leurs succès auprès des masses, dans les complaisance
263
poètes, des mal mariés, des midinettes qui rêvent
d’
amours miraculeuses. Le mythe agit partout où la passion est rêvée com
264
rophe, et non point comme une catastrophe. Il vit
de
la vie même de ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était
265
oint comme une catastrophe. Il vit de la vie même
de
ceux qui croient que l’amour est une destinée (c’était le philtre du
266
d sur l’homme impuissant et ravi pour le consumer
d’
un feu pur ; et qu’il est plus fort et plus vrai que le bonheur, la so
267
i que le bonheur, la société et la morale. Il vit
de
la vie même du romantisme en nous ; il est le grand mystère de cette
268
e du romantisme en nous ; il est le grand mystère
de
cette religion dont les poètes du siècle passé se firent les prêtres
269
ècle passé se firent les prêtres et les inspirés.
De
cette influence et de sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs im
270
es prêtres et les inspirés. De cette influence et
de
sa nature mythique, la preuve est d’ailleurs immédiate. Elle nous ser
271
nance du lecteur à envisager mon projet. Le Roman
de
Tristan nous est « sacré » dans la mesure exacte où l’on estimera que
272
timera que je commets un « sacrilège » en tentant
de
l’analyser. Certes, ce reproche de sacrilège revêt alors un sens bien
273
e » en tentant de l’analyser. Certes, ce reproche
de
sacrilège revêt alors un sens bien anodin, si l’on songe qu’il se tra
274
nce obscure et déprimée. Je ne courrai donc guère
d’
autre risque que celui de voir le lecteur fermer le volume à cette pag
275
Je ne courrai donc guère d’autre risque que celui
de
voir le lecteur fermer le volume à cette page. (Et certes, le sens in
276
ume à cette page. (Et certes, le sens inconscient
d’
un tel geste n’est rien moins que la mise à mort de l’auteur. Pourtant
277
’un tel geste n’est rien moins que la mise à mort
de
l’auteur. Pourtant il demeure sans effet). Mais si tu m’épargnes, ô l
278
nt sacrée pour toi ? Ou simplement que les hommes
d’
aujourd’hui ne sont pas moins débiles dans leurs passions que dans leu
279
débiles dans leurs passions que dans leurs gestes
de
réprobation ? À défaut d’ennemis déclarés, où sera le courage que l’o
280
s que dans leurs gestes de réprobation ? À défaut
d’
ennemis déclarés, où sera le courage que l’on réclame des écrivains ?
281
me éprouvé du dépit à voir l’un des commentateurs
de
la légende de Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La for
282
dépit à voir l’un des commentateurs de la légende
de
Tristan la définir « une épopée de l’adultère ». La formule est sans
283
de la légende de Tristan la définir « une épopée
de
l’adultère ». La formule est sans doute exacte, si l’on se borne à co
284
on soutenir que la faute morale est le vrai sujet
de
la légende ? Le Tristan de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opé
285
n de Wagner par exemple, ne serait-il qu’un opéra
de
l’adultère ? Et l’adultère, enfin, n’est-ce que cela ? Un vilain mot
286
, n’est-ce que cela ? Un vilain mot ? Une rupture
de
contrat ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop de cas ; mais
287
t ? C’est cela aussi, ce n’est que cela dans trop
de
cas ; mais c’est souvent bien davantage : une atmosphère tragique et
288
lème s’élargit magnifiquement — et mon cas empire
d’
autant. Je dirai mes raisons de persévérer, et l’on jugera si elles so
289
et mon cas empire d’autant. Je dirai mes raisons
de
persévérer, et l’on jugera si elles sont diaboliques. La première est
290
La première est que nous sommes parvenus au point
de
désordre social où l’immoralisme se révèle plus exténuant que les mor
291
lus exténuant que les morales anciennes. Le culte
de
l’amour-passion s’est tellement démocratisé qu’il perd ses vertus est
292
sé qu’il perd ses vertus esthétiques et sa valeur
de
tragédie spirituelle. Reste une confuse et diffuse souffrance, quelqu
293
une confuse et diffuse souffrance, quelque chose
d’
impur et de triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner
294
e et diffuse souffrance, quelque chose d’impur et
de
triste, dont il me semble qu’on ne perdra rien à profaner les causes
295
les causes faussement sacrées : cette littérature
de
la passion, cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue » d’allure
296
, cette publicité qu’on lui fait, cette « vogue »
d’
allure commerciale de ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaqu
297
on lui fait, cette « vogue » d’allure commerciale
de
ce qui fut un secret religieux… Il faut s’attaquer à tout cela, fût-c
298
t cela, fût-ce même pour sauver le mythe des abus
de
son extrême vulgarisation. Et tant pis pour le sacrilège. La poésie a
299
e a d’autres chances. Ma seconde raison n’est pas
d’
un défenseur de la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût
300
ances. Ma seconde raison n’est pas d’un défenseur
de
la beauté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair
301
s d’un défenseur de la beauté, même maudite, mais
d’
un homme qui a le goût d’y voir clair, de prendre conscience de sa vie
302
auté, même maudite, mais d’un homme qui a le goût
d’
y voir clair, de prendre conscience de sa vie et de la vie de ses cont
303
te, mais d’un homme qui a le goût d’y voir clair,
de
prendre conscience de sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je
304
i a le goût d’y voir clair, de prendre conscience
de
sa vie et de la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de
305
’y voir clair, de prendre conscience de sa vie et
de
la vie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’e
306
air, de prendre conscience de sa vie et de la vie
de
ses contemporains. Si je m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il p
307
ie de ses contemporains. Si je m’attache au mythe
de
Tristan, c’est qu’il permet de dégager une raison simple de notre con
308
m’attache au mythe de Tristan, c’est qu’il permet
de
dégager une raison simple de notre confusion présente. C’est qu’il pe
309
, c’est qu’il permet de dégager une raison simple
de
notre confusion présente. C’est qu’il permet aussi de formuler certai
310
otre confusion présente. C’est qu’il permet aussi
de
formuler certaines relations permanentes noyées sous les vulgarités m
311
ermanentes noyées sous les vulgarités minutieuses
de
nos psychologies. C’est enfin qu’il permet de mettre à nu certain dil
312
ses de nos psychologies. C’est enfin qu’il permet
de
mettre à nu certain dilemme dont notre vie hâtive, notre culture et l
313
dont notre vie hâtive, notre culture et le ronron
de
nos morales sont en passe de nous faire oublier la sévère réalité. Dr
314
culture et le ronron de nos morales sont en passe
de
nous faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe de la passion
315
faire oublier la sévère réalité. Dresser le mythe
de
la passion dans sa violence primitive et sacrée, dans sa pureté monum
316
vaillamment entre la Norme du Jour et la Passion
de
la Nuit ; dresser cette figure de la Mort des Amants qu’exalte l’ango
317
r et la Passion de la Nuit ; dresser cette figure
de
la Mort des Amants qu’exalte l’angoissant et vampirique crescendo du
318
angoissant et vampirique crescendo du second acte
de
Wagner, tel est le premier objet de cet ouvrage ; et le succès qu’il
319
u second acte de Wagner, tel est le premier objet
de
cet ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est d’amener un lecteu
320
et ouvrage ; et le succès qu’il ambitionne, c’est
d’
amener un lecteur au seuil du choix : « J’ai voulu cela ! » ou bien :
321
suis pas sûr que la conscience claire soit utile
d’
une manière générale, et en soi. Ni que les vérités utiles soient avou
322
sur la place. Mais quelle que soit « l’utilité »
de
mon entreprise, notre sort n’en demeure pas moins, à nous autres Occi
323
’en demeure pas moins, à nous autres Occidentaux,
de
devenir de plus en plus conscients des illusions dont nous vivons. Et
324
fonction du philosophe, du moraliste, du créateur
de
formes idéales, est simplement d’accroître la conscience, donc la mau
325
te, du créateur de formes idéales, est simplement
d’
accroître la conscience, donc la mauvaise conscience des hommes. Qui s
326
ù cela peut nous mener ? Là-dessus, il est temps
de
passer à l’opération annoncée. La condition de sa réussite est sans d
327
ps de passer à l’opération annoncée. La condition
de
sa réussite est sans doute une certaine froideur avec laquelle nous l
328
ds et aveugles aux « charmes » du récit, essayons
de
résumer « objectivement » les faits qu’il nous rapporte et les raison
329
qu’il en propose, ou qu’il omet très curieusement
de
nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman de Tristan3 Amo
330
nous indiquer. 4.Le contenu manifeste du Roman
de
Tristan3 Amors par force vos demeine ! Béroul. Tristan naît d
331
a mère Blanchefleur ne survit pas à sa naissance.
D’
où le nom du héros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel d’orage qu
332
aissance. D’où le nom du héros, la couleur sombre
de
sa vie, et le ciel d’orage qui couvre la légende. Le roi Marc de Corn
333
du héros, la couleur sombre de sa vie, et le ciel
d’
orage qui couvre la légende. Le roi Marc de Cornouailles, frère de Bla
334
e. Première prouesse ou performance : la victoire
de
Tristan sur le Morholt. Ce géant irlandais vient, comme le Minotaure,
335
dais vient, comme le Minotaure, exiger son tribut
de
jeunes filles ou de jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la p
336
Minotaure, exiger son tribut de jeunes filles ou
de
jeunes gens de Cornouailles. Tristan obtient la permission de le comb
337
ger son tribut de jeunes filles ou de jeunes gens
de
Cornouailles. Tristan obtient la permission de le combattre, au momen
338
ns de Cornouailles. Tristan obtient la permission
de
le combattre, au moment où il pourrait être armé chevalier, donc peu
339
en a reçu un coup d’épée empoisonnée. Sans espoir
de
survivre à son mal, Tristan s’embarque à l’aventure dans un bateau sa
340
t le sauver. Mais le géant Morholt était le frère
de
cette reine, aussi Tristan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origin
341
frère de cette reine, aussi Tristan se garde-t-il
d’
avouer son nom et l’origine de son mal. Iseut, princesse royale, le so
342
istan se garde-t-il d’avouer son nom et l’origine
de
son mal. Iseut, princesse royale, le soigne et le guérit. C’est le Pr
343
ue. Quelques années plus tard, le roi Marc décide
d’
épouser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu d’or. C’est Tris
344
ser la femme dont un oiseau lui apporta un cheveu
d’
or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête » de l’inconnue. Une tempê
345
u d’or. C’est Tristan qu’il envoie à la « quête »
de
l’inconnue. Une tempête rejette le héros vers l’Irlande. Là, il comba
346
ui menaçait la capitale. (C’est le motif consacré
de
la vierge délivrée par un jeune paladin.) Blessé par le monstre, Tris
347
couvre que le blessé n’est autre que le meurtrier
de
son oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace de le tuer dans so
348
que le meurtrier de son oncle. Elle saisit l’épée
de
Tristan et menace de le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la m
349
on oncle. Elle saisit l’épée de Tristan et menace
de
le tuer dans son bain. Alors, il lui révèle la mission dont le roi Ma
350
) Tristan et la princesse voguent vers les terres
de
Marc. En haute mer, le vent tombe, la chaleur est pesante. Ils ont so
351
. Ils le boivent. Les voici entrés dans les voies
d’
une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour de leurs vies, car ils
352
d’une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour
de
leurs vies, car ils ont beu leur destruction et leur mort ». Ils s’av
353
erbez : La mere Yseut, qui le bollit, A trois anz
d’
amistié le fist. Thomas, imbu de fine psychologie, et plein de méfian
354
lit, A trois anz d’amistié le fist. Thomas, imbu
de
fine psychologie, et plein de méfiance pour le merveilleux, qu’il jug
355
fist. Thomas, imbu de fine psychologie, et plein
de
méfiance pour le merveilleux, qu’il juge grossier, réduit autant que
356
ible l’importance du philtre, et présente l’amour
de
Tristan et d’Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scèn
357
nce du philtre, et présente l’amour de Tristan et
d’
Iseut comme une affection spontanée, apparue dès la scène du bain. Eil
358
nt des barons « félons » dénoncent au roi l’amour
de
Tristan et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvell
359
« félons » dénoncent au roi l’amour de Tristan et
d’
Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur d’une nouvelle ruse (scène
360
n et d’Iseut. Tristan est banni. Mais à la faveur
d’
une nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc de son innocence
361
nouvelle ruse (scène du verger), il convainc Marc
de
son innocence et revient à la cour. Le nain Frocine, complice des bar
362
re les amants et leur tend un piège. Entre le lit
de
Tristan et celui de la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan
363
r tend un piège. Entre le lit de Tristan et celui
de
la reine, il sème de la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé
364
e le lit de Tristan et celui de la reine, il sème
de
la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle missio
365
istan et celui de la reine, il sème de la « fleur
de
blé ». Tristan, que Marc a chargé d’une nouvelle mission, veut rejoin
366
e la « fleur de blé ». Tristan, que Marc a chargé
d’
une nouvelle mission, veut rejoindre une dernière fois son amie, penda
367
ndant la nuit qui précède son départ. Il franchit
d’
un saut l’espace qui sépare les deux lits. Mais une blessure récente q
368
irruption dans le dortoir. Ils voient des traces
de
sang sur la fleur de blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Is
369
rtoir. Ils voient des traces de sang sur la fleur
de
blé. La preuve de l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une
370
des traces de sang sur la fleur de blé. La preuve
de
l’adultère est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe de lépreux
371
e est ainsi faite. Iseut sera livrée à une troupe
de
lépreux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène de la chapelle)
372
eux et Tristan condamné à mort. Il s’évade (scène
de
la chapelle). Il délivre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt
373
livre Iseut, et avec elle s’enfonce dans la forêt
de
Morois. Trois ans durant, ils y mènent une vie « aspre et dure ». Un
374
on épée nue. Ému par ce qu’il prend pour un signe
de
chasteté, le roi les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée de
375
les épargne. Sans les réveiller, il prend l’épée
de
Tristan et dépose à sa place l’épée royale. Les trois ans écoulés, l
376
royale. Les trois ans écoulés, le philtre cesse
d’
agir (selon Béroul et l’ancêtre commun des cinq versions). Alors seule
377
grin, par l’entremise duquel Tristan offre au roi
de
lui rendre sa femme. Marc promet son pardon. Les amants se séparent à
378
he du cortège royal. Iseut supplie encore Tristan
de
demeurer dans le pays jusqu’à ce qu’il soit certain que Marc la trait
379
qu’elle rejoindra le chevalier au premier signal
de
sa part, et sans que rien puisse la retenir, « ni tour, ni mur, ni fo
380
ins. Mais les barons félons veillent sur la vertu
de
la reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement de Dieu » pour pr
381
reine. Celle-ci demande et obtient un « jugement
de
Dieu » pour prouver son innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomp
382
n innocence. Grâce à un subterfuge, elle triomphe
de
l’épreuve : avant de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main d
383
de saisir le fer rouge qui laisse intacte la main
de
qui n’a pas menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’aucun
384
menti, elle jure n’avoir jamais été dans les bras
d’
aucun homme, hors ceux du roi son maître et du manant qui vient de l’a
385
tre et du manant qui vient de l’aider à descendre
de
sa barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais de nouvelles aventu
386
sa barque. Le manant, c’est Tristan déguisé… Mais
de
nouvelles aventures entraînent au loin le chevalier. Il croit que la
387
loin le chevalier. Il croit que la reine a cessé
de
l’aimer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà de la mer, « po
388
mer. C’est alors qu’il consent à épouser, au-delà
de
la mer, « pour son nom et pour sa beauté »4 une autre Iseut, l’Iseut
389
, et son vaisseau arbore une voile blanche, signe
d’
espoir. Iseut aux blanches mains guettait son arrivée. Tourmentée par
390
ourmentée par la jalousie, elle s’en vient au lit
de
Tristan et lui annonce que la voile est noire. Tristan meurt. Iseut l
391
cet instant, monte au château, embrasse le corps
de
son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé de la sorte, et tout « ch
392
ps de son amant, et meurt. 5.Énigmes Résumé
de
la sorte, et tout « charme » détruit, à considérer froidement le plus
393
it que sa donnée ni son progrès ne sont dépourvus
d’
équivoque. J’ai passé quantité d’épisodes accessoires, mais aucun des
394
e sont dépourvus d’équivoque. J’ai passé quantité
d’
épisodes accessoires, mais aucun des motifs allégués de l’action centr
395
sodes accessoires, mais aucun des motifs allégués
de
l’action centrale du Roman. Et je les ai même soulignés. On a pu voir
396
années dans la forêt, parce que le philtre cesse
d’
agir ; — Tristan épouse Iseut aux blanches mains « pour son nom et pou
397
« raisons » mises à part — nous aurons l’occasion
d’
y revenir — on s’aperçoit que le Roman repose sur une série de contrad
398
— on s’aperçoit que le Roman repose sur une série
de
contradictions énigmatiques. Une première remarque m’a frappé, faite
399
é, faite en passant par l’un des éditeurs récents
de
la légende : tout au long du Roman, Tristan paraît physiquement supér
400
ucune force extérieure ne saurait donc l’empêcher
d’
enlever Iseut et d’obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent
401
ure ne saurait donc l’empêcher d’enlever Iseut et
d’
obéir à son destin. Les mœurs du temps sanctionnent le droit du plus f
402
oindre scrupule ; et surtout s’il s’agit du droit
d’
un homme sur une femme : c’est l’enjeu habituel des tournois. Pourquoi
403
uel des tournois. Pourquoi Tristan n’use-t-il pas
de
ce droit ? Mise en éveil par cette première question, notre méfiance
404
non moins curieuses et obscures. Pourquoi l’épée
de
chasteté entre les corps dans la forêt ? Les amants ont déjà péché ;
405
forêt ? Les amants ont déjà péché ; ils refusent
de
se repentir, à ce moment-là ; enfin ils ne prévoient nullement que le
406
ans les différentes versions, qui donne la raison
de
cet acte5. Pourquoi Tristan rend-il la reine à Marc, et cela même da
407
ela même dans les versions où le philtre continue
d’
agir ? Si, comme certains le disent, c’est une repentance sincère qui
408
motive la séparation, pourquoi se promettent-ils
de
se revoir au moment même où ils acceptent de se quitter ? Pourquoi Tr
409
-ils de se revoir au moment même où ils acceptent
de
se quitter ? Pourquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir de n
410
urquoi Tristan s’éloigne-t-il ensuite pour courir
de
nouvelles aventures, alors qu’ils ont un rendez-vous dans la forêt ?
411
oi la reine coupable propose-t-elle un « jugement
de
Dieu » ? Elle sait bien que cette épreuve doit la perdre. Elle n’en t
412
pposerait à son retour auprès du roi, donc auprès
d’
Iseut… D’autre part, n’est-il pas fort étrange que les poètes du xiie
413
es du xiie siècle, si exigeants dès qu’il s’agit
d’
honneur, de fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de comme
414
siècle, si exigeants dès qu’il s’agit d’honneur,
de
fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot de commentaire tant
415
fidélité au suzerain, laissent passer sans un mot
de
commentaire tant d’actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-il
416
, laissent passer sans un mot de commentaire tant
d’
actions aussi peu défendables ? Comment peuvent-ils nous présenter tel
417
Comment peuvent-ils nous présenter tel un modèle
de
chevalerie ce Tristan qui a trompé son roi par les ruses les plus cyn
418
de « félons » les barons qui défendent l’honneur
de
Marc ? Même si la jalousie meut ces barons, ils n’ont du moins ni men
419
moins ni menti ni trompé, et ce n’est pas le cas
de
Tristan… Enfin l’on en vient à douter de la valeur même des rares mot
420
s le cas de Tristan… Enfin l’on en vient à douter
de
la valeur même des rares motifs allégués. En effet, si la morale de l
421
des rares motifs allégués. En effet, si la morale
de
la fidélité au suzerain exige que Tristan livre à Marc la fiancée qu’
422
ancée qu’il alla quérir — et qu’il avait conquise
de
plein droit pour lui-même en la délivrant du dragon, comme ne manque
423
me en la délivrant du dragon, comme ne manque pas
de
le souligner Thomas — on ne peut s’empêcher de penser que ces scrupul
424
as de le souligner Thomas — on ne peut s’empêcher
de
penser que ces scrupules sont bien tardifs et peu sincères, puisque T
425
bien tardifs et peu sincères, puisque Tristan n’a
de
cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui ce
426
an n’a de cesse qu’il ne rentre à la cour, auprès
d’
Iseut… Et ce philtre qui cesse d’agir, n’était-il pas destiné aux épou
427
la cour, auprès d’Iseut… Et ce philtre qui cesse
d’
agir, n’était-il pas destiné aux époux ? Alors, pourquoi limiter sa du
428
durée ? Trois ans, ce n’est guère pour le bonheur
d’
un couple. Et quand Tristan épouse l’autre Iseut « pour son nom et pou
429
ieuse, et qu’il se met dans une situation qui n’a
d’
autre issue que la mort ? 6.Chevalerie contre Mariage Un moderne
430
ontre Mariage Un moderne commentateur du Roman
de
Tristan et Iseut veut y voir un « conflit cornélien entre l’amour et
431
t le devoir ». Cette interprétation classique est
d’
un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse de Corneille, elle paraît
432
st d’un aimable anachronisme. Outre qu’elle abuse
de
Corneille, elle paraît ignorer l’un de ces faits dont l’envergure éch
433
elle abuse de Corneille, elle paraît ignorer l’un
de
ces faits dont l’envergure échappe souvent aux prises de l’érudition
434
faits dont l’envergure échappe souvent aux prises
de
l’érudition scrupuleuse. Je veux parler de l’opposition qui se manife
435
prises de l’érudition scrupuleuse. Je veux parler
de
l’opposition qui se manifeste dès la seconde moitié du xiie siècle e
436
es premiers auteurs qui en parlent ont l’habitude
de
déplorer sa décadence : mais ils oublient que, telle qu’ils la souhai
437
à peine de naître dans leurs rêves. N’est-il pas
de
l’essence d’un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même o
438
aître dans leurs rêves. N’est-il pas de l’essence
d’
un idéal que l’on déplore sa décadence à l’instant même où il essaie m
439
ence à l’instant même où il essaie maladroitement
de
se réaliser ? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas d’oppos
440
? D’autre part, la chance du roman n’est-elle pas
d’
opposer la fiction d’un certain idéal de vie aux réalités tyranniques
441
ance du roman n’est-elle pas d’opposer la fiction
d’
un certain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme q
442
-elle pas d’opposer la fiction d’un certain idéal
de
vie aux réalités tyranniques ? Plus d’une énigme que nous pose le Rom
443
tain idéal de vie aux réalités tyranniques ? Plus
d’
une énigme que nous pose le Roman nous incite à chercher de ce côté le
444
gme que nous pose le Roman nous incite à chercher
de
ce côté les éléments d’une première solution. Si l’on admet que l’ave
445
an nous incite à chercher de ce côté les éléments
d’
une première solution. Si l’on admet que l’aventure de Tristan devait
446
e première solution. Si l’on admet que l’aventure
de
Tristan devait servir à illustrer le conflit de la chevalerie et de l
447
e de Tristan devait servir à illustrer le conflit
de
la chevalerie et de la société féodale — donc le conflit de deux devo
448
servir à illustrer le conflit de la chevalerie et
de
la société féodale — donc le conflit de deux devoirs ou même, nous l’
449
alerie et de la société féodale — donc le conflit
de
deux devoirs ou même, nous l’avons vu page 21, le conflit de deux « r
450
oirs ou même, nous l’avons vu page 21, le conflit
de
deux « religions » —, l’on s’aperçoit que bien des épisodes s’éclaire
451
tes les difficultés, elle en repousse la solution
d’
une manière significative. En quoi le roman breton se distingue-t-il d
452
cative. En quoi le roman breton se distingue-t-il
de
la chanson de geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie s
453
i le roman breton se distingue-t-il de la chanson
de
geste, qu’il supplanta dès la seconde moitié du xiie siècle avec une
454
le troubadour méridional, se reconnaît le vassal
d’
une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur. D’où
455
une Dame élue. Mais en fait, il demeure le vassal
d’
un seigneur. D’où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre
456
Mais en fait, il demeure le vassal d’un seigneur.
D’
où naîtront des conflits de droit, dont le Roman offre plus d’un exemp
457
vassal d’un seigneur. D’où naîtront des conflits
de
droit, dont le Roman offre plus d’un exemple. Reprenons l’épisode des
458
t des conflits de droit, dont le Roman offre plus
d’
un exemple. Reprenons l’épisode des trois barons « félons ». Selon la
459
ns ». Selon la morale féodale, le vassal est tenu
de
dénoncer au seigneur tout ce qui lèse son droit ou son honneur : il e
460
» et loyaux. Et si l’auteur les traite cependant
de
félons, c’est en vertu d’un autre code évidemment, qui ne peut être q
461
autre code évidemment, qui ne peut être que celui
de
la chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour de la Gascogne e
462
i de la chevalerie du Midi. La décision des cours
d’
amour de la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les
463
chevalerie du Midi. La décision des cours d’amour
de
la Gascogne est bien connue : félon sera celui qui révèle les secrets
464
connue : félon sera celui qui révèle les secrets
de
l’amour courtois. Ce seul exemple suffirait à démontrer que les auteu
465
le droit féodal. Mais nous avons d’autres raisons
de
le croire. La conception de la fidélité et du mariage, selon l’amour
466
vons d’autres raisons de le croire. La conception
de
la fidélité et du mariage, selon l’amour courtois, est seule capable
467
ariage, selon l’amour courtois, est seule capable
d’
expliquer certaines contradictions frappantes du récit. Selon la thèse
468
se officiellement admise, l’amour courtois est né
d’
une réaction à l’anarchie brutale des mœurs féodales. On sait que le m
469
nu pour les seigneurs une pure et simple occasion
de
s’enrichir, et d’annexer des terres données en dot ou espérées en hér
470
urs une pure et simple occasion de s’enrichir, et
d’
annexer des terres données en dot ou espérées en héritage. Quand l’« a
471
tournait mal, on répudiait sa femme. Le prétexte
de
l’inceste, curieusement exploité, trouvait l’Église sans résistance :
472
trouvait l’Église sans résistance : il suffisait
d’
alléguer sans trop de preuves une parenté au quatrième degré, pour obt
473
ns résistance : il suffisait d’alléguer sans trop
de
preuves une parenté au quatrième degré, pour obtenir l’annulation. À
474
our obtenir l’annulation. À ces abus, générateurs
de
querelles infinies et de guerres, l’amour courtois oppose une fidélit
475
À ces abus, générateurs de querelles infinies et
de
guerres, l’amour courtois oppose une fidélité indépendante du mariage
476
e sont pas compatibles : c’est le fameux jugement
d’
une cour d’amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) S
477
compatibles : c’est le fameux jugement d’une cour
d’
amour tenue chez la comtesse de Champagne. (Appendice 3.) Si Tristan,
478
et l’auteur du Roman, partagent une telle manière
de
voir, la félonie et l’adultère sont excusés, et plus qu’excusés, magn
479
élité à la loi supérieure du donnoi, c’est-à-dire
de
l’amour courtois. (Donnoi, ou domnei en provençal, désigne la relatio
480
nnoi, ou domnei en provençal, désigne la relation
de
vasselage institué entre l’amant-chevalier et sa Dame, ou domina.) Fi
481
e, on l’a vu. Le Roman ne manque pas une occasion
de
rabaisser l’institution sociale, d’humilier le mari — roi aux oreille
482
une occasion de rabaisser l’institution sociale,
d’
humilier le mari — roi aux oreilles de cheval, toujours si facilement
483
on sociale, d’humilier le mari — roi aux oreilles
de
cheval, toujours si facilement dupé — et de glorifier la vertu de ceu
484
illes de cheval, toujours si facilement dupé — et
de
glorifier la vertu de ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui
485
urs si facilement dupé — et de glorifier la vertu
de
ceux qui s’aiment hors du mariage et contre lui. Mais cette fidélité
486
pose, autant qu’au mariage, à la « satisfaction »
de
l’amour. « Il ne sait de donnoi vraiment rien, celui qui désire l’ent
487
e, à la « satisfaction » de l’amour. « Il ne sait
de
donnoi vraiment rien, celui qui désire l’entière possession de sa dam
488
iment rien, celui qui désire l’entière possession
de
sa dame. Cela n’est plus amour, qui tourne à réalité. »7 Voilà qui no
489
urne à réalité. »7 Voilà qui nous met sur la voie
d’
une première explication d’épisodes tels que ceux de l’épée de chastet
490
i nous met sur la voie d’une première explication
d’
épisodes tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son
491
une première explication d’épisodes tels que ceux
de
l’épée de chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite da
492
re explication d’épisodes tels que ceux de l’épée
de
chasteté, du retour d’Iseut à son mari après la retraite dans le Moro
493
es tels que ceux de l’épée de chasteté, du retour
d’
Iseut à son mari après la retraite dans le Morois, ou même du mariage
494
retraite dans le Morois, ou même du mariage blanc
de
Tristan. En effet, le « droit de la passion », au sens où l’entendent
495
du mariage blanc de Tristan. En effet, le « droit
de
la passion », au sens où l’entendent les modernes, permettrait à Tris
496
ù l’entendent les modernes, permettrait à Tristan
d’
enlever Iseut, après qu’ils ont bu le philtre. Cependant il la livre à
497
Cependant il la livre à Marc : c’est que la règle
de
l’amour courtois s’oppose à ce qu’une telle passion « tourne à réalit
498
, c’est-à-dire aboutisse à l’« entière possession
de
sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas, d’observer la fidélité
499
de sa dame ». Tristan choisira donc, dans ce cas,
d’
observer la fidélité féodale, masque et complice énigmatique de la fid
500
fidélité féodale, masque et complice énigmatique
de
la fidélité courtoise. Il choisit en toute liberté, car nous avons ma
501
e plan féodal qu’il adopte, faire valoir le droit
de
la force… Étrange amour, va-t-on penser, qui se conforme aux lois qui
502
s qui le condamnent, afin de mieux se conserver !
D’
où peut venir cette préférence pour ce qui entrave la passion, pour ce
503
st pas encore répondre sur le fond, car il s’agit
de
savoir pourquoi l’on préfère cet amour à l’autre, à celui qui se « ré
504
t vraisemblable, que le Roman illustre un conflit
de
« religions », nous avons pu préciser et cerner les principales diffi
505
pu préciser et cerner les principales difficultés
de
l’intrigue : mais en fin de compte, la solution se trouve simplement
506
our du roman Si l’on se reporte à notre résumé
de
la légende, on ne peut manquer d’être frappé de ce fait : les deux lo
507
à notre résumé de la légende, on ne peut manquer
d’
être frappé de ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie
508
é de la légende, on ne peut manquer d’être frappé
de
ce fait : les deux lois qui entrent en jeu, chevalerie et morale féod
509
es seules situations où elles permettent au roman
de
rebondir 8. Cette remarque à son tour ne saurait constituer par elle-
510
nstituer par elle-même une explication. À chacune
de
nos questions, il serait évidemment facile de répondre : les choses s
511
une de nos questions, il serait évidemment facile
de
répondre : les choses se passent ainsi parce qu’autrement il n’y aura
512
ssent ainsi parce qu’autrement il n’y aurait plus
de
roman. Mais cette réponse ne paraît convaincante qu’en vertu d’une co
513
convaincante qu’en vertu d’une coutume paresseuse
de
notre critique littéraire. En vérité, elle ne répond à rien. Elle nou
514
t pas sans danger. Elle nous met en effet au cœur
de
tout le problème — et sa portée dépasse sans aucun doute le cas parti
515
ortée dépasse sans aucun doute le cas particulier
de
notre mythe. Pour qui se place, par un effort d’abstraction, à l’exté
516
de notre mythe. Pour qui se place, par un effort
d’
abstraction, à l’extérieur du phénomène commun au romancier et au lect
517
aît qu’une convention tacite, ou mieux, une sorte
de
complicité les lie : la volonté que le roman continue, ou comme on di
518
ndisse. Supprimez cette volonté, il n’y aura plus
de
vraisemblance qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas de l’His
519
ce qui tienne : c’est ce qui se passe dans le cas
de
l’Histoire scientifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera d’
520
ns le cas de l’Histoire scientifique. (Le lecteur
d’
un ouvrage « sérieux » sera d’autant plus exigeant qu’il sait que le d
521
ifique. (Le lecteur d’un ouvrage « sérieux » sera
d’
autant plus exigeant qu’il sait que le déroulement des faits ne doit d
522
que le déroulement des faits ne doit dépendre ni
de
son désir ni des fantaisies de l’auteur.) Supposez au contraire cette
523
e doit dépendre ni de son désir ni des fantaisies
de
l’auteur.) Supposez au contraire cette volonté toute pure, il n’y aur
524
traire cette volonté toute pure, il n’y aura plus
d’
invraisemblance possible : c’est le cas du conte. Entre ces deux extrê
525
du conte. Entre ces deux extrêmes, il est autant
de
niveaux de vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemb
526
Entre ces deux extrêmes, il est autant de niveaux
de
vraisemblance que de sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépen
527
es, il est autant de niveaux de vraisemblance que
de
sujets. Ou si l’on veut : la vraisemblance dépend, pour un ouvrage ro
528
mblance dépend, pour un ouvrage romanesque donné,
de
la nature des passions qu’il veut flatter. C’est dire que l’on accept
529
flatter. C’est dire que l’on acceptera le « coup
de
pouce » du créateur, et les entorses qu’il fait subir à la « logique
530
et les entorses qu’il fait subir à la « logique »
d’
observation courante, dans la mesure exacte où ces licences fourniront
531
on que l’on désire éprouver. Ainsi, le vrai sujet
d’
une œuvre est révélé par la nature des « trucs » que l’auteur fait int
532
les obstacles extérieurs qui s’opposent à l’amour
de
Tristan sont dans un certain sens gratuits, c’est-à-dire qu’ils ne so
533
dre, que des artifices romanesques. Or il résulte
de
nos remarques au sujet de la vraisemblance, que la gratuité même des
534
des obstacles invoqués peut révéler le vrai sujet
d’
une œuvre, la vraie nature de la passion qu’elle met en jeu. Il faut s
535
évéler le vrai sujet d’une œuvre, la vraie nature
de
la passion qu’elle met en jeu. Il faut sentir qu’ici tout est symbole
536
pose à la manière d’un rêve, et non point à celle
de
nos vies : les prétextes du romancier, les actions de ses deux héros,
537
os vies : les prétextes du romancier, les actions
de
ses deux héros, et les préférences secrètes qu’il suppose chez son le
538
faits » ne sont que les images ou les projections
d’
un désir, de ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplemen
539
ont que les images ou les projections d’un désir,
de
ce qui s’y oppose, de ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire d
540
les projections d’un désir, de ce qui s’y oppose,
de
ce qui peut l’exalter, ou simplement le faire durer. Tout manifeste,
541
t manifeste, dans le comportement du chevalier et
de
la princesse, une exigence ignorée d’eux — et peut-être du romancier
542
hevalier et de la princesse, une exigence ignorée
d’
eux — et peut-être du romancier — mais plus profonde que celle de leur
543
-être du romancier — mais plus profonde que celle
de
leur bonheur. Pas un des obstacles qu’ils rencontrent ne se révèle, o
544
! On peut dire qu’ils ne perdent pas une occasion
de
se séparer. Quand il n’y a pas d’obstacle, ils en inventent : l’épée
545
as une occasion de se séparer. Quand il n’y a pas
d’
obstacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage de Tristan. Ils en
546
stacle, ils en inventent : l’épée nue, le mariage
de
Tristan. Ils en inventent comme à plaisir, — bien qu’ils en souffrent
547
et du lecteur ? Mais c’est tout un, car le démon
de
l’amour courtois qui inspire au cœur des amants les ruses d’où naît l
548
courtois qui inspire au cœur des amants les ruses
d’
où naît leur souffrance, c’est le démon même du roman tel que l’aiment
549
l’aiment les Occidentaux. Quel est le vrai sujet
de
la légende ? La séparation des amants ? Oui, mais au nom de la passio
550
? Oui, mais au nom de la passion, et pour l’amour
de
l’amour même qui les tourmente, pour l’exalter, pour le transfigurer
551
le transfigurer — au détriment de leur bonheur et
de
leur vie même… ⁂ Nous commençons à distinguer le sens secret et inqui
552
ressemble au vertige… Mais ce n’est plus l’heure
de
se détourner. Nous sommes atteints, nous subissons le charme, nous co
553
e. Mais la passion du philosophe n’est-elle point
de
méditer dans le vertige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien
554
ige ? Il se peut que la connaissance ne soit rien
d’
autre que l’effort d’un esprit qui résiste à la chute, et qui se défen
555
la connaissance ne soit rien d’autre que l’effort
d’
un esprit qui résiste à la chute, et qui se défend au sein de la tenta
556
i se défend au sein de la tentation… 8.L’amour
de
l’amour De tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me ré
557
sein de la tentation… 8.L’amour de l’amour
De
tous les maux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis de lui ;
558
ux, le mien diffère ; il me plaît ; je me réjouis
de
lui ; mon mal est ce que je veux et ma douleur est ma santé. Je ne vo
559
x et ma douleur est ma santé. Je ne vois donc pas
de
quoi je me plains, car mon mal me vient de ma volonté ; c’est mon vou
560
mon vouloir qui devient mon mal ; mais j’ai tant
d’
aise à vouloir ainsi que je souffre agréablement, et tant de joie dans
561
ces. Chrétien de Troyes. Il faut avoir l’audace
de
poser la question : Tristan aime-t-il Iseut ? Est-il aimé par elle ?
562
est point, comme l’a dit à peu près Valéry.) Rien
d’
humain ne paraît rapprocher nos amants, bien au contraire. Lors de leu
563
ur première rencontre, ils n’ont que des rapports
de
politesse conventionnelle. Et quand Tristan revient en quête d’Iseut,
564
onventionnelle. Et quand Tristan revient en quête
d’
Iseut, on se souvient que cette politesse fait place à la plus franche
565
ndresse va-t-elle naître et les unir, à la faveur
de
ce destin magique ? Dans tout le Roman, dans ces milliers de vers, je
566
n magique ? Dans tout le Roman, dans ces milliers
de
vers, je n’en ai trouvé qu’une seule trace. C’est quand ils vivent da
567
seule trace. C’est quand ils vivent dans la forêt
de
Morois, après l’évasion de Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant
568
s vivent dans la forêt de Morois, après l’évasion
de
Tristan. Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment de bonne amo
569
. Aspre vie meinent et dure : Tant s’entr’aiment
de
bonne amor L’un par l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes
570
l’autre ne sent dolor. Dira-t-on que les poètes
de
cette époque furent moins sentimentaux que nous ne le sommes devenus,
571
es devenus, et qu’ils n’éprouvaient pas le besoin
d’
insister sur ce qui va de soi ? Qu’on lise alors, attentivement, le ré
572
lles, qui sont peut-être aussi les plus profondes
de
la légende, ce sont les deux visites que les amants font à l’ermite O
573
se confesser. Mais au lieu d’avouer leur péché et
de
demander l’absolution, ils s’efforcent de démontrer qu’ils n’ont aucu
574
éché et de demander l’absolution, ils s’efforcent
de
démontrer qu’ils n’ont aucune responsabilité dans l’aventure, puisqu’
575
! Q’el m’aime, c’est par la poison Ge ne me pus
de
lié partir, N’ele de moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui :
576
t par la poison Ge ne me pus de lié partir, N’ele
de
moi… Ainsi parle Tristan. Et Iseut après lui : Sire, por Dieu omnip
577
is « par-delà le bien et le mal », dans une sorte
de
transcendance de nos communes conditions, dans un absolu indicible, i
578
bien et le mal », dans une sorte de transcendance
de
nos communes conditions, dans un absolu indicible, incompatible avec
579
du bien et du mal ; elle les conduit même au-delà
de
l’origine de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souf
580
mal ; elle les conduit même au-delà de l’origine
de
toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et de la souffrance, au-de
581
de toutes valeurs morales, au-delà du plaisir et
de
la souffrance, au-delà du domaine où l’on distingue, et où les contra
582
n’appartient ni à l’un ni à l’autre, mais relève
d’
une puissance étrangère, indépendante de leurs qualités, de leurs dési
583
is relève d’une puissance étrangère, indépendante
de
leurs qualités, de leurs désirs, au moins conscients, et de leur être
584
ssance étrangère, indépendante de leurs qualités,
de
leurs désirs, au moins conscients, et de leur être tel qu’ils le conn
585
ualités, de leurs désirs, au moins conscients, et
de
leur être tel qu’ils le connaissent. Les traits physiques et psycholo
586
nnaissent. Les traits physiques et psychologiques
de
cet homme et de cette femme sont parfaitement conventionnels et rhéto
587
raits physiques et psychologiques de cet homme et
de
cette femme sont parfaitement conventionnels et rhétoriques. Lui, c’e
588
à propos de la durée du philtre est le contraire
d’
une amitié réelle. Bien plus, si l’amitié morale se fait jour, ce n’es
589
moment où la passion faiblit. Et le premier effet
de
cette amitié naissante n’est pas du tout d’unir davantage les amants,
590
effet de cette amitié naissante n’est pas du tout
d’
unir davantage les amants, mais au contraire de leur montrer qu’ils on
591
ls ont tout intérêt à se quitter. Voyons ce point
d’
un peu plus près. L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li tro
592
Voyons ce point d’un peu plus près. L’endemain
de
la saint Jehan Aconpli furent li troi an. Tristan chassait dans la f
593
. Il regrette « le vair et le gris » et l’apparat
de
chevalerie, et le haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons d
594
haut rang qu’il pourrait occuper parmi les barons
de
son oncle. Il songe aussi à son amie, — pour la première fois semble-
595
lle pourrait être « en beles chambres… portendues
de
dras de soie ». Iseut de son côté, à la même heure, conçoit les mêmes
596
rait être « en beles chambres… portendues de dras
de
soie ». Iseut de son côté, à la même heure, conçoit les mêmes regrets
597
les chambres… portendues de dras de soie ». Iseut
de
son côté, à la même heure, conçoit les mêmes regrets. Le soir venu, i
598
ment : « En mal uson notre jovente »… La décision
de
se séparer est bientôt prise. Tristan propose de « gerpir » en Bretag
599
de se séparer est bientôt prise. Tristan propose
de
« gerpir » en Bretagne. Auparavant, ils iront voir Ogrin l’ermite pou
600
oignante définition qu’un poète ait jamais donnée
de
la passion ! À lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force de l
601
lui seul, ce vers exprime tout, et avec une force
de
langage qui fait pâlir le romantisme tout entier ! Qui nous rendra ce
602
stan reçoit la réponse favorable du roi acceptant
de
reprendre Iseut : Dex ! dist Tristan, quel départie ! Mot est dolenz
603
auprès de son ami ; plus heureuse dans le malheur
d’
amour que dans leur vie commune du Morois… ⁂ On sait d’ailleurs que pa
604
lui par elle, elle par lui… » L’égoïsme apparent
d’
un tel amour expliquerait à lui seul bien des « hasards », bien des ma
605
qu’ils aiment, c’est l’amour, c’est le fait même
d’
aimer. Et ils agissent comme s’ils avaient compris que tout ce qui s’o
606
ur cœur, pour l’exalter à l’infini dans l’instant
de
l’obstacle absolu, qui est la mort. Tristan aime se sentir aimer, bie
607
. Et Iseut ne fait rien pour retenir Tristan près
d’
elle : il lui suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’aut
608
pour retenir Tristan près d’elle : il lui suffit
d’
un rêve passionné. Ils ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais no
609
i suffit d’un rêve passionné. Ils ont besoin l’un
de
l’autre pour brûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non de la
610
ont besoin l’un de l’autre pour brûler, mais non
de
l’autre tel qu’il est ; et non de la présence de l’autre, mais bien p
611
rûler, mais non de l’autre tel qu’il est ; et non
de
la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparati
612
de l’autre tel qu’il est ; et non de la présence
de
l’autre, mais bien plutôt de son absence ! La séparation des amants r
613
t non de la présence de l’autre, mais bien plutôt
de
son absence ! La séparation des amants résulte ainsi de leur passion
614
absence ! La séparation des amants résulte ainsi
de
leur passion même, et de l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt
615
des amants résulte ainsi de leur passion même, et
de
l’amour qu’ils portent à leur passion plutôt qu’à son contentement, p
616
à son contentement, plutôt qu’à son vivant objet.
D’
où les obstacles multipliés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnan
617
jet. D’où les obstacles multipliés par le Roman ;
d’
où l’indifférence étonnante de ces complices d’un même rêve au sein du
618
liés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnante
de
ces complices d’un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ;
619
; d’où l’indifférence étonnante de ces complices
d’
un même rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ; d’où le crescend
620
es complices d’un même rêve au sein duquel chacun
d’
eux reste seul ; d’où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose
621
ême rêve au sein duquel chacun d’eux reste seul ;
d’
où le crescendo romanesque et la mortelle apothéose. Dualité irrémédia
622
, soupire Tristan. Pourtant il sent déjà, au fond
de
la nuit qui vient, poindre la flamme secrète, ravivée par l’absence.
623
amme secrète, ravivée par l’absence. 9.L’amour
de
la Mort Mais il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare d’Aug
624
s il nous faut pousser plus loin : l’amabam amare
d’
Augustin est une émouvante formule dont lui-même ne s’est pas satisfai
625
cle dont nous avons souvent parlé, et la création
de
l’obstacle par la passion des deux héros (confondant ici ses effets a
626
s deux héros (confondant ici ses effets avec ceux
de
l’exigence romanesque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’es
627
ses effets avec ceux de l’exigence romanesque et
de
l’attente du lecteur) — cet obstacle n’est-il qu’un prétexte, nécessa
628
le n’est-il qu’un prétexte, nécessaire au progrès
de
la passion, ou n’est-il pas lié à la passion d’une manière beaucoup p
629
s de la passion, ou n’est-il pas lié à la passion
d’
une manière beaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même de la p
630
eaucoup plus profonde ? N’est-il pas l’objet même
de
la passion, — si l’on descend au fond du mythe ? ⁂ Nous avons vu que
631
les revoirs successifs des amants9. Or les causes
de
séparation sont de deux sortes : circonstances extérieures adverses,
632
ifs des amants9. Or les causes de séparation sont
de
deux sortes : circonstances extérieures adverses, entraves inventées
633
ventées par Tristan. Tristan ne se comportera pas
de
la même manière dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt de dé
634
e dans les deux cas. Et il n’est pas sans intérêt
de
dégager cette dialectique de l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce son
635
est pas sans intérêt de dégager cette dialectique
de
l’obstacle dans le Roman. Lorsque ce sont les circonstances sociales
636
tances sociales qui menacent les amants (présence
de
Marc, méfiance des barons, jugement de Dieu, etc.), Tristan bondit pa
637
(présence de Marc, méfiance des barons, jugement
de
Dieu, etc.), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut d’un lit à
638
.), Tristan bondit par-dessus l’obstacle (le saut
d’
un lit à l’autre en est le symbole). Quitte à souffrir (sa blessure se
639
’il oublie la douleur et le danger dans l’ivresse
de
son « déduit ». Pourtant, le sang de sa blessure le trahit. C’est la
640
ns l’ivresse de son « déduit ». Pourtant, le sang
de
sa blessure le trahit. C’est la « marque rouge » qui met le roi sur l
641
t la « marque rouge » qui met le roi sur la trace
de
l’adultère. Quant à nous, elle nous met sur la trace du dessein secre
642
laquelle Tristan le surmonte est une affirmation
de
la vie. En tout cela, Tristan n’obéit qu’à la coutume féodale des che
643
u’à la coutume féodale des chevaliers : il s’agit
de
faire preuve de « valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus
644
éodale des chevaliers : il s’agit de faire preuve
de
« valeur », il s’agit d’être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avon
645
l s’agit de faire preuve de « valeur », il s’agit
d’
être le plus fort, ou le plus rusé. Nous avons vu que cela le conduira
646
ut autre est l’attitude du chevalier lorsque rien
d’
extérieur à eux-mêmes ne sépare plus les amants. C’est même l’inverse
647
leurs corps demeurés vêtus, c’est encore occasion
de
prouesse, mais cette fois-ci contre lui-même, à ses dépens. Puisqu’il
648
ement la hiérarchie des préférences du conteur et
de
son lecteur. L’obstacle le plus grave, c’est donc celui que l’on préf
649
n. Notons aussi qu’en cette extrémité, la volonté
de
se séparer revêt une valeur affective plus forte que la passion même.
650
orte que la passion même. La mort, qui est le but
de
la passion, la tue. Mais l’épée nue n’est pas encore l’expression déc
651
pas encore l’expression décisive du désir sombre,
de
la fin même de la passion (au double sens du mot fin). L’admirable ép
652
pression décisive du désir sombre, de la fin même
de
la passion (au double sens du mot fin). L’admirable épisode des épées
653
l’on se rappelle qu’il substitue son arme à celle
de
son rival. Cela signifie qu’à l’obstacle désiré et librement créé par
654
rement créé par les amants, il substitue le signe
de
son pouvoir social, l’obstacle légal, objectif. Tristan relève ce déf
655
bstacle légal, objectif. Tristan relève ce défi :
d’
où le rebondissement de l’action. Et ici le mot prend un sens symboliq
656
. Tristan relève ce défi : d’où le rebondissement
de
l’action. Et ici le mot prend un sens symbolique : l’action empêche l
657
sens symbolique : l’action empêche la « passion »
d’
être totale, car la passion, c’est « ce que l’on subit » — à la limite
658
d’autres termes cette action est un nouveau délai
de
la passion, c’est-à-dire un retard de la Mort. ⁂ On retrouvera la mêm
659
uveau délai de la passion, c’est-à-dire un retard
de
la Mort. ⁂ On retrouvera la même dialectique entre les deux mariages
660
lectique entre les deux mariages du Roman : celui
d’
Iseut la Blonde avec le roi, et celui d’Iseut aux blanches mains avec
661
n : celui d’Iseut la Blonde avec le roi, et celui
d’
Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier de ces mariages est
662
Iseut aux blanches mains avec Tristan. Le premier
de
ces mariages est l’obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence
663
ristan. Le premier de ces mariages est l’obstacle
de
fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé par
664
e du mari, méprisé par l’amour courtois. Occasion
de
prouesse classique et de rebondissements faciles. L’existence du mari
665
amour courtois. Occasion de prouesse classique et
de
rebondissements faciles. L’existence du mari, l’obstacle de l’adultèr
666
ssements faciles. L’existence du mari, l’obstacle
de
l’adultère, c’est le premier prétexte venu, le plus naturellement ima
667
ue à plaisir ! Sans le mari, je ne donne pas plus
de
trois ans à l’amour de Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sages
668
mari, je ne donne pas plus de trois ans à l’amour
de
Tristan et Iseut. Et en effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’e
669
n effet, la grande sagesse du vieux Béroul, c’est
d’
avoir limité à cette durée l’action du philtre : « La mère Iseut qui l
670
re : « La mère Iseut qui le bollit. — À trois anz
d’
amistié le fist. » Sans le mari, il ne resterait aux deux amants qu’à
671
tan puisse jamais épouser Iseut. Elle est le type
de
femme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait de l’aimer, puisqu
672
emme qu’on n’épouse point, car alors on cesserait
de
l’aimer, puisqu’elle cesserait d’être ce qu’elle est. Imaginez cela :
673
rs on cesserait de l’aimer, puisqu’elle cesserait
d’
être ce qu’elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! C’est la négatio
674
maginez cela : Madame Tristan ! C’est la négation
de
la passion, au moins de celle dont nous nous occupons. L’ardeur amour
675
istan ! C’est la négation de la passion, au moins
de
celle dont nous nous occupons. L’ardeur amoureuse spontanée, couronné
676
st une flambée qui ne peut pas survivre à l’éclat
de
sa consommation. Mais sa brûlure demeure inoubliable, et c’est elle q
677
mants veulent prolonger et renouveler à l’infini.
D’
où les périls nouveaux qu’ils vont défier. Mais la valeur du chevalier
678
surmontés. C’est alors qu’il s’éloigne, en quête
d’
aventures plus secrètes et plus profondes, l’on dirait même : plus int
679
d’Iseut aux blanches mains croit son ami amoureux
de
sa sœur. Cette erreur provoquée par le nom des deux femmes — est la s
680
deux femmes — est la seule « raison » du mariage
de
Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé de s’expliquer. Mais une foi
681
riage de Tristan. L’on voit qu’il lui serait aisé
de
s’expliquer. Mais une fois de plus, l’honneur interviendra, et au seu
682
de plus, l’honneur interviendra, et au seul titre
de
prétexte, pour empêcher Tristan de se dédire. C’est que l’amant press
683
au seul titre de prétexte, pour empêcher Tristan
de
se dédire. C’est que l’amant pressent, dans cette nouvelle épreuve qu
684
cette nouvelle épreuve qu’il s’impose, l’occasion
d’
un progrès décisif. Ce mariage blanc avec une femme qu’il trouve belle
685
hasteté du chevalier marié répond à la déposition
de
l’épée nue entre les corps. Mais une chasteté volontaire, c’est un su
686
n suicide symbolique — (on voit ici le sens caché
de
l’épée). C’est une victoire de l’idéal courtois sur la robuste tradit
687
ici le sens caché de l’épée). C’est une victoire
de
l’idéal courtois sur la robuste tradition celtique qui affirmait l’or
688
obuste tradition celtique qui affirmait l’orgueil
de
vivre. C’est une manière de purification de ce qui subsistait, dans l
689
i affirmait l’orgueil de vivre. C’est une manière
de
purification de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’anim
690
gueil de vivre. C’est une manière de purification
de
ce qui subsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et d’actif. V
691
purification de ce qui subsistait, dans le désir,
de
spontané, d’animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le dési
692
de ce qui subsistait, dans le désir, de spontané,
d’
animal et d’actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe d
693
bsistait, dans le désir, de spontané, d’animal et
d’
actif. Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort su
694
désir, de spontané, d’animal et d’actif. Victoire
de
la « passion » sur le désir. Triomphe de la mort sur la vie. ⁂ Ainsi
695
Victoire de la « passion » sur le désir. Triomphe
de
la mort sur la vie. ⁂ Ainsi donc cette préférence accordée à l’obstac
696
ccordée à l’obstacle voulu, c’était l’affirmation
de
la mort, c’était un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort d’amour
697
tait un progrès vers la Mort ! Mais vers une mort
d’
amour, vers une mort volontaire au terme d’une série d’épreuves dont T
698
e mort d’amour, vers une mort volontaire au terme
d’
une série d’épreuves dont Tristan sortira purifié ; vers une mort qui
699
ur, vers une mort volontaire au terme d’une série
d’
épreuves dont Tristan sortira purifié ; vers une mort qui soit une tra
700
non pas un hasard brutal. Il s’agit donc toujours
de
ramener la fatalité extérieure à une fatalité interne, librement assu
701
librement assumée par les amants. C’est le rachat
de
leur destin qu’ils accomplissent en mourant par amour ; c’est une rev
702
re. Et l’on assiste, in extremis, au renversement
de
la dialectique passion-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’obstacle qu
703
iment ce n’est plus l’obstacle qui est au service
de
la passion fatale, mais au contraire il est devenu le but, la fin dés
704
elle-même. Et la passion n’a donc joué qu’un rôle
d’
épreuve purificatrice, on dirait presque de pénitence au service de ce
705
n rôle d’épreuve purificatrice, on dirait presque
de
pénitence au service de cette mort qui transfigure. Nous touchons au
706
atrice, on dirait presque de pénitence au service
de
cette mort qui transfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour
707
sfigure. Nous touchons au secret dernier. L’amour
de
l’amour même dissimulait une passion beaucoup plus terrible, une volo
708
que se « trahir » par des symboles tels que celui
de
l’épée nue ou de la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants m
709
par des symboles tels que celui de l’épée nue ou
de
la périlleuse chasteté. Sans le savoir, les amants malgré eux n’ont j
710
n’ont jamais cherché que le rachat et la revanche
de
« ce qu’ils subissaient » — la passion initiée par le philtre. Au fon
711
on initiée par le philtre. Au fond le plus secret
de
leur cœur, c’était la volonté de la mort, la passion active de la Nui
712
d le plus secret de leur cœur, c’était la volonté
de
la mort, la passion active de la Nuit qui leur dictait ses décisions
713
c’était la volonté de la mort, la passion active
de
la Nuit qui leur dictait ses décisions fatales. 10.Le philtre E
714
the, la nécessité même qui l’a créé. Le sens réel
de
la passion est tellement effrayant et inavouable, que non seulement c
715
la vivent ne sauraient prendre aucune conscience
de
sa fin, mais que ceux qui la veulent dépeindre dans sa merveilleuse v
716
ans sa merveilleuse violence se voient contraints
de
recourir au langage trompeur des symboles. Laissons de côté, pour le
717
courir au langage trompeur des symboles. Laissons
de
côté, pour le moment, la question de savoir si les auteurs des cinq p
718
es. Laissons de côté, pour le moment, la question
de
savoir si les auteurs des cinq poèmes primitifs étaient ou non consci
719
s cinq poèmes primitifs étaient ou non conscients
de
la portée de leur œuvre. En tout état de cause, il convient de précis
720
primitifs étaient ou non conscients de la portée
de
leur œuvre. En tout état de cause, il convient de préciser le sens du
721
nscients de la portée de leur œuvre. En tout état
de
cause, il convient de préciser le sens du mot « trompeur » que nous v
722
de leur œuvre. En tout état de cause, il convient
de
préciser le sens du mot « trompeur » que nous venons d’utiliser. La v
723
ciser le sens du mot « trompeur » que nous venons
d’
utiliser. La vulgarisation de la psychanalyse nous habitue à concevoir
724
ur » que nous venons d’utiliser. La vulgarisation
de
la psychanalyse nous habitue à concevoir qu’un désir refoulé « s’expr
725
terdite, l’amour inavouable, se créent un système
de
symboles, un langage hiéroglyphique, dont la conscience n’a pas la cl
726
me ce qu’il veut dire sans le dire. Il lui arrive
de
composer en un seul geste ou une seule métaphore à la fois l’expressi
727
ste ou une seule métaphore à la fois l’expression
de
l’objet désiré et l’expression de ce qui condamne ce désir. Ainsi l’i
728
is l’expression de l’objet désiré et l’expression
de
ce qui condamne ce désir. Ainsi l’interdiction reste affirmée, et l’o
729
ibles se voient du même coup satisfaites : besoin
de
parler de ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour
730
oient du même coup satisfaites : besoin de parler
de
ce qu’on aime et besoin de le soustraire au jugement, amour du risque
731
tes : besoin de parler de ce qu’on aime et besoin
de
le soustraire au jugement, amour du risque et instinct de prudence. I
732
ustraire au jugement, amour du risque et instinct
de
prudence. Interrogez celui qui use d’un tel langage, demandez-lui rai
733
et instinct de prudence. Interrogez celui qui use
d’
un tel langage, demandez-lui raison de sa prédilection, pour telle ou
734
lui qui use d’un tel langage, demandez-lui raison
de
sa prédilection, pour telle ou telle image d’apparence bizarre, il ré
735
son de sa prédilection, pour telle ou telle image
d’
apparence bizarre, il répondra que « c’est tout naturel », « qu’il n’e
736
« qu’il n’en sait rien », « qu’il n’y attache pas
d’
importance ». S’il est poète, il parlera d’inspiration, ou au contrair
737
he pas d’importance ». S’il est poète, il parlera
d’
inspiration, ou au contraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court
738
ontraire de rhétorique. Il ne sera jamais à court
de
bonnes raisons pour démontrer qu’il n’est responsable de rien… Imagin
739
es raisons pour démontrer qu’il n’est responsable
de
rien… Imaginons maintenant le problème qui se posait à l’auteur du Ro
740
blème qui se posait à l’auteur du Roman primitif.
De
quel matériel symbolique — apte à cacher ce qu’il fallait traduire —
741
fallait traduire — disposait-il au xiie siècle ?
De
la magie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d
742
e — disposait-il au xiie siècle ? De la magie et
de
la rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes d’expression sau
743
gie et de la rhétorique chevaleresque. L’avantage
de
ces modes d’expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner
744
rhétorique chevaleresque. L’avantage de ces modes
d’
expression saute aux yeux. La magie persuade sans donner de raisons, v
745
ion saute aux yeux. La magie persuade sans donner
de
raisons, voire dans la mesure où elle n’en donne point. Et la rhétori
746
, comme d’ailleurs toute rhétorique, est le moyen
de
faire passer pour « naturelles » les plus obscures propositions. Masq
747
us obscures propositions. Masque idéal ! Garantie
de
secret, mais aussi garantie d’approbation sans condition de la part d
748
e idéal ! Garantie de secret, mais aussi garantie
d’
approbation sans condition de la part du lecteur de roman. La chevaler
749
’approbation sans condition de la part du lecteur
de
roman. La chevalerie, c’est la règle sociale que les élites du siècle
750
la règle sociale que les élites du siècle rêvent
d’
opposer aux pires « folies » dont elles se sentent menacées. La coutum
751
lies » dont elles se sentent menacées. La coutume
de
la chevalerie fournira donc le cadre du Roman. Et nous avons marqué,
752
nous avons marqué, en maint endroit, le caractère
de
« prétexte rêvé » des interdictions qu’elle impose. Pour la magie, vo
753
our la magie, voici quel sera son rôle. Il s’agit
de
dépeindre une passion dont la violence fascinante ne peut être accept
754
ra donc l’admirer qu’en tant qu’on l’aura libérée
de
toute espèce de lien visible avec l’humaine responsabilité. L’interve
755
r qu’en tant qu’on l’aura libérée de toute espèce
de
lien visible avec l’humaine responsabilité. L’intervention du philtre
756
sponsabilité. L’intervention du philtre, agissant
d’
une manière fatale, et mieux encore bu par erreur, se révèle désormais
757
cessaire. (Thomas, qui cherche à diminuer le rôle
de
cette « emprise » magique, se verra condamné à rendre la passion moin
758
en ceci à Béroul, il sera le premier responsable
de
la dégradation du mythe.) Qu’est-ce alors que le philtre ? C’est l’al
759
.) Qu’est-ce alors que le philtre ? C’est l’alibi
de
la passion. C’est ce qui permet aux malheureux amants de dire : « Vou
760
assion. C’est ce qui permet aux malheureux amants
de
dire : « Vous voyez que je n’y suis pour rien, vous voyez que c’est p
761
. » Et cependant, nous voyons bien qu’à la faveur
de
cette fatalité trompeuse, tous leurs actes sont orientés vers le dest
762
rs le destin mortel qu’ils aiment, avec une sorte
d’
astucieuse résolution, avec une ruse d’autant plus infaillible qu’elle
763
une sorte d’astucieuse résolution, avec une ruse
d’
autant plus infaillible qu’elle peut agir à l’abri du jugement. Nos ac
764
it ce but, mais la conscience n’a pas eu le temps
d’
intervenir et de gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus
765
la conscience n’a pas eu le temps d’intervenir et
de
gauchir le geste spontané. Et c’est pourquoi les plus belles scènes d
766
ent comme en toute innocence. ⁂ Il n’y aurait pas
de
mythe, il n’y aurait pas de roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire
767
. ⁂ Il n’y aurait pas de mythe, il n’y aurait pas
de
roman, si Tristan et Iseut pouvaient dire quelle est la fin qu’ils se
768
vaient dire quelle est la fin qu’ils se préparent
de
toute leur volonté profonde, et plus que profonde, abyssale. Qui donc
769
déteste le Jour qui l’offusque ? et qu’il attend
de
tout son être l’anéantissement de son être ? Certains poètes, beaucou
770
et qu’il attend de tout son être l’anéantissement
de
son être ? Certains poètes, beaucoup plus tard, ont osé cet aveu supr
771
romancier désire flatter chez l’auditeur paraît,
d’
ordinaire, plus débile. Il y a peu de chance qu’elle soit jamais pouss
772
ndubitable, par une mort qui la manifeste au-delà
de
tout repentir possible ! Certains mystiques ont fait plus qu’avouer :
773
, une force aveugle ou le Néant, qui s’emparaient
de
leur secret vouloir, mais le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive f
774
le Dieu qui promet sa grâce, et la « vive flamme
d’
amour » éclose aux « déserts » de la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien
775
la « vive flamme d’amour » éclose aux « déserts »
de
la Nuit. Tristan, lui, ne peut rien avouer. Il veut comme s’il ne vou
776
sa fuite désespérée, dans la sublime coquetterie
de
sa fuite ! Et qu’il l’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplair
777
’ignore, c’est essentiel à la grandeur exemplaire
de
sa vie. Les raisons de la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne s
778
l à la grandeur exemplaire de sa vie. Les raisons
de
la Nuit ne sont pas celles du Jour, elles ne sont pas communicables a
779
Elles le méprisent. Tristan s’est fait prisonnier
d’
un délire auprès duquel pâlissent toute sagesse, toute « vérité », et
780
toute « vérité », et la vie même. Il est au-delà
de
nos bonheurs, de nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême
781
, et la vie même. Il est au-delà de nos bonheurs,
de
nos souffrances. Il s’élance vers l’instant suprême où la totale joui
782
ers l’instant suprême où la totale jouissance est
de
sombrer. ⁂ Les mots du Jour ne peuvent décrire la Nuit, mais la « mus
783
sir dont elle procède. Levez-vous, orages sonores
de
la mort de Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le hé
784
le procède. Levez-vous, orages sonores de la mort
de
Tristan et d’Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes so
785
vez-vous, orages sonores de la mort de Tristan et
d’
Isolde ! Vieille et grave mélodie, dit le héros, tes sons lamentables
786
en plus inquiète, lorsque le fils apprit le sort
de
la mère… Quand mon père m’engendra et mourut, quand ma mère me donna
787
pète : —Pour désirer et pour mourir ! Pour mourir
de
désirer ! Il peut maudire ses astres, sa naissance, mais la musique
788
me qui l’ai composé… Et je l’ai bu à longs traits
de
délice !… 11.L’amour réciproque malheureux Passion veut dire s
789
re et responsable. Aimer l’amour plus que l’objet
de
l’amour, aimer la passion pour elle-même, de l’amabam amare d’Augusti
790
bjet de l’amour, aimer la passion pour elle-même,
de
l’amabam amare d’Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et
791
imer la passion pour elle-même, de l’amabam amare
d’
Augustin jusqu’au romantisme moderne, c’est aimer et chercher la souff
792
et chercher la souffrance. Amour-passion : désir
de
ce qui nous blesse, et nous anéantit par son triomphe. C’est un secre
793
n’a jamais toléré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé
de
refouler, — de préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa per
794
éré l’aveu, et qu’il n’a pas cessé de refouler, —
de
préserver ! Il en est peu de plus tragiques, et sa persistance nous i
795
sa persistance nous invite à porter sur l’avenir
de
l’Europe un jugement très pessimiste. Marquons ici une incidence qui
796
développement : c’est la liaison ou la complicité
de
la passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mod
797
a liaison ou la complicité de la passion, du goût
de
la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode de connaître qui défi
798
passion, du goût de la mort qu’elle dissimule, et
d’
un certain mode de connaître qui définirait à lui seul notre psyché oc
799
e la mort qu’elle dissimule, et d’un certain mode
de
connaître qui définirait à lui seul notre psyché occidentale. Pourquo
800
i seul notre psyché occidentale. Pourquoi l’homme
d’
Occident veut-il subir cette passion qui le blesse et que toute sa rai
801
C’est qu’il se connaît et s’éprouve sous le coup
de
menaces vitales, dans la souffrance et au seuil de la mort. Le troisi
802
e menaces vitales, dans la souffrance et au seuil
de
la mort. Le troisième acte du drame de Wagner décrit bien davantage q
803
t au seuil de la mort. Le troisième acte du drame
de
Wagner décrit bien davantage qu’une catastrophe romanesque : il décri
804
romanesque : il décrit l’essentielle catastrophe
de
notre sadique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût de se connaî
805
tastrophe de notre sadique génie, ce goût réprimé
de
la mort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût de la collision
806
adique génie, ce goût réprimé de la mort, ce goût
de
se connaître à la limite, ce goût de la collision révélatrice qui est
807
ort, ce goût de se connaître à la limite, ce goût
de
la collision révélatrice qui est sans doute la plus inarrachable des
808
i est sans doute la plus inarrachable des racines
de
l’instinct de la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illus
809
te la plus inarrachable des racines de l’instinct
de
la guerre en nous. ⁂ De cette extrémité tragique, illustrée, avouée e
810
des racines de l’instinct de la guerre en nous. ⁂
De
cette extrémité tragique, illustrée, avouée et constatée par la puret
811
té du mythe originel, redescendons à l’expérience
de
la passion telle que la vivent les hommes d’aujourd’hui. Le succès pr
812
ence de la passion telle que la vivent les hommes
d’
aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman de Tristan révèle en nous,
813
mmes d’aujourd’hui. Le succès prodigieux du Roman
de
Tristan révèle en nous, que nous le voulions ou non, une préférence i
814
e pour le malheur. Que ce malheur, selon la force
de
notre âme, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen de la décade
815
me, soit la « délicieuse tristesse » et le spleen
de
la décadence, ou la souffrance qui transfigure, ou le défi que l’espr
816
Ce ciel aux nuées exaltées, crépuscule empourpré
d’
héroïsme, n’annonce pas le Jour, mais la Nuit ! La « vraie vie est abs
817
absente », dit Rimbaud. Elle n’est qu’un des noms
de
la Mort, le seul nom par lequel nous osions l’appeler — tout en feign
818
r lequel nous osions l’appeler — tout en feignant
de
la repousser. Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui d’un a
819
Pourquoi préférons-nous à tout autre récit celui
d’
un amour impossible ? C’est que nous aimons la brûlure, et la conscien
820
’est que nous aimons la brûlure, et la conscience
de
ce qui brûle en nous. Liaison profonde de la souffrance et du savoir.
821
science de ce qui brûle en nous. Liaison profonde
de
la souffrance et du savoir. Complicité de la conscience et de la mort
822
rofonde de la souffrance et du savoir. Complicité
de
la conscience et de la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explica
823
ance et du savoir. Complicité de la conscience et
de
la mort ! (Hegel a pu fonder sur elle une explication générale de not
824
gel a pu fonder sur elle une explication générale
de
notre esprit et même de notre Histoire.) Je définirais volontiers le
825
une explication générale de notre esprit et même
de
notre Histoire.) Je définirais volontiers le romantique occidental co
826
ent la douleur amoureuse, est un moyen privilégié
de
connaissance. Certes, cela vaut pour les meilleurs. Le grand nombre s
827
s. Le grand nombre se soucie peu de connaître, et
de
se connaître. Il cherche simplement l’amour le plus sensible. Mais c’
828
. Il me paraît que cela explique une bonne partie
de
notre psychologie. Sans traverses à l’amour, point de « roman ». Or c
829
otre psychologie. Sans traverses à l’amour, point
de
« roman ». Or c’est le roman qu’on aime, c’est-à-dire la conscience,
830
ience, l’intensité, les variations et les retards
de
la passion, son crescendo jusqu’à la catastrophe — et non point sa ra
831
du malheur qui le guette. Il y faut cette menace
de
la vie et des hostiles réalités qui l’éloignent dans quelque au-delà.
832
e durée sensible, elle ne peut être qu’un instant
de
grâce — le duo de Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une id
833
elle ne peut être qu’un instant de grâce — le duo
de
Don Juan et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle de carte post
834
an et Zerline. Ou bien l’on tombe dans une idylle
de
carte postale. L’amour heureux n’a pas d’histoire dans la littérature
835
idylle de carte postale. L’amour heureux n’a pas
d’
histoire dans la littérature occidentale. Et l’amour qui n’est pas réc
836
ur un amour vrai. La grande trouvaille des poètes
de
l’Europe, ce qui les distingue avant tout dans la littérature mondial
837
, ce qui exprime le plus profondément l’obsession
de
l’Européen : connaître à travers la douleur, c’est le secret du mythe
838
re à travers la douleur, c’est le secret du mythe
de
Tristan, l’amour-passion à la fois partagé et combattu, anxieux d’un
839
ur-passion à la fois partagé et combattu, anxieux
d’
un bonheur qu’il repousse, magnifié par sa catastrophe, — l’amour réci
840
Et il est vrai qu’ils sont, l’un envers l’autre,
d’
une fidélité exemplaire. Mais le malheur, c’est que l’amour qui les «
841
que l’amour qui les « demeine » n’est pas l’amour
de
l’autre tel qu’il est dans sa réalité concrète. Ils s’entr’aiment, ma
842
ais chacun n’aime l’autre qu’à partir de soi, non
de
l’autre. Leur malheur prend ainsi sa source dans une fausse réciproci
843
nsi sa source dans une fausse réciprocité, masque
d’
un double narcissisme. À tel point qu’à certains moments, on sent perc
844
u’à certains moments, on sent percer dans l’excès
de
leur passion une espèce de haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avan
845
nt percer dans l’excès de leur passion une espèce
de
haine de l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psy
846
dans l’excès de leur passion une espèce de haine
de
l’aimé. Wagner l’a vue, bien avant Freud et les modernes psychologues
847
is, le vent souffle vers la terre natale. Ô fille
d’
Irlande, où t’attardes-tu ? Ce qui gonfle ma voile, sont-ce tes soupir
848
le, souffle ô vent ! Malheur, ah ! malheur, fille
d’
Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur de la passion qui fuit
849
d’Irlande, amoureuse et sauvage ! Double malheur
de
la passion qui fuit le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel de
850
it le réel et la Norme du Jour, malheur essentiel
de
l’amour : ce que l’on désire, on ne l’a pas encore — c’est la Mort —
851
— et l’on perd ce que l’on avait — la jouissance
de
la vie. Mais cette perte n’est pas sentie comme un appauvrissement, b
852
sement, plus magnifiquement. C’est que l’approche
de
la mort est l’aiguillon de la sensualité. Elle aggrave, au plein sens
853
. C’est que l’approche de la mort est l’aiguillon
de
la sensualité. Elle aggrave, au plein sens du terme, le désir. Elle l
854
désir. Elle l’aggrave même parfois jusqu’au désir
de
tuer l’autre, ou de se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage.
855
e même parfois jusqu’au désir de tuer l’autre, ou
de
se tuer, ou de sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait enc
856
jusqu’au désir de tuer l’autre, ou de se tuer, ou
de
sombrer dans un commun naufrage. Ô vents, clamait encore Isolde, sec
857
ents, clamait encore Isolde, secouez la léthargie
de
cette mer rêveuse, ressuscitez des profondeurs l’implacable convoitis
858
oin de la vie qui les pousse, proies voluptueuses
de
forces contradictoires mais qui les précipitent au même vertige, les
859
e rejoindre qu’à l’instant qui les prive à jamais
de
tout espoir humain, de tout amour possible, au sein de l’obstacle abs
860
ant qui les prive à jamais de tout espoir humain,
de
tout amour possible, au sein de l’obstacle absolu et d’une suprême ex
861
t amour possible, au sein de l’obstacle absolu et
d’
une suprême exaltation qui se détruit par son accomplissement. 12.U
862
pressentir certaines contradictions. L’hypothèse
d’
une opposition, que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi de ch
863
ypothèse d’une opposition, que l’auteur eût tenté
d’
illustrer, entre la loi de chevalerie et les coutumes féodales, nous a
864
que l’auteur eût tenté d’illustrer, entre la loi
de
chevalerie et les coutumes féodales, nous a permis de surprendre le m
865
hevalerie et les coutumes féodales, nous a permis
de
surprendre le mécanisme de ces contradictions. Alors a commencé notre
866
éodales, nous a permis de surprendre le mécanisme
de
ces contradictions. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet de
867
s. Alors a commencé notre recherche du vrai sujet
de
la légende. Derrière la préférence accordée par l’auteur à la règle
868
re la préférence accordée par l’auteur à la règle
de
chevalerie, il y a le goût du romanesque. Derrière le goût du romanes
869
que. Derrière le goût du romanesque, il y a celui
de
l’amour pour lui-même. Et cela suppose une recherche secrète de l’obs
870
r lui-même. Et cela suppose une recherche secrète
de
l’obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque
871
à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque
d’
un amour de l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, q
872
Mais ce n’est encore là que le masque d’un amour
de
l’obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, qui se révèl
873
le suprême, c’est la mort, qui se révèle au terme
de
l’aventure comme la vraie fin, le désir désiré dès le début de la pas
874
comme la vraie fin, le désir désiré dès le début
de
la passion, la revanche sur le destin qui fut subi et qui est enfin r
875
doit renier l’intime évidence. Que la sécheresse
d’
une description réduite à suivre en ses détours la logique interne du
876
peine devant les preuves ; mais quoi qu’on pense
d’
une interprétation que j’ai stylisée à dessein, il demeure qu’elle nou
877
lisée à dessein, il demeure qu’elle nous a permis
de
surprendre à l’état naissant quelques relations fondamentales qui sou
878
est une ascèse. Elle s’oppose à la vie terrestre
d’
une manière d’autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et
879
e. Elle s’oppose à la vie terrestre d’une manière
d’
autant plus efficace qu’elle prend la forme du désir, et que ce désir,
880
amour n’est pas sans lien profond avec notre goût
de
la guerre. Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin de la pa
881
Enfin, s’il est vrai que la passion, et le besoin
de
la passion, sont des aspects de notre mode occidental de connaissance
882
ion, et le besoin de la passion, sont des aspects
de
notre mode occidental de connaissance, il faut en venir — au moins so
883
assion, sont des aspects de notre mode occidental
de
connaissance, il faut en venir — au moins sous forme de question — à
884
peut-être, en fin de compte, la plus fondamentale
de
toutes. Connaître à travers la souffrance, n’est-ce pas l’acte même,
885
ouffrance, n’est-ce pas l’acte même, et l’audace,
de
nos mystiques les plus lucides ? Érotique au sens noble, et mystique
886
? Érotique au sens noble, et mystique : que l’une
de
l’autre soit cause ou effet, ou qu’elles aient une commune origine —
887
ieille et grave mélodie » orchestrée par le drame
de
Wagner : Elle m’a interrogé un jour, et voici qu’elle me parle encor
888
épète : — Pour désirer et pour mourir. ⁂ Partant
d’
un examen « physionomique » des formes et des structures du Roman, nou
889
’individu. Que le rationalisme soit passé au rang
de
doctrine officielle ne doit pas nous faire oublier son efficacité pro
890
par M. Joseph Bédier (dans son étude sur le poème
de
Thomas) entre les cinq versions du xiie siècle : Béroul, Thomas, Eil
891
an et le Roman en prose. Les versions ultérieures
de
Gottfried de Strasbourg et de tous les imitateurs allemands, italiens
892
ersions ultérieures de Gottfried de Strasbourg et
de
tous les imitateurs allemands, italiens, danois, russes, tchèques, et
893
mpte également des travaux critiques plus récents
de
MM. E. Muret et E. Vinaver. 4. « Pur belté e pur nun d’Isolt » (Thom
894
E. Muret et E. Vinaver. 4. « Pur belté e pur nun
d’
Isolt » (Thomas). 5. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème de Tho
895
s). 5. Toutefois, dans l’édition Bédier du poème
de
Thomas (t. I, p. 240), nous lisons que le veneur du roi, pénétrant da
896
s la retraite des amants « vit Tristan couché, et
de
l’autre côté de la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour s
897
s amants « vit Tristan couché, et de l’autre côté
de
la grotte, Isolt. Les amants s’étaient couchés pour se reposer à caus
898
la forte chaleur, et dormaient ainsi séparés l’un
de
l’autre parce que… ». Ici le texte est interrompu ! Et Bédier dit en
899
e étoffe dont on s’habille — … Il se prête au gré
de
tous — Soit à la sincérité soit à la tromperie — Il est toujours ce q
900
qu’on veut qu’il soit… » 7. Fauriel, Histoire
de
la poésie provençale, I, p. 512. 8. Précisons que : 1° elles sont ob
901
’un calcul secret ; car si l’on choisissait l’une
d’
elles à l’exclusion totale de l’autre, la situation se dénouerait trop
902
on choisissait l’une d’elles à l’exclusion totale
de
l’autre, la situation se dénouerait trop vite ; 2° elles ne sont pas
903
Mais sans cette faute initiale, il n’y aurait pas
de
roman du tout. 9. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour de Tris
904
t. 9. Rappelons ici ces étapes : Premier séjour
de
Tristan en Irlande. Ils se séparent sans s’aimer. — Second séjour : e
905
e, péché consommé ; Iseut livrée. — Tristan banni
de
la cour. Rendez-vous sous l’arbre. — Tristan revient à la cour. Le «
906
en fou ; s’éloigne. — Longue séparation, mariage
de
Tristan. — Iseut approche et Tristan meurt. Puis mort d’Iseut. Résumo
907
tan. — Iseut approche et Tristan meurt. Puis mort
d’
Iseut. Résumons encore : une seule longue période de réunion (l’aspre
908
Iseut. Résumons encore : une seule longue période
de
réunion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période de séparation (
909
ion (l’aspre vie) à quoi répond la longue période
de
séparation (le mariage de Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fi
910
épond la longue période de séparation (le mariage
de
Tristan). Auparavant : le Philtre ; à la fin : la double Mort ; entre
911
hiltre ; à la fin : la double Mort ; entre-temps,
de
furtives rencontres. 10. Dans le drame de Wagner, quand le roi surp
912
emps, de furtives rencontres. 10. Dans le drame
de
Wagner, quand le roi surprend les amants, Tristan répond à ses questi
913
, et là où j’irai pour toujours : le vaste empire
de
l’éternelle nuit. Là-bas, une science unique nous est donnée : le div
914
ure, ou dans l’instinct, les esquisses grossières
de
faits « spirituels », aussitôt nous croyons tenir une explication de
915
ls », aussitôt nous croyons tenir une explication
de
ces faits. Le plus bas nous paraît le plus vrai. C’est la superstitio
916
us vrai. C’est la superstition du temps, la manie
de
« ramener » le sublime à l’infime, l’étrange erreur qui prend pour ca
917
s spiritualistes. Mais je distingue mal l’intérêt
d’
un affranchissement qui consiste à « expliquer » Dostoïevski par le ha
918
l, et Nietzsche par la syphilis. Curieuse manière
de
libérer l’esprit, qui se « ramène » à le nier. Mais j’ai beau dire et
919
ène » à le nier. Mais j’ai beau dire et protester
d’
avance : si je constate que l’instinct et le sexe connaissent une dial
920
que spontanée, analogue à certains égards à celle
de
la passion dans notre mythe, beaucoup penseront que voilà qui suffit…
921
que voilà qui suffit… Donnons une page à ce genre
d’
objections. ⁂ L’obstacle dont on a vu le jeu au cours de notre analyse
922
au cours de notre analyse du mythe, n’est-il pas
d’
origine toute naturelle ? Retarder le plaisir, n’est-ce pas la ruse l
923
l s’impose parfois une certaine continence, quasi
d’
instinct, dans l’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur de S
924
continence, quasi d’instinct, dans l’intérêt même
de
l’espèce ? Lycurgue, législateur de Sparte, imposait aux jeunes marié
925
’intérêt même de l’espèce ? Lycurgue, législateur
de
Sparte, imposait aux jeunes mariés une abstinence prolongée. « C’est
926
que — qu’ils soient toujours plus forts et dispos
de
leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir d’aimer à cœur saoul
927
leur corps, et qu’en ne jouissant pas du plaisir
d’
aimer à cœur saoul, leur amour en demeure toujours frais, et que leurs
928
obstacle instinctif à l’instinct, ayant pour fin
de
rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu d’une telle discipli
929
rendre les guerriers plus valeureux. Or la vertu
d’
une telle discipline est relative à la vie même, non à l’esprit. Elle
930
obtenu. Elle ne cherche rien au-delà. L’eugénisme
d’
un Lycurgue n’est nullement ascétique, puisqu’il vise au contraire à l
931
u’il vise au contraire à la meilleure propagation
de
l’espèce. On ne saurait voir dans ces processus vitaux autre chose qu
932
s vitaux autre chose que le support physiologique
de
la dialectique passionnelle. Il faut bien que la passion se serve des
933
on des lois du corps n’explique nullement l’amour
d’
un Tristan, par exemple. Elle rend d’autant plus évidente l’interventi
934
ment l’amour d’un Tristan, par exemple. Elle rend
d’
autant plus évidente l’intervention d’un facteur « étranger » seul cap
935
. Elle rend d’autant plus évidente l’intervention
d’
un facteur « étranger » seul capable de détourner l’instinct de son bu
936
tervention d’un facteur « étranger » seul capable
de
détourner l’instinct de son but naturel et de transformer le désir en
937
« étranger » seul capable de détourner l’instinct
de
son but naturel et de transformer le désir en une aspiration indéfini
938
ble de détourner l’instinct de son but naturel et
de
transformer le désir en une aspiration indéfinie, c’est-à-dire sans f
939
s chez les peuplades primitives. C’est un jeu que
de
retrouver l’« origine » sacrée des motifs caractéristiques du Roman.
940
ée des motifs caractéristiques du Roman. La quête
de
la fiancée lointaine, par exemple, se rattache au cérémonial du rapt
941
t nuptial, chez les tribus exogamiques. La morale
de
la prouesse est une sublimation non déguisée de coutumes beaucoup plu
942
e de la prouesse est une sublimation non déguisée
de
coutumes beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité d’une sélect
943
s beaucoup plus anciennes traduisant la nécessité
d’
une sélection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir de la mort qu
944
ection biologique. Et il n’est pas jusqu’au désir
de
la mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct de mort décrit pa
945
mort que l’on ne puisse « ramener » à l’instinct
de
mort décrit par Freud et par les plus récents biologistes. Mais on ne
946
e histoire européenne… L’antiquité n’a rien connu
de
semblable à l’amour de Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les
947
L’antiquité n’a rien connu de semblable à l’amour
de
Tristan et d’Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains,
948
a rien connu de semblable à l’amour de Tristan et
d’
Iseut. On sait assez que pour les Grecs et les Romains, l’amour est un
949
ux, il leur faut pardonner comme étant malades… »
D’
où vient alors cette glorification de la passion, qui est justement ce
950
t malades… » D’où vient alors cette glorification
de
la passion, qui est justement ce qui nous touche dans le Roman ? Parl
951
stement ce qui nous touche dans le Roman ? Parler
de
déviation de l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoi
952
i nous touche dans le Roman ? Parler de déviation
de
l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit de savoir, précisémen
953
e l’instinct, c’est ne rien dire puisqu’il s’agit
de
savoir, précisément, quel est le facteur qui a pu causer cette déviat
954
e. Platon nous parle dans Phèdre et le Banquet
d’
une fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler d’humeurs maligne
955
fureur qui va du corps à l’âme, pour la troubler
d’
humeurs malignes. Ce n’est pas l’amour tel qu’il le loue. Mais il est
956
r tel qu’il le loue. Mais il est une autre espèce
de
fureur, ou de délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni
957
loue. Mais il est une autre espèce de fureur, ou
de
délire, qui ne s’engendre pas sans quelque divinité, ni ne se crée da
958
agit du dehors, un emportement, un rapt indéfini
de
la raison et du sens naturel. On l’appellera donc enthousiasme, ce qu
959
signifie « endieusement », car ce délire procède
de
la divinité et porte notre élan vers Dieu. Tel est l’amour platonicie
960
l’amour platonicien : « délire divin », transport
de
l’âme, folie et suprême raison. Et l’amant est auprès de l’être aimé
961
l », car l’amour est la voie qui monte par degrés
d’
extase vers l’origine unique de tout ce qui existe, loin des corps et
962
i monte par degrés d’extase vers l’origine unique
de
tout ce qui existe, loin des corps et de la matière, loin de ce qui d
963
e unique de tout ce qui existe, loin des corps et
de
la matière, loin de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur d’
964
de ce qui divise et distingue, au-delà du malheur
d’
être soi et d’être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir tota
965
se et distingue, au-delà du malheur d’être soi et
d’
être deux dans l’amour même. L’Éros, c’est le Désir total, c’est l’Asp
966
é à sa plus haute puissance, à l’extrême exigence
de
pureté qui est l’extrême exigence d’Unité. Mais l’unité dernière est
967
ême exigence de pureté qui est l’extrême exigence
d’
Unité. Mais l’unité dernière est négation de l’être actuel, dans sa so
968
gence d’Unité. Mais l’unité dernière est négation
de
l’être actuel, dans sa souffrante multiplicité. Ainsi l’élan suprême
969
ir aboutit à ce qui est non-désir. La dialectique
d’
Éros introduit dans la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes
970
ctique d’Éros introduit dans la vie quelque chose
de
tout étranger aux rythmes de l’attrait sexuel : un désir qui ne retom
971
la vie quelque chose de tout étranger aux rythmes
de
l’attrait sexuel : un désir qui ne retombe plus, que plus rien ne peu
972
atisfaire, qui repousse même et fuit la tentation
de
s’accomplir dans notre monde, parce qu’il ne veut embrasser que le To
973
le Tout. C’est le dépassement infini, l’ascension
de
l’homme vers son dieu. Et ce mouvement est sans retour. ⁂ Les origine
974
nsi l’Orient vint rêver dans nos vies, réveillant
de
très vieux souvenirs. Car du fond de notre Occident, la voix des bard
975
, réveillant de très vieux souvenirs. Car du fond
de
notre Occident, la voix des bardes celtes lui répondait. Je ne sais s
976
ques à ceux des Grecs — la quête du Graal à celle
de
la Toison d’or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration
977
es Grecs — la quête du Graal à celle de la Toison
d’
or — et les doctrines de Pythagore sur la transmigration des âmes à ce
978
raal à celle de la Toison d’or — et les doctrines
de
Pythagore sur la transmigration des âmes à celles des druides sur l’i
979
agent des travaux récents, renforçant l’hypothèse
d’
une communauté originelle des croyances religieuses en Orient et en Oc
980
ome, les Celtes avaient conquis une grande partie
de
l’Europe actuelle. Venus du Sud-Ouest de la Germanie et du Nord-Est d
981
à sac Rome et Delphes, et soumis tous les peuples
de
l’Atlantique à la mer Noire. Ils poussèrent même jusqu’en Ukraine et
982
alates), préfigurant assez exactement l’extension
de
l’Empire romain, — moins les péninsules italienne et grecque. Or les
983
eltes n’étaient pas une nation. Ils n’avaient pas
d’
autre « unité » que celle d’une civilisation, dont le principe spiritu
984
on. Ils n’avaient pas d’autre « unité » que celle
d’
une civilisation, dont le principe spirituel était maintenu par le col
985
orte internationale », commune à tous les peuples
d’
origine celtique, du fond de la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Ital
986
ne à tous les peuples d’origine celtique, du fond
de
la Bretagne et de l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les v
987
les d’origine celtique, du fond de la Bretagne et
de
l’Irlande jusqu’en Italie et en Asie Mineure. Les voyages et les renc
988
ent l’union des peuples celtiques et le sentiment
de
leur parenté »12. Les druides formaient des confréries religieuses do
989
uides formaient des confréries religieuses douées
de
pouvoirs très étendus. Ils étaient à la fois devins, magiciens, médec
990
ecins, prêtres, confesseurs. Ils n’écrivaient pas
de
livres, mais donnaient un enseignement oral, en vers gnomiques, à des
991
s gnomiques, à des élèves qu’ils gardaient auprès
d’
eux pendant vingt ans13. On a pu rapprocher ce collège sacerdotal d’in
992
t ans13. On a pu rapprocher ce collège sacerdotal
d’
institutions tout à fait identiques chez les autres peuples indo-europ
993
euples indo-européens : mages iraniens, brahmanes
de
l’Inde, pontifes et flamines de Rome. Le flamen porte d’ailleurs le m
994
aniens, brahmanes de l’Inde, pontifes et flamines
de
Rome. Le flamen porte d’ailleurs le même nom que le brahmane 14. Il e
995
la mort. Vie aventureuse, très semblable à celle
de
la terre, mais épurée, et dont certains héros pouvaient revenir, sous
996
se mêler aux vivants. Par cette doctrine centrale
de
la survie des âmes, les Celtes s’apparentent aux Grecs. Mais toute do
997
ltes s’apparentent aux Grecs. Mais toute doctrine
de
l’immortalité suppose une préoccupation tragique de la mort. Les Celt
998
l’immortalité suppose une préoccupation tragique
de
la mort. Les Celtes, écrit Hubert, « ont cultivé certainement la méta
999
ubert, « ont cultivé certainement la métaphysique
de
la mort… Ils ont beaucoup rêvé sur la mort. C’était une compagne fami
1000
iétant ». De même, dans leur mythologie, « l’idée
de
mort domine tout, et tout la découvre 15 ». Et cela n’est pas sans in
1001
précis avec ce que l’on a dit plus haut du mythe
de
Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir de mort. D’autre par
1002
Tristan, qui voile et exprime à la fois le désir
de
mort. D’autre part, les dieux celtiques forment deux séries opposées
1003
dieux lumineux et dieux sombres. Il nous importe
de
souligner ce fait du dualisme fondamental de la religion des druides.
1004
orte de souligner ce fait du dualisme fondamental
de
la religion des druides. Car c’est ici que se révèle la convergence d
1005
ues, et hindouistes avec la religion fondamentale
de
l’Europe. De l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprim
1006
uistes avec la religion fondamentale de l’Europe.
De
l’Inde aux rives de l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les f
1007
ion fondamentale de l’Europe. De l’Inde aux rives
de
l’Atlantique, nous retrouvons exprimé, dans les formes les plus diver
1008
mes les plus diverses, ce même mystère du Jour et
de
la Nuit, et de leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lu
1009
verses, ce même mystère du Jour et de la Nuit, et
de
leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu de Lumière incréée,
1010
leur lutte mortelle dans l’homme. Il est un dieu
de
Lumière incréée, intemporelle, et un dieu de Ténèbres, auteur du mal,
1011
dieu de Lumière incréée, intemporelle, et un dieu
de
Ténèbres, auteur du mal, qui domine toute la Création visible. Des si
1012
Création visible. Des siècles avant l’apparition
de
Manès, on peut déceler la même opposition dans les mythologies indo-e
1013
dont l’un au moins intéresse directement l’objet
de
ce livre : la conception de la femme chez les Celtes n’est pas sans r
1014
e directement l’objet de ce livre : la conception
de
la femme chez les Celtes n’est pas sans rappeler la dialectique plato
1015
st pas sans rappeler la dialectique platonicienne
de
l’Amour. La femme figure aux yeux des druides un être divin et prophé
1016
s fée ? », dit-elle. Éros a revêtu les apparences
de
la Femme, symbole de l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mé
1017
Éros a revêtu les apparences de la Femme, symbole
de
l’au-delà et de cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terr
1018
s apparences de la Femme, symbole de l’au-delà et
de
cette nostalgie qui nous fait mépriser les joies terrestres. Mais sym
1019
sans fin. L’Essylt des légendes sacrées, « objet
de
contemplation, spectacle mystérieux », c’était l’invitation à désirer
1020
, dira Goethe. Et Novalis : « La femme est le but
de
l’homme. » Ainsi l’aspiration vers la lumière prend pour symbole l’at
1021
qui réside par-delà les étoiles, c’est le royaume
de
Dispater, le père des Ombres. Et de même, le Tristan de Wagner veut s
1022
agner veut sombrer, mais pour renaître en un ciel
de
Lumière. La « Nuit » qu’il chante, c’est le Jour incréé. Et sa passio
1023
est le Jour incréé. Et sa passion, c’est le culte
d’
Éros, le Désir qui méprise Vénus, même quand il souffre volupté, même
1024
même quand il croit aimer un être… On parle trop
de
nirvana et de bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le f
1025
croit aimer un être… On parle trop de nirvana et
de
bouddhisme à propos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen de l
1026
opos de l’opéra wagnérien. Comme si le fond païen
de
l’Occident n’avait pas pu fournir au magicien les éléments les plus a
1027
fournir au magicien les éléments les plus actifs
de
son philtre ! Il est frappant de constater d’ailleurs à quel point le
1028
les plus actifs de son philtre ! Il est frappant
de
constater d’ailleurs à quel point le celtisme originel de l’Europe a
1029
ater d’ailleurs à quel point le celtisme originel
de
l’Europe a survécu à la conquête romaine et aux invasions germaniques
1030
man et les langues romanes attestent l’importance
de
l’héritage celtique. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et de
1031
éritage celtique. Plus tard, ce furent des moines
d’
Irlande et de Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conse
1032
que. Plus tard, ce furent des moines d’Irlande et
de
Bretagne — derniers refuges des légendes bardiques conservées justeme
1033
culte des lettres. Et ceci nous amène aux abords
de
l’époque où se forma notre mythe… ⁂ Mais plus près de nous que Platon
1034
près de nous que Platon et les druides, une sorte
d’
unité mystique du monde indo-européen se dessine comme en filigrane à
1035
sons le domaine géographique et historique qui va
de
l’Inde à la Bretagne, nous constatons qu’une religion s’y est répandu
1036
nous constatons qu’une religion s’y est répandue,
d’
une manière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle de notre ère,
1037
ière à vrai dire souterraine, dès le iiie siècle
de
notre ère, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et de la Nuit t
1038
re, syncrétisant l’ensemble des mythes du Jour et
de
la Nuit tels qu’ils s’étaient élaborés en Perse d’abord, puis dans le
1039
nichéenne. Les difficultés mêmes que l’on éprouve
de
nos jours à définir cette religion ne sont pas sans nous renseigner s
1040
e par les pouvoirs ou les orthodoxies. On affecta
de
voir en elle la pire menace sociale. Ses fidèles furent massacrés, le
1041
e jusqu’à nos jours émanent presque exclusivement
de
ses adversaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine de Manès (qu
1042
ersaires. Ensuite, il semble bien que la doctrine
de
Manès (qui était originaire de l’Iran) a pris, selon les peuples et l
1043
en que la doctrine de Manès (qui était originaire
de
l’Iran) a pris, selon les peuples et leurs croyances, des formes très
1044
(Zarathustra ou Zoroastre). De plus il est permis
de
penser que les survivances celtiques dans le Midi languedocien offrir
1045
ut doivent être retenus : 1° Le dogme fondamental
de
toutes les sectes manichéennes, c’est la nature divine ou angélique d
1046
manichéennes, c’est la nature divine ou angélique
de
l’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit de la matière. Is
1047
élique de l’âme, prisonnière des formes créées et
de
la nuit de la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en e
1048
’âme, prisonnière des formes créées et de la nuit
de
la matière. Issu de la lumière et des dieux Me voici en exil et sépa
1049
formes créées et de la nuit de la matière. Issu
de
la lumière et des dieux Me voici en exil et séparé d’eux. Je suis un
1050
a lumière et des dieux Me voici en exil et séparé
d’
eux. Je suis un dieu, et né des dieux Mais maintenant réduit à souffr
1051
éduit à souffrir. Ainsi lamente le Moi spirituel
d’
un disciple du sauveur Manès, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan
1052
disciple du sauveur Manès, dans l’hymne du Destin
de
l’Âme. L’élan de l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une p
1053
ur Manès, dans l’hymne du Destin de l’Âme. L’élan
de
l’âme vers la Lumière n’est pas sans évoquer d’une part la « réminisc
1054
e revenu du Ciel sur la terre, et qui se souvient
de
l’île des immortels. Mais cet élan est sans cesse entravé par la jalo
1055
s cet élan est sans cesse entravé par la jalousie
de
Vénus (Dîbat dans le premier hymne cité) qui veut retenir dans la som
1056
ant en proie au lumineux Désir. Tel est le combat
de
l’amour sexuel et de l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale d
1057
eux Désir. Tel est le combat de l’amour sexuel et
de
l’Amour, et il exprime l’angoisse fondamentale des anges déchus dans
1058
° Il est très important et significatif pour nous
de
remarquer que la structure de la foi manichéenne « est essentiellemen
1059
nificatif pour nous de remarquer que la structure
de
la foi manichéenne « est essentiellement lyrique »18. Autrement dit,
1060
ntiellement lyrique »18. Autrement dit, qu’il est
de
la nature profonde de cette foi de se refuser à toute exposition rati
1061
8. Autrement dit, qu’il est de la nature profonde
de
cette foi de se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnell
1062
dit, qu’il est de la nature profonde de cette foi
de
se refuser à toute exposition rationaliste, impersonnelle et « object
1063
is angoissée et enthousiasmante (au sens littéral
de
ce terme), d’ordre essentiellement poétique. « La « vérité » de la co
1064
t enthousiasmante (au sens littéral de ce terme),
d’
ordre essentiellement poétique. « La « vérité » de la cosmogonie et de
1065
d’ordre essentiellement poétique. « La « vérité »
de
la cosmogonie et de la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans
1066
ent poétique. « La « vérité » de la cosmogonie et
de
la théogonie n’apparaît, ne se constitue que dans la certitude attest
1067
le récitatif du psaume. » Et l’on songe au secret
de
Tristan, qu’il ne peut « dire » mais seulement chanter… ⁂ Toute conce
1068
même ; et dans la mort le bien dernier, le rachat
de
la faute d’être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse i
1069
ns la mort le bien dernier, le rachat de la faute
d’
être né, la réintégration dans l’Un et dans la lumineuse indistinction
1070
olontaire que représente l’ascèse (aspect négatif
de
l’illumination), nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin de l’
1071
), nous pouvons accéder à la Lumière. Mais la fin
de
l’esprit, son but, c’est aussi la fin de la vie limitée, obscurcie pa
1072
s la fin de l’esprit, son but, c’est aussi la fin
de
la vie limitée, obscurcie par la multiplicité immédiate. Éros, notre
1073
désirs que pour les sacrifier. L’accomplissement
de
l’Amour nie tout amour terrestre. Et son Bonheur nie tout bonheur ter
1074
tout bonheur terrestre. Considéré du point de vue
de
la vie, un tel Amour ne saurait être qu’un malheur total. Tel est le
1075
ccidental sur lequel se détache notre mythe. Mais
d’
où vient qu’il s’en soit « détaché » justement ? Quelle menace, quelle
1076
duire que par le charme et la secrète incantation
d’
un mythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile de
1077
ythe ? 3.Agapè ou l’amour chrétien Prologue
de
l’Évangile de Jean : « Au commencement était la Parole, et la Parole
1078
apè ou l’amour chrétien Prologue de l’Évangile
de
Jean : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Di
1079
éternel, sans rémission, l’irrévocable hostilité
de
la Nuit terrestre et du Jour transcendant ? Non, car voici la suite d
1080
faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine
de
grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire co
1081
, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et
de
vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloir
1082
unique venu du Père. » (I, 14-15.) L’incarnation
de
la Parole dans le monde — de la Lumière dans les Ténèbres —, tel est
1083
-15.) L’incarnation de la Parole dans le monde —
de
la Lumière dans les Ténèbres —, tel est l’événement inouï qui nous dé
1084
est l’événement inouï qui nous délivre du malheur
de
vivre. Tel est le centre de tout le christianisme, et le foyer de l’a
1085
us délivre du malheur de vivre. Tel est le centre
de
tout le christianisme, et le foyer de l’amour chrétien que l’Écriture
1086
t le centre de tout le christianisme, et le foyer
de
l’amour chrétien que l’Écriture nomme Agapè. Événement sans précédent
1087
ent, et « naturellement » incroyable. Car le fait
de
l’Incarnation est la négation radicale de toute espèce de religion. I
1088
le fait de l’Incarnation est la négation radicale
de
toute espèce de religion. Il est le suprême scandale, non seulement p
1089
arnation est la négation radicale de toute espèce
de
religion. Il est le suprême scandale, non seulement pour notre raison
1090
ison qui n’admet point cette impensable confusion
de
l’infini et du fini, mais surtout pour l’esprit religieux naturel. To
1091
ésir unique, qui aboutit à les nier. Le but final
de
cette dialectique, c’est la non-vie, la mort du corps. La Nuit et le
1092
me créé qui appartient à la Nuit, ne peut trouver
de
salut qu’en cessant d’être, en se « perdant » au sein de la divinité.
1093
à la Nuit, ne peut trouver de salut qu’en cessant
d’
être, en se « perdant » au sein de la divinité. Mais le christianisme,
1094
la divinité. Mais le christianisme, par son dogme
de
l’incarnation du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique de fon
1095
du Christ dans Jésus, renverse cette dialectique
de
fond en comble. Au lieu que la mort soit le terme dernier, elle devie
1096
ngile appelle « mort à soi-même », c’est le début
d’
une vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite de l’esprit hors
1097
vie nouvelle, dès ici-bas. Ce n’est pas la fuite
de
l’esprit hors du monde, mais son retour en force au sein du monde ! U
1098
nde ! Une recréation immédiate. Une réaffirmation
de
la vie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas de la vie idéal
1099
iate. Une réaffirmation de la vie, non pas certes
de
la vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais de la vie présente
1100
ie, non pas certes de la vie ancienne, et non pas
de
la vie idéale, mais de la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu —
1101
a vie ancienne, et non pas de la vie idéale, mais
de
la vie présente que l’Esprit ressaisit. Dieu — le vrai Dieu — s’est f
1102
— s’est fait homme, et vrai homme. En la personne
de
Jésus-Christ, les ténèbres vraiment ont « reçu » la lumière. Et tout
1103
raiment ont « reçu » la lumière. Et tout homme né
de
femme qui croit cela, renaît de l’esprit dès maintenant : mort à soi-
1104
Et tout homme né de femme qui croit cela, renaît
de
l’esprit dès maintenant : mort à soi-même et mort au monde en tant qu
1105
mais, l’amour n’est plus fuite et perpétuel refus
de
l’acte. Il commence au-delà de la mort, mais il se retourne vers la v
1106
et perpétuel refus de l’acte. Il commence au-delà
de
la mort, mais il se retourne vers la vie. Et cette conversion de l’am
1107
s il se retourne vers la vie. Et cette conversion
de
l’amour fait apparaître le prochain. Pour l’Éros, la créature n’était
1108
re n’était qu’un prétexte illusoire, une occasion
de
s’enflammer ; et il fallait aussitôt s’en déprendre, puisque le but é
1109
ait aussitôt s’en déprendre, puisque le but était
de
brûler toujours plus, de brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulie
1110
re, puisque le but était de brûler toujours plus,
de
brûler jusqu’à en mourir ! L’être particulier n’était guère qu’un déf
1111
n’était guère qu’un défaut et un obscurcissement
de
l’Être unique. Comment l’aimer vraiment, tel qu’il était ? Le salut n
1112
été jusqu’à les revêtir. Et revêtant la condition
de
l’homme pécheur et séparé, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amo
1113
aré, mais sans pécher et sans se diviser, l’Amour
de
Dieu nous a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle de la sanct
1114
s a ouvert une voie radicalement nouvelle : celle
de
la sanctification. Le contraire de la sublimation, qui n’était que fu
1115
uvelle : celle de la sanctification. Le contraire
de
la sublimation, qui n’était que fuite illusoire au-delà du concret de
1116
ui n’était que fuite illusoire au-delà du concret
de
la vie. Aimer devient alors une action positive, une action de transf
1117
mer devient alors une action positive, une action
de
transformation. Éros cherchait le dépassement à l’infini. L’amour chr
1118
r aimer Dieu, c’est obéir à Dieu qui nous ordonne
de
nous aimer les uns les autres. Que signifie : Aimez vos ennemis ? C’e
1119
ue signifie : Aimez vos ennemis ? C’est l’abandon
de
l’égoïsme, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme i
1120
os ennemis ? C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi
de
désir et d’angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est auss
1121
C’est l’abandon de l’égoïsme, du moi de désir et
d’
angoisse, c’est une mort de l’homme isolé, mais c’est aussi la naissan
1122
me, du moi de désir et d’angoisse, c’est une mort
de
l’homme isolé, mais c’est aussi la naissance du prochain. À ceux qui
1123
chain ? Jésus répond : c’est l’homme qui a besoin
de
vous. Tous les rapports humains, dès cet instant, changent de sens. L
1124
s les rapports humains, dès cet instant, changent
de
sens. Le nouveau symbole de l’Amour ce n’est plus la passion infinie
1125
cet instant, changent de sens. Le nouveau symbole
de
l’Amour ce n’est plus la passion infinie de l’âme en quête de lumière
1126
mbole de l’Amour ce n’est plus la passion infinie
de
l’âme en quête de lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Ég
1127
e n’est plus la passion infinie de l’âme en quête
de
lumière, mais c’est le mariage du Christ et de l’Église. L’amour huma
1128
te de lumière, mais c’est le mariage du Christ et
de
l’Église. L’amour humain lui-même s’en trouve transformé. Tandis que
1129
r le mariage. Un tel amour, étant conçu à l’image
de
l’amour du Christ pour son Église (Éph., 5, 25), peut être vraiment r
1130
me l’autre tel qu’il est — au lieu d’aimer l’idée
de
l’amour ou sa mortelle et délicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se mar
1131
élicieuse brûlure. (« Il vaut mieux se marier que
de
brûler », écrit saint Paul aux Corinthiens.) De plus, c’est un amour
1132
naît dès ici-bas, dans l’obéissance, la plénitude
de
son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et de la Nuit, poussé à son extrême
1133
plénitude de son ordre. ⁂ Le dualisme du Jour et
de
la Nuit, poussé à son extrême logique, aboutissait, du point de vue d
1134
son extrême logique, aboutissait, du point de vue
de
la vie, au malheur absolu, qui est la mort. Le christianisme n’est un
1135
e n’est un malheur mortel que pour l’homme séparé
de
Dieu, mais un malheur recréateur et bienheureux dès cette vie pour le
1136
lut ». 4.Orient et Occident Est-il possible
de
définir l’Orient et l’Occident en dehors de la géographie ? En présen
1137
nce d’un problème aussi complexe, et en l’absence
de
toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que de s
1138
de toute réponse satisfaisante, c’est l’honnêteté
d’
un écrivain que de se borner à déclarer son système personnel de référ
1139
atisfaisante, c’est l’honnêteté d’un écrivain que
de
se borner à déclarer son système personnel de références. Ce que j’ap
1140
que de se borner à déclarer son système personnel
de
références. Ce que j’appelle Orient, dans cet ouvrage, c’est une tend
1141
elle Orient, dans cet ouvrage, c’est une tendance
de
l’esprit humain qui a trouvé du côté de l’Asie ses plus hautes et pur
1142
lus hautes et pures expressions. J’entends parler
d’
une forme de mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et m
1143
t pures expressions. J’entends parler d’une forme
de
mystique à la fois dualiste dans sa vision du monde, et moniste dans
1144
ntale » ? À la négation du divers, à l’absorption
de
tous en Un, à la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas de die
1145
la fusion totale avec le dieu, ou s’il n’y a pas
de
dieu, comme dans le bouddhisme, avec l’Être-Un universel. Tout cela s
1146
sel. Tout cela suppose une Sagesse, une technique
de
l’illumination progressive — les yogas par exemple — une montée de l’
1147
progressive — les yogas par exemple — une montée
de
l’individu vers l’Unité, où il se perd. Et j’appellerai « occidentale
1148
une différence qualitative infinie ». Donc point
de
fusion possible, ni d’union substantielle. Mais seulement une communi
1149
tive infinie ». Donc point de fusion possible, ni
d’
union substantielle. Mais seulement une communion, dont le modèle est
1150
une communion, dont le modèle est dans le mariage
de
l’Église et de son Seigneur. Cela suppose une illumination subite, ou
1151
dont le modèle est dans le mariage de l’Église et
de
son Seigneur. Cela suppose une illumination subite, ou conversion, un
1152
illumination subite, ou conversion, une descente
de
la Grâce venant de Dieu à l’homme. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l
1153
e, ou conversion, une descente de la Grâce venant
de
Dieu à l’homme. Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas de p
1154
Ces deux extrêmes ainsi marqués, l’on n’aura pas
de
peine à démontrer qu’il existe en Orient de nombreuses tendances occi
1155
a pas de peine à démontrer qu’il existe en Orient
de
nombreuses tendances occidentales ; et l’inverse. (Mais je ne fais pa
1156
veut l’union, c’est-à-dire la fusion essentielle
de
l’individu dans le dieu. L’individu distinct — cette erreur douloureu
1157
ticulières, elles ne représentent que des défauts
de
l’Être. Nous n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation de l’Amo
1158
ue des défauts de l’Être. Nous n’avons donc point
de
prochain. Et l’exaltation de l’Amour sera en même temps son ascèse, l
1159
s n’avons donc point de prochain. Et l’exaltation
de
l’Amour sera en même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà de la
1160
n même temps son ascèse, la voie qui mène au-delà
de
la vie. Agapè au contraire ne cherche pas l’union qui s’opérerait au
1161
re ne cherche pas l’union qui s’opérerait au-delà
de
la vie. « Dieu est au ciel, et toi tu es sur la terre. » Et ton sort
1162
» Et ton sort se joue ici-bas. Le péché n’est pas
d’
être né, mais d’avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne tro
1163
joue ici-bas. Le péché n’est pas d’être né, mais
d’
avoir perdu Dieu en devenant autonome. Or, nous ne trouverons pas Dieu
1164
e trouverons pas Dieu par une élévation indéfinie
de
notre désir. Nous aurons beau sublimer notre Éros, il ne sera jamais
1165
re Éros, il ne sera jamais que nous-mêmes ! Point
d’
illusions ni d’optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais
1166
sera jamais que nous-mêmes ! Point d’illusions ni
d’
optimisme humain, dans le christianisme orthodoxe. Mais alors, c’est l
1167
. Dieu nous cherche et nous a trouvés par l’amour
de
son Fils abaissé jusqu’à nous. L’Incarnation est le signe historique
1168
squ’à nous. L’Incarnation est le signe historique
d’
une création renouvelée, où le croyant se trouve réintégré par l’acte
1169
où le croyant se trouve réintégré par l’acte même
de
sa foi. Désormais, pardonné et sanctifié, c’est-à-dire réconcilié, l’
1170
et s’aime lui-même en vérité. Pour l’Agapè, point
de
fusion ni d’exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’o
1171
-même en vérité. Pour l’Agapè, point de fusion ni
d’
exaltée dissolution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine d’une
1172
ution du moi en Dieu. L’Amour divin est l’origine
d’
une vie nouvelle, dont l’acte créateur s’appelle la communion. Et pour
1173
e à s’exalter, mais tel qu’il est dans la réalité
de
sa détresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain —
1174
s tel qu’il est dans la réalité de sa détresse et
de
son espérance ; et si l’Éros n’a pas de prochain — n’est-on pas en dr
1175
tresse et de son espérance ; et si l’Éros n’a pas
de
prochain — n’est-on pas en droit de conclure que cette forme d’amour
1176
’Éros n’a pas de prochain — n’est-on pas en droit
de
conclure que cette forme d’amour nommée passion doit normalement se d
1177
n’est-on pas en droit de conclure que cette forme
d’
amour nommée passion doit normalement se développer au sein des peuple
1178
es peuples chrétiens — historiquement les peuples
d’
Occident — ne devraient pas connaître la passion, ou tout au moins la
1179
connaître la passion, ou tout au moins la traiter
d’
incroyance ? Or l’Histoire nous oblige à le constater : c’est l’invers
1180
ent (Appendice 4), et dans la Grèce contemporaine
de
Platon, l’amour humain est très généralement conçu comme le plaisir,
1181
où elle exerce ses ravages aux dépens du monde et
de
soi. L’identification des éléments religieux dont nous avions décelé
1182
s et les mœurs. Serait-ce alors dans le fait même
de
cette contradiction flagrante que résiderait l’explication du mythe ?
1183
ns les mœurs occidentales Pour introduire plus
de
clarté dans ce dédale dialectique, je proposerai le schéma suivant :
1184
rare et méprisée. Christianisme Communion (pas
d’
union essentielle). Amour du prochain. (Mariage heureux.) Conflits dou
1185
flits douloureux, passion exaltée. Le principe
d’
explication de ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de
1186
ux, passion exaltée. Le principe d’explication
de
ce tableau est assez simple. Le platonisme, au temps de Platon et dur
1187
triompha. La primitive Église fut une communauté
de
faibles et de méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereu
1188
primitive Église fut une communauté de faibles et
de
méprisés. Mais à partir de Constantin, puis des empereurs carolingien
1189
ui les imposèrent par la force à tous les peuples
d’
Occident. Dès lors, les vieilles croyances païennes refoulées devinren
1190
ui dans un cadre chrétien, mais privé des secours
d’
une foi réelle, un tel homme, fatalement, devait sentir en lui s’exalt
1191
bare. Il était prêt à accueillir, sous le couvert
de
formes catholiques, toutes les reviviscences des mystiques païennes c
1192
les reviviscences des mystiques païennes capables
de
le « libérer ». C’est ainsi que les doctrines secrètes, dont nous avo
1193
nsi que l’amour-passion, forme terrestre du culte
de
l’Éros, envahit la psyché des élites mal converties et souffrant du m
1194
rmes ésotériques, se déguisa en hérésies secrètes
d’
apparences plus ou moins orthodoxes. Ces hérésies se propagèrent très
1195
où nous les retrouverons un peu plus tard mêlées
de
la manière la plus complexe à la grande renaissance mystique. D’autre
1196
sait pas toujours l’origine et la portée mystique
de
valeurs qu’elle prenait pour une mode et qu’elle accommodait à ses pl
1197
ne devait pas tarder à matérialiser les préceptes
d’
une religion qui pourtant s’opposait au christianisme par son refus de
1198
ourtant s’opposait au christianisme par son refus
de
l’Incarnation, précisément ! Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul
1199
Je ne donnerai pour l’instant qu’un seul exemple
de
ce processus si typiquement occidental, et qui consiste à garder le s
1200
ental, et qui consiste à garder le signe matériel
d’
une religion dont on trahit l’esprit. Platon liait l’Amour à la Beauté
1201
tendait, c’était d’abord l’essence intellectuelle
de
la perfection incréée : l’idée même de toute excellence. Qu’est deven
1202
llectuelle de la perfection incréée : l’idée même
de
toute excellence. Qu’est devenue cette doctrine parmi nous ? « Person
1203
ne saurait dire jusqu’à quelles couches profondes
de
l’humanité d’Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’h
1204
e jusqu’à quelles couches profondes de l’humanité
d’
Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’homme le plus s
1205
oniciennes. L’homme le plus simple use couramment
d’
expressions et de notions qui remontent à Platon. »20 Mais il en abuse
1206
me le plus simple use couramment d’expressions et
de
notions qui remontent à Platon. »20 Mais il en abuse dans le sens où
1207
s il en abuse dans le sens où l’incline sa nature
d’
Occidental. C’est ainsi que le platonisme vulgaire nous a conduits à u
1208
sion : à cette idée que l’amour dépend avant tout
de
la beauté physique — alors qu’en fait cette beauté même n’est que l’a
1209
’est que l’attribut conféré par l’amant à l’objet
de
son choix d’amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour
1210
tribut conféré par l’amant à l’objet de son choix
d’
amour. L’expérience quotidienne montre bien que « l’amour embellit son
1211
et que la beauté « officielle » n’est pas un gage
d’
être aimé. Mais le platonisme dégénéré, qui nous obsède, nous rend ave
1212
qui nous obsède, nous rend aveugles à la réalité
de
l’objet tel qu’il est dans sa vérité — ou bien nous la rend peu aimab
1213
rend peu aimable. Et il nous jette à la poursuite
de
chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore, d’où vient ce succès
1214
chimères qui n’existent qu’en nous. Mais encore,
d’
où vient ce succès et cette permanence invincible de l’erreur héritée
1215
où vient ce succès et cette permanence invincible
de
l’erreur héritée d’un Platon mal compris ? C’est qu’elle trouve dans
1216
t cette permanence invincible de l’erreur héritée
d’
un Platon mal compris ? C’est qu’elle trouve dans le cœur de tout homm
1217
n mal compris ? C’est qu’elle trouve dans le cœur
de
tout homme — et spécialement de tout Occidental de très obscures comp
1218
ouve dans le cœur de tout homme — et spécialement
de
tout Occidental de très obscures complicités. Souvenons-nous du culte
1219
e tout homme — et spécialement de tout Occidental
de
très obscures complicités. Souvenons-nous du culte druidique pour la
1220
mme, être prophétique, « éternel féminin », « but
de
l’homme ». Les Celtes, déjà, tendaient donc à matérialiser l’élan div
1221
y a plus, nous le savons depuis Freud : le « type
de
femme » que chaque homme porte dans son cœur et qu’il assimile d’inst
1222
haque homme porte dans son cœur et qu’il assimile
d’
instinct à la définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la
1223
cœur et qu’il assimile d’instinct à la définition
de
la beauté, n’est-ce pas le souvenir de la mère « fixé » dans sa mémoi
1224
définition de la beauté, n’est-ce pas le souvenir
de
la mère « fixé » dans sa mémoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les
1225
émoire secrète ? ⁂ Si telles sont bien les causes
de
la curieuse contradiction qui apparaît au xiie siècle entre les doct
1226
des contrecoups du christianisme (et spécialement
de
sa doctrine du mariage) dans les âmes où vivait encore un paganisme n
1227
que et contestable si nous n’étions pas en mesure
de
retracer les voies et moyens historiques de cette renaissance de l’Ér
1228
esure de retracer les voies et moyens historiques
de
cette renaissance de l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers l
1229
voies et moyens historiques de cette renaissance
de
l’Éros. Or nous avons déjà fixé sa date : vers le début du xiie sièc
1230
xé sa date : vers le début du xiie siècle. (Date
de
naissance de l’amour-passion !21). Et nous allons montrer qu’elle por
1231
vers le début du xiie siècle. (Date de naissance
de
l’amour-passion !21). Et nous allons montrer qu’elle porte un nom par
1232
ares Que toute la poésie européenne soit issue
de
la poésie des troubadours au xiie siècle, c’est ce dont personne ne
1233
« Oui, entre les xie et xiie siècles, la poésie
d’
où qu’elle fût (hongroise, espagnole, portugaise, allemande, sicilienn
1234
poète, ne pouvant être que troubadour, était tenu
de
parler — et de l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du trou
1235
nt être que troubadour, était tenu de parler — et
de
l’apprendre s’il ne le savait pas — le langage du troubadour, qui n’a
1236
t-ce que la poésie des troubadours ? L’exaltation
de
l’amour malheureux. « Il n’y a dans toute la lyrique occitane et la l
1237
qui toujours dit non. »23 L’Europe n’a pas connu
de
poésie plus profondément rhétorique : non seulement dans ses formes v
1238
que celle-ci prend sa source dans un système fixe
de
lois, qui seront codifiées sous le nom de leys d’amors. Mais il faut
1239
me fixe de lois, qui seront codifiées sous le nom
de
leys d’amors. Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut pl
1240
de lois, qui seront codifiées sous le nom de leys
d’
amors. Mais il faut dire aussi que jamais rhétorique ne fut plus exalt
1241
Amor », qui est l’Éros suprême, est l’élancement
de
l’âme vers l’union lumineuse, au-delà de tout amour possible en cette
1242
ancement de l’âme vers l’union lumineuse, au-delà
de
tout amour possible en cette vie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la c
1243
ie. Voilà pourquoi l’Amour suppose la chasteté. E
d’
amor mou castitaz (d’amour vient chasteté) chante le troubadour toulou
1244
Amour suppose la chasteté. E d’amor mou castitaz (
d’
amour vient chasteté) chante le troubadour toulousain Guilhem Montanha
1245
amoureux. Le poète a gagné sa dame par la beauté
de
son hommage musical. Il lui jure à genoux une éternelle fidélité, com
1246
le fidélité, comme on fait à un suzerain. En gage
d’
amour, la dame donnait à son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoign
1247
ur, la dame donnait à son paladin-poète un anneau
d’
or, lui enjoignait de se lever, et lui déposait un baiser sur le front
1248
son paladin-poète un anneau d’or, lui enjoignait
de
se lever, et lui déposait un baiser sur le front. Désormais, ces aman
1249
t. Désormais, ces amants seront liés par les lois
de
la cortezia : le secret, la patience, et la mesure, qui n’est pas tou
1250
et la mesure, qui n’est pas tout à fait synonyme
de
la chasteté, nous le verrons, mais plutôt de la retenue… Et surtout,
1251
nyme de la chasteté, nous le verrons, mais plutôt
de
la retenue… Et surtout, l’homme sera le servant de la femme. D’où vie
1252
e la retenue… Et surtout, l’homme sera le servant
de
la femme. D’où vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuel
1253
Et surtout, l’homme sera le servant de la femme.
D’
où vient cette conception nouvelle de l’amour « perpétuellement insati
1254
de la femme. D’où vient cette conception nouvelle
de
l’amour « perpétuellement insatisfait », et cette louange enthousiast
1255
ait », et cette louange enthousiaste et plaintive
d’
« une belle qui toujours dit non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme q
1256
aintive d’« une belle qui toujours dit non » ? Et
d’
où vient ce savant lyrisme qui tout d’un coup se trouve là pour tradui
1257
non » ? Et d’où vient ce savant lyrisme qui tout
d’
un coup se trouve là pour traduire la passion nouvelle ? On ne saurait
1258
ne saurait trop souligner le caractère miraculeux
de
cette double naissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine d’ann
1259
e cette double naissance, si rapide : en l’espace
d’
une vingtaine d’années, naissance d’une vision de la femme entièrement
1260
aissance, si rapide : en l’espace d’une vingtaine
d’
années, naissance d’une vision de la femme entièrement contraire aux m
1261
: en l’espace d’une vingtaine d’années, naissance
d’
une vision de la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles
1262
d’une vingtaine d’années, naissance d’une vision
de
la femme entièrement contraire aux mœurs traditionnelles — la femme s
1263
aditionnelles — la femme se voit élevée au-dessus
de
l’homme, dont elle devient l’idéal nostalgique — et naissance d’une p
1264
t elle devient l’idéal nostalgique — et naissance
d’
une poésie à formes fixes, très compliquées et raffinées, sans précéde
1265
ns toute l’Antiquité ni dans les quelques siècles
de
culture romane qui succèdent à la renaissance carolingienne. Ou bien
1266
tout cela « tombe du ciel », c’est-à-dire jaillit
d’
une inspiration subite et collective — mais encore faudrait-il expliqu
1267
els lieux bien définis ; ou bien tout cela relève
d’
une cause historique précise — mais alors il s’agit de savoir pour que
1268
e cause historique précise — mais alors il s’agit
de
savoir pour quelles raisons elle est demeurée obscure jusqu’à nos jou
1269
estion, et la facilité avec laquelle ils décident
de
n’y point répondre. Tout le monde admet aujourd’hui que la poésie pr
1270
d’hui que la poésie provençale et les conceptions
de
l’amour qu’elle illustre, « loin de s’expliquer par les conditions où
1271
le ne reflète aucunement la réalité, la condition
de
la femme n’ayant pas été, dans les institutions féodales du Midi, moi
1272
« évident » que les troubadours ne tiraient rien
de
la réalité sociale, il paraît non moins évident que leur conception d
1273
, il paraît non moins évident que leur conception
de
l’amour venait d’ailleurs. Quel pouvait être cet ailleurs ? La même q
1274
», écrit M. Jeanroy (quitte à reprocher à chacun
de
ces poètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce d’originalité
1275
te à reprocher à chacun de ces poètes pris à part
de
n’avoir montré aucune espèce d’originalité et de s’être borné à raffi
1276
oètes pris à part de n’avoir montré aucune espèce
d’
originalité et de s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieu
1277
de n’avoir montré aucune espèce d’originalité et
de
s’être borné à raffiner des formes fixes et des lieux communs : mais
1278
se risque à formuler une hypothèse sur l’origine
de
la rhétorique courtoise, les spécialistes l’accablent des plus aigres
1279
tte énormité »26. Diez a montré des ressemblances
de
formes (rythmes et coupes) entre la lyrique arabe et la lyrique prove
1280
peu de culture pour connaître cette poésie. Ainsi
de
chaque réponse proposée : le « sérieux » des savants paraissant consi
1281
consister surtout dans une propension à qualifier
d’
énormité ou de fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phéno
1282
out dans une propension à qualifier d’énormité ou
de
fantaisie tout ce qui menace de donner un sens au phénomène qu’ils pa
1283
ier d’énormité ou de fantaisie tout ce qui menace
de
donner un sens au phénomène qu’ils passent leur vie à étudier. Il est
1284
ru pouvoir tout éclaircir en décelant à l’origine
de
la lyrique provençale des influences religieuses, néo-platoniciennes
1285
ies » ont aussitôt dressé contre elles l’ensemble
de
nos érudits. Wechssler s’est vu traiter de « doctrinaire » — suprême
1286
semble de nos érudits. Wechssler s’est vu traiter
de
« doctrinaire » — suprême injure — et plusieurs ont insinué que la qu
1287
injure — et plusieurs ont insinué que la qualité
d’
Allemand de ce professeur les dispensait de réfuter un système incompa
1288
t plusieurs ont insinué que la qualité d’Allemand
de
ce professeur les dispensait de réfuter un système incompatible avec
1289
ualité d’Allemand de ce professeur les dispensait
de
réfuter un système incompatible avec le clair génie de notre race. Il
1290
futer un système incompatible avec le clair génie
de
notre race. Il reste donc d’une part un phénomène étrange, et d’autre
1291
d’une part un phénomène étrange, et d’autre part,
de
fort savantes réfutations de tout ce qui prétend l’expliquer. « Il es
1292
ge, et d’autre part, de fort savantes réfutations
de
tout ce qui prétend l’expliquer. « Il est également impossible — écri
1293
pliquer. « Il est également impossible — écrit un
de
nos professeurs — de voir dans ces chansons d’amour, qui forment les
1294
lement impossible — écrit un de nos professeurs —
de
voir dans ces chansons d’amour, qui forment les trois quarts de la po
1295
un de nos professeurs — de voir dans ces chansons
d’
amour, qui forment les trois quarts de la poésie provençale, une image
1296
es chansons d’amour, qui forment les trois quarts
de
la poésie provençale, une image fidèle de la réalité et un pur assemb
1297
quarts de la poésie provençale, une image fidèle
de
la réalité et un pur assemblage de formules vides de sens. » Certes.
1298
e image fidèle de la réalité et un pur assemblage
de
formules vides de sens. » Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu
1299
la réalité et un pur assemblage de formules vides
de
sens. » Certes. Mais là-dessus, l’auteur annonce qu’« en historien sc
1300
qu’« en historien scrupuleux », il se garde bien
de
se prononcer. Ce qui revient à dire que la lyrique courtoise dont il
1301
eux et jusqu’à plus ample informé « un assemblage
de
formules vides de sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un
1302
s ample informé « un assemblage de formules vides
de
sens ». Excellent « matériel » il est vrai, pour un philologue qui se
1303
liciter » les textes, fût-ce par le moindre essai
de
les comprendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part, d’une hypot
1304
rendre. Je ne saurais me contenter, pour ma part,
d’
une hypothèse à tel point scrupuleuse. Je me refuse à supposer un seul
1305
ul instant que les troubadours furent des faibles
d’
esprit, tout juste bons à répéter sans se lasser des formules apprises
1306
me demande, après Aroux et Péladan, si le secret
de
toute cette poésie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près d’e
1307
ie ne devrait pas être cherché beaucoup plus près
d’
elle qu’on ne l’a fait — tout près : sur place, dans le milieu même où
1308
se trouvait déterminer les formes, même sociales,
de
ce milieu.28 Partant de là, constatons qu’un grand fait historique d
1309
s formes, même sociales, de ce milieu.28 Partant
de
là, constatons qu’un grand fait historique domine le xiie siècle pro
1310
ne hérésie puissante se répandait. L’on a pu dire
de
la religion cathare qu’elle représenta pour l’Église un péril aussi g
1311
enta pour l’Église un péril aussi grave que celui
de
l’arianisme. Certains ne vont-ils pas jusqu’à prétendre qu’elle fit e
1312
’à prétendre qu’elle fit en Occident des millions
de
fidèles secrets, malgré la très sanglante croisade des albigeois, au
1313
e précise à l’hérésie les sectes néo-manichéennes
d’
Asie Mineure et les églises bogomiles de Dalmatie et de Bulgarie. Les
1314
ichéennes d’Asie Mineure et les églises bogomiles
de
Dalmatie et de Bulgarie. Les « purs » ou cathares29 se rattachaient a
1315
e Mineure et les églises bogomiles de Dalmatie et
de
Bulgarie. Les « purs » ou cathares29 se rattachaient aux grands coura
1316
ait assez que la Gnose, de même que les doctrines
de
Mani ou Manès, plonge des racines dans la religion dualiste de l’Iran
1317
nès, plonge des racines dans la religion dualiste
de
l’Iran. Quelle était la doctrine des cathares ? On a répété très long
1318
son que l’Inquisition avait brûlé tous les livres
de
culte et traités de doctrine de l’Hérésie, et que les seuls témoignag
1319
n avait brûlé tous les livres de culte et traités
de
doctrine de l’Hérésie, et que les seuls témoignages subsistants étaie
1320
é tous les livres de culte et traités de doctrine
de
l’Hérésie, et que les seuls témoignages subsistants étaient les inter
1321
és » par les juges et déformés par les greffiers.
De
fait, la découverte et la publication, en 1939, d’un ouvrage théologi
1322
e fait, la découverte et la publication, en 1939,
d’
un ouvrage théologique (tardif il est vrai) le Livre des deux Principe
1323
des deux Principes 30 s’ajoutant à la restitution
d’
un Nouveau Testament et de rituels utilisés par les Hérétiques31, perm
1324
outant à la restitution d’un Nouveau Testament et
de
rituels utilisés par les Hérétiques31, permet aujourd’hui de connaîtr
1325
utilisés par les Hérétiques31, permet aujourd’hui
de
connaître dans leur ensemble et dans certaines de leurs variations, l
1326
de connaître dans leur ensemble et dans certaines
de
leurs variations, les dogmes de l’« Église d’Amour », nom que l’on a
1327
et dans certaines de leurs variations, les dogmes
de
l’« Église d’Amour », nom que l’on a donné parfois à l’hérésie aussi
1328
nes de leurs variations, les dogmes de l’« Église
d’
Amour », nom que l’on a donné parfois à l’hérésie aussi dite « albigeo
1329
gine permanente et toujours tragiquement actuelle
de
l’attitude cathare, ou d’une manière plus générale du dualisme, dans
1330
s tragiquement actuelle de l’attitude cathare, ou
d’
une manière plus générale du dualisme, dans les religions les plus div
1331
ligions les plus diverses comme dans la réflexion
de
millions d’individus fut et demeure le problème du Mal, tel que l’hom
1332
plus diverses comme dans la réflexion de millions
d’
individus fut et demeure le problème du Mal, tel que l’homme spirituel
1333
ectique et paradoxale qui se résume dans les mots
de
liberté et de grâce. Plus pessimiste et d’une logique plus massive, l
1334
adoxale qui se résume dans les mots de liberté et
de
grâce. Plus pessimiste et d’une logique plus massive, le dualisme sta
1335
s mots de liberté et de grâce. Plus pessimiste et
d’
une logique plus massive, le dualisme statue l’existence absolument hé
1336
lument hétérogène du Bien et du Mal, c’est-à-dire
de
deux mondes et de deux créations. En effet : Dieu est Amour, mais le
1337
du Bien et du Mal, c’est-à-dire de deux mondes et
de
deux créations. En effet : Dieu est Amour, mais le monde est mauvais.
1338
ais. Donc Dieu ne saurait être l’auteur du monde,
de
ses ténèbres et du péché qui nous enserre. Sa création première dans
1339
duire les âmes, Lucifer leur a montré « une femme
d’
une beauté éclatante, qui les a enflammées de désir ». Puis il a quitt
1340
emme d’une beauté éclatante, qui les a enflammées
de
désir ». Puis il a quitté le Ciel avec elle, pour descendre dans la m
1341
le. Les âmes-Anges, ayant suivi Satan et la femme
d’
une beauté éclatante, ont été prises dans des corps matériels, qui leu
1342
airer un sentiment fondamental chez l’homme, même
de
nos jours.) L’âme, dès lors, se trouve séparée de son esprit, qui res
1343
de nos jours.) L’âme, dès lors, se trouve séparée
de
son esprit, qui reste au Ciel. Tentée par la liberté, elle devient en
1344
par la liberté, elle devient en fait prisonnière
d’
un corps aux appétits terrestres, soumis aux lois de la procréation et
1345
un corps aux appétits terrestres, soumis aux lois
de
la procréation et de la mort. Mais le Christ est venu parmi nous, pou
1346
terrestres, soumis aux lois de la procréation et
de
la mort. Mais le Christ est venu parmi nous, pour nous montrer le che
1347
rist, en cela semblable à celui des gnostiques et
de
Manès, ne s’est pas vraiment incarné : il n’a pris que l’apparence d’
1348
as vraiment incarné : il n’a pris que l’apparence
d’
un homme. C’est ici la grande hérésie docétiste (du grec dokesis, appa
1349
résie docétiste (du grec dokesis, apparence) qui,
de
Marcion jusqu’à nos jours, traduit notre refus tout « naturel » d’adm
1350
à nos jours, traduit notre refus tout « naturel »
d’
admettre le scandale d’un Dieu-Homme. Les cathares rejettent donc le d
1351
tre refus tout « naturel » d’admettre le scandale
d’
un Dieu-Homme. Les cathares rejettent donc le dogme de l’Incarnation,
1352
Dieu-Homme. Les cathares rejettent donc le dogme
de
l’Incarnation, et a fortiori sa traduction romaine dans le sacrement
1353
fortiori sa traduction romaine dans le sacrement
de
la messe : ils le remplacent par une cène fraternelle, symbolisant de
1354
olateur : ce consolamentum devient le rite majeur
de
leur Église. Il se donnait, lors des cérémonies d’initiation, aux frè
1355
e leur Église. Il se donnait, lors des cérémonies
d’
initiation, aux frères qui acceptaient de renoncer le monde, et s’enga
1356
rémonies d’initiation, aux frères qui acceptaient
de
renoncer le monde, et s’engageaient solennellement à se consacrer à D
1357
ne tuer ni manger nul animal, enfin à s’abstenir
de
tout contact avec leur femme, s’ils étaient mariés. Il semble qu’un j
1358
emme, s’ils étaient mariés. Il semble qu’un jeûne
de
quarante jours34 précédait l’initiation et qu’un autre d’égale durée
1359
nte jours34 précédait l’initiation et qu’un autre
d’
égale durée lui succédait. (Plus tard, au xive siècle, ce jeûne ritue
1360
purs » jusqu’à la mort volontaire, mort par amour
de
Dieu, consommation du détachement suprême de toute loi matérielle.) L
1361
mour de Dieu, consommation du détachement suprême
de
toute loi matérielle.) Le consolamentum était administré par les évêq
1362
au milieu du cercle des « purs », puis le baiser
de
paix échangé par les frères. Après quoi, l’initié devenait objet de v
1363
r les frères. Après quoi, l’initié devenait objet
de
vénération pour les simples croyants non encore « consolés » : il ava
1364
st-à-dire à trois « révérences ». On a vu le rôle
de
la Femme, appât du diable pour entraîner les âmes dans les corps. En
1365
dans le catharisme un rôle tout analogue à celui
de
la Pistis-Sophia chez les gnostiques. À la Femme instrument de la per
1366
Sophia chez les gnostiques. À la Femme instrument
de
la perdition des âmes, répond Marie, symbole de pure Lumière salvatri
1367
t de la perdition des âmes, répond Marie, symbole
de
pure Lumière salvatrice, Mère intacte (immatérielle) de Jésus, et sem
1368
e Lumière salvatrice, Mère intacte (immatérielle)
de
Jésus, et semble-t-il, Juge plein de douceur des esprits délivrés. Le
1369
mmatérielle) de Jésus, et semble-t-il, Juge plein
de
douceur des esprits délivrés. Les manichéens connaissaient depuis des
1370
les cathares : l’imposition des mains, le baiser
de
paix, et la vénération des Élus (ou « purs »). Il est important de me
1371
nération des Élus (ou « purs »). Il est important
de
mentionner ici la vénération manichéenne s’adressant à la « forme de
1372
a vénération manichéenne s’adressant à la « forme
de
lumière » qui dans chaque homme représente son propre esprit (demeuré
1373
s de la manifestation) et qui accueille l’hommage
de
son âme par un salut et un baiser. L’enfer étant la prison de la mati
1374
ar un salut et un baiser. L’enfer étant la prison
de
la matière, Lucifer, l’ange révolté, n’y peut régner que pour le temp
1375
e durera « l’erreur » des âmes. Au terme du cycle
de
leurs épreuves — comportant plusieurs vies, physiques ou autres, pour
1376
uminés — la création sera réintégrée dans l’unité
de
l’Esprit originel, les pécheurs entraînés par Satan seront sauvés, et
1377
’à l’encontre du manichéisme elle professe l’idée
d’
une création unique, toute divine et toute bonne aux origines. Notons
1378
rait : comme ce fut le cas pour tant de sectes et
de
religions orientales — jaïnisme, bouddhisme, essénisme, gnosticisme c
1379
u imperfecti). Seuls les seconds avaient le droit
de
se marier et de vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’ast
1380
euls les seconds avaient le droit de se marier et
de
vivre dans le monde condamné par les purs, sans s’astreindre à tous l
1381
les purs, sans s’astreindre à tous les préceptes
de
la morale ésotérique : mortifications corporelles, mépris de la créat
1382
e ésotérique : mortifications corporelles, mépris
de
la création, dissolution de tous les liens mondains. Saint Bernard de
1383
s corporelles, mépris de la création, dissolution
de
tous les liens mondains. Saint Bernard de Clairvaux (cité par Rahn) a
1384
a pu dire des cathares, qu’il combattit pourtant
de
toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas de sermons plus chrét
1385
e toutes ses forces : « Il n’y a certainement pas
de
sermons plus chrétiens que les leurs, et leurs mœurs étaient pures… »
1386
es… » Ce jugement rachète en partie les calomnies
de
l’Inquisition. Mais on s’étonne de voir ce saint docteur qualifier de
1387
les calomnies de l’Inquisition. Mais on s’étonne
de
voir ce saint docteur qualifier de « chrétienne » une prédication qui
1388
is on s’étonne de voir ce saint docteur qualifier
de
« chrétienne » une prédication qui nie plusieurs des dogmes fondament
1389
ication qui nie plusieurs des dogmes fondamentaux
de
son Église. Quant à la pureté de mœurs des cathares, nous avons vu qu
1390
mes fondamentaux de son Église. Quant à la pureté
de
mœurs des cathares, nous avons vu qu’elle traduisait des croyances fo
1391
qu’elle traduisait des croyances fort différentes
de
celles qui fondent la morale chrétienne orthodoxe. La condamnation de
1392
t la morale chrétienne orthodoxe. La condamnation
de
la chair, où certains croient voir aujourd’hui une caractéristique ch
1393
d’hui une caractéristique chrétienne, est en fait
d’
origine manichéenne et « hérétique ». Car il est essentiel de le rappe
1394
anichéenne et « hérétique ». Car il est essentiel
de
le rappeler ici : la « chair » dont parle saint Paul n’est pas le cor
1395
nt Paul n’est pas le corps physique, mais le tout
de
l’homme naturel, corps, raison, facultés, désirs — donc l’âme aussi.
1396
ires et leur dernier haut lieu, le château-temple
de
Montségur36 — enfin saccagea brutalement la civilisation très raffiné
1397
aient été l’âme austère et secrète. Et cependant,
de
cette culture et de ses doctrines fondamentales, nous sommes encore t
1398
ère et secrète. Et cependant, de cette culture et
de
ses doctrines fondamentales, nous sommes encore tributaires, au-delà
1399
mentales, nous sommes encore tributaires, au-delà
de
ce que l’on imagine… (Comme j’espère le montrer par ce livre.) 7.H
1400
considérer les troubadours comme des « croyants »
de
l’Église cathare, et comme des chantres de son hérésie ? Cette thèse,
1401
ants » de l’Église cathare, et comme des chantres
de
son hérésie ? Cette thèse, que je qualifierai de maxima par contraste
1402
de son hérésie ? Cette thèse, que je qualifierai
de
maxima par contraste avec celle où je crois pouvoir m’arrêter37, fut
1403
t stimulantes : car il semble également difficile
de
la rejeter et de l’accepter, de la démontrer et de n’y pas croire du
1404
ar il semble également difficile de la rejeter et
de
l’accepter, de la démontrer et de n’y pas croire du tout, et cela tie
1405
alement difficile de la rejeter et de l’accepter,
de
la démontrer et de n’y pas croire du tout, et cela tient à l’essence
1406
e la rejeter et de l’accepter, de la démontrer et
de
n’y pas croire du tout, et cela tient à l’essence même du phénomène d
1407
nt à l’essence même du phénomène dont elle essaie
de
rendre compte : à la fois historique et archétypique, psychique et my
1408
t croire que ces deux mouvements soient dépourvus
de
toute espèce de liens ? S’ils étaient demeurés sans nul rapport, ne s
1409
deux mouvements soient dépourvus de toute espèce
de
liens ? S’ils étaient demeurés sans nul rapport, ne serait-ce pas plu
1410
trange que tout ? Mais en revanche, quelle espèce
de
liens peut-on imaginer entre ces noirs cathares, que leur ascétisme c
1411
ts romanistes dans leur conclusion unanime : rien
de
commun entre cathares et troubadours ! Mais l’irrépressible intuition
1412
e révolution psychique du xiie siècle ! Le refus
de
comprendre l’un par l’autre et par un même mouvement de l’esprit l’hé
1413
prendre l’un par l’autre et par un même mouvement
de
l’esprit l’hérésie et l’amour courtois, n’équivaut-il pas au refus de
1414
e et l’amour courtois, n’équivaut-il pas au refus
de
les comprendre isolément ? ⁂ Voyons les présomptions en faveur de la
1415
ent en ruine… Les personnages les plus importants
de
ma terre se sont laissés corrompre. La foule a suivi leur exemple et
1416
t vécu et chanté dans ce monde-là sans se soucier
de
ce que pensaient, croyaient et sentaient les seigneurs aux dépens des
1417
ervation n’est pas toujours exacte — il s’en faut
de
beaucoup, comme on va voir ! — et de plus il se peut très bien que le
1418
révèle tout au contraire les tendances hérétiques
de
ces cours. Voici le début d’une chanson de Peire Vidal : Mon cœur se
1419
tendances hérétiques de ces cours. Voici le début
d’
une chanson de Peire Vidal : Mon cœur se réjouit à cause du renouveau
1420
tiques de ces cours. Voici le début d’une chanson
de
Peire Vidal : Mon cœur se réjouit à cause du renouveau si agréable e
1421
eau si agréable et si doux, et à cause du château
de
Fanjeaux, qui me semble le Paradis ; car amour et joie s’y enferment,
1422
n son « cathare » ? Mais qu’est-ce que ce château
de
Fanjeaux ? L’une des maisons-mères des cathares ! Le plus fameux des
1423
1193 (notre poème pouvant être daté des environs
de
1190) et c’est là qu’Esclarmonde de Foix, la plus grande Dame de l’hé
1424
st là qu’Esclarmonde de Foix, la plus grande Dame
de
l’hérésie, recevra le consolamentum ! La seconde strophe ne parle que
1425
strophe ne parle que des « dames » : Je n’ai pas
d’
ennemi si mortel, dont je ne devienne l’ami loyal, s’il me parle des d
1426
Est-il vraiment possible, se demande le lecteur,
d’
imaginer que Peire Vidal soit autre chose qu’un galant amuseur, un fla
1427
oit autre chose qu’un galant amuseur, un flatteur
de
femmes riches — celles qui forment son public ? Mais la suite du poèm
1428
ter pour aller en Provence : ce sont les châteaux
de
Laurac, de Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés de
1429
ler en Provence : ce sont les châteaux de Laurac,
de
Gaillac, de Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés de l’Albigeoi
1430
nce : ce sont les châteaux de Laurac, de Gaillac,
de
Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés de l’Albigeois et du Carc
1431
les châteaux de Laurac, de Gaillac, de Saissac et
de
Montréal ; ce sont les comtés de l’Albigeois et du Carcassès « où les
1432
c, de Saissac et de Montréal ; ce sont les comtés
de
l’Albigeois et du Carcassès « où les chevaliers et les femmes du pays
1433
vons que tous ces châteaux sont des foyers connus
de
l’hérésie, ou même des « maisons d’hérétiques » (sortes de couvents)
1434
foyers connus de l’hérésie, ou même des « maisons
d’
hérétiques » (sortes de couvents) ; que ces comtés sont notoirement ca
1435
sie, ou même des « maisons d’hérétiques » (sortes
de
couvents) ; que ces comtés sont notoirement cathares ; et que cette «
1436
intitule en toute innocence « remerciements pour
de
gracieuses hospitalités », prend ainsi le caractère imprévu d’une sor
1437
hospitalités », prend ainsi le caractère imprévu
d’
une sorte de lettre pastorale ! Et pourtant, je le relis et je me frot
1438
s », prend ainsi le caractère imprévu d’une sorte
de
lettre pastorale ! Et pourtant, je le relis et je me frotte les yeux…
1439
yeux… Comment croire que ce ton badin, ces potins
de
milieu littéraire… S’agirait-il vraiment de « pures coïncidences » ?
1440
otins de milieu littéraire… S’agirait-il vraiment
de
« pures coïncidences » ? Ce doute et cette question renaissent à l’in
1441
s glorifient — sans toujours l’exercer — la vertu
de
chasteté ? Est-ce pure coïncidence si, comme les « purs », ils ne reç
1442
ncidence si, comme les « purs », ils ne reçoivent
de
leur Dame qu’un seul baiser d’initiation ? Et s’ils distinguent deux
1443
, ils ne reçoivent de leur Dame qu’un seul baiser
d’
initiation ? Et s’ils distinguent deux degrés dans le domnei (le prega
1444
et l’entendeire) comme on distingue dans l’Église
d’
Amour les « croyants » et les « parfaits » ? Et s’ils raillent les lie
1445
outes ? Et si l’on retrouve, enfin, dans certains
de
leurs vers, des expressions tirées de la liturgie cathare ? Il ne ser
1446
ns certains de leurs vers, des expressions tirées
de
la liturgie cathare ? Il ne serait que trop facile de multiplier ces
1447
a liturgie cathare ? Il ne serait que trop facile
de
multiplier ces questions. Voyons plutôt les arguments adverses. Tous
1448
roubadours, dira-t-on, ne furent pas dans le camp
de
l’hérésie. Plusieurs finirent leurs jours dans des couvents. Certes,
1449
jour où il fut accusé devant le pape Innocent III
d’
avoir causé la mort de cinq-cents personnes ! D’ailleurs, quand on dém
1450
devant le pape Innocent III d’avoir causé la mort
de
cinq-cents personnes ! D’ailleurs, quand on démontrerait, à supposer
1451
d’entre les troubadours ignoraient les analogies
de
leur lyrisme et du dogme cathare, on n’aurait pas encore démontré que
1452
re, on n’aurait pas encore démontré que l’origine
de
ce lyrisme n’est pas hérétique. N’oublions pas qu’ils composaient leu
1453
leurs coblas et leurs sirventés selon les canons
d’
une rhétorique admirablement invariable. On peut concevoir une poésie
1454
r une poésie — même très belle — qui serait faite
de
lieux communs dont le poète ne saurait d’où ils viennent. N’est-ce pa
1455
t faite de lieux communs dont le poète ne saurait
d’
où ils viennent. N’est-ce pas, sauf la beauté, plutôt courant ? Et si
1456
Et si l’on dit : ces troubadours ne parlent point
de
leurs croyances dans les poésies qui nous restent — il suffit de rapp
1457
ces dans les poésies qui nous restent — il suffit
de
rappeler que les cathares promettaient, lors de l’initiation, de ne j
1458
les cathares promettaient, lors de l’initiation,
de
ne jamais trahir leur foi, et cela quelle que fût la mort dont ils se
1459
verraient menacés. C’est ainsi que les registres
de
l’Inquisition ne portent pas un seul aveu concernant la minesola (ou
1460
uprême initiation des « purs ». La fréquence même
de
cette question débattue dans les cours d’amour : « Un chevalier peut-
1461
ce même de cette question débattue dans les cours
d’
amour : « Un chevalier peut-il être à la fois marié et fidèle à sa dam
1462
aient subir un apparent « mariage » avec l’Église
de
Rome dont ils étaient les clercs, tout en servant dans leurs « pensée
1463
t dans leurs « pensées » une autre Dame, l’Église
d’
Amour… Bernard Gui, dans son Manuel de l’Inquisiteur, n’affirme-t-il p
1464
f qu’elle représentait pour eux non pas une femme
de
chair, mère de Jésus, mais leur Église ? Mais certains abjurèrent l’h
1465
rons-les dans la très pure nudité et transparence
de
leur rhétorique amoureuse. ⁂ Thème de la mort, que l’on préfère aux d
1466
ransparence de leur rhétorique amoureuse. ⁂ Thème
de
la mort, que l’on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc de m
1467
on préfère aux dons du monde : Plus m’agrée donc
de
mourir Que de joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pou
1468
dons du monde : Plus m’agrée donc de mourir Que
de
joie vilaine jouir Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit
1469
Car joie qui repaît vilement N’a pouvoir ni droit
de
me plaire tant. Ainsi chante Aimeric de Belenoi. La « joie vilaine
1470
i. La « joie vilaine », c’est ce qui le guérirait
de
son désir, si justement l’amour sans fin n’était le mal qu’il aime, l
1471
mour sans fin n’était le mal qu’il aime, la « joy
d’
amor », le délire qui prévaut : … en fait, ce fou désir M’occira, que
1472
e me plaint … et ce désir Prévaut — bien que fait
de
délire — Sur tout autre… S’il ne veut pas mourir encore, c’est qu’il
1473
st pas assez détaché du désir, c’est qu’il craint
de
quitter son corps par désespoir, « mortel péché », enfin, c’est qu’il
1474
c’est qu’il ignore encore à quoi lui peut servir
De
laisser en extase son âme ravir. La doctrine n’exigeait-elle pas qu’
1475
ssitude ni par peur ou douleur, mais dans un état
de
parfait détachement de la matière… »41. Voici le thème de la séparati
1476
douleur, mais dans un état de parfait détachement
de
la matière… »41. Voici le thème de la séparation, le leitmotiv de tou
1477
it détachement de la matière… »41. Voici le thème
de
la séparation, le leitmotiv de tout l’amour courtois : Dieu ! commen
1478
41. Voici le thème de la séparation, le leitmotiv
de
tout l’amour courtois : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus m’e
1479
: cette aube qui doit le réunir à son « copain »
de
route, et donc d’épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », serai
1480
doit le réunir à son « copain » de route, et donc
d’
épreuves dans le monde. (Ces deux « copains », seraient-ce l’âme et le
1481
ais désirant l’esprit ? Mais souvenons-nous aussi
de
la coutume des missionnaires cheminant deux par deux) : Roi glorieux
1482
t venue Et bientôt viendra l’aube. Mais à la fin
de
la chanson, le troubadour a-t-il trahi ses vœux ? Ou bien a-t-il trou
1483
lus voir aube ni jour Car la plus belle fille qui
de
mère naquit La tient dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni de ja
1484
tient dedans mes bras, donc plus ne me soucie Ni
de
jaloux ni d’aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille
1485
mes bras, donc plus ne me soucie Ni de jaloux ni
d’
aube. Ce rossignol allègrement vient de lancer le trille dont Wagner,
1486
de lancer le trille dont Wagner, au deuxième acte
de
Tristan, fera le cri sublime de Brengaine : « Habet acht ! Habet acht
1487
au deuxième acte de Tristan, fera le cri sublime
de
Brengaine : « Habet acht ! Habet acht ! Schon weicht dem Tag die Nach
1488
nuit nous enveloppe ! » Tout comme dans ce début
d’
une autre « aube »43 anonyme : En un verger, sous une loge d’aubépine
1489
« aube »43 anonyme : En un verger, sous une loge
d’
aubépine, la dame a tenu son ami dans ses bras jusqu’à ce que le guett
1490
oi, et que jamais le guetteur n’annonçât le lever
de
l’aube ! Dieu ! c’est l’aube. Quelle vient donc vite ! Mais cette «
1491
ous à jurer que jamais ils ne trahiront le secret
de
leur grande passion — comme s’il s’agissait d’une foi, et d’une foi i
1492
et de leur grande passion — comme s’il s’agissait
d’
une foi, et d’une foi initiatique ? Renoncez, je vous le dis, au nom
1493
nde passion — comme s’il s’agissait d’une foi, et
d’
une foi initiatique ? Renoncez, je vous le dis, au nom d’Amour et au
1494
us le tiendrai bien caché. Je mourrais plutôt que
de
faillir en un seul mot… Quelle est la « dame » qui mériterait ce sac
1495
« dame » qui mériterait ce sacrifice ? Ou ce cri
de
Guillaume de Poitiers : Par elle seule je serai sauvé ! Ou cette in
1496
elle seule je serai sauvé ! Ou cette invocation
d’
Uc de Saint-Circ à une Dame sans merci : Je ne désire pas que Dieu m’
1497
ou bonheur, sinon par vous ! S’il ne s’agit que
de
figures de rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? E
1498
, sinon par vous ! S’il ne s’agit que de figures
de
rhétorique, quel est l’esprit qui leur donna naissance ? Et quel Amou
1499
platonicienne ? Dans sa chanson Du moindre tiers
d’
Amour — celui des femmes — Guiraut de Calanson dit des deux autres tie
1500
conviennent Noblesse et Merci ; et le premier est
de
telle élévation qu’au-dessus du ciel plane son pouvoir. Cet Amour un
1501
en soi des grands mystiques hétérodoxes, le Dieu
d’
avant la Trinité dont nous parlent la Gnose et Maître Eckhart, et plus
1502
réside au-dessus des cieux », et dont « Noys » —
de
Noûs grec — est l’émanation intellectuelle et féminine ? Et d’où vien
1503
— est l’émanation intellectuelle et féminine ? Et
d’
où viendrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment d’équivoque don
1504
endrait, sinon, l’incertitude, voire le sentiment
d’
équivoque dont on ne peut se départir à la lecture de ces poèmes amour
1505
quivoque dont on ne peut se départir à la lecture
de
ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien d’une femme réelle44 — le prétex
1506
a lecture de ces poèmes amoureux ? Il s’agit bien
d’
une femme réelle44 — le prétexte physique est là — mais comme dans le
1507
n’y aurait là, « tout simplement », qu’une manie
d’
idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais d’où provient donc cette m
1508
nie d’idéaliser la femme et l’amour naturel. Mais
d’
où provient donc cette manie ? D’une « humeur idéalisante » ? Lisons p
1509
ur naturel. Mais d’où provient donc cette manie ?
D’
une « humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique de Peire de Rog
1510
humeur idéalisante » ? Lisons plutôt ce cantique
de
Peire de Rogiers : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin d’ell
1511
rs : Âpre tourment je dois souffrir Pour chagrin
d’
elle que j’ai si grand Mon cœur ne s’en doit point défaire Ni jamais j
1512
is rien, car ne sais vouloir qu’ELLE ! Et ce cri
de
Bernard de Ventadour : Elle m’a pris mon cœur, elle m’a pris moi-mêm
1513
ésir et mon cœur assoiffé ! Et ces deux strophes
d’
Arnaut Daniel — un noble qui se fit jongleur errant, et dont les roman
1514
s romanistes assurent que les poèmes sont « vides
de
pensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise de la mystique nég
1515
ensée » : n’y trouve-t-on pas la démarche précise
de
la mystique négative, et ses métaphores invariables ? Je l’aime et l
1516
taphores invariables ? Je l’aime et la recherche
de
si grand cœur que, par excès de désir, je crois que je m’enlèverai to
1517
e et la recherche de si grand cœur que, par excès
de
désir, je crois que je m’enlèverai tout désir si l’on peut rien perdr
1518
aimer. Car son cœur submerge le mien tout entier
d’
un flot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire de Rome, ni qu’o
1519
lot qui ne s’évapore plus… Je ne veux ni l’Empire
de
Rome, ni qu’on m’en nomme le pape, si je ne dois pas faire retour ver
1520
ruit et elle se damne. ⁂ Il est temps maintenant
de
pousser à l’extrême l’intuition directrice de cette recherche. Si la
1521
ant de pousser à l’extrême l’intuition directrice
de
cette recherche. Si la Dame n’est pas simplement l’Église d’Amour des
1522
cherche. Si la Dame n’est pas simplement l’Église
d’
Amour des cathares (comme ont pu le croire Aroux et Péladan), ni la Ma
1523
phia des hérésies gnostiques (le Principe féminin
de
la divinité), ne serait-elle pas l’Anima, ou plus précisément encore
1524
ou plus précisément encore : la part spirituelle
de
l’homme, celle que son âme emprisonnée dans le corps appelle d’un amo
1525
lle que son âme emprisonnée dans le corps appelle
d’
un amour nostalgique que la mort seule pourra combler ? Dans les Képha
1526
pourra combler ? Dans les Képhalaïa ou Chapitres
de
Manès45, on peut lire au chapitre X comment l’élu qui a renoncé au mo
1527
le consolamentum, généralement donné à l’approche
de
la mort) ; comment il se voit de la sorte « ordonné » dans l’Esprit d
1528
nné à l’approche de la mort) ; comment il se voit
de
la sorte « ordonné » dans l’Esprit de Lumière ; comment, au moment de
1529
il se voit de la sorte « ordonné » dans l’Esprit
de
Lumière ; comment, au moment de sa mort, la forme de Lumière, qui est
1530
Lumière ; comment, au moment de sa mort, la forme
de
Lumière, qui est son Esprit, lui apparaît et le console par un baiser
1531
nge lui tend la main droite et le salue également
d’
un baiser d’amour ; comment enfin l’élu vénère sa propre forme de lumi
1532
la main droite et le salue également d’un baiser
d’
amour ; comment enfin l’élu vénère sa propre forme de lumière, sa salv
1533
mour ; comment enfin l’élu vénère sa propre forme
de
lumière, sa salvatrice. Or, qu’attendait de la « Dame de ses pensées
1534
forme de lumière, sa salvatrice. Or, qu’attendait
de
la « Dame de ses pensées », inaccessible par essence, toujours placée
1535
ère, sa salvatrice. Or, qu’attendait de la « Dame
de
ses pensées », inaccessible par essence, toujours placée « en trop ha
1536
p haut lieu » pour lui46, le troubadour souffrant
de
l’amour vrai ? Un seul baiser, un seul regard, un seul salut. Jaufré
1537
ul regard, un seul salut. Jaufré Rudel, au terme
d’
un amour conçu pour une femme qu’il n’a jamais vue, rejoignant enfin c
1538
, rejoignant enfin cette image après la traversée
d’
une mer, meurt dans les bras de la comtesse de Tripoli dès qu’il en a
1539
après la traversée d’une mer, meurt dans les bras
de
la comtesse de Tripoli dès qu’il en a reçu un seul baiser de paix et
1540
sse de Tripoli dès qu’il en a reçu un seul baiser
de
paix et le salut. Il s’agit d’une légende, mais tirée des poèmes qui
1541
eçu un seul baiser de paix et le salut. Il s’agit
d’
une légende, mais tirée des poèmes qui chantent bel et bien « l’amour
1542
rée des poèmes qui chantent bel et bien « l’amour
de
loin ». Il y eut aussi des dames « réelles »… Mais le furent-elles, e
1543
es, en vérité, plus que cet événement psychique ?
De
l’énigme historique, dont plusieurs ont cru voir la solution dans l’h
1544
voir la solution dans l’hypothèse fort excitante
d’
une clandestinité de l’Église hérétique, dont les poètes eussent été l
1545
ns l’hypothèse fort excitante d’une clandestinité
de
l’Église hérétique, dont les poètes eussent été les agents, nous pass
1546
té les agents, nous passons maintenant au mystère
d’
une passion proprement religieuse, d’une conception mystique fortement
1547
t au mystère d’une passion proprement religieuse,
d’
une conception mystique fortement attestée dans la vie même des âmes.
1548
tée dans la vie même des âmes. Essayons à nouveau
de
repérer, entre les pointes et les oscillations extrêmes de cette rech
1549
r, entre les pointes et les oscillations extrêmes
de
cette recherche, la réalité généralement intermédiaire, donc moins «
1550
gré moi, des conclusions dont l’importance risque
de
se mesurer au nombre d’objections qu’elles soulèveront. Je ne songe p
1551
dont l’importance risque de se mesurer au nombre
d’
objections qu’elles soulèveront. Je ne songe pas à esquiver des critiq
1552
e j’espère fécondes. Mais le lecteur me saura gré
de
tenir compte des doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et d’ind
1553
es doutes qui ont dû s’élever dans son esprit, et
d’
indiquer en bref par quelles raisons je crois pouvoir les surmonter. O
1554
e mal connue et qu’il est donc au moins prématuré
d’
y voir la source (ou l’une des sources principales) du lyrisme courtoi
1555
t qu’ils suivaient cette religion, ou que c’était
d’
elle qu’ils parlaient ; 3° qu’au contraire l’amour qu’ils exaltent n’e
1556
du désir sexuel ; 4° qu’on distingue mal comment,
de
la confuse combinaison de doctrines manichéennes et néo-platonicienne
1557
distingue mal comment, de la confuse combinaison
de
doctrines manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond de traditio
1558
s manichéennes et néo-platoniciennes, sur un fond
de
traditions celtibériques, aurait pu naître une rhétorique aussi préci
1559
çal resterait totalement obscur, comme il ressort
de
l’aveu même des romanistes. Or je le répète, je me refuse, pour ma pa
1560
sidérer comme absurde une poétique et une éthique
de
l’amour d’où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles
1561
me absurde une poétique et une éthique de l’amour
d’
où sont issues, dans les siècles suivants, les plus belles œuvres de l
1562
dans les siècles suivants, les plus belles œuvres
de
la littérature occidentale. D’autre part, ce que l’on connaît aujourd
1563
contestations possibles les origines manichéennes
de
l’hérésie. Or, si l’on se reporte à ce qui fut dit plus haut (II, 2)
1564
nichéens en général, il apparaît qu’un supplément
d’
information, sur telle ou telle nuance ou altération qu’auraient reçue
1565
dogme catholique ; à quoi s’ajoutent des éléments
de
vocabulaire et de syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On
1566
à quoi s’ajoutent des éléments de vocabulaire et
de
syntaxe dont l’origine est nettement liturgique. On peut imaginer que
1567
tretiennent avec le néo-manichéisme des relations
d’
un type analogue47. Au surplus, la tonalité hérétique des lieux commun
1568
surplus, la tonalité hérétique des lieux communs
de
la rhétorique courtoise devient sensible dès que l’on compare ces lie
1569
ble dès que l’on compare ces lieux communs à ceux
de
la poésie cléricale de l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que J
1570
e ces lieux communs à ceux de la poésie cléricale
de
l’époque. Un spécialiste aussi sceptique que Jeanroy n’a pas été sans
1571
ue Jeanroy n’a pas été sans le remarquer. Parlant
de
la lyrique abstraite des troubadours du xiiie siècle et de la confus
1572
que abstraite des troubadours du xiiie siècle et
de
la confusion qu’elle favorise, de Dieu et de la Dame des pensées, il
1573
iiie siècle et de la confusion qu’elle favorise,
de
Dieu et de la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on,
1574
e et de la confusion qu’elle favorise, de Dieu et
de
la Dame des pensées, il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures
1575
il écrit : « Il n’y a là, dira-t-on, que figures
de
rhétorique sans conséquences. Soit. Mais les théories que les troubad
1576
ourquoi n’y a-t-il dans leurs œuvres aucune trace
de
ce déchirement intérieur, de ce dissidio qui rend si pathétiques cert
1577
œuvres aucune trace de ce déchirement intérieur,
de
ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers de Pétrarque ? »48
1578
ce dissidio qui rend si pathétiques certains vers
de
Pétrarque ? »48 2. Les troubadours gardent le secret À la thèse du c
1579
t supposer chez l’homme du xiie siècle une forme
de
conscience qui ne pouvait être la sienne. Si l’on essaie de se replac
1580
nce qui ne pouvait être la sienne. Si l’on essaie
de
se replacer dans l’atmosphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absen
1581
osphère du Moyen Âge, on s’aperçoit que l’absence
de
signification symbolique d’une poésie serait un fait beaucoup plus sc
1582
perçoit que l’absence de signification symbolique
d’
une poésie serait un fait beaucoup plus scandaleux que ne peut l’être
1583
eut l’être à nos yeux, par exemple, le symbolisme
de
la Dame. Dans l’optique de l’homme médiéval, toute chose signifie aut
1584
s rêves, et cela sans qu’intervienne aucun effort
de
traduction conceptuelle. En d’autres termes, le médiéval n’a pas beso
1585
e. En d’autres termes, le médiéval n’a pas besoin
de
se formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni d’en prendre une c
1586
e formuler le sens des symboles qu’il emploie, ni
d’
en prendre une conscience distincte. Il est indemne de ce rationalisme
1587
prendre une conscience distincte. Il est indemne
de
ce rationalisme qui nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et
1588
onalisme qui nous permet, à nous autres modernes,
d’
isoler et d’abstraire de toute ambiance significative les objets que n
1589
nous permet, à nous autres modernes, d’isoler et
d’
abstraire de toute ambiance significative les objets que nous considér
1590
, à nous autres modernes, d’isoler et d’abstraire
de
toute ambiance significative les objets que nous considérons49. L’un
1591
celui, entre autres, du mystique Suso : « La vie
de
la chrétienté médiévale est, dans toutes ses manifestations, saturée
1592
vale est, dans toutes ses manifestations, saturée
de
représentations religieuses. Pas de choses ou d’actions, si ordinaire
1593
ions, saturée de représentations religieuses. Pas
de
choses ou d’actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche c
1594
de représentations religieuses. Pas de choses ou
d’
actions, si ordinaires soient-elles, dont on ne cherche constamment à
1595
e rapport avec la foi. Mais dans cette atmosphère
de
saturation, la tension religieuse, l’idée transcendantale, l’élan ver
1596
banalité, en choquant matérialisme à prétentions
d’
au-delà. Même chez un mystique de l’envergure d’un Henri Suso, le subl
1597
me à prétentions d’au-delà. Même chez un mystique
de
l’envergure d’un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le
1598
s d’au-delà. Même chez un mystique de l’envergure
d’
un Henri Suso, le sublime nous semble parfois frôler le ridicule. Il e
1599
uvresse. Sublime encore, quand il suit les usages
de
l’amour profane et célèbre le jour de l’an et le premier mai en offra
1600
ser du reste ? À table, il mange les trois quarts
d’
une pomme en l’honneur de la Trinité, et le dernier quart par amour po
1601
l mange les trois quarts d’une pomme en l’honneur
de
la Trinité, et le dernier quart par amour pour la Mère céleste qui do
1602
il double la cinquième gorgée parce que, du flanc
de
Jésus, coula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification de la vie p
1603
ée parce que, du flanc de Jésus, coula du sang et
de
l’eau. Voilà la sanctification de la vie poussée à ses extrêmes limit
1604
oula du sang et de l’eau. Voilà la sanctification
de
la vie poussée à ses extrêmes limites. »50 Dira-t-on que l’on tombe
1605
eu plus loin que « la naïve conscience religieuse
de
la multitude n’avait pas besoin de preuves intellectuelles en matière
1606
nce religieuse de la multitude n’avait pas besoin
de
preuves intellectuelles en matière de foi : la seule présence d’une i
1607
llectuelles en matière de foi : la seule présence
d’
une image visible des choses saintes suffisait à en démontrer la vérit
1608
bolique aux yeux des initiés et des sympathisants
de
l’Église d’Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idé
1609
yeux des initiés et des sympathisants de l’Église
d’
Amour. Normalement, il ne serait venu à personne cette idée, stricteme
1610
tre valables, dussent être commentés et expliqués
d’
une manière non symbolique… Une objection inverse a été faite : commen
1611
n’ait dénoncé les troubadours comme propagateurs
de
l’hérésie ? La réponse me paraît aisée. Il est clair que les troubado
1612
me des « croyants », et plus souvent encore comme
de
simples sympathisants. Ces distinctions, d’ailleurs, étaient bien moi
1613
ient bien moins tranchées qu’elles ne le seraient
de
nos jours. Ils chantaient, pour un public en majorité favorable à l’h
1614
blic en majorité favorable à l’hérésie, une forme
d’
amour qui se trouvait correspondre (et répondre) à la situation morale
1615
tuation morale très difficile résultant à la fois
de
la condamnation religieuse portée sur la sexualité par les Parfaits,
1616
euse portée sur la sexualité par les Parfaits, et
de
la révolte naturelle contre la conception orthodoxe du mariage, récem
1617
allait de soi. Dans ce cas, le symbole se double
d’
une allégorie, et prend un sens cryptographique. Je veux parler de l’é
1618
et prend un sens cryptographique. Je veux parler
de
l’école du trobar clus, déjà citée, et que M. Jeanroy définit en ces
1619
onsistait alors à recouvrir une pensée religieuse
d’
un vêtement profane, à appliquer à l’amour divin les formules consacré
1620
es formules consacrées par l’usage à l’expression
de
l’amour humain. »51 Le trobar clus ne serait ainsi qu’un jeu littérai
1621
avoir d’autres causes », qu’on « ne se flatte pas
de
débrouiller ». (Op. cit., II, p. 16.) Mais le troubadour Alegret l’a
1622
avance et je lui dirai comment il me fut possible
d’
y mettre deux (var. trois) mots de sens divers. » Cette manière d’embr
1623
me fut possible d’y mettre deux (var. trois) mots
de
sens divers. » Cette manière d’embrouiller les sens (entrebescar disa
1624
(var. trois) mots de sens divers. » Cette manière
d’
embrouiller les sens (entrebescar disaient les Provençaux : entrelacer
1625
trelacer) s’expliquerait-elle par une « intention
d’
intriguer l’auditeur et de lui poser une énigme » ? On peut penser que
1626
lle par une « intention d’intriguer l’auditeur et
de
lui poser une énigme » ? On peut penser que les troubadours étaient m
1627
dours entendaient-ils leurs propres symboles ? Et
d’
une manière plus générale, quelle espèce de conscience avons-nous des
1628
s ? Et d’une manière plus générale, quelle espèce
de
conscience avons-nous des métaphores que nous utilisons dans nos écri
1629
poésie baignait dans l’atmosphère la plus chargée
de
passions. Les actions que nous rapportent les chroniqueurs du temps s
1630
s plus « surréalistes » qu’ait connues l’histoire
de
nos mœurs… Qu’on se rappelle ce seigneur jaloux qui tue le troubadour
1631
e ce seigneur jaloux qui tue le troubadour favori
de
sa femme, et fait servir le cœur de la victime sur un plat. La dame l
1632
badour favori de sa femme, et fait servir le cœur
de
la victime sur un plat. La dame le mange sans savoir ce que c’est. Le
1633
ets si savoureux que jamais plus ne mangerai rien
d’
autre ! » et elle se jette par la fenêtre du donjon. On admettra que c
1634
gine. 3. L’Amour courtois serait une idéalisation
de
l’amour charnel C’est la thèse la plus courante. On pourrait se borne
1635
me médiéval procède généralement de haut en bas —
de
ciel en terre — ce qui réfute les conclusions modernes déduites du pr
1636
i aussi, dans la lyrique courtoise une expression
de
sentiments religieux de l’époque53, Jeanroy écrit : « Dans ces affirm
1637
courtoise une expression de sentiments religieux
de
l’époque53, Jeanroy écrit : « Dans ces affirmations hardies, il y a d
1638
affirmations hardies, il y a du reste une erreur
de
fait aisée à relever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée de so
1639
elever : qu’à la longue, la chanson se soit vidée
de
son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu de formules creuses o
1640
e son contenu initial, n’ait plus été qu’un tissu
de
formules creuses on le peut admettre. Mais au début et jusqu’à la fin
1641
siècle il n’en était pas ainsi : chez les poètes
de
cette époque, l’expression du désir charnel est si vive et parfois si
1642
parfois si brutale qu’il est vraiment impossible
de
se tromper sur la nature de leurs aspirations. » Si c’est le cas, on
1643
t vraiment impossible de se tromper sur la nature
de
leurs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande d’où vient la gên
1644
urs aspirations. » Si c’est le cas, on se demande
d’
où vient la gêne et l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé d
1645
se demande d’où vient la gêne et l’« agacement »
de
l’auteur lorsqu’il est obligé de reconnaître l’équivoque des expressi
1646
l’« agacement » de l’auteur lorsqu’il est obligé
de
reconnaître l’équivoque des expressions courtoises et leurs résonance
1647
tain — doit-il avouer — que les idées religieuses
d’
une époque influent généralement sur la conception qu’on se fait de l’
1648
uent généralement sur la conception qu’on se fait
de
l’amour, et surtout que le vocabulaire de la galanterie se règle sur
1649
se fait de l’amour, et surtout que le vocabulaire
de
la galanterie se règle sur celui de la dévotion. Du jour où adorer de
1650
e vocabulaire de la galanterie se règle sur celui
de
la dévotion. Du jour où adorer devient synonyme d’aimer, cette métaph
1651
e la dévotion. Du jour où adorer devient synonyme
d’
aimer, cette métaphore en entraîne une quantité d’autres. » Mais alors
1652
alors pourquoi rejeter sans discussion l’ouvrage
de
Wechssler, qui soutient que les « théories amoureuses du Moyen Âge ne
1653
ries amoureuses du Moyen Âge ne sont qu’un reflet
de
ses idées religieuses » ? Et pourquoi vouloir à tout prix que les poè
1654
ations « réalistes » et des descriptions précises
de
la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche de ne recourir jama
1655
la Dame aimée, alors qu’ailleurs on leur reproche
de
ne recourir jamais qu’à des épithètes stéréotypées ? Jaufré Rudel, pr
1656
, dit très nettement que sa Dame est une création
de
son esprit, et qu’elle s’évanouit avec l’aube. Ailleurs, c’est la « p
1657
qu’il veut aimer. Cependant M. Jeanroy s’inquiète
de
trouver dans ses poèmes « des détails qui paraissent nous plonger dan
1658
». Exemples donnés : « Je suis en doute au sujet
d’
une chose et mon cœur est dans l’angoisse : c’est que tout ce que le f
1659
t que toute la poésie des troubadours fût l’œuvre
d’
un seul auteur louant une Dame unique !) Où est alors cette expression
1660
Où est alors cette expression « vive et brutale »
d’
un désir évidemment charnel ? Dans la crudité de certains termes ? Mai
1661
» d’un désir évidemment charnel ? Dans la crudité
de
certains termes ? Mais elle était courante et naturelle avant le puri
1662
nt est anachronique. Voici par contre un document
de
poids à l’appui de la thèse symboliste. Raimbaut d’Orange écrit un po
1663
e, dit-il, soyez brutaux, « donnez-leur des coups
de
poing sur le nez » (est-ce assez « cru » ?), forcez-les : car c’est c
1664
comporte autrement, c’est que je ne me soucie pas
d’
aimer. Je ne veux pas me gêner pour les femmes, pas plus que si toutes
1665
p parler est pis que péché mortel. Or nous avons
de
ce même Raimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange de la Dame
1666
rtel. Or nous avons de ce même Raimbaut d’Orange
d’
admirables poèmes à la louange de la Dame. Et nous savons par ailleurs
1667
aimbaut d’Orange d’admirables poèmes à la louange
de
la Dame. Et nous savons par ailleurs que l’anneau (échangé par Trista
1668
nneau (échangé par Tristan et Iseut) est le signe
d’
une fidélité qui justement n’est pas celle des corps. Soulignons enfin
1669
Soulignons enfin ce fait capital : que les vertus
de
la cortezia : humilité, loyauté, respect et fidélité envers la Dame,
1670
a Dame, sont ici rapportées expressément au refus
de
l’amour physique. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes de Da
1671
ue. Au surplus, nous verrons plus tard les poèmes
de
Dante être d’autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs image
1672
, nous verrons plus tard les poèmes de Dante être
d’
autant plus passionnés et « réalistes » dans leurs images que Béatrice
1673
Béatrice s’élèvera davantage dans une hiérarchie
d’
abstractions mystiques, figurant d’abord la philosophie, puis la Scien
1674
ardents parmi les troubadours à louer les beautés
de
leur Dame, Arnaut Daniel et l’Italien Guinizelli, sont placés au chan
1675
us amène à reconnaître enfin la réelle complexité
d’
un problème dont nous avons souligné jusqu’ici, non sans une volontair
1676
cru que la cortezia était une simple idéalisation
de
l’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif de soutenir que l’
1677
’instinct sexuel. À l’inverse, il serait excessif
de
soutenir que l’idéal mystique sur quoi elle se fondait à l’origine fû
1678
ervé ; ou qu’il fût en soi univoque. L’exaltation
de
la chasteté produit presque toujours des excès luxurieux. Sans nous a
1679
cès luxurieux. Sans nous attarder aux accusations
de
débauche que beaucoup ont portées contre les troubadours — l’on sait
1680
les troubadours — l’on sait au vrai peu de chose
de
leurs vies — nous rappellerons l’exemple de sectes gnostiques, qui co
1681
chose de leurs vies — nous rappellerons l’exemple
de
sectes gnostiques, qui condamnaient aussi la création, et en particul
1682
particulier l’attrait des sexes, mais déduisaient
de
cette condamnation une morale étrangement débridée. Les carpocratiens
1683
aient le sperme.55 Il est probable que des excès
de
ce genre se produisirent aussi chez les cathares, et plus encore chez
1684
rifiantes figurent à cet égard dans les registres
de
l’Inquisition. Notons toutefois qu’elles sont souvent contradictoires
1685
cepter le christianisme primitif. Et il est juste
de
citer ici le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion de fouiller
1686
rimitif. Et il est juste de citer ici le jugement
d’
un dominicain qui eut l’occasion de fouiller dans les archives du sain
1687
ci le jugement d’un dominicain qui eut l’occasion
de
fouiller dans les archives du saint Office, et qui s’exprime ainsi au
1688
ice, et qui s’exprime ainsi au sujet des cathares
d’
Italie, ou patarins ; « Malgré toutes mes recherches, dans les procédu
1689
à tout, leurs erreurs étaient plutôt des erreurs
d’
intelligence que de sensualité. »56 Retenons donc ceci, qui nuance n
1690
urs étaient plutôt des erreurs d’intelligence que
de
sensualité. »56 Retenons donc ceci, qui nuance notre schéma : si le
1691
nc ceci, qui nuance notre schéma : si les erreurs
de
la passion — au sens précis que je donne à ce mot — sont d’origine re
1692
ion — au sens précis que je donne à ce mot — sont
d’
origine religieuse et mystique, il est certain qu’elles se trouvent fl
1693
, ou comme dit Platon dans le Banquet : « l’amour
de
gauche ». ⁂ Tout ceci m’amène à conclure — quels qu’aient pu être mes
1694
Pour nous faciliter une représentation analogique
de
ce processus minimum d’inspiration et d’influence, prenons un exemple
1695
représentation analogique de ce processus minimum
d’
inspiration et d’influence, prenons un exemple moderne. Un exemple don
1696
alogique de ce processus minimum d’inspiration et
d’
influence, prenons un exemple moderne. Un exemple dont je crois pouvoi
1697
ment connues (au sens total) par plusieurs hommes
de
ma génération : je veux parler du surréalisme et de l’influence de Fr
1698
ma génération : je veux parler du surréalisme et
de
l’influence de Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de
1699
: je veux parler du surréalisme et de l’influence
de
Freud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur de notre civilisa
1700
eud sur ce mouvement. Supposons l’historien futur
de
notre civilisation détruite : il a devant les yeux quelques poèmes su
1701
ration sémite. Du moins sait-on par les pamphlets
de
ses adversaires que cette école proposait une théorie érotique des rê
1702
araissent présenter aucun sens, et l’on se plaint
de
leur monotonie ; toujours les mêmes images érotiques et sanglantes, l
1703
érateur « peu sérieux » imagine alors l’hypothèse
d’
une influence de la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïnc
1704
rieux » imagine alors l’hypothèse d’une influence
de
la psychanalyse sur l’ensemble du surréalisme : coïncidence des dates
1705
du surréalisme : coïncidence des dates, analogie
de
thèmes fondamentaux… Les spécialistes du xxe siècle haussent les épa
1706
u’il n’en existe plus. — Dans ce cas, il convient
de
surseoir à toute hypothèse cohérente. En attendant, le bon sens suffi
1707
montrer : 1° que le peu de choses que nous savons
de
la psychanalyse n’autorise pas à faire de cette doctrine la source de
1708
savons de la psychanalyse n’autorise pas à faire
de
cette doctrine la source des textes connus. (Il semble bien que Freud
1709
nt tout un savant ; qu’il ait soutenu une théorie
de
la libido ; et qu’il ait pris une attitude déterministe : or le surré
1710
e littéraire avant tout ; on ne retrouve le terme
de
libido dans aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont de tend
1711
aucun des poèmes subsistants ; et ces poèmes sont
de
tendance idéaliste-anarchisante) ; 2° que les surréalistes n’ont jama
1712
alystes ; 4° qu’enfin l’on distingue mal comment,
d’
une science qui se donnait pour objet l’analyse et la cure des névrose
1713
ure des névroses, aurait pu naître une rhétorique
de
la folie, c’est-à-dire un défi à toute science en général et à toute
1714
vaient nul besoin et n’avaient pas la possibilité
de
parler de libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la
1715
besoin et n’avaient pas la possibilité de parler
de
libido dans leurs poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur d’u
1716
s poèmes ; nous savons même que c’est à la faveur
d’
une erreur initiale sur la portée exacte de la doctrine de Freud (déte
1717
faveur d’une erreur initiale sur la portée exacte
de
la doctrine de Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tire
1718
reur initiale sur la portée exacte de la doctrine
de
Freud (déterministe-positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments
1719
-positiviste) qu’ils ont pu en tirer les éléments
de
leur lyrisme (ce dernier trait me paraît capital pour l’analogie que
1720
ns enfin qu’il a suffi que quelques-uns des chefs
de
cette école lisent Freud : les disciples se sont bornés à imiter la r
1721
outre, on aperçoit, par cet exemple, que l’action
d’
une doctrine sur des poètes s’exerce moins par influence directe qu’à
1722
exerce moins par influence directe qu’à la faveur
d’
une certaine ambiance de scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée
1723
ce directe qu’à la faveur d’une certaine ambiance
de
scandale, de snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux.
1724
’à la faveur d’une certaine ambiance de scandale,
de
snobisme et d’intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui expli
1725
une certaine ambiance de scandale, de snobisme et
d’
intérêt, suscitée par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal d’e
1726
par les dogmes centraux. Ce qui explique pas mal
d’
erreurs, variations et contradictions chez les poètes influencés. D’où
1727
ons et contradictions chez les poètes influencés.
D’
où résulte qu’un surcroît d’informations sur la nature exacte des théo
1728
es poètes influencés. D’où résulte qu’un surcroît
d’
informations sur la nature exacte des théories de Freud, loin de fourn
1729
d’informations sur la nature exacte des théories
de
Freud, loin de fournir aux savants futurs les apaisements qu’ils sero
1730
nts futurs les apaisements qu’ils seront en droit
d’
attendre, paraîtra contredire la thèse de mon littérateur « peu sérieu
1731
en droit d’attendre, paraîtra contredire la thèse
de
mon littérateur « peu sérieux ». (Eppur ! C’est lui qui aura raison c
1732
ra raison contre les « vingtiémistes » chevronnés
de
son temps.) On a remarqué qu’à l’objection n° 4 je n’ai répondu jusqu
1733
’à l’objection n° 4 je n’ai répondu jusqu’ici que
d’
une manière tout indirecte et allusive. C’est qu’elle mérite un traite
1734
au chapitre. 9.Les mystiques arabes Comment
de
la confuse combinaison de doctrines plus ou moins chrétiennes, manich
1735
iques arabes Comment de la confuse combinaison
de
doctrines plus ou moins chrétiennes, manichéennes et néo-platonicienn
1736
? C’est l’argument que les romanistes ont coutume
d’
opposer à l’interprétation religieuse de l’art courtois. Or il se trou
1737
t coutume d’opposer à l’interprétation religieuse
de
l’art courtois. Or il se trouve que, dès le ixe siècle, une synthèse
1738
xe siècle, une synthèse non moins « improbable »
de
manichéisme iranien, de néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et
1739
non moins « improbable » de manichéisme iranien,
de
néo-platonisme et d’islamisme s’était bel et bien opérée en Arabie, e
1740
le » de manichéisme iranien, de néo-platonisme et
d’
islamisme s’était bel et bien opérée en Arabie, et de plus, s’était ex
1741
ourtoises. ⁂ Lorsque Sismondi avança l’hypothèse
d’
une influence arabe sur la lyrique provençale, A. W. Schlegel lui répo
1742
utenir un pareil paradoxe. Mais Schlegel prouvait
de
la sorte que cette double ignorance était précisément son fait. On l’
1743
it. On l’excusera d’ailleurs si l’on tient compte
de
l’état des études arabisantes à son époque. Des travaux plus récents
1744
ire et l’œuvre, dès le ixe siècle, dans l’islam,
d’
une école de mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour princi
1745
re, dès le ixe siècle, dans l’islam, d’une école
de
mystiques poètes qui devaient avoir plus tard pour principales illust
1746
behan de Shiraz et Sohrawardi d’Alep, troubadours
de
l’Amour suprême, chantres courtois de l’Idée voilée, objet aimé mais
1747
troubadours de l’Amour suprême, chantres courtois
de
l’Idée voilée, objet aimé mais en même temps symbole du Désir divin.
1748
qu’il connaissait par Plotin, Proclus et l’école
d’
Athènes — un continuateur de Zoroastre. Son néo-platonisme était par a
1749
n, Proclus et l’école d’Athènes — un continuateur
de
Zoroastre. Son néo-platonisme était par ailleurs très fortement pénét
1750
tonisme était par ailleurs très fortement pénétré
de
représentations mythiques iraniennes. En particulier, il empruntait a
1751
ont s’était inspiré Manès — l’opposition du monde
de
la Lumière et du monde des Ténèbres, dont on a vu qu’elle est fondame
1752
rique amoureuse et chevaleresque, dont les titres
de
quelques traités mystiques de cette école donnent une idée : le Famil
1753
ue, dont les titres de quelques traités mystiques
de
cette école donnent une idée : le Familier des Amants, le Roman des S
1754
oman des Sept Beautés… Il y a plus. À l’occasion
de
ces traités, les mêmes disputes théologiques se produisirent, qui dev
1755
mer Dieu (comme l’ordonne le sommaire évangélique
de
la Loi). Une créature finie ne peut aimer que le fini. Il en résulta
1756
i. Il en résulta que les mystiques furent obligés
de
recourir à des symboles dont le sens restait secret. (Ainsi la louang
1757
n, dont l’usage était interdit, devint le symbole
de
la divine ivresse d’amour.) Mais compte tenu de cette difficulté part
1758
interdit, devint le symbole de la divine ivresse
d’
amour.) Mais compte tenu de cette difficulté particulière — qui n’est
1759
e de la divine ivresse d’amour.) Mais compte tenu
de
cette difficulté particulière — qui n’est d’ailleurs pas sans rapport
1760
part divine dont l’exaltation aboutît à la fusion
de
l’âme et de la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes m
1761
dont l’exaltation aboutît à la fusion de l’âme et
de
la Divinité. Or le langage érotico-religieux des poètes mystiques ten
1762
tendait à établir cette confusion du Créateur et
de
la créature. Et l’on accusa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la
1763
teur et de la créature. Et l’on accusa ces poètes
de
manichéisme déguisé, sur la foi de leur langage symbolique. Al-Hallaj
1764
usa ces poètes de manichéisme déguisé, sur la foi
de
leur langage symbolique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer
1765
ique. Al-Hallaj et Sohrawardi devaient même payer
de
leur vie cette accusation d’hérésie.58 Il est bien émouvant de const
1766
devaient même payer de leur vie cette accusation
d’
hérésie.58 Il est bien émouvant de constater que tous les termes d’un
1767
tte accusation d’hérésie.58 Il est bien émouvant
de
constater que tous les termes d’une pareille polémique s’appliquent a
1768
st bien émouvant de constater que tous les termes
d’
une pareille polémique s’appliquent au cas des troubadours, et plus ta
1769
utandis, au cas des grands mystiques occidentaux,
de
Maître Eckhart à Jean de la Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « cou
1770
Croix. ⁂ Une brève revue des thèmes « courtois »
de
la mystique arabe fera sentir à quelles profondeurs le parallélisme t
1771
dent ainsi une communauté — comparable à l’Église
d’
Amour des cathares. b) selon le manichéisme iranien, dont s’inspirai
1772
chéisme iranien, dont s’inspiraient les mystiques
de
l’école illuminative de Sohrawardi, une jeune fille éblouissante atte
1773
inspiraient les mystiques de l’école illuminative
de
Sohrawardi, une jeune fille éblouissante attend le fidèle à la sortie
1774
e suis toi-même ! » Or selon certains interprètes
de
la mystique des troubadours, la Dame des pensées ne serait autre que
1775
serait autre que la part spirituelle et angélique
de
l’homme, son vrai moi. Ce qui pourrait nous orienter vers une compréh
1776
ait nous orienter vers une compréhension nouvelle
de
ce que nous appelions le « narcissisme de la passion » (à propos de T
1777
ouvelle de ce que nous appelions le « narcissisme
de
la passion » (à propos de Tristan, chap. VIII du Livre Ier ). c) Le
1778
Amants est construit sur l’allégorie du « Château
de
l’Âme » et de ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges
1779
struit sur l’allégorie du « Château de l’Âme » et
de
ses différents étages et loges. Dans l’une de ces loges habite un per
1780
et de ses différents étages et loges. Dans l’une
de
ces loges habite un personnage qui se nomme l’Idée voilée. Elle « con
1781
lle « connaît les secrets qui guérissent et c’est
d’
elle que l’on apprend la magie ». (L’Iseut celtique était aussi une ma
1782
seut celtique était aussi une magicienne, « objet
de
contemplation, spectacle mystérieux ».) Dans le Château de l’Âme habi
1783
plation, spectacle mystérieux ».) Dans le Château
de
l’Âme habitent d’autres personnages allégoriques, tels que Beauté, Dé
1784
r, le Bien connu : comment ne pas songer au Roman
de
la Rose ? Et le symbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage d
1785
mbolisme chevaleresque se retrouve dans l’ouvrage
de
Nizami de Ganja : le Roman des Sept Beautés, qui conte les aventures
1786
e Roman des Sept Beautés, qui conte les aventures
de
sept jeunes filles vêtues aux couleurs des planètes et que visite un
1787
te un roi-chevalier. Nous retrouverons le Château
de
l’Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et d’une sainte Thér
1788
s le Château de l’Âme parmi les symboles préférés
d’
un Ruysbroek et d’une sainte Thérèse… d) Dans un poème du « sultan de
1789
Âme parmi les symboles préférés d’un Ruysbroek et
d’
une sainte Thérèse… d) Dans un poème du « sultan des amoureux », Omar
1790
errible qui l’envoûte : Mes concitoyens, étonnés
de
me voir esclave, ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris de
1791
ont dit : Pourquoi ce jeune homme a-t-il été pris
de
folie ? Et que peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe de Nou’
1792
-t-il été pris de folie ? Et que peuvent-ils dire
de
moi, sinon que je m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de
1793
ue peuvent-ils dire de moi, sinon que je m’occupe
de
Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie
1794
e m’occupe de Nou’m ? Oui, en vérité, je m’occupe
de
Nou’m. Quand Nou’m me gratifie d’un regard, cela m’est égal que Sou’d
1795
té, je m’occupe de Nou’m. Quand Nou’m me gratifie
d’
un regard, cela m’est égal que Sou’da ne soit pas complaisante.59 «
1796
laisante.59 « Nou’m » est le nom conventionnel
de
la femme aimée, et signifie ici Dieu. Or les troubadours nommaient au
1797
Dieu. Or les troubadours nommaient aussi la Dame
de
leurs pensées d’un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos é
1798
ubadours nommaient aussi la Dame de leurs pensées
d’
un nom conventionnel ou senhal, derrière lequel nos érudits s’épuisent
1799
nt, donne le premier (Sohrawardi : le Bruissement
de
l’aile de Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des trou
1800
le premier (Sohrawardi : le Bruissement de l’aile
de
Gabriel), c’est un des thèmes constants du lyrisme des troubadours, p
1801
thèmes constants du lyrisme des troubadours, puis
de
Dante et enfin de Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » d
1802
u lyrisme des troubadours, puis de Dante et enfin
de
Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut » de la Dame une impo
1803
Pétrarque. Tous ces poètes attachent au « salut »
de
la Dame une importance apparemment démesurée, mais qui s’explique for
1804
) Les mystiques arabes insistent sur la nécessité
de
garder le secret de l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les ind
1805
es insistent sur la nécessité de garder le secret
de
l’Amour divin. Ils dénoncent sans relâche les indiscrets qui voudraie
1806
draient s’enquérir des mystères sans y participer
de
toute leur foi. À l’interrogation d’un impatient : « Qu’est-ce que le
1807
y participer de toute leur foi. À l’interrogation
d’
un impatient : « Qu’est-ce que le soufisme ? » Al-Hallaj répond : « Ne
1808
amants. » De plus, les indiscrets sont soupçonnés
d’
intentions mauvaises : ce sont eux qui dénoncent les amants à l’autori
1809
provençaux apparaissent des personnages qualifiés
de
losengiers (médisants, indiscrets, espions) et que le troubadour couv
1810
indiscrets, espions) et que le troubadour couvre
d’
invectives. Nos savants commentateurs ne savent trop que faire de ces
1811
os savants commentateurs ne savent trop que faire
de
ces encombrants losengiers, et tentent de s’en débarrasser en affirma
1812
e faire de ces encombrants losengiers, et tentent
de
s’en débarrasser en affirmant que les amants du xiie siècle tenaient
1813
nts du xiie siècle tenaient énormément au secret
de
leurs liaisons (ce qui les distinguerait, sans doute, des amants de t
1814
(ce qui les distinguerait, sans doute, des amants
de
tous les autres siècles ?). g) Enfin, la louange de la mort d’amour
1815
tous les autres siècles ?). g) Enfin, la louange
de
la mort d’amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn
1816
tres siècles ?). g) Enfin, la louange de la mort
d’
amour est le leitmotiv du lyrisme mystique des Arabes. Ibn Al Faridh :
1817
me mystique des Arabes. Ibn Al Faridh : Le repos
de
l’amour est une fatigue, son commencement une maladie, sa fin la mort
1818
mour est une vie ; je rends grâce à ma Bien-aimée
de
me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas de son amour ne peut en v
1819
ée de me l’avoir offerte. Celui qui ne meurt pas
de
son amour ne peut en vivre. C’est ici le cri même de la mystique occ
1820
on amour ne peut en vivre. C’est ici le cri même
de
la mystique occidentale mais aussi du lyrisme provençal et de Tristan
1821
ue occidentale mais aussi du lyrisme provençal et
de
Tristan. C’est l’oraison jaculatoire de sainte Thérèse : Je meurs de
1822
vençal et de Tristan. C’est l’oraison jaculatoire
de
sainte Thérèse : Je meurs de ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En m
1823
’oraison jaculatoire de sainte Thérèse : Je meurs
de
ne pas mourir ! Al-Hallaj disait : En me tuant vous me ferez vivre,
1824
ous me ferez vivre, car pour moi c’est mourir que
de
vivre, et vivre que de mourir. La vie, c’est en effet le jour terres
1825
pour moi c’est mourir que de vivre, et vivre que
de
mourir. La vie, c’est en effet le jour terrestre des êtres contingen
1826
ur terrestre des êtres contingents et le tourment
de
la matière ; mais la mort, c’est la nuit de l’illumination, l’évanoui
1827
rment de la matière ; mais la mort, c’est la nuit
de
l’illumination, l’évanouissement des formes illusoires, l’union de l’
1828
, l’évanouissement des formes illusoires, l’union
de
l’Âme et de l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-
1829
sement des formes illusoires, l’union de l’Âme et
de
l’Aimé, la communion avec l’Être absolu. Aussi Moïse est-il pour les
1830
du plus grand Amant, puisqu’en exprimant le désir
de
voir Dieu sur le Sinaï, il exprima le désir de sa mort. Et l’on conço
1831
ir de voir Dieu sur le Sinaï, il exprima le désir
de
sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire de la voie illuminat
1832
sa mort. Et l’on conçoit que le terme nécessaire
de
la voie illuminative d’un Sohrawardi, d’un Hallaj, ait été le martyre
1833
t que le terme nécessaire de la voie illuminative
d’
un Sohrawardi, d’un Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de
1834
cessaire de la voie illuminative d’un Sohrawardi,
d’
un Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet de la joy d’amour :
1835
un Hallaj, ait été le martyre religieux au sommet
de
la joy d’amour : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui d
1836
ait été le martyre religieux au sommet de la joy
d’
amour : Al-Hallaj se rendait au supplice en riant. Je lui dis : Maîtr
1837
est cela ? Il répondit : Telle est la coquetterie
de
la Beauté attirant à elle les amoureux.60 ⁂ On sait enfin que l’amo
1838
onde arabe, celle des Banou Odrah où l’on mourait
d’
amour à force d’exalter le désir chaste, selon le verset du Coran : «
1839
e des Banou Odrah où l’on mourait d’amour à force
d’
exalter le désir chaste, selon le verset du Coran : « Celui qui aime,
1840
rset du Coran : « Celui qui aime, qui s’abstient
de
tout ce qui est interdit, qui garde son amour secret, et qui meurt de
1841
nterdit, qui garde son amour secret, et qui meurt
de
son secret, celui-là meurt martyr. » « L’amour odrih » devint, jusqu’
1842
odrih » devint, jusqu’en Andalousie, le nom même
de
l’amour qui va s’appeler courtois dans le Midi, puis remonter vers le
1843
is remonter vers le nord celtique, à la rencontre
de
Tristan… ⁂ Peut-on prouver que la poétique arabe a réellement influe
1844
en 1863 : « Un abîme sépare la forme et l’esprit
de
la poésie romane de la forme et de l’esprit de la poésie arabe. » Un
1845
e sépare la forme et l’esprit de la poésie romane
de
la forme et de l’esprit de la poésie arabe. » Un autre savant, Dozy,
1846
me et l’esprit de la poésie romane de la forme et
de
l’esprit de la poésie arabe. » Un autre savant, Dozy, déclare à cette
1847
it de la poésie romane de la forme et de l’esprit
de
la poésie arabe. » Un autre savant, Dozy, déclare à cette époque qu’o
1848
prouvera pas ». Ce ton péremptoire fait sourire.
De
Bagdad à l’Andalousie, la poésie arabe est une, par la langue et l’éc
1849
llaume de Poitiers, dans cinq sur onze des poèmes
de
lui qui nous restent. Les « preuves » de l’influence andalouse sur le
1850
s poèmes de lui qui nous restent. Les « preuves »
de
l’influence andalouse sur les poètes courtois ne sont plus à faire61.
1851
s à faire61. Et je pourrais ici remplir des pages
de
citations d’Arabes et de Provençaux dont nos grands spécialistes de «
1852
Et je pourrais ici remplir des pages de citations
d’
Arabes et de Provençaux dont nos grands spécialistes de « l’abîme qui
1853
is ici remplir des pages de citations d’Arabes et
de
Provençaux dont nos grands spécialistes de « l’abîme qui sépare » aur
1854
bes et de Provençaux dont nos grands spécialistes
de
« l’abîme qui sépare » auraient parfois peine à deviner de quel côté
1855
îme qui sépare » auraient parfois peine à deviner
de
quel côté des Pyrénées elles furent écrites. La cause est entendue. M
1856
des plus extraordinaires confluences spirituelles
de
l’Histoire. D’une part, un grand courant religieux manichéen, qui ava
1857
ie et la France, apportant sa doctrine ésotérique
de
la Sophia-Maria et de l’amour pour la « forme de lumière ». D’autre p
1858
tant sa doctrine ésotérique de la Sophia-Maria et
de
l’amour pour la « forme de lumière ». D’autre part, une rhétorique ha
1859
de la Sophia-Maria et de l’amour pour la « forme
de
lumière ». D’autre part, une rhétorique hautement raffinée, avec ses
1860
aux mêmes endroits, son symbolisme enfin, remonte
de
l’Irak des soufis platonisants et manichéisants jusqu’à l’Espagne ara
1861
qui, semble-t-il, n’attendait plus que ces moyens
de
langage pour dire ce qu’elle n’osait et ne pouvait avouer ni dans la
1862
s le parler vulgaire. La poésie courtoise est née
de
cette rencontre. Et c’est ainsi qu’au dernier confluent des « hérési
1863
st ainsi qu’au dernier confluent des « hérésies »
de
l’âme et de celles du désir, venues du même Orient par les deux rives
1864
au dernier confluent des « hérésies » de l’âme et
de
celles du désir, venues du même Orient par les deux rives de la mer c
1865
u désir, venues du même Orient par les deux rives
de
la mer civilisatrice, naquit le grand modèle occidental du langage de
1866
ice, naquit le grand modèle occidental du langage
de
l’amour-passion. 10.Vue d’ensemble du phénomène courtois Revena
1867
cidental du langage de l’amour-passion. 10.Vue
d’
ensemble du phénomène courtois Revenant après de longues années sur
1868
’ensemble du phénomène courtois Revenant après
de
longues années sur les problèmes soulevés par les pages qui précèdent
1869
par les pages qui précèdent, j’éprouve le besoin
de
rassembler ici tout un faisceau d’observations nouvelles. Le lecteur
1870
ouve le besoin de rassembler ici tout un faisceau
d’
observations nouvelles. Le lecteur va juger si elles infirment, ou si
1871
conception religieuse, ou simplement une théorie
de
l’homme — et une forme lyrique déterminée. (Rapports entre le soufism
1872
sme et la poésie courtoise des Arabes ; influence
de
Freud sur l’école surréaliste.) Les polémiques parfois fort vives pro
1873
ultipliées depuis quinze ans par les spécialistes
de
l’amour courtois, du catharisme et du manichéisme, et peut-être l’exp
1874
éisme, et peut-être l’expérience vécue autant que
de
nouvelles recherches personnelles, tout cela m’amène aujourd’hui à un
1875
s, tout cela m’amène aujourd’hui à une conception
de
la cortezia à peine moins « historique » que celle que j’esquissais p
1876
oute plus psychologique. Je rappelais la relation
de
fait (lieux et dates remarquablement identiques) entre cathares et tr
1877
is à dire : il y a là quelque chose, et l’absence
de
rapports entre ces gens me paraîtrait plus étonnante encore que n’imp
1878
lle hypothèse, « sérieuse » ou non, sur la nature
de
ces rapports. Mais je me gardais de démontrer le détail précis des in
1879
sur la nature de ces rapports. Mais je me gardais
de
démontrer le détail précis des influences, à la manière de beaucoup d
1880
l précis des influences, à la manière de beaucoup
d’
historiens pour qui le réel n’est défini que par des documents écrits.
1881
le leur. Je ne prétends pas fonder sur pièces une
de
ces solutions textuelles et « scientifiques » après quoi, comme le di
1882
isant autant qu’il est possible, la problématique
de
l’amour courtois — parce que je la crois vitale pour l’Occident moder
1883
lques faits, comme un piège. J’éviterai à la fois
d’
indiquer des relations de cause à effet, et de formuler expressément d
1884
ge. J’éviterai à la fois d’indiquer des relations
de
cause à effet, et de formuler expressément des conclusions que l’on p
1885
ois d’indiquer des relations de cause à effet, et
de
formuler expressément des conclusions que l’on pourrait citer hors du
1886
s condamnant le mariage mais fondant une « Église
d’
Amour », opposée à l’Église de Rome63, envahit rapidement la France, d
1887
ondant une « Église d’Amour », opposée à l’Église
de
Rome63, envahit rapidement la France, de Reims au Nord et des confins
1888
l’Église de Rome63, envahit rapidement la France,
de
Reims au Nord et des confins de l’Italie jusqu’à l’Espagne, pour rayo
1889
dement la France, de Reims au Nord et des confins
de
l’Italie jusqu’à l’Espagne, pour rayonner de là sur toute l’Europe. D
1890
fins de l’Italie jusqu’à l’Espagne, pour rayonner
de
là sur toute l’Europe. Dans le même temps, d’autres mouvements hétéro
1891
sant aux prélats ambitieux et aux pompes sacrales
de
l’Église un spiritualisme épuré, ils aboutissent parfois, plus ou moi
1892
nt Bernard de Clairvaux et Abélard sont les pôles
de
ce drame dans l’Église, et au niveau de la spéculation. Mais hors de
1893
incompréhensibles, les oscillations s’amplifient.
D’
Henri de Lausanne et Pierre de Bruys jusqu’à un Amaury de Bène et aux
1894
squ’à un Amaury de Bène et aux frères ortliebiens
de
Strasbourg, tous condamnent le mariage — que par ailleurs, le pape-mo
1895
ue par ailleurs, le pape-moine Grégoire VII vient
d’
interdire aux prêtres. En revanche, beaucoup professent que l’homme ét
1896
beaucoup professent que l’homme étant divin, rien
de
ce qu’il fait avec son corps — cette part du diable — ne saurait enga
1897
ette part du diable — ne saurait engager le salut
de
son âme : « Point de péché au-dessous du nombril ! » précise un évêqu
1898
ne saurait engager le salut de son âme : « Point
de
péché au-dessous du nombril ! » précise un évêque dualiste, excusant
1899
ée par plusieurs sectes. Une forme toute nouvelle
de
poésie naît dans le midi de la France, patrie cathare : elle célèbre
1900
forme toute nouvelle de poésie naît dans le midi
de
la France, patrie cathare : elle célèbre la Dame des pensées, l’idée
1901
’idée platonicienne du principe féminin, le culte
de
l’Amour contre le mariage, en même temps que la chasteté. Saint Berna
1902
u Parfaits, puis oppose à la cortezia la mystique
de
l’Amour divin. De nombreux commentaires du Cantique des Cantiques son
1903
ppose à la cortezia la mystique de l’Amour divin.
De
nombreux commentaires du Cantique des Cantiques sont écrits pour les
1904
sont écrits pour les nonnes des premiers couvents
de
femmes, de l’abbaye de Fontevrault si proche du premier troubadour —
1905
pour les nonnes des premiers couvents de femmes,
de
l’abbaye de Fontevrault si proche du premier troubadour — c’est le co
1906
nnes des premiers couvents de femmes, de l’abbaye
de
Fontevrault si proche du premier troubadour — c’est le comte Guillaum
1907
e comte Guillaume de Poitiers — jusqu’au Paraclet
d’
Héloïse. Cette mystique épithalamique se retrouve à la fois chez Berna
1908
es courtois et en lettres, le premier grand roman
d’
amour-passion de notre histoire. Jaufré Rudel va mourir dans les bras
1909
n lettres, le premier grand roman d’amour-passion
de
notre histoire. Jaufré Rudel va mourir dans les bras de la comtesse d
1910
re histoire. Jaufré Rudel va mourir dans les bras
de
la comtesse de Tripoli, « princesse lointaine » qu’il aime sans l’avo
1911
x et au temps où se nouent la légende et le mythe
de
la passion mortelle : Tristan. À cette montée puissante et comme univ
1912
an. À cette montée puissante et comme universelle
de
l’Amour et du culte de la Femme idéalisée, l’Église et le clergé ne p
1913
sante et comme universelle de l’Amour et du culte
de
la Femme idéalisée, l’Église et le clergé ne pouvaient manquer d’oppo
1914
lisée, l’Église et le clergé ne pouvaient manquer
d’
opposer une croyance et un culte qui répondissent au même désir profon
1915
lte qui répondissent au même désir profond, surgi
de
l’âme collective. Il fallait « convertir » ce désir, tout en se laiss
1916
mme pour mieux le capter dans le courant puissant
de
l’orthodoxie64. De là les tentatives multipliées, dès le début du xii
1917
apter dans le courant puissant de l’orthodoxie64.
De
là les tentatives multipliées, dès le début du xiie siècle, pour ins
1918
le début du xiie siècle, pour instituer un culte
de
la Vierge. Marie reçoit généralement, dès cette époque, le titre de r
1919
e reçoit généralement, dès cette époque, le titre
de
regina coeli, et c’est en Reine désormais que l’art va la représenter
1920
’art va la représenter. À la « Dame des Pensées »
de
la cortezia, on substituera « Notre-Dame ». Et les ordres monastiques
1921
ordres chevaleresques : le moine est « chevalier
de
Marie ». En 1140, à Lyon, les chanoines établissent une fête de l’Imm
1922
1140, à Lyon, les chanoines établissent une fête
de
l’Immaculée Conception de Notre-Dame. Saint Bernard de Clairvaux eut
1923
es établissent une fête de l’Immaculée Conception
de
Notre-Dame. Saint Bernard de Clairvaux eut beau protester dans une le
1924
fameuse contre « cette fête nouvelle que l’usage
de
l’Église ignore, que la raison n’approuve pas, que la tradition n’aut
1925
torise point… et qui introduit la nouveauté, sœur
de
la superstition, fille de l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau,
1926
duit la nouveauté, sœur de la superstition, fille
de
l’inconstance ». Et saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire
1927
saint Thomas eut beau, cent ans plus tard, écrire
de
la manière la plus précise : « Si Marie eût été conçue sans péché, el
1928
té conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin
d’
être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à un
1929
soin d’être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte
de
la Vierge répondait à une nécessité d’ordre vital pour l’Église menac
1930
» Le culte de la Vierge répondait à une nécessité
d’
ordre vital pour l’Église menacée et entraînée… La papauté, plusieurs
1931
ier trait dont on verra qu’il est tout impossible
de
le rattacher latéralement aux précédents. C’est au xiie siècle que s
1932
tteste en Europe une modification radicale du jeu
d’
échecs, originaire de l’Inde. Au lieu des quatre rois qui dominaient l
1933
modification radicale du jeu d’échecs, originaire
de
l’Inde. Au lieu des quatre rois qui dominaient le jeu primitif, on vo
1934
trouvant d’ailleurs réduit à sa moindre puissance
d’
action réelle, tout en demeurant l’enjeu final et le personnage sacré
1935
7). 2. Œdipe et les dieux. — Freud désigne du nom
d’
Œdipe le complexe composé dans l’inconscient par l’agressivité du fils
1936
tacle à l’amour pour la mère) et par le sentiment
de
culpabilité qui en résulte. Le poids de l’autorité patriarcale réduit
1937
sentiment de culpabilité qui en résulte. Le poids
de
l’autorité patriarcale réduit le fils au conformisme social et moral
1938
le fils au conformisme social et moral ; le poids
de
l’interdit lié à la mère (donc au principe féminin) inhibe l’amour :
1939
ui touche à la femme reste « impur ». Ce complexe
de
sentiments œdipiens est d’autant plus contraignant que la structure s
1940
« impur ». Ce complexe de sentiments œdipiens est
d’
autant plus contraignant que la structure sociale est plus solide, la
1941
ouvoirs plus révéré. Imaginons maintenant un état
de
la société où le principe de cohésion se relâche ; où la puissance éc
1942
s maintenant un état de la société où le principe
de
cohésion se relâche ; où la puissance économique détenue par le père
1943
divine se divise elle-même, soit en une pluralité
de
dieux, comme en Grèce, soit en un couple dieu-déesse, comme en Égypte
1944
compulsion qui créait le complexe œdipien faiblit
d’
autant. La haine pour le père se concentre sur le démiurge et sur son
1945
sexualité procréatrice, — tandis qu’un sentiment
d’
adoration purifiée peut se porter sur le Dieu-Esprit. En même temps, l
1946
ent libéré : il peut enfin s’avouer sous la forme
d’
un culte rendu à l’archétype divin de la femme, à condition que cette
1947
ous la forme d’un culte rendu à l’archétype divin
de
la femme, à condition que cette Déesse-Mère ne cesse pas d’être virgi
1948
e, à condition que cette Déesse-Mère ne cesse pas
d’
être virginale, qu’elle échappe donc à l’interdit maintenu sur la femm
1949
e échappe donc à l’interdit maintenu sur la femme
de
chair. L’union mystique avec cette divinité féminine devient alors un
1950
des domaines entre tous les fils, ou « pariage »,
d’
où perte d’autorité du Suzerain) ; à une sorte de pré-Renaissance indi
1951
s entre tous les fils, ou « pariage », d’où perte
d’
autorité du Suzerain) ; à une sorte de pré-Renaissance individualiste
1952
d’où perte d’autorité du Suzerain) ; à une sorte
de
pré-Renaissance individualiste ; à l’invasion d’une religion dualiste
1953
de pré-Renaissance individualiste ; à l’invasion
d’
une religion dualiste ; enfin, à cette montée puissante du culte de l’
1954
aliste ; enfin, à cette montée puissante du culte
de
l’Amour, dont je viens de rappeler les manifestations. Nous voici don
1955
nie dans l’Histoire) du phénomène que nous venons
d’
imaginer au paragraphe précédent. Si nous cherchons à nous représenter
1956
ous représenter la situation psychique et éthique
de
l’homme en ce temps-là, nous constatons d’abord qu’il se trouve impli
1957
és dans le cas des simples croyants, c’est-à-dire
de
l’immense majorité des hérétiques. Du côté catholique, le mariage est
1958
ent, cependant qu’il repose en fait sur des bases
d’
intérêt matériel et social, et se voit imposé aux époux sans qu’il soi
1959
voit imposé aux époux sans qu’il soit tenu compte
de
leurs sentiments. En même temps, le relâchement de l’autorité et des
1960
e leurs sentiments. En même temps, le relâchement
de
l’autorité et des pouvoirs ménage, comme nous l’avons vu, une possibi
1961
, comme nous l’avons vu, une possibilité nouvelle
d’
admettre la femme, mais sous le couvert d’une idéalisation, voire d’un
1962
ouvelle d’admettre la femme, mais sous le couvert
d’
une idéalisation, voire d’une divinisation du principe féminin. Ce qui
1963
e, mais sous le couvert d’une idéalisation, voire
d’
une divinisation du principe féminin. Ce qui ne peut qu’aviver la cont
1964
ies dans leur fascinante nouveauté… C’est au cœur
de
cette situation inextricable, c’est comme une résultante de tant de c
1965
ituation inextricable, c’est comme une résultante
de
tant de confusions qui devaient s’y nouer, qu’apparaît la cortezia, «
1966
qu’apparaît la cortezia, « religion » littéraire
de
l’Amour chaste, de la femme idéalisée, avec sa « piété » particulière
1967
tezia, « religion » littéraire de l’Amour chaste,
de
la femme idéalisée, avec sa « piété » particulière, la joy d’amors, s
1968
idéalisée, avec sa « piété » particulière, la joy
d’
amors, ses « rites » précis, la rhétorique des troubadours, sa morale
1969
précis, la rhétorique des troubadours, sa morale
de
l’hommage et du service, sa « théologie » et ses disputes théologique
1970
ans toute l’Europe. Or nous voyons cette religion
de
l’amour ennoblissant célébrée par les mêmes hommes qui persistent à t
1971
vent dans le même poète un adorateur enthousiaste
de
la Dame, qu’il exalte, et un contempteur de la femme, qu’il rabaisse
1972
iaste de la Dame, qu’il exalte, et un contempteur
de
la femme, qu’il rabaisse : qu’on se rappelle seulement les vers d’un
1973
l rabaisse : qu’on se rappelle seulement les vers
d’
un Marcabru ou d’un Raimbaut d’Orange, cités plus haut (au chap. 8). C
1974
n se rappelle seulement les vers d’un Marcabru ou
d’
un Raimbaut d’Orange, cités plus haut (au chap. 8). Chose curieuse, le
1975
gnent pas ! On dirait qu’ils ont trouvé le secret
d’
une conciliation vivante des inconciliables. Ils semblent refléter, ma
1976
a division des consciences (elle-même productrice
de
mauvaise conscience), dans la grande masse d’une société partagée non
1977
ice de mauvaise conscience), dans la grande masse
d’
une société partagée non seulement entre la chair et l’esprit, mais en
1978
entre l’hérésie et l’orthodoxie, et au sein même
de
l’hérésie, entre l’exigence des Parfaits et la vie réelle des Croyant
1979
ssus l’un des plus sensibles interprètes modernes
de
la cortezia, René Nelli : « Presque toutes les dames du Carcassès, du
1980
s les dames du Carcassès, du Toulousain, du Foix,
de
l’Albigeois étaient « croyantes » et savaient — bien qu’elles fussent
1981
et qui leur demandaient non pas tant une illusion
d’
amour sincère qu’un antipode spirituel au mariage où elles avaient été
1982
eur ajoute qu’à son avis, « il n’est pas question
de
voir dans la chasteté, ainsi feinte, une habitude réelle ni un reflet
1983
morale des Parfaits. Mais enfin, dit le sceptique
d’
aujourd’hui, que peut bien signifier au concret cette « chasteté » prô
1984
gleurs ? Et comment expliquer le succès si rapide
d’
une prétendue morale à ce point ambiguë, dans un Languedoc, une Italie
1985
logie n’occupaient tout de même pas le plus clair
de
la vie, et n’avaient tout de même pas supprimé toute espèce d’impulsi
1986
n’avaient tout de même pas supprimé toute espèce
d’
impulsions naturelles ? Les modernes, en effet, depuis Rousseau, s’ima
1987
puis Rousseau, s’imaginent qu’il existe une sorte
de
nature normale, à laquelle la culture et la religion seraient venues
1988
que nous sommes, sans le savoir, menons nos vies
de
civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais
1989
civilisés dans une confusion proprement insensée
de
religions jamais tout à fait mortes, et rarement tout à fait comprise
1990
et rarement tout à fait comprises et pratiquées ;
de
morales jadis exclusives mais qui se superposent ou se combinent à l’
1991
i se superposent ou se combinent à l’arrière-plan
de
nos conduites élémentaires ; de complexes ignorés mais d’autant plus
1992
à l’arrière-plan de nos conduites élémentaires ;
de
complexes ignorés mais d’autant plus actifs ; et d’instincts hérités
1993
onduites élémentaires ; de complexes ignorés mais
d’
autant plus actifs ; et d’instincts hérités bien moins de quelque natu
1994
complexes ignorés mais d’autant plus actifs ; et
d’
instincts hérités bien moins de quelque nature animale que de coutumes
1995
t plus actifs ; et d’instincts hérités bien moins
de
quelque nature animale que de coutumes totalement oubliées, devenues
1996
hérités bien moins de quelque nature animale que
de
coutumes totalement oubliées, devenues traces ou cicatrices mentales,
1997
es ou cicatrices mentales, tout inconscientes et,
de
ce fait, aisément confondues avec l’instinct. Elles furent tantôt des
1998
dans le temps et dans l’espace. 4. Une technique
de
la « chasteté ». — À partir du vie siècle se répand rapidement dans
1999
ipe cosmique féminin ; la méditation tient compte
de
ses « pouvoirs », la délivrance devient possible par la shakti… Dans
2000
vient elle-même une chose sacrée, une incarnation
de
la Mère. L’apothéose religieuse de la femme est commune d’ailleurs à
2001
ne incarnation de la Mère. L’apothéose religieuse
de
la femme est commune d’ailleurs à tous les courants mystiques du Moye
2002
it, par le cérémonial du yoga tantrique (contrôle
de
la respiration, répétitions de mantras ou formules sacrées, méditatio
2003
antrique (contrôle de la respiration, répétitions
de
mantras ou formules sacrées, méditation sur des mandatas ou images en
2004
ges enfermant les symboles du monde et des dieux)
de
transcender la condition humaine. Le tantrisme bouddhique trouve des
2005
ha yoga hindou, technique du contrôle du corps et
de
l’énergie vitale. C’est ainsi que certaines postures (mudras) décrite
2006
mudras) décrites par le hatha yoga ont pour but «
d’
utiliser comme moyen de divinisation et ensuite d’intégration, d’unifi
2007
hatha yoga ont pour but « d’utiliser comme moyen
de
divinisation et ensuite d’intégration, d’unification finale, la fonct
2008
d’utiliser comme moyen de divinisation et ensuite
d’
intégration, d’unification finale, la fonction par excellence humaine,
2009
e moyen de divinisation et ensuite d’intégration,
d’
unification finale, la fonction par excellence humaine, celle-là même
2010
a68 : « Pour mes dévots, je vais décrire le geste
de
l’Éclair (vajroli mudra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit être
2011
onnées par le texte font allusion à une technique
de
l’acte sexuel sans consommation, car « celui qui garde (ou reprend) s
2012
a semence dans son corps, qu’aurait-il à craindre
de
la mort ? » comme le dit un upanishad. Dans le tantrisme, la maithuna
2013
ecret, obscur, à double sens, dans lequel un état
de
conscience est exprimé par un terme érotique »69 — ou l’inverse aussi
2014
a est un acte réel ou simplement une allégorie ».
De
toute manière, le but est le « suprême grand bonheur… la joie de l’an
2015
e, le but est le « suprême grand bonheur… la joie
de
l’anéantissement du moi ». Et cette « béatitude érotique », obtenue p
2016
otique », obtenue par l’arrêt non du plaisir mais
de
son effet physique, est utilisée comme expérience immédiate pour obte
2017
rappellent les textes, le dévot devient la proie
de
la triste loi karmique, comme n’importe quel débauché. » Mais la femm
2018
Mais la femme, dans tout cela ? Elle reste objet
d’
un culte. Considérée comme « source unique de joie et de repos, l’aman
2019
bjet d’un culte. Considérée comme « source unique
de
joie et de repos, l’amante synthétise toute la nature féminine, elle
2020
ulte. Considérée comme « source unique de joie et
de
repos, l’amante synthétise toute la nature féminine, elle est mère, s
2021
isme, symbolise l’état par excellence du péché et
de
la mort : l’acte sexuel »71. Mais l’acte est toujours décrit comme ét
2022
Mais l’acte est toujours décrit comme étant celui
de
l’homme. La femme reste passive, impersonnelle, pur principe, sans vi
2023
On y accorde une grande importance à toute sorte
d’
« amour » et le rituel de maithuna apparaît comme le couronnement d’un
2024
importance à toute sorte d’« amour » et le rituel
de
maithuna apparaît comme le couronnement d’un lent et difficile appren
2025
rituel de maithuna apparaît comme le couronnement
d’
un lent et difficile apprentissage ascétique… Le néophyte doit servir
2026
s préliminaires ont pour but « l’autonomisation »
de
la volupté — considérée comme l’unique expérience humaine qui peut ré
2027
ie en économisant le principe vital73, plutôt que
de
conquérir la liberté spirituelle par la déification du corps. La « ch
2028
e et la béatitude à travers une Elle qu’il s’agit
de
« servir » en posture humiliée, mais en gardant cette maîtrise de soi
2029
posture humiliée, mais en gardant cette maîtrise
de
soi dont la perte pourrait se traduire par un acte de procréation, le
2030
oi dont la perte pourrait se traduire par un acte
de
procréation, lequel ferait retomber le chevalier servant dans la réal
2031
rvant dans la réalité fatale du Karma. 5. La joie
d’
amour. — En contraste indéniable avec ces textes mystiques et cette ab
2032
hysiologique, citons maintenant quelques chansons
de
« légers troubadours méridionaux », grands seigneurs amateurs ou jong
2033
que les romanistes unanimes nous décrivent comme
de
purs « rhétoriqueurs »74. D’Amour, je sais qu’il donne aisément gran
2034
ous décrivent comme de purs « rhétoriqueurs »74.
D’
Amour, je sais qu’il donne aisément grande joie à celui qui observe se
2035
en 1127. Dès le début du xiie siècle, ces « lois
d’
Amour » sont donc déjà fixées, comme un rituel. Ce sont Mesure, Servic
2036
s conduisent à la Joie, qui est signe et garantie
de
Vray Amor. Voici Mesure et Patience : De courtoisie peut se vanter c
2037
arantie de Vray Amor. Voici Mesure et Patience :
De
courtoisie peut se vanter celui qui sait garder Mesure… Le bien-être
2038
me fasse longtemps attendre et que je n’aie point
d’
elle ce qu’elle m’a promis. (Marcabru.) Voici le Service de la Dame :
2039
qu’elle m’a promis. (Marcabru.) Voici le Service
de
la Dame : Prenez ma vie en hommage, belle de dure merci, pourvu que
2040
ice de la Dame : Prenez ma vie en hommage, belle
de
dure merci, pourvu que vous m’accordiez que par vous au ciel je tende
2041
« La soumission à l’aimée est la marque naturelle
d’
un homme courtois. ») Voici la Chasteté : Celui qui se dispose à aime
2042
Voici la Chasteté : Celui qui se dispose à aimer
d’
amour sensuel se met en guerre avec lui-même, car le sot après avoir v
2043
iste contenance ! (Marcabru.) Écoutez ! Sa voix (
d’
Amour) paraîtra douce comme le chant de la lyre, si seulement vous lui
2044
! Sa voix (d’Amour) paraîtra douce comme le chant
de
la lyre, si seulement vous lui coupez la queue75 (Marcabru.) Chastet
2045
i coupez la queue75 (Marcabru.) Chasteté délivre
de
la tyrannie du désir en portant le Désir (courtois) à l’extrême : Pa
2046
tant le Désir (courtois) à l’extrême : Par excès
de
désir, je crois que je me l’enlèverai, si l’on peut rien perdre à for
2047
Ibn Dawoud louait la chasteté pour son pouvoir «
d’
éterniser le désir ».) C’est au comble de l’amour (vrai) et de sa « jo
2048
ouvoir « d’éterniser le désir ».) C’est au comble
de
l’amour (vrai) et de sa « joie » que Jaufré Rudel se sent le plus élo
2049
le désir ».) C’est au comble de l’amour (vrai) et
de
sa « joie » que Jaufré Rudel se sent le plus éloigné de l’amour coupa
2050
« joie » que Jaufré Rudel se sent le plus éloigné
de
l’amour coupable et de son « angoisse ». Il va plus loin dans la libé
2051
el se sent le plus éloigné de l’amour coupable et
de
son « angoisse ». Il va plus loin dans la libération : la présence ph
2052
us loin dans la libération : la présence physique
de
l’objet aimé lui deviendra bientôt indifférente : J’ai une amie, mai
2053
… Nulle joie ne me plaît autant que la possession
de
cet amour lointain. La « joie d’Amour » n’est pas seulement libératr
2054
e la possession de cet amour lointain. La « joie
d’
Amour » n’est pas seulement libératrice du désir dominé par Mesure et
2055
é par Mesure et Prouesse, elle est aussi fontaine
de
Jouvence : Je veux garder (ma dame) pour me rafraîchir le cœur et re
2056
là vivra cent ans qui réussira à posséder la joie
de
son amour. (Guillaume de Poitiers.) Je n’ai cité que des poètes de l
2057
llaume de Poitiers.) Je n’ai cité que des poètes
de
la première et de la seconde génération des troubadours (1120 à 1180
2058
.) Je n’ai cité que des poètes de la première et
de
la seconde génération des troubadours (1120 à 1180 environ). Au xiiie
2059
urs (1120 à 1180 environ). Au xiiie siècle, ceux
de
la dernière génération expliciteront ce que leurs modèles avaient cha
2060
que leurs modèles avaient chanté. « Ce n’est plus
de
l’amour courtois, si on le matérialise ou si la Dame se rend comme ré
2061
crit Daude de Prades, qui cependant ne craint pas
de
donner des précisions sur les gestes érotiques que l’on peut se perme
2062
ément les trois autres, mais il lui est difficile
d’
en sortir, il vit dans la joie, celui qui peut y rester. On y accède p
2063
à sont logés dans le faubourg, lequel occupe plus
de
la moitié du monde. Celui que l’on nomme parfois le dernier troubado
2064
s le dernier troubadour, Guiraut Riquier, donnera
de
ces vers le commentaire suivant : « Les cinq portes sont Désir, Priè
2065
qui peuvent éclairer indirectement sur la nature
de
l’amour vrai ou du moins sur certains de ces aspects. Et tout d’abord
2066
a nature de l’amour vrai ou du moins sur certains
de
ces aspects. Et tout d’abord, dit Marcabru, « Il lie partie avec le d
2067
r ». (Et en effet, le diable n’est-il pas le père
de
la création matérielle… et de la procréation, selon le catharisme ?)
2068
’est-il pas le père de la création matérielle… et
de
la procréation, selon le catharisme ?) Les adversaires du vrai Amour
2069
entation des désespérés. Ah ! noble Amour, source
de
bonté, par qui le monde entier est illuminé, je te crie merci. Contre
2070
ci. Contre ces clameurs gémissantes, défends-moi,
de
peur que je ne sois retenu là-bas (en enfer) ; en tous lieux je me ti
2071
ouvent des ambiguïtés ménagées par le « service »
d’
amour courtois, Cercamon n’hésite pas à écrire en mettant les points s
2072
femmes et les époux. Ils vous disent qu’Amour va
de
travers, et c’est pourquoi les maris deviennent jaloux et les dames s
2073
u’un grand nombre abandonnent Mérite et éloignent
d’
eux Jeunesse. » Quelles que soient les réalités ou l’absence de réalit
2074
e. » Quelles que soient les réalités ou l’absence
de
réalités « matérielles » qui aient pu correspondre, en ces temps, à d
2075
lles » qui aient pu correspondre, en ces temps, à
de
telles précisions de langage, la rhétorique courtoise et son système
2076
orrespondre, en ces temps, à de telles précisions
de
langage, la rhétorique courtoise et son système de vertus, de péchés,
2077
e langage, la rhétorique courtoise et son système
de
vertus, de péchés, de louanges et d’interdits, demeure un fait patent
2078
la rhétorique courtoise et son système de vertus,
de
péchés, de louanges et d’interdits, demeure un fait patent : il suffi
2079
ue courtoise et son système de vertus, de péchés,
de
louanges et d’interdits, demeure un fait patent : il suffit de lire.
2080
son système de vertus, de péchés, de louanges et
d’
interdits, demeure un fait patent : il suffit de lire. Elle va servir
2081
t d’interdits, demeure un fait patent : il suffit
de
lire. Elle va servir aux romanciers du Nord, ceux du cycle d’Arthur,
2082
e va servir aux romanciers du Nord, ceux du cycle
d’
Arthur, du Graal, et de Tristan, pour décrire des actions et des drame
2083
ers du Nord, ceux du cycle d’Arthur, du Graal, et
de
Tristan, pour décrire des actions et des drames, et non plus seulemen
2084
téressent dans cet ouvrage. Je lui laisse le soin
d’
affirmer que telle « filiation » reste indémontrable « dans l’état act
2085
iation » reste indémontrable « dans l’état actuel
de
nos connaissances », reste donc incroyable jusqu’à nouvel avis. Je ch
2086
ujourd’hui pour établis. Simplement, je les crois
de
nature à nourrir l’imagination. Voici deux de ces faits sur quoi l’on
2087
ois de nature à nourrir l’imagination. Voici deux
de
ces faits sur quoi l’on peut rêver. La Pancha Tantra, recueil de cont
2088
r quoi l’on peut rêver. La Pancha Tantra, recueil
de
contes bouddhistes, fut traduite au vie siècle du sanscrit en pehlev
2089
ie siècle du sanscrit en pehlevi, par un médecin
de
Chosroès Ier, roi de Perse. De là, on peut suivre son progrès rapide
2090
vi, par un médecin de Chosroès Ier, roi de Perse.
De
là, on peut suivre son progrès rapide vers l’Europe à travers une sér
2091
progrès rapide vers l’Europe à travers une série
de
traductions en syriaque, en arabe, en latin, en espagnol, etc. Au xvi
2092
r une ancienne version arabe. Le périple du Roman
de
Barlaam et Josaphat est encore plus surprenant. Sous sa forme connue
2093
est encore plus surprenant. Sous sa forme connue
de
nos jours, c’est l’histoire romancée de l’évolution spirituelle qui c
2094
me connue de nos jours, c’est l’histoire romancée
de
l’évolution spirituelle qui conduit Josaphat, prince indien, à découv
2095
es grandes lignes, porte des traces indiscutables
de
manichéisme. Selon l’école néocathare française, les hérétiques du xi
2096
nichéenne du Roman est attestée par les fragments
de
son texte original (en langage ouigour du viiie siècle) retrouvés da
2097
» (var. Yudhâsaf). Innombrables sont les exemples
de
relations entre l’Orient et l’Occident médiéval. J’ai choisi ces deux
2098
r courtois ressemble à l’amour encore chaste — et
d’
autant plus brûlant — de la première adolescence. Il ressemble aussi à
2099
’amour encore chaste — et d’autant plus brûlant —
de
la première adolescence. Il ressemble aussi à l’amour chanté par les
2100
ront repris par presque tous les grands mystiques
de
l’Occident. Il nous semble parfois se réduire à des fadaises sophisti
2101
i les réalités précises, mais non moins ambiguës,
d’
une certaine discipline érotico-mystique dont l’Inde, la Chine et le P
2102
ai » aux divers sens du mot, et simultanément, et
de
plusieurs manières. Tout cela nous aide à mieux comprendre — si rien
2103
it à l’« expliquer » — l’amour courtois. Au terme
de
l’espèce de contre-enquête à laquelle je viens de me livrer, et compt
2104
liquer » — l’amour courtois. Au terme de l’espèce
de
contre-enquête à laquelle je viens de me livrer, et compte tenu des o
2105
ensées que firent à ma thèse minima les partisans
d’
écoles au moins diverses, me voici ramené par une sorte de spirale au-
2106
au moins diverses, me voici ramené par une sorte
de
spirale au-dessus de mes premières constatations : l’amour courtois e
2107
e voici ramené par une sorte de spirale au-dessus
de
mes premières constatations : l’amour courtois est né au xiie siècle
2108
tois est né au xiie siècle, en pleine révolution
de
la psyché occidentale. Il a surgi du même mouvement qui fit remonter
2109
i du même mouvement qui fit remonter au demi-jour
de
la conscience et de l’expression lyrique de l’âme, le Principe Fémini
2110
qui fit remonter au demi-jour de la conscience et
de
l’expression lyrique de l’âme, le Principe Féminin de la shakti, le c
2111
-jour de la conscience et de l’expression lyrique
de
l’âme, le Principe Féminin de la shakti, le culte de la Femme, de la
2112
’expression lyrique de l’âme, le Principe Féminin
de
la shakti, le culte de la Femme, de la Mère, de la Vierge. Il partici
2113
l’âme, le Principe Féminin de la shakti, le culte
de
la Femme, de la Mère, de la Vierge. Il participe de cette épiphanie d
2114
ncipe Féminin de la shakti, le culte de la Femme,
de
la Mère, de la Vierge. Il participe de cette épiphanie de l’Anima, qu
2115
n de la shakti, le culte de la Femme, de la Mère,
de
la Vierge. Il participe de cette épiphanie de l’Anima, qui figure à m
2116
la Femme, de la Mère, de la Vierge. Il participe
de
cette épiphanie de l’Anima, qui figure à mes yeux, dans l’homme occid
2117
re, de la Vierge. Il participe de cette épiphanie
de
l’Anima, qui figure à mes yeux, dans l’homme occidental, le retour d’
2118
re à mes yeux, dans l’homme occidental, le retour
d’
un Orient symbolique. Il nous devient intelligible par certaines de se
2119
lique. Il nous devient intelligible par certaines
de
ses marques historiques : sa relation littéralement congénitale avec
2120
thurien — une transposition romanesque des règles
de
l’amour courtois et de sa rhétorique à double sens. « C’est du contac
2121
tion romanesque des règles de l’amour courtois et
de
sa rhétorique à double sens. « C’est du contact des légendes exotique
2122
ul ou un Chrétien de Troyes, et quelques éléments
de
mythologie grecque. On a longtemps polémisé sur l’autonomie relative
2123
e Midi roman qui a donné son style et sa doctrine
de
l’amour aux « romanciers » du cycle de la Table ronde. Et l’on peut s
2124
a doctrine de l’amour aux « romanciers » du cycle
de
la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies de cette transmission d
2125
de la Table ronde. Et l’on peut suivre les voies
de
cette transmission dans les documents historiques. Aliénor de Poitier
2126
istoriques. Aliénor de Poitiers, quittant sa cour
d’
amour languedocienne, avait épousé Louis VII, puis en l’an 1154, Henri
2127
ères anglo-normands reçurent le code et le secret
de
l’amour courtois79. Chrétien de Troyes déclare tenir le fond et l’esp
2128
étien de Troyes déclare tenir le fond et l’esprit
de
ses romans de la comtesse Marie de Champagne, célèbre par sa cour d’a
2129
s déclare tenir le fond et l’esprit de ses romans
de
la comtesse Marie de Champagne, célèbre par sa cour d’amour où le mar
2130
comtesse Marie de Champagne, célèbre par sa cour
d’
amour où le mariage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman de Tri
2131
riage fut condamné. Chrétien avait écrit un Roman
de
Tristan dont les manuscrits sont perdus. Béroul était Normand, Thomas
2132
d, Thomas était Anglais. Et en retour, la légende
de
Tristan se répandit très largement dans le Midi. Cette interaction si
2133
bretons. Nous avons vu que la religion druidique,
d’
où sont issues les traditions des bardes et filids, enseignait une doc
2134
ardes et filids, enseignait une doctrine dualiste
de
l’Univers, et faisait de la femme un symbole du divin. Et c’est dans
2135
it une doctrine dualiste de l’Univers, et faisait
de
la femme un symbole du divin. Et c’est dans le fonds celtibérique que
2136
e chrétienne des « purs » a puisé certains traits
de
sa mythologie. Que celle-ci ait revêtu chez les poètes du Nord des co
2137
e la doctrine courtoise rejoignît et fît resurgir
d’
anciennes traditions autochtones, elle n’en était pas moins pour les t
2138
pas moins pour les trouvères une chose apprise :
d’
où les erreurs qu’ils commirent bien souvent. Il est d’ailleurs extrêm
2139
en souvent. Il est d’ailleurs extrêmement délicat
de
préciser les causes et l’importance exacte de ces erreurs. Est-ce un
2140
cat de préciser les causes et l’importance exacte
de
ces erreurs. Est-ce un défaut d’initiation ? Est-ce une tradition imp
2141
mportance exacte de ces erreurs. Est-ce un défaut
d’
initiation ? Est-ce une tradition imparfaite ? Ou encore une tendance
2142
de l’hérésie même, un essai plus ou moins sincère
de
retour vers l’orthodoxie80 ? Ou simplement, une « profanation » des t
2143
’autres fins que les troubadours ? Dans l’attente
de
recherches plus approfondies sur tous ces points, bornons-nous à rema
2144
des troubadours, dont ils sont cependant inspirés
de
la manière la plus incontestable. Nous ne savons si Chrétien de Troye
2145
ons si Chrétien de Troyes a bien compris les lois
d’
amour que lui enseignait Marie de Champagne. Nous ne savons dans quell
2146
lu que ses romans fussent des chroniques secrètes
de
l’Église persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples a
2147
chroniques secrètes de l’Église persécutée (thèse
de
Rahn, Péladan et Aroux) ou de simples allégories illustrant la morale
2148
e persécutée (thèse de Rahn, Péladan et Aroux) ou
de
simples allégories illustrant la morale et la mystique courtoise (com
2149
Toutes les hypothèses sont permises en l’absence
de
documents dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop d’intérêt
2150
dont on voit bien pourquoi ils font défaut : trop
d’
intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion de l’hérésie, sans p
2151
intérêts se trouvaient ligués contre la diffusion
de
l’hérésie, sans parler de sa volonté de demeurer ésotérique. Quoi qu’
2152
ués contre la diffusion de l’hérésie, sans parler
de
sa volonté de demeurer ésotérique. Quoi qu’il en soit, Chrétien de Tr
2153
diffusion de l’hérésie, sans parler de sa volonté
de
demeurer ésotérique. Quoi qu’il en soit, Chrétien de Troyes a notable
2154
chronique déguisée des cathares. (Parzival, fils
d’
Herzeloïde, femme du Castis, chez Wolfram d’Eschenbach, serait le comt
2155
bach, serait le comte Ramon Roger Trencavel, fils
d’
Adélaïde de Carcassonne et d’Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trenc
2156
oger Trencavel, fils d’Adélaïde de Carcassonne et
d’
Alphonse le Chaste, roi d’Aragon. — Trencavel signifie : « qui tranche
2157
ui tranche bellement », et Wolfram traduit le nom
de
Parzival par « Schneid mitten durch » ; « perce bellement ».) Ces deu
2158
ne se complètent81. Elles ont l’avantage décisif
de
rendre compte de bien des bizarreries de la légende et de son attirai
2159
81. Elles ont l’avantage décisif de rendre compte
de
bien des bizarreries de la légende et de son attirail symbolique. Fau
2160
décisif de rendre compte de bien des bizarreries
de
la légende et de son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un tra
2161
e compte de bien des bizarreries de la légende et
de
son attirail symbolique. Faut-il penser, avec un transcripteur modern
2162
oyes n’était pas instruit du sens païen et secret
de
ces traits mystérieux qu’il rapportait »82 ? Ou bien se vit-il contra
2163
u’il rapportait »82 ? Ou bien se vit-il contraint
de
déguiser ce sens, en sorte que seuls les initiés pussent démêler la f
2164
du Graal le vase qui reçut le sang du Christ, et
de
la Table ronde une sorte d’autel pour la Sainte-Cène. Cependant, même
2165
le sang du Christ, et de la Table ronde une sorte
d’
autel pour la Sainte-Cène. Cependant, même dans le grand roman de Lanc
2166
Sainte-Cène. Cependant, même dans le grand roman
de
Lancelot (qui date de 1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont
2167
t, même dans le grand roman de Lancelot (qui date
de
1225 environ) le symbolisme et l’allégorie sont évidents, si saugrenu
2168
auteur lui-même, après chaque épisode. Il est une
de
ces interprétations que je crois utile de citer, car l’origine cathar
2169
est une de ces interprétations que je crois utile
de
citer, car l’origine cathare y transparaît nettement, malgré l’ignora
2170
thare y transparaît nettement, malgré l’ignorance
de
l’auteur. Lancelot errant par la haute forêt parvient à un carrefour.
2171
arvient à un carrefour. Il hésite entre le chemin
de
gauche et celui de droite Il s’engage dans celui de gauche, malgré l’
2172
our. Il hésite entre le chemin de gauche et celui
de
droite Il s’engage dans celui de gauche, malgré l’avertissement gravé
2173
gauche et celui de droite Il s’engage dans celui
de
gauche, malgré l’avertissement gravé sur une croix qui se dresse deva
2174
t un chevalier à l’armure blanche qui le renverse
de
son cheval et le dépouille de sa couronne. Lancelot tout déconfit ren
2175
che qui le renverse de son cheval et le dépouille
de
sa couronne. Lancelot tout déconfit rencontre un prêtre et se confess
2176
re et se confesse. « Je vous dirai la signifiance
de
ce qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie de droite que vous
2177
e qui vous est advenu, dit le prud’homme. La voie
de
droite que vous avez dédaignée au carrefour était celle de la chevale
2178
que vous avez dédaignée au carrefour était celle
de
la chevalerie terrienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle de g
2179
errienne, où vous avez longtemps triomphé ; celle
de
gauche était la voie de la chevalerie célestielle, et il ne s’agit pl
2180
ongtemps triomphé ; celle de gauche était la voie
de
la chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes
2181
a chevalerie célestielle, et il ne s’agit plus là
de
tuer des hommes et d’abattre des champions par force d’armes : il s’a
2182
le, et il ne s’agit plus là de tuer des hommes et
d’
abattre des champions par force d’armes : il s’agit des choses spiritu
2183
r des hommes et d’abattre des champions par force
d’
armes : il s’agit des choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronn
2184
choses spirituelles. Et vous y prîtes la couronne
d’
orgueil : c’est pourquoi le chevalier vous renversa si facilement, car
2185
e commettre. »83 Libre après cela aux historiens
de
la littérature de parler d’aventures incroyables, de merveilleux faci
2186
Libre après cela aux historiens de la littérature
de
parler d’aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés to
2187
s cela aux historiens de la littérature de parler
d’
aventures incroyables, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes,
2188
la littérature de parler d’aventures incroyables,
de
merveilleux facile, de naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, e
2189
r d’aventures incroyables, de merveilleux facile,
de
naïvetés touchantes, de fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérent
2190
s, de merveilleux facile, de naïvetés touchantes,
de
fraîcheur primitive, etc. « Poèmes incohérents, personnages sans cara
2191
des aventures s’enchaînent à l’infini », nous dit
de
ces légendes l’un de leurs meilleurs adaptateurs modernes ! Ainsi s’e
2192
înent à l’infini », nous dit de ces légendes l’un
de
leurs meilleurs adaptateurs modernes ! Ainsi s’est répandue l’opinion
2193
notre esprit si pénétrant et averti. Un peu plus
de
pénétration nous ferait voir au contraire que la vraie barbarie est d
2194
conception moderne du roman, photographie truquée
de
faits insignifiants, alors que le roman breton procède d’une cohérenc
2195
insignifiants, alors que le roman breton procède
d’
une cohérence intime dont nous avons perdu jusqu’au pressentiment. En
2196
s erreurs. Ils ont traité un thème nouveau, celui
de
l’amour physique, c’est-à-dire de la faute. (Et j’entends bien la fau
2197
nouveau, celui de l’amour physique, c’est-à-dire
de
la faute. (Et j’entends bien la faute au sens « courtois », non pas a
2198
en la faute au sens « courtois », non pas au sens
de
la morale chrétienne.) Les ouvrages de Chrétien de Troyes ne sont pas
2199
as au sens de la morale chrétienne.) Les ouvrages
de
Chrétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes d’amour, comme on
2200
rétien de Troyes ne sont pas seulement des poèmes
d’
amour, comme on le répète, mais de véritables romans. C’est qu’à la di
2201
ment des poèmes d’amour, comme on le répète, mais
de
véritables romans. C’est qu’à la différence des poèmes provençaux, il
2202
ovençaux, ils s’attachent à décrire les trahisons
de
l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan de la passion dans sa pu
2203
s de l’amour, au lieu d’exprimer seulement l’élan
de
la passion dans sa pureté mystique. Le point de départ de Lancelot —
2204
n de la passion dans sa pureté mystique. Le point
de
départ de Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour
2205
ssion dans sa pureté mystique. Le point de départ
de
Lancelot — comme de Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois,
2206
mystique. Le point de départ de Lancelot — comme
de
Tristan — c’est le péché contre l’amour courtois, la possession physi
2207
é contre l’amour courtois, la possession physique
d’
une femme réelle, la « profanation » de l’amour. Et c’est à cause de c
2208
n physique d’une femme réelle, la « profanation »
de
l’amour. Et c’est à cause de cette faute initiale que Lancelot ne tro
2209
t à l’initiation. Il est clair que la description
de
ces errements et de leurs punitions exigeait la forme du récit, et no
2210
est clair que la description de ces errements et
de
leurs punitions exigeait la forme du récit, et non plus de la simple
2211
punitions exigeait la forme du récit, et non plus
de
la simple chanson. Dans Tristan, la faute initiale est douloureusemen
2212
C’est pourquoi le roman finit « bien » — au sens
de
la mystique cathare — c’est-à-dire aboutit à la double mort volontair
2213
xplique par des raisons spirituelles la formation
d’
un genre nouveau — le roman — qui ne deviendra proprement littéraire q
2214
au minimum, tandis que le développement tragique
de
la doctrine religieuse détermine à lui seul la courbe puissante et si
2215
ve incorporés des éléments religieux et mythiques
d’
origine très nettement celtique, bien plus nombreux et plus exactement
2216
plus exactement identifiables que dans les romans
de
la Table ronde. ⁂ Hubert note très bien à propos de la littérature ga
2217
« c’est un miracle qu’elle contienne des éléments
de
religion brittonique : elle s’est formée dans un pays chrétien, roman
2218
miracle est cependant attesté par un grand nombre
d’
incidents mis en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent d’expl
2219
en œuvre par Béroul et Thomas, et qui ne trouvent
d’
explication que dans les récentes découvertes de l’archéologie celtiqu
2220
t d’explication que dans les récentes découvertes
de
l’archéologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique de ces éléme
2221
ologie celtique. À vrai dire, le pouvoir poétique
de
ces éléments religieux était tel qu’on s’explique assez bien leur sur
2222
avait perdu la foi des druides, et oublié le sens
de
leurs mystères. Dans le cycle des légendes irlandaises, nous trouvons
2223
gendes irlandaises, nous trouvons un grand nombre
de
récits qui racontent le voyage d’un héros au pays des morts. Ce héros
2224
un grand nombre de récits qui racontent le voyage
d’
un héros au pays des morts. Ce héros, Bran, Cuchulainn, ou Oisin, « es
2225
à une terre merveilleuse. « Il se lasse à la fin
de
ce séjour, veut revenir. C’est finalement pour mourir »86. Nous avons
2226
pour mourir »86. Nous avons là l’origine évidente
de
la première navigation à l’aventure de Tristan malade, en quête du ba
2227
e évidente de la première navigation à l’aventure
de
Tristan malade, en quête du baume magique. D’autre part, plusieurs ré
2228
du baume magique. D’autre part, plusieurs récits
de
ce cycle irlandais figurent les prototypes assez exacts des situation
2229
s prototypes assez exacts des situations du Roman
de
Tristan. Par exemple, dans l’idylle tragique de Diarmaid et Grainne,
2230
n de Tristan. Par exemple, dans l’idylle tragique
de
Diarmaid et Grainne, les deux amants se sauvent dans la forêt où le m
2231
rt, pour ne jamais se séparer »87. Il serait aisé
de
multiplier ces comparaisons littéraires. Mais certains traits de mœur
2232
es comparaisons littéraires. Mais certains traits
de
mœurs nous incitent à des rapprochements plus précis. On se rappelle
2233
précis. On se rappelle que Tristan, après la mort
de
ses parents, fut élevé à la cour du roi Marc son oncle. Or il était f
2234
Celtes, que l’on confiât les enfants « à la garde
d’
un personnage qualifié dans une grande maison, la maison des hommes ».
2235
son des hommes ». Ils y recevaient l’enseignement
d’
un druide, et se trouvaient mis à l’abri des femmes. « Cette instituti
2236
n qu’on appelle généralement du nom anglo-normand
de
fosterage s’est maintenue en pays celtique : nous trouvons les enfant
2237
s nourriciers, à l’égard desquels ils contractent
de
véritables liens de parenté, attestés par le fait qu’un certain nombr
2238
gard desquels ils contractent de véritables liens
de
parenté, attestés par le fait qu’un certain nombre de personnages por
2239
arenté, attestés par le fait qu’un certain nombre
de
personnages portent dans l’indication de leur filiation le nom de leu
2240
n nombre de personnages portent dans l’indication
de
leur filiation le nom de leur père nourricier… On recherchait comme p
2241
ortent dans l’indication de leur filiation le nom
de
leur père nourricier… On recherchait comme pères nourriciers soit les
2242
herchait comme pères nourriciers soit les membres
de
la famille maternelle, soit… des druides. »88 Tristan élevé par Mar
2243
s » du roi. (Les psychanalystes ne manqueront pas
de
voir dans la liaison malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat d’
2244
anqueront pas de voir dans la liaison malheureuse
de
Tristan et d’Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppos
2245
de voir dans la liaison malheureuse de Tristan et
d’
Iseut le résultat d’un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le
2246
son malheureuse de Tristan et d’Iseut le résultat
d’
un complexe œdipien : à quoi s’oppose toutefois le fait que les « père
2247
ez bien toléré chez les Celtes, comme l’attestent
de
nombreux documents.) La coutume du potlatch, don rituel ou plutôt éch
2248
coutume du potlatch, don rituel ou plutôt échange
de
dons ostentatoires, accompagné de surenchère, subsiste également dans
2249
plutôt échange de dons ostentatoires, accompagné
de
surenchère, subsiste également dans Tristan et les romans de la Table
2250
re, subsiste également dans Tristan et les romans
de
la Table ronde. On y voit un grand nombre d’aventures débuter par une
2251
mans de la Table ronde. On y voit un grand nombre
d’
aventures débuter par une promesse « en blanc » faite par le roi à que
2252
de un don, sans dire lequel. Il s’agit en général
d’
un service très périlleux. « Les tournois, note Hubert, font certainem
2253
s tournois, note Hubert, font certainement partie
de
ce vaste système de concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enf
2254
ert, font certainement partie de ce vaste système
de
concurrence et de surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que le
2255
ment partie de ce vaste système de concurrence et
de
surenchère. » (II, p. 234.) Enfin, l’on sait que les jeunes Celtes au
2256
es hommes, devaient accomplir un exploit (meurtre
d’
un étranger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit de se marier :
2257
anger ou chasse glorieuse) pour acquérir le droit
de
se marier : le combat contre le Morholt, dans Tristan, illustre exact
2258
ous ces faits rendent vraisemblable la conclusion
d’
Hubert : à savoir que la mythologie celtique s’est transmise au cycle
2259
uses, mais par le culte plus profane des héros et
de
leurs prouesses, remplaçant peu à peu les dieux dans les légendes pop
2260
ton Paris remarquait avec profondeur que le roman
de
Tristan et d’Iseut rend un son particulier, qui ne se trouve guère da
2261
rquait avec profondeur que le roman de Tristan et
d’
Iseut rend un son particulier, qui ne se trouve guère dans la littérat
2262
en Âge, et il l’expliquait par l’origine celtique
de
ces poèmes. C’est par Tristan et par Arthur que le plus clair et le p
2263
édier sut faire rendre à sa moderne transcription
de
la légende, est si nettement sensible à notre cœur qu’il nous met en
2264
nt sensible à notre cœur qu’il nous met en mesure
d’
isoler l’élément non celtique, donc proprement courtois qui provoqua,
2265
is qui provoqua, au xiie siècle, la constitution
de
notre mythe. Qu’on lise l’une après l’autre une légende irlandaise et
2266
près l’autre une légende irlandaise et la légende
de
Béroul ou de Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité
2267
une légende irlandaise et la légende de Béroul ou
de
Thomas : et l’on verra que d’un côté, c’est une fatalité tout extérie
2268
égende de Béroul ou de Thomas : et l’on verra que
d’
un côté, c’est une fatalité tout extérieure qui provoque la catastroph
2269
xtérieure qui provoque la catastrophe, tandis que
de
l’autre, c’est la volonté secrète, mais infaillible, des deux amants
2270
r celtique (en dépit de la sublimation religieuse
de
la femme par les druides) est avant tout l’amour sensuel89. Le fait q
2271
ur religieux orthodoxe, et se voit donc contraint
de
s’exprimer par des symboles ésotériques, aide à comprendre que le fon
2272
e favoriser la confusion moderne entre la passion
de
Tristan et la pure sensualité. Quelques citations de Thomas, le plus
2273
Tristan et la pure sensualité. Quelques citations
de
Thomas, le plus conscient des cinq auteurs de la légende primitive, s
2274
ons de Thomas, le plus conscient des cinq auteurs
de
la légende primitive, suffiront à faire concevoir l’originalité du my
2275
mmenté en termes étonnamment modernes le principe
de
cohésion qu’apporte la mystique courtoise aux éléments religieux, soc
2276
du vieux fond breton. Ce principe, c’est l’amour
de
la douleur considérée comme une ascèse, le « mal aimé » des troubadou
2277
istan livré au plus cruel conflit, lorsqu’au soir
de
ses noces avec Iseut aux blanches mains, il ne peut se résoudre à pos
2278
, quel qu’eût été ce nom sans sa beauté, le désir
de
Tristan ne s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger de sa doul
2279
e s’y fût pas porté. Ainsi Tristan veut se venger
de
sa douleur et de ses peines, et contre son mal, il avise un remède do
2280
té. Ainsi Tristan veut se venger de sa douleur et
de
ses peines, et contre son mal, il avise un remède dont il doublera so
2281
nd en aversion que le bonheur qu’il est contraint
d’
avoir. Le lui eût-on refusé, il se serait lancé à sa recherche, pensan
2282
a !… Ainsi en advient-il à beaucoup de gens. Dans
d’
amers déboires d’amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’
2283
ient-il à beaucoup de gens. Dans d’amers déboires
d’
amour, angoisses, lourdes peines et tourments, ce qu’ils font pour s’y
2284
ire, s’en affranchir et s’en venger, les asservit
d’
un lien plus inextricable encore. D’irréalisables désirs, d’impossible
2285
les asservit d’un lien plus inextricable encore.
D’
irréalisables désirs, d’impossibles convoitises les conduisent à ne ri
2286
plus inextricable encore. D’irréalisables désirs,
d’
impossibles convoitises les conduisent à ne rien faire dans leur détre
2287
ésir.90 (Encontre désir fait volier, dit le texte
de
Thomas.) ⁂ Un fonds celtique de légendes religieuses — d’ailleurs trè
2288
ier, dit le texte de Thomas.) ⁂ Un fonds celtique
de
légendes religieuses — d’ailleurs très anciennement commun au Midi la
2289
que et au Nord irlandais et breton ; des coutumes
de
chevalerie féodale ; des apparences d’orthodoxie chrétienne ; une sen
2290
s coutumes de chevalerie féodale ; des apparences
d’
orthodoxie chrétienne ; une sensualité parfois très complaisante ; enf
2291
e les éléments sur lesquels la doctrine hérétique
de
l’Amour, profondément manichéenne dans son esprit, opéra ses transmut
2292
, opéra ses transmutations. Ainsi naquit le mythe
de
Tristan. Loin de moi la tentation d’analyser le processus de cette mé
2293
uit le mythe de Tristan. Loin de moi la tentation
d’
analyser le processus de cette métamorphose : il nous échappe doubleme
2294
Loin de moi la tentation d’analyser le processus
de
cette métamorphose : il nous échappe doublement, étant poétique et my
2295
poétique et mystique. Mais nous savons maintenant
d’
où vient le mythe, et où il mène. Et peut-être pressentons-nous — mais
2296
du mythe, par un esprit remarquablement conscient
de
ses implications théologiques, fut le fait de Gottfried de Strasbourg
2297
ent de ses implications théologiques, fut le fait
de
Gottfried de Strasbourg, vers le début du xiiie siècle. Gottfried ét
2298
qui lisait le français (il cite souvent des vers
de
Thomas dans son texte), et qui se passionnait pour les grandes polémi
2299
vaux et les cathares, mais aussi Abélard, l’école
de
Chartres, et plusieurs hérétiques très dangereusement voisins de la «
2300
plusieurs hérétiques très dangereusement voisins
de
la « mystique du cœur ». Théologien, poète, et conscient de ses choix
2301
stique du cœur ». Théologien, poète, et conscient
de
ses choix, Gottfried révèle beaucoup mieux que ses modèles l’importan
2302
mportance proprement religieuse du mythe dualiste
de
Tristan. Mais aussi, pour la même raison, il avoue mieux que tous les
2303
res cet élément fondamental du mythe : l’angoisse
de
la sensualité, et l’orgueil, « humaniste » qui la compense. Angoisse
2304
ant l’homme contre Dieu — sitôt qu’on aura décidé
de
lui céder. (Ce paradoxe annonce l’amor fati de Nietzsche.) Quand Béro
2305
dé de lui céder. (Ce paradoxe annonce l’amor fati
de
Nietzsche.) Quand Béroul limitait à trois ans l’action du philtre, et
2306
quand Thomas faisait du « vin herbé » un symbole
de
l’ivresse amoureuse, Gottfried y voit le signe d’un destin, d’une for
2307
de l’ivresse amoureuse, Gottfried y voit le signe
d’
un destin, d’une force aveugle, étrangère aux personnes, d’une volonté
2308
amoureuse, Gottfried y voit le signe d’un destin,
d’
une force aveugle, étrangère aux personnes, d’une volonté de la Déesse
2309
in, d’une force aveugle, étrangère aux personnes,
d’
une volonté de la Déesse Minne, reviviscence de la Grande Mère des plu
2310
e aveugle, étrangère aux personnes, d’une volonté
de
la Déesse Minne, reviviscence de la Grande Mère des plus vieilles rel
2311
s, d’une volonté de la Déesse Minne, reviviscence
de
la Grande Mère des plus vieilles religions de l’humanité. Mais sitôt
2312
nce de la Grande Mère des plus vieilles religions
de
l’humanité. Mais sitôt absorbé, le philtre de la passion place ses vi
2313
ons de l’humanité. Mais sitôt absorbé, le philtre
de
la passion place ses victimes dans un au-delà de toute morale, qui ne
2314
de la passion place ses victimes dans un au-delà
de
toute morale, qui ne saurait être que divin. Ainsi le philtre à la fo
2315
re à la fois rive à la sexualité, qui est une loi
de
la vie, et contraint à la dépasser dans un hybris libérateur, au-delà
2316
ans un hybris libérateur, au-delà du seuil mortel
de
la dualité, de la distinction des personnes. Ce paradoxe essentiellem
2317
ibérateur, au-delà du seuil mortel de la dualité,
de
la distinction des personnes. Ce paradoxe essentiellement manichéen s
2318
nous dressons l’oreille — trois moments décisifs
de
l’action : a) il met en relief, non sans férocité, le caractère évid
2319
férocité, le caractère évidemment blasphématoire
de
l’épisode du Jugement par le fer rouge ; b) il remplace la forêt du
2320
) il remplace la forêt du Morois par une « Grotte
d’
Amour », la Minnegrotte, qui lui permet de comparer l’architecture d’u
2321
Grotte d’Amour », la Minnegrotte, qui lui permet
de
comparer l’architecture d’une église chrétienne et celle du temple de
2322
grotte, qui lui permet de comparer l’architecture
d’
une église chrétienne et celle du temple de l’amour ; c) il décide qu
2323
ecture d’une église chrétienne et celle du temple
de
l’amour ; c) il décide que le mariage de Tristan avec Iseut aux blan
2324
temple de l’amour ; c) il décide que le mariage
de
Tristan avec Iseut aux blanches mains ne fut pas « blanc », mais cons
2325
à la fois plus religieux et plus sensuel que ceux
de
Béroul et de Thomas. Et surtout, il dit et commente ce que les Breton
2326
s religieux et plus sensuel que ceux de Béroul et
de
Thomas. Et surtout, il dit et commente ce que les Bretons montraient
2327
veloppe et révèle ainsi tout le catharisme latent
de
la légende sans auteur.91 a) Le « jugement de Dieu » est une coutum
2328
t de la légende sans auteur.91 a) Le « jugement
de
Dieu » est une coutume barbare, mais l’Église l’admettait au xiie si
2329
venait de l’appliquer, précisément, à des femmes
de
Cologne et de Strasbourg, à juste titre soupçonnées de catharisme. L’
2330
ppliquer, précisément, à des femmes de Cologne et
de
Strasbourg, à juste titre soupçonnées de catharisme. L’épreuve consis
2331
logne et de Strasbourg, à juste titre soupçonnées
de
catharisme. L’épreuve consistait à saisir à main nue une barre de fer
2332
’épreuve consistait à saisir à main nue une barre
de
fer portée au rouge : seuls les menteurs ou les parjures étaient brûl
2333
ures étaient brûlés. On sait qu’Iseut, soupçonnée
de
trahir sa fidélité au roi Marc, s’offre au jugement par un mouvement
2334
au roi Marc, s’offre au jugement par un mouvement
d’
orgueil et de défi démesuré. Elle jure n’avoir jamais été dans les bra
2335
s’offre au jugement par un mouvement d’orgueil et
de
défi démesuré. Elle jure n’avoir jamais été dans les bras d’un autre
2336
esuré. Elle jure n’avoir jamais été dans les bras
d’
un autre homme que son mari, si ce n’est, ajoute-t-elle en riant, dans
2337
e : or c’était Tristan déguisé. Elle sort intacte
de
l’épreuve. Gottfried commente : « Ce fut ainsi chose manifeste et avé
2338
fe… Il se prête et s’adapte à tout, selon le cœur
de
chacun, à la sincérité comme à la tromperie… Il est toujours ce que l
2339
u poète qu’il imite bien souvent leur dialectique
de
la souffrance, du désir et de l’extase, quitte à en inverser les conc
2340
nt leur dialectique de la souffrance, du désir et
de
l’extase, quitte à en inverser les conclusions : l’extase finale n’ab
2341
lusions : l’extase finale n’aboutit point au jour
de
Dieu mais à la nuit de la passion, non point au salut de la personne
2342
le n’aboutit point au jour de Dieu mais à la nuit
de
la passion, non point au salut de la personne mais bien à sa dissolut
2343
mais à la nuit de la passion, non point au salut
de
la personne mais bien à sa dissolution. Tout le passage cité trahit d
2344
ndamnent, aux yeux de Gottfried et des hérétiques
de
son temps, l’Évangile « pur » et la gnose dualiste : le monde manifes
2345
ec une science réelle du symbolisme liturgique et
de
l’architecture gothique naissante. Mais sur le lit substitué à l’aute
2346
ssion. En lieu et place du miracle eucharistique,
de
la transsubstantiation des espèces matérielles et de la divinisation
2347
la transsubstantiation des espèces matérielles et
de
la divinisation de celui qui les reçoit, c’est la chair qui se fond a
2348
ion des espèces matérielles et de la divinisation
de
celui qui les reçoit, c’est la chair qui se fond avec l’esprit en uni
2349
sique ? l’ambiguïté profonde subsiste ici encore)
de
la substance de l’Amour. Or cet Amour s’oppose à la ferveur du cœur d
2350
ïté profonde subsiste ici encore) de la substance
de
l’Amour. Or cet Amour s’oppose à la ferveur du cœur des clunisiens da
2351
e sans amour, et que les cathares n’ont pas cessé
de
dénoncer comme jurata fornicatio. Il paraît au surplus possible de re
2352
jurata fornicatio. Il paraît au surplus possible
de
retrouver dans l’épisode de la Minnegrotte toute la dialectique qui s
2353
t au surplus possible de retrouver dans l’épisode
de
la Minnegrotte toute la dialectique qui sera celle des grands mystiqu
2354
rties par l’attitude dualiste et même gnostique93
de
Gottfried. c) Le mariage « consommé » avec la seconde Iseut rétablit
2355
e — évité par Thomas — avec le mariage sans amour
d’
Iseut la Blonde et du roi Marc. L’un et l’autre se voient stigmatisés
2356
n et l’autre se voient stigmatisés comme relevant
de
la nécessité temporelle et physiologique, c’est-à-dire de l’exil des
2357
cessité temporelle et physiologique, c’est-à-dire
de
l’exil des âmes captives dans la prison des corps. C’est ici le jugem
2358
s dans la prison des corps. C’est ici le jugement
de
la morale courtoise, dans toute la virulence de son manichéisme, qui
2359
t de la morale courtoise, dans toute la virulence
de
son manichéisme, qui triomphe du jugement de l’Église et du siècle, c
2360
ence de son manichéisme, qui triomphe du jugement
de
l’Église et du siècle, complices aux yeux de Gottfried et des cathare
2361
is ceci jette un jour assez étrange sur la nature
de
la « consommation » érotico-eucharistique opérée dans la Minnegrotte.
2362
originel, dans une vision cathare du monde. Aimer
de
passion pure, même sans contact physique (l’épée entre les corps et l
2363
religieux du xiie siècle, toutes les confusions
de
l’amour deviennent mieux que possibles : inévitables. Nous n’en somme
2364
rtis au xxe siècle, sinon ce livre n’aurait plus
d’
objet. Mais on peut poser des repères. Il est bien évident que Gottfri
2365
ried de Strasbourg utilise à son gré la « matière
de
Bretagne », et catharise le mythe de l’amour-pour-la-mort avec une li
2366
la « matière de Bretagne », et catharise le mythe
de
l’amour-pour-la-mort avec une liberté dont on ignore encore si elle n
2367
thèmes directeurs se prêtaient au projet du poète
d’
une manière que l’on doit qualifier de proprement congénitale. Dans so
2368
et du poète d’une manière que l’on doit qualifier
de
proprement congénitale. Dans son essence, dans sa structure intime, d
2369
me, non moins que dans son enseignement, le mythe
de
Tristan se révèle comme foncièrement hérétique et dualiste. Il n’y a
2370
ste. Il reste que Gottfried explicite la légende
d’
une manière toute nouvelle et grosse de conséquences. Il préfigure l’e
2371
la légende d’une manière toute nouvelle et grosse
de
conséquences. Il préfigure l’espèce de trahison géniale opérée par Wa
2372
et grosse de conséquences. Il préfigure l’espèce
de
trahison géniale opérée par Wagner six siècles et demi plus tard. Mêm
2373
mi plus tard. Même si l’on ignorait que la source
de
Wagner fut le poème de Gottfried, la seule comparaison des textes l’é
2374
’on ignorait que la source de Wagner fut le poème
de
Gottfried, la seule comparaison des textes l’établirait : les petits
2375
essés, antithétiques, haletants, du deuxième acte
de
l’opéra imitent Gottfried jusqu’au pastiche94. Le célèbre duo de Tris
2376
ent Gottfried jusqu’au pastiche94. Le célèbre duo
de
Tristan et d’Isolde mêlant leurs noms, niant leurs noms, chantant le
2377
jusqu’au pastiche94. Le célèbre duo de Tristan et
d’
Isolde mêlant leurs noms, niant leurs noms, chantant le dépassement du
2378
hantant le dépassement du moi distinct, du temps,
de
l’espace et du malheur terrestre, est emprunté presque littéralement
2379
st le contenu philosophique et religieux du poème
de
Gottfried que Wagner va ressusciter par l’opération musicale. Le mond
2380
onde créé appartient au démon. Tout ce qui dépend
de
son empire est donc voué à la nécessité, et les corps sont voués au d
2381
et les corps sont voués au désir, dont le philtre
d’
amour symbolise l’inéluctable tyrannie. L’homme n’est pas libre. Il es
2382
terminé par le démon. Mais s’il assume son destin
de
malheur jusqu’à la mort, qui le libère du corps, il peut atteindre au
2383
e du corps, il peut atteindre au-delà du temps et
de
l’espace la réalité de l’Amour, cette fusion de deux « moi » cessant
2384
eindre au-delà du temps et de l’espace la réalité
de
l’Amour, cette fusion de deux « moi » cessant de souffrir l’amour : l
2385
t de l’espace la réalité de l’Amour, cette fusion
de
deux « moi » cessant de souffrir l’amour : la Joie suprême. Ce que Wa
2386
de l’Amour, cette fusion de deux « moi » cessant
de
souffrir l’amour : la Joie suprême. Ce que Wagner a repris à Gottfrie
2387
pas su dire, et s’étaient curieusement contentés
d’
illustrer en actions romanesques : la nostalgie religieuse-hérétique d
2388
s romanesques : la nostalgie religieuse-hérétique
d’
une évasion hors de ce monde mauvais, la sensualité condamnée en même
2389
é condamnée en même temps que divinisée, l’effort
de
l’âme pour échapper à l’inordinatio fondamentale du Siècle, à la cont
2390
le monde créé. Ce que Wagner, en somme, a repris
de
Gottfried, c’est son dualisme foncier. Et c’est par là que son œuvre
2391
notre sensibilité que la restauration esthétique
d’
un Bédier. 14.Premières conclusions Compte tenu du changement de
2392
remières conclusions Compte tenu du changement
de
registre qui s’opère dans les expressions poétiques de l’amour courto
2393
gistre qui s’opère dans les expressions poétiques
de
l’amour courtois lorsqu’on passe du Midi des troubadours au Nord plus
2394
plus barbare des trouvères, nous sommes en mesure
de
voir dorénavant dans le chef-d’œuvre de Béroul, Thomas et Gottfried d
2395
en mesure de voir dorénavant dans le chef-d’œuvre
de
Béroul, Thomas et Gottfried de Strasbourg, l’aboutissement de toutes
2396
homas et Gottfried de Strasbourg, l’aboutissement
de
toutes nos pérégrinations. Les religions antiques, certaines mystique
2397
e qui les fit revivre en Languedoc, le contrecoup
de
cette hérésie dans la conscience occidentale et dans les coutumes féo
2398
r dans le mythe. Nous avons donc rejoint le Roman
de
Tristan et situé sa nécessité à telle date, à l’intersection de telle
2399
situé sa nécessité à telle date, à l’intersection
de
telles traditions hérétiques et de telles institutions qui les condam
2400
l’intersection de telles traditions hérétiques et
de
telles institutions qui les condamnaient farouchement, les obligeant
2401
imer en symboles équivoques et à revêtir la forme
d’
un mythe. De l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la
2402
les équivoques et à revêtir la forme d’un mythe.
De
l’ensemble de ces convergences, il est temps de tirer la conclusion :
2403
et à revêtir la forme d’un mythe. De l’ensemble
de
ces convergences, il est temps de tirer la conclusion : L’amour-passi
2404
De l’ensemble de ces convergences, il est temps
de
tirer la conclusion : L’amour-passion glorifié par le mythe fut réell
2405
par le mythe fut réellement au xiie siècle, date
de
son apparition, une religion dans toute la force de ce terme, et spéc
2406
son apparition, une religion dans toute la force
de
ce terme, et spécialement une hérésie chrétienne historiquement déter
2407
ne hérésie chrétienne historiquement déterminée .
D’
où l’on pourra déduire : 1° que la passion, vulgarisée de nos jours pa
2408
on pourra déduire : 1° que la passion, vulgarisée
de
nos jours par les romans et par le film, n’est rien d’autre que le re
2409
s jours par les romans et par le film, n’est rien
d’
autre que le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies d’une hérés
2410
le reflux et l’invasion anarchique dans nos vies
d’
une hérésie spiritualiste dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’or
2411
dont nous avons perdu la clef ; 2° qu’à l’origine
de
notre crise du mariage il n’y a pas moins que le conflit de deux trad
2412
rise du mariage il n’y a pas moins que le conflit
de
deux traditions religieuses, c’est-à-dire une décision que nous preno
2413
esque toujours inconsciemment, en toute ignorance
de
cause, de fins et de risques encourus, en faveur d’une morale surviva
2414
ours inconsciemment, en toute ignorance de cause,
de
fins et de risques encourus, en faveur d’une morale survivante que no
2415
ciemment, en toute ignorance de cause, de fins et
de
risques encourus, en faveur d’une morale survivante que nous ne savon
2416
savons plus justifier. ⁂ Il s’en faut d’ailleurs
de
beaucoup que la passion et le mythe de la passion n’agissent que dans
2417
d’ailleurs de beaucoup que la passion et le mythe
de
la passion n’agissent que dans nos vies privées. La mystique d’Occide
2418
n’agissent que dans nos vies privées. La mystique
d’
Occident est une autre passion dont le langage métaphorique est parfoi
2419
horique est parfois étrangement semblable à celui
de
l’amour courtois. Nos grandes littératures sont pour une bonne partie
2420
réfère le dire : des « profanations » successives
de
son contenu et de sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes
2421
es « profanations » successives de son contenu et
de
sa forme. Enfin, la guerre, en Occident, et toutes les formes militai
2422
litaires, jusque vers 1914, ont gardé par le fait
de
leur origine chevaleresque — et pour d’autres raisons peut-être — un
2423
lélisme constant avec l’évolution du mythe. C’est
de
quoi l’on traitera dans les livres qui viennent. 11. Traduction d’
2424
a dans les livres qui viennent. 11. Traduction
d’
Amyot. 12. H. Hubert, Les Celtes, II, p. 227, 229, 274. (Le meilleur
2425
eltes, II, p. 227, 229, 274. (Le meilleur ouvrage
d’
ensemble sur la civilisation, l’histoire et l’archéologie celtiques.)
2426
ltiques.) 13. H. d’Arbois de Jubainville, Cours
de
littérature celtique, I, p. 1-65. 14. J. Vendryès, Mémoires de la s
2427
celtique, I, p. 1-65. 14. J. Vendryès, Mémoires
de
la société linguistique, XX, 6, 265. 15. Op. cit., I, p. 18, et II,
2428
ichéenne. » (Yggdrasil, 25 août 1937.) 19. Droit
d’
user et d’abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour
2429
» (Yggdrasil, 25 août 1937.) 19. Droit d’user et
d’
abuser des esclaves, qui ne sont pas des « personnes » pour le droit r
2430
on le verra bien par la suite. Le premier couple
d’
amants « passionnés » dont l’histoire soit venue jusqu’à nous, c’est H
2431
8. On a tenté quelques explications sociologiques
de
la courtoisie. Elles se ramènent à des suppositions — souvent contrad
2432
ions — souvent contradictoires — sur la condition
de
la femme en Languedoc. Vernon Lee, par exemple, dans un essai intitul
2433
s il y avait « une énorme prépondérance numérique
d’
hommes » dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet
2434
umérique d’hommes » dont peu pouvaient se marier.
D’
où l’idéalisation de l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire.
2435
dont peu pouvaient se marier. D’où l’idéalisation
de
l’objet d’un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte
2436
uvaient se marier. D’où l’idéalisation de l’objet
d’
un désir aussi difficile à satisfaire. On peut tenir compte du renseig
2437
u renseignement, mais il n’explique en somme rien
de
précis quant à la rhétorique courtoise. 29. Cathare vient du grec ca
2438
Cathare vient du grec catharoi, purs. 30. Liber
de
duobus principiis, publié par A. Dondaine, O. P., Rome 1939. Dondaine
2439
ome 1939. Dondaine et Arno Borst datent ce traité
de
la seconde moitié du xiiie siècle. 31. Cf. La Cène secrète, publié
2440
Catharisme, par René Nelli, Charles Bru, chanoine
de
Lagger, D. Roché, L. Sommariva, 1953 ; Die Katharer par Arno Borst, 1
2441
a nature comme sur l’évolution et les complexités
de
l’hérésie. 33. Cf. Prière cathare, citée par Döllinger. Notons que l
2442
thare, citée par Döllinger. Notons que la liberté
de
l’homme, le pouvoir de faire le mal ou le bien, aurait ainsi pour ori
2443
ger. Notons que la liberté de l’homme, le pouvoir
de
faire le mal ou le bien, aurait ainsi pour origine non point Dieu, ma
2444
rre promise. Le Déluge est provoqué par une pluie
de
quarante jours. Dans le tantrisme bouddhique, le « service » de la Fe
2445
urs. Dans le tantrisme bouddhique, le « service »
de
la Femme est divisé en épreuves de quarante jours. Les contagieux son
2446
le « service » de la Femme est divisé en épreuves
de
quarante jours. Les contagieux sont mis en quarantaine, etc., etc. Qu
2447
en quarantaine, etc., etc. Quarante est le nombre
de
l’Épreuve. 35. L’expression de « parfaits » ne se trouve d’ailleurs
2448
nte est le nombre de l’Épreuve. 35. L’expression
de
« parfaits » ne se trouve d’ailleurs que dans les registres de l’Inqu
2449
» ne se trouve d’ailleurs que dans les registres
de
l’Inquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement de chrétiens) pa
2450
que dans les registres de l’Inquisition. Le terme
de
bonshommes (ou simplement de chrétiens) paraît avoir été utilisé par
2451
nquisition. Le terme de bonshommes (ou simplement
de
chrétiens) paraît avoir été utilisé par les cathares eux-mêmes, et «
2452
» serait ironique. 36. Voir l’excellent ouvrage
de
Fernand Niel, Montségur, la montagne inspirée, 1955. « Si Montségur n
2453
’ajouterai que les adversaires les plus virulents
de
cette hypothèse sont ceux qui n’ont pas vu le site de Montségur. Le c
2454
ette hypothèse sont ceux qui n’ont pas vu le site
de
Montségur. Le choc émotif profond provoqué par l’apparition formidabl
2455
ion formidable du pic sacré comporte une évidence
d’
un tout autre ordre que celle que pourraient proposer des « preuves »
2456
e Poitiers, meurt en 1127. Les premières mentions
d’
une Église cathare organisée et publique datent de 1160. Mais dès 1145
2457
d’une Église cathare organisée et publique datent
de
1160. Mais dès 1145, selon Borst, le catharisme s’est répandu de la B
2458
ès 1145, selon Borst, le catharisme s’est répandu
de
la Bulgarie à l’Angleterre ! Le nom apparaît cette année-là en Allema
2459
dours ! 40. Au point que les Parfaits refusaient
de
s’asseoir sur un banc que venait de quitter une femme. Et cependant,
2460
quitter une femme. Et cependant, un grand nombre
de
femmes de la noblesse étaient cathares, et les troubadours leur dédia
2461
ne femme. Et cependant, un grand nombre de femmes
de
la noblesse étaient cathares, et les troubadours leur dédiaient leurs
2462
harisme, 1938), insiste lui aussi sur « le danger
d’
une envolée trop rapide vers le ciel », selon les cathares, et oppose
2463
ns (dont Péladan et Rahn) pour un indice probable
de
catharisme chez un troubadour. Les cathares s’appliquaient à parler l
2464
ision du monde dominée par l’hostilité du Jour et
de
la Nuit. 44. Désignée généralement par un nom symbolique ou senhal,
2465
en 1935. 46. On sait que l’un des lieux communs
de
la rhétorique courtoise consiste à se plaindre « d’aimer en lieu trop
2466
la rhétorique courtoise consiste à se plaindre «
d’
aimer en lieu trop élevé ». Les érudits commentent : le pauvre troubad
2467
». Les érudits commentent : le pauvre troubadour,
de
basse extraction sociale en général, s’est épris de la femme d’un hau
2468
basse extraction sociale en général, s’est épris
de
la femme d’un haut baron, qui le dédaigne. Certes, cela se vérifie da
2469
ction sociale en général, s’est épris de la femme
d’
un haut baron, qui le dédaigne. Certes, cela se vérifie dans quelques
2470
haut pour lui, c’est évident, s’il ne s’agit que
de
ce monde. En vérité, la question se ramène à savoir pourquoi le poète
2471
tion se ramène à savoir pourquoi le poète choisit
d’
aimer si haut, choisit l’Inaccessible. 47. On peut aussi penser que d
2472
s (« Peire Cardenal était-il hérétique ? », Revue
d’
Histoire des Religions, juin 1938) va jusqu’à proposer que l’on prenne
2473
nne certains poèmes des troubadours comme sources
d’
études sur l’hérésie. Elle cite, à l’appui, des vers de Peire Cardenal
2474
des sur l’hérésie. Elle cite, à l’appui, des vers
de
Peire Cardenal qui reproduisent les termes exacts d’une Prière cathar
2475
Peire Cardenal qui reproduisent les termes exacts
d’
une Prière cathare publiée par Döllinger. Exemple : « Donne-moi de pou
2476
hare publiée par Döllinger. Exemple : « Donne-moi
de
pouvoir aimer ceux que tu aimes » (Cardenal) et « Donne-nous d’aimer
2477
er ceux que tu aimes » (Cardenal) et « Donne-nous
d’
aimer ceux que Tu aimes » (Prière). Mais il faut également relever que
2478
ans un poème où il dit : « Je ne me livre point à
de
stupides exploits… j’ai échappé à l’amour. » Je reviendrai sur la sit
2479
tuation paradoxale des poètes courtois contraints
de
louvoyer entre la double condamnation portée contre l’amour sexuel pa
2480
l jugerait absurde, c’est-à-dire qui n’aurait pas
de
sens religieux et de situation précise dans l’ensemble des valeurs qu
2481
’est-à-dire qui n’aurait pas de sens religieux et
de
situation précise dans l’ensemble des valeurs qu’il connaît. 50. J.
2482
uis quand ? Rudel utilisait ce procédé, et il est
de
la première moitié du xiie siècle, c’est-à-dire de la première génér
2483
la première moitié du xiie siècle, c’est-à-dire
de
la première génération des troubadours ! Donc l’un des inventeurs de
2484
ration des troubadours ! Donc l’un des inventeurs
de
ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple d’anachronisme tenda
2485
ces « formules ». Nous tenons ici un bel exemple
d’
anachronisme tendancieux. On veut à tout prix que le langage des troub
2486
e langage des troubadours soit le langage naturel
de
l’amour humain, transposé à l’amour divin. Alors qu’historiquement, c
2487
e et authentique ? Ceci pour répondre au reproche
d’
insincérité fait aux troubadours par nos érudits — reproche lui-même s
2488
eproche lui-même stéréotypé… 53. Mais catholique
d’
origine, non hérétique. 54. Faudrait-il rapprocher ceci du fait que l
2489
alier courtois donnait souvent à sa Dame le titre
de
seigneur au masculin : mi dons (mi dominus) et en Espagne : senhor (n
2490
eligieux ou féodal, autant ou plus que traduction
de
relations humaines. Toutefois, le narcissisme inhérent à tout amour d
2491
n sexuel, des déviations dont il serait difficile
de
nier que certains troubadours n’aient pas été victimes. 55. Textes t
2492
aussi l’Appendice 5. 58. Voici le chef principal
d’
accusation, selon Massignon (Passion de al-Hallaj, p. 161) : « Adorer
2493
principal d’accusation, selon Massignon (Passion
de
al-Hallaj, p. 161) : « Adorer Dieu par amour seulement est le crime d
2494
agnétique du fer pour le fer, et leurs particules
de
lumière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer de lumière dont
2495
ière veulent rejoindre, comme un aimant, le foyer
de
lumière dont elles sont venues. » 59. « C’est lui l’amour… » trad. D
2496
aj, texte relatif à la prédication et au supplice
de
al-Hallaj. 61. Cf. les travaux d’un auteur américain, A. R. Nykl, sa
2497
et au supplice de al-Hallaj. 61. Cf. les travaux
d’
un auteur américain, A. R. Nykl, sa traduction du Collier de la colomb
2498
r américain, A. R. Nykl, sa traduction du Collier
de
la colombe d’Ibn Hazm — qui est une théorie de l’amour courtois arabe
2499
. R. Nykl, sa traduction du Collier de la colombe
d’
Ibn Hazm — qui est une théorie de l’amour courtois arabe — et son ouvr
2500
er de la colombe d’Ibn Hazm — qui est une théorie
de
l’amour courtois arabe — et son ouvrage d’ensemble, Hispano-Arabic Po
2501
héorie de l’amour courtois arabe — et son ouvrage
d’
ensemble, Hispano-Arabic Poetry and its relations with the old Provenc
2502
badours, Baltimore, 1946. Voir aussi les ouvrages
de
Louis Massignon, d’Henry Pérès, d’Émile Dermenghem, de Menendez Pidal
2503
1946. Voir aussi les ouvrages de Louis Massignon,
d’
Henry Pérès, d’Émile Dermenghem, de Menendez Pidal, de Karl Appel, etc
2504
i les ouvrages de Louis Massignon, d’Henry Pérès,
d’
Émile Dermenghem, de Menendez Pidal, de Karl Appel, etc. 62. Il faut
2505
uis Massignon, d’Henry Pérès, d’Émile Dermenghem,
de
Menendez Pidal, de Karl Appel, etc. 62. Il faut avouer que les réfut
2506
nry Pérès, d’Émile Dermenghem, de Menendez Pidal,
de
Karl Appel, etc. 62. Il faut avouer que les réfutations les plus vir
2507
le hypothèse que j’avais mentionnée au chapitre 7
de
ce Livre, à savoir que les poèmes des troubadours pouvaient être — se
2508
t être — selon Rahn, Aroux et Péladan — une sorte
de
langage secret du catharisme. Une relecture des chapitres 8 et 9 suff
2509
ables que moi — en dépit de certaines imprudences
d’
expression. (Ce sont elles, par malheur, qui ont le plus fait pour ass
2510
heur, qui ont le plus fait pour assurer le succès
de
l’ouvrage dans un large public pressé. Comme il arrive.) 63. Comme A
2511
Les hérétiques reprochaient à l’Église catholique
d’
avoir inverti le nom même du Dieu qui est Amour. 64. Ce qui n’empêche
2512
i est Amour. 64. Ce qui n’empêchera pas l’Église
de
Rome, en la personne du pape Innocent III qui rêvait de « l’empire du
2513
e, en la personne du pape Innocent III qui rêvait
de
« l’empire du monde » et ne pouvait tolérer la défection de l’Italie
2514
ire du monde » et ne pouvait tolérer la défection
de
l’Italie du Nord et du Languedoc, de déclencher en 1209 la croisade c
2515
la défection de l’Italie du Nord et du Languedoc,
de
déclencher en 1209 la croisade contre les cathares : le premier génoc
2516
es : le premier génocide ou massacre systématique
d’
un peuple, enregistré par notre histoire « chrétienne » de l’Occident.
2517
ple, enregistré par notre histoire « chrétienne »
de
l’Occident. 65. Consoler vient de consolari, formée de cum et de so
2518
cident. 65. Consoler vient de consolari, formée
de
cum et de solus (qui veut dire proprement : entier). Consoler signifi
2519
5. Consoler vient de consolari, formée de cum et
de
solus (qui veut dire proprement : entier). Consoler signifie donc éty
2520
nq sens équivalents pour un seul terme ». 70. L.
de
La Vallée-Poussin, Bouddhisme, Études et matériaux, 1898. 71. Mircea
2521
in Ancient China. Leiden, 1961. 74. Je m’excuse
de
ne pouvoir citer ici que des fragments de chansons — de paroles de ch
2522
’excuse de ne pouvoir citer ici que des fragments
de
chansons — de paroles de chansons ! — traduits et privés de leur beau
2523
pouvoir citer ici que des fragments de chansons —
de
paroles de chansons ! — traduits et privés de leur beauté rythmique p
2524
er ici que des fragments de chansons — de paroles
de
chansons ! — traduits et privés de leur beauté rythmique par cette do
2525
s — de paroles de chansons ! — traduits et privés
de
leur beauté rythmique par cette double trahison. Qu’il soit bien ente
2526
n entendu que je n’épingle ici que des dépouilles
de
sens… 75. Note du professeur Jeanroy : « C’est-à-dire, si vous parv
2527
ce » selon l’école Sahajiyâ. Cette interprétation
de
Guiraut Riquier est exacte. On peut s’en assurer en lisant Ælius Dona
2528
e — et Servir à tactus.) Le thème des Cinq lignes
d’
amour peut être suivi à travers toute la poésie latine du Moyen Âge, j
2529
an Lemaire de Belges écrit dans son Illustrations
de
Gaule : « Les nobles poètes disent que cinq lignes y a en amours… le
2530
ion, c’est celui qu’on nomme par honnêteté le don
de
mercy. » Le contraste avec l’amour courtois est clair. Et non moins l
2531
es cathares condamnaient la guerre et toute forme
d’
homicide, légal ou non. Et en place de faux juges, faux prêtres, faux
2532
toute forme d’homicide, légal ou non. Et en place
de
faux juges, faux prêtres, faux reclus, et de maris trompeurs, les Inq
2533
lace de faux juges, faux prêtres, faux reclus, et
de
maris trompeurs, les Inquisiteurs du siècle suivant n’eussent pas man
2534
quisiteurs du siècle suivant n’eussent pas manqué
de
lire simplement juges, prêtres, reclus, et maris ! 78. Aliénor d’Aqu
2535
édigé au commencement du xiiie siècle : c’est le
De
arte honeste amandi d’André Le Chapelain. 80. Chez Chrétien de Troye
2536
u xiiie siècle : c’est le De arte honeste amandi
d’
André Le Chapelain. 80. Chez Chrétien de Troyes en particulier. 81.
2537
le rattachait le Graal aux rites secrets du culte
d’
Adonis. Ce qui est certain, c’est qu’un symbole comme celui du roi pêc
2538
Celtes peut se confondre facilement avec la coupe
de
la Cène. Et la lance elle-même revêt les significations les plus dive
2539
interprétation. Il s’est produit toute une série
de
fusions et de confusions de symboles. 82. Les Romans de la Table ro
2540
n. Il s’est produit toute une série de fusions et
de
confusions de symboles. 82. Les Romans de la Table ronde, nouvellem
2541
oduit toute une série de fusions et de confusions
de
symboles. 82. Les Romans de la Table ronde, nouvellement rédigés pa
2542
ns et de confusions de symboles. 82. Les Romans
de
la Table ronde, nouvellement rédigés par J. Boulenger, IV, p. 238. 8
2543
communié se donnent les uns aux autres le baiser
de
paix, selon le rite oriental, que les cathares paraissent avoir repri
2544
doivent traverser n’est autre que le pont Chinvat
de
la mythologie manichéenne, pont jeté sur la rivière infernale, et que
2545
ue seuls les élus peuvent franchir. « Il y a lieu
d’
appeler manichéisant le milieu créateur de la matière de Bretagne », é
2546
a lieu d’appeler manichéisant le milieu créateur
de
la matière de Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291)
2547
ler manichéisant le milieu créateur de la matière
de
Bretagne », écrit Anitchkof (Joachim de Flore, p. 291) après avoir in
2548
le du Graal (dans Lumière du Graal, 1951, recueil
d’
une vingtaine d’études par des auteurs divers), René Nelli formule que
2549
s Lumière du Graal, 1951, recueil d’une vingtaine
d’
études par des auteurs divers), René Nelli formule quelques observatio
2550
ions qui seront utilement rapprochées du chap. 10
de
ce livre II : « Cette magie érotique avait sa source d’abord dans la
2551
te, dans la foi en une force occulte qui naissait
de
l’élan charnel réprimé… L’amour pur, c’est celui qui reste tel dans d
2552
périlleuses, provoquées, et qui utilise l’énergie
de
ce Désir pour des fins plus hautes que l’accouplement. Il admettait t
2553
e »… L’amour contenu est bien le moteur intérieur
de
cette Quête, qui a bien tous les caractères d’une initiation à la Fém
2554
ur de cette Quête, qui a bien tous les caractères
d’
une initiation à la Féminité insaisissable aux sens charnels. » L’aute
2555
H. Hubert, op. cit., II, p. 298. 87. Histoire
de
Bailé au doux langage, trad. G. Dottin (L’Épopée irlandaise, 1926).
2556
. p. 85 sq., 1969. 89. Voir l’intéressante étude
de
M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende de « Tannhäuser » (Mercur
2557
de de M. Alexandre Haggerty-Krappe sur la Légende
de
« Tannhäuser » (Mercure de France, juin 1938). Le Tannhäuser du xvie
2558
xvie siècle est une tardive adaptation allemande
de
légendes irlando-écossaises ; il ne doit rien aux influences courtois
2559
re à ce sujet les deux gros volumes parus en 1953
de
Gottfried Weber, Tristan und die Krise des Hochmittelalterlichen Welt
2560
nfiniment méticuleux (aux répétitions épuisantes)
d’
un savant philologue allemand, apporte sur chacun des points touchés d
2561
ts touchés dans le présent chapitre une abondance
de
« preuves scientifiques » dont je m’étais fort bien passé en écrivant
2562
s fort bien passé en écrivant la première édition
de
ce livre, mais qui certes ne gâtent rien ! La comparaison poursuivie
2563
! La comparaison poursuivie pendant des centaines
de
pages entre les conceptions religieuses de Gottfried et les doctrines
2564
taines de pages entre les conceptions religieuses
de
Gottfried et les doctrines d’Augustin, de Bernard, d’Hughes de Saint-
2565
eptions religieuses de Gottfried et les doctrines
d’
Augustin, de Bernard, d’Hughes de Saint-Victor et d’Abélard, fait écla
2566
gieuses de Gottfried et les doctrines d’Augustin,
de
Bernard, d’Hughes de Saint-Victor et d’Abélard, fait éclater le catha
2567
ottfried et les doctrines d’Augustin, de Bernard,
d’
Hughes de Saint-Victor et d’Abélard, fait éclater le catharisme profon
2568
Augustin, de Bernard, d’Hughes de Saint-Victor et
d’
Abélard, fait éclater le catharisme profond de Gottfried, et son antic
2569
et d’Abélard, fait éclater le catharisme profond
de
Gottfried, et son anticatholicisme (annonciateur de la Renaissance pl
2570
Gottfried, et son anticatholicisme (annonciateur
de
la Renaissance plus que de Luther, à mes yeux). 92. Vers 15733 à 15
2571
olicisme (annonciateur de la Renaissance plus que
de
Luther, à mes yeux). 92. Vers 15733 à 15747 du poème de Gottfried.
2572
r, à mes yeux). 92. Vers 15733 à 15747 du poème
de
Gottfried. 93. Gnosticisme de Gottfried : comme les carpocratiens, i
2573
3 à 15747 du poème de Gottfried. 93. Gnosticisme
de
Gottfried : comme les carpocratiens, il semble croire que la « purgat
2574
rpocratiens, il semble croire que la « purgatio »
de
l’instinct tyrannique ne peut être obtenue qu’en cédant d’abord à l’i
2575
ue qu’en cédant d’abord à l’instinct, mais en vue
d’
arriver à l’extase illuminative, qui conduit à l’union essentielle (no
2576
94. Et Gottfried n’a-t-il pas imité le sic et non
d’
Abélard ? L’exemple de l’amour du docteur pour la Nonne n’a cessé de h
2577
-il pas imité le sic et non d’Abélard ? L’exemple
de
l’amour du docteur pour la Nonne n’a cessé de hanter l’auteur de la p
2578
ple de l’amour du docteur pour la Nonne n’a cessé
de
hanter l’auteur de la plus théologique des versions de Tristan. 95.
2579
octeur pour la Nonne n’a cessé de hanter l’auteur
de
la plus théologique des versions de Tristan. 95. Un seul exemple :
2580
nter l’auteur de la plus théologique des versions
de
Tristan. 95. Un seul exemple : Gottfried v. 18352 à 57 « Tristan un
2581
tan und ein Isot » et Wagner, II, 2, toute la fin
de
la scène : « nicht mehr Tristan !… nicht mehr Isolde ! »
2582
1.Position du problème On a souvent tenté
d’
expliquer le mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation de l’am
2583
mysticisme en le « ramenant » à quelque déviation
de
l’amour humain, c’est-à-dire en fin de compte : à la sexualité. Or l’
2584
de compte : à la sexualité. Or l’examen du Roman
de
Tristan et de ses sources historiques nous a conduit à renverser le r
2585
la sexualité. Or l’examen du Roman de Tristan et
de
ses sources historiques nous a conduit à renverser le rapport. C’est
2586
es conclusions générales. Mais il permet au moins
de
reposer un problème que le xixe siècle matérialiste s’était cru en m
2587
e xixe siècle matérialiste s’était cru en mesure
de
trancher au détriment de la mystique. À vrai dire, je ne suis pas trè
2588
définitive et simple. Mais il me paraît important
de
reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou de la
2589
de reconnaître au moins, sa position. Qu’on parte
de
la passion ou de la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre,
2590
moins, sa position. Qu’on parte de la passion ou
de
la mystique pour tenter de ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet
2591
parte de la passion ou de la mystique pour tenter
de
ramener l’une à l’autre, ce que l’on admet implicitement, c’est l’exi
2592
e que l’on admet implicitement, c’est l’existence
d’
un rapport quelconque entre ces deux réalités. Reste à savoir dans que
2593
ogie des métaphores mystiques et amoureuses. Mais
d’
une entière analogie des mots, peut-on conclure à une entière analogie
2594
sommes-nous pas jusqu’à un certain point victimes
d’
une illusion verbale ? d’une sorte de « calembour continué » ? Quand b
2595
n certain point victimes d’une illusion verbale ?
d’
une sorte de « calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas
2596
int victimes d’une illusion verbale ? d’une sorte
de
« calembour continué » ? Quand bien même ce serait le cas, le problèm
2597
à notre sens. S’il n’y avait en jeu, dans le cas
de
la passion, que des facteurs physiologiques, on ne comprendrait plus
2598
iologiques, on ne comprendrait plus rien au mythe
de
Tristan. La sexualité est une faim. Or il est de la nature d’une faim
2599
de Tristan. La sexualité est une faim. Or il est
de
la nature d’une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle
2600
La sexualité est une faim. Or il est de la nature
d’
une faim de chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, mo
2601
é est une faim. Or il est de la nature d’une faim
de
chercher à tout prix l’apaisement. Plus elle est forte, moins elle se
2602
yons ici une passion dont la nature est justement
de
refuser tout ce qui pourrait la satisfaire et la guérir. Nous ne somm
2603
sommes donc pas en présence d’une faim, mais bien
d’
une intoxication. Et l’on a soutenu récemment, par les preuves les plu
2604
morale, toute intoxication suppose l’intervention
d’
un agent étranger, que l’instinct livré à lui-même éliminerait aussi v
2605
ement, la mystique à elle seule, rend-elle compte
de
la passion ? Il faudrait alors expliquer pourquoi c’est dans l’amour
2606
est toujours à l’instinct sexuel que l’on a tenté
de
« ramener » la mystique, et cela bien avant Freud et son école. Voici
2607
e que pose l’amour-passion : si l’on n’y voit que
de
la sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas de quoi l’on par
2608
sexualité, c’est autant dire que l’on ne sait pas
de
quoi l’on parle. Si au contraire on rapporte cet amour à quelque chos
2609
u contraire on rapporte cet amour à quelque chose
d’
étranger au sexe — il en résulte des choses bizarres, comme disait à p
2610
qu’il se posait au xiie siècle. C’est en partant
d’
un exemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor de la grande mys
2611
siècle. C’est en partant d’un exemple précis et
d’
une œuvre antérieure à l’essor de la grande mystique orthodoxe, que no
2612
xemple précis et d’une œuvre antérieure à l’essor
de
la grande mystique orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances
2613
orthodoxe, que nous aurons les meilleures chances
de
surprendre à l’état naissant la dialectique des « choses bizarres »…
2614
ture mystique Nous avons constaté que le Roman
de
Tristan est, à bien des égards, une première « profanation » de la my
2615
, à bien des égards, une première « profanation »
de
la mystique courtoise et de ses sources (néo-platonisme, manichéisme,
2616
mière « profanation » de la mystique courtoise et
de
ses sources (néo-platonisme, manichéisme, soufisme). La mythification
2617
des complaisances bien explicables envers le goût
de
leurs auditeurs, moins policés que ceux du Midi. Le caractère distinc
2618
di. Le caractère distinctif du Roman est en effet
de
reposer sur une faute contre les lois d’amour courtois, puisque tout
2619
en effet de reposer sur une faute contre les lois
d’
amour courtois, puisque tout le drame vient de l’adultère consommé. De
2620
isque tout le drame vient de l’adultère consommé.
De
là que nous ayons un « roman » selon la formule moderne du genre, et
2621
et si l’on considère surtout le principe interne
de
l’action, Tristan évoque par la plupart de ses situations romanesques
2622
part de ses situations romanesques la progression
d’
une vie mystique. Certains « moments » relèvent de la pure tradition c
2623
d’une vie mystique. Certains « moments » relèvent
de
la pure tradition cathare, d’autres peuvent être rapprochés d’une exp
2624
adition cathare, d’autres peuvent être rapprochés
d’
une expérience mystique plus générale, et qu’on retrouve identique, da
2625
niens et Arabes, voire bouddhistes). En tout état
de
cause, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman d’adultère : l’i
2626
En tout état de cause, on ne saurait plus parler
d’
un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité d’Iseut, c’est l’hérésie,
2627
se, on ne saurait plus parler d’un vulgaire roman
d’
adultère : l’infidélité d’Iseut, c’est l’hérésie, c’est la vertu mysti
2628
ler d’un vulgaire roman d’adultère : l’infidélité
d’
Iseut, c’est l’hérésie, c’est la vertu mystique des « purs », c’est un
2629
des « purs », c’est une vertu, selon les auteurs
de
la légende. Et la faute n’est pas dans l’amour, mais dans sa « réalis
2630
que se révèle toute comparaison entre deux formes
de
mystique — et d’autant plus qu’ici l’un des termes en présence se tro
2631
te comparaison entre deux formes de mystique — et
d’
autant plus qu’ici l’un des termes en présence se trouve dénaturé par
2632
nacelle sans gouvernail ni voile, muni seulement
de
son épée et de sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qu
2633
ouvernail ni voile, muni seulement de son épée et
de
sa harpe. Il part à la recherche du baume salutaire qui chassera le p
2634
cherche du baume salutaire qui chassera le poison
de
son sang. C’est le type même du départ mystique, de l’abandon à l’ave
2635
son sang. C’est le type même du départ mystique,
de
l’abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête de l’âme pécheres
2636
abandon à l’aventure surnaturelle. C’est la quête
de
l’âme pécheresse, c’est-à-dire blessée mortellement, qui renonce aux
2637
inconnue. La poésie moderne nous a montré combien
d’
exemples de ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents
2638
a poésie moderne nous a montré combien d’exemples
de
ces départs à l’aventure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiment
2639
ure, désespérés mais encore éloquents ! Rudiments
d’
une recherche mystique, qui ne laisse oublier ni la lyre ni l’épée sym
2640
analyse du mythe, que cette fatalité joue le rôle
d’
un alibi : les amants ne se veulent responsables de rien, leur passion
2641
’un alibi : les amants ne se veulent responsables
de
rien, leur passion étant inavouable tant aux yeux de la société (qui
2642
les fait mourir). C’est là l’aspect psychologique
de
l’aventure. Mais voici l’aspect religieux : ce hasard aussitôt irrévo
2643
p que tout semblait le préparer, c’est l’élection
d’
une âme par l’Amour tout-puissant, la vocation qui la surprend comme m
2644
conduire à l’endura. Mais emporté par la violence
de
la première révélation, qui parfois embrase le sang, il enfreint la r
2645
le, souffle ô vent ! Malheur ! ah malheur ! fille
d’
Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie de pénitence devra mai
2646
d’Irlande, amoureuse et sauvage ! » Toute une vie
de
pénitence devra maintenant racheter le sacrilège. Mais le malheur ess
2647
racheter le sacrilège. Mais le malheur essentiel
de
cet amour n’est pas seulement la rançon du péché. L’ascèse qui rachèt
2648
it aussi et surtout délivrer l’homme du fait même
d’
être né dans ce monde de ténèbres. Elle doit conduire au détachement f
2649
vrer l’homme du fait même d’être né dans ce monde
de
ténèbres. Elle doit conduire au détachement final et bienheureux, à l
2650
nitence a donc une signification toute différente
de
celle du repentir chrétien. Et bien que l’orthodoxie et l’hérésie sem
2651
onfondues dans le Roman, il est toujours possible
de
reconnaître, à de tels traits, la tendance réellement dominante — cel
2652
Roman, il est toujours possible de reconnaître, à
de
tels traits, la tendance réellement dominante — celle qui s’épanouira
2653
a mort des amants. Reprenons par exemple le récit
de
l’« aspre vie » dans la forêt de Morois. « Nous avons perdu le monde,
2654
exemple le récit de l’« aspre vie » dans la forêt
de
Morois. « Nous avons perdu le monde, et le monde nous », gémit Iseut
2655
gémit Iseut (dans le Roman en prose). Et Tristan
de
répondre : « Si le monde entier était orendroit avec nous, je ne verr
2656
, je ne verrois fors vous seule. » Il s’agit bien
d’
une endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes de
2657
e endura. Cette retraite dans la forêt, c’est une
de
ces périodes de jeûne et de macération dont nous connaissons le but c
2658
retraite dans la forêt, c’est une de ces périodes
de
jeûne et de macération dont nous connaissons le but chez les cathares
2659
s la forêt, c’est une de ces périodes de jeûne et
de
macération dont nous connaissons le but chez les cathares : l’absorpt
2660
nnaissons le but chez les cathares : l’absorption
de
toutes les facultés dans la contemplation de l’amour seul. Un trait p
2661
tion de toutes les facultés dans la contemplation
de
l’amour seul. Un trait profond de la passion — et de la mystique en g
2662
a contemplation de l’amour seul. Un trait profond
de
la passion — et de la mystique en général — paraît ici. « On est seul
2663
l’amour seul. Un trait profond de la passion — et
de
la mystique en général — paraît ici. « On est seul avec tout ce qu’on
2664
’on aime », écrira plus tard Novalis, ce mystique
de
la Nuit et de la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, pa
2665
rira plus tard Novalis, ce mystique de la Nuit et
de
la Lumière secrète. Cette maxime traduit d’ailleurs, parmi tant d’aut
2666
eurs, parmi tant d’autres sens possibles, un fait
d’
observation purement psychologique : la passion n’est nullement cette
2667
lescents ; elle est, bien au contraire, une sorte
d’
intensité nue et dénuante, oui vraiment, un amer dénuement, un appauvr
2668
i vraiment, un amer dénuement, un appauvrissement
de
la conscience vidée de toute diversité, une obsession de l’imaginatio
2669
uement, un appauvrissement de la conscience vidée
de
toute diversité, une obsession de l’imagination concentrée sur une se
2670
onscience vidée de toute diversité, une obsession
de
l’imagination concentrée sur une seule image, — et dès lors le monde
2671
lors le monde s’évanouit, « les autres » cessent
d’
être présents, il n’y a plus ni prochain ni devoirs, ni liens qui tien
2672
les choses créées. Vraiment, comment se défendre
de
songer ici aux « déserts » de la Nuit obscure que décrit saint Jean d
2673
comment se défendre de songer ici aux « déserts »
de
la Nuit obscure que décrit saint Jean de la Croix ? « Éloigne les cho
2674
vait que Dieu et elle au monde ». A-t-on le droit
d’
opérer ce rapprochement entre un génie religieux du premier ordre et u
2675
plus rudimentaires ? Certes, ce serait une sorte
de
blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion d’amour
2676
de blasphème s’il ne s’agissait dans le Roman que
d’
une passion d’amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici su
2677
’il ne s’agissait dans le Roman que d’une passion
d’
amour sensuel : mais tout indique que nous sommes ici sur la via mysti
2678
es « parfaits ». C’est alors le contenu des états
d’
âme et leur objet, mais non leur forme, qui diffère (Appendice 10). (N
2679
dissiper toute équivoque.) ⁂ Voici un autre point
de
comparaison. On sait combien les mystiques espagnols ont coutume d’in
2680
sait combien les mystiques espagnols ont coutume
d’
insister sur le récit de leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour
2681
ues espagnols ont coutume d’insister sur le récit
de
leurs souffrances. Plus la lumière et l’amour divin sont vifs, plus l
2682
morales qu’entraîne la mortification des sens et
de
la volonté, mais l’âme souffre séparation et réjection, dans le temps
2683
uffre séparation et réjection, dans le temps même
de
la plus vive ardeur de son amour. Il y aurait à citer cent pages où r
2684
ection, dans le temps même de la plus vive ardeur
de
son amour. Il y aurait à citer cent pages où revient la même plainte
2685
ait à citer cent pages où revient la même plainte
de
l’âme sur « l’abandon divin, tourment suprême ». Sur « ce vide profon
2686
ce vide profond… cruelle disette des trois sortes
de
biens qui peuvent consoler l’âme, savoir les temporels, les naturels,
2687
les spirituels » ; enfin, « sur cette impression
de
rejet qui compte parmi les peines les plus dures de l’état de purific
2688
rejet qui compte parmi les peines les plus dures
de
l’état de purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et par
2689
compte parmi les peines les plus dures de l’état
de
purification ». (Ibid.) Tristan n’est qu’une impure et parfois équiv
2690
est qu’une impure et parfois équivoque traduction
de
la mystique courtoise. (Il arrive que les situations les plus apparem
2691
avement — à partir de l’amour humain, et par voie
de
sublimation, non par la voie inverse, allant de l’Amour divin aux mét
2692
e de sublimation, non par la voie inverse, allant
de
l’Amour divin aux métaphores, qui convient pour les grands mystiques.
2693
ci dit, nous pouvons retrouver dans le mythe plus
d’
un aspect des souffrances mystiques. On se souvient de la plainte du t
2694
aspect des souffrances mystiques. On se souvient
de
la plainte du troubadour : Dieu ! comment se peut-il faire Que plus
2695
mme Tristan si follement que lorsqu’il est séparé
de
sa « dame ». La psychologie la plus simple rendrait compte de ce phén
2696
». La psychologie la plus simple rendrait compte
de
ce phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et d’image matériel
2697
t compte de ce phénomène. Mais il ne sert ici que
de
prétexte et d’image matérielle pour représenter les tourments de l’as
2698
phénomène. Mais il ne sert ici que de prétexte et
d’
image matérielle pour représenter les tourments de l’ascèse purificatr
2699
d’image matérielle pour représenter les tourments
de
l’ascèse purificatrice. Nous avons vu que les séparations des deux am
2700
Roman, répondent à une nécessité tout intérieure
de
la passion. Iseut est une femme aimée, mais elle est aussi autre chos
2701
imée, mais elle est aussi autre chose, le symbole
de
l’Amour lumineux. Quand Tristan erre au loin, il l’aime davantage, et
2702
l’aime davantage, et plus il aime, plus il endure
de
souffrances. Mais nous savons que c’est la souffrance qui est le vrai
2703
avons que c’est la souffrance qui est le vrai but
de
la séparation voulue… Nous rejoignons alors la situation mystique (pa
2704
e rejeté par l’amour. Au point qu’il doutera même
de
l’« amitié » d’Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’i
2705
mour. Au point qu’il doutera même de l’« amitié »
d’
Iseut, qu’il la tiendra un temps pour ennemie, et qu’il acceptera le «
2706
ovisoirement. C’est quand, le philtre ayant cessé
d’
agir, Tristan et Iseut vont trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Re
2707
trouver l’ermite Ogrin dans sa cellule. Rencontre
de
celui qui souffre pour son Dieu, et des amants qui souffrent pour un
2708
ais tandis que le roi s’approche avec son cortège
de
barons, les amants échangent l’anneau de l’éternelle fidélité et du s
2709
cortège de barons, les amants échangent l’anneau
de
l’éternelle fidélité et du secret. La soumission ne sera donc qu’appa
2710
⁂ Pour extérieures et formelles qu’elles soient,
de
telles correspondances ne sauraient être, en toute honnêteté, réduite
2711
es. Mais si les formes sont pareilles, il importe
de
définir en quoi les contenus restent incompatibles, et quelle est la
2712
us restent incompatibles, et quelle est la nature
de
l’abus qui par la suite a voulu les confondre. L’on pourrait tout ram
2713
ramener à une grossière confusion du Créateur et
de
la créature, dans le Roman : la fameuse « divinisation de la femme »
2714
éature, dans le Roman : la fameuse « divinisation
de
la femme » selon la formule des manuels. Dans le cas où Iseut ne sera
2715
s que nous venons de dégager ne seraient plus que
de
l’ordre du langage, et spécialement de la métaphore. Je ne songe pas
2716
t plus que de l’ordre du langage, et spécialement
de
la métaphore. Je ne songe pas à nier cet aspect du problème, il sera
2717
la, ce serait alors tout l’arrière-plan religieux
de
la légende qu’il faudrait nier ou négliger, en dépit de l’évidence hi
2718
e qui est du sens du mythe, et le Roman cesserait
d’
être un roman courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait d’être ce
2719
man courtois ; ou bien l’amour courtois cesserait
d’
être ce qu’il fut, pour se mettre à ressembler à ce que nos érudits co
2720
s, ce qui se trouve en question, c’est la passion
d’
amour, et non l’amour purement profane et naturel. Voici, me semble-t-
2721
rel. Voici, me semble-t-il, le principe véritable
de
l’opposition des deux mystiques. L’orthodoxe aboutit au « mariage spi
2722
ues. L’orthodoxe aboutit au « mariage spirituel »
de
Dieu et de l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’unio
2723
odoxe aboutit au « mariage spirituel » de Dieu et
de
l’âme, dès cette vie, tandis que l’hérétique espère l’union et la fus
2724
espère l’union et la fusion totale, mais au-delà
de
la mort des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas de rachat poss
2725
rt des corps. Pour les cathares, il n’y avait pas
de
rachat possible de ce monde. Il s’ensuivait — théoriquement — que l’a
2726
les cathares, il n’y avait pas de rachat possible
de
ce monde. Il s’ensuivait — théoriquement — que l’amour profane était
2727
s mystiques du Roman chercheront donc l’intensité
de
la passion et non son apaisement heureux. Plus leur passion est vive
2728
voient dans les actes et les œuvres qui découlent
de
l’état mystique les critères de sa vérité99. C’est du moins le mouvem
2729
res qui découlent de l’état mystique les critères
de
sa vérité99. C’est du moins le mouvement constant de ceux qui ont con
2730
sa vérité99. C’est du moins le mouvement constant
de
ceux qui ont concentré leur oraison sur le Christ incarné réellement.
2731
’Incarnation, et ne pouvaient connaître ce retour
de
l’âme à une vie rénovée. « Je meurs de ne pas mourir », dit sainte Th
2732
ce retour de l’âme à une vie rénovée. « Je meurs
de
ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est de ne pas mourir asse
2733
e ne pas mourir », dit sainte Thérèse, mais c’est
de
ne pas mourir assez pour vivre toute la vie nouvelle, et pour obéir s
2734
Jean de la Croix. Les amants se plaignent parfois
de
leur passion et maudissent le poison fatal, cause de leurs terribles
2735
leur passion et maudissent le poison fatal, cause
de
leurs terribles souffrances. « Amor par force les demeine. » Mais fin
2736
comme la révélation dernière, dans la mort. Ainsi
de
leur attitude envers les créatures : ils ne les retrouvent pas au-del
2737
les créatures : ils ne les retrouvent pas au-delà
de
leur passion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au
2738
ne les retrouvent pas au-delà de leur passion et
de
son ascèse. Ils ignorent ce mouvement de retour au monde si caractéri
2739
ssion et de son ascèse. Ils ignorent ce mouvement
de
retour au monde si caractéristique du christianisme. Jean de la Croix
2740
qu’on mortifie les passions, l’âme ne reçoit plus
d’
aliment des créatures ; et de cette façon, elle est remplie d’obscurit
2741
l’âme ne reçoit plus d’aliment des créatures ; et
de
cette façon, elle est remplie d’obscurité, et destituée des objets qu
2742
s créatures ; et de cette façon, elle est remplie
d’
obscurité, et destituée des objets que les passions lui présentaient.
2743
III.) (Et l’on peut certes rapprocher ce passage
de
l’admirable cri de Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris
2744
t certes rapprocher ce passage de l’admirable cri
de
Ventadour : « Elle m’a pris le cœur, elle m’a pris moi-même, elle m’a
2745
e mon désir et mon cœur assoiffé. ») Au-delà même
de
cet état, Jean de la Croix connut la viduité totale, où non seulement
2746
n, et l’amour avec son objet, mais jusqu’au désir
de
l’amour semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide de toute con
2747
au désir de l’amour semblent se dérober au comble
de
l’élan : « Vide de toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut,
2748
semblent se dérober au comble de l’élan : « Vide
de
toute convoitise, rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l’attire
2749
ximes.) Le troubadour Arnaut Daniel parlait aussi
de
cet « excès de désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théop
2750
badour Arnaut Daniel parlait aussi de cet « excès
de
désir » qui enlève « tout désir ». Mais cet état théopathique n’about
2751
en termes magnifiques que l’âme pure est le lieu
de
rédemption des créatures dénaturées par le péché. « Toutes les créatu
2752
rées par le péché. « Toutes les créatures passent
de
leur vie à leur être. Toutes les créatures se portent dans ma raison
2753
l faut indiquer la dernière limite, qui est celle
de
l’humilité. Et là encore, la clé de l’opposition est dans le mystère
2754
qui est celle de l’humilité. Et là encore, la clé
de
l’opposition est dans le mystère de l’Incarnation. Le Roman est baign
2755
ncore, la clé de l’opposition est dans le mystère
de
l’Incarnation. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique de l’org
2756
on. Le Roman est baigné par l’atmosphère celtique
de
l’orgueil chevaleresque : c’est le désir de la prouesse qui est le mo
2757
tique de l’orgueil chevaleresque : c’est le désir
de
la prouesse qui est le moteur des hauts faits de Tristan. Comme tous
2758
de la prouesse qui est le moteur des hauts faits
de
Tristan. Comme tous les passionnés, il aime avec témérité la sensatio
2759
es passionnés, il aime avec témérité la sensation
de
puissance qu’il éprouve dans le risque. D’où le désir final du risque
2760
sation de puissance qu’il éprouve dans le risque.
D’
où le désir final du risque pour lui-même, la passion de la passion sa
2761
e désir final du risque pour lui-même, la passion
de
la passion sans terme, la volonté de la mort sans retour. L’on s’aper
2762
, la passion de la passion sans terme, la volonté
de
la mort sans retour. L’on s’aperçoit, à cette limite, que la prouesse
2763
e limite, que la prouesse était le signe matériel
d’
un processus de divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire,
2764
a prouesse était le signe matériel d’un processus
de
divinisation. Les vrais mystiques, tout au contraire, sont la prudenc
2765
Ainsi le chrétien ne se jette pas dans l’illusion
d’
une mort d’amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites
2766
rétien ne se jette pas dans l’illusion d’une mort
d’
amour transfigurante, mais au contraire accepte les limites de sa terr
2767
sfigurante, mais au contraire accepte les limites
de
sa terrestre vocation. « Rien ne le pousse vers le haut, et rien ne l
2768
a Croix, et cela « parce qu’il se tient au centre
de
son humilité ». 3.Transpositions curieuses, mais inévitables To
2769
ns curieuses, mais inévitables Toute la poésie
d’
Occident procède de l’amour courtois et du roman breton qui en dérive.
2770
inévitables Toute la poésie d’Occident procède
de
l’amour courtois et du roman breton qui en dérive. C’est à cette orig
2771
e ; et c’est dans ce vocabulaire que les amoureux
d’
aujourd’hui puisent encore, en toute inconscience, leurs métaphores le
2772
le mythe romanesque avait utilisé un « matériel »
d’
images, de noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, d
2773
omanesque avait utilisé un « matériel » d’images,
de
noms et de situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une
2774
vait utilisé un « matériel » d’images, de noms et
de
situations tiré du fonds religieux des Celtes, donc d’une religion dé
2775
tuations tiré du fonds religieux des Celtes, donc
d’
une religion déjà morte, de même notre littérature et nos passions uti
2776
seule mystique définissait le sens valable. Plus
d’
une fois, l’ambiguïté du mythe nous a fait hésiter en présence de tel
2777
ésiter en présence de tel épisode : s’agissait-il
d’
amour profane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole de l’Éros l
2778
l d’amour profane — selon la lettre du Roman — ou
d’
un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit
2779
fane — selon la lettre du Roman — ou d’un symbole
de
l’Éros lumineux, voire de l’Église d’Amour ? On conçoit donc que, par
2780
Roman — ou d’un symbole de l’Éros lumineux, voire
de
l’Église d’Amour ? On conçoit donc que, par la suite, le lecteur igno
2781
’un symbole de l’Éros lumineux, voire de l’Église
d’
Amour ? On conçoit donc que, par la suite, le lecteur ignorant des mys
2782
s ces allégories trop bien voilées. Il est facile
d’
imaginer le processus. Saint Augustin écrit cette prière : « Je te che
2783
troubadour ait exprimé la même prière en feignant
de
l’adresser à sa Dame. L’amant habitué aux métaphores mystiques, qu’il
2784
ues, qu’il entend à leur sens profane, sera tenté
de
voir dans cette même phrase l’expression de la passion qu’il aime : c
2785
tenté de voir dans cette même phrase l’expression
de
la passion qu’il aime : celle qu’on goûte et savoure en soi, dans une
2786
lle qu’on goûte et savoure en soi, dans une sorte
d’
indifférence à son objet vivant et extérieur. Ainsi nous avons vu que
2787
our-passion tend à se confondre avec l’exaltation
d’
un narcissisme… Dans cette transposition objectivement mais non pas co
2788
de des métaphores utilisées dans les deux cas. Or
d’
où venaient ces métaphores ? D’une mystique, comme nous l’avons vu — m
2789
s les deux cas. Or d’où venaient ces métaphores ?
D’
une mystique, comme nous l’avons vu — mais déguisée, persécutée, puis
2790
te donc valable à condition qu’on change le signe
de
chacune de ses propositions. Par exemple, là où la science proclame q
2791
able à condition qu’on change le signe de chacune
de
ses propositions. Par exemple, là où la science proclame que la mysti
2792
là où la science proclame que la mystique résulte
d’
une sublimation de l’instinct, il suffira de changer le sens de la rel
2793
roclame que la mystique résulte d’une sublimation
de
l’instinct, il suffira de changer le sens de la relation constatée, e
2794
sulte d’une sublimation de l’instinct, il suffira
de
changer le sens de la relation constatée, et d’écrire que « l’instinc
2795
tion de l’instinct, il suffira de changer le sens
de
la relation constatée, et d’écrire que « l’instinct » en question rés
2796
a de changer le sens de la relation constatée, et
d’
écrire que « l’instinct » en question résulte d’une profanation de la
2797
t d’écrire que « l’instinct » en question résulte
d’
une profanation de la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience m
2798
’instinct » en question résulte d’une profanation
de
la mystique primitive. ⁂ Cependant, la conscience moderne montre une
2799
épugnance à opérer ce renversement, qu’il est bon
d’
entrer plus avant dans le mécanisme des transpositions, et même de rec
2800
ant dans le mécanisme des transpositions, et même
de
reconnaître la valeur de certaines objections courantes. Car enfin, d
2801
transpositions, et même de reconnaître la valeur
de
certaines objections courantes. Car enfin, dira-t-on, la mystique, au
2802
enfin, dira-t-on, la mystique, au moins dans une
de
ses tendances, ne s’est-elle pas prêtée à toutes les confusions ? N’a
2803
ons ? N’a-t-elle pas abusé la première du langage
de
l’Éros païen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage de la pass
2804
ïen ? 4.Les Mystiques orthodoxes et le langage
de
la passion Le fait central de toute vie religieuse de forme et de
2805
es et le langage de la passion Le fait central
de
toute vie religieuse de forme et de contenu chrétiens, c’est l’événem
2806
assion Le fait central de toute vie religieuse
de
forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dè
2807
fait central de toute vie religieuse de forme et
de
contenu chrétiens, c’est l’événement de l’Incarnation. Dès que l’on s
2808
forme et de contenu chrétiens, c’est l’événement
de
l’Incarnation. Dès que l’on s’écarte un tant soit peu de ce foyer, l’
2809
oit peu de ce foyer, l’on encourt le double péril
de
l’humanisme et de l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à i
2810
r, l’on encourt le double péril de l’humanisme et
de
l’idéalisme. L’hérésie des cathares consistait à idéaliser tout l’Év
2811
enthousiasme » — cette transgression des limites
de
l’humain, finalement irréalisable, devait se traduire, et se trahir d
2812
nt irréalisable, devait se traduire, et se trahir
d’
une manière fatale, par une exaltation en termes divins de l’amour sex
2813
nière fatale, par une exaltation en termes divins
de
l’amour sexuel. À l’inverse, on peut observer chez les mystiques les
2814
im et soif, volonté. Exaltation en termes humains
de
l’amour de Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous ret
2815
volonté. Exaltation en termes humains de l’amour
de
Dieu. Ainsi se dessinent deux grands courants que nous retrouverons d
2816
ée. Même chez les représentants les plus typiques
de
l’une et de l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût
2817
z les représentants les plus typiques de l’une et
de
l’autre tendance, ils coexistent presque toujours, ne fût-ce qu’à la
2818
anière dont la tentation coexiste avec la volonté
d’
obéissance chez le croyant. Historiquement parlant, il est donc malais
2819
yant. Historiquement parlant, il est donc malaisé
de
les isoler. Mais théologiquement, la chose est claire. Le premier cou
2820
la chose est claire. Le premier courant est celui
de
la mystique unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et de la di
2821
la mystique unitive : il tend à la fusion totale
de
l’âme et de la divinité. Le second courant peut être appelé celui de
2822
unitive : il tend à la fusion totale de l’âme et
de
la divinité. Le second courant peut être appelé celui de la mystique
2823
ivinité. Le second courant peut être appelé celui
de
la mystique épithalamique : il tend au mariage de l’âme et de Dieu, e
2824
de la mystique épithalamique : il tend au mariage
de
l’âme et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est ma
2825
ue épithalamique : il tend au mariage de l’âme et
de
Dieu, et suppose donc qu’une distinction d’essence est maintenue entr
2826
me et de Dieu, et suppose donc qu’une distinction
d’
essence est maintenue entre la créature et le Créateur. Quelques exemp
2827
euls valables en ce domaine100 — nous permettront
de
préciser tout cela sans excessives simplifications. Ils nous permettr
2828
excessives simplifications. Ils nous permettront
d’
entrevoir les raisons de ce curieux phénomène : « l’abus » du langage
2829
ons. Ils nous permettront d’entrevoir les raisons
de
ce curieux phénomène : « l’abus » du langage amoureux en religion doi
2830
xe. J’emprunterai mon premier exemple à l’ouvrage
de
Rudolf Otto intitulé Mystique occidentale-orientale 101. L’auteur com
2831
e 101. L’auteur compare, puis oppose le fondateur
de
la mystique allemande au xive siècle. Maître Eckhart, et le mystique
2832
e objet, c’est que Rudolf Otto distingue l’Orient
de
l’Occident en ramenant leurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Ag
2833
eurs mystiques respectives à l’Éros et à l’Agapè,
d’
une manière assez analogue à celle que nous proposions ci-dessus (voir
2834
n tant que, par l’âme du croyant, elles « passent
de
leur vie à leur être ». La confrontation est rendue possible par le f
2835
oyen Âge une tradition mystique parallèle à celle
de
Sankara. « Mystique de l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la fav
2836
mystique parallèle à celle de Sankara. « Mystique
de
l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur de laquelle le Je e
2837
l’ivresse sentimentale — écrit Otto — à la faveur
de
laquelle le Je et le Tu des êtres unis par une forte émotion coulent
2838
l’un dans l’autre, donnant naissance à une unité
d’
être. Eckhart ne connaît ni cette ivresse ni cet amour « pathologique
2839
e ». L’amour, pour lui, c’est la vertu chrétienne
de
l’Agapè, forte comme la mort, mais non point ivre ; intime, mais humb
2840
, tout particulièrement, que Eckhart se distingue
d’
une manière radicale de Plotin, dont on persiste à faire son maître. P
2841
, que Eckhart se distingue d’une manière radicale
de
Plotin, dont on persiste à faire son maître. Plotin lui aussi prêche
2842
st l’Éros grec, qui est jouissance, et jouissance
d’
une naturelle et surnaturelle Beauté… gardant jusqu’en ses plus subtil
2843
u’en ses plus subtiles sublimations quelque chose
de
l’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur de l
2844
’Éros du Symposium platonicien, grand Daimon qui,
de
la ferveur de l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la
2845
sium platonicien, grand Daimon qui, de la ferveur
de
l’instinct de procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divin
2846
en, grand Daimon qui, de la ferveur de l’instinct
de
procréation, s’élève en se purifiant à la ferveur divine, mais n’en c
2847
divine, mais n’en conserve pas moins les éléments
de
l’homme fervent. » Pour Eckhart, la vraie voie mystique n’est pas cel
2848
raie voie mystique n’est pas celle qui, s’élevant
d’
un état de sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un éla
2849
mystique n’est pas celle qui, s’élevant d’un état
de
sentiment, mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan d’amour
2850
entiment, mènerait à une union suprême, au sommet
d’
un élan d’amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une œ
2851
mènerait à une union suprême, au sommet d’un élan
d’
amour : L’amour n’unit point, écrit-il. Il unit bien à une œuvre, non
2852
t plutôt comme fournissant d’abord la possibilité
d’
une Agapè authentique. Non seulement son Agapè n’a pas le moindre trai
2853
simplicité élémentaires, sans exaltation ni ajout
d’
aucune sorte. » Et de cette union résultent « la confiance, la foi, l’
2854
es, sans exaltation ni ajout d’aucune sorte. » Et
de
cette union résultent « la confiance, la foi, l’abandon, le service »
2855
service ». Il s’agit donc plutôt, me semble-t-il,
d’
une communion que d’une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart
2856
donc plutôt, me semble-t-il, d’une communion que
d’
une union, puisque, comme l’écrit ailleurs Eckhart, l’âme reste l’âme,
2857
l’âme reste l’âme, et Dieu reste Dieu103. L’acte
d’
amour spirituel est initial, et non final. Pour le chrétien, la mort à
2858
Pour le chrétien, la mort à soi-même est le début
d’
une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe de ce monde. D’ailleur
2859
d’une vie plus réelle ici-bas, non la catastrophe
de
ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage d’Eckhart où il est questio
2860
ophe de ce monde. D’ailleurs Otto cite un passage
d’
Eckhart où il est question non plus d’union mais bien d’égalité de l’â
2861
un passage d’Eckhart où il est question non plus
d’
union mais bien d’égalité de l’âme et de Dieu : « Et cette égalité de
2862
art où il est question non plus d’union mais bien
d’
égalité de l’âme et de Dieu : « Et cette égalité de l’un dans l’un et
2863
est question non plus d’union mais bien d’égalité
de
l’âme et de Dieu : « Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un
2864
non plus d’union mais bien d’égalité de l’âme et
de
Dieu : « Et cette égalité de l’un dans l’un et avec l’un est source e
2865
’égalité de l’âme et de Dieu : « Et cette égalité
de
l’un dans l’un et avec l’un est source et origine du fleurissant resp
2866
qui figure pour Eckhart l’expression authentique
de
l’union divine, mais bien l’Agapè, dont ne parlent et que ne connaiss
2867
ni Sankara. » Voici donc, semble-t-il, deux pôles
de
la mystique universelle très nettement caractérisés. L’Orient (c’est-
2868
ns les termes mêmes par lesquels nous avons tenté
de
distinguer la mystique des cathares et la doctrine chrétienne de l’am
2869
a mystique des cathares et la doctrine chrétienne
de
l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur de sainteté. Le pape Jean
2870
ne de l’amour. ⁂ Mais Eckhart ne fut pas en odeur
de
sainteté. Le pape Jean XXII condamna même ses thèses les plus hardies
2871
a même ses thèses les plus hardies dans une bulle
de
1329. L’une des thèses condamnées, la dixième, est ainsi reproduite d
2872
alement en Dieu et nous nous convertissons en lui
de
la même manière que le pain dans le sacrement se change en corps du C
2873
e distinction. » Cette thèse, extraite des œuvres
d’
Eckhart, paraît contredire formellement l’interprétation précédente. E
2874
art du côté de « l’Orient », c’est-à-dire du côté
d’
une mystique essentiellement unitive, et par cela même hérétique… Ce q
2875
ecticien par excellence, et qu’il est trop facile
d’
extraire de ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui,
2876
r excellence, et qu’il est trop facile d’extraire
de
ses œuvres les vérités les plus contradictoires. Chez lui, a-t-on pu
2877
n sont inséparables, n’étant que les deux aspects
d’
une même vérité »105. Il n’en est pas moins significatif de constater
2878
e vérité »105. Il n’en est pas moins significatif
de
constater que Eckhart souleva dans la mystique flamande une oppositio
2879
l’abandon des œuvres. On est toujours à l’Orient
de
quelqu’un ! C’est ainsi que Maître Eckhart figura l’hérésie que j’app
2880
gens qui ne veulent pas seulement être les égaux
de
Dieu, mais Dieu lui-même, ils sont plus méchants et plus maudits que
2881
r… Voilà ce qu’ils appellent la parfaite pauvreté
d’
esprit… Mais ceux qui sont nés du Saint-Esprit et chantent ses louange
2882
s agissent. On le voit : Ruysbroek accuse Eckhart
de
quiétisme. Il revendique contre lui un certain activisme de l’amour.
2883
me. Il revendique contre lui un certain activisme
de
l’amour. C’est qu’il ne croit nullement que toute distinction entre l
2884
blable à Dieu. Elle contemple Dieu dans le miroir
d’
un esprit entièrement purifié. « Nous contemplons ce que nous sommes e
2885
contemplons ; car notre essence, sans rien perdre
de
sa propre personnalité, est unie à la vérité divine qui respecte la d
2886
nction. » Et ailleurs : « L’abîme qui nous sépare
de
Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est l
2887
urs : « L’abîme qui nous sépare de Dieu est perçu
de
nous au lieu le plus secret de nous-mêmes. Il est la distance essenti
2888
de Dieu est perçu de nous au lieu le plus secret
de
nous-mêmes. Il est la distance essentielle… » ⁂ Or voici le point qu’
2889
ssentielle… » ⁂ Or voici le point qu’il importait
de
mettre en lumière. Si l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amo
2890
l’âme peut s’unir essentiellement à Dieu, l’amour
de
l’âme pour Dieu est un amour heureux. On peut prévoir qu’il ne sera p
2891
—, je ne sais si l’on rencontre jamais le langage
de
l’amour humain. » À l’inverse, si l’âme ne peut s’unir essentiellemen
2892
’orthodoxie chrétienne, il en résulte que l’amour
de
l’âme pour Dieu est, dans ce sens précis, un amour réciproque malheur
2893
langage passionnel, c’est-à-dire dans le langage
de
l’hérésie cathare « profanisé » par la littérature et adopté par les
2894
it. Là encore, les textes confirment l’exactitude
de
notre schéma. C’est bien avec Ruysbroek et sa doctrine de la distinct
2895
schéma. C’est bien avec Ruysbroek et sa doctrine
de
la distinction essentielle qu’apparaît, dans la mystique du Nord, le
2896
l’irrésistible désir. S’efforcer continuellement
de
saisir l’insaisissable… Et l’objet du désir ne peut être ni abandonné
2897
onner est chose intolérable, et il est impossible
de
le conserver. Le silence même n’a pas assez de force pour l’étreindre
2898
le de le conserver. Le silence même n’a pas assez
de
force pour l’étreindre de ses mains. » Et toutes les métaphores de l’
2899
ence même n’a pas assez de force pour l’étreindre
de
ses mains. » Et toutes les métaphores de l’amour-passion se déversent
2900
treindre de ses mains. » Et toutes les métaphores
de
l’amour-passion se déversent dans la prose enflammée de Ruysbroek : i
2901
mour-passion se déversent dans la prose enflammée
de
Ruysbroek : immersion dans l’amour, défaillements, embrassements, our
2902
s l’amour, défaillements, embrassements, ouragans
de
l’impatience, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour,
2903
embrassements, ouragans de l’impatience, brûlure
d’
amour qui dévore nuit et jour, orgie d’amour, délices ruisselantes, iv
2904
e, brûlure d’amour qui dévore nuit et jour, orgie
d’
amour, délices ruisselantes, ivresses, meurtrissures… « Il m’a bu l’es
2905
’esprit et le cœur », fait dire Ruysbroek à l’une
de
ses béguines parlant du Christ. « Je me suis perdue dans sa bouche »,
2906
une autre. Et une troisième : « Boire les regards
de
l’amour et s’y engloutir enivrée… » Je me suis arrêté à l’exemple de
2907
arrêté à l’exemple de Ruysbroek pour la commodité
de
l’exposé : le fait historique que Maître Eckhart et son disciple se s
2908
on disciple se soient opposés sur le point précis
de
l’union divine, rendait possible une confrontation. Mais la lecture d
2909
us eût fourni un autre exemple non moins frappant
de
l’usage des thèmes courtois. On sait que saint François d’Assise avai
2910
ais dans sa jeunesse et qu’il faisait ses délices
de
nos romans de chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalie
2911
unesse et qu’il faisait ses délices de nos romans
de
chevalerie. Il rêvait de devenir le « meilleur chevalier du monde » o
2912
es délices de nos romans de chevalerie. Il rêvait
de
devenir le « meilleur chevalier du monde » ou, selon ses propres paro
2913
é du monde entier »108. Et l’on sait d’autre part
de
quelle manière il inaugura son ministère : sur la grande place d’Assi
2914
e il inaugura son ministère : sur la grande place
d’
Assise, en présence de l’évêque et d’une foule immense, il se dépouill
2915
grande place d’Assise, en présence de l’évêque et
d’
une foule immense, il se dépouilla de tous ses vêtements et se dressan
2916
l’évêque et d’une foule immense, il se dépouilla
de
tous ses vêtements et se dressant tout nu devant son père richement h
2917
es vers français… Le parfait dénuement avait fait
de
son corps l’humble serviteur de son âme ; plus d’obstacles à ses élan
2918
uement avait fait de son corps l’humble serviteur
de
son âme ; plus d’obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se s
2919
de son corps l’humble serviteur de son âme ; plus
d’
obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se souvenant des roman
2920
!… Se souvenant des romans français, François fit
de
la Pauvreté sa « Dame », et s’honora d’être son « chevalier »109. Cet
2921
nçois fit de la Pauvreté sa « Dame », et s’honora
d’
être son « chevalier »109. Cette forme de « dénuement », physique mais
2922
s’honora d’être son « chevalier »109. Cette forme
de
« dénuement », physique mais symbolique, est encore pratiquée de nos
2923
», physique mais symbolique, est encore pratiquée
de
nos jours par la secte des Doukhobors (« combattants spirituels ») do
2924
au Canada, voulant protester contre l’obligation
de
faire élever leurs enfants à l’école d’État, « parcoururent les campa
2925
bligation de faire élever leurs enfants à l’école
d’
État, « parcoururent les campagnes complètement dévêtus et chantant de
2926
ymnes religieux »110. On les accusa naturellement
d’
exhibitionnisme et de communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était mo
2927
On les accusa naturellement d’exhibitionnisme et
de
communisme sexuel. Au xiiie siècle, on était moins obtus. La chevale
2928
di de la France : par les routes, sur les places,
de
village en château. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur de Die
2929
sur les places, de village en château. Les poèmes
de
Jacopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes de ses imitateurs,
2930
âteau. Les poèmes de Jacopone da Todi, « jongleur
de
Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine
2931
acopone da Todi, « jongleur de Dieu », les laudes
de
ses imitateurs, les lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre d
2932
Dieu », les laudes de ses imitateurs, les lettres
de
sainte Catherine de Sienne, le Livre de la bienheureuse Angèle de Fol
2933
s lettres de sainte Catherine de Sienne, le Livre
de
la bienheureuse Angèle de Foligno, et tant de récits des Fioretti 111
2934
ou à son entourage, et cet « angélisme » rappelle
d’
une manière précise celui des cathares. D’autres laudes, pour être plu
2935
res laudes, pour être plus évidemment catholiques
d’
inspiration, n’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises » de lan
2936
’en sont que plus « érotiques » ou « courtoises »
de
langage : Mon cœur se fond comme la glace au feu lorsque étroitement
2937
itement j’embrasse mon Seigneur, criant : l’amour
de
l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré d’amour. Dans les fla
2938
e l’Amour me consume, je m’unis à l’Amour, enivré
d’
amour. Dans les flammes, je brûle et je languis, en criant ; en vivant
2939
, je vis. Pourtant, je n’aime pas, mais j’ai soif
d’
aimer, et j’ai faim de m’unir à l’Amour.112 5.La Rhétorique court
2940
n’aime pas, mais j’ai soif d’aimer, et j’ai faim
de
m’unir à l’Amour.112 5.La Rhétorique courtoise chez les mystique
2941
uances les plus précieuses, la rhétorique entière
de
l’amour courtois. À défaut d’une anthologie qui tiendrait décidément
2942
rhétorique entière de l’amour courtois. À défaut
d’
une anthologie qui tiendrait décidément trop de place113, bornons-nous
2943
ut d’une anthologie qui tiendrait décidément trop
de
place113, bornons-nous à énumérer les principaux thèmes communs aux t
2944
oubadours et aux mystiques orthodoxes : « Mourir
de
ne pas mourir. »114 La « brûlure suave ». Le « dard d’amour » qui bl
2945
pas mourir. »114 La « brûlure suave ». Le « dard
d’
amour » qui blesse sans tuer. Le « salut » de l’amour. La passion qui
2946
dard d’amour » qui blesse sans tuer. Le « salut »
de
l’amour. La passion qui « isole » du monde et des êtres. La passion q
2947
assion qui décolore tout autre amour. Se plaindre
d’
un mal que l’on préfère cependant à toute joie et à tout bien terrestr
2948
i purifie et chasse toute pensée vile. Le vouloir
de
l’amour se substituant au vouloir propre. Le « combat » d’amour, dont
2949
r se substituant au vouloir propre. Le « combat »
d’
amour, dont il faut sortir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », hav
2950
ir vaincu. Le symbolisme des « châteaux », havres
de
l’amour. Le symbolisme du « miroir », amour imparfait renvoyant à l’a
2951
cœur volé », l’« entendement ravi », le « rapt »
d’
amour. L’amour considéré comme « connaissance » suprême (canoscenza en
2952
). Sur quoi le psychologue matérialiste (cela va
de
Voltaire à Freud) conclut avec une bizarre assurance, et sur la foi d
2953
sur la foi du seul langage, que tout cela relève
d’
une déviation sexuelle. Et l’on sait que les conclusions des savants d
2954
atérialiste sur les mystiques est plus révélateur
de
l’obsession de ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le po
2955
les mystiques est plus révélateur de l’obsession
de
ceux qui le portent que de l’objet sur lequel on le porte, il repose
2956
élateur de l’obsession de ceux qui le portent que
de
l’objet sur lequel on le porte, il repose sur une double erreur histo
2957
historique et psychologique. Car : 1° le langage
de
la passion — tel qu’on le retrouve chez les mystiques — n’est pas, à
2958
iques — n’est pas, à l’origine, celui des sens et
de
la nature, mais il est au contraire la rhétorique d’une ascèse étroit
2959
la nature, mais il est au contraire la rhétorique
d’
une ascèse étroitement liée à l’hérésie méridionale du xiie siècle ;
2960
e étaient mieux avertis que quiconque des dangers
de
la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression de saint Jean de la Cr
2961
de la « luxure spirituelle ». (C’est l’expression
de
saint Jean de la Croix.) Or tous les deux en parlent avec une liberté
2962
ait signifier, dans leur cas, le soupçon habituel
de
« refoulement ». ⁂ Reprenons ces deux arguments. Et tout d’abord, sou
2963
ne saurait être confondu avec la nature profonde
de
l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit de sainte Thérèse : «
2964
de l’expérience qu’ils ont vécue. J. Baruzi écrit
de
sainte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre de ses images… M
2965
rit de sainte Thérèse : « On a démêlé les sources
de
nombre de ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines
2966
nte Thérèse : « On a démêlé les sources de nombre
de
ses images… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines de ce lang
2967
s… Mais trouverait-on aussi sûrement les origines
de
ce langage psychologique où se traduit sans doute, le plus purement,
2968
ques, et sainte Thérèse la première, se plaignent
de
n’avoir pas de mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres
2969
Thérèse la première, se plaignent de n’avoir pas
de
mots nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres de Dieu telles
2970
nouveaux (nuevas palabras) pour louer les œuvres
de
Dieu telles qu’ils les vivent dans leur âme. Et leurs silences furent
2971
ls que leurs paroles. Il ne s’agit donc, ici, que
de
tenir compte des éléments hérités de leur langage littéraire. Or s’il
2972
nc, ici, que de tenir compte des éléments hérités
de
leur langage littéraire. Or s’il faut se borner à un exemple qui est
2973
t même raffine la rhétorique courtoise. S’agit-il
d’
influences littéraires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou d’
2974
ourtoise. S’agit-il d’influences littéraires ? Ou
de
courants hérétiques souterrains ? Ou d’une recréation autonome, qui p
2975
ires ? Ou de courants hérétiques souterrains ? Ou
d’
une recréation autonome, qui pourrait s’expliquer en partie sur la bas
2976
recomposée ? »116 Je ne pense pas que personne,
de
nos jours, soit en mesure de trancher toutes ces questions. Les spéci
2977
se pas que personne, de nos jours, soit en mesure
de
trancher toutes ces questions. Les spécialistes les mieux informés hé
2978
s mieux informés hésitent encore lorsqu’il s’agit
d’
attribuer à tel mystique fort bien connu, et orthodoxe par-dessus le m
2979
uysbroek ou sainte Thérèse par exemple) l’origine
de
termes précis dont Jean de la Croix fait usage. Nous pouvons cependan
2980
nte Thérèse raffolait dans sa jeunesse des romans
de
chevalerie (voir sa Vie par elle-même, chap II) ; elle eut même, para
2981
même, chap II) ; elle eut même, paraît-il, l’idée
d’
en composer un en collaboration avec son frère Rodrigue. »117 Nous sav
2982
iture intellectuelle étaient tous fortement imbus
de
rhétorique courtoise et chevaleresque. La question a d’ailleurs été t
2983
tée, par un auteur qui offre toutes les garanties
de
sérieux et d’information118, et en des termes qui me paraissent trop
2984
teur qui offre toutes les garanties de sérieux et
d’
information118, et en des termes qui me paraissent trop significatifs
2985
es reproduire : Si l’on se borne à la conception
de
l’amour dans les romans de chevalerie et dans les traités spirituels
2986
borne à la conception de l’amour dans les romans
de
chevalerie et dans les traités spirituels du xvie siècle, on observe
2987
es traités spirituels du xvie siècle, on observe
d’
intéressantes analogies de fond et de forme. a) Le noble langage d’Am
2988
vie siècle, on observe d’intéressantes analogies
de
fond et de forme. a) Le noble langage d’Amadis, ses métaphores éroti
2989
, on observe d’intéressantes analogies de fond et
de
forme. a) Le noble langage d’Amadis, ses métaphores érotiques, ses s
2990
alogies de fond et de forme. a) Le noble langage
d’
Amadis, ses métaphores érotiques, ses subtiles préciosités se retrouve
2991
, Bernardino de Laredo et Malou de Chaide [maître
de
sainte Thérèse], aussi bien que dans les Exclamations et le Château i
2992
le Château intérieur. b) En Espagne, les auteurs
de
romans de chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisen
2993
intérieur. b) En Espagne, les auteurs de romans
de
chevalerie comme ceux des traités mystiques se caractérisent par le m
2994
ls sacrifient le sentiment du merveilleux à celui
d’
une intimité plus familière et plus émouvante, comme ils tendent à met
2995
l’un et l’autre dans la même conception héroïque
de
l’obligation morale, de l’action et de la foi. La devise d’Amadis de
2996
même conception héroïque de l’obligation morale,
de
l’action et de la foi. La devise d’Amadis de Gaule et celle de sainte
2997
n héroïque de l’obligation morale, de l’action et
de
la foi. La devise d’Amadis de Gaule et celle de sainte Thérèse pourra
2998
ation morale, de l’action et de la foi. La devise
d’
Amadis de Gaule et celle de sainte Thérèse pourraient être également «
2999
t de la foi. La devise d’Amadis de Gaule et celle
de
sainte Thérèse pourraient être également « aimer pour agir ». [Ici, j
3000
est pas dans les pauvres extravagances des romans
de
chevalerie mystique (la Gallarda Espirituel, El divino Escarraman) qu
3001
ivino Escarraman) qu’il faut chercher la synthèse
de
l’amour divin et de l’amour courtois, mais chez les troubadours prove
3002
’il faut chercher la synthèse de l’amour divin et
de
l’amour courtois, mais chez les troubadours provençaux du xiie siècl
3003
ençaux du xiie siècle. Les plus féconds éléments
de
leur doctrine, de leur symbolisme et de leur terminologie passent dan
3004
ècle. Les plus féconds éléments de leur doctrine,
de
leur symbolisme et de leur terminologie passent dans la mystique du x
3005
éléments de leur doctrine, de leur symbolisme et
de
leur terminologie passent dans la mystique du xiiie siècle par l’int
3006
François d’Assise. En se limitant à l’évolution
de
sainte Thérèse, on constate que les romans de chevalerie ont eu sur e
3007
ion de sainte Thérèse, on constate que les romans
de
chevalerie ont eu sur elle une influence psychologique, et une influe
3008
intérieur. » Extraordinaire retour et assomption
de
l’hérésie, par le détour d’une rhétorique qu’elle a créée contre l’Ég
3009
retour et assomption de l’hérésie, par le détour
d’
une rhétorique qu’elle a créée contre l’Église, et que l’Église lui re
3010
lui reprend par ses saints ! Résumons les étapes
de
l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend de l’Éros à Vénus, el
3011
e l’aventure : l’hérésie des « parfaits » descend
de
l’Éros à Vénus, elle va jusqu’à confondre avec la poésie d’un amour q
3012
à Vénus, elle va jusqu’à confondre avec la poésie
d’
un amour qui serait tout profane ; les confusions qu’elle entretient d
3013
tout profane ; les confusions qu’elle entretient
de
la sorte flattent trop bien les désirs naturels ; peu à peu, l’hérési
3014
x yeux des mondains abusés par le charme trompeur
de
l’art : ils n’en gardent que la poésie ; et voici que cent ans et tro
3015
à mon avis, cette propension moderne est le signe
d’
un ressentiment profond à l’endroit de la poésie, et en général, de to
3016
profond à l’endroit de la poésie, et en général,
de
toute activité créatrice — donc risquée — de l’esprit. Mais il convie
3017
ral, de toute activité créatrice — donc risquée —
de
l’esprit. Mais il convient de préciser encore : que pour les hommes d
3018
ce — donc risquée — de l’esprit. Mais il convient
de
préciser encore : que pour les hommes du xvie siècle, le langage éro
3019
vrosés, héritiers du « puritanisme » embourgeoisé
d’
un xixe siècle incroyant. Saint Jean de la Croix, qui décrivit en une
3020
de la Croix, qui décrivit en une page remarquable
de
pénétration psychologique les mouvements de la chair attirée par l’él
3021
uable de pénétration psychologique les mouvements
de
la chair attirée par l’élan mystique en ses débuts (Nuit obscure, I,
3022
plus qu’il ne se la dissimule la gravité relative
de
pareils accidents. Réciter ici les formules « sublimation » et « refo
3023
on » et « refoulement », c’est simplement refuser
de
savoir de quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure,
3024
refoulement », c’est simplement refuser de savoir
de
quoi l’on parle. Où est le refoulement, où est la censure, lorsque Th
3025
orsque Thérèse écrit à un religieux qui se plaint
de
ressentir une émotion des sens chaque fois qu’il entre en oraison : «
3026
est indifférent à l’oraison, et que le mieux est
de
n’y faire aucune attention. » De même, à l’un de ses frères qui ne po
3027
de n’y faire aucune attention. » De même, à l’un
de
ses frères qui ne pouvait communier sans éprouver l’émoi sexuel, et à
3028
xuel, et à qui l’on avait ordonné en conséquence,
de
ne plus communier qu’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille
3029
u’une fois l’an, saint Jean de la Croix conseille
de
ne pas s’inquiéter, de recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’
3030
Jean de la Croix conseille de ne pas s’inquiéter,
de
recevoir le sacrement chaque semaine, quoi qu’il advienne — et le frè
3031
— et le frère se trouve guéri, parce qu’il cesse
de
craindre à l’excès. S’il faut parler encore de psychanalyse, reconnai
3032
se de craindre à l’excès. S’il faut parler encore
de
psychanalyse, reconnaissons que Jean de la Croix joue ici le rôle du
3033
le Cantique des Cantiques auraient pu s’exprimer
d’
une autre manière. Vu notre grossièreté, je ne serais pas surprise que
3034
ndu dire à certaines personnes qu’elles évitaient
de
les entendre. O Dieu ! que notre misère est grande ! Il nous arrive c
3035
i changent en poison tout ce qu’ils mangent… » ⁂
De
la comparaison formelle des écrits d’un Eckhart avec ceux d’un Ruysbr
3036
ngent… » ⁂ De la comparaison formelle des écrits
d’
un Eckhart avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la
3037
raison formelle des écrits d’un Eckhart avec ceux
d’
un Ruysbroek, d’une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons mai
3038
des écrits d’un Eckhart avec ceux d’un Ruysbroek,
d’
une Thérèse et d’un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer ce
3039
ckhart avec ceux d’un Ruysbroek, d’une Thérèse et
d’
un Jean de la Croix, nous pouvons maintenant tirer cette conclusion :
3040
langage courant par les mystiques n’est pas sans
d’
étroites relations avec leur doctrine de l’union ou leur foi dans l’In
3041
pas sans d’étroites relations avec leur doctrine
de
l’union ou leur foi dans l’Incarnation. Ruysbroek, Thérèse et Jean de
3042
christocentriques ». Tout chez eux part du drame
de
la séparation instituée par le péché entre l’homme et son Créateur ;
3043
mme et son Créateur ; tout aboutit à des instants
de
communion active dans la Grâce, et c’est cela qu’ils appellent « mari
3044
la qu’ils appellent « mariage » — cette communion
de
l’âme élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie de l’homme sé
3045
cette communion de l’âme élue et du Christ époux
de
l’Église. Mais la voie de l’homme séparé, c’est la passion — et la pa
3046
élue et du Christ époux de l’Église. Mais la voie
de
l’homme séparé, c’est la passion — et la passion est partout dans leu
3047
out dans leurs œuvres, tandis qu’elle est absente
de
celles d’Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la mo
3048
eurs œuvres, tandis qu’elle est absente de celles
d’
Eckhart. Voilà pourquoi ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspec
3049
ce fut la mystique orthodoxe — la moins suspecte
de
troubles complaisances ! — qui se vit portée par l’objet même de sa f
3050
plaisances ! — qui se vit portée par l’objet même
de
sa foi à user, et parfois à abuser, du langage de l’amour-passion. Us
3051
de sa foi à user, et parfois à abuser, du langage
de
l’amour-passion. Usage et abus dont la psychologie moderne devait néc
3052
a question, et dire : le langage passionnel vient
d’
une littérature courtoise née dans l’ambiance d’une certaine hérésie ;
3053
t d’une littérature courtoise née dans l’ambiance
d’
une certaine hérésie ; mais cette hérésie, à son tour, ne se ramène-t-
3054
sitions physiologiques sublimées ? Rien ne permet
de
l’affirmer historiquement. En théorie cependant l’objection reste pos
3055
n se repose, non moins insoluble, quand il s’agit
de
savoir, en fin de compte, si c’est l’« esprit » ou la « matière » qui
3056
serait alors la cause première — ou au contraire
d’
une sublimation de phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la b
3057
ause première — ou au contraire d’une sublimation
de
phénomènes physiologiques, lesquels seraient à la base de ce qui se t
3058
mènes physiologiques, lesquels seraient à la base
de
ce qui se trouve exprimé ? Quelle que soit la réponse qu’on donnera,
3059
térialiste, tranche toujours le débat au bénéfice
de
ce qui est le plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit d’un g
3060
plus bas. Prenons le cas des métaphores : on dit
d’
un goût qu’il est amer mais on dira aussi d’une douleur qu’elle est am
3061
n dit d’un goût qu’il est amer mais on dira aussi
d’
une douleur qu’elle est amère. Comment cela peut-il s’expliquer ? Tout
3062
e monde répond, sans hésiter, que lorsqu’on parle
d’
une douleur amère, on s’exprime par métaphore, au figuré. Le sens prop
3063
physique, tenue pour primitive. Il se peut. Mais
d’
où le sait-on ? Les personnes qui croient cela, le croient-elles pour
3064
elles pour des raisons qu’elles seraient capables
de
donner ? Ont-elles donc recherché si, chronologiquement, le sens « ma
3065
erché si, chronologiquement, le sens « matériel »
d’
un mot précède toujours le « spirituel », qui ne serait qu’une transpo
3066
se livre à ces recherches : on affirme sur la foi
d’
un préjugé que l’on baptise bon sens ou évidence. Ce préjugé consiste
3067
réel que le spirituel ; qu’il est donc à la base
de
tout ; que c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme de ce préj
3068
e c’est par lui que tout s’explique. Le mécanisme
de
ce préjugé a été défini et critiqué par le Dr Minkowski121 et Arnaud
3069
critiqué par le Dr Minkowski121 et Arnaud Dandieu
d’
une manière pertinente et nuancée. Selon ces deux auteurs, le sens dit
3070
ènes aussi divers ? En vérité, il n’y a pas moins
d’
amertume dans la douleur que dans le goût du sel, mais ce que nous dés
3071
t l’autre par le même mot, c’est une même manière
d’
être affecté, soit par les sens, soit par la pensée, dans la totalité
3072
ar les sens, soit par la pensée, dans la totalité
de
notre existence. Ainsi de nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hés
3073
ensée, dans la totalité de notre existence. Ainsi
de
nos métaphores amoureuses. Le moderne n’hésite pas à tenir ce raisonn
3074
trait sexuel — or sainte Thérèse parle sans cesse
d’
amour — donc cette mystique est une érotomane qui s’ignore. » Mais nou
3075
istorique. Résumons-le encore une fois, pour plus
de
clarté. Notre langage passionnel nous vient de la rhétorique des trou
3076
une dogmatique manichéenne y compose des symboles
d’
attrait sexuel. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant de la re
3077
el. Mais peu à peu, cette rhétorique se détachant
de
la religion qui l’a créée, passe dans les mœurs, et devient langage c
3078
imer ses expériences ineffables, il est contraint
de
se servir de métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’e
3079
riences ineffables, il est contraint de se servir
de
métaphores. Il les prend où il les trouve et telles qu’elles sont, qu
3080
iie siècle, les métaphores courantes sont celles
de
la rhétorique courtoise. Que les mystiques s’en emparent sans hésiter
3081
lles, mais simplement que l’expression habituelle
de
ces passions, créée d’ailleurs par une mystique, convient à l’express
3082
illeurs par une mystique, convient à l’expression
de
l’amour spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même d’autant mieux
3083
ur spirituel qu’ils vivent. Et elle convient même
d’
autant mieux à l’expression des rapports « malheureux » entretenus par
3084
lus complètement humanisée, c’est-à-dire détachée
de
l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et de l’âme,
3085
l’hérésie. Car l’hérésie posait l’union possible
de
Dieu et de l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de
3086
Car l’hérésie posait l’union possible de Dieu et
de
l’âme, ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur de tout amour
3087
ce qui entraînait le bonheur divin et le malheur
de
tout amour humain ; tandis que l’orthodoxie pose que l’union est impo
3088
n et rend l’amour humain possible en ses limites.
D’
où il résulte que le langage de la passion humaine selon l’hérésie cor
3089
le en ses limites. D’où il résulte que le langage
de
la passion humaine selon l’hérésie correspond au langage de la passio
3090
ion humaine selon l’hérésie correspond au langage
de
la passion divine selon l’orthodoxie. On se trouve donc en présence d
3091
ision tout arbitraire isolerait tel ou tel moment
de
cette dialectique permanente pour en faire la donnée première. 7.L
3092
s Cette décision tout arbitraire, il est temps
de
la prendre ici, et de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire
3093
ut arbitraire, il est temps de la prendre ici, et
de
la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire de sa primauté. Qu’ell
3094
de la prendre en faveur de l’esprit, c’est-à-dire
de
sa primauté. Qu’elle soit arbitraire en fin de compte, ou ce qui revi
3095
e, avant tout compte, n’exclut pas qu’on l’appuie
de
raisons. J’en marquerai trois. 1° Le langage passionnel me paraît s’e
3096
esprit, en ceci qu’il exprime non pas le triomphe
de
la nature sur l’esprit — comme le font croire des expressions courant
3097
ntes telles que « aveuglé par la passion », « fou
d’
amour » — mais l’excès de l’esprit sur l’instinct. « L’amour existe lo
3098
par la passion », « fou d’amour » — mais l’excès
de
l’esprit sur l’instinct. « L’amour existe lorsque le désir est si gra
3099
e le désir est si grand qu’il dépasse les limites
de
l’amour naturel », disait le troubadour Guido Cavalcanti, au xiiie s
3100
ur Guido Cavalcanti, au xiiie siècle. Or le fait
de
dépasser les limites de l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit
3101
xiiie siècle. Or le fait de dépasser les limites
de
l’instinct, définit l’homme en tant qu’esprit. C’est ce fait seul qui
3102
ant qu’esprit. C’est ce fait seul qui nous permet
de
parler. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir de mentir auta
3103
r. Qu’est-ce que le langage en effet ? Le pouvoir
de
mentir autant que le pouvoir d’exprimer ce qui est. Un animal est inc
3104
ffet ? Le pouvoir de mentir autant que le pouvoir
d’
exprimer ce qui est. Un animal est incapable de mentir, de dire ce que
3105
ir d’exprimer ce qui est. Un animal est incapable
de
mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du néc
3106
er ce qui est. Un animal est incapable de mentir,
de
dire ce que l’instinct ne fait pas, d’aller au-delà du nécessaire et
3107
de mentir, de dire ce que l’instinct ne fait pas,
d’
aller au-delà du nécessaire et au-delà de la satisfaction. La passion,
3108
ait pas, d’aller au-delà du nécessaire et au-delà
de
la satisfaction. La passion, l’amour de l’amour, c’est au contraire l
3109
t au-delà de la satisfaction. La passion, l’amour
de
l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà de l’instinct et qu
3110
l’amour, c’est au contraire l’élan qui va au-delà
de
l’instinct et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable d’un tel
3111
et qui, par là, ment à l’instinct. Le responsable
d’
un tel mensonge ne saurait être que « l’esprit ». (On sent ici à quell
3112
songe se trouvent liés. Et n’est-elle pas typique
de
toute passion, cette volonté de s’exprimer, de se décrire comme pour
3113
-elle pas typique de toute passion, cette volonté
de
s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais a
3114
ue de toute passion, cette volonté de s’exprimer,
de
se décrire comme pour mieux jouir de soi-même ? Mais aussi cette conv
3115
s’exprimer, de se décrire comme pour mieux jouir
de
soi-même ? Mais aussi cette conviction que les autres ne comprendront
3116
peut alors que mentir pour sauver l’essence même
de
la passion !) 2° Si Jean de la Croix, et même Ruysbroek, et saint Fra
3117
nçois, sont évidemment postérieurs à la naissance
de
l’amour-passion, il n’en reste pas moins que celui-ci est postérieur
3118
ais il est certain que l’érotomanie est une forme
d’
intoxication, et tout nous prouve que les Eckhart, Ruysbroek, Thérèse,
3119
e, Jean de la Croix, sont exactement le contraire
de
ce qu’on nomme des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non de sa p
3120
me des intoxiqués. L’intoxiqué est la victime non
de
sa passion, mais de l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter.
3121
’intoxiqué est la victime non de sa passion, mais
de
l’agent matériel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine de cett
3122
riel qu’elle utilise pour s’exalter. Si l’origine
de
cette passion est un désir, conscient ou non, d’échapper à la conditi
3123
de cette passion est un désir, conscient ou non,
d’
échapper à la condition terrestre insupportable, et si l’on est en dro
3124
terrestre insupportable, et si l’on est en droit
d’
y voir le rudiment d’un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’
3125
ble, et si l’on est en droit d’y voir le rudiment
d’
un appel mystique, il n’en reste pas moins que l’intoxiqué est avant t
3126
as moins que l’intoxiqué est avant tout l’esclave
de
sa drogue. Psychologiquement, c’est un être déchu, dont les sens s’ém
3127
es, tout au contraire, insistent sur la nécessité
de
dépasser l’état de transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pur
3128
re, insistent sur la nécessité de dépasser l’état
de
transe, d’accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de
3129
nt sur la nécessité de dépasser l’état de transe,
d’
accéder à une lucidité toujours plus pure et audacieuse, de vérifier m
3130
à une lucidité toujours plus pure et audacieuse,
de
vérifier même les plus hautes grâces par leurs répercussions dans la
3131
les grands mystiques s’accordent à voir le terme
de
leur ascension dans la liberté souveraine de l’âme. Saint Jean de la
3132
erme de leur ascension dans la liberté souveraine
de
l’âme. Saint Jean de la Croix et Maître Eckhart disent en termes diff
3133
er Dieu sans plus sentir son amour. C’est un état
d’
indifférence parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point de perf
3134
parfaite, croirait-on ; en vérité, c’est le point
de
perfection d’un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédi
3135
rait-on ; en vérité, c’est le point de perfection
d’
un équilibre durement conquis, d’une connaissance immédiatement active
3136
nt de perfection d’un équilibre durement conquis,
d’
une connaissance immédiatement active. Au-delà des transes et au-delà
3137
édiatement active. Au-delà des transes et au-delà
de
l’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état d’extrême « désint
3138
’ascèse, l’aventure mystique culmine dans un état
d’
extrême « désintoxication » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possessi
3139
ulmine dans un état d’extrême « désintoxication »
de
l’âme. Dans la plus rigoureuse possession de soi-même. Et c’est alors
3140
on » de l’âme. Dans la plus rigoureuse possession
de
soi-même. Et c’est alors que le mariage devient possible, qui signifi
3141
evient possible, qui signifie non plus jouissance
de
l’Éros, mais fécondité de l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe appara
3142
fie non plus jouissance de l’Éros, mais fécondité
de
l’Agapè. Ainsi la mystique orthodoxe apparaît-elle enfin comme la voi
3143
llence, la meilleure discipline qui nous permette
de
transcender l’amour-passion jusque dans ses formes sublimées. Le cycl
3144
assion jusque dans ses formes sublimées. Le cycle
de
l’ascèse chrétienne ramène l’âme à l’obéissance heureuse, c’est-à-dir
3145
eureuse, c’est-à-dire à l’acceptation des limites
de
la créature, mais dans un esprit renouvelé, dans une liberté reconqui
3146
elé, dans une liberté reconquise. 8.Crépuscule
de
l’amour-passion C’est le dogme de l’Incarnation qui distingue radi
3147
8.Crépuscule de l’amour-passion C’est le dogme
de
l’Incarnation qui distingue radicalement la mystique orthodoxe de l’h
3148
qui distingue radicalement la mystique orthodoxe
de
l’hérétique. C’est lui qui donne un sens tout différent au mot amour
3149
opposent la Nuit au Jour comme le fait l’Évangile
de
Jean. Mais la Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme de la
3150
Parole du Jour, pour eux, n’a pas revêtu la forme
de
la Nuit : elle n’a pas « été faite chair ». Ils ne veulent pas que le
3151
eulent aller tout droit à l’Amour par l’amour, et
de
la Nuit au Jour sans nul intermédiaire. Sombrant alors, comme Icare e
3152
3. Mais ils ignorent que la Nuit, c’est la Colère
de
Dieu — répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre d’un obscur dém
3153
— répondant à notre révolte — et non pas l’œuvre
d’
un obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine de la Bible.) Refu
3154
obscur démiurge. (Telle est du moins la doctrine
de
la Bible.) Refusant que le Jour les enseigne dans cette vie et par le
3155
Jour les enseigne dans cette vie et par le moyen
de
la « matière », méconnaissant une Agapè qui sanctifie la créature, ig
3156
ctifie la créature, ignorant donc la vraie nature
de
ce qu’ils tiennent pour le péché, ils courent le risque de s’y perdre
3157
ils tiennent pour le péché, ils courent le risque
de
s’y perdre sans retour au moment même qu’ils croient lui échapper. Et
3158
ur au moment même qu’ils croient lui échapper. Et
de
là vient que la confusion était fatale entre l’Éros divinisant et l’É
3159
tale entre l’Éros divinisant et l’Éros prisonnier
de
l’instinct. De là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amo
3160
os divinisant et l’Éros prisonnier de l’instinct.
De
là vient que la passion « enthousiaste », la joy d’amor des troubadou
3161
là vient que la passion « enthousiaste », la joy
d’
amor des troubadours, devait fatalement aboutir à la passion humaine m
3162
mort seule pouvait éteindre : ce fut la « torture
d’
amour » qu’ils se mirent à aimer pour elle-même. La passion des « parf
3163
ort que la suprême sensation. Et de même, l’amour
de
la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole de l’union avec le Jour
3164
Et de même, l’amour de la Dame, dès qu’il cessera
d’
être un symbole de l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole d
3165
r de la Dame, dès qu’il cessera d’être un symbole
de
l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole de l’impossible uni
3166
l’union avec le Jour incréé, deviendra le symbole
de
l’impossible union avec la femme ; gardant de ses origines mystiques
3167
ole de l’impossible union avec la femme ; gardant
de
ses origines mystiques on ne sait quoi de divin, de faussement transc
3168
gardant de ses origines mystiques on ne sait quoi
de
divin, de faussement transcendant — une illusion de gloire libératric
3169
ses origines mystiques on ne sait quoi de divin,
de
faussement transcendant — une illusion de gloire libératrice dont la
3170
divin, de faussement transcendant — une illusion
de
gloire libératrice dont la douleur serait encore le signe ! Ainsi s’o
3171
sentiment. Intoxication par l’esprit. L’histoire
de
la passion d’amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie s
3172
toxication par l’esprit. L’histoire de la passion
d’
amour, dans toutes les grandes littératures, du xiiie siècle jusqu’à
3173
, du xiiie siècle jusqu’à nous, c’est l’histoire
de
la déchéance du mythe courtois dans la vie « profanée ». C’est le réc
3174
s figures du discours passionné, les « couleurs »
de
sa rhétorique ne seront jamais que les exaltations d’un crépuscule, p
3175
a rhétorique ne seront jamais que les exaltations
d’
un crépuscule, promesses de gloire jamais tenues… 96. Philippe de F
3176
is que les exaltations d’un crépuscule, promesses
de
gloire jamais tenues… 96. Philippe de Félice, Poisons sacrés, ivre
3177
es divines, essai sur quelques formes inférieures
de
la mystique, Paris, 1936. 97. Il y a bien l’exemple de la formica sa
3178
mystique, Paris, 1936. 97. Il y a bien l’exemple
de
la formica sanguinea. Cet insecte entretient dans sa fourmilière un p
3179
hypothèses sont possibles. 98. La Nuit obscure,
de
saint Jean de la Croix, II, i, 1er verset. Trad. Hoornaert. 99. Ce n
3180
ute occasion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir
de
lui de grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâc
3181
asion. « Pour plaire à Dieu, pour recevoir de lui
de
grandes grâces, il faut, et telle est sa volonté, que ces grâces pass
3182
sa volonté, que ces grâces passent par les mains
de
cette humanité sacrée en laquelle il a déclaré lui-même prendre sa co
3183
Saint Jean de la Croix, p. 613), si nous tentions
de
prendre une vue générale des diverses mystiques connues, « l’expérien
3184
nnues, « l’expérience mystique ne nous semblerait
d’
un type homogène que dans la mesure où elle serait banale, dans la mes
3185
saisir ». 101. Gotha 1929. Seul le livre célèbre
de
R. Otto sur le sacré a paru jusqu’ici en traduction française. 102.
3186
ent si totalement un seul être qu’il ne reste pas
d’
autre distinction que celle-ci : Lui demeure Dieu et elle demeure âme.
3187
ien dire que l’on se heurte, dans tous les écrits
d’
Eckhart, à une équivoque sur le sens qu’il attribue à l’union (Einung)
3188
it à croire, avec Otto, qu’il ne s’agit nullement
d’
une fusion essentielle. 104. Und diese Gleichheit aus dem Einen in da
3189
e être proposée comme un critère lorsqu’il s’agit
de
savoir si tel mystique croyait ou non à l’union essentielle ? Dans ce
3190
à l’union essentielle ? Dans ce cas, la remarque
de
l’abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse d’Otto, et nous i
3191
s ce cas, la remarque de l’abbé Paquier servirait
d’
argument contre la thèse d’Otto, et nous induirait à ranger Maître Eck
3192
abbé Paquier servirait d’argument contre la thèse
d’
Otto, et nous induirait à ranger Maître Eckhart parmi les hérétiques.
3193
thologie). 109. Id., ibid., et P. Sabatier, Vie
de
saint François d’Assise. 110. B. de Ligt, la Paix créatrice, II, p.
3194
int François nommait le frère Gilles « un paladin
de
sa Table ronde » et les miracles du saint — comme la conversion du lo
3195
s miracles du saint — comme la conversion du loup
de
Gubbio — se produisent dans les mêmes circonstances que les prouesses
3196
rs du xiiie siècle. 112. Ciascun amante, danse
de
l’amour mystique. Voir aussi l’Appendice 9. 113. On en trouvera d’ai
3197
e II et iii-iv du livre IV. 114. Ce cri célèbre
de
sainte Thérèse fait écho à celui de la franciscaine Angèle de Foligno
3198
e cri célèbre de sainte Thérèse fait écho à celui
de
la franciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir de mourir. »
3199
nciscaine Angèle de Foligno : « Je meurs du désir
de
mourir. » 115. J. Baruzi, Introduction à des recherches sur le lang
3200
Etchegoyen, l’Amour divin, essai sur les sources
de
sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression de l’amour divin. 119. Tra
3201
rces de sainte Thérèse, IVe partie : l’Expression
de
l’amour divin. 119. Travaux de Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, L
3202
ie : l’Expression de l’amour divin. 119. Travaux
de
Max Nordau, Krafft-Ebing, Murisier, Leuba, Freud, pour s’en tenir aux
3203
uiétant exemple (sa description du lit nuptial et
de
ce qui s’y passe !). 123. Karl Jaspers a magnifiquement exprimé cett
3204
a magnifiquement exprimé cette assomption finale
de
la Nuit par le Jour dans sa Philosophie. (Cf. trad. française par H.
3205
péché. C’est lorsque la volonté humaine se sépare
de
Dieu pour être une volonté à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et
3206
à soi, qu’elle suscite sa propre ardeur et brûle
de
sa propre affection, ardeur qui lui est propre et qui n’a rien à voir
3207
ivine. Jacob Boehme. 1.D’une influence précise
de
la littérature sur les mœurs D’une manière générale, il est bien d
3208
luence précise de la littérature sur les mœurs
D’
une manière générale, il est bien difficile de vérifier l’influence de
3209
D’une manière générale, il est bien difficile
de
vérifier l’influence des arts sur la vie quotidienne d’une époque. «
3210
ifier l’influence des arts sur la vie quotidienne
d’
une époque. « La musique adoucit les mœurs ? » Je n’en sais rien, et p
3211
ouvons l’habiter, mais là n’est pas son caractère
d’
art. De même pour telle ou telle philosophie. Mais le cas est tout dif
3212
. Mais le cas est tout différent lorsqu’il s’agit
d’
une littérature dont on peut démontrer, historiquement, qu’elle a donn
3213
ue à la passion. Si la littérature peut se vanter
d’
avoir agi sur les mœurs de l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu
3214
térature peut se vanter d’avoir agi sur les mœurs
de
l’Europe, c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit. D’une maniè
3215
, c’est à coup sûr à notre mythe qu’elle le doit.
D’
une manière plus précise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage de
3216
récise : c’est à la rhétorique du mythe, héritage
de
l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire de supposer ici quelque po
3217
age de l’amour provençal. Il n’est pas nécessaire
de
supposer ici quelque pouvoir magique des sons et du langage sur nos a
3218
des sons et du langage sur nos actes. L’adoption
d’
un certain langage conventionnel entraîne et favorise naturellement l’
3219
tents qui se trouvent les plus aptes à s’exprimer
de
la sorte. C’est dans ce sens que l’on peut se demander, avec La Roche
3220
peut se demander, avec La Rochefoucauld : combien
d’
hommes seraient amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour
3221
nt amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler
d’
amour ? ⁂ Passion et expression ne sont guère séparables. La passion p
3222
arables. La passion prend sa source dans cet élan
de
l’esprit qui par ailleurs fait naître le langage. Dès qu’elle dépasse
3223
ens est significatif.) En ce domaine, il est aisé
de
vérifier. Les sentiments qu’éprouvent l’élite, puis les masses par im
3224
e certaine rhétorique est la condition suffisante
de
leur aveu, donc de leur prise de conscience. À défaut de cette rhétor
3225
ue est la condition suffisante de leur aveu, donc
de
leur prise de conscience. À défaut de cette rhétorique, ces sentiment
3226
que, ces sentiments existeraient sans doute, mais
d’
une manière accidentelle, non reconnue, à titre d’étrangetés inavouabl
3227
d’une manière accidentelle, non reconnue, à titre
d’
étrangetés inavouables, en contrebande. Mais on a toujours vu que l’in
3228
ontrebande. Mais on a toujours vu que l’invention
d’
une rhétorique faisait foisonner rapidement certaines puissances laten
3229
rtaines puissances latentes du cœur. L’apparition
de
Werther par exemple a produit une vague de suicides. Rousseau fit boi
3230
rition de Werther par exemple a produit une vague
de
suicides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour de France, et Re
3231
cides. Rousseau fit boire du lait à toute la cour
de
France, et René désola plusieurs générations. C’est que pour admirer
3232
t même pour se suicider, il faut être en mesure «
d’
expliquer » à soi-même ou aux autres ce qu’on sent. Plus un homme est
3233
sent. Plus un homme est sentimental, plus il y a
de
chances qu’il soit verbeux et bien disant. Et de même, plus un homme
3234
de même, plus un homme est passionné, plus il y a
de
chances qu’il réinvente les figures de la rhétorique ; qu’il redécouv
3235
lus il y a de chances qu’il réinvente les figures
de
la rhétorique ; qu’il redécouvre leur nécessité ; qu’il se modèle spo
3236
tion du mythe courtois dans la morale des peuples
d’
Occident : l’on peut admettre qu’elle est parallèle à ses métamorphose
3237
ards et simplifications.) En esquissant la courbe
de
la mystique classique, nous avons pu décrire une assomption du mythe.
3238
ntenant. 2.Les deux roses Le meilleur point
de
départ nous est donné par le Roman de la Rose, écrit entre les années
3239
lleur point de départ nous est donné par le Roman
de
la Rose, écrit entre les années 1237 et 1280 environ. Il y a cent ans
3240
sque, que Béroul et Thomas ont composé la légende
de
Tristan. La croisade des albigeois a saccagé la civilisation courtois
3241
derniers troubadours. Que va devenir la tradition
d’
Amour ? Il semble bien que, dès le xive siècle, les hérétiques répand
3242
ute l’Europe, où l’Église les traque, aient cessé
de
recourir à l’expression littéraire de leur religion. Le catharisme se
3243
aient cessé de recourir à l’expression littéraire
de
leur religion. Le catharisme se cachera désormais dans les couches pr
3244
formes nobles, ne fournit plus les beaux symboles
de
la grande féodalité. Ce mutisme, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès
3245
, d’ailleurs, n’arrête pas son progrès. L’Église
d’
Amour donnera naissance à d’innombrables sectes plus ou moins secrètes
3246
on progrès. L’Église d’Amour donnera naissance à
d’
innombrables sectes plus ou moins secrètes, plus ou moins révolutionna
3247
onnaires, et dont les traits constants témoignent
d’
une origine commune, d’une tradition fidèlement conservée. Toutes ces
3248
raits constants témoignent d’une origine commune,
d’
une tradition fidèlement conservée. Toutes ces sectes en effet sont ca
3249
par leur spiritualisme exalté ; par leur doctrine
de
la « joie rayonnante » ; par leur refus des sacrements et du mariage
3250
nts et du mariage ; par leur condamnation absolue
de
toute participation aux guerres ; par leur anticléricalisme ; par leu
3251
erres ; par leur anticléricalisme ; par leur goût
de
la pauvreté et de l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égal
3252
nticléricalisme ; par leur goût de la pauvreté et
de
l’ascèse (végétarisme) ; enfin par leur esprit égalitaire, allant par
3253
un communisme total. Nous retrouvons cet ensemble
de
traits non seulement chez les frères du Libre-Esprit et les ortliebie
3254
nt chez les Vaudois eux-mêmes, chez les disciples
de
Joachim de Flore, chez les béguines et les béguards des Pays-Bas125,
3255
dents avec une violence qui rappelle les procédés
de
Rome contre ses propres sectes. Mais ils ne purent ou ne voulurent le
3256
purent ou ne voulurent les anéantir totalement :
de
nos jours, on retrouve çà et là des communautés mennonites mêlées d’é
3257
trouve çà et là des communautés mennonites mêlées
d’
éléments russes — doukhobors et khlystis — au Canada et jusqu’au Parag
3258
— au Canada et jusqu’au Paraguay. Leur conception
de
l’amour n’a pas varié. Plusieurs auteurs ont supposé qu’une élite clé
3259
pensent-ils expliquer mieux certaines obscurités
de
la littérature émanée des cercles franciscains et même parfois domini
3260
ons vu à propos des mystiques. Mais en l’absence
de
preuves presque impossibles à établir, je m’en tiendrai à un jugement
3261
siècle, la littérature courtoise s’est détachée
de
ses racines mystiques ; elle s’est alors trouvée réduite à une simple
3262
le s’est alors trouvée réduite à une simple forme
d’
expression, c’est-à-dire à une rhétorique. Mais automatiquement, cette
3263
dite « réaliste ». Double mouvement dont le Roman
de
la Rose nous donne l’illustre témoignage. La Rose de Guillaume de Lor
3264
e partie du roman, dite courtoise — c’est l’amour
de
la femme idéale, vraie femme déjà mais femme inaccessible dans son ja
3265
éjà mais femme inaccessible dans son jardin givré
d’
allégories. Danger, Male-Bouche et Honte défendent Bel Accueil contre
3266
est plus une ascèse mystique, mais un raffinement
de
l’esprit, qui doit amener l’amant à mériter le don. Au contraire, pou
3267
e. Le réalisme le plus franc succède aux fadaises
de
Lorris, le sensualisme au platonisme, le cynisme à l’exaltation. La R
3268
, le cynisme à l’exaltation. La Rose est emportée
de
haute lutte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison de la passi
3269
e est emportée de haute lutte. La Nature triomphe
de
l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune de ces parties aura sa
3270
tte. La Nature triomphe de l’Esprit, et la raison
de
la passion. Chacune de ces parties aura sa descendance. De Lorris, no
3271
de l’Esprit, et la raison de la passion. Chacune
de
ces parties aura sa descendance. De Lorris, nous irons par Dante — qu
3272
sion. Chacune de ces parties aura sa descendance.
De
Lorris, nous irons par Dante — qui peut-être le traduisit — jusqu’à P
3273
celle qui condamne la passion comme une « maladie
de
l’âme » — se transmettra aux parties basses de la littérature françai
3274
ie de l’âme » — se transmettra aux parties basses
de
la littérature française : gauloiserie, gaillardise, rationalisme, po
3275
curieusement exaspérée, naturalisme et réduction
de
l’homme au sexe. C’est la défense normale que l’homme païen oppose au
3276
défense normale que l’homme païen oppose au mythe
de
l’amour malheureux. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche d’
3277
x. (Peut-être, pratiquement, est-elle bien proche
d’
une vision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion d’y revenir.)
3278
ision chrétienne réaliste. Nous aurons l’occasion
d’
y revenir.) 3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour de l’
3279
3.Sicile, Italie, Béatrice et Symbole Alentour
de
l’an 1200, une solide amitié se noue entre Rambaut de Vaqueiras, trou
3280
laspina. Il semble bien qu’un courant très direct
d’
échanges « littéraires » — si l’on veut — unisse le Midi de la France
3281
à la Lombardo-Vénétie. Une fois de plus, la carte
de
l’influence des troubadours se confond avec celle des hérésies. Un pe
3282
Un peu plus tard, le mouvement franciscain naîtra
d’
une conjonction semblable entre les « spirituels » (mais dans l’Église
3283
estion est encore obscure. On ne trouve à la cour
de
Palerme qu’un seul poète provençal, et Frédéric persécute l’hérésie.
3284
que le procédé mystifiant ? On serait assez tenté
de
le croire, lorsqu’on voit Dante et son ami Cavalcanti s’élever contre
3285
d’Arezzo, et railler ses disciples : « Sectateurs
de
l’ignorance, aveugles qui veulent juger des couleurs, oies essayant d
3286
les qui veulent juger des couleurs, oies essayant
de
rivaliser avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un de ces pa
3287
avec l’aigle… » Au Purgatoire, Dante rencontre un
de
ces pasticheurs infatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion d
3288
fatigables, Bonagiunta de Lucques. Bonne occasion
de
définir le dolce stil nuovo, le style savant et caressant que l’école
3289
ombés dans un douteux allégorisme : ils parlaient
de
la dame comme d’une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais
3290
teux allégorisme : ils parlaient de la dame comme
d’
une femme réelle, ce n’était plus que galanterie mais froide et stéréo
3291
et Cavalcanti, d’autres encore, demandaient plus
de
sincérité et plus de chaleur amoureuse, mais en même temps, ils saven
3292
res encore, demandaient plus de sincérité et plus
de
chaleur amoureuse, mais en même temps, ils savent et disent (dans ce
3293
purement symbolique. Tel est le secret paradoxal
de
l’amour courtois : guindé et froid quand il ne vante que la femme, ma
3294
quand il ne vante que la femme, mais tout ardent
de
sincérité quand il célèbre la Sagesse d’amour : c’est là vraiment que
3295
t ardent de sincérité quand il célèbre la Sagesse
d’
amour : c’est là vraiment que bat son cœur. Et Dante n’est jamais plus
3296
ns son Banquet, comme le secret qu’il faut voiler
d’
un « beau mensonge ». Les cathares savaient bien tout cela. Mais noton
3297
jour faisait une seule lumière, trompeuse à force
d’
évidence. Maintenant nous pouvons distinguer les thèmes que le trobar
3298
s que le trobar mêlait dans la naïve transparence
de
ses symboles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte de Jacques
3299
oles. Voici les derniers Siciliens. Cette plainte
de
Jacques de Lentino : Mon cœur souvent meurt, et plus douloureusement
3300
n cœur souvent meurt, et plus douloureusement que
de
mort naturelle, pour vous Dame qu’il désire et aime plus que lui-même
3301
te de même : Amour qui, dans ma pensée, me parle
de
ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient de choses telles qu’à
3302
de ma Dame avec grand désir, souvent m’entretient
de
choses telles qu’à leur sujet mon intelligence s’égare. Son langage r
3303
Malheureuse que je suis ! Je ne suis pas capable
de
répéter ce que j’entends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore d
3304
suis pas capable de répéter ce que j’entends dire
de
ma Dame ! Et qui douterait encore de la signification symbolique de
3305
ntends dire de ma Dame ! Et qui douterait encore
de
la signification symbolique de la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en
3306
i douterait encore de la signification symbolique
de
la Dame, lorsqu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe de « n
3307
qu’un Guido Guinizelli en parle comme du principe
de
« notre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et de n
3308
otre foi » : Elle passe par le chemin, si pleine
de
grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue
3309
Elle passe par le chemin, si pleine de grâce et
de
noblesse qu’elle abaisse l’orgueil de celui qu’elle salue [auquel ell
3310
de grâce et de noblesse qu’elle abaisse l’orgueil
de
celui qu’elle salue [auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà
3311
[auquel elle donne son salut] et, s’il n’est déjà
de
notre foi, l’y amène. Faut-il penser que Dante n’est qu’un blasphéma
3312
’est qu’un blasphémateur lorsqu’il écrit au seuil
de
la Vita Nuova, cette strophe au sublime départ : Un ange crie en l’I
3313
monde se voit une merveille en l’acte qui procède
d’
une âme qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose
3314
qui jusqu’ici rayonne. Le Ciel, qui ne manque que
d’
une chose — c’est de l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les
3315
e. Le Ciel, qui ne manque que d’une chose — c’est
de
l’avoir —, à son Seigneur la demande, et tous les Saints implorent ce
3316
, Pitié prend notre parti, car Dieu dit, et c’est
de
ma Dame qu’il entend parler : — Mes bien-aimés, ores souffrez en paix
3317
ure, autant qu’il me plaira, là où se trouve plus
d’
un qui s’attend à la perdre et qui dira dans l’enfer : — Ô maudits, j’
3318
vu l’espérance des bienheureux ! S’agit-il donc
de
Béatrice comme femme ? Est-ce sa présence que tous les saints implore
3319
espérance des bienheureux » ? Ou s’agit-il plutôt
de
l’Esprit saint soutenant son Église par la charité du Christ — (la Pi
3320
matoire, c’est l’équivoque malgré tout maintenue.
D’
où le débat qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait de définir
3321
t qui oppose Orlandi et Cavalcanti : il s’agirait
de
définir enfin ce dont on parle. « Cet Amour est-il vie ou mort ? » de
3322
t le premier. Et le second répond : « Du pouvoir
de
l’amour provient souvent la mort… L’amour existe lorsque le désir est
3323
e le désir est si grand qu’il dépasse les limites
de
l’amour naturel… Comme il ne provient point de la qualité, il réfléch
3324
es de l’amour naturel… Comme il ne provient point
de
la qualité, il réfléchit perpétuellement sur lui-même son propre effe
3325
ion mystique. Mais encore faut-il définir le rôle
de
l’amour naturel dans cette perspective céleste. C’est ce qu’a fait Da
3326
, exprimant dans une petite fable la vraie nature
de
l’amour qu’il chante et le danger de s’arrêter aux formes terrestres
3327
vraie nature de l’amour qu’il chante et le danger
de
s’arrêter aux formes terrestres qui n’en sont qu’un reflet : De même
3328
ge en regardant un miroir et croit y voir l’image
de
ses petits qu’elle va cherchant : par ce plaisir elle oublie le chass
3329
ne poursuit point ; de même celui qui est pénétré
d’
amour puise la vie dans la contemplation de sa dame, car ainsi il soul
3330
énétré d’amour puise la vie dans la contemplation
de
sa dame, car ainsi il soulage sa grande peine… Mais la dame n’a point
3331
l’Amour à son profit. Dans un Bestiaire moralisé
de
cette époque, je trouve la même fable, avec cette conclusion : Ce fa
3332
st le démon, qui nous fait voir ce qui n’est pas.
De
là vient que bien des hommes ont péri pour avoir tardé d’aller vers l
3333
ent que bien des hommes ont péri pour avoir tardé
d’
aller vers le Seigneur. Le temps venait où les poètes succomberaient
3334
es poètes succomberaient aux charmes du miroir et
de
la rhétorique profanée. Nous allons voir Pétrarque se laisser prendre
3335
re « à ce qui n’est pas », c’est-à-dire à l’image
de
sa Laure, qui trop longtemps — comme il gémit plus tard — le retiendr
3336
ngtemps — comme il gémit plus tard — le retiendra
d’
« aller vers le Seigneur ». 4.Pétrarque, ou le rhéteur converti
3337
ment amoureux et c’est Pétrarque. Et ce qu’il y a
de
mieux, c’est que c’est vrai… Qu’appelle-t-on un homme simplement amou
3338
’appelle-t-on un homme simplement amoureux ? Rien
d’
analogue. Lui l’était d’une façon extraordinaire, incendiaire, solaire
3339
implement amoureux ? Rien d’analogue. Lui l’était
d’
une façon extraordinaire, incendiaire, solaire. »128 Voilà ce qui doi
3340
our la première fois les symboles des troubadours
d’
un souffle parfaitement païen, et non plus du tout hérétique ! On est
3341
ut s’est volatilisé : il ne joue plus. Le langage
de
l’Amour est enfin devenu la rhétorique du cœur humain. Cette « profan
3342
ique orthodoxe. Et cette dernière ne manquera pas
d’
y puiser ses meilleures métaphores. En vérité, la tentation était trop
3343
hasard.) Voici le Sonnet du premier anniversaire
de
l’amour de Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heur
3344
oici le Sonnet du premier anniversaire de l’amour
de
Pétrarque pour Laure : Je bénis le lieu, le temps, l’heure Où si hau
3345
e faut rendre grâce Toi qui fus jugée digne alors
d’
un tel honneur. D’Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le
3346
e Toi qui fus jugée digne alors d’un tel honneur.
D’
Elle te vient cet amoureux penser Qui tant que tu le suis, au plus hau
3347
ne Et te fait mépriser ce que l’homme désire129.
D’
Elle te vient la grâce généreuse Qui te pousse au ciel par un droit se
3348
l par un droit sentier Et fait que je marche fier
de
mon espérance. Où Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe
3349
Pétrarque triomphe, c’est quand il prend la harpe
de
Tristan130, c’est dans le cri de la « torture délicieuse », du mal ai
3350
l prend la harpe de Tristan130, c’est dans le cri
de
la « torture délicieuse », du mal aimé, du plaisir qui consume : Ô t
3351
e : Ô tendres, angéliques étincelles, béatitudes
De
ma vie où s’allume le plaisir Qui doucement me consume et détruit. (L
3352
ir Qui doucement me consume et détruit. (Les Yeux
de
ma dame.) Ô mort vivante, ô mal délicieux131 Comment as-tu sur moi
3353
le je nais…132 (Sonnet 164.) Ailleurs, il parle
de
Laure comme de sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se sé
3354
(Sonnet 164.) Ailleurs, il parle de Laure comme
de
sa « bien-aimée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant d’Iseut
3355
imée ennemie », et gémit, tel Tristan se séparant
d’
Iseut lorsqu’il la rend à son époux : Ô dure départie Pourquoi m’as-t
3356
d à son époux : Ô dure départie Pourquoi m’as-tu
de
mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux de Laure présente … al
3357
de mon mal éloigné ? (Sonnet 254.) Car les yeux
de
Laure présente … allumés d’une lueur céleste M’enflamment de façon q
3358
254.) Car les yeux de Laure présente … allumés
d’
une lueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît de brûler.133
3359
sente … allumés d’une lueur céleste M’enflamment
de
façon qu’il me plaît de brûler.133 (Triomphe de l’amour.) Mais prés
3360
ueur céleste M’enflamment de façon qu’il me plaît
de
brûler.133 (Triomphe de l’amour.) Mais présente ou absente — ici en
3361
de façon qu’il me plaît de brûler.133 (Triomphe
de
l’amour.) Mais présente ou absente — ici encore —, la femme ne sera
3362
encore —, la femme ne sera jamais que l’occasion
d’
une torture qu’il préfère à tout : Je sais, suivant mon feu partout o
3363
is, suivant mon feu partout où il me fuit, Brûler
de
loin — de près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier ve
3364
t mon feu partout où il me fuit, Brûler de loin —
de
près geler. Tout l’amour romantique est dans ce dernier vers. Et le
3365
romantique est dans ce dernier vers. Et le secret
de
cette mélancolie, Pétrarque a su l’analyser mieux que les plus lucide
3366
su l’analyser mieux que les plus lucides victimes
de
ce que l’on baptisera plus tard le mal du siècle : Des autres passio
3367
eut appeler le comble des misères !) je me repais
de
ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignan
3368
mble des misères !) je me repais de ces peines et
de
ces douleurs-là avec une sorte de volupté si poignante que, si l’on v
3369
e ces peines et de ces douleurs-là avec une sorte
de
volupté si poignante que, si l’on vient m’en arracher, c’est malgré m
3370
iste à ce point ? Est-ce bien le cours des choses
de
ce monde ? Est-ce une douleur physique, où bien quelque rigueur injus
3371
douleur physique, où bien quelque rigueur injuste
de
fortune ? Pétrarque. — Rien de tout cela en particulier. C’est le «
3372
e rigueur injuste de fortune ? Pétrarque. — Rien
de
tout cela en particulier. C’est le « vague des passions » préromanti
3373
l se peut faire qu’il vive encore, quoique séparé
de
sa dame : Mais Amour me répond : ne te souvient-il pas que c’est là
3374
l pas que c’est là le privilège des amants déliés
de
toutes les qualités de l’homme135 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse as
3375
rivilège des amants déliés de toutes les qualités
de
l’homme135 ? ⁂ Puis il y eut cette fameuse ascension au Ventoux, qui
3376
et voilà qui rappelle au poète que ses « qualités
d’
homme » le lient de fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit
3377
le au poète que ses « qualités d’homme » le lient
de
fait à une condition pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson de
3378
ion pitoyable. C’est ce qu’il dit dans sa Chanson
de
la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen de conscience : Je
3379
Chanson de la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé
de
l’examen de conscience : Je vais pensant — et en pensant m’assaille
3380
la Grande Peste, chef-d’œuvre inégalé de l’examen
de
conscience : Je vais pensant — et en pensant m’assaille une pitié de
3381
vais pensant — et en pensant m’assaille une pitié
de
moi-même si forte qu’elle me conduit souvent à d’autres pleurs que c
3382
nds ton parti avec prudence ! Prends ! Et arrache
de
ton cœur toute racine De ce plaisir qui heureux ne le peut jamais ren
3383
ce ! Prends ! Et arrache de ton cœur toute racine
De
ce plaisir qui heureux ne le peut jamais rendre… Il n’a que trop lon
3384
à cet amour blasphématoire, à ce besoin dément,
d’
un plaisir que l’usage en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace d
3385
age en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace
de
négocier avec la mort ! La lucidité même d’un tel cri, où s’avoue le
3386
dace de négocier avec la mort ! La lucidité même
d’
un tel cri, où s’avoue le dernier secret du mythe courtois, c’est le s
3387
dernier secret du mythe courtois, c’est le signe
d’
une grâce reçue. Ce qui peut arracher à l’espoir vain, c’est la foi se
3388
la foi seule dans le pardon. Voici la conversion
de
l’espérance qui trouve enfin son objet véritable : Or lève-toi vers
3389
el et paré ! S’il est vrai qu’ici-bas tant joyeux
de
son mal votre désir s’apaise par un coup d’œil, une parole, une chans
3390
Imposer un style à la vie des passions — ce rêve
de
tout le Moyen Âge païen tourmenté par la loi chrétienne —, c’est la s
3391
vait donner naissance au mythe. Mais la confusion
de
la foi, « qui à Dieu seul est due et à lui seul convient », avec l’am
3392
ul est due et à lui seul convient », avec l’amour
d’
« une chose mortelle », en fut la conséquence inévitable. Et c’est bie
3393
, en fut la conséquence inévitable. Et c’est bien
de
cette confusion — non de la doctrine orthodoxe — que devait résulter
3394
névitable. Et c’est bien de cette confusion — non
de
la doctrine orthodoxe — que devait résulter l’opposition tragique du
3395
devait résulter l’opposition tragique du corps et
de
l’âme. C’est la tendance ascétique, orientale — le monachisme vient d
3396
ndance ascétique, orientale — le monachisme vient
d’
Orient — c’est la tendance hérétique des « parfaits » qui inspira la p
3397
bien elle, qui, peu à peu, contamina par le moyen
d’
une littérature idéalisante l’élite de la société médiévale. D’où la r
3398
ar le moyen d’une littérature idéalisante l’élite
de
la société médiévale. D’où la réaction « réaliste » qui ne pouvait ma
3399
ture idéalisante l’élite de la société médiévale.
D’
où la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer de s’ensuivre. Elle
3400
ù la réaction « réaliste » qui ne pouvait manquer
de
s’ensuivre. Elle fut surtout sensible dans la bourgeoisie. Dès le déb
3401
. Dès le début du xiie siècle, en plein triomphe
de
l’amour courtois, l’on voit paraître cette tendance contraire, celle
3402
contre poésie, cynisme contre idéalisme. Le Débat
de
l’âme et du corps qui date précisément de cette époque est le premier
3403
e Débat de l’âme et du corps qui date précisément
de
cette époque est le premier témoignage d’un conflit que le mariage ch
3404
isément de cette époque est le premier témoignage
d’
un conflit que le mariage chrétien était censé résoudre. On y voit l’â
3405
censé résoudre. On y voit l’âme récemment séparée
de
son corps adresser à son compagnon les reproches les plus amers : c’e
3406
t trop tard, au-devant du supplice éternel. Issus
de
ce ressentiment du corps, les fabliaux eurent un immense succès (aupr
3407
annoncent le roman comique, qui annonce le roman
de
mœurs, qui annonce le naturalisme polémique du dernier siècle. Mais j
3408
soient engendrés en ligne directe. Chaque moment
de
cette progression vers le « vrai » se trouve lié, plus étroitement qu
3409
tement qu’au précédent, à un moment correspondant
de
la progression vers le « précieux », et c’est de cela qu’il naît, par
3410
de la progression vers le « précieux », et c’est
de
cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît de l’Astrée, non de
3411
cela qu’il naît, par réaction. Charles Sorel naît
de
l’Astrée, non des fabliaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédie
3412
liaux ; la Marianne de Marivaux naît des comédies
de
Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantis
3413
ne de Marivaux naît des comédies de Marivaux, non
de
Sorel ; et Zola naît de la décomposition du romantisme, au moins auta
3414
comédies de Marivaux, non de Sorel ; et Zola naît
de
la décomposition du romantisme, au moins autant, si ce n’est beaucoup
3415
, au moins autant, si ce n’est beaucoup plus, que
de
Balzac (considéré alors comme réaliste). Pour en revenir au xiiie si
3416
J. Huizinga136 — l’esprit gaulois aux conventions
de
l’amour courtois et à y voir la conception naturaliste de l’amour, en
3417
ur courtois et à y voir la conception naturaliste
de
l’amour, en opposition avec la conception romantique. Or la gauloiser
3418
que. La pensée érotique, pour acquérir une valeur
de
culture, doit être stylisée. Elle doit représenter la réalité complex
3419
a gauloiserie : la licence fantaisiste, le dédain
de
toutes les complications naturelles et sociales de l’amour, l’indulge
3420
e toutes les complications naturelles et sociales
de
l’amour, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes de la vie se
3421
, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes
de
la vie sexuelle, la vision d’une jouissance infinie, tout cela ne fai
3422
ges et les égoïsmes de la vie sexuelle, la vision
d’
une jouissance infinie, tout cela ne fait que donner satisfaction au b
3423
ne fait que donner satisfaction au besoin humain
de
substituer à la réalité le rêve d’une vie plus heureuse. C’est encore
3424
besoin humain de substituer à la réalité le rêve
d’
une vie plus heureuse. C’est encore une aspiration à la vie sublime, t
3425
du côté animal. C’est un idéal quand même : celui
de
la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et de l’amour alambiqu
3426
uand même : celui de la luxure. » Ce lien profond
de
la gauloiserie et de l’amour alambiqué, on le surprend dans une satir
3427
la luxure. » Ce lien profond de la gauloiserie et
de
l’amour alambiqué, on le surprend dans une satire du xiiie siècle in
3428
intitulée l’Évangile des femmes : c’est une suite
de
quatrains dont les trois premiers vers exaltent la femme selon le mod
3429
le mode courtois, tandis que le quatrième réfute
d’
un trait brutal ces éloges. Autre complicité : la gauloiserie démolit
3430
r en bas, alors que la chevalerie le ridiculisait
d’
en haut. Comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit de Chiceface
3431
Comme on peut le voir, entre autres, dans le Dit
de
Chiceface. Chiceface est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que de
3432
ace est le monstre fabuleux qui ne se nourrit que
de
femmes fidèles, aussi est-il d’une maigreur effroyable, tandis que so
3433
ne se nourrit que de femmes fidèles, aussi est-il
d’
une maigreur effroyable, tandis que son confrère Bigorne, lequel ne ma
3434
igorne, lequel ne mange que les maris soumis, est
d’
un embonpoint sans pareil. Parallèlement à ces deux courants du mythe
3435
e, en consacrant ses derniers chants à la louange
de
la Vierge Notre-Dame opposée à « ma » dame — mais sans varier le moin
3436
s sans varier le moins du monde ses lieux communs
de
poésie courtoise137. Dante a vengé d’avance les troubadours en mettan
3437
eux communs de poésie courtoise137. Dante a vengé
d’
avance les troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers de Marie »
3438
troubadours en mettant en Enfer des « chevaliers
de
Marie », moines italiens appelés aussi « chevaliers joyeux » à cause
3439
solue, et malgré leur saint patronage. 6.Suite
de
la chevalerie, jusqu’à Cervantès L’influence du roman breton est a
3440
ce du roman breton est attestée par des centaines
de
textes à travers les xiiie , xive et xve siècles. Elle couvre la mê
3441
rs : l’Europe entière. Les minnesänger (chanteurs
de
l’Amour) en Allemagne sont nourris de légendes cathares138 et par ail
3442
(chanteurs de l’Amour) en Allemagne sont nourris
de
légendes cathares138 et par ailleurs ne font qu’adapter du français l
3443
illeurs ne font qu’adapter du français les récits
de
Chrétien de Troyes. On traduit le Roman de Tristan dans toutes les la
3444
récits de Chrétien de Troyes. On traduit le Roman
de
Tristan dans toutes les langues d’Occident. L’Anglais Thomas Malory,
3445
aduit le Roman de Tristan dans toutes les langues
d’
Occident. L’Anglais Thomas Malory, à la fin du xve siècle, en refait
3446
se. Dante considère le cycle épique et romanesque
de
la France du Nord comme le modèle universel de toute prose narrative,
3447
ue de la France du Nord comme le modèle universel
de
toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait de Tristan (dans sa
3448
toute prose narrative, et Brunetto Latini extrait
de
Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale. De là, j
3449
trait de Tristan (dans sa Rhétorique) le portrait
de
la femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de
3450
ns sa Rhétorique) le portrait de la femme idéale.
De
là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des E
3451
portrait de la femme idéale. De là, jusqu’au fond
de
la Norvège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrabl
3452
femme idéale. De là, jusqu’au fond de la Norvège,
de
la Russie, de la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations,
3453
De là, jusqu’au fond de la Norvège, de la Russie,
de
la Hongrie et des Espagnes, d’innombrables imitations, dont les Amadi
3454
ège, de la Russie, de la Hongrie et des Espagnes,
d’
innombrables imitations, dont les Amadis portugais puis espagnols, pui
3455
is auquel on pouvait s’attendre, certains auteurs
de
ces imitations se trouvent amenés à redécouvrir le sens original des
3456
ystiques. Mais alors ils ne peuvent se servir que
d’
une mythologie toute catholique — soit prudence ou incompréhension — a
3457
n primitive. En 1554, en Espagne, paraît un livre
de
Hyeronimo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro de cavalleri
3458
mo de Sempere portant ce titre flamboyant : Libro
de
cavalleria celestial del pié de la rosa fragrante. Le Christ y devien
3459
lamboyant : Libro de cavalleria celestial del pié
de
la rosa fragrante. Le Christ y devient le chevalier du Lion, Satan le
3460
r du Désert, et les apôtres, les douze chevaliers
de
la Table ronde. L’ésotérisme manichéisant, toujours latent dans le cy
3461
Cervantès ne cite point les très nombreux romans
de
« chevalerie célestielle » qu’on lisait de son temps avec passion139.
3462
romans de « chevalerie célestielle » qu’on lisait
de
son temps avec passion139. Il ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’a
3463
ne s’en prend, dans son Quichotte, qu’aux romans
d’
aventures profanes. Cette omission est mystérieuse. Elle militerait en
3464
lle Cervantès connaissait la signification réelle
de
la littérature courtoise, et raillait non sans désespoir les rêveries
3465
oise, et raillait non sans désespoir les rêveries
de
ses contemporains, adonnés à une illusion dont ils avaient perdu le s
3466
des temps rend totalement impraticable. L’Église
de
Rome a triomphé. Mieux vaut dès lors se mettre du bon côté avec l’hon
3467
ngage moderne. Et en Irlande, elles vivent encore
de
nos jours. Je ne puis examiner ici le problème des rapports entre ce
3468
miner ici le problème des rapports entre ce fonds
de
légendes celtiques et la littérature anglaise populaire et savante. M
3469
ste, ait écrit un traité sur les fées, sans trace
de
scepticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare —
3470
traité sur les fées, sans trace de scepticisme ou
d’
ironie. Nous ne savons presque rien de Shakespeare — mais nous avons l
3471
pticisme ou d’ironie. Nous ne savons presque rien
de
Shakespeare — mais nous avons le Songe d’une Nuit d’été. Et l’on dit
3472
ue rien de Shakespeare — mais nous avons le Songe
d’
une Nuit d’été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons R
3473
Shakespeare — mais nous avons le Songe d’une Nuit
d’
été. Et l’on dit qu’il était catholique — mais nous avons Roméo et Jul
3474
stan de Wagner. Tant qu’on ignore à peu près tout
de
la vie, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain de se demande
3475
ant qu’on ignore à peu près tout de la vie, voire
de
l’identité de Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissai
3476
re à peu près tout de la vie, voire de l’identité
de
Shakespeare, il est vain de se demander s’il connaissait la tradition
3477
, voire de l’identité de Shakespeare, il est vain
de
se demander s’il connaissait la tradition secrète des troubadours. Ma
3478
beaucoup plus grand nombre… Comment les légendes
de
ce temps n’auraient-elles point gardé de traces des luttes violentes
3479
légendes de ce temps n’auraient-elles point gardé
de
traces des luttes violentes qui opposèrent dans la cité les « patarin
3480
plus profonde que jamais, la tragédie des Amants
de
Vérone, c’est le voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir de
3481
voile un instant déchiré, ne laissant au souvenir
de
nos yeux que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir de la méla
3482
sant au souvenir de nos yeux que l’image négative
d’
un éclat, « le soleil noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs d
3483
que l’image négative d’un éclat, « le soleil noir
de
la mélancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide de tortures tra
3484
il noir de la mélancolie ». Surgi des profondeurs
de
l’âme avide de tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’écl
3485
élancolie ». Surgi des profondeurs de l’âme avide
de
tortures transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair de l’amour
3486
deurs de l’âme avide de tortures transfigurantes,
de
la nuit abyssale où l’éclair de l’amour illumine parfois une face imm
3487
transfigurantes, de la nuit abyssale où l’éclair
de
l’amour illumine parfois une face immobile et fascinante — ce nous-mê
3488
is une face immobile et fascinante — ce nous-même
d’
horreur et de divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ress
3489
mmobile et fascinante — ce nous-même d’horreur et
de
divinité auquel s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité d’un c
3490
el s’adressent nos plus beaux poèmes ; ressuscité
d’
un coup dans sa pleine stature, comme étourdi de sa jeunesse provocant
3491
é d’un coup dans sa pleine stature, comme étourdi
de
sa jeunesse provocante et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau
3492
omme étourdi de sa jeunesse provocante et enivrée
de
rhétorique, au seuil du tombeau de Mantoue voici le mythe de nouveau
3493
nte et enivrée de rhétorique, au seuil du tombeau
de
Mantoue voici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur d’une tor
3494
ici le mythe de nouveau qui se dresse, à la lueur
d’
une torche que tient Roméo. Juliette repose, endormie par le philtre.
3495
Juliette repose, endormie par le philtre. Le fils
de
Montaigu est entré, et il parle : Combien souvent les hommes sur le
3496
r ? Ô mon amour, ma femme, La mort a sucé le miel
de
ton haleine Et n’a pas eu de prise encor sur ta beauté Et tu n’es pas
3497
mort a sucé le miel de ton haleine Et n’a pas eu
de
prise encor sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne de beau
3498
sur ta beauté Et tu n’es pas conquise. L’enseigne
de
beauté Est encore cramoisie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle dra
3499
sie sur tes lèvres, tes joues, Et le pâle drapeau
de
la mort n’est pas avancé. … Ah ! chère Juliette Pourquoi es-tu si be
3500
rainte de cela je demeure avec toi Et plus jamais
de
ce palais de la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Av
3501
a je demeure avec toi Et plus jamais de ce palais
de
la nuit obscure Je ne repartirai ; ici je veux rester Avec les vers q
3502
ecouer l’influence des étoiles funestes Et sortir
de
cette chair lasse du monde. Mes yeux regardez une dernière fois ! Mes
3503
Sur les récifs brisants ta barque épuisée, malade
de
la mer ! Voilà pour mon amour ! (Il boit.) … Honnête apothicaire Ta d
3504
st rapide. En un baiser je meurs. Le consolament
de
la Mort vient de sceller le seul mariage qu’ait jamais pu vouloir l’É
3505
sombrie… Séparons-nous pour nous entretenir encor
de
ces tristesses.140 ⁂ Il est certain que Milton quoique puritain sub
3506
ain que Milton quoique puritain subit l’influence
de
doctrines cabalistiques aussi peu « spiritualistes » que possible. Ma
3507
» contre la féodalité et le clergé ? Deux poèmes
de
Milton, qu’il écrivit dans sa jeunesse, l’Allegro et le Penseroso exp
3508
et le Penseroso expriment l’opposition du Jour et
de
la Nuit, et le choix nécessaire qu’il n’a pas encore fait. (Il ne le
3509
ne le fera sans doute jamais : du moins pas sans
de
telles réticences qu’il serait vain de conclure sur ce point plus net
3510
s pas sans de telles réticences qu’il serait vain
de
conclure sur ce point plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même
3511
t plus nettement qu’il ne l’a voulu.) Avant même
d’
embrasser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet d’épopée avait
3512
ser la cause puritaine, Milton cherchant un sujet
d’
épopée avait envisagé parfois le thème de la légende celtique d’Arthur
3513
un sujet d’épopée avait envisagé parfois le thème
de
la légende celtique d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dan
3514
envisagé parfois le thème de la légende celtique
d’
Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge
3515
de la légende celtique d’Arthur et des chevaliers
de
la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge de la Mélancolie nocturne,
3516
iers de la Table ronde. Dans son Penseroso, éloge
de
la Mélancolie nocturne, s’adressant à cette « Vierge sérieuse », il l
3517
adressant à cette « Vierge sérieuse », il la prie
d’
évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bag
3518
rge sérieuse », il la prie d’évoquer encore l’âme
d’
Orphée, l’époux de Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiq
3519
la prie d’évoquer encore l’âme d’Orphée, l’époux
de
Canacée qui possédait la bague et les miroirs magiques, et finalement
3520
nalement les « illustres bardes » qui chantèrent
d’
une voix grave et solennelle tournois et trophées remportés, forêts, e
3521
eets the ear »… Il avait étudié pour son Histoire
de
Bretagne la chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le De doct
3522
chronique arthurienne et ses légendes. Et dans le
De
doctrina christiana, il s’était insurgé « contre la puissance créatri
3523
l s’était insurgé « contre la puissance créatrice
de
Dieu, contre les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation… répudiant
3524
la puissance créatrice de Dieu, contre les dogmes
de
la Trinité et de l’Incarnation… répudiant les définitions théologique
3525
trice de Dieu, contre les dogmes de la Trinité et
de
l’Incarnation… répudiant les définitions théologiques traditionnelles
3526
nd lyrisme passionnel ? Quant au « matérialisme »
de
Milton, il s’oppose moins qu’on pourrait le croire à une doctrine « c
3527
n pourrait le croire à une doctrine « courtoise »
de
l’amour. Entre un monisme qui assimile l’esprit à la matière (ou l’in
3528
me n’est pas infranchissable, surtout sur le plan
de
l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont d’importants présupposé
3529
de l’éthique. L’idéalisme et le matérialisme ont
d’
importants présupposés communs. L’extrême de la luxure touche parfois
3530
e ont d’importants présupposés communs. L’extrême
de
la luxure touche parfois l’extrême de la chasteté exaltée. Et la néga
3531
. L’extrême de la luxure touche parfois l’extrême
de
la chasteté exaltée. Et la négation de la mort, chez Milton, le condu
3532
l’extrême de la chasteté exaltée. Et la négation
de
la mort, chez Milton, le conduit à des conclusions bien proches de ce
3533
Milton, le conduit à des conclusions bien proches
de
celles des cathares. Comme eux, Milton croit que le bon désir procède
3534
rincipes intellectuels, et qu’il doit nous purger
de
notre mauvais désir, de la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son ma
3535
et qu’il doit nous purger de notre mauvais désir,
de
la sensualité, péché majeur. Et Fludd, son maître en occultisme, ense
3536
atière divine… Il reste cependant que la doctrine
de
Milton est bien plus « rationnelle » et sociale que celle des hérétiq
3537
vait-elle point favoriser les confusions extrêmes
de
la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les
3538
favoriser les confusions extrêmes de la chair et
de
l’esprit qui ne manquèrent pas de se produire dans les sectes néo-man
3539
de la chair et de l’esprit qui ne manquèrent pas
de
se produire dans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée : de la
3540
ans les sectes néo-manichéennes. 8. L’Astrée :
de
la mystique à la psychologie L’histoire du mythe dans le Roman, au
3541
ade en pure psychologie. Le roman devient l’objet
d’
une littérature raffinée. D’Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Sc
3542
roman devient l’objet d’une littérature raffinée.
D’
Urfé, La Calprenède, Gomberville et les Scudéry n’ont plus la moindre
3543
éry n’ont plus la moindre idée du sens ésotérique
de
la chevalerie légendaire. La nature symbolique des sujets qu’ils repr
3544
u’ils reprennent les induit simplement à composer
d’
interminables romans à clef. Polexandre est Louis XIII, Cyrus est le G
3545
c. Le sujet du roman demeure les « contrariétés »
de
l’amour, mais l’obstacle n’est plus la volonté de mort, si secrète et
3546
de l’amour, mais l’obstacle n’est plus la volonté
de
mort, si secrète et métaphysique dans Tristan : c’est simplement le p
3547
physique dans Tristan : c’est simplement le point
d’
honneur, manie sociale. C’est l’héroïne, ici, qui est la plus astucieu
3548
ici, qui est la plus astucieuse lorsqu’il s’agit
d’
imaginer des prétextes de séparation. Elle terrorise avec délices son
3549
ucieuse lorsqu’il s’agit d’imaginer des prétextes
de
séparation. Elle terrorise avec délices son chevaleresque soupirant,
3550
soupirant, et l’on voit Polexandre, dans le roman
de
Gomberville, parcourir comme un fou les cinq parties du monde pour ap
3551
nq parties du monde pour apaiser un regard irrité
de
sa maîtresse. Au dénouement, il est encore à se demander si cette « r
3552
s échos mélancoliques. Il y a bien les douze lois
d’
Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge de la chasteté, voire les
3553
ois d’Amour, les séparations ingénieuses, l’éloge
de
la chasteté, voire les défis à une mort libératrice. Mais la dialecti
3554
une mort libératrice. Mais la dialectique sauvage
de
Tristan n’est plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et de la
3555
plus ici que coquetterie, et le combat du Jour et
de
la Nuit se ramène à des jeux de pénombre. Entre le corps des deux ama
3556
combat du Jour et de la Nuit se ramène à des jeux
de
pénombre. Entre le corps des deux amants plus d’épée nue, mais la hou
3557
de pénombre. Entre le corps des deux amants plus
d’
épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur de la b
3558
ux amants plus d’épée nue, mais la houlette dorée
de
Céladon ornée d’une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolis
3559
épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée
d’
une faveur de la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste.
3560
s la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur
de
la bergère. Voici un trait qui symbolise tout le reste. Au cinquième
3561
ise tout le reste. Au cinquième et dernier volume
de
ce roman que l’on n’ose nommer un roman-fleuve, puisqu’il n’est parco
3562
, puisqu’il n’est parcouru que par les sinuosités
d’
un modeste ruisseau, le Lignon, Céladon désespéré appelle la mort ; As
3563
gnon, Céladon désespéré appelle la mort ; Astrée,
de
son côté conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin de leurs ma
3564
conçoit la même pensée. Ils vont demander la fin
de
leurs maux à la Fontaine de Vérité, gardée par des lions et des licor
3565
vont demander la fin de leurs maux à la Fontaine
de
Vérité, gardée par des lions et des licornes : cette fontaine ne sera
3566
l’oracle, que par la mort du plus fidèle amant et
de
la plus fidèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat de la fata
3567
fidèle amant et de la plus fidèle amante. (Thème
de
Tristan : c’est le rachat de la fatalité du philtre.) Céladon s’avanc
3568
idèle amante. (Thème de Tristan : c’est le rachat
de
la fatalité du philtre.) Céladon s’avance, mais ô miracle, les lions
3569
le ciel s’obscurcit, le tonnerre gronde, le génie
de
l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin de l’enchantement. Ast
3570
de l’Amour paraît dans un nuage et annonce la fin
de
l’enchantement. Astrée et Céladon évanouis (c’est une mort métaphoriq
3571
ils se réveillent, puis s’épousent. On a coutume
de
déclarer inexplicable le succès prodigieux de l’Astrée. Pourtant ses
3572
ume de déclarer inexplicable le succès prodigieux
de
l’Astrée. Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux de nos ré
3573
Pourtant ses charmes ne sont point inégaux à ceux
de
nos récents romans féeriques. Et la psychologie des écrivains françai
3574
psychologie des écrivains français n’a pas cessé
de
se complaire dans l’élégance allégorique : voir Giraudoux. La Fontain
3575
ine adorait « cette œuvre exquise ». Et Rousseau,
de
passage à Lyon, voulut aller visiter le Forez et rechercher sur les r
3576
esse, elle lui dit que le Forez était un bon pays
de
forges et qu’on y travaillait fort bien le fer. « Cette bonne femme,
3577
serrurier. » ⁂ En vérité je me sens fort capable
d’
entreprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue de l’art littérair
3578
é je me sens fort capable d’entreprendre un éloge
de
l’Astrée : du point de vue de l’art littéraire, c’est une réussite ca
3579
treprendre un éloge de l’Astrée : du point de vue
de
l’art littéraire, c’est une réussite capitale. Jamais les ressources
3580
’est une réussite capitale. Jamais les ressources
d’
une rhétorique plus savante n’ont été à ce point harmonisées. L’on n’i
3581
nt été à ce point harmonisées. L’on n’imagine pas
de
roman mieux écrit ; plus strictement réglé, dans son progrès, sur les
3582
strictement réglé, dans son progrès, sur les lois
d’
une plus sûre esthétique. L’emploi de « personnages constants » — le b
3583
sur les lois d’une plus sûre esthétique. L’emploi
de
« personnages constants » — le berger, la bergère, le volage, la coqu
3584
dialectique des sentiments sa meilleure garantie
de
précision, et disons même de vérité. Ici c’est l’art et non « la vie
3585
a meilleure garantie de précision, et disons même
de
vérité. Ici c’est l’art et non « la vie » qui mène le jeu. Nous somme
3586
i mène le jeu. Nous sommes en face d’une création
de
l’esprit, et non d’une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou
3587
sommes en face d’une création de l’esprit, et non
d’
une confusion de reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et
3588
’une création de l’esprit, et non d’une confusion
de
reflets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immé
3589
prit, et non d’une confusion de reflets troubles,
d’
aveux plus ou moins indiscrets et de hasards immérités (comme sont les
3590
ets troubles, d’aveux plus ou moins indiscrets et
de
hasards immérités (comme sont les romans d’aujourd’hui). En un mot, l
3591
ts et de hasards immérités (comme sont les romans
d’
aujourd’hui). En un mot, l’Astrée est une œuvre. Elle suppose un métie
3592
Elle suppose un métier savant, et vingt-cinq ans
d’
application. Le snobisme qui lui fit un succès était mieux averti que
3593
ieux averti que le nôtre. Mais aussi ce caractère
d’
achèvement nous permet de poser une question nette : que vaut le succè
3594
Mais aussi ce caractère d’achèvement nous permet
de
poser une question nette : que vaut le succès même de l’effort littér
3595
oser une question nette : que vaut le succès même
de
l’effort littéraire ? Si l’on songe au mythe primitif, dont l’Astrée
3596
l’Astrée reprend tous les thèmes, l’on est frappé
de
constater que chez d’Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le de
3597
les thèmes, l’on est frappé de constater que chez
d’
Urfé le tragique se dégrade en émotion, et le destin en machine romane
3598
e la littérature la plus parfaite, en raison même
de
sa perfection, n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices de f
3599
n’est qu’un sous-produit des mystiques créatrices
de
formes et de mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever e
3600
ous-produit des mystiques créatrices de formes et
de
mythes ? Et qu’elle suppose, pour fleurir et s’achever en tant qu’œuv
3601
e qu’une résistance à peu près nulle aux attaques
de
l’esprit réaliste et de ce qu’on nomme l’intérêt civique — comme il a
3602
u près nulle aux attaques de l’esprit réaliste et
de
ce qu’on nomme l’intérêt civique — comme il apparaît de nos jours ? A
3603
qu’on nomme l’intérêt civique — comme il apparaît
de
nos jours ? Alors que les mystiques et les religions prennent au cont
3604
ns et railleries qu’on leur oppose ? Ce fut assez
d’
un décret de l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de
3605
ries qu’on leur oppose ? Ce fut assez d’un décret
de
l’officieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros de Roman — pour
3606
ficieux Boileau — le court Dialogue sur les Héros
de
Roman — pour réduire au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels
3607
au silence et à l’oubli, jusque dans les manuels
de
notre siècle, la féerie romanesque née de l’Astrée, et le roman comiq
3608
manuels de notre siècle, la féerie romanesque née
de
l’Astrée, et le roman comique, son parasite142. Il n’y eut plus qu’un
3609
est dans le théâtre classique — donc au cœur même
d’
un ordre intolérant — que la passion devait trouver sa revanche la plu
3610
he la plus éclatante. On connaît le curieux sujet
de
la Place royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant d’Angélique
3611
royale, comédie fort désobligeante. Alidor amant
d’
Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’atta
3612
désobligeante. Alidor amant d’Angélique, et aimé
d’
elle, « se trouve incommodé d’un amour qui l’attache trop » et il veut
3613
’Angélique, et aimé d’elle, « se trouve incommodé
d’
un amour qui l’attache trop » et il veut faire en sorte que sa maîtres
3614
rte que sa maîtresse se donne à son ami Cléandre.
D’
où l’on conclut généralement que Corneille est le premier auteur qui a
3615
qui ait échappé à l’emprise du mythe. Le cas vaut
d’
être analysé. Voici comme Alidor se plaint au premier acte : Ce n’est
3616
m’aimant trop qu’elle me fait mourir ; Un moment
de
froideur, et je pourrais guérir ; Une mauvaise œillade, un peu de jal
3617
parfaite, et sa perfection N’approche point encor
de
son affection ; Point de refus pour moi, point d’heures inégales ; Ac
3618
n N’approche point encor de son affection ; Point
de
refus pour moi, point d’heures inégales ; Accablé de faveurs à mon re
3619
de son affection ; Point de refus pour moi, point
d’
heures inégales ; Accablé de faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ic
3620
refus pour moi, point d’heures inégales ; Accablé
de
faveurs à mon repos fatales… Arrêtons ici la tirade : les premiers v
3621
Quoi, c’est le bonheur qui serait fatal au repos
de
cet étrange amant ? Et le malheur d’être trahi par Angélique le guéri
3622
tal au repos de cet étrange amant ? Et le malheur
d’
être trahi par Angélique le guérirait de son amour ? Cet Alidor serait
3623
e malheur d’être trahi par Angélique le guérirait
de
son amour ? Cet Alidor serait un curieux monstre ! Disons plutôt qu’o
3624
isons plutôt qu’on voit trop bien ce qu’il essaie
de
nous dissimuler. Lui aussi, il ne veut que « brûler ! » Mais il ne pe
3625
le goût du malheur, à cette époque. « J’ai honte
de
souffrir les maux dont je me plains », dit-il plus bas. C’est donc la
3626
it-il plus bas. C’est donc la honte qui est cause
de
son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstacle entre
3627
est cause de son mensonge. En vérité, il souffre
de
l’absence d’un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même
3628
son mensonge. En vérité, il souffre de l’absence
d’
un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même. Il manque u
3629
ns passés dans la forêt. Tristan avait le recours
de
rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint d’inventer un rival. So
3630
de rendre Iseut à son mari. Alidor est contraint
d’
inventer un rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare d’Angéli
3631
idor est contraint d’inventer un rival. Souffrant
de
ce que plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux d’avouer cett
3632
rival. Souffrant de ce que plus rien ne le sépare
d’
Angélique, mais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine de se pl
3633
plus rien ne le sépare d’Angélique, mais honteux
d’
avouer cette souffrance, il imagine de se plaindre d’être trop enchaîn
3634
ais honteux d’avouer cette souffrance, il imagine
de
se plaindre d’être trop enchaîné par cette fidélité — alors qu’on voi
3635
vouer cette souffrance, il imagine de se plaindre
d’
être trop enchaîné par cette fidélité — alors qu’on voit tout au contr
3636
lors qu’on voit tout au contraire qu’il désespère
de
ne point l’être assez. Il proclame un besoin d’être libre qui traduit
3637
e de ne point l’être assez. Il proclame un besoin
d’
être libre qui traduit un profond désir de n’être plus même en état de
3638
besoin d’être libre qui traduit un profond désir
de
n’être plus même en état de désirer aucune liberté. C’est ce qui se p
3639
duit un profond désir de n’être plus même en état
de
désirer aucune liberté. C’est ce qui se passerait si Angélique faisai
3640
est ce qui se passerait si Angélique faisait mine
de
lui échapper. Mais voyez comme il est habile : Cléandre Vit-on jamai
3641
mme il est habile : Cléandre Vit-on jamais amant
de
la sorte enflammé Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ? Alidor
3642
s’arrête aux sentiments vulgaires ? Il le prend
de
haut : méfions-nous. C’est qu’il se dispose à mentir. Il ne faut poi
3643
’il se dispose à mentir. Il ne faut point servir
d’
objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir d’amour qui ne nous
3644
objet qui nous possède ; Il ne faut point nourrir
d’
amour qui ne nous cède : Je le hais s’il me force : et quand j’aime, j
3645
hais s’il me force : et quand j’aime, je veux Que
de
ma volonté dépendent tous mes vœux ; Que mon feu m’obéisse, au lieu d
3646
e classique, pensera-t-on : la volonté triomphant
de
la passion. Mais la suite de la comédie, même si nous ignorions les r
3647
a volonté triomphant de la passion. Mais la suite
de
la comédie, même si nous ignorions les ruses du mythe, nous ferait bi
3648
hautaines déclarations. « Il ne faut point servir
d’
objet qui nous possède » signifie en réalité : « Le seul objet qui vai
3649
signifie en réalité : « Le seul objet qui vaille
d’
être servi, c’est celui qui nous posséderait totalement et qui, par sa
3650
ers mots : « … et l’éteindre » étant pur artifice
de
rhétorique, destiné à persuader le lecteur, ou Cléandre, ou Corneille
3651
Corneille a tout fait pour cela. Dans la dédicace
de
sa pièce, il s’adresse en ces termes à un personnage inconnu ; « C’e
3652
en ces termes à un personnage inconnu ; « C’est
de
vous que j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujour
3653
nu ; « C’est de vous que j’ai appris que l’amour
d’
un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais
3654
t qu’enfin la personne aimée nous a beaucoup plus
d’
obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre
3655
personne aimée nous a beaucoup plus d’obligation
de
notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de
3656
e notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet
de
notre choix et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination
3657
rs qu’elle est toujours l’effet de notre choix et
de
son mérite, que quand elle vient d’une inclination aveugle, et forcée
3658
otre choix et de son mérite, que quand elle vient
d’
une inclination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance
3659
lination aveugle, et forcée par quelque ascendant
de
naissance à qui nous ne pouvons résister… On ne donne point ce qu’on
3660
bel et bon. Mais nous n’oublions pas que ce refus
de
la contrainte fatale, cette liberté qui fait le prix du don, c’est un
3661
rix du don, c’est une des exigences fondamentales
de
l’amour courtois (l’un des articles des Leys d’Amors). Et que cette e
3662
te trop fidèle se trouvent malgré eux dans l’état
de
mariés, à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour de la liber
3663
à quoi notre héros veut échapper non pour l’amour
de
la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour de la passion. À tel
3664
de la liberté — qu’il allègue — mais pour l’amour
de
la passion. À tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes De cr
3665
tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes
De
crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît d’un amour par force
3666
e crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir, Fît
d’
un amour par force un amour par devoir. C’est le plus pur langage cou
3667
rai chez elle encor le moindre accès Mes desseins
de
guérir n’auront point de succès. Ces « desseins de guérir » (entendo
3668
indre accès Mes desseins de guérir n’auront point
de
succès. Ces « desseins de guérir » (entendons : de brûler ; donc en
3669
guérir n’auront point de succès. Ces « desseins
de
guérir » (entendons : de brûler ; donc en fait : sa crainte de guérir
3670
succès. Ces « desseins de guérir » (entendons :
de
brûler ; donc en fait : sa crainte de guérir !) sont en effet couronn
3671
entendons : de brûler ; donc en fait : sa crainte
de
guérir !) sont en effet couronnés de succès au cinquième acte. Cornei
3672
: sa crainte de guérir !) sont en effet couronnés
de
succès au cinquième acte. Corneille l’avoue plus tard, tout en feigna
3673
te. Corneille l’avoue plus tard, tout en feignant
de
s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen de sa pièce : « Cet a
3674
de s’en étonner, comme il se doit, dans un Examen
de
sa pièce : « Cet amour de son repos n’empêche point qu’au cinquième
3675
e doit, dans un Examen de sa pièce : « Cet amour
de
son repos n’empêche point qu’au cinquième acte (Alidor) ne se montre
3676
maîtresse, malgré la résolution qu’il avait prise
de
s’en défaire, et les trahisons qu’il lui a faites ; de sorte qu’il se
3677
ommencer à l’aimer que quand il lui a donné sujet
de
le haïr. » L’aveu est complet cette fois-ci. Mais dans le plan pureme
3678
e logique. « Cela fait, conclut-il, une inégalité
de
mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement d
3679
mœurs qui est vicieuse. » Ne nous étonnons point
de
cet aveuglement de l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfait
3680
euse. » Ne nous étonnons point de cet aveuglement
de
l’auteur sur son dessein réel, pourtant si parfaitement mené à chef.
3681
t si parfaitement mené à chef. L’essence du mythe
de
l’amour malheureux, nous le savons, c’est une passion inavouable. L’o
3682
vons, c’est une passion inavouable. L’originalité
de
Corneille demeure d’avoir voulu combattre et nier cette passion dont
3683
on inavouable. L’originalité de Corneille demeure
d’
avoir voulu combattre et nier cette passion dont il vivait, et ce myth
3684
et le Cid. Il a voulu sauver au moins le principe
de
la liberté, c’est-à-dire de la personne — sans lui sacrifier toutefoi
3685
au moins le principe de la liberté, c’est-à-dire
de
la personne — sans lui sacrifier toutefois les effets délicieux et to
3686
» (ici métaphorique). Bien mieux ; cette volonté
de
liberté est devenue l’agent le plus efficace de la passion qu’elle pr
3687
é de liberté est devenue l’agent le plus efficace
de
la passion qu’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée de ce
3688
efficace de la passion qu’elle prétendait guérir.
D’
où la tension inégalée de ce « théâtre du devoir » — comme le récitent
3689
’elle prétendait guérir. D’où la tension inégalée
de
ce « théâtre du devoir » — comme le récitent et le réciteront toujour
3690
citeront toujours ceux qui ne sont guère capables
de
l’aimer… 10.Racine, ou le mythe déchaîné L’opposition classique
3691
e, ou le mythe déchaîné L’opposition classique
de
Racine et de Corneille se réduit à ceci, touchant le mythe : Racine p
3692
e déchaîné L’opposition classique de Racine et
de
Corneille se réduit à ceci, touchant le mythe : Racine part du philtr
3693
touchant le mythe : Racine part du philtre comme
d’
un fait indiscutable privant ses victimes de toute espèce de responsab
3694
comme d’un fait indiscutable privant ses victimes
de
toute espèce de responsabilité ; « C’est Vénus tout entière à sa proi
3695
indiscutable privant ses victimes de toute espèce
de
responsabilité ; « C’est Vénus tout entière à sa proie attachée », —
3696
u’ « une tyrannie dont il faut secouer le joug ».
D’
où l’harmonie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue de l’autre
3697
ut secouer le joug ». D’où l’harmonie voluptueuse
de
l’un, et la dialectique tendue de l’autre ; l’un s’abandonnant au cou
3698
nie voluptueuse de l’un, et la dialectique tendue
de
l’autre ; l’un s’abandonnant au courant, l’autre lui résistant, bien
3699
ntraîné…) L’invitus invitam 143 qui fait le sujet
de
Bérénice, c’est une formule antique interprétée par un « moderne » da
3700
par un « moderne » dans la perspective courtoise
de
l’amour réciproque malheureux. Ainsi devient-elle la formule même de
3701
ue malheureux. Ainsi devient-elle la formule même
de
notre mythe. Mais Racine, dans ses premières pièces, raccourcit la po
3702
pièces, raccourcit la portée du mythe à la mesure
d’
une psychologie exagérément « admissible ». « Je n’ai point poussé Bér
3703
it avec Énée, elle n’est pas obligée, comme elle,
de
renoncer à la vie. » L’on sent tout l’artifice et la faiblesse du « r
3704
« raisonnement » qui se voit opposé à la passion
de
la Nuit ! « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des m
3705
sions y soient excitées, et que tout s’y ressente
de
cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.
3706
te tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir
de
la tragédie. » Or cette « tristesse majestueuse qui fait tout le plai
3707
« tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir
de
la tragédie », ce n’est que la moitié du mythe, son aspect diurne, so
3708
on aspect diurne, son reflet moral dans notre vie
de
créatures finies. Il y manque l’aspect nocturne, l’épanouissement mys
3709
ne, l’épanouissement mystique dans la vie infinie
de
la Nuit. Il y manque ce que l’on pourrait appeler, symétriquement, «
3710
sans un appauvrissement métaphysique, générateur
de
confusions incalculables. Car enfin cette « tristesse » racinienne, s
3711
est dans le monde du jour, et qualifiée néanmoins
de
« plaisir », l’on ne voit pas en quoi ce serait davantage qu’une moro
3712
es, l’on est fondé à contester la vérité dernière
de
la croyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine de la passion
3713
oyance mystique (manichéenne) qui est à l’origine
de
la passion et de son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que ce
3714
manichéenne) qui est à l’origine de la passion et
de
son mythe : du moins faut-il bien reconnaître que cette croyance donn
3715
ui en résulte, c’est que l’obstacle est un masque
de
la mort, et que la mort est le gage d’une transfiguration, l’instant
3716
un masque de la mort, et que la mort est le gage
d’
une transfiguration, l’instant où ce qui était la Nuit se révèle le Jo
3717
tait la Nuit se révèle le Jour absolu. Mais faute
d’
atteindre cette limite, un Racine se condamne et nous condamne à goûte
3718
condamne et nous condamne à goûter une mélancolie
de
nature essentiellement trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer
3719
ent trouble. L’Éros courtois voulait nous libérer
de
la vie matérielle par la mort ; et l’Agapè chrétienne veut sanctifier
3720
sait quel « plaisir », cela révèle en définitive
d’
assez morbides complaisances à la défaite de l’esprit, à la résignatio
3721
itive d’assez morbides complaisances à la défaite
de
l’esprit, à la résignation des sens. Et déjà l’on pressent que cet ab
3722
cet abandon au « mal du siècle » (sécularisation
de
la passion) ne peut conduire Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à
3723
Racine qu’au jansénisme, c’est-à-dire à la forme
de
mortification morose — d’autopunition dira Freud — qui se trouve la m
3724
c’est-à-dire à la forme de mortification morose —
d’
autopunition dira Freud — qui se trouve la mieux adaptée au tempéramen
3725
e conversion-là ne pourra s’opérer qu’à la faveur
d’
une crise révélant à Racine lui-même la vraie nature de son délire. Ph
3726
crise révélant à Racine lui-même la vraie nature
de
son délire. Phèdre est un moment décisif non seulement dans la vie du
3727
is dans l’évolution du mythe à travers l’histoire
de
l’Europe. 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème de la mort
3728
. 11. Phèdre, ou le mythe « puni » Le thème
de
la mort est écarté dans Bérénice par une « censure » morale évidemmen
3729
par une « censure » morale évidemment chrétienne
d’
origine. Racine ne peut ni ne veut être pleinement lucide. Car sa luci
3730
e plus secret, et sans se l’avouer. Mais la crise
de
sa passion pour une femme qui fut peut-être la Champmeslé, et les pre
3731
ut-être la Champmeslé, et les premières atteintes
d’
une vraie foi vont le pousser comme malgré lui, et plus qu’il n’espéra
3732
algré lui, et plus qu’il n’espérait, aux extrêmes
de
l’aveu. Phèdre, c’est la revanche de la mort. Oui, Racine le sait ma
3733
ux extrêmes de l’aveu. Phèdre, c’est la revanche
de
la mort. Oui, Racine le sait maintenant, c’est une nécessité qu’il y
3734
arti du jour, la mort n’est plus que le châtiment
de
ses trop longues complaisances. C’est la passion, c’est sa propre pas
3735
assion, qu’il châtie en vouant à la mort la fille
de
Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert de son sujet antique,
3736
de Minos, et sa victime ! Racine, sous le couvert
de
son sujet antique, se punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisan
3737
punit doublement dans Phèdre. D’abord en faisant
de
l’obstacle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’est plus admi
3738
st-à-dire une entrave qu’il n’est plus admissible
de
vouloir vaincre. L’opinion — à laquelle Racine se montre si sensible
3739
ar personnes interposées en refusant à la passion
de
Phèdre toute réciprocité de la part d’Hippolyte. Or Phèdre était écri
3740
était écrite pour Champmeslé, qui y tint le rôle
de
la reine. Et Hippolyte, c’est Racine tel que maintenant il se souhait
3741
ondant Phèdre et la femme qu’il aime, il se venge
de
l’objet de sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion
3742
re et la femme qu’il aime, il se venge de l’objet
de
sa passion, et il se démontre à lui-même que cette passion est condam
3743
e sans appel. Mais je l’ai dit, Racine à l’époque
de
Phèdre est encore en pleine crise, balançant devant la décision. D’où
3744
re en pleine crise, balançant devant la décision.
D’
où la duplicité profonde de la pièce. La loi morale, la loi du jour qu
3745
nt devant la décision. D’où la duplicité profonde
de
la pièce. La loi morale, la loi du jour qu’il veut servir désormais,
3746
ine à rendre le jeune prince insensible à l’amour
de
Phèdre. Il déclare donc cet amour incestueux, encore que cette reine
3747
encore que cette reine ne soit que la belle-mère
d’
Hippolyte. Mais le vieil homme, le Racine naturel, cherche à tourner c
3748
ment il s’y prend : en rendant Hippolyte amoureux
d’
Aricie, dont on va voir qu’elle est une Phèdre déguisée. Le tour est t
3749
est très subtil. « Pour ce qui est du personnage
d’
Hippolyte, écrit-il dans la Préface, j’avais remarqué dans les anciens
3750
rqué dans les anciens qu’on reprochait à Euripide
de
l’avoir représenté comme un philosophe exempt de toute imperfection :
3751
de l’avoir représenté comme un philosophe exempt
de
toute imperfection : ce qui faisait que la mort de ce jeune prince ca
3752
e toute imperfection : ce qui faisait que la mort
de
ce jeune prince causait beaucoup plus d’indignation que de pitié. J’a
3753
la mort de ce jeune prince causait beaucoup plus
d’
indignation que de pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse
3754
ne prince causait beaucoup plus d’indignation que
de
pitié. J’ai cru lui devoir donner quelque faiblesse qui le rendrait u
3755
able envers son père, sans pourtant lui rien ôter
de
cette grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et
3756
re, sans pourtant lui rien ôter de cette grandeur
d’
âme avec laquelle il épargne l’honneur de Phèdre, et se laisse opprime
3757
grandeur d’âme avec laquelle il épargne l’honneur
de
Phèdre, et se laisse opprimer sans l’accuser. J’appelle faiblesse la
3758
, qui est la fille et la sœur des ennemis mortels
de
son père. » Ainsi donc, Aricie, c’est « l’amour que le Père interdit
3759
amour que le Père interdit » — un substitut voilé
de
l’amour incestueux144. (La psychanalyse nous a accoutumés à des dégui
3760
. Ici, comme dans le mythe, le « Destin » servira
d’
alibi à la responsabilité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle
3761
le « Destin » servira d’alibi à la responsabilité
de
ceux qui aiment, et du même coup, à celle de l’auteur. Ah ! Seigneur
3762
lité de ceux qui aiment, et du même coup, à celle
de
l’auteur. Ah ! Seigneur ! si notre heure est une fois marquée Le cie
3763
eur ! si notre heure est une fois marquée Le ciel
de
nos raisons ne sait point s’informer. (I,1.) Ce n’est pas ce ciel-là
3764
à tel point essentielle à la pièce, constitutive
de
la crise même d’où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire re
3765
ntielle à la pièce, constitutive de la crise même
d’
où elle est née, qu’il serait bien vain d’en faire reproche à son aute
3766
se même d’où elle est née, qu’il serait bien vain
d’
en faire reproche à son auteur. Il fallait Phèdre. Il fallait cet affl
3767
the au jour. Il fallait cette douloureuse poussée
de
la volonté de mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossib
3768
l fallait cette douloureuse poussée de la volonté
de
mort cherchant à se délivrer d’elle-même par l’impossible aveu, se re
3769
sée de la volonté de mort cherchant à se délivrer
d’
elle-même par l’impossible aveu, se retenant, s’avouant enfin à l’inst
3770
tant où elle y renonçait — avec le mouvement même
de
la reine, à trois reprises145. Il fallait cela pour que l’amour-passi
3771
s l’apparition du mythe au xiie siècle, triomphe
de
la mort de l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de
3772
ion du mythe au xiie siècle, triomphe de la mort
de
l’amante, renversant toute la dialectique de Tristan et de Roméo : E
3773
mort de l’amante, renversant toute la dialectique
de
Tristan et de Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté rend
3774
te, renversant toute la dialectique de Tristan et
de
Roméo : Et la mort à mes yeux dérobant la clarté rend au jour qu’il
3775
ient toute sa pureté. — Elle expire. Seigneur ! —
D’
une action si noire Que ne peut avec elle expirer la mémoire ! Malgr
3776
que je puis assurer, c’est que je n’ai point fait
de
tragédie où la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci ; les m
3777
seule pensée du crime y est regardée avec autant
d’
horreur que le crime même ; les faiblesses de l’amour y passent pour d
3778
tant d’horreur que le crime même ; les faiblesses
de
l’amour y passent pour de vraies faiblesses ; les passions n’y sont p
3779
e même ; les faiblesses de l’amour y passent pour
de
vraies faiblesses ; les passions n’y sont présentées aux yeux que pou
3780
e dont elles sont cause… » On est loin du dessein
d’
« exciter les passions » pour « plaire » à un besoin de « tristesse ma
3781
xciter les passions » pour « plaire » à un besoin
de
« tristesse majestueuse ». On est tout près de Port-Royal. Racine, co
3782
rès de Port-Royal. Racine, comme Pétrarque, était
de
la race des troubadours qui trahissent l’Amour pour l’amour : ceux-là
3783
s en religion. Mais notons-le : dans une religion
de
retraite — dernière injure peut-être au jour intolérable… 12.Éclip
3784
e français souffre ou bénéficie, comme on voudra,
d’
une première éclipse du mythe dans les mœurs et la philosophie. La mis
3785
. La mise en ordre (pour ne pas dire mise au pas)
de
la société féodale par l’État-roi entraîne des modifications assez pr
3786
les coutumes. Le mariage redevient l’institution
de
base : il atteint un point d’équilibre où les siècles suivants auront
3787
vient l’institution de base : il atteint un point
d’
équilibre où les siècles suivants auront grand-peine à se maintenir, e
3788
réelle ou supposée n’y ajoute guère qu’un élément
d’
exquise perfection, de luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie q
3789
ajoute guère qu’un élément d’exquise perfection,
de
luxe heureux, dernière touche d’une fantaisie qui sent presque l’impe
3790
uise perfection, de luxe heureux, dernière touche
d’
une fantaisie qui sent presque l’impertinence. (Le xviiie la jugera v
3791
resque l’impertinence. (Le xviiie la jugera vite
de
mauvais goût.) La convenance des rangs et la conformité des « qualité
3792
bon mariage : curieuse analogie avec la Chine. Et
de
fait, c’est à partir de ce xviie siècle « rationnel » que nos mœurs
3793
nul paraisse y prendre garde, se rangent aux lois
de
la raison du siècle, reniant l’absolu chrétien. Les « mérites » et no
3794
non plus la grâce imprévisible décident désormais
d’
une union, et rendront seuls « aimable » un parti soigneusement raison
3795
mable » un parti soigneusement raisonné. Triomphe
de
la morale jésuite. C’est le baroque classique qui vient emprisonner,
3796
classique qui vient emprisonner, dans l’artifice
de
ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse de la passion telle q
3797
e ses pompes, le sentiment. Aussi bien, l’analyse
de
la passion telle que la conduit un Descartes, sa réduction à des caté
3798
tement distinctes, à des hiérarchies rationnelles
de
qualités, mérites et facultés, devait-elle aboutir nécessairement à l
3799
outir nécessairement à la dissolution du mythe et
de
son dynamisme originel. C’est que le mythe ne déploie son empire que
3800
nsgression du domaine où vaut la morale. ⁂ Le cas
de
Spinoza mériterait un chapitre, mais son influence sur les mœurs ne s
3801
iècles plus tard. (Il a fallu que les philosophes
de
Sturm und Drang le traduisissent en allemand pour les poètes, qui l’o
3802
dimanche.) Spinoza définit l’amour : un sentiment
de
joie accompagné de l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un s
3803
définit l’amour : un sentiment de joie accompagné
de
l’idée d’une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs
3804
amour : un sentiment de joie accompagné de l’idée
d’
une cause extérieure. C’est juste en un seul cas, d’ailleurs le seul p
3805
ine, et nos plaisirs à nos douleurs. Il n’est pas
de
cause isolée qui nous détermine purement. Entre la joie et sa cause e
3806
hé, la vertu, notre corps, notre moi distinct. Et
de
là vient l’ardeur de la passion. Et de là vient que le désir d’union
3807
orps, notre moi distinct. Et de là vient l’ardeur
de
la passion. Et de là vient que le désir d’union totale se lie indisso
3808
stinct. Et de là vient l’ardeur de la passion. Et
de
là vient que le désir d’union totale se lie indissolublement au désir
3809
ardeur de la passion. Et de là vient que le désir
d’
union totale se lie indissolublement au désir de la mort qui libère. C
3810
r d’union totale se lie indissolublement au désir
de
la mort qui libère. C’est parce que la passion n’existe pas sans la d
3811
e qui l’a séduite : « Je vous rends grâce du fond
de
mon cœur pour la désespérance où vous m’avez jetée, et méprise le rep
3812
eu ! Aimez-moi donc toujours, faites-moi souffrir
de
pires douleurs encore ! » Vers la fin du xviiie siècle, c’est une au
3813
u, c’est vraiment l’éclipse totale du Soleil noir
de
la Mélancolie. Les « qualités » et les « mérites » qui rendent « aima
3814
érites » qui rendent « aimable », selon les roués
de
la Régence et du règne de Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral,
3815
able », selon les roués de la Régence et du règne
de
Louis XV, ne sont plus même d’ordre moral, mais intellectuel et physi
3816
égence et du règne de Louis XV, ne sont plus même
d’
ordre moral, mais intellectuel et physique. La distinction de l’esprit
3817
al, mais intellectuel et physique. La distinction
de
l’esprit et de la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de
3818
ectuel et physique. La distinction de l’esprit et
de
la chair, succédant à la séparation de l’esprit et de l’âme croyante,
3819
’esprit et de la chair, succédant à la séparation
de
l’esprit et de l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligen
3820
a chair, succédant à la séparation de l’esprit et
de
l’âme croyante, aboutit à diviser l’être en intelligence et en sexe.
3821
la passion n’a plus où se prendre. Et l’on parle
de
« passionnettes ». Le dieu d’Amour n’est plus un dur destin mais un e
3822
ndre. Et l’on parle de « passionnettes ». Le dieu
d’
Amour n’est plus un dur destin mais un enfant impertinent. Presque plu
3823
ant impertinent. Presque plus rien n’est défendu.
De
la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour la rhétoriqu
3824
hétorique du désir, mais non plus même pour celle
de
l’amour. « Belle vertu, dit Mme d’Épinay, qu’on s’attache avec des ép
3825
re qu’à la « guerre en dentelles ».) Or ce siècle
de
la Volupté n’est pas celui de la santé sensuelle, s’il a cru se guéri
3826
es ».) Or ce siècle de la Volupté n’est pas celui
de
la santé sensuelle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes de ce
3827
elle, s’il a cru se guérir du mythe. « Les femmes
de
ce temps n’aiment pas avec le cœur, elles aiment avec la tête », dit
3828
c la tête », dit l’abbé Galiani. Des « débauchées
de
l’esprit », ajoute Walpole, donnant peut-être la meilleure formule du
3829
des Richelieu et des Casanova, je suis moins sûr
de
leur réalité que de celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncou
3830
s Casanova, je suis moins sûr de leur réalité que
de
celle du désir qui les crée. Ce désir, les Goncourt l’ont très bien a
3831
iècle : « Au lieu de lui donner les satisfactions
de
l’amour sensuel et de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’
3832
ui donner les satisfactions de l’amour sensuel et
de
la fixer dans la volupté, l’amour la remplit d’inquiétude, la pousse
3833
t de la fixer dans la volupté, l’amour la remplit
d’
inquiétude, la pousse d’essai en essai, de tentatives en tentatives, a
3834
lupté, l’amour la remplit d’inquiétude, la pousse
d’
essai en essai, de tentatives en tentatives, agitant devant elle, à me
3835
remplit d’inquiétude, la pousse d’essai en essai,
de
tentatives en tentatives, agitant devant elle, à mesure qu’elle fait
3836
ntation des corruptions spirituelles, un mensonge
d’
idéal, le caprice insaisissable des rêves de la débauche. » Un « menso
3837
songe d’idéal, le caprice insaisissable des rêves
de
la débauche. » Un « mensonge d’idéal », c’est bien à quoi se résumera
3838
issable des rêves de la débauche. » Un « mensonge
d’
idéal », c’est bien à quoi se résumera toujours la réaction cynique co
3839
cynique contre le mythe. Nous en avons donné plus
d’
un exemple. Le xviiie est trop poli pour admettre la gauloiserie : il
3840
gauloiserie : il la remplace par une affectation
de
facilité voluptueuse. Cette boutade, qui réduit tout l’amour au conta
3841
Cette boutade, qui réduit tout l’amour au contact
de
deux épidermes j’y vois bien moins l’affirmation d’un matérialisme in
3842
deux épidermes j’y vois bien moins l’affirmation
d’
un matérialisme inhumain qu’une preuve de la secrète persistance du my
3843
irmation d’un matérialisme inhumain qu’une preuve
de
la secrète persistance du mythe au cœur des hommes du xviiie . Il fal
3844
viiie . Il fallait bien que subsistât quelque peu
d’
illusion amoureuse et d’idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu jug
3845
que subsistât quelque peu d’illusion amoureuse et
d’
idéalisme diffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant » de noter
3846
iffus, pour que Chamfort ait pu juger « piquant »
de
noter cette maxime et de la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce
3847
ait pu juger « piquant » de noter cette maxime et
de
la publier. Cela pouvait encore étonner. Ce n’était encore, et ce ne
3848
mythe devait faire apparaître l’antithèse absolue
de
Tristan. Si Don Juan n’est pas, historiquement, une invention du xvii
3849
il joué par rapport à ce personnage le rôle exact
de
Lucifer par rapport à la Création, dans la doctrine manichéenne : c’e
3850
imprimé pour toujours ces deux traits si typiques
de
l’époque : la noirceur et la scélératesse. Antithèse vraiment parfait
3851
esse. Antithèse vraiment parfaite des deux vertus
de
l’amour chevaleresque : la candeur et la courtoisie. Il me semble que
3852
qu’exerce sur le cœur des femmes et sur l’esprit
de
certains hommes le personnage mythique de Don Juan peut s’expliquer p
3853
’esprit de certains hommes le personnage mythique
de
Don Juan peut s’expliquer par sa nature infiniment contradictoire. Do
3854
an, c’est à la fois l’espèce pure, la spontanéité
de
l’instinct, et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus de la mer
3855
, et l’esprit pur dans sa danse éperdue au-dessus
de
la mer des possibles. C’est l’infidélité perpétuelle, mais c’est auss
3856
tuelle, mais c’est aussi la perpétuelle recherche
d’
une femme unique, jamais rejointe par l’erreur inlassable du désir. C’
3857
ur inlassable du désir. C’est l’insolente avidité
d’
une jeunesse renouvelée à chaque rencontre, et c’est aussi la secrète
3858
ue rencontre, et c’est aussi la secrète faiblesse
de
celui qui ne peut pas posséder, parce qu’il n’est pas assez pour avoi
3859
le Don Juan du théâtre148 comme le reflet inversé
de
Tristan. Le contraste est d’abord dans l’allure extérieure des person
3860
u contraire, Tristan vient en scène avec l’espèce
de
lenteur somnambulique de celui qu’hypnotise un objet merveilleux, don
3861
t en scène avec l’espèce de lenteur somnambulique
de
celui qu’hypnotise un objet merveilleux, dont il n’aura jamais épuisé
3862
n, toujours aimé, ne peut jamais aimer en retour.
D’
où son angoisse et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte d’amo
3863
et sa course éperdue. L’un recherche dans l’acte
d’
amour la volupté d’une profanation, l’autre accomplit en restant chast
3864
ue. L’un recherche dans l’acte d’amour la volupté
d’
une profanation, l’autre accomplit en restant chaste la « prouesse » d
3865
t chaste la « prouesse » divinisante. La tactique
de
Don Juan, c’est le viol, et aussitôt remportée la victoire, il abando
3866
il abandonne le terrain, il s’enfuit. Or la règle
de
l’amour courtois faisait du viol précisément le crime des crimes, la
3867
crime des crimes, la félonie sans rémission ; et
de
l’hommage un engagement jusqu’à la mort. Mais Don Juan aime le crime
3868
ime le crime en soi, et par là se rend tributaire
de
la morale dont il abuse. Il a grand besoin qu’elle existe pour trouve
3869
es règles, des péchés et des vertus, par la grâce
d’
une vertu qui transcende le monde de la Loi. Enfin tout se ramène à ce
3870
par la grâce d’une vertu qui transcende le monde
de
la Loi. Enfin tout se ramène à cette opposition : Don Juan est le dém
3871
ramène à cette opposition : Don Juan est le démon
de
l’immanence pure, le prisonnier des apparences du monde, le martyr de
3872
le prisonnier des apparences du monde, le martyr
de
la sensation de plus en plus décevante et méprisable — quand Tristan
3873
e et méprisable — quand Tristan est le prisonnier
d’
un au-delà du jour et de la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mu
3874
Tristan est le prisonnier d’un au-delà du jour et
de
la nuit, le martyr d’un ravissement qui se mue en joie pure à la mort
3875
ier d’un au-delà du jour et de la nuit, le martyr
d’
un ravissement qui se mue en joie pure à la mort. On peut noter encore
3876
e le Commandeur lui tend la main, au dernier acte
de
Mozart, rachetant par cet ultime défi des lâchetés qui eussent déshon
3877
’abdique au contraire son orgueil qu’à l’approche
de
la mort lumineuse. Je ne leur vois qu’un trait commun : tous deux ont
3878
trait commun : tous deux ont l’épée à la main. ⁂
De
la Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve d’une aristocrat
3879
Régence à Louis XVI, Don Juan a régné sur le rêve
d’
une aristocratie déchue de l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzu
3880
uan a régné sur le rêve d’une aristocratie déchue
de
l’héroïsme féodal. Un Richelieu ou un Lauzun dans la plus haute socié
3881
te, tels sont les parangons qui prennent la place
de
l’idéal détruit par le xviie siècle. Ce refoulement du mythe par l’i
3882
s plus étranges retours. Parmi tant de facilités,
de
raffinements intellectuels ou voluptueux, de satiétés, l’un des besoi
3883
tés, de raffinements intellectuels ou voluptueux,
de
satiétés, l’un des besoins les plus profonds de l’homme demeure privé
3884
, de satiétés, l’un des besoins les plus profonds
de
l’homme demeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin de souffri
3885
esoins les plus profonds de l’homme demeure privé
d’
assouvissement, et c’est le besoin de souffrir. Un corps social qui le
3886
emeure privé d’assouvissement, et c’est le besoin
de
souffrir. Un corps social qui le cultive, s’alanguit, comme l’a montr
3887
uté active les souffrances qu’il interdit au cœur
de
subir. Point de bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd l
3888
ouffrances qu’il interdit au cœur de subir. Point
de
bonté chez qui n’a pas souffert : sa fantaisie perd le contact vital,
3889
fantaisie perd le contact vital, et tout pouvoir
de
« sympathie ». La femme n’est plus pour l’homme du xviiie qu’un « ob
3890
’autre ces extrêmes : la femme-idéal, pur symbole
d’
un Amour qui entraîne l’amour au-delà des formes visibles ; et la femm
3891
r au-delà des formes visibles ; et la femme-objet
de
plaisir, instrument plus ou moins aimable d’une sensation qui enferme
3892
bjet de plaisir, instrument plus ou moins aimable
d’
une sensation qui enferme l’homme en soi… Je distingue dans la contrad
3893
’homme en soi… Je distingue dans la contradiction
de
Don Juan et de Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui
3894
Je distingue dans la contradiction de Don Juan et
de
Tristan, dans la tension insupportable de l’esprit qui vit cette cont
3895
Juan et de Tristan, dans la tension insupportable
de
l’esprit qui vit cette contradiction parce qu’il subit la sensualité
3896
ensualité et désire l’idéal courtois, les données
de
l’œuvre de Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans le
3897
t désire l’idéal courtois, les données de l’œuvre
de
Sade, et les raisons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes de
3898
nnées de l’œuvre de Sade, et les raisons précises
de
sa révolte. C’est dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle de s
3899
ons précises de sa révolte. C’est dans les Crimes
de
l’amour que Sade nous parle de son admiration pour la poésie de Pétra
3900
st dans les Crimes de l’amour que Sade nous parle
de
son admiration pour la poésie de Pétrarque. Admiration traditionnelle
3901
Sade nous parle de son admiration pour la poésie
de
Pétrarque. Admiration traditionnelle dans sa famille, depuis le maria
3902
ent l’existence du désir et des corps, la réalité
d’
un « objet ». Sade, qui est un homme du xviiie , connaît trop bien sa
3903
sera la souffrance, et la souffrance est le signe
d’
un rachat. Purification par le mal : péchons jusqu’à détruire les dern
3904
négliger l’objet, détruisons-le par des tortures
d’
où nous tirerons encore quelque plaisir, et cela fait partie de notre
3905
erons encore quelque plaisir, et cela fait partie
de
notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare de Sade. Le meurtre se
3906
de notre ascèse ! Une fureur dialectique s’empare
de
Sade. Le meurtre seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre de ce
3907
re seul peut rétablir la liberté, mais le meurtre
de
ce qu’on aime, puisque c’est cela qui nous enchaîne. On ne tue bien q
3908
amour, parce que lui seul est souverain. Le crime
d’
amour impur sauvera la pureté. Lisons maintenant avec cette clé la déf
3909
re scrupule les ennemis qui nuisent à ses projets
de
grandeur ? Des lois cruelles, arbitraires, impérieuses, pourront de m
3910
ont de même assassiner chaque siècle des millions
d’
individus, et nous, faibles et malheureux particuliers, nous ne pourro
3911
à nos vengeances ou à nos caprices ? Est-il rien
de
si barbare, de si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous l
3912
es ou à nos caprices ? Est-il rien de si barbare,
de
si ridiculement étrange, et ne devons-nous pas, sous le voile du plus
3913
le du plus profond mystère, nous venger amplement
de
cette ineptie ? » (C’est moi qui ai souligné.) Si le marquis de Sade
3914
Sade avait été interrogé sur les mobiles secrets
de
sa morale, il se fût sans nul doute réfugié derrière un verbiage cyni
3915
nts : ils signifient avec exactitude le contraire
de
leur sens littéral150. Cette glorification du sexe est une constante
3916
sexe est une constante et rationnelle profanation
de
la morale profanée du xviiie . C’est la « voie négative » d’un athée
3917
e profanée du xviiie . C’est la « voie négative »
d’
un athée qui désespère d’échapper à ses liens, et qui défie l’amour sp
3918
est la « voie négative » d’un athée qui désespère
d’
échapper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel de se manifester
3919
apper à ses liens, et qui défie l’amour spirituel
de
se manifester en tuant le criminel151. Car là seulement serait la dél
3920
roubadours… 14. La Nouvelle Héloïse Paysan
de
Genève, Rousseau échappe à l’influence du don-juanisme citadin, mais
3921
et qui n’est autre que le pétrarquisme. Le roman
de
Rousseau à proprement parler n’est pas une renaissance du mythe primi
3922
arler n’est pas une renaissance du mythe primitif
de
Tristan. Il n’a pas la violence sauvage de la légende, et encore moin
3923
imitif de Tristan. Il n’a pas la violence sauvage
de
la légende, et encore moins son arrière-plan ésotérique. Ce qui revit
3924
edia, l’heureuse mélancolie cultivée par l’ermite
de
Vaucluse. Qu’on relise les sommaires analytiques joints par un éditeu
3925
retrouve les situations que prévoyaient les leys
de
cortezia. C’est le Canzoniere mis en prose — et quelque peu embourgeo
3926
(Çà et là une citation, une allusion, témoignent
de
la connaissance que Rousseau avait de Pétrarque, véritable inventeur
3927
témoignent de la connaissance que Rousseau avait
de
Pétrarque, véritable inventeur du sentiment de la nature et du lyrism
3928
it de Pétrarque, véritable inventeur du sentiment
de
la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie a
3929
inventeur du sentiment de la nature et du lyrisme
de
la solitude.) Avec d’Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique
3930
de la nature et du lyrisme de la solitude.) Avec
d’
Urfé, la courtoisie avait tourné en casuistique profane. Chez Rousseau
3931
ue profane. Chez Rousseau, elle devient une sorte
de
piétisme raffiné. Ici encore, la décadence est manifeste. L’Héloïse
3932
’après un renoncement à la passion, et cette mort
de
Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre de Rousseau. (Il in
3933
Julie est chrétienne — autant qu’il peut dépendre
de
Rousseau. (Il insiste longuement, dans une lettre à son éditeur, sur
3934
re à son éditeur, sur son protestantisme et celui
de
ses héros : mais malgré sa sincérité, l’on ne peut que suspecter un «
3935
ne peut que suspecter un « calvinisme » qui parle
de
l’Être suprême et paraît ignorer le Christ…) Tout cela ne m’empêchera
3936
gnorer le Christ…) Tout cela ne m’empêchera point
de
confesser un goût très vif pour le style de ce roman — seul comparabl
3937
point de confesser un goût très vif pour le style
de
ce roman — seul comparable à l’Astrée sous ce rapport — et une admira
3938
l en attribuant à l’auteur du roman les croyances
de
ses personnages. Si Rousseau fut le premier à décrire ces erreurs, c’
3939
qu’il en souffrit plus que d’autres et avec plus
de
résolution de s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conc
3940
frit plus que d’autres et avec plus de résolution
de
s’y soustraire. Mais on néglige habituellement les conclusions de l’œ
3941
e. Mais on néglige habituellement les conclusions
de
l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et de cer
3942
de l’œuvre pour ne garder que le souvenir du ton,
de
l’émotion et de certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesq
3943
ne garder que le souvenir du ton, de l’émotion et
de
certaines complaisances qu’entraîne le genre romanesque. Il est visib
3944
ble que Rousseau, pas plus que Pétrarque à la fin
de
sa vie, n’est dupe de la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande
3945
plus que Pétrarque à la fin de sa vie, n’est dupe
de
la « religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie marié
3946
à la fin de sa vie, n’est dupe de la « religion »
d’
amour. Qu’on relise la grande lettre de Julie mariée (IIIe partie, let
3947
religion » d’amour. Qu’on relise la grande lettre
de
Julie mariée (IIIe partie, lettre XVIII), analysant le passé des aman
3948
ssé des amants : on ne saurait dépister avec plus
de
rigueur, quoique féminine, les confusions intéressées de l’Éros et de
3949
eur, quoique féminine, les confusions intéressées
de
l’Éros et de l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, q
3950
féminine, les confusions intéressées de l’Éros et
de
l’Agapè. « La vertu est si nécessaire à nos cœurs que, quand on a une
3951
tient plus fortement peut-être, parce qu’elle est
de
notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat »
3952
st de notre choix. » Toutefois, l’on n’a pas tort
d’
attribuer au « climat » de la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xvi
3953
fois, l’on n’a pas tort d’attribuer au « climat »
de
la Nouvelle Héloïse, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté d
3954
e, si nouveau pour le xviiie siècle, une faculté
de
contagion contre laquelle les conclusions de l’auteur ne pouvaient ri
3955
ulté de contagion contre laquelle les conclusions
de
l’auteur ne pouvaient rien. Et là, c’est bien le mythe qui reparaît,
3956
je ne t’aime plus ? Quel doute !… » Il s’effraye
de
l’équivoque du soupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte de
3957
oupir, mais n’en conclut pas moins avec une sorte
de
dépit à peine voilé : « J’ai pris pour toi des sentiments plus paisib
3958
les, il est vrai, mais plus affectueux et de plus
de
différentes espèces… Les douceurs de l’amitié tempèrent les emporteme
3959
x et de plus de différentes espèces… Les douceurs
de
l’amitié tempèrent les emportements de l’amour… » Le Tristan qui se r
3960
s douceurs de l’amitié tempèrent les emportements
de
l’amour… » Le Tristan qui se réveille en lui après la « faute » de la
3961
Tristan qui se réveille en lui après la « faute »
de
la possession se passerait bien de ces douceurs paisibles… Lui aussi
3962
s la « faute » de la possession se passerait bien
de
ces douceurs paisibles… Lui aussi désirait brûler, et non pas rassasi
3963
er les obstacles les plus gratuits, les prétextes
de
séparation, les situations voluptueusement inextricables. D’où l’insi
3964
on, les situations voluptueusement inextricables.
D’
où l’insistance pénible et, dès cette date, quelque peu excessive me s
3965
elque peu excessive me semble-t-il, sur la roture
de
Saint-Preux, laquelle est censée interdire toute possibilité d’union
3966
, laquelle est censée interdire toute possibilité
d’
union légale. D’où encore l’assimilation du préjugé social et des exig
3967
ensée interdire toute possibilité d’union légale.
D’
où encore l’assimilation du préjugé social et des exigences d’une vert
3968
l’assimilation du préjugé social et des exigences
d’
une vertu déclarée religieuse par opportunité. Mais on distingue les m
3969
portunité. Mais on distingue les mobiles inavoués
de
la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi de courtoisie qui impos
3970
de la confusion. Au xiie siècle, c’était la loi
de
courtoisie qui imposait la chasteté ; ici, c’est la coutume bourgeois
3971
c’est la coutume bourgeoise. Mais sous le couvert
de
l’une et de l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre
3972
tume bourgeoise. Mais sous le couvert de l’une et
de
l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. Dans la lettre déjà citée
3973
vertu bourgeoise trop souvent invoquée. Et ainsi
de
suite : il serait aisé de reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse,
3974
vent invoquée. Et ainsi de suite : il serait aisé
de
reprendre, à propos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse de Tr
3975
ropos de la Nouvelle Héloïse, toute notre exégèse
de
Tristan, notre dialectique de l’obstacle. Il y a pourtant cette diffé
3976
toute notre exégèse de Tristan, notre dialectique
de
l’obstacle. Il y a pourtant cette différence capitale que Rousseau ab
3977
âme sentimental — et non mystique153 — des amants
de
la Nouvelle Héloïse que le romantisme va tâcher de rejoindre une myst
3978
e la Nouvelle Héloïse que le romantisme va tâcher
de
rejoindre une mystique primitive qu’il ignore, mais dont il redécouvr
3979
se dégrader, s’humaniser, s’analyser en éléments
de
moins en moins mystérieux ; enfin Racine l’abat, non sans avoir reçu
3980
reuse blessure. Et Don Juan bondit sur la scène ;
de
Molière à Mozart, c’est la grande éclipse du mythe. Mais à partir du
3981
a grande éclipse du mythe. Mais à partir du roman
de
Rousseau, qui naît comme en marge du siècle, nous allons parcourir le
3982
min en sens inverse : par Werther, cette réplique
d’
Héloïse mais qui finit beaucoup plus mal — se rapprochant du modèle pr
3983
ean-Paul, à Hölderlin, à Novalis. Dans la panique
de
la Révolution, de la Terreur, des guerres européennes, certains aveux
3984
lin, à Novalis. Dans la panique de la Révolution,
de
la Terreur, des guerres européennes, certains aveux deviennent possib
3985
ouffrances osent enfin dire leur nom. L’adoration
de
la Nuit et de la Mort accède pour la première fois au plan de la cons
3986
nt enfin dire leur nom. L’adoration de la Nuit et
de
la Mort accède pour la première fois au plan de la conscience lyrique
3987
t de la Mort accède pour la première fois au plan
de
la conscience lyrique. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement
3988
e. Napoléon à peine vaincu, voici l’envahissement
de
l’Europe par une plus insidieuse tyrannie. Jusqu’au jour où Wagner, d
3989
dire l’indicible, elle a forcé le dernier mystère
de
Tristan. Mon propos n’est point de recenser les innombrables manifest
3990
ernier mystère de Tristan. Mon propos n’est point
de
recenser les innombrables manifestations du mythe dans nos littératur
3991
os littératures, surtout modernes, mais seulement
de
poser des jalons et de réduire certaines contradictions tout apparent
3992
t modernes, mais seulement de poser des jalons et
de
réduire certaines contradictions tout apparentes. On me pardonnera de
3993
contradictions tout apparentes. On me pardonnera
de
ne point multiplier les preuves de l’évidente renaissance du thème co
3994
me pardonnera de ne point multiplier les preuves
de
l’évidente renaissance du thème courtois — donc de l’amour réciproque
3995
e l’évidente renaissance du thème courtois — donc
de
l’amour réciproque malheureux — chez tous les romantiques allemands s
3996
ur nudité même, je sens trop bien qu’ils risquent
de
prendre figure d’arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fa
3997
sens trop bien qu’ils risquent de prendre figure
d’
arguments, à cet endroit de notre voyage, du seul fait de leur trop pa
3998
uent de prendre figure d’arguments, à cet endroit
de
notre voyage, du seul fait de leur trop parfaite convenance à nos déf
3999
ents, à cet endroit de notre voyage, du seul fait
de
leur trop parfaite convenance à nos définitions du mythe…) Lettre de
4000
e convenance à nos définitions du mythe…) Lettre
de
Diotima à Hölderlin : Hier soir, j’ai longuement réfléchi sur la pas
4001
t réfléchi sur la passion. Sans doute, la passion
de
l’amour suprême ne trouve jamais son accomplissement ici-bas ! Compre
4002
’autre et la foi dans la toute-puissante divinité
de
l’Amour qui à jamais nous guidera, invisible, et renforcera sans cess
4003
cera sans cesse notre union.155 Journal intime
de
Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [de sa fiancée] la pensée m
4004
ime de Novalis : Lorsque j’étais sur le tombeau [
de
sa fiancée] la pensée m’est venue que ma mort donnerait à l’humanité
4005
nue que ma mort donnerait à l’humanité un exemple
de
fidélité éternelle, et qu’elle instaurerait, en quelque sorte, la pos
4006
le instaurerait, en quelque sorte, la possibilité
d’
aimer comme je l’ai fait. Lorsqu’on fuit la douleur, c’est qu’on ne ve
4007
agement n’était pas pris pour ce monde… Maximes
de
Novalis : Toutes les passions finissent comme une tragédie, tout ce
4008
é finit par la mort, toute poésie a quelque chose
de
tragique. Une union qui est conclue même pour la mort est un mariage
4009
plus doux ; pour le vivant, la mort est une nuit
de
noces, un secret de doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut
4010
vivant, la mort est une nuit de noces, un secret
de
doux mystères. L’ivresse des sens appartient peut-être à l’amour comm
4011
eu n’a rien à faire avec la Nature, il est le but
de
la Nature, l’élément avec lequel elle doit un jour s’harmoniser. Nous
4012
jour s’harmoniser. Nous sommes des esprits émanés
de
Dieu, des germes divins. Un jour nous deviendrons ce que notre Père e
4013
ptiale ! Et l’on devrait citer toutes les œuvres
de
Tieck, définissant l’amour comme « une maladie du désir, une divine l
4014
du désir, une divine langueur… »157. L’exaltation
de
la mort volontaire, amoureuse et divinisante, voilà le thème religieu
4015
nisante, voilà le thème religieux le plus profond
de
cette nouvelle hérésie albigeoise que fut le romantisme allemand. La
4016
d. La mort est le but idéal des « hommes élevés »
de
la Loge invisible de Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Nov
4017
idéal des « hommes élevés » de la Loge invisible
de
Jean-Paul. Elle se confond avec l’amour chez Novalis. Elle fut pour K
4018
pour Kleist « le seul accomplissement » possible
d’
une « passion d’amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais
4019
e seul accomplissement » possible d’une « passion
d’
amour suprême » à laquelle se refusait son corps. Mais les poètes ne s
4020
ert spécule sur le « côté nocturne » (Nachtseite)
de
l’existence. Fichte lui-même donne la définition de l’amour-par-essen
4021
l’existence. Fichte lui-même donne la définition
de
l’amour-par-essence-impossible, le vrai amour qui repousse tout objet
4022
r s’élancer à l’infini. C’est, dit-il, « le désir
de
quelque chose d’entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un
4023
nfini. C’est, dit-il, « le désir de quelque chose
d’
entièrement inconnu, qui se révèle uniquement par un besoin, par un ma
4024
soin, par un malaise, par un vide, à la recherche
de
ce qui le comblerait, mais ignorant d’où cela peut venir… ». Hoffmann
4025
recherche de ce qui le comblerait, mais ignorant
d’
où cela peut venir… ». Hoffmann ne dit pas autre chose lorsqu’il bapti
4026
claire sans consumer, toute la félicité ineffable
de
la vie supérieure, germée au plus secret de l’âme. L’esprit déploie m
4027
fable de la vie supérieure, germée au plus secret
de
l’âme. L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes de désir, tis
4028
L’esprit déploie mille antennes toutes vibrantes
de
désir, tisse son filet autour de celle qui est apparue, et elle est à
4029
st à lui… et elle n’est jamais à lui, car la soif
de
son aspiration est à jamais insatiable. C’est toute l’aventure des m
4030
elle hérésie passionnelle, la transgression rêvée
de
toutes limites, et le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent
4031
le suprême désir qui nie le monde. Ainsi revivent
de
tous côtés et se rassemblent les éléments épars du mythe, que Wagner
4032
our le recréer dans une synthèse définitive. Rien
d’
étonnant si le premier poème inspiré par le souvenir des cathares et d
4033
ier poème inspiré par le souvenir des cathares et
de
leur mystique fut composé par l’un des plus purs romantiques : c’est
4034
s purs romantiques : c’est l’épopée des albigeois
de
Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte de profession de fo
4035
Lenau. On peut y lire ces vers qui sont une sorte
de
profession de foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et se
4036
y lire ces vers qui sont une sorte de profession
de
foi de la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle
4037
ces vers qui sont une sorte de profession de foi
de
la « religion nouvelle » rêvée par Novalis et ses amis : Elle aussi,
4038
ieu ! ce cri puissant retentira Comme un tonnerre
de
joie à travers la nuit de printemps ! 16.Intériorisation du mythe
4039
ntira Comme un tonnerre de joie à travers la nuit
de
printemps ! 16.Intériorisation du mythe Le rythme intime du ro
4040
du romantisme allemand, la diastole et la systole
de
son cœur, c’est l’enthousiasme et la tristesse métaphysique. C’est la
4041
tesse métaphysique. C’est la dialectique abyssale
de
l’hérésie manichéenne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et d
4042
nne, le renversement perpétuel du jour en Nuit et
de
la nuit en Jour. Le même élan qui portait l’âme vers la lumière et l’
4043
ière et l’unité divine, considéré du point de vue
de
ce monde n’est plus qu’un élan vers la mort, une séparation essentiel
4044
, une séparation essentielle. Tel est le tragique
de
l’Ironie transcendantale, ce mouvement perpétuel du romantisme, cette
4045
ours, l’endiosada des mystiques espagnols, la joy
d’
amor dans son délire dionysiaque. Il en jaillit perpétuellement, au po
4046
. Il en jaillit perpétuellement, au point suprême
de
son élévation, des fantaisies extravagantes. Il y a une gaieté romant
4047
ntique, comme il y a un attendrissement : moments
de
détente, entre deux élancements contradictoires, retours au monde… C’
4048
ontradictoires, retours au monde… C’est ce moment
de
joie bizarre, né de l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romanti
4049
urs au monde… C’est ce moment de joie bizarre, né
de
l’ironie métaphysique, qui fait défaut au romantisme français. Ici, l
4050
a trop vite au but. La France de la Révolution et
de
l’Empire n’a plus d’énergie disponible pour la spéculation spirituell
4051
a France de la Révolution et de l’Empire n’a plus
d’
énergie disponible pour la spéculation spirituelle : elle n’a point de
4052
pour la spéculation spirituelle : elle n’a point
de
« religion nouvelle », point de philosophes romantiques158, peu ou po
4053
: elle n’a point de « religion nouvelle », point
de
philosophes romantiques158, peu ou point de métaphysique, et peu ou p
4054
point de philosophes romantiques158, peu ou point
de
métaphysique, et peu ou point de fantaisie — cette surabondance de l’
4055
58, peu ou point de métaphysique, et peu ou point
de
fantaisie — cette surabondance de l’esprit exalté par son propre dram
4056
et peu ou point de fantaisie — cette surabondance
de
l’esprit exalté par son propre drame. ⁂ Le romantisme en France n’aur
4057
omantisme en France n’aura guère débordé le champ
de
la psychologie individuelle. Il y gagne une lucidité qui le conduit p
4058
un vrai romantique : L’enthousiasme errant, fils
de
la belle Nuit. Et la célèbre invocation : « Levez-vous vite, orages
4059
désirés qui devez emporter René dans les espaces
d’
une autre vie », c’est le chant pur de la passion de la Nuit. Mais il
4060
les espaces d’une autre vie », c’est le chant pur
de
la passion de la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizo
4061
une autre vie », c’est le chant pur de la passion
de
la Nuit. Mais il n’est point d’aube mystique à l’horizon spirituel, n
4062
pur de la passion de la Nuit. Mais il n’est point
d’
aube mystique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie d’amour au s
4063
t point d’aube mystique à l’horizon spirituel, ni
de
véritable joie d’amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jam
4064
tique à l’horizon spirituel, ni de véritable joie
d’
amour au sommet de ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il
4065
spirituel, ni de véritable joie d’amour au sommet
de
ces élancements. Le moi n’est jamais transcendé, il se refuse à l’ill
4066
is transcendé, il se refuse à l’illusion dernière
d’
une libération cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse de sa tr
4067
on cosmique. Il retombe, désenchanté, à l’analyse
de
sa tristesse et de son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé,
4068
ombe, désenchanté, à l’analyse de sa tristesse et
de
son impuissance lucide. Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même t
4069
Romantisme mûri, désabusé, l’on serait même tenté
de
dire : trop rigoureux… Auprès de lui, Jean-Paul et Novalis feront tou
4070
lui, Jean-Paul et Novalis feront toujours figure
d’
adolescents. Le goût de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur
4071
lis feront toujours figure d’adolescents. Le goût
de
la mort, chez les Allemands, exalte la saveur de vivre : c’est peut-ê
4072
de la mort, chez les Allemands, exalte la saveur
de
vivre : c’est peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré de la ré
4073
st peut-être qu’il est plus « naïf », plus assuré
de
la réalité de son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux form
4074
u’il est plus « naïf », plus assuré de la réalité
de
son au-delà. Voyez-les se reprendre sans cesse aux formes désirables
4075
les se reprendre sans cesse aux formes désirables
de
la terre, oublier, plaisanter follement, tout ardents de curiosité ;
4076
erre, oublier, plaisanter follement, tout ardents
de
curiosité ; d’une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le rom
4077
plaisanter follement, tout ardents de curiosité ;
d’
une merveilleuse inconséquence… Ce qui appauvrit le romantique françai
4078
59. René s’amuse un jour à effeuiller une branche
de
saule sur un ruisseau, attachant une idée à chaque feuille que le cou
4079
s’intéresse aux accidents qui menacent les débris
de
son rameau… On croit lire un poète allemand, on va retrouver la riche
4080
e et se juge ridicule : « Voilà donc à quel degré
de
puérilité notre superbe raison peut descendre ! » Et c’est la « super
4081
n des hommes attachent leur destinée à des choses
d’
aussi peu de valeur que mes feuilles de saule. » Le reste de la page,
4082
des choses d’aussi peu de valeur que mes feuilles
de
saule. » Le reste de la page, admirable, jusqu’aux fameux orages dési
4083
u de valeur que mes feuilles de saule. » Le reste
de
la page, admirable, jusqu’aux fameux orages désirés160. ⁂ « Pour ces
4084
l’amour ne sera pas longtemps félicité ineffable
de
la vie supérieure » dont parle E. T. A. Hoffmann ; mais plutôt cet am
4085
aciturne et toujours menacé » des plus beaux vers
de
Vigny. Cette absence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes de l
4086
acé » des plus beaux vers de Vigny. Cette absence
d’
intérêt naïf pour les formes quotidiennes de la vie facilitera le déta
4087
sence d’intérêt naïf pour les formes quotidiennes
de
la vie facilitera le détachement de l’esprit, la purification abstrai
4088
quotidiennes de la vie facilitera le détachement
de
l’esprit, la purification abstraite du sentiment. Les êtres et les ch
4089
percés par un regard désabusé, cesseront bientôt
d’
être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri de ses formes extérieu
4090
d’être les vrais obstacles. Et le mythe, appauvri
de
ses formes extérieures, deviendra ce qu’il est en son principe : une
4091
ené ; il reste encore des désirs et l’on n’a plus
d’
illusions… On habite avec un cœur plein, un monde vide. » Alors la fem
4092
, un monde vide. » Alors la femme elle-même cesse
d’
être le symbole indispensable de la nostalgie passionnée. Dans l’Oberm
4093
e elle-même cesse d’être le symbole indispensable
de
la nostalgie passionnée. Dans l’Oberman de Sénancour, l’« obstacle »
4094
Iseut pour elle-même, mais seulement pour l’amour
de
l’Amour dont sa beauté lui offrait une image. Lui pourtant l’ignorait
4095
ame se passe en eux, entre les lois inacceptables
de
la vie terrestre et finie, et le désir d’une transgression de nos lim
4096
ptables de la vie terrestre et finie, et le désir
d’
une transgression de nos limites, mortelle mais divinisante. Rares son
4097
rrestre et finie, et le désir d’une transgression
de
nos limites, mortelle mais divinisante. Rares sont toutefois les roma
4098
, exacte, et plus proche qu’on ne pourrait croire
de
la mystique négative. La plupart reviendront aux illusions de l’amour
4099
ue négative. La plupart reviendront aux illusions
de
l’amour humain, sans retrouver pourtant la forte naïveté du mythe. Il
4100
ir social, ou la vertu, ou le secret mélancolique
de
l’amant, ou quelque scrupule religieux, enfin le narcissisme avoué… I
4101
rdissent, et que tout élément « sacré » disparaît
de
la vie sociale. 17.Stendhal, ou le fiasco du sublime Homme du x
4102
dhal nous offre un exemple parfait pour l’analyse
de
la profanation du mythe. Voici un homme que le besoin de la passion t
4103
rofanation du mythe. Voici un homme que le besoin
de
la passion tourmente : il a découvert dans son « âme », c’est-à-dire
4104
er passionnément, ce serait vivre ! Il s’imagine
de
très bonne foi qu’un tel besoin relève de la nature physique. (Et il
4105
imagine de très bonne foi qu’un tel besoin relève
de
la nature physique. (Et il a même là-dessus sa petite explication mat
4106
te du mythe dans son esprit, une habitude héritée
de
la culture, et spécialement de la littérature, puisque mystique et re
4107
e habitude héritée de la culture, et spécialement
de
la littérature, puisque mystique et religion, pour lui, sont mortes.
4108
ligion, pour lui, sont mortes. Mais il est obligé
de
constater que ce désir de passion, et la passion elle-même dans le mo
4109
tes. Mais il est obligé de constater que ce désir
de
passion, et la passion elle-même dans le monde où il vit, sont condam
4110
mnés par la raison et par le scepticisme général.
D’
où le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin ; d’où son fameux tr
4111
scepticisme général. D’où le besoin qu’il éprouve
de
justifier ce besoin ; d’où son fameux traité De l’Amour. Aux première
4112
le besoin qu’il éprouve de justifier ce besoin ;
d’
où son fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes de la préface vo
4113
e de justifier ce besoin ; d’où son fameux traité
De
l’Amour. Aux premières lignes de la préface vous le sentez en pleine
4114
on fameux traité De l’Amour. Aux premières lignes
de
la préface vous le sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite de
4115
e sentez en pleine polémique : « Quoiqu’il traite
de
l’amour, ce petit volume n’est point un roman, et surtout n’est pas a
4116
ut uniment une description exacte et scientifique
d’
une sorte de folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie
4117
ne description exacte et scientifique d’une sorte
de
folie très rare en France… » Stendhal baptise cette folie : l’amour-p
4118
assion, l’amour-goût, l’amour physique et l’amour
de
vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie
4119
de vanité. Le premier seul trouve grâce aux yeux
de
l’auteur. La théorie de la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que
4120
eul trouve grâce aux yeux de l’auteur. La théorie
de
la cristallisation doit l’expliquer. « Ce que j’appelle cristallisati
4121
que j’appelle cristallisation, c’est l’opération
de
l’esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’obje
4122
llisation, c’est l’opération de l’esprit qui tire
de
tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé a de nouvelles
4123
qui se présente la découverte que l’objet aimé a
de
nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel de Salzbourg, lorsqu’
4124
imé a de nouvelles perfections. » Ainsi aux mines
de
sel de Salzbourg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on l
4125
e nouvelles perfections. » Ainsi aux mines de sel
de
Salzbourg, lorsqu’on jette un rameau dans l’eau profonde, on le retro
4126
profonde, on le retrouve trois mois après « garni
d’
une infinité de diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, d
4127
retrouve trois mois après « garni d’une infinité
de
diamants mobiles et éblouissants ». Tomber amoureux, dans cette théor
4128
ement. Et pourquoi cela ? Parce que l’on a besoin
d’
aimer, et qu’on ne peut aimer que la beauté. Disons plus simplement qu
4129
mier161 que cette célèbre théorie revient à faire
de
l’amour passionné une simple erreur. « Non point que la passion se tr
4130
ur… Le cas Stendhal n’est pas douteux : il s’agit
d’
un homme qui n’aimait pas réellement, et qui surtout ne fut pas réelle
4131
se voit amené à définir l’amour comme une maladie
de
l’esprit — dans la pure tradition antique, sauf qu’il s’affirme heure
4132
e tradition antique, sauf qu’il s’affirme heureux
d’
être malade. Le voici donc dans la situation d’un médecin qui étudie s
4133
ux d’être malade. Le voici donc dans la situation
d’
un médecin qui étudie sur lui-même les progrès et les singularités d’u
4134
udie sur lui-même les progrès et les singularités
d’
un mal qu’il ne croit pas mortel. Toute la différence entre la cristal
4135
ne chose me frappe ; sa description est admirable
de
vivacité, d’exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalem
4136
rappe ; sa description est admirable de vivacité,
d’
exactitude, parfois de profondeur ; mais elle est totalement pessimist
4137
est admirable de vivacité, d’exactitude, parfois
de
profondeur ; mais elle est totalement pessimiste — puisque aussi bien
4138
alement pessimiste — puisque aussi bien il s’agit
d’
une erreur et dont il se désole d’être tiré. D’où peut provenir ce pes
4139
bien il s’agit d’une erreur et dont il se désole
d’
être tiré. D’où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conce
4140
it d’une erreur et dont il se désole d’être tiré.
D’
où peut provenir ce pessimisme incompatible avec la conception de la v
4141
nir ce pessimisme incompatible avec la conception
de
la vie qu’il s’était faite ? C’est la question qu’il ne se pose jamai
4142
en : « Le plaisir ne produit pas la moitié autant
d’
impression que la douleur, ensuite, outre ce désagrément dans la quant
4143
r, ensuite, outre ce désagrément dans la quantité
d’
émotion, la sympathie est au moins la moitié moins excitée par la pein
4144
excitée par la peinture du bonheur que par celle
de
l’infortune. » Et encore : « Une âme faite pour les passions sent d’a
4145
Un Grec ressuscité ne s’en étonnerait pas moins.
D’
où nous viennent donc ce goût et ce dégoût bizarres ? Ne sont-ils pas
4146
ne se pose pas la question, n’étant pas en mesure
de
la résoudre. En matérialiste grossier — c’est la bonne espèce, la plu
4147
rime simplement tout problème, grâce à sa théorie
de
la cristallisation, donc de l’erreur. Ce qui explique la passion, à s
4148
e, grâce à sa théorie de la cristallisation, donc
de
l’erreur. Ce qui explique la passion, à son avis, c’est une erreur fa
4149
ène, dit-il, vient de la nature qui nous commande
d’
avoir du plaisir et qui nous envoie le sang au cerveau. » Voilà donc l
4150
n amour qui, loin de se tromper, est seul capable
de
découvrir dans l’être aimé les qualités réelles qui s’y cachent. De p
4151
i s’y cachent. De plus, n’est-ce point là le type
d’
une solution verbale ? Car dire que la passion est une erreur — elle l
4152
erreur. L’instinct ou la nature n’ont pas coutume
de
se tromper de la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’
4153
inct ou la nature n’ont pas coutume de se tromper
de
la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que de l’esprit. La vér
4154
la sorte… S’il y a erreur, elle ne peut venir que
de
l’esprit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime d’un phénomène
4155
rit. La vérité, c’est que Stendhal est la victime
d’
un phénomène spirituel que ses croyances matérialistes ne sont plus en
4156
es croyances matérialistes ne sont plus en mesure
de
justifier. Victime heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher d
4157
heureuse d’ailleurs, et cela suffit à l’empêcher
de
pousser plus avant son enquête. Qu’est-ce que ce livre qu’il nous lai
4158
ce que ce livre qu’il nous laisse ? Le témoignage
d’
une inquiétude qu’éprouve l’esprit lucide devant le mythe : non qu’il
4159
en Provence au xiie siècle, et reproduit le code
d’
amour courtois en appendice. (Raynouard et Fauriel venaient de provoqu
4160
t conduite entre les deux sexes sur les principes
de
la justice… » Il finira, bien entendu, par les citer, ces anecdotes.
4161
seule qui remplis toute mon âme, suprême volupté
d’
amour ! » L’homme qui a écrit cela (dans Tristan et Isolde) savait q
4162
l’erreur : qu’elle est une décision fondamentale
de
l’être, un choix en faveur de la Mort, si la Mort est la libération d
4163
n faveur de la Mort, si la Mort est la libération
d’
un monde ordonné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est de celle
4164
tion d’un monde ordonné par le mal. Mais l’audace
de
cette œuvre est de celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur
4165
onné par le mal. Mais l’audace de cette œuvre est
de
celles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur d’une totale mépri
4166
elles qui ne peuvent être tolérées qu’à la faveur
d’
une totale méprise, organisée et entretenue par une sorte de consensus
4167
le méprise, organisée et entretenue par une sorte
de
consensus social, d’aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À
4168
et entretenue par une sorte de consensus social,
d’
aveuglement tout à la fois juré et inconscient. À force de l’entendre
4169
es, voilà qui est significatif au plus haut point
de
la nécessité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense d’une socié
4170
nt de la nécessité sociale des mythes. (Mensonges
d’
autodéfense d’une société qui veut sauver sa forme, tandis que les ind
4171
sité sociale des mythes. (Mensonges d’autodéfense
d’
une société qui veut sauver sa forme, tandis que les individus qui la
4172
composent se prêtent obscurément, sous le couvert
d’
un refus, aux passions qui tendent à sa perte.) En composant Tristan,
4173
tabou : il a tout dit, tout avoué par les paroles
de
son livret, et plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit de la
4174
t plus encore par sa musique. Il a chanté la Nuit
de
la dissolution des formes et des êtres, la libération du désir, l’ana
4175
pusculaire, immensément plaintive et bienheureuse
de
l’âme sauvée par la blessure mortelle du corps. Mais le sens maléfiqu
4176
lessure mortelle du corps. Mais le sens maléfique
de
ce message, il fallait le nier pour pouvoir l’accueillir, il fallait
4177
l fallait à tout prix le travestir, l’interpréter
d’
une manière tolérable, c’est-à-dire au nom du bon sens. Du mystère bou
4178
-dire au nom du bon sens. Du mystère bouleversant
de
la Nuit et de la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation
4179
u bon sens. Du mystère bouleversant de la Nuit et
de
la destruction des corps, l’on a fait la « sublimation » d’un pauvre
4180
ruction des corps, l’on a fait la « sublimation »
d’
un pauvre secret du plein jour : l’attrait des sexes, la loi tout anim
4181
t et complètement ne saurait d’ailleurs témoigner
d’
une vitalité sociale exceptionnelle : c’est plutôt la frivolité du pub
4182
ourd, et pour tout dire sa faculté exceptionnelle
de
ne pas entendre ce qu’on lui chante, qui ont facilité l’opération. Ai
4183
nde du jour : haine, orgueil, et violence barbare
de
l’honneur féodal, jusqu’au crime. Isolde veut venger l’affront subi.
4184
re à Tristan est destiné à le faire mourir : mais
d’
une mort que l’Amour condamne, d’une mort selon les lois du jour et de
4185
re mourir : mais d’une mort que l’Amour condamne,
d’
une mort selon les lois du jour et de la vengeance, brutale, accidente
4186
ur condamne, d’une mort selon les lois du jour et
de
la vengeance, brutale, accidentelle, privée de sens mystique. Or la M
4187
et de la vengeance, brutale, accidentelle, privée
de
sens mystique. Or la Minne suprême inspire à Brangaine l’erreur qui d
4188
aine l’erreur qui doit sauver l’Amour. Au philtre
de
mort, elle substitue le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte uniqu
4189
r. Au philtre de mort, elle substitue le breuvage
d’
initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et d’Isolde aussitôt qu
4190
le breuvage d’initiation. Ainsi l’étreinte unique
de
Tristan et d’Isolde aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique du
4191
initiation. Ainsi l’étreinte unique de Tristan et
d’
Isolde aussitôt qu’ils ont bu, c’est le baiser unique du sacrement cat
4192
rs cœurs. Les initiés pénètrent au monde nocturne
de
l’extase libératrice. Et le jour qui revient avec le cortège royal et
4193
, le jour ne pourra plus les ressaisir : au terme
de
l’épreuve qu’il va leur imposer — c’est la passion — ils ont déjà pre
4194
autre mort, celle qui est le seul accomplissement
de
leur amour. Le deuxième acte est le chant de la passion des âmes pris
4195
ment de leur amour. Le deuxième acte est le chant
de
la passion des âmes prisonnières des formes. Tous les obstacles surmo
4196
surmontés, quand les amants sont seuls enveloppés
de
ténèbres, c’est le désir charnel qui les sépare encore. Ils sont ense
4197
ensemble et pourtant ils sont deux. Il y a ce et
de
Tristan « et » Isolde qui signifie leur dualité créée. À ce moment la
4198
seule peut exprimer la certitude et la substance
de
cette double nostalgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir d
4199
rtitude et la substance de cette double nostalgie
d’
être un. Car seule elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte de
4200
lgie d’être un. Car seule elle détient le pouvoir
d’
harmoniser la plainte de deux voix, et d’en faire une plainte unique o
4201
e elle détient le pouvoir d’harmoniser la plainte
de
deux voix, et d’en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité
4202
pouvoir d’harmoniser la plainte de deux voix, et
d’
en faire une plainte unique où déjà vibre la réalité d’un indicible au
4203
faire une plainte unique où déjà vibre la réalité
d’
un indicible au-delà d’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du du
4204
e où déjà vibre la réalité d’un indicible au-delà
d’
espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celu
4205
’espérance. Et c’est pourquoi le leitmotiv du duo
d’
amour est déjà celui de la mort. Encore une fois revient le jour : le
4206
urquoi le leitmotiv du duo d’amour est déjà celui
de
la mort. Encore une fois revient le jour : le traître Mélot162 blesse
4207
aincu, elle vole au jour son apparente victoire :
de
cette blessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage de la suprêm
4208
lessure par où la vie s’écoule, elle fait le gage
de
la suprême guérison, celle que chantera Isolde agonisante sur le cada
4209
lle que chantera Isolde agonisante sur le cadavre
de
Tristan, dans l’extase de la « joie la plus haute ». Initiation, pass
4210
onisante sur le cadavre de Tristan, dans l’extase
de
la « joie la plus haute ». Initiation, passion, accomplissement morte
4211
asquée dans les légendes médiévales par une foule
d’
éléments épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme d’art que Wagne
4212
nts épiques et pittoresques. ⁂ Cependant la forme
d’
art que Wagner a choisie n’est pas sans recréer des possibilités de «
4213
a choisie n’est pas sans recréer des possibilités
de
« méprise ». Il fallait que ce fût un opéra, pour deux raisons qui ti
4214
mythe. De même que le péché du premier homme, et
de
chaque homme, introduit dans le monde le temps ; de même que la faute
4215
e la faute des amants légendaires contre les lois
de
l’amour chaste transforme l’hymne des troubadours en un roman163 — ai
4216
Mais le drame ne peut pas tout dire, la religion
de
la passion étant « essentiellement lyrique ». Dès lors la musique seu
4217
lyrique ». Dès lors la musique seule sera capable
d’
exprimer la dialectique transcendantale, le caractère éperdument contr
4218
ractère éperdument contradictoire, contrapuntique
de
la passion de la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition
4219
ment contradictoire, contrapuntique de la passion
de
la Nuit — qui est l’appel au Jour incréé. La définition même de la mu
4220
ui est l’appel au Jour incréé. La définition même
de
la musique occidentale, c’est l’accord émouvant des contraires. Expre
4221
’est l’accord émouvant des contraires. Expression
d’
un dualisme douloureux, permanent au niveau de la vie, mais qui s’évan
4222
is qui s’évanouit dans la grâce lumineuse au-delà
de
la mort physique. Or le drame achevé par la musique, c’est l’opéra. A
4223
péra. Ainsi, ce n’est point un hasard si le mythe
de
Tristan et celui de Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevé
4224
t point un hasard si le mythe de Tristan et celui
de
Don Juan n’ont pu recevoir leur expression achevée que dans la forme
4225
ecevoir leur expression achevée que dans la forme
de
l’opéra. Si Mozart et Wagner nous ont donné les chefs-d’œuvre du dram
4226
musical, c’est en vertu de l’affinité originelle
de
ce mode d’expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique
4227
’est en vertu de l’affinité originelle de ce mode
d’
expression et des sujets qu’ils surent choisir. La musique seule peut
4228
surent choisir. La musique seule peut bien parler
de
la tragédie, dont elle est la mère et la fille. Toutefois, dans le ca
4229
e est la mère et la fille. Toutefois, dans le cas
de
Tristan, l’élément plastique inhérent à toute mise en scène théâtrale
4230
« jour », contredisent fatalement le sens profond
de
l’action. Tant qu’on regarde la scène, on est victime de l’illusion d
4231
tion. Tant qu’on regarde la scène, on est victime
de
l’illusion des formes — et des plus ridicules. Il n’y a là, « visible
4232
ire ! L’orchestre décrit largement les dimensions
d’
une tragédie tout intérieure. La morbidesse bouleversante des mélodies
4233
ère et brûlante langueur dans l’âme qui se guérit
de
vivre. Seule la lumière douloureuse du troisième acte — l’obsession j
4234
fiévreux — peut traduire à ma vue le sens profond
de
l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel, de trop
4235
e l’exil des amants dans l’extase. Par ce qu’il a
d’
artificiel, de trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt,
4236
mants dans l’extase. Par ce qu’il a d’artificiel,
de
trop violent, cet éclairage annonce que le jour meurt, et que déjà l’
4237
puscule vainement exalté. ⁂ Un second lieu commun
de
la critique — d’ailleurs absolument contradictoire avec celui qui fai
4238
absolument contradictoire avec celui qui faisait
de
Tristan la glorification du désir sensuel — c’est le rappel de l’infl
4239
glorification du désir sensuel — c’est le rappel
de
l’influence de Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Ni
4240
du désir sensuel — c’est le rappel de l’influence
de
Schopenhauer sur Wagner. Quoi qu’en aient pu penser Nietzsche, et Wag
4241
e influence est fortement surestimée. Un créateur
de
la taille de Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait tr
4242
st fortement surestimée. Un créateur de la taille
de
Wagner ne met pas des « idées » en musique. Qu’il ait trouvé chez Sch
4243
minations, voilà sans doute ce qu’il faut retenir
de
la rencontre, et ce n’est pas d’un immense intérêt. L’ascèse, la néga
4244
’il faut retenir de la rencontre, et ce n’est pas
d’
un immense intérêt. L’ascèse, la négation du monde créé, l’identificat
4245
cèse, la négation du monde créé, l’identification
de
l’attrait sexuel avec le vouloir-vivre obscurcissant la connaissance,
4246
issance, toute cette mystique que l’on s’empresse
de
qualifier de bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parc
4247
e cette mystique que l’on s’empresse de qualifier
de
bouddhiste, Wagner n’avait pas à l’apprendre. C’est parce qu’il la po
4248
oles des minnesänger, dans la légende manichéenne
de
Parsifal, et par-dessous l’imagerie chrétienne, dans le Saint-Graal,
4249
rre sacrée des Iraniens et des cathares, la coupe
de
Gwyon165, divinité celtique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu
4250
eltique ! ⁂ Que Wagner ait restitué le sens perdu
de
la légende, dans sa virulence intégrale, ce n’est point là une thèse
4251
largement déclarée par la musique et les paroles
de
l’opéra. Par l’opéra, le mythe connaît son achèvement. Mais ce « term
4252
es — comme presque tous les termes du vocabulaire
de
l’existence, décrivant l’être en situation d’agir, non les objets. Ac
4253
ire de l’existence, décrivant l’être en situation
d’
agir, non les objets. Achèvement désigne l’expression totale d’un être
4254
es objets. Achèvement désigne l’expression totale
d’
un être, d’un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort.
4255
Achèvement désigne l’expression totale d’un être,
d’
un mythe ou d’une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le my
4256
igne l’expression totale d’un être, d’un mythe ou
d’
une œuvre ; d’autre part, désigne leur mort. Ainsi le mythe « achevé »
4257
r Wagner a vécu. Vixit Tristan ! Et s’ouvre l’ère
de
ses fantômes. 19.Vulgarisation du mythe Il y eut la voie poétiq
4258
jeunes Parques, des apparences à peine féminines
de
fuites — comme on dit que l’eau fuit d’un bassin : fissures dans le r
4259
féminines de fuites — comme on dit que l’eau fuit
d’
un bassin : fissures dans le réel, fuites de rêves. C’est la tradition
4260
fuit d’un bassin : fissures dans le réel, fuites
de
rêves. C’est la tradition alanguie, intellectualisée, sophistiquée. V
4261
passer les belles autos, et s’indigner des excès
de
vitesse. Le Lys dans la Vallée, Adolphe, Dominique, Madame Bovary, T
4262
ovary, Thérèse Raquin, La Porte étroite, Un Amour
de
Swann : étapes françaises de la dissociation psychologique, de la dég
4263
te étroite, Un Amour de Swann : étapes françaises
de
la dissociation psychologique, de la dégradation de « l’obstacle » ex
4264
apes françaises de la dissociation psychologique,
de
la dégradation de « l’obstacle » extérieure, et de la reconnaissance
4265
la dissociation psychologique, de la dégradation
de
« l’obstacle » extérieure, et de la reconnaissance lucide — par là mê
4266
e la dégradation de « l’obstacle » extérieure, et
de
la reconnaissance lucide — par là même, antiromanesque — de sa nature
4267
nnaissance lucide — par là même, antiromanesque —
de
sa nature purement intime et subjective. (Religieuse dans le cas de G
4268
ent intime et subjective. (Religieuse dans le cas
de
Gide, quasi physique dans celui de Proust.) Parallèlement, il convien
4269
se dans le cas de Gide, quasi physique dans celui
de
Proust.) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe de la Mort d
4270
dans celui de Proust.) Parallèlement, il convient
de
citer le Triomphe de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de
4271
) Parallèlement, il convient de citer le Triomphe
de
la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karéni
4272
ment, il convient de citer le Triomphe de la Mort
de
d’Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et pres
4273
t, il convient de citer le Triomphe de la Mort de
d’
Annunzio — commentaire admirable de Wagner — Anna Karénine, et presque
4274
de la Mort de d’Annunzio — commentaire admirable
de
Wagner — Anna Karénine, et presque tous les grands romans de l’ère vi
4275
Anna Karénine, et presque tous les grands romans
de
l’ère victorienne, et surtout Tess des d’Urberville et Jude l’Obscur
4276
romans de l’ère victorienne, et surtout Tess des
d’
Urberville et Jude l’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants
4277
rtout Tess des d’Urberville et Jude l’Obscur ; et
de
nos jours les romans platonisants d’un Charles Morgan. ⁂ Mais les che
4278
’Obscur ; et de nos jours les romans platonisants
d’
un Charles Morgan. ⁂ Mais les chefs-d’œuvre, désormais, nous en appren
4279
descente du mythe dans les mœurs, que les romans
de
série, le théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique de notre
4280
théâtre à succès, enfin le film. Le vrai tragique
de
notre époque est diffus dans la médiocrité. Le vrai sérieux dès lors,
4281
plique la connaissance, le rejet ou l’acceptation
de
ce qui meut ou émeut les masses, et de l’anonymat des grands courants
4282
cceptation de ce qui meut ou émeut les masses, et
de
l’anonymat des grands courants qui roulent les individus détachés, av
4283
’esprit répugne encore à mesurer. L’envahissement
de
nos littératures, tant bourgeoises que « prolétariennes », par le rom
4284
que « prolétariennes », par le roman, et le roman
d’
amour s’entend, traduit exactement l’envahissement de notre conscience
4285
mour s’entend, traduit exactement l’envahissement
de
notre conscience par le contenu totalement profané du mythe. Celui-ci
4286
ement profané du mythe. Celui-ci cesse d’ailleurs
d’
être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé de son cadre sacral, et q
4287
rs d’être un vrai mythe dès qu’il se trouve privé
de
son cadre sacral, et que le secret mystique qu’il exprimait en le voi
4288
des romantiques devient alors la vague obsession
de
luxe et d’aventures exotiques que les « romans de gare » suffisent à
4289
iques devient alors la vague obsession de luxe et
d’
aventures exotiques que les « romans de gare » suffisent à satisfaire
4290
de luxe et d’aventures exotiques que les « romans
de
gare » suffisent à satisfaire symboliquement. Que cela n’ait plus auc
4291
symboliquement. Que cela n’ait plus aucune espèce
de
sens valable, il suffit pour s’en assurer d’imaginer l’impuissance ab
4292
pèce de sens valable, il suffit pour s’en assurer
d’
imaginer l’impuissance absolue où se trouvent les clients de cette lit
4293
l’impuissance absolue où se trouvent les clients
de
cette littérature à concevoir une réalité mystique, une ascèse, un ef
4294
evoir une réalité mystique, une ascèse, un effort
de
l’esprit pour s’affranchir des liens sensuels : or la passion courtoi
4295
ns sensuels : or la passion courtoise n’avait pas
d’
autre but, et son langage n’avait pas d’autre clé. Perdus et oubliés c
4296
avait pas d’autre but, et son langage n’avait pas
d’
autre clé. Perdus et oubliés cette clé et ce but, la passion dont le b
4297
revient nous tourmenter n’est plus qu’une maladie
de
l’instinct, rarement mortelle, régulièrement toxique et déprimante, t
4298
ussi dégradée et dégradante, par rapport au mythe
de
Tristan, que le serait par exemple l’alcoolisme par rapport à l’ivres
4299
et. La bourgeoisie du Second Empire eut le mérite
de
faire une dernière tentative pour régulariser dans son cadre social l
4300
er dans son cadre social l’influence anarchisante
de
la passion. Car celle-ci survivait à toute mystique, par la grâce équ
4301
ns une certaine jeunesse tout au moins, le besoin
d’
une brûlure nostalgique ; et tout cela composait une sorte de complexe
4302
re nostalgique ; et tout cela composait une sorte
de
complexe que l’on prenait pour la « nature » elle-même, bien qu’il ne
4303
psychologique, voire physiologique. La tentative
de
normalisation bourgeoise de la passion, visant à recréer une expressi
4304
logique. La tentative de normalisation bourgeoise
de
la passion, visant à recréer une expression conventionnelle, donc adm
4305
admissible par l’ordre social — ce fut le théâtre
de
Dumas à Bataille. La fameuse « pièce à trois personnages », modèle de
4306
La fameuse « pièce à trois personnages », modèle
de
presque tous les auteurs dramatiques de la Belle Époque, c’est simple
4307
», modèle de presque tous les auteurs dramatiques
de
la Belle Époque, c’est simplement l’adaptation du mythe de Tristan à
4308
le Époque, c’est simplement l’adaptation du mythe
de
Tristan à la mesure d’une société moderne. Le roi Marc est devenu le
4309
ment l’adaptation du mythe de Tristan à la mesure
d’
une société moderne. Le roi Marc est devenu le Cocu ; Tristan, le jeun
4310
Iseut, l’épouse insatisfaite, oisive et lectrice
de
romans. Ici encore, deux morales s’affrontent. Les barons félons de l
4311
ore, deux morales s’affrontent. Les barons félons
de
la légende sont figurés par les tenants de la morale « conformiste ».
4312
félons de la légende sont figurés par les tenants
de
la morale « conformiste ». Ils défendent le mariage bourgeois, l’héri
4313
contraire triomphe régulièrement — fût-ce au prix
d’
un coup de pistolet. C’est la morale du romantisme, des droits impresc
4314
morale du romantisme, des droits imprescriptibles
de
l’amour, et elle implique la supériorité « spirituelle » de la maître
4315
, et elle implique la supériorité « spirituelle »
de
la maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi de la responsabili
4316
a maîtresse sur l’épouse. Quant au philtre, alibi
de
la responsabilité, on lui donne le nom romantique de « fatalité de la
4317
la responsabilité, on lui donne le nom romantique
de
« fatalité de la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas t
4318
ité, on lui donne le nom romantique de « fatalité
de
la passion ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort de l’assim
4319
n ». Et les tenants du conformisme n’ont pas tort
de
l’assimiler à la « littérature » en général, terme de mépris vouant à
4320
’assimiler à la « littérature » en général, terme
de
mépris vouant à une exécration globale les « tendances dissolvantes »
4321
impossibles ». Bientôt, l’on n’essaiera plus même
de
nier la complaisance que réclame de ses propres victimes l’élaboratio
4322
era plus même de nier la complaisance que réclame
de
ses propres victimes l’élaboration du vieux philtre. Elle est minutie
4323
ue dans des ruses inconscientes, en des centaines
de
pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour de Swann.) Littératu
4324
pages, par Marcel Proust. (Voir surtout Un Amour
de
Swann.) Littérature bourgeoise ai-je dit : ses conclusions régulièrem
4325
ulièrement antibourgeoises font partie intégrante
de
l’ordre social établi. L’instinct de conservation rend en effet cet o
4326
e intégrante de l’ordre social établi. L’instinct
de
conservation rend en effet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui fei
4327
ffet cet ordre tolérant à l’égard de ce qui feint
de
le renier, mais qui en vit. Le calcul est très simple, et bien entend
4328
n rêveries voluptueuses les tendances subversives
de
l’esprit. La morale du mariage en souffre évidemment, mais cela n’est
4329
ariage en souffre évidemment, mais cela n’est pas
d’
une gravité urgente, puisqu’on sait bien que l’institution matrimonial
4330
qui entraînent une dilapidation du « patrimoine »
de
la famille. (Patrimoine ne signifiant plus que fortune et propriétés.
4331
plus que fortune et propriétés.) ⁂ Cette volonté
de
jouir du mythe mais sans le payer trop cher, on la voit s’exprimer en
4332
riques que le film américain des premières années
de
l’entre-deux-guerres. C’était l’époque du happy end : tout devait abo
4333
tout devait aboutir au long baiser final sur fond
de
roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sa
4334
aboutir au long baiser final sur fond de roses ou
de
tentures luxueuses. Or cette figure de style n’est pas sans relations
4335
e roses ou de tentures luxueuses. Or cette figure
de
style n’est pas sans relations avec le mythe au dernier stade de sa d
4336
pas sans relations avec le mythe au dernier stade
de
sa déchéance. Elle exprime à la perfection la synthèse idéale de deux
4337
. Elle exprime à la perfection la synthèse idéale
de
deux désirs contradictoires : désir que rien ne s’arrange et désir qu
4338
ovient précisément du fait qu’il libère le public
de
ses contradictions intimes. En effet : point de roman sans obstacles.
4339
c de ses contradictions intimes. En effet : point
de
roman sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci d’une invrais
4340
sans obstacles. On les multiplie donc, sans souci
d’
une invraisemblance que le désir de romantisme rend insensible. Ainsi,
4341
nc, sans souci d’une invraisemblance que le désir
de
romantisme rend insensible. Ainsi, pendant une heure ou deux le roman
4342
, dès que cela nous devient clair. Il s’agit donc
de
supprimer l’obstacle à temps, ce qui amène par définition la fin du r
4343
in du roman et du film : « et ils eurent beaucoup
d’
enfants » signifie qu’il n’y a plus rien à raconter ; ou bien c’est le
4344
os plan, bouchant l’écran et refermant la fenêtre
de
l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera de donner à cette fin une
4345
tre de l’imagination. Toutefois, l’on s’efforcera
de
donner à cette fin une atmosphère « poétique » qui dissimule le passa
4346
lus qu’une nostalgie assez vulgaire, idéalisation
de
désirs anodins, d’ailleurs ramenés vers la jouissance des choses, c’e
4347
l’instinct, qu’elle excitait par sa volonté même
de
le nier. L’ambiguïté du langage mystique de l’hérésie devait faire na
4348
même de le nier. L’ambiguïté du langage mystique
de
l’hérésie devait faire naître, dès le xiiie siècle, une rhétorique p
4349
tre, dès le xiiie siècle, une rhétorique profane
de
la passion. Et c’est la diffusion de ce langage par la littérature ro
4350
ique profane de la passion. Et c’est la diffusion
de
ce langage par la littérature romanesque qui aboutit, au cours du der
4351
t des rôles : l’instinct devenant le vrai support
d’
une rhétorique dont les figures lui prêtent désormais un semblant d’id
4352
ont les figures lui prêtent désormais un semblant
d’
idéalité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose de Guillaume de
4353
ité. 20.L’instinct glorifié Comme à la rose
de
Guillaume de Lorris répond la rose de Jean de Meung, comme à la rhéto
4354
e à la rose de Guillaume de Lorris répond la rose
de
Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline de Pétrarque s’oppos
4355
Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline
de
Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle de Boccace, le romantis
4356
de Pétrarque s’oppose la fantasmagorie sensuelle
de
Boccace, le romantisme a provoqué de nos jours une révolte qui se veu
4357
ie sensuelle de Boccace, le romantisme a provoqué
de
nos jours une révolte qui se veut « primitive ». Ce n’est plus le sen
4358
, c’est l’instinct. Je songe à une certaine école
de
romanciers anglo-américains, qui fleurit dans l’entre-deux-guerres, u
4359
nous disaient ces hommes : « Nous en avons assez
de
souffrir pour des idées, des idéaux, des petites hypocrisies idéalisé
4360
lles personne ne sait plus croire. Vous avez fait
de
la femme une espèce de divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos
4361
lus croire. Vous avez fait de la femme une espèce
de
divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos femmes fatales, et vos
4362
et vos femmes adultères, et vos femmes desséchées
de
vertu, nous ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos « d
4363
femmes desséchées de vertu, nous ont gâté la joie
de
vivre. Nous nous vengerons de vos « divines ». La femme est d’abord u
4364
us ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons
de
vos « divines ». La femme est d’abord une femelle. Nous la ferons se
4365
rit. Et la grande innocence bestiale nous guérira
de
votre goût du péché, cette maladie de l’instinct génésique. Ce que vo
4366
ous guérira de votre goût du péché, cette maladie
de
l’instinct génésique. Ce que vous appelez morale, c’est ce qui nous r
4367
ui est la Vie. Et la vie, c’est l’instinct libéré
de
l’esprit, la grande puissance solaire qui broie et magnifie l’individ
4368
idu fécond, la belle brute déchaînée, etc. » L’un
de
ces prophètes est allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant de v
4369
st allé jusqu’à dire : « Je voudrais avoir autant
de
vitalité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique de la « Vie » a pu
4370
italité qu’une vache. » ⁂ Cette nouvelle mystique
de
la « Vie » a pu donner naissance à de belles œuvres littéraires. Mais
4371
le mystique de la « Vie » a pu donner naissance à
de
belles œuvres littéraires. Mais je la retrouve, étrangement identique
4372
ve, étrangement identique, aux origines profondes
d’
un mouvement que nous n’avons plus à étudier ni à convaincre : il nous
4373
lité morale et se retremper dans le flux cosmique
de
l’instinct, c’est l’idéal de nos poètes du primitivisme solaire, mais
4374
ans le flux cosmique de l’instinct, c’est l’idéal
de
nos poètes du primitivisme solaire, mais la pratique de cette croyanc
4375
poètes du primitivisme solaire, mais la pratique
de
cette croyance n’est pas de nature à nous tromper un seul instant : i
4376
ire, mais la pratique de cette croyance n’est pas
de
nature à nous tromper un seul instant : il n’y a pas de « belles » br
4377
ure à nous tromper un seul instant : il n’y a pas
de
« belles » brutes, il y a des brutes. L’idée de beauté qu’un Lawrence
4378
s de « belles » brutes, il y a des brutes. L’idée
de
beauté qu’un Lawrence croit encore consistante, c’est l’héritage d’un
4379
wrence croit encore consistante, c’est l’héritage
d’
une époque en faillite — une dette que plus personne, là-bas, n’est di
4380
là-bas, n’est disposé à reconnaître. On n’a plus
de
comptes à rendre à cet « esprit » platonicien. Il était cause de tout
4381
ndre à cet « esprit » platonicien. Il était cause
de
toute la confusion, et il l’a payé de sa vie, voilà qui est clair. Ma
4382
était cause de toute la confusion, et il l’a payé
de
sa vie, voilà qui est clair. Mais j’ajouterai ceci, qui est non moins
4383
» — l’on prétend s’enfoncer dans le flot primitif
de
l’instinct, dans le larvaire, dans le non-fait, dans l’« infait », c’
4384
dans l’infect, l’on croit retrouver l’authentique
de
la vie, et l’on ne fait pourtant que s’abandonner au torrent des déch
4385
pourtant que s’abandonner au torrent des déchets
de
l’ancienne culture et de ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a pl
4386
r au torrent des déchets de l’ancienne culture et
de
ses mythes désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujour
4387
désagrégés. C’est qu’il n’y a plus, dans l’homme
d’
aujourd’hui, d’authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, d
4388
est qu’il n’y a plus, dans l’homme d’aujourd’hui,
d’
authenticité primitive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon d
4389
ive. Ce que l’on appelle hérédité, dans le jargon
de
notre siècle, ce que l’Église appelle péché originel, cela désigne la
4390
dessous de nos morales, ce n’est pas nous libérer
de
leurs interdictions, descendre au-dessous de l’expression créée et ré
4391
t pas revenir au réel, mais s’égarer dans la zone
de
terreur et dans les terrains vagues où se sont déversés tous les rebu
4392
rrains vagues où se sont déversés tous les rebuts
d’
une civilisation intoxiquée. L’« authentique » dont le désir nous obsè
4393
pourrons pas le retrouver. Il n’est pas au terme
d’
un mouvement d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la ch
4394
e retrouver. Il n’est pas au terme d’un mouvement
d’
abandon à l’instinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n’est p
4395
d’abandon à l’instinct énervé et au ressentiment
de
la chair. Il n’est pas caché mais perdu. Il ne peut qu’être recréé pa
4396
r à la sobriété. Agir, ce n’est pas s’évader hors
d’
un monde déclaré diabolique. Ce n’est pas tuer ce corps gênant. Mais c
4397
conditions qui nous sont faites, dans le conflit
de
l’esprit et de la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus e
4398
nous sont faites, dans le conflit de l’esprit et
de
la chair ; et c’est tenter de les surmonter non plus en détruisant ma
4399
flit de l’esprit et de la chair ; et c’est tenter
de
les surmonter non plus en détruisant mais en mariant les deux puissan
4400
nces antagonistes. Que l’esprit vienne au secours
de
la chair et retrouve en elle son appui, et que la chair se soumette à
4401
tel, Éros vital — l’un appelle l’autre, et chacun
d’
eux n’a pour fin véritable et pour terminaison réelle que l’autre, qu’
4402
ait détruire ! À l’infini, jusqu’à la consomption
de
toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se p
4403
l’infini, jusqu’à la consomption de toute vie et
de
tout esprit. Voilà ce que peut faire l’homme qui se prend pour son di
4404
e prend pour son dieu. Voilà le mouvement dernier
de
la passion, dont l’exaspération s’appelle la guerre. 21.La passion
4405
passion dans tous les domaines Le mythe sacré
de
l’amour courtois, au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale d’o
4406
, au xiie siècle, avait eu pour fonction sociale
d’
ordonner et de purifier les puissances anarchiques de la passion. Une
4407
cle, avait eu pour fonction sociale d’ordonner et
de
purifier les puissances anarchiques de la passion. Une mystique trans
4408
rdonner et de purifier les puissances anarchiques
de
la passion. Une mystique transcendante orientait secrètement, polaris
4409
ètement, polarisait vers l’au-delà les nostalgies
de
l’humanité souffrante. C’était sans doute une hérésie, mais pacifique
4410
oute une hérésie, mais pacifique, et par certains
de
ses aspects, très favorable à l’équilibre civilisateur. Cependant, du
4411
du seul fait qu’elle s’opposait à la propagation
de
l’espèce et à la guerre, la société devait la persécuter. Ce fut Rome
4412
ée, l’hérésie ne devait pas tarder à se dénaturer
de
mille manières. Les confusions qu’elle favorisait malgré elle, cette
4413
’elle favorisait malgré elle, cette glorification
de
l’amour humain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage d’une am
4414
lorification de l’amour humain qui était l’envers
de
sa doctrine, ce langage d’une ambiguïté à la fois essentielle et oppo
4415
ain qui était l’envers de sa doctrine, ce langage
d’
une ambiguïté à la fois essentielle et opportune, qui permettait tous
4416
bus, c’est cela qui allait échapper aux tribunaux
de
l’Inquisition, puis envahir la conscience européenne, même orthodoxe,
4417
ence européenne, même orthodoxe, et par une sorte
d’
ironie, donner sa rhétorique passionnelle au mysticisme des plus grand
4418
squ’il n’avait pu se traduire que dans les termes
de
l’amour humain, bien qu’entendus au sens mystique. Ce sens évanoui re
4419
plus en plus mystérieux, apte à séduire le besoin
d’
idéal qu’avait laissé dans la conscience une connaissance mystique rép
4420
tique réprouvée, puis perdue. Telle fut la chance
de
la littérature en Occident ; et cela seul peut expliquer l’empire, un
4421
r les masses. Toutefois, le classicisme s’efforça
d’
imposer tout au moins une forme d’art à ces puissances obscures privée
4422
cisme s’efforça d’imposer tout au moins une forme
d’
art à ces puissances obscures privées de leur forme sacrée. C’est à ce
4423
une forme d’art à ces puissances obscures privées
de
leur forme sacrée. C’est à ces vestiges de rites que s’attaqua le rom
4424
rivées de leur forme sacrée. C’est à ces vestiges
de
rites que s’attaqua le romantisme. D’où la violente exaltation, dès l
4425
es vestiges de rites que s’attaqua le romantisme.
D’
où la violente exaltation, dès la fin du xviiie siècle, de tout ce qu
4426
iolente exaltation, dès la fin du xviiie siècle,
de
tout ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel de Tristan, puis
4427
ut ce qu’avaient voulu contenir le mythe originel
de
Tristan, puis ses substituts littéraires. Le xixe siècle bourgeois v
4428
répandre dans la conscience profane l’« instinct
de
mort » longtemps refoulé dans l’inconscient ou canalisé dès sa source
4429
ce par un art aristocratique. Et quand les cadres
de
la société vinrent à craquer — sous l’effet de poussées d’un tout aut
4430
es de la société vinrent à craquer — sous l’effet
de
poussées d’un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inond
4431
iété vinrent à craquer — sous l’effet de poussées
d’
un tout autre ordre d’ailleurs — le contenu du mythe inonda notre vie
4432
s plus ce que signifiait cette diffuse exaltation
de
l’amour. Nous la prenions pour un printemps de l’instinct et pour une
4433
on de l’amour. Nous la prenions pour un printemps
de
l’instinct et pour une renaissance des forces dionysiaques persécutée
4434
sme. Toute la littérature moderne entonna l’hymne
de
la « libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton de désespoir ? Co
4435
oderne entonna l’hymne de la « libération ». Mais
d’
où lui vient alors ce ton de désespoir ? Comment se fait-il que le rom
4436
« libération ». Mais d’où lui vient alors ce ton
de
désespoir ? Comment se fait-il que le roman qui triompha pendant tren
4437
qui triompha pendant trente ans, au xxe siècle,
de
toutes les autres formes littéraires, aboutisse à cette analyse maréc
4438
ittéraires, aboutisse à cette analyse marécageuse
de
nos doutes et de notre vide ? Que signifie cette libération qui nous
4439
isse à cette analyse marécageuse de nos doutes et
de
notre vide ? Que signifie cette libération qui nous laisse tellement
4440
virulence provisoire qu’en se mettant au service
de
mystiques partisanes ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle
4441
s ? Serait-ce la fin du romantisme ? Le spectacle
de
nos mœurs n’autorise pas cette conclusion. Car la crise actuelle du m
4442
nt que l’on voudra, mais tout de même le triomphe
d’
une passion profanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine de la
4443
fanée. Mais bien au-delà du mariage et du domaine
de
la sexualité proprement dite, le contenu du mythe et ses fantômes env
4444
iques ». C’est que nous sommes devenus incapables
de
faire la part du feu, d’ordonner nos désirs, de distinguer leur natur
4445
ommes devenus incapables de faire la part du feu,
d’
ordonner nos désirs, de distinguer leur nature et leur fin, d’imposer
4446
s de faire la part du feu, d’ordonner nos désirs,
de
distinguer leur nature et leur fin, d’imposer une mesure à leurs diva
4447
os désirs, de distinguer leur nature et leur fin,
d’
imposer une mesure à leurs divagations — de les exprimer en figures. L
4448
r fin, d’imposer une mesure à leurs divagations —
de
les exprimer en figures. Les dernières formes de l’amour ont été bala
4449
de les exprimer en figures. Les dernières formes
de
l’amour ont été balayées par la guerre. Et j’insisterai sur cet exemp
4450
sur cet exemple symbolique : nous ne faisons plus
de
« déclarations d’amour » dans le même temps que nous admettons la gue
4451
mbolique : nous ne faisons plus de « déclarations
d’
amour » dans le même temps que nous admettons la guerre sans « déclara
4452
sa conversion en rhétorique, puis la dissolution
de
cette rhétorique et la totale vulgarisation de son contenu, l’on peut
4453
on de cette rhétorique et la totale vulgarisation
de
son contenu, l’on peut en suivre les étapes dans un domaine en appare
4454
x que nous venons de parcourir : dans l’évolution
de
la guerre et de ses méthodes en Occident. 124. Je rappelle que j’e
4455
s de parcourir : dans l’évolution de la guerre et
de
ses méthodes en Occident. 124. Je rappelle que j’emploie toujours
4456
elle que j’emploie toujours ce mot au double sens
de
sacrilège et de laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas rec
4457
ie toujours ce mot au double sens de sacrilège et
de
laïcisation (ou « sécularisation ») — pour ne pas recourir à « profan
4458
isté, et Dante l’a certainement aimée. C’est donc
d’
une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse de ce qui se passe chez
4459
c d’une sublimation qu’il s’agit ici, à l’inverse
de
ce qui se passe chez de nombreux troubadours. Béatrice deviendra succ
4460
l s’agit ici, à l’inverse de ce qui se passe chez
de
nombreux troubadours. Béatrice deviendra successivement la Philosophi
4461
. Sainte Thérèse : « Ces grâces sont accompagnées
d’
un entier détachement des créatures, quant à l’esprit… On se sent alor
4462
n se sent alors beaucoup plus étranger aux choses
de
la terre » et passim ! 130. Il connaissait le roman et le cite plusi
4463
cite plusieurs fois. Par exemple dans le Triomphe
de
l’amour : « Voici ceux qui remplissent de rêverie les livres — Trista
4464
riomphe de l’amour : « Voici ceux qui remplissent
de
rêverie les livres — Tristan et Lancelot et les autres errants — auxq
4465
supplice, elle voudrait y passer ce qui lui reste
de
vie. » 133. Saint Jean de la Croix : « Ô brûlure suave ! » et tout
4466
ix : « Ô brûlure suave ! » et tout le commentaire
de
ce vers dans la Vive flamme d’amour (II, 1). 134. Sainte Thérèse : «
4467
out le commentaire de ce vers dans la Vive flamme
d’
amour (II, 1). 134. Sainte Thérèse : « De ce désir qui en un instant
4468
flamme d’amour (II, 1). 134. Sainte Thérèse : «
De
ce désir qui en un instant pénètre l’âme entière naît une douleur qui
4469
ière naît une douleur qui la transporte au-dessus
d’
elle-même et de tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette sol
4470
ouleur qui la transporte au-dessus d’elle-même et
de
tout le créé. Elle n’aspire qu’à mourir dans cette solitude. Qu’on lu
4471
Sainte Thérèse : « Quelle souveraineté que celle
d’
une âme qui, portée à cette hauteur par Dieu lui-même, considère toute
4472
u xiiie siècle. 138. Voir la Croisade du Graal,
d’
Otto Rahn, pour l’idée ou l’intuition, et Tristan de Gottfried Weber,
4473
d Weber, pour la démonstration dans le cas précis
de
Gottfried de Strasbourg. 139. Nous avons déjà relevé l’influence de
4474
asbourg. 139. Nous avons déjà relevé l’influence
de
cette littérature sur sainte Thérèse et les mystiques espagnols en gé
4475
ystiques espagnols en général. 140. La Tragédie
de
Roméo et Juliette, traduction P.-J. Jouve et G. Pitoëff. 141. Floris
4476
à Samson Agonistes.) 142. Charles Sorel, auteur
de
Francion, avait écrit l’Anti-Roman ou le Berger extravagant, reprenan
4477
éaliste », toutes les situations conventionnelles
de
l’Astrée. De même, Scarron, etc. 143. « Titus, qui aimait passionném
4478
et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis
de
l’épouser, la renvoya de Rome malgré lui et malgré elle, dès les prem
4479
royait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya
de
Rome malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire.
4480
malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours
de
son empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface de Bérénice). 14
4481
n empire. » (Suétone, traduit par Racine, préface
de
Bérénice). 144. Hippolyte parlant d’Aricie, acte Ier, scène 1 : « Do
4482
ne, préface de Bérénice). 144. Hippolyte parlant
d’
Aricie, acte Ier, scène 1 : « Dois-je épouser ses droits contre un pèr
4483
nnais donc Phèdre et toute sa fureur… » et l’aveu
de
Thésée, au cinquième acte. 146. Nouvelle vérification de ce que nous
4484
e, au cinquième acte. 146. Nouvelle vérification
de
ce que nous disions à propos d’Eckhart : la mystique unitive ignore l
4485
Juan repris dans Comme toi-même , 1961. (Édition
de
poche : Les Mythes de l’amour, 1967.) 148. Celui de Mozart plutôt qu
4486
e toi-même , 1961. (Édition de poche : Les Mythes
de
l’amour, 1967.) 148. Celui de Mozart plutôt que celui de Molière, be
4487
poche : Les Mythes de l’amour, 1967.) 148. Celui
de
Mozart plutôt que celui de Molière, beaucoup moins significatif à mon
4488
ur, 1967.) 148. Celui de Mozart plutôt que celui
de
Molière, beaucoup moins significatif à mon avis, et qui d’ailleurs n’
4489
bé de Sade, propre oncle du marquis, est l’auteur
d’
un ouvrage intitulé : Remarques sur les premiers poètes français et le
4490
s premiers poètes français et les troubadours, et
de
trois volumes (anonymes) de mémoires sur Pétrarque. 150. « On a de S
4491
t les troubadours, et de trois volumes (anonymes)
de
mémoires sur Pétrarque. 150. « On a de Sade : Juliette ou les malheu
4492
anonymes) de mémoires sur Pétrarque. 150. « On a
de
Sade : Juliette ou les malheurs de la vertu (1791), puis Justine ou l
4493
. 150. « On a de Sade : Juliette ou les malheurs
de
la vertu (1791), puis Justine ou les prospérités du vice. C’est le co
4494
ctement (donc en psychanalyse, le contraire aussi
de
ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fort
4495
yse, le contraire aussi de ce contraire, et ainsi
de
suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A.
4496
i de ce contraire, et ainsi de suite) des Remèdes
de
l’une et l’autre fortune de Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.)
4497
de suite) des Remèdes de l’une et l’autre fortune
de
Pétrarque. » (C.-A. Cingria, Pétrarque.) 151. Voir Appendice 13. 1
4498
Appendice 13. 152. Rappelons que l’amour fameux
d’
Abélard et Héloïse est le premier exemple historique de la passion don
4499
lard et Héloïse est le premier exemple historique
de
la passion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre d’Héloïse co
4500
ion dont nous parlons ici. Voici le Chant funèbre
d’
Héloïse composé (par elle-même ?) en vers latins (cité par Rémusat : A
4501
: Abélard, t. I). L’amante supplie : Soulage-moi
de
ma croix, Conduis vers la lumière Mon âme délivrée ! Et le chœur des
4502
œur des religieuses reprend : Qu’ils se reposent
de
leur labeur Et de leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des
4503
s reprend : Qu’ils se reposent de leur labeur Et
de
leur douloureux amour ! Ils demandaient l’union des habitants des cie
4504
hérétique, se rapproche sur des points essentiels
de
la doctrine spiritualiste des cathares. Et dans ses Lamentations, il
4505
il laisse échapper le grand cri du romantisme et
de
Tristan : « Amoris impulsio, culpæ justificatio. » 153. Est-ce la f
4506
eau ? Ou plutôt au symbolisme ? Beaucoup de dames
d’
aujourd’hui croient que « mystique » signifie sentimental. Vitraux, pé
4507
tal. Vitraux, pénombre bleue, arpèges, somnolence
de
l’esprit, rêverie des sens… 154. W. Schlegel commença en 1808 une ré
4508
chlegel commença en 1808 une rédaction modernisée
de
Tristan. Puis Rückert, Immermann, Platen, bien d’autres, esquissèrent
4509
issèrent des Tristan (poèmes et drames). Le poème
de
Platen débute ainsi : « Celui dont les yeux ont une fois contemplé la
4510
re Saisons, devait représenter les quatre saisons
de
l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité de l’univers ; le j
4511
l’esprit : le matin, qui est l’éclairage illimité
de
l’univers ; le jour, forme illimitée de la créature ; le soir, négati
4512
illimité de l’univers ; le jour, forme illimitée
de
la créature ; le soir, négation illimitée de l’existence à l’origine
4513
itée de la créature ; le soir, négation illimitée
de
l’existence à l’origine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée
4514
ir, négation illimitée de l’existence à l’origine
de
l’univers ; la nuit, profondeur illimitée de la connaissance de Dieu,
4515
gine de l’univers ; la nuit, profondeur illimitée
de
la connaissance de Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, Les Ro
4516
la nuit, profondeur illimitée de la connaissance
de
Dieu, existence absolue. (Cf. Ricarda Huch, Les Romantiques allemands
4517
dre un siècle pour en voir un : Bergson, disciple
de
Schelling. 159. Voir le Journal de Novalis, et le portrait qu’il don
4518
son, disciple de Schelling. 159. Voir le Journal
de
Novalis, et le portrait qu’il donne de sa fiancée perdue, Sophie von
4519
le Journal de Novalis, et le portrait qu’il donne
de
sa fiancée perdue, Sophie von Kühn, morte à 16 ans. Il note « ses pla
4520
s du vin ». Le Français hausse les épaules devant
de
tels enfantillages. 160. On lit dans le Cantique des Cantiques : « L
4521
s en scène s’obstinent à conserver (la décoration
de
la tente au premier acte, le lierre peint sur les murailles du burg a
4522
ques, et non pas cette interminable gesticulation
de
Tristan essoufflé sur sa couche, d’Isolde entravée par ses voiles… No
4523
gesticulation de Tristan essoufflé sur sa couche,
d’
Isolde entravée par ses voiles… Note de 1954 : la mise en scène nouvel
4524
sa couche, d’Isolde entravée par ses voiles… Note
de
1954 : la mise en scène nouvelle de Tristan à Bayreuth, œuvre de Wiel
4525
voiles… Note de 1954 : la mise en scène nouvelle
de
Tristan à Bayreuth, œuvre de Wieland Wagner, comble les vœux que j’ex
4526
se en scène nouvelle de Tristan à Bayreuth, œuvre
de
Wieland Wagner, comble les vœux que j’exprimais dans la première édit
4527
les vœux que j’exprimais dans la première édition
de
ce livre ; elle permet d’assister les yeux ouverts au deuxième acte.
4528
ans la première édition de ce livre ; elle permet
d’
assister les yeux ouverts au deuxième acte. 165. Gwyon (d’où guyon :
4529
les yeux ouverts au deuxième acte. 165. Gwyon (
d’
où guyon : guide, en vieux français) c’est le Führer qui détient les s
4530
français) c’est le Führer qui détient les secrets
d’
initiation à la voie divinisante. 166. Scène d’un roman de Caldwell i
4531
s d’initiation à la voie divinisante. 166. Scène
d’
un roman de Caldwell intitulé la Route au tabac. 167. On connaît la p
4532
ion à la voie divinisante. 166. Scène d’un roman
de
Caldwell intitulé la Route au tabac. 167. On connaît la phrase d’un
4533
ulé la Route au tabac. 167. On connaît la phrase
d’
un officier hitlérien : « Chaque fois que j’entends prononcer le mot “
4534
ommes tributaires — inconsciemment bien entendu —
d’
un ensemble de mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé
4535
res — inconsciemment bien entendu — d’un ensemble
de
mœurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles.
4536
ciemment bien entendu — d’un ensemble de mœurs et
de
coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles. Or passion s
4537
les. Or passion signifie souffrance. Notre notion
de
l’amour, enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc
4538
tion de l’amour, enveloppant celle que nous avons
de
la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde q
4539
ons de la femme, se trouve donc liée à une notion
de
la souffrance féconde qui flatte ou légitime obscurément, au plus sec
4540
ui flatte ou légitime obscurément, au plus secret
de
la conscience occidentale, le goût de la guerre. Cette liaison singul
4541
plus secret de la conscience occidentale, le goût
de
la guerre. Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme e
4542
e, le goût de la guerre. Cette liaison singulière
d’
une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerr
4543
rre. Cette liaison singulière d’une certaine idée
de
la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entr
4544
son singulière d’une certaine idée de la femme et
d’
une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne de profond
4545
ine idée de la femme et d’une idée correspondante
de
la guerre, en Occident, entraîne de profondes conséquences pour la mo
4546
orrespondante de la guerre, en Occident, entraîne
de
profondes conséquences pour la morale, l’éducation, la politique. Un
4547
n, la politique. Un fort gros livre ne serait pas
de
trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit
4548
rit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté
de
la tâche. Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséde
4549
Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait
de
posséder à fond la matière rapidement explorée dans les pages qui pré
4550
ntreprises depuis le xixe siècle sur la question
de
l’« instinct combatif » dans ses relations avec l’instinct sexuel168.
4551
ns ses relations avec l’instinct sexuel168. Faute
de
quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et su
4552
quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre
de
questions, et surtout à les situer dans la logique du mythe, qui est
4553
ins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple
de
recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerr
4554
s nécessaire par exemple de recourir aux théories
de
Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fond
4555
x théories de Freud pour constater que l’instinct
de
guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés : les figures courant
4556
gures courantes du langage le font voir avec plus
d’
évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeante
4557
le font voir avec plus d’évidence. Laissant donc
de
côté les hypothèses multiples et changeantes relatives à la genèse de
4558
à quelques rapprochements formels entre les arts
d’
aimer et de guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos ét
4559
rapprochements formels entre les arts d’aimer et
de
guerroyer du xiie siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplem
4560
le jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement
de
marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de
4561
lélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution
de
la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’a
4562
’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs
de
la priorité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour
4563
a guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité
de
l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiqu
4564
ns préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou
de
l’autre. 2.Langage guerrier de l’amour Dès l’Antiquité, les poè
4565
ité de l’une ou de l’autre. 2.Langage guerrier
de
l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrièr
4566
de l’amour Dès l’Antiquité, les poètes ont usé
de
métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le
4567
de métaphores guerrières pour décrire les effets
de
l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèche
4568
ur décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu
d’
amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se ren
4569
ert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu
de
la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus an
4570
il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre
de
Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans
4571
. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession
d’
une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous possédions, le Thé
4572
’Héliodore (iiie siècle) parle déjà des « luttes
d’
amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les
4573
iie siècle) parle déjà des « luttes d’amour » et
de
la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévit
4574
luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite »
de
celui « qui tombe sous les traits inévitables d’Éros ». Plutarque fai
4575
de celui « qui tombe sous les traits inévitables
d’
Éros ». Plutarque fait voir que la morale sexuelle des Spartiates s’or
4576
des Spartiates s’ordonnait au rendement militaire
de
ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant l
4577
au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme
de
Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant les relations des époux, n’
4578
inutieuses réglant les relations des époux, n’ont
d’
autre but que d’augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirm
4579
nt les relations des époux, n’ont d’autre but que
d’
augmenter l’agressivité des soldats. Tout cela confirme la liaison nat
4580
la liaison naturelle, c’est-à-dire physiologique,
de
l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de c
4581
est-à-dire physiologique, de l’instinct sexuel et
de
l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblance
4582
el et de l’instinct combatif. Mais il serait vain
de
chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et leur conc
4583
entre la tactique des Anciens et leur conception
de
l’amour. Les deux domaines restent soumis à des lois tout à fait dist
4584
mis à des lois tout à fait distinctes, et privées
de
commune mesure. Il n’en va plus de même dans notre histoire à partir
4585
les. On voit alors le langage amoureux s’enrichir
de
tournures qui ne désignent plus seulement les gestes élémentaires du
4586
lémentaires du guerrier, mais qui sont empruntées
d’
une façon très précise à l’art des batailles, à la tactique militaire
4587
se à l’art des batailles, à la tactique militaire
de
l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’une origine commune plus ou
4588
itaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais,
d’
une origine commune plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’u
4589
ne plus ou moins obscurément ressentie, mais bien
d’
un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre
4590
’un minutieux parallélisme. L’amant fait le siège
de
sa Dame. Il livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près,
4591
lisme. L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre
d’
amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il c
4592
livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre
de
près, il la poursuit, il cherche à vaincre les dernières défenses de
4593
suit, il cherche à vaincre les dernières défenses
de
sa pudeur, et à les tourner par surprise ; enfin la dame se rend à me
4594
is alors, par une curieuse inversion bien typique
de
la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps qu
4595
e temps que son vainqueur. Il deviendra le vassal
de
cette suzeraine, selon la règle des guerres féodales, tout comme si c
4596
te 169. Il ne lui reste plus qu’à faire la preuve
de
sa vaillance, etc. Tout ceci pour le beau langage. Mais l’argot solda
4597
oldatesque et civil nous fournirait une profusion
d’
exemples d’une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’intr
4598
et civil nous fournirait une profusion d’exemples
d’
une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’introduction de
4599
introduction des armes à feu devait donner lieu à
d’
innombrables plaisanteries à double sens. Ce parallélisme d’ailleurs e
4600
amment exploité par les écrivains. C’est un thème
de
rhétorique inépuisable. « Ô ! trop heureux capitaine, écrit Brantôme1
4601
écrit Brantôme170, qui avez combattu et tué tant
d’
hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop h
4602
0, qui avez combattu et tué tant d’hommes ennemis
de
Dieu dans les armées et dans les villes ! Ô ! trop heureux encore une
4603
vez combattu et vaincu à tant d’autres assauts et
de
reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit ! » Il ne
4604
de reprises une si belle Dame entre les pavillons
de
votre lit ! » Il ne faudra pas s’étonner si les auteurs mystiques rep
4605
on le processus décrit plus haut, dans le domaine
de
l’amour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérès
4606
mour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres
de
sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son
4607
l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus
de
rhétorique courtoise) écrit dans son Ley de Amor : « Ne pense pas que
4608
ns son Ley de Amor : « Ne pense pas que le combat
de
l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’u
4609
me les autres batailles où la fureur et le fracas
d’
une guerre épouvantable sévit des deux côtés, car l’amour ne combat qu
4610
bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre
de
grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise de
4611
é. Les soupirs composent son artillerie. Sa prise
de
possession est un embrassement. Sa tuerie est de donner la vie pour l
4612
de possession est un embrassement. Sa tuerie est
de
donner la vie pour l’aimé. » ⁂ On a vu que la rhétorique courtoise tr
4613
urtoise traduit, à l’origine, la lutte du Jour et
de
la Nuit. La mort y joue un rôle central : elle est la défaite du mond
4614
ral : elle est la défaite du monde et la victoire
de
la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l
4615
, ni cette complicité physiologique des instincts
de
combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des
4616
mplicité physiologique des instincts de combat et
de
procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des expressions
4617
pressions guerrières dans la littérature érotique
d’
Occident. Ce qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge d’une r
4618
qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Âge
d’
une règle effectivement commune à l’art d’aimer et à l’art militaire,
4619
yen Âge d’une règle effectivement commune à l’art
d’
aimer et à l’art militaire, et qui s’appelle la chevalerie. 3.La ch
4620
s’appelle la chevalerie. 3.La chevalerie, loi
de
l’amour et de la guerre « Donner un style à l’amour », telle est,
4621
chevalerie. 3.La chevalerie, loi de l’amour et
de
la guerre « Donner un style à l’amour », telle est, selon J. Huizi
4622
elle est, selon J. Huizinga, l’aspiration suprême
de
la société médiévale dans l’ordre éthique. « C’est une nécessité soci
4623
éthique. « C’est une nécessité sociale, un besoin
d’
autant plus impérieux que les mœurs sont plus féroces. Il faut élever
4624
plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur
d’
un rite, la violence débordante de la passion l’exige. À moins que les
4625
ur à la hauteur d’un rite, la violence débordante
de
la passion l’exige. À moins que les émotions ne se laissent encadrer
4626
les, c’est la barbarie. L’Église avait pour tâche
de
réprimer la brutalité et la licence du peuple, mais elle n’y suffisai
4627
sait pas. L’aristocratie, en dehors des préceptes
de
la religion, avait sa culture à elle, à savoir la courtoisie, et elle
4628
avoir la courtoisie, et elle y puisait les normes
de
sa conduite. »171 (Nous savons en effet que la courtoisie non seuleme
4629
éviser bien des jugements sur l’unité spirituelle
de
la société médiévale !) Or s’il est vrai que cette morale courtoise n
4630
mœurs privées des hautes classes, qui demeuraient
d’
« une rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal cr
4631
rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle
d’
un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérat
4632
du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal créateur
de
belles apparences. Elle triompha dans la littérature. Et par ailleurs
4633
ser à la réalité la plus violente du temps, celle
de
la guerre. Exemple unique d’un ars amandi, qui donne naissance à un a
4634
ente du temps, celle de la guerre. Exemple unique
d’
un ars amandi, qui donne naissance à un ars bellandi. Ce n’est pas seu
4635
Ce n’est pas seulement dans le détail des règles
de
combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresqu
4636
de combat individuel que se fait sentir l’action
de
l’idéal chevaleresque, mais dans la conduite même des batailles, et j
4637
malisme militaire revêt à cette époque une valeur
d’
absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter
4638
’on se laisse tuer pour respecter des conventions
d’
une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Étoile
4639
d’une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers
de
l’ordre de l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamai
4640
illeuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre
de
l’Étoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamais de plus d
4641
e dans le combat ils ne reculeront jamais de plus
de
quatre arpents ; sinon ils devront mourir ou se rendre. Et cette règl
4642
on en croit Froissart, coûta la vie, dès le début
de
l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessit
4643
rt, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus
de
quatre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités de la stratégie
4644
tre-vingts d’entre eux. » De même, les nécessités
de
la stratégie sont sacrifiées à celles de l’esthétique ou de l’honneur
4645
cessités de la stratégie sont sacrifiées à celles
de
l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterr
4646
tégie sont sacrifiées à celles de l’esthétique ou
de
l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterre va à la rencontre
4647
va à la rencontre des Français avant la bataille
d’
Azincourt. Par erreur, le soir, il dépasse le village que les fourrage
4648
« comme celuy qui gardoit le plus les cérémonies
d’
honneur très loable » vient justement d’ordonner que les chevaliers en
4649
érémonies d’honneur très loable » vient justement
d’
ordonner que les chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’a
4650
chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte
d’
armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtement
4651
d’armes afin de ne pas être, en revenant, obligés
de
reculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’arme
4652
eculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu
de
sa cotte d’armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la n
4653
tements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte
d’
armes, il ne peut donc revenir sur ses pas ; il passe la nuit dans l’e
4654
mément à ce nouveau plan. » Les exemples abondent
de
carnages inutiles provoqués par des vœux d’une folle outrecuidance et
4655
ndent de carnages inutiles provoqués par des vœux
d’
une folle outrecuidance et que l’on tente d’accomplir au plus grand de
4656
vœux d’une folle outrecuidance et que l’on tente
d’
accomplir au plus grand des périls possibles. C’est bien le péril qu’o
4657
es engagements. La casuistique courtoise en offre
d’
excellents. Cette casuistique « ne régit pas seulement la morale et le
4658
nte sur le droit des gens à sa naissance. « Droit
de
butin, droit d’attaque — fidélité à la parole donnée sont régis par d
4659
des gens à sa naissance. « Droit de butin, droit
d’
attaque — fidélité à la parole donnée sont régis par des règles sembla
4660
le tournoi et la chasse. » L’Arbre des Batailles
d’
Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discu
4661
tailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit
de
guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques
4662
guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups
de
textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce
4663
iscutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et
d’
articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd
4664
le-mêle à coups de textes bibliques et d’articles
de
droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mê
4665
es et d’articles de droit canonique des questions
de
ce genre : « Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on
4666
d dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu
de
la rendre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour de fête ? — Va
4667
untée, est-on tenu de la rendre ? — Est-il permis
de
livrer bataille un jour de fête ? — Vaut-il mieux se battre après les
4668
ndre ? — Est-il permis de livrer bataille un jour
de
fête ? — Vaut-il mieux se battre après les repas ou à jeun ? — Dans q
4669
pas ou à jeun ? — Dans quels cas peut-on s’évader
de
captivité ? » Dans un autre ouvrage, on voit deux capitaines se dispu
4670
iverselle basée sur l’union des rois, la conquête
de
Jérusalem et l’expulsion des Turcs. Idées chimériques mais dont l’emp
4671
. Idées chimériques mais dont l’empire ne cessera
de
s’exercer sur les princes jusqu’au xve siècle, en dépit des transfor
4672
usqu’au xve siècle, en dépit des transformations
de
tous ordres survenues entre-temps en Europe, et à l’encontre des inté
4673
i que se marque le mieux le caractère particulier
de
l’idéal courtois, radicalement contradictoire avec la « dure réalité
4674
icalement contradictoire avec la « dure réalité »
de
l’époque : il représente un pôle d’attraction pour les aspirations sp
4675
ure réalité » de l’époque : il représente un pôle
d’
attraction pour les aspirations spirituelles brimées. C’est une forme
4676
aspirations spirituelles brimées. C’est une forme
d’
évasion romantique, en même temps qu’un frein aux instincts. Le formal
4677
u’un frein aux instincts. Le formalisme minutieux
de
la guerre s’oppose aux violences du sang féodal comme le culte de la
4678
ppose aux violences du sang féodal comme le culte
de
la chasteté, chez les troubadours, s’oppose à l’exaltation érotique d
4679
nsi dire l’une à côté de l’autre deux conceptions
de
la vie : la conception pieuse, ascétique, attire à elle tous les sent
4680
iable, se venge terriblement. Que l’un ou l’autre
de
ces penchants prédomine, nous avons le saint ou le pécheur ; mais en
4681
néral, ils se tiennent en équilibre instable avec
d’
énormes écarts de la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte
4682
nnent en équilibre instable avec d’énormes écarts
de
la balance. » 4.Les tournois, ou le mythe en acte II est pourta
4683
parfaite des instincts érotiques et guerriers et
de
la règle courtoise idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de
4684
e idéale : c’est le terrain nettement circonscrit
de
la lice où se jouent les tournois. Là, les fureurs du sang se donnent
4685
mais sous l’égide et dans les cadres symboliques
d’
une cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction myth
4686
ne cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif
de
la fonction mythique du Tristan telle que nous la définissions : expr
4687
nt, de manière à la rendre acceptable au jugement
de
la société. Le tournoi « joue » le mythe, physiquement : — « Les tran
4688
oue » le mythe, physiquement : — « Les transports
de
l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous form
4689
ation dramatique et le sport. Celui-ci est, au e,
de
beaucoup le plus important. Le drame ne traitait encore, en général,
4690
haut point et contenait, en outre, une forte dose
d’
érotisme. Partout et toujours, le sport a associé ces deux facteurs :
4691
que retournés à la simplicité grecque, le tournoi
de
la fin du Moyen Âge, avec ses riches ornements et sa mise en scène, p
4692
ne me paraît plus propre à restituer l’atmosphère
de
rêve du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut
4693
propre à restituer l’atmosphère de rêve du Roman
de
Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les œuv
4694
de rêve du Roman de Tristan que les descriptions
de
tournois qu’on peut lire dans les œuvres de Chastellain et les mémoir
4695
tions de tournois qu’on peut lire dans les œuvres
de
Chastellain et les mémoires d’Olivier de la Marche, tous deux histori
4696
re dans les œuvres de Chastellain et les mémoires
d’
Olivier de la Marche, tous deux historiographes du fastueux et chevale
4697
istoriographes du fastueux et chevaleresque duché
de
Bourgogne au xve siècle. L’amour et la mort s’y marient dans un pays
4698
marient dans un paysage artificiel et symbolique
de
très haute mélancolie. « L’héroïsme par amour — voilà le motif romane
4699
mation immédiate du désir sensuel en un sacrifice
de
soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expressio
4700
ce de soi-même qui semble faire partie du domaine
de
l’éthique… L’expression et la satisfaction du désir, qui paraissent t
4701
complissement du désir, et la délivrance est donc
de
toute manière assurée. » La mise en scène des tournois emprunte ses i
4702
scène des tournois emprunte ses idées aux romans
de
la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit de la Fonta
4703
de la Table ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas
d’
Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesq
4704
ronde. Ainsi, au xve siècle, le Pas d’Armes dit
de
la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginair
4705
conditions décrites par les « chapitres » du pas
d’
armes. C’est à cheval qu’il faut toucher les boucliers : les chevalier
4706
er à la pèlerine » ; parfois il apparaît en héros
de
roman et s’appelle le chevalier au cygne ou porte les armes de Lancel
4707
’appelle le chevalier au cygne ou porte les armes
de
Lancelot, de Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mé
4708
hevalier au cygne ou porte les armes de Lancelot,
de
Tristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est
4709
gne ou porte les armes de Lancelot, de Tristan ou
de
Palamedes… Le plus souvent, un voile de mélancolie est répandu sur to
4710
ristan ou de Palamedes… Le plus souvent, un voile
de
mélancolie est répandu sur toute l’action ; le nom de la Fontaine des
4711
élancolie est répandu sur toute l’action ; le nom
de
la Fontaine des Pleurs est éminemment suggestif. Les écus sont blancs
4712
if. Les écus sont blancs, violets et noirs, semés
de
larmes blanches ; on les touche par pitié pour la « Dame des pleurs »
4713
emprise du Dragon, célébré à l’occasion du départ
de
sa fille Marguerite devenue reine d’Angleterre, le roi René apparaît
4714
apparaît en noir, sur un cheval noir caparaçonné
de
noir, avec une lance noire et un écu de sable aux larmes d’argent… Po
4715
paraçonné de noir, avec une lance noire et un écu
de
sable aux larmes d’argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont no
4716
vec une lance noire et un écu de sable aux larmes
d’
argent… Pour l’Arbre Charlemagne, les écus sont noirs et violets aux l
4717
rnoi apparaît encore dans la coutume du chevalier
de
porter le voile ou une pièce du vêtement de sa dame, qu’il lui remet
4718
alier de porter le voile ou une pièce du vêtement
de
sa dame, qu’il lui remet parfois, après le combat, tout maculé de son
4719
l lui remet parfois, après le combat, tout maculé
de
son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans de la Table ronde.) «
4720
de son sang. (Ainsi fait Lancelot dans les romans
de
la Table ronde.) « L’atmosphère de passion qui entourait les tournois
4721
ans les romans de la Table ronde.) « L’atmosphère
de
passion qui entourait les tournois explique l’hostilité de l’Église p
4722
n qui entourait les tournois explique l’hostilité
de
l’Église pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois d’éclatants ad
4723
ise pour ces sports. Ceux-ci provoquaient parfois
d’
éclatants adultères, comme le témoigne, à propos du tournoi de 1389, l
4724
adultères, comme le témoigne, à propos du tournoi
de
1389, le Religieux de Saint-Denis et, sur la foi de celui-ci, Jean Ju
4725
moigne, à propos du tournoi de 1389, le Religieux
de
Saint-Denis et, sur la foi de celui-ci, Jean Juvénal des Ursins. » ⁂
4726
1389, le Religieux de Saint-Denis et, sur la foi
de
celui-ci, Jean Juvénal des Ursins. » ⁂ Cependant, la grande vogue des
4727
endant, la grande vogue des tournois est l’indice
d’
un déclin de la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve si
4728
rande vogue des tournois est l’indice d’un déclin
de
la chevalerie. Celle-ci se heurte dès le début du xve siècle (batail
4729
i se heurte dès le début du xve siècle (bataille
d’
Azincourt) à des réalités de plus en plus brutales et matérielles qui
4730
la guerre, aux xive et xve siècles, était faite
d’
approches furtives, d’incursions et de raids. » Cependant « vers l’an
4731
t xve siècles, était faite d’approches furtives,
d’
incursions et de raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimie
4732
était faite d’approches furtives, d’incursions et
de
raids. » Cependant « vers l’an 1400 encore, les cimiers et les blason
4733
cimiers et les blasons, les bannières et les cris
de
guerre conservent aux combats un caractère individuel et l’apparence
4734
ux combats un caractère individuel et l’apparence
d’
un noble sport ». Mais dans le courant du xve siècle, l’on se met à c
4735
les lansquenets introduisent l’usage du tambour,
d’
origine orientale. « Avec son effet hypnotique et inharmonieux, le tam
4736
le tambour symbolise la transition entre l’époque
de
la chevalerie et celle de l’art militaire moderne ; il est un élément
4737
ansition entre l’époque de la chevalerie et celle
de
l’art militaire moderne ; il est un élément dans la mécanisation de l
4738
moderne ; il est un élément dans la mécanisation
de
la guerre. » Enfin le coup de grâce sera porté à la chevalerie par l’
4739
ans la mécanisation de la guerre. » Enfin le coup
de
grâce sera porté à la chevalerie par l’invention de l’artillerie. « E
4740
grâce sera porté à la chevalerie par l’invention
de
l’artillerie. « Et n’est-ce pas une ironie du sort qui fit que cette
4741
que cette fleur des chevaliers errants à la mode
de
Bourgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet de canon ? » ⁂ I
4742
rgogne, Jacques de Lalaing, fut tué par un boulet
de
canon ? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions de la guerre
4743
? » ⁂ Il n’en reste pas moins que les conventions
de
la guerre et de l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales
4744
ste pas moins que les conventions de la guerre et
de
l’amour courtois ont marqué les coutumes occidentales d’une empreinte
4745
our courtois ont marqué les coutumes occidentales
d’
une empreinte qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée de val
4746
qui ne s’effacera guère qu’au xxe siècle. L’idée
de
valeur individuelle, ou d’exploit guerrier, représentée par le duel e
4747
au xxe siècle. L’idée de valeur individuelle, ou
d’
exploit guerrier, représentée par le duel et la « prouesse » (tournoi,
4748
at singulier des deux chefs en présence) ; l’idée
de
régler les batailles d’après un protocole quasi sacral ; la conceptio
4749
protocole quasi sacral ; la conception ascétique
de
la vie militaire (jeûnes prolongés avant l’épreuve des armes) ; les c
4750
l’épreuve des armes) ; les conventions permettant
de
déterminer le vainqueur (c’est par exemple celui qui passe la nuit su
4751
rotiques et militaires — tout cela ne cessera pas
de
déterminer les modes de guerroyer à travers les siècles suivants. Si
4752
tout cela ne cessera pas de déterminer les modes
de
guerroyer à travers les siècles suivants. Si bien que l’on pourra con
4753
omme relatif à un changement dans les conceptions
de
l’amour, ou inversement. 5.Condottieri et canons « L’Italie n’a
4754
s ; riche, bien peuplée et ne reconnaissant point
de
domination étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre de la magn
4755
n étrangère, elle tirait encore un nouveau lustre
de
la magnificence de plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand
4756
irait encore un nouveau lustre de la magnificence
de
plusieurs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes cé
4757
un nouveau lustre de la magnificence de plusieurs
de
ses Princes, de la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de
4758
e de la magnificence de plusieurs de ses Princes,
de
la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Si
4759
ficence de plusieurs de ses Princes, de la beauté
d’
un grand nombre de villes célèbres et de la majesté du Siège de la Rel
4760
rs de ses Princes, de la beauté d’un grand nombre
de
villes célèbres et de la majesté du Siège de la Religion. Les Science
4761
la beauté d’un grand nombre de villes célèbres et
de
la majesté du Siège de la Religion. Les Sciences et les Arts fleuriss
4762
Arts fleurissaient dans son sein, elle possédait
de
grands hommes d’État, et même d’excellents capitaines pour ce temps-l
4763
, elle possédait de grands hommes d’État, et même
d’
excellents capitaines pour ce temps-là. »173 Ces capitaines, c’étaien
4764
es capitaines, c’étaient les condottieri. Soldats
de
métier au service des Princes et des papes, ils avaient pour coutume
4765
et des papes, ils avaient pour coutume bien moins
de
faire la guerre que d’empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers
4766
nt pour coutume bien moins de faire la guerre que
d’
empêcher qu’on y tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout d’a
4767
tuât du monde. Ces aventuriers étaient avant tout
d’
avisés diplomates, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un
4768
enturiers étaient avant tout d’avisés diplomates,
d’
astucieux commerçants. Ils savaient le prix d’un soldat. Leur tactique
4769
es, d’astucieux commerçants. Ils savaient le prix
d’
un soldat. Leur tactique consistait essentiellement à faire des prison
4770
réussite — ils parvenaient à battre l’adversaire
d’
une manière vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble de ses for
4771
e vraiment radicale : ils détruisaient l’ensemble
de
ses forces en achetant d’un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient
4772
détruisaient l’ensemble de ses forces en achetant
d’
un bloc son armée. Quand ils n’y arrivaient pas, il fallait se résoudr
4773
n danger : « On combat toujours à cheval, couvert
d’
armes et assuré de la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vai
4774
mbat toujours à cheval, couvert d’armes et assuré
de
la vie lorsqu’on se rend prisonnier… La vie des vaincus et presque to
4775
propriétés ; tout ce qu’ils ont à craindre, c’est
de
payer une contribution. »174 Cet art de guerre exprimait dans son pl
4776
e, c’est de payer une contribution. »174 Cet art
de
guerre exprimait dans son plan — alors considéré comme inférieur — un
4777
une « civilisation » profonde, donc le contraire
d’
une « militarisation ». L’État était devenu une œuvre d’art, selon l’e
4778
était devenu une œuvre d’art, selon l’expression
de
Burckhardt. La guerre elle-même s’était civilisée dans toute la mesur
4779
mpagne. (Ce n’était plus d’ailleurs un « jugement
de
Dieu », mais le triomphe d’une personnalité). On réprouvait l’usage d
4780
illeurs un « jugement de Dieu », mais le triomphe
d’
une personnalité). On réprouvait l’usage des armes à feu comme contrai
4781
sage des armes à feu comme contraire à la dignité
de
l’individu. (Le condottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’
4782
ondottiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux
d’
un de ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la lég
4783
tiere Paolo Vitelli fit même crever les yeux d’un
de
ses adversaires parce que le misérable avait osé soutenir la légitimi
4784
que le misérable avait osé soutenir la légitimité
de
l’emploi des canons.) Et comment concevait-on l’amour ? Burckhardt in
4785
que les mariages se concluaient sans drame, après
de
très courtes fiançailles, et que le droit du mari à la fidélité de l’
4786
iançailles, et que le droit du mari à la fidélité
de
l’épouse ne revêtait pas ce caractère absolu qu’il avait pris dans le
4787
il avait pris dans les pays nordiques. Les femmes
de
la haute société recevaient une éducation aussi complète que celle de
4788
ssi complète que celle des hommes, et jouissaient
d’
une entière égalité morale, à l’inverse de ce qui se passait en France
4789
ssaient d’une entière égalité morale, à l’inverse
de
ce qui se passait en France et dans les Allemagnes. Si par ailleurs,
4790
et vénale dans la pratique, il en allait de même
de
l’amour. Semblables aux hétaïres de la Grèce antique, les courtisanes
4791
llait de même de l’amour. Semblables aux hétaïres
de
la Grèce antique, les courtisanes jouaient un rôle parfois considérab
4792
eur culture, récitant et faisant des vers, jouant
d’
un instrument, tenant conversation. Cette paganisation de la vie sexue
4793
strument, tenant conversation. Cette paganisation
de
la vie sexuelle dénote un recul sensible des influences courtoises, u
4794
niste. La « courtoisie » prenait son sens moderne
de
politesse et de civilité. Il n’était plus question de condamner la vi
4795
toisie » prenait son sens moderne de politesse et
de
civilité. Il n’était plus question de condamner la vie. Et « l’instin
4796
olitesse et de civilité. Il n’était plus question
de
condamner la vie. Et « l’instinct de mort » semblait neutralisé. ⁂ C’
4797
lus question de condamner la vie. Et « l’instinct
de
mort » semblait neutralisé. ⁂ C’est sur cette Italie heureuse, immora
4798
ue176 qu’allaient se jeter les troupes françaises
de
Charles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons de bronze provoq
4799
s troupes françaises de Charles VIII. Le tonnerre
de
leurs trente-six canons de bronze provoqua dans la péninsule une pani
4800
rles VIII. Le tonnerre de leurs trente-six canons
de
bronze provoqua dans la péninsule une panique de fin du monde. « Le p
4801
de bronze provoqua dans la péninsule une panique
de
fin du monde. « Le passage de ce prince en Italie, dit Guichardin, fu
4802
ninsule une panique de fin du monde. « Le passage
de
ce prince en Italie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité de
4803
e prince en Italie, dit Guichardin, fut la source
d’
une infinité de maux et de révolutions. Les États changèrent tout à co
4804
lie, dit Guichardin, fut la source d’une infinité
de
maux et de révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les
4805
ichardin, fut la source d’une infinité de maux et
de
révolutions. Les États changèrent tout à coup de face, les provinces
4806
les villes détruites, et tout le pays fut inondé
de
sang… L’Italie apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode de fa
4807
apprit aussi une nouvelle mais sanglante méthode
de
faire la guerre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie de nos p
4808
erre… qui troubla tellement la paix et l’harmonie
de
nos provinces qu’il fut depuis impossible d’y rétablir l’ordre et la
4809
onie de nos provinces qu’il fut depuis impossible
d’
y rétablir l’ordre et la tranquillité. »177 Ce n’était pas que les It
4810
était pas que les Italiens eussent ignoré l’usage
de
l’artillerie jusqu’à cette date, mais ils la méprisaient, comme je l’
4811
i dit, et comme le prouvent encore les invectives
de
l’Arioste contre les armes à feu. Au surplus, « les Français avaient
4812
es pièces qu’ils appelaient canons étaient toutes
de
bronze… Les décharges étaient si fréquentes et si fortes qu’elles fai
4813
s les combats que dans les sièges… ». Autre sujet
d’
effroi pour l’Italie : tandis que dans la milice des condottieri « la
4814
la milice des condottieri « la plupart des hommes
d’
armes étaient ou paysans ou de la lie du peuple, presque toujours suje
4815
plupart des hommes d’armes étaient ou paysans ou
de
la lie du peuple, presque toujours sujets d’un autre prince que celui
4816
s ou de la lie du peuple, presque toujours sujets
d’
un autre prince que celui pour lequel ils faisaient la guerre », et n’
4817
et n’étaient donc animés « ni par aucun sentiment
de
gloire ni par aucun motif extérieur », l’armée française se présentai
4818
présentait comme une armée nationale : « Les gens
d’
armes étaient presque tous sujets du Roi et gentilshommes » ce qui les
4819
ts du Roi et gentilshommes » ce qui les empêchait
de
« changer de maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès
4820
gentilshommes » ce qui les empêchait de « changer
de
maître par ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors d’inévit
4821
ambition ou par avarice ». On pressentit dès lors
d’
inévitables carnages. Et en effet au combat de Rapallo, tout au début
4822
ors d’inévitables carnages. Et en effet au combat
de
Rapallo, tout au début de la campagne, sur les 3000 hommes engagés, p
4823
. Et en effet au combat de Rapallo, tout au début
de
la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus de 100 furent tués : «
4824
de la campagne, sur les 3000 hommes engagés, plus
de
100 furent tués : « Nombre considérable par rapport à la manière dont
4825
les Espagnols « chez lesquels peut-être un apport
de
sang non occidental, ou peut-être l’habitude des spectacles de l’Inqu
4826
ccidental, ou peut-être l’habitude des spectacles
de
l’Inquisition avaient déchaîné les instincts démoniaques ». Artilleri
4827
linées et uniformes. Évolution qui devait aboutir
de
nos jours à l’annihilation de toute passion guerrière, à mesure que l
4828
qui devait aboutir de nos jours à l’annihilation
de
toute passion guerrière, à mesure que les hommes desservant les machi
4829
êmes des machines, n’exécutant qu’un petit nombre
de
mouvements automatiques, destinés à donner la mort à grande distance,
4830
. 6.La guerre classique L’effort des hommes
de
guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera de dominer le monstre méc
4831
es de guerre, aux xviie et xviiie siècles, sera
de
dominer le monstre mécanique, afin de sauver autant que possible le c
4832
de sauver autant que possible le caractère humain
de
la guerre. On ne peut pas renoncer aux inventions techniques, à l’art
4833
fications. Du moins va-t-on multiplier les règles
de
la tactique et de la stratégie, afin que l’intelligence, et la « vale
4834
s va-t-on multiplier les règles de la tactique et
de
la stratégie, afin que l’intelligence, et la « valeur » des chefs gar
4835
nt apparemment le premier rang parmi les facteurs
de
la lutte. La chevalerie représentait un effort pour donner un style à
4836
nserver et recréer ce style malgré l’intervention
de
facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire de
4837
tyle malgré l’intervention de facteurs inhumains.
D’
où le formalisme étonnant de l’art militaire de ces siècles.178 Avec
4838
e facteurs inhumains. D’où le formalisme étonnant
de
l’art militaire de ces siècles.178 Avec Vauban, le siège d’une plac
4839
s. D’où le formalisme étonnant de l’art militaire
de
ces siècles.178 Avec Vauban, le siège d’une place forte devient une
4840
itaire de ces siècles.178 Avec Vauban, le siège
d’
une place forte devient une sorte d’opération de l’esprit dont les pér
4841
ban, le siège d’une place forte devient une sorte
d’
opération de l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien di
4842
e d’une place forte devient une sorte d’opération
de
l’esprit dont les péripéties se déroulent, on l’a bien dit, comme les
4843
déroulent, on l’a bien dit, comme les cinq actes
d’
une tragédie classique. « C’est alors que la guerre ressemble vraiment
4844
ors que la guerre ressemble vraiment à une partie
d’
échecs. Lorsque après des manœuvres compliquées, un des adversaires a
4845
rtes — alors vient la grande bataille : du sommet
de
quelque coteau, où lui apparaît tout le terrain du combat, tout l’éch
4846
leur boîte ou les régiments dans leurs quartiers
d’
hiver, et chacun va à ses petites affaires en attendant la partie ou l
4847
uivante. »179 Chaque fois que reparaît l’élément
de
jeu dans la guerre, on peut en déduire que la société et sa culture f
4848
t sa culture font un effort pour recréer le mythe
de
la passion, c’est-à-dire pour rendre à la puissance anarchique un cad
4849
à la puissance anarchique un cadre et des moyens
d’
expression rituels. Et c’est bien ce qui se vérifie dans le cas du xvi
4850
viiie siècle.180 Mot étonnant, d’ailleurs repris
de
von der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine de citer : « L’err
4851
on der Goltz, dans un passage qu’il vaut la peine
de
citer : « L’erreur (des généraux « formalistes ») consistait à placer
4852
raux « formalistes ») consistait à placer l’objet
de
la guerre dans l’exécution de manœuvres finement combinées et non dan
4853
it à placer l’objet de la guerre dans l’exécution
de
manœuvres finement combinées et non dans l’anéantissement des forces
4854
combinées et non dans l’anéantissement des forces
de
l’adversaire. Le monde militaire est toujours tombé dans ces erreurs
4855
à abandonner la notion droite et simple des lois
de
la guerre, à spiritualiser la matière, en négligeant le sens naturel
4856
t peut-être excessif : il ne s’agissait guère que
de
rationaliser. Mais l’expression (méprisante !) est bien typique de la
4857
Mais l’expression (méprisante !) est bien typique
de
la psychologie qui apparaîtra dès la Révolution française — ce déchaî
4858
ue reprochent les stratèges modernes aux généraux
de
Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en
4859
s stratèges modernes aux généraux de Louis XIV et
de
Louis XV ? C’est d’avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins
4860
aux généraux de Louis XIV et de Louis XV ? C’est
d’
avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouv
4861
e Louis XIV et de Louis XV ? C’est d’avoir essayé
de
faire la guerre en tuant le moins d’hommes qu’ils pouvaient. Or c’éta
4862
avoir essayé de faire la guerre en tuant le moins
d’
hommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe d’une civilisation
4863
ommes qu’ils pouvaient. Or c’était là le triomphe
d’
une civilisation dont tout l’effort tendait à ordonner la Nature, la m
4864
Nature, la matière, et leurs fatalités, aux lois
de
la raison humaine et de l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, m
4865
leurs fatalités, aux lois de la raison humaine et
de
l’intérêt personnel. Illusion si l’on veut, mais sans laquelle nulle
4866
pouvait faire des tragédies sans crime. Le refus
de
trouver belles les catastrophes, voilà qui peut définir l’âge classiq
4867
d’ailleurs secrètement désirés ; mais la grandeur
de
l’homme est de limiter leur champ, de les canaliser et de les utilise
4868
ètement désirés ; mais la grandeur de l’homme est
de
limiter leur champ, de les canaliser et de les utiliser, on dirait mê
4869
la grandeur de l’homme est de limiter leur champ,
de
les canaliser et de les utiliser, on dirait même de les subordonner à
4870
me est de limiter leur champ, de les canaliser et
de
les utiliser, on dirait même de les subordonner à une diplomatie, art
4871
les canaliser et de les utiliser, on dirait même
de
les subordonner à une diplomatie, art de civils. Louis XIV déclare la
4872
ait même de les subordonner à une diplomatie, art
de
civils. Louis XIV déclare la guerre sous des prétextes juridiques et
4873
où l’honneur national n’a rien à voir. Querelles
de
gendre et de beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même q
4874
national n’a rien à voir. Querelles de gendre et
de
beau-père au sujet de la dot promise. Et c’est de même que l’on « tra
4875
iècle est le plus propre à illustrer le parallèle
de
l’amour et de la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiqu
4876
lus propre à illustrer le parallèle de l’amour et
de
la guerre. Il suffira de quelques touches pour l’indiquer. Don Juan s
4877
parallèle de l’amour et de la guerre. Il suffira
de
quelques touches pour l’indiquer. Don Juan succède à Tristan, la volu
4878
re en même temps se « profanise » : aux Jugements
de
Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée de fer, ascétique et sanglante,
4879
Jugements de Dieu, à la chevalerie sacrée, bardée
de
fer, ascétique et sanglante, succède une diplomatie retorse, une armé
4880
, libertins et bien décidés à sauver « la douceur
de
vivre ». Les légendes épiques et les romans de la Table ronde multipl
4881
ur de vivre ». Les légendes épiques et les romans
de
la Table ronde multiplient les récits de tueries inouïes ; la gloire
4882
s romans de la Table ronde multiplient les récits
de
tueries inouïes ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre de ses
4883
iplient les récits de tueries inouïes ; la gloire
d’
un chevalier est faite du nombre de ses adversaires pourfendus et déca
4884
es ; la gloire d’un chevalier est faite du nombre
de
ses adversaires pourfendus et décapités, et si possible tranchés en d
4885
dus et décapités, et si possible tranchés en deux
de
la tête au sexe d’un formidable coup d’épée. Les exagérations sauvage
4886
t si possible tranchés en deux de la tête au sexe
d’
un formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages de ces récits ne
4887
formidable coup d’épée. Les exagérations sauvages
de
ces récits ne laissent pas de doute sur ce qui flatte la vraie passio
4888
agérations sauvages de ces récits ne laissent pas
de
doute sur ce qui flatte la vraie passion de l’homme du Moyen Âge. Glo
4889
t pas de doute sur ce qui flatte la vraie passion
de
l’homme du Moyen Âge. Gloire du sang ! Mais le xviiie siècle considé
4890
ie siècle considéra comme une réussite glorieuse
d’
avoir pris une ville assiégée et ne faisant de part et d’autre que tro
4891
use d’avoir pris une ville assiégée et ne faisant
de
part et d’autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honne
4892
pris une ville assiégée et ne faisant de part et
d’
autre que trois morts. C’est l’art savant qui est à l’honneur. Maurice
4893
e suis point pour les batailles, surtout au début
d’
une guerre. Je suis persuadé qu’un bon général pourra la faire toute s
4894
t parmi les troupes ennemies — en véritable héros
de
l’Astrée qu’il fut. Et cette suprême politesse devant la mort, à Font
4895
Fontenoy. ⁂ Mais voici la totale « profanation »
de
la guerre et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Rég
4896
s voici la totale « profanation » de la guerre et
de
sa passion sacrée : c’est Law, le financier de la Régence qui la prop
4897
et de sa passion sacrée : c’est Law, le financier
de
la Régence qui la propose, reprenant, et sans doute à son insu, la mé
4898
2 milliards pour vingt ans. Nous n’avons pas plus
de
cinq ans de guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous m
4899
pour vingt ans. Nous n’avons pas plus de cinq ans
de
guerre chaque vingt ans, et cette guerre en outre, nous met en arrièr
4900
incertain. Avec bien du bonheur, on peut espérer
de
détruire 150 000 ennemis par le feu, le fer, l’eau, la faim, les fati
4901
adies. Ainsi, la destruction directe ou indirecte
d’
un soldat allemand nous coûte 20 000 livres sans compter la perte sur
4902
cet attirail dispendieux, incommode et dangereux,
d’
une armée permanente, ne vaudrait-il pas mieux en épargner les frais e
4903
actuel, on perd celui qu’on avait, sans profiter
de
celui qu’on a détruit si dispendieusement. » ⁂ Les Goncourt ont très
4904
rès bien senti l’identité foncière des phénomènes
de
la guerre et de l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décri
4905
’identité foncière des phénomènes de la guerre et
de
l’amour au xviiie . Voici dans quels termes ils décrivent la « tactiq
4906
ls termes ils décrivent la « tactique » des roués
de
l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu de l’amour que le sièc
4907
de l’époque : « C’est dans cette guerre et ce jeu
de
l’amour que le siècle révèle peut-être ses qualités les plus profonde
4908
s ressources les plus secrètes, et comme un génie
de
duplicité tout inattendu du caractère français. Que de grands diploma
4909
plicité tout inattendu du caractère français. Que
de
grands diplomates, que de grands politiques sans nom, plus habiles qu
4910
caractère français. Que de grands diplomates, que
de
grands politiques sans nom, plus habiles que Dubois, plus insinuants
4911
s insinuants que Bernis, parmi cette petite bande
d’
hommes qui font de la séduction de la femme le but de leurs pensées et
4912
ernis, parmi cette petite bande d’hommes qui font
de
la séduction de la femme le but de leurs pensées et la grande affaire
4913
te petite bande d’hommes qui font de la séduction
de
la femme le but de leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Qu
4914
ommes qui font de la séduction de la femme le but
de
leurs pensées et la grande affaire de leur vie… Que de combinaisons d
4915
emme le but de leurs pensées et la grande affaire
de
leur vie… Que de combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un
4916
urs pensées et la grande affaire de leur vie… Que
de
combinaisons de romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une fe
4917
a grande affaire de leur vie… Que de combinaisons
de
romancier et de stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir f
4918
de leur vie… Que de combinaisons de romancier et
de
stratégiste ! Pas un n’attaque une femme sans avoir fait ce qu’on app
4919
dissimulé… « N’omettre rien », c’est le précepte
de
l’un d’eux.181 » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’o
4920
lé… « N’omettre rien », c’est le précepte de l’un
d’
eux.181 » Devise de général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaien
4921
n », c’est le précepte de l’un d’eux.181 » Devise
de
général, que les Soubise, par malheur, n’oubliaient guère que sur le
4922
, il y a la Révolution française et les campagnes
de
Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre de la passion catast
4923
Bonaparte, c’est-à-dire le retour dans la guerre
de
la passion catastrophique. Du point de vue proprement militaire, qu’a
4924
e, qu’apportait la Révolution ? « Un déchaînement
de
passion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie de l’ancienne éc
4925
sion inconnu avant elle », répond Foch. L’hérésie
de
l’ancienne école, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire de la g
4926
érésie de l’ancienne école, précise-t-il, c’était
d’
avoir voulu « faire de la guerre une science exacte, méconnaissant sa
4927
cole, précise-t-il, c’était d’avoir voulu « faire
de
la guerre une science exacte, méconnaissant sa nature même de drame e
4928
une science exacte, méconnaissant sa nature même
de
drame effrayant et passionné (Jomini) ». On sait par ailleurs quelle
4929
(Jomini) ». On sait par ailleurs quelle explosion
de
sentimentalisme précéda et accompagna la Révolution, phénomène beauco
4930
182 Longtemps contenue dans les formes classiques
de
la guerre, la violence, après le meurtre du Roi — action sacrée et ri
4931
les sociétés primitives — redevient quelque chose
d’
horrifiant et d’attirant à la fois. C’est le culte et le mystère sangl
4932
mitives — redevient quelque chose d’horrifiant et
d’
attirant à la fois. C’est le culte et le mystère sanglant autour duque
4933
la Nation. Or la Nation, c’est la transposition
de
la passion sur le plan collectif. À vrai dire, il est plus facile de
4934
e plan collectif. À vrai dire, il est plus facile
de
le sentir que de l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-o
4935
À vrai dire, il est plus facile de le sentir que
de
l’expliquer rationnellement. Toute passion, dira-t-on, suppose deux ê
4936
r la Nation… Nous savons toutefois que la passion
d’
amour, par exemple, est en son fond un narcissisme, autoexaltation de
4937
e, est en son fond un narcissisme, autoexaltation
de
l’amant, bien plus que relation avec l’aimée. Ce que désire Tristan,
4938
l’aimée. Ce que désire Tristan, c’est la brûlure
d’
amour plus que la possession d’Iseut. Car la brûlure intense et dévora
4939
, c’est la brûlure d’amour plus que la possession
d’
Iseut. Car la brûlure intense et dévorante de la passion le divinise,
4940
sion d’Iseut. Car la brûlure intense et dévorante
de
la passion le divinise, et comme Wagner l’a vu, l’égale au monde. « M
4941
t que Dieu. Elle veut (sans le savoir) qu’au-delà
de
cette gloire, sa mort soit véritablement la fin de tout. L’ardeur nat
4942
e cette gloire, sa mort soit véritablement la fin
de
tout. L’ardeur nationaliste, elle aussi, est une autoexaltation, un a
4943
premier lieu, et qu’on proclame. Mais cette haine
de
l’autre, n’est-elle pas toujours présente dans les transports de l’am
4944
st-elle pas toujours présente dans les transports
de
l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement d’accent. Ensuite,
4945
l’amour-passion ? Il n’y a donc qu’un déplacement
d’
accent. Ensuite, que veut la passion nationale ? L’exaltation de la fo
4946
ite, que veut la passion nationale ? L’exaltation
de
la force collective ne peut mener qu’à ce dilemme : ou l’impérialisme
4947
e : ou l’impérialisme triomphe — c’est l’ambition
de
s’égaler au monde — ou le voisin s’y oppose énergiquement, et c’est l
4948
ainsi sans se l’avouer qu’elle préfère le risque
de
mort, et la mort même, à l’abandon de sa passion. « La liberté ou la
4949
e le risque de mort, et la mort même, à l’abandon
de
sa passion. « La liberté ou la mort », hurlaient les jacobins à l’heu
4950
s, à l’heure où liberté et mort étaient bien près
d’
avoir le même sens… Ainsi la nation et la Guerre sont liées comme l’Am
4951
sormais le fait national sera le facteur dominant
de
la guerre. « Celui qui écrit sur la stratégie et sur la tactique devr
4952
e et une tactique nationales, seules susceptibles
d’
être profitables à la nation pour laquelle il écrit. » Ainsi s’exprime
4953
insi s’exprime le général von der Goltz, disciple
de
Clausewitz, lequel n’a cessé d’affirmer que toute la théorie prussien
4954
r Goltz, disciple de Clausewitz, lequel n’a cessé
d’
affirmer que toute la théorie prussienne de la guerre devait se fonder
4955
cessé d’affirmer que toute la théorie prussienne
de
la guerre devait se fonder sur l’expérience des campagnes de la Révol
4956
e devait se fonder sur l’expérience des campagnes
de
la Révolution et de l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la
4957
ur l’expérience des campagnes de la Révolution et
de
l’Empire. La bataille de Valmy fut gagnée par la passion contre la «
4958
gnes de la Révolution et de l’Empire. La bataille
de
Valmy fut gagnée par la passion contre la « science exacte ». C’est a
4959
assion contre la « science exacte ». C’est au cri
de
Vive la Nation ! que les sans-culottes repoussèrent l’armée « classiq
4960
armée « classique » des alliés. On connaît le mot
de
Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une è
4961
des alliés. On connaît le mot de Goethe, au soir
de
la bataille : « De ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’
4962
naît le mot de Goethe, au soir de la bataille : «
De
ce lieu, de ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde.
4963
de Goethe, au soir de la bataille : « De ce lieu,
de
ce jour, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde. » Et Foch co
4964
laient consacrer à la lutte toutes les ressources
de
la nation ; parce qu’elles allaient se donner comme but non un intérê
4965
êt dynastique, mais la conquête ou la propagation
d’
idées philosophiques… d’avantages immatériels… parce qu’elles allaient
4966
onquête ou la propagation d’idées philosophiques…
d’
avantages immatériels… parce qu’elles allaient mettre en jeu des senti
4967
ntiments, des passions, c’est-à-dire des éléments
de
force jusqu’alors inexploités. » ⁂ Il serait assez curieux de précise
4968
qu’alors inexploités. » ⁂ Il serait assez curieux
de
préciser le parallèle entre les amours de Bonaparte puis de Napoléon
4969
curieux de préciser le parallèle entre les amours
de
Bonaparte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis
4970
r le parallèle entre les amours de Bonaparte puis
de
Napoléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis d’Autriche, d’aut
4971
rte puis de Napoléon d’une part, et les campagnes
d’
Italie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille corr
4972
poléon d’une part, et les campagnes d’Italie puis
d’
Autriche, d’autre part. Un certain type de bataille correspond à la sé
4973
ie puis d’Autriche, d’autre part. Un certain type
de
bataille correspond à la séduction de Joséphine — c’est le coup d’aud
4974
ertain type de bataille correspond à la séduction
de
Joséphine — c’est le coup d’audace de l’inférieur qui jette toutes se
4975
spond à la séduction de Joséphine — c’est le coup
d’
audace de l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et
4976
a séduction de Joséphine — c’est le coup d’audace
de
l’inférieur qui jette toutes ses forces au point décisif, et bluffe ;
4977
orces au point décisif, et bluffe ; un autre type
de
bataille correspond au mariage dynastique avec l’archiduchesse Marie-
4978
e, brutale… Et il n’est pas sans intérêt non plus
de
noter que Waterloo fut une bataille perdue par excès de science, peut
4979
er que Waterloo fut une bataille perdue par excès
de
science, peut-être, ou par défaut d’élan national-révolutionnaire… Ce
4980
ue par excès de science, peut-être, ou par défaut
d’
élan national-révolutionnaire… Ce qui est certain, c’est que Napoléon
4981
acteur passionnel dans la conduite des batailles.
D’
où ce cri d’un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’
4982
onnel dans la conduite des batailles. D’où ce cri
d’
un des généraux qu’il venait de battre en Italie : « Il n’est pas poss
4983
ait de battre en Italie : « Il n’est pas possible
de
méconnaître, comme ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires
4984
ce Bonaparte, les principes les plus élémentaires
de
l’art de guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolut
4985
rte, les principes les plus élémentaires de l’art
de
guerre. » 9.La guerre nationale À partir de la Révolution, l’on
4986
battre « avec le cœur des soldats » c’est-à-dire
d’
une façon « farouche et tragique » (Foch). Il faudrait préciser : ce n
4987
och). Il faudrait préciser : ce n’est pas le cœur
de
chaque soldat considéré comme un héros qui décidera du sort d’une gue
4988
dat considéré comme un héros qui décidera du sort
d’
une guerre, mais bien le cœur collectif, si l’on ose dire, la puissanc
4989
ctif, si l’on ose dire, la puissance passionnelle
de
la Nation. Les poètes romantiques jouèrent un rôle notable dans les g
4990
ntiques jouèrent un rôle notable dans les guerres
de
libération que mena la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies d’
4991
na la Prusse contre Napoléon. Et les philosophies
d’
essence passionnelle d’un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent le
4992
oléon. Et les philosophies d’essence passionnelle
d’
un Fichte et d’un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du na
4993
hilosophies d’essence passionnelle d’un Fichte et
d’
un Hegel, par exemple, furent les premiers appuis du nationalisme alle
4994
ent les premiers appuis du nationalisme allemand.
D’
où le caractère de plus en plus sanglant des guerres du xixe siècle.
4995
nt des guerres du xixe siècle. Il ne s’agit plus
d’
intérêts, mais de « religions » antagonistes. Or les religions ne tran
4996
xixe siècle. Il ne s’agit plus d’intérêts, mais
de
« religions » antagonistes. Or les religions ne transigent point, à l
4997
des intérêts : elles préfèrent la mort héroïque. (
De
tous temps les guerres de religion ont été de beaucoup les plus viole
4998
rent la mort héroïque. (De tous temps les guerres
de
religion ont été de beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les
4999
e. (De tous temps les guerres de religion ont été
de
beaucoup les plus violentes.) Ceci vaut pour les trois premiers quart
5000
siècle et particulièrement pour la période qui va
de
1848 à 1870. Après quoi, les passions nationales, provisoirement apai
5001
italisme et du commerce. La violence ne cesse pas
de
s’exercer au nom de la Nation, mais ce sont bel et bien des intérêts
5002
bien marqué le maréchal Foch, dans ses Principes
de
la guerre : La guerre fut nationale au début pour conquérir et garant
5003
et garantir l’indépendance des peuples : Français
de
1792-1793, Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813,
5004
ce des peuples : Français de 1792-1793, Espagnols
de
1804-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comp
5005
çais de 1792-1793, Espagnols de 1804-1814, Russes
de
1812, Allemands de 1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manife
5006
Espagnols de 1804-1814, Russes de 1812, Allemands
de
1813, Europe de 1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses
5007
4-1814, Russes de 1812, Allemands de 1813, Europe
de
1814, et comporta alors ces manifestations glorieuses et puissantes d
5008
alors ces manifestations glorieuses et puissantes
de
la passion des peuples qui s’appellent : Valmy, Saragosse, Tarancon,
5009
ité. C’est la thèse des Italiens et des Prussiens
de
1866, 1870. Ce sera la thèse au nom de laquelle le roi de Prusse deve
5010
nom de laquelle le roi de Prusse devenu empereur
d’
Allemagne, revendiquera les provinces allemandes de l’Autriche. Mais n
5011
’Allemagne, revendiquera les provinces allemandes
de
l’Autriche. Mais nous la voyons maintenant (1903) encore nationale, e
5012
conquérir des avantages commerciaux, des traités
de
commerce avantageux. Après avoir été le moyen violent que les peuples
5013
) que cette période, du point de vue des mœurs et
de
leur littérature, se définit par une dernière tentative de mythificat
5014
ittérature, se définit par une dernière tentative
de
mythification de la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer
5015
finit par une dernière tentative de mythification
de
la passion. Réaction que l’on n’oserait pas comparer à la chevalerie,
5016
emplît la même fonction sociale (mais à la mesure
de
notre société). Ce n’était plus, en effet, un principe spirituel qui
5017
s « formes » et les conventions, mais des calculs
d’
intérêts privés, incapables de fournir les bases d’une communauté soli
5018
s, mais des calculs d’intérêts privés, incapables
de
fournir les bases d’une communauté solide. La nation même que l’on in
5019
’intérêts privés, incapables de fournir les bases
d’
une communauté solide. La nation même que l’on invoquait avait perdu d
5020
de. La nation même que l’on invoquait avait perdu
de
son prestige romantique : le pavillon couvrait les intérêts de l’État
5021
ge romantique : le pavillon couvrait les intérêts
de
l’État, non les passions ou l’honneur des élites. Et l’État ne jouait
5022
État ne jouait plus guère que le rôle honorifique
d’
un conseil d’administration, faisant la guerre pour des motifs bancair
5023
ant la guerre pour des motifs bancaires (conquête
de
Madagascar). La guerre coloniale n’est en somme que la continuation d
5024
erre coloniale n’est en somme que la continuation
de
la concurrence capitaliste par des moyens plus onéreux pour le pays,
5025
les classes bourgeoises, un bien bizarre mélange
de
sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et de dots
5026
n bien bizarre mélange de sentimentalisme à fleur
de
nerfs et d’histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’
5027
re mélange de sentimentalisme à fleur de nerfs et
d’
histoires de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd
5028
e sentimentalisme à fleur de nerfs et d’histoires
de
rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans le
5029
isme à fleur de nerfs et d’histoires de rentes et
de
dots : ce qu’il n’a pas cessé d’être aujourd’hui dans les annonces ma
5030
res de rentes et de dots : ce qu’il n’a pas cessé
d’
être aujourd’hui dans les annonces matrimoniales. La sexualité pure n’
5031
» ces petits calculs et ces « beaux sentiments »
de
série. (Comme une goutte d’eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourq
5032
« beaux sentiments » de série. (Comme une goutte
d’
eau « trouble » l’absinthe, et c’est pourquoi Jarry dit que l’eau est
5033
u est impure.) De même la guerre était un composé
d’
excitations de l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sin
5034
De même la guerre était un composé d’excitations
de
l’opinion publique — qu’est-ce que la « revanche », sinon un sentimen
5035
anche », sinon un sentimentalisme national ? — et
de
plans commerciaux ou financiers. L’élément proprement guerrier n’y tr
5036
ir liquider sans dommages le formidable potentiel
de
frénésie et de grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident d
5037
s dommages le formidable potentiel de frénésie et
de
grandeurs sanglantes qu’avaient accumulé en Occident des siècles de c
5038
antes qu’avaient accumulé en Occident des siècles
de
culture de la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les p
5039
aient accumulé en Occident des siècles de culture
de
la passion. La guerre de 1914 fut l’un des résultats les plus notable
5040
t des siècles de culture de la passion. La guerre
de
1914 fut l’un des résultats les plus notables de cette méconnaissance
5041
de 1914 fut l’un des résultats les plus notables
de
cette méconnaissance du mythe. 10.La guerre totale À partir de
5042
lisme institué par la chevalerie entre les formes
de
l’amour et de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la gue
5043
par la chevalerie entre les formes de l’amour et
de
la guerre, soit rompu. Certes, le but concret de la guerre fut toujou
5044
de la guerre, soit rompu. Certes, le but concret
de
la guerre fut toujours de forcer la résistance ennemie, en détruisant
5045
Certes, le but concret de la guerre fut toujours
de
forcer la résistance ennemie, en détruisant sa force armée. (Forcer l
5046
détruisant sa force armée. (Forcer la résistance
de
la femme par la séduction, c’est la paix ; par le viol, c’est la guer
5047
re ses défenses. Bataille rangée contre une armée
de
métier, siège des ouvrages fortifiés, capture du chef : un système de
5048
ouvrages fortifiés, capture du chef : un système
de
règles précises, donc un art, désignait le vainqueur. Et ce vainqueur
5049
ésignait le vainqueur. Et ce vainqueur triomphait
d’
un vivant, d’un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention
5050
ainqueur. Et ce vainqueur triomphait d’un vivant,
d’
un pays ou d’un peuple encore désirables. L’intervention d’une techniq
5051
ce vainqueur triomphait d’un vivant, d’un pays ou
d’
un peuple encore désirables. L’intervention d’une technique inhumaine,
5052
ou d’un peuple encore désirables. L’intervention
d’
une technique inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces d’un État,
5053
que inhumaine, qui met en œuvre toutes les forces
d’
un État, changea la face de la guerre à Verdun. Car dès que la guerre
5054
uvre toutes les forces d’un État, changea la face
de
la guerre à Verdun. Car dès que la guerre devient « totale » — et non
5055
armées signifie l’anéantissement des forces vives
de
l’ennemi : des ouvriers embrigadés dans les usines, des mères qui pro
5056
usines, des mères qui procréent des soldats, bref
de
tous les « moyens de production », choses et personnes assimilées. La
5057
procréent des soldats, bref de tous les « moyens
de
production », choses et personnes assimilées. La guerre n’est plus un
5058
. La guerre n’est plus un viol mais un assassinat
de
l’objet convoité et hostile — c’est-à-dire un acte « total », détruis
5059
emparer. Verdun ne fut d’ailleurs qu’un prodrome
de
cette guerre nouvelle, puisque le procédé se limita à la destruction
5060
le procédé se limita à la destruction méthodique
d’
un million de soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de met
5061
e limita à la destruction méthodique d’un million
de
soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point
5062
struction méthodique d’un million de soldats, non
de
civils. Mais ce Kriegspiel permit de mettre au point un instrument qu
5063
soldats, non de civils. Mais ce Kriegspiel permit
de
mettre au point un instrument qui, par la suite, devait se trouver en
5064
nt qui, par la suite, devait se trouver en mesure
d’
opérer sur des étendues bien plus vastes, comme Londres et Berlin ; no
5065
comme Londres et Berlin ; non plus seulement sur
de
la chair à canon, mais sur la chair qui fabrique les canons, ce qui e
5066
e qui est évidemment plus efficace. La technique
de
la mort à grande distance ne trouve son équivalent dans nulle éthique
5067
ouve son équivalent dans nulle éthique imaginable
de
l’amour. C’est que la guerre échappe à l’homme et à l’instinct ; elle
5068
contact avec la civilisation technique. Une sorte
de
visite dirigée de l’exposition universelle des industries et arts app
5069
vilisation technique. Une sorte de visite dirigée
de
l’exposition universelle des industries et arts appliqués de la mort,
5070
tion universelle des industries et arts appliqués
de
la mort, avec démonstrations quotidiennes sur le vif. b) Cette colle
5071
des moyens destructifs, mécanisés, eut pour effet
de
neutraliser la passion proprement belliqueuse des combattants. Il ne
5072
elliqueuse des combattants. Il ne s’agissait plus
de
violence du sang, mais de brutalité quantitative, de masses lancées l
5073
. Il ne s’agissait plus de violence du sang, mais
de
brutalité quantitative, de masses lancées les unes contre les autres
5074
violence du sang, mais de brutalité quantitative,
de
masses lancées les unes contre les autres non plus par des mouvements
5075
nes contre les autres non plus par des mouvements
de
délire passionnel, mais bien par des intelligences calculatrices d’in
5076
el, mais bien par des intelligences calculatrices
d’
ingénieurs. Désormais, l’homme n’est plus que le servant du matériel ;
5077
servant du matériel ; il passe lui-même à l’état
de
matériel, d’autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réf
5078
atériel ; il passe lui-même à l’état de matériel,
d’
autant plus efficace qu’il sera moins humain dans ses réflexes individ
5079
nde, la victoire dépend en fin de compte des lois
de
la mécanique plutôt que des prévisions de la psychologie. L’instinct
5080
es lois de la mécanique plutôt que des prévisions
de
la psychologie. L’instinct combatif est déçu. De 1914 à 1918, l’explo
5081
de la psychologie. L’instinct combatif est déçu.
De
1914 à 1918, l’explosion habituelle de sexualité qui accompagnait les
5082
est déçu. De 1914 à 1918, l’explosion habituelle
de
sexualité qui accompagnait les grands conflits ne s’est guère produit
5083
iviles. En dépit des efforts du lyrisme officiel,
d’
une certaine littérature et de l’imagerie populaire, le retour du perm
5084
u lyrisme officiel, d’une certaine littérature et
de
l’imagerie populaire, le retour du permissionnaire ne ressemble à rie
5085
mâle longtemps privé. Des témoignages sans nombre
de
médecins et de soldats prouvent que la guerre du matériel s’est tradu
5086
privé. Des témoignages sans nombre de médecins et
de
soldats prouvent que la guerre du matériel s’est traduite en réalité
5087
et homosexualité, tel fut le résultat statistique
de
quatre années passées dans les tranchées. Et de là vient que pour la
5088
e de quatre années passées dans les tranchées. Et
de
là vient que pour la première fois, l’on ait assisté à une révolte gé
5089
rant plus l’exutoire des passions, mais une sorte
d’
immense castration de l’Europe. c) La guerre totale suppose la destru
5090
des passions, mais une sorte d’immense castration
de
l’Europe. c) La guerre totale suppose la destruction de toutes les f
5091
rope. c) La guerre totale suppose la destruction
de
toutes les formes conventionnelles de la lutte. À partir de 1920, on
5092
destruction de toutes les formes conventionnelles
de
la lutte. À partir de 1920, on ne se soumettra plus aux « simagrées d
5093
se soumettra plus aux « simagrées diplomatiques »
de
l’ultimatum et de la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront
5094
aux « simagrées diplomatiques » de l’ultimatum et
de
la « déclaration » de guerre. Les traités ne seront plus la solennell
5095
atiques » de l’ultimatum et de la « déclaration »
de
guerre. Les traités ne seront plus la solennelle conclusion des hosti
5096
t villes fortifiées, civils et militaires, moyens
de
destruction permis ou condamnés, tomberont. D’où résulte que la défai
5097
ns de destruction permis ou condamnés, tomberont.
D’
où résulte que la défaite d’un pays ne sera plus symbolique, métaphori
5098
condamnés, tomberont. D’où résulte que la défaite
d’
un pays ne sera plus symbolique, métaphorique, c’est-à-dire limitée à
5099
s signes convenus, mais sera concrètement la mort
de
ce pays. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée de règles, la
5100
s. Encore une fois, dès que l’on abandonne l’idée
de
règles, la guerre ne traduit plus l’acte du viol sur le plan des nati
5101
mais bien l’acte du crime sadique, la possession
d’
une victime morte, donc en fait la non-possession. Elle n’exprime plus
5102
et le transcende, mais seulement cette perversion
de
la passion — d’ailleurs fatale, nous l’avons vu ailleurs — qu’est le
5103
, nous l’avons vu ailleurs — qu’est le « complexe
de
castration ». 11.La passion transportée dans la politique Chass
5104
transportée dans la politique Chassée du champ
de
la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse d’être clos comme doi
5105
e la guerre chevaleresque, lorsque ce champ cesse
d’
être clos comme doit l’être un terrain de jeu, et qu’il n’est plus une
5106
mp cesse d’être clos comme doit l’être un terrain
de
jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée de symboles, mais un secteu
5107
rain de jeu, et qu’il n’est plus une lice décorée
de
symboles, mais un secteur de bombardement — la passion a cherché et t
5108
lus une lice décorée de symboles, mais un secteur
de
bombardement — la passion a cherché et trouvé d’autres modes d’expres
5109
t — la passion a cherché et trouvé d’autres modes
d’
expression en actes. Elle y était d’ailleurs contrainte par la dépréci
5110
les et privées, non moins que par la dénaturation
de
la guerre. D’une part, dans les pays démocratiques, les mœurs se sont
5111
lies à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus
d’
obstacles absolus, donc exaltants pour la passion ; d’autre part, dans
5112
le dressage des jeunes par l’État tend à éliminer
de
la vie privée toute espèce de tragique intime et de problématique sen
5113
tat tend à éliminer de la vie privée toute espèce
de
tragique intime et de problématique sentimentale. L’anarchie des mœur
5114
la vie privée toute espèce de tragique intime et
de
problématique sentimentale. L’anarchie des mœurs et l’hygiène autorit
5115
rès dans le même sens : elles déçoivent le besoin
de
passion, héréditaire ou acquis par la culture ; elles détendent ses r
5116
dans l’entre-deux-guerres, fut un curieux mélange
d’
intellectualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et de l’anarchi
5117
mélange d’intellectualisme angoissé (littérature
de
l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste
5118
tualisme angoissé (littérature de l’inquiétude et
de
l’anarchie bourgeoise) et de cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit
5119
e de l’inquiétude et de l’anarchie bourgeoise) et
de
cynisme matérialiste (Neue Sachlichkeit des Allemands). L’on vit bien
5120
t bien que la passion romantique ne trouvait plus
de
quoi se composer un mythe ; ne trouvait plus de résistances choisies
5121
s de quoi se composer un mythe ; ne trouvait plus
de
résistances choisies au sein d’une atmosphère d’orageuse et secrète d
5122
de résistances choisies au sein d’une atmosphère
d’
orageuse et secrète dévotion. La crainte morbide des entraînements « n
5123
s « duperies du cœur », alliée à un désir fébrile
d’
aventure, voilà le climat des principaux romans de cette période. Et c
5124
d’aventure, voilà le climat des principaux romans
de
cette période. Et cela signifie sans équivoque que les relations indi
5125
e les relations individuelles des sexes ont cessé
d’
être le lieu par excellence où se réalise la passion. Celle-ci paraît
5126
e réalise la passion. Celle-ci paraît se détacher
de
son support. Nous sommes entrés dans l’ère des libidos errantes, en q
5127
entrés dans l’ère des libidos errantes, en quête
d’
un théâtre nouveau. Et le premier qui s’est offert, c’est le théâtre p
5128
offert, c’est le théâtre politique. La politique
de
masses, telle qu’on l’a pratiquée depuis 1917 n’est que la continuati
5129
a pratiquée depuis 1917 n’est que la continuation
de
la guerre totale par d’autres moyens (pour reprendre une fois de plus
5130
fois de plus, en l’inversant, la célèbre formule
de
Clausewitz). Le terme de « fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs,
5131
sant, la célèbre formule de Clausewitz). Le terme
de
« fronts » l’indique déjà. Et par ailleurs, l’État totalitaire n’est
5132
par ailleurs, l’État totalitaire n’est que l’état
de
guerre prolongé, ou recréé, et entretenu en permanence dans la nation
5133
is si la guerre totale anéantit toute possibilité
de
passion, la politique ne fait que transposer les passions individuell
5134
elle (ou lui) qui assume désormais la dialectique
de
l’obstacle exaltant, de l’ascèse et de la course inconsciente à la mo
5135
désormais la dialectique de l’obstacle exaltant,
de
l’ascèse et de la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante
5136
ialectique de l’obstacle exaltant, de l’ascèse et
de
la course inconsciente à la mort héroïque, divinisante. Tandis qu’à l
5137
rsonnels, à l’extérieur et au sommet le potentiel
de
passion s’accroît de jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la moral
5138
ur et au sommet le potentiel de passion s’accroît
de
jour en jour. L’eugénisme triomphe dans la morale qui concerne les ci
5139
yens : et l’eugénisme est la négation rationnelle
de
toute espèce d’aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la ten
5140
nisme est la négation rationnelle de toute espèce
d’
aventure privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension de l’ensemb
5141
privée. Mais cela ne peut qu’augmenter la tension
de
l’ensemble, personnifié dans la Nation. De 1933 à 1939, l’État-nation
5142
ension de l’ensemble, personnifié dans la Nation.
De
1933 à 1939, l’État-nation d’Hitler dit aux Allemands : Procréez ! —
5143
ux Allemands : Procréez ! — et c’est une négation
de
la passion ; mais il dit aux peuples voisins : — Nous sommes trop nom
5144
muler au sommet. Or il est clair que ces volontés
de
puissance affrontées — il y a déjà plusieurs États totalitaires — ne
5145
r l’autre l’obstacle. Le but réel, tacite, fatal,
de
ces exaltations totalitaires est donc la guerre, qui signifie la mort
5146
signifie la mort. Et comme on le voit dans le cas
de
la passion d’amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les
5147
rt. Et comme on le voit dans le cas de la passion
d’
amour, ce but est non seulement nié avec vigueur par les intéressés, m
5148
’on exalte y trouve son sens réel. Il serait aisé
de
multiplier les preuves de ce nouveau parallélisme entre la politique
5149
ns réel. Il serait aisé de multiplier les preuves
de
ce nouveau parallélisme entre la politique et la passion. L’ascèse co
5150
ules réagissent au dictateur, dans un pays donné,
de
la même manière que la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations
5151
la femme, dans ce pays, réagit aux sollicitations
de
l’homme. J’écrivais en 1938 : « Le Français s’étonne des succès d’Hit
5152
ivais en 1938 : « Le Français s’étonne des succès
d’
Hitler auprès de la masse germanique, mais il ne s’étonnerait pas moin
5153
atins, faire la cour à une femme c’est l’étourdir
de
paroles flatteuses : ainsi nos hommes politiques quand ils courtisent
5154
e enfin le destin et affirme qu’il est ce destin…
De
la sorte, il délivre la foule de la responsabilité de ses actes, donc
5155
l est ce destin… De la sorte, il délivre la foule
de
la responsabilité de ses actes, donc du sentiment oppressant de sa cu
5156
a sorte, il délivre la foule de la responsabilité
de
ses actes, donc du sentiment oppressant de sa culpabilité morale. Ell
5157
bilité de ses actes, donc du sentiment oppressant
de
sa culpabilité morale. Elle se rend au sauveur terrible et le nomme s
5158
le terme populaire désignant en Allemagne l’acte
d’
épouser, c’est freien, verbe qui signifie littéralement : libérer… Hit
5159
a plus facilement dans le domaine des sentiments…
De
tous temps, la force qui a mis en mouvement les révolutions les plus
5160
iolentes a résidé bien moins dans la proclamation
d’
une idée scientifique qui s’emparait des foules que dans un fanatisme
5161
ui les emballait follement. (Mein Kampf.) Oui, «
de
tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté de notre temps, c’est qu
5162
« de tous temps » ce fut ainsi. Mais la nouveauté
de
notre temps, c’est que l’action passionnelle sur les masses, telle qu
5163
telle que la définit Hitler, se double désormais
d’
une action rationalisante sur les individus. En outre, cette action n’
5164
elconque, mais par le chef qui incarne la Nation.
D’
où la puissance sans précédent du transfert qui s’opère du privé au pu
5165
public. Quel Wagner surhumain sera donc en mesure
d’
orchestrer la grandiose catastrophe de la passion devenue totalitaire
5166
c en mesure d’orchestrer la grandiose catastrophe
de
la passion devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil d’une conc
5167
n devenue totalitaire ? ⁂ Ceci nous mène au seuil
d’
une conclusion que j’étais loin de prévoir en commençant ce livre. Que
5168
e. Que l’on suive l’évolution du mythe occidental
de
la passion dans l’histoire de la littérature ou dans l’histoire des m
5169
du mythe occidental de la passion dans l’histoire
de
la littérature ou dans l’histoire des méthodes de la guerre, c’est la
5170
de la littérature ou dans l’histoire des méthodes
de
la guerre, c’est la même courbe qui apparaît. Et l’on aboutit pareill
5171
’on aboutit pareillement à cet aspect trop ignoré
de
la crise de notre époque, qui est la dissolution des formes instituée
5172
pareillement à cet aspect trop ignoré de la crise
de
notre époque, qui est la dissolution des formes instituées par la che
5173
stituées par la chevalerie. C’est dans le domaine
de
la guerre, où toute évolution est pratiquement irréversible — alors q
5174
a des « retours » littéraires — que la nécessité
d’
une solution nouvelle est apparue en premier lieu. Cette solution s’ap
5175
totalitaire. C’est la réponse du xxe siècle, né
de
la guerre, à la menace permanente que la passion et l’instinct de mor
5176
la menace permanente que la passion et l’instinct
de
mort font peser sur toute société. La réponse du xiie siècle avait é
5177
lassique186. La réponse du xviiie fut le cynisme
de
Don Juan et l’ironie rationaliste. Mais le romantisme ne fut pas une
5178
ces nocturnes du mythe n’ait été un dernier moyen
de
le déprimer par un excès voulu. Quoi qu’il en soit, cette défense éta
5179
se répandirent dans les domaines les plus divers,
d’
où résulta une dissociation, au sens précis de relâchement des liens s
5180
rs, d’où résulta une dissociation, au sens précis
de
relâchement des liens sociaux. La première guerre européenne fut le j
5181
ux. La première guerre européenne fut le jugement
d’
un monde qui avait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer d’une
5182
ait cru pouvoir abandonner les formes, et libérer
d’
une manière anarchique le « contenu » mortel du mythe. Cependant, je n
5183
mythe. Cependant, je ne pense pas que le drainage
de
toute passion par la nation soit autre chose qu’une mesure de détress
5184
sion par la nation soit autre chose qu’une mesure
de
détresse. C’est repousser la menace immédiate, mais l’aggraver alors
5185
omplexe des hommes, même militarisés. Des mesures
de
police ne font pas une culture, des slogans ne font pas une morale. E
5186
e quotidienne des hommes, il subsiste encore trop
de
jeu, trop d’angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résol
5187
des hommes, il subsiste encore trop de jeu, trop
d’
angoisse et trop de possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors :
5188
siste encore trop de jeu, trop d’angoisse et trop
de
possible. Rien n’est réellement résolu. Dès lors : Ou bien ce sera la
5189
désintégration physique et morale, et le problème
de
la passion sera supprimé avec la civilisation qui l’a fait naître ; O
5190
tra dans les pays totalitaires, comme il ne cesse
de
nous travailler dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité de l
5191
dans nos sociétés libérales. C’est l’éventualité
de
la paix que j’envisageai dans les deux livres terminaux : le premier
5192
168. On en aura un aperçu en lisant les ouvrages
de
Freud, et l’Instinct combatif de Pierre Bovet. 169. Défaite se dit
5193
ant les ouvrages de Freud, et l’Instinct combatif
de
Pierre Bovet. 169. Défaite se dit en allemand Niederlage, littérale
5194
en allemand Niederlage, littéralement : position
de
qui gît à terre, de qui est couché au-dessous. (Cf. l’expression « av
5195
age, littéralement : position de qui gît à terre,
de
qui est couché au-dessous. (Cf. l’expression « avoir le dessous ».) R
5196
voir le dessous ».) Rappelons aussi le symbolisme
de
la Tour assiégée dans le Roman de la Rose, et l’expression « se faire
5197
i le symbolisme de la Tour assiégée dans le Roman
de
la Rose, et l’expression « se faire des alliés dans la place ». 170.
5198
ion autant que par l’intelligence et la fécondité
de
ses vues critiques renouvelle notre conception du Moyen Âge en nous f
5199
ns la vie quotidienne des bourgeois et des nobles
de
l’époque. Les passages entre guillemets de ce chapitre et du suivant
5200
nobles de l’époque. Les passages entre guillemets
de
ce chapitre et du suivant sont des citations de la traduction françai
5201
s de ce chapitre et du suivant sont des citations
de
la traduction française. (Paris, 1932.) 172. Je serais assez tenté d
5202
çaise. (Paris, 1932.) 172. Je serais assez tenté
de
voir dans la fonction dramatique du tournoi l’une des origines de la
5203
fonction dramatique du tournoi l’une des origines
de
la tragédie moderne. Celle-ci s’est constituée précisément à l’époque
5204
précisément à l’époque où les tournois passaient
de
mode, et où se dissociaient leurs éléments guerrier, sportif et théât
5205
sique que comportait le tournoi mais satisfaisant
d’
autant mieux le besoin d’émotion sentimentale et spirituelle. 173. G
5206
ournoi mais satisfaisant d’autant mieux le besoin
d’
émotion sentimentale et spirituelle. 173. Guichardin, Histoire des g
5207
rituelle. 173. Guichardin, Histoire des guerres
d’
Italie, I, p. 2. 174. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance
5208
. Cité par Fred Bérence, Raphaël ou la puissance
de
l’esprit. 175. J. Burckhardt, Die Kultur der Renaissance, VI, p. 1.
5209
naissance, VI, p. 1. 176. Il est juste toutefois
de
rappeler qu’on tuait facilement dans ce pays. Mais le meurtre y resta
5210
ans le monde militarisé, l’individu se voit privé
de
cette possibilité passionnelle, transférée à la seule collectivité. C
5211
a suite des dévastations qui marquèrent la guerre
de
Trente Ans, les armées s’imposèrent « des règles et des limites qui r
5212
oral et à une nécessité pratique ». Il s’agissait
d’
éviter des dépenses excessives — les hommes coûtant cher — et de ne pa
5213
épenses excessives — les hommes coûtant cher — et
de
ne pas effrayer les peuples au point de rendre impossible tout recrut
5214
cher — et de ne pas effrayer les peuples au point
de
rendre impossible tout recrutement des volontaires… 179. J. Bouleng
5215
er, Le Grand Siècle. 180. F. Foch, DesPrincipes
de
la guerre (1903, réédité en 1929). 181. E. et J. de Concourt, La Fem
5216
compagna la Terreur, voir le très curieux ouvrage
d’
André Monglond, Le Préromantisme français. 183. Je parle de cette cho
5217
nglond, Le Préromantisme français. 183. Je parle
de
cette chose abstraite et frappante, irréelle mais signifiante, qu’est
5218
iante, qu’est la moyenne des expressions typiques
de
l’amour à une époque donnée — aussi irréelle et aussi signifiante dan
5219
ne sont pas toute l’époque — dans chacune il y a
de
tout — mais qui sont d’une époque plutôt que d’une autre. 184. Concl
5220
que — dans chacune il y a de tout — mais qui sont
d’
une époque plutôt que d’une autre. 184. Conclusion de l’enquête menée
5221
a de tout — mais qui sont d’une époque plutôt que
d’
une autre. 184. Conclusion de l’enquête menée sous la conduite de Mag
5222
e époque plutôt que d’une autre. 184. Conclusion
de
l’enquête menée sous la conduite de Magnus Hirschfeld par une douzain
5223
4. Conclusion de l’enquête menée sous la conduite
de
Magnus Hirschfeld par une douzaine de savants allemands et autrichien
5224
la conduite de Magnus Hirschfeld par une douzaine
de
savants allemands et autrichiens, et publiée sous le titre de Sitteng
5225
llemands et autrichiens, et publiée sous le titre
de
Sittengeschichte des Weltkriegs (Histoire des mœurs pendant la guerre
5226
, éprouvant que la guerre totale est une négation
de
la passion guerrière, se jette alors dans des aventures absurdes, qu’
5227
Guerre notre mère d’Ernst Jünger et Les Réprouvés
d’
Ernst von Salomon). On va se battre pour le plaisir, ou plutôt pour le
5228
e, Chine). C’est la débauche désespérée et vénale
de
celui qu’a déçu la passion. Revanche sadique. 186. Bachofen (auteur
5229
Deux morales s’affrontaient au Moyen Âge : celle
de
la société christianisée, et celle de la courtoisie hérétique. L’une
5230
Âge : celle de la société christianisée, et celle
de
la courtoisie hérétique. L’une impliquait le mariage, dont elle fit m
5231
même un sacrement ; l’autre exaltait un ensemble
de
valeurs d’où résultait — en principe tout au moins — la condamnation
5232
crement ; l’autre exaltait un ensemble de valeurs
d’
où résultait — en principe tout au moins — la condamnation du mariage.
5233
rouvait donc sanctifier les intérêts fondamentaux
de
l’espèce et les intérêts de la cité. Celui qui contrevenait à ce trip
5234
intérêts fondamentaux de l’espèce et les intérêts
de
la cité. Celui qui contrevenait à ce triple engagement ne se rendait
5235
ou méprisable. La synthèse catholique s’efforçait
de
marier l’eau et le feu, car on pouvait tirer des Écritures et des Pèr
5236
s thèses les plus contradictoires sur la sainteté
de
la procréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté de la virginité
5237
dictoires sur la sainteté de la procréation — loi
de
l’espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi de l’esprit. Pour
5238
rocréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté
de
la virginité — loi de l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple,
5239
espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi
de
l’esprit. Pour l’Ancien Testament, par exemple, une descendance nombr
5240
par exemple, une descendance nombreuse est signe
d’
élection tandis que pour saint Paul, celui qui reste vierge « fait mie
5241
nt, comme n’étant établi par aucun texte univoque
de
l’Évangile187. Elle condamnait la procréation comme relevant de la lo
5242
87. Elle condamnait la procréation comme relevant
de
la loi du Prince des ténèbres, c’est-à-dire du Démiurge auteur du mon
5243
du vouloir-vivre collectif188. Mais le fondement
de
ces trois refus était en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire
5244
nt de ces trois refus était en vérité la doctrine
de
l’Amour, c’est-à-dire de l’Éros divinisant, en conflit éternel et ang
5245
it en vérité la doctrine de l’Amour, c’est-à-dire
de
l’Éros divinisant, en conflit éternel et angoissé avec la créature de
5246
, en conflit éternel et angoissé avec la créature
de
chair et ses instincts asservissants. L’apparition de la passion d’Am
5247
hair et ses instincts asservissants. L’apparition
de
la passion d’Amour devait donc transformer radicalement le jugement p
5248
stincts asservissants. L’apparition de la passion
d’
Amour devait donc transformer radicalement le jugement porté sur l’adu
5249
é. Mais nous avons montré que le symbole courtois
de
l’amour pour une Dame (spirituelle), amour évidemment incompatible av
5250
èmes provençaux et des romans bretons, l’adultère
de
Tristan reste une faute189, mais il se trouve revêtir en même temps l
5251
mais il se trouve revêtir en même temps l’aspect
d’
une aventure plus belle que la morale. Ce qui, pour le croyant maniché
5252
anichéen, était l’expression dramatique du combat
de
la foi et du monde, devient alors pour le lecteur une « poésie » équi
5253
sie » équivoque et brûlante. Poésie toute profane
d’
apparences, dont la puissance de séduction s’accroît encore du fait qu
5254
sie toute profane d’apparences, dont la puissance
de
séduction s’accroît encore du fait que l’on ignore la signification m
5255
du fait que l’on ignore la signification mystique
de
ses symboles, et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que d’un
5256
et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que
d’
un mystère vague et flatteur. Comment expliquer autrement qu’à partir
5257
ieu qu’à des commentaires édifiants sur le danger
de
pécher et le remords, devient soudain vertu mystique (dans le symbole
5258
rectement la crise actuelle du mariage au conflit
de
l’orthodoxie et d’une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme te
5259
actuelle du mariage au conflit de l’orthodoxie et
d’
une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme telle, n’existe plus
5260
r qu’elle ne joue plus un rôle direct dans la vie
de
nos sociétés, qu’elle a tant contribué à former. Ce qui explique, à m
5261
rmer. Ce qui explique, à mon sens, l’état présent
de
dé-moralisation générale, c’est la confuse dissension, au sein de laq
5262
fuse dissension, au sein de laquelle nous vivons,
de
deux morales, dont l’une est héritée de l’orthodoxie religieuse, mais
5263
s vivons, de deux morales, dont l’une est héritée
de
l’orthodoxie religieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi vivante, e
5264
plus sur une foi vivante, et dont l’autre dérive
d’
une hérésie dont l’expression, « essentiellement lyrique » aux origine
5265
i les forces en présence : d’une part, une morale
de
l’espèce et de la société en général, mais plus ou moins empreinte de
5266
présence : d’une part, une morale de l’espèce et
de
la société en général, mais plus ou moins empreinte de religion — c’e
5267
société en général, mais plus ou moins empreinte
de
religion — c’est ce que l’on nomme la morale bourgeoise ; d’autre par
5268
passionnelle ou romanesque. Tous les adolescents
de
la bourgeoisie occidentale sont élevés dans l’idée du mariage, mais e
5269
es. Leurs origines et leurs finalités s’excluent.
De
leur coexistence dans nos vies surgissent sans fin des problèmes inso
5270
n d’autres temps, ce fut la fonction du mythe que
d’
ordonner cette anarchie latente et de la composer symboliquement dans
5271
du mythe que d’ordonner cette anarchie latente et
de
la composer symboliquement dans nos catégories morales. Rôle d’exutoi
5272
symboliquement dans nos catégories morales. Rôle
d’
exutoire, rôle civilisateur. Mais le mythe s’est déprimé et profané en
5273
ses éléments plastiques. Si maintenant il tentait
de
se recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus de résistances as
5274
recomposer, on pressent qu’il ne trouverait plus
de
résistances assez solides pour lui servir de masque et de prétexte. U
5275
plus de résistances assez solides pour lui servir
de
masque et de prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur
5276
tances assez solides pour lui servir de masque et
de
prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur la « crise d
5277
Mais je doute fort qu’il en résulte aucune espèce
de
solution pratique : car seul le mythe, c’est-à-dire l’inconscience, p
5278
science, pourrait fournir à la passion une espèce
de
modus vivendi, et tous ces livres, aggravant au contraire notre consc
5279
ibuent à le rendre insoluble. Ils sont les signes
de
la crise, mais aussi de notre impuissance à la réduire dans les cadre
5280
uble. Ils sont les signes de la crise, mais aussi
de
notre impuissance à la réduire dans les cadres actuels. L’institution
5281
atrimoniale se fondait en effet sur trois groupes
de
valeurs qui lui fournissaient ses « contraintes » — et c’est précisém
5282
contraintes » — et c’est précisément dans le jeu
de
ces contraintes que le mythe puisait ses moyens d’expression (comme o
5283
e ces contraintes que le mythe puisait ses moyens
d’
expression (comme on l’a vu au livre I). Or voici que ces contraintes
5284
, chez les peuples païens, s’est toujours entouré
d’
un rituel dont nos institutions gardèrent longtemps les éléments : rit
5285
itutions gardèrent longtemps les éléments : rites
de
l’achat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, l
5286
ngtemps les éléments : rites de l’achat, du rapt,
de
la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son imp
5287
ments : rites de l’achat, du rapt, de la quête et
de
l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son importance, par su
5288
hat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais
de
nos jours, la dot perd de son importance, par suite de l’instabilité
5289
et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd
de
son importance, par suite de l’instabilité économique. Les coutumes r
5290
es paysannes. La demande en mariage, avec échange
de
visites en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi dém
5291
mande en mariage, avec échange de visites en haut
de
forme et « déclaration » officielle, est aussi démodée que le corset.
5292
s n’éprouve plus même le besoin « superstitieux »
d’
aller se faire bénir par un prêtre. 2. — Contraintes sociales. — Les q
5293
rêtre. 2. — Contraintes sociales. — Les questions
de
rang, de sang, d’intérêts familiaux et même d’argent, sont en train d
5294
— Contraintes sociales. — Les questions de rang,
de
sang, d’intérêts familiaux et même d’argent, sont en train de passer
5295
intes sociales. — Les questions de rang, de sang,
d’
intérêts familiaux et même d’argent, sont en train de passer au second
5296
ns de rang, de sang, d’intérêts familiaux et même
d’
argent, sont en train de passer au second plan dans les pays démocrati
5297
e plus en plus le choix réciproque des conjoints.
D’
où le nombre croissant des divorces. En même temps, les cérémonies épi
5298
s se simplifient ou disparaissent. Il est curieux
de
noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telles que la «
5299
aissent. Il est curieux de noter que des coutumes
d’
origine lointaine et sacrée telles que la « quasi-publicité du lit nup
5300
es originels, mais les rites gardaient pour effet
de
socialiser l’acte du mariage, de l’intégrer dans l’existence communau
5301
aient pour effet de socialiser l’acte du mariage,
de
l’intégrer dans l’existence communautaire. À partir du xviiie siècle
5302
À partir du xviiie siècle, le thème du « Coucher
de
la mariée » n’est plus qu’une occasion d’anodines galanteries pictura
5303
Coucher de la mariée » n’est plus qu’une occasion
d’
anodines galanteries picturales. De nos jours enfin, le « voyage de no
5304
u’une occasion d’anodines galanteries picturales.
De
nos jours enfin, le « voyage de noces », pour autant qu’il subsiste e
5305
eries picturales. De nos jours enfin, le « voyage
de
noces », pour autant qu’il subsiste et garde une signification, repré
5306
signification, représente bien plutôt une volonté
de
s’évader de l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de
5307
n, représente bien plutôt une volonté de s’évader
de
l’ambiance sociale et de souligner le caractère privé de ce qu’on app
5308
une volonté de s’évader de l’ambiance sociale et
de
souligner le caractère privé de ce qu’on appelle le bonheur des époux
5309
biance sociale et de souligner le caractère privé
de
ce qu’on appelle le bonheur des époux. 3. — Contraintes religieuses.
5310
à-dire qu’il ne tient aucun compte des variations
de
tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne
5311
tient aucun compte des variations de tempérament,
de
caractère, de goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas d
5312
mpte des variations de tempérament, de caractère,
de
goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas de se produire
5313
iations de tempérament, de caractère, de goûts et
de
conditions externes qui ne manqueront pas de se produire un jour ou l
5314
s et de conditions externes qui ne manqueront pas
de
se produire un jour ou l’autre dans la vie du couple. Or c’est de tou
5315
n jour ou l’autre dans la vie du couple. Or c’est
de
tout cela, justement, que les modernes font dépendre leur « bonheur »
5316
des obstacles institutionnels entraîne une chute
de
tension morale d’où résulte une immense confusion. L’adultère devient
5317
titutionnels entraîne une chute de tension morale
d’
où résulte une immense confusion. L’adultère devient un sujet de délic
5318
ne immense confusion. L’adultère devient un sujet
de
délicates analyses psychologiques, ou de plaisanteries vaudevillesque
5319
un sujet de délicates analyses psychologiques, ou
de
plaisanteries vaudevillesques. La fidélité dans le mariage paraît lég
5320
ge paraît légèrement ridicule : elle prend figure
de
conformisme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit de deux mora
5321
isme. Il n’y a plus, à proprement parler, conflit
de
deux morales hostiles — et par suite plus de mythe possible — mais on
5322
flit de deux morales hostiles — et par suite plus
de
mythe possible — mais on approche d’un état de neutralisation mutuell
5323
r suite plus de mythe possible — mais on approche
d’
un état de neutralisation mutuelle au terme de la consomption des viei
5324
us de mythe possible — mais on approche d’un état
de
neutralisation mutuelle au terme de la consomption des vieilles valeu
5325
che d’un état de neutralisation mutuelle au terme
de
la consomption des vieilles valeurs non transcendées mais déprimées.
5326
2.Idée moderne du bonheur Le mariage cessant
d’
être garanti par un système de contraintes sociales ne peut plus se fo
5327
Le mariage cessant d’être garanti par un système
de
contraintes sociales ne peut plus se fonder, désormais, que sur des d
5328
as le plus favorable. Or s’il est assez difficile
de
définir en général le bonheur, le problème devient insoluble dès que
5329
t insoluble dès que s’y ajoute la volonté moderne
d’
être le maître de son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de
5330
ue s’y ajoute la volonté moderne d’être le maître
de
son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir de quoi i
5331
son bonheur, ou ce qui revient peut-être au même,
de
sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pou
5332
r, ou ce qui revient peut-être au même, de sentir
de
quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’amé
5333
peut-être au même, de sentir de quoi il est fait,
de
l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouc
5334
, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et
de
le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouches bien calculée
5335
nheur, répètent les prêches des magazines, dépend
de
ceci, exige cela — et ceci ou cela, c’est toujours quelque chose qu’i
5336
t toujours quelque chose qu’il faut acquérir, par
de
l’argent le plus souvent. Le résultat de cette propagande est à la fo
5337
rir, par de l’argent le plus souvent. Le résultat
de
cette propagande est à la fois de nous obséder par l’idée d’un bonheu
5338
nt. Le résultat de cette propagande est à la fois
de
nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup de nous
5339
opagande est à la fois de nous obséder par l’idée
d’
un bonheur facile, et du même coup de nous rendre inaptes à le posséde
5340
r par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup
de
nous rendre inaptes à le posséder. Car tout ce qu’on nous propose nou
5341
e qu’on nous propose nous introduit dans le monde
de
la comparaison, où nul bonheur ne saurait s’établir, tant que l’homme
5342
t meurt dans la revendication. C’est qu’il dépend
de
l’être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont rép
5343
evendication. C’est qu’il dépend de l’être et non
de
l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et notre tem
5344
pend de l’être et non de l’avoir : les moralistes
de
tous les temps l’ont répété, et notre temps n’apporte rien qui doive
5345
temps n’apporte rien qui doive nous faire changer
d’
avis. Tout bonheur que l’on veut sentir, que l’on veut tenir à sa merc
5346
ur » suppose de la part des modernes une capacité
d’
ennui presque morbide — ou l’intention secrète de tricher. Il est prob
5347
d’ennui presque morbide — ou l’intention secrète
de
tricher. Il est probable que cette intention ou cet espoir expliquent
5348
lle on se marie encore « sans y croire ». Le rêve
de
la passion possible agit comme une distraction permanente, anesthésia
5349
distraction permanente, anesthésiant les révoltes
de
l’ennui. On n’ignore pas que la passion serait un malheur — mais on p
5350
dans nos vies l’idée moderne du bonheur. Cela va
de
toute manière à la ruine du mariage en tant qu’institution sociale dé
5351
qui les traitait comme des égaux. C’est peut-être
de
là que nous vient, par le canal de la littérature, cette idée toute m
5352
’est peut-être de là que nous vient, par le canal
de
la littérature, cette idée toute moderne et romantique que la passion
5353
u-dessus des lois et des coutumes. Celui qui aime
de
passion accède à une humanité plus haute, où les barrières sociales s
5354
e mécano épouser l’héritière190. De même, le Prix
de
Beauté a quelque chance de devenir comtesse ou milliardaire. C’est un
5355
e190. De même, le Prix de Beauté a quelque chance
de
devenir comtesse ou milliardaire. C’est une « adaptation » moderne —
5356
langage du cinéma, seul adéquat en l’occurrence —
de
la primauté de l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion prof
5357
ma, seul adéquat en l’occurrence — de la primauté
de
l’amour sur l’ordre social établi. Que la passion profane soit en réa
5358
Que la passion profane soit en réalité une forme
d’
intoxication, une « maladie de l’âme », comme pensaient les Anciens, t
5359
n réalité une forme d’intoxication, une « maladie
de
l’âme », comme pensaient les Anciens, tout le monde est prêt à le rec
5360
et cette nuance est décisive. Le moderne, l’homme
de
la passion, attend de l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même
5361
cisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend
de
l’amour fatal quelque révélation, sur lui-même ou la vie en général :
5362
ur lui-même ou la vie en général : dernier relent
de
la mystique primitive. De la poésie à l’anecdote piquante, la passion
5363
énéral : dernier relent de la mystique primitive.
De
la poésie à l’anecdote piquante, la passion c’est toujours l’aventure
5364
nture. C’est ce qui va changer ma vie, l’enrichir
d’
imprévu, de risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes
5365
t ce qui va changer ma vie, l’enrichir d’imprévu,
de
risques exaltants, de jouissances toujours plus violentes ou flatteus
5366
vie, l’enrichir d’imprévu, de risques exaltants,
de
jouissances toujours plus violentes ou flatteuses. C’est tout le poss
5367
! — la plus « naturelle » pensera-t-on… Illusion
de
liberté. Et illusion de plénitude. Je nommerai libre un homme qui se
5368
» pensera-t-on… Illusion de liberté. Et illusion
de
plénitude. Je nommerai libre un homme qui se possède. Mais l’homme de
5369
merai libre un homme qui se possède. Mais l’homme
de
la passion cherche au contraire à être possédé, dépossédé, jeté hors
5370
é, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et
de
fait, c’est déjà sa nostalgie qui le « démeine » — dont il ignore l’o
5371
dont il ignore l’origine et la fin. Son illusion
de
liberté repose sur cette double ignorance. Le passionné, c’est l’homm
5372
sionné, c’est l’homme qui veut trouver son « type
de
femme » et n’aimer qu’elle. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’appari
5373
le. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’apparition
d’
une noble Dame dans le paysage des souvenirs d’enfance : Blonde, aux
5374
on d’une noble Dame dans le paysage des souvenirs
d’
enfance : Blonde, aux yeux noirs, en ses habits anciens Que dans une
5375
tre J’ai déjà vue, et dont je me souviens… Image
de
la Mère, sans nul doute, et la psychanalyse nous apprend quels empêch
5376
nts tragiques cela peut signifier. Mais l’exemple
d’
un poète ne vaut rien ou vaut trop. J’entends décrire une illusion app
5377
ommes du xxe siècle : or plus encore que l’image
de
la Mère, ce qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ». De nos j
5378
qui les tyrannise, c’est la « beauté standard ».
De
nos jours — et ce n’est qu’un début — un homme qui se prend de passio
5379
— et ce n’est qu’un début — un homme qui se prend
de
passion pour une femme qu’il est seul à voir belle, est un névrosé qu
5380
ra soigner.) Certes, la standardisation des types
de
femmes admis pour « beaux » se produit normalement dans chaque généra
5381
dans chaque génération, de même que chaque époque
de
la mode préfère soit la tête, soit le buste, soit la croupe, soit la
5382
e sportive. Mais le panurgisme esthétique atteint
de
nos jours une puissance inconnue, développée par tous les moyens tech
5383
ues, et parfois politiques, en sorte que le choix
d’
un type de femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se t
5384
rfois politiques, en sorte que le choix d’un type
de
femme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se trouve déte
5385
r « Hollywood » — ou par l’État. Double influence
de
la beauté-standard : elle définit d’avance l’objet de la passion — dé
5386
le influence de la beauté-standard : elle définit
d’
avance l’objet de la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et d
5387
a beauté-standard : elle définit d’avance l’objet
de
la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et disqualifie le mar
5388
à la star la plus obsédante. Ainsi la « liberté »
de
la passion relève des statistiques publicitaires. L’homme qui croit d
5389
icitaires. L’homme qui croit désirer « son » type
de
femme se trouve intimement déterminé par des facteurs de mode ou de c
5390
e se trouve intimement déterminé par des facteurs
de
mode ou de commerce, c’est-à-dire par la nouveauté. 4.Épouser Iseu
5391
intimement déterminé par des facteurs de mode ou
de
commerce, c’est-à-dire par la nouveauté. 4.Épouser Iseut ? Supp
5392
entre ce qu’il aime et ce que le film le persuade
d’
aimer Il rencontre cette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme
5393
ette femme, il la reconnaît. C’est elle, la femme
de
son désir et de sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve191 ; elle
5394
a reconnaît. C’est elle, la femme de son désir et
de
sa plus secrète nostalgie, l’Iseut du rêve191 ; elle est mariée, natu
5395
e sera la « vraie vie », ce sera l’épanouissement
de
ce Tristan qu’il porte en soi comme son génie caché ! Et plus rien ne
5396
a couronne s’il est roi.) Voilà le vrai « mariage
d’
amour » moderne : le mariage avec la passion ! Mais aussitôt paraît un
5397
eut, c’est toujours l’étrangère, l’étrangeté même
de
la femme, et tout ce qu’il y a d’éternellement fuyant, évanouissant e
5398
’étrangeté même de la femme, et tout ce qu’il y a
d’
éternellement fuyant, évanouissant et presque hostile dans un être, ce
5399
ui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité
de
posséder, plus délicieuse que toute possession au cœur de l’homme en
5400
der, plus délicieuse que toute possession au cœur
de
l’homme en proie au mythe. C’est la femme-dont-on-est-séparé : on la
5401
désirer et pour exalter ce désir aux proportions
d’
une passion consciente, intense, infiniment intéressante… Or c’est la
5402
, où plus rien ne s’oppose à leur union, le génie
de
la passion dépose entre leurs corps une épée nue. Descendons quelques
5403
endons quelques siècles et toute l’échelle qui va
de
l’héroïsme religieux à la confusion sans grandeur où se débattent les
5404
emme perd son « attrait », parce qu’il n’est plus
d’
obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe dont l’hor
5405
’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes
d’
un mythe dont l’horizon mystique s’est refermé depuis longtemps. Pour
5406
espace et le temps sans lesquelles il n’est point
de
« créatures » — alors que le seul But de l’amour infini ne peut être
5407
st point de « créatures » — alors que le seul But
de
l’amour infini ne peut être que le divin : Dieu, notre idée de Dieu,
5408
fini ne peut être que le divin : Dieu, notre idée
de
Dieu, ou le Moi déifié. Mais pour celui que le mythe vient tourmenter
5409
ter sans lui révéler son secret, il n’est au-delà
de
la passion que dans une passion nouvelle — dans le tourment nouveau d
5410
s une passion nouvelle — dans le tourment nouveau
de
la poursuite d’apparences toujours plus fugitives. Il était de la nat
5411
uvelle — dans le tourment nouveau de la poursuite
d’
apparences toujours plus fugitives. Il était de la nature essentielle
5412
te d’apparences toujours plus fugitives. Il était
de
la nature essentielle de la passion mystique d’être sans fin — et c’e
5413
plus fugitives. Il était de la nature essentielle
de
la passion mystique d’être sans fin — et c’est par là que cette passi
5414
t de la nature essentielle de la passion mystique
d’
être sans fin — et c’est par là que cette passion se détachait des ryt
5415
moderne, ce n’est plus que le retour sempiternel
d’
une ardeur constamment déçue. Le mythe décrivait une fatalité dont ses
5416
dénoue en infidélité. Qui ne sent la dégradation
d’
un Tristan qui a plusieurs Iseut ? Pourtant ce n’est pas lui qu’il con
5417
Iseut ? Pourtant ce n’est pas lui qu’il convient
d’
accuser, mais il est la victime d’un ordre social où les obstacles se
5418
qu’il convient d’accuser, mais il est la victime
d’
un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vit
5419
. Sans cesse, il faut recommencer cette ascension
de
l’âme dressée contre le monde. Mais alors le Tristan moderne glisse v
5420
oderne glisse vers le type contraire du Don Juan,
de
l’homme aux amours successives. Les catégories se détruisent, l’avent
5421
à cette consomption. Mais Don Juan ne connaît pas
d’
Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déch
5422
omption. Mais Don Juan ne connaît pas d’Iseut, ni
de
passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni de déchirements vol
5423
nnaît pas d’Iseut, ni de passion inaccessible, ni
de
passé ni d’avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dan
5424
Iseut, ni de passion inaccessible, ni de passé ni
d’
avenir, ni de déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat
5425
passion inaccessible, ni de passé ni d’avenir, ni
de
déchirements voluptueux. Il vit toujours dans l’immédiat, il n’a jama
5426
toujours dans l’immédiat, il n’a jamais le temps
d’
aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne l
5427
dans l’immédiat, il n’a jamais le temps d’aimer —
d’
attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste
5428
t, il n’a jamais le temps d’aimer — d’attendre et
de
se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’
5429
d’aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien
de
ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’aime pas ce qui lui résis
5430
l n’aime pas ce qui lui résiste. ⁂ Aimer, au sens
de
la passion, c’est alors le contraire de vivre ! C’est un appauvrissem
5431
, au sens de la passion, c’est alors le contraire
de
vivre ! C’est un appauvrissement de l’être, une ascèse sans au-delà,
5432
le contraire de vivre ! C’est un appauvrissement
de
l’être, une ascèse sans au-delà, une impuissance à aimer le présent s
5433
t, une fuite sans fin devant la possession. Aimer
d’
amour-passion signifiait « vivre » pour Tristan, car la vraie vie qu’i
5434
et du film apparaissent comme les signes certains
d’
une décadence de la personne chez les modernes, et d’une espèce de mal
5435
aissent comme les signes certains d’une décadence
de
la personne chez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’être.
5436
ne décadence de la personne chez les modernes, et
d’
une espèce de maladie de l’être. Presque toutes les complications qui
5437
de la personne chez les modernes, et d’une espèce
de
maladie de l’être. Presque toutes les complications qui servent d’int
5438
nne chez les modernes, et d’une espèce de maladie
de
l’être. Presque toutes les complications qui servent d’intrigues à no
5439
tre. Presque toutes les complications qui servent
d’
intrigues à nos auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses de la
5440
auteurs se ramènent au schéma monotone des ruses
de
la passion pour s’« entretenir », — des ruses d’une passion débile po
5441
de la passion pour s’« entretenir », — des ruses
d’
une passion débile pour s’inventer de plus secrets obstacles. Je songe
5442
plus secrets obstacles. Je songe à la psychologie
de
la jalousie, qui envahit nos analyses : jalousie désirée, provoquée,
5443
n — n’aboutit pas. On retombe sans cesse au monde
de
la comparaison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes d
5444
esse au monde de la comparaison, qui est le monde
de
la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur seuil souffre
5445
et femmes dès qu’ils passent leur seuil souffrent
de
jalousie », dit un poème tibétain192. C’est que, passant « leur seuil
5446
in192. C’est que, passant « leur seuil », sortant
de
leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d
5447
t du présent tel qu’il leur est donné, incapables
d’
accepter l’autre tel qu’il est, parce qu’il faudrait tout d’abord s’ac
5448
r, qualités dont ils se sentent privés, et motifs
de
comparaisons qui toujours tournent à leur détriment. Le mari souffre
5449
l. Il a perdu la seule chose nécessaire : le sens
de
la fidélité. Car voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive d’u
5450
voici la fidélité : c’est l’acceptation décisive
d’
un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à
5451
non comme prétexte à s’exalter, ou comme « objet
de
contemplation », mais comme une existence incomparable et autonome à
5452
incomparable et autonome à son côté, une exigence
d’
amour actif. ⁂ Je n’entends pas ici attaquer la passion : je me borne
5453
comment cette passion développe un certain nombre
de
fatalités psychologiques dont les effets ne sont plus contestables. Q
5454
ne sont plus contestables. Que l’on soit partisan
de
l’une ou de l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée mêm
5455
contestables. Que l’on soit partisan de l’une ou
de
l’autre, il faut admettre que la passion ruine l’idée même du mariage
5456
mariage dans une époque où l’on tente la gageure
de
fonder le mariage, précisément, sur les valeurs élaborées par une éth
5457
sément, sur les valeurs élaborées par une éthique
de
la passion. Certes, il serait excessif d’estimer que la plupart de no
5458
éthique de la passion. Certes, il serait excessif
d’
estimer que la plupart de nos contemporains sont en proie au délire de
5459
part de nos contemporains sont en proie au délire
de
Tristan. Bien peu ont assez soif pour boire le philtre, et j’en vois
5460
ythe primitif, c’est pourtant là qu’est le secret
de
l’inquiétude qui tourmente aujourd’hui les couples. Rien ne répugne a
5461
ne répugne autant à un esprit moderne que l’idée
d’
une limitation volontairement assumée ; et rien ne le flatte davantage
5462
ée ; et rien ne le flatte davantage que le mirage
d’
infini dépassement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer de pren
5463
ement entretenu par le souvenir du mythe. Essayer
de
prendre conscience de la nature du phénomène, c’est à quoi se résume
5464
souvenir du mythe. Essayer de prendre conscience
de
la nature du phénomène, c’est à quoi se résume l’ambition des analyse
5465
spirituel que fait courir à la personne l’éthique
de
l’évasion, qui est née du mythe.) D’où les multiples tentatives de «
5466
ne l’éthique de l’évasion, qui est née du mythe.)
D’
où les multiples tentatives de « restauration » du mariage auxquelles
5467
est née du mythe.) D’où les multiples tentatives
de
« restauration » du mariage auxquelles nous avons assisté depuis la P
5468
assisté depuis la Première Guerre mondiale, début
de
l’ère totalitaire. Les Églises font un honorable effort de redéfiniti
5469
totalitaire. Les Églises font un honorable effort
de
redéfinition de l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique1
5470
Églises font un honorable effort de redéfinition
de
l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique193. Les humanist
5471
lique193. Les humanistes reprennent les arguments
d’
un Goethe ou d’un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il f
5472
umanistes reprennent les arguments d’un Goethe ou
d’
un Engels en faveur du mariage : selon le premier, il faut y voir la g
5473
lon le premier, il faut y voir la grande conquête
de
la culture occidentale, et le fondement solide de toute vie personnel
5474
de la culture occidentale, et le fondement solide
de
toute vie personnelle ; selon le second, l’union monogamique serait l
5475
s sexes, dans une société libérée des contraintes
de
classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science
5476
une société libérée des contraintes de classes et
d’
argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science des rapports
5477
e classes et d’argent. D’autres enfin s’efforcent
de
fonder une science des rapports conjugaux. Jung analyse le « conflit
5478
les « névroses » qui seraient à l’origine du mal (
d’
où l’on déduit que la médecine mentale guérirait tout). Van de Velde o
5479
lgarisée des phénomènes sexuels. L’abondance même
de
ces recherches194 et de ces recettes me rend sceptique quant à leur e
5480
sexuels. L’abondance même de ces recherches194 et
de
ces recettes me rend sceptique quant à leur efficacité : elle révèle
5481
l’étendue du désastre, sans apporter les éléments
d’
une révolution à sa mesure. En outre, il est frappant de constater que
5482
révolution à sa mesure. En outre, il est frappant
de
constater que presque tous ces sages auteurs donnent quelques lignes
5483
ages auteurs donnent quelques lignes à la louange
de
la passion, ou tout au moins affectent de la tolérer : pour des raiso
5484
louange de la passion, ou tout au moins affectent
de
la tolérer : pour des raisons trop faciles à concevoir, on craint d’a
5485
r des raisons trop faciles à concevoir, on craint
d’
attaquer le lecteur dans ses croyances les plus intimes et les plus so
5486
intimes et les plus solidement ancrées. On a peur
de
paraître « puritain ». On s’efforce de faire la part du feu, et l’on
5487
On a peur de paraître « puritain ». On s’efforce
de
faire la part du feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe de
5488
feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe
de
présenter la passion amoureuse comme le couronnement d’un hymen idéal
5489
senter la passion amoureuse comme le couronnement
d’
un hymen idéalement réalisé (d’après les recettes). Personne, que je s
5490
a encore osé dire que l’amour tel qu’on l’imagine
de
nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend
5491
e sait pas au juste ce qu’est l’amour-passion, ni
d’
où il vient, ni où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose d’in
5492
où il va. On sent bien qu’il y a là quelque chose
d’
inquiétant, mais on a peur, en le combattant, de parler comme un phili
5493
e d’inquiétant, mais on a peur, en le combattant,
de
parler comme un philistin. (Ce qui se produirait fatalement !) Ainsi
5494
agner la confiance ; on ne remonte pas le courant
de
toute l’époque ; la passion a toujours existé, elle existera donc tou
5495
C’est même à cause de cela que vous ne ferez rien
de
sérieux. Et comme il faut pourtant que quelque chose se fasse, la seu
5496
n qui se pose à l’historien, au sociologue, c’est
de
savoir quel mécanisme va se déclencher pour rétablir la situation — o
5497
uation — ou quel réflexe collectif. Deux exemples
de
grande envergure nous indiquent un type de réponse, une solution peut
5498
emples de grande envergure nous indiquent un type
de
réponse, une solution peut-être inévitable. La Russie de la Révolutio
5499
e la Révolution connut un « déchaînement » sexuel
de
la jeunesse que l’on serait tenté de juger sans précédent dans notre
5500
ent » sexuel de la jeunesse que l’on serait tenté
de
juger sans précédent dans notre histoire européenne195. Quant au mari
5501
traduisit dans la réalité par une généralisation
de
l’union libre, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tou
5502
réalité par une généralisation de l’union libre,
de
l’avortement, de l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait
5503
généralisation de l’union libre, de l’avortement,
de
l’abandon des enfants, bref de tout ce qu’on croyait contraire aux pr
5504
, de l’avortement, de l’abandon des enfants, bref
de
tout ce qu’on croyait contraire aux préjugés réactionnaires, qu’on se
5505
re des mœurs, et il proteste avec toute l’énergie
d’
un « révolutionnaire professionnel » — donc puritain — contre cette an
5506
n — contre cette anarchie sexuelle qu’il qualifie
de
« petite-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste de l’express
5507
e-bourgeoise ». (On n’ignore pas le sens marxiste
de
l’expression.) Vingt ans plus tard, le « redressement des mœurs » s’e
5508
ar quelque sursaut vertueux, non par l’initiative
d’
une ligue philanthropique, mais par les soins d’une dictature exacteme
5509
e d’une ligue philanthropique, mais par les soins
d’
une dictature exactement consciente des conditions de sa durée. Stalin
5510
ne dictature exactement consciente des conditions
de
sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain de refaire des cadr
5511
sa durée. Staline s’est assigné pour but prochain
de
refaire des cadres à sa nation. Car sans cadres, l’économie périclita
5512
sion précisément que l’on entendait « liquider ».
D’
où l’absolue nécessité de restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l
5513
entendait « liquider ». D’où l’absolue nécessité
de
restaurer les bases sociales, c’est-à-dire l’élément statique et stab
5514
emier chef qu’est la famille. Ce fut le mécanisme
de
la dictature productiviste qui contraignit l’État dit socialiste à éd
5515
raignit l’État dit socialiste à édicter une série
de
lois contre le divorce (qu’on rendit beaucoup plus onéreux), contre l
5516
n des enfants nés hors mariage. La rigueur subite
de
ces lois, le choc psychologique qu’elles provoquèrent, la propagande,
5517
elles provoquèrent, la propagande, et les mesures
de
contrôle policier de la vie privée, changèrent notablement l’ambiance
5518
a propagande, et les mesures de contrôle policier
de
la vie privée, changèrent notablement l’ambiance morale de la Russie
5519
privée, changèrent notablement l’ambiance morale
de
la Russie dans les années 1930. Le mariage se trouva restauré sur des
5520
lèmes individuels tendaient à perdre toute espèce
de
dignité, de légitimité, de virulence anarchisante. L’Allemagne d’avan
5521
duels tendaient à perdre toute espèce de dignité,
de
légitimité, de virulence anarchisante. L’Allemagne d’avant Hitler att
5522
à perdre toute espèce de dignité, de légitimité,
de
virulence anarchisante. L’Allemagne d’avant Hitler atteignit-elle un
5523
égitimité, de virulence anarchisante. L’Allemagne
d’
avant Hitler atteignit-elle un stade d’anarchie sexuelle comparable à
5524
’Allemagne d’avant Hitler atteignit-elle un stade
d’
anarchie sexuelle comparable à celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le
5525
e un stade d’anarchie sexuelle comparable à celui
de
la Russie jusqu’à Staline ? Le processus de ruine des obstacles socia
5526
celui de la Russie jusqu’à Staline ? Le processus
de
ruine des obstacles sociaux, pour s’y être développé sans violences e
5527
it que plus gravement miné l’éthique matrimoniale
de
la jeunesse. La décadence du mythe de la passion dans la patrie du ro
5528
atrimoniale de la jeunesse. La décadence du mythe
de
la passion dans la patrie du romantisme entraînait d’autre part des c
5529
onséquences bien plus complexes que chez nous, et
d’
apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide de l’après-guerre all
5530
’apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide
de
l’après-guerre allemande, la Neue Sachlichkeit des avant-gardes litté
5531
rimes dits « politiques » exécutés par des ligues
de
jeunes gens, certaines formes de naturisme, les « fiançailles d’essai
5532
s par des ligues de jeunes gens, certaines formes
de
naturisme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang de coutume nor
5533
certaines formes de naturisme, les « fiançailles
d’
essai » élevées au rang de coutume normale parmi les étudiants, le sér
5534
isme, les « fiançailles d’essai » élevées au rang
de
coutume normale parmi les étudiants, le sérieux accordé aux conflits
5535
sionnels « à trois » ou « à quatre » — renouvelés
de
la Lucinde de Schlegel — autant de signes de la panique sexuelle prov
5536
» — renouvelés de la Lucinde de Schlegel — autant
de
signes de la panique sexuelle provoquée par la double décadence des c
5537
elés de la Lucinde de Schlegel — autant de signes
de
la panique sexuelle provoquée par la double décadence des contraintes
5538
cadence des contraintes matrimoniales et du mythe
de
l’amour mortel. Déjà l’on voyait affleurer le fond du désespoir et d’
5539
éjà l’on voyait affleurer le fond du désespoir et
d’
anarchie intime que suppose toute morale du « bonheur » strictement in
5540
t militaire, devait se donner pour première tâche
de
surmonter cette crise de mœurs. On commença par opposer à l’idéal ant
5541
nner pour première tâche de surmonter cette crise
de
mœurs. On commença par opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et
5542
urs. On commença par opposer à l’idéal antisocial
de
« bonheur » et de « vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnu
5543
ar opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et
de
« vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnutz geht vor Eigenn
5544
ul objet légitime et possible à la passion l’idée
de
nation symbolisée par le Führer. D’abord on priva la femme de son aur
5545
mbolisée par le Führer. D’abord on priva la femme
de
son auréole romantique : on la réduisit à sa fonction matrimoniale :
5546
uatre ou cinq ans). Puis on en vint à des mesures
d’
ordre eugénique. On ouvrit une « école de fiancées » pour les futures
5547
mesures d’ordre eugénique. On ouvrit une « école
de
fiancées » pour les futures femmes des SS (Schütz Staffeln : escouade
5548
utures femmes des SS (Schütz Staffeln : escouades
de
protection du régime, troupe sélectionnée incarnant l’idéal racial).
5549
’idéal racial). Ces femmes devaient être blondes,
de
sang aryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type de femme » se
5550
ryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type
de
femme » se trouva prescrit non par les souvenirs inconscients, ni par
5551
res mais par la section scientifique du ministère
de
la propagande. En 1938, on institua des écoles analogues pour toutes
5552
s dorénavant « au nom de l’État ». Le but dernier
de
l’entreprise ne faisait pas de doute : on en viendrait à n’autoriser
5553
». Le but dernier de l’entreprise ne faisait pas
de
doute : on en viendrait à n’autoriser plus que les unions contractées
5554
dividuels, donc des passions. À chacun sa « fiche
de
mariage ». Alors la science matrimoniale eût trouvé sa juste applicat
5555
ale eût trouvé sa juste application dans l’esprit
de
Lycurgue et de Sparte : on en eût fait l’un des chapitres de la prépa
5556
sa juste application dans l’esprit de Lycurgue et
de
Sparte : on en eût fait l’un des chapitres de la préparation militair
5557
et de Sparte : on en eût fait l’un des chapitres
de
la préparation militaire. L’expérience stalinienne n’a qu’à moitié ré
5558
à moitié réussi si l’on en croit les descriptions
de
l’état présent des mœurs de la jeunesse en URSS. Le nazisme appartien
5559
roit les descriptions de l’état présent des mœurs
de
la jeunesse en URSS. Le nazisme appartient au passé. Pourtant la tent
5560
ation totalitaire subsiste. Il n’est pas interdit
d’
imaginer qu’un jour nos démocraties y succombent, au nom d’une « scien
5561
craties y succombent, au nom d’une « science » ou
d’
une hygiène sociologique. La pratique forcée de l’eugénisme peut réuss
5562
ou d’une hygiène sociologique. La pratique forcée
de
l’eugénisme peut réussir, là où toutes nos morales échouent, entraîna
5563
tion du besoin « spirituel », et donc artificiel,
de
la passion. Alors le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe d
5564
et donc artificiel, de la passion. Alors le cycle
de
l’amour courtois sera fermé. L’Europe de la passion aura vécu. Un Occ
5565
le cycle de l’amour courtois sera fermé. L’Europe
de
la passion aura vécu. Un Occident nouveau, imprévisible, naîtra dans
5566
évisible, naîtra dans les laboratoires. 6.Sens
de
la crise Pour mieux voir notre état, regardons l’Amérique — cette
5567
tat, regardons l’Amérique — cette Europe délivrée
de
ses routines, mais aussi de ses freins traditionnels. Nulle autre civ
5568
cette Europe délivrée de ses routines, mais aussi
de
ses freins traditionnels. Nulle autre civilisation connue, depuis prè
5569
vec cette naïve assurance l’entreprise périlleuse
de
faire coïncider le mariage et « l’amour » ainsi compris, et de baser
5570
cider le mariage et « l’amour » ainsi compris, et
de
baser le premier sur le second. Pendant une grève des téléphones, en
5571
ne grève des téléphones, en 1947, les opératrices
de
la petite ville de White Plains reçurent l’appel suivant : « Mon amie
5572
ones, en 1947, les opératrices de la petite ville
de
White Plains reçurent l’appel suivant : « Mon amie et moi voulons nou
5573
on amie et moi voulons nous marier. Nous essayons
de
trouver un juge de paix. N’est-ce pas une urgence »197 ? Les opératri
5574
ire l’intitula : L’Amour est classé parmi les cas
d’
urgence. Ce petit fait banal illustre des croyances toutes naturelles
5575
là qu’il nous intéresse. Il montre que les termes
d’
« amour » et de mariage sont pratiquement équivalents ; que si l’on «
5576
ntéresse. Il montre que les termes d’« amour » et
de
mariage sont pratiquement équivalents ; que si l’on « aime » il faut
5577
; qu’enfin « l’amour » doit normalement triompher
de
tous les obstacles, ainsi que le font voir journellement films, roman
5578
journellement films, romans et bandes dessinées.
De
fait, si l’amour romanesque triomphe d’une quantité d’obstacles, il e
5579
essinées. De fait, si l’amour romanesque triomphe
d’
une quantité d’obstacles, il en est un contre lequel il se brisera pre
5580
it, si l’amour romanesque triomphe d’une quantité
d’
obstacles, il en est un contre lequel il se brisera presque toujours :
5581
est une institution faite pour durer — ou n’a pas
de
sens. Voilà le premier secret de la crise actuelle, crise qui peut se
5582
rer — ou n’a pas de sens. Voilà le premier secret
de
la crise actuelle, crise qui peut se mesurer simplement par les stati
5583
i peut se mesurer simplement par les statistiques
de
divorce, où l’Amérique tient le premier rang. Vouloir fonder le maria
5584
ier rang. Vouloir fonder le mariage sur une forme
d’
amour instable par définition, c’est travailler en fait pour l’État de
5585
travailler en fait pour l’État de Nevada. Exiger
de
n’importe quel film, fût-il sur la bombe atomique, qu’il tienne une c
5586
la bombe atomique, qu’il tienne une certaine dose
de
la drogue romanesque (plus encore qu’érotique) nommée love interest,
5587
re qu’érotique) nommée love interest, c’est faire
de
la publicité pour le virus, non pour le remède, de la maladie du mari
5588
e la publicité pour le virus, non pour le remède,
de
la maladie du mariage. La romance se nourrit d’obstacles, de brèves e
5589
, de la maladie du mariage. La romance se nourrit
d’
obstacles, de brèves excitations et de séparations ; le mariage, au co
5590
ie du mariage. La romance se nourrit d’obstacles,
de
brèves excitations et de séparations ; le mariage, au contraire, est
5591
se nourrit d’obstacles, de brèves excitations et
de
séparations ; le mariage, au contraire, est fait d’accoutumance, de p
5592
séparations ; le mariage, au contraire, est fait
d’
accoutumance, de proximité quotidienne. La romance veut « l’amour de l
5593
e mariage, au contraire, est fait d’accoutumance,
de
proximité quotidienne. La romance veut « l’amour de loin » des trouba
5594
proximité quotidienne. La romance veut « l’amour
de
loin » des troubadours ; le mariage, l’amour du « prochain ». Si donc
5595
du « prochain ». Si donc l’on s’est marié à cause
d’
une romance, une fois celle-ci évaporée, il est normal qu’à la premièr
5596
orée, il est normal qu’à la première constatation
d’
un conflit de caractères ou de goûts, l’on se demande : pourquoi suis-
5597
normal qu’à la première constatation d’un conflit
de
caractères ou de goûts, l’on se demande : pourquoi suis-je marié ? Et
5598
emière constatation d’un conflit de caractères ou
de
goûts, l’on se demande : pourquoi suis-je marié ? Et il est non moins
5599
our la romance, l’on admette la première occasion
de
tomber amoureux de quelqu’un d’autre. Et il est parfaitement logique
5600
n admette la première occasion de tomber amoureux
de
quelqu’un d’autre. Et il est parfaitement logique qu’on décide aussit
5601
première occasion de tomber amoureux de quelqu’un
d’
autre. Et il est parfaitement logique qu’on décide aussitôt de divorce
5602
il est parfaitement logique qu’on décide aussitôt
de
divorcer pour trouver dans le nouvel « amour », qui entraîne un nouve
5603
ntraîne un nouveau mariage, une nouvelle promesse
de
bonheur ; les trois mots étant synonymes. Ainsi, guérissant son ennui
5604
serment. Il le cherche au contraire par le moyen
d’
une nouvelle « expérience », considérée comme telle, et d’ailleurs aff
5605
’ailleurs affectée dès le départ des mêmes motifs
d’
échec que celles qui ont précédé. C’est pourquoi le divorce revêt en A
5606
ne rupture créant un désordre social, et la perte
d’
un patrimoine de souvenirs et d’expériences communes, l’Américain a pl
5607
t un désordre social, et la perte d’un patrimoine
de
souvenirs et d’expériences communes, l’Américain a plutôt l’impressio
5608
cial, et la perte d’un patrimoine de souvenirs et
d’
expériences communes, l’Américain a plutôt l’impression qu’il met de l
5609
unes, l’Américain a plutôt l’impression qu’il met
de
l’ordre dans sa vie et qu’il s’ouvre un nouvel avenir. L’économie de
5610
vie et qu’il s’ouvre un nouvel avenir. L’économie
de
l’épargne, une fois de plus, s’oppose ici à celle du gaspillage, comm
5611
’oppose ici à celle du gaspillage, comme le souci
de
préserver le passé à celui de faire table rase pour construire quelqu
5612
age, comme le souci de préserver le passé à celui
de
faire table rase pour construire quelque chose de plus net, sans comp
5613
n est ennemi des compromis, il est contradictoire
de
se marier. Et si l’on veut tirer une traite sur son avenir, il est fo
5614
une traite sur son avenir, il est fort imprudent
de
suggérer d’avance qu’on se réserve le droit de ne point l’honorer ; c
5615
sur son avenir, il est fort imprudent de suggérer
d’
avance qu’on se réserve le droit de ne point l’honorer ; comme le fit
5616
nt de suggérer d’avance qu’on se réserve le droit
de
ne point l’honorer ; comme le fit cette jeune milliardaire disant aux
5617
e milliardaire disant aux journalistes, la veille
de
son mariage : « C’est merveilleux de se marier pour la première fois
5618
s, la veille de son mariage : « C’est merveilleux
de
se marier pour la première fois ! » (Un an plus tard, elle divorçait.
5619
d, elle divorçait.) Sur quoi, plusieurs proposent
d’
interdire le divorce, ou de le rendre au moins très difficile. Mais c’
5620
i, plusieurs proposent d’interdire le divorce, ou
de
le rendre au moins très difficile. Mais c’est le mariage, à mon avis,
5621
r le conclure, au dédain des convenances démodées
de
milieu social et religieux, d’éducation et de fortune. On pourrait ce
5622
nvenances démodées de milieu social et religieux,
d’
éducation et de fortune. On pourrait certes imaginer de nouvelles cond
5623
ées de milieu social et religieux, d’éducation et
de
fortune. On pourrait certes imaginer de nouvelles conditions à rempli
5624
cation et de fortune. On pourrait certes imaginer
de
nouvelles conditions à remplir par les candidats au mariage — cette v
5625
e à toute alliance humaine ses meilleures chances
de
durer : buts et rythmes de vie, vocations comparées, caractères et te
5626
ses meilleures chances de durer : buts et rythmes
de
vie, vocations comparées, caractères et tempéraments. Si l’on veut le
5627
mariage, c’est-à-dire la durée, il serait normal
d’
en assurer les conditions. Mais ces réformes n’auraient que peu d’effe
5628
conditions. Mais ces réformes n’auraient que peu
d’
effet dans un monde qui a gardé, sinon la vraie passion, du moins la n
5629
dé, sinon la vraie passion, du moins la nostalgie
de
la passion, devenue congénitale à l’homme occidental. Le mariage qui
5630
ur les convenances sociales, donc du point de vue
de
l’individu, sur le hasard, avait au moins autant de chances que le ma
5631
l’individu, sur le hasard, avait au moins autant
de
chances que le mariage fondé sur « l’amour » seul. Mais toute l’évolu
5632
ondé sur « l’amour » seul. Mais toute l’évolution
de
l’Occident va de la sagesse tribale au risque individuel ; elle est i
5633
r » seul. Mais toute l’évolution de l’Occident va
de
la sagesse tribale au risque individuel ; elle est irréversible et il
5634
du mariage, en Europe comme en Amérique, résulte
d’
une pluralité de causes profondes ou prochaines, dont le culte de la r
5635
Europe comme en Amérique, résulte d’une pluralité
de
causes profondes ou prochaines, dont le culte de la romance n’est qu’
5636
de causes profondes ou prochaines, dont le culte
de
la romance n’est qu’un exemple. (Mais je me devais de le souligner da
5637
a romance n’est qu’un exemple. (Mais je me devais
de
le souligner dans cet ouvrage.) La recherche du bonheur individuel pr
5638
l primant sur la stabilité sociale, et le respect
de
l’évolution psychologique primant sur le sens du serment, peuvent êtr
5639
et dans d’autres domaines, ou à d’autres niveaux
de
la réalité, tantôt sociale, tantôt psychique. L’émancipation de la fe
5640
tantôt sociale, tantôt psychique. L’émancipation
de
la femme (son entrée dans la vie professionnelle et sa revendication
5641
e dans la vie professionnelle et sa revendication
d’
égalité) est un facteur non négligeable de la crise. La vulgarisation
5642
ication d’égalité) est un facteur non négligeable
de
la crise. La vulgarisation des connaissances psychologiques en est un
5643
e du xxe siècle, même très sommairement informés
de
l’existence des complexes freudiens, du jeu des refoulements et de l’
5644
s complexes freudiens, du jeu des refoulements et
de
l’origine des névroses, sont portés à plus d’exigence que leurs ancêt
5645
et de l’origine des névroses, sont portés à plus
d’
exigence que leurs ancêtres quant au mariage et à la vie matrimoniale.
5646
dont les premiers balbutiements ont déjà modifié
d’
une manière perceptible la conscience de l’Occident. Enfin, certains s
5647
à modifié d’une manière perceptible la conscience
de
l’Occident. Enfin, certains signes annoncent un phénomène plus profon
5648
du xiie siècle, et que je qualifiais au livre II
de
« remontée de la shakti ». Le puissant renouveau de la mariologie dan
5649
e, et que je qualifiais au livre II de « remontée
de
la shakti ». Le puissant renouveau de la mariologie dans l’Église cat
5650
« remontée de la shakti ». Le puissant renouveau
de
la mariologie dans l’Église catholique et ses masses populaires ; les
5651
ses masses populaires ; les travaux tout récents
de
C. G. Jung et de son école sur la Sophia, Sagesse et Vierge-Mère éter
5652
aires ; les travaux tout récents de C. G. Jung et
de
son école sur la Sophia, Sagesse et Vierge-Mère éternelle198 ; et par
5653
ailleurs (vraiment ailleurs !) dans l’avant-garde
de
la littérature européenne, le regain d’intérêt pour le catharisme, l’
5654
ant-garde de la littérature européenne, le regain
d’
intérêt pour le catharisme, l’exaltation de la « Femme-Enfant » salvat
5655
regain d’intérêt pour le catharisme, l’exaltation
de
la « Femme-Enfant » salvatrice de l’homme rationnel, ou l’annonce rép
5656
e, l’exaltation de la « Femme-Enfant » salvatrice
de
l’homme rationnel, ou l’annonce répétée d’une revanche imminente du p
5657
atrice de l’homme rationnel, ou l’annonce répétée
d’
une revanche imminente du principe féminin sur le patriarcat199 — tout
5658
cat199 — tout cela fait pressentir la possibilité
d’
une vaste évolution de la psyché moderne, dont le principe et le sens
5659
t pressentir la possibilité d’une vaste évolution
de
la psyché moderne, dont le principe et le sens nous demeurent cachés,
5660
mais qui donnera peut-être aux historiens futurs
de
notre société occidentale, la clé d’une crise dont nous ne voyons enc
5661
riens futurs de notre société occidentale, la clé
d’
une crise dont nous ne voyons encore que des symptômes superficiels, s
5662
« résoudre » les contradictions qu’endurent tant
d’
hommes et de femmes dans leur mariage. Des synthèses se préparent, peu
5663
» les contradictions qu’endurent tant d’hommes et
de
femmes dans leur mariage. Des synthèses se préparent, peut-être, obsc
5664
individuelle. Toute solution que je serais tenté
de
proposer, fût-elle jugée « la bonne » par le siècle à venir, serait a
5665
par le siècle à venir, serait aujourd’hui frappée
d’
inefficacité, ou si elle pouvait agir, ferait plus de mal que de bien.
5666
nefficacité, ou si elle pouvait agir, ferait plus
de
mal que de bien. Si je l’avais trouvée, et si j’avais le pouvoir de l
5667
, ou si elle pouvait agir, ferait plus de mal que
de
bien. Si je l’avais trouvée, et si j’avais le pouvoir de l’imposer à
5668
. Si je l’avais trouvée, et si j’avais le pouvoir
de
l’imposer à mes contemporains, je me garderais d’en rien faire. C’est
5669
de l’imposer à mes contemporains, je me garderais
d’
en rien faire. C’est qu’une crise de cet ordre n’est pas un accident.
5670
me garderais d’en rien faire. C’est qu’une crise
de
cet ordre n’est pas un accident. Tenter de la couper, comme on le fai
5671
crise de cet ordre n’est pas un accident. Tenter
de
la couper, comme on le fait d’une fièvre, serait bien moins la guérir
5672
n accident. Tenter de la couper, comme on le fait
d’
une fièvre, serait bien moins la guérir que nous priver de nos chances
5673
èvre, serait bien moins la guérir que nous priver
de
nos chances d’en comprendre un jour le secret. Et ce serait en même t
5674
en moins la guérir que nous priver de nos chances
d’
en comprendre un jour le secret. Et ce serait en même temps une sorte
5675
r le secret. Et ce serait en même temps une sorte
de
tricherie, soit que la solution n’apporte en vérité qu’un essai de re
5676
t que la solution n’apporte en vérité qu’un essai
de
retour à l’équilibre ancien, dont la crise même dénonce toute la préc
5677
e sauraient être évalués tant que le sens général
de
la crise nous échappe. Il s’agit bien plutôt de déchiffrer le message
5678
l de la crise nous échappe. Il s’agit bien plutôt
de
déchiffrer le message et de décoder patiemment les nouvelles ambiguës
5679
Il s’agit bien plutôt de déchiffrer le message et
de
décoder patiemment les nouvelles ambiguës que la crise nous apporte s
5680
voltes, nos illusions naïves, nos péchés. Essayer
de
résoudre notre crise du mariage par des mesures morales, sociales ou
5681
sociales ou scientifiques, déduites du seul désir
d’
arrêter les dégâts, ne serait-ce pas lui dénier arbitrairement le cara
5682
irement le caractère qu’elle semble avoir : celui
de
la recherche, presque aveugle encore, d’un nouvel équilibre du couple
5683
: celui de la recherche, presque aveugle encore,
d’
un nouvel équilibre du couple. Équilibre tendu entre les exigences tou
5684
es toujours simultanées, contraires et légitimes,
de
la stabilité et de l’évolution, de l’espèce et de l’individu, enfin d
5685
nées, contraires et légitimes, de la stabilité et
de
l’évolution, de l’espèce et de l’individu, enfin de l’accomplissement
5686
et légitimes, de la stabilité et de l’évolution,
de
l’espèce et de l’individu, enfin de l’accomplissement de la personne
5687
de la stabilité et de l’évolution, de l’espèce et
de
l’individu, enfin de l’accomplissement de la personne et de l’Absolu
5688
l’évolution, de l’espèce et de l’individu, enfin
de
l’accomplissement de la personne et de l’Absolu qui seul la suscite e
5689
pèce et de l’individu, enfin de l’accomplissement
de
la personne et de l’Absolu qui seul la suscite et la juge. 187. Vo
5690
idu, enfin de l’accomplissement de la personne et
de
l’Absolu qui seul la suscite et la juge. 187. Voir sur ce point :
5691
ique se justifierait soit par le récit du miracle
de
Cana (« simple hypothèse », dit l’auteur) ; soit par le passage où Jé
5692
parer ce que Dieu a uni ; soit par des entretiens
de
Jésus ressuscité et de ses disciples « que les Évangélistes et les Ac
5693
; soit par des entretiens de Jésus ressuscité et
de
ses disciples « que les Évangélistes et les Actes mentionnent sans le
5694
hares, nous l’avons vu, la véritable faute, c’est
d’
avoir « consommé » dans la chair cet adultère. 190. L’aventure fameus
5695
s la chair cet adultère. 190. L’aventure fameuse
de
la princesse de C… donna lieu au début du siècle à toute une littérat
5696
toute une littérature romanesque. Quant au thème
de
l’ouvrier ou du chauffeur qui « mérite » la fille du patron, il fut a
5697
film allemand, sous l’hitlérisme. 191. Le titre
d’
un roman de Max Brod, Die Frau nach der man sich sehnt (la femme que l
5698
and, sous l’hitlérisme. 191. Le titre d’un roman
de
Max Brod, Die Frau nach der man sich sehnt (la femme que l’on désire,
5699
an sich sehnt (la femme que l’on désire, la femme
de
notre nostalgie), est la meilleure définition d’Iseut. L’amour-passio
5700
de notre nostalgie), est la meilleure définition
d’
Iseut. L’amour-passion veut « la Princesse lointaine » tandis que l’am
5701
répondu à la décision des évêques anglicans dite
de
Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et d’Oxford (toutes les
5702
nglicans dite de Lambeth. Les Congrès œcuméniques
de
Stockholm et d’Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également
5703
Lambeth. Les Congrès œcuméniques de Stockholm et
d’
Oxford (toutes les Églises non romaines) ont également touché le probl
5704
que l’amour sexuel pouvait avoir un autre but que
de
concourir à l’explosion démographique. 194. Il serait curieux de r
5705
xplosion démographique. 194. Il serait curieux
de
retrouver quel est l’auteur — évidemment moderne — qui a parlé le pre
5706
eur — évidemment moderne — qui a parlé le premier
d’
un « problème sexuel ». Fourier peut-être ? Ou Proudhon ? Cela doit se
5707
aux environs des années 1820-1830, pour une série
de
raisons sociologiques et économiques que je ne saurais exposer ici.
5708
économiques que je ne saurais exposer ici. Note
de
1970. Fourier, étonnant précurseur de Freud, parle beaucoup d’instinc
5709
ici. Note de 1970. Fourier, étonnant précurseur
de
Freud, parle beaucoup d’instinct, de passion, d’érotisme et d’amour «
5710
ier, étonnant précurseur de Freud, parle beaucoup
d’
instinct, de passion, d’érotisme et d’amour « matériel » ou « tact »,
5711
t précurseur de Freud, parle beaucoup d’instinct,
de
passion, d’érotisme et d’amour « matériel » ou « tact », mais jamais
5712
de Freud, parle beaucoup d’instinct, de passion,
d’
érotisme et d’amour « matériel » ou « tact », mais jamais de « sexuali
5713
le beaucoup d’instinct, de passion, d’érotisme et
d’
amour « matériel » ou « tact », mais jamais de « sexualité » ou de « s
5714
et d’amour « matériel » ou « tact », mais jamais
de
« sexualité » ou de « sexuel » — termes auxquels recourt souvent Prou
5715
el » ou « tact », mais jamais de « sexualité » ou
de
« sexuel » — termes auxquels recourt souvent Proudhon dans La Pornocr
5716
he, Kierkegaard discute longuement les catégories
de
« sensualité » et « sexualité » (synonymes pour lui) dont il montre l
5717
désigne. C’est une combinaison à doses variables
de
sentimentalisme et de sexualité, de jeu et de tragique à bon marché,
5718
mbinaison à doses variables de sentimentalisme et
de
sexualité, de jeu et de tragique à bon marché, de glamour et de désir
5719
ses variables de sentimentalisme et de sexualité,
de
jeu et de tragique à bon marché, de glamour et de désir instinctif, d
5720
les de sentimentalisme et de sexualité, de jeu et
de
tragique à bon marché, de glamour et de désir instinctif, de morale c
5721
de sexualité, de jeu et de tragique à bon marché,
de
glamour et de désir instinctif, de morale conformiste et d’aventure p
5722
de jeu et de tragique à bon marché, de glamour et
de
désir instinctif, de morale conformiste et d’aventure personnelle. C’
5723
à bon marché, de glamour et de désir instinctif,
de
morale conformiste et d’aventure personnelle. C’est Hollywood. 197.
5724
et de désir instinctif, de morale conformiste et
d’
aventure personnelle. C’est Hollywood. 197. My girl and I want to ge
5725
ied as an emergency. 198. Cf. Antwort auf Hiob,
de
C. G. Jung (1952), ouvrage dans lequel l’auteur n’hésite pas à écrire
5726
pas à écrire que la proclamation en 1950 du dogme
de
l’Assomption de la Vierge marque l’événement religieux le plus import
5727
la proclamation en 1950 du dogme de l’Assomption
de
la Vierge marque l’événement religieux le plus important depuis la Ré
5728
s important depuis la Réforme. Voir aussi l’étude
d’
Henry Corbin sur la Sophia éternelle, in Revue de culture européenne,
5729
d’Henry Corbin sur la Sophia éternelle, in Revue
de
culture européenne, 5, 1953. 199. Voir notamment, outre les ouvrages
5730
e et l’amour courtois, des livres comme Arcane 17
d’
André Breton, les romans lyriques de Julien Gracq, les recherches de R
5731
mme Arcane 17 d’André Breton, les romans lyriques
de
Julien Gracq, les recherches de Robert Graves sur la Grande Déesse, e
5732
s romans lyriques de Julien Gracq, les recherches
de
Robert Graves sur la Grande Déesse, et d’Adrian Turel sur le matriarc
5733
herches de Robert Graves sur la Grande Déesse, et
d’
Adrian Turel sur le matriarcat.
5734
Livre VIIL’amour action, ou
de
la fidélité 1.Nécessité d’un parti pris À l’heure où cet ouvra
5735
L’amour action, ou de la fidélité 1.Nécessité
d’
un parti pris À l’heure où cet ouvrage touche à sa conclusion, il m
5736
core. L’aveu sera jugé insolite. Mais je pressens
d’
assez profondes raisons de le consentir. J’ai voulu décrire la passion
5737
olite. Mais je pressens d’assez profondes raisons
de
le consentir. J’ai voulu décrire la passion comme une entité historiq
5738
n décrire la passion ? On ne décrit pas une forme
d’
existence sans y participer, fût-ce même par une révolte contre la déc
5739
ui se définirait elle-même comme une condamnation
de
la passion : il suffit, pour l’apercevoir, d’observer que la passion,
5740
ion de la passion : il suffit, pour l’apercevoir,
d’
observer que la passion, quelle qu’elle soit, ne peut ni ne veut « avo
5741
on, dès l’instant qu’on parle raison. Car l’homme
de
la passion est justement celui qui choisit d’être dans son tort, aux
5742
mme de la passion est justement celui qui choisit
d’
être dans son tort, aux yeux du monde — et dans ce tort majeur, irrévo
5743
e tort majeur, irrévocable, que signifie le choix
de
la mort contre la vie. Et comment échapper au démon que l’on fixe d’u
5744
a vie. Et comment échapper au démon que l’on fixe
d’
un œil fasciné ? Pour attaquer la passion dans l’amour il faudrait dév
5745
iolence spirituelle qui tuât mieux que la passion
d’
amour : celle au moins de l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mai
5746
uât mieux que la passion d’amour : celle au moins
de
l’orthodoxie contre l’hérésie primitive, mais encore plus agressive,
5747
ns doute, puisqu’il n’est plus question pour nous
de
recourir au bras séculier. (Sans compter que la Croisade, au total, f
5748
avant tout et après tout, à l’origine et à la fin
de
la passion, il n’y a pas une « erreur » sur l’homme ou Dieu — a forti
5749
rreur « morale » — mais une décision fondamentale
de
l’homme, qui veut être lui-même son dieu200. La passion brûle dans no
5750
eté du moraliste qui prétendait détourner l’homme
de
cette voie mortelle, divinisante, en lui « prouvant » qu’elle débouch
5751
dans sa perte, en lui opposant toutes les raisons
de
la terre, et les conseils de tous nos arts de vivre, quand c’est la t
5752
t toutes les raisons de la terre, et les conseils
de
tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la
5753
ons de la terre, et les conseils de tous nos arts
de
vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la fa
5754
e tuer autrement qu’il ne veut l’être, c’est bien
de
cela, de cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion.
5755
trement qu’il ne veut l’être, c’est bien de cela,
de
cela seul qu’il s’agit, pour qui veut surpasser la passion. Quant à s
5756
era, c’est son hygiène. Il y a toutes les raisons
de
le prévoir, dans une époque où l’on confond thérapeutique et sotériol
5757
l’on confond thérapeutique et sotériologie (lois
de
l’hygiène et doctrine du salut). À vues humaines, la guérison de nos
5758
doctrine du salut). À vues humaines, la guérison
de
nos passions viendra de l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le po
5759
l’État, ce Sauveur anonyme qui assumera le poids
de
toutes nos fautes, et de la faute initiale de vivre, pour les glorifi
5760
me qui assumera le poids de toutes nos fautes, et
de
la faute initiale de vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom
5761
ids de toutes nos fautes, et de la faute initiale
de
vivre, pour les glorifier dans la guerre au nom de l’innocence du Peu
5762
i, ici et maintenant, le problème ne comporte pas
d’
échappatoire dans le temps à venir. S’il n’est peut-être pas possible
5763
e pas possible à l’homme — à un homme déterminé —
de
connaître ses propres désirs et de sonder en vérité ses préférences l
5764
me déterminé — de connaître ses propres désirs et
de
sonder en vérité ses préférences les plus secrètes, du moins peut-il
5765
c un parti pris tout personnel que je vais tenter
de
définir maintenant, et après coup, tel que je le reconnais dans ma vi
5766
ce. 2.Critique du mariage Si je ne vois pas
de
raison qui tienne contre la passion véritable, il m’apparaît en secon
5767
meilleurs esprits demeurent absolument valables.
De
tout temps, les raisons du philistin ont eu mauvaise conscience devan
5768
use « paix du foyer » n’existe guère qu’au niveau
d’
une certaine éloquence moyenne, politicienne, bourgeoise ou édifiante.
5769
iale, vous verrez que cela va, neuf fois sur dix,
de
l’agitation des petits soins à la criaillerie délirante. Enregistrez
5770
délirante. Enregistrez sur disque, au hasard, un
de
ces entretiens « paisibles » qui agrémentent le « foyer domestique »
5771
isibles » qui agrémentent le « foyer domestique »
d’
un bourgeois ou d’un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se
5772
mentent le « foyer domestique » d’un bourgeois ou
d’
un ouvrier : la censure pour un coup trouverait à se justifier. Oui, l
5773
larent au nom de leur vocation qu’il faut choisir
de
faire des livres ou des enfants : aut liberi aut libri disait Nietzsc
5774
e étant la suprême valeur du « stade esthétique »
de
la vie ; puis la surmonte en exaltant le mariage, suprême valeur du «
5775
et le romantique, et leur donner raison au point
de
leur faire honte d’avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin, i
5776
t leur donner raison au point de leur faire honte
d’
avoir parfois douté d’eux-mêmes ; mais à la fin, il n’écrase pas seule
5777
u point de leur faire honte d’avoir parfois douté
d’
eux-mêmes ; mais à la fin, il n’écrase pas seulement ce philistin qui
5778
écrase pas seulement ce philistin qui se contente
d’
épouser la veuve du brasseur, ou ce jeune fou qui aime la fille du roi
5779
re leur moralisme ; et les croyants aux arguments
de
saint Paul, qui valent contre leur humanisme. Que dit l’Apôtre ? Je
5780
l’Apôtre ? Je pense qu’il est bon pour l’homme
de
ne point toucher de femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que c
5781
se qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher
de
femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme,
5782
rps, mais c’est la femme. Ne vous privez pas l’un
de
l’autre, si ce n’est d’un commun accord pour un temps, afin de vaquer
5783
. Ne vous privez pas l’un de l’autre, si ce n’est
d’
un commun accord pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis reto
5784
n de vaquer à la prière ; puis retournez ensemble
de
peur que Satan ne vous tente par votre incontinence. Je dis cela par
5785
ais pas un ordre… Car il vaut mieux se marier que
de
brûler… Que chacun marche selon la part que le Seigneur lui a faite,
5786
Seigneur lui a faite, selon l’appel qu’il a reçu
de
Dieu… Que chacun, frères, demeure devant Dieu dans l’état où il était
5787
sant du monde comme n’en usant pas, car la figure
de
ce monde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup de grâce ; Cel
5788
onde passe. (I, Cor., 7, 1-32.) Et voici le coup
de
grâce ; Celui qui n’est pas marié s’inquiète des choses du Seigneur,
5789
rié s’inquiète des choses du Seigneur, des moyens
de
plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du m
5790
marié s’inquiète des choses du monde, des moyens
de
plaire à sa femme (v. 32). ⁂ Tout ce qu’on peut dire contre le maria
5791
r, pour ceux qui croient. Il n’est possible alors
d’
affirmer le mariage qu’au-delà des deux premières critiques et en chem
5792
intenant sans cesse présente l’exigence inhumaine
de
perfection, comme une question perpétuelle, un aiguillon qui empêche
5793
ne question perpétuelle, un aiguillon qui empêche
de
retomber sous le coup des objections humaines. Si j’oublie cet au-del
5794
s. Si j’oublie cet au-delà du mariage, mais aussi
de
tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume de Dieu (« Il n’y aura pl
5795
si de tout ordre humain, qui s’appelle le Royaume
de
Dieu (« Il n’y aura plus ni hommes ni femmes »), je borne ma vision e
5796
il ne me reste que la révolte contre ma condition
de
créature. ; et au contraire, si je l’atteins trop aisément, je devien
5797
ris dans les rets sociaux, et incapable désormais
de
concevoir les vérités « cruelles » de l’esprit, dont parle Nietzsche.
5798
e désormais de concevoir les vérités « cruelles »
de
l’esprit, dont parle Nietzsche. Mais si je sais que l’Apôtre a raison
5799
ision Si l’on songe à ce que signifie le choix
d’
une femme pour toute la vie, l’on en vient à cette conclusion : choisi
5800
populaire et bourgeoise recommande au jeune homme
de
« réfléchir » avant de prendre une décision : elle l’entretient ainsi
5801
e l’entretient ainsi dans l’illusion que le choix
d’
une femme dépend d’un certain nombre de raisons qu’il serait possible
5802
i dans l’illusion que le choix d’une femme dépend
d’
un certain nombre de raisons qu’il serait possible de peser. Cette err
5803
e le choix d’une femme dépend d’un certain nombre
de
raisons qu’il serait possible de peser. Cette erreur du bon sens est
5804
n certain nombre de raisons qu’il serait possible
de
peser. Cette erreur du bon sens est tout à fait grossière. Vous aurez
5805
est tout à fait grossière. Vous aurez beau tenter
de
mettre au départ toutes les chances de votre côté — et je suppose que
5806
eau tenter de mettre au départ toutes les chances
de
votre côté — et je suppose que la vie vous laisse le temps de calcule
5807
é — et je suppose que la vie vous laisse le temps
de
calculer — jamais vous ne pourrez prévoir votre future évolution, et
5808
oir votre future évolution, et encore moins celle
de
l’épouse choisie, encore bien moins celle du couple formé. Les facteu
5809
si leur nombre était fini) et que vous disposiez
d’
une telle science de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et
5810
t fini) et que vous disposiez d’une telle science
de
l’humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évi
5811
e évidente, encore ne sauriez-vous prévoir la fin
d’
une union faite en connaissance de causes. Il a fallu, dit-on, plusieu
5812
prévoir la fin d’une union faite en connaissance
de
causes. Il a fallu, dit-on, plusieurs milliers de millénaires à la na
5813
de causes. Il a fallu, dit-on, plusieurs milliers
de
millénaires à la nature pour sélectionner les espèces qui nous parais
5814
araissent adaptées. Et nous aurions la prétention
de
résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de
5815
aptées. Et nous aurions la prétention de résoudre
d’
un coup, en une seule vie, le problème de l’adaptation de deux êtres p
5816
résoudre d’un coup, en une seule vie, le problème
de
l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement org
5817
up, en une seule vie, le problème de l’adaptation
de
deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est
5818
qu’un troisième essai le rapprochera sensiblement
de
son « bonheur ». Alors que tout nous montre que cent-mille essais ne
5819
remiers éléments, tout balbutiants et empiriques,
d’
une science du « mariage heureux ».) Il faut le reconnaître honnêtemen
5820
osé par la nécessité pratique du mariage apparaît
d’
autant plus insoluble que l’on tient davantage à le « résoudre » au se
5821
ent davantage à le « résoudre » au sens rationnel
de
ce terme. Certes, il y a du sophisme dans mon raisonnement : car tout
5822
ophisme dans mon raisonnement : car tout se passe
d’
ordinaire comme si le bonheur des époux dépendait en réalité d’un nomb
5823
omme si le bonheur des époux dépendait en réalité
d’
un nombre fini de facteurs : caractère, physique, fortune, rang social
5824
r des époux dépendait en réalité d’un nombre fini
de
facteurs : caractère, physique, fortune, rang social… Mais pour peu q
5825
ncite les jeunes fiancés à calculer leurs chances
de
bonheur, on détourne leur attention du problème proprement éthique. E
5826
ention du problème proprement éthique. En tentant
de
réduire ou de dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement
5827
lème proprement éthique. En tentant de réduire ou
de
dissimuler le caractère de pari que revêt objectivement un choix de c
5828
tentant de réduire ou de dissimuler le caractère
de
pari que revêt objectivement un choix de cet ordre, on donne à croire
5829
aractère de pari que revêt objectivement un choix
de
cet ordre, on donne à croire que tout se ramène à une sagesse, à un s
5830
e qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler
d’
une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la
5831
Et la seule garantie concevable est dans la force
de
la décision en vertu de laquelle on s’engage pour toute la vie « advi
5832
esure où l’on se persuade qu’il s’agit avant tout
de
calcul. D’où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mar
5833
on se persuade qu’il s’agit avant tout de calcul.
D’
où je conclus qu’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au
5834
plus conforme à l’essence du mariage, et au réel,
d’
enseigner aux jeunes gens que leur choix relève toujours d’une sorte d
5835
er aux jeunes gens que leur choix relève toujours
d’
une sorte d’arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heur
5836
s gens que leur choix relève toujours d’une sorte
d’
arbitraire, dont ils s’engagent à assumer les suites, heureuses ou non
5837
reuses ou non. Ce n’est pas là un éloge du « coup
de
tête » : car tant que l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide
5838
ue l’on peut calculer, j’admets qu’il est stupide
de
s’en priver. Mais je dis que la garantie d’une union raisonnable dans
5839
upide de s’en priver. Mais je dis que la garantie
d’
une union raisonnable dans les apparences n’est jamais dans ces appare
5840
apparences. Elle est dans l’événement irrationnel
d’
une décision prise en dépit de tout, et qui fonde une nouvelle existen
5841
n’est pas dire à Mlle Untel : « Vous êtes l’idéal
de
mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l’Iseut
5842
êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie
d’
une dot adéquate — dont je veux être le Tristan. » Car ce serait là me
5843
il faut n’avoir connu que peu de solitude et peu
d’
angoisse, très peu de solitaire angoisse.) Seule une décision de cet o
5844
ès peu de solitaire angoisse.) Seule une décision
de
cet ordre, irrationnelle mais non sentimentale, sobre mais sans aucun
5845
ntale, sobre mais sans aucun cynisme, peut servir
de
point de départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidéli
5846
bre mais sans aucun cynisme, peut servir de point
de
départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui so
5847
je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette
de
« bonheur », mais bien à une fidélité qui soit possible, n’étant pas
5848
lité On fausse l’éthique du mariage en faisant
de
la promesse de fidélité un problème, alors que le problème ne devrait
5849
se l’éthique du mariage en faisant de la promesse
de
fidélité un problème, alors que le problème ne devrait se poser qu’à
5850
e on fausse la théologie en partant du « problème
de
Dieu » — exactement comme si l’on ne croyait pas — alors que le seul
5851
croyait pas — alors que le seul vrai problème est
de
savoir comment Lui obéir.) Car la fidélité est sans raisons — ou elle
5852
le n’est pas — comme tout ce qui porte une chance
de
grandeur. (Comme la passion !) Les moralistes et certains sociologues
5853
Les moralistes et certains sociologues ont essayé
de
prouver que la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est saluta
5854
la raison et l’intérêt : quand ils n’auront plus
de
passions, quand ils cesseront de préférer l’erreur comme telle, quand
5855
ls n’auront plus de passions, quand ils cesseront
de
préférer l’erreur comme telle, quand ils cesseront de mériter cet inq
5856
référer l’erreur comme telle, quand ils cesseront
de
mériter cet inquiétant nom d’homme, au sens actuel. Car pour ceux du
5857
quand ils cesseront de mériter cet inquiétant nom
d’
homme, au sens actuel. Car pour ceux du siècle présent, je pense que l
5858
leur langage, la fidélité conjugale est le succès
d’
un effort « inhumain ». Leur revendication fondamentale, leur religion
5859
». Leur revendication fondamentale, leur religion
de
la Vie, s’y oppose diamétralement. Ils considèrent la fidélité comme
5860
stention prudente… Ou encore ils y voient l’effet
d’
une impuissance à vivre largement ; d’un goût mesquin pour le confort
5861
ent l’effet d’une impuissance à vivre largement ;
d’
un goût mesquin pour le confort et le conforme ; d’un défaut d’imagina
5862
’un goût mesquin pour le confort et le conforme ;
d’
un défaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’in
5863
quin pour le confort et le conforme ; d’un défaut
d’
imagination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordid
5864
fort et le conforme ; d’un défaut d’imagination ;
d’
une timidité méprisable ; d’un calcul d’intérêt sordide… L’habitude de
5865
éfaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ;
d’
un calcul d’intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acqu
5866
ination ; d’une timidité méprisable ; d’un calcul
d’
intérêt sordide… L’habitude des modernes, leur nature acquise, c’est d
5867
habitude des modernes, leur nature acquise, c’est
d’
exploiter chaque situation au maximum et pour elle-même, sans plus se
5868
jouissance qu’on en tire. Seul un respect acquis
de
l’ordre social soutient encore, en fait, l’idée de fidélité. Mais l’o
5869
e l’ordre social soutient encore, en fait, l’idée
de
fidélité. Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne de tous les
5870
. Mais l’obstacle n’est pas sérieux, on le tourne
de
tous les côtés. Voyez les excuses invoquées par le mari qui trompe sa
5871
trompe sa femme ; il dit tantôt : « Cela n’a pas
d’
importance, cela ne change rien à nos rapports, c’est une passade, une
5872
rtant que toutes vos petites morales et garanties
de
bonheur bourgeois ! » Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas
5873
» Du cynisme au tragique romantique, il n’y a pas
de
contradiction profonde, nous l’avons vu, la gauloiserie n’étant pas m
5874
ue la passion une évasion hors du réel, une façon
de
l’idéaliser. Dans les deux cas, il s’agit de s’évader hors de tout en
5875
açon de l’idéaliser. Dans les deux cas, il s’agit
de
s’évader hors de tout engagement concret considéré comme une odieuse
5876
gie rationaliste ou hédoniste, je ne parlerai que
d’
une fidélité observée en vertu de l’absurde, parce qu’on s’y est engag
5877
e commune en la valeur révélatrice du spontané et
de
la multiplicité des expériences. Elle nie que l’être aimé doive réuni
5878
être ou pour rester aimable, le plus grand nombre
de
qualités possible. Elle nie que le but de la fidélité soit le bonheur
5879
nombre de qualités possible. Elle nie que le but
de
la fidélité soit le bonheur. Elle affirme scandaleusement que c’est a
5880
rité que l’on croit, et en second lieu la volonté
de
faire une œuvre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce de cons
5881
vre. Car la fidélité n’est pas du tout une espèce
de
conservatisme. Elle est plutôt une construction. « Absurde » au moins
5882
au moins autant que la passion, elle se distingue
de
la passion par un refus constant de subir ses rêves, par un besoin co
5883
se distingue de la passion par un refus constant
de
subir ses rêves, par un besoin constant d’agir pour l’être aimé, par
5884
nstant de subir ses rêves, par un besoin constant
d’
agir pour l’être aimé, par une constante prise sur le réel, qu’elle ch
5885
le s’édifie à la manière d’une œuvre, à la faveur
d’
une œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à
5886
rois supposent un parti pris, ou mieux, une prise
de
parti, au sens actif de l’expression, une attitude fondamentale de cr
5887
pris, ou mieux, une prise de parti, au sens actif
de
l’expression, une attitude fondamentale de créateur. Ainsi, dans la p
5888
actif de l’expression, une attitude fondamentale
de
créateur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse de fidélité int
5889
teur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse
de
fidélité introduit une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan
5890
vie, la promesse de fidélité introduit une chance
de
faire œuvre, et de s’élever au plan de la personne. (À condition bien
5891
fidélité introduit une chance de faire œuvre, et
de
s’élever au plan de la personne. (À condition bien entendu que cette
5892
une chance de faire œuvre, et de s’élever au plan
de
la personne. (À condition bien entendu que cette promesse ne soit pas
5893
as faite pour des « raisons » que l’on se réserve
de
répudier un jour, quand elles cesseront de paraître raisonnables ! Si
5894
éserve de répudier un jour, quand elles cesseront
de
paraître raisonnables ! Si la promesse du mariage est le type même de
5895
bles ! Si la promesse du mariage est le type même
de
l’acte sérieux, c’est dans la mesure où elle est faite une fois pour
5896
e la plus déshéritée, détient sa chance immédiate
de
grandeur, et c’est dans la fidélité « absurde » qu’elle pourra la réa
5897
r : quand il y aurait toutes les raisons du monde
de
dire oui à cette passion éblouissante, — dire non en vertu de l’absur
5898
u de l’absurde, en vertu d’une promesse ancienne,
d’
une déraison humaine, d’une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu
5899
d’une promesse ancienne, d’une déraison humaine,
d’
une raison de foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et pe
5900
se ancienne, d’une déraison humaine, d’une raison
de
foi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus
5901
nne, d’une déraison humaine, d’une raison de foi,
d’
une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… (Et peut-être, plus tard, a
5902
compense la perte : nous sommes ici dans un ordre
de
grandeur où nos mesures et nos équivalences n’ont plus cours.) Mais s
5903
-nous encore imaginer une grandeur qui n’ait rien
de
romantique ? Et qui soit le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidél
5904
ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire
d’
une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parle est une folie, mais la
5905
lie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie
de
sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’est pas un héroïsme
5906
èle. (Pour ne rien dire des successives fidélités
de
nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des
5907
des successives fidélités de nos « liaisons », et
de
tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti.) O
5908
reconnu dans sa femme une Iseut ? Lorsque l’amant
de
la légende manichéenne a traversé les grandes épreuves d’initiation,
5909
gende manichéenne a traversé les grandes épreuves
d’
initiation, souvenez-vous de la « jeune fille éblouissante » qui l’acc
5910
les grandes épreuves d’initiation, souvenez-vous
de
la « jeune fille éblouissante » qui l’accueille par ces paroles : « J
5911
le par ces paroles : « Je suis toi-même ! » Ainsi
de
la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un narcissisme mystique, m
5912
is toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et
de
Tristan. C’est un narcissisme mystique, mais qui s’ignore, naturellem
5913
an n’aime pas Iseut mais l’amour même, et au-delà
de
cet amour, la mort, c’est-à-dire la seule délivrance du moi coupable
5914
us profonde et secrète passion. Le mythe s’empare
de
l’« instinct de mort » inséparable de toute vie créée, et il le trans
5915
ecrète passion. Le mythe s’empare de l’« instinct
de
mort » inséparable de toute vie créée, et il le transfigure en lui do
5916
he s’empare de l’« instinct de mort » inséparable
de
toute vie créée, et il le transfigure en lui donnant un but essentiel
5917
re, mépriser son bonheur, c’est alors une manière
de
se sauver et d’accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Is
5918
bonheur, c’est alors une manière de se sauver et
d’
accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Isolde agonisante.
5919
accéder à une vie supérieure, la « joie suprême »
d’
Isolde agonisante. Fidélité qui consume la vie, mais qui consume aussi
5920
faute, et divinise un moi purifié, « innocent » !
De
ces origines mystiques, la « fidélité passionnée » n’a gardé parmi no
5921
passionnée » n’a gardé parmi nous que l’illusion
d’
accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire de cette illusion trahit
5922
n d’accéder à une vie plus ardente. Mais l’empire
de
cette illusion trahit encore l’obscure survivance de la religion prim
5923
cette illusion trahit encore l’obscure survivance
de
la religion primitive. Religion antérieure à notre « instinct » moder
5924
nstinct » moderne, et qui détient l’intime secret
de
la passion, au-delà de ce que les psychologues peuvent y lire. « Notr
5925
ui détient l’intime secret de la passion, au-delà
de
ce que les psychologues peuvent y lire. « Notre engagement n’était pa
5926
nt à sa fiancée perdue. C’est l’émouvante formule
de
la fidélité courtoise ; une négation sans retour de la vie. Mais la f
5927
la fidélité courtoise ; une négation sans retour
de
la vie. Mais la fidélité dans le mariage est au contraire un engageme
5928
ntraire un engagement pris pour ce monde. Partant
d’
une déraison « mystique » (si l’on veut), indifférente, sinon hostile
5929
aime voue sa fidélité. Et tandis que la fidélité
de
Tristan était un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la
5930
de Tristan était un perpétuel refus, une volonté
d’
exclure et de nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde
5931
tait un perpétuel refus, une volonté d’exclure et
de
nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde d’envahir l’â
5932
exclure et de nier la création dans sa diversité,
d’
empêcher le monde d’envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil
5933
a création dans sa diversité, d’empêcher le monde
d’
envahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil de la créature, la
5934
nvahir l’âme, la fidélité des époux est l’accueil
de
la créature, la volonté d’accepter l’autre tel qu’il est, dans son in
5935
es époux est l’accueil de la créature, la volonté
d’
accepter l’autre tel qu’il est, dans son intime singularité. Insistons
5936
t ; elle ne peut être qu’une action. Se contenter
de
ne pas tromper sa femme serait une preuve d’indigence et non d’amour.
5937
nter de ne pas tromper sa femme serait une preuve
d’
indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bi
5938
per sa femme serait une preuve d’indigence et non
d’
amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’être aimé,
5939
r. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien
de
l’être aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle
5940
l’autre, que le moi rejoint sa personne — au-delà
de
son propre bonheur. Ainsi la personne des époux est une mutuelle créa
5941
tuelle création, elle est le double aboutissement
de
« l’amour-action ». Ce qui niait l’individu et son naturel égoïsme, c
5942
uvrira que la fidélité dans le mariage est la loi
d’
une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la poly
5943
iage est la loi d’une vie nouvelle ; et non point
de
la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pou
5944
naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus
de
la vie pour la mort (c’était la passion de Tristan). L’amour de Trist
5945
n plus de la vie pour la mort (c’était la passion
de
Tristan). L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deu
5946
la mort (c’était la passion de Tristan). L’amour
de
Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deux\ et son aboutisseme
5947
ait la passion de Tristan). L’amour de Tristan et
d’
Iseut c’était l’angoisse d’être deux\ et son aboutissement suprême, c’
5948
L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse
d’
être deux\ et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illim
5949
les visages, les destins singuliers : « Non plus
d’
Isolde, plus de Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut qu
5950
es destins singuliers : « Non plus d’Isolde, plus
de
Tristan, plus aucun nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse
5951
nom qui nous sépare ! » Il faut que l’autre cesse
d’
être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir
5952
être l’autre, donc ne soit plus, pour qu’il cesse
de
me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus que « moi-le-monde » ! Mais
5953
i-le-monde » ! Mais l’amour du mariage est la fin
de
l’angoisse, l’acceptation de l’être limité, aimé parce qu’il m’appell
5954
u mariage est la fin de l’angoisse, l’acceptation
de
l’être limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tou
5955
(Il y a toujours une telle menace dans l’échange
de
plaisir d’une « liaison »). Mais combien d’hommes savent-ils la diffé
5956
ujours une telle menace dans l’échange de plaisir
d’
une « liaison »). Mais combien d’hommes savent-ils la différence entre
5957
hange de plaisir d’une « liaison »). Mais combien
d’
hommes savent-ils la différence entre une obsession que l’on subit et
5958
age ne saurait honnêtement s’appliquer à l’avenir
d’
un état où l’on se trouve aujourd’hui ; mais il peut et il doit impliq
5959
’hui ; mais il peut et il doit impliquer l’avenir
d’
actes conscients que l’on assume : aimer, rester fidèle, éduquer ses e
5960
nt différents les sens du mot aimer dans le monde
de
l’Éros et dans le monde de l’Agapè. On le voit mieux encore si l’on c
5961
ot aimer dans le monde de l’Éros et dans le monde
de
l’Agapè. On le voit mieux encore si l’on constate que le Dieu de l’Éc
5962
n constate que le Dieu de l’Écriture nous ordonne
d’
aimer. Le premier commandant du Décalogue : « Tu aimeras le Seigneur t
5963
du Décalogue : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de
tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée » ne saurait co
5964
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de
toute ton âme et de toute ta pensée » ne saurait concerner que des ac
5965
ur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et
de
toute ta pensée » ne saurait concerner que des actes. Il serait total
5966
erner que des actes. Il serait totalement absurde
d’
exiger de l’homme un état de sentiment. L’impératif : « Aime Dieu et t
5967
des actes. Il serait totalement absurde d’exiger
de
l’homme un état de sentiment. L’impératif : « Aime Dieu et ton procha
5968
it totalement absurde d’exiger de l’homme un état
de
sentiment. L’impératif : « Aime Dieu et ton prochain comme toi-même »
5969
ton prochain comme toi-même » crée des structures
de
relations actives. L’impératif : « Sois amoureux ! » serait vide de s
5970
es. L’impératif : « Sois amoureux ! » serait vide
de
sens ; ou s’il était réalisable, priverait l’homme de sa liberté.
5971
ens ; ou s’il était réalisable, priverait l’homme
de
sa liberté. 5.Éros sauvé par Agapè Alors l’amour de charité, l’
5972
berté. 5.Éros sauvé par Agapè Alors l’amour
de
charité, l’amour chrétien, qui est Agapè, paraît enfin dans sa pleine
5973
fin dans sa pleine stature : il est l’affirmation
de
l’être en acte. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a
5974
i a répandu dans notre monde occidental le poison
de
l’ascèse idéaliste — tout ce qu’un Nietzsche injustement reproche au
5975
, et non pas Agapè, qui a glorifié notre instinct
de
mort, et qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge d’Éros en l
5976
qui a voulu l’« idéaliser ». Mais Agapè se venge
d’
Éros en le sauvant. Car Agapè ne sait pas détruire et ne veut même pas
5977
la mort parce qu’il veut exalter la vie au-dessus
de
notre condition finie et limitée de créatures. Ainsi le même mouvemen
5978
vie au-dessus de notre condition finie et limitée
de
créatures. Ainsi le même mouvement qui fait que nous adorons la vie n
5979
négation. C’est la profonde misère, le désespoir
d’
Éros, sa servitude inexprimable : — en l’exprimant, Agapè l’en délivre
5980
que la vie terrestre et temporelle ne mérite pas
d’
être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l’obéissance à
5981
à la mort. Mais l’homme qui croit à la révélation
de
l’Agapè voit soudain le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi d
5982
in le cercle s’ouvrir : il est délivré par la foi
de
sa religion naturelle. Il peut maintenant espérer autre chose, il sai
5983
hé. Et voici que l’Éros à son tour se voit relevé
de
sa fonction mortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’être
5984
se voit relevé de sa fonction mortelle et délivré
de
son destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’être un démon
5985
ortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse
d’
être un dieu, il cesse d’être un démon 202. Et il retrouve sa juste pl
5986
destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse
d’
être un démon 202. Et il retrouve sa juste place dans l’économie provi
5987
etrouve sa juste place dans l’économie provisoire
de
la Création, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire
5988
place dans l’économie provisoire de la Création,
de
l’humain. Le païen ne pouvait autrement que de faire un dieu de l’Éro
5989
n, de l’humain. Le païen ne pouvait autrement que
de
faire un dieu de l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus d
5990
e païen ne pouvait autrement que de faire un dieu
de
l’Éros : c’était son pouvoir le plus fort, le plus dangereux et le pl
5991
plus mystérieux, le plus profondément lié au fait
de
vivre. Toutes les religions païennes divinisent le Désir. Toutes cher
5992
devient aussitôt, et par là même, le pire ennemi
de
la vie, la séduction du Rien. Mais dès lors que le Verbe s’est fait c
5993
eu qui l’a aimé le premier, et qui s’est approché
de
lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus haut dans l’ascension
5994
? Il perd sa puissance absolue quand nous cessons
de
le diviniser. C’est ce qu’atteste l’expérience de la fidélité dans le
5995
de le diviniser. C’est ce qu’atteste l’expérience
de
la fidélité dans le mariage. Car cette fidélité se fonde justement su
5996
é se fonde justement sur le refus initial et juré
de
« cultiver » les illusions de la passion, de leur rendre un culte sec
5997
fus initial et juré de « cultiver » les illusions
de
la passion, de leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mysté
5998
juré de « cultiver » les illusions de la passion,
de
leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît
5999
de la passion, de leur rendre un culte secret, et
d’
en attendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai de le faire con
6000
e secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît
de
vie. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen d’un fait connu.
6001
tendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai
de
le faire concevoir par l’examen d’un fait connu. Le christianisme a p
6002
e. J’essaierai de le faire concevoir par l’examen
d’
un fait connu. Le christianisme a proclamé l’égalité parfaite des sexe
6003
a proclamé l’égalité parfaite des sexes, et cela
de
la manière la plus précise : La femme n’a pas autorité sur son propr
6004
t la femme. (I. Cor., 7.) La femme étant l’égale
de
l’homme, elle ne peut donc être « le but de l’homme » comme le croira
6005
égale de l’homme, elle ne peut donc être « le but
de
l’homme » comme le croira cependant Novalis, renouvelant la mystique
6006
abaissement bestial qui tôt ou tard est la rançon
d’
une divinisation de la créature. Mais cette égalité ne doit pas être e
6007
qui tôt ou tard est la rançon d’une divinisation
de
la créature. Mais cette égalité ne doit pas être entendue au sens mod
6008
moderne et revendicateur. Elle procède du mystère
de
l’amour. Elle n’est que le signe et la démonstration du triomphe d’Ag
6009
’est que le signe et la démonstration du triomphe
d’
Agapè sur Éros. Car l’amour réellement réciproque exige et crée l’égal
6010
our réellement réciproque exige et crée l’égalité
de
ceux qui s’aiment. Dieu manifeste son amour pour l’homme en exigeant
6011
t saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne
de
son amour pour une femme en la traitant comme une personne humaine to
6012
e une personne humaine totale — non comme une fée
de
la légende, mi-déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons de c
6013
déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons
de
ces prémisses générales à la psychologie la plus concrète de la relat
6014
isses générales à la psychologie la plus concrète
de
la relation des égaux. L’exercice de la fidélité envers une femme acc
6015
lus concrète de la relation des égaux. L’exercice
de
la fidélité envers une femme accoutume à considérer les autres femmes
6016
ne femme accoutume à considérer les autres femmes
d’
une manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde de l’Éros : comme
6017
e manière tout à fait nouvelle, inconnue du monde
de
l’Éros : comme des personnes, non plus comme des reflets ou des objet
6018
xercice spirituel » développe des facultés neuves
de
jugement, de possession de soi et de respect203. Au contraire de l’ho
6019
tuel » développe des facultés neuves de jugement,
de
possession de soi et de respect203. Au contraire de l’homme érotique,
6020
pe des facultés neuves de jugement, de possession
de
soi et de respect203. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la
6021
ultés neuves de jugement, de possession de soi et
de
respect203. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la fidélité
6022
ect203. Au contraire de l’homme érotique, l’homme
de
la fidélité ne cherche plus à voir dans une femme seulement ce corps
6023
ent, à peine tenté, le mystère difficile et grave
d’
une existence autonome, étrangère, d’une vie totale dont il n’a désiré
6024
ile et grave d’une existence autonome, étrangère,
d’
une vie totale dont il n’a désiré vraiment qu’un illusoire ou fugitif
6025
dité qu’elle développe. L’empire du mythe faiblit
d’
autant ; et s’il reste improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser
6026
e improbable qu’il s’abolisse jamais sans laisser
de
traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué d’images — du moins
6027
olisse jamais sans laisser de traces dans le cœur
d’
un homme moderne, intoxiqué d’images — du moins perd-il son efficace :
6028
traces dans le cœur d’un homme moderne, intoxiqué
d’
images — du moins perd-il son efficace : ce n’est plus lui qui détermi
6029
up de foudre », et encore moins à la « fatalité »
de
la passion. Le « coup de foudre » est sans doute une légende accrédit
6030
de accréditée par Don Juan, comme la « fatalité »
de
la passion est accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent
6031
rompé, parce qu’il y trouve son intérêt ; figures
de
rhétorique romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il serait a
6032
ables à ce titre, mais qu’il serait assez absurde
de
confondre avec des vérités psychologiques. Notre analyse du mythe nou
6033
i l’on aime croire à la fatalité, qui est l’alibi
de
la culpabilité : « Ce n’est pas moi qui ai commis la faute, je n’y ét
6034
ce de ma personne. » Pieux mensonge204 du servant
d’
Éros. Mais de combien de complaisances secrètes se compose une « fatal
6035
onne. » Pieux mensonge204 du servant d’Éros. Mais
de
combien de complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant
6036
ux mensonge204 du servant d’Éros. Mais de combien
de
complaisances secrètes se compose une « fatalité » ! Quant au coup de
6037
coup de foudre, il est censé justifier les écarts
de
Don Juan. Toute la littérature nous engage à y voir la preuve d’une t
6038
ute la littérature nous engage à y voir la preuve
d’
une très puissante nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups de fo
6039
nte nature sensuelle. Don Juan, l’homme des coups
de
foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de su
6040
nsuelle. Don Juan, l’homme des coups de foudre et
de
la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe
6041
oudre et de la vie « orageuse », serait une sorte
de
surhomme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine l
6042
a vie « orageuse », serait une sorte de surhomme,
de
surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine les contingenc
6043
, serait une sorte de surhomme, de surmâle. Mythe
d’
une puissance indéfinie et qui domine les contingences morales. Mais a
6044
s, on peut être certain qu’un pareil mythe est né
de
rêves compensateurs — soit d’une fidélité contrainte et détestée, soi
6045
pareil mythe est né de rêves compensateurs — soit
d’
une fidélité contrainte et détestée, soit d’une jalousie masochiste, s
6046
soit d’une fidélité contrainte et détestée, soit
d’
une jalousie masochiste, soit enfin d’un début d’impuissance. Et en ef
6047
estée, soit d’une jalousie masochiste, soit enfin
d’
un début d’impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien
6048
d’une jalousie masochiste, soit enfin d’un début
d’
impuissance. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien typique d’u
6049
’un début d’impuissance. Et en effet, la conduite
de
Don Juan est bien typique d’une certaine déficience sexuelle. C’est d
6050
n effet, la conduite de Don Juan est bien typique
d’
une certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état de fatigue général
6051
e certaine déficience sexuelle. C’est dans l’état
de
fatigue générale, et sexuellement localisée, que le corps se voit por
6052
iots. Par contre, dans un état normal du corps et
de
l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il appa
6053
un état normal du corps et de l’esprit, le risque
de
coup de foudre est à peu près éliminé. Il apparaît ainsi que la monog
6054
st la meilleure garantie du plaisir, c’est-à-dire
de
l’Éros purement charnel, et non du tout divinisé. Je répète toutefois
6055
riage ne saurait être fondé sur des « arguments »
de
ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait d’observation qui réfu
6056
guments » de ce genre. Il s’agit ici, simplement,
d’
un fait d’observation qui réfute les croyances courantes, nées du myth
6057
de ce genre. Il s’agit ici, simplement, d’un fait
d’
observation qui réfute les croyances courantes, nées du mythe de Trist
6058
qui réfute les croyances courantes, nées du mythe
de
Tristan et de son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tou
6059
croyances courantes, nées du mythe de Tristan et
de
son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tout à fait ineff
6060
i préfère le mythe et veut croire aux révélations
de
la passion. On objecte alors que le mariage ne serait plus que le «
6061
rs que le mariage ne serait plus que le « tombeau
de
l’amour ». Mais c’est encore le mythe, naturellement, qui nous le fai
6062
ment, qui nous le fait croire, avec son obsession
de
l’amour contrarié. Il serait plus vrai de dire après Benedetto Croce
6063
session de l’amour contrarié. Il serait plus vrai
de
dire après Benedetto Croce que « le mariage est le tombeau de l’amour
6064
s Benedetto Croce que « le mariage est le tombeau
de
l’amour sauvage »205 (et plus communément du sentimentalisme). L’amou
6065
uvage et naturel se manifeste par le viol, preuve
d’
amour chez tous les barbares. Mais le viol, comme la polygamie, révèle
6066
ie, révèle que l’homme n’est pas encore en mesure
de
concevoir la réalité de la personne chez la femme. C’est autant dire
6067
’est pas encore en mesure de concevoir la réalité
de
la personne chez la femme. C’est autant dire qu’il ne sait pas encore
6068
e aimer. Le viol et la polygamie privent la femme
de
sa qualité d’égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépe
6069
ol et la polygamie privent la femme de sa qualité
d’
égale — en la réduisant à son sexe. L’amour sauvage dépersonnalise les
6070
omine, ce n’est pas faute de « passion » (au sens
de
tempérament) mais c’est qu’il aime, justement, et qu’en vertu de cet
6071
justement, et qu’en vertu de cet amour, il refuse
de
s’imposer, il se refuse à une violence qui nie et détruit la personne
6072
sonne. Il prouve ainsi qu’il veut d’abord le bien
de
l’autre. Son égoïsme passe par l’autre. On admettra que c’est une rév
6073
t dépasser la formule toute négative et privative
de
Croce, et définir enfin le mariage comme cette institution qui contie
6074
r la morale, mais par l’amour. 6.Les paradoxes
de
l’Occident Ces quelques remarques sur la passion et le mariage met
6075
iage mettent en lumière l’opposition fondamentale
de
l’Éros et de l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputen
6076
en lumière l’opposition fondamentale de l’Éros et
de
l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputent notre Occid
6077
qui se disputent notre Occident. La connaissance
de
ce conflit, de ses origines historiques et psychologiques, de son enj
6078
t notre Occident. La connaissance de ce conflit,
de
ses origines historiques et psychologiques, de son enjeu spirituel, m
6079
t, de ses origines historiques et psychologiques,
de
son enjeu spirituel, me paraît devoir entraîner la révision d’un cert
6080
spirituel, me paraît devoir entraîner la révision
d’
un certain nombre de jugements courants, dans le domaine de l’éthique
6081
devoir entraîner la révision d’un certain nombre
de
jugements courants, dans le domaine de l’éthique d’abord, mais aussi
6082
ain nombre de jugements courants, dans le domaine
de
l’éthique d’abord, mais aussi dans celui de la culture et de sa philo
6083
maine de l’éthique d’abord, mais aussi dans celui
de
la culture et de sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira
6084
e d’abord, mais aussi dans celui de la culture et
de
sa philosophie. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute de dég
6085
elui de la culture et de sa philosophie. Au terme
de
cet ouvrage, il suffira sans doute de dégager le principe de correcti
6086
e. Au terme de cet ouvrage, il suffira sans doute
de
dégager le principe de correction que nos recherches sur la passion p
6087
age, il suffira sans doute de dégager le principe
de
correction que nos recherches sur la passion peuvent établir. ⁂ Les O
6088
y voient l’héritage du christianisme et le secret
de
notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme,
6089
namisme, correspondent aux trois traits dominants
de
la psyché occidentale. De là vient l’impression d’évidence qu’entraîn
6090
trois traits dominants de la psyché occidentale.
De
là vient l’impression d’évidence qu’entraînent de pareils jugements.
6091
e la psyché occidentale. De là vient l’impression
d’
évidence qu’entraînent de pareils jugements. Cependant, si les conclus
6092
De là vient l’impression d’évidence qu’entraînent
de
pareils jugements. Cependant, si les conclusions de notre examen du m
6093
pareils jugements. Cependant, si les conclusions
de
notre examen du mythe courtois sont justes, il faudra corriger sensib
6094
justes, il faudra corriger sensiblement ce schéma
de
l’Occident chrétien. Tout d’abord : ce n’est pas le christianisme qui
6095
a fait naître la passion, mais c’est une hérésie
d’
origine orientale. Cette hérésie s’est répandue d’abord dans les contr
6096
ous-produit du christianisme » ou le « changement
d’
adresse d’une force que le christianisme a réveillée et orientée vers
6097
t du christianisme » ou le « changement d’adresse
d’
une force que le christianisme a réveillée et orientée vers Dieu »206.
6098
tée vers Dieu »206. Il est plutôt le sous-produit
de
la religion manichéenne. Plus exactement, il est né de la complicité
6099
religion manichéenne. Plus exactement, il est né
de
la complicité de cette religion avec nos plus vieilles croyances, et
6100
enne. Plus exactement, il est né de la complicité
de
cette religion avec nos plus vieilles croyances, et du conflit de l’h
6101
n avec nos plus vieilles croyances, et du conflit
de
l’hérésie qui en résulta avec l’orthodoxie chrétienne. Première corre
6102
avec l’orthodoxie chrétienne. Première correction
d’
importance. Ensuite, il est urgent de rappeler que le fameux « dynami
6103
correction d’importance. Ensuite, il est urgent
de
rappeler que le fameux « dynamisme occidental » procède de deux sourc
6104
er que le fameux « dynamisme occidental » procède
de
deux sources distinctes. Si c’est notre délire guerrier que l’on ente
6105
ner par ce terme, nous avons vu qu’il se rattache
de
la manière la plus précise, historiquement, à la passion. Comme la pa
6106
iquement, à la passion. Comme la passion, le goût
de
la guerre procède d’une conception de la vie ardente qui est un masqu
6107
n. Comme la passion, le goût de la guerre procède
d’
une conception de la vie ardente qui est un masque du désir de mort. D
6108
on, le goût de la guerre procède d’une conception
de
la vie ardente qui est un masque du désir de mort. Dynamisme inverti,
6109
tion de la vie ardente qui est un masque du désir
de
mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Mais l’autre aspect du d
6110
itude humaine qu’il révèle est l’antithèse exacte
de
la passion : c’est une affirmation de la valeur des choses créées, de
6111
hèse exacte de la passion : c’est une affirmation
de
la valeur des choses créées, de la matière, et une application de l’e
6112
t une affirmation de la valeur des choses créées,
de
la matière, et une application de l’esprit au monde visible. La passi
6113
choses créées, de la matière, et une application
de
l’esprit au monde visible. La passion ni la foi hérétique dont elle e
6114
raient proposer comme but à notre vie la maîtrise
de
la Nature, puisque c’est là le but et la fonction originelle du Démiu
6115
le du Démiurge, et puisque le salut est justement
d’
échapper à sa loi démoniaque207. Faut-il voir à la source de cet aspec
6116
à sa loi démoniaque207. Faut-il voir à la source
de
cet aspect le plus réel de l’activisme européen une sorte de tempéram
6117
ut-il voir à la source de cet aspect le plus réel
de
l’activisme européen une sorte de tempérament continental ? Ou quelqu
6118
ct le plus réel de l’activisme européen une sorte
de
tempérament continental ? Ou quelque influence indirecte de l’ambitio
6119
ment continental ? Ou quelque influence indirecte
de
l’ambition chrétienne définie par l’Apôtre (Romains, 8), et qui tendr
6120
ve, troublée par le péché ? La volonté chrétienne
de
transformer le pécheur dans son âme et dans sa conduite a entraîné en
6121
et dans sa conduite a entraîné en Occident l’idée
de
transformer le milieu humain (d’où le mythe de la révolution), et l’i
6122
Occident l’idée de transformer le milieu humain (
d’
où le mythe de la révolution), et l’idée de transformer le milieu natu
6123
ée de transformer le milieu humain (d’où le mythe
de
la révolution), et l’idée de transformer le milieu naturel (d’où la t
6124
umain (d’où le mythe de la révolution), et l’idée
de
transformer le milieu naturel (d’où la technique). Reste à savoir si
6125
ion), et l’idée de transformer le milieu naturel (
d’
où la technique). Reste à savoir si le christianisme, accueilli par le
6126
ais la réponse n’importe pas ici : il nous suffit
de
marquer que les éléments occidentaux-chrétiens (c’est-à-dire créateur
6127
ntés par une volonté exactement contraire à celle
de
la passion. Ce qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit de f
6128
qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit
de
fait une fatale erreur dans l’activisme moderne, c’est la collusion d
6129
reur dans l’activisme moderne, c’est la collusion
de
la guerre et de notre génie technique. À partir de la Révolution, la
6130
visme moderne, c’est la collusion de la guerre et
de
notre génie technique. À partir de la Révolution, la guerre devenant
6131
rre devenant « nationale » exige la collaboration
de
toutes les forces créatrices, et en particulier de la technique. C’es
6132
e toutes les forces créatrices, et en particulier
de
la technique. C’est alors la passion (guerrière) qui va devenir le pr
6133
on (guerrière) qui va devenir le principal moteur
de
la recherche mécanique : on l’a bien vu depuis 1915. Mais cette union
6134
is cette union tout à fait monstrueuse des forces
de
mort et des forces créatrices va dénaturer à la fois la guerre et le
6135
épètent tant de publicistes — qui est responsable
de
la catastrophe. L’esprit catastrophique de l’Occident n’est pas chrét
6136
nsable de la catastrophe. L’esprit catastrophique
de
l’Occident n’est pas chrétien208. Il est tout au contraire manichéen.
6137
s cultivé la religion para ou même antichrétienne
de
la passion. ⁂ Faut-il conclure que la passion serait la tentation ori
6138
lure que la passion serait la tentation orientale
de
l’Occident ? S’il est vrai qu’elle ne s’est développée dans notre his
6139
e et xiiie siècles, et par l’impulsion décisive
de
l’hérésie méridionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et de l
6140
ionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et
de
l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos « mo
6141
du Proche-Orient et de l’Iran, sources certaines
de
l’hérésie, que nous sont venues nos « mortelles » croyances. Mais dir
6142
nt pas produit les mêmes effets parmi les peuples
de
l’Orient ? C’est qu’elles n’y ont pas trouvé les mêmes obstacles. Ai
6143
mes obstacles. Ainsi notre chance dramatique est
d’
avoir résisté à la passion par des moyens prédestinés à l’exalter. Tel
6144
és à l’exalter. Telle fut la tentation permanente
d’
où jaillirent nos plus belles créations. Mais ce qui produit la vie pr
6145
un accent se déplace pour que le dynamisme change
de
signe. ⁂ C’est en fin de compte dans l’attitude religieuse des Occide
6146
ccidentaux, et dans l’institution la plus typique
de
leur morale : le mariage, qu’il sera désormais possible de repérer av
6147
orale : le mariage, qu’il sera désormais possible
de
repérer avec assez de précision ce déplacement d’accent dont tout dép
6148
’il sera désormais possible de repérer avec assez
de
précision ce déplacement d’accent dont tout dépend. Il est certain qu
6149
de repérer avec assez de précision ce déplacement
d’
accent dont tout dépend. Il est certain que l’Occidental christianisé
6150
ertain que l’Occidental christianisé se distingue
de
l’Oriental par son pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a
6151
ianisé se distingue de l’Oriental par son pouvoir
d’
approfondir l’être créé dans ce qu’il a de particulier. C’est tout le
6152
pouvoir d’approfondir l’être créé dans ce qu’il a
de
particulier. C’est tout le secret de notre fidélité. La sagesse orien
6153
s ce qu’il a de particulier. C’est tout le secret
de
notre fidélité. La sagesse orientale cherche la connaissance dans l’a
6154
essive du divers. Nous, nous cherchons la densité
de
l’être dans la personne distincte, sans cesse approfondie comme telle
6155
distincte, sans cesse approfondie comme telle. «
D’
autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
6156
t plus nous connaissons les choses particulières,
d’
autant plus nous connaissons Dieu », dit Spinoza. Cette attitude, qui
6157
t, définit en même temps les conditions profondes
de
la fidélité, de la personne, du mariage — et du refus de la passion.
6158
me temps les conditions profondes de la fidélité,
de
la personne, du mariage — et du refus de la passion. Elle suppose l’a
6159
idélité, de la personne, du mariage — et du refus
de
la passion. Elle suppose l’acceptation du différent, et donc de l’inc
6160
Elle suppose l’acceptation du différent, et donc
de
l’incomplet, la prise sur le concret dans ses limitations. Le chrétie
6161
moderne du mariage est le signe le moins trompeur
d’
une décadence occidentale. Il est en d’autres, certes, dans les domain
6162
s les plus divers : le culte du nombre, la poésie
de
l’évasion, l’envahissement de la culture par les passions nationalist
6163
u nombre, la poésie de l’évasion, l’envahissement
de
la culture par les passions nationalistes : tout ce qui tend à ruiner
6164
appent souvent aux prises individuelles. Le signe
de
la crise du mariage nous parle et nous avertit mieux : aucun n’est pl
6165
otidien, plus intimement vérifiable. 7.Au-delà
de
la tragédie Cet ouvrage, à bien des égards, peut apparaître comme
6166
à bien des égards, peut apparaître comme le bilan
d’
une décadence : mythe dégradé, mariage en crise, formes et conventions
6167
aux domaines où il peut entraîner la destruction
de
notre civilisation. Tout cela est, tout cela nous menace, et d’autant
6168
isation. Tout cela est, tout cela nous menace, et
d’
autant plus qu’on voudrait le nier. Cependant, à plusieurs reprises, l
6169
Cependant, à plusieurs reprises, la connaissance
de
ces périls nous a fait entrevoir des possibilités de les surmonter. P
6170
ces périls nous a fait entrevoir des possibilités
de
les surmonter. Par exemple, il se peut que l’Europe, après une crise
6171
osé qu’elle n’y succombe point), retrouve le sens
d’
une fidélité gagée au moins sur des institutions solides, à la mesure
6172
u moins sur des institutions solides, à la mesure
de
la personne. Il se peut que les excès mêmes de la passion provoquent
6173
re de la personne. Il se peut que les excès mêmes
de
la passion provoquent des résistances, c’est-à-dire des formes nouvel
6174
ais après tout, n’est-ce pas encore une tentation
de
la passion que ce souci des lendemains qui obsède aujourd’hui tant de
6175
monde nous importe bien moins que la connaissance
de
nos devoirs présents. Car « la figure de ce monde passe », mais notre
6176
aissance de nos devoirs présents. Car « la figure
de
ce monde passe », mais notre vocation est toujours hic et nunc, dans
6177
re vocation est toujours hic et nunc, dans l’acte
de
l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes de réflexions, amor
6178
l’Éternel où notre espoir se fonde. ⁂ Deux thèmes
de
réflexions, amorcés çà et là dans ces pages, pourront en constituer l
6179
t en constituer la conclusion ouverte. J’ai tenté
de
débrouiller certains problèmes posés en termes d’histoire et de psych
6180
certains problèmes posés en termes d’histoire et
de
psychologie : mais les constatations tout objectives auxquelles je me
6181
lemme passion-fidélité peut nous le faire croire.
De
fait, on ne connaît jamais que les problèmes dont on pressent au moin
6182
au moins la solution, le dépassement. Or le moyen
de
dépasser notre dilemme ne saurait être la pure et simple négation de
6183
ilemme ne saurait être la pure et simple négation
de
l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la
6184
e saurait être la pure et simple négation de l’un
de
ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la passion
6185
ncipe, ce serait vouloir supprimer l’un des pôles
de
notre tension créatrice. De fait cela n’est pas possible. Le philisti
6186
primer l’un des pôles de notre tension créatrice.
De
fait cela n’est pas possible. Le philistin qui « condamne » de la sor
6187
n’est pas possible. Le philistin qui « condamne »
de
la sorte et à priori toute passion, c’est qu’il n’en a connu aucune,
6188
e-là le seul progrès concevable est dans la crise
de
sa sécurité, c’est-à-dire dans le drame passionnel209. Mais au-delà d
6189
-à-dire dans le drame passionnel209. Mais au-delà
de
la passion vécue jusqu’à l’impasse mortelle, que pouvons-nous désorma
6190
thèmes que je vais esquisser indiquent deux voies
de
dépassement, dans la ligne de cet ouvrage, mais au-delà du schématism
6191
ndiquent deux voies de dépassement, dans la ligne
de
cet ouvrage, mais au-delà du schématisme inhérent à tout exposé. ⁂ Le
6192
l’événement qui devint pour Kierkegaard le point
de
départ de toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec
6193
nt qui devint pour Kierkegaard le point de départ
de
toute sa réflexion, fut la rupture de ses fiançailles avec Régine. La
6194
t de départ de toute sa réflexion, fut la rupture
de
ses fiançailles avec Régine. La cause intime de cette rupture nous de
6195
e de ses fiançailles avec Régine. La cause intime
de
cette rupture nous demeure en partie mystérieuse : c’est « le secret
6196
de. Ici l’obstacle indispensable à la passion est
d’
une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’on n
6197
ait en pressentir la gravité sans invoquer la foi
de
Kierkegaard. Selon lui, l’homme fini et pécheur ne saurait entretenir
6198
qui est l’Éternel et le Saint — que des relations
d’
amour mortellement malheureux. « Dieu crée tout ex nihilo » et celui q
6199
le réduire à néant ». Du point de vue du monde et
de
la vie naturelle, Dieu apparaît alors comme « mon ennemi mortel ». No
6200
heurtons ici à l’extrême limite, à l’origine pure
de
la passion — mais du même coup nous sommes jetés au cœur même de la f
6201
mais du même coup nous sommes jetés au cœur même
de
la foi chrétienne ! Car voici : cet homme mort au monde, tué par l’am
6202
ant et vivre dans le monde comme s’il n’avait pas
d’
autre tâche ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier de la foi »,
6203
che ni plus urgente ni plus haute. Ce « chevalier
de
la foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien de surhumain : « i
6204
ier de la foi », quand on le rencontre, n’a l’air
de
rien de surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit co
6205
a foi », quand on le rencontre, n’a l’air de rien
de
surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit comme n’im
6206
suite, c’est en vertu de l’absurde (c’est-à-dire
de
la foi). Il fait sans cesse le saut dans l’infini, mais avec une tell
6207
ans le fini, et qu’on ne remarque en lui rien que
de
fini »210… Ainsi l’extrême de la passion, la mort d’amour, initie une
6208
que en lui rien que de fini »210… Ainsi l’extrême
de
la passion, la mort d’amour, initie une vie nouvelle, où la passion n
6209
fini »210… Ainsi l’extrême de la passion, la mort
d’
amour, initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse d’être présente
6210
, initie une vie nouvelle, où la passion ne cesse
d’
être présente, mais sous l’incognito le plus jaloux : car elle est bie
6211
s que royale, elle est divine. Et dans l’analogie
de
la foi, l’on peut alors concevoir que la passion — quel que soit l’or
6212
au-delà réel, et son salut, que par cette action
d’
obéissance qui est la vie de fidélité. Vivre alors « comme tout le mon
6213
que par cette action d’obéissance qui est la vie
de
fidélité. Vivre alors « comme tout le monde », mais « en vertu de l’a
6214
ressaisir » le monde fini que dans la conscience
de
sa perte, infiniment féconde pour son génie ; il ne recouvra pas Régi
6215
; il ne recouvra pas Régine, mais ne cessa jamais
de
l’aimer et de lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cett
6216
ra pas Régine, mais ne cessa jamais de l’aimer et
de
lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre était
6217
Et c’est peut-être que cette œuvre était le lieu
de
sa fidélité la plus réelle. Pourquoi chercher ailleurs que dans la vo
6218
vocation vraiment unique du Solitaire, le secret
de
son échec humain ? D’autres reçoivent une autre vocation, épousent Ré
6219
rtu de l’absurde ». Et ils s’étonnent chaque jour
de
leur bonheur. (Ces choses-là sont trop simples et totales pour qu’un
6220
re la question qu’elles nous posent et la réponse
de
notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’est peut-être pas d
6221
econd thème que j’esquisserai n’est peut-être pas
d’
une nature essentiellement hétérogène. Peut-être même doit-il être con
6222
re conçu comme un aspect particulier du mouvement
de
retour de la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’
6223
omme un aspect particulier du mouvement de retour
de
la passion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet de l’ascension
6224
assion, tel que l’a décrit Kierkegaard. Au sommet
de
l’ascension spirituelle qu’il nous raconte dans le langage de la plus
6225
on spirituelle qu’il nous raconte dans le langage
de
la plus ardente passion, saint Jean de la Croix connaît que l’âme att
6226
ean de la Croix connaît que l’âme atteint un état
de
présence parfaite à l’objet aimant de l’amour, et c’est ce qu’il nomm
6227
int un état de présence parfaite à l’objet aimant
de
l’amour, et c’est ce qu’il nomme le mariage mystique. L’âme se compor
6228
rte alors à l’endroit de son amour avec une sorte
d’
indifférence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinct
6229
érence quasi divine. Elle est au-delà du doute et
de
la distinction ressentie comme un déchirement ; elle ne désire plus r
6230
ui dans la dualité, qui n’est plus qu’un dialogue
de
grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit a
6231
ualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce et
d’
obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit alors comblé
6232
un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir
de
la plus haute passion se voit alors comblé sans cesse dans l’acte mêm
6233
se voit alors comblé sans cesse dans l’acte même
d’
obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même de consc
6234
même d’obéir, en sorte qu’il n’est plus en l’âme
de
brûlure, ni même de conscience de l’amour, mais seulement la sobriété
6235
rte qu’il n’est plus en l’âme de brûlure, ni même
de
conscience de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir.
6236
t plus en l’âme de brûlure, ni même de conscience
de
l’amour, mais seulement la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analog
6237
e de l’amour, mais seulement la sobriété heureuse
de
l’agir. Dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que la p
6238
t la sobriété heureuse de l’agir. Dans l’analogie
de
la foi, l’on peut alors concevoir que la passion, née du mortel désir
6239
ors concevoir que la passion, née du mortel désir
d’
union mystique, ne saurait être dépassée et accomplie que par la renco
6240
t être dépassée et accomplie que par la rencontre
d’
un autre, par l’admission de sa vie étrangère, de sa personne à tout j
6241
que par la rencontre d’un autre, par l’admission
de
sa vie étrangère, de sa personne à tout jamais distincte, mais qui of
6242
d’un autre, par l’admission de sa vie étrangère,
de
sa personne à tout jamais distincte, mais qui offre une alliance sans
6243
nse, la nostalgie comblée par la présence cessent
d’
appeler un bonheur sensible, cessent de souffrir, acceptent notre jour
6244
ce cessent d’appeler un bonheur sensible, cessent
de
souffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage est possible. Nou
6245
dernière fois pourtant nous reprendrons un parti
de
sobriété. Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’est pas co
6246
ure. Nous sommes sans fin ni cesse dans le combat
de
la nature et de la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux.
6247
sans fin ni cesse dans le combat de la nature et
de
la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horizon
6248
on n’est plus le même. Une fidélité gardée au Nom
de
ce qui ne change pas comme nous, révèle peu à peu son mystère : c’est
6249
, révèle peu à peu son mystère : c’est qu’au-delà
de
la tragédie, il y a de nouveau le bonheur. Un bonheur qui ressemble à
6250
ion : 1954.) 200. Je m’en tiens au cas-limite
de
Tristan. Il y a des cas de passion dans le mariage chrétien ; et des
6251
en tiens au cas-limite de Tristan. Il y a des cas
de
passion dans le mariage chrétien ; et des états de mariage dans la pa
6252
e passion dans le mariage chrétien ; et des états
de
mariage dans la passion… 201. Plus on s’écarte de l’espèce pour se r
6253
e mariage dans la passion… 201. Plus on s’écarte
de
l’espèce pour se rapprocher de la personne, plus le choix devient sin
6254
. Plus on s’écarte de l’espèce pour se rapprocher
de
la personne, plus le choix devient singulier. À cette personnalisatio
6255
choix devient singulier. À cette personnalisation
de
l’être aimé correspond d’ailleurs une spécification croissante de l’i
6256
orrespond d’ailleurs une spécification croissante
de
l’instinct, à mesure que l’homme se virilise : c’est l’argument du Dr
6257
de la monogamie. 202. Voir le remarquable essai
de
R. de Pury, « Éros et Agapè » dans le recueil collectif intitulé Prob
6258
pè » dans le recueil collectif intitulé Problèmes
de
la sexualité (collection « Présences ») : « Un chrétien peut et doit
6259
’est pas le péché ; le péché c’est la sublimation
d’
Éros. » 203. En quoi consiste le respect, au sens où je le prends ici
6260
En ce que l’on reconnaît dans un être la totalité
d’
une personne. La personne, selon la fameuse définition kantienne, c’es
6261
ent. 204. Sur la liaison absolument fondamentale
de
la passion et du mensonge, voir supra chap. 10, livre I. 205. B. Cr
6262
tica. 206. Leo Ferrero, Désespoirs. Le problème
de
la passion est admirablement défini par ce petit livre dans ses donné
6263
ice 4.) 207. « L’idée antique du travail indigne
de
l’homme libre se retrouve dans la chevalerie », écrit Henri Pirenne,
6264
ns la chevalerie », écrit Henri Pirenne, Histoire
de
l’Europe, p. 113. 208. Il y a l’Apocalypse, dira-t-on. Mais les cata
6265
la désincarnation, qui est le salut ; mais l’acte
de
la grâce fait par Dieu. 209. Faut-il aller encore plus loin que Kie
6266
le dépassement du « stade éthique » ? Il m’arrive
de
le pressentir, et de penser : du point de vue de la foi, il n’y a san
6267
tade éthique » ? Il m’arrive de le pressentir, et
de
penser : du point de vue de la foi, il n’y a sans doute aucun profit
6268
de le pressentir, et de penser : du point de vue
de
la foi, il n’y a sans doute aucun profit au « règlement des mœurs » p
6269
s mœurs » pour les non-chrétiens. C’est une façon
de
les mettre, au contraire, à l’abri du désespoir réel, humain, qui les
6270
el, humain, qui les conduirait à la foi. Une cure
d’
âme comprise non pas au sens d’une hygiène morale bourgeoise, mais au
6271
à la foi. Une cure d’âme comprise non pas au sens
d’
une hygiène morale bourgeoise, mais au sens chrétien — la guérison à o
6272
e non chrétien qu’il traverse tout le « bonheur »
de
la passion. Or on s’efforce de le retenir en deçà. Si bien que le seu
6273
out le « bonheur » de la passion. Or on s’efforce
de
le retenir en deçà. Si bien que le seul au-delà concret qu’il soit en
6274
en que le seul au-delà concret qu’il soit en état
de
désirer, d’imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voil
6275
ul au-delà concret qu’il soit en état de désirer,
d’
imaginer, c’est le « dérèglement des passions ». Mais voilà ce qu’il f
6276
Tremblement, traduit d’après la version allemande
de
E. Geismar et R. Marx.
6277
Appendices 1.Caractère sacré
de
la légende Pour éviter tout malentendu, je préciserai ici que mon
6278
ici que mon analyse se borne à la légende écrite
de
Tristan. C’est d’elle seule que je parle quand je parle du mythe « pr
6279
se se borne à la légende écrite de Tristan. C’est
d’
elle seule que je parle quand je parle du mythe « primitif ». Il serai
6280
nd je parle du mythe « primitif ». Il serait aisé
de
se prévaloir du caractère sacré que certains auteurs du siècle dernie
6281
dernier ont cru pouvoir attribuer aux personnages
de
Tristan et d’Iseut (ou Essylt) dans la mythologie celtique. Dès le vi
6282
u pouvoir attribuer aux personnages de Tristan et
d’
Iseut (ou Essylt) dans la mythologie celtique. Dès le viie siècle, Tr
6283
rés », c’est-à-dire des élèves des druides, rival
de
son oncle Markh, le roi-cheval, et amant d’Essylt, dont on a pu suppo
6284
rival de son oncle Markh, le roi-cheval, et amant
d’
Essylt, dont on a pu supposer que le nom signifiait « spectacle mystér
6285
e le nom signifiait « spectacle mystérieux, objet
de
contemplation », fée irlandaise, cavale aux crins blancs, ou encore f
6286
se, cavale aux crins blancs, ou encore figuration
de
l’eau de la chaudière de Cerridwen, qui donne l’inspiration aux barde
6287
e aux crins blancs, ou encore figuration de l’eau
de
la chaudière de Cerridwen, qui donne l’inspiration aux bardes, guérit
6288
cs, ou encore figuration de l’eau de la chaudière
de
Cerridwen, qui donne l’inspiration aux bardes, guérit et ressuscite,
6289
ressuscite, c’est-à-dire élève l’initié à la vie
de
l’esprit. Tout cela est vraisemblable, et contesté. Dans les Mabinogi
6290
brève sur la légende originelle : « Drystan, fils
de
Tallwch, gardien des porcs de Markh, amant d’Essylt. » (C’est dans un
6291
e : « Drystan, fils de Tallwch, gardien des porcs
de
Markh, amant d’Essylt. » (C’est dans une énumération des amants fameu
6292
ils de Tallwch, gardien des porcs de Markh, amant
d’
Essylt. » (C’est dans une énumération des amants fameux de la Bretagne
6293
. » (C’est dans une énumération des amants fameux
de
la Bretagne.) On a voulu voir également dans la rivalité de Tristan e
6294
agne.) On a voulu voir également dans la rivalité
de
Tristan et de Marc le symbole de la lutte entre les Bretons armoricai
6295
ulu voir également dans la rivalité de Tristan et
de
Marc le symbole de la lutte entre les Bretons armoricains et les Gall
6296
dans la rivalité de Tristan et de Marc le symbole
de
la lutte entre les Bretons armoricains et les Gallo-Francs. Il est in
6297
-Francs. Il est incontestable que maints éléments
de
la tradition bardique (orale) sont incorporés dans la légende. (Cf. l
6298
mas, Eilhart, l’auteur du Roman en prose et celui
de
la Folie Tristan n’étaient pas initiés à cette tradition. Ils ignorai
6299
s. Et les traces qui subsistent, dans leur texte,
d’
anciennes pratiques de magie montrent bien que l’usage de ces dernière
6300
ubsistent, dans leur texte, d’anciennes pratiques
de
magie montrent bien que l’usage de ces dernières est oublié, à l’époq
6301
nnes pratiques de magie montrent bien que l’usage
de
ces dernières est oublié, à l’époque et dans les pays où ils écrivent
6302
ù ils écrivent. Tout cela n’est plus qu’ornements
d’
art, pittoresque, anecdotes interprétées par la fantaisie individuelle
6303
elle du poète. Les faits que nous décrit l’auteur
de
la Folie Tristan étaient sans doute à l’origine tout autre chose qu’u
6304
s doute à l’origine tout autre chose qu’une suite
d’
extravagances. Chaque parole et chaque geste du héros devaient corresp
6305
correspondre à des symboles déterminés. La maison
de
verre par exemple, dans laquelle Tristan fou veut emmener Iseut, étai
6306
t, était dans la mythologie druidique le vaisseau
de
la mort qui s’en va par-delà les nuages jusqu’au cercle céleste du Gw
6307
este du Gwynfyd. Dans la Folie Tristan, la maison
de
verre n’est plus qu’une image émouvante née de la fantaisie poétique
6308
on de verre n’est plus qu’une image émouvante née
de
la fantaisie poétique de l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ
6309
’une image émouvante née de la fantaisie poétique
de
l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ de Tristan pour la Bretag
6310
ue de l’amoureux. De même, chez Thomas, le départ
de
Tristan pour la Bretagne n’a plus aucun sens « historique » défini ;
6311
ons que je ne tiens compte, dans mon analyse, que
de
la légende rédigée, et réinventée quant au sens, par les poètes du xi
6312
lle seule agit encore sur nous, en tant que mythe
de
l’amour-passion. 2.Chevalerie sacrée La pensée médiévale en gé
6313
ée La pensée médiévale en général est saturée
de
conceptions religieuses. De la même manière, dans une sphère plus res
6314
n général est saturée de conceptions religieuses.
De
la même manière, dans une sphère plus restreinte, la pensée de tous c
6315
nière, dans une sphère plus restreinte, la pensée
de
tous ceux qui vivent dans les cercles de la cour et de la noblesse es
6316
a pensée de tous ceux qui vivent dans les cercles
de
la cour et de la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cet
6317
us ceux qui vivent dans les cercles de la cour et
de
la noblesse est imprégnée de l’idéal chevaleresque. Cette conception
6318
ercles de la cour et de la noblesse est imprégnée
de
l’idéal chevaleresque. Cette conception envahit même le domaine de la
6319
eresque. Cette conception envahit même le domaine
de
la religion : la prouesse de l’archange saint Michel était « la premi
6320
ahit même le domaine de la religion : la prouesse
de
l’archange saint Michel était « la première milicie et prouesse cheva
6321
ureuse qui oncques fut mise en exploict » ; c’est
de
là que procède la chevalerie qui, en tant que « milicie terrienne et
6322
ne imitation des chœurs des anges autour du trône
de
Dieu. Le poète espagnol Juan Manuel l’appelle une espèce de sacrement
6323
e poète espagnol Juan Manuel l’appelle une espèce
de
sacrement, qu’il compare au Baptême et au Mariage. (J. Huizinga, Le D
6324
evaleresque constituait pour l’esprit superficiel
de
ces auteurs [Froissart, Monstrelet, Chastellain, La Marche…] une clef
6325
En réalité, les guerres, tout comme la politique
de
leur temps, étaient extrêmement informes, et apparemment incohérentes
6326
t incohérentes. La guerre était un état chronique
d’
escarmouches isolées s’étendant sur un vaste domaine ; la diplomatie,
6327
es, et d’autre part, par un ensemble inextricable
de
questions de droit isolées et mesquines. L’histoire, n’étant pas en m
6328
e part, par un ensemble inextricable de questions
de
droit isolées et mesquines. L’histoire, n’étant pas en mesure de disc
6329
s et mesquines. L’histoire, n’étant pas en mesure
de
discerner un réel développement social, se servait de la fiction de l
6330
iscerner un réel développement social, se servait
de
la fiction de l’idéal chevaleresque à l’aide de laquelle elle réduisa
6331
el développement social, se servait de la fiction
de
l’idéal chevaleresque à l’aide de laquelle elle réduisait le monde au
6332
laquelle elle réduisait le monde aux proportions
d’
une belle image d’honneur princier et de vertu courtoise, et créait l’
6333
uisait le monde aux proportions d’une belle image
d’
honneur princier et de vertu courtoise, et créait l’illusion de l’ordr
6334
oportions d’une belle image d’honneur princier et
de
vertu courtoise, et créait l’illusion de l’ordre. (Ibid., p. 80.)
6335
ncier et de vertu courtoise, et créait l’illusion
de
l’ordre. (Ibid., p. 80.) 3.Chansons de geste et romans courtois
6336
lusion de l’ordre. (Ibid., p. 80.) 3.Chansons
de
geste et romans courtois Les chansons de geste sont nées au xie s
6337
nsons de geste et romans courtois Les chansons
de
geste sont nées au xie siècle, et pas avant comme l’a montré Joseph
6338
ondateurs. Il est compréhensible que ces chansons
de
clercs parlent très peu ou point d’amour. Une seule, la Légende de Gi
6339
ces chansons de clercs parlent très peu ou point
d’
amour. Une seule, la Légende de Girard de Roussillon (composée entre 1
6340
très peu ou point d’amour. Une seule, la Légende
de
Girard de Roussillon (composée entre 1150 et 1180 selon Bédier) conti
6341
re 1150 et 1180 selon Bédier) contient un épisode
d’
amour courtois. Elle est écrite dans un dialecte intermédiaire entre l
6342
ovençal. À tous égards, elle marque la transition
de
l’épopée française au « roman » proprement dit. L’épisode d’amour nou
6343
française au « roman » proprement dit. L’épisode
d’
amour nous intéresse d’autant plus qu’il décrit une situation fort ana
6344
proprement dit. L’épisode d’amour nous intéresse
d’
autant plus qu’il décrit une situation fort analogue — dans sa forme —
6345
fort analogue — dans sa forme — à celle du Roman
de
Tristan. Or il est évident que cette situation ne peut être qu’une in
6346
on courtoise (elle tranche nettement sur le reste
de
la légende qui est cléricale et féodale). Cette analogie avec Tristan
6347
t subir au vieux mythe celtique. Elle nous permet
de
mesurer l’influence décisive de l’amour courtois sur les auteurs du c
6348
Elle nous permet de mesurer l’influence décisive
de
l’amour courtois sur les auteurs du cycle breton. Voici la donnée : l
6349
sera Charles, la cadette, Elissent, sera la femme
de
Girard. Lorsque Charles voit les deux princesses, il s’éprend d’Eliss
6350
que Charles voit les deux princesses, il s’éprend
d’
Elissent, déjà fiancée à Girard. Après un long débat, Girard consent à
6351
consent à céder Elissent, à condition qu’il cesse
d’
être vassal du roi. Il épouse Berthe, tandis qu’Elissent devient reine
6352
s, ainsi que Berthe sa femme, et la reine. Femme
de
roi, dit-il, que pensez-vous de l’échange que j’ai fait de vous ? Je
6353
la reine. Femme de roi, dit-il, que pensez-vous
de
l’échange que j’ai fait de vous ? Je sais bien que vous me tenez pour
6354
it-il, que pensez-vous de l’échange que j’ai fait
de
vous ? Je sais bien que vous me tenez pour méprisable. — Non, Seigneu
6355
r méprisable. — Non, Seigneur, mais pour un homme
de
valeur et de prix. Vous m’avez faite reine, et ma sœur, vous l’avez é
6356
— Non, Seigneur, mais pour un homme de valeur et
de
prix. Vous m’avez faite reine, et ma sœur, vous l’avez épousée pour l
6357
ine, et ma sœur, vous l’avez épousée pour l’amour
de
moi. Écoutez-moi, vous, comtes Bertolai et Gervais. Et vous, ma chère
6358
ne à jamais mon amour au duc Girard. Je lui donne
de
mon oscle la fleur, parce que je l’aime plus que mon père et plus que
6359
ari ; et le voyant partir, je ne puis me défendre
de
pleurer… » Dès ce moment, ajoute le poète, « dura toujours l’amour de
6360
moment, ajoute le poète, « dura toujours l’amour
de
Girard et d’Elissent, pur de tout reproche, sans qu’il y eût entre eu
6361
te le poète, « dura toujours l’amour de Girard et
d’
Elissent, pur de tout reproche, sans qu’il y eût entre eux autre chose
6362
ura toujours l’amour de Girard et d’Elissent, pur
de
tout reproche, sans qu’il y eût entre eux autre chose que bon vouloir
6363
est très frappante. Il s’agit dans les deux cas :
D’
un vassal puissant chargé de la « quête » d’une fiancée lointaine — d’
6364
t dans les deux cas : D’un vassal puissant chargé
de
la « quête » d’une fiancée lointaine — d’une rivalité entre le vassal
6365
cas : D’un vassal puissant chargé de la « quête »
d’
une fiancée lointaine — d’une rivalité entre le vassal et son suzerain
6366
chargé de la « quête » d’une fiancée lointaine —
d’
une rivalité entre le vassal et son suzerain ; — d’un conflit entre l’
6367
’une rivalité entre le vassal et son suzerain ; —
d’
un conflit entre l’hommage dû au suzerain et l’hommage donné à la femm
6368
dû au suzerain et l’hommage donné à la femme ; —
d’
un mariage de consolation du vassal (ici avec la sœur de son amie, là
6369
in et l’hommage donné à la femme ; — d’un mariage
de
consolation du vassal (ici avec la sœur de son amie, là avec son homo
6370
ariage de consolation du vassal (ici avec la sœur
de
son amie, là avec son homonyme) — enfin dans les deux légendes, l’amo
6371
t sa fidélité triomphent idéalement du mariage et
de
sa fidélité, en même temps que des liens féodaux. Mais les différence
6372
s significatives. Dans Tristan, c’est la jalousie
d’
Iseut aux blanches mains qui provoque la catastrophe, tandis que dans
6373
extes « courtois ». Ils nous permettent également
de
concevoir que Béroul et Thomas n’ont gardé du mythe druidique guère d
6374
ère davantage que les noms et le support matériel
de
l’action. 1. Sur le mariage en général : Jugement de la comtesse de
6375
’action. 1. Sur le mariage en général : Jugement
de
la comtesse de Champagne : Par la teneur des présentes, nous disons
6376
roquement et gratuitement, sans aucune obligation
de
nécessité, tandis que les époux sont tenus par devoir à toutes les vo
6377
sont tenus par devoir à toutes les volontés l’un
de
l’autre. Que ce jugement que nous prononçons avec une extrême maturit
6378
gable. Donné l’an 1174, le troisième des calendes
de
mai, indiction VII. 2. À rapprocher du mariage blanc de Tristan : Ju
6379
indiction VII. 2. À rapprocher du mariage blanc
de
Tristan : Jugement de la reine Eléonore : Demande. Un amant heureux
6380
rapprocher du mariage blanc de Tristan : Jugement
de
la reine Eléonore : Demande. Un amant heureux avait demandé à sa da
6381
ant heureux avait demandé à sa dame la permission
d’
offrir ses hommages à une autre : il y fut autorisé et cessa de sentir
6382
hommages à une autre : il y fut autorisé et cessa
de
sentir pour sa première amie la tendresse qu’il lui avait portée d’ab
6383
abord. Après un mois, il revient à elle, proteste
de
ne pas s’être épris ailleurs, et de n’avoir pris aucune liberté avec
6384
lle, proteste de ne pas s’être épris ailleurs, et
de
n’avoir pris aucune liberté avec l’autre dame, mais d’avoir voulu seu
6385
avoir pris aucune liberté avec l’autre dame, mais
d’
avoir voulu seulement mettre à l’épreuve la constance de sa maîtresse.
6386
r voulu seulement mettre à l’épreuve la constance
de
sa maîtresse. Celle-ci l’a privé de son amour, disant qu’il s’en est
6387
la constance de sa maîtresse. Celle-ci l’a privé
de
son amour, disant qu’il s’en est rendu indigne en implorant et en acc
6388
mplorant et en acceptant pareille licence. Arrêt
de
la reine Éléonore. Telle est la nature de l’amour : les amants feigne
6389
Arrêt de la reine Éléonore. Telle est la nature
de
l’amour : les amants feignent souvent de souhaiter d’autres nœuds, po
6390
a nature de l’amour : les amants feignent souvent
de
souhaiter d’autres nœuds, pour s’assurer davantage de la fidélité et
6391
ouhaiter d’autres nœuds, pour s’assurer davantage
de
la fidélité et de la constance de la personne aimée. C’est léser le d
6392
nœuds, pour s’assurer davantage de la fidélité et
de
la constance de la personne aimée. C’est léser le droit des amants qu
6393
surer davantage de la fidélité et de la constance
de
la personne aimée. C’est léser le droit des amants que de refuser, so
6394
rsonne aimée. C’est léser le droit des amants que
de
refuser, sous un prétexte semblable, ses embrassements ou sa tendress
6395
ière le néglige. Ce n’est point tant la constance
de
son amie que la sienne propre qu’il veut mettre à l’épreuve. À cette
6396
t bien du même ordre. 4.Conceptions orientales
de
l’amour Il est bien entendu que j’appelle Orient une certaine atti
6397
que j’appelle Orient une certaine attitude totale
de
l’homme qui s’est manifestée principalement chez les peuples et dans
6398
cipalement chez les peuples et dans les religions
de
l’Asie. L’Iran, l’islam, l’Arabie et le judaïsme ne sont pas cet Orie
6399
x occidentaux. Il en va tout autrement des Indes,
de
la Chine, du Tibet, sinon peut-être du Japon médiéval (voir le célèbr
6400
gi), du Japon. Dans un très beau recueil posthume
de
poèmes et d’essais de Léo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relat
6401
. Dans un très beau recueil posthume de poèmes et
d’
essais de Léo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation d’un entr
6402
très beau recueil posthume de poèmes et d’essais
de
Léo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation d’un entretien qu’
6403
éo Ferrero : Désespoirs, je trouve cette relation
d’
un entretien qu’a eu l’auteur avec un jeune Chinois : Le concept d’am
6404
a eu l’auteur avec un jeune Chinois : Le concept
d’
amour » n’existe pas en Chine. Le verbe « aimer » est employé seulemen
6405
et les fils. Le mari n’aime pas la femme : « il a
de
l’affection pour elle », plus ou moins. Quant aux rapports entre la f
6406
ils définissent leurs sentiments. La philosophie
de
Motse (taoïste) — la seule un peu chrétienne, qui a pour fondement qu
6407
iés très jeunes par leurs parents, et le problème
de
l’amour ne se pose pas. Ils n’ont pas à poursuivre toute la vie cette
6408
utres, et dont nous voulons être sûrs. L’attitude
de
l’Européen qui se demande toute sa vie : « Est-ce de l’amour ou non ?
6409
l’Européen qui se demande toute sa vie : « Est-ce
de
l’amour ou non ? Est-ce que j’aime vraiment cette femme, ou est-ce qu
6410
e j’aime vraiment cette femme, ou est-ce que j’ai
de
l’affection pour elle ? Est-ce que j’aime Dieu ou est-ce que j’ai seu
6411
ue j’aime Dieu ou est-ce que j’ai seulement envie
de
l’aimer ? Est-ce que j’aime cet être ou est-ce que j’aime l’amour ? »
6412
il n’aime pas cette femme ; il a seulement envie
de
l’aimer — cette attitude pourrait être considérée par un psychiatre c
6413
dérée par un psychiatre chinois comme un symptôme
de
folie. « Nous sommes fous sans nous en rendre compte ; toute notre vi
6414
x, la tranquillité ! Je suis moi-même le plus fou
de
tous les fous, hélas ! Mais au moins maintenant je le sais. Et encor
6415
ondée sur la famille, et la famille sur l’absence
d’
amour. Les traditions chinoises insistent sur ce point. Toute manifest
6416
oises insistent sur ce point. Toute manifestation
de
tendresse entre mari et femme est jugée inconvenante. (Ces lignes da
6417
femme est jugée inconvenante. (Ces lignes datent
de
1933. Elles sont entièrement confirmées par tout ce que j’ai pu lire
6418
que j’ai pu lire depuis sur l’érotique chinoise,
de
Sylvain Lévi et Tuccé à Filliozat, Maspero et Van Gulik.) (Note de 19
6419
t Tuccé à Filliozat, Maspero et Van Gulik.) (Note
de
1971.) 5.Mystique et amour courtois Dans un appendice à son bea
6420
endice à son beau livre sur la Théologie mystique
de
saint Bernard (Paris, 1934, p. 193 à 216), M. Étienne Gilson examine
6421
193 à 216), M. Étienne Gilson examine le problème
d’
une influence possible de la mystique cistercienne sur les troubadours
6422
lson examine le problème d’une influence possible
de
la mystique cistercienne sur les troubadours. En effet, « chronologiq
6423
fute cette hypothèse en montrant : 1° que l’objet
de
l’amour n’est pas le même pour saint Bernard et pour les troubadours,
6424
n lui, la sensualité naturelle ; 2° que la nature
de
l’amour est très différente dans les deux cas, malgré d’apparentes an
6425
our est très différente dans les deux cas, malgré
d’
apparentes analogies d’expression. M. Gilson conclut qu’il ne peut don
6426
dans les deux cas, malgré d’apparentes analogies
d’
expression. M. Gilson conclut qu’il ne peut donc s’agir que « de deux
6427
M. Gilson conclut qu’il ne peut donc s’agir que «
de
deux produits indépendants de la civilisation du xiie siècle », ayan
6428
t donc s’agir que « de deux produits indépendants
de
la civilisation du xiie siècle », ayant tout au plus en commun quelq
6429
», ayant tout au plus en commun quelques figures
de
langage. Je souscris sans réserve à ce jugement. Mais je le rejoins p
6430
ans réserve à ce jugement. Mais je le rejoins par
de
tout autres voies. Car l’opposition évidente entre la courtoisie et l
6431
ition évidente entre la courtoisie et la mystique
de
saint Bernard n’est pas seulement, comme l’a vu M. Gilson, celle de l
6432
’est pas seulement, comme l’a vu M. Gilson, celle
de
la « chair » et de l’« esprit » au sens paulinien de ces termes, mais
6433
comme l’a vu M. Gilson, celle de la « chair » et
de
l’« esprit » au sens paulinien de ces termes, mais surtout celle de l
6434
la « chair » et de l’« esprit » au sens paulinien
de
ces termes, mais surtout celle de l’hérésie et de l’orthodoxie. Cepen
6435
sens paulinien de ces termes, mais surtout celle
de
l’hérésie et de l’orthodoxie. Cependant certains arguments invoqués p
6436
de ces termes, mais surtout celle de l’hérésie et
de
l’orthodoxie. Cependant certains arguments invoqués par M. Gilson me
6437
r — écrit notre auteur — sur l’objet et la nature
de
l’amour mystique tel que le conçoit saint Bernard : c’est un amour sp
6438
rtois serait au contraire « l’expression poétique
de
la concupiscence » (p. 200). Certes, une opinion assez répandue prête
6439
rs une attitude idéaliste du même genre que celle
de
saint Bernard. Pour dissiper cette illusion, M. Gilson — après M. Jea
6440
Gilson — après M. Jeanroy — invoque le langage «
d’
une crudité intraduisible » d’un Marcabru et même d’un Rudel. Mais tir
6441
nvoque le langage « d’une crudité intraduisible »
d’
un Marcabru et même d’un Rudel. Mais tirer argument de cette crudité e
6442
une crudité intraduisible » d’un Marcabru et même
d’
un Rudel. Mais tirer argument de cette crudité en faveur de la thèse s
6443
Marcabru et même d’un Rudel. Mais tirer argument
de
cette crudité en faveur de la thèse sensualiste et contre la symbolis
6444
» des modernes qui n’est sans doute que le résidu
de
préjugés scientifiques dépassés. Il se pourrait que nous tenions là u
6445
Il se pourrait que nous tenions là un bel exemple
d’
anachronisme. A-t-on seulement remarqué que les siècles passés usaient
6446
ué que les siècles passés usaient très couramment
d’
un langage plus « grossier » que le nôtre — signe d’une sensibilité se
6447
un langage plus « grossier » que le nôtre — signe
d’
une sensibilité sexuelle peu énervée — tandis que notre langage décolo
6448
œurs des troubadours, ma déduction serait inverse
de
celle des savants modernes. Marcabru n’hésite pas à nommer un chat un
6449
il joue le jeu le plus naturel, selon la coutume
de
son temps. Ou si l’on tient que le langage érotique traduit nécessair
6450
rement une sensualité déchaînée, que pensera-t-on
d’
une sainte Thérèse, d’un Ruysbroek ! b) « On n’a jamais entendu saint
6451
déchaînée, que pensera-t-on d’une sainte Thérèse,
d’
un Ruysbroek ! b) « On n’a jamais entendu saint Bernard souhaiter d’êt
6452
) « On n’a jamais entendu saint Bernard souhaiter
d’
être débarrassé de l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sou
6453
entendu saint Bernard souhaiter d’être débarrassé
de
l’amour de Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug de l’Amo
6454
nt Bernard souhaiter d’être débarrassé de l’amour
de
Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug de l’Amour. Donc ce
6455
Dieu. » Or les troubadours gémissent sous le joug
de
l’Amour. Donc cet amour n’est pas spirituel. — Mais plus tard, d’autr
6456
les expressions des troubadours, et souhaiteront
d’
être libérés des tourments de l’amour divin : c’est là bien entendu, c
6457
urs, et souhaiteront d’être libérés des tourments
de
l’amour divin : c’est là bien entendu, comme chez les troubadours, un
6458
entendu, comme chez les troubadours, une manière
d’
exprimer la violence de leur passion, une sorte d’antiphrase. Mais enc
6459
s troubadours, une manière d’exprimer la violence
de
leur passion, une sorte d’antiphrase. Mais encore une fois, si l’on v
6460
d’exprimer la violence de leur passion, une sorte
d’
antiphrase. Mais encore une fois, si l’on veut déduire d’un tel « refu
6461
hrase. Mais encore une fois, si l’on veut déduire
d’
un tel « refus » que l’Amour courtois était purement sensuel, la déduc
6462
est immanent sans être transcendant, il n’y a pas
de
problème mystique au sens où les chrétiens l’entendent. Ce qu’ils ont
6463
. Ce qu’ils ont à expérimenter… c’est l’immanence
d’
un Dieu qui est et reste transcendant. » Mais alors, lorsqu’une créatu
6464
rs, lorsqu’une créature aime son Dieu, l’obstacle
de
la transcendance introduit dans l’amour un malheur essentiel (quoi qu
6465
-à-vis de l’amour des êtres. Certes : « la pureté
de
l’amour courtois sépare les amants, au lieu que celle de l’amour myst
6466
our courtois sépare les amants, au lieu que celle
de
l’amour mystique les unit ». Mais il faut voir que les amants courtoi
6467
contraire, l’amour mystique orthodoxe n’unit pas
de
cette façon, mais fait seulement communier. d) Pour démontrer que l’
6468
is est sensuel, M. Gilson cite encore une strophe
de
Thibaut de Champagne : Douce dame, s’il vos plesoit un soir M’avriez
6469
dame, s’il vos plesoit un soir M’avriez vos plus
de
joie doné C’onques Tristans, qui en fist son pouvoir N’en pust avoir
6470
, qui en fist son pouvoir N’en pust avoir nul jor
de
son ané. Et il commente : « À moins de réformer sérieusement notre c
6471
r nul jor de son ané. Et il commente : « À moins
de
réformer sérieusement notre conception des amours d’Iseut et de Trist
6472
réformer sérieusement notre conception des amours
d’
Iseut et de Tristan, nous ne pouvons avoir de doutes sur la nature des
6473
rieusement notre conception des amours d’Iseut et
de
Tristan, nous ne pouvons avoir de doutes sur la nature des sentiments
6474
ours d’Iseut et de Tristan, nous ne pouvons avoir
de
doutes sur la nature des sentiments dont Thibaut est animé. » Précisé
6475
ts dont Thibaut est animé. » Précisément, l’objet
de
mon ouvrage est, entre autres, de « réformer sérieusement notre conce
6476
sément, l’objet de mon ouvrage est, entre autres,
de
« réformer sérieusement notre conception des amours d’Iseut et de Tri
6477
réformer sérieusement notre conception des amours
d’
Iseut et de Tristan »… 6.Freud et les surréalistes Sur les relat
6478
rieusement notre conception des amours d’Iseut et
de
Tristan »… 6.Freud et les surréalistes Sur les relations entre
6479
eud et les surréalistes, voir dans Les Pas perdus
d’
André Breton la relation de sa courte et décevante visite à Freud (Vie
6480
ir dans Les Pas perdus d’André Breton la relation
de
sa courte et décevante visite à Freud (Vienne, 1921), puis dans le Ma
6481
ation à la suite de Freud, mais aussi les limites
de
l’interprétation freudienne ; d’autre part, les déclarations de Freud
6482
ation freudienne ; d’autre part, les déclarations
de
Freud sur un mouvement littéraire qu’il jugeait aussi sévèrement que
6483
ig datée du 20 juillet 1938, qui relate la visite
de
Salvador Dali, Freud écrit : Jusqu’alors, j’étais tenté de tenir les
6484
or Dali, Freud écrit : Jusqu’alors, j’étais tenté
de
tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patr
6485
bsolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux
de
fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsid
6486
mon opinion. Il serait en effet très intéressant
d’
étudier analytiquement la genèse d’un tableau de ce genre. Du point de
6487
ès intéressant d’étudier analytiquement la genèse
d’
un tableau de ce genre. Du point de vue critique, cependant, on pourra
6488
t d’étudier analytiquement la genèse d’un tableau
de
ce genre. Du point de vue critique, cependant, on pourrait toujours d
6489
ependant, on pourrait toujours dire que la notion
d’
art se refuse à toute extension lorsque le rapport quantitatif entre l
6490
pas dans des limites déterminées. 7.Avènement
de
la Dame au jeu d’échecs On a tenté d’expliquer la transformation d
6491
es déterminées. 7.Avènement de la Dame au jeu
d’
échecs On a tenté d’expliquer la transformation du jeu par l’avènem
6492
vènement de la Dame au jeu d’échecs On a tenté
d’
expliquer la transformation du jeu par l’avènement de la Dame ou Reine
6493
xpliquer la transformation du jeu par l’avènement
de
la Dame ou Reine, qui survint dès l’introduction des échecs en Europe
6494
tion des échecs en Europe, en imaginant une série
de
mutations phoniques à partir du nom de la pièce originelle. Dans le s
6495
une série de mutations phoniques à partir du nom
de
la pièce originelle. Dans le shatranj (persan pour chaturanga, qui si
6496
n fercia, puis altéré par les Français en fierce,
d’
où selon certains : Vierge. En Russie au contraire, le mot firz aurait
6497
aurait à peine changé, donnant fers, avec le sens
de
Premier ministre. Mais voilà qui recule simplement la difficulté. Le
6498
à qui recule simplement la difficulté. Le passage
de
« firz » à « fercia » n’apparaît pas plus convaincant que celui de «
6499
ercia » n’apparaît pas plus convaincant que celui
de
« fercia » à « vierge » (latin « virgo »). La déviation du son est au
6500
rononcée que celle du sens. Il s’agit en tout cas
d’
une erreur, qui eût aussi bien pu être toute différente, ou ne pas êtr
6501
où la pièce reste masculine. Ensuite, le passage
de
Vierge à Dame ou Reine ne va pas de soi, mais constitue, précisément
6502
— s’il s’est vraiment produit — un signe de plus
de
la révolution psychique du Moyen Âge. C’est l’erreur sur le sens d’ab
6503
, mais manifeste une attraction visible, un champ
de
force mesurable. 8.Dante hérétique Tout à fait indépendamment d
6504
ut à fait indépendamment des travaux très sérieux
d’
un Asin Palacios sur une possible influence de la mystique soufiste da
6505
eux d’un Asin Palacios sur une possible influence
de
la mystique soufiste dans la Comédie, il peut être intéressant de men
6506
oufiste dans la Comédie, il peut être intéressant
de
mentionner la thèse hardie et quelque peu aventureuse de deux auteurs
6507
ionner la thèse hardie et quelque peu aventureuse
de
deux auteurs du siècle dernier : Eugène Aroux et, à sa suite, Péladan
6508
et, à sa suite, Péladan. Aroux expose le résultat
de
ses inductions dans un ouvrage aujourd’hui presque introuvable intitu
6509
aliste (1854). Non seulement Dante faisait partie
de
l’ordre des Templiers, mais encore cet ordre aurait été lié à l’hérés
6510
ès lors, toute la Comédie, le Convito, et même le
De
vulgari eloquentia devraient être interprétés symboliquement. Dans un
6511
n. La brochure porte un titre significatif : Clef
de
la Comédie anticatholique de Dante Alighieri, pasteur de l’Église alb
6512
significatif : Clef de la Comédie anticatholique
de
Dante Alighieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville de Floren
6513
omédie anticatholique de Dante Alighieri, pasteur
de
l’Église albigeoise de la ville de Florence, affilié à l’ordre du Tem
6514
e Dante Alighieri, pasteur de l’Église albigeoise
de
la ville de Florence, affilié à l’ordre du Temple — donnant l’explica
6515
hieri, pasteur de l’Église albigeoise de la ville
de
Florence, affilié à l’ordre du Temple — donnant l’explication du lang
6516
t l’explication du langage symbolique des fidèles
d’
Amour dans les compositions lyriques, romans et épopées chevaleresques
6517
rs (1856). C’est un lexique donnant la traduction
d’
environ 500 termes, comme par exemple : « Arbres morts ». — Les cathol
6518
dours traitaient les membres du clergé catholique
d’
arbres automnals morts. « Albigéisme, albigeois ». — Mots introuvables
6519
risme albigeois, qui par un dédoublement mystique
de
l’âme et du corps, étaient censés avoir les deux sexes, hommes en tan
6520
en tant qu’intelligence et pensée libre des liens
de
la matière. « Lancelot ». — … Il faut toute la préoccupation de la le
6521
« Lancelot ». — … Il faut toute la préoccupation
de
la lettre, chez les déchiffreurs de vieux manuscrits, pour qu’une lit
6522
préoccupation de la lettre, chez les déchiffreurs
de
vieux manuscrits, pour qu’une littérature entière soit passée sous le
6523
out, obtenant une vogue européenne, et des amours
d’
une pureté angélique à servir de modèle aux races futures ! (On dirait
6524
ne, et des amours d’une pureté angélique à servir
de
modèle aux races futures ! (On dirait que Rimbaud a lu cela…) Je ne p
6525
e n’a fait que confirmer, plus tard, l’exactitude
de
bien des vues d’Aroux. (Gaston Paris établissant vers 1880 la filiati
6526
nfirmer, plus tard, l’exactitude de bien des vues
d’
Aroux. (Gaston Paris établissant vers 1880 la filiation troubadours-tr
6527
sin Palacios et Luigi Valli reprenant la question
de
l’hérésie chez Dante, etc.) 9.« Coup de foudre » et conversion
6528
estion de l’hérésie chez Dante, etc.) 9.« Coup
de
foudre » et conversion Le premier regard des amants, qui va change
6529
r toute leur vie, correspond à la première touche
de
l’amour divin, à la conversion du chrétien. Gottfried de Strasbourg p
6530
hrétien. Gottfried de Strasbourg peignant l’amour
de
Rivalen pour Blanchefleur (ce sont les parents de Tristan) accumule l
6531
de Rivalen pour Blanchefleur (ce sont les parents
de
Tristan) accumule les expressions religieuses les plus insistantes :
6532
ors la vraie Minne La fougueuse déesse Le pénétra
de
ses ardeurs Et son cœur brûlant Lui révéla la source Des peines dont
6533
omme. Tout ce qu’il faisait Était comme entremêlé
de
folie Et frappé d’aveuglement. Ses sens étaient troublés Égarés par l
6534
faisait Était comme entremêlé de folie Et frappé
d’
aveuglement. Ses sens étaient troublés Égarés par la Minne Et comme dé
6535
nt troublés Égarés par la Minne Et comme délivrés
De
leur frein naturel. Sa vie se consumait. (Traduction Bossert.) Les t
6536
rois derniers vers sont une parfaite confirmation
de
ma définition de la passion opposée à l’amour naturel. 10.Passion
6537
s sont une parfaite confirmation de ma définition
de
la passion opposée à l’amour naturel. 10.Passion et Ascèse Dans
6538
se réfugient les amants (correspondant à la forêt
de
Morois chez Béroul) est décrite en détail, et chaque détail comporte
6539
es géants. C’est une voûte dont la clef est faite
de
pierres précieuses. Au milieu trône un lit de cristal, etc. Mais voic
6540
ite de pierres précieuses. Au milieu trône un lit
de
cristal, etc. Mais voici ce qui nous intéresse : Ce n’est pas sans r
6541
cette contrée sauvage. Cela veut dire Que le lieu
de
l’amour N’est pas dans les routes battues Ni autour des habitations h
6542
) Pour qui conserverait des doutes sur la nature
de
l’amour en question, précisons que Gottfried confesse qu’il a, lui au
6543
désert, mais sans y rencontrer la « récompense »
de
ses peines. (Il n’est pas devenu Parfait) : J’ai connu la fossure Qu
6544
allé en Cornouailles. Comment pourrait-il s’agir
d’
amour physique ? Et le dernier vers indique bien que la « fossure » es
6545
er ailleurs qu’en Cornouailles. (Temple ou grotte
d’
hérétiques ?) 11.Saint François d’Assise et les cathares Paul Sa
6546
ares Paul Sabatier, dans sa fameuse biographie
de
saint François, se pose la question d’une influence possible de l’hér
6547
biographie de saint François, se pose la question
d’
une influence possible de l’hérésie courtoise sur la mystique francisc
6548
ois, se pose la question d’une influence possible
de
l’hérésie courtoise sur la mystique franciscaine. Il commence par nie
6549
Il commence par nier toute communication directe
de
l’une à l’autre. (L’argument avancé me convainc peu : l’hérésie était
6550
argument avancé me convainc peu : l’hérésie était
de
nature dogmatique, et saint François ne s’occupait pas de doctrine… M
6551
e dogmatique, et saint François ne s’occupait pas
de
doctrine… Mais croit-on que tous les cathares dogmatisaient ? Il y a
6552
dogmatisaient ? Il y a de plus sérieuses raisons
de
nier l’hérésie du saint.) Cependant, il décrit fort bien l’ambiance c
6553
Cependant, il décrit fort bien l’ambiance cathare
de
l’Italie au temps de la jeunesse de François. Les hérétiques, baptisé
6554
iance cathare de l’Italie au temps de la jeunesse
de
François. Les hérétiques, baptisés Gazzari en Italie (Bulgares ou Bou
6555
pays du Nord), s’étaient emparés du gouvernement
de
plusieurs municipalités. Le podestat d’Assise était un hérétique, ava
6556
vernement de plusieurs municipalités. Le podestat
d’
Assise était un hérétique, avant 1204 ! Dans les cités avoisinantes, i
6557
vant 1204 ! Dans les cités avoisinantes, il y eut
de
nombreux soulèvements et émeutes occasionnés par le conflit religieux
6558
été le disciple enthousiaste des poètes français (
d’
où son nom même). Il partageait l’engouement des Italiens pour les tro
6559
ueiras, Bernard de Ventadour). Enfin, l’influence
de
Joachim de Flore sur saint François ne saurait faire de doute. Ce fam
6560
chim de Flore sur saint François ne saurait faire
de
doute. Ce fameux ermite annonçait le règne de l’Esprit, l’approche de
6561
ire de doute. Ce fameux ermite annonçait le règne
de
l’Esprit, l’approche de la troisième période de l’humanité, le régime
6562
ermite annonçait le règne de l’Esprit, l’approche
de
la troisième période de l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amo
6563
e de l’Esprit, l’approche de la troisième période
de
l’humanité, le régime de la grâce et de l’Amour. Certains troubadours
6564
de la troisième période de l’humanité, le régime
de
la grâce et de l’Amour. Certains troubadours le connurent. (Richard C
6565
e période de l’humanité, le régime de la grâce et
de
l’Amour. Certains troubadours le connurent. (Richard Cœur de Lion par
6566
exemple.) Les deux doctrines ont certains points
de
ressemblance. Il reste que saint François, s’il fut influencé par l’a
6567
int François, s’il fut influencé par l’atmosphère
de
la religion d’Amour, en transporta toute la passion dans l’Église et
6568
’il fut influencé par l’atmosphère de la religion
d’
Amour, en transporta toute la passion dans l’Église et l’orthodoxie, a
6569
ne obtint sans faire couler le sang la résorption
de
l’hérésie en Italie, alors que la brutalité des cléricaux dans le Mid
6570
e Midi n’y parvint — et en apparence — qu’au prix
d’
effroyables massacres. Seule Agapè peut triompher d’Éros. Mars déchaîn
6571
effroyables massacres. Seule Agapè peut triompher
d’
Éros. Mars déchaîné, même contre Éros, n’est guère qu’un autre aspect
6572
nthousiasme des femmes pieuses, souvent affectées
de
phénomènes extatiques, vivant hors des cloîtres… mais finissant par c
6573
hors des cloîtres… mais finissant par constituer
de
nouvelles communautés religieuses. » Elles sont nombreuses — des cent
6574
igieuses. » Elles sont nombreuses — des centaines
de
mille, selon le pape Jean xxii, en 1321 — dans tout le Nord-Ouest de
6575
ment en Brabant. Leur mouvement est né « au point
de
rencontre de deux courants généraux » : le catharisme et les hérésies
6576
nt. Leur mouvement est né « au point de rencontre
de
deux courants généraux » : le catharisme et les hérésies voisines d’u
6577
ne part, le franciscanisme et la mystique du cœur
de
saint Bernard de Clairvaux d’autre part. Le nom de « béguine » provie
6578
e saint Bernard de Clairvaux d’autre part. Le nom
de
« béguine » provient du catharisme : on le dérive tantôt de « béguin
6579
ne » provient du catharisme : on le dérive tantôt
de
« béguin », désignant le bonnet de laine que portaient les ascètes er
6580
dérive tantôt de « béguin », désignant le bonnet
de
laine que portaient les ascètes errants, tantôt de albigenses. (L’exp
6581
e laine que portaient les ascètes errants, tantôt
de
albigenses. (L’expression « avoir un béguin » signifie en français mo
6582
guin » signifie en français moderne « être coiffé
de
quelqu’un », être amoureux.) Les béguines, confondues avec les cathar
6583
où apparaissent les béguines « est non pas celle
de
l’affranchissement de la femme, mais celle où commence le règne de la
6584
éguines « est non pas celle de l’affranchissement
de
la femme, mais celle où commence le règne de la Dame, qui devait en v
6585
ment de la femme, mais celle où commence le règne
de
la Dame, qui devait en vérité former l’âme de l’Occident et fixer déf
6586
gne de la Dame, qui devait en vérité former l’âme
de
l’Occident et fixer définitivement les traits de sa culture ». Leur m
6587
de l’Occident et fixer définitivement les traits
de
sa culture ». Leur mouvement devait « emprunter ses expressions, dans
6588
esure, à la littérature courtoise ». Leurs poèmes
d’
amour divin sont connus, publiés et traduits aujourd’hui en plusieurs
6589
autres mystiques flamands et rhénans. Les poèmes
de
la béguine Hadewych d’Anvers (milieu du xiiie siècle) ont été tradui
6590
introduction que j’emprunte toutes les citations
de
cet Appendice.) « Le recueil de Hadewych est par sa date comme par so
6591
tes les citations de cet Appendice.) « Le recueil
de
Hadewych est par sa date comme par son style, un témoin privilégié :
6592
l importe les thèmes, les mètres, les expressions
de
l’amour courtois… Parfois, le premier vers semble traduit d’un poème
6593
courtois… Parfois, le premier vers semble traduit
d’
un poème provençal ou français… À la lisière des Flandres se trouvaien
6594
trouvaient alors en effet des centres importants
de
rhétorique et de poésie amoureuse : nous sommes à l’époque où la Prov
6595
en effet des centres importants de rhétorique et
de
poésie amoureuse : nous sommes à l’époque où la Provence vaincue ache
6596
ur le fait qu’un document contemporain (Chronique
de
Morosini, 1429) la déclare expressément béguine. » Est-il besoin de s
6597
la déclare expressément béguine. » Est-il besoin
de
souligner que la seule existence des poèmes des béguines réduit à néa
6598
es raisonnements des historiens qui s’efforçaient
de
démontrer, contre ma thèse, qu’un « abîme sépare » le catharisme, l’a
6599
13.Sur le sadisme Je trouve une confirmation
de
mon analyse du crime sadique dans deux études remarquables de Pierre
6600
se du crime sadique dans deux études remarquables
de
Pierre Klossowski : le Mal et la négation d’autrui dans la philosophi
6601
bles de Pierre Klossowski : le Mal et la négation
d’
autrui dans la philosophie de D. A. F. de Sade et Temps et Agressivité
6602
e Mal et la négation d’autrui dans la philosophie
de
D. A. F. de Sade et Temps et Agressivité. (Recherches philosophiques,
6603
ontre que, pour Sade, le mal est l’unique élément
de
la Nature. On lit dans la Nouvelle Justine : « Oui, j’abhorre la Natu
6604
la connais trop bien que je la déteste : instruit
de
ses affreux secrets… j’ai éprouvé une sorte de plaisir à copier ses n
6605
it de ses affreux secrets… j’ai éprouvé une sorte
de
plaisir à copier ses noirceurs. » (D’où le désir sadique de se libére
6606
é une sorte de plaisir à copier ses noirceurs. » (
D’
où le désir sadique de se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès
6607
à copier ses noirceurs. » (D’où le désir sadique
de
se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès de débauche.) Autre c
6608
e se libérer des tyrannies sensuelles par l’excès
de
débauche.) Autre condamnation vraiment manichéenne de la Création : «
6609
ébauche.) Autre condamnation vraiment manichéenne
de
la Création : « Le principe de vie dans tous les êtres n’est autre qu
6610
aiment manichéenne de la Création : « Le principe
de
vie dans tous les êtres n’est autre que celui de la mort ; nous les r
6611
de vie dans tous les êtres n’est autre que celui
de
la mort ; nous les recevons et les nourrissons dans nous tous deux à
6612
x à la fois. » P. Klossowski oppose cette opinion
de
Sade à celle de Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct de mor
6613
. Klossowski oppose cette opinion de Sade à celle
de
Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct de mort et Éros. L’ana
6614
de Freud, qui voit une antithèse entre l’instinct
de
mort et Éros. L’analyse du mythe nous a montré que cette antithèse es
6615
ictime. Ainsi la conscience sadique est l’inverse
de
la conscience romantique. Le romantique (Pétrarque) se châtie pour co
6616
livre écrit en peu de mois à 32 ans n’a pas fini
de
me poser des questions. Trente-deux ans plus tard j’y reviens, pour c
6617
pare. Ici, je ne veux que répondre à quelques-uns
de
mes critiques, et redresser quelques erreurs, qui ne sont pas toutes
6618
edresser quelques erreurs, qui ne sont pas toutes
de
leur côté, comme on s’en doute. Au plus haut point polyvalent et incl
6619
te. Au plus haut point polyvalent et inclassable,
d’
une transdisciplinarité sauvage (comme certaines grèves), mon ouvrage
6620
certaines grèves), mon ouvrage ne pouvait manquer
de
provoquer des réactions contradictoires et difficilement comparables.
6621
et difficilement comparables. Traité tour à tour
de
« bel amusement » et de « livre le plus important de tous ceux qu’on
6622
ables. Traité tour à tour de « bel amusement » et
de
« livre le plus important de tous ceux qu’on a écrits et publiés sur
6623
« bel amusement » et de « livre le plus important
de
tous ceux qu’on a écrits et publiés sur l’amour », de « fragile autor
6624
ous ceux qu’on a écrits et publiés sur l’amour »,
de
« fragile autorité » et de « bible du genre », il n’a cessé d’influen
6625
publiés sur l’amour », de « fragile autorité » et
de
« bible du genre », il n’a cessé d’influencer durant les trois derniè
6626
autorité » et de « bible du genre », il n’a cessé
d’
influencer durant les trois dernières décennies nombre de romanciers,
6627
encer durant les trois dernières décennies nombre
de
romanciers, poètes et cinéastes, mais de choquer la plupart des érudi
6628
s nombre de romanciers, poètes et cinéastes, mais
de
choquer la plupart des érudits. C’est sans doute qu’il voulait décele
6629
omènes spirituels et affectifs qu’un certain type
de
spécialistes éminents sera toujours tenté de considérer comme autant
6630
type de spécialistes éminents sera toujours tenté
de
considérer comme autant de « difficultés », obscurités ou incongruité
6631
ts sera toujours tenté de considérer comme autant
de
« difficultés », obscurités ou incongruités dans la « position du pro
6632
s cesse élargie et la validité toujours contestée
de
mes thèses m’interdirait à elle seule de me désintéresser des conséqu
6633
ontestée de mes thèses m’interdirait à elle seule
de
me désintéresser des conséquences de l’ouvrage et de passer tranquill
6634
à elle seule de me désintéresser des conséquences
de
l’ouvrage et de passer tranquillement à l’ordre du jour. Il m’arrive
6635
me désintéresser des conséquences de l’ouvrage et
de
passer tranquillement à l’ordre du jour. Il m’arrive aussi d’éprouver
6636
anquillement à l’ordre du jour. Il m’arrive aussi
d’
éprouver un vif besoin de me défouler en ne laissant pas plus longtemp
6637
jour. Il m’arrive aussi d’éprouver un vif besoin
de
me défouler en ne laissant pas plus longtemps impunies certaines inso
6638
insolences critiques. Je saisis donc le prétexte
d’
une réédition en grand format pour alourdir mon livre d’un post-script
6639
réédition en grand format pour alourdir mon livre
d’
un post-scriptum tout à la fois technique et polémique, par lequel, co
6640
é des influences Si j’en crois les confidences
de
quelques écrivains et les écrits de leurs commentateurs, mais plus en
6641
s confidences de quelques écrivains et les écrits
de
leurs commentateurs, mais plus encore les textes mêmes, c’est surtout
6642
r et l’Occident semble avoir influencé des œuvres
de
poètes et de romanciers, tandis que, sur le continent, des films, des
6643
nt semble avoir influencé des œuvres de poètes et
de
romanciers, tandis que, sur le continent, des films, des ballets et d
6644
manifestaient diverses « lectures » assez libres
de
mon ouvrage. Voilà qui pourrait être vérifié — et l’a été sur quelque
6645
é — et l’a été sur quelques points — à l’occasion
de
diplômes et de thèses. Il est malaisé, en revanche, d’estimer les inf
6646
sur quelques points — à l’occasion de diplômes et
de
thèses. Il est malaisé, en revanche, d’estimer les influences dialect
6647
plômes et de thèses. Il est malaisé, en revanche,
d’
estimer les influences dialectiques, obliques ou négatives d’un livre,
6648
es influences dialectiques, obliques ou négatives
d’
un livre, même si l’on se borne à l’examen des seules œuvres écrites o
6649
n des seules œuvres écrites ou plastiques. Ainsi,
de
jeunes romanciers m’ont fait savoir qu’ils renonçaient à tel ouvrage
6650
qu’ils étaient en train de faire. Enfin, certains
de
mes thèmes, explicités ou non, tels que le mariage comme facteur de n
6651
licités ou non, tels que le mariage comme facteur
de
néguentropie sociale, ou le respect de l’autre en tant que différent,
6652
me facteur de néguentropie sociale, ou le respect
de
l’autre en tant que différent, sont invoqués avec une fréquence crois
6653
ellement novateurs, et me reviennent comme autant
d’
échos approbateurs renvoyés par les nouvelles générations et par certa
6654
yés par les nouvelles générations et par certains
de
leurs gourous. Des influences produites dans la vie de mes lecteurs,
6655
urs gourous. Des influences produites dans la vie
de
mes lecteurs, je ne puis rien dire, hors la correspondance où elles m
6656
ù elles m’entraînent parfois nolens volens. Dénué
de
l’autorité du confesseur, je n’en partage pas moins avec lui l’obliga
6657
tuelle du catharisme, toujours liée à l’évocation
de
l’amour courtois. La renaissance cathare au xxe siècle J’obser
6658
que ceux qui nient mes hypothèses jusqu’au point
de
supprimer toute mention de mon livre dans les leurs ne sont pas les d
6659
othèses jusqu’au point de supprimer toute mention
de
mon livre dans les leurs ne sont pas les derniers à s’ébattre sur le
6660
rencontre dans les mêmes lieux et les mêmes temps
de
la poésie des troubadours et du vaste complexe d’hérésies que symboli
6661
de la poésie des troubadours et du vaste complexe
d’
hérésies que symbolise le nom de catharisme. Tout commence avec la pub
6662
du vaste complexe d’hérésies que symbolise le nom
de
catharisme. Tout commence avec la publication en 1937 de La Croisade
6663
arisme. Tout commence avec la publication en 1937
de
La Croisade contre le Graal d’Otto Rahn, jeune Allemand fasciné par M
6664
ublication en 1937 de La Croisade contre le Graal
d’
Otto Rahn, jeune Allemand fasciné par Montségur, où il croit reconnaît
6665
usement dans un désert alpestre, tout près du nid
d’
aigle d’Hitler. Ses deux thèses extrêmes sont reprises d’Eugène Aroux
6666
dans un désert alpestre, tout près du nid d’aigle
d’
Hitler. Ses deux thèses extrêmes sont reprises d’Eugène Aroux et du Sâ
6667
d’Hitler. Ses deux thèses extrêmes sont reprises
d’
Eugène Aroux et du Sâr Péladan : a) « tous les troubadours étaient cat
6668
b) la rhétorique courtoise fut le langage secret
de
l’hérésie. Voilà qui est insoutenable en faculté, mais qui éveille da
6669
her, fût-ce à tâtons, le cœur du problème, et que
d’
une manière ou d’une autre, dans la réalité fondamentale qui est celle
6670
ons, le cœur du problème, et que d’une manière ou
d’
une autre, dans la réalité fondamentale qui est celle du symbole, on b
6671
fondamentale qui est celle du symbole, on brûle.
De
fait, les erreurs manifestes d’Otto Rahn vont se révéler plus féconde
6672
ymbole, on brûle. De fait, les erreurs manifestes
d’
Otto Rahn vont se révéler plus fécondes pour la compréhension de l’amo
6673
nt se révéler plus fécondes pour la compréhension
de
l’amour courtois dans sa genèse socioreligieuse que la masse des trav
6674
conclu régulièrement au très peu de signification
de
leur objet. Partant de là, et de quelque autre chose qui répond, au s
6675
très peu de signification de leur objet. Partant
de
là, et de quelque autre chose qui répond, au secret de moi-même, à ce
6676
de signification de leur objet. Partant de là, et
de
quelque autre chose qui répond, au secret de moi-même, à ce qu’il y a
6677
, et de quelque autre chose qui répond, au secret
de
moi-même, à ce qu’il y a justement de délirant dans la thèse d’Otto R
6678
, au secret de moi-même, à ce qu’il y a justement
de
délirant dans la thèse d’Otto Rahn — j’indique seulement cette sensat
6679
ce qu’il y a justement de délirant dans la thèse
d’
Otto Rahn — j’indique seulement cette sensation de reconnaissance enfi
6680
d’Otto Rahn — j’indique seulement cette sensation
de
reconnaissance enfiévrée qui m’a toujours saisi devant les ruines de
6681
nfiévrée qui m’a toujours saisi devant les ruines
de
certains châteaux du Midi dans un ciel d’aube, horizon spirituel de t
6682
ruines de certains châteaux du Midi dans un ciel
d’
aube, horizon spirituel de tout l’amour courtois — j’écris pour une re
6683
ux du Midi dans un ciel d’aube, horizon spirituel
de
tout l’amour courtois — j’écris pour une revue de jeunes une esquisse
6684
de tout l’amour courtois — j’écris pour une revue
de
jeunes une esquisse de l’opposition passion-mariage. Daniel-Rops m’a
6685
s — j’écris pour une revue de jeunes une esquisse
de
l’opposition passion-mariage. Daniel-Rops m’a proposé, pour une colle
6686
ps m’a proposé, pour une collection qu’il dirige,
de
développer le sujet en un livre. Mais au jour dit pour la remise du m
6687
as une ligne n’est encore écrite, Rops me supplie
de
céder mon tour dans la série à un jeune lieutenant-colonel qui vient
6688
la série à un jeune lieutenant-colonel qui vient
d’
écrire la France et son armée, livre très urgent, semble-t-il211. Soul
6689
is très vite. Après trois mois vécus dans un état
de
transe et d’allégresse quotidienne de découvrir ou d’inventer, le liv
6690
Après trois mois vécus dans un état de transe et
d’
allégresse quotidienne de découvrir ou d’inventer, le livre est termin
6691
ans un état de transe et d’allégresse quotidienne
de
découvrir ou d’inventer, le livre est terminé pour le solstice d’été,
6692
ranse et d’allégresse quotidienne de découvrir ou
d’
inventer, le livre est terminé pour le solstice d’été, triomphe du Jou
6693
d’inventer, le livre est terminé pour le solstice
d’
été, triomphe du Jour, et le soir même je vais à l’Opéra, où l’on donn
6694
à l’Opéra, où l’on donne Tristan, cette revanche
de
la Nuit. Habet Acht ! Habet Acht ! Schon weicht dem Tag die Nacht !2
6695
Tag die Nacht !212 chante Brangaine sur la tour
de
l’aube, au point sublime du IIe Acte, et je ne l’entendrai plus jamai
6696
ais honte. Tôt après la publication, au printemps
de
1939, je reçois plusieurs lettres de Joë Bousquet, le poète paralysé
6697
au printemps de 1939, je reçois plusieurs lettres
de
Joë Bousquet, le poète paralysé de Carcassonne, dont le prestige inve
6698
sieurs lettres de Joë Bousquet, le poète paralysé
de
Carcassonne, dont le prestige investit profondément le groupe des Cah
6699
e j’écrivais mon livre. Dans une lettre sans date
de
1938, il m’écrit en effet : « Je suis trop près de la question qui vo
6700
rès de la question qui vous occupe pour la saisir
d’
un coup d’œil. D’autre part, elle n’est qu’accessoirement pour moi mat
6701
rt, elle n’est qu’accessoirement pour moi matière
d’
érudition… Je veux dire que la question cathare m’a intéressé en expli
6702
à m’assurer que nous sommes sur la même longueur
d’
onde.) Puis, le livre paru, 25 mars 1939, nouvelle lettre : Mon cher
6703
’est pas là. Je prépare une entreprise qui risque
de
donner beaucoup de retentissement à votre travail. Comme elle ne se f
6704
ntéresse au plus haut point la vie intellectuelle
de
notre région. Denis de Rougemont vient de publier une thèse d’une hau
6705
on. Denis de Rougemont vient de publier une thèse
d’
une haute tenue spiritualiste, où il soutient que toute la poésie euro
6706
ur titre « L’Amour et l’Occident », est (…) plein
de
références à des faits inconnus et souvent appuyées sur la haute auto
6707
nconnus et souvent appuyées sur la haute autorité
de
notre éminent compatriote Déodat Roché, d’Arques, naguère encore magi
6708
torité de notre éminent compatriote Déodat Roché,
d’
Arques, naguère encore magistrat à Carcassonne : il apporte une suite
6709
re magistrat à Carcassonne : il apporte une suite
de
révélations exaltantes à tous ceux qui se sont interrogés sur l’atmos
6710
s sur l’atmosphère poétique, morale et religieuse
de
notre pays à travers les siècles. Mais la guerre va suspendre tôt ap
6711
rès notre correspondance et, j’imagine, le projet
de
numéro spécial composé à partir de mon livre ou autour de lui. Ce n’e
6712
livre ou autour de lui. Ce n’est qu’à mon retour
d’
Amérique que j’apprendrai que le Génie d’Oc a bel et bien paru, en 194
6713
n retour d’Amérique que j’apprendrai que le Génie
d’
Oc a bel et bien paru, en 1943, qu’il a même initié la renaissance d’u
6714
paru, en 1943, qu’il a même initié la renaissance
d’
une mystique occitane autour de Montségur, d’une « aventure nouvelle »
6715
ance d’une mystique occitane autour de Montségur,
d’
une « aventure nouvelle » (selon Robert Lafont) et qu’avec les études
6716
lle » (selon Robert Lafont) et qu’avec les études
de
Simone Weil (signées alors Émile Novis) il explique que le catharisme
6717
risme soit soudain devenu l’un des thèmes favoris
de
journaux comme Combat, qui lancent les modes intellectuelles dans le
6718
ilà qui est normal, puisqu’il est, m’assure-t-on,
de
la nature d’un catalyseur de disparaître des combinaisons qu’il amorç
6719
ormal, puisqu’il est, m’assure-t-on, de la nature
d’
un catalyseur de disparaître des combinaisons qu’il amorça. L’ambivale
6720
est, m’assure-t-on, de la nature d’un catalyseur
de
disparaître des combinaisons qu’il amorça. L’ambivalence d’un tel com
6721
ître des combinaisons qu’il amorça. L’ambivalence
d’
un tel comportement — que je retrouve dans la plupart des livres consa
6722
s qui n’aime guère qu’un étranger vienne se mêler
de
cette immense et sombre affaire passionnelle — fût-ce en fervent ami
6723
mbre affaire passionnelle — fût-ce en fervent ami
de
la cause occitane —, je doute qu’il soit bien juste de le rationalise
6724
cause occitane —, je doute qu’il soit bien juste
de
le rationaliser, comme on tend à le faire aujourd’hui en invoquant le
6725
ux épreuves historiques qu’il a subies, une sorte
de
conduite d’échec ? On en trouve en tout cas trois motifs allégués par
6726
historiques qu’il a subies, une sorte de conduite
d’
échec ? On en trouve en tout cas trois motifs allégués par Joë Bousque
6727
Bousquet, dans son beau texte liminaire du Génie
d’
Oc : Les hommes d’Oc sont les héritiers d’une civilisation déchue… La
6728
beau texte liminaire du Génie d’Oc : Les hommes
d’
Oc sont les héritiers d’une civilisation déchue… La religion de ces ho
6729
Génie d’Oc : Les hommes d’Oc sont les héritiers
d’
une civilisation déchue… La religion de ces hommes [i.e. le catharisme
6730
héritiers d’une civilisation déchue… La religion
de
ces hommes [i.e. le catharisme] était, comme leur philosophie, une ép
6731
arisme] était, comme leur philosophie, une épopée
de
la chute. On dirait que le temps devait partager leur délire et faire
6732
r délire et faire entrer dans l’histoire le drame
de
leur esprit… Il est assez naturel que l’échec d’une doctrine de salut
6733
de leur esprit… Il est assez naturel que l’échec
d’
une doctrine de salut engage le salut poétique de cette doctrine. En s
6734
… Il est assez naturel que l’échec d’une doctrine
de
salut engage le salut poétique de cette doctrine. En se brisant contr
6735
d’une doctrine de salut engage le salut poétique
de
cette doctrine. En se brisant contre les circonstances extérieures, e
6736
onstances extérieures, en se heurtant à la raison
d’
État, la religion d’oc, plutôt que de se mutiler, devait s’idéaliser d
6737
s, en se heurtant à la raison d’État, la religion
d’
oc, plutôt que de se mutiler, devait s’idéaliser dans le domaine de la
6738
à la raison d’État, la religion d’oc, plutôt que
de
se mutiler, devait s’idéaliser dans le domaine de la pensée pure et f
6739
de se mutiler, devait s’idéaliser dans le domaine
de
la pensée pure et fabulatrice… Cette religion devait transformer la p
6740
rt des découvreurs Galaad et Perceval… L’aventure
de
la Table ronde finit aussi par un échec complet… (p. 89). L’instinct
6741
t aussi par un échec complet… (p. 89). L’instinct
de
mort et de sexualité se trouve illustré dans la poésie gaélique bien
6742
un échec complet… (p. 89). L’instinct de mort et
de
sexualité se trouve illustré dans la poésie gaélique bien avant Freud
6743
l’affabulation, la mythification étant le propre
de
l’esprit celtique, il s’est produit une sorte de transfert : tout ce
6744
de l’esprit celtique, il s’est produit une sorte
de
transfert : tout ce qui était défaite s’est transformé en une aventur
6745
mé en une aventure merveilleuse, où l’écroulement
de
la société celtique ne peut être dû qu’à des circonstances plus ou mo
6746
constances plus ou moins magiques (p. 253) Quoi
de
commun à ces deux vieilles nations annexées au Domaine par la force e
6747
u Domaine par la force et la ruse ? Outre le fait
d’
avoir été soumises par les Saxons au nord, les Wisigoths au sud, bien
6748
Saxons au nord, les Wisigoths au sud, bien avant
d’
être « mises en annexe » par les Français, il y a sans doute, dès l’or
6749
ar les Français, il y a sans doute, dès l’origine
de
la cortezia du Midi et des légendes arthuriennes, cette même nostalgi
6750
cette même nostalgie essentielle, cette même soif
d’
une revanche idéale sur le réel bien plus encore que sur l’histoire ce
6751
une thèse, mais que l’on adopte un certain angle
de
vision qu’elle impliquait et les catégories qui s’y ordonnent. Ce qui
6752
y ordonnent. Ce qui importe, c’est qu’on s’occupe
de
cela qui auparavant n’était pas vu, ne comptait pas, restait refoulé.
6753
ture et la nature même du problème qu’on convient
de
considérer. Enfin, ce n’est pas de savoir qui gagne, mais à quel jeu
6754
qu’on convient de considérer. Enfin, ce n’est pas
de
savoir qui gagne, mais à quel jeu l’on est en train de jouer. Ceci m’
6755
is peu, m’attaquant à beaucoup, quand j’entrepris
d’
écrire L’Amour et l’Occident. Si j’avais pu mesurer vraiment l’étendue
6756
ccident. Si j’avais pu mesurer vraiment l’étendue
de
mon ignorance, il n’y eût pas eu de livre, c’est certain ; mais aux i
6757
ent l’étendue de mon ignorance, il n’y eût pas eu
de
livre, c’est certain ; mais aux innocents les mains pleines. Je crois
6758
s mains pleines. Je crois bien que les deux tiers
de
mes lectures sur cathares et troubadours, depuis que je travaille le
6759
availle le sujet, je les ai faits après la sortie
de
l’ouvrage. Cela m’a permis de corriger bien des erreurs dans l’éditio
6760
its après la sortie de l’ouvrage. Cela m’a permis
de
corriger bien des erreurs dans l’édition de 1956, et me met en mesure
6761
ermis de corriger bien des erreurs dans l’édition
de
1956, et me met en mesure de répondre aux censeurs les plus péremptoi
6762
reurs dans l’édition de 1956, et me met en mesure
de
répondre aux censeurs les plus péremptoires de mes hypothèses histori
6763
re de répondre aux censeurs les plus péremptoires
de
mes hypothèses historiques. La querelle au sujet des rapports entre c
6764
le complexe des hérésies gnostiques et l’hérésie
de
l’amour courtois — est devenue dans le milieu des érudits quelque cho
6765
a thèse à une grossière simplification permettant
de
l’écarter comme simpliste. Plutôt que de voir où bat le cœur de l’ouv
6766
rmettant de l’écarter comme simpliste. Plutôt que
de
voir où bat le cœur de l’ouvrage : dans le drame entre la Passion de
6767
omme simpliste. Plutôt que de voir où bat le cœur
de
l’ouvrage : dans le drame entre la Passion de la Nuit et la Norme du
6768
œur de l’ouvrage : dans le drame entre la Passion
de
la Nuit et la Norme du Jour, entre les structures essentielles du myt
6769
aire mais qui était le plus vulnérable : la thèse
de
Rahn qui veut que le trobar clus ait joué le rôle d’un langage secret
6770
Rahn qui veut que le trobar clus ait joué le rôle
d’
un langage secret de l’hérésie. Voilà qui était aussi facile à citer d
6771
trobar clus ait joué le rôle d’un langage secret
de
l’hérésie. Voilà qui était aussi facile à citer dans un écho de journ
6772
Voilà qui était aussi facile à citer dans un écho
de
journal qu’à réfuter dans une revue spécialisée, sans toucher à ma th
6773
et tous deux condamnés par l’Église, n’ont « rien
de
commun », c’est à vous de le prouver. Voyons les preuves, ou à leur d
6774
l’Église, n’ont « rien de commun », c’est à vous
de
le prouver. Voyons les preuves, ou à leur défaut les arguments produi
6775
ofesseurs qui en rendirent compte dans les revues
d’
histoire littéraire crurent que je me trompais de manière embarrassant
6776
d’histoire littéraire crurent que je me trompais
de
manière embarrassante, du seul fait que je semblais ignorer ce qu’il
6777
s me reprochaient surtout ce que je m’étais gardé
de
dire, et passaient à côté de mon apport, lequel intervenait sur un to
6778
quel intervenait sur un tout autre plan que celui
de
leurs expertises. Tout cela traîne encore dans des bibliographies mai
6779
que les « divagations » dénoncées par les maîtres
d’
hier soient professées de nos jours par leurs anciens élèves dans un g
6780
énoncées par les maîtres d’hier soient professées
de
nos jours par leurs anciens élèves dans un grand nombre d’universités
6781
urs par leurs anciens élèves dans un grand nombre
d’
universités. Sans revenir sur ces premières « réfutations », je mentio
6782
», je mentionnerai quelques récents récidivistes
d’
une conduite intellectuelle qui n’est peut-être, en somme, que le subs
6783
’est peut-être, en somme, que le substitut laïque
de
l’argument d’autorité, l’invocation du « sérieux scientifique », remp
6784
, en somme, que le substitut laïque de l’argument
d’
autorité, l’invocation du « sérieux scientifique », remplaçant celle d
6785
ieux scientifique », remplaçant celle du dogme et
de
la tradition. Dans l’Histoire littéraire de la Pléiade214, Régine Per
6786
me et de la tradition. Dans l’Histoire littéraire
de
la Pléiade214, Régine Pernoud écarte avec dédain l’idée que la courto
6787
e la courtoisie et l’hérésie aient jamais eu rien
de
commun, même pas les lieux géographiques. Nous ne mentionnerons que
6788
s troubadours et la poésie courtoise comme autant
d’
échos de l’hérésie cathare. Hypothèse certainement ingénieuse, mais qu
6789
dours et la poésie courtoise comme autant d’échos
de
l’hérésie cathare. Hypothèse certainement ingénieuse, mais qui a l’in
6790
ertainement ingénieuse, mais qui a l’inconvénient
d’
être entièrement contredite par les faits : lorsque le catharisme comm
6791
dans les cités commerçantes du Midi, aux environs
de
1165, la poésie courtoise connaît déjà plus d’un demi-siècle d’existe
6792
ns de 1165, la poésie courtoise connaît déjà plus
d’
un demi-siècle d’existence. Cette théorie repose d’ailleurs sur une ra
6793
ésie courtoise connaît déjà plus d’un demi-siècle
d’
existence. Cette théorie repose d’ailleurs sur une radicale méconnaiss
6794
ance tant de l’hérésie cathare elle-même, hérésie
de
bourgeois et de marchands essentiellement, que des données de la poés
6795
érésie cathare elle-même, hérésie de bourgeois et
de
marchands essentiellement, que des données de la poésie courtoise… P
6796
et de marchands essentiellement, que des données
de
la poésie courtoise… Pour le coup, me voilà tenté de retourner le co
6797
a poésie courtoise… Pour le coup, me voilà tenté
de
retourner le compliment à cet éminent historien de la bourgeoisie. Ca
6798
e retourner le compliment à cet éminent historien
de
la bourgeoisie. Car invoquer en guise de « fait », d’ailleurs unique,
6799
ique, et qui ruinerait ma théorie, la propagation
de
l’hérésie chez les marchands du Midi vers 1165, c’est méconnaître les
6800
1165, c’est méconnaître les données élémentaires
de
l’hérésie et de la poésie courtoise, j’entends leurs dates et leurs a
6801
onnaître les données élémentaires de l’hérésie et
de
la poésie courtoise, j’entends leurs dates et leurs aires de diffusio
6802
e courtoise, j’entends leurs dates et leurs aires
de
diffusion, tant géographique que sociale. C’est un fait que l’hérésie
6803
les méridionales cinquante ans après les chansons
de
Guillaume de Poitiers : c’est le type même du « petit fait vrai », in
6804
me du « petit fait vrai », incontestable et dénué
d’
intérêt en l’occurrence. Qui donc, hormis Mme Pernoud, a jamais cru qu
6805
les troubadours composaient pour les commerçants
de
Carcassonne ? L’amour courtois, comme son nom l’indique, se chantait
6806
s, étaient généralement du côté de l’hérésie, non
de
l’Église. Et l’hérésie était bien plus ancienne que Mme Pernoud ne ve
6807
nne que Mme Pernoud ne veut le croire à seule fin
d’
infirmer ma thèse. Pour elle, pas de preuves « sérieuses » que le cath
6808
e à seule fin d’infirmer ma thèse. Pour elle, pas
de
preuves « sérieuses » que le catharisme ait précédé les premiers trou
6809
ois des missions contre l’hérésie et jette un cri
d’
alarme angoissé — mais par quoi ? Le malheureux ignore visiblement que
6810
rtout des « bourgeois » selon Mme Pernoud, mais «
de
modestes paysans ou de pauvres artisans » selon M. Yves Dossat, des m
6811
selon Mme Pernoud, mais « de modestes paysans ou
de
pauvres artisans » selon M. Yves Dossat, des marchands riches et entr
6812
hes et entreprenants selon M. Charles Bru, mais «
de
petites gens » selon Belperron, plusieurs de mes critiques déclarent
6813
is « de petites gens » selon Belperron, plusieurs
de
mes critiques déclarent que ces « humbles origines » excluent tout co
6814
s origines » excluent tout contact avec la poésie
d’
oc sortie, elle, « des plus hautes classes de la société » (P. Belperr
6815
ésie d’oc sortie, elle, « des plus hautes classes
de
la société » (P. Belperron, Joie d’Amour, p. 227). Cependant, on ne p
6816
autes classes de la société » (P. Belperron, Joie
d’
Amour, p. 227). Cependant, on ne peut nier que Raimond V de Toulouse a
6817
partout » : « Les personnages les plus importants
de
ma terre se sont laissés corrompre. La foule a suivi leur exemple. »
6818
ne saurait imaginer qu’ils aient jamais pu parler
de
pair à égal avec les châtelains du Languedoc ni rien espérer des nobl
6819
ne s’entendent que pour exclure toute possibilité
de
rencontre entre cathares et troubadours, me paraissent frappées de la
6820
e cathares et troubadours, me paraissent frappées
de
la même faiblesse congénitale : elles raisonnent à partir de clichés
6821
ui ne leur appartenait pas socialement, par droit
de
naissance », et pour expliquer la soumission à la dame, il reprend la
6822
aime en trop haut lieu ». (C’est le fameux « ver
de
terre amoureux d’une étoile » de V. Hugo). Mais Nelli a coutume de no
6823
lieu ». (C’est le fameux « ver de terre amoureux
d’
une étoile » de V. Hugo). Mais Nelli a coutume de nous fournir les fai
6824
le fameux « ver de terre amoureux d’une étoile »
de
V. Hugo). Mais Nelli a coutume de nous fournir les faits qui nous per
6825
d’une étoile » de V. Hugo). Mais Nelli a coutume
de
nous fournir les faits qui nous permettent de discuter ses propres di
6826
ume de nous fournir les faits qui nous permettent
de
discuter ses propres dires : en l’occurrence, les indications biograp
6827
les jongleurs aient pu former une forte minorité
de
leur cohorte, mais si René Nelli a choisi ces 43 là, c’est qu’il les
6828
, comte d’Orange, en passant par les quatre sires
d’
Ussel, qui sont peut-être d’une branche des Ventadour215. C’est à un a
6829
par les quatre sires d’Ussel, qui sont peut-être
d’
une branche des Ventadour215. C’est à un autre procédé d’intimidation,
6830
ranche des Ventadour215. C’est à un autre procédé
d’
intimidation, plus cavalier que pédant, qu’a recours le chanoine Delar
6831
aurais-je dit, par exemple, que « l’amour-passion
de
Tristan n’est rien d’autre que le catharisme » ?) Et quand il parle d
6832
mple, que « l’amour-passion de Tristan n’est rien
d’
autre que le catharisme » ?) Et quand il parle de la Réforme, c’est un
6833
d’autre que le catharisme » ?) Et quand il parle
de
la Réforme, c’est une erreur par mot que l’on devrait relever216. Mai
6834
hique ». Est-ce au nom de cette « cohérence », ou
de
l’esprit français, ou du dogme, que l’intrépide chanoine n’hésite pas
6835
oine n’hésite pas à écrire : « Il n’y a jamais eu
de
bûcher à Montségur » ? Voilà une bonne nouvelle, mais elle arrive tro
6836
e refouler, pratiquement), et cela par des moyens
d’
autorité, par ce dogme qui « commande l’éthique » et à travers elle, q
6837
et à travers elle, qui sait, les vérités gênantes
de
l’histoire. Messieurs les intégristes de tous les systèmes, si vous c
6838
gênantes de l’histoire. Messieurs les intégristes
de
tous les systèmes, si vous croyez possible de fonder la cohérence de
6839
tes de tous les systèmes, si vous croyez possible
de
fonder la cohérence de votre personne sur un dogme qui lui est extéri
6840
s, si vous croyez possible de fonder la cohérence
de
votre personne sur un dogme qui lui est extérieur, et non sur ses don
6841
rûlez pas les hérétiques qui ont un autre système
de
cohérence intime, ou du moins ne dites pas que votre église, votre pa
6842
rûlés du tout. Troisième variante du même système
de
recours à l’autorité, que ce soit celle de la Science, de l’Église, d
6843
ystème de recours à l’autorité, que ce soit celle
de
la Science, de l’Église, du Parti, ou de simples coutumes que l’on ba
6844
rs à l’autorité, que ce soit celle de la Science,
de
l’Église, du Parti, ou de simples coutumes que l’on baptise Tradition
6845
it celle de la Science, de l’Église, du Parti, ou
de
simples coutumes que l’on baptise Tradition : elle m’est offerte par
6846
offerte par Mme Lot-Borodine. Dès avant la sortie
de
mon livre (dont elle avait lu des bonnes feuilles), elle a mené contr
6847
de pieuse indignation. Elle ne peut me pardonner
d’
avoir assimilé la Maria de l’hérésie à la Sophia gnostique, et cette M
6848
le ne peut me pardonner d’avoir assimilé la Maria
de
l’hérésie à la Sophia gnostique, et cette Maria-Sophia à l’Église cat
6849
18, cette dame n’admet pas que l’on tienne compte
d’
une vérité aussi choquante. André Gide a pu dire à Jean Delay que mon
6850
e mon livre lui avait expliqué ce que (sa lecture
de
) Freud n’avait pu faire, et Jean Delay consacre à cela vingt-cinq pag
6851
consacre à cela vingt-cinq pages du premier tome
de
La Jeunesse d’André Gide. Mme Lot-Borodine, aussitôt, avertit le doct
6852
a vingt-cinq pages du premier tome de La Jeunesse
d’
André Gide. Mme Lot-Borodine, aussitôt, avertit le docteur d’avoir à s
6853
e. Mme Lot-Borodine, aussitôt, avertit le docteur
d’
avoir à se méfier, ce dont — visiblement impressionné — il fait part a
6854
iblement impressionné — il fait part aux lecteurs
de
son second tome. André Gide a sans doute eu tort d’imaginer se compre
6855
son second tome. André Gide a sans doute eu tort
d’
imaginer se comprendre mieux à travers l’œuvre d’un auteur aussi suspe
6856
d’imaginer se comprendre mieux à travers l’œuvre
d’
un auteur aussi suspect et aussi méchamment ignorant de ce que les spé
6857
auteur aussi suspect et aussi méchamment ignorant
de
ce que les spécialistes orthodoxes ont décidé que l’on doit penser de
6858
listes orthodoxes ont décidé que l’on doit penser
de
la Vierge. Mais que penser de quelqu’un qui ne conçoit pas l’identité
6859
ue l’on doit penser de la Vierge. Mais que penser
de
quelqu’un qui ne conçoit pas l’identité Maria-Sophia dans la psycholo
6860
so illustrera mieux que tout autre la possibilité
de
mes hypothèses sur la série d’analogies, voire d’assimilations, entre
6861
tre la possibilité de mes hypothèses sur la série
d’
analogies, voire d’assimilations, entre Sagesse éternelle — Marie — Ve
6862
de mes hypothèses sur la série d’analogies, voire
d’
assimilations, entre Sagesse éternelle — Marie — Vera Vergena — Sophia
6863
ternelle — Marie — Vera Vergena — Sophia — Église
d’
Amour — Dame des pensées ; et sur la rhétorique courtoise comme langag
6864
r la rhétorique courtoise comme langage congénial
de
ce culte unique. Dans son excellent petit livre sur Suso et le Minnes
6865
e Sagesse » devint pour le jeune Suso (à la suite
d’
une extase) « une manière de théophanie substituée à la pure notion de
6866
eune Suso (à la suite d’une extase) « une manière
de
théophanie substituée à la pure notion de la divinité ». Dès lors Sus
6867
manière de théophanie substituée à la pure notion
de
la divinité ». Dès lors Suso, dans ses ouvrages, notamment la Vita et
6868
a et l’Horologium sapientae, va célébrer le culte
de
la Sagesse, sa Dame. « Sa mystique courtoise… serait bien la réplique
6869
oise… serait bien la réplique en terre germanique
de
la « piété fleurie » que les derniers troubadours du Languedoc avaien
6870
ou à cette Clémence qui, croit-on, sous le masque
de
Clémence Isaure, ne serait qu’une autre personnification dévote » (p.
6871
te » (p. 139). Et l’on retrouvera dans ses œuvres
de
prose poétique non seulement toutes les épithètes et images spécifiqu
6872
spécifiques, mais tous les lieux communs obligés
de
la cortezia : — la quête de l’aimée (inquisicio amoris) où se reconna
6873
lieux communs obligés de la cortezia : — la quête
de
l’aimée (inquisicio amoris) où se reconnaît le thème de la princesse
6874
imée (inquisicio amoris) où se reconnaît le thème
de
la princesse lointaine. — le désir pour une Dame jamais vue, qu’on ne
6875
-je seulement voir la bien-aimée, entendre le son
de
sa voix ? Quelle est donc la figure de l’aimée, qui recèle tant de tr
6876
dre le son de sa voix ? Quelle est donc la figure
de
l’aimée, qui recèle tant de trésors charmants ? » (Vita.) — le doute
6877
) — le doute sur la véritable identité ou essence
de
la Dame : « Est-elle Dieu ou créature humaine, femme ou homme, savoi
6878
(Vita.) (Que n’ai-je connu plus tôt cette phrase
de
Suso ! Elle eût fait la meilleure épigraphe à mon Livre II.) Mais il
6879
t ne pouvait la saisir… Elle étalait sa puissance
d’
une extrémité à l’autre et pénétrait toutes choses de sa tendresse. Là
6880
ne extrémité à l’autre et pénétrait toutes choses
de
sa tendresse. Là où il croyait posséder une belle femme il trouvait u
6881
it un fier adolescent. Elle avait tantôt l’aspect
d’
une sage éducatrice, et tantôt se comportait en maîtresse magnifique.
6882
e comportait en maîtresse magnifique. — le thème
de
l’anneau, gage de l’allégeance du chevalier désormais serviteur. (« O
6883
îtresse magnifique. — le thème de l’anneau, gage
de
l’allégeance du chevalier désormais serviteur. (« O belle, ô aimable
6884
, ô aimable Sagesse… ah ! puisse mon âme recevoir
de
Vous l’anneau ! ») — aimer le mal d’amour, « le doux mal qui m’agrée
6885
âme recevoir de Vous l’anneau ! ») — aimer le mal
d’
amour, « le doux mal qui m’agrée », comme dit un trouvère après tous l
6886
… une plaintive joie). — aimer en trop haut lieu,
d’
où la nécessité de garder le secret et de se méfier des délateurs ou l
6887
ie). — aimer en trop haut lieu, d’où la nécessité
de
garder le secret et de se méfier des délateurs ou lauzengiers (merkae
6888
ut lieu, d’où la nécessité de garder le secret et
de
se méfier des délateurs ou lauzengiers (merkaere) ; — les ruses de la
6889
délateurs ou lauzengiers (merkaere) ; — les ruses
de
la Dame pour retarder le Prix et contrarier la satisfaction amoureuse
6890
tisfaction amoureuse, et c’est le principe du joy
d’
amors ou joc, du minnespil des Allemands — ce ludus amoris qui est à l
6891
lor chez Suso ; — enfin, la nostalgie essentielle
de
toute passion qui s’adresse à l’absolu, à l’infini : le senen qui est
6892
pour nos naïfs érudits « prouvaient la réalité »
de
la Dame !) Ainsi Suso « tient cette gageure de chanter comme une femm
6893
» de la Dame !) Ainsi Suso « tient cette gageure
de
chanter comme une femme aimée le Bien insaisissable, le Dieu sans mod
6894
issable, le Dieu sans mode et sans nom » (p. 54).
D’
autant plus le principe divin devient abstrait, d’autant plus il se fé
6895
D’autant plus le principe divin devient abstrait,
d’
autant plus il se féminise. Bref, tout ce que nos experts en courtoisi
6896
experts en courtoisie d’une part, et en mystique
de
l’autre, décrètent depuis toujours et à jamais incompatible, tout est
6897
cela ne prouve pas que les troubadours parlaient
de
la Sophia quand ils louaient leur Dame ; mais cela prouve qu’il n’y a
6898
r Dame ; mais cela prouve qu’il n’y avait là rien
d’
impossible, à supposer que leur disposition eût été telle. La thèse ma
6899
dominicain très fidèle aux disciplines et dogmes
de
son ordre ; et que rien ne permet de le relier à l’hérésie, sinon pré
6900
es et dogmes de son ordre ; et que rien ne permet
de
le relier à l’hérésie, sinon précisément son refus déclaré des thèses
6901
hérésie. Je distingue là, cependant, une pétition
de
principe quant à l’orthodoxie de Suso. De fait, sans qu’il soit même
6902
nt, une pétition de principe quant à l’orthodoxie
de
Suso. De fait, sans qu’il soit même besoin de rappeler son influence
6903
étition de principe quant à l’orthodoxie de Suso.
De
fait, sans qu’il soit même besoin de rappeler son influence sur la se
6904
xie de Suso. De fait, sans qu’il soit même besoin
de
rappeler son influence sur la secte des Amis de Dieu, nous savons qu’
6905
n de rappeler son influence sur la secte des Amis
de
Dieu, nous savons qu’il s’est formé dans l’atmosphère religieuse de C
6906
ns qu’il s’est formé dans l’atmosphère religieuse
de
Cologne, « bastion des Béghards hérétiques » (eux-mêmes héritiers des
6907
(eux-mêmes héritiers des cathares), et aux pieds
de
Maître Eckhart, où il rencontrait Tauler : tous les deux condamnés pa
6908
ns telle qu’il la concevait. Et surtout, ce culte
de
la Sagesse qui est un trait décisif de sa piété, ne le partage-t-il p
6909
, ce culte de la Sagesse qui est un trait décisif
de
sa piété, ne le partage-t-il pas avec les hérétiques ? Faudra-t-il en
6910
l que ne le feraient croire les jugements globaux
d’
orthodoxie et d’hérésie ; étiquettes bien vaines d’ailleurs quand il s
6911
ient croire les jugements globaux d’orthodoxie et
d’
hérésie ; étiquettes bien vaines d’ailleurs quand il s’agit de compren
6912
étiquettes bien vaines d’ailleurs quand il s’agit
de
comprendre un message spirituel. Origines iraniennes du Graal P
6913
igines iraniennes du Graal Peu après la sortie
de
L’Amour et l’Occident , Albert Béguin avait écrit de son auteur : «
6914
L’Amour et l’Occident , Albert Béguin avait écrit
de
son auteur : « Ce qui est remarquable, c’est que ce virtuose soit en
6915
it en même temps un esprit désintéressé, soucieux
de
la seule vérité à laquelle il se dévoue »221. Dix ans plus tard, sous
6916
ard, sous la même signature, à propos de la pièce
de
Julien Gracq intitulée Le Roi pêcheur, je lis ceci : « Pour dénier au
6917
ienne (J. Gracq) s’appuie sur la fragile autorité
de
Denis de Rougemont, dont L’Amour et l’Occident est une suite de parad
6918
ugemont, dont L’Amour et l’Occident est une suite
de
paradoxes suggestifs, mais dénuée de tout sérieux historique et se bo
6919
st une suite de paradoxes suggestifs, mais dénuée
de
tout sérieux historique et se bornant à reprendre sans critique les h
6920
prendre sans critique les hypothèses aventureuses
de
Rahn. »222 Les motifs de cette évolution à 180° du remarquable auteu
6921
hypothèses aventureuses de Rahn. »222 Les motifs
de
cette évolution à 180° du remarquable auteur de L’Âme romantique et l
6922
s de cette évolution à 180° du remarquable auteur
de
L’Âme romantique et le Rêve tiennent, je crois, davantage à sa biogra
6923
ois, davantage à sa biographie qu’à une relecture
de
mon livre. Au sujet de la Quête du Graal, « d’inspiration cistercienn
6924
re de mon livre. Au sujet de la Quête du Graal, «
d’
inspiration cistercienne », il écrit : « La conception orthodoxe de l’
6925
tercienne », il écrit : « La conception orthodoxe
de
l’histoire et d’autre part la hiérarchie des états spirituels n’ont j
6926
ts spirituels n’ont jamais trouvé pour s’exprimer
de
forme meilleure que celle des aventures du Graal. » Or cette concepti
6927
que la déclare Béguin, n’en est pas moins ruinée
de
nos jours : d’un ensemble de travaux menés en toute indépendance les
6928
Béguin, n’en est pas moins ruinée de nos jours :
d’
un ensemble de travaux menés en toute indépendance les uns des autres
6929
est pas moins ruinée de nos jours : d’un ensemble
de
travaux menés en toute indépendance les uns des autres il résulte que
6930
es — comme l’avait entrevu F. von Suhtschek — est
d’
origine iranienne attestée, mithriaque, hermétique et en même temps pr
6931
s soufis. Je ne puis ici que renvoyer au monument
de
science passionnée que représentent les quatre gros volumes de l’isla
6932
ssionnée que représentent les quatre gros volumes
de
l’islam iranien d’Henry Corbin, œuvre aussi admirable par sa maîtrise
6933
entent les quatre gros volumes de l’islam iranien
d’
Henry Corbin, œuvre aussi admirable par sa maîtrise technique que par
6934
it autre que Guilhem ou Guillot de Tudela (et non
de
Tolède, comme on l’a cru), représente, avec la famille royale des Pla
6935
le royale des Plantagenêts, le chaînon qui permet
de
relier non seulement les mystiques mais aussi les chevaleries de l’Ir
6936
eulement les mystiques mais aussi les chevaleries
de
l’Iran et de l’Europe médiévale, sans oublier « certaines doctrines c
6937
mystiques mais aussi les chevaleries de l’Iran et
de
l’Europe médiévale, sans oublier « certaines doctrines cathares » qui
6938
corroborer pour l’essentiel une importante étude
de
Déodat Roché : Le Graal pyrénéen, cathares et templiers (reprise dans
6939
rmétiques, mithriaques, manichéennes et soufistes
de
la légende du Graal, en y ajoutant la source cathare. D. Roché ne dis
6940
tant la source cathare. D. Roché ne disposait pas
de
la documentation considérable des Kahane224 et de Coyagee225, mais un
6941
de la documentation considérable des Kahane224 et
de
Coyagee225, mais une fois de plus, sa saisie intuitive du phénomène s
6942
sie intuitive du phénomène spirituel lui a permis
de
devancer les érudits. Troubadours et cathares Dans un tout autr
6943
ubadours et cathares Dans un tout autre climat
de
compréhension intellectuelle et spirituelle, gagée sur une connaissan
6944
trouve jamais sans plaisir ou profit deux esprits
de
qualité qui, de manières fort différentes, diffèrent de mes vues, l’u
6945
ns plaisir ou profit deux esprits de qualité qui,
de
manières fort différentes, diffèrent de mes vues, l’un en les attaqua
6946
lité qui, de manières fort différentes, diffèrent
de
mes vues, l’un en les attaquant de front avec une pétulance qui ne s’
6947
tes, diffèrent de mes vues, l’un en les attaquant
de
front avec une pétulance qui ne s’est pas démentie depuis trente ans,
6948
le professeur Henri I. Marrou (c’est le vrai nom
de
Davenson) résume dans son précieux petit livre intitulé Les Troubadou
6949
ntitulé Les Troubadours (1961 et 1971) l’argument
de
notre « tenson », inauguré par d’assez vifs assauts dans la revue Esp
6950
971) l’argument de notre « tenson », inauguré par
d’
assez vifs assauts dans la revue Esprit dès 1939 : Je lui reprocherai
6951
rocherai cette fureur dialectique dans le creuset
de
laquelle s’abolissent les contradictoires et toute diversité se rédui
6952
(tant pis si celle-ci roule les flots contrastés
d’
al-Hallâj et d’Ibn Dawoud) : tout cela ne vient-il pas de l’Orient, et
6953
elle-ci roule les flots contrastés d’al-Hallâj et
d’
Ibn Dawoud) : tout cela ne vient-il pas de l’Orient, et pour finir rep
6954
llâj et d’Ibn Dawoud) : tout cela ne vient-il pas
de
l’Orient, et pour finir représente dans l’homme occidental le retour
6955
inir représente dans l’homme occidental le retour
d’
un Orient symbolique ? Je conteste surtout la valeur d’une assimilatio
6956
Orient symbolique ? Je conteste surtout la valeur
d’
une assimilation entre l’amour courtois des troubadours et une définit
6957
’amour courtois des troubadours et une définition
de
la « passion » issue tout entière à travers le Tristan de Wagner et s
6958
et parfois « se mêle » en réalité et rien ne sert
d’
ajouter que chez moi « tout se confond » : ce malheur n’ôterait pas le
6959
conclut que « faire des troubadours les chantres
de
l’amour réciproque malheureux, eux dont le maître mot est « Joie », n
6960
solu que l’on peut établir ici entre « nos poètes
d’
Oc… qui ne cessent de parler de lum et de clartaz » et le « sombre apo
6961
ablir ici entre « nos poètes d’Oc… qui ne cessent
de
parler de lum et de clartaz » et le « sombre apologue nordique » ne r
6962
entre « nos poètes d’Oc… qui ne cessent de parler
de
lum et de clartaz » et le « sombre apologue nordique » ne repose sur
6963
s poètes d’Oc… qui ne cessent de parler de lum et
de
clartaz » et le « sombre apologue nordique » ne repose sur un cliché
6964
ins chantent la Mort. C’est dans le grand ouvrage
de
René Nelli sur L’Érotique des troubadours (1963) que l’on puisera les
6965
troubadours (1963) que l’on puisera les éléments
d’
une vision plus authentique. Je cite p. 52 : « L’idée de mort-par-amou
6966
vision plus authentique. Je cite p. 52 : « L’idée
de
mort-par-amour est l’un des traits qui nous paraissent constituer la
6967
i nous paraissent constituer la commune substance
de
l’amour arabe et de l’amour provençal. » Et certes, si l’on voit bien
6968
nstituer la commune substance de l’amour arabe et
de
l’amour provençal. » Et certes, si l’on voit bien que « l’amour insat
6969
ait par essence ne peut s’exprimer que sous forme
d’
aspiration à la mort », on peut aussi soutenir que les troubadours « m
6970
ut aussi soutenir que les troubadours « mouraient
d’
amour comme nous mourons de soif » (p. 73). Il n’en reste pas moins qu
6971
roubadours « mouraient d’amour comme nous mourons
de
soif » (p. 73). Il n’en reste pas moins que l’« amour-trépas des Arab
6972
es Arabes paraît correspondre à la mort-par-amour
de
l’érotique occitane » (p. 251), et que pour Guilhem Montanhagol « com
6973
ol « comme pour les anciens troubadours, le thème
de
la mort-par-désir — pour conventionnel qu’il soit — est le ressort de
6974
— pour conventionnel qu’il soit — est le ressort
de
Fin’Amors » (p. 242). Mais il y a plus : mourir d’amour, mourir au se
6975
e Fin’Amors » (p. 242). Mais il y a plus : mourir
d’
amour, mourir au service de la Dame et, par ce service à l’extrême, te
6976
s il y a plus : mourir d’amour, mourir au service
de
la Dame et, par ce service à l’extrême, tendre au salut, aller à Dieu
6977
s, aux mystiques arabes, et sans nul doute à plus
d’
une hérésie dualiste ou manichéisante du Moyen Âge ? Prenez ma vie en
6978
te du Moyen Âge ? Prenez ma vie en hommage Belle
de
dure merci, Pourvu que vous m’accordiez Que par vous au Ciel je tende
6979
roman provençal anonyme intitulé Flamenca, obligé
de
se déguiser en clerc pour approcher une dame trop bien surveillée, «
6980
athare (s’apatarine) et il sert Dieu en intention
de
sa dame », ce qui semble bien signifier (au moins pour l’auteur du ro
6981
ni les troubadours ne sont très loin de l’endura
d’
amour dont meurt Tristan et où Isolde le rejoint en « joie suprême ».
6982
« le Midi était familiarisé avec la riche matière
de
Bretagne… la Quête du Graal, Gauvain, Perceval, la belle histoire de
6983
te du Graal, Gauvain, Perceval, la belle histoire
de
Tristan et Iseut ». Aux exemples qu’il donne (Cercamon, Barbezieux, e
6984
es qu’il donne (Cercamon, Barbezieux, et le roman
de
Flamenca) on en ajouterait vingt sans se donner trop de mal227. Mais
6985
menca) on en ajouterait vingt sans se donner trop
de
mal227. Mais jouons la difficulté, qui a nom Bernard de Ventadour. Da
6986
sent battre le cœur du lyrisme occitan, le canso
de
l’Alouette, tout est d’abord lum et clartaz. Mais c’est précisément d
6987
d lum et clartaz. Mais c’est précisément du début
de
ce chant que Simone Weil écrit merveilleusement : « Quelques vers des
6988
ques vers des troubadours ont su exprimer la joie
d’
une manière si pure qu’à travers elle transparaît la douleur poignante
6989
aît la douleur poignante, la douleur inconsolable
de
la créature finie » : Quand je vois l’alouette mouvoir De joie ses a
6990
ature finie » : Quand je vois l’alouette mouvoir
De
joie ses ailes à contrejour Qui s’oublie et se laisse choir Par la do
6991
t la même note, et rien dans les langues modernes
d’
Europe n’a l’équivalent des délices qu’elle renferme. ») Mais dès la d
6992
raché par l’amour que le poète ne peut s’empêcher
d’
éprouver pour celle « dont il n’aura jamais rien » : Elle m’a pris le
6993
ne. Et voici le recours à l’exil, toujours image
de
la mort : Puisqu’il ne lui agrée point que je l’aime, jamais ne le d
6994
’aime, jamais ne le dirai plus. Ici, je me sépare
de
mon amour et le renie. Elle me tue et par mort je réponds229. Puisqu’
6995
l, ne sais où. Tristan230, vous n’aurez plus rien
de
moi, car je m’en vais, chétif, je ne sais où. Je renonce aux chansons
6996
enonce aux chansons et les renie. Loin de Joie et
d’
Amour, je me cache. Ceci encore, dans un autre canso, qui commence ju
6997
commence justement par : « Tant ai le cœur plein
de
joie »… Du souci qui me hante Où m’abriterai-je ? La nuit il m’agite
6998
agite et jette Sur le bord du lit Je souffre plus
d’
amour Que l’amoureux Tristan Qui endura maints tourments Pour Iseut la
6999
Dieu, que ne suis-je aronde Pour traverser l’air
D’
un vol par la nuit profonde Jusque en sa demeure ? Et certes, rien n
7000
orages wagnériens dans la pure et dolente mélodie
de
Bernard, mais l’amour de désir infini, les tourments endurés, l’exil,
7001
pure et dolente mélodie de Bernard, mais l’amour
de
désir infini, les tourments endurés, l’exil, et l’instance obsédante
7002
ourments endurés, l’exil, et l’instance obsédante
de
la mort ne sont-ils pas ici, comme dans Tristan, liés par les complic
7003
mplicités profondes du vertige ? Le Ciel me garde
d’
assimiler et d’uniformiser ce qui diffère ! (Ce serait contraire à ma
7004
ndes du vertige ? Le Ciel me garde d’assimiler et
d’
uniformiser ce qui diffère ! (Ce serait contraire à ma théologie, à mo
7005
ute ma doctrine politique.) Je dis seulement que,
de
la mort d’amour tenue à grand honneur par les Banou Odrah, tribu bédo
7006
rine politique.) Je dis seulement que, de la mort
d’
amour tenue à grand honneur par les Banou Odrah, tribu bédouine, jusqu
7007
les Banou Odrah, tribu bédouine, jusqu’aux amants
de
Cornouailles dont Béroul et Thomas, puis Gottfried et Richard nous ré
7008
nt nés « pour désirer et pour mourir, pour mourir
de
désirer », en passant par les grands troubadours du xii e siècle et l
7009
ne fut « attestée » ni ne le sera par certificats
d’
origine, manifestes d’école ou expertises notariées, mais par l’éviden
7010
ne le sera par certificats d’origine, manifestes
d’
école ou expertises notariées, mais par l’évidence des poèmes et la qu
7011
ées, mais par l’évidence des poèmes et la qualité
de
l’émotion par eux transmise ou inventée. Loin de vouloir qu’un systèm
7012
nsmise ou inventée. Loin de vouloir qu’un système
d’
interprétation historique gagne et s’impose, je ne cherche qu’à mieux
7013
endre pour mieux vivre une certaine forme exaltée
d’
exister, une certaine aventure de l’âme, un « voyage », diraient-ils,
7014
ne forme exaltée d’exister, une certaine aventure
de
l’âme, un « voyage », diraient-ils, où nous entraîne le vin herbé du
7015
périence poétique et musicale. C’est une question
d’
oreille et non de preuves écrites ou de sources à vérifier, une questi
7016
et musicale. C’est une question d’oreille et non
de
preuves écrites ou de sources à vérifier, une question d’intuition et
7017
e question d’oreille et non de preuves écrites ou
de
sources à vérifier, une question d’intuition et d’accueil, et non pas
7018
es écrites ou de sources à vérifier, une question
d’
intuition et d’accueil, et non pas de démonstration. Je lis la Vida de
7019
e sources à vérifier, une question d’intuition et
d’
accueil, et non pas de démonstration. Je lis la Vida de Rudel, poète d
7020
une question d’intuition et d’accueil, et non pas
de
démonstration. Je lis la Vida de Rudel, poète de « l’amour de loin »
7021
de démonstration. Je lis la Vida de Rudel, poète
de
« l’amour de loin » et croisé sans esprit de retour, dont Pétrarque n
7022
tion. Je lis la Vida de Rudel, poète de « l’amour
de
loin » et croisé sans esprit de retour, dont Pétrarque nous dit « qu’
7023
oète de « l’amour de loin » et croisé sans esprit
de
retour, dont Pétrarque nous dit « qu’il mit la voile et prit les rame
7024
’il mit la voile et prit les rames à la recherche
de
sa mort ». Je lis et je revis l’émotion de Tristan. Je propose que ce
7025
herche de sa mort ». Je lis et je revis l’émotion
de
Tristan. Je propose que cette émotion soit seule arbitre entre nos th
7026
os thèses. Jaufré Rudel de Blaye fut gentilhomme
de
grande noblesse et prince de Blaye ; et il s’énamoura de la comtesse
7027
de noblesse et prince de Blaye ; et il s’énamoura
de
la comtesse de Tripoli, sans la voir, pour le bien qu’il en entendit
7028
qu’il en entendit dire aux pèlerins qui venaient
d’
Antioche ; et il fit d’elle maintes poésies avec bonne musique et pauv
7029
aux pèlerins qui venaient d’Antioche ; et il fit
d’
elle maintes poésies avec bonne musique et pauvres paroles. Et par vol
7030
bonne musique et pauvres paroles. Et par volonté
de
la voir, il se croisa et prit la mer. Et dans la nef il tomba malade
7031
la vue, l’ouïe et l’odorat ; et il remercia Dieu
d’
avoir soutenu sa vie jusqu’à ce qu’il l’eût vue. Et ainsi il mourut en
7032
elle se rendit nonne pour la douleur qu’elle eut
de
sa mort231. Mais comment ne pas songer ici à la fin d’une autre Vida
7033
mort231. Mais comment ne pas songer ici à la fin
d’
une autre Vida, celle de Raimon Jordan, vicomte de Saint-Antonin (xiie
7034
e pas songer ici à la fin d’une autre Vida, celle
de
Raimon Jordan, vicomte de Saint-Antonin (xiie siècle), « où il nous
7035
d’une autre Vida, celle de Raimon Jordan, vicomte
de
Saint-Antonin (xiie siècle), « où il nous est conté que la dame de c
7036
xiie siècle), « où il nous est conté que la dame
de
ce troubadour, apprenant qu’il avait été tué dans un combat, alla s’e
7037
é dans un combat, alla s’enfermer dans une maison
de
femmes hérétiques ». Cette histoire, conclut René Nelli, « montre cla
7038
extraordinaire dans la bonne société qu’une dame
de
haut rang se fît cathare par désespoir d’amour »232. Pendant des anné
7039
ne dame de haut rang se fît cathare par désespoir
d’
amour »232. Pendant des années, après la publication de mon livre, c’e
7040
ur »232. Pendant des années, après la publication
de
mon livre, c’est dans les ouvrages de René Nelli consacrés tantôt au
7041
publication de mon livre, c’est dans les ouvrages
de
René Nelli consacrés tantôt au catharisme233 et tantôt aux troubadour
7042
récises et sensibles confirmations ou corrections
de
mes hypothèses sur la nature des relations entre troubadours et catha
7043
xiiie siècles. Alors que Davenson ne craint pas
d’
écrire qu’« aucun document ne permet de saisir la moindre collusion en
7044
craint pas d’écrire qu’« aucun document ne permet
de
saisir la moindre collusion entre troubadours et cathares » (Op. cit.
7045
rappelle non seulement le fait que je soulignais
d’
entrée de jeu : que « l’amour provençal » s’est développé parallèlemen
7046
non seulement le fait que je soulignais d’entrée
de
jeu : que « l’amour provençal » s’est développé parallèlement au cath
7047
ené Nelli — outre l’épisode que je viens de citer
de
la Vida de R. Jordan : Les documents du xiiie siècle révèlent que p
7048
èlent que presque toutes les dames du Toulousain,
de
l’Albigeois, du Carcassès, du Comté de Foix, qui accueillaient et pro
7049
protégeaient les troubadours étaient, à la veille
de
la Croisade, sinon « parfaites » du moins « croyantes » (Op. cit., p.
7050
« croyantes » (Op. cit., p. 229). Une quinzaine
de
troubadours ont été cathares ou à tout le moins « catharisants », par
7051
herait en vain dans Les Fleurs du mal des phrases
de
catéchisme ou les canons du concile de Trente mis en vers.) Chaque tr
7052
es phrases de catéchisme ou les canons du concile
de
Trente mis en vers.) Chaque troubadour cathare — et peu m’importe leu
7053
uelle, mais surtout sur l’impossibilité théorique
de
« la moindre collusion »235. « Les prédicateurs cathares aimaient à c
7054
édicateurs cathares aimaient à citer le sirventes
de
Peire Cardenal Clergue si fan pastor » (R. Lavaud, cité dans E. T. p.
7055
t catholique) Matfre Ermengau, dans son Bréviaire
d’
Amour, reprend les derniers cathares qui « par erreur d’hérésie ont co
7056
r, reprend les derniers cathares qui « par erreur
d’
hérésie ont coutume de blâmer l’ordre matrimonial et d’en médire ». Or
7057
s cathares qui « par erreur d’hérésie ont coutume
de
blâmer l’ordre matrimonial et d’en médire ». Or c’est ce qu’ont fait
7058
ésie ont coutume de blâmer l’ordre matrimonial et
d’
en médire ». Or c’est ce qu’ont fait tous les grands troubadours. Enfi
7059
les grands troubadours. Enfin, le roman courtois
de
Flamenca porte des traces certaines de catharisme, tandis que le Roma
7060
n courtois de Flamenca porte des traces certaines
de
catharisme, tandis que le Roman de Barlaam et Josaphat représente peu
7061
aces certaines de catharisme, tandis que le Roman
de
Barlaam et Josaphat représente peut-être en son entier une « collusio
7062
ier une « collusion » entre le gnosticisme hérité
de
ses origines orientales (voir plus haut p. 102) et la morale courtois
7063
is le poète y assimile si curieusement l’attitude
de
Guillem à celle d’un « patarin » qu’on est bien obligé de reconnaître
7064
ile si curieusement l’attitude de Guillem à celle
d’
un « patarin » qu’on est bien obligé de reconnaître que, dans son espr
7065
em à celle d’un « patarin » qu’on est bien obligé
de
reconnaître que, dans son esprit, l’Amour et le catharisme pouvaient
7066
ur quelques points essentiels. » (E. T., p. 237.)
De
tout ceci résulte que la relation troubadours-cathares, si ardemment
7067
ation amour courtois-Tristan), présente une sorte
d’
évidence spirituelle qu’aucune méthode dite objective ne parviendra ja
7068
rudit qui écrit sa thèse et qui s’est mis en tête
de
rivaliser avec les plus tatillons des « spécialistes »… Certes, il n’
7069
s »… Certes, il n’aura jamais la (fausse) naïveté
de
constater comme le fait Belperron « qu’aucune source ne nous décrit l
7070
on « qu’aucune source ne nous décrit la rencontre
d’
un Parfait et d’un troubadour dans le même château » (La Croisade cont
7071
ource ne nous décrit la rencontre d’un Parfait et
d’
un troubadour dans le même château » (La Croisade contre les albigeois
7072
les albigeois, p. 60), et que la possibilité même
d’
une telle rencontre doit être exclue, s’agissant de « deux éléments ét
7073
’une telle rencontre doit être exclue, s’agissant
de
« deux éléments étrangers et même antagonistes » (Joie d’Amour, p. 22
7074
x éléments étrangers et même antagonistes » (Joie
d’
Amour, p. 220). Il sait bien que des rencontres comme celle que Belper
7075
(E. T., p. 228-229)236. Bien mieux, la rencontre
d’
un cathare déclaré et d’un troubadour s’est attestée au moins une fois
7076
Bien mieux, la rencontre d’un cathare déclaré et
d’
un troubadour s’est attestée au moins une fois dans un même homme, Gui
7077
, René Nelli, à propos de Durfort précisément, et
de
quelques autres présumés cathares, observe « qu’on chercherait en vai
7078
quement hérétique… Tous s’en tiennent aux données
de
l’érotique traditionnelle, ou plus exactement : les différences qui l
7079
tous les troubadours ont été cathares ou qu’aucun
d’
eux ne l’a été. Or il est évident que tous les troubadours n’ont pas é
7080
pratiquement, aucun retentissement sur le contenu
de
la lyrique amoureuse ou qu’ils n’ont point voulu qu’elles y parussent
7081
théorique » (E. T., p. 234-235). Je serais tenté
de
souscrire à ce raisonnement (qu’il m’est arrivé de me tenir), si je n
7082
e souscrire à ce raisonnement (qu’il m’est arrivé
de
me tenir), si je ne m’avisais d’un très sérieux défaut dans la symétr
7083
’il m’est arrivé de me tenir), si je ne m’avisais
d’
un très sérieux défaut dans la symétrie qu’il propose : « tous ou aucu
7084
a symétrie qu’il propose : « tous ou aucun ». Car
de
fait quelques-uns furent cathares. Si leur croyance n’a pas modifié l
7085
ique, ne serait-ce pas qu’il n’y avait nul besoin
de
la modifier pour qu’elle convînt à cette croyance, tant elle lui étai
7086
r c’est en vain qu’on chercherait dans les poèmes
de
Tzara ou d’Éluard « la moindre proposition spécifiquement anarchiste
7087
ain qu’on chercherait dans les poèmes de Tzara ou
d’
Éluard « la moindre proposition spécifiquement anarchiste » (ni d’aill
7088
s spécifiquement communiste, quand ils changeront
de
camp), mais toute leur poésie est anarchie, depuis les « mots en libe
7089
et condamnait Jung sommairement pour avoir dévié
de
la doctrine (encore que sans le savoir ou sans l’admettre il fût plus
7090
tranche pas davantage que Nelli ; mais, contraint
de
choisir entre tous et aucun, je serais plus attiré par tous, lui peut
7091
stant également incroyables — ou enfin, presque…
D’
où me vient cette ultime réticence ? De quel irréductible parti pris ?
7092
presque… D’où me vient cette ultime réticence ?
De
quel irréductible parti pris ? Je me sens moins sûr de mes raisons qu
7093
el irréductible parti pris ? Je me sens moins sûr
de
mes raisons que d’avoir senti juste, je le confesse. Quand Davenson,
7094
ti pris ? Je me sens moins sûr de mes raisons que
d’
avoir senti juste, je le confesse. Quand Davenson, à propos de l’« hyp
7095
e que mon livre « fallacieux et charmeur ne cesse
de
flirter avec l’idée, si bien qu’elle finit par s’imposer au lecteur c
7096
ire voir et sentir qu’il est impossible à la fois
de
prouver la relation hérésie-courtoisie et de s’en passer, ou de la ni
7097
fois de prouver la relation hérésie-courtoisie et
de
s’en passer, ou de la nier. Oui, j’aime cette phrase parce que ce n’e
7098
relation hérésie-courtoisie et de s’en passer, ou
de
la nier. Oui, j’aime cette phrase parce que ce n’est pas seulement au
7099
orte une importante contribution : je veux parler
de
l’asag, ou assays, ou essai, c’est-à-dire de l’épreuve que la dame im
7100
rler de l’asag, ou assays, ou essai, c’est-à-dire
de
l’épreuve que la dame impose à son soupirant, et dont j’ai parlé p. 1
7101
venson a bien vu chez les Arabes comment le refus
d’
accomplir totalement le désir est le moyen le plus « raffiné » de l’ét
7102
alement le désir est le moyen le plus « raffiné »
de
l’éterniser. Ainsi, Ibn Dawoud : Ah ! non, n’accomplis pas ta promes
7103
n Dawoud : Ah ! non, n’accomplis pas ta promesse
de
m’aimer de peur que vienne l’oubli !… Cependant, il ne veut plus voi
7104
Ah ! non, n’accomplis pas ta promesse de m’aimer
de
peur que vienne l’oubli !… Cependant, il ne veut plus voir que « mas
7105
me alambiqué », « raffinement morbide, bas calcul
d’
une sensibilité détraquée » (p. 149) dans le même phénomène quand il s
7106
Ermengau (fin xiiie , début xive ) : Le plaisir
de
cet amour se détruit quand le désir trouve son rassasiement. En reva
7107
ement. En revanche, René Nelli, au lieu de faire
de
l’indignation morale, cherche à comprendre la nature et la fonction d
7108
le, cherche à comprendre la nature et la fonction
de
l’asag dans la conduite courtoise, et il se voit amené à en deviner l
7109
voit amené à en deviner le secret dans la « Joie
d’
amour » elle-même. Suivons le trajet de cette recherche dans L’Érotiqu
7110
la « Joie d’amour » elle-même. Suivons le trajet
de
cette recherche dans L’Érotique des troubadours. La Joie d’amour, ou
7111
echerche dans L’Érotique des troubadours. La Joie
d’
amour, ou Joy d’amors en occitan, est un mot masculin dont le sens var
7112
Érotique des troubadours. La Joie d’amour, ou Joy
d’
amors en occitan, est un mot masculin dont le sens varie non seulement
7113
t le sens varie non seulement selon les époques —
de
Guillaume IX à Montanhagol —, mais chez un même auteur selon la tonal
7114
r lui-même. C’est parfois tout simplement la joie
de
vivre en aimant, ou c’est un jeu — flirt ou « petting ». Mais déjà ch
7115
cette joie est dite « pure » parce qu’elle dépend
d’
un bien que l’on désire sans l’avoir (encore) obtenu : joie de désirer
7116
e l’on désire sans l’avoir (encore) obtenu : joie
de
désirer. Le sens de joy oscille donc entre plaisir d’être amoureux et
7117
’avoir (encore) obtenu : joie de désirer. Le sens
de
joy oscille donc entre plaisir d’être amoureux et vœu d’éterniser le
7118
ésirer. Le sens de joy oscille donc entre plaisir
d’
être amoureux et vœu d’éterniser le désir, comme chez les Arabes. Chez
7119
oscille donc entre plaisir d’être amoureux et vœu
d’
éterniser le désir, comme chez les Arabes. Chez Guillaume IX, le joy d
7120
joy devient aussi un influx mystérieux qui émane
de
la présence et des yeux de la dame : Toute la joie du monde est nôtr
7121
x mystérieux qui émane de la présence et des yeux
de
la dame : Toute la joie du monde est nôtre Dame, si l’un l’autre nou
7122
es s’exercent sur le corps autant que sur le cœur
de
l’amant : Par sa joie elle peut guérir le malade Et par sa colère le
7123
je la veux retenir Afin de rafraîchir mon cœur Et
de
renouveler mon corps Si bien qu’il ne puisse vieillir ou encore : E
7124
sse vieillir ou encore : Et un homme vivra plus
de
cent ans S’il peut saisir la joie de son amour c’est-à-dire si cet
7125
e vivra plus de cent ans S’il peut saisir la joie
de
son amour c’est-à-dire si cet homme parvient à maîtriser les lois d
7126
que lui impose la dame : Nul ne peut être assuré
de
triompher de l’amour, s’il ne se soumet en tout à sa volonté. Mais l
7127
e la dame : Nul ne peut être assuré de triompher
de
l’amour, s’il ne se soumet en tout à sa volonté. Mais le thème de la
7128
ne se soumet en tout à sa volonté. Mais le thème
de
la soumission à la dame conduit à celui de l’épreuve qu’elle fait sub
7129
thème de la soumission à la dame conduit à celui
de
l’épreuve qu’elle fait subir à son soupirant : Ma dame me met à l’es
7130
le, expressément cette fois, l’épreuve héroïsante
de
la chasteté gardée « au lit », nudus cum nuda, dont Mircea Eliade a d
7131
. 87 à 89). L’asag apparaît alors comme une sorte
de
technique du joy, ou encore : le joy devient le jeu érotique par exce
7132
l’amor imperfectus comme condition non seulement
de
fin’amors mais de joie « pure », c’est-à-dire de plaisir sans procréa
7133
s comme condition non seulement de fin’amors mais
de
joie « pure », c’est-à-dire de plaisir sans procréation. De là les in
7134
de fin’amors mais de joie « pure », c’est-à-dire
de
plaisir sans procréation. De là les innombrables scènes décrites dans
7135
pure », c’est-à-dire de plaisir sans procréation.
De
là les innombrables scènes décrites dans les deux grands romans court
7136
ans courtois, Flamenca et Jaufré, dans les romans
de
la Table ronde et dans le Parzifal de Wolfram d’Eschenbach, où les am
7137
au désir, c’est la preuve qu’ils ne s’aiment pas
de
fin’amors, de vrai amour. Peut-être croyait-on, comme Hindous et Chin
7138
st la preuve qu’ils ne s’aiment pas de fin’amors,
de
vrai amour. Peut-être croyait-on, comme Hindous et Chinois, que le dé
7139
rit René Nelli, qui ajoute en note, avec un point
d’
interrogation qui est bien dans sa manière : « Théorie gnostique répan
7140
e s’est infiltré chez les béguines et les béguins
de
saint François, dès le xiiie siècle. (Cf. supra, p. 254, 255.) Au su
7141
ital sexuel », René Nelli écrit : « La déposition
de
Guillaume Roux dans le Liber sententiarum inquisitionis Tholosonae ne
7142
xistence réelle et la diffusion parmi les béguins
d’
une semblable recherche de la tentation « méritoire » et « salutaire »
7143
usion parmi les béguins d’une semblable recherche
de
la tentation « méritoire » et « salutaire ». G. Roux déclare en effet
7144
badours, p. 272.) (« S’ils se révèlent incapables
de
se coucher dans un lit, nu contre nue, sans accomplir l’acte charnel.
7145
arnel. ») J’ai deux raisons également importantes
d’
insister sur l’asag et sa liaison essentielle avec le joy courtois. 1°
7146
ois. 1° C’est dans et par l’asag que la rencontre
de
la cortezia des troubadours et du gnosticisme des cathares s’avère no
7147
bien que les motifs, on l’a vu, soient différents
de
part et d’autre : chez les troubadours, exalter le désir ; chez les g
7148
s motifs, on l’a vu, soient différents de part et
d’
autre : chez les troubadours, exalter le désir ; chez les gnostiques,
7149
mposée aux amants par des dames croyantes combine
d’
une manière exemplaire les deux motifs !) Et c’est bien cela que j’ent
7150
dmets entièrement sur ce chapitre les conclusions
de
René Nelli —, ne pouvaient guère manquer d’entrer en symbiose dans ma
7151
sions de René Nelli —, ne pouvaient guère manquer
d’
entrer en symbiose dans maints domaines de conduite pratique — ce qui
7152
manquer d’entrer en symbiose dans maints domaines
de
conduite pratique — ce qui s’est produit en effet. 2° L’asag apparaît
7153
asag apparaît lié dès l’origine aux autres thèmes
de
la poésie courtoise tels que Guillaume de Poitiers les « invente » en
7154
onduit par Robert d’Arbrissel. Sur l’invention
de
l’amour au xiie siècle Dans sa grande étude sur Guillaume de Poit
7155
mes fondamentaux sur Les origines et la formation
de
la littérature courtoise en Occident, se pose l’une des questions les
7156
i soient dans l’histoire des lettres et des mœurs
de
l’Occident ; celle de l’apparition subite, dans cinq ou six chansons
7157
re des lettres et des mœurs de l’Occident ; celle
de
l’apparition subite, dans cinq ou six chansons de Guillaume de Poitie
7158
de l’apparition subite, dans cinq ou six chansons
de
Guillaume de Poitiers, des thèmes majeurs que vont traiter tous les p
7159
s thèmes majeurs que vont traiter tous les poètes
d’
amour qui suivront — les troubadours — « et après eux, des centaines e
7160
s — « et après eux, des centaines et des milliers
de
poètes de l’Europe entière ». Pourquoi cette création totale (et qui
7161
près eux, des centaines et des milliers de poètes
de
l’Europe entière ». Pourquoi cette création totale (et qui paraît san
7162
romaniste zurichois Theophil Spoerri, précurseur
de
l’analyse structurelle des textes, relève au début de son étude sur G
7163
’analyse structurelle des textes, relève au début
de
son étude sur Guillaume de Poitiers237 les treize systèmes d’explicat
7164
sur Guillaume de Poitiers237 les treize systèmes
d’
explication de notre énigme, proposés (à la date de l’étude) par une q
7165
de Poitiers237 les treize systèmes d’explication
de
notre énigme, proposés (à la date de l’étude) par une quarantaine de
7166
’explication de notre énigme, proposés (à la date
de
l’étude) par une quarantaine de savants. Chacun a vu un, deux ou troi
7167
oposés (à la date de l’étude) par une quarantaine
de
savants. Chacun a vu un, deux ou trois des nombreux aspects littérair
7168
ule n’embrasse le phénomène dans son ensemble. Or
de
quoi s’agit-il finalement ? Je répondrai : d’un processus à la fois h
7169
Or de quoi s’agit-il finalement ? Je répondrai :
d’
un processus à la fois historique et psychique de convergence, de coll
7170
d’un processus à la fois historique et psychique
de
convergence, de collusion, et de mise en tension, voire de confusion
7171
à la fois historique et psychique de convergence,
de
collusion, et de mise en tension, voire de confusion aux limites (att
7172
que et psychique de convergence, de collusion, et
de
mise en tension, voire de confusion aux limites (atteintes par certai
7173
gence, de collusion, et de mise en tension, voire
de
confusion aux limites (atteintes par certaines mystiques) ; processus
7174
dans le Poitou ; et au cours duquel le sentiment
de
l’amour humain va se déclarer et se chanter, à la faveur de formes et
7175
humain va se déclarer et se chanter, à la faveur
de
formes et de rythmes empruntés à la liturgie. Et dès lors il ne cesse
7176
déclarer et se chanter, à la faveur de formes et
de
rythmes empruntés à la liturgie. Et dès lors il ne cessera plus de ri
7177
tés à la liturgie. Et dès lors il ne cessera plus
de
rivaliser avec le sentiment religieux. Ce processus unique, d’où naît
7178
avec le sentiment religieux. Ce processus unique,
d’
où naît l’amour courtois, nous pouvons le suivre à la trace sous deux
7179
tois, nous pouvons le suivre à la trace sous deux
de
ses aspects les mieux connus (ou connaissables) soit par les textes,
7180
es textes, soit par la chronique : je veux parler
de
l’évolution des formes dans la poésie de Guillaume IX, évolution que
7181
x parler de l’évolution des formes dans la poésie
de
Guillaume IX, évolution que l’on découvre parallèle à certaines circo
7182
l’on découvre parallèle à certaines circonstances
de
sa biographie liées à l’abbaye de Fontevrault, c’est-à-dire à la long
7183
s circonstances de sa biographie liées à l’abbaye
de
Fontevrault, c’est-à-dire à la longue rivalité du comte-duc et du moi
7184
dans son temps et son lieu la personne fulgurante
de
Guillaume et le conflit merveilleusement fécond qui opposa le duc au
7185
Poitiers sont moins à l’origine qu’au lieu focal
de
l’histoire de l’amour en Occident, et de toute sa problématique. Derr
7186
moins à l’origine qu’au lieu focal de l’histoire
de
l’amour en Occident, et de toute sa problématique. Derrière les succè
7187
eu focal de l’histoire de l’amour en Occident, et
de
toute sa problématique. Derrière les succès missionnaires de Robert d
7188
problématique. Derrière les succès missionnaires
de
Robert d’Arbrissel, il y a l’évolution religieuse du xie siècle en A
7189
es, antiromaines, auxquelles l’arrière-grand-père
de
Guillaume IX — le VIIe duc, candidat à l’Empire — « s’intéresse très
7190
era le catharisme. Et derrière les dons poétiques
de
Guillaume, il y a la séculaire tradition littéraire des cours aquitai
7191
ire tradition littéraire des cours aquitaines238,
de
l’évêque Fortunat au vie siècle et de ses lettres galantes à la rein
7192
taines238, de l’évêque Fortunat au vie siècle et
de
ses lettres galantes à la reine Radegonde, abbesse du monastère de la
7193
lantes à la reine Radegonde, abbesse du monastère
de
la Sainte-Croix de Poitiers, jusqu’à la propre tante du duc : Agnès,
7194
rs, jusqu’à la propre tante du duc : Agnès, femme
de
l’empereur Henri III. Elle entretient avec Pierre Damien une correspo
7195
re « ces âmes raffinées déjà tout près du langage
de
saint Bernard mais aussi de celui de l’amour courtois dans sa phase l
7196
tout près du langage de saint Bernard mais aussi
de
celui de l’amour courtois dans sa phase la plus idéalisée »239. Du Po
7197
s du langage de saint Bernard mais aussi de celui
de
l’amour courtois dans sa phase la plus idéalisée »239. Du Poitevin Gu
7198
la plus idéalisée »239. Du Poitevin Guillaume et
de
ses proches amis, les Ventadour et les d’Ussel du Limousin, la poésie
7199
aume et de ses proches amis, les Ventadour et les
d’
Ussel du Limousin, la poésie nouvelle va se répandre vers le sud toulo
7200
et le sud-est provençal, avec lesquels on confond
de
nos jours les troubadours — mais Dante, qui s’y connaît, les nomme «
7201
les nomme « limousins ». La descendance nordique
de
Poitiers n’est pas moins féconde. Aliénor, petite-fille de Guillaume,
7202
rs n’est pas moins féconde. Aliénor, petite-fille
de
Guillaume, épousera Louis VII de France, puis Henri II Plantagenêt. D
7203
e Champagne et Aëlis de Blois, qui tiendront cour
d’
amour et transmettront les secrets de la courtoisie aux auteurs des «
7204
endront cour d’amour et transmettront les secrets
de
la courtoisie aux auteurs des « romans bretons », dont le plus grand
7205
tantes reines ou impératrices : du Saint-Empire,
de
l’Angleterre, de la Bourgogne. L’une de ses sœurs épouse le roi Pierr
7206
impératrices : du Saint-Empire, de l’Angleterre,
de
la Bourgogne. L’une de ses sœurs épouse le roi Pierre d’Aragon, l’aut
7207
t-Empire, de l’Angleterre, de la Bourgogne. L’une
de
ses sœurs épouse le roi Pierre d’Aragon, l’autre le roi Alfonse de Ca
7208
compte, le décrivent comme « prodigue et coureur
d’
aventures », « enragé amateur de femmes », « ennemi de toute pudeur et
7209
odigue et coureur d’aventures », « enragé amateur
de
femmes », « ennemi de toute pudeur et sainteté », à tel point « qu’on
7210
entures », « enragé amateur de femmes », « ennemi
de
toute pudeur et sainteté », à tel point « qu’on aurait pensé qu’il cr
7211
dence »240, mais avec cela « audacieux, pieux, et
d’
un caractère extrêmement joyeux ». Deux fois excommunié ; la seconde f
7212
à cause de sa liaison affichée avec la vicomtesse
de
Châtellerault, si bellement prénommée Dangereuse, qu’il installa dans
7213
rénommée Dangereuse, qu’il installa dans une tour
de
son château. Avec cela, et avant tout, il est poète. Ses premiers « v
7214
s » (ou cansos) « chantent ses aventures galantes
d’
une manière grivoise, obscène même » pour un auditoire de « gais compa
7215
anière grivoise, obscène même » pour un auditoire
de
« gais compagnons de débauche » (p. 152). Principal événement de sa v
7216
ène même » pour un auditoire de « gais compagnons
de
débauche » (p. 152). Principal événement de sa vie : il se croise au
7217
gnons de débauche » (p. 152). Principal événement
de
sa vie : il se croise au printemps de 1101, subit une écrasante défai
7218
l événement de sa vie : il se croise au printemps
de
1101, subit une écrasante défaite à Héraclée, et après plusieurs mois
7219
sante défaite à Héraclée, et après plusieurs mois
de
captivité à la cour de Tancrède et chez les Sarrasins, rentre à Poiti
7220
e, et après plusieurs mois de captivité à la cour
de
Tancrède et chez les Sarrasins, rentre à Poitiers, à l’automne de 110
7221
hez les Sarrasins, rentre à Poitiers, à l’automne
de
1102. Entre-temps, Robert d’Arbrissel a fondé l’abbaye de Fontevrault
7222
Entre-temps, Robert d’Arbrissel a fondé l’abbaye
de
Fontevrault. Le duel commence. Qui est Robert d’Arbrissel ? Né vers 1
7223
ssel ? Né vers 1050 à l’Arbressec, ce Breton fils
de
prêtre se fait d’abord clerc vagabond, tient des sermons violents con
7224
s prêtres, puis se retire en ermite dans la forêt
de
Craon. Sa soif d’ascétisme et son éloquence ont attiré des disciples,
7225
retire en ermite dans la forêt de Craon. Sa soif
d’
ascétisme et son éloquence ont attiré des disciples, qui le rejoignent
7226
. Des communes — dirions-nous — se forment autour
d’
eux. On leur octroie des terres à cultiver. Mais voici Robert nommé «
7227
. Il reprend la route, et ses sermons « empreints
d’
un profond pessimisme » dénoncent la perversité de ce monde rempli de
7228
d’un profond pessimisme » dénoncent la perversité
de
ce monde rempli de mensonges et d’ignorance dans le peuple, de meurtr
7229
isme » dénoncent la perversité de ce monde rempli
de
mensonges et d’ignorance dans le peuple, de meurtres et d’adultères c
7230
la perversité de ce monde rempli de mensonges et
d’
ignorance dans le peuple, de meurtres et d’adultères chez les princes,
7231
empli de mensonges et d’ignorance dans le peuple,
de
meurtres et d’adultères chez les princes, de simonie et d’hypocrisie
7232
ges et d’ignorance dans le peuple, de meurtres et
d’
adultères chez les princes, de simonie et d’hypocrisie chez les prêtre
7233
ple, de meurtres et d’adultères chez les princes,
de
simonie et d’hypocrisie chez les prêtres. C’est déjà l’essentiel de l
7234
es et d’adultères chez les princes, de simonie et
d’
hypocrisie chez les prêtres. C’est déjà l’essentiel de la prédication
7235
pocrisie chez les prêtres. C’est déjà l’essentiel
de
la prédication antiromaine des cathares, des Vaudois, et plus tard de
7236
t. Des foules se mettent à l’accompagner, formées
de
milliers de jeunes disciples que les chroniques nous décrivent tels d
7237
s se mettent à l’accompagner, formées de milliers
de
jeunes disciples que les chroniques nous décrivent tels des hippies a
7238
hippies américains « marchant pieds nus, couverts
de
vêtements bizarres et lacérés, et remarquables par l’abondance de leu
7239
arres et lacérés, et remarquables par l’abondance
de
leurs barbes » (barbarum prolixitate notabiles). Les femmes quittent
7240
les rumeurs du temps, Robert, « suivant l’exemple
d’
ascètes orientaux, surtout syriens, aurait lui-même provoqué une telle
7241
iscuité en permettant aux femmes qui le suivaient
d’
habiter familièrement avec lui et même de partager sa couche — tout ce
7242
uivaient d’habiter familièrement avec lui et même
de
partager sa couche — tout cela pour expier ses anciens péchés véniels
7243
s une contrée déserte pour y mener une sainte vie
d’
ermites. En 1101, il décide de créer pour ses adeptes une colonie de «
7244
ener une sainte vie d’ermites. En 1101, il décide
de
créer pour ses adeptes une colonie de « cabanes » autour d’une église
7245
, il décide de créer pour ses adeptes une colonie
de
« cabanes » autour d’une église dédiée — bien entendu — à la Vierge.
7246
our ses adeptes une colonie de « cabanes » autour
d’
une église dédiée — bien entendu — à la Vierge. L’ensemble va devenir
7247
ndu — à la Vierge. L’ensemble va devenir l’abbaye
de
Fontevrault, formée d’un grand couvent de femmes jouxtant trois autre
7248
semble va devenir l’abbaye de Fontevrault, formée
d’
un grand couvent de femmes jouxtant trois autres maisons d’hommes. L’o
7249
’abbaye de Fontevrault, formée d’un grand couvent
de
femmes jouxtant trois autres maisons d’hommes. L’ordre essaimera très
7250
d couvent de femmes jouxtant trois autres maisons
d’
hommes. L’ordre essaimera très vite en Bretagne, dans le Limousin, le
7251
jusqu’à trois-mille moines et religieuses. Lettre
de
Robert : « Vous savez comment tout ce que j’ai érigé en ce monde, je
7252
, et c’est à elles que j’ai offert toute la force
de
mes talents et ce qui est beaucoup plus encore, je me suis soumis à e
7253
oumis à elles, moi et mes disciples, pour le bien
de
nos âmes. » Nouveauté inouïe et qui surpasse encore celle de donner à
7254
. » Nouveauté inouïe et qui surpasse encore celle
de
donner à l’abbesse le pouvoir supérieur non seulement sur les religie
7255
Paraclet dans le même temps) mais sur les hommes
de
la communauté. Très vite, le magnétisme qui émane de son fondateur at
7256
la communauté. Très vite, le magnétisme qui émane
de
son fondateur attire à Fontevrault « les plus célèbres beautés de l’é
7257
attire à Fontevrault « les plus célèbres beautés
de
l’époque », parmi lesquelles la reine Bertrade de France, et l’on ne
7258
cette Bertrade a provoqué le plus grand scandale
de
l’époque en obligeant son amant, Philippe Ier, à répudier sa femme po
7259
nication telle que « toutes les cloches cessaient
de
sonner lorsque le roi et la « reine » entraient dans une ville ou dan
7260
; en 1112, Ermengarde de Bretagne, première femme
de
Guillaume IX, puis en 1115 Philippa de Toulouse, sa seconde femme, ac
7261
ilippa de Toulouse, sa seconde femme, accompagnée
de
leur fille Audéoude, passent dans le camp du moine, renient Guillaume
7262
me IX ne semble pas avoir pris au sérieux l’œuvre
de
réformateur qui s’attachait, paraît-il, à sauver de l’enfer des fille
7263
réformateur qui s’attachait, paraît-il, à sauver
de
l’enfer des filles débauchées… S’il est exact que Robert d’Arbrissel
7264
éconisait entre religieux et religieuse une sorte
d’
assays mystique, destiné à mettre à l’épreuve dans un même lit leurs v
7265
ême lit leurs vertus chrétiennes et leur capacité
de
continence, on conçoit que Guillaume IX, peu religieux de tempérament
7266
nence, on conçoit que Guillaume IX, peu religieux
de
tempérament, n’ait vu dans ces manœuvres qu’une aimable et hypocrite
7267
duc d’Aquitaine, ait assisté à ce bouleversement
de
toute l’aristocratie de la région, à cet exode général des nobles dam
7268
sisté à ce bouleversement de toute l’aristocratie
de
la région, à cet exode général des nobles dames, y compris sa premièr
7269
es, ainsi que sa propre fille, sans s’en émouvoir
de
la moindre façon ?… Il nous paraît très probable que Guillaume fut vi
7270
llaume fut vivement impressionné par le mouvement
de
Fontevrault et par les succès éclatants qu’il remportait dans son voi
7271
n voisinage immédiat (p. 207). Première réaction
de
Guillaume au défi que lui portent ces « succès éclatants » : le sarca
7272
l’abbaye des filles perdues mais « relevées » par
d’
Arbrissel, il fonde à Niort une colonie de petites maisons, habitacula
7273
s » par d’Arbrissel, il fonde à Niort une colonie
de
petites maisons, habitacula quaedam quasi monasteriola, imitant les «
7274
monasteriola, imitant les « cabanes » des débuts
de
Fontevrault, et il y loge des courtisanes aussi peu « relevées » que
7275
omme désire le plus », comme il le dit dans l’une
de
ses chansons. « Ne serait-ce pas dans cet état de malaise intérieur q
7276
de ses chansons. « Ne serait-ce pas dans cet état
de
malaise intérieur que naquit en lui le désir d’opposer au mysticisme
7277
t de malaise intérieur que naquit en lui le désir
d’
opposer au mysticisme ascétique de l’époque un mysticisme mondain, une
7278
en lui le désir d’opposer au mysticisme ascétique
de
l’époque un mysticisme mondain, une élévation spirituelle de l’amour
7279
un mysticisme mondain, une élévation spirituelle
de
l’amour du chevalier, rivalisant avec l’attraction qu’exerçait sur le
7280
n à la domina que propageait Fontevrault ? » Tout
d’
un coup, c’est l’efflorescence lyrique, dans les formes du conductus e
7281
tique, puis du zadjal arabe, et les grands thèmes
de
l’amour courtois : la soumission du chevalier par allégeance d’amour
7282
rtois : la soumission du chevalier par allégeance
d’
amour pur à la dame, l’assai imposé par la dame comme épreuve de l’amo
7283
la dame, l’assai imposé par la dame comme épreuve
de
l’amour vrai, tout cela « pour le bien de nos âmes », disait Robert ;
7284
épreuve de l’amour vrai, tout cela « pour le bien
de
nos âmes », disait Robert ; « pour rafraîchir ma chair et renouveler
7285
u lyrisme occidental, il y a cette conversion non
de
l’esprit, ni même de la conscience peut-être, mais de l’âme soudain q
7286
il y a cette conversion non de l’esprit, ni même
de
la conscience peut-être, mais de l’âme soudain qui s’éveille « à la d
7287
’esprit, ni même de la conscience peut-être, mais
de
l’âme soudain qui s’éveille « à la douceur du temps nouveau ». ⁂ C’es
7288
prosodiques que Theophil Spoerri, sur les traces
de
Bezzola, aborde le même problème, et il nous livre le principe de sa
7289
de le même problème, et il nous livre le principe
de
sa méthode dans une formule où je retrouve la lettre de notre maître
7290
méthode dans une formule où je retrouve la lettre
de
notre maître commun, Rudolf Kassner : « Bewusstwerdung ist identisch
7291
ng ». Ce qui veut dire que la prise de conscience
d’
une réalité psychique est inséparable de sa mise en forme (plastique o
7292
onscience d’une réalité psychique est inséparable
de
sa mise en forme (plastique ou poétique), ou encore qu’on ne peut uti
7293
passage du vers latin au vers en langue vulgaire,
d’
oïl ou d’oc. Et l’on découvre que ce passage s’est opéré par le moyen
7294
u vers latin au vers en langue vulgaire, d’oïl ou
d’
oc. Et l’on découvre que ce passage s’est opéré par le moyen des forme
7295
s’est opéré par le moyen des formes liturgiques,
de
l’hymne ambrosien et de la séquence convergeant dans les tropes de No
7296
n des formes liturgiques, de l’hymne ambrosien et
de
la séquence convergeant dans les tropes de Notker, puis dans le condu
7297
ien et de la séquence convergeant dans les tropes
de
Notker, puis dans le conduit (conductus) bientôt autonomisé sous form
7298
bientôt autonomisé sous forme de vers (versus) ou
de
chanson (canso) : cette évolution séculaire vient culminer entre 1100
7299
entre 1100 et 1150 dans le prestigieux répertoire
d’
un des hauts lieux de la musique médiévale, l’abbaye Saint-Martial de
7300
ns le prestigieux répertoire d’un des hauts lieux
de
la musique médiévale, l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Or il se tro
7301
de Limoges. Or il se trouve que « l’abbé laïque »
de
Saint-Martial n’est autre que Guillaume, septième comte du Poitou, ne
7302
, neuvième duc d’Aquitaine, et premier troubadour
d’
Europe. Guillaume commence par imiter, dans une intention parodique —
7303
dans une intention parodique — contre l’ambiance
de
religiosité toujours plus exaltée qu’entretient Fontevrault — les for
7304
us exaltée qu’entretient Fontevrault — les formes
de
l’hymne ambrosien, de la séquence et du conduit. Il met en forme d’hy
7305
nt Fontevrault — les formes de l’hymne ambrosien,
de
la séquence et du conduit. Il met en forme d’hymne liturgique ses déc
7306
en, de la séquence et du conduit. Il met en forme
d’
hymne liturgique ses déclarations d’amour profane241. Mais voici que p
7307
met en forme d’hymne liturgique ses déclarations
d’
amour profane241. Mais voici que peu à peu, par la magie précise des r
7308
i que peu à peu, par la magie précise des rythmes
de
la mélodie et du verbe, ces formes se mettent à gagner sur la matière
7309
ant qu’à la fin, il fera passer le mouvement même
de
l’esprit dans la louange de la chair, la ferveur de l’élan vers l’au-
7310
ser le mouvement même de l’esprit dans la louange
de
la chair, la ferveur de l’élan vers l’au-delà (exprimé par les formes
7311
l’esprit dans la louange de la chair, la ferveur
de
l’élan vers l’au-delà (exprimé par les formes liturgiques) dans la «
7312
é par les formes liturgiques) dans la « douceur »
de
l’élan amoureux vers l’ici-bas. Origine de la poésie occidentale ! Et
7313
ceur » de l’élan amoureux vers l’ici-bas. Origine
de
la poésie occidentale ! Et Spoerri nous fait suivre dans le détail de
7314
tale ! Et Spoerri nous fait suivre dans le détail
de
la métrique des chansons I à IX la dialectique de cette contamination
7315
de la métrique des chansons I à IX la dialectique
de
cette contamination et les progrès d’une sorte de spiritualité séculi
7316
dialectique de cette contamination et les progrès
d’
une sorte de spiritualité séculière, absolument originale : il s’agit
7317
de cette contamination et les progrès d’une sorte
de
spiritualité séculière, absolument originale : il s’agit d’un profond
7318
alité séculière, absolument originale : il s’agit
d’
un profond mouvement de transfert des élans de l’amour divin exprimés
7319
ment originale : il s’agit d’un profond mouvement
de
transfert des élans de l’amour divin exprimés dans la liturgie, à ceu
7320
git d’un profond mouvement de transfert des élans
de
l’amour divin exprimés dans la liturgie, à ceux de l’amour le plus fr
7321
e l’amour divin exprimés dans la liturgie, à ceux
de
l’amour le plus franchement, le plus insolemment humain. Sécularisati
7322
ement, le plus insolemment humain. Sécularisation
de
l’enthousiasme (au sens littéral « d’endieusement ») qui découvre la
7323
ularisation de l’enthousiasme (au sens littéral «
d’
endieusement ») qui découvre la plénitude et le « salut » dans l’amour
7324
écouvre la plénitude et le « salut » dans l’amour
de
la femme, le printemps et l’ivresse de vivre le temps neuf, cet épanc
7325
ns l’amour de la femme, le printemps et l’ivresse
de
vivre le temps neuf, cet épanchement de la grâce en la Nature. Et voi
7326
l’ivresse de vivre le temps neuf, cet épanchement
de
la grâce en la Nature. Et voici le chant fort et tremblant : Ab la d
7327
iseaux Chantent chacun en son langage Les versets
de
leur chanson neuve : Il faut bien qu’on se mette en quête De ce qu’ho
7328
nson neuve : Il faut bien qu’on se mette en quête
De
ce qu’homme désire le plus ! Et plus loin, dans la même chanson, le
7329
èbres : La nostr’ amor vai enaissi Com la branca
de
l’albespi… Ainsi va-t-il de notre amour Comme de la branche d’aubépi
7330
naissi Com la branca de l’albespi… Ainsi va-t-il
de
notre amour Comme de la branche d’aubépine Tant que dure la nuit sur
7331
de l’albespi… Ainsi va-t-il de notre amour Comme
de
la branche d’aubépine Tant que dure la nuit sur l’arbre, Elle tremble
7332
Ainsi va-t-il de notre amour Comme de la branche
d’
aubépine Tant que dure la nuit sur l’arbre, Elle tremble à la pluie, a
7333
a feuille et le rameau vert. « Dans les chansons
de
Guillaume IX, conclut Theophil Spoerri, apparaît et prend forme ce qu
7334
ar sa forme elle rend sensible la tension infinie
de
la puissance qui transforme, que nul renoncement, nul désastre, ni mê
7335
es, si imparfaites soient-elles, révèle l’attrait
de
la perfection. » Aux belles analyses de Spoerri, je voudrais ajouter
7336
l’attrait de la perfection. » Aux belles analyses
de
Spoerri, je voudrais ajouter ceci : s’il est vrai que ce qu’il nomme
7337
dre la naissance du lyrisme courtois dans l’œuvre
de
Guillaume, il est un second facteur formel dont l’action n’a guère ét
7338
oindre sur la conscience du poète, je veux parler
de
la rhétorique arabe et de l’érotique si raffinée qu’elle transportait
7339
u poète, je veux parler de la rhétorique arabe et
de
l’érotique si raffinée qu’elle transportait — l’une des sources attes
7340
u’elle transportait — l’une des sources attestées
de
la courtoisie. Guillaume a certainement connu les procédés de composi
7341
isie. Guillaume a certainement connu les procédés
de
composition lyrique des poètes rencontrés au Proche-Orient pendant se
7342
ètes rencontrés au Proche-Orient pendant ses mois
de
captivité, puis en Espagne, aux cours d’Aragon ou de Castille, chez s
7343
ses mois de captivité, puis en Espagne, aux cours
d’
Aragon ou de Castille, chez ses beaux-frères — que fréquentaient des l
7344
captivité, puis en Espagne, aux cours d’Aragon ou
de
Castille, chez ses beaux-frères — que fréquentaient des lettrés andal
7345
fréquentaient des lettrés andalous et des troupes
de
jongleurs toujours mixtes : chanteurs mauresques et chrétiens mêlés.
7346
poésie et l’érotique des Arabes étaient fort loin
d’
être inconnues. On sait qu’en 1019, par exemple, vingt esclaves musulm
7347
qu’en 1019, par exemple, vingt esclaves musulmans
d’
Espagne sont reçus par l’abbé, qui en retient deux à son service, et c
7348
etient deux à son service, et confie les autres à
de
grands seigneurs du pays auxquels ils servent d’interprètes242. (Ces
7349
de grands seigneurs du pays auxquels ils servent
d’
interprètes242. (Ces esclaves sont souvent très versés dans les lettre
7350
jal si souvent relevée sur cinq des onze chansons
de
Guillaume. Mais encore : dans la lutte à jamais créatrice de toute my
7351
e. Mais encore : dans la lutte à jamais créatrice
de
toute mystique de la littérature jusqu’à nous, lutte qui opposa le mo
7352
ans la lutte à jamais créatrice de toute mystique
de
la littérature jusqu’à nous, lutte qui opposa le moine au comte-duc,
7353
r peu que l’on renonce aux clichés, il est facile
de
constater que l’orthodoxe en cette affaire, du point de vue de l’Égli
7354
que l’orthodoxe en cette affaire, du point de vue
de
l’Église d’alors, c’est Guillaume IX, pourtant deux fois excommunié ;
7355
oxe en cette affaire, du point de vue de l’Église
d’
alors, c’est Guillaume IX, pourtant deux fois excommunié ; tandis que
7356
bert d’Arbrissel, honoré par le pape et fondateur
d’
une vingtaine de couvents. Au surplus, l’hérésie cathare n’est pas abs
7357
, honoré par le pape et fondateur d’une vingtaine
de
couvents. Au surplus, l’hérésie cathare n’est pas absente du Poitou d
7358
athare n’est pas absente du Poitou dès les débuts
de
son expansion européenne. Elle y parvient à peu près dans le même tem
7359
siècle. En 1028, Guillaume V, inquiet du progrès
de
l’hérésie dans ses domaines, réunit un concile à Charroux pour étudie
7360
nit un concile à Charroux pour étudier les moyens
de
combattre les « manichéens ». En 1114, Robert d’Arbrissel prêche cont
7361
de gagner la Provence. Ces dates encadrent celles
de
la vie de Guillaume IX et de toute la première génération des troubad
7362
la Provence. Ces dates encadrent celles de la vie
de
Guillaume IX et de toute la première génération des troubadours, qui
7363
tes encadrent celles de la vie de Guillaume IX et
de
toute la première génération des troubadours, qui est poitevine, limo
7364
Or nous savons que Marcabru, protégé par le fils
de
Guillaume IX, fut l’élève des moines de Saint-Martial, et Déodat Roch
7365
r le fils de Guillaume IX, fut l’élève des moines
de
Saint-Martial, et Déodat Roché estime qu’il serait « opportun de rech
7366
l, et Déodat Roché estime qu’il serait « opportun
de
rechercher les rapports de ces moines bénédictins ou cisterciens avec
7367
u’il serait « opportun de rechercher les rapports
de
ces moines bénédictins ou cisterciens avec les cathares, puisque auss
7368
ciens avec les cathares, puisque aussi bien c’est
de
cette abbaye qu’on ferait sortir le Poème sur Boèce dont nous avons m
7369
ite ces « faits » pour essayer, une fois de plus,
de
faire sentir combien les prises de position devant l’hérésie — hostil
7370
fois de plus, de faire sentir combien les prises
de
position devant l’hérésie — hostiles, complices, ou positives — compt
7371
e en tension avec le phénomène, ou le simple fait
d’
être pris dans son champ. Notons aussi que les grandes dames de l’Aqui
7372
ans son champ. Notons aussi que les grandes dames
de
l’Aquitaine se rallient totalement à Robert, allant plus loin dans l’
7373
croyantes » du catharisme toulousain vers la fin
de
ce xiie siècle. C’est aussi que Guillaume n’est pas encore « convert
7374
ti » à la courtoisie, et qu’elles ont des raisons
de
le fuir. Plus tard, un Peire Vidal sera du même côté que les « croyan
7375
dis qu’un Peire Cardenal condamnera les facilités
de
l’amour courtois et ridiculisera ses poètes plaintifs « qui chantent
7376
ntent comme s’ils avaient mal aux dents ». Autant
de
poètes, autant de situations différentes et de jugements contradictoi
7377
avaient mal aux dents ». Autant de poètes, autant
de
situations différentes et de jugements contradictoires sur l’Église,
7378
nt de poètes, autant de situations différentes et
de
jugements contradictoires sur l’Église, l’hérésie, la courtoisie, leu
7379
leurs liaisons secrètes. Les uns sont en relation
de
rivalité et les autres en consonance. Ce qui importe, c’est que ces o
7380
dans la même sphère englobante, dans le même jeu
de
forces psychiques, au sein du même complexe d’aspirations et d’interd
7381
eu de forces psychiques, au sein du même complexe
d’
aspirations et d’interdits, d’hérésie libératrice des âmes et d’orthod
7382
hiques, au sein du même complexe d’aspirations et
d’
interdits, d’hérésie libératrice des âmes et d’orthodoxie conservatric
7383
in du même complexe d’aspirations et d’interdits,
d’
hérésie libératrice des âmes et d’orthodoxie conservatrice de la cité.
7384
et d’interdits, d’hérésie libératrice des âmes et
d’
orthodoxie conservatrice de la cité. L’histoire de la naissance d’Amou
7385
ibératrice des âmes et d’orthodoxie conservatrice
de
la cité. L’histoire de la naissance d’Amour nous en laisse trois exem
7386
d’orthodoxie conservatrice de la cité. L’histoire
de
la naissance d’Amour nous en laisse trois exemples mémorables. Dans l
7387
servatrice de la cité. L’histoire de la naissance
d’
Amour nous en laisse trois exemples mémorables. Dans le duel Robert d’
7388
que les jugements portés sur l’Amour, sur le sens
de
la retenue dans l’asag, sur la soumission et l’allégeance de l’homme
7389
ue dans l’asag, sur la soumission et l’allégeance
de
l’homme à la femme, sur la notion même de salut, sont souvent opposés
7390
égeance de l’homme à la femme, sur la notion même
de
salut, sont souvent opposés, parfois mal comparables, mais consacrent
7391
jets, qui font la nouveauté majeure et fascinante
de
l’époque. Concevons un rapport analogue, mais en tension plus dramati
7392
es deux sont les chantres et comme les inventeurs
de
l’Amour voilé et secret, chaste et brûlant, tourment délicieux et mal
7393
anouit dans la mort, car « celui qui ne meurt pas
de
son amour ne peut en vivre ». Mais pour al-Hallaj, l’Amour s’adresse
7394
fera condamner au supplice le mystique convaincu
d’
hérésie… Les deux n’en sont pas moins liés par cela même, par leur pro
7395
un champ spirituel ou poétique244. Enfin, proches
de
Guillaume dans l’espace et le temps, une troisième paire d’adversaire
7396
me dans l’espace et le temps, une troisième paire
d’
adversaires jurés, l’un et l’autre « servants d’Amour », va faire écla
7397
e d’adversaires jurés, l’un et l’autre « servants
d’
Amour », va faire éclater sa querelle : Pierre Abélard et Bernard de C
7398
rre Abélard et Bernard de Clairvaux. Les chansons
d’
amour d’Abélard pour Héloïse sont presque exactement contemporaines de
7399
ard et Bernard de Clairvaux. Les chansons d’amour
d’
Abélard pour Héloïse sont presque exactement contemporaines des premiè
7400
contemporaines des premières chansons courtoises
de
Guillaume IX (environ 1110) ; elles sont toutes perdues, en dépit de
7401
larité à l’époque, mais il nous reste les lettres
de
ce Tristan châtié et repenti à cette Iseut devenue abbesse malgré ell
7402
actes, écrit-elle. Bernard de Clairvaux développe
de
son côté la première mystique chrétienne de l’Amour, sublimant la sen
7403
loppe de son côté la première mystique chrétienne
de
l’Amour, sublimant la sensualité du Cantique des Cantiques en piété m
7404
ut amem. Sa lutte impitoyable contre la théologie
d’
Abélard (mort en 1142) précédera de peu sa mission dans le Midi contre
7405
e la théologie d’Abélard (mort en 1142) précédera
de
peu sa mission dans le Midi contre le catharisme (1145) cette hérésie
7406
Ventadour. Imprécation finale À la cohorte
de
mes adversaires, je répondrai maintenant d’une manière collective che
7407
horte de mes adversaires, je répondrai maintenant
d’
une manière collective cherchant à dégager certaines formules d’erreur
7408
collective cherchant à dégager certaines formules
d’
erreur qui me paraissent affecter leurs critiques. — Ils croient encor
7409
urs critiques. — Ils croient encore aux relations
de
cause à effet, chères à nos érudits qui se veulent « scientifiques »,
7410
s depuis longtemps par les physiciens nucléaires.
De
ces relations, je ne faisais pas grand-chose dans ma première version
7411
ules me paraissent signifiantes certaines grappes
de
relations, structures d’interaction, gerbes de forces, bref, certains
7412
iantes certaines grappes de relations, structures
d’
interaction, gerbes de forces, bref, certains champs, tels que peuvent
7413
es de relations, structures d’interaction, gerbes
de
forces, bref, certains champs, tels que peuvent en définir les tensio
7414
al-Hallaj et Ibn Dawoud, où il s’agit bien moins
de
savoir qui se donne pour champion de quoi, que de saisir l’homologie
7415
t bien moins de savoir qui se donne pour champion
de
quoi, que de saisir l’homologie du phénomène avec celui des relations
7416
de savoir qui se donne pour champion de quoi, que
de
saisir l’homologie du phénomène avec celui des relations entre trouba
7417
morales et religieuses. — Ils veulent des preuves
de
type juridique (les preuves scientifiques ou expérimentales étant exc
7418
tention les coïncidences spatiales et temporelles
de
l’hérésie et de la courtoisie, dans les mêmes consciences et les même
7419
cidences spatiales et temporelles de l’hérésie et
de
la courtoisie, dans les mêmes consciences et les mêmes situations con
7420
n jugement rendu contre cinq assassins convaincus
d’
avoir tué douze personnes : certains détails de l’instruction semblent
7421
us d’avoir tué douze personnes : certains détails
de
l’instruction semblent donner matière à quelque doute, c’est-à-dire à
7422
aient présentés devant nos historiens nécessiteux
de
preuves au soir même de la Pentecôte, ces tabellions eussent exigé un
7423
os historiens nécessiteux de preuves au soir même
de
la Pentecôte, ces tabellions eussent exigé un reçu notarié du Saint-E
7424
le dire, que la plupart d’entre eux ignorent tout
de
la genèse poétique et de la psychologie de l’œuvre que l’on crée. Ils
7425
’entre eux ignorent tout de la genèse poétique et
de
la psychologie de l’œuvre que l’on crée. Ils ne croient qu’à ce qui e
7426
t tout de la genèse poétique et de la psychologie
de
l’œuvre que l’on crée. Ils ne croient qu’à ce qui est « attesté ». Or
7427
ls n’ignorent pas seulement les jeux et les ruses
de
l’amour et de la création, mais a fortiori la spécificité des problèm
7428
pas seulement les jeux et les ruses de l’amour et
de
la création, mais a fortiori la spécificité des problèmes poétiques,
7429
ls croient que tout a toujours existé, et partout
de
la même manière. « L’amour, avec des nuances, est le même sous toutes
7430
ment cela ne veut rien dire ? — Ils sont victimes
d’
une psychologie au moins désuète, linéaire et rationaliste, n’admettan
7431
: tel troubadour a écrit exactement le contraire
de
ce qu’un Parfait devait professer, tel gnostique a déclaré son aversi
7432
on aversion pour l’amour et ses suites, tel éloge
de
la chasteté est conforme à la morale catholique puisqu’il tend à réfr
7433
r, je constate qu’ils n’ont pas compris la nature
de
l’objet dont ils traitent et sa dialectique intrinsèque. Ils n’ont pa
7434
ntiel, qui est l’union complémentaire indivisible
de
certaines réalités antinomiques — celles-là, justement, qui m’occupen
7435
tout homme qui se dit catholique, ou cathare, ou
de
gauche, l’est de ce fait et l’est en tous ses actes et ses dires ; no
7436
e dit catholique, ou cathare, ou de gauche, l’est
de
ce fait et l’est en tous ses actes et ses dires ; non seulement ils c
7437
ncore ils paraissent tout ignorer des complicités
de
l’amour et de la haine, de la chasteté et de l’érotisme, du désir et
7438
issent tout ignorer des complicités de l’amour et
de
la haine, de la chasteté et de l’érotisme, du désir et de l’angoisse,
7439
gnorer des complicités de l’amour et de la haine,
de
la chasteté et de l’érotisme, du désir et de l’angoisse, de l’attract
7440
ités de l’amour et de la haine, de la chasteté et
de
l’érotisme, du désir et de l’angoisse, de l’attraction et de la répul
7441
ine, de la chasteté et de l’érotisme, du désir et
de
l’angoisse, de l’attraction et de la répulsion, de l’indifférence aff
7442
teté et de l’érotisme, du désir et de l’angoisse,
de
l’attraction et de la répulsion, de l’indifférence affectée et de l’a
7443
me, du désir et de l’angoisse, de l’attraction et
de
la répulsion, de l’indifférence affectée et de l’affectivité refoulée
7444
e l’angoisse, de l’attraction et de la répulsion,
de
l’indifférence affectée et de l’affectivité refoulée. Ils n’ont pas v
7445
et de la répulsion, de l’indifférence affectée et
de
l’affectivité refoulée. Ils n’ont pas vu que l’opposition réelle n’es
7446
eux qui condamnent tel ou tel élément constitutif
de
la cortezia, mais entre ceux qui la créent ou la souffrent et ceux qu
7447
réent ou la souffrent et ceux qui en font l’objet
de
leurs dissertations. Ceux-là seuls croient que l’on peut en tel domai
7448
explication, comme on fait triompher la doctrine
d’
un parti à la simple majorité. Mais seul pourra séduire la vérité celu
7449
nçant « Descartes ! » comme on se signe, refusent
de
voir les réalités de l’inconscient et tiennent pour assurée, au-delà
7450
comme on se signe, refusent de voir les réalités
de
l’inconscient et tiennent pour assurée, au-delà de toute critique, l’
7451
e l’inconscient et tiennent pour assurée, au-delà
de
toute critique, l’incompatibilité de la volonté de vivre et du désir
7452
rée, au-delà de toute critique, l’incompatibilité
de
la volonté de vivre et du désir de mort, pourtant unis dans le vertig
7453
e toute critique, l’incompatibilité de la volonté
de
vivre et du désir de mort, pourtant unis dans le vertige ; des Croisa
7454
ncompatibilité de la volonté de vivre et du désir
de
mort, pourtant unis dans le vertige ; des Croisades et du commerce sp
7455
avec l’islam ; des cathares et des troubadours ;
de
l’ascétisme et du brûlant désir ; du mysticisme délirant et de la com
7456
e et du brûlant désir ; du mysticisme délirant et
de
la complaisante chasteté ! Rien, ils n’ont rien compris à l’objet de
7457
chasteté ! Rien, ils n’ont rien compris à l’objet
de
leur étude, à ces pièges de la poésie, à cette béance de l’histoire,
7458
ien compris à l’objet de leur étude, à ces pièges
de
la poésie, à cette béance de l’histoire, à ce désir en quête d’un obj
7459
étude, à ces pièges de la poésie, à cette béance
de
l’histoire, à ce désir en quête d’un objet, — au xiie siècle, et à l
7460
à cette béance de l’histoire, à ce désir en quête
d’
un objet, — au xiie siècle, et à l’amour en général, et à l’amour au
7461
nt sur tout cela ? Parlez-nous plutôt du mariage,
de
la morale du couple ou de l’érotisme ! Pourquoi donc, en effet, reven
7462
nous plutôt du mariage, de la morale du couple ou
de
l’érotisme ! Pourquoi donc, en effet, revenir sur tout cela ? Il y a
7463
» par les lettrés, je me suis senti parfois pris
d’
une sorte d’angoisse, et je me suis sérieusement interrogé : n’avaient
7464
ettrés, je me suis senti parfois pris d’une sorte
d’
angoisse, et je me suis sérieusement interrogé : n’avaient-ils pas rai
7465
t-ils pas raison, peut-être ? Sur bien des points
de
détail, c’était probable, et même certain sur deux ou trois, mais sur
7466
ison, car une partie d’entre eux dit le contraire
de
l’autre sur chaque sujet, et ces sujets sont fort nombreux, si bien q
7467
ux, si bien que leur consensus, qui est très près
d’
être nul, le serait tout à fait n’était ce point unique de leur accord
7468
ul, le serait tout à fait n’était ce point unique
de
leur accord contre mes thèses. Je me suis piqué au jeu, je l’avoue. C
7469
leusement gratuit. On sait si peu ! Chaque miette
d’
information nouvelle et tous les joueurs se précipitent : ça, c’est po
7470
ncien franglais. Quel sport ! dit l’anglo-normand
d’
aujourd’hui. Mais voici plus sérieux. Certes, il n’y a pas seulement l
7471
le Verbe musical — et cela tient à la nature même
de
l’amour, de cet amour-passion que j’ai décrit, et c’en est une premiè
7472
ical — et cela tient à la nature même de l’amour,
de
cet amour-passion que j’ai décrit, et c’en est une première approche.
7473
tre les mieux armés : je crois avoir plutôt tenté
d’
approfondir ma conception de l’amour, seul sujet de ce livre, et vérit
7474
is avoir plutôt tenté d’approfondir ma conception
de
l’amour, seul sujet de ce livre, et véritable objet de ma dispute ave
7475
’approfondir ma conception de l’amour, seul sujet
de
ce livre, et véritable objet de ma dispute avec les érudits. Car ce q
7476
amour, seul sujet de ce livre, et véritable objet
de
ma dispute avec les érudits. Car ce qui nous sépare en fin de compte,
7477
e sont pas nos savoirs différents, nos inégalités
d’
information, ce sont nos conceptions de l’amour, et plus que cela, nos
7478
inégalités d’information, ce sont nos conceptions
de
l’amour, et plus que cela, nos expériences différentes de la passion
7479
ur, et plus que cela, nos expériences différentes
de
la passion et de la poésie. Ce que l’on n’a pas cherché, subi, vécu s
7480
ela, nos expériences différentes de la passion et
de
la poésie. Ce que l’on n’a pas cherché, subi, vécu soi-même, comment
7481
ferait-on pour le reconnaître, à tant de siècles
de
distance, chez des hommes qui ne disaient pas tout comme nous le diri
7482
aisaient autrement ? Il faut entrer en consonance
d’
âme, et cela ne se peut que par l’écoute ardente des œuvres où l’âme a
7483
ù l’âme a laissé dans des rythmes quelques traces
de
sa pulsation la plus secrète, et le sillage de ses élans. Malenten
7484
es de sa pulsation la plus secrète, et le sillage
de
ses élans. Malentendus sur la morale Les thèses morales de mon
7485
Malentendus sur la morale Les thèses morales
de
mon ouvrage ont soulevé beaucoup moins d’opposition — encore que les
7486
morales de mon ouvrage ont soulevé beaucoup moins
d’
opposition — encore que les jugements contradictoires qu’elles motivèr
7487
catholiques m’ont approuvé à cause de la critique
de
l’hérésie que semblaient impliquer mes mises en garde contre la passi
7488
ies m’ont applaudi en Amérique pour mes peintures
de
la passion, et sans doute des effets du philtre, tout en regrettant q
7489
hiltre, tout en regrettant que j’assume sans trop
de
honte l’essence de ma culture occidentale. Les mal mariés y ont vu le
7490
rettant que j’assume sans trop de honte l’essence
de
ma culture occidentale. Les mal mariés y ont vu leur bréviaire, comme
7491
n, Jean-Paul Sartre, après la guerre, s’est servi
de
mon livre pour illustrer la thèse qu’il attaquait avant la guerre et
7492
taquait avant la guerre et m’accusait bien à tort
de
défendre. Voici les textes. Rendant compte de mon livre en juin 19392
7493
ort de défendre. Voici les textes. Rendant compte
de
mon livre en juin 1939245, Sartre annonce d’entrée de jeu que l’intér
7494
mpte de mon livre en juin 1939245, Sartre annonce
d’
entrée de jeu que l’intérêt de mon ouvrage « réside avant tout en ceci
7495
on livre en juin 1939245, Sartre annonce d’entrée
de
jeu que l’intérêt de mon ouvrage « réside avant tout en ceci qu’il té
7496
245, Sartre annonce d’entrée de jeu que l’intérêt
de
mon ouvrage « réside avant tout en ceci qu’il témoigne d’un assouplis
7497
uvrage « réside avant tout en ceci qu’il témoigne
d’
un assouplissement récent et profond des méthodes historiques sous la
7498
des méthodes historiques sous la triple influence
de
la psychanalyse, du marxisme et de la sociologie ». Puis il se demand
7499
iple influence de la psychanalyse, du marxisme et
de
la sociologie ». Puis il se demande si, à l’encontre de ce qu’il tien
7500
sociologie ». Puis il se demande si, à l’encontre
de
ce qu’il tient pour ma thèse, la passion réelle « n’aurait pas, en ta
7501
ropre » et si « certaines structures essentielles
de
la condition humaine ne pourraient pas se réaliser à travers des cond
7502
pas avoir dit autre chose.) Bref, il me reproche
de
n’avoir pas vu que la transcendance c’est justement la « structure ex
7503
ance c’est justement la « structure existentielle
de
l’homme ». Le désir « comporte naturellement sa contradiction propre,
7504
sa dialectique ». Il n’y aurait donc « nul besoin
d’
un mythe courtois pour expliquer la passion »246. En somme, pour n’avo
7505
omme, pour n’avoir pas reconnu que la dialectique
de
l’amour est de la nature de l’homme même, mon livre « ne semblera qu’
7506
oir pas reconnu que la dialectique de l’amour est
de
la nature de l’homme même, mon livre « ne semblera qu’un bel amusemen
7507
nu que la dialectique de l’amour est de la nature
de
l’homme même, mon livre « ne semblera qu’un bel amusement ». Sept ans
7508
les points essentiels » qui l’opposent à l’esprit
d’
analyse proustien et à la « légende de l’irresponsabilité du poète »,
7509
à l’esprit d’analyse proustien et à la « légende
de
l’irresponsabilité du poète », et il écrit : En premier lieu, nous n
7510
e l’amour-passion soit une affection constitutive
de
l’esprit humain. Il se pourrait fort bien, comme l’a suggéré247 Denis
7511
rique en corrélation avec l’idéologie chrétienne.
D’
une façon plus générale, nous estimons qu’un sentiment est toujours l’
7512
stimons qu’un sentiment est toujours l’expression
d’
un certain mode de vie et d’une certaine conception du monde qui sont
7513
toujours l’expression d’un certain mode de vie et
d’
une certaine conception du monde qui sont communs à toute une classe o
7514
une époque et que son évolution n’est pas l’effet
de
je ne sais quel mécanisme intérieur mais de ces facteurs historiques
7515
effet de je ne sais quel mécanisme intérieur mais
de
ces facteurs historiques et sociaux. Mon livre est donc devenu le pr
7516
ent que Les Temps modernes opposeront aux tenants
d’
une « nature humaine » invariable et de ses « structures essentielles
7517
ux tenants d’une « nature humaine » invariable et
de
ses « structures essentielles » — celles-là mêmes que Sartre me repro
7518
lles » — celles-là mêmes que Sartre me reprochait
d’
avoir négligées, dans le tome précédent de Situations. ⁂ Ainsi, l’accu
7519
rochait d’avoir négligées, dans le tome précédent
de
Situations. ⁂ Ainsi, l’accueil fait à L’Amour et l’Occident par ses l
7520
identaux et orientaux a dépendu, comme il arrive,
d’
une quantité de malentendus, dont je n’aurais au total qu’à me félicit
7521
entaux a dépendu, comme il arrive, d’une quantité
de
malentendus, dont je n’aurais au total qu’à me féliciter si je m’en t
7522
le livre vit, tant aimé que honni, après un tiers
de
siècle d’exposition à toute espèce d’intempéries critiques, personnel
7523
it, tant aimé que honni, après un tiers de siècle
d’
exposition à toute espèce d’intempéries critiques, personnelles et pub
7524
ès un tiers de siècle d’exposition à toute espèce
d’
intempéries critiques, personnelles et publiques, psychologiques et po
7525
moi la passion et le mariage sont exclusifs l’un
de
l’autre, comme l’avaient décidé les cours d’amour. Cette lecture de m
7526
l’un de l’autre, comme l’avaient décidé les cours
d’
amour. Cette lecture de mon livre est erronée. Qu’on m’en félicite ou
7527
l’avaient décidé les cours d’amour. Cette lecture
de
mon livre est erronée. Qu’on m’en félicite ou m’en blâme, ce n’est pa
7528
a nature des antinomies, loin de tenter vainement
de
les résoudre en éliminant l’un de leurs termes, il fallait décider de
7529
enter vainement de les résoudre en éliminant l’un
de
leurs termes, il fallait décider de vivre leur drame, et choisir d’ex
7530
liminant l’un de leurs termes, il fallait décider
de
vivre leur drame, et choisir d’exister dans leur tension toujours cha
7531
l fallait décider de vivre leur drame, et choisir
d’
exister dans leur tension toujours changeante et surprenante. Je me fo
7532
te et surprenante. Je me fondais sur cette phrase
d’
Héraclite, qui transparaît, citée ou non, dans tous mes livres : « Ce
7533
s tous mes livres : « Ce qui s’oppose coopère, et
de
la lutte des contraires procède ta plus belle harmonie. » Sur tout ce
7534
et inceste Dans son ouvrage sur la Prohibition
de
l’inceste (1905), Durkheim, bien avant Freud (dans Totem et Tabou), s
7535
’insisterais davantage, aujourd’hui, sur le thème
de
l’inceste dans Tristan, et sur ses aspects œdipiens (indiqués très ne
7536
par accident avec Iseut, qui est la femme promise
de
son « père », c’est-à-dire du roi Marc, son oncle maternel, lequel jo
7537
êve éveillé provoqués par le philtre, ce haschich
de
l’époque. Il a conquis Iseut de haute lutte. Il aurait droit (selon d
7538
ltre, ce haschich de l’époque. Il a conquis Iseut
de
haute lutte. Il aurait droit (selon d’anciennes coutumes) à sa posses
7539
quis Iseut de haute lutte. Il aurait droit (selon
d’
anciennes coutumes) à sa possession intégrale, et il l’a déjà possédée
7540
même trop faible). Pourtant, parce qu’il a besoin
d’
un père, il choisit d’observer le droit civil, où il redevient le plus
7541
rtant, parce qu’il a besoin d’un père, il choisit
d’
observer le droit civil, où il redevient le plus faible, et il choisit
7542
il, où il redevient le plus faible, et il choisit
de
faire d’Iseut l’épouse de Marc, son véritable « père » coutumier. Du
7543
redevient le plus faible, et il choisit de faire
d’
Iseut l’épouse de Marc, son véritable « père » coutumier. Du même coup
7544
s faible, et il choisit de faire d’Iseut l’épouse
de
Marc, son véritable « père » coutumier. Du même coup, il culpabilise
7545
se à une femme mariée. Mais l’inverse du complexe
d’
Œdipe, sa réflexion dans un miroir, n’est pas moins bien décrit par le
7546
On y voit tout d’abord l’adolescent Tristan, âgé
de
14 ou 15 ans, séjourner chez son oncle le roi Marc « comme un homme é
7547
soigné par Iseut, et lorsqu’il revient à la cour
de
Tintagel « le roi l’établit maître et seigneur de son hôtel et de tou
7548
de Tintagel « le roi l’établit maître et seigneur
de
son hôtel et de tout ce qu’il possède ». Or ici, sans la moindre tran
7549
roi l’établit maître et seigneur de son hôtel et
de
tout ce qu’il possède ». Or ici, sans la moindre transition, le Roman
7550
efois. » Il envoie donc son neveu à la « queste »
d’
Iseut, qu’il veut pour femme, sachant bien que Tristan risque sa vie s
7551
tut du père décédé, est redoublée par le souvenir
de
sa mère, qu’il a fait mourir en venant au monde.) Conquis par les pro
7552
ir en venant au monde.) Conquis par les prouesses
de
Tristan, le roi d’Irlande lui dit enfin : « Tristan vous avez tant fa
7553
s ces géants, dragons et traîtres qui le blessent
d’
une épée empoisonnée, et qu’il tue, ne sont-ils pas les symboles « pat
7554
l tue, ne sont-ils pas les symboles « paternels »
de
l’interdit à surmonter, non sans blessure ? La vengeance du « père »
7555
du dürfen allemand, ou permission) que si l’objet
de
son amour est éloigné (l’amors de lonh de Jaufré Rudel). Les principa
7556
que si l’objet de son amour est éloigné (l’amors
de
lonh de Jaufré Rudel). Les principaux moments dialectiques du complex
7557
l’objet de son amour est éloigné (l’amors de lonh
de
Jaufré Rudel). Les principaux moments dialectiques du complexe se ret
7558
sodes du roman, elles font le roman : alternances
de
séparations nostalgiques et de revoirs extatiques, nouvelles séparati
7559
oman : alternances de séparations nostalgiques et
de
revoirs extatiques, nouvelles séparations pour éviter la faute social
7560
e, mais aussi pour recréer la situation courtoise
d’
amour de loin (tout vaut mieux que la vie quotidienne partagée). Si Tr
7561
aussi pour recréer la situation courtoise d’amour
de
loin (tout vaut mieux que la vie quotidienne partagée). Si Tristan dé
7562
la vie quotidienne partagée). Si Tristan décidait
de
garder Iseut pour lui, il violerait le tabou courtois. S’il couchait
7563
it avec elle mariée à Marc, il violerait le tabou
de
l’inceste, et tout s’effondrerait — l’ordre social — dans une extase
7564
t », soit qu’il retrouve Iseut ou qu’il se sépare
d’
elle ; soit qu’il vive avec elle dans la forêt, ou qu’il la rende volo
7565
volontairement au roi. Les effets destructurants
de
l’inceste et les effets exaltants de la courtoisie convergent vers l’
7566
structurants de l’inceste et les effets exaltants
de
la courtoisie convergent vers l’extase dans la mort, terme de l’entro
7567
isie convergent vers l’extase dans la mort, terme
de
l’entropie passionnelle, chute voluptueuse dans l’indifférencié, qui
7568
ifférencié, qui est le néant. Il n’a voulu garder
de
l’amour que les moments éblouissants, ceux de la passion interdite, e
7569
der de l’amour que les moments éblouissants, ceux
de
la passion interdite, et le temps du désir nostalgique où l’on ressen
7570
on ne pourrait survivre à la disparition du tabou
de
l’inceste ; la courtoisie pas davantage, ni la passion, ajouterons-no
7571
e, ni la passion, ajouterons-nous. Mais si l’on a
de
bonnes raisons de croire que la prohibition de l’inceste est la loi m
7572
ajouterons-nous. Mais si l’on a de bonnes raisons
de
croire que la prohibition de l’inceste est la loi minimale pour qu’un
7573
a de bonnes raisons de croire que la prohibition
de
l’inceste est la loi minimale pour qu’une culture se différencie de l
7574
a loi minimale pour qu’une culture se différencie
de
la nature248, alors nous voyons que Tristan, poème du Triangle essent
7575
ème du Triangle essentiel (Père, Mère et Fils) et
de
la primordiale situation créatrice, est bien autre chose, et bien plu
7576
st bien autre chose, et bien plus qu’une « épopée
de
l’adultère » ; c’est le poème de la culture occidentale. Passion e
7577
qu’une « épopée de l’adultère » ; c’est le poème
de
la culture occidentale. Passion et allergie Ce qui se déclenche
7578
e chez les victimes angoissées, mais émerveillées
d’
un coup de foudre, est caractérisé par les réactions hyperboliques de
7579
, est caractérisé par les réactions hyperboliques
de
tout l’être à une incitation des plus banales, qui serait chez tout a
7580
, par la réponse que chacun sait. Mais voici tout
d’
un coup qu’à cette incitation tout l’être des amants se met à réagir,
7581
arythmies du cœur, ou au contraire par une espèce
de
catalepsie hiératique, les yeux rivés dans une mutuelle hypnose. Or i
7582
e telle fièvre, par ce bouleversement des sens et
de
l’âme. La passion est ce trouble effrayant mais délicieux que provoqu
7583
effrayant mais délicieux que provoque la présence
de
certains êtres, pour des raisons qu’eux-mêmes, comme ceux qui réagiss
7584
ment. Et je les crois. (Plus tard, ils essaieront
de
rationaliser, poétiser, moraliser, et là, je cesserai de les croire.)
7585
onaliser, poétiser, moraliser, et là, je cesserai
de
les croire.) Cherchant des analogues de ce phénomène à un niveau phys
7586
cesserai de les croire.) Cherchant des analogues
de
ce phénomène à un niveau physiologique, je ne trouve guère que le méc
7587
hysiologique, je ne trouve guère que le mécanisme
de
l’allergie : réaction excessive à un agent externe qui est d’ordinair
7588
e : réaction excessive à un agent externe qui est
d’
ordinaire inoffensif, mais qui soudain, pour des raisons que nul ne co
7589
violente, par exemple une surabondante production
d’
antihistaminiques suite à une simple piqûre de moustique. Ce premier c
7590
ion d’antihistaminiques suite à une simple piqûre
de
moustique. Ce premier contact, c’est, dans la légende, la première re
7591
mes et provoquer chez eux cette « réponse altérée
de
l’organisme à des substances normalement tolérées » qui caractérise l
7592
ssion et allergie, évoquent aussi la mobilisation
de
toute la nation pour un incident de frontière non vérifié, ou une gue
7593
mobilisation de toute la nation pour un incident
de
frontière non vérifié, ou une guerre qui tuera des millions d’hommes
7594
non vérifié, ou une guerre qui tuera des millions
d’
hommes pour venger un assassinat, qui d’ailleurs arrangeait tout le mo
7595
citation du désir, la réaction passionnelle, tout
d’
un coup, déborde immensément. Et que le désir soit ou non satisfait n’
7596
e rien dans les cas graves (au surplus compliqués
de
drogue) comme celui de Tristan et d’Iseut. La passion une fois déclar
7597
ves (au surplus compliqués de drogue) comme celui
de
Tristan et d’Iseut. La passion une fois déclarée exige beaucoup plus
7598
s compliqués de drogue) comme celui de Tristan et
d’
Iseut. La passion une fois déclarée exige beaucoup plus que cette sati
7599
être fini. La réponse « normale » au désir étant
de
faire l’amour, ou de s’éloigner, la réponse passionnelle (allergique)
7600
e « normale » au désir étant de faire l’amour, ou
de
s’éloigner, la réponse passionnelle (allergique) est de se rendre la
7601
loigner, la réponse passionnelle (allergique) est
de
se rendre la proie d’une fièvre quasi mortelle dans certains cas, d’u
7602
ssionnelle (allergique) est de se rendre la proie
d’
une fièvre quasi mortelle dans certains cas, d’un délire qui tour à to
7603
ie d’une fièvre quasi mortelle dans certains cas,
d’
un délire qui tour à tour fait crier de douleur ou jette dans des exta
7604
tains cas, d’un délire qui tour à tour fait crier
de
douleur ou jette dans des extases, pousse au crime ou accule au suici
7605
te aux yeux du malade qui gémit, mais qui redoute
de
guérir et refuse qu’on le soigne. La cure consisterait dans une confr
7606
lent des antihistaminiques prescrits dans les cas
d’
allergie serait d’amener le passionné à regarder et à voir l’autre tel
7607
miniques prescrits dans les cas d’allergie serait
d’
amener le passionné à regarder et à voir l’autre tel qu’il est. Or c’e
7608
l est. Or c’est à quoi le passionné se refuse, et
de
toute sa passion, précisément. Il préfère s’éloigner de celle qu’il r
7609
te sa passion, précisément. Il préfère s’éloigner
de
celle qu’il risquerait de trop bien voir dans la sobre lumière des jo
7610
. Il préfère s’éloigner de celle qu’il risquerait
de
trop bien voir dans la sobre lumière des jours partagés. Ce n’est pa
7611
, psychologiques — qui tous écartent une occasion
de
mieux voir la réalité, écartent la proximité. Et quand les passionnés
7612
roximité. Et quand les passionnés sont contraints
de
vivre ensemble, le philtre cesse bientôt d’agir ! À l’extrême, il s’a
7613
aints de vivre ensemble, le philtre cesse bientôt
d’
agir ! À l’extrême, il s’agit d’écarter la réalité physique de l’être
7614
tre cesse bientôt d’agir ! À l’extrême, il s’agit
d’
écarter la réalité physique de l’être aimé — surtout celle de la femme
7615
’extrême, il s’agit d’écarter la réalité physique
de
l’être aimé — surtout celle de la femme pour l’homme, car il n’y a pa
7616
a réalité physique de l’être aimé — surtout celle
de
la femme pour l’homme, car il n’y a pas ici de symétrie, et je n’ai p
7617
le de la femme pour l’homme, car il n’y a pas ici
de
symétrie, et je n’ai pas encore trouvé une seule femme qui ait chanté
7618
ore trouvé une seule femme qui ait chanté l’amour
de
loin 249. L’amour-passion serait-il une allergie que l’on aime, aller
7619
Passion et drogue La cause la plus fréquente
de
l’allergie est le contact avec certaines substances, ou leur ingestio
7620
es, ou leur ingestion. La passion naît en général
de
la seule mise en présence de deux êtres. Dans le cas de Tristan et d’
7621
seule mise en présence de deux êtres. Dans le cas
de
Tristan et d’Iseut, il en va bien ainsi, selon Thomas ; mais selon Bé
7622
présence de deux êtres. Dans le cas de Tristan et
d’
Iseut, il en va bien ainsi, selon Thomas ; mais selon Béroul, c’est le
7623
ées sans effet (même la scène du bain, si chargée
d’
érotisme : voir plus haut page 29). Et non seulement le philtre interv
7624
page 29). Et non seulement le philtre intervient
de
l’extérieur et par accident, mais encore Béroul en limite les effets
7625
en limite les effets dans le temps « à trois ans
d’
amistié ». Béroul suit de très près « l’histoire » (comme disent les m
7626
s le temps « à trois ans d’amistié ». Béroul suit
de
très près « l’histoire » (comme disent les médecins) de cette intoxic
7627
s près « l’histoire » (comme disent les médecins)
de
cette intoxication caractérisée250 à laquelle il rapporte expressémen
7628
: Qu’el m’aime, c’est par la poison Ge ne me pus
de
lié partir N’ele de moi… Et Iseut : Il ne m’aime pas, ne je lui. Fo
7629
st par la poison Ge ne me pus de lié partir N’ele
de
moi… Et Iseut : Il ne m’aime pas, ne je lui. Fors par un herbe dont
7630
je bui Et il en but : ce fu péchiez. Le procédé
de
Béroul, qui revient en somme à isoler la passion légendaire, permet d
7631
t en somme à isoler la passion légendaire, permet
d’
en suivre mieux la dialectique propre. On y retrouve le rythme du dict
7632
e agit, pour subitement tomber au « pas du tout »
de
la comptine. Comme si son ardeur consumait l’image d’un être aimé dan
7633
a comptine. Comme si son ardeur consumait l’image
d’
un être aimé dans le rêve de la drogue (« S’il m’aime, c’est par la po
7634
eur consumait l’image d’un être aimé dans le rêve
de
la drogue (« S’il m’aime, c’est par la poison »…), et quand l’amant s
7635
égendes celtiques. Il y en a quatre dans le roman
de
Béroul, et chacun d’eux se trouve lié à une histoire de « venin » com
7636
y en a quatre dans le roman de Béroul, et chacun
d’
eux se trouve lié à une histoire de « venin » comme dit le Roman en pr
7637
oul, et chacun d’eux se trouve lié à une histoire
de
« venin » comme dit le Roman en prose. Blessé par l’épée empoisonnée
7638
née du géant Morholt, qu’il a tué, et sans espoir
de
survivre à son mal, Tristan s’embarque à l’aventure dans une nacelle
7639
où Iseut le guérit. Le deuxième voyage, en quête
de
la fiancée de Marc, répète à peu près le premier. Le troisième ressem
7640
uérit. Le deuxième voyage, en quête de la fiancée
de
Marc, répète à peu près le premier. Le troisième ressemble le plus à
7641
philtre, « la poison » bue. Le dernier est celui
d’
Iseut voguant vers son amant pour tenter de le guérir d’une nouvelle b
7642
celui d’Iseut voguant vers son amant pour tenter
de
le guérir d’une nouvelle blessure empoisonnée, mais cette fois-ci ell
7643
t voguant vers son amant pour tenter de le guérir
d’
une nouvelle blessure empoisonnée, mais cette fois-ci elle ne le rejoi
7644
difficulté très curieuse se manifeste à l’examen
de
ces voyages. Lors des trois blessures liées à des navigations solitai
7645
vent ne peuvent communiquer, et qu’il n’y a point
de
passage du rêve de l’un au rêve de l’autre. Mais si les deux amants p
7646
muniquer, et qu’il n’y a point de passage du rêve
de
l’un au rêve de l’autre. Mais si les deux amants partagent cette illu
7647
il n’y a point de passage du rêve de l’un au rêve
de
l’autre. Mais si les deux amants partagent cette illusion, ne devient
7648
ent cette illusion, ne devient-elle pas la vérité
de
leur passion ? Vous dénoncerez à juste titre leur illusion de réalité
7649
ion ? Vous dénoncerez à juste titre leur illusion
de
réalité, sans les toucher le moins du monde : tant que le philtre agi
7650
git et maintient l’amistié, ils vivent la réalité
de
leur double illusion. Mais ce que l’analogie de la drogue fait bien s
7651
é de leur double illusion. Mais ce que l’analogie
de
la drogue fait bien sentir, c’est le caractère invinciblement solipsi
7652
inciblement solipsiste, narcissique et ségrégatif
de
la passion. Ceux qui « voyagent » sont toujours seuls. Leur passion n
7653
ours seuls. Leur passion n’atteint pas la réalité
de
l’autre, et n’aime en fait que son image. Et c’est pourquoi le mariag
7654
et mariage Un des plus grands malentendus nés
de
mon livre consiste à répéter qu’il condamne la passion — ce qui est f
7655
qui est faux — parce qu’elle est l’ennemie intime
de
l’institution matrimoniale et de son éthique — ce qui est exact ; d’o
7656
l’ennemie intime de l’institution matrimoniale et
de
son éthique — ce qui est exact ; d’où l’on déduit que « l’amour » ser
7657
trimoniale et de son éthique — ce qui est exact ;
d’
où l’on déduit que « l’amour » serait incompatible avec le mariage — c
7658
ec le mariage — ce qui est ridicule. Il s’agit là
d’
une de ces vues plus que sommaires qu’exigent les légendes sous les ph
7659
mariage — ce qui est ridicule. Il s’agit là d’une
de
ces vues plus que sommaires qu’exigent les légendes sous les photos d
7660
sommaires qu’exigent les légendes sous les photos
de
magazines, et il est superflu de redire ici que je la désavoue radica
7661
sous les photos de magazines, et il est superflu
de
redire ici que je la désavoue radicalement. Que dès sa genèse au xiie
7662
titue en hostilité au mariage ; que les finalités
d’
Éros et d’Agapè soient en relation d’antinomie systématique, c’est ce
7663
ostilité au mariage ; que les finalités d’Éros et
d’
Agapè soient en relation d’antinomie systématique, c’est ce que j’ai t
7664
es finalités d’Éros et d’Agapè soient en relation
d’
antinomie systématique, c’est ce que j’ai tenté d’établir. J’ai voulu
7665
d’antinomie systématique, c’est ce que j’ai tenté
d’
établir. J’ai voulu souligner des contrastes, indiquer des incompatibl
7666
es, en préalable aux choix que tout homme se doit
de
faire et s’imagine, à tort ou à raison, faire librement. J’ai tenté d
7667
, à tort ou à raison, faire librement. J’ai tenté
d’
isoler la passion comme on le fait d’un corps chimique pour mieux conn
7668
. J’ai tenté d’isoler la passion comme on le fait
d’
un corps chimique pour mieux connaître ses propriétés. Et j’ai montré
7669
onnaître ses propriétés. Et j’ai montré qu’isolée
de
son contraire (l’amour actif ou Agapè), à l’état pur, passif ou extat
7670
olère. Le chlore pur est mortel, mais le chlorure
de
sodium est le sel de nos repas — de nos agapes. Ni répressif ni marcu
7671
est mortel, mais le chlorure de sodium est le sel
de
nos repas — de nos agapes. Ni répressif ni marcusien, je n’entends ri
7672
s le chlorure de sodium est le sel de nos repas —
de
nos agapes. Ni répressif ni marcusien, je n’entends rien interdire ni
7673
voilà ce que vous ferez en réalité, à quels types
de
comportement vous obéirez, dans quelles structures du mythe vous sere
7674
he vous serez engagé. Je n’écris pas pour feindre
de
légiférer, ni même pour conseiller, mais bien pour alerter. Et pour a
7675
er à prendre des vues justes. Si je mérite le nom
de
moraliste, c’est dans la mesure où j’ai cherché à rendre mon lecteur
7676
à rendre mon lecteur plus responsable, plus libre
de
choisir en connaissance de cause, bien mieux : en connaissance de fin
7677
nnaissance de cause, bien mieux : en connaissance
de
fins. Il n’est peut-être pas de domaine où ce travail paraisse plus n
7678
: en connaissance de fins. Il n’est peut-être pas
de
domaine où ce travail paraisse plus nécessaire, et où l’humanité cont
7679
temporaine se révèle plus nécessiteuse, que celui
de
l’affectivité, laissée en friche quand elle n’est pas vilipendée par
7680
t réduite à chercher son salut dans des conduites
d’
évasion ou de régression infantile ou tribale — drogue, communautés hi
7681
hercher son salut dans des conduites d’évasion ou
de
régression infantile ou tribale — drogue, communautés hippies, commun
7682
tion, on comprendra peut-être mieux l’opiniâtreté
de
mon enquête sur les origines de l’amour : elle peut donner la clé de
7683
eux l’opiniâtreté de mon enquête sur les origines
de
l’amour : elle peut donner la clé de plus d’une tradition érotique ou
7684
ines de l’amour : elle peut donner la clé de plus
d’
une tradition érotique ou sentimentale devenue réflexe ou nostalgie ch
7685
xe ou nostalgie chez l’homme moderne, et dès lors
d’
autant plus envoûtante et contraignante qu’il n’en connaît plus le sen
7686
et ne sait plus en lire les symboles. J’ai tenté
de
réinventer la genèse de la passion d’amour. J’ai prouvé qu’elle dépen
7687
les symboles. J’ai tenté de réinventer la genèse
de
la passion d’amour. J’ai prouvé qu’elle dépend du mariage comme la my
7688
J’ai tenté de réinventer la genèse de la passion
d’
amour. J’ai prouvé qu’elle dépend du mariage comme la mystique dépend
7689
d du mariage comme la mystique dépend du dogme et
de
l’institution ecclésiastique, et demeure orientée précisément par le
7690
ue, et demeure orientée précisément par le projet
de
les nier ou dépasser251. J’ai dit l’erreur du romantisme embourgeoisé
7691
l’origine. Une erreur à peine moins fatale serait
de
vouloir exclure la passion du mariage. Je l’avais dit assez clairemen
7692
t vrai que l’Autre en tant que tel reste aux yeux
d’
un amour exigeant le mystère le mieux défendu, — Éros et Agapè ne pour
7693
u nul tabou ne vient symboliser, pour les besoins
de
la fable et la commodité du romancier, l’essence même de l’obstacle e
7694
able et la commodité du romancier, l’essence même
de
l’obstacle excitant, celui qui ne dépendra jamais que de l’être même
7695
stacle excitant, celui qui ne dépendra jamais que
de
l’être même : l’autonomie de la personne aimée, son étrangeté fascina
7696
dépendra jamais que de l’être même : l’autonomie
de
la personne aimée, son étrangeté fascinante ? » Cette recherche de l’
7697
mée, son étrangeté fascinante ? » Cette recherche
de
l’Ange, qui est le mystère de l’autre, excitant à la fois l’Éros et l
7698
? » Cette recherche de l’Ange, qui est le mystère
de
l’autre, excitant à la fois l’Éros et l’Agapè, ne serait-ce pas une t
7699
et l’Agapè, ne serait-ce pas une troisième forme
de
l’amour, homologue des mystiques du mariage spirituel, aussi dites ép
7700
née, et que beaucoup confondent avec un règlement
de
police des mœurs, je ne sais quelle mesure répressive, ou au mieux un
7701
’impose, est simplement la condition sine qua non
de
toute œuvre d’art ou de vie dont l’élaboration exige du temps et une
7702
la condition sine qua non de toute œuvre d’art ou
de
vie dont l’élaboration exige du temps et une concentration de toutes
7703
l’élaboration exige du temps et une concentration
de
toutes les facultés. (Rien là que le dogme révèle, ou qui ne se puiss
7704
sans ferveur, dans Comme toi-même , la nostalgie
de
la gnose et sa passion, qu’on pensait que j’avais condamnées. De fait
7705
sa passion, qu’on pensait que j’avais condamnées.
De
fait, je n’ai jamais « condamné la passion » et me suis expliqué sur
7706
expliqué sur ce point dans le chapitre conclusif
de
ma première version, où l’on peut lire : « Je l’ai dit et j’y insiste
7707
ncipe, ce serait vouloir supprimer l’un des pôles
de
notre tension créatrice. De fait cela n’est pas possible. » En vérité
7708
primer l’un des pôles de notre tension créatrice.
De
fait cela n’est pas possible. » En vérité, je ne veux rien condamner
7709
ner et je ne propose aucune automutilation : trop
de
névrose déjà s’en chargent. J’ai tenté de faire voir et sentir les co
7710
: trop de névrose déjà s’en chargent. J’ai tenté
de
faire voir et sentir les contrastes vitaux, conflits, antinomies, qui
7711
, antinomies, qui sous-tendent notre réalité ; et
d’
en mieux définir les termes. Il s’agit maintenant d’assumer leurs tens
7712
en mieux définir les termes. Il s’agit maintenant
d’
assumer leurs tensions et de les équilibrer en création, loin de voulo
7713
Il s’agit maintenant d’assumer leurs tensions et
de
les équilibrer en création, loin de vouloir follement exclure l’un de
7714
création, loin de vouloir follement exclure l’un
de
leurs termes : nous n’avons pas ce pouvoir et le diable lui-même ne p
7715
pas même sa personne du jeu. Croire qu’il résulte
de
mon livre que la passion doive ou puisse être oblitérée afin que règn
7716
e règne Agapè triomphante, j’oserai dire au terme
de
ce Post-scriptum que ce serait méconnaître foncièrement la cohérence
7717
e ce serait méconnaître foncièrement la cohérence
de
ma pensée. Toute ma morale, et toute mon érotique, et toute ma politi
7718
e ma politique tiennent en effet dans le principe
de
la composition des opposés et de la mise en tension des pôles contrai
7719
dans le principe de la composition des opposés et
de
la mise en tension des pôles contraires. La personne, source et fin d
7720
des pôles contraires. La personne, source et fin
de
toute valeur morale, c’est l’homme libre et relié à la communauté par
7721
e vocation singulière, qui à la fois le distingue
de
la masse et le relie à la communauté, dans laquelle il est seul respo
7722
communauté, dans laquelle il est seul responsable
de
sa manière unique d’être avec tous. Le couple est la cellule sociale
7723
elle il est seul responsable de sa manière unique
d’
être avec tous. Le couple est la cellule sociale originelle, dont les
7724
le, dont les forces constitutives sont deux êtres
de
lois singulières, différentes, mais qui choisissent de composer une «
7725
is singulières, différentes, mais qui choisissent
de
composer une « union sans fusion, sans séparation, et sans subordinat
7726
aration, et sans subordination » comme il est dit
de
l’union des deux natures en Jésus-Christ253 ; cependant que le confli
7727
res en Jésus-Christ253 ; cependant que le conflit
d’
Éros et d’Agapè anime leurs journées et leurs rêves. Enfin la politiqu
7728
us-Christ253 ; cependant que le conflit d’Éros et
d’
Agapè anime leurs journées et leurs rêves. Enfin la politique, qui est
7729
et leurs rêves. Enfin la politique, qui est l’art
d’
aménager les relations humaines dans la cité (polis), se réduit au féd
7730
(polis), se réduit au fédéralisme, qui est l’art
d’
unir des communautés là seulement où leur union seule peut sauver leur
7731
seule peut sauver leur autonomie. Toute tentative
d’
éliminer l’un des deux pôles de ces tensions, de le confondre avec son
7732
e. Toute tentative d’éliminer l’un des deux pôles
de
ces tensions, de le confondre avec son opposé, de le réduire à la loi
7733
e d’éliminer l’un des deux pôles de ces tensions,
de
le confondre avec son opposé, de le réduire à la loi de l’autre (qu’i
7734
de ces tensions, de le confondre avec son opposé,
de
le réduire à la loi de l’autre (qu’il soit le plus fort ou le plus fi
7735
confondre avec son opposé, de le réduire à la loi
de
l’autre (qu’il soit le plus fort ou le plus fin) par annexion ou colo
7736
ou le plus fin) par annexion ou colonisation, ou
d’
établir une subordination quelconque de l’un à l’autre, fonde et appel
7737
sation, ou d’établir une subordination quelconque
de
l’un à l’autre, fonde et appelle l’État totalitaire et détruit à mes
7738
’État totalitaire et détruit à mes yeux l’intérêt
de
la vie, pour parler d’une manière très générale ; quant au sujet qui
7739
truit à mes yeux l’intérêt de la vie, pour parler
d’
une manière très générale ; quant au sujet qui nous occupe : c’est dét
7740
ujet qui nous occupe : c’est détruire l’existence
de
l’Amour essentiel. 211. Urgent ? C’était déjà trop tard. Le livre
7741
211. Urgent ? C’était déjà trop tard. Le livre
de
Charles de Gaulle parut quelques mois plus tard, en juin 1938 : il n’
7742
s plus tard, en juin 1938 : il n’était plus temps
de
construire l’armée blindée qu’il demandait. 212. Prenez garde ! Pr
7743
i que la Nuit cède au Jour ! On connaît le thème
de
l’aube chez les troubadours : Gardez-vous, cher guetteur de la tour
7744
hez les troubadours : Gardez-vous, cher guetteur
de
la tour Du jaloux, votre méchant seigneur Ennuyeux plus que l’aube No
7745
nuyeux plus que l’aube Nous, en bas, nous parlons
d’
amour Grande peur Nous fait l’aube, l’aube, oui l’aube. (Raimbaut de V
7746
yras, Alba.) 213. Elle paraîtra dans le numéro
de
juin 1939 des Cahiers du Sud. « Ce n’est pas d’étayer sa conjecture q
7747
o de juin 1939 des Cahiers du Sud. « Ce n’est pas
d’
étayer sa conjecture que D. de R. a souci mais de la rendre plus forte
7748
Sud. « Ce n’est pas d’étayer sa conjecture que D.
de
R. a souci mais de la rendre plus forte que le jugement. Il est moins
7749
d’étayer sa conjecture que D. de R. a souci mais
de
la rendre plus forte que le jugement. Il est moins préoccupé de situe
7750
lus forte que le jugement. Il est moins préoccupé
de
situer le mythe que d’en évaluer la fatalité spirituelle par une très
7751
nt. Il est moins préoccupé de situer le mythe que
d’
en évaluer la fatalité spirituelle par une très stricte analyse de l’â
7752
fatalité spirituelle par une très stricte analyse
de
l’âme. » 214. Tome III, p. 25 et 26. 215. Cf. Jean Audiac, Les poés
7753
. Jean Audiac, Les poésies des quatre troubadours
d’
Ussel, Paris, 1922. 216. Il tient Socin, ce moine italien réformé qui
7754
ain ! », disait Luther.) 217. Sur l’assimilation
de
la Sophia et de Marie, pour les cathares, cf. Déodat Roché, Études ma
7755
Luther.) 217. Sur l’assimilation de la Sophia et
de
Marie, pour les cathares, cf. Déodat Roché, Études manichéennes et ca
7756
, Paris, 1966, le grand canso cathare (selon moi)
de
Peire Cardenal, Vera vergena Maria : Marie est la vraie Vierge, née «
7757
Syrie », mais devenue la Reine assise à la droite
de
Dieu, lequel « s’incline à ses prières » : c’est donc bien le rôle de
7758
incline à ses prières » : c’est donc bien le rôle
de
la Sophia aeterna qu’elle tient alors. 219. Cf. Antwort auf Hiob de
7759
ir aussi du même auteur : Henri Suso et le déclin
de
la scolastique, Paris, 1946. 221. Journal de Genève, 26 mai 1939.
7760
n de la scolastique, Paris, 1946. 221. Journal
de
Genève, 26 mai 1939. 222. Empédocle, mai 1949. 223. Henry Corbin,
7761
is, 1971, tome II, chapitre IV intitulé « Lumière
de
gloire et Saint-Graal », p. 141 à 210. 224. Henry et Renée Kahane, T
7762
Indian Analogous, Bombay, 1939. 226. « Le Génie
d’
Oc », Cahiers du Sud, Marseille, 1943, article de René Nelli sur « L’A
7763
d’Oc », Cahiers du Sud, Marseille, 1943, article
de
René Nelli sur « L’Amour Provençal », p. 66. 227. Bleheri, barde bre
7764
7. Bleheri, barde breton, vit et chante à la cour
de
Guillaume IX de Poitiers : quelle preuve exigera-t-on, plus vivante e
7765
lle preuve exigera-t-on, plus vivante et créante,
de
contacts entre le Nord et le Sud qui ne doivent rien à Wagner ? 228.
7766
Sud qui ne doivent rien à Wagner ? 228. Je donne
de
ces quatre vers la traduction de Davenson, op. cit., p. 92, dans son
7767
? 228. Je donne de ces quatre vers la traduction
de
Davenson, op. cit., p. 92, dans son excellent chapitre sur la Musique
7768
oème, j’ai repris et un peu modifié la traduction
d’
Alfred Jeanroy. 229. « Mort m’a et per mort li respon. » 230. Ce sen
7769
ique des troubadours, p. 229. 233. Spiritualité
de
l’hérésie : le catharisme (ouvrage collectif), 1953 ; Écritures catha
7770
Amour et les Mythes du Cœur, 1952 ; puis la thèse
d’
une extrême densité d’information intitulée L’Érotique des troubadours
7771
Cœur, 1952 ; puis la thèse d’une extrême densité
d’
information intitulée L’Érotique des troubadours, 1963 ; enfin, en col
7772
dours : — X n’est pas cathare, car il ne dit rien
d’
autre que Y, qui ne l’est pas. — Comment savez-vous qu’Y ne l’est pas
7773
? — Parce qu’il s’exprime comme X, dont je viens
d’
établir qu’il ne fut pas cathare. 236. Par exemple dans les châteaux
7774
rien dire des petits poèmes latins, à la louange
de
nobles dames et de religieuses, de Marbode et de Baudry de Bourgueil,
7775
ts poèmes latins, à la louange de nobles dames et
de
religieuses, de Marbode et de Baudry de Bourgueil, dont Régine Pernou
7776
, à la louange de nobles dames et de religieuses,
de
Marbode et de Baudry de Bourgueil, dont Régine Pernoud après Albert-M
7777
de nobles dames et de religieuses, de Marbode et
de
Baudry de Bourgueil, dont Régine Pernoud après Albert-Marie Schmidt f
7778
Schmidt fait grand cas, encore qu’on ne voie pas
de
rapport entre le génie novateur de Guillaume et leurs platitudes rimé
7779
on ne voie pas de rapport entre le génie novateur
de
Guillaume et leurs platitudes rimées. Guillaume ne devait avoir que d
7780
. 239. R. Bezzola, Guillaume IX et les Origines
de
l’amour courtois, p. 166. 240. Historia regum Anglorum, de Guillaum
7781
courtois, p. 166. 240. Historia regum Anglorum,
de
Guillaume de Malmesbury. 241. Dans une lettre qu’il m’adressait le
7782
955, Roland-Manuel me donnait un précieux exemple
de
ces imitations : « Il est clair que les troubadours, musiciens avant
7783
Il est clair que les troubadours, musiciens avant
d’
être poètes, modèlent leurs vers sur la mélodie. La forme strophique e
7784
eurs vers sur la mélodie. La forme strophique est
d’
essence musicale… Le seul texte musical que nous possédions de Guillau
7785
sicale… Le seul texte musical que nous possédions
de
Guillaume de Poitiers use des mêmes formules mélodiques que nous trou
7786
ques que nous trouvons dans un versus du tropaire
de
Saint-Martial : 242. Cf. René Nelli, L’Érotique des troubadours,
7787
adours, p. 50, qui cite plusieurs autres exemples
de
l’influence directe des Arabes en pays d’Oc. 243. Cahiers d’études
7788
xemples de l’influence directe des Arabes en pays
d’
Oc. 243. Cahiers d’études cathares, n° 9, 1952. 244. Voir supra, p.
7789
e directe des Arabes en pays d’Oc. 243. Cahiers
d’
études cathares, n° 9, 1952. 244. Voir supra, p. 111 à 118. — Partout
7790
indou, en grec et en latin. 245. Cette chronique
de
revue sera reprise dans Situations I. 246. On notera le flottement d
7791
e décidément, c’est lorsqu’il donne comme exemple
de
ce qu’il appelle transcendance « le désir sexuel lui-même ». Le désir
7792
Le désir sexuel du chien ne ferait-il pas partie
de
sa « structure existentielle » ? Ne serait-il pas alors la transcenda
7793
tinguerait plus l’homme du chien, dans le domaine
de
la passion. Allons ! il est trop clair que Sartre abuse des mots, et
7794
pense-t-il — les théologiens, ce n’est guère que
de
l’exorbitance, c’est-à-dire un mouvement de l’homme pour se forcer co
7795
e que de l’exorbitance, c’est-à-dire un mouvement
de
l’homme pour se forcer courageusement (faute d’être attiré amoureusem
7796
t de l’homme pour se forcer courageusement (faute
d’
être attiré amoureusement !) hors de lui-même ; pour passer à tous ris
7797
jeter dans le monde, en danger auprès de la chair
d’
une femme, en danger dans la chair même de cette femme. » Certes, on n
7798
a chair d’une femme, en danger dans la chair même
de
cette femme. » Certes, on ne réfute pas une névrose, mais on a le dro
7799
on ne réfute pas une névrose, mais on a le droit
de
tenir pour suspect tout argument de portée générale qui en est tiré.
7800
on a le droit de tenir pour suspect tout argument
de
portée générale qui en est tiré. (Le reproche vaudrait aussi dans le
7801
est tiré. (Le reproche vaudrait aussi dans le cas
de
Kierkegaard, qui cependant s’en est expliqué avec un humour convainca
7802
mour convaincant.) C’est malheureusement ce genre
d’
observations toutes personnelles qui va nourrir le chapitre central co
7803
Suggéré » ? Oui, par tout mon livre ! Si un pavé
de
près de 400 pages assez serrées est enregistré par Sartre comme une s
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le suggestion, on comprend mieux qu’il ait besoin
de
5000 pages pour traiter vraiment un sujet, fût-il aussi considérable
7805
Cf. Cl. Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires
de
la parenté, 1949. 249. Voir là-dessus dans mon Amour III (en prépara
7806
la drogue au xiie siècle ? Probablement l’ergot
de
seigle, dont les effets ressemblent à ceux du LSD, mais sûrement plus
7807
aphrodisiaques. 251. Cf. Karl Barth, Dogmatique
de
l’Église, Tome I, 2** (4e volume de la trad. franç., p. 108 n.). 252
7808
h, Dogmatique de l’Église, Tome I, 2** (4e volume
de
la trad. franç., p. 108 n.). 252. Première édition chez Albin Michel
7809
ition chez Albin Michel, 1961. Réédition en livre
de
poche, intitulée selon l’ancien sous-titre : Les Mythes de l’amour, P
7810
intitulée selon l’ancien sous-titre : Les Mythes
de
l’amour, Paris, Gallimard, Idées, 1967. 253. Canons du concile de Ch
7811
, Gallimard, Idées, 1967. 253. Canons du concile
de
Chalcédoine en 456.